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Saint Léon le Grand

docteur de l'église
pape de l'an 441 à 460
Dictionnaire de Théologie Catholique

1. LEON Ier (Saint) pape (440-461).
I. Jeunesse et élection de saint Léon.
II. Saint Léon évêque de Rome (col. 220).
III. Saint Léon et l’Occident (col. 237).
IV. Saint Léon et l’Orient (col. 245).
V. Les dernières années de saint Léon

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(col. 267). VI. Le caractère, la doctrine, la politique de saint Léon (col. 278).

I. JEUNESSE ET ELECTION DE SAINT LEON. ? Le Liber pontificalis présente saint Léon comme originaire de Toscane : Leo natione Tuscus, ex patre Quintiano. Lib. pont. édit. Duchesne, t. I, p. 238. On ignore tout de ce Quintianus. Les gens de Volterra, écrit Tillemont, Mémoires, t. XV, p. 414, font solennellement la fête de saint Léon " et veulent qu’il fust de la ville, mais ils ne le prouvent pas. " D’autre part, on fait valoir que Léon parle de Rome en l’appelant sa patrie. Epist. XXXI, 4. Mais Rome peut être sa patrie dès là qu’il en est l’évêque, sans qu’il y soit né.

Vigile de Tapse, Contra Eutych., IV, 1, P. L., t. LXII, col. 119, rapporte que saint Léon a rendu le témoignage de la droite foi sous le pape Célestin (422-432). On a compris ce texte comme signifiant que Léon avait été baptisé par Célestin. A ce compte, Léon aurait été baptisé bien tard, encore qu’on ignore l’année de sa naissance. Cependant, le fait que, dès le temps de Célestin, Léon avait dans le clergé romain une situation de premier plan, suggère que sa carrière ecclésiastique avait du commencer de bonne heure, et porte à rejeter l’hypothèse de ce baptême tardif. En 418, on signale un acolyte romain du nom de Léon qui porte à l’évêque de Carthage Aurélius une lettre du prêtre Xystus de Rome (le futur pape). S. Augustin, Epist. CXCI, 1. Cet acolyte romain est-il saint Léon ? On ne peut l’affirmer.

En 431, Léon fait sûrement partie du clergé romain. A cette date, en effet, Cyrille d’Alexandrie, écrivant à Rome pour mettre le Siège apostolique en garde contre les manœuvres de Juvénal, évêque de Jérusalem, croit devoir écrire aussi à Léon pour l’intéresser à ses vues. Nous le savons par Léon lui-même, qui écrit en 453 à l’évêque Maxime d’Antioche : Sanctæ memoriæ Cyrillus Alexandrinus episcopus. . . scriptis suis mihi quid prædicti (Juvenalis) cupiditas ausa esset indicavit, et sollicita prece multum poposcit ut nulla illicit conatibus præberetur assensio. Epist., CXIX, 4. Léon occupait une place assez en vue, assez prépondérante, dans l’Eglise de Rome pour que l’évêque d’Alexandrie tînt à s’assurer son appui en vue d’empêcher l’ambitieux évêque de Jérusalem de revendiquer Palestinæ provinciæ principatum. Gennadius, De vir. ill., 62, donne à saint Léon le titre d’archidiacre de l’Eglise romaine.

En 430, Jean Cassien a publié ses Libri VIII de incarnatione Christi contra Nestorium. Cassien par ce traité a instruit pour Rome l’affaire de Nestorius : Cassien, qui a été jadis fait diacre à Constantinople par saint Jean Chrysostome, a l’avantage de pouvoir lire en original les sermons de Nestorius ; toutefois, mêlé plus qu’il n’aurait voulu à la controverse semi-pélagienne, il ne se serait sans doute pas jeté dans l’affaire de Nestorius, s’il n’y avait été invité : or il a été invité de Rome même et par Léon. Il le dit dans la préface de son traité : " Tu as vaincu ma résolution de garder le silence et tu l’as vaincue par ton louable zèle et ton impérieux sentiment, mi Leo, veneranda ac suspidencia caritas mea, romanæ Ecclesiæ ac divini ministerii decus. " Ici le mot ministerium peut désigner le diaconat et faire allusion à la place occupée par Léon entre les sept diacres de l’Eglise romaine. Cassien continue : Exigus ut de ipsa incarnatione Domini ac majestate dicamus. . . Exigis ac jubes. . . Pareo observationi tuæ, pareo jussioni. L’intervention de Léon auprès de l’auteur très considéré des Collationes, a du être pressante, amicale, mais elle vient de haut ; c’est un ordre.

On sait que les controverses pour et contre saint Augustin, qui agitaient la Provence autour de 430, furent portées à Rome par deux moines de Marseille (Cassien résidait à Marseille), et que le pape

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Célestin intervint par une lettre, Jaffé, n. 381, adressée à Vénérius, évêque de Marseille, et aux autres évêques des Gaules, lettre prudente, qui invite la nouveauté à ne pas attaquer la vetustas, et les controversistes à ne pas toucher à saint Augustin que Rome a toujours eu dans sa communion. A la lettre de Célestin est annexée une sorte de de syllabus des décisions portées sur les matières de la grâce par les rectores romanæ Ecclesiæ, et des décisions des conciles africains que les mêmes recteurs ont approuvées. Il s’agit des décisions du pape Innocent Ier et du pape Zosime, des conciles de Carthage et de Milève. L’auteur du syllabus prend acte que les polémistes qu’il a en vue acceptent ce que le Siège apostolique a défini sur la grâce et n’acceptent rien de plus : il va donc exposer ces décision du Siège apostolique, beatissimæ et apostolicæ Sedis sanctiones, pour conclure ensuite que, sur la grâce de Dieu, abstraction faite des questions plus difficiles et moins nécessaires, il suffit de croire ce que le Siège apostolique a enseigné, et d’estimer non catholique ce qui sera contraire aux dites définitions. Ce syllabus, qui porte en titre Præteritorum Sedis apostolicæ episcoporumauctoritates de gratia Dei, P. L., t. XLV, col. 1756-1760, mais qui ne porte pas de nom d’auteur, a été revendiqué par Quesnel pour saint Léon, conjecture qui est très plausible. Voir B. J. Kidd, A History of the Church to A. D. 461, 1922, t. III, p. 156-157. O. Bardenhewer, Geschichte der altkirchl. Literatur, t. IV, 1924, p. 617, ne se prononce pas. Quand plus loin nous étudierons la doctrine de saint Léon sur la grâce, nous verrons qu’elle est établie sur les lignes mêmes du dit syllabus.

Le traité anonyme De vocatione omnium gentium, P. L., t. LI, col. 647-722, revendiqué pour saint Léon par Quesnel, reste l’œuvre d’un inconnu pas antérieur à 440, pas postérieur à 496. L’Epistula ad sacram virginem demetriadem, P. L., t. LV, col. 161-180, peut être du même auteur inconnu. Bardenhewer, ibid., p. 541-542.

Prosper d’Aquitaine fait honneur à saint Léon d’avoir inspiré au pape Xyste III, en 439, sa sévérité envers le pélagien Julien, ancien évêque d’Eclane, sollicitant sa rentrée dans la communion de l’Eglise. Prosper, Chronic., an. 439, P. L., t. LI, col. 598. Nous verrons plus loin la sévérité du pape Léon contre les clercs pélagiens qui essayaient de reprendre rang dans le clergé en dissimulant leur hérésie.

La situation de Léon à Rome devait être à la fin du pontificat de Xyste exceptionnelle, pour qu’il ait été envoyé dans les Gaules, en 440, en vue de mettre fin au conflit du patrice Aèce et du préfet du prétoire Albinus. Prosper, an. 441, ibid., col. 599.

Léon était en Gaule pour cette mission politique, qui ne pouvait ne pas lui avoir été confiée par la cour de Ravenne, lorsque le pape Xyste III mourut (19 août 440). L’Eglise de Rome ne crut pas pourvoir élire un meilleur évêque que le diacre de Léon : il fut élu, quoique absent, et consacré à son retour, le 29 septembre 440. La vacance du siège avait duré quarante jours, écrit Prosper, sans que rien eût troublé la paix ou la patience de l’Eglise romaine dans l’attente du jour où le diacre Léon, ramené par une légation qu’on lui avait envoyée, serait présenté à sa patrie en joie. Un pontificat s’ouvrait, qui allait durer vingt-et-un ans et être l’apogée de la papauté antique.

II. SAINT LEON EVEQUE DE ROME. ? 1° La dignité de l’évêque de Rome. ? Nous poss?derons le sermon prononcé par saint Léon le jour de sa consécration, Serm., I. " L’affection de votre sainteté, dit-il à son peuple, a voulu croire présent celui que la nécessité d’une longue pérégrination faisait absent. Je rends grâces à notre Dieu, et toujours je lui rendrai grâces, pour tous les bienfaits que je lui dois. Je célèbre en même temps par une action de grâces bien due ce

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suffrage de votre faveur, vous qui avez porté sur moi un jugement si honorable, sans que j’eusse aucun titre à le mériter. Je vous conjure donc par les miséricordes du Seigneur d’aider de vos prières celui que vous avez appelé par vos désirs, afin que l’esprit de grâce reste sur moi, et que vous n’ayez pas à regretter les suffrages que vous m’avez donnés. Que celui-là nous octroie à tous le bien de la paix, qui a mis dans vos cœurs le zèle de l’unanimité. " Eloquence grave d’un homme de foi, et d’un évêque qui, dit-il, désire le salut des âmes avec une pastorale sollicitude.

Chaque année ramènera, le 29 septembre, l’anniversaire de l’ordination de saint Léon, son natale. Les Serm., II-V ont été prononcés à pareille date, qui est aussi chaque année l’occasion d’un concile. Ces sermons révèlent son humilité très noble, sa déférence pour les évêques ses collègues, sa conscience de l’éminent de son siège. " En ce jour où revient l’anniversaire de celui où le Seigneur a voulu que commençât mon office épiscopal, j’ai une cause véritable de me réjouir pour la gloire de Dieu, qui, afin d’être par moi beaucoup aimé, m’a beaucoup pardonné, et qui, afin de rendre sa grâce admirable, a comblé de ses dons un homme en qui il n’a point trouvé de mérites qui les appelassent. " Il se tourne vers les évêques présents en nombre, il salue leur splendidissimam frequentiam, il ne doute pas de la présence de Dieu dans cette assemblée quand il y voit tant de speciosissima tabernacula Dei, tant de membres excellent du corps du Christ. Il a confiance que l’apôtre Pierre n’est pas non plus absent et qu’il ne fait pas défaut à leur dévotion en une solennité où les assemble le respect qu’ils ont pour lui. L’apôtre bénit la charité de toute l’Eglise qui voit Pierre dans la chaire de Pierre, et qui ne tiédit pas en passant de l’apôtre à la personne de son bien inégal successeur. Demandez à Dieu, conclut le pape, à Dieu qui a voulu que je préside au gouvernail de l’Eglise qu’il fasse son humble serviteur capable d’une si grande tâche et utile à votre édification.

Les évêques sont égaux par l’onction de l’Esprit qui les a faits évêques, ils sont égaux par leurs infirmités, ils sont égaux par l’aide que leur assure le prêtre perpétuel qui est le Christ. Cependant, il est un évêque en qui l’apôtre Pierre se survit et par les mains de qui il tient le gouvernail de l’Eglise : Petrus, in accepta fortitudine petræ perseverans, suscepta Ecclesiæ gubernacula non reliquit. Pierre vit dans sa chaire : (Petrus) cujus in sede sua vivit potestat et excellit auctoritas. Serm., III, 3. On a raison de célébrer cet anniversaire d’ordination : dans l’humilité de la personne de Léon, on doit et honorer l’apôtre en qui se perpétue la sollicitude de tous les pasteurs et des brebis à eux confiées, et dont la dignité ne défaut pas même quand son héritier est indigne. Ibid., 4. L’empressement de tant de vénérables évêques à cet anniversaire est une manifestation d’autant plus sainte et plus dévote qu’elle est un devoir de piété rendu avant tout à l’apôtre qu’ils savent être, non seulement l’évêque de ce siège, mais le primat de tous les évêques : sed et omnium episcoporum noverunt esse primatem. Ibid.

Même doctrine, plus appuyée encore, dans le Sermo IV. Il y a un sacerdoce de tous les chrétiens, distinct du sacerdoce proprement dit præter istam specialem nostri ministerii servitutem. Ibid., 1. Ce sacerdoce spécial a été conféré à Pierre par le Seigneur, " source de tous les charismes ", en telle manière que nul n’en possède rien que Pierre n’ait reçu d’abord. Pierre a été élu par le Seigneur pour être préposé à la vocation de toutes les nations, pour être préposé à tous les apôtres et à tous les Pères de l’Eglise (les évêques) : si nombreux que soient les sacerdotes et les

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pastores dans le peuple de Dieu, Pierre régit proprement ceux que le Christ régit en premier. Ibid., 2. La collation des pouvoirs à Pierre est dans les paroles mêmes du Sauveur, Matth., XVI, 16-19 ; Luc, XXII, 31 ; Jean, XXI, 17. Rendons grâces à Jésus-Christ quod tentam potentiam dedit ei quem totius Ecclesiæ principem fecit, ut si quid etiam nostris temporibus recte per nos agitur recteque disponitur, illius operibus, illius sit gubernaculis deputandum cui dictum est : Et tu conversus confirma fratres tuos. . . Quod nunc quoque procul dubio facit. Ibid., 4.

L’apôtre Pierre est tout cela, et l’évêque de Rome est son héritier, son vicaire. Chaque évêque est la tête de son troupeau, chaque évêque a la sollicitude spéciale de son troupeau, et chaque évêque en devra rendre compte. Mais Léon a part à l’administration de chaque évêque : Neque cujus quam administratio non nostri laboris est portio. De tout l’univers on recourt au siège de Pierre et l’on attend de l’évêque de Rome cet amour de l’Eglise universelle dont le Sauveur a fait à Pierre un commandement. . . ut, dum ad beati apostoli Petri sedem ex tot orbe concurritur, et illa universalis Ecclesiæ a Domino eidem commendata dilectio etiam ex nostra dispensatione deposcitur. Serm. V, 2. Telle est la signification de cet anniversaire, hommage à la dignité apostolique, mais aussi épiscopale, de saint Pierre, qui sedi suæ præesse non desinit. La solidité que Pierre a reçue du Christ, se transmet à ses successeurs. Qui donc serait si peu instruit de la gloire de Pierre ou si jaloux, de croire que quelque portion de l’Eglise échappe à sa sollicitude ou ne puisse avoir à bénéficier de son secours ? Quis gloriæ beati Petri tam imperitus erit aut tam invidus æstimator, qui ullas Ecclesiæ partes non ipsius sollicitudine regi, non ipsius ope credat augeri ? Ibid., 4.

Ces déclarations solennelles de saint Léon suffiraient à fixer l’idée qu’il se fait de la dignité de son siège, sedes Petri. Il lui servirait peu d’être héritier historique de l’apôtre, si toute l’Eglise n’honorait dans sa sedes Pierre lui-même. Car Pierre se perpétue : sa dignitas ne saurait défaillir, sa sollicitudo, veille, sa potestas vit, son auctoritas excelle, il tient toujours le gouvernail de l’Eglise : il est l’évêque perpétuel de ce siège, omnium episcoporum primas, totus Ecclesiæ princeps. Saint Léon a conscience que tous ces titres de l’apôtre sont ceux que peut revendiquer l’évêque de Rome, et que l’Eglise universelle lui reconnaît, dum ad beati apostoli Petri sedem ex toto orbe concurritur.

Rome, qui possède la chaire de Pierre et l’héritier de Pierre, garde le tombeau de Pierre. C’est à Rome, en effet, que l’apôtre repose dans la couche sacrée de sa bienheureuse dormition, in sacro beatæ dormitionis toro eadem qua præsedit carne requiscit. Serm., IV, 4, et LXXXIII, 3. Il convient que, entre tous les peuples du monde, celui-là excelle dans les mérites de la piété, que le Sauveur a établi in ipsa catholicæ petræ arce, et que le bienheureux apôtre Pierre a instruit plus que tous autres, præ omnibus erudivit. Serm., III, 4. Pierre est associé à Paul dans le même natale, que Léon tient pour l’anniversaire de leur martyre : In die martyrii eorum sit lætitiæ principatus, dit-il dans un serment prononcé à pareil jour. Serm., LXXXII, 1. Il sait que cette fête du 29 juin est fêtée dans toutes les églises du monde, mais il faut qu’elle le soit par l’allégresse spéciale et propre de notre cité. Pierre et Paul ont fait luire aux yeux de Rome l’Evangile du Christ ; par eux la ville qui était maîtresse de l’erreur est devenue disciple de la vérité ; ils sont les sancti patres qui l’ont fondée sous de meilleurs auspices, felicius condiderunt, que ceux qui élevèrent ses premiers murs, et que celui qui, lui ayant donné son nom, la souilla du sang de son frère. Le siège sacré de Pierre a fait d’elle la tête du monde : Per sacram Petri sedem caput orbis

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effecta. La religion divine étend sa souveraineté plus loin que ne fit jamais sa domination terrestre : si loin que ses victoires aient porté sur terre et sur mer son jus imperii, le monde que lui a soumis le labeur de la guerre est moindre que celui que lui a soumis la pax christiana. Ibid. L’empire romain a été pour la Providence un instrument : Dieu a préparé l’empire de Rome, dont les frontières ont été portées si loin pour que l’ensemble de toutes les nations fût rapproché et unifié, pour que les royaumes fussent confédérés en un seul empire, et que la prédication pût atteindre plus vite les peuples assujettis à une seule cité. Ibid., 2. Quand les douze apôtres se furent distribué l’univers, Pierre, le premier d’eux tous, est envoyé à la capitale de l’empire romain, afin que la lumière de la vérité se répandît plus efficacement de la tête à tout le corps du monde. A Rome, en effet, ne se rencontrait-il pas des hommes de toutes les nations ? Et quelle nation pourrait ignorer ce que Rome aurait appris ? Ibid., 3. A Rome donc tu ne crains pas de venir, et, pendant que l’apôtre qui partagera ta gloire, Paul, est encore occupé à établir d’autres églises, tu affronteras cette forêt pleine de bêtes frémissantes, cet océan aux profondeurs agitées. Ibid., 4. Ton bienheureux collègue Paul te rejoint. C’est le temps où, sous Néron, toute innocence, toute pudeur, toute liberté devient un crime : Néron déchaîne la première persécution générale du nom chrétien. Mais l’Eglise n’est jamais appauvrie par la persécution. Pierre et Paul peuvent être mis à mort, la fécondité de leur sang sera attestée par des milliers de martyrs, qui, émules des triomphes apostoliques, ont fait à notre cité un ambitus de peuples couverts de pourpre éclatante, et l’ont couronné comme un diadème de gemmes sans nombre. Ibid., 6. Quel sentiment de la grandeur historique de Rome et de la dignité que les apôtres y ajoutent, Pierre surtout princeps apostolici ordinis !

Avant d’étudier l’action ad extra de l’évêque de Rome, arrêtons-nous à recueillir ce que saint Léon nous apprend de son ministère immédiat.

Le ministère de l’évêque de Rome à Rome. ? Nous avons d?jà vu qu’il prêche. Il n’est pas le premier pape qui prêche, puisque saint Ambroise nous a conservé un sermon de Noël du pape Libère, De virginibus, III, 1-3. Mais il est le premier pape dont nous ayons une collection compacte de sermons. A quelques exceptions près, Serm., LXXXIV, XCI, XCVI, ces sermons appartiennent aux dix premières années du pontificat, d’où l’on conjecture que Léon dans les dix dernières années est très rarement monté à l’ambon. Cette conjecture, pour être du prudent Bardenhewer, p. 621 paraîtra au moins risquée. De toute façon est infirmée l’assertion de Sozomène, H. E., VII, 19, que personne ne prêchait à Rome.

Dans une fête comme celle de l’Epiphanie, nous entendons Léon dire à ses auditeurs : Quia in sacratissimo die reddendum exspectationi vestræ est sacerdotalis sermoni officium. . . Serm., XXXVIII, 1. Rapprocher LXII, 1. On conclura de là que le peuple s’attend à ce que l’évêque prêche, et que saint Léon estime que prêcher est pour lui un devoir. Nous avons de lui dix sermons pour les fêtes de Noël, huit pour l’Epiphanie, deux pour Pâques, deux pour l’Ascension, trois pour la Pentecôte, un pour le natale de saint Pierre, un pour le natale de saint Laurent.

Nous avons douze sermons De quadragesima, sermons sur le carême, prononcés à l’ouverture du carême. Serm. , XXXIX, 3, et commençant le texte Ecce nunc tempus acceptum, ecce nunc dies salutis, II Cor., VI, 2, qui est lu à cette occasion. Serm., XL, 2 ; XLII, 1. Léon emploie à maintes reprises le mot quadragesima, il

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précise que la quadragesima compte quarante jours de jeunes préparatoires à la fête de Pâques. Serm., XLV, 1 ; cf. XLI, 2. Il ne doute pas que ce jeûne de quarante jours ne soit uns institution apostolique. Serm., XLIV, 2. Le carême décrit par saint Léon infirme l’assertion de Socrate, H. E., V, 22, que de son temps le carême à Rome se limitait aux trois semaines avant Pâques. Cf. Duchesne, Origines du culte chrétien, 2e édition, p. 232.

Le précepte du carême intéresse tout le peuple chrétien, soit le peuple exercé au combat évangélique et qui parcourt sans défaillance le stade spirituel, soit le peuple qui, conscient de ses péchés mortels, aspire au secours de la réconciliation, soit le peuple qui se prépare à la régénération baptismale. Serm., XLV, 1 ; XLIX, 3. Pour célébrer dignement la fête de Pâques, tous doivent se purifier, et non pas seulement les évêques, les prêtres, les diacres, mais le corps tout entier de l’Eglise et tout ce qu’il compte de fidèles. Serm., XLVIII, 1. Léon se sert d’une comparaison : Si, dit-il, nous estimons raisonnable et en quelque sorte de nous vêtir, un jour de fête, de vêtements plus propres, si, à pareils jours, nous nous appliquons à mieux orner nos églises, ne mettrons-nous pas le même soin à préparer notre âme à célébrer le mystère pascal de la Rédemption ? Serm., XLI, 1. Aux jeûnes joignons les aumônes : les péchés, qui sont lavés par les eaux du baptême et par les larmes de la pénitence, sont effacés aussi par les aumônes. Serm., XLIX, 6. Que les fidèles se défient de l’ennemi de leur salut, plus animé à leur perte, en ce saint temps où tant d’âmes vont par le baptême lui être arrachées. Serm., XL, 2. allusion au baptême solennel partout célébré le samedi saint. Que le jeûne, l’aumône, la vigilance, n’aillent pas sans l’extinction de la colère, de la haine, et que la paix s’établisse à tous les foyers : Dominorum atque servorum tam ordinati sint mores, ut et illorum potestat mitior, et istorum sit disciplina devotior. Serm., XL, 5. Observation qui va loin dans l’intime de cette société chrétienne, où il y a toujours des maîtres et des esclaves. Léon en prend occasion de donner en exemple " la sainte coutume établie depuis longtemps par les très pieux empereurs du monde romain, qui, en l’honneur de la passion du Seigneur et de sa résurrection, abaissent la hauteur de leur puissance, et, adoucissant la sévérité de leurs constitutions, relâchent nombre de coupables, multarum culparum reos faciunt relaxari. " Que les chrétiens imitent leurs princes. Que les maîtres pardonnent à leurs esclaves : Remittantur culpæ, vincula solvantur. Que Pâques trouve tous pardonnés, tous en liesse, ibid.

Un sermon, donné comme ayant été prononcé le samedi avant le second dimanche de carême, Serm., LI, commente le récit de la transfiguration.

Nous avons à la suite dix-neuf sermons De passione Domini. Sauf cinq qui ne sont pas assignés à un jour déterminé, Serm., LX, LXI, LXVI, LXIX, LXX, ces sermons vont deux par deux, le premier prononcé le dimanche (des Rameaux), le second prononcé le mercredi (saint). Ce dimanche, on lit la passion du Sauveur, et on la relit le mercredi : Lectio dominicæ passionis iterabitur (quarta feria), dit Léon, Serm., LIV, 5. A maintes reprises il mentionne la lecture que l’on vient de faire de la passion dans l’Evangile. Serm., LXX, 1. Cf. LII, 1 ; LXVI, 1 ; LXVII, 1 ; LXIX, 2. Ces divers sermons sont des commentaires du récit de la passion.

Des deux sermons de Pâques, le premier, Serm., LXXI, est prononcé au cours de la vigile du samedi saint, le second, Serm., LXXII, se rattache à la messe du jour de Pâques. Ce second sermon présuppose la lecture du récit évangélique de la résurrection : Totum paschale sacramentum evangelica nobis narratio præsentavit, dit Léon en commençant. Dans le second

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sermon pour la Pentecôte, Serm., LXXVI, 1, saint Léon fait allusion à l’évangile qui vient d’être lu, à quoi, dit-il, nous devons ajouter cette prédication pour l’instruction des nouveaux fils de l’Eglise. Ces nouveaux fils de l’Eglise sont baptisés.

A la fin de chacun des trois sermons de la Pentecôte, Léon annonce le jeûne de la semaine qui vient : Quarta et sexta feria jejunemus, sabbato autem apud beatum Petrum apostolum vigilas celebremus. Les trois sermons pour la Pentecôte, Serm., LXXV, LXXVI, LXXVII, sont suivis de quatre sermons De jejunio Pentecostes, qui ont pour sujet d’annoncer le jeûne des mercredi, vendredi, samedi de la semaine qui vient. Ne doutez pas, dit saint Léon, que tout ce que l’Eglise a coutume d’observer lui vienne de la tradition apostolique et de l’enseignement du Saint-Esprit. Serm., LXXIX, 1. Au lendemain de la Pentecôte, les apôtres ont dû vouloir inaugurer l’apprentissage des fidèles, par un jeûne : Tirocinium militæ christianæ sanctis inchoavere jejuniis. Serm., LXXVIII, 2. Ces trois jours de jeûne ont aussi pour raison d’être de réparer ce que la négligence ou la licence nous aurait fait commettre de fautes pendant le temps pascal. Ibid., 3. Nous avons affaire ici au jeûne des Quatre-Temps. L. Fischer, Die Kirchlichen Quatember, 1914, p. 2-7, sur l’origine prétendue apostolique des Quatre-Temps.

Nous les retrouvons avec les neufs sermons De jejunio septimi mensis, c’est-à-dire du mois de septembre, Serm., LXXXVI, XCIV. Ces sermons sont des invitations à célébrer le jeûne prescrit. On y retrouve la même formule que nous avons relevée dans les sermons de la Pentecôte : Quarta et sexta feria jejunemus, sabbato vero apud beatum Petrum apostolum pariter vigilemus. Serm., LXXXVI, LXXVIII, LXXXIX, XC, XCII, XCIV. Les Quatre-Temps de décembre sont représentés par neuf sermons De decimi mensis jejunio. Serm., XII-XX. La même formule que plus haut s’y retrouve, invitant à jeûner le mercredi et le vendredi, et à célébrer le samedi la vigile à Saint-Pierre. Serm., XII, XIII, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX. Léon rattache le jeûne du dixième mois à l’ancienne Loi qui le prescrit en actions de grâces à Dieu pour les récoltes de l’année. Serm., XV, 2. Les Quatre-Temps cependant son fixés pour les chrétiens aux quatre saisons : Jejunium vernum in Quadragesima, æstimum in Pentecoste, autumnale in mense septimo, hiemale autem in hoc qui est decimus celebramus. Serm., XIX, 2. Les saisons disent aux chrétiens la volonté de Dieu, comme les affiches publient les ordres du prince. Serm., XVIII, 2.

Les six sermons VI-XI sont intitulés De collectis, c’est-à-dire des quêtes. nous avons affaire ici à un usage propre à Rome et qui a disparu sans laisser de traces dans la liturgie : Léon en est le seul témoin. Il y voit une apostolica institutio, une institution " prudente et utile des Pères ", fixée à " un temps de l’année où le peuple païen servait les démons avec plus de superstition ", et où il convenait de " célébrer la sainte oblation de nos aumônes en face des profanes hosties des impies. " Ce qui a été fructueux à l’origine de l’Eglise s’est perpétué : Quod quia incrementis Ecclesiæ fructuosissimum fuit, placuit esse perpetuum. Serm., IX, 3. Léon dit encore, en confirmation de l’institution apostolique du dit usage : " Les bienheureux disciples de la vérité ont prescrit, par une doctrine divinement inspirée, que, chaque fois que la cécité des païens serait plus appliquée à ses superstitions, le peuple de Dieu devait s’appliquer plus instamment à la prière et aux œuvres de religion. " Voilà pourquoi en ce jour " où les impies servaient le diable sous le nom de leurs idoles ", on a dans la sainte Eglise établi cette collectio. Serm., VIII, 1. A vrai dire, les saints Pères ont réglé que in diversis temporibus quidam essent dies qui devotionem fidelis populi ad collationem publicam provoca-

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rent. A L’Eglise, en effet, on recourt quand on est dans le besoin ; il convient donc que se fasse une collectio qui mette entre les mains des præsidentes de l’Eglise de quoi secourir les pauvres ; mais il y a ici un jour spécialement fixé. Saint Léon prescrit à ses fidèles d’apporter leurs offrandes ce jour-là ad ecclesias regionum vestrarum, Serm., XI, 2, de se réunir per omnes regionum vestrarum ecclesias cum voluntariis oblationibus elecmosynarum, Serm., VIII. Plus précisément, ce jour n’est que le premier de plusieurs jours à la suite, où ces offrandes peuvent être apportées par les fidèles : Die dominica prima est futura collectio. Serm., X, 4. Rapprocher, Serm., VIII : Primus collectarum dies. Ce jour tombe à une date fixe : c’est un lundi, Serm., VII, c’est un mardi, Serm., VIII, c’est un samedi, Serm., XI, aussi bien qu’un dimanche. Mais quelle était cette date ? Saint Léon ne le dit pas. Les Ballerini, se fondant sur la place occupée par ces sermons De collectis dans plusieurs des recueils de sermons de saint Léon, c’est à savoir après les sermons pour la fête de saint Pierre, ont proposé le 6 juillet qui est le jour où commençaient à Rome les ludi apollinares. J. Marquardt, Le culte chez les romains, édit. fr., t. II, 1890, p. 270.

On pourra rapprocher le Sermo LXXXIV, qui est un sermon occasionnel prononcé par saint Léon au jour anniversaire du châtiment et de la délivrance de Rome, ob diem castigationis et liberationis nostræ. Les Ballerini ont montré que ces mots désignent le sac de Rome par Genséric, en 455. On est à quelques années déjà de l’évènement, car saint Léon parle d’un temps où le peuple des fidèles venait en masse rendre grâces à Dieu de l’avoir épargné, tandis que, cette présente année, l’anniversaire a été négligé presque universellement, comme l’atteste le petit nombre des fidèles qui y sont venus, proxime, les jours passés. Le pape se déclare fort attristé de cette ingratitude. On donne plus aux démons qu’aux apôtres, et les spectacles attirent plus que les sanctuaires. Et cependant, qui a sauvé la ville ? qui l’a tirée de la captivité ? qui l’a protégée contre le massacre ? Est-ce le cirque, ou bien les saints ? Revenons au Seigneur et comprenons les miracles qu’il a opérés parmi nous pour notre délivrance. Car nous ne l’avons pas due à l’action des étoiles, comme pensent les impies, mais à Dieu, qui corda furentium barbarorum mitigare dignatus est. Nous avons là un indice du crédit de l’astrologie sur l’opinion à Rome ; un indice aussi de l’attrait irrésistible que les jeux du cirque gardent pour les Romains. Les Ballerini calculaient que la libération de Rome était du 29 juin 455, mais ce calcul est contesté : Rome tomba aux mains de Genséric le 2 juin 455, et l’occupation dura quatorze jours, où la ville fut mise à sac. F. Martroye, Genséric, 1907, p. 158-159. C’est donc le 16 juin que tombait l’anniversaire de la libération de Rome, et quelques jours plus tard que le sermon était prêché, peut-être un 29 juin.

La survivance des jeux n’est pas nous surprendre, et pas davantage l’attrait des Romains pour les spectacles du cirque. Salvien, qui écrit son De gubernatione Dei entre 439 et 451, en est un témoin assez notoire (voyez op. cit., VI, 3-17). Plus curieuse est la survivance chez les chrétiens des gestes païens comme celui que dénonce Léon, Serm., XXVII, 4. " On voit des chrétiens, venant à la basilique de Saint-Pierre, monter les degrés qui mènent ad suggestum aræ superioris, au niveau du seuil, et là se retourner vers le soleil levant et incliner la tête en l’honneur de " l’orbe resplendissant ". Ils le font par ignorance, dit Léon, et aussi paganitatis spiritu.

Saint Léon dénonce ailleurs une opinion, qui n’est peut-être pas sans lien avec la pratique précédente. Dans un de ses sermons de Noël, il dit que le démon,

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trompant les simples par la persuasion pestiférée de certains, a suggéré que le jour du 25 décembre était honoré, non pas tant pour la naissance du Christ, que pour le lever du nouveau soleil, de novi ut dicunt solis ortu honorabilis. Léon condamne cette opinion qu’il qualifie de ténébreuse. Les gens qui l’acceptent sont, dit-il, entraînés encore par les très sottes erreurs de la gentilité, et ils vénèrent d’un honneur divin les astres du monde qui ne sont que des serviteurs. Serm., XXII, 6. On voit, en effet, dans le calendrier profane du Chronographe romain de 354, portée au 25 décembre la fête du Natalis invicti, et l’invictus est le soleil, dont la naissance coïncide avec le solstice d’hiver, c’est-à-dire avec le 25 décembre. Mgr Duchesne a pu dire : " Le culte mithriaque et, d’une manière plus générale, le culte du soleil, eut beaucoup de relief et de popularité au IIIe siècle et au IVe siècle. On peut être porté à croire que l’Eglise romain choisit le 25 décembre pour faire concurrence au mithriacisme. " Origines du culte, 1898, p. 250. Voir l’excursus Sol invictus dans mon livre La paix constantinienne et le catholicisme, 1914, p. 69-75.

Sans remonter si haut, on sait que l’astrologie était une superstition fort répandue au temps de saint Léon comme au temps de la jeunesse de saint Augustin. Confess., IV, 3. Le pape dénonce ces hommes qui totam humanæ vitæ conditionem de stellarum pendere effectibus mentiuntur, et quod est aut divinæ voluntatis aut nostræ indeclinabilium dicunt esse fatorum. Serm., XXVII, 3. Rapprocher Serm., XLIII, 2 ; LVII, 5 ; Epist., XV, prol. et 10. Cf. Riess, art. astrologie, p. 1825-1827, de la Realencyclopädie de Pauly-Wissowa.

