TABLE DES MATIERES
3 MAI INVENTION DE LA SAINTE
CROIX
Sur la Croix 2
24 JUIN FÊTE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
17
1er AOUT 33
SUR LE MARTYRE DES MACHABÉES
33
15 AOUT FÊTE DE L'ASSOMPTION
DE LA STE VIERGE Sur les grandeurs de Marie. 48
8 SEPTEMBRE
FÊTE DE LA NATIVITÉ
DE LA STE VIERGE 61
PREMIER DIMANCHE D'OCTOBRE
FÊTE DU SAINT ROSAIRE 75
2 OCTOBRE
FÊTE DES SAINTS ANGES GARDIENS
89
1er NOVEMBRE
FÊTE DE TOUS LES SAINTS Sur
la Sainteté 105
DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE
DE TOUS LES SAINTS
Sur le culte des Saints et
des saintes Images 116
2 NOVEMBRE
COMMÉMORATION DES MORTS 126
AUTRE SERMON POUR LE JOUR DES MORTS
141
SERMON POUR LA FÊTE DU SAINT
PATRON 151
SERMON POUR LA FÊTE DE LA
DÉDICACE, Du respect que l'on doit avoir dans les églises
166
SERMON SUR LA RELIGION 182
SERMON SUR LA CONFIRMATION
Dispositions qu'il faut avoir pour recevoir ce sacrement. 193
SERMON SUR L'EXTRÊME-ONCTION
206
SERMONS INÉDITS 220
SERMON SUR L'EXAMEN DE CONSCIENCE
220
SERMON SUR LES QUALITÉS DE
LA CONFESSION 238
SERMON SUR LE PÉCHÉ
MORTEL 253
SERMON SUR LA COMMUNION INDIGNE
268
SERMON SUR LES DEVOIRS DES PARENTS
284
SERMON SUR LES INDULGENCES 303
3 MAI
INVENTION DE LA SAINTE CROIX
Sur la Croix
Complacuit reconciliare omnia in
ipsum, pacificans per sanguinem crucis ejus, sive quæ in terris ,
sive quæ in cælis sunt.
Il a plu à Dieu de réconcilier
tout par Jésus-christ et en lui, pacifiant par le sang de sa croix
ce qui est, soit sur la terre, soit dans les cieux.
(S. Paul aux Coloss., I, 20.)
Qui de nous, M.F., pourra jeter les yeux sur cette croix sainte et sacrée, sur laquelle Jésus-Christ a perdu la vie, sans être pénétré de la plus vive reconnaissance ? Quoi ! M.F., Jésus-Christ égal à son Père meurt pour nous sauver ! O croix sainte ! O croix précieuse ! Sans vous, jamais de ciel sans vous, jamais de Dieu ! sans vous, toujours pleurer dans les enfers ! Sans vous, jamais de bonheur en l'autre vie ! Oui, c'est cette croix qui a fait descendre du ciel le Fils de Dieu, par le désir qu'il avait de mourir sur elle, et de racheter ainsi le monde entier. Que la vue de cette croix rappelle de biens à un chrétien qui n'a pas encore perdu la foi ! Hélas ! qu'étions--nous avant que cette croix fût teinte du sang adorable du Fils de Dieu ! Nous étions bannis du ciel, séparés pour toujours de notre Dieu, condamnés à passer notre éternité dans des flammes, à pleurer et souffrir pendant des jours sans fin. Allons souvent au pied de cette croix, et nous verrons en elle la clef qui nous a ouvert la porte du ciel et fermé celle de l'enfer. O mon Dieu, si tant de biens nous sont donnés par elle, quel respect et quelle estime ne devons-nous pas en faire ! Pour augmenter en vous ce respect, je vais vous montrer 1° les bienfaits que nous recevons de la croix, et 2° l'es-time que nous devons en faire.
1. – Avant que la croix fût
sanctifiée par la mort d'un Dieu fait homme, les démons étaient
sur la terre, et, semblables à des lions, dévoraient tout
ce qui se présen-tait à eux. Cet esprit de ténèbres
l'avoua un jour à saint Antoine, en lui disant que, depuis l'avènement
du Mes-sie, il était enchaîné et ne pouvait nuire qu'à
ceux qui le voulaient. Saint Antoine, dans toutes ses tentations, si fréquentes
et si violentes, n'avait pas d'autres armes que le signe salutaire de la
croix . Aussi fut-il toujours victorieux de son ennemi. Sainte Thérèse,
par un seul signe de croix, mit en fuite le démon, qui lui apparaissait
un jour sous la forme d'une montagne entr'ouverte et prête à
l'engloutir. Je n'entrerai pas dans un long détail des biens que
nous recevons de la croix. C’est la croix qui nous a valu une éternité
de bonheur ; c'est elle qui a changé la colère du Seigneur
en un amour infini ; c'est elle qui a arraché les foudres des mains
du Père éternel, pour les remplir de toutes sortes de biens
et de bénédic-tions. C'est encore la croix qui nous procure
nos bonnes pensées, nos bons désirs, les remords de conscience,
la douleur de nos péchés passés. Ah ! ce n'est pas
encore assez !... C'est par cette croix que nous sommes devenus les enfants
et les amis de Dieu, les frères et les membres de Jésus-christ,
les héritiers de son bonheur éternel ; c'est encore sur elle
qu'a pris naissance cette belle reli-gion qui nous donne, avec ses consolations,
l'espérance d'un avenir heureux. De cette croix, les sacrements
tirent toute leur efficacité. O belle et sainte croix, que de biens
tu nous as mérités ! C'est toi qui fais que le sang adorable
de Jésus-christ ruisselle chaque jour sur nos autels pour apaiser
la colère de Dieu !... C'est sur la croix, qu'a été
semée cette manne céleste, c'est-à-dire l'adorable
sacre-ment de l'Eucharistie, qui sera, jusqu'à la fin des siècles,
la nourriture de nos âmes. C'est cette croix qui a porté ces
raisins mystérieux, dont le jus abreuve notre âme pendant
son exil. Le pécheur y trouve sa conversion et le juste la persévérance.
O belle et précieuse croix ! que celui qui viendrait souvent à
tes pieds serait fort et ter-rible contre les puissances de l'enfer ! De
plus, je dis que la vue de la croix fait la gloire des saints dans le ciel,
et le désespoir des damnés dans les enfers. En effet, les
élus dans le ciel voient que la gloire et le bonheur dont ils jouissent
leur sont venus de la croix, et que sur ce bois sacré, a pris naissance
cet amour qui doit les eni-vrer éternellement. Au contraire, la
seule présence de cette crois fera le désespoir des damnés.
Ils se rappelle-ront, qu'elle aurait pu être pour eux l'instrument
du salut, un moyen d'éviter le malheur éternel, et une source
abondante de secours et de grâces. Ah ! triste souvenir de tant de
biens méprisés !…
Ce n'est que par la croix que nous
pouvons aller au ciel. II y a différentes espèces de croix
: les unes sont intérieures et invisibles, les autres visibles ou
sensibles. Les premières s'appesantissent sur tous les mortels sans
exception d'un seul ; nous avons chacun la nôtre. Trai-tons cela
familièrement. 1° Vous me demandez ce que c'est qu'une croix
invisible ? J'entends sous ce nom, par exemple, une violente tentation
qui vous poursuit vive-ment pour vous faire tomber dans le péché
; une calom-nie que l'on débite contre vous ; une perte de bien
; un tort que l'on vous fait ; une maladie qui semble ne plus vouloir vous
quitter. C'est encore une croix invisible que ces railleries, ces mépris
dont on vous couvrira sans relâche. Toutes ces croix sont adoucies,
et perdent pres-que toute leur amertume, par la vue de la croix sur laquelle
notre bon Sauveur est mort pour nous arracher des griffes du démon.
Voulez-vous trouver vos peines légères ou plutôt douces
et agréables ? Venez avec moi un instant au pied de la croix, sur
laquelle nous avons été enfantés en Jésus-christ.
Etes-vous méprisé ? Voyez votre Dieu entre les mains des
Juifs, traîné par les che-veux, jeté contre les murs,
les yeux bandés, les mains liées derrière le dos,
frappé de grands coups de poings et de bâtons, tandis qu'on
lui demande qui l'a frappé ? Êtes-vous pauvre ? Eh bien !
voyez ce Dieu dans une crè-che, couché sur un peu de paille.
En voulez-vous davan-tage ? Portez vos regards sur la croix, et vous verrez
ce Dieu mourir dépouillé de ses vêtements. Êtes-vous
calomnié ? Écoutez les blasphèmes et les malédictions
que l'on vomit contre un Dieu, venu sur la terre pour l'inonder de bénédictions.
Tout ce que l'on dit contre lui est faux ; et comment se venge-t-il ? En
priant pour ceux qui le calomnient. Êtes-vous dans les souffrances,
les infirmités ? Levez vos yeux sur cette croix, considérez
votre Dieu attaché, mourant de la mort la plus cruelle et la plus
douloureuse. Mon Père, pardonnez, de grâce, à ceux
qui me font mourir : c'est pour eux que je perds la vie, c'est pour leurs
péchés que je souffre. Que souf-frons-nous, mes amis, si
nous le comparons à ce que Jésus-Christ a enduré pour
nous ?
Ah ! M.F., que les saints connaissaient
bien mieux que nous le prix des souffrances !... Voyez saint Jean de la
Croix, frappé par ses religieux jusqu'à tomber dans son sang.
Notre-Seigneur lui apparaît et lui dit : « Jean, que veux-tu
que je te donne, pour tout ce que tu souffres avec tant d'amour ? »
– « Ah ! Seigneur, de grâce, ne diminuez pas mes souffrances
; mais, au contraire, faites pour toute récompense, que je souffre
toujours davan-tage, puisque vous, l'innocence même, avez enduré
tant de tourments ». Saint Bernard ne pouvait regarder la croix
sans verser des larmes en voyant ce qu'un Dieu avait souffert pour nous.
Écoutez ce que Jésus-Christ dit un jour à saint Pierre,
martyr, lorsqu'il se plaignait des outrages qu'on lui faisait : «
Et moi, Pierre, qu'ai-je fait lorsqu'on m'a crucifié ? »
Oui, M.F., au pied de la croix nous apprendrons ce qu'est le péché,
le prix de notre âme et l'amour d'un Dieu pour les hommes. C'est
au pied de la croix que nous trouverons les plus douces consolations dans
nos peines, les plus grandes forces dans nos tentations, et à l'heure
de la mort, la plus ferme confiance. Venons donc souvent au pied de cette
croix répandre notre cœur et nous y apprendrons ce qu'un Dieu a
fait pour nous, et ce que nous devons faire pour lui.
2° J'ai dit en premier lieu
qu'au pied de la croix nous apprendrons ce qu'est le péché,
et l'horreur que nous devons en avoir. Le feu de l'enfer, il est vrai,
semble nous faire comprendre quelque chose de son énormité,
puisque, pour une seule pensée d'orgueil qui aura duré à
peine une ou deux minutes, si nous mourons dans ce péché,
nous serons condamnés à aller brûler dans les brasiers
allumés par la colère d'un Dieu Tout-Puissant . Une personne
aura volé cinquante sous ou trois francs à son voisin ; si,
le pouvant, elle ne l'a pas rendu, ce péché seul la précipitera
pour jamais dans les abîmes . Et ainsi de tous les autres péchés
: cela fait frémir .... O mon Dieu, que l'homme qui le commet est
aveugle ! Mais plus aveugle encore est celui qui l'a commis, et, se voyant
dans cet état, pousse la fureur jusqu'à y rester. Cependant
j'ose vous dire que l'amour d'un Dieu mou-rant sur la croix, nous montre
d'une manière encore plus sensible, la malice et la fureur du péché.
En effet, si nous considérons tout ce que Jésus-Christ a
souffert pour l'ex-pier : les humiliations, les outrages, les blasphèmes
qu'on a vomis contre lui, son crucifiement et sa mort, l'on peut dire :
Il n'y a que Dieu pour savoir ce qu'est le péché.
En second lieu, j'ai dit que la
croix nous montre l'amour infini d'un Dieu pour ses créatures. Ah
! mes enfants, nous dit-il du haut de la croix sur laquelle il est cloué
; voyez si vous pouvez trouver un amour semblable au mien ; pouvais-je
faire plus, que de mourir pour vous ? Ah ! si nous regardions cette croix
avec les yeux de la foi, pourrions-nous ne pas nous écrier comme
saint Paul : O croix sainte et sacrée ! ô croix d'amour, que
de biens vous nous apportez ! Ah ! mes enfants, vous n'aimeriez pas votre
Dieu ! Oui, M.F., si nous aimions véritablement notre Dieu, nous
ne vivrions que pour lui ! En cela je veux dire que nous devons le prendre
pour modèle, être contents de nous voir humiliés, méprisés,
calomniés, et loin de nous venger, regarder tout cela, au contraire,
comme venant de la main de Dieu, et comme une grande grâce qu'il
nous accorde. Si vous vouliez imiter Jésus-Christ, vous fuiriez
les plaisirs, les bals, les danses, les jeux et les cabarets ; car Jésus-Christ
a condamné tout cela, par l'exemple d'une vie pénitente et
retirée. Imitez Jésus-Christ et vous ne craindrez point la
mort ; au contraire, ce sera un bonheur puisqu'elle vous réunira
à lui. Si vous vivez sans vous attacher aux choses de la terre,
votre cœur sera tout pour le ciel.
J'ai dit ensuite, M.F., que la croix
fera toute la con-solation du chrétien qui l'aura portée
avec joie pendant sa vie. En effet, où sera votre ressource dans
ce terrible moment qui décidera de votre sort éternel ? Où
porterez--vous vos regards, où adresserez-vous vos soupirs et vos
prières, si ce n'est vers la croix ? Qu'exposera-t-on à vos
yeux, que mettra-t-on entre vos mains, que vous appli-quera-t-on sur les
lèvres ? Rien autre, M.F., que la croix. Quel nom vous fera-t-on
prononcer dans ce mo-ment ? Le nom de Jésus et de Jésus crucifié.
Oh ! quelle consolation pour un chrétien de tenir en mourant une
croix entre ses mains, si elle a été pendant sa vie le sujet
de ses méditations et de son amour ! Alors il pourra dire à
son Juge : « Seigneur, vous voyez que je n'ai jamais fui ou méprisé
votre croix ; je l'ai portée avec plaisir ; les humiliations, les
injures et les souffrances, loin de m'abattre et me décourager,
m'ont rempli de joie et de courage. » O mon Dieu, si nous pouvions
com-prendre combien les croix nous sont un grand bienfait de votre main
! Ne perdons jamais de vue, M.F., qu'à la mort, la croix sera notre
seule ressource. Mais aussi quel désespoir pour celui qui, à
sa dernière heure, verra cette croix qu'il aura méprisée
pendant sa vie et dont il aura rougi par crainte d'une raillerie ! Quel
désespoir lorsque Jésus-Christ va confronter sa vie avec
celle de ce pécheur ! Lorsqu'il opposera son humilité et
les mépris qu'il a endurés, à l'orgueil de ce pécheur,
sa pauvreté à l'ava-rice, sa pureté aux actions infâmes,
le pardon de ses ennemis aux vengeances, ses pénitences et ses larmes
aux plaisirs, ses jeûnes aux gourmandises de ce misé-rable
! Que deviendront alors ces pauvres malheureux, qui, pendant leur vie,
n'auront eu aucun trait de ressem-blance avec leur Sauveur ?... 0 mon Dieu
! peut-on penser à cela, et ne pas mourir de douleur !... Un Dieu
vit et meurt dans les souffrances, et un chrétien, quoique chargé
de péchés, ne veut rien souffrir !... Hélas ! que
de repentirs à l'heure de la mort ! mais il sera trop tard.
II. – Je vais vous parler maintenant
des croix visibles, et vous donner la raison de leur multiplicité,
de leur bénédiction et de si grands honneurs que l'Église
leur rend. Si les croix intérieures sont si nombreuses, si les croix
visibles, images de celle où notre Dieu est mort, sont aussi en
grand nombre ; c'est afin que nous ayons toujours présent à
la pensée que nous sommes les enfants d'un Dieu crucifié.
Ne soyons pas étonnés, M.F., des honneurs que l'Église
rend à ce bois sacré, qui nous procure tant de grâces
et de si grands avantages. Nous voyons que l'Église fait le signe
de la croix dans toutes les cérémonies, dans l'administration
de tous les sacrements. – Pourquoi cela ? me direz-vous. – Mon ami, le
voici : c'est que toutes nos prières et tous les sacrements tirent
de la croix leur force et leur vertu. Pendant le saint Sacrifice de la
sainte Messe, qui est l'action la plus grande, la plus auguste et la plus
sublime de toutes celles qui peuvent glorifier Dieu, à chaque ins-tant
le prêtre fait le signe de la croix. Dieu veut que nous n'en perdions
jamais le souvenir, comme le moyen le plus sûr de notre salut et
l'instrument le plus redou-table au démon. Il nous a même
créés en forme de croix, afin que tout homme fût l'image
de cette croix, sur la-quelle Jésus-Christ est mort pour nous sauver.
Voyez comme l'Église s'empresse d'en multiplier le nombre elle en
fait l'ornement spécial de nos églises, de tous ses autels
; elle les place sur les endroits les plus élevés, pour nous
montrer le triomphe remporté sur l'ennemi de notre salut. Quoi de
plus touchant que ce monument glorieux, qui nous met devant les yeux l'abrégé
de toutes les souffrances de notre bon Sauveur ? Ne semble--t-il pas nous
dire : Voyez, mes enfants, ce que j'ai fait pour mériter vos hommages
! O mon Dieu, un tel spec-tacle n'est-il pas capable de toucher le cœur
le plus dur et le plus enfoui dans les ordures du péché ?
0 mon Dieu, qu'un cœur tant soit peu sensible y trouve de consolations
et de larmes ! Un chrétien pourrait-il jeter les yeux sur ce bois
sacré, sans sentir se réveiller en lui les remords de la
conscience, sans reconnaître ce qu'il est et ce qu'il doit faire
?
1° Pourquoi place-t-on des croix
près des villes et des villages ? C'est pour montrer la profession
publique qu'un chrétien doit faire de la religion de Jésus-Christ,
et pour rappeler aux passants qu'ils ne doivent jamais perdre le souvenir
de la mort et de la passion du Sauveur. Ce signe salutaire nous distingue
des idolâtres, comme autrefois la circoncision distinguait le peuple
juif d'avec les infi-dèles. Aussi voyons-nous que dès que
l'on veut détruire la religion, l'on commence par renverser ces
monu-ments. Les premiers chrétiens regardaient comme leur plus grand
bonheur de porter sur eux ce signe salutaire de notre Rédemption.
Autrefois, les femmes, les filles portaient une croix dont elles faisaient
leur ornement le plus précieux: elles la suspendaient à leur
cou, montrant par là qu'elles étaient les servantes d'un
Dieu crucifié. Mais, à mesure que la foi a diminué,
et que la religion s'est affaiblie, ce signe sacré est devenu rare,
ou, pour mieux dire, a presque disparu. Voyez comme le démon entraîne
au mal par degré. Elles ont commencé à retran-cher
l’image du Crucifié et de la sainte Vierge, et se sont contentées
de porter une croix qu'elles appellent papillon. Après cela, le
démon les a poussées plus loin : elles ont pris pour remplacer
ce signe sacré, une chaîne, qui n'est autre chose qu'un ornement
de vanité, et qui, bien loin d'attirer sur elles les bénédictions
du Ciel, ne fait, au contraire, que les engager dans les voies et les embû-ches
du démon. Voyez la différence, entre une chaîne et
une croix : par la croix, nous sommes devenus en-fants libres ; par la
croix, Jésus-Christ nous a délivrés de la tyrannie
du démon, où le péché nous avait conduits.
La chaîne, au contraire, est un signe d'esclavage ; c'est--à-dire
que par cet instrument de vanité, nous quittons Dieu en nous donnant
au démon. Seigneur ! que le monde a changé depuis les premiers
chrétiens, qui se faisaient un honneur et une sainte joie de porter
ce signe sacré de notre religion !...
2° L'intention de l'Église
est que nous ayons tous des croix dans nos maisons, pour ne jamais perdre
de vue que nous sommes chrétiens et disciples d'un Dieu cru-cifié.
On connaît vite si la religion règne dans une maison, par
les croix et les images que l'on y trouve. En entrant dans une maison,
je cherche des yeux, tout autour, le signe de notre Rédemption.
Si je ne le trouve point, je ne puis m'empêcher de déplorer
le malheur de la maison et de ceux qui sont dedans. Oh ! M.F., que la présence
et la vue d'une croix est salutaire ! Sou-vent, il ne faut qu'un regard
sur un crucifix, pour adoucir les peines les plus profondes et les plus
dou-loureuses, pour nous faire faire les sacrifices les plus grands, et
pratiquer les vertus les plus sublimes. Qui pourrait encore avoir le courage
de satisfaire une passion quelle qu'elle soit, en voyant un Dieu cloué
sur une croix ? Qui trouverait trop grande ses souffrances, en considérant
un Dieu dont le corps est tout en lambeaux par les coups qu'il a reçus
dans sa flagellation ? Qui pourrait trouver difficile la pratique de la
vertu, en voyant un Dieu qui n'a rien commandé qu'il n'ait commencé
à pratiquer lui-même. Personne donc, ne doit laisser sa maison
sans ce signe salutaire, afin que tous ceux qui entrent puissent reconnaître
que vous êtes chrétiens, et que vous en faites profession
publique. Un chrétien ver-tueux doit avoir un beau crucifix, quelques
belles images, et les regarder comme le plus bel ornement et l'honneur
de sa maison. De temps à autre portez vos regards sur les images
ou le crucifix, faites une petite réflexion sur ce que Jésus-Christ
a souffert pour nous et combien il nous a aimés. En voyant l'image
de la Sainte Vierge, car vous ne devez jamais laisser vos maisons sans
une représentation de cette bonne Mère, priez-la de vous
recevoir vous et votre famille sous sa sainte pro-tection. Quand vous considérez
les images des saints, pensez aux vertus qu'ils ont pratiquées,
aux pénitences qu'ils ont faites pendant leur vie, pour mériter
le bon-heur dont ils jouissent maintenant dans le ciel. Que doit-on penser
d'une maison où l'on ne trouve ni christ, ni autre signe de religion
? Hélas ! on pense qu'elle est habitée par des gens qui ont
perdu la foi, qui sont devenus les ennemis de la croix, et ne sont plus
chré-tiens que de nom. Ah ! combien est grand le nombre de ceux
qui ne sont plus chrétiens que de nom, et dont la conduite est semblable
à celle des païens !
Ah ! me direz-vous, c'est un peu
fort ! Nous ne sommes pas fâchés d'être chrétiens,
au contraire : expli-quez-nous comment nous n'avons plus que le titre de
chrétien ? – Eh ! mes amis, c'est facile. C'est lorsque vous craignez
de faire vos actes de religion devant le monde, et que, vous trouvant dans
une maison, vous n'osez pas faire le signe de croix avant de manger, ou,
bien que, pour le faire, vous vous tournez de l'autre côté,
crainte d'être aperçu et raillé ; c'est lorsque, enten-dant
sonner l'Angelus, vous faites semblant de ne pas l'entendre, et vous ne
le dites pas, de peur qu'on ne se moque de vous. Ou encore, lorsque le
bon Dieu vous donne la pensée d'aller vous confesser, vous dites:
« Oh ! je n'y vais pas, l'on se moquerait de moi. » Si vous
vous comportez de cette manière, vous ne pouvez pas dire que vous
êtes chrétiens. Non, mes amis, vous êtes, comme autrefois
les Juifs, rejetés, ou plutôt, vous vous êtes séparés
vous-mêmes ; vous n'êtes que des apostats ; votre langage le
prouve, et votre manière de vivre le manifeste assez clairement.
Pourquoi, M.F., avait-on donné le nom d'apostat à l'empereur
Julien ? – C'est, me direz-vous, parce qu'il était d'abord chrétien
et qu'ensuite il vécut comme les païens. – Eh bien ! mes amis,
quelle différence y a-t-il entre votre conduite et celle des païens
? Savez-vous quels sont les vices ordi-naires chez les païens ? Les
uns, corrompus par le vice infâme de l'impureté, vomissent
de leur bouche toutes sortes d'abominations ; les autres, adonnés
à la gour-mandise, ne recherchent que les bons morceaux ou se remplissent
de vin ; toute l'occupation de leurs filles n'est que dans la parure et
le désir de plaire. Que pensez--vous, M.F., de cette conduite ?
– C'est la conduite de personnes qui n'ont point l'espérance d'une
autre vie. -Vous avez raison. Et quelle différence y a-t-il entre
votre vie et la leur ? Si vous voulez parler franchement, vous conviendrez
qu'il n'y en a aucune, et que, par con-séquent, vous n'êtes
chrétiens que de nom. O mon Dieu ! que vous avez peu de chrétiens
pour vous imiter ! Hélas ! s'il y en a si peu pour porter leur croix,
il y en aura aussi bien peu pour vous bénir pendant l'éter-nité.
3° On plante des croix bénites
dans les champs, et on en place dans les endroits où sont les récoltes
: la raison en est que nos péchés semblent continuellement
presser la justice de Dieu pour attirer sur nous les fléaux de sa
colère ; les grêles, les gelées, les sécheresses,
les inon-dations. Comme par la croix le Fils de Dieu nous a réconciliés
avec son Père, et nous a mérité les trésors
célestes ; l'intention de l'Église est, en les plaçant
dans les champs, d'en écarter les calamités. La bénédiction
qu'elles reçoivent est pour demander à Dieu de ne pas détourner
ses yeux miséricordieux des champs où elles sont plantées,
et d'y répandre ses bénédictions. Mais ce n'est pas
tout de planter des croix, il faut encore le faire avec piété,
avec foi, et surtout ne pas être alors en état de péché
; vous êtes sûrs que si vous les plantez avec de tels sentiments,
le bon Dieu bénira vos terres et les garantira de malheur temporel.
Si vos croix ne pro-duisent pas l'effet que vous deviez en attendre, ce
n'est pas difficile à concevoir, c'est que vous allez les planter
sans foi, sans piété ; c'est qu'en les plantant, vous n'avez
peut-être pas même dit un Pater et un Ave à genoux ;
ou, si vous avez prié, c'est peut-être un genou à terre
et l'autre en l'air. Si cela est, comment voulez--vous que le bon Dieu
bénisse vos récoltes ? Mais lorsque vous les retrouvez ,
c'est bien une autre abomi-nation !... Oh ! que la religion a donc perdu
de son ancienne beauté ! Oui, ces croix sont vraiment plantées
dans des champs de païens, et non de chrétiens. O mon Dieu
! dans quel malheureux siècle sommes-nous donc arrivés !...
Lorsque l'Église institua
cette sainte cérémonie, chacun enviait le bonheur de placer
ces croix dans son champ, on le faisait avec le respect le plus profond.
Lorsqu'on les retrouvait, soit en moissonnant, soit en vendangeant, on
se prosternait la face contre terre pour adorer Jésus-Christ, mort
sur la croix pour nous, et on exprimait ainsi sa reconnaissance de ce qu'il
avait bien voulu conserver et bénir la récolte. Tous, les
larmes aux yeux, baisaient le signe sacré de notre Rédemption.
Hélas ! mon Dieu, ce n'est plus ainsi que les chrétiens,
vous témoignent, leur reconnaissance ! Oserai-je le dire ? Ils imitent
Judas et les Juifs ! Ils ressemblent aux Juifs, lorsqu'ils fléchissaient
le genou pour insulter sa royauté ; ils imitent Judas, qui le baisa
avec une bouche souillée des plus grands crimes. Les uns et les
autres ne lui rendaient ce semblant de respect que par dérision
; n'est ce pas là vraiment ce que vous faites quand vous rencontrez
une croix ? Au lieu de témoigner à Dieu votre reconnaissance
de ce qu'il a bien voulu bénir et conserver les fruits de la terre
; n'est-ce pas une injure que vous lui faites, que de la baiser en riant
? N'est ce pas faire acte de dérision ou plutôt, d'idolâtrie,
que de présenter une poignée de blé, comme si vous
encensiez la personne qui tient la croix. Allez, malheureux, ou dans ce
monde ou dans l'autre, le bon Dieu vous punira. Pères de famille,
ne vous avais-je pas dit, il y a deux ans, qu'au moment de la moisson,
vous deviez prendre toutes les croix qui sont dans vos champs, afin d'éviter
leur Profa-nation ? Ne vous avais-je pas recommandé de les remettre
sur vos gerbiers, et, quand vous avez battu votre blé, de les faire
brûler, dans la crainte qu'elles ne fussent pro-fanées ? Si
vous n'avez pas fait cela, vous êtes très cou-pables ; vous
devez ne pas manquer de vous en confesser. Hélas ! qui pourrait
compter toutes les horreurs qui se commettent au moment de la moisson,
ou des ven-danges, dans ces moments où Dieu, dans sa bonté
et sa charité, couvre la terre des dons de sa providence ! L'homme
ingrat semble redoubler alors ses injures, et multiplier ses outrages.
Comment osez-vous murmurer de ce que vos récoltes manquent, de ce
que la grêle ou la gelée vous les enlèvent ? Ah ! plutôt,
soyez dans l'étonnement, de ce que, malgré tant de péchés,
le bon Dieu veut encore vous donner votre nécessaire, et bien plus
qu'il ne faut encore ! O mon Dieu, que l'homme est mi-sérable et
aveugle !
4° Le signe de la croix est
l’arme la plus terrible contre le démon ; aussi, l'Église
veut-elle que, non seu-lement nous l'ayons continuellement devant les yeux,
pour nous rappeler ce que notre âme vaut, ce qu'elle a coûté
à Jésus-Christ ; mais encore que nous le fassions à
tout moment sur nous-mêmes : en nous couchant, lorsque nous nous
éveillons la nuit, lorsque nous nous levons, quand nous commençons
nos actions, et surtout lorsque nous sommes tentés. Nous pouvons
dire qu'un chrétien qui fait le signe de la croix avec des sentiments
de piété, c'est-à-dire, bien pénétré
de l'action qu'il accomplit, fait trembler tout l'enfer .Une personne tentée
qui fait ce signe de notre salut avec une foi vive peut dire qu'elle écrase
les démons et réjouit toute 1a cour céleste. Voyez
saint Antoine, à qui les démon, faisaient une guerre rude
et continuelle ; de quels moyen: se servait-il pour se défendre,
sinon du signe de notre Rédemption ? Un jour que les démons
le tentaient, il leur dit : « Que vous êtes peu de chose !
moi qui ne suis qu'un pauvre solitaire, pouvant à peine me tenir
droit, accablé par la pénitence, d'un seul signe de croix
je vous mets tous en déroute ». Il est raconté dans
la vie de sainte Justine , que Cyprien le magicien, épris de sa
beauté, s'était vendu au démon, pour qu'il employât
tous ses artifices afin de la porter au mal. Le démon ne tarda pas
à lui avouer qu'il ne pouvait rien sur elle, parce que, à
la première tentation, elle faisait le signe de la croix, et qu'ainsi
elle rendait ses efforts inutiles.
Mais quand nous faisons le signe
de la croix, il faut le faire non par habitude, mais avec respect, avec
attention, en pensant à ce que nous faisons. O mon Dieu ! de quel
saint tremblement ne serions-nous pas pénétrés, si,
en le faisant sur nous, nous nous rappelions que nous pro-nonçons
tout ce que nous avons de plus saint et de plus sacré dans notre
religion ! Voyez de quelle dévotion nous serions pénétrés,
si nous pensions que nous nom-mons les trois personnes de la très
sainte et très adora-ble Trinité : le Père, qui nous
a créés et tirés du néant comme tout ce qui
existe ; le Fils, qui a pris un corps et une âme dans le sein de
la très sainte Vierge, qui s'est sa-crifié pour nous sauver
tous de l'enfer, et nous mériter un bonheur éternel ; le
Saint-Esprit, qui fait de notre cœur son temple, à qui nous sommes
redevables de toutes les bonnes inspirations et de tous les bons désirs
que nous avons. Voyez. M.F., si vous faisiez toutes ces réflexions
combien vous seriez pénétrés d'amour et de reconnais-sance
envers ce Dieu en trois personnes, surtout lorsque, entrant à l'église,
vous prenez de l'eau bénite. Oh ! s'il en était ainsi, l'on
n'entrerait qu'en tremblant. C'est pourquoi, lorsque vos enfants commencent
à remuer les bras, il faut bientôt leur faire former ce signe
sacré, et leur en inspirer le plus grand respect.
5° Vous me demanderez peut-être
ce que veulent dire ces mots : Invention de la sainte Croix, Exaltation
de la sainte Croix ? Mes amis, ce sont deux fêtes dont l'une se fait
le 3 mai, et l’autre le 14 septembre. Voici l'origine de la première
: Il y avait 326 ans que Jésus-christ était mort , l'empereur
Constantin combattant contre le tyran Maxence, vit dans les airs une croix
plus brillante que le soleil, et sur laquelle étaient écrites
ces paroles : « Par ce signe, tu seras victorieux de ton ennemi.
» L'empereur, frappé d'un tel prodige, fit aussitôt
peindre ce signe sacré sur ses armes et ses drapeaux, et rem-porta
une victoire éclatante. Sainte Hélène, sa mère,
conçut envers la croix de Jésus-christ une telle dévo-tion,
qu'elle ne se donna plus de repos qu'elle ne l'eût trouvée.
Elle alla donc à Jérusalem. Dieu lui ayant fait connaître
le lieu où elle était, après de pénibles recher-ches,
elle la trouva ainsi que les deux autres croix des larrons. Afin de distinguer
quelle était celle du Sauveur, on apporta un mort qui, étant
mis sur les deux premières, ne ressuscita point. Mais lorsqu'on
l'eut déposé sur la troisième, le mort se leva et
se mit à marcher . Cette croix a été la source d'un
nombre infini de mira-cles. Saint Jean Chrysostome l'appelle l'espérance
des chrétiens, la résurrection des morts, la consolation
des pauvres, l'espoir des riches, la confusion des orgueilleux et le tourment
de l'enfer. O mes enfants, nous dit saint Epiphane, gravons ce signe salutaire
sur le sommet de nos portes, sur nos fronts, sur notre bouche, sur notre
poi-trine ; revêtons-nous souvent de cette armure impéné-trable
contre le démon. Ne restons jamais sans avoir sur nous ce signe
sacré. Dieu, pour nous montrer com-bien il tenait à ce que
le bois sacré sur lequel il est mort, fût vénéré
dans tout l'univers comme une source de bénédiction, a permis
que, pendant plusieurs siècles, le bois de la sainte croix ne diminuât
pas, malgré que l'on en prît sans cesse. Dans la suite, lorsque
cette sainte relique eut été exposée dans tout le
monde chrétien, elle diminua ; maintenant il est à croire
qu'il n'y a pas de pays où l'on ne possède un morceau de
ce bois sur laquelle Jésus-christ a opéré notre salut.
Telle est l'ori-gine de cette fête qui s'appelle l'Invention de la
sainte Croix, parce que c'est le jour qu'elle a été trouvée
par sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin.
La fête que l'on célèbre le 14 septembre, rappelle
que cette sainte croix étant restée quatorze ans chez les
Barbares, qui l'avaient enlevée de Jérusalem, l'empereur
Héraclius, victorieux des Perses, formula dans le traité
de paix qu'on lui rendrait ce bois sacré. On le rapporta en triomphe
à Jérusalem, et voilà pourquoi l'on fait, le 14 septembre,
la fête de l'Exaltation de la sainte Croix.
Les saints, M.F., ont tous aimé
la croix, ils y ont trouvé leur force et leur consolation. Voyez
sainte Lidu-wine à qui trente-huit ans de souffrances ne semblent
qu'un éclair, tant son cœur se dilate dans cette source d'amour
... – Mais, me direz-vous, faut-il donc avoir toujours quelque chose à
souffrir ? tantôt la maladie ou la pauvreté ; tantôt
la médisance ou la calomnie ; une perte de bien ou une infirmité
? – On vous calomnie, mon ami, on vous accable d'injures: on vous fait
tort, tant mieux. C'est bonne marque ; ne vous tourmentez pas: vous êtes
dans le chemin qui mène au ciel. Savez-vous quand il faudrait pleurer
? Je ne sais pas si vous le compren-drez ; mais ce serait précisément
si, au contraire vous n'aviez rien à souffrir, que tout le monde
vous estimât et vous respectât ; vous devriez porter envie
à ceux qui ont le bonheur de passer leur vie dans la souffrance,
les mépris et la pauvreté. Oubliez-vous donc que, dans votre
baptême, vous avez accepté une croix, que vous ne devez quitter
qu'à la mort, et que c'est la clef dont vous vous servirez pour
ouvrir la porte du ciel ? Oubliez-vous donc ces paroles du Sauveur : «
Mon fils, si vous voulez venir après moi, prenez votre croix et
suivez-moi, » non un jour, non une semaine, ni une année,
mais toute votre vie ? Les saints avaient peur de passer quelques
ins-tants sans souffrir,
parce qu'ils regardaient ce temps là comme
perdu. D'après sainte Thérèse, l'homme n'est en ce
monde que pour souffrir, et dès qu'il cesse de souffrir, il doit
cesser de vivre. Saint Jean de la Croix demande à Dieu avec larmes,
pour toute récompense de ses travaux, de lui faire la grâce
de souffrir toujours davantage.
De tout cela, M.F., que devons-nous
conclure ? Le voici. Prenons la résolution de porter un grand respect
à toutes les croix qui sont bénites, et qui nous représen-tent
en abrégé tout ce que notre Dieu a souffert pour nous. Rappelons-nous
que de la croix découlent toutes les grâces qui nous sont
accordées, et que, par conséquent, une croix bénite
est une source de bénédictions ; que nous devons faire souvent
sur nous le signe de la croix, et toujours avec un grand respect ; et enfin,
que jamais nos maisons ne restent dépourvues de ce symbole salu-taire.
Inspirez à vos enfants, M.F., le plus grand res-pect pour la croix
et, sur vous-mêmes, ayez toujours une croix bénite, elle vous
gardera du démon, du feu du ciel et de tout danger. Ah ! M.F., que
cette croix donne de forces à ceux qui ont la, foi !... Qu'à
la vue de cet instrument de salut les souffrances sont peu de choses !...
O belle et précieuse Croix ! que d'heureux vous faites, même
en ce monde, et que de saints pour l'autre !... Ainsi soit-il.
24 JUIN
FÊTE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Mirabilis Deus in sanctis suis.
Dieu est admirable dans ses saints.
(Ps. LXVII, 36.)
Tel fut le langage du Prophète-Roi,
en considérant la grandeur des biens et des grâces que Dieu
accorde à ceux qui l'aiment. Oui, sans doute, M.F., tout ce que
Dieu a fait est admirable : tout nous annonce un Dieu infini en sagesse,
en puissance, en miséricorde et en toute sorte de perfections. Mais,
nous pouvons affirmer que dans ses saints il a fait quelque chose de plus
particulier, ou, pour mieux dire, il a voulu retracer en eux toutes les
vertus que Jésus-Christ son Fils a pratiquées pendant sa
vie mortelle. En effet, voulons-nous con-naître quelle a été
sa vie cachée ? Allons trouver ces anciens solitaires dont les cheveux
ont blanchi dans les forêts, et nous verrons en eux ses propres vertus.
Voulons-nous connaître, du moins en partie, la beauté et l'estime
qu'il a fait de la plus belle des vertus, la pureté ? Entrons dans
les monastères, et nous verrons des per-sonnes de l'un et de l'autre
sexe crucifier sans cesse leur chair, pour conserver en eux une si belle
vertu. Voulons-nous connaître sa vie apostolique ? Considérons
tous ces apôtres et tous ces missionnaires, qui traver-sent les mers
pour annoncer l'Évangile aux idolâtres, qui sacrifient leur
santé et leur vie pour sauver ces pauvres âmes. Désirons-nous
avoir une idée de la vie souffrante de Jésus-Christ ? Allons
trouver ces foules de martyrs, voyons leurs supplices : les uns meurent
sur des chevalets ou des brasiers ardents, les autres sont moulus entre
les dents des lions, ou encore expirent au milieu des plus affreux tourments.
Oui, M.F., il nous semble revoir en tous ces saints, la vie propre de Jésus--Christ.
C'est précisément ce qui faisait dire d'avance au saint Roi-Prophète
: « O mon Dieu, que vous êtes admi-rable dans vos saints !
» Cependant, M.F., nous pou-vons dire que saint Jean-Baptiste, dont
nous faisons la fête, et que nous avons le bonheur d'avoir pour protec-teur
particulier, renferme en lui seul toutes les vertus des autres saints.
La vie du Sauveur a été tout employée à plaire
à son Père, à sauver les âmes et à faire
péni-tence : telle aussi a été la vie de saint Jean-Baptiste.
La vie de Jésus-Christ a été pure ; pure a été
celle de saint Jean-Baptiste. Dès l'âge le plus tendre, il
se retira dans le désert, dont il ne sortit que pour combattre le
péché et mourir pour son Dieu, avant que son Dieu ne mourût
pour lui. Jésus-Christ est mort pour réparer la gloire de
son Père : saint Jean est mort pour soutenir les droits de son Dieu.
Oh ! M.F., que de vertus l'on découvre dans ce grand saint ! Il
est vrai que Marie tient le pre-mier rang après son Fils ; mais
nous pouvons dire qu'a-près Marie, saint Jean-Baptiste tient le
premier rang. Pour vous engager, M.F., à avoir une grande confiance
à cet incomparable saint, je vais vous faire connaître quelques-unes
des grâces que le bon Dieu lui a faites, de préférence
aux autres élus.
Si nous voulons faire l'éloge
de certains saints, nous commençons à montrer les vices auxquels
ils se sont d'abord abandonnés ; puis nous tâchons de les
noyer dans leurs larmes, et de les couvrir par les pénitences qu'ils
ont pratiquées pendant le reste de leur vie. Nous voyons d'un côté
la faiblesse humaine, et de l'autre la puissance de la grâce. Parlons-nous
de sainte Madeleine ? Nous commençons par raconter sa misérable
vie, en-suite les larmes qu'elle a versées et les pénitences
qu'elle a faites pour apaiser la justice de Dieu. Vous parlons-nous de
saint Pierre ? Nous vous disons qu'après avoir eu le malheur de
renier son divin Maître, il pleura amèrement, et sa pénitence
dura autant que sa vie. Leurs larmes et leurs pénitences nous consolent
; mais cependant leurs péchés nous affligent, parce qu'ils
ont offensé un Dieu si bon et qui mérite tant d'être
aimé ! Mais, M.F., chez notre bon et grand saint Jean-Baptiste,
nous ne trouvons rien qui puisse nous attrister. Tout doit, au contraire,
nous réjouir ; car nous ne voyons en lui que du bien et point de
mal : il n'a que des vertus et point de péchés. On ne commence
à compter les vertus des autres saints et leurs pénitences
qu'à partir d'un certain âge ; mais, de saint Jean-Baptiste,
nous pouvons commencer à dire des merveilles, même avant sa
naissance. Oh ! M.F., qu'il fait bon louer un saint dans lequel nous ne
voyons que les vertus les plus sublimes ! Mais la grande difficulté
que nous trouvons à faire l'éloge de saint Jean-Baptiste,
c'est que ses vertus sont portées à un si haut degré
de perfection et tellement au-dessus des connaissances de l'homme, qu'il
nous semble témé-raire de vouloir entreprendre d'en dire
quelque chose. Ne devrions-nous pas nous contenter de louer et de bénir
le Seigneur, qui l'a distingué de tous les autres saints d'une manière
si extraordinaire ? Saint Jean-Baptiste est le seul homme qui soit resté
si peu de temps sous la tyrannie du péché ; il n'avait encore
que six mois, lorsque Jésus-Christ vint lui-même le sanctifier
dans le sein de sa mère : grâce qui n'a été
accordée qu'à lui seul. L'on dit bien que le prophète
Jérémie a été sanctifié dans le sein
de sa mère, mais les saints Pères doutent que ce soit de
la même manière.
Pour vous donner une idée
de la grandeur de notre saint, je vous dirai qu'il fut l'ambassadeur du
Père éter-nel, qui l'envoya pour annoncer la venue de son
Fils sur la terre. Oui, M.F., ce grand saint fut comme cette belle étoile
du matin, annonçant le lever du soleil qui doit réchauffer
la terre et ranimer la nature. Le ciel fit tant de cas de saint Jean-Baptiste,
qu'il employa tout ce qu'il y avait de plus grand dans sa cour, pour annoncer
sa venue. Ce fut ce même ange qui annonça la concep-tion du
Sauveur et celle de saint Jean. Ce fut, nous pouvons le dire, un enfant
tout céleste : il a été formé dans le sein
d'une mère, la plus sainte que la terre ait jamais portée,
après la sainte Vierge . Ce fut là plutôt l'ouvrage
de la grâce que celui de la nature ; car ses parents étaient
fort avancés en âge et hors d'état d'avoir des enfants.
Saint Augustin demande pourquoi
l'on célèbre la naissance de saint Jean-Baptiste, tandis
que, pour tous les autres saints, la fête ne se célèbre
que le jour de leur mort ? « C'est, nous dit-il, que les autres saints
n'ont pas été choisis de Dieu ni avant de naître, ni
même en naissant, mais seulement dans le cours de leur vie, après
bien des combats et des pénitences ; saint Jean-Baptiste, au contraire,
a été choisi de Dieu, non seulement en naissant, mais même
avant de naître ; avant de voir le jour, il est prophète ;
il est encore dans le sein de sa mère, que déjà il
reconnaît le Sauveur du monde, lui-même encore dans le sein
de la très sainte Vierge. »
Oui, M.F., disons-le, avant que
ses yeux fussent ou-verts, il contemplait son Dieu et son Sauveur, promis
depuis tant de siècles. Aussi voyons-nous que sa vie a été
un prodige continuel. Sa naissance fut semblable à ce beau soleil
qui paraît tous les jours, portant de toute part la joie et la fécondité.
Son berceau fut comme une montagne de baume, qui répand ses parfums
jusqu'aux extrémités de la terre. En effet, quand saint Jean
vint au monde, tous ses parents, tous ceux des environs étaient
ravis d'admiration ; on les entendait se dire les uns aux autres : «
Que va devenir un jour cet enfant ? Vraiment, la main toute-puissante de
Dieu est sur lui » Oui, M.F., de quelque côté que nous
considérions ce saint, nous ne voyons rien en lui que de grand.
1° Il est grand par le nom de Jean qui lui fut donné ; 2°
il est grand par les grâces dont le ciel l'a comblé ; 3°
il est grand par la mission que Dieu lui a assignée ; 4° il
est grand par les vertus sublimes qu'il a pratiquées ; 5° il
est grand devant Dieu ; 6° il est grand devant les hommes ; 7°
enfin, il est grand dans sa mort. N'est-ce pas un abîme de grandeurs
? N'ai-je pas raison de vous dire qu'on gagne-rait tout autant de garder
le silence, que de vouloir en-treprendre l'éloge d'un si grand saint,
tant ses vertus et ses privilèges sont au-dessus des connaissances
d'un mortel ! Oh ! Que de grâces, M.F., nous pouvons obtenir du ciel
par sa protection !
Je dis donc 1° que saint Jean
est grand par le nom que l'ange lui a donné. Ce fut le Père
éternel qui lui choisit ce nom, pour nous montrer que cet enfant
serait tout céleste. Le nom de Jean signifie grâces, bénédic-tion,
privilège extraordinaire. 2° Je dis qu'il est grand par les
faveurs que le ciel lui accorda. Le bon Dieu, en effet, ne suivit point
les lois ordinaires pour effacer en lui le péché originel
: il fut sanctifié dans le sein de sa mère. Saint Ambroise
nous dit que la grâce de Dieu l'anime, même avant d'avoir la
vie, et saint Pierre Chry-sologue, que Dieu le met dans le ciel avant que
ses pieds ne touchent la terre ; il lui donne l'esprit divin avant l'esprit
humain, et lui fait présent de sa grâce avant que la nature
ait formé son corps. Oui, ajoute ce grand saint, Dieu le fait vivre
en lui avant qu'il ne vive de la vie naturelle. Mais si nous voulons avoir
de cette grandeur une idée encore plus sublime, il faut considérer
que Jésus-Christ lui-même, comme homme, lui a mérité
ces grâces, et que la sainte Vierge fut choisie par le Père
éternel pour en être la dépositaire. Oh ! M.F., que
de grâces, que de vertus, que de grandeurs renfermées dans
un seul saint ! ... A peine Jésus-Christ est-il conçu dans
le sein de sa mère, qu'il part, ou plutôt il lui com-mande
d'aller promptement trouver sa cousine Élisa-beth, afin de sanctifier
son précurseur. « Il semble, dit saint Pierre Damien, que
le Fils de Dieu n'est venu sur la terre que pour celui-là seul :
il laisse tous les autres hommes pour ne chercher que saint Jean. »
Il donne une force extraordinaire à sa Mère pour traverser
les montagnes de la Judée, ce qu'elle fait avec une vitesse incroyable.
A l'arrivée de Marie, sainte Élisabeth et saint Jean-Baptiste
sont saisis d'un doux ravissement. Élisa-beth ouvre la bouche pour
publier les faveurs que Dieu lui fait par la visite de Marie ; Jean-Baptiste
tres-saille de joie, et adore son Dieu et son Sauveur, avant même
de le voir des yeux du corps. Ah ! Heureuse sanctification qui a été
faite par Jésus-Christ lui-même avec tant de bienveillance
et d'empressement !
Mais à cet amour prévenant
de Jésus-Christ ajoutons, M.F., les prévenances de Marie,
la dispensatrice de ses grâces. Oh ! quel bonheur pour saint Jean-Baptiste,
qui, au sortir du sein de sa mère, fut mis entre les bras de la
sainte Vierge ! Oh ! M.F., quelle effusion de grâces, pendant les
trois mois qu'elle demeura chez sa cousine Elisabeth ! Que de fois n'a-t-elle
pas pris cet enfant entre ses bras. Que de fois ne l'a-t-elle pas porté
et baisé ? Saint Ambroise nous dit que la sainte Vierge avait tant
de pureté et de sainteté, surtout depuis qu'elle avait conçu
et enfanté le Fils de Dieu, qu'elle communiquait la pureté
à tous ceux qui la voyaient. Il est impossible, dit ce Père,
de la regarder sans se sentir brûler d'amour pour cette belle et
précieuse vertu. Saint Denis l'Aréopa-gite dit que, même
après l'Ascension de Jésus-Christ, elle avait tant de grâces,
tant de charmes, tant d'attraits, tant de sainteté ; on voyait en
elle tant de majesté et de rayons de la divinité, que tous
l'auraient adorée comme une déesse, si la foi ne l'eût
défendu . Si donc tous ceux qui la regardaient seulement se sentaient
remplis d'une si grande pureté, quelle pureté n'aura-t-elle
pas dû communiquer à saint Jean-Baptiste, en le caressant,
en l'embrassant, en répandant sur ses lèvres l'esprit de
la grâce par son haleine virginale ; car, en ce moment, Jésus
et Marie n'étaient pour ainsi dire qu'une personne ? Jésus,
dans ces temps heureux pour Marie, ne respirait que par la bouche de Marie
; le souffle et l'haleine de Marie n'étaient que la respiration
de Jésus. Si Marie avait tant d'empire sur les âmes après
l'Ascension de Jésus-Christ, quel torrent de grâces ne dut-elle
pas répandre sur saint Jean, alors que Jésus-Christ était
dans son sein ? O heureux enfant ! O heureuse mère ! Que de grâces
la visite de Marie vous a procurées ! Ne devons-nous pas croire
que le petit cœur de saint Jean fut, dans ces moments heu-reux, un brasier
de flammes de l'amour divin ? Mais si tant de grâces sont accordées
à sa naissance, que sera--ce donc durant le cours de sa vie ? A
chaque instant, Dieu lui donne de nouvelles faveurs ; il les lui donne
dès le sein de sa mère, et il ne s'arrêtera que dans
le moment où le roi Hérode lui fera trancher la tête,
pour la faire porter à l'infâme Hérodiade.
3° Saint Jean-Baptiste est grand
par la mission que Dieu le Père lui a assignée de toute éternité.
Le Saint--Esprit n'en parle qu'avec des transports d'admiration : il nous
apprend que le Père Éternel l'a choisi pour annon-cer aux
hommes la venue du Sauveur. Les prophètes et les figures l'ont désigné
longtemps d'avance ; mais Jean-Baptiste est lui-même la voix de Dieu
criant dans le désert, annonçant au peuple que le royaume
des cieux est pro-che, que le Sauveur est déjà sur la terre.
Voyant venir à lui le Fils de Dieu, Jean, tout ravi de joie, se
tourne vers le peuple en disant : « Voici l'Agneau de Dieu, voici
celui qui efface les péchés du monde » Voici
le Ré-dempteur du monde, promis et attendu depuis quatre mille ans
; c'est lui-même qui vient racheter les hom-mes... « faites
donc de dignes fruits de pénitence ! » Oui, M.F., cet
office de précurseur est si relevé, que nous n'avons point
de termes pour en parler dignement. Le Père éternel a voulu
que saint Jean-Baptiste prit les intérêts de son Fils ; c'est
à lui seul qu'il semble vouloir confier le soin de sa cause, comme
étant le cœur le plus pur et le plus digne. Mais ce qui augmente
presque à l'infini la grandeur de saint Jean-Baptiste, c'est d'avoir
eu l'honneur de baptiser son Dieu ; cette mission achève entièrement
de mettre le comble à sa gloire. « O mon Dieu ! s'écrie
saint Augustin avec des transports d'admi-ration, quelle plus grande gloire
pour un serviteur, que celle de baptiser son Sauveur et son Maître
? Quel hon-neur pour une créature de voir à ses pieds son
Créa-teur » « Mes enfants, nous dit Tertullien,
pour tou-cher le corps adorable de Jésus-Christ, il fallait que
saint Jean-Baptiste eût une pureté proportionnée à
celle de la sainte Vierge, » ce qui semble le mettre presque au même
rang.
4° Saint Jean-Baptiste est grand
par les vertus sublimes qu'il a pratiquées. Je ne vous parlerai
pas, M.F., de ses vertus intérieures ; c'est un chaos qui n'a point
de fond, et que Dieu seul a pu sonder : tout au plus pouvons-nous parler
de celles qui ont paru aux yeux des hommes, et qui ont rempli le monde
d'étonnement. Si nous voulons considérer sa pénitence,
son zèle infati-gable, son détachement et sa grande humilité,
nous ne saurons de quelle vertu il faut d'abord parler. Je dis d'abord
qu'il sortit de la maison paternelle encore enfant, pour aller dans un
désert où il vécut seul, dans la com-pagnie des bêtes
sauvages ; il n'avait pour tout vêtement qu'une tunique grossière,
faite de poils de chameau. Sa nourriture se composait d'un peu de miel
sauvage et de sauterelles . L'eau seule lui suffisait pour boisson, encore
en prenait-il si peu que Jésus-Christ nous dit « qu'il ne
mangeait ni ne buvait » nous faisant ainsi comprendre qu'il prenait
peu de chose pour soutenir sa vie. Nous voyons, il est vrai, beaucoup de
saints aller passer le reste de leurs jours dans les bois ; mais ils avaient
de quoi se loger et pourvoir à leurs besoins. Saint Jean, nous pouvons
le dire, est le seul qui soit entré si jeune dans les forêts.
En effet, il aurait eu à peine dix-huit mois, lorsque le roi Hérode
conçut le barbare des-sein de faire mourir tous les enfants au-dessous
de deux ans. Son père, Zacharie, conseilla à Élisabeth,
sa femme, de prendre l'enfant et de fuir, afin d'éviter le massacre.
En effet, après toutes les merveilles dont on avait été
témoin à sa naissance, il était à craindre
qu'on ne le prit pour le Messie. Pour épargner la mort à
son enfant, Élisa-beth s'enfuit dans les bois en toute hâte,
s'abandonnant ainsi aux mains de la Providence ; mais, hélas ! Quarante
jours après, elle mourut ! Les officiers du roi étant
venus trouver Zacharie, lui demandèrent où étaient
l'en-fant et sa mère ? Le père répondit qu'il ne pouvait
le leur dire. Écumant de rage, ils l'assommèrent entre le
vesti-bule et l'autel ; car il était alors à prier dans le
temple . Mais que va devenir notre saint Jean, n'ayant pas encore deux
ans, au milieu d'un bois, sans père, sans mère, sans espérance
du moindre secours humain ? Cela vous étonne peut-être, mais
ne craignez rien, tout ceci ne se fait que par un ordre exprès de
la Providence. Quoique ses parents fussent de grands saints, ils n'étaient
pas encore dignes cependant d'avoir soin de cet enfant incomparable ; c'était
aux anges qu'était réservé cet honneur. A peine Élisabeth
fut-elle morte, que le Père Éternel envoya, non pas seulement
un ange, mais une foule d'anges, qui veillèrent à la conservation
de cet enfant céleste, jusqu'au moment où il put se suffire
à lui-même. Nous savons bien que le Seigneur envoya plusieurs
fois à ses saints de quoi secourir leur misère aux uns, des
corbeaux, tel qu'à un saint Paul, ermite ; aux autres, des chiens,
comme à saint Roch ; des biches, comme à saint Gilles ; il
commanda une fois à un ange d'aller porter de la nourriture au prophète
Élie, dans le temps que la reine Jézabel le persécutait
. Mais pour notre saint Jean, les animaux n'auraient osé approcher
de l'ambassadeur du Père Éternel. Ce n'était pas assez
d'un ange, il fallait que le ciel entier s'employât pour lui seul.
Notre saint est donc privé des bras maternels ; mais tout aussitôt
les anges viennent et l'entourent. « O mon Dieu ! s'écrie
l'illustre cardinal Baronius, quel prodige de merveilles que cet enfant,
qui, même en naissant, étonne le ciel et la terre ! »
Sa pénitence commence presque
avec sa vie. Ah ! pauvre enfant, pourquoi faites-vous pénitence
? C'est vrai, il n'est pas le seul qui ait fait pénitence. Quand
nous parcourons les vies des Saints, nous y trouvons des rigueurs qui font
frémir et confondent notre lâcheté. Les uns passent
sept ou huit jours sans boire ni manger ; d'autres, tel qu'un saint Siméon
Stylite , vont même jusqu'à quarante jours ; ou bien ils endureront
des tourments à faire mourir de frayeur, ici qu'un saint Venance,
une sainte Reine, et bien d'autres encore. Néanmoins, nous voyons
que tous avaient péché, et tous, par consé-quent,
avaient besoin de faire pénitence pour satisfaire à la justice
divine. Mais notre saint Jean, pourquoi fait-il pénitence ? Sa voix
n'est-elle pas la plus sainte et la plus pure de toutes les vies, après
celle de la sainte Vierge ? En voici la raison. Étant l'ambassadeur
du Père Éternel pour annoncer la venue de son Fils, il fallait
qu'il fût orné des plus sublimes vertus, et que sa seule présence
commençât à ébranler et à toucher les
cœurs par l'exem-ple d'une vie si innocente et si pénitente. Les
larmes et les gémissements sont toute sa nourriture et son occupa-tion
; il n'est aucune vertu qu'il ne pratique au plus haut degré de
perfection. Si, après tant d'années de larmes et, de pénitences,
il quitte son désert, c'est pour annoncer au peuple et préparer
la venue du Messie ; s'il eut tant de courage, c'est qu'il espérait
donner sa vie pour son Sauveur, avant que son Sauveur ne la donnât
pour lui.
Il fut grand par son zèle.
Il parlait avec tant d'ardeur, avec un zèle si enflammé,
qu'il étonnait tout le monde. L'on croyait voir en lui le prophète
Élie revenu sur la terre et monté sur son char tout de feu,
pour convertir les pécheurs les plus endurcis. Rien n'est capable
de l'arrêter ; partout où il trouve le vice, il le combat
avec un zèle inouï. Il reproche aux pécheurs leur vie
hon-teuse, et les menaces de la colère de Dieu s'ils ne font pénitence
: « Races de vipères, leur dit-il, qui vous a appris à
fuir la colère du Seigneur prête à tomber sur vous
? Faites donc de dignes fruits de pénitence, ne retar-dez plus votre
conversion ; car la cognée est au pied de l'arbre, et tout arbre
qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu
. » « Oui, s'écrie saint Bernard, il était
tellement enflammé de l'amour de Dieu, que ses paroles étaient
comme des charbons ardents, capables d'embraser les cœurs les plus glacés
et de convertir les pécheurs les plus endurcis. » Si on lui
demandait ce qu'il fallait faire pour se préparer à la venue
du Messie « Que celui, leur disait-il, qui a deux habits en donne
un aux pauvres. Que celui qui a du pain en donne à celui qui n'en
a point . » Enfin, dans l'ardeur de son zèle, ayant appris
que le roi s'abandonnait au vice infâme de l'impureté, il
va à la cour, et lui reproche hardiment une vie si honteuse et si
indigne. Cependant, il savait très bien que cette démarche
lui coûterait la vie ; n'im-porte, la gloire de Dieu est attaquée,
cela lui suffit pour que ni les menaces, ni les tourments ne puissent l'arrê-ter
; il foule tout sous ses pieds, il ne se croit au monde que pour défendre
les intérêts de son Dieu, et, dès que l'occasion s'en
présente, il la saisit. Ah ! plût à Dieu que ses ministres
d'aujourd'hui fussent tous dans les mêmes dispositions, et que ni
les promesses, ni les menaces ne fussent pour eux un sujet de trahir leur
conscience ! Oui, M.F., ce grand saint brûlait du désir de
donner sa vie pour son Sauveur. Oh ! si nous avions tous ce bonheur, et
si nous faisions pour cela tout ce qui serait en notre pouvoir, que de
péchés de moins, que de vertus et de bonnes œuvres de plus
! ...
Il est grand par son détachement
des biens de ce monde et le mépris même de la vie. Il a, en
quelque sorte, surpassé Jésus-Christ dans sa pauvreté.
Si Jésus--Christ n'a pas voulu naître dans une maison qui
appar-tînt à ses parents ; cependant, quelque temps après,
il est revenu à Nazareth, dans la maison de sa mère. Saint
Jean-Baptiste, au contraire, quitta la maison paternelle à l'âge
de dix-huit mois environ, et il n'y revint jamais. Le Fils de Dieu fut
bien pauvre dans ses vêtements et sa nourriture ; saint Jean-Baptiste,
pour ainsi dire, l'a été encore davantage. Le Fils de Dieu
avait des habits ordinaires ; lui, n'a qu'une peau de chameau toute héris-sée
de poils. La nourriture du Fils de Dieu est un peu de pain ordinaire ;
celle de saint Jean-Baptiste est un peu de miel sauvage et quelques sauterelles.
Le Fils de Dieu se reposait sur un bien mauvais lit ; saint Jean n'avait
que la terre nue. Aussi Jésus-Christ lui-même dit que Jean-Baptiste
ne mangeait ni ne buvait, pour nous mon-trer la grandeur de sa pénitence.
Le Sauveur du monde avait encore la compagnie de ses parents ; saint Jean-Baptiste
n'eut que la compagnie des bêtes sauvages. N'est-il pas vrai, M.F.
? nous sommes forcés de l'avouer, l'on ne peut trouver le fond de
cet océan de vertus, et tout ce que nous pouvons en dire n'est rien.
Il est grand par son humilité.
Jamais, M.F., la terre n'a eu le bonheur de voir un saint aussi humble.
Il est, après la sainte Vierge, tout ce qu'il y a de plus grand,
et il se compare à tout ce qu'il y a de plus vil et de plus faible
sur la terre. Il jouit, aux yeux du monde, de la plus haute réputation
: les uns le regardent comme un ange descendu du ciel, les autres le prennent
pour le Messie lui-même. En effet, les pontifes et les premiers d'entre
les Juifs avaient conçu de lui une si grande idée, qu'ils
lui envoyèrent tout ce qu'il y avait de plus consi-dérable
dans leur nation, tel que les prêtres et les lévites, pour
savoir de lui-même et de sa propre bouche, qui il était. On
lui demanda d'abord s'il était le Messie ; car une vie remplie de
tant de prodiges, si retirée et si pé-nitente, ne pouvait,
à leurs yeux, convenir qu'au Messie. Cet abîme d'humilité
leur répond sans détours : « Non. » Ne pouvant
se persuader qu'il fût un homme ordinaire, ils lui demandent s'il
est Elie ; sachant que ce prophète était un homme de miracles.
II dit de nouveau : « Non, je ne le suis pas. » « Mais,
lui disent-ils, si vous n'êtes ni le Messie, ni un prophète,
dites-nous qui vous êtes, afin que nous rendions raison à
ceux qui nous ont en-voyés vers vous. » « Eh bien !
leur répond ce prodige d'humilité, je suis la voix de celui
qui crie dans le dé-sert : Préparez les voies du Seigneur,
faites péni-tence » Pouvait-il mieux montrer son humilité,
di-sant qu'il n'est que le son d'une voix retentissant dans le désert
? Peut-on trouver quelque chose de plus faible et de moindre valeur que
le son de la voix ? « Celui qui vient après moi est infiniment
plus grand que moi, je ne suis pas même digne de toucher le cordon
de ses souliers. » O humilité incomparable ! Il pouvait très
bien s'attribuer la qualité de prophète, puisqu'il est envoyé
de Dieu pour annoncer la venue de son Fils ; mais, afin de détruire
la bonne opinion que l'on avait de lui, il se sert des termes les plus
capables de le faire confondre avec le commun des mortels. « Il est
aisé, M.F., nous dit saint Augustin, de ne pas désirer les
louanges quand on ne veut pas nous les donner ; mais il est difficile de
ne pas prendre plaisir à les entendre lorsqu'on les publie devant
nous. »
5° Saint Jean-Baptiste est grand
devant Dieu, parce que Jésus-Christ lui-même a fait son panégyrique,
et qu'il a loué toutes ses belles vertus. Assurément, il
y a bien de la différence entre les louanges que donnent les hommes,
et celles que Dieu donne lui-même. Tous les hommes sont sujets à
se tromper, mais Dieu n'estime et ne loue que ce qui est digne d'être
estimé ou loué. O quelle gloire pour notre saint d'avoir
été grand devant Dieu ! C'est le plus grand des honneurs.
Jésus-Christ en a fait tant d'estime, qu'il n'a pas voulu qu'un
homme ordinaire, ni même un ange, fît l'éloge de ses
vertus ; il a voulu le faire lui-même : montrant ainsi qu'il n'y
avait nulle créature dans le ciel ni sur la terre, capable de le
faire dignement. Nous lisons, il est vrai, dans l'Écriture sainte,
que Dieu dit, parlant de Moïse, de Joseph, du prophète Nathan
et du prophète Élie, qu'ils ont été grands
devant les rois de la terre ; mais, pour être grand devant Dieu,
saint Jean-Baptiste seul est mis à ce rang. Si j'osais, je dirais
que Dieu semble vouloir l'égaler à lui-même. L'ange,
messager de l'Incarnation, se sert des mêmes paroles, en parlant
à Marie et en parlant à Éli-sabeth : « Le Fils
qui naîtra de vous sera grand devant Dieu et devant les hommes. »
D'après cela, M.F., n'avais-je pas raison de vous dire que nulle
créature n'était capable de faire l'éloge de cet ange
terrestre ? Jésus-Christ, il est vrai, a bien loué Madeleine
pour avoir embrassé ses pieds ; il a bien loué le Centenier
et la Chananéenne, en disant qu'il n'y avait point de foi si grande
en tout Israël, mais cela n'est dit que pour quel-ques vertus particulières
; il prend, au contraire, un sin-gulier plaisir à parler de chacune
des perfections de notre saint. Écoutez-le quand, s'adressant aux
Juifs, il leur parle de sa fermeté : « Qu'êtes-vous
allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le
vent ? » c'est-à-dire un homme ordinaire, qui a pour apanage
l'inconstance et la faiblesse, qui plie à tous les vents. Mais non,
c'est un homme inébranlable, et inviolablement attaché aux
lois de son Dieu. Entendez-le parler de sa pénitence. Qui êtes-
vous allé voir ? « Avez-vous vu un homme vêtu délicate-ment
» comme les mondains ? « Non, ces personnes se tiennent dans
les maisons des grands. » Enfin, pour porter ses louanges comme à
l'infini, il dit que « nul d'entre les enfants des femmes ne peut
l'égaler . » Que peut--on dire de plus, M.F. ? Quand Jésus-Christ
a loué quel-ques vertus, il ne les a jamais mises au-dessus de celles
d'autres saints ; mais, quand il loue Jean-Baptiste, il exalte sa sainteté
au-dessus de celle de tous les autres hommes. Encore, il finit par assurer
que « c'est un pro-phète, et plus qu'un prophète. »
Oh ! M.F., que de grâces et que de bénédictions nous
obtiendrions, si nous avions le bonheur d'avoir une vraie confiance en
ce grand saint ! ...
6° Saint Jean est grand devant
les hommes. Plusieurs siècles avant, les prophètes ont annoncé
sa naissance, et ils ont employé, en parlant de sa venue, toute
l'élo-quence que le Saint-Esprit leur avait donnée. Le pro-phète
Isaïe le peint sous la figure d'une voix retentis-sante, qui se fera
entendre dans tous les déserts de la Judée . Jérémie
le compare à un mur d'airain et à une flèche embrasée,
pour nous montrer sa constance et son zèle pour la gloire de Dieu
. Malachie l'appelle un ange, pour nous montrer la beauté et la
grandeur de sa pureté . « L'opinion que l'on avait de lui
était si grande, dit saint Jean Damascène, que tout le peuple
le suivait en le prenant pour le Messie. Quand il eut le bonheur de baptiser
Jésus-Christ, on lui eût attribué ces paroles qu'on
entendit descendre du ciel. « C'est ici mon Fils bien-aimé,
» si le Saint-Esprit, qui parut alors sous la forme d'une colombe,
n'eût fait connaître le Fils de Dieu en se reposant sur sa
tête. » Après sa mort, on a cru voir en la personne
de Jésus-Christ, Jean-Baptiste ressuscité. Les Pères
de l'Église ne savent en quels termes parler de lui, tant ils trouvent
ses mérites au--dessus de leur science. Saint Pierre Chrysologue
l'appelle l'école de la vertu, le modèle de la sainteté,
la règle de la justice, le martyr de la virginité, l'exemple
de la chas-teté, le prédicateur de la pénitence, la
voix des apôtres, la lumière du monde, le témoin de
Dieu et le sanctuaire de la sainte Trinité. Et pour vous donner
une idée de l'estime que l'Église du ciel, et de la terre
fait de notre saint, je vous dirai que Dieu avait inspiré à
son Église la pensée de célébrer trois messes
le jour de sa nais-sance, comme à la naissance du Sauveur ; tant
sa vie a de conformité avec celle du divin Maître. Hé
bien ! M.F., vous faisiez-vous une telle idée de la grandeur, de
la dignité et de la sainteté de notre Jean-Baptiste ? Ah
! mes amis, pourquoi avons-nous si peu de dévotion et de confiance
aux saints ? C'est que nous n'avons jamais pris la peine de connaître
les vertus et les pénitences qu'ils ont pratiquées, et le
pouvoir qu'ils ont auprès du bon Dieu.
7° Enfin, saint Jean-Baptiste
est grand par sa mort. Elle est parfaitement conforme à celle de
Jésus-Christ. Jésus-Christ a tracé 1e chemin du ciel
à tous les saints, quant à saint Jean-Baptiste, il l'a fait
marcher devant lui. Jean-Baptiste l'a précédé au désert,
avant lui il a embrassé la pénitence extérieure, avant
lui il a prêché, avant lui il est mort. Le Sauveur a été
délaissé et aban-donné de tous ses amis, excepté
de sa sainte Mère ; saint Jean semble l'avoir été
encore davantage. Jésus-Christ dans sa passion, est suivi de plusieurs
saintes femmes en pleurs ; saint Jean n'est consolé de personne
: à l'exemple de son divin Maître, il va mourir dans les tourments
et l'abandon universel. Quand le bienheureux saint Étienne fut lapidé
par les Juifs, il eut le bonheur d'être encouragé par le Seigneur
lui-même, qui ouvrit les cieux, et, par cette brèche, se montra
à lui. Saint Jean souffre une mort encore plus amère que
saint Etienne, car si Jésus eût voulu consoler saint Jean,
il n'aurait pas eu besoin d'ouvrir les cieux ; mais, seule-ment, de faire
quelques pas pour venir de Galilée en Judée.
Il aurait pu au moins lui envoyer
un ange pour le consoler comme il fit à saint Pierre, qui, ayant
été mis en prison dans la même ville de Jérusalem
par l'ordre d'Hérode, un ange lui fut envoyé qui brisa ses
chaînes, et le rendit sain et sauf aux fidèles . Pourquoi
donc, M.F., Jésus-Christ n'agit-il pas de la sorte envers son parent,
le plus innocent de tous les saints, le plus aus-tère de tous les
confesseurs dans les rigueurs de la péni-tence, le plus chaste parmi
les vierges, le plus mortifié et le plus affligé des martyrs
dans sa passion et dans sa mort ? Ne vous étonnez pas, M.F.,
de voir un si grand saint, dont Dieu lui-même a tant fait d'éloges,
mourir sans consolation et abandonné à sa dernière
heure ; après avoir été pendant toute sa vie une image
vivante de Jésus-Christ, il fallait qu'il le fût encore dans
sa mort. De même que le Fils de Dieu devait être, à
son dernier moment, abandonné de son Père, de même
aussi il fal-lait que notre saint fût abandonné de son propre
parent. Le zèle que Jésus-Christ fit paraître pour
la gloire de son Père, sa liberté de reprendre le vice, lui
attirèrent des accusateurs et des faux témoins. Il en fut
de même pour saint Jean-Baptiste . Hérode voyant sa liberté
à le reprendre, le fit mettre en prison sur la demande d'Hé-rodiade,
femme adultère. Ceux qui témoignèrent à faux
contre Jésus-Christ étaient des gens méprisables ;
ceux qui firent condamner saint Jean-Baptiste, étaient tout ce que
la terre avait porté de plus infâme : un roi impu-dique, une
femme adultère et sa fille qui n'était pas moins infâme.
Pendant que le roi et toute sa cour étaient livrés à
la débauche et à l'impudicité, celle-ci dansa avec
tant de grâce, que le roi promit de lui donner ce qu'elle voudrait,
quand ce serait la moitié de son royaume. L'infâme fille s'adressa
à sa mère pour savoir ce qu'elle devait demander au roi.
Cette mère adultère, ennemie du plus saint des hommes : «
Allez, dit-elle, prenez ce plat, et apportez-moi la tête de Jean.
» La malheureuse fille, digne d'une telle mère, va aussitôt
trouver le roi. « Donnez-moi, dit-elle, dans ce plat, et sur-le-champ,
la tête de Jean-Baptiste. » Le roi sembla avoir horreur de
cette demande, mais, ne voulant passer pour inconstant, il commanda au
bourreau d'aller trancher la tête à Jean. Cette fille criminelle,
plus joyeuse de cette tête, que de la moitié du royaume d'Hérode,
s'en va toute triom-phante la porter à sa mère, qui, écumant
de rage, ose porter ses mains impures sur la langue du plus saint des enfants
des hommes, et, prenant le poinçon dont elle bouclait ses cheveux,
la perce et reperce en mille endroits, pour se venger de la liberté
qu'avait pris le saint de lui reprocher ses crimes. Hélas ! M.F.,
qui ne serait pas touché de compassion à la vue de tant de
cruautés ! Jésus-Christ fut couvert de son sang à
la fla-gellation ; saint Jean-Baptiste ne le fut pas moins dans sa passion,
puisque son sang semblait lui avoir fait un second vêtement. Jésus-Christ
ne fut plus persécuté après sa mort ; notre grand
saint éprouva, même après sa mort, la fureur de ses
ennemis. Qui de nous ne serait pas étonné de voir un si grand
saint souffrir tant de supplices, sans que Jésus prenne sa défense
? Ah ! M.F., c'est que Dieu voulait élever Jean au plus haut degré
de perfec-tion et de gloire. Il voulut que sa vie et sa mort ne fus-sent
qu'un martyre continuel. Dieu ne tarda pas à punir les auteurs de
la mort de Jean. La fille impudique, traversant un jour une rivière,
fut prise, dit-on, entre deux morceaux de glaces qui lui tranchèrent
la tête. Quant à Hérode et à l'adultère
Hérodiade, accusés par Agrippa d'avoir tramé une sédition,
et forcés de s'exiler en Espa-gne, ils moururent l'un et l'autre
en chemin, accablés de maux de toute espèce.
Tout ceci nous montre que les souffrances
et les per-sécutions ont été et seront toujours le
partage des saints et des bons chrétiens, et que nous devons nous
réjouir lorsque nous sommes méprisés et persécutés
des gens du monde. Demandons, M.F., au bon Dieu, pendant l'octave de cette
belle fête, qu'il veuille nous accorder, par l'intercession de notre
grand saint, les vertus qu'il a pratiquées pendant sa vie, et surtout
son humilité, qu'il a portée à un si haut degré
; sa pureté, qu'il a défendue aux dépens de sa vie
; son détachement des biens ter-restres et son mépris de
la mort ; enfin, son union par-faite avec Dieu. Oui, allons nous adresser
en toute con-fiance à saint Jean-Baptiste ; rappelons-nous qu'il
est encore plus puissant dans le ciel que sur la terre, qu'il nous obtiendra
des grâces pour le temps, et la gloire pour l'éternité.
C'est le bonheur que je vous souhaite...
1er AOUT
SUR LE MARTYRE DES MACHABÉES
Parati sumus mori, magis quam patrias
Dei leges prævaricari.
Nous sommes prêts à
mourir plutôt que de violer la loi de Dieu et de notre pays.
(II L. des Machabées, VII,
2 )
Telle fut, M.F., la réponse que fit l'illustre famille des Machabées à Antiochus, ce fameux persécuteur de la reli-gion. Ces jeunes Hébreux répondirent avec courage : « Nous devons à Dieu un amour à toute épreuve, et aucun tourment ne pourra nous faire violer la fidélité que nous lui devons ; nous voici, vous pouvez nous faire souffrir, nos corps sont en votre pouvoir ; mais notre foi, notre amour, vous n'en êtes pas le maître, vous n'avez point d'empire sur nous en cela ; ne vous attendez donc pas à ce que nous fassions quelque chose qui puisse déplaire au Seigneur, nous sommes heureux de mourir. » Ils ne balancent pas, ils sont résolus, avec la grâce de Dieu, de perdre non seulement leurs biens, leur honneur, mais encore leur vie. Voyez-vous le courage de ces anciens martyrs, qui avaient beaucoup moins de grâces que nous ? Non, M.F., ces saints martyrs n'avaient pas vu, comme nous, Jésus-Christ portant sa croix sur le Calvaire ; ils n'avaient pas encore vu ces foules de martyrs, qui, à l'exemple de Jésus-Christ, ont donné leur vie avec tant de courage ; mais c'étaient eux qui traçaient le chemin. Ils n'avaient pas, comme nous, le bonheur d'entendre la voix de Jésus-Christ, qui, du haut de la croix, semble nous dire : » Venez, mes enfants ; venez, montez sur votre Calvaire, comme je suis monté sur le mien. » Voilà bien un langage capable de nous donner des forces. Mais non, ils n'avaient pas le même bonheur ! Oh : si nos pères reparaissaient au milieu de nous, pourraient--ils nous reconnaître pour leurs enfants et leurs héritiers dans la foi ? Hélas ! combien parmi nous qui, non par la crainte de la mort ni même de la perte de leurs biens, mais par un petit respect humain, une petite crainte d'être raillé, abandonnent leur Dieu et rougissent d'être de bons chrétiens ? Combien d'autres déshonorent cette religion sainte par une vie toute païenne et toute mon-daine ? Pour vous engager, M.F., à ne rien craindre quand il s'agit de plaire à Dieu et de sauver votre âme, je vais vous mettre devant les yeux le courage des saints martyrs de l'Ancien Testament et de quelques-uns du Nouveau. Mais ne nous contentons pas d'admirer leur intrépidité et leur zèle pour la gloire de Dieu et le salut de leur âme. Confrontons leur vie avec la nôtre, leur courage avec notre lâcheté, leurs tourments avec notre horreur de la pénitence ; voyons si nous pouvons comme eux espérer le ciel en faisant ce que nous faisons. Hélas, que de chrétiens damnés !... Faisons, pour les imiter, tout ce qui sera en notre pouvoir.
I – Si nous ouvrons les Livres saints,
nous voyons que de tout temps, les bons ont été persécutés
par les méchants. C'est ce à quoi il faut nous attendre,
si nous voulons espérer le ciel. Voyez Abel et Caïn, Joseph
et ses frères, David et Saül, Jacob et Ésaü, etc.,
etc. Nous n'avons point d'autre partage sur la terre, ceux qui ont passé
avant nous le démontrent assez. De tout temps, ceux qui ont voulu
être à Dieu ont fait le sacrifice de leurs biens, de leur
réputation et de leur vie même ; si nous voulons espérer
leur récompense, nous devons faire comme eux, sinon nous n'aurons
jamais le bonheur d'al-ler participer à leur joie. Voici un exemple
pour mieux vous en convaincre. Nous lisons dans l'Ancien Testa-ment
que les Juifs, revenus de la captivité de Babylone, furent en paix
jusqu'au moment où l'impie Antiochus monta sur le trône. Ce
méchant roi excita la plus cruelle persécution qu'ils eussent
encore jamais vue jusqu'alors ; Dieu le permit, il est vrai, pour éprouver
ses serviteurs ; et d'ailleurs, le prophète Daniel la leur avait
annoncée . Le dessein de ce roi impie était d'abolir entièrement,
s'il le pouvait, le culte du vrai Dieu. II ordonna sous peine de mort,
de profaner le jour du sabbat et des fêtes, de dépouiller
les lieux saints, de bâtir des autels et des temples au démon,
et de sacrifier des animaux défendus par la loi. II fit placer une
idole infâme dans le temple, les livres de la loi furent détruits
et jetés au feu. Si l'on trouvait quelques Juifs qui voulussent
servir le Seigneur, ils étaient aussitôt pris et punis de
mort. La ville sainte fut abandonnée de ses propres sujets et devint
la demeure des païens. Le saint temple devint dé-sert, toutes
les fêtes furent changées en deuil ; cepen-dant, malgré
toutes ces terreurs que l'on commençait à répandre
pour forcer les Juifs à renoncer au vrai Dieu, plusieurs prirent
la résolution de ne rien faire contre la loi, et de mourir plutôt
que de la violer.
Un de ceux qui se montrèrent
les plus intrépides fut un bon vieillard nommé Éléazar,
âgé de quatre-vingt-dix ans, connu pour sa vie pure et innocente
. Ses persé-cuteurs le prirent et lui commandèrent de manger
de la viande qui avait été offerte aux idoles, sinon, on
le ferait mourir selon la loi du mauvais roi. Voyant qu'il refusait, on
voulut le contraindre ; les uns lui ouvraient la bouche, les autres lui
mettaient la viande dedans, comme si ces insensés ne savaient pas
que la volonté seule fait le pé-ché, et qu'une action
où le cœur n'a point de part n'est pas un péché. Éléazar
fut invincible, il préféra la mort plutôt que d'obéir
à l'empereur en mangeant de la viande défendue par la loi.
« Je préfère, dit-il, une mort inno-cente à
une vie criminelle. » Pendant qu'il allait avec joie à la
mort, il eut à subir une épreuve de la part de ses amis,
et, pour cela même, bien plus redoutable que celle que lui faisait
endurer le roi impie. Étant venu le trouver, ils lui dirent en pleurant
: « Mon ami, nous ve-nons ici pour vous sauver, comme nous nous sommes
sauvés nous-mêmes. Nous ferons apporter de la viande qui n'a
pas été offerte aux idoles, c'est-à-dire au démon,
et, par complaisance, vous la toucherez seulement, et nous dirons aux officiers
du roi que vous avez obéi. Voilà un moyen bien sûr
pour éviter la mort et vous rendre à votre nation. »
Mais le saint martyr s'écria : « Non, non, jamais je ne ferai
cela ; qu'on me mène de suite au sup-plice, plutôt que de
commettre une lâcheté semblable, qui outragerait mon Dieu
; que l'on me jette tout vivant dans le tombeau, je le préfère
mille fois. Eh quoi ! mon Dieu, l'on me croit capable, à mon âge,
de dissimuler, de faire croire que ma religion n'est qu'une superstition
! Moi, laisser un si mauvais exemple à la jeunesse qui se propose
de me prendre pour modèle ?... moi, leur laisser croire que j'ai
été séduit par l'amour de la vie et par la crainte
des supplices ? Non, non ! ... jamais, dans le peu de jours qui me reste
à vivre, je ne me laisserai aller à une semblable lâcheté.
Quand bien même je pourrais aujourd'hui, en prostituant mon âme
et ma conscience, échapper aux supplices des hommes, pourrai-je
échapper à la justice de Dieu ? Non, mourons avec constance,
mes amis, et montrons-nous dignes de notre âge, puisque Dieu daigne
nous choisir pour nous donner en spec-tacle à la jeunesse. La mort
la plus cruelle est aussi douce qu'elle est glorieuse, quand c'est à
Dieu qu'on fait le sacrifice de sa vie. Pourquoi craindrais-je de perdre
une vie que bientôt je serai obligé de quitter sans mérite,
tandis qu'en la donnant dès aujourd'hui à Dieu, j'en reçois
une si belle récompense pour l'éternité !... Venez,
bourreaux, ajoutait-il avec un courage extraordi-naire, venez, et vous
verrez les sacrifices que peuvent faire ceux qui sont aidés de la
force d'En-Haut ; vous aller m'ôter un reste de vie pour m'en procurer
une éternelle. Ah ! il me semble voir les anges qui viennent à
moi, pour emmener mon âme dans le ciel ; non, non, mes amis, je ne
crains ni les tourments ni la mort, tout cela est un bien pour moi. Mourons
pour notre Dieu, et nous lui montrerons que nous l'aimons véritablement.
Mourons, mes enfants, et nous quitterons la guerre et les souffrances pour
aller dans un lieu de paix, de joie et de délices. Oui, mon Dieu,
je vous fais volontiers le sacrifice de ma vie ! » Oh ! M.F., que
ces sentiments sont beaux ! qu'ils sont dignes de la grandeur d'une belle
âme et d'une religion aussi sainte qu'est la nôtre. Toutes
ces belles paroles qu'il prononça en présence de ses bourreaux
auraient bien dû les toucher et changer leur cœur ; mais non, ils
n'en deviennent que plus furieux. L'on se rue sur ce pauvre vieillard,
on le jette par terre, on le dépouille, on le lie ; les bourreaux
armés de verges, le frappent jusqu'à en perdre la respiration
; mais au milieu de tant de douleurs, il ramasse le peu de force qui lui
reste, et s'adresse au Seigneur : « Vous le savez, O mon Dieu, c'est
pour vous que je souffre dans la crainte de vous offenser ; mon Dieu, soutenez-moi,
faites que je meure pour l'amour de vous ! » On ne cessa de le frapper
jusqu'à ce qu'il eût rendu sa belle âme à Dieu.
Quel exemple pour nous, M.F., mais
quelle honte pour tant de chrétiens lâches, qui, tant de fois,
par un maudit respect humain, transgressent les lois de l'Église
en mangeant de la viande les jours défendus ! Dites-moi, si vous
aviez été mis à de pareilles épreuves, auriez--vous
fait comme ce bon vieillard de quatre-vingt-dix ans, qui préféra
la mort plutôt que de faire semblant de man-ger de la viande défendue
par la loi des Juifs ? Quelle condamnation pour tant d'apostats qui foulent
aux pieds cette loi sainte ! Allez dans une foire, dans un cabaret, un
vendredi ou un autre jour où il est défendu de man-ger de
la viande ; voyez ces tables qui en sont couvertes, examinez ceux qui en
mangent. Hélas ! ce sont des pères, des mères de famille,
des maîtres et maîtresses, qui, peut-être, auront leurs
enfant et leurs domestiques avec eux ; ce sont de ces mauvais chrétiens,
sacrilèges même, qui auront rempli leur devoir pascal, et
qui déjà tant de fois ont promis de ne plus transgresser
cette loi ! Quelle idée se fait-on aujourd'hui de Dieu, de sa religion
et de ses lois ? Hélas ! M.F., notre sainte reli-gion n'est plus,
aux yeux du plus grand nombre de chrétiens, qu'une chimère,
qu'un fantôme ; l'on ne con-serve plus maintenant qu'un certain extérieur,
quand rien ne nous gêne, quand rien ne nous coûte ; mais à
la moindre chose, nous méprisons tout, et nous semblons n'être
plus que des apostats. Oh ! que de chrétiens perdus !... Qu'ils
sont malheureux de commettre le péché avec tant de réflexion,
connaissant si bien qu'ils font mourir Jésus-Christ, qu'ils lui
arrachent leur pauvre âme pour la traîner en enfer !... Que
pourront-ils répon-dre lorsque Jésus-Christ les jugera ?
Diront-ils que c'est leur fragilité ou la misère qui les
a portés à faire cela ? Quelle honte pour ces malheureux
apostats dont les uns ont péché par impiété
en raillant les lois de l'Église, les autres par un maudit respect
humain ! Ils ont préféré perdre leur âme, outrager
Dieu, plutôt que de supporter la honte d'une parole sortie de la
bouche d'un impie, d'un libertin !...
Venons-en, M.F., à d'autres
exemples, et nous ver-rons que si la vieillesse est naturellement plus
ferme dans la foi, l'âge le plus tendre nous fournit aussi des exemples
qui ne sont pas moins grands. Après les com-bats de ce bon vieillard,
l'on vit entrer sur les rangs une mère avec ses sept enfants dans
la fleur de l'âge. Ils avaient tant de candeur et de modestie qu'ils
faisaient l'admiration de tout le monde. Le cruel Antiochus se les fit
tous amener devant lui, il leur commanda sur le champ de manger de la viande
qui avait été offerte au démon, et cela, sans répliquer,
selon les ordres qu'il avait donnés. Tous, d'une voix unanime, refusèrent
de le faire. Sur ce refus, il les fit dépouiller devant lui, et
ordonna qu'on les frappât à coups de fouets et de nerfs de
bœuf, jusqu'à ce que leur corps fût tout déchiré.
L'aîné des sept frères, sans s'étonner de ce
traitement, prend la parole et dit au tyran : « Que demandez-vous
de nous ? Apprenez que nous savons souffrir et mourir, mais non trahir
la loi du Seigneur. » Cette réponse mit l'impie Antiochus
dans une si grande fureur, qu'il com-manda de faire rougir sur le champ
des chaudières d'ai-rain, et, pendant que tous les bourreaux s'empressaient
de lui obéir, outré de colère contre ce jeune homme
qui venait de le braver au nom de tous, il lui fait couper la langue, arracher
la peau de la tête, couper les extré-mités des pieds
et des mains, et cela en présence de sa mère et de tous ses
frères. Il lui fait appliquer des lames de fer rouge dans toutes
les parties de son corps. Comme après ce cruel tourment il vivait
encore, il ordonne de le jeter dans la chaudière d'airain que le
feu avait rendue aussi ardente qu'un barre de fer sortant du feu, et le
regarde impitoyablement brûler. Pendant ce temps-là, sa mère
et ses frères s'encourageaient les uns les autres à souffrir.
» Allons, mes enfants, leur crie cette mère, courage ! Par
notre mort, nous pouvons glorifier Dieu et nous rendre heureux pendant
l'éternité ; puisque nous sommes tous condamnés à
mourir par suite du péché de nos premiers parents, mourons
; notre mort est de quelques instants, et nous aurons une ré-compense,
un bonheur éternel. » Le premier étant mort, l'on se
saisit du second. On commença par lui arracher les cheveux avec
la peau de la tête, en lui demandant s'il voulait manger de la viande
qu'on lui allait présen-ter. Il leur répondit qu'il saurait
bien souffrir et mourir à l'exemple de son frère, mais que
jamais il n'aurait la lâcheté de violer la loi du Seigneur.
