TABLE DES MATIERES
12ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 4
Sur le premier Commandement de
Dieu 4
12ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 23
Sur le premier Commandement de
Dieu 23
12ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 42
Sur l'amour du prochain.
42
13ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 59
Sur l'Absolution 59
13ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 76
Sur le service de Dieu. 76
14ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 93
Sur le Monde. 93
15ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 110
Sur la pensée de la mort
110
16ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 126
Sur l'Humilité 126
17ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 140
Sur l'amour de Dieu 140
17ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 155
Sur la Charité 155
17ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 171
Sur la pureté 171
18ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 187
Sur la Tiédeur 187
18ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 202
Sur l'Envie 202
19ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 219
Sur l'Impureté (=
les péchés sexuels) 219
20ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 235
Devoirs des parents envers les
enfants 235
20ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 252
Sur l'Ivrognerie 252
21ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 268
Sur la colère 268
22ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 285
Sur la restitution 285
23ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE 300
Sur la mort du juste 300
Publiés par les soins
DE M. LE CHANOINE ÉTIENNE
DELAROCHE
Archiprêtre d'Ainay à
Lyon, Docteur en théologie
ET DU
R. P. Dom MARIE-AUGUSTIN DELAROCHE
Chanoine régulier de l'Immaculée
Conception,
NOUVELLE ÉDITION AUGMENTÉE
DE PLUSIEURS SERMONS INÉDITS
TOME TROISIÈME
DU XII? AU XXIII? DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE
2002
12ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE
Sur le premier Commandement de Dieu
(PREMIER SERMON)
Diliges Dominum Deum tuum ex toto
corde tuo.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu
de tout votre cœur et de toutes vos forces.
(Deut., VI, 5.)
Pourquoi, M.F., le Seigneur nous fait-il un commandement de l'aimer de tout notre cœur : c'est-à-dire, sans partage, de la manière dont il nous a aimés lui-même ; de toute notre âme et de toutes nos forces ; en nous promettant une récompense éternelle, si nous y sommes fidèles, et une punition éternelle si nous y manquons ? Pour deux raisons : c'est 1? pour nous montrer la grandeur de son amour ; 2? que nous ne pouvons être heureux qu'en l'aimant et qu'enfin cet amour ne se trouve que dans l'accomplissement de ses Commandements. Oui, M.F., si tant de maux nous accablent dans ce monde, cela vient de ce que nous violons les commandements de Dieu ; puisqu'il nous dit lui-même : « Si vous gardez fidèlement mes commandements, je vous bénirai en toute manière ; mais si vous les transgressez, vous serez maudits en tout ce que vous ferez . » De sorte, M.F., que si nous voulons être heureux en ce monde, du moins, autant qu'il est possible de l'être, nous n'avons point d'autres moyens que d'observer fidèlement les commandements de Dieu ; et nous verrons que, tant que nous nous écarterons du chemin que les commandements de Dieu nous ont tracé, nous serons toujours malheureux, pour l'âme et pour le corps, dans ce monde et dans l'autre. Je vais donc vous montrer, M.F., que notre bonheur est attaché à notre fidélité à observer les commandements que le bon Dieu nous a faits.
I. – Si nous ouvrons les livres saints,
M.F., nous y verrons que tous ceux qui se sont fait un devoir de bien observer
ce que les commandements de Dieu leur prescrivaient ont toujours été
heureux, parce qu'il est très sûr que le bon Dieu n'abandonnera
jamais celui qui se fait un devoir de faire tout ce qu'il lui commande.
Notre premier père, Adam, nous en donne un bel exemple. Tant qu'il
fut fidèle à observer les ordres du Seigneur, il fut heureux
en toute manière : son corps, son âme, son esprit et tous
ses sens n'avaient point d'autres penchants que vers Dieu ; les anges mêmes
descendaient du ciel avec plaisir pour lui tenir compagnie. Ainsi aurait
continué le bonheur de nos parents, s'ils avaient été
fidèles à leurs devoirs ; mais ce moment mille fois heureux
ne dura pas longtemps. Le démon, jaloux d'un tel bonheur, les eut
bientôt perdus et privés de tous ces biens qui devaient durer
toute l'éternité. Dès qu'ils eurent le malheur de
transgresser les commandements du Seigneur, tout alla de travers pour eux
: les chagrins, les maladies, la crainte de la mort, du jugement et d'une
autre vie malheureuse, prirent la place de leur premier bonheur ; leur
vie ne fut plus qu'une vie de larmes et de douleurs.
Le Seigneur dit à Moïse
: « Dis à mon peuple que, s'il est fidèle à
observer mes commandements, je le comblerai de toutes sortes de bénédictions
; mais que s'il ose les transgresser, je l'accablerai de toutes sortes
de maux . » Le Seigneur dit à Abraham : « Parce que
vous êtes fidèles à garder mes commandements, je vous
bénirai en tout ; je multiplierai vos enfants comme les grains de
sable qui sont au bord de la mer. Je bénirai tous ceux qui vous
béniront ; je maudirai tous ceux qui vous maudiront ; de votre race
naîtra le Sauveur du monde . » Il fit dire à son peuple
lorsqu'il était prêt à entrer dans la Terre promise
: « Les peuples qui habitent cette terre ont commis de grands péchés
; c'est pourquoi je veux les chasser pour vous mettre à leur place.
Mais prenez bien garde de ne pas violer mes commandements. Si vous êtes
fidèles à les observer, je vous bénirai en tout et
partout. Lorsque vous serez dans vos champs, dans vos villes et dans vos
maisons, je bénirai vos enfants, qui vous aimeront, vous respecteront,
vous obéi-ront et vous donneront toutes sortes de consolations.
Je bénirai vos fruits et vos bestiaux. Je commanderai au ciel de
vous donner la pluie dans le temps convenable, autant qu'il en faudra pour
arroser vos terres et vos prés : tout vous réussira . »
Dans, un autre endroit, il leur dit : « Si vous gardez fidèlement
mes commandements, je veillerai sans cesse à votre conservation
; vous serez sans crainte dans vos maisons ; j'empêcherai que les
bêtes féroces vous nuisent, vous dormirez en paix : rien ne
pourra vous troubler. Je serai toujours au milieu de vous. Je marcherai
avec vous. Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple . » Plus
loin, il dit à Moise : « Dis à mon peuple que s'il
observe bien mes lois, je le délivrerai de tous ces maux qui l'accablent.
» Et le Saint-Esprit nous dit lui-même « que celui qui
a le bonheur de bien garder les commandements du Seigneur est plus heureux
que s'il possédait toutes les richesses de la terre . »
Dites-moi, auriez-vous jamais pensé
que le bon Dieu eût tant à cœur de nous faire garder ses commandements,
et qu'il nous promît tant de biens si nous sommes assez heureux que
de les bien observer ? Vous conviendrez avec moi que nous devons faire
consister tout notre bonheur à garder fidèlement ses commandements.
Pour mieux vous convaincre, M.F., que, dès que nous transgressons
les commandements de Dieu, nous ne pouvons être que malheureux, voyez
ce qui se passa à l'égard de David. Tant qu'il fut fidèle
à marcher dans le chemin que les commandements de Dieu lui avaient
tracé ; tout alla bien pour lui : il était aimé, respecté
et écouté de ses voisins. Mais dès l'instant qu'il
voulut quitter d'observer les commandements de Dieu, de suite, son bonheur
finit, et toutes sortes de maux lui tombèrent dessus. Les troubles,
les remords de sa conscience prirent la place de cette paix et de ce calme
dont il jouissait ; les larmes et la douleur furent son pain de tous les
jours. Un certain jour qu'il gémissait tant sur ses péchés,
on vint lui dire que son fils Amnon avait été poignardé
dans son ivresse par son propre frère Absalon . Absalon chercha
même à détruire son père, à lui ôter
la vie pour régner à sa place ; David fut forcé d'aller
se cacher dans les forêts pour éviter la mort . La peste lui
enleva un nombre presque infini de sujets . Si vous allez plus loin, voyez
Salomon : tant qu'il fut fidèle à garder les commandements
de Dieu, il était le miracle du monde ; sa réputation s'étendait
jusqu'à l'extrémité de la terre, puisque la reine
de Saba vint de si loin, pour être témoin des merveilles que
le Seigneur opérait en lui ; mais nous voyons que, dès
qu'il eut le malheur de ne plus suivre les commandements de Dieu, tout
alla mal pour lui . Après tant de preuves tirées de l'Écriture
sainte, vous conviendrez avec moi, M.F., que tous nos maux ne viennent
que de ce que nous n'observons pas fidèlement les commandements
de Dieu, et que, si nous voulons espérer quelque bonheur et quelque
consolation en ce monde, (du moins autant qu'il est possible d'en avoir,
puisque ce monde n'est qu'un tissu de maux et de douleurs), le seul moyen
de nous procurer ces biens, c'est de faire tout ce que nous pourrons pour
plaire à Dieu en faisant ce qu'il nous ordonne par ses commandements.
Mais si nous passons de l'Ancien
Testament au Nouveau, les promesses ne sont pas moins grandes. Au contraire,
nous voyons que Jésus-Christ nous les fait toutes pour le ciel,
parce que rien de ce qui est créé n'est capable de contenter
le cœur d'un chrétien, qui n'est fait que pour Dieu qui seul peut
le contenter .
Jésus-Christ nous engage
fort à mépriser les choses de ce monde pour ne nous attacher
qu'aux choses du ciel, qui ne finissent jamais. Nous lisons dans l'Évangile
que Jésus-Christ se trouvant un jour avec des personnes qui semblaient
ne penser qu'aux besoins du corps, i1 leur dit : « Ne vous mettez
pas tant en peine de ce que vous mangerez ni de quoi vous vous vêtirez.
» Et pour bien leur faire comprendre que tout ce qui regarde le corps
est fort peu de chose : « Considérez, leur dit-il, les lis
des champs, ils ne filent ni ne prennent soin d'eux ; voyez comment votre
Père céleste prend soin de les vêtir ; car je vous
assure que Salomon dans toute sa richesse et sa force n'a jamais été
si bien vêtu que l'un d'eux. Voyez encore les oiseaux du ciel, qui
ne sèment ni ne moissonnent ; ni ne renferment rien dans leur grenier,
voyez comment votre Père céleste a soin de les nourrir. Gens
de peu de foi, n'êtes-vous pas plus qu'eux ?... Cherchez, avant tout,
le royaume des cieux ; c'est-à-dire, observez fidèlement
mes commandements, et tout le reste vous sera donné avec abondance
. »
Que voulons-nous dire par là,
M.F. ? Qu'à un chrétien qui ne cherche qu'à plaire
à Dieu et à sauver son âme, ce qui est nécessaire
aux besoins du corps ne lui manquera jamais. – Mais, me direz-vous peut-être,
quand nous n'avons rien, personne ne nous apporte rien. – D'abord, je vous
dirai que tout ce que nous avons, nous le tenons de la bonté de
Dieu, et rien de nous-mêmes. Mais, dites-moi, M.F., comment voulez-vous
que le bon Dieu fasse des miracles pour nous ? Serait-ce parce qu'il y
en a quelques-uns qui osent porter leur incrédulité et leur
impiété jusqu'à vouloir croire que le bon Dieu n'existe
pas, c'est-à-dire qu'il n'y a point de Dieu ? parce que d'autres,
moins impies, sans être moins coupables, disent que le bon Dieu ne
fait pas attention à ce qui se passe sur la terre, que le bon Dieu
ne se mêle pas de si peu de chose ? et enfin, parce que d'autres
ne veulent pas convenir que cette grande Providence est attachée
à l'observance des commandements de Dieu et qu'ils comptent pour
tout sur leur travail et leurs soins ? (ce qu'il me serait bien facile
de vous prouver par vos travaux du dimanche, qui montrent véritablement
que vous ne comptez rien sur Dieu, mais tout sur vous et sur votre travail
) Il y en a cependant qui croient à cette grande Providence, mais
qui lui mettent une barrière impénétrable par leurs
péchés.
Voulez-vous, M.F., éprouver
la grandeur de la bonté de Dieu pour ses créatures ? faites-vous
un devoir de bien observer tout ce que les commandements vous ordonnent,
et vous serez étonnés de voir combien le bon Dieu prend soin
de ceux qui ne cherchent qu'à lui plaire. Si vous en voulez voir
les preuves, M.F., ouvrez les livres saints et vous en serez parfaitement
convaincus. Nous lisons dans l'Écriture sainte que le prophète
Élie, fuyant la persécution de la reine Jézabel, alla
se cacher dans un bois. Étant là, dépourvu de tout
secours humain, le Seigneur le laissera-t-il mourir de misère ?
Non, certainement, M.F., le Seigneur, du haut du ciel, ne manque pas d'avoir
les yeux sur son fidèle serviteur. De suite, il lui envoie un ange
du ciel pour le consoler et lui porter tout ce qu'il lui fallait pour se
nourrir : Voyez le soin que le Seigneur prend de nourrir la veuve
de Sarepta. Il dit à son prophète : « Va trouver cette
bonne veuve, qui me sert et observe mes commandements, avec fidélité
; tu multiplieras sa farine, crainte qu'elle ne souffre . » Voyez
comment il commande à un autre prophète Habacuc d'aller porter
à manger aux trois enfants qui étaient dans la fournaise
de Babylone .
Si vous passez de l'ancienne loi
à la nouvelle, les merveilles que le bon Dieu opère pour
ceux qui ont soin de bien observer ses commandements, ne sont pas moins
grandes. Voyez comment le bon Dieu nourrit des milliers de personnes avec
cinq pains et deux poissons ; cela n'est pas difficile à comprendre,
puisqu'ils cherchaient, premièrement, le royaume des cieux et le
salut de leur âme en suivant Jésus-Christ. Voyez comment il
prend soin de nourrir un saint Paul ermite, pendant quarante ans, par le
ministère d'un corbeau ; preuve bien claire que le bon Dieu ne perd
jamais de vue ceux qui l'aiment, pour leur fournir tout ce qui leur est
nécessaire. Lorsque saint Antoine alla voir saint Paul, le bon Dieu
lui envoya un double repas : Ô mon Dieu ! que vous aimez ceux
qui vous aiment ! que vous avez peur qu'ils souffrent ! Dites-moi, M.F.,
qui commanda à ce chien d'aller chaque jour porter la petite provision
à saint Roch dans un bois. Qui commanda à cette biche d'aller
tous les jours donner son lait à l'enfant de Geneviève de
Brabant dans son désert ? N'est-ce pas le bon Dieu, M.F. ? Et pourquoi,
M.F., est-ce que le bon Dieu prend tant de soins de nourrir tous ces saints,
sinon parce qu'ils étaient fidèles à observer tous
les commandements qu'il leur donnait ?
Oui, M.F., nous pouvons dire que
les saints faisaient consister tout leur bonheur à observer les
commandements de Dieu, et qu'ils auraient mieux aimé souffrir toutes
sortes de tourments que de les violer ; nous pouvons dire aussi que tous
les martyrs n'ont été martyrs que parce qu'ils n'ont pas
voulu violer les commandements de Dieu. En effet, M.F., demandez à
sainte Reine, cette jeune vierge, pourquoi elle a tant enduré de
tourments, ce qui lui fut d'autant plus sensible que ce fut son père
qui fut son bourreau ? Il la fit pendre par ses cheveux à un arbre
où il là fit frapper de verges jusqu'à ce que son
pauvre petit corps innocent ne fût qu'une plaie. Après ces
cruautés, qui firent frémir même les païens qui
en furent témoins, il la fit conduire en prison, dans l'espérance
qu'elle ferait ce qu'il lui commandait. La voyant inébranlable,
il la fit ramener auprès de l'arbre, et ordonnant qu'on l'attachât
comme la première fois par les cheveux, il la fit écorcher
tout en vie. Quand la peau fut séparée de son corps, il la
fit jeter, dans une chaudière d'huile bouillante, où il la
regardait impitoyablement brûler. Si vous me demandez, M.F., pourquoi
elle supporta tant de cruautés ? ah ! M.F., le voici. C'est qu'elle
ne voulut pas transgresser le sixième commandement de Dieu, qui
défend toute impureté . Pourquoi est-ce que la chaste Suzanne
ne voulut pas consentir aux désirs de ces deux infâmes vieillards
et qu'elle préféra plutôt la mort ? N'est-ce
pas pour la même raison ? Qui fut la cause que le chaste Joseph fut
décrié, calomnié auprès de Putiphar, son maître,
et conduit en prison ? n'est-ce pas encore pour la même raison
? Pourquoi est-ce que saint Laurent se laissa coucher sur un brasier de
charbons allumés ? N'est-ce pas parce qu'il ne voulut pas transgresser
le premier commandement de Dieu, qui nous ordonne de n'adorer que Dieu
et de l'aimer plus que nous-mêmes ? Oui ; M.F., si nous parcourons
un peu les livres où sont renfermés les actions des saints,
nous y voyons des exemples admirables et étonnants de leur fidélité
à observer les commandements de Dieu, et nous voyons qu'ils ont
préféré souffrir tout ce que les bourreaux ont pu
inventer, plutôt que d'y manquer.
Nous lisons dans l'histoire des
martyrs du Japon, que l'empereur fit arrêter, dans un même
endroit, vingt-quatre chrétiens ; à qui l'on fit souffrir
tout ce que la rage des païens put leur inspirer. Les -martyrs se
disaient les uns aux autres : « Prenons bien garde de ne pas violer
les commandements de Dieu pour obéir à ceux de l'empereur
; prenons courage, le ciel vaut bien quelques souffrances qui ne durent
que quelques moments. Espérons fermement, et le bon Dieu, pour qui
nous voulons souffrir, ne nous abandonnera pas. »
Lorsqu'on les eut conduit dans le
lieu où l'on devait les interroger, celui qui les avait menés
faisant l'appel et croyant qu'il en manquait, cria à haute voix
: « Mathieu ? où est Mathieu ? » Un soldat, qui, depuis
longtemps, désirait se faire connaître pour chrétien,
s'écrie : « Me voici, qu'importe, d'ailleurs, dit-il, la personne,
je m'appelle aussi Mathieu et je suis chrétien comme lui. »
Le juge, tout en fureur, lui demanda s'il le disait tout de bon. «
Oui, répondit le soldat, il y a longtemps que je professe la religion
chrétienne, j'espère ne jamais la quitter ; je ne désire
que le moment de la manifester à l'extérieur. » De
suite, le juge le fit mettre au nombre des martyrs. Il en eut tant de plaisir,
qu'il en mourut de joie, avant de mourir dans les tourments. Parmi ce nombre,
il y avait un enfant de dix ans. Le juge, le voyant si jeune, ne voulut
pas, pendant quelque temps, le mettre sur la liste de ceux qui devaient
mourir pour Jésus-Christ. Cet enfant était inconsolable de
se voir privé de ce bonheur ; il protesta si fort que jamais il
ne changerait et qu'il mourrait dans cette religion, il fit tant, qu'il
força, pour ainsi dire, le juge à le mettre au nombre des
martyrs. Il en eut une si grande joie, qu'il semblait ne pouvoir plus se
posséder ; il voulait toujours être le premier, toujours répondre
pour tous ; il aurait voulu avoir le cœur de tous les hommes pour les sacrifier
tous à Jésus-Christ. Un seigneur païen, ayant appris
que cet enfant était destiné à mourir avec les autres
chrétiens, en fut touché de compassion. Il va lui-même
trouver l'empereur, pour le prier d'avoir pitié de cet enfant, disant
qu'il ne savait pas ce qu'il faisait. L'enfant, qui l'entendît, se
tourna contre lui, en lui disant : « Seigneur, gardez votre compassion
pour vous ; pensez seulement à vous faire baptiser et à faire
pénitence, sans quoi, vous irez brûler avec les démons.
» Ce seigneur, le voyant si bien résolu à la mort,
le laissa. L'enfant, s'étant trouvé présent quand
on leur lut leur sentence, qui portait qu'on leur couperait le nez et les
oreilles, et qu'on les promènerait sur des charrettes par toute
la ville, pour donner plus d'horreur de la religion chrétienne,
et afin que les païens les accablassent d'injures ; ce pauvre petit
eut une si grande joie, qu'il semblait qu'on venait de lui annoncer la
possession d'un royaume entier. Les païens eux-mêmes étaient
étonnés qu'un enfant si jeune eût tant de courage et
éprouvât tant de joie de mourir pour son Dieu. Les bourreaux
étant venus pour exécuter les ordres de l'empereur, tous
ces saints martyrs allèrent se présenter à leur bourreau
pour se faire découper, avec autant de tranquillité et de
joie que si on avait voulu les conduire dans une salle de festin. Ils se
laissèrent couper le nez et les oreilles avec la même tranquillité
que si on leur avait coupé un morceau de leur habit. Leur pauvre
corps était tout couvert de sang, ce qui fit horreur même
aux païens qui en furent témoins. On entendait ceux-ci s'écrier
de temps en temps : « Ô quelle cruauté ! ô quelle
injustice de faire tant souffrir des personnes qui n'ont point fait de
mal ! Voyez-vous, se disaient-ils les uns aux autres, voyez quel courage
leur donne cette religion qu'ils professent. » Toutes les fois qu'on
les interrogeait, ils ne répondaient rien, sinon qu'ils étaient
chrétiens et qu'ils savaient souffrir et mourir, mais que jamais
ils ne violeraient les commandements de leur Dieu, parce qu'ils faisaient
consister tout leur bonheur à y être fidèles. Hélas
! ces pauvres martyrs, après qu'on les eût promenés
par la ville sur ces charrettes, leur corps était tout couvert de
sang ; les pierres étaient toutes ensanglantées et la terre
était toute rouge du sang qui coulait, avec abondance de leurs plaies.
Comme leur sentence portait qu'ils devaient mourir chacun sur une croix,
celui qui les avait conduits pour la première fois, reconnut ces
chrétiens. Ce qui le toucha grandement, ce fut cet enfant de dix
ans. Il s'approcha de lui, en lui disant : « Mon enfant, vous êtes
bien jeune, c'est bien dommage de mourir dans un âge si peu avancé
; si vous voulez, je me charge d'obtenir votre grâce auprès
de l'empereur, et bien plus, une grande récompense : » Cet
enfant, l'entendant parler de la sorte, se mit à rire en lui disant
qu'il le remerciait bien ; mais de garder toutes ses récompenses
pour lui-même, puisqu'il n'avait point d'espérance pour l'autre
vie ; mais que, pour lui, il méprisait tout cela comme étant
trop peu de chose ; que toute sa crainte était de ne pas avoir le
bonheur de mourir, comme les autres martyrs, pour Jésus-Christ.
Sa mère, qui était témoin de tout cela, quoique chrétienne,
était inconsolable de voir mourir son enfant sur une croix. Ce pauvre
petit, voyant sa mère si désolée, l'appela auprès
de lui, en lui disant qu'il était peu édifiant pour une mère
chrétienne de tant pleurer la mort d'un enfant martyr, comme si
elle ne connaissait pas tout le prix d'un tel sacrifice ; qu'elle devrait,
au contraire, l'encourager et remercier le bon Dieu d'une telle grâce.
Cet enfant de bénédiction, un moment avant de mourir, dit
des choses si belles et si touchantes sur le bonheur de ceux qui meurent
pour Jésus-Christ, que les païens aussi bien que les chrétiens,
tous fondaient en larmes. Lorsqu'on l'approcha de sa croix, avant d'y être
attaché, il embrassa cette croix, il la baisa, il l'arrosa de ses
larmes, tant il eut de joie de voir que véritablement il allait
mourir pour son Dieu. Quand, ils furent tous sur leurs croix, l'on entendit
une troupe d'anges qui chantaient le Laudate pueri Dominum, avec leur musique
céleste ; ce qui fut entendu de tous les païens. Quel spectacle
! M.F., le ciel dans l'admiration !... la terre dans l'étonnement
!... les assistants dans les larmes, et les martyrs dans l'allégresse,
qui quittent la terre, c'est-à-dire toutes les souffrances et les
misères de la vie, pour aller prendre possession d'un bonheur qui
durera autant que Dieu même...
Eh bien ! M.F., dites-moi, qui porta
tous ces martyrs à endurer tant de tourments ? si ce n'est pour
ne pas vouloir violer les commandements de Dieu ? Quelle honte pour nous,
M.F., lorsque Jésus-Christ nous confrontera avec eux ; nous, que,
si souvent, un simple respect humain, un maudit qu'en dira-t-on, fait rougir,
ou plutôt nous fait désavouer que nous sommes chrétiens,
pour nous mettre du nombre des renégats.
II. – Mais examinons cela, M.F.,
un peu plus de près, et nous verrons que, si le bon Dieu nous ordonne
de garder fidèlement ses commandements, ce n'est que pour notre
bonheur. Il nous dit lui-même qu'ils sont faciles à accomplir
, et que, si nous les accomplissons, nous y trouverons la paix de nos âmes
. Si, dans le premier commandement, le bon Dieu nous ordonne de l'aimer,
de le prier et de ne nous attacher qu'à lui, et si nous devons le
prier soir et matin, et souvent dans la journée, dites-moi, M.F.,
n'est-ce pas là le plus grand de tous les bonheurs pour nous, que
le bon Dieu veuille bien nous permettre de nous présenter tous les
matins devant lui, pour lui demander les grâces qui nous sont nécessaires
pour passer saintement la journée ? N'est-ce pas une grâce
qu'il nous fait, n'est-ce pas cette grâce, que le bon Dieu nous donne
le matin, qui rend toutes nos actions méritoires pour le ciel ?
n'est-ce pas ce qui nous les fait trouver moins dures ? Si ce même
commandement nous ordonne de n'aimer que Dieu et de l'aimer de tout notre
cœur, n'est-ce pas parce qu'il sait qu'il n'y a que lui qui puisse nous
contenter et nous rendre heureux en ce monde ? Voyez une maison, où
tous ne vivent que pour Dieu : n'est-ce pas un petit paradis ? Vous conviendrez
donc avec moi, M.F., que ce commandement n'a rien que de doux et de consolant
pour celui qui a le bonheur de l'observer avec fidélité.
Si nous passons au deuxième,
qui nous défend toute sorte de jurements, de blasphèmes,
d'imprécations et de malédictions, et toute sorte de colère,
en nous recommandant la douceur, la chari-té, et la prévenance
pour tous ceux qui nous environnent : dites-moi, M.F., qui sont ceux qui
sont le plus heureux, ou de ceux qui se livrent à tous ces excès
de colère, d'emportements et de malé-dictions, ou de ceux
qui, dans tout ce qu'ils font ou disent, mon-trent cette égalité
d'humeur, cette bonté, et qui s'étudient conti-nuellement
à faire la volonté des autres ? Nous voyons donc que ce commandement
ne contribue qu'à nous rendre heureux nous-mêmes et ceux qui
sont avec nous.
Si nous venons au troisième,
qui nous ordonne de passer sain-tement le jour du dimanche, en cessant
toute sorte de travail manuel pour ne nous occuper que de ce qui regarde
le service de Dieu et le salut de notre âme : dites-moi, M.F., n'est-ce
pas pour notre bien ; puisque nous cessons de travailler pour ce monde
qui n'est rien ? puisque nous ne sommes qu'un instant sur la terre, et
qu'en priant ou faisant de bonnes œuvres, nous nous ramassons pour le ciel
un trésor que nous ne quitterons jamais, et, par là, nous
attirons sur notre travail de la semaine toute sorte de béné-dictions
? N'est-ce pas déjà un moyen pour notre bonheur ? Ce même
commandement nous ordonne encore d'employer ce saint jour à pleurer
nos péchés de la semaine, de nous en purifier par la vertu
des sacrements : n'est-ce pas, M.F., nous forcer, pour ainsi dire, à
ne chercher que notre bien, notre bonheur, et notre félicité
éternelle ? Ne sommes-nous pas plus contents lorsque nous avons
bien passé le saint jour du dimanche à prier le bon Dieu,
que si nous avons eu le malheur de le passer dans les plaisirs, les jeux
et les débauches ? Le troisième commandement n'a donc rien
que de consolant et d'avantageux pour nous.
Si nous passons au quatrième,
qui ordonne aux enfants d'ho-norer leurs parents, de les aimer, de les
respecter et de leur souhai-ter et procurer tous les biens dont ils sont
capables : dites-moi, n'est-ce pas une chose juste et raisonnable ? Des
parents qui ont tant fait pour leurs enfants ! n'est-il pas juste que ces
mêmes en-fants les aiment et leur donnent toutes les consolations
dont ils sont capables ? Si ce commandement était bien observé,
ces fa-milles ne seraient-elles pas un petit paradis par ce respect, cet
amour que les enfants auraient pour leurs parents ! Si ce même commandement
ordonne aux parents d'avoir bien soin des âmes de leurs enfants,
et leur dit qu'un jour ils en rendront un compte rigoureux, n'est-ce pas
une chose juste ; puisque ces âmes ont tant coûté à
Jésus-Christ pour les sauver, et qu'elles seront la joie et la gloire
de leurs parents pendant toute l'éternité ? Si ce même
commandement ordonne aux maîtres et maîtresses d'avoir grand
soin de leurs domestiques, de les regarder comme leurs enfants, ces maîtres
ne sont-ils pas trop heureux de pouvoir aider à sauver des âmes
qui ont tant coûté de tourments à un Dieu fait homme
pour nous ? Disons mieux, M.F. : si ce commandement était bien observé,
le ciel ne descendrait-il pas sur terre par la paix et le bonheur que nous
y goûterions ?
Si nous passons au cinquième
qui nous défend de faire tort à notre prochain dans ses biens,
sa réputation et sa personne, n'est-ce pas une chose bien juste,
puisque nous devons les aimer comme nous-mêmes, et une chose, en
même temps, bien avanta-geuse pour nous, puisque Jésus-Christ
nous dit que jamais le bien d'autrui n'entrera dans le ciel ? Vous voyez
que ce commande-ment n'a rien de dur, puisque par lui nous nous assurons
le ciel. Si nous passons au sixième commandement, qui nous défend
toute impureté dans les pensées, les désirs et les
actions ; n'est-ce pas pour notre paix et notre bonheur que le bon Dieu
nous défend tou-tes ces choses ? Si nous avons le malheur de nous
livrer à quel-ques-uns de ces mauvais péchés infâmes,
votre pauvre âme n'est-elle pas comme dans un enfer ? n'êtes-vous
pas tourmentés et le jour et la nuit ? D'un autre côté,
votre corps et votre âme ne sont-ils pas destinés à
être la demeure de la Très-Sainte Trinité ; ne doivent-ils
pas, dis-je, aller passer une éternité avec les anges, au-près
de Jésus-Christ qui est la pureté même ? Vous voyez
donc que ce commandement ne nous est donné que pour notre bien et
notre repos, même dès ce monde
Si le bon Dieu nous dit, M.F., par
la voix de son Église : « Je vous commande de ne jamais laisser
passer plus d'un an, sans vous confesser ; » dites-moi, ce commandement
n'est-il pas pour nous montrer la grandeur de l'amour de Dieu pour nous
? Dites-moi, quand même l'Église n'aurait pas fait ce commandement,
peut-on vivre tranquille avec le péché dans le cœur et le
ciel fer-mé pour nous, étant exposés à chaque
instant à tomber en enfer. Si le bon Dieu nous commande de le recevoir
à Pâques, hélas ! M.F., une âme peut-elle bien
vivre, ne faisant qu'un repas tous les ans ? Mon Dieu, que nous connaissons
peu notre bien, notre bon-heur ! Si l'Église nous ordonne de nous
priver de manger de la viande, de jeûner certains jours ; est-ce
une chose injuste ; puis qu'étant pécheurs, nous devons nécessairement
faire pénitence dans ce monde ou dans l'autre ? Et n'est-ce pas,
en cela, changer contre de petites peines ou privations des maux bien rigoureux
dans l'autre vie ?
Ne conviendrez-vous pas avec moi,
M.F., que si le bon Dieu nous a fait des commandements, nous oblige de
les observer, cela n'est que pour nous rendre heu-reux dans ce monde et
dans l'au-tre ? De sorte, M.F., que si nous voulons espérer quelques
conso-lations et quelques adoucissements dans nos misères, nous
ne les trouverons qu'en observant avec fidélité les commande-ments
de Dieu ; et, tant que nous les violerons, nous ne serons que malheu-reux,
même dès ce monde. Oui, M.F., quand même une personne
serait maîtresse de la moitié du monde ; si elle ne fait pas
consis-ter tout son bonheur à bien observer les commandements,
ne sera que malheureuse. Voyez, M.F., lequel était le plus heureux
de saint Antoine dans son désert, livré à toutes les
rigueurs de la pé-nitence, ou de Voltaire, dans tous ses biens et
ses plaisirs ; et, comme nous dit saint Paul, dans son abondance et sa
crapule . Saint Antoine vit heureux, meurt content et, maintenant, jouit
d'un bonheur qui ne finira jamais ; tandis que l'autre vit malheureux avec
tous ses biens, meurt en désespéré, et maintenant,
selon toute apparence, sans le juger, souffre comme un réprouvé.
Pourquoi, M.F., cette grande différence ? c'est que l'un fait consister
tout son bonheur à observer fidèlement les commandements
de Dieu, et l'autre met tous ses soins à les violer et à
les faire mépriser ; l'un, dans la pauvreté, est content
; et l'autre, dans l'abondance, est bien misérable ; ce qui nous
montre, M.F., qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse nous contenter et rien
autre chose.
Voyez le bonheur que nous avons
si nous observons fidèle-ment les commandements de Dieu, puisque
nous lisons dans l'Évangile que Jésus-Christ nous dit : «
Celui qui observe mes commandements m'aime et celui qui m'aime sera aimé
de mon Père ; nous viendrons en lui et nous y ferons notre demeure
. » Quel bonheur peut être plus grand et quelle grâce
plus précieuse ; puisque en gardant les commandements de Dieu, nous
attirons en nous tout le ciel. Le saint roi David avait bien raison de
s'écrier : « Ô mon Dieu, que ceux qui vous servent sont
heureux ! » Voyez encore combien le bon Dieu bénit les
maisons de ceux qui obser-vent ses lois divines. Nous lisons dans l'Évangile
que le père et la mère de saint Jean-Baptiste gardaient si
bien les commandements que personne ne pouvait leur reprocher la moindre
chose ; aussi le bon Dieu, en récompense, leur donna un enfant
qui fut le plus grand de tous les prophètes. Ce fut un ange qui
vint du ciel, pour leur annoncer cette heureuse nouvelle. Ce fut même
le Père éter-nel qui lui donna le nom de Jean, qui veut dire
: enfant de béné-diction et de bonheur. A peine Jésus-Christ
est-il conçu dans le sein de sa mère, qu'il va lui-même
dans cette maison, pour y ré-pandre toute sorte de bénédictions.
Il sanctifia cet enfant, avant qu'il fût né, et remplit le
père et la mère du Saint-Esprit . Voulez-vous, M.F., que
le bon Dieu vous visite et vous comble de toute sorte de bénédictions
? tâchez de mettre tous vos soins à bien ob-server les commandements
de Dieu, et tout ira bien chez vous.
Nous lisons dans l'Évangile
qu'un jeune homme demanda à Jésus-Christ ce qu'il fallait
faire pour avoir la vie, Le Sauveur lui répondit : « Si vous
voulez avoir la vie éternelle, gardez mes commandements avec fidélité
. » Notre-Seigneur s'entretenant un jour avec ses disciples sur le
bonheur de l'autre vie, dit que le chemin qui conduit au ciel est étroit,
qu'il y en a bien peu qui le cherchent véritablement, et, parmi
ceux qui le trouvent, bien peu qui soient dans cette route : « ce
n'est pas tous ceux qui disent : Seigneur, Seigneur, qui seront sauvés
; mais seulement ceux qui font la volonté de mon Père en
gardant mes commandements. Plusieurs me diront au jour du jugement : Seigneur,
nous avons prophétisé en votre nom ; nous avons chassé
les démons du corps des possédés et nous avons fait
de grands miracles. Je leur répon-drai : Retirez-vous de moi, ouvriers
d'iniquité. Vous avez fait de grandes choses ; mais vous n'avez
pas observé mes commande-ments ; je ne vous connais pas . »
Jésus-Christ dit au disciple bien-aimé : « Soyez-moi
fidèle jusqu'à la fin, et je vous donnerai la couronne éternelle
. » Vous voyez donc, M.F., que notre salut est absolument attaché
à l'observance des commandements de Dieu. Si vous avez quelque doute
de savoir si vous serez sauvés ou damnés, prenez les commandements
de Dieu et confrontez-les avec votre vie. Si vous voyez que vous marchez
dans le chemin qu'ils vous ont tracé, ne vous mettez en peine que
de persévérer ; mais, si vous vivez d'une manière
tout opposée, vous aurez beau vous tourmenter, vous ne laisserez
pas que d'être damnés .
III. – Nous disons que si nous voulons
avoir la paix de l'âme, il faut garder les commandements de Dieu,
parce que le Saint-Esprit nous dit que celui qui a une conscience pure
est comme dans un festin continuel . Il est très certain, M.F.,
que celui qui vit selon les lois de Dieu est toujours content, et, bien
plus, rien n'est capable de le troubler. Saint Paul nous dit qu'il
est plus heureux et plus content dans sa prison, dans ses souffrances,
ses pénitences et sa pauvreté que ses bourreaux ne le sont
dans leur liberté, leur abondance et leur crapule ; que son âme
est remplie de tant de joie et de consolation, qu'elle déborde de
tous côtés . Sainte Monique nous dit qu'elle fut toujours
contente quoiqu'elle fut souvent maltraitée par son mari, qui était
un païen . – Saint Jean de la Croix nous dit qu'il avait coulé
les jours les plus heureux de sa vie, là où il avait le plus
souffert. « Mais, au contraire, nous dit le prophète Isaïe,
celui qui ne vit pas selon les lois du Seigneur ne sera ni content ni heureux.
Sa conscience sera semblable à une mer agitée par une furieuse
tempête, les troubles et les remords le suivront partout . »
Si ces personnes veulent vous dire qu'elles sont en paix, ne les croyez
pas, parce qu'elles sont des menteurs ; parce que le pécheur n'aura
jamais la paix . Voyez-en la preuve, M.F., dans Caïn. Dès qu'il
eut le malheur d'avoir tué son frère Abel, son péché
fut, toute sa vie, son bourreau, qui ne le quitta qu'à la mort pour
le traîner en enfer . Voyez encore les frères de Joseph .
Voyez même Judas : après avoir vendu son divin Maître,
il fut si tourmenté, qu'il alla se pendre à un figuier, tant
la vie lui était à charge . Nous lisons dans l'histoire qu'un
jeune homme, dans un accès de fureur, tua son pauvre père.
Son péché ne lui donna de repos ni jour, ni nuit. Il lui
semblait entendre son père qui lui criait : « Ah ! mon fils,
pourquoi m'as-tu égorgé. » Il alla lui-même se
dénoncer pour qu'on le fît mourir, pensant que l'enfer ne
serait pas plus rigoureux. Hélas ! M.F., si nous avons le malheur
de ne pas garder les commandements de Dieu, jamais nous ne serons contents,
même avec les plus grands biens. Voyez Salomon, etc.
Mais, chose étrange, M.F.,
l'homme a beau être tourmenté et savoir les remèdes
qu'il faut prendre pour avoir la paix avec son Dieu et avec lui-même,
il aime mieux commencer son enfer que d'avoir recours aux remèdes
que Jésus-Christ nous a donnés. Vous êtes malheureux,
mon ami, pourquoi voulez-vous rester dans cet état ? Revenez à
Jésus-Christ et vous retrouverez la paix de l'âme que
vos péchés vous ont ravie.
IV. – Nous disons que si nous ne
gardons pas les comman-dements de Dieu, nous serons malheureux tous les
jours de notre vie. Voyez-en la preuve dans Adam. Dès qu'il eut
péché, le Sei-gneur lui dit : « Parce que tu as violé
mes lois, la terre, pour toi, sera maudite ; elle ne produira d'elle-même
que des ronces et des épines. Tu mangeras ton pain à la sueur
de ton front, et cela, tous les jours de ta vie . » Voyez Caïn
; le Seigneur lui dit : « Caïn, le sang de ton frère
crie vengeance, tu seras errant, vagabond et fu-gitif tous les jours de
ta vie . » Voyez encore Saül... De sorte, M.F., que, dès
que nous cessons de suivre ce que les commande-ments de Dieu nous ordonnent,
nous devons nous attendre à tou-tes sortes de maux spirituels et
temporels. Pères et mères, voulez-vous être heureux
? Commencez à bien observer les commande-ments de Dieu vous-mêmes,
afin que vous puissiez vous donner pour modèles à vos enfants,
et que vous puissiez toujours leur dire : « Faites comme moi. »
Si vous voulez qu'ils fassent bien leur prière, donnez-leur-en l'exemple.
Voulez-vous qu'ils soient bien modestes à l'église, donnez-leur
l'exemple ; mettez-les à côté de vous. Voulez-vous
qu'ils observent bien le saint jour du di-manche ? commencez vous-mêmes.
Voulez-vous qu'ils soient charitables ? soyez-le vous-mêmes. Hélas
! M.F., si tant de maux nous accablent, n'en cherchons point d'autres raisons
que la multi-tude des péchés que nous commettons, en transgressant
les com-mandements de Dieu. Plaignons, M.F., ceux qui viendront quel-ques
siècles après nous. Hélas ! ce sera bien plus mauvais
encore.
Voulons-nous, M.F., que Dieu cesse
de nous châtier ? ces-sons nous-mêmes de l'offenser ; faisons
comme les saints qui ont tout sacrifié plutôt que de violer
ses saintes lois. Voyez un saint Barthélemy et une sainte Reine,
qui ont été écorchés tout en vie, pour ne pas
vouloir offenser Dieu. Voyez un saint Pierre et un saint André,
qui ont été crucifiés sur une croix. Voyez toutes
ces foules de martyrs qui ont enduré mille tourments pour ne pas
transgresser les commandements. Voyez tous les combats qu'ont soutenus
les saints Pères des déserts contre le démon et leurs
pen-chants. Lorsque saint François d'Assise était sur une
montagne pour prier, les habitants du voisinage vinrent lui demander de
les délivrer, par ses prières, de quantité de bêtes
féroces qui dévo-raient tout ce qu'ils avaient. Ce saint
leur dit : « Mes enfants, cela ne vient que de ce que vous avez violé
les commandements de Dieu ; revenez à Dieu et vous serez délivrés.
» En effet, aussitôt qu'ils eurent changé de vie, ils
furent délivrés.
De même, en finissant, disons
que si nous voulons que nos maux spirituels et temporels finissent, finissons
d'offenser le bon Dieu ; cessons de transgresser ses commandements. Cessez,
M.F., de livrer votre cœur, votre esprit et peut-être même
votre corps à l'impureté. Cessez, M.F., de fréquenter
les jeux, les cabarets, les lieux de plaisirs. Cessez, M.F., les travaux
du dimanche. Cessons de nous éloigner des sacrements. Cessons, M.F.,
de nous faire un jeu de violer les lois du jeûne et de l'abstinence
; quittons la route que suivent les païens, à qui les commandements
ne sont pas connus. Cherchons, M.F., notre véritable bonheur qui
ne peut se trouver qu'en Dieu seul, en accomplissant fidèlement
les com-mandements. Cessons, M.F., de travailler à nous rendre malheu-reux
pour l'éternité. Revenons à Dieu, M.F., et pensons
que nous sommes chrétiens et que, par conséquent, nous devons
combattre nos pen-chants et le démon ; fuir le monde et ses plaisirs,
vivre dans les larmes, la pénitence et l'humilité. Disons
comme le saint roi David : « Oui, mon Dieu ! je me suis éloigné
de vos comman-dements par mes péchés ; mais, mon Dieu, aidez-moi,
je revien-drai à vous par les larmes et la pénitence, et
je marcherai tous les jours de ma vie dans la voie de vos commandements,
qui me conduiront jusqu'à vous pour ne jamais vous perdre. »
Heureux, M.F., celui qui imitera ce saint roi, qui, revenu à Dieu,
ne le quitta jamais plus ! C'est là, M.F., ce que je vous souhaite.
12ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur le premier Commandement de Dieu
(DEUXIÈME SERMON)
Diliges Dominum Deum tuum.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.
(S. Luc, X, 27.)
Adorer Dieu, M.F., et l'aimer, c'est la plus belle fonction de l'homme sur la terre ; puisque, par cette adoration, nous nous ren-dons semblables aux anges et aux saints qui sont dans le ciel. Ô mon Dieu ! quel honneur et quel bonheur pour une vile créature, d'avoir le pouvoir d'adorer et d'aimer un Dieu si grand, si puis-sant, si aimable et si bienfaisant ! Non, M.F., non, il me semble que Dieu n'aurait pas dû faire ce commandement ; mais seulement nous souffrir prosternés en sa sainte présence. Un Dieu, M.F., nous commander de l'aimer et de l'adorer !... pourquoi cela ; M.F. ? Est-ce que Dieu a besoin de nos adorations et de nos priè-res ? Dites-moi, M.F., est-ce nous qui plaçons ces rayons de gloire sur sa tête ? Est-ce nous qui augmentons sa grandeur et sa puissance, puisqu'il nous commande de l'aimer sous peine de châ-timents éternels ? Ah ! vil néant, créature indigne de ce bonheur, dont les anges même, tout saints et tout purs qu'ils sont, se recon-naissent infiniment indignes, et qui, si Dieu leur permet de se pros-terner devant lui, ne le font qu'en tremblant ! Ô mon Dieu ! que l'homme connaît peu son bonheur et son privilège !... Mais non, M.F., ne sortons pas de notre simplicité ordinaire. Ah ! M.F., cette pensée, que nous pouvons aimer et adorer un Dieu si grand, nous semble si au-dessus de nos mérites, qu'elle nous arrache de la voie de la simplicité. Ah ! M.F., pouvoir adorer Dieu, l'aimer et le prier ! Ô mon Dieu, quel bonheur !... qui pourra jamais-le com-prendre ?... Non, M.F., toutes nos adorations et toute notre amitié n'ajoutent rien au bonheur et à la gloire de notre Dieu ; mais, comme le bon Dieu ne veut que notre bonheur ici-bas, il sait qu'il ne se trouve que dans l'amour que nous aurons pour lui, et que tous ceux qui le chercheront hors de lui, ne le trouveront jamais. De sorte, M.F., que, quand le bon Dieu nous ordonne de l'aimer et de l'adorer, c'est qu'il veut nous forcer à être heureux. Voyons donc tous ensemble, 1? en quoi consiste cette adoration que nous devons à Dieu et qui nous rend si heureux, et 2? comment nous devons la lui rendre.
I. – Si vous me demandez maintenant,
M.F., ce que c'est qu'adorer Dieu. Le voici. C'est à la fois croire
à Dieu et croire en Dieu. Remarquez bien, M.F., la différence
qu'il y a entre croire à Dieu et croire en Dieu. Croire à
Dieu, qui est la foi des démons, c'est croire qu'il y a un Dieu,
qu'il existe, qu'il récompense la vertu et punit le péché.
Ô mon Dieu ! que de chrétiens n'ont pas la foi des démons
! Ils nient l'existence de Dieu, et, dans leur aveugle-ment épouvantable
et leur frénésie, osent soutenir qu'après ce monde,
il n'y a ni punition ni récompense. Ah ! malheureux, si la corruption
de votre cœur vous a portés jusqu'à un tel excès d'aveuglement,
allez, interrogez un possédé du démon, il vous ap-prendra
ce que vous devez croire de l'autre vie ; il vous dira que, nécessairement,
le péché est puni et la vertu est récompensée.
Oh ! quel malheur, M.F. ! Quand la foi est éteinte dans un cœur,
de quelles extravagances n'est-on pas capable ? Mais, quand nous disons
croire en Dieu, c'est reconnaître qu'il est notre Dieu, notre Créateur,
notre Rédempteur, et que nous le prenons pour notre modèle
; c'est le reconnaître comme Celui dont nous dépendons en
toutes choses, pour l'âme et pour le corps ; pour les choses spi-rituelles
et pour les temporelles ; comme Celui de qui nous atten-dons tout, et sans
lequel nous ne pouvons rien. Nous voyons dans la Vie de saint François
qu'il passait des nuits entières sans faire d'autre prière
que celle-ci : « Seigneur, vous êtes tout, et moi je ne suis
rien ; vous êtes le créateur de toutes choses, vous êtes
le conservateur de tout l'univers ; et moi je ne suis rien. »
Adorer Dieu, M.F., c'est lui offrir
un sacrifice de tout nous-même, c'est-à-dire, M.F., être
soumis à sa sainte volonté dans les croix, les afflictions,
les maladies, les pertes de biens, et être prêt à donner
volontiers notre vie pour son amour, s'il le faut. Disons, encore mieux,
M.F., c'est lui faire une offrande universelle de tout ce que nous sommes
: je veux dire, de notre corps par un culte ex-térieur, et de notre
âme avec toutes ses facultés, par un culte inté-rieur.
Expliquons cela, M.F., d'une, manière plus simple. Si je demandais
à un enfant : Quand faut-il adorer Dieu, et comment faut-il l'adorer
? il me répondrait : « Le matin et le soir, et souvent dans
la journée, c'est-à-dire, toujours. » C'est-à-dire,
M.F., que nous devons faire sur la terre ce que les anges et les saints
font dans le ciel. Le prophète Isaïe nous dit qu'il vit Notre-Seigneur
assis sur un beau trône de gloire ; les séraphins l'adoraient
avec un si grand respect, qu'ils couvraient leurs faces et leurs pieds
de leurs ailes, et ils chantaient continuellement : « Saint, Saint,
saint, est le grand Dieu des armées, gloire, honneur, adoration,
lui soient rendus dans tous les siècles . »
Nous lisons dans la Vie de la bienheureuse
Victoire, de l'or-dre de l'Incarnation, qu'il y avait une religieuse de
son ordre, qui était très dévote et remplie de l'amour
divin. Étant un jour en orai-son, Notre-Seigneur l'appela par son
nom ; cette sainte lui répon-dit, dans sa simplicité ordinaire
: « Mon divin Jésus, que voulez-vous de moi ? » Le Seigneur
lui dit : « J'ai des séraphins dans le ciel qui me louent
et me bénissent et m'adorent sans cesse ; je veux en avoir aussi
sur la terre, je veux que vous soyez de ce nom-bre. » C'est dire,
M.F., que la fonction des bienheureux dans le ciel, est de n'être
occupé qu'à bénir le bon Dieu dans toutes ses perfections,
et que nous devons faire tout de même, pendant que nous sommes sur
la terre ; les saints, en triomphant et en jouis-sant, et nous, en combattant.
Saint Jean nous dit qu'il vit une si grande troupe de saints, qu'il serait
impossible de les compter ; ils étaient devant le trône de
Dieu, disant de tout leur cœur et de toute leur force : « Honneur,
bénédiction, action de grâces soient rendus à
notre Dieu . »
II. – Je dis donc, M.F., que nous
devons souvent adorer Dieu, 1? de corps : c'est-à-dire qu'il faut
nous mettre à genoux, quand nous voulons adorer Dieu, pour lui montrer
le respect que nous avons en sa sainte présence. Le saint roi David
adorait le Seigneur sept fois par jour , et il se tenait si longtemps à
genoux ; qu'il avoue lui-même, qu'à force de prier, et, en
priant, de se tenir à genoux, ses genoux étaient devenus
faibles et infirmes . Le pro-phète Daniel, étant à
Babylone, se tournait contre Jérusalem, et adorait Dieu trois fois
le jour . Nôtre-Seigneur lui-même, qui n'avait nullement besoin
de prier, pour nous en donner l'exemple, passait souvent les nuits entières
à prier , à genoux, le plus sou-vent la face contre terre
; comme il le fit dans le jardin des Olives. Il y a eu quantité
de saints qui ont imité Jésus-Christ dans sa prière.
Saint Jacques adorait souvent Dieu, non seulement à ge-noux, mais
encore la face contre terre ; en sorte que son front, à force de
toucher la terre, était devenu dur comme la peau d'un cha-meau .
Nous voyons, dans la Vie de saint Barthélemy, qu'il fléchissait
cent fois par jour le genou à terre et autant la nuit . Si vous
ne pouvez pas, M.F., adorer le bon Dieu aussi souvent et à genoux
; au moins, faites-vous un devoir de le faire soir et matin et de temps
en temps, dans le jour, quand vous êtes seuls dans vos maisons ;
pour lui montrer que vous l'aimez et que vous le recon-naissez pour votre
créateur et votre conservateur.
Surtout, M.F., après avoir
donné notre cœur à Dieu en nous éveillant, nous étant
débarrassés de toutes pensées qui n'ont pas rapport
à Dieu, nous étant habillés avec modestie, sans perdre
la présence de Dieu, il faut faire notre prière avec autant
de respect qu'il est possible, et un peu longue si nous le pouvons. Il
faut prendre bien garde de ne jamais rien faire avant d'avoir fait ses
prières : comme faire son lit, une partie de son ménage,
mettre sa marmite sur le feu, appeler ses domestiques ou ses enfants, aller
donner à manger aux bêtes, ni ne jamais rien commander à
ses enfants et à ses domestiques, avant qu'ils aient fait leur prière.
Si vous le faisiez, vous seriez les bourreaux de leurs pauvres âmes,
et, si vous l'avez fait, il faut vous en confesser et ne plus y retour-ner.
Rappelez-vous bien que c'est le matin que le bon Dieu nous prépare
toutes les grâces qui sont nécessaires pour passer sainte-ment
la journée. De sorte que, si nous faisons mal notre prière
ou si nous ne la faisons pas, nous perdons toutes les grâces que
le bon Dieu nous avait destinées pour rendre nos actions méritoires.
Le démon sait combien il est avantageux pour un chrétien
de bien faire sa prière ; il n'oublie aucun moyen de nous la faire
faire mal, ou manquer. Il disait un jour, par la bouche d'un possédé,
que, s'il pouvait avoir le premier moment de la journée, il était
sûr d'avoir tout le reste.
Pour faire votre prière comme
il faut, il faut prendre de l'eau bénite, afin d'éloigner
de vous le démon, et faire le signe de la croix, disant : «
Mon Dieu, par cette eau bénite et par le Sang pré-cieux de
Jésus-Christ votre Fils ; lavez-moi, purifiez-moi de tous mes péchés.
» IL faut bien nous persuader que si nous le faisons avec foi, nous
effacerons tous nos péchés véniels, en supposant que
nous n'en ayons point de mortel. Ô mon Dieu ! un chrétien
peut-il bien commettre un péché mortel qui lui ravit le ciel,
le sé-pare de son Dieu pour toute l'éternité !...
Ô mon Dieu, quel mal-heur, et, cependant, si peu connu du pécheur
!
Je dis que nous devons faire notre
prière à genoux, et non couché sur une chaise ou contre
un lit, ni devant le feu ; quoique l'on puisse s'appuyer les mains sur
le dossier d'une chaise. Il faut commencer notre prière par un acte
de foi, la plus vive qu'il nous est possible, en nous pénétrant
vivement de la présence de Dieu, c'est-à-dire, de la grandeur
d'un Dieu si bon, qui veut bien nous souffrir en sa sainte présence,
nous, qui, depuis bien longtemps, mériterions d'être abîmés
dans les enfers. Il faut bien prendre garde de ne jamais se déranger,
ni déranger ceux qui font leur prière, à moins que
ce ne soit bien nécessaire : parce qu'on est cause qu'ils s'occupent
de nous ou de ce que nous leur disons ; ils font mal leur prière,
et, par conséquent, nous en sommes la cause. Si maintenant vous
me demandez aussi comment il faut faire pour adorer, c'est-à-dire,
prier Dieu continuellement ; car l'on ne peut pas être à genoux
toute la journée. Rien de plus facile ; écoutez-moi un instant,
et vous allez voir qu'on peut adorer Dieu et le prier, sans quitter son
travail, en quatre manières ; mais cela, après avoir bien
fait sa prière à genoux. Je dis en quatre maniè-res
: par pensées, par désirs, par paroles, par actions. Je dis
1? par pensée. Quand on aime quelqu'un, ne trouve-t-on pas un certain
plaisir à y penser ? Eh bien ! M.F., qui nous empêche de penser
à Dieu pendant la journée, tantôt en pensant aux souffrances
que Jésus-Christ a endurées pour nous ; combien il nous aime,
com-bien il désire nous rendre heureux, puisqu'il a bien voulu mourir
pour nous ; combien il a été bon de nous faire naître
dans le sein de l'Église catholique, où nous trouvons tant
de moyens de nous rendre heureux, c'est-à-dire, de nous sauver ;
tandis que tant d'au-tres n'ont pas le même bonheur. De temps en
temps, dans le cou-rant du jour, portons nos pensées et nos désirs
vers le ciel, pour y contempler d'avance les biens et le bonheur que le
bon Dieu nous y prépare après un moment de combat. Cette
seule pensée, M.F., qu'un jour nous irons y voir le bon Dieu, et
que nous serons déli-vrés de toute sorte de peine, ne devrait-elle
pas nous consoler dans nos croix ? Si nous sommes chargés de quelque
fardeau, pensons vite que nous sommes à la suite de Jésus-Christ,
portant sa croix pour l'amour de nous ; unissons nos souffrances et nos
peines à celles de ce divin Sauveur. Sommes-nous pauvres ? por-tons
notre pensée dans la crèche : voyons et contemplons notre
aimable Jésus couché sur une poignée de paille, sans
aucune res-source humaine. Et, si vous voulez, regardez-le encore, mourant
sur une croix, dépouillé même de ses habits. Sommes-nous
ca-lomniés ? pensons, M.F., aux blasphèmes que l'on a vomis
contre lui pendant sa passion, lui qui était la sainteté
même. De temps en temps, pendant la journée, faisons prononcer
à notre cœur ces douces paroles : « Mon Dieu, je vous aime,
et je vous adore avec tous vos saints anges et tous vos saints qui sont
dans le ciel. » No-tre-Seigneur dit un jour à sainte Catherine
de Sienne : « Je veux, que tu fasses une retraite dans ton cœur et
que tu t'y enfermes avec moi, et que tu me tiennes compagnie. » Quelle
bonté, M.F., de la part de ce bon Sauveur, de prendre plaisir à
converser avec une chétive créature ! Eh bien ! M.F., faisons
de même ; entrete-nons-nous avec le bon Dieu, notre aimable Jésus,
qui est dans no-tre cœur par sa grâce. Adorons-le, en lui donnant
notre cœur ; ai-mons-le, nous donnant tout à lui. Ne passons jamais
un jour sans le remercier de tant de grâces qu'il nous a accordées
pendant notre vie ; demandons-lui pardon de nos péchés, en
le priant de n'y plus penser, mais de les oublier pour l'éternité.
Demandons-lui la grâce de ne penser qu'à lui, et de ne désirer
que de lui plaire, dans tout ce que nous ferons pendant toute notre vie.
« Mon Dieu, devons-nous dire, je désire vous aimer autant
que tous les anges et tous les saints ensemble. Je veux unir mon amour
à celui que, votre sainte Mère a eu pour vous, pendant qu'elle
était sur la terre. Mon Dieu, quand est-ce que j'aurai le bonheur
de vous aller voir un jour dans le ciel, afin de vous aimer plus parfaitement
? » Si nous sommes seuls dans nos maisons, qui nous empêche
de nous met-tre à genoux ? Quand nous ne ferions que dire : «
Mon Dieu, je veux vous aimer de tout mon cœur, avec tous ses mouvements
et toutes ses pensées et ses désirs ; que le temps me dure
de vous al-ler voir dans le ciel ! » Voyez-vous, M.F., comme il est
facile de nous entretenir avec le bon Dieu et de le prier continuellement
? Voilà, M.F., ce que c'est que prier toute la journée.
2? Nous adorons Dieu par le désir
du ciel. Comment ne pas désirer de posséder Dieu, de le voir,
ce qui est tout notre bon-heur ?...
3? Nous disons que nous devons prier
par paroles. Quand nous aimons quelqu'un, n'avons-nous pas un grand plaisir
à nous entretenir de lui et à parler de lui ! Eh bien ! M.F.,
au lieu de par-ler de la conduite de l'un et de l'autre ; ce que nous ne
faisons presque jamais sans offenser le bon Dieu ; qui nous empêche
de tourner notre conversation du côté des choses de Dieu,
soit en li-sant quelque Vie de Saint, soit en racontant ce que nous avons
en-tendu dans une instruction, dans un catéchisme ? Entretenons-nous
surtout de notre sainte religion ; du bonheur que nous avons dans la religion
chrétienne, des grâces que le bon Dieu nous y fait. Hélas
! M., F., s'il ne faut qu'une mauvaise conversation pour per-dre une personne,
souvent il n'en faut qu'une bonne pour la convertir, ou lui faire éviter
le péché. Combien de fois, après avoir été
avec quelqu'un qui nous à parlé du bon Dieu, nous sommes-nous
sentis tout portés au bon Dieu ; avons-nous pensé à
mieux faire !... Voilà ce qui faisait tant de saints au commence-ment
de l'Église ; toutes les conversations, tous les discours étaient
du bon Dieu. Par là, les chrétiens s'animaient les uns les
autres ; ils concevaient toujours un nouveau goût pour les choses
de Dieu.
4? Nous avons dit que nous devons
adorer Dieu par nos ac-tions. Rien de plus facile, de plus méritoire
: Si vous désirez sa-voir comment cela se fait, le voici. Pour que
nos actions soient méritoires et soient une prière continuelle
nous devons d'abord, le matin, offrir toutes nos actions en général
; c'est-à-dire, tout ce que nous ferons pendant la journée.
Nous disons au bon Dieu, avant de commencer : « Mon Dieu, je vous
offre toutes les pen-sées, les désirs, les paroles et les
actions que je ferai pendant ce jour ; faites-moi la grâce de les
bien faire et dans la seule vue de vous plaire. » Ensuite, de temps
en temps, pendant la journée, nous renouvelons notre offrande, en
disant à Dieu : « Vous savez, mon Dieu, vous savez que je
vous ai promis dès le matin de tout faire pour l'amour de vous.
» Si nous faisons quelque aumône, di-rigeons notre intention,
en disant : « Mon Dieu, recevez cette au-mône, ou ce service
que je vais rendre à mon prochain ; c'est pour vous demander telle
grâce. » Une fois, vous les ferez en l'honneur de la mort et
passion de Jésus-Christ, pour obtenir votre conver-sion ou celle
de vos enfants, de vos domestiques ou d'autres per-sonnes qui vous intéressent
; une autre fois, en l'honneur de la très-sainte Vierge, pour demander
sa sainte protection pour vous et pour d'autres. Si l'on nous commande
quelque chose qui nous répugne, disons au bon Dieu : « Mon
Dieu, je vous offre cela pour honorer le moment où l'on vous a fait
mourir pour moi. » Faisons-nous quelque chose qui nous fatigue bien
? offrons-le au bon Dieu, afin qu'il nous délivre des peines de
l'autre vie. Lorsque nous nous reposons un moment, regardons le ciel qui,
un jour, se-ra notre demeure. Voyez, M.F., si nous avions le bonheur de
nous comporter de cette manière, combien nous gagnerions pour le
ciel, en ne faisant que ce que nous faisons, mais en le faisant uni-quement
pour Dieu, et dans la seule vue de lui plaire. Saint Jean Chrysostome nous
dit que trois choses se font aimer : la beauté, la bonté
et l'amour. « Eh bien ! nous dit ce grand saint, le bon Dieu renferme
toutes ces qualités. » Nous lisons dans la Vie de sainte Lidwine
que, se sentant des douleurs très violentes, un ange lui apparut
pour la consoler. Elle nous le dit elle-même : sa beauté lui
parut si grande, et elle en fut si ravie, qu'elle oublia entièrement
ses souffrances. Valérien ayant vu l'ange qui conservait la pureté
de sainte Cécile, sa beauté le charma tant et lui toucha
tellement le cœur, quoiqu'il fût encore païen, qu'il se convertit
sur-le-champ . Saint Jean, le disciple bien-aimé, nous dit qu'il
vit un ange d'une beauté si grande, qu'il voulut l'adorer, mais
l'ange lui dit : « Ne faites pas cela, je ne suis qu'un serviteur
de Dieu comme vous. » Lorsque Moïse demanda au Seigneur la grâce
de lui faire voir sa face le Seigneur lui dit : « Moïse,
il est impossi-ble à un homme mortel de voir ma face sans mourir
; ma beauté est si grande, que toute personne qui me verra,
ne pourra vivre ; il faut que son âme sorte de son corps par la seule
vue de ma beau-té ». Sainte Thérèse nous
dit que Jésus-Christ lui était apparu souvent ; mais que
jamais aucun homme ne pourra se former une idée de la grandeur de
sa beauté, tant elle est au-dessus de tout ce que nous pouvons penser.
Dites-moi, M.F., si nous avions le bon-heur de nous former une idée
de la beauté de Dieu, pourrions-nous ne pas l'aimer ? Oh ! que nous
sommes aveugles ! Hélas ! c'est que nous ne pensons qu'à
la terre et aux choses créées, et non aux choses de Dieu,
qui nous élèveraient jusqu'à lui, qui nous dé-montreraient
quelque peu ses perfections, et qui toucheraient nos cœurs. Écoutez
saint Augustin : « Ô beauté ancienne et toujours nouvelle
! je vous ai aimée bien tard ! » Il appelle la beauté
de Dieu ancienne, parce qu'elle est de toute éternité, et
il l'appelle toujours nouvelle, parce que, plus on la voit, plus on la
trouve belle. Pourquoi est-ce, M.F., que les anges et les saints ne se
las-seront jamais d'aimer Dieu et de le contempler ? C'est, M.F., qu'ils
sentiront toujours un nouveau goût et un nouveau plaisir. Et pourquoi,
M.F., ne ferions-nous pas la même chose sur la terre, puisque nous
le pouvons ? Ah ! M.F., quelle vie heureuse nous mènerions en nous
préparant le ciel !
Nous lisons dans la Vie de saint
Dominique, qu'il s'était re-noncé si entièrement lui-même,
qu'il ne pouvait penser, ni désirer, ni aimer autre chose que Dieu
seul. Après avoir passé toute la journée à
allumer dans les cœurs le feu de l'amour divin par ses prédications,
il s'envolait la nuit dans le ciel, par ses contempla-tions et ses entretiens
avec son Dieu. C'était toutes ses occupa-tions. Dans ses voyages,
il ne pensait uniquement qu'à Dieu ; rien n'était capable
de le distraire de cette heureuse pensée : que Dieu était
bon, aimable, et qu'il méritait bien d'être aimé. Il
ne pouvait comprendre comment il se pouvait trouver des hommes sur la terre
qui pussent ne pas aimer le bon Dieu, puisqu'il était si aima-ble.
Il versait des torrents de larmes sur le malheur de ceux qui ne voulaient
pas aimer un Dieu si bon et si digne d'être aimé. Un jour,
des hérétiques ayant cherché le moyen de le faire
périr, mais le bon Dieu l'ayant sauvé par un miracle, un
d'entre eux, lui de-manda ce qu'il aurait fait s'il était tombé
entre leurs mains ? Il lui répondit : « Je sens un si grand
désir d'aimer le bon Dieu, je vou-drais tant souffrir et mourir
pour lui, que je vous aurais prié de me tuer, non d'un seul coup,
mais de couper mes membres à tant pe-tits morceaux que vous auriez
pu, ensuite de m'arracher la langue et les yeux, les uns après les
autres, et, après avoir roulé le tronc de mon corps dans
mon sang, de me couper la tête ; et je voudrais que tous les hommes
fussent dans la même disposition que moi, parce que Dieu est si beau
et si bon, que jamais l'on ne fera rien qui puisse approcher de ce qu'il
mérite . » Eh bien ! M.F., est-ce aimer le bon Dieu que d'être
dans une si belle disposition ? N'est-ce pas l'aimer tout de bon, de tout
son cœur et plus que soi-même ?
Dites-moi, M.F., l'aimons-nous comme
ce saint, nous qui semblons nous faire une espèce de plaisir de
l'offenser, nous qui ne voulons pas faire le moindre sacrifice pour éviter
le péché ? Dites-moi, M.F., aimons-nous le bon Dieu en manquant
nos priè-res, en les faisant sans respect et sans dévotion
? Que de fois nous ne nous mettons pas seulement à genoux ? Aimons-nous
le bon Dieu, M.F., lorsque nous ne donnons pas même le temps de prier
le bon Dieu à nos domestiques ou à nos enfants ? Aimions-nous
le bon Dieu, M.F., lorsque nous avons mangé de la viande les jours
défendus ? Dites-moi, M.F., aimons-nous le bon Dieu lorsque nous
travaillons les saints jours du dimanche ? Aimons-nous le bon Dieu lorsque
nous sommes sans respect dans l'église, que nous y dormons, causons
et tournons la tête ou que nous sortons dehors, pendant les offices
? Hélas ! M.F., disons-le en gémissant, que de fantômes
d'adorateurs ! Hélas ! que de chrétiens qui ne sont chrétiens
que de nom !
En troisième lieu, nous disons
que nous devons aimer le bon Dieu parce qu'il est infiniment bon. Quand
Moïse demanda au Seigneur de lui faire voir sa face, il lui dit :
« Moïse, si je te fais voir ma face, je te montrerai l'abrégé
et l'assemblage de tous les biens . » Nous lisons dans l'Évangile
qu'une femme s'étant pros-ternée devant Notre-Seigneur, l'appela
« Bon Maître. » Notre-Seigneur lui dit : « Pourquoi
m'appelez-vous Bon Maître, il n'y a que Dieu seul qui soit bon
; » voulant nous dire qu'il est la source de toute sorte de biens.
Sainte Madeleine de Pazzi nous dit qu'elle voudrait avoir assez de force
pour se faire entendre aux quatre coins du monde, afin de dire à
tous les hommes d'aimer le bon Dieu de tout leur cœur, parce qu'il est
infiniment aimable. Nous lisons dans la Vie de saint Jacques, religieux
de Saint Dominique , qu'il s'en allait dans les campagnes et dans les bois,
criant, de toutes ses forces : « Ô ciel ! et vous, ô
terre ! n'aimez-vous pas le bon Dieu aussi bien que les autres créatures,
puisqu'il est infiniment digne d'être aimé ? Ô mon Sauveur
! si les hommes sont si ingrats que de ne pas vous aimer, ô vous,
toutes les créatures, aimez votre Créateur, puisqu'il est
si bon et si aima-ble ! » Ah ! M.F., si nous pouvions une fois comprendre
combien l'on est heureux en aimant le bon Dieu, nous pleurerions nuit et
jour d'avoir été si longtemps privés de ce bonheur
!... Hélas ! que l'homme est misérable ! un simple respect
humain, un petit qu'en-dira-t-on, lui empêchera de montrer à
ses frères qu'il aime son Dieu !... Ô mon Dieu ! peut-on bien
le comprendre ?...
Nous lisons dans l'histoire que,
en tourmentant saint Poly-carpe, ses bourreaux lui disaient : « Pourquoi
est-ce que vous n'adorez pas les idoles ? » – « C'est, leur
dit-il, que je ne peux pas ; parce que je n'adore qu'un seul Dieu, créateur
du ciel et de la terre. ». – « Mais, lui disaient-ils, si vous
ne faites pas ce que nous voulons, nous vous ferons mourir. » – «
Je consens volontiers à mourir, mais jamais je n'adorerai le démon.
» – « Mais quel mal trouvez-vous à dire : Seigneur César,
et à sacrifier, pour sauver votre vie ? » – « Je ne
le ferai pas, je préfère mourir. » – « Jure par
la fortune de César, lui dit le juge, et dis des injures à
ton Christ. » Le saint lui dit : « Comment pourrais-je dire
des injures à mon Dieu : il y a quatre-vingts ans que je le sers,
et il ne m'a fait que du bien. » Le peuple, tout en fureur d'entendre
la manière dont il répondait au juge, s'écria : «
C'est le docteur de l'Asie, le père des chrétiens ; livrez-le
nous. ». – « Écoute, juge, lui dit le saint évêque,
voici ma religion : je suis chrétien, je sais souffrir, mourir,
et non dire des injures à mon Sauveur Jésus-Christ qui m'a
tant aimé et qui mérite tant d'être aimé ! »
– « Si tu ne veux pas obéir, lui dit le juge, je te ferai
brûler tout vif. » – « Le feu dont vous me menacez ne
dure qu'un moment ; mais vous ne connaissez pas celui de la justice de
Dieu, qui brûlera éternelle-ment les impies. Que tardez-vous
! voilà mon corps prêt à rece-voir tous les tourments
que vous pourrez inventer. » Tous les païens se mirent à
crier : « Il mérite la mort, qu'il soit brûlé
vif. » Hélas ! tous ces malheureux préparent le bûcher,
comme des dé-sespérés, et pendant ce temps-là,
saint Polycarpe se prépare à la mort, et remercie Jésus-Christ
de lui faire part de son calice. Le bûcher étant prêt,
on prit notre saint et on le jeta dedans ; mais les flammes, moins cruelles
que les bourreaux, respectaient notre saint et faisaient autour de lui
comme un voile, de sorte que son corps n'en reçut aucun dommage
: ce qui obligea le persécuteur à le faire poignarder dans
son bûcher. Le sang coula avec tant d'abondance que le feu en fut
tout éteint . Voilà, M.F., ce que l'on appelle aimer le bon
Dieu parfaitement, c'est l'aimer plus que sa vie même. Hélas
! où trouverions-nous des chrétiens, dans le malheureux siècle
où nous vivons, qui fissent cela pour le bon Dieu ? Hélas
! qu'ils seraient semés bien clairs ! Mais aussi, qu'il en est peu
qui iront au ciel !
Nous devons aimer le bon Dieu à
cause des biens que nous en recevons continuellement. D'abord, notre premier
bienfait, c'est notre création. Nous avons le bonheur d'être
doués de tant de bel-les qualités : un corps et une âme
formés par la main du Tout-Puissant ; une âme qui ne
doit jamais périr, qui est destinée à al-ler passer
son éternité avec les anges dans le ciel ; une âme,
dis-je, qui est capable de connaître Dieu, de l'aimer et de le servir
; une âme qui est le plus bel ouvrage de la très sainte Trinité,
une âme que Dieu seul surpasse. En effet toutes les créatures
qui sont sur la terre périront ; au lieu que notre âme ne
sera jamais détruite. Ô mon Dieu si nous étions tant
soit peu pénétrés de ce bienfait, ne passerions-nous
pas toute notre vie en actions de grâces, à la vue d'un don
si grand et si précieux ?
Un autre bienfait qui n'est pas
moindre, M.F., c'est le don que le Père éternel nous a fait
de son Fils, qui a souffert et enduré tant de tourments pour nous
racheter, après que nous nous fûmes ven-dus au démon
par le péché d'Adam. Quel autre plus grand bienfait pouvait-il
nous faire que d'établir une religion si sainte et si consolante
pour tous ceux qui la connaissent et qui ont le bonheur de la pratiquer.
Saint Augustin dit : « Ah ! belle religion, si l'on te méprise,
c'est bien parce que l'on ne te connaît pas. » « Non,
M.F., nous dit saint Paul, vous n'êtes plus vous-mêmes, vous
avez été rachetés tous par le sang d'un Dieu fait
homme . » « Ô mes en-fants, nous dit saint Jean, quel
honneur pour de viles créatures d'avoir été adoptées
pour les enfants de Dieu même, pour les frè-res de Jésus-Christ
! Quelle charité ; nous dit-il, que nous soyons appelés enfants
de Dieu et que, véritablement, nous le soyons ; et qu'avec
cette qualité si glorieuse, il nous promette encore le ciel ! »
Examinez encore, si vous voulez,
tous ces bienfaits particu-liers : il nous a fait naître de parents
chrétiens, il nous a conservé la vie, malgré que nous
fussions ses ennemis ; il nous a tant de fois pardonné nos péchés,
il nous a prodigué tant de grâces pen-dant toute notre vie.
Après tout cela, M.F., est-il bien possible que nous n'aimions pas
un Dieu si bon et si bienfaisant ? Ô mon Dieu ! quel malheur est
comparable ! Nous lisons dans l'histoire, qu'un homme avait tiré
une épine de la patte d'un lion ; ce même lion fut pris au
bout de quelque temps pour être mis avec les au-tres dans la fosse.
Cet homme, qui lui avait tiré son épine, fut condamné
à être dévoré par les lions. Étant dans
la fosse pour y être dévoré, ce lion le reconnut.
Bien loin de le dévorer, il se jeta à ses pieds, et se laissa
dévorer parles autres lions en défendant son bienfaiteur.
Ah ! ingrats que nous sommes, est-il
bien possible que nous passions notre vie, sans vivre de manière
à montrer au bon Dieu que nous lui sommes reconnaissants de tous
ses bienfaits ? Com-prenez, si vous le pouvez, M, F., quelle sera notre
honte, un jour, lorsque le bon Dieu nous montrera que les bêtes sans
raison ont été plus reconnaissantes des moindres bienfaits
qu'elles ont reçus des hommes, et que nous, comblés de tant
de grâces, de lumières et de biens, bien loin d'en remercier
notre Dieu, nous ne faisons que l'offenser ! Ô mon Dieu ! quel malheur
est comparable à ce-lui-là ! Il est rapporté dans
la Vie de saint Louis, roi de France, qu'étant allé dans
la Terre sainte, un de ses cavaliers étant allé à
la chasse, il entendit les gémissements d'un lion. S'étant
approché, il vit ce lion qu'un gros serpent avait entouré
de sa queue et com-mençait à manger. Ce cavalier trouva moyen
de tuer le serpent. Ce lion en fut si reconnaissant, qu'il se mit à
sa suite, comme un agneau qui suit son berger. Comme ce cavalier était
obligé de tra-verser les mers, le lion ne pouvant entrer dans le
vaisseau, se mit à la nage en suivant son bienfaiteur, jusqu'à
ce qu'il eût perdu la vie dans les eaux. Quel exemple, M.F. : une
bête perdre la vie pour témoigner sa reconnaissance à
son bienfaiteur ! et nous, bien loin de témoigner la nôtre
à notre Dieu, nous ne cessons de l'of-fenser par le péché
qui lui fait tant d'outrages ! Saint Paul nous dit que celui qui n'aime
pas Dieu n'est pas digne de vivre ; en effet, ou l'homme doit aimer
son Dieu, ou il doit cesser de vivre.
Nous disons que nous devons aimer
le bon Dieu parce qu'il nous le commande. Saint Augustin s'écrie,
en nous parlant de ce commandement : «Ô aimable commandement
! Mon Dieu ! qui suis-je, pour que vous me commandiez de vous aimer ? Si
je ne vous aime pas, vous me menacez de grandes misères : est-ce
donc une petite misère que de ne pas vous aimer ? Quoi ! mon Dieu,
vous me commandez de vous aimer ? N'êtes-vous pas infiniment aimable
? N'est-ce pas déjà trop que vous vouliez nous le permet-tre
? Ô quel bonheur pour une créature aussi misérable
que nous de pouvoir aimer un Dieu si aimable ! Ah ! grâce inestimable,
que vous êtes peu connue ! »
Nous lisons dans l'Évangile
qu'un docteur de la loi dit un jour à Jésus-Christ : «
Maître, quel est le plus grand de tous les commandements ? »
Jésus-Christ lui répondit, le voici : « Vous aimerez
le Seigneur de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos
forces, » Saint Augustin nous dit : « Si vous avez le bonheur
d'aimer le bon Dieu, vous deviendrez, en quelque sorte, semblable à
lui ; si vous aimez la terre, vous deviendrez tout ter-restre ; mais si
vous aimez les choses du ciel, vous deviendrez tout céleste. »
Ô mon Dieu ! quel bonheur de vous aimer ; puisque vous aimant nous
recevons toutes sortes de biens. Non, M.F., ne soyons pas étonnés
si tant de grands du monde ont quitté le brouard du siècle
pour aller s'ensevelir dans des forêts ou entre quatre murs, pour
ne plus rien faire autre qu'aimer Dieu. Voyez un saint Paul, ermite, dont
toute l'occupation, pendant quatre-vingts ans, fut de prier et aimer le
bon Dieu le jour et la nuit. Voyez encore un saint Antoine auquel il semble
que les nuits ne soient pas assez grandes pour louer, dans le silence,
son Dieu et son Sauveur, et qui se plaint que le soleil vient trop vite
. Aimer le bon Dieu, M.F., ah ! quel bonheur, quand nous aurons le bon-heur
de le comprendre ! Jusqu'à quand, M.F., aurons-nous de la répugnance
pour faire un ouvrage qui devrait faire tout notre bon-heur dans ce monde
et notre félicité dans l'éternité ?... Aimer
Dieu, M.F., ah ! quel bonheur !... Mon Dieu, donnez-nous la foi et nous
vous aimerons de tout notre cœur.
Je dis que nous devons aimer le
bon Dieu à cause des grands biens que nous en recevons. «
Dieu, nous dit saint Jean, aime ceux qui l'aiment . » Dites-moi,
M.F., pouvons-nous avoir un plus grand bonheur en ce monde que d'être
aimés de Dieu même ? Ainsi, M.F., le bon Dieu nous aimera
selon que nous l'aimerons, c'est-à-dire que si nous l'aimons beaucoup,
il nous aimera beau-coup ; ce qui nous devrait porter à aimer le
bon Dieu autant que nous le pouvons, et que nous en sommes capables. Cet
amour sera la mesure de la gloire que nous aurons en paradis, elle sera
à pro-portion de l'amour que nous aurons eu pour lui pendant notre
vie ; ceux qui auront plus aimé le bon Dieu en ce monde auront une
plus grande gloire dans le ciel, et l'aimeront davantage ; parce que la
vertu de charité nous accompagnera toute l'éternité,
et elle re-cevra un nouveau degré dans le ciel. Oh ! M.F., quel
bonheur d'avoir beaucoup aimé le bon Dieu pendant notre vie ! nous
l'ai-merons beaucoup dans le paradis.
Saint Antoine nous dit qu'il n'y
a rien que le démon craigne tant qu'une âme qui aime le bon
Dieu ; et que celui qui aime le bon Dieu porte avec lui la marque d'un
prédestiné ; puisqu'il n'y a que les démons et les
réprouvés qui n'aiment pas le bon Dieu. Hé-las ! M.F.,
le plus grand de tous les malheurs ; c'est qu'ils n'auront jamais le bonheur
de l'aimer. Ô mon Dieu, peut-on bien y penser et ne pas mourir de
regret !... Nous lisons dans la Vie de sainte Catherine de Gênes,
qu'étant présente lorsqu'on exorcisait un pos-sédé,
elle lui demanda comment il s'appelait. Le démon lui répon-dit
qu'il s'appelait : Esprit sans amour de Dieu. « Eh quoi ! lui dit
la sainte, tu n'aimas pas le bon Dieu qui est si aimable ? » – «
Oh ! non, non, s'écria-t-il. » – « Ah ! je n'aurais
jamais cru qu'il y eût une créature qui n'aimât pas
le bon Dieu. » Elle tomba morte. Etant revenue à elle, comme
on lui demanda ce qui l'avait fait évanouir, elle répondit
que jamais elle n'aurait pu croire qu'il y eût une créature
qui n'aimât pas le bon Dieu ; que cela l'avait tel-lement surprise,
que le cœur lui avait manqué. Mais, dites-moi, M.F., n'avait-elle
pas raison ? puisque nous ne sommes créés que pour cela seul.
Dès que nous cessons d'aimer le bon Dieu, nous ne faisons pas ce
que le bon Dieu veut que nous fassions.
En effet, M.F., quelle est la première
demande que l'on nous a faite lorsque nous sommes venus au catéchisme
pour nous ins-truire de notre religion ? « Qui vous a créé
et conservé jusqu'à présent ? » Nous avons répondu
: « C'est Dieu. » – « Et pourquoi encore ? » «
Pour le connaître, l'aimer, le servir et, par ce moyen, acquérir
la vie éternelle. » Oui, M.F., notre unique occupation sur
la terre est d'aimer le bon Dieu ; c'est-à-dire de commencer à
faire ce que nous ferons pendant toute l'éternité. Pourquoi
encore de-vons-nous aimer le bon Dieu ? C'est, M.F., que tout notre bonheur
se trouve et ne peut se trouver que dans l'amour de Dieu. De sorte, M.F.,
que quand nous n'aimerons pas le bon Dieu, nous serons toujours malheureux
; et si nous voulons avoir quelques consola-tions et quelques adoucissements
dans nos peines, nous n'en trou-verons que dans l'amour que nous aurons
pour Dieu. Si vous vou-lez vous en convaincre, allez trouver le plus heureux
selon le monde ; s'il n'aime pas le bon Dieu, il ne sera que malheureux
; et au contraire, si vous allez trouver le plus malheureux aux yeux du
monde, s'il vous répond qu'il aime Dieu, il est heureux sous tous
les rapports. Ô mon Dieu ! ouvrez donc les yeux de notre âme,
et nous chercherons notre bonheur où nous pouvons le trouver !
III. – Mais, me direz-vous en finissant,
comment devons-nous donc aimer le bon Dieu ? – Comment il faut l'aimer,
M.F. ? Écoutez saint Bernard, il va lui-même nous l'apprendre
en nous disant que nous devons aimer Dieu sans mesure. « Comme Dieu
est infiniment aimable, nous ne pourrons jamais l'aimer comme il le mérite.
» Mais Jésus-Christ, lui-même nous apprend la
mesure dont nous devons l'aimer, en nous disant : « Vous aimerez
votre Dieu de toute votre âme, de tout votre cœur, de toutes vos
forces. Vous graverez bien ces pensées dans votre esprit, et vous
apprendrez toutes ces choses à vos enfants. » Saint Bernard
nous dit, qu'aimer le bon Dieu de tout notre cœur, c'est l'aimer courageu-sement
et avec ferveur : c'est-à-dire, être prêt à souffrir
tout ce que le démon et le monde nous feront souffrir, plutôt
que de ces-ser de l'aimer. C'est le préférer à tout,
et n'aimer rien que pour l'amour de lui. Saint Augustin disait à
Dieu : « Quand mon cœur, ô mon Dieu, sera trop grand pour vous
aimer, alors j'aimerai quelque autre chose avec vous ; mais comme mon cœur
sera tou-jours trop petit pour vous, et que vous êtes infiniment
aimable, je n'aimerai jamais que vous. » Nous devons aimer le bon
Dieu, non seulement comme nous-mêmes, mais encore plus que nous-mêmes,
et être toujours dans la résolution de donner notre vie pour
lui.
Nous pouvons dire que tous les martyrs
l'ont véritablement aimé, puisqu'ils ont préféré
souffrir la perte de leurs biens, le mé-pris, les prisons, les fouets,
les roues, les gibets, le fer et le feu, et enfin tout ce que la rage des
tyrans a pu inventer, plutôt que de l'offenser.
Il est rapporté dans l'histoire
des martyrs du Japon, que quand on leur annonçait l'Évangile
et qu'on les instruisait des grandeurs de Dieu, de ses bontés et
de son amour pour les hommes ; surtout quand on leur apprenait les grands
mystères de notre sainte reli-gion, tout ce que le bon Dieu avait
fait pour les hommes : un Dieu naissant dans la pauvreté, un Dieu
souffrant et mourant pour le salut, « oh ! qu'il est bon, s'écriaient-ils,
qu'il est bon le Dieu des chrétiens ! oh ! qu'il est aimable ! »
Mais quand on leur disait que ce même Dieu nous avait fait un commandement
par lequel il nous ordonnait de l'aimer, et que si nous ne l'aimions pas
il nous menaçait d'un châtiment éternel, ils en étaient
si étonnés et si sur-pris qu'ils ne pouvaient en revenir.
« Eh quoi ! disaient-ils, faire à des hommes raisonnables
un précepte d'aimer Dieu, qui nous a tant aimés !... n'est-ce
pas le plus grand de tous les malheurs que de ne l'aimer pas, et n'est-ce
pas le plus grand de tous les bon-heurs que de l'aimer ? Eh quoi ! est-ce
que les chrétiens ne sont pas toujours au pied des autels pour adorer
leur Dieu, pénétrés de tant de bonté et tout
embrasés de son amour ? » Mais quand on venait à leur
apprendre qu'il y avait des chrétiens qui, non seule-ment ne l'aimaient
pas, mais encore qui passaient presque toute leur vie à l'offenser
: « Ô peuple ingrat ! ô peuple barbare ! s'écriaient-ils
avec indignation, est-il bien possible que des chré-tiens soient
capables de telles horreurs ! Ah ! dans quelle terre mau-dite habitent
donc ces hommes sans cœur et sans senti-ments ? » Hélas !
M.F., si ces martyrs reparaissaient maintenant sur la terre, et qu'on leur
fît le récit de tous outrages que les chré-tiens font
à chaque instant à Dieu, à un Dieu si bon qui veut
et qui ne cherche que leur bonheur éternel ; hélas ! M.F.,
pourraient-ils bien le croire ? Triste pensée, M.F., jusqu'à
présent nous n'avons pas aimé le bon Dieu !....
Non seulement un bon chrétien
doit aimer le bon Dieu de tout son cœur ; mais encore il doit faire tous
ses efforts pour le faire aimer des autres hommes. Les pères et
mères, les maîtres et maî-tresses doivent user de tout
leur pouvoir pour le faire aimer de leurs enfants et de leurs domestiques.
Oh ! qu'un père et une mère auront de mérite auprès
du bon Dieu, si tous ceux qui sont avec eux l'aiment autant qu'il est possible
! – Oh ! que de bénédictions le bon Dieu répandrait
sur ces maisons !... Oh ! que de biens et pour le temps et pour l'éternité
!...
Mais quelles sont les marques par
lesquelles nous reconnaî-trons que nous aimons le bon Dieu ? Les
voici, M.F.. C'est si nous pensons souvent à lui, si notre esprit
en est souvent occupé, si nous avons beaucoup de plaisir, si nous
aimons à entendre parler de lui dans les instructions, et dans tout
ce qui peut nous faire rappeler de lui. Si nous aimons le bon Dieu, M.F.,
nous crain-drons grandement de l'offenser, nous serons toujours sur nos
gar-des, nous veillerons sur tous les mouvements de notre cœur, crainte
d'être trompés par le démon. Mais le dernier moyen,
c'est de le lui demander souvent, puisque son amour vient du ciel. Il faut
y porter notre pensée pendant la journée, la nuit même,
en nous éveillant, en produisant des actes d'amour de Dieu, lui
di-sant : « Mon Dieu, faites-moi la grâce de vous aimer autant
qu'il est possible que je vous aime. » Il faut avoir une grande dévotion
à la sainte Vierge qui a aimé le bon Dieu, elle seule, plus
que tous les saints ensemble : avoir une grande dévotion au Saint-Esprit,
surtout à neuf heures du matin. Ce fut le moment où le Saint-Esprit
descendit sur les apôtres, pour les embraser de son amour . A midi,
il faut nous rappeler le mystère de l'Incarnation, où le
fils de Dieu s'est incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge
Ma-rie, en lui demandant de descendre dans nos cœurs, comme il des-cendit
dans le sein de sa bienheureuse Mère . A trois heures, il faut nous
représenter ce bon et charitable Sauveur, qui meurt pour nous mériter
un amour éternel. Nous devons, dans ce moment, produire un acte
de contrition, pour lui témoigner le regret que nous avons de l'avoir
offensé.
Concluons, M.F., que puisque notre
bonheur ne peut se trou-ver que dans l'amour que nous aurons pour Dieu,
nous devons grandement craindre le péché, puisque lui seul
nous le fait perdre. Allez, M.F., puiser cet amour divin dans les sacrements
que vous pouvez recevoir ! Allez à la table sainte avec un grand
tremble-ment et avec une grande confiance, puisqu'il est notre Dieu, notre
Sauveur et notre Père, qui ne veut que notre bonheur ; je vous le
souhaite...
12ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
(TROISIÈME SERMON)
Sur l'amour du prochain.
Vade, et tu fac similiter.
Allez, et faites de même.
(S. Luc, X, 37.)
Un docteur de la loi, nous dit saint
Luc, se présenta à Jésus-Christ, lui disant pour le
tenter : « Maître, que faut-il faire pour avoir la vie éternelle
? » Jésus-Christ lui répondit : « Que porte votre
loi, qu'y lisez-vous ? » Il lui répondit : « Vous aimerez
le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et
de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » – «
Vous avez très bien répondu, lui répliqua Jésus-Christ
; allez, faites ce-la, et vous aurez la vie éternelle. » Ensuite,
le docteur lui demanda qui était son prochain, et qui il devait
aimer comme lui-même. Jé-sus-Christ lui proposa cet exemple
: « Un homme allait de Jérusa-lem à Jéricho
; il tomba entre les mains des voleurs, qui, non contents de l'avoir dépouillé,
le percèrent de plaies, et le laissèrent à demi-mort
sur la place. Dans le moment, il passa un prêtre qui descendait par
le même chemin. Celui-ci l'ayant vu dans ce pi-toyable état,
ne le regarda pas même. Ensuite un lévite, l'ayant aperçu,
passa de même ; mais un Samaritain qui suivait la même route,
l'ayant vu, s'approcha de lui, et en fut sensiblement touché de
compassion ; il descendit de son cheval, et se mit en état de l'assister
de tout son pouvoir. Il bassina ses plaies avec de l'huile et du vin, les
banda ; l'ayant mis sur son cheval, il le porta dans une hôtellerie
où il commanda au maître d'en prendre tous les soins nécessaires,
en lui disant que, si l'argent qu'il lui donnait ne suffisait pas, à
son retour, il lui rendrait ce qu'il aurait dépensé de plus.
» Jésus-Christ dit au docteur : « Lequel des trois pensez-vous
avoir été le prochain de cet homme qui tomba entre les mains
des voleurs ? » Le docteur lui répondit : « Je crois
que c'est celui qui a exercé les œuvres de miséricorde envers
cet homme. » – « Eh bien ! allez, lui dit Jésus-Christ,
faites de même, et vous aurez la vie éternelle. » Voilà,
M.F., le modèle parfait de la chari-té que nous devons avoir
pour notre prochain. Voyons donc, M.F., si nous avons cette charité
qui nous assure la vie éternelle.
Mais, pour mieux vous en faire sentir
la nécessité, je vais vous montrer que toute notre religion
n'est qu'une fausse religion, et que toutes nos vertus ne sont que fantômes,
et que nous ne sommes que des hypocrites aux yeux de Dieu, si nous n'avons
pas cette charité universelle pour tout le monde : c'est-à-dire,
pour les bons comme pour les mauvais, pour les pauvres comme pour les riches,
pour tous ceux qui nous font du mal, comme pour ceux qui nous font du bien.