Saint Léon se préoccupe des hérétiques : Pastoralis officii est ne dominico gregi hæretica malignitas noceat providere. Il a été informé que des gens d’Egypte, des marchands principalement, sont arrivés à Rome et ont eu le front de prendre fait et cause pour " les abominations commises à Alexandrie par les hérétiques ", c’est-à-dire, selon toute vraisemblance, la consécration d’un intrus, Timothée Ælure (16 mars 457) et le massacre de l’évêque légitime, Protérios (28 mars). Ces gens d’Egypte débarqués à Rome professaient que le Christ n’a qu’une nature divine, et qu’en lui la chair qu’il tenait de la vierge Marie n’avait aucune " vérité ". Ils abandonnent ainsi l’Evangile, poursuit Léon, et embrassent les mensonges du diable : " repoussez donc tous rapports avec des ennemis de la foi catholique, ces ennemis de l’Eglise, ces négateurs de l’incarnation dominicale, ces démolisseurs du symbole institué par les saints apôtres. " Serm., XCVI, 1. Exécrez-les, fuyez-les et refusez de leur parler, si, repris par vous, ils ont refusé de se corriger. Léon pense à la condamnation d’Eutychès, il entend préserver ses ouailles romaines des Eutychianæ impietatis contagia, et il les félicite d’avoir jusqu’ici par la protection de Dieu été exemplairement attachés à la foi catholique. Ibid., 3. On trouvera des déclarations semblables dans Serm., LXXII, 5 et 7 : la fête de la Résurrection n’est pas pour les hérétiques qui pensent incorrectement de l’incarnation, aut minuendo quod est deitatis, aut evacuando quod est carnis. Ceux qui limitent la part de la divinité sont les adeptes de Nestorius qui est comparé d’ailleurs à Photin, Serm., XCVI, 2, ceux qui évacuent l’humanité sont les monophysites. Les uns et les autres ab Evangelio dissentiut et symbolo contradicunt.

Saint Léon connaît d’autres hérétiques : Basilide, Marcion, Sabellius, Photin, Arius, Eunomius. Serm., XVI, 3. Ailleurs, il énumère Arius, Macédonius, Sabellius, Apollinaire. Serm., XXIV, 5. Ailleurs Photin et Apollinaire. Serm., XCVI, 2 ; Epist., LIX, 5. Ailleurs les patripassiens, Epist., XV, 1, Paul de Samostase, ibid., 3, Cerdon et Marcion, ibid., 4, Valentin, Epist., XXXV, 1.

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Il parle durement d’Origène, Epist., XXXV, 3. Nous verrons dans une lettre qu’il adresse à l’évêque d’Aquilée, saint Léon prendre des mesures énergiques contre des hérétiques, vivant ceux-là, et qui cherchaient à se dissimuler dans le clergé : ce sont des tenants de la Pelagiana sive Cælestinia hæresis, des pélagiens attardés. Epist., I. On signale des novatiens et des donatistes en Afrique, Epist., XII, 6 ; des priscillianistes en Espagne. Epist., XV, prol.

Il y a longtemps que l’on rencontre des manichéens à Rome : au temps du pape Damase, en dépit des lois impériales qui les visent, ils ne paraissent nullement inquiétés, et par saint Augustin, qui est alors des leurs, nous savons qu’ils possèdent à Rome une communauté importante. Confess., V, 19. Cf. Duchesne, Lib. pontif., t. I, p. 169, note 3. Au temps de saint Léon, leur condition est devenue plus difficile : ils sont une secte et se dissimulent dans les rangs mêmes des fidèles. Léon exhorte ses fidèles à les dénoncer aux prêtres : Manichæos ubicumque latentes vestris presbyteris publicetis. Serm., IX, 4. Souligner latentes, ils se cachent ; presbyteris, on devra les dénoncer aux prêtres des paroisses ou titres. On ne peut tolérer ces gens qui rejettent la loi de Moïse, qui rejettent les prophètes qui critiquent les psaumes de David, qui nient la naissance du Seigneur selon la chair, qui tiennent pour apparente sa passion, sa résurrection, qui dépouillent le baptême de toute vertu régénérante. Ibid. Léon y revient dans le Sermo XVI. Il voit dans le manichéisme la sentine de toutes les erreurs et de toutes les abominations. Il parle de l’enquête (inquisito) qu’il vient d’instituer : il a réuni les évêques présents à Rome, les prêtres du clergé romain, et avec eux des chrétiens de qualité : il a fait comparaître devant le tribunal qu’il présidait ceux des manichéens qui avaient été arrêtés et qui étaient des principaux de la secte. Les prévenus ont parlé, ils ont révélé la perversité de leur doctrine et les pratiques abominables de leur culte, ils ont révélé notamment un infandum facinus dont a été victime une enfant de dix ans et auquel a présidé un évêque manichéen. Léon ne veut pas insister en chaire sur un sujet qui offense toute pudeur, gestorum documenta sufficiunt, les procès-verbaux de l’enquête sont là. Serm., XVI, 4. Ces gens exécrables, qu’ont amenés à Rome en plus grand nombre les troubles des autres régions (l’Afrique sans doute en premier), il faut n’avoir aucun commerce avec eux. Si vous savez où ils habitent, où ils enseignent, qui ils fréquentent, vous devez nous le faire connaître. La vigilance nous est un commun devoir. Ibid., 5. Ce qui a été fait ne suffit pas, eadem inquisitio perseveret. Ibid., 6. On pourra comparer une action pareille menée à Carthage contre des manichéens que l’on y a découverts, et signalée en 428 par sain Augustin, De hæresibus, 46.

Les manichéens reparaissent maintes fois dans les sermons de saint Léon. Serm., XXII, 6 ; XXIV, 4-5 ; XLVII, 2. Voyez surtout LXXVI, 6. Léon connaît leurs Ecritures : ils rejettent l’Ancien Testament et ont un Nouveau Testament à leur façon : Ipsas evangelicas et apostolicas paginas quædam auferendo et quædam inserendo violaverunt, confingentes sibi sub apostolorum nominibus et sub verbis ipsius Salvatoris multa volumina falsitatis quibus erroris sui commenta munirent. Serm., XXXIV, 4. Léon sait qu’ils pratiquent des abstinences d’aliments, vraies caricatures de nos jeûnes : Væ illorum dogmati, apud quod etiam jejunando peccatur. Serm., XLII, 4. En l’honneur du soleil et de la lune, ils jeûnent le dimanche et le lundi. Ibid., 5. Pour se mieux dissimuler, ils prennent part aux assemblées chrétiennes, ils vont jusqu’à communier, in sacramentum communione se temperant, recevant indignement le corps du Christ, mais

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cependant refusant de toucher au calice, ita ut ore Christi corpus accipiant, sanguinem autem redemptionis nostræ haurire omnino declinent. Ibid.

Les juifs sont stigmatisés pour leur perfidie, en tant qu’ils sont responsables de la passion et de la mort du Christ, mais saint Léon veut que l’on imite à leur égard la miséricorde du Christ : Nos quoque cum beato Paulo apostolo nostras jungimus preces, et ut ille populus misericordiam consequatur optamus ob cujus offensionem gratiam reconciliationis accepimus. Serm., LXX, 2. Allusion à la prière pour les juifs dans la liturgie. Il ne semble pas que les juifs aient, soit à Rome, soit ailleurs, donné de souci à saint Léon. Voir Serm., LXXIX, 2 ; LXXXIX, 1 (texte curieux sur les nudipedalia que pratiquent les juifs à l’occasion de certains jeûnes).

Le Liber pontificalis a quelques indications sur les fondations ou les donations de saint Léon à Rome. Au lendemain de la clades vandalica de 455, où toutes les églises durent être pillées, il donna à chacun des titres les pièces d’orfèvrerie nécessaires à la liturgie. Duchesne, Lib. pont., t. I, p. 259 et n. 5.

Il aurait refait la basilique de Saint-Pierre : en réalité, on ne trouve trace de l’intervention de saint Léon que dans la mosaïque qui couvrait la façade de la basilique : mais il est possible qu’il ait fait refaire la mosaïque de l’abside. Duchesne, n. 6. Il aurait refait pareillement la basilique de Saint-Paul, qui avait été victime de la foudre. La Mosaïque de l’abside, bien que très retouchée, serait un beau monument de la foi christologique de saint Léon. On sait grâce à une inscription commémorative que le toit de la basilique s’était effondré et que saint Léon le restaura. Duchesne, n. 7.

Le Liber pontificalis attribue à saint Léon l’abside de la basilique du Latran. Il est vrai que l’inscription dédicatoire de la mosaïque de la dite abside fait honneur de la mosaïque à Fl. Constantin Félix, qui fut consul en 428, et mourut assassiné en 430. Duchesne, n. 8. Le Liber attribue à saint Léon une basilique élevée en l’honneur du pape Cornélius, juxta cymeterium Calisti via Appia, mentionnée dans deux des itinéraires du VIIe siècle, complètement disparue ensuite. Duchesne, n. 9.

Il n’est pas parlé d’écoles chrétiennes à Rome dans les six premiers siècles.

Le Liber pontificalis mentionne que saint Léon établit un monastère auprès de la basilique de Saint-Pierre. Une glose d’un ms. du Liber dit que ce monastère est celui des Saints-Jean-et-Paul, qui existait au VIIIe siècle. Le monastère fondé par sain Léon est le premier que nous voyons établi à Rome par un pape. Le pape Xyste (432-440), en avait sans doute établi un auprès de la catacombe de Saint-Sébastien, mais on était là sur la voie Appienne, loin déjà de l’enceinte d’Aurélien. Le monastère établi au Vatican a une autre importance, en tant qu’il paraît destiné à entretenir l’office divin, en tant aussi qu’il met les moines à Rome au service et sous la main de l’évêque. Sur les monastères en quelque sorte spontanés du temps de sainte Marcelle, voir S. Jérôme, Epist., CXXVII, 8.

L’Eglise de Rome ne pouvait manquer d’avoir des vierges consacrées au Seigneur, l’épigraphie chrétienne de Rome en signale maintes fois. Le Liber parle, non plus de vierges, mais de monachæ, et il nous apprend que saint Léon interdit de leur imposer le voile, velaminis capitis benedictionem, sinon après soixante ans de probation, nisi probata fuerit in virginitate LX annorum. Cette sévérité ne répond pas aux canons observés de ce temps en Afrique, en Espagne, en Gaule, et un édit de l’empereur Majorien (457-461) fixe à quarante ans l’âge requis pour la velatio virginum. Duchesne, n. 13, a donc tout raison d’élever des doutes sur l’assertion du Liber.

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Mentionnons encore deux informations du Liber pontificalis. Saint Léon serait le pape qui aurait introduit intra actionem sacrificii les mots sanctum sacrificium et cetera. Les traits d’histoire liturgique sont dans le Liber d’un médiocre aloi. Duchesne, n. 12, ne fait pas difficulté sur celui-ci, et il suppose que les qualifications de saint et d’immaculé appliqués au sacrifice de Melchisédech peuvent viser les manichéens qui avaient horreur du vin et n’en usaient pas dans leur propre eucharistie. Cf. S. Augustin, Contra Faust., XVI, 21 et XX, 13. ? L’autre information concerne les sepulcra apostolorum, c’est-à-dire les confessions de Saint Pierre et de Saint Paul : Léon institua des custodes, auxquels on donna le nom de cubicularii, et qui étaient triés des rangs inférieurs du clergé romain. Le terme cubicularii est pris au langage de la cour impériale et rappelle le service de la chambre du prince. Ces chambellans des deux confessions avaient sans doute à en assurer la garde et à veiller sur les trésors qui les remplissaient. L’épigraphie romaine connaît des cubicularii soit de Saint Paul, soit de Saint Pierre, au VIe siècle. Duchesne, n. 14.

L’évêque de Rome et les évêchés suburbicaires. ? Par ?glises suburbicaires on entend les Eglises des regiones suburbicariæ, c’est-à-dire des dix provinces ressortissant au vicarius Urbis, par opposition au vicarius Italiæ. Ces dix provinces sont : la Toscane et l’Ombrie, la Campanie, la Lucanie et le Brutium, l’Apulie et la Calabre, le Samnium, le Picénum suburbicaire, la Valérie, la Sicile, la Sardaigne, la Corse. On sait que les provinces suburbicaires n’ont aucune autonomie ecclésiastique provinciale : elles n’ont ni conciles provinciaux, ni métropolitains ; l’évêque de Rome a pour elles son concile et il leur sert de métropolitain. Chaque Eglise suburbicaire, le siège vacant, élit son évêque ; l’élection doit être ensuite approuvée à Rome et l’élu ordonné à Rome. Les évêques du ressort métropolitain sont tenus de venir à Rome au moins une fois l’an, pour le natale du pape. Ils doivent s’adresser au pape pour éclaircir leurs doutes, pour résoudre leurs conflits. Au pape doivent être dénoncés les désordres, et il avise à les corriger : il est avec son concile le juge des évêques ses suffragants, il les dépose au besoin : il les tient dans une sujétion affectueuse, respectueuse des canons, mais étroite. Tel est le régime avant saint Léon. Voir mon Siège apostolique, 1924, p. 151-170.

Nous avons noté la présence de nombreux évêques chaque année au natale du pape. D’autre part, le Liber pontificalis relate que saint Léon, en vingt-et-un ans de pontificat, a ordonné episcopos per diversa loca CLXXXV. Ce chiffre ne doit pas nous étonner, car les provinces suburbicaires comptaient plus de deux cents évêchés. On a du 10 octobre 443, Jaffé, n. 402, une lettre de Léon aux évêques de Campanie, Picénum et Toscane ; elle est portée aux dites provinces par trois évêques qui apparemment ont pris part au concile du natale du pape et sont de ces provinces. (Tous les évêques, en effet ne venaient pas au natale). Léon se plaint qu’ait élevé à l’épiscopat des hommes de condition servile, et veut qu’on s’en abstienne désormais. Il se plaint qu’on ait admis dans le clergé des hommes mariés à des veuves ou des hommes plusieurs fois mariés : il faut qu’on les écarte, la bonne foi n’excuse pas dans l’espèce : on doit observer les decretalia constituta du pape Innocent et de tous nos prédécesseurs. Nul ne sera de notre communion qui n’acceptera pas notre discipline. Souligner l’expression decretalia constituta, et que ces décrétales sont dites émaner des évêques de Rome, et qu’elles sont imposées sous peine de retrait de la communion. Remarquer aussi la rigueur du langage du pape, mais cette rigueur est de style, aussi bien à Rome qu’à

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Ravenne, et elle est tempérée dans la pratique par beaucoup d’indulgence, comme aussi par la difficulté de sévir.

Une lettre du 21 octobre 447 à tous les évêques de Sicile, Jaffé, n. 414, nous apprend que, par de sûrs rapports, sans doute au concile du natale, le pape a connu qu’en Sicile on administre le baptême à l’Epiphanie plus qu’à Pâques. Les évêques actuels ou leurs prédécesseurs ne seraient pas tombés dans cette erreur, s’ils s’étaient conformés en tout à la loi de l’Eglise romaine où ils ont reçu l’ordination épiscopale. Cette fois Léon usera d’indulgence, mais si quelqu’un croyait désormais pouvoir négliger en quoi que ce fût les apostolicas regulas, une sanction devrait être prononcée. Deux évêques, Baccillus et Paschasinus, portent en Sicile la présente lettre : ils auront à faire un rapport au pape sur la révérence avec laquelle leurs collègues observent les apostolicæ Sedis instituta.

A la même date, 21 octobre 447, autre lettre à tous les évêques de Sicile, Jaffé, n. 415, pour leur notifier que l’on a accueilli au concile du natale la plainte du clergé de Tauroménium, accusant son évêque d’avoir dissipé le patrimoine de l’Eglise. Pareille plainte du clergé de Palerme. Une ordonnance a été expédiée à Tauroménium et à Palerme, en vue de pourvoir aux intérêts des deux Eglises dilapidées. Nous n’avons pas les deux ordonnances. Le pape en fait connaître le sens à tout l’épiscopat sicilien : aucun évêque ne peut disposer des biens de son Eglise, par donation, échange ou vente, sans le consentement de tout son clergé : les prêtres, diacres ou clercs de quelque degré que ce soit, qui auront coopéré avec l’évêque au dommage de l’Eglise, s’exposeront à être déposés et excommuniés. Il faut que les donations faites à l’Eglise soient intangibles.

Les deux évêques de Tauroménium et de Palerme sont dénoncés à Rome par leur clergé respectif : la plainte est instruite à Rome, le pape ne craint pas d’imposer aux évêques le contrôle par tout leur clergé de la gestion du patrimoine de leur Eglise. Des sanctions sévères seront sont prévues, mais ici encore au futur. Rapprocher la lettre du 8 mars 448 à Dorus, évêque de Bénévent, Jaffé, n. 417, que Léon rappelle au respect des auctoritates du Siège apostolique, c’est-à-dire à l’observation des lettres du pape. Dorus a été dénoncé à Rome par un prêtre de Bénévent. Rapprocher la lettre, 6 mars 459, aux évêques de Campanie Samnium et Picénum, Jaffé, n. 545 : interdiction de baptiser au natale des martyrs, il faut baptiser soit la veille de Pâques, soit la veille de Pentecôte, et tenir à la préparation catéchétique de rigueur. Les évêques qui contreviendront à la tradition apostolique s’exposeront à être déposés. La sanction est toujours au futur.

Le concile de Rome est saisi, le pape prononce, le pape menace : ses suffragants lui sont assujettis de très court. Cependant la rigueur de ce régime se tempère de beaucoup de respect et de charité. Pour le respect, nous l’avons noté dans les sermons prononcés par saint Léon à l’occasion de son natale. Pour la charité, nous en avons un indice dans la lettre qu’écrit au pape, en 443, un évêque sicilien, Paschasinus de Lilibée (Marsala). La Sicile a été envahie par les Vandales, en 440 : l’évêque de Lilibée y a perdu les biens de son Eglise et a été un temps en captivité. Le pape lui a envoyé des secours par le diacre Silanus de Palerme, ce qui permet de croire que l’évêque de Lilibée n’est pas le seul que Léon a secouru en Sicile. Paschasinus est un évêque dont le pape estime la science, il lui a écrit une lettre de consolation et du même coup l’a consulté sur la date de Pâques de 444. La réponse de Paschasinus en donnant au pape la solution qu’il a demandée, lui apporte la reconnaissance de l’évêque : " L’écrit de votre apostolat, dit-il, qui a porté conso-

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lation et remède à ma nudité et aux misères que m’a values ma très amère captivité, a été pour mon esprit une rosée céleste et bienfaisante et a essuyé toute ma tristesse, seigneur vénérable pape. " Inter S. Leon. Epist., III.

L’évêque de Rome et l’Italie non suburbicaire. ? Le ressort du vicarius Italiæ comprend sept provinces : la Ligurie, l’Emilie, la Flaminie jointe au Picenum annonarium, la Vénétie et Istrie, les Alpes Cottiennes, les deux Rhéties. Milan était au temps de saint Ambroise la résidence de la cour impériale : l’évêque de Milan avait un ressort métropolitain qui coïncidait avec celui du vicarius Italiæ en résidence à Milan. Au début du Ve siècle, Aquilée s’est soustraite à la primatie de Milan. Quand Ravenne est devenue résidence impériale, en 404, son évêque a travaillé à se faire une primatie : c’est chose acquise entre 425 et 431. L’Emilie prise au ressort de Milan, la Flaminie au ressort de Rome, forment le ressort de Ravenne ; mais il est réglé que l’évêque de Ravenne devra être ordonné à Rome et assister aux conciles romains comme les évêques suburbicaires. Siège apostolique, p. 157 et 178. F. Lanzoni, Le origini delle diocesi antiche d’Italia, 1923, p. 464-468.

Sur les rapports de Rome et de Milan, nous avons la lettre qu’adresse à saint Léon, en 451, Eusèbe, évêque de Milan. Inter S. Leon. Epist., XCVII. Sur l’invitation du pape, un concile a été tenu à Milan (août ou septembre 451), qui réunit autour de l’évêque de Milan dix-huit évêques de son ressort métropolitain. Eusèbe dans sa lettre résume le concile. On a lu d’abord la lettre du pape qui le prescrivait. On a lu ensuite la lettre de Léon à Flavien, que le pape désire voir souscrire par les évêques. Ceux-ci condamnent aussitôt les impiétés d’Eutychès conformément à la sentence du pape dans sa lettre. La lettre d’Eusèbe est souscrite par les évêques présents ou représentés au concile. Elle témoigne de leur déférence et de leur admiration pour saint Léon. Mais il s’agit de là de la foi catholique, et non de l’administration de leurs Eglises.

Sur les rapports de Rome et d’Aquilée, nous avons connaissance d’une plainte adressée à Rome par Septimus, évêque d’Altinum : le pape remercie Septimus de la relatio. Jaffé, n. 399. En même temps, il écrit à l’évêque d’Aquilée, Jaffé, n. 398 : il lui reproche, sur la dénonciation de Septimus, d’avoir accueilli des prêtres, des diacres, des clercs de divers degrés, entachés de pélagianisme, sans leur demander rétractation de leur erreur. Le langage de saint Léon n’est pas indulgent : il parle d’évêques dont la vigilance sommeille : il parle de mépris de " l’autorité des canons et de nos décrets. " Il faut, et c’est un ordre, hac nostri auctoritate præcepti industriæ tuæ fraternitatis indicimus, que l’évêque d’Aquilée convoque en concile les évêques de son ressort, et que les pélagiens si imprudemment accueillis soient mis en demeure de souscrire les decreta synodalia quæ ad excisionem hujus hæresos apostolicæ Sedis confirmavit auctoritas. ? Du 30 d?cembre 447, on a une lettre de Léon à l’évêque d’Aquilée Januarius, Jaffé, n. 416, en réponse à une lettre de Januarius : le pape le félicite de sa vigilance. Il lui confirme que les prêtres, diacres, sous-diacres et clercs de n’importe quel degré, qui reviendront de quelque hérésie ou de quelque schisme, ne doivent pas être reçus dans la communion catholique sans avoir donné une juste preuve de leur conversion. Ils devront condamner leurs erreurs et les auteurs de ces erreurs. Ils devront n’espérer aucune promotion, heureux encore d’être reçus dans leur ordre. Encore faut-il qu’ils n’aient pas été rebaptisés, si tamen iterata tinctione non fuerint maculati. ? Du 21 mars 458, on a une lettre de L?on à l’évêque d’Aquilée Nicétas, Jaffé, n. 536, en réponse à une consultation demandée par ledit

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évêque. Des hommes ont emmenés en captivité par les Huns, et leurs femmes, désespérant de leur retour, se sont remariées : que doit-on faire quand le premier mari revient ? Comment doit-on traiter les fidèles, qui, en captivité, ont mangé des viandes immolées aux idoles ? Ceux qui se sont laissé rebaptiser ? Ceux qui ont accepté le baptême des hérétiques ? Nicétas veut savoir sur ces points auctoritatem apostolicæ Sedis. Le pape lui donne la solution de ses doutes. Et il le prie, en terminant, de communiquer sa lettre à ses comprovinciaux pour qu’elle règle leur conduite à tous.

Sur les rapports de Rome et de Ravenne, nous rencontrons en 458, Jaffé, n. 543, la réponse donnée à des évêques dont Ravenne est la métropole. Cette lettre du pape est adressée, non pas aux évêques qui ont consulté Rome, mais à leur métropolitain l’évêque de Ravenne, Néon, qui devra la faire connaître à ses comprovinciaux.

A en juger sur ces quelques lettres, on voit quelle différence il y a entre le régime des Eglises suburbicaires et celui des Eglise groupées autour des métropoles de Milan, d’Aquilée, de Ravenne. Le pape a la sollicitude l’ordre et on s’adresse à lui pour le redressement des torts : sa juridiction se reconnaît à cela. On s’adresse à lui pour fixer la discipline des cas nouveaux : le pape peut parler de ses décrétales. C’est surtout en matière de foi que son autorité s’impose souverainement. Nous en avons confirmation dans la réponse que, en février 449, l’évêque de Ravenne, saint Pierre Chrysologue, adresse à Eutychès, qui a pensé l’intéresser à sa cause. L’évêque invite le moine rebelle à s’en rapporter docilement à ce qu’a écrit " le bienheureux pape de la ville de Rome ", parce que " le bienheureux Pierre, qui sur son propre siège vit et préside, assure à ceux qui la cherchent la vérité de la foi ". L’évêque de Ravenne ajoute : " Pour nous, par amour de la paix et de la foi, nous ne pouvons pas connaître des causes de la foi en dehors du consentement de l’évêque de la ville de Rome, extra consensum romanæ civitatis episcopi causas fidei audire non possumus. " Inter S. Leon. Epist., XXV.

Saint Léon et la cour de Ravenne. ? L’empereur Honorius est mort en 423, sans autre h?ritier que son neveu Valentinien, fils de sa sœur Galla Placidia (mariée en secondes noces à Constantin) : l’enfant est élevé à Constantinople. L’empereur Théodose II, à Constantinople s’est trouvé le seul empereur à la mort d’Honorius : on put croire que l’empire allait être réuni entre ses mains. En Occident, le pouvoir fut usurpé incontinent par le primicier des notaires, Jean, qui prit la pourpre à Rome. Théodose II refusa de le reconnaître et se résolut à créer Auguste le jeune Valentinien, qu’il fiança à sa fille Licinia Eudoxia, bien qu’il ne fût âge que de cinq ans ; puis une armée eut mission de conduire Valentinien III en Italie ; l’usurpateur assiégé dans Ravenne fut pris et décapité, et Valentinien III commença de régner sous la tutelle de sa mère Galla Placidia. Duchesne a écrit : Ce n’est pas une main de femme qu’en un tel moment, il eût fallu au gouvernail. Les hommes qui entouraient la régente, les Félis, les Aèce, les Boniface, passaient leur temps à intriguer les uns contre les autres, à se contrecarrer, à s’entre-supprimer. Aèce parvint en assez peu de temps à se débarrasser de ses rivaux, Félix (430) et Boniface (432), et s’imposa tout à fait à Placidie. Pendant une vingtaine d’années, c’est lui qui fût le maître. " Histoire ancienne de l’Eglise, 1910, t. III, p. 581-582.

Nous avons vu que, au moment de la mort du pape Xyste III (19 août 440), saint Léon était en Gaule, où il avait été envoyé pour raccommoder Aèce et le préfet du prétoire Albinus. Il est de toute vraisem-

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blance qu’il avait reçu cette mission tant du pape Xyste que de l’impératrice Galla Placidia, disons de Valentinien III. La cour de Ravenne devait être affolée : les Vandales s’étaient emparés de Carthage (19 octobre 439) et, maître de l’Afrique romaine, menaçaient maintenant l’Italie. Valentinien III quitta Ravenne pour s’établir à Rome : une loi du 2 mars 440, adressée au peuple romain, nous apprend qu’on travaillait à réparer les murs de Rome et que le préfet de Rome aurait droit de réquisitionner pour ce travail tous les habitants de Rome sans exception. Martroye, Genséric, p. 130. La mission auprès d’Aèce avait sans aucun doute pour but de contribuer au salut de l’Italie. Son élection, dans ces circonstances tragiques, dut être considérée comme une mesure de salut public.

Le danger vandale n’était que trop réel. Genséric cependant se contenta de ravager la Sicile, qu’il occupa de 440 à 442 : on se rappelle la lettre de l’évêque de Lilibée (Marsala) remerciant le pape de ses secours. En 442, un traité intervint entre Genséric et Valentinien III, qui pour écarter les Vandales de l’Italie leur cédait la moitié de l’Afrique romaine.

Valentinien III séjourna à Rome à plusieurs reprises, si nous nous en rapportons aux indications de lieux de signature que donnent soit le Code théodosien, soit les novelles postérieures à la promulgation du Code. Il est à Rome en 426 (3 et 30 janvier), puis en 443, (13 mars et 23 décembre) ; de 445, (18 janvier), à 447 (3 juin) ; en 450 (5 mars), jusqu’en 455, où il meurt.

Les sermons de saint Léon nous ont le dit le souci que lui donna la poursuite des manichéens à Rome. Une lettre du pape, Jaffé, n. 405, adressée Ad episcopos per Italiam et qui a trait à la même affaire, porte la date du 30 janvier 444. Saint Léon expose qu’il a obtenu de certains de ces manichéens de Rome qu’ils abjurent publiquement dans l’église et qu’ils signent leur abjuration, après quoi on leur imposé la pénitence. Quant à ceux qui sont obstinés, ils tombent sous le coup des lois et des constitutions des princes chrétiens Per publicos judices perpetuo sunt exilio relegati. Indication intéressante : l’enquête a été conduite par l’évêque, les coupables qui n’abjurent pas sont livrés au magistrat. Saint Léon notifie ces choses aux évêques d’Italie, afin qu’ils veillent à ce que les manichéens frappés à Rome n’aillent pas se réfugier dans d’autres Eglises et continuer leur propagande. Cette lettre du 30 janvier 344 sera suivie d’une constitution de Valentinien III du 19 juin 445, Inter S. Leon. Epist., VIII ; constitution datée de Rome et adressée au préfet du prétoire Albinus que nous connaissons.

Valentinien rappelle les sévérités rigoureuses édictées par les empereurs avant lui contre les manichéens, il rappelle surtout les horreurs qui ont été révélées, in judicio beatissimi papæ Leonis coram senatu amplissimo, et que l’évêque manichéen a lui-même reconnues. Valentinien ne peut laisser impunis ces crimes, qui sont des outrages à la divinité et vont à la corruption des âmes. On appliquera donc aux manichéens les lois qui frappent les sacrilèges. Suit le détail des sanctions pénales. Le préfet du prétoire est chargé de publier la présente constitution dans toutes les provinces. L’action de Valentinien III est consécutive à l’action de saint Léon, on ne peut se refuser à croire à une entente concertée entre les deux pouvoirs.

Ce concert s’affirmera bien plus nettement encore avec la constitution de Valentinien III du 8 juillet 445, que nous étudions plus loin. Tout autant avec les lettres que Léon obtiendra que Valentinien III écrive à Théodose II, en février 450, pour réclamer l’annulation du brigandage d’Ephèse d’août 449.

En 452, Attila descend en Italie, franchissant les Alpes Juliennes, ravageant la Vénétie et la Ligurie : il

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se dispose à marcher sur Rome. Valentinien III est à Rome, mais il ne dispose d’aucune force sérieuse pour la couvrir, et Rome ne pourra résister assez longtemps pour permettre à Aèce de venir de Gaule à son secours. Afin d’éviter un désastre, Valentinien III se résigne à négocier avec le roi des Huns. Une ambassade est envoyée qui est composée des trois personnages les plus importants de Rome : Aviénus, qui a été consul en 450, Trigétius ancien préfet (on ne dit pas de quelle préfecture) et le pape Léon. Prosper, Chronic., an. 452, représente saint Léon comme le véritable ambassadeur : " Il entreprit cette affaire, avec le consulaire Aviénus et l’ex-préfet Trigétius, confiant dans le secours de Dieu qu’il savait n’avoir jamais manqué aux labeurs des gens de piété. Sa foi ne fut pas trompée. Attila reçut toute la légation avec dignité, et il se réjouit tant de la présence du summus sacerdos, qu’il décida de renoncer à la guerre et de se retirer derrière le Danube après avoir promis la paix. " Attila avait peut-être raisons de ne pas poursuivre sa campagne d’Italie, saint Léon n’en fut pas moins écouté, et cela importe surtout. Prosper qui est le contemporain de saint Léon, ne connaît rien des traits légendaires dont on a paré le souvenir de la rencontre d’Attila et du pape, non loin de Mantoue, au confluent du Mincio et du Pô. On raconta, en effet, que, au moment où Léon parlait à Attila, celui-ci aurait eu la vision de Pierre et Paul se montrant dans les airs au-dessus du pape. Cette scène a été popularisée par Jacques de Voragine et par Raphaël, mais, observe le P. Grisar, " devant le silence des sources contemporaines, ces créations de l’art ne sauraient détourner l’historien de rechercher quand ce récit parut pour la première fois. Jusqu’à présent, la plus ancienne trace que l’on en trouve est dans Paul Diacre, aux environs de l’an 800. " H. Grisar, Histoire de Rome et des papes au Moyen Age, trad. franç., t. I, 1906, p. 332.

Nul doute que la démarche de saint Léon ait frappé l’esprit de tous. En 510, les évêques orientaux invoquent le secours du pape Symmaque, lui rappelleront son prédécesseur Léon allant en personne à la rencontre d’Attila et réclamant la délivrance des prisonniers, non seulement chrétiens, mais juifs et païens. P. L., t. LXII, col. 59.

L’ambassade de saint Léon auprès d’Attila doit se placer en 452, à l’automne. Attila évacua l’Italie, comme il l’avait promis : en 454, il mourut d’une mort bien capable de frapper l’imagination des contemporains. L’Italie était délivrée, mais Attila n’était pas mort, quand saint Léon écrit, 11 mars 453, à l’évêque Julien de Kos, qui lui sert d’agent à Constantinople. Julien lui a dit son émoi à la nouvelle des malheurs de l’Italie envahie. " J’ai reconnu les sentiments de ta dilection fraternelle, lui répond le pape, à la compassion que tu as pour les maux si monstrueux et si cruels que nous avons soufferts. Plaise à Dieu que ces maux, qu’il a permis ou voulu que nous souffrions, servent à la correction des survivants, et que, les malheurs cessant, cessent aussi les offenses. Ce sera encore une grande miséricorde de Dieu, s’il écarte les fléaux et convertit les cœurs. " Jaffé, n. 489. Cette allusion est la seule que l’on relève chez saint Léon à l’invasion d’Attila, et saint Léon lui-même ne nous révèle rien du grand rôle qui a été le sien dans ces événements.

Galla Placidia était morte le 27 novembre 450 laissant Valentinien III, incapable de se conduire, à la merci de son favori, l’eunuque Héraclius. On persuada à Valentinien III de se débarrasser d’Aèce, le dernier rempart de l’empire : Aèce fut assassiné sous les yeux mêmes de l’empereur, à Rome, le 21 septembre 454. Quelques mois plus tard, à Rome, Valentinien III était à son tour assassiné, le 16 mars 455. Martroye, p. 150-154. La lignée mâle de Théodose, qui s’éteignait avec

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lui, faisait un pitoyable fin. Supposé que l’on doive suspecter les récits de Procope au sujet du Valentinien III, quelle pauvre figure que celle de ce prince " sans force et sans cœur ", comme dit Tillemont, " empereur de palais dont jamais les armées ne virent la majesté pâle ", comme dit Duchesne ! On n’en est pas moins déconcerté de ne trouver chez saint Léon pas un mot de remerciement ou de commisération à son adresse.

Valentinien III fut remplacé le jour même de sa mort par le sénateur Pétronius Maximus. Genséric jugea le moment favorable pour tenter un coup sur Rome, sa flotte parut à l’embouchure du Tibre. La panique fut aussitôt immense à Rome et tout ce qui pouvait fuir fuyait : l’empereur Pétronius Maximus fut tué par des soldats au moment où il prenait lui-même la fuite, le 31 mai 455 : il avait régné soixante-dix-sept jours. Trois jours après, Genséric entra dans Rome. Saint Léon, accompagné de tout le clergé, vint à la rencontre du roi des Vandales, à la Porta Portuensis, dans l’espoir qu’il réussirait auprès de lui comme il avait réussi auprès du roi des Huns : il obtint que les Vandales ne brûleraient pas Rome et ne massacreraient pas ses habitants, mais il ne put préserver la ville d’un pillage qui dura quatorze jours. Grisar, t. I, p. 79-82 ; Martroye, p. 159-161.