On lui fit souffrir les mêmes tourments, on lui coupa les pieds et
les mains. N'ayant plus qu'un soupir, il dit au roi : « Méchant
prince, vous nous faites perdre la vie présente ; mais nous sommes
assurés que le Seigneur, pour lequel nous la perdons, nous la rendra
éternelle. » Après celui-ci, l'on passe au troisième,
qui se présente de lui-même, et sans attendre qu'on l'interroge
s'offre aux mêmes sup-plices. On lui demande ses mains qu'il présente
avec joie : « C'est du ciel, dit-il, que j'ai reçu ces membres,
je vous les livre volontiers pour les faire souffrir, puisque, par ces
souffrances, je puis glorifier Dieu et m'assurer le ciel. »
Ah ! M.F., si nous avions une foi
aussi vive que celle de ces saints martyrs, quel mépris ne ferions-nous
pas de nos corps et de nos plaisirs sensuels ?... Aurions--nous le courage
de leur sacrifier si facilement notre âme et notre éternité
?... Ah ! si nous pensions bien à notre résurrection, qui
sera glorieuse à proportion que nos corps auront été
méprisés et persécutés !... Avec quelle gloire
vont paraître ces foules de martyrs qui ont laissé mettre
leurs corps en lambeaux !... Le roi et tous ses courtisans ne connaissant
pas assez les forces que nous donne la religion, ne pouvaient revenir de
leur surprise. Ils n'en devinrent que plus enragés. Antiochus vint
au quatrième, il ne se donnait plus la peine de menacer, parce qu'il
savait bien que c'était un temps perdu, il en venait aussitôt
aux tourments. Il lui fit donc arracher la peau. On lui coupe les pieds
et les mains, on le jette dans une chaudière brûlante : «
Je ne crains pas vos ordres, lui dit encore celui-ci, car une résurrection
glo-rieuse nous attend, et le Dieu que nous servons est toute notre espérance
; pour vous, vous ressusciterez un jour, mais ce ne sera pas pour la vie,
une mort éter-nelle vous attend. » L'on se saisit du cinquième,
et le roi tout en fureur dit : « Voyons s'ils seront également
insensibles. » L'enfant n'attend pas d'être pris par les bourreaux,
il court au-devant d'eux, et du milieu des flammes où son pauvre
corps était déjà tout en pièces, il lève
avec tranquillité les yeux vers le tyran : « Vous faites de
nous maintenant ce que vous voulez, mais viendra un moment où vous
éprouverez à votre tour la rigueur de la justice divine.
» Le roi ne pouvant plus se posséder : « Achevons, dit-il
à ses bourreaux, d'exter-miner cette famille insolente. »
Le sixième arrive, la douceur peinte sur le front ; il s'avance
avec joie et se livre sans frayeur entre les mains des bourreaux. Ces furieux
se mettent à le déchirer, lui arrachent et lui coupent les
pieds et les mains : « Que crains-tu, impi-toyable roi ? dit le généreux
martyr, il n'en reste plus qu'un qui est mon frère, et ma mère
; un enfant et une femme ; mes frères m'attendent dans le ciel,
vous me faites mourir, j'en suis bien content. » Cependant, ce qui
est le plus digne d'admiration, c'est l'attitude de cette pauvre mère,
qui voit périr tous ses enfants devant ses yeux, et cela en un seul
jour, sans verser une larme. Elle sut si bien retenir sa douleur, qu'au
contraire, elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour les encourager. O
mères qui m'écoutez, si vos enfants ne sont pas reli-gieux,
ou plutôt, s'ils sont sans religion, ne vous en prenez qu'à
vous-mêmes !... Si vous aviez le bonheur d'imiter cette mère
généreuse, si, comme elle, vous pensiez que vous n'avez des
enfants que pour les don-ner au ciel !... « Ah ! mes enfants, leur
criait-elle, pen-dant qu'on déchirait leur corps et qu'on les coupait
en morceaux, mes enfants, courage, mourez pour le Sei-gneur, et le ciel
est à vous ! perdez une vie misérable, et vous en aurez une
heureuse et éternelle. » Hélas ! com-bien de pauvres
mères, trop faibles, voient courir leurs enfants au mal, ou plutôt
aux enfers, sans verser une larme, peut-être même, sans dire
un Pater et un Ave ! Laissons, M.F., ces tristes enseignements.
Cependant, de sept enfants, il n'en
restait plus à cette pauvre mère qu'un seul, le plus jeune.
Antiochus, couvert de honte de n'avoir pu vaincre ces enfants, voulut faire
un dernier effort pour gagner au moins celui-ci. Il lui fit de belles promesses,
disant qu'il le mettrait au nombre de ses favoris, pourvu qu'il abandonnât
sa religion. Mais cet enfant était inébranlable. Le roi,
feignant la compassion appela la courageuse mère : « Sauvez
au moins, je vous prie, ce dernier enfant. Il fera votre bonheur et, votre
consolation par les faveurs dont je le comblerai. » Pères
et mères, venez vous instruire ; écoutez le langage d'une
mère qui sait que ses enfants lui sont donnés pour les conduire
au ciel et non pour les damner. Elle lui dit en présence du roi
: « Mon fils, ayez pitié de celle qui vous a porté
neuf mois dans son sein, qui vous a nourri trois ans de son lait et qui
vous a élevé jusqu'à l'âge où vous êtes
; regardez, mon fils, ce beau ciel, vous n'êtes sur la terre que
pour y aller ; voyez vos frères qui sont déjà sur
des trônes de gloire, ils vous attendent ; à leur exemple,
donnez volontiers votre vie pour votre Dieu. » Ces paroles inspirèrent
à l'enfant un si grand amour de Dieu, qu'il se tourne vers le bourreau
en lui disant « Qu'attendez-vous ? Croyez-vous que je vais obéir
à vos ordres impies ? Non, non, je veux montrer que je suis digne
de marcher sur les traces de mes frères, que votre cruauté
a placés sur des trônes de gloire. Ils m'atten-dent : les
voyez-vous qui me tendent les mains ; oui, j'abandonne comme eux mon corps
et ma vie pour la défense de la loi de mon Dieu. » Alors le
roi fut si en fureur de voir qu'une femme et des enfants se moquaient de
lui, qu'il le fait encore souffrir davantage. Il lui fait couper les pieds
et les mains... et finit par le jeter dans une chaudière rougie
au feu, où ce bourreau, dans sa joie diabolique, prenait plaisir
à le voir tourmenter. La mère reste seule, au milieu des
membres épars de ses fils ; de quelque côté qu'elle
tourne ses regards, elle voit les pieds, les mains, la peau et la langue
de ses enfants, que l'on avait jetés çà et là,
autour d'elle, pour la torturer davantage. Antichius n'ayant plus d'espé-rance
de gagner la mère, lui fit souffrir des tourments si cruels, qu'elle
mourut dans les supplices, bénissant Dieu de ce qu'il lui avait
donné, le bonheur de voir tous ses enfants mourir avant elle pour
aller au ciel. Ainsi mourut cette bienheureuse mère, qui ne quitta
la terre que pour le paradis. Heureuse mère d'avoir sept enfants
qui sont maintenant placés sur sept trônes de gloire. O heureux
enfants, d'avoir eu une telle mère ! qui ne vous a mis au monde
que pour vous conduire à la possession de Dieu !
Pour Antiochus, ce malheureux tyran,
la main ven-geresse du Tout-Puissant le punit visiblement ; il fut frappé
d'une plaie invisible et incurable, juste punition d'un bourreau qui avait
inventé tant de supplices pour faire souffrir les serviteurs de
Dieu. Il tomba de son chariot, se meurtrit tout le corps. Ses entrailles
fourmil-laient de vers, ses chairs tombaient par lambeaux ; il répandait
une puanteur si insupportable, que personne ne pouvait ni l'approcher ni
le servir. Se sentant frappé de la main invisible de Dieu, il fit
de grandes promesses et prit les plus belles résolutions ; mais
le Saint-Esprit nous dit que la crainte seule des tourments lui faisait
faire tout cela. Dieu n'écouta pas sa prière, et ce mal-heureux
prince mourut mangé par les vers. Voilà la fin ordinaire
de ces impies, qui semblent ne vivre que pour outrager Dieu, et porter
les autres au mal. Le bon Dieu se lassant de leurs impiétés,
les frappe, et les jette en enfer pour en débarrasser la terre.
Si la différence, M.F., a
été si grande entre Antiochus et cette mère avec ses
enfants, elle l'est encore bien plus maintenant : le roi est dans les enfers,
tandis que la mère et les enfants sont dans le ciel. Oh ! qu'il
y a peu de chrétiens aujourd'hui qui soient prêts, je ne dis
pas à donner leur vie pour le bon Dieu, comme ont fait ces enfants,
mais même à supporter la moindre chose pour ne pas violer
les lois de notre sainte religion. Combien y en a-t-il qui ne font ni confession
ni communion pascale ? qui ne font point d'attention aux jeûnes com-mandés
par l'Église, et qui passent ce saint temps comme un autre, sans
mortifications, sans peut-être se priver de manger entre les repas
? Hélas ! combien d'autres fré-quentent les cabarets, ou,
sans faire tout cela, passent ces jours consacrés à la pénitence,
sans faire une prière ou une bonne oeuvre de plus ? Combien en est-il
qui ne font point difficulté de manquer l'office de la paroisse,
et qui, peut-être, manqueront trois dimanches de suite, sachant très
bien de quoi l'Église les menace ? Combien de pères et de
maîtres forcent leurs enfants et leurs domestiques à travailler
le saint jour du dimanche, com-bien de pauvres enfants restent peut-être
des mois entiers sans assister aux offices ! Hélas ! que de maîtres
damnés !
D'autres ne se contentent pas de
violer les lois de l'Église, de les mépriser, de les railler,
ils ne font point de cas de la parole de Dieu qu'ils ne regardent que comme
la parole d'un homme. Combien, pendant les saints offices sont sans dévotion,
et laissent aller leur esprit partout où il veut ! Ils savent à
peine ce qu'ils viennent faire à l'église, et seraient bien
embarrassés de répondre si on leur demandait pourquoi ils
viennent à la sainte Messe ? Combien se mettent à peine à
genoux !... L'on ne l'ait point difficulté de manquer les vêpres,
les ins-tructions, le chapelet, le chemin de la croix et la prière
du soir. Il en est qui ne font presque jamais de visites au Saint-Sacrement
entre les offices, et passent le saint jour du dimanche moins bien que
les autres jours. Oh ! comment osent-ils espérer le ciel ? Comment
peuvent-ils croire que le bon Dieu leur fera miséricorde dans ce
moment terrible où les plus grands saints ont tremblé ; eux
dont la vie n'a été que bonnes couvres, et qui, pour quelques
légères fautes, ont fait tant de pénitences
Combien y en a-t-il encore parmi
ces pauvres chré-tiens, qui passent des journées entières
sans penser au bon Dieu et sans faire un petit retour sur eux-mêmes
c'est-à-dire sur leur pauvre vie ; afin de concevoir de l'horreur
de leurs péchés, et pour s'exciter à faire quel-ques
bonnes actions dans le but d'attirer la miséricorde de Dieu sur
eux ? Voilà. M.F., la conduite du plus grand nombre des chrétiens
de nos jours: l'on ne pense nulle-ment à son salut, on est tout
occupé des affaires tempo-relles, l'on regarde la mort comme ne
devant venir jamais. Cependant ce moment arrive pour tout le monde ; et
si nous n'avons rien fait pour nous assurer le ciel, alors tous nos péchés
se présentent en foule à notre mémoire, toutes les
grâces que nous avons méprisées, toutes les bonnes
oeuvres et prières que nous aurions pu faire et que nous n'avons
pas faites ; nous voyons, dans ce triste moment, toutes les âmes
que nous avons per-dues par nos mauvais exemples, et que nous aurions pu
conduire à Dieu, si nous leur en avions donné de bons. Oh
! que de malheurs attendent une personne qui a vécu sans religion,
sans pénitences et sans examiner à quoi les commandements
de Dieu et de l'Église l'obligeaient !.. Ce n'est pas ainsi qu'il
faut faire, ce n'est pas ainsi que les saints ont fait ; ils avaient tellement
à cœur de plaire à Dieu et de sauver leurs âmes, que
non seulement ils évitaient les moindres péchés, mais
encore ils passaient toute leur vie dans les bonnes couvres, les larmes
et la pénitence. Un grand nombre de martyrs ont donné leur
vie pour s'assurer le ciel, nous en avons de beaux exemples dans l'histoire
des saints du Nouveau Testament. Je vous citerai celui de saint Côme
et de saint Damien .
II. – C'étaient deux frères
jumeaux. Leur mère qui avait la crainte du Seigneur, prit tous les
soins possibles pour leur inspirer l'amour de Dieu ; elle leur parlait
sou-vent du bonheur de ceux qui donnent leur vie pour Jésus-Christ.
Ces frères, qui n'avaient que de bons exemples devant les yeux,
ne pouvaient pas moins faire que d'imiter les vertus de leur mère.
O quelle grâce, quel bonheur pour les enfants que d'avoir des parents
sages ! Oh ! que de pauvres enfants damnés, et qui se-raient au
ciel s'ils avaient eu des parents bien religieux ! Mon Dieu ! est-il bien
possible que le défaut de religion des parents, précipite
tant d'âmes en enfer ? Malheureux parents, qui semblent n'avoir des
enfants que pour les traîner en enfer !... Comment des enfants qui
n'ont que de mauvais exemples devant les yeux, peuvent-ils prati-quer la
vertu ? Les enfants seront-ils meilleurs que leurs parents, qui ne font
ni Pâques ni confession, qui ne font point de prière, qui
se lèvent et se couchent comme des bêtes de somme ; des parents
qui n'ont que de mau-vaises raisons à la bouche ; qui vont
jusqu'à railler, critiquer la religion et ceux qui la pratiquent,
qui tour-nent en ridicule la confession et ceux qui se confessent ? Les
enfants, dis-je, seront-ils meilleurs que leurs pa-rents, qui les laissent
vivre à leur aise, qui leur per-mettent les jeux, les danses, les
cabarets ; qui eux--mêmes peut-être, y passent des nuits presque
entières avec toutes sortes de libertins ? Si un pasteur à
la vue de si mauvais exemples veut leur faire connaître leur faute
et celles de leurs enfants, ils se mettront en colère, ils le blâmeront,
il en diront du mal, ils feront mille contradictions à leurs enfants.
Oh ! que de pauvres enfants vont maudire le moment de leur naissance, et
leurs parents, qui, loin de les aider à se sauver, se sont prêtés
à les perdre, par leur peu de soin à leur faire con-naître
leurs devoirs de religion et la grandeur du pé-ché !... Hélas
! M.F., vous ne reconnaîtrez que trop cela un jour !...
Mais revenons à nos saints
qui ont eu le bonheur d'a-voir des parents si vertueux ! Ayant achevé
leurs études, ils se rendirent très habiles dans la connaissance
de la médecine. Leur science était accompagnée du
don de la grâce, de sorte que, en allant voir seulement leurs ma-lades,
ils leur rendaient la santé : les aveugles voyaient, les boiteux
marchaient, les sourds entendaient, et les dé-mons fuyaient à
leur seule présence. L'éclat de tant de merveilles les faisait
admirer de tout le monde. Mais cette haute réputation fut la cause
de leur martyre. Les empereurs Dioclétien et Maximien ayant renouvelé
la persécution contre les fidèles, ils envoyèrent
le président Lysias dans la ville d'Égée pour les
rechercher et les punir selon la loi. Lysias arrivant dans cette ville,
on lui dénonça les deux médecins comme allant de pro-vinces
en provinces, et faisant des prodiges étonnants au nom de celui
qu'ils appelaient Jésus-Christ. On ajouta qu'ainsi plusieurs abandonnaient
le culte des idoles, pour embrasser une religion toute nouvelle. Lysias,
sur ce rapport, les envoya prendre. Quand ils furent devant lui, il leur
dit en colère : « Vous êtes donc ces séducteurs
qui allez par les villes et les provinces, soulevant le peuple contre les
dieux de l'empire, sous prétexte de leur faire adorer un homme crucifié
? Dès ce moment, si vous ne renoncez à ce Dieu et si vous
n'obéissez pas aux édits des empereurs, il n'y a point de
supplices que je n'emploie pour vous faire souffrir. Dites-moi vos noms
et votre pays. » – « Nous sommes de l'Arabie, nous nous appelons
l'un Côme, l'autre Damien, nous avons encore trois frères,
qui, comme nous, adorent le vrai Dieu. » Il leur ordonna, d'offrir
de l'encens au démon. Sur leur refus, il les fait appliquer à
la torture et leur fait endurer des cruautés épouvantables.
Cependant les saints martyrs étaient tellement fortifiés
de la grâce de Dieu, qu'ils ne sentaient pas même leurs tourments
; ils lui dirent : « Vous nous faites souffrir bien faiblement ;
si vous avez d'autres supplices, employez-les, car nous ne sentons pas
ceux-là. » Le préfet, mourant de rage, et pour s'en
débar-rasser au plus tôt, les fait jeter dans la mer. Mais
un ange rompit leurs liens, les retira des eaux et les ramena sur le rivage.
Le préfet attribuant cela au démon, leur dit de lui apprendre
leurs sortilèges, afin de s'en servir comme eux. « Nous ne
savons pas, dirent les martyrs, ce que c'est que la magie. C'est au nom
de Jésus-Christ que nous faisons tout cela ; si vous voulez vous
faire chrétien, vous reconnaîtrez la vérité
de ce que nous vous disons. » – « Au nom du dieu Apollon, reprit
Lysias, je veux faire le même prodige. » Ce blasphème
ne fut pas plus tôt sorti de sa bouche, que deux démons se
saisirent de lui, le frappèrent sans miséricorde, et l'au-raient
tué si les saints ne les avaient pas chassés. « Vous
voyez bien, lui dirent-ils, que vos dieux ne sont que des démons
qui ne cherchent qu'à vous nuire ; recon-naîtrez-vous maintenant
notre Dieu pour le seul véri-table ? Détestez donc vos idoles.
» Malgré cette grâce, le préfet resta insensible
; bien plus, il fit conduire ses libérateurs en prison. Le lendemain
il les fit ramener, voyant qu'il ne pouvait les vaincre, il fit allumer
un grand feu et les fit jeter dedans. Mais ils se promenaient dans le feu
sans la moindre douleur ; au contraire, ils étaient comme dans un
jardin de délices, chantant des cantiques d'actions de grâces
; et le feu qui les res-pectait, alla brûler les idolâtres,
dont un grand nombre perdirent la vie. Ces merveilles auraient dû
convertir le préfet, elles ne firent que l'endurcir de plus en plus.
Il les fit appliquer sur le chevalet, où les bourreaux les tourmentèrent
jusqu'à en perdre la respiration ; ensuite on les attacha chacun
à une croix, afin de les massacrer à coups de pierres ; mais
elles retournaient avec impé-tuosité sur ceux qui les jetaient.
Lysias, irrité de ce qu'il ne pouvait venir à bout de les
faire mourir, prit lui-même des pierres pour les leur jeter à
la tête ; mais elles revinrent sur lui avec tant de force qu'elles
lui cassèrent les dents. Il fit ensuite prendre des flèches
aux soldats, afin de les lancer contre les saints ; mais celles-ci encore,
loin de leur nuire, se retournèrent et tuèrent un grand nombre
d'hommes et de femmes qui étaient venus voir ce spectacle. Le préfet,
désespérant de pouvoir les faire mourir dans les tortures,
les fit dé-capiter.
Voilà ce que peut la grâce
dans un bon chrétien et dans des enfants que les parents ont élevés
avec soin, en leur inspirant un grand amour pour Dieu, un vrai mépris
des biens de ce monde et même de la vie. Heu-reux enfants et heureux
parents ! Voilà, M.F., com-ment les parents sages sauvent leurs
enfants ! Vous avez vu, d'ailleurs, comment les parents sans religion traînent
avec eux en enfer leurs pauvres enfants, par leurs mauvais exemples et
le peu de soin qu'ils pren-nent de les bien élever dans l'amour
du Dieu. Finissons, M.F., en disant que nous ne sommes pas, il est vrai,
exposés à d'aussi grandes épreuves que ces saints
; mais que, si nous voulions faire un bon usage des peines que nous éprouvons,
nous pourrions aussi mériter la cou-ronne du martyre. Combien de
maladies, de contradic-tions, d'humiliations, de mépris ! Que de
fois il nous faut renoncer à notre propre volonté, combien
d'efforts nous avons à faire pour pardonner et pour aimer ceux qui
nous font du mal ! Eh bien ! M.F., voilà le martyre que le bon Dieu
veut que nous endurions pour mériter le même bonheur dont
jouissent maintenant les saints. Demandons souvent, M.F., à ces
bons saints de nous obtenir cette force, ce courage dans nos épreuves
de chaque jour : nous travaillerons ainsi pour plaire à Dieu et
pour le ciel. C'est le bonheur que je vous souhaite.
15 AOUT
FÊTE DE L'ASSOMPTION DE LA
STE VIERGE
Sur les grandeurs de Marie .
Quia respexit humilitatem ancillæ
suæ.
Parce que le Seigneur a regardé
la bassesse de sa servante.
(S. Luc, I, 48.)
Si nous voyons, M.F., la sainte Vierge s'abaisser, dans son humilité, au-dessous de toutes les créatures, nous voyons aussi cette humilité l'élever au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Non, ce n'est point les grands de la terre qui l'ont fait monter à ce suprême degré de dignité où nous avons le bonheur de la contempler aujourd'hui. Les trois personnes de la Très Sainte Tri-nité l'ont placée sur ce trône de gloire ; elles l'ont pro-clamée Reine du ciel et de la terre, en la rendant dépo-sitaire de tous les célestes trésors. Non, M.F., nous ne comprendrons jamais assez les grandeurs de Marie, et le pouvoir que Jésus-Christ son divin Fils lui a donné ; nous ne connaîtrons jamais bien le désir qu'elle a de nous rendre heureux. Elle nous aime comme ses enfants ; elle se réjouit du pouvoir que Dieu lui a donné, afin de nous être plus utile. Oui, Marie est notre médiatrice c'est elle qui présente à son divin Fils toutes nos prières, nos larmes et nos gémissements ; c'est elle qui nous attire les grâces nécessaires pour notre salut. Le Saint--Esprit nous dit que Marie, entre toutes les créatures, est un prodige de grandeur, un prodige de sainteté et un prodige d'amour. Quel bonheur pour nous, M.F., quelle espérance pour notre salut ! Ranimons notre con-fiance envers cette bonne et tendre Mère, en considérant !° sa grandeur ; 2° son zèle pour notre salut ; 3° ce que nous devons faire pour lui plaire et mériter sa pro-tection.
I. – Parler des grandeurs de Marie,
M.F., c'est vou-loir diminuer l'idée sublime que vous vous en faites
; car saint Ambroise nous dit que Marie est élevée à
un si haut degré de gloire, d'honneur et de puissance, que les anges
mêmes ne peuvent le comprendre ; cela est réservé à
Dieu seul. De là, je conclus que tout ce que vous pourrez entendre,
ne sera toujours rien ou presque rien, auprès de ce qu'elle est
aux yeux de Dieu. Le plus bel éloge que l'Église puisse nous
en donner, c'est de dire que Marie est la Fille du Père Éternel,
la Mère du Fils de Dieu Sauveur du monde, l'Épouse du Saint--Esprit.
Si le Père Éternel a choisi Marie pour sa fille par excellence,
quel torrent de grâces ne doit-il pas verser dans son âme ?
Elle en reçut, à elle seule, plus que tous les anges et tous
les saints ensemble. Il com-mença par la préserver du péché
originel, grâce qui n'a été accordée qu'à
elle seule. Il l'a fixée dans cette grâce, avec une parfaite
assurance qu'elle ne la perdrait jamais. Oui, M.F., le Père Éternel
l'enrichit des dons du ciel, à proportion de la grande dignité
à laquelle il devait l'éle-ver. Il forma en elle un temple
vivant des trois Per-sonnes de la Très Sainte Trinité. Disons
encore mieux, il fit pour elle tout ce qu'il était possible de faire
pour une créature. Si le Père Éternel a pris tant
de soin à l'égard de Marie, nous voyons aussi le Saint-Esprit
venir l'embellir lui-même à un tel degré, que dès
l'instant de sa conception, elle devint l'objet des complaisances des trois
Personnes divines. Marie seule a le bonheur d'être la fille du Père
Éternel, elle a aussi celui d'être la mère du Fils
et l'épouse du Saint-Esprit. Par ces dignités incomparables,
elle se voit associée aux trois Personnes de la Sainte Trinité,
pour former le corps adorable de Jésus-Christ. C'est d'elle que
Dieu devait se servir pour renverser ou ruiner l'empire du démon.
C'est elle que les trois Personnes divines employèrent pour sauver
le monde, en lui donnant un Rédempteur. Auriez-vous jamais pensé
que Marie fût un tel abîme de grandeur, de puissance et d'amour
? Après le corps adorable de Jésus-Christ, elle fait le plus
bel ornement de la cour céleste…
Nous pouvons dire que le triomphe
de la sainte Vierge dans le ciel, est la consommation de tous les mérites
de cette auguste Reine du ciel et de la terre. Ce fut dans ce moment qu'elle
reçut le dernier ornement de son incom-parable dignité de
Mère de Dieu. Après avoir subi quel-que temps les misères
diverses de la vie et les humi-liations de la mort, elle alla jouir d'une
vie, la plus glorieuse et la plus heureuse dont une créature puisse
jamais jouir. Nous nous étonnons parfois que Jésus, qui aimait
tant sa mère, l'ait laissée si longtemps sur la terre après
sa résurrection. La raison de ceci, c'est qu'il voulait, par ce
retard, lui procurer une plus grande gloire, et que du reste, les apôtres
avaient encore besoin de sa personne pour être consolés et
conduits. C'est Marie qui a révélé aux apôtres
les plus grands secrets de la vie cachée de Jésus-christ.
C’est encore Marie qui a levé l'étendard de la virginité,
qui en a fait connaître tout l'éclat, toute la beauté,
et nous montre l'inestimable récompense réservée à
ce saint état.
Mais reprenons, M.F., continuons
à suivre Marie jusqu'au moment où elle quitte ce monde. Jésus-Christ
voulut qu'avant d'être élevée au ciel, elle pût
revoir encore une fois tous ses apôtres. Tous, saint Thomas excepté,
furent miraculeusement transportés autour de son pauvre lit. Par
un excès de cette humilité qu'elle avait toujours portée
à un très haut degré, elle leur baisa à tous
les pieds, et leur demanda leur bénédiction. Cet acte la
préparait à l'éminente gloire à laquelle son
Fils devait l'élever. Ensuite Marie leur donna à tous sa
bénédiction. Il me serait impossible de vous faire com-prendre
les larmes que répandirent en ce moment les apôtres, sur la
perte qu'ils allaient faire. La sainte Vierge n'était-elle pas,
après le Sauveur, tout leur bonheur, toute leur consolation ? Mais
Marie, pour adoucir un peu leur peine, leur promit de ne pas les oublier
auprès de son divin Fils. On croit que le même ange qui lui
avait annoncé le mystère de l'Incarnation, vint lui marquer,
de la part de son Fils, l'heure de sa mort. La sainte Vierge répondit
à l'ange : « Ah ! quel bonheur ! et combien je désirais
ce moment ! » Après cette heureuse nouvelle, elle voulut faire
son testament, qui fut bientôt fait. Elle avait deux tuniques, elle
les donna à deux vierges, qui la servaient depuis longtemps. Elle
se sentit alors brûler de tant d'amour que son âme, semblable
à une fournaise ardente, ne pouvait plus res-ter dans son corps.
Heureux moment !...
Pouvons-nous voir, M.F., les merveilles
qui s'opèrent à cette mort, sans nous sentir un ardent désir
de vivre saintement pour mourir saintement ? C'est vrai, nous ne devons
pas nous attendre à mourir d'amour, mais au moins ayons l'espérance
de mourir dans l'amour de Dieu. Marie ne craint nullement la mort, puisque
la mort va la mettre en possession du bonheur parfait ; elle sait que le
ciel l'attend, et qu'elle en sera un des plus beaux ornements. Son Fils
et toute la cour céleste s'avancent pour célébrer
cette brillante fête, tous les saints et saintes du ciel n'attendent
que les ordres de Jésus, pour venir chercher cette Reine et l'emmener
en triomphe dans son royaume. Tout est préparé dans le ciel
pour la recevoir ; elle va goûter des honneurs au-dessus de tout
ce que l'on peut concevoir. Pour sortir de ce monde, Marie ne subit point
la maladie, car elle est exempte de péché. Malgré
son grand âge, son corps ne fut jamais décrépit comme
celui des autres mortels, au contraire, il semblait qu'à mesure
qu'il approchait de la fin, il prenait un nouvel éclat. Saint Jean
Damascène nous dit que ce fut Jésus-Christ lui-même
qui vint cher-cher sa mère. Ainsi disparaît ce bel astre qui
pendant soixante et douze ans a éclairé le monde. Oui, M.F.,
elle revoit son Fils, mais sous un aspect bien différent de celui
où elle l'avait vu, lorsque, tout couvert de sang, il était
cloué à la croix.
O Amour divin, voilà la plus
belle de vos victoires et de toutes vos conquêtes ! Vous ne pouviez
rien faire de plus, mais aussi vous ne pouviez rien faire de moins. Oui,
M F., s'il fallait que la mère d'un Dieu mourût, elle ne pouvait
mourir que d'un transport d'amour. O belle mort ! ô mort heureuse
! ô mort désirable ! Ah ! qu'elle est dédommagée
de ce torrent d'humiliations et de douleurs dont sa sainte âme a
été inondée pendant sa vie mortelle ! Oui, elle revoit
son Fils, mais tout autre que le jour où elle l'avait vu pendant
sa douloureuse passion, entre les mains de ses bourreaux, portant sa croix,
couronné d'épines, sans pouvoir le soulager. Oh ! non, elle
ne le voit plus sous ce triste appareil, capable d'anéantir les
créatures tant soit peu sensibles ; mais elle le voit, dis-je, tout
brillant de lumière, revêtu d'une gloire qui fait toute la
joie et le bonheur du ciel ; elle voit les anges et les saints qui tous
l'environnent, le louent, le bénissent et l'adorent jusqu'à
l'anéantissement. Oui, elle revoit ce tendre Jésus, exempt
de tout ce qui peut le faire souffrir. Ah ! qui de nous ne voudrait pas
travailler à aller rejoindre la Mère et le Fils dans ce lieu
de délices ? Quelques moments de combats et de souf-frances sont
grandement récompensés.
Ah ! M.F., quelle mort heureuse
! Marie ne craint rien, parce qu'elle a toujours aimé son Dieu ;
elle ne regrette rien, parce qu'elle n'a jamais rien possédé
que son Dieu., Voulons-nous mourir sans crainte ? Vivons, comme Marie,
dans l'innocence ; fuyons le péché, qui fait tout notre malheur
pour le temps et pour l'éternité. Si nous avons été
assez malheureux pour le commettre, à l'exem-ple de saint Pierre,
pleurons jusqu'à notre mort, et que nos regrets ne finissent qu'avec
la vie. A l'exemple du saint roi David, descendons dans le tombeau en versant
des pleurs ; lavons nos âmes dans l'amertume de nos larmes . Voulons-nous,
comme Marie, mourir sans chagrin ? Vivons comme elle, sans nous attacher
aux choses créées ; faisons comme elle, n'aimons que Dieu
seul, ne désirons que lui seul, ne cherchons qu'à lui plaire
dans tout ce que nous faisons. Heureux le chrétien, qui ne quitte
rien pour trouver tout !...
Approchons encore un instant de
ce pauvre grabat, qui est si heureux de soutenir cette perle précieuse,
cette rose toujours fraîche et sans épines, ce globe de gloire
et de lumière, qui doit donner un nouvel éclat à toute
la cour céleste. Les anges, dit-on, entonnèrent un can-tique
d'allégresse dans l'humble demeure où était le saint
corps, et elle était remplie d'une odeur si agréable, qu'il
semblait que toutes les douceurs du ciel y fussent descendues. Allons,
M.F., accompagnons du moins en esprit, ce convoi sacré ; suivons
ce tabernacle où le Père avait renfermé tous ses trésors,
et qui va être caché, pour quelque temps, comme l'a été
le corps de son divin Fils. La douleur et les gémissements rendirent
silencieux les apôtres et tous les fidèles venus en foule
pour voir encore une fois la Mère de leur Rédempteur. Mais
étant revenus à eux-mêmes, ils commencèrent
tous à chanter des hymnes et des cantiques pour honorer le Fils
et la Mère. Une partie des anges monta au ciel pour conduire en
triomphe cette âme sans égale ; l'autre, resta sur la terre
pour célébrer les obsèques du saint corps. Je vous
le demande, M.F., qui serait capable de nous faire la peinture d'un si
beau spectacle ? D'un côté, l'on entendait les esprits bienheureux
employer toute leur industrie céleste, pour témoigner la
grande joie qu'ils avaient de la gloire de leur Reine ; de l'autre, on
voyait les apôtres et un grand nombre de fidèles, élever
aussi leurs voix pour seconder l'harmonie de ces chantres célestes.
Saint Jean Damascène nous dit qu'avant de mettre le saint corps
dans le tombeau, ils eurent tous le bonheur de baiser ses mains saintes
et sacrées, qui, tant de fois, avaient porté le Sauveur du
monde. Dans ce moment, il n'y eut pas un malade qui ne reçût
sa gué-rison ; il n'y eut pas une personne dans Jérusalem
qui ne demandât quelque grâce au bon Dieu par la média-tion
de Marie et qui ne l'obtînt. Dieu le voulait ainsi pour nous montrer
que tous ceux qui, dans la suite, auraient recours à elle, étaient
bien sûrs de tout obtenir.
Quand chacun, nous dit le même
saint, eut contenté sa dévotion et reçu l'effet de
ses demandes, l'on pensa à la sépulture de la Mère
de Dieu. Les apôtres, selon la coutume des Juifs, ordonnèrent
de laver le saint corps et de l'embaumer. Ils chargèrent donc de
cet office deux vierges au service de Marie. Celles-ci, par un fait tout
miraculeux, ne purent voir ni toucher le saint corps. L'on crut reconnaître
en cela la volonté de Dieu, et l'on ensevelit le corps avec tous
ses vêtements. Si Marie, sur la terre, fut d'une humilité
sans égale, sa mort et sa sépulture furent aussi sans égales,
par la grandeur des merveilles qui s'opérèrent alors. Ce
furent les apôtres eux-mêmes qui portèrent le précieux
dépôt, et ce cortège saint et sacré traversa
la ville de Jérusalem jusqu'au lieu de la sépulture, qui
était le bourg de Gethsémani, dans la vallée de Josaphat.
Tous les fidèles l'accompagnèrent avec des flambeaux à
la main, plusieurs se joignaient à cette troupe pieuse, qui portait
l'arche de la nouvelle alliance et la conduisait au lieu de son repos.
Saint Ber-nard nous dit que les anges faisaient eux-mêmes leur procession,
précédant et suivant le corps de leur Souve-raine avec des
cantiques d'allégresse ; tous ceux qui étaient présents
entendaient le chant de ces anges, et partout où passait ce saint
corps, il répandait une odeur délicieuse, comme si toutes
les douceurs et les parfums célestes étaient descendus sur
la terre. Il y eut, ajoute ce saint, un malheureux juif, qui, mourant de
rage de voir que l'on rendait tant d'honneurs à la Mère de
Dieu, se jeta sur le corps pour le faire tomber dans la boue ; mais il
ne l'eut pas plus tôt touché, que ses deux mains tombèrent
desséchées. S'étant repenti, il pria saint Pierre
qu'on le fît approcher du corps de la sainte Vierge. En le touchant,
ses deux mains se replacèrent d'elles-mêmes sans qu'elles
parussent avoir été jamais séparées. Le corps
de la Mère de Dieu ayant été déposé
avec respect dans le sépulcre, les fidèles se retirèrent
à Jérusalem ; mais les anges continuèrent à
chanter, pendant trois jours, les louanges de Marie. Les apôtres
venaient les uns après les autres, pour s'unir aux anges qui restaient
au-dessus du tombeau. Au bout de trois jours, saint Thomas, qui n'avait
pas assisté à la mort de la Mère de Dieu, vint demander
à saint Pierre le bonheur de voir encore une fois le corps virginal.
Ils allèrent donc au sépulcre, et n'y trouvèrent plus
que les vêtements. Les anges l'avaient emportée dans le ciel,
car on ne les en-tendait plus. Pour vous faire une fidèle description
de son entrée glorieuse et triomphante dans le ciel, il fau-drait,
M.F., être Dieu lui-même, qui, dans ce moment, voulut prodiguer
à sa Mère toutes les richesses de son amour, de sa reconnaissance.
Nous pouvons dire qu'il rassembla alors tout ce qui fut capable d'embellir
son triomphe dans le ciel. « Ouvrez-vous, portes du ciel, voici votre
Reine qui quitte la terre pour embellir les cieux par la grandeur de sa
gloire, par son immensité de mérites et de dignité.
» Quel spectacle ravissant ! jamais le ciel n'avait vu entrer dans
son enceinte une créature si belle, si accomplie, si parfaite et
si riche de vertus. « Quelle est celle-ci, dit l'Esprit-Saint, qui
s'élève du désert de cette vie, toute comblée
de délices et d'amour, appuyée sur le bras de son bien-aimé
?... » Approchez, les portes du ciel s'ouvrent, et toute la cour
céleste se prosterne devant elle comme devant sa Sou-veraine. Jésus-Christ
lui-même la conduit dans son triomphe, et la fait asseoir sur le
plus beau trône de son royaume. Les trois Personnes de la Très
Sainte Trinité lui mettent sur la tête une brillante couronne
et la ren-dent dépositaire de tous les trésors du ciel. Oh
! M.F., quelle gloire pour Marie ! mais aussi quel sujet d'espé-rance
pour nous, de la savoir si élevée en dignité, et de
connaître le grand désir qu'elle a de sauver, nos âmes
!
II. – Quel amour n’a-t-elle pas
pour nous ? Elle nous aime comme ses enfants ; elle aurait voulu mourir
pour nous si cela eût été nécessaire. Adressons-nous
à elle avec une grande confiance, et nous sommes sûrs que,
quelque misérables que nous soyons, elle nous obtiendra la grâce
de notre conversion. Elle prend tant de soin du salut de notre âme,
elle désire tant notre bonheur !… Nous lisons dans la vie de saint
Stanislas, grand dévot envers la Reine du ciel , qu'un jour, étant
en prière, il dit à la Sainte Vierge de vouloir bien se montrer
à lui avec le saint Enfant Jésus. Cette prière fut
si agréable au bon Dieu, que dans le même moment Stanislas
vit paraître devant lui la sainte Vierge, tenant le saint Enfant
entre ses bras. Une autre fois, se trouvant malade dans une maison de luthériens
qui ne voulaient pas lui permettre de communier, il s'adressa à
la sainte Vierge, et la pria de lui procurer ce bonheur. Sa prière
à peine achevée, il vit venir un ange qui lui apportait la
sainte Hostie et qui était accompagné de la sainte Vierge.
Dans une circons-tance à peu près semblable, la même
chose lui arriva, un ange lui apporta Jésus-Christ et lui donna
la sainte communion. Voyez, M.F., combien Marie prend soin du salut de
ceux qui ont confiance en elle !
Que nous sommes heureux, d'avoir
une Mère pour nous précéder dans la pratique des vertus
que nous de-vons avoir, si nous voulons aller au ciel et plaire à
Dieu ! Mais prenons bien garde de ne jamais mépriser ni elle, ni
le culte qu'on lui rend. Saint François de Borgia nous raconte qu'un
grand pécheur, à son lit de mort, ne vou-lait entendre parler
ni de Dieu, ni de son âme, ni de confession. Saint François
qui se trouvait alors dans le pays de ce malheureux, se mit à prier
Dieu pour lui ; comme il priait avec larmes, il entendit une voix qui lui
dit: « Allez, François, allez porter ma croix à ce
malheu-reux, exhortez-le à la pénitence. » Saint François
court vers le malade déjà dans les bras de la mort. Hélas
! il avait déjà fermé son cœur à la grâce.
Saint François le pria d'avoir pitié de son âme, de
demander pardon au bon Dieu ; mais non, tout était perdu pour lui.
Le saint entendit encore deux fois la même voix qui lui dit «
Allez, François, portez ma croix à ce malheureux. »
Le saint montra encore son crucifix, qui se trouva tout cou-vert de sang
et qui coulait de toutes parts ; il dit au pécheur que ce sang adorable
lui obtiendrait son pardon s'il voulait lui demander miséricorde.
Mais non, tout fut perdu pour lui, il mourut en blasphémant le saint
nom de Dieu: et son malheur venait de ce qu'il avait raillé et méprisé
la sainte Vierge, dans les honneurs qu'on lui rendait. Ah ! M.F., prenons
bien garde de ne jamais rien mépriser de ce qui se rapporte au culte
de Marie, cette Mère si bonne, si portée à nous secourir
à la moindre confiance que nous avons en elle ! Voici quelques exem-ples
qui vous montreront que, si nous avons été fidèles
à la moindre pratique de dévotion envers la sainte Vierge,
jamais elle ne permettra que nous mourions dans le péché.
Il est rapporté dans l'histoire
qu'un jeune libertin se livrait, sans aucun remords, à tous les
vices de son cœur. Une maladie l'arrêta au milieu de ses désordres
; tout libertin qu'il était, il n'avait pourtant jamais manqué
de dire tous les jours un Ave Maria ; c'était la seule prière
qu'il faisait, et encore la faisait-il bien mal : ce n'était pas
autre chose qu'une simple habitude. Dès que l'on sut que sa maladie
était sans espérance de guérison, on alla chercher
le prêtre de la paroisse qui vint le visiter, et l'exhorta à
se confesser. Mais le malade lui répondit que s'il avait à
mourir, il voulait mourir comme il avait vécu, et que, s'il venait
à en échapper, il ne voulait pas vivre autrement que jusqu'alors.
Ce fut la réponse qu'il fit à tous ceux qui voulurent lui
parler de confession. On était dans une grande consternation ; personne
n'o-sait plus lui en parler, dans la crainte de lui donner occasion de
vomir les mêmes blasphèmes et les mêmes impiétés.
Sur ces entrefaites, un de ses camarades, mais plus sage que lui, qui souvent
l'avait repris de ses désordres, alla le trouver. Après lui
avoir parlé de diffé-rentes choses, il lui dit sans détours
: « Tu devrais bien, mon camarade, penser à te convertir.
» – « Mon ami, répliqua le malade, je suis un trop grand
pécheur ; tu sais bien la vie que j'ai menée. » – «
Eh bien ! prie la sainte Vierge qui est le refuge des pécheurs.
» – « Ah ! j'ai bien dit tous les jours un Ave Maria ; mais
voilà toutes les prières que j'ai faites. Crois-tu que cela
me serve de quelque chose ? » – « Comment ! répliqua
l'au-tre, cela te servira de tout. Ne lui as-tu pas demandé de prier
pour toi à l'heure de la mort ? C'est donc à présent
qu'elle va prier pour toi. » – « Puisque tu penses que la sainte
Vierge prie pour moi, va chercher M. le curé pour me confesser tout
de bon. » En prononçant ces paroles, il se mit à verser
des torrents de larmes. « Pour-quoi pleurer ? lui dit son ami. »
– « Ah ! pourrais-je jamais assez pleurer, après avoir mené
une vie si crimi-nelle, après avoir offensé un Dieu si bon,
qui veut encore me pardonner ! Je voudrais pouvoir pleurer des larmes de
sang pour montrer au bon Dieu combien je suis lâché de l'avoir
tant offensé ; mais, mon sang est trop impur pour être offert
à Jésus-Christ en expiation de mes péchés.
Ce qui me console, c'est que Jésus-Christ mon Sauveur a offert le
sien à son Père pour moi, c'est en lui que j'espère.
» Son ami entendant ce discours, et voyant couler ses larmes, se
mit à pleurer de joie avec lui. Ce changement était si extraordinaire,
qu'il l'attribua à la protection de la sainte Vierge. Dans ce moment,
le curé revint, et, fort étonné de les voir pleurer
tous deux, il leur demanda ce qui était arrivé. – «
Ah ! Monsieur, répondit le malade, je pleure mes péchés
! Hélas ! je commence bien tard à les pleurer ! Mais je sais
que les mérites de Jésus-Christ sont infinis et que sa miséricorde
est sans bornes ; j'ai encore espoir que le bon Dieu aura pitié
de moi. » Le prêtre, étonné, lui demanda qui
avait fait en lui un pareil changement ? « La sainte Vierge, dit
le malade, a prié pour moi, c'est ce qui m'a fait ouvrir les yeux
sur mon misérable état. » – « Vous voulez bien
vous confesser ? » – « Oh ! oui, Monsieur, je veux me confesser,
et même tout haut ; puisque j'ai scandalisé par ma mauvaise
vie, je veux que l'on soit témoin de non repentir. » Le prêtre
lui dit que cette mesure n'était pas nécessaire, qu'il suffisait,
pour réparer les scandales, de savoir qu'il avait été
administré. Il se con-fessa avec tant de douleur et de larmes, que
le prêtre fut obligé plusieurs fois de s'arrêter pour
le laisser pleurer. Il reçut les sacrements avec de si grandes marques
de repentir, qu'on aurait cru qu'il allait en mourir.
Saint Bernard n'avait-il pas raison
de nous dire que celui qui est sous la protection de Marie est en sûreté
; et que jamais l'on a vu la sainte Vierge abandonner une personne qui
a fait quelque acte de piété en son honneur ? Non, M.F.,
jamais cela ne s'est vu et ne se verra. Voyez comme la sainte Vierge a
récompensé un Ave Maria, que ce jeune homme avait dit tous
les jours et encore, comment le disait-il ? Cependant, vous venez de voir
qu'elle fit un miracle, plutôt que de le laisser mourir sans confession.
Quel bonheur pour nous d'invoquer Marie, puisque ainsi elle nous sauve
et nous fait persé-vérer dans la grâce ! Quel sujet
d'espérance de penser que malgré nos péchés,
elle s'offre sans cesse à Dieu pour demander notre pardon ! Oui,
M.F., c'est elle qui ranime notre espérance en Dieu, c'est elle
qui lui pré-sente nos larmes, c'est elle qui nous empêche
de tomber dans le désespoir à la vue de nos péchés.
Le bienheureux Alphonse de Liguori
raconte qu'un de ses compagnons, prêtre, vit un jour entrer dans
une église un jeune homme dont l'extérieur annonçait
une âme dévorée de remords. Le prêtre s'approcha
du jeune homme et lui dit : « Voulez-vous vous confesser, mon ami
? » Celui-ci répond que oui, mais, en même temps, il
demande à être entendu dans un lieu retiré, car sa
confession devait être longue. Quand ils furent seuls, le nouveau
pénitent parla en ces termes : « Mon père, je suis
étranger et gentilhomme ; mais je ne crois pas pouvoir jamais devenir
l'objet des miséricordes d'un Dieu que j'ai tant offensé
par ma vie si criminelle. Sans vous parler des meurtres et des infamies
dont je me suis rendu coupable, je vous dirai qu'ayant désespéré
de mon salut, je me suis livré à toutes sortes de péchés,
moins pour contenter mes passions, que pour outrager le bon Dieu et satisfaire
la haine que j'avais contre lui. J'avais un crucifix sur moi, je l'ai jeté
par mépris. Ce matin même, je suis allé à la
table sainte pour commettre un sacrilège, mon intention était
de fouler aux pieds la sainte hostie, si les personnes qui étaient
présentes ne m'en avaient empêché ; et dans ce moment,
il remit à son confesseur la sainte hostie qu'il avait conservée
dans un papier. En passant devant cette église, ajouta-t-il, je
me suis senti pressé d'entrer, au point que je n'ai pu résister
; j'ai éprouvé des remords si violents, ils déchiraient
tellement ma conscience, qu'à mesure que je me suis approché
de votre confessionnal, je tombai dans un grand désespoir. Si vous
n'étiez pas sorti pour venir à moi, j'allais m'en aller de
l'église, je ne sais vraiment pas comment il a pu se faire que je
sois ainsi à vos genoux pour me confesser. » Mais le prêtre
lui dit : « N'avez-vous pas fait quelques bonnes oeuvres qui vous
ont mérité une telle grâce ? peut-être avez--vous
offert quelques sacrifices à la sainte Vierge ou imploré
son assistance, car de telles conversions ne sont ordinairement que des
effets de la puissance de cette bonne mère ? » – « Mon
père, vous vous trompez, j'avais un crucifix, je l'ai jeté
par mépris. » – « Mais, réfléchissez bien,
ce miracle ne s'est pas fait sans quelque raison. » – « Mon
père, dit le jeune homme portant la main sur son scapulaire, voilà
tout ce que j'ai conservé. » – « Ah ! mon ami, lui dit
le prêtre en l'embrassant, ne voyez-vous pas que c'est la sainte
Vierge qui vous a obtenu cette grâce, que c'est elle qui vous a attiré
dans cette église qui lui est consacrée ? » A ces paroles,
le jeune homme fondit en larmes ; il entra dans tous les détails
de sa vie criminelle, et sa douleur croissant toujours, il tomba aux pieds
de son confesseur comme mort ; revenu à lui, il acheva sa confession.
Avant de quitter l'église, il promit de raconter partout la grande
miséricorde que Marie avait obtenue de son Fils pour lui.
III. – Que nous sommes heureux, M.F.,
d'avoir une Mère si bonne, si dévouée au salut de
nos âmes ! Cependant il ne faut pas se contenter de la prier, il
faut encore pratiquer toutes les autres vertus que nous savons être
agréables à Dieu. Un grand serviteur de Marie, saint François
de Paule, fut un jour appelé par Louis XI, espérant obtenir
de lui sa guérison. Le saint trouva dans le roi toutes sortes de
bonnes qualités, il s'adonnait à quantité de bonnes
couvres et de prières en l'honneur de Marie. Il disait tous les
jours son chapelet, faisait beaucoup d'aumônes pour honorer la sainte
Vierge, portait sur lui plusieurs reliques ; mais sachant qu'il n'avait
pas assez de modestie et de retenue dans ses paroles, et qu'il souffrait
chez lui des gens de mau-vaise vie, saint François de Paule lui
dit en pleurant : « Prince, croyez-vous que toutes vos dévotions
soient agréables à la sainte Vierge ? Non, non, prince, com-mencez
à imiter Marie, et vous êtes sûr qu'elle vous tendra
les mains. » En effet, ayant fait une confession de toute sa vie,
il reçut tant de grâces et tant de moyens de salut, qu'il
mourut de la manière la plus édifiante, en disant que Marie
lui avait valu le ciel par sa protection. Le monde est plein de monuments
qui nous attestent les grâces que la sainte Vierge nous obtient ;
voyez tous ces sanctuaires, tous ces tableaux, toutes ces chapelles en
l'honneur de Marie. Ah ! M.F., si nous avions une tendre dévotion
envers Marie, que de grâces nous obtiendrions tous pour notre salut
! Oh ! pères et mères, si tous les matins vous mettiez tous
vos enfants sous la protection de la sainte Vierge, elle prierait pour
eux, elle les sauverait et vous aussi. Oh ! comme le démon redoute
la dévotion envers la sainte Vierge !... Il se plai-gnait un jour
hautement au bienheureux François que deux sortes de personnes le
faisaient bien souffrir. D'abord, celles qui contribuent à répandre
la dévotion à la sainte Vierge, puis celles qui portent le
saint Scapu-laire.
Ah ! M.F., en faut-il davantage
pour nous inspirer une grande confiance à la sainte Vierge et le
désir de nous consacrer entièrement à elle en mettant
notre vie, notre mort et notre éternité entre ses mains ?
Quelle conso-lation pour nous dans nos chagrins, dans nos peines, de savoir
que Marie veut et peut nous secourir ! Oui, nous pouvons dire que celui
qui a le bonheur d'avoir une grande confiance en Marie a son salut en sûreté
; et jamais on n'aura entendu dire que celui qui a mis son salut entre
les mains de Marie, ait été damné. Nous reconnaîtrons
à l'heure de la mort combien la sainte Vierge nous a fait éviter
de péchés, et comme elle nous a fait faire du bien que nous
n'aurions jamais fait sans sa protection. Prenons-la pour notre modèle,
et nous sommes sûrs de bien marcher dans le chemin du ciel. Admirons
en elle cette humilité, cette pureté, cette charité,
ce mépris de la vie, ce zèle pour la gloire de son Fils et
le salut des âmes. Oui, M.F., donnons-nous et consacrons-nous à
Marie pour toute notre vie. Heureux celui qui vit et meurt sous la protection
de Marie, le ciel lui est assuré ! C'est ce que je vous souhaite.
8 SEPTEMBRE
FÊTE DE LA NATIVITÉ
DE LA STE VIERGE
De qua natus est Jesus.
C'est de Marie qu'il nous est né
un Sauveur.
(S. Matth., I, !6.)
Voilà, M.F., en deux mots,
l'éloge le plus complet que l'on puisse faire de Marie, en disant
que c'est d'elle que nous est né Jésus Fils de Dieu. Oui,
Marie est la plus belle créature qui soit jamais sortie des mains
du Créa-teur. Dieu lui-même la choisit, pour être le
canal par lequel il devait faire couler ses grâces les plus pré-cieuses
et les plus abondantes sur tous ceux qui au-raient confiance en elle. Dieu
nous la représente comme un beau miroir où il se reflète
comme un modèle accom-pli de toutes les vertus. Aussi voyons-nous
que l'Église la considère comme sa Mère, sa patronne
et sa puissante protectrice contre ses ennemis ; qu'elle s'empresse de
célébrer avec la plus grande pompe le jour heureux où
ce bel astre commença à briller sur la terre. La naissance
des grands du monde nous inspire des craintes et des alarmes, parce que
nous ne savons pas s'ils seront justes ou pécheurs, sauvés
ou réprouvés ; nous ne savons pas, dis-je, s'ils rendront
leurs peuples heureux ou mal-heureux. Mais pour Marie nous n'avons nulle
crainte.
Elle naît pour être
Mère de Dieu, et, par sa naissance, nous apporte toutes sortes de
biens et de bénédictions. Dieu nous la propose pour modèle,
dans quelque état et dans quelque condition que nous puissions être.
Livrons-nous donc, M.F., avec toute l'Église, à une sainte
joie, et !° admirons dans cette Vierge sainte le modèle des
vertus les plus parfaites ; 2° considérons Marie comme ayant
été destinée de toute éternité à
être la mère du Fils de Dieu et la nôtre ; 3° enfin,
contemplons avec reconnaissance les dons et les grâces renfermés
dans la Médiatrice que Dieu a préparée aux hommes.
Mais prêtez-moi votre attention ; car, vous parler de Marie, n'est-ce
pas intéresser vos cœurs en vous entre-tenant de l'objet de votre
confiance et de votre amour.
I. – M.F., s'il était nécessaire
pour vous inspirer une tendre dévotion à Marie, de vous montrer
combien est grand le bonheur de ceux qui ont confiance en elle ; com-bien
sont nombreux les secours, les grâces et les avan-tages qu'elle nous
peut obtenir ; s'il était nécessaire, dis-je, de vous montrer
l'aveuglement et le malheur de ceux qui n'ont que de l'indifférence
et du mépris pour une Mère si bonne et si tendre, si puissante
et si portée à nous faire éprouver les effets de sa
tendresse, je n'aurais qu'à interroger les patriarches et les prophètes,
et vous verriez dans toutes les grandes choses que l'Esprit-Saint leur
a fait dire sur Marie, un sujet de confusion à la vue des bas sentiments
dont vous n'êtes que trop souvent remplis pour cette bonne Mère.
Ensuite, si je vous faisais le récit de tous les exemples que les
saints en ont tirés nous ne pourrions que déplorer notre
aveuglement et ra-nimer notre confiance envers elle. D'abord, rien n'est
plus capable de nous inspirer une tendre dévotion à la sainte
Vierge, que le premier trait que nous lisons dans l’Écriture sainte,
où nous voyons Dieu lui-même annon-cer le premier, la naissance
de Marie.
Lorsque nos premiers parents eurent
le malheur de tomber dans le péché, Dieu, touché de
leur repentir, promit qu'un jour viendrait où naîtrait une
Vierge qui enfanterait un fils, pour réparer le malheur causé
par leur péché . Dans la suite, les prophètes, après
lui, n'ont cessé d'annoncer de siècles en siècles,
pour conso-ler le genre humain qui gémissait sous la tyrannie du
démon, qu'une Vierge enfanterait un fils, qui serait le Fils du
Très-Haut, et envoyé par le Père pour racheter le
monde, perdu par le péché d'Adam . Tous les prophètes
annoncent qu'elle sera la plus belle créature qui ait jamais paru
sur la terre. Tantôt ils l'appellent l'Étoile du matin, qui
éblouit toutes les autres par son éclat et sa beauté,
et qui, en même temps, sert de guide au voyageur sur la mer ; afin
de nous montrer par là, qu'elle serait un mo-dèle accompli
de toutes les vertus. C'est donc avec rai-son que l'Église dit à
la sainte Vierge, dans un tressaille-ment d'allégresse : «
Votre naissance, ô Vierge sainte Marie, remplit le monde entier d'une
douce consolation et d'une sainte allégresse, parce que c'est de
vous qu'il nous est né ce Soleil de justice, notre Jésus,
notre Dieu, qui nous a tirés de la malédiction où
nous étions plongés par le péché de nos premiers
parents, et nous a comblés de toutes sortes de bénédictions.
» Oui, c'est vous, Vierge sans pareille, Vierge incomparable, qui
avez détruit l'empire du péché et rétabli le
règne de la grâce. « Levez-vous, dit l'Esprit-Saint,
sortez du sein de votre mère, vous qui êtes ma plus chère,
aussi bien que ma plus belle amante, venez, tendre colombe, dont la pureté
et la modestie sont sans égales, montrez-vous sur la terre, paraissez
au monde comme celle qui doit embellir le ciel et rendre la terre heureuse.
Venez et paraissez avec tout l'éclat dont Dieu vous a ornée,
car vous êtes le plus bel ouvrage de votre Créateur. »
En effet, quoique la sainte Vierge fût dans les voies ordinaires,
l'Esprit--Saint voulut que son âme fût la plus belle et la
plus riche en grâces ; il voulut aussi que son corps fût le
plus beau corps qui ait jamais paru sur la terre. L'Écriture la
compare à l'aurore dans sa naissance, à la lune dans son
plein, au soleil dans son midi . Elle nous dit encore qu'elle a une couronne
de douze étoiles , et est établie dispensatrice de tous les
trésors du ciel. Depuis la chute d'Adam, le monde était couvert
de ténèbres affreuses ; alors Marie paraît, et, comme
un beau soleil dans un jour serein, dissipe les ténèbres,
ranime l'espérance et donne la fécondité à
la terre. Dieu, M.F., ne devait-il pas dire à Marie, comme à
Moïse : « Va délivrer mon peuple, qui gémit sous
la tyrannie de Pharaon ; va lui annoncer que sa délivrance est proche,
et que j'ai entendu sa prière, ses gémissements et ses larmes.
Oui, Marie, sem-ble-t-il dire, j'ai entendu les gémissements, j'ai
vu les larmes des patriarches, des prophètes et de tant d'âmes
qui soupirent après l'heureux moment de leur déli-vrance.
» En effet, M.F., Marie, encore bien mieux que Moïse, annonce
que bientôt nos malheurs vont cesser et que le ciel va se réconcilier
avec la terre. O quels trésors apporte au ciel et à la terre
la naissance de Marie ! Le démon frémit de rage et de désespoir,
parce que, dans Marie, il voit celle qui doit l'écraser et le confondre.
Au contraire, les anges et les bienheureux font retentir la voûte
des cieux de chants d'allégresse en voyant naître une Reine
qui doit donner à leur beauté un nouvel éclat.
Mais, comme Dieu voulait commencer
à nous montrer que le ciel ne nous serait donné que par l'humilité,
le mépris, la pauvreté et les souffrances, il voulut que
la naissance de la sainte Vierge n'eût rien d'extraordinaire. Elle
naît dans un état de faiblesse, son berceau est arrosé
de larmes comme celui des autres enfants, qui semblent prévoir,
en naissant, les misères dont ils seront accablés pendant
leur vie ; c'est en ce sens que l'Esprit-Saint nous dit par la bouche du
Sage : « Que le jour de la mort est préférable à
celui de la naissance » Marie naît dans un état
d'obscurité. Quoiqu'elle fût de la race de David, et qu'elle
pût compter parmi ses ancêtres des patriar-ches, des prophètes
et des rois : tous ces titres, si recher-chés des gens du monde,
étaient tombés dans l'oubli ; elle n'avait rien d'éclatant
que la vertu, qui, aux yeux des hommes, n'est pas une grande distinction.
Dieu l'avait ainsi permis, afin que cette naissance fût plus conforme
à celle de son divin Fils, dont les prophètes avaient annoncé
qu'il n'aurait pas où reposer sa tête. Mais si elle vient
au monde si pauvre des biens de la terre, elle est riche des biens de celui
qui, de toute éternité, l'avait choisie pour être sa
Mère. Saint Jean Damascène nous dit que les siècles
se disputèrent à l'envi, qui d'entre eux aurait le bonheur
de la voir naître. Voulons-nous, dit un de ses grands serviteurs,
le saint évêque de Genève, savoir quelle est cette
Vierge couronnée à son berceau ? Interrogeons les anges,
ils nous diront qu'elle les sur-passe infiniment en grâce, en mérites,
en dignité et en toutes sortes de perfections. Saint Basile nous
dit que, depuis la création du monde jusqu'à la venue de
Marie, le Père Éternel n'avait point trouvé de créature
assez pure et assez sainte, pour être la Mère de son Fils.
Combien de fois les patriarches et les prophètes ne se sont--ils
pas écriés dans leurs soupirs et dans leurs larmes : Ah !
quand donc viendra l'heureux moment où cette Vierge sainte paraîtra
dans le monde ? Oh ! qu'ils seront heureux les yeux qui verront cette créature,
qui doit être la Mère du Sauveur des hommes ! »
II. – Il serait impossible, M.F.,
de ne pas aimer Marie, si nous voulions réfléchir un instant
sur sa ten-dresse pour nous, et sur les bienfaits dont elle n'a cessé
de nous combler. En effet, si Jésus-Christ a répandu son
sang précieux pour nous sauver, qui a produit ce sang adorable,
n'est-ce pas Marie ? Si nous suivons les traces de sa vie mortelle, que
de chagrins, que de douleurs, que d'angoisses n'a-t-elle pas endurés
? Toutes les fois qu'elle portait ses tendres regards sur son divin Fils,
elle souf-frait, nous disent les saints Pères, plus que tous les
mar-tyrs ensemble. – Et comment, me direz-vous ? – Dieu, pour accomplir
cette prophétie, voulut lui faire connaître d'avance toutes
les souffrances, les outrages et les tour-ments que son divin Fils devait
endurer avant de mou-rir . Toutes les fois qu'elle touchait les pieds et
les mains adorables de Jésus, elle se disait à elle-même
« Hélas ! ces pieds et ces mains qui, pendant trente-trois
ans, ne seront occupés qu'à porter les grâces et les
béné-dictions, seront un jour percés et cloués
à un bois infâme ; ses yeux d'amour seront couverts de crachats
; son visage, plus beau que les cieux, sera tout meurtri par les souf-flets
qu'on lui donnera. Tout ce corps doit être flagellé avec tant
de cruauté, qu'il sera presque impossible de le reconnaître
pour un homme ; cette tête, toute rayon-nante de gloire, sera percée
d'une cruelle couronne d'épines. » Lorsqu'elle passait par
les rues de Jérusalem, elle se disait : « Un jour viendra
où je verrai ces pavés tout arrosés de son sang précieux.
Il sera étendu sur l'arbre de la croix, j'entendrai les coups de
marteau, et ne pour-rai lui apporter du secours. » « O douleur
incompréhen-sible ! O martyre ineffable, nous dit un saint Père,
il n'y a que Dieu qui puisse en comprendre toute l'étendue ! »
Oui, M.F., nous disons que Jésus-Christ a fait éprouver en
particulier à sa Mère chacune des douleurs de sa pas-sion
; car Marie avait continuellement à l'esprit les sup-plices qu'on
devait faire endurer à son Fils. « Ah ! s’écrie saint
Bernard, ce grand serviteur de Marie, que nous som-mes aveugles et malheureux,
de ne pas aimer une Mère si bienfaisante et si bonne ! Depuis longtemps,
sans les prières de Marie, le monde n'existerait plus et serait
tombé en ruines à cause de nos péchés. »
En effet, il est rapporté que, du temps de saint Dominique et de
saint François, Dieu était tellement irrité contre
les hommes, qu'il avait résolu de les faire périr tous. Ces
deux saints virent la sainte Vierge se jeter aux pieds de son divin Fils
: « Mon Fils, lui dit-elle, souvenez-vous que c'est pour ce peuple
que vous êtes mort ; j'enverrai mes deux grands serviteurs, en lui
montrant saint Dominique et saint François, oui, ils iront partout
le monde inviter tous les hommes à se convertir et à faire
pénitence. » Hélas ! combien de fois n'a-t-elle pas
présenté à son Fils les entrailles où il a
été conçu, les mamelles qui l'ont allaité,
les bras qui l'ont porté ? Combien de fois ne lui a-t-elle pas dit
: « Mon Fils, laissez-vous toucher par les prières de celle
qui vous a porté neuf mois dans son sein, qui vous a nourri avec
tant de tendresse, et qui aurait donné sa vie avec tant de joie
pour sauver la vôtre ; épargnez, s'il vous plaît, ce
peuple qui vous a tant coûté. » O ingratitude ! O aveuglement
des pécheurs, que tu es grand et incompréhensible ! N'avoir
que du mépris pour celle qui aurait si volontiers donné sa
vie pour nous ! Les saints, M.F., ont bien agi autrement envers Marie.
Ah ! c'est qu'ils étaient persuadés que sans Marie, il leur
était presque impossible de pouvoir résister aux attaques
que le démon leur livrait pour les perdre. Saint Bernard nous dit
que toutes les grâces que nous recevons du ciel, passent par les
mains de Marie. Oui, nous dit un autre Père de l'Église,
« Marie est comme une bonne mère de famille qui ne se contente
pas de prendre soin de tous ses enfants en général, mais
qui veille sur chacun d'eux en particulier. » Si Dieu nous avait
traités après chaque péché comme nous le méritions,
depuis longtemps nous brûlerions dans les enfers. Oh ! combien sont
dans les flammes, et qui n'y seraient pas, s'ils avaient eu recours à
Marie ! Elle aurait prié son Fils de prolonger leurs jours pour
leur donner le temps de faire pénitence. Si ce malheur, M.F., ne
nous est pas arrivé, remercions Marie ; c'est véritablement
à elle que nous en sommes redevables. Nous lisons dans l'Évangile
, « qu'un homme avait planté un arbre dans son jardin : quand
le temps des fruits fut venu, il alla voir si cet arbre en avait ; mais
il n'en trouva point. Il y alla une seconde et une troisième fois
sans en trouver, alors il dit au jardinier : « Voilà trois
fois que je viens en vain pour chercher du fruit, pourquoi laissez-vous
cet arbre occuper la place d'un autre qui en porterait ? coupez-le et jetez-le
au feu. » Que fait le jardinier ? Il se jette aux pieds de son maître
pour le prier d'attendre encore quelque temps ; car il redoublera ses soins
; il travaillera la terre qui est autour ; il fumera l'arbre et n'oubliera
rien pour lui faire porter du fruit. « Mais, ajoute-t-il, si l'année
prochaine, lorsque vous viendrez, il n'a point de fruit, on le coupera
et on le jettera au feu. » Image sensible, M.F., de ce qui se passe
entre Dieu, la sainte Vierge et nous : Le Maître de ce jardin, c'est
Dieu lui-même ; le jardin, c'est toute son Église, et nous-mêmes
sommes les arbres plantés dans ce jardin. Il prétend et il
veut que nous portions du fruit, c'est-à-dire que nous fassions
de bonnes oeuvres pour le ciel. Comme ce maître du jardin, il attend
deux, trois, hélas ? peut-être vingt ou trente ans, pour nous
donner le temps de nous convertir et de faire pénitence. Quand il
voit que nous ne faisons qu'augmenter nos péchés, au lieu
de nous corriger et de faire pénitence, il commande qu'on coupe
cet arbre et qu'on le jette au feu ; c'est-à-dire, que Dieu permet
au démon de prendre ces pécheurs pour les jeter en enfer.
Mais que fait Marie, M.F. ? Elle fait ce que fit ce bon jardinier, elle
se jette aux pieds de son divin Fils : « Mon Fils, lui dit-elle,
grâce encore pour quelque temps à ce pécheur, peut-être
qu'il se conver-tira, peut-être qu'il fera mieux qu'il n'a fait.
» Que fait--elle pour apaiser la colère du Père ? Elle
lui remet devant les yeux tout ce que son Fils a fait et souffert pour
réparer la gloire que le péché lui a ravie ; elle
se hâte de représenter à son Fils tout ce qu'elle a
souffert pendant sa vie mortelle pour l'amour de lui : « Mon Fils,
lui dit-elle à chaque instant, encore quelques jours, peut-être
qu'il se repentira. » O tendresse de Mère, que tu es grande
! mais que tu es payée d'ingratitude ! Les uns la méprisent,
les autres, non contents de la mépriser, méprisent encore
par leurs railleries ceux qui ont confiance en elle ! Eh bien ! M.F., quoique
nous n'ayons que du mépris pour elle, elle ne nous a pas encore
abandonnés ; car, si cela était, nous serions déjà
en enfer ; la preuve en est bien convaincante. Voici ce que nous lisons
dans la vie de Monsieur de Q….. Il rapporte lui-même, que le
démon fit tout ce qu'il put pour le faire mourir dans le péché.
Une nuit, le tonnerre faillit l'écraser : il perça plusieurs
planches et emporta la moitié de son lit. Quelque temps après
il se trouvait dans un endroit où l'on chassait le démon
du corps d'un possédé, il lui demanda qui l'avait garanti
de la foudre. Le démon lui répondit : « Remerciez la
sainte Vierge, sans elle depuis longtemps nous vous tiendrions en enfer,
nous avons bien cru vous avoir ce jour-là. » Eh bien ! M.F.,
je pourrais vous dire la même chose, et si vous vivez encore, malgré
tant de péchés dont votre conscience est chargée,
vous êtes sûrs que depuis longtemps vous souffririez dans l'autre
vie, sans la pro-tection de Marie auprès de son divin Fils, qu'elle
prie de prolonger vos jours, pour voir si vous vous convertirez.
Ah ! M.F., pourquoi n'aurions-nous
pas sans cesse recours à la sainte Vierge, puisque nous avons toujours
besoin de sa protection, et qu'elle est toujours portée à
nous secourir ? Nous lisons dans la vie de sainte Marie Égyptienne
, qu'elle mena jusqu'à l'âge de dix-neuf ans une vie honteuse.
Un jour de Vendredi saint, elle voulut aller, comme les autres, adorer
le bois précieux de la vraie croix. A mesure qu'elle entre dans
l'église, elle sent une main invisible qui la repousse dehors, et
cela par trois fois. Effrayée, elle va se retirer au coin de la
place, et se met à examiner d'où pouvait venir un événement
si extraordinaire : tout le monde entrait sans difficulté, elle
seule était repoussée avec tant de vio-lence. « Ah
!, s'écria-t-elle en soupirant, mes crimes, je le vois bien, en
sont la cause ! n'y aura-t-il plus de ressources ? Oserais-je me présenter
devant Dieu, après lui avoir ravi tant d'âmes rachetées
par son sang pré-cieux ? Souffrira-t-il que mon corps, qui n'a servi
qu'au crime, s'approche de son bois sacré, lui, si saint et si pur
? Oh ! se dit-elle en pleurant amèrement, j'ai souvent entendu dire
que la sainte Vierge avait une grande bonté pour les plus grands
pécheurs, et que jamais personne ne l'avait priée sans avoir
obtenu grâce et miséricorde, j'irai donc aussi la prier. »
Et elle se retire toute trem-blante, auprès d'une image de la sainte
Vierge ; elle se prosterne le visage contre terre, qu'elle arrose de ses
larmes : « O Vierge sainte, vous avez devant vous la plus grande
pécheresse du monde ; oserais-je encore implorer votre secours et
celui de votre divin Fils, m'aurait-il abandonné pour toujours ?
O Vierge sainte, si vous m'obtenez miséricorde auprès de
Jésus-Christ, et le bonheur d'aller adorer ce bois sacré
sur lequel il s'est immolé, j'irai dans le lieu qu'il vous plaira
pour faire pénitence. » Après cette protestation, elle
va se représenter toute tremblante à la porte de l'église,
pour voir si elle pourra entrer sans être repoussée, comme
les autres fois. Elle entre sans nulle difficulté. Pleine de reconnaissance,
elle adore le bois sacré, arrose le pavé de ses larmes, et
se confesse pour recevoir le pardon de ses péchés. Dans la
suite, elle se retira dans un bois où elle demeura pendant quarante
ans, faisant retentir le désert de ses cris et de ses sanglots,
ne se nourrissant que d'herbes sauvages. Elle rapporte elle-même
que le démon la tenta pendant dix-neuf ans de toutes sortes de manières
; et, à mesure que le démon la tourmentait, elle redoublait
ses pénitences ; parfois le matin, en se levant, elle était
toute couverte de neige, et, dans son désert, le froid était
si rigoureux, que son corps tombait par lambeaux. Elle méditait
soir et matin, tantôt sur ses fautes passées, tantôt
sur les grâces que Marie lui avait obtenues, ou encore sur l'espoir
qu'elle avait d'aller chanter au ciel les miséricordes du Seigneur.
Oh ! que nous serions heureux, M.F., si nous imitions cette grande pénitente
dans son repentir et sa confiance envers Marie !
Quand on aime quelqu'un, on s'estime
heureux d'en avoir quelque objet à titre de souvenir. De même,
M.F., si nous aimons la sainte Vierge, nous devons nous faire un honneur
et un devoir d'avoir dans nos maisons quel-ques-unes de ses images, qui,
de temps en temps, nous rappellent cette bonne Mère. De plus, les
parents vrai-ment chrétiens ne doivent jamais manquer d'inspirer
à leurs enfants une tendre dévotion à la Sainte Vierge
; c'est le véritable moyen d'attirer sur leur famille les bé-nédictions
du ciel et la protection de Marie. Nous lisons dans la vie de saint Jean
Damascène , que l'empereur avait conçu contre les saintes
images une telle aversion, qu'il avait commandé, sous peine de mort,
de les dé-truire ou de les brûler. Saint Jean aussitôt
se mit à écrire que l'on devait avoir des images et les honorer.
L'empereur fut tellement irrité contre le saint, qu'il lui fit couper
le poignet pour l'empêcher d'écrire. Le saint alla se prosterner
devant une image de la sainte Vierge en lui disant : « Vierge sainte,
je viens vous demander la main que l'on m'a coupée, parce que je
voulais soutenir l'honneur que l'on rend à vos images, je sais que
vous êtes assez puissante pour me la rendre. » Cette prière
achevée, il s'endormit, et, pendant son sommeil, il vit la sainte
Vierge ; elle lui dit que sa prière était exaucée.
Quand il s'éveilla, il trouva sa main parfaitement ratta-chée
au bras, seulement Dieu lui avait laissé, à l'endroit
où elle s'était rejointe à son bras, une petite raie
rouge, pour le faire se souvenir de la grâce que la sainte Vierge
lui avait obtenue. Par ce miracle, elle voulut montrer combien lui est
agréable l'honneur que l'on rend à ses représentations,
c'est-à-dire à ses images.
Écoutez ce que nous dit saint
Anselme : « Ceux qui seront assez malheureux pour mépriser
la Mère, sont sûrs d'être méprisés du
Fils. Oui, il n'y a que les dé-mons, les réprouvés
et les grands pécheurs, plongés dans les ordures de leurs
crimes, qui n'aiment pas Marie et qui n'ont pas confiance en elle. Vous
connaîtrez facile-ment si un chrétien est dans la voie du
ciel, ou s'il marche dans le chemin de la perdition : demandez-lui s'il
aime Marie ; s'il vous dit que oui, et que ses actions le prouvent, bénissez
le Seigneur, cette âme est pour le ciel. Mais s'il vous dit que non,
et qu'il ne paraisse avoir que du mépris pour ce qui regarde son
culte, jetez-vous aux pieds de votre crucifix, et pleurez amèrement
; car il est abandonné de Dieu, et prêt à tomber dans
les abîmes. Oui, quand vous seriez plongés dans les habi-tudes
les plus honteuses, si vous avez confiance en elle, ne désespérez
pas, elle vous obtiendra tôt ou tard votre pardon. » Nous lisons
dans l'histoire que saint Denis l'Aréopagite fut grand dévot
envers Marie. Il eut le bon-heur de vivre du temps que la sainte Vierge
était encore sur la terre. Il pria saint Jean l'Évangéliste,
à qui Dieu avait confié Marie avant de mourir, de lui procurer
le bonheur de voir la sainte Vierge. Saint Jean le fit donc entrer dans
la chambre où elle était. Saint Denis fut si ébloui
de sa présence, que tout à coup il se vit tout en-vironné
d'une lumière céleste : « Je me perdais, disait-il,
je sentais sortir de son corps une odeur si agréable, que je croyais
mourir d'amour ; mon esprit et mon cœur étaient tellement frappés
de la grandeur de sa gloire, que je tombais en défaillance. Je voyais
sortir de son corps sacré un si grand éclat de lumière,
que si la foi ne m'avait pas enseigné qu'il n'y a qu'un Dieu, je
l'aurais vraiment prise pour une divinité. Tout le reste de ma vie,
il me semblait l'avoir présente à mes yeux ; mon esprit et
mon cœur étaient constamment dans cette chambre où j'ai eu
le bonheur de la contempler ! Oh ! que sera-ce donc, quand nous la verrons
dans le ciel, auprès de son Fils, sur le beau trône de la
cour céleste, et revêtue de la gloire de Dieu même.
» Eh quoi ! M.F., après tout ce que nous venons de dire, nous
n'aimerions pas Marie, elle qui semble ne se réjouir d'être
Mère de Dieu, qu'afin de nous obtenir plus de grâces ? O aveu-glement
! .... Ne pas aimer celle qui ne veut que notre bonheur, cette mère
qui aurait donné sa vie pour nous sauver !...
III. – La sainte Vierge est encore
un rempart conti-nuel contre les attaques du démon ! Un jour saint
Domi-nique, son grand serviteur, étant prié de chasser le
dé-mon du corps d'un possédé en présence d'une
foule immense de personnes, qui étaient venues pour être témoins
de cette action ; le démon avoua devant tout le monde que la sainte
Vierge était sa plus cruelle enne-mie, qu'elle renversait tous ses
desseins ; que, sans elle, depuis longtemps, il n'y aurait plus de religion,
et qu'il aurait bouleversé l'Église par les schismes, les
hérésies. Marie, à chaque instant, lui arrachait des
âmes qu'il espérait un jour avoir en enfer ; que plusieurs,
à l'heure de la mort, en réclamant son secours, avaient obtenu
miséricorde, et qu'aucun de ceux qui avaient confiance en elle n'avait
été perdu. Voilà, M.F., ce que le démon avoua
devant tous ceux qui étaient pré-sents. Et s'il faut vous
en convaincre encore mieux, voyons cette femme qui fut accusée faussement
par son mari et condamnée à mourir sur l'échafaud
: elle alla se jeter au pied d'une image de la sainte Vierge, la priant
de ne pas la laisser mourir, puisqu'elle était innocente. Or, au
moment où le bourreau voulut l'exécuter, jamais il ne put
en venir à bout. La croyant morte pourtant, on la détacha,
et lorsqu'on la porta à l'église pour la mettre en terre,
non seulement elle donna des signes de vie, mais elle se leva et courut
auprès d'une image de la sainte Vierge : « O Vierge sainte,
s'écria-t-elle, vous êtes ma libératrice ? »
Se tournant vers le peuple qui remplissait l'église : « Oui,
lui dit-elle, j'ai vu Marie qui arrêtait la main du bourreau, et
qui me consolait pen-dant que j'étais suspendue au gibet. »
Tous ceux qui furent témoins de ce miracle sentirent redoubler leur
confiance envers la sainte Vierge.
Mais, diront quelques hommes ignorants
et sans reli-gion, tout cela est bon pour ceux qui ne savent pas lire,
ou pour des pauvres d'esprit et de biens. – Ah ! M.F., si je voulais, je
vous prouverais que dans tous les états il y a eu de grands serviteurs
de la sainte Vierge ; je vous en trouverais parmi ceux qui mendient leur
pain de porte en porte ; je vous en trouverais parmi ceux qui sont dans
un état tel que celui de la plupart d'entre vous ; je vous en trouverais
parmi les riches, et en grand nombre. Nous lisons dans l'Évangile
que Notre-Sei-gneur a toujours traité tout le monde avec une grande
douceur, excepté une sorte de personnes qu'il a traitées
durement : c'étaient les Pharisiens ; et cela parce qu'ils étaient
des orgueilleux et des pécheurs endurcis. Ils l'auraient volontiers
empêché, s'ils l'avaient pu, d'ac-complir la volonté
de son Père ; aussi les appelait-il des « sépulcres
blanchis, des hypocrites, des races de vi-pères, des vipereaux,
qui déchirent le sein de leur mère. » Nous pouvons
dire la même close au sujet de la dévotion envers la sainte
Vierge. Les chrétiens ont tous une grande dévotion à
Marie, excepté ces vieux pécheurs endurcis, qui, depuis longtemps,
ayant perdu la foi, se roulent dans les ordures de leur brutale pas-sion.
Le démon tâche de les tenir dans l'aveuglement jusqu'au moment
où la mort leur fera ouvrir les yeux. Ah ! s'ils avaient le bonheur
d'avoir recours à Marie, ils ne tomberaient pas en enfer, comme
il leur arrivera ! Non, M.F., n'imitons pas ces gens-là ! au contraire,
suivons les traces de tous les vrais serviteurs de Marie. De ce nombre
était saint Charles Borromée, qui disait toujours son chapelet
à genoux ; bien plus, il jeûnait toutes les veilles des fêtes
de la sainte Vierge. Il était si exact à la saluer au son
de la cloche, que quand l'Ange-lus sonnait, dans quelque lieu qu'il se
trouvât, il se met-tait à genoux, quelquefois même au
milieu de la rue toute pleine de boue. Il voulait que dans tout son diocèse
l'on eût une grande dévotion à Marie, et qu'on pronon-çât
son saint nom avec beaucoup de respect. Il fit bâtir une quantité
de chapelles en son honneur. Eh bien ! M.F., pourquoi n'imiterions-nous
pas ces grands saints qui ont obtenu de Marie tant de grâces pour
se préser-ver du péché, n'avons-nous pas les mêmes
ennemis à combattre, le même ciel à espérer
? Oui, Marie a tou-jours les yeux sur nous : sommes-nous tentés,
tour-nons notre cœur vers Marie et nous sommes sûrs d'être
délivrés.
Mais ce n'est pas encore assez,
M.F. ; pour mériter sa protection, il faut imiter les vertus dont
elle nous a donné l'exemple. Il faut imiter sa grande humilité.
Elle ne méprisait jamais personne : quoiqu'elle sût très
bien que Dieu l'avait élevée à la plus grande de toutes
les dignités, celle de Mère de Dieu, de Reine du ciel et
de la terre, cependant elle se regardait comme la dernière des créatures.
Il faut imiter son admirable pureté, qui l'a rendue si agréable
à Dieu. Sa modestie était si grande, que Dieu prenait plaisir
à la contempler. Il faut, M.F., à son exemple, nous détacher
des choses de ce monde, et ne plus penser qu'au ciel, notre véritable
patrie. De-puis l'Ascension de son divin Fils, elle ne faisait que languir
sur la terre. Elle supportait la vie avec patience, il est vrai ; mais
attendait avec ardeur la mort qui devait la réunir à son
divin Fils, unique objet de son amour. Combien de fois ne s'est-elle pas
écriée comme le pro-phète : « Mon Dieu, jusques
à quand prolongerez-vous mon exil ! Oh ! quand viendra l'heureux
moment où je vous serai réunie pour toujours ? Oh ! si vous
voyez mon Époux, dites-lui que je languis d'amour ! » Dieu
la retira de ce monde où elle avait tant souffert pendant son long
pèlerinage ; elle mourut, mais ni les infirmités de l'âge,
ni les défaillances de la nature ne lui donnèrent la mort,
ce fut le seul amour de son divin Fils. Son pre-mier souffle avait été
un souffle d'amour,
il était bien juste que son dernier fût
aussi un souffle d'amour. Si nous voulons nous en convaincre, M.F., jetons
un coup d’œil sur le lit de mort de Marie. O spectacle nouveau ! le ciel
et la terre sont ravis d'admiration ; les fidèles accourent de toutes
parts ; les apôtres se trouvent réunis par miracle dans cette
pauvre maison. L'on ne voit pas dans la mort de Marie ce qui fait horreur
dans la nôtre : cette pâleur effrayante, cette défaillance
universelle, ces douloureuses convulsions de l'agonie ; à la mort
de Marie tout est tranquille, son visage est plus brillant que jamais,
ses grâces modestes se manifestent encore avec plus d'éclat
que pendant sa vie, une aimable pudeur brille sur son front, une douce
majesté couvre son saint corps ; ses yeux, tendrement fixés
vers le ciel, en ont déjà toute la sérénité
; son esprit, abîmé en Dieu, semble déjà le
voir face à face ; son tendre cœur, pressé d'un amour également
doux et fort, goûte par avance les torrents de délices éternelles
que son Dieu lui préparait dans le ciel. Elle n'a point de crainte,
parce qu'elle n'a jamais offensé son Dieu ; elle n'a point de chagrin,
parce qu'elle ne s'est jamais attachée aux choses terrestres ; elle
ne soupire qu'après son Jésus, et la mort lui pro-cure ce
bonheur ; elle le voit venir au devant d'elle, avec toute la cour céleste,
pour honorer son entrée triom-phante dans le ciel. Ainsi s'endort
dans le baiser du Seigneur cette amante sacrée, ainsi disparaît
ce bel astre qui a éclairé le monde pendant soixante et douze
ans. Ainsi triomphe de la mort celle qui a enfanté l'Auteur de la
vie... Que conclure de tout cela, M.F. ? Que nous devons, à l'exemple
de Marie, soupirer et travailler à mériter le même
bonheur. C'est ce que je vous souhaite.
PREMIER DIMANCHE D'OCTOBRE
FÊTE DU SAINT ROSAIRE
Dicit discipulo : Ecce mater tua.
Jésus dit au disciple qu'il
aimait : Mon Fils, voilà votre Mère.
(S. Jean, XIX, 27.)
Que ces paroles, M.F., sont douces et consolantes, pour un chrétien qui peut comprendre toute l'étendue de l'amour qu'elles renferment ! Oui, Jésus-Christ, après nous avoir donné tout ce qu'il pouvait nous donner, c'est-à-dire, les mérites de tous ses travaux, de ses souffrances, de sa mort douloureuse, ah ! vous le dirai-s-je, son Corps adorable et son Sang précieux pour servir de nourriture à nos âmes, il veut encore nous faire héritiers de ce qu'il a de plus précieux, c'est-à-dire sa sainte Mère. Ne semble-t-il pas lui dire : « Ma Mère, il faut que je retourne à mon Père et que je quitte mes enfants ; le démon va faire tout ce qu'il pourra pour les perdre ; mais, ce qui me console, c'est que vous en prendrez soin, que vous les défendrez et que vous les soutiendrez dans leurs peines. » Et la sainte Vierge ne lui dit-elle pas de son côté : « Non, mon Fils, je ne cesserai jamais d'en avoir soin, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés dans votre royaume, dans ce royaume que vous leur avez acquis par vos souffrances ? » Oh ! Quel bonheur pour nous, M.F. ! quelle ressource ! et quelle espérance nous trouvons dans Marie pour vaincre le démon, nos passions et le monde ! « Avec un tel guide, nous dit saint Bernard, l'on ne peut pas s'égarer ; avec une telle protection, il est impossible de périr. » Oh ! M.F., comme il est en sûreté, celui qui a une vraie confiance en la sainte Vierge ! Toutes les fêtes de la sainte Vierge nous annoncent quelque nouveau bienfait du ciel. Sa Conception, sa Naissance, sa Présentation au temple, sa Visitation à sainte Élisabeth, la fête de sa Compassion, et enfin son Assomption ; mais nous pouvons dire que la fête du saint Rosaire est comme un résumé de toutes les grâces que le bon Dieu lui a accordées pendant sa vie, et elle nous rappelle que son divin Fils lui a mis entre les mains tous ses trésors. En conséquence, M.F., voulons-nous devenir riches des biens du ciel ? Allons à Marie, nous trouverons auprès d'elle toutes les grâces que nous pouvons désirer : grâces d'humilité, de pureté, de chasteté, d'amour de Dieu et du prochain, de mépris de la terre et de désir du ciel. Mais, pour mieux vous en convaincre, je vais vous montrer 1° que toutes les grâces nous viennent par elle ; et 2° que toutes les confréries qui sont établies en son honneur, et en particulier celle du saint Rosaire, nous attirent les faveurs les plus abondantes.
I. – Nous avons besoin d'un puissant
secours dans trois différents états. Le premier est celui
où nous nous trouvons pendant que nous sommes sur la terre, où
le démon ne cesse de nous tendre mille pièges pour nous tromper
et nous perdre. Le deuxième état, c'est celui où nous
serons quand nous paraîtrons devant le juge, et que nous rendrons
compte d'une vie qui peut-être ne sera qu'un tissu de péchés.
Enfin, le troisième état est celui où nous nous trouverons
quand, après avoir été jugés, nous irons passer
peut-être un nombre infini d'années dans les flammes du purgatoire.
Ah ! malheur à nous, si dans tous ces états nous n'avions
pas la sainte Vierge pour venir à notre secours, pour solliciter
la miséricorde de son Fils en notre faveur ! Mais nous sommes sûrs
qu'elle sera avec nous si, pendant notre vie, nous avons eu une grande
confiance en elle, si nous avons tâché d'imiter ses vertus
aussi fidèlement que possible.
1° Je dis que notre vie est
une chaîne de misères, de maladies, de chagrins et de mille
autres peines, ainsi que le Saint-Esprit nous le dépeint si bien
par la bouche du saint homme Job : « L'homme... souffre beau-coup
. » Mais sans remonter si loin, rentrons dans notre propre cœur,
et nous verrons des familles de pé-chés qui en naissent sans
cesse. En effet, combien, pen-dant notre vie, n'éprouvons-nous pas
de mauvaises pen-sées, et de ces mauvais désirs que bien
souvent nous ne voudrions pas avoir ; combien de pensées de haine,
de vengeance, d'orgueil, de vanité ; combien de mur-mures dans les
petites peines que le bon Dieu nous envoie ; combien de dégoûts
pour le service de Dieu, même pendant la Messe, temps si précieux
où Jésus--Christ s'immole pour nous à la justice de
son Père ? Combien de fois ne nous sentons-nous pas comme en-traînés
par les mauvais exemples de ceux qui nous environnent, et surtout par leur
conduite toute impie, toute mondaine ? Mais, sans sortir de nous-même,
tous nos sens ne sont-ils pas comme autant de cordes qui nous traînent
au mal, presque malgré nous ? De ceci je conclus que, si nous sommes
seuls pour combattre, il nous est très difficile d'échapper
au danger. Voici un exemple qui va bien nous le démontrer. Saint
Philippe de Néri méditait un jour sur le danger continuel
où nous sommes de nous perdre ; il s'étonnait de ce que déjà
si portés au mal de nous-mêmes, nous fussions encore environnés
de si nombreux et si mauvais exem-ples. Une fois, il sortit dans un lieu
retiré pour mieux pleurer à son aise ; se croyant seul, il
s'écria : « Hélas ! mon Dieu, je suis perdu !
je suis damné ! » Une per-sonne l'ayant entendu, courut à
lui. « Mon père, est-ce que vous vous laissez aller au désespoir
? Vous savez bien que la miséricorde de Dieu est infinie ! »
Oh ! non, mon ami, je ne désespère pas, au contraire, j'es-père
beaucoup ; mais la pensée que je suis seul pour combattre m'effraye,
à la vue de tant de dangers qui m'environnent. »
Dites-moi, M.F., comment pouvoir
échapper à tous les pièges que nous tendent le démon,
le monde et nos penchants ! Hélas ! si nous sommes seuls pour com-battre,
si nous n'avons pas quelqu'un de puissant pour nous aider, il est bien
à craindre que jamais nous n'allions jusqu'au bout ! Et pour cela,
que pouvons-nous trouver de plus puissant pour vaincre nos ennemis, sinon
la sainte Vierge ? Si malheureux que nous soyons, M.F., nous avons cependant
de grandes ressources. Écoutez saint Bernard : «
Mes enfants, êtes-vous tentés ? Appelez Marie à votre
secours, et le tentateur disparaîtra. Elle est cette Vierge sans
pareille qui a enfanté Celui qui a enchaîné le démon.