Non, M.F., il n'y a point de vertu
qui nous fasse mieux connaître si nous sommes les enfants du bon
Dieu, que la chari-té ; et l'obligation que nous avons d'aimer
notre prochain est si grande, que Jésus-Christ nous en fait un commandement,
qu'il place de suite après celui par lequel il nous commande de
l'aimer de tout notre cœur. Il nous dit que toute la loi et les prophètes
sont renfermés dans ce commandement d'aimer notre prochain . Oui,
M.F., nous devons regarder cette obligation comme la plus uni-verselle,
la plus nécessaire et la plus essentielle à la religion,
à no-tre salut ; parce qu'en accomplissant ce commandement, nous
ac-complissons tous les autres. Saint Paul nous dit que les autres commandements
nous défendent l'adultère, le vol, les injures, les faux
témoignages ; si nous aimons notre prochain, nous ne ferons rien
de tout cela, parce que l'amour que nous avons pour notre prochain ne peut
souffrir que nous lui fassions du mal .
Je dis 1° que ce commandement,
qui nous ordonne d'aimer notre prochain, est le plus nécessaire
à notre salut, puisque saint Jean nous dit que, si nous n'aimons
pas notre frère, c'est-à-dire tout le monde, nous demeurons
dans un état de réprobation. Nous voyons encore que Jésus-Christ
a tant à cœur l'accomplissement de ce commandement, qu'il nous dit
que ce n'est que par l'amitié que nous aurons les uns pour les autres
qu'il nous reconnaîtra pour ses enfants .
2° Je dis, M.F., que ce qui
nous impose une si grande obli-gation de nous aimer les uns les autres,
c'est que nous avons tous le même créateur, tous une même
origine ; que nous ne sommes tous qu'une même famille, dont Jésus-Christ
est le père, et que nous portons tous son image et sa ressemblance
; que nous som-mes tous créés pour une même fin, qui
est la gloire éternelle, et que nous avons tous été
rachetés par la mort et passion de Jésus-Christ. D'après
cela, M.F., nous ne pouvons pas refuser d'aimer notre prochain, sans outrager
Jésus-Christ lui-même, qui nous le commande sous peine de
damnation éternelle. Saint Paul mous dit que, puisque nous avons
tous une même espérance, qui est la vie éternelle,
un même Seigneur, une même foi, un même baptême
et un même Dieu, qui est le père de tous les hommes, nous
devons donc aimer tous les hommes comme nous-mêmes, si nous vou-lons
plaire à Jésus-Christ et sauver nos âmes .
Mais, peut-être pensez-vous,
en quoi consiste donc l'amour que nous devons avoir pour notre prochain
? M.F., cet amour consiste en trois choses : 1° à vouloir du
bien à tout le monde ; 2° à leur en faire toutes les
fois que nous pouvons ; 3° supporter, ex-cuser et cacher leurs défauts.
Voilà, M.F., la vraie charité due au prochain, et la véritable
marque d'une vraie charité, sans laquelle nous ne pouvons ni plaire
à Dieu, ni sauver nos âmes.
1° Nous devons souhaiter du
bien à tout le monde, et être bien affligé lorsque
nous apprenons qu'il lui arrive quelque mal, parce que nous devons considérer
tous les hommes, même nos ennemis, comme nos frères ; nous
devons montrer un air bon et affable envers tout le monde ; ne point porter
envie à ceux qui sont mieux que nous ; nous devons aimer les bons
à cause de leurs vertus, et aimer les méchants, afin qu'ils
deviennent bons ; souhaiter la persévérance aux premiers
et la conversion aux au-tres. Si un homme est un grand pécheur et
un méchant, nous pou-vons haïr le péché, qui
est l'ouvrage de l'homme et du démon ; mais il faut aimer sa personne,
qui est l'image de Dieu.
2° Nous devons faire du bien
à tout le monde, du moins au-tant que nous le pouvons ; ce qui se
fait en trois manières qui re-gardent les biens du corps, les biens
de l'honneur, et les biens de l'âme. Par rapport aux bien du corps,
nous ne devons jamais faire tort au prochain, ni lui empêcher de
gagner quelque chose, quand même ce profit pourrait nous revenir.
Il n'y a point de chrétiens si agréables à Dieu que
ceux qui portent compassion aux malheu-reux. Voyez saint Paul : il nous
dit qu'il pleurait avec ceux qui pleuraient, et se réjouissait avec
ceux qui étaient dans la joie . Quant à l'honneur du prochain,
nous devons bien prendre garde de ne jamais nuire à sa réputation
par des médisances, et, encore bien moins, par des calomnies. Si
nous pouvons empêcher ceux qui en disent du mal, il faut les en empêcher
; si nous ne pouvons pas, il faut les quitter, ou bien, dire tout le bien
que nous savons de ces personnes, Mais pour les biens de l'âme, qui
sont cent fois plus précieux que ceux du corps, nous pouvons leur
procurer ces biens en priant pour eux, en les détournant du mal
par nos conseils, et, surtout, par nos bons exemples ; nous y sommes spécialement
obligés envers ceux avec qui nous vivons. Les pères et mères,
maîtres et maîtresses y sont obligés d'une manière
particulière, à cause du compte qu'ils auront à rendre
à Dieu de leurs enfants. Hélas ! M.F., peut-on bien dire
que les pères et mères aiment leurs enfants, quand ils les
voient vivre avec tant d'indifférence pour tout ce qui regarde le
salut de leurs âmes ! Hélas ! M.F., un père et une
mère qui auraient la charité qu'ils devraient avoir pour
leurs enfants, pourraient-ils vivre sans verser des larmes, nuit et jour,
sur le malheureux état de leurs enfants qui sont dans le pé-ché,
qui vivent, hélas ! en réprouvés, qui ne sont plus
pour le ciel, qui ne sont plus que pour l'enfer ?... Hélas ! M.F.,
comment aime-ront-ils à leur procurer leur salut, Puisqu'ils ne
pensent pas même à leur propre salut ? Hélas ! M.F.,
combien de pères et mères qui devraient gémir et prier
continuellement sur l'état de leurs pauvres enfants, et qui les
détournent du bien et les portent au mal ; en les entretenant des
torts, des disputes, des injures que leur ont dites ou faits leurs voisins,
de leur mauvaise foi, des moyens qu'ils ont employés pour se venger
: ce qui porte souvent les enfants à vou-loir eux-mêmes se
venger, ou, du moins, à conserver la haine dans le cœur.
Oh ! M.F., que les premiers chrétiens
étaient bien éloignés de tout cela, parce qu'ils sentaient
le prix d'une âme ? Ah ! M.F., si un père et une mère
connaissaient la valeur d'une âme, pour-raient-ils laisser perdre,
avec tant d'indifférence, celles de leurs pauvres enfants ou de
leurs domestiques ? pourraient-ils leur faire manquer leur prière,
pour les faire travailler ? auraient-ils le cou-rage de leur faire manquer
les saints offices ? Ô mon Dieu ! que vont-ils répondre à
Jésus-Christ lorsqu'il va leur montrer qu'ils ont préféré
une bête à l'âme de leurs enfants ! Ah ! que dis-je,
une poignée de foin ! Ah ! pauvre âme, que l'on t'estime
peu ! Non, non, M.F., ces pères et mères aveugles et ignorants
n'ont jamais compris que la perte d'une âme est un plus grand mal
que la des-truction de toutes les créatures qui existent sur la
terre. Jugeons, M.F., de la dignité d'une âme par celle des
anges : un ange est si parfait que tout ce que nous voyons sur la terre
et dans le ciel, est moins qu'un grain de poussière en comparaison
du soleil ; et ce-pendant quelque parfaits que soient les anges, ils n'ont
coûté à Dieu qu'une parole ; tandis qu'une âme
a coûté la valeur de son sang adorable. Le démon, pour
tenter le Sau-veur, lui offrit tous les royaumes de monde, en lui disant
: « Si tu veux te prosterner devant moi, je te donnerai tous ces
biens ; » ce qui nous montre qu'une âme est infiniment
plus précieuse aux yeux de Dieu, et même du démon,
que tout l'univers avec tout ce qu'il possède . Ah ! quelle honte
pour ces pères et mères qui estiment moins l'âme de
leurs enfants, que le démon ne l'estime lui-même !
Oui, M.F., votre âme est d'un
si grand prix, que saint Jean Chrysostome nous dit que, quand il n'y aurait
eu qu'un seul homme sur la terre, son âme est si précieuse
à Jésus-Christ, qu'il n'aurait pas cru indigne de lui, de
mourir pour la sauver. « Oui, dit-il, une âme est si chère
à son Créateur, que, si elle l'aimait, il anéantirait
plutôt les cieux que de la laisser périr. » «
Ô corps, s'écriait saint Bernard, que vous êtes honoré
de loger une si belle âme ! » Dites-moi, M.F., si vous aviez
été au pied de la croix, et que vous eussiez ramassé
le sang adorable de Jésus-Christ dans un vase, avec quel respect
ne l'auriez-vous pas conservé ? Or, M.F., nous devons avoir autant
de respect et de soin pour conser-ver notre âme, parce qu'elle a
coûté tout le sang de Jésus-Christ. « Depuis,
nous dit saint Augustin, que j'ai reconnu que mon âme a été
rachetée par le sang d'un Dieu, j'ai résolu de la conserver,
aux dépens même de ma vie, et de ne jamais la vendre au démon
par le péché. » Ah ! pères et mères,
si vous étiez bien convaincus que vous êtes les gardiens des
âmes de vos enfants, pourriez-vous bien les laisser périr
avec tant de froideur ? Mon Dieu, que de personnes damnées pour
avoir laissé perdre de pauvres âmes, ce qu'ils auraient bien
pu empêcher s'ils l'avaient voulu ! Non, M.F., nous n'avons pas la
charité que nous devrions avoir les uns pour les autres, et surtout
pour nos enfants et nos domestiques.
Nous lisons dans l'histoire, que
du temps des premiers chré-tiens, lorsque les empereurs païens
les interrogeaient pour savoir ce qu'ils étaient, ils leur répondaient
: « Vous nous demandez ce que nous sommes, le voici : Nous ne faisons
qu'un peuple et qu'une famille, que les liens de la charité unissent
ensemble ; pour nos biens, ils sont tous en commun : celui qui a donne
à celui qui n'a pas ; personne ne se plaint, personne ne se venge,
personne ne se dit du mal, et personne ne s'en fait. Nous prions les uns
pour les autres, et même pour nos ennemis ; au lieu de nous venger,
nous faisons du bien à ceux qui nous font du mal, nous bénissons
ceux qui nous maudissent. » Ah ! M.F., que sont devenus ces temps
heureux ? Hélas ! que de chrétiens maintenant ne sont pos-sédés
que de l'amour d'eux-mêmes, et n'en ont point pour le pro-chain !
Voulez-vous, M.F., savoir ce que
sont les chrétiens de nos jours ? Écoutez-moi, le voici.
Si deux personnes qui sont ensem-ble sont de même humeur, de même
caractère, ou bien ont les mêmes inclinations, vous les voyez
s'aimant bien, vivre ensem-ble ; ce n'est encore pas difficile. Mais, si
l'humeur ou le caractère ne s'accordent pas ; il n'y a plus ni paix,
ni amitié, ni charité, ni prochain. Hélas ! M.F.,
ce sont des chrétiens qui n'ont qu'une fausse religion : ils n'aiment
leur prochain qu'autant qu'il est de leur inclination, et qu'il entre dans
leurs sentiments et leurs inté-rêts ; autrement, l'on ne peut
plus se voir, se souffrir ensemble : il faut se séparer, dit-on,
pour avoir la paix et sauver son âme. Allez, pauvres hypocrites,
allez, séparez-vous de ceux qui ne sont pas, dites-vous, de votre
caractère, et avec qui vous ne pouvez pas vi-vre ; vous ne vous
éloignerez pas aussi loin d'eux que vous l'êtes de Dieu. Allez,
votre religion n'est qu'un fantôme, et vous n'êtes vous-mêmes
que des réprouvés. Vous n'avez jamais connu ni vo-tre religion,
ni ce qu'elle vous commande, ni la charité que vous devez avoir
pour votre frère afin de plaire à Dieu et vous sauver. Il
n'est pas bien difficile d'aimer ceux qui nous aiment, et qui sont de nos
sentiments dans tout ce que nous disons ou faisons ; car en cela, il n'y
a rien de plus que les païens, ils en faisaient tout au-tant. Saint
Jacques nous dit : « Si vous faites bon accueil à un
ri-che, et que vous méprisiez un pauvre ; si vous saluez de bonne
grâce celui qui vous a fait quelque bien, tandis qu'à peine
saluez-vous celui qui vous a fait quelque insulte ; ni vous n'accomplissez
la loi, ni vous n'avez la charité que vous devez avoir ; vous ne
fai-tes rien de plus que ceux qui ne connaissent pas le bon Dieu. »
– « Mais, me direz-vous, comment devons-nous donc aimer notre prochain
? » – Le voici. Saint Augustin nous dit que nous devons l'aimer comme
Jésus-Christ nous aime : il n'a consulté ni la chair ni le
sang, mais il nous a aimés pour nous sanctifier et nous méri-ter
la vie éternelle. Nous devons souhaiter et désirer à
notre pro-chain tout le bien que nous pouvons souhaiter pour nous-mêmes.
Oui, M.F., nous ne connaîtrons
que nous sommes dans le chemin du ciel et que nous aimons véritablement
le bon Dieu que d'autant que, nous trouvant avec des personnes entièrement
oppo-sées à notre caractère, et qui semblent nous
contredire en tout, nous les aimons cependant comme nous-mêmes, nous
les voyons de bonne grâce, nous en disons du bien et jamais du mal,
nous re-cherchons leur compagnie, nous les prévenons et nous leur
ren-dons service de préférence à tous ceux qui entrent
dans nos inté-rêts et ne nous contredisent en rien. Si nous
faisons cela, nous pouvons espérer que notre âme est dans
l'amitié de Dieu et que nous aimons notre prochain chrétiennement.
Voilà la règle et le modèle que Jésus-Christ
nous a laissés et que tons les saints ont suivis ; ne nous y trompons
point, il n'y a point d'autre chemin qui nous conduise au ciel. Si vous
ne faites pas cela, ne doutez pas d'un seul instant, que vous ne marchiez
dans celui de la perdition. Allez, pauvres aveugles, priez, faites pénitence,
assistez bien aux offices, fréquentez les sacrements, tous les jours,
si vous le vou-lez ; donnez tout votre bien à ceux qui vous aiment,
vous ne lais-serez pas que d'aller brûler à la fin de votre
vie ! Hélas ! M.F., qu'il y a peu de véritable dévotion
! que de dévotions de caractère, de penchant ! Il y a des
gens qui donnent tout, et qui sont prêts à tout sacrifier,
quand c'est pour des personnes qui leur conviennent ou qui les aiment.
Hélas ! qu'il y en a peu qui ont cette charité qui plaît
à Dieu et qui conduit au ciel ! Tenez, M.F., voulez-vous un bel
exemple de la charité chrétienne ? en voici un qui peut vous
servir de modèle, toute votre vie.
Il est rapporté dans l'histoire
des Pères du désert , qu'un soli-taire rencontra dans le
chemin un pauvre estropié tout couvert d'ulcères et de pourriture
; il était dans un état si misérable qu'il ne pouvait
ni gagner sa vie, ni se traîner. Le solitaire, touché de compassion,
le porta dans sa cellule, lui donna tous les soulage-ments qu'il put. Ce
pauvre, ayant repris ses forces, le solitaire lui dit : « Voulez-vous,
mon cher frère, demeu-rer avec moi, je ferai tout ce que je pourrai
pour vous nourrir, et nous prierons et nous servirons le bon Dieu ensemble.
» – « Oh ! que vous me donnez de joie, lui dit le pauvre !
que je suis heureux de trouver dans vo-tre charité une ressource
à ma misère ! » Le solitaire, qui avait dé-jà
bien de la peine à gagner sa vie, redoubla son travail pour avoir
de quoi nourrir son pauvre ; et il tâchait de le nourrir le mieux
qu'il pouvait et bien mieux qu'il ne se nourrissait lui-même. Mais,
au bout de quelque temps, ce pauvre commença à murmurer contre
son bienfaiteur, se plaignant de ce qu'il le nourrissait trop mal. «
Hélas ! mon cher ami, lui dit le solitaire, je vous nourris mieux
que moi-même, je ne puis faire autre chose pour vous que ce que je
fais. » Quelques jours après, cet ingrat recommença
ses plaintes, et vomit contre son bienfaiteur un torrent d'injures. Le
solitaire souffrit tout cela avec patience, sans rien répondre.
Le pauvre fut honteux d'avoir parlé de la sorte à un si saint
homme, qui ne lui faisait que du bien ; et il lui demanda pardon. Mais
il retomba bientôt dans les mêmes impatiences, et prit une
telle haine contre ce bon solitaire, qu'il ne pouvait plus le supporter.
« Je suis ennuyé de vivre avec toi, lui dit-il ; je veux que
tu me reportes dans le chemin où tu m'as trouvé ; je ne suis
pas accou-tumé à être si mal nourri. » Le solitaire
lui demanda pardon, lui promettant qu'il tâcherait de le mieux traiter.
Le bon Dieu lui ins-pira d'aller trouver un bourgeois charitable du voisinage,
pour lui demander de la nourriture un peu meilleure pour son estropié.
Le bourgeois, touché de compassion, lui dit de venir tous les jours
chercher de quoi le nourrir. Le pauvre parut content ; mais au bout de
quelques semaines, il recommença à faire de nouveaux et de
piquants reproches au solitaire. « Va, lui dit-il, tu n'es qu'un
hypocrite, tu fais semblant d'aller chercher l'aumône pour moi, et
c'est pour toi ; tu manges le meilleur en secret, et tu ne me donnes que
tes restes. » – « Ah ! mon ami, lui dit le solitaire, vous
me fai-tes injure, je vous assure que je ne demande jamais rien pour moi,
que je ne touche pas même un morceau de ce que l'on me donne pour
vous ; si vous n'êtes pas content des services que je vous rends,
ayez au moins patience pour l'amour de Jésus-Christ, en attendant
que je fasse mieux. » – « Va, lui dit le pauvre, je n'ai pas
besoin de tes remontrances, » et, sur le champ, il se saisit d'un
caillou, et le jeta à la tête du solitaire, qui évita
le coup. Ensuite ce malheureux prit un gros bâton, dont il se servait
pour se traîner, et lui en donna un si rude coup, qu'il le fit tomber
par terre. « Le bon Dieu vous pardonne, lui dit le bon solitaire
; pour moi, je vous pardonne bien, pour l'amour de Jésus-Christ,
les mauvais traite-ments que vous me faites. » – « Tu dis que
tu me pardonnes ; mais ce n'est que du bout des lèvres, parce que
je sais que tu me voudrais déjà voir mort. » – «
Je vous assure, mon ami, lui dit tendrement le bon solitaire, que c'est
de tout mon cœur que je vous pardonne. » Ce bon solitaire voulut
l'embrasser pour mar-quer qu'il l'aimait. Dans ce moment, le pauvre le
prit par la gorge, lui déchira le visage avec ses ongles, et voulait
l'étrangler. Le soli-taire s'étant débarrassé
de ses mains, le pauvre lui dit : « Va, tu ne mourras jamais que
de mes mains. » Ce bon solitaire, qui était toujours touché
de compassion et rempli d'une charité vraiment chrétienne,
prit patience avec lui pendant trois ou quatre ans. Pen-dant ce temps-là,
il n'y a que Dieu qui sache combien il eut à souffrir de la part
du pauvre. Il lui disait à tout moment qu'il vou-lait qu'il le reportât
dans le chemin où il l'avait trouvé, qu'il aimait mieux mourir
de faim ou de froid, ou bien être dévoré par les bê-tes,
que de vivre avec lui. Ce bon solitaire ne savait à quoi se dé-terminer
; d'un côté, sa charité lui représentait qu'en
le reportant dans l'endroit où il l'avait trouvé, il allait
périr de misère ; d'un au-tre côté, il craignait
de perdre patience dans ce combat. Il lui vint la pensée d'aller
consulter saint Antoine sur le parti qu'il devait prendre pour être
le plus agréable au bon Dieu ; il ne craignait ni la peine, ni les
outrages qu'il recevait pour tous ses bienfaits ; mais il voulait seulement
connaître la volonté de Dieu. Étant au-près
de saint Antoine, sans rien lui dire, celui-ci, par la bouche duquel le
Saint-Esprit parlait, lui dit : « Ah ! mon fils, je sais ce qui vous
amène ici, et pourquoi vous venez me trouver. Gardez-vous bien de
suivre la pensée que vous avez de renvoyer ce pau-vre ; c'est une
rude tentation du démon, qui veut vous ôter votre couronne
; si vous aviez le malheur de l'abandonner, mon fils, le bon Dieu ne l'abandonnerait
pas. » Il semblait, d'après ce que saint Antoine lui dit,
que son salut fût attaché aux soins qu'il don-nait à
ce pauvre. « Mais, mon père, lui dit le solitaire, je crains
de perdre patience avec lui. » – « Et pourquoi la perdriez-vous,
mon fils, lui répliqua saint Antoine, ne savez-vous pas que c'est
envers ceux qui nous font le plus de mal, que nous devons exercer le plus
généreusement notre charité ? Mon fils, dites-moi,
quel mérite au-riez-vous d'avoir la patience avec une personne qui
ne vous ferait jamais de mal ? Ne savez-vous pas, mon fils, que la charité
est une vertu courageuse, qui ne regarde pas les vices de celui qui nous
fait de la peine, mais qui ne regarde que Dieu seul ? Aussi, mon fils,
je vous engage grandement à garder ce pauvre : plus il est méchant,
plus vous devez eu avoir pitié ; tout ce que vous lui ferez par
charité, Jésus-Christ le tiendra pour fait à lui-même.
Fai-tes voir, mon fils, par votre patience, que vous êtes le disciple
d'un Dieu souffrant. Souvenez-vous que c'est par la patience et par la
charité que l'on connaît un chrétien. Regardez ce pauvre
comme celui dont Dieu veut se servir pour vous faire travailler à
votre couronne. » Le solitaire fut très satisfait de savoir
de ce grand saint que c'était la volonté de Dieu qu'il gardât
son pauvre, et que tout ce qu'il faisait envers lui était très
agréable à Dieu. Il va trouver son pauvre, et oubliant toutes
les injures et les mauvais traitements qu'il en avait reçus jusqu'à
ce jour, lui montrant une charité qui n'avait plus de bornes, il
le servait avec une humilité admirable, et ne cessait de prier pour
lui. Le bon Dieu vit dans ce jeune solitaire tant de patience et de charité
qu'il convertit ce pau-vre ; et par là montra à son serviteur,
combien tout ce qu'il avait fait lui était agréable, puisqu'il
accordait à ce malheureux son sa-lut et sa conversion.
Que pensez-vous de cela, M.F. ?
Est-ce là une charité chré-tienne, oui ou non ? Oh
! que cet exemple, au grand jour du juge-ment, va confondre de chrétiens
qui ne veulent pas seulement souffrir une parole, supporter huit jours,
le mauvais caractère d'une personne, sans murmurer, sans lui vouloir
peut-être du mal. Il faut se quitter, il faut se séparer pour
avoir la paix, dit-on. Ô mon Dieu ! que de chrétiens se damnent
par le défaut de charité ! Non, non, M.F., quand vous feriez
même des miracles, vous ne serez jamais sauvés, si vous n'avez
pas la charité. Non, M.F., ce n'est pas connaître sa religion
; ce n'est avoir qu'une religion de caprice, d'humeur et de penchant. Allez,
allez, vous n'êtes que des hypocrites et des réprouvés
! Sans la charité, jamais vous ne ver-rez le bon Dieu, jamais vous
n'irez au ciel !... Donnez votre bien, faites de grandes aumônes
à ceux qui vous aiment ou qui vous plaisent, assistez tous les jours
à la sainte Messe, communiez tous les jours, si vous voulez ; vous
n'êtes que des hypocrites et des réprouvés ; continuez
votre route et vous serez bientôt en enfer !... Vous ne pouvez supporter
les défauts de votre prochain parce qu'il est trop pénible,
vous n'aimez pas à être avec lui. Allez voir, allez, malheureux,
vous n'êtes qu'un hypocrite, vous n'avez qu'une fausse religion,
qui, avec tout ce que vous faites de bien, vous conduira en enfer. Ô
mon Dieu ! que cette vertu est rare ! Hélas ! elle est aussi rare
que sont rares ceux qui iront au ciel.
Je n'aime pas même les voir,
direz-vous ; à l'église, ils me donnent des distractions
avec toutes leurs manières. Ah ! malheu-reux, dites plutôt
que vous n'avez pas la charité, et que vous n'êtes qu'un misérable,
qui n'aimez que ceux qui entrent dans vos senti-ments ou vos intérêts,
qui ne vous contredisent en rien, et qui vous flattent de vos bonnes œuvres,
qui aiment à vous remercier de vos bienfaits et qui vous paient
de reconnaissance. Vous ferez tout pour ceux-ci, vous ne craignez pas même
de vous priver de votre nécessaire pour les soulager ; mais, s'ils
vous méprisent ou paient d'ingratitude, vous ne les aimez plus,
vous ne voulez plus les voir, vous fuyez leurs compagnies ; vous êtes
content de cou-per court aux entretiens que vous avez avec eux. Ô
mon Dieu ! que de fausses dévotions qui ne peuvent nous conduire
que parmi les réprouvés !
Si vous en doutez, M.F., écoutez
saint Paul, qui ne peut vous tromper : « Quand, nous dit-il, je donnerais
tout mon bien aux pauvres, quand je ferais des miracles en ressuscitant
les morts, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien autre qu'un
hypocrite . » Mais pour mieux vous en convaincre, parcourez toute
la passion de No-tre-Seigneur Jésus-Christ, voyez toutes les Vies
des Saints, vous n'en trouverez aucun qui n'ait pas cette vertu : c'est-à-dire,
qui n'ait pas aimé ceux qui lui faisaient des injures, qui lui voulaient
du mal, qui le payaient d'ingratitude pour ses bienfaits. Non, non, vous
n'en verrez pas un qui n'ait pas préféré de faire
du bien à ce-lui qui lui aura fait quelques torts. Voyez saint François
de Sales, qui nous dit que, s'il n'avait qu'une bonne œuvre à faire,
il choisi-rait celui qui lui a fait quelque outrage, plutôt que celui
qui lui a rendu quelque service. Hélas ! M.F., qu'une personne qui
n'a pas la charité va loin pour le mal ! Si une personne lui a fait
quelque peine, vous la voyez examiner toutes ses actions ; elle les juge,
elle les condamne, elle les tourne en mal, toujours croyant avoir raison.
– Mais, me direz-vous, il y a bien des fois que l'on voit qu'ils agissent
mal, l'on ne peut pas penser autrement. – Mon ami, comme vous n'avez point
de
charité, vous croyez qu'ils font mal ; mais si vous aviez la charité,
vous penseriez bien autrement, parce que vous penseriez toujours que vous
pouvez bien vous tromper, comme cela arrive si souvent ; et pour vous en
convaincre, en voici un exemple, que je vous prie de ne jamais effacer
de votre esprit, surtout quand vous penserez que votre prochain fait mal.
Il est rapporté dans l'histoire
des Pères du désert , qu'un soli-taire nommé Siméon,
étant resté plusieurs années dans la solitude, il
lui vint la pensée d'aller dans le monde ; mais il demanda au bon
Dieu que jamais de sa vie, les hommes ne connussent ses in-tentions. Le
bon Dieu lui ayant accordé cette grâce, il alla dans le monde.
Il contrefaisait le fou, il délivrait les possédés
du démon, et il guérissait les malades ; il allait dans les
maisons des femmes de mauvaise vie ; leur faisait jurer qu'elles n'aimeraient
que lui, leur donnant tout l'argent qu'il avait. Tout le monde le regardait
comme un solitaire qui avait perdu l'esprit. L'on voyait tous les jours
cet homme, qui avait plus de soixante-dix ans, jouer avec les enfants dans
les rues ; d'autres fois, il allait se jeter au travers des danses publiques
pour sauter avec les autres, en leur disant quel-ques mots qui leur montraient
bien le mal qu'ils faisaient. Mais on regardait cela comme venant d'un
fou, et l'on ne faisait que le mé-priser. D'autres fois, il montait
sur les théâtres, d'où il jetait des pierres à
tous ceux qui étaient en bas. Quand il voyait des person-nes qui
étaient possédées du démon, il se mettait avec
elles, et contrefaisait le possédé comme si lui-même
l'eût été. On le voyait courir dans les auberges, se
mettre avec les ivrognes ; dans les marchés, il se roulait par terre,
et faisait mille autres choses toutes fort extravagantes. Tout le monde
le condamnait, le méprisait ; les uns le regardaient comme un fou,
les autres, comme un libertin et un mauvais sujet qui ne méritait
que la prison. Et cependant, M.F., malgré tout cela, c'était
un saint, qui ne cherchait que le mépris et à gagner les
âmes à Dieu, quoique tout le monde en ju-geât mal. Ce
qui nous montre que quoique les actions mêmes de notre prochain nous
paraissent mauvaises, nous ne devons pas, nous, en juger mal. Souvent nous
les jugeons mauvaises, tandis qu'aux yeux de Dieu, elles ne le sont pas.
Ah ! que celui qui aurait le bonheur
d'avoir la charité, cette belle et incomparable vertu, se garderait
bien de juger et de vou-loir mal à son prochain ! – Mais, me direz-vous,
son caractère est trop mauvais, l'on ne peut pas y tenir. – Vous
ne pouvez pas y te-nir, mon ami, vous croyez donc être un saint,
et sans défaut ? pauvre aveugle ! vous verrez un jour que vous en
avez plus fait souffrir à ceux qui sont autour de vous, qu'ils ne
vous en ont fait souffrir. C'est l'ordinaire que les plus mauvais croient
qu'ils ne font rien souffrir aux autres, et qu'ils ont tout à souffrir
des autres. Ô mon Dieu, que l'homme est aveugle, quand la charité
n'est pas dans son cœur ! D'un autre côté, si vous n'aviez
rien à souffrir de la part de ceux qui sont avec vous, qu'auriez-vous
donc à présen-ter au bon Dieu ? – Quand est-ce donc que l'on
pourra connaître que l'on est dans le chemin qui conduit au ciel
? – Non, non, M.F., tant que vous n'aimerez pas ceux qui sont d'une humeur,
d'un ca-ractère tout différents du vôtre et même
ceux qui vous contredi-sent en ce que vous faites, vous ne serez qu'un
hypocrite et non un bon chrétien. Faites, tant que vous voudrez,
des autres biens, cela n'empêchera pas que vous ne soyez damnés.
D'ailleurs, voyez la conduite qu'ont tenue les saints, et comment ils se
sont comportés envers leur prochain, en voilà un exemple
qui nous montre que cette vertu seule semble nous assurer le ciel.
Il est rapporté dans l'histoire
qu'un solitaire qui avait mené une vie bien imparfaite, du moins
en apparence et aux yeux du monde, se trouva à l'heure de la mort
si consolé et si content, que son supérieur en fut bien étonné.
Pensant que c'était un aveugle-ment du démon, il lui demanda
d'où pouvait venir ce grand contentement ; qu'il savait bien pourtant
que sa vie n'avait guère de quoi le rassurer, vu que les jugements
de Dieu sont si terribles, même aux plus justes. « Il est vrai,
mon père, lui dit le mourant, que je n'ai pas fait des œuvres extraordinaires,
et même que je n'ai presque rien fait de bon ; mais j'ai tâché
toute ma vie de pratiquer ce grand précepte du Seigneur, qui est
d'aimer tout le monde, de penser bien de tous, de supporter les défauts
et de les excuser et de leur rendre service ; je l'ai fait toutes les fois
que l'occasion s'en est présentée ; j'ai tâché
de ne faire du mal à personne, de ne parler mal de personne et de
penser bien de tout le monde : voilà mon père, ce qui fait
toute ma consolation et mon espérance dans ce moment, et ce qui,
malgré toutes mes imperfections, me donne l'espérance que
le bon Dieu aura pitié de moi. » Le supérieur fut si
étonné de cela, qu'il s'écria avec des transports
d'admiration : « Ô mon Dieu ! que cette vertu est belle et
précieuse à vos yeux ! » – « Allez, mon fils,
dit-il au solitaire, vous avez tout fait et tout accompli, en accomplissant
ce commandement ; allez, le ciel vous est assuré. » Ah ! M.F.,
si nous connaissions bien cette vertu, et quel en est le prix aux yeux
de Dieu, avec quel empres-sement ne saisirions-nous pas toutes les occasions
de la pratiquer, puisqu'elle renferme toutes les autres vertus et nous
assure si bien le ciel ? Non, non, M.F., nous ne sommes que des hypocrites,
tant que cette vertu n'accompagnera pas toutes nos actions.
Mais, pensez-vous en vous-mêmes,
d'où vient que nous n'avons pas cette charité, puisqu'elle
nous rend déjà si heureux dans ce monde par la paix et l'union
qui règnent entre ceux qui ont le grand bonheur de l'avoir ? – M.F.,
trois choses nous la font perdre, savoir : l'avarice, l'orgueil, et l'envie.
Dites-moi, pourquoi est-ce que vous n'aimez pas cette personne ? Hélas
! c'est parce qu'elle n'entre pas dans vos intérêts ; qu'elle
aura dit quelques pa-roles contre vous, ou fait quelque chose qui ne vous
a pas conve-nu ; ou bien parce que vous lui avez demandé quelque
service qu'elle vous a refusé ; ou bien qu'elle aura fait quelque
profit que vous espériez faire : voilà ce qui vous empêche
de l'aimer comme vous le devez. Vous ne faites pas attention que tant que
vous n'aimerez pas votre prochain, c'est-à-dire, tout le monde,
comme vous voudriez que l'on vous aimât, vous êtes un... que
si vous ve-niez à mourir, vous seriez damné. Cependant vous
aimez encore à nourrir dans votre cœur des sentiments qui ne sont
pas bien chari-tables, vous fuyez ces personnes ; mais, prenez bien garde,
mon ami, que le bon Dieu ne vous fuie pas aussi. Ne perdez jamais de vue
qu'autant de temps que vous n'aimez pas votre prochain, le bon Dieu est
en fureur contre vous ; si vous veniez à mourir, il vous précipiterait
de suite en enfer. Ô mon Dieu ! peut-on bien vivre avec la haine
dans
le cœur !... Hélas ! mon ami, vous n'êtes plus qu'un abominable
aux yeux de Dieu, si vous êtes sans chari-té, Est-ce parce
que vous voyez de grands défauts dans votre voi-sin ? Hélas
! mon ami, soyez bien persuadé, que vous en avez en-core de bien
plus grands aux yeux de Dieu et que vous ne connaissez pas. Il est vrai
que nous ne devons pas aimer les dé-fauts et les vices du pécheur
; mais nous devons aimer sa per-sonne ; car, quoique pécheur, il
ne laisse pas que d'être la créature de Dieu et son image.
Si vous voulez n'aimer que ceux qui n'ont point de défauts, vous
n'aimerez personne, parce que personne n'est sans défauts. Raisonnons,
M.F., en meilleurs chrétiens : plus un chrétien est pécheur,
plus il est digne de compassion et de pos-séder une place dans notre
cœur. Non, M.F., tant mauvais que soient ceux avec qui nous vivons, nous
ne devons pas les haïr ; mas, à l'exemple de Jésus-Christ,
les aimer plus que nous-mêmes.
Voyez comment Jésus-Christ,
qui est notre modèle, s'est comporté envers ses ennemis :
il a prié pour eux et il est mort pour eux. Qui a porté les
apôtres à traverser les mers, et à aller fi-nir leur
vie par le martyre ? N'est-ce pas l'amour pour leurs enne-mis ? Voyez la
charité de saint François-Xavier, qui quitta sa pa-trie et
tous ses biens, pour aller habiter parmi des barbares, qui lui font souffrir
tout ce qu'il est possible de faire souffrir à un chré-tien,
sinon la mort. Voyez un saint Abraham, soli-taire, qui quitta sa solitude
pour aller prêcher la foi dans un pays où personne n'avait
pu la faire recevoir. N'est-ce pas sa charité qui fut cause qu'il
fut frappé et traîné par terre jusqu'à
être laissé demi-mort. Ne pouvait-il pas les laisser dans
leur aveuglement ? Oui, sans doute, mais sa charité, le grand désir
de sauver leurs pauvres âmes, lui fait souffrir toutes ces injures
. Oui, M.F., celui qui a la charité ne voit point de défauts
dans son frère, mais seulement la nécessité de l'aider
à sauver son âme, quoi qu'il en coûte.
Nous disons que, si nous aimons
bien notre prochain, nous prendrons bien garde de ne pas le scandaliser
et de rien faire qui puisse le détourner du bien pour le porter
au mal. Oui, M.F., nous devons aimer tout le monde et lui faire du bien
autant que nous le pouvons pour l'âme et pour le corps ; parce que
Jésus-Christ nous dit, que quand nous faisons quelque bien au prochain
dans son corps, nous le faisons à lui-même ; mais, à
bien plus forte raison, quand nous l'aidons à sauver son âme.
Ne perdons jamais de vue ces paroles de Jésus-Christ, qui nous dit
dans l'Évangile : « Venez, les bénis de mon Père,
j'ai eu faim, vous m'avez donné à manger, etc. »
Voyez la charité de saint Sérapion, qui quitta son habit
pour le donner à un pauvre ; il en rencontra un autre, il lui donna
son habit de dessous ; ne lui restant plus que son livre d'évangile,
il va le vendre pour pouvoir donner encore. Son disci-ple lui demanda qui
l'avait ainsi dépouillé ? Il lui dit, qu'il avait lu dans
son livre : « Vendez et donnez tout ce que vous avez aux pauvres,
et vous aurez un trésor dans le ciel ; c'est pour cela que j'ai
vendu jusqu'à mon livre. » Il alla encore plus loin, il se
donna lui-même à une pauvre veuve pour se faire vendre, afin
qu'elle eût de quoi nourrir ses enfants ; et, étant conduit
parmi les barbares, il eut le grand bonheur d'en convertir un grand nombre.
Oh ! belle vertu ! si nous avions le bonheur de vous posséder, que
d'âmes nous mènerions au bon Dieu !.... Quand saint Jean l'Aumônier
pensait à cette belle action de saint Sérapion : «
J'avais cru, disait-il à ses amis, avoir fait quelque chose, en
donnant tout mon argent aux pauvres ; mais j'ai reconnu que je n'ai encore
rien fait, parce que je ne me suis pas donné moi-même comme
le bienheureux Sérapion, qui se donna pour nourrir les enfants d'une
veuve . »
Concluons, M.F., que la charité
est une des plus belles ver-tus, et qui nous assure le plus l'amitié
du bon Dieu ; avec d'autres vertus, nous pouvons encore être dans
le chemin de l'enfer ; mais avec la charité, qui est universelle,
qui ne fuit point, qui aime ses ennemis comme ses amis, qui fait du bien
à ceux qui lui font du mal, comme à ceux qui lui font du
bien !... celui qui la possède est sûr que le ciel est pour
lui !... C'est le bonheur que je vous sou-haite.
13ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE
Sur l'Absolution
Quorum remiseritis peccata, remittuntur
eis : et quorum retinueritis, reten-ta sunt.
Les péchés seront
remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront rete-nus
à ceux à qui vous les retiendrez.
(S. Jean, XX, 23.)
Qu'il en a coûté, M.F.,
à ce divin Sauveur pour donner l'effi-cacité à ces
paroles : « Les péchés seront remis à ceux à
qui vous les remettrez, et retenus à ceux à qui vous les
retiendrez ! » Hé-las ! que de tourments, que d'opprobres
et quelle mort doulou-reuse !... Mais nous sommes si aveugles, si grossiers,
si peu spiri-tuels, que la plupart croient qu'il ne tient qu'au prêtre
de donner ou de refuser l'absolution comme il lui plaît. Non, M.F.,
nous nous trompons grossièrement ; un ministre du sacrement de Pénitence
n'est que le dispensateur des grâces et des mérites de Jésus-Christ
; il ne peut les donner que selon les règles qui lui sont prescrites.
Hélas ! de quelle frayeur ne doit pas être saisi un pau-vre
prêtre, en exerçant un ministère si redoutable, où
il est dans un danger si grand de se perdre lui-même en voulant sauver
les au-tres. Quel terrible rendement de compte pour un pauvre prêtre,
lorsque le jugement viendra et que toutes ces absolutions lui se-ront remises
devant les yeux par Dieu même, pour examiner s'il n'a point été
ou trop prodigue des grâces du ciel, ou trop sévère.
Hélas ! M.F., qu'il est difficile de marcher toujours bien droit
!... Que de prêtres, au jugement, voudraient n'avoir pas été
prêtres, mais simples laïques ! Que de fidèles vont aussi
se trouver coupa-bles, qui, peut-être n'ont jamais prié Dieu
pour leurs pasteurs qui se sont exposés à se perdre pour
les sauver !... Mais, si un prêtre a le pouvoir de remettre les péchés,
il a aussi le pouvoir de les rete-nir, et saint Grégoire le Grand
nous dit qu'un prêtre doit bien examiner quelles sont les dispositions
du pécheur, avant de lui donner l'absolution. Il doit voir si son
cœur est changé, s'il a bien pris toutes les résolutions
que doit avoir un grand pécheur conver-ti.
Il est donc évident que le
ministre de la pénitence doit diffé-rer ou refuser l'absolution
à certains pécheurs, sous peine de se damner lui-même
avec son pénitent. Je vais donc vous montrer ou vous apprendre,
1° ce que c'est que l'absolution ; 2° quels sont ceux à
qui il faut la donner ou la refuser : matière bien intéres-sante,
puisqu'il s'agit de votre salut ou de votre perte.
Que l'homme est heureux, M.F., mais
qu'il est cou-pable ! Je dis qu'il est heureux ; puisque, après
avoir perdu son Dieu, le ciel et son âme, il peut encore espérer
trouver des moyens si faciles pour réparer cette grande perte, qui
est celle d'une éternité de bonheur. Le riche qui a perdu
sa fortune, souvent ne peut point, malgré sa bonne volonté,
la rétablir ; mais le chrétien a-t-il perdu sa fortune éternelle
? il peut la recouvrer sans qu'il lui en coûte rien, pour ainsi dire.
Ô mon Dieu ! que vous aimez les pécheurs, puisque vous nous
fournissez tant de moyens de recouvrer le ciel ! Je dis que nous sommes
bien coupables de pouvoir gagner tant de biens et de tout mépriser
! Vous avez perdu le ciel, mon ami, et pourquoi voulez-vous vivre dans
une telle pauvreté ?... Mon Dieu ! que l'homme pécheur peut
éviter son malheur, et quelle facilité n'a-t-il pas de pouvoir
le réparer !
I. – Si vous me demandez ce que c'est que l'absolution, je vous dirai que c'est un jugement que le prêtre prononce, au nom et par l'autorité de Jésus-Christ, et par lequel nos péchés sont aussi remis, aussi effacés que si nous ne les avions jamais commis, si celui qui les confesse la reçoit avec les dispositions que demande ce sacrement. Ah ! M.F., qui de nous pourra s'empêcher d'admirer l'efficacité de ce jugement de miséricorde ? Ô moment heureux pour un pécheur converti !... À peine le ministre a-t-il prononcé ces paroles : « Je vous absous », que l'âme est lavée, purifiée de toutes ses souillures, par le sang précieux qui coule sur elle. Mon Dieu ! que vous êtes bon pour un pécheur !... Disons encore, M.F., que notre pauvre âme est arrachée de la tyrannie du démon et rétablie dans l'amitié et la grâce de son Dieu ; elle recouvre la paix, cette paix si précieuse, qui fait tout le bonheur de l'homme dans ce monde et dans l'autre ; l'innocence lui est rendue, avec tous ses droits au royaume de Dieu, que ses péchés lui avaient ra-vis. Dites-moi, M.F., ne devons-nous pas être pénétrés et attendris jusqu'aux larmes à la vue de tant de merveilles ? Auriez-vous pu penser que, chaque fois qu'un pécheur reçoit l'absolution, tous ces biens lui soient accordés ! Mais tout cela n'est donné et ne doit être donné qu'à ceux qui le méritent, c'est-à-dire, qui sont pé-cheurs, il est vrai, mais pécheurs convertis, qui regrettent leur vie passée, non seulement parce qu'ils ont perdu le ciel, mais parce qu'ils ont été conduits à outrager celui qui mérite d'être infiniment aimé.
II. – Si vous désirez savoir
quand on doit vous différer ou refuser l'absolution, le voici :
écoutez-le bien et gravez-le dans votre cœur, afin que, chaque fois
que vous irez vous confesser, vous puissiez connaître si vous méritez
d'être absous ou renvoyés. Je trouve huit raisons qui doivent
porter le prêtre à vous différer l'absolution, c'est
l'Église elle-même qui a donné ces règles sur
lesquelles le prêtre ne doit pas passer ; s'il les dépasse,
malheur à lui et à celui qu'il conduit : c'est un aveugle
qui en conduit un au-tre, ils se précipitent tous deux dans les
enfers . Le devoir du mi-nistre est de bien appliquer ces règles,
et le vôtre, de ne jamais murmurer lorsqu'il ne vous donne pas l'absolution.
Si un prêtre vous la refuse, c'est parce qu'il vous aime et qu'il
désire vérita-blement sauver votre pauvre âme, et vous
ne connaîtrez cela qu'au jour du jugement : c'est alors que vous
verrez que ce n'était que le désir qu'il avait de vous conduire
au ciel qui l'a porté à vous diffé-rer l'absolution.
S'il vous l'avait accordée, comme vous le désiriez, vous
seriez damné. Vous ne devez donc jamais, M.F., mur-murer lorsqu'un
prêtre ne vous donne pas l'absolution ; au contraire, vous devez
en remercier le bon Dieu, et travailler de toutes vos forces à mériter
ce bonheur.
Je dis 1° que ceux qui ne sont
pas assez instruits ne méritent pas l'absolution : le prêtre
ne doit pas la leur donner, et ne le peut sans se rendre coupable ; parce
que tout chrétien est obligé de connaître Jésus-Christ,
avec ses mystères, avec sa doctrine, ses lois et ses sacrements.
Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, nous dit expressément,
que l'on ne doit pas donner l'abso-lution à ceux qui ne connaissent
pas les principaux mystères du christianisme, et les obligations
particulières de leur état : « Surtout, nous dit-il,
quand on reconnaît que leur ignorance vient de leur indifférence
pour leur salut. » Les lois de l'Église défen-dent
de donner l'absolution aux pères et aux mères, aux maîtres
et maîtresses qui n'instruisent pas leurs enfants ou leurs domesti-ques,
ou qui ne les font pas instruire par d'autres de tout ce qui est nécessaire
pour être sauvé ; qui ne veillent pas sur leur conduite ;
qui négligent de les corriger de leurs désordres et de leurs
défauts. Vous dire que ceux qui ne savent pas ce qui est nécessaire
pour être sauvé, ne méritent pas l'absolution, c'est
comme si je disais à une personne qu'elle est dans le précipice
sans lui donner les moyens d'en sortir. Je vais donc vous montrer ce que
vous devez savoir pour sortir de cet abîme d'ignorance ; gravez-le
bien dans vos cœurs, afin qu'il ne s'y efface jamais, que vous l'appreniez
à vos enfants et que vos enfants l'apprennent à d'autres.
Renouve-lons, M.F., ce que je vous ai dit déjà plusieurs
fois : un chrétien doit savoir le Notre Père, le Je vous
salue Marie, le Je crois en Dieu, le Confesse à Dieu, les trois
actes de Foi, d'Espérance et d'Amour, les Commandements de Dieu
et de l'Église, et son acte de Contrition. Je ne veux pas seulement
dire : les mots ; parce qu'il faudrait être furieusement ignorant
pour ne le point savoir ; mais il faut que, si l'on vous interroge, vous
puissiez rendre compte de l'explication de chaque article en particulier,
et de ce qu'ils veulent dire. Voilà ce que l'on vous demande, et
non de sa-voir les mots. Il faut que vous sachiez que le Notre Père
a été composé par Dieu même ; que le Je vous
salue Marie, a été com-posé, une partie par l'ange,
lorsqu'il vint trouver la sainte Vierge pour lui annoncer le mystère
de l'Incarnation , et l'autre partie par l'Église ; il faut que
vous sachiez que le Crois en Dieu a été com-posé par
les Apôtres après la descente du Saint-Esprit, avant de se
disperser dans le monde ; ce qui fait que dans tous les lieux du monde
l'on enseigne la même religion et les mêmes mystères.
Il renferme l'abrégé de toute notre sainte religion, le mystère
de la sainte Trinité, qui est un seul Dieu en trois personnes, que
c'est le Père qui nous a créés, que c'est le Fils
qui nous a rachetés par sa mort et ses souffrances, et que c'est
le Saint-Esprit qui nous a sanctifiés dans le saint Baptême.
Lorsque vous dites : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant,
créateur, etc., » c'est comme si vous disiez : Je crois que
le Père éternel a tout créé, nos corps et nos
âmes, que le monde n'a pas toujours été, qu'il ne durera
pas tou-jours, qu'un jour tout sera anéanti... « Je crois
en Jésus-Christ, » c'est comme si vous disiez : Je crois que
Jésus-Christ, la seconde personne de la sainte Trinité s'est
fait homme, qu'il a souffert, qu'il est mort pour nous racheter, pour nous
mériter le ciel que le péché d'Adam nous avait ravi.
« Je crois au Saint-Esprit, à la sainte Église catholique,
etc., » c'est comme si vous disiez : Je crois qu'il n'y a qu'une
religion, qui est celle de l'Église, que c'est Jésus-Christ
lui-même qui l'a établie, qu'il y a renfermé toutes
ses grâces, que tous ceux qui ne sont pas dans cette Église
ne seront pas sauvés, et que cette Église doit durer jusqu'à
la fin du monde. Lorsque vous dites : Je crois à la communion des
saints, » c'est comme si vous disiez : Je crois que tous les chrétiens
se font part de leurs prières, de toutes leurs bonnes œuvres, je
crois que les saints qui sont dans le ciel prient le bon Dieu pour nous,
et que nous pouvons prier pour ceux qui sont dans les flammes du purgatoire.
Lorsque vous dites : « Je crois à la rémission des
pé-chés, » c'est comme si vous disiez : Je crois qu'il
y a, dans l'Église de Jésus-Christ, des sacrements qui remettent
toutes sortes de pé-chés, et qu'il n'y a point de péchés
que l'Église de Jésus-Christ ne puisse remettre. En disant
: « La résurrection de la chair, » cela veut dire que
nos mêmes corps, que nous avons maintenant, res-susciteront un jour,
que nos âmes y rentreront pour aller dans le ciel, si nous avons
eu le bonheur de bien servir le bon Dieu, ou pour aller en enfer y brûler
pendant l'éternité si... En disant : « Je crois à
la vie éternelle, » c'est dire : Je crois que l'autre vie
ne fini-ra jamais, que notre âme durera autant que Dieu lui-même,
qui est sans fin. Lorsque vous dites : « D'où il viendra juger
les vivants et les morts, » c'est comme si vous disiez : Je crois
que Jésus-Christ est dans le ciel en corps et en âme, et que
c'est lui-même qui vien-dra pour nous juger, pour récompenser
ceux qui auront bien fait et pour punir ceux qui l'auront méprisé.
Il faut savoir que les Commandements
de Dieu ont été don-nés à Adam en le créant
; c'est-à-dire que Dieu les grava dans son cœur, et qu'après
qu'Adam eût péché, Dieu les donna à Moïse
écrits sur des tables de pierre, sur le mont Sinaï . Ce sont
les mê-mes que Dieu renouvela lui-même, lorsqu'il vint sur
la terre pour nous sauver tous . Je dis que vous devez savoir vos trois
actes, de Foi, d'Espérance et de Charité. Je ne veux pas
dire, encore sim-plement les mots, qui est-ce qui ne les sait pas ? mais
le sens de ces actes. La foi nous fait croire tout ce que l'Église
nous ensei-gne, quoique nous ne puissions pas le comprendre ; elle nous
fait croire que Dieu nous voit, veille à notre conservation, qu'il
nous récompensera ou nous punira, selon que nous aurons bien ou
mal fait ; qu'il y a un ciel pour les bons et un enfer pour les méchants
; que Dieu a souffert et qu'il est mort pour nous. L'espérance nous
fait faire toutes nos actions dans la vue de plaire à Dieu, parce
qu'elles seront récompensées pendant toute l'éternité.
Nous de-vons croire que la foi ni l'espérance ne seront plus nécessaires
dans le ciel, ou plutôt que nous n'aurons ni la foi ni l'espérance
: rien à croire parce qu'il n'y aura plus de mystères, ni
rien à espé-rer, puisque nous verrons tout ce que nous aurons
dû croire et que nous posséderons tout ce que nous aurons
espéré ; il n'y aura plus que l'amour, qui nous consumera
pendant toute l'éternité ; ce qui fera tout notre bonheur.
Dans ce monde, l'amour de Dieu consiste à aimer le bon Dieu au-dessus
de tout ce qui est créé, le préférer à
tout, même à notre vie. Voilà, M.F., ce que l'on veut
dire lors-qu'on dit que vous devez savoir le Notre Père, le Salue,
Marie, le Crois en Dieu, le Confesse à Dieu, le Un seul Dieu et
vos trois actes. Si vous ne savez pas cela, vous ne savez pas ce qui est
né-cessaire pour vous sauver ; il faut au moins que si l'on vous
inter-roge sur ce que je viens de vous dire, vous puissiez y répondre.
Ce n'est pas encore tout : il faut
que vous sachiez ce que c'est que le mystère de l'Incarnation et
ce que veut dire ce mot d'Incarnation. Il faut que vous sachiez que ce
mystère veut dire que la seconde personne de la sainte Trinité
a pris un corps comme le nôtre dans le sein de la très sainte
vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit. Nous honorons ce
mystère le 25 mars, le jour de l'Annonciation ; car c'est dans ce
jour que le Fils de Dieu a uni, a joint sa divinité à notre
humanité ; qu'il a pris un corps comme le nôtre, sinon le
péché, et qu'il s'est chargé de tous nos péchés
pour satisfaire à la justice de son Père. Il faut savoir
que c'est le 25 décembre que Jésus-Christ est venu au monde,
à minuit, le jour de Noël. Vous savez que l'on dit trois messes
ce jour, pour honorer les trois naissances de Jésus-Christ : la
pre-mière, dans le sein de son Père, qui est de toute éternité
; la se-conde, sa naissance corporelle dans la crèche, et la troisième,
sa naissance dans nos âmes par la sainte communion .
Il faut que vous sachiez que c'est
le jeudi saint que Jésus-Christ a institué le sacrement adorable
de l'Eucharistie . La veille de sa mort, étant avec ses apôtres,
il prit du pain, le bénit, le chan-gea en son corps. Il prit du
vin avec un peu d'eau, le changea en son sang, et donna à tous les
prêtres, en la personne de ses apô-tres, le pouvoir de faire
le même miracle toutes les fois qu'ils pro-nonceraient les mêmes
paroles : ce qui se fait pendant la sainte Messe lorsque le prêtre
prononce les paroles de la consécration. Il faut savoir que c'est
le vendredi saint que Jésus-Christ est mort, c'est-à-dire,
qu'il est mort comme homme et non comme Dieu ; parce que, comme Dieu, il
ne pouvait pas mourir ; qu'il est res-suscité le saint jour de Pâques,
cela veut dire, que son âme s'est réunie à son corps,
et qu'après être resté quarante jours sur la terre,
il est monté au ciel le jour de l'Ascension ; que le Saint-Esprit
est descendu sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Il faut
que si l'on vous interroge et si l'on vous demande quand est-ce que les
sacrements ont été institués par Jésus-Christ
ou quand ils ont eu leur effet, c'est-à-dire, nous ont communiqué
toutes ses grâces, il faut que vous puissiez dire que ce n'est qu'après
la Pen-tecôte. – Si l'on vous demandait qui les a institués,
il faut répon-dre qu'il n'y a que Jésus-Christ qui ait pu
les instituer : ce n'est ni la sainte Vierge ni les apôtres. Il faut
que vous sachiez combien il y en a, quels sont les effets de chaque sacrement,
et quelles sont les dispositions qu'il faut avoir pour les recevoir ; il
faut que vous sachiez que le Baptême efface en nous le péché
originel, qui est le péché d'Adam, et que nous avons en venant
au monde ; que celui de la Confirmation nous est donné par l'évêque,
et qu'il nous donne le Saint-Esprit avec l'abondance de ses grâces
; que celui de la Pénitence nous est donné lorsque nous nous
confessons, et que, pendant que le prêtre nous donne l'absolution,
si nous som-mes bien préparés, tous nos péchés
sont effacés. Dans la sainte Eucharistie, nous recevons, non la
sainte Vierge, ni les anges, ni les saints, mais le Corps adorable et le
Sang précieux de Jésus-Christ. Comme Dieu, nous y recevons
les trois personnes de la sainte Trinité : c'est-à-dire,
le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et, comme homme nous ne recevons
que le Fils : c'est-à-dire, son corps et son âme unis à
sa divinité. – Le sacrement de l'Extrême-Onction est celui
qui nous aide à bien mourir, et est institué pour nous purifier
des péchés que nous avons commis par tous nos sens. Celui
de l'Ordre communique aux hommes le même pouvoir que le Fils de Dieu
donna à ses apôtres. Ce sacrement a été insti-tué
lorsque Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Faites
ceci en mé-moire de moi , et toutes les fois que vous prononcerez
les mêmes paroles, vous opérerez le même miracle. »
Le sacrement de Ma-riage sanctifie les chrétiens qui s'unissent
ensemble selon les lois de l'Église et de d'État. Il y a
encore à vous dire qu'il y a une dif-férence entre le sacrement
de l'Eucharistie et les autres. Dans ce-lui de l'Eucharistie, nous recevons
le Corps adorable et le Sang précieux de Jésus-Christ, au
lieu que dans les autres nous ne rece-vons que l'application de son Sang
précieux. L'on donne encore le nom de sacrements des morts aux uns,
et aux autres le nom de sa-crements des vivants. Voici pourquoi l'on dit
que le Baptême, la Pénitence et quelquefois l'Extrême-Onction
sont des sacrements des morts : parce que notre âme est morte aux
yeux de Dieu par le péché. Ces sacrements ressuscitent notre
âme à la grâce ; et les autres que l'on appelle sacrements
des vivants, c'est parce qu'il faut être en état de grâce
pour les recevoir, c'est-à-dire, sans pé-ché. Il faut
encore savoir que lorsque Jésus-Christ a souffert sur la croix,
le Père ni le Saint-Esprit n'ont point souffert, ni ne sont morts
; mais c'est seulement le Fils qui a souffert et qui est mort comme homme
et non comme Dieu.
Eh bien ! M.F., si je vous avais
interrogés, auriez-vous bien répondu à tout cela ?...
Si vous ne savez pas tout ce que je viens de vous dire, vous n'êtes
pas suffisamment instruits pour vous sauver. Nous avons dit que les pères
et mères, les maîtres et maî-tresses doivent être
instruits de tout ce qui regarde leur état pour se sauver. Un père,
une mère, un maître, une maîtresse doivent connaître
toutes les obligations qu'ils ont à remplir envers leurs enfants
et leurs domestiques ; c'est-à-dire, connaître parfaitement
leur religion, pour l'apprendre à leurs enfants et à leurs
domesti-ques ; sans quoi, ils ne sont que de pauvres malheureux qui se
précipitent tous dans les enfers. Hélas ! combien de pères
et de mères, de maîtres et de maîtresses qui ne connaissent
pas seule-ment leur religion, qui croupissent avec leurs enfants et leurs
do-mestiques dans une ignorance crasse, et qui n'ont à attendre
que la mort pour être jetés en enfer ! Saint Paul nous dit
que celui qui ignore ses devoirs mérite d'être ignoré
de Dieu . Vous convien-drez avec moi que toutes ces personnes sont indignes
de l'absolu-tion, et, si elles ont le malheur de la recevoir, ce n'est
qu'un sacri-lège qui tombe sur leur pauvre âme. Ô mon
Dieu ! que l'ignorance damne du monde ! Nous sommes bien sûrs que
ce seul péché en damnera plus que tous les autres ensemble
; parce que, une per-sonne ignorante ne connaît ni le mal qu'elle
fait en péchant, ni le bien qu'elle perd ; de sorte qu'une personne
ignorante est une per-sonne perdue !
2° Je dis que l'on doit différer
l'absolution à ceux qui ne donnent aucune marque de contrition :
c'est-à-dire, de regret des péchés qu'ils ont commis.
D'abord, l'expérience nous apprend que nous ne devons guère
nous fier à toutes les promesses et à toutes les protestations
que l'on fait. Tous nous disent qu'ils sont fâchés d'avoir
offensé le bon Dieu, qu'ils veulent se corriger tout de bon, et
que, s'ils viennent se confesser, ce n'est que pour cela. Le prê-tre,
les croyant sincères, leur donne l'absolution. Que s'ensuit-il de
toutes ces résolutions ? Le voici : c'est que huit jours après
qu'ils ont été absous, ils oublient toutes leurs promesses
et « retournent à leur vomissement , » c'est-à-dire,
à toutes leurs mauvaises habi-tudes. Ainsi, toutes les protestations
ne sont donc pas des preuves suffisantes de conversion. Jésus-Christ
nous dit que « ce n'est qu'au fruit que l'on connaît l'arbre
; » de même, ce n'est que par le changement de vie que l'on
peut connaître si l'on a eu la contri-tion nécessaire pour
être dignes de l'absolution. Lorsqu'on a véri-tablement renoncé
à ses péchés, il ne faut pas se contenter de les pleurer,
il faut encore renoncer, quitter et fuir tout ce qui est capa-ble de nous
y porter : c'est-à-dire, être prêts à tout souffrir
plutôt que de retomber dans les péchés que nous venons
de confesser. Il faut que l'on voit en nous un changement entier, sans
quoi, nous n'avons pas mérité l'absolution, et il y a tout
lieu de croire que nous n'avons fait qu'un sacrilège. Hélas
! qu'il y en a peu en qui l'on voit ce changement après avoir reçu
l'absolution !... Mon Dieu ! que de sacrilèges !... Ah ! si du moins
toutes les trente ab-solutions, il y en avait une de bonne, que le monde
serait bientôt converti ! Ces personnes ne méritent donc pas
l'absolution, qui ne donnent pas des marques suffisantes de contrition.
Hélas ! com-bien de fois, parce qu'on les renvoie, elles ne viennent
plus. C'est donc bien parce qu'elles n'avaient pas envie de se convertir,
puis-que, loin de laisser leur confession jusqu'à une autre Pâque,
elles auraient travaillé de tout leur cœur à changer de vie,
et à revenir se réconcilier avec le bon Dieu.
3° Je dis que l'on doit refuser
l'absolution à tous ceux qui conservent des haines, des ressentiments
dans leur cœur, qui refu-sent de pardonner ou de faire les premières
démarches pour se ré-concilier ; de sorte, M.F., qu'il faut
bien prendre garde de ne ja-mais recevoir l'absolution lorsque vous avez
quelque chose contre votre prochain. Après avoir eu quelque difficulté,
il faut que vous soyez aussi bien portés à lui rendre service,
et de bonne grâce, que si, toute votre vie, il ne vous avait fait
que du bien. Si vous vous contentez de dire que vous ne lui voulez pas
de mal, mais que vous le laissez comme il est ; et que vous ne le saluiez
pas de bonne grâce, que vous évitiez sa compagnie, que vous
en préfé-riez d'autres à eux : vous ne les aimez pas
comme vous le devez, pour que le bon Dieu vous pardonne vos péchés.
Dieu ne vous pardonnera qu'autant que vous pardonnerez véritablement
votre prochain, et tant que vous ressentirez quelque chose dans votre cœur
contre lui, le meilleur est de travailler à déraciner cela
; après, vous recevrez l'absolution. Je sais bien que l'on peut,
et même que l'on doit, éviter les compagnies qui peuvent nous
expo-ser à nous disputer avec l'un et avec l'autre, où l'on
ne parle que de la conduite des voisins. Par rapport à ces personnes-là,
voilà comment il faut se comporter : ne les fréquenter que
quand il est nécessaire ; mais ne point leur vouloir de mal, ni
en dire ; se contenter de prier le bon Dieu pour elles. Écoutez
ce que Jésus-Christ nous dit dans l'Évangile : « Si,
étant sur le point de présen-ter votre offrande à
l'autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre
vous, ou que vous l'avez offensé, laissez-la votre offrande, et
allez, auparavant, vous réconcilier avec votre frère . »
« Un jugement, nous dit Jésus-Christ, est réservé
à celui qui n'aura pas fait miséricorde à son frère
. » Vous comprenez, M.F., aussi bien que moi, que toutes les fois
que nous avons quel-que chose contre quelqu'un, nous ne devons pas recevoir
l'absolu-tion ; parce que ce serait nous exposer à faire un sacrilège,
ce qui est le plus grand de tous les malheurs.
4° Je dis que l'on doit traiter
de même ceux qui ont fait quelque tort au prochain et qui refusent
de réparer le mal qu'ils ont fait ou dans sa personne ou dans ses
biens ; l'on ne peut pas même donner l'absolution à une personne
qui est à l'article de la mort, qui a des restitutions à
faire et qui les laisse à faire à ses hé-ritiers.
Tous les Pères disent, que pour celui qui a du bien d'autrui, qui
pourrait le rendre et qui ne le rend pas, il n'y a point de pardon ni de
salut à espérer pour lui.
5° Je dis que l'on doit refuser
l'absolution à ceux qui sont dans l'occasion prochaine de pécher,
et qui refusent d'en sortir. L'on appelle occasion prochaine de pécher,
tout ce qui peut nous porter ordinairement à le commettre, comme
les spectacles, les bals, les danses, les mauvais livres, les conversations
déshonnêtes, les chansons profanes, les tableaux indécents,
les manières dés-honnêtes de s'habiller, les mauvaises
compagnies, la fréquentation des personnes de différents
sexes, les liaisons avec les personnes avec lesquelles on a déjà
péché, etc... Comme sont encore les marchands qui ne savent
rien vendre sans mentir ou faire des inju-res, tels sont les cabaretiers
qui donnent à boire aux ivrognes et pendant les offices ou la nuit
; comme encore aux domestiques qui sont sollicités au mal par quelqu'un
de la maison. A toutes ces sortes de personnes, le prêtre ne doit
et ne peut, sans se damner, leur donner l'absolution, à moins que
ces personnes ne promettent de quitter ces choses, et de renoncer à
toutes celles qui peuvent les porter au péché, ou qui leur
sont une occasion de péché. Au-trement, en recevant l'absolution,
ils ne peuvent faire qu'un sacri-lège.
6° Je dis que l'on doit refuser
l'absolution à ceux qui sont scandaleux ; qui, par leurs paroles,
leurs conseils et leurs exem-ples pernicieux, portent les autres au péché
; tels sont ces mauvais chrétiens qui tournent en dérision
la parole de Dieu et ceux qui l'annoncent, qu'ils soient leurs pasteurs
ou d'autres prêtres ; qui se moquent de la religion, de la piété
et des choses saintes ; qui di-sent des paroles contraires à la
foi ou bien aux bonnes mœurs ; ceux qui tiennent dans leurs maisons les
veillées, les danses pro-fanes, des jeux défendus ; qui ont
des tableaux déshonnêtes, indé-cents ou de mauvais
livres ; comme sont encore les personnes du sexe qui se parent dans l'intention
de plaire, qui, par leurs regards, leurs manières, leur tenue de
prétention, font commettre tant de fornications et d'adultères
de cœur. Un confesseur, dit saint Char-les, doit refuser l'absolution à
toutes ces personnes, puisqu'il est écrit : « Malheur à
celui par qui le scandale arrive . »
7° Je dis que l'on doit refuser
l'absolution, c'est-à-dire, la dif-férer aux pécheurs
d'habitude, qui retombent depuis longtemps dans les mêmes péchés,
qui ne font point, ou du moins font bien peu d'efforts pour se corriger.
De ce nombre sont ceux qui ont l'habitude de mentir à tout moment,
qui ne s'en font point de scru-pule, qui prendront plaisir à dire
des mensonges pour faire rire les autres ; comme ceux qui ont l'habitude
de médire du prochain, qui ont toujours quelque chose à dire
sur son compte ; comme ceux qui jurent ces petits jurements, : Mon Dieu,
oui ; mon Dieu, non ; ma foi ; pardi, parbleu, mâtin, le J... F...,
B..., F..., S... N... F..., et autres choses semblables ; ceux qui ont
l'habitude de manger à toute heure, même sans nécessité
; qui s'impatientent à tout mo-ment, pour un rien ; ceux qui boivent
et mangent avec excès ; comme ceux qui ne font pas assez d'efforts
pour se corriger de ces pensées d'orgueil, de vanité, des
mauvaises pensées contre la pu-reté ; enfin, je dis que l'on
refusera l'absolution à tous ceux qui n'accusent pas eux-mêmes
leurs péchés, qui attendent, pour les dire, que le confesseur
le leur demande. Ce n'est pas au prêtre à confesser vos péchés,
mais bien à vous ; si le prêtre vous fait quelque interrogation,
c'est pour suppléer à ce que vous n'auriez pas pu connaître.
– Hélas ! à une partie, il faut leur arracher, pour ainsi
dire, leurs péchés du fond du cœur ; et il y en a qui se
dispu-teront avec leur confesseur, en disant qu'ils n'ont pas fait grand
mal. Il est évident que ces personnes-là ne sont pas dignes
de re-cevoir l'absolution, et qu'elles n'ont pas les dispositions nécessai-res
que demande ce sacrement pour ne pas le profaner. Tous les Pères
sont d'accord sur ce point, que quand il n'y a point de chan-gement ni
d'amendement dans une personne qui se confesse, sa pénitence est
fausse et trompeuse. Le saint Concile de Trente nous ordonne de ne donner
l'absolution qu'à ceux en qui l'on voit la cessation du péché,
la haine et la détestation du passé, la résolu-tion
et le commencement d'une vie nouvelle. Voilà, M.F., les rè-gles
dont un confesseur ne peut s'écarter, sans se perdre lui-même
et ses pénitents.
Mais voyons maintenant, quelles
sont les raisons que l'on donne, pour engager le confesseur à donner
l'absolution. Les uns disent que ne pas donner l'absolution à ceux
qui vont plusieurs fois se confesser, c'est détruire la religion
; et faire paraître trop difficile à faire ce qu'elle nous
commande ; que c'est rebuter les pécheurs, que l'on est cause de
ce qu'ils abandonnent la religion ; que c'est les jeter en enfer ; que
bien d'autres sont plus faciles ; qu'au moins l'on aurait le plaisir d'en
voir, dans la paroisse, un grand nombre qui feraient leurs pâques,
et que tous les ans, ils se feraient un plaisir de revenir se confesser
; que de trop vouloir, l'on n'a rien. M.F., tous ceux qui raisonnent de
la sorte, sont 1°, ceux qui ne méritent pas cette grâce.
Mais, mes amis, dès le commencement de l'Église, tous les
Pères ont suivi cette règle : qu'il faut absolument avoir
quitté le péché pour recevoir l'absolu-tion. Ces refus
ne paraissent durs qu'à des pécheurs impénitents ;
cette conduite ne peut rebuter que ceux qui ne pensent pas à se
convertir. Que résulte-t-il, M.F., de ces absolutions précipitées
? Vous ne le savez que trop vous-mêmes. Hélas ! une chaîne
de sa-crilèges. A peine avez-vous été absous, que
vous vous replongez dans vos anciens péchés ; la facilité
avec laquelle vous avez obte-nu votre pardon, vous a fait espérer
que vous l'obtiendriez, une autre fois, aussi facilement, et vous avez
continué votre même genre de vie ; au lieu que, si l'on vous
avait refusé cette absolu-tion, vous seriez rentrés en vous-mêmes
; vous auriez ouvert les yeux sur votre malheur, d'où peut-être
vous ne sortirez jamais. Votre pauvre vie n'est qu'une suite d'absolutions
et de rechutes. Mon Dieu, quel malheur ! Voilà où vous mène
notre malheureuse facilité à vous absoudre. N'est-ce pas
plutôt une cruauté de vous donner l'absolution, que de vous
la refuser, lorsque vous n'êtes pas en état de la recevoir.
Saint Cyprien nous dit qu'un prêtre doit s'en tenir aux règles
de l'Église, et attendre que son pénitent donne des marques
certaines que son cœur est changé, et qu'il com-mence à mener
une vie toute différente de celle qu'il a menée avant de
se confesser : car, Jésus-Christ lui-même, tout Dieu qu'il
était, maître de la grâce, n'a accordé le pardon
qu'aux vrais péni-tents ; il reçut le bon larron, dont la
conversion était sincère ; mais il rejeta le mauvais, à
cause de son impénitence. Il pardonna à saint Pierre, dont
il connaissait le repentir ; mais il abandonna Ju-das, dont la pénitence
était fausse. Qu'il est malheureux pour un prêtre et pour
un pénitent, si le prêtre lui donne l'absolution, lorsque
le pénitent ne la mérite pas ! si, dans le moment où
le ministre dit au pénitent : Je vous absous, Jésus-Christ
dit : Moi, je le condamne... Hélas ! que le nombre de ceux-là
est grand, puisqu'il y en a si peu qui quittent le péché
après avoir reçu l'absolution, et changent de vie !
Tout cela est bien vrai, me direz-vous
; mais, que dira-t-on de moi, après m'avoir vu plusieurs fois confesser
et ne point faire de pâques ? L'on va croire que je mène mauvaise
vie ; d'ailleurs, j'en connais bien d'autres, plus pécheurs que
moi, qui ont bien passé ; vous avez bien reçu un tel, qui
a mangé de la viande avec moi ; qui est bien allé les dimanches,
aussi bien que moi, à..... – La conscience de l'autre n'est
pas la vôtre ; s'il fait mal, il ne faut pas l'écouter. Est-ce
que vous voudriez, pour sauver les apparen-ces, vous damner en faisant
un sacrilège ? Ne serait-ce pas le plus grand des malheurs ? Vous
croyez qu'on vous remarque, parce que l'on vous a vu vous confesser plusieurs
fois, et que vous ne communiez pas. Ah ! mon ami, craignez plutôt
les yeux de Dieu, devant qui vous avez fait le mal, et ne faites pas attention
à tout le reste. Vous dites que vous en connaissez de plus coupables
que vous, qui ont passé. Qu'en savez-vous ? Un ange vous est-il
venu dire si Dieu ne les a pas changés et convertis ? Et, quand
même ils ne seraient pas convertis, devez-vous faire mal parce qu'ils
font mal ? Voudriez-vous vous damner, parce que les autres se dam-nent
? Mon Dieu, quel affreux langage ! – Mais, disent ces péni-tents,
qui non seulement ne sont pas convertis, mais encore, qui ne désirent
pas même de se convertir, mais bien seulement de sauver les apparences.
Quand faudra-t-il donc venir pour commu-nier, je ne voudrais guère
attendre ? – Quand il faudra venir pour communier ? Écoutez saint
Jean Chrysostome ; il va lui-même nous apprendre quand il faudra
venir pour communier. Est-ce à Pâques, à la Pentecôte,
à Noël ? Non, vous dit-il. Est-ce à l'article de la
mort ? Non, vous dit-il encore. Quand est-ce donc ? C'est, vous dit-il,
quand vous aurez renoncé, pour tout de bon, au péché,
et serez bien résolus de ne plus y retomber, avec le secours de
la grâce du bon Dieu ; quand vous aurez rendu ce bien qui n'est pas
à vous ; que vous vous serez réconciliés avec votre
ennemi ; c'est quand vous serez véritablement convertis. – D'autres
pécheurs nous diront : Si vous êtes si difficile, nous irons
à d'autres, qui nous passeront bien. Voilà tant de fois que
je viens ; j'ai autre chose à faire que de courir les chemins ;
de longtemps je ne re-viens ; je vois bien que vous m'en voulez. Quel mal
ai-je donc tant fait ? – Vous irez en trouver un autre, mon ami, vous êtes
maître d'aller à qui bon vous semblera ; mais, croyez-vous
qu'un autre voudra, mieux que moi, se damner. Non, sans doute. S'il vous
reçoit, c'est qu'il ne vous connaît pas assez. Voulez-vous
sa-voir ce que c'est qu'une personne qui parle de la sorte, et qui va chercher
une absolution ailleurs ? Écoutez et tremblez. Elle quitte son guide,
qui peut bien la conduire, pour chercher un passeport pour aller droit
en enfer. – Mais, me direz-vous, voilà tant de fois que je viens.
– Eh bien ! mon ami, corrigez-vous, et il vous passe-ra la première
fois que vous reviendrez. – De longtemps, dites-vous, je ne reviens pas.
– Tant pis, pour vous seul, mon ami. En ne revenant plus, vous allez à
pas de géant du côté de l'enfer. Il y en a qui sont
si aveuglés, qu'ils vont jusqu'à croire que le confes-seur
leur en veut, puisqu'il ne leur donne pas l'absolution. Sans doute, mon
ami, il vous en veut ; mais c'est le salut de votre pau-vre âme qu'il
veut de vous ; c'est pour cela, qu'il ne veut pas vous donner une absolution,
qui, bien loin de vous sauver, vous damne-rait pour l'éternité.
Mais, dites-vous, quel mal ai-je donc tant fait ? Je n'ai ni tué,
ni volé... – Vous n'avez ni tué, ni volé, dites-vous
? Mais, mon ami, l'enfer renferme d'autres personnes qui n'ont ni tué,
ni volé ; il y a plus que ces deux péchés qui traînent
les âmes en enfer. Mais, si nous étions assez lâches
pour vous donner l'ab-solution, lorsque vous ne la méritez pas,
ce serait être le bourreau de votre pauvre âme, qui a tant
coûté de souffrances à Jésus-Christ .
Écoutez, M.F., ce trait d'histoire,
qui va nous apprendre quels sont les effets de ces absolutions précipitées,
sans que le pé-nitent y soit disposé. Saint Charles Borromée
nous rapporte qu'un homme riche de Naples menait une vie qui n'était
guère chré-tienne. Il s'adressa à un confesseur qui
passait pour être bien in-dulgent et bien facile. Ce prêtre,
en effet, n'eut pas plus tôt enten-du ce pénitent, qu'il lui
donna l'absolution sans aucune preuve de repentir. Le gentilhomme, quoique
sans religion, étonné de cette facilité que beaucoup
de confesseurs sages et éclairés n'avaient pas eue pour lui,
se lève brusquement, et tirant quelques pièces de monnaie
de sa poche : « Tenez, mon Père, lui dit-il, recevez, ces
pièces et conservez-les bien jusqu'à ce que nous nous retrouvions
ensemble dans le même lieu. – Quand, et dans quel lieu nous re-verrons-nous,
lui répondit le prêtre tout étonné ? – Mon Père,
ce sera au fond des enfers, où nous serons bientôt l'un et
l'autre ; vous, pour m'avoir donné l'absolution dont j'étais
indigne, et moi, pour avoir été assez malheureux que de la
recevoir sans avoir été converti. »
Que pensez-vous de cela, M.F. ?
Méditons-le ensemble ; il y a de quoi faire trembler les uns et
les autres. – Mais, me direz-vous, quand est-ce donc qu'on peut recevoir
l'absolution ? Aussi-tôt que vous serez con-vertis, que vous aurez
changé dans votre manière de vivre ; que vous prierez bien
le bon Dieu qu'il fasse connaître à votre confesseur quelles
sont les dispositions de votre cœur ; lorsque vous aurez accompli bien
exactement tout ce que votre confesseur vous aura prescrit, et que vous
ne manquerez pas de revenir dans le temps qu'il vous a dit. Il est rapporté
d'un pé-cheur qui se convertit dans une mission, qu'après
sa confession, le prêtre le vit si bien disposé, qu'il allait
lui donner l'absolution. Ce pauvre homme lui dit : « Eh quoi ! mon
Père, à moi l'absolution ! ah ! laissez-moi pleurer quelque
temps les péchés que j'ai eu le malheur de commettre ; éprouvez-moi,
afin que vous soyez assuré que mon repentir est sincère.
» – En recevant l'absolution, il croyait mourir de douleur. Mon Dieu
! que ces dispositions sont rares ! mais que les confessions bonnes le
sont aussi ! Concluons, que nous ne devons jamais presser notre confesseur
de nous don-ner l'absolution, parce que nous devons toujours trembler de
n'être pas prêts, c'est-à-dire, assez convertis. Demandons
au bon Dieu qu'il nous convertisse, en nous confessant, afin que nos péchés
soient véritablement pardonnés. C'est le bonheur que je vous
sou-haite.
13ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur le service de Dieu.
Quaerite prinaum regnum Dei et justitiam
ejus.
Cherchez premièrement le
royaume de Dieu et sa justice.
(S. Matthieu, VI, 33.)
Saint Matthieu nous apprend que Jésus-Christ s'étant un jour trouvé avec des personnes qui s'occupaient beaucoup des affaires temporelles, leur dit : « Ne vous inquiétez pas tant de tout cela, cherchez premièrement le royaume des cieux et sa justice, et tout le reste vous sera donné avec abondance ; en voulant leur dire, par là, que s'ils avaient le bonheur de mettre tous leurs soins à plaire à Dieu et à sauver leurs âmes, son Père leur fournirait tout ce qui leur serait nécessaire pour les besoins du corps. – Mais pensez-vous, comment est-ce que nous pouvons chercher le royaume des cieux et sa justice ? – Comment, M.F. ? Rien de plus facile et de plus consolant : c'est en vous attachant au service de Dieu qui est le seul moyen qui nous reste, pour nous conduire à la fin noble et heureuse pour laquelle nous sommes créés. Oui, M.F., nous le sa-vons tous, et même les plus grands pécheurs sont convaincus qu'ils ne sont dans le monde que pour servir le bon Dieu, en fai-sant tout ce qu'il nous commande. – Mais, me direz-vous, pour-quoi est-ce donc qu'il y en a si peu qui travaillent à cela ? – M.F., le voici : c'est que les uns regardent le service de Dieu comme une chose très difficile ; ils pensent qu'ils n'ont pas assez de force pour l'entreprendre, ou que, l'ayant entrepris, ils ne pourront pas persé-vérer. Voilà précisément, M.F., ce qui décourage ou détourne une grande partie des chrétiens. Au lieu d'écouter ces consolantes pa-roles du Sauveur, qui ne peut nous tromper, et qui nous dit que son service est doux et agréable, qu'en le faisant nous y trouve-rons la paix de nos âmes et la joie de notre cœur ... Mais, pour mieux vous le faire comprendre, je vais vous montrer lequel des deux mène une vie plus dure, plus triste et plus pénible, ou de ce-lui qui remplit ses devoirs de religion avec fidélité, ou de celui qui les abandonne pour suivre ses plaisirs et ses passions, pour vivre à sa liberté .
I. – Oui, M.F., de quelque côté
que nous considérions le ser-vice de Dieu, qui consiste dans la
prière, la pénitence, la fréquen-tation des sacrements,
l'amour de Dieu et du prochain et un entier renoncement à soi-même
; oui, M.F., nous ne trouvons dans tout cela que joies, que plaisirs et
que bonheur pour le présent et pour l'avenir, comme vous allez le
voir. Celui qui connaît sa religion et qui la pratique sait que les
croix et les persécutions, les mépris, les souffrances, et
enfin, la pauvreté et la mort se changent en dou-ceurs, en consolation
et en récompense éternelle. Dites-moi, vous en êtes-vous
jamais formé une idée sensible ? Non, sans doute. Cependant,
M.F., cela est tel que je vous le dis ; et, pour vous le prouver de manière
que vous ne puissiez pas en douter, écoutez Jésus-Christ
lui-même : « Bienheureux les pauvres, parce que le royaume
des cieux leur appartient, et malheur aux riches, parce qu'il est très
difficile que les riches se sauvent . » Vous voyez donc, d'après
Jésus-Christ, que la pauvreté ne doit pas nous rendre malheureux,
puisque le Sauveur nous dit : « Bienheureux les pau-vres. »
En deuxième lieu, ce ne sont
pas les souffrances ni les cha-grins ; puisque Jésus-Christ nous
dit : « Bienheureux ceux qui pleurent et qui sont persécutés,
parce qu'un jour viendra qu'ils se-ront consolés ; mais malheur
au monde et à ceux qui prennent leurs plaisirs, parce qu'un jour
viendra que leur joie se changera en larmes et en tristesse éternelle
. »
En troisième lieu, ce n'est
pas d'être méprisé, puisque Jésus-Christ nous
dit : « On me méprise et on vous méprisera, on me persécute
et on vous persécutera ; mais, bien loin de vous laisser aller à
la tristesse, réjouissez-vous, parce qu'une grande récom-pense
vous attend dans le ciel . » Dites-moi, M.F., que pourra ré-pondre
maintenant ce pauvre homme qui veut nous dire qu'il est malheureux, et
qui nous demande comment il pourra se sauver au milieu de tant de persécutions,
de calomnies et d'injustices qu'on lui fait ? Non, non, M.F., disons-le
: rien n'est capable de rendre l'homme malheureux ici-bas, que le défaut
de religion ; et l'homme, malgré tout ce qu'il pourra éprouver
sur la terre, s'il veut s'attacher au service de Dieu, ne laissera pas
que d'être heureux.
Nous avons dit, M.F., que celui
qui s'attache au bon Dieu se trouve plus heureux que les gens du monde,
dans le moment où tout va selon leurs désirs ; et même,
nous voyons que plusieurs saints ne respiraient que le bonheur de souffrir
; nous en avons un bel exemple dans la personne de saint André.
Il est rapporté dans sa vie qu'Égée, gouverneur
de la ville, voyant que saint André, par ses prédications,
rendait désert le temple de ses faux dieux, l'envoya prendre. Le
saint étant présenté devant son tribunal, il lui dit
d'un air menaçant : « Est-ce toi, qui fais profession de détruire
le temple de nos dieux, en annonçant une religion toute nou-velle
? » Saint André lui répondit : « Elle n'est point
nouvelle, au contraire, elle a commencé avec le monde. » –
« Ou tu renonceras à ton crucifié, ou je te ferai mourir
en croix comme lui. » – « Nous, chrétiens, lui répondit
saint André nous ne craignons point les souffrances, elles font
tout notre bonheur sur la terre ; plus nous aurons été conformes
à Jésus-Christ crucifié, plus nous serons glorieux
dans le ciel ; vous serez plus tôt las de me faire souffrir, que
moi, de souffrir. » Le proconsul le con-damna à mou-rir en
croix ; mais pour rendre son supplice plus long, il ordonna de ne pas le
clouer, mais seule-ment de l'attacher avec des cordes, pour qu'il souffrît
plus longtemps. Saint André eut tant de joie d'être condamné
à mourir en croix comme Jésus-Christ, son divin Maître,
que voyant deux mille hommes qui allaient assister à sa mort, et
qui presque tous versaient des larmes, ayant peur qu'on le privât
de son bonheur, il éleva la voix pour les conjurer, en, grâce,
de ne pas retarder son martyre. D'aussi loin qu'il aperçut la croix
sur laquelle il devait être attaché, il s'écria tout
trans-porté d'allé-gresse : « Je vous salue, ô
Croix vénérable, qui avez été consacrée
et ornée par l'attouchement du Corps adorable de Jésus-Christ,
mon divin Sauveur ! » Ô Croix sacrée ! ô Croix
tant désirée ! ô Croix aimée avec tant d'ardeur
! ô Croix que j'ai recherchée et dé-sirée avec
tant de zèle et sans relâche ! c'est vous qui allez satis-faire
tous les désirs de mon cœur ! Ô Croix bien aimée, recevez-moi
des mains des hommes pour me remettre entre celles de mon Dieu, afin que
je passe de vos bras entre ceux de celui qui m'a ra-cheté. »
L'auteur qui a écrit sa Vie nous dit qu'étant au pied
de la croix pour y être attaché, il ne changea point de couleur,
les che-veux ne lui dressèrent point à la tête, comme
il arrive aux crimi-nels, il ne perdit point la voix, le sang ne lui glaça
point dans les veines, il ne fut pas même saisi de la moindre frayeur
; mais, au contraire, l'on voyait que le feu de la charité, dont
son cœur brû-lait, lui faisait jeter des flammes ardentes par la
bouche. Lorsqu'il fut auprès de la croix, il se dépouilla
lui-même et donna ses habits au bourreau ; il monta sans l'aide de
personne sur le bois ou était placée la croix. Tout le peuple,
qui était au moins de vingt mille, voyant saint André attaché,
cria que c'était une injustice de faire souffrir un homme si saint,
et courut au palais pour mettre en piè-ces le proconsul, s'il ne
le détachait pas. Craignant pour sa vie, le proconsul va le faire
détacher. D'aussi loin que saint André le vit venir, il s'écria
: « Ô Egée, que venez-vous faire ici ? Si vous ve-nez
pour apprendre à connaître Jésus-Christ, bon, venez
; mais si vous venez pour me faire détacher, n'allez pas plus loin,
sachez que vous n'en viendrez pas à bout et que j'aurai la consolation
de mourir pour mon divin Maître ! Ah ! je vois déjà
mon Dieu, je l'adore avec tous les bienheureux. » Malgré cela,
le gouverneur voulut le faire détacher, crainte que le peuple ne
le fît mourir lui-même ; mais il fut impossible de le détacher
: à mesure qu'ils s'approchaient pour le détacher, les forces
leur man-quaient, ils restaient immobiles. Alors saint André s'écria
en levant les yeux au ciel : « Mon Dieu, je vous demande la grâce
de ne point per-mettre que votre serviteur, qui est en croix pour la confession
de votre nom, reçoive cette humiliation que d'être délivré
par les or-dres d'Égée. Mon Dieu ! vous êtes mon Maître,
vous savez que je n'ai cherché et désiré que vous.
» Comme il achevait ces paroles, on vit une lumière en forme
de globe qui enveloppa tout son corps, et répandit une odeur qui
embauma tous les assistants, et, dans le même moment, son âme
partit pour l'éternité. Voyez-vous, M.F. ? celui qui connaît
sa religion et qui est attaché au ser-vice de son Dieu, ne regarde
pas les souffrances comme des mal-heurs ; mais il les désire et
les regarde comme des biens inestima-bles. Oui, M.F., même dès
ce monde, celui qui a le bonheur de s'attacher à Dieu, est plus
heureux que le monde avec tous ses plaisirs. Écoutez saint Paul
: « Oui, nous dit-il , je suis plus heu-reux dans mes chaînes,
dans mes prisons, dans le mépris et les souffrances, que mes persécuteurs
ne le sont dans leur liberté, dans leur abondance et leur crapule.
Mon cœur est si rempli de joie, qu'il ne peut pas la contenir, elle déborde
de tous côtés . » Oui, sans doute, M.F., saint Jean-Baptiste
est plus heureux dans son désert, abandonné de tout secours
humain, qu'Hérode sur son trône, enseveli dans ses richesses,
et plongé dans le bonheur de ses infâmes passions. Saint Jean
est dans son désert, il converse familièrement avec son Dieu,
comme un ami avec son ami, tandis qu'Hérode est dévoré
par une secrète crainte de perdre son royaume, ce qui le porte à
faire égorger tant de pauvres enfants . Voyez encore David : n'est-il
pas plus heureux en fuyant la colère de Saül, quoique réduit
à passer les nuits dans les forêts ; trahi et abandonné
de ses meilleurs amis, s'unissant pendant ce temps-là à son
Dieu et mettant toute sa confiance en lui, n'est-il, pas plus heureux que
Saül dans les biens et l'abondance des richesses et des plaisirs ?
David bénit le Seigneur de lui prolonger ses jours pour lui donner
le temps de souffrir pour son amour, tandis que Saül maudit sa vie
et devient lui-même son bourreau . Pourquoi cela, M.F. ? Hélas
! c'est que l'un s'attache au service de son Dieu, et que l'autre l'abandonne.
Que conclure de cela, M.F. ? Rien
autre chose, sinon que ce ne sont ni les biens, ni les honneurs, ni la
vanité qui peuvent ren-dre l'homme heureux sur la terre ; mais l'attachement
seul au ser-vice de Dieu, quand nous avons le bonheur d'en avoir connais-sance
et de le bien remplir. Cette femme qui est méprisée de son
mari n'est donc pas malheureuse dans son état parce qu'elle est
méprisée, mais parce qu'elle ne connaît pas sa religion,
ou parce qu'elle ne pratique pas ce qu'elle lui ordonne. Apprenez-lui sa
re-ligion, et, dès que vous verrez qu'elle pratiquera, elle cessera
de se plaindre et de se croire malheureuse. Oh ! que l'homme serait heureux,
même sur la terre, s'il connaissait sa religion, et s'il avait le
bonheur d'observer ce qu'elle nous commande, s'il considérait les
biens qu'elle nous propose pour l'autre vie !
Oh ! quel pouvoir n'a pas une personne
auprès de Dieu, quand elle l'aime et le sert avec fidélité.
Hélas ! M.F., une personne, mé-prisée des gens du
monde, qui semble n'être digne que d'être fou-lée aux
pieds, voyez-la se rendre maîtresse de la volonté et de la
puissance de Dieu même. Voyez un Moïse, qui force le Seigneur
d'ac-corder le pardon à trois cent mille hommes bien coupables
; voyez Josué, qui commande au soleil de s'arrêter, le soleil
devient immobile : ce qui n'était jamais arrivé et
ce qui peut-être n'arrivera jamais. Voyez les apôtres, seulement
parce qu'ils aimaient le bon Dieu, les démons fuyaient devant eux,
les boiteux marchaient, les aveugles voyaient, les morts ressuscitaient.
Voyez un saint Benoît qui commande aux rochers de s'arrêter
dans leur course, ils restent suspendus en l'air ; voyez-le qui multiplie
les pains, qui fait sortir les eaux des rochers, et qui rend les pierres
et le bois aussi légers qu'un brin de paille : Voyez un saint
François de Paule qui commande aux poissons de venir entendre la
parole de Dieu, ils se rendent à son appel avec tant de fidélité
qu'ils applaudissent à ses paroles . Voyez un saint Jean qui commande
aux oiseaux de se taire, ils lui obéissent . Voyez-en encore d'autres,
qui traversent les mers sans aucun secours humain . Eh bien ! mettez donc
maintenant en regard tous ces impies et tous ces grands du monde avec tous
leurs beaux esprits et leur science à tout faire : hélas
! de quoi sont-ils capables ? de rien du tout ; et pourquoi cela ? sinon
parce qu'ils ne se sont pas attachés au service de Dieu. Oh ! que
celui qui connaît sa religion et qui pratique ce qu'elle commande
est puissant et heureux en même temps !