On a des détails sur ce pillage. Les chariots ne se comptaient pas qui emportaient les richesses enlevées aux temples, aux églises, aux palais. Procope signale parmi ces richesses les dépouilles du temple de Jérusalem, apportées jadis par Titus et déposées par Vespasien dans le Temple de la Paix, mais ces dépouilles subsistaient-elles encore ? Grisar note que, si les églises de Rome souffrirent toutes du pillage des Vandales, seules la basilique de Saint-Pierre, la basilique de Saint-Paul, peut-être la basilique du Latran, furent épargnées. Grisar, p. 81-82.La confession de Saint-Pierre possédait une grande pièce d’orfèvrerie en or, où figuraient le Christ et les douze apôtres dans une série d’arcades décorées de pierres précieuses : c’était un ex-voto offert par Valentinien III, du temps du pape Xyste. Nous savons que cette pièce d’orfèvrerie échappa au sac de Genséric, et elle subsistait à l’époque de Charlemagne. Duchesne, Lib. pontif., t. I, p. 235, n. 8.

Genséric évacua Rome et l’Italie, emmenant des milliers de prisonniers, au premier rang desquels étaient Licinia Eudoxia, veuve de Valentinien III, et ses deux filles Eudoxia et Placidia.

A Constantinople, le successeur de Théodose II, l’honnête Marcien, ne reconnut pas Pétronius Maximus, et se considéra comme l’unique empereur de tout l’Empire romain, mais il ne pouvait rien contre Genséric, qui mit la main sur ce qui restait aux Romains en Afrique. Cependant, en Occident, l’homme que Pétronius Maximus avait placé à la tête de l’armée, Eparchius Avitus, se faisait proclamer empereur à Arles le 29 août 455, et arrivait à Rome le 21 septembre : le sénat le reconnut, et Marcien à son tour le reconnut. Mais à la tête de l’armée était maintenant Ricimer, suève d’origine et arien : en 456, il montra sa valeur en arrêtant la flotte vandale qui menaçait de nouveau l’Italie. Le 18 octobre 456, il déposait Avitus. Il allait demeurer jusqu’à sa mort (472) le maître de l’Italie, sans oser se faire roi ou empereur. Le 1er avril 457, après un interrègne de près de cinq mois, il revêtait de la pourpre Majorien. Le choix eût été heureux, si Ricimer n’avait vite pris ombrage des desseins de l’empereur et ne l’avait déposé (2 août 461) et mis à mort (7 août). Il le remplaça par une ombre d’empereur, Libius Sévérus, (19 novembre 461), qui occupa l’emploi jusqu’au 15 septembre 465 où il mourut. Ricimer alors se tournera vers Constantinople et

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demandera à l’empereur Léon de se donner un collègue occidental, ce sera Anthémius, inauguré à Rome le 12 avril 467. Duchesne, Histoire ancienne, t. II, p. 648-651 ; Martroye, p. 167 sq.

Saint Léon a donc été le témoin de ces évènements, de l’assassinat de l’empereur Maximus à Rome en 455, du sac de Rome par les Vandales en 455, de la perte de l’Afrique romaine, de l’inauguration de l’empereur Avitus en 455, de la fortune de l’arien Ricimer, de la déposition d’Avitus, de l’avènement de Majorien. Ces évènements n’ont laissé aucune trace dans les écrits de saint Léon, à l’exception du sac de Rome par les Vandales, au sujet duquel nous l’avons vu reprocher à ses auditeurs romains leur ingratitude envers les saints apôtres qui les ont libérés. " On ne trouve point qu’il ait pris d’autre part à ces malheurs, " écrit Tillemont, t. XV, p. 779.

III. SAINT LEON ET L’OCCIDENT. ? 1° Saint Léon et les Gallo-Romains. ? La Gaule romaine est bien r?duite maintenant. Les Francs sont à Trèves depuis 413, les Burgondes à Worms, les Goths se sont fait céder en 419 toute l’Aquitaine maritime de la Loire aux Pyrénées et Toulouse est leur capitale. Arles reste le siège de la préfecture romaine des Gaules et le quartier général d’Aèce. En 426, l’évêché d’Arles a été dévolu à saint Honorat, le fondateur de Lérins, et après lui à son disciple saint Hilaire, 426-449, dont le prestige est grand, le zèle plus grand encore, et qui, avec le concours des autorités romaines, fait sentir sa sollicitude envahissante à tout ce qui reste en Gaule de pays romain. Sur l’expression Romania, qui apparaît dès-lors, voyez Epist., CLXVIII, 17, 18, et cf. une note de P. Monceaux, dans le Bulletin des Antiquaires de France, 1920, p. 152-157.

En 443 ou 444, étant à Auxerre chez l’évêque saint Germain, Hilaire accueille des gens de Besançon qui se plaignent de leur évêque Célidonius. Hilaire instruit aussitôt l’affaire en concile et met Célidonius en demeure de résigner l’épiscopat. Célidonius se rend à Rome avec ses témoins. Hilaire l’y suit, et, se présente au pape Léon. Celui-ci lui signifie que la cause sera examinée au concile romain, fin de 444 ou début de 445.

Hilaire s’y rend en effet, et, mis en cause lui-même, il semble avoir perdu tout son sang-froid et s’être laissé aller à reprocher au pape la domination qu’il prétendait exercer sur les Eglises de Gaule. Il dévoilait, dira saint Léon, Jaffé, n. 407, les secrets de son cœur, en des paroles que nul laïque n’aurait pu prononcer, nul évêque entendre. Le pape, en effet, prête à l’évêque d’Arles l’arrière-pensée de se soustraire à l’autorité du Siège apostolique, d’assujettir tous les évêques gallo-romains à la sienne, de s’attribuer leur ordination, d’accaparer les pouvoirs des métropolitains, de retenir les causes qui de droit sont à Rome. Ibid. Célidonius réhabilité, Hilaire avait à répondre de ses abus de pouvoir devant le concile romain : il préféra se dérober à cet examen : il prit la fuite et revint à Arles. La lettre de Divinæ cultum de saint Léon aux évêques de Viennoise, Jaffé, n. 407, est l’acte par lequel se prononce sur cette affaire.

Dieu, dit saint Léon, qui a fait prêcher la religion aux nations par les apôtres, a distribué cet office aux apôtres de sorte qu’il l’a confié à saint Pierre en premier, pour que, de saint Pierre comme de la tête, ses dons divins puissent se répandre dans tout le corps, et que l’on comprît que celui-là n’a point de part à l’économie divine qui ose se séparer de la solidité de Pierre. La présomption est impie de quiconque tente de briser la potestas de cette pierre sacrée, pours satisfaire son ambition, au mépris des exemples des anciens. Vous voudrez bien considérer que le Siège apostolique, eu égard à la révérence qui lui est due, a été consulté par les évêques de votre province d’innombrables

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fois, sous forme soit de consultations, soit d’appels. On voulait de part et d’autre préserver l’unité de l’esprit et le lien de la paix : la sollicitude de Rome ne cherchait pas son intérêt, mais celui du Christ, appliquée qu’elle était à respecter la dignité des Eglises et des évêques : Sollicitudo nostra. . . dignitatem divinitus datam nec Ecclesiis nec Ecclesiarum sacerdotibus abrogabat. Importante déclaration, où se définit le régime des relations des évêques gallo-romains et de Rome.

Le pape notifie donc que Célidonius s’est justifié et a été rétabli sur son siège. Autre cause, celle de l’évêque Projectus, qui, étant malade, a eu la surprise de voir Hilaire lui donner prématurément un successeur. Projectus n’étant pas un suffragant d’Arles, l’intervention d’Hilaire est deux fois un abus. Rome maintient donc Projectus en possession, et rappelle que le métropolitain de la province a seul mission d’ordonner un évêque dans as province. Il faut que l’évêque soit élu par ceux qu’il gouvernera : Qui præfuturus est omnibus, ab omnibus eligatur. Les conciles doivent être strictement provinciaux : défense à Hilaire de convoquer des conciles plus larges, défense d’intervenir dans des conciles qui ne seraient pas de sa province. Le pape termine sa lettre aux évêques de Viennoise en les exhortant à observer ce qu’il vient de leur prescrire par l’inspiration de Dieu et du bienheureux apôtre Pierre, et à considérer que ces prescriptions sont pour l’avantage non pas tant du Siège apostolique que des évêques : le pape entend défendre les évêques gallo-romains contre les entreprises de domination de l’évêque d’Arles et empêcher que leurs privilèges soient confisqués par lui. Le pape est pour le maintien du régime établi, pour l’ordre contre l’arbitraire : il n’y a pas à chercher de machiavélisme dans une politique d’ordre et de tradition que nous retrouverons partout la même.

La lettre Divinæ cultum, qui ne porte pas de date, fut expédiée aux évêques gallo-romains avec une constitution de Valentinien III, du 8 juillet 445, adressée par l’empereur à Aèce. Valentinien III est à cette date à Rome. Inter S. Leon. Epist., XI. L’empereur rappelle les abus commis par l’évêque d’Arles, Hilaire, abus qu’il ne connaît que par une relatio du pape Léon. Ces abus de pouvoir, offensants pour " la majesté de l’empire et pour le respect dû au Siège apostolique ", ont été instruits à Rome par le pape et une sentence a été prononcée contre Hilaire. Cette sentence n’avait pas besoin de la sanction impériale pour être reçue dans les Gaules : Quid enim tanti pontificis auctoritati in Ecclesiis non liceret ? L’empereur a tenu cependant à appuyer la sentence du pape, afin d’empêcher Hilaire ou tout autre d’aller contre les décisions de l’évêque de Rome. Défense aux évêques, tant des Gaule que des autres provinces, d’innover contre la coutume ancienne sans le consentement du pape de la Ville Eternelle. Leur loi et la loi de tous doit être ce que prescrit l’autorité du Siège apostolique. Tout évêque qui, cité à comparaître devant le tribunal de l’évêque romain, ne se sera pas présenté, y sera contraint par le gouverneur de la province ; tout gouverneur qui aura manqué à ce devoir sera frappé d’une amende de dix livres d’or. Valentinien énonce que le primatus du Siège apostolique est fondé sur le meritum de saint Pierre, qui est princeps episcopalis coronæ, et fondé sur la dignité de la ville de Rome : ce primatus a été confirmé par " l’autorité du sacré synode ". Aucune entreprise n’est recevable contre l’autorité de ce siège. La paix des Eglises ne sera assurée qui si l’univers reconnaît son chef : Tunc demum Ecclesiarum pax ubique servabitur, si rectorem suum agnoscat universitas.

Cette constitution de Valentinien III porte l’empreinte de l’esprit de la cour de Ravenne, où l’on

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associe toujours la grandeur de Rome, la vieille Rome, à l’éminente dignité de l’évêque de Rome : le primatus du siège est aux yeux de l’empereur confirmé par la romanæ dignitas civilis. L’empereur n’oublie pas pour autant que ce primatus a pour fondement le meritum, c’est-à-dire la dignité, de l’apôtre Pierre. Il sait aussi que ce primatus a été consacré par un concile, celui de Nicée, peut-on penser, dans son 6e canon interprété comme si ce canon avait défini la primauté du siège romain. Cette interprétation se rencontre pour la première fois sous la plume du pape Boniface, en 422. Siège apostolique, p. 260. Valentinien III tire de ces considérants la conclusion que l’évêque de Rome est à la tête de toute la catholicité : Rectorem suum agnoscat universitas.

Tillemont a écrit avec aigreur : " Il (saint Léon) obtient de Valentinien une loi célèbre trop favorable à la puissance de son siège, mais peu honorable à la piété. " Mémoires, t. XV, p. 441. Qu’est-ce que la piété de saint Léon a à voir dans cette loi ? M. Babut, Le concile de Turin, 1910, p. 182, déclare que le pape Léon a été, " sinon le rédacteur, à coup sûr l’inspirateur " de la loi, et que cette loi marque la fin du conflit " entre la politique dominatrice du siège de Rome et l’esprit autonome des anglicans, entre la nouvelle discipline monarchique et l’ancienne discipline conciliaire de l’Eglise. " Ibid., p. 183. F. W. Puller, The primitive saints and the see of Rome, édit. de 1914, p. 201, voit dans cette loi " l’autocratie décrépite de l’Empire moribond imposant au home de la liberté, l’Eglise de Dieu, sa haïssable ressemblance. " Combien " il est douloureux de penser qu’un si noble caractère que saint Léon ait pu ternir son histoire par cet acte avilissant ! " Le vieux catholique Langen, dans sa Geschichte der römischen Kirche, t. II, p. 15, témoigne de plus de finesse en signalant dans l’acte de Valentinien III " la première reconnaissance légale du Papsttum ", en un temps " où tout ce qui fortifiait la considération et le pouvoir de Rome paraissait un moyen d’enrayer la décadence de l’Empire d’Occident. " L’empereur utilisait la primauté du siège de Rome au bénéfice de l’Empire d’Occident, bien plus que le pape ne fortifiait sa primauté par l’appui que lui donnait l’empereur. Duchesne a pu dire : " Si la monarchie ecclésiastique avait tenu à une loi de l’Empire, elle aurait été peu solide. En 445, l’Empire d’Occident était bien malade, et sa chétive existence ne devait pas se prolonger au-delà d’une trentaine d’années. " Duchesne, Le concile de Turin, dans Revue historique, 1905, t. LXXXVII, p. 292-294. Cf. mon Siège apostolique, 1924, p. 457-460.

Sur la politique gallo-romaine de Léon, les gallicans étaient pleins de rancœur, témoin Quesnel, témoin Tillemont ; et les anglicans ont hérité de ces ressentiments. Voyez C. Gore, art. Leo I pope du Dictionary of christian biography, p. 660-661, qui accuse saint Léon d’avoir été dans cette affaire " impérieux, précipité, injuste, et sans grands scrupules. " Le fait est, ajoute-t-il, qu’il était " tenté par l’occasion que lui offrait l’appel (de Célidonius) de fortifier une revendication contestée du Siège de Rome et d’étendre la prérogative romaine ; la tentation était trop forte pour lui. " Avons-nous besoin de souligner combien la conduite prêtée là à saint Léon jure avec son caractère. Léon n’innovait rien, il maintenait l’ordre établi et le défendait contre les entreprises de saint Hilaire. Voir Bonwetsch, art. Leo I, de la Realencykl. de Hauck, p. 370.

La sévérité témoignée par saint Léon à l’évêque d’Arles fut intransigeante : quand Hilaire mourut, le 5 mai 449, il n’était pas rentré en grâce auprès du pape. Son successeur, Ravennius, fut bien accueilli : voir la lettre de saint Léon à Ravennius, 22 août 449, Jaffé, n. 435. Mais la supplique de dix-neuf évêques de

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Viennoise, de Narbonnaise, de Provence, sollicitant une restauration de la primatie d’Arles, fut rejetée par Léon : voir sa réponse, 5 mai 450, Jaffé, n. 450. Le pape n’avait aucun grief contre Ravennius, Jaffé, n. 451, mais il ne voulait pas entendre parler d’une primatie qui s’interposerait entre les évêques gallo-romains et lui. Il voulait maintenir chaque province sous la présidence de son métropolitain et conserver à chaque concile provincial sa compétence provinciale, réserve faite des causæ majores qui seraient portées à Rome.

Le règne étant ainsi défini, les relations de Rome et des évêques gallo-romains sont fréquentes et cordiales. Nous voyons Léon, 5 mai 450, Jaffé, n. 451, adresser à l’évêque d’Arles, Ravennius, un exemplaire de sa lettre à Flavien (du 13 juin 449), qu’il le prie de porter à la connaissance de ses collègues. Le prêtre et le diacre gallo-romains qui porteront ce courrier à Arles diront de vive voix à Ravennius quæ committenda litteris non fuerunt. La lettre à Flavien est aussitôt accueillie avec ferveur par les évêques gallo-romains. Voir Inter S. Leon. Epist., LXVIII, lettre des évêques de Grenoble, de Genève, de Vence. Voir ibid., XCIX, lettre de Ravennius et de quarante-quatre évêques gallo-romains, en réponse à saint Léon : la lettre à Flavien a été reçue par tous les évêques de Gaule qui la garderont ut symbolum fidei. Béni soit Dieu qui a donné un tel évêque au Siège apostolique, source et origine de notre religion !

Rappelons que chaque année le pape notifie aux évêques gallo-romains, par l’intermédiaire de l’évêque d’Arles, la date pascale de l’année qui vient. Voir, de juillet 451, la lettre à Ravennius, Jaffé, n. 477, où Léon relève comme une divina institutio et une paterna traditio la mission qui est confiée à sa sollicitude de notifier l’échéance pascale, cujus notitiam per dilectionem quoque tuam omnibus voluimus declarari. Voir, de juillet 454, Jaffé, n. 512, la lettre adressée à " tous les évêques catholiques " établis dans les Gaules et dans les Espagnes, et dans laquelle Léon fait valoir que maxime nobis et principaliter providendum est ne in paschatis festi die, vel ignorantia, vel præsumptio, peccatum diversitatis incurrat. L’unanimité à célébrer la fête de Pâques le même jour manifestera l’unanimité de la foi : Sicut una fide jungimur, ita una solemnitate feriemur, allusion peut-être aux Eglises barbares et ariennes qui n’ont pas de date commune. Siège apostolique, p. 467-468.

Les relations de saint Léon et des chrétientés celtiques ne sont pour nous documentées par rien. A noter seulement la seconde expédition de saint Germain d’Auxerre en 447, accompagnée de Sévère de Trèves. Dom. Gougaud, Les chrétientés celtiques, 1911, p. 34.

Saint Léon et les Espagnols. ? Depuis la conqu?te de l’Espagne par les Barbares, l’épiscopat catholique d’Espagne, assujetti à des rois ariens, regarde vers Rome avec plus de dévotion. Turribius, évêque d’Astorga, a écrit au pape Léon et lui a fait porter avec sa lettre un mémoire par un de ses diacres : il se plaint que le priscillianisme renaisse en Espagne, et il implore les secours de Rome. Nous avons la réponse du pape à Turribius, 21 juillet 447, Jaffé, n. 412. Sur l’authenticité de cette lettre, Bardenhewer, Geschichte, t. III, p. 415 et t. IV, p. 621.

Nos pères, lui dit-il, ont eu bien raison, au temps où cette hérésie est née, de tout faire pour que, dans le monde entier elle fut rejetée de l’Eglise universelle, et en ce temps-là les princes de ce monde détestaient cette folie sacrilège jusque-là qu’ils abattirent du glaive des lois son auteur et ses disciples. Cette sévérité, continue le pape, servit longtemps la douceur ecclésiastique, qui s’en tient au jugement des évêques,

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et a horreur des vindictes sanglantes, mais est aidée par les sévères lois des princes chrétiens, les hérétiques recourant souvent au remède spirituel par crainte du supplice corporel. On voit là saint Léon, après saint Augustin, professer que l’Eglise condamne l’hérétique dans as doctrine, et s’en remet aux princes pour les poursuivre, mais ne veut pas de sang. Le pape gémit d’ailleurs que l’invasion des Barbares en Espagne ait mis en sommeil les lois impériales. Il gémit que les évêques ne puissent plus tenir de conciles. Il gémit que des évêques catholiques aient manqué de zèle contre le priscillianisme renaissant. Il dresse un syllabus des erreurs priscillianistes, en quinze articles. Le diacre que Turribius a envoyé à Rome en rapporte des lettres pour les évêques de Carthagène, de Lusitanie, de Galice, que le pape invite à tenir un generale concilium, et à condamner les erreurs énumérées dans le syllabus : les évêques qui s’y refuseront seront excommuniés.

Ces mesures visaient surtout des évêques de Galice, à commencer par celui de Braga. En fait, on ne put tenir le concile général suggéré par le pape. Mais on se borna à dresser un formulaire, qui fut signé par les évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Lusitanie, et aussi de Bétique, et soumis ensuite à l’évêque de Braga, métropolitain de Galice. Les évêques galiciens signèrent tous, certains cependant avec une bonne foi douteuse.

La lettre de saint Léon à Turribius jette un jour sur la pénible condition de l’Espagne, depuis qu’elle n’est plus romaine. On ne trouve pas d’autre trace d’intervention du pape en Espagne dans les vingt ans de son pontificat, sinon que, en 451, par l’intermédiaire de l’évêque d’Arles, Ravennius, il fait parvenir à l’épiscopat catholique d’Espagne sa lettre à Flavien. Idatius, Chron., P. L., t. LI, col. 883. Il faisait parvenir aussi chaque année la notification de la date pascale, Jaffé, n. 512.

Saint Léon et les Africains. ? L’Afrique romaine est depuis 430 la proie des Vandales. En 442, Gens?ric a été par Valentinien III reconnut maître de la Proconsulaire, de la Byzacène, d’une partie de la Numidie, les Romains gardant le reste de la Numidie et les Mauritanies. En 455, toute l’Afrique est aux Vandales, et les Vandales sont ariens.

En 446, par une lettre du 10 août, Jaffé, n. 410, s’adresse aux évêques de Mauritanie Césarienne. Les relations de Rome et de ce qui reste d’Afrique romaine sont fréquentes, crebrior ad nos commeantium sermo, peut écrire le pape. Il parle d’un évêque Potentius, un évêque africain apparemment, qui est venu à Rome et que le pape a chargé d’une mission auprès des évêques de la Césarienne, l’accréditant pour enquêtes sur les élections épiscopales irrégulières que l’on a signalées au Siège apostolique. Potentius, son enquête faite, a adressé à Rome une relatio qui n’a que trop confirmé les craintes du pape. il s’en ouvre dans sa lettre du 10 août aux Africains. Il intervient, leur dit-il, parce que l’on est venu de chez eux à se plaindre à lui, et parce que l’exige la sollicitude qu’il a de droit divin de l’Eglise universelle. On a fait évêques des hommes qui avaient été mariés deux fois ou qui avaient épousés des veuves, on a fait évêques des hommes qui n’avaient point passé par les degrés préalables de la hiérarchie. Il tolérera ces infractions aux statuta du Siège apostolique, mais il les interdit à l’avenir.

On a soumis au pape le cas de Donatus, évêque de Salica, un novatien revenu au catholicisme avec son peuple. Saint Léon veut qu’il soit maintenu à la tête de son Eglise, mais il devra répudier par écrit l’erreur novatienne et envoyer à Rome sa profession de foi. Maximus, qui a été fait évêque, et qui est un donatiste

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rallié, sera maintenu pareillement, à condition d’adresser aussi sa profession de foi à Rome. Pour Aggarus et Tibérianus, dont les élections ont été troublées par des séditions, saint Léon s’en remet à l’examen des comprovinciaux, et attend leur relatio pour statuer.

La présente lettre sera portée aux destinataires par l’évêque David, qui est apparemment l’évêque qui a porté à Rome la relatio de Potentius. Saint Léon exhorte les évêques de Césarienne à la concorde, au respect des canons et des statua des saints Pères, spécialement en ce qui concerne les élections épiscopales. que l’on ne donne pas d’évêques à des localités où des prêtres peuvent suffire : il faut prendre garde à ne pas diminuer la dignité du sacerdoce par la multiplication des évêques.

Cette lettre de saint Léon est très remarquable pour autant qu’elle révèle l’action du pape dans cet épiscopat africain, naguère encore si ombrageux à l’égard du Siège apostolique. Il n’y a plus pour l’épiscopat l’africain de concile d’Afrique. C’est à Rome que l’on demande maintenant la règle, l’ordre : c’est Rome qui dit le droit, qui juge des plaintes, qui pose des positions, qui édicte des sanctions. C’est de Rome que l’évêque Potentius reçoit mission d’enquêter, à Rome que l’évêque David porte la relatio de Potentius, à Rome que l’on statue sur des évêques de Césarienne. Quel contraste entre cette lettre du pape en 446 et la lettre du pape Célestin du concile de Carthage 426. L’évêque de Rome s’est substitué au concile d’Afrique et au primat de Carthage. Mais dans sa lettre saint Léon ne prétend pas tenir leur place, c’est en vertu de l’autorité du Siège apostolique qu’il parle et agit. Siège apostolique, p. 477-481.

La lettre aux évêques de Mauritanie Césarienne touche à un dernier point que Tillemont, Mémoires, t. XV, p. 423 a écarté trop vite en accordant au P. Quesnel que le texte était ici interpolé : l’authenticité a bien établie par les Ballerini et elle ne fait plus question. Lupicinus, évêque (en Mauritanie Césarienne selon toute vraie ressemblance), s’est adressé au pape, lui demandant de lui rendre la communion, parce que ses collègues africains l’avaient excommunié, et l’ayant excommunié, n’avaient pas tenu pour suspensif l’appel qu’il avait fait à Rome. Les collègues de Lupicinus ont ordonné un évêque à sa place. Saint Léon s’élève contre cette procédure : l’appel de Lupicinus à Rome devait, prononce-t-il, suspendre toute action de ses collègues. Le pape repousse donc absolument la vieille prétention de l’épiscopat africain de ne pas reconnaître les appels à Rome. Néanmoins, saint Léon se borne à rendre la communion à Lupicinus, il ne retient pas sa cause à Rome, il la renvoie aux évêques africains : il estime sans doute qu’elle n’a pas été entendue vraiment par les évêques africains, qu’elle reste à être entendue et par ses juges de première instance. Les causes, dit-il, qui concernent la concorde des évêques, nous voulons qu’elles soient jugées sur place : on nous en adressera une relatio, et ce qui aura été bien jugé nous le corroborerons de notre sentence. Sans aucun doute, saint Léon connaît les dispositions des évêques africains, il les ménage, mais s’il offre à confirmer les justes sentences de l’épiscopat d’Afrique, comment ne réserverait-il pas le droit de réformer celles estimera injustes ?

Tillemont a écrit : " Quelques-uns croient que saint Léon fut bien aise d’avoir cette occasion d’étendre son pouvoir dans l’Afrique, contre les efforts que les africains avaient faits sous Célestin pour l’empescher, l’accablement où estoit cette belle province estant assez favorable. " Loc. cit., Port-Royal se reconnaît cette acrimonie ! Saint Léon était fidèle à la victoire et à l’action du Siège apostolique, dont la sollicitude allait à maintenir partout la règle et l’ordre, mais qui

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attendait pour intervenir qu’on l’en priât. L’accablement de l’Afrique catholique devait émouvoir saint Léon plus que sa lettre aux évêques de Césarienne le dit, et nous savons que saint Léon n’a rien d’un pontife plaintif et gémissant. Nous savons aussi que, en 454, Genséric autorisera le clergé catholique de Carthage à sa donner un évêque, post longum silentium desolationis, et il l’autorisera sur les instances de Valentinien III, supplicante Valentiniano Augusto. Victor de Vit, Hist., I, 24, édit. Petschenig, p. 11. On peut croire que Valentinien n’avait rien fait en cela qu’à l’instigation du pape.

Saint Léon et l’Illyricum oriental. ? Les provinces de la p?ninsule des Balkans se partagent entre quatre diocèses impériaux (Thraces, Macédoine, Dacie, Illyricum). La Thrace a toujours appartenu à l’Empire d’Orient, l’Illyricum proprement dit (Dalmatie, Norique, Pannonie) à l’Empire d’Occident. Entre les deux, la Macédoine (Thessalie, Epire, Achaïe, et les îles dont la Crète), et la Dacie (les deux Dacies, la Mæsia superior, la Dardanie, la Prévalitane), détachées de l’Occident, en 379, par l’empereur Gratien, et attribuées à l’Orient, ont formé l’Illyricum oriental. Mais cet Illyricum est resté de l’obédience de Rome. Siège apostolique, p. 245-246. Sur le régime ecclésiastique de cet Illyricum, on pourra voir ibid., p.246-265, Duchesne, Eglises séparées, 1896, p. 229-279.

Saint Léon n’a pas touché au régime de l’Illyricum oriental. Nous avons une lettre de lui, 12 janvier 444, aux évêques et métropolitains de l’Illyricum, Jaffé, n. 403, et une autre, même date, à l’évêque de Thessalonique Anastase. Jaffé, n. 404. Aux métropolitains, le pape rappelle qu’il a cure de toutes les Eglises, et que le Seigneur attend cela de lui, le Seigneur qui a conféré à l’apôtre Pierre le primatus de la dignité apostolique, pour le récompenser de sa foi, et établi l’Eglise universelle sur la solidité de ce fondement. Il plaît au pape d’associer à sa responsabilité les évêques liés à lui par la charité : il a donc confié l’évêque de Thessalonique la mission d’être son vicaire, suivant en cela l’exemple que lui ont donné ses vénérés prédécesseurs.

Dans sa lettre à Anastase, saint Léon explique que la sollicitude qu’il exerce envers les Eglises, du fait qu’il est établi, ainsi que le Seigneur l’a voulu, dans un poste d’observation, inspeculis, lui dicte de donner son assentiment aux choses dont on l’informe et qui sont bien, comme aussi d’appliquer à ce qui appelle une correction le remède de la coercition. Il répond donc au juste désir de l’évêque de Thessalonique en lui confirmant le vicariat sur l’Illyricum, conféré par pape Syrice à Anysius, et conféré aussi bien au successeur de celui-ci, Rufus, par le pape Innocent.

Dans une autre lettre au même Anastase (début de 446), saint Léon lui rappelle, Jaffé, n. 411, qu’il l’a fait son vicaire pour être aidé par lui dans la responsabilité qu’il a de toutes les Eglises, curam quam universis Ecclesiis principaliter ex divina institutione debemus. Chacune des provinces de l’Illyricum oriental conserve son concile provincial, qui s’assemble deux fois l’an et qui connaît de toutes les causes des divers ordres de l’Eglise. Si le différend est entre évêques, si la matière en est grave, si la cause ne peut être tranchée en concile provincial, le métropolitain la soumettra à l’évêque de Thessalonique, qui fera comparaître les parties devant lui, et qui, s’il ne peut procurer une solution, renverra la cause à Rome. En chaque province, le métropolitain gardera tous les droits que les canons reconnaissent à sa dignité, et à ces droits ne dérogera pas la sollicitude que le Siège apostolique délègue à l’évêque de Thessalonique. Quant à ce dernier, saint Léon lui recommande d’évoquer à lui le moins de causes possibles, de peur de paraître

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chercher à humilier ses collègues. Si une causa major, se présente qui rende nécessaire une réunion d’évêques, il suffira que, en chaque province, le métropolitain désigne deux évêques pour se rendre à Thessalonique. Si dans ce conventus il arrivait que l’avis de l’évêque de Thessalonique différât de celui de ses collègues, il faudrait en référer à Rome avec procès-verbaux à l’appui, et le pape déciderait. Tous nos soins, dit saint Léon, ont pour fin de procurer l’unité de la concorde et le maintien de la discipline. L’évêque de Thessalonique n’est d’ailleurs seul à pouvoir saisir le pape, car des appels directs peuvent se produire, vocem appelationis.

Ces deux lettres décrivent au mieux le régime de l’Illyricum et sont d’un canoniste averti. Le pape doit assurer sa suprématie, et la suprématie en second de son vicaire ; il a aussi à préserver les droits des évêques et des métropolitains ; et la balance est bien difficile à assurer. Les évêques de l’Illyricum murmurent que leurs droits sont diminués, et ils ne se soumettent pas de bon gré à l’évêque de Thessalonique : voir Jaffé, n. 403. L’évêque de Thessalonique manque de mesure, et Léon l’engage à user de ménagements : Plus caritas quam potestas, lui dit-il, Jaffé, n. 411. Cette belle maxime vient sous la plume du pape à l’occasion d’un abus de pouvoir commis par l’évêque de Thessalonique au préjudice de l’évêque de Nicopolis, Atticus. Celui-ci est allé se plaindre à Rome accompagné d’évêques de sa province ; l’évêque de Thessalonique y a expédie de ses diacres pour se justifier. Léon a écouté les uns et les autres et il écrit à son vicaire pour le blâmer. Il lui dit : Vices nostras tuæ credidimus caritati ut in partem sis vocatus sollicitudinis, non in plenitudinem potestatis.

Cette lettre importante, en tant qu’elle décrit le rôle du Siège apostolique. Au pape appartient une sollicitudo pleine, une potestas pleine. Il ne délègue ni l’une ni l’autre, pleinement, à son vicaire, qui ne doit pas usurper sur la potestas du pape. Que celui-ci se tienne strictement et scrupuleusement aux institutions qu’il a reçues de Rome, qu’il consulte Rome, qu’il renvoie à Rome. Dans cette perspective, loin d’être une confédération d’évêques égaux et autonomes, l’épiscopat apparaît comme une hiérarchie à quatre échelons : d’abord les évêques d’une même province ; à leur tête, le métropolitain ; au-dessus des métropolitains, le vicaire (de Thessalonique) ; plus haut, l’évêque de Rome. Il en est du moins ainsi en Illyricum oriental. Saint Léon s’applique à justifier l’inégalité épiscopale.

Les évêques, dit-il, ont une commune dignité (celle du sacerdoce), mais il y a entre eux des différences : dignitas communis non tamen ordo generalis. Entre les apôtres, il y avait parlé d’honneur et de différence de pouvoir, in similitudine honoris fuit quædam discretio potestatis, car, s’ils étaient tous les élus du Sauveur, à un seul il avait été donné d’être prééminent sur les autres. De cette règle posée par le Sauveur est sortie l’inégalité de l’épiscopat, de qua forma episcoporum quoque est orta distinctio. Dans une même province, il est un évêque qui a la préséance (cujus) inter fratres haberetur prima sententia. Les évêques de certaines grandes villes ont une sollicitude plus étendue, quidam in majoribus urbibus constituti sollicitudinem (susceperunt) ampliorem : par eux, le soin de l’Eglise universelle converge au siège de Pierre de sorte qu’elle ne soit nulle part en désaccord avec son chef, per quod ad unam Petri sedem universalis Ecclesiæ cura conflueret, et nihil usquam a suo capite discideret. Saint Léon a dessein évidemment de justifier le régime établi en Illyricum, et de le justifier contre les critiques et les murmures d’évêques qui se regimbent contre le vicariat de l’évêque de Thessalonique, sinon contre le principatus de l’évêque de Rome. Le vicariat

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est une institution propre à l’Illyricum, institution récente et dont l’avenir est très court : il disparaîtra en 484 à partir du schisme d’Acace. La distribution des évêques en provinces, avec un métropolitain à la tête de chaque province, pour être plus ancienne et autrement durable, est une création purement ecclésiastique et contingente. Il reste l’épiscopat, et l’unité nécessaire de cet épiscopat procurée par le lien qui rattache l’Eglise universelle à sa tête, caput, qu’est le siège de Pierre.

IV SAINT LEON ET L’ORIENT. ? 1° Jusqu’à l’affaire d’Eutychès. ? Saint Cyrille, ?vêque d’Alexandrie, meurt en 444, 27 juin. Il a connu et apprécié saint Léon quand celui-ci n’était encore que diacre de l’Eglise romaine, nous l’avons noté. Léon estimait sa doctrine hautement, Jaffé, n. 451 et 452, abstraction faite sans doute de ses anathématismes. Les quatre ans que vécut saint Cyrille après l’avènement de Léon, leur entente ne put manquer d’être étroite. De ce que dut être leur correspondance, on a un fragment de Cyrille en réponse à une consultation que lui a adressée le pape sur la date de Pâques de444, donc en 443. P. L., t. LIV, col. 601-606. Mais l’authenticité de ce fragment est contestée. Bonwetsch, art. Leo I de la Realencyklopädie de Hauck, p. 368. On sait que Rome s’en rapportait à Alexandrie pour le comput de la date de Pâques. Voyez la lettre de saint Léon à l’empereur Marcien, 15 juin 453, Jaffé, n. 497, rappelant que les saints Pères ont confié à l’évêque d’Alexandrie le soin de publier pour chaque année l’échéance de Pâques, quoniam apud Ægyptios hujus supputationis antiquitus tradita esse videbatur peritia, et que l’évêque d’Alexandrie chaque année la notifiait au Siège apostolique, cujus scriptis ad longinquiores Ecclesias indicium generale percurreret. Quand saint Cyrille fut mort, le siège d’Alexandrie échut à son archidiacre Dioscore, qui adressa à Rome, pour y porter la nouvelle de son élévation, le prêtre alexandrin Posidonios, qui paraît avoir été entre 440 et 444 et même dès 430, maintes fois délégué d’Alexandrie à Rome, toties ad nos missus, dira Léon dans sa réponse à Dioscore.