Etes-vous dans la peine ? Regardez Marie, elle est la consolatrice des
affligés, elle est aussi mère de douleur, puisque sa vie
n'a été qu'un abîme d'amertume. Êtes-vous attaqués
par le démon d'impureté ? Jetez-vous aux pieds de Marie ;
elle a trop à cœur de vous conserver cette belle vertu si agréable
à son Fils. » Disons plus, M.F., avec l'aide de Marie, nous
n'avons qu'à vouloir vaincre pour être sûrs d'être
victorieux. Oh ! M.F., que nous sommes heureux d'avoir tant de moyens de
faire notre salut, si nous savons en profiter. Hélas ! que d'âmes
brûleraient maintenant en enfer, sans la protection de Marie !
2° Nous venons de voir, M.F.,
que pendant notre vie, mille dangers nous environnent pour nous perdre
; mais, en revanche, nous avons de grandes ressources pour nous aider à
vaincre. Lorsque nous sortons de ce monde, nous allons rendre compte à
Dieu de toutes nos oeuvres. Ce moment est effrayant, puisqu'il décide
de notre sort ou pour le ciel ou pour l'enfer, sans appel, sans espérance
de jamais changer notre arrêt. Le dé-mon, qui en connaît
bien mieux que nous les dangers, redouble ses efforts pour nous tromper
; car, s'il peut nous gagner, il nous traîne aussitôt en enfer.
C'est la pensée de ce terrible moment qui a porté tant de
grands du monde à tout quitter, pour aller passer le reste de leur
vie dans les larmes et les pénitences, et avoir ainsi quelque espérance
à ce moment si redoutable au pé-cheur. Voyez un saint Hilarion
(Citer sa vie), un saint Arsène (Citer...). Ah ! M.F., que sera-t-il
de nous qui serons tout couverts de péchés, et qui n'aurons
rien fait de bon ?...
Ce qui pourra cependant nous rassurer,
c'est que, pendant que nous serons devant le tribunal de Jésus--Christ,
un grand nombre d'âmes seront en prières, de-mandant grâce
pour nous ; je dis plus, c'est la sainte Vierge elle-même qui présentera
nos âmes à son Fils, notre juge. Oh ! M.F., quelle espérance
pour nous dans ce moment terrible ! (Citer le trait de saint Jérôme
de-vant le tribunal de Jésus-Christ).
3° Après que ce moment
redoutable sera passé, quoi-que jugés dignes pour le ciel,
combien d'années n'au-rons-nous pas à souffrir en purgatoire,
où la justice de Dieu se fait sentir avec tant de rigueur ? (Citer
l'exemple de sainte Hildegarde). Mais, dites-moi, quelle plus grande consolation
pour un chrétien dans les flammes, que de savoir et de sentir que
de si puissantes prières sont dites pour lui, et lorsqu'il voit
le temps de sa peine s'écouler avec rapidité ?...
II. – Nous pouvons dire, M.F., que
toutes les con-fréries établies par l'Église, sont
des moyens que le bon Dieu nous fournit pour nous aider à faire
notre salut, et des moyens d'autant plus puissants, que les membres, qu'ils
soient sur la terre, qu'ils soient dans le ciel, réunissent ensemble
toutes leurs prières. Chaque con-frérie a un but particulier.
Ceux qui font partie de la confrérie du Saint-Sacrement ont pour
but de dédom-mager Jésus-Christ des outrages qu'il reçoit
dans la récep-tion des sacrements, et surtout dans le sacrement
ado-rable de l'Eucharistie. Ils se réunissent pour faire amende
honorable à Jésus-Christ de tant de communions et de confessions
sacrilèges ; ils doivent aussi faire des péni-tences, des
aumônes... Ceux qui sont de la sainte con-frérie du Cœur de
Jésus-Christ, veulent dédommager le divin Maître du
mépris que l'on fait de son amour pour les hommes. Ils doivent souvent
faire des actes d'amour de Dieu, et se plaindre auprès de lui de
ce que les hommes ont si peu d'amour pour celui qui nous a tant aimés.
Ceux qui sont de la confrérie du saint Esclavage, déposent
entre les mains de la sainte Vierge toutes leurs actions, afin qu'elle
les présente elle-même à son divin Fils ; ils se regardent
comme ne s'appartenant plus à eux-mêmes, mais tout à
la sainte Vierge. Dans la con-frérie du Saint-Scapulaire, nous nous
faisons un hon-neur de porter sur nous un signe, par lequel nous re-connaissons
que Marie est notre souveraine, et que nous lui appartenons d'une manière
toute particulière. De son côté, elle s'engage à
ne jamais nous refuser sa pro-tection, pendant notre vie et à l'heure
de notre mort. Quant à la confrérie du Saint-Rosaire, c'est
une des plus étendues. Elle est, pour ainsi dire, établie
dans tout le monde catholique, et se compose de tout ce qu'il y a de plus
fervents chrétiens. Nous pouvons dire que si quel-qu'un a le bonheur
d'être de cette sainte confrérie, dans tous les coins du monde
chrétien il y a des âmes qui prient pour sa conversion, s'il
est assez malheureux d'être dans le péché ; pour sa
persévérance, s'il a le bonheur d'être dans la grâce
du bon Dieu, et pour sa délivrance, s'il est dans les flammes du
purgatoire. Cela seul devrait nous faire sentir combien nous en recevons
de secours, pour nous aider à opérer notre salut.
Le Rosaire est composé de
trois parties, qui sont consacrées à honorer les trois différents
états de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La première
est pour honorer son Incarnation, sa Naissance, sa Circoncision, sa fuite
en Égypte, sa Présentation, sa perte dans le temple. Il faut
alors demander à Dieu la conversion des pécheurs et la persévérance
des justes. La seconde est pour honorer sa vie souffrante et sa mort douloureuse
sur la croix, en demandant les grâces nécessaires pour les
affligés, pour les agonisants et pour ceux qui vont paraître
devant le tribunal de Dieu et y rendre compte de leur vie. La troisième
est consacrée à honorer sa vie glorieuse, en priant pour
la délivrance des âmes du pur-gatoire. Oui, M.F., tous ces
mystères bien médités seraient capables de toucher
les cœurs les plus endur-cis, et d'en arracher les habitudes les plus invétérées.
Je dis d'abord que, dans la première
partie, nous demandons à Dieu la conversion des pécheurs
et la persévérance des justes. En effet, dès que nous
sommes dans le péché, nous n'avons plus que l'enfer à
attendre: la foi s'éteint en nous peu à peu, l'horreur du
péché dimi-nue et la pensée du bonheur du ciel s'affaiblit
; de sorte que nous tombons dans le péché sans presque nous
en apercevoir ; et, ce qui est bien plus malheureux encore, un grand nombre
prennent plaisir à y rester. Voyez-en un exemple dans la personne
de David, qui demeura dans son péché jusqu'à ce que
le prophète vint le faire rentrer en lui-même . (Citer
le trait.) Eh bien ! M.F., qui nous aidera à sortir de cet abîme
? Ce n'est pas nous, puisque nous ne connaissons pas même notre état
; or, qu'arrive-t-il ? Pendant que nous sommes dans un état si malheureux,
un grand nombre d'âmes, dans tous les lieux du monde, sont en prières
pour demander à Dieu d'avoir pitié de nous. II est impossible
qu'il ne se laisse pas toucher par cette union de prières. Que de
remords de conscience, que de bonnes pensées, que de bons désirs,
que de moyens se présentent à nous pour nous faire sortir
du péché ! Ne sommes-nous pas étonnés de voir
comment nous avons pu rester dans un état si mal-heureux et qui
nous exposait à nous perdre à tout mo-ment ? Si nous nous
damnons étant de cette confrérie, il faudra autant nous faire
violence que pour nous sauver, tant les grâces et les secours y sont
grands et abondants. Ce qu'il y a encore de consolant, c'est qu'il n'y
a pas une minute dans le jour et la nuit où l'on ne prie pour nous
; comment donc pourrait-on rester dans le péché et se damner
?
Nous disons que cette partie est
encore offerte pour demander au bon Dieu la persévérance
de ceux qui ont le bonheur d'être dans sa grâce. Mais, M.F.,
quand nous aurions ce bonheur, nous ne sommes pas tout à fait délivrés
pour cela ; le démon ne laisse pas que de reve-nir pour nous porter
au mal s'il le peut. Combien de fois ne nous sommes-nous pas trouvés
dans de si grands dangers, que nous sommes étonnés de n'y
avoir pas succombé ! Ah ! la véritable cause de notre résistance
c'est que, dans le temps où nous étions tentés, il
y avait un nombre presque infini d'âmes, qui, par leurs prières,
leurs pénitences et toutes leurs saintes commu-nions, ont opposé
aux efforts du démon un rempart impénétrable !
Une autre raison qui nous prouve
combien cette con-frérie est agréable à Dieu et à
sa sainte Mère, et si ter-rible au démon, c'est le mépris
qu'en font les méchants. Voyez ces plaisanteries, ces railleries
sur une pratique de piété, qui nous met devant les yeux les
mystères de notre sainte religion les plus frappants, les plus capables
de nous éloigner du mal et de nous porter vers Dieu. En voulez-vous
la preuve ? Écoutez le démon lui-même. Il dit un jour,
par la bouche d'un possédé, que la sainte Vierge est sa plus
cruelle ennemie, que, sans elle, il aurait depuis longtemps renversé
l'Église, et que grand nombre d'âmes qu'il se flattait d'avoir,
lui étaient arra-chées, dès qu'elles avaient recours
à elle. Convenez avec moi, M.F., que grand est le bonheur de ceux
qui sont de cette sainte confrérie, puisque le bon Dieu a promis
à la sainte Vierge de ne jamais rien lui refuser. Si Moïse
obtint le pardon de trois cent mille personnes , que ne fera pas la sainte
Vierge qui est bien plus agréable à Dieu que Moïse ?
Ce n'est pas seulement la sainte Vierge qui prie pour nous, mais une infinité
d'âmes aussi agréables à Dieu que Moïse. Si nous
voyons tant de pécheur n'avoir vécu que pour outrager Dieu,
et cependant, être encore sauvés, n'en cherchons point d'autre
cause que la protection de la sainte Vierge. Ah ! M.F., que celui qui a
recours à Marie trouve son salut facile !... Mais afin de vous mieux
faire comprendre combien ces mystères, médités attentivement,
sont consolants pour un chré-tien, je vais vous les expliquer, et
vous ne pourrez pas vous empêcher de remercier le bon Dieu, qui vous
a inspiré la pensée d'entrer dans cette sainte confrérie.
Le saint Rosaire est composé
de tout ce qu'il y a de plus touchant. C'est une pratique de piété
qui a rapport à Jésus-Christ aussi bien qu'à sa Mère.
De plus, il est impossible de rester dans le péché en méditant
sincère-ment ces mystères ; de quelque côté
que nous prenions cette pratique, tout nous en démontre l'excellence
et l'utilité. Quand nous prions la sainte Vierge, nous ne faisons
rien autre chose que de la charger de présenter elle-même
nos prières à son divin Fils ; afin qu'elles soient mieux
reçues, et que nous en recevions plus de grâces. Marie est
le canal par lequel nous faisons monter au ciel le mérite de nos
bonnes oeuvres, et qui nous transmet ensuite les grâces célestes.
Ce qui doit nous engager à nous adresser à elle avec une
grande confiance, c'est qu'elle est toujours attentive à écouter
nos demandes. En voici une preuve : Un jour saint Dominique gémis-sait
sur les progrès que faisait l'impiété dans le monde,
et sur la foi qui se perdait de plus en plus. Prosterné devant une
image de la sainte Vierge, il lui demanda, dans sa simplicité, quel
remède l'on pourrait employer pour empêcher la perte de tant
d'âmes. La sainte Vierge lui apparut, lui disant que s'il voulait
ramener des âmes à son Fils, la seule ressource était
d'inspirer une grande dévotion pour le saint Rosaire, et que bientôt
il verrait le fruit de cette dévotion. Saint Dominique se mit donc
à prêcher la dévotion du saint Rosaire, et commença
d'abord à la pratiquer lui-même. Cette dévotion se
répan-dit en peu de temps, et si bien, qu'il y eut un grand nom-bre
de conversions ; ce qui fit dire au saint, qu'il avait plus converti d'âmes
par la récitation d'un Ave Maria, que par tous ses sermons
. Il est vrai que la récitation du saint Rosaire est simple, mais
c'est ce qu'il y a de plus touchant. On se met en la présence de
Dieu par un acte de foi ; on récite le Je crois en, Dieu, qui nous
met devant les yeux ce que Jésus-Christ a souffert pour nous...
(explication du Credo). Peut-on bien réciter ces paroles sans se
sentir pénétré de respect et de reconnaissance envers
le bon Dieu, qui nous donne tant de moyens de revenir à lui, quand
nous avons eu le malheur de nous en écarter par le péché
!
Dans le Rosaire, les premiers mystères
que nous appelons joyeux, et que nous méditons pour la conversion
des pécheurs, nous représentent les humiliations, l'anéan-tissement
de Jésus-Christ, sa Naissance, sa Circoncision, sa Présentation
au temple, sa fuite en Égypte, sa perte dans le temple. (Expliquer
tout cela...) Pouvons-nous trouver, M.F., quelque chose de plus capable
de nous toucher, de nous détacher de nous-même et du monde,
de nous faire supporter nos peines en esprit de péni-tence, que
de contempler le modèle divin, dans la médi-tation de ces
mystères ? Les saints en faisaient toute leur occupation. Deux jeunes
étudiants, rapporte l'his-toire, étaient toujours ensemble
à méditer sur la vie cachée de Jésus-Christ.
L'un d'eux, après sa mort, apparut à l'autre, selon la promesse
qu'il avait faite, et lui dit qu'il était au ciel pour avoir communié
avec beau-coup de ferveur et avec une conscience bien pure ; pour avoir
eu une grande dévotion à la sainte Vierge, chose qui est
très agréable à Dieu ; pour avoir souvent médité
la vie cachée de Jésus-Christ et l'avoir imité autant
qu'il avait pu. Il est raconté dans la vie de saint Bernard, que
la sainte Vierge le protégea toujours d'une manière si particulière,
que le démon perdit sur lui tout son empire. Ayant perdu sa mère
encore tout jeune, il pria Marie de l'adopter pour son enfant : plus tard,
sa dévo-tion augmentant toujours, Bernard pria la sainte Vierge
de lui montrer ce qu'il fallait faire pour lui être plus agréa-ble,
et il entendit une voix qui lui dit : « Bernard, mon fils, fuis le
monde et cherche une retraite dans quelque solitude : là tu te sanctifieras.
» Il y passa toute sa vie dans la pénitence et les larmes,
et, de là, il monta au ciel. Voyez-vous ce que lui valut sa confiance
en la sainte Vierge ? Nous lisons dans la vie de la bienheureuse Mar-guerite
de Cortone, qu'elle faisait consister toute sa dévotion à
imiter la vie pauvre et inconnue de la sainte Famille ; elle ne voulut
jamais rien posséder, pas même pour le lendemain ; elle fut
abandonnée de tous ses parents, de ses amis, mais le bon Dieu en
prit soin lui--même. Elle faisait toutes ses pratiques de piété
pour honorer la sainte Famille dans l'étable de Bethléem,
elle arrosait le pavé de ses larmes, quand elle pensait à
ces mystères de pauvreté et d'abandon. Quand elle fut morte,
on ouvrit son cœur, l'on y trouva trois petites pierres où étaient
écrits les noms de Jésus, de Marie et de Joseph. Voyez-vous
combien la méditation de ces mys-tères est agréable
à Dieu ?... Il est encore rapporté qu'un grand pécheur
avait passé sa vie dans toutes sortes de désordres. A l'heure
de la mort, comme nous voyons les choses bien autrement que quand nous
sommes en santé ! Voyant qu'il avait fait tant de mal, il se laissa
aller au désespoir. L'on eut beau faire pour lui inspirer confiance
en la miséricorde de Dieu, rien ne put le gagner. On lui parla de
saint Augustin. « Mais, disait-il, saint Augustin n'avait pas encore
été… » On lui dit d'avoir recours à la sainte
Vierge, mais il répondit qu'il l'avait méprisée toute
sa vie ; on lui représenta Jésus-Christ qui a tant souffert
pour nous sauver. – « C'est vrai, dit-il, mais je l'ai persécuté
et fait mourir tous les jours. » On lui dit encore : « Mon
ami, croyez-vous qu'un enfant bien jeune se rappelle, quand il est grand,
des petites peines qu'on lui a faites dans son enfance ? » – «
Non, dit-il. » – « Eh bien ! mon ami, allons à la crèche,
et nous y trou-verons ce jeune Enfant que vous avez offensé, il
est vrai, mais il vous dira qu'il ne s'en rappelle plus maintenant. »
Il entra dans une si grande confiance et une si grande douleur de ses péchés,
qu'il mourut avec des marques visibles que le bon Dieu l'avait pardonné.
Voyez-vous, M.F., combien ces méditations sont agréables
à Dieu, et combien elles sont capables d'attirer sur nous ses miséricordes
?
Il n'y a point de prières
qui nous rapprochent mieux de la vie de Jésus-Christ que cette pieuse
pratique. Ce-pendant, il faut que notre dévotion soit éclairée
et sin-cère, et non une dévotion d'habitude et de routine.
Saint Césaire nous rapporte un exemple, pour nous faire voir que
la sainte Vierge ne reçoit guère bien ces dévotions
qui ne sont pas sincères. « II y avait, dans l'ordre de Cî-teaux,
un religieux qui, faisant le médecin, sortait contre la volonté
de son supérieur et de son confesseur. Mais, par une certaine dévotion
qu'il avait en Marie, il rentrait dans le monastère à toutes
les fêtes de la sainte Vierge. Un jour de la Présentation,
comme il était au chœur avec les autres religieux pour chanter les
saints offices, il vit la sainte Vierge se promener dans le chœur, et donner
à tous les religieux une certaine liqueur qui les enflammait d'un
tel amour, qu'ils ne se croyaient plus sur la terre, tant ils éprouvaient
de douceur. Quand la sainte Vierge vint à côté de lui,
elle passa sans lui en donner, en lui disant « que ceux qui voulaient
chercher les douceurs de la terre ne méritaient pas de goûter
celles du ciel, et, quoi-qu'il se rendît au monastère le jour
de sa fête, cela ne lui était pas agréable. »
Ce reproche lui fut si sensible, qu'il se mit à pleurer et promit
de ne plus sortir. Une autre fois que la sainte Vierge reparut, elle lui
accorda, comme aux autres, la même grâce, parce qu'il avait
tenu sa promesse . Il passa sa vie dans une grande dévotion
à la sainte Vierge, et en reçut de grandes grâces ;
il ne pouvait se contenter de dire combien celui qui aimait la Mère
de Dieu recevait de grands secours pour faire son salut et pour vaincre
le démon. Saint Stanislas avait une si grande dévotion envers
la sainte Vierge, qu'il la con-sultait en tout ce qu'il faisait. Ce jeune
homme se figurait souvent le bonheur qu'avait eu le saint vieillard Si-méon
de prendre le saint Enfant Jésus entre ses bras. Un jour qu'il était
en prières, tout occupé de cette pensée, la sainte
Vierge lui apparut tenant le saint Enfant Jésus, elle le lui donna
pour lui procurer le même avan-tage. Saint Stanislas le prit comme
saint Siméon, et il en eut tant de bonheur, qu'il ne pouvait en
parler sans verser des larmes abondantes, tant son cœur était rempli
de joie . Voyez-vous, M.F., combien la sainte Vierge est attentive à
nous obtenir les grâces dès que nous les lui demandons ? Ah
! M.F., que nous assurerions notre salut, si nous avions une grande confiance
en la sainte Vierge ! Que de péchés nous éviterions,
si nous avions recours à elle dans toutes nos actions, si tous les
matins, nous nous unissions à elle, en la priant de nous présen-ter
à son divin Fils !
Si nous passons aux deuxièmes
mystères que nous appelons douloureux, que de motifs puissants et
capa-bles de nous toucher, de nous faire comprendre l'amour infini d'un
Dieu pour nous ! En effet, M.F., qui ne se-rait pas touché en voyant
un Dieu qui tombe en agonie, qui couvre la terre de son sang adorable ?
Un Dieu lié, garrotté, jeté à terre par ses
ennemis, et cela pour nous délivrer de l'esclavage du démon
! Qui ne sera pas ému de voir un Dieu couronné d'épines
qui lui traversent le front, un roseau à la main, au milieu d'un
peuple qui l'insulte et le méprise ! Oh ! qui pourra comprendre
toutes les horreurs qu'il endura pendant cette nuit af-freuse qu'il passa
avec des scélérats ? On l'attache
à une colonne, où
il fut frappé avec tant de cruauté que son pauvre corps n'était
plus que comme un morceau de chair découpée ! 0 mon Dieu,
que de cruautés vous avez endurées pour nous mériter
le pardon de tous nos pé-chés ! Oh ! M.F., qui de nous ne
craindrait plutôt le pé-ché que la mort !... Oh ! nous
avons bien de quoi nous consoler dans nos souffrances, et un bien juste
motif de pleurer nos péchés !... Un missionnaire prêchant
dans une grande ville, apprit qu'il y avait dans un cachot un mal-heureux
qui se désolait ; ses larmes et ses gémissements faisaient
frémir ceux qui l'entendaient ; il eut la pensée d'aller
le voir pour le consoler, et lui offrir les secours de son ministère.
Étant entré dans la prison, il fut lui--même effrayé
des lamentations de ce pauvre malheu-reux, il vit bien que la peinture
qu'on lui en avait faite n'était rien en comparaison de ce qu'il
voyait. Il lui dit avec bonté : « Mon cher ami, quel est le
sujet de votre douleur ? » Comme le prisonnier ne répondait
rien , le missionnaire lui dit : « Est-ce votre position qui vous
afflige ? » – « Non, j'en mérite bien davantage. »
– « Avez-vous laissé dans le monde quelqu'un qui souffre par
rapport à vous ? » – « Non, rien de tout cela ne m'inquiète
» – « C'est donc la pensée de la mort qui vous afflige
? » – « Non certainement, je sais bien que je ne vivrai pas
toujours : un peu plus tôt, un peu plus tard, la mort viendra assez
; pourvu que je puisse expier mes péchés je serai trop heureux.
Mais puisque vous voulez savoir le sujet de mes larmes, le voici. »
Et tout en sanglotant, il tira de dessous ses vêtements un gros crucifix
et le montra au missionnaire : « Voilà le sujet de mes larmes.
Oh ! un Dieu qui a tant souffert et qui est mort pour moi, malgré
mes offenses, peut-il bien encore me pardonner ? La grandeur de ses souffrances
et de son amour pour moi sont la cause que je ne puis retenir mes larmes
; depuis que je suis ici tout le monde m'abandonne, il n'y a que mon Dieu
qui pense à moi, qui veut encore me donner l'espérance du
ciel. Ah ! qu'il est bon ! Comment se peut-il faire que j'aie été
si malheureux pour l'offenser ?... » M.F., convenez avec moi que
si nous sommes si peu touchés de la méditation de ces mys-tères,
c'est que nous n'y faisons point d'attention. Mon Dieu ! quel malheur pour
nous !...
Si nous poursuivons, nous voyons
un Dieu chargé d'une grosse croix ; il est conduit entre deux voleurs
par une troupe de scélérats, qui l'accablent des plus sanglants
outrages. Le poids de sa croix le fait tomber à terre ; à
grands coups de pied et de poing il est relevé, et, bien loin de
penser à ses souffrances, il semble ne penser qu'à consoler
les personnes qui prennent part à ses maux. Oh ! pourrions-nous
n'être pas touchés et trouver nos croix pesantes, en voyant
ce que souffre un Dieu pour nous ? En faut-il davantage pour nous exciter
à la douleur de nos péchés ? Écoutez : on le
cloua sur la croix, sans qu'il laissât sortir de sa bouche un mot
pour se plaindre qu'il endurât trop de souffrances. Écoutez
ses dernières paro-les : « Mon Père, pardonnez-leur,
parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. » N'avais-je pas bien raison
de vous dire que le saint Rosaire nous représente tout ce qui est
le plus capable de nous porter au repentir, à l'amour et à
la reconnaissance ? hélas ! M.F., qui pourra jamais com-prendre
l'aveuglement de ces pauvres impies, qui mé-prisent une pratique
de dévotion si capable de les con-vertir, si capable de nous donner
la force de persévérer quand nous sommes assez heureux d'être
dans la grâce de Dieu !
Parlons maintenant des troisièmes
mystères que l'on appelle glorieux. Que pouvons-nous trouver de
plus pres-sant pour nous détacher de la vie et nous faire soupirer
après le ciel ? Dans ces mystères, Jésus-Christ nous
ap-paraît sans souffrances, et prenant possession d'un bon-heur infini
qu'il nous a mérité à tous. Pour nous faire concevoir
un grand désir du ciel, il y monte en plein jour, en présence
de plus de cinq cents personnes . Si vous méditez encore ces mystères,
vous voyez la sainte Vierge, que son divin Fils vient chercher lui-même
avec toute la cour céleste ; les anges paraissent visiblement et
entonnent des cantiques de joie qu'entendent tous les assistants ; elle
quitte la terre où elle a tant souffert, et va rejoindre son Fils,
pour être heureuse du bonheur de celui qui nous appelle et qui nous
attend tous. Pouvons-nous trouver quelque chose dans notre sainte religion
qui puisse mieux nous porter au bon Dieu et nous déta-cher de la
vie ?
Eh bien ! M.F., voilà ce
que c'est que le saint Rosaire, voilà cette dévotion que
l'on blâme tant et dont on fait si peu de cas. Ah ! belle religion,
si l'on te méprise, c'est bien parce que l'on ne te connaît
pas ! ... Cependant, ne nous arrêtons pas à cela ; il faut
encore, autant que nous le pouvons, imiter les vertus de la sainte Vierge
pour mériter sa sainte protection, et surtout son humilité,
sa pureté, sa grande charité. Ah ! pères et mères,
si vous aviez le bonheur de recommander souvent à vos enfants cette
dévotion à la sainte Vierge, que de grâces elle leur
obtiendrait ! que de vertus ils pratiqueraient ! Vous ver-riez naître
en eux tout ce qu'il y a de plus capable de les rendre agréables
au bon Dieu ! Non, M.F., nous ne pourrons jamais comprendre combien la
sainte Vierge désire nous aider à nous sauver, combien sont
grands les soins qu'elle prend de nous. La moindre confiance que nous avons
en elle n'est jamais sans récompense. Heu-reux celui qui vit et
meurt sous sa protection, l'on peut bien dire que son salut est en sûreté
et que le ciel lui sera donné un jour ! C'est le bonheur que je
vous sou-haite.
2 OCTOBRE
FÊTE DES SAINTS ANGES GARDIENS
Angeli eorum in coelis semper vident
faciem Patris meis qui in coelis est.
Les anges de ces petits enfants
voient sans cesse la face
de mon Père céleste.
(S. Matth., XVIII, 10. )
Quelle bonté, M F., quelle tendresse de la part de notre Dieu ! Non content de nous avoir donné son Fils unique, le plus tendre objet de ses complaisances, pour le sacrifier à la mort la plus cruelle ; non content de nous avoir arrachés à la tyrannie du démon, de nous avoir appelés à la glorieuse qualité d'enfants de Dieu et de nous avoir choisis pour cohéritiers de son royaume, il veut encore envoyer à chacun de nous un ange du ciel pour nous garder tous les jours de notre vie. Cet ange ne nous doit pas quitter, avant d'avoir paru avec nous au tribunal de Jésus-Christ, pour lui rendre compte de tout ce que nous aurons fait pendant notre vie. Oui, M.F., nos anges gardiens sont nos plus fidèles amis, parce qu'ils sont avec nous le jour, la nuit, dans tout le temps et dans tous les lieux. La foi nous apprend que nous les avons toujours à nos côtés. C'est ce qui fait dire à David : « Que rien ne pourra nous nuire, parce que le Seigneur a commandé à ses anges d'avoir soin de nous ; » et, pour montrer combien sont grands les soins qu'ils prennent de nous, le prophète dit qu'ils nous portent entre leurs mains, comme une mère porte son enfant. Ah ! c'est que Dieu prévoyait les dangers sans nombre auxquels nous serions exposés sur la terre, au milieu de tant d'ennemis, qui tous ne cherchent que notre perte. Oui, M.F., ce sont nos bons anges qui nous consolent dans nos peines, qui nous avertissent quand le démon vient nous tenter, qui présentent à Dieu nos prières et toutes nos bonnes actions, qui nous assistent à la mort et présentent nos âmes à leur souverain Juge. Oh ! M.F., que de biens nous recevons par le ministère de nos bons anges gardiens ! Afin de vous engager à avoir en eux une grande confiance, je vais vous mon-trer : 1° combien sont grands les soins qu'ils prennent de nous ; 2° ce que nous devons faire pour leur témoi-gner notre reconnaissance.
I. – Vouloir prouver, M.F., qu'il
y a des anges, ce serait perdre son temps. Depuis le commencement du monde,
le commerce des anges avec les hommes est si fréquent, que l'Écriture
sainte en fait mention à tout instant. Il faudrait n'avoir pas ombre
de bon sens pour en douter. Lorsque Adam fut dans le paradis terrestre,
le Père céleste lui envoya ses anges pour lui faire part
de ses volontés. Quand Adam eut le malheur de pécher, ce
fut un ange qui le chassa du paradis . Presque tous les patriarches
et les prophètes ont été instruits par les anges des
volontés du Seigneur. Souvent même, nous voyons que Dieu s'est
fait représenter par des anges. – Mais, me direz-vous, si on les
voyait, l'on aurait bien plus de confiance ? – Si cela eût été
nécessaire au salut de notre âme, le bon Dieu les aurait rendus
visi-bles. Mais cela importe peu ; car dans notre religion, nous ne connaissons
que par la foi, et cela, afin que toutes nos actions soient plus méritoires.
D'ailleurs, nous sommes aussi sûrs de leur présence, que si
nous les voyions de nos propres yeux. Si vous désirez savoir le
nombre des anges, leur fonction, je vous dirai qu'ils sont sans nombre
; les uns sont créés pour honorer Jésus-Christ dans
sa vie cachée, souffrante et glorieuse, ou pour être les gardiens
des hommes, sans cesser, pour cela, de jouir de la présence divine
. Les autres s'occupent à contempler les perfections de Dieu, ou
bien, veillent à notre conservation, en nous fournissant tous les
moyens nécessaires à notre sanctification. Quoi-que le bon
Dieu se suffise à lui-même, il emploie néan-moins,
pour gouverner le monde, le ministère de ses anges. Tels sont établis
protecteurs des royaumes, tels autres, des empires, etc.
Si nous voyons Dieu prendre tant
de soin de notre vie, nous devons conclure que notre âme est quelque
chose de bien grand et de bien précieux, pour qu'il em-ploie à
sa conservation et à sa sanctification tout ce qu'il a de plus grand
dans sa cour. Il nous a donné son Fils pour nous sauver. Ce Fils
lui-même donne son corps et son sang pour en faire la nourriture
de nos âmes, il consent à rester nuit et jour au milieu de
nous, il donne à chacun de nous un et même plusieurs anges,
qui s'oc-cupent uniquement à lui demander pour nous les grâces
et les secours nécessaires à notre salut. N'est-ce pas, M.F.,
que jamais nous n'avons bien pensé à ce que nous sommes,
à ce que vaut notre âme ? Oh ! que l'homme connaît peu
ce qu'il est, et la fin pour laquelle il a été créé
!... Nous lisons dans l'Écriture sainte que le Seigneur disait à
son peuple : « Je vais vous envoyer mon ange, afin qu'il vous conduise
dans toutes vos dé-marches . » Oh ! M.F., qui pourrait
compter les grâces que nous recevons par la protection de nos anges
gar-diens ! Oui, ce sont eux qui nous consolent dans nos chagrins. Lorsque
Agar, dit l'Écriture, fut chassée de la maison de son maître,
elle se retira dans un désert, et là, comme elle s'abandonnait
à la tristesse, le Seigneur lui envoya un ange pour la consoler
et lui dire : « Ne vous laissez point aller au désespoir,
mais retournez dans la maison de votre maître, et soyez plus sou-mise
. » Ce fut un ange que le Seigneur envoya à Loth pour lui
dire de sortir promptement de la ville de Sodome, avant que le Seigneur
y fit tomber le feu du ciel . Ce furent les anges qui préservèrent
des flam-mes les trois enfants dans la fournaise de Babylone , et qui fermèrent
la gueule des lions pour les empêcher de dévorer le prophète
Daniel .
Les anges, M.F., se font un grand
plaisir de nous assister dans nos entreprises, quand elles sont selon Dieu
; nous en avons un bel exemple dans la personne du jeune Tobie. Son père
l'envoya à Ragès pour cher-cher son argent ; ne sachant point
le chemin, le bon Dieu lui envoya l'ange Raphaël, qui se présenta
à lui sous la forme d'un jeune homme . Tobie lui demanda s'il connaissait
le chemin pour aller à Ragès. L'ange lui dit qu'il le connaissait
et même l'oncle chez qui il allait. Le jeune homme, tout joyeux,
va dire à son père qu'il avait trouvé un homme qui
savait le chemin de Ragès et qui connaissait son oncle. L'ange partit
donc avec Tobie, et lui donna tous les renseignements nécessaires
à son voyage. Pendant leur route, Tobie étant allé
sur le bord du Tigre, un poisson énorme sembla venir à lui
pour le dévorer, il eut aussitôt recours à son protecteur,
ne sachant pas qu'il était un ange. Celui-ci lui dit : « Ne
craignez rien, tirez-le à vous. » A l'instant le poisson,
creva . Il lui dit encore : « Prenez le fiel pour l'em-porter,
vous en frotterez les yeux de votre père et vous lui rendrez ainsi
la vue. » Il le mena chez son oncle, où tout alla pour le
mieux. Il lui sauva encore la vie en enchaînant le démon.
Lorsqu'ils furent de retour, le jeune Tobie ne sachant comment payer tant
de bienfaits, dit à son père : « Mon père, quand
nous donnerions la moitié de tout ce que nous avons apporté,
cela ne serait pas assez pour le récompenser de tous les services
qu'il m'a rendus dans mon voyage : il m'a conduit et ramené sain
et sauf, il m'a délivré d'un monstre qui allait me dévorer,
il a obtenu lui-même l'argent que mon oncle nous devait, il m'a fait
aussi épouser une femme selon le cœur de Dieu, il a enfin empêché
le démon de me dé-truire, comme il l'a fait des sept maris
qui l'ont épousée avant moi. » Le père voulant
lui faire accepter la moitié de tout ce qu'ils avaient apporté,
l'ange se fit connaître et disparut. Mais pour témoigner à
Dieu leur reconnais-sance, ils se prosternèrent longtemps la face
contre terre. Voyez-vous, M.F., combien les anges prennent soin de nous,
lorsque nous avons confiance en eux ?...
Nous voyons encore un bel exemple
de cette protec-tion de notre bon ange gardien, dans la personne de sainte
Agnès, vierge et martyre . Elle appartenait à, une
grande famille de Rome, aussi fut-elle demandée en mariage par Procope,
fils de Symphrone, alors préfet de cette ville. Agnès, qui
s'était déjà donnée à Jésus-Christ,
refusa ce parti, quoique avantageux pour elle. Elle ne craignit pas de
dire à Procope, qui était venu la trouver lui-même
: « Retire-toi, tyran, aiguillon de péché, pierre de
scandale, et chair de mort, ne crois pas que je sois infidèle à
mon époux Jésus-Christ. Il possède tout mon cœur,
il est bon, il est beau, il a toutes les qualités que l'on puisse
désirer. » Le préfet la fit appeler, et la con-jura
de ne point rejeter l'alliance de son fils ; ou bien alors, sur son refus,
il la ferait traîner dans un lieu in-fâme, où elle perdrait
cette pureté, qu'elle avait tant à cœur de conserver. Agnès
répondit au préfet : « Ne vous mettez pas en peine,
je ne crains rien ; j'ai pour me gar-der un ange qui aura bien soin de
moi, et qui prendra ma défense d'une manière merveilleuse.
» Voyant qu'il ne pouvait arriver à ses fins, le magistrat
donna ordre de la dépouiller de ses vêtements, et de la traîner
ainsi à travers tout Rome, pour être livrée à
des libertins. Par un miracle de la puissance de Dieu, ses cheveux grandi-rent
si merveilleusement, qu'ils suffirent à couvrir tous ses membres.
Arrivée dans ce lieu infâme, son ange gardien se montra visiblement
à elle pour la défendre et la vêtir d'une robe blanche
comme la neige ; en même temps, cet antre d'impureté fut éclairé
d'une lumière plus éclatante que le soleil. Les libertins
entrèrent dans ce cachot ; mais, surpris de toutes ces merveilles,
et frappés d'épouvante par la vue de cet ange d'une beauté
incomparable, ils se convertirent tous. Procope crut venir à son
tour braver tous ces prodiges, mais l'ange qui gardait Agnès le
frappa, et il tomba mort aux pieds de la sainte. Le préfet de la
ville, apprenant que son fils venait de mourir dans ce cachot, vint trouver
Agnès en la traitant de « furie sortie des enfers, monstre
né pour la destruction des mortels. » Agnès dit qu'elle
n'avait point fait mourir Procope, mais qu'il était lui-même
l'auteur de sa mort par son effronterie. Aussi son ange gardien l'avait-il
frappé au moment où ce malheureux allait lui ravir sa pureté.
Toutefois, la sainte voulant montrer au magistrat la puissance de son époux,
et que les chrétiens savaient rendre le bien pour le mal, ressus-cita
Procope, qui courut toute la ville de Rome, répé-tant sans
cesse que le Dieu des chrétiens était le seul vrai Dieu...
Cet exemple vous prouve combien sont grands les secours et les grâces
que nous recevons de nos bons anges gardiens, si nous avons le bonheur
d'avoir en eux une grande confiance, surtout dans nos tentations et dans
les périls.
Mais, me direz-vous, quand le bon
Dieu nous envoie--t-il du ciel nos anges gardiens ? – C'est, M.F., lorsque
nos âmes sont créées, c'est-à-dire quand nos
corps sont dans le cas de les recevoir, de sorte qu'une mère enceinte
a son ange gardien, et elle a aussi celui de l'en-fant qu'elle porte dans
son sein pour veiller à ce que rien ne puisse lui ôter la
vie avant d'avoir reçu le saint Baptême. Il faudrait, M.F.,
pouvoir comprendre com-bien est grande la joie de nos bons anges gardiens,
quand on nous porte à l'église pour recevoir ce sacrement.
Avec quel empressement ils écrivent notre nom dans le livre de vie
! Il est très certain que nous avons quantité de démons
autour de nous pour nous faire tomber dans le péché ; et,
si notre ange gardien n'était pas là auprès de nous
pour nous défendre, nous succomberions à tou-tes les attaques
que le démon nous livre. C'est notre bon ange qui nous fait apercevoir
la tentation ; c'est lui qui nous inspire d'avoir recours à Dieu,
qui nous fait rap-peler de sa présence pour nous faire craindre
le péché. Si nous avons le malheur de pécher, ce sont
nos bons anges gardiens qui vont se jeter aux pieds du bon Dieu pour lui
demander notre grâce. En effet, après chaque péché,
nous sentons ordinairement un remords d'avoir fait le mal, et nous promettons
au bon Dieu de ne plus le commettre. C'est sûrement notre ange gardien
qui, par ses prières, nous mérite cette grâce. S'il
voit que nous sommes insensibles aux outrages que nous avons faits à
Dieu, il nous menace des châtiments de la justice divine ; il nous
fait penser à la mort, au regret que nous aurons, dans ce moment,
d'avoir fait le mal. Il nous fait penser à quelque mort subite ou
effrayante. La pensée du jugement nous poursuivra, et celle de l'enfer
se logera dans notre cœur pour nous déchirer l'âme, et ainsi,
nous forcera en quelque sorte à ne pas rester plus longtemps dans
le péché.
Nos anges gardiens, M.F., nous accompagnent
partout. Il est rapporté dans l'histoire qu'un jeune homme voyait,
d'une manière sensible, son ange gardien. Quand il entrait dans
l'église, son ange entrait toujours devant lui ; quand il fut prêtre,
son ange ne voulut plus passer le premier ; on le voyait quelquefois parler
et rester longtemps à la porte. On lui demandait pourquoi. «
Avant que je fusse prêtre, dit-il, mon ange me précé-dait
toujours ; maintenant, il ne veut plus entrer que je ne sois entré
le premier . » Ah ! M.F., si nous avions la pensée,
lorsque nous venons à l'église, que nos anges marchent devant
nous, avec quel respect n'y viendrions -nous pas !... avec quelle modestie
nous assisterions à la sainte Messe, en pensant que nous sommes
à côté d'un ange gardien prosterné devant le
Dieu de toute gran-deur ? Avec quel empressement ne le chargerions-nous
pas de présenter nos prières à Jésus-Christ
? Il est encore rapporté qu'un jeune prince anglais avait abandonné
son palais pour se retirer dans un désert. Dieu, pour lui témoigner
sa joie, lui donna le bonheur de voir son ange gardien tous les matins
et tous les soirs. On raconte de sainte Françoise qu'elle voyait
continuelle-ment son ange gardien, sous la figure d'un enfant d'une beauté
incomparable, et dont le visage était si resplen-dissant, que souvent
elle lisait son office pendant la nuit à la clarté de la
lumière qu'il répandait. Son ange avait tant de soin de la
conduire à la perfection, que si, par moment, elle se laissait aller
à des pensées inutiles dans sa solitude, ou s'il lui échappait
quelque parole oiseuse dans la conversation, ce bon ange lui faisait connaître
sa faute en disparaissant. Alors, toute remplie de confusion et de douleur
d'avoir éloigné elle-même son fidèle gar-dien,
elle pleurait amèrement, priant le bon Dieu d'avoir pitié
d'elle, et lui promettant qu'elle se corrigerait. Après quelques
moments de larmes, elle voyait reparaître son ange gardien, à
qui elle témoignait sa douleur de l'avoir forcé de s'éloigner.
Si, quelquefois, ceux qui étaient avec la sainte lui disaient quelque
parole qui pût tant soit peu blesser la charité, elle témoignait
la peine qu'elle en ressentait en se couvrant le visage de ses mains ...
M.F., quoique nous ne voyions pas,
comme cette sainte, notre ange gardien, nous ne sommes pas moins sûrs
de l'avoir auprès de nous pour veiller à la conser-vation
de notre âme. Hélas ! de quelles tortures et de, quelles amertumes
ne devons-nous pas l'abreuver, en menant une vie si misérable ?
Que doit penser l'ange gardien d'une personne qui ne fait ni pâques,
ni confes-sion ? d'une personne âgée qui se roule continuellement.
dans le péché de l'impureté ? Ah ! mon Dieu, s'ils
étaient capables de souffrir, ne seraient-ils pas aussi misérables
que les réprouvés qui brûlent dans les enfers ? Comment
les anges, qui sont si purs, peuvent-ils demeurer auprès de ces
infâmes ? Des anges charitables peuvent-ils bien rester avec des
vindicatifs et des rancuneux ? Les anges, si humbles, peuvent-ils bien
accompagner un orgueil-leux ? Comment un ange, qui aime tant le bon Dieu,
peut-il bien être heureux avec un impie, un incrédule qui
nie tout, qui ne croit à rien ? Est-il bien possible que nous soyons
si mauvais, si ingrats envers des amis si bienfaisants, si fidèles
à ne pas nous quitter un seul instant ?...
Nous savons que nos anges gardiens
ont un grand soin de nous consoler dans nos peines et nos souffrances.
Nous lisons dans l'Écriture sainte que Jacob, fuyant la fureur
de son frère, s'endormit en chemin. Le bon Dieu, pour le consoler,
lui montra dans une vision une échelle, qui de la terre montait
jusqu'au ciel ; il voyait les anges monter et descendre pour offrir nos
prières à Dieu et rapporter les grâces que nous demandons.
L'ange qui avait conduit et ramené le jeune Tobie, s'étant
fait connaître, dit à son père : « Lorsque vous
priiez et que vous ensevelissiez les morts, c'était moi-même
qui portais vos bonnes actions au Seigneur . » Il est dit dans
la vie de saint Nicolas Tolentin que, pendant les deux mois de sa
maladie, quatre anges demeuraient toute la nuit dans sa chambre. Ils chantaient
une mélo-die si agréable, qu'il en oubliait ses souffrances.
Les six derniers jours avant sa mort, ils restèrent le jour et la
nuit ; tous ceux qui eurent le bonheur d'entrer dans la chambre eurent
aussi le bonheur d'entendre leurs chants. Les anges emmenèrent son
âme avec eux dans le ciel. Sainte Liduwine souffrant des douleurs
très vio-lentes, un ange se montra à elle dans une si grande
beauté, qu'elle oublia ses souffrances . Nous pouvons dire
que les anges se plaisent à nous rendre tous les services dont ils
sont capables, et qu'ils ont grandement à cœur de nous faire participer
à leur bonheur. Par eux, le ciel fait un saint commerce avec la
terre.
Dieu employa souvent le ministère
des saints anges dans les événements les plus importants.
C'est par eux qu'il instruisait les patriarches et les prophètes,
par eux qu'il parlait à son peuple. Nous lisons dans l'Écriture
sainte, que le Seigneur envoya son ange pour parler aux Israélites
en son nom : « Je vous ai retirés de l'Égypte et vous
ai fait entrer dans la Terre promise, en vous promettant que je ne vous
abandonnerais jamais, mais à condition que vous me seriez fidèles.
Vous n'avez pas voulu entendre ma voix, pourquoi vous êtes-vous com-portés
de cette manière ? C'est à cause de votre infidélité
et du mépris que vous avez fait de mes grâces, que je ne vous
ai pas défendus contre vos ennemis . » Les Israélites,
entendant ces paroles de l'ange, se mirent à pousser des cris lamentables,
et versèrent des larmes en abondance, en le priant d'avoir pitié
d'eux et de ne pas les abandonner.
Nous voyons que tous les hommes
qui ont été grands sur la terre, ont été annoncés
par les anges. Ce fut un ange qui annonça la naissance de Samson,
le vengeur du peuple de Dieu . Ce fut un ange qui annonça la conception
de saint Jean . Ce fut un ange qui annonça la conception du Sauveur,
ce fut un ange qui annonça aux bergers sa naissance , ce fut un
ange qui dit à Joseph de fuir en Égypte . Ce fut encore un
ange qui consola Jésus dans son agonie au jardin des Olives , ce
furent les anges qui ensevelirent et accompagnèrent le corps de
la sainte Vierge après sa mort . Ce seront des anges qui accompagneront
le Seigneur a son dernier jugement . « D'après
cela, M.F., si chacun d'eux doit être honoré selon sa dignité,
nous dit saint Bernard, quel honneur et quelle louange ne devons-nous pas
rendre à nos anges gardiens, eux dont la nature est si parfaite,
la sainteté si éminente, la gloire si éclatante ?
» Mais ce qui doit nous porter surtout à une grande véné-ration
envers eux, c'est leur inviolable fidélité pour le bon Dieu.
Leur innocence n'a jamais été souillée de la moindre
tache, leur amour et leur zèle n'ont jamais souffert la moindre
altération. Si nous aimions vérita-blement le bon Dieu, M.F.,
quelle joie n'aurions-nous pas de ce qu'il reçoit de ces esprits
bienheureux, des louanges si parfaites ? Hélas ! combien sont imparfaites
les louanges de ceux qui, même parmi nous, l'aiment le plus ! Que
de distractions dans nos entretiens avec Dieu ! Pour les anges, au contraire,
rien n'est capable de les distraire de la présence de Dieu, tant
ils sont absorbés dans la contemplation de sa grandeur. Ils font
sans cesse retentir la voûte des cieux de ce cantique d'allégresse
: « Saint, Saint, Saint, le Seigneur, le Dieu des armées ;
qu'honneur, gloire et adoration lui soient rendus, dans tous les siècles
des siècles ! »
Je dis que nos anges gardiens sont
très exacts à nous secourir dans nos peines. Nous lisons
dans les Actes des saints Apôtres le trait suivant. Saint Pierre
ayant été mis en prison par l'ordre d'Hérode, il s'endormit
entre les deux soldats qui le gardaient la nuit, c'était la veille
du jour où on devait le faire mourir ; un ange se pré-sente
à lui tout à coup, l'éveille, rompt ses chaînes
et ouvre les portes de la prison, lui disant : « Levez-vous promptement...
et suivez-moi. » Étant guidé par l'ange, il sortit
de sa prison et vint heurter à la porte de la maison où étaient
réunis les disciples. Une servante ayant entendu la voix de Pierre,
ne pouvant retenir sa joie, courut sans ouvrir la porte, annoncer que Pierre
était là. On ne voulait point la croire ; les uns la trai-taient
d'insensée, les autres disaient que c'était un ange. Et Pierre
étant entré, raconta à tous ses frères ce que
son ange gardien avait fait pour le délivrer. Nous voyons que souvent
Dieu envoyait ses anges porter secours aux martyrs. Ainsi, ce furent les
anges qui apportèrent les couronnes aux quarante martyrs de Sébaste,
ce qui fut cause que celui-là même qui les gardait se convertit
à la vue de ce prodige .
Le saint roi David, qui connaissait
combien leurs louanges sont agréables au Seigneur, invitait les
anges à le louer et à le bénir en leur disant : «
Bénissez le Sei-gneur, vous tous qui êtes les ministres de
ses volontés » Suivons, M.F., l'exemple de ce saint roi, prions
souvent les anges de louer et d'adorer Dieu pour nous ; prions-les de prendre
notre place auprès de lui, pour le remercier de toutes les grâces
qu'il nous a faites pendant notre vie. Demandons-leur qu'ils prient le
bon Dieu de changer nos cœurs, et d'en faire des cœurs tout célestes.
II. – Pour mériter ce bonheur
qui est la protection de nos anges gardiens, nous devons souvent les invoquer,
les bien respecter et, surtout tâcher de les imiter dans toutes nos
actions. La première chose que nous devons imiter en eux, c'est
la pensée de la présence de Dieu ; à leur exemple,
ne la perdons jamais. Ah ! M.F., si nous avions ce bonheur, que de péchés
de moins !... En effet, si nous étions bien pénétrés
de la présence de Dieu, comment pourrions-nous faire le mal ? Oh
! que nos vertus et toutes nos bonnes oeuvres seraient bien plus agréables
à Dieu ! Nous n'aurions plus de respect humain, plus de vues humaines.
Si nous nous ressou-venions toujours de la présence de Dieu, comment
aurions-nous le courage de rester dans le péché, en voyant
combien nous faisons souffrir Jésus-Christ ? Comment pourrions-nous
vouloir du mal à notre pro-chain, en pensant que le bon Dieu, lui,
dont la bonté est infinie, considère, lit et écoute
tous les mouvements de notre cœur ? Aussi, voulant élever le patriarche
Abraham à une haute perfection, Dieu lui dit : « Abraham,
veux--tu être parfait ? Marche en ma présence . »
Comment se peut-il faire que nous oubliions si facilement le bon Dieu,
tandis que nous l'avons toujours devant nous ? Pourquoi ne sommes-nous
pas saisis de respect et de reconnaissance envers nos anges, qui nous accompagnent
jour et nuit ? Des princes de la cour céleste !... O mon Dieu, que
nous sommes heureux !... mais aussi, que nous sommes loin de le comprendre
! – « Je suis trop misérable, direz-vous peut-être,
pour mériter cela ! » -Non seulement, M.F., Dieu ne vous perd
pas un instant de vue, mais il vous donne un ange qui ne cesse de guider
vos pas. Oh ! bonheur trop grand, mais trop peu connu des hommes !
Nous devons imiter aussi leur amour
pour Dieu. Ils ont tellement à cœur sa gloire, que lorsque nous
avons le malheur de pécher, ils nous précipiteraient au fond
des enfers, si Dieu ne leur défendait pas de nous punir . Ils aimeraient
mieux être jetés avec les damnés que de déplaire
à Dieu en la moindre chose. Aussi, Notre-Seigneur Jésus-Christ
nous dit-il qu'ils ressentent une joie immense, quand un pécheur
se convertit . Si donc la conversion d'un pécheur réjouit
toute la cour céleste, quelle joie, M.F., pour ces ministres de
paix, quand ils voient régner parmi nous cette charité qui
les unit si étroitement à Dieu dans le ciel !
Il est vrai que nous devons avoir
une grande dévotion envers tous les anges, parce qu'ils s'occupent
tous de notre salut ; mais nous devons avoir une dévotion parti-culière
à nos saints anges gardiens, à cause des grands soins qu'ils
prennent de nous et du grand désir qu'ils ont de nous conduire au
ciel. Ils ne peuvent nous laisser un instant seuls, dans la crainte que
le démon ne nous trompe. Oh ! quel bonheur et quelle consolation,
quand nous allons nous coucher, de savoir, par la foi, que notre bon ange
gardien veille à notre conservation pen-dant la nuit, et qu'il la
passera tout entière à prier pour nous ! Quelle joie de savoir
que quand nous sortons de chez nous, nous ne sommes jamais seuls en route.
Les anciens étaient tellement pénétrés de la
présence de l'ange gardien, qu'ils ne saluaient jamais une personne
sans saluer aussi son bon ange ; et c'est de là que vient encore
cette vieille habitude de dire à une personne, quoique seule : «
Je vous salue et la compagnie. » Quelle est cette compagnie, sinon
celle du bon ange gardien ? Mais on le dit sans y penser...
Nos anges gardiens ne nous abandonnent
jamais, nous devons être dociles aux avis qu'ils nous donnent. Un
solitaire avait porté ses pénitences à un si haut
degré de rigueur, qu'il ne pouvait plus se tenir sur ses jambes.
Comme l'eau qu'il allait chercher était bien éloignée,
il se disait en lui-même : « Puisque j'ai tant de peine pour
aller chercher mon eau, je vais approcher ma cellule de la fontaine. »
Pendant que son esprit était occupé de cela, il entendit
une voix qui disait: « Un, deux et trois, » comme une personne
qui compte quelque chose. Étonné de ce langage, il se tourne,
et voit son ange gardien qui comptait ses pas, en lui disant que le Seigneur
le lui avait ordonné, et que aucun n'était perdu. Le saint
voyant que cela était agréable à Dieu, bien loin d'approcher
sa cellule, l'éloigna encore, afin de mériter davantage .
Hélas ! que nous sommes misérables de ne pas faire tout ce
que nous faisons pour le bon Dieu ! Que nous gagnerions pour le ciel et
que nous ferions plaisir à notre ange gardien ! Que nous nous trouverions
riches à l'heure de la mort ! Hélas ! M.F., combien de fois
nos péchés ont forcé nos bons anges de s'éloigner
de nous, c'est-à-dire de nous abandonner à nos ennemis, qui
sont les démons et nos passions ! Une autre grâce que nous
recevons de leur part, c'est lorsque, nous trou-vant dans le péché,
ils ne cessent de nous donner des remords, et, comme ils sont continuellement
auprès du bon Dieu, ils le conjurent de ne pas nous laisser mourir
dans cet état. Ils éloignent de nous les occasions, et prennent
toutes sortes de moyens pour nous faire ren-trer en grâce.
Ils nous consolent dans nos peines,
nos persécutions. Nous en avons un bel exemple dans l'histoire de
saint Victor . Son bon ange gardien se montrait à lui visi-blement
pour l'encourager â souffrir le martyre, en lui faisant voir la grandeur
de la gloire qui lui était préparée dans le ciel,
et combien il se rendait agréable à Dieu. Aussi voyons-nous
peu de martyrs qui aient souffert avec tant de courage et de joie. Ce grand
saint était soldat et vivait au temps de Dioclétien et de
Maximien. Ces deux empereurs publièrent l'édit que tous ceux
qui n'adoreraient pas les idoles, mourraient dans les sup-plices les plus
cruels. Voyant que plusieurs chrétiens commençaient à
chanceler, Victor allait de prison en prison, où plusieurs étaient
déjà renfermés, afin de les enflammer du désir
du martyre ; il les accompagnait même jusqu'au lieu de leurs supplices.
Ses paroles avaient tant de force et de grâce, que les martyrs semblaient
ne rien souffrir. pourvu que le soldat Victor fût à leur côté.
Il leur disait : « Courage, mes amis, le ciel vous attend. Voyez
Jésus-Christ qui vous tend la main ; méprisez la vie qui
dure si peu ; élevez vos cœurs vers le ciel, et Jésus-Christ
vous donnera la force de combattre et de vaincre. » L'empereur Maximien,
guidé par la haine du nom chrétien, fait appeler Victor et
ordonne de l'attacher à un cheval indompté qui le traîne
dans toute la ville ; ensuite il le fait battre de verges, de sorte que
le corps du saint n'était plus qu'un lambeau de chair. Au milieu
de ces supplices, il priait Dieu de le soutenir par sa grâce. Jésus-Christ
touché de ses souffrances, lui apparut avec sa croix : «
Courage, Victor, lui dit-il, je suis Jésus-Christ, je suis ton refuge,
ne crains rien ; je serai avec toi jusqu'à la fin, prends courage.
» Quelque temps après, son ange gardien lui apparut dans sa
prison, lui ôta ses chaînes, et le consola en lui faisant goûter
d'avance les douceurs que le Seigneur lui préparait dans le ciel.
Il lui dit ensuite : « Sors de la prison et montre toi à l'empereur,
afin qu'il voie comment le Seigneur prend soin de ceux qui le servent.
» Il sortit en effet. Le tyran surpris de le revoir, lui demanda
qui l'avait délivré : « C'est Jésus-Christ,
dit-il, qui a brisé mes chaînes, par le ministère de
ses anges. » Plus en fureur que jamais, Maximien fait reconduire
Victor dans sa pri-son. Mais le même ange apparut encore, et remplit
la prison d'une si vive lumière, que tous les prisonniers qui s'y
trouvaient, demandèrent avec instance le saint Baptême. L'empereur,
informé de tous ces prodiges, fit écraser Victor par une
énorme pierre de moulin. Alors son ange conduisit son âme
en triomphe dans le ciel où Dieu l'attendait pour la récompenser.
Pourquoi donc, M.F., avons-nous si peu de courage dans nos tentations,
dans les persécutions ? Ah ! c'est que nous ne comptons que sur
nous-mêmes, et que nous n'avons pas recours à nos anges gardiens,
qui demanderaient au bon Dieu la grâce de nous rendre victorieux
dans nos combats.
Je dis que nous devons bien nous
unir à nos anges gardiens quand nous prions, parce qu'ils sont si
agréa-bles à Dieu, que Jésus-Christ ne peut rien leur
refuser. Nous sommes sûrs qu'ils sont à côté
de nous quand nous prions, et surtout quand nous entendons la sainte Messe.
Un disciple de saint Jean Chrysostome nous raconte que, nombre de fois,
pendant qu'il lui servait la messe, il voyait la maison de Dieu remplie
d'une multitude d'an-ges ; les uns étaient prosternés devant
le Corps adora-ble déjà présent sur l'autel, et les
autres allaient dans l'église pour inspirer aux fidèles le
respect et l'amour qu'ils devaient avoir pour Jésus-Christ. Le diacre
Pierre rapporte de saint Grégoire le trait suivant : « Un
jour, pendant la sainte Messe, quand il fut à ces mots que dit le
célébrant : Pax Domini sit semper vobiscum : Que la paix
du Seigneur soit toujours avec vous, l'on entendit les anges dire d'une
voix retentissante, de manière à être entendue de tous
les assistants : Et cum spiritu tuo : Et avec votre esprit. » C'est
pourquoi, depuis cette époque, quand le Souverain Pontife célèbre
en public, personne ne répond : Et cum spiritu tuo, afin de conserver
le souvenir de ce miracle.
Nos anges gardiens ne laisseront
pas de marquer dans le livre de vie toutes nos bonnes actions, pour les
pré-senter à Dieu au moment où nous serons jugés.
C'est eux qui sont les dépositaires de tout le bien que nous avons
fait pendant le cours de notre vie ; c'est eux qui nous inspireront, dans
le moment terrible de la mort, une grande confiance, et qui nous procureront
le bonheur de recevoir les derniers sacrements. Ce sont nos anges qui demandent
au bon Dieu un grand regret de nos péchés. Disons tout, M.F.,
en deux mots : ce sont nos bons anges gardiens, qui, après nous
avoir tenu compagnie pendant toute notre vie, après avoir employé
tous les moyens possibles, ou pour nous faire sortir du péché,
ou pour nous faire persévérer dans la grâce, emmènent
nos âmes en triomphe dans le ciel. Si vous en doutez, écoutez
Jésus-Christ vous dire que les anges emportè-rent l'âme
de Lazare dans le sein d'Abraham, qui est le ciel . Saint Antoine
nous dit qu'il vit l'âme de saint Paul, ermite, conduite dans le
ciel par les anges .
Hélas ! M.F., qui de nous
pourra déplorer assez le malheur de ces chrétiens qui ne
savent pas s'ils ont un ange gardien ; ou qui, peut-être, passeront
un temps considérable, sans remercier le bon Dieu des grâces
qu'il leur accorde par la protection de leur ange gardien, sans dire un
Pater et un Ave en son honneur. Ah ! ne soyons pas étonnés
d'avoir si peu de zèle pour la gloire de Dieu et le salut de nos
âmes ; c'est que notre ange gardien, en punition de notre ingratitude,
nous abandonne à nous-mêmes ! Aussi faisons-nous beaucoup
de mal, et peu de bien. Hélas ! que de chrétiens
sont damnés pour avoir méprisé leurs anges gardiens
! Quels reproches à l'heure de la mort, lorsque, implorant son secours,
il nous dira, ainsi qu'à ce moribond dont il est parlé dans
l'histoire : « Va, malheureux, tu n'as eu que du mépris pour
moi, aussi le bon Dieu m'a commandé de t'aban-donner à la
puissance des démons, dont tu as été le fidèle
serviteur. » Hélas ! mon Dieu, que le nombre de ces gens est
grand ! ...
Voyez, M.F., combien l'Église
tient à ce que nous ayons une grande dévotion envers les
anges. Au mois d'octobre, chaque année, elle fait une fête
en l'honneur des saints anges, et en particulier des saints anges gar-diens.
Il existe encore une pieuse pratique, c'est de consacrer les mardis en
l'honneur des saints anges gar-diens. Comment, M.F., pouvons-nous oublier
ces anges protecteurs, qui sont toujours à côté de
nous, et qui ne nous quittent pas un seul instant ? Tâchons de remercier
souvent le bon Dieu de cette grâce, et d'avoir souvent recours à
eux dans nos peines, dans nos maladies, dans nos chagrins et afflictions.
Ils sont nos meilleurs amis, ils nous aiment, et ne nous quittent jamais
qu'ils ne nous aient conduits dans le ciel. Tâchons de faire de temps
en temps quelques prières, une aumône, de faire dire une messe
en leur honneur ; que les pères et les mères sur-tout fassent
cela, pour attirer la protection des anges sur leurs enfants, leurs domestiques.
Oh ! s'ils y sont fidèles, ils verront bientôt régner
dans leur famille la paix, l'union entre tous les membres, mais surtout
la religion, qui les rendra heureux dans ce monde, en attendant qu'ils
le soient dans l'autre. C'est le bonheur que je vous souhaite.
1er NOVEMBRE
FÊTE DE TOUS LES SAINTS
(PREMIER SERMON)
Sur la Sainteté
Sancti estote, quia ego Sanctus sum.
Soyez saints, parce que je suis
saint.
(Lévit., XIXx, 2.)
Soyez saints, parce que je suis saint, nous dit le Sei-gneur. Pourquoi, M.F., Dieu nous fait-il un commande-ment semblable ? C'est que nous sommes ses enfants, et, si le Père est saint, les enfants le doivent être aussi. Il n'y a que les saints qui peuvent espérer le bonheur d'aller jouir de la présence de Dieu qui est la sainteté même. En effet, être chrétien, et vivre dans le péché, c'est une contradiction monstrueuse. Un chrétien doit être un saint. Oui, M.F., voilà la vérité que l'Élise ne cesse de nous répéter, et, afin de la graver dans nos cœurs, elle nous représente un Dieu infiniment saint, sanctifiant une multitude infinie de saints qui semblent nous dire : « Souvenez-vous, chrétiens, que vous êtes destinés à voir Dieu et à le posséder ; mais vous n'aurez ce bonheur qu'autant que vous aurez retracé en vous, pendant votre vie mortelle, son image, ses perfections, et particulièrement sa sainteté, sans laquelle nul ne le verra. » Mais, M.F., si la sainteté de Dieu parait au--dessus de nos forces, considérons ces âmes bienheu-reuses, cette multitude de créatures de tout âge, de tout sexe et de toute condition, qui ont été assujetties aux mêmes misères que nous, exposées aux mêmes dangers, sujettes aux mêmes péchés, attaquées par les mêmes ennemis, environnées des mêmes obstacles. Ce qu'elles ont pu faire, nous le pouvons aussi, nous n'avons au-cune excuse pour nous dispenser de travailler à notre salut, c'est-à-dire à devenir saints. Je n'ai donc pas autre chose à vous prouver, que l'indispensable obli-gation où nous sommes de devenir des saints ; et pour cela, je vais vous montrer !° en quoi consiste la sain-teté ; 2° que nous pouvons l'acquérir aussi bien que les saints, ayant comme eux les mêmes difficultés et les mêmes secours.
I. – Les mondains, pour se dispenser
de travailler à acquérir la sainteté, ce qui, sans
doute, les gênerait trop dans leur manière de vivre, veulent
vous faire croire que, pour être des saints, il faut faire des actions
éclatantes, s'appliquer à des pratiques de dévotion
extraordinaires, embrasser de grandes austérités, faire beaucoup
de jeûnes, quitter le monde pour s'enfoncer dans les déserts,
afin d'y passer les jours et les nuits en prières. Sans doute cela
est très bon, c'est bien la route que beaucoup de saints ont suivie
; mais ce n'est pas ce que Dieu demande de tous. Non, M.F., ce n'est pas
ce qu'exige de nous notre sainte religion ; au contraire, elle nous dit
: « Levez les yeux au Ciel, et voyez si tous ceux qui en remplissent
les premières places ont fait des choses merveilleuses. Où
sont les miracles de la sainte Vierge, de saint Jean-Baptiste, de saint
Joseph ? » Écoulez, M.F. : Jésus-Christ lui-même
dit que plusieurs, au jour du jugement, s'écrieront : «
Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre
nom ; n'avons-nous pas chassé les démons et fait des miracles
? » « Retirez--vous de moi, ouvriers d'iniquité, leur
répondra le juste Juge ; quoi ! vous avez commandé à
la mer, et vous n'avez pas su commander à vos passions ? Vous avez
délivré les possédés du démon, et vous
en avez été les esclaves ? Vous avez fait des miracles, et
vous n'avez pas observé mes commandements ?... Allez, misérables,
au feu éternel ; vous avez fait de grandes choses, et vous n'avez
rien fait pour vous sauver et mériter mon amour. » Vous voyez
donc, M.F., que la sainteté ne consiste pas à faire de grandes
choses, mais à garder fidèlement les commandements de Dieu,
et à remplir ses devoirs dans l'état où le bon Dieu
nous a placés.
Nous voyons souvent une personne
du monde, qui remplit fidèlement les petits devoirs de son état,
être plus agréable à Dieu que les solitaires dans leurs
dé-serts. Voici un exemple qui vous en convaincra : Il y avait dans
le désert deux solitaires...
Voilà, M.F., ce que c'est
que la sainteté, et ce qu'est un saint, aux yeux de la religion.
Dites-moi, est-ce bien difficile de se sanctifier dans l'état où
le bon Dieu vous a placés ? Pères et mères, imitez
ces deux saints ; voilà vos modèles : suivez-les et vous
deviendrez aussi saints. Faites comme eux ; en tout, tâchez de plaire
à Dieu, de faire tout pour son amour, et vous serez des prédestinés.
Voulez-vous encore savoir ce qu'est un saint aux yeux de la religion ?
C'est un homme qui craint Dieu, qui l'aime sincèrement et qui le
sert avec fidélité ; c'est un homme qui ne se laisse point
enfler par l'orgueil, ni dominer par l'amour-propre, qui est vraiment humble
et petit à ses propres yeux ; qui, étant dépourvu
des biens de ce monde, ne les désire pas, ou qui, les possédant,
n'y attache pas son cœur ; c'est un homme qui est ennemi de toute acquisition
injuste ; c'est un homme qui, pos-sédant son âme dans la patience
et la justice, ne s'offense pas d'une injure qu'on lui fait. Il aime son
ennemi, il ne cherche pas à se venger. II rend tous les services
qu'il peut à son prochain, il partage volontiers son bien avec les
pauvres ; il ne cherche que Dieu seul, méprise les biens et les
honneurs de ce monde. N'aspirant qu'aux biens du ciel, il se dégoûte
des plaisirs de la vie et ne trouve son bonheur que dans le service de
Dieu. C'est un homme qui est assidu aux offices divins, qui fré-quente
les sacrements, et qui s'occupe sérieusement de son salut ; c'est
un homme qui, ayant horreur de toute impureté, fuit les mauvaises
compagnies autant qu'il peut, pour conserver purs son corps et son âme.
C'est un homme qui se soumet en tout à la volonté de Dieu,
dans toutes les croix et les traverses qui lui arrivent ; qui n'accuse
ni l'un ni l'autre, mais qui reconnaît que la justice divine s'appesantit
sur lui à cause de ses pé-chés. C'est un bon père
qui ne cherche que le salut de ses enfants, en leur donnant l'exemple lui-même,
et ne faisant jamais rien qui puisse les scandaliser. C'est un maître
charitable, qui aime ses domestiques comme ses frères et ses sœurs.
C'est un fils qui respecte son père et sa mère, et qui les
considère comme tenant la place de Dieu même. C'est un domestique
qui voit, dans la per-sonne de ses maîtres, Jésus-Christ lui-même,
qui lui commande par leur bouche. Voilà, M.F., ce que vous appelez
simplement un honnête homme. Mais voilà ce que Dieu appelle
l'homme de miracle, le saint, le grand saint. « Quel est celui-là
? nous dit le Sage, nous le com-blerons de louanges, non parce qu'il a
fait des choses merveilleuses dans sa vie, mais parce qu'il a été
éprouvé par les tribulations, et qu'il a été
trouvé parfait ; sa gloire sera éternelle . »
Que doit-on entendre par une sainte
fille ? Une sainte fille, c'est celle qui fuit les plaisirs et la vanité
; qui fait son bonheur de plaire à Dieu et à ses parents
; qui aime à fréquenter les offices et les sacrements ; une
fille qui aime la prière ; c'est, en un mot, celle qui préfère
Dieu à tout. J'oserai en citer un exemple surprenant, mais véritable,
tiré de l'histoire ecclésiastique, et sur lequel toutes pourront
prendre modèle. Du temps de la persécution qui sévit
sur la ville de Ptolémaïde, les filles chré-tiennes
brillèrent par leur vertu. Il y en avait un très grand nombre
d'une naissance distinguée ; elles étaient si pures, qu'elles
aimaient mieux souffrir la mort que de perdre leur chasteté ; elles
se coupèrent elles-mêmes les lèvres et une partie du
visage, pour paraître plus hideuses à ceux qui s'approchaient
d'elles. Elles furent déchirées avec des ongles de fer et
par les dents des lions. Ces filles incomparables aimèrent mieux
endurer tous ces tourments, que d'exposer leur corps à la pas-sion
des libertins. Oh ! que cet exemple condamnera un jour de ces filles volages,
qui ne pensent qu'à paraître, à s'attirer les regards
du monde, au point d'en deve-nir méprisables !... Ne leur citerais-je
pas encore l'exemple de sainte Colette , cette vierge si pure et si réservée,
qui craignait autant de se faire voir, que les filles de ce siècle
ont de souci de se montrer. Elle enten-dit un jour dans une compagnie,
des louanges qu'on donnait à sa beauté ; elle en rougit,
et alla tout de suite se prosterner devant son crucifix. « Ah ! mon
Dieu, s'écria-t-elle en pleurant, cette beauté que vous m'avez
donnée, sera-t-elle cause de la perte de mon âme et de celle
d'autres personnes ? » Dès ce moment, elle quitta le monde
et alla se renfermer dans un monastère, où elle livra son
corps à toutes sortes de macérations. En mourant, elle donna
des marques visibles qu'elle avait conservé son âme pure,
non seulement aux yeux du monde, mais encore aux yeux de Dieu. Je reconnais
bien que ces deux exemples sont un peu extraordi-naires, et qu'il y en
a peu qui puissent les imiter ; mais voilà celui qui vous convient
parfaitement. Écoutez bien, jeunes gens et vous verrez que, si vous
voulez suivre l'attrait de la grâce, vous serez bientôt désabusés
des plaisirs et des vanités de ce monde qui vous éloi-gnent
de Dieu.
Il est rapporté qu'une jeune
demoiselle de Franche--Comté, nommée Angélique, avait
beaucoup d'esprit, mais était fort mondaine. Ayant entendu un prédicateur
prê-cher contre le luxe et la vanité dans les habits, elle
vint se confesser à ce prédicateur. Celui-ci lui fit si bien
comprendre combien elle était coupable et pouvait per-dre d'âmes,
que, dès le lendemain, elle quitta toutes ses vanités, et
se vêtit d'une manière très simple et chré-tienne.
Sa mère qui était comme la plupart de ces pauvres aveugles,
qui semblent n'avoir des enfants que pour les jeter dans les enfers en
les remplissant de vanité, la reprit de ce qu'elle ne s'habillait
plus comme autrefois. « Ma mère, lui répondit-elle,
le prédicateur à qui j'ai été me confesser
me l'a défendu. » Sa pauvre mère, aveu-glée
par la colère, va trouver le confesseur, et lui demande s'il était
vrai qu'il eût défendu à sa fille de s'habiller selon
la belle mode. « Je ne sais point, lui dit le confesseur, ce que
j'ai dit à votre fille ; mais, il vous suffit de savoir que Dieu
défend de s'habiller selon la mode, lorsque cette mode n'est pas
selon Dieu, lors-qu'elle est criminelle et dangereuse pour les âmes.
» – « Mon Père, qu'appelez-vous donc mode criminelle
et dangereuse ? » -- « C'est, par exemple, de porter des habits
trop ouverts, ou qui font trop sentir la forme du corps ; de porter des
vêtements trop riches et plus coûteux que nos moyens ne nous
le permettent. » Il lui mon-tra ensuite tous les dangers de ces modes,
et tous les mauvais exemples qu'elles donnaient. – « Mon Père,
lui dit cette femme, si mon confesseur m'en avait dit autant que vous,
jamais je n'aurais donné la permission à ma fille de porter
toutes ces vanités, et moi-même j'aurais été
plus sage ; cependant mon confesseur est un homme bien savant ; or, que
m'importe qu'il soit savant, s'il me laisse vivre à ma liberté,
et en danger de me perdre pour l'éternité. » Lorsqu'elle
fut de retour, elle dit à sa fille : « Bénissez le
bon Dieu d'avoir trouvé un tel confesseur, et suivez ses avis. »
Cette jeune demoiselle eut dans la suite de terribles combats à
soutenir de la part de ses autres compagnes, qui la raillaient et la tournaient
en ridicule. Mais le plus rude assaut qu'elle eut à soutenir, lui
vint de la part de certaines personnes qui entrepri-rent de la faire changer
de sentiment. « Pourquoi, lui dirent-elles, ne vous habillez-vous
pas comme les autres ? » – « Je ne suis pas obligée
de faire comme les autres, répondit Angélique, je m'habille
comme celles qui font bien, et non comme celles qui font mal. » –
« Eh quoi ! faisons-nous mal de nous habiller comme vous voyez ?
» – « Oui, sans doute, vous faites mal, parce que vous scandalisez
ceux qui vous regardent. » – « Pour moi, dit l'une d'entre
elles, je n'ai point de mauvaise intention ; je m'habille à ma façon,
tant pis pour ceux qui s'en scandalisent. » – « Tant pis pour
vous aussi, reprit Angélique, puisque vous en êtes l'occasion
; si nous devons craindre de pécher nous--mêmes, nous devons
aussi craindre de faire pécher les autres. » – «Quoi
qu'il en soit de vos bonnes raisons, répondit une autre, si vous
ne vous habillez plus comme nous, vos amies vous quitteront, et vous n'oserez
plus paraître dans les belles compagnies et dans les bals. »
– « J'aime mieux, leur répondit Angélique, la compagnie
de ma chère mère, de mes sœurs et de quelques filles sages,
que toutes ces belles compagnies et ces bals. Je ne m'habille pas pour
paraître agréable, mais pour me couvrir ; les vrais agréments
d'une fille ne doivent pas consister dans les habits, mais dans la vertu.
Au reste, Mesdames, si vous pensez de la sorte, vous ne pensez pas en chrétiennes,
et il est honteux que, dans une religion aussi sainte qu'est la nôtre,
l'on s'y permette de tels abus contre la modestie. » Après
tous ces discours, une personne de la compagnie dit: « En vérité,
il est honteux qu'une jeune fille de dix-huit ans nous fasse la leçon
: son exemple sera un jour notre condamnation. Que nous sommes aveugles
de tant faire de choses pour plaire au monde, qui, dans la suite, se moque
de nous ! » Angélique persévéra toujours dans
ses bons sentiments, malgré tout ce qu'on pût lui dire. Eh
bien, M.F., qui vous empêcherait de faire ce que faisait cette jeune
comtesse ? Elle s'est sanctifiée en vivant dans le monde, mais en
ne vivant pas pour le monde. Oh ! que cet exemple sera un sujet de condamnation
pour un grand nombre de chrétiens au jour du jugement !
On peut devenir saint, même
dans l'état du mariage. L'Esprit-Saint, dans l'Écriture,
se plait à faire le portrait de la sainte femme ; et conformément
à la description qu'il en donne , je vous dirai qu'une femme sainte,
est celle qui aime et respecte son mari, qui veille avec soin sur ses enfants
et ses domestiques, qui est attentive à les faire instruire et à
les faire approcher des sacrements, qui s'occupe de son ménage,
et non de la conduite de ses voisins ; elle est réservée
dans ses dis-cours, charitable dans ses oeuvres, ennemie des plaisirs du
monde ; une femme de ce caractère, dis-je, est une âme juste,
le Seigneur la loue, là canonise ; en un mot, c'est une sainte.
Vous voyez donc, M.F., que pour être un saint, il n'est pas nécessaire
de tout quitter ; mais de bien remplir les devoirs de l'état où
Dieu nous a placés, et faire tout ce que nous faisons, dans la pensée
de lui plaire. L'Esprit-Saint nous dit que pour être saint, il ne
faut que nous éloigner du mal et faire le bien . Voilà, M.F.,
la sainteté qu'ont eue tous les saints et que nous devons avoir.
Ce qu'ils ont fait, nous le pouvons aussi, avec la grâce de Dieu
; puisque nous avons comme eux les mêmes obstacles à notre
salut, et les mêmes secours pour les surmonter.
II. – Je dis 1° que les saints
ont eu les mêmes obs-tacles que nous pour parvenir à la sainteté
: obstacles au dehors, obstacles au dedans. Obstacles du côté
du monde : le monde était alors ce qu'il est aujourd'hui, aussi
dangereux dans ses exemples, aussi corrompu dans ses maximes, aussi séduisant
dans ses plaisirs, toujours ennemi de la piété et toujours
prêt à la tourner en ridicule. La preuve en est que la plupart
des saints ont méprisé et fui le monde avec soin ; ils ont
préféré la retraite aux assemblées mondaines,
et même, plu-sieurs, craignant de s'y perdre, l'ont abandonné
entièrement ; les uns, pour aller passer le reste de leurs jours
dans des monastères, et les autres, au fond des déserts,
tels qu'un saint Paul, ermite, un saint Antoine , une sainte Marie Égyptienne
et tant d'autres.
Obstacles du côté de
leur état : plusieurs étaient, comme vous, engagés
dans les affaires du siècle, acca-blés des embarras d'un
ménage, du soin des enfants, obligés, pour le plus grand
nombre, à gagner leur vie à la sueur de leur front ; or,
bien loin de penser, comme nous, qu'ils se sauveraient plus facilement
dans un autre état, ils étaient persuadés qu'ils avaient
plus de grâces dans celui où la Providence les avait placés.
Ne voyons--nous pas que dans le tumulte du monde et au milieu des embarras
d'une famille et d'un ménage, se sont sauvés le plus grand
nombre de saints, tels que Abraham, Isaac, Jacob, Tobie, Zacharie, la chaste
Suzanne, le saint homme Job, sainte Élisabeth : tous ces grands
saints de l'Ancien Testament, n'étaient-ils pas engagés dans
le monde ? Sous la nouvelle Loi, pouvez-vous compter le nombre de ceux
qui se sont sanctifiés dans la vie ordi-naire ? Aussi, saint Paul
nous dit que les saints jugeront les nations . N'est-ce donc pas dire,
qu'il n'y aura pas un homme sur la terre, qui ne trouve quelque saint dans
son état, pour être la condamnation de sa lâcheté,
en lui montrant qu'il aurait pu, aussi bien que lui, faire ce qui lui a
mérité le ciel ?
Si maintenant, des obstacles extérieurs
nous passons à ceux du dedans, nous verrons que les saints ont eu
autant de tentations et de combats que nous pouvons en avoir, et peut-être
encore plus. D'abord, du côté des habitudes ; ne croyez pas,
M.F., que les saints aient toujours été des saints. Combien
en est-il qui ont mal commencé, et qui ont vécu longtemps
dans le péché ? Voyez le saint roi David, voyez saint Augustin,
sainte Madeleine. Prenons donc courage, M.F., quoique bien pécheurs,
nous pouvons cependant devenir des saints. Si ce n'est pas par l'innocence,
ce sera du moins par la pénitence ; car le plus grand nombre des
saints s'est sanctifié de cette manière.
Mais, me direz-vous, il en coûte
trop ! – Il en coûte trop, M.F. ? Croyez-vous qu'il n'en ait rien
coûté aux saints ? Voyez David, qui trempe son pain de ses
larmes, qui arrose son lit de ses pleurs . Croyez-vous qu'il n'en
coûtât rien à un roi comme lui ! Croyez-vous qu'il lui
fut indifférent de se donner en spectacle à tout son royaume,
et de servir à tous de risée ? Voyez sainte Madeleine : au
milieu d'une nombreuse assemblée, elle se jette aux pieds du Sauveur,
accuse publiquement ses crimes dans l'abondance de ses larmes ; elle
suit Jésus-Christ jusqu'au pied de la croix , et répare par
de longues années de pénitence, quelques années de
fai-blesse ; pensez-vous, M.F., que de pareils sacrifices ne lui aient
coûté aucun effort ? Je ne doute pas que vous n'appeliez heureux
les saints qui ont fait une pareille pénitence, et versé
tant de larmes. Hélas ! si comme ces saints, nous pouvions
comprendre la grandeur de nos péchés, la bonté du
Dieu que nous avons outragé ; si, comme eux, nous pensions à
l'enfer que nous avons mérité, à notre âme que
nous avons perdue, au sang de Jésus-Christ que nous avons profané
! Ah ! si nous avions toutes ces pensées dans nos cœurs, que de
larmes nous verserions, que de pénitences nous ferions pour tâcher
d'apaiser la justice de Dieu que nous avons irrité !
Croyez-vous que les saints soient
parvenus sans travail à cette simplicité, à cette
douceur, qui les portaient au renoncement de leur propre volonté,
toutes les fois que l'occasion s'en présentait ? Oh ! non,
M.F. ! Écoutez saint Paul: « Hélas, je fais le mal
que je ne voudrais pas, et je ne fais pas le bien que je voudrais ; je
sens dans mes membres une loi qui se révolte contre la loi de mon
Dieu. Ah ! que je suis malheureux ! qui me déli-vrera de ce
corps de péché ? » Quels combats n'eu-rent pas
à souffrir les premiers chrétiens, en quittant une religion
qui ne tendait qu'à flatter leurs passions, pour en embrasser une
qui ne tendait qu'à crucifier leur chair ? Croyez-vous que saint
François de Sales n'a point eu de violences à se faire, pour
devenir aussi doux qu'il était ? Que de sacrifices il lui fallut
faire !... Les saints n'ont été saints qu'après
bien des sacrifices et beaucoup de violences.
En 2° lieu, je dis que nous
avons les mêmes grâces qu'eux. Et d'abord, le Baptême
n'a-t-il pas la même vertu de nous purifier, la Confirmation de nous
fortifier, la Pénitence de remettre nos péchés, l'Eucharistie
d'af-faiblir en nous la concupiscence et d'augmenter la grâce en
nos âmes ? Quant à la parole de Jésus-Christ, n'est--elle
pas toujours la même ? N'entendons-nous pas à cha-que instant
ce conseil : « Quittez tout et suivez-moi. » C'est ce qui convertit
saint Antoine, saint Arsène, saint François d'Assise. Ne
lisons-nous pas dans l'Évangile cet oracle : « Que sert à
l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme
? » N'est-ce pas ces paroles qui convertirent saint François
Xavier, et qui, d'un am-bitieux, en firent un apôtre ? N'entendons-nous
pas tous les jours : « Veillez et priez sans cesse. » «
Aimez votre prochain comme vous-même. » N'est-ce pas cette
doctrine qui a formé tous les saints ? Enfin, M.F., quant aux bons
exemples, quelque déréglé que soit le monde, n'en
avons-nous pas encore quelques-uns devant les yeux, et bien plus que nous
n'en pourrions suivre ? Enfin, la grâce nous manque-t-elle plus qu'aux
saints ? Ne comp-tons-nous donc pour rien ces bonnes pensées, ces
salu-taires inspirations de renoncer à tel péché,
de quitter telle mauvaise habitude, de pratiquer telle vertu, de faire
telle bonne oeuvre ? N'est-ce pas une grâce que ces remords de conscience,
ces troubles, ces inquiétudes que nous éprouvons lorsque
nous avons péché ? Hélas ! M.F., combien de saints,
aujourd'hui dans le ciel, ont reçu moins de grâces que nous
! Combien de païens, de chrétiens sont en enfer, qui, s'ils
avaient reçu autant de grâces que nous, seraient devenus de
grands saints !...
Oui, M.F., nous pouvons être
des saints, et nous de-vons tous travailler à le devenir. Les saints
ont été mor-tels comme nous, faibles et sujets aux passions
comme nous ; nous avons les mêmes secours, les mêmes grâces,
les mêmes sacrements ; mais il faut faire comme eux, renoncer aux
plaisirs du monde, fuir le monde autant que nous le pourrons, être
fidèles à la grâce : les pren-dre pour nos modèles
; car nous ne devons jamais per-dre de vue qu'il nous faut être ou
saints ou réprouvés, vivre ou pour le ciel ou pour l'enfer
: il n'y a point de milieu. Concluons, M.F., en disant que si nous le vou-lons,
nous pouvons être saints, car jamais le bon Dieu ne nous refusera
sa grâce pour nous aider à le devenir. Il est notre Père,
notre Sauveur et notre ami. Il soupire avec ardeur de nous voir délivrés
des maux de la vie. Il veut nous combler de toutes sortes de biens, après
nous avoir donné, déjà dans ce monde, d'immenses consola-tions,
avant-goût de celles du ciel, que je vous souhaite.
DEUXIÈME SERMON
POUR LA
FÊTE DE TOUS LES SAINTS
Sur le culte des Saints et des saintes Images
Mirabilis Deus in sanctis suis.
Dieu est admirable dans ses saints.
(Ps. LXVII, 36)
Quand le saint roi David contemplait le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, il s'écriait avec des trans-ports d'admiration : « Oh ! que Dieu est admirable dans ses oeuvres ! » Mais quand il considérait ce que Dieu a fait pour l'homme, le chef-d’œuvre de sa puissance, de sa sagesse et de sa miséricorde, il s'écriait : « Oh ! qu'il est bon le Dieu d'Israël ! » Oui, M.F., Dieu est si bon pour les hommes, qu'il a donné son Fils pour nous sau-ver, et il a retracé dans les saints, toutes les vertus que Jésus-Christ a pratiquées pendant sa vie. Les saints sont comme autant de petits miroirs dans lesquels Jésus--Christ se contemple. Dans ses apôtres, il contemple son zèle et son amour pour le salut des âmes ; dans les mar-tyrs, il contemple sa patience, ses souffrances et sa mort douloureuse ; dans les solitaires, il voit sa vie obscure et cachée ; dans les vierges, il admire sa pureté sans tache, et dans tous les saints sa charité sans borne ; de sorte, M.F., qu'en admirant les vertus des saints, nous ne faisons qu'admirer les vertus de Jésus-Christ, vertus dont il nous a donné lui-même l'exemple pendant sa vie mortelle. Quel bonheur pour nous, M.F., d'avoir devant les yeux des modèles, et des protecteurs en la personne des saints du ciel ! Ils sont toujours prêts à venir à notre secours quand nous les invoquons ; mais pour mériter ce bonheur, nous devons : 1° avoir une grande confiance en leur protection ; 2° respecter ce qui leur appartient, bien convaincus que l'honneur que nous leur rendons se rapporte tout à Dieu.
I. – Le culte que nous rendons à
Dieu est bien diffé-rent de celui que nous rendons aux saints ;
c'est un culte d'adoration, de dépendance ; nous honorons le bon
Dieu par la foi (détail...), par l'espérance (détail)
et par la charité (histoires édifiantes, p.170) . Nous honorons
Dieu par un profond abaissement de notre âme devant sa majesté
suprême, comme étant notre créateur et notre fin dernière
; mais le culte que nous rendons aux saints, est un sentiment de respect
et de vénération pour les grâces que le bon Dieu leur
a faites, pour les vertus qu'ils ont pratiquées, et pour la gloire
dont Dieu les a couronnés dans le ciel. Nous nous recommandons à
leurs prières, parce que Dieu leur a donné un grand pouvoir
auprès de lui. Lorsque nous honorons les saints, nous ne faisons
qu'adorer Jésus-Christ, c'est-à-dire que nous remercions
le bon Dieu des grâces qu'il leur a faites pen-dant leur vie, et
qu'il leur fait pendant toute l'éternité ; nous les reconnaissons
pour les amis de Dieu et pour nos protecteurs. Nous pouvons dire que c'est
pour les saints que Dieu a fait tout ce qu'il a fait. C'est pour eux que
Dieu a créé le monde, qu'il le gouverne et le con-serve,
c'est pour eux qu'il a sacrifié sa vie en mourant sur la croix,
c'est pour eux qu'il a opéré tant de miracles, c'est pour
eux qu'il a établi cette belle religion, par laquelle il nous prodigue
tant de grâces. Mais pour mieux comprendre l'amour que le bon Dieu
a pour eux, voyons le degré de gloire et d'honneur qu'il leur a
donné dans le ciel. Jésus-Christ les associe à la
compagnie des anges, il les choisit pour ses enfants, ses frères
et ses amis, il les établit les cohéritiers de son royaume
éternel, il les affranchit de l'esclavage du démon, il les
purifie de toutes leurs souillures dans son Sang adorable, il les enrichit
de sa grâce et les orne de sa gloire. Voilà bien, M.F., de
quoi nous ravir d'admiration, en voyant le degré de gloire où
Jésus-Christ les élève. Consolons-nous cependant,
nous sommes destinés au même bonheur, si nous vou-lons imiter
ce qu'ils ont fait sur la terre. Le bon Dieu veut nous sauver aussi, il
nous aime autant que ses saints. Ils ont souffert quelque temps, il est
vrai, mais maintenant tout est fini pour eux ; ils ont été
calomniés, humiliés, mis en prison, ils se sont privés
des plaisirs, ils ont renoncé à leur propre volonté,
ils sont morts à eux-mêmes ; les uns ont passé leur
vie dans les déserts, d'autres dans les monastères ; mais,
encore une fois, qu'est-ce que tout cela en comparaison du bonheur et de
la gloire dont ils jouissent dans le ciel ?...
Ce qui est pour nous une grâce
bien précieuse, c'est que Dieu a voulu qu'ils fussent nos protecteurs
et nos amis. Saint Bernard nous dit que le culte que nous leur rendons,
est moins glorieux pour eux qu'il n'est avanta-geux pour nous, et que nous
pouvons les invoquer avec une grande confiance, parce qu'ils savent combien
nous sommes exposés à nous perdre sur la terre, se rappelant
les dangers qu'ils ont courus eux-mêmes pendant leur vie. Pour avoir
le bonheur de mériter leur protection, il faut bien remercier le
bon Dieu des grâces qu'il leur a faites pendant leur vie, et s'efforcer
de pratiquer leurs vertus. Nous devons honorer les patriarches et les pro-phètes,
dans leur simplicité et leur ardent amour pour Dieu ; les apôtres,
en imitant leur zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes
; nous devons honorer les mar-tyrs en imitant leur patience dans les souffrances
; nous devons honorer les vierges en imitant leur pureté si agréable
à Dieu ; nous devons faire tout ce que nous pouvons pour mériter
leur amitié et leur protection.