Hélas ! M.F., que celui qui
vit au gré de ses passions et aban-donne le service de Dieu est
malheureux et capable de bien peu de chose ! Mettez une armée de
cent mille hommes auprès d'un mort, et que tous emploient leur puissance
pour le ressusciter : non, non, M.F., il ne ressuscitera pas ; mais qu'une
personne qui est méprisée du monde et qui est dans l'amitié
du bon Dieu, com-mande à ce mort de reprendre la vie : de suite
vous le verrez se lever et marcher. Nous en avons d'autres preuves encore
. Si, pour servir le bon Dieu, il fallait être riche ou bien savant,
beaucoup de personnes ne le pourraient pas. Mais non, M.F., les grandes
sciences et les grandes richesses ne sont nullement né-cessaires
pour servir le bon Dieu ; au contraire, elles sont bien souvent un très
grand obstacle. Oui, M.F., que nous soyons riches ou pauvres, dans quelque
état que nous soyons, savants ou non, nous pouvons plaire à
Dieu et nous sauver ; et même, saint Bonaventure dit que nous le
pouvons : « dans quelque état ou condition que nous soyons.
» Écoutez-moi un instant, et vous allez voir que le service
de Dieu n'a rien que de quoi nous consoler et nous rendre heureux au milieu
de toutes les misères de la vie. Pour cela, vous n'avez besoin de
quitter ni vos biens, ni vos parents, ni même vos amis, à
moins qu'ils ne vous portent au péché ; vous n'avez pas besoin
d'aller passer vos jours dans un désert pour y pleurer vos péchés
; si encore cela nous était nécessaire, nous devrions nous
trouver heureux d'avoir un remède à nos maux ; mais non,
un père et une mère de famille peuvent servir le bon Dieu
en vivant avec leurs enfants, les élevant chrétiennement
; un domestique peut bien facilement servir le bon Dieu et son maître,
rien n'empêche ; au contraire, son travail et l'obéissance
qu'il est obligé de donner à ses maîtres, deviennent
un sujet de mérites. Non, M.F., la manière de vivre en servant
le bon Dieu ne change rien dans tout ce que nous faisons ; au contraire,
nous faisons mieux tout ce que nous faisons ; nous sommes plus assidus
et plus attentifs à remplir les devoirs de notre état ; nous
sommes plus doux, plus humains et plus charitables ; plus sobres dans nos
repas, plus réservés dans nos paroles ; moins sensibles aux
pertes et aux injures que nous recevons ; c'est-à-dire, M.F., que
quand nous nous attachons au service de Dieu, nous faisons mieux tout ce
que nous faisons, nous agissons seulement d'une manière plus noble,
plus relevée et plus digne d'un chrétien. Au lieu de travailler
par ambition, par intérêt, nous ne travaillons que pour plaire
au bon Dieu, qui nous le commande, et pour satisfaire à sa justice.
Au lieu de rendre ser-vice ou de faire l'aumône au prochain par orgueil,
pour être esti-més, nous ne le faisons qu'en vue de plaire
à Dieu et de racheter nos péchés. Oui, M.F., encore
une fois, un chrétien qui connaît sa religion et qui la pratique,
sanctifie toutes ses actions sans rien changer à ce qu'il fait ;
et, sans rien y ajouter, tout devient un sujet de mérite pour le
ciel. Eh bien ! M.F., dites-moi, si vous aviez bien pensé qu'il
fût si doux et si consolant de servir le bon Dieu, auriez-vous pu
vivre comme vous avez vécu jusqu'à présent ? Ah !
M.F., quel regret, à l'heure de la mort, quand nous verrons que
si nous nous étions attachés au service de Dieu, nous aurions
gagné le ciel en ne faisant que ce que nous avons fait ! Ô
mon Dieu ! quel malheur pour celui qui sera du nombre de ces aveu-gles
!
Maintenant, je vais vous demander
si c'est l'extérieur de la re-ligion qui vous paraît rebutant
et trop difficile ?
Est-ce la prière, les offices
divins, les jours d'abstinence, le jeûne, la fréquentation
des sacrements, la charité envers votre prochain ? Eh bien ! vous
allez voir que, de tout cela, il n'y a rien de pénible comme vous
l'avez cru.
1? Je dis : Est-ce la prière
qui est pénible ? N'est-ce pas, au contraire, le moment le plus
heureux de notre vie ? N'est-ce pas par la prière que nous conversons
avec le bon Dieu, comme un ami avec son ami ? N'est-ce pas dans ce moment
que nous com-mençons à faire ce que nous ferons avec les
anges dans le ciel ? N'est-ce pas un trop grand bonheur pour nous, qu'étant
si miséra-bles, le bon Dieu, qui est si grand, nous souffre en sa
sainte pré-sence, où il nous fait part, avec tant de bonté,
de toute sorte de consolations ? D'ailleurs, n'est-ce pas lui qui nous
a donné tout ce que nous avons ? N'est-il pas juste que nous l'adorions
et que nous l'aimions de tout notre cœur ? N'est-ce pas le moment le plus
heu-reux de notre vie, puisque nous y éprouvons tant de douceurs
? Est-ce une peine de lui offrir tous les matins, nos prières et
nos actions, afin qu'il les bénisse et qu'il nous en récompense
pour l'éternité ? Est-ce trop de lui consacrer chaque semaine
un jour ? Ne devons-nous pas, au contraire, voir venir ce jour avec un
grand plaisir ; puisque c'est dans ce saint jour que l'on nous ap-prend
les devoirs que nous sommes obligés de remplir envers Dieu et notre
prochain, et que l'on nous fait concevoir ce grand désir des biens
de l'autre vie, qui nous porte à mépriser, ce qui est méprisable
? N'est-ce pas dans une instruction, que nous appre-nons à connaître
la grandeur des peines que mérite le péché ? Ne nous
sentons-nous pas tout disposés à ne plus le commettre, pour
éviter les tourments qui lui sont réservés ? Ô
mon Dieu ! que l'homme connaît peu son bonheur !
Dites-moi : est-ce la confession
qui vous répugne ? Mais, mon ami, peut-on trouver un plus grand
bonheur que de voir, en moins de trois minutes, changer notre éternité
malheureuse en une autre éternité de plaisirs de joie et
de bonheur ? N'est-ce pas la confession qui nous rend l'amitié de
notre Dieu ? N'est-ce pas la confession qui éteint en nous ces remords
de conscience, qui nous déchirent sans cesse ? N'est-ce pas elle
qui donne la paix à notre âme, et qui nous donne une nouvelle
espérance pour le ciel ? N'est-ce pas dans ce moment que Jésus-Christ
semble déployer les richesses de sa miséricorde jusqu'à
l'infini ? Ah ! M.F., sans ce sacrement, que de damnés de plus et
que de saints de moins !... Oh ! que les saints qui sont dans le ciel sont
reconnaissants à Jé-sus-Christ d'avoir établi ce sacrement
!
Dites-moi, M.F., est-ce les jeûnes
que l'Église vous prescrit qui vous font trouver le service de Dieu
pénible ? Mais l'Église ne vous en commande pas plus que
vous n'en pouvez faire. D'ail-leurs, M.F., si nous considérions
cela avec les yeux de la foi, n'est-ce pas un grand bonheur que, par les
petites privations, nous évitions les peines du purgatoire qui sont
si rigoureuses ? Mais combien, M.F., qui se condamnent à des jeûnes
bien plus rigou-reux, pour conserver leur santé et pour contenter
leur amour des plaisirs ou leur gourmandise ? Ne verra-t-on pas une jeune
femme abandonner ses enfants entre les mains des étrangers, et aussi
son ménage ?... N'en verra-t-on pas d'autres passer souvent des
nuits entières dans un cabaret, au milieu des ivrognes, qui souvent
re-gorgent de vin, où elles n'entendent que saletés et abominations
? Ne trouve-t-on pas des veuves qui arrachent les quelques minutes qui
leur restent à vivre, et qu'elles ne devraient consacrer qu'à
pleu-rer les folies de leur jeunesse..., n'en trouve-t-on pas qui se livrent
à toutes sortes de vices, comme des personnes qui ont subitement
perdu la tête ? elles servent de scandale à toute une paroisse.
Ah ! M.F., si l'on faisait pour le bon Dieu ce que l'on fait pour le monde,
que de chrétiens iraient au ciel ! Hélas ! M.F., s'il vous
fallait passer des trois ou quatre heures dans une église à
prier ; comme vous les passez dans une danse ou dans un cabaret, que le
temps vous durerait !... S'il fallait faire plusieurs lieues pour entendre
un sermon, comme on le fait pour ses plaisirs ou bien pour contenter son
avarice, hélas ! M.F., que de prétextes, que de détours
on prendrait pour ne pas y aller ! mais, pour le monde, rien ne coûte
; et, bien plus, l'on ne craint de perdre ni son Dieu, ni son âme,
ni le ciel. Oh ! M.F., que Jésus-Christ avait donc bien raison lorsqu'il
disait que les enfants du siècle avaient bien plus de zèle
pour servir leur maître qui est le monde, que les enfants de lumière
n'en ont pour servir leur maître qui est le Seigneur . Hélas
! M.F., disons-le à notre honte, l'on ne craint ni dépenses
ni même de faire des dettes quand il s'agit de ses plaisirs ; mais
si un pauvre leur demande, ils n'ont rien : voilà ce que c'est,
l'on a tout pour le monde et rien pour le bon Dieu, parce que l'on aime
le monde et rien le bon Dieu.
Mais quelle est la cause, M.F.,
que nous abandonnons le ser-vice de Dieu ? La voici, M.F. ! Nous voudrions
pouvoir servir Dieu et le monde : c'est-à-dire, pouvoir allier l'ambition
et l'or-gueil avec l'humilité, l'avarice avec cet esprit de détachement
que l'Évangile demande de nous ; il faudrait pouvoir mêler
la corrup-tion avec la sainteté de la vie divine, ou, pour mieux
dire, le ciel avec l'enfer. Si la religion commandait ou du moins permettait
la haine et la vengeance, la fornication et l'adultère, si cela
pouvait se faire, nous serions tous de bons chrétiens ; tous seraient
des en-fants fidèles à leur religion ; le libertinage, ainsi
que tous les au-tres vices, ne feraient plus de réprouvés.
Mais, pour servir le bon Dieu, il n'est pas possible de se pouvoir conduire
de cette ma-nière ; il faut absolument être tout à
Dieu ou rien.
Quoique nous ayons dit, M.F., que
tout est consolant dans no-tre sainte religion, comme cela est très
véritable, cependant il faut ajouter que nous devons faire du bien
à ceux qui nous font du mal, aimer ceux qui nous haïssent,
conserver la réputation de nos ennemis, les défendre, lorsque
nous voyons d'autres personnes qui en parlent mal ; et au lieu de leur
souhaiter du mal, il faut prier le bon Dieu qu'il les bénisse. Bien
loin de murmurer, lorsque le bon Dieu nous envoie quelque peine et quelque
chagrin, il faut le re-mercier, à l'exemple du saint roi David,
qui baisait la main qui le châtiait . Notre religion veut que nous
passions saintement le saint jour du dimanche, en travaillant à
nous procurer l'amitié du bon Dieu, si nous avons le malheur de
ne pas l'avoir, ou à la conserver si nous sommes si heureux que
de l'avoir ; elle veut que nous regardions le péché comme
notre plus cruel ennemi. Eh bien ! M.F., voilà ce qui nous paraît
le plus dur et le plus rebutant. Mais, dites--moi, dans tout cela, n'est-ce
pas chercher notre bonheur sur la terre et pour l'éternité
? Ah ! M.F., si nous connais-sions notre sainte religion, et le plaisir
que l'on a en le pratiquant, que tout cela nous paraîtrait peu de
chose ! combien de saints sont allés au-delà de ce que Dieu
demandait d'eux pour leur donner le ciel ! Ils nous ont dit que si l'on
avait une fois goûté les douceurs et les consolations que
l'on trouve dans le service de Dieu, il serait impossible de le quitter
pour servir le monde avec ses plaisirs. Le saint roi David nous dit qu'un
seul jour passé dans le service de Dieu, vaut mieux que mille de
ceux que les mondains passent dans leurs plaisirs et leurs joies profanes
.
II. – Dites-moi, qui de nous voudrait
du
service du monde, si nous avions le bonheur, le grand bonheur de comprendre
toutes les misères que l'on y éprouve en cherchant ses plaisirs,
et les tourments que l'on se prépare pour l'éternité
? Ô mon Dieu ! que nous sommes aveugles de perdre tant de biens,
même dès ce monde, et encore plus pour l'éternité
! Et encore, pour des plaisirs qui n'ont que l'apparence de plaisirs, des
joies qui sont mêlées de tant de chagrins et de tristesses
! En effet, qui voudrait du service de Dieu, s'il fallait autant souffrir
et essuyer de soucis, de mortifi-cations et de déchirements de cœur
que pour le monde ? Voyez un homme qui s'est mis en tête de ramasser
du bien : il n'y a point de vents ni de mauvais temps qui l'arrêtent
; il souffre tantôt la faim, tantôt la soif, tantôt le
mauvais temps ; il va même, nombre de fois, jusqu'à exposer
sa vie et perdre sa réputation. Combien qui vont les nuits pour
piller leurs voisins, qui s'exposent ou à être tués
ou à perdre leur réputation et celle de toute leur famille.
Sans aller si loin, M.F., vous en coûterait-il plus pendant les saints
offi-ces, d'être dans l'église à écouter la
parole de Dieu avec respect, que d'aller dehors pour y causer de vos affaires
temporelles ou de choses qui ne sont rien ? Pendant que nous disons les
Vêpres, ne seriez-vous pas aussi heureux d'y venir que de rester
chez vous à vous ennuyer, pendant que l'on chante les louanges de
Dieu. ? Mais, me direz-vous, il y a encore bien des violences à
se faire quand on veut servir le bon Dieu. – Eh bien ! moi, je vous dirai
qu'il y a beaucoup moins à souffrir pour suivre Dieu avec sa croix,
que pour suivre le monde, pour suivre ses passions, et vous allez le voir.
Vous pensez peut-être qu'il est difficile de pardonner une injure
que l'on vous a faite ; mais, dites-moi, lequel des deux souffre le plus,
de celui qui pardonne promptement et de bon cœur pour le bon Dieu, ou de
celui qui nourrit, pendant des deux ou trois ans, des sentiments de haine
contre son prochain ? N'est-ce pas un ver qui le ronge et le dévore
continuellement, qui, sou-vent, l'empêche et de manger et de dormir
; au lieu que, l'autre, en pardonnant, a de suite trouvé la paix
de l'âme ? N'est-on pas plus heureux de dompter ses passions impures
que de vouloir les contenter ? Peut-on une fois les satisfaire entièrement
? Non, M.F., jamais : au sortir d'un crime, elles vous portent à
un autre, sans vous dire que c'est assez ; vous êtes un esclave,
elles vous trament partout où elles veulent. Mais, pour mieux vous
en convaincre, allons trouver un de ces hommes qui font consister tout
leur bonheur dans le plaisir des sens, et qui se jettent à corps
perdu dans les ordures des plus infâmes et honteuses passions. Oui,
M.F., si, avant qu'un tel homme eût donné dans le liberti-nage,
quelqu'un lui avait fait la peinture de la vie qu'il mène main-tenant,
aurait-il pu y penser sans horreur ? Si vous lui aviez dit : Mon ami, vous
avez deux partis à prendre : ou réprimer vos pas-sions ou
vous y abandonner. L'un et l'autre a ses plaisirs et ses peines, les voici
: vous choisirez lequel des deux vous voudrez. Si vous voulez prendre le
parti de pratiquer la vertu, vous aurez bien soin de ne jamais fréquenter
les libertins, vous choisirez vos amis parmi ceux qui pensent et agissent
comme vous. Toutes vos lectu-res seront sur des livres saints, qui vous
animeront à la pratique de la vertu, qui vous feront aimer le bon
Dieu ; vous concevrez cha-que jour un nouvel amour pour lui ; vous emploierez
saintement votre temps, et tous vos plaisirs ne seront que des plaisirs
inno-cents, qui, en délassant votre corps, nourriront votre âme
; vous remplirez vos devoirs de religion sans affectation, mais avec fidé-lité
; vous choisirez pour vous conduire dans la voie du salut, un sage et éclairé
confesseur, qui ne cherchera que le bien de votre âme, et vous suivrez
avec fidélité tout ce qu'il vous commandera. Voilà,
mon ami, toutes les peines que vous éprouverez dans le service de
Dieu. Votre récompense sera d'avoir toujours l'âme en paix
et votre cœur toujours content ; vous serez aimé et estimé
de tous les gens de bien ; vous vous préparerez une heureuse vieil-lesse,
exempte d'une infinité d'infirmités, qui ne sont que trop
or-dinaires à ceux qui passent une jeunesse déréglée
; vos derniers moments seront doux et tranquilles ; de quelque côté
que nous considérions votre vie, rien ne pourra vous chagriner,
au contraire, tout contribuera à vous réjouir. Vos croix,
vos larmes et toutes vos pénitences ne seront plus que comme des
ambassa-deurs que le ciel vous enverra pour vous assurer que votre bon-heur
sera éternel et que vous n'avez plus rien à craindre. Si,
dans ces moments, vous portez vos regards vers l'avenir, vous ne voyez
que le ciel ouvert pour vous recevoir ; enfin, vous sortirez de ce monde
comme une sainte et chaste colombe qui va s'ensevelir et se cacher dans
le sein de son bien-aimé ; vous ne quitterez rien, pour tout prendre.
Vous n'avez désiré que Dieu seul et vous voilà avec
lui pour toute l'éternité. Mais, maintenant, si vous voulez
quitter Dieu et son service pour suivre le monde et ses plaisirs, votre
vie se passera à toujours désirer et à toujours rechercher,
sans jamais être content ni heureux ; vous aurez beau mettre tout
en usage pour cela, vous n'en viendrez jamais à bout. Vous com-mencerez
à effacer de votre esprit les principes de religion que vous avez
appris dès votre enfance et que vous avez suivis jusqu'à
présent ; vous ne verrez plus ces livres de piété
qui nourrissaient votre âme, et qui la garantissaient de la corruption
du monde ; vous ne serez plus maître de vos passions, mais elles
vous traîne-ront partout où elles voudront ; vous vous ferez
une religion à vo-tre mode ; vous lirez quelques mauvais livres,
qui ne respireront que le mépris de la religion et le libertinage,
et vous marcherez dans le chemin qu'ils vous auront tracé ; vous
ne vous rappellerez vos jours anciens, que vous passiez dans la pratique
de la vertu et de la pénitence et où vous vous faisiez une
si grande joie de vous approcher des sacrements, dans lesquels le bon Dieu
vous com-blait de tant de grâces, qu'en regrettant de n'avoir pas
donné tout ce temps-là aux plaisirs du monde ; vous irez
jusqu'à ne rien croire et à tout nier ; et, pour tout dire
à la fois, vous ne serez plus qu'un petit impie : dans cette croyance,
vous lâcherez la bride à toutes vos passions, en disant que,
puisque tout finit avec la vie, il faut chercher tous les plaisirs que
l'on peut goûter. Aveuglé par vos passions, vous vous précipiterez
de péchés en péchés, sans même vous en
apercevoir ; vous vous livrerez à tous les excès d'une jeunesse
bouillante et corrompue, vous ne craindrez pas de sacrifier votre repos,
vos biens, votre santé, votre honneur, et vo-tre vie même
; je ne dis pas votre âme, parce que vous croyez que vous n'en avez
point. Vous serez la fable de toute une paroisse ; l'on vous regardera
comme un monstre, l'on vous fuira et l'on vous craindra ; n'importe, vous
vous moquerez de tout cela, vous irez toujours votre train ordinaire, ne
suivant plus que la voie de vos passions, qui vous traîneront partout
où elles voudront. Tantôt on vous trouvera auprès d'une
jeune personne, à mettre en mou-vement tous les artifices et toutes
les ruses que le démon vous inspirera pour la tromper, la séduire
et la perdre ; tantôt, l'on vous verra au milieu de la nuit, à
la porte d'une veuve lui offrant toutes les promesses possibles pour la
faire consentir à contenter vos in-fâmes désirs. L'on
vous verra même, sans aucun respect pour le droit sacré du
mariage, fouler aux pieds toutes les lois de la reli-gion, de la justice
et de la nature même, et vous ne serez plus qu'un infâme adultère.
Vous en viendrez même jusqu'à faire des membres de Jésus-Christ
les membres d'une infâme prostituée. Vous irez encore plus
loin, parce que les peines d'esprit et de cœur ne sont pas les seules peines
que vous aurez à dévorer en vivant dans le libertinage :
les infirmités du corps, un sang appau-vri, une vieillesse languissante
seront votre partage. Pendant votre vie, vous avez abandonné le
bon Dieu ; la mort fera reparaître cette foi que vous aviez éteinte
par votre mauvaise vie... Si vous reconnaissez que vous avez abandonné
le bon Dieu, il vous fera voir qu'il vous a aussi abandonné et rejeté
pour jamais, et maudit pour une éternité ; alors, les remords
de la conscience, que vous aviez tâché d'éteindre,
se feront sentir et vous dévoreront, malgré tout ce que vous
pourrez faire pour les étouffer ; tout vous trou-blera et vous jettera
dans le désespoir. Si vous voulez repasser vo-tre vie, vous ne compterez
vos jours que par le nombre de vos crimes, qui vous seront comme autant
de tyrans qui vous déchire-ront sans cesse ; votre vie ne vous présentera
que des grâces mé-prisées et qu'un temps bien précieux
que vous aurez perdu ; vous aviez besoin de tout et vous n'avez profité
de rien. Si vous voulez considérer l'avenir : les tourments dont
votre âme sera dévorée vous feront croire que les flammes
qui brûlent les malheureux ré-prouvés semblent déjà
vous atteindre ; le monde, que vous aviez tant aimé, à qui
vous aviez tant craint de déplaire, à qui déjà
vous aviez sacrifié votre Dieu et votre âme, vous abandonne
et vous rejette pour jamais. Vous avez voulu suivre ses plaisirs : mainte-nant,
c'est-à-dire dans le moment où vous auriez besoin de tant
de secours, vous serez abandonné à vous-même ; votre
seule res-source sera le désespoir, et, bien plus, vous mourrez,
et en tom-bant en enfer, vous direz que le monde vous a séduit ;
mais que, trop tard, vous avez reconnu votre malheur. Eh bien ! M.F., que
pensez-vous de tout cela ? Voilà cependant les peines et les joies
de tous ceux qui vivent dans la vertu, et celles de ceux qui vivent pour
le monde.
Oh ! M.F., quel malheur pour celui
qui ne veut que le monde et qui laisse de côté le salut de
son âme !... Oh ! M.F., que celui qui a le grand bonheur de ne chercher
que Dieu seul et le salut de son âme, passe sa vie heureuse ! Que
de peines de moins ! que de plaisirs de plus dans le service de Dieu !
que de remords de cons-cience épargnés à l'heure de
la mort ! que de tourments évités pour l'éternité
!... Oh ! M.F., que notre vie serait heureuse, malgré tout ce que
nous pouvons éprouver de la part du monde et du dé-mon, si
nous avions le bonheur de nous attacher au service de Dieu, en méprisant
le monde et tout ce qui le suit ! Oh ! M.F., que le service de Dieu fait
un grand changement en celui qui est si heureux que de ne chercher que
Dieu sur la terre ! Si vous êtes avec un orgueilleux qui ne veut
rien souffrir ; priez le bon Dieu qu'il l'attache à son service
: alors vous verrez tout changer en lui ; il aimera le mépris et
se méprisera lui-même. Un mari ou une femme sont-ils malheureux
dans leur ménage ? tâchez de leur faire em-brasser le service
de Dieu ; alors, vous ne les verrez plus se regarder comme malheureux,
mais la paix et l'union régnera entre eux. Un domestique est-il
traité durement de ses maîtres ? conseillez-lui de s'adonner
au service de Dieu ; dès lors, vous le verrez ne plus se plaindre,
il bénira même la bonté de Dieu de lui faire faire
son purgatoire en ce monde. Disons mieux, M.F., une personne qui connaît
sa religion et qui la pratique, n'est plus pour elle-même, mais elle
ne tend qu'à rendre heureux son prochain. Pour mieux vous le faire
sentir, en voici un bel exemple.
Nous lisons dans l'histoire, qu'il
y avait dans la ville de Tou-louse, un saint prêtre, que son zèle
et sa charité faisaient considé-rer dans toute la ville comme
le père des pauvres. Quoiqu'il fût très pauvre lui-même,
les se-cours ne lui manquaient pas. Un jour, une femme dévote vint
lui annoncer qu'on venait de mettre son mari en prison et qu'il lui restait
quatre enfants ; que si quel-qu'un n'avait pas pitié d'elle et de
ses enfants, ils ne pouvaient que mou-rir de faim. Ce saint prêtre,
attendri jusqu'aux larmes, quoiqu'il vînt déjà de faire
la quête, repart pour redemander, surtout à un riche négociant.
Mais, dans le moment où ce prêtre entrait, le marchand venait
de recevoir une lettre qui lui annonçait une perte considérable.
Le prêtre, sans rien savoir, lui fait le récit des misè-res
de cette famille. Le marchand lui dit d'un air bourru : « Vous voilà
encore, c'en est trop. » – « Ah ! monsieur, si vous saviez
! lui dit le prêtre. » – « Non, non, je ne veux rien
savoir, retirez-vous promptement. » – « Mais, monsieur, lui
dit le prêtre, que de-viendra cette pauvre famille ? ah ! je vous
en con-jure ayez pitié de ses malheurs ! » L'autre, tout occupé
de son malheur, se tourne contre le prêtre ; et lui donne un rude
soufflet. Le prêtre, sans faire paraître la moin-dre émotion,
lui présenta l'autre joue, en lui disant : « Monsieur, frappez
tant que vous voudrez, pourvu que vous donniez pour soulager cette famille.
» Le mar-chand, tout étonné de cela, lui dit : «
Eh bien ! venez avec moi ; » et, le pre-nant par la main, il le conduisit
dans son cabinet, lui ouvrit son coffre-fort : « Prenez tout ce que
vous voudrez. » – Non, mon-sieur, lui dit humblement le prêtre,
donnez-moi ce que vous vou-drez. » Le marchand plonge ses deux mains
dans ses sacs, en lui disant : « Venez toutes les fois que vous voudrez.
» Ah ! M.F., que la religion est quelque chose de précieux
pour celui qui la connaît.
En effet, tout ce qu'il y a de bien
dans le monde ce n'est que la religion qui l'a produit. Tous ces hôpitaux,
tous ces séminaires, toutes ces maisons d'éducation, tout
cela n'a été établi que par ceux qui sont attachés
au service de Dieu. Ah ! si les pères et mè-res connaissaient
combien ils seraient heureux eux-mêmes, et combien ils contribueraient
à faire glorifier Dieu en élevant sain-te-ment leurs enfants
! Ah ! s'ils étaient bien convaincus qu'ils tiennent la place de
Dieu même sur la terre, qu'ils travailleraient à se rendre
méritoires les mérites de la mort et passion de Jésus-Christ
!...
Concluons, M.F., en disant que jamais,
en suivant le monde, en voulant contenter nos penchants, nous ne serons
heureux, ni nous ne pourrons trouver ce que nous cherchons ; au lieu qu'en
nous attachant au service de Dieu, toutes nos misères seront bien
adoucies, ou plutôt, elles se changeront en joie et en consolation,
pensant que nous travaillons pour le ciel. Quelle diffé-rence entre
celui qui meurt après avoir mal vécu et celui qui meurt après
avoir bien vécu ; il n'a plus que le ciel pour partage ; tous ses
combats vont finir ; son bonheur, qu'il voit déjà devancé,
va commencer pour ne plus finir ! Oui, M.F., donnons-nous à Dieu
tout de bon, et nous éprouverons ces grands bienfaits que Dieu ne
refusera ja-mais à celui qui l'aura aimé ! C'est le bonheur
que je vous sou-haite.
14ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur le Monde
Nemo potest duobus dominis servire.
Nul ne peut servir deux maîtres.
(S. Matthieu, VI, 24.)
Jésus-Christ nous dit, M.F., que nous ne pouvons pas servir deux maîtres, c'est-à-dire, Dieu et le monde. Vous ne pouvez plaire à Dieu et au monde, nous dit-il. Malgré tout ce que vous ferez, vous ne pourrez convenir à tous les deux en même temps. En voici la raison, M.F., c'est qu'ils sont extrêmement opposés dans leurs pensées, leurs désirs et leurs actions : l'un promet une chose tout à fait contraire à ce que promet l'autre ; l'un défend ce que l'autre permet et commande ; l'un vous fait travailler pour le temps présent, et l'autre pour le temps à venir, qui est le ciel ; l'un vous offre les plaisirs, les honneurs et les richesses, l'autre ne vous présente que les larmes, la pénitence et le renoncement à vous-mêmes ; l'un vous appelle dans un chemin de fleurs, du moins en apparence, et l'autre dans celui des épines. Chacun, M.F., demande notre cœur, c'est à nous de choisir lequel de ces deux maîtres nous voulons suivre. L'un, qui est le monde, nous promet de nous faire goûter tout ce que nous pouvons désirer pendant notre vie, quoiqu'il promette toujours plus qu'il ne donne ; mais, en même temps, il nous cache les maux qui nous sont réservés pendant l'éternité. L'autre, qui est Jésus-Christ, ne nous promet point toutes ces choses ; mais il nous dit, pour nous consoler, qu'il nous aidera et que même il adoucira grandement nos peines : « Venez à moi, je vous consolerai ; et à ma suite vous trouverez la paix de l'âme et la joie du cœur . » Voilà, M.F., ces deux maîtres qui nous demandent notre cœur ; auquel voulez-vous appartenir ? Tout ce que le monde vous présente n'est que pour le temps présent. Les biens, plaisirs et honneurs finiront avec la vie, et en finissant la vie, nous allons commencer une éternité de tourments. Mais, si nous voulons suivre Jésus-Christ, qui nous appelle, chargé de sa croix, nous verrons bientôt que les peines de son service ne sont pas aussi grandes que nous le croyons bien : il marchera devant nous, il nous aidera, il nous consolera, et il nous promet, après quelques petits instants de peines, un bonheur qui durera autant que lui-même . Mais, pour mieux vous le faire comprendre, M.F., je vais vous montrer qu'il est impossible de plaire à Dieu et au monde. Ou tout à Dieu, ou tout au monde : point de partage.
I. – Il est certain, M.F., que si
Jésus-Christ savait bien que plusieurs quitteraient le monde pour
se donner à lui, embrasse-raient les folies de sa croix, et, à
son exemple, passeraient leur vie dans les larmes, les gémissements
et la pénitence, pour se rendre dignes de la récompense qu'il
nous a méritée ; il savait aussi que plusieurs le quitteraient
pour se donner au monde, qui ne leur promet que ce qu'il ne leur donnera
jamais, en leur cachant les malheurs de l'éternité ; c'est
pourquoi, il a voulu ne nous donner qu'un cœur, afin que nous ne puissions
nous donner qu'à un seul maître. Il nous dit formellement
qu'il est impossible d'être à Dieu et au monde ; car, lorsque
nous voudrons plaire à l'un, nous de-viendrons l'ennemi de l'autre.
Le bon Dieu, M.F., pour nous mon-trer combien il est difficile de nous
sauver parmi le monde, a maudit ce monde, en disant : « Malheur au
monde ! » Mais tou-chons cela un peu plus de près.
Vous savez, M.F., que l'esprit de
Jésus-Christ est un esprit d'humilité et de mépris
de soi-même, un esprit de charité et de bonté pour
tout le monde. Eh bien ! comment pouvez-vous conserver cet esprit, si vous
allez vous mêler avec un orgueilleux, qui ne vous parlera que des
plaisirs et des honneurs, qui se louera et se vantera de toutes ses prétendues
bonnes qualités, de tout le bien qu'il a fait et même de celui
qu'il n'a pas fait. Si vous le fré-quentez quelque temps, nécessairement,
sans vous en apercevoir, vous deviendrez orgueilleux comme lui. Vous entendrez
conti-nuellement quelqu'un parler mal de son prochain ; de même,
sans le savoir, vous allez devenir une mauvaise langue qui portera le trouble
partout où vous serez. Vous savez que Jésus-Christ, que vous
avez pris pour votre maître, veut que nous lui conservions notre
cœur et notre corps purs, autant qu'il est possible ; mais si vous allez
fréquenter ce libertin, qui n'est occupé qu'à penser
et à dire les choses les plus sales et les plus infâmes, comment
pour-rez-vous conserver cette pureté que Dieu demande de vous ?
A force de le voir, vous deviendrez aussi sale et aussi infâme que
lui. Vous savez que votre Maître veut que vous aimiez et respec-tiez
la religion, et tout ce qui a rapport à la religion ; mais, si vous
fréquentez un impie, qui se raille de tout, méprise ce qu'il
y a de plus saint, et tourne tout en ridicule, comment pourrez-vous aimer
la religion et pratiquer ce qu'elle vous commande, en entendant toutes
ces impiétés ? Comment pourrez-vous avoir confiance aux prêtres,
après que les impies vous auront débité quelque calomnie
et qu'ils vous auront persuadé que cela est vrai, et que tous les
prêtres sont de même ? Ah ! M.F., malheur à celui qui
suit le monde ! Il est perdu ! Dites-moi, comment aurez-vous du respect
pour les lois de l'Église, si vous allez avec ces impies qui raillent
et qui méprisent le jeûne et l'abstinence, en vous disant
que tout cela n'est que de l'invention des hommes ? – L'esprit de Dieu,
comme vous le savez, est de mépriser les choses créées
pour ne s'attacher qu'aux biens de l'éternité. Eh ! comment
pourrez-vous vous en former une idée si vous fréquentez cet
homme qui est un incrédule, qui croit, quoiqu'il ne le croie pas
sérieusement, ou qui veut que tout finisse avec la vie. Mon ami,
si vous voulez vous sauver, il faut nécessairement fuir le monde,
sans quoi, vous pen-serez et vous agirez comme le monde, et vous vous trouverez
du nombre de ceux qui sont maudits de Dieu.
Voyez, M.F., quand quelque grand
pécheur ne veut pas se convertir, l'Église l'excommunie,
c'est-à-dire, le rejette de son sein ; elle ne le regarde plus comme
son enfant, il n'a plus part aux grâces que le bon Dieu nous distribue
par les mérites de sa mort et de sa passion ; elle ne veut pas même
que l'on mange et boive avec lui, ni qu'on le salue ; elle nous défend
d'avoir aucune communication avec lui, si nous ne voulons pas participer
à son malheur. Si de telles personnes viennent à mourir,
elles sont en-terrées dans un lieu profane, et n'ont point de droit
aux prières, parce qu'elles meurent en réprouvées.
Eh bien ! M.F., si nous vou-lons suivre le monde, le même malheur
nous arrivera. D'ailleurs, M.F., si vous, en doutez, voyez ce qu'ont fait
tous les saints : ils ont regardé le monde, ses plaisirs et même
ses biens, comme une peste pour le salut de leurs âmes, et tous ceux
qui ont pu l'ont quitté. Qu'est-ce qui est la cause de ce que les
déserts se sont peu-plés de tant de personnes, qui, autrefois,
habitaient les villes et les campagnes, sinon parce qu'elles ont craint
le monde, et qu'elles l'ont quitté, dans la crainte que la contagion
du monde ne les per-dît, en faisant naître en elle les mêmes
sentiments et en les faisant agir avec le même esprit. Oui, M.F.,
fuyons le monde, ou nous sommes sûrs de nous perdre comme le monde.
Non, M.F., jamais nous ne serons d'accord avec le monde si nous voulons
nous sau-ver. Nous devons lui jurer une guerre éternelle : c'est
ce qu'ont fait tous les saints. Ou renoncer au ciel, ou renoncer au monde
!...
Tenez, M.F., voulez-vous savoir
combien nous sommes en-nemis du monde, et combien le monde nous a en haine
? Écoutez-moi un instant, et vous verrez ce que nous devons faire,
si nous voulons espérer d'avoir un jour le ciel. Nous en avons un
bel exemple dans la personne de saint Janvier, qui était évêque
de Bénévent . Il fut dénoncé au gouverneur
Timothée, parce qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour fortifier
les chrétiens, et pour por-ter les païens à se convertir
; il leur disait qu'ils étaient du nombre de ceux que Jésus-Christ
avait maudits par ces paroles : « Malheur au monde ! » Le gouverneur,
transporté de colère à ce rapport, ordonna d'aller,
sur-le-champ, prendre le saint, et de le lui amener pieds et mains liés,
devant son tribunal. Il fit placer une idole devant le saint, lui ordonnant
d'adorer aussitôt les dieux ; ou bien qu'il devait s'attendre à
mourir dans les tourments les plus rigoureux que l'on puisse inventer.
Le saint lui répondit sans s'émouvoir, qu'il n'était
pas né et baptisé pour suivre le parti du monde, mais pour
suivre Jésus-Christ portant sa croix et mourant sur le Calvaire
; que tous ces tourments dont il était menacé ne l'étonnaient
point ; c'était son partage qui devait faire un jour tout son bonheur.
« Vous, dit-il au gouverneur, vous êtes de ce monde que Jésus-Christ
a maudit. » Cette réponse mit le gouverneur dans une telle
fureur, qu'il ordonna que le saint fût jeté de suite, dans
une fournaise allumée. Mais le bon Dieu, qui n'abandonne jamais
ceux qui sont à lui et non du monde, fit que saint Janvier, au lieu
d'être brûlé par les flammes, parut entrer dans un bain
rafraîchis-sant. Ce saint en sortit sans que ni ses habits, ni même
ses che-veux, fussent le moins du monde endommagés : ce qui étonna
toute cette foule de païens qui étaient présents. Le
gouverneur lui-même en fut tout étonné ; mais, pensant
que cela était fait par le démon, il n'en devint que plus
furieux, et il fit mettre le saint à la torture, pour lui faire
souffrir un supplice tel que l'enfer seul avait pu le lui inspirer. Il
ordonna qu'on lui arrachât tous les nerfs du corps les uns après
les autres ; ensuite, voyant qu'il ne pouvait plus marcher que par miracle,
il ordonna de le conduire en prison, dans l'espérance de le faire
souffrir encore davantage. Les fidèles de son diocèse, ayant
appris ce que l'on avait fait souffrir au saint évêque, partirent
aussitôt pour l'aller visiter et le soulager, s'ils le pouvaient.
Le gouverneur l'ayant appris, envoya aussitôt des sol-dats pour les
arrêter tous et les amener devant son tribunal. Quand ils furent
devant lui, il les interrogea sur leur religion, et sur le motif de leur
voyage. Ils lui répondirent avec courage qu'ils étaient tous
chrétiens et qu'ils venaient visiter leur évêque, dans
l'espérance qu'ils auraient le bonheur de lui tenir compagnie dans
ses supplices. Il s'adressa à saint Janvier en lui demandant si
ces gens disaient la vérité. Le saint lui répondit
que cela était tel, qu'ils étaient chrétiens comme
lui, qu'ils avaient renoncé au monde pour se donner à Jésus-Christ.
Sur cette déclaration, le gouverneur ordonna de leur mettre les
fers aux pieds et aux mains, et de les faire marcher devant son chariot
jusqu'à Pouzzo-les pour y être dévorés par les
bêtes. La joie que tous ces saints faisaient paraître en allant
au martyre, étonnait les païens. Nos saints ne furent pas plus
tôt arrivés, qu'on les mit dans l'arène. Alors, saint
Janvier qui était le chef, puisqu'il était leur évêque,
s'adressant à tous ses compagnons : « Mes enfants, courage
! voi-ci le jour de notre triomphe. Combattons généreusement
pour Jé-sus-Christ notre Maître, puisque nous l'avons pris
pour notre Dieu : allons avec courage à la mort, comme il y est
allé lui-même pour l'amour de nous. Donnons, mes enfants,
donnons hardiment notre sang pour Jésus-Christ, comme il l'a donné
pour nous. Oui, mes enfants, puisque nous avons renoncé au monde
qui est mau-dit de Dieu, méprisons-le avec ceux qui suivent son
parti ; que, ni les promesses, ni les menaces, ne soient dans le cas de
nous faire tourner du côté du monde maudit ; mettons toute
notre confiance en notre Dieu, et, avec son secours, ne craignons ni les
tourments ni la mort. Voyez, mes enfants, voyez votre pasteur à
qui l'on a tiré tous les nerfs du corps. Je donne volontiers tout
le reste de mon corps aux bêtes féroces qui vont venir me
dévorer. Regar-dons le ciel, mes enfants, notre Dieu nous attend
pour nous ré-compenser ; encore un moment de souffran-ces, et nous
aurons une éternité de bonheur. » A peine le saint
eut-il fini de parler, qu'on lâcha contre eux toutes ces bêtes
féroces, en présence d'une multitude étonnante de
peuple, qui était venu voir ce spectacle. Les lions, les tigres
et les léopards, que l'on avait laissé jeû-ner de-puis
plusieurs jours, coururent avec autant de fureur qu'un torrent d'eau qui
tombe du haut d'un rocher dans un précipice ; mais, au lieu de les
dévorer, comme tout le monde le croyait, on vit tout à coup
ces bêtes perdre entièrement leur férocité naturelle,
se jeter à leurs pieds, les lécher comme par respect, les
flattant de leur queue, sans qu'aucune osât seulement les toucher.
Ce miracle frappa tellement toute cette multitude, qu'on l'entendit s'écrier
: « Oui, oui, il n'y a que le Dieu des chrétiens qui soit
le vrai Dieu, et tous nos dieux ne sont que des dieux qui nous trompent
et nous perdent ; jamais les prêtres de nos idoles n'ont fait rien
de sem-blable. » Le gouverneur, entendant ces murmures, craignit
pour lui-même, et ordonna de mener les martyrs dans la place publique
pour leur couper la tête ; mais, comme on les y conduisait, saint
Janvier, passant devant le gou-verneur, dit : « Seigneur, ôtez,
je vous prie, la vue à ce tyran, afin qu'il n'ait pas le barbare
plaisir de voir mourir vos enfants. » Aussitôt, le gouverneur
perdit la vue. Ce châtiment si miraculeux lui fit reconnaître
le pouvoir de ce serviteur de Dieu. De suite, il commanda d'arrêter
l'exécution de la sentence qui avait été portée
contre les saints martyrs, et s'étant fait amener le saint, il lui
dit d'un ton suppliant : « Vous qui ado-rez le Dieu tout-puissant,
priez-le donc pour moi, afin qu'il me rende la vue dont il m'a privé,
en punition de mes péchés. » Comme les saints n'ont
ni fiel, ni haine, pour montrer, par un double miracle, la puissance du
vrai Dieu, il fit une seconde prière en faveur du gouverneur. Elle
fut aussi efficace que la première. Timothée recouvra la
vue sur-le-champ. Cette merveille ne fut pas inutile pour la gloire de
Dieu et le salut des âmes ; presque cinq mille païens, qui en
furent témoins, se convertirent le même jour ; mais le gouverneur,
pour qui ce miracle avait été fait, était si en-durci
qu'il ne se convertit pas lui-même. Craignant que, s'il venait à
épargner les martyrs, il ne fût disgracié par l'empereur,
il ordon-na, en secret, à ses officiers de faire mourir le saint
évêque. Pen-dant qu'on le conduisait en la place pour y être
exécuté, un bon vieillard lui demanda, après s'être
jeté à ses pieds, quel-que chose qui lui eût servi
pour le conserver bien respec-tueusement. Le saint, touché de sa
foi, lui dit : « Mon ami, je n'ai que mon mou-choir qui va me servir
pour me bander les yeux ; mais soyez sûr, qu'après, vous l'au-rez.
» Ceux qui l'entendaient parler de la sorte se mirent à rire,
et, après avoir fait mourir le saint, mirent les pieds sur le mouchoir,
en disant : « Qu'il donne mainte-nant son mouchoir à ce vieux
homme à qui il l'a pro-mis. » Mais ils furent bien étonnés,
lorsqu'en passant, ils virent ce vieillard qui le tenait entre les mains.
Le saint s'écria, au moment qu'on lui coupa la tête : «
Mon Dieu, je remets mon âme entre vos mains. » Eh bien ! M.F.,
voilà le monde et Jésus-Christ, c'est-à-dire, ceux
qui ont méprisé le monde pour ne suivre que Jésus--Christ
avec sa croix ; ceux qui ont véritablement quitté le monde,
ses biens et ses plaisirs, pour ne chercher que le ciel et le salut de
leur âme ! Voyez de quel côté vous vous tourneriez,
si le bon Dieu vous mettait à une semblable épreuve que saint
Janvier et ses compa-gnons martyrs. Hélas ! mon Dieu, qu'il y en
aurait peu... parce qu'il y en a bien peu qui ne soient pas du monde, c'est--à-dire,
qui n'aiment pas le monde, ses biens et ses plai-sirs.
Est-il bien possible que, quoique
le monde ne fasse que des malheureux, qu'il promette beaucoup sans jamais
donner ce qu'il promet, et quoique nous soyons si malheureux à sa
suite, nous l'aimions encore ! Tous se plaignent de sa perfidie, et malgré
cela, nous cherchons encore à lui plaire, et si nous ne pouvons
le contenter, nous voulons au moins lui donner nos plus beaux ans, notre
jeunesse et souvent notre santé, notre réputation et même
notre vie. Ah ! maudit monde ! jusques à quand nous tromperas-tu
en nous appelant à ta suite pour nous accabler de tant de maux,
être toujours malheureux et jamais heureux ? Ô mon Dieu ! ou-vrez-nous,
s'il vous plaît, les yeux de l'âme et nous connaîtrons
notre aveuglement d'aimer celui qui ne cherche que notre perte éternelle
! Mais pour vous faire comprendre mieux encore lequel des deux partis vous
devez suivre, considérons ce monde compo-sé de trois sociétés
: les uns sont tout pour le monde, les autres sont tout pour le bon Dieu,
comme nous venons de le voir, et en-fin, d'autres sont entre deux ; ceux-là
voudraient être au monde sans cesser d'être à Dieu,
ce qui est impossible, comme vous allez le voir.
Nous disons 1?, M.F., qu'une partie,
et peut-être la plus grande partie, sont tout pour le monde ; et,
de ce nombre, sont ceux qui sont contents d'avoir étouffé
tout sentiment de religion, toute pensée de l'autre vie, qui ont
fait tout ce qu'ils ont pu pour effacer la pensée terrible du jugement
qu'ils auront à subir un jour. Ils emploient toute leur science
et souvent leurs richesses pour attirer autant de personnes qu'ils peuvent
dans leur route ; ils ne croient plus à rien, ils se font même
gloire d'être plus impies et plus incrédules qu'ils ne le
sont en réalité, pour mieux convaincre les autres, et leur
faire croire, je ne dis pas les vérités, mais les faussetés
qu'ils voudraient faire naître dans leur cœur. Comme Voltaire qui
un jour, dans un dîner donné à ses amis, c'est-à-dire,
à des impies, se réjouissait de ce que, de tous ceux qui
étaient là, pas un ne croyait à la religion. Et cependant
lui-même y croyait, comme il le montra bien à l'heure de sa
mort. Alors, il demanda avec empressement un prêtre pour pouvoir
se réconcilier avec le bon Dieu ; mais c'était trop tard
pour lui ; le bon Dieu, contre qui il s'était déchaîné
avec tant de fureur, lui avait fait comme à An-tiochus : il l'avait
abandonné à la fureur des démons. Voltaire n'eut,
dans ce terrible moment, que le désespoir et l'enfer pour partage.
« L'impie, nous dit le Saint-Esprit, dit en lui-même qu'il
n'y a pas de Dieu , » mais ce n'est que la corruption de son cœur
qui le peut porter à un tel excès, il ne le croit pas dans
le fond de son âme. Ce mot : « Il y a un Dieu, » ne s'effacera
jamais. Le plus grand pécheur le prononcera souvent, même
sans y penser ; mais laissons ces impies de côté. Heureusement,
quoique vous ne soyez pas aussi bons chrétiens que vous devriez
l'être, grâce à Dieu, vous n'êtes pas encore de
ce nombre.
Mais, me direz-vous, qui sont ceux
qui sont tantôt à Dieu, tan-tôt au monde ? – M.F., le
voici. Je les compare, si j'ose me servir de ce terme, à ces chiens
qui se donnent au premier qui les ap-pelle. Suivez-les, M.F., du matin
jusqu'au soir, du commencement de l'année jusqu'à la fin
: ces gens-là ne regardent le dimanche que comme un jour de repos
et de plaisir ; ils restent plus long-temps au lit que les jours de la
semaine, et, au lieu de donner leur cœur au bon Dieu, ils n'y pensent pas
même. Ils penseront, les uns à leurs plaisirs, aux personnes
qu'ils verront ; les autres, aux mar-chés qu'ils feront ou à
l'argent qu'ils iront porter ou recevoir. A peine font-ils un signe de
croix, tant bien que mal ; sous prétexte qu'ils iront à l'église,
ils ne feront point de prières en se disant : « Oh ! j'ai
bien le temps de la faire avant la messe. » Ils ont tou-jours à
faire avant de partir à la messe ; ils ont cru qu'ils auraient du
temps de reste pour faire leur prière, et ils ne sont pas seule-ment
au commencement de la sainte Messe. S'ils trouvent un ami en chemin, ils
ne font point difficulté de le mener chez eux et de laisser la messe
pour une autre fois. Cependant, comme ils veu-lent encore paraître
chrétiens aux yeux du monde, ils y vont en-core quelquefois ; mais,
c'est avec un ennui et un dégoût mortel. Voilà la pensée
qui les occupe : « Mon Dieu, quand est-ce que ce-la sera fini ! »
Vous les voyez à l'église, surtout pendant l'instruc-tion,
tourner la tête d'un côté et d'un autre, demander à
leur voisin quelle heure il est ; d'autres bâillent et s'étendent,
tournent les feuillets de leur livre, comme pour examiner si le libraire
y a fait quelques fautes ; d'autres, vous les voyez dormir comme dans un
bon lit. La première pensée qui se présente à
eux, ce n'est pas d'avoir profané un lieu si saint, mais : Mon Dieu,
cela ne finira plus !....jamais je ne reviens !... » Et enfin, d'autres
à qui la parole de Dieu, qui a tant converti de pécheurs,
donne mal au cœur : ils sont obligés de sortir, disent-ils, pour
respirer un peu l'air, pour ne pas mourir ; vous les voyez tristes, peinés
pendant les saints offi-ces ; mais lorsque l'office est fini, et même
souvent, le prêtre n'est pas encore descendu de l'autel, qu'ils se
pressent à la porte à qui sortira le premier ; vous voyez
alors renaître cette joie qu'ils avaient perdue à l'office.
Ils sont si fatigués que, souvent, ils n'ont pas le courage de revenir
à vêpres. Si on leur demande pourquoi ils ne vont pas à
vêpres : « Ah ! vous disent-ils, il faudrait être toute
la journée à l'église ; nous avons autre chose à
faire ! » Pour ces personnes-là, il n'est question ni de catéchisme,
ni de chapelet, ni de prière du soir : tout cela est regardé
par elles comme des riens. Si on leur demande ce que l'on a dit à
l'instruction : « Ah ! vous répondront-ils, il a assez crié
!... il nous a assez ennuyés !... je ne m'en rappelle pas seulement
!... si ce n'était pas si long, on retiendrait bien mieux ; voilà
ce qui dégoûte le monde d'aller aux offices : c'est parce
que c'est trop long. » Vous avez raison de dire : le monde, parce
que ces gens-là sont du nombre de ceux qui sont du monde, sans bien
le savoir. Mais, allons, nous tâcherons de leur mieux faire comprendre
; du moins s'ils le veulent ; mais étant sourds et aveugles, comme
ils le sont, il est bien difficile de leur faire entendre les paroles de
vie, et, étant aveugles, il sera en-core mal aisé de leur
faire comprendre leur état malheureux. D'abord, chez eux il n'est
plus question de dire leurs Benedicite avant le repas, ni leur action de
grâces après, ni leur Angelus. Si, par une ancienne habitude,
ils le font, si vous en êtes témoin, cela vous fait mal au
cœur : les femmes le font en travaillant, en criant après leurs
enfants ou leurs domestiques ; les hommes le font en tournant leur chapeau
ou leur bonnet entre les mains, comme pour examiner s'ils ont des trous
; ils pensent bien autant du bon Dieu, que s'ils croyaient véritablement
qu'il n'y en ait point, et que c'est pour rire qu'ils font cela. Ils ne
se font point de scrupule de vendre ou d'acheter, le saint jour de dimanche,
quoiqu'ils sachent très bien, ou du moins ils doivent savoir qu'un
marché un peu gros fait le dimanche, sans nécessité,
est un péché mortel . Ces gens-là re-gardent toutes
ces choses comme des riens. Ils iront, en ces saints jours, dans une paroisse,
pour affermer des domestiques ; si on leur dit qu'ils font mal : «
Ah ! vous disent-ils, il faut bien y aller quand on peut les trouver. »
Ils ne font point difficulté d'aller payer leurs impôts le
dimanche ; parce que, dans la semaine, il faudrait aller un peu plus loin,
et prendre quelques moments de plus.
Ah ! me direz-vous, nous ne faisons
pas attention à tout cela. – Vous ne faites pas attention à
tout cela, mon ami, je n'en suis pas étonné, c'est que vous
êtes du monde ; c'est-à-dire, que vous voudriez être
à Dieu et contenter le monde. Savez-vous, M.F., ce que sont ces
personnes ? Ce sont des personnes qui n'ont pas en-core entièrement
perdu la foi, et à qui il reste encore quelque atta-chement au service
de Dieu, qui ne voudraient pas tout abandon-ner, car elles blâment
elles-mêmes ceux qui ne fréquentent plus les offices ; mais
elles n'ont pas assez de courage pour rompre avec le monde, et pour se
tourner du côté du bon Dieu. Ces gens-là ne voudraient
pas se damner, mais ils ne voudraient pas non plus se gêner ; ils
espèrent pouvoir se sauver, sans tant se faire de violence ; ils
ont la pensée que le bon Dieu étant si bon, ne les a pas
créés pour les perdre, qu'il les pardonnera bien tout de
même ; qu'un temps viendra où ils se donneront au bon Dieu,
qu'ils se corrigeront, qu'ils quitteront leurs mauvaises habitudes. Si,
dans quelques moments de réflexion, ils se mettent leur pauvre vie
un petit peu devant les yeux, ils en gémissent, et quelquefois même
ils en verseront des larmes.
Hélas, M.F., quelle triste
vie mènent ceux qui voudraient être au monde sans cesser d'être
à Dieu ! Allons un peu plus loin et vous allez encore mieux le comprendre,
vous allez voir combien leur vie même est ridicule. Un moment, vous
les entendrez prier le bon Dieu ou faire un acte de contrition, et un autre
moment, vous les entendrez jurer, peut-être même le saint nom
de Dieu, si quelque chose ne va pas comme ils veulent. Ce matin, vous les
avez vus à la sainte Messe chanter ou entendre les louanges de Dieu,
et, dans le même jour, vous les voyez tenir les propos les plus infâmes.
Les mêmes mains qui ont pris de l'eau bénite, en demandant
à Dieu de les purifier de leurs péchés, un instant
après les mêmes mains sont employées à faire
des attouchements sales sur eux ou peut-être même sur d'autres.
Les mêmes yeux qui, ce matin, ont eu le grand bonheur de contempler
Jésus-Christ lui-même dans la sainte hostie, dans le courant
du jour se porteront volontairement sur les objets les plus déshonnêtes,
et cela, avec plaisir. Hier, vous avez vu cet homme faire la charité
à son pro-chain, ou lui rendre service ; aujourd'hui, il tâchera
de le tromper, s'il peut y trouver son profit. Il n'y a qu'un moment que
cette mère souhaitait toutes sortes de bénédictions
à ses enfants, et mainte-nant qu'ils l'ont contrariée, elle
les accable de toutes sortes de malheurs : elle ne voudrait jamais les
avoir vus, elle voudrait être aussi loin d'eux qu'elle en est près
; elle finit par les donner au démon, afin de s'en débarrasser.
Un moment, elle envoie ses en-fants à la sainte Messe ou se confesser
; un autre, elle les enverra à la danse, ou du moins, elle fera
semblant de ne pas le savoir, ou elle le leur défendra en riant,
ce qui veut dire : « Pars. » Une fois, elle dira à sa
fille d'être bien réservée, de ne pas fréquenter
les mauvaises compagnies, et une autre fois, elle la voit passer des heures
entières avec des jeunes gens, sans rien lui dire. Allez, ma pauvre
mère, vous êtes du monde ; vous croyez être à
Dieu, par quelque extérieur de religion que vous pratiquez. Vous
vous trompez : vous êtes du nombre de ceux à qui Jésus-Christ
dit : « Malheur au monde ! » Voyez ces gens qui croient
être à Dieu et qui sont au monde : ils ne se font point scrupule
de prendre à leur voisin, tantôt du bois, tantôt quelques
fruits et mille autres choses ; tant qu'ils sont flattés dans leurs
actions, qu'ils font pour ce qui regarde la religion, ils ont même
bien du plaisir à le faire, ils montrent beaucoup d'empressement,
ils sont bons pour donner des conseils aux autres ; mais, sont-ils méprisés
ou calomniés, alors vous les voyez se décourager, se tourmenter
parce qu'on les traite de cette manière ; hier, ils ne voulaient
que du bien à ceux qui leur font du mal, et aujourd'hui ils ne peuvent
plus les souffrir, ni souvent même les voir ni leur parler.
Pauvre monde ! que vous êtes
malheureux, allez votre train ordinaire ; allez, vous ne pouvez espérer
que l'enfer ! Les uns voudraient même fréquenter les sacrements,
au moins une fois l'année ; mais, pour cela, il faudrait un confesseur
bien facile, ils voudraient seulement... et voilà tout. Si le confesseur
ne les voit pas assez bien disposés et qu'il leur refuse l'absolution
; les voilà qui se déchaînent contre lui, en disant
tout ce qui pourra les justi-fier de ce qu'ils n'ont pas achevé
leur confession ; ils en diront du mal ; ils savent bien pourquoi ils restent
en chemin, mais comme ils savent aussi, que le confesseur ne peut rien
leur accorder, alors ils se contentent en disant tout ce qu'ils veulent.
Allez, monde, al-lez votre train ordinaire, vous verrez un jour ce que,
vous n'avez pas voulu voir. – Il faudrait donc que nous puissions partager
no-tre cœur en deux ! – Mais non, mon ami, ou tout à Dieu ou tout
au monde. Vous voulez fréquenter les sacrements ? Eh bien ! laissez
les jeux, les danses et les cabarets. D'ailleurs, vous avez bien bonne
grâce de venir aujourd'hui vous présenter au tribunal de la
pénitence, vous asseoir à la Table sainte manger le pain
des an-ges ; et, dans trois ou quatre semaines, peut-être moins,
l'on vous verra passer la nuit parmi les ivrognes qui regorgent de vin,
et en-core bien plus, faire les actes les plus infâmes de l'impureté.
Al-lez, monde, allez ! vous serez bientôt en enfer : on vous y appren-dra
ce que vous deviez faire pour aller au ciel, que vous avez per-du bien
par votre faute.
Non, M.F., ne nous y trompons pas
; il faut, de toute nécessi-té, ou sacrifier le monde à
Jésus-Christ, ou bien faire à Jésus-Christ le sacrifice
de tout ce que nous avons de plus cher sur la terre. Mais que peut vous
donner le monde qui puisse entrer en comparaison avec ce que Jésus-Christ
nous promet dans le ciel ? D'ailleurs, M.F., parmi tous ceux qui se sont
attachés au monde, qui n'ont cherché qu'à contenter
leur penchant brutal et corrompu, il n'y en a pas un qui n'en soit la dupe
et qui, à l'heure de la mort, ne se repente de l'avoir aimé.
Oui, M.F., c'est alors que nous senti-rons la vanité et la fragilité
de ces choses, et nous les sentirions même dès ce moment,
si nous voulions jeter un coup d'œil sur no-tre vie passée ; nous
verrions que la vie est bien peu de chose. Di-tes-moi, M.F., vous à
qui les années commencent à faire courber la tête sur
les épaules : pendant votre jeunesse, vous couriez après
les plaisirs du monde, et il vous semblait ne plus pou-voir vous en rassasier
; vous avez passé nombre d'années à ne chercher que
vos plaisirs : les danses, les jeux, les cabarets et la vanité faisaient
toute votre occupation ; vous avez toujours remis plus loin votre retour
à Dieu. Lorsque vous avez atteint un âge plus avancé,
vous avez pensé à ramasser du bien. Vous voilà donc
arrivé à la vieil-lesse, sans que vous ayez rien fait pour
votre salut. Maintenant, que vous voilà désabusé des
folies de la jeunesse ; maintenant, que vous avez travaillé pour
vous ramasser quelque chose, vous pensez qu'à présent vous
ferez mieux. Je n'en crois rien, mon ami. Les infirmités de la vieillesse
qui vont vous accabler ; vos enfants, qui, peut-être, vous mépriseront
; tout cela sera un nouvel obstacle à votre salut. Vous avez cru
être à Dieu et vous vous trouvez être du monde : c'est-à-dire,
du nombre de ceux qui sont tantôt à Dieu et tantôt au
monde, et qui finissent par recevoir la récompense du monde.
Malheur au monde ! Allez, monde,
suivez votre maître comme vous l'avez fait jusqu'à présent.
Vous voyez très bien que vous vous êtes trompés en
suivant le monde ; eh bien ! M.F., en serez-vous plus sages ? Non, M.F.,
non. Si une personne nous trompe une fois, nous dirons : Nous ne nous fions
plus à elle ; et nous avons bien raison ; le monde nous trompe continuellement,
et cependant nous l'aimons. « Gardez-vous bien, nous dit saint Jean,
d'aimer le monde et de vous attacher à quoi que ce soit dans le
monde . » – « C'est en vain, nous dit le Prophète, que
nous porterions la lumière à cette sorte de gens ; ils ont
été trompés et ils le seront encore ; ils n'ouvriront
les yeux que dans le temps où ils n'auront plus d'espérance
de revenir à Dieu. » Ah ! M.F., si nous faisions bien réflexion
sur ce que c'est que le monde, nous passerions notre vie à recevoir
ses adieux et à lui faire les nôtres. A l'âge de quinze
ans nous avons dit adieu aux amusements de l'en-fance, nous avons regardé
comme des niaiseries que de courir après les mouches, comme font
les enfants qui leur bâtissent des maisons de cartes ou de boue.
A trente ans, vous avez commencé à dire adieu aux plaisirs
bruyants d'une jeunesse fougueuse ; ce qui vous plaisait si fort dans ce
temps-là, commence déjà à vous ennuyer. Disons
mieux, M.F., chaque jour nous disons adieu au monde ; nous faisons comme
un voyageur qui jouit de la beauté des pays où il a passé,
à peine les voit-il, qu'il faut déjà les quit-ter
; il en est de même des biens et des plaisirs auxquels nous avons
tant d'attache. Enfin, nous arrivons au bord l'éternité,
qui engloutit tout dans ses abîmes. Ah ! c'est alors, M.F., que le
monde va disparaître pour toujours à nos yeux, et que nous
recon-naîtrons notre folie de nous y être attachés.
Et tout ce que l'on nous a dit du péché !... Tout cela était
donc bien vrai, dirons-nous. Hélas ! je n'ai vécu que pour
le monde. je n'ai cherché que le monde dans tout ce que j'ai fait,
et les biens et les plaisirs du monde ne sont plus rien pour moi ! tout
m'échappe des mains : ce monde que j'ai tant aimé, ces biens
et ces plaisirs, qui ont tant oc-cupé mon cœur et mon esprit !...
Il faut maintenant que je re-tourne vers mon Dieu !... Ah ! M.F., que cette
pensée est conso-lante pour celui qui n'a cherché que Dieu
seul Pendant sa vie ! mais qu'elle est désespérante pour
celui qui a perdu de vue son Dieu et le salut de son âme !
Non, non, M.F., ne nous y trompons
pas, fuyons, ou nous nous mettons dans un grand danger de nous perdre.
Tous les saints ont fui, méprisé et abandonné le monde
toute leur vie. Ceux qui ont été obligés d'y rester
y ont vécu comme n'y étant pas. Combien de grands du monde
l'ont quitté pour aller vivre dans la solitude ! voyez un saint
Arsène. Frappé de cette pensée : Qu'il est très
difficile de se sauver dans le monde, il abandonne la cour de l'empereur,
et va passer sa vie dans les forêts, pour y pleurer ses péchés
et y faire pénitence . Oui, M.F., si nous ne fuyons le monde, du
moins autant qu'il nous sera possible, nous ne pouvons que nous perdre
avec le monde, à moins d'un grand miracle. En voici un bel exemple
et bien capable de nous le faire comprendre. Nous lisons dans l'Écriture
sainte que Josaphat, roi de Juda, fit alliance avec Achab, roi d'Israël.
Le Saint-Esprit nous dit que le premier, c'est-à-dire Josaphat,
était un saint roi ; mais il nous dit que le second, qui est Achab,
était un impie. Néanmoins, Josaphat consentit à aller
avec Achab pour combattre contre les Syriens. Avant de partir, il voulut
voir un prophète du Seigneur, pour lui demander ce qu'il en serait
de ce combat. Achab lui dit : « Nous avons bien ici un certain prophète
du Seigneur, mais il ne nous prédit que des malheurs. » –
« Eh bien ! lui dit Josaphat, faites-le venir, et nous le consulterons.
» Le prophète étant devant le roi, Josaphat lui demande
s'il fallait aller combattre contre les enne-mis, ou non. Le roi Achab
se hâte de lui dire que tous ses prophè-tes l'ont assuré
de la victoire. « Oui, dit le prophète du Seigneur, allez,
Princes, vous attaquerez vos ennemis, vous les battrez et vous reviendrez
victorieux et chargés de leurs richesses. » Le roi Josaphat
vit bien que ce n'était pas ce que pensait le prophète, il
lui demanda de dire ce que le Seigneur lui inspirait. Alors le pro-phète
prenant le ton de prophète du Seigneur : « Vive le Seigneur,
en la présence de qui je suis ! Voici ce que le Seigneur, le Dieu
d'Israël, m'a commandé de vous dire : Vous livrerez bataille
; mais vous serez vaincu. Le roi Achab y périra, et son armée
sera mise tout en déroute et chacun reviendra chez soi sans chef.
» Le roi Achab dit à l'autre : « Je vous avais bien
dit que ce prophète n'annonce que des malheurs. » Il le fit
mettre en prison, pour le punir à son retour. Mais le prophète
s'inquiéta fort peu de cela, car il savait bien que le roi ne reviendrait
pas, mais qu'il y périrait. Ayant livré le combat, Achab,
voyant que le gros de l'armée se tournait sur lui, changea d'habit.
Alors l'on prit le roi Josaphat pour Achab à qui seul on en voulait.
Se voyant près d'être percé par les ennemis : «
Ah ! Seigneur. Dieu d'Israël, s'écria-t-il, ayez pitié
de moi ! » Alors le Seigneur le secourut et écarta de lui
tous ses ennemis. Mais il lui envoya son prophète pour le reprendre
de ce qu'il avait voulu accompagner ce roi impie : « Vous auriez
mé-rité de périr avec lui, mais parce que le Seigneur
a vu en vous de bonnes œuvres, il vous a conservé la vie, et vous
aurez le bonheur de retourner dans votre ville. » Pour Achab, il
périt dans ce com-bat, comme le prophète le lui avait prédit
avant son départ.
Voilà, M.F., ce que c'est
que de fréquenter le monde ce qui nous montre que, nécessairement,
nous devons fuir le monde si nous voulons ne pas périr avec lui.
Avec les gens du monde, nous prenons l'esprit du monde et nous perdons
l'esprit de Dieu : ce qui nous entraîne dans un abîme de péché,
presque sans nous en aper-cevoir ; nous en avons un bel exemple dans l'histoire.
Saint Au-gustin nous rapporte qu'il avait pour ami un jeune homme
qui vivait parfaitement bien. Il suivait son chemin aussi bien qu'un jeune
homme peut le faire. Un jour, que quelques-uns de ses compagnons d'études
sortaient avec lui après dîner, ceux-ci fâchés
de ce qu'il ne faisait pas comme eux, ils essayèrent de l'entraîner
à l'amphithéâtre. C'était un jour que l'on y
faisait égorger des hom-mes par d'autres hommes. Comme ce jeune
homme avait une ex-trême horreur pour ces sortes de curiosités,
il résista d'abord de toutes ses forces ; mais ses compagnons usèrent
de tant de flatte-ries et de tant de violences, que, cette fois, ils l'entraînèrent
pour ainsi dire, malgré lui. Il leur dit : « Vous pouvez bien
entraîner mon corps et le placer parmi vous à l'amphithéâtre
; mais vous ne pouvez pas disposer de mon esprit ni de mes yeux, qui, assuré-ment,
ne prendront jamais part à un spectacle si horrible. Aussi y serai-je
comme n'y étant pas, et, par là, je vous contenterai sans
y prendre part. » Mais Alype eut beau dire, ils l'emmenèrent,
et, pendant que tout l'amphithéâtre était dans les
transports de ces barbares plaisirs, le jeune homme défendait à
son cœur d'y pren-dre part, et à ses yeux de regarder, en les tenant
fermés. Ah ! plût à Dieu qu'il se fût bouché
aussi les oreilles ; car, ayant été frappé d'un grand
cri qui se fit entendre, la curiosité l'emporta : ne vou-lant voir
que cela, il ouvrit les yeux, c'en fut assez pour le perdre. Plus il regardait
; plus son cœur y sentait du plaisir ; il alla si loin dans la suite que,
bien loin de se faire prier pour y aller, il y en-traînait lui-même
les autres. « Hélas ! mon Dieu, s'écrie saint Au-gustin,
qui pourra le tirer de cet abîme ? Rien autre, sinon un mi-racle
de la grâce de Dieu. »
Je conclus, M.F., en disant que
si nous ne fuyons le monde avec ses plaisirs, si nous ne nous cachons pas
autant que nous pourrons, nous nous perdrons et nous serons damnés.
Mais la route la plus commode, c'est d'être tantôt au monde,
tantôt à Dieu, c'est-à-dire, faire quelques pratiques
de piété et suivre le train du monde : les jeux, les danses,
les cabarets, travailler le dimanche ; nourrir ces haines, ces vengeances,
ces ressentiments, relever ces petits torts. Mais pour être tout
à Dieu, il faut vous attendre à être méprisés
et rejetés du monde. Heureux, M.F., celui qui sera de ce nombre,
et qui marchera avec courage à la suite de son Maître, portant
sa croix ; puisque ce n'est que par là que nous aurons le grand
bonheur d'arriver au ciel ! Ce que je vous souhaite.
15ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la pensée de la mort
Cum appropinquaret porte civitatis,
ecce defunctus efferebatur filius uni-cus matris suae : et haec vidua erat.
Jésus, étant près
des portes de la ville de Naïm, trouva qu'on portait en terre le fils
unique d'une mère qui était veuve.
(S. Luc, VII, 12.)
Non, M.F., rien n'est plus capable de nous détacher de la vie et des plaisirs du monde, et de nous porter à nous occuper de ce moment terrible qui doit décider de tout pour l'éternité, que la vue d'un cadavre que l'on conduit dans le tombeau. C'est pourquoi l'Église, qui est toujours attentive et occupée à nous fournir tous les moyens les plus capables de nous faire travailler à notre salut, nous met, trois fois par année, le souvenir de ces morts que Jésus-Christ ressuscita ; afin de nous forcer, en quelque sorte, à nous en occuper pour nous préparer à ce voyage. Dans un endroit de l'Évangile , elle nous présente une jeune fille âgée seulement de douze ans, c'est-à-dire dans un âge où à peine l'on peut commen-cer à jouir des plaisirs. Quoiqu'elle fût fille unique, très riche et tendrement aimée de ses parents, malgré cela cependant, la mort la frappe et la fait disparaître pour jamais aux yeux des vivants. Dans un autre endroit , nous voyons un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, qui était à la fleur de son âge, le seul appui et la seule consolation d'une mère veuve ; cependant, ni les larmes, ni la tendresse de cette mère désolée, ne peuvent empêcher que la mort, cette impitoyable mort, n'en fasse sa proie. Dans une autre partie de l'Évangile , nous voyons un autre jeune homme, qui est Lazare. Il tenait lieu de père à ses deux sœurs, Marthe et Made-leine ; il nous semble que la mort aurait dû au moins avoir égard à ce dernier ; mais, non, cette cruelle mort le moissonne, et le réduit au tombeau, pour en faire la pâture des vers. Il fallut que Jésus-Christ fît trois miracles pour leur rendre la vie. Ouvrons les yeux, M.F., et contemplons un instant ce touchant spectacle, qui va nous prouver, de la manière la plus forte, la caducité de la vie et la né-cessité de nous en détacher, avant que cette mort inexorable nous en arrache malgré nous. « Jeune ou vieux, disait le saint roi Da-vid, je penserai souvent que je mourrai un jour, et je m'y prépare-rai de bonne heure. » Pour vous engager à faire de même, je vais vous montrer combien la pensée de la mort nous est nécessaire pour nous détacher de la vie et pour nous attacher à Dieu seul.
I. – Nous voyons, M.F., que malgré
le degré d'impiété et d'in-crédulité
où les hommes sont parvenus dans le malheureux siècle où
nous vivons, ils n'ont cependant pas encore osé nier la certi-tude
de la mort ; mais seulement, ils font tout ce qu'ils peuvent pour en bannir
la pensée, comme d'un voisin qui pourrait les in-quiéter
dans leurs plaisirs, et les troubler dans leurs débauches. Mais
aussi, nous voyons dans l'Évangile, que Notre-Seigneur Jé-sus-Christ
veut que nous ne perdions jamais de vue la pensée de notre départ
de ce monde pour l'éternité . Pour bien nous faire comprendre
que nous pouvons mourir à tous les âges, nous voyons qu'il
ne ressuscite ni des enfants qui sont encore insensi-bles aux plaisirs
de la vie, ni des vieillards décrépits, qui, malgré
leur attachement à la terre, ne peuvent pas douter que leur départ
ne soit peu éloigné. Mais il ressuscite ceux qui sont dans
un âge où nous oublions le plus ordinairement cette pensée
salutaire : c'est-à-dire, depuis douze jusqu'aux environs de quarante
ans. En effet, depuis quarante ans, la mort semble nous poursuivre rapi-dement
; nous perdons tous les jours quelque chose, qui nous an-nonce que nous
devons bientôt sortir de ce monde ; nous sentons, chaque jour, nos
forces diminuer, nous voyons nos cheveux blan-chir, notre tête devenir
chauve, nos dents tomber, notre vue s'af-faiblir : tout cela nous dit adieu
pour jamais, et nous avouons nous-mêmes que nous ne sommes plus ce
que nous étions autre-fois. Non, M.F., personne n'a le moindre doute
là-dessus. Oui, M.F., il est certain qu'un jour viendra où
nous ne serons plus du nombre des vivants, et que l'on ne pensera pas plus
à nous que si nous n'avions jamais été au monde. Voilà
donc cette jeune fille mondaine, qui a pris tant de soin et tant de peine
à paraître aux yeux du monde : la voilà réduite
à un peu de poussière, qui est foulée sous les pieds
des passants. Voilà cet orgueilleux, qui fai-sait tant de cas de
son esprit, de ses richesses, de son crédit et de sa charge, le
voilà conduit dans un tombeau, mangé des vers, et mis en
oubli jusqu'à la fin du monde ; c'est-à-dire, jusqu'à
la ré-surrection générale, où nous le reverrons
avec tout ce qu'il aura fait pendant les jours de sa malheureuse vie.
Mais, peut-être allez-vous
me demander ce que c'est que, ce moment de la mort qui doit tant nous occuper,
et qui est si capable de nous convertir ? – C'est, M.F., un instant qui,
peu sensible dans sa durée, nous est peu connu, et qui, cependant,
suffit pour nous faire faire le grand passage de ce monde à l'éternité.
Moment formidable par lui-même, M.F., où tout ce qui est dans
le monde meurt pour l'homme, où l'homme, en même temps, meurt
pour tout ce qui est à lui sur la terre. Moment terrible, M.F.,
où l'âme, malgré l'union si intime qu'elle a avec son
corps, en est arrachée par la violence de la maladie ; après
quoi, l'homme étant dépouillé de tout, ne laisse aux
yeux du monde qu'une figure hideuse de lui-même, des yeux éteints,
une bouche muette, des mains sans ac-tion, des pieds sans mouvement, un
visage défiguré, un corps qui commence à se corrompre
et qui n'est plus qu'un objet d'horreur. Moment impitoyable, M.F., où
les plus puissants et les plus riches perdent toutes leurs richesses et
leur gloire, et où ils n'ont pour tout héritage que la poussière
du tombeau. Moment bien humi-liant, M.F., où le plus grand est confondu
avec le plus misérable de la terre. Tout est confondu : plus d'honneurs,
plus de distinc-tions, tous sont mis au même niveau. Mais moment,
M.F., mille fois plus terrible encore par ses suites que par sa présence
puisque les pertes en sont irréparables. « L'homme, nous dit
le Saint-Esprit, parlant du mourant, ira dans la maison de son éternité
. » Moment court, il est vrai, M.F., mais bien décisif ; après
lequel le pécheur n'a plus de miséricorde à espérer,
et le juste de mérites à acquérir. Moment dont la
pensée a rempli les monastères de tant de grands du monde,
qui ont tout quitté pour ne penser qu'à ce ter-rible passage
de ce monde à l'autre. Moment, M.F., dont la pensée a peuplé
les déserts de tant de saints, qui n'ont cessé de se livrer
à toutes les rigueurs de la pénitence que leur amour pour
le bon Dieu a pu leur inspirer. Moment terrible, M.F., mais bien court,
qui, cependant, va décider de tout pour une éternité
entière.
D'après cela, M.F., comment
se peut-il faire que nous n'y pen-sions pas ou, du moins, que nous y pensions
d'une manière si fai-ble ? Hélas ! M.F., que d'âmes
brûlent maintenant, pour avoir né-gligé cette pensée
salutaire ! Laissons, M.F., laissons un peu le monde, ses biens et ses
plaisirs, pour nous occuper de ce terrible moment. Imitons, M.F., les saints,
qui en faisaient leur principale occupation ; laissons périr ce
qui périt avec le temps, donnons nos soins à ce qui est éternel
et permanent. Oui, M.F., rien n'est plus capable de nous détacher
de la vie du péché, et de faire trembler les rois sur leurs
trônes, les juges et les libertins au milieu de leurs plaisirs, que
la pensée de la mort. En voici un exemple, M.F., qui va vous montrer
que rien ne peut résister à cette pensée bien mé-ditée.
Saint Grégoire nous rapporte qu'un jeune homme, au salut de l'âme
duquel il s'intéressait beaucoup, avait conçu une telle passion
pour une jeune fille, que celle-ci étant morte, il ne pouvait plus
s'en consoler. Saint Grégoire, pape, après bien des prières
et des pénitences, alla trouver ce jeune homme : « Mon ami,
lui dit-il, venez avec moi, et vous verrez encore une fois celle qui vous
fait pousser tant de soupirs et verser tant de larmes. »
Le prenant par la main, il le conduit
au tombeau de cette jeune fille. Quand il eut fait lever la planche qui
couvrait son corps, ce jeune homme voyant un corps si horrible, si puant,
si rempli de vers, n'étant plus qu'un amas de corruption, recule
d'horreur : « Non, non, mon ami, lui dit saint Grégoire, avancez
et soutenez un instant la vue de ce spectacle que la mort vous pré-sente.
Voyez, mon ami, considérez ce qu'est devenue cette beauté
périssable, à laquelle vous étiez éperdument
attaché. Voyez-vous cette tête toute décharnée,
ces yeux éteints, ces ossements livides, cet amas horrible de cendres,
de pourriture et de vers ? Voilà, mon ami, l'objet de votre passion,
pour lequel vous avez poussé tant de soupirs, et sacrifié
votre âme, votre salut, votre Dieu et vo-tre éternité.
» Des paroles si touchantes, un spectacle si effrayant firent une
impression si vive sur le cœur de ce jeune homme, que, reconnaissant dès
ce moment le néant de ce monde et la fragilité de toute beauté
périssable, il renonça aussitôt à toutes les
vanités de la terre, ne pensa plus qu'à se préparer
à bien mourir en se reti-rant du monde, pour aller passer sa vie
dans un monastère, y pleu-rer, le reste de ses jours, les égarements
de sa jeunesse, et mourir en saint. Quel bonheur, M.. F., pour ce jeune
homme ! Faisons de même, M.F., puisque rien n'est plus capable de
nous détacher de la vie, et de nous déterminer à quitter
le péché que cette heureuse pensée de la mort.
Ah ! M.F., à la mort, comme
l'on pense bien autrement que pendant la vie ! En voici un bel exemple.
Il est rapporté dans l'his-toire, qu'une dame possédait toutes
les qualités capables de plaire au monde, dont elle goûtait
tous les plaisirs. Hélas ! M.F., cela ne l'empêcha pas d'arriver
comme les autres à ses derniers moments, et bien plus tôt
qu'elle n'aurait voulu. Au commencement de sa maladie, on lui dissimula
le danger où elle se trouvait, comme on ne le fait que trop souvent
à ces pauvres malades. Cependant le mal faisait chaque jour de nouveaux
progrès ; il fallut l'avertir qu'elle devait penser à son
départ pour l'éternité. Il lui fallait faire alors
ce qu'elle n'avait jamais fait et penser ce qu'elle n'avait ja-mais pensé
; elle en fut extrêmement effrayée. « Je ne crois pas,
dit-elle à ceux qui lui donnaient cette nouvelle, que ma maladie
soit dangereuse, j'ai encore le temps ; » mais on la presse, en lui
disant que le médecin la trouvait en danger. Elle pleure, elle se
lamente de quitter la vie dans un temps où elle pouvait encore jouir
de ses plaisirs. Mais, tandis qu'elle pleurait, on lui représente
que personne n'étant immortel, si elle échappait à
cette maladie, une autre l'emmènerait, que tout ce qu'elle avait
à faire était de mettre ordre à sa conscience, afin
de pouvoir paraître avec confiance devant le tribunal de Dieu. Peu
à peu elle rentra en elle-même, et, comme elle était
instruite, elle fut bientôt convaincue de cela ; ses larmes se tournèrent
du côté de ses péchés ; elle de-manda un confesseur
pour lui faire l'aveu de ses fautes, qu'elle au-rait bien voulu n'avoir
jamais commises. Elle fait elle-même le sacrifice de sa vie ; elle
confesse ses fautes avec une grande dou-leur, une abondance de larmes ;
elle prie ses compagnes ou ses amies de venir la voir avant qu'elle ne
sorte de ce monde, ce qu'el-les firent avec empressement. Quand elles furent
autour de son lit, elle leur dit en pleurant : « Mes chères
amies, vous voyez dans quel état je suis ; il me faut aller paraître
devant Jésus-Christ, pour lui rendre compte de toutes les actions
de ma vie ; vous savez vous-mêmes combien j'ai mal servi le bon Dieu
et combien j'ai à craindre ; mais, cependant, je vais m'abandonner
à ses miséricor-des. Tout le conseil que j'ai à vous
donner, mes bonnes amies, c'est de ne pas attendre, pour bien faire, ce
moment où l'on ne peut rien, et où, malgré les larmes
et le repentir, l'on est en si grand danger d'être perdu pour l'éternité.
C'est pour la dernière fois que je vous vois ; je vous en conjure,
ne perdez pas un mo-ment du temps que le bon Dieu vous donne et que je
n'ai pas moi-même. Adieu, mes amies, je vais partir pour l'éternité,
ne m'ou-bliez pas dans vos prières, afin que, si j'ai le bonheur
d'être par-donnée, vous m'aidiez à me tirer du purgatoire.
» Toutes ses com-pagnes, qui ne s'attendaient nullement à
ce langage, se retirèrent en versant des larmes, et remplies d'un
grand désir de ne pas at-tendre ce moment, où nous avons
tant de regrets d'avoir perdu un temps si précieux.
Oh ! M.F., que nous serions heureux,
si la pensée de la mort et la présence d'un cadavre, nous
faisaient la même impression, opéraient le même changement
en nous ! Cependant nous avons une âme à sauver comme ces
personnes, qui se convertirent à la vue de cette jeune dame qui
allait mourir ; et, de plus, nous avons les mêmes grâces si
nous voulons en profiter. Hélas ! mon Dieu, pourquoi s'attacher
si fort à la vie, puisque nous n'y sommes que pour un instant, après
lequel, nous lais-sons tout, pour n'emporter que le bien et le mal que
nous avons fait ?... Pourquoi, M.F., nous attacher si peu, au bon Dieu,
qui fait, même dès ce monde, notre bonheur, pour le continuer
pendant l'éternité ? Comment pour-rions-nous nous attacher
aux biens et aux plaisirs de ce monde, si nous avions ces paroles bien
gravées dans nos cœurs : « Nous ve-nons au monde tout nus
et nous en sortirons de même ? » Cepen-dant nous savons et
nous voyons tous les jours que le plus riche n'emporte pas plus que le
plus pauvre. Le grand Saladin le recon-nut bien avant de mourir, lui qui
avait fait trembler l'univers par la grandeur de ses victoires. Se voyant
près de mourir, reconnaissant alors, mieux que jamais, le vide des
grandeurs humaines, il com-manda à celui qui marchait ordinairement
devant lui, portant son étendard, de prendre un morceau du drap
dont il devait être enve-loppé, de le mettre à la pointe
d'une pique, et de marcher dans la ville en criant autant fort qu'il pourrait
: « Voilà tout ce que le grand Saladin, vainqueur de l'Orient,
et maître de l'Occident, em-porte de tous ses trésors et de
toutes ses victoires : un linceul. « Ô mon Dieu ! que nous
serions sages, si cette pensée ne nous quit-tait jamais !
En effet, M.F., si cet avare, dans
le moment où il n'épargne ni injustices, ni tromperies, pour
amasser du bien, pensait que, dans peu de temps, il va tout quitter, pourrait-il
bien s'attacher si fort à des objets qui vont le perdre pour l'éternité
? Mais, non, M.F., en voyant la manière dont nous vivons, l'on croirait
que jamais nous ne devons quitter la vie. Hélas ! qu'il est à
craindre que si nous vivons en aveugles, nous mourions de même !
en voici un exem-ple bien frappant.
Nous lisons dans l'histoire que
le cardinal Bellarmin, de la Compagnie de Jésus, fut appelé
vers un malade qui avait été pro-cureur, et qui, malheureusement,
avait préféré l'argent au salut de son âme.
Croyant qu'il ne le mandait que pour ranger les affaires de sa conscience,
il y courut avec empressement. En entrant, il commence à lui parler
de l'état de son âme ; mais à peine eut-il commencé
à parler que le malade lui dit : « Mon Père, ce n'est
pas pour cela que je vous ai demandé ; mais seulement pour consoler
ma femme qui se désole de me perdre ; car, pour moi, je m'en vais
tout droit en enfer. » Le cardinal rapporte que cet homme était
si endurci et si aveugle, qu'il prononça ces paroles avec autant
de tranquillité et la même froideur que s'il eût dit
qu'il allait prendre un moment de plaisir avec quelques-uns de ses amis.
« Mon ami, lui dit le cardinal, qui se désolait de voir sa
pauvre âme tomber en enfer, pensez donc à demander pardon
au bon Dieu de vos péchés et confessez-vous ; le bon Dieu
vous pardonnera. » Ce pauvre malheureux lui dit qu'il ne fallait
pas perdre son temps, qu'il ne connaissait pas ses péchés,
ni ne voulait les connaître ; qu'il avait bien le temps de les connaître
en enfer. Le cardinal eut beau le prier, le conjurer, en grâce, de
ne pas se perdre pour l'éternité, puisqu'il avait encore
tous les moyens de gagner le ciel, lui pro-mettant qu'il l'aiderait à
satisfaire à la justice de Dieu, ajoutant qu'il était sûr
que le bon Dieu aurait encore pitié de lui. Mais, non, rien ne fut
capable de le toucher ; il mourut sans donner aucun sentiment de repentir.
Hélas ! M.F., celui qui ne
pense pas à la mort pendant sa vie se met dans un grand danger de
n'y jamais penser, ou de ne vou-loir réparer le mal que quand il
n'y aura plus de remèdes. Ô mon Dieu ! que ceux qui ne perdent
jamais la pensée de la mort évitent de péchés
pendant la vie et de regrets pour l'éternité ! Le même
cardinal rapporte qu'étant allé visiter un de ses amis qui
était ma-lade par un excès de débauche, il voulut
l'exhorter au repentir et à se confesser de ses péchés,
ou du moins, à en faire un acte de contrition. Le malade lui répondit
: « Mon père, que voulez-vous me dire par un acte de contrition
? Je n'ai jamais connu ce lan-gage. » Le cardinal eut beau lui vouloir
faire comprendre que c'était regretter les péchés
qu'on avait commis, pour que le bon Dieu nous pardonne. – « Mon père,
laissez-moi, vous me trou-blez, laissez-moi tranquille. » Il mourut
sans vouloir produire un acte de contrition, tant il était aveuglé
et endurci. O mon Dieu ! quel malheur pour une personne qui a perdu la
foi ! hélas ! il n'y a plus de ressources ! Ah ! M.F., que l'on
a bien raison de dire : Telle est la vie, telle est la mort. Hélas
! M. F, si cet ivrogne pen-sait un peu à ce moment de la mort, qui
doit terminer toutes ses dissolutions et ses débauches, où
son corps sera livré aux vers, pendant que sa pauvre âme brûlera
en enfer ; ah ! M.F., aurait-il le courage de continuer ses excès
? Mais, non, si on lui en parle, il s'en moque, il ne pense qu'à
se divertir, à contenter son corps, comme si tout devait finir avec
lui, nous dit le prophète Isaïe.
Ah ! M.F., le démon a grand
soin de nous en faire perdre le souvenir, parce qu'il sait bien mieux que
nous combien il nous est salutaire pour nous tirer du péché
et nous ramener au bon Dieu. Les saints, M.F., qui avaient tant à
cœur le salut de leur âme, avaient soin de n'en perdre jamais le
souvenir. Saint Guillaume, archevêque de Bourges, assistait aux enterrements
autant qu'il le pouvait, afin de bien graver en lui la pensée de
la mort. Il se re-présentait combien nous sommes misérables
de nous attacher à la vie qui est si malheureuse, si remplie du
danger de nous perdre pour l'éternité ! Il y en a un
autre qui alla passer un an dans un bois, pour avoir le loisir de se bien
préparer à la mort : « parce que, disait-il, quand
elle arrive, il n'est plus temps. » Ces saints avaient, sans doute,
bien raison, M.F., parce que de cette heure dépend tout, et que,
souvent, si nous attendons pour y penser le moment où la mort nous
frappe, quelquefois cela ne sert à rien.
Oh ! que la pensée de la
mort est puissante pour nous garan-tir du péché, et nous
faire faire le bien ! Hélas ! M.F., si ce mal-heureux qui se traîne
dans les ordures de ses impuretés, pensait bien au moment de la
mort où son corps, qu'il prend tant de soin de contenter, sera pourri
en terre ; ah ! s'il faisait la moindre ré-flexion sur ces os secs
et arides, amoncelés dans le cimetière ; s'il prenait la
peine d'aller sur ces tombeaux, pour y contempler ces cadavres puants et
pourris, ces crânes à demi rongés par les vers, ne
serait-il pas frappé d'un tel spectacle ? Aurait-il d'autre pensée
que de pleurer ses péchés et son aveuglement, s'il pensait
au re-gret qu'il aura à l'heure de la mort, d'avoir profané
un corps qui est « le temple du Saint-Esprit et les membres de Jésus-Christ
? »Voulez-vous, M.F., connaître la fin malheureuse d'un impudique
qui n'a pas voulu voir la mort pendant sa vie ? Saint Pierre Damien rapporte
qu'un Anglais, pour avoir de quoi satis-faire sa passion honteuse, se donna
au démon, à condition qu'il l'avertirait trois jours avant
sa mort, dans l'espérance qu'il aurait bien le temps de se convertir.
Hélas ! que l'homme est aveugle, une fois dans le péché
! Mais, après qu'il se fut traîné, roulé et
baigné dans le jus de ses impuretés, le moment de son départ
arri-va. Le démon, tout menteur qu'il est, tint parole à
ce scélérat. Mais l'Anglais fut bien trompé dans son
attente ; car, au grand étonnement de tous les assistants, dès
qu'on lui parlait de son sa-lut, il paraissait s'endormir, ne faisait aucune
réponse ; mais si on lui parlait des affaires temporelles, il avait
parfaitement sa connaissance ; de sorte qu'il mourut dans ses impuretés,
comme il y avait vécu. Pour bien nous montrer qu'il était
réprouvé, le bon Dieu permit que de gros chiens noirs parussent
environner son lit, comme prêts à s'élancer sur leur
proie ; on les vit encore sur son tombeau, comme pour garder ce dépôt
abominable. Hélas ! M.F., que d'autres exemples aussi effrayants
que ceux-là !...
Dites-moi, si cet ambitieux pensait
bien à ce moment de la mort, qui lui fera voir tout le néant
des grandeurs humaines, pour-rait-il bien ne pas faire ces réflexions,
que bientôt il sera couvert de terre et foulé aux pieds des
passants, n'ayant pour toute marque de grandeur, que ces deux mots : «
Ici repose un tel ? » O mon Dieu ! que l'homme est aveugle ! Nous
lisons dans l'histoire, qu'un homme, pendant toute sa vie, n'avait nullement
pensé à son salut ; mais seulement à se divertir et
à amasser du bien. Étant près de mourir, il reconnut
bien son aveuglement de n'avoir point travaillé à faire une
bonne mort. Il recommanda que l'on mît sur sa tombe : « ici
repose l'insensé, qui est sorti de ce monde sans savoir pourquoi
le bon Dieu l'y avait mis. » Si, M.F., tous ces pé-cheurs
qui se raillent de toutes les grâces que le bon Dieu leur fait pour
sortir du péché et qui les méprisent ; s'ils pensaient
bien que, dans le moment où ils sortiront de ce monde, ces grâces
leur se-ront refusées, et que, le bon Dieu qu'ils ont fui, les fuira
à son, tour, et les laissera mourir dans leurs péchés
; dites-moi, auraient-ils le courage de mépriser tant de grâces
que le bon Dieu leur pré-sente maintenant pour sauver leur pauvre
âme ?
Ah ! M.F., que de péchés
ne se commettraient pas, si l'on avait le bonheur de penser souvent à
la mort. C'est pourquoi le Saint-Esprit nous recommande si fort de ne jamais
perdre le sou-venir de nos fins dernières, parce que nous ne pécherions
jamais . Ce fut encore cette pensée, M.F., qui acheva de convertir
saint François de Borgia. Étant encore dans le monde, il
se trouvait à la cour d'Espagne, lorsque l'impératrice Élisabeth
, femme de Charles-Quint, mourut. Comme on devait l'enterrer dans le tombeau
de ses prédécesseurs, qui était à Grenade,
l'on donna la conduite de ce corps à François de Borgia.