Nous avons cette réponse, en effet, 21 juillet 444. Jaffé, n. 406. Le pape exprime à Dioscore l’estime qu’il fait de ses mérites et l’affection qu’il a pour lui. Le pape sent aussi bien le prix de l’entente de Rome et d’Alexandrie. Nous devons, écrit-il, n’avoir qu’une pensée, qu’une action. Le pape tient cependant à marquer que pareille entente n’implique pas l’égalité des deux sièges. Si Alexandrie est le siège de saint Marc, Rome est le siège de saint Pierre, et l’apôtre Pierre a reçu du Seigneur le principatus apostolicus. L’Eglise romaine a gardé les institutions que lui a données Pierre. Marc étant le disciple de pierre, comment les institutions d’Alexandrie pourraient-elles être en contradiction avec celles de Rome ? A Rome, les ordinations des évêques, des prêtres, des diacres, se célèbrent le dimanche, jamais en semaine. Cet usage, que nous tenons des apôtres, nous voulons que vous le gardiez. Autre prescription : chaque fois que se célèbre une solemnior festivitas, à laquelle le peuple assiste en foule, s’il vient plus de fidèles que n’en peut contenir la basilique, on réitèrera la messe, et autant de fois que la basilique se remplira à nouveau. Ainsi fait-on à Rome, ainsi doit-on faire à Alexandrie, ut per omnia et fide et actibus congruamus. On ne voit pas que cette lettre du pape saint Léon réponde à une consultation que lui aurait demandée Dioscore. Cette monition donc adressée à l’évêque d’Alexandrie n’est pas sans nouveauté, et rien ne dit que Dioscore y ait déféré.

A Antioche, en 441, Domnos a succédé à son oncle l’évêque Jean, dont on se rappelle les démêlés avec saint Cyrille au concile d’Ephèse et ensuite. On ne relève aucune trace de relation entre Domnos et le

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pape Léon, bien qu’il n’y ait pas de doute qu’Antioche fût en communion avec Rome.

A Constantinople, Proclus meurt en juillet 446. Il devait être en bons termes avec le pape Léon, qui fait l’éloge de son zèle, industria, dans la lettre du 29 mai 454 à Anatolios. jaffé, n. 509, Proclus eut pour successeur Flavien, dont le pape loue la foi, fides, dans le même document. Les relations, soit de Proclus, soit de Flavien (jusqu’en 449) avec saint Léon ne sont pas documentées.

L’empire d’Orient est aux mains de Théodose II, depuis 408. Devenu empereur à l’âge de huit ans, Théodose II est un prince religieux, cultivé, hésitant, trop porté à croire que le affaires religieuses sont de sa compétence, et toujours en tutelle, heureux quand cette tutelle est celle de sa sœur l’impératrice Pulchérie !

L’affaire d’Eutychès. ? A Constantinople, une grosse influence appartient depuis une g?nération aux monastères. On les a vus à l’œuvre contre Nestorius au temps du concile d’Ephèse. Du 1er juin 448, on a reçu une lettre de saint Léon " à Eutychès, abbé à Constantinople ", Jaffé, n. 418, en réponse à une lettre adressée par celui-ci à Rome pour informer le Siège apostolique que " l’hérésie nestorienne est en passe de refleurir grâce aux menées de quelques-uns. " Eutychès est à la tête d’un monastère de quelques trois cents religieux. Il a été lié avec saint Cyrille dès le début de la campagne qui aboutit au concile d’Ephèse et à la déposition de Nestorius : il entend ne rien sacrifier des anathématismes sur lesquels Cyrille a transigé, en 433.

Or Eutychès est très écouté du grand chambellan Chrysaphios, tout puissant sur Théodose II, depuis 441. Eutychès se donne le rôle d’accusateur des évêques d’ariens. Nestorius dit de lui : " Celui qui accusait tous les évêques prenait de l’audace, celui qui restait seul de tous les autres qui étaient morts, je veux dire Eutychès. Comme il n’était pas évêque, il se donnait un autre rôle, grâce au pouvoir impérial, celui d’évêque des évêques. C’est lui qui dirigeait les affaires de l’Eglise, et il se servait de Flavien comme d’un serviteur pour tous les ordres qui étaient donnés à Constantinople, et celui-ci à cause de sa grande humilité ne savait pas ce qui se préparait. . . " F. Nau, Le livre d’Héraclide de Damas¸1910, p. 294.

La lettre du pape à Eutychès présuppose que, à la date du 1er juin 448, on n’a pas connaissance à Rome du trouble qui existait en Orient depuis quelques temps. Saint Léon ne sait rien encore que par Eutychès : il ne doute pas de l’aide que lui donnera le Seigneur " auteur de la foi catholique ". Quant au reste, le Siège apostolique avisera, quand il sera mieux informé. On peut inférer de là que, ni d’Alexandrie, ni d’Antioche, ni de Constantinople, il n’est arrivé de plainte à Rome : l’intrigue est l’œuvre d’Eutychès, qui essaie de mettre Rome dans son jeu. Rome se réserve, prudemment, mais Rome est décidée à intervenir : Nos autem, cum plenius quorum hoc improbitate fiat potuerimus agnoscere, necesse est auxiliante Domino providere. Souligner nos necesse est providere.

Les évènements se précipitèrent à Constantinople. Le 8 novembre 448, Eutychès, qui se croyait si sûr de sa domination, fut dénoncé par Eusèbe de Dorylée au concile (??????? ????????) r?uni autour de Flavien et composé d’évêques fidèles au formulaire d’union de 433 : le 22 novembre, Flavien et son concile excommuniaient Eutychès, qui incontinent interjetait appel aux conciles de Rome, d’Alexandrie et de Jérusalem. Saint Léon reçut ainsi une lettre d’Eutychès, protestant de la pureté de sa foi, se plaignant d’avoir été condamné sans avoir été entendu, et attendant la justice des évêques auxquels il recourt.

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Inter S. Leon. Epist., XXI. La lettre d’Eutychès était accompagnée d’une lettre de l’empereur Théodose II à saint Léon. Héraclide, p. 298. On ne recevait cependant à Rome aucune communication de Flavien.

Le pape répondit à Théodose II, Jaffé, n. 421, le 18 février 449. Il le loue du secours que l’Eglise est habituée à trouver dans sa religion et dont témoigne une fois de plus la lettre qu’il a adressée à Rome. Nous nous réjouissons, dit saint Léon, de trouver en vous une âme, non seulement de prince, mais d’évêque. Que s’est-il produit dans l’Eglise de Constantinople, qui ait ému l’évêque Flavien jusqu’à priver " le prêtre Eutychès " de la communion, je n’ai pu le savoir encore avec certitude, assure le pape. Ce prêtre a fait tenir à Rome un libellus d’Eusèbe de Dorylée qui contient l’expression de sa douleur et l’assurance qu’il garde la foi de Dieu. Quant au libellus d’Eusèbe de Dorylée, que le susdit prêtre a transmis aussi, il ne renferme rien de décisif dans les accusations qu’il articule. Il faut qu’on nous éclaire, conclut le pape, si l’on veut que nous jugions en connaissance de cause. Saint Léon ajoute qu’il vient d’écrire à Flavien pour le blâmer de son silence, car il aurait dû instruire de tout depuis longtemps le Siège apostolique.

Donc, Flavien n’a envoyé à Rome ni les gesta de son concile, ni aucune relatio. Le pape Léon ne connaît l’affaire que par l’appel d’Eutychès et par la lettre de Théodose II qui l’appuie. Il ignore, semble-t-il, qu’Eutychès ait fait appel à Alexandrie, à Jérusalem. La lettre impériale le dispose favorablement envers " le prêtre Eutychès ", auquel cependant il ne répond pas : il veut être instruit par Flavien. Il lui écrit, Jaffé, n. 420, le même jour qu’à l’empereur, 18 février 449. Il s’étonne qu’il ne lui ait rien fait connaître du trouble qui agite Constantinople. Il ne voit pas la justice de l’excommunication prononcée contre Eutychès. Nous voulons connaître la raison de cette sentence, nous voulons que tout nous soit rapporté. Saint Léon n’a pas d’hésitation sur son droit : Flavien aurait dû tout lui notifier, et le pape lui rappelle ce qu’il attend de lui, volumus.

On rapprochera opportunément cette lettre du pape à l’évêque de Constantinople en 449 de la lettre à l’évêque d’Alexandrie en 444 : l’autorité revendiquée par l’évêque de Rome sur les deux plus grands évêques d’Orient est-elle assez consciente d’elle-même et nettement affirmée, et cela sous Théodose II, c’est-à-dire sous un empereur nullement favorable au principatus de l’évêque de Rome ?

Postérieurement à l’envoi de cette lettre du 18 février 449, on reçut à Rome la relatio de Flavien et les gesta du concile qui avait excommunié Eutychès. Flavien priait Léon de faire connaître la sentence aux évêques de l’obédience de Rome. Inter S. Leon. Epist., XXII. Flavien dans cette lettre donne à entendre que la sentence prononcée par lui contre un prêtre de Constantinople doit être sans appel, il la notifie comme définitive à l’évêque de Rome et par lui aux évêques qui dépendent de Rome. Une autre lettre du même Flavien, ibid., XXVI, est adressée à Léon peu après la précédente, sans doute en mars 449, mais semble être adressée collectivement à d’autres aussi, auxquels Eutychès fait appel, appellasse ad vestram sententiam. Flavien demande que par lettres on souscrive à la déposition d’Eutychès. Il espère ainsi prévenir le concile que l’on dit devoir être convoqué pour en connaître, et épargner bien des troubles à l’Eglise universelle. Cependant de son côté Eutychès agissait : le 30 mars 449, Théodose II faisait expédier à l’évêque d’Alexandrie l’ordre d’être à Ephèse le 1er août avec dix métropolitains et dix évêques d’Egypte, et pareille invitation était sans doute expédiée dans tous les " diocèses " des Etats de Théodose II. Une invitation

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fut adressée à saint Léon, qui parvint à Rome le 13 mai. Siège apostolique, p. 505-506.

Léon, que la lecture des gesta envoyés par Flavien avait maintenant édifié sur les dispositions et les erreurs d’Eutychès, dut regretter qu’on n’eut pas laissé au Siège le soin de finir la cause en confirmant, sur l’appel d’Eutychès, la sentence prononcée par Flavien, étant donné surtout qu’Eutychès s’était engagé à s’incliner devant ce que déciderait le Siège apostolique. L’intervention de Théodose II, remettant l’affaire à un concile, faisait échec à l’action de Rome. Il est vrai que l’empereur demandait au pape, non pas d’amener des métropolitains et des évêques d’Occident, mais de venir en personne. Léon ne pouvait quitter Rome, mais par condescendance de Théodose II, il se consentit à se faire représenter au concile par des légats, l’évêque de Pouzzoles, Jules, le prêtre Donatus du titre de saint Clément (il mourra en cours de route), le diacre Hilarus (le futur pape Hilaire qui succédera à saint Léon), qu’accompagnerait le notaire Dulcitius. Il le manda à Théodose II, Jaffé, n. 424 par une lettre, 13 juin 449, dans laquelle il exprime sa conviction des erreurs d’Eutychès mises en lumière par les gesta de Constantinople. Pour les points de doctrine intéressés, le pape informe le prince qu’il s’en explique dans une lettre qu’il adresse à Flavien et dans laquelle il expose quid catholica Ecclesia universaliter de sacramento dominicæ incarnationis credat et doceat. Le même13 juin 449, Léon écrit à l’impératrice Pulchérie, Jaffé, n. 425. Il sait par de nombreux et fréquents témoignages, ce que l’Eglise de Dieu doit se promettre de la religion de la princesse. Présentement, nous savons par Flavien quelle discorde a déchaînée Eutychès dans l’Eglise de Constantinople, " plus par impéritie que par mauvais dessein. " Il est digne de la gloire de Pulchérie de supprimer l’erreur. Le pape ne pourra prendre part au concile que l’on va tenir à Ephèse : d’abord il n’y a pas de précédents, puis il ne peut dans les conjonctures actuelles quitter Rome : car le désespoir envahirait la population de Rome, si le pape paraissait abandonner sa patrie et son siège.

Ces lettres à Théodose II et à Pulchérie nous révèlent saint Léon, éclairé par Flavien et les gesta de son concile, prenant avec autant de décision que de courage le parti de Flavien. Quelques que soient les sentiments de Pulchérie, d’ailleurs peu écoutée à cette date, Léon ne peut ignorer que Théodose II est acquis à la cause d’Eutychès. Va-t-il donc tout remettre au concile que l’on annonce ? Non, saint Léon ne veut pas taire sur qu’il voit être l’intérêt de la justice et de la foi.

On joindra à ses lettres à Théodose II et à Pulchérie, la lettre de saint Léon à Faustus, Martin et autre archimandrites de Constantinople, encore du 13 juin 449. Jaffé, n. 426. Le pape leur fait connaître qu’il réprouve sentiment d’Eutychès, tels que les gesta le lui ont révélé. Il veut cependant que, s’il répudie ses erreurs, on ne lui refuse pas toute miséricorde : on ne doit être sans merci que pour l’erreur. Léon recommande aux moines de Constantinople la lettre qu’il adresse à Flavien.

Lettre de saint Léon à Flavien. ? Elle est comme les pr?cédentes du 13 juin 449. Jaffé, n. 423. Votre lettre, écrit le pape à l’évêque de Constantinople, votre lettre que nous nous étonnons d’avoir reçue si tard, et les gesta de votre concile qui l’accompagnent, nous ont fait connaître enfin le scandale qui vient d’éclater chez vous. Eutychès, que sont titre de prêtre semblait recommander, a fait preuve d’une légèreté grande. Quelle connaissance peut-il avoir de l’Ancien et du Nouveau Testament, celui ne comprend même pas les premiers mots du Symbole ?

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Le Symbole, en effet, fait prononcer aux fidèles : " Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ son fils unique notre Seigneur, qui est né du Saint-Esprit et de la vierge Marie. " Ces énoncés suffisent presque pour convaincre toutes les hérésies. Celui qui croit en Dieu le Père tout-puissant reconnaîtra que le fils est coéternel au Père. Et ce fils unique, éternel, d’un Père éternel est né du Saint-Esprit et de la vierge Marie. Cette naissance temporelle n’a rien retranché ni ajouté à la naissance éternelle. Sa raison d’être a été le salut de l’homme, car nous ne pouvions dominer ni le péché, ni l’auteur de la mort, si le Fils n’avait pris notre nature et ne l’avait faite sienne. Il a donc été conçu du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge, qui l’enfant sans perdre sa virginité, de même qu’elle l’avait conçu sans que cette virginité reçut aucune atteinte.

La christologie justifiée d’abord par le Symbole, l’est ensuite par le Nouveau Testament et par les prophètes. Eutychès semble ignorer la généalogie que l’Evangile donne au Christ et que l’épître aux Romains, I, 1-4, corrobore. Il ignore pareillement Isaïe, VII, 14 et IX, 6. La conception de la Vierge est l’œuvre de Dieu, mais la chair de celui qui est conçu n’en est pas moins empruntée à la nature de celle qui conçoit, et la réalité du corps du Christ est vraiment prise du corps de sa mère.

Ainsi les deux natures, conservant ce qui leur est propre, s’unissent en une seule personne. Pour payer notre dette, la nature impassible s’est unie à la nature passible, afin que, suivant ce qu’exigeait notre salut, l’unique médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Jésus-Christ, d’une part pût mourir et de l’autre fût immortel. Le Fils de Dieu descend de son trône céleste sans pourtant quitter la gloire du Père. De sa mère il a pris la nature, mais il n’a pris aucune faute. De ce que la naissance de notre Seigneur, formé dans le sein de la Vierge, est miraculeuse, il ne s’ensuit pas que sa nature soit différente de la nôtre. Chacune des deux natures opère en union avec l’autre ce qui lui est propre. Une seule et même personne est tout à la fois véritablement fils de Dieu et véritablement fils de l’homme. Sa naissance charnelle est une manifestation de sa nature humaine, son enfantement virginal est la marque de sa nature divine. Ce n’est point la même nature qui peut dire : " Le Père et moi nous ne sommes qu’un, " Jean, X, 30, et déclarer d’autre part : " Mon Père est plus grand que moi. " XIV, 28.

Lorsque notre Seigneur veut par ses questions instruire lui-même se disciples, il leur demande : " Qui dit-on que je suis ? Mais vous, qui croyez-vous que je suis, moi que vous voyez dans la condition de l’esclave et dans la vérité de la chair ? " Alors le bienheureux Pierre, divinement inspiré et devançant tous les peuples par sa profession de foi, répond : " Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant. " Et ce n’est point sans raisons que Pierre est déclaré bienheureux par le Seigneur et tire ainsi de la pierre par excellence, qui est le Christ, la force de son pouvoir et de son nom, lui qui confesse que le Christ est fils de Dieu. L’un sans l’autre n’aurait pu opérer notre salut, et il y avait un égal péril, que le Seigneur fût Dieu sans être homme, ou homme sans être Dieu. De même, après sa résurrection, le sauveur emploie quarante jours à éclairer la foi qui sera la nôtre. Il convers avec ses disciples, il habite et mange avec eux, il leur montre la plaie de son côté, tout cela afin que l’on connaisse que les propriétés de la nature divine et de la nature humaine demeurent inséparablement unies, et que, sans identifier le Verbe et la chair, nous soyons convaincu que le Verbe et la chair ne forment qu’un fils de Dieu.

C’est le mystère de la foi qu’Eutychès a complètement ignoré : il n’a point reconnu notre nature dans le fils unique de Dieu, pas plus dans les abaissements de

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sa passion que dans les magnificences de sa résurrection. Interrogé par vous, Eutychès a répondu : " Je professe qu’avant l’union notre Seigneur était en deux natures, mais après l’union je crois qu’il n’existe plus qu’une seule nature. " Je suis grandement surpris qu’on lui ait laissé émettre, sans qu’aucun de ses juges le reprît, une profession de foi aussi scandaleuse.

Le pape ne désespère pas de voir Eutychès venir à résipiscence. Léon croit trouver dans les gesta l’indice qu’Eutychès a commencé, d’une manière fort louable, à renoncer à ses premiers sentiments. Mais comme il refusait d’anathématiser son dogme impie, le concile a bien jugé en le condamnant. S’il accepte, même tardivement, la sentence qui l’a frappé, s’il réprouve de vive voix et par écrit tout ce qu’il a pu penser de faux, nul ne pourra blâmer qu’on use de miséricorde envers lui. Imitons le bon pasteur : la justice doit réprimer ceux qui pèchent et la miséricorde ne pas repousser ceux qui se convertissent ; c’est seulement quand les sectateurs d’une opinion fausse ont eux-mêmes condamné leur erreur que la vraie foi est défendue avec tout le fruit désirable.

Telle est la célèbre lettre de Léon à Flavien dont on retrouvera une bonne traduction française dans E. Amann, Le dogme catholique dans les Pères de l’Eglise, 1922, p. 344-355. Voir aussi dans ce Dictionnaire, l’article HYPOSTATIQUE (Union), p. 478-483. Dans la Revue d’histoire ecclésiastique, 1905, p. 290-303, une étude de M. Saltet sur " les sources de l’????????? de Th?odoret ", met en lumière que, dans son état premier, 13 juin 449, la lettre à Flavien n’était accompagnée d’aucun dossier patristique. Après le brigandage d’Ephèse, saint Léon ajouta à sa lettre une série de textes justificatifs empruntés aux Pères, tant grecs que latins ; ce dossier fut porté à Constantinople par les légats Abundius, Asterius, Basilius, Senator (voir plus loin, col 256), en juillet 450, et il est rappelé par le pape à Paschasinus de Lilibée, dans une lettre du 24 juin 451. Sanctorum patrum nostrorum, de sacramento incarnationis Domini quid sinserint et quid Ecclesiis prædicaverint ut evidenter agnosceres, aliqua ad dilectionem tuam scripta transmisi, quæ nostri quoque apud Constantinopolim cum mea epistola allegarunt. Jaffé, n. 468. Le dossier en question, voir Hardouin, Concil., t. II, p. 299-306, contient des citations de saint Hilaire, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Ambroise, de saint Jean Chrysostome, de saint Augustin, de saint Cyrille. Déjà en 430, composant son De incarnatione contra Nestorium, dédié à Léon, Cassin citait des témoignages des Pères : Hilaire, Ambroise, Augustin, Jérôme, Rufin, Grégoire de Nazianze, Athanase, Jean Chrysostome : le dossier du pape Léon dépend du dossier de Cassien, mais on observera que Léon ne cite que des évêques. Le dossier de saint Léon de 450 a été utilisé par Théodoret dans une seconde édition de son ?????????, apr?s le concile de Chalcédoine. En 458, le pape Léon adressera à l’empereur Léon un nouveau dossier patristique, où se retrouvent les textes du dossier de 450 et de nouveaux textes (Athanase, Théophile, Basile).

Il ne faut pas chercher dans la lettre à Flavien, la doctrine abondante de Cyrille ou de Théodoret, moins encore la scolastique de Léonce de Byzance. Pas de définition de la nature ou de la personne. Léon prend ses preuves au symbole baptismal, à l’Ecriture, il veut des preuves de fait, concrètes, élémentaires. Il ne prévoit pas d’objections. Il ne prétend dire que ce qu’il a appris. On ne peut pas dire que sa lettre marque un progrès théologique et dogmatique relativement à l’union hypostatique. C’est la christologie moyenne que le pape impose comme une discipline acquise aux controverses d’Orient, et sans entrer dans les problèmes soulevés par eux.

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Nestorius, exilé toujours et maintenant près de sa fin, crut reconnaître dans la lettre à Flavien, sa propre pensée. Héraclide, p. 298 et 300. Les monophysites qui se réclamaient de Cyrille ne se seront pas faute de le reprocher à saint Léon. En réalité, la lettre à Flavien était dans la ligne de l’acte d’union de 433, sur lequel s’était conclu l’accord entre Jean d’Antioche et Cyrille. Mais elle tranchait avec netteté la question des deux natures et imposait la formule diphysite comme une condition d’orthodoxie, ce qu’aucune autorité conciliaire n’avait fait encore. Duchesne, Hist. anc., t. III, p. 404. La formule chère à Cyrille, " Unique est la nature incarnée du verbe, " était rejetée. Mais l’opposition de ce monophysisme à ce diphysisme n’était résolue que d’autorité ; et elle était grosse de polémiques et de schismes ; il faudra attendre Léonce de Byzance pour la résoudre dans l’abstrait, mais le schisme monophysite dure encore. Harnack, Dogmengeschichte, 4e édit., t. II, p. 400-424 ; F. Loofs, Nestorius, Cambridge, 1914, p. 101-107 ; Tixeront, Histoire des dogmes, t. III, p. 104-159.

La lettre à Flavien est devenue une constitution dogmatique revêtue de toute la majesté du magistère papal. Il suffit cependant de la lire objectivement pour se rendre compte que dans sa teneur elle n’a pas les caractéristiques d’une définition ex cathedra. Léon écrivant à Flavien approuve et justifie la sentence que Flavien et son concile ont prononcée contre Eutychès. La doctrine méconnue par Eutychès est une doctrine élémentaire de l’Eglise, une doctrine contenue dans le Symbole baptismal et professée par la fidelium universitas. Il faudrait être aveugle comme Eutychès pour ne pas voir splendorem perspicuæ veritatis. La foi aux deux natures unies en la personne du Christ est la foi vitale de l’Eglise : Catholica Ecclesia hac fide vivit, hac proficit. Dans sa lettre au concile, du 26 juin 451, il dit aux évêques qui vont se réunir à Chalcédoine que, dans la lettre à Flavien est declaratum quæ sit de sacramento incarnationis Domini. . . pia et sincera confessio, conformément à l’autorité de l’Evangile, des prophètes, des apôtres. Dans sa lettre à Marcien du 20 juillet 451, il dit que la concorde des évêques sera aisément affermie, sin in eam fidem quam evangelicis et apostolicis prædicationibus declaratam per sanctos patres nostros accepimus et tenemus omnium corda concurrant, nulla penitus disputatione cujus quam retractationis admissa. Rapprocher les lettres à Marcien du 13 avril, du 24 juin, du 26 juin. Saint Léon ne tenait pas un autre langage à Théodose II, 20 juin 449, 16 juillet 450. Dans cette dernière, le pape disait à l’empereur : Non aspernetur (vestra clementia) etiam meam epistolam (ad Fl.) recensere, quam pietati Patrum per omnia concordare reperiet.

Dès lors que la lettre à Flavien n’est pas une définition ex cathedra, mais un exposé de la foi qui est de fait la foi de l’Eglise, on comprend que saint Léon ait communiqué aux évêques du ressort de Milan et aux évêques gallo-romains sa lettre à Flavien, pour pouvoir par leurs réponses montrer à Constantinople que la foi de l’Occident était bien celle qu’il avait exposée. De même, écrivant à Théodoret, 11 juin 453, saint Léon pourra lui dire combien il se réjouit que le concile de Chalcédoine ait donné un plein assentiment à sa lettre à Flavien : Quæ (Deus) nostro prius ministerio DEFINIERAT, universæ fraternitatis irretractabiliti firmavit assensu, ut vere a se prodisse ostenderet quod prius a prima omnium sede formatum totius christiani orbi judicium repecisset, ut in hoc quoque capiti membra concordent. Epist., CXX, 1. Le pape n’ignore pas que, à Chalcédoine, il s’est trouvé des évêques qui hésitaient d’abord sur la doctrine par lui exposée, inventi prius sunt de qui de judiciis nostris ambigerent. Va-t-il regarder ces évêques comme opposants au Siège apostolique ?

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Non, il voit en eux des évêques qui ne se rendent à la vérité qu’après examen : Veritas et clarius renitescit et fortius retinetur, dum quæ fides prius docuerat, hæc postea examinatio confirmarit. Il accepte qu’on examine, et ce n’est pas parce que les évêques des grands sièges se sont déclarés, que la liberté des évêques moindres est supprimée : Multum sacerdotis officii meritum splendescit, ubi sic summorum servatur auctoritas, ut in nullo inferiorum putetur imminuta libertas. Et ad majorem Dei gloriam proficit finis examinis. . . Ibid., voir encore ibid., 4. Mais pour autant la vérité n’était pas douteuse, la vérité que nous avions exposée dans notre lettre à Flavien et à laquelle tout l’épiscopat a donné son irrévocable assentiment.

Quand on se représente de la sorte la démarche de saint Léon la question est vidée qui a été si interminablement débattue entre théologiens, de savoir comment une définition ex cathedra a pu être examinée et confirmée par un concile œcuménique. Bossuet, Gallia orthodoxa, III, VII, 15-18, expose la controverse et conclut comme un gallican. Il est très échauffé contre Bellarmin, à qui il ne pardonne pas d’avoir écrit : Leo epistolam suam miserat ad concilium, non ut continentem ultimam et definitivam sententiam, sed ut instructionem, qua adjuti episcopi melius fudicarent. Voilà écrit Bossuet à quoi en sont réduit des hommes, d’ailleurs distingués ! Ad hæc misera et inepta viri, quamvis egregii, rediguntur. Œuvres de Bossuet, édit. de Bar-le-Duc, t. VII, 1863, p. 340. Nous estimons cependant que la pensée de Léon est de mettre en lumière la foi de l’Eglise : il la rapporte dans sa lettre et il a dessein de la faire souscrire par l’épiscopat de l’univers, en exprimant lui-même d’abord sa sententia d’évêque. Il fait abstraction évidente de l’infaillibilité, comme l’a bien vu Bellarmin. Cf. Langen, Geschichte der röm. Kirche, t. II, p. 212.

La lettre à Flavien, après le concile de Chalcédoine, a pu être justement considérée comme une règle de la foi, en Occident du moins. Le Liber pontificalis attribue au pape Hilaire, successeur de Léon, d’avoir confirmé les trois conciles de Nicée, d’Ephèse, et de Chalcédoine, vel tomum sancti episcopi Leonis. Lib. pont., édit. Duchesne, t. I, p. 242. En 556, le pape Pélage veut que l’on garde inviolablement la foi des quatre conciles œcuméniques, vel. . . beatissimi Leonis præsulis apostolicæ Sedis tomum, qui in Chalcedonensi est synodo confirmatus. Jaffé, 939. Le décret dit du pape Gélase qualifie la lettre à Flavien en ces termes : Epistolam beati papæ Leonis ad Flavianum Constantinopolitanum episcopum destinatam, de cujus textu quispiam si usque ad unum iota disputaverit et non eam in omnibus venerabiliter receperit, anathema sit. E. Dobschütz, Das Decretum Gelasianum, 1912, p. 37-38.

Jean Moschos prétend tenir d’Euloge, qui fut évêque d’Alexandrie en 580-607, qu’Euloge avait rencontré à Constantinople l’archidiacre romain Grégoire (le futur pape saint Grégoire) et que celui-ci lui avait rapporté comme un souvenir qui se conservait dans l’Eglise de Rome, que saint Léon, avant d’envoyer son épître à Flavien, l’avait déposée sur le tombeau de saint Pierre en lui demandant de la corriger, s’il y avait des fautes. Quarante jours plus tard, saint Pierre avait apparu à saint Léon et lui avait dit : Je l’ai lue et je l’ai corrigée. Saint Léon avait pris la lettre sur le tombeau et l’avait trouvée corrigée en effet de la main même de saint Pierre. Prat. spirit., 147, P. L., LXXIV, col. 193. Le P. Quesnel note que ce récit ne se trouve que dans le texte latin de Jan Moschos.

Gennadius, De vir. ill., 85, rapporte que les lettres diverses du pape Léon contre Eutychès sur l’incarnation, passent pour être l’œuvre de Prosper d’Aquitaine. Il est possible que Léon ait amené Prosper de Gaule à Rome et se soit servi de lui, comme jadis le

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pape Damase s’était servi de saint Jérôme. Tillemont, t. XVI, p. 25, ne rejette pas l’hypothèse d’une aide fournie à saint Léon par Prosper, mais la personnalité du style de Léon, " plus figuré et plus composé celui de S. Prosper ", et qui est le même dans les sermons et dans les lettres, limite bien la portée de l’hypothèse.

Le brigandage d’Ephèse et saint Léon. ? Le pape a confi? à ses légats une lettre, datée du 13 juin 449, pour le concile. Jaffé, n. 427. La foi du très religieux empereur, dit-il, " a témoigné ce respect aux institutions, divines de vouloir joindre à l’ordre par lui donné l’autorité du Siège apostolique, comme il désirait que par la bienheureuse par le bienheureux Pierre fût déclaré ce qui a été loué par le Christ dans la réponse de l’apôtre : Tu es le Christ, fils du Dieu vivant. " Le pape sera présent au concile par ses légats, l’évêque Jules, le prêtre Rénatus, le diacre Hilarus, le notaire Dulcitius. Il dit des légats : Vice mea sancto conventui vestræ fraternitatis intersint et communi vobiscum sententia quæ Domino sint placitura constituant. Mais le pape ne doute pas que le concile ne confirme la condamnation d’Eutychès : ce qui doit plaire à Dieu, c’est que l’erreur professée par Eutychès soit condamnées, et qu’ensuite, si Eutychès a erré de bonne foi, on obtienne sa rétractation et qu’on le réconcilie à l’Eglise, mais primitus pestifero errore damnato.

Sur le concile qui s’ouvre à Ephèse le 8 août 449, rappelons seulement que la présidence est dévolue à l’évêque d’Alexandrie Dioscore, sur l’ordre de l’empereur Théodose II. L’évêque de Pouzzoles, Jules, chef de la légation romaine prend rang après lui ; à la suite, Juvénal de Jérusalem, Domnus d’Antioche, Flavien de Constantinople. Environ cent trente évêques sont présents. Le concile s’ouvre par la lecture des lettres impériales le convoquant. Après qu’a été lue la première, les légats romains demandent que soit lue la lettre que le pape adresse au concile. Jaffé, n. 427. On objecte qu’il y aura d’autres lettres de l’empereur à lire encore. Eutychès est alors introduit et lecture donnée de son appel contre le jugement de Flavien qui l’a condamné. Puis le comte Elpidius, d’ordre de l’empereur qu’il représente auprès du concile, fait récuser les évêques présents qui ont pris part à la condamnation d’Eutychès par Flavien, et d’autres encore dont les sentiments sont suspects, quarante-deux au total, Flavien en tête : ils assisteront au concile, mais ils n’y auront pas voix. On élude alors une nouvelle instance de l’évêque de Pouzzoles, demandant que soit lue la lettre du pape, et on passe à la lecture des gesta de la condamnation d’Eutychès. Après quoi, on fait voter, et Eutychès est absous. Le vote acquis, Dioscore rappelle une résolution du concile d’Ephèse de 431, interdisant, sous peine de déposition, de produire ou de composer un autre symbole que celui de Nicée, et propose de condamner et de déposer Flavien et Eusèbe de Dorylée pour leur formule des deux natures. Les évêques votent conformément à la proposition de Dioscore. Tels sont les évènements du 8 août 449.

Une seconde séance du concile, le 22 août, fut consacrée à compléter la besogne du 9 août par la déposition d’évêques auxquels la faction de Dioscore ne pardonnait pas ; l’évêque d’Edesse, Ibas, l’évêque de Cyr, Théodoret, d’autres encore, enfin l’évêque d’Antioche, Domnus. On termina les opérations par l’acceptation solennelle des anathématismes de saint Cyrille, qui étaient évidemment le standard de la faction de Dioscore, avec leur fâcheuse formule de l’?????? ??????.

Les légats de saint Léon auraient pu protester et se retirer le 8 août, dès qu’il était constant que le concile, con seulement refusait de lire la lettre du pape, mais réhabilitait Eutychès et se déclarait contre la doctrine des deux natures. Mais les malheureux, faute de savoir le grec, étaient quasi sourds et muets. Le

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8 cependant, comme Flavien mis en accusation avait crié à Dioscore : " Je te récuse. ", le diacre romain Hilarus avait fait écho en criant : Contradicitur. Il faisait appel. Au lendemain du 22 août, étant donné que l’empereur Théodose II couvrait le concile, la situation était de la dernière gravité. Dioscore, avec l’appui de l’empereur, dressait l’Orient contre Rome, et devait sommer le pape Léon de répudier sa lettre à Flavien : c’était la rupture inévitable d’e l’Orient avec l’Occident, l’Orient restant aux mains d’une faction ecclésiastique, comme au temps de l’arianisme.