Nous voyons qu'un grand nombre de
pécheurs se sont convertis par la liaison qu'ils ont eue avec les
saints ; voyez ce jeune homme que saint Jean confia à l'évêque...
sans lui il était perdu selon toute apparence . Voyez le changement
qui se fit en saint Augustin, par la liaison qu'il eut avec saint Ambroise
! Voyez encore combien sainte Marie, nièce de saint Abraham, fut
heureuse d'avoir pour ami un si saint oncle !... Que nous som-mes
heureux d'avoir pour amis des saints qui nous aiment ; qui, espérant
sauver nos âmes, se font un devoir de nous faire connaître
nos fautes pour avoir le bonheur de nous en corriger ; en voici un exemple
admirable. Une jeune fille, nommée Apolline, fréquentait
un jeune homme, sans penser au danger auquel elle s'exposait. Une pieuse
compagne, qui voulait la ramener à Dieu, vint un jour l'avertir
charitablement du mal qu'elle fai-sait par ses manières trop libres
avec ce jeune homme : « Croyez-moi, ma chère amie, dit-elle,
étant plus âgée que vous, je connais mieux votre fragilité.
Dans les entretiens et les libertés familières avec des personnes
d'un autre sexe, le démon gagne toujours plus qu'on ne peut le connaître
; l'on ne sort jamais de ces sortes de com-pagnie, sans qu'il ne laisse
dans notre âme certaines impressions pernicieuses ; la pudeur peu
à peu s'affai-blit, et dès que cette vertu s'est affaiblie
dans une fille, elle perd bientôt la crainte de Dieu. Le goût
de la vertu ne se fait plus sentir, tout ce que la religion avait de doux
et de consolant pour nous, devient gênant et pénible. Les
sacrements n'ont plus d'attraits, et, si nous les recevons. c'est sans
fruit, quelquefois même avec sacrilège. » Apolline se
montra d'abord insensible à ce discours, mais touchée par
la grâce de Dieu, elle prit le parti d'aller consulter son confesseur.
Celui-ci découvrit à la jeune fille tout le mal qu'elle avait
fait, et le danger qu'elle avait couru. « Vous avez fait plus de
mal que vous ne pensez, dit le confesseur. L'amitié de ce jeune
homme pour vous, et celle que vous avez eue pour lui, vous a été
plus funeste que si l'on vous avait plongé un poignard dans le cœur
; au moins on ne vous aurait fait perdre que la vie du corps, tandis que
cette amitié vous a fait perdre la vie de votre âme, qui a
tant coûté de souf-frances à Jésus-Christ !
Il est bien temps de vous retirer de cet abîme où vous vous
êtes précipitée. Apolline, touchée du regret
d'avoir offensé Dieu, fondit en larmes, remercia son amie des avis
charitables qu'elle lui avait donnés, et lui demanda pardon de ses
scandales. Elle passa tout le reste de sa vie dans les regrets et la pénitence.
Vous voyez, M.F., que si cette jeune fille n'avait pas eu le bonheur d'avoir
pour amie une sainte compagne, peut-être n'eût-elle jamais
ouvert les yeux sur son état, tant elle s'était aveuglée.
Mais si les saints qui sont sur la terre sont déjà si charitables,
quelle cha-rité n'ont-ils pas dans le ciel où cette vertu
est parfaite ?
Je dis que nous devons invoquer
les saints avec une grande confiance ; ces invocations sont une suite de
la communion qui unit les fidèles de la terre et les saints qui
règnent dans le ciel. Le saint concile de Trente nous dit que, par
la prière, nous faisons un saint commerce avec le ciel. Pour nous,
qui sommes sur la terre, nous devons invoquer les saints d'une manière
suppliante ; afin qu'ils emploient leur pouvoir auprès de Dieu,
et qu'ils obtiennent toutes les grâces qui nous sont néces-saires
pour vivre saintement sur la terre. Les saints, dans le ciel, règnent
avec Jésus-Christ, et lui offrent nos prières quand nous
avons recours à eux. Vous voyez donc ; M.F., que nous avons le bonheur
de faire un saint commerce avec le ciel, quoique nous soyons encore sur
la terre. Oui ! aimons les saints et nous mériterons leur protection.
Ils nous aiment encore plus que nous ne pouvons les aimer ; la charité
des saints est bien plus parfaite dans le ciel, que celle que nous pouvons
avoir sur la terre. Saint Cyprien nous dit que les saints trou-vent leur
bonheur à prier pour nous et à nous aider à nous sauver,
parce qu'étant assurés de leur gloire, ils se rappellent
combien ils ont couru de dangers pendant leur vie. Ils ont reçu
de Jésus-Christ un plein pouvoir ; aussi, demandons-leur tout ce
que nous voudrons. Soyons-en bien sûrs, M.F., les saints que nous
invo-quons ont sans cesse les yeux sur nous : nous en avons un bel exemple
dans la vie de saint Louis de Gonzague.
Un jeune homme, nommé Wolfgang,
devenu aveugle, avait recouvré la vue par l'intercession de saint
Louis de Gonzague. Il voulut aller à Rome pour visiter son sépul-cre,
et, passant dans un lieu désert, il fut attaqué par des hommes
qui le dépouillèrent de tout ce qu'il avait, et qui allaient
lui ôter la vie. Le pèlerin, avant d'entrer dans ce chemin
tout couvert de bois, avait imploré le secours de saint Louis de
Gonzague, son saint de prédi-lection ; il entendit une voix qui
lui dit : « Soyez tran-quille, ne craignez rien. » Voyant ensuite
qu'on allait le maltraiter, il eut recours à son protecteur. Tout
aussitôt, il entendit une voix qui lui dit de ne point craindre,
et qu'il ne lui serait fait aucun mal. Au même moment appa-rut un
jeune homme, vêtu en ecclésiastique ; qui lui dit «
Mon ami, avez-vous besoin de quelque chose ?... Où allez-vous ?
» – « Je vais à Rome, répond Wolfgang, je vais
vénérer les précieux restes de saint Louis de Gon-zague,
qui m'a fait recouvrer la vue. » – « Et moi aussi, je vais
à Rome, dit l'inconnu. » Puis, se tournant vers les malfaiteurs,
d'une seule parole, il les mit en fuite. Wolfgang ne douta plus que cet
inconnu ne fût un en-voyé du ciel, et n'osa pas lui demander
s'il était un ange, ou même saint Louis de Gonzague. Ils se
mirent en mar-che. Arrivés à Florence, Wolfgang vit entrer
dans l'ap-partement où il reposait, un personnage d'une figure extrêmement
belle, et qui se mit à chanter. Notre pèlerin fut si ravi,
qu'il aurait volontiers passé la nuit sans dor-mir. La vision disparut
bientôt après, mais en lui lais-sant un cœur brûlant
d'amour de Dieu. A Rome, l'envoyé céleste conduisit Wolfgang
au tombeau même de saint Louis de Gonzague, puis se sépara
de lui, en lui pro-mettant d'autres services pour l'avenir. De retour dans
son pays, il raconta les grâces qu'il avait reçues par la
protection de saint Louis, afin d'inspirer une tendre dévo-tion
envers ce bon saint . Voyez-vous, M.F., combien les saints sont attentifs
à nous secourir, quand nous avons le bonheur d'avoir recours à
eux avec une grande confiance ?
II. – Nous disons que non seulement
nous devons avoir une grande dévotion aux saints, parce qu'ils ont
le bonheur d'être les amis de Dieu, et de jouir à jamais de
sa sainte présence, mais encore, nous devons avoir un grand respect
pour tout ce qui leur a appartenu. L'Église a toujours beaucoup
honoré les reliques des saints, parce qu'ils sont les membres vivants
de Jésus--Christ, les temples du Saint-Esprit, les instruments de
toutes les bonnes oeuvres que Dieu a opérées par eux pendant
leur vie et après leur mort : ce qui nous con-sole grandement, et
ranime notre foi touchant la résur-rection et la récompense
de l'autre vie. Oui, M.F., il est une autre vie plus heureuse que celle-ci,
et qui nous est réservée, si nous sommes assez heureux pour
imiter les saints qui ont vécu avant nous. Que de miracles le bon
Dieu n'a-t-il pas faits par les reliques des saints ? Que de morts ressuscités,
que de malades guéris. Voyez les apôtres, leur ombre seule
guérissait les malades . Les vêtements qui avaient touché
le corps de saint Paul, gué-rissaient les boiteux, rendaient la
vue aux aveugles et la santé aux malades . Voyez la croix de Jésus-Christ,
la plus précieuse des reliques ; lorsqu'on la fit toucher à
un mort , celui-ci se leva comme s'il n'avait fait que dormir. Il est rapporté
dans l'histoire que le bon Dieu révéla à un saint
religieux, l'endroit où était la tête de saint Jean-Baptiste.
Le religieux la trouva, en effet, et, passant dans un lieu où venait
de se livrer une bataille, les morts se levaient, comme s'ils n'avaient
fait que dor-mir. Nous devons donc nous trouver très heureux de
posséder des choses qui ont appartenu aux saints. Oh ! M.F.,
nous qui avons tant de reliques, que de grâces nous recevrions des
saints, si nous avions le bonheur de les prier, de demander ce qui nous
est nécessaire pour nous sauver ! Quelle foi, quel amour ne sentirions-nous
pas en nous !
Nous devons encore avoir un grand
respect pour tout ce qui les représente. Le saint concile de Trente
veut que nous ayons une grande vénération pour toutes les
images qui nous rappellent les saints ; en voici la raison. Ces images
nous instruisent, elles nous rappellent les mystères de notre sainte
religion ; il ne faut quelquefois que la vue d'une image pour nous toucher
et nous convertir ; à la preuve de, ceci, je vous raconterai un
trait frappant. Un jeune homme, nommé Dosithée, fut de bonne
heure confié à un grand seigneur, pour être élevé
parmi les pages de sa cour. Ayant entendu parler des saints lieux, il se
rendit à Jérusalem, espérant obtenir quelques grâces.
Comme il passait à Gethsémani, il aperçut un tableau
où était représenté l'enfer, avec les tourments
que les démons faisaient endurer aux damnés. Saisi de frayeur,
il s'arrêta. Comme il cherchait le sens de ce qu'il avait sous les
yeux, il demanda à une vénérable dame, qui apparemment
était la sainte Vierge, quels étaient ces malheureux que
l'ont faisait tant souffrir. Elle lui répondit que c'était
les réprouvés, que le bon Dieu punissait, pour n'avoir pas
voulu observer ses commandements et pour avoir né-gligé de
se sauver. Le jeune homme, tout effrayé, demanda ce qu'il fallait
faire pour se sauver et n'être pas du nombre de ces malheureux. «
Mortifiez-vous, lui dit-elle, priez et jeûnez. », et dans l'instant
même, elle disparaît. Le jeune Dosithée, dès
ce moment, em-brassa la pénitence, il passa dorénavant une
grande partie du temps à prier. Un jeune seigneur qui l'avait accompagné
dans son voyage, surpris de ce changement, lui dit qu'une vie de prières
et de mortifications ne con-venait qu'à un bon solitaire, et non
à un jeune homme de qualité comme lui. Dosithée pensant
que c'était un piège du démon, et ne voulant pas résister
au mouve-ment de la grâce, demanda secrètement où il
y avait des solitaires et comment ils vivaient ; on le conduisit au fameux
monastère de Saint Séride, où l'abbé chargea
saint Dorothée de l'examiner. Après un long entretien, Dorothée
croyant voir en lui une véritable vocation : « Allez, mon
ami, lui dit-il en l'embrassant tendrement, le bon Dieu qui vous a donné
de si bonnes pensées, vous bénira. » Il fut reçu,
et passa le reste de sa vie dans les pénitences et dans les larmes.
Il mourut en saint . Eh bien ! M.F., vous voyez que la seule vue de ce
tableau le toucha, le convertit, le fit vivre et mou-rir en saint. Sans
ce tableau, peut-être serait-il en en-fer ?...
Les images nous instruisent des
saints mystères de notre religion et frappent notre imagination.
Nous lisons dans la vie de sainte Thérèse, qu'ayant vu un
tableau de l’agonie de Jésus-Christ, elle en fut si touchée,
qu'elle tomba presque morte. Elle y pensa pendant toute sa vie ; il lui
semblait voir continuellement Jésus-Christ dans son agonie au jardin
des Olives, prêt à expirer. D'ailleurs, le bon Dieu, pour
nous montrer combien le respect que nous portons aux images des saints
lui est agréable, s'est servi précisément d'elles
pour faire quan-tité de miracles. Il est rapporté que dans
la ville de Rome la peste fit une année des ravages si effroyables,
qu'elle semblait ne laisser personne, malgré toutes les pénitences
et toutes les bonnes oeuvres que l'on faisait. Voyant que rien ne pouvait
arrêter ces ravages, le pape saint Grégoire eut la pensée
de faire porter en procession une image de la sainte Vierge, qui avait
été peinte, dit--on, par saint Luc. Partout où cette
image passa, la peste cessa ; et Dieu, pour montrer combien cet honneur
que l'on rendait à l'image de sa Mère lui était agréable,
en-voya un ange qui fit entendre ces mots : « Regina coeli, laetare
; alleluia. » En même temps la peste cessa par-tout . Le respect
que nous rendons aux images se rapporte donc aux saints qu'elles représentent,
et l'hon-neur que les saints reçoivent se rapporte à Dieu
seul.
Il est encore raconté que
l'empereur Léon l'lsaurien avait une telle aversion pour les saintes
images, qu'il ordonna de les faire toutes brûler. Saint Jean Damas-cène,
alors patriarche d'Alexandrie, etc... . Ce miracle vous prouve combien
la sainte Vierge prend plaisir à l'honneur qu'on rend à ses
saintes images ; et cet exem-ple vous enseigne le respect que nous devons
avoir pour les images des saints ; aussi ne devez-vous jamais laisser vos
maisons sans en avoir quelques-unes, pour attirer sur vous la protection
des saints. Les images semblent quelquefois nous montrer les choses dans
leur réalité, et souvent elles nous frappent presque aussi
fortement que les choses mêmes qu'elles représentent. Voyez
ce qui arriva à Bogoris, roi des Bulgares…. . Voyez encore ce qui
arriva à sainte Marie Égyptienne, elle reçut la grâce
de sa conversion en allant se présenter devant une image de la sainte
Vierge.
Il est bien certain que nous ne
devons pas mettre notre confiance dans les images, comme faisaient les
païens, de leurs idoles ; mais nous devons savoir que l'honneur que
nous leur rendons se rapporte au Sei-gneur, de sorte qu'en honorant les
images, nous ne fai-sons qu'adorer Jésus-Christ et honorer les saints
que les images représentent. En effet, M.F., il ne faut souvent
qu'un regard sur un tableau pour nous toucher et nous rappeler les vertus
qu'ils ont pratiquées pendant leur vie. Tenez, M.F., jetez vos regards
sur l'image de Jésus--Christ dans son agonie au jardin des Olives
; on nous le représente pleurant nos péchés avec des
larmes de sang ; pouvons-nous trouver quelque chose de plus touchant pour
nous faire pleurer notre indifférence ? Combien de pécheurs
se sont convertis en considérant le tableau de la flagellation de
Jésus-Christ ? Quelle fut la cause des larmes de Madeleine dans
son désert, sinon une croix que l'ange Gabriel plaça devant
sa cellule ? Qu'est-ce qui fit tant pleurer sainte Catherine de Sienne,
n'est-ce pas parce qu'elle vit Notre-Seigneur se présenter à
elle comme au moment de sa flagellation ? Parcourez tous les tableaux de
cette église, et vous verrez que la moindre réflexion vous
touchera, et vous donnera l'heureuse pensée de mieux faire et de
vous convertir ; vous verrez en même temps ce que vous avez coûté
à Jésus-Christ, ce qu'il a fait pour votre salut, et combien
vous êtes mal-heureux de ne pas l'aimer. Si vous regardez le tableau
de saint Jean-Baptiste, tout aussitôt votre esprit se trans-porte
dans son désert, où vous le voyez nourri et servi parles
anges, livré à toutes sortes de pénitences. Ne vous
semble-t-il pas le voir, lorsqu'on lui tranche la tête ? Ne vous
semble-t-il pas voir le bourreau devant Hérode, prêt à
remettre cette tête à la fille impudique ? Si vous voyez saint
Laurent, ne pensez-vous pas de suite à tous ses tourments ? Ne croyez-vous
pas l'entendre dire au bour-reau : « Tournez-moi de l'autre côté,
je suis assez brûlé de celui-ci. » Voyez saint Sixte,
notre bon patron que vous dit son tableau ?...
Rien, M.F., n'est plus capable de
nous toucher et même de nous convertir, que la vue d'un tableau,
si nous voulons bien méditer les vertus du saint qu'il re-présente.
Aussi devons-nous grandement respecter tout ce qui est capable de nous
rappeler et les saints et leurs vertus, mais il faut honorer encore bien
plus leurs reli-ques, quand nous avons le bonheur de les avoir. Nous sommes
sûrs que les saints dans le ciel nous aiment, et qu'ils désirent
ardemment que nous allions les rejoindre. Ils veulent que nous ayons recours
à leur protection ; ils ne nous abandonneront pas pendant notre
vie. Ils sont nos amis, nos frères : ayons donc pour eux une grande
dévotion ; afin que leurs prières et les petits efforts que
nous ferons sur la terre, nous procurent un jour le bon-heur d'aller nous
unir à eux pendant toute l'éternité. C'est ce que
je vous souhaite.
2 NOVEMBRE
COMMÉMORATION DES MORTS
(PREMIER SERMON)
Venil nox, quando nemo potest operari.
La nuit vient, pendant laquelle
personne ne peut plus travailler.
(S. Jean, IX, 4.)
Telle est, M.F., la cruelle et affreuse position où se trouvent maintenant nos pères et mères, nos parents et nos amis, qui sont sortis de ce monde sans avoir entiè-rement satisfait à la justice de Dieu. Il les a condamnés à passer nombre d'années dans ces prisons ténébreuses du purgatoire, où sa justice s'appesantit rigoureusement sur eux, jusqu'à ce qu'ils lui aient entièrement payé leurs dettes. « Oh ! qu'il est terrible, nous dit le saint Roi-prophète, de tomber entre les mains du Dieu vivant ! « Mais pourquoi, M.F., suis-je monté en chaire aujourd'hui ; que vais-je vous dire ? Ah ! je viens de la part de Dieu même ; je viens de la part de vos pauvres parents, afin de réveiller en vous cet amour de reconnaissance que vous leur devez ; je viens vous re-mettre devant les yeux toutes les bontés et l'amour qu'ils ont eus pour vous pendant qu'ils étaient sur la terre ; je viens vous dire qu'ils brûlent dans les flammes, qu'ils pleurent, et qu'ils demandent à grands cris le secours de vos prières et de vos bonnes oeuvres. Il me semble les entendre s'écrier du fond de ces brasiers qui les dévorent : « Ah ! dites bien à nos pères, à nos mères, dites à nos enfants, à tous nos parents, combien sont cruels les maux que nous souffrons. Nous nous jetons à leurs pieds pour implorer le secours de leurs prières. Ah ! dites-leur que depuis que nous sommes séparés d'eux, nous sommes ici à brûler dans les flammes ! Oh ! qui pourra être insensible à tant de maux que nous endurons ? « Voyez-vous, M.F., entendez-vous cette tendre mère et ce bon père, et tous ces parents qui vous tendent les mains ? « Mes amis, s'écrient-ils, arrachez--nous à ces tortures, vous le pouvez. » Voyons donc, M.F., 1° la grandeur des tourments qu'endurent les âmes du purgatoire, et 2° les moyens que nous avons de les soulager, qui sont : nos prières, nos bonnes oeuvres, et surtout le saint sacrifice de la Messe.
I. – Je ne veux pas m'arrêter
à vous prouver l'exis-tence du purgatoire ; ce serait perdre mon
temps. Nul d'entre vous n'a le moindre doute là-dessus. L'Église
à qui Jésus-Christ a promis l'assistance du Saint-Esprit,
et qui, par conséquent, ne peut ni se tromper ni nous tromper, nous
l'enseigne d'une manière assez claire et assez évidente.
Il est certain et très certain qu'il y a un lieu où les âmes
des justes achèvent d'expier leurs péchés, avant d'être
admises à la gloire du paradis qui leur est assurée. Oui,
M.F., et c'est un article de foi : si nous n'avons pas fait une pénitence
proportionnée à la grandeur et à l'énormité
de nos péchés, quoique par-donnés dans le saint tribunal
de la pénitence, nous serons condamnés à les expier
dans les flammes du purgatoire. Si Dieu, la justice même, ne laisse
pas une bonne pensée, un bon désir et la moindre action sans
récompense, de même aussi il ne laissera pas impunie une faute,
quelque légère qu'elle soit ; et nous irons souffrir en purgatoire
tout le temps que la justice de Dieu l'exigera, pour achever de nous purifier.
Dans l'Écriture sainte, grand nombre de textes montrent que, bien
que nos péchés soient pardonnés, le bon Dieu nous
impose encore l'obligation de souffrir dans ce monde, par des peines temporelles,
ou dans l'autre, par les flammes du purgatoire .
Voyez ce qui arriva à Adam
: s'étant repenti après son péché, Dieu l'assura
qu'il l'avait pardonné, et cependant il le condamna à faire
pénitence pendant plus de neuf cents ans ; pénitence
qui surpassa tout ce que l'on peut imaginer. Voyez encore :
David ordonne, contre le gré de Dieu, le dénombrement de
ses sujets ; mais, poussé par les remords de sa conscience, il reconnaît
son péché, se jette la face contre terre et prie le Seigneur
de lui pardonner. Dieu, touché de son repentir, le par-donne en
effet ; mais, malgré cela, il lui envoie Gad pour lui dire : «
Prince, choisissez l'un des trois fléaux que le Seigneur vous a
préparés en punition de votre faute : la peste, la guerre
et la famine. » David dit : « Il vaut mieux tomber entre les
mains du Seigneur dont j'ai tant de fois éprouvé la miséricorde,
que dans celles des hommes. » Il choisit donc la peste, qui dura
trois jours et qui lui enleva plus de soixante-dix mille sujets ; et, si
le Seigneur n'avait arrêté la main de l'ange déjà
étendue sur la ville, tout Jérusalem eût été
dépeuplé ! David voyant tant de maux causés par son
péché, demanda en grâce au bon Dieu de le punir lui
seul, et d'épargner son peuple qui était innocent . Hélas
! M.F., quel sera donc le nombre d'années que nous aurons à
souffrir en purgatoire, nous qui avons tant de péchés ; qui,
sous prétexte que nous les avons confessés, ne faisons point
de pénitence et ne versons point de larmes ? Que d'années
de souffrances nous attendent dans l'autre vie !
Mais comment pourrai-je vous faire
le tableau déchi-rant des maux qu'endurent ces pauvres âmes,
puisque les saints Pères nous disent que les maux qu'elles endurent
dans ces lieux, semblent égaler les souffrances que Jésus-Christ
a endurées pendant sa douloureuse passion ? Cependant, il est certain
que si le moindre supplice de Jésus-Christ avait été
partagé entre tous les hommes, ils seraient tous morts par la violence
des souffrances. Le feu du purgatoire est le même que celui de l'enfer,
la différence qu'il y a, c'est qu'il n'est pas éternel. Oh
! il faudrait que le bon Dieu, dans sa miséri-corde, permit qu'une
de ces pauvres âmes qui brûlent dans ces flammes, parût
ici à ma, place, tout environnée des feux qui la dévorent,
et qu'elle vous fît elle-même le récit des maux qu'elle
endure. Il faudrait, M.F., qu'elle fît retentir cette église
de ses cris et de ses sanglots, peut-être enfin cela attendrirait-il
vos cœurs. « Oh ! que nous souffrons, nous crient-elles, ô
nos frères, délivrez--nous de ces tourments ; vous le pouvez
! Ah ! si vous sentiez la douleur d'être séparées de
son Dieu !... » Cruelle séparation ! Brûler dans un
feu allumé par la justice d'un Dieu !... souffrir des douleurs incompréhen-sibles
à l'homme mortel !... être dévoré par le regret,
sachant que nous pouvions si bien les éviter !... «
Oh ! mes enfants, s'écrient ces pères et mères, pouvez-vous
bien nous abandonner, nous qui vous avons tant aimés ? Pouvez-vous
bien vous coucher dans la mollesse et nous laisser étendus sur un
brasier de feu ? Aurez-vous le courage de vous livrer au plaisir et à
la joie, tandis que nous sommes ici à souffrir et à pleurer
nuit et jour ? Vous possédez nos biens et nos maisons, vous jouissez
du fruit de nos peines, et vous nous abandonnez dans ce lieu de tourments
où nous souffrons des maux si affreux, depuis tant d'années
!... Et pas une aumône, pas une messe qui nous aide à nous
délivrer ! – Vous pouvez nous soulager, ouvrir notre prison ; et
vous nous abandonnez ? Oh ! que nos souffrances sont cruelles !... »
Oui, M.F., l'on juge bien autrement dans les flammes, de toutes ces fautes
légères, si toutefois l'on peut appeler léger, ce
qui nous fait endurer des douleurs si rigou-reuses. « 0 mon Dieu,
s'écrie le Roi-prophète, malheur à l'homme, même
le plus juste, si vous le jugez sans miséricorde . « Si vous
avez trouvé des taches dans le soleil et de la malice dans les anges,
que sera-ce donc de l'homme pécheur ? Et pour nous, qui avons
commis tant de péchés mortels, et qui n'avons encore presque
rien fait pour satisfaire à la justice de Dieu, que d'années
de purgatoire ! ...
« Mon Dieu, disait sainte
Thérèse, quelle âme sera assez pure pour entrer dans
le ciel, sans passer par les flammes vengeresses ? » Dans sa dernière
maladie elle s'écria tout à coup : « O justice et puissance
de mon Dieu, que vous êtes terrible ! » Pendant son agonie,
Dieu lui fit voir sa sainteté, telle que les anges et les saints
la voient dans le ciel, ce qui lui causa tant de frayeur, que ses sœurs
la voyant toute tremblante et dans une agitation extraordinaire, s'écrièrent
tout en larmes : « Ah ! notre mère, que vous est-il donc arrivé
; craignez-vous encore la mort, après tant de pénitences,
des larmes si abondantes et si amères ? » – « Non, mes
enfants, leur répondit sainte Thérèse, je ne crains
pas la mort, au contraire, je la désire, afin de m'unir à
jamais à mon Dieu. » – « Est-ce donc que vos péchés
vous effraient, après tant de macérations ? » – «
Oui, mes enfants, leur dit-elle, je crains mes péchés, mais
je crains encore quelque chose de plus. » – « Est-ce donc le
jugement ? » – « Oui, je frémis à la vue du compte
redoutable qu'il faudra rendre au bon Dieu, qui, dans ce moment, sera sans
miséricorde ; mais il y a encore quelque chose dont la seule pensée
me fait mourir de frayeur. » Ces pauvres sœurs se désolaient.
– « Hélas ! serait-ce l'enfer ? » – « Non, leur
dit-elle, l'enfer, grâce à Dieu, n'est pas pour moi ; oh !
mes sœurs, c'est la sainteté de Dieu ! Mon Dieu, ayez pitié
de moi ! Il faut que ma vie soit confrontée avec celle de Jésus-Christ
lui--même ! Malheur à moi si j'ai la moindre souillure, la
moindre tache ! Malheur à moi si j'ai même l'ombre du péché
! » – « Hélas, s'écrient ces pauvres religieuses,
quel sera donc notre sort !... » Que sera-t-il donc de nous,
M.F., de nous qui peut-être dans toutes nos péni-tences et
nos bonnes oeuvres, n'avons pas encore satisfait à un seul péché
pardonné dans le tribunal de la pénitence ? Ah ! que d'années
et de siècles de tourments pour nous punir !... Que nous paierons
cher toutes ces fautes que nous regardons comme un rien, telles que les
petits mensonges que nous disons pour nous divertir, les petites médisances,
le mépris des grâces que le bon Dieu nous fait à chaque
instant, ces petits murmures dans les peines qu'il nous envoie ! Non, M.F.,
jamais nous n'aurions la force de commettre le moindre péché,
si nous pouvions comprendre combien il outrage le bon Dieu, et combien
il mérite d'être puni rigoureusement, même en ce monde.
Nous lisons dans l'Écriture
sainte que le Seigneur dit un jour à un de ses prophètes
: « Va trouver de ma part le roi Jéroboam, pour lui reprocher
l'horreur de son idolâtrie ; mais je te défends de prendre
aucune nourri-ture chez lui, ni en chemin. » Le prophète obéit
sur le champ, il s'exposa même au danger évident de périr.
Il se présenta devant le roi, et lui reprocha son crime, ainsi que
le Seigneur le lui avait dit. Le roi, tout en fureur de ce que le prophète
avait la hardiesse de le reprendre, étend la main et ordonne de
le saisir. La main du roi se dessèche à l'instant même.
Jéroboam se voyant puni, rentre en lui-même. Dieu, touché
de son repentir, lui pardonne son péché et lui rend sa main.
Ce bienfait changea le cœur du roi, qui invita le prophète à
manger avec lui. « Non, lui dit le prophète, le Seigneur me
l'a défendu ; quand bien même vous me donneriez la moitié
de votre royaume, je ne le ferais pas. » Comme il s'en retournait,
il trouve un faux prophète se disant envoyé du Seigneur,
qui l'engage à manger avec lui. Il se laissa tromper par ce discours,
et prit un peu de nourriture. Mais, au sortir de la maison du faux prophète,
il rencontra un lion d'une grosseur énorme qui se jeta sur lui et
le tua. Maintenant, si vous demandez au Saint-Esprit quelle a été
la cause de cette mort, il vous répondra que la désobéissance
du prophète lui a mérité ce châtiment. Voyez
encore Moïse, qui était si agréable au bon Dieu. Pour
avoir douté un instant de sa puissance, en frappant deux fois une
pierre pour en faire sortir de l'eau, le Sei-gneur lui dit : « J'avais
promis de te faire entrer dans la Terre promise, où le miel et le
lait coulent par ruisseaux ; mais, en punition de ce que tu as frappé
deux fois la pierre, comme si une seule n'avait pas suffi, tu iras jus-qu'aux
pieds de cette terre de bénédictions, et tu mourras avant
d'y entrer ». Si Dieu, M.F., punit si rigoureuse-ment des péchés
si légers, que sera-ce donc d'une dis-traction dans la prière,
de tourner la tête à l'église, etc... Oh ! que nous
sommes aveugles !... Que nous nous pré-parons d'années et
de siècles de purgatoire, pour toutes ces fautes que nous regardons
comme rien... Comme nous changerons de langage, lorsque nous serons dans
ces flammes où la justice de Dieu se fait sentir si rigou-reusement
!...
Dieu est juste, M.F., dans tout
ce qu'il fait ; quand il nous récompense pour la moindre bonne action,
il le fait au delà de tout ce que nous pouvons désirer ;
une bonne pensée, un bon désir, c'est-à-dire, désirer
faire quelque bonne oeuvre, quand bien même on ne pourrait la faire,
il ne nous laisse pas sans récompense ; mais aussi, lors-qu'il s'agit
de nous punir, c'est avec rigueur, et nous n'aurions qu'une légère
faute, nous serons jetés en pur-gatoire. Cela est vrai, car nous
voyons dans la vie des saints, que plusieurs ne sont allés au ciel
qu'après avoir, passé par les flammes du purgatoire. Saint
Pierre Da-mien raconte que sa sœur demeura plusieurs années en purgatoire,
pour avoir écouté une mauvaise chanson avec quelque peu de
plaisir. On rapporte que deux religieux se promirent l'un à l'autre
que le premier qui mourrait viendrait dire au survivant l'état où
il serait ; en effet, le bon Dieu permit à celui qui mourut le premier
d'appa-raître à son ami. Il lui dit qu'il était resté
quinze jours en purgatoire pour avoir trop aimé à faire sa
volonté. Et comme cet ami le félicitait d'y être si
peu resté : « J'au-rais bien mieux aimé, répondit
le défunt, être écorché vif pendant dix mille
ans continus, car cette souffrance n'aurait pas encore pu être comparée
à ce que j'ai souf-fert dans les flammes. » Un prêtre
dit à un de ses amis, que le bon Dieu l'avait condamné à
rester en purgatoire plusieurs mois, pour avoir retardé l'exécution
d'un tes-tament destiné à faire de bonnes oeuvres. Hélas
! M.F., combien parmi ceux qui m'entendent ont à se reprocher pareille
faute ? combien en est-il qui peut-être, depuis huit ou dix ans,
ont reçu de leurs parents ou de leurs amis, la charge de faire dire
des messes, de donner des aumônes, et qui ont tout laissé
! Combien y en a-t-il qui, dans la crainte de trouver quelques bonnes oeuvres
à faire, ne veulent pas prendre la peine de regarder le testament
que leurs parents ou leurs amis ont fait en leur faveur ? Hélas
! ces pauvres âmes sont détenues dans les flammes, parce que
l'on ne veut pas accomplir leurs dernières volontés ! Pauvres
pères et mères, vous vous êtes sacrifiés pour
rendre heureux vos enfants ou vos héritiers ; vous avez peut-être
négligé votre salut pour augmenter leur fortune ; vous vous
êtes refié sur les bonnes oeuvres que vous laisseriez dans
votre testa-ment ! Pauvres parents ! que vous avez été aveugles
de vous oublier vous-mêmes ! ....
Vous me direz peut-être :
« Nos parents ont bien vécu, ils étaient bien sages.
» Ah ! qu'il en faut peu pour aller dans ces feux ! Voyez ce que
dit à ce sujet Albert le Grand, lui dont les vertus brillèrent
d'une manière si extraordi-naire ; il révéla un jour
à un de ses amis, que Dieu l'a-vait conduit en purgatoire, pour
avoir eu une petite pen-sée de complaisance à cause de sa
science. Ce qu'il y a encore de plus étonnant, c'est qu'il y a eu
des saints, même canonisés, qui ont passé par le purgatoire.
Saint Séverin, archevêque de Cologne, apparut à un
de ses amis longtemps après sa mort, et lui dit qu'il avait été
en purgatoire, pour avoir remis au soir des prières qu'il devait
faire le matin . Oh ! que d'années de purgatoire, pour ces chrétiens
qui ne font point de difficulté de re-mettre leur prière
à un autre temps, sous prétexte qu'ils ont de l'ouvrage qui
presse ! Si nous désirions sincèrement le bonheur de posséder
le bon Dieu, nous évite-rions aussi bien les petites fautes que
les grandes, puis-que la séparation de Dieu est un tourment si affreux
à ces pauvres âmes !
Les saints Pères nous disent
que le purgatoire est un lieu près de l'enfer. Ceci est très
facile à comprendre, puisque le péché véniel
est voisin du péché mortel ; mais ils croient que toutes
les âmes ne sont pas détenues dans ce lieu pour satisfaire
à la justice de Dieu, et que plu-sieurs souffrent dans le lieu même
où elles ont fait le mal. En effet, saint Grégoire, pape,
nous en donne une preuve assez forte. Il rapporte qu'un saint prêtre,
in-firme, allait tous les jours, par ordre de son médecin, prendre
des bains dans un lieu écarté ; il trouvait chaque fois un
personnage inconnu qui l'aidait à se déchausser, et, après
qu'il avait pris son bain, lui présentait un linge pour s'essuyer.
Le saint prêtre, touché de reconnais-sance, venant un jour
de dire la sainte Messe, présenta à son inconnu un morceau
de pain bénit. « Mon père, lui répondit cet
homme, vous me présentez une chose dont je ne fais point usage,
quoique vous me voyiez avec un corps. Je suis le seigneur de ce lieu, qui
fais ici mon purgatoire. » Et il disparut en disant : « Ministre
du Sei-gneur, ayez pitié de moi ! Oh ! que je souffre ! vous pou-vez
me délivrer ; de grâce, offrez pour moi le saint sacri-fice
de la messe, offrez vos prières et vos infirmités, le Seigneur
me délivrera. » Si nous étions bien con-vaincus de
cela, pourrions-nous oublier si facilement nos pauvres parents, qui sont
peut-être continuelle-ment autour de nous ? Si le bon Dieu leur permettait
de se montrer, nous les verrions se jeter à nos pieds. « Ah
! mes enfants, diraient ces pauvres âmes, ayez pitié de nous
! De grâce, ne nous abandonnez pas ! » Oui, M.F., le soir en
nous couchant, nous verrions nos pauvres pères et mères réclamer
le secours de nos priè-res ; nous les verrions, dans nos maisons,
dans nos champs. Ces pauvres âmes nous suivent partout: mais, hélas
! ce sont de pauvres mendiants auprès de mauvais riches. Elles ont
beau leur exposer leurs besoins et leurs tourments, ces mauvais riches
n'en sont malheureuse-ment point touchés. « Mes amis, nous
crient-elles, un Pater et un Ave ! une sainte Messe ! » Quoi ! nous
se-rions assez ingrats pour refuser à un père, à une
mère, une si petite partie des biens qu'ils ont acquis ou con-servés
avec tant de peines ? Dites-moi, si votre père, votre mère
ou un de vos enfants étaient dans le feu, et qu'ils vous tendissent
les mains pour vous prier de les délivrer, auriez-vous le courage
d'y être insensibles et de les laisser brûler sous vos yeux
? Or, la foi nous apprend que ces pauvres âmes souffrent ce que jamais
l’homme mortel ne pourra comprendre...
Si nous voulons, M.F., nous assurer
le ciel, ayons une grande dévotion à prier pour les âmes
du purgatoire. L'on peut même dire que cette dévotion est
une mar-que presque certaine de prédestination, et un puissant moyen
de salut. L'Écriture sainte nous fournit une com-paraison admirable
dans l'histoire de Jonathas . Saül, son père, avait défendu
à tous les soldats, sous peine de mort, de prendre aucune nourriture
jusqu'à ce qu'ils eus-sent défait les Philistins. Jonathas,
qui n'avait pas en-tendu cette défense, étant épuisé
de fatigue, trempa le bout de sa baguette dans un rayon de miel et en goûta.
Saül consulta le Seigneur, pour savoir si personne n'a-vait violé
la défense. Apprenant que son fils l'avait violée, le père
commanda qu'on se saisit de lui, en disant : « Je veux que le Seigneur
me punisse, si vous ne mourez pas aujourd'hui. » Jonathas se voyant
condamné à mort par son père, pour avoir violé
une défense qu'il n'avait pas entendue, tourna ses regards vers
le peuple, et, laissant couler ses larmes, il semblait lui rappeler tous
les ser-vices qu'il lui avait rendus, et toutes les bontés qu'il
avait eues pour lui. Le peuple se jeta aussitôt aux pieds de Saül
: « Quoi ! vous feriez mourir Jonathas, lui qui vient de sauver Israël
! lui qui nous a délivrés des mains de nos ennemis ! Non,
non, il ne tombera pas un cheveu de sa tête, nous avons trop à
cœur de le conserver, il nous a trop fait de bien pour si tôt l'oublier.
» Ceci est l'image sensible de ce qui arrive à l'heure de
la mort. Si nous avons eu le bonheur de prier pour les âmes du purgatoire,
lorsque nous paraîtrons devant le tribunal de Jésus-Christ
pour rendre compte de toutes nos actions, ces âmes se jetteront aux
pieds du Sauveur en lui disant : « Seigneur, grâce pour cette
âme ! grâce, miséricorde pour elle ! ayez pitié,
mon Dieu, de cette âme si chari-table, qui nous a arrachées
aux flammes, et qui a satisfait à votre justice ! Mon Dieu ! mon
Dieu ! oubliez, nous vous en prions, ses fautes, comme elle vous a fait
oublier les nôtres ! » Oh ! que ces motifs sont puissants pour
vous inspirer une tendre compassion envers ces pauvres âmes souffrantes
!... Hélas ! elles sont bientôt oubliées. L'on a bien
raison de dire que le souvenir des morts s'en va avec le son des cloches.
Souffrez, pauvres âmes, pleurez dans ce feu allumé par la
justice de Dieu, c'est en vain ; l'on ne vous écoute pas, l'on ne
vous soulage pas !... Voilà donc, M.F., la récompense de
tant de bonté et de charité qu'elles ont eues pour nous pendant
leur vie. Non, ne soyons pas du nombre de ces ingrats ; puisque, travaillant
à leur délivrance, nous travaillerons à notre salut.
II. – Mais, me direz-vous, comment
pouvons-nous les soulager et les conduire au ciel ? – Si vous désirez,
M.F., leur prêter secours, je vais vous montrer que c'est facile,
1° par la prière et les aumônes ; 2° par les indulgences,
et 3° surtout, par le saint sacrifice de la Messe.
Je dis 1° par la prière.
Quand nous faisons une prière pour les âmes du purgatoire,
nous leur cédons tout ce que le bon Dieu nous accorderait si nous
la faisions pour nous--même ; mais hélas ! que nos prières
sont peu de chose, puisque c'est encore un pécheur qui prie pour
un coupa-ble ! Mon Dieu, qu'il faut que votre charité soit grande
!... Nous pouvons, chaque matin, offrir toutes nos actions de la journée,
toutes nos autres prières pour le soulage-ment de ces pauvres âmes
souffrantes. Tout cela est bien peu de chose, il est vrai ; mais voilà
: nous leur faisons comme à une personne qui aurait les mains liées
et serait chargée d'un pesant fardeau, à qui nous viendrions
de temps en temps ôter un peu de cette charge ; peu à peu
elle se trouverait délivrée de tout. Il en est de même
pour les pauvres âmes du purgatoire, quand nous faisons quelque chose
pour elles ; une fois, nous abrégerons leurs peines d'une heure,
une autre fois, d'un quart d'heure, de sorte que, chaque jour, nous les
approchons du ciel.
Nous disons 2° que nous les
pouvons délivrer par les indulgences, qui les conduisent à
grands pas vers le ciel. Le bien que nous leur communiquons est d'un prix
infini ; car nous leur appliquons les mérites du Sang adorable de
Jésus-Christ, des vertus de la sainte Vierge et des saints, qui
ont fait plus de pénitences que leurs péchés n'en
méritaient. Hélas ! si nous voulions, comme nous aurions
bientôt vidé le purgatoire, en appliquant toutes les indulgences
que nous pouvons gagner pour ces âmes souffrantes !... Voyez, M.F.,
l'on peut gagner quatorze indulgences plénières en faisant
le chemin de la croix . On le fait de plusieurs manières ... Oh
! que vous êtes coupables d'avoir laissé brûler vos
parents, lorsque vous pouviez si bien et si facilement les délivrer
!
3° Le moyen le plus puissant
pour hâter leur bonheur, c'est la sainte Messe, parce qu'alors ce
n'est plus un pécheur qui prie pour un pécheur, mais un Dieu
égal à son Père qui ne lui refusera jamais rien. Jésus-Christ
nous l'assure dans l'Evangile quand il dit : « Mon Père, je
vous rends grâce, parce que vous m'écoutez toujours
! » Afin de mieux vous en convaincre, je vais vous citer un exemple
des plus touchants, et qui vous montrera combien est grand le pouvoir de
la sainte Messe. Il est rapporté dans l'histoire de l'Église
que, peu de temps après la mort de l'empereur Charles , un saint
homme du diocèse de Reims, nommé Bernold, étant tombé
malade et ayant reçu les derniers sacre-ments, demeura près
d'un jour sans parler, à peine pouvait-on s'apercevoir qu'il fut
en vie ; il ouvrit enfin les yeux et commanda à ceux qui le gardaient
de faire venir au plus tôt son confesseur. Le prêtre accourut,
et trouva le malade tout en pleurs, qui lui dit : « J'ai été
transporté en l'autre monde, je me suis trouvé dans un lieu
où j'ai vu l'évêque Pardule de Laon, qui passait vêtu
de haillons crasseux et noirs, et souf-frait horriblement dans les flammes
; il m'a tenu ce lan-gage : « Puisque vous avez le bonheur de retourner
sur la terre, je vous prie de m'aider et de me soulager ; vous pouvez même
me délivrer et me procurer le grand bonheur de voir le bon Dieu.
– Mais, lui ai-je répondu, comment pourrai-je vous procurer ce bonheur
? – Allez trouver ceux à qui j'ai fait du bien pendant ma vie, dites-
leur qu'en retour ils prient pour moi, et le bon Dieu m'aura en pitié.
» Après avoir fait ce qu'il a ordonné, je l'ai revu
beau comme un soleil, il ne paraissait plus souf-frir, et, dans son contentement,
il m'a remercié en disant: « Regardez combien les prières
et la sainte Messe m'ont procuré de biens et de bonheur. »
Un peu plus loin, j'ai vu le roi Charles, qui me parla en ces termes :
« Mon ami, que je souffre ! Va trouver l'évêque Hincmar,
dis- lui que je souffre pour n'avoir pas suivi ses conseils, mais que je
compte sur lui pour m'aider à sortir de ce lieu de souffrances ;
recommande aussi à tous ceux à qui j'ai fait du bien pendant
ma vie, de prier pour moi, d'offrir le saint sacrifice de la Messe, et
je serai délivré. » J'allai trouver l'évêque,
qui se préparait à dire la messe, et qui, avec tout son peuple,
se mit à prier dans cette intention. Je revis ensuite le roi couvert
de ses habits royaux et tout brillant de gloire : « Regarde, dit-il,
quelle gloire tu m'as procurée, maintenant me voilà heureux
pour toujours. » Dans ce moment, je sentis l'odeur d'un parfum exquis,
qui venait du séjour des bienheureux. Je m'en approchai, dit le
Père Bernold, j'ai vu des beautés et des délices que
le langage humain ne peut expri-mer . »
Voilà qui nous prouve combien
nos prières et nos bonnes oeuvres, et surtout la sainte Messe, sont
puissantes pour tirer ces pauvres âmes de leurs souffrances. Mais
en voici un autre exemple, que nous trouvons aussi dans l'histoire de l'Église
: il est encore plus frappant. Un saint prêtre ayant appris la mort
de son ami qu'il aimait uniquement pour le bon Dieu, ne trouva point de
moyen plus efficace pour sa délivrance, que d'aller promptement
offrir le saint sacrifice de la Messe. Il commença avec toute la
ferveur possible et la douleur la plus vive. Après avoir consacré
le Corps adorable de Jésus-Christ, il le prit entre ses mains, et,
levant les mains et les yeux au ciel : « Père éternel,
dit-il, voilà que je vous offre le corps, l'âme de votre très
cher Fils. 0 Père éternel ! ren-dez-moi l'âme de mon
ami, qui souffre dans les flammes du purgatoire ! Oui, mon Dieu, je suis
libre de vous offrir ou non votre Fils, vous pouvez m'accorder ce que je
vous demande ! Mon Dieu, faisons échange : délivrez mon ami,
et je vous donnerai votre Fils ; ce que je vous présente vaut infiniment
mieux que ce que je vous demande. » Cette prière fut faite
avec une foi si vive, qu'à l'instant même il vit l'âme
de son ami sortir du pur-gatoire et monter au ciel. Il est encore rapporté
qu'un prêtre, disant la sainte Messe pour une âme du purga-toire,
l'en vit sortir sous la forme d'une colombe et monter au ciel. Sainte Perpétue
recommande fortement de prier pour les âmes du purgatoire. Dans une
vision, Dieu lui fit voir son frère qui brûlait dans les flammes,
et qui, cependant, était mort à peine âgé de
sept ans, après avoir souffert presque toute sa vie d'un cancer
qui le faisait crier nuit et jour. Elle fit beaucoup de prières
et de pénitences pour sa délivrance, aussi le vit-elle monter
au ciel brillant comme un ange. Oh ! qu'ils sont heureux, M.F., ceux qui
ont de pareils amis !
A mesure que ces pauvres âmes
s'approchent du ciel, elles semblent encore souffrir davantage. Elles font
comme Absalon : après être resté quelque temps en exil,
il revient dans son pays, mais sans avoir la permission de voir son père
qui l'aimait tendrement. Quand on lui annonça qu'il resterait près
de son père, mais qu'il ne le verrait pas : « Ah ! s'écria-t-il,
je verrai les fenêtres et les jardins de mon père, et je ne
le verrai pas lui-même ? Dites-lui que j'aime mieux mourir, que de
rester ici sans avoir le bonheur de le voir. Dites-lui que ce n'est pas
assez de m'avoir pardonné ; mais qu'il faut encore qu'il m'ac-corde
le bonheur de le voir . » De même aussi ces pauvres âmes
se voyant près de sortir de leur exil, leur amour pour Dieu, le
désir de le posséder deviennent si ardents, qu'elles semblent
ne plus pouvoir y résister. « Seigneur, s'écrient-elles,
regardez-nous des yeux de votre miséricorde, nous voilà à
la fin de nos souffrances. Oh ! que vous êtes heureux, nous crient-elles
du fond des flammes qui les brûlent, vous qui pouvez encore éviter
ces tourments !... » Il me semble encore entendre ces pauvres âmes
qui n'ont ni parents ni amis : « Ah ! s'il vous reste encore quelque
peu de charité, ayez pitié de nous, qui, depuis tant d'années,
sommes abandonnées dans ces feux allumés par la justice de
Dieu ! Oh ! si vous pouviez comprendre la grandeur de nos souf-frances,
vous ne nous abandonneriez pas comme vous le faites ! Mon Dieu ! personne
n'aura-t-il donc compas-sion de nous ? »
Il est certain, M.F., que ces pauvres
âmes ne peuvent rien pour elles-mêmes, mais elles peuvent beaucoup
pour nous. Cela est si vrai qu'il n'y a presque personne qui ait invoqué
les âmes du purgatoire, sans avoir obtenu la grâce demandée.
Cela n'est pas difficile à comprendre : si les saints qui sont dans
le ciel et n'ont pas besoin de nous, s'intéressent à notre
salut, combien plus encore les âmes du purgatoire, qui reçoivent
nos bienfaits spiri-tuels à proportion de notre sainteté.
« Ne refusez pas cette grâce, Seigneur, disent-elles, à
ces chrétiens qui donnent tous leurs soins à nous tirer des
flammes ! » Une mère pourrait-elle refuser de demander au
bon Dieu une grâce pour des enfants qu'elle a aimés et qui
prient pour sa délivrance ? Un pasteur, qui, pendant sa vie, n'aura
eu que du zèle pour le salut de ses parois-siens, pourra-t-il ne
pas demander pour eux, même en purgatoire, les grâces dont
ils ont besoin pour se sauver ? Oui, M.F., toutes les fois que nous aurons
quelque grâce à demander, adressons-nous avec confiance à
ces saintes âmes, et nous sommes sûrs de l'obtenir. Quel bonheur
pour nous d'avoir, dans la dévotion aux âmes du purgatoire,
un moyen si excellent pour nous assurer le ciel ! Voulons-nous demander
au bon Dieu la douleur de nos péchés ? Adressons-nous à
ces âmes, qui, depuis tant d'années, pleurent dans les flammes
ceux qu'elles ont commis. Voulons-nous demander au bon Dieu le don de la
persévérance ? Invoquons-les, M.F., elles en sentent tout
le prix ; car il n'y a que ceux qui persé-vèrent qui verront
le bon Dieu. Dans nos maladies, dans nos chagrins, tournons nos prières
vers le purgatoire, elles obtiendront leur effet.
Que conclure de tout cela, M.F.
? Le voici. Il est cer-tain qu'il y a très peu d'élus qui
n'aient passé par les flammes du purgatoire, et que les peines qu'on
y endure sont au-delà de ce que nous pourrons jamais compren-dre.
Il est certain encore que nous avons entre les mains tout ce qu'il faut
pour soulager les âmes du pur-gatoire, c'est-à-dire nos prières,
nos pénitences, nos au-mônes et surtout la sainte Messe ;
et enfin, nous sommes sûrs que ces âmes étant pleines
de charité, elles nous obtiendront mille fois plus que nous ne leur
donnerons. Si un jour nous sommes dans le purgatoire, ces âmes ne
manqueront pas de demander au bon Dieu la même grâce que nous
aurons obtenue pour elles ; car elles ont senti combien l'on souffre dans
ce lieu et combien est cruelle la séparation de Dieu. Donnons quelques
ins-tants, pendant cette octave, à une oeuvre si bien placée.
Combien vont aller au ciel par la sainte Messe et nos prières !...
Que chacun de nous pense à ses propres pa-rents, et à toutes
les pauvres âmes délaissées depuis de longues années.
Oui, M.F., offrons toutes nos actions pour les soulager. Nous plairons
ainsi à Dieu, qui désire tant les délivrer, et nous
leur procurerons le bonheur de la jouissance de Dieu même. C'est
ce que je vous souhaite.
AUTRE SERMON
POUR LE JOUR DES MORTS
Miseremini mei miseremini mei, saltem
vos amici mei, quia manus Domini tetigit me.
Ayez pitié de moi, vous au
moins qui êtes mes amis, car la main du Seigneur s'appesantit sur
moi.
(Job., IX, 2l.)
D'où sortent, M.F., ces prières
touchantes, ces tristes accents ? Serait-ce des profondeurs d'un sépulcre
? Non, car si les sépulcres nous instruisent, c'est sur le néant
des grandeurs humaines ; les morts qui y sont étendus, ne nous parlent
que par leur silence. Serait-ce du haut de ce beau ciel, l'heureux séjour
des élus, que se font entendre ces tristes gémissements capables
de fendre les rochers les plus durs ? Non, M.F., la même main qui
leur a distribué ces brillantes couronnes, a en même temps
essuyé leurs larmes ; l'on n'y entend plus que chants de joie et
d'allégresse éternelle. Serait-ce du fond des enfers, de
ces lieux d'horreur et de tourments, que se font entendre ces cris si tendres
et si déchirants ?
Hélas ! M.F., non ; les noirs
habitants de ces lieux de ténèbres ne demandent ni n'espèrent
aucun soulage-ment ; ils sont damnés, ils sont séparés
de leur Dieu, ils le seront pour jamais. Ils ont fait un adieu éternel
au ciel et à tous ses biens ; ils sont très assurés
que jamais ils ne sortiront de ces abîmes ; la main du Seigneur ne
les touche pas seulement, mais les foudroie et les écrase. C'est
donc du purgatoire que se font entendre ces pressantes sollicitations,
ces tendres gémissements.
Mais à qui, M.F., s'adressent
ces larmes et ces san-glots ? Écoutez l'Église, cette tendre
mère qui pleure amèrement sur les tourments qu'endurent ses
enfants... Elle prie et nous conjure d'avoir pitié d'eux et de leur
porter secours. Oui, après nous avoir fait le tableau du bonheur
dont jouissent les bienheureux dans le ciel, elle nous transporte dans
cette région de larmes et de tourments, pour nous faire la triste
peinture des peines qu'y endurent ces pauvres âmes. Quoi de plus
digne et de plus capable d'attendrir nos cœurs, que les cris de ces âmes
souffrantes ? Écoutez-les : « O vous, mes amis, arrachez-nous,
arrachez-nous de ces flammes qui nous dévorent ! » Voyez-vous
cette mère ? Elle vous tend ces mains qui tant de fois vous ont
porté. Voyez-vous cette pauvre enfant, dont la séparation
vous fut si cruelle ? En l'embrassant pour la dernière fois, vous
lui avez promis de ne jamais l'oublier... Nous pouvons, M.F., les soulager,
que dis-je ? nous pouvons leur ouvrir les portes du ciel, et les faire
jouir d'un bonheur qui n'aura point de fin. Pour vous y engager, je vais
vous montrer, autant qu'il me sera possible, 1° la grandeur des tour-ments
qu'elles endurent, et 2° la facilité des moyens que nous pouvons
employer pour les soulager.
I. – Si je parlais, M.F., à
des impies, à des incrédules, ou bien à des personnes
croupissant dans une ignorance grossière, qui ne croient à
rien et qui nient tout, je com-mencerais par leur prouver l'existence de
ce lieu destiné à expier les fautes vénielles, et
les péchés mortels qui ont été pardonnés
dans le tribunal de la pénitence, et qui n'ont pas encore entièrement
été expiés par des peines temporelles ; mais, puisque
je parle à des chrétiens ins-truits, et parfaitement convaincus
de cette grande vérité, je n'en donne donc point d'autres
preuves que celles que vous avez trouvées dans votre catéchisme.
Je vous dirai qu'il est certain, très certain qu'il y a un purgatoire,
c'est-à-dire un lieu de tourments, où les âmes des
justes achèvent d'expier leurs fautes, avant d'être admises
à la gloire du paradis qui leur est assurée. Rien n'est mieux
prouvé que l'existence de ce lieu. Nous lisons dans l'Écriture
que « rien de souillé n'entrera dans le ciel »
– « Il y a des péchés qui ne seront remis ni
dans le siècle présent ni dans le siècle à
venir », mais dans le purga-toire. Saint Paul nous dit encore
que plusieurs ne seront sauvés, qu'après avoir passé
par les flammes du purga-toire . Oh ! combien d'âmes justes la mort
surprend dans quelques fautes vénielles ! Où vont-elles,
ces pauvres âmes, puisqu'elles ne sont pas assez pures pour entrer
dans le ciel ? Seront-elles jetées en enfer ? Si cela était,
où seraient donc les élus ? Non, non, ce sont des âmes
justes, et les flammes des abîmes ne sont point pour ceux qui brillent
du feu de la charité ; c'est donc dans les flammes du purgatoire
qu'elles vont achever l'expiation de leurs fautes, avant d'être réunies
à leur cher et céleste Époux, qu'elles aiment et dont
elles sont aimées.
Oui, M.F., c'est une vérité
de foi, que, quoique nos péchés nous soient pardonnés
dans le tribunal de la pé-nitence, nous ne sommes pas pour cela
exempts de souffrir des peines temporelles. Voyez le saint roi David, à
qui Dieu même envoya son prophète pour l'assurer que son péché
lui était pardonné. Le Seigneur fit cepen-dant mourir l'enfant
qui était pour lui l'espérance d'une heureuse vieillesse
. La justice de Dieu, non contente de cette punition, frappa encore tout
son royaume des fléaux les plus terribles. La peste semble le vouloir
laisser seul dans le monde , il se voit chassé de son trône
par celui-là même à qui il avait donné le jour.
Ce malheureux fils ne craint pas de le poursuivre ; il veut ôter
la vie à celui dont Dieu s'est servi pour la lui don-ner . Jusqu'à
sa mort, David passa les jours et les nuits dans les larmes et les pénitences.
Il les porta à une telle rigueur, que ses pieds ne pouvaient plus
le sou-tenir . Voyez encore le pieux roi Ézéchias ; pour
une légère pensée d'orgueil, le Seigneur mit son royaume
en proie à mille malheurs . Voyez saint Pierre et sainte Madeleine.
Personne ne doit douter que, quoique nos péchés soient pardonnés
au tribunal de la pénitence, il nous reste encore des peines temporelles
à souffrir, ou dans ce monde ou dans les flammes du purgatoire.
Il nous est aussi nécessaire de croire cette vérité
pour être sauvés, que le mystère de l'Incarnation .
Arrêtons-nous là, M.F., descendons en esprit dans ces lieux
de tourments ; soyons témoins des maux qu'endurent ces pauvres âmes,
elles vont elles-mêmes nous faire la triste peinture des peines qui
les rongent et les dévorent.
Deux supplices leur sont très
sensibles : 1° la peine du dam, c'est-à-dire la privation de
la vue de Dieu, et la peine du sens. L'amour qu'elles ont pour Dieu est
si grand, la pensée qu'elles en sont privées par leur faute,
leur cause une douleur si violente, que jamais il ne sera donné
à un mortel d'en concevoir la moindre idée. Du milieu de
ces flammes qui les brûlent, elles voient les trônes de gloire
qui leur sont préparés et qui les atten-dent, une voix semble
leur crier : « Ah ! que vous êtes privées de grands
biens ! si vous aviez eu le bonheur de redoubler vos pénitences
et vos larmes, vous seriez au-jourd'hui assises sur ces beaux trônes
tout rayonnants de gloire ; ah ! que vous avez été aveugles
de retarder un tel bonheur par votre faute ! » Ce seul langage aug-mente
leur douleur et le désir d'être réunies à leur
Dieu ; elles s'en prennent au ciel et à la terre ; elles in-voquent
et les anges et les hommes.
« Ah ! mes amis, nous crient-elles, s'il
vous reste encore quelque amitié pour nous, ayez pitié de
nous, arrachez-nous de ces flammes : vous le pouvez !... Beau ciel, quand
te ver-rons-nous ? » Il est rapporté dans l'histoire de Cîteaux,
qu'un religieux, après avoir été toute sa vie un modèle
de vertu, apparut à un religieux, en lui disant qu'il avait été
en purgatoire ; et la plus grande souffrance qu'il y avait ressentie, était
la privation de la vue de Dieu.
2° L'autre peine de ces pauvres
âmes, c'est la douleur du sens, c'est-à-dire du feu. Les saints
Pères nous assu-rent que c'est un feu matériel, ou plutôt
que c'est le même que celui qui brûle les malheureux damnés.
Ce feu est si violent, qu'une heure semble à ceux qui l'en-durent,
des millions de siècles. Oui, nous disent-ils, si l'on pouvait comprendre
la grandeur de leurs supplices, nuit et jour nous crierions miséricorde
pour elles. Un autre saint va encore plus loin, en nous disant que leurs
souffrances surpassent même celles que Jésus-Christ a endurées
pendant sa cruelle et douloureuse passion ; et cependant, si les souffrances
que Jésus-Christ a endurées eussent été partagées
entre tous les hommes, nul mortel n'eût pu les soutenir . Ah ! pauvres
âmes, qui pourra donc jamais raconter la grandeur de vos peines !
Nous lisons dans l'histoire ecclésiastique, qu'un saint resta six
jours en purgatoire avant d'entrer dans le ciel. Il apparut ensuite à
un de ses amis en lui disant qu'il avait enduré des souffrances
si grandes, qu'elles surpassaient toutes celles qu'ont endurées
et qu'endureront jusqu'à la fin des siècles, tous les martyrs
réunis ensemble. O mon Dieu, que votre justice est redoutable pour
le pécheur !... Cependant, M.F., qui peut entendre sans frémir
le récit de ce qu'ont enduré les martyrs chacun en particulier.
Les uns sont plongés dans des chaudières d'huile bouil-lante,
d'autres sciés avec des scies de bois, celui-ci étendu sur
un chevalet, déchiré avec des crochets de fer lui arrachant
les entrailles, d'autres que l'on foule aux pieds. Celui-là étendu
sur des brasiers ardents, auquel il ne restait que ses os tout noircis
et brûlés ; enfin, d'au-tres ont été mis sur
des tables armées de lames tran-chantes, et qui perçaient
de part en part ces innocentes victimes. Peut-on bien penser à tout
cela sans se sentir pénétré de douleur jusqu'au fond
de l'âme ? Ah ! si une âme en purgatoire souffre encore plus
que tous les mar-tyrs ensemble, qui pourra donc y tenir ?... Mon Dieu,
mon Dieu, ayez pitié de ces pauvres âmes !...
Mais pour nous en convaincre encore
d'une manière plus sensible, écoutons : sainte Brigitte,
à qui Dieu fit connaître les douleurs qu'endurent ces pauvres
âmes, assure que leurs peines sont si grandes et leurs dou-leurs
si violentes, que jamais l'homme ne pourra s'en former la moindre idée.
Dieu lui en fit voir qui étaient condamnées à y rester
jusqu'à la fin du monde. Le pape Innocent III apparut après
sa mort à sainte Lutgarde sous une forme sensible. Effrayée
d'une telle vision, elle se jeta la face contre terre, demandant au bon
Dieu de lui dire ce que cela pouvait être. Le mort lui répon-dit
qu'il était le pape décédé récemment.
« Mon Dieu, s'écria-t-elle en pleurant amèrement, si
un pape qui a été un modèle de vertu souffre de tels
maux, malheur à moi 1 » Le pape lui dit que, sans la sainte
Vierge pour qui il avait fait bâtir une église, il était
damné et con-damné à brûler dans les enfers
; mais avant de mourir la sainte Vierge avait prié son Fils pour
lui obtenir une véritable contrition de ses péchés.
« Je resterai dans les flammes jusqu'à la fin du monde, ajouta-t-il,
je viens réclamer le secours de vos prières, » et il
disparut en s'écriant : « Ah ! que je souffre ! arrachez-moi
des flammes qui me dévorent. » Saint Vincent Ferrier nous
dit que Dieu lui fit voir une âme condamnée à un an
de purga-toire pour un seul péché véniel. Écoutez
encore ce que nous dit saint Louis, de l'ordre de Saint Dominique. Son
père lui apparut sous une forme sensible, poussant des cris épouvantables
et de profonds gémissements. Il ve-nait implorer le secours de ses
prières. Aussitôt saint Louis se livra aux larmes et à
la pénitence, aux macéra-tions les plus affreuses ; il célébra
tous les jours pour lui la sainte Messe, et ne resta pas un jour sans implorer
le secours de la sainte Vierge. Malgré cela, chaque matin son père
apparaissait, en jetant les mêmes cris et les mêmes sanglots
: « Ah ! que je souffre ! mon fils, ayez pitié de moi ! »
Saint Louis ne cessait de demander jour et nuit, miséricorde pour
son père. « Mon Dieu, mon Dieu, s'écriait-il, ne vous
laisserez-vous pas toucher par mes prières et mes larmes ? »
Sept ans après seulement, Dieu lui fit connaître que son père
était délivré. – Mais, me direz-vous peut-être,
que pouvait donc avoir fait ce malheureux père pour tant souffrir
? – Oh ! mon ami, si vous connaissiez bien ce que c'est que le péché,
je n'oserais vous le dire, de peur de vous jeter dans le désespoir.
Saint Louis rapporte que son père avait fait peu de chose : une
personne lui avait rendu de grands services, et il cherchait à lui
en témoigner sa reconnais-sance, ne pensant pas assez peut-être
que c'était Dieu qu'il devait remercier de ses bienfaits…
Que d'années de purgatoire,
M.F., pour nous, qui commettons ces sortes de fautes si souvent et avec
si peu de scrupule ! Que de mensonges pour éviter une petite humiliation
ou pour servir de divertissement ! Que de petites médisances ! Que
de bonnes inspirations aux-quelles nous n'avons pas répondu ! Que
de distractions volontaires dans nos prières ! Que de fois le bon
Dieu ne nous a-t-il pas donné la pensée de lui élever
notre cœur, à notre réveil, pendant le jour, et nous ne l'avons
pas fait ! ou si nous l'avons fait, avec quelle peine et quelle négligence
? Que de fois n'avons-nous pas eu la pensée de faire quelque mortification
dans nos repas, dans notre démangeaison de parler ? Que de fois
nous aurions pu aller à la Messe, tandis que, par paresse ou par
crainte de perdre un moment, nous n'y sommes pas allés ! Que de
fois le bon Dieu nous a donné la pensée de ne plus rester
dans le péché, d'aller promptement nous con-fesser ! Que
de fois nous avons eu la pensée de nous corriger, pour avoir le
bonheur de nous approcher plus souvent du sacrement adorable de l'Eucharistie
! Que de bonnes œuvres, de pénitences nous aurions pu faire, et
que nous n'avons pas faites ! O mon Dieu, que d'années, ou plutôt
que de siècles il faudra souffrir dans ces flam-mes ! Mon Dieu,
que nous sommes aveugles !...
Nous lisons dans l'histoire qu'une
personne, après avoir vécu chrétiennement, apparut
à une de ses amies, toute environnée de flammes, et souffrant
cruellement, pour avoir négligé de fréquenter les
sacrements. Dieu, en effet, lui avait souvent donné sur la terre,
le désir de se corriger de ses petites fautes vénielles,
et de recevoir plus souvent le sacrement de son amour ; aussi avait-il
permis qu'elle apparût à son amie pour l'exhorter à
faire ce qu'elle n'avait point fait elle-même, à mener une
vie plus pure et plus sainte ; à offrir ses communions pour elle,
et qu'ainsi Dieu lui ferait miséricorde. En effet, après
plusieurs communions, elle lui apparut encore, mais toute rayonnante de
gloire, et la remercia des com-munions qu'elle avait offertes pour sa délivrance.
Un jour viendra, M.F., que nous regretterons de n'avoir pas mené
une vie assez pure et assez chrétienne, pour nous procurer le bonheur
de venir plus souvent nous asseoir à la table des anges, ce qui
abrégerait bien les peines du purgatoire.
Mais revenons à nos pauvres
prisonnières, qui, du mi-lieu des flammes, nous tendent leurs mains
suppliantes, et nous conjurent de ne pas les laisser souffrir plus longtemps.
Qui sont ces pauvres âmes, sur lesquelles la jus-tice de Dieu s'appesantit
? Hélas ! ce sont peut-être nos parents, qu'une mort cruelle
a séparés de nous il n'y a que quelques jours. Ce sont des
amis chéris, qui vien-nent de descendre dans le tombeau où
nous les suivrons bientôt. Ces pauvres âmes sont détenues
dans des tor-rents de flammes qui les inondent et les dévorent ;
la main du Seigneur les poursuit, les frappe et les châtie rigoureusement.
« O vous, nos amis, nous crient-elles, soyez sensibles aux maux que
nous souffrons ! « Voyez--vous, entendez-vous ces pauvres âmes
? Chacune s'a-dresse à ceux qu'elle a aimés et protégés
pendant sa vie, pour les porter à avoir pitié d'elle. Entendez-vous
cette épouse qui lève les yeux et tend ses mains suppliantes
vers son époux : « Ah ! si vous pouviez, dit-elle, com-prendre
mes souffrances, pourriez-vous oublier une épouse qui vous aimait
si tendrement ! Avez-vous oublié mes derniers adieux, quand, vous
serrant entre mes bras, je vous donnais les dernières preuves de
ma ten-dresse ? Vous m'aviez promis de ne jamais m'oublier ; seriez-vous
insensible aux tourments que j'endure ? Ah ! de grâce, arrachez-moi
de ce feu qui me dévore, vous le pouvez... ah ! que je souffre !
» Écoutez les cris déchi-rants de cette pauvre mère
à son fils : « Mon enfant, pourquoi me laissez-vous endurer
des tourments si af-freux ? avez-vous déjà oublié
tout ce que j'ai fait pour vous ? moi qui ai eu tant de peine à
mourir, craignant que, séparé de moi, vous fussiez malheureux
! Vous m'abandonnez dans un lieu où je souffre cruellement. De grâce,
délivrez-moi, délivrez celle qui a tant versé de larmes
pour vous, qui a si souvent demandé à Dieu de la faire souffrir
à votre place ! Mon fils, ayez pitié de votre pauvre mère
qui vous a tant aimé, et qui est digne d'être payée
de retour !... » Écoutez cette pauvre enfant, dont la séparation
vous fit tant verser de larmes : « Ah ! ma mère, vous crie-t-elle
, avez-vous oublié nos derniers adieux, avez-vous oublié
ce moment où nous mêlions nos larmes ensemble, quand la mort
nous forçait de nous séparer ? me laisserez-vous dans ces
flammes qui me dévorent, tandis qu'il vous serait facile de me déli-vrer
! Oh ! de grâce, ne m'abandonnez pas ! Lorsque votre tour viendra
et que vous serez jugée, je ne vous oublierai pas, j'irai moi-même
me jeter aux pieds de votre juge, dont je serai alors l'amie et l'enfant
bien--aimée. Si je ne suis pas moi-même assez puissante, j'appellerai
toute la cour céleste à mon secours, afin de demander votre
grâce. »
Mais à qui vont s'adresser
ces pauvres âmes qui n'ont ni parents, ni amis pour penser à
elles ? Il me semble que je les entends crier : « Pasteur charitable,
dites à tous les chrétiens, combien nos souffrances sort
longues et cruelles, non, il n'y a que Dieu pour connaître la rigueur
des supplices que nous endurons ; ah ! dites-leur bien que nous ne serons
pas des ingrates. » Hélas ! ces pauvres âmes sont dans
les flammes comme des pri-sonnières, qui, depuis un grand nombre
d'années, gé-missent au fond de cachots ténébreux,
soupirant après le moment de leur délivrance. Mais c'est
en vain, on les abandonne, elles subissent de point en point l'arrêt
de leur condamnation ; elles voient venir des âmes beau-coup plus
coupables qu'elles, et qui sont plutôt déli-vrées,
parce qu'elles ont des amis pour satisfaire à la justice de Dieu.
« Mon Dieu, s'écrient-elles à chaque instant, n'aurons-nous
donc personne pour nous déli-vrer ? »
Combien dureront les peines de ces
pauvres âmes ?- Hélas ! M.F., quand de tels supplices ne dureraient
qu'un jour, qu'une heure, qu'une demi-heure, cela leur paraîtrait
infiniment plus long, que des millions de siè-cles dans les supplices
les plus rigoureux que l'on puisse souffrir en ce monde. – Et pourquoi
cela : – Mon ami, le voici. Quand Dieu punit quelqu'un en ce monde, ce
n'est que sous le règne de sa miséricorde et de sa bonté
car, si Dieu nous envoie une infirmité, une perte de biens ou d'autres
misères, tout cela ne nous est donné que pour nous faire
éviter les peines du purgatoire, ou pour nous faire sortir du péché.
En effet, si le Seigneur a traité le saint homme Job si durement
sur cette terre, n'est-ce pas parce qu'il l'aimait d'une manière
particu-lière ? Ce saint homme ne dit-il pas lui-même que
« le bout du doigt du Seigneur l'a touché ? »
L'ange ne dit-il pas aussi à Tobie, que si Dieu l'avait affligé,
ce n'était que parce qu'il lui était agréable
? Ainsi donc, si dans ce monde Dieu nous fait souffrir, ce n'est que par
amour et par charité. Dans l'autre, au contraire, Dieu n'est conduit
que par sa justice et sa vengeance ; nous avons péché, nous
avons passé le temps de sa mi-séricorde ; il nous avait mille
fois menacés, il faut que sa justice soit accomplie et sa vengeance
satisfaite. Oh ! qu'il est terrible de tomber entre les mains d'un Dieu
vengeur !
Mais ce qui devrait nous porter
à ne rien négliger pour délivrer ces pauvres âmes,
c'est que nous sommes la cause du malheur de la plupart d'entre elles.
En voici la raison. Cette épouse sera dans les flammes, parce qu'elle
a eu pour son époux trop de faiblesse, peut-être même
des complaisances contraires à la loi du Seigneur. Ce pauvre père,
cette pauvre mère souffrent dans le purga-toire, parce qu'ils n'ont
pas assez corrigé leurs enfants, et leur ont permis ce qu'ils n'auraient
jamais dû leur permettre. Cet ami ou ce voisin souffre aussi parce
qu'étant en votre compagnie, il n'a pas osé vous reprendre,
lorsque vous avez médit du prochain ou que vous avez dit des paroles
peu décentes. Enfin, une mul-titude d'autres brûlent dans
ces brasiers, parce que vous leur avez donné mauvais exemple, ce
qui les a portés à pécher. Ah ! pauvres âmes,
c'est nous qui sommes cause de vos tourments, et nous vous laissons, nous
vous abandonnons !... Ingrats, un jour viendra que nous pleu-rerons notre
insensibilité pour ces pauvres âmes souf-frantes ! Quoi !
nous les laissons brûler, pouvant si faci-lement les conduire au
ciel ! Ah ! M.F., laissons-nous toucher, puisque Dieu a mis leur délivrance
entre nos mains .
SERMON POUR LA FÊTE DU SAINT PATRON
Quæsivi de eis virum, qui interponeret
sepem et staret oppositum contra me pro terra, ne dissiparem eam.
J'ai cherché parmi eux un
homme qui se présentât comme un rempart entre moi et eux,
qui s'opposât à moi pour la défense de cette terre,
afin que je ne la détruise point.
(Ézéch., XXII, 30.)
Dieu, M.F., peut-il nous montrer son amour et sa tendresse pour les hommes d'une manière plus claire que dans ces paroles : « Lorsque ma justice me forcera à vous punir, cherchez parmi vous un de mes amis, afin qu'il s'oppose à ma vengeance, et m'empêche de vous punir. » Qui pourra donc raconter les prodiges de l'amour d'un Dieu pour ses créatures ? Il ne s'est pas contenté d'envoyer son Fils unique, l'objet de ses plus tendres complaisances ; il a consenti à ce qu'il perdît la vie pour nous sauver et nous délivrer de sa vengeance éternelle. Non content de nous avoir fait naître dans le sein de son Église, qui nous nourrit du Corps adorable de Jésus-Christ et nous abreuve de son Sang précieux ; non con-tent de nous avoir confié à un ange de la cour céleste, qui, depuis le premier instant de notre vie, nous pro-digue ses soins ; il a voulu encore nous donner à chacun un saint Patron pour veiller continuellement sur nous pour être notre modèle, notre défenseur. Non content de donner à chacun de nous un protecteur, son amour veut encore que chaque paroisse soit dédiée à un saint du ciel, qui lui sert de patron, et auquel les fidèles peuvent recourir comme des enfants à leur père. Notre saint Pa-tron est un bon roi, ne désirant que le bonheur de ses sujets, et n'oubliant rien pour leur procurer tout ce qui peut les rendre heureux. Il éloigne de nous les fléaux de la justice de Dieu, que nous avons mérités par nos pé-chés, et nous procure les moyens nécessaires pour opé-rer notre salut. Quel est mon dessein, M.F. ? le voici. C'est d'abord de vous montrer tous les bienfaits que nous recevons par la protection de notre saint Patron, et d'examiner ensuite comment nous y correspondons.
I. – Pour vous faire comprendre le
besoin que nous avons de la protection de notre saint Patron pendant notre
vie, à l'heure de notre mort, et après notre mort, il faudrait
pouvoir vous faire comprendre aussi les dangers auxquels nous sommes exposés
pendant notre vie. Dési-rez-vous connaître nos ennemis les
plus redoutables ? C'est le monde, par ses mauvais exemples ; le démon,
par ses tentations ; notre chair, par sa pente au mal. Tout l'enfer a juré
notre perte éternelle, et, tant que nous resterons sur la terre,
il faut nous attendre à combattre ; nous sommes très assurés
que nos combats ne finiront qu'avec notre vie. Job, ce grand saint de l'Ancien
Testament, nous fait le plus beau portrait de la vie de l'homme, en disant
que « nous naissons en pleurant, nous vivons en gémissant
et nous quittons la vie en souffrant » ce qui lui fait dire que le
moment de notre mort est préférable à celui de notre
naissance. Nous vivons peu, nous souffrons beau-coup, et notre vie n'est
qu'une guerre continuelle . Nous n'aurons pas quitté une croix que
nous en trouve-rons une autre. Élie fuyant la colère de la
reine Jézabel, alla se cacher dans une caverne ; là, accablé
d'ennuis et de misères, il s'adressa à Dieu en lui disant
: « Mon Dieu, pourquoi me laissez-vous souffrir si longtemps ? Vous
avez bien retiré mes pères de ce monde, retirez--moi aussi,
puisque séparé de vous l'on ne fait que souf-frir. »
Le Seigneur lui répondit: « Il te reste encore bien des années
à souffrir . » Un jour que Jérémie consi-dérait
combien l'homme est misérable en ce monde, il s'écria en
pleurant : « Oh ! Seigneur, m'allez-vous laisser encore bien longtemps
sur la terre ; de grâce, faites que mes maux finissent bientôt
! » Le saint roi David disait en se couchant : « Ah ! Seigneur,
si du moins cette nuit était la dernière de ma vie ! Mon
Dieu, jusqu'à quand prolongerez-vous mon exil ; puisque les ennemis
de mon salut ne cherchent que ma perte ; de quel côté que
je me tourne, je ne vois que péchés. Ah ! qui me donnera
des ailes comme à la colombe pour sortir de cette terre étrangère,
pour voler vers vous . Si nous lisons l'Évangile, nous voyons Jésus-Christ
ne promettre que des croix, des persécutions et des souf-frances
Un jour une mère se présenta à lui, en disant: «
Seigneur, j'ai une grâce à vous demander : faites que mes
deux enfants soient l'un à votre droite et l'autre à votre
gauche dans votre royaume. » Le Sauveur la regarda d'un air de compassion,
et lui dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ; cette grâce
appartient à mon Père, pour moi, voilà tout ce que
je puis vous donner : c'est ma croix, mon calice d'amertume et toutes mes
souffrances. » Un jour que Jésus-Christ était suivi
d'une multitude de peuple, voulant bien lui montrer en quoi consistait
le bonheur de l'homme, il s'assit et dit : « Bienheureux ceux qui
pleurent, parce qu'un jour ils seront consolés ; bienheureux les
pauvres, bienheureux ceux qui sont méprisés et persécutés,
parce que le royaume des cieux leur appartient. En vérité,
en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez,
pendant que les gens du monde se réjouiront ; mais leur joie se
changera en tristesse, et votre tristesse se changera en une joie éternelle
» Dites-moi, M.F., qui de nous pourra échapper à tant
de dangers, à tant d'artifices du monde et du démon ? «
Hélas ! s'écrie saint Antoine, quel est celui qui ne tombera
pas dans les pièges que Satan et le monde tendent continuellement
? »
Mais quel bonheur pour nous, d'avoir
pour Patron un si grand saint , dont toute l'occupation est de veiller
sur nous, d'éloigner de nous les dangers dans lesquels nous pourrions
tomber ; un Patron, dis-je, qui est chargé non seulement de cette
paroisse, mais encore de tout le monde chrétien ! Il est si puissant
maintenant dans le ciel ! Dieu, qui l'aime infiniment, lui accordera tout
ce qu'il demandera. Il a versé son sang pour son Dieu ; il n'est
monté sur le premier trône du monde chrétien que dans
l'espérance d'y donner sa vie pour son Dieu ; s'il est riche, c'est
parce qu'il a été pauvre des biens de ce monde ; s'il est
si élevé en dignité, c'est parce qu'il s'est méprisé
lui-même ; aussi est-il maintenant élevé sur le premier
trône de la cour céleste, attendant le bonheur de nous voir
tous auprès de lui dans le ciel. Il nous dit, à tous, pour
nous encourager : « Faites ce que j'ai fait, vivez comme j'ai vécu,
méprisez le monde comme je l'ai méprisé moi-même.
» Ne vous semble-t-il pas que toute l'année, notre saint Patron
n'a cessé de ramasser des trésors de grâces célestes,
pour avoir le plaisir de nous enrichir, au jour consacré à
honorer le triomphe de son martyre et de toutes ses pénitences ?
Ne sentez-vous pas en vous-mêmes une voix intérieure qui vous
dit que tout vous sera accordé ? Ah ! bonheur ! ah ! grâce
pré-cieuse et jour de bénédiction ! Que de biens,
de faveurs et de forces nous sont accordés en ce jour !
Notre Patron veille non seulement
à notre salut, en nous procurant tous les moyens nécessaires
pour nous sauver ; mais encore, il veille sur nos biens et notre santé.
Le démon, notre ennemi, est tellement furieux de nous voir gagner
le ciel qu'il a perdu, qu'il fait tout son possible pour nous rendre malheureux,
même dès ce monde. Souvent Dieu, en punition de nos péchés,
lui donne le pouvoir de provoquer la grêle, les tempêtes, les
pluies torrentielles, les sécheresses ; tout cela, afin de nous
faire périr de misère. Plusieurs maladies que nous éprouvons
ne viennent, pour la plupart, que du démon, et si nous n'avions
pas notre saint Patron qui s'oppose à la justice de Dieu, nous serions
réduits à la dernière misère, par des fléaux
qui détruiraient nos ré-coltes, et des maladies qui nous
affligeraient continuelle-ment. Voyez ce que le démon fit au saint
homme Job, par ce petit pouvoir qu'il avait reçu de Dieu. Satan
fit tomber sur ses troupeaux le feu du ciel qui les brûla tous ;
il souleva des voleurs qui lui enlevèrent toutes ses au-tres bêtes
; il excita une tempête si furieuse, qu'elle ren-versa sa maison
et écrasa tous ses enfants ; il le frappa lui-même d'un ulcère,
qui le tenait depuis la tête jus-qu'aux pieds ; son corps pourrissait,
sa chair tombait par morceaux, il répandait une telle puanteur,
que per-sonne n'osait l'approcher ; les vers le mangeaient tout vivant
; il fut contraint d'aller se mettre sur un fumier, là il ôtait
avec des têtes de pots cassés les vers qui le mangeaient:
tout cela ne lui arriva que par la permis-sion de Dieu, et cependant c'était
un grand saint, puisque Dieu lui-même dit au démon, que Job
était alors sans égal sur la terre . Hélas ! que de
fois, sans notre saint Patron, Dieu nous aurait punis, soit dans nos biens
en faisant périr nos récoltes, soit en nous accablant de-
maladies ou d'infirmités ?
Et que fait donc notre saint Patron
lorsqu'il voit que Dieu va nous punir ? Il court se jeter à ses
pieds, lui rappelle les tourments qu'il a endurés, et le sang qu'il
a répandu pour son amour. Il lui demande grâce pour nous,
afin que nous nous convertissions et que nous changions de vie. Après
cela, il nous inspire de bonnes pensées, avec le désir de
sortir du péché et de nous convertir. Mais dans quelle inquiétude
n'est-il pas lors-qu'il voit que, malgré tout, nous continuons à
pécher ? Saint Bernard a bien raison de dire, que le saint Patron
est le médiateur entre Jésus-Christ et les fidèles
: « Nous sommes trop criminels, dit ce grand saint, pour pouvoir
nous adresser directement à Dieu ; nous avons besoin d'avoir recours
à un autre médiateur que Jésus-Christ pour demander
notre grâce. » « J'ai cherché parmi eux, dit le
Seigneur par le prophète Ézéchiel, un homme qui mette
une haie et qui s'oppose à moi, de crainte que je ne perde cette
terre » Cette terre c'est la paroisse, qui, souvent, a mérité
d'être détruite à cause des péchés qui
s'y commettent. Mais Dieu s'est choisi dans notre saint Patron, un homme
selon son cœur, pour s'opposer à sa colère, comme fit autrefois
Moïse. Dieu, irrité contre son peuple à cause de ses
péchés, voulait le détruire ; mais Moïse pria
le Seigneur d'avoir compas-sion de son peuple, préférant
être puni à sa place. « Moïse, dit le Seigneur,
ne prie pas, parce que je ne veux pas le pardonner. » – «Seigneur,
lui dit Moise, de grâce, pardonnez ce peuple ! » – «
Eh bien ! je le pardonne, lui dit le Seigneur . » Oh ! combien de
fois notre saint Patron ne nous a-t-il pas obtenu la même grâce
!
Saint Cyprien dit que les saints
patrons des églises ont grand soin du salut de notre âme.
Hélas ! que de personnes, dans une paroisse, sont adonnées
les unes à la colère, les autres à la gourmandise,
d'autres à l'impu-reté ou à l'ivrognerie ; Dieu a
résolu de les perdre en les abîmant dans les enfers. Que fait
notre saint Patron, en voyant tant de maux prêts à nous accabler
? II fait comme ce jardinier dont il est parlé dans l'Évangile
. Son maître ne trouvant point de fruit sur un certain arbre pendant
plusieurs années, dit au jardinier : « Cou-pez cet arbre et
mettez-le au feu, puisqu'il ne porte pas de fruit et qu'il occupe la place
d'un autre. » Le jardi-nier se jette aux pieds de son maître
: « Seigneur, laissez-le encore un an ! Je le fumerai ! je travaillerai
la terre, j'y mettrai mes soins, peut-être portera-t-il du fruit
; si une autre année il ne porte rien, je le couperai et le jetterai
au feu. » Hélas ! depuis combien d'années Dieu attend-il
que vous portiez du bon fruit, et il n'en voit en vous que du mauvais ?
Combien de fois avait-il résolu de vous jeter dans le feu, si votre
saint Patron n'avait pas, comme le jardinier, demandé grâce
pour vous, toujours dans l'espérance que vous vous conver-tiriez
?
Notre saint Patron, M.F., ne se
contente pas de nous secourir pendant notre vie, il redouble encore ses
soins à l'heure de la mort, afin de nous défendre contre
le démon, qui fait ses derniers efforts pour nous perdre. Nous lisons
dans l'histoire du Canada, qu'une bonne religieuse vit le saint Patron
de sa paroisse venir, avec plusieurs saints et même la sainte Vierge,
au secours d'un mourant ; ils prièrent tant le bon Dieu pour lui,
qu'il lui obtinrent sa grâce. Disons mieux : notre saint Patron regarde
tous les habitants de la paroisse comme un père regarde ses enfants,
les aimant tous d'un amour sans égal ; il n'a point de repos qu'il
ne nous ait tous conduits dans le ciel avec lui. Si nous allons en purga-toire,
il priera pour nous, il viendra nous visiter pour nous consoler, et nous
faire espérer qu'un jour nous jouirons du bonheur des saints. Il
inspirera à nos pa-rents, à nos amis la, pensée de
prier pour nous, de faire dire des messes. Vous conviendrez avec moi, M.F.,
que nous sommes bien heureux d'avoir un tel protecteur, pour solliciter
la miséricorde de Dieu en notre faveur ; car, sans lui, depuis bien
longtemps Dieu nous aurait accablés de maux en punition de nos péchés.
II. – Vous venez de voir l'empressement
et le désir qu'a notre saint Patron de nous rendre heureux, soit
en écartant de nous les tempêtes, soit en faisant tout ce
qui dépend de lui pour nous faire recouvrer l'amitié de Dieu,
lorsque nous avons eu le malheur de la perdre, ou pour la conserver en
nous, lorsque nous avons le bon-heur de l'avoir. Mais quelles sont, M.F.,
nos obligations envers notre bienfaiteur ? Les voici. Nous devons passer
saintement le jour de sa fête, et la célébrer comme
celle de Pâques ou de Noël ; nous occupant à prier le
bon Dieu et à faire de bonnes œuvres ; nous mériterons ainsi
les grâces qui nous sont promises dans ce grand jour de triomphe.
Ne manquons pas ce jour-là de nous con-fesser et de communier. Il
faut nous entretenir sur les vertus que le saint a pratiquées, et
tâcher de les imiter. Comme notre Patron est un saint martyr, nous
devons imiter sa patience dans les souffrances. Il a souffert la mort avec
tant de courage et de joie, qu'il semblait porter envie à saint
Laurent, car Dieu lui avait fait con-naître que le martyre de ce
saint serait plus rigoureux. Lorsqu'il nous arrive quelques peines, rappelons-nous
les souffrances du saint Patron que nous avons pris pour modèle,
et prions-le de nous obtenir la grâce de faire un bon usage de nos
épreuves ; remercions-le encore des grâces qu'il nous obtient
pendant l'année, grâces que nous ne connaîtrons bien
qu'après notre mort ; prions de ne pas regarder notre ingratitude,
mais de nous recevoir sous sa sainte protection. Que surtout les pères
et mères lui demandent avec instance de recevoir sous sa protection
leurs enfants, leurs domestiques et tous leurs biens ; afin que Dieu les
bénisse, et que le démon n'ait point d'empire sur eux. Prions-le
enfin de nous assister à l'heure de la mort, car il est certain
qu'à ce moment où il faudra rendre compte de toute notre
vie, nous serons saisis de crainte. Demandons-lui alors ce grand amour
qui nous donnera la force de mourir pour Dieu, comme i1 l'a fait lui-même.
Aux premiers temps de l'Église,
les fidèles d'une même contrée venaient en foule le
jour de la fête d'un saint, pour avoir le bonheur de participer aux
grâces que Dieu accordait en ce jour. L'on commençait l'office
la veille ; le soir et la nuit, on priait sur le tombeau du saint, on entendait
la parole de Dieu, on chantait des hymnes et des cantiques en son honneur.
Après avoir passé la nuit si pieusement, on entendait la
messe, où tous les assistants avaient le bonheur de communier ;
ensuite chacun se retirait en louant Dieu des victoires qu'il avait fait
remporter au saint, et le remerciaient des grâces qu'il avait accordées
par son intercession. D'après cela, M.F., qui pourrait douter que
Dieu ne répandit ses grâces avec abondance sur cette réunion
de fidèles, et que les saints eux-mêmes ne fussent heureux
de les pro-téger ? Voilà la manière dont autrefois
se célébraient les fêtes des saints patrons.
Que pensez-vous de cela ? Est-ce
bien ainsi que nous les célébrons maintenant ? Hélas
! si les premiers chré-tiens reparaissaient sur la terre, pourraient-ils
nous reconnaître pour leurs imitateurs ? Ne nous diraient--ils pas
que nos fêtes ne diffèrent en rien de celles des païens
? N'est-ce pas ordinairement en ces saints jours, que Dieu est le plus
offensé ? Ne semblons-nous pas réunir nos biens et nos forces
pour multiplier le péché presque à l'infini ? De quoi
nous occupons-nous la veille et même plusieurs jours d'avance ? N'est-ce
pas à faire des dépenses folles et superflues ? Et pendant
ce temps--là, des pauvres meurent de faim, et nos péchés
appellent sur nous la colère de Dieu, à ce point que l'éternité
ne suffira pas à y satisfaire. Vous devriez passer la nuit à
gémir, en considérant combien peu vous avez imité
votre saint Patron ; et cependant vous consacrez ce temps-là à
préparer tout ce qui pourra flatter votre gourmandise. Ne dirait-on
pas que ce jour est un jour de débauche ? Les parents et les amis
viennent-ils, comme autrefois, pour avoir le bonheur de participer aux
grâces que Dieu nous accorde par l'intercession du saint Patron ?