A l'arrivée à Grenade, on voulut faire la cérémonie,
et l'on ouvrit le cercueil où était le corps. François
de Borgia devait protester que c'était bien le même que l'on
avait mis dans le cercueil. Quand on eut découvert ce visage qui
avait été si beau, il se trouva tout noir et à demi
pourri ; les yeux étaient tout fondus ; il en sortait une odeur
insupportable. Alors il dit : « Oui, je jure que c'est le corps qu'on
a mis dans le cercueil, et que c'est celui de la princesse ; mais je ne
le reconnais plus. » Dès ce moment, il fit réflexion
sur le néant des grandeurs humaines et combien elles sont peu de
chose ; il prit la résolution de quitter le monde, pour ne plus
penser qu'à sauver son âme. « Ah ! disait-il, qu'est
devenue la beauté de cette princesse, qui était la plus belle
créature du monde ? O mon Dieu ! que l'homme est aveugle de s'attacher
à
de viles créatures en perdant son âme ! » Heureuse pensée,
M.F., qui lui a valu le ciel !
Mais pourquoi est-ce, M.F., que
nous oublions cette mort, qui nous ferait toujours tenir prêts à
bien mourir ? Hélas ! l'on ne veut pas y penser, l'on meurt sans
y avoir pensé, et nous regar-dons cette mort comme bien éloignée
de nous. Le démon ne nous dit pas, comme autrefois, à nos
premiers parents : « Vous ne mourrez pas ; » parce que
cette tentation serait trop grossière, elle ne tromperait personne
; « mais, nous dit-il, vous ne mourrez pas si tôt ; »
et par cette illusion, nous ren-voyons la pensée de nous convertir
à notre dernière maladie, où nous ne serons plus en
état de rien faire. C'est ainsi, M.F., que la mort en a tant surpris,
et en surprendra tant jusqu'à la fin du monde. C'est cependant cette
pensée qui en a tant tiré du péché ; en voici
un exemple bien frap-pant. Il est rapporté dans l'histoire qu'un
jeune homme et une jeune fille avaient eu ensemble un commerce infâme.
Il arriva que ce jeune homme, passant dans un bois, fut égorgé.
Un petit chien qui le suivait, voyant son maître tué, va trouver
cette fille, la prend par son tablier, la tirant comme pour lui dire de
le suivre. Étonnée de cela, elle suit ce petit chien, qui
la mène au lieu où était son maître. Il s'arrêta
auprès d'un tas de feuilles. Ayant re-gardé ce qu'il y avait,
elle vit ce pauvre jeune homme tout ensan-glanté : des voleurs l'avaient
poignardé. Rentrant en elle-même, elle se mit à pleurer,
se disant : « Ah ! malheureuse, si le même sort t'était
arrivé, où serais-tu ? hélas ! tu brûlerais
en enfer. Peut-être ce jeune homme brûle-t-il maintenant dans
les abîmes à cause de toi !... Ah ! malheureuse, comment as-tu
pu mener une vie si criminelle ? Ah ! dans quel état est ta pauvre
âme !... Mon Dieu ! je vous remercie, de ne m'avoir pas fait servir
d'exemple aux au-tres ! » Elle quitta le monde, alla s'ensevelir
dans un monastère pour toute sa vie, et mourut comme une sainte.
Ah ! M.F., com-bien y a-t-il de pécheurs que de semblables exemples
ont conver-tis ! O mon Dieu ! qu'il faut que nos cœurs soient durs et insensi-bles
pour n'être touchés de rien, et vivre dans le péché,
peut-être, sans penser à en sortir !
Hélas ! M.F., il est à
craindre que, dans le moment où nous voudrons revenir au bon Dieu,
nous ne le puissions pas ; le bon Dieu, en punition de nos péchés,
nous aura abandonnés. Je vais vous le montrer dans un exemple. Nous
lisons dans l'histoire , qu'un homme avait vécu longtemps dans le
désordre. S'étant converti, il retomba au bout de quelque
temps dans ses anciens péchés. Ses amis, qui en étaient
bien chagrinés, firent tout ce qu'ils purent pour le ramener au
bon Dieu ; il leur promettait tou-jours et n'en faisait rien. Ils lui dirent
qu'il y avait une retraite dans la paroisse voisine ; qu'ils l'y conduiraient
avec eux, et qu'il devait s'y préparer. L'autre, qui depuis longtemps
se moquait de Dieu et de tous leurs conseils, leur répondit en riant,
que oui ; qu'ils n'avaient qu'à venir le prendre le matin du jour
où elle devait commencer, et qu'ils partiraient tous ensemble. Les
autres ne manquèrent pas d'aller le trouver, dans l'espérance
de le ramener au bon Dieu ; mais en entrant, il le virent étendu
au milieu de sa maison : il était mort, la nuit, de mort subite
sans avoir eu le temps ni de se confesser, ni de donner le moindre signe
de repen-tir. Hélas ! M.F., où alla cette pauvre âme
qui avait tant méprisé les grâces du bon Dieu ?
II. – Nous avons dit qu'il est très
utile de penser souvent à la mort : 1? pour nous faire éviter
le péché et nous faire expier ceux que nous avons eu le malheur
de commettre, et 2? pour nous déta-cher de la vie. Saint Augustin
nous dit qu'il ne faut pas seulement penser à la mort des martyrs,
chez qui, par une grâce admirable, la peine du péché
est devenue comme un instrument de mérite, mais à la mort
de tous les hommes. Cette pensée de la mort serait pour nous un
des plus puissants moyens de salut, et un des plus grands remèdes
à nos maux, si nous en savions tirer les avantages que la miséricorde
divine veut nous procurer par le châtiment que sa jus-tice exige
de nous. Nous ne sommes condamnés à mourir que parce que
nous avons péché ; mais il nous suffirait, pour ne
plus pécher, de bien penser à la mort ; comme nous dit l'Esprit-Saint
.
Nous disons, M.F., que la pensée
de la mort produit en nous trois effets : 1? elle nous détache du
monde 2? elle arrête nos pas-sions ; 3? elle nous engage à
mener une vie plus sainte. Si le monde, M.F., peut nous tromper pendant
quelque temps, cela cer-tainement ne durera pas toujours ; car il est sûr
que toutes les cho-ses du monde n'ont pas grande force contre la pensée
de la mort. Si nous pensons que, dans quelques moments ; nous aurons dit
adieu à la vie pour n'y reparaître jamais ! L'homme
qui a la mort toujours présente à l'esprit ne peut se regarder
que comme un voyageur sur la terre, qui ne fait qu'y passer, et qui laisse
sans peine tout ce qu'il rencontre, parce qu'il tend à un autre
terme et qu'il avance vers une autre patrie. Telle fut, M. F :, la disposition
de saint Jérôme : comme il voyait qu'une fois mort il ne pourrait
plus animer ses disciples par ses exemples de secrètes vertus, il
voulut, en mourant, leur laisser de saintes instructions : « Mes
en-fants, leur dit-il, si vous voulez, comme moi, ne rien regretter à
la mort, accoutumez-vous à vous détacher de tout pendant
la vie. Voulez-vous encore ne rien craindre dans ce terrible moment ? N'aimez
rien de ce, qu'il vous faudra quitter. Quand on est bien détrompé
du monde et de toutes ses illusions, qu'on a méprisé ses
biens, ses fausses douceurs et ses folles promesses ; quand on n'a pas
mis sa félicité dans la jouissance des créatures,
l'on n'a point de peine à les quitter et à s'en séparer
pour toujours. » O heureux état, s'écriait ce grand
saint, que celui d'un homme, qui, plein d'une juste confiance en Dieu,
ne se trouve retenu par aucun atta-chement au monde et aux biens de la
terre ! Voilà, M.F., les dis-positions auxquelles nous conduit la
pensée de la mort.
Le second effet que la pensée
de la mort produit en nous, c'est d'arrêter nos passions. Oui, M.F.,
si nous sommes tentés, nous n'avons qu'à penser vite à
la mort, et de suite, nous sentirons tomber la passion : c'était
la pratique des saints. Saint Paul nous dit qu'il meurt tous les jours
. Notre-Seigneur étant encore sur la terre, parlait souvent de sa
passion . Sainte Marie Égyptienne étant tentée, pensait
vite à la mort ; et de suite, la tentation la quit-tait . Saint
Jérôme ne perdait pas plus cette pensée que la respira-tion.
Il est rapporté dans la Vie des Pères du désert, qu'un
solitaire qui avait vécu quelque temps dans le grand monde, étant
touché de la grâce, alla s'ensevelir dans un désert.
Le démon ne cessa de lui rappeler la jeune personne pour laquelle
il avait eu un amour criminel. Un moment avant qu'elle mourût, Dieu
le lui fit connaî-tre. Il sort de sa solitude, il va la voir : elle
était prête à être mise en terre ; il s'approche
du cercueil, lui découvre le visage, prend dans son mouchoir un
abcès qui sortait de sa bouche. Après cela, il retourne dans
son désert, et toutes les fois qu'il était tenté,
il prenait ce mouchoir et se disait à lui-même, en se représentant
les ordures de cette pauvre créature : « Insensé que
tu es, voilà la douce faveur de l'objet que tu as tant aimé
aux dépens de ton âme ; si à présent, tu ne
peux supporter cette horrible puanteur qui est sortie du corps de cette
créature, quelle n'a donc, pas été ta, folie de l'avoir
aimée pendant sa vie, au préju-dice de ton salut. ; mais
quel serait ton aveuglement que d'y penser encore après sa mort
! » Saint Augustin nous dit que quand il se sentait violem-ment porté
au mal, la seule chose qui le retenait, c'était de penser qu'un
jour il mourrait, et qu'après sa mort, il serait jugé. «
Je di-sais souvent à mon cher ami Alype, lorsque je m'entretenais
avec lui de ce qui devait faire le différent partage des bons et
des mé-chants, je lui avouais que, malgré tout ce que pouvaient
me dire autrefois les impies, j'ai toujours cru, qu'à l'heure de
notre mort, le bon Dieu nous fera rendre compte de tout le mal que nous
aurons fait pendant notre vie . »
Il est rapporté dans l'histoire
des Pères du désert, qu'un jeune solitaire disait à
un ancien : « Mon père, que faut-il faire quand je suis tenté,
surtout contre la sainte vertu de pureté ? » – « Mon
fils, lui dit le saint, pensez vite à la mort et aux tourments réservés
aux impudiques dans les enfers, et vous êtes sûr que cette
pensée chassera le démon. » Saint Jean Climaque nous
dit qu'un solitaire qui avait toujours la pensée de la mort gravée
dans son esprit, quand le démon voulait le tenter pour le porter
à se relâcher, s'écriait : « Ah ! malheureux,
voilà que tu vas mourir, et tu n'as encore rien fait pour être
présenté au bon Dieu. » Oui, M.F., une personne qui
veut sauver son âme, ne doit jamais perdre le souve-nir de la mort.
La pensée de la mort nous
fournit encore de pieuses ré-flexions : elle nous met toute notre
vie devant les yeux ; alors, nous pensons que tout ce qui nous réjouit
selon le monde pendant notre vie, nous fera verser des larmes à
l'heure de la mort ; tous nos péchés, qui ne doivent jamais
s'effacer de notre mémoire, sont autant de serpents qui nous dévorent
; le temps que nous avons perdu, les grâces que nous avons méprisées
: tout cela nous sera montré à la mort. D'après cela,
il est impossible de ne pas travail-ler à mieux vivre et à
cesser de faire le mal. Il est rapporté dans l'histoire, qu'un mourant,
avant de rendre le dernier soupir, fit ap-peler son prince, à qui
il avait été très fidèle pendant bien des an-nées.
Le prince s'y rendit avec empressement : « Demandez-moi, lui dit-il,
tout ce que vous voudrez, et vous êtes sûr de l'obtenir. »
– « Prince, lui dit ce pauvre mourant, je n'ai qu'une chose à
vous demander, c'est un quart d'heure de vie. » – « Hélas,
mon ami, lui reprit le prince, cela n'est pas en mon pouvoir, demandez-moi
toute autre chose, afin que je puisse vous l'accorder. » –
« Hélas ! s'écria le malade, si j'avais servi le bon
Dieu aussi bien que je vous ai servi, je n'aurais pas un quart d'heure
de vie, mais une éternité. » Même regret éprouva
un homme de loi, lorsqu'il fut près de sortir de la vie, sans avoir
pensé à sauver son âme : « Ah ! insensé
que je suis, moi qui ai tant écrit pour le monde ; et rien pour
mon âme ; il me faut mourir, je n'ai rien fait qui puisse me rassurer,
et il n'y a plus de remèdes ; je ne vois rien dans ma vie que je
puisse présenter au bon Dieu. » Heureux, M.F., s'il profita
lui-même de cela, c'est-à-dire, de ses bons sentiments.
3? Voici les réflexions que
la pensée de la mort doit nous faire faire : Si nous négligeons
de nous y préparer, nous serons séparés pendant toute
l'éternité de la compagnie de Jésus-Christ, de la
sainte Vierge, des anges et des saints, et nous serons, forcés d'aller
passer notre éternité avec les démons, pour brûler
avec eux. Nous lisons dans la vie de saint Jérôme, qu'une
longue expé-rience l’avait rendu si savant dans la science du salut,
qu'étant au lit de mort, il fut prié par ses disciples de
leur laisser, comme par testament, de toutes les vérités
de la morale chrétienne, celle dont il était le plus persuadé.
Que pensez-vous, M.F., que leur répondit ce grand saint docteur
? « Je vais mourir, leur dit-il, mon âme est sur le bord de
mes lèvres ; mais je vous déclare que de toutes les vérités
de la morale chrétienne, celle dont je suis le plus convain-cu,
c'est, qu'à peine, sur cent mille personnes qui auront mal vécu,
s'en trouvera-t-il une seule de sauvée en faisant une bonne mort,
parce que, pour bien mourir, il faut y penser tous les jours de sa vie.
Et ne croyez pas que ce soit un effet de ma maladie : je vous en parle
avec l'expérience de plus de soixante ans. Oui, mes en-fants, à
peine de cent mille personnes qui auront mal vécu, y en aura-t-il
une seul qui fasse une bonne mort ! Non, mes enfants, rien ne nous porte
mieux à bien vivre que la pensée de la mort !
Que conclure de tout cela ? M.F.,
le voici : c'est que si nous pensons souvent à la mort, nous aurons
un grand soin de conser-ver la grâce du bon Dieu ; si nous avons
le malheur d'avoir perdu cette grâce, nous nous hâterons de
la recouvrer, nous nous déta-cherons des biens et des plaisirs du
monde, nous supporterons les misères de la vie en esprit de pénitence,
nous reconnaîtrons que c'est le bon Dieu qui nous les envoie pour
expier nos péchés. Hé-las ! devons-nous dire en nous-mêmes,
je cours à grands pas vers mon éternité, tout à
l'heure, je ne serai plus de ce monde... Après ce monde, où
vais-je aller passer mon éternité ?... Serai-je dans le ciel
ou dans l'enfer ?... Cela dépend de la vie que je vais mener ; oui,
jeune ou vieux, je penserai souvent à la mort, afin de m'y préparer
de bonne heure.
Heureux, M.F., celui qui sera toujours
prêt ! C'est le bon-heur que je vous souhaite !...
16ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur l'Humilité
Omnis, qui se exaltat, humiliabitur,
et qui se humiliat, exaltabitur.
Quiconque s'élève
sera humilié, et quiconque s'abaisse sera élevé.
(S. Luc, XVIII, 14.)
Notre divin Sauveur, M.F., pouvait-il
nous montrer d'une manière plus claire et plus évidente,
la nécessité de nous humilier, c'est-à-dire d'avoir
de bas sentiments de nous-mêmes, soit dans nos pensées, soit
dans nos paroles, soit dans nos actions, si nous voulons espérer
d'aller chanter les louanges de Dieu pendant l'éternité ?
– Étant un jour dans la compagnie de plusieurs person-nes, et voyant,
dis-je, que plusieurs semblaient se glorifier du bien qu'elles avaient
fait et méprisaient les autres, Jésus-Christ leur proposa
cette parabole qui, selon toute apparence ; était une véri-table
histoire. « Deux hommes, leur dit-il, montèrent au temple
pour y faire leur prière ; l'un d'eux était pharisien, et
l'autre publi-cain. Le pharisien se tenant debout parlait ainsi à
Dieu : « Je vous rends grâce, ô mon Dieu, de ce que je
ne suis point comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes, adultères,
ni même comme ce publicain : je jeûne deux fois la semaine,
je donne la dîme de tout ce que je possède. » Voilà
sa prière, nous dit saint Augustin . Vous voyez bien que cette prière
n'est qu'une affecta-tion pleine de vanité et d'orgueil ; il ne
vient pas pour prier Dieu, ni lui rendre grâce : mais pour se louer
et insulter à celui-là même qu'il prie. Le publicain,
au contraire, se tenant loin de l'autel, n'osait même lever les yeux
au ciel ; il frappait sa poitrine, en di-sant : « Mon Dieu, ayez
pitié de moi, qui suis un pécheur. » – « Je vous
déclare, ajoute Jésus-Christ, que celui-ci s'en est retourné
chez lui justifié, et non pas l'autre. » Les péchés
du publicain lui sont pardonnés ; et le pharisien avec toutes ses
vertus rentre dans sa maison plus criminel qu'il n'en était sorti.
Si vous voulez en sa-voir la raison, la voici : c'est que l'humilité
du publicain, quoique pécheur, fut plus agréable à
Dieu que toutes les prétendues bon-nes œuvres du pharisien avec
son orgueil . Et Jésus-Christ conclut de là, que «
celui qui veut s'élever sera humilié, et que celui qui s'humiliera
sera élevé. » Voilà la règle, M.F., ne
nous y trompons pas, la loi est générale ; c'est notre divin
Maître qui vient la publier. « Quand vous auriez élevé
la tête jusqu'au ciel, dit le Seigneur, je vous en arracherais .
»
Oui, M.F., l'unique chemin qui conduit
à l'élévation pour l'autre vie, c'est l'humilité
. Sans l'humilité, cette belle et précieuse vertu, vous n'entrerez
pas plus dans le ciel, que sans le baptême . Comprenons donc aujourd'hui,
M.F., l'obligation que nous avons de nous humilier, et les motifs qui doivent
nous y engager. Je vais donc, M.F., vous montrer : 1? Que l'humilité
est une vertu qui nous est absolument nécessaire si nous voulons
que nos actions soient agréables à Dieu et récompensées
dans l'autre vie ; 2? Nous avons tous sujets de la prati-quer, soit du
côté de Dieu, soit du côté de nous-mêmes.
I. – Avant, M.F., de vous faire comprendre
le besoin que nous avons de cette belle vertu, qui nous est aussi nécessaire
que le baptême après le péché originel ; aussi
nécessaire, dis-je, que le sacrement de la pénitence après
le péché mortel, il faut vous dire en quoi consiste cette
aimable vertu, qui donne un si grand mérite à toutes nos
bonnes actions, et orne si richement toutes nos bon-nes œuvres. Saint Bernard,
ce grand saint qui l'a pratiquée d'une manière si extraordinaire,
qui a quitté biens, plaisirs, parents et amis, pour aller passer
sa vie dans les forêts, parmi les bêtes sau-vages, pour y pleurer
ses péchés, nous dit que l'humilité est une vertu
par laquelle nous nous connaissons nous-mêmes ; ce qui nous porte
à n'avoir que du mépris pour nous-mêmes, et à
ne prendre nullement plaisir à nous voir louer .
Je dis 1? que cette vertu nous est
absolument nécessaire si nous voulons que nos actions soient récompensées
au ciel ; puis-que Jésus-Christ nous dit lui-même que nous
ne pouvons pas plus nous sauver sans l'humilité que sans le baptême.
Saint Augustin nous dit : « Si vous me demandez quelle est la première
vertu d'un chrétien, je vous répondrai que c'est l'humilité
; si vous me de-mandez quelle est la deuxième, je vous dirai que
c'est l'humilité ; si vous redemandez quelle est la troisième,
je vous dirai encore que c'est l'humilité ; et autant de fois que
vous me ferez cette de-mande, je vous ferai la même réponse
. »
Si l'orgueil engendre tous les péchés
, nous pouvons de même dire que l'humilité engendre toutes
les vertus . Avec l'hu-milité, vous aurez tout ce qu'il vous faut
pour plaire à Dieu, sau-ver votre âme ; et, sans l'humilité,
avec toutes les autres vertus, vous n'avez rien. Nous lisons dans le saint
Évangile que quelques mères présentaient leurs
enfants à Jésus-Christ pour les faire bénir. Les apôtres
les faisaient retirer. Notre-Seigneur le trouvant mauvais, il leur dit
: « Laissez venir à moi ces petits enfants ; car le royaume
du ciel est à eux et à ceux qui leur ressemblent. »
Il les embrassait et leur donnait sa sainte bénédiction.
Pourquoi tant d'accueil de la part de ce divin Sauveur ? C'est que les
enfants sont simples, humbles et sans malice. De même, M.F., si nous
voulons être accueillis de Jésus-Christ, il faut que nous
soyons simples et humbles, dans tout ce que nous faisons. « Ce fut,
nous dit saint Bernard, ce fut cette belle vertu qui fut la cause que le
Père éternel regarda la sainte Vierge avec complaisance ;
et si, nous dit-il, la virginité attira les regards de Dieu, son
humilité fut causé qu'elle conçut le Fils de Dieu.
Si la sainte Vierge, est la Reine des vierges, elle est aussi la Reine
des humbles . » Sainte Thérèse demandait un jour à
Notre-Seigneur, pourquoi autrefois, le Saint-Esprit se communiquait avec
tant de facilité aux personnages de l'Ancien Testament, soit aux
patriarches, soit aux prophètes, et leur déclarait ses secrets,
tandis qu'il ne le faisait plus à présent. Notre-Seigneur
lui répondit, que c'était parce qu'ils étaient plus
simples et plus humbles, et qu'à présent les hommes ont le
cœur double et qu'ils sont remplis d'orgueil et de vanité. Dieu
ne se communique pas à eux, il ne les aime pas, comme il aimait
ces bons patriarches et ces prophètes, qui étaient simples
et humbles. Saint Augustin nous dit : « Si vous vous humiliez profondément,
et si vous reconnaissez que vous n'êtes rien, que vous ne méritez
rien, le bon Dieu vous donnera des grâces avec abondance ; mais si
vous voulez vous élever et vous croire quelque chose, il se retirera
de vous, et vous abandonnera dans votre pauvreté. »
Notre-Seigneur, pour nous bien faire
comprendre que l'hu-milité est la plus belle et la plus précieuse
de toutes les vertus, commence les béatitudes par l'humilité,
en disant : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume
des cieux leur appar-tient. » Saint Augustin nous dit que ces pauvres
d'esprit, sont ceux qui ont l'Humilité en partage . Le prophète
Isaïe dit à Dieu : « Seigneur, sur qui votre Esprit-Saint
descend-il ? Est-ce sur ceux qui ont grande réputation dans le monde
et sur les orgueilleux ? – Non, dit le Seigneur, mais sur celui qui a le
cœur humble . »
Non seulement cette vertu nous rend
agréables à Dieu, mais encore aux hommes. Tout le monde aime
une personne qui est humble ; l'on se plaît dans sa compagnie. D'où
vient qu'ordinai-rement les enfants sont aimés, sinon parce qu'ils
sont simples et qu'ils sont humbles ? Une personne qui est humble cède
à tout, ne contrarie jamais personne, ne fâche personne, se
contente de tout ; elle cherche toujours à se cacher aux yeux du
monde. Nous en avons un bel exemple dans la personne de saint Hilarion.
Saint Jérôme rapporte que ce grand saint était recherché
des empereurs, des rois et des princes, de la foule du peuple attiré
dans son désert par l'odeur de sa sainteté et par l'éclat
et le bruit de ses miracles ; mais que lui, au contraire, fuyait le monde
autant qu'il le pouvait. Il changeait souvent de cellule, afin de vivre
caché et inconnu ; il pleurait sans cessé à la vue
de cette multitude de religieux et du monde qui venaient à lui pour
être guéris de leurs maux. Regret-tant son ancienne solitude
: « Je suis, disait-il en pleurant, je suis retourné dans
le monde, je recevrai ma récompense dans cette vie, puisqu'on me
regarde comme une personne de quelque considéra-tion. » –
« Et rien, nous dit saint Jérôme, de plus admirable
que de le voir si humble parmi tant d'honneurs qu'on lui rendait. Le bruit
s'étant répandu, qu'il allait se retirer dans le fond du
désert et qu'on ne pourrait plus le voir, l'on mit vingt mille hommes
pour le garder ; mais le saint leur dit qu'il ne prendrait pas de nourriture
avant qu'on le laissât libre. On le garda pendant sept jours ; voyant
qu'il ne mangeait rien…. Il s'enfuit dans le désert le plus reculé,
où il se livra à tout ce que son amour pour Dieu put lui
inspirer. Ce fut seulement là qu'il crut commencer à servir
le bon Dieu . » Dites-moi, M.F., est-ce là une humilité,
un mépris de soi-même ? Hélas ! que ces vertus sont
rares ! mais aussi que les saints sont rares ! Autant on a de haine pour
un orgueilleux, au-tant on aime une personne humble, parce qu'elle prend
toujours la dernière place, elle respecte tout le monde et les estime
tous ; c'est ce qui fait qu'on aime tant la compagnie de ces personnes
qui ont de si belles qualités.
2? Je dis que l'humilité
est le fondement de toutes les autres vertus . Celui qui désire
servir le bon Dieu et sauver son âme, doit commencer à pratiquer
cette vertu dans toute son étendue. Sans quoi, notre dévotion
sera semblable à quelques bûches de paille que vous aurez
plantées, et qui, au premier coup de vent, seront renversées.
Oui, M.F., le démon craint fort peu ces dévotions qui n'ont
pas l'humilité pour fondement, parce qu'il sait bien qu'il les renversera
quand il voudra. Ce qui arriva à ce solitaire qui alla jusqu'à
marcher sur des charbons ardents sans se brûler ; mais qui, manquant
d'humilité, tomba quelque temps après dans les excès
les plus déplorables . Si vous n'avez pas l'humilité, dites
que vous n'avez rien, qu'à la première tentation vous serez
renversé. Il est rapporté dans la vie de saint Antoine ,
que le bon Dieu lui fit voir le monde tout rempli de lacets que le démon
avait tendus pour faire tomber les hommes dans le péché.
Il en fut si surpris, que son corps tremblait comme la feuille des forêts,
et s'adressant à Dieu : « Hélas ! Seigneur, qui pourra
éviter tant de pièges ? » Il entendit une voix qui
lui dit : « Antoine, celui qui sera humble ; parce que Dieu donne
sa grâce aux humbles pour résister aux tentations ; au lieu
qu'il permet que le démon se joue des orgueilleux, qui, dès
qu'ils seront dans l'occasion, tombe-ront dans le péché.
Au contraire, il n'ose pas attaquer les personnes qui sont humbles. »
Quand saint Antoine était tombé, il ne faisait que s'humilier
profondément devant le bon Dieu, en disant : « Hélas,
Seigneur, vous savez que je ne suis qu'un misérable pécheur
! » De suite, le démon prenait la fuite.
Lorsque nous sommes tentés,
M.F., tenons-nous cachés sous le voile de l'humilité, et
nous verrons que le démon aura peu de force sur nous. Nous lisons
dans la Vie de saint Macaire, qu'allant un jour dans sa cellule chargé
de feuilles de palmier, le démon vint au-devant de lui avec une
fureur épouvantable, voulant le frapper, et ne le pouvant, vu que
le bon Dieu ne lui en avait pas donné le pouvoir, il s'écria
: « O Macaire ! que tu me fais souf-frir ; je n'ai pas la force de
te maltraiter, quoique j'accomplisse plus parfaitement que toi tout ce
que tu fais : car tu jeûnes quel-quefois, mais, pour moi, je ne mange
jamais ; tu veilles quelque-fois, mais, pour moi, je ne dors jamais. Il
n'y a qu'une chose, en laquelle j'avoue que tu me surmontes. » Saint
Macaire lui deman-da en quoi c'était. – « C'est en ton humilité.
» Le saint se jeta la face contre terre, demanda au bon Dieu de ne
pas succomber à la tentation, et, de suite, le démon prit,
la fuite . Oh ! M.F., que cette vertu nous rend agréables à
Dieu, et qu'elle est puissante pour chasser le démon ! Mais qu'elle
est rare ! ce qui est bien facile à comprendre, puisqu'il y a si
peu de chrétiens qui résistent au démon lorsqu'ils
sont tentés.
Mais, afin que vous ne vous trompiez
pas et que vous connaissiez que vous ne l'avez jamais eue, entrons dans
un détail bien simple. Non, M.F., ce ne sont pas toutes les paroles
et toutes les belles manifestations de mépris de soi, qui nous prouvent
que nous l'avons. Avant de commencer, je vais vous citer un exemple, qui
vous prouvera que les paroles signifient peu de chose. Nous trouvons dans
la Vie des Pères , qu'un solitaire étant venu voir saint
Sérapion, ne voulait pas prier avec lui, parce que, disait-il, j'ai
tant commis de péchés que j'en suis indigne ; je n'ose même
respirer là où vous êtes. Se tenant assis à
terre, il n'osait pas même s'asseoir sur le même siège
que saint Sérapion. Saint Sérapion voulant lui laver les
pieds selon la coutume, il lui résista encore davantage. Voilà
une humilité qui, selon nous, a toute l'apparence d'être bien
sincère, et vous allez voir à quoi aboutit cette humilité.
Saint Sérapion se contenta de lui dire, qu'il ferait bien mieux
de rester dans sa solitude, que de courir de cellule en cellule en vi-vant
en vagabond, et de travailler pour vivre. Alors, le solitaire ne put s'empêcher
de montrer que son humilité n'était qu'une fausse vertu ;
il se monta contre le saint et le quitta. Sur quoi le saint lui dit : «
Eh ! mon fils, vous me disiez tout à l'heure que vous aviez fait
tous les crimes imaginables, que vous n'osiez ni prier ni man-ger avec
moi, et, pour un simple avertissement, qui n'a rien qui puisse vous offenser,
vous vous laissez aller à la colère ! Allez, mon ami, votre
vertu et toutes vos bonnes œuvres sont dénuées de la plus
belle qualité, qui est l'humilité. »
Nous voyons, par cet exemple, qu'il
y a bien peu de vérita-ble humilité. Hélas ! combien
en est-il qui, tant qu'on les flatte, qu'on les loue, ou du moins, qu'on
parait les estimer, sont tout de feu pour les pratiques de la piété,
ils donneraient tout et se dé-pouilleraient de tout ; mais un petit
reproche, un air d'indifférence leur jette l'amertume dans le cœur,
les tourmente, leur arrache des larmes, leur fait prendre mauvaise humeur,
leur fait faire mille ju-gements téméraires, pensant qu'on
les traite indignement, qu'on ne le ferait pas à un autre. Hélas
! que cette belle, vertu est rare parmi les chrétiens de nos jours
! que de vertus qui n'ont que l'apparence et qui, au premier coup, sont
emportées !
Mais en quoi consiste l'humilité
? – Le voici : je vous dirai d'abord qu'il y a deux sortes d'humilité,
l'une intérieure et l'autre extérieure. L'humilité
extérieure consiste, 1? à ne pas se louer d'avoir bien réussi
dans quelque ouvrage que nous avons fait, à ne pas le répéter
au monde ; à ne pas raconter nos traits de folie, les voyages que
nous avons faits, notre adresse et notre habileté, ni ce que l'on
nous a dit peut-être à notre avantage ; 2? à cacher
le bien que nous pouvons avoir fait, comme sont nos aumônes, nos
priè-res ; nos pénitences, les services que nous avons rendus
au pro-chain, les grâces intérieures que le bon Dieu nous
a faites ; 3? à ne pas prendre plaisir quand on nous loue ; à
tâcher de détourner la conversations attribuant à Dieu
le bon succès dont on nous loue ; ou à faire connaître
que cela nous fait de la peine, et nous en aller, si nous le pouvons ;
4? à ne jamais dire du bien ni du mal de soi-même. Il y en
a qui disent souvent du mal d'eux, afin qu'on les loue : ceci est une fausse
humilité, qu'on appelle une humilité à crochet. Ne
dites rien de vous, contentez-vous de penser que vous êtes un misérable,
qu'il faut toute la charité d'un Dieu pour vous souffrir sur la
terre ; 5? il ne faut jamais se disputer avec ses égaux ; il faut
leur céder dans tout ce qui n'est pas contraire à la conscience
; ne pas toujours croire qu'on a droit ; quand on l'au-rait, il faut vite
penser que l'on pourrait bien se tromper, comme cela est. arrivé
tant d'autres fois ; et surtout ne jamais s'opiniâtrer à avoir
le dernier mot, ce qui montre un esprit très orgueilleux ; 6? il
ne faut jamais témoigner de la tristesse lorsqu'on paraît
nous mépriser, ni aller s'en plaindre à d'autres ; cela montrerait
que nous n'avons point d'humilité, puisque si nous en avions, nous
ne trouverions jamais que l'on nous méprise, parce que jamais l'on
ne pourra nous traiter comme nous le méritons à cause de
nos pé-chés ; au contraire, il faut en remercier le bon Dieu,
comme le saint roi David, qui rendait le bien pour le mal , en pensant
com-bien il avait lui-même méprisé le Seigneur par
ses péchés ; 7? il faut être bien content quand on
vous méprise, à l'exemple de Jé-sus-Christ, dont il
est dit « qu'il se rassasiait d'opprobres , » et à l'exemple
des apôtres, de qui il est dit « qu'ils avaient une grande
joie d'être trouvés dignes de souffrir quelque mépris,
quelques ignominies pour l'amour de Jésus-Christ ; » ce qui
fera tout notre bonheur et notre espérance à la mort ; 8?
nous ne devons pas nous excuser de nos fautes, quand nous avons fait quelque
chose qui peut nous faire blâmer ; ne pas faire penser que ce n'est
pas, soit par des mensonges ou des détours, ou par notre air qui
semble dire que ce n'est pas nous. Quand même nous serions accusés
à fort, pourvu que la gloire du bon Dieu n'y soit pas intéressée,
nous ne devons rien dire. Voyez ce qui arriva à cette jeune fille
à qui on avait donné le nom de frère Marin .....Hélas
! qui de nous aurait été mis à des épreuves
pareilles à celle-là sans se justifier, le pouvant si facilement
? 9? cette humilité consiste à faire tout ce qu'il y de plus
dégoûtant, ce que les autres ne veulent pas faire, et à
aimer à être vêtu simplement.
Voilà, M.F., en quoi consiste
l'humilité extérieure. Mais en quoi consiste l'intérieure
? Le voici. Elle consiste, 1? à avoir de bas sentiments de soi-même,
ne jamais s'applaudir dans son cœur, quand on a fait quelque chose qui
a bien réussi, mais se croire in-digne et incapable de faire aucune
bonne action, fondé sur les pa-roles de Jésus-Christ même,
qui nous dit que, sans lui, nous ne pouvons rien faire de bon ; nous
ne pouvons pas même pronon-cer une parole, comme dire le saint nom
de Jésus, sans le secours du Saint-Esprit ; 2? être
bien aise que les autres connaissent, nos défauts, afin d'avoir
l'occasion de nous tenir dans notre néant ; 3? être bien content
que les autres nous surpassent en biens, en es-prit, en vertu, ou en tout
autres choses ; se soumettre à la volonté, au jugement d'autrui,
toutes les fois que ce n'est pas contre la conscience. Oui, M.F., une personne
véritablement humble doit être semblable à un mort
qui, ni ne se fâche pour les injures qu'on lui fait, ni ne se réjouit
pour les louanges qu'on lui donne.
Voilà, M.F., ce que c'est
que de posséder l'humilité chré-tienne, qui nous rend
si agréables à Dieu et si aimables au pro-chain. Voyez à
présent, si vous l'avez ou non. Et, si vous ne l'avez pas, il ne
vous reste pour vous sauver qu'à la demander au bon Dieu, jusqu'à
ce que vous l'obteniez ; parce que, sans elle, nous n'entrerons pas dans
le ciel. Nous lisons dans la vie de saint El-zéar, qu'ayant été
en danger de périr sur la mer, avec tous ceux qui étaient
dans le vaisseau, le danger étant passé, sainte Del-phine,
son épouse, lui demanda s'il n'avait pas eu peur ? Il lui ré-pondit
: « Quand je suis en pareil danger, je me recommande à Dieu,
et tous ceux qui sont avec moi ; et, je lui dis que s'il y en a qui doivent
mourir, ce soit moi, comme étant le plus misérable et le
plus indigne de vivre . » Quelle humilité !... Saint Bernard
était si pénétré de son néant, que quand
il entrait dans une ville, il se mettait à genoux pour prier le
bon Dieu de ne pas punir cette ville à cause de ses péchés
; il croyait que partout où il allait, il n'était capable
que d'attirer la malédiction dans l'endroit . Quelle humilité,
M.F. ! un si grand saint, dont la vie n'était qu'une chaîne
de miracles !
Il faut, M.F., que tout ce que nous
faisons, soit accompagné de cette belle vertu, si nous voulons que
ce soit récompensé dans le ciel . En faisant vos prières,
avez-vous cette humilité qui vous fait vous regarder comme des misérables,
indignés d'être en la sainte présence de Dieu ? Ah
! si cela était, vous ne vous conten-teriez pas de les faire en
vous habillant ou en travaillant. Non, vous ne l'avez pas. Si vous l'aviez,
lorsque vous êtes à la sainte Messe, avec quel respect, avec
quelle modestie, avec quel trem-blement ne vous y tiendriez-vous pas ?
Ah ! non, non, l'on ne vous verrait pas rire, causer, tourner la tête,
promener vos regards dans l'église, y dormir, y faire vos prières
sans dévotion, sans amour de Dieu. Bien loin de trouver les offices
longs, vous ne pourriez plus en sortir, pensant combien il faut que la
miséricorde de Dieu soit grande de vous souffrir parmi les fidèles,
vous qui méritez, par vos pêchés d'être maintenant
parmi les réprouvés. Si vous aviez cette vertu, lorsque vous
demandez quelque grâce au bon Dieu, vous feriez comme la Chananéenne
qui se jeta à ge-noux aux pieds du Sauveur devant tout le monde
; comme Mag-deleine, qui baisa les pieds du Sauveur dans une nombreuse
as-semblée . Si vous l'aviez, vous feriez comme cette femme, qui,
depuis douze ans, était atteinte d'une perte de sang, et alla avec
tant d'humilité se jeter devant le Sauveur, pour toucher humble-ment
son manteau . Si vous aviez l'humilité d'un saint Paul, qui avait
été élevé jusqu'au troisième ciel ,
et ne se regardait que comme un avorton, le dernier des apôtres,
indigne du nom qu'il portait !... O mon Dieu ! que cette vertu est
belle ; mais qu'elle est rare !... Si vous aviez cette vertu, M.F., lorsque
vous vous confessez, ah ! que vous seriez éloignés de cacher
vos péchés, de les raconter comme une histoire faite à
plaisir, et surtout de ra-conter ceux des autres ! Ah ! de quel tremblement
ne seriez-vous pas saisis, voyant la grandeur de vos péchés,
les outrages qu'ils ont faits à Dieu ; et voyant d'un autre côté
la charité qu'il a de vous pardonner ? Mon Dieu ! ne mourrait-on
pas de douleur et de reconnaissance ?... Si après avoir confessé
vos péchés, vous aviez cette humilité dont nous parle
saint Jean Climaque , qui, étant dans un monastère, nous
dit y avoir vu lui-même des religieux si humbles, si humiliés
et si mortifiés, qui sentaient de telle sorte le poids de leurs
péchés, que le bruit de leurs cris, et les prières
qu'ils adressaient à Dieu étaient capables de toucher des
cœurs aussi durs que la pierre. Il y en avait qui étaient tout couverts
d'ul-cères, dont il sortait une puanteur insupportable ; ils avaient
si peu soin de leurs corps, qu'ils n'avaient plus que la peau attachée
aux os. L'on entendait retentir le monastère des cris les plus déchi-rants.
« Ah ! malheur à nous qui sommes misérables ! Avec
jus-tice, mon Dieu, vous pouvez nous précipiter dans les enfers
! » D'autres s'écriaient : « Ah ! Seigneur, pardonnez-nous,
si nos âmes peuvent encore recevoir quelque pardon ! » Ils
avaient tous l'image de la mort devant les yeux ; ils se disaient les uns
aux au-tres : « Que deviendrons-nous, après avoir eu le malheur
d'offen-ser un Dieu si bon ? Pourrons-nous avoir quelque espérance
pour le jour des vengeances ? » D'autres demandaient d'être
jetés dans la rivière pour être mangés des bêtes.
Le supérieur voyant saint Jean Climaque, lui dit : Eh bien ! mon
Père, avez-vous vu nos soldats ? » Saint Jean Climaque nous
dit qu'il ne put ni parler, ni prier : car les cris de ces pénitents,
si profondément humiliés, lui arrachaient malgré lui
des larmes et des sanglots. Pourquoi est-ce, M.F., que nous n'avons point
d'humilité, quoique nous soyons bien plus coupables ? Hélas
! c'est que nous ne nous connaissons pas !
II. – Oui, M.F., un chrétien
qui se connaît bien, tout doit le porter à s'humilier. Je
veux dire trois choses : la considération des grandeurs de Dieu,
les abaissements de Jésus-Christ et notre pro-pre misère.
1? quel est celui, M.F., qui pourrait considérer la grandeur d'un
Dieu, sans s'anéantir en sa présence, en pensant que, de
rien, il a créé le ciel par une seule parole, et qu'un seul
de ses regards pourrait tout anéantir ? Un Dieu qui est si grand,
et dont la puissance n'a point de borne, un Dieu rempli de toutes sor-tes
de perfections, un Dieu avec son éternité sans fin, sa justice
si grande, sa providence qui gouverne tout avec tant de sagesse et qui
pourvoit à nos besoins avec tant de soin ! tandis que nous-mêmes,
nous ne sommes qu'un vil néant ! O mon Dieu ! ne de-vrions-nous
pas, à bien plus forte raison, craindre, comme saint Martin, que
la terre ne s'ouvrît sous nos pieds pour nous engloutir, tant nous
sommes indignes de vivre ? A cette vue, M.F., ne feriez-vous pas comme
cette grande pénitente dont il est parlé dans la vie de saint
Paphnuce ? Ce bon vieillard, dit l'auteur de sa vie, étant
allé trouver cette pécheresse, fut bien surpris de l'entendre
parler de Dieu. Le saint abbé lui dit : « Savez-vous bien
qu'il y a un Dieu ? » – « Oui, lui dit-elle ; de plus, je sais
qu'il y a un royaume pour ceux qui vivent selon ses commandements, et un
enfer où les méchants seront jetés pour y brûler,
» – « Si vous connaissez toutes ces choses, comment, en perdant
tant d'âmes, vous exposiez-vous donc à y brûler ? »
La pécheresse connaissant à ces paroles que c'était
un homme de Dieu, se jeta à ses pieds fondant en larmes : «
Mon père, lui dit-elle, donnez-moi telle pé-nitence que vous
voudrez, et je la ferai. » Il la renferma dans une cellule, en lui
disant : « Étant si criminelle que vous l'êtes, vous
ne méritez pas de prononcer le nom du bon Dieu ; vous vous contenterez
de vous tourner vers l'orient, et, pour toute prière, vous direz
: O vous qui m'avez créée, ayez pitié de moi ! »
Voilà toute sa prière. Sainte Thaïs passa trois ans
à faire cette prière, à verser des larmes et pousser
des sanglots le jour et la nuit. O mon Dieu ! que l'humilité nous
fait bien connaître ce que nous som-mes ! 2? Nous disons que l'anéantissement
de Jésus-Christ doit nous humilier encore bien davantage. «
Quand je considère, nous dit saint Augustin, un Dieu, qui, depuis
son incarnation jusqu'à la croix, n'a mené qu'une vie d'humiliations
et d'ignominies, un Dieu méconnu sur la terre, moi je craindrais
de m'humilier ? Un Dieu cherche les humiliations, moi, ver de terre, je
voudrais m'éle-ver ? » Mon Dieu ! de grâce, détruisez
cet orgueil qui nous éloi-gne tant de vous.
Le troisième motif, M.F.,
qui doit nous humilier, c'est notre propre misère. Nous n'avons
qu'à la regarder un peu de près, nous y trouverons une infinité
de sujets de nous humilier. Le prophète Michée nous, dit
: « Que nous portons au milieu de nous le prin-cipe et les motifs
de notre humiliation. Ne savons-nous pas, dit-il, que le néant est
notre origine, qu'une infinité de siècles se sont écoulés
avant que nous fussions, et que, de nous-mêmes, nous n'aurions jamais
pu sortir de cet affreux et impénétrable abîme ? Pouvons-nous
ignorer que tout créés que nous sommes, nous avons un violent
penchant vers le néant, et qu'il faut que la main puissante de celui
qui nous en a tirés, nous empêche d'y retomber, et que, si
le bon Dieu cessait de nous regarder et de nous soutenir, nous serions
effacés de dessus la terre, avec la même rapidité qu'une
paille emportée par une furieuse tempête ? » Qu'est-ce
donc que l'homme pour se vanter de sa naissance et de ses autres avantages
? » Hélas ! nous dit le saint homme Job, que sommes-nous ?
ordure avant de naître, misère quand nous venons au monde,
infection quand nous en sortons. Nous naissons d'une femme, nous dit-il
, nous vivons peu de temps ; pendant notre vie, quoiqu'elle soit bien courte,
nous pleurons beaucoup, la mort ne tarde guère à nous frapper.
» – « Voilà notre partage, nous dit saint Grégoire,
pape, jugez d'après cela, si nous pouvons trouver lieu de nous élever
dans la moindre chose du monde ? de sorte que celui qui ose avoir la témérité
de croire qu'il est quelque chose, est un insensé, qui ne s'est
jamais connu, parce que, nous connaissant tels que nous sommes, nous ne
pouvons qu'avoir hor-reur de nous-mêmes. »
Mais nous n'avons pas moins sujet
de nous humilier dans l'ordre de la grâce. Quelques dons et quelques
talents que nous ayons, nous les tenons tous de la main libérale
du Seigneur, qui les donne à qui il lui plaît, et, par conséquent,
nous ne pouvons pas nous en glorifier. Un concile nous a déclaré
que l'homme, bien loin d'être l'auteur de son salut, n'est capable
que de se per-dre, et qu'il n'a de soi-même que le péché
et le mensonge. Saint Augustin nous dit que toute notre science consiste
à savoir que nous ne sommes rien, et que tout ce que nous avons
nous le te-nons de Dieu.
Enfin, je dis que nous devons nous
humilier par rapport à la gloire et au bonheur que nous attendons
dans l'autre vie, car, de nous-mêmes, nous ne pouvons pas le mériter.
Si le bon Dieu est si bon que de nous le donner, nous ne pouvons compter
que sur la miséricorde de Dieu et sur les mérites infinis
de Jésus-Christ son Fils. Comme enfants d'Adam, nous ne méritons
que l'enfer. Oh ! que le bon Dieu est charitable de nous donner l'espérance
de tant de biens, à nous qui n'avons rien fait pour les mériter
!
Que devons-nous conclure de cela
? M.F., le voici c'est de bien demander au bon Dieu, tous les jours, l'humilité,
c'est-à-dire, qu'il nous fasse la grâce de connaître
que nous ne sommes rien de nous-mêmes, et que les biens, soit du
corps, soit de l'âme, nous viennent de lui... Pratiquons l'humilité
toutes les fois que nous le pouvons ; .... soyons bien persuadés
qu'il n'y a point de vertu plus agréable à Dieu que l'humilité,
et qu'avec elle, nous aurons toutes les autres. Quelque pécheurs
que nous soyons, nous sommes sûrs qu'avec l'humilité, le bon
Dieu nous pardonnera. Oui, M.F., atta-chons-nous à cette belle vertu
; c'est elle qui nous unira à Dieu, qui nous fera vivre en paix
avec notre prochain, qui rendra nos croix moins pesantes, qui nous donnera
cette grande espérance que nous verrons Dieu un jour. Il nous dit
lui-même : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce qu'ils
verront Dieu ! » C'est ce que je vous souhaite.
17ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur l'amour de Dieu
Diliges Dominum Deum tuum.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.
(S. Luc, X, 27.)
Nous lisons dans l'Évangile, M.F., qu'un jeune homme s'étant présenté devant Jésus-Christ, lui dit : « Maître, que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? » Jésus-Christ lui répondit : « Qu'est-il écrit dans la loi ? » – « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, lui répondit le jeune homme, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » – « Mais je fais tout cela. » – « Eh bien ! lui repartit Jé-sus-Christ, vendez votre bien, donnez-le aux pauvres, et vous au-rez un trésor dans le ciel. » Ce mot de vendre son bien pour le donner aux pauvres, le chagrina grandement. Jésus-Christ voulait lui montrer que c'est par les œuvres et non par les paroles que nous faisons voir si nous aimons véritablement le bon Dieu. Si, pour l'aimer, nous dit saint Grégoire, il suffisait de dire qu'on l'aime, cet amour divin ne serait pas aussi rare qu'il l'est, parce qu'il n'y a pas une personne qui, étant interrogée si elle aime le bon Dieu, ne réponde aussitôt qu'elle l'aime de tout son cœur : le juste le dira et le pécheur aussi, encore le juste ne le dira-t-il qu'en tremblant, à l'exem-ple de saint Pierre ; au lieu que le pécheur le dira peut-être avec un ton d'assurance, qui semblera répon-dre de sa sincérité ; mais il se trompe grandement, parce que l'amour de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans les œuvres . Oui, M.F., aimer le bon Dieu de tout son cœur est une chose si juste, si raisonnable, et, en quelque sorte, si naturelle, que ceux d'entre nous dont la manière de vivre lui est le plus opposée, ne laissent pas que de prétendre et d'être persuadés qu'ils l'aiment. Pourquoi tous croient-ils qu'ils aiment le bon Dieu, quoique leur conduite soit tout à fait opposée à cet amour divin ? Ah ! M.F., c'est que tout le monde cherche son bonheur, et que cet amour seul peut nous le procurer ; voilà pourquoi l'on veut se persuader que l'on aime le bon Dieu. Cependant rien de si rare que cet amour divin. Voyons donc en quoi consiste cet amour, et à quoi nous pouvons connaître si nous aimons Dieu. Pour mieux le comprendre, considérons, d'un côté, ce que Jésus-Christ a fait pour nous, et de l'autre, ce que nous devons faire pour lui.
I. – Il est très certain,
M.F., que le bon Dieu ne nous a créés que pour l'aimer et
le servir. Toutes les créatures qui sont sur la terre sont créées
pour l'homme, mais l'homme est créé pour aimer le bon Dieu.
Pourquoi est-ce, M.F., que le bon Dieu nous a donné un cœur dont
les désirs sont si vastes et si étendus, que rien de créé
n'est capable de le rassasier ? C'est afin de nous forcer, en quelque sorte,
à ne nous attacher qu'à lui et à n'aimer que lui ;
parce qu'il n'y a que lui qui puisse nous contenter. Quand l'homme posséderait
l'univers entier, il ne sera jamais pleinement satisfait ; il lui restera
toujours quelque chose à désirer, de sorte que rien de créé
ne pourra le remplir. Oui, nous sommes si persuadés que nous sommes
créés pour être heureux, que nous ne cessons pas un
seul instant de notre vie de chercher le bonheur, et de faire tout, ce
qui dépend de nous pour nous le procurer. D'où vient donc
que, malgré toutes nos recherches, toutes nos peines et tous nos
soins, nous ne nous trouvons pas encore contents ? Hélas ! c'est
que nous ne portons pas nos regards ni les mouvements de notre cœur vers
l'objet qui seul est capable de remplir la vaste étendue de nos
désirs, Dieu seul. Non, M.F., non, jamais vous ne pourrez vous contenter
et être pleinement heureux, du moins autant qu'il est possible de
l'être dans ce monde, si vous ne méprisez pas, au moins de
cœur, les choses créées pour ne vous attacher qu'à
Dieu seul. Nous devons donc appliquer tous nos soins et tous les mou-vements
de notre cœur à ne désirer et à ne chercher que Dieu
seul en tout ce que nous faisons, sans quoi, notre vie se passera à
cher-cher vainement un bonheur que nous ne trouverons jamais. Nous nous
sommes donc trompés jusqu'à présent ; puisque, malgré
tout ce que nous avons fait pour être heureux, nous n'avons pas pu
l'être. Croyez-moi, M.F., cherchez l'amitié du bon Dieu, et
vous aurez trouvé votre bonheur. O mon Dieu ! que l’homme est aveu-gle
de ne pas vous aimer ; puisque vous pouvez si bien contenter son cœur !
Mais, M.F., pour vous engager à aimer un Dieu si bon, si digne d'être
aimé, et si capable de remplir toutes les affections de notre cœur,
jetons un coup d'œil sur ce qu'il a fait pour nous ; suivons-le dans le
cours de sa vie mortelle et jusqu'après sa mort.
Voyez-le, M.F., depuis le moment
de son incarnation jus-qu'à l'âge de trente ans, ne sont-elles
pas grandes, les preuves de son amour pour nous ? Qu'a-t-il fait dans son
incarnation ? Il s'est fait homme comme nous et pour nous. Dans sa naissance
il nous a élevés à la dignité la plus éminente
à laquelle une pure créature puisse être élevée
; il est devenu notre frère !... O quel amour pour nous ! l'avons-nous
jamais bien compris ?... Dans sa circoncision, il s'est fait notre Sauveur.
Mon Dieu ! que votre charité est grande !... Dans son épiphanie,
il est devenu notre lumière, notre guide. Dans sa présentation
au temple, il est devenu notre pontife, notre docteur ; oh ! que dis-je,
M.F. ? il s'est offert à son Père pour nous racheter tous.
Plus tard, c'est-à-dire, dans la maison de saint Joseph, il est
devenu notre modèle, pour l'amour et le respect que nous devons
avoir pour nos parents et nos supérieurs. Disons mieux encore :
il nous a montré comment nous devions mener une vie cachée
et inconnue au monde, si nous voulions plaire à Dieu son Père.
Suivons Jésus-Christ dans sa vie agissante, tout ce qu'il a fait,
il l'a fait pour nous : ses prières, ses larmes, ses veilles, ses
jeûnes, ses prédications, ses voyages, ses conversations,
ses miracles ; oui, tout cela a été fait pour nous. Voyez,
M.F., avec quel zèle il nous a cherchés, dans la personne
de la Samaritaine ; voyez avec quelle tendresse il reçoit
tous les pécheurs, et nous le sommes tous, dans la personne de l'enfant
prodigue ; voyez avec quelle bonté il s'oppose à la justice
de son Père, qui veut nous punir dans la personne de la pécheresse
. Dans sa vie souffrante, hélas ! que d'injures, que de tourments
n'a-t-il pas endurés ? Il a été garrotté, souffleté,
accusé, condamné, et enfin, crucifié pour nous. N'est-il
pas mort pour nous, au milieu d'opprobres et de douleurs incompréhensibles
? Ah ! M.F., qui pourrait comprendre tout ce que son bon cœur a fait pour
nous ?... Entrons plus avant dans la plaie de ce bon cœur. Oui, Jésus-Christ
pouvait satisfaire à la justice de son Père, pour nos péchés,
par une goutte de son sang, par une seule larme, ah ! que dis-je ? par
un seul soupir ; mais ce qui pouvait satisfaire à la justice de
son Père ne pouvait pas satisfaire la tendresse de son cœur pour
nous. C'est encore son amour pour nous qui l'a fait souffrir d'une manière
anticipée, dans le jardin des Olives, les souffrances qu'il devait
endurer sur la croix. O abîme de tendresse d'un Dieu pour ses créatures
!… Jésus-Christ s'est-il contenté de nous aimer jusqu'à
la fin ? Non, M.F., non. Après sa mort, la lance, ou plutôt
son amour a ouvert son divin cœur, pour nous ouvrir comme un asile, où
nous viendrions nous cacher et nous consoler dans nos peines, nos chagrins
et nos autres misères.
Mais, allons plus loin, M.F. Il
veut, ce divin Sauveur, répan-dre pour nous jusqu'à la dernière
goutte de son sang précieux, afin de nous laver de toutes nos iniquités.
Après avoir expié nos pé-chés d'orgueil par
son couronnement d'épines ; par le fiel et le vi-naigre, les péchés
que nous avons le malheur de commettre par notre langue, et qui sont en
si grand nombre ; tous nos péchés d'impureté par sa
cruelle et douloureuse flagellation ; tous ceux que nous avons commis par
nos mains, c'est-à-dire, toutes les mau-vaises actions que nous
avons faites, par les plaies de ses pieds et de ses mains ; il a voulu
encore expier tous nos péchés par la blessure de son divin
Cœur parce que c'est dans le cœur que tous nos péchés prennent
naissance. O prodige d'amour d'un Dieu pour ses créatures !... Il
est offensé par nous et il est puni pour nous, et c'est sur lui-même
qu'il se venge des offenses que nous lui avons faites !...Hélas
! si nous n'étions pas aussi aveugles que nous le sommes, nous reconnaîtrions
que ce sont nos mains qui, véritablement, l'ont immolé sur
la croix.
Mais, encore une fois, M.F., pourquoi
tant de prodiges d'amour ? Ah ! vous le savez ; c'est pour nous délivrer
de toutes sortes de maux, et nous mériter toutes sortes de biens
pour l'éter-nité. Et si, malgré cela, nous venons
encore à l'offenser, nous voyons qu'il est prêt à nous
pardonner, à nous aimer et à nous combler de toutes sortes
de biens, si nous voulons l'aimer. O quel amour pour des créatures
si insensibles et si ingrates ! ...
Son amour va encore plus loin. Voyant
que la mort allait le séparer de nous, et afin de rester parmi nous,
il fit un grand mira-cle : il institua ce grand sacrement d'amour, où
il nous laisse son corps adorable et son sang précieux, pour ne
jamais plus nous quitter, jusqu'à la fin du monde. Quel amour pour
nous, M.F., qu'un Dieu veuille bien nourrir notre âme de sa propre
substance et nous faire vivre de sa propre vie ! Par le moyen de ce grand
et adorable sacrement, il s'offre, chaque jour, à la justice de
son Père, satisfait de nouveau pour nos péchés, et
nous attire toutes sortes de grâces. Voyez encore, M.F., ce tendre
Sauveur qui, mort pour notre salut, nous ouvre le ciel. Pour nous y conduire
tous, il va lui-même être notre médiateur ; c'est lui-même
qui va présen-ter toutes nos prières à son Père
et demander grâce pour nous, chaque fois que nous aurons le malheur
de pécher. Oui, M.F., il nous attend dans ce lieu de bonheur, dans
ce séjour où l'on aime toujours et où l'on n'offense
jamais...
Non, M.F., jamais vous n'avez bien
réfléchi comme le bon Dieu vous aime. Est-il bien possible
que nous ne vivions que pour l'offenser, puisque nous ne pouvons être
heureux qu'en l'aimant ? Sans doute, si je vous demandais si vous aimez
le bon Dieu, vous me diriez que vous l'aimez ; mais cela ne suffit pas
; il faut en donner la preuve. Mais, où sont-elles, M.F., ces preuves
qui mani-festent la sincérité de notre amour pour le bon
Dieu ? Où sont les sacrifices que nous avons faits pour lui ? Où
sont nos pénitences ? Hélas ! le peu de bien que nous faisons,
est fait en grande partie sans goût, sans avoir une intention bien
droite. Que de vues hu-maines !... que de bonnes œuvres faites par pur
penchant et sans véritable dévotion ! Hélas ! M.F.,
quelle pauvreté !...
II. – Maintenant, M.F., si vous voulez
savoir comment nous pouvons connaître si nous aimons véritablement
le bon Dieu, écoutez bien ce que je vais vous dire, et ensuite,
vous allez vous-mêmes juger si vous l'aimez en vérité.
Voilà ce que Jésus-Christ nous dit lui-même : «
Celui qui m'aime garde mes commande-ments , mais celui qui ne m'aime pas
ne les garde pas. » Il vous est donc bien facile de savoir si vous
aimez le bon Dieu. Les com-mandements de Dieu ou sa volonté, M.F.,
ne sont qu'une même chose. Il vous ordonne et veut que vous remplissiez
bien tous les devoirs de votre état, avec des intentions bien pures
et bien droites, sans humeur, sans impatience, sans négligence,
sans fraude dans la vérité ni dans la bonne foi. Nous devons
avoir un amour généreux envers le bon Dieu, qui nous fasse
préférer la mort à l'infidélité. De
cela, M.F., nous avons des exemples à l'in-fini dans tous les saints,
et surtout dans les martyrs dont beaucoup se sont laissés couper
en morceaux, plutôt que de cesser d'aimer le bon Dieu. En voici un
bel exemple dans la personne de la chaste Suzanne . Étant allée
un jour au bain, deux vieillards, qui étaient juges du peuple d'Israël,
l'ayant aperçue, conçurent le des-sein de la solliciter au
péché ; ils la suivirent, lui proposèrent leur infâme
dessein, dont elle eut horreur. Levant les yeux au ciel, elle dit : «
Seigneur, vous savez que je vous aime, soutenez-moi. » « Je
me vois dans la peine de toutes parts, dit-elle aux vieillards ; nous sommes
ici en la présence de Dieu qui nous voit ; si j'ai le malheur de
consentir à votre passion honteuse, je n'échapperai pas à
la main de Dieu ; il est mon juge, je sais qu'il me fera rendre compte
d'une action aussi lâche et aussi criminelle. Si, au contraire, je
ne consens pas à vos désirs, je n'échapperai pas à
vos ressentiments ; je vois bien que vous allez me faire mourir ; mais
j'aime mieux mourir qu'offenser Dieu. » Ces misérables, se
voyant ainsi rebutés, sortirent avec colère, et publièrent
aussitôt que Suzanne avait été surprise en adultère,
qu'ils avaient vu un jeune homme faisant le mal avec elle. Malheureusement,
hélas ! on les crut, et, sur leur témoignage, elle fut condamnée
à la mort. Lorsqu'on la conduisait au supplice, un enfant de douze
ans, qui était le petit Daniel, s'écria du milieu de la foule
: « Que faites-vous, peuple d'Israël, pourquoi condamnez-vous
le juste ? je vous déclare que je ne prends point part au crime
que vous allez com-mettre, en versant le sang de cette innocente. »
Le jeune Daniel, s'étant approché du peuple, leur dit : «
Faites venir les deux vieil-lards. » Les ayant fait séparer
l'un de l'autre, il les interrogea. Ils se coupèrent dans leurs
paroles de telle manière que l'on ne put douter qu'ils étaient
eux-mêmes coupables, et non Suzanne ; ils furent condamnés
tous deux à la mort. Voilà ce que fait, M.F., une personne
qui aime le bon Dieu, en montrant dans l'épreuve qu'elle l'aime
véritablement, qu'elle l'aime plus que soi-même, Suzanne n'en
pouvait pas donner une marque plus grande, puis-qu'elle choisit la mort
de préférence au péché. Il n'est pas douteux,
que, quand il ne faut que des paroles pour dire qu'on aime le bon Dieu,
il n'en coûte guère. Tous croient qu'ils aiment le bon Dieu
et tous osent se le persuader ; mais si le bon Dieu nous mettait à
l'épreuve, combien peu auraient le bonheur de la soutenir !
Voyez encore ce qui arriva sous
le règne d'Antiochus . Ce cruel tyran commanda aux Juifs, sous peine
de mort, de manger de la viande défendue par la loi dix Seigneur.
Un saint vieillard nommé Eléazar, qui avait toujours vécu
dans la crainte et l'amour de Dieu, refusa courageusement d'obéir
; il fut condamné à mort. « Il ne tient qu'à
vous, lui dit un de ses amis, de sauver votre vie, comme nous l'avons fait
nous-mêmes. Voilà de la viande qui n'a pas été
offerte aux idoles : mangez-la, cette petite dissimulation apaisera le
tyran. » Le saint vieillard leur répondit : « Croyez-vous
que je sois bien attaché à la vie, et que je la préfère
à l'amour que je dois à mon Dieu ? Et quand même j'échapperais
à la fureur du tyran, croyez-vous que je puisse échapper
à la justice de Dieu ? Non, non, mes amis, j'aime mieux mourir que
de déshono-rer ma religion et offenser mon Dieu que j'aime plus
que moi-même. Non, il ne sera jamais dit qu'à l'âge
de quatre-vingt-dix ans j'abandonne mon Dieu et sa loi sainte. »
Lorsqu'on le conduisait au supplice, et que le bourreau le tourmentait
cruellement, on l'en-tendait s'écrier : « Mon Dieu, vous savez
que c'est pour vous que je souffre. Soutenez-moi, vous savez que c'est
parce que je vous aime ; oui, mon Dieu, c'est pour votre amour que je souffre
! » Voyez son courage à voir couper et dévorer son
pauvre corps. Eh bien ! M.F., voilà ce que nous appelons aimer véritablement
le bon Dieu. Ce bon vieillard, qui donne sa vie avec tant de joie pour
Dieu, ne se contente pas de dire qu'il l'aime ; mais il le montre par ses
œuvres.
Nous disons bien que nous aimons
le bon Dieu ; mais, quand tout va selon nos désirs, quand rien ne
nous contredit dans notre manière de penser, de parler et d'agir.
Combien de fois une seule parole, un air de mépris, ou même
un air un peu froid, une pensée de respect humain ; ne nous font-ils
pas abandonner le bon Dieu ?
Nous avons dit, M.F., que si nous
voulons témoigner au bon Dieu que nous l'aimons, il faut accomplir
sa sainte volonté, qui est, que nous soyons soumis, respectueux
envers nos parents, nos supérieurs, et tous ceux que le bon Dieu
a placés au-dessus de nous pour nous conduire. La volonté
de Dieu est que ceux qui sont supérieurs conduisent leurs inférieurs
sans hauteur, sans du-reté ; mais avec charité et avec bonté,
comme nous voudrions que l'on nous conduisît ; la volonté
de Dieu est que nous soyons bons et charitables envers tout le monde ;
et que, si on nous loue, bien loin de nous croire quelque chose, au contraire,
nous pensions que l'on se moque de nous, comme nous dit très bien
saint Ambroise : « Si l'on nous méprise il ne faut point nous
chagriner, mais, pen-ser que si l'on connaissait bien ce que nous sommes,
l'on dirait beaucoup plus de mal de nous que l'on en dit. » Ou comme
nous dit saint Jean : « Si l'on nous insulte, la volonté de
Dieu est que nous pardonnions de bon cœur et de suite ; et que nous soyons
prêts à rendre service toutes les fois que l'occasion s'en
présente-ra. » Cette volonté est que, dans nos repas,
nous ne nous laissions jamais aller à la gourmandise ; que dans
nos conversations nous tâchions de cacher et d'excuser les défauts
de notre prochain et que nous priions pour lui. La volonté de Dieu
est que, dans nos peines, nous ne murmurions pas, mais que nous les supportions
avec patience et résignation à sa volonté ; c'est-à-dire,
que dans ce que nous faisons, et dans tout ce qu'il nous envoie, le bon
Dieu veut que nous pensions que tout vient véritablement de lui
et que tout cela est pour notre bonheur, si nous savons en faire un bon
usage. Voilà, M.F., ce que les commandements de Dieu nous or-donnent.
Si vous aimez le bon Dieu, comme vous le dites, vous ferez tout cela, vous
vous comporterez de cette manière ; sinon, vous avez beau dire que
vous l'aimez, saint Jean vous dit que vous êtes menteurs et que la
vérité n'est pas dans votre bouche .
Examinons, M.F., toute notre conduite
et toute notre vie, et voyons en détail toutes nos actions. Il ne
faut pas nous arrêter à toutes nos bonnes pensées,
à tous nos bons désirs, et à tous les mouvements sensibles
que nous éprouvons, comme, par exemple, lorsque nous sommes touchés
en lisant un bon livre, en écoutant la parole sainte, nous formons
toutes sortes de belles résolutions : tout cela n'est autre chose
qu'illusions, si, d'ailleurs, nous ne nous appliquons pas à faire
ce que Dieu nous ordonne par ses com-mandements, et si nous n'évitons
pas ce qu'il nous y défendu. Voyez, M.F., combien vous êtes
en contradiction avec vous-mêmes. Le soir et le matin vous joignez
les mains en faisant vos prières, vous dites : « Mon Dieu,
je vous aime de tout cœur, et par-dessus toutes choses ; » vous croyez
dire la vérité ? Cepen-dant quelques moments après,
vos mains sont occupées à voler votre prochain. Hélas
! peut-être à quelque œuvre honteuse. Combien de fois n'avez-vous
pas employé ces mains à vous rem-plir de vin et à
vous livrer à la crapule ; cette même bouche qui vient de
prononcer un acte d'amour de Dieu, va se souiller, dès que l'occasion
s'en présentera, par des jurements, par des rapports, des médisances,
des calomnies et par toutes sortes de paroles qui vont offenser et déshonorer
ce même Dieu, à qui vous venez de dire que vous l'aimez de
tout votre cœur. Hélas ! M.F., nous di-sons que nous aimons le bon
Dieu de tout notre cœur ! où sont les preuves qui nous assurent
que ce que nous disons est vrai ?
L'on dit dans le monde que les vrais
amis se connaissent dans l'occasion ; cela est vrai, et qu'il faut des
épreuves pour sa-voir si les amis sont sincères : ce qui
est bien facile à comprendre. En effet, si je fous disais que je
suis votre ami et que je ne fisse rien pour vous le montrer, et qu'au contraire,
je fisse mille choses pour vous faire de la peine ; si, dans toutes les
occasions où je pourrais vous témoigner mon attachement,
je ne vous donnais que des marques d'aversion, vous ne voudriez pas croire
que je vous aime, malgré que je vous l'aie dit souvent ; il en est
de même, M.F., par rapport à Dieu. Vous aurez beau lui dire
cent fois par jour : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur, »
cela ne suffit pas. Il faut lui en donner des preuves en ce que nous pouvons
faire chaque jour, parce qu'il n'y en a guère où nous ne
soyons obligés à faire quelque sacrifice au bon Dieu, si
nous ne voulons pas l'of-fenser et si nous voulons l'aimer. Combien de
fois le démon ne nous donne-t-i1 pas des pensées d'orgueil,
de haine, de ven-geance, d'ambition, de jalousie, combien de mouvements
de co-lère et d'impatience : combien de pensées ou désirs
contre la sainte vertu de pureté ? et, d'autres fois, combien de
pensées et de désirs d'avarice ? Hélas ! notre misérable
corps nous porte sans cesse au mal, pendant que les lumières de
la conscience et les im-pressions de la grâce nous portent au bien.
Eh bien ! M.F., voilà ce que c'est que de plaire à Dieu,
ce que c'est que de l'aimer : c'est combattre, c'est résister courageusement
à toutes les tentations. Voilà comment nous donnerons des
preuves de l'amour que nous avons pour le bon Dieu ; voilà ce qui
nous mettra dans une dispo-sition continuelle de tout sacrifier plutôt
que d'offenser le bon Dieu. Vous dites que vous aimez le bon Dieu, ou du
moins que vous désirez l'aimer, vous êtes un menteur. Pourquoi
donc laissez-vous entrer cette pensée d'orgueil dans votre cœur
? vous livrez-vous à ces murmures, à ces jalousies, à
ces médisances et à ces complaisances en vous-même
? c'est que vous n'êtes qu'un hypo-crite Vous en êtes fâché,
je le crois bien ; vous en serez bien fâ-ché... Hélas
! qu'il y en a peu qui aiment le bon Dieu !... Disons-le, à la honte
du christianisme, il n'y a presque personne qui l'aime de cet amour de
préférence, toujours prêt à tout sacrifier pour
lui plaire, et toujours dans la crainte de lui déplaire.
Voyez, M.F., comment se comporta
saint Eustache avec toute sa famille, voyez sa constance et son amour pour
le bon Dieu. Il est rapporté dans sa vie qu'étant à
la chasse, il poursui-vait un cerf d'une grosseur énorme ; s'étant
élancé sur un rocher et cherchant le moyen de l'atteindre,
il aperçut entre ses cornes un beau crucifix qui lui dit d'aller
se faire baptiser et de revenir, qu'il lui apprendrait tout ce qu'il aurait
à souffrir pour son amour, qu'il perdrait ses biens, sa réputation,
sa femme, ses enfants et qu'il fi-nirait par être brûlé
dans le feu, Saint Eustache entendit tout cela sans la moindre frayeur
ni la moindre répugnance, ni même le moindre murmure. En effet,
peu de temps après, la peste se mit dans ses troupeaux et parmi
ses esclaves, et n'en épargna pas un. Tout le monde commençait
à le fuir et personne ne voulait le sou-lager, se voyant aussi misérable
et si méprisé, il prit le parti d'aller en Égypte
où il avait encore quelque bien. Sa femme et lui prirent chacun
leurs petits enfants par la main et s'abandonnèrent à la
Providence du bon Dieu. Quand il fallut traverser l'eau, le maître
du vaisseau garda la femme pour son passage, et jetant le père et
les enfants à terre, fit voile d'un autre côté. Voilà
notre saint Eus-tache encore privé d'une de ses plus grandes consolations.
Sup-portant tout cela, sans un seul murmure contre la conduite que le bon
Dieu tenait envers lui, nous dit l'auteur de sa vie, il prit un pe-tit
crucifix entre ses mains, et le baisant respectueusement, il continua son
chemin. Un peu plus loin, il fallut passer une rivière assez large...
et le reste... Voilà, M.F., ce que nous pouvons appe-ler un amour
véritable, puisque rien n'est capable de le séparer de son
Dieu.
Nous disons, M.F., que si nous aimons
véritablement le bon Dieu, nous devons grandement désirer
de le voir aimer par toutes les créatures. Nous en avons un bel
exemple dans l'histoire, et nous y voyons un beau spectacle de l'amour
divin. On vit une femme, au milieu de la ville d'Alexandrie, tenant d'une
main un vase plein d'eau, et de l'autre un flambeau allumé. Ceux
qui la vi-rent, tout étonnés, lui demandèrent ce qu'elle
prétendait faire avec tout cet appareil. « Je voudrais, répondit-elle,
avec ce flambeau, embraser tout le ciel et tous les cœurs des hommes, et,
avec cette eau, éteindre tout le feu de l'enfer, afin que, désormais,
l'on n'ai-mât plus le bon Dieu ni par l'espérance de la récompense,
ni par crainte de la punition réservée aux pécheurs
; mais uniquement parce qu'il est bon, et qu'il mérite d'être
aimé. » Beaux sentiments, M.F., dignes de la grandeur de l'âme
qui connaît ce que c'est que Dieu, et combien il mérite par
lui-même toutes les affections de notre cœur. L'on raconté
dans l'histoire des Japonais, que, quand on leur annonçait l'Évangile,
qu'on les instruisait de Dieu et de ses amabilités, surtout quand
on leur apprenait les grands mystères de notre sainte religion,
et tout ce que le bon Dieu avait fait pour les hommes : un Dieu naissant
dans une pauvre étable, couché sur une poignée de
paille dans les rigueurs de l'hiver, un Dieu souf-frant et mourant sur
une croix pour nous sauver ; ils étaient si étonnés
de tant de merveilles que Dieu avait faites pour notre sa-lut, qu'on les
entendait s'écrier tout transportés d'amour : « Oh
! qu'il est grand ! oh ! qu'il est bon ! oh !qu'il est aimable, le Dieu
des chrétiens ! » Mais quand ensuite on leur disait qu'il
y avait un commandement qui leur ordonnait d'aimer le bon Dieu et qui les
menaçait de châtiments s'ils ne l'aimaient pas, ils en étaient
telle-ment surpris, qu'ils ne pouvaient plus revenir de leur étonnement.
« Eh quoi ! disaient-ils, à des hommes raisonnable, faire
un pré-cepte d'aimer un Dieu qui nous a tant aimés !... mais,
n'est-ce pas le plus grand bonheur de l'aimer et le plus grand malheur
de ne pas l'aimer ? Eh quoi ! disaient-ils aux missionnaires, les chrétiens
ne sont-ils pas toujours au pied des autels de leur Dieu, tout péné-trés
de la grandeur de ses bontés et tout embrasés de son amour
? » Et quand on venait à leur apprendre que, non seulement
il y en avait qui ne l'aimaient pas, mais encore qui l'offensaient : «
O peuple injuste ! Ô peuple barbare ! s'écriaient-ils avec
indi-gnation, est-il bien possible que des chrétiens soient capables
de tel outrage envers un Dieu si bon ? Dans quelle terre maudite ha-bitent
donc ces hommes sans cœur et sans sentiments ? »
Hélas ! d'après la
manière dont nous nous conduisons envers le bon Dieu, nous ne méritons
que trop ces reproches ! Oui, M.F., un jour viendra où ces nations
éloignées et étrangères appelleront ces témoignages,
contre nous, nous accuseront et nous condamne-ront devant Dieu. Que de
chrétiens passent leur vie sans aimer le bon Dieu ! Hélas
! peut-être en trouverons-nous plusieurs, au grand jour du jugement,
qui n'auront pas donné un seul jour tout entier au bon Dieu ! Hélas
! quel malheur ! ...
Saint Justin nous dit que l'amour
a ordinairement trois ef-fets. Quand nous aimons quelqu'un, nous pensons
souvent, et vo-lontiers à lui ; nous donnons volontiers pour lui
et nous souffrons volontiers pour lui : voilà, M.F., ce que nous
devons faire pour le bon Dieu, si nous l'aimons véritablement. Je
dis 1?, que nous de-vons souvent penser à Jésus-Christ. Rien
n'est plus naturel que de penser à ceux qu'on aime. Voyez un avare
: il n'est occupé que de ses biens ou du moyen de les augmenter
; seul ou en compagnie, rien n'est capable de le distraire de cette pensée.
Voyez un liber-tin : la personne qui fait tout l'objet de son amour, ne
le quitte guère plus que la respiration ; il y pense tellement que,
souvent, son corps en est si accablé qu'il en est malade. Oh ! si
nous avions le bonheur d'aimer autant Jésus-Christ qu'un avare aime
son ar-gent ou ses terres, qu'un ivrogne, son vin, qu'un libertin, l'objet
de sa passion, ne serions-nous pas continuellement occupés de l'amour
et des grandeurs de Jésus-Christ ? Hélas ! M.F., nous nous
occupons de mille choses qui, presque toutes, n'aboutissent à rien
; tandis que, pour Jésus-Christ, nous passons des heures et même
des jours entiers sans nous souvenir de lui, ou d'une ma-nière si
faible, que nous croyons à peine ce que nous pensons. O mon Dieu,
comment ne vous aime-t-on pas ! Cependant, M.F., de tous nos amis y en
a-t-il un plus généreux, plus bienfaisant ? Di-tes-moi, si
nous avions bien pensé qu'en écoutant le démon qui
nous portait au mal, nous avons grandement affligé Jésus-Christ,
que nous l'avons fait mourir une seconde fois, aurions-nous eu ce courage
?... n'aurions-nous pas dit : Comment, mon Dieu, pour-rais-je vous offenser,
vous qui nous avez tant aimés ! Oui, mon Dieu, le jour et la nuit
mon esprit et mon cœur ne seront occupés que de vous.
2? Je dis que si nous aimons véritablement
le bon Dieu, nous lui donnerons tout ce qu'il est en notre pouvoir de lui
donner, et cela, avec un grand plaisir. Si nous avons du bien, faisons-en
part aux pauvres, c'est comme si nous le donnions à Jésus-Christ
lui-même ; c'est lui qui nous dit dans l'Évangile : «
Tout ce que vous donnerez au moindre des miens, c'est-à-dire aux
pauvres, c'est comme si vous le donniez à moi-même . »
Quel bonheur, M.F., pour une créature, de pouvoir être libérale
envers son créa-teur, son Dieu et son Sauveur ! Ce ne sont pas seulement
les ri-ches qui peuvent donner ; mais tous les chrétiens, même
les plus pauvres. Nous n'avons pas tous des biens pour les donner à
Jésus-Christ dans la personne des pauvres ; mais nous avons tous
un cœur, et c'est précisément de ce présent qu'il
est le plus jaloux ; c'est celui-là qu'il demande avec tant d'empressement.
Dites-moi, M.F., pourrions-nous lui refuser ce qu'il nous demande avec
tant d'instances, lui qui ne nous a créés que pour lui ?
Ah ! si nous y pensions bien, ne dirions-nous pas au divin Sauveur : «
Seigneur, je ne suis qu'un pécheur, ayez pitié de moi ; me
voilà tout à vous. » Que nous serions heureux si nous
faisions cette offrande universelle au bon Dieu ! que notre récompense
serait grande !...
3? Mais cependant la meilleure marque
d'amour que nous puissions donner au bon Dieu, c'est de souffrir pour lui
; car, si nous voulions bien considérer ce qu'il a souffert pour
nous, nous ne pourrions pas nous empêcher de souffrir toutes les
misères de la vie, les persécutions, les maladies, les infirmités
et la pauvreté : Qui ne se laisserait. pas attendrir à la
vue de tout ce que Jésus-Christ a souffert pendant sa vie mortelle
? Que d'outrages ne lui font pas souffrir les hommes, par la profanation
de ses sacre-ments, par le mépris de sa religion sainte, dont l'établissement
lui a tant coûté ? Quel aveuglement, M.F., de ne pas aimer
un Dieu si aimable et qui ne cherche, en tout, que notre bonheur ! Nous
avons un bel exemple dans la personne de sainte Magdeleine, de-venue célèbre
dans toute l'Église par ce grand amour qu'elle a eu pour Jésus-Christ
. Une fois qu'elle fut à lui, elle ne le quitta plus ; non seulement
de cœur, mais encore réellement : le suivant dans ses voyages, l'assistant
de ses biens, et l'accompagnant jusqu'au calvaire : Elle fut présente
à sa mort, elle prépara les par-fums pour embaumer son corps
et se rendit de grand matin au sépulcre . N'y trouvant plus le corps
de Jésus-Christ, elle s'en prend au ciel, à la terre ; elle
supplie les anges et les hommes de lui dire où ils ont mis son Sauveur
; parce qu'elle veut le trouver à quel prix que ce soit. Son amour
était si ardent que nous pouvons dire qu'il fut impossible à
Jésus-Christ de se cacher à elle ; car, elle n'a pensé
qu'à lui, elle n'a désiré et n'à voulu que
lui ; toutes choses ne lui sont rien ; elle n'a eu ni respect humain, ni
crainte d'être méprisée ou raillée ; elle a
abandonné tous ses biens, elle a foulé aux pieds les parures
et les plaisirs pour courir à la suite de son bien-aimé ;
tout le reste ne lui est plus rien.
Écoutez encore la leçon
que nous donne saint Dominique . Ce saint patriarche dont l'amour de Dieu
avait rempli tous les dé-sirs, après avoir prêché
toute la journée, passait les nuits entières en contemplation
; il se croyait déjà dans le ciel, et ne pouvait comprendre
que l'on puisse vivre sans aimer le bon Dieu, puisque nous y trouvons tout
notre bonheur. Un jour qu'il fut pris par des hérétiques,
Dieu fit un miracle pour le tirer d'entre leurs mains. « Qu'auriez-vous
fait, lui dit un de ses amis, s'ils avaient voulu vous faire mourir ? »
– « Ah ! je les aurais conjurés de ne pas me faire mourir
tout d'un coup, mais de me couper en tant petits mor-ceaux qu'ils l'auraient
pu ; ensuite de m'arracher la langue et les yeux, et, après avoir
roulé le reste de mon corps dans mon sang, de me trancher la tête.
Je les aurais priés de ne laisser aucune par-tie de mon corps sans
la faire souffrir. Ah ! c'est alors que j'aurais eu le bonheur de dire
véritablement au bon Dieu que je l'aime. Oui, je voudrais être
maître de tous les cœurs des hommes, afin de les faire tous brûler
d'amour. » Quel beau langage part de ce cœur brûlant de l'amour
divin ! Toute sa vie ce grand saint chercha le moyen de mourir martyr,
pour montrer au bon Dieu que vraiment il l'aimait.
Voyez encore saint Ignace, martyr,
évêque d'Antioche, qui fut condamné, par l'empereur
Trajan, à être exposé aux bêtes. Il eut tant
de joie d'entendre la sentence qui le condamnait à être dé-voré
par les bêtes, qu'il crut mourir de bonheur. IL n'avait qu'une seule
crainte, c'est que les chrétiens n'obtinssent sa grâce. Il
leur écrivit en leur disant : « Mes amis, que je devienne
la proie des bêtes et que je sois moulu comme un grain de froment
de Dieu pour devenir le pain de Jésus-Christ. Je sais, mes amis,
qu'il m'est très utile de souffrir ; il faut que les fers, les gibets,
les bêtes fa-rouches déchirent mes membres et les brisent
dans mon corps, et que tous les tourments viennent fondre sur moi. Tout
m'est bon pourvu que j'arrive à la possession de Dieu. Je commence
mainte-nant à aimer Jésus-Christ ; c'est à présent
que je suis son disciple. Je n'ai plus que du dégoût pour
les choses de la vie, je ne suis af-famé que du pain de mon Dieu,
qui doit me rassasier pendant l'éternité ; je ne suis altéré
que de la chair de Jésus-Christ, qui n'est que charité .
» Dites-moi, M.F., peut-on trouver un cœur plus embrasé de
l'amour de Dieu ? En effet, il fut dévoré par les lions,
qui ne laissèrent que quelques parties de son corps.
Que faut-il conclure de tout cela,
M.F., sinon que tout notre bonheur sur la terre est de nous attacher, à
Dieu ? C'est-à-dire, il faut que, dans tout ce que nous faisons,
le bon Dieu soit l'unique but ; puisque nous savons tous par notre propre
expérience que rien de créé n'est capable de nous
rendre heureux, que le monde entier avec tous ses biens, ses plaisirs ne
saurait satisfaire notre cœur. Ne perdez jamais de vue, M.F., que tout
nous quittera. Un moment viendra où tout ce que nous avons passera
à d'autres mains... Au lieu que si nous avons le grand bonheur de
posséder l'amour de Dieu nous l'emporterons dans le ciel, ce qui
fera notre bonheur pendant l'éternité. Aimer Dieu, ne servir
que lui seul et ne désirer que sa possession : voilà le bonheur
que je vous sou-haite.
17ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la Charité
(FRAGMENTS)
Diliges Deum tuum in toto corde tuo
Vous aimerez le Seigneur de tout
votre cœur
(S.Matth., XXII, 37.)
Pour servir le bon Dieu parfaitement,
ah ! ce n'est pas assez de croire en lui. Il est vrai que la foi nous fait
croire toutes les vé-rités que l'Église nous enseigne,
et que, sans cette foi, toutes nos actions sont sans mérite aux
yeux de Dieu. La foi nous est donc absolument nécessaire pour nous
sauver. Cependant cette foi pré-cieuse qui nous découvre
d'avance les beautés du ciel nous quitte-ra un jour, parce que,
dans l'autre vie, il n'y aura plus de mystères. L'espérance,
qui est un don du ciel, nous est aussi nécessaire pour nous faire
agir avec des intentions bien droites et bien pures, dans la seule vue
de plaire à Dieu, en tout ce que nous faisons, soit pour gagner
le ciel, soit pour éviter l'enfer. Mais la charité nous porte
à aimer Dieu parce qu'il est, infiniment bon, infiniment ai-mable
et qu'il mérite d'être aimé.
Mais, me direz-vous, comment donc
connaître si nous avons cette belle vertu qui est si agréable
à Dieu, et qui nous fait agir avec tant de noblesse ; c'est-à-dire,
qui nous porte à aimer le bon Dieu, non par la crainte des peines
de l'enfer, ni par l'espérance du ciel ; mais unique-ment à
cause de ses perfections infinies ? – Ce qui doit nous porter à
tant désirer et à tant demander au bon Dieu cette belle vertu,
c'est qu'elle doit nous accompa-gner toute l'éternité. Bien
plus, c'est la charité qui doit faire tout notre bonheur ; puisque
la félicité des bienheu-reux consiste à aimer. Cette
vertu si belle ; si capable de nous rendre heureux, même dès
ce monde, voyons, M.F., si nous l'avons, et cherchons les moyens de l'ac-quérir.
I. – Si je demandais à un
enfant : Qu'est-ce que la charité ? Il me répondrait : C'est
une vertu qui nous vient du ciel, par laquelle nous aimons Dieu de tout
notre cœur, et le prochain comme nous-mêmes par rapport à
Dieu. – Mais, me demanderez-vous mainte-nant, qu'est-ce qu'aimer le bon
Dieu par-dessus toutes choses, et plus que soi-même ? – C'est le
préférer à tout ce qui est créé ; c'est
être dans la disposition de perdre son bien, sa réputation,
ses pa-rents et ses amis, ses enfants ; son mari ou sa femme et sa vie
même, plutôt que de commettre le moindre péché
mortel . Saint Augustin nous dit qu'aimer Dieu parfaitement, c'est l'aimer
sans mesure, quand il n'y aurait ni ciel à espérer, ni enfer
à craindre ; c'est l'aimer de toute l'étendue de son cœur.
Si vous m'en deman-dez la raison, c'est que Dieu est infiniment aimable
et digne d'être aimé. Si nous l'aimons véritablement,
ni les souffrances, ni les persécutions, ni le mépris, ni
la vie, ni la mort ne pourront nous ravir cet amour que nous devons à
Dieu.
Nous sentons nous-mêmes, M.F.,
que si nous n'aimons pas le bon Dieu nous ne pouvons être que bien
malheureux, très mal-heureux. Si l'homme est créé
pour aimer le bon Dieu, il ne peut trouver son bonheur qu'en Dieu seul.
Quand nous serions maîtres du monde, si nous n'aimons pas le bon
Dieu, nous ne pouvons être que malheureux tout le temps de notre
vie. Si vous voulez mieux vous en convaincre, voyez, interrogez les gens
qui vivent sans aimer le bon Dieu. Voyez ces personnes qui abandonnent
la fréquentation des sacrements et la prière, voyez-les dans
quelque chagrin, quelque perte, hélas ! elles se maudissent, elles
se tuent, ou meurent de chagrin. Un avare n'est pas plus content quand
il a beaucoup que quand il a peu. Un ivrogne est-il plus heureux, après
avoir bu le coup de vin où il croyait trouver tout son plai-sir
? Il n'en est que plus malheureux, Un orgueilleux n'a jamais de repos :
il craint toujours d'être méprisé. Un vindicatif, en
cher-chant à se venger, ne peut dormir ni le jour ni la nuit. Voyez
en-core un infâme impudique qui croit trouver son bonheur dans les
plaisirs de la chair : il va jusqu'à, je ne dis pas perdre sa réputa-tion,
mais son bien, sa santé et son âme, sans cependant pouvoir
trouver de quoi se contenter. Et pourquoi, M.F., ne pouvons-nous pas être
heureux en tout ce qui semble devoir nous contenter ? Ah ! c'est que, n'étant
créés que pour Dieu, il n'y a que lui seul qui pourra nous
satisfaire, c'est-à-dire nous rendre heureux autant qu'il est possible
de l'être sur cette pauvre terre. Aveugles que nous sommes, nous
nous attachons à la vie, à la terre et à ses biens
! hélas ! aux plaisirs, disons mieux, nous nous attachons à
tout ce qui est, capable de nous rendre malheureux !
Combien les saints, M.F., ont été
plus sages que nous de tout mépriser pour ne chercher que Dieu seul
! Que celui qui aime véritablement le bon Dieu fait peu de cas de
tout ce qui est sur la terre ! Combien de grands du monde, combien même
de princes, de rois et d'empereurs, ne voyons-nous pas, qui ont tout laissé
pour aller servir le bon Dieu plus librement dans les déserts ou
dans les monastères ! Combien d'autres pour montrer au bon Dieu
leur amour, sont montés sur les échafauds, comme des vainqueurs
sur leurs trônes ! Ah ! M.F., que celui qui a le bonheur de se déta-cher
des choses du monde pour ne s'attacher qu'à Dieu seul est heureux
! Hélas ! combien en est-il parmi vous qui ont vingt ou trente ans,
et n'ont jamais demandé au bon Dieu cet amour qui est un don du
ciel, comme vous le dit votre catéchisme. Dès lors, il ne
faut pas nous étonner, M.F., si nous sommes si terrestres et si
peu spirituels ! Cette manière de nous comporter ne peut nous conduire
qu'à une fin bien malheureuse : la séparation de Dieu pour
l'éternité. Ah ! M.F., est-il bien possible que nous ne vou-lions
pas nous tourner du côté de notre bonheur qui est Dieu seul
! Quittons ce sujet, quoique si intéressant..... La charité
fait toute la joie et la félicité des saints dans le ciel.
Ah ! « beauté ancienne et toujours nouvelle, » quand
est-ce que nous n'aimerons que vous ?
Si maintenant je demandais à
un enfant : Qu'est-ce que la charité par rapport au prochain ? Il
me répondrait : La charité pour Dieu doit nous le faire aimer
plus que nos biens, notre santé, notre réputation et notre
vie même ; la charité que nous devons avoir pour notre prochain
doit nous le faire aimer comme nous-mêmes, de sorte que, tout le
bien que nous pouvons désirer pour nous nous devons le désirer
pour notre prochain ; si nous voulons avoir cette charité sans laquelle
il n'y a ni ciel, ni amitié de Dieu à espérer. Hélas
! que de sacrements fait profaner ce défaut de cha-rité,
et que d'âmes il conduit en enfer ! Mais que doit-on entendre par
ce mot notre prochain ? Rien de plus facile à comprendre. Cette
vertu s'étend à tout le monde, aussi bien à ceux qui
nous ont fait du mal, qui ont nui à notre réputation, nous
ont calomniés et qui nous ont fait quelque tort, même quand
ils auraient cherché à nous ôter la vie. Nous devons
les aimer comme nous-mêmes, et leur souhaiter tout le bien que nous
pouvons nous désirer. Non seulement il nous est interdit de leur
vouloir aucun mal, mais il faut leur rendre service toutes les fois qu'ils
en ont besoin et que nous le pouvons. Nous devons nous réjouir quand
ils réussissent dans leurs affaires, nous attrister quand ils éprouvent
quelque dis-grâce, quelque perte, prendre leur parti quand on en
dit du mal, dire le bien que nous savons d'eux, ne point fuir leur compagnie,
leur parler même de préférence à ceux qui nous
ont rendu quelque service : voilà, M.F., comment le bon Dieu veut
que nous aimions notre prochain. Si nous ne nous comportons pas de cette
manière, nous pouvons dire que nous n'aimons ni notre prochain,
ni le bon Dieu : nous ne sommes que de mauvais chrétiens, et nous
serons damnés.