Cette fois encore, des têtes plus catholiques comprennent que le salut vient de Rome. Trois des évêques que ce misérable concile vient de sacrifier se tournent vers Rome. Flavien, jeté en prison et bientôt après exilé, meurt en chemin des mauvais traitements qu’il a endurés, mais il a fait appel de la sentence du concile d’Ephèse au Siège apostolique et le diacre Hilarus, qui a pu s’échapper d’Ephèse, apporte à Rome l’appel de Flavien. Ce libellus appelationis a été trouvé naguère. Voir Siège apostolique, p. 514-515. Eusèbe de Dorylée, jeté en prison comme Flavien, exilé comme lui, parvient à se sauver et se réfugie à Rome, ou il a été précédé par son libellus appelationis, qui a été retrouvé aussi. Ibid., p. 515-516. Théodoret a fait comme Flavien et Eusèbe, et l’on a depuis toujours sa lettre bien connue d’appel au pape. Ibid., p. 517-519. Nous avons dit que le diacre Hilarus a pu s’échapper d’Ephèse : il est à Rome pour le concile qui se tient le 29 septembre, au natale du pape.

Aussitôt, c’est-à-dire dans les premiers jours d’octobre 449, le pape Léon écrit à Théodose II, Jaffé, n. 437, protestant contre une action " qui offense la foi et blesse toutes les Eglises " et qui doit être non avenue. Il faut que se prononce un concile autrement autorisé, où l’on convoquera des évêques de tout l’univers. Léon et les évêques qui sont auprès de lui demandent à Théodose II que, ce concile de l’univers, l’empereur ordonne de l’assembler en Italie, à cause de l’appel de Flavien, propter appelationem in Flaviani episcopi libello contentam, et que les évêques de toutes les provinces d’Orient y soient convoqués. ? Nous avons du 13 octobre, une seconde r?daction de cette lettre, qui suppose que l’on a reçu à Rome entre temps une lettre de Théodose II adressée ad beati Petri sedem. Jaffé, n. 438. Ce même 13 octobre, le pape et son concile écrivent à l’impératrice Pulchérie dans le même sens. Jaffé, n. 439. Du 15 octobre, on a une lettre du diacre Hilarus à Pulchérie, Inter S. Leon. Epist., XLVI, qui complète celle du pape et parle des résolutions prises par le ape cum omni occidentali concilio. Du 15 octobre, Jaffé, n. 443, une lettre du pape et de son concile au clergé et au peuple de Constantinople et encore, Jaffé, n. 444, à Faustus, Martin, Pierre, Emmanuel, prêtres et archimandrites de Constantinople.

De l’empereur Théodose II saint Léon n’avait reçu aucune réponse à Noël. Il écrit donc à nouveau au prince, 25 décembre 449, " pour l’intégrité de la foi catholique. " Qu’il se défende donc contre la malhonnêteté des rivalités humaines. Le pape insiste pour que l’empereur accepte qu’un concile général se tienne en Italie pour en finir avec les scandales qui troublent l’Eglise. Jaffé, n. 445.

En février 450, Valentinien III vient à Rome, où il se trouve pour la fête de la cathedra Petri, en même temps que se tient le concile des évêques suffragants du pape. Saint Léon fait auprès de Valentinien III les plus vives instances et il obtient qu’il écrive à Constantinople. Nous avons la lettre de Valentinien III à Théodose II. " Comme j’étais venu à Rome, y lisons-nous, et que je m’étais rendu à la basilique de l’apôtre Pierre, j’ai été sollicité par l’évêque romain et par les

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autres évêques assemblés avec lui de diverses provinces d’écrire à votre mansuétude. Nous devons défendre la foi que nous avons reçue de nos aïeux et conserver intacte la dignité du bienheureux apôtre Pierre. L’évêque romain, auquel l’antiquité a conféré le principatus sacerdotii sur tous, doit avoir la faculté d’être juge de la foi et des évêques. " L’empereur demande donc qu’un concile de tous les évêques du monde se réunisse en Italie, pour reconnaître de la cause à nouveau et prononcer ce que demande la foi, la saine théologie. Pour mieux éclaire Théodose II, Valentinien III lui adresse les gesta où sont exprimés les vœux de tous, c’est-à-dire le procès-verbal de son entrevue avec le pape et son concile à Saint-Pierre. Inter S. Leon. Epist., LV. Valentinien III est accompagné à Rome par sa mère Galla Placidia, par sa femme Licinia Eudoxia. Saint Léon obtient que les deux impératrices écrivent elles aussi dans le même sens à Théodose II. Ibid., LVI et LVII. Il y a encore, ibid., LVIII, une lettre de Galla Placidia à Pulchérie. Toutes ces lettres sont de la fin de février 450. Siège apostolique, p. 521-524.

Le 17 mars, saint Léon écrit à l’impératrice Pulchérie, Jaffé, n. 458, qui a répondu à sa lettre du 13 octobre en termes témoignant de sa foi catholique et de son horreur pour l’hérésie. Le pape renouvelle ses instances. Ce même 17 mars, il écrit à Marcien, Faustus et autres, prêtres et archimandrites de Constantinople. Jaffé, n. 449. Il espère qu’ils ont pu recevoir sa lettre du 15 octobre précédent qu’il leur adressait, non solum apostolicæ Sedis auctoritate, sed etiam sanctæ synodi quæ ad nos frequens convenerat unanimitate, où ils auront pu voir quantum curam totius Ecclesiæ habeamus. Il faut que la funeste hérésie, qui vient d’être si insolente à Ephèse, soit anéantie. Vers le même moment, il écrit au clergé et au peuple de Constantinople, Jaffé, 447, qu’il loue de son attachement à Flavien. Il fera tout pour que le scandale soit corrigé. Si dans les laïques la méconnaissance de la foi est à peine tolérable, combien moins excusable ou pardonnable dans ceux qui sont au premier rang, surtout quand on les voit prendre la défense d’opinions perverses et leur gagner des partisans par la terreur ou la faveur. Allusion courageuse à la faction de Chrysaphios. Saint Léon revient sur la doctrine des deux natures qu’il a exposée dans sa lettre à Flavien. Quiconque nie la réalité de la nature humaine dans l’incarnation, contredit l’Evangile et le Symbole, mais il contredit tout autan l’eucharistie.

Théodose II répond en avril 450 à Valentinien III et lui accuse réception de la demande du pape qu’il lui a transmise, petitionem oblatam a Leone reverendissimo patriarcha. Peut-on penser que Théodose II ait trahi la religion paternelle et la tradition de ses ancêtres ? C’est au contraire pour s’y conformer qu’il a réuni un concile à Ephèse, où, avec une entière liberté, les évêques ont déposé les indignes. Rien n’a été fit contre la règle de foi, ni contre la justice. Flavien, coupable d’une nocive nouveauté, en a porté la peine. Lui écarté, la paix s’est trouvée rétablie dans les Eglises et la vérité avec elle. Théodose II s’en tiendra donc à ce que le concile a prononcé. Des appels qui ont été interjetés il ne veut rien savoir, et Léon n’est pour lui qu’un patriarche, comme il en connaît d’autres sans doute. Inter S. Leon. Epist., LXII. Cette lettre impériale mentionne une réponse adressée concurremment à saint Léon, latius alque plenius, qui ne s’est pas conservée. (Je ne vois pas comment, Tillemont, t. XV, p. 602, peut tirer de ces deux adverbes que Théodose a écrit au pape, " d’une manière qui avait dû le satisfaire sur tout ce qu’il pouvait dire " !) La lettre à Valentinien est accompagnée de deux autres lettres dans le même sens, LXIII, à Galla Placidia, LXIV, à Licinia Eudoxia.

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C’est seulement le 16 juillet 450, que saint Léon se décide à répondre à Théodose II. Jaffé, n. 452. Entre temps, il a reçu une lettre de l’évêque ordonné à Constantinople à la place de Flavien, Anatolios, une créature de Dioscore : sitôt ordonné, Anatolios a fait part de son élévation à saint Léon, Inter S. Leon. Epist., LIII, affectant de croire qu’il n’y a aucun débat entre l’Orient et Rome. Le pape a différé de lui répondre. Il explique à Théodose II qu’il tarde à entrer en relations " avec celui qui préside maintenant à l’Eglise de Constantinople ", non qu’il lui refuse son amitié, mais parce qu’il attend de lui un gage d’orthodoxie. Que le nouvel évêque lise les documents où s’exprime la foi des saints Pères, la lettre de Cyrille à Nestorius, les actes du concile d’Ephèse (celui de 431) et dans ces actes les extraits des Pères sur l’Incarnation. " Qu’il ne dédaigna pas non plus de lire ma lettre (à Flavien) qu’il trouvera conforme en tout à la piété des Pères. " Qu’il déclare son assentiment à ces catholicorum sententiæ, qu’il signe la profession de sa foi en présence de son clergé et de son peuple, et qu’il en fasse part au Siège apostolique, à tous les évêques, à toutes les Eglises. Léon annonce à Théodose II qu’il lui envoie les deux évêques Abundius et Astérius, les deux prêtres Basile et Sénator : ils feront connaître à l’empereur qu’elle est la règle de notre foi. Si l’évêque de Constantinople y souscrit, nous serons tranquillisés, la paix ecclésiastique sera assurée, toute suspicion éteinte. Sinon, que l’empereur accorde le concile général à tenir en Italie. La lettre à l’empereur s’accompagne d’une lettre à Pulchérie, Jaffé, n. 453, conçue dans les mêmes termes, datée du même 16 juillet.

Cette lettre à Théodose II surprend par sa modération. Car enfin le pape ne parle plus de casser le brigandage d’Ephèse ; il ne réclame aucune sanction contre les évêques qui ont prévariqué à Ephèse, aucune sanction contre leur chef Dioscore ; il accepte Anatolios leur élu, et il ne demande à cet Anatolios qu’il une profession de foi orthodoxe. Veut-il sérier les difficultés ? gagner d’abord Anatolios ? compte-t-il sur ces légats, Abundius, Astérius, Basile, Sénator, pour obtenir à Constantinople même davantage ?

Moins de deux semaines plus tard, le 28 juillet 450, Théodose mourut d’un accident de cheval. L’impératrice Pulchérie hérita du pouvoir impérial. C’était la fin de l’imbroglio créé par la faction d’Eutychès. Chrysaphios fut condamné à mort. Puis Pulchérie donna à l’empire en épousant le sénateur Marcien, quelle fit (le 24 août) proclamer par le sénat et la milice. Le 13 septembre 450, Jaffé, n. 456, écrivant à Martin, l’un des prêtres et archimandrites de Constantinople avec qui il communiquait, saint Léon écrivait ces lignes significatives : Si quid aut difficultatum intervenit aut morarum, cum æquanimitate tolerandum est, quoniam ubi veritas est magistra nunquam desunt divina solatia. Sûr de l’orthodoxie de Pulchérie et de Marcien, le pape peut se flatter que la vérité est maintenant maîtresse. En effet, dès la fin d’août, le nouvel empereur annonce son avènement à saint Léon, et salue en lui la première autorité dans l’épiscopat de la divine foi, langage bien conforme à celui de Valentinien III. Inter S. Leon. Epist., LXXIII. Avec Pulchérie et Marcien, saint Léon va avoir les deux princes les plus dévots au Siège apostolique que connaîtra l’empire d’Orient.

Les légats que le pape a envoyés à Constantinople, avec sa lettre du 16 juillet, furent reçus par Marcien, qui répond le 22 novembre au message par eux apporté. Inter S. Leon. Epist., LXXXVI. Déjà dans sa lettre de la fin d’août, il manifestait au pape qu’il désirait avec lui un concile qui restaurât la paix dans l’Eglise. Dans sa lettre du 22 novembre, il invite saint Léon à venir en orient tenir ce concile. Que si l’évêque de

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Rome ne peut venir en Orient, qu’il le fasse savoir à Marcien qui convoquera par ses sacræ litteræ, là où il croira bon, les évêques d’Orient, de Thrace, d’Illyricum. Une lettre de Pulchérie, du même temps, confirme au pape les desseins de l’empereur. Inter S. Leon. Epist. LXXVII. Elle lui apprend de plus qu’Anatolios a satisfait à tout ce que le pape réclamait de lui, que, sur l’ordre de Marcien, le corps de Flavien de sainte mémoire a été ramené à Constantinople, et que les évêques exilés avec Flavien ont été rappelés d’exil, en attendant que le concile prochain leur rende leurs sièges et leurs Eglises.

Anatolios s’est rallié à saint Léon, et saint Léon lui fait un accueil cordial : lettre du 13 avril 451 de Léon à Anatolios. Jaffé, n. 460. Par cette même lettre, le pape approuve ce que, à Constantinople, en présence de ses légats et avec eux, on a décidé, à savoir que les évêques qui ont trempé dans le brigandage d’Ephèse se contenteront provisoirement de la communion de leurs Eglises : ils rentreront dans " l’unité de notre communion ", quand ils auront désavoué leur brigandage. Quant aux auteurs responsables du scandale d’Ephèse, Dioscore d’Alexandrie, Juvénal de Jérusalem, Eustathe de Béryte, leurs noms ne doivent pas prendre place dans les dytiques, conformément à ce qu’ont réclamé les légats, un point sur lequel Anatolios hésitait. En terminant, saint Léon recommande à Anatolios Julien, évêque de Kos, et les clercs qui ont été fidèles à Flavien. Il lui parle d’Eusèbe de Dorylée qui est à Rome, qui est reçu à la communion de Rome : saint Léon demande à Anatolios de veiller sur l’Eglise de Dorylée, jusqu’au retour d’Eusèbe.

Ce même 13 avril, Léon écrit à l’empereur Marcien. Jaffé, n. 458. Il a confiance que la religion des empereurs et leur concorde rassurent le monde inquiet, parce que le progrès de leur foi rend leurs armes invincibles, utrorumque armorum potentiam insuperabilem facit, et qu’ensemble seront détruites l’hérésie et la barbarie simul et hæretica falsita et barbara (destruetur) hostilitas. Eutychès n’a plus à être jugé, ni Dioscore. Il n’y a plus qu’à réconcilier ceux qu’ils avaient entraînés dans l’erreur, et qui viennent à résipiscence. Le pape va envoyer des légats à Constantinople qui en traiteront sur place plenius atque opportunius.

Le 9 juin 451, saint Léon, Jaffé, n. 463, annonce à l’empereur Marcien qu’il lui adresse de nouveaux légats, l’évêque Lucentius et le prêtre Basile. Ils décideront de la rentrée individuelle des évêques qui ont trempé dans le brigandage d’Ephèse, et ils en délibèreront avec l’évêque de Constantinople, Anatolios. Il compte que le prince prêtera son concours à ces dispositions, et qu’elles suffiront à liquider la situation. Un concile général n’est donc plus vraiment nécessaire. Ce même 9 juin, saint Léon écrit à Pulchérie, Jaffé, n. 464, dans le même sens. Il demande qu’Eutychès soit éloigné de Constantinople. Du même jour, Jaffé, n. 465, lettre de Léon à Anatolios, confirmant les directives données à Lucentius et à Basile et énoncées dans la lettre à Marcien.

Le pape se fait sans doute quelque illusion sur la situation en Orient. Sans doute il a obtenu le ralliement de l’évêque de Constantinople, Anatolios, à l’orthodoxie, et il peut s’appuyer sur lui pour le ralliement de bien des évêques en Orient. Anatolios ne l’informe-t-il pas que l’évêque d’Antioche a fait prescrire par tous les évêques de son obédience la lettre de Léon à Flavien, et la condamnation de Nestorius et d’Eutychès ? Nous le savons par la lettre de Léon à Paschasinus, 24 juin 451. Jaffé, n. 468. Cette action concertée du pape et de l’évêque de Constantinople est du plus haut intérêt, car elle montre que l’évêque de Constantinople peut être pour le pape un utile second. Mais Rome, Constantinople, voire Antioche

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unies, auront-elles raison d’Alexandrie, de Dioscore et de sa clientèle eutychienne ? On ne voit pas le pape se poser cette question. La cour de Constantinople veut un concile ; elle en sent le besoin, elle n’entre pas dans les vues du pape qui estime un concile maintenant inutile. Le 17 mai, l’empereur lance la lettre d’indiction du concile général, qui s’ouvrira à Nicée le 1er septembre, et auquel il se promet d’assister en personne. Mansi, Concil., t. VI, p. 551.

Le 24 juin 451, saint Léon, Jaffé, n. 469, accepte le concile. Nous avions pensé, écrit-il à Marcien, que votre clémence pourrait accorder à notre désir, en considération de la nécessité présente (allusion aux menaces d’invasion), de différer à un temps plus opportun la convocation d’un concile, qui aurait pu être un universale concilium où seraient venus les évêques de toutes les provinces. Puisque, par amour de la foi catholique, vous avez voulu convoquer le concile présentement, je ne veux pas paraître y faire un obstacle. Et donc je vous envoie l’évêque Paschasinus, il me représentera. Le prêtre Boniface se joindra à lui, que nous vous avons envoyé déjà, et avec lui l’évêque Julien de Kos. Paschasinus, dit le pape, devra présider le concile à ma place, vice mea synodo convenir præsidere. Dans sa lettre du même jour, à Paschasinus, Jaffé, n. 468, le pape précise ses instructions doctrinales. La lettre à Flavien est acceptée de toute l’Eglise. Il faut rejeter l’impiété d’Eutychès et de ceux qui ont osé dire qu’il n’y a pas deux natures dans le Christ, et putant quod possint nostram diligentiam fallere cum aiunt se unam Verbi naturam credere incarnatam.

Le 26 juin, nouvelle lettre dans le même sens à Marcien. Jaffé, n. 4770. Aux dispositions prises par l’empereur, le pape ne fera pas difficulté. Il se félicite que le prétendu concile d’Ephèse ait été cassé en fait par le prince. Il ne veut pas les questions de foi soient portées à l’ordre du jour du concile qui va se réunir : In præsenti synodo fidem quam beati patres nostri ab apostolis sibi traditam prædicarunt, non patiemini quasi dubiam retractari. On devra s’en tenir aux constituta du concile de Nicée. ? Le m?me jour, lettre du pape à l’évêque de Constantinople, Anatolios, Jaffé, n. 471. Le pape a été surpris par la décision de l’empereur de convoquer le concile, parce que, quand nulla necessitas hostilitatis existeret, le délai est bien court pour réunir les évêques et avoir un concile vraiment universel : il entrera cependant dans les vues du prince, il enverra des légats qui nostra vice utantur in futuro concilio. Il ne doute pas de l’unanimité des évêques sur la foi, Anatolios l’ayant déjà assuré que tous les orientaux ont souscrit la condamnation de Nestorius et d’Eutychès.

Le même jour, lettre du pape à Julien de Kos. Jaffé, n. 472. Le pape prie Julien de s’adjoindre aux légats, parce qu’il sait que Julien est plus qu’eux au courant des affaires de là-bas. Les conseils de Julien empêcheront qu’ils ne soient trompés. Rappelons que Julien, italien de naissance, a été élevé à Rome, et fait plus tard évêque de l’île de Kos, une des Cyclades. Il a été présent au concile de Flavien, en 448, qui a condamné Eutychès. En 449, commence entre lui et le pape une correspondance dont nous avons une importante série de lettres du pape. Julien va être à Constantinople, où il résidera jusqu’en 457, un agent précieux et sûr pour saint Léon. Voir C. Gore, art. Julianus, 27, du Dictionary of christian biography, t. III, p. 473. Sur la dissertation de Wille, Bischof Julian von Kos, 1910, voir Bardenhewer, Geschichte, t. IV, p. 619.

Du même jour enfin, 26 juin 451, lettre du pape au concile. Jaffé, n. 473. " J’aurais souhaité que tous les évêques persistassent dans l’unité de la foi catholique et qu’aucun ne fût entraîné par la faveur ou la crainte

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des puissances séculières à quitter la voie de la vérité. " Allusion à la faction eutychienne et à la prépotence passée de Chrysaphios. La miséricorde de Dieu est plus grande que les fautes des pécheurs ! Embrassons donc le dessein du très religieux empereur, qui vous réunit pour restaurer la paix ecclésiastique. Il a voulu, pour honorer le droit du bienheureux apôtre Pierre, nous inviter nous aussi par ses lettres à être présent à ce vénérable concile, quod quidem nec necessitas temporis nec ulla poterat consuetudo permittere. Les légats seront là, Paschasinus, Lucentius, Boniface, Basile, en la personne que vous estimerez que je préside le concile : In his. . . me synodo vestra fraternitas æstimet præsidere. Repoussons l’audace de disputer contre la foi divinement inspirée, et qu’il ne soit pas permis de défendre ce qu’il n’est pas permis de croire : conformément à l’autorité de l’Evangile, des prophètes, des apôtres, dans la lettre que nous avons adressée à Flavien de bienheureuse mémoire, on a exposé quelle est l’expression authentique de la foi sur le mystère de l’incarnation. Pour saint Léon, la tâche du concile sera de rétablir l’ordre : des évêques qui ne voulaient pas pactiser avec l’hérésie ont été chassés de leurs sièges, on devra les rétablir. Les successeurs qui leur avaient été donnés, et que nous supposons avoir rétracté toute erreur, ne seront pas privés de l’honneur de l’épiscopat. Du premier concile d’Ephèse, que présida Cyrille de sainte mémoire, les décisions demeurent qui condamnèrent Nestorius : que l’impiété frappée alors ne croie pas devoir triompher, si Eutychès est frappé maintenant. La pureté de la foi, que nous professons dans le même esprit que nos saints Pères, condamne et poursuit également la perversion nestorienne et la perversion eutychienne.

Nestorius, cependant, dont la vie touchait à son terme, écrivait à des amis : " J’ai appris les choses qui ont été faites auparavant par Flavien, le pieux évêque de Constantinople, contre Eutychès. . . Quant à ce qui a été fait maintenant par le fidèle Léon, chef des prêtres, qui a combattu pour la piété et s’est opposé à ce qu’on a appelé concile, j’en ai loué Dieu avec grande allégresse, et je passe tous les jours dans l’action de grâces. . . Priez pour qu’il y ait un concile général, afin que mes doctrines, c’est-à-dire celles de tous les orthodoxes, soient confirmées. " Lettre de Nestorius publiée par Nau, en appendice à Héraclide, p. 373-375.

Le 20 juillet 451, nouvelle lettre de saint Léon à Marcien. Jaffé, n. 474. Il ne peut se défendre de rappeler qu’il avait demandé un concile qui serait tenu intra Italiam, et qu’il avait souhaité qu’on attendît un temps plus favorable, quo scilicet plurimi possent episcopi etiam de longinquioribus provinciis evocari. Mais il s’est empressé de se rendre aux desseins de ce prince. Le concile qui va se tenir ne comporte pas de discussion sur la foi. Le pape en terminant recommande ses légats à l’empereur. Plus importante est la lettre du même jour à l’impératrice Pulchérie. Jaffé, n. 475. Le pape rend grâces à Dieu quod tantam universalis Ecclesiæ curam habere vos video. Une fois de plus, il rappelle qu’il aurait préféré voir le concile se tenir en Italie, pour que les évêques d’Occident pussent y prendre part, si securitas temporis suppeteret. Mais il accepte la décision de l’empereur, il envoie ses légats au concile convoqué à Nicée, il vient d’écrire au concile même. Ne pas toucher à la foi, accorder la paix à ceux qui reviennent de leurs erreurs. Le pape s’élève avec force contre ce qui s’est fait à Ephèse, et il prononce le mot qui restera pour qualifier quidquid in illo Ephesino non judicio sed latrocinio potuit perpetrari, ubi primates synodi nec resistentibus sibi fratribus nec consentientibus pepercerunt. Il faut montrer une indulgence sans réticence à ceux qui détesteront leur faiblesse.

La parole était maintenant au concile, qui, convoqué

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pour le 1er septembre à Nicée, s’ouvrira le 8 octobre à Chalcédoine.

Le concile de Chalcédoine et saint Léon. ? Dans toutes les tractations pr?liminaires au concile, Dioscore est à peine nommé. Espère-t-on que, l’union étant assurée de Constantinople et de l’Orient avec Rome, l’Egypte ne pourra que se rallier, et que Dioscore apportera au concile sa soumission ? C’eût été bien mal connaître le caractère de Dioscore. Il vint à Nicée, et, comme on y attendait l’ouverture du concile, il risque un coup d’audace : il prononça de son chef, et dix évêques égyptiens avec lui, l’excommunication du pape Léon. On a supposé que ce coup avait été commis, l’an d’avant, c’est-à-dire, en 450, du temps de Théodose II vivant encore, et l’on imagine un voyage de Dioscore, à la cour l’emmenant à Nicée avec dix évêques égyptiens ! Tillemont, Mémoires, t. XV, p. 603. Comment expliquer que saint Léon se soit tu de ce défi de Dioscore ? L’incident se produisit sûrement à Nicée, et on ne voit pas que Dioscore ait eu l’occasion de se trouver en cette ville, sinon en septembre 451.

Le pape avait stipulé que la présidence du concile appartiendrait à ses légats. L’empereur imposa au concile un bureau composé de dix-huit laïques pris parmi les fonctionnaires les plus élevés de l’Etat, qui recevaient mandat de diriger les débats, par-dessus la tête des légats. Come ceux-ci ne protestèrent pas, on peut inférer qu’ils avaient consenti à ce compromis, sachant combien ils auraient eu de peine à conduire une assemblée de quelques cinq cents évêques, au milieu d’incidents parfois très violents.

Dès l’ouverture du concile, le 8 octobre, les légats réclamèrent et obtinrent que Dioscore ne fut reçu que comme accusé. On procéda ensuite à la lecture du dossier, c’est-à-dire des actes du brigandage d’Ephèse. Le 10 octobre, on continua, et lecture fut donnée du symbole de Nicée, du symbole dit de Constantinople 381, des deux lettres de Cyrille à Nestorius, de la lettre de Léon à Flavien, et cette dernière fut acclamée. Le 13 octobre, Dioscore fut condamné, le premier à opiner étant le légat Paschasinus au nom du pape. Le 17 octobre, le bureau fit connaître que l’empereur voulait un formulaire de foi, mais le concile estimait que la lettre à Flavien devait suffire. Le 22, le bureau présenta un formulaire qui avait été concerté la veille entre évêques de connivence avec Anatolios : les légats protestèrent, déclarant qu’ils allaient abandonner le concile, si l’on ne se tenait pas à la lettre à Flavien. On en référa à l’empereur, qui fit accepter de tous que le formulaire serait conforme à la lettre à Flavien. Le 25, l’empereur vint en personne assister au concile. Il y eut séances encore du 26 au 31, au cours desquelles notamment furent arrêtés les canons, dont le fameux 28e. A la séance du 1er novembre, les légats refusèrent d’accepter le 28e canon et le concile se termina sur ce désaccord.

Les premiers jours de novembre, le concile écrivit au pape Léon. Inter S. Leon. Epist., XCVIII. Les évêques sentaient la gravité du désaccord survenu entre eux et les légats au sujet du 28e canon, désaccord qui pouvait mettre en échec toute l’œuvre du concile. Les évêques donc expriment donc au pape les sentiments les plus déférents. " Tu es venu jusqu’à nous, lui disent-ils, tu as été pour tous l’interprète de la voix du bienheureux Pierre, et à tous tu as procuré la bénédiction de sa foi. " Nous avons pu manifester la vérité aux enfants de l’Eglise, dans la communauté d’un même esprit et participant comme à un banquet royal aux délices que le Christ nous avait préparé par tes lettres. Nous étions là quelques cinq cents évêques, " que tu conduisais comme la tête conduit les membres. " Dioscore a porté la peine de ses violences. N’avait-il

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pas osé réhabiliter Eutychès et lui rendre la dignité dont ta Sainteté l’avait dépouillé ? Pis encore, " il avait visé dans sa folie celui à qui le Sauveur a confié la garde de la vigne, nous voulons dire ta Sainteté, et il avait voulu excommunier celui qui se dépense à unir le corps de l’Eglise. " Nous aurions voulu le ramener, continuent les évêques, notre concile se fût terminé dans la joie si nous n’avions pas eu à le condamner. Du moins est-il le seul que nous ayons dû frapper. Sainte Euphémie, dont la basilique abritait le concile, a travaillé avec nous : la définition que nous avons faite de la foi, elle l’a présentée à son époux le Christ par les mains de l’empereur et de l’impératrice. ? On remarquera le tour insinuant pris par les évêques pour faire accepter du pape un formulaire dont en principe il ne voulait pas.

Les évêques pensent lui faire accepter de même le 28e canon. Rappelons que ce 28e canon est une réfection du 3e canon du concile de Constantinople de 381 qui attribue à l’évêque de Constantinople la primauté d’honneur après l’évêque de Rome, " parce que Constantinople est la nouvelle Rome. " Le 28e canon de Chalcédoine énonce d’abord qu’il définit la même chose que le 3e canon de 381. " Car au siège de la vieille Rome, parce que cette ville est souveraine, les Pères ont à bon droit attribué la primauté : dans le même dessein les 150 pieux évêques (de 381) ont accordé la même primauté au très Saint Siège de la nouvelle Rome, estimant avec raison que la ville qui est honorée (de la présence) du basileus et du sénat et qui a les mêmes privilèges (civils) que la vieille Rome royale, est grande aussi comme elle dans les choses ecclésiastiques, étant la seconde après elle. " Ce considérant posé, le 28e canon prescrit que les métropolitains, " les seuls métropolitains, des diocèses de Pont, d’Asie, de Thrace, et aussi les (simples) évêques des (régions) barbares (rattachées) aux diocèses susdits, seront ordonnés par le très saint siège de la très sainte Eglise de Constantinople, chaque métropolitain des susdits diocèses avec les évêques de la province ordonnant les évêques de la province, ainsi qu’il est prévu dans les divins canons, l’ordination des métropolitains des susdits diocèses étant réservée à l’archevêque de Constantinople, après que leur élection aura eu lieu dans la forme accoutumée et qu’elle aura été notifiée à l’archevêque de Constantinople. "

Dans leur lettre au pape, les évêques énoncent qu’ils ont pris les décisions pour le bon ordre des choses ecclésiastiques et qu’ils ne doutent pas que " Léon les approuvera et les confirmera ", quand il les connaîtra. La coutume est depuis longtemps établie que les métropolitains de Thrace, d’Asie, de Pont, soient ordonnés par l’évêque de Constantinople : le concile a consacré cette coutume par un canon. Le canon (3 du concile) des 150 Pères (de 381) a prescrit que, " après votre très saint et apostolique siège ", Constantinople ait la primauté, c’est-à-dire soit le second siège. Nous sommes persuadés que, " le rayon apostolique étant chez vous dans son éclat, vous en ferez bénéficier l’Eglise de Constantinople, par votre habituelle sollicitude. " Les évêques ne doutent pas que le pape n’agrée cette disposition, à laquelle se sont opposés très vivement ses légats. Considérant néanmoins les sentiments favorables de l’empereur, du sénat, de toute la ville impériale, nous avons jugé opportun de faire consacrer par le concile la primauté du siège de Constantinople, présumant que l’approbation du Siège apostolique ne serait pas refusée. Suivent les signatures.

Le 18 décembre 451, l’empereur Marcien écrit au pape Léon, pour appuyer la lettre du concile. Inter S. Leon. Epist., C. Les évêques réunis à Chalcédoine de toute la terre qui est soumise à notre empire ont adhéré à la foi du pape, juxta litteras sanctitatis tuæ universi

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assenserunt expositioni prout veritas postulavit. Le pape partagera certainement la joie qu’en éprouve l’empereur. Les évêques ont de plus confirmé ce que les 150 évêques (du concile de 381), du temps de Théodose le Grand, avaient statué en l’honneur de la vénérable Eglise de Constantinople, à savoir que, après le Siège apostolique, l’évêque de Constantinople aurait la première place, parce que cette ville splendide est appelée Junior Roma. L’empereur prie le pape Léon de donner son assentiment, et de ne pas prendre en considération l’appel interjeté par ses légats.

Une lettre d’Anatolios à saint Léon accompagne la lettre de Marcien. Inter S. Leon. Epist., CI. Anatolios se conforme à l’obligation qui lui incombe de faire connaître au pape les actes du concile qui vient de se tenir. Il lui envoie donc le prêtre Lucien et le diacre Basile, qui porteront à Rome le dossier, et qui, de vive voix, pourront compléter l’information du pape et revenir ensuite avec une réponse digne de lui, c’est-à-dire empreinte de la sollicitude que la paternelle béatitude du pape a accoutumé de témoigner au siège de cette ville royale (de Constantinople). Anatolios rappelle alors la condamnation de Dioscore, il rappelle le formulaire rédigé juxta vestram illam sacra epistolam (la lettre à Flavien), il parle enfin du 28e canon. Il le présente comme une réédition du 3e canon de 381. Nous avons abordé cet article avec la confiance que votre béatitude considérerait comme son propre honneur celui du siège de Constantinople, quippe jamdiu apostolicus vester thronus sollicitudinem erga ipsam et concordiam habet, ipsique per omnia proprium quibus rebus indigebat auxilium elargitus est abundanter. Anatolios ne comprend pas l’opposition faite par les légats à ce 28e canon : il les avait pourtant à maintes reprises éclairés. Voici que, le concile ayant accepté et souscrit ce canon, ils le rejettent, emplissent de trouble et de confusion l’assemblée, tiennent pour rien le siège de Constantinople, et font tout ce qui peut offenser et l’évêque et l’Eglise de Constantinople. Anatolios est convaincu que les légats vont contre les intentions du pape et il ne doute pas de la réponse favorable que le prêtre Lucien rapportera de Rome.

Le pape Léon ne pouvait que se réjouir de l’œuvre doctrinale du concile de Chalcédoine. On a une lettre de lui, Jaffé, n. 479, du 27 janvier 452, à l’évêque Ravennius d’Arles et à ses collègues gallo-romains, lettre par laquelle il lui annonce le succès de la sainte foi, et le prie de la faire connaître aux évêques d’Espagne. Nous avions, dit-il, intimé à nos collègues orientaux la foi qui est celle de nous tous sur l’incarnation, la foi que nous devons à la prédication des saint Pères et à l’autorité de l’intangible symbole. Le concile, qui comptait près de six cents évêques, n’a toléré aucune entreprise contraire à cette foi divinement fondée. A tous, évêques, princes, clercs, peuple, il est apparu que c’était bien la foi apostolique et catholique. Le concile humilitatis nostræ scriptis, auctoritate domini mei beatissimi Petri apostoli et merito roboratis, religiosa unanimitate consentiens, a condamné Dioscore. Le pape reprend à ce propos une pensée que nous l’avons vu exprimer ailleurs : il ne convenait pas que fût laissée aux mains d’un hérétique cette Eglise, quæ inter ipsa Evangelii principia beatum Marcum beatissimi Petri apostoli discipulum, in omnibus utique doctoris sui magisterio consonantem, habuit fundatorem, cette Eglise qui a eu plus tard pour évêque Athanase, Théophile, Cyrille, probatissimos præsules. Cette lettre du 27 janvier 452, ne parle pas de difficultés entre le concile et le pape : elle est toute à l’action de grâces. Il est vrai que les légats ne sont pas encore de retour à Rome.

Quelques temps plus tard, les légats sont revenus,

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fratres mei qui vice mea orientali synodi præsederunt, et saint Léon confirme à Ravennius et à ses collègues gallo-romains les bonnes nouvelles qu’il leur a données déjà. Jaffé, n. 480. Pas un mot des difficultés subsistantes.