Ils viennent, mais pour passer ce jour presque tout entier à table.
Autrefois, les saints offices étaient bien plus longs qu'aujourd'hui,
et pourtant ils semblaient toujours trop courts ; maintenant l'on voit
même des pères de famille qui, pendant les offices, sont à
table à se remplir le corps de viandes et de vin. Les premiers chrétiens
s'invitaient mutuellement, afin de multiplier leurs bonnes œuvres et leurs
prières ; aujourd'hui, ne semble-t-il pas qu'on s'in-vite pour multiplier
les péchés par les orgies, les excès qui se font dans
le boire et le manger ? Pense-t-on bien que Dieu demandera compte même
d'un centime dépensé mal à propos ! Ne semble-t-il
pas que nous ne faisons la fête que pour outrager notre saint Patron,
et multi-plier notre ingratitude ?
Regardons de plus près, M.F.,
et nous reconnaîtrons que nous sommes loin d'imiter celui que Dieu
nous a donné pour modèle. Il a passé sa vie dans la
pénitence et les larmes, il est mort dans les tourments ; or, je
suis sûr qu'il y a des paroisses où il se commet plus de pé-chés
ces jours-là que dans toute l'année. Le Seigneur disait aux
Juifs, que leurs fêtes lui étaient en abomina-tion , et qu'il
prendrait l'ordure de leurs fêtes pour la leur jeter au visage. Il
veut nous faire ainsi comprendre combien il est offensé en ces jours
qui devraient se passer dans les larmes et la prière. Nous lisons
dans l'Évangile, que Jésus-Christ est venu sur la terre pour
allumer dans les âmes le feu de l'amour divin ; mais nous pouvons
croire que le démon roule aussi sur la terre, pour allumer le feu
impur dans le cœur des chrétiens ; et ce qu'il pro-voque avec le
plus de fureur, ce sont les bals et les danses. J'ai longtemps balancé,
si je vous parlerais d'une matière si difficile à faire comprendre,
et si peu méditée par les chrétiens de nos jours,
aveuglés par leurs passions. Si la foi n'était pas éteinte
dans vos cœurs, d'un seul coup d’œil, vous comprendriez la grandeur de
l'abîme où vous vous précipitez, en vous abandonnant
avec tant de fureur à ces malheureux plaisirs. – Mais vous me direz
: Vou-loir nous parler de la danse et du mal que l'on y fait, c'est perdre
son temps ; nous n'en ferons ni plus, ni moins. – Je le crois, vraiment,
puisque Tertullien assure que plusieurs refusaient de se faire chrétiens,
plutôt que de se priver de tels plaisirs.
J'entends encore quelqu'un me dire
: Quel mal peut-il y avoir à se récréer un moment
? Je ne fais tort à per-sonne, je ne veux pas être religieuse
ou religieux. Si je ne fréquente pas les danses, je resterai dans
le monde comme une personne morte ? – Mon ami, vous vous trompez : ou vous
serez religieux, ou vous serez damné. Qu'est-ce qu'une personne
religieuse ? Ce n'est pas autre chose qu'une personne qui remplit ses devoirs
de chré-tien. Vous dites que je ne gagnerai rien en vous par-lant
de la danse, et que vous n'en ferez ni plus ni moins. Vous vous trompez
encore. En méprisant les instructions de votre pasteur, vous vous
attirerez un nouveau châtiment de Dieu, et moi, en remplissant mon
devoir j'y gagnerai beaucoup. Dieu ne me deman-dera pas à l'heure
de la mort, si vous avez rempli vos devoirs ; mais si je vous ai enseigné
ce que vous deviez faire pour les bien remplir. Vous dites encore que je
ne viendrai jamais à bout de vous faire croire qu'il y a du mal
à se récréer un moment en dansant ? Vous ne voulez
pas croire qu'il y ait du mal ? c'est votre affaire ; pour moi, il me suffit
de vous le dire de manière à vous le faire comprendre, si
toutefois vous le voulez. En agissant ainsi, je fais tout ce que je dois
faire. Il ne faut pas que cela vous irrite : votre pasteur fait son devoir.
– Mais, me direz-vous, les commandements de Dieu ne défendent pas
la danse, l'Écriture sainte non plus ? – Peut-être ne l'avez-vous
pas bien examiné. Suivez-moi un instant, et vous allez voir qu'il
n'est pas un commandement de Dieu que la danse ne fasse transgresser, ni
un sacrement qu’elle ne fasse profaner.
Vous savez aussi bien que moi que
ces sortes de folies et d'extravagances ne se font ordinairement que les
dimanches et les fêtes. Que fera donc en pareil jour une fille ou
un garçon qui ont résolu d'aller danser ? Quel amour auront-ils
pour Dieu ? leur esprit ne sera-t-il pas tout occupé de leurs parures,
afin de plaire aux person-nes avec lesquelles ils espèrent se trouver
? Supposez qu'ils fassent leur prière, comment la feront-ils ? Hélas
! Dieu seul le sait !... D'ailleurs quel amour de Dieu peut avoir une personne
qui ne respire que l'amour des plai-sirs et des créatures ? Vous
conviendrez avec moi qu'il est impossible de plaire à Dieu et au
monde ; non, jamais cela ne sera. Dieu nous défend le jurement.
Hélas ! que de querelles, de jurements et de blasphèmes,
causés par la jalousie que font naître les jeunes personnes,
quand elles sont dans de telles assemblées ? N'y avez-vous pas sou-vent
des disputes ou des batailles ? Qui pourrait compter tous les crimes qui
se commettent dans ces réunions in-fernales ? Le troisième
commandement nous commande de sanctifier le saint jour du Dimanche. Peut-on
croire qu'un garçon qui aura passé plusieurs heures avec
une fille dont le cœur est semblable à une fournaise, satisfera
ainsi au précepte ? Saint Augustin a bien raison de dire que les
hommes feraient bien mieux de labourer leur terre, et les filles de filer
leur quenouille, que d'aller dan-ser ; le mal serait moindre. Le quatrième
commandement de Dieu ordonne aux enfants de respecter leurs parents. Ces
jeunes gens qui fréquentent les danses, ont-ils le respect et la
soumission qu'ils doivent à leurs parents ? Non sans doute: ils
les font mourir de chagrin, soit en les méprisant, soit en dépensant
leur argent mal à propos, soit même en leur reprochant leur
conduite passée. Quel chagrin ne doivent pas concevoir ces parents,
si leur foi n'est pas encore éteinte, en voyant leurs enfants livrés
à de tels plaisirs, ou, pour parler plus clairement, à ces
liber-tinages ? Ces enfants ne sont plus pour le ciel, mais des victimes
engraissées pour l'enfer. Supposez que les pa-rents n'aient pas
encore perdu la foi, … hélas ! je n'ose aller plus loin ! que de
parents aveugles !... que d'enfants réprouvés !...
Y a-t-il un lieu, un temps, une
occasion, où il se commette tant de péchés d'impureté
que dans les danses et à la suite des danses ? N'est-ce pas dans
ces assemblées que l'on est le plus violemment porté au péché
contraire à la sainte vertu de chasteté ? N'est-ce pas là
que tous les sens sont portés à la volupté ? Pourrait-on
examiner cela un peu de près, et ne pas mourir d'horreur à
la vue de tant de crimes qui se commettent ? N'est-ce pas dans ces assemblées,
que le démon allume avec fureur le feu impur dans le cœur des jeunes
gens, pour anéantir en eux la grâce du baptême ? N'est-ce
pas là que l'enfer se fait des esclaves autant qu'il en veut ? Si,
malgré l'éloi-gnement des occasions, et les secours de la
prière, un chrétien a encore tant de peine pour garder la
pureté du cœur ; comment pourrait-il conserver cette vertu, au milieu
de tant d'objets capables de la faire succomber. « Voyez, nous dit
saint Jean Chrysostome, voyez cette fille mondaine et volage, ou plutôt
ce tison infernal, qui, par sa beauté et ses vaines parures, allume
dans le cœur de ce jeune homme le feu impur de la concupiscence. Ne les
voyez-vous pas, aussi bien l'un que l'autre, chercher à se charmer
par leurs airs, leurs gestes et leurs autres manières ? Comptez,
malheureux, si vous le pouvez, le nombre de vos mauvaises pensées,
de vos mauvais désirs et de vos mauvaises actions. N'est-ce pas
là où vous entendez ces airs qui flattent les oreilles, enflamment
et brûlent les cœurs, et font de ces assemblées des four-naises
d'impudicité ? » N'est-ce pas là, M.F., que les garçons
et les filles s'abreuvent à la source du crime, qui va bientôt,
comme un torrent ou une rivière débordée, inonder,
perdre et empoisonner tous les environs ?... Allez, pères et mères
réprouvés, allez dans les enfers où la fureur de Dieu
vous attend, vous et les belles actions que vous avez faites, en laissant
courir vos enfants. Allez, ils ne tarderont pas à vous y rejoindre,
puisque vous leur avez si bien tracé le chemin ! Allez compter le
nombre d'années que vos garçons et vos filles ont per-dues,
allez devant votre juge rendre compte de votre vie, et vous verrez si votre
pasteur avait raison de défendre ces sortes de joies infernales
!...
Ah ! me direz-vous, vous en dites
plus qu'il y en a ! – J'en dis trop ! Eh bien ! écoutez les saints
Pères en disent-ils trop ? Saint Ephrem nous dit que la danse est
la perdition des filles et des femmes, l'aveuglement des hommes, la tristesse
des anges et la joie des démons. Mais, mon Dieu, peut-on bien avoir
les yeux fascinés jusqu'à ce point, que de vouloir croire
qu'il n'y a point de mal ; tandis que c'est la corde, par laquelle le démon
traîne le plus d'âmes en enfer ?... Allez, pauvres parents,
aveugles et réprouvés, allez mépriser ce que vous
dira votre pasteur ! Allez ! continuez votre route ! écoutez tout,
et ne profitez de rien ! Il n'y a point de mal ? Mais dites-moi, à
quoi avez-vous donc renoncé le jour de votre baptême ? ou
plutôt, à quelles conditions vous l'a-t-on donné ?
N'est-ce pas en vous faisant prêter ser-ment à la face du
ciel et de la terre, en présence de Jésus-Christ sur l'autel,
que vous renonciez pour toute votre vie, à Satan, à ses pompes
et à ses oeuvres, c'est--à-dire, au péché,
aux plaisirs et à toutes les vanités du monde ? N'est-ce
pas en vous faisant promettre que vous vouliez marcher à la suite
d'un Dieu crucifié ! Dites--moi, n'est-ce pas véritablement
violer les promesses de votre baptême, et profaner ce sacrement de
miséricorde ? Ne profanez-vous pas aussi celui de la Confirmation,
en changeant la croix de Jésus-Christ que vous y avez reçue,
contre de vains ajustements ; en rougissant de cette croix qui devrait
être votre gloire et votre bonheur ? Saint Augustin assure, que ceux
qui vont aux danses, renon-cent véritablement à Jésus-Christ
pour se donner au démon. Quelle horreur ! chasser Jésus-Christ
après l'avoir reçu clans votre cœur ! « Aujourd'hui,
nous dit saint Ephrem, ils s'unissent à Jésus-Christ et demain
au démon. » Hélas ! que de Judas, après l'avoir
reçu, vont le vendre à Satan, dans ces assemblées
où se réunit tout ce qu’il y a de plus vicieux ! Quant au
sacrement de Péni-tence, quelle vie contradictoire ! Un chrétien
qui, après un seul péché, ne devrait plus que pleurer
toute sa vie, ne pense qu'à se livrer à toutes ces joies
mondaines ! Plu-sieurs ne profanent-ils pas le sacrement de l'Extrême-Onction,
en faisant des mouvements indécents des pieds, des mains et de tout
le corps, qui doit être sanctifié par les huiles saintes ?
N'outrage-t-on pas le sacrement de l'Ordre, par le mépris que l'on
fait des instructions de son pasteur ? Mais pour le sacrement du Mariage,
hélas ! que d'infidélités ne médite-t-on pas
dans ces assemblées ? il semble qu'alors tout soit permis. Qu'il
faut être aveugle pour croire qu'il n'y a point de mal !...
Le concile d'Aix-la-Chapelle défend
la danse, même aux noces ; et saint Charles Borromée, archevêque
de Milan, dit que l'on donnait trois ans de pénitence à une
personne qui avait dansé, et si elle y retournait, on la menaçait
d'excommunication. S'il n'y a point de mal, alors les saints Pères
et l'Église se sont trompés ? Mais qui vous dit qu'il n'y
a point de mal ! Ce ne peut être qu'un libertin, une fille volage
et mondaine, qui tâchent d'étouffer autant qu'ils peuvent
les remords de leur cons-cience. – Il y a, dites-vous, des prêtres
qui n'en par-lent pas en confession, ou qui, sans le permettre, ne refusent
pas l'absolution. – Ah ! je ne sais pas s'il y a des prêtres si aveugles,
mais je crois que ceux qui vont chercher des prêtres faciles, vont
chercher un passe-port qui les conduit en enfer. Pour moi, si j'allais
à la danse, je ne voudrais pas recevoir l'absolution, n'ayant pas
un véritable désir de n'y plus retourner. Ecoutez saint Au-gustin,
et vous verrez si la danse est une si bonne action. Il nous dit que «
la danse est la ruine des âmes, un ren-versement de toute honnêteté,
un spectacle honteux, une profession publique du crime. » Saint Ephrem
l'appelle « la perte des bonnes mœurs et l'aliment du vice. »
Saint Jean Chrysostome: « une école publique d'incon-tinence.
» Tertullien : « le temple de Vénus, le consis-toire
de l'impudicité et la citadelle de toutes les turpi-tudes. »
« Voilà une fille qui danse, dit saint Ambroise, mais c'est
la fille d'une adultère ; parce qu'une femme chrétienne apprendrait
à sa fille la modestie, la pudeur, et non la danse ! » Hélas
! que de jeunes gens, depuis qu'ils vont aux danses, ne fréquentent
plus les sacre-ments, ou ne font que les profaner ! Que de pauvres per-sonnes
y ont perdu la pitié et la foi ! Que de gens n'ouvriront les yeux
sur leur malheur que pour tomber en enfer !
Dites-moi, M.F., est-ce la vie qu'a
menée le saint Patron que nous avons pris pour modèle et
pour protec-teur ? lui qui n'a vécu que dans les larmes et la pénitence
; qui fait consister tout son bonheur à gémir et à
donner sa vie pour plaire à Dieu ? Trouve-rons-nous quelque chose
qui puisse nous rassurer, lors-que Dieu le présentera au jugement,
pour voir si notre vie a été conforme à la sienne
? Non, M.F., notre saint Patron n'a point fréquenté les plaisirs
mondains, notre saint Patron ne s'est point adonné à la gourmandise,
ni au vin, mais à la pénitence. « Allez, nous dira-t-il,
lorsque nous lui demanderons sa protection, allez au tribunal de Dieu ;
allez, misérables, vous n'avez vécu que pour être vus
des hommes, dans vos fêtes toutes païennes ; voilà les
grâces que je vous ai obtenues de Dieu et que vous avez méprisées,
allez, mainte-nant, chercher du secours vers celui à qui vous avez
si bien obéi ! Vous m'avez méprisé, je vous méprise
à mon tour !... Allez, Dieu me commande de vous abandonner, vous
n'êtes plus mes enfants, mais ceux du démon. » Oh !
M.F., peut-on bien penser à cela, et ne pas changer de vie ? N'imiterons-nous
pas notre Patron, afin qu'il puisse nous reconnaître pour ses enfants
? Or, recon-naîtra-t-il ses enfants, lorsqu'il
confrontera ses péniten-ces avec notre mollesse, ses larmes avec
nos plaisirs et nos joies mondaines, sa crainte d'offenser Dieu avec cette
fureur à courir au mal ? N'oublions jamais que si saint Sixte est
notre protecteur, il est aussi notre modèle, et que notre vie sera
un jour confrontée avec la sienne.
Finissons,
M.F., en reconnaissant que nos fêtes, loin d'être chrétiennes,
ressemblent plutôt à celles des païens, qui les faisaient
consister à honorer leurs dieux par les plaisirs, l'ivrognerie et
la gourmandise. Laissons les plaisirs du monde et la gourmandise, ce sont
deux chaînes par lesquelles le démon en conduit un grand nombre
en enfer. Il est rapporté dans la vie, de sainte Madeleine de Pazzi
que Dieu lui fit voir un grand nombre de religieux qui brûlaient
dans un étang de feu, en lui disant qu'ils avaient mérité
ce malheur pour avoir abusé des récréations que la
règle leur accordait. « O âmes, s'écriait-elle
en pleurant amèrement, vous qui êtes encore sur la terre,
tremblez sur le temps que vous n'employez pas uniquement pour le bon Dieu
! » Le démon disait à saint Dominique qu'il gagnait.
beaucoup dans le lieu où ses religieux prenaient la récréation,
et cependant ces religieux étaient très austères .
Hélas ! si quelques moments perdus sont si sévèrement
punis, que pouvons-nous dire de ces danses et de ces débauches,
où il se commet tant de crimes, et où tant d'âmes sont
livrées au démon ? Que devons-nous donc faire en ce saint
jour ? Redoubler nos bonnes œuvres, nos prières et nos pénitences.
Laissez dire à ces pauvres aveugles qu'il n'y a point de mal. Écoutez
la voix de votre pasteur, il connaît mieux les dangers que
vous ; il a à cœur de vous conduire au ciel, et vous regretteriez
toute l'éternité de ne l'avoir pas écouté.
O notre saint Patron, aidez-nous à mépriser le monde et ses
plaisirs, à faire comme vous pénitence, afin que nous ayons
le bonheur d'aller vous voir un jour dans le paradis. Ainsi soit-il.
SERMON
POUR LA FÊTE DE LA DÉDICACE
Du respect que l'on doit avoir dans les églises
Et intravit Jesus in templum Dei,
et ejiciebat omnes vendentes et ementes in templo.
Jésus entra dans le temple,
il en chassa tous ceux qui vendaient et achetaient.
(S. Matth., XXI, !2.)
A quoi, M.F., pouvons-nous attribuer cet air de zèle et d'indignation, que Jésus-Christ laisse éclater aujour-d'hui sur son visage ? Nous le voyons ailleurs s'établir juge de la femme adultère, mais seulement pour avoir la douce consolation de ne là pas condamner ; nous le voyons pardonner avec bonté tous les scandales et les désordres les plus affreux d'une pécheresse ; il nous montre sa miséricorde envers tous les pécheurs repen-tants, dans la parabole de l'enfant prodigue . A peine aperçoit-il Jérusalem, cette ville ingrate, qu'il est touché de compassion, et ses yeux adorables laissent couler des larmes amères. « Ah ! ville criminelle qui as tué les pro-phètes que mon père avait envoyés pour t'annoncer la grandeur de ses bienfaits ! Tu vas mettre le comble à la barbarie, en faisant mourir ton Dieu et ton Sauveur ! Ah ! si tu voulais au moins, en ce jour qui t'est donné, recevoir la grâce que je te présente ! Mais non, c'est en vain que je te presse ! » Vous le voyez, M.F., ce n'est partout que bonté et amour. Qui peut donc aujour-d'hui, dites-moi, lui ravir cette clémence, et armer ses mains bienfaisantes des verges de la justice ? Ah ! c'est que l'on profane la maison de son Père, c'est qu'on en fait une caverne de voleurs, une maison de trafic ! Cette profanation est pour lui un glaive qui perce vive-ment son tendre cœur. L'amour pour son Père et le zèle de sa gloire ne peuvent plus se contenir ; à peine est-il entré dans la ville de Jérusalem, qu'il se rend aussitôt dans le temple pour reprocher aux Juifs l'hor-rible profanation qu'ils font du lieu destiné à la prière. II ne leur donne pas même le temps de fuir ; il prend lui-même les tables, les marchandises, et renverse tout par terre. Ah ! M.F., faut-il qu'elles soient affreuses les irrévérences commises dans les églises, dont le temple de Salomon n'était pourtant que la figure ! Avec quel respect, avec quel recueillement et quelle dévotion ne devrions-nous pas venir dans nos églises ? Afin de mieux vous le faire comprendre, je vais vous montrer quelles sont les pensées qui doivent nous occuper 1° en venant à l'église, 2° pendant que nous y sommes, et 3° lorsque nous en sortons.
I.- Qui pourra jamais comprendre
notre aveugle-ment, si nous considérons, d'un côté,
les grâces que le bon Dieu nous prépare dans son saint temple,
le besoin que nous en avons, le désir ardent qu'il nous montre de
nous les vouloir donner ; de l'autre, notre ingratitude et notre peu d'empressement
pour correspondre à ses bienfaits ? Lorsque notre devoir nous appelle
dans un lieu si saint, ne dirait-on pas que nous ressemblons à des
criminels conduits devant leurs juges pour être condamnés
au dernier des supplices, plutôt qu'à des chrétiens
que l'amour seul devrait conduire à Dieu ! Oh ! que nous sommes
aveugles, M.F., d'avoir si peu à cœur les biens du ciel, tandis
que nous sommes si portés pour les choses du monde !
En effet, quand il s'agit d'affaires
temporelles, ou même de plaisirs, l'on en sera tout préoccupé,
l'on y pensera d'avance, l'on y réfléchira ; mais, hélas
! quand il s'agit du service de notre Dieu et du salut de notre pauvre
âme, ce n'est qu'une espèce de routine et une indifférence
inconcevable. Veut-on parler à un grand du monde, lui demander quelque
grâce ? L'on s'en occupe longtemps d'avance ; l'on va consulter les
personnes que l'on croit plus instruites, pour savoir la manière
dont il faut se présenter ; l'on paraît devant lui avec cet
air de modestie et de respect, qu'inspire ordinairement la pré-sence
d'un tel personnage. Mais quand on vient dans la maison du bon Dieu, ah
! ce n'est plus cela. Personne ne pense à ce qu'il va faire, à
ce qu'il va demander à Dieu. Dites-moi, M.F., quel est celui qui,
en allant à l'église, se dit à lui-même : Où
vais-je ? est-ce dans la maison d'un homme, ou dans le palais d'un roi
! Oh ! non, c'est dans la maison de mon Dieu, dans la demeure de celui
qui m'aime plus que lui-même, puisqu'il est mort pour moi ; qui a
ses yeux miséricordieux ouverts sur mes actions, ses oreilles attentives
à mes prières, toujours prêt à m'exaucer et
à me pardonner. Pénétrés de ces belles pensées,
que ne disons-nous comme le saint roi David « O mon âme, réjouis-toi,
tu vas aller dans la maison du Seigneur », lui rendre tes hommages,
lui exposer tes besoin, écouter ses divines paroles, lui demander
ses grâces ; oh ! que j'ai de choses à lui dire, que de grâces
j'ai à lui demander, que de remerciements j'ai à lui faire
! je lui parlerai de toutes mes peines, et je suis sûr qu'il me consolera
; je lui ferai l'aveu de mes fautes, et il va me pardonner ; je vais lui
parler de ma famille, et il la bénira par toutes sortes de bienfaits.
Oui, mon Dieu, je vous adorerai dans votre saint temple, et j'en reviendrai
plein de toutes sortes de bénédictions.
Dites-moi, ! M.F., est-ce bien là
la pensée qui vous occupe, lorsque vos devoirs vous appellent dans
l'église ? sont-ce bien là les pensées que vous avez,
après avoir passé toute la pauvre matinée à
parler de vos ventes et de vos achats, ou du moins, de choses entièrement
inu-tiles ? Vous venez à la hâte entendre une sainte Messe,
qui, souvent, est à moitié dite. Hélas ! si j'osais
le dire, combien vont visiter le lieu de l'ivrognerie avant leur Créateur,
et, venant à l'église la tête remplie de vin, s'entretiennent
d'affaires temporelles jusqu'à la porte ! O mon Dieu ! sont-ce là,
des chrétiens, qui doivent vivre comme des anges sur la terre ?...
Et vous, ma sœur, vos sentiments sont-ils meilleurs, lorsque, après
avoir occupé votre esprit et une partie de votre temps à
penser com-ment vous allez vous habiller pour mieux plaire au monde, vous
venez ensuite dans un lieu où vous ne devriez venir que pour pleurer
vos péchés ? Hélas ! bien souvent, le prêtre
monte à l'autel que vous êtes encore à vous contempler
devant une glace de miroir, à vous y tourner et retourner. O mon
Dieu ! sont-ce bien là des chrétiens, qui vous ont pris pour
leur modèle, vous qui avez passé votre vie dans les mépris
et les larmes !... Écoutez, jeune fille, ce que vous apprend saint
Ambroise, évêque de Milan. Étant à la porte
de l'église et voyant. une jeune personne parée avec beaucoup
de soins, il lui adressa ces parles : « Où allez-vous, femme
? » Elle lui répondit qu'elle allait à l'église.
« Vous allez à l'église, lui dit le saint évêque,
l'on dirait bien plutôt que vous allez à la danse, à
la comédie ou au spectacle ; allez, femme pécheresse, allez
pleurer vos péchés en secret, et ne venez pas à l'église
insulter par vos vains ajustements, un Dieu humilié. » Mon
Dieu ! que ce siècle nous fournit des……… ! Combien de jeunes personnes,
en venant à l'église, ne sont occupées que d'elles-mêmes
et de leurs parures ! Elles entrent dans le temple du Seigneur en disant
au fond de leur cœur : « Regardez-moi. » En voyant ces tristes
dispositions, ne devrait-on pas verser des larmes ?
Et vous, pères et mères,
quelles sont vos dispositions, lorsque vous venez à l'élise,
à la Messe. Hélas ! il faut bien le dire avec douleur, ce
sont le plus souvent les pères et les mères, que nous voyons
entrer dans l'église alors, que le prêtre est déjà
à l'autel ou même en chaire ! – « Ah ! me direz-vous,
nous venons bien quand nous pouvons, nous avons autre chose à faire.
» – Sans doute, vous avez autre chose à faire ; mais je sais
bien aussi que si vous n'aviez pas laissé pour le dimanche mille
choses de votre ménage que vous deviez faire le samedi, et, si vous
vous étiez levés un peu plus matin, vous auriez eu fait tout
cela avant la sainte Messe, et vous seriez arrivés avant que le
prêtre ne fût monté à l'autel. Il en serait de
même pour vos enfants et vos domestiques, si vous ne leur commandiez
pas jusqu'au dernier coup de la Messe, ils y arriveraient au commen-cement.
Je ne sais pas si le bon Dieu voudra bien rece-voir tous ces prétextes,
je ne le crois guère.
Mais pourquoi, M.F., parler en particulier,
n'est-ce pas la plus grande partie qui agit de la sorte ? Oui, quand on
vous appelle dans l'église pour vous y distribuer les Grâces
du bon Dieu, n'aperçoit-on pas en vous ce peu d'empressement, cette
nonchalance, ce dégoût qui vous dévore, cette dissipation
presque générale ? Dites-moi, voit-on beaucoup de monde quand
on commence les saints offices ? Les vêpres ne sont-elles pas souvent
à moitié dites, quand vous êtes tous arrivés
? – « Nous avons de l'ouvrage », me dites-vous. – Eh ! mes
amis, si vous me disiez que vous n'avez ni foi, ni amour de Dieu, ni désir
de sauver votre pauvre âme, je vous croi-rais bien mieux. Hélas
! que peut-on penser de tout cela ?... Il y a de quoi gémir en voyant
de pareilles dis-positions dans la plupart des chrétiens ! Plusieurs
semblent ne venir à l'église que malgré eux, ou, si
j'osais dire, il semble qu'on les y traîne. De la maison jusqu'à
l'église, l'on ne parle que d'affaires temporelles ; quelques jeunes
filles ensemble ne parlent que de la vanité, de la beauté,
et le reste ; les jeunes gens, des jeux, des plaisirs, et autres choses
encore plus mau-vaises ; les pères ou mères de maisons causeront
de leurs biens, de leurs ventes ou de leurs achats ; les mères ne
seront occupées que de leur ménage et de leurs enfants :
personne n'oserait nier cela. Hélas ! pas une seule pensée
sur le bonheur qu'ils vont avoir, pas une seule réflexion sur les
besoins de leur pauvre âme, ni de celle de leurs enfants et de leurs
domestiques ! Ils entrent dans le saint temple sans respect, sans attention,
et plusieurs, le plus tard possible. Combien d'autres ne se donnent pas
la peine d'entrer, et restent dehors, afin de mieux trouver à se
dissiper ? La parole de Dieu ne trouble pas leur conscience : ils regardent
ceux qui vont et qui viennent... Mon Dieu ! sont-ce là des chrétiens
pour lesquels vous avez tant souffert, afin de les rendre heureux ? Voilà
donc toute leur reconnais-sance ?…
Avec de telles dispositions, que
de péchés se com-mettent pendant les saints offices ! Que
de personnes font plus de péchés le dimanche, que dans toute
la se-maine !... Écoutez ce que nous apprend saint Martin. Tandis
qu'il chantait la sainte Messe avec saint Brice son disciple, il s'aperçut
que celui-ci souriait. Après que tout fut fini, saint Martin lui
demanda ce qui l'avait fait sourire. Saint Brice lui répondit :
« Mon père, j'ai vu quelque chose d'extraordinaire pendant
que nous chan-tions la sainte Messe : j'ai vu derrière l'autel un
démon, il écrivait sur une grande feuille de parchemin les
péchés qui se commettaient dans l'église, et sa feuille
a été plu-tôt remplie que la sainte Messe achevée
; ce démon a pris ensuite ce papier avec les dents, il a tiré
si fort, qu'il l'a déchiré en plusieurs morceaux. Voilà,
mon père, ce qui m'a fait sourire. » Que de péchés
et même mor-tels, nous commettons pendant les saints offices par
notre peu de dévotion et de recueillement ! Hélas ! que sont
devenus ces temps heureux où les chrétiens pas-saient, non
seulement le jour, mais encore la plus grande partie des nuits dans l'église,
à pleurer leurs péchés, ou à y chanter les
louanges du Seigneur ? Voyez même dans l'Ancien Testament, voyez
sainte Anne la prophétesse, qui s'était retirée dans
une tribune, pour ne plus quitter la présence, de Dieu . Voyez le
saint vieillard Siméon ; voyez encore Zacharie et tant d'autres,
qui ont passé la plus grande partie de leur vie dans le temple du
Seigneur . Mais aussi, combien ne sont--elles pas grandes et précieuses,
les grâces que le bon Dieu leur accordait. Dieu, pour récompenser
sainte Anne, voulut qu'elle fût la première à connaître
Jésus-Christ. Le saint vieillard Siméon fut aussi le premier
après saint Joseph qui eut le bonheur, le grand bonheur de porter,
le Sauveur du monde sur ses bras. Saint Zacharie fut choisi pour être
le père d'un enfant destiné à être l'am-bassadeur
du Père Éternel, pour annoncer la venue de son Fils dans
le monde. Que de grâces le bon Dieu n'ac-corde-t-il pas à
ceux qui se font un devoir de venir le visiter dans son saint temple autant
qu'ils le peuvent ?
Dans le Nouveau Testament ne voyons-nous
pas que les saints ont fait consister tout leur bonheur à venir
adorer Jésus-Christ dans son temple ? Pourquoi, M.F., tant de communautés,
qui passent une partie de la nuit en prières, dans leur église,
tandis que nous dormons ? C'est pour tenir compagnie à Jésus-Christ
dans son tabernacle. Aussi voyez combien cela fait plaisir à Jésus--Christ.
Il est rapporté qu'un saint prêtre couchait toutes les nuits
sur le marchepied de l'autel, afin d'être plus près de Jésus-Christ.
Le bon Dieu permit qu'il y mou-rût ; il fut enterré dans le
même endroit. Un autre cou-chait à la sacristie pour la même
raison. Lorsque saint Louis était en voyage, au lieu de passer la
nuit dans un lit, il la passait dans une église : si on lui disait
qu'il ne pourrait pas y tenir, il leur répondait qu'il se trouvait
mieux que quand il la passait dans son lit, tant il goûtait de consolations
en la compagnie d'un si bon Maître.
Si, M.F., nous ne sommes pas portés
à des actions si agréables à Dieu, au moins pendant
le peu de temps que nous passons à l'église, soyons bien
pénétrés et convaincus que nous sommes en la sainte
présence de notre Dieu, qui ne nous y appelle que pour nous com-bler
de ses bienfaits et nous faire travailler au salut de notre pauvre âme.
Allons-y avec un saint empressement, mais aussi avec beaucoup de respect,
dans la crainte d'attirer sur nous les châtiments de Dieu, par notre
peu de dévotion et nos irrévérences. En voici un exemple
bien frappant. Nous lisons dans l'Écriture sainte qu'Héliodore,
un des premiers officiers du roi d'Assyrie, envoya une troupe de soldats
pour profaner le temple de Jérusalem ; mais ils furent tous renversés
à terre, et s'enfuirent avec précipitation. Il y alla lui-même
pour y commettre toutes sortes d'impiétés. Mais à
peine y fut-il entré, que deux anges le prirent, et le frappèrent
si rude-ment, qu'il serait resté sous les coups, sans le prêtre
Onias qui demanda grâce pour lui. Combien de fois, M.F., les anges,
nous voyant paraître avec tant de dissipation, pour ne pas dire d'impiété,
ne nous frapperaient--ils pas de mort, si Jésus-Christ dont la bonté
est infinie ne les arrêtait pas ? Saint Paul nous dit que Dieu per-drait
et punirait rigoureusement ceux qui oseraient pro-faner son temple . Que
devons-nous donc faire en venant à l'église ? Le voici. Il
faut nous occuper, en che-min, de nos misères, des grâces
que nous allons demander au bon Dieu, et de la grandeur de Celui devant
lequel nous allons paraître. Notre préparation doit com-mencer
dès que nous nous éveillons le, matin, en parlant si peu
que nous pourrons, et notre esprit ne doit être occupé que
de ce qui a rapport à Dieu. Laissons de côté les choses
temporelles, parce que ce jour est pour notre âme. Mais quelles sont
les pensées qui doivent nous occuper pendant que nous sommes dans
la maison du bon Dieu, c'est-à-dire auprès de Jésus-Christ
qui est notre Père, notre Sauveur et notre Médiateur ? Nous
allons le voir.
II. – Oh ! quel spectacle, M.F.,
pour un chrétien qui n'a pas entièrement perdu la foi ! que
d'objets capables de toucher et d'attendrir son cœur ! Quand nous entrons
dans une église, pénétrons-nous de cette pensée
que c'est la maison du bon Dieu et le lieu où sont renfer-mées
toutes les grâces du ciel. De quelque côté que nous
portions nos regards, tout nous y parlera de Dieu, de notre vocation, de
nos espérances, de ce que nous avons été, de ce que
nous sommes et de ce que nous devien-drons. Pouvons-nous, M.F., trouver
quelque chose de plus capable de fixer notre attention et de nous inspirer
des sentiments de la plus tendre dévotion ? Entrons, nous y trouverons
d'abord de l'eau bénite, qui a été sanctifiée
par les prières de l'Église, elle semble nous montrer avec
quelle pureté et quelle sainteté nous de-vons entrer dans
ce saint lieu pour plaire à Jésus-Christ ; car, si nous sommes
coupables de péchés, nous ne devons y venir que pour les
y pleurer, pleins de crainte que Dieu ne nous en punisse dans ce saint
lieu où les anges ne sont qu'en tremblant. Un autre motif qui doit
nous engager à prendre cette eau bénite avec beaucoup de
respect et de douleur de nos péchés, c'est qu'elle commencera
à mettre en notre âme de bien bonnes dis-positions pour entendre
la sainte Messe.
Si nous levons les yeux plus haut,
le premier objet qui se présente à nos regards, c'est le
crucifix. Oh ! M.F., que cette image est capable d'attendrir nos cœurs
et de nous faire pleurer nos péchés ! Que de grandes vérités
elle nous rappelle ! Jésus-Christ ne semble-t-il pas nous dire du
haut de cette croix où il est attaché : « Ah ! mes
enfants, voyez et considérez s'il y a une douleur sem-blable à
la mienne ; voyez et considérez combien le pé-ché
est énorme et mon amour immense ; voyez ce pauvre corps tout en
lambeaux et meurtri par les souffrances de ma douloureuse passion ; voyez
cette tête percée d'horribles épines ! Ah ! chrétiens,
pouvez-vous bien considérer ce corps tout couvert de plaies, sans
pleurer vos péchés qui en sont la cause ? Mes enfants, c'est
mon amour et vos péchés qui m'ont attaché à
cette croit, et vous continuez à m'outrager ! Arrêtez, arrêtez
! mes en-fants. Ah ! cessez au moins de me persécuter en m'in-sultant
dans mon temple ! » Pouvons-nous bien regarder ce tendre Sauveur,
étendu sur cette croix, sans être pé-nétrés
de respect et agités d'un saint tremblement ?...
Si nous nous tournons d'un autre
côté, nous y voyons les fonts sacrés du baptême
qui semblent nous dire « Ah ! chrétiens, souvenez-vous qu'avant
d'être portés ici, vous étiez des enfants de colère,
de vils esclaves de Satan, bannis pour jamais de la présence de
votre Dieu ; oui, c'est ici que vous avez été lavés
par le sang ado-rable de Jésus-Christ. Oui, c'est ici que le ciel
vous a été ouvert, et que le Sauveur lui-même est devenu
votre récompense et votre félicité. » Oh ! M.F.,
quelle joie et quelle reconnaissance ne devons-nous pas avoir, en por-tant
les yeux sur ces fonts sacrés qui nous ont procuré tant de
biens ! Ne l'oublions pas : au tribunal de Dieu, ils nous seront montrés,
comme pour nous reprocher nos prévarications. Nous verrons les promesses
que nous avons faites, et, en même temps, le nombre de fois que nous
les aurons violées et foulées aux pieds. Cette seule pensée
doit être capable de nous couvrir de con-fusion. Si cela n'est pas
assez puissant pour nous tou-cher, portons nos regards vers ce confessionnal
; n'est-il pas l'asile et l'espérance des pécheurs qui veulent
re-venir à Dieu ? Un chrétien ne doit-il pas s'écrier,
en voyant cette fontaine de grâces et de miséricorde : Oui,
c'est là, dans ce bain salutaire, que je peux venir avec confiance
recouvrer la grâce de mon Dieu si j'ai eu le malheur de la perdre
? Oh ! quel bonheur, quelle con-fiance et quelle reconnaissance, pour un
chrétien qui a perdu son Dieu par le péché, d'avoir
un moyen si sûr de le retrouver ! Mais aussi, quels reproches ne
fait-il pas à ces pécheurs endurcis, qui aiment mieux mourir
et être damnés, que de profiter de ce moyen qui leur rendrait
l'amitié de Dieu et la jouissance du ciel ? Oh ! qui pourra jamais
comprendre le malheur du pécheur ? Dieu pleure sa perte, lui offre
tout pour le sauver, sans pouvoir y réussir !...
Cette chaire, M.F., lors même
que je ne vous parle pas, pouvez-vous bien la regarder sans vous rappeler
les vérités qui vous y ont été annoncées,
et les nom-breux moyens qui vous ont été donnés pour
arriver au ciel, votre véritable patrie ? Ne semble-t-elle pas aussi
vous reprocher votre ignorance, la dureté de votre cœur et le dérèglement
de votre vie, malgré tant d'instruc-tions que vous avez entendues
? Regardons-la bien ; cette même chaire au jour du jugement se lèvera
pour nous accuser, si nous continuons à mépriser cette parole
qui en a tant converti d'autres, tandis que cela n'a servi qu'à
nous rendre plus coupables par le mépris que nous en avons fait.
La Table sainte que nous dit--elle ? M.F., pouvons-nous bien considérer
ces nappes étendues, sans sentir nos cœurs tout brûlants d'amour
et de reconnaissance ? Dites-moi ! Avons-nous bien pensé que c'est
ici que nous avons eu le bonheur de manger le Pain des anges, que là,
notre Dieu s'est donné à nous en nourriture, que là,
Jésus-Christ a pris possession de notre âme et de notre cœur
? Avons-nous bien réfléchi que c'est à cette Table
sainte que nous avons reçu le baiser de paix ? O bonheur trop grand,
mais trop peu connu des chrétiens de nos jours !...
Mais, montez plus haut, M.F., et
vous verrez un autre spectacle encore plus touchant. Cet autel ! sera-t-il
bien possible d'y porter nos regards sans mouiller le pavé de nos
larmes ?... O Religion sainte, que tu es belle, que tu es riche et capable
de rendre heureux un chré-tien qui te connaît ! Oh ! que ce
nouveau Calvaire nous rappelle à lui seul de mystères ! Dites-moi,
avez-vous jamais bien pensé que c'est là que le Père
Eternel con-somme sa justice, en immolant chaque jour son divin Fils ?
Avez-vous jamais bien réfléchi que c'est sur ce même
autel que ce même Père consomme sa miséri-corde, en
y sacrifiant chaque jour ce Fils bien-aimé pour le salut de nos
âmes, que c'est là qu'il paie toutes les dettes dont nous
sommes redevables envers la justice de son Père ? Ah ! disons mieux
: cet autel est comme le sein de Marie, où un Dieu s'incarne chaque
,jour entre les mains du prêtre. Oui, c'est la crèche où
il prend une seconde naissance, c'est, sur cet autel qu'il s'immole comme
autrefois sur le Calvaire. Que dis-je ? c'est vraiment un deuxième
ciel où il est assis à la droite de son Père pour
être notre Médiateur. O mon Dieu ! que de grandes merveilles
nous annonce cet autel ! Je pourrais encore vous dire que c'est ici que
Jésus-Christ détruit la mort du péché, pour
nous donner la vie de la grâce, et qu'il paie, par l'effusion de
tout son sang adorable, tout ce que nous devons à la justice de
son Père. Dites-moi, comment, à la vue de tant de bienfaits
de la part d'un Dieu, ne devrions-nous pas sentir nos cœurs brûler,
se fondre d'amour devant cet autel comme la cire devant le feu ?
La lampe même, ne semble-t-elle
pas nous dire que Jésus-Christ est véritablement présent
dans le taber-nacle, et que si nous sommes pécheurs, nous pouvons
y venir pleurer nos péchés, nous y trouverons notre pardon
? Ces images qui sont, exposées à nos regards, ne nous disent-elles
pas que les saints qu'elles représen-tent ont passé leur
vie dans l'humilité, le mépris et les souffrances, et qu'ils
l'ont finie pour la plupart dans les tourments les plus affreux ?»
Oh ! nous crient ces saints du ciel, si vous pouviez comprendre combien
nos souffrances sont récompensées, avec quelle ardeur ne
marcheriez-vous pas sur nos traces ! » Que vous disent, M.F., ces
morts, sur lesquels vous êtes maintenant, puisque autrefois l'on
enterrait dans les églises ? Ne nous disent-ils pas : « Oh
! que vous êtes insensés de vous attacher si fort à
la vie et de perdre de vue votre éter-nité ? Dans quelques
moments vous quitterez la terre avec des regrets ; le monde est un trompeur,
qui, après nous avoir séduits, nous précipite pour
jamais dans les flammes. » Oui, M.F., les pierres même de cette
église, unies par le ciment, nous montrent la charité et
l'amour que nous devons avoir les uns envers les autres. Disons plus :
tout ce qui est dans l'église nous instruit et nous porte à
Dieu. Les cierges qui se consument en la présence de Jésus-Christ
présent dans ce tabernacle, nous montrent qu'un chrétien
doit employer toute sa vie au service et au salut de son âme. L'encens
qui brûle semble nous dire que nos cœurs doivent être tout
ardents pour Dieu ; que toutes nos pensées et nos désir doivent
se tourner vers le ciel notre patrie. Le chant, comme dit saint Augustin
, doit attendrir notre cœur, et lui faire verser des larmes d'amour, ainsi
qu'il lui arrivait dans l'église de Milan, en entendant chanter
des hymnes et des cantiques à la gloire de Dieu. « O mon Dieu
! s'écriait ce grand saint, quelle sera donc la joie que nous éprouverons,
lorsque nous entendrons les anges chanter leurs beaux cantiques d'allégresse
éternelle ! »
Convenez avec moi, que si nous faisions
attention à tout cela, nous aurions une vraie dévotion, et
un grand respect pendant les saints offices. Si nous aimions tant soit
peu le bon Dieu, des objets si touchants ne de-vraient-ils pas enflammer
notre cœur d'amour et de reconnaissance, et remplir notre esprit de saintes
pen-sées ? Ne devrions-nous pas dire comme le saint roi David :
« O mon Dieu, qu'il fait bon habiter dans votre saint temple, un
jour nous y rend plus heureux que mille dans les assemblées des
grands du monde . » Oui, M.F., si nous pensions sérieusement
que nos églises sont un autre ciel, où Jésus-Christ
daigne habiter parmi nous, et qu'il est le même Dieu que celui que
les anges n'adorent qu'en tremblant ; dites-moi, M.F., ose-rions-nous nous
y tenir sans respect, dans une dissipa-tion presque scandaleuse, riant,
tournant la tête, tenant des conversations tout à fait mondaines,
et peut-être y donnant des rendez-vous ? Ah ! M.F., qu'ils outragent
le bon Dieu, ceux qui parlent dans nos églises, où l'on ne
doit que prier ! Nous lisons dans l'histoire, qu'une femme avait l'habitude
de parler à l'église quand l'occa-sion s'en présentait.
Après sa mort, l'on trouva son corps sans aucune tache, mais l'on
vit sortir de sa bouche un serpent et plusieurs crapauds qui lui man-geaient
la langue. Le bon Dieu fit ce miracle, pour nous montrer combien sont coupables
ceux qui osent parler dans nos églises, sans une grande nécessité.
Ah ! si nous aimions le bon Dieu, nous n'aurions pas besoin que l'on nous
fit connaître la grandeur de ce péché ! Etant bien
convaincus que c'est là qu'habite notre Dieu, que là il tient
le trône de sa miséricorde et le canal de ses grâces,
nous n'y pourrions entrer qu'en tremblant. Dites--moi, M.F., jusques à
quand répondrons-nous à tant de bienfaits par une mortelle
indifférence et de nouveaux outrages ? Oh ! combien ne serions-nous
pas heureux, si nous assistions à nos saints offices avec respect
et confiance ! que de grâces et de bénédictions nous
reti-rerions ! quel changement ne verrait-on pas dans notre manière
de vivre ?
III. – Il est dit dans l'Écriture
sainte que la reine de Saba avant entendu raconter de si belles choses
de Salomon et des merveilles qui s'opéraient chez lui, voulut les
voir par elle-même. Mais quand elle vit la beauté du temple
et le bel ordre qui y régnait, elle s'en retourna, nous dit l'Écriture,
avouant que tout ce qu'on lui avait dit n'était rien en comparaison
de ce que ses yeux avaient vu. Ces merveilles restèrent profondément
gravées dans son cœur. Voilà, M.F., précisément
ce qui nous arriverait, en sortant de nos églises, si nous faisions
bien attention à tout ce qui se passe pendant nos saints et redou-tables
mystères. Que pouvait-il y avoir dans le temple de Salomon qui pût
approcher de la moindre cérémonie de nos églises ?
C'était un homme que Dieu faisait agir ; ici c'est Dieu lui-même
qui agit et qui opère des miracles à l'infini. Le temple
de Salomon était destiné à renfermer un peu de manne,
les tables de la Loi ; mais dans nos églises, oh ! grand Dieu !
c'est Jésus-Christ lui-même, qui répand son sang, et
s'immole chaque jour sur nos autels à la justice de son Père,
pour nos péchés. Oh ! non, M.F., ne pénétrons
pas dans la grandeur des mer-veilles qui s'opèrent chaque jour ;
elles sont si grandes, si au-dessus de nos connaissances, nous ne pouvons
que nous y perdre ! Plus nous les examinons, et plus nous trouvons qu'elles
sont incompréhensibles.
Ne parlons que de ce qui peut frapper
nos yeux. Un chrétien, au sortir des saints offices, touché
de la parole de Dieu qu'il y a entendue, des saintes pensées que
lui ont fait naître la vue des cérémonies et les prières
qu'il a faites : « Je viens d'assister à la sainte Messe,
doit-il se dire, un Dieu s'est immolé pour moi, il a répandu
son sang pour le salut de mon âme, que pouvait-il faire de plus ?
Ah ! misérable ! moi qui, depuis tant d'années, lui refuse
mon cœur qu'il n'a créé que pour lui, et qu'il me demande
afin de le rendre heureux ! Je viens de chanter les louanges de Dieu, avec
cette même bouche que j'ai tant de fois souillée par des mensonges,
des jurements et des paroles déshonnêtes. O mon Dieu ! ma
langue servira-t-elle toujours, tantôt à vous louer, tantôt
à vous mépriser ? Non, Seigneur, je ne veux plus que vous
bénir et vous aimer. Je viens d'entendre la parole divine, oh !
qu'elle est belle et véritable ! Je me suis sincèrement reconnu
dans tout ce que l'on a dit ; oui, c'est bien pour moi que l'on a prêché
; il y a tant d'années que j'entends cette parole sainte, et je
suis toujours le même ! Mon Dieu, tant d'instructions que j'entends,
ne vont donc servir qu'à ma condamnation ? Ne me les rappellerez--vous
pas au jour du jugement, pour savoir le profit que j'en aurai fait ? Que
de bonnes actions, que de bonnes œuvres, que de bonnes prières j'aurais
faites, si j'avais voulu faire ce que l'on m'a enseigné !... »
Oui, M.F., voilà le langage qu'un bon chrétien doit tenir
en sortant des saints offices, et, tout chrétien qui n'a pas, en
s'en allant, ces pensées dans le cœur, n'a pas assisté aux
saints offices avec les dispositions qu'il devait avoir.
Nous disons encore que la reine
de Saba, de retour chez elle, ne pouvait se rassasier de raconter tout
ce qu'elle avait vu dans le temple de Salomon ; elle en par-lait toujours
avec un nouveau plaisir. La même chose doit arriver à un chrétien
qui a bien assisté à la sainte Messe ; étant de retour
dans sa maison, il doit s'entretenir avec ses enfants et ses domestiques,
et leur demander ce qu'ils ont retenu, ce qui les a touchés davantage.
Hélas ! mon Dieu, que vais-je dire ?... Combien de pères
et de mères, de maîtres et de maîtresses, qui, si on
voulait leur parler de ce qu'ils ont entendu à la sainte Messe,
se moqueraient de tout cela en disant qu'on les ennuie, qu'ils en savent
assez !... Cependant, généralement par-lant, il semble que
l'on écoute encore cette parole sainte ; mais, dès qu'on
est sorti de l'église, on se laisse aller à toutes sortes
de dissipation ; l'on se lève avec précipi-tation ; on court,
on se presse à la porte ; le prêtre sou-vent n'est pas encore
descendu de l'autel que l'on est déjà dehors, et là,
on se livre à toutes sortes de choses étrangères.
Savez-vous. M.F., ce qu'il en résulte ? Le voici. On ne profite
de rien, et l'on ne tire aucun fruit de tout ce que l'on a entendu et vu
dans la maison du bon Dieu. Que de grâces méprisées
! que de moyens de salut foulés aux pieds ! O quel malheur ! de
faire tourner à notre perte ce qui nous aiderait si bien à
nous sauver ! Hélas, vous le voyez vous-mêmes, combien ces
saints offices sont à charge au plus grand nombre des chré-tiens
! Pendant ces moments, ils sont restés à l'église
comme dans une espèce de prison, et aussitôt sortis, vous
les entendez crier à la porte, semblables à des pri-sonniers
à qui l'on vient de donner la liberté. N'est-on pas souvent
obligé de fermer la porte, si l'on ne veut être étourdi
par leurs cris continuels ? Mon Dieu, sont--ce là des chrétiens,
qui ne devraient se retirer de votre saint temple, qu'avec un esprit rempli
de toutes sortes de bonnes pensées et de bons désirs ? Ne
devraient-ils pas chercher à les bien graver dans leur mémoire,
pour ne jamais plus les perdre, et les mettre en exécution, aussitôt
que l'occasion s'en présenterait ? Hélas ! le nombre de ceux
qui assistent aux offices avec attention et qui tâchent d'en profiter,
est à peu près comme le nom-bre des élus : ah ! qu'il
est petit ! Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Si vous voulez
que le culte que vous rendez à Dieu, lui soit agréable et
avantageux pour le salut de votre âme, met-tez-le en pratique : commencez
à vous préparer à la sainte Messe dès que vous
vous éveillez, en vous unissant à toutes les messes qui se
disent dans ce moment. Lors-que la cloche sonne pour vous appeler dans
la maison du bon Dieu, pensez que c'est Jésus-Christ lui-même
qui vous appelle ; partez sur le champ, afin d'avoir quelque moment pour
méditer sur la grandeur de l'action à laquelle vous allez
assister. Ne dites pas, comme ces gens sans religion, que vous avez bien
le temps, que vous y serez toujours assez tôt ; mais bien plutôt
comme le saint prophète : « Je me suis réjoui quand
on m'a dit que nous irions dans la maison du Seigneur . » Dès
que vous sortez de chez vous, occupez-vous de ce que vous allez faire,
et de ce que vous demanderez au bon Dieu. Commencez à débarbouiller
votre esprit des choses ter-restres, pour ne penser qu'à Dieu. Évitez
toute sorte de conversations inutiles, qui ne sont bonnes qu'à vous
faire mal entendre la sainte Messe. En entrant dans l'église, rappelez-vous
ce que dit le saint patriarche Jacob : « Oh ! que ce lieu est terrible
! oh ! qu'il est saint ; c'est vraiment la maison de Dieu et la porte du
ciel ! » Lorsque vous êtes à votre place, humiliez--vous
profondément à la vue de votre indignité, et de la
grandeur de votre Dieu, qui veut bien, malgré vos péchés,
vous souffrir en sa sainte présence. Faites un acte de foi de tout
votre cœur. Demandez à Dieu qu'il vous fasse la grâce de ne
rien perdre de toutes les faveurs qu'il accorde à ceux qui y viennent
avec de bonnes dis-positions ; ouvrez votre cœur, afin que la parole de
Dieu puisse y entrer, y prendre racine et y porter du fruit pour la vie
éternelle. Avant de sortir de l'église, ne manquez jamais
de remercier le bon Dieu des grâces qu'il vient de vous faire, et
allez-vous-en chez vous tout occupés de ce que vous avez vu et entendu.
Oui, M.F., si nous nous comportions de cette manière, nous ne sortirions
jamais des saints offices sans nous sentir rem-plis d'un nouveau goût
pour le ciel, d'un nouveau dégoût pour nous-mêmes et
pour la terre. Notre cœur et notre esprit seraient tout pour Dieu et rien,
pour le monde ; alors la maison du bon Dieu serait vraiment pour nous la
porte du ciel : c'est ce que je vous souhaite.
SERMON
SUR LA RELIGION
Dixit insipiens in corde suo : non
est Deus.
L'impie a dit dans son cœur : Non,
il n'y a point de Dieu.
(Ps. XIII, 1.)
Le pécheur, M.F., séduit
par le démon et aveuglé par : ses passions, s'écrie
: « Non, non, il n'y a point de Dieu. » Il voudrait qu'il n'y
en eût point, afin de pouvoir s'aban-donner avec plus de liberté
à la fureur de ses penchants corrompus ; car s'il admettait l'existence
d'un Dieu, il faudrait qu'il admit aussi la justice de ce Dieu, et, par
conséquent, que le péché est puni et la vertu récom-pensée.
Cet insensé ne fait pas attention que le nom de Dieu est gravé
dans son cœur avec le doigt même de son Créateur. C'est en
vain qu'il nie l'existence de son Dieu ; sa conscience le démontrera
toujours. D'où viennent donc ces mots, que l'on dit même sans
y penser ? « Mon Dieu ! que j'ai du malheur ! Mon Dieu ! ayez pitié
de moi !... »
Si Dieu n'existait pas, ne serait-ce
pas le plus grand de tous les malheurs ? A quoi serviraient donc toutes
les larmes, les pénitences et les sacrifices de tant de chré-tiens
? Non, non, M.F., loin de nous une pensée aussi désespérante.
Il y a un Dieu qui nous voit et qui nous jugera, pour nous récompenser
si nous avons fait le bien et évité le mal ; pour nous punir,
si nous nous sommes abandonnés au gré de nos passions. Oui,
il y a une religion sainte, qui fait tout le bonheur de celui qui observe
ce qu'elle lui commande. Laissons, laissons crier les impies dans leur
frénésie et leur démence ; re-posons-nous tranquillement
dans le sein de notre religion divine, et à l'ombre de notre Créateur.
O mon Dieu ? faites descendre un rayon de votre lumière dans le
cœur de ces pauvres aveugles, et ils verront ce qu'ils n'ont pas encore
vu, et ils connaîtront ce qu'ils n'ont pas encore voulu connaître.
Vouloir vous prouver, M.F., qu'il y a un Dieu, ce serait, je crois, vous
faire affront ; je parle à de bons chrétiens et non à
des athées, c'est-à-dire à des personnes qui ne croient
à rien, et qui nient tout. Si par malheur il s'en trouvait quelqu'un
parmi vous, ce que je ne crois pas, et dont la bouche fût assez impie
pour vomir de tels blasphèmes, ne serait-ce que dans un mo-ment
de désespoir, aussitôt, il entendrait les cris de sa conscience
lui donner le démenti. Oui, M.F., soyons bien convaincus que s'il
y a des impies assez malheureux pour le dire, ils ne le croient pas : je
vous le ferai voir dans la suite.
I. – La religion dans laquelle nous
avons eu le bon-heur de naître, est très ancienne. C'est Dieu
lui-même qui nous l'a apportée du ciel pour la donner à
Adam notre premier père, lorsque, le plaçant dans le paradis
terrestre, il lui promit des biens infinis s'il était fidèle
à ses commandements, et le menaça, s'il venait à les
transgresser, d'une punition rigoureuse pour lui et tous ses descendants.
Adam pécha, le Seigneur le condamna lui et sa race, à toutes
sortes de maux. Adam se repentit et fit pénitence, Dieu le pardonna,
et lui rendit son amitié ainsi qu'à toute sa postérité.
Puis, cette sainte religion nous a été transmise de génération
en généra-tion, par les patriarches et les prophètes,
jusqu'à la venue du Messie ; depuis le Sauveur, par les apôtres
et leurs successeurs ; et ainsi continuera-t-elle jusqu'à la fin
des siècles. Jésus-Christ nous a dit qu'elle durerait autant
que le monde durera, malgré la fureur de l'enfer, des idolâtres
et des mauvais chrétiens, qui sont ses plus cruels ennemis ; Jésus-Christ
nous a promis qu'elle se conserverait parmi nous sans être interrompue
jusqu'à la consommation des siècles . Elle est une,
sainte, catholique, apostolique et romaine ; elle a toujours cru ce qu'elle
croira jusqu'à la fin du monde, elle a toujours commandé
et défendu ce qu'elle commandera et défen-dra ; elle n'ajoutera
ni ne changera rien de ce qu'elle a déjà établi :
qualités qui ne se trouvent que dans la seule religion catholique,
bâtie sur Jésus-Christ même, et, comme lui, à
jamais invariable.
Mais une preuve qui n'est pas moins
forte et moins convaincante, à l'appui de cette vérité,
c'est l'hommage qu'ont rendu à la religion catholique presque tous
ses plus cruels persécuteurs, en désapprouvant publique-ment,
à l'heure de la mort, toutes les horreurs et les blasphèmes
qu'ils avaient vomis contre elle pendant leur vie. Si cela était
nécessaire, je vous en citerais un nombre infini. Mais non, laissons
les d'Alembert, les Diderot, les Jean-Jacques Rousseau, et tant d'antres
qui ont vécu si près de nous : contentons-nous d'un seul
trait, qui suffira pour vous convaincre parfaitement. C'est la fin tragique
de cet impie du dernier siècle, je veux dire Voltaire, que peut-être
vous n'avez que trop connu, par les écrits infâmes et infernaux
qu'il a répandus pen-dant plus de trente ans. Dans ses écrits,
toute son occu-pation fut d'étaler tout ce que la fureur put lui
suggérer, pour noircir et détruire la religion. Il ne craint
pas de dire dans la préface d'un de ses ouvrages, que la jeune personne
qui lirait son livre, n'aurait pas encore achevé, que son cœur serait
perverti. Quand il écrivait à ses amis, c'est-à-dire
à des impies, il ne manquait presque jamais d'y mettre ces mots
horribles : « Écrasons l'in-fâme ! », il parlait
de notre sainte religion ! voulant dire par ces mots : Faisons tout ce
que nous pourrons pour détruire une religion qui nous fait une guerre
cruelle et continuelle ? Si vous l'aviez entendu, vous auriez peut--être
dit en vous-mêmes : « Voilà un homme qui sait lire,
écrire, qui est savant, riche et noble ; pourrait-il donc se perdre
? » Ah ! mes amis, suivez-moi un instant auprès de cet homme.
Il est malade, nous allons lui parler
; demandez-lui si maintenant il n'a point de crainte ; s'il croit que quand
il sera mort tout sera fini, comme il l'a si souvent répété
pendant sa vie : demandez-lui si sa conscience est bien en paix ; s'il
pense qu'après ce monde, il y en a un autre où nous serons
punis ou récompensés selon le bien ou le mal que nous aurons
fait. Demandez-lui s'il serait plus content maintenant d'avoir aimé,
respecté et observé tout ce que la religion catholique nous
commande, au lieu de l'avoir méprisée et avilie autant qu'il
a pu. Mon Dieu ! que de regrets !... que de désespoirs dévorent
sa pauvre âme à ce dernier moment ! Restez un instant auprès
de son lit, avant qu'il ne vomisse son âme dans les enfers. Écoutez
ce que sa bouche, guidée par sa cons-cience, va vous dire. Ses amis
sont réunis auprès de lui. Ces impies ont prêté
serment que si l'un d'eux tombe malade, on n'appellera auprès de
lui aucun prêtre. Or, entendez-vous ce misérable : «
Mon Dieu ! mourir aban-donné !... Ah ! mes amis, n'ayez pas égard
à ce que j'ai dit !... De grâce, faites venir au plus tôt
un ministre du Seigneur. Oh ! je me repens de tout ce que j'ai dit et fait
contre Dieu et la religion ! Mon Dieu, mon Dieu, n'aurez-vous pas encore
pitié de moi ? Ah ! de grâce, faites-moi venir un prêtre
! » Le bon Dieu voulut que Monsieur l'abbé Gauthier pût
pénétrer jusqu'auprès du malade, non pour le salut
de cette âme, mais seulement pour qu'il pût affirmer d'une
manière plus authentique que le malheureux se repentait de tout
ce qu'il avait fait dans ses jours de frénésie et de fureur.
Voltaire fait donc une rétractation par écrit ; on la porte
à l'archevêque de Paris. Mais Dieu ne permit pas qu'un tel
impie, après avoir passé sa vie à vomir contre la
religion tout ce que la corruption de son cœur avait pu engendrer ; il
ne permit pas, dis-je, qu'il pût en profiter. Ses amis l'emportèrent
dans une maison de campagne...
Voyez-vous, M.F., comme cet athée
a bientôt trouvé un Dieu et une religion ? Il invoque Dieu
et il demande un prêtre : il vous prouve ainsi l'existence de Dieu
et la nécessité de la religion. Écoutez-le encore
un instant, et il va vous enseigner qu'il y a, pour le pécheur,
un juge-ment à subir et un enfer à craindre. Etroitement
gardé par ses amis ou plutôt par ses bourreaux, perdant tout
espoir de revoir jamais l'abbé Gauthier, il s'écrie : «
Hé-las ! je suis donc abandonné ? il faut que j'aille me
pré-senter devant mon Juge ! il me faudra donc aller en en-fer ?...
O belle religion, que j'ai tant persécutée pendant ma vie,
toi qui fais le bonheur de celui qui suit le che-min que tu lui traces
!... Adieu, beau ciel, je ne te verrai jamais !... » Il se livre
au désespoir, et meurt en réprouvé .
Eh bien ! M.F., que pensez-vous
de cela ? Avez-vous bien fait attention comment cet impie vous a prouvé
l'existence de Dieu, la vérité de notre sainte religion,
et la certitude d'un jugement que nous devons tous subir à l'heure
de notre mort ? Avez-vous vu comment il vous a prouvé la vérité
d'un enfer pour les pécheurs, et le certitude d'un ciel pour les
gens de bien ? Croirez-vous maintenant ce que vous disent les athées
quand vous les entendez vomir leurs impiétés ? Savez-vous
ce qu'il faut leur répondre ? – Non, me direz-vous peut-être.
Le voici : « Va, pauvre aveugle, tu feras bien comme les autres ;
quand la mort te serrera d'un peu près, tu chan-geras bien de langage
et de sentiment. » Savez-vous, M.F., pourquoi ces malheureux débitent
toutes ces impiétés ? ce n'est pas qu'ils les croient ; vous
venez de voir qu'à la mort ils les désavouent publiquement
; mais c'est qu'ils voudraient que cela fût, car s'il y a un Dieu
et une religion sainte, assurément il faut que le péché
soit puni : voilà ce qui les jette au dernier des désespoirs.
Voulez-vous savoir, M.F., ce que je pense ? C’est que malgré tout
ce que pourront dire les libertins, je suis sûr que si j'observe
tout ce que la religion me commande, j'aurai le bonheur d'aller un jour
dans le ciel, pour être heureux à jamais ; voilà toute
ma croyance. « II n'y a point de Dieu !... » un tel blasphème
peut-il bien sortir de la bouche d'un chrétien !... Dites-moi, malheureux
impies, s'il y en a qui m'écoutent, ce que je ne crois pas, dites-moi,
qui vous a donc créés ? – Ce sont nos pères et nos
mères. – Ce sont vos pères et mères ? Eh bien ! qui
donc a créé vos pères et mères ? – Ce sont
leurs pères et mères. – Qui a donc créé Adam
? Il n'avait ni père ni mère ; est-il venu au monde par hasard
? Qui donc a créé le ciel et la terre et tout ce qu'ils contiennent
? Personne ? – Sans doute... il a été un temps que cela n'était
pas. – Baissez les yeux, vieux impies, et allez vous cacher dans le fond
des forêts, où jamais les rayons du soleil n'ont pu pénétrer.
Ces monstres-là voudraient se faire passer pour savants ; tandis
qu'ils affichent publiquement qu'ils ont la cervelle renversée,
et qu'ils sont pétris de l'ignorance la plus crasse que le péché
puisse engendrer !... O mon Dieu ! peut-on bien tenir un tel langage ?...
II. – Venons, M.F., à une
autre preuve plus forte et plus satisfaisante, qui nous montrera, qui nous
prouvera on ne peut mieux, la sainteté, la divinité de notre
reli-gion. Ce sont les travaux et les souffrances qu'ont endurés
ceux dont le bon Dieu s'est servi pour l'établir. Vous conviendrez
avec moi qu'il n'y a pas un homme sur la terre, qui eût voulu donner
sa vie pour soutenir une chose fausse. – Cela est très-certain,
me direz-vous. -Eh bien ! je vais vous donner un petit aperçu de
ce qu'ont enduré ceux qui ont fondé ou maintenu notre religion.
Je n'ai pas besoin de vous prouver que Jésus-Christ est venu sur
la terre, qu'il a souffert et est mort pour nous. Si je parlais à
des idolâtres, je commencerais à leur faire comprendre tout
ce que les prophètes ont prédit touchant le Messie, et ils
verraient qu'il n'y a pas une lettre qui n'ait eu son accomplissement ;
mais, parlant à des chré-tiens, ce serait temps perdu. Je
vais seulement vous mettre devant les yeux, la force, le courage que cette
sainte religion donne à ceux qui la professent de tout leur cœur,
afin de réveiller un peu en vous cette foi presque éteinte.
Je dis donc que rien ne prouve mieux
la divinité de notre sainte religion, que cette foule de martyrs
livrant leurs corps à la fureur des tyrans ; se présentant
et mon-tant sur les échafauds avec plus de joie et de plaisir que
des rois sur leur trône. Nous en voyons aussi bien dans l'Ancien
Testament que dans le Nouveau. Nous lisons dans l'Écriture sainte
que les Juifs revenus de la cap-tivité de Babylone passèrent
leurs jours dans la paix et la tranquillité, jusqu'à ce que
l'impie Antiochus montât sur le trône. Ce prince cruel et barbare
leur fit éprouver tout ce que sa rage put lui inspirer ; le dessein
de ce prince cruel était d'anéantir, s'il le pouvait, le
culte du vrai Dieu. Il ordonna de profaner tous les jours consa-crés
au Seigneur, d'élever des autels d'idoles, même dans le saint
temple, et de faire brûler toutes les Saintes Écritures. Cette
triste nouvelle répandit la frayeur dans, tout le royaume. Presque
tous prirent la fuite à l'instant même. Les villes furent
abandonnées de leurs habitants, le temple fut désert, les
fêtes se changèrent en tristesse et en deuil ; cependant,
malgré toutes ces menaces, plu-sieurs prirent la résolution
de tout souffrir plutôt que de violer la loi du Seigneur, et de ce
nombre fut un bon vieillard nommé Éléazar .
Il fallait, M.F., que ce vieillard
fût bien sûr de l'exis-tence d'un Dieu, de la vérité
d'une religion sainte, et d'une autre vie où les justes seront récompensés
pour toujours et les pécheurs punis pour jamais, pour endurer des
tourments si longs et si rigoureux ? Quel est l'impie qui voudrait mourir
pour soutenir ses impiétés ? Pas un, M.F., non, pas un. Rien
ne nous prouve mieux la vérité de notre religion, que le
courage et la constance des martyrs de l'un et de l'autre sexe, dans les
tourments qu'ils ont endurés pour ne pas déplaire à
Dieu. Un impie, tant qu'il n'a rien à craindre, débitera
bien ses impiétés ; mais, dès que le moindre danger
approche, aussitôt il désavoue ce qu'il a dit. Jamais un chrétien,
je ne veux pas dire un chrétien lâche, qu'un malheureux- respect
humain fera transgresser les lois de Dieu et de l'Église autant
de fois que l'occasion se présentera, qui, crainte d'être
méprisé et raillé, ou dans l'espérance d'avoir
quelque service d'un voisin se prêtera à tout ce qu'il voudra,
malgré ses remords de conscience ; ce n'est pas un bon chrétien,
mais seulement un fantôme de chrétien, que la colère
de Dieu punira par les flam-mes ; je veux dire un bon chrétien qui
aime Dieu et son âme plus que lui-même, celui-là ne
désavouera jamais ce qu'il a dit ; au contraire, vous le verrez
monter sur l'échafaud avec un courage et une joie incroyable. Non,
jamais il ne se repentira d'avoir observé ce que sa sainte religion
lui a commandé. Allons, M.F., d'échafaud en échafaud,
et nous nous convaincrons de plus en plus de la vérité de
la religion dont nous faisons si peu de cas, ou, pour mieux dire, que nous
semblons abandonner et mépriser.
Après que le même empereur
eut fait mourir le saint vieillard Éléazar, on vint lui annoncer
qu'une femme et ses enfants méprisaient publiquement ses ordres
et por-taient un grand nombre d'autres à faire de même. An-tiochus
ordonna, d'amener devant son tribunal cette mère avec tous ses enfants…(sermon
sur le martyr des Machabées). Ils étaient donc bien persuadés
ces martyrs, de l'existence d'un Dieu qui les voyait, qui les punirait
ou les récompenserait selon qu'ils auraient bien ou mal fait ? Ils
étaient donc bien sûrs que leur religion était sainte
et divine ? C'est cepen-dant la même que nous professons. O belle
religion des chrétiens, que ceux qui te connaissent sont heureux
!... Que de grands biens tu nous prépares pour l'autre vie !...
Si nous passons de l'Ancien Testament
au Nouveau, les persécutions, les bourreaux et les martyrs ne sont
pas moins nombreux. Parcourez le monde, M.F., depuis la venue du Sauveur
; partout vous trouverez des sup-plices préparés et des chrétiens
pour les subir avec joie, donnant leur vie afin de soutenir la religion
qu'ils pro-fessent. Oui, toutes ces potences, tous ces instruments de tortures
sont autant de monuments qui nous affir-ment la sainteté de notre
religion. Voyez ce que le cruel Néron fit endurer aux premiers chrétiens
: tantôt il les faisait coudre dans des peaux de bêtes, on
les portait ainsi dans les bois pour les faire servir d'appât aux
loups ; tantôt il les faisait revêtir d'une robe trempée
dans la poix, les pendait aux arbres le long des grandes routes, et y faisait
mettre le feu pour éclairer les passants. II porta la cruauté
si loin, qu'il planta dans son jardin des arbres où il attacha à
chacun un chrétien, couvert éga-lement de poix et y faisait
mettre le feu, afin d'avoir le barbare plaisir de marcher pendant la nuit
à la lueur de ces flambeaux. Si vous allez plus loin, vous voyez
un saint Ignace dévoré par les bêtes, un saint Barthélemy
écorché tout vif, un saint Pierre et un saint André
cloués sur une croix, un saint Vincent étendu sur le che-valet
où on lui arrache les entrailles avec des crochets de fer. Pourquoi
tant de tourments, M.F., sinon pour soutenir la vérité de
la religion qu'ils avaient le bonheur de professer ? O mon Dieu ! peut-on
bien entendre sans frémir, les impiétés que l'on vomit
avec tant de fureur contre une religion si sainte et si consolante ? «
O belle religion, s'écrie saint Augustin, que tu rends heureux celui
qui a eu le bonheur de suivre le chemin que tu lui traces ! »
Voyez aussi, M.F., la différence
qu'il y a entre un peuple qui connaît, qui pratique ce qu'elle commande,
et un autre qui ne vit pas selon ses règles. Voyez une mère
qui a cette religion bien gravée dans son cœur voyez le soin qu'elle
prend de ses enfants ; ils sont encore dans son sein, qu'elle les a déjà
mille fois donnés au bon Dieu ; voyez son empressement à
leur faire rece-voir le saint baptême. Voyez son attention, dès
qu'ils commencent à parler, comme elle est attentive à leur
apprendre à prier le bon Dieu, à leur parler de la gran-deur
de leur destinée, de ce que leur Dieu a souffert pour eux, de la
grandeur de la récompense réservée à celui
qui évite le péché et fait le bien ; elle ne cesse
de leur souhaiter toutes sortes de bénédictions. Cet enfant
fera un jour la consolation et le bonheur de ses parents, par sa soumission,
son amour et son obéissance. Un bon chrétien n'est point
jaloux des bénédictions que le bon Dieu répand sur
son voisin et sur ses biens ; au contraire, ils s'unissent tous ensemble
pour bénir le bon Dieu de ses dons. Si nous avions le bonheur de
bien observer ce que notre sainte religion nous com-mande, nous commencerions
vraiment notre paradis en ce monde. Voyez dans une autre contrée,
un royaume, une paroisse ou même une famille qui ne veut pas sui-vre
les règles que nous prescrit notre sainte religion, combien ils
sont malheureux ! Une mère aura déjà mille fois maudit
son enfant, avant de lui avoir donné le jour ; voyez ces haines
entre voisins, entre parents ; écoutez ces médisances, ces
calomnies ; combien d'enfants vont jusqu'à souhaiter la mort de
leur père, de leur mère, pour avoir le peu de bien qu'ils
possèdent Oh ! quel malheur pour un chrétien de ne pas connaître
sa religion ou de ne pas la pratiquer, c'est un véritable enfer
en ce monde !
Je vous avoue, M.F., que je me suis
grandement trompé en vous faisant cette instruction ; je vous ai
prouvé qu'il y a un Dieu. Quel est celui de tous ceux qui m'écoutent
qui en doutait ? – Personne, me direz--vous. – Vous avez raison ; je vous
ai prouvé que nous verrions à l'heure de notre mort qu'il
y a un ciel pour ceux qui auront combattu leurs penchants et le démon,
et un enfer pour ceux qui auront suivi la route de leurs passions ; personne
ne doute de cela, s'il s'en trouvait quelqu'un pour avoir quelque doute
là-dessus, ce ne pourrait être qu'un impudique ou un ivrogne,
et per-sonne ne croit ce que disent ces sortes de monstres ; on les fuit,
on les méprise !...
Oui, je me suis trompé en
vous faisant cette instruc-tion ; il fallait plutôt vous mettre sous
les yeux ce que votre religion exige de vous et ce que vous faites, et
vous auriez vu que votre vie est entièrement opposée à
votre croyance. Touchons ceci d'un peu plus près, et vous verrez
que vous vous comportez comme si vous ne croyiez à rien. Vous savez
très bien que votre reli-gion vous dit que le premier mouvement
de votre cœur doit être de penser à Dieu, et votre premier
ouvrage, de faire votre prière ; cependant ce n'est pas ce que vous
faites. Votre religion vous dit de ne pas jurer le nom de Dieu, vous défend
les blasphèmes, vous ne vous en abstenez pas pour cela ; elle vous
défend de travailler le saint jour du Dimanche, en vous commandant
de le passer dans la prière et les bonnes œuvres. Vous faites--vous
le moindre scrupule de travailler ou de passer ce saint jour à la
danse, au jeu, à faire des ventes ou des achats ? En faites-vous
moins que si votre religion était fausse ? Elle vous dit que si
vous avez honte de paraître chrétien, vous serez rejetés
de la face du bon Dieu pen-dant toute l'éternité. Eh bien
! dites-moi : n'est-ce pas qu'une simple compagnie vous fait rougir, au
point que vous n'osez dire ni votre benedicite ni vos grâces devant
le monde. Votre religion vous défend de manger de la viande certains
jours de la semaine, et vous dit que, si vous le faites, vous vous rendez
coupables d'un péché qui vous perd pour une éternité.
Ne faites-vous pas le contraire autant de fois que vous en trouvez l'occasion
? Elle vous dit de ne pas laisser occuper votre esprit de pensées
de haine, de vengeance, d'impureté, etc... ; n'y prenez-vous pas
plaisir presque autant de fois que le démon vous les présente
? Elle vous dit de ne pas faire tort à votre prochain, soit dans
ses biens, soit dans sa réputation ; le faites-vous ? N'êtes-vous
pas toujours à le tromper dans vos ventes, vos achats, à
médire de lui et souvent même à le calomnier avec un
certain plaisir malin ? Elles vous dit que tant que vous restez dans le
péché, vous tenez Jésus-Christ cloué sur la
croix de votre cœur, et que votre pauvre âme est toujours prête
à tomber en enfer ; cependant vous ne faites pas diffi-culté
de rester des années et même des dix et vingt ans sans même
vous confesser...
Vous voyez donc bien que vous ne
croyez pas tout ce que votre religion vous enseigne. D'après les
enseigne-ments de cette religion, vos enfants sont un dépôt
que le bon Dieu vous a confié, et dont il doit un jour vous demander
un compte bien rigoureux ; s'ils sont damnés et que ce soit de votre
faute, vous êtes sûrs de l'être aussi. Vous comportez-vous
comme si cela était ? Ils ne font ni pâques, ni confessions,
et pour ne pas vouloir les aider à se sauver ou, pour mieux dire,
pour les aider à se damner, vous consentez à faire comme
eux. Vous voyez donc clairement que vous vous comportez comme si vous étiez
convaincus que tout ce que la religion vous enseigne n'est que farce et
mensonge. – Oh ! me direz--vous, cela n'est pas tout à fait vrai.
– Mon ami, exami-nez bien la chose de près. Que feriez-vous donc
de moins si vous croyiez tout le contraire de ce que la religion vous enseigne
?
De tout cela, M.F., il faut conclure
que, si nous som-mes sûrs de la vérité de ce que la
religion nous enseigne, s'il est vrai que tous ceux qui ont voulu aller
au ciel ont fait ce qu'elle leur a commandé, nous devons, nous aussi,
faire de même. O mon Dieu ! quel malheur que l'aveugle-ment au sujet
du salut de notre pauvre âme ! Être cer-tains et très
certains qu'en vivant comme nous vivons, nous n'aurons jamais le ciel,
et, malgré cela, continuer à faire toujours de même
!... Revenons, M.F., de nos éga-rements ; il en est encore temps
: le bon Dieu nous offre sa miséricorde, son amitié et les
grâces nécessaires pour quitter le péché et
revenir à lui. Évitons les regrets de ces pauvres malheureux
dont nous avons parlé en com-mençant ; et puisque la religion
seule fait notre bonheur sur la terre, attachons-nous fortement à
elle, et faisons tout ce qu'elle nous commande : ainsi nous serons heu-reux
non seulement dans ce monde, mais encore dans l'autre. C'est ce que je
vous souhaite.
SERMON
SUR LA CONFIRMATION
Dispositions qu'il faut avoir pour
recevoir ce sacrement.
Deus dedit pignus spiritus in cordibus
nostris.
Dieu nous a fait part de son esprit
divin qui nous sera le gage de la vie éternelle.
(II Cor., I, 22. )
De quels sentiments de joie et d'amour
ne devez-vous pas être pénétrés, M.F., à
la nouvelle d'un tel bonheur !... Oh ! qui de nous ne sentira pas son cœur
saisi d'amour et de reconnaissance, ayant l'espérance que, dans
peu de jours, l'Esprit-Saint aura choisi sa demeure dans son âme
? O mon Dieu ! il me semble que j'aperçois déjà notre
âme éprouver le ravissement d'Élisabeth, lorsque la
Mère de Dieu vint la visiter, et qu'elle fut remplie si abondamment
de cet Esprit de lumière et de ce foyer d'amour. Oh ! non, vous
n'avez jamais connu la grandeur de ce sacrement, et les biens qu'il nous
procure si nous le recevons saintement. Écoutez Jésus--Christ
nous dire comme à ses apôtres avant de monter au ciel : «
Encore un peu de temps, et vous recevrez l'Esprit-Saint, préparez-vous
par la prière et la retraite, et vous verrez l'accomplissement de
ma promesse . » Plusieurs d'entre vous, M.F., l'ont reçu,
ce sacrement ; mais, ô mon Dieu'. comment l'ont-ils reçu ?...
Les uns sans en connaître la grandeur, les autres, sans être
bien prêts, ou peut-être même, en état de péché
! Mon Dieu, mon Dieu, dans quel état sont-ils à vos yeux
?... Cela fait trembler.
Hélas ! parmi ceux-là
même qui l'ont reçu dignement, combien de fois, et depuis
combien d'années n'ont-ils pas chassé le Saint-Esprit de
leur cœur ? O perte ! O mal-heur incompréhensible !… Et quel remède
pour cela ? point d'autre, M.F., que les larmes et la pénitence.
Pauvre âme, depuis que cet Esprit de lumière vous a quittée,
de quelles ténèbres n'êtes-vous pas enve-loppée
?… Heureux celui qui ne l'a pas encore reçu. Pourquoi cela ? C'est
qu'il peut encore s'y préparer, et recevoir toutes les lumières
qu'il produit dans les âmes pures. Dites-moi, vous qui avez eu le
bonheur de le recevoir, avez-vous bien compris toutes les obligations qu'il
vous imposait ? – Hélas ! non, dites-vous en vous--mêmes.
– Eh bien ! écoutez-moi un moment, vous allez le comprendre, et
tâchez de réparer le mal que vous avez fait en violant des
promesses aussi saintes et aussi sacrées.
Mais pour vous, M.F., qui l'avez
reçu avec de mau-vaises dispositions, c'est-à-dire le péché
dans le cœur ; qui avez caché, déguisé ou diminué
le nombre de vos fautes, cherché des détours pour ne pas
les faire paraître si énormes, qui les avez confessées
sans contrition, sans douleur et sans désir de vous corriger, ne
faisant aucun effort pour rompre vos mauvaises habitudes ; pour vous, dis-je,
quel langage vous tiendrai-je, qui soit digne de vous, qui puisse vous
faire comprendre votre malheur ? O mon frère, après un tel
attentat, peux-tu encore vivre ? O mon Dieu, des chrétiens seraient-ils
coupables d'un meurtre aussi affreux contre votre personne adorable ?...
Ah ! mon ami, pleure amèrement. Si tu es insensible à un
tel crime, donne-moi ton cœur et tes yeux, afin que les joignant aux miens,
nuit et jour je verse des tor-rents de larmes, et que je pleure de ce que
tu ne pleures pas !... Mon ami, qu'as-tu fait ? Que vas-tu devenir ?...
O mon Dieu ! puisque les trésors de votre miséricorde nous
sont encore ouverts, touchez le cœur de ce pauvre malheureux qui vous a
outragé, afin qu'il pleure, et que vous lui rendiez ce qu'il a perdu.
Enflammez de votre Esprit divin, tous ces jeunes cœurs qui vont vous servir
de demeure. Venez, Esprit de lumière et d'amour, venez à
mon secours ; afin que je leur fasse comprendre la grandeur de leur bonheur,
et les obligations qu'ils vont contracter.
I. – Si les dispositions doivent
être proportionnées à la grandeur du don que Dieu nous
fait dans le sacrement de Confirmation, je ne vois pas trop ce que je vous
pourrai dire ; je gagnerais tout autant, je crois, à garder le silence
que de vous en parler ; car les grâces qui nous sont communiquées
dans ce sacrement sont infinies. Mon Dieu ! pardonnez notre faiblesse et
notre igno-rance !... Mais, vous me demandez, M.F., bien qu'il soit impossible
d'apporter à ce sacrement autant de pureté et d'amour qu'il
en mérite, ce que nous devons faire pour nous en rendre dignes,
autant qu'il est en notre pouvoir, ou du moins, pour éviter le malheur
de le pro-faner ? – Mon enfant, ayez confiance, si vous êtes dans
les dispositions de faire vos efforts pour vous en rendre digne, Dieu aura
compassion de la faiblesse de votre âme, il entendra vos soupirs,
et l'Esprit-Saint ne manquera pas de venir en vous, pour y établir
sa de-meure.
Voici 1° les dispositions absolument
nécessaires pour bien recevoir cet auguste sacrement. Il faut être
suffi-samment instruit sur tout ce qu'il importe de savoir pour être
sauvé ; il faut connaître les principaux mys-tères
de notre sainte religion, les premiers principes du catéchisme,
la fin pour laquelle Dieu nous a mis sur la terre, la récompense
qu'il assure à ceux qui pratiquent la vertu, et la punition de celui
qui vit dans le péché. Il faut savoir laquelle des trois
personnes de la sainte Tri-nité s'est incarnée dans le sein
de la très sainte Vierge Marie, et qui a formé son corps
dans le sein de cette Mère ; pourquoi Dieu le Fils est venu sur
la terre, quelle a été son occupation, ce qu'il a souffert
; quelle a été la cause de ses peines, et pourquoi il a institué
les sacre-ments ; quels sont les effets de chaque sacrement en particulier,
et les dispositions qu'il faut apporter pour les recevoir. Il faut savoir
que le sacrement de Baptême est celui qui efface en nous le péché
originel, c'est-à-dire le péché que nous avons contracté
par la faute d'Adam, et que sans ce sacrement, nous ne pourrions jamais
voir Dieu dans le ciel, ni recevoir d'autres sacrements. Il faut savoir
que le sacrement de Confirmation est un sacre-ment par lequel l'Esprit-Saint
nous est communiqué d'une manière plus abondante que dans
tous les autres ; que le sacrement de Pénitence est institué
pour remettre et effacer les péchés que nous avons eu le
malheur de commettre après l'âge de raison, c'est-à-dire,
quand nous pouvons connaître que nous offensons le bon Dieu, et que
nous n'obtenons les effets, qu'autant que nous sommes fâchés
d'avoir offensé le bon Dieu, et dans une résolution sincère
de tout souffrir, la mort même, plutôt que de retomber dans
le péché.
Nous ne devons pas ignorer que pour
recevoir l'Eu-charistie, il faut avoir le bonheur d'être en état
de grâce, conservée ou réparée par une bonne
confession. Il faut être instruit sur ce que l'on reçoit dans
la sainte com-munion, c'est-à-dire Jésus-Christ, la seconde
personne de la très sainte Trinité, qui a été
conçue par l'opération du Saint-Esprit , Fils de Marie, qui
l'a mis au monde sans cesser d'être vierge. Sachons aussi que l'Extrême--Onction
a été instituée pour nous procurer du soula-gement
et des grâces extraordinaires, lorsque nous approchons de la mort,
moment où le démon tâche de nous tenter plus fortement,
afin de nous perdre. Le sacrement de l'Ordre ne regarde que les prêtres
: il leur communique le pouvoir de remettre les péchés, de
faire descendre Jésus-Christ du ciel sur les autels, et le pouvoir
d'administrer les autres sacrements. Enfin, nous devons savoir que le sacrement
du Mariage est institué pour sanctifier l'union légitime
de l'homme et de la femme, pour leur donner la force de supporter les peines
que Dieu attache à cet état. Le chrétien qui va recevoir
la Confirmation doit savoir le Notre Père, le Je vous salue Marie,
le Je crois en Dieu, les trois actes de Foi, d'Espérance et de Charité.
Si votre enfant ne sait pas cela, ou instruisez-le, ou qu'il ne se présente
pas à la Confirmation ; car le défaut d'instruction lui ferait
profaner ce sacrement, ce qui serait un malheur infini, puisqu'il ne peut
se recevoir qu'une fois.
2° La Confirmation est un sacrement
qui nous donne le Saint-Esprit avec l'abondance de ses grâces, et
nous rend parfaits chrétiens. Ce sacrement nous donne un esprit
de lumière, de force et de courage, qui nous fait repousser vivement,
les tentations et fouler aux pieds le respect humain. Un chrétien
qui l'a dignement reçu, est toujours prêt à donner
sa vie pour soutenir les intérêts de Dieu et opérer
le salut de son âme ; il craint le péché, voilà
toute sa crainte ; quant au reste, il le foule sous ses pieds. Mais si
nous voulons que ce sacrement produise en nous ces heureux effets, il faut
le recevoir en état de grâce, et pour cela, s'être confessé,
avoir reçu l'abso-lution de ses péchés, tels qu'on
les connaît, sans jamais user de détours, ni omettre quelque
péché, sous prétexte que c'est peu de chose, et qu'il
ne vaut pas la peine de le dire. Il faut, en confession, parler de vos
doutes, parce que souvent il se trouve de gros péchés, que
votre ignorance vous empêche de reconnaître. Prenez bien garde,
si vous aviez le malheur de cacher ou de diminuer quelque péché,
vous commettriez trois sacri-lèges des plus horribles. O mon Dieu
! mon Dieu ! peut--on bien y penser et ne pas mourir d'horreur ?...
Si vous voulez que vos confessions
soient bonnes, il faut que vous vous confessiez comme si, après
votre confession, vous deviez paraître devant le tribunal de Dieu,
pour rendre compte de votre vie. Si vous avez contracté quelque
mauvaise habitude, il ne faut pas de-mander l'absolution avant de vous
en être entièrement corrigé, parce que n'étant
pas corrigé, retombant dans le péché, toutes vos confessions
ne seraient que des sacrilèges . Que devons-nous faire pour détruire
nos mauvaises habitudes ? Faut-il faire quelques pénitences, quelques
prières, quelques mortifications ? Non, M.F., cela ne suffit pas.
Il faut que nous soyons pénétrés du regret d'avoir
offensé Dieu, il faut que nous soyons dans une sincère résolution
de tout souffrir plutôt que d'y retomber ; il faut railler, mépriser,
en un mot, ce que le démon ou les impies pourront nous dire, pour
nous entraîner dans le vice. Si vous n'êtes pas dans ces dispositions,
n'allez pas plus loin, ou sinon, craignez que les foudres du ciel ne vous
tombent dessus et ne vous jettent en enfer. O mon Dieu ! combien vont recevoir
ce sacrement et ne changeront rien à leur manière de vivre
! Peut-on bien penser à cela ?... Et ce sont des chrétiens
?..
Saint Cyprien nous dit : «
Mes enfants, si vous recevez dignement l'Esprit-Saint, vous recevrez toutes
sortes de biens, c'est-à-dire la Sagesse, l'Intelligence, la Science,
le Conseil, la Force, la Piété et la Crainte de Dieu. »
Toutes ces grâces, M.F., consistent surtout dans une vive lumière
qui éclaire nos âmes, et en un feu divin qui embrase nos cœurs.