Voyez, M.F., la conduite que tint
Joseph envers ses frères qui avaient voulu le faire mourir, qui
l'avaient jeté dans une ci-terne et qui l'avaient ensuite vendu
à des marchands étrangers . Dieu lui restait seul pour consolateur.
Mais comme le Seigneur n'abandonne pas ceux qui l'aiment, autant Joseph
avait été humi-lié ; autant il fut élevé.
Lorsqu'il fut devenu presque maître du royaume de Pharaon, ses frères,
réduits à la plus grande misère, vinrent le trouver
sans le connaître. Joseph voit venir à lui ceux qui avaient
voulu lui ôter la vie, et qui l'auraient fait mourir si l'aîné
ne les en eût détournés. Il a tous les pouvoirs de
Pharaon entre les mains, il pourrait les faire prendre et les faire mourir.
Rien ne pouvait l'en empêcher ; au contraire, il était même
juste de punir des méchants. Mais que fait Joseph ?... la charité
qu'il a dans le cœur lui a fait perdre le souvenir des mauvais traitements
qu'il a reçus. Il ne pense qu'à les combler... il pleure
de joie, il demande vite des nouvelles de son père et de ses autres
frères ; il veut, pour mieux leur faire sentir la grandeur de sa
charité ; qu'ils viennent tous auprès de lui pour toujours
.
Mais, me direz-vous, comment peut-on
connaître si l'on a cette belle et précieuse vertu, sans laquelle
notre religion n'est qu'un fantôme ? D'abord, M.F., une personne
qui a la charité n'est point orgueilleuse, elle n'aime point à
dominer sur les autres ; vous ne l'entendrez jamais blâmer leur conduite,
elle n'aime point à parler de ce qu'ils font. Une personne qui a
la charité n'examine point quelle est l'intention des autres dans
leurs actions, elle ne croit jamais mieux faire qu'ils ne font ; et ne
se met jamais au-dessus de son voisin ; au contraire, elle croit que les
autres font toujours mieux qu'elle. Elle ne se fâche point si on
lui préfère le prochain ; si on la méprise, elle n'en
est pas moins contente, parce qu'elle pense qu'elle mérite plus
de mépris encore.
Une personne qui a la charité
évite autant qu'elle peut de faire de la peine aux autres, parce
que la charité est un manteau royal qui sait bien cacher les fautes
de ses frères et ne laisse ja-mais croire qu'on est meilleur qu'eux.
2? Ceux qui ont la charité
reçoivent avec patience ; et rési-gnation à la volonté
de Dieu, tous les accidents qui peuvent leur arriver, les maladies, les
calamités, en pensant que tout cela nous rappelle que nous sommes
pécheurs, et que notre vie n'est pas éternelle ici-bas.
Dans leurs chagrins, dans leurs
peines, dans leurs maladies ou dans les pertes de biens, vous les voyez
toujours soumis à la volonté de Dieu, et jamais ils ne désespèrent,
pensant qu'ils ac-complissent cette divine volonté.
Voyez le saint homme Job sur son
fumier : n'est-il pas content ? Si vous me demandez pourquoi il ne
se laisse pas aller au désespoir ? c'est qu'il a la charité
dans l'âme, et qu'en se sou-mettant à la volonté de
Dieu, il acquiert des mérites pour le ciel. Voyez encore le saint
homme Tobie qui devint aveugle en ense-velissant les morts : il ne
se désespère pas, et il est tranquille. Pourquoi encore cette
tranquillité ? Il sait qu'il fait la volonté de Dieu et que
dans cet état il le glorifie ...
En troisième lieu, je dis
que celui-ci a la charité, qui n'est point avare et ne cherche nullement
à amasser les biens de ce monde. Il travaille parce que le bon Dieu
le veut, mais sans s'atta-cher à son travail ni au désir
de thésauriser pour l'avenir ; il se re-pose avec confiance en la
Providence qui n'abandonne jamais ce-lui qui l'aimé. La charité
régnant dans son cœur, toutes les choses de la terre ne lui sont
plus rien ; il voit que tous ceux qui courent après les biens de
ce monde sont les plus malheureux. Pour lui, il emploie autant qu'il le
peut, son bien en bonnes œuvres pour ra-cheter ses péchés
et pour mériter le ciel. Il est charitable envers tout le monde
et n'a de préférence pour personne ; tout le bien qu'il fait,
il le fait au nom de Dieu, Il assiste le pauvre qui en a be-soin, qu'il
soit son ami ou son ennemi. Il imite saint François de Sales, qui,
ne pouvant faire qu'une aumône, la remettait à celui dont
il avait reçu quelque peine, plutôt qu'à celui dont
il était l'obligé. La raison de cette conduite c'est que
telle action est beau-coup plus agréable à Dieu. Si vous
avez la charité, n'examinez jamais si ceux à qui vous donnez
vous ont fait quelque tort, ou dit quelque injure ; s'ils sont sages on
non. Ils vous demandent au nom de Dieu, donnez-leur de même. Voilà
tout ce qu'il faut faire pour que vos aumônes soient rendues dignes
d'être récompensées.
Nous lisons dans la vie de saint
Ignace, qu'un jour, étant pressé par quelque affaire, il
refusa l'aumône à un pauvre Mais il courut bientôt
après ce malheureux pour lui donner, et dès lors promit au
bon Dieu de ne jamais refuser l'aumône, quand on la lui demanderait
en son nom. Mais, pensez-vous, si l'on donne à tous les pauvres,
on sera bientôt pauvre soi-même. Écoutez ce que le saint
homme Tobie dit à son fils : « Ne retenez jamais le salaire
des ouvriers, payez toujours le soir après qu'il ont travaillé
; et quant aux pauvres, donnez à tous si vous le pouvez. Si vous
avez beaucoup, donnez beaucoup ; si vous avez peu, donnez peu ; mais donnez
toujours de bon cœur ; parce que l'aumône rachète les pé-chés
et éteint les flammes du purgatoire » D'ailleurs nous
pou-vons dire qu'une maison qui donne aux pauvres ne tombera ja-mais en
ruine, parce que le bon Dieu ferait plutôt un miracle que de le permettre.
Voyez saint Antoine qui vend tous
ses biens pour les donner aux pauvres, et qui va dans un désert
où il s'abandonne entière-ment entre les mains de la Providence
. Voyez un saint Paul, er-mite , un saint Alexis, qui se dépouillent
absolument de biens, pour mener une vie pauvre et méprisée
. Voyez un saint Sérapion, qui, non seulement vend tous ses biens
et ses vêtements, mais qui se vend encore pour racheter un captif
.
Combien nous sommes coupables lorsque
nous ne faisons pas l'aumône, et que nous méprisons les pauvres,
en les rebutant, en leur disant qu'ils sont des fainéants, qu'ils
peuvent bien travail-ler !... M.F., faisons l'aumône autant que nous
pouvons, parce que c'est la chose qui doit nous rassurer à l'heure
de la mort, et si vous en doutez, lisez l'Évangile où Jésus-Christ
nous parle du juge-ment : « J'ai eu faim, etc. » Voulez-vous
laisser des enfants heu-reux et sages ? Donnez-leur l'exemple d'être
aumônieux et chari-tables envers les pauvres, et vous verrez un jour
que le bon Dieu les a bénis. C'est ce que comprenait sainte Blanche,
disant : « Mon fils, nous serons toujours assez riches si nous aimons
le bon Dieu, et si nous aimons à faire le bien à nos frères.
»
Si nous avons vraiment la charité,
cette vertu si agréable à Dieu, nous ne nous comporterons
pas comme les païens qui font du bien à ceux qui leur en font,
ou de qui ils en espèrent ; mais nous ferons du bien au prochain,
dans la, seule vue de plaire à Dieu et de racheter nos péchés.
Qu'on nous soit reconnaissant ou non, qu'on nous fasse du bien ou du mal,
qu'on nous méprise ou qu'on nous loue : cela, ne nous doit rien
faire : Il y en a qui agis-sent tout humainement. Ont-ils fait une aumône,
ont-ils rendu service à quelque personne, si elles n'usent pas de
réciprocité, cela les fâche, et ils se reprochent d'avoir
été simples. Que vous êtes… Ou vous avez fait vos bonnes
œuvres pour le bon Dieu, ou vous les avez faites pour le monde. Si vous
les avez faites pour être es-timés et loués des hommes,
vous avez raison de vouloir être payés de reconnaissance ;
mais si vous les avez faites dans la seule vue de racheter vos péchés
et de plaire à Dieu, pourquoi vous plain-dre ? C'est de Dieu seul
que vous en attendez la récompense. Vous devez bien plutôt
remercier le bon Dieu de ce que l'on vous paie d'ingratitude, parce que
votre récompense sera bien plus grande. Ah ! que nous sommes heureux
! parce que nous aurons donné quelque petite chose, le bon Dieu
nous donne le ciel en re-tour ! Nos petites aumônes et nos petits
services seront donc bien récompensés. Oui, M.F., préférons
toujours faire du bien à ceux qui ne pourront jamais nous le rendre,
parce que s'ils nous le ren-dent nous risquons d'en perdre le mérite.
Voulez-vous savoir si vous avez
la vraie charité ? En voici la marque : Voyez à qui vous
préférez faire l'aumône ou rendre quelque service.
Est-ce à ceux qui vous ont fait quelque peine,... ou à ceux
qui vous sont unis, qui vous remercient ? Si c'est à ces derniers,
vous n'avez pas la vertu de charité ; et vous n'avez point à
espérer pour l'autre vie ; tout le mérite de ces bonnes actions
est donc perdu . Je suis persuadé que si je voulais bien entrer
dans le détail de tous les défauts dans lesquels on tombe
sur ce point, je ne trouverais presque personne qui ait dans l'âme
cette vertu toute pure et telle que Dieu la veut. Pour être récompensés
dans tout ce que nous faisons pour le prochain, ne cherchons que Dieu,
et n'agissons que pour lui seul. Que cette vertu est rare dans les chré-tiens
! Disons mieux, il est aussi rare de la trouver qu'il est rare de trouver
des saints. Et quoi d'étonnant ? Où sont ceux qui la de-mandent
à Dieu, qui font quelques prières ou quelques bonnes œuvres
pour l'obtenir ? Combien ont vingt ans et peut-être trente, et ne
l'ont jamais demandée ? La preuve en est bien convaincante. L'ont-ils
demandée ceux qui n'ont que des vues humaines ? Voyez vous-même
quelle répugnance vous avez à faire, de suite, du bien à
celui qui vient de vous faire quelque tort ou quelque injustice. Ne conservez-vous
même pas une certaine haine ou, du moins, une certaine froideur à
son égard ? A peine le saluez-vous, et consentez-vous à lui
parler comme à une autre personne. Hélas ! ô mon Dieu
! que de chrétiens mènent une vie toute païenne, et
se croient encore de bons chrétiens : Hélas ! combien vont
être dé-trompés quand le bon Dieu leur fera voir ce
qu'est la charité, les qualités qu'elle devait avoir pour
rendre méritoires toutes leurs actions.
4? Il n'est pas nécessaire
de vous montrer qu'une personne qui a la charité est exempte du
vice infâme de l'impureté, parce qu'une personne qui a le
bonheur d'avoir cette précieuse vertu dans l'âme, est tellement
unie au bon Dieu, et agit si bien selon sa sainte volonté, que le
démon de l'impureté ne peut point entrer dans son cœur. Le
feu de l'amour divin embrase tellement ce cœur, son âme et tous ses
sens, qu'il la met hors des atteintes du démon de l'impureté.
Oui, M.F., nous pouvons dire que la charité rend une personne pure
dans tous ses sens. O bonheur infini, qui te comprendra jamais !...
5? La charité n'est point
envieuse : elle ne ressent point de tristesse du bien qui arrive au prochain,
soit au spirituel, soit au temporel. Vous ne verrez jamais une personne
qui a la charité, être fâchée de ce qu'une autre
réussit mieux qu'elle, ou de ce qu'elle est plus aimée, plus
estimée. Bien loin de s'affliger du bonheur de son prochain, elle
en bénit le bon Dieu. – Mais, me direz-vous, je ne suis pas fâché
de ce que mon prochain fait bien ses affaires, de ce qu'il est bien riche,
bien heureux. Convenez ce-pendant avec moi que vous seriez plus content
que cela vous arri-vât plutôt qu'à lui. – Cela est encore
vrai. – Eh bien ! si cela est, vous n'avez pas la charité telle
que le bon Dieu veut que vous l'ayez, comme il vous le commande, et pour
lui plaire .....
6? Celui qui a la charité
n'est point sujet à la colère, car saint Paul nous dit que
la charité est patiente, bonne, douce pour tout le monde . Voyez
comme nous sommes loin d'avoir cette charité. Combien de fois pour
un rien nous nous fâchons, nous murmu-rons, nous nous emportons,
nous parlons avec hauteur, et nous restons en colère pendant plusieurs
jours !... Mais, me direz-vous, c'est ma manière de parler ; je
ne suis pas fâché après. – Dites donc plutôt
que vous n'avez pas la charité, qui est patiente, douce, et que
vous ne vous conduisez pas comme un bon chrétien. Dites-moi, si
vous aviez la charité dans l'âme, est-ce que vous ne sup-porteriez
pas avec patience, et même avec plaisir, une parole que l'on dira
contre vous, une injure, ou si vous voulez, un petit tort que l'on vous
aura fait, ? – Il attaque ma réputation. – Hélas ! mon ami,
quelle bonne opinion voulez-vous qu'on ait de vous après que vous
avez tant de fois mérité .... ? Ne devons-nous pas nous regarder
comme trop heureux que l'on veuille bien nous souffrir parmi les créatures,
après que nous avons traité si indignement le Créateur
?... Ah ! ! M.F., si nous avions cette charité, nous serions sur
la terre presque comme les saints qui sont dans le ciel ! Qui donc sait
d'où nous viennent tous ces chagrins que nous éprou-vons,
aussi bien les uns que les autres ; et pourquoi y en a-t-il tant dans le
monde qui souffrent toutes sortes de misères ? Cela vient de ce
que nous n'avons pas la charité.
Oui, M.F. ; la charité
est une vertu si belle, elle rend tout ce que nous faisons si agréable
au bon Dieu, que les saints Pères ne savent de quels termes se servir
pour nous en faire connaître toute la beauté et toute la valeur.
Ils la comparent au soleil qui est le plus bel astre du firmament, et qui
donne aux autres toute leur clarté et leur beauté. Comme
lui, la vertu de charité communique à toutes les autres vertus
leur beauté et leur pureté, et les rend mé-ritoires
et infiniment plus agréables à Dieu. Ils la comparent au
feu qui est le plus noble et le plus actif, de tous les éléments.
La charité est la vertu la plus noble et la plus active de toutes
: elle porte l'homme à mépriser tout ce qui est vil, méprisable
et de peu de durée, pour ne s'attacher qu'à Dieu seul et
aux biens qui ne doivent jamais périr. Ils la comparent encore à
l'or qui est le plus précieux de tous les métaux, et fait
l'ornement et la beauté de tout ce que nous avons de riche sur la
terre. La charité fait la beauté et l'ornement de toutes
les autres vertus ; la moindre action de dou-ceur ou d'humilité,
faite avec la charité dans le cœur, est d'un prix qui surpasse tout
ce que nous pouvons penser. Le bon Dieu nous dit dans l'Écriture
sainte que son épouse lui avait blessé le cœur par
un cheveu de son cou ; pour nous faire comprendre que la moindre bonne
œuvre faite avec amour, avec la charité dans l'âme, lui est
si agréable, qu'elle lui perce le cœur. La moindre ac-tion, quelque
petite qu'elle soit, lui est toujours très agréable, puisqu'il
n'y a rien de si petit que les cheveux de cou. O belle ver-tu ! que ceux
qui vous possèdent sont heureux ; mais, hélas ! qu'ils sont
rares !... Les saints la comparent encore à la rose qui est la plus
belle de toutes les fleurs, et très odoriférante. De même,
nous disent-ils, la charité est la plus belle de toutes les ver-tus
; son odeur monte jusqu'au trône de Dieu. Disons mieux, la charité
nous est aussi nécessaire pour plaire à Dieu et pour rendre
toutes nos actions méritoires, que notre âme est nécessaire
à notre corps. Une personne qui n'a pas la charité dans le
cœur est un corps sans âme. Oui, M.F., c'est la charité qui
soutient la foi et qui la ranime ; sans la charité, elle est morte.
L'espérance, comme la foi, n'est qu'une vertu languissante qui,
sans la charité, ne durera pas longtemps.
II. – Comprenons-nous maintenant,
M.F., la valeur de cette vertu et la nécessité de la posséder
pour nous sauver. Ayons au moins le soin de la demander tous les jours
à Dieu, puisque, sans elle, nous ne faisons rien pour notre salut.
Nous pouvons dire que lorsque la charité entre dans un cœur, elle
y mène avec elle toutes les autres vertus : c'est elle qui purifie
et sanctifie toutes nos ac-tions ; c'est elle qui perfectionne l'âme
; c'est elle qui rend toutes nos actions dignes du ciel. Saint Augustin
nous dit que toutes les vertus sont dans la charité, et que la charité
est dans toutes les ver-tus. C'est la charité, nous dit-il, qui
conduit toutes nos actions à leur fin, et qui leur donne accès
auprès de Dieu. Saint Paul, qui a été et qui est encore
la lumière du monde, en fait tant de cas et tant d'estime, qu'il
nous dit qu'elle surpasse tous les dons du ciel. Écrivant aux Corinthiens,
il s'écrie : « Quand même je parlerais le langage des
anges, si je n'ai pas la charité, je suis semblable à une
cymbale qui retentit, et ne produit qu'un son. Quand j'au-rais le don de
prophétie, et tant de foi que je pourrais transporter les montagnes
d'un endroit à l'autre, si je n'ai pas la charité, je ne
suis rien. Quand je donnerais tout mon bien aux pauvres et que je li-vrerais
mon corps aux souffrances, tout cela ne servirait de rien si je n'ai pas
la charité dans mon cœur, et si je n'aime pas mon pro-chain comme
moi-même » Voyez-vous, M.F., la nécessité
où nous sommes de demander au bon Dieu, de tout notre cœur, cette
incomparable vertu, puisque toutes les vertus ne sont rien sans elle ?
En voulez-vous un beau modèle
? Voyez Moïse : lorsque son frère Aaron et sa sœur Marie murmurèrent
contre lui, le Sei-gneur les punit ; mais Moïse voyant sa sœur couverte
d'une lèpre qui était la punition de sa révolte :
O Seigneur ! lui dit-il, pour-quoi punissez-vous ma sœur ? vous savez bien
que je ne vous ai jamais demandé vengeance, pardonnez-lui, s'il
vous plaît. Aussi le Saint-Esprit nous dit qu'il était le
plus doux des hommes qui fus-sent alors sur la terre . Voilà, M.F.,
un frère qui a vraiment la charité dans le cœur, puisqu'il
s'afflige de voir punir sa sœur. Di-tes-moi si nous voyions punir quelqu'un
qui nous aurait fait quel-que outrage, ferions-nous comme Moïse ?
nous affligerions-nous, demanderions-nous au bon Dieu de ne pas le punir
?... Hélas ! qu'ils sont rares, ceux qui ont dans l'âme cette
charité de Moïse ! Mais, me direz-vous, quand on nous fait
des choses que nous ne méritons pas, il est bien difficile d'en
aimer les auteurs. – Diffi-cile, M.F. ?... voyez saint Etienne. Pendant
qu'on l'assomme à coups de pierres, il lève les mains et
prie Dieu de pardonner à ces bourreaux qui lui ôtent la vie,
le péché qu'ils commettent . – Mais, pensez-vous, saint Étienne
était un saint. C'était un saint, M.F. ? mais si nous ne
sommes des saints, c'est un grand malheur pour nous : il faut que nous
le devenions ; et aussi longtemps que nous n'aurons la charité dans
le cœur, nous ne deviendrons jamais des saints.
Que de péchés,
M.F., l'on commet contre l'amour de Dieu et du prochain ! Désirez-vous
savoir combien souvent nous péchons contre l'amour que nous devons
à Dieu ?
L'aimons-nous de tout notre cœur
? Ne lui avons-nous pas souvent préféré nos parents,
nos amis ? Pour aller les voir, sans qu'il y eût nécessité,
n'avons-nous pas souvent manqué les offices, les vêpres, le
catéchisme, la prière du soir ? Combien de fois n'avez-vous
pas fait manquer la prière à vos enfants dans la crainte
de leur faire perdre quelques minutes ? hélas ! pour aller paître
nos troupeaux dans les champs ! ... Mon Dieu ! quelle indi-gne préférence
!... Combien de fois n'avons-nous pas manqué nous-mêmes nos
prières ; ou les avons-nous faites dans notre lit, en nous habillant,
ou en marchant ? Avons-nous eu soin de rap-porter toutes nos actions au
bon Dieu, toutes nos pensées, tous nos désirs ? Nous sommes-nous
consacrés à lui dès l'âge de rai-son, et lui
avons-nous bien donné tout ce que nous avions ? Saint Thomas nous
dit que les pères et mères doivent avoir un grand soin de
consacrer leurs enfants au bon Dieu, dès l'âge le plus ten-dre,
et que, ordinairement, les enfants qui sont consacrés au bon Dieu
par leurs parents, reçoivent une grâce et une bénédiction
toutes particulières, qu'ils ne recevraient pas sans cela. Il nous
dit que si les mères avaient bien à cœur le salut de leurs
enfants, elles les donneraient au bon Dieu avant qu'ils vinssent au monde.
Nous disons que ceux qui ont la
charité reçoivent avec pa-tience et résignation à
la volonté de Dieu, tous les accidents qui peuvent leur arriver,
les maladies, les calamités, en pensant que tout cela nous rappelle
que nous sommes pécheurs, et que notre vie n'est pas éternelle
ici-bas.
Nous péchons encore contre
l'amour de Dieu, quand nous restons trop longtemps sans penser à
Lui. Combien, hélas ! pas-sent un quart et même la moitié
du jour sans faire une élévation de leur cœur vers Dieu,
pour le remercier de tous ses bienfaits, surtout de les avoir faits chrétiens,
de les avoir fait naître dans le sein de son Église, de les
avoir préservés d'être morts dans le pé-ché.
L'avons-nous remercié de tous les sacrements qu'il a établis
pour notre sanctification, de notre vocation à la foi ? L'avons-nous
remercié de tout ce qu'il a opéré pour notre salut,
de son incarna-tion, de sa mort et passion ? N'avons-nous pas eu de l'indifférence
pour le service de Dieu en négligeant soit de fréquenter
les sa-crements, soit de nous corriger, soit d'avoir souvent recours à
la prière ? N'avons-nous pas négligé de nous instruire
de la manière de nous comporter pour plaire à Dieu ? Lorsque
nous avons vu quelqu'un blasphémer le saint nom de Dieu, ou commettre
d'au-tres péchés, n'avons-nous pas été indifférents,
comme si cela ne nous regardait pas ? N'avons-nous pas prié sans
goût, sans dessein de plaire à Dieu ; plutôt pour nous
débarrasser, que pour attirer ses miséricordes sur nous,
et nourrir notre pauvre âme ? N'avons-nous point passé le
saint jour de dimanche en nous contentant de la messe, des vêpres
; sans faire aucune autre prière, ni visite au Saint-Sacrement,
ni lecture spirituelle ? Avons-nous été affligés lorsque
nous avons été obligés de manquer les offices ? Avons-nous
tâché d'y suppléer par toutes les prières que
nous avons pu ?... Avez-vous fait manquer les offices à vos enfants,
à vos domestiques sans des raisons graves ?...
Avons-nous bien combattu toutes
ces pensées de haine, de vengeance et d'impureté ?
Pour aimer le bon Dieu, M.F., il
ne suffit pas de dire qu'on l'aime, il faut, pour bien s'assurer si cela
est vrai, voir si nous ob-servons bien ses commandements, et si nous les
faisons bien ob-server à ceux dont nous avons la responsabilité
devant le bon Dieu. Écoutez Notre-Seigneur : « En vérité,
je vous dis que ce n'est pas celui qui dira : Seigneur, Seigneur, qui entrera
dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera la volonté de Mon
Père . » Nous aimons le bon Dieu, quand nous ne cherchons
qu'à lui plaire dans tout ce que nous faisons. Il ne faut désirer
ni la vie, ni la mort ; toutefois, l'on peut désirer la mort pour
avoir le bonheur d'aller vers le bon Dieu . Saint Ignace avait un si grand
désir de voir Dieu, que, quand il pensait à la mort, il en
pleurait de joie. Cependant dans l'attente de ce grand bonheur, il disait
à Dieu, qu'il resterait autant qu'il voudrait sur la terre. Il avait
tant à cœur le salut des âmes, qu'un jour ne pouvant convertir
un pécheur endurci, il alla se plonger, jusqu'au cou, dans un étang
gla-cé afin d'obtenir de Dieu la conversion de ce malheureux. Comme
il allait à Paris, un de ses écoliers lui prit en route tout
l'argent qu'il avait. Cet écolier étant tombé malade
à Rouen, ce bon saint fit le voyage de Paris à cette ville,
à pied et sans souliers, pour demander la guérison de celui
qui lui avait pris tout son argent. Dites-moi, M.F., est-ce là une
charité parfaite ? Vous pensez en vous-mêmes que ce serait
déjà beaucoup de pardonner. Vous feriez la même chose,
si vous aviez la même charité que ce bon saint. Si nous trouvons
si peu de personnes qui feraient cela, M.F., c'est qu'il en est très
peu qui ont la charité dans l'âme. Qu'il est consolant que
nous puissions aimer Dieu et le prochain sans être savant, ni riche
! Nous avons un cœur, il suffit pour cet amour.
Nous lisons dans l'histoire,
que deux solitaires demandaient à Dieu depuis longtemps, qu'il voulût
bien
leur apprendre la ma-nière de l'aimer et de le servir comme il faut,
puisqu'ils n'avaient quitté le monde que pour cela. Ils entendirent
une voix qui leur dit d'aller dans la ville d'Alexandrie où demeuraient
un homme, nommé Euchariste, et sa femme qui s'appelait Marie. Ceux-là
ser-vaient le bon Dieu plus parfaitement que les solitaires, et leur ap-prendraient
comment il doit être aimé. Très heureux de cette ré-ponse,
les deux solitaires se rendent en toute hâte dans la ville d'Alexandrie.
Étant arrivés, ils s'informent, pendant plusieurs jours,
sans pouvoir trouver ces deux saints personnages. Crai-gnant que cette
voix ne les ait trompés, ils prenaient le parti de retourner dans
leur désert, quand ils aperçurent une femme sur la porte
de sa maison. Ils lui demandèrent, si elle ne connaîtrait
pas par hasard un homme nommé Euchariste. – C'est mon mari, leur
dit-elle. – Vous vous appelez donc Marie, lui dirent les solitaires ? –
Qui vous a appris mon nom ? – Nous l'avons appris, avec celui de votre
mari, par une voix surnaturelle, et nous venons ici pour vous parler. Le
mari arriva, sur le soir, conduisant un petit trou-peau de moutons. Les
solitaires coururent aussitôt l'embrasser, et le prièrent
de lui dire quel était son genre de vie. – Hélas ! mes pères
; je ne suis qu'un pauvre berger. – Ce n'est pas ce que nous vous demandons,
lui dirent les solitaires ; dites-nous comment vous vivez et de quelle
manière, vous et votre femme, servez le bon Dieu. – Mes pères,
c'est bien à vous de me dire ce qu'il faut faire pour servir le
bon Dieu ; je ne suis qu'un pauvre ignorant. N'importe ! nous sommes venus
de la part de Dieu vous demander comment vous le servez. – Puisque vous
me le commandez, je vais vous le dire. J'ai eu le bonheur d'avoir une mère
craignant Dieu, qui, dès mon enfance, m'a recommandé de tout
faire et de tout souffrir pour l'amour de Dieu. Je souffrais les petites
correc-tions que l'on me faisait pour l'amour de Dieu ; je rapportais tout
à Dieu : le matin, je me levais, je faisais mes prières et
tout mon travail pour son amour. Pour son amour, je prends mon repos et
mes repas ; je souffre la faim, la soif, le froid et la chaleur, les ma-ladies
et toutes les autres misères. Je n'ai point d'enfants ; j'ai vécu
avec ma femme comme avec ma sœur, et toujours dans une grande paix. Voilà
toute ma vie et c'est aussi celle de ma femme. – Les solitaires, ravis
de voir des âmes si agréables à Dieu, lui demandèrent
s'il avait du bien. – J'ai peu de bien, mais ce petit troupeau de moutons
que mon père m'a laissés me suffit, j'en ai de reste. Je
fais trois parts de mon petit revenu : j'en donne une partie à l'église,
une autre aux pauvres, et le reste nous fait vivre ma femme et moi. Je
me nourris pauvrement ; mais jamais je ne me plains : je souffre tout cela
pour l'amour de Dieu. – Avez-vous des ennemis, lui dirent les solitaires
? – Hélas, mes pères, quel est ce-lui qui n'en a point ?
Je tâche de leur faire tout le bien que je peux, je cherche à
leur faire plaisir en toute circonstance, et je m'appli-que à ne
faire de mal à personne. A ces paroles, les deux solitaires furent
comblés de joie d'avoir trouvé un moyen si facile de plaire
à Dieu et d'arriver à la haute perfection .
Vous voyez, M.F., que pour aimer
le bon Dieu et le pro-chain il n'est pas nécessaire d'être
bien savant, ni bien riche ; il suffit de ne chercher qu'à plaire
à Dieu, dans tout ce que nous fai-sons ; de faire du bien à
tout le monde, aux mauvais comme aux bons, à ceux qui déchirent
notre réputation, comme à ceux qui nous aiment, et, qui….
Prenons Jésus-Christ pour notre mo-dèle, nous verrons ce
qu'il a fait pour tous les hommes et particulière-ment pour ses
bourreaux. Voyez comme il demande pardon, mi-séricorde pour eux
; il les aime, il offre pour eux les mérites de sa mort et passion
; il leur promet le pardon. Si nous n'avons pas cette vertu de charité,
nous n'avons rien ; nous ne sommes que des fantômes de chrétiens.
Ou nous aimerons tout le monde, même nos plus grands ennemis, ou
nous serons réprouvés. Ah ! M.F., puisque cette belle vertu
vient du ciel, adressons-nous donc au ciel pour la demander, et nous sommes
sûrs de l'obtenir. Si nous possédons la charité, tout
en nous plaira au bon Dieu, et par là nous nous assurerons le paradis.
C'est le bonheur que je vous sou-haite.
17ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la pureté
Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum
videbunt.
Bienheureux ceux qui ont le cœur
pur, parce qu'ils verront Dieu.
(S Matth., V, 8.)
Nous lisons dans l'Évangile, que Jésus-Christ, voulant ins-truire le peuple qui venait en foule apprendre de lui ce qu'il fallait faire pour avoir la vie éternelle, s'assit, et ouvrant la bouche, leur dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. » Si nous avions un grand désir de voir Dieu, M.F., ces seu-les paroles ne devraient-elles pas nous faire comprendre combien la pureté nous rend agréables à lui, et combien elle nous est né-cessaire ; puisque, selon Jésus-Christ, sans elle nous ne le verrons jamais. « Bienheureux, nous dit Jésus-Christ, ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront le bon Dieu. » Peut-on espérer une plus grande récompense que celle que Jésus-Christ attache à cette belle et aimable vertu, à savoir, la jouissance des trois personnes de la très sainte Trinité, pendant toute l'éternité ?... Saint Paul, qui en connaissait si bien le prix, écrivant aux Corinthiens, leur dit : « Glorifiez le bon Dieu, puisque vous le portez dans vos corps ; et soyez fidèles à les conserver dans une grande pureté. Rappelez vous bien, mes enfants, que vos membres sont les membres de Jésus-Christ, et que vos cœurs sont les temples du Saint-Esprit. Prenez bien garde de ne pas les souiller par le péché, qui est l'adultère, la fornication, et tout ce qui peut déshonorer votre corps et votre cœur, aux yeux de Dieu la pureté même . » Oh ! M.F., que cette vertu est belle et précieuse, non seulement aux yeux des hommes et des anges, mais aux yeux de Dieu même. Il en fait tant de cas, qu'il ne cesse de la louer dans tous ceux qui sont assez heureux pour la conserver. Aussi, cette vertu inestima-ble fait-elle le plus bel ornement de l'église, et, par conséquent, devrait-elle être la plus chérie des chrétiens. Nous, M.F., qui, dans le saint baptême, avons été arrosés par le sang adorable de Jésus-Christ, la pureté même ; dans ce sang adorable qui a tant engendré de vierges de l'un et de l'autre sexe ; nous, à qui Jésus-Christ a fait part de sa pureté en nous rendant ses membres et son temple... Mais, hélas ! M.F., dans ce malheureux siècle de corruption où nous vivons, on ne connaît plus cette vertu, cette céleste vertu qui nous rend semblables aux anges.... Oui, M.F., la pureté est une vertu qui nous est nécessaire à tous, puisque, sans elle, personne ne verra le bon Dieu. Je voudrais vous en faire concevoir une idée digne de Dieu, et vous montrer, 1? combien elle nous rend agréa-bles à ses yeux en donnant un nouveau degré de sainteté à toutes nos actions, et 2? ce que nous devons faire pour la conserver.
I. – Il faudrait, M.F., pour bien
vous faire comprendre l'es-time que nous devons avoir de cette incomparable
vertu, pour vous faire le récit de sa beauté, et vous en
faire apprécier la valeur auprès de Dieu, il faudrait non
un homme mortel, mais un ange du ciel. En l'entendant, vous diriez avec
étonnement : Comment tous les hommes ne sont-ils pas prêts
à tout sacrifier plutôt que de per-dre une vertu qui nous
unit d'une manière intime avec Dieu ? Es-sayons cependant d'en concevoir
quelque chose en considérant que cette vertu vient du ciel, qu'elle
fait descendre Jésus-Christ sur la terre, et qu'elle élève
l'homme jusqu'au ciel, par la ressem-blance qu'elle lui donne avec les
anges, avec Jésus-Christ lui-même. Dites-moi, M.F., d'après
cela, ne mérite-t-elle pas le titre de précieuse vertu ?
N'est-elle pas digne de toute notre estime et de tous les sacrifices nécessaires
pour la conserver ?
Nous disons que la pureté
vient du ciel, parce qu'il n'y avait que Jésus-Christ lui-même
qui fût capable de nous l'apprendre et de nous en faire sentir toute
la valeur. Il nous a laissé des exem-ples prodigieux de l'estime
qu'il a eue de cette vertu. Ayant résolu, dans la grandeur de sa
miséricorde, de racheter le monde, il prit un corps mortel comme
le nôtre ; mais il voulut choisir une vierge pour mère. Quelle
fut cette incomparable créature, M.F. ? Ce fut Marie, la plus pure
entre toutes, et qui, par une grâce accordée à nulle
autre, fut exempte du péché originel. Elle consacra sa virgi-nité
au bon Dieu dès l'âge de trois ans, et en lui offrant son
corps, son âme, elle lui fit le sacrifice le plus saint, le plus
pur et le plus agréable que Dieu ait jamais reçu d'une créature
sur la terre. Elle le soutint par une fidélité inviolable
à garder sa pureté et à éviter tout ce qui
pouvait tant soit peu en ternir l'éclat. Nous voyons que la sainte
Vierge faisait tant de cas de cette vertu, qu'elle ne voulait pas consentir
à être Mère de Dieu avant que l'ange ne lui eût
assu-ré qu'elle ne la perdrait pas : Mais l'ange lui ayant dit que,
en de-venant la Mère de Dieu, bien loin de perdre ou de ternir sa
pureté dont elle faisait tant d'estime, elle n'en serait que plus
pure et plus agréable à Dieu, elle consentit alors volontiers,
afin de donner un nouvel éclat à cette pureté virginale
. Nous voyons encore que Jésus-Christ choisit un père nourricier
qui était pauvre, il est vrai ; mais il voulut que sa pureté
fut au-dessus de celle de toutes les autres créatures, la sainte
Vierge exceptée. Parmi ses disciples, il en distingua un, à
qui il témoigna une amitié et une confiance sin-gulières,
à qui il fit part de ses plus grands secrets ; mais il prit le plus
pur de tous, et qui était consacré à Dieu dès
sa jeunesse.
Saint Ambroise nous dit que la pureté
nous élève jusqu'au ciel et nous fait quitter la terre, autant
qu'il est possible à une créa-ture de la quitter. Elle nous
élève au-dessus de la créature corrompue et, par ses
sentiments et ses désirs, elle nous fait vivre de la vie même
des anges. D'après saint Jean Chrysostome, la chasteté d'une
âme est d'un plus grand prix aux yeux de Dieu que celle des anges,
parce que les chrétiens ne peuvent acquérir cette vertu que
par les combats, au lieu que les anges l'ont par nature. Les anges n'ont
rien à combattre pour la conserver, tandis qu'un chrétien
est obligé de se faire à lui-même une guerre continuelle.
Saint Cyprien ajoute que, non seulement la chasteté nous rend semblables
aux anges, mais encore nous donne un caractère de ressemblance avec
Jésus-Christ lui-même. Oui, nous dit ce grand saint, une âme
chaste est une image vivante de Dieu sur la terre.
Plus une âme se détache
d'elle-même par la résistance à ses passions, plus
elle s'attache à Dieu ; et, par un heureux retour, plus le bon Dieu
s'attache à elle : il la regarde, il la considère comme son
épouse et sa bien-aimée ; il en fait l'objet de ses plus
chères complaisances et y fixe sa demeure pour jamais. « Heureux,
nous dit le Sauveur, ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront le
bon Dieu . » Selon saint Basile, si nous trouvons la chasteté
dans une âme, nous y trouvons toutes les autres vertus chrétiennes
; elle les pratiquera avec une grande facilité, « parce que,
nous dit-il, pour être chaste, il faut s'imposer beaucoup de sacrifices
et se faire une grande violence. Mais une fois qu'elle a remporté
de telles victoires sur le démon, la chair et le sang, tout le reste
lui coûte fort peu ; car une âme qui commande avec empire à
ce corps sensuel surmonte facilement tous les obstacles qu'elle rencontre
dans le chemin de la vertu. » Aussi, voyons-nous, M.F., que les chrétiens
qui sont chastes sont les plus parfaits. Nous les voyons réservés
dans leurs paroles, modestes dans toutes leurs démarches, sobres
dans leurs repas, res-pectueux dans le lieu saint et édifiants dans
toute leur conduite. Saint Augustin compare ceux qui ont le grand bonheur
de conserver leur cœur pur, aux lis qui montent droit au ciel et qui répandent
autour d'eux une odeur très agréable ; leur vue seule nous
fait penser à cette précieuse vertu. Ainsi la sainte Vierge
inspirait la pureté à tous ceux qui la regardaient... Heureuse
vertu, M.F., qui nous met au rang des anges, qui semble même nous
élever au-dessus d'eux ! Tous les saints en ont fait le plus grand
cas et ont mieux aimé perdre leurs biens, leur réputation
et leur vie même que de ternir cette belle vertu.
Nous en avons un bel exemple dans
la personne de sainte Agnès. Sa beauté et ses richesses l'avaient
fait rechercher, à l'âge de douze ans, par le fils du préfet
de la ville de Rome. Elle lui fait connaître qu'elle s'était
consacrée au bon Dieu. Elle fut arrêtée sous le prétexte
qu'elle était chrétienne, mais en réalité afin
qu'elle consentît aux désirs du jeune homme. Elle était
tellement unie au bon Dieu que ni les promesses, ni les menaces, ni la
vue des bour-reaux et des instruments étalés devant elle
pour l'effrayer, ne lui firent changer de sentiments. Ses persécuteurs
ne pouvant rien gagner sur elle, ils la chargèrent de chaînes,
et voulurent lui met-tre un carcan et des anneaux de fer au cou et aux
mains ; ils ne pu-rent y réussir, tant étaient faibles ses
pauvres petites mains inno-centes. Elle demeura ferme dans sa résolution,
au milieu de ces loups enragés, et elle offrit son petit corps aux
tourments
avec un courage qui étonna les bourreaux. On la traîne aux
pieds des ido-les ; mais elle confesse hautement qu'elle ne reconnaît
pour Dieu que Jésus-Christ, et que leurs idoles ne sont que des
démons. Le juge cruel et barbare, voyant qu'il ne peut rien gagner,
croit qu'elle sera plus sensible à la perte de cette pureté
dont elle fait tant de cas. Il la menace de la faire exposer dans un lieu
infâme ; mais elle lui répond avec fermeté : «
Vous pouvez bien me faire mou-rir, mais vous ne pourrez jamais me faire
perdre ce trésor : Jésus-Christ lui-même en est trop
jaloux. » Le juge, mourant de rage, la fait conduire dans ce lieu
d'ordures infernales. Mais Jésus-Christ, qui veillait sur elle d'une
manière particulière, inspire un si grand respect aux gardes,
qu'ils ne la regardaient qu'avec une espèce de frayeur, et il commande
à un de ses anges de la protéger. Les jeu-nes gens, qui entrent
dans cette chambre, brûlants d'un feu impur, voyant un ange à
côté d'elle, plus beau que le soleil, en sortent tout brûlants
de l'amour divin. Mais le fils du préfet, plus méchant et
plus corrompu que les autres, pénètre dans la chambre où
était sainte Agnès. Sans avoir égard à toutes
ces merveilles, il s'appro-che d'elle dans l'espérance de contenter
ses désirs impurs ; mais l'ange qui garde la jeune martyre frappe
le libertin, qui tombe mort à ses pieds. Aussitôt se répand
dans Rome le bruit que le fils du préfet avait été
tué par Agnès. Le père, tout en fureur, vient trouver
la sainte et se livre à tout ce que son désespoir peut lui
inspirer. Il l'appelle furie de l'enfer, monstre né pour la désolation
de sa vie, puisqu'elle avait fait mourir son fils. Sainte Agnès
lui répond tranquillement : « C'est qu'il a voulu me faire
violence, alors mon ange lui a donné la mort. » Le préfet
un peu adouci, lui dit : « Eh bien ! prie ton Dieu de le ressusciter,
afin que l'on ne dise pas que c'est toi qui l'as fait mourir. – Sans doute,
lui dit la sainte, vous ne méritez pas cette grâce ; mais
afin que vous sa-chiez que les chrétiens ne se vengent jamais, qu'au
contraire, ils rendent le bien pour le mal, sortez d'ici, et je vais prier
le bon Dieu pour lui. ». Alors Agnès se jette à genoux,
prosternée la face contre terre. Pendant qu'elle prie, son ange
lui apparaît et lui dit : « Prenez courage. » Au même
instant le corps inanimé reprend la vie : Le jeune homme ressuscité
par les prières de la sainte, s'élance de la maison, court
par les rues de Rome en criant : « Non, non, mes amis, il n'y a point
d'autre Dieu que celui des chrétiens ; tous les dieux que nous adorons
ne sont que des dé-mons qui nous trompent et nous traînent
en enfer. » Cependant, malgré un si grand miracle, on ne laissa
pas que de la condamner à mort. Alors le lieutenant du préfet
commande qu'on allume un grand feu, et l'y fait jeter. Mais les flammes
s'entr'ouvrant, ne lui font aucun mal et brûlent les idolâtres
accourus pour être les spec-tateurs de ses combats. Le lieutenant
voyant que le feu la respec-tait et ne lui faisait aucun mal ; ordonne
qu'on la frappe d'un coup d'épée à la gorge, afin
de lui ôter la vie ; mais le bourreau tremble comme si lui-même
était condamné à la mort... Comme les pa-rents de
sainte Agnès pleuraient la mort de leur fille, elle leur ap-parut
en leur disant : « Ne pleurez pas ma mort, au contraire, ré-jouissez-vous
de ce que j'ai acquis une si grande gloire dans le ciel . »
Vous voyez, M.F., ce que cette vierge
a souffert plutôt que de perdre sa virginité. Concevez maintenant
l'estime que vous de-vez avoir de la pureté, et combien le bon Dieu
se plaît à faire des miracles pour s'en montrer le protecteur
et le gardien. Comme cet exemple confondra un jour ces jeunes gens qui
font si peu de cas de cette belle vertu ! Ils n'en n'ont jamais connu le
prix. Le Saint-Esprit a donc bien raison de s'écrier : « Oh
! qu'elle est belle cette génération chaste ; sa mémoire
est éternelle, et sa gloire brille de-vant les hommes et les anges
! » IL est certain, M.F., que chacun aime ses semblables ; aussi
les anges, qui sont des esprits purs, aiment et protègent d'une
manière particulière les âmes qui imitent leur pureté.
Nous lisons dans l'Écriture sainte que l'ange Raphaël,
qui accompagna le jeune Tobie, lui rendit mille offices. Il le préserva
d'être dévoré par un poisson, d'être étranglé
par le dé-mon. Si ce jeune homme n'avait pas été chaste,
très certainement l'ange ne l'aurait pas accompagné et ne
lui aurait pas rendu tant de services. De quel plaisir ne jouit pas l'ange
gardien qui conduit une âme pure !
Il n'y a point de vertu pour la
conservation de laquelle le bon Dieu fasse des miracles aussi nombreux
que ceux qu'il prodigue en faveur d'une personne qui connaît le prix
de la pureté et qui s'efforce de la sauvegarder. Voyez ce qu'il
fit pour sainte Cécile. Née à Rome de parents très
riches, elle était très instruite de la re-ligion chrétienne,
et suivant l'inspiration de Dieu, elle lui consacra sa virginité.
Ses parents, qui ne le savaient pas, la promirent en ma-riage à
Valérien, fils d'un sénateur de la ville. C'était,
selon le monde, un parti très considéré. Elle demanda
à ses parents le temps d'y penser. Elle passa ce temps dans le jeûne,
la prière et les larmes, pour obtenir de Dieu la grâce de
ne pas perdre la fleur de cette vertu qu'elle estimait plus que sa vie.
Le bon Dieu lui ré-pondit de ne rien craindre et d'obéir
à ses parents ; car, non seu-lement elle ne perdrait pas cette vertu,
mais que celui qu'elle au-rait…. Elle con-sentit donc au mariage.
Le jour de ses noces, lors-que Valérien se présenta, elle
lui dit : « Mon cher Valérien, j'ai un secret à vous
communiquer. Celui-ci lui répondit : Quel est ce se-cret ? – J'ai
consacré ma virginité à Dieu et jamais homme ne me
touchera, car j'ai un ange qui veille sur ma pureté ; et si vous
y at-tentiez, il vous frapperait de mort. » – Valérien fut
fort surpris de ce langage, parce qu'étant païen, il ne comprenait
rien à tout cela. Il répondit : « Montrez-moi cet ange
qui vous garde, » La sainte répliqua : « Vous ne pouvez
le voir parce que vous êtes païen. Al-lez trouver de ma part
le pape Urbain, et demandez-lui le bap-tême, vous verrez ensuite
mon ange. » Sur-le-champ, il part. Après avoir été
baptisé par le Pape, il revient trouver son épouse. Entrant
dans sa chambre, il aperçoit l'ange veillant avec sainte Cécile.
Il le trouve si beau, si brillant de gloire, qu'il en est char-mé
et touché. Non seulement il permit à son épouse de
rester consacrée à Dieu, mais lui-même fit vœu de virginité.
Ils eurent bientôt l'un et l'autre le bonheur de mourir martyrs .
Voyez-vous comment le bon Dieu prend soin d'une personne qui aime cette
incomparable vertu et travaille à la conserver ?
Nous lisons dans la vie de saint
Edmond ,qu'étudiant à Paris il se trouva avec quelques personnes
qui disaient des sottises, il les quitta de suite. Cette action fut si
agréable à Dieu, qu'il lui apparut sous la forme d'un bel
enfant et le salua d'un air fort gracieux, lui disant qu'il l'avait vu
avec satisfaction quitter ses compagnons qui tenaient des discours licencieux
; et, pour l'en récompenser, il lui promit qu'il serait toujours
avec lui. De plus, saint Edmond eut le grand bonheur de conserver son innocence
jusqu'à la mort. Quand sainte Lucie alla sur le tombeau de sainte
Agathe pour demander au bon Dieu, par son intercession, la guérison
de sa mère, sainte Agathe lui apparut et lui dit qu'elle pouvait
obtenir, par elle-même, ce qu'elle demandait, parce que, par sa pureté,
elle avait préparé dans son cœur une demeure très
agréable à son Créateur . Ceci nous montre que le
bon Dieu ne peut rien refuser à celui qui a le bonheur de conserver
purs son corps et son âme...
Écoutez le récit de
ce qui arriva à sainte Potamienne qui vi-vait au temps de la persécution
de Maximien . Cette jeune fille était esclave d'un maître
débauché et libertin, qui ne cessait de la solliciter au
mal. Elle aima mieux souffrir toutes sortes de cruau-tés et de supplices
que de consentir aux sollicitations de ce maître infâme. Celui-ci,
voyant qu'il ne pouvait rien gagner, dans sa fu-reur, la fit remettre comme
chrétienne entre les mains du gouver-neur auquel il promit une grande
récompense s'il pouvait la ga-gner. Le juge fit conduire cette vierge
devant son tribunal, et voyant que toutes les menaces ne la faisaient pas
changer de sen-timents, il lui fit endurer tout ce que la rage put lui
inspirer. Mais le bon Dieu, qui n'abandonne jamais ceux qui se sont consacrés
à lui, donna à la jeune martyre tant de force qu'elle semblait
être in-sensible à tous les tourments. Ce juge inique ne pouvant
vaincre sa résistance, fit placer sur un feu très ardent
une chaudière rem-plie de poix, et lui dit : « Regarde ce
que l'on te prépare, si tu n'obéis pas à ton maître.
» La sainte fille répondit sans se trou-bler : « J'aime
mieux souffrir tout ce que votre fureur pourra vous inspirer qu'obéir
aux infâmes volontés de mon maître ; d'ailleurs, je
n'aurais jamais cru qu'un juge fût si injuste que de vouloir me faire
obéir aux desseins d'un maître débauché. »
Le tyran, irrité de cette réponse, commanda qu'on la jetât
dans la chaudière. « Du moins, ordonnez, lui dit-elle, que
j'y sois jetée toute vêtue. Vous verrez quelle force le bon
Dieu que nous adorons, donne à ceux qui souffrent pour lui. »
Après trois heures de supplice, Pota-mienne rendit sa belle âme
à son Créateur, et ainsi remporta la double palme du martyre
et de la virginité.
Hélas ! M.F., que cette vertu
est peu connue dans le monde, que nous l'estimons peu, que nous prenons
peu de soin pour la conserver, que nous avons peu de zèle à
la demander à Dieu, puisque nous ne pouvons l'avoir de nous-même.
Non, nous ne connaissons point cette belle et aimable vertu qui gagne si
facile-ment le cœur de Dieu, qui donne un si beau lustre à toutes
nos au-tres bonnes œuvres, qui nous élève au-dessus de nous-même,
qui nous fait vivre sur la terre comme les anges dans le ciel !...
Non, M.F., elle n'est pas connue
de ces vieux infâmes impu-diques qui se traînent, se roulent
et se noient dans la fange de leurs turpitudes, dont le cœur est semblable
à ces…… sur le haut des montagnes……rôtis et brûlés
par ces feux impurs. Hélas ! bien loin de chercher à l'éteindre,
ils ne cessent de l'allumer et de l'enflammer par leurs regards, leurs
pensées, leurs désirs et leurs actions. Dans quel état
sera cette âme, quand elle paraîtra devant un Dieu, la pureté
même ? Non, M.F., cette belle vertu n'est pas connue de cette personne,
dont les lèvres ne sont qu'une bouche et qu'un tuyau dont l'enfer
se sert pour vomir ses impuretés sur la terre ; et qui s'en nourrit
comme d'un pain quotidien. Hélas ! leur pauvre âme n'est plus
qu'un objet d'horreur au ciel et à la terre ! Non, M.F., elle n'est
pas connue cette aimable vertu de pureté de ces jeunes gens dont
les yeux et les mains sont souillés par des regards et …. O Dieu,
combien d'âmes ce péché traîne dans les enfers
!... Non, M.F., cette belle vertu n'est pas connue de ces fil-les mondaines
et corrompues qui prennent tant de précautions et de soins pour
attirer sur elles les yeux du monde ; qui, par leurs parures recherchées
et indécentes, annoncent publiquement qu'el-les sont d'infâmes
instruments dont l'enfer se sert pour perdre les âmes ; ces âmes,
qui ont tant coûté de travaux, de larmes et de tourments à
Jésus-Christ !... Regardez-les, ces malheureuses, et vous verrez
que mille démons environnent leur tête et leur poi-trine.
O mon Dieu, comment la terre peut-elle supporter de tels suppôts
de l'enfer ? Chose plus étonnante encore, comment des mères
les souffrent-elles dans un état indigne d'une chrétienne
! Si je ne craignais d'aller trop loin, je dirais à ces mères
qu'elles ne valent pas plus que leurs filles. Hélas ! ce malheureux
cœur et ces yeux impurs ne sont qu'une source empoisonnée qui donne
la mort à quiconque les regarde ou les écoute. Comment de
tels, monstres osent-ils se présenter devant un Dieu saint et si
ennemi de l'impureté ! Hélas ! leur pauvre vie n'est autre
chose qu'un monceau de graisse qu'elles amassent pour enflammer les feux
de l'enfer pendant toute l'éternité. Mais, M.F., quittons
une matière si dégoûtante et si révoltante pour
un chrétien, dont la pureté doit imiter celle de Jésus-Christ
lui-même ; et revenons à notre belle vertu de pureté
qui nous élève jusqu'au ciel, qui nous ouvre le cœur adorable
de Jésus-Christ, et nous attire toutes sortes de bé-nédictions
spirituelles et temporelles.
II. – Nous avons dit, M.F., que cette
vertu est d'un grand prix aux yeux de Dieu ; disons aussi qu'elle ne manque
pas d'en-nemis qui s'efforcent de nous la faire perdre. Nous pouvons même
dire que presque tout ce qui nous environne travaille à nous la
ra-vir. Le démon est un de nos plus cruels ennemis ; comme il vit
dans l'ordure des vices impurs, comme il sait qu'il n'y a point de péché
qui outrage tant le bon Dieu et qu'il connaît combien lui est agréable
une âme pure, il nous tend toutes sortes de pièges pour nous
enlever cette vertu. D'un autre côté, le monde qui ne cherche
que ses aises et ses plaisirs, travaille aussi à nous la faire perdre,
souvent en paraissant nous témoigner de l'amitié. Mais, nous
pou-vons dire que notre plus cruel et notre plus dangereux ennemi, c'est
nous-mêmes, c'est-à-dire, notre chair qui, ayant été
déjà gâ-tée et corrompue par le péché
d'Adam, nous porte avec une sorte de fureur à la corruption. Si
nous ne sommes pas continuellement sur nos gardes, elle nous a bientôt
brûlés et dévorés par ses flam-mes impures.
– Mais, me direz-vous, puisqu'il est si difficile de conserver cette vertu,
si précieuse aux yeux de Dieu, que faut-il donc faire ? – M.F.,
en voici les moyens. Le premier est de bien veiller sur nos yeux, nos pensées,
nos paroles et nos actions ; le second d'avoir recours à la prière
; le troisième de fréquenter les sacrements souvent et dignement
; le quatrième de fuir tout ce qui est capable de nous porter au
mal ; le cinquième d'avoir une grande dévotion à la
sainte Vierge. Si nous faisons cela, malgré tous nos ennemis et
malgré la fragilité de cette vertu, nous som-mes cependant
sûrs de la conserver.
Je dis 1? qu'il faut veiller sur
nos regards ; cela n'est pas douteux, puisque nous voyons qu'il y en a
tant qui sont tombés dans ce péché par un seul regard,
et qui ne se sont jamais rele-vés …. Ne vous permettez jamais
aucune liberté sans une vérita-ble nécessité.
Plutôt souffrir quelque incommodité que de vous exposer au
péché...
2? Saint Jacques nous dit que cette
vertu vient du ciel et que jamais nous ne l'aurons si nous ne là
demandons pas au bon Dieu . Nous devons donc souvent demander au bon Dieu
de nous donner la pureté dans nos. yeux, dans nos paroles et dans
toutes nos actions.
Je dis, en troisième lieu,
que si nous voulons conserver cette belle vertu, nous devons souvent et
dignement fréquenter les sa-crements, sans quoi, jamais nous n'aurons
ce bonheur. Jésus-Christ n'a pas seulement institué le sacrement
de Pénitence pour remettre nos péchés, mais encore
pour nous donner des forces pour combattre le démon ; ce qui est
très facile à comprendre. Quelle est la personne qui, ayant
fait une bonne confession au-jourd'hui, pourra se laisser entraîner
à la tentation ? Le péché, même avec tous ses
plaisirs, lui ferait horreur. Quel est celui qui, ayant communié
depuis peu, pourra consentir, je ne dis pas à une action d'impureté,
mais à une seule mauvaise pensée ? Ah ! le di-vin Jésus
; qui a fait sa demeure dans son cœur, lui fait trop com-prendre combien
ce péché est infâme et combien il lui déplaît,
et l'éloigne de lui. Oui, M.F., un chrétien qui fréquente
saintement les sacrements peut bien être tenté ; mais pécher,
c'est autre chose. En effet, quand nous avons le grand bonheur de recevoir
le corps adorable de Jésus-Christ, ne sentons-nous pas s'éteindre
ce feu impur ? Ce sang adorable qui coule dans nos veines peut-il moins
faire que de purifier notre sang ? Cette chair sacrée qui se mêle
avec la nôtre, ne la divinise-t-elle pas en quelque manière
? Notre corps ne semble-t-il pas retourner dans le premier état
où était Adam avant son péché ? Ah ! ce sang
adorable « qui a engendré tant de vierges » !...
Soyons bien surs, M.F., que si nous ne fré-quentons pas les sacrements,
nous tomberons à chaque instant dans le péché.
Nous devons encore, pour nous défendre
du démon, fuir les personnes qui peuvent nous porter, au mal. Voyez
ce que fit le chaste Joseph tenté par la femme de son maître
: il lui laissa son manteau entre les mains, et s'enfuit pour sauver son
âme . Les frères de saint Thomas d'Aquin ne pouvant souffrir
que leur frère se consacrât à Dieu, pour l'en empêcher,
l'enfermèrent dans un châ-teau et y firent venir une femme
de mauvaise vie pour tâcher de le corrompre. Se voyant poussé
à bout par l'effronterie de cette mauvaise créature, il prit
un tison à la main et la chassa honteu-sement de sa chambre. Ayant
vu le danger auquel il avait été ex-posé, il pria
avec tant de larmes, que le bon Dieu lui accorda le don précieux
de la continence, c'est-à-dire qu'il ne fut plus jamais tenté
contre cette belle vertu .
Voyez ce que fit saint Jérôme
pour avoir le bonheur de conserver la pureté ; voyez-le dans son
désert, s'abandonner à tou-tes les rigueurs de la pénitence,
aux larmes et à des macérations qui font frémir .
Ce grand saint nous rapporte la victoire que remporta un jeune homme
dans un combat peut-être unique dans l'histoire, au temps de la cruelle
persécution que l'empereur Dèce déchaîna contre
les chrétiens. Le tyran, après avoir soumis ce jeune homme
à toutes les épreuves que le démon put lui inspirer,
pensa que s'il lui faisait perdre la pureté de son âme, il
l'amènerait facilement à renoncer à la vraie religion.
Dans ce but, il ordonna de le mener, dans un jardin de délices,
au milieu des lis et des ro-ses, près d'un ruisseau qui coulait
avec un doux murmure, et sous des arbres agités par un vent agréable.
Là, on le mit sur un lit de plumes ; on l'attacha avec des liens
de soie, et il fut laissé seul dans cet état. Ensuite l'on
fit venir une courtisane, parée aussi ri-chement et aussi indécemment
que possible. Elle commença à le solliciter au mal, avec
toute l'impudence et tous les attraits que la passion peut inspirer. Ce
pauvre jeune homme qui aurait donné mille fois sa vie plutôt
que de souiller la pureté de sa belle âme, se voyait sans
défense puisqu'il avait les pieds et les mains liés. Ne sachant
plus comment résister aux attaques de la volupté, poussé
par l'esprit de Dieu, il se coupe la langue avec les dents et la cra-che
au visage de cette femme. Ce que voyant, elle fut si couverte de confusion
qu'elle s'enfuit. Ce fait nous montre que jamais le bon Dieu ne nous laissera
être tentés au-dessus de nos forces.
Voyez encore ce que fit saint Martinien,
qui vivait dans le IVe siècle . Après avoir passé
vingt-cinq ans dans le désert, il fut exposé à une
occasion très prochaine de péché. Déjà
il y avait consenti par la pensée et par la parole. Mais le bon
Dieu vint à son secours et lui toucha le cœur. Il conçut
un si grand regret du péché qu'il allait commettre, qu'étant
rentré dans sa cellule, il al-luma un grand feu et y mit les pieds.
La douleur qu'il éprouvait et le regret de son péché,
lui faisaient pousser des cris affreux. Zoé, cette mauvaise femme
qui était venue pour le tenter, accourut à ses cris ; et
elle en fut si touchée, qu'au lieu de le pervertir, elle se convertit.
Elle passa toute sa vie dans les larmes et la pénitence. Mais pour
saint Martinien, il resta sept mois sur le sol, sans mou-vement, parce
que ses deux pieds étaient brûlés. Après sa
guéri-son, il se retira dans un autre désert, où il
ne fit que pleurer le reste de sa vie, au souvenir du danger qu'il avait
couru de perdre son âme. Voilà, M.F., ce que faisaient les
saints ; voilà les tour-ments qu'ils ont endurés plutôt
que de perdre la pureté de leur âme. Cela vous étonne
peut-être ; mais vous devriez bien plutôt vous étonner
du peu de cas que vous faites de cette belle et in-comparable vertu. Hélas
! ce déplorable dédain vient de ce que nous n'en connaissons
pas le prix !
Je dis enfin que nous devons avoir
une grande dévotion à la très sainte Vierge, si nous
voulons conserver cette belle vertu ; cela n'est pas douteux, puisqu'elle
est la reine ; le modèle et la pa-tronne des vierges ....
Saint Ambroise appelle la sainte
Vierge la maîtresse de la chasteté, saint Epiphane l'appelle
la princesse de la chasteté, et saint Grégoire la reine de
la chasteté...
Voici un exemple qui nous montrera
le grand soin que prend la sainte Vierge, de la chasteté de ceux
qui ont confiance en elle, au point qu'elle ne sait jamais rien refuser
de tout ce qu'ils lui de-mandent. Un gentilhomme qui avait une grande dévotion
à la sainte Vierge avait fait une petite chapelle en son honneur
dans une chambre du château qu'il habitait. Personne ne connaissait
l'existence de cette chapelle. Chaque nuit après quelques moments
de sommeil, sans prévenir sa femme, il se levait pour se rendre
auprès de la sainte. Vierge ! et y rester jusqu'au matin Cette
pau-vre femme en conçut une grande peine ; elle croyait qu'il sortait
pour aller trouver quelques filles de mauvaise vie. Un jour, n'y tenant
plus, elle lui dit qu'elle voyait bien qu'il lui préférait
une autre femme. Le mari, pensant à la sainte Vierge, lui répondit
af-firmativement. Ce qui lui fut si sensible que, ne voyant aucun changement
à la conduite de son mari, dans l'excès de son cha-grin,
elle se poignarda. Son mari, au retour de sa chapelle, trouva sa femme
baignée dans son sang. Extrêmement affligé cette vue,
il ferme à clé la porte de sa chambre, va, retrouver la sainte
Vierge, et tout éploré se prosterne devant son image, en,
s'écriant : « Vous voyez, sainte Vierge, que ma femme s'est
donné la mort parce que je venais la nuit vous tenir compagnie et
vous prier. Rien ne vous est impossible, puisque votre Fils vous a pro-mis
que jamais vous n'auriez de refus. Vous voyez que ma pauvre femme est damnée
; la laisserez-vous dans les flammes, puisque c'est à cause de ma
dévotion pour vous qu'elle s'est tuée dans son désespoir,
Vierge sainte, refuge des affligés, rendez-lui, s'il vous plaît,
la vie ; montrez que vous aimez à faire du bien à tout le
monde. Je ne sortirai pas d'ici sans que vous m'ayez obtenu cette grâce
de votre divin Fils. » Pendant qu'il était absorbé
dans ses. larmes et ses prières, une servante le cherchait et l'appelait
en lui disant que sa maîtresse le réclamait. Il répondit
; « Est-il bien sûr qu'elle m'appelle ? » – « Entendez
sa voix, reprit la servante. » La joie du gentilhomme était
si grande qu'il ne pouvait s'éloigner de la sainte Vierge. Il se
lève enfin, pleurant de joie et de reconnais-sance. Il retrouve
sa femme en pleine santé ; il ne lui restait de ses blessures que
les cicatrices, afin qu'elle ne perdît jamais le souve-nir d'un tel
miracle opéré par la protection de la sainte Vierge. Voyant
entrer son mari, elle l'embrasse en lui disant : « Ah ! mon ami,
je vous remercie d'avoir eu la charité de prier pour moi. J'étais
en enfer et condamnée à y brûler éternellement,
parce que je m'étais donné la mort. Remercions donc bien
la sainte Vierge qui m'a arrachée d'un tel abîme ! Ah ! que
l'on souffre dans ce feu ! qui pourra jamais le dire et surtout le faire
comprendre ! » Elle fut si reconnaissante de cette prodigieuse faveur,
qu'elle pas-sa toute sa vie dans les larmes, dans la pénitence,
et ne pouvait raconter la grâce que la sainte Vierge lui avait obtenue
de son di-vin Fils sans pleurer à chaudes larmes. Elle aurait voulu
appren-dre à tous combien la sainte Vierge est puissante pour secourir
ceux qui se confient en elle.
Dites, M.F., si la sainte Vierge
a le pouvoir d'arracher les âmes de l'enfer même, pourrions-nous
douter qu'elle ne nous ob-tienne les grâces que nous lui demanderons,
nous qui sommes sur la terre, lieu où s'exerce la miséricorde
du Fils et la compassion de la Mère ?
Quand nous avons quelques grâces
à demander au bon pieu, adressons-nous donc avec une grande confiance
à la sainte Vierge, et nous sommes sûrs d'être exaucés.
Voulons-nous sortir du péché,
M.F., allons à Marie ; elle nous prendra par la main et nous mènera
à son Fils pour recevoir notre pardon. Voulons-nous persévérer
dans le bien ? Adressons-nous à la Mère de Dieu ; elle nous
couvrira du manteau de sa pro-tection et tout l'enfer ne nous pourra rien.
En voulez-vous la preuve ? La voici : nous lisons dans la vie de sainte
Justine qu'un jeune homme ayant conçu un violent amour pour
elle ; et, voyant qu'il ne pouvait rien gagner par ses sollicitations,
il eut recours à un certain Cyprien qui avait affaire avec le démon.
Il lui promit une somme d'argent, s'il amenait Justine à consentir
à ce qu'il souhaitait.
Bientôt après, la jeune
fille se sentit violemment tentée contre la sainte vertu de pureté
; mais dès que le démon la sollici-tait, elle avait vite
recours à la sainte Vierge. Tout aussitôt le dé-mon
prenait la fuite. Le jeune homme ayant demandé pourquoi il ne pouvait
gagner cette fille, Cyprien s'adressa au démon et lui reprocha son
peu de pouvoir en cette circonstance, alors que, en semblable cas, il avait
toujours pu accomplir ses desseins. – Le démon lui répondit
: « Cela est vrai, mais elle recourt à le Mère de Dieu
; et, dès qu'elle la prie, je perds mes forces, et ne puis rien.
» Cyprien, étonné qu'une personne qui avait recours
à la sainte Vierge fût si terrible à tout l'enfer,
se convertit et mourut en saint dans le martyre.
Je finis, en disant que si nous
voulons conserver la pureté de l'âme et du corps, il nous
faut mortifier notre imagination ; ne ja-mais laisser rouler dans notre
esprit la pensée de ces objets qui nous conduisent au mal, et prendre
garde de n'être pas un sujet de péché aux autres, soit
par nos paroles, soit par notre manière de nous habiller, ce qui
regarde surtout les personnes du sexe.
Si nous en apercevons quelqu'une
mal arrangée, il faut bien vite nous en détourner, et non
pas faire comme ceux qui ont des yeux impudiques, qui s'y arrêtent
autant que le démon le veut. Il faut mortifier nos oreilles, ne
jamais prendre plaisir à entendre des paroles ou chansons sales.
Ah ! mon Dieu, comment se fait-il que des pères et mères,
des maîtres et maîtresses qui entendent, dans les veillées,
les chansons les plus infâmes, et voient commettre des actions qui
feraient horreur à des païens, puissent les souffrir, sans
rien dire, sous prétexte que ce sont des enfantillages. Ah ! malheureux,
le bon Dieu vous attend au grand jour des vengean-ces !... Hélas
! que de péchés vos enfants et vos domestiques au-ront commis
pour vous !...
« Bienheureux, nous
dit Jésus-Christ, ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront
Dieu. » Qu'ils sont heureux ceux qui ont le grand bonheur de posséder
cette belle vertu ! Ne sont-ils pas les amis de Dieu, les bien-aimés
des anges, les enfants chéris de la très sainte. Vierge ?
Demandons souvent au bon Dieu, M.F., par l'intercession de cette très
sainte Mère, de nous donner une âme et un cœur purs, un corps
chaste ; et nous aurons le bonheur de plaire à Dieu, pendant notre
vie, et d'aller le glorifier pendant toute l'éternité : ce
que je vous souhaite...
18ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la Tiédeur
Sed quia tepidus es, et nec frigidus,
nec calidus, incipiam te evomere ex ore meo.
Mais parce que tu es tiède,
et que tu n'es ni froid, ni chaud, je vais te vomir de ma bouche.
(Apoc. III, 16.)
Pouvons-nous, M.F., entendre sans
frémir une telle sentence sortir de la bouche de Dieu même,
contre un évêque qui semblait parfaitement remplir tous les
devoirs d'un digne ministre de l'Église ? Sa vie était réglée,
son bien n'était point dépensé mal à propos.
Bien loin d'autoriser le vice, il s'y opposait au contraire fortement ;
il ne donnait point de mauvais exemples, et sa vie pa-raissait vraiment
digne d'être imitée. Cependant, malgré tout cela, nous
voyons que le Seigneur lui fait dire par saint Jean, que s'il continuait
à vivre de cette manière, il allait le rejeter, c'est-à-dire
le punir et le réprouver. Oui, M.F., cet exemple est d'autant plus
effrayant que beaucoup suivent la même route, vivent de la même
manière, et tiennent leur salut pour assuré. Hélas
! M.F., qu'est petit le nombre de ceux qui ne sont ni du côté
des pécheurs déjà réprouvés aux yeux
du monde, ni du nombre des élus ! Dans quel chemin marchons-nous
? Est-ce le droit chemin que nous sui-vons ?
Ce qui nous doit faire trembler,
c'est que nous n'en savons rien. Incertitude effrayante !… Essayons cependant
de connaître si vous êtes assez malheureux que d'être
du nombre des tièdes. Je vais 1? vous montrer les marques par lesquelles
vous le connaî-trez ; et 2? si vous êtes de ce nombre, je vous
indiquerai les moyens d'en sortir.
I. – En vous parlant aujourd'hui,
M.F., de l'état épouvantable d'une âme tiède,
mon dessein n'est pas de vous faire la peinture effrayante et désespérante
d'une âme qui vit dans le péché mortel, sans même
avoir le désir d'en sortir ; cette pauvre malheureuse n'est qu'une
victime de la colère de Dieu pour l'autre vie. Hélas ! ces
pécheurs m'écoutent, ils savent bien de qui je parle en ce
mo-ment…… N'allons pas plus loin, tout ce que je dirais ne servirait qu'à
les endurcir davantage. En vous parlant, M.F., d'une âme tiède,
je ne veux pas davantage vous parler de ceux qui ne font ni Pâques
ni confessions ; ils savent très bien que, malgré toutes
leurs prières et leurs autres bonnes œuvres ils seront perdus. Lais-sons-les
dans leur aveuglement, puisqu'ils y veulent rester. – Mais, me direz-vous,
tous ceux qui se confessent, qui font leurs Pâques et qui communient
souvent, ne seront-ils pas sauvés ? – Assurément, mon ami,
ils ne le seront pas tous ; car si le plus grand nombre de ceux qui fréquentent
les sacrements étaient sauvés, il faut bien en convenir,
le nombre des élus ne serait pas aussi petit qu'il le sera. Mais,
cependant, reconnaissons-le ; tous ceux qui, auront le grand bonheur d'aller
au ciel seront choisis parmi ceux qui fréquentent les sacrements,
et jamais parmi ceux qui ne font ni Pâques ni confessions. Ah ! me
direz-vous, si tous ceux qui ne font ni Pâques, ni confessions
sont damnés, le nombre des réprouvés sera bien grand
! – Oui, sans doute, il sera grand. Quoique vous puissiez en dire, si vous
vivez en pécheurs, vous partagerez leur sort. Est-ce que cette pensée
ne vous touche pas ?... Si vous n'êtes endurci au dernier degré,
elle doit vous faire frémir et même désespérer.
Hélas ! mon Dieu ! qu'une personne qui a perdu la foi est malheureuse
! Bien loin de profiter de ces vérités, ces pauvres aveugles,
au contraire, s'en moqueront ; et cependant, malgré tout ce qu'ils
peuvent en dire, cela sera tel que, je le dis : point de Pâques,
ni de confessions, point de ciel, ni de bonheur éternel. O mon Dieu
! que l'aveuglement du pécheur est affreux !
Je n'entends pas encore, M.F.,
par une âme tiède, celui qui voudrait être au monde
sans cesser d'être à Dieu : vous le verrez, un moment se prosterner
devant Dieu, son Sauveur et son maître ; et, un autre moment, vous
le verrez se prosterner devant le monde, son idole. Pauvre aveugle, qui
tend une main au bon Dieu et l'autre au monde, qu'il appelle tous deux
à son secours, en pro-mettant à chacun son cœur ! Il aime
le bon Dieu ; du moins il voudrait l'aimer, mais il voudrait aussi plaire
au monde. Lassé de vouloir se donner à tous les deux, il
finit par ne plus se donner qu'au monde. Vie extraordinaire et qui présente
un spectacle si singulier, que l'on ne peut pas se persuader que ce soit
la vie d'une même personne. Je vais vous la montrer d'une manière
si claire, que, peut-être, plusieurs d'entre vous en seront offensés
; mais, peu m'importe, je vous dirai toujours ce que je dois vous dire,
et vous en ferez ce que vous voudrez.
Je dis, M.F., que celui qui veut
être au monde sans cesser d'être à Dieu, mène
une vie si extraordinaire, qu'il n'est pas possi-ble d'en concilier les
différentes circonstances. Dites-moi, oseriez vous penser que cette
fille, que vous voyez dans ces parties de plaisirs, dans ces assemblées
mondaines où l'on ne fait que le mal et jamais le bien, se livrant
à tout ce qu'un cœur gâté et perverti peut désirer,
est la même que vous avez vue, il y a à peine quinze jours
ou un mois, au pied du tribunal de la pénitence faire l'aveu de
ses fautes, protestant à Dieu qu'elle est prête à mourir
plutôt que de retomber dans le péché ? Est-ce bien
là cette personne, que vous avez vue monter à la table sainte
les yeux baissés, la prière sur les lèvres ? O mon
Dieu ! quelle horreur ! Peut-on bien y pen-ser sans mourir de compassion
? Croiriez-vous, M.F., que cette mère qui, il y a trois semaines,
envoyait sa fille se confesser, en lui recommandant avec raison de penser
sérieusement à ce qu'elle allait faire, et en lui donnant
un chapelet ou un livre ; aujourd'hui, lui dit de se rendre à une
danse, à un mariage ou à des fiançailles. Ces mêmes
mains, qui lui ont donné un livre, sont employées à
lui arranger ses vanités, afin de mieux plaire au monde. Dites-moi,
M.F., est-ce bien cette personne qui, ce matin, était à l'église,
chantait les louanges de Dieu, et qui maintenant emploie cette même
langue à chanter de mauvaises chansons et à tenir les dis-cours
les plus infâmes ? Est-ce bien là ce maître ou ce père
de fa-mille qui, tout à l'heure, était à la sainte
Messe avec un grand res-pect, qui semblait vouloir passer si saintement
le dimanche, et que vous voyez maintenant travailler et faire travailler
son monde ? O mon Dieu ! quelle horreur ! comment le bon Dieu va-t-il ranger
tout cela au jour du jugement ? Hélas ! que de chrétiens
damnés !
Je dis plus, M.F. : celui qui veut
plaire au monde et au bon Dieu, mène une vie des plus malheureuses.
Vous allez le voir. Voici une personne qui fréquente les plaisirs,
ou qui a contracté quelque mauvaise habitude ; quelle n'est pas
sa crainte quand elle remplit ses devoirs de religion, c'est-à-dire
quand elle prie le bon Dieu, quand elle se confesse, ou veut communier
? Elle ne vou-drait pas être vue de ceux avec qui elle a dansé,
et passé les nuits dans les cabarets, où elle s'est livrée
à toutes sortes de désordres. Est-elle venue à bout
de tromper son confesseur, en cachant tout ce qu'elle a fait de pire, et
a-t-elle ainsi obtenu la permission de communier, ou plutôt de faire
un sacrilège ; elle voudrait commu-nier avant ou après la
sainte Messe, c'est-à-dire dans le moment où il n'y a personne.
Mais elle est contente d'être vue des person-nes qui sont sages,
qui ignorent sa mauvaise vie, et auxquelles elle espère inspirer
une bonne opinion d'elle-même. Avec les per-sonnes de piété,
elle parle de la religion ; avec les gens sans reli-gion, elle ne parlera
que des plaisirs du monde. Elle rougirait d'accomplir ses pratiques religieuses
devant les compagnons ou devant les compagnes de ses débauches.
Cela est si vrai, qu'un jour quelqu'un m'a demandé de le faire communier
à la sacristie, afin que personne ne le vît. Quelle horreur
! M.F., peut-on y pen-ser et ne pas frémir d'une telle conduite
!
Mais allons plus loin, vous allez
voir l'embarras de ces pau-vres personnes qui veulent suivre le monde sans
quitter le bon Dieu, du moins en apparence. Voilà les Pâques
qui approchent. Il faut aller se confesser ; ce n'est pas qu'elles le désirent,
ni qu'elles en sentent le besoin : elles voudraient bien plutôt que
les Pâques n'arrivassent que tous les trente ans. Mais leurs parents
tiennent encore à la pratique extérieure de la religion ;
ils sont contents que leurs enfants se présentent à la sainte
Table, ils les pressent même d'aller se confesser : en cela ils font
très mal. Qu'ils prient pour eux, et ne les tourmentent pas pour
leur faire faire des sacrilèges ; hélas ! ils en feront assez
! Pour se délivrer de l'importunité de leurs parents, pour
sauver les apparences, ces personnes se ras-sembleront afin de savoir à
quel confesseur il faut aller pour être absoutes la première
ou la deuxième fois. « Voilà déjà plusieurs
fois, dit l'une, que les parents me tourmentent de ce que je ne vais pas
me confesser. Où irons-nous ? » – « Il ne faut pas aller
chez notre curé, il est trop scrupuleux ; il ne nous ferait pas
faire de Pâques. Il nous faut aller trouver un tel. Il a passé
telles et telles qui en ont bien autant commis que nous. Nous n'avons pas
fait plus de mal qu'elles. » Une autre dira : « Je t'assure,
que si ce n'étaient mes parents, je ne ferais point de Pâques
; puisque notre catéchisme nous dit que pour faire une bonne confession,
il faut quitter le péché et l'occasion du péché,
et nous ne faisons ni l'un ni l'autre. Je te le dis sincèrement,
je suis bien embarrassée toutes les fois que les Pâques arrivent.
Je ne vois les heures d'être éta-blie pour ne plus courir.
Alors je ferai une confession de toute ma vie pour réparer celles
que je fais maintenant, sans cela je ne mourrais pas contente. »
– « Eh bien ! lui dira une autre, il te fau-dra retourner à
celui qui t'a confessée jusqu'à présent, il te connaî-tra
bien mieux. » – « Ah ! certes non, j'irai à celui qui
ne m'a pas voulu passer, parce qu'il ne voulait pas me damner. »
– « Ah ! que tu es bonne ! cela ne fait rien, ils ont bien tous le
même pouvoir. » – « Cela est bon à dire tant que
l'on se porte bien ; mais quand on est malade on pense bien autrement.
Un jour, j'allais voir une telle, qui était bien malade ; elle me
dit que jamais elle ne retour-nerait se confesser à ces prêtres
qui sont si faciles, et qui, en fai-sant semblant de vouloir vous sauver,
vous jettent en enfer. » C'est ainsi que se conduisent beaucoup de
ces pauvres aveugles. « Mon. père, disent-elles au prêtre,
je viens me confesser à vous, parce que notre curé est trop
scrupuleux. Il veut nous faire pro-mettre des choses que nous ne pouvons
pas tenir ; il voudrait que nous fussions des saints, et cela n'est pas
trop possible dans le monde. Il voudrait que nous ne missions jamais le
pied à la danse, que nous ne fréquentassions jamais les cabarets
ni les jeux. Si l'on a quelque mauvaise habitude, il n'accorde plus l'absolution
qu'on ne l'ait quittée tout à fait. S'il fallait faire tout
cela, nous ne ferions jamais de Pâques. Mes parents, qui ont bien
de la religion, me sont toujours après, sur ce que je ne fais pas
mes Pâques. Je ferai tout ce que je pourrai ; mais l'on ne peut pas
dire que l'on ne re-tournera plus dans ces amusements, puisque l'on ne
sait pas les occasions que l'on pourra rencontrer. » – « Ah
! lui dira le confes-seur trompé par ce beau langage, je vois que
votre curé est un peu scrupuleux. Faites votre acte de contrition,
je vais vous donner l'absolution, et tâchez d'être bien sage.
» C'est-à-dire, baissez la tête ; vous allez fouler
le sang adorable de Jésus-Christ, vous allez vendre votre Dieu comme
Judas l'a vendu à ses bourreaux, et de-main vous communierez, ou
plutôt, vous irez le crucifier. O hor-reur ! ô abomination
! Va, infâme Judas, va, à là Table sainte ; va donner
la mort à ton Dieu et à ton Sauveur ! Laisse crier ta cons-cience
; tâche seulement d'en étouffer les remords, autant que tu
le pourras... Mais, M.F., je vais trop loin ; laissons ces pauvres aveugles
à leurs ténèbres.
Je pense, M.F., que vous désirez
savoir ce que c'est que l'état d'une âme tiède. Hé
bien ! le voici : Une âme tiède n'est pas en-core tout à
fait morte aux yeux de Dieu, parce que la foi, l'espé-rance et la
charité, qui sont sa vie spirituelle, ne sont pas tout à
fait éteintes. Mais, c'est une foi sans zèle, une espérance
sans fer-meté, une cha-rité sans ardeur. Je vais vous faire
le portrait d'un chrétien fervent, c'est-à-dire d'un chrétien
qui désire vérita-blement sauver son âme, en même
temps que celui d'une personne qui mène une vie tiède dans
le service de Dieu. Mettons-les à côté de l'un et de
l'autre, et vous ver-rez-auquel des deux vous ressemblez. Un bon chrétien
ne se contente pas de croire toutes les vérités de notre
sainte religion, il les aime, il les médite, il cherche tous les
moyens de les apprendre ; il aime à entendre la parole de Dieu ;
plus il l'entend, plus il désire l'entendre, parce qu'il désire
en profiter, c'est-à-dire éviter tout ce que Dieu lui défend
et faire tout ce qu'il commande. Les instructions ne lui paraissent jamais
trop longues ; au contraire, ces moments sont les plus heureux pour lui,
puisqu'il apprend la manière dont il doit se conduire pour aller
au ciel et sauver son âme. Non seulement, il croit que Dieu le voit
dans toutes ses actions et qu'il les jugera toutes à l'heure de
la mort ; mais encore il tremble toutes les fois qu'il pense qu'un jour
il faudra aller rendre compte de toute sa vie devant un Dieu qui sera sans
miséricorde pour le péché. Il ne se contente pas d'y
penser, de trem-bler ; mais il travaille à se corriger chaque jour
; il ne cesse d'inventer tous les jours de nouveaux moyens pour faire pénitence
; il compte pour rien tout ce qu'il a fait jusque-là, et gémit
d'avoir perdu beaucoup de temps, pendant lequel il aurait pu ramasser de
grands trésors pour le ciel.
Qu'il est différent le chrétien
qui vit dans la tiédeur ! Il ne laisse pas de croire toutes les
vérités que l'Église croit et enseigne, mais c'est
d'une manière si faible, que son cœur n'y est presque pour rien.
Il ne doute pas, il est vrai, que le bon Dieu le voit, qu'il est toujours
en sa sainte présence ; mais avec cette pensée il n'est ni
plus sage, ni moins pécheur ; il tombe avec autant de facilité
dans le péché que s'il ne croyait rien ; il est très
persuadé que, tant qu'il vit dans cet état, il est ennemi
de Dieu, mais il n'en sort pas pour cela. Il sait que Jésus-Christ
a donné au sacrement de péni-tence la puissance de remettre
nos péchés, et de nous faire croître en vertu. Il sait
que ce sacrement nous accorde des grâces propor-tionnées aux
dispositions que nous y apportons ; n'importe : même négligence,
même tiédeur dans la pratique. Il sait que Jé-sus-Christ
est véritablement dans le sacrement de l'Eucharistie, qu'il est
une nourriture absolument nécessaire à sa pauvre âme
; cependant, vous voyez en lui peu de désirs ! Ses confessions et
ses communions sont très éloignées les unes des autres
; il ne se décidera qu'à l'occasion d'une grande fête,
d'un jubilé ou d'une mission ; ou bien, parce que les autres y vont,
et non par le besoin de sa pauvre âme. Non seulement il ne travaille
pas à mériter ce bonheur ; mais il ne porte pas même
envie à ceux qui le goûtent plus souvent. Si vous lui parlez
des choses du bon Dieu, il vous répond avec une indifférence
qui vous montre comme son cœur est peu sensible aux biens que nous pouvons
trouver dans notre sainte religion. Rien ne le touche : il écoute
la parole de Dieu, il est vrai ; mais souvent il s'ennuie ; il écoute
avec peine, par habi-tude, comme une personne qui pense qu'elle en sait
assez, ou qu'elle en fait assez. Les prières qui sont un peu longues
le dégoû-tent. Son esprit est si rempli de l'action qu'il
vient de finir, ou de celle qu'il va faire ; son ennui est si grand que
sa pauvre âme est comme à l'agonie : il vit encore, mais il
n'est capable de rien pour le ciel.
L'espérance d'un bon chrétien
est ferme ; sa confiance en Dieu est inébranlable. Il ne perd jamais
de vue les biens et les maux de l'autre vie. Le souvenir des souffrances
de Jésus-Christ lui est continuellement présent à
l'esprit ; son cœur en est toujours occupé. Tantôt il porte
sa pensée dans les enfers, pour concevoir combien est grande la
punition du péché et combien est grand le malheur de celui
qui le commet, ce qui le dispose à préférer la mort
même au péché ; tantôt pour s'exciter à
l'amour de Dieu, et pour sentir combien est heureux celui qui préfère
le bon Dieu à tout ; il porte sa pensée dans le ciel. Il
se représente combien est grande la récompense de celui qui
quitte tout pour le bon Dieu. Alors, il ne désire que Dieu et ne
veut que Dieu seul : les biens de ce monde ne lui sont rien ; il aime à
les voir méprisés et à les mé-priser lui-même
; les plaisirs du monde lui font horreur. Il pense qu'étant le disciple
d'un Dieu crucifié, sa vie ne doit être qu'une vie de larmes
et de souffrances. La mort ne l'effraie nullement, parce qu'il sait très
bien qu'elle seule peut le délivrer des maux de la vie, et le réunir
à son Dieu pour toujours.
Mais une âme tiède
est bien éloignée de ces sentiments. Les biens et les maux
de l'autre vie ne lui sont presque rien : elle pense au ciel, il est vrai,
mais sans désirer véritablement d'y aller. Elle sait que
le péché lui en ferme les portes ; malgré cela, elle
ne cherche pas à se corriger, du moins d'une manière efficace
; aussi se trouve-t-elle toujours la même. Le démon la trompe
en lui fai-sant prendre beaucoup de résolutions de se con-vertir,
de mieux faire, d'être plus mortifiée, plus retenue dans ses
paroles, plus pa-tiente dans ses peines, plus charitable envers son prochain.
Mais, tout cela ne change nullement sa vie : il y a vingt ans qu'elle est
remplie de désirs, sans avoir modifié en rien ses habitudes.
Elle ressemble à une personne qui porte envie à celui qui
est sur un char de triomphe, mais ne daigne pas seulement lever le pied
pour y monter. Elle ne voudrait pas cependant renoncer aux biens éter-nels
pour ceux de la terre ; mais elle ne désire ni sortir de ce monde,
ni aller au ciel, et si elle pouvait passer son temps sans croix et sans
chagrins, elle ne demanderait jamais à sortir de ce monde. Si vous
lui entendez dire que la vie est bien longue et bien misérable,
c'est seulement quand tout ne va pas selon ses désirs. Si le bon
Dieu, pour la forcer, en quelque sorte, à se détacher de
la vie, lui envoie des croix ou des misères, la voilà qui
se tour-mente, qui se chagrine, qui s'abandonne aux plaintes, aux murmu-res,
et souvent à une espèce de désespoir. Elle semble
ne plus vouloir reconnaître que c'est le bon Dieu qui lui envoie
ces épreu-ves pour son bien ; pour la détacher de la vie
et l'attirer à lui. Qu'a-t-elle pu faire pour les mériter
? pense-t-elle en elle-même ; bien d'autres plus coupables qu'elle
n'en subissent pas autant.
Dans la prospérité,
l'âme tiède ne va pas jusqu'à oublier le bon Dieu,
mais elle ne s'oublie pas non plus elle-même. Elle sait très
bien raconter tous les moyens qu'elle a employés pour réus-sir
; elle croit que bien d'autres n'auraient pas eu le même succès
: elle aime à le répéter, à l'entendre répéter
; chaque fois qu'elle l'entend, c'est avec une nouvelle joie. A l'égard
de ceux qui la flat-tent, elle prend un air gracieux ; mais pour ceux qui
ne lui ont pas porté tout le respect qu'elle croit mériter,
ou qui n'ont pas été re-connaissants de ses bienfaits, elle
garde un air froid, indifférent, et semble leur dire qu'ils sont
des ingrats qui ne méritaient pas de recevoir le bien qu'elle leur
a fait.
Mais un bon chrétien, M.F.,
bien loin de se croire digne de quelque chose, et capable de faire le moindre
bien, n'a que sa mi-sère devant les yeux. Il se méfie de
ceux qui le flattent, comme d'autant de pièges que le démon
lui tend ; ses meilleurs amis sont ceux qui lui font connaître ses
défauts, parce qu'il sait qu'il faut absolument les connaître
pour s'en corriger. Il fuit l'occasion du péché autant qu'il
le peut ; se rappelant combien peu de chose le fait tomber, il ne compte
plus sur toutes ses résolutions, ni sur ses forces, ni même
sur sa vertu. Il connaît, par sa propre expérience, qu'il
n'est capable que de pécher ; il met toute sa confiance et son espérance
en Dieu seul : Il sait que le démon ne craint rien tant qu'une âme
qui aime la prière, ce qui le porte à faire de sa vie une
prière continuelle par un entretien intime avec le bon Dieu. La
pensée de Dieu lui est aussi familière que la respiration
; les élé-vations de son cœur vers lui sont fréquentes
: il se plaît à penser à lui comme à son père,
à son ami et à son Dieu qui l'aime, et qui désire
si ardemment le rendre heureux dans ce monde, et encore plus dans l'autre.
Un bon chrétien, M.F., est rarement occupé des choses de
la terre ; si vous lui en parlez, il montre autant d'indiffé-rence
que les gens du monde en témoignent quand on leur parle des biens
de l'autre vie. Enfin, il fait consister son bonheur dans les croix, les
afflictions, la prière, le jeûne et la pensée de la
pré-sence de Dieu. Pour une âme tiède, elle ne perd
pas tout à fait, si vous le voulez, la confiance en Dieu ; mais
elle ne se méfie pas assez d'elle-même. Quoiqu'elle s'expose
assez souvent à l'occa-sion du péché, elle croit toujours
qu'elle ne tombera pas. Si elle vient à tomber, elle attribue sa
chute au prochain et elle affirme qu'une autre fois, elle sera plus ferme.
Celui qui aime véritablement
le bon Dieu, M.F., et qui a à cœur le salut de son âme, prend
toutes les précautions possibles pour éviter l'occasion du
péché. Il ne se contente pas d'éviter les grosses
fautes ; mais il est attentif à détruire les moindres fautes
qu'il aperçoit en lui. Il regarde toujours comme un grand mal tout
ce qui peut déplaire tant soit peu à Dieu ; ou pour mieux
dire, tout ce qui déplaît à Dieu lui déplaît.
Il se regarde comme au pied d'une échelle au haut de laquelle il
doit monter ; il voit que pour l'atteindre il n'a point de temps à
perdre ; aussi va-t-il tous les jours de vertus en vertus, jusqu'au jour
de l'éternité. C'est un aigle qui fend les airs ; ou plutôt
c'est un éclair qui ne perd rien de sa rapidité, de l'instant
où il paraît à celui où il disparaît.
Oui, M.F., voilà ce que fait une âme qui travaille pour Dieu
et qui désire de le voir. Comme l'éclair, elle ne trouve
ni bornes ni retard, avant d'être ensevelie dans le sein de son Créateur.
Pourquoi notre esprit se transporte-t-il avec tant de rapidité d'un
bout du monde à l'au-tre ? C'est pour nous montrer avec quelle rapidité
nous devons nous porter à Dieu par nos pensées et nos désirs.