Mais le 22 mai 452, Jaffé, n. 481, répondant à l’empereur Marcien, le pape Léon remercie d’avoir fait l’unanimité de foi des peuples, des évêques, des princes. Aussitôt cependant il parle de la douleur qu’il a de voir l’esprit d’ambition menacer la paix que Dieu vient de rendre à l’Eglise universelle. Anatolios avait bien des raisons d’être modeste : il était suspect, du fait des évêques à qui il devait son ordination, et nous avions été indulgents à ses débuts incertains, assure le pape en considération de la foi et de l’intervention de l’empereur. il aurait dû suffire à Anatolios d’être, par l’appui de votre piété et par mon bon vouloir évêque d’une si grande ville. A défaut d’un siège apostolique, qu’il ne dédaigne pas une cité impériale, non dedignetur regiam civitatem, quam apostolicam non potest facere sedem.

Nous découvrons que le pape est entré pleinement dans le sentiment de ses légats : il ne veut pas du 28e canon, et il donne à l’empereur les raisons de son veto : Privilegia enim Ecclesiarum, sanctorum patrum canonibus institua, et venerabilis Nicænæ synodi fixa decretis, nulla possunt improbitate convelli, nulla novitate mutari. Le pape estime que c’est sa tâche de maintenir, avec l’aide du Christ, les institutions des Pères : Dispensatio mihi credita est, et ad meum tendit reatum, si paternarum regulæ sanctionum, quæ synodo Nicæna ad totius Ecclesiæ regimen spiritu Dei instruente sunt conditæ, me (quod absi) connivente violentur. Le pape est le gardien des règles posées à Nicée pour l’ordre de toute l’Eglise.

La lettre du même jour, 22 mai 452, Jaffé, n. 482, à l’impératrice Pulchérie, est conçue dans le même sentiment. Le pape rend grâces à Dieu du zèle de l’impératrice pour la paix rendue à toute l’Eglise, pour l’univers confirmé dans l’unité de l’Evangile. Mais il ne peut accepter l’ambition d’Anatolios. On ne doit permettre à qui que ce soit d’attenter aux décrets du concile de Nicée, qui sont la condition de la paix dans les Eglises. L’évêque de Constantinople, par quoi sera-t-il satisfait, si la grandeur de Constantinople ne lui suffit pas ? Celui-là seul est grand qui est étranger à toute ambition. Anatolios foule aux pieds l’antiquité pour s’arroger le droit d’autrui. Il veut exalter la dignité de son siège en confisquant tot metropolitanorum primatus, et en troublant la paix de provinces où le concile de Nicée avait mis l’ordre. Pour se justifier, il invoque le consentement d’évêques (ceux du concile de 381). En conclusion, le pape déclare : Consensiones episcoporum, sanctorum canonum apud Nicæam conditorum regulis repugnantes, unita nobiscum vestræ fidei pietate, in irritum mittimus et per auctoritatem beati Petri apostoli generali prorsus definitione cassamus. C’est le rejet solennel et la condamnation du 28e canon.

Ce même 22 mai 452, saint Léon écrit à Anatolios, Jaffé, n. 483, dans le même sens et avec plus de sévérité. La foi a été mise en sûreté par le concile, le pape s’en réjouit et sait gré au zèle d’Anatolios d’y avoir travaillé. Elu d’une faction détestable, Anatolios n’a pas justifié les craintes qu’il inspirait, et Dieu a tourné le mal en bien. Mais le pape ne peut supporter son ambition. Il s’est arrogé, en effet, la consécration de l’évêque d’Antioche contra canonicam regulam. Il entreprend de méconnaître sacratissimas Nicænorum canonum constitutiones, comme si le temps était venu où l’on dut tenir pour aboli le privilège qui donne le second rang de l’Eglise à Alexandrie et le troisième à l’Eglise d’Antioche, ut, his locis, jori tuo subditis, omnes metropolitani episcopi proprio honore priventur.

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Le pape défend les instituta Nicæni concilii, des lois qui doivent subsister jusqu’à la fin du monde, des institutions quæ ad perpetuam utilitatem generaliter instituta sunt. Il le dit en une formule toute juridique : Non convellantur provincialium jura primatum, nec privilegiis antiquitus institutis metropolitani fraudentur antistites. Nihil Alexandrinæ sedi ejus quam per sanctum Marcum evangelistam beati Petri discipulum meruit pereat dignitatis. . . Antiochena quoque Ecclesia, in qua primum prædicante beato apostolo Petro christianum nomen exortum est, in paternæ constitutionis ordine perseveret et in gradu tertio collocata nunquam se fiat inferior.

Nous ne ferons pas de difficulté de reconnaître que l’opposition de saint Léon au 28e canon est malaisée à justifier. Ce canon, en effet, ne confisquait pas les droits de tous les métropolitains orientaux au bénéfice de l’évêque de Constantinople. Tout au plus pourrait-on trouver dans les canons 9 et 17 l’institution en certaines causes d’un recours à Constantinople, recours facultatif, mais il n’y a rien de pareil dans le 28e canon. Secondement, saint Léon articule que les institutions établies par les saints Pères sont immuables, intangibles, et doivent durer jusqu’à la fin du monde : affirmation que l’expérience des siècles infirme. Troisièmement, saint Léon veut que le concile de Nicée ait établi un ordre qui fait du siège d’Alexandrie le second après Rome, et celui d’Antioche le troisième : le canon de Nicée n’a pas ce sens.

Quelle que soit la valeur des considérants invoqués par le pape, on voit qu’il ne supporte pas l’accaparement par l’évêque de Constantinople d’une primauté, soit d’honneur, soit de juridiction, qui est manifestement da ns ses desseins. N’eût-il pas été plus habile de s’accommoder de la primauté de Constantinople, puisqu’elle était inévitable et qu’elle s’exerçait déjà de fait, quitte à chercher le moyen de l’ajuster au principatus de l’évêque de Rome ?

Un autre point difficile de la position de saint Léon est qu’il déclare ne pas connaître le canon 3 du concile de Constantinople de 381, et qu’il assure que ce canon est depuis soixante-dix ans resté sans effet. En fait, au concile de Chalcédoine, les légats ont reconnu à Anatolios le premier rang, loin de le réclamer pour l’évêque d’Antioche, à défaut de l’évêque d’Alexandrie. Eusèbe de Dorylée a déclaré que, étant à Rome, il avait lu au pape le canon 3 de 381, et que le pape l’avait approuvé. Tillemont, Mémoires, t. XV, p. 617. Siège apostolique, p. 559.

Ces difficultés sont graves et reconnues. Voir B.-J. Kidd, A History of the Church to A. D. 461, 1922, t. III, p. 336.Mais on n’a pas le droit de dire que le pape ne pouvait alléguer les vraies raisons de son opposition au 28e canon, c’est à savoir qu’il redoutait un rival à sa propre autorité dans " l’élévation de Constantinople au second patriarcat ". Ibid. Faisons à saint Léon l’honneur de croire qu’il ne cachait pas sa pensée et qu’il n’aurait pas craint de la dire tout entière à Marcien, à Pulchérie, à Anatolios, à Julien de Kos. Il était trop clairvoyant pour ne pas voir un danger dans l’ambition de l’évêque de Constantinople, et il la dénonce en clair. Il a peut-être voulu interdire la constitution en Orient d’une unité dont l’évêque de Constantinople serait le chef, et qui s’opposerait à celle de l’Occident en s’en isolant, et qui serait dans la main du basileus, lequel n’aurait pas toujours les mêmes sentiments que Marcien ou Pulchérie.

Ainsi en jugent R. Sohm, Kirchenrecht, t. I, 1892, p. 437, et Duchesne, Hist. anc., t. III, p. 465. Mais cette interprétation dépasse les déclarations du pape : Léon ne dénonce que l’ambition d’Anatolios.

Quant à voir dans cette ambition la négation du privilège apostolique de Rome, c’est ce que les adver-

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saires de ce privilège diront un jour et disent encore, mais c’est par une anticipation illégitime. Cf. B. Leib, Rome Kiev et Byzance à la fin du XIe siècle, 1924, p. 38-39. Ils font valoir sans doute que les légats, au concile de Chalcédoine, ont repoussé le 28e canon en disant : " Le Siège apostolique ne doit pas être humilié, nous présents : donc on doit rejeter tout ce qui a été fait hier au préjudice des canons et des règles, nous absents. " Ils ont menacé d’en appeler au Siège apostolique, pour que le seigneur apostolique juge, ipse de suæ sedis injuria aut de canonum eversione. Les légats pensaient donc à une injure faite au Siège apostolique, mais on peut croire que cette injure consistait à violer les canons que le Siège apostolique revendiquait à la mission de défendre. Le 28e canon, en effet, ne conteste pas à l’évêque de Rome le premier rang, et il accorde à l’évêque de Constantinople seulement le second rang après lui. Sans doute, il ne fait pas état du principatus que confère à l’évêque de Rome le privilège d’être le successeur de l’apôtre Pierre, mais il ne le nie pas, alors même qu’il attribue à la nouvelle Rome la même dignité qu’à la vieille Rome. Cette négation serait très grave, et c’est une raison de plus de s’étonner que saint Léon ne l’ait pas relevée.

Car il ne la relève pas, parmi les griefs qu’il articule contre le 28e canon. Et voici qui est un argument plus péremptoire encore. Julien de Kos, qui est attaché aux légats pendant le concile et qui reste à Constantinople après le concile pour suivre les évènements et éclairer le pape a écrit à ce dernier pour lui suggérer d’accepter le 28e canon. Qui croira que Julien ait accepté la négation du privilège apostolique de Rome ? Saint Léon lui répond le 22 mai 452. Jaffé, n. 484. Tu sais, dit-il, avec quelle ferme et constante résolution, " je garde les statuts des saints canons de Nicée, convaincu que toutes les règles ecclésiastiques sont compromises, si quelque point est violé de cette sacro-sainte constitution des Pères. " Voilà tout le programme du pape. Je m’étonne donc, poursuit saint Léon, que tu aies pu m’écrire pour intercéder en faveur d’une nouvelle transgression, et que tu aies pensé bien faire en m’engageant à condescendre à des convoitises illicites. Quelque affection que j’aie pour toi, tu ne pourras obtenir de moi que je consente de ruine à l’ordre ecclésiastique, soit que tu me persuades, soit que tu me supplies. En réponse à tes lettres, avec l’affection que j’ai pour toi, je t’engage à considérer seulement l’ordre de l’Eglise universelle, lequel a été établi par une très salutaire institution, et à cesser de me demander en faveur de qui que ce soit des dérogations qui ne pourraient être consenties sans faute soit pour moi qui les accorderais, soit pour toi qui les obtiendrais. Il ressort de ce texte que Julien de Kos a insisté auprès de saint Léon pour la reconnaissance du 28e canon : saint Léon entend décourager de telles instances en lui représentant que le status établi par le concile de Nicée ne peut être violé. Or le concile de Nicée n’a pas statué sur le privilège apostolique de l’Eglise de Rome.

Par ses lettres du 22 mai 452 à la cour et à l’évêque de Constantinople, saint Léon a pris position à l’égard du concile de Chalcédoine, et, comme s’il attendait que l’épiscopat oriental vînt à résipiscence sur le 28e canon, le pape va différer de répondre à la lettre synodale qu’il a reçue du concile. Le 15 février 453 il n’a pas encore répondu. A cette date, en effet, l’empereur Marcien lui en marque son extrême étonnement. Le pape aurait dû écrire une lettre qui aurait été lue dans les Eglises (d’Orient) et qui aurait montré à toutes les Eglises et à leurs fidèles que l’œuvre doctrinale du concile était approuvée par sa béatitude. L’abstention du pape était exploitée contre le concile par les eutychiens. Quant au 28e canon, contre lequel le pape s’est

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élevé si fortement, l’empereur paraît en faire bon marché, car il loue le pape de ne rien laisser innover en ces matières, ainsi qu’il convient à un évêque du Siège apostolique. Inter S. Leon. Epist., CX.

Saint Léon répondit à l’empereur le 10 mars 453. Jaffé, n. 487. L’univers reconnaît le zèle que Marcien a mis au service de la foi chrétienne : la divine Providence lui a confié la garde de la vérité catholique. Mais aussitôt le pape dit au prince l’amertume que lui cause la conduite d’Anatolios. Certes Anatolios était bien gravement suspect, du fait qu’il était la créature d’évêques compromis (dans l’eutychianisme) : quand il avait sollicité la communion du Siège apostolique, le pape s’était longtemps abstenu de lui envoyer le pacis epistolæ, et il ne s’y était résolu que sur les instances de l’empereur Marcien ! Il attendait d’Anatolios qu’il romprait avec les persécuteurs de Flavien et traiterai comme des ennemis du Christ les partisans d’Eutychès. Or voici qu’Anatolios vient de disgracier son archidiacre Aétios dont saint Léon relève très haut le mérite, et vient de donner sa place d’archidiacre à André que saint Léon déclare être un eutychien. Voir plus de détails dans Tillemont, Mémoires, t. XV, p. 757-760. Saint Léon prend une mesure énergique, qui est, pour mieux s’assurer d’Anatolios, d’accréditer Julien de Kos à Constantinople comme son représentant permanent : Vicem ipsi meam contra temporis nostri hæreticos delegavi, atque, propter Ecclesiarum pacisque custodiam, ut a comitatu a vestro non abesset exegi, cujus suggestiones pro concordia catholicæ unitatis. Voir du même 10 mars 453 et dans le même sens la lettre de saint Léon à Pulchérie, et du lendemain11 mars la lettre à Julien de Kos. Jaffé, n. 488 et 489.

La lettre susdite à Pulchérie nous apprend qu’Aétios s’était plaint de sa disgrâce à saint Léon par une lettre, que le pape qualifie de lacrimabilis querela. Ce qui nous déconcerte, c’est que cet Aétios, qui tient une grande place dans les débats du concile de Chalcédoine à titre d’archidiacre de Constantinople, paraît avoir été l’auteur du 28e canon, qu’il défendît au concile contre les légats. On a l’impression que saint Léon, très animé contre Anatolios, saisit l’occasion de la disgrâce d’Aétios, pour remonter à la cour qu’Anatolios trahit la bonne cause et pour installer à Constantinople Julien de Kos dans sa mission d’observateur et d’agent du Siège apostolique (on dira plus tard d’apocrisiaire), et ce serait une façon d’organiser les relations ordinaires du Siège apostolique et de l’Orient avec l’empereur pour auxiliaire. Dans la lettre que nous venons de mentionner à Julien de Kos, on voit bien le dessein du pape : Julien sera au service de la sollicitude du Siège apostolique, pour autant que cette sollicitude doit veiller sur la pureté de la foi : il aura à suggérer à la piété des princes les mesures opportunes et utiles à l’Eglise universelle : s’il a quelque hésitation, il référera à Rome et non deerit relationibus tuis meæ responsionis instructio. L’essentiel de sa mission est d’interdire toute reprise de l’hérésie nestorienne ou eutychienne, sans empiéter cependant sur la compétence des évêques, sequestrata earum actione causarum quæ qui busque Ecclesiis præsulum suorum debent cognitione firmari. Réserve que l’historien doit noter au passage, comme le scrupule très juridique qu’a saint Léon d’humilier les évêques. On retrouve scrupule dans la lettre du 21 mars 453 à Julien de Kos, Jaffé, n. 493, où le pape revient sur l’affaire d’Aétios, qu’il qualifie d’injustice face aux catholiques : Sed patienter interim ista toleranda sunt, ne mensuram moderationis solitæ videamur excedere.

Le 21 mars 453, enfin, Jaffé, n. 490, le pape se décide à répondre à la lettre synodale du concile de Chalcédoine. Saint Léon compte sur l’empereur Marcien

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pour faire parvenir cette réponse aux évêques orientaux. Ses légats au concile ont approuvé la foi définie, saint Léon renouvelle cette approbation, en ce qui concerne la cause de la foi, car c’était pour cette cause seulement que le concile avait été convoqué ex præcepto christianorum principum et ex consensu apostolicæ Sedis. Quant à ce qui regarde l’ordre dans l’Eglise, le pape ne veut rien savoir de ce qui va contre " les droits des Eglises établis par les trois cent dix-huit Pères divinement inspirés " de Nicée. On a du même jour, 21 mars 453, dans le même dans une lettre à Marcien et une lettre à Pulchérie. jaffé, n. 491 et 492.

Cependant saint Léon continue de tenir rigueur à Anatolios : il déclare à Julien de Kos, 21 mars 453, Jaffé, n. 493, qui l’a prié d’écrire à Anatolios, qu’il n’en fera rien, quia eum corrigi nolle perspeximus. Anatolios, en effet, ne vient-il pas de pousser la présomption jusqu’à écrire aux évêques de l’Illyricum oriental pour leur demander ut sibi subscriberent ? n peut penser qu’il s’agissait de souscrire le 28e canon de Chalcédoine. Tillemont, t. XV, p. 729.

Sur la fin de 453, l’excellent empereur Marcien intercède à Rome en faveur d’Anatolios. Le pape répond, 9 mars 454, Jaffé, n. 504, qu’il ne veut pas résister aux instances de l’empereur. Il oubliera qu’Anatolios n’a pas répondu aux réclamations de Rome concernant Aétios et André, mais il exige qu’Anatolios satisfaciat canonibus, qu’il désavoue toute ambition coupable. Que la paix se fasse in qua simul studebimus et catholicam fidem et Nicænorum canonum decreta servare. Marcien aidant, Anatolios envoya à Rome une lettre maussade de soumission, Inter S. Leon. Epist., CXXXII, et le 29 mai 454, saint Léon lui répond sans grande chaleur pour l’assurer de sa réconciliation, et non sans lui rappeler le respect des canons de Nicée : Nicænorum canonum universalis Ecclesiæ pacem servantia decreta custodias. Jaffé, n. 509.

Constantinople rejeta-t-elle le 28e canon ? C’est bien douteux. Dans une lettre du pape à Julien de Kos, 9 janvier 454, Jaffé, n. 503, on voit que la lettre du pape au concile (celle du 21 mars 453) a été lue à Constantinople en présence d’évêques et devant le clergé, mais on n’a lu que ce qui s’y rapportait à la foi, et on a rien de ce qui concernait l’ambition d’Anatolios. Tillemont dit sagement : " Ce qui paroist certain, c’est que soit qu’Anatole se soit désisté du canon de Chalcédoine, soit qu’il ait prétendu le maintenir, soit que Marcien ait aboli le mesme Canon de loy de 454, comme le veut Baronius, soit que cette pensée soit sans fondement, ce canon subsista, et fut exécuté, malgré l’opposition de saint Léon et de ses successeurs, parce que les empereurs l’appuyoient. . . L’évêque de Constantinople conserva toujours la préséance sur Alexandrie et Antioche, et exerça une grande jurisdiction sur l’Asie, le Pont et le Thrace. " Mémoires, t. XV, p. 730. Mais rien de tout cela n’affectait le privilège apostolique de Rome, sauf en temps de schisme. Sur les vicissitudes du 28e canon, après saint Léon, voyez la note de A. Fortescue, dans J. Maspero, Histoire des patriarches d’Alexandrie, 1923, p. 270-271.

V. LES DERNIERES ANNEES DE SAINT LEON. ? 1° L’Orient après Chalcédoine sous Marcien. ? La sollicitude de saint L?on à maintenir l’orthodoxie et l’ordre en Orient, par l’intermédiaire de Julien de Kos et avec le concours de l’empereur Marcien, allait être mise avant longtemps à de rudes épreuves. On en peut juger par les lettres que le pape écrit à Julien de Kos. Le 25 novembre 452, Jaffé, n. 486, le pape gémit des graves nouvelles que Julien lui a données de la Palestine, qui est mise sens dessus dessous par une jacquerie de moines eutychiens. Sur ces troubles, voir Duchesne, Hist. anc., t. III, p. 467-473.

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Je n’ignore pas, écrit saint Léon à Julien, ce que l’on doit de charité et d’encouragement aux vrais et saints moines, mais les moines orgueilleux et agités qui méprisent les évêques ne sont que des soldats de l’Antéchrist. Que Julien agisse auprès de Marcien en vue de mettre la main sur les auteurs responsables de ces séditions, et en vue de soutenir l’évêque Jérusalem, Juvénal, chassé de son siège par ces fanatiques. Que Julien écrive à Rome plus souvent encore pour tenir Léon au courant des évènements.

Le 11 mars 453, Jaffé, n. 489, saint Léon écrit à Julien qu’il n’ pas de nouvelles de la sédition des moines de Palestine, et qu’il ne sait pas exactement pourquoi ils sont en discorde avec Juvénal : Unde cupio me super his plenius edoceri, ut etiam talium correctioni congrue studeatur. C’est bien la preuve que Juvénal, qui s’est réfugié à Constantinople, n’a pas cru nécessaire de saisir saint Léon de ses difficultés.

Le 21 mars suivant, Jaffé, n. 493, saint Léon se réjouit de voir sa sollicitude si bien aidée par Julien, et quel secours puissant le Seigneur a préparé à l’Eglise universelle dans la piété de Marcien. Il se félicite de l’édit de Marcien contre les moines insensés (de Palestine) et de la réponse de Pulchérie blâmant les supérieurs de monastères. Marcien a fait suggérer secrètement au pape d’écrire à l’impératrice Eudocie, veuve de Théodose II, qui vit retirée à Jérusalem et brouillée avec la cour de Constantinople : on espère que Léon pourra la détacher du parti des moines eutychiens en révolte. Feci quod voluit, annonce le pape à Julien. Le pape a obtenu de l’empereur Valentinien III, gendre d’Eudocie, qu’il écrive aussi à la princesse sur le même sujet. Il compte apprendre par Julien quel effet aura produit cette intervention en Palestine et si la rébellion s’apaise. Si ces moines en révolte contre le concile de Chalcédoine ont le front de mettre en doute la doctrine de Léon, qu’ils ne rejettent pas du moins celle d’Athanase, de Théophile, de Cyrille, avec qui Léon est bien assuré d’être unanime. Voir sur cette même affaire des troubles suscités par les moines eutychiens de Palestine, la lettre de saint Léon à Eudocie, 15 juin 453, la lettre du même aux dits moines, même temps, la lettre du même à Marcien, 9 janvier 454, la lettre du même à Julien de Kos, même date. Jaffé, n. 499, 500, 502, 503.

Le 2 avril 453, Jaffé, n. 494, saint Léon répond aux alarmes que les hérétiques inspirent à Julien de Kos. Il ne faut pas que per desidiam nostram ulla pars Ecclesiæ catholicæ neglecta videatur. Le concile de Chalcédoine a condamné l’impiété hérétique de Nestorius et d’Eutychès : le bras séculier doit maintenant réprimer les perturbateurs de la paix ecclésiastique et les ennemis de la république. Nous avions vu déjà saint Léon faire appel au prince chrétien pour la répression des manichéens. Ici il réclame toute la sévérité du prince : il veut une inquisitio judicaria, il veut que l’on procède sans pitié, mais que l’on ne verse pas de sang, ut (imperator) et disciplina inquietos revocari, et a sanguine corem jubeat abstineri, d’une part, action de l’imperialis potestas qui doit tumultus publicos ac seditiones sacrilegas severius coercere : d’autre part, action de l’auctoritas sacerdotalis, qui dans le cas présent doit retirer aux moines la faculté de prêcher contre la foi et de rien entreprendre sur l’autorité des évêques. Ainsi le pape a appris que Thalassios évêque de Césarée de Cappadoce a permis d’écrire et de prêcher à un certain Georges, qui était moine et qui ne l’est plus. Si Julien de Kos le juge opportun, " nous écrirons d’ici à cet évêque ". On peut penser que ce Georges avait été dénoncé à Rome : le pape était tout prêt à écrire une lettre de monition à l’évêque de Césarée. Julien de Kos apparemment dut

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détourner saint Léon d’intervenir, du moins on n’entend plus parler de l’affaire.

Le 11 juin 453, saint Léon écrivit à l’évêque d’Antioche, maxime, Jaffé, n. 495, ou plus exactement il répond à une lettre que celui-ci lui a adressée et dans laquelle il manifestait sa joie du rétablissement de l’unité de la foi et de la paix ecclésiastique. Le pape est heureux de pouvoir s’entretenir avec l’évêque d’Antioche. Sans doute tout n’est pas au mieux encore en Orient : il s’y trouve des gens fidèles à Nestorius, d’autres à Eutychès, qui se combattent les uns les autres, sans vouloir reconnaître que le jugement des catholiques condamne aussi bien Nestorius qu’Eutychès. Que Maxime considère de quelle Eglise il est évêque : qu’il considère la doctrine que le prince des apôtres, Pierre, a prêché dans le monde entier, mais spécialement à Antioche et à Rome. Qu’il ne souffre pas que in orientalibus Ecclesiis, surtout dans celles que les canons de Nicée ont attribuées au siège d’Antioche, personne défende l’hérésie, soit de Nestorius, soit d’Eutychès. Qu’il résiste à l’hæreticas pravitas avec son autorité sacerdotale, et qu’il ait à cœur d’informer Rome du progrès des Eglises, nosque sæpius de profectu Ecclesiarum tuis relationibus quid agatur instruere. Qu’il comprenne que son devoir est de s’associer à la sollicitude du Siège apostolique. On voit combien que saint Léon est attaché à sa théorie de la préséance des sièges ! Maxime avait dû se plaindre que l’on en voulait aux droits de son siège, allusion aux droits reconnus par le concile de Chalcédoine au siège de Jérusalem, et, il avait dû insinuer au pape qu’il comptait sur son appui. Saint Léon lui confirme qu’il sera intransigeant sur le maintien des canons de Nicée. Il lui envoie deux exemplaires de la lettre qu’il a écrite sur cet article à l’évêque de Constantinople, Anatolios, dans le dessein de décourager son ambition, et il prie Maxime de la faire connaître aux évêques qui relèvent d’Antioche.

Du même 11 juin 453, Jaffé, n. 496, il y a la lettre que saint Léon écrit à l’évêque de Cyr, Théodoret, qui a fait porter à Rome l’hommage de son attachement par les légats revenant de Chalcédoine. Cette lettre à Théodore révèle bien la conscience que saint Léon a de la victoire que le Siège apostolique vient de remporter à Chalcédoine, et aussi bien de la mission perpétuelle de cette sedes Petri dans l’Eglise. Nous ne pouvons y insister ici. Notons que le pape rend à nouveau pleine justice à la pureté de la foi de Théodoret. En retour, que Théodoret collabore à l’action de Rome : Sedi apostolicæ collabores. Qu’il écrive à Rome, qu’il instruise le Siège apostolique des progrès que fait autour de lui la saine doctrine, afin, dit le pape, que " nous aidions les évêques de cette région en tout ce qui sera nécessaire. "

Ces diverses lettres de saint Léon ne sont pas rassurantes. L’épiscopat est bien unanime dans la foi de Chalcédoine, mais le monophysisme n’a pas désarmé : il a d’innombrables partisans dans les couvents, et, s’il ne provoque en Palestine qu’une jacquerie, il va en Egypte préparer un schisme.

Dioscore a été exilé à Gangres, où il mourra le 4 septembre 454 ; on lui a donné pour successeur à Alexandrie, novembre 451, Protérios, mais l’élection a été pénible. Marcien a dû intervenir par un édit (28 juillet 452) pour menacer ceux qui ne veulent pas reconnaître Protérios, sous prétexte de rester fidèle à Dioscore et en haine du concile du Chalcédoine. Aussitôt élu, Protérios a écrit au pape Léon, et, en même temps que Protérios, ont écrit tant les évêques qui l’ont ordonné, que le clergé d’Alexandrie qui le soutient. A Rome, on se défie : le pape exige des assurances, il les obtient, et les ayant reçues nous le voyons se féliciter de ne pouvoir douter de la loyauté de la foi du nouvel évêque. Lettre de Léon à Protérios du

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10 mars 454, Jaffé, n. 505. " Il fallait que de telles lettres fussent adressées à l’évêque de l’Eglise d’Alexandrie au Siège apostolique, qui témoigneraient que du magistère du bienheureux apôtre Pierre fut dès le commencement enseigné aux Egyptiens par le bienheureux Marc son disciple cela même que nous savons que crurent les Romains. " Louable est Protérios dont la doctrine n’est pas autre que celle " qui a coulé jusqu’à nous (de la source) des bienheureux apôtres et des saints Pères. " Qu’en tout, soit qu’il s’agisse de la règle de la foi, soit qu’il s’agisse de la discipline, on s’en tienne à ce qui est ancien, vetustatis norma servetur.

L’évêque d’Alexandrie a dû s’ouvrir à saint Léon des difficultés que lui donnent quelques évêques d’Egypte restés attachés à Dioscore. En réponse à cette ouverture, le pape confirme l’autorité plénière d’Alexandrie sur l’Egypte : tous les évêques égyptiens sont des subjecti. Ils doivent, soient à dates fixes, soit sur convocation, s’assembler autour de Protérios pour délibérer des intérêts de l’Eglise : aucune exception ne vaut contre cette obéissance, et Léon veut que cette autorité de l’évêque d’Alexandrie ne soit diminuée en rien par personne.

La protection de saint Léon ne sauvera pas Protérios. Sitôt Marcien mort, l’opposition anti-chalcédonienne éclatera en Egypte, son chef Timothée Ælure (le chat) s’emparera du siège d’Alexandrie, Protérios sera massacré (28 mars 457), et le pape ne pourra que gémir de ce " parricide ", heureux encore d’en être informé de Constantinople, car d’Alexandrie personne cette fois ne s’est tourné vers Rome, personne n’a été dépêchée à Rome. : c’est à Constantinople que les persécutés se sont réfugiés. Pour le détail de la révolution alexandrine, voir Duchesne, Hist. anc., t. III, p. 474-480.

Saint Léon et l’empereur Léon le Thrace. ? L’imp?ratrice Pulchérie était morte en 453 (18 février), Marcien mourut au début de 47. Tandis que l’empire d’Occident était au pouvoir de Ricimer, l’empire d’Orient était au pouvoir d’Aspar, tous deux officiers, barbares et ariens, qui ne pouvaient ceindre la couronne, mais qui en disposaient. Aspar choisit un officier qui avait sa confiance, Léon le Thrace (7 février 457), et, pour lui créer une légitimité, le fit couronner par le patriarche Anatolios. C’était une innovation qui ne pouvait que relever le prestige de l’évêque de Constantinople. Siège apostolique, p. 586.

Nous ignorons dans quelles conditions le nouvel empereur se fît connaître à Rome : la correspondance de saint Léon a une grosse lacune entre le 13 mars 455 et le 1er juin 457. A cette dernière date, le pape écrit, Jaffé, n. 520, à Julien de Kos qui continue d’être son agent à Constantinople. Le pape a reçu d’inquiétantes nouvelles : les eutychiens s’agitent depuis la mort de Marcien, mais, grâce à Julien et grâce surtout au nouvel empereur, on peut espérer que la paix de l’Eglise sera maintenue. Le pape pense à des troubles qui se sont produits à Alexandrie et qu’il ne connaît que par de vagues rumeurs. Ainsi, le 1er juin, saint Léon ne connaissait pas l’assassinat de l’évêque d’Alexandrie Protérios, qui était du 28 mars !

Le 11 juillet 457, le pape écrit à l’empereur. Jaffé, n. 521. Il parle des devoirs qu’il lui a rendus pour le féliciter de son avènement, allusion à des lettres de félicitations qu’il a adressées au nouvel empereur et que nous ne possédons pas. Dans celle-ci, il réclame le secours du prince pour sauver l’Eglise d’Alexandrie, dont il a connu les malheurs par une lettre d’Anatolios. Le pape attend de l’empereur que la foi catholique, qui, jusqu’à Dioscore, a régné à Alexandrie, y soit restaurée pour la paix de toute l’Eglise. Il ne faut pas permettre que la foi consacrée par le concile de Chalcé-

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doine soit atteinte. Il est content que l’empereur ait déjà réprimé les tentatives hérétiques contre l’autorité du concile de Chalcédoine. Il attend de son zèle, et il l’en conjure, que les évêques catholiques procèdent à Alexandrie à l’élection régulière d’un évêque irréprochable.

Par le même courrier, 11 juillet, Jaffé, n. 522, il remercie avec émotion Anatolios de l’avoir avec une sollicitude si digne d’éloge informé des évènements d’Alexandrie. Le pape a suivi le conseil d’Anatolios, il a écrit à l’empereur. Il faut qu’Anatolios insiste auprès du prince pour que l’on ne touche pas à la foi de Chalcédoine. Qu’Anatolios écrive à Rome : Frequentibus tuæ dilectionis litteris me debebis instruere, ut de sanctis clementissimi principis studiis pariter in Domino gloriemur. Le pape écrit le même jour, Jaffé, n. 532, dans le même sens à Julien de Kos, en lui reprochant de ne lui avoir rien dit des évènements d’Alexandrie.

Nous voilà loin des desseins de saint Léon sur l’Orient ! Il ne peut rien faire à Alexandrie, sinon par le bras de l’empereur, il doit recourir à l’évêque de Constantinople pour faire agir ce bras. Le maintien de la foi de Chalcédoine en Orient dépend de la volonté du prince, les hérétiques ne peuvent être réfrénés que par lui, et saint Léon le lui dit assez humblement dans une nouvelle lettre, 1er septembre 457. Jaffé, n. 524. Ce même 1er septembre, Jaffé, n. 526, il écrit à l’évêque d’Antioche, Basile. Ce Basile a remplacé Maxime, compromis dans une affaire qui a été déférée à l’empereur, et qui a mal tourné pour l’évêque. Siège apostolique, p. 585-586. Saint Léon se plaint de n’avoir été informé de l’ordination de l’évêque d’Antioche, ni par celui-ci, ni par ses comprovinciaux, il ne lui en fera pas un grief, puisque feu l’empereur Marcien avait annoncé la chose à Rome. Vous n’ignorez pas, continue le pape, ce que la fureur des eutychiens a commis à Alexandrie, je veux cependant vous en entretenir pro ea sollicitudine quam omnibus Ecclesiis Dei debeo, afin que vous protestiez par votre constance contre de si scélérates audaces, d’accord avec le prince si catholique dont nous n’attendons pas moins que de Marcien d’auguste mémoire. Le pape ne doute pas de la fidélité de l’évêque d’Antioche à la foi de Chalcédoine : il a confiance que l’empereur Léon, le patrice (Aspar) cum omni cœtu illustrium potestatum, ne cèderont pas aux instances des hérétiques, s’ils voient les évêques tenir ferme. Il prie l’évêque d’Antioche de faire parvenir cette exhortation à tous les évêques (de son obédience). On a une lettre semblable adressée par le pape à l’évêque de Thessalonique et à l’évêque de Jérusalem. Jaffé, n. 525. Le même jour, 1er septembre 457, Jaffé, n. 527, le pape écrit à Julien de Kos : il lui envoie les lettres précédentes avec mission de les faire parvenir aux destinataires. Du même jour, Jaffé, n. 528, lettre à Aétios, prêtre de Constantinople : le pape compte sur lui comme sur Julien de Kos pour faire parvenir les susdites lettres à Jérusalem et à Antioche. Nos autem ad illyrios episcopos similia jam scripta misimus. Le pape communique avec l’Illyricum directement, sans passer par Constantinople.