Voyez comme vous avez besoin que cet Esprit-Saint vienne en vous ; voyez
combien votre esprit est borné et aveugle quand il s'agit du salut,
combien votre cœur est faible, froid et glacé pour la vertu. Saint
Grégoire de Tours nous dit que celui qui a reçu l'Esprit-Saint,
est plus fort que tous les démons ensemble. Et voici la preuve que
nous donne ce grand saint.
« Julien l'apostat (on l'appelait
apostat parce qu'il avait été chrétien et qu'il avait
renoncé à sa foi), pour montrer plus ouvertement son impiété,
ordonna d'offrir publiquement un sacrifice à ses idoles, c'est-à-dire
aux démons. Afin de donner plus d'éclat à cette impie
céré-monie, il se rendit avec toute sa cour dans le temple
destiné à cette action sacrilège. Le moment venu,
l'em-pereur donne le signal pour commencer. Tous les prêtres, tous
les sacrificateurs se mettent au devoir. Mais prodige extraordinaire !
ni eux ni leurs instruments si bien préparés ne peuvent rien.
Le feu même qui était sur l'autel s'éteint tout à
coup. Oh ! s'écrient l'empereur et les sacrificateurs, il y a ici
quelque personne étran-gère qui s'oppose à notre cérémonie.
Il y a sans doute dans cette assemblée quelque chrétien !
L'empereur ordonna de chercher s'il n'y avait point de chrétiens
dans le temple ; en effet, il s'y trouva un jeune homme qui venait de recevoir
la Confirmation, et qui, bien loin de fuir, se présenta lui-même
à l'empereur en disant qu'il était chrétien et disciple
de Jésus-Christ, de ce Dieu mort sur la croix pour nous racheter.
« Je le reconnais pour mon Dieu, disait-il, et me glorifie de lui
appartenir ; oui, c'est moi ou plutôt le Dieu que je sers qui a rendu
vos idoles muettes et sans force ! » L'empereur, qui avait été
chrétien et qui savait ce que peut un chrétien muni de l'Esprit-Saint,
fut saisi de frayeur. « O empereur, que vous êtes aveugle !
s'écria le jeune homme, vous qui avez été chrétien,
qui savez combien notre Dieu est puissant, et que vos idoles ne sont que
des démons qui vous trompent et vous traînent en enfer ! »
L'em-pereur, comme un désespéré, court se cacher,
craignant d'être écrasé par les foudres du ciel. Ce
jeune homme, plein de joie d'avoir confondu toute l'assemblée par
la vertu de l'Esprit-Saint, s'empressa de publier ces mer-veilles. Beaucoup
de païens quittèrent leur religion pour embrasser celle des
chrétiens qui est si sainte et si belle !
Voilà, M.F., les heureux
effets que le sacrement de Confirmation opère en nous, si nous sommes
assez heu-reux pour le recevoir dignement. Oui, si nous le recevons avec
de bonnes dispositions, rien désormais ne sera capable de nous détourner
de nos devoirs de chré-tiens. Si les méchants vous critiquent
de ce que vous pratiquez votre religion, vous les écouterez, mais
vous les mépriserez et foulerez aux pieds leurs railleries ; vous
les plaindrez en voyant qu'ils se perdent, et vous prierez Dieu pour eux.
Si le démon vous tente, vous ferez comme saint Macaire, vous lui
cracherez dessus, pour lui montrer que vous le méprisez, à
l'égal de la boue qui est sous vos pieds. O mon Dieu, que celui
qui a reçu l'Es-prit-Saint est fort et capable de grandes choses
!
II. – Ce sacrement a été
institué le jour de la Pentecôte, dix jours après l'Ascension
de Jésus-Christ au ciel. La sainte Vierge et les apôtres éprouvèrent
les premiers les heureux effets de cet Esprit d'amour, lorsqu'il descendit
sur eux avec le bruit d'un vent impétueux. Il descendit sur leur
tête en forme de langues de feu, tandis qu'in-térieurement
il éclairait leur esprit, embrasait leur cœur, et revêtait
leur âme d'un caractère de zèle et de courage qu'ils
ont fait paraître jusqu'à la mort. Oui, M.F., cet Esprit de
pureté et d'amour se communiquera à tous ceux qui le recevront
dignement. Quoique invisibles, ses grâces ne seront pas moins abondantes.
Par la Confirma-tion, nous recevons le Saint-Esprit, qui est la troisième
personne de la Sainte Trinité. Oh ! quel bonheur pour une vile créature
de recevoir en elle ce Dieu d'amour !… Lorsqu'il fut descendu sur les apôtres,
il les changea tel-lement, qu'on ne pouvait plus les reconnaître
; chacun se disait : « Sont-ce bien là les disciples de ce
prophète de Nazareth que nos docteurs ont fait mourir et crucifier
? Voyez avec quel courage et quelle fermeté ils parlent en public
; nous les avons vus il y a peu de jours, aban-donner leur Maître
et le trahir ; aujourd'hui, ils confondent jusqu'à nos docteurs.
» O mon Dieu ! que vous êtes admirable dans vos opérations
!...
Eh bien ! M.F., après la
Confirmation pourra-t-on en dire de même de vous ? Sera-t-on obligé
de se demander si c'est bien vous que l'on a vus il y a quelque temps ?
Sera-t-on ravi de votre changement ? Vous entendra-t-on chanter les cantiques
et les louanges de Dieu, à la place de ces chansons infâmes
et déshonnêtes ?... Verra-t-on en vous, ma sœur, cette simplicité,
cette modestie, cette pudeur qui fait l'ornement de votre sexe, prendre
la place de ces parures mondaines et de cet air d'affectation dans vos
manières. Sera-t-on obligé de se demander si c'est bien vous
que l'on a vue si orgueilleuse et si pleine de vanité ? Vous que
l'on a vue... O mon Dieu, mon Dieu, qu'allais-je donc dire, en quel bourbier
allais-je descendre ?...
Vous allez vous faire confirmer,
mon frère, c'est très bien ; mais ce n'est pas tout. Il faut
qu'après avoir reçu ce sacrement vous ne soyez plus le même.
Comme les apôtres, il ne faut plus qu'on vous reconnaisse ; il faut
que l'assiduité aux saints offices, la délicatesse au sujet
du travail du Dimanche et l'exactitude dans la fréquen-tation des
sacrements, prennent la place de votre indif-férence pour le service
de Dieu, de votre peu de respect dans sa maison, et, enfin, de votre froideur
et de votre négligence. Hélas ! que de chrétiens vont
recevoir ce sacrement, sans qu'il opère en eux cet heureux change-ment
! par conséquent que de chrétiens vont le recevoir indignement
! ô mon Dieu, que de chrétiens damnés !
Et vous, M.F., qui avez eu le bonheur
de le recevoir autrefois, ce changement s'est-il fait en vous ?... Non,
M.F., non, je n'en dis pas davantage... La première fois que l'on
vous a raillés, n'est-il pas vrai, vous vous êtes découragés,
vous avez tout quitté. A la moindre maladie, à la moindre
perte, vous vous êtes désespérés, au lieu de
penser que tout vient de Dieu, les maux comme les biens. N'avez-vous pas
souhaité la mort, à cause de croix qu'il plaisait à
Dieu de vous envoyer ?... O mon Dieu, que celui qui n'a pas reçu
l'Esprit-Saint dignement, est faible et capable de peu de chose, en comparaison
de celui où habite votre Esprit de lumière !
Oui, chaque sacrement produit son
effet tout particulier. Le Baptême nous fait chrétiens, enfants
de Dieu, frères de Jésus-Christ ; il nous donne un droit
au royaume céleste, que le péché de nos premiers parents
nous avait fermé ; il nous délivre du démon dont nous
étions les esclaves, et nous fait passer dans la douce et heureuse
liberté des enfants de Dieu. Oh ! M.F., que ces avantages sont précieux
! pourrons-nous assez re-mercier le bon Dieu d'un tel bonheur ? Le sacrement
de Pénitence est un sacrement où Dieu montre sa miséri-corde
d'une manière admirable ; car ce n'était pas assez d'être
mort pour nous, d'avoir institué le sacrement de Baptême,
sans lequel jamais nous n'aurions vu le ciel, il lui fallut encore en établir
un second, qui aurait la vertu d'effacer tous nos péchés
actuels. O mon Dieu, que vous êtes bon !... Le sacrement de l'Eucharistie
est le sacrement de son amour ; oh ! M.F., un Dieu se don-ner à
nous !.. un Dieu soupirer après ce moment !… ô bonheur ! ô
grâce précieuse !...
Le sacrement de l'Extrême-Onction
a été institué pour nous fortifier dans les derniers
moments de notre vie. Le sacrement de l'Ordre est établi pour communiquer
aux prêtres les lumières et les grâces nécessaires
pour nous conduire dans les voies du salut ; celui du Mariage est destiné
à sanctifier les actions, l'union légitime de l'homme et
de la femme. J'appelle union légitime, l'union de ceux qui se marient
selon les lois de l'Eglise et de l'État. Eh bien ! M.F., le sacrement
de Confirma-tion est la perfection de tous les autres ; c'est précisé-ment
celui-ci qui nous rend parfaits chrétiens, et ceux qui, pouvant
le recevoir, ne le reçoivent pas, se privent de beaucoup de grâces
et commettent un gros péché.
Oui, M.F., on-peut comparer le chrétien
baptisé à un enfant qui vient de naître et qui est
sujet à toutes les faiblesses ; mais celui qui a été
confirmé est semblable à un homme à la fleur de l'âge,
plein de courage et de force, qui peut porter les armes, et est en état
de se défendre vigoureusement contre ses ennemis. Vous avez fait
jusqu'à présent tout ce que fait un enfant. La moindre chose
vous a découragés, la moindre tentation vous a fait tomber,
la plus petite pénitence vous a effrayés ; mais si vous avez
reçu véritablement l'Esprit--Saint, rien ne sera capable
de vous arrêter : vous foule-rez tout aux pieds, vous ne serez contents
que dans le combat, et, pour tout dire, vous ferez comme les apôtres
après qu'ils eurent reçu le Saint-Esprit, vous ne ferez pas
plus attention au monde que si vous y étiez seuls.
Voyez, M.F., ce qu'étaient
les apôtres avant la des-cente du Saint-Esprit : faibles, timides
; à chaque instant, le respect humain l'emportait sur les intérêts
de Dieu ; ils avaient abandonné leur maître, même après
l'avoir vu plusieurs fois après sa résurrection, boire et
manger avec eux. Ils se tenaient cachés, par crainte des Juifs,
dans le lieu même où ils se préparaient à recevoir
le Saint-Esprit ; pas un n'osait redire publiquement les merveilles dont
il avait été témoin. Mais, ô mon Dieu ! quel
étonnant changement dès qu'ils ont reçu votre Saint-Esprit
! Ils sortent du cénacle, ils courent les rues de Jérusalem,
ils publient ouvertement tout ce qu'ils avaient vu et entendu du Sauveur.
Le peuple, que la fête de Pâques a réuni de toutes les
parties du monde, s'y rend en foule. Saint Pierre, tout enflammé
de l'Es-prit divin : « Mes enfants, s'écrie-t-il, écoutez-moi
: Ce même Jésus que vous avez fait mourir par les mains de
vos bourreaux, Dieu l'a ressuscité . » Est-ce bien là,
M.F., cet apôtre qui pâlit et trembla à la seule voix
d'une servante, et qui renia si lâchement son divin Maître
? Oui, c'est lui-même, mais depuis ce temps, il a reçu l'Esprit-Saint,
qui a changé sa faiblesse en force, et sa crainte en un courage
invincible ; il craignait de passer pour un disciple de Jésus-Christ,
et maintenant, il ne soupire qu'après le moment de donner sa vie
pour lui. Le mépris, les prisons, les persécutions font ses
délices. Oh ! Esprit-Saint, que vous donnez de force à ceux
qui sont assez heureux pour vous posséder !
Mais, pensez-vous en vous-mêmes,
quels sont les dons que le Saint-Esprit nous communique dans le sacrement
de Confirmation ?... – Les voici, M.F., tout ce que je vous demande, c'est
de les mettre en pratique. Je vous ai déjà dit qu'il y en
avait sept. Le premier don du Saint--Esprit c'est la Sagesse, grâce
qui nous détache du monde. Elle nous fait mépriser les plaisirs,
qui ne peu-vent que nous séduire, nous tromper et nous perdre. Cette
vertu nous porte à nous attacher aux biens du-rables, c'est-à-dire
aux biens du ciel ; à ne considérer ce monde que comme un
lieu d'exil et de misères, où, tant que nous y serons, nous
vivrons malheureux, sans atteindre ce bonheur parfait après lequel
notre cœur soupire.
Le deuxième don du Saint-Esprit
est l'Intelligence c'est-à-dire une lumière surnaturelle
qui nous fait com-prendre les beautés de notre sainte religion,
les secours et les consolations que nous y trouvons. Elle nous montre par
conséquent, l'attachement que nous devons avoir pour elle ; elle
nous fait faire des efforts pour la connaître, afin que notre ignorance
ne soit pas cause de notre perte, et que, ravis de tant de beautés
nous mé-prisions tout le reste.
Le troisième don du Saint-Esprit
est le don de Con-seil. C'est une prudence chrétienne qui nous fait
tou-jours choisir les moyens les plus sûrs pour aller à Dieu,
et l'état le plus parfait pour arriver au ciel.
Le quatrième est celui de
la Science, qui nous porte à examiner si toutes nos actions sont
faites avec des intentions bien pures, si nous vivons de manière
à avoir l'assurance que nous sommes dans la route qui conduit au
ciel. Il nous fait connaître aussi les dangers et les occasions qui
peuvent nous perdre en nous portant au mal.
Le cinquième don est la Force.
C'est un caractère de vigueur et de courage qui nous met au-dessus
de tout respect humain ; c'est précisément cette vertu qui
sou-tenait les martyrs dans leurs tourments ; voyez saint Barthélemy,
écorché vif de la tête aux pieds. Eh ! M.F., qui lui
donna cette force, si ce n'est le Saint-Esprit ? Qui donna à saint
Vincent ce courage invincible jusqu'à lasser ses bourreaux. C'est
encore l'Esprit-Saint. En effet, un chrétien qui a reçu cette
vertu, méprise et foule aux pieds tout ce que les impies peuvent
lui dire : il ne pense qu'à plaire à Dieu, et rien autre
chose.
Le sixième don est celui
de la Piété. C'est un saint empressement pour tout ce qui
a rapport au culte de Dieu et au salut de nos âmes. Qui a porté
tant de saints à rendre les services les plus dégoûtants
aux malades ? Qui y porte encore aujourd'hui tant de personnes, qui passent
leur vie à servir les malheureux ? C'est l'Esprit--Saint. C'est
lui qui nous porte à écouter avec empressement la parole
de Dieu, à prier avec ferveur, et à faire consister notre
bonheur dans la fréquentation des sacre-ments.
Le septième don est la Crainte
de Dieu. C'est une déli-catesse de conscience, qui nous porte à
bien examiner si nos actions sont conformes à la loi que Dieu nous
prescrit dans ses commandements. Un chrétien qui pos-sède
cette vertu craint horriblement le péché, et tremble continuellement
d'y tomber ; il fait comme saint Philippe de Néri que l'on trouva
un jour sanglotant. On lui de-manda ce qui le jetait dans cette espèce
de désespoir. « Hélas ! dit-il, je ne désespère
pas ; au contraire, j'es-père beaucoup ; mais quand je pense que
les anges qui étaient dans le ciel, sont tombés, qu'Adam
et Ève ont péché dans le paradis terrestre, que Salomon,
d'après l'Esprit-Saint, le plus sage des rois de la terre, a souillé
ses cheveux blancs par les crimes les plus abominables, la pensée
de tout cela, dis-je, me fait craindre sans cesse que ce malheur ne m'arrive.
Oh ! ajoutait-il, que celui qui connaît la grandeur du péché,
doit craindre d'y tomber !... » Mon Dieu, que nous avons besoin
que cet Esprit-Saint vienne en nous pour changer notre cœur !
Mais à qui, M.F., le Saint-Esprit
doit-il se commu-niquer avec ses sept dons ? Je réponds : A tous
ceux qui s'y seront préparés par la prière et la retraite
; c'est-à--dire, qui auront, autant qu'il leur est possible, détourné
leur cœur des objets et des choses du monde ; qui au-ront confessé
sincèrement leurs péchés avec la douleur nécessaire
; qui auront pris des résolutions véritables de ne plus les
commettre et de tout souffrir plutôt que d'y retomber. En effet,
le Saint-Esprit fut donné seulement à ceux qui avaient passé
quelques jours dans le cénacle, c'est-à-dire dans la retraite.
Toutes les fois que Dieu veut accorder quelque grâce extraordinaire,
ce n'est qu'après quelques jours de retraite. Voyez Moïse :
Dieu ne lui donna sa loi qu'après quarante jours de jeune et de
retraite . Voyez le prophète Elie. Le Seigneur lui commande d'aller
sur la montagne d'Horeb, parce que c'est là qu'il doit lui apprendre
ses volontés ; il veut lui faire comprendre que ce n'est pas dans
le tracas du monde qu'il distribue ses dons précieux. Lorsque le
prophète est sur la montagne, il commence à entendre un vent
impétueux qui semblait tout renverser, mais le Seigneur n'est pas
dans ce vent. Après cela, il se fait un tremblement de terre terrible
: le Seigneur n'y est pas non plus ; enfin, il entend souffler un vent
doux ; alors Élie se couvre la face de son manteau, se met à
l'entrée de sa caverne : c'est là qu'est le Seigneur . Dieu
vou-lait montrer ainsi, que lorsqu'il veut venir dans nos cœurs, il faut
qu'ils soient dégagés des choses exté-rieures du monde,
c'est-à-dire, que nous ayons quitté nos péchés
et nos mauvaises habitudes.
O mon Dieu, ne permettez pas que
nous ayons le malheur de recevoir indignement votre Esprit-Saint ! changez
entièrement nos cœurs et nos âmes !... Sei-gneur, descendez
dans nos cœurs par votre grâce, dai-gnez y habiter par le sacrement
de Confirmation !... O Vierge sainte, qui avez préparé les
apôtres à cet heureux moment, préparez-nous aussi vous-même,
afin que nous puissions recevoir et garder cet Esprit de pureté
et d'amour... Ainsi soit-il.
SERMON
SUR L'EXTRÊME-ONCTION
Dominus opem ferat illi super lectum
doloris ejus : unversum stratunm ejus versasti, in infirmitate ejus.
Le Seigneur portera secours au malade
sur son lit de douleur ; vous avez, ô Dieu, changé sa couche
dans son infirmité.
(PS. XL, 4.)
Qui de nous, M.F., pourra jamais
comprendre la grandeur de la miséricorde de Dieu, son empressement
à nous fournir tous les moyens nécessaires pour adoucir nos
peines et nous assurer le ciel ? Sommes-nous malades ? II veut bien, ce
tendre et aimable Sauveur, s'abaisser jusqu'à venir nous visiter,
nous consoler et nous aider à souffrir, de manière à
rendre ces souf-frances dignes d'une récompense éternelle.
Voulons--nous, M.F., être pénétrés de la grandeur
de son amour pour nous ? Considérons l'empressement qu'il a de nous
accompagner de sa miséricorde, tous les jours et à tous les
instants de notre vie.
Dès que nous entrons dans
le monde, il nous présente le sacrement de Baptême pour nous
ouvrir le ciel que le péché d'Adam nous avait fermé,
et, en nous rendant son amitié, il nous fait participants de tous
les mérites de sa passion. Avons-nous le malheur de perdre cette
grâce précieuse ? Il nous offre pour réparer cette
perte, le sa-crement de Pénitence, que nous pouvons recevoir autant
de fois que nous avons péché, il va encore plus loin ; afin
de ranimer en nous la foi sans laquelle nous ne pouvons plaire à
Dieu, il nous donne, dans le sacrement de Confirmation, son Saint-Esprit,
qui nous éclaire et nous conduit dans toutes nos actions, de manière
à les rendre méritoires pour le ciel. Non content de tous
ces dons, il veut encore, pour nous fortifier dans nos com-bats, nous donner
son corps adorable et son sang pré-cieux, afin de nourrir nos âmes,
et de nous faire goûter d'avance le bonheur des saints. Voilà
donc tout ce qui nous est nécessaire pour conserver ou réparer
en nous la grâce de Dieu ; mais comme le péché d'Adam
nous attire toutes sortes de misères, et surtout le châtiment
de subir la mort ; nous avons besoin, à nos derniers moments, d'un
secours puissant, pour adoucir nos souf-frances et les rendre méritoires
; pour nous fortifier contre les attaques du démon, qui, voulant
nous perdre, redouble ses efforts.
Nous avons besoin, dis-je, d'un
secours extraordi-naire, pour nous rassurer contre les terreurs de la mort
et les frayeurs du jugement, dont la seule pensée a fait trembler
les plus grands saints. Que fait donc notre aimable Sauveur ? Il établit
un sacrement qui nous donne toutes les grâces et les secours nécessaires
dans ce ter-rible moment ; un sacrement, qui nous fait considérer
nos maladies, non comme une punition, mais comme une grâce bien précieuse,
et la mort, non comme un châtiment, mais comme une grande récompense.
Les maladies, en effet, sont des moyens très efficaces pour nous
faire satisfaire à la Justice divine, et la mort nous délivre
de toutes sortes de misères, en nous donnant la possession de toutes
sortes de biens. Mais pour mieux vous le faire comprendre, je crois devoir
vous montrer, 1° les avantages du sacrement de l'Extrême-Onction
; 2° les fautes que nous commettons à l'occasion de ce sacrement
; 3° les dispositions que nous devons y apporter.
I. – Vous parler du sacrement de
l'Extrême-Onction, M.F., c'est vous faire ressouvenir que notre vie
ici-bas n'est pas éternelle, et que bientôt nous sortirons
de ce monde. Notre vie n'est qu'un petit passage, où nous sommes
placés pour combattre le démon, le monde et nos penchants,
afin de nous assurer le ciel ; c'est vous dire que nos corps, que nous
cherchons tant à contenter, que nous craignons tant de faire souffrir,
seront détruits par la violence des souffrances, par la puissance
de la mort, et que nous irons paraître devant notre juge, pour lui
rendre compte de tout le bien et de tout le mal que nous aurons fait pendant
notre vie. Après cela, « nous irons nous ensevelir dans la
maison de notre éternité » Ah ! M.F., que cette
pensée nous serait salutaire, si nous avions le bonheur de la bien
graver dans notre cœur ! En effet, comment pourrions-nous commettre le
péché ? comment pourrions-nous vivre dans le péché,
si nous nous disions en nous-même : Un jour viendra que la maladie
et la mort détruiront ce corps ; un jour vien-dra qu'il me faudra
rendre compte de toutes les actions de ma vie, et, après ce jugement,
ma demeure sera ou le ciel ou l'enfer. O mon Dieu, que celui qui ferait
de cette pensée son pain quotidien, vivrait saintement !...
Le sacrement de l'Extrême-Onction
a été institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ,
pour le soulagement spiri-tuel et même corporel des pauvres malades.
Pour notre âme, elle est sûre d'y trouver toujours la
santé, si elle est bien préparée ; et, de même,
notre corps y trouve aussi la santé, si elle peut être utile
à la gloire de Dieu et à notre salut. Saint Jacques nous
dit : « Si quelqu'un est malade, faites venir le ministre de l'Église,
qui fera sur lui les onctions, et le Seigneur effacera ses péchés
et lui rendra la santé du corps . » De sorte que, non seu-lement
nous recevons la santé de notre âme, c'est-à-dire,
le pardon de nos péchés, mais encore une grâce de force,
pour nous défendre contre le démon, qui redouble ses attaques
à ces derniers moments, espérant toujours nous perdre avant
notre mort. Bien plus, ce sacrement répand dans nos âmes une
douce consolation ; il ranime notre confiance en Dieu, il nous le fait
considérer, non comme un juge sévère, mais comme un
bon Sauveur et un ten-dre Père, qui vient pour nous consoler, et
nous encou-rager par l'espoir de la récompense qu'il nous prépare
dans le ciel.
La maladie est une grâce bien
précieuse, elle nous rappelle à Dieu, et nous fait rentrer
en nous-même ; elle nous détache de la vie ; elle nous fait
considérer toutes les choses créées, les biens, les
plaisirs et les honneurs, comme des choses viles et méprisables,
indignes d'y attacher notre cœur. Moment précieux, M.F. ! C'est
ordinairement dans ce temps-là que nous nous remet-tons devant les
yeux toute notre vie : je veux dire le bien et le mal que nous avons fait.
N'est-ce pas dans ce mo-ment, M.F., que nous regrettons de ne pas avoir
vécu dans l'amitié de Dieu ? N'est-ce pas lorsque nous sommes
étendus : par ce lit de douleur, que nous pleurons des péchés
que peut-être, sans une longue maladie, nous n'aurions jamais pleurés.
N'est-ce pas dans ce moment que nous prenons les résolutions de
changer de vie, si Dieu est assez bon pour nous rendre la santé
? N'est-ce pas dans ce temps-là, que nous concevons une aversion
infinie pour tout ce qui nous a porté au péché, soit
plai-sirs ou mauvaises compagnies ? N'est-ce pas dans ce moment que nous
commençons à penser aux tourments que la justice de Dieu
prépare aux pécheurs ? N'est-ce pas une maladie qui nous
fait nous réconcilier avec notre ennemi ? qui nous fait rendre le
bien qui n'est pas à nous ? N'est-ce pas encore dans ces derniers
moments que nous éprouvons combien le bon Dieu est riche en miséricorde
? N'est-ce pas là que la pensée du jugement nous fait trembler,
à l'aspect de notre destinée éter-nelle ? Oh ! M.F.,
qu'une maladie longue est avantageuse pour un chrétien qui sait
en profiter ; car elle lui fournit des moyens efficaces et puissants pour
revenir à Dieu, rentrer en lui-même, et satisfaire à
la justice divine pour ses péchés : Hélas ! que d'âmes
sont en enfer, et qui seraient dans le ciel si elles avaient eu de longues
maladies ! Combien, au jour du jugement, verront que les maladies leur
ont gagné un grand nombre d'an-nées de purgatoire !
La mort même est un grand
bienfait de Dieu et un moyen capable de nous réunir à lui
; car, vouloir vivre longtemps, c'est vouloir prolonger ses misères
ici-bas. Saint Augustin nous dit : « Celui qui craint la mort, n'aime
pas le bon Dieu. » En effet, si nous aimons quel-qu'un, nous devons
aimer ce qui peut nous y conduire ; par conséquent, celui qui aime
Dieu ne craint pas la mort. Mais n'allons pas plus loin, occupons-nous
de ce qui regarde directement l'Extrême-onction, qui est le sacrement
des mourants.
Ce sacrement est un signe sensible
qui produit en nous des effets invisibles. Ces signes sont les onctions
que le prêtre fait sur le malade avec l'huile sainte, bénite
par l'évêque, et les prières qui les accompagnent.
Si vous ne savez pas pour quoi l'on donne à ce sacrement le nom
d'Extrême-Onction, le voici. C'est que ces onctions sont les dernières
que l'on fait sur un chrétien. Les premières se font lorsque
nous recevons le Baptême ; les secondes, lorsque l'évêque
nous donne la Confirmation, et les dernières lorsque nous sommes
malades. Nous voyons que Jésus-Christ, en instituant les sacrements,
a choisi les signes les plus capables de nous faire connaître les
effets que chaque sacrement produit en nous. Dans le sacrement de Baptême,
nous recevons l'eau, dont l'usage ordinaire est de laver quelque chose
de sale, pour nous montrer que la grâce reçue dans ce sacrement,
purifie notre âme de ses péchés. Dans celui de l'Eucharistie,
nous recevons Jésus-Christ sous l'espèce du pain et du vin,
pour nous faire connaître qu'il nourrit nos âmes, comme le
pain et le vin nourrissent nos corps. Dans ceux de l'Extrême-Onction,
nous recevons l'huile sainte. Or, la propriété de l'huile
c'est de guérir les blessures, d'adoucir les plaies, de fortifier
les membres ; de plus, l'huile d'o-lives est encore le symbole de la paix.
Vous savez que Noé, après le déluge, envoya une colombe
pour savoir si les eaux s'étaient retirées ; elle lui apporta
une bran-che d'olivier, pour lui signifier que la colère de Dieu
était apaisée, et que la paix était rendue à
la terre . Voilà précisément, M.F., les effets que
produit le sacrement de l'Extrême-Onction dans celui qui le reçoit
avec de bonnes dispositions, après s'être bien préparé
par le sacrement de Pénitence.
Il est vrai que par le sacrement
de Pénitence, tous nos péchés nous sont déjà
pardonnés ; mais le sacrement de l'Extrême-Onction achève
de nous purifier de tous les péchés véniels que nous
pouvons avoir commis depuis ce temps-là. Hélas ! que de fautes,
dont ces pauvres malades se rendent coupables ! Tantôt ils murmurent
dans leurs souffrances, tantôt ils ne se soumettent pas bien à
la volonté de Dieu ; une autre fois, ils s'occupent trop d'affaires
temporelles ; un autre moment, ils seront de mauvaise humeur contre ceux
qui en ont soin. Voilà les fautes qu'un pauvre malade commet ordinairement.
Elles sont légères, c'est vrai, mais elles ne laisseront
pas que de le conduire bien des années en purgatoire. C'est pour
cela que les saints Pères appellent ce sacrement « la perfection
du sacrement de Pénitence. » Vous voyez qu'il nous procure
une grâce bien précieuse en nous donnant le bonheur d'aller
voir Dieu, aussitôt après notre mort. De plus, il nous fortifie
contre les tentations du démon, qui en ce moment sont plus fortes
et plus fréquentes.
En effet, c'est principalement dans
nos maladies que le démon, comme nous dit saint Pierre, roule autour
de nous pour nous dévorer ; soit en nous portant au désespoir,
en nous faisant considérer nos péchés comme trop grands
pour être pardonnés, ainsi veut-il nous faire perdre toute
espérance ; soit encore par la présomption, en nous persuadant
que nous n'avons rien à craindre, que Dieu ne nous a pas créés
pour nous damner ; avec cette vaine espérance, nous mourons dans
notre péché, et nous sommes perdus. Ce sacrement, au contraire,
nous fait tenir un juste milieu : il nous donne une crainte salutaire,
qui, en nous faisant nous amender, ne laisse pas que de nous faire espérer
en la miséricorde de Dieu, et nous engage à prendre tous
les moyens que le bon Dieu nous a donnés pour assurer notre salut.
Un autre bien que produit en nous
ce sacrement, c'est de nous rassurer contre les frayeurs de la mort. Il
nous la fait envisager comme un bien, car en nous séparant de la
vie, elle nous conduit à notre véritable patrie ; nous l'acceptons
alors en esprit de pénitence. Si la crainte du jugement à
subir nous effraie, ce sacre-ment nous rassure, en nous faisant penser
qu'à la vue du sang adorable de Jésus-Christ dont nous sommes
tout couverts, il est impossible que le Père Éternel ne veuille
pas nous reconnaître pour son ouvrage, pour ses fils, ses enfants
et les chrétiens de son royaume. Ce sacrement fortifie encore le
malade, il lui fait supporter ses souffrances avec patience et résignation
à la volonté de Dieu ; bien plus, il adoucit ses douleurs,
et elles lui paraissent moins violentes. Nous savons bien, il est vrai,
ce qu'est la souffrance ; plusieurs d'entre nous, ont éprouvé
des douleurs bien violentes ; mais aucun d'entre nous ne sait ce que l'on
souffre pour mourir. Dans ce moment surtout, nous avons besoin que ce sacre-ment
adoucisse nos maux. Écoutez saint Jacques « Quelqu'un est-il
malade ? qu'il fasse venir le ministre du Seigneur, et la prière
de foi qu'il fera sur lui le soulagera. » En effet, que de malades,
après avoir reçu ce sacrement, se sont trouvés mieux
!
Ce qui nous rend la mort si effrayante,
c'est qu'il nous faut aller rendre compte de notre pauvre vie, qui n'a
été peut-être qu'une chaîne de péchés.
Que de sacrilèges ! que de profanations du saint jour du Dimanche
! Que de fois n'avons-nous pas profané notre esprit, notre cœur
et notre corps par l'impureté ? Il est vrai que nous avons bien
confessé tout cela ; mais, mon Dieu ! avons-nous apporté
assez de préparation ? avons-nous eu assez de contrition ? O moment
terrible pour un chrétien, qui n'a pas pensé sérieusement
à son salut ! Eh bien ! si nous recevons ce sacrement saintement,
nous avons une grande certitude que Dieu nous pardonnera. Oui, M.F., lorsque
nous voyons venir le prêtre pour nous donner ce grand sacrement,
c'est comme si nous voyons un ange venir nous annoncer que le ciel va se
réconcilier avec nous, et que Jésus-Christ nous attend dans
la gran-deur de sa miséricorde. Disons encore quelque chose de plus
consolant. Dans ce sacrement, Jésus-Christ descend vraiment dans
nos âmes par sa grâce, il vient y faire sa demeure, et nous
conduire lui-même en triomphe dans le ciel, ainsi qu'il le fit à
ce pénitent, dont saint Siméon Stylite vit l'âme emportée
au ciel par le Sauveur lui--même . Que de fois, M.F., nous voyons
des malades, que la pensée de la mort effrayait presque jusqu'au
désespoir, et qui ont fini par dire, après avoir reçu
ce sacrement : « Je ne croyais pas qu'il fût si doux et si
consolant de mourir ! »
D'après cela, je conclus
que dans ce sacrement, tout est pour nous une consolation, car il nous
procure les plus grands biens pour le temps et pour l'éternité.
Oui, M.F., cela doit nous engager à demander à Dieu, tous
les jours de notre vie, la grâce de recevoir ce sacrement avant de
mourir. Je sais qu'il n'est pas absolument nécessaire pour être
sauvé ; mais, si nous négligions de le recevoir, nous nous
rendrions coupables, nous nous priverions de grandes grâces ; nous
semblerions, en effet, mépriser les moyens que le bon Dieu nous
pré-sente pour nous aider à opérer notre salut. Bien
plus, nous nous exposerions grandement à faire une mau-vaise mort,
ce qui est le plus grand de tous les mal-heurs.
II. – Si vous me demandez dans quel
temps il faut avoir recours à ce sacrement ? je vous dirai, que
c'est lorsque nous avons une maladie qui semble vouloir nous conduire au
tombeau. Vous savez que ce sacrement ne peut être reçu qu'une
fois dans la même maladie ; mais, toutes les fois que nous revenons
à la santé et que nous retombons malades, nous pouvons de
nouveau le rece-voir. Si maintenant vous me demandez à quel âge
on peut recevoir ce sacrement ? Je vous répondrai : Dès que
nous avons l'âge de raison, c'est-à-dire dès que nous
pouvons distinguer le bien d'avec le mal ; aussi, lorsque vos enfants commencent
à distinguer le bien d'avec le mal, il ne faut jamais manquer de
les faire confesser, afin qu'ils soient en état de recevoir ce sacrement.
Je vais vous montrer en gros, les
fautes dont nous pouvons, sur ce point, nous rendre coupables. Nous sommes
coupables lorsque nous avons négligé de de-mander à
Dieu, pendant notre vie, la grâce de recevoir ce sacrement à
l'heure de notre mort, ou si nous l'avons considéré comme
peu de chose. Hélas ! M.F., si j'osais, je vous dirais qu'il y a
des chrétiens qui, dans toute leur vie, n'ont jamais demandé
au bon Dieu cette grâce. Nous sommes encore coupables, si nous ne
prions pas pour ceux que l'on va administrer ; si nous négligeons
d'aller auprès d'eux pouvant le faire ; si, étant auprès
des malades, nous leur cachons leur état ; si nous détour-nons
ceux qui veulent faire venir le prêtre, ou si nous ne l'avons pas
appelé quand les malades le réclamaient ; si nous négligeons
de les instruire sur ce sacrement, de leur apprendre qui l'a institué,
les effets qu'il produit en nous, pourquoi on nous le donne, et quelles
sont les dispositions que nous devons y apporter ; enfin, si nous n'avons
pas prié pour ces pauvres malades, pendant qu'on leur administrait
ce sacrement. Nous ne devons pas nous contenter d'y assister, mais il faut,
autant que nous le pouvons, solliciter la miséricorde de Dieu pour
eux.
Ceux qui les gardent doivent, autant
que possible, leur laver les pieds et les mains avec de l'eau tiède,
par res-pect pour le sacrement. Si c'est une fille ou une femme, ne jamais
les laisser sans leur mettre un mouchoir au cou ; ces pauvres malades n'y
pensent pas !... Hélas ! que de maîtres sont coupables, en
envoyant leurs domesti-ques à l'hôpital presque morts ; ils
meurent quelquefois en chemin, ou bien, arrivés à l'hôpital,
ils reçoivent ce sacrement sans connaissance, et, par conséquent,
sans fruit ! Combien d'autres ont de pauvres malades chez eux, et les laissent
mourir, sans en avertir le prêtre de la paroisse ?... Les pères
et mères, les maîtres et maî-tresses, doivent encore
voir s'ils ont négligé d'instruire leurs enfants et leurs
domestiques de ce qui regarde ce sacrement, dès qu'ils sont en état
de le recevoir ; s'ils négligent cela, ils seront cause que leurs
enfants et leurs domestiques le profaneront. Mon Dieu, où sont ceux
qui remplissent bien leurs devoirs ? Hélas ! qu'il y en a peu !...
Il faut encore vous examiner si
vous n'avez pas pris plaisir à entendre, ou à dire vous-mômes
de ces paroles impies : « Il peut partir, ses bottes sont engraissées,
ou encore : Il est… » c'est se railler des choses saintes. Il faut
encore voir, si vous n'avez pas accompagné le bon Dieu plutôt
par curiosité, que pour prier auprès du ma-lade. Quant aux
malades, ils ne doivent jamais attendre ces moments pour mettre ordre à
leurs affaires temporelles ; ils doivent y penser tandis qu'ils sont en
santé afin que, dans la maladie, ils ne s'occupent que du salut
de leur âme. Ne manquez jamais de vous retenir des messes, ne vous
fiez pas sur les promesses de vos héri-tiers, vous savez ce que
l'on dit dans le monde, et cela est très vrai : « Le souvenir
des morts s'en va avec le son des cloches. »
Les saints, M.F., regardaient comme
un grand péché de laisser mourir une personne sans sacrements.
Il y en a qui ont peur d'effrayer les malades, et n'osent pas leur parler
de recevoir les sacrements ; quelle cruelle ami-tié !... Il est
rapporté dans l'histoire qu'un pauvre père étant à
l'article de la mort, personne ne lui parlait de se confesser ; une petite
fille qui venait du catéchisme lui dit : « Mon père,
le médecin dit que vous allez mourir ; ma mère pleure dans
sa chambre, personne ne vous parle de vous confesser ; monsieur le curé
nous a dit que c'était un grand péché que de laisser
mourir une per-sonne sans sacrements, voulez-vous que je le fasse ve-nir
? » – « Ah ! mon enfant, lui dit le père, va vite le
chercher, je n'y pensais pas ; je souffre tant ! » Le prêtre
vint, et le malade se confessa dans de très bonnes dis-positions.
Avant de mourir, il fit venir sa fille auprès de son lit, en lui
disant : « Ah ! mon enfant, que je te re-mercie ! sans toi, j'étais
damné ; je ne pensais pas à me confesser. »
Hélas ! que de pauvres malades
meurent sans sacre-ments et se damnent par la faute de ceux qui les entou-rent,
et qui n'ont pas la charité de les faire confesser ! Nous devons
encore avoir une grande dévotion à sainte Barbe, pour demander
au bon Dieu, par sa protection, de recevoir nos derniers sacrements . Il
est rapporté dans l'histoire qu'un saint évêque exilé,
n'ayant point de moyens de recevoir les sacrements, la sainte Vierge vint
avec des anges, etc.... Il faut encore ne jamais man-quer, si le prêtre
n'y pensait pas, de lui faire appliquer au malade les indulgences plénières,
qui sont la remise de toutes les peines que nous devons souffrir en purgatoire.
III. – Mais quelles sont les dispositions
que nous devons avoir pour recevoir dignement ce sacrement ? J'en trouve
trois. La première, c'est d'être en état de grâce,
la seconde, c'est la résignation à la volonté de Dieu,
la troi-sième, souffrir la maladie avec patience. Je dis qu'il faut
être en état de grâce, c'est-à-dire, s'être
confessé ; parce que si l'on recevait ce sacrement avec un péché
mortel sur la conscience, l'on commettrait un horrible sacrilège.
O mon Dieu, quel malheur !... Si vous êtes en état de péché
et que vous ne puissiez parler, il faut vous exciter à la contrition,
et vous confesser par signes, autant que vous pourrez. Hélas ! qu'il
est difficile de bien se con-fesser dans ce moment, quand on a négligé
de le faire pendant le temps de la santé !... Il ne faut pas cependant
se laisser aller au désespoir, quelque misérable que l'on
soit ; quand même nous aurions commis de grands et nombreux péchés,
il faut toujours espérer en la bonté de Dieu. Il faut faire
mettre un crucifix devant nos yeux, afin qu'en le regardant, nous voyons
la grandeur de la miséricorde de Dieu pour les pécheurs.
Cette image fera naître en nous une grande confiance, en pensant
que la miséricorde de Dieu est encore infiniment plus grande que
nos péchés, et que, quoique bien pécheurs, nous pouvons
espérer notre pardon. Il est vrai qu'il faut bien craindre pour
tant de grâces méprisées et tant de péchés
commis ; mais il faut penser que Dieu a promis que jamais il ne refuserait
le pardon à celui qui le lui demande comme il faut.
2° Une autre disposition que
doit avoir le malade, c'est de se soumettre entièrement à
la volonté de Dieu, et de ne point se tourmenter de sa guérison
; il faut qu'il sache que si la santé est nécessaire au salut
de son âme, le bon Dieu le guérira. Il est vrai qu'il n'est
pas défendu d'avoir recours au médecin ni aux remèdes,
puisque Dieu a établi les médecins et créé
les remèdes. Nous voyons que Jésus-Christ lui-même
a cherché quelques consolations dans ses peines, lorsqu'il alla
trouver ses apôtres en leur disant : « Mon âme est triste
jusqu'à la mort ; » et lors-qu'étant sur la croix
il dit aussi : « Mon père, pourquoi m'avez-vous abandonné
? » Ce n'est pas qu'il eût besoin de secours, mais seulement
pour nous montrer qu'il n'est pas défendu de chercher quelque soulagement
dans nos maladies et quelques consolations dans nos peines. Mais à
l'exemple de Jésus-Christ, disons à Dieu : « Mon Dieu,
que votre sainte volonté se fasse toujours, et non la mienne
», soyons toujours contents, de quelque manière qu'on se conduise
à notre égard, nous sommes sûrs que le salut de notre
âme s'y trouvera.
Tout nous engage donc à faire
recevoir les derniers sacrements à ceux qui sont dans nos maisons
; d'abord il y a une bénédiction particulière qu’apporte
Jésus--Christ en y venant. Ensuite, nous ne pouvons pas rendre un
plus grand service, c'est-à-dire faire une plus belle oeuvre de
charité, que de fournir à un malade les moyens de s'assurer
le ciel. Enfin, nous sommes sûrs que le bon Dieu ne nous refusera
pas la même grâce, quand nous se-rons à l'heure de la
mort. Nous ne devons jamais négliger de faire venir un prêtre
; il vaut mieux que le prêtre vienne vingt fois de trop, que si vous
laissiez mourir votre ma-lade sans sacrements. D'ailleurs un prêtre
a toujours un grand plaisir à voir un malade, et les malades à
leur tour doivent sentir le bonheur de cette visite. Saint Ber-nard nous
rapporte que saint Malachie, archevêque de Cologne, avait été
appelé par un malade. Quand il fut arrivé, on lui dit que
le malade n'était pas en danger, qu'il pouvait attendre au lendemain
; et sur cela l'arche-vêque reprit son chemin. Peu d'instants après,
on court après lui, disant que le malade est mort. « Ah !
malheu-reux, s'écrie-t-il, c'est bien par ma faute. » Il se
rend près de lui, quoiqu'il fût mort, se prosterne la face
contre terre, répand des larmes en abondance, et engage tous ceux
qui étaient avec lui à prier aussi. « Non, mon Dieu,
je n'aurai point de consolation que vous n'ayez rendu la vie à ce
mort ! redoublons nos larmes, mes enfants, disait-il à ceux qui
étaient avec lui, peut-être que le bon Dieu se laissera toucher.
» Après avoir passé toute la nuit à prier, il
regarde le mort, il le voit remuer les yeux et les lèvres. «
Ah ! mes amis, s'écrie-t-il, le bon Dieu lui rend la vie. »
Il lui administre alors les sacrements, il ne les avait pas plutôt
reçus, qu'il expira .
Il n'y a pas pour nous de spectacle
plus salutaire que celui de voir administrer à un malade les derniers
sacre-ments. Lorsqu'étant en santé, nous entendons sonner
la cloche du viatique, quittons notre ouvrage pour un ins-tant ; allons
voir ce que nous serons un jour, et ce que nous pouvons dans ce moment
de notre vie. Allons, M.F., entendre ce pauvre malade nous crier : «
Ah ! mes amis, venez à mon secours, demandez au bon Dieu qu'il veuille
bien avoir pitié de moi ; venez voir, semble-t-il nous dire, ce
que vous serez vous-même un jour. » Si, quand nous voyons administrer
un malade, nous faisions bien ces réflexions : Oui, un jour viendra
que je serai à la place de ce pauvre malade, quelles seront mes
pensées dans ce moment ? Que penserai-je et que dirai-je de mes
plaisirs, de mon attachement à ces biens qui en ont perdu tant d'autres
? Que penserai-je de mes vengeances, de mes injustices et de mon ivrognerie
? Quelle vie, pour aller paraître devant un Dieu qui ne me fera pas
grâce d'une minute, et qui voudra savoir comment je l'ai employée
! Hélas ! dirons-nous dans toute l'amer-tume de notre âme
! ah ! moment épouvantable, qui a porté les plus grands saints
presque au désespoir. Ah ! triste moment pour un chrétien
qui a fait le mal !... Quel spectacle plus capable de nous convertir que
la présence d'un mourant qui va quitter ce monde pour toujours ?.
. Regardez-le un instant, M.F., voyez ces pauvres yeux mourants et presque
éteints, il semble nous dire : « Ah ! mon ami, n'attendez
pas d'être comme moi pour faire le bien !... si Dieu me rendait la
santé, oh ! que ma vie serait bien plus chrétienne qu'elle
n'a été jusqu'à pré-sent ! Si le bon Dieu me
retire de ce monde dans cette maladie, que vais-je devenir ?... puisque
dans ma vie je ne vois que du mal et presque pas de bien. Ah ! priez Dieu
qu'il veuille me pardonner »
Lorsque nous voyons entrer le prêtre
dans la chambre d'un mourant, disons-nous : Quel va être le sort
de ce- malade ? Ou le ciel, ou l'enfer ! Mon Dieu que ce moment est terrible
!... Oui, dans ce moment, le bon Dieu va ou le recevoir dans son sein,
ou le vomir pour jamais de sa présence. Oh ! quel malheur de n'avoir
vécu que pour se creuser un enfer !... Le prêtre, avant de
lui administrer les sacrements, fait plusieurs prières pour implorer
la miséricorde de Dieu sur lui ; il prend l'huile sainte pour faire
les onctions, et semble lui dire : « Mon ami, pro-fitez bien du peu
de temps qui vous reste, si vous ne revenez pas, c'est la dernière
grâce que le bon Dieu vous accorde en ce monde. » Il implore
les prières des assis-tants, afin de demander miséricorde
pour le malade ; puis, il fait les onctions. Il commence par les yeux,
comme s'il lui disait : « Fermez ces yeux qui, tant de fois, se sont
ouverts sur des objets impurs, et qui ont ainsi perdu votre âme ;
refusez-leur pour un instant la lu-mière, puisqu'ils en ont si mal
profité. » « Mon Dieu, dit le prêtre, pardonnez-lui
tant de mauvais regards, et tant de curiosités, par lesquels le
péché est entré dans son âme et lui a donné
la mort. Mon Dieu, pardonnez--lui tous les péchés qu'il a
commis par le sens de la vue. » Considérez, M.F., ces yeux
qui autrefois étaient ardents pour le mal, dont le regard brillait
d'un feu impur, voyez-les, dis-je, sous la main du prêtre, dont la
présence le frappe de terreur ; voyez et considérez sous
la main du ministre du Seigneur la pauvre tête de cette jeune fille
qui a tant pris de soin à se parer, qui tant de fois a passé
des heures entières à se considérer devant une glace
de miroir, qui, dans toutes ses manières, ne cherchait qu'à
plaire et à s'attirer les regards du monde. Ses yeux, qui autrefois
allumaient des flammes dans le cœur du jeune libertin, les voilà
maintenant qui jettent l'épouvante dans l'âme de ceux qui
l'environnent.
Le prêtre fait l'onction des
oreilles. Hélas ! voyez com-ment l'on tourne et retourne cette tête
défaillante qui fut l'idole du monde et qui croyait être la
seule bien faite. Ces oreilles autrefois ornées d'or ou de diamants,
dont elle avait tant de soins de faire briller l'éclat devant les
rayons du soleil. Voyez ces cheveux que le prêtre écarte,
ces cheveux qu'elle arrangeait et frisait jadis avec tant de soins, les
voilà tout ruisselants des sueurs de la mort. « Mon Dieu,
dit le ministre du Seigneur, pardonnez à cette pauvre mourante,
tous les péchés qu'elle a commis par ses oreilles, par l'or
et les diamants, dont elle a pris tant de soins d'embellir cette tête
d'iniquité. » Laissons, M.F., cette tête ornée
avec tant d'artifice ; laissons-la, l'enfer semble l'attendre, et la mort
la presser.
Le prêtre lui fait des onctions
sur le nez, ce nez qui, tant de fois, a cherché les bonnes odeurs
et qui mainte-nant exhale déjà la corruption . Le prêtre
lui fait des onctions sur les lèvres, instruments de tant de voluptés,
de tant de médisances, de calomnies, de paroles et de chansons infâmes.
« Mon Dieu, dit le prêtre, que cette bouche soit purifiée
par cette onction, de toutes les mau-vaises paroles prononcées.
Faites à cette pécheresse, la grâce de ne jamais entendre
ces foudroyantes paroles que tout réprouvé entendra un jour
sortir de votre bou-che : « Retirez-vous de moi, maudits, allez au
feu éter-nel. »
Le prêtre prend ses mains,
mains qui ont commis tant d'iniquités, ces pauvres mains qui sont
à cette heure trempées des sueurs de la mort ! « Mon
Dieu, pardonnez à ces mains souillées de tant de péchés
! » De là, le prêtre fait les onctions sur la poitrine
, cette poitrine ornée avec tant de soin, et des soins si souvent
répétés, tou-jours dans la coupable espérance
d'attirer les yeux et de plaire au monde ; voilà le moment où
le Seigneur semble descendre dans ce cœur, avec le flambeau à la
main pour en examiner tous les plis et replis . « Mon Dieu, dit le
prêtre, pardonnez à cette malheureuse tous les péchés
qu'elle a commis, par tant de pensées d'orgueil, de haine, de vengeance,
par toutes les mauvaises pensées et les mauvais désirs qui
ont corrompu son pauvre cœur ! Enfin, le prêtre fait l'onction aux
pieds, ces pieds qui autrefois étaient actifs à courir au
mal ; ces pieds qui l'ont tant de fois portée dans les jeux, les
danses et les bals ; les voilà donc comme liés dans ces draps,
inca-pables même de se remuer. Voilà ce corps déjà
enlacé dans les bras de la mort...
Oui, considérez un moment,
M.F., le corps de cette jeune fille de vanité, qui n'a cherché
que les moyens de relever sa beauté. Voyez ce visage, qu'elle lavait
autre-fois avec tant de précaution, afin de lui conserver sa fraîcheur
; le voilà tout décomposé. Voyez ce cou, qui était
embelli avec tant d'art de riches bijoux et qui por-tait ces deux ou trois
rangs de collerettes ; hélas ! il ne peut plus seulement soutenir
sa pauvre tête. Qu'est devenue cette beauté que rehaussait
encore ces vêtements de forme et de couleurs si bien choisies ? Et
dans ce corps, mon Dieu, qu'est devenue cette pauvre âme, que vous
aviez faite par le Baptême aussi belle qu'un ange ?... Mon Dieu,
mon Dieu ! quelle route va-t-elle prendre ? Sera-ce le ciel, sera-ce l'enfer,
qui doit être sa demeure éternelle ?
Oui, M.F., ce sera le ciel, si cette
pauvre âme reçoit le sacrement de l'Extrême-Onction
avec les dispositions que je vous ai indiquées plus haut ; si, sincèrement
péni-tente de sa vie criminelle, elle reçoit comme il faut
ces derniers sacrements et se jette dans les bras de la misé-ricorde
de Dieu. Mais pour nous, tâchons de vivre sain-tement, et nous sommes
sûrs qu'en retour, le bon Dieu ne nous privera pas du bonheur de
faire une bonne mort. C'est ce que je vous souhaite.
SERMONS INÉDITS
SERMON
SUR L'EXAMEN DE CONSCIENCE
Qui ascondit scelera sua, non dirigetur
: qui autem confessus fuerit et reliquerit ea, misericordiam conse-quetur.
Celui qui cache ses péchés
se perdra ; mais celui qui les confesse et qui s'en retire obtiendra miséricorde.
(PROV. XXVIII, 13.)
Nous avons vu, M.F., il y a peu de
temps, qu'il fallait nécessairement et absolument confesser tous
ses péchés mortels avec leur espèce, leur nombre et
enfin leurs circonstances, si nous voulons en obtenir le pardon. Le Saint-Esprit
nous dit lui-même que celui qui cache quelques péchés,
par honte ou par négligence, se perdra, c'est-à-dire sera
damné. Cacher ses péchés par honte ou par crainte
et avec réflexion, c'est un crime qui fait frémir. Nous cachons
nos péchés par négligence, lorsque nous ne donnons
pas tous les soins et le temps qu'il faut pour nous examiner, afin de con-naître
nos péchés tels qu'ils sont aux yeux de Dieu et que nous
les connaîtrons au jour du jugement. La confession serait mauvaise,
si l'on faisait une confession générale, pour accuser les
péchés que l'on a commis depuis sa dernière confession,
en les mettant tous en-semble, afin d'avoir moins de honte.
Voici un des effets les plus funestes
du péché, c'est d'aveugler celui qui le commet d'une manière
si affreuse qu'il ne se connaît nullement, et, bien plus, qu'il ne
cherche pas même à se connaître ; ou d'une manière
si légère qu'il ne voit point l'étal de son âme.
C'est d'abord l'état d'un chrétien qui profane les sacre-ments.
On sera accoutumé à une certaine routine d'exa-men, on se
contente de se rappeler quelques foules qui sont les plus ordinaires, comme
sont les blasphèmes, les jurements et les colères, mais sans
se donner la peine de descendre dans son cœur pour en connaître le
nombre et la malice. C'est, en second lieu, l'état d'un chrétien
qui multiplie ses sacrilèges. Celui-ci examine, non ce qu'il a fait,
mais ce qu'il va dire, c'est-à-dire la manière dont il va
s'accuser pour éprouver moins de honte ; comme si, en trompant un
confesseur, il pouvait tromper Dieu, qui a pesé et compté
tous ses péchés. C'est, en troisième lieu, l'état
d'un pécheur qui profane les sacrements. Celui-ci se présentera
sans s'être seule-ment examiné, pensant que le confesseur
l'interrogera pour lui faire connaître ses péchés :
autre profanation. Quand même un prêtre vous ferait assez connaître
vos péchés de manière à n'en point laisser,
quand est-ce que vous allez demander à Dieu la contrition ? C'est
après votre confession, après avoir reçu l'absolution
? Confession sacrilège ! O mon Dieu ! peut-on bien y penser et vivre
tranquille ? Quel est mon dessein ? M.F., le voici : c'est de vous montrer
que, pour faire une bonne confession, nous devons nous examiner sérieusement
et de bonne foi ; 2° de vous apprendre la manière de vous confesser
; 3° de vous faire connaître ceux qui font de mauvaises confessions
; 4° de vous faire voir les moyens que vous devez prendre pour réparer
celles qui ont été mal faites.
I. – Ne désirant rien autre
que le salut de vos âmes et votre bonheur éternel, je vais
donc, avec la grâce de Dieu, vous débrouiller, autant qu'il
me sera possible, l'état d'aveuglement où le péché
nous a réduits, qui nous empêche de pouvoir nous connaître
tels que nous sommes aux yeux de Dieu, et que nous nous connaîtrons
au grand jour des vengeances. Venons, M.F., avec notre simplicité
ordinaire. Je vous demande qui sait ce que c'est qu'un examen ? Je vous
dirai que c'est la recherche, avec tous les soins possibles, des péchés
que nous avons commis depuis le baptême ou depuis notre dernière
confession ; et cette connaissance de nous-mêmes est plus difficile
que vous ne pensez. C'est, pour celui qui veut bien la faire, une affaire
qui lui demande tous ses soins et du temps.
Si vous me demandez ce qu'il faut
faire pour s'exa-miner comme il faut, c'est-à-dire pour faire une
confes-sion qui nous mérite notre pardon, il faut retirer son cœur
et son esprit de toute affaire temporelle, je veux dire ne penser ni à
son commerce, ni à son ménage, descendre, avec une espèce
d'horreur et d'indi-gnation, dans son cœur, avec un flambeau d'une main
et une balance de l'autre, pour examiner rigoureuse-ment le nombre, toutes
les circonstances et peser toute la malice de nos péchés.
Mais n'étant que ténèbres, de nous-mêmes, nous
sommes donc incapables de pouvoir pénétrer à fond
cet abîme de corruption qui n'est bien connu que de Dieu seul. C'est
donc à lui à qui nous devons nous adresser avec une humilité
profonde, à la vue de nos péchés, et une grande confiance
à sa bonté qui est infinie ; implorer les lumières
du Saint-Esprit par une prière fervente et animée d'une foi
plus vive qui touche le cœur de Dieu et attire sur nous ses misé-ricordes.
Étant rentrés en nous-mêmes, M.F., disons--lui du fond
de notre cœur : « Mon Dieu, ayez pitié d'un misérable
pécheur tout couvert d'iniquités, qui n'en connaît
ni le nombre ni la malice. Je m'adresse à vous qui êtes la
lumière du monde ; mon Dieu, faites des-cendre dans mon cœur un
rayon de votre lumière ; montrez-moi, je vous prie, mes péchés,
afin que je puisse les détester et mériter mon pardon. »
Oui, M.F., le péché jette dans notre esprit des ténèbres
affreuses qui bouchent les yeux de notre âme.
Voyez, M.F., ce qui arriva à
David qui, avant que le péché tombât sur son âme,
apercevait avec tant de con-naissance les moindres fautes qu'il faisait.
Mais ayant le malheur d'être tombé dans son premier péché,
les yeux de son âme perdirent leur lumière. Non content de
déshonorer la femme d'Urie, il le fait encore mourir, et reste un
an dans cet état malheureux, sans se repro-cher ni son adultère,
ni son homicide. Il ne s'en aper-çoit pas même, il faut que
Dieu lui envoie son prophète Nathan pour lui ouvrir les yeux, et
ce ne fut que dans ce moment qu'il se reconnut coupable .
Voilà une image terrible
d'un pécheur qui croupit dans quelques péchés d'habitude
; il faut que Dieu le prévienne et aille le chercher, pour ainsi
dire, dans ses désordres ; sans quoi, jamais nous n'en sortirions.
Ce qui nous montre, M.F., qu'il est impossible de con-naître nos
péchés et de faire une bonne confession si nous n'implorons
pas de tout notre cœur les lumières du Saint-Esprit, afin de bien
nous faire connaître le mal que nous avons fait et de nous donner
la douleur néces-saire pour les détester. Voulez-vous savoir
à quoi le pécheur ressemble ? A une personne extrêmement
contrefaite et laide et qui se croit bien faite et bien belle, parce qu'elle
ne s'est jamais bien regardée dans un miroir ; mais qui, dès
qu'elle se considère, se trouve si laide, si affreuse, qu'elle ne
peut se regarder, ni même y penser sans horreur. La même chose
arrive au pécheur qui est resté quelque temps dans le péché,
sans faire aucun retour sur lui-même. Mais rentrant en lui--même,
il ne peut pas concevoir comment il a pu rester dans un état si
déplorable. Qu'est-ce qui fait tant verser de larmes à certains
pécheurs ? Rien autre, sinon qu'ils sont rentrés en eux-mêmes
et qu'ils ont vu ce qu'ils n'avaient pas vu jusqu'à présent.
Pourquoi est-ce que tant d'autres encore plus coupables sont tranquilles,
ne versent point de larmes ? hélas ! M.F., c'est qu'ils ont fermé
les yeux sur l'état de malheur où est réduite leur
pauvre âme.
En second lieu, je dis que nous
avons bien besoin des lumières du Sain-Esprit pour connaître
nos péchés, parce que notre cœur est le siège de l'orgueil,
qui ne cherche que les moyens de nous les faire connaître moindres
qu'ils ne sont. Vous voyez que nous avons absolument besoin des secours
du Saint-Esprit pour connaître nos péchés tels qu'ils
sont.
3° Je dis que le pécheur,
étant encore l'esclave du péché, a besoin d'une grâce
forte pour le détacher entièrement du péché
et des objets qui l'ont porté au péché. Combien ne
trouvons-nous pas encore de cer-tains pécheurs qui semblent être
convertis et qui res-sentent encore une certaine satisfaction en pensant
aux désordres auxquels ils se sont livrés il y a quelque
temps ! Nous avons donc bien besoin de la grâce de Dieu, qui nous
inspire une horreur profonde de nos péchés passés.
Dites-moi, M.F., dans vos confessions
et avant vos confessions avez-vous eu soin de demander à Dieu ses
grâces et ses lumières pour ne pas profaner ce sacre-ment
de miséricorde ? Oui, nous oublions peut-être que sans Dieu
nous ne pouvons rien que faire mal. Avez--vous fait comme l'aveugle de
Jéricho, qui reconnut son aveuglement et qui le déplora amèrement
? Avez-vous fait comme lui, qui s'adressa à Dieu avec tant de sincérité,
animé d'une foi si vive, qu'il mérita de recouvrer la vue
? « O Jésus ! fils de David, ayez pitié de moi ! »
Cela plusieurs fois de suite : « O Jésus ! fils de David,
ayez pitié de moi. » Jésus, touché, toujours
prêt à nous écouter et à nous accorder l'effet
de nos demandes, se tourne contre lui en lui disant : «Que voulez-vous
de moi ? » – « Mon Dieu, lui répond l'aveugle, faites
que je voie. » – « Eh bien, lui dit ce bon Jésus, voyez
! » Hélas ! M.F., si lorsque nous sommes dans le péché
nous sommes dans les ténèbres, nous pouvons nous adresser
à Dieu comme l'aveugle : « Mon Dieu, devons--nous lui dire,
faites que je voie le nombre et la malice de mes péchés.
» Disons encore comme le saint roi David : « Mon Dieu, vous
êtes ma lumière, éclairez mes ténèbres.
» Et avec le saint homme Job : « Seigneur, montrez-moi mes
péchés et toutes mes fautes . » Dieu qui désire
mille fois mieux notre salut que nous le désirons nous-mêmes,
ne manquera pas certainement de nous accorder la grâce que nous demandons.
Aussi, M.F., étant seuls
et en la présence de Dieu, il faut commencer notre examen de conscience
et re-chercher tous nos péchés ; prenez les commande-ments
de Dieu et ceux de l'Eglise et les péchés capi-taux, et voyez
comment et en combien de manières vous avez péché
contre ces commandements. Examinez les devoirs de votre état, comparez
votre vie avec vos devoirs ; remarquez avec soin, sans vous presser, en
quoi vous vous en êtes écartés par pensées,
par désirs, par actions et omissions. Pour vous faciliter cette
recherche, examinez quelles sont vos occupations les plus ordinaires, les
lieux où vous allez, les personnes que vous voyez.
Je n'entrerai pas dans tous ces
détails, cela ne finirait plus ; c'est à chacun de vous à
vous examiner là-dessus, et à voir en quoi vous êtes
coupable. D'abord, examinez--vous sur vos confessions passées et
voyez si vous avez assez accusé tous vos péchés mortels,
avec une véritable douleur d'avoir offensé Dieu et un ferme
propos de vous corriger et de quitter non seulement le péché,
mais encore l'occasion prochaine du péché ; comme, par exemple,
si vous demeuriez dans une maison où il y avait quelques personnes
qui vous sollicitaient au mal ; que vous eussiez manqué de le dire
par crainte que l'on vous en fît sortir : votre confession ne vaudrait
rien. Voyez si vous avez bien fait votre pénitence dans le temps
qu'on vous l'avait ordonnée ; si vous avez fait toute réparation
et les restitutions que vous pouviez et deviez faire, qui vous étaient
commandées par votre confesseur.
2° Examinez-vous sur les devoirs
de votre état, com-ment vous les avez remplis, c'est à quoi
beaucoup de personnes ne font pas attention, et ce qui en jettera un grand
nombre en enfer. – Mais, me direz-vous, comment faut-il donc s'examiner
sur les devoirs de son état ? -Et comment ? Cela n'est pas bien
difficile. Vous savez bien à quoi vous vous occupez, qui sont ceux
qui sont sous votre conduite, dont Dieu vous demandera compte un jour.
Êtes-vous père ou mère de famille ? Hé bien
! examinez-vous, comment vous vous êtes conduits envers vos enfants.
Les avez-vous instruits de tous leurs de-voirs de religion ? Avez-vous
eu soin de leur apprendre leurs prières dès qu'ils ont commencé
à parler ? Leur avez-vous inspiré le respect qu'ils devaient
avoir en la sainte présence de Dieu ? Ne leur avez-vous pas fait
prier le bon Dieu sans prendre de l'eau bénite, sans leur dire pourquoi
l'on prenait de l'eau bénite et les grâces qu'elle nous procurait
? Leur avez-vous appris les prin-cipaux mystères de la religion,
nécessaires pour être sauvés ? Ne les avez-vous pas
laissés dans une ignorance crasse, ne prenant pas tant à
cœur le salut de leur âme que la conservation de vos bêtes
? Les avez-vous fait travailler, avant de les faire prier le bon Dieu ?
Avez-vous négligé de les corriger les voyant offenser le
Bon Dieu ? En avez-vous ri au lieu de les châtier chrétien-nement
? Leur avez-vous donné le mauvais exemple en vous mettant en colère,
en vous disputant avec votre mari, vos voisins ou voisines ? N'avez-vous
pas médit ou calomnié en leur présence ? Leur avez-vous
appris à ne jamais mépriser les pauvres, en leur faisant
donner l'aumône aux pauvres ? Avez-vous fait tout ce que vous avez
pu pour les rendre agréables à Dieu et assurer leur salut
? Avez-vous manqué un jour de prier le bon Dieu pour eux ? Avez-vous
manqué de les mettre sous la pro-tection de la Sainte Vierge quand
ils sont venus au monde ?
Si vous avez des domestiques, avez-vous
eu bien soin de les instruire ou de les faire instruire ? Les avez--vous
fait assister aux catéchismes ? N'avez-vous rien négligé
pour leur apprendre les moyens nécessaires pour se sauver ? Ne les
avez-vous pas laissés dans l'ignorance crasse qui, de la mort, les
traînera en enfer ? Avez-vous préféré le soin
de vos bêtes au soin de leurs pauvres âmes qui ont tant coûté
à Jésus-Christ, et que vous laissez perdre si misérablement
en leur faisant manquer les offices et les instructions ? Avez-vous bien
veillé sur leur conduite ? Leur avez-vous bien payé tous
leurs gages ? En avez-vous eu soin dans leurs maladies ?
Et vous, ouvriers, en vous faisant
bien payer, avez--vous eu soin de bien faire l'ouvrage tel que vous l'aviez
promis ? Et vous, domestiques, examinez en quoi vous avez manqué
envers vos maîtres : défaut de respect, murmure en obéissant,
temps perdu : ne leur auriez--vous pas désobéi lorsqu'ils
vous envoyaient aux offices ou aux catéchismes ? Ne les avez-vous
pas décriés auprès des autres domestiques, pour leur
donner mauvaise réputation ? Que chacun, M.F., sonde sa conscience,
afin de pouvoir se rendre compte à soi-même, afin de pouvoir
se connaître, dans le tribunal de la pénitence, aussi coupable
que l'on est.
3° Je dis qu'il faut encore
s'examiner sur les péchés d'omission, et presque personne
n'y pense. Par exemple : pouvant faire l'aumône, avez-vous négligé
de la faire ? Pouvant assister à la messe les jours ouvriers, y
avez--vous manqué ? Pouvant rendre quelques services à votre
prochain, l'avez-vous refusé ? Avez-vous donné de bons exemples
à vos enfants, à vos domestiques ? Vous ont-ils vu manquer
la Messe, les Vêpres, vos prières le matin et le soir ? Êtes-vous
fidèles à fuir les occasions de péché, telles
que la danse, le cabaret et les jeux ? Avez-vous travaillé à
vous rendre agréables à Dieu ?
4° Je dis qu'il faut encore
vous examiner sur vos péchés d'habitude. Sur chaque péché
que l'on découvre, il faut encore examiner les circonstances nécessaires
pour les bien faire connaître, et le nombre de fois que l'on y est
tombé ; déclarer qui nous a donné l'occasion et quelles
ont été les suites. Comme par exemple : si l'on vous avait
confié un secret, il ne suffirait pas de dire que vous avez violé
le secret, mais il faudrait encore dire quel mal cela a fait, sur quelle
personne le mal est tombé. Si vous avez maudit, il faut dire si
c'est par haine ou par ressentiment, ou simplement par légèreté
si c'est en présence de plusieurs personnes, si cela a été
applaudi par plusieurs, si votre mauvais exemple les a portés à
maudire, combien de personnes et combien de fois. Si c'est un péché
d'habitude, il faut dire combien a duré cette habitude, dans quel
temps et dans quel lieu on l'a commis, ce qui est encore nécessaire
pour en fixer la malice.
Vous conviendrez avec moi, M.F.,
que pour un tel examen il faut du temps, de l'application et de l’instruc-tion.
Pour savoir combien il faut de temps, il est bien difficile de le savoir
: il n'est pas douteux que ceux qui ne se confessent que rarement, il leur
faut plus de temps qu'à ceux qui se confessent souvent. – Mais quelle
application ou quels soins faut-il donner ? – Ce que vous donneriez pour
faire une affaire que vous auriez à cœur de faire réussir,
et que vous regarderiez comme un grand malheur si elle manquait.
Il n'est pas nécessaire,
M.F., de vous parler longtemps du bonheur d'une bonne confession, ni du
malheur d'une mauvaise. Vous savez qu'une bonne confession nous rend le
ciel et l'amitié de notre Dieu, et qu'une mauvaise nous chasse du
Paradis et nous précipite au plus profond des enfers. Cette seule
pensée doit nous faire comprendre le temps et le soin que nous devons
y apporter pour la faire saintement. Hélas ! M.F., combien de pécheurs
qui s'aveuglent quand ils n'ont pas ces gros péchés que souvent
même des païens honnêtes ne com-mettraient pas ! Il n'ont
rien à dire. Cependant on les verra, pendant les saints offices,
sans respect, sans dévo-tion, vivant dans une négligence
habituelle de leur salut : et ils n'ont rien ! Hélas ! c'est qu'ils
ne veulent pas se donner la peine de descendre dans leur cœur, où
ils trouveraient de quoi les faire mourir d'horreur. Hélas ! combien
de mensonges pernicieux, combien d'injustices, combien d'usures dans leurs
prêts ! Combien de torts et, par conséquent, de restitutions
à faire. Il en est de même pour ceux qui mènent une
vie lâche et sensuelle ; qui croient que c'est assez d'une messe
; encore Dieu seul sait comment ils l'entendent ! Point de difficulté
de manquer les vêpres, les catéchismes et les autres exercices
de piété ! Hélas ! ils ne veulent pas chercher leurs
fautes, parce qu'ils ne veulent pas changer de vie continuant à
vivre dans une ignorance crasse et des plus criminelles. Mais, sans aller
plus loin, une partie des chrétiens ne voient pas leurs péchés,
parce qu'ils ne veillent pas assez sur eux-mêmes ; ils ne veulent
pas prendre la peine de se faire instruire de leurs devoirs et de leur
religion. Que s'ensuit-il de là, M.F., sinon une chaîne de
confessions sacrilèges ? O mon Dieu, que de chrétiens damnés
à cause de leur ignorance ! qui, en sortant du tribunal de la pénitence,
sortent plus cou-pables qu'ils ne sont entrés.
Et que devez-vous faire pour éviter
un si grand mal-heur ? M.F., le voici : ayez un grand soin de vous bien
faire instruire de vos devoirs ; et, pour cela, soyez assi-dus et attentifs
à écouter les instructions, catéchismes, lectures
de piété. Soyez de bonne foi avec vous-mêmes, ayez
une volonté ferme de sauver votre pauvre âme. Prenez l'habitude
de vous examiner le matin, à midi et le soir, comment vous avez
passé la journée. Le di-manche, rappelez à votre mémoire
les plus gros péchés de la semaine : en suivant cette marche
vous ne per-drez jamais vos péchés pour les déclarer
; vous vous en rappellerez, et, en vous en rappelant, vous ne pourrez pas
vous empêcher de les détester et de faire tous vos efforts
pour vous en corriger. Oui, M.F., lors-que vous pensez de vous approcher
du sacrement de pénitence, il faut apporter, si vous le pouvez,
la même diligence et la même rigueur que celle avec laquelle
Jésus-Christ nous examinera au grand jour. Oh ! qu'il y a de quoi
trembler, puisque Dieu nous y demandera compte même d'une parole
inutile ! Hélas ! que vont devenir ceux qui seront coupables de
tant de blas-phèmes, de jurements et de scandales ? Oui, M.F., crai-gnez,
avec le saint roi David , que, malgré tous les soins que vous prendrez
pour vous examiner, vous ne laissiez encore bien des péchés
que vous ne connaîtrez qu'à la mort pour en rendre compte.
Dites souvent avec le roi David : « Mon Dieu, pardonnez-moi les péchés
que je ne connais pas. » Oui, M.F., soyons parfaitement sûrs
qu'il y a beaucoup de péchés que nous ne connaî-trons
jamais en ce monde. Comme, par exemple, un homme qui se livre à
l'ivrognerie ne saura qu'au juge-ment de Dieu toutes les suites de ses
intempérances et de ses excès. Celui qui se sera abandonné
au vice infâme d'impureté ne saura jamais qu'au moment où
il paraîtra devant son souverain Juge, les péchés sans
nombre qu'il aura commis. Une fille mondaine ne connaîtra bien qu'après
sa mort toutes les suites malheureuses de sa vanité, de ses immodesties
et de son peu de pudeur. Les parents, les maîtres qui auront négligé
de veiller sur leurs enfants et leurs domestiques et ne les ont pas instruits,
qui les ont laissés courir dans les jeux, les cabarets et les danses,
ne sauront qu'au tribunal de Dieu les suites funestes de leur négligence,
et de tous les désordres dont ils ont été la cause
et l'occasion. O mon Dieu, quelle sera pour lors leur surprise ! Quel désespoir
effroyable d'un pécheur qui n'ouvre les yeux sur l'état de
son âme qu'après sa mort, quand il n'y a plus de remède
! M.F., n'attendons pas ce moment mal-heureux qui nous causera tant de
regrets ; profitons du temps que Dieu veut bien encore nous donner pour
purifier notre conscience, afin de la faire connaître au ministre
du Seigneur telle qu'elle est. Faisons comme dit saint Paul : Jugeons-nous
rigoureusement nous--mêmes, afin que Dieu nous épargne dans
son juge-ment . Cependant, M.F., malgré qu'il soit si difficile
de connaître nos fautes, si nous agissons de bonne foi, si nous faisons
ce que nous pouvons pour nous montrer tels que nous sommes, soyons tranquilles
: Dieu est un père plein de miséricorde, qui nous aime infiniment
et qui ne nous demandera jamais ce que nous n'avons pas pu faire.
Que devons-nous faire, M.F., après
nous être bien examinés ? Le voici : c'est de demander à
Dieu de tout notre cœur la contrition de nos fautes et un ferme propos,
c'est-à-dire une bonne résolution de n'y plus retomber. Voilà,
M.F., ce qui regarde l'examen de conscience.
II. – Que devons-nous faire après
cela ? Le voici c'est de nous approcher du tribunal de la pénitence
avec respect et une espèce de tremblement, et ne pas faire comme
les enfants qui tournent la tête, qui parfois rient et parlent
Cela annoncerait que vous ne comprenez pas mieux qu'eux la grandeur de
l'action que vous allez faire. Au contraire, M.F., imitez le publicain
qui se regardait indigne de porter ses yeux vers le ciel, baissait les
yeux vers la terre, avec une profonde humilité . En attendant de
vous confesser, repassez dans votre mémoire tous les péchés
que vous avez trouvés dans votre examen ; renouvelez votre con-trition,
prenez-là de bonnes résolutions de mieux vivre, que vous
n'avez fait jusqu'à présent ; priez avec ferveur le bon Dieu,
afin qu'il daigne avoir pitié de vous. Prenez garde de ne jamais
ni pousser, ni presser les personnes qui se confessent ; ni vous tenir
trop près du confessionnal, crainte d'entendre la confession des
autres. Si vous aviez entendu quelques péchés, n'oubliez
pas que vous êtes obligés au même secret que le prêtre
; mais si vous les aviez écoutés exprès et que vous
les disiez à un autre, c'est un gros péché qui vous
damnerait, si vous aviez le malheur de ne pas vous en accuser avant de
mourir. Il faut encore dire si vous avez eu la volonté d'entendre
les péchés des autres.
Lorsque vous êtes au confessionnal,
ne regardez que Jésus-Christ dans la personne du prêtre qui
tient sa place. Faites le signe de la croix avec respect et un peu incliné,
en disant : « Mon Père, bénissez-moi parce que j'ai
beaucoup péché » ; et là, pénétré
du regret que doivent vous donner vos péchés et la grande
charité de Jésus-Christ qui veut bien, tout coupable que
vous êtes, vous souffrir à ses pieds, pensant que vos crimes
vous mériteraient d'être précipité dans les
enfers, récitez votre Confesse à Dieu jusqu'à ces
mots : C'est ma faute. Ensuite, sans attendre que le prêtre vous
interroge, dites depuis quel temps vous ne vous êtes pas con-fessé,
si vous avez reçu l'absolution ou si vous ne l'avez pas reçue,
en lui disant pourquoi on vous l'a refusée ; si vous avez fait votre
pénitence dans le temps qu'on vous l'avait commandée ; de
même si vous avez manqué de faire les aumônes, les restitutions,
les réconciliations que vous deviez faire avant de revenir vous
confesser ; si vous avez laissé quelques péchés mortels
dans vos dernières confessions ; si c'est invo-lontairement, par
négligence, faute de ne vous être pas assez examiné,
ou si c'est par honte ou par crainte ; bien lui expliquer tout cela. Ensuite,
autant bien que vous le pourrez, lui accuser tous les péchés
que vous avez commis depuis votre dernière confession, vous rappelant
qu'il faut les avouer humblement, entière-ment, avec simplicité
et avec prudence ; et après avoir déclaré tant que
vous pouvez vos péchés, vous dites Mon Père, je m'accuse
de tous ces péchés et de tous ceux de ma vie, tous ceux dont
je ne me souviens pas ; j'en demande bien pardon à Dieu de tout
mon cœur et à vous la pénitence et l'absolution, si vous
le jugez à propos .
Votre confession étant faite,
le prêtre vous fera les interrogations qu'il vous croira nécessaires.
Il faut lui répondre avec vérité. S'il vous donne
quelques avis, il faut les écouter avec attention sans vous occuper
à chercher vos péchés que vous pourriez avoir oubliés
et ne jamais l'interroger mal à propos. Lorsque vous recevez votre
pénitence, il faut la recevoir avec un ferme désir de l'accomplir
le mieux que vous pourrez. S'il vous refuse l'absolution, il faut s'y soumettre
avec humilité, parce que s'il vous la donnait lorsque vous ne la
méritez pas, il vous perdrait et se perdrait lui-même, c'est-à-dire
que vous vous damneriez tous les deux. Faites bien atten-tion aux raisons
pourquoi il vous refuse l'absolution afin de bien employer le temps que
vous devez passer sans revenir vous confesser, à vous corriger,
afin qu'il ne soit pas obligé de vous la refuser encore une fois.
S'il jugeait à propos de vous la donner, achevez votre Confesse
à Dieu. Dans ce moment précieux, M.F., renou-velez tous les
sentiments de piété dont vous êtes capables ; faites
votre acte de contrition de tout votre cœur, unissez votre douleur à
celle que Jésus-Christ eut de vos péchés au jardin
des Olives. Demandez ardemment à Dieu qu'il veuille bien ratifier
dans le ciel l'absolution que le prêtre vient de vous donner.
Après cela, il faut se retirer
du confessionnal avec modestie, se prosterner humblement aux pieds du bon
Dieu, le remercier de la grâce qu'il vient de vous faire. Rappelez-vous
bien des moyens que le prêtre vous a donnés pour vous corriger
; et puis vous prenez de bonnes résolutions de les mettre en pratique.
Avant de sortir de l'église, commencez à faire votre pénitence
qui vous a été imposée. Prenez une bonne résolution
de veiller désormais sur vous-même, pour ne pas perdre la
grâce précieuse que vous venez de recevoir. – Et que faut-il
faire pour cela ? – M.F., le voici : C'est de se défier beau-coup
de soi-même, et se tenir continuellement sur ses gardes. Oui, la
vue de notre faiblesse doit nous faire trembler. Non. seulement nous sommes
continuellement portés au mal ; mais le démon, après
une bonne con-fession, redouble tous ses efforts afin de nous faire retomber
dans les péchés que nous avons confessés. Cette seule
pensée faisait trembler les plus grands saints. Hélas ! que
devons-nous faire, nous qui tombons presque chaque fois que le démon
nous tente ? Que devons-nous faire encore ? C'est d'éviter, autant
que nous pouvons, les occasions et les personnes qui nous ont portés
au mal ; sans quoi, jamais nous n'exécuterons nos bonnes résolu-tions.
Hélas ! M.F., combien de pécheurs qui aidés de la
grâce sont rentrés dans le bon chemin du salut, mais qui,
n'ayant pas fui les occasions, sont retombés, et ne sont sortis
du péché que pour aller brûler dans les enfers ! Troisièmement,
il faut avoir grandement recours à la prière et Jésus-Christ
nous le dit lui-même : « Veillez et priez sans cesse, de crainte
que vous ne succombiez à la tentation. » Enfin, si vous
aviez le malheur de retomber, hâtez-vous de vous relever ; parce
que plus vous resterez dans votre péché, plus il vous sera
difficile d'en sortir. Oui, M.F., si nous employons tous ces moyens, nous
sommes sûrs de nous corriger, quelque forte que soit notre mauvaise
habitude. Il n'en est pas des maladies de l'âme comme de celles du
corps. Celles-ci quelquefois n'ont point de guérison, mais celles
de l'âme ne sont jamais sans remède, si le pécheur
le veut sincère-ment ; et cette guérison vous sera très
certainement ac-cordée, si vous le voulez. O mon Dieu ! quel bonheur
pour un pécheur qui désire de regagner le ciel et l'amitié
de Dieu qu'il a perdus par le péché, d'être sûr
de réussir dans son entreprise ! Voilà donc, M.F., ce que
vous devez faire avant et pendant votre confession.
III. – Je vous ai dit que je vous
montrerais qui sont ceux qui font de mauvaises confessions, et ce qu'il
fallait faire pour les réparer et n'être pas damné.
J'en trouve sept sortes, de ceux qui profanent ce sacrement et qui s'abîment
au plus profond des enfers. Ecoutez-le bien, afin que vous puissiez connaître
si vous êtes de ce nombre. D'abord je suis sûr qu'il y en a
de ceux qui m'écoutent qui sont de ce nombre, qui peut-être
n'ou-vriront pas encore les yeux aujourd'hui sur cet état affreux
et malheureux, parce qu'ils sont sourds et aveu-gles pour comprendre ;
la parole de Dieu ne les touche pas ; et les lumières de l'Esprit-Saint,
à qui ils ont fermé la porte de leur cœur, ne leur montrera
pas l'état épou-vantable où le péché
les a précipités. Ils mourront comme ils ont vécu,
c'est-à-dire « vivre en pécheur et mourir en réprouvé.
» Ecoutez-moi bien, et ensuite vous descen-drez dans vos consciences
avec le flambeau d'une main et la balance de l'autre : ensuite vous jugerez
vous--mêmes, avant que Dieu vous juge et vous jette en enfer.
Les premiers sont ceux qui par honte
ou par crainte ont volontairement caché quelques péchés
dans leurs confessions, ou quelques circonstances considérables,
ceux qui n'ont pas dit le nombre de leurs péchés mor-tels
; ceux qui n'ont pas déclaré quelques péchés
mor-tels ; ceux qui vont confessera à un autre quelques gros péchés
et reviennent au même dire leurs petits péchés ; ceux
qui à confesse pensent qu'on aura bonne opinion d'eux, s'ils les
conservent, parce qu'ils ont négligé de se faire instruire
ou de profiter des instructions ; ceux qui n'ont déclaré
un péché mortel que parce que le con-fesseur le leur a demandé,
et qui, sans cette demande, ne l'auraient pas dit. – 2° Je dis que
ceux-là font de mau-vaises confessions, qui ne donnent pas tout
le temps nécessaire pour connaître leurs péchés
mortels ; ceux qui se confessent par routine, par habitude, sans avoir
une véritable douleur de leurs péchés, ni le ferme
propos de ne plus les commettre, de préférer la mort même,
s'il le faut, plutôt que d'y retomber. – 3° Ceux qui vont chercher
les confesseurs pour passer plus faci-lement. O mon Dieu ! que de
confessions sacrilèges ! O mon Dieu ! que de chrétiens damnés
! – 4° Ceux qui, ayant quelques restitutions, ne veulent pas ou ne
font pas tous leurs efforts pour les faire ; comme ceux encore qui ont
été chargés de faire des aumônes, de faire dire
des Messes, et laissent tout cela de côté. – 5° Ceux qui
croient qu'il n'y a point de mal de tirer intérêt de leur
argent, sans avoir les titres légitimes. – 6° Ceux qui ont conti-nué
à vivre dans l'occasion du péché, pouvant la quitter
comme serait une personne qui est dans une maison où il y a une
peste et qui n'en sort pas ; comme ceux qui vont dans les veilles, où
ils sont sûrs de n'y entendre que de mauvais propos contre la religion
et contre la pureté, qui continuent d'y aller malgré leurs
remords de conscience et la défense de leur confesseur. Ceux qui
ont continué à vivre dans les habitudes du péché,
comme les pensées volontaires, les désirs, les paroles et
les actions déshonnêtes ; qui ne font pas d'efforts pour se
corriger : comme un ivrogne qui tombe toujours à peu près
de même ; ceux qui jurent le saint nom de Dieu ; et ainsi des autres
péchés mortels. Ceux qui vivent sans se réconcilier
avec leur prochain, qui ne veulent pas pardonner ou qui ne pardonnent qu'à
moitié. Ceux qui ont flétri la réputation du prochain
et ne font ce qu'ils peuvent pour la rétablir. Ne vouloir pas faire
sa pénitence, pensant que le prêtre n'a pas entendu ou com-pris
un péché mortel. – 7° Tous ceux qui fréquentent
les sacrements sans être suffisamment instruits des prin-cipaux mystères
de la religion, ou qui ignorent, par leur faute, ce qui regarde les sacrements
qu'ils reçoivent.
Les pères et les mères,
les maîtres et maîtresses qui ne connaissent leurs devoirs
envers leurs enfants et leurs domestiques, toutes ces personnes sont indignes
d'absolution ; et toutes les absolutions qu'ils ont reçues jusqu'à
ce moment sont autant de sacrilèges qui ne leur serviront qu'à
les jeter plus profond dans les enfers. Ces sortes de chrétiens
ont donc, dans ce moment, la conscience chargée de mille et mille
sacrilèges, et encore sont couverts de tous les péchés
qu'ils ont commis et confessés jusqu'à présent, comme
de ceux qu'ils n'ont pas confessés.
Que conclure de cela, M.F. ? Rien
autre, qu'après tant de sacrilèges, après tant de
péchés cachés ou confessés sans contrition,
ni résolution de préférer même la mort que de
les recommettre, ils ne craignent pas si la mort les attrape dans cet état
malheureux, d'être précipités dans les flammes pendant
toute l'éternité. O mon Dieu, que de chrétiens qui
sont dans cet abîme et qui ne le croient pas, parce qu'ils ne veulent
pas prendre la peine de des-cendre dans l'intérieur de leur cœur
pour y reconnaître les maux infinis que le péché leur
a faits ! Hélas ! que la lumière du grand jour des vengeances
va faire trouver de sacrilèges !
D'après cela, M.F., il vous
est donc extrêmement nécessaire de vous examiner avec soin,
si vous n'êtes pas dans quelques-uns des cas dont je viens de vous
parler. Si vous doutez de la moindre chose , ne vous endormez pas là-dessus,
enfoncés dans vous-mêmes. Peut-être qu'examinant bien,
vous verrez ce que vous n'avez jamais vu ; peut-être qu'au premier
coup d’œil vous allez frémir et trembler de trouver des crimes auxquels
vous n'aviez jamais réfléchi. Revenez, M.F., sur vos pas
; si vous doutez de toute votre vie, refaites vos confessions de toute
votre vie, ou au moins consi-dérez bien depuis quel temps vous êtes
coupable : si c'est toute votre vie, il faut redire tous vos péchés
mor-tels que vous avez commis, le nombre et les circons-tances autant que
vous pourrez, accusez toutes vos confessions et communions qui sont autant
de sacri-lèges .
IV. – Je ne doute pas, M.F., que
si vous n'avez pas encore entièrement perdu la foi, cela vous trouble
et vous inquiète sur vos confessions et communions passées.
– Comment pouvoir me rappeler de tout ce que j'ai fait à quatorze
ou vingt ans, et peut-être à cin-quante ou soixante ans ?
– M.F., ce qui nous parait tout à fait impossible à nous-mêmes,
nous est non seule-ment possible, mais facile avec la grâce de Dieu.
Est-ce l'examen de votre conscience qui vous effraie ? Main-tenant vous
allez voir qu'il n'est pas si difficile que vous vous le représentez.
Je vous dirai que pour faire une confession générale il n'est
pas nécessaire d'accuser ses péchés véniels
en particulier, c'est-à-dire d'en dire le nombre, toutes les circonstances,
comme sont les petites désobéissances, les mensonges, les
médisances qui ne portent perte à personne, c'est-à-dire
en matière légère, les distractions dans ses prières,
faute de s'y être, bien préparé, et autres péchés
semblables. Il vous suffira de vous en accuser en général
à la fin de votre confession. Votre examen ne va donc rouler que
sur vos péchés mortels. Tous vos péchés sont
ou des péchés que vous ne commettez que rarement, ou sont
des péchés d'habi-tude : ou votre habitude n'a duré
qu'un certain temps, ou elle a duré toujours depuis que vous l'avez
com-mencée.
1° Si vous n'avez commis certains
péchés que rare-ment, comme serait par exemple de jurer le
saint nom de Dieu, de vous mettre en colère, de maudire votre travail,
vos enfants ou vos bêtes, il n'est pas bien difficile de dire combien
de fois à peu près vous y êtes tombé par année,
par mois ou par semaine. Si c'est un péché d'habitude, vous
savez bien combien d'années a duré cette habitude, à
quel âge vous l'avez commencée, à peu près quel
temps elle a duré, si vous l'avez perdue pen-dant quelque temps
dans le temps que vous tombiez ; il n'est pas difficile de dire combien
vous avez commis ce péché par mois et par semaine et par
jour. Hé bien ! M.F., voilà tout ce qu'il faudrait faire
pour avoir le bonheur de réparer toutes vos confessions et communions
mauvaises, en les accusant en disant : « Mon père, je m'accuse
d'avoir fait tant de confessions et de commu-nions pendant ma vie, ou par
année ou par mois . » Lorsque vous ne pouvez vous rappeler
au juste, dites seu-lement : « Mon père, je m'accuse à
peu près tant de fois. » Dieu n'en demande pas davantage :
pourvu que vous ayez donné à votre examen tout le temps et
tous les soins qu'il faut et que vous soyez de bonne foi, c'est-à-dire
sincère dans vos accusations et dans votre repentir, vous êtes
sûr que quand toutes vos confessions et communions seraient des sacrilèges,
que le bon Dieu vous pardonnera et que vous serez sauvés. D'un autre
côté, le confesseur, qui désire autant que vous le
salut de votre bonne âme, ne manquera pas de faire tout ce qu'il
pourra pour vous aider, soit par ses interrogations, soit par ses prières,
surtout pendant la sainte Messe, en demandant à Dieu pour vous les
grâces et les forces qui vous sont nécessaires pour bien faire
votre confession.