Mais tel n'est pas l'amour de Dieu dans une âme tiède. L'on
ne voit pas en elle ces désirs ardents et ces flammes brûlantes,
qui font surmonter tous les obstacles qui s'opposent au salut. Si je voulais,
M.F., vous peindre exactement l'état d'une âme qui vit dans
la tiédeur, je vous dirais qu'elle est semblable à une tortue
ou à un escargot. Elle ne marche qu'en se traînant sur la
terre, et à peine la voit-on changer de place. L'amour de Dieu,
qu'elle ressent dans son cœur, est semblable à une petite étincelle
de feu cachée sous un tas de cen-dres ; cet amour est enveloppé
de tant de pensées et de désirs ter-restres, que s'ils ne
l'étouffent pas, ils en empêchent le progrès et l'éteignent
peu à peu. L'âme tiède en vient à ce point d'être
tout à fait indifférente à sa perte. Elle n'a plus
qu'un amour sans ten-dresse, sans activité et sans force, qui la
soutient à peine dans tout ce qui est essentiellement nécessaire
pour être sauvée ; mais pour tout le reste, elle le regarde
comme rien ou comme peu de chose. Hélas ! M.F., cette pauvre âme
est dans sa tiédeur, comme une personne entre deux sommeils. Elle
voudrait agir ; mais sa volon-té est tellement molle qu'elle n'a
ni la force, ni le courage d'ac-complir ses désirs .
Il est vrai qu'un chrétien
qui vit dans la tiédeur remplit en-core assez régulièrement
ses devoirs, du moins, en apparence. Il fera bien tous les malins sa prière,
à genoux ; il fréquentera bien les sacrements, tous les ans,
à Pâques, et même plusieurs fois l'année ; mais
en tout cela, il y a tant de dégoût, tant de lâcheté
et tant d'indifférence, si peu de préparation, si peu de
changement dans sa manière de vivre, que l'on voit clairement qu'il
ne s'ac-quitte de ses devoirs que par habitude et par routine ; parce que
c'est une fête, et qu'il a l'habitude de les remplir en ce temps-là.
Ses confessions et ses communions ne sont pas sacrilèges, si vous
le voulez ; mais ce sont des confessions et des communions sans fruit,
qui, bien loin de le rendre plus parfait et plus agréable à
Dieu, ne le rendent que plus coupable. Pour ses prières, Dieu seul
sait comment elles sont faites : hélas ! sans préparation.
Le matin, ce n'est pas du bon Dieu qu'il s'occupe, ni du salut de sa pauvre
âme ; mais il ne pense qu'à bien travailler. Son esprit est
tellement enveloppé des choses de la terre, que la pensée
de Dieu n'y a point de place. Il pense à ce qu'il fera pendant la
journée, où il en-verra ses enfants et ses domestiques ;
de quelle manière il s'y prendra pour activer son ouvrage. Pour
faire sa prière, il se met à genoux, il est vrai ; mais il
ne sait ni ce qu'il veut demander au bon Dieu, ni ce qui lui est nécessaire,
ni même devant qui il se trouve ; ses manières, si peu respectueuses,
l'annoncent bien. C'est un pauvre qui, quoique bien misérable, ne
veut rien et aime sa pauvreté. C'est un malade presque désespéré,
qui méprise les médecins et les remèdes, et aime ses
infirmités. Vous voyez cette âme tiède ne faire aucune
difficulté de parler, sous le moindre prétexte, dans le cours
de ses prières ; un rien les lui fait abandon-ner, en partie, du
moins, pensant qu'elle les fera à un autre mo-ment. Veut-elle offrir
sa journée à Dieu, dire son benedicite et ses grâces
? Elle fait tout cela, il est vrai ; mais souvent sans penser, à
qui elle parle. Elle ne quittera même pas son travail. Est-ce un
homme ? Il tournera son bonnet ou son chapeau entre ses mains, comme pour
examiner s'il est bon ou mauvais, comme s'il avait dessein de le vendre.
Est-ce une femme ? Elle les récitera en cou-pant le pain de sa soupe,
ou en poussant son bois au feu, ou bien en criant après ses enfants
ou ses domestiques. Les distractions dans la prière ne sont pas
bien volontaires, si vous le voulez, on aimerait mieux ne pas les avoir
; mais, parce qu'il faut se faire quelque violence pour les chasser, on
les laisse aller et venir à leur gré.
Une âme tiède ne travaille
peut-être pas, le saint jour du di-manche, à des ouvrages
qui paraissent défendus aux personnes qui ont un peu de religion
; mais faire quelques points d'aiguille, arranger quelque chose dans le
ménage, envoyer ses bergers au champ, durant les offices, sous prétexte
qu'ils n'ont pas bien de quoi donner à leurs bêtes ; ils ne
s'en font pas de scrupule, et ainsi aiment mieux laisser périr leur
âme et celles de leurs ouvriers que laisser périr leurs bêtes.
Un homme arrangera ses outils, ses char-rettes pour le lendemain ; il ira
visiter ses terres, il bouchera un trou, il coupera quelques cordes, il
apportera des seillons et les arrangera. Qu'en pensez-vous, M.F. ? n'est-ce
pas, hélas ! la vérité toute pure ?...
Une âme tiède se confessera
encore tous les mois, et même bien plus souvent. Mais, hélas
! quelles confessions ? Point de préparation, point de désirs
de se corriger ; du moins ils sont si faibles et si petits, que le premier
coup de vent les renverse. Tou-tes ses confessions ne sont qu'une répétition
des anciennes, bien-heureux encore s'ils n'ont rien à y ajouter.
Il y a vingt ans qu'ils accusaient ce qu'ils accusent aujourd'hui ; dans
vingt ans s'ils se confessent encore, ce sera la même répétition.
Une âme tiède ne commettra pas, si vous voulez, de gros péchés
; mais une petite médisance, un mensonge, un sentiment de haine,
d'aversion, de jalousie, une petite dissimulation ne lui coûtent
guère. Si vous ne lui portez pas tout le respect qu'elle croit mériter,
elle vous le fera bien apercevoir, sous prétexte que l'on offense
le bon Dieu ; elle devrait plutôt dire, parce qu'on l'offense elle-même
; il est vrai qu'elle ne laissera pas de fréquenter les sacrements,
mais ses dis-positions sont dignes de com-passion. Le jour où elle
veut re-cevoir son Dieu, elle passera une partie de la matinée à
penser à ses affaires temporelles. Si c'est un homme, il pensera
à ses mar-chés ou à ses ventes ; si c'est une femme,
elle pensera à son ménage et à ses enfants ; si c'est
une fille, à la manière dont elle va s'habiller ; si c'est
un garçon, il rêvera à quelques plaisirs frivoles,
et le reste. Elle renferme son Dieu comme dans une prison obscure et malpropre,
Elle ne lui donne pas la mort, mais il est dans ce cœur sans joie et sans
consolation ; toutes ses disposi-tions annoncent que sa pauvre âme
n'a plus qu'un souffle de vie. Après avoir reçu la sainte
communion, cette personne pense guère plus au bon Dieu que les autres
jours. Sa manière de vivre nous annonce qu'elle n'a pas connu la
grandeur de son bonheur.
Une personne tiède
réfléchit peu sur l'état de sa pauvre âme, et
ne revient presque jamais sur le passé ; si elle pense cependant
à mieux faire, elle croit qu'ayant confessé ses péchés,
elle doit être parfaitement tranquille. Elle assiste à la
sainte Messe, à peu près comme à une action ordinaire
; elle y pense peu sérieusement, et ne fait point de difficulté
de causer de différentes choses en y al-lant ; elle ne pensera pas
même peut-être une seule fois qu'elle va participer au plus
grand de tous les dons que le bon Dieu puisse nous faire, tout Dieu qu'il
est. Pour les besoins de son âme, elle y pense, il est vrai, mais
bien faiblement ; souvent même elle se présente devant le
bon Dieu sans savoir ce qu'elle va lui deman-der. Elle se fait peu de scrupules
de retrancher, sous le moindre prétexte, la Passion, la procession
et l'eau bénite. Pendant les saints offices, elle ne veut pas dormir,
il est vrai, et elle a même peur qu'on l'aperçoive ; mais
elle ne se fait pas la moindre vio-lence. Quant aux distractions pendant
la prière ou la sainte Messe, elle ne voudrait pas les avoir ; mais
comme il faudrait un peu combattre, elle les souffre avec patience, cependant
sans les ai-mer. Les jours de jeûne se réduisent presque à
rien, soit parce qu'on avance l'heure du repas, soit parce qu'on collationne
abon-damment, ce qui revient à un souper, sous le prétexte,
que le ciel ne se prend pas par famine. Quand elle fait quelques bonnes
ac-tions, souvent son intention n'est pas bien purifiée : tantôt
c'est pour faire plaisir à quelqu'un, tantôt c'est par compassion,
et quel-quefois pour plaire au monde. Avec eux, tout ce qui n'est pas un
gros péché est assez bien. Ils aiment à faire le bien,
mais ils vou-draient qu'il ne leur coûtât rien, ou du moins,
bien peu. Ils aime-raient encore à voir les malades, mais il faudrait
que les malades vinssent les voir eux-mêmes. Ils ont de quoi faire
l'aumône, ils savent bien que telle personne en a besoin ; mais ils
attendent qu'elle vienne le leur demander, au lieu de la prévenir,
ce qui ren-drait leur bonne œuvre bien plus méritoire. Disons mieux,
M.F., une personne qui mène une vie tiède, ne laisse pas
que de faire beaucoup de bonnes œuvres, de fréquenter les sacrements,
d'assis-ter régulièrement à tous les saints offices
; mais en tout cela, vous ne voyez qu'une foi faible, languissante, une
espérance que la moindre épreuve renverse, un amour pour
Dieu et pour le pro-chain qui est sans ardeur, sans plaisir ; tout ce qu'elle
fait n'est pas tout à fait perdu, mais peu s'en faut.
Voyez devant le bon Dieu, M.F.,
de quel côté vous êtes : du côté des pécheurs,
qui ont tout abandonné, qui ne pensent nulle-ment au salut de leur
pauvre âme, qui se plongent dans le péché, sans remords
? Du côté des âmes justes qui ne voient et ne cher-chent
que Dieu seul, qui sont toujours portées à penser mal d'el-les-mêmes,
et sont convaincues dès qu'on leur fait apercevoir leurs défauts
; qui pensent toujours qu'elles sont mille fois plus misérables
qu'on ne le croit, et qui comptent pour rien tout ce qu'elles ont fait
jusqu'à présent ? Ou bien êtes-vous du nombre de ces
âmes lâches, tièdes et indifférentes, telles
que nous venons de les dépeindre ? Dans quel chemin marchons-nous
? Qui pourra s'assurer qu'il n'est ni grand pécheur, ni tiède
; mais qu'il est élu ! Hélas ! M.F., combien semblent être
de bons chrétiens aux yeux du monde, qui sont des âmes tièdes
aux yeux de Dieu, qui connaît notre intérieure.
II. – Mais, me direz-vous, de quels
moyens faut-il donc se servir pour sortir de cet état si malheureux.
? – M.F., si vous dési-rez le savoir, écoutez-le bien. Néanmoins
laissez-moi vous dire encore que celui qui vit dans la tiédeur est
dans un sens plus en danger que celui qui vit dans le péché
mortel, et que les suites de cet état sont peut-être même
plus funestes. En voici la preuve. Un pécheur qui ne fait point
de Pâques ; ou qui a des habitudes mau-vaises et criminelles, gémit
de temps en temps sur son état dans lequel il est résolu
de ne pas mourir ; il désire même en sortir, et il le fera
un jour. Mais une âme qui vit dans la tiédeur, ne pense nul-lement
à en sortir, parce qu'elle croit qu'elle est bien avec le bon Dieu.
Que conclure de tout cela ? Le voici,
M.F. Cette âme tiède devient un objet insipide, fade et dégoûtant
aux yeux de Dieu, qui finit par la vomir de sa bouche ; c'est-à-dire,
qu'il la maudit et la réprouve. O mon Dieu, que cet état
perd des âmes ! Veut-on faire sortir une âme tiède de
son état, elle répond qu'elle ne veut pas être une
sainte ; que pourvu qu'elle aille au ciel, c'est assez. Vous ne voulez
pas être une sainte, dites-vous ; mais il n'y a que les saints qui
vont au ciel. Ou être un saint, ou être un réprouvé
: il n'y a point de milieu.
Voulez-vous sortir de la tiédeur,
M.F., transportez vous de temps en temps à la porte des abîmes,
où l'on entend les cris et les hurlements des réprouvé,
et vous vous formerez une idée des tourments qu'ils endurent pour
avoir vécu avec tiédeur et négli-gence dans l'affaire
de leur salut. Portez votre pensée dans le ciel, et voyez quelle
est la gloire des saints pour avoir combattu et s'être fait violence
pendant qu'ils étaient sur la terre. Transportez-vous, M.F., dans
le fond des forêts et vous y trouverez ces multi-tudes de saints
qui ont passé cinquante, soixante-dix ans, à pleurer leurs
péchés dans toutes les rigueurs de la pénitence. Voyez,
M.F. Ce qu'ils ont-fait pour mériter le ciel. Voyez quel respect
ils avaient de la présence de Dieu ; quelle dévotion dans
leurs priè-res, qui duraient toute leur vie. Ils avaient abandonné
leurs biens, leurs parents et leurs amis pour ne plus penser qu'à
Dieu seul. Voyez leur courage à combattre les tentations du démon.
Voyez le zèle et l'empressement de ceux qui étaient renfermés
dans les monastères à se rendre dignes de s'approcher souvent
des sacre-ments. Voyez leur plaisir à pardonner et à faire
du bien à tous ceux qui les persécutaient, qui leur voulaient
et leur disaient du mal. Voyez leur humilité, leur mépris
d'eux-mêmes et leur bon-heur à se voir mépriser, et
combien ils craignaient d'être loués et estimés du
monde. Voyez avec quelle attention ils évitaient les plus petits
péchés, et que de larmes ils ont versées sur leurs
pé-chés passés. Voyez leur pureté d'intention
dans toutes leurs bon-nes œuvres : ils n'avaient en vue que Dieu seul,
ils désiraient ne plaire qu'à Dieu seul. Que vous dirai-je
encore ? Voyez ces foules de martyrs qui ne peuvent se rassasier de souffrances,
qui montent sur les échafauds avec plus de joie que les rois sur
leurs trônes. Concluons, M.F. Il n'y a point d'état plus à
craindre que celui d'une personne qui vit dans la tiédeur, parce
qu'un grand pécheur se convertira plutôt qu'une personne tiède.
Demandons au bon Dieu de tout notre cœur, si nous sommes dans cet état,
de nous faire la grâce d'en sortir, pour prendre la route que tous
les saints ont prise, afin d'arriver au bonheur dont ils jouissent. C'est
ce que je vous souhaite...
18ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur l'Envie
Ut quid cogitatis mala in cordibus
vestris
Pourquoi avez-vous de mauvaises
pensées dans vos cœurs ?
(S. Matth., IX, 4.)
Non, M.F., il n'y a rien de si saint ni de si parfait que les méchants ne blâment et ne condamnent ; ils corrompent, par la malignité de leur envie, les plus belles vertus des hommes, et ré-pandent le poison de leurs médisances et de leurs jugements témé-raires sur les meilleures actions du prochain. Ils sont semblables aux serpents qui ne se nourrissent des fleurs que pour en faire la matière de leur venin. Ce qu'ils haïssent dans leurs frères, nous dit saint Grégoire le Grand, ce sont les plus belles qualités ; et par là, ils semblent reprocher au bon Dieu le bien qu'il leur fait. Pourquoi les Juifs ont-ils si fort déclamé contre Jésus-Christ, ce tendre et aimable Sauveur, qui ne venait au milieu d'eux que pour les sau-ver ? Pourquoi se sont-ils si souvent assemblés, tantôt pour le pré-cipiter du haut de la montagne , tantôt pour le lapider , et d'autres fois pour le faire mourir ? N'est-ce pas parce que sa vie sainte et exem-plaire condamna leur vie orgueilleuse et criminelle, et qu'elle était comme un bourreau secret qui les torturait ? N'est-ce pas encore parce que ses miracles attiraient le peuple à sa suite, et parce que celui-ci semblait laisser de côté ces impies ? Etant dévorés par une rage intérieure ; ne pouvant plus y tenir : Qu'avons-nous à délibérer, s'écriaient-ils, qu'attendons-nous ? Il faut, à quel prix que ce soit, nous en défaire. Ne voyez-vous pas qu'il étonne le monde par la grandeur de ses prodiges Ne faites-vous pas attention que tous courent après lui et nous abandonnent ? Faisons-le mourir : il n'y a pas d'autre moyen de nous en délivrer . Hélas ! M.F., quelle passion est comparable à celle de l'envie ? Toutes les belles qualités et tous les beaux traits de bonté que ces Juifs voyaient briller dans la conduite de Jésus-Christ auraient dû les réjouir et les consoler ; mais non, l'envie qui les dévore est cause qu'ils en sont affligés ; ce qui devrait les convertir devient la matière de leur envie et de leur jalousie. On présente à Jésus-Christ un paralytique couché dans son lit . Ce tendre Sauveur le regarde et le guérit, en lui disant avec bonté : « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis. Allez, prenez votre lit, marchez. » Tout autre que les pharisiens aurait été pénétré de reconnaissance, et se serait empressé d'aller publier partout la grandeur de ce miracle ; mais non, ils étaient si endurcis qu'ils en prirent occasion de le décrier, de le traiter de blasphémateur. C'est ainsi, M.F., que l'envie empoisonne les meilleures actions. Ah ! si du moins ce maudit péché était mort avec les pharisiens ! mais, au contraire, il a poussé des racines si profondes qu'on le trouve dans tous les états et dans tous les âges. Pour vous donner une idée de la bassesse de celui qui se livre à ce péché, je vais vous montrer : 1? que rien n'est plus odieux, et cependant rien n'est plus commun que ce péché ; 2? qu'il n'y a rien de dangereux pour le salut comme l'envie, et que, pourtant, il n'est point de péché dont on se corrige moins.
I. – Avant de vous montrer, M.F.,
combien ce péché avilit et dégrade celui qui le commet,
et combien le bon Dieu l'a en hor-reur, je veux vous faire comprendre,
autant que je le pourrai, ce qu'est le péché d'envie. Ce
maudit péché, saint Thomas l'appelle un chagrin et une tristesse
mortels, que nous ressentons dans notre cœur, au sujet des bienfaits que
Dieu daigne répandre sur notre prochain. C'est encore, nous dit-il,
un malin plaisir que nous éprouvons quand notre prochain essuie
quelque perte ou quelque disgrâce . Je suis sûr, M.F., que
ce simple exposé commence déjà à vous faire
sentir combien ce péché est odieux, non seulement à
Dieu, mais encore à toute personne qui n'en est pas dévorée.
Peut-on trouver une passion plus
aveugle que celle qui consiste à s'affliger du bonheur de ses frères,
et à se réjouir de leur malheur ? Voilà précisément
ce qu'on appelle péché d'envie, péché si odieux
qu'il renfermé tout à la fois une lâcheté, une
cruauté et une secrète perfidie. Pourriez-vous, M.F., vous
en for-mer une idée ? vous le représenter tel qu'il est ?
Non, vous ne le pourrez jamais. Cela est surtout impossible à ceux
qui le commet-tent, tant il les aveugle. Dites-moi, pourquoi êtes-vous
fâché de ce que votre voisin réussit mieux que vous
dans ses affaires ? IL ne vous empêche pas de faire ce que vous pouvez
pour réussir aussi bien et même mieux que lui. Vous vous affligez
de ce qu'il a plus de talent et plus d'esprit que vous ; mais il ne vous
ôte pas ce que vous avez. Vous voyez avec peine qu'il augmente ses
biens ; mais cette augmentation ne diminue pas les vôtres. Vous vous
chagri-nez de ce qu'il est aimé et estimé ; mais il ne vous
prend pas l'amour ni l'estime que l'on a pour vous Vous êtes
fatigué de voir une personne plus sage ; eh ! qui vous empêche
de l'être encore plus qu'elle, si vous voulez ? Le bon Dieu ne vous
donnera-t-il pas sa grâce autant qu'il vous est nécessaire
? D'autres fois, au contraire, vous vous réjouissez quand votre
prochain éprouve quelque perte de biens, ou que l'on flétrit
un peu sa réputation ; mais ses disgrâces et ses misères
ne vous donnent rien. Voyez-vous, M.F., combien cette passion aveugle celui
qui s'y aban-donne.
Il n'en est pas de ce péché
comme des autres : un voleur, par exemple, en prenant, éprouve un
certain plaisir à posséder ce qu'il a pris ; un impudique
qui se livre à ses turpitudes goûte une jouis-sance d'un moment,
quoique les remords suivent de bien près ; un ivrogne éprouve
une satisfaction dans le moment où le vin passe du verre dans son
estomac ; un vindicatif croit éprouver une joie dans l'instant où
il se venge ; mais un envieux ou un jaloux n'a rien qui le dédommage.
Son péché est semblable à une vipère, qui engendre
dans son sein les petits qui la feront périr. Ah ! maudit péché,
quelle guerre cruelle et intestine ne fais-tu pas à celui qui a
le malheur de t'avoir engendré !
Mais, me direz-vous peut-être,
en quel lieu ce péché a-t-il été commis pour
la première fois ? – Hélas ! il a commencé dans le
ciel. Les anges, qui étaient les plus belles créatures de
Dieu, devinrent jaloux et envieux de la gloire de leur Créateur,
et voulu-rent, s'attribuer à eux mêmes ce qui n'était
dû qu'à Dieu seul ; et ce péché d'envie fut
la cause que le Seigneur creusa un enfer, pour y précipiter cette
multitude infinie d'anges qui sont maintenant les démons. De là,
le péché d'envie descendit sur la terre, et alla prendre
racine dans le paradis, terrestre ; c'est donc véritablement par
l'envie que le péché est entré dans le monde. Le démon
qui, par son envie, avait déjà perdu le ciel, ne pouvant
souffrir que l'homme, qui lui était très inférieur
par sa création, fit si heureux dans le paradis terrestre, voulut
essayer de l'entraîner dans son malheur. Hélas ! il ne réussit
que, trop bien. S'adressant à la femme comme à la plus faible,
il fit briller à ses yeux les grandes connaissances qu'elle aurait
de plus, si elle mangeait le fruit que le Seigneur lui avait défendu
de manger . Elle se laissa tenter et tromper, et porta son mari à
faire de même. Cette faute leur coûta bien cher ; dès
cet instant, ils furent condamnés à la mort : ce qui est
la punition la plus humiliante, l'homme étant créé
pour ne mourir jamais.
Depuis, ce péché a
fait dans le monde les plus effroyables ravages. Le premier meurtre qui
se commit eut l'envie pour cause. Pourquoi, nous dit saint Jean , Caïn
tua-t-il son frère Abel ? C'est parce que les actions de Caïn
étaient mauvaises, et il s'attirait la haine de Dieu et des hommes
; tandis que son frère étant bon, était aimé
de Dieu et des hommes, et ses bonnes actions devenaient pour Caïn
un reproche continuel. Mais l'envie dont il était dévoré
ne se renferma pas seulement dans son âme. Elle se manifesta sur
son visage par la grande tristesse qu'il faisait paraître. Aussi
le Seigneur, nous dit la sainte Écriture, ne regarda ni Caïn
ni son offrande . Alors il se dit en lui-même : Mon frère
est aimé de tout le monde ; il est cause que je suis méprisé.
Il faut que je me venge de ce mépris, il faut que je le tue de mes
propres mains, et que j'ôte de devant mes yeux un objet qui m'est
insupportable. – « Allons, mon frère, lui dit ce malheureux
envieux, allons nous promener dans les champs. » Le pauvre innocent
le suit, sans savoir qu'il va être son bourreau. Dès qu'ils
sont dans les champs, Caïn le frappe, le blesse et le tue. Abel tombe
à ses pieds baigné dans son sang. Bien loin d'être
saisi d'horreur d'un tel crime, Caïn au contraire s'en réjouit,
au moins pour le moment ; car son péché ne tardera pas à
devenir son bourreau.
Voyez encore Esaü, que l'envie
dévore. Comme Caïn, il veut aussi tuer son frère Jacob,
à cause de la bénédiction que celui-ci a reçue
de son père. Il se dit en lui-même : « Le temps de la
mort de mon père viendra bien ; alors je me vengerai, je le tuerai
. » Le pauvre Jacob est obligé, pour éviter la mort,
de fuir chez son on-cle Laban, où il resta longtemps sans revenir,
dans la crainte d'être encore exposé à l'envie de son
propre frère. Ce fut aussi l'envie qui anima les frères de
Joseph contre lui, jusqu'à vouloir lui ôter la vie . Mon-Dieu
! que cette passion est aveugle ! Joseph rapporta à ses frères
un songé qu'il avait eu, et qui semblait l'élever au-dessus
d'eux. Ils résolurent dès lors de le tuer : car sa vie innocente
et agréable à Dieu condamnait leur vie criminelle. De même,
Saül dévoré d'envie contre David, auquel on donnait
plus d'éloges qu'à lui-même, lui tendit toute sorte
de pièges pour le faire périr, et ne put point avoir de repos
jusqu'à la mort .
Ah ! M.F., que nous devons prendre
garde de ne point lais-ser naître cette passion dans nos cœurs ;
car une fois qu'elle a pris racine, il est difficile de la détruire
! En voici un exemple bien frappant, rapporté dans l'histoire de
l'abbé Paphnuce . Ses vertus étaient si éclatantes,
qu'il était un objet d'admiration pour tous ceux qui avaient le
bonheur de le connaître : Dans le même mo-nastère vivait
un autre religieux, tellement jaloux d'une si grande réputation,
qu'il prit la résolution de faire tout ce qu'il pourrait pour le
décrier. Un dimanche, cet envieux entra secrètement dans
la cellule de saint Paphnuce, qui assistait en ce moment à la sainte
Messe, et ayant caché son livre sous un petit tas de bois, s'en
alla avec les autres à l'église. Il vint porter ses plaintes
au supérieur, et assurer, devant tout le monde ; qu'on lui avait
volé son livre. Le supérieur ordonna, qu'aucun des religieux
ne sortit de l'église ; après quoi, il envoya trois anciens,
qui parcoururent toutes les cel-lules, et trouvèrent ce livre dans
la cellule de saint Paphnuce. A leur retour, ils le montrèrent à
tout le monde, disant qu'ils l'avaient trouvé dans la cellule de
Paphnuce. Celui-ci, quoique sa cons-cience fût en sûreté,
ne chercha nullement à se justifier ; de peur que, s'il le niait,
on ne le crût coupable de mensonge. Personne, en effet, ne pouvait
croire autre chose en cela, que ce qu'il avait vu de ses yeux. Ce pauvre
jeune homme se contenta d'offrir ses lar-mes au bon Dieu, et s'humilia
profondément devant tout le monde, comme s'il eût été
véritablement coupable. Il passa pres-que deux semaines à
jeûner, pour demander au bon Dieu la grâce de bien souffrir
cette épreuve pour son amour. Témoin de la joie de son serviteur,
Dieu ne tarda pas à faire connaître la vérité.
Afin de révéler l'innocence de son disciple, qui soutenait
avec tant de calme la noire calomnie que l'envie lui avait attirée,
il permit, par un terrible jugement, que l'auteur, d'un si grand crime
fût possédé du démon, et forcé d'avouer
ce crime d'envie en présence de tous les religieux. Cet esprit impur
l'attaqua si violemment, et le tour-menta avec tant d'opiniâtreté,
qu'aucun saint du désert ne fut ca-pable de le chasser. Ce malheureux
envieux fut enfin forcé d'avouer son imposture, et de proclamer
que Paphnuce était un saint et pouvait seul le délivrer ;
il ajouta que le démon ne l'avait possédé qu'en punition
de ce qu'il avait voulu faire passer ce saint pour un hypocrite. Il lui
demanda bien pardon, le conjurant d'avoir pitié de lui. Comme tous
les saints, Paphnuce, sans fiel et sans ressentiment, s'approcha du coupable,
et commanda au dé-mon de le quitter ; ce qu'il fit sur le champ.
Hélas ! dit saint Ambroise,
qu'ils sont-nombreux dans le monde les envieux qui sont fâchés
de ce que le bon Dieu bénit leurs frères ! Selon le saint
homme Job, la colère fait mourir l'in-sensé, et l'envie fait
mourir les petits esprits . En effet, M.F., n'est-ce pas avoir un bien
petit esprit d'être fâché de ce qu'un voisin, et peut-être
même un frère ou une sœur, est heureux, de ce qu'il fait bien
ses affaires, de ce qu'il est aimé et de ce qu'il est béni
du bon Dieu ? Oui, mes enfants, nous dit saint Grégoire le Grand,
il faut avoir un esprit bien faible pour se laisser tyranniser par une
passion si déshonorante et si éloignée de la charité.
Un chrétien ne doit-il pas se réjouir de voir son prochain
heureux ? Dites-moi, M.F., peut-on concevoir quelque chose de plus odieux
que d'être fâché du bonheur de son voisin, et se réjouir
de ses peines ? Aussi voyons-nous que celui qui est atteint d'une passion
si basse et si indigne d'une créature raisonnable, a bien soin de
la cacher autant qu'il le peut. Il tâche de l'envelopper de mille
prétextes, afin de faire croire qu'il n'agit que pour le bien. Quelle
criminelle lâcheté ! Être dévoré de chagrin
de ce que le bon Dieu comble de biens ceux qui le méritent beaucoup
mieux que nous !...
Un envieux n'a pas un moment de
repos. Sur qui l'envieux répand-il son écume venimeuse ?
C'est, ou sur son ennemi, ou sur son ami, ou enfin sur une personne qui
lui est indifférente. 1° Si c'est sur un ennemi, l'envieux sait
bien que non seulement il ne doit pas lui souhaiter de mal ; mais que Jésus-Christ
lui com-mande de l'aimer comme lui-même, de lui faire du bien et
de prier pour lui ; afin que le bon Dieu le bénisse dans ses
biens spirituels ou temporels. Mais, dites-vous, c'est que l'on m'a fait
du mal, c'est que l'on m'a dit quelque chose qui ne m'a pas convenu. Soit,
mais par là même vous montrez une lâcheté affreuse
; vous n'avez pas le courage de faire ce que tant de saints ont fait avec
la grâce divine. 2? S'il s'agit d'un ami, vous lui faites bon semblant
quand vous le voyez, vous lui parlez comme si vous lui souhaitiez toutes
sortes de biens, et dans votre cœur vous voudriez qu'il fût malheureux,
que le bon Dieu l'abandonnât, le réduisît à la
misère, ou bien qu'il devînt un objet de mépris aux
yeux du monde : quelle perfidie, quelle cruauté ! Il vous ouvre
son cœur, tandis que vous vomissez sur lui le venin de votre envie. Que
penseriez-vous d'une personne qui se comporterait de cette manière
à votre égard ? Si vous voyiez le fond de son cœur, vous
en seriez indigné, vous diriez en vous-même : voilà
un lâche, un perfide, un méchant, qui, en me parlant, me fait
bonne grâce, et semble me souhaiter toutes sortes de biens ; tandis
que, dans son cœur, il voudrait me voir le plus malheureux des hommes.
Est-il une passion plus méchante que celle-là ? 3? Mais il
s'agit d'une personne indifférente. Que vous a-t-elle fait pour
s'attirer le venin de votre fiel ? Pourquoi vous affliger de ce qu'elle
est heureuse, ou vous réjouir de ce qu'il lui arrive quelque disgrâce
? Que cette passion de l'envie est cruelle, M.F., et qu'elle est aveugle
! Comme hommes, vous le savez, M.F., nous devons avoir de l'humanité
les uns pour les autres ; mais un envieux au contraire voudrait, s'il le
pouvait, détruire ce qu'il aperçoit de bien dans son prochain.
Comme chrétiens, vous le savez aussi, nous devons avoir une charité
sans bornes pour nos frères. Nous avons vu des saints, qui, non
contents de donner tout ce qu'ils avaient pour racheter leurs frères,
se sont encore donnés eux-mêmes. Moïse consentait à
se laisser effacer du livre de vie pour sauver son peuple, c'est-à-dire
pour obtenir son pardon du Seigneur . Saint Paul nous dit qu'il donnerait
mille fois sa vie pour sauver l'âme de ses frères . Mais un
envieux est bien éloigné de toutes ces vertus, qui font le
plus bel ornement d'un chrétien. Il voudrait voir son frère
se ruiner. Chaque trait de la bonté de Dieu envers son prochain
est un coup de lance qui lui perce le cœur et le fait mourir secrètement.
Puisque « nous sommes tous un même corps » dont Jésus-Christ
est le chef , nous devons faire paraître en tout l'union, la charité,
l'amour et le zèle. Pour nous rendre heureux les uns les autres,
nous devons nous réjouir, comme nous dit saint Paul, du bonheur
de nos frères, et nous affliger, avec eux quand ils ont quelques
peines . Loin d'avoir ces sentiments, l'envieux ne cesse de lancer des
médisances et des calomnies contre son voisin. Il semble par là
se soulager, et adoucir un peu son chagrin.
Hélas ! nous n'avons pas
dit assez encore. C'est ce vice re-doutable qui renverse les rois et les
empereurs de leur trône. Pourquoi, M.F., parmi ces rois, ces empereurs,
ces hommes qui occupent les premières places, les uns sont-ils chassés,
les autres empoisonnés, d'autres poignardés. Ce n'est que
pour régner à leur place. Ce n'est pas le pain, ni le vin,
ni le logement qui manquent aux auteurs de ces crimes. Non, sans doute
; mais c'est l'envie qui les dévore. D'autre part, voyez un marchand,
il voudrait avoir tou-tes les pratiques, et les autres point. Si quelqu'un
le quitte pour aller ailleurs, il tâchera de dire autant de mal qu'il
pourra soit de la personne du marchand, soit de la marchandise. Il prendra
tous les moyens possibles pour lui faire perdre sa réputation, en
disant que sa marchandise n'est pas si bonne que la sienne, ou qu'il ne
fait pas bon poids. Voyez encore la ruse diabolique de cet envieux : il
ne faut pas le dire à d'autres, ajoute-t-il, dans la crainte de
lui por-ter perte ; j'en serais bien fâché, je vous le dis
seulement afin que vous ne vous laissiez point tromper. Voyez un ouvrier,
si un autre va travailler dans la maison où il a la coutume d'aller,
cela le fâ-che ; il fera tout ce qu'il pourra pour décrier
cette personne afin qu'on ne la reçoive pas. Voyez un père
de famille, comme il est fâché si son voisin fait mieux ses
affaires que lui, si ses terres produisent plus que les siennes. Voyez
une mère, elle voudrait que l'on ne parlât avantageusement
que de ses enfants ; si on loue d'autres enfants devant elle et qu'on ne
loue pas les siens, elle ré-pondra : Ils ne sont pas parfaits ;
et elle devient triste. Que vous êtes bonne ; pauvre mère
! les louanges que l'on donne aux autres n'ôtent rien aux vôtres.
Voyez la jalousie d'un mari à l'égard de sa femme et d'une
femme pour son mari ; voyez comment ils s'exa-minent dans tout ce qu'ils
font, dans tout ce qu'ils disent ; comme ils remarquent toutes les personnes
à qui ils parlent, toutes les maisons dans lesquelles ils vont.
Si l'un s'aperçoit que l'autre parle à quelqu'un, il n'y
a sorte d'injures dont il ne l'accable, quoique souvent il soit bien innocent.
N'est-ce pas ce maudit péché qui di-vise les frères
et les sœurs ? Un père ou une mère donnent-ils quelque chose
de plus aux uns qu'aux autres, vous voyez aussitôt naître cette
haine jalouse contre celui ou contre celle qui a été fa-vorisé
; haine qui dure des années entières et quelquefois toute
la vie. Ces enfants ne sont-ils pas toujours à surveiller leur mère
ou leur père, pour voir s'il ne donne pas quelque chose, ou fait
bonne grâce à l'un d'eux ? Alors, il n'y a sorte de mal qu'ils
ne disent.
Nous voyons même que ce péché
semble naître avec les en-fants. Voyez, en effet, parmi eux, cette
petite jalousie qu'ils conçoivent les uns contre les autres, s'ils
aperçoivent quelque pré-férence de la part des parents.
Voyez un jeune homme, il voudrait être le seul à avoir de
l'esprit, du savoir, une bonne conduite ; il est affligé si les
autres font mieux, ou sont plus estimés que lui. Voyez une jeune
fille, elle voudrait être la seule aimée, la seule bien parée,
la seule recherchée. Si d'autres lui sont préférées,
vous la voyez se chagriner et se tourmenter, peut-être même
pleurer, au lieu de remercier le bon Dieu d'être méprisée
des créatures pour ne s'attacher qu'à lui seul. Quelle aveugle
passion, M.F. ! qui pourrait bien la comprendre ?
Hélas ! M.F. ; ce vice se
trouve même parmi ceux dans les-quels on ne devrait pas le rencontrer
; je veux dire parmi les per-sonnes qui font profession de religion.
Elles examineront combien
de temps une telle reste à se confesser, la manière dont
elle se tient pour prier le bon Dieu ; el-les en parlent et elles les blâment.
Elles pensent que toutes ces prières, ces bonnes œuvres ne sont
que pour se faire voir, ou, si vous le voulez, ne sont que grimaces. On
a beau leur dire que les actions du prochain le concernent seul ; elles
s'irritent et prennent ombrage de ce que les autres agissent mieux qu'elles-mêmes.
Voyez même parmi les pauvres, si l'on fait plus de bien à
l'un d'eux, ils en disent du mal à celui qui a fait l'aumône,
afin de le détourner pour une autre fois. Mon Dieu ! quelle détestable
pas-sion ! Elle s'attaque à tout, aux biens spirituels comme aux
tempo-rels.
Nous avons dit que cette passion
montre un petit esprit. Cela est si vrai que personne ne croit l'avoir,
du moins ne veut croire en être atteint. On tâchera de la couvrir
de mille prétextes pour la cacher aux autres. Si, en notre présence,
on dit du bien de notre prochain, nous gardons le silence ; cela nous afflige
le cœur. Si nous sommes obligés de parler, nous le faisons d'une
manière froide. Non, M.F., il n'y a point de charité dans
un envieux. Saint Paul nous dit que nous devons nous réjouir du
bien qui arrive à notre prochain . C'est, M.F., ce que la charité
chrétienne doit nous inspirer les uns pour les autres. Mais les
sentiments d'un envieux sont bien différents. Non, je ne crois pas
qu'il y ait un péché plus mauvais et plus à craindre
que celui d'envie, parce que c'est un péché caché,
et souvent couvert d'une belle robe de vertu ou d'amitié. Disons
mieux : c'est un lion que l'on fait semblant de museler, ou un serpent
couvert d'une poignée de feuilles, qui vous mordra sans que vous
vous en aperceviez ; c'est une peste publi-que qui n'épargne personne.
Ce n'est ordinairement que ce maudit péché qui jette les
divisions et le trouble dans les familles.
Je dis, M.F., que ce péché
est un péché de malice voici un exemple qui va vous le prouver
clairement. Saint Vincent Ferrier rapporte qu'un prince ayant appris qu'il
y avait dans sa ville capi-tale deux hommes dont l'un était très
avare et l'autre très envieux, les fit venir auprès de lui.
Il leur promit de leur accorder tout ce qu'ils demanderaient, avec cette
condition néanmoins, que celui qui demanderait le premier recevrait
la moitié moins que son compagnon. Cette condition les troubla beaucoup.
L'avare brillait du désir d'avoir de l'argent, mais se disait en
lui-même : Si je de-mande le premier, je ne vais avoir que la moitié
de ce que l'autre aura.
L'envieux était pressé
de demander, mais il était jaloux de ce que l'autre aurait eu la
moitié plus que lui. Le temps se passait ainsi en disputes, sans
que ni l'un ni l'autre ne voulût commencer : l'un était retenu
par l'avarice, l'autre par l'envie. Pour terminer en-fin cette contestation,
le prince ordonna que l'envieux demandât le premier. Dans son désespoir,
voyez ce que fit celui-ci. Saisi d'un accès de fureur incompréhensible,
il s'écria : « Puisque vous nous avez promis d'accorder tout
ce que nous demanderions, je veux qu'on m'arrache un œil »
Savez-vous, M.F., pourquoi il fit
cette demande ? C'est que, vous vous le rappelez, le prince avait promis
le double à celui qui demanderait le dernier. L'envieux se disait
: J'aurai encore un œil pour jouir du plaisir de voir arracher les deux
yeux à mon cama-rade, et lui n'aura pas plus que moi. Je ne crois
pas, nous dit saint Vincent Ferrier, en déplorant le malheur de
ceux qui sont atteints de ce vice, je ne crois pas que jamais une autre
passion ait porté un homme à une telle méchanceté.
N'est-ce pas encore l'envie
qui fit jeter le pauvre Daniel dans la fosse aux lions ? Que ce péché
est donc commun ! Il s'étend partout, à toutes les conditions,
à tous les âges. Qu'il est détestable ! Mais ce qu'il
y a de plus déplorable, M.F., c'est qu'il est peu connu, et il y
en a très peu qui veuillent s'en croire coupa-bles, et il y en a
moins encore qui travaillent à s'en corriger.
II. – Pour s'accuser d'un péché,
s'en humilier et cesser de le commettre, il faut nécessairement
le connaître. Mais un envieux, un jaloux est si aveugle qu'il ne
reconnaît pas sa passion. C'est un endurci qui ne veut, ni la quitter,
ni s'en accuser. De là, je conclus qu'il, est très rare qu'un
envieux se convertisse. Vous me direz peut-être que tout péché
aveugle bien qui le commet. Cela est vrai ; mais, il n'y en a point qui
enveloppe l'âme de nuages aussi épais que le péché
d'envie, et qui ôte plus la connaissance de soi-même. C'est
pourquoi, le Saint-Esprit nous dit, par la bouche du Sage, de ne pas fréquenter
les envieux, parce qu'ils n'ont point de part à la sagesse . Un
pauvre envieux se persuade que son péché n'est rien, ou du
moins bien peu de chose, parce que ce péché ne le déshonore
pas aux yeux du monde comme le ferait le vol, le blasphème, l'adultère.
IL regarde la passion qui le dessèche comme une chose bien pardonnable
; il ne pense pas que c'est le poison de Caïn, dont il devient l'imitateur.
Ce misérable, nous dit l'Écriture sainte, ne put souffrir
que Dieu préférât l'offrande de son frère Abel
à la sienne . Sa passion l'aveugla à un tel point, qu'il
n'eut pas de repos avant de lui avoir ôté la vie. Le Seigneur
lui fit entendre sa voix du haut du ciel : « Caïn, Caïn,
qu'as-tu fait ? où est ton frère ? son sang crie vengeance.
» Caïn trembla et frissonna de tout son corps. Il devint lui-même
son bourreau, et porta partout avec lui son supplice. Mais, nous dit saint
Basile, se reconnaît-il ? se convertit-il ? Non, M.F., non, l'envie
l'a tellement aveuglé qu'il périt misérablement dans
son péché. Voyez encore les pharisiens. L'envie leur fait
demander à grands cris la mort de Jésus-Christ, qui avait
opéré tant de miracles sous leurs yeux. Se sont-ils convertis
? Non, M.F., non, ils, sont morts dans leur pé-ché.
Je dis de plus : ce péché
non seulement aveugle, mais encore il endurcit. Saint Basile ajoute qu'un
envieux n'est autre chose qu'un monstre de... qui rend le mal pour le bien
; son péché l'en-traîne dans une suite d'autres péchés
qui toujours l'éloignent de Dieu, et toujours l'endurcissent davantage.
Sa conversion devient toujours plus difficile.
Voyez ce qui arriva à la
sœur de Moïse. Elle ne pouvait souffrir l'honneur que le Seigneur
faisait à son frère. Est-ce que le Seigneur n'a parlé
qu'à Moïse ? disait-elle. Ne nous a-t-il pas parlé aussi
bien qu'à lui ? Mais le Seigneur la reprit de ce qu'elle osait porter
envie à son frère, et lui dit : Vous allez bientôt
subir la peine que mérite votre péché de jalousie
; et il la frappa d'une lè-pre qui lui couvrit tout le corps . Pourquoi
le bon Dieu lui en-voya-t-il cette maladie plutôt qu'une autre ?
C'est que cette mala-die montre la nature de son péché :
comme la lèpre gâte toutes les parties du corps, de même
l'envie corrompt toutes les puissances de l'âme. La lèpre
est une corruption de la masse du sang et un signe de mort ; de même
l'envie est une pourriture spirituelle qui s'insinue jusque dans la mœlle
des os. Cela nous montre, M.F., combien il est difficile de guérir
une personne qui est atteinte du péché d'envie. Voyez encore
ce qui arriva à Coré, Dathan et Abi-ron. Jaloux des honneurs
que l'on rendait à Moïse, ces misérables lui dirent
: « Est-ce que nous ne sommes pas autant que vous ? Est-ce que nous
ne pouvons pas offrir de l'encens au Seigneur aussi bien que vous ? »
On eut beau leur représenter qu'ils allaient irriter le Seigneur,
qu'il les punirait. Rien ne fut capable de les ar-rêter. Ils voulurent
offrir de l'encens. Mais Dieu dit à Moïse et à Aaron
: « Faites-les séparer, et tout ce qui leur appartient. Je
vais les punir rigoureusement. » En effet, dans le moment où
ils croyaient contenter leur envie, la terre s'ouvrit sous leurs pieds,
et les engloutit tout vivants dans les enfers .
Ah ! M.F., que ce péché
est difficile à quitter quand une fois nous en sommes atteints.
Combien de personnes ont conçu cette haine contre quelqu'un, et
ne peuvent plus s'en défaire ; elles la conservent durant des mois,
des années entières et souvent toute leur vie. Elles ne le
font pas paraître ; elles rendront service tout de même à
ceux qui en sont l'objet ; mais elles aimeraient mieux ne pas les voir.
Elles fuient, elles coupent court, si elles le peu-vent, à leur
conversation ; elles aiment autant en entendre dire du mal que du bien
; elles cherchent mille prétextes pour éviter d'avoir à
faire avec elles. Si elles éprouvent quelque peine, elles pensent
que ces personnes en sont la cause, et elles disent : j'aime-rais mieux
ne pas les voir, parce que cela me fatigue, leurs maniè-res me déplaisent.
Vous vous trompez, mon ami, c'est votre pas-sion d'envie qui vous ronge
et vous dessèche ; ôtez ce péché de votre cœur
et vous les aimerez comme tout le monde.
Voulez-vous, M.F., un exemple qui
vous fera connaître combien ce péché aveugle l'homme.
Voyez Pharaon. Jaloux des bénédictions que le Seigneur répandait
sur le peuple Juif, il l'ac-cabla de travaux . Le Seigneur, par le ministère
de Moïse et d'Aa-ron, fit des miracles extraordinaires pour le forcer
à laisser partir son peuple. Mais les miracles, qui auraient dû
convertir ce prince, ne servirent qu'à l'endurcir de plus en plus.
Cependant un dernier châtiment toucha son cœur. Dieu fit mourir tous
les premiers-nés d'Égypte. Alors, le roi consentit à
laisser partir les Israélites. A peine furent-ils partis, qu'il
s'en repentit et les poursuivit avec toute son armée. Mais le Seigneur
protégeait toujours son peu-ple... Moïse se voyant pris entre
la mer et l'armée de Pharaon, frappa la mer. La mer lui ouvrit un
passage, et-dès que les Israéli-tes eurent passé,
elle retourna dans son lit ordinaire, engloutit Pharaon et toute son armée
sans qu'il en restât un seul.
C'est encore l'envie qui anima Saül
contre le pauvre David, jusqu'à chercher tous les moyens de lui
ôter la vie. Et savez-vous pourquoi ? David avait tué dix
mille ennemis. A son retour de la guerre, le peuple chanta : « Saül
en a tué mille et David dix mille. » L'Ecriture sainte nous
dit que cela irrita tellement Saül que, depuis ce jour, il n'eut point
de repos . Mais le bon Dieu, pour faire connaître combien ce péché
lui est odieux, donna la permission au démon d'entrer dans le corps
de Saül. Son orgueil engendra l'envie parce que ces deux passions
ne vont pas l'une sans l'autre. Nous pouvons dire qu'un orgueilleux est
un envieux, et qu'un envieux est un orgueilleux . Nous voyons que presque
tous ceux qui sont atteints de ce vice perdent même la vie par ce
bourreau. Saül ne pouvant plus y tenir, s'égorgea lui-même.
Vous voyez donc, M.F., d'après
ces exemples, combien ce péché est à craindre, puisque,
presque jamais, un envieux ne s'est converti. Le bon Dieu, il est vrai,
ne frappe pas toujours les en-vieux de ces châtiments épouvantables
; mais ils n'en sont pas moins malheureux, et ne laissent pas que d'être
damnés. Nous nous conduisons en enfer sans nous en apercevoir.
Mais comment, M.F., pouvons-nous
nous corriger de ce vice, puisque nous ne nous croyons pas coupables ?
Je suis sûr que, de mille envieux, en bien les examinant, il n'y
en aura pas un qui veuille croire qu'il est de ce nombre. Il n'y a point
de péché que l'on connaisse moins que celui-là. Dans
les uns, l'ignorance est si grande qu'ils ne connaissent pas même
le quart. de leurs pé-chés ordinaires ; et comme le péché
d'envie est beaucoup plus dif-ficile à connaître, il n'est
pas étonnant que si peu s'en confessent et s'en corrigent. Parce
qu'ils ne font pas ces gros péchés que commettent les gens
grossiers et abrutis, ils pensent que les pé-chés d'envie
ne sont que de petits défauts de charité, tandis qu'en grande
partie ce sont de bien mauvais péchés mortels, qu'ils nour-rissent
et entretiennent dans leur cœur, souvent sans bien les connaître.
– Mais, pensez-vous en vous-même, si je les connais-sais, je tâcherais
bien de me corriger. – Pour les connaître, M.F., il faut demander
les lumières du Saint-Esprit : lui seulement vous fera cette grâce.
On aurait beau vous le faire toucher au doigt, vous ne voudriez pas en
convenir, vous trouveriez toujours quel-que chose qui vous ferait croire
que vous n'avez pas tort de penser et d'agir de la manière dont
vous agissez. Savez-vous encore ce qui pourra contribuer à vous
faire connaître l'état de votre âme et à découvrir
ce maudit péché caché dans les plis secrets de votre
cœur ? C'est l'humilité : comme l'orgueil vous le cache, l'humilité
vous le découvrira. Saint Augustin craignait tant ce péché
d'igno-rance, que souvent il répétait cette prière
: « Seigneur, mon Dieu, faites-moi connaître ce que je suis
. » Hélas ! M.F., combien de personnes qui même font
profession de piété, en sont atteintes et ne le croient pas.
Si maintenant je demandais à
un enfant quelle est la vertu opposée à l'envie, il me répondrait
: C'est l'amour du prochain et la libéralité envers les pauvres.
Que le monde serait heureux, M.F., si nous avions cet amour que la religion
nous commande d'avoir les uns pour les autres ; si nous savions nous réjouir
avec ceux qui sont heureux et dans la joie, et nous attrister avec ceux
qui sont dans la peine et les souffrances ; remercier le bon Dieu du bien
qu'il accorde à nos voisins, comme nous voudrions qu'ils le fissent
à notre égard ! C'est cependant, M.F., ce que tous les saints
ont fait. Voyez Jésus-Christ lui-même, comme il était
tou-ché de nos misères et comme, il désirait nous
rendre heureux ! Il quitta son Père pour venir nous rendre le bonheur.
Il sacrifia, non seulement sa réputation, mais sa vie même,
en mourant, comme un infâme, sur une croix. Voyez comme il était
touché de com-passion pour les malades, les infirmes ; voyez avec
quel empres-sement il va lui-même les guérir et les consoler.
Voyez comme ses entrailles sont émues de la même compassion
pour cette foule de peuple qui le suivait dans le désert ; il fait
même un miracle pour leur donner à manger. « Je crains,
disait-il à ses apôtres, que ces pauvres gens ne tombent de
faiblesse en chemin . » Voyez comme les apôtres ont tous sacrifié
leur vie pour rendre leurs frè-res heureux ! Voyez combien les pre-miers
chrétiens étaient chari-tables les uns pour les autres, et
comme ce péché était éloigné d'eux !
Le Saint-Esprit nous dit « qu'ils n'avaient qu'un cœur et qu'une
âme , » et nous montre ainsi qu'ils voyaient avec autant de
plaisir le bien que le bon Dieu faisait à leurs frères que
s'il l'eût fait à eux-mêmes. Voyez tous les saints :
les uns ont donné leur vie pour sauver celle de leurs frères
; les autres se sont dépouillés, non seulement de leurs biens
pour les pauvres ou les souffrants ; mais, après avoir donné
tout ce qu'ils pouvaient donner, ils se sont encore donnés eux-mêmes
! Ils se sont vendus pour racheter les captifs ! Que nous serions heureux,
M.F., si nous voyions parmi nous cette charité, cet amour les uns
pour les autres, ce plaisir et cette joie quand notre voisin est heureux
et estimé des hommes, cette compassion, cette peine et ce chagrin
en le voyant affligé, et misérable ! Le monde ne serait-il
pas le commencement du ciel ?
Finissons, M.F., en disant que nous
devons craindre, par-dessus tout, que ce maudit péché d'envie
ne prenne racine en no-tre cœur, puisqu'il rend une personne si malheureuse.
Si le démon nous tente par des pensées d'envie contre notre
prochain, bien loin de le lui faire connaître par un air indifférent,
il faut lui montrer de l'amitié et lui rendre service autant que
nous le pouvons. Quant à ses actions, si elles nous paraissent mauvaises,
pensons vite que nous pouvons bien nous tromper, étant si aveugles
que nous le sommes ; et que, d'ailleurs ; nous ne serons pas jugés
sur ce que les autres feront, mais seulement sur le bien et le mal que
nous aurons faits pendant notre vie. Si nous avons des pensées d'envie
parce que les autres réussissent mieux que nous dans leurs affaires
temporelles, pensons vite qu'un bon chrétien doit remercier Dieu
du bien qu'il a fait à son frère. Si c'est pour le bien spirituel,
pen-sons combien nous sommes heureux que le bon Dieu ait des per-sonnes
qui le dédommagent des outrages que nous lui faisons.
Je conclus, M.F., en vous disant
que si nous voulons espérer d'aller au ciel, il faut absolument
être contents du bien que le bon Dieu fait à notre prochain,
et nous attrister des maux qu'il éprouve, puisque saint Jean nous
dit : « Comment voulez-vous faire croire que vous aimez le bon Dieu
que vous ne voyez pas, tandis que vous n'aimez pas votre frère que
vous voyez ? » Jetons les yeux sur notre grand modèle,
qui, pour nous guérir de ce maudit péché d'envie et
de jalousie, est mort pour ses ennemis et pour nous rendre heureux ; c'est
le même bonheur que je vous souhaite.
19ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTECÔTE
Sur l'Impureté
Ligatis manibus et pedibus ejus,
mittite eum in tenebras exteriores : ibi erit fletus et stridor dentium.
Liez-lui pieds et mains, et jetez-le
dans les ténèbres extérieures, et là il y aura
des pleurs et des grincements de dents.
(S. Matthieu, XXII, 13.)
Si tout péché mortel, M.F., doit nous traîner, nous précipiter, nous foudroyer dans les enfers, comme Jésus-Christ nous le dit dans l'Évangile, quel sera donc le sort de celui qui aura le malheur de se livrer au péché le plus infâme, le péché d'impureté ? O mon Dieu ! peut-on bien oser prononcer le nom d'un vice si horrible, non seulement aux yeux des chrétiens, mais encore à ceux de créatures raisonnables ? Pourrais-je le dire, M.F., et vous, pour-rez-vous l'entendre sans frémir ? Ah ! si j'avais le bonheur, en vous montrant toute la noirceur et toute l'horribilité de ce péché, de vous le faire fuir pour jamais ! O mon Dieu ! un chrétien peut-il bien s'abandonner à une passion qui le dégrade jusqu'à le mettre au-dessous de la bête la plus vile, la plus brute, la plus immonde ! Un chrétien peut-il bien se livrer à un crime qui fait tant de rava-ges dans une pauvre âme ! Un chrétien, dis-je, qui est le temple de l'Esprit-Saint, un membre de Jésus-Christ, peut-il bien se plonger et se rouler, se noyer, pour ainsi dire, dans le limon d'un vice aus-si infâme, qui, en abrégeant ses jours, lui faisant perdre sa réputa-tion, lui prépare tant de maux et de malheurs pour l'éternité ! Oui, M.F., pour vous donner une idée de la grandeur de ce péché, je vais 1? vous montrer, autant qu'il me sera possible, toute l'horribi-lité de ce crime ; 2? en combien de manières nous pouvons nous en rendre coupables ; 3? quelles sont les causes qui peuvent nous y conduire ; 4? enfin, ce que nous devons faire pour nous en pré-server.
I. – Pour vous faire comprendre la
grandeur de ce maudit péché qui perd tant d'âmes, il
faudrait ici étaler à vos yeux tout ce que l'enfer a de plus
affreux, de plus désespérant, et, en même temps, tout
ce que la puissance de Dieu exerce sur une victime coupable d'un tel crime.
Mais, vous comprenez comme moi, que jamais il ne sera donné de saisir
la grandeur de ce péché et la ri-gueur de la justice de Dieu
envers les impudiques. Je vous dirai seulement que celui qui commet le
péché d'impureté se rend cou-pable d'une espèce
de sacrilège, puisque notre cœur étant le tem-ple du Saint-Esprit,
notre corps étant un membre de Jésus-Christ, nous profanons
véritablement ce temple par les impuretés aux-quelles nous
nous abandonnons ; et de notre corps, qui est un membre de Jésus-Christ,
nous faisons véritablement le membre d'une prostituée . Examinez
maintenant, si vous pourrez jamais vous former une idée qui approche
de la grandeur de l'outrage que ce péché fait à Dieu
et de la punition qu'il mérite. Ah ! M.F., il faudrait pouvoir traîner
ici, à ma place, cette infâme reine Jézabel, qui a
perdu tant d'âmes par ses impudicités ; il faudrait qu'elle
vous fit elle-même la peinture désespérante des tourments
qu'elle endure, et qu'elle endurera toute l’éternité, dans
ce lieu d'horreur où elle s'est précipitée par ses
turpitudes. Ah ! vous l'entendriez crier du milieu de ces flammes qui la
dévorent : « Hélas ! que je souffre ! Adieu, beau ciel,
je ne te verrai jamais, tout est fini pour moi. Ah ! maudit péché
d'impureté, les flammes de la justice de Dieu me font payer bien
cher les plaisirs que j'ai goûtés ! Si j'avais encore le bonheur
d'être sur la terre, comme cette vertu de pureté me serait
bien plus précieuse qu'elle ne m'a été ! »
Allons encore plus loin, M.F., peut-être
que vous sentirez un peu mieux l'horreur de ce maudit péché.
Je ne parle pas d'un païen, qui n'a pas le bonheur de connaître
le bon Dieu ; mais d'un chrétien qui connaît combien ce vice
est opposé à la sainteté de sa condition d'enfant
de Dieu, d'un chrétien qui a été tout arrosé
du sang adorable, qui tant de fois lui a servi de demeure et de taber-nacle.
Comment ce chrétien peut-il bien s'abandonner à un tel pé-ché
! O mon Dieu ! peut-on y penser et ne pas mourir d'horreur ! Écoutez
ce que dit le Saint-Esprit : Celui qui est assez malheureux pour s'abandonner
à ce maudit péché, mérite d'être foulé
sous les pieds du démon comme le fumier sous les pieds des hommes
. Jésus-Christ dit un jour à sainte Brigitte, qu'il se voyait
forcé de préparer des tourments affreux pour punir les impudiques,
et que presque tous les hommes étaient atteints de ce vice infâme.
Si nous prenons la peine de parcourir
l'Écriture sainte, nous voyons que, depuis le commencement du monde,
le bon Dieu a poursuivi les impudiques de la manière la plus sévère.
Voyez tous les hommes avant le déluge qui s'abandonnent à
ce vice infâme ; le Seigneur ne peut plus les souffrir ; il se repent
de les avoir créés ; il se voit forcé de les punir
de la manière la plus effroya-ble, puisqu'il ouvre sur eux les cataractes
du ciel et les fait tous périr par un déluge universel .
Il fallait que cette terre souillée par tant de crimes, et si horrible
aux yeux de Dieu fût purifiée par le déluge ; c'est-à-dire
par les eaux de la colère du Seigneur. Si vous allez plus loin :
Voyez les habitants de Sodome et de Gomorrhe, ainsi que les autres villes
voisines, leurs habitants se livraient à des crimes si épouvantables
d'impureté, que le Seigneur, dans sa juste colère, fit tomber
sur ces lieux maudits une pluie de feu et de soufre qui les brûla
avec leurs habitants ; les hommes, les bêtes, les arbres, les terres
et les pierres furent comme anéantis ; ce lieu a été
si maudit de Dieu, qu'il n'est plus maintenant qu'une mer maudite . On
l'appelle Mer-morte, parce qu'elle ne nourrit aucun poisson et que, sur
ses rivages, on trouve certains fruits qui ont une belle apparence, mais
ne renferment qu'une poignée de cendres. Dans un autre endroit,
nous voyons que le Seigneur ordonna à Moïse de mettre à
mort vingt-quatre mille hommes, parce qu'ils s'étaient abandonnés
à l'impureté .
Oui, M.F., nous pouvons dire que
ce maudit péché d'impure-té a été, depuis
le commencement du monde, jusqu'à la venue du Messie, la cause de
presque tous les malheurs des Juifs. Voyez David, voyez Salomon et tant
d'autres. Qui a attiré tant de châti-ments sur leurs personnes
et sur leurs sujets, sinon ce maudit pé-ché ? O mon Dieu
! que ce péché vous ravit d'âmes, oh ! qu'il en traîne
aux enfers !
Si nous passons de l'Ancien Testament
au Nouveau, les châ-timents ne sont pas moindres. Saint Jean nous
dit que Jésus-Christ lui fit voir, dans une révélation,
le péché d'impureté sous la figure d'une femme assise
sur une bête qui avait, sept têtes et dix cor-nes , pour nous
montrer que ce péché attaque les dix commande-ments de Dieu
et renferme les sept péchés capitaux . Si vous vou-lez vous
en convaincre, vous n'avez qu'à examiner la conduite d'un impudique
; vous verrez qu'il n'y a pas un commandement qu'il ne transgresse, et
un des péchés capitaux dont il ne se rende coupable, en contentant
les désirs de son corps. Je ne veux pas en-trer dans tous ces détails,
voyez-le vous-mêmes, et vous direz que cela est vrai. Mais j'ajouterai
qu'il n'y a point de péché dans le monde qui fasse faire
tant de sacrilèges : les uns ne connaissent pas la moitié
des péchés qu'ils commettent de cette manière, par
conséquent ils ne les disent pas ; les autres ne veulent pas les
dire, quoiqu'ils les connaissent ; de sorte que nous verrons au jour du
jugement qu'il n'y a point de péché qui ait jeté tant
d'âmes en en-fer. Oui, M.F., ce péché est si affreux
que non seulement nous nous cachons pour le commettre ; mais nous voudrions
encore nous le cacher à nous-mêmes, tant il est infâme,
même aux yeux de ceux qui s'en rendent coupables !
II. – Mais, pour mieux vous faire
comprendre combien ce péché, quoique si affreux, est commun
parmi les chrétiens, et comme il est facile de le commettre, je
vous dirai en combien de manières l'on pèche contre le sixième
commandement de Dieu. L'on pèche en six manières : par pensées,
par désirs, par regards, par paroles, par actions et par occasions.
Je dis 1?, par pensées :
il y en a plusieurs qui ne savent pas distinguer une pensée d'avec
un désir ; ce qui peut faire faire des confessions sacrilèges.
Écoutez-moi bien et vous allez le voir : une mauvaise pensée,
c'est lorsque notre esprit s'arrête volontai-rement à penser
à une chose impure, soit par rapport à nous, soit par rapport
à d'autres, sans désirer accomplir ce que l'on pense ; on
laisse seulement croupir son esprit sur ces choses sales et dés-honnêtes.
Vous vous accusez de cela ; il faut dire combien de temps vous y avez laissé
reposer votre pensée, sans vous en dé-tourner, ou encore
si vous avez pensé à des choses qui pouvaient vous y conduire
par le souvenir de quelque conversation que vous avez eue, ou de quelque
familiarité que vous avez permise, ou de quelque objet que vous
avez vu. Le démon ne vous remet cela de-vant les yeux que dans l'espérance
qu'il vous conduira au péché, au moins par la pensée.
2? Nous péchons par désirs.
Voilà, M.F., la différence qu'il y a entre la pensée
et le désir ; le désir, c'est vouloir accomplir ce à
quoi nous pensons ; mais pour vous parler plus clairement, c'est vouloir
commettre le péché d'impureté, après y avoir
pensé pen-dant quelque temps, lorsque nous en trouverons l'occasion
ou lorsque nous la chercherons. Il faut bien dire si ce désir est
resté dans notre cœur, si nous avons fait quelque démarche
pour ac-complir ce que nous avons désiré, si nous avons sollicité
quelques personnes à faire mal avec nous ensuite quelles sont les
personnes que nous avons voulu porter au mal, si c'est un frère,
une sœur, un enfant ; une mère, une belle-sœur, un beau-frère,
un cousin. Il faut bien dire tout cela, autrement votre confession ne vaudrait
rien. Cependant, il ne faut nommer les personnes qu'autant qu'il est né-cessaire
pour faire connaître son péché. Il est bien certain
que si vous aviez fait mal avec un frère ou une sœur, et que vous
vous contentiez de dire que vous avez fait un péché contre
la sainte vertu de pureté, cela ne suffirait pas.
3? L'on pèche par regards,
lorsqu'on porte ses yeux sur des objets impurs, ou quelque chose qui peut
nous y conduire. Il n'y a point de porte par laquelle le péché
entre si facilement et si sou-vent que par les yeux ; aussi le saint homme
Job disait : « Qu'il avait fait un pacte avec ses yeux pour ne jamais
regarder une per-sonne en face . »
4° Nous péchons par paroles.
Nous parlons, M.F., pour ma-nifester à l'extérieur ce que
nous pensons au dedans de nous-mêmes, c'est-à-dire ce qui
se passe dans notre cœur. Vous devez vous accuser de toutes les paroles
impures que vous avez dites, combien de temps votre conversation a duré
; quel motif vous a engagé à les dire, à quelles personnes
et à combien de personnes vous avez pu les dire. Hélas !
M.F., il y a de pauvres enfants, pour lesquels il vaudrait bien mieux trouver
sur leur chemin un tigre ou un lion, que certains impudiques. Si, comme
l'on dit, la bouche parle de l'abondance du cœur, jugez quelle doit être
la corruption du cœur de ces infâmes qui se roulent, se traînent
et se noient pour ainsi dire dans la fange de leur impureté. O mon
Dieu ! si vous nous dites que l'on connaît l'arbre à son fruit,
quel abîme de corruption peut être semblable !
5? Nous péchons par actions.
Telles sont les libertés coupa-bles sur soi-même ou sur d'autres,
les baisers impurs, sans oser vous dire le reste ; vous comprenez bien
ce que je dis. Mon Dieu ! où sont ceux qui, dans leurs confessions,
s'accusent de tout cela ? Mais aussi que de sacrilèges ce
maudit péché d'impureté fait faire ! Nous ne
connaîtrons cela qu'au grand jour des vengeances. Combien de
jeunes filles resteront deux ou trois heures avec des libertins,
et il n'y aura sorte d'impureté que leur bouche infernale
ne vomisse continuellement. Hélas ! mon Dieu, comment ne pas
brûler au milieu d'un brasier si ardent ?
6? L'on pèche par occasion,
soit en la donnant, soit en la prenant. Je dis, en la donnant, comme une
personne du sexe qui est mise d'une manière indécente, laissant
son mouchoir trop écar-té, ayant le cou et les épaules
découverts, portant des vêtements qui dessinent trop les formes
du corps ; ou ne portant point de mouchoir en été, ou bien
s'habillant d'une manière trop affectée. Non, ces malheureuses-là
ne sauront qu'au tribunal de Dieu le nombre de crimes qu'elles auront fait
commettre. Combien de gens mariés qui ont moins de réserves
que des païens ! Une fille est encore coupable de quantité
de péchés impurs, qui sont pres-que tous des péchés
mortels, toutes les fois qu'elle est trop facile et trop familière
avec les jeunes gens. L'on est encore coupable, lorsqu'on va avec des personnes
que l'on sait n'avoir que des mauvaises paroles à la bouche. Vous
pouvez ne pas y avoir pris plaisir, mais vous avez eu le tort de vous y
exposer.
Souvent, on se fait illusion, l'on
croit ne point faire de mal, tandis que l'on pèche affreusement.
Ainsi les personnes qui se voient sous prétexte de mariage, croient
qu'il n'y a point de mal de passer un temps considérable seuls,
le jour et la nuit. N'oubliez pas, M.F., que tous ces embrassements qui
se font dans ces mo-ments sont presque tous des péchés mortels,
parce qu'ordinaire-ment ce n'est qu'une amitié charnelle qui les
fait faire. Com-bien de jeunes fiancés n'ont aucune réserve
; ils se chargent des crimes les plus épouvantables, et semblent
forcer la justice de Dieu de les maudire au moment où ils entrent
dans l'état du mariage. Vous devez être aussi réservés
pendant ce temps que vous l'êtes avec vos sœurs ; tout ce que l'on
fait de plus est un péché. Hélas ! mon Dieu, où
sont ceux qui s'en accusent ? presque personne. Mais aussi, où sont
ceux qui entrent dans l'état du mariage saintement ? Hélas
! presque point. De là résultent tant de maux dans le ma-riage
et pour l'âme et pour le corps. Eh ! mon Dieu ! des parents qui le
savent peuvent dormir ! Hélas ! que d'âmes qui se traînent
dans les enfers !
On pèche encore contre la
sainte vertu de pureté quand on se lève la nuit sans être
habillé pour sortir, pour aller servir un ma-lade, ou pour aller
ouvrir la porte. Une mère doit faire attention de ne jamais avoir
de regards déshonnêtes, ni d'attouchements sans nécessité
sur ses enfants. Les pères et mères et les maîtres
sont coupables de toutes les familiarités qu'ils permettent entre
leurs enfants et leurs domestiques, pouvant les empêcher. L'on se
rend encore coupable, en lisant et prêtant de mauvais livres ou des
chansons licencieuses ; en s'écrivant des lettres entre personnes
de différent sexe. L'on participe au péché en favorisant
des rendez-vous de jeunes gens, sous prétexte même de mariage.
Vous êtes obligés, M.F., de déclarer toutes les circonstances aggravantes, si vous voulez que vos confessions soient bonnes. Écoutez-moi, vous allez encore mieux le comprendre. Péchez-vous avec une personne déjà abandonnée au vice, qui en fait profession, vous vous rendez volontairement l'esclave de Satan, et encourez la damnation éternelle. Mais, apprendre le mal à une jeune personne, la porter au mal pour la première fois, lui ravir l'innocence, lui enlever la fleur de sa virginité, ouvrir la porte de son cœur au démon, fermer le ciel à cette âme qui était l'objet de l'amour des trois personnes de la Sainte-Trinité, la rendre digne de l'exécration du ciel et de la terre : ce péché est encore infiniment plus grand que le premier, et vous êtes obligés de vous en accuser. Pécher avec une personne libre, ni mariée, ni parente, est, selon saint Paul, un crime qui nous ferme le ciel et nous ouvre les abîmes ; mais pécher avec une personne engagée dans les liens du mariage, c'est un crime qui en renferme un grand nombre d'autres ; c'est une horrible infidélité, qui anéantit et qui profane toutes les grâces du sacrement de mariage ; c'est encore un exécrable parjure qui foule aux pieds une foi jurée au pied des autels, en présence non seulement des anges, mais de Jésus-Christ lui-même ; crime qui est capable d'attirer toutes sortes de malédic-tions, non seulement sur une maison, mais encore sur une pa-roisse. Pécher avec une personne qui n'est ni parente, ni alliée, c'est un gros péché, puisqu'il nous perd pour jamais ; mais, pécher avec une parente ou une alliée, c'est-à-dire, un père avec sa fille, une mère avec son fils, un frère avec sa sœur, un beau-frère avec sa belle-sœur, un cousin avec sa cousine, c'est le plus grand de tous les crimes que l'on puisse imaginer ; c'est se jouer des règles les plus inviolables de la pudeur ; c'est fouler aux pieds les droits les plus sacrés de la religion et de la nature. Enfin, pécher avec une personne consacrée à Dieu, c'est le comble de tous les mal-heurs, puisque c'est un sacrilège épouvantable. O mon Dieu ! peut-il y avoir des chrétiens qui se livrent à toutes ces turpitudes ! Hélas ! si au moins, après de telles horreurs, l'on avait recours au bon Dieu pour lui demander de nous tirer de cet abîme ! Mais, non, l'on vit tranquille, et la plupart n'ouvrent les yeux qu'en tom-bant en enfer. Vous êtes-vous, M.F., formé une idée de la gran-deur de ce péché ? Non, sans doute, parce que vous en auriez bien plus d'horreur, et vous auriez pris plus de précautions pour ne pas y tomber.
III. - Si vous me demandez maintenant
ce qui peut nous conduire à un tel crime. Mon ami, je n'ai qu'à
ouvrir mon caté-chisme et à le demander à un enfant,
en lui disant : Qu'est-ce qui nous conduit ordinairement à ce vice
honteux ? Il me répondra simplement : Monsieur le Curé, ce
sont les danses, les bals, les fréquentations trop familières
avec des personnes de différent sexe ; les chansons, les paroles
libres, les immodesties dans les habits, les excès dans le boire
et le manger.
Je dis : les excès dans le
boire et le manger. Si vous me de-mandez pourquoi cela, le voici, M.F.
: C'est que notre corps ne tend qu'à la perte de notre âme
; il faut nécessairement le faire souffrir en quelque manière,
sans quoi tôt ou tard, il jettera notre âme en enfer. Une personne
qui a bien à cœur le salut de son âme ne passera jamais un
jour sans se mortifier en quelque chose dans le boire, le manger, le sommeil.
Pour l'excès du vin, saint Augustin nous dit clairement qu'un ivrogne
est impudique, ce qui est bien facile à prouver. Entrez dans un
cabaret, ou soyez en la compagnie d'un ivrogne, il n'aura pas autre chose
à la bouche que les paroles les plus sales ; vous le verrez faire
les actions les plus honteuses ; et certainement il ne les ferait pas s'il
n'était pas dans le vin. Vous voyez donc par là, M.F., que,
si nous voulons conserver la pureté dans notre âme, il faut
nécessairement refuser quelque chose à notre corps, sans
quoi il nous perdra.
Je dis que les bals et les danses
nous conduisent à ce vice in-fâme. C'est le moyen dont le
démon se sert pour enlever l'inno-cence au moins aux trois quarts
des jeunes gens. Je n'ai pas besoin de vous le prouver, vous ne le savez
que trop malheureusement par votre propre expérience. Hélas
! combien de mauvaises pen-sées, de mauvais désirs et d'actions
honteuses causées par les dan-ses ! Il me suffirait de vous dire
que huit conciles tenus en France défendaient la danse, même
dans les noces, sous peine d'excom-munication. – Mais, me direz-vous, pourquoi
donc y a-t-il des prêtres qui donnent l'absolution à ces personnes
sans les éprou-ver ? – Pour cela, je ne vous en dis rien, chacun
rendra compte de ce qu'il aura fait. Hélas ! M.F., d'où est
venue la perte des jeunes gens ? Pourquoi n'ont-ils plus fréquenté
les sacrements ? Pourquoi ont-ils même laissé leurs prières
? N'en cherchez pas d'autre cause que la danse. D'où peut venir
ce grand malheur que plusieurs ne font plus de pâques, ou les font
mal ? Hélas ! de la danse. Com-bien de jeunes filles, à la
suite de la danse, ont perdu leur réputa-tion, leur pauvre âme,
le ciel, leur Dieu ! Saint Augustin nous dit qu'il n'y aurait pas autant
de mal à travailler toute la journée le dimanche, qu'à
danser. Oui, M.F., nous verrons au grand jour du jugement, que ces filles
mondaines ont fait commettre plus de pé-chés qu'elles n'ont
de cheveux sur la tête. Hélas ! que de mauvais regards, que
de mauvais désirs, que d'attouchements déshonnêtes,
que de paroles impures, que d'embrassements mauvais, que de ja-lousies,
que de disputes, que de querelles ne voit-on pas commet-tre dans la danse
ou à la suite des danses ! Pour mieux vous en convaincre, M.F.,
écoutez ce que nous dit le Seigneur par la bou-che du prophète
Isaïe : « Les mondains dansent au son des flûtes et des
tambours, et un moment après ils descendent dans les en-fers . »
L'Esprit-Saint nous dit par la bouche du prophète Ezé-chiel
: « Va dire aux enfants d'amour, que parce qu'ils se sont li-vrés
à la danse, je vais les punir rigoureusement ; afin que tout Israël
soit saisi de frayeur. » Saint Jean Chrysostome nous dit que les
patriarches Abraham, Isaac et Jacob ne voulurent jamais per-mettre que
l'on dansât à leur mariage, dans la crainte d'attirer les
malédictions du ciel sur eux. Mais, je n'ai pas besoin d'aller cher-cher
d'autres preuves que vous-mêmes. Parlez-moi sincèrement, n'est-ce
pas que vous ne voudriez pas mourir en venant d'une danse ? Non, sans doute,
parce que vous ne seriez guère prêts à aller paraître
devant le tribunal de Dieu. Dites-moi pourquoi vous ne voudriez pas mourir
dans cet état, et pourquoi vous ne man-quez pas de vous en confesser
? C'est donc bien prouvé, vous sen-tez vous-mêmes que vous
faites mal ; autrement vous n'auriez pas besoin de vous en accuser et ne
craindriez pas de paraître devant Jésus-Christ. Écoutez
ce que nous dit saint Charles Borromée par-lant de la danse : de
son temps, l'on condamnait à trois ans de pé-nitence publique
une personne qui allait à la danse, et, si elle continuait, on la
menaçait d'excommunication. N'allons pas plus loin, M.F., la mort
vous prouvera ce que nous disons aujourd'hui, mais trop tard pour un grand
nombre. Il faut vraiment être aveugle pour croire qu'il n'y a pas
grand mal dans la danse, lorsque nous voyons que toutes les personnes désireuses
de s'assurer le ciel, l'ont quittée et ont pleuré le malheur
d'y être allées, dans le temps de leurs folies. Mais, tirons
le rideau jusqu'au grand jour des ven-geances où nous verrons tout
cela plus clairement, où la corrup-tion du cœur ne pourra plus trouver
d'excuse.
Je dis que les immodesties dans
les habits nous conduisent à ce vice honteux. Oui, M.F., une personne
qui ne s'habille pas dé-cemment est la cause de beaucoup de
péchés : de mauvais re-gards, de mauvaises pensées,
de paroles déshonnêtes. Voulez-vous savoir, du moins en partie,
le mal dont vous êtes la cause ? Mettez-vous un instant aux pieds
de votre crucifix, comme si vous alliez être jugé. L'on peut
dire que les personnes mises d'une manière mondaine sont une source
d'impureté, et un poison qui donne la mort à tous ceux qui
n'ont pas la force de les fuir. Voyez en elles cet air efféminé
ou enjoué, ces regards perçants, ces ges-tes honteux, qui,
comme autant de traits trempés dans le poison de leur impudicité,
blessent presque tous les yeux assez malheureux pour les regarder. Hélas
! que de péchés fait commettre un cœur une fois imbibé
de ce limon impur ! Hélas ! il y a de ces pauvres cœurs qui sont
aussi brûlés de ce vice impur, qu'une poignée de paille
dans un feu, Je ne sais pas si vous avez commencé à vous
former une idée de la grandeur de ce péché et en combien
de ma-nières l'on peut s'en rendre coupable, priez le bon, Dieu,
M.F., qu'il vous le fasse bien connaître et en concevoir une telle
horreur que vous ne le commettiez jamais plus.
IV. – Mais, voyons maintenant ce
qu'il faut faire pour se ga-rantir de ce péché, qui est si
horrible aux yeux de Dieu, et qui traîne tant de pauvres âmes
en enfer. Pour vous le montrer d'une manière claire et simple, je
n'ai qu'à ouvrir encore une fois mon catéchisme. Si
je demandais à un enfant, quels sont les moyens que nous devons
employer pour ne pas tomber dans ce maudit pé-ché, il me
répondrait avec sa simplicité ordinaire : Il y en a plu-sieurs,
mais les principaux sont : la retraite, la prière, la fréquenta-tion
des sacrements, une grande dévotion envers la sainte Vierge, la
fuite des occasions, et enfin rejeter promptement toutes les mauvaises
pensées que le démon nous présente.
Je dis qu'il faut aimer la retraite,
je ne veux pas dire qu'il faille se cacher dans un bois, ni même
dans un monastère, ce qui serait cependant un grand bonheur pour
vous ; mais je veux dire, qu'il faut fuir seulement les compagnies des
personnes qui ne par-lent que de choses capables de vous salir l'imagination,
ou bien qui ne s'occupent que d'affaires terrestres et nullement du bon
Dieu. Voilà, M.F., ce que je veux dire. Le dimanche surtout, au
lieu d'aller voir vos voisins ou voisines, prenez un livre, comme l'Imitation
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou bien la Vie des saints ; vous
y verrez comment ils ont combattu les tentations que le démon a
tâché de faire naître dans leur esprit ; vous verrez
combien ils ont fait de sacrifices pour plaire à Dieu et sauver
leurs âmes : cela vous encouragera. Vous ferez comme saint Ignace,
qui, étant blessé, se mit à lire la vie des saints
; voyant les luttes qu'ils avaient éprouvées et le courage
avec lequel ils combattaient pour le bon Dieu, il se dit à lui-même
: « Et pourquoi ne ferais-je pas ce que ces saints ont fait ? N'ai-je
pas le même Dieu qui m'ai-dera à combattre, le même
ciel à espérer et le même enfer à crain-dre
?... » Vous ferez de même. Oui, M.F., il est nécessaire
de fuir la compagnie des personnes qui n'aiment pas le bon Dieu. Ne soyons
avec le monde que par nécessité, quand notre devoir nous
y appelle.
Nous disons qu'il faut aimer la
prière, si nous voulons conserver la pureté de notre âme.
Si vous me demandez pourquoi il faut prier, je vous en donnerai la raison
: c'est que cette belle vertu de pureté vient du ciel, c'est donc
par la prière que nous de-vons la demander et la conserver. Il est
certain qu'une personne qui n'a pas recours à la prière ne
conservera jamais son âme pure aux yeux de Dieu. Par la prière,
nous conversons avec le bon Dieu, les anges et les saints, et par cet entretien
céleste nous de-venons nécessairement spirituels ; notre
esprit et notre cœur se détachent peu à peu des choses créées
pour ne considérer et n'ai-mer que les biens du ciel. Cependant
il ne faut pas croire que, tou-tes les fois que l'on est tenté,
l'on offense le bon Dieu ; le péché ne se trouve que dans
le consentement et dans le plaisir que l'on y prend. Quand nous serions
tentés huit ou quinze jours, si cela nous fait horreur, nous faisons
comme les enfants dans la four-naise de Babylone, qui n'en sortirent que
plus beaux . IL nous faut vite avoir recours au bon Dieu en lui disant
: « Mon Dieu, ve-nez à mon aide ; vous savez que sans vous,
je ne peux que me perdre ; mais, aidé de votre grâce, je suis
sûr de sortir victorieux du combat. Ah ! Vierge sainte, devons-nous
dire, ne permettez pas que le démon ravisse mon âme qui a
coûté tant de souffrances à votre divin Fils. »
Pour conserver la pureté,
il faut avoir recours aux sacre-ments, et les recevoir avec de bonnes dispositions.
Oui, M.F., une personne qui a le bonheur de fréquenter les sacrements
souvent et saintement, peut très facilement conserver cette belle
vertu. Nous avons une preuve que les sacrements nous sont d'un grand se-cours,
dans les efforts du démon pour nous en éloigner ou nous les
faire profaner. Voyez, quand nous voulons nous en approcher, combien le
démon suscite en nous de craintes, de troubles, de dé-goûts.
Tantôt il nous dit que nous agissons presque toujours mal, tantôt,
que le prêtre ne nous connaît pas, ou bien que nous ne nous
faisons pas assez connaître, que sais-je ? Mais, pour nous moquer
de lui, il faut redoubler de soins, nous en approcher encore plus souvent,
et ensuite nous ensevelir dans le sein de la miséricorde de Dieu,
en lui disant : « Vous savez, mon Dieu, que je ne cher-che que vous
et le salut de ma pauvre âme. » Non, M.F., il n'y a rien qui
nous rende si redoutables au démon que la fréquentation des
sacrements ; en voici la preuve. Voyez sainte Thérèse. Le
démon avoua, par la bouche d'un possédé, que cette
sainte lui était devenue si redoutable par la sainteté puisée
dans la sainte com-munion, qu'il ne pouvait pas même respirer l'air
où elle avait pas-sé. Si vous en cherchez la raison, elle
est très facile à compren-dre : le sacrement adorable de
l'Eucharistie, n'est-il pas ce vin qui produit la virginité
? Comment n'être pas vierge en recevant le roi de la pureté
? Voulez-vous conserver ou acquérir cette belle vertu qui rend semblable
aux anges ? Fréquentez souvent et sain-tement les sacrements, vous
êtes sûrs que, malgré tous les efforts du démon,
vous aurez le grand bonheur de conserver la pureté de votre âme.
Si nous voulons conserver pur ce
temple du Saint-Esprit, il faut avoir une grande dévotion à
la très sainte Vierge, puisqu'elle est la Reine des vierges. C'est
elle qui, la première, a levé l'éten-dard de cette
incomparable vertu. Voyez combien le bon Dieu en fait d'estime : il n'a
pas dédaigné de naître d'une mère pauvre, in-connue
dans le monde, d'avoir pour père nourricier un père pau-vre
; mais il lui fallait une mère pure et sans tâche, un père
d'une pureté telle que la sainte Vierge seule pouvait le surpasser
en pu-reté. Saint Jean Damascène nous encourage grandement
à avoir une tendre dévotion envers la pureté de la
sainte Vierge ; il nous dit que tout ce que l'on demande au bon Dieu en
l'honneur de la pureté de la sainte Vierge on l'obtient toujours.
Il nous dit que cette vertu est si agréable aux anges qu'ils chantent
sans cesse dans le ciel : « O Vierge des vierges, nous vous louons
; nous vous bénissons, ô Mère du bel amour. »
Saint Bernard, ce grand serviteur de Marie, nous dit qu'il a converti plus
d'âmes par l'Ave Maria, que par tous ses sermons. Êtes-vous
tentés ? nous dit-il, appelez Marie à votre secours, et vous
êtes sûrs de ne pas suc-comber à la tentation . Lorsque
nous récitons l'Ave Maria, nous dit-il, tout le ciel se réjouit
et tressaille de joie, et tout l'enfer fré-mit en se rappelant,
que Marié a été l'instrument dont Dieu s'est servi
pour l'enchaîner. C'est pour cela que ce grand saint nous re-commande
tant la dévotion : à la Mère de Dieu, afin que Marie
nous regarde comme ses enfants. Si vous êtes bien aimés de
Ma-rie, vous êtes sûrs d'être bien aimés de son
Fils. Plusieurs saints Pères nous recommandent d'avoir une grande
dévotion envers Marie, et de faire de temps en temps quelques communions
en son honneur, et surtout en l'honneur de sa sainte Pureté ; ce
qui, lui est si agréable qu'elle ne manquera pas de nous faire sentir
son intercession auprès de son divin Fils.
Pour conserver cette vertu angélique
nous devons combattre les tentations et fuir les occasions, comme ont fait
les saints, qui ont mieux aimé mourir que de perdre cette belle
vertu. Voyez ce que fit le patriarche Joseph, lorsque la femme de Putiphar
voulut le solliciter au péché, il lui laissa la moitié
de son manteau entre les mains . Voyez la chaste Suzanne, qui aima mieux
perdre sa réputation, celle de sa famille et sa vie même,
que de perdre cette vertu qui est si agréable à Dieu . Voyez
encore ce qui arriva à saint Martinien, qui s'était retiré
dans un bois, pour ne penser qu'à plaire à Dieu. Une femme
de mauvaise vie vint le trouver, fei-gnant de s'être égarée
dans les forêts et le priant de vouloir bien avoir pitié d'elle.
Le saint la reçut dans sa solitude et la laissa seule. Le lendemain
étant revenu voir ce qu'elle était devenue, il la trouva
bien parée. Alors elle lui dit que le bon Dieu l'avait en-voyée
pour faire alliance avec lui ; qu'elle avait de grands biens dans la ville,
qu'il pourrait faire beaucoup d'aumônes. Le saint voulut savoir si
cela venait de Dieu ou du démon ; il lui dit d'at-tendre, parce
que tous les jours il venait des gens pour se recom-mander à ses
prières et qu'il ne fallait pas leur laisser faire un voyage inutile
; il allait sur la montagne pour voir s'il en arrivait quelques-uns. Lorsqu’il
fut sur la montagne, il entendit une voix qui lui dit : « Martinien,
Martinien, que fais-tu ? tu écoutes la voix de Satan. » Il
en fut si effrayé qu'il retourna dans sa solitude, fit un grand
feu et se mit dedans ; la douleur du péché qu'il était
ex-posé à commettre et la douleur du feu lui firent pousser
de grands cris. Cette malheureuse étant venue à ce bruit,
lui demanda ce qui l'avait mis dans un tel état. « Ah ! lui
répondit le saint, je ne puis pas supporter le feu de ce monde,
comment pourrais-je endurer celui de l'enfer, si j'ai le malheur de pécher
comme vous le dési-rez ? » Ce qui frappa tellement cette femme
qu'elle resta dans la cellule du saint, fit pénitence toute sa vie,
et Martinien alla plus loin pour continuer ses austérités
.
Il est rapporté dans la vie
de saint Thomas d'Aquin qu'on lui envoya une femme de mauvaise vie
pour le porter au péché. On la fit entrer dans sa chambre
pendant qu'il était absent. Lors-qu'il aperçut cette créature,
il prit un tison ardent et la chassa hon-teusement. Voyez encore saint
Benoît, qui, pour se délivrer de ses mauvaises pensées,
se roulait dans les ronces où il se mettait tout en sang. D'autres
fois, il se plongeait dans l'eau glacée jusqu'au cou pour éteindre
ce feu impur . Mais je ne trouve rien dans la vie des saints qui soit comparable
au récit de saint Jérôme. Du fond de son désert,
il écrit à un de ses amis, et lui fait la peinture des combats
qu'il éprouve et des pénitences qu'il exerce sur son corps
; on ne peut le lire sans pleurer de compassion : « Dans cette vaste
solitude que les ardeurs du soleil rendent insupporta-ble, dit-il, ne me
nourrissant que d'un peu de pain noir et d'herbes crues, couchant sur la
terre nue, ne buvant que de l'eau, même dans mes maladies, je ne
cesse de pleurer aux pieds de mon cruci-fix. Lorsque mes larmes manquent,
je prends une pierre, je m'en frappe la poitrine jusqu'à ce que
le sang me sorte par la bouche, et malgré cela, le démon
ne me laisse point de repos ; il faut toujours avoir les armes à
la main . »
Que conclure, M.F., de tout ce que
nous venons de dire ? IL n'y a point de vertu qui nous rende si agréables
au bon Dieu, que la vertu de pureté, et point de vice qui plaise
tant au démon que le péché d'impureté. Cet
ennemi ne peut souffrir qu'une personne qui est à Dieu possède
cette vertu ; et c'est ce qui doit vous enga-ger à ne rien négliger
pour la conserver. Pour cela, veillez avec soin sur vos regards, vos pensées
et tous les mouvements de votre cœur ; ayez fréquemment recours
à la prière ; fuyez les mauvaises compagnies, les danses,
les jeux ; pratiquez la mortification ; re-courez à la très
sainte Vierge ; fréquentez souvent les sacrements. Quel bonheur
! si nous sommes assez heureux pour ne pas laisser souiller notre cœur
par ce maudit péché, puisque Jésus-Christ nous dit
qu'il n'y aura que à ceux qui ont le cœur pur qui verront Dieu
! » Demandons, M.F., chaque matin au bon Dieu de purifier nos yeux,
nos mains et généralement tous nos sens ; afin que nous puissions
paraître avec confiance devant Jésus-Christ, qui est le partage
des âmes pures ; c'est tout le bonheur que je vous souhaite.
20ème DIMANCHE APRÈS LA PENTE-CÔTE
Devoirs des parents envers les enfants
Credidit ipse et domus ejus tota.
Il crut, lui et toute sa maison
(S. Jean, IV, 53.)
Pouvons-nous trouver, M.F., un exemple
plus capable de montrer à tous les chefs de famille qu'ils ne peuvent
travailler ef-ficacement à leur salut sans travailler en même
temps à celui de leurs enfants ? En vain les pères et mères
passeraient-ils leur vie à faire pénitence, à pleurer
leurs péchés, à distribuer leur bien aux pauvres ;
s'ils ont le malheur de négliger le salut de leurs enfants, tout
est perdu pour eux. En doutez-vous, M.F. ? Ouvrez les Écri-tures,
et vous y verrez que si les parents ont été saints, les enfants
et même leurs domestiques l'ont été également.
Lorsque le Sei-gneur loue ces pères et mères qui se sont
distingués par leur foi et leur piété, il n'oublie
jamais de nous dire que leurs enfants et leurs domestiques ont marché
sur leurs traces. L'Esprit-Saint veut-il nous faire l'éloge d'Abraham
et de Sara ? Il ne manque pas en même temps de nous faire mention
de l'innocence d'Isaac et de leur fervent et fidèle serviteur Éliézer
. Et s'il nous met devant les yeux les rares vertus de la mère de
Samuel, de suite il relève les belles qualités de ce digne
enfant . Veut-il nous manifester l'innocence de Zacharie et d'Élisabeth,
de suite il nous parle de Jean-Baptiste, le saint précurseur du
Sauveur . Le Seigneur veut-il nous représenter la mère des
Machabées comme une mère digne de ses enfants, en même
temps, il nous manifeste le courage et la générosité
de ses enfants qui donnent leur vie avec tant de joie pour le Seigneur
. Si saint Pierre nous parle du centurion Corneille comme d'un modèle
de vertu, en même temps il dit que toute sa famille avec lui servait
le Seigneur . Si l'Évangile nous parle de cet officier qui vint
demander à Jésus la guérison de son fils, il nous
dit qu'après l'avoir obtenue, il ne se donna point de repos avant
que toute sa famille avec lui fût au Seigneur . Beaux exemples pour
les pères et mères ! O mon Dieu ! si les pères et
mères de nos jours avaient le bonheur d'être des saints eux-mêmes,
que d'enfants de plus pour le ciel ! que d'enfants de moins pour l'enfer
!