Le 11 octobre 457, Jaffé, n. 530, saint Léon adresse une lettre de consolation aux évêques catholiques d’Egypte réfugiés à Constantinople. Ce même jour, Jaffé, n. 531, il écrit à Anatolios le remerciant de ses lettres qui témoignent d’une sollicitude si diligente. Saint Léon l’informe qu’il a écrit à l’empereur, dont la foi le rassure. Mais le parti eutychien intrigue à Constantinople même. Dans le clergé d’Anatolios le parti a des connivences : il faut qu’Anatolios soit sans miséricorde pour ces amis des hérétiques.

Le 1er décembre 457, Jaffé, n. 532, saint Léon s’adresse à l’empereur, plus exactement, il répond à une

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lettre de l’empereur " pleine de la foi et de la lumière de la vérité. " Le prince estime nécessaire la venue de saint Léon à Constantinople. Evidemment, le parti eutychien presse l’empereur d’obtenir une révision de la foi de Chalcédoine. saint Léon s’y oppose absolument. l’Eglise universelle est devenue par Pierre une pierre per illius principalis petræ ædificationem, et le primus apostolorum a entendu le Seigneur lui dire : " Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. " Qui donc, sinon l’Antéchrist ou le diable, oserait s’en prendre à cette inexpugnabilis firmitas ? Ceux qui ont diaboliquement attenté à l’Eglise Alexandrie sont les mêmes qui veulent que l’on révise le concile de Chalcédoine. Va-t-on permettre à ces parricides un sacrilège ? Que l’empereur considère que la regia potestas lui a été donnée non ad solum mundi regimen, sed maxime ad Ecclesiæ præsidium. On a adressé au prince des preces dont le prince a envoyé copie au pape. Les preces des hérétiques, remarque le pape, ne sont pas signées, elles prétendent être présentées par des gens qui se couvrent du nom vague d’unanimité, sub incerto confusæ universitatis vocabulo. Mais à cette pétition de gens dont on ne sait, ni le nombre, ni la qualité, s’oppose la supplique des catholiques. L’empereur ne peut hésiter entre les deux. Saint Léon se fait pressant, émouvant : il adjure le prince d’être sévère pour les scélérats qui ont usurpé le siège d’Alexandrie et prétendent apostolicæ doctrinæ inviolabilem fidem ad concilia provocare. En terminant, le pape ne peut se taire des soucis que lui donnent les clercs de Constantinople qu’il sait de connivence avec le parti eutychien ; Anatolios est trop faible ; que l’empereur écoute de préférence Julien de Kos et le prêtre Aétios.

Ce même 1er décembre 457, Jaffé, n. 534, lettre à Anatolios sur le même sujet. Léon le remercie de tout ce que, par lettres, il lui a appris des évènements d’Alexandrie. Il compte sur Anatolios pour presser le prince d’intervenir à Alexandrie en faveur des catholiques opprimés. Qu’il agisse avec les évêques catholiques réfugiés d’Egypte à Constantinople, pour dissuader l’empereur de réunir un nouveau concile. Il ne peut d’ailleurs dissimuler à Anatolios qu’il sait qu’Atticus, un de ses prêtres, a dans l’église parlé contre la foi du concile de Chalcédoine, et qu’André, un autre prêtre, soutient Atticus. Pourquoi Anatolios garde-t-il le silence à leur sujet ? Il faut qu’ils soient corrigés ou rejetés. Par le même courrier, Jaffé, n. 533, saint Léon adresse une nouvelle lettre de consolation aux évêques égyptiens réfugiés à Constantinople. Autre lettre aux mêmes, Jaffé, 21 mars 458, n. 537 : le pape ne veut pas entendre parler d’une révision du concile de Chalcédoine. Le même jour, Jaffé, n. 538, lettre au clergé de Constantinople, en réponse à une lettre de ce clergé, qu’il loue de la constance de sa foi. Le pape s’est efforcé de confirmer le prince dans le dessein de punir l’évêque intrus d’Alexandrie et de ne pas se prêter à une révision du concile de Chalcédoine. il blâme une fois de plus Atticus et André. Le 21 mars encore, Jaffé, n. 539, lettre à l’empereur : on ne doit pas toucher à la foi de Chalcédoine, on ne peut instituer une discussion. L’empereur veut que le pape envoie des légats, et le pape y consent étant bien spécifié que ces légats n’acceptent aucune discussion sur la foi de Chalcédoine. Le pape n’oublie pas la captivité lamentable de l’Eglise d’Alexandrie, qu’il met entre les mains de la justice du prince. Compléter cette lettre par la lettre du 17 août suivant, Jaffé, n. 541, qui annonce à l’empereur les légats Domitianus et Géminianus.

Anatolios s’est offensé des reproches de saint Léon, qui lui répond le 28 mars 458, Jaffé, n. 540. Le pape se défend d’avoir empiété sur les droits de l’évêque de Constantinople. Il lui a signalé deux prêtres de son clergé, notoirement favorables au parti eutychien,

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mais il les abandonnait à son jugement. Atticus n’a qu’à signer la foi de Chalcédoine.

Les deux légats Domitianus et Géminianus portèrent à l’empereur une grande lettre doctrinale, Jaffé, n. 542, datée du 17 août 458. " Je me souviens que je t’ai promis, vénérable empereur, écrit saint Léon, de t’adresser un discours de mon humble personne, qui puisse satisfaire in causa fidei ta clémence que je sais pieusement inquiète. " Le pape entend éclairer le prince, justifier pour lui la loi christologique qui est celle de l’Eglise. Certes cette foi est celle du prince, officii mei tamen est et patefacere quod intelligis et prædicare quod credis. Deux erreurs se sont produites, celle de Nestorius, celle d’Eutychès, deux hérésies contradictoires, qu’ils ont voulu s’imposer à l’Eglise de Dieu et que les défenseurs de la vérité ont condamnées justement. Anathème à Nestorius, qui faisait de la vierge Marie la mère, non de Dieu, mais seulement de l’homme, de telle sorte qu’il faisait de la chair une personne, de la divinité un personne, et ne reconnaissait pas un Christ dans le Verbe incarné. Anathème à Eutychès, pour qui dans le Christ il n’y a qu’une seule nature, Christum unius (asserit) esse naturæ, alors que nous ne pouvons pas ne pas admettre veritatem utriusque naturæ. L’erreur propre d’Eutychès, en effet, est de n’affirmer qu’une nature : Verbi et carnis unam audet pronuntiare naturam. Nous reconnaissons deux natures dans le Verbe incarné, et que unius personæ fuerint totius temporis actiones, sans aucune permixtio de l’une et l’autre nature. Veræ deitatis veræque humanitatis in ipso una prorsus eademque persona. Deitatis et carnis una confitenda persona. Telle est la thèse de saint Léon. Quant aux arguments, ils sont en une forme plus ramassée que ceux de la lettre à Flavien. Je ne vois pas bien comment Mgr Duchesne a pu y voir que saint Léon tempérait son style et que la formule monophysite n’était plus critiquée qu’avec réserve. Hist. anc., t. III, p. 484.

La lettre à l’empereur s’accompagnait d’un recueil de textes des saints Pères à l’appui de la thèse du pape, Hilaire, Athanase, Ambroise, Augustin, Jean Chrysostome, Théophile d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Basile, Cyrille d’Alexandrie, " Afin que ta piété connaisse que nous sommes d’accord avec l’enseignement des vénérable Pères, j’ai cru utile de joindre à cette lettre quelques-unes de leurs sententiæ. Si tu daignes les parcourir, tu découvriras que nous ne professons pas autre chose que ce que nos saints Pères dans le monde entier ont enseigné, et que personne en se sépare d’eux, sinon les seuls hérétiques impies. " Voir Revue d’Hist. eccl., 1905, p. 301-302.

Dans le même temps, et sans avoir sollicité l’avis du pape, l’empereur Léon se décida à écrire aux métropolitains de toutes les provinces de ses Etats, et à poser ainsi à l’épiscopat oriental deux questions : Fallait-il maintenir le concile de Chalcédoine ? Fallait-il reconnaître Timothée Ælure comme évêque d’Alexandrie ? Les métropolitains assemblèrent leurs suffragants province par province. Les réponses furent réunies en un recueil appelé Encyclia, que Cassiodore fera traduire par le moine Epiphane, et de cette version nous est parvenu un exemplaire incomplet (Cod. Parisin. 12 098), car il manque les réponses de vingt-deux provinces, sur cinquante-six que comptait (moins l’Egypte) l’empire d’Orient. Duchesne, t. III, p. 482-483. On trouvera les textes, Codex encyclius, dans Mansi, Concil., t. VII, col. 777-785.

Cette sorte de plébiscite était une nouveauté bien dangereuse. : l’empereur y faisait figure de président de l’Eglise, et quelle incorrection de faire voter l’épiscopat sur le maintien de la foi de Chalcédoine, ou aussi bien sur la légitimité de l’intrus d’Alexandrie ? Du moins l’épiscopat fut unanime sur l’indignité de

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Timothée Ælure, et, à l’exception du métropolitain de Sidé et de ses comprovinciaux, sur le maintien de la foi de Chalcédoine.

Nous voudrions connaître les sentiments du pape et l’action de ses légats à Constantinople dans ces pénibles péripéties, mais nous n’avons pas de lettres de saint Léon pour l’Orient, après celle du 17 août 458, jusqu’au 17 juin 460. Entre temps, Anatolios était mort (3 juillet 458) : on l’avait remplacé par un chalcédonien plus sûr, Gennadius, dont le choix était de nature à satisfaire saint Léon. Puis, l’empereur, encouragé par le résultat de son plébiscite, se décida à intervenir à Alexandrie : il y eut des émeutes et des morts, mais Timothée Ælure fut arrêté, conduit à Constantinople, et de là exilé, d’abord à Gangres, ensuite à Cherson, dont malheureusement il reviendra. On lui donna pour successeur à Alexandrie un chalcédonien que l’on croyait de tout repos, qui se nommait lui aussi Timothée et portait le surnom de Salofaciol (turban blanc). Nous avons du 17 juin 460, Jaffé, n. 546, une lettre du pape à l’empereur Léon, débordante d’actions de grâces. Que l’empereur ne se laisse pas duper par les déclarations que pourrait consentir Timothée Ælure, et qu’il ne songe à le rétablir à aucun prix.

Ce même 17 juin 460, Jaffé, n. 547, saint Léon écrit à Gennadius, évêque de Constantinople. Le pape a appris par les lettres de Gennadius et de ses deux légats Domitianus et Géminianus, que Timothée Ælure, expulsé d’Alexandrie, a été autorisé à venir à Constantinople, grâce à l’appui de certains ennemis de la foi qui voudraient qu’on le rétablisse à Alexandrie, simplement au prix d’une profession de foi orthodoxe. Quand il s’avèrerait catholique, peut-on oublier que, vivente episcopos, tantæ sedis invasor est, et qu’il est responsable du meurtre de Protérios ? L’évêque de Constantinople ne doit pas échanger une parole avec lui ; il doit s’employer à déjouer tout espoir chez ceux qui le soutiennent ; et que, aux Alexandrins, quelque catholique tiré de leur clergé soit donné pour évêque et soit consacré par les évêques égyptiens, secundum morem veterem.

Le 18 août 460, Jaffé, n. 548, saint Léon a la consolation d’écrire au nouvel évêque d’Alexandrie. Il dit rescribo, il répond à la notification qu’il a reçue d’Alexandrie. Il se réjouit d’une élection faite par le clergé et tout le peuple. S’il reste des Alexandrins réfractaires encore à la vérité, le nouvel évêque les ramènera, Dieu aidant. On ne doit tolérer aucun vestige de l’erreur, soit nestorienne, soit eutychienne. Que l’évêque d’Alexandrie use de toutes les opportunités qu’il aura d’écrire à Rome, sicut necessarie et ex more fecisti, ut per filios nostros Danielem presbyterum et Timotheum diaconum ordinationis tuæ ad nos scripta dirigeres. Envoyez souvent à notre sollicitude des nouvelles des progrès de la paix, autant que faire se pourra. A compléter par la lettre du même jour, Jaffé, n. 549, aux prêtres et diacres de l’Eglise d’Alexandrie, et par la lettre du même jour, Jaffé, n. 550, aux évêques égyptiens qui ont, comme les prêtres et les diacres, écrit à Rome pour annoncer l’ordination.

Saint Léon et l’Occident. ? Nous avons vu saint L?on associer l’épiscopat d’Occident à l’envoi de sa lettre à Flavien, et nous avons pu mesurer à cette occasion le prestige qui est le sien, particulièrement auprès des évêques gallo-romains. Le 24 juin 451, Jaffé, n. 468, il peut écrire à l’évêque de Lilibée, Paschasinus, en lui envoyant sa lettre à Flavien, que toute l’Eglise accepte. On se rappelle que cet évêque sicilien est le légat que Léon envoie pour le représenter au concile de Chalcédoine.

Le 27 janvier 452, Jaffé, n. 479, saint Léon écrit à

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l’évêque d’Arles, Ravennius, et à ses quarante-quatre collègues pour les remercier d’avoir souscrit sa lettre à Flavien. Le pape a fait connaître aux évêques orientaux le sentiment commun de Rome et de l’Occident. Le concile s’est tenu à Chalcédoine, qui a réuni près de six cents évêques, et qui n’a toléré aucune entreprise contra fundatam divinitus fidem. Les princes, les pouvoirs publics chrétiens, tous les ordres du clergé et du peuple ont reconnu hanc esse vere apostolicam et catholicam fidem, ex divinæ pietatis fonte manantem, quam sinceram et ab omni fæce totius erroris alienam, sicut accepimus, prædicamus, et universo jam mundo consentiente defendimus. Il fallait rejeter l’erreur d’Eutychès comme on avait jadis rejeté jadis celle de Nestorius, et c’est ce que vient de faire le concile de Chalcédoine, humilitatis nostræ scriptis, auctoritate domini mei beatissimi Petri apostoli et merito roboratis, religiosa unanimitate consentiens. Les légats ne sont pas encore rentrés à Rome, mais le pape ne veut pas attendre pour annoncer aux Gallo-romains de si bonnes nouvelles, que va leur porter leur collègue, Ingénuus, évêque d’Embrun.

Quelques temps plus tard, en février apparemment, Jaffé, n. 480, saint Léon adresse à l’évêque de Narbonne Rusticus et à ses collègues gallo-romains, en tête desquels Ravennius. Les légats sont de retour du concile, le pape confirme aux Gallo-romains le triomphe de l’apostolico prædicatio. Tous les évêques à Chalcédoine in unam sententiam, sancto Spiritu docente, consensere. Le pape joint à sa présente lettre le texte de la sententia prononcée contre Dioscore par le concile. Sur cette sententia, voir Siège apostolique, p. 543.

La lettre de saint Léon à l’évêque de Fréjus, Théodore, 11 juin 452, Jaffé, n. 485, est la réponse à une consultation demandée à Rome par cet évêque. Le pape lui représente qu’il aurait dû interroger d’abord son métropolitain : si celui-ci n’avait pas été en mesure de l’instruire, il se serait alors adressé à Rome, quia, in causis quæ ad generalem observantiam pertinent omnium Dei sacerdotum, nihil sine primatibus oportet inquiri. Le pape va cependant instruire l’évêque de Fréjus de ce que prescrit la regula ecclesiastica dans l’espèce. Suit un exposé de la discipline pénitentielle. La pénitence est instituée pour réparer les défaillances postérieures au baptême : le pardon de Dieu ne s’obtient que par les prières des évêques, indulgentia Dei nisi supplicationibus sacerdotum (nequit) obtineri. Le Christ a donné ce pouvoir aux évêques, præpositis Ecclesiæ, d’imposer à ceux qui avouent leurs fautes l’actio penitentiæ, et de les rétablir dans la communion des sacrements par la porte de la réconciliation. S’il arrive que quelqu’un de ceux pour que nous supplions Dieu meure avant d’être arrivé au terme de sa pénitence, croyons que le Seigneur se réserve de faire ce que le ministère de l’évêque n’a pu faire, mais tenons pour utile et nécessaire que le pécheur soit avant sa mort relevé de ses fautes par la prière de l’évêque. A ceux qui, in tempore necessitatis et in periculi urgentis instantia, implorent la pénitence et la réconciliation, on ne doit refuser, ni l’une, ni l’autre : nous ne pouvons limiter la miséricorde de Dieu, nous ne devons pas être difficiles à dispenser les dons de Dieu. Il ne faut pas non plus que le pécheur diffère jusqu’à son dernier jour sa conversion, le péril est trop grand de la remettre à l’heure incertaine qui sera la dernière et où l’on trouvera à peine le temps pour la confessio pænitentis et pour la reconciliatio sacerdotis. Néanmoins le mourant devra être secouru, s’il demande sa réconciliation, ne fût-ce que par des gestes conscients, supposé qu’il ait perdu l’usage de la parole ; et il devra être secouru de même, si, privé de connaissance, les fidèles qui l’entourent peuvent témoigner qu’il a demandé, étant conscient, le bienfait de la pénitence et de la

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réconciliation. On observera cependant la règle des canons des Pères concernant les personnes qui ont péché contre Dieu en abandonnant la foi. En terminant, saint Léon prié l’évêque de Fréjus de communiquer sa réponse à son métropolitain, afin que, s’il se rencontre des évêques embarrassés, cette réponse les éclaire tous sur les règles à observer.

Cette lettre à l’évêque de Fréjus relève au mieux l’action et l’autorité du Siège apostolique en matière de discipline en Occident : les évêques comme ce Théodore ne pensent pas à saisir de leurs doutes le concile de leur province, leur métropolitain : ils recourent à Rome pour régler leur conduite. Les métropolitains en font autant. En 458, ou 459, l’évêque de Narbonne, Rusticus, envoie à Rome son archidiacre Hermès pour soumettre les gesta d’une action que Rusticus a ouverte contre deux prêtres, Sabinianus et Léon, lesquels ont fait défaut, alléguant que la justice des juges leur était suspecte. Le pape prononce que les deux prêtres ont péché seulement par excès de zèle, et n’ont pas droit de se plaindre, puisqu’ils ont fait défaut, mais il s’en remet à la décision que prendra Rusticus, en lui recommandant l’indulgence. L’archidiacre Hermès a porté à Rome une série de questions à soumettre au pape. Ici encore il s’agit de doutes à résoudre, des règles à poser : le métropolitain de Narbonnaise veut tenir de Rome sa règle de conduite. Le pape aurait préféré s’en entretenir de vive voix avec Rusticus : " Les règles, celles qui sont imprescriptibles, appellent dans l’application des tempéraments, pro consideratione ætatum, aut pro necessitate rerum, étant bien entendu que nous ne ferons rien, dans les cas douteux ou obscurs, qui soit contraire aux préceptes évangéliques ou aux décrets des saint pères.

On n’attend pas de nous que nous analysions les dix-neuf questions et les dix-neuf réponses, questions de droit et cas de conscience posés au pape et résolues par lui. Nous ne pouvons pas cependant omettre de relever ce que ces solutions ont de sagesse et d‘indulgence. Cette lettre à Rusticus inaugure en quelque manière la casuistique, avec quelle dignité ! Et comme elle a fait comprendre que ces Gallo-romains aient animé à chercher à Rome la règle sûre et juste de leur conduite ! Nous avons dans cette lettre à Rusticus mieux encore, si on peut dire. Rusticus s’est ouvert au pape de l’affliction que lui donnent les scandales qui se multiplient, jusque-là qu’il songe à résigner l’épiscopat pour finir sa vie dans le silence et le repos. Avec une condescendance touchante saint Léon s’applique à ranimer le courage de l’évêque, à le détourner de l’amor quietis. Il faut tenir, lui dit-il, il faut supporter. Odio habeantur peccata non homines : le Christ est notre conseil et notre courage. Cette exhortation n’est pas seulement d’un moraliste judicieux, mais d’un grand cœur.

Des réponses aux dix-neuf questions de Rusticus de Narbonne, on rapprochera les réponses aux sept questions de Nicétas d’Aquilée, lettre du 21 mars 458. Jaffé, n. 536. On notera l’indication de la fin : Hanc epistolam nostram, quam ad consultationem tuæ fraternitatis emisimus, ad omnes fratres et comprovinciales tuos episcopos facies pervenire, ut omnium observantiæ data prosit auctoritas. Saint Léon n’a pas recours à son concile pour donner ces réponses, il les donne de lui-même, et cela suffit pour qu’il puisse prier l’évêque d’Aquilée de les communiquer à ses comprovinciaux et que ceux-ci s’y soumettent. La lettre (auctoritas) peut compter sur l’obéissance de tous.

Le pape ne s’interdit pas pour autant de délibérer avec son concile. Sa réponse aux questions de l’évêque de Ravenne, Néon, 24 octobre 458, Jaffé, n. 543, énonce que fréquemment le pape sur divers doutes a dû fixer les esprits hésitants des évêques ses frères, et qu’il a cher-

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ché leurs réponses à leur donner, soit dans l’Ecriture, soit ex patrum regulis, soit dans les canons, sed nuper in synodo novum et inauditum antra genus consultationis exortum est. Il s’agit du cas de gens qui reviennent de captivité, où ils ont été emmenés en bas âge, et qui demandent le baptême sans qu’ils sachent s’ils ne l’ont pas reçu. Doit-on dans cette incertitude leur donner le baptême ? L’avis auquel on s’est rangé a été celui d’un nombre important d’évêques, frequens fratrum firmavit assensio. Réitérer le baptême est un inexpiabile facinus condamné à maintes reprises par les saints Pères. Mais on ne peut reprocher à quelqu’un de réitérer le baptême, quand il ignore si le baptême a déjà été reçu. Si donc après examen et enquête, il n’y a qu’un soupçon que le baptême a pu être reçu, accedat intrepidus ad consequendam gratiam cujus in se nullum scit esse vestiglium. Que si quelqu’un de ces captifs rendus à la liberté avait été baptisé par les hérétiques, on ne devrait pas réitérer ce baptême, mais l’évêque procéderait seulement à l’imposition des mains pour donner le Saint-Esprit. Cette réponse à l’évêque de Ravenne est une page qui compte dans l’histoire de la morale catholique. Ajoutons que dans la pensée de saint Léon elle devait faire loi : Quam rem ideo generaliter ad omnium vestrum volumus pervenire notitiam.

Mentionnons enfin, du 6 mars 459, Jaffé, n. 545, la lettre de saint Léon aux évêques de Campanie, Samnium et Picénum. Il les blâme d’administrer le baptême in natalibus martyrum, puisque le baptême solennel est réservé à Pâques et à la Pentecôte, sauf les cas de nécessité. Agir autrement, c’est agir sola insdisciplinati arbitrii libertate ; c’est priver le candidat au baptême de l’enseignement qui doit l’y préparer ; c’est donner le sacrement à des ignorants tels que les catéchèses, les exorcismes, les jeûnes, d’un mot tous les exercices du catéchuménat, ne sont d’aucun effet, ita ut nihil doctrinæ ecclesiasticæ, nihil in exorcismis impositio manuum, nihil ipsa jejunia quibus vetus homo destruitur, operentur. Saint Léon réserve donc le baptême solennel à Pâques et à la Pentecôte, exception faite du cas de maladie désespérée, ou d’invasion, hostilitatis incursu, ou de péril de naufrage. Défense d’aller contre cette règle, d’autant que c’est bien plutôt par lucre que par zèle qu’on y a manqué.

Autre règle que saint Léon juge devoir rappeler. Des fidèles demandent la pénitence et donnent une déclaration écrite (libellus) de leurs fautes : défense de publier cette pièce, cum reatus conscientiarum sufficiat solis sacerdotibus indicari confessione secreta. Il est certes louable à des hommes pleins de foi et ne point craindre de rougir devant les hommes, mais il est des fautes que l’on peut avoir raison de craindre qu’elles soient connues. Il faut donc réprouver l’usage signalé, qui aurait pour effet d’éloigner les pécheurs de la pénitence, dum aut erubescunt aut metuunt inimicis suis sua facta reserari, quibus possint legum constitutione percelli. La confession doit suffire qui est offerte à Dieu d’abord, à l’évêque ensuite. Cette page de tout premier intérêt pour l’histoire de la discipline pénitentielle.

La mort de saint Léon. ? Nous manquons de toute information sur les derniers temps de la vie de saint Léon. Le jour même de sa mort est sujet à hésitation. L’ordination de son successeur, Hilaire, est du 19 novembre 461. Duchesne, Lib. pontif., t. I, p. 247. Le Liber parle d’une vacance de sept jours, ce qui peut reporter la mort de saint Léon au 11 novembre. Le Liber attribue au pontificat de saint Léon 21 ans, 1 mois, 13 jours, ce qui met la mort du pape au 11 novembre. Le Martyrologe hiéronymien met au 10 novembre la Romæ depositio sancti Leonis episcopi, qui est la date que l’on s’accorde à tenir pour la vraie. P. Kirsch, Der Stadtrömische christliche

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Festkalender im Altertum, Munster, 1924, p. 116-117.

Mais la recension gallicane Du Martyrologe hiéronymien, représentée par le ms. de Berne, porte au 11 avril ; Rome Leonis papa, date qui a prévalu pour la célébration de la fête de saint Léon dans les calendriers liturgiques, et qui doit être la date d’une première translation de ses restes. Le Liber pontificalis, en effet, assigne la sépulture de saint Léon au 11 avril : Qui etiam sepultus est apud beatum Petrum III id. april. Le saint Léon porté par le Martyrologe hiéronymien au 14 mars, Romæ Leonis episcopis et martyris, est un évêque Léon qui n’a rien de commun avec le pape Léon. Duchesne, Lib. pontif., t. I, p. 250 et 508 ; Kirsch, p. 141.

Saint Léon fut enterré à Saint-Pierre, à gauche du portique d’entrée, au bas du secretarium. L’épitaphe qui lui fut donnée ne s’est pas conservée. Elle existait encore au IXe siècle, où elle est signalée par Jean Diacre dans sa vie de saint Grégoire (IV, 68). Mais dès lors le tombeau de saint Léon avait été déplacé et transporté dans l’intérieur de la basilique, in arce Petri, par le pape Sergius. Nous avons l’épitaphe métrique par laquelle Sergius voulut perpétuer le souvenir de cette translation, qui eut lieu le 28 juin 688. L’épitaphe est reproduite et commentée par Duchesne, Lib. pont., t. I, p. 379. Cf. De Rossi, Inscriptiones christianæ, t. II, p. 56, 98, 140, 158, 201, 202. Sergius y rend hommage au rôle doctrinal de saint Léon :

Testantur missi pro recto dogmate libri,

Quos pia corda colunt, quos prava turba timet.

Rugiit, et pavida stupuerunt corda ferarum,

Pastorisque sui jussa sequuntur oves.

Les papes Léon II, Léon III, Léon IV, furent enterrés plus tard dans le même lieu. Le 20 mai 1607, on procéda à une reconnaissance du corps qui fut trouvé entier, " mais tout sec, en os, comme le décrivent Aringhus, et Bollandus, qui a en fait graver la figure. " Acta sanctorum, avril, t. II, p. 22. Le corps et ceux de Léon II, Léon III, Léon IV " furent transportés le 27 du mesme mois, dans la nouvelle église de Saint-Pierre ", et mis sous un autel. Tillemont, Mémoires, t. XV, p. 826.

Saint Léon a reçu du pape Benoît XIV, en 1754, le titre de docteur de l’Eglise. La bulle de Benoît XIV est reproduite dans P. L., t. LV, p. 337-340. Benoît XIV y fait un noble éloge de saint Léon. Il ajoute qu’il a une raison personnelle de lui rendre honneur. Etant, en effet, chanoine de la basilique de Saint-Pierre, il a assisté à la translation du corps de saint Léon de l’autel de Sainte-Marie de columna à l’autel dédié à ce saint pape, et il a été présent à l’élévation et à la recognition de ses ossements.

Baronius, Annal., an. 461, publie un numisma de bronze portant le nom d’un pape Léon, qu’il pensait être saint Léon et avoir été frappé l’année où Rome fut sauvée d’Attila. Pagi restitue cette médaille au pape saint Léon IX.

VI. LE CARACTERE, LA DOCTRINE, LA POLITIQUE DE SAINT LEON. ? 1° Le caractère de saint Léon. ? Dans son Histoire ancienne de l’Eglise, t. III, p. 680, Mgr Duchesne a une belle page sur la figure historique de saint Léon. " Léon, écrit-il, vit l’Italie en proie aux terreurs d’Attila, Rome insultée par Genséric. Avec ces deux fléaux de Dieu il dut aller parlementer, essayer de leur imposer quelques respect pour la majesté de l’empire agonisant. Sous ses yeux la maison de Théodose s’effondra en d’épouvantables catastrophes. Et au milieu de ces convulsions de l’Etat, il lui fallait tenir l’esprit tendu vers l’Orient, où la foi périclitait sans cesse, lutter là-bas contre les potentats ecclésiastiques, la violence des moines, les émeutes de Jérusalem et d’Alexandrie, contre la platitude des conciles, parfois

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contre le souverain lui-même. Ses admirables lettres, sans parler des documents extérieurs, témoignent de son activité et de sa sagesse. Ses sermons, d’une véritable éloquence de pontife, calme, simple, majestueuse, nous le montrent au milieu de son peuple dans l’exercice ordinaire de son devoir pastoral. Les émotions du dehors n’y ont laissé que de faibles traces : inébranlable dans la sérénité de son âme, Léon parle comme il écrit, comme il ne cessa jamais de penser, de sentir et d’agir, en romain. A l’entendre, à le voir à l’œuvre, les sénateurs de Valentinien III ont dû songer souvent à leurs collègues de la vieille république, à ces âmes invincibles que nulle épreuve ne fléchissait. " On pourra rapprocher une page de C. Gore, dans son article Leo I du Dictionary of christian biography, t. III, p. 654 : " Elévation et sévérité de vie et de vues, rigueur et rudesse à maintenir les règles de la discipline ecclésiastique, avec cela doué d’une énergie indomptable, de courage, de persévérance, capable d’embrasser d’un regard plusieurs champs d’action très distants, inspiré par une acceptation sans hésitation et une admirable compréhension de la foi de l’Eglise, qu’il entendait maintenir partout à tout prix, pénétré et sans répit au service d’un sentiment souverain de l’indéfectible autorité de l’Eglise de Rome comme centre divinement désigné de toute l’œuvre et de toute la vie de l’Eglise, saint Léon est représentatif en tant que chrétien de la dignité impériale et de la sévérité de la vieille Rome, et il est le vrai fondateur de la papauté médiéval dans toute sa magnificence de conception et sa force intransigeante. C’est un caractère simple, si on le regarde avec sympathie, facile à comprendre et à apprécier : il représente fortement cet élément de la vie croissante de l’église qui est spécialement identifié avec Rome, l’autorité et l’unité. " Gore ajoute une considération renouvelée de Milman, c’est que de son temps saint Léon est une grandeur isolée et unique : saint Augustin était mort, saint Cyrille touchait à son dernier jour, les noms les plus notoires dans le catholicisme étaient ceux de Théodoret, de Prosper, de Cassien : les évêques des grands sièges étaient pâles comme Flavien, douteux comme Anatolios, scandaleux comme Dioscore. Sur le siège de Rome seul de tous les grands sièges, la religion maintenait sa sainteté, a pu dire Milman.

On ne diminue pas saint Léon en confessant que sa culture n’est pas comparable à celle de saint Ambroise, ou de saint Augustin. Il professe un dédain non dissimulé pour la philosophie de ce monde, institutæ ab hominibus versutiæ disputandi. Epist., CLXIV, 2. On ne trouve dans ce qu’il écrit aucune trace de lectures classiques ; il ne sait pas le grec (à Rome personne ne le sait plus, Epist., CXIII, 4) ; on ne voit pas à quels auteurs ecclésiastiques il puise, saint Augustin peut-être excepté. Il veut que, dépouillée de tout artifice, la doctrine se présente dans la lumière de la vérité, sans chercher à plaire aux oreilles, quand il doit suffire à la vraie foi de savoir qui parle. Léon est avant tout pour l’autorité, pour la discipline doctrinale, pour ce qui est acquis et doit être incontestable : que les Præteritorum sedis apostolicæ episcoporum auctoritates de gratia Dei soient ou ne soient pas de lui, elles répondent à son tour d’esprit, qui est représentatif de l’esprit ecclésiastique romain et qu’exprime si bien la maxime chère à saint Léon : Vetustatis norma servetur.

Léon est aussi peu improvisateur dans ses sermons que dans ses lettres. Ser sermons ne sont pas sténographiés par des notarii, mais bien vraiment écrits par lui, soit avant qu’il les prononce, soit après qu’il les a prononcés. Tout est de lui, mais peu d’orateurs ont moins que lui le scrupule de se répéter, et aussi de se contenter de vérités élémentaires ou de lieux communs. Il ne prend pas un livre de l’Ecriture à commenter, il

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n’est pas exégète : ses sermons sont des sermons s’insérant dans le cycle liturgique. Leur beauté tient à leur ton : avec Léon tout se revêt de dignité, de solennité, et de cette emphase romaine si sensible dans les textes de la liturgie. La phrase de Léon obéit à un cursus : elle ne s’achève guère sans antithèses, sans assonances même. Exemple pris au hasard : Quem magi infantem?venerati sunt in cunabulis ?nos omnipotem?adoremus in cælis. Serm., XXXII, 4. Cà et là, une recherche verbale qui frise le jeu de mots : Fenus pecuniæ funus est animæ. Serm., XVII, 3. Sur le démon Malitia nocendi avida, dum irruit, ruit, dum capit, capta est. Serm., LX, 3. Voyez T. Steeger, Die Klauseltechnik Leos d. G. in seinen Sermonen, Hassfurt, 1908. Saint Léon est de son temps par ces élégances de décadence. Il ne leur sacrifie cependant rien de la lucidité éclatant de sa pensée : il ne parle que pour persuader des vérités doctrinales ou pastorales.

Le don le plus naturel de saint Léon est d’être un moraliste. Voir dans Sermo XXXVII, 3, le morceau sur l’enfance que le christianisme requiert et le Christ aime : Amat Christus infantiam, humilitatis magistram, innocentiæ regulam, mansuetudinis formam. Amat Christus infantiam, ad quam majorum dirigit mores, ad quam senum reducit ætates, et eos ad suum inclinat exemplum quod ad regnum sublimat æternum. Noter les assonances de cette prose. Et voir tout le développement, ibid., 4. Cf. Serm., IX, 3, le morceau sur les pauvres honteux ; dans le Sermo XLV, 2, sur la charité et la foi, efficacissimus geminarum alarum volatus, quod ad promerendum et videndum Deum puritas mentis attolittur. Cf. Serm., LV, 5. On goûtera le moraliste dans les sermons sur l’aumône, Serm., VI-VIII, sur le carême, XXXIX-L, sur le démon, infatigable ennemi du salut des fidèles, IX, 1-2 ; XXXIX, 3-4 ; XL, 2-3 ; XLI, 2 ; XLII, 3 ; XLVIII, 2 ; XLIX, 3 ; LVII, 5 ; LXVIII, 4 ; LXXIV, 5 ; sur la discorde qui dans l’homme met aux prises les sens et la tentation, , XC, 1. On le goûtera pareillement dans les développements des scènes de la passion, comme le morceau sur Judas, dans le Sermo, LVIII, 3, ou sur Pilate, LIX, 2, ou sur le reniement de saint Pierre, LX, 4.