Prenez bien garde de ne pas vous
laisser prendre à ce piège du démon qui en perd un
grand nombre, qui est de leur faire commencer à accuser tous leurs
petits péchés les premiers, afin qu'ils n'aient pas la force
de dire les gros ensuite. Commencez, M.F., à dire au con-traire
tous vos plus gros péchés les premiers, alors, vous ôtez
tout au démon. – Mais, me direz-vous, cela est bien aisé
à dire, mais le faire c'est bien autre chose. Com-ment avoir la
force de dire tant de péchés, si affreux qui font horreur
rien que d'y penser. – Voulez-vous, M.F. , une vérité bien
claire ? C'est que ce n'est qu'un orgueil-leux qui a honte de dire ses
péchés ou qui les a cachés. Otez cet orgueil de votre
cœur, et vous vous accuserez de vos péchés tels que vous
voudriez les avoir accusés à l'heure de la mort. Toute personne
qui désire vérita-blement à cœur son salut, ne craint
nullement d'en faire l'accusation. En voici un exemple bien frappant, rapporté
par saint Jean Climaque : Me trouvant un jour, nous dit ce grand saint,
dans un monastère, il vint un homme se présenter afin de
passer sa vie dans la pénitence ; pen-dant toute sa vie il n'avait
fait que brigandages. Le supé-rieur lui ordonna de passer sept jours
à la porte du monastère. Voyant qu'il persévérait,
il lui ordonna de déclarer devant tout le monde tous les péchés
qu'il avait commis. Ce voleur avoua sincèrement tout ce qu'il avait
fait. Le supérieur, pour éprouver si sa conversion était
bien sincère, lui commanda de les accuser encore devant les religieux
du monastère. Cet homme, qui était véritablement touché,
qui ne cherchait que les moyens de fléchir la justice divine, répondit
au supérieur que non seulement il était prêt à
les déclarer devant les reli-gieux, mais au milieu de toute la ville
d'Alexandrie. Alors le supérieur fit assembler tous les religieux
qui étaient plus de trois cents. Comme c'était un dimanche,
après l'évangile, il commande qu'on lui amène ce cou-pable
déjà justifié, les mains liées, revêtu
d'un cilice, la tête couverte de cendres, conduit par plusieurs reli-gieux
qui le frappaient à coups de verges. Ce spectacle attendrit si fort
les assistants que tous fondaient en larmes. Le supérieur lui dit
de rester à la porte de l'église, qu'il ne méritait
pas d'y entrer. Ces paroles le frappèrent si fortement qu'il tomba
la face contre terre. Le supérieur, le voyant en cet état,
lui commanda de dire publiquement ses péchés. Il le fit avec
tant de larmes et de douleur, qu'il lui semblait perdre la vie, tant la
dou-leur de ses péchés était grande. L'on fut obligé
de lui dire de cesser.
Voyez encore saint Augustin, a-t-il
craint, a-t-il eu honte de faire l'aveu de ses péchés, non
seulement à un prêtre, mais à tout l'univers ? M.F.,
non, nous n'aurons point de honte et de crainte, si nous avons l'humilité
et la connaissance de nous-même.
De là je conclus que tout
chrétien qui, après avoir péché, craint de
s'accuser, n'est qu'un orgueilleux. Voyez-vous, M.F., un motif bien capable
de nous engager à une confession de toute notre vie, si vous vous
sentez coupable ; c'est de là que dépend votre bonheur ou
votre malheur éternel. Ce soir, lorsque vous serez au lit, mettez-vous
dans la posture où vous serez un jour dans la bière, le corps
étendu, les mains croisées sur la poi-trine, les yeux fermés
et tout enveloppé dans un suaire, ensuite dites-vous à vous-même
: Que voudrai-je avoir fait lorsque je me trouverai à ce moment
? Mon âme est souillée de tant de péchés qui
ne me sont pas pardonnés, voudrais-je bien paraître devant
le tribunal de Dieu en cet état ? Reverrai-je un confesseur à
l'heure de la mort ? Si je venais à mourir de mort subite et que
je n'aie pas le temps de le faire, il faudrait tomber en enfer ! Non, mon
Dieu, plus de retard, je vais commencer aujour-d'hui à m'y préparer
et je le ferai tant, que je pourrai regagner votre amitié et mériter
le ciel à la fin de ma vie, en assurant mon salut. Amen.
SERMON
SUR LES QUALITÉS DE LA CONFESSION
Surgam, et ibo ad patrem meum, et
dicam ei : Pater, peccavi in cœlum et coram te.
Je me lèverai, et j'irai
me jeter aux pieds de mon père en lui disant : Mon père,
j'ai péché contre le ciel et contre vous.
(S. Luc, XV, 18.)
Tels sont, M.F., la douleur et le
regret que la pensée de nos péchés doit produire dans
nos cœurs, et telle fut la démarche que fit l'enfant prodigue, lorsque,
rentrant en lui-même, il reconnut sa profonde misère et les
biens qu'il avait perdus en se séparant d'un si bon père.
Oui, s'écrie-t-il, je me lèverai et j'irai retrouver ce bon
père ; me jetant à ses pieds, je les arroserai de mes larmes
« O mon père, couvert de péchés et de la honte
qui m'accable, je n'ose plus regarder le ciel, ni vous comme mon père,
puisque je vous ai si affreusement méprisé ; mais trop heureux
si vous voulez bien me ranger au nombre de vos serviteurs. » Beau
modèle, M.F., pour un pécheur qui, étant touché
de la grâce, éprouve la profondeur de sa misère et
le poids de ses péchés et de ses remords qui le dévorent
: Heureux et mille fois heu-reux le pécheur qui s'approche de son
Dieu avec les mêmes sentiments de douleur et de confiance que ce
grand pénitent. Oui, M.F., comme lui il est sûr de trouver
en Dieu un père plein de bonté et de tendresse, qui lui remettra
volontiers ses péchés et lui rendra tous les biens que le
péché lui avait ravis.
Mais de quoi vais-je donc vous parier
? Ah ! consolez-vous, je viens vous annoncer le plus grand de tous les
bonheurs. Ah ! que dis-je ? je viens étaler à vos yeux la
grandeur des miséricordes de Dieu. Ah ! pauvre âme, consolez-vous
; il me semble que je vous entends vous écrier comme l'aveugle de
Jéricho : « Ah ! Jésus, fils de David, ayez pitié
de moi » Oui, pauvre âme, vous trouverez... Quel est
mon dessein ? M.F., le voici : c'est de vous montrer, de la manière
la plus simple et la plus familière, les dispositions que vous devez
apporter en vous approchant du sacrement de pénitence. Il en est
cinq, et les voici : notre confession, pour être bonne et nous mériter
le pardon de nos péchés, doit être : 1° humble,
2° simple, 3° prudente, 4° entière, 3° sincère.
Si vos confessions sont accompagnées de ces conditions, vous êtes
sûrs de votre pardon. Nous verrons ensuite de quelles manières
l'absence de ces conditions peut rendre nos confessions sacrilèges.
I. – Parlant, M.F., à des
chrétiens qui ne cherchent que les moyens de sauver leurs pauvres
âmes, il n'est pas nécessaire de vous prouver la divinité
de la confession, il suffit de vous dire que c'est Jésus-Christ
lui-même qui l'a établie, en disant à ses apôtres
ainsi qu'à tous leurs successeurs : « Recevez le Saint-Esprit,
les péchés seront remis à ceux à qui vous les
remettrez et retenus à ceux à qui vous les retiendrez
» ; ou bien encore, si vous voulez, lorsqu'il dit : « Tout
ce que vous délierez sur la terre sera délié dans
le ciel ; et tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans
le ciel » ; parole qui nous montre véritablement la
divinité de la confession et la nécessité de la confession.
En effet, comment pouvoir remettre ou retenir les péchés
si on ne les faisait pas connaître à ceux qui ont ce pouvoir
sublime et admi-rable ? Il n'est pas encore nécessaire de vous montrer
les avantages de la confession ; un mot suffit, puisque, après un
seul péché mortel, sans la confession, jamais nous ne verrons
Dieu, et que, pendant toute l'éternité, nous serons condamnés
à éprouver toutes les rigueurs de sa colère et à
être maudits. Je ne vous dirai pas encore que la confession nous
fait regagner l'amitié de notre Dieu et redonne à notre âme
la vie et toutes nos œuvres que le péché avait fait mourir.
Si vous ne sentez pas tout ce bon-heur, tous les avantages de la confession,
allez interroger les démons qui brûlent, ils vous apprendront
à l'estimer et à en profiter. Oui, M.F., si nous interrogeons
tous les chrétiens damnés, pourquoi ils brûlent, tous
nous diront que la cause de leur malheur vient ou de ce qu'ils ont méprisé
le sacrement de pénitence qui est la con-fession, ou qu'ils n'avaient
pas les dispositions néces-saires lorsqu'ils s'en sont approchés.
Si de ce lieu d'horreur vous montez dans le ciel, que vous deman-diez à
tous ces anciens pécheurs qui ont passé vingt ou trente ans
dans le désordre, ce qui leur procure tant de joie et de plaisirs,
tous vous diront que ce seul sacre-ment de pénitence leur a valu
ces biens infinis. Non, M.F., personne ne doute d'une vérité
si consolante pour un pécheur qui a perdu son Dieu par le péché,
de trouver un moyen si facile et si efficace pour regagner ce que le péché
lui avait ravi . Si je demandais à un enfant : Qu'est-ce que la
confes-sion ? Il me répondrait simplement que c'est l'accusation
de ses péchés faite à un prêtre approuvé,
pour en rece-voir l'absolution, c'est-à-dire le pardon. – Mais pour-quoi,
me direz-vous, est-ce que Jésus-Christ nous assu-jettit à
une accusation si humiliante, qui coûte tant à notre amour-propre
? Mon ami, je vous répondrai que c'est précisément
pour nous humilier que Jésus-Christ nous y a condamnés. II
n'est pas douteux qu'il est pénible à un orgueilleux d'aller
dire à un confesseur tout le mal qu'il a fait, tout celui qu'il
a eu dessein de faire, tant de mauvaises pensées, tant de désirs
corrompus, tant d'actions injustes et honteuses qu'on voudrait pou-voir
se cacher à soi-même. Mais vous ne faites pas atten-tion que
l'orgueil est la source de tous les péchés, et que tout péché
est une orgueilleuse révolte de la créature contre le Créateur
; il est donc juste que Dieu nous ait condamnés à cette accusation
si humiliante pour un orgueilleux. Mais regardons cette humiliation des
yeux de la foi, est-ce une chose bien pénible que de changer une
confusion publique et éternelle, avec une confusion de cinq minutes
qu'il nous faut pour dire nos péchés à un ministre
du Seigneur, pour regagner le ciel et l'amitié de notre Dieu ! –
Pourquoi est-ce, me direz-vous, qu'il y en a qui ont tant de répugnance
pour la confession, et que la plupart s'en approchent mal ? Hélas
! M.F., c'est que les uns ont perdu la foi, les autres sont orgueilleux
et d'au-tres ne sentent pas les plaies de leur pauvre âme, ni les
consolations que la confession procure à un chrétien qui
s'en approche dignement. Qui est celui, M.F., qui nous commande de nous
confesser de tous nos péchés sous peine de damnation éternelle
? Hélas ! M.F., vous le savez aussi bien que moi, c'est Jésus-Christ
lui-même ; et tous y sont obligés, depuis le Saint Père
jusqu'au dernier des artisans. Mon Dieu, quel aveuglement de mépriser
et de ne faire pas cas d'un moyen si facile et si efficace pour gagner
un bonheur infini, en se délivrant du plus grand de tous les malheurs
qui est la colère éternelle.
Mais tout ceci, M.F., n'est pas
encore ce qui vous parait le plus nécessaire à savoir, puisque
vous savez que la confession est le seul moyen qui nous reste pour sortir
du péché : ou nous confesserons nos péchés,
ou nous irons brûler dans les enfers ; nous savons que, quelques
grands, énormes et nombreux que soient nos péchés,
nous sommes sûrs de notre pardon, si nous les con-fessons. Voici
ce que vous devez absolument savoir écoutez-moi bien. En premier
lieu, je dis que la confes-sion doit être humble, c'est-à-dire
que nous devons nous regarder dans le tribunal de la pénitence comme
un criminel devant son juge, qui est Dieu lui-même, nous devons accuser
nous-mêmes nos péchés, sans attendre que le prêtre
nous interroge, à l'exemple de David qui disait : « Oui, mon
Dieu, j'accuserai moi--même mes péchés au Seigneur
», et ne pas faire comme font la plupart des pécheurs qui
racontent leurs péchés comme une histoire indifférente,
qui ne montrent ni douleur ni regret d'avoir offensé Dieu, qui semblent
ne se confesser que pour commettre des sacri-lèges. O mon Dieu,
peut-on bien y penser sans mourir d'horreur ! Si le confesseur se voit
forcé de vous faire quelques remontrances qui blessent un peu votre
amour propre ; s'il vous impose quelque pénitence qui vous répugne,
ou même s'il vous diffère l'absolution : prenez garde de ne
jamais murmurer ; soumettez-vous humble-ment ; prenez encore bien garde
de ne pas murmurer et encore moins de vous disputer avec lui, en lui répondant
avec arrogance, comme font quelques pécheurs endurcis et vendus
à l'impiété ; qui même sortiront de l'église
en colère, sans se mettre à genoux. N'oubliez jamais que
le tribunal de la pénitence où le prêtre est assis,
c'est véritablement le tribunal de Jésus-Christ ; qu'il écoute
votre accusation, qu'il vous interroge, qu'il vous parle et qu'il prononce
la sentence d'absolution. Je dis qu'il faut s'accuser avec humilité,
c'est-à-dire ne jamais rejeter ses fautes sur les autres, comme
font plusieurs à confesse, semblables à Adam, qui s'excusa
sur Ève et Ève sur le serpent, au lieu de s'avouer humblement
coupables, en disant que ce n'est que par leur faute qu'ils ont péché
; ils font tout le contraire. Un homme sujet à la colère
s'excusera sur sa femme et ses enfants ; un ivro-gne sur la compagnie qui
l'a sollicité à boire ; un vindi-catif, sur une injure qui
lui a été faite ; un médisant, sur ce qu'il ne dit
que la vérité ; un homme qui travaille le dimanche, sur ses
affaires qui pressent ou qui se gâtent. Une mère qui fait
manquer les prières à ses enfants s'excusera sur ce qu'elle
n'a pas eu le temps. Dites-moi, M.F., est-ce-là une confession humble.
Vous voyez clairement que non. « Mon Dieu, disait le saint roi David,
mettez, s'il vous plaît, une garde à ma bouche, afin que la
malice de mon cœur ne trouve point d'excuses à mes péchés
. » Je dis donc que nous devons nous faire connaître tels que
nous sommes, afin que notre confession soit bonne et capable de nous regagner
l'ami-tié du bon Dieu.
2° Je dis qu'il faut qu'elle
soit simple ; c'est-à-dire éviter toutes ces accusations
inutiles, tous ces scrupules qui font dire cent fois la même chose,
qui font perdre le temps au confesseur, fatiguent ceux qui attendent pour
se confesser, et éteignent la dévotion. Il faut se montrer
tel que l'on est par une déclaration sincère ; il faut accuser
ce qui est douteux comme douteux, ce qui est certain comme certain ; par
exemple : si vous disiez que vous ne vous êtes pas arrêtés
à de mauvaises pensées, tandis que vous doutez que vous y
ayez pris plaisir, ce serait manquer de sincérité de dire
que vous n'avez eu que la pensée ; dire que ce que vous avez pris
ne vaut que tant, pensant que peut-être cela valait plus ; ou bien
de dire : « Mon père, je m'accuse d'avoir oublié un
péché dans une de mes confessions, » tandis que c'était
par une mauvaise honte ou par négligence. Ces manières de
vous accuser seraient cause que vous commettriez un horrible sacrilège.
Je dis encore que c'est manquer de sincérité que d'attendre
que le confesseur vous interroge sur certains péchés ; si
vous aviez eu la volonté de ne pas le dire, il ne suffirait pas
de le déclarer parce que le confesseur vous le demande, il faudrait
encore dire « Mon père, si vous ne m'aviez pas interrogé
sur ce péché, je ne vous l'aurais pas dit. » Si vous
manquiez de cette sincérité, votre confession serait nulle
et sacrilège.
Evitez, M.F., évitez tous
ces déguisements : que votre cœur soit sur vos lèvres. Vous
pouvez bien tromper votre confesseur, mais rappelez-vous bien que vous
ne tromperez pas le bon Dieu, qui voit et connaît vos péchés
mieux que vous. Si quelquefois le démon, ce maudit Satan, vous tentait
pour vous faire cacher où déguiser quelque péché,
faites vite cette réflexion : Mais je vais me rendre encore bien
plus coupable que je n'étais ; je vais commettre un péché
bien plus affreux que celui que je vais cacher, puisque ce sera un sacri-lège
; je puis bien le cacher au prêtre, mais Dieu le connaît mieux
que moi ; tôt ou tard il faudra bien que je le déclare, ou
me résoudre d'aller éternellement brûler dans les enfers.
Il me faudra avoir une petite humiliation en le déclarant, il est
vrai ; mais qu'est cela en compa-raison de cette confusion publique et
éternelle ? Un malade, devez-vous dire, qui désire sa guérison
ne craint pas de découvrir les maladies les plus honteuses et les
plus secrètes, afin d'y faire appliquer les remèdes ; et
moi je craindrais de découvrir les plaies de ma pauvre âme
à mon médecin spirituel afin de la guérir ? Pourrais-j-e
bien rester dans un état de damnation pendant le reste de ma vie
! Si vous ne vous sentez pas le courage de déclarer certains péchés,
dites au prêtre : « Mon père, j'ai un péché
que je n'ose pas vous dire, aidez--moi, s'il vous plaît. »
Quoique cette disposition soit imparfaite, néanmoins cela vous le
fera accuser : ce qui est absolument nécessaire.
En troisième lieu, je dis
que la confession doit être prudente : cela veut dire qu'il faut
accuser ses péchés en termes honnêtes ; ensuite, qu'il
ne faut pas faire con-naître les péchés des autres
sans nécessité. Je dis sans nécessité, parce
qu'il y a quelquefois qu'il est nécessaire, quand on ne peut pas
faire autrement, de faire connaître les fautes, comme par exemple
: vous avez eu le malheur de commettre un péché contre la
sainte vertu de pureté, et cela avec un ou une de vos parents ;
il faut bien dire cette circonstance, sans quoi vous feriez un sacrilège.
Vous vous trouvez dans une maison où il y a une per-sonne qui vous
porte au mal, vous êtes encore obligé de le dire, parce que
vous vous trouvez dans l'occasion prochaine du péché. Mais
en disant cela, il faut avoir en vue d'accuser vos péchés
et non ceux des autres.
En quatrième lieu, je dis
qu'il faut que la confession soit entière, c'est-à-dire qu'il
faut déclarer tous ses péchés mortels, l'espèce,
le nombre et les circonstances nécessaires.
Je dis d'abord l'espèce :
ce n'est pas assez de dire en général que l'on a beaucoup
péché, mais il faut encore dire quelles sont ces sortes de
péchés que l'on accuse, si c'est vol, mensonge, impureté,
et le reste. Ce n'est pas encore assez de dire l'espèce, il faut
encore dire le nombre ; par exemple, si vous disiez : Mon père,
je m'accuse d'avoir manqué la messe, d'avoir volé, d'avoir
médit, d'avoir fait des choses deshonnêtes : tout cela ne
serait pas bien ; il faut dire combien de fois vous les avez commis ; il
faut encore entrer dans les détail, dire certaines circonstances.
Peut-être que vous ne comprenez
pas ce que c'est qu'une circonstance : c'est-à-dire les particularités
qui accompagnent nos péchés, qui les rendent plus ou moins
considérables ou plus ou moins excusables ; et ces cir-constances
se tirent d'abord de la personne qui pèche avec une autre, si c'est
une parente, à quel degré, père et mère, frère
ou sœur, une filleule avec son parrain, un filleul avec sa marraine, un
beau-frère avec sa belle-sœur ; 2° de la qualité ou quantité
de l'objet qui est la matière du péché ; 3° du
motif qui vous porte au péché ; 4° du temps où
vous avez péché, si c'est un dimanche, si c'est pendant les
offices ; 5° du lieu : si c'est dans un endroit consacré à
la prière, c'est-à-dire une église ; 6° de la
manière dont on a commis le péché, et enfin quelles
ont été les suites du péché. Il y a encore
des circonstances qui changent l'espèce du péché,
c'est--à-dire qui font un péché d'une autre nature.
Par exemple : commettre l'impureté avec une personne mariée,
c'est un adultère ; avec une parente, c'est un inceste ; s'arrêter
à une mauvaise pensée, consentir à un mauvais désir,
à un mauvais regard, c'est un péché contre la chasteté.
Mais si c'est dans une église c'est une profanation du lieu saint,
c'est une espèce de sacrilège. Voilà les circonstances
qui changent l'espèce du péché. Il y en a qui, sans
la changer, l'aggravent beaucoup, par exemple : celui qui fait quelque
péché en présence de plusieurs personnes, devant ses
enfants ; celui qui a juré le saint nom de Dieu, tenu des propos
deshon-nêtes, fait des médisances devant plusieurs, a fait
un plus grand péché que celui qui l'a fait devant peu de
personnes ; celui qui a dit des paroles déshonnêtes pen-dant
des heures entières a fait un plus grand péché que
s'il n'en avait dit guère. Médire par haine, par envie, par
ressentiment, c'est un péché bien plus grave que si ce n'était
que par légèreté. S'enivrer, aller à la danse,
au bal, au cabaret un dimanche, est un plus gros péché qu'un
jour d'œuvre, à cause que ce jour est consacré à Dieu
d'une manière particulière. Voilà, M.F., des cir-constances
qu'il faut déclarer ; sans quoi tremblez pour vos confessions. Hélas
! où sont ceux qui ont ces pré-cautions ? mais aussi où
sont ceux qui font les bonnes confessions ? on le voit bien par la manière
de vivre.
Il faut encore accuser si c'est
un péché d'habitude, et combien de temps cette habitude a
duré ; si les péchés que l'on a commis, on les a faits
par malice ou avec réflexion, et les suites des péchés
que l'on a commis parce que ce n'est que de cette manière que nous
pou-vons nous faire connaître. Voyez un malade à l'égard
de son médecin, comment se comporte-t-il ? Il lui découvre
non seulement son mal ; mais encore le commencement et les progrès
; il ne se sert que des termes les plus clairs. Si le médecin ne
le comprend pas, il répète, il ne cache et il ne déguise
rien de tout ce qu'il croit être nécessaire pour faire connaître
sa maladie et procurer sa guérison. Voilà, M.F., comment
nous nous devons comporter envers notre médecin spirituel, afin
de le mettre en état de bien connaître les plaies de notre
âme, c'est-à-dire tels que nous nous connaissons devant Dieu.
3° Je dis qu'il faut dire le
nombre. Rappelez-vous bien que si vous ne dites pas le nombre de vos péchés
mortels, vos confessions ne valent rien ; il faut dire combien de fois
l'on est tombé dans le même péché, parce que
chaque fois c'est un nouveau péché. Si vous aviez commis
trois fois un péché et que vous ne disiez que deux fois,
celui que vous laisseriez serait cause que votre confession serait un sacrilège,
si c'est un péché mortel, comme on le suppose. Hélas
! M.F., combien de ceux qui sont tombés dans ces fautes, les uns
brûlent en enfer et les autres peut-être ne répareront
jamais cette chaîne de confessions et de communions sacrilèges
! Ils se contenteront de dire : « Mon père, je m'accuse d'avoir
médit, d'avoir juré. » – « Mais combien de fois
? » leur dira le prêtre. – « Pas souvent, toujours quelquefois.
» Est-ce là, M.F., une confession entière ? Hélas
! que de damnés ! que d'âmes réprouvées. Savez--vous,
M.F., quand il est permis de dire « tant de fois, à peu près
? » c'est lorsque vous faites une confession longue, qu'il vous est
impossible de dire au juste que vous avez fait tel péché
: alors, voilà ce que vous faites, vous dites combien de temps a
duré l'habitude, com-bien de fois à peu près vous
y avez tombé par semaine, par mois, ou par ,jour ; si l'habitude
a été interrompue pendant quelque temps ; et de cette manière
vous approchez du nombre autant que vous le pouvez. Si malgré tous
les soins que vous avez donnés à votre examen, il vous est
resté quelques péchés, votre confession ne laisserait
pas d'être bonne, il vous suffirait de dire dans votre prochaine
confession : « Mon père, je m'accuse d'avoir oublié
involontairement un péché dans ma dernière confession,
il est ainsi compris avec ceux que vous avez accusés. C'est pour
cela que, quand vous vous accusez, vous dites : « Mon père,
je m'accuse de ces péchés et de ceux dont je ne me souviens
pas. »
Quant aux péchés véniels,
où l'on tombe si souvent, l'on n'est pas obligé de s'en confesser
parce que ces péchés ne nous font pas perdre la grâce
et l'amitié du bon Dieu, et qu'on peut en obtenir le pardon par
d'autres moyens, je veux dire par la contrition du cœur, la prière,
le jeûne, l'aumône et le saint sacrifice. Mais le saint Concile
de Trente nous enseigne qu'il est très utile de s'en confesser .
En voici les raisons : c'est que souvent un péché que nous
croyons véniel se trouve mortel devant Dieu ; 2° que nous en
recevons beaucoup plus facilement le pardon par le sacrement de pénitence
; 3° que la confession de nos péchés véniels nous
rend plus vigilants sur nous-mêmes ; 4° que les avis du confesseur
peuvent beaucoup nous aider à nous cor-riger ; 5° que l'absolution
que nous recevons, nous donne des forces pour nous les faire éviter.
Mais si nous nous en confessons, il faut le faire avec regret et désir
de s'en corriger : sinon, nous nous exposerions à com-mettre des
sacrilèges. C'est pour cela que, selon le conseil de saint François
de Sales, lorsque vous n'avez que des péchés véniels
à vous reprocher, il faut, à la fin de votre confession,
vous accuser d'un gros péché de votre vie passée,
en disant : « Mon père, je m'accuse d'avoir autrefois commis
un tel péché ; » en le disant comme si nous ne l'avions
jamais confessé, les circons-tances et le nombre de fois que nous
l'avons commis.
Voilà à peu près,
M.F., les qualités que doit avoir une confession pour être
bonne. C'est maintenant à vous à examiner si vos confessions
passées ont été accompa-gnées de toutes les
qualités dont nous venons de parler. Si vous vous trouvez coupables,
ne perdez pas de temps peut-être que le moment où vous vous
promettez de revenir sur vos pas, vous ne serez plus au monde, vous brûlerez
dans les enfers avec le regret de n'avoir pas accompli ce que vous pouviez
si bien, étant encore sur la terre et ayant tous les moyens nécessaires
pour cela.
Il. – Voyons maintenant un mot en
combien de manières on pèche contre ces dispositions ? Vous
savez, M.F., on vous l'a appris dès votre enfance, que l'inté-grité
et la sincérité sont les qualités absolument néces-saires
pour faire une bonne confession, c'est-à-dire pour avoir le bonheur
de recevoir le pardon de vos péchés. Le moyen le plus sûr
de faire une bonne confession est de déclarer vos péchés
avec simplicité, après vous être bien examinés
; car un péché laissé par faute de vous être
examinés, quoique si vous l'aviez connu, vous l'eussiez dit, ne
laisserait pas tout de même que de rendre votre confession sacrilège.
Cependant, M.F., on trouve un grand nombre de chrétiens qui vont
se confesser souvent sans même penser à leurs fautes, ou du
moins, d'une manière si légère, que quand ils se confessent
ils n'ont rien à dire si le prêtre ne les examine pas lui-même.
C'est surtout parmi ceux qui ne se confessent que rarement, qui souvent
ne craignent pas de mentir à Dieu même, en cachant volontairement
des péchés, que leur conscience leur reproche, et qui, après
une pareille confession, ont la hardiesse d'aller se pré-senter
à la Table sainte pour manger, comme le dit saint Paul, leur condamnation
. Mais voilà, M.F., ceux qui sont les plus sujets à faire
de mauvaises confessions : ce sont ceux qui pendant quelque temps ont rempli
fidè-lement leurs devoirs de religion. Le démon, qui n'épargne
rien pour les perdre, les tente affreusement. S'ils vien-nent à
succomber : d'un côté, effrayés par honte de leur péché,
de l'autre par la crainte de se faire connaître aussi coupables,
ils sont conduits à une fin bien malheu-reuse. Ils ont la coutume
d'aller à confesse une telle fête, cependant ils craignent
qu'on les remarque s'ils n'y vont pas ; mais ils ne voudraient pas s'avouer
coupables, et que font-ils ? ils ne disent pas leur péché
et commen-cent une chaîne de sacrilèges qui peut-être
durera jusqu'à la mort, sans avoir la force de la rompre une autre
fois. Ce sera un homme qui n'est pas disposé à restituer
une chose qu'il aura dérobée, à réparer une
injustice qu'il a faite, à ne plus retirer intérêt
de son argent ; ou, si vous voulez encore, une femme ou une fille, qui
a quelque fréquentation mauvaise et ne voudra pas la rompre. Et
quel parti prennent ces personnes-là ? Le voici : c'est de ne rien
dire, et de s'engager volontai-rement dans la route de l'enfer.
Mes amis, je vous dirai : vous vous
aveuglez affreuse-ment ; qui est celui que vous croyez tromper, et à
qui vous voulez cacher votre péché ? ce n'est pas à
un homme, mais à Dieu lui-même, qui les connaît bien
mieux que vous, qui vous attend dans l'autre vie pour vous punir non un
moment, mais une éternité. Combien encore sont de ce nombre
! des personnes qui font pro-fession de piété et qui se laissent
tromper par ces misé-rables considérations : « Que
pensera-t-on de moi, si l'on ne me voit pas communier comme à mon
ordinaire ? » Cette considération les arrête et les
jette dans le sacri-lège. O mon Dieu, peut-on après cela
vivre tranquille ? Mais, grâce à Dieu, ces âmes
noires et vouées à l'iniquité ne sont pas les plus
nombreuses. Mais voici la corde par laquelle le démon en entraîne
le plus en enfer : ce sont ceux qui, en déclarant leurs péchés,
les cachent par la manière dont ils les accusent ; on ne les connaît
guère mieux après leur confession qu'avant. Qui pourrait
raconter tous les déguisements,
tous les artifices que le démon
leur inspire pour les perdre et tromper leur con-fesseur. Vous allez le
voir :
Je dis 1° déguisement
dans la manière de les accuser, ils se serviront de termes les plus
capables d'en dimi-nuer la honte. Quelle est la préparation de certains
? Ce n'est pas de demander à Dieu la grâce de bien con-naître
leurs péchés ; mais de se tourmenter comment ils pourront
les dire pour éprouver moins de honte. Sans presque s'en apercevoir,
ils les affaiblissent considéra-blement ; les emportements de la
colère ne seront que des impatiences, les discours les plus indécents
ne seront que des paroles un peu trop libres ; les désirs les plus
honteux, les actions les plus infâmes, ne seront que des familiarités
peu décentes ; les injustices les plus mar-quées ne seront
que de petits torts ; les excès de l'avarice ne seront qu'un attachement
un peu trop grand aux biens de la terre. De sorte que, quand la mort arrivera
et que Dieu leur fera voir leurs péchés tels qu'ils sont,
ils recon-naîtront alors qu'ils n'ont dit leurs péchés
qu'à moitié dans presque toutes leurs confessions. Et que
s'ensui-vra-t-il de là, sinon une chaîne de sacrilèges
? O mon Dieu, peut-on bien y penser et ne pas mieux être sincère
dans ses confessions pour avoir le bonheur d'en recevoir le pardon ?
2° Je dis que l'on déguise
ses péchés dans les circons-tances que l'on a bien soin de
ne pas déclarer, qui sou-vent sont plus criminelles que les actions
mêmes, par exemple une personne dont l'occupation est de médire,
de censurer, ou peut-être même de calomnier, s'accusera d'avoir
dit des paroles désavantageuses au prochain ; mais elle ne dit pas
que cela était par orgueil, par envie, par haine et par ressentiment
; mais ne dit pas quelle perte elle a portée à sa réputation.
Au contraire, si on lui demande si ces paroles ont nui au prochain, elle
répond tranquillement que non, sans avoir examiné le oui
ou le non. Vous dites bien que vous avez médit, vous ne dites pas
que c'était contre votre pasteur ou une autre per-sonne consacrée
à Dieu, dont la réputation est absolu-ment nécessaire
pour le bien de la religion. Mais vous ne dites pas que ce que vous avez
dit était faux, c'est-à-dire une calomnie ; vous vous accusez
bien d'avoir dit des paroles contre la religion et contre la modestie,
mais vous ne dites pas que votre intention était d'ébranler
la foi de cette jeune personne, afin de lui persuader de consentir à
vos mauvais désirs, en lui disant qu'il n'y avait point de mal en
cela, qu'il ne fallait pas s'en confesser. Une jeune fille dira bien qu'elle
s'est habillée avec le désir de plaire ; mais elle ne dira
pas que son intention était de donner lieu aux mauvaises pensées.
O mon Dieu, ne devrait-on pas les reléguer au fond des forêts
où les rayons du soleil n'ont jamais pu pénétrer ?
Un père s'accusera bien d'avoir été au cabaret, de
s'être enivré ; mais il ne dira pas qu'il a servi de scandale
à toute sa famille. Une mère dira bien qu'elle a dit des
paroles contre le prochain et qu'elle s'est mise en colère ; mais
elle ne dit pas que ses enfants et ses voisines en ont été
témoins. Un autre s'accusera bien d'avoir eu ou per-mis des familiarités
peu décentes ; mais ne dira pas que son intention était de
pécher avec la personne, s'il avait pu la séduire, ou s'il
n'avait pas craint le monde. Celui-ci dira bien qu'il a manqué la
sainte Messe le dimanche, mais il ne dira pas qu'il l'a fait manquer à
d'autres, ou bien que plusieurs personnes l'ont vu, ce qui les a scan-dalisées,
et peut-être même ses enfants ou ses domesti-ques. Vous vous
accusez bien d'avoir été au cabaret ; mais vous ne dites
pas que c'est un dimanche et pendant la messe ou les vêpres ; que
votre intention était d'en amener d'autres avec vous, si vous aviez
pu. Vous ne dites pas encore que vous êtes sorti de l'église
pour aller au cabaret, et que c'était pendant l'instruction, en
vous raillant de ce que disait votre pasteur. Vous vous accusez bien d'avoir
mangé de la viande les jours défendus ; mais vous ne dites
pas que c'est pour vous moquer de la reli-gion et mépriser ses lois
saintes. Vous dites bien que vous avez prononcé des paroles sales
; mais vous ne dites pas que c'est parce qu'il y avait devant vous une
personne de piété, afin de pouvoir décrier la religion
et la détruire de son cœur. Vous dites bien encore que vous travaillez
le dimanche ; mais vous ne dites pas que c'est par avarice, en méprisant
les défenses de l'Eglise. Vous vous accu-serez bien d'avoir eu de
mauvaises pensées ; mais vous ne dites pas que vous y avez donné
occasion en allant volontairement avec des personnes que vous saviez très
bien n'avoir que de mauvais propos à débiter. Vous dites
bien que vous n'avez pas entendu la sainte Messe comme il faut ; mais vous
oubliez de dire que vous y aviez donné occasion en venant jusqu'à
la porte de l'église sans vous y préparer ; peut-être
vous entrez sans faire un acte de contrition, et vous ne dites rien de
tout cela : et cepen-dant une bonne partie de ces circonstances manquant
peuvent rendre vos confessions sacrilèges. O que de chrétiens
damnés, parce qu'ils n'auront pas su se con-fesser ! Vous vous êtes
peut-être bien accusé de n'être pas bien instruit ;
mais vous avez manqué de dire que vous ne saviez pas les principaux
mystères, ce qu'il faut absolument pour être sauvé.
Vous avez manqué de dire que vous n'osez pas bien demander à
votre confesseur de vous interroger, pour savoir si vous êtes suffisamment
instruit pour ne pas vous damner et pour recevoir les sacrements dignement
; peut-être n'y avez-vous jamais pensé ! O mon Dieu, que de
chrétiens perdus !
En troisième lieu, je dis
déguisement dans le ton de la voix que l'on emploie pour déclarer
certains péchés les plus humiliants, dans le soin que l'on
prend de les placer de manière que le confesseur puisse les entendre
sans y faire attention. L'on commencera à accuser beau-coup de petits
péchés, comme : « Mon père, je m'accuse d'avoir
manqué de prendre de l'eau bénite le matin et le soir, d'avoir
eu des distractions pendant mes prières, et autres choses semblables,
après avoir endormi, autant qu'ils peuvent, l'attention du confesseur,
d'une voix un peu plus basse et de la manière la plus rapide, on
glisse des abominations et des horreurs. » Insensés, pourrait-on
leur dire, quel est donc le démon qui vous a ainsi séduits
pour vous porter à trahir misérablement la vérité
? Dites-moi, M.F., quel est le motif qui peut vous porter à mentir
de la sorte en confession ? Est-ce la crainte que le confesseur ait mauvaise
opinion de vous ? Vous vous trompez. Est-ce que vous espérez que
les péchés que vous dites vous seront pardonnés ?
Vous vous trompez encore grossièrement. Mais, dites-moi, pourquoi
est-ce que vous venez dire au confesseur une partie de vos péchés
avec l'espérance de le tromper ? mais vous savez bien que vous ne
tromperez pas Dieu, de qui vous devez recevoir votre pardon. Dites-moi,
cette absolution que vous aurez surprise, pouvez-vous bien espérer
qu'elle sera ratifiée dans le ciel ? Hélas ! M.F., tel est
l'aveu-glement de certains pécheurs qui osent se persuader que,
pourvu qu'ils aient obtenu une absolution, n'importe qu'ils aient dit ou
pas dit tous leurs péchés, qu'ils aient trompé ou
non leur confesseur, ils se croient pardonnés. Mais, dites-moi,
pécheurs aveugles, pécheurs endurcis et vendus à l'impiété,
je vous le demande, êtes-vous bien contents de cette absolution,
lorsque vous êtes sortis du tribunal de la pénitence ? Avez-vous
éprouvé cette paix et cette douce consolation qui est la
récompense d'une confession bien faite ? N'avez-vous pas été,
au contraire, obligés, pour calmer vos remords de conscience, de
vous dire en vous-mêmes qu'un jour vous referiez la confession que
vous veniez de faire ? Mais, mon ami, tout bien examiné, vous auriez
mieux fait cent fois de ne pas vous confesser. Vous savez très bien
que tous les péchés que vous avez ainsi confessés
ne sont pas pardonnés, sans parler de ceux que vous avez voulu cacher.
Vous n'étiez pas assez coupables ? et vous avez voulu ajouter à
tous vos énormes péchés un affreux sacrilège
! – Mais, me direz-vous, je voulais commu-nier, parce que j'avais l'habitude
de communier ce jour--là. – Vous vous trompez ; il faut dire que
vous vouliez commettre un sacrilège, vous enfoncer plus profond
dans les enfers ; vous aviez peut-être peur de n'être pas assez
coupables pour aller en enfer ; vous aviez peut--être peur d'aller
au ciel. Ah ! ne vous tourmentez pas tant, vous avez assez de péchés
pour ne pas aller au ciel et pour être précipités dans
les flammes.
Hélas ! je ne vous dis rien
de toutes ces confessions sacrilèges par défaut de contrition,
qui, seules, damnent plus de monde que tous les autres péchés.
J'espère qu'un jour je vous en parlerai. N'est-ce pas, mon ami,
que vous espérez de réparer le mal que vous avez fait ? –
Oui, me direz-vous. – Hélas ! mon ami, tremblez que ce temps ne
vous soit pas donné et que, pour toute préparation, vous
n'ayez à la mort que vos sacrilèges. Voulez-vous savoir la
récompense de ces profanations ? La voici : endurcissement pendant
la vie et désespoir à l'heure de la mort. Vous avez trompé
votre confesseur, mais non le bon Dieu, et c'est lui qui vous jugera.
Que devez-vous faire, M.F., pour
éviter un mal aussi effroyable ? Hâtez-vous de réparer
tous ces défauts de vos confessions passées, par une accusation
sincère et entière. Comprenez que jamais Dieu ne vous pardonnera
ni vos péchés cachés, ni vos confessions sacrilèges.
Vos péchés cachés seront publiés à la
face de tout l'univers ; au lieu que si vous les avez bien confessés,
jamais on ne pourrait vous les reprocher. Frémissez, M.F., à
la vue de l'affreux désespoir qui vous attend à l'heure de
la mort, lorsque tous vos sacrilèges vont venir se préci-piter
sur vous pour vous ôter toute espérance de pardon. Rappelez-vous
l'exemple d'Ananie et de sa femme qui tombèrent morts aux pieds
de saint Pierre pour lui avoir menti. Rappelez-vous encore la terrible
punition de cette fille rapportée par Saint Antonin...
M.F., que toutes ces considérations
vous engagent à faire toutes vos confessions d'après les
règles que je viens de vous tracer, et vous êtes sûrs
de trouver dans vos confessions le pardon de vos péchés,
la paix de l'âme et la vie éternelle à la fin de vos
jours. Ce que je vous souhaite.
SERMON
SUR LE PÉCHÉ MORTEL
Vœ nobis, quia peccavimus.
Malheur à nous, parce que
nous avons péché.
(Lament. v, 16.)
Le prophète Jérémie, M.F., se regardait comme chargé des péchés de son peuple ; il s'écrie, en pleurant amèrement : « Enfin, enfin, nous avons perdu par nos péchés ces plaisirs purs dont nos cœurs jouissaient, nos joies se sont changées en tristesse, et la couronne de gloire que nous avions sur nos têtes est tombée. Malheur à nous, parce que nous avons pêché.» Quoi, M.F., de plus digne de nos réflexions et de nos larmes que ces paroles du prophète, qui nous montre les ravages effroyables que le péché fait dans celui qui est si malheureux que de le commettre ? Comment, M.F., oserai-je vouloir entreprendre de vous parler de la grandeur, de la malice du péché envers Dieu contre qui il est commis et des malheurs qu'il attire à celui qui le commet. Hélas ! M.F., vous parler de détruire en vous le péché, de le noyer dans vos larmes, et de l'anéantir par vos pénitences c'est vouloir entreprendre de détruire ce que les rois, quelque puissants qu'ils aient été, n'ont jamais pu ren-verser, ni par la sévérité des supplices, ni par la rigueur et la multitude de leurs ordonnances ; c'est vouloir empêcher ce que les prophètes de l'Ancien Testament n'ont jamais pu empêcher par la force de leur éloquence toute divine ; c'est vouloir détruire ce que les apôtres, enflammés par l'amour de Dieu et animés par la force de l'Esprit-Saint, n'ont jamais pu détruire. Hélas ! M.F., c'est vouloir anéantir ce que tous les martyrs n'ont jamais pu étouffer dans l'effusion de tout leur sang. Ah ! que dis-je ? C'est vouloir exterminer ce que Jésus-Christ lui-même, tout Dieu qu'il est, n'a pas entiè-rement exterminé par tous ses tourments et les rigueurs inexprimables de sa douloureuse et cruelle passion. Oui, M.F., je vais donc vous parler du péché, c'est-à--dire de ce que le bon Dieu lui-même, depuis plus de six mille ans, n'a pas renversé par toutes les grâces de sa religion sainte et divine, par toutes les forces de ses sacrements et par tout le zèle de ses ministres. O péché ! ô maudit péché mortel, si familier aux hommes et si peu connu des hommes ! O maudit péché, destructeur de notre sainte religion, cruel bourreau de nos âmes !... germe de réprobation ! Horreur du ciel et désolation de la terre ! O maudit péché, qui est la cause de tous nos malheurs pour le temps et pour l'éternité ! ô sanglant meurtrier de Jésus-Christ même ! ô mon Dieu, si nous con-naissions bien ce que c'est que le péché, pourrions-nous le commettre avec plaisir ; et, après l'avoir commis, pourrions-nous vivre tranquilles ! Mon Dieu, que nous sommes aveugles ! Voyons donc tous ensemble ce que c'est que le péché mortel, sa malice, ensuite l'aveugle-ment de celui qui le commet et les maux qu'il nous attire.
I. – Non, M.F., jamais il ne sera
donné aux mortels de comprendre la grandeur de la malice du péché
mortel. Quand j'aurais le pouvoir d'ouvrir les portes de l'enfer, et de
vous faire environner de toutes ces malheureuses victimes de la juste colère
de Dieu, que chacune vous ferait de la manière la plus déchirante
la peinture des larmes qu'elles ont répandues, des soupirs et des
cris qu'elles ont poussés, des douleurs qu'elles ont ressenties
et qu'elles endureront jusqu'à la fin de l'éternité,
s'il était possible qu'il y eût fin. Tout cela ne serait encore
rien. Et si vous m'en demandez la raison, la voici c'est qu'il faudrait
pouvoir vous faire comprendre d'un côté jusqu'à quel
degré le péché outrage le bon Dieu, et d'un autre
côté jusqu'à quel degré la puissance infinie
de Dieu punit le péché ; ce qui ne sera jamais donné,
même aux anges, de savoir. Tout ce que je vais vous en dire ne sera
donc rien en comparaison de ce qu'il est.
Si vous demandez, M.F., ce que c'est
que le péché mortel, voici ce que saint Augustin nous en
dit : C'est une aversion de Dieu et un attachement déréglé
et cri-minel aux créatures. Voilà donc, M.F. la matière
du péché, non seulement s'éloigner de Dieu, mais encore
le haïr. O mon Dieu, quel malheur est comparable à celui-là,
s'attacher à une vile créature, lui donner toutes les affections
de son cœur, au mépris de son Créateur, de son Dieu ? Pouvons-nous,
M.F., nous figurer une plus noire malice et une plus effroyable énormité
! Mais encore, M.F., qui nous dira ce que c'est que ce mal d'aversion de
Dieu ? Le voici : c'est une opposition uni-verselle à la volonté
de Dieu. Voilà le langage que nous tenons à Dieu en péchant
: « Retirez-vous de moi, je ne veux plus que vous soyez mon Dieu,
ni moi être votre serviteur : je vous méprise avec tous vos
biens. Vous voulez cela ; eh bien ! moi je ne le veux pas. Vous ne voulez
pas cela ; eh bien ! moi je le veux. Vous me com-mandez de faire cela,
je ne veux pas le faire. » Voulez-vous mieux le comprendre ? Ecoutez-moi
un instant : Vous me commandez, disons-nous à Dieu, de vous prier
matin et soir ; eh bien ! moi je ne veux pas vous prier. Vous voulez que
je sanctifie le saint jour de dimanche ; eh bien ! moi je ne veux pas,
je veux le profaner par les travaux que vous m'avez défendus, encore
plus, en me livrant aux plaisirs et à la débauche. Vous me
commandez de conserver mon corps et mon âme purs et chastes ; eh
bien ! moi je ne veux pas ; je les profanerai par les pensées, les
désirs sales et honteux, par les actions les plus infâmes.
Vous voulez que je pardonne à mon ennemi ; eh bien ! moi je veux
me venger. Vous voulez que je vous aime ; eh bien ! je vous méprise
et me donne aux créatures. Vous voulez que je profite de votre sainte
parole, que vos ministres m'an-noncent pour me faire connaître les
moyens de bien me conduire ; vous voulez que je profite des grâces
que la religion nous présente pour nous aider à vaincre nos
penchants ; eh bien ! moi je veux mépriser votre parole et celui
qui l'annonce et fouler aux pieds toutes vos grâces. Voilà,
M.F., le langage que nous tenons au bon Dieu toutes les fois que nous péchons
; c'est pour cela que le prophète Isaïe appelle les pécheurs
des rebelles qui font toujours le contraire de la volonté du Sei-gneur
.
En deuxième lieu, je dis
que ce mot d'aversion veut encore dire un dégoût, un soulèvement
de cœur contre tout ce qui a rapport à la religion : la pénitence,
les morti-fications, le pardon des ennemis, les violences qu'il faut se
faire pour vaincre les penchants corrompus de son cœur, la privation de
certains plaisirs, ainsi que du reste, cela nous fait peur, nous rend malades
d'y penser ; l'on trouve que le bon Dieu exige trop, qu'il est trop difficile
de servir le bon Dieu ; nous aimons mieux nous exposer d'aller souffrir
pendant toute l'éternité que de nous faire quelques violences
pour plaire à Dieu en évitant le péché. O mon
Dieu, que l'homme est aveugle ! Est-il bien possible qu'une vile créature
ose se révolter contre son Créateur, qui d'un seul regard
l'anéantirait à l'instant même.
En troisième lieu, je dis
que non seulement le pécheur en péchant préfère
la créature à la majesté de Dieu : quelle honte !
quelle horreur pour un chrétien, s'il connaissait ce qu'il fait
en péchant ! Mais encore saint Augustin dit : « Autant de
passions nous contentons, autant de dieux étrangers nous adorons.
» Oh ! quelle injustice le pécheur ne fait-il pas à
Dieu, de le mettre au-dessous de sa passion ! Oui, nous dit ce saint, ce
mal-heureux impudique met son Dieu au chevet d'une femme infâme...
oui, il met son Dieu dans les regards d'un impudique, dans les plaisirs
brutaux et infâmes d'un homme lascif. Qu'est-ce qu'un impudique ?
nous dit saint Augustin ; c'est un homme pauvre et mal-heureux qui ne respire
que la chair et l'ordure. Qu'est-ce qu'un emporté ? C'est un homme
qui jette le feu par les yeux et les narines. Qu'est-ce qu'un envieux ?
C'est un homme qui crève de dépit et qui se consume de rage.
Qu'est-ce qu'un ambitieux ? C'est, nous dit-il, un homme qui n'est rempli
que de fumée. Eh bien ! où pensez-vous que le pécheur
mette son Dieu ? croyez-vous que c'est dans ses yeux ? Encore plus bas.
Est-ce dans son cœur ? Non, nous dit-il, encore plus bas. Est-ce dans le
fond des abîmes ? Non, nous dit-il, encore plus bas... Où
est-ce donc ? Ah ! malheureux, le voici : si tu peux l'entendre sans mourir
d'horreur, malheur à toi. Ah ! malheureux pécheur, tu places
ton Dieu sous l'écume de tes emportements, sous la sordide passion
de ton avarice ; mal-heureux, c'est sous la bile de ta fureur, sous la
rage de ton envie, sous la fumée de ton ambition. Ah ! que dis-je
? tu le places et tu voudrais le noyer dans le jus de tes tur-pitudes impures
et infâmes. O mon Dieu, qui comprendra ce que c'est que le péché
et pourra encore le commet-tre ?
J'ai appris, M.F., dans l'Écriture
sainte, que le ciel et la terre, ne peuvent renfermer la grandeur de la
majesté de Dieu. J'ai bien appris qu'il a son trône dans le
soleil et qu'il est environné de lumières ; mais je
n'avais jamais vu que la divinité d'un Dieu trois fois saint pût
être salie, tachée d'ordures, noircie de la fumée des
passions des hommes infâmes. O péché ! ô maudit
péché ! que tu fais bien voir ce que nous ne comprendrons
jamais ! O quelle horreur, M.F., que la divinité soit arrachée
de son trône par un infâme pécheur pour la mettre sous
les pieds de ses passions ! O éternité ! seras-tu assez longue
pour punir ces malheureux ? Saint Paul, voulant nous décrire l'énormité
du péché de la chair, nous dit des paroles si étonnantes,
que si vous pouviez bien les comprendre, il vous serait impossible de jamais
tomber dans ce péché « Ne savez-vous pas que votre
corps est un membre de Jésus-Christ ? » De sorte qu'un
impudique qui s'aban-donne à une infâme créature, de
son corps qui est un membre de Jésus-Christ, il en fait le membre
d'une infâme prostituée. O horreur ! ô abomination,
qui doit faire même frémir l'enfer d'horreur ! Dites-moi,
M.F., que penseriez-vous d'un homme qui serait assez enragé, que
de prendre du sang le plus impur des sales animaux et de le mettre dans
le calice avec le sang précieux de Jésus-Christ après
la consécration ? Cela seul vous fait horreur ; et cependant le
pécheur va encore plus loin en préférant le démon
au Fils de Dieu, et les mouvements de Satan aux mouvements de la grâce
de Jésus-Christ.
En quatrième lieu, je dis
que le péché mortel nous aveugle de manière que nous
ne connaissons presque plus le mal que nous faisons ; du moins d'une manière
si faible que nous péchons presque sans nous en aper-cevoir. Le
péché se présente-t-il, nous le recevons ; la grâce
vient, nous la méprisons ; de sorte qu'une fois aveuglés
et endurcis nous faisons autant de chutes que de pas. Le bon Dieu, en punition
de nos péchés, nous rejette de sa présence et nous
livre entre les mains de nos passions. D'après cela, notre vie n'est
autre chose qu'un tissu de crimes et une suite et un enchaînement
de péchés. Le cœur de l'homme est semblable à une
mer agitée par d'horribles tempêtes dont un flot en produit
un autre : de même en arrive-t-il au pécheur. Le premier péché
en produit un autre, ainsi ils se poussent les uns les autres, et le dernier
pousse à l'impénitence finale, et l'impénitence finale
à la mort, et la mort à l'éternité malheureuse.
De sorte, nous dit Tertullien, qu'un péché devient la matière
d'un autre. De là je conclus, M.F., que le pécheur ne cesse
de pécher que dans le moment où il cesse de vivre ; toute
sa vie n'est qu'un enchaînement de crimes, jusqu'à ce qu'il
soit arrivé au dernier.
L'Ecriture sainte nous en fournit
un fameux exemple dans la personne de l'infortuné Amasias, roi de
Juda. Ce prince avait toutes les qualités naturelles que l'on pour-rait
souhaiter pour un bon roi, et, selon toute apparence, avait les meilleures
dispositions. Il monta sur le trône à l'âge de 25 ans.
Jusqu'alors il avait assez bien vécu ; mais, hélas ! à
peine fut-il élevé, que l'orgueil et l'ambi-tion se saisirent
de lui. Il voulut savoir à combien de personnes il aurait droit
de commander ; il en eut trois cent mille capables de porter les armes
: « Voilà bien du monde, se dit-il en lui-même ; mais
où vais-je trouver de l'argent pour les payer ? Il fait établir
un impôt dont il écrasa son peuple, et le fit exécuter
avec la dernière cruauté. Le Seigneur lui envoya un prophète
pour le reprendre ; mais non, un aveugle, rien ne peut le tou-cher ; il
méprise les réprimandes du prophète ; même il
le menace de mort, se baignant pour ainsi dire dans le vice de son orgueil.
Voyant que le prophète le reprenait, il lui dit : « Vous ne
cessez de m'importuner ; eh bien ! j'abandonnerai le vrai Dieu et j'adorerai
les idoles. » En effet il le fit. Se voyant à la tête
d'une superbe armée, bien équipée, il croit que rien
n'est capable de lui résister. Il va attaquer le roi d'Israël
: il veut se rendre maître de ses États et faire mourir le
roi ; mais, hélas ! son armée fut taillée en pièces
et lui-même fut pris et conduit en captivité, ce qui dura
quinze ans ; enfin ses propres domestiques l'égorgèrent .
Voilà, M.F., précisément l'image d'un pécheur
endurci, dont l'endur-cissement consiste dans un certain enchaînement
de crimes et dans une suite continuelle de mauvaises actions, et dans un
certain flux et reflux d'impiété ; il ne cesse de pécher
qu'en cessant de vivre ; il n'y a que la mort qui lui fasse ouvrir les
yeux sur son état.
En cinquième lieu, ce qui
rend cet endurcissement si terrible, c'est l'abandon de Dieu qui se retire
du pécheur et qui finit par le livrer entre les mains de ses passions.
Une fois arrivé à ce degré d'aveuglement, hélas
! rien ne le touche et rien n'est capable de lui faire connaître
l'état malheureux où le péché le conduit ;
il méprise tout ce qui est capable de le rappeler à Dieu
; il rejette la grâce autant de fois qu'elle vient. Cependant il
sait qu'il est dans le péché, il sait qu'il n'a point fait
de pâques, il sait qu'il a caché ses péchés
en confession, il sait qu'il possède le bien de son prochain, il
sait que s'il meurt dans cet état il sera perdu. Il entend le ministre
du Seigneur qui lui montre au doigt l'état épouvantable de
son âme et ne cesse de le lui représenter. Oui, il sait tout
cela ; mais il ne l'entend que pour railler et mépriser même
celui qui voudrait lui tendre la main ; il ne recevra les grâces
du salut que pour les fouler sous ses pieds. Écoutez parler cet
aveugle, cet endurci : « Tout ce que les prêtres disent n'est
que des mensonges ; c'est leur métier. » Si dans une instruction
il y a quelque chose qui les regarde ou qui les touche un peu de près,
il n'y a sortes d'abominations qu'ils ne vomissent contre le prêtre.
Vous les voyez sortir et faire tout ce qu'ils peuvent pour en entraîner
d'autres dans leur répro-bation. Ils ont une telle fureur contre
Dieu et sa religion, qu'ils affecteront de faire le mal devant les gens
de bien, c'est-à-dire de débiter des impiétés
contre la religion, contre ses ministres, de travailler les saints jours
du dimanche et de faire gras les jours défendus. Dites-moi, M.F.,
auriez-vous pu vous former une idée qu'une personne fût capable
d'arriver à cet état d'aveu-glement et d'endurcissement ?
Ce qui met le comble à leur malheur, c'est qu'ils sont peut-être
tranquilles, et peut-être le seront-ils jusqu'au moment où
ils tomberont entre les mains de leur ennemi éternel. Nous en avons
un bel exemple dans l'Écriture sainte, où nous lisons que
le roi de Syrie, ayant conçu le dessein d'assiéger une ville
de la Judée , fit mettre ses soldats en embuscade. Le prophète
Élisée, à qui le Seigneur le fit savoir, se mit en
prières en demandant au bon Dieu d'aveugler tous ceux qui venaient
le chercher. Après avoir fait sa prière, il va trouver ces
gens et leur dit : « Vous vous trompez : suivez-moi, vous n'avez
pas pris la route qu'il fallait prendre, ce n'est pas ici la ville que
vous aviez dessein d'assiéger. Venez et suivez-moi, et je vous conduirai
où il faut que vous alliez. Le prophète se mit à leur
tête et les mena droit à Samarie, et après les avoir
mis entre les mains de leurs ennemis qui avaient résolu de les perdre,
il s'en alla . Image terrible de ce qui se passe ordinairement à
la mort de ce pécheur endurci : s'il est assisté d'un prêtre,
ce n'est souvent que pour son malheur. Le prêtre le console, en lui
fai-sant envisager la grandeur de la miséricorde de Dieu ; les assistants
se consolent en voyant les faveurs qui lui sont prodiguées dans
ce terrible moment ; mais le prêtre ne fait que l'endormir dans une
fausse paix, et les sacrements ne font pas autre chose que de l'aveugler
davantage. Il reçoit le prêtre avec une hospitalité
extraor-dinaire ; et les démons n'attendent que le moment où
la mort le frappe pour le traîner en enfer. Il a tout méprisé,
il s'est moqué de tout, le voilà réduit, sous la rigueur
de la justice de celui contre qui il a tant vomi d'impiétés.
Mon Dieu, que l'état de ce pauvre malheureux est digne de nos prières
et de nos larmes !
II. – Mais peut-être que cela
vous a peu touchés, M.F. ; voyons et considérons le péché
sous un autre rapport. Je veux dire les maux qu'il entraîne avec
lui.
Je dis donc 1° que le péché
est la source de toutes les misères temporelles que nous éprouvons
pendant notre vie. Le Saint-Esprit nous assure que le péché
nous rend malheureux, même dès ce monde ; la pauvreté,
les maladies, les afflictions, les autres maux et surtout la mort, c'est
le péché qui en est la cause. Le Saint-Esprit nous dit dans
plusieurs endroits de l'Écriture sainte, que si vous gardez mes
commandements, je ferai que tout réussira chez vous, vos terres
produiront des grains en abondance et vos arbres seront chargés
de fruits ; mais si vous m'offensez je vous accablerai de toutes sortes
de maux ; tout périra chez vous . Cela est facile à comprendre,
que tous nos maux spirituels et tem-porels nous soient donnés en
punitions de nos péchés. Qu'est-ce qui a été
cause que les anges sont tombés du ciel dans les enfers ? Qu'est-ce
qui a chassé Adam du paradis terrestre, et qui lui attira tant de
malheurs et à tous ses descendants ? Rien autre que le péché
. Qui força le Seigneur à faire périr tout l'univers
par un déluge universel, sinon les crimes des hommes qui étaient
sur la terre ? Qui a été la cause de l’embrasement
de Sodome, de Gomorrhe et de tant d'autres villes, sinon le péché
? Ah ! maudit péché, qui te pourrait connaître et te
commettre ? Le prophète Nathan dit à David : « Puisque
vous avez commis un adultère et fait mourir le mari de cette femme,
les fléaux de Dieu ne sortiront point de votre maison ». Le
Saint--Esprit nous dit que la misère et la pauvreté viendront
de la part de Dieu dans la maison du pécheur et que les maisons
des gens de bien seront bénies . Oui, M.F., nous devrions éviter
le péché, quand ce ne serait que pour n'être pas malheureux
pendant notre vie.
En deuxième lieu, je dis
que le péché abrège même la vie de celui qui
le commet, puisque le Saint-Esprit nous assure que les années du
pécheur seront abrégées. Le Seigneur nous dit par
la bouche du prophète Isaïe que la vie d'un pécheur
est coupée comme le fil du tisserand, lequel ne pouvant le débrouiller,
le coupe. Le bon Dieu souffre longtemps un pécheur ; mais voyant
qu'il ne veut pas se convertir, il l'ôte de ce monde. Le roi Ezéchias
étant malade, le prophète Isaïe lui dit de mettre ordre
à ses affaires, parce qu'il allait mourir dans peu de temps. Ce
roi se tourna du côté de la muraille, et se mit à pleurer
ses péchés : « Quoi, se disait-il, faut--il que mes
péchés soient cause que je meure au milieu de mes années
? » Le Seigneur, touché de sa pénitence, prolongea
sa vie encore de quinze ans . Mais le roi Sédécias n'en fit
pas de même ; ses crimes furent la cause qu'il fut fait prisonnier
avec tous ses enfants ; on lui creva les yeux et il mourut misérablement
. Le roi Antiochus reconnut bien que ses péchés étaient
la cause qu'il mourait avant le temps. Il s'écria : « Ah !
que je me souviens bien que les maux que j'ai faits à Jérusalem
font que je meurs ! » Et sa mort fut si cruelle que les vers le rongeaient
tout vivant . L'histoire nous apprend que l'empereur Anastase étant
tombé malade la nuit, il vit dans sa chambre un homme horrible tenant
un livre où tous ses péchés étaient écrits,
et cet homme lui dit : « Ta vie est abrégée de 40 ans,
à cause de tes péchés. » Hélas ! M.F.,
tout ceci, il est vrai, est bien effrayant, surtout pour une personne qui
aime la vie ; mais, un peu plus tôt ou plus tard, il faut toujours
mourir ; et désirer de vivre plus longtemps, c'est désirer
de prolonger ses misères et de multiplier ses fautes.
Mais je dis en troisième
lieu, que les maux que le péché fait à notre pauvre
âme sont bien plus déplo-rables. Ecartez de lui la mort, notre
corps vit, c'est le bien le plus précieux de l'homme en ce monde
; un corps sans âme n'est capable de jouir d'aucun bien ni de rien
faire, ce n'est plus qu'un cadavre puant. De même, M.F., le péché
qui ôte la vie à notre âme la rend incapable de faire
le moindre bien qui soit récompensé pour le ciel. Hélas
! M.F., une âme privée de la grâce de Dieu est comme
un corps privé de son âme, ce n'est plus qu'un cadavre qui
fait horreur à Dieu, aux anges mêmes. Non, M.F., rien de si
beau qu'une âme dans la grâce ; mais rien de si horrible qu'une
âme dans le péché. Nous lisons, dans la vie de sainte
Catherine de Sienne, que le bon Dieu lui ayant fait voir en esprit une
âme dans la grâce, elle en fut si charmée et si ravie,
qu'elle s'écria : « Ah ! Seigneur, si la foi ne m'apprenait
pas qu'il n'y a qu'une divinité, je croirais que c'est un Dieu.
Ah ! non, mon Dieu, je ne m'étonne plus de ce que vous êtes
mort pour une si belle âme. » Mais, hélas, M.F., dès
qu'une âme vient à tomber dans le péché, ô
Dieu, cette beauté, cette âme, plus blanche que la neige,
qui était semblable aux anges, est devenue semblable aux démons.
Elle nous dit qu'une âme dans le péché est aussi horrible
aux yeux de Dieu, qu'une charogne traînée pendant huit jours
à la rigueur du soleil l'est aux yeux du monde. Ah ! pauvre âme,
qu'es-tu devenue ? Nous voyons que la mort dépouille un homme de
tous ses biens, de même quand une âme a le malheur de tomber
dans le péché, elle perd le mérite de tout le bien
qu'elle a pu faire pendant toute sa vie, quand elle seule serait aussi
riche que tous les anges et les saints ensemble ; si elle tombe dans un
péché mortel, tout est perdu pour elle, plus que l'enfer
pour elle ! Ah ! maudit péché, que les ravages que tu fais
dans une âme sont terribles ! Hélas ! M.F., que de chrétiens
qui m'écoutent sont morts de cette manière, et qui n'y pensent
pas ! Ah ! plût à Dieu que l'on eût autant de crainte
de la mort de l'âme que de celle du corps
Mais je vais plus loin, en disant
que le péché mortel nous prive de la paix de l'âme.
Le Saint-Esprit nous dit que celui qui a son âme en paix est en un
festin conti-nuel . Et saint Paul nous dit que la paix d'une âme
qui est bien avec le bon Dieu surpasse tous les plaisirs que l'on peut
goûter par ses sens . Mais au contraire, le pro-phète Isaïe
nous dit que le cœur d'un pécheur souffre des douleurs inconcevables
. Saint Paul, écrivant aux Romains, leur dit que les tribulations
accableront les pécheurs tous les jours de leur vie . Ah ! mon ami,
pourquoi rester dans le péché, puisque vous y êtes
si malheureux ?
Mais je vais encore plus loin, en
vous disant que le péché mortel vend notre âme au démon
et la rend son esclave. Oui, M.F., une personne qui est dans la grâce
de Dieu, est un enfant de Dieu ; mais dès qu'elle tombe dans le
péché, elle devient un enfant du démon et un esclave
de Satan. Saint Jean nous assure que celui qui commet le péché
est un démon, parce que, nous dit-il, il n'y a que le démon
qui ait péché dès le commence-ment . Saint Augustin
nous dit que celui qui commet un péché mortel vend son âme
au démon. Cela est si vrai que, si l'on vient à mourir dans
ce péché, le démon aura notre âme pendant toute
l'éternité. Ah ! pauvre âme, que l'on te vend pour
bien peu de chose ; puisque un ivrogne te vend pour un verre de vin, un
avare pour une poignée de foin, un gourmand pour un bon repas et
un impudique pour un plaisir infâme ! Ah ! pauvre âme, que
l'on t'estime peu de chose !
Si nous allons plus loin, nous voyons
que le péché mortel nous rend ennemis de Dieu et nous ferme
la porte du ciel. Oui, M.F., une âme qui a le bonheur d'être
dans la grâce est dans l'amitié de Dieu et elle porte avec
elle le gage du bonheur des saints. Mais, dès que nous com-mettons
le péché mortel, nous perdons la grâce et l'ami-tié
de Dieu et le gage de la vie éternelle. O mon Dieu, quel malheur
d'être votre ennemi, vous qui êtes si bon, si aimable et seul
capable de faire notre bonheur ! Ah ! M.F., si nous connaissions ce que
c'est que de perdre le bon Dieu, nous aimerions mieux perdre tout plutôt
que de tomber dans ce malheur. Voyez les trois enfants, ils aimèrent
mieux être jetés dans une fournaise ardente . Oui, M.F., tous
les martyrs ont mieux aimé souffrir toutes sortes de tourments que
de perdre l'amitié de leur Dieu. Voyez, M.F., ce qu'ont souffert
les martyrs pour ne pas perdre l'amitié du Sauveur. Aux uns, l'on
mettait sur leur tête des coins que l'on avait fait rougir au feu,
comme on fit à saint Clément, évêque d'Ancyre,
à saint Sabinien et à saint Christophe ; à d'autres,
on leur arrachait les dents, on les leur cassait à coup de pierre,
comme on fit à sainte Apollonie, à saint Janvier . Que vous
dirai-je encore ? on les écorchait tout en vie, comme on fit à
un saint Barthélemy, à une sainte Reine ; voyez un saint
Venant qui aima mieux se laisser arracher les entrailles, et brûler
avec des torches ardentes, que de perdre la grâce du bon Dieu par
le péché. Disons mieux, M.F., il n'y a sortes de tourments
qu'ils n'étaient prêts à endu-rer pour ne pas pécher.
O mon Dieu, qu'ils connaissaient donc bien mieux que nous la grandeur du
malheur de celui qui perd la grâce par le péché. Hélas
! M.F., quel malheur pour nous, puisqu'en péchant nous renonçons
à notre place dans le ciel et nous nous en marquons une en enfer.
O beau ciel, ne te voir jamais ! Y a-t-il un malheur comparable à
celui-là ? Que penseriez-vous, M.F., d'une personne qui dirait au
bon Dieu : Je ne veux point du ciel, je choisis l'enfer pour mon partage,
je renonce à la compagnie des anges et des saints ; j'aime mieux
contenter ma passion et aller en enfer avec les démons pour y brûler
pendant toute l'éternité. J'aime mieux aller dans ces feux
éternels que de me priver de ces plaisirs, que de renoncer à
ma volonté, que de par-donner à mon ennemi et que de rendre
ce bien. – Mais, me direz-vous, je ne dis pas cela. – Mon ami, je vous
réponds que votre péché le dit. Oui, cet impudique
dit dans son langage : j'aime mieux prendre mon plaisir charnel et aller
en enfer, que de m'en priver pour aller au ciel. Un avare dit : j'aime
mieux jouir des biens de ce monde, que d'aller en paradis. Un ivrogne dit
: j'aime mieux contenter mon ventre et aller
en enfer souffrir une faim
et une soif enragées, que d'aller en paradis.
Comprenez, M.F., si vous le pouvez,
quel est l'aveugle-ment du pécheur de préférer un
plaisir d'une bête à des joies éternelles ; de préférer
un peu de bien à un royaume éternel, une gourmandise au rassasiement
qu'éprouvent les bienheureux dans cette belle cité. O mon
Dieu, que nous sommes aveugles lorsque nous péchons !
Si nous allons plus loin, nous voyons
que le péché est le plus grand mal qui puisse jamais nous
arriver dans ce monde. Sainte Thérèse nous dit que le bon
Dieu lui ayant fait voir une âme en état de péché
mortel, elle en fut si effrayée qu'elle souffrirait plutôt
tout ce que jamais l'enfer pourrait inventer de tourments que d'en commettre
un seul. Saint Thomas s'étonnait qu'une per-sonne qui avait commis
un péché pût rire une fois dans sa vie. Sainte Catherine
de Sienne, à qui le bon Dieu avait fait voir une partie de la malice
du péché mortel, nous dit que Dieu, tout Dieu qu'il est,
ne pourra jamais tant faire de mal à une âme qu'elle s'en
fait elle-même par le péché. Sainte Catherine de Gênes
s'écriait : « Ah ! plût à Dieu que je pusse vous
faire comprendre ce que le bon Dieu m'a fait connaître de la malice
du péché ! Non, non, s'écriait-elle, je ne m'étonne
plus des peines de l'enfer, elles me semblent plus douces et plus tolé-rables
que le péché. O mon Dieu, j'aimerais mieux être abîmée
en enfer que de vous voir offensé. Saint Anselme nous dit qu'il
aimerait mieux passer toute son éternité dans les enfers
que de commettre un seul péché mortel Sainte Madeleine de
Pazzi nous dit qu'elle n'a jamais pu concevoir que l'on puisse offenser
un Dieu si faci-lement, et que Jésus-Christ soit mort pour racheter
de si chétives créatures. Nous lisons dans l'histoire qu'une
religieuse carmélite, n'étant âgée que de quatre
ans, une autre religieuse lui dit : « Ah ! pauvre enfant, que tu
serais heureuse de mourir à présent, n'ayant pas encore offensé
le bon Dieu ! » Ces paroles la pénétrèrent si
fort qu'elle leva les yeux au ciel, elle le vit ouvert, et Notre--Seigneur,
dans une grande majesté, qui lui fit connaître qu'elle aurait
une grande ; récompense si elle avait le bonheur de ne jamais l'offenser.
Cela lui donna une si grande horreur du péché, qu'elle pleura
toute sa vie. On lui demanda un jour pourquoi elle pleurait, elle ré-pondit
: « Hélas ! j'appréhende d'offenser le bon Dieu. »
Oui, M.F., tous les saints n'ont
rien craint en ce monde que le péché. Ah ! si Dieu, M.F.,
nous faisait voir combien le péché lui déplait et
les maux qui le suivent, nous choisirions mille fois la mort plutôt
que d'en commettre un seul. Voulez-vous, M.F., vous don-ner une nouvelle
horreur du péché ? Rappelez-vous que c'est le péché
qui est la cause de la mort de Jésus--Christ. Considérons
tous ensemble, M.F., Jésus-Christ mourant en croix, le corps tout
déchiré de coups de fouet, le visage tout meurtri et couvert
de sales cra-chats, la tête toute percée et couronnée
d'épines, ce pauvre corps tout en lambeaux, qui ne ressemble plus
qu'à un monceau de chair découpé. Rappelez-vous, M.F.,
que cette mort jeta la confusion et la consternation dans tout le monde
: le soleil se couvre de ténèbres, la terre tremble et semble
frémir, les rochers se brisent, les tombeaux s'ouvrent et les morts
se promènent par les rues de Jérusalem. Si cela vous étonne,
M.F., demandez à Jésus-Christ lui-même pourquoi il
souffre une mort si ignominieuse et si cruelle : « Ah ! mon
fils, vous répon-dra-t-il, c'est le péché qui en est
la cause, c'est pour satisfaire pour les péchés des hommes,
c'est pour dé-truire ce maudit péché... Non, non,
mon fils, nous dit ce tendre Sauveur, quand toutes les créatures
du ciel et de la terre se seraient réunies ensemble et qu'elles
auraient donné leur vie, enduré ce que jamais les bourreaux,
guidés par l'enfer, auraient inventé, elles n'auraient pas
été capables de satisfaire pour un seul péché
véniel. Voilà, mon fils, nous dit Jésus-Christ, pourquoi
j'ai tant souffert. Ah ! si du moins l'on cessait de me faire souffrir
! » O mon Dieu, que l'homme est in-grat de n'être pas encore
content de tout ce que Jésus--Christ a souffert pour nous ! Mais,
ô éternité, que tu seras longue pour venger l'outrage
que le péché a fait à un Dieu si bon, si patient et
si charitable !
Finissons, M.F. : ce langage fait
frémir. Jusqu'à quand, M.F., vivrons-nous en aveugles ? jusqu'à
quand tien-drons-nous notre Dieu sur la croix ? Non, M.F., n'atten-dons
pas la mort où tous nos efforts, nos larmes et notre repentir ne
nous serviront de rien. Ouvrons les yeux, M.F., reconnaissons nos égarements,
pleurons nos crimes commis, livrons-nous à la pénitence,
profi-tons de tout ce que le bon Dieu a mis à notre dispo-sition
; venons pleurer nos péchés passés et cessons de pécher
; perdons tout plutôt que de recommettre le moindre péché
et ne cessons de pleurer tant que Dieu ne nous dira pas que c'est assez.
Allons, M.F., au pied de la croix pour y mêler au moins nos larmes
avec le sang adorable de Jésus-Christ : écoutons un instant
les réprouvés qui pleurent, qui crient, qui hurlent et qui
demandent miséricorde sans pouvoir l'obtenir. Mais pour nous, nous
le pouvons encore, il nous appelle, ce tendre Sauveur, il vient au-devant
de nous pour nous dire qu'il nous aime. Ah ! M.F., ne perdons jamais de
vue ce qu'est le péché, les maux qu'il nous prépare
pour l'autre vie, les biens qu'il nous fait perdre pour l'éter-nité.
Nous voulons tous le ciel ; mais jamais le péché ne pourra
entrer dans le séjour de délices. Oui, M.F., tout nous invite
à quitter le péché ; le Fils de Dieu du haut de sa
croix nous conjure de ne pas faire que les mérites de sa mort soient
perdus pour nous ; les anges et les saints nous crient du haut du ciel
combien est grand le bonheur qui nous est préparé, si nous
évitons le péché. Les réprouvés, eux,
nous disent d'être sages à leurs dépens, de ne pas
les imiter, de ne pas venir dans ces lieux où les ont renfermés
toute la puissance et la colère d'un Dieu . Ah ! M.F., encore un
instant, et nous ne serons plus de ce monde, encore quelques mi-nutes et
nous serons du nombre ou des saints ou des réprouvés. Tenons-nous
bien sur nos gardes, M.F., puisque le moment de notre départ nous
est inconnu. Heureux et mille fois heureux qui tiendra son âme tou-jours
prête à paraître devant son Dieu. C'est tout le bonheur
que je vous souhaite.
SERMON
SUR LA COMMUNION INDIGNE
Anima quæ peccaverit, ipsa
morietur.
L'âme qui péchera,
mourra.
(Ez. XVIII, 6.)
Si tout péché mortel, M.F., donne la mort à notre âme, la sépare de Dieu pour jamais, la précipite dans toutes sortes de malheurs, dans quel état doit donc réduire le plus affreux de tous les crimes, qui est le sacrilège ? O mon Dieu, quel est celui qui pourra jamais se former une idée de l'état épouvantable d'une âme couverte de sacrilèges ? Oui, nous dit Jésus-Christ, lorsque vous verrez l'abomination de la désolation dans le lieu saint, prédite par le prophète Daniel, comprenez-le bien . Hélas ! M.F., s'étant choisi le cœur de l'homme pour en faire sa demeure et son temple, Jésus- Christ prévoyait sans doute les profanations et les désastreuses abominations que le démon en ferait par le péché ; quelle triste et désolante pensée pour un Dieu ! Mais la plus grande et la plus terrible de toutes les douleurs est de prévoir que l'on profanerait son corps adorable et son sang précieux. O mon Dieu ! O malheur incompréhensible ! des chrétiens peuvent-ils bien se rendre coupables d'un tel crime, dont jamais l'enfer n'a jamais pu inventer de semblable ! Hélas ! saint Paul le déplorait déjà de son temps. Ne pouvant un jour leur faire sentir toute la noirceur de ce crime épouvantable, il leur disait en pleurant amèrement : Quel supplice ne recevrait pas celui qui porterait une main parricide sur le corps d'un Dieu fait homme, qui frapperait ce cœur... Ah ! ce tendre cœur qui nous aime jusqu'à la croix, et qui lui arracherait le sang de ses veines !... Ah ! ce sang adorable versé pour nous, qui nous a sanctifiés dans le saint baptême, qui nous a purifiés dans le sacrement de pénitence... ; il semblerait être impossible de trouver des châtiments assez rigoureux et des chrétiens capables d'un tel crime. Hélas ! s'écrie-t-il, en voilà un encore infiniment plus épouvantable, c'est de recevoir indigne-ment le corps adorable et le sang précieux de Jésus--Christ, c'est le profaner, le souiller, l'avilir ; ce crime est-il possible ?... Ah ! du moins, l'est-il à des chrétiens ? Oui, il y en a de ces monstres d'ingratitude qui portent leur fureur jusqu'à un tel excès ! Oui, M.F., si le bon Dieu, dans ce moment, montrait les communions de tous ceux qui sont ici, à découvert, hélas ! combien qui paraîtraient avec leur sentence de réprobation écrite dans leur conscience criminelle avec le sang d'un Dieu fait homme ! Cette pensée fait frémir, et cependant rien de si commun que ces communions indignes ; combien qui ont la témérité de s'approcher de la Table sainte avec des péchés cachés et déguisés en confession ! Com-bien qui n'ont pas cette douleur que le bon Dieu demande d'eux ; combien qui ne font pas tous leurs efforts pour se corriger ! combien qui conservent une volonté secrète de retomber dans le péché ! Combien qui n'évitent pas les occasions du péché, pouvant le faire ; combien qui conservent jusqu'à la Table sainte des inimitiés dans leur cœur ! Sondez vos consciences, M.F., et voyez si vous n'avez jamais été dans une de ces dispositions en vous approchant de la sainte communion ; si vous aviez eu ce malheur, M.F., de quels termes pourrais-je donc me servir pour vous en faire sentir toute l'horribilité ? Ah ! s'il m'était permis, j'irais en enfer pour y arracher un infâme et un traître Judas encore tout fumant du sang adorable de Jésus-Christ qu'il a si horriblement profané. Ah ! si vous pouviez entendre les cris et les hurlements qu'il pousse ; ah ! si vous pouviez com-prendre les tourments qu'il endure à cause de son sacri-lège, vous mourriez de frayeur. Hélas ! que sera-ce donc de ceux qui, peut-être toute leur vie, n'ont fait que des sacrilèges ! des chrétiens qui vont m'entendre et qui sont coupables, pourront-ils bien vivre encore ? Oui, M.F., le sacrilège est le plus grand de tous les crimes, puisqu'il attaque un Dieu et lui donne la mort, et nous attire tous les plus grands malheurs.
I. – Si je parlais à des idolâtres
ou même à des héré-tiques, je commencerais à
leur prouver la réalité de Jésus-Christ dans le sacrement
adorable de l'Eucharistie ; mais non, personne n'a le moindre doute là-dessus.
Hélas ! il faudrait que pour ceux qui l'approchent en de mauvaises
dispositions, Jésus-Christ n'y fût pas ; mais non, il y est
aussi bien pour ceux qui osent se présenter avec le péché
dans le cœur, que pour ceux qui sont en état de grâce. Je
veux seulement, en commençant, vous citer un exemple qui fortifiera
votre foi là-dessus, et vous donnera une idée des dispositions
que vous devez y apporter, pour ne pas profaner ce grand Sacrement d'amour.
Il est rapporté, dans l'histoire, qu'un prêtre qui disait
la sainte Messe, après avoir prononcé les paroles de la consécration,
douta si Jésus-Christ était réellement présent
en corps et en âme dans la sainte Hostie ; à l'instant même
la sainte Hostie fut toute teinte de sang. Jésus-Christ semblait
vouloir par un si grand miracle reprocher à son ministre son peu
de foi et affermir les chrétiens dans cette vérité
de foi, qu'il est réellement présent dans la sainte Eucharistie.
La sainte Hostie versa du sang avec tant d'abondance que le corporal, les
nappes de l'autel, et l'autel même en furent rougies. Le Saint Père,
en étant informé, fit apporter dans une église le
corporal, que l'on portait tous les ans le jour de la Fête--Dieu,
en grande vénération . Non, M.F., tout ceci n'est pas ce
qui vous est le plus nécessaire, parce que personne n'en doute ;
mais mon intention est de vous montrer autant qu'il me sera possible la
grandeur et l'horribilité du sacrilège. Non, jamais cette
connaissance ne sera donnée à l'homme mortel ; il faudrait
être Dieu lui-même, afin de pouvoir le comprendre ; cependant,
pour vous en donner une faible idée, je vous dirai que celui qui
a ce grand malheur, fait un péché qui outrage plus le bon
Dieu que tous les péchés mortels qui se sont commis depuis
le commencement du monde et que ceux qui pourront se commettre jusqu'à
la fin des siècles . Il est donc tout à fait impossible de
vous le montrer dans toute sa noirceur ; hélas ! cependant, rien
de si commun que ces sacrilèges.
Si je voulais, M.F., vous parler
de la mort corporelle de Jésus-Christ, je n'aurais qu'à vous
faire la peinture des tourments qu'il a endurés pendant sa vie ;
je n'au-rais qu'à vous montrer ce pauvre corps tout en lam-beaux,
tel qu'il était après sa flagellation, tel qu'il est maintenant
sur l'arbre de la croix ; il n'en faudrait pas davantage pour vous toucher
le cœur et faire couler vos larmes. En effet, quel est le pécheur
le plus en-durci qui pourrait y résister et qui ne mêlerait
pas ses larmes avec ce sang adorable ? Quelle est la jeune per-sonne, si
j'allais me jeter à ses pieds avec un Dieu qui pleure ses péchés,
en la priant en grâce de ne pas lui donner la mort, son cœur fût-il
plus dur qu'un rocher, que de suite ses larmes couleraient, et, foulant
aux pieds ses plaisirs, elle leur dirait adieu pour jamais. Quel est l'avare,
à qui je présenterais un Dieu dépouillé de
toutes choses, tout nu sur une croix,
qui pourrait encore aimer les biens
de ce monde ? Quel est l'im-pudique que j'irais attendre à son passage,
qui court comme un désespéré vers l'objet de sa passion,
si je lui présentais son Dieu tout couvert de plaies, de sang, lui
demandant en grâce de ne pas lui ôter la vie, ne tomberait-il
pas à ses pieds en criant miséricorde ? Hélas ! M.F.,
la mort que nous donnons à Jésus-Christ par la communion
sacrilège est encore infiniment plus affreuse et douloureuse. Lorsqu'il
était sur la terre, il n'a souffert qu'un certain temps, et il n'est
mort qu'une fois ; encore, c'est son amour qui l'a fait souffrir et mourir
; mais, ici, ce n'est plus la même chose. Il meurt malgré
lui, et sa mort, bien loin d'être pour nous avantageuse comme la
première fois, tourne à notre malheur en nous attirant toutes
sortes de châtiments et dans ce monde et dans l'autre. O mon Dieu
! que nous sommes cruels envers un Dieu si bon ! Oui, M.F., lorsque nous
réfléchissons sur la conduite de cet apôtre perfide
qui trahit et vendit son divin Maître, qui, depuis plusieurs années,
l'avait admis au nombre de ses plus chers favoris, qui l'avait comblé
de tant de bienfaits, qui lui avait donné une charge de préférence
aux autres, qui avait été témoin de tant de miracles
; lorsque nous nous rappelons, dis-je, les cruautés et la barbarie
des juifs qui firent à ce divin Sauveur tout ce que leur rage put
inventer de plus cruel, à ce divin Sauveur qui n'était venu
dans ce monde que pour les arracher à la tyrannie du démon,
les élever à la glorieuse qualité d'enfants de Dieu,
de cohéritiers de son royaume, nous ne pouvons les considérer
que comme des monstres d'ingratitude, dignes de l'exécration du
ciel et de la terre et des châtiments les plus rigoureux que le bon
Dieu puisse faire sentir aux réprouvés dans toute sa puis-sance
et sa juste colère.
Je dis d'abord, M.F., que celui
qui a le grand malheur de communier indignement, son crime est encore infi-niment
plus horrible que celui de Judas qui trahit et vendit son divin Maître,
et que celui des juifs qui le crucifièrent ; parce que Judas et
les juifs semblaient encore avoir quelque excuse de douter s'il était
vérita-blement le Sauveur. Mais ce chrétien, mais ce malheu-reux
profanateur, peuvent-ils en douter ? Les preuves de sa divinité
ne sont-elles pas assez évidentes ? Ne savent-ils pas qu'à
sa mort toutes les créatures parurent s'en attendrir, que la nature
entière parut s'anéantir en voyant expirer son Créateur
? Sa résurrection ne fut--elle pas manifestée par une infinité
de prodiges les plus frappants, qui ne pouvaient laisser aucun doute de
sa divinité ? Son ascension ne se fit-elle pas en présence
de plus de 500 personnes, qui, presque toutes, ont versé leur sang
pour soutenir ces vérités ? Mais le malheureux profanateur
n'ignore rien de tout cela, et avec toutes ses connaissances il trahit
et vend son Dieu et son Sauveur au démon et le crucifie dans son
cœur par le péché. Judas se servit d'un baiser de paix pour
le livrer à ses ennemis ; mais l'indigne communiant porte encore
plus loin sa cruauté : après avoir menti au Saint-Esprit
dans le tribunal de la pénitence en cachant ou déguisant
quelque péché, il ose, ce malheureux, aller se placer parmi
les fidèles destinés à manger ce pain, avec un respect
hypocrite sur le front ! Ah ! non, non, rien ne l'arrête, ce monstre
d'ingratitude ; il s'avance et va consommer sa réprobation. En vain,
ce tendre Sauveur, le voyant venir à lui, crie-t-il du fond de son
tabernacle comme au perfide Judas : « Mon ami, que viens-tu faire
ici ? Quoi, mon ami, tu vas trahir ton Dieu et ton Sau-veur par un signe
de paix ? Arrête, arrête, mon fils ; ah ! de grâce,
épargne-moi. » Mais, non, non, ni les remords de sa conscience,
ni les tendres reproches que lui fait son Dieu ne peuvent arrêter
ses pas criminels. Ah ! il s'avance, il va poignarder son Dieu et son Sau-veur
! Oh ciel ! quelle horreur ! pouvez-vous bien soutenir sans trembler ce
malheureux meurtrier de votre Créa-teur ? Ah ! n'est-ce pas là
le comble du crime et de l'abomination dans le lieu saint ? Ah ! non, non,
jamais l'enfer dans toute sa fureur n'a rien pu inventer de semblable ;
non, non, jamais les nations idolâtres n'ont pu inventer rien de
semblable en haine du vrai Dieu, si nous le comparons aux outrages qu'un
chrétien qui communie indignement fait à Jésus-Christ.
Cependant nous lisons dans l'histoire
des exemples qui font frémir. Nous voyons qu'un empereur païen,
en haine de Jésus-Christ, plaça des idoles infâmes
sur le Calvaire et sur le Saint Sépulcre, et il crut en cela ne
pas pouvoir porter plus loin sa fureur envers Jésus--Christ. Hé
! grand Dieu ! y a-t-il quelque chose de compa-rable avec l'indigne communiant
! Ah ! non, non, ce n'est plus parmi des idoles muettes et insensibles
qu'il place son Dieu, mais, hélas ! au milieu de ses passions infâmes
et vivantes, qui sont autant de bourreaux qui crucifient son Sauveur !
Hélas ! que dis-je ? ce malheu-reux unit le Saint des saints à
des meurtriers prostitués et le vend à l'iniquité.
Oui, ce malheureux plonge son Dieu dans un enfer intense. Peut-on bien
concevoir quelque chose de plus épouvantable ? Oui, M.F., nous sommes
saisis d'horreur en voyant dans l'histoire les profanations que l'on a
faites des saintes Hosties .
Je vais vous en citer une qui vous
fera horreur. Il est rapporté qu'une femme chrétienne,
qui était pauvre, avait emprunté d'un Juif une petite somme
d'argent, et lui avait laissé pour gage une de ses robes. La fête
de Pâques étant proche, elle pria le Juif de lui remettre
pour ce jour les affaires qu'elle lui avait données. Le Juif lui
dit qu'il lui donnerait tout et la tiendrait quitte si, après avoir
communié, elle lui apportait la sainte Hostie. Cette malheureuse,
pour n'être pas obligée de lui rendre la somme, lui dit que
oui. Dès le lendemain, elle alla à l'église, et, après
avoir reçu la sainte Hostie dans sa bouche, de suite elle la retire,
la met dans son mouchoir et la porte au malheureux Juif qui ne la lui avait
demandée que pour exercer sa fureur contre Jésus-Christ.
L'ayant une fois entre les mains, il la traita avec la dernière
cruauté. Nous voyons que Jésus-Christ lui montra constamment
combien il était sensible aux outrages que ce malheureux lui faisait.