Mais, me direz-vous peut-être,
que faut-il donc faire pour remplir nos devoirs, puisqu'ils sont si grands
et si redoutables ? Hélas ! je n'ose vous le dire, tant ils sont
effrayants pour un chré-tien qui veut les remplir comme le bon Dieu
le demande. Mais puisque je suis forcé de vous les montrer, les
voici : instruire vos enfants, c'est-à-dire leur apprendre à
connaître le bon Dieu et leurs devoirs ; les corriger chrétiennement,
leur donner bon exemple, les conduire dans le chemin qui va au ciel en
y marchant vous-mêmes. Hélas ! M.F., je crains bien que cette
instruction ne vous soit, comme tant d'autres ; un nouveau sujet de condamna-tion,
Vouloir entreprendre de vous montrer la grandeur de vos de-voirs, c'est
vouloir descendre dans un abîme sans fond, c'est vou-loir vous développer
une vérité qu'il est impossible à l'homme de montrer
dans tout son jour. Pour cela, M.F., il faudrait pouvoir vous faire comprendre
ce que valent les âmes de vos enfants, ce que Jésus-Christ
a souffert pour leur procurer le ciel, le compte épouvantable que
vous en rendrez un jour à Dieu, les biens que vous leur faites perdre
pour l'éternité, les tourments que vous leur préparez
pour l'autre vie ; vous conviendrez, avec moi, M.F., que nul homme n'est
capable de cela. Ah ! malheureux parents, si vous les estimiez autant que
le démon ! Quand il emploierait trois mille ans à les tenter,
si au bout de ce temps, il pouvait, les avoir, il compterait toutes ses
peines pour rien. Pleurons, M.F., la perte de tant d'âmes que les
parents jettent chaque jour en enfer.
Je vais passer bien légèrement
sur vos obligations, et cepen-dant si vous n'avez entièrement perdu
la foi, vous allez voir que vous n'avez rien fait de ce que le bon Dieu
veut que vous fassiez pour vos enfants, ou plutôt que vous avez fait
tout ce qu'il fallait faire pour les perdre. Oh ! que de personnes mariées
n'iront pas au ciel ! - Et pourquoi, me direz-vous ? - Mon ami, le voici.
Parce qu'il en est beaucoup qui entrent dans l'état du mariage sans
les dispositions nécessaires, et qui ainsi profanent tout d'abord
ce sa-crement. Oui, où sont ceux qui reçoivent ce sacrement
avec la préparation convenable ? les uns sont conduits par la pensée
d'y contenter leurs désirs impurs ; les autres sont attirés
par des vues d'intérêts ou les séductions de la beauté
; mais presque personne n'a Dieu seul pour objet. Hélas ! que de
mariages profanés, et qu'il y a peu d'unions où règnent
la paix et la vertu ! Mon Dieu ! que de gens mariés qui seront damnés
! Mais non, M.F., n'entrons pas dans ces détails, nous y reviendrons
une autre fois ; parlons seu-lement des devoirs des parents envers leurs
enfants : ils sont assez vastes, assez étendus pour nous servir
de sujet d'entretien.
Pour aujourd'hui, M.F., nous ne
dirons rien de ces pères et mères, dont je ne pourrais dépeindre
en termes assez vifs et assez énergiques, la noirceur et l'horreur
du crime. Ils fixent, avant Dieu même, le nombre de leurs enfants,
ils mettent des bornes aux des-seins de la Providence, et s'opposent à
ses volontés adorables. Couvrons, M.F., toutes ces turpitudes d'un
voile que Celui qui a tout vu, tout compté, et tout pesé,
saura bien arracher au grand jour des vengeances. Tes crimes sont cachés,
mon ami, mais at-tends encore quelques jours, et Dieu saura bien les manifester
à la face de tout l'univers. Oui, M.F., nous verrons au jour du
juge-ment des horreurs qui se sont commises dans le mariage, et qui auraient
fait frémir les païens eux-mêmes.
Nous ne dirons rien non plus de
ces mères criminelles, qui verraient sans douleur, hélas
! peut-être même avec plaisir, périr leurs pauvres enfants,
avant de leur avoir donné le jour, et de leur avoir procuré
la grâce du saint baptême ; les unes, par la crainte de la
peine qu'elles éprouveraient pour les élever ; les autres,
par la crainte du mépris et rebut qu'elles essuieraient de la part
d'un mari brutal et sans raison ; je ne dis pas, sans religion, car les
païens n'en feraient pas davantage. O mon Dieu ! de tels crimes peuvent-ils
bien se trouver parmi les chrétiens ? Cependant, M.F., que le nombre
en est grand ! Encore une fois, que de gens mariés sont damnés
! Eh ! quoi, mon ami, faut-il que le bon Dieu ne vous ait donné
des connaissances si au-dessus des bêtes que pour mieux l'outrager
? Faut-il que les petits oiseaux et les animaux même les plus féroces
vous servent d'exemple ? Voyez-les, ces pauvres petites bêtes, combien
elles se réjouissent de voir multi-plier leur génération
; le jour, elles sont occupées à leur chercher de la nourriture,
et la nuit, elles les couvrent de leurs ailes, pour les garantir des injures
de l'air. Si une main avide leur enlève leurs petits, vous les entendez
pleurer à leur manière ; elles semblent ne plus pouvoir quitter
leurs nids, toujours dans l'espérance qu'elles les retrouveront.
Quelle honte, je ne dis pas pour les païens, mais pour des chrétiens,
que les animaux soient plus fidèles à accom-plir les desseins
de la Providence sur eux, que les propres enfants de Dieu ; c'est-à-dire
les pères et mères que le bon Dieu n'a choi-sis que pour
peupler le ciel ! Non, non, M.F., n'allons pas plus loin, quittons un sujet
aussi révoltant ; entrons dans des détails qui regarderont
un plus grand nombre.
Je vais vous parler aussi simplement
qu'il me sera possible, afin que vous puissiez bien comprendre vos devoirs
et les accom-plir.
Je dis 1? que, dès qu'une
mère est enceinte, elle doit faire quelque prière ou quelque
aumône ; mieux encore, si elle le peut, faire dire une Messe pour
prier la très sainte Vierge de la recevoir sous sa protection, afin
qu'elle obtienne du bon Dieu que ce pau-vre enfant ne meure pas sans avoir
reçu le saint baptême. Si une mère avait vraiment le
sentiment religieux, elle se dirait à elle-même : «
Ah ! si j'avais le bonheur de voir ce pauvre enfant deve-nir un saint,
de le contempler toute l'éternité à côté
de moi, chan-tant les louanges du bon Dieu, quelle joie pour moi ! »
Mais non, non, M.F., ce n'est pas la pensée qui occupe une mère
enceinte ; elle éprouvera plutôt un chagrin dévorant
de se voir dans cet état, et peut-être aura-t-elle la pensée
de détruire le fruit de son sein. O mon Dieu ! le cœur d'une mère
chrétienne peut-il bien concevoir un tel crime ? Cependant, que
nous en verrons au grand jour qui auront nourri dans elles-mêmes
ces pensées d'homicide !
2? Je dis qu'une mère enceinte
qui veut conserver son enfant pour le ciel, doit éviter deux choses,
la première ; de porter de fardeaux trop lourds et de lever les
bras pour prendre quelque chose, ce qui pourrait nuire à son pauvre
enfant et le faire périr. La seconde chose à éviter,
c'est de prendre des remèdes qui pour-raient fatiguer son enfant,
et de se mettre dans des accès de colère, ce qui pourrait
souvent l'étouffer. Les maris doivent passer sur beaucoup de choses
sur lesquelles ils ne passeraient pas dans un autre temps ; s'ils ne le
font pas par rapport à la mère, qu'ils le fas-sent par rapport
à ce pauvre enfant ; car peut-être perdrait-il la grâce
du saint baptême : ce qui serait le plus grand de tous les malheurs
!
3? Dès qu'une mère
voit approcher ses couches, elle doit al-ler se confesser, et pour plusieurs
raisons. La première est que plusieurs meurent dans leurs couches,
et que, par conséquent, si elle avait le malheur d'être en
état de péché, elle se damnerait. La seconde, c'est
qu'étant en état de grâces, toutes les souffrances
et les douleurs qu'elle endurera seront récompensées pour
le ciel ; la troisième, c'est que toutes les bénédictions
qu'elle souhaitera à son enfant, le bon Dieu ne manquera pas de
les lui accorder. Une mère, dans ses couches, doit conserver la
pudeur et la modestie, autant qu'il lui est possible dans son état,
et ne jamais perdre de vue qu'elle est en présence du bon Dieu,
en la compagnie de son bon ange gardien. Elle ne doit jamais faire gras
les jours défen-dus, sans permission, ce qui attirerait la malédiction
sur elle et sur son enfant.
4° Ne laissez jamais passer
plus de vingt-quatre heures sans baptiser vos enfants ; si vous ne le faites
pas, vous vous rendez coupables, à moins que vous n'ayez des raisons
sérieuses. Dans le choix que vous faites des parrains et marraines,
prenez des per-sonnes sages, autant que vous le pourrez ; en voici la raison
: c'est que toutes les prières, les bonnes œuvres que feront leurs
parrains et leurs marraines, en vertu de la parenté spirituelle
avec vos en-fants, leur obtiendront quantité de grâces du
ciel. Oui, M.F., nous sommes sûrs de voir au jugement dernier beaucoup
d'enfants qui se reconnaîtront redevables de leur salut aux prières,
aux bons conseils et aux bons exemples de leurs parrains et marraines.
Une autre raison vous y oblige : si vous venez à leur manquer, ce
sont eux qui doivent tenir votre lieu et place. Donc, si vous aviez le
malheur de prendre des parrains et des marraines sans religion, ils ne
pourraient que conduire vos enfants dans les enfers.
Pères et mères, vous
ne devez jamais laisser perdre le fruit du baptême à vos enfants
; combien ne seriez-vous pas aveugles et cruels ! L'Église vient
de les sauver par le saint baptême, et vous, par votre négligence,
vous les redonneriez au démon ? Ah ! pauvres enfants, entre les
mains de qui avez-vous eu le malheur de tomber ! Mais s'il s'agit des parrains
et marraines, il ne faut pas oublier que pour répondre pour un enfant
on doit être suffisam-ment instruit, afin de pouvoir instruire cet
enfant si le père et la mère venaient à lui manquer.
En outre, il faut qu'ils soient bons chrétiens, et même de
parfaits chrétiens ; puisqu'ils doivent servir d'exemples à
leurs enfants spirituels. Ainsi, une personne qui ne fait pas ses pâques
ne doit pas répondre pour un enfant, ni une personne qui garde une
mauvaise habitude sans vouloir y renon-cer, ni une personne qui court les
danses, qui fréquente habituel-lement les cabarets ; parce que,
à chaque interrogation du prêtre, il fait un faux serment
; chose grave, comme vous le pensez, en présence de Jésus-Christ
même, au pied des fonts sacrés du bap-tême. Quand vous
n'êtes pas dans les conditions requises pour être des parrains
chrétiens, il faut refuser ; et, si cela vous est arrivé,
il faut vous en confesser et ne plus retomber dans ce péché.
5? Il ne faut pas faire coucher
vos enfants avec vous avant qu'ils aient deux ans ; si vous le faites,
vous commettez un péché. Si l'Église a fait cette
loi, ce n'est pas sans raison : vous êtes obli-gés de l'observer.
– Mais, me direz-vous, parfois il fait bien froid ; ou l'on est bien las.
– Tout cela, M.F., n'est pas une raison qui puisse vous excuser aux yeux
de Dieu. D'ailleurs, quand vous vous êtes mariés, vous saviez
bien que vous seriez obligés de rem-plir les charges et les obligations
qui sont attachées à cet état. Oui, M.F., il y a des
pères et mères si peu instruits de leur religion, ou si peu
soucieux de leurs devoirs, qu'ils feront coucher avec eux des enfants de
quinze à dix-huit ans, et même souvent des frères et
des sœurs ensemble. O mon Dieu ! dans quel état d'ignorance sont
ces pauvres pères et mères ! - Mais, me direz-vous, nous
n'avons point de lit. Vous n'avez point de lit, mais il vaut bien mieux
les faire coucher sur une chaise, ou chez votre voisin. O mon Dieu ! que
de parents et d'enfants damnés ! Mais je reviens à mon sujet
en vous disant que toutes les fois que vous faites coucher vos enfants
avec vous, avant qu'ils aient deux ans, vous offensez le bon Dieu. Hélas
! combien de pauvres enfants la mère trouve étouffés
le matin, et combien de mères sont présentes auxquelles ce
malheur est arrivé ! Et quand même le bon Dieu vous en aurait
préservés, vous n'êtes pas moins coupables que si,
chaque fois que vos enfants ont couché avec vous, vous les aviez
trouvés étouffés le matin. Vous ne voulez pas en convenir,
c'est-à-dire, que vous ne vous en corrigez pas ; attendons le jugement,
et vous serez forcés de reconnaître ce que vous ne voulez
pas recon-naître aujourd'hui. – Mais, me direz-vous, quand ils sont
baptisés ils ne sont pas perdus ; au contraire, ils vont au ciel.
– Sans doute, M.F., ils ne sont pas perdus ; mais c'est vous qui serez
perdus ; et du reste, savez-vous à quoi Dieu destinait ces enfants
? Peut-être que cet enfant aurait été un bon prêtre.
Il aurait conduit quantité d'âmes au bon Dieu ; chaque jour,
en célébrant la sainte Messe, il aurait rendu plus de gloire
à Dieu que les anges et les saints tous réunis ensemble dans
le ciel. Il aurait tiré plus d'âmes du purga-toire que les
larmes et les pénitences de tous les solitaires réunis auprès
du tribunal de Dieu. Comprendrez vous, maintenant, le malheur de laisser
périr un enfant même baptisé ? Si la mère de
saint François Xavier, qui a été un si grand saint,
qui a tant converti d'idolâtres, l'avait laissé périr
: hélas ! que d'âmes en en-fer, qui, au jour du jugement,
lui reprocheraient d'avoir été cause de leur malheur, parce
que cet enfant était suscité de Dieu pour les convertir !
Vous laissez périr cette fille qui peut-être se serait donnée
au bon Dieu ; par ses prières et ses bons exemples elle en aurait
conduit un grand nombre au ciel. Peut-être mère de famille,
elle aurait bien élevé ses enfants, qui, à leur tour,
en auraient éle-vé d'autres, et ainsi la religion se serait
maintenue et conservée dans de nombreuses générations.
Vous faites peu de cas, M.F., de la perte d'un enfant, sous prétexte
qu'il est baptisé ; mais attendez le jugement, et vous verrez et
reconnaîtrez ce que vous ne com-prendrez jamais en ce monde. Hélas
!, si les pères et mères fai-saient de temps en temps cette
réflexion, que d'âmes de plus dans le ciel.
6? Je dis que les parents
sont très coupables en caressant leurs enfants d'une manière
inconvenante. – Mais, me direz-vous, nous ne faisons point de mal, c'est
pour les caresser ; - et moi je dirai que vous offensez le bon Dieu, et
que vous attirez la malé-diction sur ces pauvres enfants. Savez-vous
ce qu'il en résulte ? Le voici. Il y a des enfants, qui ont pris
cette habitude par le fait de leurs parents, et qui l'ont conservée
jusqu'à leur première communion. Mais, mon Dieu ! peut-on
bien croire cela de la part de parents chrétiens ?
7? IL y a des mères, qui
ont si peu de religion, ou, si vous voulez, sont si ignorantes que pour
montrer à une voisine la santé de leurs enfants elles les
mettent à nu ; d'autres, pour les langer, les laissent longtemps
découverts devant tout le monde. Eh bien ! même en l'absence
de toute personne, vous ne devriez pas le faire. Est-ce que vous ne devez
pas respecter la présence de leurs anges gardiens ? Il en est de
même, lorsque vous les allaitez. Est-ce qu'une mère chrétienne
doit se laisser les seins découverts ? et quoique bien couverte,
ne doit-elle pas se tourner du côté où il n'y a personne
? D'autres, sous prétexte qu'elles sont nourrices, ne sont toujours
qu'à moitié couvertes : quelle abomination ! n'y a-t-il pas
même de quoi faire rougir les païens ? L'on est obligé,
pour ne pas s'exposer à des regards mauvais, de fuir leur compagnie.
Oh quelle horreur : – Mais, me direz-vous, quoiqu'il y ait du monde, il
faut bien allaiter nos enfants, et les langer quand ils pleurent ? – Et
moi je vous dirai que quand ils pleurent, vous de-vez faire tout ce que
vous pourrez pour les apaiser ; mais il vaut beaucoup mieux les laisser
un peu pleurer que d'offenser le bon Dieu. Hélas ! combien de mères
sont cause de mauvais regards, de mauvaises pensées, d'attouchements
déshonnêtes ! Dites-moi, sont-ce là des mères
chrétiennes qui devraient être si réservées
? O mon Dieu ! à quel jugement doivent-elles s'attendre ? D'autres
sont si cruelles, qu'elles laissent leurs enfants en été
courir toute la matinée à moitié couverts. Dites-moi,
misérables ; ne seriez-vous pas mieux à votre place parmi
les bêtes sauvages ? Où est donc votre religion et le souci
de vos devoirs ? Hélas ! pour de la reli-gion, vous n'en avez point,
et vos devoirs, les avez-vous jamais connus ? Vous en donnez la preuve
chaque jour. Ah ! pauvres en-fants, que vous êtes malheureux d'appartenir
à de tels parents !
8? Je dis, que vous devez encore
surveiller vos enfants, lors-que vous les envoyez aux champs ; alors, éloignés
de vous, ils se livrent à tout ce que le démon veut leur
inspirer. Si j'osais, je vous dirais qu'ils font toutes sortes de malhonnêtetés,
qu'ils passent des moitiés de jour à faire des abominations.
Je sais bien, que la plu-part ne connaissent pas le mal qu'ils font ; mais
attendez qu'ils aient la connaissance. Le démon ne manquera pas
de les faire res-souvenir de ce qu'ils ont fait dans ce moment, pour leur
faire commettre le péché, ou de semblables choses. Savez-vous,
M.F., ce que votre négligence ou votre ignorance produit ? Le voici
: retenez-le bien. Une bonne partie des enfants que vous envoyez dans les
champs font des sacrilèges pour leur première commu-nion
; ils ont contracté ces habitudes honteuses : ou ils n'osent pas
le dire, ou ils ne sont pas corrigés. Ensuite, si un prêtre,
qui ne veut pas les damner, les refuse ; on lui fera des reproches, en
di-sant : C'est parce que c'est le mien... Allez, misérables, veillez
un peu mieux sur vos enfants, et ils ne seront pas refusés. Oui,
je di-rai que la plus grande partie de vos enfants ont commencé
leur réprobation dans le temps qu'ils allaient aux champs. Mais,
me direz-vous, nous ne pouvons pas toujours les suivre, il y aurait bien
de quoi faire. – Pour cela, M.F., je ne vous en dis rien ; mais tout ce
que je sais, c'est que vous répondrez de leurs âmes comme
de la vôtre même. – Mais nous faisons bien ce que nous pouvons.
– Je ne sais si vous faites ce que vous pouvez ; mais ce que je sais, c'est
que, si vos enfants se damnent chez vous, vous le serez aussi ; voilà
ce que je sais et rien autre. Vous aurez beau dire que non, que je vais
trop loin ; vous en conviendrez, si vous n'avez pas entièrement
perdu la foi ; cela seul suffirait à vous jeter dans un désespoir
dont vous ne pourriez sortir. Mais je sais bien que vous ne ferez pas un
pas de plus pour mieux vous acquitter de vos devoirs envers vos enfants
; vous ne vous inquiétez pas de tout ce-la, et vous avez presque
raison, parce que vous aurez bien le temps de vous tourmenter pendant toute
l'éternité. Passons plus loin.
9? Vous ne devez pas faire coucher
vos servantes ou vos fil-les dans les appartements où vos domestiques
vont chercher, le matin, vos raves et vos pommes de terre. Il faut le dire
à la honte des pères et des mères, des maîtres
et maîtresses, de pauvres en-fants, des servantes auront la confusion
de se lever, de s'habiller devant des gens qui n'ont pas plus de religion
que s'ils n'avaient jamais entendu parler du vrai Dieu. Souvent les lits
de ces pauvres enfants n'auront point de rideaux. – Mais, me direz-vous,
s'il fal-lait faire tout ce que vous dites, il y aurait bien de l'ouvrage.
– Mon ami, c'est l'ouvrage que vous devez faire, et si vous ne le fai-tes
pas, vous en serez jugé et puni : voilà. Vous ne devez pas
non plus faire coucher vos enfants dans la même chambre que vous,
dès qu'ils ont sept ou huit ans. Tenez, M. F, vous ne connaîtrez
le mal que vous faites qu'au jugement de Dieu. Je sais bien que vous ne
ferez rien ou presque rien de ce que je viens de vous enseigner mais, n'importe,
je vous dirai toujours ce que je dois vous dire ; ensuite, tout le mal
sera pour vous et non pour moi, parce que je vous fais connaître
ce que vous devez faire pour remplir vos obli-gations envers vos enfants.
Quand le bon Dieu vous jugera, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez
pas ce qu'il fallait faire ; je vous rappellerai ce que je vous dis aujourd'hui.
Vous venez de voir, M.F., que vos
enfants, quoique petits, vous ont fait commettre bien des fautes ; mais
vous allez voir, que quand ils sont grands ils vous en font commettre de
bien plus grandes et de bien plus funestes pour vous et pour eux. Vous
conviendrez tous avec moi, M.F., que plus vos enfants avancent en âge,
plus vous devez redoubler vos prières et vos soins, vu les dangers
plus grands et les tentations plus fréquentes. Dites-moi maintenant,
est-ce là ce que vous faites ? Non sans doute, quand vos enfants
étaient petits, vous aviez le soin de leur parler du bon Dieu, de
leur faire faire leur prière ; vous veilliez un peu sur leur conduite,
vous leur demandiez s'ils avaient été se confesser, s'ils
avaient assisté à la sainte Messe ; vous aviez la précaution
de leur dire d'aller au catéchisme. Depuis qu'ils ont dix-huit à
vingt ans, bien loin de leur inspirer la crainte et l'amour de Dieu, le
bonheur de celui qui le sert pendant sa vie, le regret que nous avons en
mourant de nous être perdus ; hélas ! ces pauvres enfants
sont remplis de vices, et ont mille fois transgressé les commandements
de Dieu sans les connaître ; leur esprit est plein des choses de
la terre et vide de celles de Dieu. Vous leur parlez du monde. Une mère
commencera à dire à sa fille qu'une telle s'est mariée
avec un tel, qu'elle a bien trouvé un bon parti ; qu'il faudrait
bien qu'elle ait le même bonheur. Cette mère n'aura que sa
fille en tête, c'est-à-dire, qu'elle fera tout ce qu'elle
pourra pour la faire briller aux yeux du monde. Elle la chargera de vanités,
peut-être même jusqu'à faire des dettes ; elle lui apprendra
à marcher bien droit, en lui disant qu'elle marche toute courbée,
qu'on ne sait à quoi elle ressemble. Cela vous étonne, qu'il
y ait de ces mères si aveugles ! Hélas ! que le nombre est
grand de ces pauvres aveugles qui cher-chent la perte de leurs filles !
Une autre fois, les voyant sortir le matin, elles sont plus empressées
à vite regarder si elles ont leur bonnet bien droit, le visage et
les mains bien propres, que de leur demander si elles ont donné
leur cœur au bon Dieu, si elles ont fait leur prière et offert leur
journée : de tout cela, elles n'en par-lent pas. Une autre fois,
elles diront qu'il ne faut pas paraître sau-vage, qu'il faut faire
bonne grâce à tout le monde, qu'il faut penser à faire
des connaissances pour s'établir. Combien de mères ou de
pauvres pères aveuglés disent à leur enfant : Si tu
es bien gentille ou si tu fais bien cela, je te laisserai aller à
la foire de Montmerle, ou à la vogue; c'est-à-dire, si tu
fais bien toujours ce que je vou-drai, je te traînerai en enfer !
O mon Dieu, est-ce bien le langage de parents chrétiens qui devraient
prier nuit et jour pour leurs pauvres enfants ; afin que le bon Dieu leur
inspirât une grande horreur pour les plaisirs, un grand amour pour
lui avec le salut de leur âme ! Ce qu'il y a encore de plus triste,
c'est qu'il y a des en-fants qui ne sont nullement portés à
sortir ; les parents sont à les prier, à les solliciter en
leur disant : Tu restes toujours là, tu ne trouveras pas à
t'établir, l'on ne te saura pas au monde. Vous vou-lez, ma mère,
que votre fille fasse des connaissances ? Ne vous inquiétez pas
tant, elle en fera bien ! sans que vous vous tourmen-tiez si fort ; attendez
encore quelque temps, et vous verrez bien qu'elle les a faites.
La fille, dont le cœur ne sera peut-être
pas aussi gâté que ce-lui de la mère, lui dira : «
Je ferai bien comme vous voudrez ; mais non, M. le curé ne veut
pas ; il nous dit que tout cela ne fait qu'attirer la malédiction
du bon Dieu sur les mariages ; j'ai envie de ne pas aller dans les danses,
qu'en pensez-vous, ma mère ? » - « Eh ! bon Dieu, que
tu es bonne, ma fille, d'écouter M. le curé, il faut bien
qu'il nous dise quelque chose ; c'est son gagne-pain, l'on en prend ce
que l'on veut, et on laisse le reste à d'autres. » – «
Mais nous ne ferons point de pâques ? » – « Ah ! pauvre
enfant, s'il ne veut nous recevoir, nous irons à un autre ; ce que
l'un ne veut pas, l'autre le prend toujours. Ma fille, sois sage, reviens
de bonne heure, va seulement, tu ne te divertiras pas quand tu ne se-ras
plus jeune. » Une autre fois, ce sera une voisine qui lui dira :
« Vous laissez trop de liberté à votre fille, elle
finira par vous donner du chagrin. » – « Ma fille ! lui répondra-t-elle,
je n'ai pas peur de cela. D'ailleurs, je lui ai recommandé d'être
bien sage, elle me l'a promis ; je suis sûre qu'elle ne voit que
des personnes comme il faut. » Ma mère, attendez quelque temps
et vous verrez le fruit de sa sagesse. Quand le crime éclatera,
il sera un sujet de scandale pour toute la paroisse, il couvrira la famille
d'opprobre et de déshonneur ; et si rien n'éclate, c'est-à-dire,
si personne ne l'apprend, elle portera sous le voile du sacrement de mariage,
un cœur et une âme gâtés par les impuretés auxquelles
elle s'est li-vrée avant son mariage, source de malédictions
pour toute sa vie. – Mais, dira une mère, quand je verrai qu'elle
en fera trop, je sau-rai bien l'arrêter ; je ne lui donnerai plus
la permission de sortir, ou bien je prendrai un bâton.
Vous ne lui donnerez plus
la permission, ma mère ; ne vous inquiétez pas, elle saura
bien la prendre sans que vous ayez la peine de la lui donner, et si vous
faites seulement semblant de la lui refuser, elle saura vous braver, se
moquer de vous et partir. Vous l'avez poussée la première
; mais ce n'est pas vous qui l'en retirerez. Vous pleurerez peut-être,
mais de quoi serviront vos larmes ? de rien, sinon de vous faire ressouvenir
que vous vous êtes trompée, que vous auriez dû être
plus sage et mieux conduire vos enfants. Si vous en doutez, écoutez-moi
un instant, et vous verrez, malgré la dureté de votre cœur
pour l'âme de vos pauvres enfants, qu'il n'y a que le premier pas
qui coûte ; une fois que vous les avez laissés s'égarer,
vous n'en êtes plus maîtresse, et souvent, ils font des fins
biens misérables.
Il est rapporté dans l'histoire,
qu'un père avait un fils, qui lui donnait toutes sortes de consolations
; il était sage, obéissant, ré-servé dans ses
paroles, il était en même temps l'édification de toute
la paroisse. Un jour, qu'il y eut une petite partie de divertis-sement
dans le voisinage, le père lui dit : « Mon fils, vous ne sor-tez
jamais, allez un moment vous amuser avec vos amis, ce sont tous des jeunes
gens comme il faut, vous n'y serez pas en mau-vaise compagnie. »
Le fils lui dit : « Mon père, je n'ai point de plaisir plus
grand et de meilleure récréation que d'être en votre
compagnie. ». Voilà une belle réponse pour un enfant,
qui estime mieux la compagnie de son père, que tous les autres plaisirs
et toutes les autres compagnies. « Ah ! mon fils, lui dit ce pauvre
père aveuglé, si cela est, j'irai avec vous. » Le père
part avec son fils. La seconde fois, le jeune homme n'a plus besoin de
tant se faire prier pour partir ; la troisième fois, il part tout
seul ; il n'a pas besoin de son père ; au-contraire, son père
commence à le gêner, il trouve parfaitement le chemin. Son
esprit n'est plus occupé que du son des instruments qu'il a entendus,
des personnes qu'il a vues. Il finit par abandonner ces petites pratiques
de piété qu'il s'était prescrites dans le temps où
il était tout à Dieu ; il se lie en-suite avec une jeune
fille, bien plus mauvaise que lui. Les voisins commencent déjà
à parler de lui comme d'un nouveau libertin. Dès que le père
s'en aperçoit ; il veut s'y opposer, il lui défend d'aller
n'importe où sans sa permission ; mais il ne trouve plus dans son
fils cette ancienne soumission. Rien ne peut le retirer ; il se moque de
son père, en lui disant que, maintenant, ne pouvant plus se divertir,
il veut empêcher les autres de le faire. Le père, au désespoir,
ne voit plus de remède, il s'arrache les cheveux, il veut le corriger.
La mère, qui sentait mieux que son mari les dangers de ces compagnies,
lui avait souvent dit qu'il faisait bien mal, qu'il en serait fâché
; mais non, c'était trop tard. Un jour que le père le voit
venir de ces plaisirs, il le châtie. Le fils, voyant qu'il est gêné
par ses parents, s'engage, et, au bout de quelque temps, le père
re-çoit une lettre, lui annonçant que son fils a été
écrasé sous les pieds des chevaux. Hélas ! où
alla ce pauvre enfant ? Dieu veuille qu'il ne soit pas en enfer. Cependant,
s'il est damné, selon les ap-parences, son père est la véritable
cause de sa perte. Quand le père ferait pénitence, sa pénitence
et ses larmes n'auront jamais le pou-voir d'arracher ce pauvre enfant de
l'enfer. Ah ! malheureux pa-rents, qui, jetez vos enfants dans les flammes
éternelles !
Vous trouvez cela un peu extraordinaire,
cependant, si nous examinons de près la conduite des parents : voilà
ce qu'ils font tous les jours. Si vous en doutez le moins du monde, touchons
ce-la d'un peu plus près. N'est-ce pas que vous vous plaignez chaque
jour de vos enfants ? que vous ne pouvez plus en être maîtres,
et cela est bien vrai. Vous avez peut-être oublié le jour
où vous avez dit à votre garçon ou à votre
fille : Si tu veux aller à la foire à Montmerle, ou bien
à la vogue chez le cabaretier, tu peux bien y aller ; tu reviendras
de bonne heure. Votre fille vous a dit que ce serait bien comme vous vouliez.
– Va seulement, tu ne sors ja-mais, il faut bien que tu aies un moment
de plaisir. – Vous ne di-rez pas que non. Mais plus tard, vous n'aurez
besoin ni de la solli-citer, ni même de lui donner la permission.
Alors, vous vous tourmenterez de ce qu'elle part sans vous le dire. Regardez
en ar-rière, ma mère, et vous vous rappellerez que vous lui
avez donné la permission une fois pour toutes. De plus, examinez
ce qu'il ar-rivera quand vous lui aurez donné la liberté
d'aller partout où sa pauvre tête écervelée
la conduira. Vous voulez qu'elle fasse des connaissances pour s'établir.
En effet, à force de courir, elle fera des connaissances, elle multipliera
ses crimes. Ce sera comme une montagne de péchés qui empêchera
la bénédiction du bon Dieu de se répandre sur ces
enfants au moment de leur mariage. Hélas ! ces pauvres personnes
sont déjà maudites de Dieu ! Pen-dant que le prêtre
lève la main pour les bénir, le bon Dieu, du haut du ciel,
lance ses malédictions. De là, pour elles une source épou-vantable
de malheur. Ce nouveau sacrilège, ajouté à tant d'autres,
leur fait perdre la foi pour toujours. Alors, dans le mariage, où
l'on se croit tout permis, la vie n'est plus qu'un abîme de corrup-tion,
qui ferait frémir l'enfer même, s'il en était témoin.
Mais, hé-las ! tout cela n'a qu'un temps. Bientôt après,
les chagrins, les hai-nes, les disputes et les mauvais traitements de la
part de l'un et de l'autre époux ne sont pas rares. – Après
cinq ou six mois de ma-riage, le père verra venir son fils tout
en fureur comme un déses-péré, maudissant le père,
la mère, la femme, et peut-être même ceux qui ont sollicité
le mariage. Son père, tout étonné, lui de-mandera
ce qui lui est arrivé : « Ah ! que je suis malheureux ; ah
! du moins si après ma naissance vous m'aviez écrasé,
si avant de me marier quelqu'un m'avait empoisonné ! » - «
Mais, mon fils, lui dira le père tout chagrin, il faut prendre patience.
Que veux-tu ! peut-être que cela ne durera pas. » – «
Ne me dites rien, si je croyais mon courage, je me tirerais un coup de
fusil ou j'irais me jeter dans l'eau : il faut toujours être à
se disputer ou se battre. » N'est-ce pas, mon père, laissons
dire M. le curé, il faut bien faire des connaissances, sans quoi
on ne trouverait pas à s'établir. Pars toujours, mon fils,
sois sage, reviens de bonne heure et sois tran-quille.
Oui, sans doute, mon ami, si vous
aviez été sage, si vous aviez consulté le bon Dieu,
vous ne vous seriez pas établi comme vous l'avez fait ; Dieu ne
l'aurait pas permis ; mais il vous aurait fait comme il fit au jeune Tobie
; il vous aurait choisi lui-même une épouse qui, en venant
chez vous, aurait apporté la paix, la vertu, toutes sortes de bénédictions.
Voilà, mon ami, ce que vous avez perdu de ne pas écouter
votre pasteur, et d'avoir suivi le conseil de vos parents aveugles.
Une autre fois ce sera une pauvre
fille qui viendra, peut-être toute meurtrie de coups, déposer
dans le sein de sa mère ses lar-mes et son chagrin. Elles mêleront
leurs larmes ensemble : « Ah ! pauvre mère, que j'ai du malheur
d'avoir pris un mari comme ce-lui-là ! Il est si méchant
et si brutal ! Je crains bien que l'on dise un jour qu'il m'a tuée.
» – « Mais, lui dira la mère : il faut faire tout ce
qu’il te commandera. » – « Je le- fais bien ; rien ne le contente,
il est toujours en colère. » – « Pauvre enfant, lui
dira la mère, si tu avais eu le bonheur de prendre un tel, qui t'a
deman-dée, tu aurais été bien plus heureuse »
Vous vous trompez, mère, ce n'est pas ce que vous devez lui dire.
« Ah ! pauvre enfant, si j'avais eu le bonheur de t’inspirer la crainte
et l'amour du bon Dieu, si je ne t'avais jamais laissé courir les
plaisirs : Dieu n'aurait pas permis que tu fusses si malheureuse : ....
» N'est-ce pas, ma mère ? laisse dire M. le curé, pars
toujours ; sois sage, reviens de bonne heure et sois tranquille. Ceci est
très bien, ma mère, mais écoutez.
Un jour, je me trouvai de passer
auprès d'un gros feu, je pris une poignée de paille bien
sèche, je la jetai dedans en lui disant de ne pas brûler.
Ceux qui furent témoins de cela, me dirent en se moquant de moi
: « Vous avez beau lui dire de ne pas brûler, cela n'empêchera
pas qu'elle ne brûle. » – « Et comment, leur ai-je ré-pondu,
puisque je lui dis de ne pas brûler ? » – Qu'en pensez-vous,
ma mère ? vous y reconnaissez-vous ? N'est-ce pas là votre
conduite ou celle de votre voisine ? N'est-ce pas que vous aviez dit à
votre fille d'être bien sage, lorsque vous lui donniez la per-mission
de partir ? – Oui sans doute... – Allez, ma mère, vous avez été
une aveugle et le bourreau de vos enfants. S'ils sont mal-heureux dans
leur mariage, c'est vous seule qui en êtes la cause. Dites-moi, ma
mère, si vous aviez quelques sentiments de religion et d'amitié
pour vos enfants, ne deviez-vous pas travailler de tout votre pouvoir à
leur faire éviter le mal que vous avez fait vous-même, lorsque
vous étiez dans le même cas que votre fille ? Par-lons plus
clairement. Vous n'êtes pas assez contente d'être mal-heureuse
vous-même, vous voulez encore que vos enfants le soient aussi. Et
vous, ma fille, vous êtes malheureuse dans votre ménage ?
J'en suis bien fâché, j'en ai bien du chagrin ; mais j'en
suis moins étonné que si vous me disiez que vous êtes
heureuse, après les dispositions apportées à votre
mariage.
Oui, M.F., la corruption est montée
aujourd'hui à un si haut degré parmi les jeunes gens, qu'il
serait presque aussi impossible d'en trouver qui reçoivent saintement
ce sacrement, qu'il est im-possible de voir monter un damné dans
le ciel. – Mais, me direz-vous : il y en a bien encore quelques-uns. –
Hélas ! mon ami, où sont-ils ?... Ah ! bien oui, une mère
ou un père ne font point de difficulté de laisser une fille
avec un jeune homme trois ou quatre heures le soir, ou bien pendant les
vêpres. – Mais, me direz-vous, ils sont sages. Oui, sans doute, ils
sont sages ; la charité doit nous le faire croire. Mais dites-moi,
ma mère, étiez-vous bien sage lorsque vous étiez dans
le même cas que votre fille ?
Finissons, M.F., en disant que si
les enfants sont malheureux en ce monde et dans l'autre, c'est la faute
des parents qui n'ont pas employé tous les moyens dont ils étaient
capables pour conduire saintement leurs enfants dans le chemin du salut,
où très certai-nement le bon Dieu les aurait bénis.
Hélas ! aujourd'hui, un jeune homme ou une jeune fille veulent s'établir,
il faut absolument qu'ils abandonnent le bon Dieu... Non, n'entrons pas
dans ce dé-tail, nous y reviendrons une autre fois. Pauvres pères
et mères, que de tourments vous attendent dans l'autre vie ! Tant
que votre génération durera, vous allez participer à
tous les péchés qui s'y commettront, vous en serez punis
comme si vous les aviez com-mis, et bien plus, vous rendrez compte de toutes
les âmes de votre génération qui se seront damnées.
Toutes ces pauvres âmes vous accuseront de les avoir perdues. Ceci
est très facile à comprendre. Si vous aviez bien élevé
vos enfants, ils auraient bien élevé les leurs : ils se seraient
sauvés les uns et les autres. Ce n'est pas tout encore, vous serez
responsables devant Dieu de toutes les bonnes œuvres que votre génération
aurait accomplies jusqu'à la fin du monde et qui ne se seront pas
faites par votre faute.
Que pensez-vous de cela, pères
et mères ? Si vous n'avez pas encore perdu la foi, n'avez-vous pas
de quoi pleurer sur le mal que vous avez fait et sur l'impossibilité
où vous êtes de le répa-rer ? Avais-je raison de vous
dire en commençant qu'il est presque impossible de vous montrer
dans tout son jour la grandeur de vos devoirs ? .... Encore ce que je vous
ai dit aujourd'hui n'est qu'un petit aperçu... Revenez dimanche,
pères et mères, faites garder la maison, à vos enfants,
et nous irons plus loin sans pouvoir vous tout faire connaître.
Hélas ! que de parents traînent
leurs pauvres enfants dans l'enfer, en y tombant eux-mêmes. Mon Dieu
! peut-on bien penser sans frémir à tant de malheurs ! Heureux
ceux que le bon Dieu n'appelle pas au mariage ! Quel compte de moins à
rendre ! – Mais, me direz-vous : « Nous faisons bien ce que nous
pouvons. » – Vous faites ce que vous pouvez, oui sans doute ; mais
c'est pour les perdre et non pour les sauver. En finissant, je veux vous
mon-trer que vous ne faites pas ce que vous pouvez. Où sont les
larmes que vous avez versées, les pénitences et les aumônes
que vous avez faites pour demander à Dieu leur conversion ? Pauvres
en-fants, que vous êtes malheureux d'appartenir à des parents
qui ne travaillent qu'à vous rendre malheureux dans ce monde et
encore bien plus dans l'autre ! Étant votre père spirituel,
voici le conseil que j'ai à vous donner : Quand vous voyez vos parents
qui man-quent les offices, qui travaillent le dimanche, qui font gras les
jours défendus, qui ne fréquentent plus les sacrements, qui
ne s'ins-truisent pas : faites tout le contraire ; afin que vos bons exemples
les sauvent eux-mêmes, et si vous aviez ce bonheur, vous auriez tout
gagné. C'est ce que je vous souhaite.
20ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur l'Ivrognerie
Nolite inebriari vino, in quo est
luxuria.
Ne vous laissez pas aller à
l'ivrognerie, qui conduit à
l'impureté.
(S. Paul aux Éphésiens,
V, 18.)
Saint Paul nous assure que les ivrognes n'entreront jamais dans le royaume des cieux ; il faut donc, M.F., que l'ivrognerie soit un bien grand péché. Cela est très facile à comprendre, car, sous quelque aspect que nous le considérions, ce péché est in-fâme, aux yeux mêmes des païens ; à plus forte raison, les chré-tiens doivent-ils le craindre mille fois plus que la mort. Le Saint-Esprit nous le dépeint d'une manière effrayante ; il nous dit : « Malheur à vous qui êtes puissants à boire du vin et vaillants à vous enivrer... malheur à celui qui se lève dès le matin avec la pensée de se livrer à l'ivresse ! » Hélas ! M.F., il en est bien peu de ceux qui sont atteints de ce vice horrible qui travaillent à s'en corriger. Les uns ne voient aucun mal à boire en toute rencontre ; les autres pensent que pourvu qu'ils ne perdent pas la raison, ils ne commettent pas un bien grand péché ; d'autres, enfin, s'excusent sur ce que les compagnies les entraînent. Pour les détromper tous de ces erreurs, je vais leur montrer : 1? que tout condamne l'ivro-gnerie, 2? que tous les prétextes qu'ils peuvent alléguer ne sont pas capables de les justifier devant le bon Dieu.
I. – Pour vous montrer, M.F., la
grandeur du péché de l'ivrognerie, il faudrait pouvoir vous
faire connaître la grandeur des maux qu'il entraîne avec lui
pour le temps et pour l’éternité ; ce qui ne sera jamais
donné à l'homme mortel, parce qu'il n'y a que Dieu seul qui
puisse le connaître. Tout ce que je vous en dirai ne sera donc rien
en comparaison de ce qu'il est.
D'abord, vous conviendrez avec moi
qu'une personne, qui a encore un peu de bon sens et de religion, ne peut
pas être indiffé-rente et insensible à la perte de
sa réputation, de sa santé et de son salut. Faut-il mieux
m'expliquer encore, je vous dirai que l'ivro-gne, par son péché,
s'attire la ruine de sa santé, l'aversion des hommes et la malédiction
de Dieu lui-même. Je crois, M.F., que cela seul devrait suffire pour
vous en faire concevoir une horreur exécrable. Quelle honte pour
une personne, mais surtout pour un chrétien, de se plonger dans
cet infâme bourbier ! Le Saint-Esprit nous dit dans l'Écri-ture
sainte, qu'il faut envoyer le paresseux à la fourmi pour apprendre
d'elle à travailler ; mais que pour l'ivro-gne ; il faut l'envoyer
à la bête brute pour apprendre d'elle la tem-pérance
dans le boire et le manger. Quand on veut engager un pé-cheur à
sortir du péché, on s'em-presse de lui proposer les exem-ples
de Jésus-Christ et des saints ; mais pour un ivrogne, il faut bien
changer de langage, il faut lui proposer l'exemple des ani-maux, et sans
craindre de descendre jusqu'aux plus immondes. Grand Dieu, quelle horreur
! Saint Basile nous dit que l’on ne de-vrait pas souffrir les ivrognes
parmi les hommes ; mais qu'il fau-drait les chasser, et les reléguer
parmi les bêtes sauvages qui sont au fond des forêts.
Ce péché paraît
odieux même aux païens. Il est rapporté dans l'histoire
que les magistrats de la ville de Sparte, dont les ha-bitants étaient
très sobres, pour bien faire comprendre aux jeunes gens combien
ce vice est indigne d'une créature raisonnable, fai-saient venir,
à certain jour de l'année, au milieu de la place publi-que,
un esclave que l'on avait enivré. Les jeunes gens, voyant cet homme
se traîner dans l'eau ou dans la boue, s'en étonnaient et
s'écriaient : O ciel ! d'où peut venir un tel monstre ? Il
a une figure humaine, mais il a moins de raison qu'une bête brute.
Vous le voyez, M.F., tout païens qu'ils étaient, ils ne pouvaient
pas conce-voir qu'une créature raisonnable fût capable de
se livrer à une pas-sion qui la réduisît à un
état aussi déshonorant. Nous lisons encore qu'un jeune seigneur,
homme de bien, avait un serviteur assez malheureux pour se mettre de temps
en temps dans le vin. Un jour, comme il allait à l'église,
il le trouva dans cet état, et lui de-manda où il se rendait.
Je vais à l'église, prier le bon Dieu, lui ré-pondit
le serviteur. – Tu vas à l'église, lui repartit son maître,
ah ! infâme ! comment pourrais-tu prier le bon Dieu quand tu ne serais
pas en état de paître ton cheval.
Il n'en est pas de ce péché
comme de ceux qui, avec le temps et la grâce, se corrigent ; pour
celui-là il faut un miracle de la grâce, et non une grâce
ordinaire. Me demandez-vous pourquoi les ivrognes se convertissent si rarement
? – En voici la raison : c'est qu'ils n'ont ni foi, ni religion, ni piété,
ni respect pour les choses saintes ; rien n'est capable de les toucher
et de leur faire ouvrir les yeux sur leur état malheureux. Si vous
les menacez de la mort, du jugement, de l'enfer qui les attend pour les
brûler ; si vous les entretenez du bonheur que Dieu réserve
à ceux qui l'ai-ment ; pour toute réponse ils vous feront
un petit sourire malin qui signifie : « Vous croyez-peut-être
me faire peur comme l'on fait aux enfants ; mais je ne suis pas encore
du nombre de ceux qui se laissent... pour croire tout cela. » Voilà
tout ce que vous en tirez. Il croit que quand nous sommes morts, tout est
fini. Son Dieu, c'est son vin et il s'en tient là. « Va, malheureux,
lui dit l'Esprit-Saint, ce vin que tu bois avec excès est comme
une couleuvre qui te donne la mort . » Tu n'en crois rien maintenant
; mais en enfer, tu apprendras qu'il y a un autre Dieu que ton ventre.
Outre le mal que l'ivrogne se fait
à lui-même par ce péché, à quels excès
n'est-il pas capable de se porter lorsqu'il est dans sa crapule ! Saint
Augustin nous en rapporte un exemple effrayant. Dans la ville où
il était évêque, un jeune homme nommé Cyrille
avait, comme tant d'autres, hélas ! la malheureuse habitude de fréquenter
les cabarets. Un jour qu'il revenait du lieu de ses dé-bauches,
il porta la fureur de la passion si loin qu'il attaqua sa mère elle-même
qui était enceinte. Se voyant entre les mains de ce fils maudit,
elle se débattit avec tant d'efforts qu'elle fit périr le
pauvre enfant qu'elle portait. O mon Dieu, quel malheur ! un en-fant qui
ne verra jamais le ciel par la fureur de ce malheu-reux li-bertin !...
Cet infâme voyant qu'il ne pouvait pas gagner sa mère, se
met à la poursuite d'une de ses sœurs, qui aima mieux se laisser
poignarder que de consentir à son infâme désir. Le
père, enten-dant un grand bruit, accourt pour délivrer sa
fille. Le malheureux se jette sur son père, le frappe à coups
de couteau et le fait tomber à ses pieds. Une autre de ses sœurs
court au secours de son père qu'elle voyait assassiner, le malheureux
la poignarde aussi. O ciel ! quelle horreur ! quelle est la passion semblable
à celle-ci ? Saint Augustin ayant fait rassembler les fidèles
à l'église pour leur faire part de cet événement,
rapporte lui-même que tout le monde fondait en larmes, au récit
d'un tel crime.
Voyez, M.F., quelle horreur de ce
péché le Saint-Esprit veut vous inspirer, puisqu'il vous
dit de « ne pas même regarder le vin quand il brille dans le
verre. Si vous le buvez avec excès, dit-il encore, il vous mordra
comme un serpent, il vous empoisonnera comme un basilic . » Voulez-vous,
nous dit saint Basile, savoir ce que c'est que l'estomac d'un ivrogne,
le voici : c'est un réservoir rempli de toutes les immondices du
cabaret. Vous voyez ordinai-rement, dit-il, un ivrogne mener une vie languissante
; il n'est ca-pable de rien ; sinon de ruiner sa santé, de manger
son bien, de mettre sa famille à la misère : voilà
tout ce dont il est capable. Il faut que cette passion soit bien déshonorante,
puisque le monde, si corrompu qu'il soit, ne laisse pas que d'avoir un
souverain mé-pris pour les ivrognes, et de les regarder comme des
pestes publi-ques. Cela n'est pas bien difficile à comprendre :
ne renferme-t-elle pas tout ce qui est capable de rendre un homme infâme
et odieux aux yeux des païens même. N'est-il pas odieux, lorsque,
par la négligence de ses affaires, il ruine sa famille et la met
à la misère ? N'est-il pas odieux par les scandales qu'il
donne, par la turpitude de sa vie, et les injures qu'il débite aussi
bien contre ses supérieurs que contre ses inférieurs ; car
un ivrogne n'a pas plus de respect pour les uns que pour les autres. Vous
conviendrez avec moi, M.F., qu'il n'en faudrait pas autant pour rendre
une per-sonne méprisable.
Écoutez-moi un instant encore,
et vous le comprendrez mieux. Où trouverez-vous un père qui
veuille donner sa fille à un ivrogne, s'il le connaît pour
tel ? Dès que vous lui en faites la pro-position, il vous répond
: « Si je voulais faire périr ma fille de chagrin, je le ferais
; mais comme j'aime mes enfants, je préfère la garder avec
moi toute ma vie. » D'ailleurs, M.F., où serait la fille qui
voudrait consentir à prendre un jeune homme qui roule les
cabarets ? – « J'aimerais mieux, vous dirait-elle, aller passer ma
vie dans un bois que de prendre un abruti, qui, peut-être, dans son
vin me tuera, comme on l'a vu bien souvent. » Dites-moi, M.F., quel
est le bourgeois qui voudrait confier le gouvernement de son domaine
à un ivrogne, le charger de payer ses dépenses, de recevoir
son argent ? De tous les cinq mille, vous n'en trouverez pas un qui y consente,
et ils ont bien raison. Où est le juge qui vou-drait recevoir en
justice la déposition d'un ivrogne ? Il le ferait chasser de son
audience, et ordonnerait de le conduire dans son écurie, avec ses
chevaux, ou même mieux, avec ses pourceaux, s'il en avait. Où
trouverez-vous un honnête homme, qui veuille paraître dans
une auberge en la société d'un ivrogne ? Si personne ne le
connaît, il prendra peut-être patience mais, s'il se croit
re-connu d'une personne comme il faut, de suite il prend la fuite ; ou,
s'il ne le peut pas, il cherche mille détours pour faire entendre
qu'il s'est trouvé dans cette compagnie sans le savoir. Voulez-vous
dans une dispute lui faire de la peine, reprochez-lui de l'avoir vu en
telle compagnie ; c'est lui dire qu'il ne vaut, pas mieux que cet ivrogne
; et l'on suppose toutes sortes de mauvaises qualités à un
ivrogne !
Saint Basile nous dit que si les
bêtes étaient capables de connaître ce que c'est qu'un
ivrogne, elles ne voudraient pas le souffrir en leur compagnie, elles croiraient
se déshonorer. Un ivrogne ne se met-il pas au-dessous de la bête
la plus brute ? Voyez, en effet, une bête a des pieds pour aller
où elle veut, où on l'appelle ; mais un ivrogne n'en a point.
Que de fois le trouvez-vous couché dans un chemin, semblable à
un animal à qui l'on a coupé les quatre pieds. Si vous avez
la charité de le relever, de suite il retombe, au point que vous
êtes obligé ou de le laisser dans la boue, ou bien de le prendre
sur vos épaules. N'est-ce pas la vérité ? – Oui, sans
doute, pensez-vous en vous-mêmes. – Une bête a des yeux pour
voir, pour se conduire, pour aller à la maison de son maître,
et se placer d'elle-même dans l'écurie qu'il lui a dé-signée.
Un ivrogne n'a point d'yeux pour se conduire chez lui, il ne sait pas s'il
doit prendre la droite ou la gauche ; s'il est de vos voisins, il ne vous
connaît pas seulement. Demandez-lui s'il est jour ou s'il est nuit,
il n'en sait rien. Une bête a des oreilles pour entendre ce que son
maître lui dit ; elle ne peut pas lui répondre ; mais elle
le regarde pour montrer qu'elle comprend et qu'elle est prête à
faire ce qu'il lui commande. Un chien voit-il son maître lui faire
signe qu'il a perdu son mouchoir ou son bâton, il se met aus-sitôt
en devoir d'aller le chercher, il le rapporte et témoigne à
son maître la joie, le plaisir qu'il a de lui rendre service. Si
vous trou-vez un ivrogne étendu sur votre chemin, essayez de lui
parler pendant des heures entières, il ne vous répondra pas
seulement, tant ses oreilles sont bouchées, tant ses yeux sont obscurcis
par la fumée du vin. Si l'ivresse lui laisse encore la force d'ouvrir
la bouche, il vous répondra une chose pour l'autre ; et vous finirez
par vous en aller, déplorant son malheureux penchant. Si, dans cet
état, il a encore quelque connaissance, il n'y a sorte de saletés
et d'infamies qu'il ne vomisse ; vous lui verrez commettre des ac-tions
qui feraient rougir les païens s'ils en étaient témoins,
et cela sans remords. Faut-il donner un dernier coup de pinceau pour vous
faire mieux apprécier quelle est là valeur et quelles sont
les belles qualités d'un ivrogne ? je n'ajoute qu'un mot : c'est
un dé-mon d'impureté revêtu d'un corps, que l'enfer
a vomi sur la terre, c'est le plus sale, le plus immonde de tous les animaux.
Otez-lui son âme, et ce n'est plus que la dernière des bêtes
que porte la terre.
Je crois qu'à présent,
M.F., vous pouvez vous faire une idée de la grandeur du péché
de l'ivrognerie. Nous le trouvons très hor-rible, et cependant nous
n'avons qu'une connaissance-bien bornée de la malice du péché
; je vous laisse à penser de quelle manière le bon Dieu,
qui le connaît dans toute son étendue, doit le consi-dérer
! S'il n'était pas immortel, pourrait-il, sans mourir d'horreur,
supporter la vue de ce vice qui le déshonore dans ses créatures,
puisqu'elles sont, nous dit saint Paul, les membres de Jésus-Christ
. N'allons pas plus : loin, M.F., c'en est assez. Je vous dirai seulement
qu'un impudique, quoique bien criminel, peut encore au moins, dans son
péché, produire un acte de contrition qui le réconcilie
avec le bon Dieu ; mais pour un ivrogne, il est incapable de donner le
moindre signe de repentir. Bien loin de connaître l'état de
son âme, il ne sait pas même s'il est au monde ; de sorte que,
M.F., mourir dans l'ivresse ou mourir en réprouvé, c'est
une même chose.
Nous disons, M.F., qu'un ivrogne
est tout à fait incapable de travailler à son salut, comme
vous allez le voir. Il faudrait, pour qu'il sortit de son état,
qu'il pût en sentir toute l'horribilité. Mais, hélas
! il n'a point de foi ; il ne croit que très faiblement les vérités
que l'Église nous enseigne. Il faudrait qu'il recourût à
la prière ; mais il n'en fait presque point, ou bien s'il les fait,
c'est en s'habil-lant ou en se déshabillant, ou encore il se contentera
de faire le signe de la croix, tant bien que mal, en se jetant sur son
lit comme un cheval sur son fumier. Il faudrait qu'il usât des sacrements,
qui sont, malgré le mépris qu'en font les impies, les seuls
remèdes que la miséricorde de Dieu nous présente pour
nous attirer à lui. Mais, hélas ! il ne connaît ni
les dispositions qu'il faut apporter pour les recevoir dignement, ni même
le plus nécessaire de ce qu'il faut savoir pour être sauvé.
Si vous voulez l'interroger sur son état, il n'y comprend rien,
il vous répond une chose pour l'autre. Si, dans un temps de jubilé,
ou de mission, il veut sauver les apparences, il se contentera de dire
seulement la moitié de ses péchés ; et, avec les autres,
il va à la sainte table, c'est-à-dire, il va commettre un
sacrilège ; cela lui suffit. Mon Dieu, quel état est celui
d'un ivro-gne ! qu'il est difficile d'en pouvoir sortir ! M.F., si vous
preniez la peine de considérer le maintien d'un ivrogne à
l'église, vous penseriez qu'il est semblable à un athée
qui ne croit rien ; vous le voyez venir le dernier, ou bien sortir, afin
de se délasser un peu, chercher quelques-uns de ses semblables pour
l'accompagner au cabaret, pendant que les autres sont à entendre
la sainte Messe.
Le prophète Isaïe nous
dit que les ivrognes sont des créatu-res inutiles sur la terre pour
le bien ; mais qu'elles sont très dange-reuses pour le mal . Pour
nous en convaincre, M.F., entrez dans un cabaret, que saint Jean Climaque
appelle la boutique du dé-mon, l'école où l'enfer
débite et enseigne sa doctrine, le lieu où l'on vend les
âmes, où les ménages se ruinent, où les santés
s'altè-rent, où les disputes commencent et où les
meurtres se commet-tent. Hélas ! autant de choses qui font horreur
à ceux qui n'ont pas encore perdu la foi. Qu'y entend-on ? Vous
le savez bien mieux que moi : blasphèmes, jurements, imprécations,
paroles sales. Et que d'actions honteuses que l'on ne ferait pas partout
ailleurs !...
Voyez, M.F., ce pauvre ivrogne
! IL est plein de vin et sa bourse est vide. Il se jette sur un banc ou
sur une table ; le lende-main il est étonné de se trouver
dans un cabaret, tandis qu'il se croyait chez lui. Il s'en va après
avoir dépensé tout son argent, et souvent il est obligé
de laisser en gage son chapeau ou ses habil-lements avec un billet ; afin
de pouvoir emporter son corps avec le vin qu'il a bu. Quand il rentre,
sa pauvre femme et ses en-fants, qu'il a laissés sans pain, avec
leurs seuls yeux pour pleurer, sont obligés de vite prendre la fuite,
sinon ils vont être maltraités, comme s'ils étaient
la cause de la dépense de son argent et des mauvaises affaires qu'il
a faites. Mon Dieu, que l'état d'un ivrogne est déplo-rable
!
Le concile de Mayence a bien
raison de nous dire qu'un ivrogne transgresse les dix commandements de
Dieu. Si vous voulez vous en convaincre, examinez-les les uns après
les autres, et vous verrez qu'un ivrogne, est capable de faire tout ce
que les commandements de Dieu nous défendent. Je ne veux pas entrer
dans ce détail qui serait trop long. Saint Jean Chrysostome dit,
en s'adressant au peuple de la ville d'Antioche : « Prenez bien garde,
mes enfants, de ne pas vous laisser aller à l'ivrognerie ; parce
que ce péché dégrade l'homme d'une manière
si épouvantable, qu'il le met au-dessous de la bête brute
privée de raison. Oui, continue-t-il, les ivrognes sont véritablement
les amis du démon ; là où sont les ivrognes, sont
les démons en grand nombre. » Hélas ! M.F., ne faut-il
pas que ce péché soit horrible aux yeux de Dieu ; pour qu'il
le punisse d'une manière si effrayante, même dès ce
monde ? En voici un exemple frappant. Nous lisons dans l'Écriture
sainte , que le roi Balthasar avait fait, pour recevoir les grands de sa
cour, un splendide festin, qui surpassait tous ceux qu'il leur avait offert
durant son règne. Il avait fait chercher dans tout son royaume les
vins les plus délicieux. Quand ses convives furent assemblés,
et que, se faisant gloire de boire à longs traits, le sang commençait
à s'échauffer et l'impudicité à s'allumer ;
nous pouvons bien dire que l'un ne va pas sans l'autre : quand déjà
ils se plongeaient dans la volupté, tout à coup, parut devant
la face du roi, une main sans corps, écrivant sur la muraille certains
mots qui étaient la condamnation de ce roi, sans qu'il le connût.
Hélas ! M.F., que l'homme le plus fier, le plus orgueilleux et le
plus féroce, est peu de chose dans un accident semblable, ou plutôt
dans le moindre accident !
Balthasar en fut si épouvanté,
prit un si grand tremblement, que les jointures de ses reins se brisaient
et ses genoux se heur-taient l'un contre l'autre. Tous les convives furent
en proie à la même terreur et semblaient être demi-morts.
Le roi s'empressa de faire chercher quelqu'un qui pût lui faire comprendre
la significa-tion de ces mots ; mais personne n'y comprenait rien. Alors
il or-donna de faire venir tous ses devins, c'est-à-dire ses faux
prophè-tes. Chacun voulait savoir, mais sans y parvenir. Enfin on
dit au roi que Daniel, le prophète du Seigneur, pouvait seul lui
en don-ner la signification. Comme il désirait vivement connaître
le sens de ces paroles, il commanda de l'amener sur le champ. Le pro-phète
se rend sans résistance auprès du roi, qui le reçoit
avec beaucoup de respect, et lui demande l'explication de ces mots, en
lui offrant plusieurs présents. Le prophète les refuse. «
Prince, lui dit-il, écoutez. Voici ce que veulent dire ces trois
mots MANE, THECEL, PHARES. Le premier, que vos jours sont comptés
et que vous êtes à la fin de votre vie et de votre règne
; le second, que vous avez été pesé et trouvé
trop léger ; le troisième, que votre royaume sera divisé
entre les Mèdes et les Perses. » Ainsi le roi entendit de
la bouche même du prophète la sentence de condam-nation qui
lui annonçait la fin de toutes ses débauches. Remar-quez-le
bien, ceci se passait au moment où ce malheureux buvait avec ses
convives, dans les vases sacrés enlevés par son père
dans le pillage du temple de Jérusalem ; pendant qu'ils se remplissaient
le corps de vin, et qu'ils se plongeaient dans les plus sales volup-tés.
O mon Dieu ! quel coup de foudre de votre colère ! Mais il n'en
fut pas quitte pour la peur, comme on dit communément : tout arriva
comme le prophète l'avait prédit. Le roi fut massacré,
et son royaume fut partagé entre les Mèdes et les Perses.
Malgré cet avertissement
capable de convertir tout autre pécheur, ce malheureux ne fut qu'endurci
; car il ne paraît pas qu'il ait donné le moindre signe de
repentir. Selon toute appa-rence, de sa crapule et de sa frayeur descendit
en enfer. Ce qui nous montre combien il est difficile à un ivrogne
de se convertir.
Voyez encore Holopherne, ce fameux
orgueilleux, qui se faisait gloire de se remplir de vin jusqu'à
regorger, en présence de la belle Judith . Ce fut précisément
dans son ivresse qu'elle lui coupa la tête. Oh ! M.F., quelle funeste
passion ! qui pourrait en comprendre la tyrannie et s'y abandonner ? Non,
M.F., une per-sonne qui s'abandonne à l'ivrognerie n'a plus de réserve,
pas même pour ses parents, comme nous l'avons dit . Mais, pour bien
vous le graver dans le cœur, en voici un exemple qui n'est pas moins effrayant.
L'histoire rapporte qu'un père avait un fils, qui, encore tout jeune,
avait l'habitude d'aller assez souvent dans les cabarets. Un jour, le voyant
revenir de ce lieu de malheur et re-marquant qu'il avait un peu trop bu,
le père voulut lui représenter combien il était honteux
pour lui, qui n'était encore qu'un enfant, d'aller dans les cabarets
où l'on commet le mal et où l'on ne fait jamais le bien ;
qu'il ferait beaucoup mieux de fuir ces lieux où se perdaient sa
réputation et son argent, et que, s'il voulait continuer, il se
verrait chassé par son père. Ce jeune homme, entendant ces
paroles, entra dans une si grande colère, qu'il courut sur son père,
et le frappant de coups de couteau, le poignarda et le renversa à
ses pieds tout couvert de sang. Dites-moi, M.F., auriez-vous ja-mais pu
penser que l'ivrognerie pût porter l'homme à de tels ex-cès
?
Ainsi l'ivrogne ne commet pas seulement
le péché de gour-mandise ; mais il devient capable, par ce
péché de se livrer à tous les crimes. Si je ne craignais
pas d'être trop long, je vous le mon-trerais si clairement, que vous
n'en sauriez douter. Après cela, M.F., il n'est pas nécessaire
de vous dire combien vous devez re-douter l'ivrognerie, et fuir ceux qui
s'y livrent. Ah ! qu'il est à craindre que ceux qui en sont atteints
ne s'en corrigent jamais !
Cependant, M.F., comme la miséricorde
du bon Dieu est in-finie, et qu'il veut sauver les ivrognes comme les autres
hommes, quoique leur conversion soit bien difficile ; s'ils voulaient se
prê-ter à la grâce qui leur est donnée pour se
corriger, ils viendraient à bout de se tirer de cet abîme.
La première chose qu'ils doivent faire, c'est de fuir les ivrognes
et les cabarets ; cette condition leur est absolument nécessaire
pour revenir au bon Dieu. Le second moyen, c'est d'avoir recours à
la prière, afin de toucher le cœur de Dieu et de regagner son amitié.
Le troisième, c'est d'avoir un grand respect pour les choses saintes,
de ne jamais mépriser rien de ce qui a rapport à la religion.
Le quatrième, d'avoir recours aux sacrements où tant de grâces
nous sont accordées : c'est le moyen dont tous les pécheurs
se sont servis pour revenir au bon Dieu, aussi bien les ivrognes que les
autres.
Saint Augustin raconte , d'après
le récit même de sa mère, qu'elle avait failli se damner
en faisant la petite gourmande, dans le vin. Elle épiait le moment
où personne ne la voyait, et alors elle tâchait de se contenter
. Mais une servante qui l'avait aperçue quelquefois, et à
laquelle il lui arriva un jour de déplaire, lui dit qu'elle était
une petite ivrognesse. Ce mot lui fut tant à cœur, elle en eut une
si grande confusion, que, dans son repentir, elle en pleura longtemps.
Elle alla aussitôt se confesser de cette faute, qu'elle n'avait jamais
osé dire à son confesseur, tant elle regardait ce péché
comme infâme et honteux, quoiqu'elle eût douze ans à
peine. Elle s'en corrigea si bien avec la grâce du bon Dieu, qu'elle
n'y retomba plus de toute sa vie, et elle vécut d'une manière
si exemplaire qu'elle est devenue grande sainte. Nous voyons que
le bon Dieu, pour lui faire expier son péché, permit qu'elle
épousât un homme ivrogne et brutal, qui lui fit essuyer mille
mauvais traitements. Son fils Augustin, jusqu'à l’âge de trente-deux
ans, ne fut pas moins ivrogne que son père. Sainte Monique reconnaissant
que le bon Dieu permettait cela pour qu'elle satisfît à sa
justice, supporta si bien cette épreuve qu'on ne lui entendit jamais
faire à personne la moindre plainte. Elle eut enfin le bonheur de
voir son mari et son fils Augustin se convertir. Vous voyez, M.F., que
le bon Dieu tend la main et donne la grâce à ceux qui la lui
demandent, avec un vrai désir de sortir du péché,
pour ne plus vivre que pour lui.
Mais un autre exemple va vous faire
plaisir, car il vous mon-trera que les ivrognes, quoique bien misérables,
peuvent encore se sauver ; et que ceux qui ne se convertissent pas de leurs
mauvai-ses habitudes, et croient qu'ils ne pourront pas se corriger, se
trompent bien. Il est rare de trouver un trait qui convienne mieux à
notre sujet. Dans un village près de Nîmes, il y avait un
paysan nommé Jean. Dès sa jeunesse, il s'était tellement
adonné à l'ivro-gnerie, qu'il était presque continuellement
dans le vin, et passait généralement pour le plus grand ivrogne
du pays. Le curé de la paroisse ayant fait venir des missionnaires,
pour instruire ses pa-roissiens, pensa qu'il fallait leur faire connaître
ce pécheur, de crainte qu'il ne les trompât. Cette sage précaution
du pasteur parut d'abord inutile ; car, non seulement le paysan ne se présenta
à au-cun missionnaire, mais encore il n'assista à aucun des
exercices de la mission. Deux jours avant qu'elle fût finie, il s'avisa
d'aller en-tendre un sermon sur l'enfant prodigue ou sur la miséricorde
de Dieu, qui fut prêché par M. Castel, prêtre de Nîmes,
l'un des mis-sionnaires qui avait le plus de talent et de zèle.
Ce discours écrit avec une noble simplicité, mais prononcé
avec beaucoup de force et d'onction, fit la plus vive impression sur le
nouvel auditeur. Il reconnut son portrait dans la peinture qu'on fit des
désordres de l'enfant prodigue ; il vit dans la bonté de
son père une image tou-chante de celle de Dieu, et plein, tout à
la fois, de repentir et de confiance, il dit : « A l'exemple du jeune
homme prodigue de l'Évangile, je sortirai enfin de la malheureuse
habitude où je crou-pis depuis si longtemps ; j'irai me jeter aux
pieds de ce Dieu de miséricorde qu'on vient de me représenter
comme le plus tendre de tous les pères. » Sa résolution
ne fut pas moins efficace que prompte. Dès le lendemain, il va trouver
ce même M. Castel dont il avait entendu le sermon, et en l'abordant
il lui dit, les yeux mouillés de larmes : « Vous voyez ici
le plus grand pécheur qu'il y ait sur la terre. Vous dites que la
miséricorde de Dieu est encore plus grande que nos péchés
; pour en attirer sur moi les salutaires effets, je viens vous prier d'avoir
la charité d'entendre ma confes-sion. Ah ! ne me le refusez pas,
mon père, je vous en conjure ; vous me feriez tomber dans le désespoir.
Je ne puis plus soutenir le poids de mes remords, et je ne serai tranquille
que lorsque vous m'aurez réconcilié avec le bon Dieu que
j'ai tant offensé. » Le mis-sionnaire fut d'autant plus touché
et surpris de ce discours, qu'il reconnut dans son interlocuteur le fameux
ivrogne dont le curé lui avait parlé. Il s'attendrit avec
lui, l'embrassa tendrement, et lui montra les mêmes sentiments que
le père de l'enfant prodigue avait témoigné à
son fils ; mais, en même-temps, il lui représenta avec bonté
qu'il était trop tard, qu'il était presque à la veille
de son départ ; et qu'il craignait bien de n'avoir pas le temps
de lui accorder ce qu'il demandait. « Ah ! s'il en est ainsi, lui
répondit le paysan en sanglotant, c'en est fait, je suis perdu.
Quand vous me connaîtrez mieux, peut-être, aurez-vous pitié
de moi. Faites-moi donc la grâce de m'entendre, et que j'aie, au
moins, la consolation de me confesser. » Le missionnaire se rendit
à ce désir, et le paysan fit sa confession aussi bien qu'il
lui fut possible. Il accom-pagna l'accusation de ses péchés
de tant de larmes et d'un si vif repentir ; il résista avec tant
de courage aux conseils prudents qu'on lui donnait, de ne pas entièrement
renoncer au vin, à cause de sa santé, et d'en user seulement
plus rarement et plus sobre-ment ; il protesta si fortement que jamais
rien ne pourrait le ré-concilier avec ce cruel ennemi, qui avait
donné la mort à son âme, et qu'il en aurait horreur
toute sa vie, que le missionnaire, le voyant si bien disposé, lui
donna l'absolution, en lui recomman-dant fortement de persévérer
dans les bons sentiments que le bon Dieu lui avait inspirés. Ce
grand pécheur le lui promit, et la suite prouvera que son repentir
avait été sincère. Cinq ou six mois après la
mission, une des sœurs de Jean fit un voyage à Nîmes. Elle
rencontra le missionnaire qui fut bien curieux de savoir si son fameux
ivrogne Jean avait persévéré. « Vous venez,
sans doute, de votre village, lui dit-il, pouvez-vous me donner des nouvelles
du brave Jean ? – Ah ! monsieur, lui répondit cette, femme, nous
vous avons de grandes obligations ; vous en avez fait un saint. Depuis
que vous avez quitté notre pays, non seulement ses an-ciens amis
n'ont pas pu l'entraîner dans les cabarets ; mais il ne nous a pas
été possible de lui faire boire une seule goutte de vin.
Non, non, nous dit-il, quand nous lui en parlons, il a été
mon plus grand ennemi, je ne me réconcilierai jamais avec lui ;
ne m'en parlez plus. » Le missionnaire ne put entendre ces paroles
sans verser des larmes, tant il eut de joie de savoir que ce pécheur
converti avait eu le bonheur de persévérer. Toutes les fois
qu'il ra-contait ce trait, il avait coutume d'ajouter qu'après une
telle conversion, l'on ne devrait jamais désespérer des plus
grands pé-cheurs, si le pécheur veut correspondre à
la grâce que le bon Dieu accorde à tous pour les sauver.
II. – Nous allons voir, M.F., que
les pécheurs ; c'est-à-dire les ivrognes, n'ont point de
prétextes qui justifient leurs excès. Saint Augustin nous
dit que, quoique l'ivrognerie soit condamnée par tout le monde,
cependant chacun croit pouvoir s'en excuser. Si vous demandez à
un homme pourquoi il s'est mis dans le vin, il vous répondra, sans
se tourmenter , qu'un ami est venu le voir ; qu'ils sont allés au
cabaret, et que, s'ils ont trop, bu, ce n'est que par complaisance. – C'est
par complaisance ! mais ou cet ami est un bon chrétien ou c'est
un impie. S'il est bon chrétien, vous l'avez grandement scandalisé
en le pressant de boire, et en passant votre temps dans un cabaret. Peut-être
même était-ce pendant la sainte Messe ou pendant les vêpres
!,.. Eh ! quoi, mon frère, vous étiez entrés deux
personnes raisonnables dans le cabaret, et vous en êtes sortis moins
raisonnables que deux bêtes brutes ! Croyez-moi, mon ami, si vous
aviez gardé votre ami chez vous un mo-ment, et que, n'ayant point
de vin, vous lui eussiez offert de l'eau ; vous lui auriez fait beaucoup
plus de plaisir qu'en lui faisant ven-dre son âme au démon.
Si cet ami est un mauvais chrétien ou un impie sans religion, vous
ne devez pas aller avec lui, vous devez le fuir. – Mais, me direz-vous,
si je ne le fais pas boire, et si je ne le mène pas au cabaret,
il me voudra mal, il me traitera d'avare. – Mon ami, c'est un grand bonheur
d'être méprisé des méchants, parce que cela
prouve qu'on ne leur ressemble pas : Vous devez leur servir d'exemple.
Saint Augustin, nous dit : Eh ! quoi, misé-rable, vous vous êtes
mis dans le vin pour être l'ami d'un ivrogne, d'un impie, d'un libertin
; tandis que vous devenez l'ennemi de Dieu même ! Oh malheureux !
quelle indigne préférence ! Vous voyez donc, M.F., vous n'avez
rien qui puisse vous excuser : vous vous mettez dans le vin, parce que
votre gourmandise vous y en-traîne. Quelques-uns vous disent qu'ils
ont l'habitude d'aller au cabaret pour boire avec les autres ; mais que,
si copieusement qu'ils boivent, jamais le vin ne trouble leur raison. Mon
ami, vous vous trompez. Quoique le vin ne vous trouble pas, dès
que vous en buvez plus qu'il ne vous est nécessaire, vous êtes
aussi coupa-ble, en vous-même, que si vous aviez perdu la raison
; il n'y a qu'un petit scandale de moins. Et encore vous n'êtes pas
moins, aux yeux du public, un pilier de cabaret. Écoutez ce que
nous dit le prophète Isaïe : « Malheur à vous
qui avez la tête assez forte pour boire avec excès, qui vous
faites gloire d'enivrer les autres ; vous vous enivrez vous-même
. » En voici qui vous disent en-core : C'est pour faire un marché,
pour donner ou pour recevoir de l'argent. – Hélas ! mon ami, je
ne veux pas vous prouver combien de ceux qui sont, dans le vin font des
marchés tout de travers. On leur fait signer des quittances sans
qu'ils aient l'argent, ou s'ils l'ont reçu, on tâche bien
vite de le leur reprendre. D'ailleurs, comment voulez-vous connaître
ce que vous faites ? vous ne vous connaissez pas vous-même.
Quelle conclusion devons-nous tirer
de tout cela, M.F. ? la voici. C'est de rentrer sérieusement en
nous-mêmes, comme le Seigneur nous le dit par la bouche du prophète
Joël : Réveillez-vous, dit-il, ivrognes, parce que toutes sortes
de malheurs vous attendent. Pleurez et criez ; à la vue des châtiments
que la juste colère de Dieu vous prépare dans les enfers,
à cause de votre ivrognerie . Réveillez-vous, malheureux,
aux clameurs de cette pauvre femme que vous avez maltraitée après
avoir mangé son pain ; réveillez vous, ivrognes, aux cris
de ces pauvres enfants que vous réduisez à la mendicité
ou que vous mettez dans le cas de mourir de faim. Écoutez, infâme
ivrogne, ce voisin qui vous demande l'argent qu'il vous a prêté,
et que vous avez mangé en débauches et dans les cabarets.
Il en a besoin pour nourrir sa femme et ses enfants, qui pleurent la misère
que votre ivrognerie leur a causée. Ah ! malheureux pécheur,
qu'aviez-vous promis au bon Dieu quand il vous a reçu pour son enfant
? Vous lui avez promis de le servir, de ne plus retomber dans ces désordres.
Qu'avez-vous fait dans votre ivresse ? Hélas ! vous avez révélé
des secrets qu'on vous avait confiés et que vous ne deviez jamais
dire. Vous avez commis un nombre infini de turpidités qui font horreur
à tout le monde. Qu'avez-vous fait en vous livrant à l'ivrognerie
? Vous avez ruiné votre réputation, votre fortune, vo-tre
santé et vous avez rendu votre famille si misérable, que,
peut-être pour vivre, s'abandonnera-t-elle à toutes sortes
de désordres. Vous êtes devenu vous-même un homme de
rien, la fable et l'op-probre de vos voisins, qui, maintenant, ne vous
regardent plus qu'avec mépris et horreur. Qu'avez-vous fait de votre
âme, de cette âme si belle, que Dieu seul la surpasse en beauté
? Vous l'avez rendue toute charnelle, toute défigurée par
vos excès.
Qu'avez-vous perdu par votre ivrognerie
? Hélas ! mon ami, vous avez perdu le plus grand de tous les biens,
vous avez perdu le ciel, un bonheur éternel, des biens infinis ;
vous avez perdu vo-tre pauvre âme qui avait été rachetée
par le sang adorable de Jé-sus-Christ. Ah ! disons plus encore :
Vous avez perdu votre Dieu, ce tendre Sauveur, qui n'a vécu que
pour vous rendre heureux pendant toute l'éternité. Oh ! quelle
perte ! Qui pourra la com-prendre et y être insensible ! Quel malheur
est comparable à ce-lui-là ?
Mais qu'avez-vous mérité
? Hélas ! rien autre chose que l'enfer, pour y être brûlé
pendant toute l'éternité. Vous avez méri-té,
mon ami ; d'être placé sur la table des démons où
vous allez nourrir et entretenir la fureur qu'ils ont contre Jésus-Christ
lui-même. Vous allez être cette victime sur laquelle la juste
colère de Dieu s'appesantira pendant des siècles sans fin
!... Convenez avec moi que peut-être jamais vous n'auriez pu vous
former une idée de la grandeur du péché d'ivrognerie,
de l'état où il réduit celui qui le commet, des maux
qu'il lui attire pendant sa vie et des châti-ments qu'il lui prépare
pour l'éternité. Qui ne serait touché de tant de maux,
M. F, ? Pleurez, malheureux ivrognes, vos dérèglements et
tous les mauvais exemples que vous avez donnés, au lieu d'en rire
comme vous le faites : Poussez des cris vers le ciel, pour de-mander miséricorde,
pour essayer, si le Seigneur voudra encore avoir pitié de vous.
Prions le bon Dieu qu'il nous préserve, de ce malheureux péché,
qui semble nous mettre presque dans l'impos-sibilité de nous sauver.
Pour cela, n'aimons que Dieu seul, c'est le bonheur que je vous souhaite.
21ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la colère
Tenens suffocabat eum, dicens : Redde
quod debes.
L'ayant pris à la gorge,
il lui dit : Rends-moi ce que tu
dois.
(S. Matthieu, XVIII, 28.)
Que les sentiments de l'homme sont différents de ceux de Dieu ! Ce misérable, qui venait de recevoir la remise de tout ce qu'il devait à son maître, bien loin d'être touché de reconnais-sance, et d'être prêt à user de la même indulgence à l'égard de son frère, l'aperçoit à peine qu'il entre en fureur, ne se possède plus, lui saute à la gorge et semble vouloir l'étrangler. L'autre a beau se jeter à ses pieds pour lui demander grâce, rien ne le touche et rien ne l'arrête. Il faut qu'il épuise sa fureur contre ce pauvre malheu-reux, et le fait traîner en prison jusqu'à ce qu'il lui ait payé sa dette. Telle est, M.F., la conduite des gens du monde. Dieu nous est représenté par le maître. S'il nous remet volontairement tout ce que nous devons à sa justice, s'il nous traite avec tant de bonté et de douceur, c'est afin qu'à son exemple, nous nous comportions de la même manière envers nos frères. Mais un homme ingrat et fougueux a bientôt oublié tout ce que son Dieu a fait pour lui. Pour un rien, on le verra se livrer à toute la fureur d'une passion si indigne d'un chrétien, si outrageante à un Dieu de douceur et de bonté. Craignons, M.F., une passion si mauvaise, si capable de nous éloigner de Dieu, et de nous faire passer à nous et à ceux qui nous environnent une vie malheureuse. Je vais donc vous mon-trer : 1? combien la colère outrage Dieu ; 2? combien elle est in-digne d'un chrétien.
I. – Je ne veux pas vous parler de
ces petites impatiences, de ces murmures qui sont si fréquents.
Vous savez que toutes les fois que vous ne les repoussez pas, vous offensez
Dieu. Quoique ce ne soit pas pour l'ordinaire des péchés
mortels, il ne faut pas man-quer de vous en accuser. Si vous me demandez
ce que c'est que la colère, je vous répondrai que c'est un
mouvement violent, impé-tueux de l'âme, qui repousse avec
instance ce qui lui déplaît. Si nous ouvrons les livres saints,
où sont contenues les actions des hommes qui ont fait l'admiration
du ciel et de la terre, partout nous y voyons qu'ils ont toujours eu en
horreur ce maudit péché, et qu'ils l'ont regardé comme
une marque de réprobation. Cepen-dant, je vous dirai avec saint
Thomas, qu'il y a une sainte colère, qui vient du zèle que
nous avons pour soutenir les intérêts de Dieu. On peut quelquefois,
nous dit-il, se fâcher sans offenser Dieu, selon ces paroles du Roi-prophète
: « Mettez-vous en co-lère ; mais ne péchez pas . »
IL y a donc une colère juste et raisonnable, que l'on peut plutôt
appeler zèle que colère. L'Écriture sainte nous en
montre un grand nombre d'exemples. Nous y lisons que Phinéès,
qui était un homme craignant le Seigneur et soutenant ses intérêts,
entra dans une sainte colère à la vue du scandaleux péché
d'un juif avec une Madianite, et les perça d'un coup d'épée.
Non seulement il n'a pas offensé le Seigneur par la mort de ces
deux abominables, mais au contraire, il fut loué de son zèle
à venger les outrages qu'on lui faisait . Telle fut aussi la conduite
de Moïse. Indigné de ce que les Israéli-tes. avaient
adoré un veau d'or, en mépris du vrai Dieu, il en fit tuer
vingt-trois mille pour venger le Seigneur, et, cela, par les ordres de
Dieu lui-même . Telle fut encore celle de David qui, dès le
matin, déclarait la guerre à tous ces grands pécheurs
qui passaient leur vie à outrager son Dieu . Telle fut enfin celle
de Jésus-Christ lui-même, quand il alla dans le temple pour
en chasser ceux qui y vendaient et achetaient, leur disant : « Ma
maison est une maison de prière et vous en faites une caverne de
voleurs . » Telle doit être la colère d'un pasteur qui
a le salut de ses paroissiens à cœur et la gloire de son Dieu. Si
un pasteur reste muet en voyant Dieu outragé et les âmes s'égarer,
malheur à lui ! S'il ne veut pas se damner, il faut que, s'il y
a quelques désordres dans sa paroisse, il foule aux pieds le respect
humain et la crainte d'être méprisé ou haï de
ses paroissiens ; et serait-il sûr d'être mis à mort
après être descendu de chaire, cela ne doit pas l'arrêter.
Un pasteur qui veut remplir son devoir doit toujours avoir l'épée
à la main pour défendre les innocents, et poursuivre les
pécheurs jusqu'à ce qu'ils soient revenus à Dieu ;
cette poursuite ne doit cesser qu'à sa mort. S'il ne se comporte
pas de cette manière, c'est un mauvais prêtre, qui perd les
âmes au lieu de les conduire à Dieu. Si vous voyiez arriver
quelque scandale dans votre paroisse, et que vos pasteurs ne disent rien
: malheur à vous, parce que Dieu vous a punis en vous envoyant de
tels pasteurs.
Je dis donc que toutes ces colères
ne sont que de saintes co-lères, louées et approuvées
de Dieu même. Si toutes vos colères étaient de cette
nature, l'on ne pourrait que vous en louer. Mais quand nous réfléchissons
un peu sur tout ce qui se passe dans le monde, quand nous entendons tous
ces bruits, voyons ces dissen-sions qui règnent entre les voisins
et les voisines, les frères et les sœurs : nous n'y reconnaissons
qu'une passion fougueuse, injuste, vicieuse et déraisonnable, dont
il est nécessaire de vous montrer les pernicieux effets ; afin de
vous en faire concevoir toute l'hor-reur qu'elle mérite. Écoutez
ce que nous dit le Saint-Esprit : L'homme en se mettant en colère,
non seulement perd son âme et son Dieu, mais encore il abrège
ses jours . Je vais vous le prouver par un exemple frappant. Nous lisons
dans l'histoire de l'Église que l'empereur Valentinien, en recevant
les députés des Quades, entra dans une colère si épouvantable
qu'il en perdit la respiration et mourut sur le champ. O mon Dieu ! quelle
horreur ! quelle passion détestable et monstrueuse ! elle donne
la mort à celui qui l'enfante ! Je sais bien que l'on ne se livre
pas souvent à de tels excès ; mais combien de femmes enceintes,
par la colère à laquelle elles se livrent, font périr
leurs pauvres enfants, avant de leur avoir donné le jour et le baptême
! Ces malheureux n'auront donc jamais le bonheur de voir le bon Dieu !
Au jour du jugement nous les verrons perdus : ils n'iront jamais au ciel
! Et la colère seule d'une mère en sera la cause ! Hélas
! ces pauvres enfants vont souvent s'écrier dans l'enfer : Ah !
maudit péché de colère, que tu nous as privés
de biens !... c'est toi qui nous a ravi le ciel ; c'est toi qui nous as
condamnés à être dévorés par les flam-mes
! O mon Dieu ! que ce maudit péché nous a ravi de grands
biens ! Adieu, beau ciel, nous ne te verrons jamais ; ah ! quel malheur
! ... O mon Dieu ! une femme qui se serait rendue coupable d'un tel crime,
pourrait-elle bien vivre sans verser jour et nuit des torrents de larmes,
et ne pas se dire à chaque instant : Malheureuse, qu'as-tu fait
? où est ton pauvre enfant ? tu l'as jeté en enfer. Hélas
! quels reproches pour le jour du jugement, lorsque tu le verras ve-nir
te demander le ciel ! Ce pauvre enfant va se jeter sur sa mère avec
une fureur affreuse. Ah ! mère ! lui dira-t-il, maudite mère
! rends-moi le ciel ; c'est toi qui me l'as ravi ! Ce beau ciel que je
ne verrai jamais, toute l'éternité je te le demanderai ;
ce beau ciel que la colère d'une mère m'a fait perdre !...
O mon Dieu ! quel mal-heur ! Et cependant que le nombre de ces pauvres
enfants est grand ! – Une femme enceinte doit, en se confessant d'un péché
de colère, ne jamais manquer, si elle veut se sauver, de déclarer
son état ; parce que, au lieu d'un péché mortel, il
peut y en avoir deux. Si vous ne faites pas cela, c'est-à-dire,
si vous ne dites pas cette circonstance, vous devez bien douter pour vos
confessions. De même, un mari qui aurait fait mettre en colère
sa femme, doit s'accuser de cette circonstance ; ainsi que tous ceux qui
se sont rendus coupables de la même faute. Hélas ! qu'il y
en a peu qui s'accusent de cela ! Mon Dieu, que de confessions mauvaises
!
Le prophète Isaïe nous
dit que l'homme en colère est sem-blable à une eau agitée
par la tempête . Belle comparaison, M.F., En effet, rien ne représente
mieux le ciel que la mer quand elle est calme ; c'est un grand miroir dans
lequel les astres semblent se reproduire ; mais aussi, dès que l'orage
en a troublé les eaux, toutes ces images célestes disparaissent.
Ainsi, l'homme qui a le bonheur de conserver la patience et la douceur
est, dans ce calme, une image sensible de Dieu. Mais la colère,
les impatiences n'ont pas plus tôt détruit ce calme, que l'image
de la divinité disparaît. Cet homme cesse dès lors
d'être l'image de Dieu pour être celle du démon. Il
en redit les blasphèmes, en représente la fureur. Quelles
sont les pensées du démon ? Ce ne sont que pensées
de haine, de vengeance, de division : telles sont celles d'un homme en
colère. Quelles sont les expressions du démon ? Ce ne sont
que malédictions et jurements. Si j'écoute un homme en colère,
je n'entends autre chose de sa bouche que jurements et malédictions.
O mon Dieu ! quelle triste compagnie que celle d'une personne qui est sujette
à la colère ! Voyez une pauvre femme qui a un mari de cette
sorte : si elle a la crainte de Dieu, et veut lui éviter des offenses
et à elle les mauvais traitements, elle ne peut lever la langue
, quand même elle en aurait le plus grand désir du monde.
Il faut qu'elle se contente de gémir et de pleurer en secret ; afin
de ne point faire mauvais ménage, ni donner scandale. – Mais, me
dira un homme emporté, pourquoi me tient-elle tête ? on sait
bien que je suis vif. – Vous êtes vif, mon ami, mais croyez-vous
que les autres ne le soient pas aussi bien que vous ? Dites donc plutôt
que vous n'avez point de religion, et vous direz ce que vous êtes.
Est-ce qu'une personne qui a la crainte de Dieu ne doit pas savoir gouverner
ses passions, au lieu de se laisser gouverner par elles ?
Hélas ! si j'ai dit qu'il
y a des femmes malheureuses parce qu'elles ont des maris emportés
; il y a des maris qui ne sont pas moins malheureux, avec des femmes qui
ne sauront jamais leur dire un mot de bonne grâce, qu'un rien emporte
et met hors d'el-les-mêmes. Mais quel malheur dans un ménage,
lorsque ni l'un ni l'autre ne veulent plier ; ce n'est plus que disputes,
que colères et malédictions. O grand Dieu ! n'est-ce pas
là véritablement un en-fer anticipé ? Hélas
! à quelle école sont ces pauvres enfants ? quelles leçons
de sagesse et de douceur reçoivent-ils ? Saint Ba-sile nous dit
que la colère rend l'homme semblable au démon, parce qu'il
n'y a que le démon qui soit capable de se livrer à ces sortes
d'excès. Une personne dans cet état est semblable à
un lion en fureur, dont le rugissement fait mourir d'effroi les autres
ani-maux. Voyez Hérode : parce que les rois Mages l'avaient trompé,
il entra dans une telle colère, ou plutôt dans une telle fureur,
qu'il fit égorger tous les petits enfants de Bethléem et
des environs . Il ne se contenta pas de ces horreurs ; il fit encore poignarder
sa femme et ses enfants . Hélas ! combien de pauvres enfants sont
estropiés pour leur vie, par les mauvais coups qu'ils ont reçus
de leurs parents, dans ces transports de colère ! Mais j'ajoute
que la colère ne marche presque jamais seule : elle est toujours
accom-pagnée de beaucoup d'autres péchés, comme nous
allons le voir.
II. – La colère entraîne
avec elle les jurements, les blasphè-mes, les reniements de Dieu,
les malédictions, les imprécations , Saint Thomas nous dit
que jurer est un péché si grand, si affreux aux yeux de Dieu,
que jamais nous ne pourrons comprendre l'ou-trage qu'il lui fait. Ce péché
n'est pas comme les autres, dont la légèreté de matière
ne fait souvent qu'un péché véniel. Dans les ju-rements,
plus la matière est légère, plus le péché
est grand ; puisque c'est un plus grand mépris, et une plus grande
profanation du saint nom de Dieu. Le Saint-Esprit nous assure que la maison
de l'homme qui est accoutumé à jurer, sera remplie d'iniquité,
et que les châtiments de Dieu n'en sortiront pas jusqu'à ce
qu'elle soit détruite . Peut-on bien entendre sans frémir
ces malheureux, qui osent porter leur fureur jusqu'à jurer le saint
nom de Dieu, ce nom adorable que les anges ont tant de joie à répéter
sans cesse : « Saint, saint, saint, le grand Dieu des armées
! qu'il soit béni dans tous les siècles des siècles
! » Si l'on réfléchissait bien en em-ployant sa langue,
que c'est un instrument donné de Dieu pour le prier, pour chanter
ses louanges ; que cette langue a été arrosée par
le sang précieux de Jésus-Christ ; que, tant de fois, elle
a servi de reposoir au Sauveur lui-même, pourrait-on s'en servir
pour ou-trager un Dieu si bon, et pour profaner un nom si saint et si res-pectable
!...
Voyez quelle horreur les saints
avaient des jurements. Saint Louis, roi de France, avait fait une loi portant
que celui qui jure-rait aurait la langue percée d'un fer rouge.
Un bourgeois de la ville, dans une dispute, jura le saint nom de Dieu.
Il fut conduit devant le roi, qui le condamna sur le champ à avoir
la langue per-cée. Tous les puissants de la ville étant venus
pour demander sa grâce, le roi leur répondit que, s'il avait
eu le malheur de commet-tre ce péché, il se la percerait
lui-même. Et il ordonna que sa sen-tence fut exécutée.
Lorsqu'il alla combattre pour la Terre sainte, il fut fait prisonnier.
On lui demanda un serment, qui cependant, ne paraissait pas blesser sa
conscience ; il aima mieux néanmoins s'exposer à la mort
que de le faire, tant il craignait de jurer . Aus-si, voyons-nous qu'une
personne qui jure, est ordinairement une personne abandonnée de
Dieu, accablée de toutes sortes de mal-heurs, et qui souvent fait
une fin malheureuse.
Nous lisons dans l'histoire un exemple
capable de nous don-ner la plus grande horreur du jurement. Du temps que
saint Nar-cisse gouvernait l'Église de Jérusalem, trois libertins
calomnièrent horriblement le saint, appuyant leur affirmation par
trois serments exécrables. Le premier dit que, si ce qu'il affirmait
n'était pas vrai, il voulait être brûlé vif ;
l'autre, qu'il voulait mourir du mal ca-duc ; le troisième, qu'il
voulait que les yeux lui fussent arrachés. A cause de ces calomnies,
saint Narcisse fut chassé de la ville comme un infâme, c'est-à-dire,
comme un évêque qui s'abandon-nait à toutes sortes
d'impuretés. Mais la vengeance de Dieu ne tarda pas à punir
ces malheureux. Le feu ayant été mis pendant la nuit dans
la maison du premier, il y fut brûlé tout vif. Le second mourut
du mal caduc ; le troisième, épouvanté par de si horribles
châtiments, perdit la vue en pleurant ses péchés. Je
sais que bien peu se permettent ces sortes de jurements. Les jurements
les plus ordinaires sont ceux-ci : Ma foi ! Ma conscience ! – Mon Dieu
! oui ; – Mon Dieu ! non ; parbleu ! – morbleu ! – mâtin !
Lorsque vous vous confessez, il
faut bien vous accuser de la raison pour laquelle vous avez juré
; si c'est pour assurer des cho-ses fausses ou la vérité.
Si vous avez fait jurer d'autres personnes en ne voulant pas les croire.
Vous devez dire si vous en avez l'ha-bitude, et depuis combien de temps
vous l'avez. Aux jurements, il faut bien prendre garde de ne pas ajouter
le serment. Il en est qui disent : « Si cela n'est pas vrai, je veux
ne jamais bouger de place ; voir le ciel ; que Dieu me damne ! que la peste
m'étouffe ! que le démon m'emporte ! .... » Hélas
! mon ami, peut-être que le démon n'attend que ta mort pour
t'emporter !... Vous devez dire, dans vos confessions, si ce que vous avez
dit était ou n'était pas contre la vérité.
Il y en a qui croient qu'il n'y a point de mal de faire un serment pour
assurer une chose qui est véritable. Le mal, il est vrai, n'est
pas si grand que pour une chose fausse ; mais c'est toujours un péché,
et même gros. Vous êtes donc toujours obligés de vous
en accuser, sans quoi vous êtes damnés. En voici un exemple
qui fait trembler. Il est rapporté dans la vie de saint Édouard,
roi d'Angleterre , que le comte Gondevin, beau-père du roi, était
si orgueilleux, qu'il ne pouvait souffrir personne auprès de lui.
Le roi l'accusa un jour d'avoir coopéré à la mort
de son frère. Le comte lui répondit que, si cela était
vrai, il voulait qu'un morceau de pain l'étranglât. Le roi
fit le signe de la croix sur ce morceau de pain, son beau-père le
prit, et comme il l'avalait, le pain lui resta au gosier, l'étrangla,
et il en mourut. Terrible punition, M.F. ! Hélas ! où alla
sa pauvre âme, puisqu'il mourut en commettant ce péché
?
Non seulement nous ne devons pas
jurer, sous quelque pré-texte que ce soit, quand même il s'agirait
de perdre nos biens, no-tre réputation et notre vie, parce que,
en jurant, nous perdons le ciel, notre Dieu et notre âme ; mais nous
ne devons pas même faire jurer les autres. Saint Augustin nous dit
que, si nous pré-voyons que ceux que nous faisons appeler en justice
jureront à faux, nous ne devons pas le faire ; nous sommes aussi
coupables et même plus coupables que si nous leur ôtions la
vie. En effet, en les égorgeant nous ne faisons que donner la mort
à leur corps, s'ils ont le bonheur d'être en état de
grâce ; le seul mal est pour nous : au lieu qu'en les faisant jurer,
nous perdons leur pauvre âme, et nous les perdons pour l'éternité.
Il est rapporté qu'un bourgeois de la ville d'Hippone, homme
de bien, mais fort attaché à la terre, contraignit un homme
à qui il avait prêté de l'argent de jurer en justice
; celui-ci jura faussement. La même nuit, il fut présenté
au tribunal de Dieu. – Pourquoi as-tu fait jurer cet homme... ? Ne de-vais-tu
pas plutôt perdre ce qu'il te devait que de perdre son âme
? Jésus-Christ lui dit qu'il lui pardonnait, pour cette fois, mais
qu'il le condamnait à être fouetté ; ce qui fut exécuté
sur le champ par les anges ; car le lendemain, il se trouva tout couvert
de plaies. – Vous me direz : Il faudrait perdre ce que l'on me doit ? –
Il fau-drait perdre ce que l'on vous doit ; mais vous estimez donc moins
l'âme de votre frère que votre argent ? D'ailleurs, soyez
bien sûrs que si vous faites cela pour le bon Dieu, il ne manquera
pas de vous récompenser.
Les pères et mères,
maîtres et maîtresses doivent examiner s'ils n'ont point été,
pour leurs enfants ou leurs domestiques, la cause de quelques jurements,
par la crainte où ils ont été quelque-fois d'être
maltraités ou grondés. On jure aussi bien pour le men-songe
que pour la vérité. Prenez bien garde, lorsque vous serez
appelés en justice, de ne jamais jurer à faux. Quoique vous
n'ayez pas juré, il faut même examiner si vous n'en avez pas
eu la pensée dans vous-même, et combien de fois vous avez
eu cette pensée ; si vous avez conseillé à d'autres
de jurer à faux, sous prétexte que, s'ils disent la vérité,
ils seront condamnés. Vous êtes obligé de dire cela.
Accusez-vous encore si vous avez pris quelques détours pour dire
autrement que vous ne pensiez ; car vous êtes obligé de dire
tel que vous le pensez ou tel que vous l'avez vu et entendu ; sans quoi,
vous commettez un gros péché. Vous devez de même distinguer
si vous avez donné quelque chose pour porter les autres à
mentir : ainsi, un maître qui menacerait son domestique de le maltraiter
ou de lui faire perdre son gage, doit s'expliquer en confession sur tout
ceci, sans quoi sa confession ne serait qu'un sacrilège. Le Saint-Esprit
nous dit que le faux témoin sera puni rigoureusement .
Nous venons de dire ce que c'est
que le jurement et le ser-ment, voyons maintenant ce que c'est que le blasphème.
Il y en a plusieurs qui ne savent pas distinguer le blasphème du
jurement. Si vous ne savez pas distinguer l'un de l'autre, vous ne pouvez
pas espérer que vos confessions soient bonnes, parce que vous ne
fai-tes pas connaître vos péchés tels que vous les
avez commis. Écou-tez donc bien ; afin que vous quittiez cette ignorance,
qui vous damnerait très certainement. Le blasphème est un
mot grec qui veut dire détester, maudire une beauté infinie.
Saint Augustin nous dit que l'on blasphème lorsqu'on attribue
à Dieu quelque chose qu'il n'a pas, ou qui ne lui convient pas ;
lorsqu'on lui ôte ce qui lui convient, ou, enfin, quand l'on s'attribue
ce qui n'est dû qu'à Dieu. Expliquons cela. 1? nous blasphémons
lorsque nous disons que Dieu n'est pas juste, si ce que nous faisons ou
entre-prenons ne réussit pas. 2? Dire que Dieu n'est pas bon, comme
le font quelques malheureux dans l'excès de leurs misères,
est un blasphème. 3? Nous blasphémons lorsque nous disons
que Dieu ne sait pas tout ; qu'il ne fait pas attention à ce qui
se passe sur la terre ; qu'il ne nous sait pas seulement au monde ; que
toutes cho-ses vont comme elles veulent ; que Dieu ne se mêle pas
de si peu de chose ; qu'en venant au monde nous apportons notre sort d'être
malheureux ou d'être heureux, et que Dieu n'y change rien. 4? Lorsque
nous disons : Si Dieu faisait miséricorde à celui-là,
vrai-ment il ne serait pas juste ; car il en a trop fait et n'a mérité
que l'enfer. 5? Lorsque nous nous emportons contre Dieu à l'occasion
de quelque perte, et que nous disons : Non, Dieu ne peut pas m'en faire
davantage qu'il ne m'en fait. C'est aussi un blasphème que de se
moquer et railler de la sainte Vierge, ou des saints, en disant : C'est
un saint qui n'a pas grand pouvoir, voilà plusieurs jours que je
prie... et je n'ai rien obtenu ; je ne veux plus avoir recours à
lui. C'est un blasphème de dire que Dieu n'est pas puissant, et
de le traiter indignement, comme en disant : Malgré Dieu ! S...
D... ! S... N... !
Les Juifs avaient une telle horreur
de ce péché que quand ils entendaient blasphémer,
ils déchiraient leurs vêtements, en signe de douleur . Le
saint homme Job redoutait ce péché à tel point, que
dans la crainte que ses enfants l'eussent commis, il offrait à Dieu
des sacrifices pour l'expier . Le prophète Nathan dit à Da-vid
: Puisque vous avez été la cause de ce que l'on a blasphémé
Dieu, votre enfant mourra, et les châtiments ne sortiront point de
votre maison pendant votre vie . Le Seigneur dit dans l'Écriture
sainte : Quiconque blas-phémera mon saint nom, je veux qu'il
soit mis à mort. Pendant que les Hébreux étaient dans
le désert, on surprit un homme qui blasphémait, le Seigneur
ordonna qu'il fût assommé à coups de pierres . Sennachérib
; roi des Assyriens, qui assiégeait Jérusalem, ayant blasphémé
le nom de Dieu, en disant que, malgré Dieu, il prendrait cette ville
et la mettrait toute à feu et à sang ; le Seigneur envoya
un ange, qui, dans une seule nuit, tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes,
et lui-même fut égorgé par ses propres enfants . Ces
blasphèmes ont toujours été en horreur depuis le commencement
du monde ; ils sont vraiment le langage de l'enfer, puisque le démon
et les damnés ne cessent de les proférer. Lorsque l'empereur
Justin apprenait que, quelques-uns de ses sujets avaient blasphémé,
il leur faisait couper la langue. Pendant le règne du roi Robert,
la France fut affligée d'une grande guerre. Le bon Dieu révéla
à une sainte âme que tous ces maux dureraient jusqu'à
ce que le blasphème eût été banni du royaume.
N'est-ce donc pas un miracle extraordinaire, qu'une maison, où se
trouve un blasphémateur, ne soit pas écrasée par la
foudre et accablée de toutes sortes de malheurs ? Saint Augustin
dit encore que le blasphème est un péché plus grand
que le parjure ; car, dans celui-ci, on prend Dieu à témoin
d'une chose fausse, dans celui-là, au contraire, c'est une chose
fausse que l'on attribue à Dieu . Vous conviendrez avec moi, M.F.,
de la gran-deur de ce péché et du malheur qui en résulte
pour l'homme qui s'y livre. Après s'y être livré, ne
doit-il pas craindre que la justice de Dieu le punisse sur le champ, comme
tant d'autres ?
Voyons maintenant quelle différence
il y a entre le blas-phème et le reniement de Dieu. Je ne veux pas
vous parler de ceux qui renient Dieu en quittant la religion catholique
pour en embrasser une fausse : tels sont les protestants, les jansénistes
et tant d'autres. Nous appelons ces personnes des renégats et des
apostats. Il s'agit ici de ceux qui, à la suite de quelque perte
ou de quelque disgrâce, ont la maudite habitude de s'emporter en
paro-les de colère contre Dieu. Ce péché est horrible,
parce qu'à la moindre chose qui nous arrive, nous nous en prenons
à Dieu même, nous nous emportons contre lui ; c'est comme
si nous di-sions à Dieu : Vous êtes un…… ! un…… ! un malheureux
! un vindicatif ! Vous me punissez pour telle action, vous êtes injuste.
Il faut que Dieu essuie notre colère, comme s'il était cause
de la perte que nous avons faite et de l'accident qui nous est arrivé.
N'est-ce pas lui, ce tendre Sauveur, qui nous a tirés du néant,
qui nous a créés à son image, qui nous a rachetés
par son sang pré-cieux et qui nous conserve depuis si longtemps
; tandis que nous méritions d'être abîmés dans
les enfers depuis bien des années !... Il nous aime d'un amour inconcevable,
et nous le méprisons ; nous profanons son saint nom, nous de jurons,
nous le renions ! Quelle horreur ! Y a-t-il un crime plus monstrueux que
celui-là ? N'est-ce pas imiter le langage des démons ? des
démons qui ne font que cela dans les enfers ? Hélas ! M.F.,
si vous les imitez en cette vie, vous êtes bien sûrs d'aller
leur tenir compagnie dans les enfers. O mon Dieu ! un chrétien peut-il
bien se livrer à de telles horreurs !
Une personne qui se livre à
ce péché doit s'attendre à une vie malheureuse, et
même dès ce monde. Il est raconté qu'un homme, après
avoir été pendant toute sa vie un blasphémateur, dit
au prê-tre qui le confessait : Hélas ! mon père, que
ma vie a été malheu-reuse ! J'avais l'habitude de jurer,
de blasphémer le nom de Dieu ; j'ai perdu tous mes biens qui étaient
considérables ; mes enfants, sur qui je n'ai attiré que des
malédictions, ne valent rien ; ma lan-gue, qui a juré, blasphémé
le saint nom de Dieu, est ulcérée et tombe en pourriture.
Hélas ! après avoir été bien malheureux dans
ce monde, je crains encore d'être damné à cause de
mes jure-ments.
Souvenez-vous, M.F., que votre langue
ne vous a été donnée que pour bénir le bon
Dieu ; elle lui a été consacrée par le saint baptême
et par la sainte communion. Si par malheur vous êtes su-jet à
ce péché, il faut vous en confesser avec grande douleur et
en faire une rude pénitence ; sans quoi vous irez en subir le châti-ment
en enfer. Purifiez votre bouche, en prononçant avec respect le nom
de Jésus. Demandez souvent à Dieu la grâce de mourir
plutôt que de retomber dans ce péché. Auriez-vous jamais
pensé combien le blasphème est un péché horrible
aux yeux de Dieu et des hommes ? Dites-moi, vous êtes-vous confessé
comme il faut, ne vous êtes-vous pas contenté de dire que
vous avez juré, ou en-core d'avoir dit des paroles grossières
; sondez votre conscience, et ne vous endormez pas, car il est bien possible
que vos confes-sions ne valent rien.
Voyons maintenant ce qu'on entend
par malédiction et im-précation. Le voici. La malédiction,
c'est lorsque, entraînés par la haine ou la colère,
nous voulons anéantir ou rendre malheureux quiconque s'oppose à
notre volonté. Ces malédictions tombent sur nous, sur nos
semblables ou sur les créatures animées ou même inanimées.
Lorsque nous agissons de la sorte, nous nous condui-sons non selon l'esprit
de Dieu, qui est un esprit de douceur, de bonté et de charité
; mais selon l'esprit du démon, dont toute l'oc-cupation est de
maudire. Les malédictions les plus mauvaises sont celles que les
pères et mères appellent sur leurs enfants, à cause
des grands maux qui s'ensuivent. Un enfant maudit de ses parents est, ordinairement,
un enfant maudit de Dieu même ; parce que le bon Dieu a dit que si
les parents bénissent leurs enfants, il les bé-nira ; au
contraire, s'ils les maudissent, leur malédiction restera sur eux
. Saint Augustin en cite un exemple digne d'être à ja-mais
gravé dans le cœur des pères et mères. Une mère,
nous dit-il, maudit dans la colère ses trois enfants ; à
l'instant même, ils furent possédés du démon
. Un père dit à un des siens : Tu ne crèveras donc
pas…… Son enfant tomba mort à ses pieds.
Ce qui aggrave encore ce péché,
c'est que, si un père et une mère ont l'habitude de le commettre,
leurs enfants contracteront cette habitude, ce vice devient héréditaire
dans les familles. S'il y a tant de maisons qui sont malheureuses, et qui
sont véritablement la retraite des démons et l'image de l'enfer,
vous en trouverez l'explication dans les blasphèmes et les malédictions
de leurs an-cêtres, qui ont passé de leur grand'père
à leur père et de leur père passent à leurs
enfants, et ainsi de suite. Vous avez entendu un père en colère
prononcer des jurements, des imprécations et des malédictions
; hé bien ! écoutez ses enfants lorsqu'ils seront en colère
: mêmes jurements, mêmes imprécations et le reste. Ainsi
les vices des parents passent à leurs enfants comme leurs biens,
et encore mieux. Les anthropophages ne tuent que les étrangers pour
les manger ; mais, parmi les chrétiens, il y a des pères
et mères, qui, pour assouvir leurs passions, souhaitent la mort
de ceux à qui ils ont donné la vie, et livrent au démon
ceux que Jésus-Christ a rachetés par son sang précieux.
Combien de fois n'entend-on pas dire à ces pères et mères
sans religion : Ah ! maudit enfant, tu ne… une fois ! tu m'ennuies ; le
bon Dieu ne te punira donc pas une bonne fois ! ; je voudrais que tu fusses
aussi loin de moi que tu en es près ! ce mâtin d'enfant !
ce démon d'enfant ! ces ch..... d'enfants ! ces bêtes d'enfants
! et le reste. O mon Dieu ! toutes ces malédictions peuvent-elles
bien sortir de la bouche d'un père et d'une mère, qui ne
devraient souhaiter et désirer que les béné-dictions
du ciel à leurs pauvres enfants ! Si nous voyons tant d'en-fants
insensés, revêches, sans religion, estropiés, n'en
cherchons pas la cause ailleurs que dans les malédictions des parents
; du moins pour le plus grand nombre.
Quel est donc le péché
de ceux qui se maudissent eux-mêmes dans les moments d’ennui ? C'est
un crime épouvantable qui combat la nature et la grâce ; car,
la nature et la grâce nous inspirent de l'amour pour nous-mêmes.
Celui qui se maudit res-semble à un enragé qui se tue de
ses propres mains ; il est même pire ; souvent il s'en prend à
son âme, en disant : Que Dieu me damne ! que le démon m'emporte
! j'aimerais autant être en enfer que d'être comme je suis
! Ah ! malheureux, dit saint Augustin, que Dieu ne te prenne pas au mot
; car, tu irais vomir le venin de ta rage dans les enfers. O mon Dieu !
si un chrétien pensait bien à ce qu'il dit, aurait-il la
force de prononcer ces blasphèmes, capa-bles, en quelque sorte,
de forcer Dieu à le maudire du haut de son trône ! Oh ! qu'un
homme sujet à la colère est donc malheureux ! Il force à
le punir ce Dieu qui ne voudrait que son bien et son bonheur ! Pourra-t-on
jamais le comprendre !
Quel est encore le péché
d'un mari et d'une femme, d'un frère et d'une sœur, qui vomissent
les uns contre les autres toutes sortes de blasphèmes ? C'est un
péché dont nul terme ne pourra jamais exprimer la grandeur
; c'est un péché d'autant plus grand, qu'ils sont plus rigoureusement
obligés de s'aimer et de se suppor-ter les uns les autres. Hélas
! combien de gens mariés ne cessent de vomir toutes sortes de malédictions
l'un contre l'autre ! Un ma-ri et une femme qui ne devraient se faire que
des souhaits heu-reux, et solliciter la miséricorde de Dieu, afin
d'obtenir l'un pour l'autre le bonheur d'aller passer leur éternité
ensemble, se chargent de malédictions ; ils s'arracheraient, s'ils
le pouvaient, les yeux, et même la vie. Maudite femme ou maudit mari,
s'écrient-ils, au moins, si je ne t'avais jamais vu et jamais connu
! Ah ! maudit père, qui m'a conseillé de te prendre !...
O mon Dieu ! quelle hor-reur pour des chrétiens, qui ne devraient
travailler qu'à devenir des saints ! Ils font ce que font les démons
et les réprouvés ! Combien ne voyons-nous pas de frères
et de sœurs se souhaiter la mort, se maudire, pour être plus riches
ou pour quelques injures qu'ils auront reçues ; conserver souvent
de la haine toute leur vie, et avoir de la peine à se pardonner
même avant de mourir.
C'est encore un gros péché
que de maudire le temps, les bê-tes, son travail. Combien de gens,
quand le temps n'est pas selon leur volonté, le maudissent en disant
: Maudit temps, tu ne chan-geras donc pas ! Vous ne savez pas ce que vous
dites, c'est comme si vous disiez : Ah ! maudit Dieu, qui ne me donne pas
un temps comme je le voudrais. D'autres maudissent leurs bêtes :
Ah ! maudite bête, je ne pourrai donc te faire aller comme je veux
!... Que le démon t'emporte ! que le tonnerre t'écrase !
que le feu du ciel te grille !... Ah ! malheureux, vos malédictions
ont plus souvent leur effet que vous ne le pensez. Souvent des bêtes
périssent ou s'estropient, et cela par suite des malédictions
que vous leur avez données. Combien de fois vos malédictions,
vos emportements et vos blasphèmes ont-ils attiré la grêle
et la gelée sur vos récoltes !
Mais quel est le péché
de ceux qui souhaitent du mal à leur prochain ? Ce péché
est grand en proportion du mal que vous souhaitez, du dommage qui serait
causé, si cela arrivait. Vous de-vez vous en accuser chaque fois
qu'il vous est arrivé de faire de tels souhaits. Lorsque vous vous
confessez, il faut dire quel mal vous avez souhaité à votre
prochain, quelle perte il aurait subie, si ce mal lui était arrivé.
Vous devez expliquer s'il s'agit de vos pa-rents, de vos frères
et sœurs, de vos cousins ou cousines, de vos oncles ou tantes. Hélas
! qu'il y en a peu qui font toutes ces dis-tinctions dans leurs confessions
! On aura maudit ses frères, ses sœurs, ses cousins ou cousines
; et on se contentera de dire qu'on a souhaité du mal à son
prochain, sans dire à qui, ni quelles étaient les intentions
en le faisant. Combien d'autres ont fait des jurements affreux, des blasphèmes,
des imprécations, des renie-ments de Dieu à faire dresser
les cheveux de la tête, et qui se contentent de s'accuser qu'ils
ont dit des paroles grossières, et rien autre. Une parole grossière,
vous le savez, c'est une espèce de pe-tit jurement, comme b……
et f…… dit sans colère.
Hélas ! que de confessions
et communions sacrilèges !
Mais, me direz-vous, que faut-il
faire pour ne pas commettre ces péchés, qui sont affreux
et capables de nous attirer, toutes sor-tes de malheurs ? – Il faut que
toutes les peines qui nous arrivent nous fassent ressouvenir que, nous
étant révoltés contre Dieu, il est juste que les créatures
se révoltent contre nous. Il faut ne ja-mais donner aux autres occasion
de nous maudire. Les enfants et les domestiques surtout, doivent faire
tout ce qu'ils peuvent, afin de ne pas porter leurs parents ou leurs maîtres
à les maudire ; car il est certain que tôt ou tard, il leur
arrivera quelque châtiment. Les pères et mères doivent
considérer qu'ils n'ont rien de si cher au monde que leurs enfants,
et, bien loin de les maudire, ils ne doivent cesser de les bénir,
afin que Dieu répande sur eux le bien qu'ils leur désirent.
S'il vous arrive quelque chose de fâcheux, au lieu de charger de
malédictions ce qui ne va pas comme vous vou-lez, il vous serait
aussi facile et bien plus avantageux de dire : Que Dieu vous bénisse.
Imitez le saint homme Job ; qui bénissait le nom du Seigneur dans
toutes les peines qui lui arri-vaient , et vous recevrez les mêmes
grâces que lui. Voyant sa grande sou-mission à la volonté
de Dieu, le démon prend la fuite, les bénédic-tions
se répandent avec abondance sur ses biens, tout lui est rendu au
double . Si, par malheur, il vous arrive de prononcer quel-qu'une de ces
mauvaises paroles, faites-en vite un acte de contri-tion pour en demander
pardon, et promettez que vous n'y retour-nerez pas. Sainte Thérèse
nous dit que, quand nous prononçons le nom de Dieu avec respect,
tout le ciel se réjouit ; tandis que si nous prononçons ces
mauvais mots, c'est l'enfer. Un chrétien ne doit jamais perdre de
vue que sa langue ne lui est donnée que pour bénir Dieu en
ce monde, et le remercier des biens dont il l'a comblé pendant sa
vie ; afin de le bénir pendant l'éternité avec les
anges et les saints : ce sera le partage de ceux qui auront imité,
non le démon, mais les anges. Je vous le souhaite...
22ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la restitution
Reddite ergo quœ sunt Cœsaris, Cœsari
; et quæ sunt Dei, Deo.
Rendez donc à César
ce qui est à César, et à Dieu ce qui
est à Dieu.
(S. Matthieu, XXII, 21.)
Rendre à Dieu ce qui est à Dieu et au prochain ce qui lui est dû ; rien n'est plus juste, rien n'est plus raisonnable. Si tous les chrétiens suivaient ce chemin, l'enfer n'en compterait aucun parmi ses habitants, et le ciel serait peuplé. Ah ! plût à Dieu, nous dit le grand saint Hilaire, que les hommes ne perdissent jamais de vue ce précepte ! Mais, hélas ! combien se font illusion ! Ils passent leur vie à tromper l'un, à voler l'autre. Oui, M.F., rien de plus commun que les injustices, rien de plus rare que les restitutions. Le prophète Osée avait bien raison de dire que les injustices et les larcins couvraient la face de la terre, et qu'ils étaient semblables au déluge qui a ravagé l'univers . Ah ! malheureusement, autant il y a de coupables, autant de personnes qui ne veulent pas le reconnaître. O mon Dieu ! que de voleurs la mort va faire découvrir ! Pour vous en con-vaincre, M.F., je vais vous montrer 1? que le bien mal acquis ne profite jamais ; 2? en combien de ma-nières vous faites tort à votre prochain ; 3? comment et à qui vous devez rendre ce qui ne vous appartient pas.
I. – Nous sommes si aveugles, que
nous passons notre vie à chercher et à ramasser des biens
que nous perdrons malgré nous, tandis que nous laissons ceux que
nous pouvons conserver pen-dant toute l'éternité. Les richesses
de ce monde ne sont dignes que de mépris pour un chrétien,
et c'est précisément après elles seules que nous courons.
L'homme donc est un insensé, puisqu'il agit d'une manière
toute contraire à la fin pour laquelle Dieu l'a créé.
Je ne veux pas vous parler, M.F.,
de ceux qui prêtent à usure, à sept, huit, neuf et
dix pour cent ; laissons-les de côté. Il faudrait, pour leur
faire sentir toute la grandeur et la noirceur de leur injustice et de leur
cruauté, qu'un de ces vieux usuriers, qui, depuis trois ou quatre
mille ans, brûlent en enfer, vînt leur faire le récit
des tourments qu'il endure, et dont ses mille injustices sont la cause.
Non, ce n'est pas là mon dessein. Ceux-là savent bien qu'ils
font mal, et que jamais Dieu ne leur pardonnera, s'ils ne rendent à
qui ils ont fait tort. Tout ce que je leur dirais ne servirait qu'à
les rendre plus coupables. Entrons dans un détail qui en regarde
un plus grand nombre.
Je dis que le bien acquis injustement
n'enrichira jamais celui qui le possède. Au contraire, il sera une
source de malédictions pour toute sa famille. O mon Dieu, que l'homme
est aveugle ! Il est parfaitement convaincu qu'il ne vient dans ce monde
que pour un petit moment ; à chaque instant, il en voit partir de
plus jeunes et de plus robustes que lui ; n'importe, cela ne lui fait pas
ouvrir les yeux. L'Esprit-Saint a beau lui dire par la bouche du saint
homme Job, qu'il est venu dans le monde dépourvu de tout, et qu'il
en sortira de même ; que tous ces biens, après lesquels
il court, le quitteront tous au moment qu'il y pensera le moins : tout
cela ne l'arrête pas encore. Saint Paul affirme que celui qui veut
devenir riche par des voies injustes, ne tardera pas de tomber dans de
grands égarements ; bien plus ; qu'il ne verra jamais la face de
Dieu . Cela est si vrai que, sans un miracle de la grâce, un avare
ou, si vous voulez, une personne qui a acquis quelque bien par fraude ou
par adresse, ne se convertira presque jamais, tant ce pé-ché
aveugle celui qui le commet. Écoutez comment saint Augus-tin parle
à ceux qui ont du bien d'autrui . Vous aurez beau, leur dit-il,
vous confesser, vous aurez beau faire pénitence et pleurer vos péchés,
si vous ne rendez pas, quand vous le pouvez, jamais Dieu ne vous pardonnera.
Toutes vos confessions et toutes vos communions ne seront que des sacrilèges,
que vous accumulerez les uns sur les autres. Ou rendez ce qui n'est pas
à vous, ou il fau-dra vous résoudre à aller brûler
dans les enfers. L'Esprit-Saint ne se contente pas seulement de nous défendre
de prendre et de dési-rer le bien de notre prochain, il ne veut
pas même que nous le re-gardions, dans la crainte que cette vue nous
y fasse porter la main dessus. Le prophète Zacharie nous dit que
la malédiction du Sei-gneur restera sur la maison du larron jusqu'à
ce qu'elle soit dé-truite . Et moi je dis que non seulement le bien
acquis par fraude ou par adresse ne profitera pas ; mais qu'il sera cause
que votre bien acquis légitimement périra, et que vos jours
seront abrégés. Si vous en doutez, écoutez-moi un
instant, vous en serez convain-cus.
Nous lisons dans l'Écriture
sainte que le roi Achab voulant agrandir son jardin, alla trouver
un homme, nommé Naboth, pour lui demander à acheter sa vigne
: « Non, lui dit Naboth, c'est l'héritage de mes pères,
je veux la garder. » Le roi fut si outré de ce refus, qu'il
en tomba malade. Il n'en pouvait ni boire, ni manger, et se mit au lit.
La reine vint et lui demanda la cause de sa maladie. Le roi répondit
qu'il voulait agrandir son jardin, et que Naboth avait refusé de
vendre sa vigne. « Hé quoi ! répartit la reine, où
est donc votre autorité ? Ne vous mettez point en peine ; je vous
la ferai bien avoir. » Elle se hâte d'aller trouver quelques
personnes qui, gagnées par de l'argent, témoignèrent
que Naboth avait blasphémé contre Dieu et contre Moïse.
Ce pauvre homme eut beau se défendre, en affirmant qu'il était
innocent du crime dont on l'accusait ; on ne le crut pas ; il fut entraîné
et assommé à coups de pierres. La reine, le voyant baigné
dans son sang, courut vers le roi, pour lui dire de prendre possession
de la vigne, parce que celui qui avait été assez hardi pour
la lui refuser était mort. A cette nouvelle, le roi guéri
courut comme un désespéré, prendre possession de la
vigne. Ce malheureux ne pensait pas que c'était là que Dieu
l'attendait pour le punir. Le Seigneur appelle son prophète Élie,
lui commande d'aller trouver le roi, et de lui dire de sa part que, dans
l'endroit même où les chiens avaient léché le
sang de Naboth, ils lécheraient son propre sang, et que aucun de
ses enfants ne régnerait après lui. Il l'envoie aussi à
la reine Jézabel pour lui annoncer que les chiens la mange-ront
en punition de son crime. Tout arriva comme le prophète l'avait
prédit. Le roi, massacré dans un combat, les chiens léchèrent
son sang. Un nouveau roi appelé Jéhu, entrant dans la ville,
vit une femme assise à une fenêtre. Elle s'était parée
comme une déesse, dans l'espoir de charmer le cœur du nouveau roi.
Celui-ci demande quelle est cette créature. On lui répond
que c'est la reine Jézabel. Aussitôt il commande de la jeter
en bas. Les hommes et les chevaux là foulèrent aux pieds.
Le soir étant venu, lorsqu'on voulut lui donner la sépulture,
on ne trouva plus que quelques morceaux de son corps : les chiens avaient
mangé le reste. « Ah ! s'écria Jéhu, voilà
donc accomplie la parole du prophète . » Le roi Achab laissait
soixante et dix enfants, tous princes ; ce nouveau roi ordonna qu'on leur
tranchât à tous la tête, et qu'on la mît dans
des paniers à la porte de la ville pour montrer, par un spectacle
aussi affreux, quels malheurs les injustices des parents attirent sur leurs
enfants . Saint Victor nous rapporte un exemple qui n'est pas moins étonnant.
Un homme, nous dit-il, était entré dans le grenier de son
voisin pour lui voler du blé. Au moment où il prenait son
sac, le démon s'empara de lui, et, devant tout le monde, le traîna
comme s'il l'eut emmené aux enfers . O mon Dieu, que l'homme est
aveugle de se damner pour si peu de chose.
La seconde raison, qui doit nous
faire craindre de prendre le bien d'autrui, c'est qu'il nous conduit en
enfer. Le prophète Zacha-rie dit que, dans une vision, Dieu lui
fit voir un livre où il était écrit que jamais les
ravisseurs du bien d'autrui ne verraient Dieu, et qu'ils seraient jetés
dans les flammes . Et cependant, M.F., il en est qui sont tellement aveuglés,
qu'ils aimeraient mieux mourir et être damnés, que de rendre
le bien mal acquis, tandis que la mort est sûr le point de l'arracher
de leurs mains. Un homme avait passé sa vie à voler et à
piller... N'étant âgé que de trente ans, il fut atteint
de la maladie dont il mourut. Un de ses amis, voyant qu'il ne demandait
point de prêtre, va lui-même en chercher un. « Mon ami,
lui dit le prêtre, vous me paraissez bien malade. Vous ne pensiez
donc pas à me demander ? vous voulez bien vous confesser ? – «
Ah ! Monsieur, répond le malade d'un air tout éga-ré,
vous me croyez donc déjà mort ? » – « Mais, mon
ami, plus vous aurez de connaissance, mieux vous recevrez les sacrements.
» – « Ne me parlez pas de cela, je suis fatigué dans
ce moment ; quand je serai mieux, j'irai vous trouver à l'église.
» – « Non, mon ami, si vous veniez à mourir sans être
administré, j'aurais trop de regret. Puisque je suis ici, je ne
m'en irai pas avant de vous avoir confessé. » Se voyant comme
forcé, il y consent ; mais comment le fait-il ? comme une personne
qui a du bien d'autrui, et qui ne veut pas le rendre. Il n'en dit rien...
– « Si vous allez plus mal, je reviendrai vous apporter le bon Dieu.
» En effet, le malade va du côté de la mort ; l'on court
avertir le prêtre que son pénitent expire. Il se hâte
d'accourir. Lorsque le malade entendit la clochette, il demanda ce que
c'était, et, apprenant que monsieur le curé lui apportait
le bon Dieu : « Eh quoi ! s'écria-t-il, ne vous avais-je pas
dit que je ne voulais pas le recevoir ? Dites-lui de ne pas aller plus
loin. » Le prêtre entra cependant, et, s'approchant de son
lit : « Vous ne voulez donc pas recevoir le bon Dieu qui vous consolerait,
et qui vous aiderait à souffrir vos peines. » – « Non,
non, j'ai déjà fait assez de mal. » – Mais vous allez
scandaliser toute la paroisse. – Eh ! que m'importe que tout le monde sache
que je suis damné ? – Si vous ne voulez pas recevoir les sacrements,
vous ne pourrez pas être enterré chrétiennement. –
Un damné mérite-t-il être enterré parmi les
saints ? Lorsque le démon aura pris ma maudite âme, jetez
mon corps au loup, comme celui d'un animal... ». Voyant sa femme
en pleurs : « Tu pleures ? console-toi ; si tu m'as accompagné
pour aller, la nuit, voler les voisins, tu ne tarderas pas à venir
me rejoindre dans les enfers. » Il s'écriait dans son désespoir
: « Ah ! horreur des enfers, ouvre tes abîmes ! viens m'arracher
de ce monde, je ne peux plus y tenir. » Et il meurt avec des signes
visibles de réprobation. – Mais, me direz-vous, il avait certaine-ment
commis de grands crimes. – Hélas ! mon ami, si j'osais, je vous
dirais qu'il ne faisait que ce que vous faites presque tous ; tantôt
c'était un fagot, tantôt une brassée de foin ou une
gerbe de blé.
II. – Si je voulais, M.F., examiner
la conduite, de ceux qui sont ici présents, je ne trouverais peut-être
que des voleurs. Cela vous étonne ? Écoutez-moi un instant
et vous allez reconnaître que cela est vrai. Si je commence par examiner
la conduite des domestiques, je les trouve coupables du côté
de leurs maîtres et du côté des pauvres. Du côté
de leurs maîtres, les domestiques sont coupables, et, par conséquent,
obligés à restituer toutes les fois qu'ils ont pris plus
de temps qu'il ne fallait pour se délasser, qu'ils en ont perdu
dans les cabarets ; s'ils ont laissé perdre ou prendre le bien de
leurs maîtres, et que pouvant l'empêcher ils ne l'aient pas
fait. De même, si, en se louant, un serviteur a assuré qu'il
était capable de faire certains ouvrages, sachant très bien
qu'il l'ignorait ou ne le pouvait...., il est obligé de dédommager
son maître de la perte qui est la conséquence de son ignorance
ou de sa faiblesse. De plus, il vole les pauvres toutes les fois qu'il
dé-pense son argent au jeu, au cabaret ou à d'autres inutilités.
– Mais, me direz-vous, cet argent est bien à moi puisque c'est mon
gage. – Je vous répondrai : Vous avez travaillé pour le gagner,
c'est vrai, et pourtant vous êtes coupable ; vous allez le comprendre.
Peut-être vos parents sont-ils assez pauvres pour être obligés
d'avoir recours à la charité publique ; si vous aviez conservé
vos gages, vous pourriez les soulager : vous êtes dans l'impossibilité
de le faire ; n'est-ce donc pas voler les pauvres ? Une fille ou
un gar-çon ont dépensé tout leur argent, l'une
à acheter des vanités, l'au-tre dans les cabarets ou les
jeux ; si le bon Dieu leur envoie quel-que maladie ou infirmité,
ils sont obligés d'aller à l'hôpital manger le pain
des pauvres ; ou bien ils attendront qu'une personne chari-table leur tende
la main, et leur donne ce qui fera faute à d'autres encore plus
malheureux. S'ils entrent en ménage, les voilà avec leurs
enfants, réduits à la misère. Pourquoi cela ? sinon
parce que étant jeunes, ils n'ont rien su réserver. N'est
ce pas, ma sœur ; si l'on réfléchissait un peu, la vanité
ne monterait pas si haut ? Ce qu'il y a de plus malheureux, c'est que,
non seulement vous prodi-guez un bien qui vous fera défaut ; mais
vous perdez votre pauvre âme.
Mais voici un péché
d'autant plus déplorable qu'il est plus commun, c'est celui des
enfants et des domestiques qui volent leurs parents ou leurs maîtres.
Les enfants ne doivent jamais rien prendre à leurs parents sous
prétexte qu'on ne leur donne pas as-sez. Quand vos parents vous
ont nourris, vêtus et instruits, ils ne vous doivent rien de plus.
D'ailleurs, dès lors qu'un enfant vole ses parents, on le regarde
comme capable de tout. Tout le monde le fuit et le méprise. Un domestique
me dira : L'on ne me paie pas de mes peines, il faut bien que je me récompense.
– L'on ne vous paie pas de vos peines, mon ami, pourquoi restez-vous chez
ces maîtres ? Lorsque vous vous êtes loué, vous saviez
bien quel était votre gage et ce que vous pouviez mériter
; il fallait vous adresser ailleurs, où vous auriez gagné
davantage. Et que ceux qui reçoi-vent chez eux ce que les domestiques
volent à leurs maîtres ou les enfants à leurs parents
fassent bien attention ! Ces objets ne se-raient-ils restés chez
eux que cinq minutes, et quand même ils n'en connaîtraient
pas la valeur, ces receleurs sont obligés à resti-tuer, sous
peine de damnation, si les coupables ne le rendent pas eux-mêmes.
Il en est qui achèteront quelque objet, d'un enfant ou d'un domestique
: or ; ils le paieraient plus que cela ne vaut, ils sont obligés
de rendre au maître ou l'objet ou sa valeur ; sans quoi ils seront
jetés en enfer. Si vous avez conseillé à une autre
per-sonne de dérober ; quand même vous n'auriez tiré
aucun profit, si le voleur ne restitue pas, c'est à vous de le faire
; sinon, vous ne pouvez plus espérer le ciel.
Les vols les plus communs se font
dans les ventes et les achats. Entrons dans le détail, afin que
vous connaissiez le mal que vous faites, et, en même temps, vous
puissiez vous corriger. Lorsque vous portez vendre vos denrées,
l'on vous demandera si vos œufs ou votre beurre sont bien frais, vous vous
empresserez de répondre que oui ; tandis que vous savez très
bien le contraire. Pourquoi le dites-vous, sinon pour voler deux ou trois
sous à une pauvre personne, qui, peut-être, les a empruntés
pour entretenir son ménage ? Une autre fois, c'est en vendant du
chanvre. Vous aurez la précaution de cacher en dedans le plus petit
ou le plus mauvais. Vous direz peut-être : Si je ne fais pas ainsi,
je ne le ven-drai pas autant. – C'est-à-dire, si vous vous conduisiez
comme un bon chrétien, – vous ne voleriez pas comme vous le faites.
Une autre fois, vous vous êtes bien aperçu que dans votre
compte l'on vous avait donné plus qu'il ne fallait, mais vous n'avez
rien dit. – Tant pis pour cette personne, ce n'est pas ma faute. – Ah !
mon ami, un jour viendra où l'on vous dira peut-être avec
plus de rai-son : Tant pis pour toi !... Telle personne veut vous acheter
du blé, du vin ou des bêtes. Elle vous demandera si ce blé
est d'une bonne année. Sans balancer vous l'assurez que cela est.
Votre vin, vous le mélangez avec d'autre mauvais, et vous le vendez
comme tout bon. Si l'on ne veut pas vous croire, vous le jurez, et ce n'est
pas une fois, mais vingt fois que vous donnez votre âme au démon.
Oh ! mon ami, tu n'as pas besoin de tant te tourmenter pour te donner à
lui ; il y a longtemps que, tu lui appartiens ! Cette bête, vous
dira-t-on encore, a-t-elle quelque défaut ? Il ne faut pas me tromper,
je viens d'emprunter cet argent, si vous le faites, me voi-là dans
la misère. – Ah ! certes non, reprenez-vous ; cette bête est
très bonne. Si je la vends, ce n'est pas sans en être fâché
; si je pouvais faire autrement, je ne la vendrais pas. Et en réalité,
vous ne la vendez que parce qu'elle ne vaut rien et ne peut plus vous servir
: – Je fais comme les autres ; tant pis pour celui qui est at-trapé.
L'on m'a trompé, je tâche de tromper, sans quoi je perdrais
trop. – N'est-ce pas, mon ami, les autres se damnent, il faut bien que
vous vous damniez aussi ; ils vont en enfer, il faut bien que vous y alliez
avec eux ? Vous aimez mieux avoir quelques sous de plus, et aller brûler
en enfer pendant toute l'éternité ! Eh bien ! je vous dis
que si vous avez vendu une bête avec des défauts ca-chés,
vous êtes obligé de dédommager l'acheteur, de la perte
que ces défauts cachés peuvent lui avoir causée ;
sans quoi, vous serez damné. – Ah ! si vous étiez à
notre place, vous feriez bien comme nous. – Oui ; sans doute, je ferais
comme vous, si, comme vous, je voulais me damner ; mais, voulant me sauver,
je ferais tout le contraire de ce que vous faites. D'autres personnes passant
dans un pré, une ravière ou un verger, ne feront point
difficulté de remplir leur tablier d'herbes ou de raves, et d'emporter
leurs pa-niers et leurs poches pleins de fruits. Des parents verront venir
leurs enfants les mains pleines de choses volées, et les repren-dront
en riant. – Eh ! c'est bien grand'chose que cela ! – M.F., si vous prenez
tantôt pour un sou, tantôt pour deux, vous aurez bien-tôt
fait la matière d'un péché mortel. D'ailleurs, vous
pouvez com-mettre un péché mortel en ne prenant qu'un centime
si vous désirez prendre trois francs. Que doivent donc faire les
parents lorsqu'ils voient venir leurs enfants avec quelque objet volé
? le voici : ils doivent les obliger à aller le rendre eux-mêmes
à ceux qu'ils ont volés. Une ou deux fois suffiront pour
les corriger. Un exemple va vous montrer combien vous devez être
fidèles à cela. Il est rapporté qu'un enfant de neuf
à dix ans commençait à faire de petits vols, comme
prendre des fruits ou autres petites choses de peu de valeur. Il alla toujours
en augmentant, au point qu'il fut plus tard conduit sur l'échafaud.
Avant de mourir, il demanda aux juges que l'on fit venir ses parents ;
lorsqu'ils furent présents : « O malheureux père et
malheureuse mère, s'écria-t-il, je veux que tout le monde
sache que vous êtes cause de ma mort honteuse. Vous êtes déshonorés
aux yeux du monde ; mais vous êtes des malheureux ! si vous m'aviez
corrigé au commencement de mes petits vols, je n'aurais point commis
ceux qui m'ont conduit sur cet échafaud. » Je dis, M.F., que
les parents doivent être sages par rapport à leurs enfants,
quand bien même ils oublieraient qu'ils ont une âme à
sauver. L'on voit en effet, pour l'ordinaire, que tels sont les parents,
tels sont les enfants. Tous les jours on entend dire : Un tel a des enfants
qui suivront bien les traces qu'ils ont suivies étant jeunes. –
Cela ne vous regarde pas, me direz-vous, laissez-nous tranquilles, ne venez
pas nous troubler ; nous ne pen-sions plus à cela, et vous nous
le remettez devant les yeux. Le feu de l'enfer n'est-il donc pas assez
rigoureux, ni l'éternité assez lon-gue, pour que vous nous
fassiez souffrir ainsi dès ce monde ! – C'est bien vrai, M.F., mais
c'est précisément parce que je ne vou-drais pas vous voir
damnés. – Eh bien ! tant pis pour nous ; si nous faisons le mal,
ce n'est pas vous qui en subirez la peine. – Si vous êtes contents,
à la bonne heure !
Quelquefois, ce sera un cordonnier
qui emploiera du mau-vais cuir et du mauvais fil ; et qui les fera payer
comme bons. Ou encore, ce sera un tailleur qui, sous prétexte qu'il
ne reçoit pas un assez bon prix de façon, gardera un morceau
d'étoffe sans en rien dire. O mon Dieu ! que la mort va faire découvrir
de voleurs !... C'est encore un tisserand qui gâte une partie de
son fil, plutôt que de prendre la peine de le débrouiller
; ou bien, il en mettra du moindre, et gardera, sans en rien dire, celui
qu'on lui a confié. Voilà une femme à qui l'on donnera
du chanvre à filer, elle en jet-tera une partie, sous prétexte
qu'il n'est pas bien peigné, en garde-ra quelque peu, et, mettant
son fil dans un endroit humide, le poids y sera tout de même. Elle
ne pense peut-être pas qu'il appar-tient à un pauvre domestique,
auquel ce fil ne fera point d'usage, parce qu'il est déjà
à moitié pourri : elle sera donc cause des nom-breux jurements
qu'il fera contre son maître . Un berger sait très bien qu'il
n'est pas permis de mener paître dans ce pré, ou ce bois ;
n'importe, si on ne le voit pas, cela lui suffit. Un autre sait que l'on
a défendu d'aller ramasser l'ivraie dans ce blé parce qu'il
est en fleur ; il regarde si personne ne le voit et il y entre. Dites-moi,
M.F., seriez-vous bien contents si votre voisin vous faisait cela ? Non,
sans doute ; eh bien ! croyez que celui ........
Si maintenant nous examinons la
conduite des ouvriers, il en est une bonne partie qui sont des voleurs.
Dans un moment vous en serez convaincus. – Si on les fait travailler à
prix faits , soit pour piocher, soit pour miner, ou pour tout autre travail
; ils en massacreront la moitié, et ne laisseront pas que
de bien se faire payer. Si on les loue à la journée, ils
se contentent de bien travail-ler quand le maître les regarde, et
ensuite ils se mettent à causer ou à ne rien faire. Un domestique
ne fera pas difficulté de rece-voir et bien traiter ses anis en
l'absence de ses maîtres, sachant bien que ceux-ci ne le souffriraient
pas. D'autres feront de grosses aumônes, afin d'être considérés
comme des personnes charita-bles... Ne devraient-ils pas, au contraire,
donner de leur gage qu'ils dissipent si souvent en vanités ? Si
cela vous est arrivé, n'oubliez pas que vous êtes obligés
à rendre à qui de droit tout ce que vous avez donné
aux pauvres, à l'insu et contre le gré de vos maîtres.
C'est encore un premier domestique, auquel son patron aura confié
la surveillance des autres ou de ses ouvriers, et qui, sur leur demande,
leur donnera du vin ou toute autre chose ; fai-tes-y bien attention : si
vous savez donner, il faudra savoir rendre, sous peine de damnation. Un
homme d'affaire aura été chargé d'acheter du blé,
du foin ou de la paille, il dira au marchand : « Faites-moi un billet,
sur lequel vous compterez en plus à mon maître quelques bichets
de blé, dix, douze quintaux de paille ou de foin que vous ne m'en
livrez. Cela ne peut pas faire tort. » Or, si ce pauvre aveugle livre
un tel billet, il est obligé de rendre lui-même l'argent que
cet homme va faire donner en plus à son maî-tre, sinon, il
doit se résoudre à aller brûler en enfer.
Si nous nous tournons maintenant
du côté des maîtres, je crois que nous ne manquerons
pas d'y trouver des voleurs. En ef-fet, combien de maîtres ne donnent
pas tout ce dont ils sont convenus avec leurs domestiques ; qui, voyant
arriver la fin de l'année, font tout leur possible pour les faire
partir, afin de n'avoir point à les payer. Si une bête vient
à périr malgré les soins de ce-lui qui en était
chargé, ils lui en retiendront le prix sur son gage de sorte qu'un
pauvre enfant aura travaillé toute l'année, et au bout de
ce temps se trouvera sans rien : Combien encore, ayant promis de la toile,
la feront faire ou plus étroite, ou de plus mauvais fil, ou même
la font attendre plusieurs années ; jusqu'au point qu'il faut les
appeler en justice pour les obliger à payer. Combien enfin en labourant,
fauchant, moissonnant, dépassent les bornes ; ou bien coupent chez
leur voisin un scion pour s'en faire un manche de pioche, une riote
ou une corde à leur charrette. N'avais-je pas raison de dire, M.F.,
que si nous examinions de bien près la conduite des gens du monde,
nous ne trouverions que des voleurs et des adroits ? Ne manquez pas
de vous examiner sur ce que nous venons de dire : si votre conscience crie,
hâtez-vous de réparer le mal que vous avez fait, et tandis
qu'il en est temps encore, rendez de suite, si vous le pouvez, ou, au moins,
travaillez de toutes vos forces à vous mettre en état de
restituer ce que vous avez mal acquis : Rappelez-vous aussi de dire dans
vos confessions combien de fois vous avez négligé de rendre,
quand vous étiez en état de le faire ; car, Dieu vous en
donnant la pen-sée, ce sont là tout autant de grâces
méprisées. Je vous parlerai aussi d'un vol assez commun dans
les familles, où certains héritiers, lors du partage, dissimulent
autant de bien qu'ils le peuvent. Ceci est un véritable larcin,
et on est obligé à restitution, sans quoi l'on est perdu.
Je vous l'ai dit en commençant,
rien n'est plus commun que l'injustice, et rien de plus rare que la restitution
: il eu est peu, comme vous voyez, qui n'aient quelque chose sur la conscience.
Hé bien ! où sont ceux qui restituent ? Je n'en sais rien.
Cepen-dant, M.F., quoique nous soyons obligés de rendre le bien
mal ac-quis sous peine de damnation, lorsque nous le rendons, Dieu ne laisse
pas de nous récompenser. Un exemple vous le prouvera clairement,
Un boulanger, qui avait, depuis plusieurs années, fait usage de
faux poids et de fausses mesures, voulant mettre sa conscience en repos,
consulta son confesseur, qui lui conseille de faire, pendant quelque temps,
le poids un peu plus fort, Le bruit s'en étant répandu, le
concours de clients devint très grand, et, quoiqu'il gagnât
peu, Dieu permit qu'en restituant, il augmentât considérablement
sa fortune.
III. – Maintenant, allez-vous dire,
nous pouvons espérer connaître, du moins en gros, la manière
dont nous pouvons faire tort. Mais comment et à qui faut-il donc
rendre ? – Vous voulez restituer ? Eh bien ! écoutez-moi un instant,
et vous allez le sa-voir. Il ne faut pas se contenter de rendre la moitié,
ni les trois quarts ; mais tout, si vous le pouvez ; sans quoi vous serez
dam-nés. Il en est qui, sans examiner le nombre de personnes auxquel-les
ils ont fait tort, feront quelque aumône, ou feront dire quelques
messes ; et, après cela, ils se croiront en sûreté.
C'est vrai, les au-mônes et les messes sont de très bonnes
choses ; mais il faut qu'elles soient données de votre argent, et
non pas de celui de vo-tre prochain. Cet argent n'est pas à vous
; donnez-le à son maître, et ensuite donnez du vôtre,
si vous voulez : vous ferez très bien. Savez-vous comment saint
Chrysostome appelle ces aumônes ? les aumônes de Judas et du
démon. Lorsque Judas eut vendu No-tre-Seigneur, se voyant condamné,
il courut rendre l'argent aux docteurs ; ceux-ci, quoique très avares,
ne le voulurent point ac-cepter ; ils en achetèrent un champ pour
enterrer les étrangers. – Mais, me direz-vous, quand ceux à
qui on a fait tort sont morts, à qui faut-il donc rendre ? Ne peut-on
pas le garder ou le donner aux pauvres ? – Mon ami, voilà ce que
vous devez faire. S'ils ont des enfants, c'est à eux à qui
vous devez donner ; s'ils n'ont point d'enfants, c'est aux parents, aux
héritiers ; s'ils n'ont point d'héri-tiers, vous devez aller
trouver votre pasteur, qui vous dira ce que vous avez à faire. Il
en est d'autres qui disent : J'ai bien fait tort à un tel, mais
il est assez riche : je connais une pauvre personne qui en a un bien plus
grand besoin. Mon ami, donnez à cette personne de votre bien ; mais
rendez à votre prochain le bien que vous lui avez pris. – Il en
fera un mauvais usage. – Cela ne vous regarde, pas ; donnez-lui son bien,
priez pour lui et dormez tranquille .
Hélas ! aujourd'hui les gens
du monde sont si avares, si atta-chés aux biens de la terre, que,
croyant n'avoir jamais assez eu, c'est à qui sera le plus adroit
et trompera le mieux les autres. Mais vous, M.F., n'oubliez pas que si
vous connaissez les personnes à qui vous avez fait tort, quand même
vous auriez donné le double aux pauvres ; si vous ne rendez pas
au maître ce que vous lui avez pris, vous serez damnés. Je
ne sais pas si votre conscience est tranquille, j'en doute bien !... J'ai
dit que le monde est rempli de voleurs et d'adroits. Les marchands volent
en trompant avec les poids et les mesures ; ils profitent de la simplicité
d'une personne pour vendre plus cher, ou pour acheter meilleur marché,
les maî-tres volent les domestiques en leur faisant perdre une partie
de leurs peines ; d'autres, en les leur faisant attendre un temps
considérable, en leur décomptant jusqu'à un jour de
maladie, comme s'ils avaient pris leur mal chez un voisin et non à
leur ser-vice !... De leur côté, les domestiques volent leurs
maîtres, tantôt en ne faisant pas leur ouvrage, tantôt
en laissant perdre le bien par leur faute ; un ouvrier se fait payer, tandis
que son ouvrage est fait à moitié. Ceux qui tiennent les
cabarets ; ces réservoirs d'iniqui-tés, ces portes de l'enfer,
ces calvaires où Jésus-Christ est sans cesse crucifié
; ces écoles infernales où Satan enseigne sa doc-trine, où
se détruisent la religion et les mœurs. Les cabaretiers, dis-je,
volent le pain d'une pauvre femme et de ses enfants en donnant du vin à
ces ivrognes, qui dépensent le dimanche tout ce qu'ils auront gagné
la semaine. Un granger détournera mille cho-ses à son
profit, avant que le maître ne partage, et n'en tiendra pas compte.
O mon Dieu ! où en sommes-nous ? Que de choses à exa-miner
à l'heure de la mort !... Si leur conscience crie trop fort, ces
gens-là iront trouver un ministre du Seigneur. Ils voudraient obte-nir
la remise de leur dette ; si, au contraire, on les presse de resti-tuer,
ils trouveront mille prétextes pour prouver que d'autres leur ont
fait tort aussi, et qu'ils ne le peuvent en ce moment : Ah ! mon ami, je
ne sais pas si le bon Dieu va se contenter de vos raisons ? Si vous vouliez
retrancher un peu de ces vanités, de ces gourman-dises, de ces jeux
; aller un peu moins au cabaret et à la danse, et redoubler votre
travail ; vous auriez bientôt acquitté une partie de vos dettes
: Prenez bien garde, si vous ne faites pas votre possible pour rendre à
chacun ce que vous lui devez, quelque pénitence que vous fassiez,
vous ne laisserez pas de tomber en enfer : vous en êtes sûrs
!...
Vous en trouverez d'assez aveugles
pour dire que leurs en-fants le feront après leur mort. Vos enfants,
mon ami, le feront comme vous le faites. D'ailleurs, voulez-vous que vos
enfants aient plus soin de votre âme que vous-même ? Vous serez
damné, voilà ce qu'il vous arrivera. Dites-moi, avez-vous
donc bien satis-fait à toutes les petites injustices que vos parents
avaient faites ? Vous vous en êtes bien gardés ; et vos pauvres
parents sont en en-fer, pour n'avoir pas restitué de leur vivant,
se fiant trop à votre bon vouloir. Enfin, pour couper plus court,
combien en est-il parmi ceux qui m'écoutent que leurs parents ont
chargés, il y a peut-être plus de vingt ans, de faire des
aumônes, ou bien de don-ner des messes, et aucun ne l'a fait. Ils
s'en sont bien gardés ! Ils préfèrent agrandir leurs
terres, fréquenter les jeux et les cabarets, acheter des vanités
à leurs enfants.
Saint Antonin rapporte qu'un usurier
aima mieux mourir sans sacrements que de rendre ce qui ne lui appartenait
pas. Il n'avait que deux fils ; l'un craignait Dieu et l'autre, non. Celui
qui avait souci du salut de son âme fut si touché de l'état
malheureux dans lequel son père était mort, qu'après
avoir employé une partie de sa fortune à réparer les
injustices paternelles, il se fit moine, pour n'avoir plus à penser
qu'à Dieu seul. L'autre, au contraire, dissipa tout son argent en
débauches et mourut subitement. La nouvelle en fut portée
au religieux, qui se mit aussitôt en oraison. Il vit alors en esprit
la terre entr'ouverte, et, dans son centre, un gouffre profond vomissant
des flammes. Au milieu de ces flam-mes, son père et son frère
brûlaient et se maudissaient l'un l'autre. Le père maudissait
son fils ; car, voulant lui laisser plus de biens, il n'avait pas craint
de se damner pour lui, et le fils reprochait à son père les
mauvais exemples qu'il en avait reçus.
Vous parlerai-je de ceux qui attendent
jusqu'à leur mort avant de restituer ? Je vais vous prouver par
deux exemples que, le moment venu, ou vous ne le voudrez pas, ou, quand
même vous le voudriez, vous ne le pourrez plus. 1? Vous ne le voudrez
pas. On raconte que le père d'une nombreuse famille étant
sur le point de mourir, ses enfants lui dirent : « Père, vous
le savez, ce bien que vous nous laissez n'est pas à nous : il faudrait
le rendre. – Mes enfants, leur dit le père, si je rendais tout ce
qui n'est pas à moi, il ne vous resterait presque rien. – Père,
nous aimons mieux travailler pour gagner notre vie, que si vous étiez
damné. – Non, mes enfants, je ne veux pas restituer ; vous ne savez
pas ce que c'est que d'être pauvres. – Si vous ne rendez pas, vous
irez en en-fer. – Non, je ne rendrai rien. » Il meurt en réprouvé...
O mon Dieu ! comme le péché d'avarice aveugle l'homme ! 2?
J'ai dit que, quand même vous le voudriez à ce moment, vous
ne le pour-rez pas. Il est rapporté par un missionnaire qu'un père,
voyant sa fin prochaine, fit venir ses enfants près de son lit,
et leur dit : « Mes enfants, vous savez que j'ai fait tort à
bien du monde ; si je ne rends pas, je suis perdu. Allez chercher un notaire,
pour rece-voir mes dispositions. – Eh quoi ! mon père, lui répondent
ses en-fants, voudriez-vous vous déshonorer et nous aussi, en vous
fai-sant passer pour un malhonnête homme ? Voudriez-vous nous ré-duire
à la misère, et nous envoyer mendier notre pain. – Mais,
mes enfants, si je ne restitue pas, je serai damné ! » Un
de ses fils impies ne craignit pas de lui dire : « Mon père,
vous craignez donc l'enfer ? Allez, l'on s'habitue à tout : dans
huit jours, vous y serez accoutumé... »
Eh bien, M.F., que concluons-nous
de tout cela ? Que vous êtes fameusement aveugles ! Vous perdez vos
âmes pour laisser quelques pouces de terre, ou quelques biens de
fortune à vos en-fants, qui, loin de vous en savoir gré,
se moqueront de vous, tan-dis que vous brûlerez dans les flammes.
Finissons en disant que nous sommes des insensés, de ne penser qu'à
amasser des biens, qui nous rendent malheureux quand nous les recueillons,
pendant que nous les possédons, quand nous les quittons, et encore
pen-dant l'éternité. Soyons plus sages, M.F., attachons-nous
à ces biens qui nous suivront dans l'autre vie, et feront notre
bonheur pendant des jours sans fin : ce que je vous souhaite...
23ème DIMANCHE APRÈS
LA PENTE-CÔTE
Sur la mort du juste
Pretiosa in conspectu Domini, mors
sanctorum ejus.
La mort des justes est précieuse
aux yeux du Seigneur.
(PS. CXV, 15.)
La mort, M.F., est un juste sujet de trouble et de frayeur pour le pécheur impénitent, qui se voit forcé de quitter ses plai-sirs. Accablé de douleur, assiégé de la pensée du jugement qu'il va subir, dévoré à l'avance par la crainte des horreurs de l'enfer où il va bientôt être précipité, il se voit comme abandonné des créa-tures et de Dieu même. Mais, par une loi toute contraire, la mort remplit de joie et de consolation l'homme de bien qui aura vécu selon l'Évangile, marché sur les traces de Jésus-Christ même, et satisfait à la justice divine par une vraie pénitence. Les justes re-gardent la mort comme la fin de leurs maux, de leurs chagrins, de leurs tentations et de toutes leurs misères ; ils la considèrent comme le commencement de leur bonheur ; elle leur procure l'en-trée à la vie, au repos et à la béatitude éternelle. Mais, M.F., il n'est point d'hommes, et même jusqu'aux plus scandaleux qui ne désirent et ne souhaitent cette précieuse mort. Ce qui est incom-préhensible, c'est que tous nous désirons une bonne mort, et que presque personne ne prend les moyens de se rendre heureux. C'est un aveuglement difficile à expliquer ; cependant, comme je désire ardemment que vous fassiez tous une bonne mort ; je vais vous engager à vivre de manière à pouvoir espérer ce bonheur, en vous montrant 1? les avantages d'une bonne mort, et 2? les moyens de la rendre bonne.
I. – Si nous devions mourir deux
fois, nous pourrions en ex-poser une ; mais l'on ne meurt qu'une fois ,
et de notre mort dé-pend notre éternité. Là
où l'arbre tombe, il reste. Si une personne se trouve, au moment
de la mort, dans quelque mauvaise habi-tude, sa pauvre âme, tombera
côté de l'enfer ; si, au contraire, elle est en bon état,
elle prendra le chemin du ciel. O heureux chemin qui nous conduit à
la jouissance des biens parfaits ! Devrions-nous passer par les flammes
du purgatoire, nous sommes sûrs d'y arriver. Toutefois, cela dépendra
de la vie que nous aurons me-née : il est certain que notre mort
sera conforme à notre vie ; si nous avons vécu en bons chrétiens
et selon Dieu, nous mourrons de même en bons chrétiens pour
vivre éternellement avec Dieu. Au contraire, si nous vivons selon
nos passions, dans les plaisirs et le libertinage, nous mourrons infailliblement
dans le péché . N'oublions jamais cette vérité
qui a converti tant de pécheurs : où l'arbre tombera, il
restera pour jamais . Mais, M.F., la mort, par elle-même, n'est pas
si effrayante qu'on veut bien le croire, puis-qu'il ne tient qu'à
nous de la rendre heureuse, belle et agréable. Saint Jérôme
était près de mourir ; ses amis le lui ayant annoncé,
il sembla réunir toutes ses forces pour s'écrier : «
O heureuse et bonne nouvelle ! ô mort, venez bientôt ! ah !
qu'il y a longtemps que je vous désire ! venez me délivrer
de toutes les misères de ce monde ! Venez, c'est vous qui m'allez
réunir à mon Sauveur ! » S'adressant aux assistants
: « Mes amis, pour ne pas craindre la mort et la trouver douce, il
faut marcher dans le chemin que Jé-sus-Christ nous a tracé,
et se mortifier continuellement. » En ef-fet, c'est à l'heure
de la mort qu'un bon chrétien commence à être récompensé
du bien qu'il a pu faire pendant sa vie ; à ce moment, le ciel semble
s'ouvrir pour lui faire goûter la douceur des biens célestes.
Voici, sur ce sujet, un bel exemple. Saint François de Sa-les visitant
son diocèse, fut prié de venir auprès d'un bon paysan
malade qui désirait ardemment, avant de mourir, recevoir sa bé-nédiction.
En toute hâte, le saint évêque se rendit auprès
de lui, et trouva dans ce mourant un jugement encore fort sain. En effet,
le malade témoigna à son évêque la joie qu'il
avait de le voir, et de-manda à se confesser. Quand il eut fini,
se voyant seul avec le saint prélat, il lui fit cette question :
« Monseigneur, dois-je bien-tôt mourir ? » Le saint,
croyant que la frayeur portait le malade à faire cette demande,
lui répondit pour le rassurer, qu'il avait vu des malades revenir
de plus loin, et que du reste, il devait mettre sa confiance en Dieu, à
qui seul appartient notre vie comme notre mort. – « Mais encore,
Monseigneur, croyez-vous que je meure ? » – « Mon fils, à
cela un médecin répondrait mieux que moi ; tout au plus,
vous dirai-je que votre âme est en fort bon état, et peut-être
dans un autre temps, n'auriez-vous pas d'aussi bonnes dispositions. Ce
que vous avez donc de mieux à faire, c'est de vous abandonner entièrement
à la providence et à la miséricorde de Dieu ; afin
qu'il dispose de vous selon son bon plaisir. » – « Monseigneur,
reprit le paysan ce n'est pas la crainte de mourir qui me fait vous demander
si je mourrai de cette maladie ; mais bien plutôt la crainte de vivre
plus longtemps. » Le saint, surpris d'un langage aussi extraordinaire,
et, sachant qu'une grande vertu ou une excessive tristesse étaient
seules capables de faire naître le désir de la mort, demanda
au malade d'où lui venait ce dégoût pour la vie. «
Oh ! Monseigneur, s'écrie le malade, ce monde est si peu de chose
! je ne sais comment on peut aimer cette vie. Si le bon Dieu ne nous forçait
d'y rester jusqu'à ce qu'il nous en retire, il y longtemps que je
n'y serais plus. – Est-ce la souffrance, la pauvreté, qui vous a
ainsi dégoûté de la vie ? – Non, Monsei-gneur, j'ai
mené une vie fort sereine jusqu'à l'âge de soixante-dix
ans où vous me voyez, et, grâce à Dieu, je ne sais
pas ce que c'est que la pauvreté. – Peut-être avez-vous eu
quelque mécontente-ment de la part de votre femme, ou de vos enfants
? – Point du tout, ils ne m'ont jamais causé le moindre chagrin,
et ont toujours cherché à me rendre heureux ; la seule chose
que je regretterais en quittant le monde, serait de les quitter. – Pourquoi
donc désirez-vous la mort avec tant d'ardeur ? – C'est que j'ai
entendu dire dans les prédications tant de merveilles sur l'autre
vie et les joies du pa-radis que ce monde est pour moi comme un cachot
et une pri-son. » Alors, parlant de l'abondance du cœur, ce paysan
ajouta des choses si belles et si sublimes sur le ciel, que le saint évêque
se retira ravi d'admiration, et profita lui-même de cet exemple,
pour s'animer à mépriser les choses créées
et à soupirer après le bon-heur du ciel.
N'avais-je pas raison de vous dire
que la mort est douce et consolante pour un bon chrétien ; car elle
le délivre de toutes les misères de la vie et le met en possession
des biens éternels. O mi-sérable vie, comment peut-on s'attacher
si fort à toi !... Job nous dit en peu de mots ce que c'est que
la vie : « L'homme vit fort peu de temps et sa vie est remplie de
misères. Comme une fleur, il ne fait que paraître, et déjà
se flétrit. Il est comme l'ombre qui passe et s'enfuit . »
Il n'y a point, en effet, d'animal au monde qui soit autant que l'homme,
rempli de misères. Depuis la tête jusqu'aux pieds, il n’est
pas un endroit qui ne soit sujet à toutes sortes de maladies. Sans
compter les craintes, les frayeurs de maux qui, le plus souvent, ne nous
arriveront jamais. Et la mort, M.F., nous délivre de toutes ces
misères . Saint Paul écrivant aux Hébreux leur dit
: « Nous sommes ici comme de pauvres bannis, qui n'ont point de cité
permanente ; mais nous en cherchons une qui est dans l'autre monde . »
Quelle joie, M F. pour une personne qui a été bannie de son
pays, et conduite pour de longues années en es-clavage, lorsqu'on
lui annonce que son exil est fini, qu'elle va re-venir dans sa patrie,
voir ses parents et ses amis ! Or, le même bonheur attend une âme
qui aime Dieu, et languit ici-bas, dans le désir d'aller le voir
au ciel au milieu des saints, qui sont ses véri-tables parents et
amis. Elle soupire donc ardemment après le mo-ment de sa délivrance.
La mort, M.F., est à l'homme
de bien ce que le sommeil est au laboureur, qui se réjouit à
l'approche de la nuit où il va trouver le repos des fatigues de
la journée. La mort délivre le juste de la prison de son
corps ; c'est ce qui faisait dire à saint Paul : « Ah ! malheureux
homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ?
» – « Tirez-moi, mon Dieu, disait le saint roi David, tirez
mon âme de la prison de ce corps, parce que les justes m'attendent,
jusqu'à ce que vous m'ayez donné ma récompense. Ah
! qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » Et
l'Épouse du cantique « Si vous avez vu mon bien-aimé,
dites-lui que je languis d'amour ! » Hélas ! notre pauvre
âme est dans notre corps comme un diamant dans la boue. O heureuse
mort, qui nous délivre de tant de misères !... Saint Grégoire
rapporte qu'un pauvre homme nommé Préneste, depuis longtemps
perclus de tous ses membres, étant près de mourir, pria les
assistants de chanter. On lui demanda pourquoi, et ce qui pouvait le réjouir
dans l'état où il était. « Ah ! dit-il, c'est
que bientôt mon âme va quitter mon corps ! Tout à l'heure
je vais être délivré de cette prison ! » Lorsqu'ils
eurent chanté un moment, ils entendirent une agréable musique
d'anges. Oh ! leur dit le moribond, n'entendez-vous pas les anges qui chantent
? laissez, laissez-les chanter ! » et il mourut. A l'instant, il
se répandit autour de lui une odeur si agréable, que la chambre
en fut embaumée. Dans cet exemple, M.F., nous voyons s'accomplir
à la lettre ce que Dieu dit par la bouche du prophète Isaïe
: « Lève toi, Jérusalem ma bien-aimée, réveille-toi,
car tu as bu de ma main, jusqu'à la lie, le calice de ma colère...,
tous les maux sont venus ensemble fondre sur toi... Écoute, Jérusalem,
pauvre cité, tu ne boiras plus à l'avenir le calice de mon
indignation... ; revêts-toi de ta force, Sion ; revêts-toi
des vêtements de ta gloire... Sors de ta poussière, et romps
les fers de ton cou !... »
Qui pourrait comprendre, M.F., la,
grandeur des joies de sainte Liduwine ? Après vingt-sept ans de
maladie, rongée par un chancre et dévorée par les
vers, se voyant à la fin de ses maux, elle s'écrie : «
O bonheur ! tous mes maux sont finis !... Heureuse nouvelle ! Précieuse
mort, hâte-toi ! Je te désire depuis si long-temps !
» Quelle satisfaction pour saint Clément, martyr, lors-qu'après
trente-deux ans de prison et de supplices ; on vint lui an-noncer sa condamnation,
à mort ! « O heureuse nouvelle ! s'écrie-t-il, adieu
prison, tortures et bourreaux ! voici donc enfin le terme de ma vie et
de mes souffrances. O mort, que tu es précieuse, ah ! ne tarde pas
!... ; ô mort tant désirée, viens mettre le comble
à mon bonheur en me réunissant à mon Dieu !…
»
Qu'un chrétien est donc heureux,
s'il a le courage de marcher sur les traces de son divin Maître !...
Mais en quoi consiste la vie de Jésus-Christ ? Le voici, M.F. Elle
consiste en trois choses, sa-voir : les prières ; les actions et
les souffrances. Vous voyez que dans sa vie publique, le Sauveur s'est
souvent retiré à l'écart pour prier, et qu'il était
toujours en action pour le salut des âmes. Or, il faudrait, M.F.,
que la pensée de Dieu nous fût aussi naturelle que la respiration.
Pendant sa vie de prières et d'actions, Jésus-Christ a beaucoup
souffert, tantôt la pauvreté, tantôt les persécutions,
tan-tôt les humiliations et toutes sortes de mauvais traitements.
« Ma vie, nous dit-il par son prophète, a défailli
dans la douleur, et mes années dans les gémissements, ma
force s'est affaiblie dans la pauvreté . » La vie d'un bon
chrétien peut-elle être autre chose que celle d'un homme attaché
à la croix avec Jésus-Christ ? Un juste est un crucifié.
Nous voyons que les saints ont trouvé
tant de plaisirs dans la douleur, qu'ils semblaient ne pouvoir s'en rassasier.
Voyez ce grand pape Innocent Ier : il était couvert d'ulcères
des pieds à la tête, cependant il n'était pas encore
content, et soupirait sans cesse après de nouvelles souffrances.
Il les demandait chaque jour à Dieu par ses prières. «
Mon Dieu, disait-il, augmentez mes dou-leurs, des maladies encore plus
cruelles, pourvu que vous me donniez de nouvelles grâces ! »
– « Pour-quoi, lui disait-on, de-mandez-vous à Dieu un surcroît
de souffrances ? vous êtes déjà couvert de plaies.
» – « Vous ne savez pas combien est grand le mérite
des souffrances. Ah ! si vous pouviez comprendre ce que vaut la douleur,
comme vous l'aimeriez ! » Saint Ignace le martyr, crai-gnant que
les lions et les tigres ne vinssent à lui lécher les pieds,
comme cela arrivait quelquefois, fit entendre ces belles pa-roles : «
Quand est-ce que je vous baiserai, bêtes farouches, vous qui êtes
préparées pour mon sup-plice ! Ah ! quand vous caresse-rai-je
? Si vous ne voulez pas me dévorer je vous exciterai ; afin que
vous tombiez sur moi avec plus de fureur ; je vous presserai pour que vous
vous hâtiez de me dévorer. » Il écrivait à
ses disci-ples : « Je vous écris pour vous annoncer combien
je suis heu-reux ! je vais mourir pour Jésus-Christ mon Dieu ! Tout
ce que je vous demande c'est de ne rien faire pour m'arracher à
la mort, je sais ce qui m'est avantageux. Je suis le froment de Dieu. Il
faut que je sois moulu entre les dents des lions pour devenir un pain digne
de Jésus-Christ . »
Entendez encore saint André
qui s'écrie à la vue de la croix sur laquelle il va perdre
la vie : « O heureuse croix, par toi je vais être réuni
à mon Maître ! ah ! bénite croix, reçois-moi
entre tes bras ; puisque, de tes bras, je serai reçu entre ceux
de mon Dieu. » La foule, voyant ce bon vieillard attaché à
la croix ; voulait mettre en pièces le proconsul et détacher
le saint. « Non, mes enfants, leur cria saint André du haut
de sa croix, laissez-moi, laissez moi terminer une vie si misérable,
puisque, de là, je vais à mon Dieu . » Saint Laurent
est étendu sur un gril de fer, les flammes qui, autrefois, ont épargné
les trois enfants dans la fournaise de Babylone, le brûlent impitoyablement.
Il est déjà rôti d'un côté, et pour toute
récompense il demande d'être retourné de l'autre côté
; afin que, dans le ciel, toutes les parties de son corps soient égale-ment
glorieuses. Sans doute, M.F., cet exemple est un miracle de la grâce,
qui est toute-puissante dans celui qui aime Dieu ; mais voyez sainte Paule.
Cette dame romaine était torturée par de vio-lentes douleurs
qu'elle éprouvait dans l'estomac, elle aima mieux mourir, que de
boire une goutte de vin qu'on voulait lui faire prendre . Saint Grégoire
nous rapporte ce trait d'un pauvre mais célèbre mendiant
; qui, étant demeuré plusieurs années paralyti-que,
ne pouvant se remuer sur la paille où il couchait, souffrait des
douleurs inconcevables, et, cependant, ne cessa pas un instant de sa vie
de bénir Dieu. Il mourut en chantant ses louanges.
Ah ! dit saint Augustin, qu'il est
consolant de mourir avec la conscience en paix ! Le repos de l'âme
et la tranquillité du cœur sont les dons les plus précieux
que nous puissions obtenir, nous dit le Saint-Esprit, il n'y a point de
plaisir comparable à la joie du cœur . Le juste, dit le même
Docteur, ne craint pas la mort, puis-qu'elle va le réunir à
son Dieu et le mettre en possession de tontes sortes de délices.
Voyez la joie que les saints font paraître en al-lant à la
mort... Voyez, nous dit saint Jean Chrysostome, l'intrépi-dité
et la joie avec laquelle saint Paul va à Jérusalem, quoiqu'il
soit certain des mauvais traitements qui l'attendent : « Je sais
qu'il n'y a pour moi que des tribulations et des chaînes ; je sais
les per-sécutions et les maux que j'y souffrirai ; mais, n'importe,
je ne crains rien, parce que je suis persuadé que j'ai affaire à
un bon maître qui ne m'abandonnera pas. Jésus-Christ lui-même
est ma caution et mon garant. » Et voyant pleurer ses disciples,
l'apôtre ajoutait : « Que faites-vous, en pleurant et affligeant
mon cœur ? car moi, je suis prêt, non seulement à être
lié mais à mourir à Jé-rusalem pour le nom
du Seigneur Jésus . » Nous ne sommes pas sûrs, il est
vrai, d'être comme saint Paul, les amis du bon Dieu ; cependant,
quoique pécheurs, si nous avons confessé nos péchés
avec un sincère regret, et que nous ayons tâché de
satisfaire autant que nous avons pu, par la prière et la pénitence
; mais surtout, si à une grande douleur de nos péchés
vient se joindre un ardent amour pour le bon Dieu, nous pouvons avoir confiance
: nos pé-chés ont été noyés dans le
sang précieux de Jésus-Christ, comme l'armée de Pharaon
dans la mer Rouge. M.F., il y avait trois croix sur le calvaire, celle
de Jésus-Christ, qui est la croix de l'inno-cence, nous ne pouvons
aspirer à celle-là, parce que nous avons péché.
Puis, celle du bon larron, la croix de pénitence : ce doit être
la nôtre. Imitons le bon larron, qui profita des derniers ins-tants
de sa vie, pour se repentir, et, de sa croix monta au ciel. Jé-sus-Christ
le lui annonça : « Aujourd'hui même tu sera, avec moi
dans le paradis » La dernière croix est celle du mauvais
larron ; nous devons la laisser à ces pécheurs qui veulent
mourir dans leur péché... Mais, pour nous, M.F., nous pouvons
certainement, si nous le voulons bien, être du nombre de ceux qui
font une bonne mort.
A la mort, tout nous quitte : biens,
parents et amis ; mais ici, ce qui est un supplice pour le pécheur
procure au juste une grande joie. Dites-moi quel chagrin, en effet, pourrait
éprouver un bon chrétien à sa dernière heure
! Pourrait-il regretter ces biens, qu'il a méprisés toute
sa vie ? Son corps ? il le regarde comme un cruel ennemi, qui l'a mis plus
d'une fois en danger de perdre son âme. Serait-ce les plaisirs du
monde ? Non, sans doute, puisqu'il a pas-sé sa vie dans les gémissements,
la pénitence et les larmes. Non, M.F., il ne regrette rien de tout
cela. La mort ne fait que le séparer de ce qu'il a toujours haï
et méprisé ; c'est-à-dire, le péché,
le monde et les plaisirs. En s'en allant, il emporte avec lui tout ce qu'il
a le plus aimé : ses vertus et ses bonnes œuvres ; il quitte toutes
sortes de misères pour aller prendre possession d'innom-brables
richesses ; il quitte le combat pour aller jouir de la paix ; il quitte
un ennemi cruel, le démon, pour aller se reposer dans le sein du
meilleur de tous les pères. Oui, ses bonnes œuvres le conduisent
en triomphe devant Dieu, qui lui apparaît, non comme un juge, mais
comme un tendre ami, qui après avoir compati à ses souffrances,
ne désire rien autre chose que de le récompenser.
Le prophète Isaïe nous
apprend que nos bonnes œuvres iront solliciter la bonté de Dieu,
nous ouvriront la porte du paradis, et nous marqueront notre demeure dans
le ciel. Il est parfaitement vrai que nos bonnes œuvres nous accompagneront.
Voici un bel exemple du pieux roi Ezéchias. Le Saint-Esprit nous
montre ce roi orné de tous les mérites du juste. Il s'attache
de tout son cœur à la pratique des bonnes œuvres, son intention
est pure, le motif de toutes ses actions est uniquement celui de plaire
à Dieu. Il observe fidèlement, et avec grand respect, toutes
les cérémonies de la loi. Mais qu'arriva-t-il ? Le voici.
Tout lui réussit pendant sa vie. Mais à l'heure de sa mort
toute sa magnificence et ses richesses, qui étaient très
grandes, le quittèrent ; ses sujets les plus fidèles furent
forcés de l'abandonner ; tandis que ses bonnes œuvres ne le quit-tèrent
point. Par elles, il prie Dieu de lui faire grâce : « Je vous
en conjure, Seigneur, souvenez-vous que j'ai toujours marché devant
vous avec un cœur pur et droit ; j'ai toujours cherché ce que j'ai
cru vous être plus agréable . » Telle est, M.F., l'heureuse
fin d'une personne qui a travaillé toute sa vie à bien faire
tout ce qu'elle a fait, en vue de plaire à Dieu seul. « Heureux,
dit saint Jean, ceux qui meurent dans le Seigneur, car leurs œuvres les
sui-vent ! » Oui, M.F., nous emporterons tout ce que nous avons
de plus précieux ; les biens qui doivent passer, nous les laisserons
sur la terre, et ce qui doit durer éternellement nous suivra. Le
solitaire sera accompagné de son silence, de sa retraite et de toutes
ses oraisons ; le religieux sera accompagné de ses macérations,
de ses jeûnes et abstinences ; le prêtre de tous ses travaux
apostoliques : il y verra toutes les âmes qu'il a converties et qui
seront sa récom-pense et sa gloire ; le chrétien fidèle
retrouvera toutes les bonnes confessions et communions qu'il aura faites,
toutes les vertus qu'il aura pratiquées pendant sa vie. Heureuse
mort, M.F., que celle du juste ! Écoutez le prophète Isaïe
: « Dites au juste qu'il est heu-reux, parce qu'il recueillera le
fruit de ses œuvres . »
Vous conviendrez donc que la mort
du juste est bien pré-cieuse aux yeux de tous les hommes ; qu'un
prêtre aille visiter un tel mourant, sa seule présence l'affermira
dans la foi et l'espé-rance ; qu'on lui parle de Dieu et de ses
grâces, aussitôt son amour s'enflammera comme une fournaise
ardente ; qu'on lui parle des derniers sacrements, ce qui glace un pécheur
de frayeur et de crainte, il est inondé d'un torrent de délices
; car son Dieu va venir en son cœur pour le conduire avec lui au paradis.
Saint Grégoire nous rapporte que sa tante sainte Tharsille, étant
près de mourir, s'écria, transportée : « Ah
! voilà mon Dieu ! voilà mon époux ! » et elle
expira dans un élan d'amour. Voyez encore saint Nicolas de Tolentino
. Pendant les huit derniers jours de sa maladie, lors-qu'il avait reçu
le corps du Sauveur, on entendait les anges chan-ter dans sa chambre ;
et quand ces chants eurent cessé, il mourut : les anges l'emmenèrent
au ciel avec eux. Heureuse mort que celle du juste !.. Sainte Thérèse
ayant apparu toute brillante de gloire à une religieuse de son ordre,
elle l'assura que Notre-Seigneur était présent à sa
mort, et avait conduit son âme au ciel. Heureuse l'âme qui
peut être assistée à la mort par Jésus-Christ
lui-même !... Qu'il est doux et consolant de mourir dans l'amitié
de Dieu !... N'est-ce pas une première récompense du bien
que l'on a pu faire pendant sa vie ?
II. – Je sais, M.F., que nous désirons
tous faire une bonne mort ; mais ce n'est pas assez de le désirer,
il faut encore travailler à mériter ce bonheur, ce grand
bonheur. Voulez-vous savoir ce qui nous peut procurer ce bien ? Le voici
en peu de mots. Parmi les moyens que nous devons prendre pour bien mourir,
j'en choi-sis trois, qui, avec la grâce de Dieu, nous conduiront
infaillible-ment à une bonne mort. Il faut nous y préparer
1? par une sainte vie ; 2? par une véritable pénitence si
nous avons péché, et 3? par une parfaite conformité
de notre mort à celle de Jésus-Christ.
On meurt pour l'ordinaire, comme
l'on a vécu : c'est là une de ces grandes vérités
que l'Écriture et les saints Pères nous affir-ment en maint
endroit. Si vous vivez en bons chrétiens, vous êtes sûrs
de mourir en bons chrétiens ; mais si vous vivez mal, vous êtes
sûrs de faire une mauvaise mort. Le prophète Isaïe dit
: « Malheur à l'impie qui ne pense qu'à mal faire,
parce qu'il sera traité comme il le mérite : à la
mort il recevra le salaire des œu-vres de ses mains . » Il est vrai
cependant que l'on peut quelque-fois, par une espèce de miracle,
mal commencer et bien finir ; mais cela arrive si rarement que, d'après
saint Jérôme, la mort est ordinairement l'écho de la
vie ; vous croyez qu'alors vous revien-drez au bon Dieu ? non, vous périrez
dans le mal.
Mais si, étant touchés
de repentir, vous commencez à vivre chrétiennement, vous
serez du nombre de ces pénitents qui atten-drissent le cœur de Dieu
et gagnent son amitié. Quoique moins riches, ils ne laissent pas
que d'aller au ciel, et c'est d'eux préci-sément que Dieu
se sert pour manifester sa miséricorde. Le Saint-Esprit nous dit
: « Si vous avez un ami, faites-lui du bien avant votre mort . »
Eh ! M.F., pouvons-nous avoir un meilleur ami que notre âme ? Faisons
pour elle tout ce que nous pourrons ; car au moment que nous voudrons lui
faire du bien, nous ne le pour-rons plus !... La vie est courte. Si vous
différez de vous convertir jusqu'à l'heure de votre mort,
vous êtes des aveugles ; puisque, vous ne savez ni le moment, ni
le lieu où vous mourrez, peut-être sans secours. Qui sait
si vous n'irez point paraître cette nuit même, couverts de
péchés devant le tribunal de Jésus-Christ ?... Non,
M.F., ce n'est pas ce que vous devez faire ; vous devez vous purifier,
et vous tenir toujours en état de paraître devant votre juge.
Voici un exemple qui vous fera voir que celui qui retarde de jour en jour
son retour à Dieu, meurt comme il a vécu. Le cardinal Pierre
Damien nous rapporte qu'un religieux avait passé la meil-leure partie
de sa vie en chicanes et en disputes avec ses frères. Étant
au lit de la mort, ses frères le conjuraient de confesser ses péchés,
d'en demander pardon à Dieu et d'en faire pénitence, avec
un bon propos de n'y plus retomber, si la santé lui était
rendue. Ils n'en tirèrent pas un seul mot. Mais un peu plus tard,
ayant repris la parole, il leur parla, et de quoi ? hélas ! de ce
qui avait fait le sujet de ses conversations pendant sa vie : de procès
et autres af-faires. Ses frères le suppliaient de songer à
son âme ; tout fut inu-tile, il se rendormit et mourut ainsi, sans
donner le moindre signe de repentir. Oui, M.F., telle vie, telle mort.
N'espérez pas un mi-racle que Dieu ne fait que rarement ; vous vivez
dans le péché, vous mourrez dans le péché.
Un grand nombre d'exemples nous
prouve qu'après une mauvaise vie, nous ne devons pas attendre une
bonne mort. Nous lisons dans l'Écriture sainte , qu'Abimélech,
prince fier et orgueilleux, s'empara du royaume qu'il devait partager avec
ses frères, et les fit mourir afin de régner seul. Comme
il attaquait une place, les assiégés s'étant réfugiés
dans une tour, il s'en approcha pour y mettre le feu. Une femme qui le
vit du haut du rempart, lui jeta une pierre et lui fendit la tête.
Ce malheureux se sentant bles-sé, appela son écuyer et lui
dit : « Tire ton épée et perce moi le corps... Fais-moi
promptement mourir, afin de m'épargner la confusion d'avoir été
tué par une femme. » Quelle étrange conduite, M. F
: ? Est-il le premier prince qui ait été ainsi blessé
? Pourquoi, donc veut-il que son écuyer le tue ? Hélas !
c'est qu'il n'a été toute sa vie qu'un ambitieux !... Saül
venait de livrer ba-taille aux Amalécites, le sort des armées
était très incertain ; il se sentait perdu, car il était
déjà blessé, et voyait l'armée ennemie prête
à fondre sur lui. S'appuyant sur son épée, et voyant
venir der-rière lui un soldat, il lui dit : « Viens ici, mon
ami, qui es-tu ? » « Je suis un Amalécite. » –
« Eh bien ! fais-moi une grâce : jette-toi sur moi et me tue
; parce que je suis accablé de douleur ; je ne saurais mourir, achève-moi
. » Et pourquoi, M.F., ce misérable veut-il mourir de la main
d'un Amalécite ? Était-ce donc le seul prince qui ait perdu
une bataille ? Ne vous étonnez pas de cela, nous répondent
les saints Pères, c'est un prince qui, pendant sa vie, s'est livré
aux vices, qui s'est laissé dominer par l'envie, l'ava-rice et par
toutes sortes de passions. Pourquoi meurt-il d'une ma-nière si déshonorante
? C'est qu'il a mal vécu. Tout le monde sait qu'Absalon avait été
toute sa vie désobéissant et rebelle à son bon père.
L'heure de sa mort que Dieu avait marquée de toute éternité,
étant enfin arrivée, comme il passait sous un arbre, il y
resta sus-pendu par les cheveux. Joab le voyant, lui tira trois coups de
flè-ches . D'où vient, M.F., la fin malheureuse de ce prince
? sinon que toute sa vie il n'avait été qu'un mauvais fils.
Il meurt de cette sorte, parce qu'il avait mal vécu.
Vous voyez donc clairement, M.F.,
que si nous voulons faire une bonne mort, il faut mener une vie chrétienne
et faire pé-nitence pour nos péchés ; il faut exciter
en nous, avec la grâce de Dieu, une humilité profonde, dans
un cœur plein de regret d'avoir offensé un maître si bon.
Mais un troisième moyen, pour nous préparer à bien
mourir, c'est de régler notre mort sur celle de Jé-sus-Christ.
Quand on porte le bon Dieu à un malade, on porte aus-si la croix
; ce n'est pas seulement pour chasser le démon, mais bien plus,
pour que ce Sauveur crucifié serve de modèle au mori-bond,
et afin que, jetant les yeux sur l'image d'un Dieu crucifié pour
son salut, il se prépare à la mort comme Jésus-Christ
s'y est préparé. La première chose que fit Jésus-Christ
avant de mourir fut de se séparer de ses apôtres ; un malade
doit faire de même, s'éloigner du monde, et se détacher
autant qu'il peut des personnes qui lui sont les plus chères pour
ne s'occuper plus que de Dieu seul et de son salut. Jésus-Christ
sachant que sa mort était proche, se prosterna la face contre terre
dans le jardin des Oliviers, en priant avec instances . Voilà bien
ce que doit faire un malade aux approches de la mort ; il doit prier avec
ferveur, et dans son agonie, s'unir à l'agonie de Jésus-Christ.
Le malade qui veut rendre son mal méritoire doit accepter la mort
avec joie, ou, du moins, avec une grande soumission à la volonté
de son Père céleste ; pensant qu'il faut absolument mourir
pour aller voir Dieu, et que c'est là tout notre bonheur. Saint
Augustin nous dit que celui qui ne veut pas mourir, porte la marque d'un
réprouvé. Oh ! M.F., qu'un chrétien qui a bien vécu
est heureux à ce dernier moment ! Il quitte toutes sortes de misères
pour entrer en posses-sion de toutes sortes de biens !... Heureuse séparation
! Elle nous unit à notre souverain bien qui est Dieu même
!... C'est ce que je vous souhaite.