Le Juif mit la sainte Hostie sur une table, et lui donna quantité
de coups de canifs ; il en sortit une si grande quantité de sang
que la table en fut toute couverte. Il la prit et la suspendit par un clou,
lui donna des coups de fouet jusqu'à ce qu'il fût content
; il la perça avec une lance, il en sortit du sang comme au moment
où il fut cru-cifié ; ensuite, il la jeta dans le feu, où
on la voyait voltiger ça et là parmi les flammes sans en
recevoir aucun dommage ; sa rage le porta à la jeter dans une chaudière
d'huile bouillante : l'eau sembla être changée en sang. La
sainte Hostie, dans ce moment, prit la forme de Jésus-Christ en
croix. Ce malheureux, frappé de ter-reur, court se cacher dans un
réduit de sa maison. Cependant, un des enfants du Juif voyant des
chrétiens qui allaient à l'église, leur dit : «
Vous ne devez plus aller chercher votre Dieu, mon père l'a fait
mourir. » Une femme écoutant cet enfant, entra dans la maison,
vit encore la sainte Hostie qui était en forme de croix ; cette
femme court prendre un petit vase ; dans le mo-ment qu'elle présenta
son vase, la sainte Hostie reprit son ancienne forme et se plaça
dans le vase qu'elle avait apporté. Ce malheureux Juif fut si endurci
qu'il aima mieux se laisser brûler vif que de se faire baptiser.
Nous ne pouvons penser à
ces horreurs sans frémir. Hélas ! M.F., si nous connaissions
ce que c'est que le sacrilège, c'est-à-dire l'outrage que
fait à Jésus-Christ celui qui communie indignement, la seule
pensée nous ferait mourir de frayeur. Ce Juif, après avoir
assouvi toute sa fureur contre Jésus-Christ en traitant si indi-gnement
cette sainte Hostie, ressemble à peu près comme un péché
véniel a ressemblance avec un péché mortel, si nous
le comparons avec un sacrilège que fait un mauvais chrétien
qui a le malheur de s'appro-cher de la Table sainte sans être en
état de grâce. Ah ! non, non, jamais l'enfer n'a pu rien inventer
de plus affreux que le sacrilège pour faire souffrir Jésus-Christ.
2° Je dis qu'à la perfidie
de Judas l'indigne commu-niant ajoute l'ingratitude, la fureur et la malice
des Juifs. Écoutons le tendre reproche que Jésus-Christ faisait
aux Juifs : « Pourquoi me persécutez-vous ? Est-ce parce
que j'ai éclairé les aveugles, redressé les boiteux,
rendu la santé aux malades, ressuscité les morts ? Est-ce
donc un crime de vous avoir tant aimés ?» Tel est le langage
que Jésus-Christ adresse aux profa-nateurs de son corps adorable
et de son sang précieux. Encore, nous dit-il par la bouche d'un
de ses pro-phètes , si cet outrage et cet affront m'avaient été
faits par des ennemis ou par des idolâtres qui n'ont jamais eu le
bonheur de me connaître, ou même par des hérétiques
nés dans l'erreur, cela m'aurait été moins sensible
; mais vous, nous dit-il, que j'ai placés dans le sein de mon Église,
vous que j'ai enrichis de mes dons les plus précieux ; vous qui,
par le Baptême, étiez deve-nus mes enfants, les héritiers
de mon royaume !... Quoi '. mon fils, c'est vous qui osez m'outrager par
le sacrilège le plus horrible ; quoi ! mon fils, vous pouvez encore
frapper le cœur du meilleur de tous les pères, qui vous a aimé
jusqu'à la mort. Hé quoi ! ingrats, vous n'êtes pas
encore satisfaits de toutes les cruautés que l’on a exercées
sur mon corps innocent pendant ma doulou-reuse passion ! Avez-vous oublié
l'état pitoyable où je fus réduit après ma
douloureuse et sanglante flagel-lation, où mon corps fut semblable
à un morceau de viande découpée ? Hé quoi !
ingrats, avez-vous oublié les souffrances que je ressentis en portant
ma croix ; autant de pas, autant de chutes, et autant de fois relevé
à coups de pieds ? Avez-vous oublié que c'est pour vous arracher
de l'enfer et vous ouvrir le ciel que je suis mort sur le bois infâme
de la croix ? Ah ! mon fils, ne seras-tu pas encore touché ? Pouvais-je
porter plus loin mon amour pour toi ? Arrête, mon fils. Ah ! de grâce,
épargne ton Dieu qui t'a tant aimé ; pourquoi veux-tu me
donner une seconde fois la mort, en me recevant avec le péché
dans ton cœur ?
Dites-moi, quel est celui d'entre
nous qui aurait le courage, après des reproches si tendres et si
amoureux de son Dieu, qui pourrait encore avoir la fureur d'aller se présenter
à la Table sainte avec une conscience souillée de péchés
? Mon Dieu, qui pourra comprendre l'aveuglement de ces malheureux ! Ah
! si encore, avant de se lever pour aller donner la mort à leur
Dieu, ils pensaient à ces terribles paroles de saint Paul, qu'ils
vont s'incorporer leur jugement et leur condamna-tion , oseraient-ils bien
porter leur audace jusqu'à un tel excès ? Ce Dieu d'amour
aurait-il pu penser, je ne dis pas que ceux qui n'ont pas le bonheur de
le connaître, mais que des chrétiens ne soient pas encore
satisfaits de ce que les Juifs lui ont fait endurer pendant sa dou-loureuse
passion ? Sur le Calvaire, aurait-il pu penser que le plus grand nombre
des chrétiens deviendraient ses bourreaux, attenteraient à
ses jours, et le cruci-fieraient dans leur cœur en le recevant dans leur
cons-cience souillée de péchés ? Écoutez ce
qu'il nous dit par la bouche d'un prophète : Guérira-t-il
une âme qui aime ses blessures, c'est-à-dire ses passions
? Enflammera-t-il de l'ardeur de son amour un cœur qui brûle de l'amour
profane du monde ? Non, non, dit-il, tout Dieu qu'il est, il ne le fera
jamais.
Oui, M.F., Jésus-Christ,
dans un cœur criminel, est sans action et sans mouvement, de sorte que
celui qui est assez malheureux que de communier indignement, la mort spirituelle
qu'il donne à son Dieu est encore plus surprenante que celle qu'il
a endurée sur la Croix. En effet, M.F., si les Juifs le persécutèrent
d'une manière si indigne, ce ne fut du moins que pendant sa vie
mor-telle, mais l'indigne communiant l'outrage dans le séjour de
sa gloire. Si la mort de Jésus-Christ sur le Calvaire parut si violente
et si douloureuse, du moins la nature entière parut en témoigner
sa douleur, et les créatures les plus insensibles parurent s'en
attendrir et semblaient en cela vouloir partager ses souffrances. Mais
ici, rien de tout cela ne paraît, il est insulté, il est outragé,
meurtri ; ah ! que dis-je ? il est égorgé par un vil néant
; tout est dans le silence et tout paraît insensible à ses
souffrances. Le soleil ne s'éclipse point, la terre ne tremble pas,
l'autel ne se renverse pas ; ce Dieu de bonté si indigne-ment outragé
ne peut-il pas se plaindre à plus juste titre que sur l'arbre de
la Croix qu'il est abandonné ? ne devrait-il pas s'écrier
: « Ah ! mon Père, pourquoi m'avez--vous abandonné
à la fureur de mes ennemis, faut-il que je meure à chaque
instant ? » Mais, mon Dieu, comment est-ce qu'un chrétien
peut avoir le courage d'aller à la Table sainte avec le péché
dans le cœur pour y donner la mort à son Dieu ?... Mon Dieu, quel
malheur ! Non, non, jamais l'enfer dans sa fureur ne put rien inventer
de plus outrageant à Jésus-Christ que le sacrilège
commis par les chrétiens.
Mais, me direz-vous, qui sont donc
ceux qui ont ce grand malheur ? – Hélas ! M.F., que le nombre en
est grand ! – Mais, me direz-vous, qui pourrait donc en être capable
? – Qui pourrait en être capable ? C'est vous, mon ami, qui avez
conté vos péchés avec si peu de douleur qu'une histoire
indifférente. Qui est coupable ? Mon ami n'est-ce pas vous qui après
vos confessions retombez avec la même facilité ; qu'on n'aperçoit
aucun changement dans votre manière de vivre ; qui avez toujours
les mêmes péchés à dire dans toutes vos confessions
? Qui en est coupable ? C'est vous, misérable, qui avez fermé
la bouche avant d'avoir accusé vos péchés. Qui en
est coupable ? C'est vous, pauvres aveugles, qui avez bien compris que
vous ne disiez pas vos péchés tels que vous les connaissiez.
Dites-moi, pourquoi est-ce que dans cet état vous osez aller à
la Table sainte ? – C'est, dites-vous, parce que je veux faire mes pâques,
je veux commu-nier. – Vous voulez communier : mais, malheureux, où
voulez-vous mettre votre Dieu ? Est-ce dans vos yeux, que vous avez souillés
par tant de regards impurs et adultères ? Vous voulez communier
: mais où mettrez--vous donc votre Dieu ? Est-ce dans vos mains,
que vous avez souillées par tant d'attouchements infâmes ?
Vous voulez communier : mais où allez-vous mettre votre Dieu ? Est-ce
dans votre bouche et sur votre langue ? Hé ! grand Dieu, une bouche
et une langue que vous avez tant de fois profanées par des baisers
impurs ! Vous vou-lez communier : mais où espérez-vous donc
placer votre Dieu ? Est-ce dans votre cœur ? O horreur ! O abomina-tion
! Un cœur qui est rembruni et noirci par le crime, semblable à un
tison, qui depuis quinze jours ou trois semaines roule dans le feu. Vous
voulez communier, mon ami ; vous voulez faire vos pâques ? Allons,
lève-toi, avance, malheureux ; quand Judas, l'infâme Judas,
eut vendu son divin Maître, il fut comme un désespéré,
tant qu'il ne l'eût pas livré à ses bourreaux pour
le faire condamner à la mort. Avance, malheureux, lève-toi,
tu viens de le vendre au démon, au tribunal de la péni-tence,
en cachant et en déguisant tes péchés, cours, malheureux,
le livrer au démon. Ah ! grand Dieu, tes nerfs pourront-ils bien
soutenir ce corps qui va com-mettre le plus grand de tous les crimes ?
Levez-vous, malheureux, avancez, puisque le Calvaire est dans votre cœur,
et que la victime est devant vous, marchez tou-jours, laissez crier votre
conscience, tâchez seulement d'en étouffer les remords autant
que vous le pourrez. Va, malheureux, t'asseoir à la Table sainte,
va manger le pain des anges ; mais, avant que d'ouvrir ta bouche souillée
par tant de crimes, écoute ce que va te dire le grand saint Cyprien,
et tu verras la récompense de tes sacrilèges. Une femme,
nous dit-il, qui osa se présenter à la Table sainte avec
une conscience souillée de péchés, dans le moment
où je lui donnais la sainte communion, un coup de foudre du ciel
lui tomba dessus et l'écrasa à mes pieds. Hélas !
mon Dieu, comment une personne qui est coupable peut-elle aller à
la sainte communion pour commettre le plus grand de tous les sacrilèges
? Oui, M.F., saint Paul nous dit que si les Juifs avaient connu Jésus-Christ
pour le Sauveur, ils ne l'auraient jamais fait souffrir, ni mourir
; mais vous, mon ami, pouvez-vous ignorer celui que vous allez recevoir
? Si vous n'y pensiez pas, écoutez le prêtre qui vous crie
à haute voix : « Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui efface
les péchés du monde. » Il est saint, il est pur. Si
vous êtes coupables, malheureux, n'avancez pas : sinon, tremblez
que les foudres du ciel ne viennent se précipiter sur votre tête
criminelle pour vous punir et jeter votre âme en enfer.
II. – Non, non, M.F., je ne parle
pas ici des maux temporels que les sacrilèges attirent dans le monde
; je passerai sous silence les châtiments épouvantables que
les Juifs éprouvèrent après avoir fait mourir Jésus--Christ.
Le seul récit fait frémir : ils s'égorgeaient les
uns les autres ; les rues étaient couvertes de cadavres, le sang
coulait dans les rues comme l'eau d'une rivière ; la famine fut
si grande que les mères allèrent jusqu'à manger leurs
enfants.
Saint Jean Damascène nous
dit que le sacrilège est un crime si épouvantable, qu'un
seul sacrilège est capable d'attirer toutes sortes de malheurs dans
le monde ; il nous dit que c'est principalement sur les profanateurs que
Jésus-Christ versera pendant toute l'éternité le fiel
de sa fureur. Voici un exemple qui va vous montrer l'état d'un profanateur
à l'heure de la mort. Il est rap-porté qu'un pauvre malheureux
qui avait fait des com-munions sacrilèges pendant sa vie, vit un
démon qui s'approcha de lui en lui disant : Parce que tu as com-munié
indignement pendant ta vie, tu recevras aujour-d'hui la communion de ma
main ; ce pauvre malheureux s'écria : Hélas ! la vengeance
de Dieu est sur moi, et mourut dans le désespoir en prononçant
ces paroles. Oui, M.F., si nous pouvions nous former une idée de
la grandeur du sacrilège, nous mourrions plutôt mille fois
que de le commettre. En effet, un chrétien qui est si malheureux
que de communier indignement, se rend coupable du plus détestable
de tous les sacrilèges, de la plus noire de toutes les ingratitudes
; disons mieux, il empoisonne son cœur, il tue son âme, il ouvre
la porte de son cœur au démon, et se rend volontairement son esclave.
Oui, M.F., l'horreur de son sacrilège vient de ce qu'il profane
non un lieu ou un vase saint, mais un corps qui est la source de toute
sainteté, qui est celui de Jésus-Christ. L'énormité
de son ingratitude paraît en ce qu'il outrage son bienfaiteur par
le plus signalé de ses bienfaits ; et bien plus, il se sert de lui-même
pour l'ou-trager. La communion sacrilège est semblable à
une épée très aiguë qu'il enfonce dans ses entrailles,
elle l'em-poisonne comme Judas fut empoisonné par la sienne, elle
donne au démon plein pouvoir de se saisir de lui après qu'il
a communié, Il ne faudrait donc point, M.F., oser ainsi faire. Mieux
vaudrait ne jamais communier puisqu'elle n'apporte ni profit, ni
plaisir, ni honneur ; mais cause le plus grand dommage, de très
cruels remords de conscience et une infamie éternelle. Saint Cyprien
rapporte qu'une femme, en sortant de commu-nier indignement, fut saisie
par le démon qui la tour-menta si horriblement, qu'elle fut elle-même
son bour-reau ; après s'être coupé la langue, elle
mourut...
O mon Dieu, un chrétien peut-il
bien avoir le courage d'aller à la Table sainte en ayant des péchés
cachés, ou des péchés dont il ne veut pas se corriger,
ou, si vous voulez, qui malgré tant de communions passées
ne change pas de vie ? Mon Dieu, que l'homme est aveugle ! Hélas
! ce ne sera qu'au jour du jugement que nous verrons toutes ces abominations.
Écoutez saint Paul, parlant aux Corinthiens : « Vous
vous présentez, leur disait-il, à la table du Seigneur, avec
aussi peu de res-pect et de religion que si vous vous présentiez
à une table profane ; vous allez manger le pain des anges avec aussi
peu de décence que si vous mangiez du pain matériel ; pouvez-vous
vous étonner si vous êtes acca-blés de tant de maux
? » Hélas ! M.F., reconnaissons en pleurant sincèrement,
que si nous sommes accablés de tant de malheurs et de tant de châtiments,
ce ne sont que les sacrilèges qui en sont la véritable source.
Que de guerres, que de famines, que de maladies et de morts subites ! Insensés,
qui attribuez tout cela au hasard, ouvrez les yeux, et vous reconnaîtrez
que ce ne sont que vos sacrilèges. Oui, M.F., si l'on pouvait vous
dépeindre toutes les conséquences d'un sacrilège,
pas un de vous qui oserait communier. II est rapporté par saint
Gode-froi, qui était évêque d'Amiens, qu'il avait défendu
à tous les prêtres de donner l'absolution pendant les fêtes
de Pâques à tous ceux qui avaient mangé de la viande
pendant le carême. Un libertin, qui était coupable de ce crime,
c'est-à-dire qui avait mangé de la viande, prit l'habit d'une
femme afin de tromper son confesseur. Cet artifice lui réussit,
mais pour son malheur : car il n'eut pas plutôt reçu le corps
de Jésus-Christ, qu'une force invisible le renversa, il commença
à écumer comme une personne enragée, se roulant par
terre et mourut dans sa fureur. Non, non, M.F., quelques terreurs que les
communions indignes puissent jeter dans le cœur de l'homme par les châtiments
épouvantables qu'elles nous attirent, ce n'est encore rien si nous
les comparons à ceux que Jésus-Christ exerce sur les âmes
; et ces châti-ments sont ordinairement l'endurcissement pendant
la vie et le désespoir à l'heure de la mort. Le bon Dieu,
en punition de ses abominations, abandonne ce malheureux à son aveuglement
; le démon qui l'a trompé pendant sa vie, ne le lui laisse
apercevoir que dans le moment où il prévoit que le bon Dieu
l'a abandonné ; il va de crime en crime, de sacrilège en
sacrilège, il finit par ne plus y penser, il avale l'iniquité
comme l'eau ; enfin, malgré tout le temps et les secours, il meurt
dans le sacrilège comme il y a vécu. En voici un exemple
bien frappant, rapporté par un juif qui l'apprit d'un prêtre
à qui cela était arrivé. Lorsque j'étais, nous
dit le père Lejeune, dans une mission près de Bruxelles,
il y avait une femme dévote .... Cela vous étonne,
sans doute, qu'elle meure ainsi, pouvant si bien réparer le mal
qu'elle avait fait ; pour moi, cela ne m'étonne pas, parce que,
le sacrilège étant le plus grand des crimes, l'on mérite
bien d'être abandonné du bon Dieu et de ne pas savoir profiter
ni du temps, ni des grâces.
Oui, M.F., le sacrilège paraît
si affreux qu'il semble impossible que des chrétiens puissent se
rendre cou-pables d'un tel crime ; et cependant, rien de si commun. Jetons
un coup d’œil sur les communions, combien ne trouverons-nous pas de confessions
et de communions faites par respect humain ! Combien par hypocrisie, par
coutume ! combien que, si les Pâques ne revenaient que tous les trente
ans, ils ne communieraient, hélas ! jamais... Combien d'autres,
qui ne voient venir ce temps si précieux qu'avec peine, et qui ne
s'en approchent que parce que d'autres le font, et non pour plaire à
Dieu et nourrir leur pauvre âme. Preuve bien évidente, M.F.,
que ces confessions et communions ne valent rien, puis-que l'on ne voit
point de changement dans leur manière de vivre. Les voit-on après
la confession plus doux, plus patients dans leurs peines et les contradictions
de la vie, plus charitables, plus portés à cacher et à
excuser les fautes de leurs frères ? Non, non, M.F., il n'est plus
question de changement dans leur conduite ; ils ont péché
jusqu'à présent, ils continuent. Oh ! malheur épouvantable,
mais bien peu connu du plus grand nom-bre des chrétiens ! O mon
Dieu, auriez-vous pu penser que vos enfants se portassent avec un tel excès
de fureur contre vous ? Non, non, M.F., ce n'est pas sans raison, que l'on
place un crucifix sur la table de la communion, hélas ! que de fois
il est crucifié à la Table sainte ! Regarde-le bien, mon
âme, toi qui oses planter le poignard dans ce cœur qui nous a aimés
plus que lui--même ; regarde-le bien, c'est ton Juge, Celui qui doit
fixer ta demeure pour l'éternité. Sondez bien votre cons-cience
; si vous êtes en mauvais état, malheureux, n'avancez pas.
Oui, Jésus-Christ est ressuscité de la mort naturelle, et
il ne mourra plus ; mais cette mort que vous lui donnez par vos communions
indignes, ah ! quand est-ce qu'elle finira ? O quelle longue agonie ! étant
sur la terre, il n'y avait qu'un calvaire pour le crucifier ; mais ici,
autant de cœurs, autant de croix où il est attaché ! O patience
de mon Dieu, que vous êtes grande, de souf-frir tant de cruautés
sans dire un seul mot, même pour vous plaindre, étant traité
si indignement par une vile créature, pour laquelle vous avez déjà
tant souffert ! Voulez-vous, M.F., savoir ce que fait celui qui com-munie
indignement ? écoutez-le bien, afin que vous puissiez comprendre
la grandeur de votre atrocité envers Jésus-Christ. Que diriez-vous,
M.F., d'un homme dont le père serait conduit dans un lieu pour être
exécuté à mort, si, ne se trouvant point là
de potence pour l'at-tacher, il s'adressait aux bourreaux, leur disant
: Vous n'avez point de potence, voilà mes bras, servez-vous-en pour
y pendre mon père ? Vous ne pourriez voir une telle action de barbarie
sans frémir d'horreur, il y aurait sans doute bien de quoi. Eh bien
! M.F., si j'osais, je vous dirais que cela n'est encore rien, si nous
le com-parons au crime épouvantable que commet celui qui communie
indignement. En effet, quels sont les bien-faits qu'un père a faits
à son enfant, si nous les com-parons à ce que Jésus-Christ
a fait pour nous ? Dites-moi, M.F., si vous faisiez ces réflexions
avant de vous présenter à la Table sainte, auriez-vous le
cou-rage d'y aller sans bien vous examiner ce que vous allez faire. Oseriez-vous
bien y aller avec des péchés cachés, déguisés,
confessés sans contrition et sans désir de les quitter ?
Voilà ce que vous dites au démon, lorsque vous êtes
si aveugles et si téméraires : Il n'y a ni croix, ni calvaire
comme autrefois ; mais j'ai trouvé quelque chose qui peut y suppléer.
– Quoi ? vous dit le démon, tout étonné d'une telle
proposition. – C'est, lui dites--vous, mon cœur. Tenez-vous prêt,
je vais me saisir de lui ; il vous a précipité dans les enfers,
vengez-vous à votre tour, égorgez-le sur cette croix. – O
mon Dieu, peut-on penser à cela sans frémir d'horreur ? Cependant,
voilà ce que fait celui qui communie indignement. Ah ! non, non,
jamais l'enfer dans toute sa fureur n'a rien pu inventer de semblable.
Non, non, quand il y aurait mille enfers pour un seul profanateur, cela
ne serait rien, si nous le comparons à la grandeur de son crime.
« Que fait, nous dit saint Paul, celui qui communie indigne-ment
? Hélas ! ce malheureux, il boit et mange son juge et son jugement.
» L'on a bien vu, selon les lois, lire aux criminels leur condamnation,
mais a-t-on jamais vu leur faire manger leur sentence de condamna-tion,
et, de cette sorte, de leur condamnation et d'eux--mêmes ne faire
qu'une même chose ? O malheur épou-vantable ! ce n'est plus
sur du papier qu'est écrit l'arrêt de réprobation de
ces profanateurs, mais sur leur propre cœur. A l'heure de la mort, Jésus-Christ
descendra, un flambeau à la main, dans ces cœurs sacrilèges,
y trouvera son sang adorable tant de fois profané, qui criera ven-geance.
O divin Sauveur, la colère et la puissance de votre Père
sera-t-elle assez puissante pour foudroyer ces malheureux Judas au plus
profond des abîmes ? Eh bien ! M.F., avez-vous compris ce que c'est
qu'une commu-nion indigne, vous qui vous confessez avec si peu de préparation,
qui y donnez moins de soins que vous n'en donneriez pour l'affaire la plus
commune et la plus indifférente ? Dites-moi, M.F., pour être
tranquilles comme vous le paraissez, êtes-vous bien sûrs que
toutes vos confessions et vos communions ont été accompa-gnées
de toutes les dispositions nécessaires pour être bonnes et
mettre votre salut en sûreté ? Avez-vous bien dé-testé
vos péchés ? Les avez-vous bien pleurés ? En avez-vous
bien fait pénitence ? Avez-vous bien pris tous les moyens que le
bon Dieu vous a inspirés pour n'y plus re-tomber ? Revenez, mon
ami, sur vos années passées, exa-minez toutes les confessions
et communions qui n'ont été accompagnées d'aucun amendement,
point de change-ment dans votre vie. Prenez le flambeau à la main,
vous--même, pour voir l'état de votre âme, avant que
Jésus--Christ ne vous le fasse voir lui-même pour vous juger
et vous condamner pour jamais. Frémissez, M.F., sur cette grande
incertitude de la validité de tant de confes-sions et de communions
; une seule chose doit vous empêcher de tomber dans le désespoir,
c'est que vous êtes en vie et que le bon Dieu vous offre sa grâce
pour vous tirer de cet abîme dont la profondeur est infinie, et que
pour cela il ne faut rien moins que la puissance d'un Dieu. Hélas
! M.F., que de chrétiens qui maintenant brûlent dans les enfers,
qui ont entendu les mêmes choses que vous entendez aujourd'hui, mais
qui n'ont pas voulu en profiter, quoique leur conscience criait ! Mais,
hélas ! ils n'ont voulu en sortir que quand ils n'ont pas pu, et
sont tombés dans les enfers. Hélas ! combien parmi ceux qui
m'écoutent qui sont de ce nombre, qui auront le même sort
! Mon Dieu, est-il bien possible de connaître son état et
de ne pas vouloir en sortir. – Mais, me direz-vous, qui osera donc s'appro-cher
de la Table sainte, et qui osera espérer d'avoir fait une bonne
communion dans sa vie ? Pourra-t-on bien se lever pour aller à la
Table sainte, ne va-t-il pas sembler qu'une main invisible va me repousser
et me frapper de mort ? – Mon ami, pour cela je ne vous en dis rien ; sondez
votre conscience, et voyez dans quel état elle est ; voyez si en
sortant de la Table sainte vous paraîtriez avec confiance devant
le tribunal de Jésus-Christ. -Mais, me direz-vous, il vaut mieux
tout laisser que de s'exposer à un tel crime. – Mon ami, en vous
donnant une idée de la grandeur du sacrilège, ce n'a pas
été mon intention de vous éloigner de la sainte communion,
mais seulement de faire ouvrir les yeux à ceux qui sont de ce nombre,
pour réparer le mal qu'ils ont fait, pen-dant qu'il est temps, et
pour porter ceux qui ont l'espé-rance d'être exempts de ce
crime épouvantable, à y apporter encore des dispositions
plus parfaites.
Que devons-nous conclure, M.F.,
de tout cela ? Le voici : c'est de faire nos confessions et nos communions
comme nous voudrions les avoir faites à l'heure de la mort, lorsque
nous paraîtrons devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que,
faisant toujours bien, nous ayons le ciel pour récompense. C'est
ce que je vous souhaite.
SERMON
SUR LES DEVOIRS DES PARENTS
Patres, educate filios vestros in
disciplina et correctione Domini.
Pères et mères, élevez
vos enfants en les instruisant et en les corrigeant selon le Seigneur.
(Eph., VI, 6.)
Si, comme chrétiens, M.F., nous sommes tous obligés de nous aider à nous sauver, parce que, étant tous les enfants d'un même père, nous sommes tous destinés à aller régner un jour dans le ciel ; si saint Paul nous dit que les maîtres « qui n'ont pas soin de leurs domesti-ques ont renoncé à leur foi et qu'ils sont pires que les païens », je vous laisse à penser, M.F., quels doivent être les soins et les précautions que les pères et mères doivent prendre pour sauver les âmes de leurs pauvres enfants qui sont une partie d'eux-mêmes, que le bon Dieu ne leur a confiés que comme un trésor dont il doit un jour leur demander un compte si redoutable. Mais, sans chercher de détour, les pères et mères doivent savoir que leur plus grande occupation doit être de tra-vailler à sauver les âmes de leurs enfants et qu'ils n'ont point d'ouvrage qui doive passer avant celui-là ; bien plus, que leur salut est attaché à celui de leurs enfants, comme nous allons le voir. Pères et mères, pour remplir vos devoirs, vous devez donc instruire vos enfants, leur donner bon exemple et les corriger. Si vous faites cela, vous irez au ciel en y conduisant vos enfants ; vos enfants feront votre gloire dans le ciel, comme ils feront votre désespoir dans les enfers si vous êtes si malheureux que de les laisser perdre. Il n'est pas nécessaire, M.F., de vous montrer l'obligation où vous êtes d'avoir soin de vos enfants, c'est-à-dire de les nourrir, de les entretenir, puisque les païens et les idolâtres qui ne connaissent pas le vrai Dieu et ne se conduisent que par un amour naturel, s'en acquittent parfaitement. Non, ce n'est pas là la chose que vous négligez le plus : j'aurais plutôt envie de vous dire de ne pas tant leur prodiguer d'affaires, et que vous feriez beaucoup mieux de faire quelque bonne œuvre de plus pour leur attirer les béné-dictions du ciel.
I. – Je dis donc d'abord que les
pères doivent ins-truire leurs enfants, c'est-à-dire leur
apprendre à prier le bon Dieu, à le connaître ; leur
enseigner ce qu'ils doivent faire pour gagner le ciel et éviter
l'enfer. Si vous ne sentez pas bien la grandeur de ce devoir, écoutez
ce que le bon Dieu va vous dire lui-même. Nous lisons dans l'Écriture
sainte qu'après que le Seigneur eût donné ses commandements
à son peuple il ajouta ces belles paroles : « Vous aimerez
le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et
de toutes vos affec-tions, et le prochain comme vous-mêmes. Pères
et mères, vous apprendrez tout cela à vos enfants et vous
les en instruirez le matin en vous levant, le soir en vous couchant, lorsque
vous marcherez, lorsque vous serez assis, c'est-à-dire tous les
jours de votre vie ». Pères et mères, Dieu pouvait-il
vous montrer d'une manière plus claire la grandeur de vos devoirs
envers vos en-fants ? Pouvez-vous trouver quelque prétexte qui puisse
vous en exempter, ou même tant soit peu vous les faire négliger
? Le Saint-Esprit nous dit encore : « Si vous avez des enfants, il
faut les instruire dès leur jeunesse », aussitôt qu'ils
peuvent remuer les bras . Oui, M.F., dès qu'un enfant commence à
dire quelques mots, ses parents doivent lui apprendre à prononcer
les saints noms de Jésus et de Marie. Nous lisons de saint Thomas
de Villeneuve que les premières paroles qui sortirent de sa bouche
furent « Jésus, Marie », parce qu'il avait des parents
bien chrétiens qui lui disaient souvent ces pa-roles. Les pères
et mères doivent apprendre à leurs en-fants à faire
le signe de la croix aussitôt qu'ils peuvent. Dès qu'ils commencent
à remuer leurs petits bras, leur donner de l'eau bénite,
les faire prier le bon Dieu à genoux le matin et le soir, leur inspirer
un grand res-pect pour la présence du bon Dieu, et pour cela se
mettre soi-même à genoux à côté d'eux,
les faire tourner contre quelque image. Si vous allez les faire prier le
bon Dieu en travaillant, ils regarderont et penseront à ce que vous
faites et non à ce qu'ils font. Vous devez leur apprendre à
donner leur cœur au bon Dieu le matin en s'éveillant, à offrir
leur journée, toutes leurs actions, à dire leur Benedicite
et leur action de grâce, leur Angelus.
Vous ne devez pas vous contenter
de leur apprendre le Notre Père, il leur faut apprendre le Salut
Marie, le Crois en Dieu, le Confesse à Dieu, les commandements de
Dieu, et de plus les trois actes de foi, d'espérance et de cha-rité,
puisque le bon Dieu nous dit dans l'Écriture sainte : « Pères
et mères, apprenez mes commandements à vos enfants. »
Hélas ! M.F., il y a des enfants qui ont neuf et dix ans, qui ne
savent pas encore leur prière entière. Dites-moi, pères
et mères, quel jugement peut-on porter de vous, sinon que vous avez
moins de soin de vos pauvres enfants, c'est-à-dire de leurs pauvres
âmes qui ont tant coûté à Jésus-Christ
que vous n'avez soin de vos bêtes que vous tenez dans vos écuries.
Si vous aimez vos enfants, vous ne devez donc pas vous fier à eux
quand ils vous disent qu'ils ont fait leur prière ; il faut que
vous les entendiez vous-mêmes. Saint Thomas nous dit que, dès
qu'un enfant a l'âge de raison, il doit savoir l'abrégé
de la religion, qui sont les principaux mys-tères ; qu'ils se rendent
grandement coupables aux yeux de Dieu les pères et mères
qui négligent de les apprendre à leurs enfants. Voilà
ce que saint Thomas veut que les pères et mères apprennent
à leurs enfants dès l'âge de raison : le mystère
de la Très Sainte Trinité, qui est un seul Dieu en trois
personnes ; que le Fils s'est incarné dans le sein de la bienheureuse
Vierge par l'opé-ration du Saint-Esprit, le 25 mars ; qu'il est
né le jour de Noël, qu'il est mort pour nous sur une croix
le Vendredi saint ; qu'il est ressuscité le jour de Pâques,
qu'il est monté au ciel le jour de l'Ascension ; qu'il a envoyé
son Esprit-Saint à ses apôtres, le jour de la Pentecôte.
Et dès que les enfants sont un peu plus grands, il faut leur apprendre
le jour que Jésus-Christ a institué le sacre-ment adorable
de l'Eucharistie, avec tous les autres sacrements et les dispositions qu'il
faut avoir pour les recevoir. S'ils ne peuvent pas encore bien comprendre
leurs trois actes, il faut leur faire dire ces abrégés :
« Mon Dieu, je crois en vous ; mon Dieu, j'espère en vous
; mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur. » Il faut, nous dit saint
Thomas, souvent leur parler du bon-heur du paradis qui est préparé
aux enfants bien sages ; et pour leur donner une grande horreur du péché
il faut leur faire comprendre, autant que l'on peut, combien le bon Dieu
punit en enfer, par des châtiments terribles, un seul péché
mortel, et leur faire comprendre ce que c'est qu'un péché
mortel. C'est de cette manière que se comportait sainte Blanche
envers son fils saint Louis ; elle lui fit concevoir une telle horreur
du péché, que l'on croit qu'il n'ait jamais commis un péché
mortel et qu'il a eu le bonheur de porter l'innocence de son bap-tême
dans le ciel. Ce saint roi disait qu'il se souvenait toujours de ces paroles
de sa mère, qu'elle aimerait mieux le voir mourir que commettre
un péché, qu'il ne devait rien tant craindre que le péché.
Etant roi, il demanda un jour à un de ses officiers ce qu'il
aimerait le mieux d'être toute sa vie couvert d'une lèpre
ou de commettre un péché ; ce pauvre homme lui répondit
qu'il aimerait mieux commettre un péché que d'être
couvert d'une lèpre. Le roi lui dit : « Mon ami, vous n'avez
jamais compris ce que c'est que le péché, et la laideur de
la lèpre n'est rien en comparaison du péché. »
O heureux enfants, à qui les parents inspirent une pareille horreur
du péché ! Le saint homme Tobie disait à son fils
: « Mon fils, prenez bien garde de ne jamais commettre un péché.
» Quand il se vit près de mourir, il fit venir son enfant
auprès de son lit, et lui dit. : « Mon fils, je vous laisse
votre mère, ayez soin d'elle ; mais surtout je vous recommande d'éviter
les mauvaises com-pagnies ; gardez-vous bien de toute iniquité,
ne faites tort à personne, donnez l'aumône autant que vous
le pourrez : je vous recommande d'avoir une grande crainte de Dieu. Il
vaudrait mieux, mon fils, mourir que d'of-fenser le bon Dieu . »
Oui, M.F., nous voyons que le bon
Dieu fait tant d'état d'un père qui instruit bien ses enfants,
que quand il voulut perdre Sodome et Gomorrhe par le feu du ciel, il dit
: « Je ne veux pas cacher cela à mon serviteur Abraham, parce
que je sais qu'il apprend à ses enfants à garder ma loi
».
Oh ! combien le bon Dieu aime les
pères et mères qui instruisent leurs enfants de leurs devoirs
de reli-gion, et combien il se plait à répandre sur eux ses
béné-dictions ! Ecoutez ce que nous dit sainte Thérèse
que ses père et mère faisaient toute leur occupation de bien
lui apprendre à servir le bon Dieu, aussi est-elle devenue une sainte.
Voyez encore les père et mère de saint Bernard : ils avaient
si bien instruit leurs enfants qu'ils firent tous des saints.
Nous lisons dans l'histoire qu'une
mère avait un petit enfant qui n'avait que cinq ans. Comme c'était
dans un temps de persécution, cette mère disait souvent à
son fils : « Ah ! mon fils, si vous avez le bonheur de bien aimer
le bon Dieu et de bien éviter le péché, vous aurez
le bonheur d'aller au ciel ; mais, si vous avez le malheur de commettre
le péché, vous irez en enfer. Elle le menait, quoique bien
petit, à toutes les instructions qu'elle pouvait. Etant prise par
les barbares comme chrétienne avec son enfant, on demanda à
la mère ce qu'elle était : elle répondit qu'elle était
chrétienne. Comme l'on avait séparé d'elle son enfant,
l'on dit à l'enfant ce qu'il était : il répondit
qu'il était et qu'il vou-lait mourir chrétien. On le menace,
on le fait jeûner, on le fouette : il ne disait autre chose sinon
qu'il était chré-tien et qu'il voulait mourir chrétien.
Comme l'on ne pou-vait rien gagner, on le mena sur l'échafaud avec
sa mère, dans l'espérance que la tendresse de la mère
et de l'enfant les porterait à renoncer à Jésus-Christ
; mais, dès que la mère aperçut son enfant, elle lui
cria : « Cou-rage, mon cher enfant, courage : il nous faut mourir
chrétiens ». Mais aussi cette tendre mère avait tant
fait de prières pour demander à Dieu la persévérance
de son enfant ! Ce pauvre enfant avait déjà beaucoup souffert,
sans avoir ni bu ni mangé. Il mourait de soif. Il dit donc à
sa mère : « Hélas ! ma mère, que j'ai donc soif
! Cou-rage, mon enfant, vous irez boire en paradis. » Ce pau-vre
petit innocent ne dit rien plus ; il leva ses petits yeux vers le ciel
et tendit le cou au bourreau qui lui coupa la tête. Quand la mère
vit que son enfant avait perdu la vie pour le bon Dieu, elle s'écria
: « Faites-moi tout ce que vous voudrez, puisque mon enfant est en
paradis ». On lui coupa aussi la tête. O heureux enfant d'avoir
une telle mère ! O heureuse mère, d'avoir un semblable enfant
!
Oui, M.F., il est très certain,
après un tel exemple, et vous conviendrez avec moi que la sainteté
des enfants dépend des instructions que les parents leur ont don-nées
dans leur enfance. Hélas ! mon Dieu, nous ne voyons plus à
présent les pères et mère conduire leurs enfants de
cette manière. Aussi, que sont la plupart des enfants de nos jours
? de pauvres enfants qui ont déjà mille fois transgressé
les commandements de Dieu sans les connaître, qui ont l'esprit et
le cœur remplis des affaires du monde, sans savoir pourquoi le bon Dieu
les a créés et pour quelle fin ils sont sur la terre ; ce
qu'ils doivent craindre ou espérer après l'autre vie. Savez-vous
la pensée que j'ai quand vous m'apportez un enfant pour le baptiser
? Après l'avoir mis au nombre des enfants de Dieu, je me dis en
moi-même : « Ah ! pauvre enfant, si le bon Dieu te faisait
la grâce que la même plume qui atteste que tu es enfant de
Dieu pouvait montrer que tu n'es plus de ce monde, quel bonheur pour toi
! Si tu vis encore quelque temps, le monde et le démon vont faire
tout ce qu'ils pourront pour te perdre. Mais ce qu'il y aura encore de
plus malheureux, c'est que tes parents qui devraient t'éloigner
du mal seront peut-être les premiers à te précipiter
dans le péché par leurs conseils pernicieux et leurs mauvais
exemples.
Hélas ! mon Dieu, que peut-on
bien penser des enfants, voyant la conduite des parents qui sont peu dévots
? Ces pauvres enfants voient des parents si indif-férents pour leur
religion, qui ne font rien pour assurer le salut de leurs pauvres âmes
; qui souvent ne font leur prière ni le matin ni le soir, ou, s'ils
font quelque chose, c'est d'une manière si misérable ; qui
montrent bien qu'ils ne font pas attention aux pauvres enfants qui sont
témoins que leurs parents ne font point de pâques et ne se
confessent presque jamais ; qui manqueront combien de dimanches de suite
tous les saints offices ; qui travail-leront le dimanche ; qui mangeront
de la viande les jours défendus ; qui n'ont que de mauvaises raisons
à la bou-che ; qui ne parlent que des choses du monde, des richesses,
et presque jamais du bon Dieu ; des parents qui ne respirent que la vengeance
! Hélas ! que peuvent devenir les enfants dans une telle école
?
II. – Nous disons, M.F., que le second
devoir des parents est de donner bon exemple à leurs enfants. Mon
Dieu, où sont-ils les bons exemples que les parents donnent à
leurs enfants ? ou plutôt, où sont les mauvais exemples qu'ils
ne leur donnent pas ? Si nous avons dit, M.F., que l'ignorance où
les parents laissent leurs pauvres enfants est si déplorable aux
yeux de la foi, nécessairement ils seront damnés par les
mauvais exemples qu'ils leur donnent .
Hélas ! pauvres enfants !
si vous êtes obligés de suivre les exemples de vos parents,
que vous êtes malheureux ! II faudra nécessairement vous damner.
Oui, pères et mères,
si vos enfants veulent se sauver, il
faudra qu'ils fassent tout le contraire de ce que vous faites. – Mais,
me direz-vous, nous ne leur donnons pas mauvais exemple. – Vous ne leur
donnez pas mauvais exem-ple ? Ouvrez donc un instant les yeux sur ce que
vous faites et sur ce que devriez faire pour conduire saintement vos enfants.
Dites-moi, mon père, vous ne faites point de pâques, vous
ne vous confessez presque jamais : vous savez très bien que c'est
un péché mortel, et que, si vous veniez à mourir dans
cet état, vous seriez-damné. Eh bien ! dites-moi, si vous
voulez que vos enfants suivent vos exemples, il faudra donc qu'ils ne fassent
point de pâques, c'est-à-dire que si vos enfants sont obligés
de marcher sur vos traces, il leur faudra absolument se résoudre
à se damner. Qu'en pensez-vous, mon père ? est-ce oui, ou
non ? Vous ne donnez pas mauvais exemple à vos enfants, me dites--vous,
mais vous travaillez le saint jour du dimanche, vous faites gras les jours
défendus, même devant vos enfants ; vous savez bien que c'est
un péché mortel. Si vous voulez que vos enfants vous imitent,
quelle route voulez-vous leur faire prendre, à vos pauvres enfants
? Combien de fois vos enfants vous ont vu jeter sur votre lit, si j'osais
dire, comme un cheval sur son fumier, sans faire aucun signe de chrétien
? Alors, si vos enfants vous imitent, il faudra qu'ils ne donnent plus
aucune marque de religion. Combien de fois que vos enfants vous entendent
dire des paroles sales ou indécentes, qui portent le poison dans
leur pauvre âme !
N'allons pas plus loin, M.F., pleurons
le malheur des parents et des enfants qui se traînent chaque jour
les uns les autres en enfer. – Mais, me direz-vous peut--être, quand
je les entends dire de mauvaises raisons, je sais bien leur imposer silence
et les châtier. – Oui, sans doute, mais vous avez bien bonne grâce
de défendre à vos enfants ce que vous faites vous-mêmes.
Ne peu-vent-ils pas vous dire ou, s'ils n'osent pas le dire, le penser
: « Médecin, guérissez-vous vous-même. »
Mon père, commencez à vous corriger, ensuite vous nous direz
de nous corriger. Hélas ! pauvre mère aveugle !… . Soyez
bien sûrs, M.F., que vos coups et votre bâton ne servent pas
de grand'chose. En voici un exemple : Il est rapporté dans l'histoire
qu'il y avait une mère qui tâchait d'élever son enfant
autant bien qu'elle pouvait. Mais comme le père n'avait point de
religion, il gâtait tout ce que la mère faisait. Un jour que
l'enfant se trou-vait un peu de mauvaise humeur en faisant sa prière,
son père se trouvant de passer , il se lève et court sauter
à son cou, en lui disant : « N'est-ce pas, mon père,
quand je serai grand comme toi, je ne ferai point de prière ?»
Vous voyez donc bien que tout ce que vous pouvez dire à vos enfants
c'est perdu, à cause des mau-vais exemples que vous leur donnez.
Ecoutez-moi un instant, et vous
allez voir combien votre conduite est ridicule. Vous dites à votre
enfant qu'il ne faut pas jurer, qu'il offense le bon Dieu en jurant : vous
avez bien raison ; mais vous comprenez-vous vous-même en le grondant
de ce qu'il jure ? Vous jurez vous-même. – Si vous entendez vos enfants
dire des paroles grossières, vous les reprenez, et vous faites très
bien : mais en les reprenant, vous en dites qui sont encore plus grossières.
Un père dit à son enfant : « Mon fils, il faut être
bon, affable à tout le monde et être patient. » Certainement
que vous parlez comme un bon père ; mais que doit penser votre fils
en vous entendant parler de la sorte, tandis qu'il n'y a qu'un moment qu'il
vous a vu vous emporter contre sa mère, peut-être mal-traiter
un domestique et quereller un voisin ? N'est-ce pas, mon ami, que vous
avez bonne grâce de parler ainsi à votre enfant ? Dites-moi,
mon père, aurez-vous la force de dire à votre fils : «
Mon enfant, il ne faut pas fréquenter le cabaret, ni s'enivrer :
c'est un gros péché, c'est manger son argent mal à
propos ; » tandis qu'il n'y a peut-être pas encore huit jours
qu'il vous a vu venir du cabaret, plein de vin, avec bien moins de raison
qu'une de vos bêtes qui est à l'écurie, dans une fureur
semblable à celle d'un lion qui court dévorer tout ce qui
se présente devant lui ? « Mon fils, dira peut-être
ce bon père, il ne faut vouloir mal à personne : laissons
la ven-geance à Dieu seul. » Cela est très bien, mais
tout à l'heure vous disiez qu'un tel vous avait trompé et
qu'à la première occasion il s'en repentira. Dites-moi, que
pensez-vous de tout cela ? Est-ce ce que vous faites, oui ou non ? Vous
voyez bien que vous détruisez par vos mauvais exemples tout le bien
que vos entretiens pour-raient faire.
L'on dit aussi que les paroles peuvent
persuader, mais que les exemples entraînent. Si vous voulez que vos
enfants fassent bien, c'est-à-dire qu'ils soient bien sages, commencez
à être sages vous-mêmes ; faites en sorte que tout ce
que vous ferez, vos enfants puissent l'imiter. C'est vraiment une chose
épouvantable de vouloir reprendre dans les autres ce que l'on fait
soi-même. Voyez une mère qui dira à sa fille : «
Ma fille, il ne faut mépriser personne, aime tout le monde. »
Mais vous n'y pensez pas, mère : tout à l'heure elle vous
a entendu dire du mal de votre voisine. – « Vois-tu, ma fille, lui
dira-t-elle, il ne faut pas courir après les plaisirs ; cela n'annonce
rien de bon. » Vous avez bien raison ; si elle suivait ce que vous
lui dites et non ce que vous avez fait, elle serait heureuse. Mais vous
avez oublié que tout à l'heure vous lui faisiez le récit
de toutes les folies de votre jeunesse, auxquelles vous ne devriez penser
que pour en pleurer le reste de vos jours. A vous entendre parler, il semble
que vous regrettez de ne plus pouvoir vous y livrer, et vous voulez que
vos enfants en soient honteux !
Après une conduite comme
la vôtre, pères et mères, plaignez-vous de ce que vos
enfants ne valent rien, qu'ils sont jureurs, opiniâtres, vindicatifs,
ivrognes, libertins. – Si je ne craignais pas de vous faire de la peine,
je vous dirais simplement qu'ils suivent le che-min que vous leur avez
tracé ; ils font ce qu'ils vous ont vu faire ; ils ont oublié
vos leçons et vos belles remon-trances, mais ils se guident d'après
votre conduite : et, pour couper encore plus court, ils vous ressemblent.
Quoique vous pensiez peut-être que cela n'est pas, ce n'est pas moins
la vérité. Convenons tous ensemble que, si les enfants n'ont
point de religion, cela ne doit être attribué qu'aux parents
; et au jour du jugement le bon Dieu vous en fera convenir sans pouvoir
trouver aucune excuse.
Mais si vous n'avez pas tout à
fait perdu la foi et la raison, vous voyez que presque tous les parents
qui ont été bons chrétiens ont eu des enfants saints.
En voulez-vous encore un exemple ? Ecoutez-moi un instant. II est rapporté
dans l'histoire qu'il y avait, dans le Japon, un père et une mère
qui, ayant embrassé la religion chré-tienne, étaient
cruellement persécutés par les barbares. Ils attendaient
chaque jour de souffrir le martyre. Ils avaient un petit enfant de neuf
ou dix ans. Un jour, étant auprès du feu, le mari disait
à sa femme : « Nous espérons bien que le bon Dieu nous
fera la grâce de mourir mar-tyrs ; mais que va devenir notre pauvre
enfant ? Peut--être qu'il va renoncer sa religion ; il nous faut
redoubler nos prières afin que le bon Dieu lui donne la grâce
et la force pour souffrir pour Jésus-Christ. » Pendant ce
temps, l'enfant qui ne faisait semblant de rien, prit un morceau de fer
et le mit au feu. Quand il l'eut bien fait rougir, il se tourna contre
ses parents, se l'appliqua sur la main avec un courage incroyable. Le père
tout étonné court lui ôter le fer, qui dans un instant,
lui aurait brûlé toute la main : il lui demande ce qu'il prétendait
faire : « Mon père, lui répond l'enfant, pour vous
faire voir que j'espère d'avoir la force de souffrir aussi bien
que vous, avec la grâce du bon Dieu. » Ce bon père embrasse
son enfant en voyant de si bonnes dispositions dans son pauvre petit. Heureuse
récompense, M.F., des soins d'une bonne éducation qu'ils
avaient donnée à leur enfant. Oui, M.F., dès qu'un
enfant est baptisé, quelques mauvais pen-chants qu'il ait, nous
sommes sûrs que si les parents veulent lui donner les soins que le
bon Dieu veut, ils en feront un saint. Je vous répéterai
toujours que, si vos enfants n'ont point de religion, cela ne vient que
de votre faute seule, et que la damnation de vos pauvres enfants ne doit
être attribuée qu'à votre négligence ou à
votre ignorance, et pas à une autre cause.
Voici un exemple qui va vous montrer
que si la négligence ou l'ignorance perd tant d'enfants, vous verrez
aussi que les soins, la prière et les saintes ins-tructions les
sauvent. Il est rapporté dans l'histoire que saint Jean , étant
dans une ville, jeta les yeux sur un jeune homme dont le beau physique
l'avait frappé ; puis il se tourna contre l'évêque
du lieu, lui disant : « Je vous recommande bien fort ce jeune homme,
je vous le donne en présence de Jésus-Christ et de son Église
comme un dépôt. L'évêque lui promit d'en avoir
soin. Au bout de quelque temps saint Jean s'en retourna à Éphèse.
Cet évêque prit le jeune homme que saint Jean lui avait confié,
le nourrit, le garda chez lui, et, après l'avoir bien instruit,
il le baptisa. Mais de peu à peu, il le négligea, et, lui
ayant donné trop de liberté, il fré-quenta des jeunes
gens qui le perdirent. Il alla si loin qu'il se mit avec une troupe de
voleurs... A la fin, désespérant de son salut, il ne pensa
plus qu'à se livrer à tout ce que son cœur put désirer.
Ayant donc avec lui une troupe de jeunes étourdis comme lui, il
forma une troupe de voleurs. Comme il était hardi, il se rendit
leur chef et devint le plus violent et le plus cruel de tous. Quelque temps
après, saint Jean passa dans la même ville ; il va trouver
l'évêque en lui disant de lui rendre le dépôt
qu'il lui avait confié. L'évêque ne pensant plus à
ce jeune homme crut qu'on lui demandait quelque dépôt qu'on
lui avait confié. Le voyant embarrassé, il lui dit : «
Ce jeune homme que je vous ai laissé lorsque je partis, qu'en avez-vous
fait ? qu'est-il devenu ? » Alors l'évêque, baissant
les yeux, lui dit avec un profond soupir et avec larmes qu'il était
mort. « Et comment, lui dit saint Jean, de quelle mort ? »
« Il est mort à Dieu, répondit l'évêque,
car il est devenu un méchant, un perdu ; et, pour tout vous dire,
il est un voleur qui, maintenant, au lieu d'être dans l'église
comme autre-fois, roule dans les montagnes, où il demeure avec une
troupe qui, comme lui, égorge les gens pour les voler. » Saint
Jean, entendant ces paroles, déchire ses habits ; puis, jetant un
profond soupir et se frappant la tête, il dit à l'évêque
: « Oui, certainement, j'ai laissé en votre personne un fidèle
gardien de l'âme de votre frère ! Qu'on m'amène un
cheval et qu'on me donne un guide. » Aussitôt il sortit de
l'église, monte ce cheval et court vers l'endroit qu'on lui avait
indiqué. A son arrivée, les sentinelles des voleurs coururent
pour se saisir de lui. Il ne s'enfuit point. « Montrez-moi, leur
dit-il, à votre capitaine. » On le mena vers ce jeune homme
qui l'attendait d'abord les armes à la main. Mais aussitôt
qu'il reconnut saint Jean qui venait à lui, la honte l'obligea de
s'enfuir. Mais le saint lui cria : « Mon fils, pourquoi fuyez-vous
votre père, un homme vieux et sans armes ? Ayez pitié de
moi, ne craignez point ; il y a encore espérance pour votre salut
; je répondrai pour vous à Jésus-Christ. S'il est
nécessaire, je souffrirais volontiers la mort pour vous comme je
la souffrirai pour vous tous ensemble ; je donnerais mon âme pour
la vôtre. Mon fils, arrêtez, et croyez que c'est Jésus--Christ
qui m'envoie vers vous. » Le jeune homme, en-tendant parler de la
sorte saint Jean, s'arrêta d'abord, tenant les yeux fixés
en terre ; ensuite, il rompit ses armes, et, saisi de frayeur, il pleura
amèrement. Comme il vit que le saint vieillard approchait, il alla
l'embras-ser ; ses larmes lui servaient bien de baptême. Seule-ment,
il cachait sa main droite qui avait été souillée de
tant de crimes. Alors saint Jean lui promit par serment qu'il se chargeait
de ses péchés auprès de Jésus-Christ ; puis,
se mettant à genoux devant lui, il lui baisa la main droite comme
ayant été lavée par ses larmes. I1 le ramena à
l'église et ne se sépara plus de lui avant qu'il ne l'eût
remis et bien affermi dans la voie du salut. Il fut, par la suite, un grand
saint qui a gagné bien des âmes par ses prières, ses
instructions et ses bons exemples.
Dites-moi, pères et mères,
vos enfants que vous voyez si tranquillement se damner, en disant que vous
n'en pouvez pas davantage, ont-ils été si loin que ce jeune
homme que saint Jean va chercher ? Avez-vous tout quitté pour leur
courir après, comme fit saint Jean ? Avez-vous exposé votre
vie pour sauver leurs âmes ? Avez-vous versé des larmes amères,
comme fit ce saint, afin d'obtenir leur pardon ? Vous êtes-vous engagés
à répondre pour eux au tribunal de Jésus-Christ ?
Vous ne pouvez pas, dites-vous, faire servir le bon Dieu à vos enfants
; mais, dites-moi, mon père et ma mère, où sont donc
vos efforts ? où sont vos larmes ? où sont vos pénitences
et vos aumônes ? Vous ne pouvez pas les rendre sages, mais vous n'en
savez rien ; vous n'avez pas essayé. Allez, malheureux, le bon Dieu
vous attend, et il vous fera bien voir que si vous aviez voulu vous les
auriez sauvés et que leur perte ne vient que de vous.
Je crois, M.F., que je me suis bien
trompé en vous faisant cette instruction qui tend à vous
faire comprendre la grandeur de vos devoirs envers vos enfants, et combien
vous êtes obligés de travailler à leur salut : il fallait
plutôt, commencer à vous faire comprendre la nécessité
où vous êtes de travailler à votre propre sanctification
: et, une fois bien convaincus de la nécessité où
vous êtes de vous sauver, l'on n'aurait pas grand'peine à
vous faire con-naître le soin que vous devez prendre de l'âme
de vos enfants Comment, en effet, vous pouvoir convaincre de faire pour
vos enfants ce que vous ne faites pas pour vous mêmes ? Si vos enfants
vous voyaient travailler avec empressement à leur salut, ils se
diraient avec rai-son : « Mon père et ma mère font
comme les charlatans qui veulent faire croire des choses qu'ils ne croient
pas. » Nous voyons tous les jours que les parents qui laissent si
tranquillement perdre leurs enfants, se perdent eux aussi tranquillement.
O mon Dieu, quel malheur pour ces pauvres enfants de naître de parents
sans reli-gion ! Leur réprobation est presque certaine sans un miracle
qui arrive bien rarement. Si je ne craignais pas de vous faire de la peine,
je vous montrerais dans des enfants toute l'iniquité de leurs parents
et dans d'autres toutes leurs vertus, sans rien me tromper. Cependant je
ne veux pas le faire : je préfère prier le bon Dieu qu'il
change vos cœurs, afin que vous travailliez à changer ceux de vos
enfants. Qu'il serait beau, nous dit un Père de l'Eglise, si l'on
voyait de temps en temps un père ou une mère avec un crucifix
à la main montrer à ses petits enfants ce que Jésus-Christ
a souffert pour les sauver, combien le péché est détestable
! Que ces enfants seraient bientôt changés ! Mais, hélas
! dans le temps où nous vivons, les parents auraient bien honte
de le faire. Cepen-dant rien ne touche si vivement un cœur que ce langage.
Et, en effet, nous lisons dans l'histoire qu'il y avait un père
qui était veuf et n'avait qu'une petite fille. Un jour, cher-chant
quelque chose dans l'armoire de sa mère défunte, la petite
trouva par hasard un crucifix : elle le porta à son père
en lui disant : « Mon père, qu'est-ce que c'est que cela ?
» – «Mon enfant, lui dit son père, c'est un cru-cifix.
» – « Mais, lui dit sa fille, que veut dire un cru-cifix ?
» – « Je vous l'ai bien appris : vous l'avez donc déjà
oublié ? Eh bien ! je vais vous l'apprendre : c'est une représentation
de Jésus-Christ crucifié. » – « Mais, dit l'enfant,
que veut dire la représentation de Jésus--Christ crucifié
? » – « Eh bien ! écoutez-moi ; vous savez que le Fils
de Dieu est descendu du Ciel, qu'il s'est fait homme pour nous sauver,
que sans lui nous serions tous perdus, qu'il a passé toute sa vie
dans la pénitence à pleu-rer nos péchés ; il
a appris aux hommes ce qu'il fallait faire pour gagner le ciel, qui est
un bonheur qu'il nous a mérité par toutes ses souffrances.
Les juifs l'ont traité cruellement, l'ont fait mourir sur une croix
; ils l'ont couronné d'épines, ils l'ont flagellé,
ils l'ont élevé sur une croix, et il est mort dans ce supplice,
où il a répandu tout son sang avant de mourir. Il a demandé
pardon pour nous. Eh bien ! mon enfant, lui dit le père, voilà
ce que ce crucifix vous rappelle. » Le père, voyant que son
enfant écoutait avec beaucoup d'attention, lui dit : « Vous
savez, mon enfant, ce qui a traité Jésus-Christ de la sorte
? » – « Non, lui répondit l'enfant. » – «
Hélas ! mon enfant, ce sont nos péchés et ceux de
tout le monde qui sont la cause de toutes ses souffrances et de sa mort.
Souvenez--vous, mon enfant, que toutes les fois que vous avez péché
vous avez fait souffrir Jésus-Christ, vous avez aidé à
le faire mourir. » Voyant que les larmes coulaient des yeux de son
enfant, il ajouta : « Ah ! mon enfant, voudrez-vous encore continuer
d'affliger Jésus-Christ ? Ne voudrez--vous jamais l'aimer ? »
Cette pauvre enfant, ne pouvant plus se contenir, tant son tendre cœur
était attendri au récit des souffrances de Jésus-Christ,
prend le crucifix d'entre les mains de son père en pleurant à
chaudes lar-mes : « Ah ! mon père, en grâce, donne-moi
ce crucifix. » Elle court s'enfermer dans sa chambre, se jette aux
pieds de son crucifix, l'embrasse et l'arrose de ses larmes. « Ah
! mon Dieu, s'écrie cette pauvre enfant, c'est donc moi qui vous
ai tant fait souffrir ! Mon Dieu, pardonnez--moi, s'il vous plaît.
Ah ! si j'avais su que je vous eusse tant fait de mal, jamais je n'aurais
fait ce que j'ai fait. Mon Dieu, pardonnez-moi mon ignorance. » Mais
ce ne fut point pour un moment : la grâce du bon Dieu opéra
un tel changement dans ce petit cœur qu'elle devint un modèle de
vertu pour toute la paroisse. Dès qu'elle avait quelque peine, vite
elle se jetait aux pieds de son cru-cifix, en lui disant : « Mon
Dieu, comment oserais-je me plaindre, en voyant ce que vous avez souffert
pour moi ? » Un jour qu'elle fut bien maltraitée par un brutal
qui l'avait prise pour une autre, quand elle fut sortie d'entre ses mains
elle alla se prosterner devant son crucifix, en lui disant : « Mon
Dieu, lorsque vous étiez sur la croix vous avez bien pardonné
à ceux qui vous ont fait mourir ; eh bien ! mon Dieu, je pardonne
de bon cœur à cet homme qui vient de me maltraiter. Pour lui montrer
que je ne lui veux point de mal, je voudrais avoir l'occasion de lui rendre
quelque service : en effet, au bout de quel-que temps cet homme tomba,
la petite dit à son père, qui ne savait pas qu'il l'avait
battue, s'il voulait lui donner quelque chose pour porter à cet
homme ; il lui accorda ce qu'elle lui demanda. « Tenez, lui dit-elle,
voilà ce que je vous apporte : je n'ai pas dit à mon père
ce que vous m'aviez fait, crainte de... » Cet homme, voyant la charité
de cette petite, se mit à pleurer ; il la remercia bien et lui demanda
pardon. Un jour qu'elle vit une de ses voi-sines qui se désolait
de ce que son mari mangeait tout ce qu'il avait dans les cabarets, elle
lui dit : « Ma chère voi-sine, vous n'avez donc point de crucifix
dans votre mai-son ? » – « Mais si, j'en ai un. » – «Mais
si vous en avez un, il ne sert donc de rien ? Allez, ma chère amie,
à ses pieds, et là vous apprendrez à souffrir pour
un Dieu qui a tant souffert pour nous sans se plaindre, quoiqu'il fût
innocent. » Ces paroles firent tant d'impression sur le cœur de cette
femme qu'elle devint un modèle de patience ; on ne l'entendit plus
se plaindre et, bien plus, elle eut le bonheur de convertir son mari. Mais
pour la jeune fille, elle eut le bonheur de mourir de la mort des saints.
Eh bien ! qui lui procura cette
grâce ? n'est-ce pas les instructions que son père lui donna,
surtout en lui fai-sant le récit des souffrances de Jésus-Christ
? Hélas ! M.F., combien parmi ceux qui ont des enfants de dix--sept
ou vingt ans, à qui ils n'ont jamais dit un mot des souffrances
de Jésus-Christ ! Hélas ! peut-être d'autres qui n'ont
point de crucifix dans leur maison, ou s'ils en ont, ils sont ensevelis
dans la poussière ou dans les araignées ; ils ont bien soin
de nettoyer leurs souliers tous les samedis, mais ils ne font point de
cas de laisser l'image de leur Sauveur parmi les équevilles . Mon
Dieu, est-ce là des chrétiens ? et est-ce là des pères,
des mères que le bon Dieu n'a mis sur la terre que pour conduire
des enfants au ciel ? Qui pourra jamais assez pleurer la grandeur de leur
aveuglement ? Hélas ! que de pauvres enfants damnés pour
l'éternité ! N'est-ce pas, M.F., que si vos enfants n'ont
point de religion, c'est parce que vous ne voulez pas vous donner la peine
de les instruire ni de leur donner bons exemples ?
III. – Je dis donc que le troisième
devoir des parents, c'est de corriger chrétiennement leurs enfants.
Nous voyons très peu de parents qui corrigent leurs enfants selon
Dieu. Dites-moi, M.F., comment voulez-vous que vos enfants soient bien
sages en voyant ce que vous faites pour eux, c'est-à-dire en ayant
si peu à cœur leur salut ? Hélas ! si j'osais, je vous dirais
qu'il y a des pa-rents qui ont moins à cœur de sauver l'âme
de leurs enfants qu'ils n'ont à cœur la conservation de leurs bêtes.
O mon Dieu, quelle cruauté ! Si vous en doutez, écoutez-moi.
N'est-ce pas que vous aimez mieux envoyer vos bêtes dans les champs
le dimanche pendant les saints offices que de les laisser à l'écurie
pour faire venir vos enfants à l'église, pour les faire instruire
de leurs devoirs, ce qu'ils doivent faire pour gagner le ciel et sauver
leur pauvre âme ? N'est-ce pas que vous faites cela presque tous
les dimanches ? – Mais, me direz--vous, si vous osez, nous ne pouvons pas
laisser nos bêtes à l'écurie. – Mais vous ne raisonnez
pas bien, mon ami, il faut dire que vous aimez mieux que les âmes
de vos enfants périssent et se damnent que si vos bêtes n'avaient
pas autant de quoi manger. Ne cherchez point de détour, M.F. ; avouez
franchement que cela est, et vous direz la vérité. Écoutez
ce que le Seigneur vous dit : « Les animaux découvrent à
leurs petits leurs mamelles, et mon peuple refuse le lait de la parole
à leurs enfants. » Oui, M.F., si vos enfants rendent malheureuse
votre vieillesse, vous l'avez bien cherché vous-mêmes par
votre négligence à les instruire, à former leur cœur
pour le bon Dieu ; mais aussi vous commencez dès ce monde à
payer votre négligence. Mon Dieu, que de pa-rents malheureux dans
leurs vieux jours !
Nous avons dit qu'il y a très
peu de parents qui cor-rigent chrétiennement leurs enfants : les
uns leur souf-frent tout, sous prétexte qu'ils sont encore jeunes,
qu'ils ne connaissent pas le mal qu'ils font. Vous vous trompez grandement.
Les enfants, nous dit saint Basile, con-servent ordinairement toute leur
vie le pli qu'ils ont pris pendant leur jeunesse. Si vos enfants vous font
du chagrin quand ils sont grands, la seule cause est que vous ne les avez
pas corrigés comme vous le deviez, quand ils étaient petits.
Voulez-vous que vos enfants vous rendent heureux dans votre vieillesse
? ne leur passez rien sans leur faire connaître le mal qu'ils font
; je veux dire, que si les paroles ne suffisent pas, il faut les
châtier. Voyez, si vous ne le faites pas, vous et vos enfants serez
punis même dès ce monde. Il est rapporté dans l'histoire
qu'un père qui avait un petit enfant pre-nait plaisir à l'entendre
jurer. Il avait toujours le mot de démon à la bouche. Un
jour qu'il était malade, étant sur les genoux de son père,
il se pencha contre l'épaule de son père, en disant : «
Ah ! mon père, le diable m'emporte », et mourut dans ce moment.
Hélas ! si le père avait eu le bonheur de ne pas le laisser
jurer, sous prétexte qu'il était jeune, ce malheur ne lui
serait pas arrivé. Hélas ! M.F., quel jugement peut-on porter
contre des pères et mères quand on entend jurer, les enfants,
sinon que l'on pense : Voilà un enfant qui appartient à des
parents qui n'ont point de religion. Il y en a d'autres qui font tout le
contraire, qui pour un rien leur tombent dessus et les écrasent,
parce que un enfant aura cassé quelque chose des fois de la valeur
d'un sou, et souvent qu'il ne sait pas sa faute... ; le père ou
la mère, à coups de pied ou de bâton, peut-être
les estropieront pour leur vie. Ils ne les corrigent pas, mais ils les
mal-traitent et les brutalisent. Les jurements et les malédic-tions
sont toujours de la partie. Pauvres enfants, que vous êtes malheureux
d'être nés de tels parents, qui, nécessairement vous
damneront par les mauvais exem-ples et leurs malédictions qu'ils
ne cessent de vous vomir dessus. – Mais, me direz-vous, ces pères
et mères ne connaissent pas plus ce qu'ils doivent à leurs
enfants que les païens mêmes, qui n'ont jamais entendu parler
du vrai Dieu. – Il faut bien les battre ou bien l'on n'en est pas écouté.
L'on est obligé de leur tomber dessus à coups de pied, à
coups de poing, si l'on veut se faire obéir, tant ils font de travers.
Je passe sous silence ce que vous
mériteriez pour manquer ainsi à vos devoirs. Je vous dirai
seulement : « Il fallait, avant de vous marier, apprendre que vous
étiez chrétiens, et savoir si le mariage était un
sacrement, et si après ce monde il y en avait un autre, ou si vous
pensez qu'après la mort tout était fini. N'est-ce pas, mon
ami, comme si, pour remplir un devoir, il fallait manquer à tout
ce que la religion et même la raison, l'humanité nous imposent
? Savez-vous, mon ami, ce qu'il résulte de toutes vos brutalités
? C'est que vos enfants ne vous crai-gnent pas, mais seulement vos coups
; et quand ils ne craindront plus vos coups, ils se moqueront de vous,
et vous mépriseront. Hélas ! c'est bien ce que nous voyons
tous les jours. – Mais, me direz-vous, que faut-il donc faire pour les
corriger saintement ? – Ce qu'il faut faire, mon ami ? ce que vous ne faites
pas. Ecoutez-le : c'est de ne jamais châtier vos enfants le moment
que vous êtes en colère, et toujours attendre que vous soyez
calme, parce que, loin de les rendre meilleurs, vous ne faites que les
rendre encore plus mauvais. Vous commencerez à leur faire sentir
le mal qu'ils ont fait, c'est-à-dire l'ou-trage que leur péché
fait à Dieu, et les châtiments que le bon Dieu leur fera subir
dans l'autre vie s'ils ne se corrigent . Vous-mêmes, vous devez demander
à Dieu de bénir votre correction, et ne jamais les maudire.
O mon Dieu, des parents peuvent-ils bien ouvrir la bouche pour maudire
leurs pauvres enfants, qui sont tous à Jésus-Christ et pour
lesquels il est mort ! Oui, M.F., des enfants que les parents ne corrigent
pas chrétienne-ment, font ordinairement des fins bien malheureuses,
déshonorantes. Je ne veux pas m'étendre là-dessus,
parce que nous ne finirions pas. Je vous dirai, M.F., pour vous encourager
un peu : si vous avez quelque envie de vous sauver vous-mêmes et
l'âme de vos enfants, quand vous avez fait ce que vous avez pu pour
bien les instruire, leur donner bon exemple, les corriger ; quand, après
tout cela, vous ne pouvez pas les ranger du côté du bon Dieu,
c'est d'avoir recours à la prière, c'est de vous humilier
devant le bon Dieu, pensant que c'est vous--mêmes qui êtes
la cause de l'état malheureux où sont vos enfants ; qu'un
méchant arbre comme vous ne pou-vait pas porter du bon fruit. Le
saint homme Job, qui avait sept garçons trois filles, nous dit qu'il
se levait de grand matin pour prier le bon Dieu pour ses enfants, et qu'il
offrait tous les jours des sacrifices pour obtenir du bon Dieu qu'ils fussent
bien sages . Voyez sainte Monique... Faites de même, M.F., priez
tous les jours pour vos enfants, faites tant d'aumônes que vous pourrez
pour eux ; faites dire quelques messes, faites quelques communions pour
eux ; mettez-les tous les matins sous la protection de la Sainte Vierge.
Quelle consolation, si vous voyez vos enfants avec vous dans le ciel !
Mais aussi quel malheur, si vous aviez le malheur de vous voir en enfer
!
Denis le Chartreux rapporte qu'un
saint Père du dé-sert lui avait dit qu'il vit un jour en
enfer un père et un enfant enchaînés ensemble avec
une chaîne de fer toute rouge de feu, ils se maudissaient ; et se
mordaient l'un l'autre, se déchirant comme des enragés. Le
père disait à son fils : « Maudit enfant, que n'as-tu
été étouffé dans le ventre de ta mère
! Que n'as-tu été étranglé dans ton berceau
! tu es la cause de ma damnation. » Il appelle les démons
à son secours pour tourmenter plus cruellement son fils. Le fils,
de son côté, maudissait son père, en lui disant : «
Si vous m'aviez bien instruit, donné bon exemple et corrigé,
je ne serais pas ici : c'est vous qui êtes la cause de ma perte.
» A son tour, il appelle les démons à son secours pour
lui aider à tourmenter son père. O terrible vie, qui dure
éternellement ! O mon Dieu, que de parents et d'enfants qui m'écoutent
qui seront du nombre ! – Mais peut-être pensez-vous : Nous faisons
ce que nous pouvons. – Tant que vous ne serez pas meilleurs chrétiens
vous-mêmes pour donner bon exemple à vos enfants, et tant
que vos enfants ne seront pas plus sages, je vous... Si vous faisiez ce
que vous pouvez, comme ce père dont il est rapporté dans
l'histoire. Il avait un fils que les mauvaises compagnies avaient tellement
perverti, qu'il avait conçu le dessein de le tuer, pour avoir son
bien ; le père...
II est temps de finir, M.F., en
vous disant que vous n'avez rien fait de ce que vous deviez faire pour
conduire vos enfants au ciel... C'est de commencer par vous--mêmes
à mieux remplir vos devoirs de religion, afin que vous puissiez
dire à vos enfants de les remplir ; c'est qu'ils ne puissent jamais
être scandalisés de votre con-duite ; et au contraire, que
dans tout ce que vous faites vous puissiez leur dire : « Faites comme
moi ; » c'est de ne jamais passer un jour sans prier plusieurs fois
pour eux, et de faire toutes les bonnes œuvres, les pénitences et
les aumônes que vous pourrez encore faire avec tout cela. Autrement
je conclus que vous êtes en grand danger de vous perdre et de perdre
vos enfants avec vous. Priez le bon Dieu qu'il vous fasse connaître
vos devoirs que vous n'avez jamais connus, afin de pouvoir réparer
en partie le mal que vous avez fait par le passé, et de mieux faire
pour l'avenir. C'est le bonheur…
SERMON
SUR LES INDULGENCES
I. – Pour bien comprendre ce que
c'est qu'une indul-gence, il faut savoir que dans le commencement de l'Église,
l'on imposait des pénitences capables, à peu près,
de satisfaire à la justice de Dieu. Comme maintenant l'on ne nous
donne plus des pénitences si longues, ni si rigoureuses, il nous
reste beaucoup d'années à souffrir en purgatoire. La grâce
que le bon Dieu nous fait par les indulgences sert à satisfaire
à la justice de Dieu, que nous aurions été obligés
de faire, si on nous avait imposé les pénitences que l'on
donnait au commen-cement de l'Église. Quand nous recevons l'absolution,
dans le saint tribunal de la pénitence, nous avons bien, il est
vrai, le pardon de nos péchés ; mais comme les pénitences
qui nous sont imposées ne sont presque rien pour satisfaire à
la justice de Dieu, nous trouvons dans le trésor des indulgences
de quoi y suppléer. Il est vrai que si, en nous confessant, nous
avions le bonheur d'avoir une contrition parfaite, cela suffirait ; mais
comme cela arrive rarement, nous avons donc grandement besoin d'avoir recours
à la grâce des indul-gences pour satisfaire à la justice
de Dieu pour nos péchés, quoique confessés et pardonnés
dans le saint tribunal de la pénitence.
Mais quand est-ce que les indulgences
ont commencé ? Elles ont commencé avec les apôtres,
ensuite les persé-cutions les ont grandement multipliées,
et voici com-ment : il y avait des pécheurs qui étaient en
pénitence pour deux ou trois ans, quelquefois vingt et trente ans
ou même pour toute la vie. Quand ils savaient que quelques chrétiens
allaient souffrir le martyre, ils les priaient de demander à l'évêque
d'abréger, en considé-ration des tourments qu'ils allaient
endurer, la pénitence d'un tel, de tant de jours, de mois ou d'années
ou même tout entière. Alors l'évêque en avertissait
le pénitent qu'un tel Martyr avait demandé de lui abréger
sa péni-tence de tant d'années ou tout entière. Voilà
ce qui a donné lieu au nom indulgences que nous appelons plé-nières
ou partielles. On les appelait plénières quand la pénitence
était entièrement retranchée ; on les appelait partielles
quand on la diminuait seulement de quelques jours ou de quelques années.
Ces indulgences sont la diminution des pénitences que nous aurions
dû faire si, en nous confessant, l'on nous avait imposé une
pénitence selon que l'Église l'imposait dans ce temps-là.
Mais de quoi sont composées
les indulgences ? Le voici : elles sont composées des mérites
surabondants de la mort et passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ
dont une seule action, qui est dans Jésus-Christ d'un mérite
infini, aurait de quoi racheter mille mondes plus coupables que celui qui
existe. Vous voyez donc cela, que tout ce que Jésus-Christ a fait
pendant sa vie mor-telle forme un trésor qui est infini ; de sorte
que, malgré tout ce que nous pourrions y prendre pour satis-faire
à la justice pour nos péchés, ne sera jamais dans
le pouvoir de l'épuiser. A cela, M.F., viennent encore se joindre
les mérites des saints qui ont beaucoup plus souffert et fait pénitence
qu'il ne fallait pour leurs péchés, comme fut la Sainte Vierge,
dont les actions sont d'un si grand prix aux yeux de Dieu ; encore comme
un saint Jean-Baptiste et tant d'autres qui ont porté l'innocence
de leur baptême au tombeau. Vous conviendrez avec moi, M.F., tout
cela forme un trésor qui ne finira jamais. Nous sommes donc sûrs
de trouver dans les indulgences au-delà de ce que méritent
nos péchés envers la justice de Dieu. Cette grâce des
indul-gences est si grande que, quand nous aurions des mil-lions d'années
à souffrir dans le purgatoire, si nous avions le bonheur de gagner
une indulgence plénière, nous serions aussi purs et aussi
quittes envers la justice de Dieu qu'un enfant qui meurt après être
baptisé. Nous pouvons donc bien dire que le bon Dieu se comporte
avec nous comme un riche se comporterait envers plu-sieurs personnes qui
lui devraient toutes, les unes plus, les autres moins, toutes dans l'impuissance
de le payer ; il leur commande d'aller prendre dans son trésor de
quoi le payer et qu'il les acceptera comme si cet argent venait d'eux-mêmes.
Ah ! que l'homme est heureux s'il avait le bonheur de savoir en profiter
! Oui, M.F., Jésus-Christ est vraiment ce riche qui, par les mérites
de sa mort et passion, a de quoi satisfaire à la justice de Dieu
son Père, au-delà de ce que méritent nos péchés.
II.- Maintenant, M.F., qui sont ceux
qui ont le pouvoir d'accorder les indulgences, dont l'Eglise fait tant
de cas et qui nous sont si avantageuses ? I1 n'y a que les papes qui peuvent
accorder les indulgences plénières. Les évêques
peuvent accorder les indulgences que nous appelons partielles. Que faut-il
faire pour mériter une grâce si précieuse ? Le voici
: il faut ordinairement se confesser et communier et prier selon l'intention
du Saint-Père. Il n'y a point de prière désignée
pour cela ; mais cinq Pater et cinq Ave dits pour la conversion des pécheurs
et la persévérance des justes, peuvent remplir cette obligation.
Cependant il y a quelquefois que la confession et la communion ne sont
pas nécessaires pour gagner l'indulgence ; comme pour le Chemin
de la Croix, comme en allant dans certaines églises ; en disant
cinq Pater et cinq Ave chaque fois qu'on entre, l'on gagne les indulgences.
Il faut prononcer les mots : si
on ne les disait que du fond du cœur, l'on ne suivrait pas les inten-tions
du Saint-Père, l'on ne gagnerait pas les indul-gences. Quand les
indulgences portent qu'il faut se confesser et communier, il suffit pour
les gagner qu'il n'y ait pas plus de huit jours qu'on ne se soit pas confessé
; et pendant ce temps-là, l'on gagne les indul-gences qui se rencontrent
pendant les huit jours. II faut encore remarquer que quand une fête
est renvoyée, les indulgences se gagnent, non pas le jour qu'elle
tombe, mais le jour qu'elle se célèbre. Quand il y a quelques
prières à faire, il n'est pas nécessaire de les faire
de suite après la sainte communion : on peut les faire depuis la
veille jusqu'au lendemain à la tombée de la nuit. Dans les
fêtes qui ne sont pas fêtées, c'est-à-dire que
l'on tra-vaille, l'on peut faire les prières depuis minuit de la
veille jusqu'à l'autre nuit.
Qui sont ceux qui peuvent gagner
les indulgences ? M.F., tous les chrétiens, mêmement ceux
qui sont en état de péché mortel. Il faut bien distinguer
qu'ils ne peuvent les gagner pour eux, mais seulement pour les âmes
du purgatoire. Cependant, il faut qu'ils soient fâchés d'avoir
offensé le bon Dieu et avoir un désir de se convertir. Ils
sont comme les âmes du purgatoire qui peuvent pour les autres et
rien pour elles-mêmes .
Mais combien peut-on gagner d'indulgences
dans un même exercice ? – Quand il y en a plusieurs, l'on n'en peut
gagner qu'une pour soi et toutes les autres sont appliquées pour
les âmes du purgatoire : comme dans le Chemin de la Croix, il y a
plusieurs indulgences à gagner. Toutes les grandes fêtes,
vous pouvez autant gagner d'indulgences que vous êtes de confréries
, en dirigeant votre communion à cette intention. Pour celles du
Chemin de la Croix, vous pouvez les gagner autant de fois que vous voulez
le même jour. Il faut dire qu'il n'y a point d'exercice où
l'on peut plus gagner d'indulgences qu'en faisant le Chemin de la Croix.
Les indulgences plénières sont en grand nombre ; pour les
partielles, elles sont innombrables. Nous gagnons toutes les indulgences
que nous gagnerions si nous allions visiter les Saints Lieux. En chaque
endroit, il y a une indulgence plénière : nous gagnons 1°
les indulgences plénières que l'on gagne en visitant l'église
de sainte Anne, où est née la Sainte Vierge ; 2° dans
celle où elle se consacra à Dieu ; 3° où son corps
reposa jusqu'au moment de son Assomption ; 4° celle qui se gagne dans
l’étable de Bethléem, où le Sauveur est venu au monde
; 5° dans la maison de Nazareth, où demeura Jésus-Christ
; 6° dans l'endroit où Jésus-Christ fut condamné
à mort ; 7° dans celui où il fut revêtu d'une robe
blanche par dérision ; 8° celles qui sont attachées dans
l'entrée où il fut couronné d'épines ; 9°
dans celui où il fut flagellé ; 10° où il fut
crucifié ; 11° dans l'endroit où il fut enseveli ; 12°
dans l'endroit du mont Thabor, ainsi que dans tous les lieux où
se sont opérés les mystères de notre rédemption
.
Pour ces indulgences, elles sont
sans nombre. L'Église, voyant combien elles nous étaient
avanta-geuses, nous donne le pouvoir de les gagner même chez nous,
si nous sommes malades, sans sortir de notre lit, avec une croix bénite.
Pour cela, tenant cette croix à la main en la remuant quatorze fois
pour représenter les quatorze stations ; ou même sans être
malades, quand nous avons quelques empêchements qui nous privent
d'aller à l'église : comme une nourrice qui ne peut quitter
ses enfants ; comme encore une personne qui est obligée d'avoir
soin d'un malade. Mais il faut bien remarquer que, ne le faisant pas dans
l'église, après il faut réciter cinq Pater et cinq
Ave, et ensuite un Pater et un Ave selon l'intention du Saint-Père.
Quand nous le faisons dans l'église, il faut toujours remuer les
pieds , sans quoi nous ne gagnerions pas nos indulgences. Si cepen-dant
nous étions infirmes, en nous faisant porter à l'église,
nous les gagnerions tout de même sans nous bouger. Nous pouvons faire
le Chemin en plusieurs re-prises, pourvu que nous le fassions tout entier
le courant du jour . Un saint cardinal, prêchant la croisade, re-marqua
que partout où le Chemin de la Croix était établi
et pratiqué, il avait reconnu une différence étonnante
dans les mœurs des chrétiens. C'est pour cela qu'il appelle le Chemin
de la Croix la reine de toutes les dévo-tions, le fléau du
péché, le meilleur de tous les remèdes contre la contagion
du péché de l'impureté et du liberti-nage ; il l'appelle
la nourriture de la foi et le brasier de l'amour divin. En effet, il est
tout à fait impossible de faire le Chemin en réfléchissant
tant soit peu sur les souffrances de Jésus-Christ sans se sentir
touché de repentir de ses péchés et d'amour envers
Jésus-Christ qui nous a tant aimés. Le Chemin de la Croix
se fait en plusieurs manières : en public, en méditant sur
la Pas-sion ou sur le sujet représenté par chaque tableau
; en particulier, devant un crucifix spécialement bénit à
cet effet, en récitant vingt Pater, Ave, et Gloria .
Si maintenant vous me demandez si
les indulgences que nous gagnons pour les âmes du purgatoire leur
pro-curent le même degré de grâce qu'à nous,
qui, en gagnant une indulgence plénière, nous acquittons
entièrement envers la justice divine, de sorte qu'après avoir
gagné une indulgence dans toute son étendue nous sommes sûrs
de ne pas même passer par les flammes , voici la croyance de l'Église
: que ces indulgences les sou-lagent grandement ; mais pour savoir jusqu'à
quel point elles hâtent leur délivrance, Dieu seul le sait.
Oui, M.F., si nous vivions bien chrétiennement, nous pourrions gagner
plusieurs indulgences chaque dimanche et dans le courant de la semaine,
en nous confessant tous les huit jours. Quand nous disons les trois actes,
nous avons à notre disposition de gagner une indulgence plé-nière
une fois chaque mois, à notre choix. Nous pouvons prendre pour cette
intention le deuxième dimanche du mois ; le premier pour le Saint
Rosaire, le troisième pour le Saint-Sacrement et le quatrième...
– Nous gagnons des indulgences en disant l'Angelus au son de la cloche.
– Il y a aussi une indulgence le cinquième dimanche du mois pour
tous ceux qui sont de la confrérie du saint Scapulaire, et encore
un jour de la semaine si l'on fait ses dévotions. – En disant :
« Saint, saint, saint, le grand Dieu des armées, le ciel et
la terre sont remplis de sa gloire. Gloire soit au Père, etc. »
; il y aussi une indul-gence plénière . En écoutant
avec attention les instruc-tions qui se font le jour de Noël, des
Rois, de Pâques, de la Pentecôte, de Saint-Pierre et de saint
Paul. – Pour ceux qui sont de la confrérie du Saint Scapulaire
; il y a indulgence pour le jour de saint Joseph, des saints Anges Gardiens,
de saint Simon Stock et de sainte Thérèse.
Il y a une indulgence plénière
pour ceux qui, le ven-dredi, méditent un moment sur la mort et passion
de Jésus-Christ ; ainsi que tous les deuxièmes vendredis
du mois, en méditant depuis midi jusqu'à trois heures, et
cela à son choix, le jour que l'on voudra se confesser et communier.
Il y a une indulgence plénière, en faisant avec respect la
génuflexion ou la révérence devant le Saint-Sacrement,
le jour de la fête patronale . Il y a une indulgence plénière
quand on assiste à la procession qui se fait le premier dimanche
du mois en l'honneur du Saint Rosaire ; et ceux qui ne peuvent pas y aller,
en disant leur chapelet chez eux, le gagnent pareillement. Il y a une indulgence
plénière à l'heure de la mort, en pro-nonçant
les noms de Jésus et de Marie, de bouche ou du fond du cœur, si
l'on ne peut pas de bouche. Vous voyez, M.F., combien il est facile de
gagner les indulgences plénières, et même plusieurs
dans un jour.
Maintenant, voyons quelles sont
les indulgences que nous appelons partielles, c'est-à-dire de 30
jours, de 100 jours, de 7 ans et de 7 quarantaines. Voilà ce que
l'on peut vous dire : les indulgences correspondent aux péni-tences
que nous aurions été obligés de faire après
nous être confessés, si l'on nous avait imposé une
pénitence proportionnée à nos péchés.
Les quarantaines sont les 40 jours du Carême, qui sont encore plus
méritoires que les autres temps. Quand on nous dit qu'il y a la
remise de la troisième partie de nos péchés, c'est
la remise de la troisième partie des pénitences que nous
aurions été obligés de faire et que méritaient
nos péchés. Ces indulgences sont d'autant plus précieuses
que nous pouvons les gagner à tout moment. Cependant il faut bien
remarquer : les indulgences ne remettent pas les péchés ni
mortels ni véniels, elles abrègent seulement la peine qui
leur est due, après en avoir reçu le pardon ; un grand nombre
ne font pas attention, par défaut de réflexion, à
gagner les indulgences pour leurs péchés véniels.
Mais que faut-il faire, me direz-vous,
pour en recevoir le pardon et en gagner les indulgences ? – Le voici :
il faut faire quelques prières ou quelques bonnes actions auxquelles
la rémission des péchés est attachée : comme
en disant son Confesse à Dieu, un acte contrition, un acte d'amour
de Dieu sur les perfections infinies de Jésus-Christ ; prendre de
l'eau bénite avec dévotion ; faire un jeûne, faire
une aumône, dire le Notre Père ; en mangeant du pain bénit.
Ensuite, les indulgences, que nous gagnons achèvent de nous acquitter
envers la justice de Dieu.
Voici les indulgences partielles
que vous êtes plus à portée de gagner : il y a cent
jours d'indulgences en disant : « Bénie soit la très
sainte et très immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge
Marie . » On gagne sept ans et sept quarantaines d'indulgences toutes
les fois que les dimanches et les fêtes on entend avec respect les
instructions qui se font à la sainte Messe. -Il y a deux ans d'indulgences
toutes les fois que l'on baise avec respect une croix bénite. –
Il y a 25 jours en prononçant les noms de Jésus et de Marie.
– II y a aussi des indulgences toutes les fois que l'on assiste à
la sainte Messe les jours de la semaine. – II y a 300 jours d'indulgences
en disant les litanies du Saint Nom de Jésus ; autant pour celles
de la Sainte Vierge. Pour les chapelets Brigittains, il y a 100 jours à
chaque grain : mais il faut le doigt sur le grain. On peut se le donner
comme un héritage à la mort. Celui qui le reçoit doit
dire les trois chapelets. Il gagne les mêmes indul-gences que s'il
avait été bénit pour lui . Ceux qui sont du Saint
Rosaire gagnent aussi 100 jours chaque grain. Toutes les fois que nous
disons trois Pater et trois Ave en l'honneur de la mort et passion de Jésus-Christ
et des douleurs de la Très Sainte Vierge, il y a mille ans . Il
y a 100 jours en disant le Salve Regina. – Il y a 60 jours d'indulgences
toutes les fois que nous disons le Salut Marie. – Il y a sept ans et sept
quarantaines, en accom-pagnant le Saint-Sacrement que l'on porte aux malades,
avec un cierge à la main. – Il y a 100 jours d’indulgences toutes
les fois que nous disons le Veni Creator, – Il y a 900 jours d'indulgences
toutes les fois que l'on dit le Pange lingua . Il y a 100 jours toutes
les fois que l'on dit cette petite prière : « Ange de Dieu
qui êtes mon gardien... » Si on la dit tous les jours, il y
a une indulgence plénière chaque mois. – Il y a une indul-gence
plénière pour une âme du purgatoire, en disant cette
prière devant un crucifix : « O bon et très doux
Jésus... » « Les cendres effacent aussi nos péchés,
en les recevant en esprit de pénitence. C'est pour cela que l'on
dit le Confiteor avant la sainte Communion, afin d'effacer tous les péchés
véniels dont on peut être cou-pable. – Sous le nom de l'aumône,
qui efface les péchés véniels, sont comprises toutes
sortes de bonnes œuvres spirituelles ou corporelles.
La bénédiction du
Saint-Sacrement, la bénédiction du prêtre à
la sainte Messe, le signe de la croix. – Pour les trois actes, sept ans
et sept quarantaines chaque fois ; et indulgence plénière
une fois par mois, en les disant tous les jours. Les pères et mères,
maîtres et maîtresses qui mènent les enfants entendre
le caté-chisme à l'église. – 100 jours d'indulgences,
en disant : « Loué et béni soit à tout moment
le Très Saint-Sacre-ment. » – Deux ans d'indulgences , quand
on se met à genoux lorsqu'on entend sonner l'élévation
de la Messe, et qu'on fait quelques petites prières. -20 jours toutes
les fois que l'on incline la tête en prononçant le Saint Nom
de Jésus.
Si vous me demandez quelle différence
il y a entre les indulgences et l'absolution, je vous dirai qu'il n'y en
a point. Comme nous savons que l'absolution nous exempte de l'enfer, de
même les indulgences nous exemptent du purgatoire si nous les gagnons
dans leur entier .