Moraliste, nous avons vu saint Léon apporter dans la solution des cas de conscience qui lui sont posés, une justesse de décision, qui est vraiment d’un maître de la morale catholique, d’un initiateur. Là est sans doute une de ses incontestables supériorités. Les canons sont les canons, mais saint Léon ne se réclame pas seulement de la lettre des canons ; il en scrute l’esprit, il en fait valoir la raison d’être, en homme d’ordre et de raison qu’il est. Voir comme exemple sa belle lettre aux évêques de Mauritanie, Epist., XII, 5, où il veut que l’on proportionne la peine au délit, au coupable, aux circonstances : Cogimur secundum Sedis apostolicæ pietatem ita nostram temperare sententiam, ut trutinato pondere delictorum, quorum utique non una mensura est, quædam credamus utcumque toleranda, quædam vero penitus amputanda. Voir aussi sa lettre aux métropolitains d’Illyricum, où il rappelle qu’un évêque ne doit pas enlever un clerc à un autre évêque sans l’acquiescement de ce dernier, quoniam hoc et canonum definivit auctoritas et ipsa servandæ unitatis ratio docet, ne omnis ordo ecclesiasticus per hanc licentiam efficiatur instabilis. Epist., XIII, 4. Autorité et raison. Voir mieux encore, lettre à Rusticus de Narbonne, Epist., CLXVII. Sur le prêt à intérêt : Fugienda prorsus est iniquitas fenoris et lucrum quod omni caret humanitate vidandum est. Serm., XVII, 3. L’humanité est invoquée comme règle de morale.

Un trait encore du caractère de saint Léon, sa dignité, la souveraine conscience qu’il a de son rôle d’évêque de Rome, et de successeur de saint Pierre, mais cette

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dignité conçue, comme un devoir envers l’Eglise et comme un service. Chez aucun autre évêque de son temps l’on ne trouve une dignité pareille, et je crois bien qu’elle achève la personnalité de saint Léon. Cette dignité ne se détend jamais : saint Léon n’a rien de la bonhomie de saint Grégoire. Mais sa raison lui dicte les sentiments auxquels sa foi l’invite, la commisération, le pardon, l’humilité. Il ne faut pas que les évêques, qui ont pouvoir sur leurs collègues, comme l’évêque de Thessalonique sur ceux de l’Illyricum, usent avec indiscrétion de leur autorité : Dum dominari magis quam consulere subditis placet, honor inflat superbiam, et quod provisum est ad concordiam tendit ad noxam : quod ut necesse habeamus ita dicere, non de parvo animi dolore procedit. Epist., XIV, 1. Parole d’or, et singulièrement honorable.

La doctrine de saint Léon. ? Il ne faut pas demander ? saint Léon de considérations de philosophie. Il sait par la foi que l’homme a été créé à l’image de Dieu, image qui s’est brouillée en Adam et reformée dans le Christ. Si nous sommes le temple de Dieu, si l’esprit de Dieu habite en nous, plus est quod fidelis quisque in sua habet animo, quam quod miratur in cælo. Serm., XXVII, 6. Cependant le ciel, la terre, la mer, manifestent la bonté et la toute-puissance de leur auteur, et exigent de la créature intelligente une juste action de grâces. Serm., XLIV, 1. C’est à peu près toute la théodicée de saint Léon. Quant aux termes de nature, d’essence, de personne, dont il se sert constamment, pour défendre la foi contre Eutychès, il ne s’arrête, ni à les définir, ni à les approfondir.

La démonstration évangélique est à peine plus heureuse avec lui. On relève quelques traits sur les prophéties qui donnent tout leur sens aux faits : Ad fidem deducimur. . . evangelica historia confirmati, . . . accedentibus ad erudtionem nostram propheticis instrumentis, ut nullo modo habeamus ambiguum quod tantis oraculis scimus esse prædictum. Léon cite en exemple la prophétie d’Isaïe : Ecce virgo in utero accipiet. Serm., XXIV, 1. Rapprocher Serm., LI, 4 ; LIV, 1 ; LXVI, 2 ; LXVII, 1-2 ; LXIX, 2 ; LXX, 2. Il aime mieux dire que les faits parlent d’eux-mêmes : Cum indubitabilem obtineat auctoritatem sacra narratio, annitendum nobis est, auxiliante Domino, ut perspicuum habeat intelligentia quod notum fecit historia. Serm., LII, 1. Et dans ces faits, les miracles comme ceux qui accompagnent la mort du Sauveur, et de sa résurrection : Serm., LIII, 2 ; LVII, 4 ; LX, 1 ; LXI, 5 ; LXXI, 3. Le témoignage des apôtres, témoignant de ce qu’ils ont vu, est le fondement de notre certitude historique : In illis et nos eruditi sumus, et quod viderunt vidimus, et quod didicerunt didicimus, et quod contrectaverunt palpavimus. Serm., LXIV, 1. Rapprocher, LXXIII, 1.

Le Sermo LXIII, 6, développe cette vue intéressante que le dessein divin pour la réconciliation du monde, non in historia tantum præteritarum actionum novimus, sed etiam in præsentium operum virtute sentimus. Car c’est le Fils de Dieu qui par l’Esprit-Saint féconde son Eglise sans tache, et par l’enfantement du baptême donne le jour à une innombrable multitude de fils de Dieu. C’est lui qui, ne rejetant aucun peuple, assemble de toutes les nations qui sont sous le ciel un troupeau unique de saintes brebis, et qui, chaque jour, accomplit la parole : J’ai d’autres brebis, qui ne sont pas de ce bercail et qu’il faut que j’amène. Autant dire que le spectacle que donne l’Eglise par la bonne vie de ses fidèles fait comprendre son auteur. Rendons grâces à la miséricorde de Dieu qui innumeris charismatum donis ita universæ Ecclesiæ corpus exornat, ut per multos unios hominis radios idem ubique splendor appareat, nec possit nisi gloria esse Christi cujuslibet meritum christiani. Ibid., 7.

L’Eglise a été inaugurée, dans le monde par les

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apôtres, qui lui ont donné ses institutions. Serm., LXXXI, 1. Par ailleurs, l’ecclésiologie de saint Léon se ramène à quelques données élémentaires. L’Eglise est le corps du Christ : Serm., XXV, 5 ; XLVI, 3. LXXXII, 7. L’Eglise est sanctifiée par le Saint-Esprit, Serm., LXXV, 5 ; et, hors de l’Eglise, ni Esprit-Saint, Serm., LXXXVI, 7 et 8, ni sainteté, Serm., LXXIX, 2 et 4. Il y a entre les membres de l’Eglise un consortium gratiæ, qui fait qu’ils sont nôtres, tandis que les hommes qui sont hors de l’Eglise nous sont des étrangers, alieni, et nous n’avons en commun avec eux que la nature humaine, communio naturæ. Serm., LXXXIX, 5.

L’unité de l’Eglise a pour condition l’unité de foi. Quiconque donc s’éloigne " de la prédication des saints Pères ", c’est-à-dire des conciles, " et de l’autorité de l’immuable symbole ", ou reste attaché à Nestorius et à Eutychès, qui ont été condamnés par l’Eglise universelle, se retranche lui-même du corps de l’unité chrétienne : Ipse se a corpore christianæ unitatis abscindet. Epist., CII, 2. Il appartient à l’autorité de retrancher réellement quelqu’un du corps de l’Eglise, Eutychès par exemple, qui a catholicæ soliditatis compage resectus est. Ibid., 3. Dioscore a été condamné avec lui. Ibid.,4.

La fides catholica anathématise les hérétiques, Serm., XXIV, 5. Si quelqu’un vous enseigne autre chose que ce que vous avez appris, qu’il soit anathème. Ne préférez pas des fables impies à la très lucide vérité, et quidquid contra regulam catholici et apostolici symboli aut legere, aut audore contigerit, ad omnino mortiferum et diabolicum judicate. Ibid., 6. La catholica fides est una, vera, singularis, la foi cui nihi addi nec minui potest. Epist., CXXIV, 1. De même, CLXV, 2. La fides catholica a eu raison des erreurs christologiques anciennes par une intelligence authentique de l’Ecriture : Catholica fides, cujus Deus et magister est et auxiliator obtrivit (hæreses), exhortante et instruencte nos Spiritu sancto per legis testificationem, per vaticinia prophetarum, et per evangelicam tubam apostolicamque doctrinam. Serm., XXX, 3. La fides catholica peut ainsi tirer profit des attaques des hérétiques, cum catholica fides, quæ nulla sui est parte mutabilis, per ipsas adversantium exercitationes et validor semper efficiatur et clarior, operante hoc gratia Dei, ut si qui forte ad hæc subtilia inimici facula declinanda minus erant instructi minus que solliciti, perceptis veritatis armis, fierent contra impia mendacia fortiores. Epist., CII, 1. Rapprocher, CIV, 1 ; CXX, 1.

L’Ecriture sainte est un trésor où saint Léon puise les textes qui reviennent à son enseignement. ne cherchez pas chez saint Léon autre chose que des testimonia pris à l’Ecriture. Ses auditeurs ne doutent pas de l’autorité de l’Ecriture : Nec parum æstimandia sunt profecisse qui de iis quæ audiere non dubitant, ut etiamsi nondum liquide aliquot valeant Scripturarum capere sacramentum, firmissime tamen credant in divinis libris nullum esse mendacium. Serm., LVI, 1. Saint Léon n’est pas un exégète. Il n’en croit pas moins à la " plénitude d’intelligence promise à la foi sincère ", il exhorte ses auditeurs à mériter d’être instruits par le Saint-Esprit. Serm., LXIX, 1.

Dans la critique qu’il fait du priscillianisme à Turribius d’Astorga, Epist., XV, 15, on remarquera la répudiation que fait saint Léon des apocrypha de la secte. Ces apocryphæ scripturæ doivent être jetés au feu, quand même telles ou telles se présenteraient avec quelque apparence de piété. Ne pas tolérer les Bibles corrompues par Priscillien.

Le symbole baptismal est le formulaire élémentaire le plus autorisé de la foi catholique. Saint Léon écrit à Pulchérie que le symbole suffit à décapiter toutes les opinions des hérétiques et que si Eutychès avait voulu s’y tenir, il n’aurait pas dévié de la foi nicéenne : SI qui-

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dem ipsa catholici symboli brevis et perfecta confessio, quæ duodecim apostolorum totidem est signata sententiis. . .Epist., XXXI, 4. On peut voir dans ce texte une allusion à la croyance que le symbole est l’œuvre collective des apôtres, croyance attestée déjà par Cassien, De incarn. Domini, VI, 3, et que donc saint Léon a pu partager. Il se réfère maintes fois au Symbole. Les manichéens sont haïssables parce qu’ils ruinent toute la vérité du Symbole. Serm., XXXIV, 4. Nous avons cité Serm., XLVI, 3 : saint Léon donne là un résumé du symbole baptismal romain. Cf. L. Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln der alten Kirche, 3e édit., 1897, p. 27.Nous avons vu la lettre à Flavien réfuter Eutychès, avant tout, par l’autorité du Symbole. Saint Léon rappelle cet argument dans son Sermo, LXII, 2 : Hac fidei regula, quam in ipso exordio Symboli per auctoritatem apostolicæ institutionis accepimus. . . Il déteste les monophysites, quia ab Evangelio dissentiunt et Symbolo contradicunt. Serm., LXXII, 7. Il les dénonce comme les ennemis de la foi catholique, comme les ennemis de l’Eglise, comme les négateurs de l’incarnation, et instituto a sanctis Symbolo repugnantes. Serm., XCVI, 1. Rapprocher Epist., XLV, 2 ; LIX, 2, CII, 2 ; CXXIII, 2.

Mais saint Léon n’a pas le goût de scruter les mystères de la foi. Dieu a promis la rédemption, inutile de discuter les difficultés qu’on peut faire de cet article. Non obstrepant ineptarum calumniæ quæstionum nec effectus divini operis ratiocinatio humana discutiat. Serm., XXVI, 2. La rédemption de l’humanité par Dieu est un effet de sa miséricorde. Serm., XXVII, 3. Notre impuissance à pénétrer le mystère de notre salut nous est un bien. Cum salutis nostræ altitudinem non valemus explicare, sentiamus nobis bonum esse quod vincimur. Serm., XXIX, 1. Repoussons les arguments haïssables à Dieu de la sagesse du monde, qui n’a conduit personne à la connaissance de la vérité. Serm., XLVIII, 3. Voir encore sur l’impuissance de la raison à expliquer les mystères de la foi, Serm., LXIII, 1. Saint Léon dit ailleurs : Fugite mundanæ argumenta doctrinæ et viperea hæreticorum vitate colloquia. Serm., LXIX, 5. Il représenta à l’empereur Léon que la sagesse chrétienne doit se prémunir contre la mundana sapientia, et que c’est la politique même de Jésus-Christ qui, ayant à appeler à l’illumination de la foi toutes les nations, n’a pas fait appel à des philosophes ou à des orateurs, mais à d’humbles pêcheurs, pour se faire connaître par eux, ne doctrina cælestis, quæ erat plena virtutum, auxilio videretur indigere verborum. Epist., CLXIV, 2.

Des fidéistes auraient beau jeu à exploiter de pareils textes de saint Léon, mais ils se méprendraient sur sa pensée, qui n’a en vue que de s’accommoder aux besoins d’un auditoire populaire, et qui répugne pour soi-même à la spéculation ou à l’exégèse.

Sur la Trinité rien que d’élémentaire et de catéchistique. Serm., XXIII, 2 ; XXV, 3 ; XXX, 6 ; LI, 6 ; LXIV, 2 ; LXXII, 5 ; LXXV, 3-4 ; LXXVI, 2-3 ; LXXVII, 6. Distinction des missions comme des personnes, Serm., LXXVII, 1-3. Noter dans Epist., XV, 1, à Turribius d’Astorga : (Spiritus) qui de utroque processit.

Prendre garde de se représenter Dieu dans l’espace, dans le temps, dans le fini. Procul ab animo formas visibilium rerum et ætates temporalium naturarum, procul corpora locorum et loca corporum repellamus. Discedat a corde quod spatio extenditur, quod fine concluditur, et quidquid nec semper ubique et totum est. . . Tout le développement est remarquable. Serm., LXXVI, 4.

La création n’est pas un article sur lequel saint Léon s’arrête. Voir, Serm., XXII, 6, une mention de la création ex nihilo. Théologien occidental, il est plus attiré par la sotériologie que par la cosmologie, et il préfère contempler le dessein de Dieu s’appliquant à se

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l’humanité déchue. Serm., LXIV, 2 ; Epist., LIX, 4.

Sur la chute et le péché, Serm., XXIII, 2 : Illa quæ deceptor invexit et homo deceptus admisit nullum habuerunt in Salvatore vestigium, nec quia communionem humanarum subiit infirmitatum ideo nostrorum fuit particeps delictorum : assumpsit formam servi sine sorde peccati. Il y a donc en chaque enfant qui naît la tache d’Adam, la damnation encourue par Adam : Adam præcepta Dei neglegens peccati induxit damnationem. . . diabolo obtemperans usque ad prævaricationem meruit ut in ipso omnes morerentur. . . Cupidus honoris angelici, naturæ suæ perdidit dignitatem. Serm., XXV, 5. Voir encore Serm., XXX, 6. La prévarication d’Adam entraîne la ruine universelle, comme l’enseigne saint Paul, Rom., V, 12, nul ne peut échapper à l’horrible domination du diable, nul ne peut s’évader des liens de la dure captivité, et il n’y aurait pour personne de réconciliation dans le pardon ou de retour à la vie, si le Fils de Dieu n’avait daigné être Fils de l’homme et venir chercher ce qui avait péri. Serm., LII, 1.

Sitôt que l’humanité a été déchue par la malignité du diable, Dieu a préparé la réparation et annoncé le remède : Remedia inter ipsa mundi primordia præsignavit. Dieu, en effet, annonce au serpent que la femme écrasera sa tête, et que le Christ viendra dans la chair, Deum hominemque significans. Dieu achèvera son œuvre par un mystère plus caché. Serm., XXII, 1. Cf. Serm., LXIV, 2 : Venit e cælo medicus singularis, multis sæpe significationibus nuntiatus et prophetica diu pollicitatione promissus. Notre salut d’ailleurs sera l’œuvre d’une bonté toute gratuite de Dieu : Causa reparationis nostræ non est nisi misericordia Dei. Serm., XLII, 1. Miserendi nostri causam Deus nisi in sua bonitate non habuit, et mirabilior est secunda hominam generatio quam prima conditio. Serm., LXVI, 1.

Le fils de Marie est né sans péché, du fait de la conception virginale. Il est homme, mais il échappe à la contagion du péché originel, il naît sine contagione antiquæ prævaricationis. Saint Léon ajoute qu’il est le seul qui ait eu ce privilège d’exception. Solus enim beatæ Virginis natus est filius absque delicto, non extraneus ab hominum genere, sed alienus a crimine (in quo illius ad imaginem et similitudinem Dei conditi et perfecta esset innocentia et vera natura), cum de Adæ propagine unus existeret in que diabolus quod suum diceret non haberet. Serm., LXIV, 2. Rapprocher Serm., LXVI, 1. Epist., LIX, 4. Cette doctrine est loin d’être particulière à saint Léon. Que le Christ naisse sans péché originel du fait de la conception virginale, et qu’il soit le seul dans l’humanité, c’est une thèse de saint Ambroise et de saint Augustin. Voir. art. IMMACULEE CONCEPTION, t. VII, col. 889-890, où le sentiment de saint Léon est passé sous silence, mais où l’on trouvera la discussion de la difficulté.

Quand les temps sont accomplis, Jésus-Christ vient au monde, de cælesti sede descendens et a paterna gloria non recedens. Conçu par une vierge, il naît d’une vierge, sine paternæ carnis concupiscentia, sine maternæ integritatis injuria. Dieu a voulu la conception virginale, l’enfantement virginal, la perpétuelle virginité de Marie. Serm., XXII, 2. De cette conception virginale, il suit que le Seigneur tient de sa mère la nature humaine, non le péché. La terre de la chair humaine, qui avait été maudite dans le premier prévaricateur, donne par Marie pour la première fois un fruit béni, germen edidit benedictum et a vitio suæ stirpis alienum. Serm., XXIV, 3. Saint Léon revient avec dévotion sur le sujet de la virginité de Marie : Serm., XXIII, 1 ; XXIV, 5 ; XXX, 4 ; Epist., XXXV, 3. Autant sur la maternité divine : Serm., XXVI, 1 ; XXVII, 2 ; XXVIII, 5 ; XXXV, 1 ; XXXVIII, 1 ; LXII, 2 ; Epist., LIX, 5 ; CXXIV, 9. Il est à remarquer que jamais il ne se sert de l’express-

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sion mater Dei ou deipare ou tout autre adéquate au ???????? des Grecs. Une fois seulement il ?crit : (Nestorius) beatam Virginem Mariam non Dei, sed hominis tantummodo credidit genitricem. Epist., CLXV, 2.

Un point de doctrine auquel saint Léon revient à plusieurs reprises est que le dessein de Dieu, l’incarnation, le sacrifice rédempteur, sont autant de choses qui ont échappé à la vigilance du diable : Hostem generis humani latebat consilium misericordiæ Dei. Serm., LXIX, 4. Rapprocher LX, 3 et LXII, 3. Sur ce point, où saint Léon dépend de saint Augustin ; voir Tixeront, Hist. des dogmes, t. III, p. 359-360.

Avec la christologie et la sotériologie l’importance s’affirme de l’enseignement de saint Léon.

La lettre de Flavien est l’exposé le plus didactique de la doctrine christologique de saint Léon. Mais on retrouve cette direction dans ses sermons. L’enfantement miraculeux de la Vierge vere humanam vereque divinam unam edidit prole personam, quia non ita proprietas suas tenuit utraque substantia, ut personarum in eis possit esse discretio, lisons-nous dans un sermon de Noël, Serm., XXIII, 1. Formules qui n’ont pas encore la précision de celles de la lettre à Flavien. Saint Léon pense là à Nestorius et entend que les deux natures soient unies ita ut naturæ alteri altera misceretur. Ibid. Il revient à cette même vue, Serm., LIV, 1 : Suscepit totum hominem Deus, et ita se illi atque illum sibi. . . conseruit, ut utraque alteri natura inesset, et neutra in alteram a sua proprietate transiret. Voir des expressions plus définitives dans Serm., XXI, 2 ; XXV, 3, XXVII, 1-2, XXVIII, 1-6 (et là même, 4-5, intéressante revue des erreurs christologiques antérieures à Nestorius et Eutychès) ; XLVI, 1, XLVII, 2 ; LIII, 1 ; LXII, 1 ; LXIV, 4 ; LXV, 1 ; LXVIII, 1 ; LXIX, 3 ; LXXII, 2 ; XCI, 2 ; XCVI, 2. Rapprocher Epist., XV, 3 ; XXXI, 2-3 ; XXXV, 1-3 ; LIX, 3-5 ; CXXIV, 2-7 ; CLXV.

Dans le Sermo XXX, 6, saint Léon explique que le fils est ????????? Patri Deus, id es t unius substantiæ, idem homo et secundum carnem matri consubstantialis. Il fallait qu’il fût Homme-Dieu, quia non nisi utroque salvamur. Même thème, Serm., LIV, 1. Voir encore Epist., XXXV, 1 : Redemptionis nostræ sacramenta vacuantur, si Christus veram veri hominis totamque, naturam suscepisse non creditur. La christologie diphysite est postulée par la sotériologie. Cf. J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, 1905, p. 266.

Le Christ est incarné pour éclairer notre ignorance. L’humanité ne pouvait être réparée par la doctrina legalis de Moïse, ni par les exhortations des prophètes : il y fallait la veritas redemptionis et que l’humanité corrompue au commencement renaisse par un nouveau commencement. Il fallait que fût offerte à Dieu une victime de réconciliation qui fût de notre humanité sans participer de notre contamination, et tel fut le dessein de Dieu de détruire le péché du monde dans la naissance et la passion de Jésus-Christ. Serm., XXIII, 3.

La condamnation d’Adam passe en nous avec le péché : notre nature, lethali vulnere tabefacta, ne saurait trouver un remède à sa blessure, quia conditionem suam suis viribuis mutare non posset. Serm., XXIV, 2. Le Christ ne contracte pas le péché, parce que virginale est la conception de Marie, Dieu ayant voulu que humani seminis cessante contagio, novo homini et puritas inesset et veritas, une véritable nature humaine, mais pure. Ibid., 3. Saint Léon emploie ailleurs la même image : . . . terrent seminis contagia, Serm., XXV, 4 ; carnalis generationis abolenda contagia, Serm., XXVII, 2. Rapprocher Serm., XC, 1 : Vitium in posteros generandi lege transfusum. . . Il dit encore : Solus inter filios hominum dominus Jesus innocens natus est, quia solus sine carnalis concupiscentiæ pollutione conceptus. Serm., XXV, 5. La naissance du Christ est appelée origo sine semine criminis. Serm., XXVII, 2. Nous avons

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affaire ici à une doctrine que saint Léon doit tenir de saint Augustin, qui explique la transmission du péché originel par la conséquence inhérente à la génération. Voir art. AUGUSTIN, t. I, col. 2396.

La rédemption est le fruit du sacrifice : Crux Christi sacramentum veri et prænuntiati habet altaris, ubi per hostiam salutarem naturæ humanæ celebratur oblatio. Le Christ offre la victime qui sauve en offrant son humanité sur l’autel qui a été prophétisé, la croix. Là, le sang de l’agneau immaculé abolit l’antique prévarication. Serm., LV, 3. Saint Léon revient au même thème dans le Serm., LIX, 5 : Crucifixus est ut, veterum victimarum cessante mysterio, nova hostia novo imponeretur altari, et crux Christi non templi esset ara, sed mundi. Rapprocher Serm., V, 3 ; LXIV, 3 ; Epist., CXXIV, 4. Cf. Rivière, op. cit., p. 267-268 ; sur la défaite du démon dans la rédemption, ibid., p. 408-412.

La rédemption a profité aux justes qui ont vécu avant la venue de Jésus-Christ. Que l’on ne nous demande donc pas pourquoi la naissance du Sauveur s’est fait attendre tant de siècles et ne s’est produite que in ultima mundi ætate. En fait, sacramentum salutis humanæ nulla unquam antiquitate cessavit. . . Gratia enim Dei, qua semper est universitas justificata sanctorum, aucta est Christo nascente, non cæpta, si bien que non minus adepti sint qui illud credidere promissum, quam qui suscepere donatum. Serm., XXIII, 4. Même pensée, Serm., XXX, 7 ; LII, 1 ; LXIII, 2 ; LXVI, 1.

Nous avons vu, dans la lettre à l’évêque d’Aquilée, qui est sa plus ancienne lettre, Epist., I, saint Léon s’élever avec force contre ce qui reste de pélagiens. Il veut que ces clercs hypocrites soient sommés de condamner les auteurs de leur erreur et quidquid in doctrina eorum universalis Ecclesia exhorruit, et qu’ils embrassent omnia decreta synodalia quæ ad excisionem hujus hæreseos apostolicæ Sedis confirmavit auctoritas. Ces mots pourraient s’appliquer au syllabus des autorités sur la grâce de Dieu émanées des anciens évêques du Siège apostolique, que nous avons vu annexé à la lettre du pape Célestin à Vénérius et à ses collègues gallo-romains, et qui représente bien l’attitude de Rome dans les controverses sur la grâce, depuis le pape Célestin. On suit saint Augustin, mais on insiste sur la liberté humaine ; quant aux problèmes de la prédestination et de la prépotence de la grâce, on se réserve ; on répudie toute indulgence de la grâce envers Pélage, Célestius et leurs disciples.

Par ailleurs, le moraliste qu’est saint Léon parle le langage de la monnaie et de l’effort et de la liberté, comme si le fidèle n’avait pour sa vertu à compter que sur soi. Votre travail, par lequel vous résistez aux désirs charnels, est agréable au regard de Dieu et précieux. Serm., IV, 4. Pour autant que chacun soit justifié, chacun tant qu’il est dans cette vie, a de quoi pouvoir être meilleur : Qui non proficit deficit, et qui nihil acquirit nonnihil perdit. Currendum ergo nobis est fidei gressibus, misericordiæ operibus, amore justitiæ. . . Serm., LIX, 8. Aucun croyant ne peut s’exempter de la discipline chrétienne. Nous sommes dispensés de l’âpreté de la loi, voluntariæ tamen observantiæ crevit utilitas. Plus de circoncisions, plus de sacrifices, plus de sabbat. Mais les préceptes moraux de l’Ancien Testament subsistent : In præceptis moralibus nulla prioris testamenti decreta reprobata, sed evangelico magisterio multa sunt aucta ut perfectiora et lucidiora essent dantia salutatem quam promittentia Salvatorem. Serm., LXIII, 5. Autant Serm., XCII, 1. Pour remplir les préceptes de Dieu, il faut se défendre par la sanctification de la continence contre le feu de tous les vices : il faut que notre redempta libertas, en s’abstenant des choses permises, apprenne à s’interdire les choses défendues. Serm., LXXXI, 1. L’esprit ne doit pas

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oublier son principatus et consentir aux concupiscences de la chair. Serm., III, 4. Dieu neminem fraudat mercede meritorum. Serm., VIII.

Pareil langage semblerait laisser peu de jeu à la grâce actuelle. La voici, au contraire, décrite en termes augustiniens. Que l’homme reconnaisse la dignité de l’humanité, qu’il comprenne la similitude et la ressemblance de Dieu qu’il porte en lui, et que les misères qu’il tient du péché commun à tous ne décourage pas de compter sur la miséricorde du Réparateur. Dieu l’ai dit : Soyez saints, parce que je suis saint, c’est-à-dire, Me eligite et ab iis quæ mihi displicent absinete. Facite quod amo, amate quod facio. Et cum videtur esse difficile quod jubeo, ad jubentem accurite, ut unde datur præceptum præstetur auxilium : non negabo opem qui tribui voluntatem. . . Nemo quæ mea sunt inefficaciter concupiscit : qui enim ad me tendit ex mei participatione me quærit. Serm., XCIV, 2. Si nous sommes d’accord avec Dieu, si nous voulons ce qu’il veut, si nous détestons ce qu’il déteste, ipse jam pro nobis omnia bella conficiet, ipse qui dedit velle donabit et posse, ut simus cooperatores operum ejus. Serm., XXVI, 4. Le Seigneur a dit à ses disciples que sans lui ils ne peuvent rein faire : il suit de là que l’homme qui fait le bien tient de Dieu le commencement du vouloir et l’achèvement du faire, ex Deo habere et effectum operis et initium voluntatis. Serm., XXXVIII, 3. Tout le morceau est remarquable. Rapprocher Serm., XII, 1 : Dat (misericordia Dei) unde ipsi quoque duo operatur operemur, accendens scilicet mentium nostrarum lucernas et igne nos suæ caritatis inflammans. Et encore, Serm., III, 1 : Non de nobis, sed de illo præsumimus qui operatur in nobis. Dans le Serm., LXXIX, 2, voir le commentaire du texte Rom., XIV, 23 : Omne quod non est ex fide peccatum est.

L’homme intérieur a beau être régénéré dans le Christ, in Christo regeneratus, et arraché aux liens de la captivité, il demeure aux prises avec les révoltes de la chair, et tandis qu’il contient la concupiscence il en connaît les révoltes ; Serm., XC, 1. Notre nature changeante et mortelle, par suite du péché originel, renaît dans le saint baptême, mais reste encline au mal ; elle serait corrompue par le désir charnel, si elle n’était fortifiée par un secours spirituel, qui sicut illi nunquam deest unde corruat, ita semper præsto est unde subsistat. Serm., XVIII, 1. Le temple que nous sommes ne peut être ni commence ni achevé sans son auteur. Serm., XLVIII, 1.

On serait heureux de posséder dans la sacramentaire que nous a conservé un ms. du VIIe siècle de Vérone, et que l’on désigne communément sous le nom de Sacramentaire léonien, un sacramentaire romain contemporain de saint Léon et peut-être pour une part de son œuvre. Plusieurs prières de ce sacramentaire, en particulier pour les jours de jeûne, ont avec les sermons de saint Léon des rencontres qui ne sont pas fortuites. Ces rencontres n’ont pas échappé aux Ballerini. Voir leur note sur Serm., LXXXII, 3. In natali apostolorum Petri et Pauli. Il s’en faut que le sacramentaire dit léonien soit d’un seul jet, d’un seul auteur, d’un seul temps, et ces rencontres textuelles n’impliquent pas nécessairement la collaboration de saint Léon. La matière du sacramentaire léonien est sûrement romaine, sans que le recueil ait rien d’un livre officiel. Edm. Bishop, Liturgica historica, 1918, p. 40 et 56.

En étudiant les sermons de saint Léon, nous avons eu l’occasion de signaler sa dévotion aux apôtres saint Pierre et Paul, à saint Laurent. Il croit à la protection des saints et que Rome leur a dû sa délivrance au temps de l’invasion de Genséric. Les saints sont pour nous des modèles et des protections : Horum

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divitias concupiscite et per bonam æmulationem ipsorum ambite suffragia. Serm., XXXV, 4. Dieu nous donne en eux un exemple et un secours, in quibus nobis et præsidium constituit et exemplum. Serm., LXXXV, 4. Que l’on ne compare pas pour autant la mort des martyrs à la mort du Sauveur : la mort des saints est précieuse au regarde de Dieu, mais aucune ne saurait être rédemptrice : Acceperunt justi, non dederunt coronas, et de fidelium fortitudine exempla nata sunt patentiæ, non dona justitiæ. Serm., LXIV, 3. Dans les saints, nous honorons Dieu, nous aimons Dieu : In sanctis suis ipse honoratur, ipse diligitur. Serm., LXX, 5. On remarquera la sobriété de cette doctrine, qui est si différente de la bonhomie populaire du pape saint Grégoire.

Sur le baptême, nous trouvons des allusions aux rites qui les constituent, Sermo, XXIV, 6 : Demeurez stables dans la foi que vous avez professée devant de nombreux témoins, et in qua renati per aquam et spiritum sanctum accepistis chrisma salutis et signaculum vitæ æternæ. Rapprocher Epist., CXXIV, 8. On reconnaît la cérémonie de la redditio symbolio, si bien décrite pour Rome même chez saint Augustin, Conf., VIII, 5, puis le baptême proprement dit per aquam, enfin l’onction du saint chrême, faite par l’évêque, en forme de croix sur le front de chaque baptisé, des exorcismes et des instructions. Epist., XVI, 6. Il est parlé ailleurs de la renonciation au démon, Serm., LVII, 5 ; LXIV, 6 ; LXVI, 3 ; de la trina demersio, LXX, 4 ; Epist., XVI, 3. Le baptême solennel est administré à Pâques, à la Pentecôte aussi. Serm., LXXVI ; Epist., XVI, 3. En cas de péril de mort, on baptise en n’importe quel temps. Epist., XVI, 5.

L’effet du baptême est de donner au baptisé l’innocence de l’homme avant la chute. Omni homini renascenti aqua baptismatis instar est uteri virginalis, eodem Spiritu Sancto replente fontem, qui replevit et virginem, ut peccatum quod ibi vacuavit sacra conceptio, hic mystica tollat ablutio. Serm., XXIV, 3. Même thème, Serm., XXV, 5, XXVI, 2. Parlant de la solennité de Pâques qui approche, où seront baptisés de l’un et l’autre sexe des milliers de vieillards, des milliers de juvenes, des milliers de pueri, dans l’univers, saint Léon enseigne qu’à tous ces baptisés seront remis soit le péché originel, soit les péchés personnels. Nec obesse cuiquam vel proprium vel originale peccatum, ubi justificatio non meritis retribuitur, sed sola gratiæ largitate donatur. Serm., XLIX, 3. Rapprocher Epist., LXIX, 4 : In baptismate. . . contagio damnatæ vetustatis exuitur, ut efficiatur homo corpus Christi, quia et Christus corpus est hominis.

Il n’est pas de péché ou d’erreur qui ne puisse se réparer en cette vie : Dum in hoc corpore vivitur, nullius desperanda reparatio, sed omnium est optenda correctio. Serm., XXXIV, 5. Le pécheur qui perd le temps où il pourrait se repentir, ne peut compter sur le pardon : qu’il recoure donc, quand il est temps encore, à la miséricorde divine : Dabit quod petitur, qui dedit unde peteretur. Serm., XXXVI, 4. Le carême est un temps de pénitence pour les chrétiens qui, sans avoir de fautes graves à expier, sont cependant toujours imparfaits et pécheurs : l’image de Dieu que nous devons être, est un miroir qu’il faut constamment nettoyer de la poussière terrestre qui le salit constamment. Serm., XLIII, 3. Pareille exhortation, Serm., XLIV, 1 ; XLV, 4 ; XLIX, 1 et 4.

L’aumône est un moyen d’effacer les péchés. Serm., XLIX, 6. Les larmes sont un baptême. Serm., LX, 4. Cependant le carême est spécialement le temps de la pénitence prescrite aux pécheurs coupables de fautes mortelles en instance de réconciliation (Illa pars populi) quæ lethalium conscia peccatorum per reconciliationis auxilium festinat ad veniam. Serm.

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XLV, 1. La solennité de Pâques verra leur réconciliation accomplie : Lapsos quoque et insidiarum fraude deceptos, pænitentiæ lacrimis ablui et portas misericordiæ, apostolica clave reserante ,ad remedia reconciliationis admitti (diabolus videt). Serm., XLIX, 3. La pénitence désarme la justice de Dieu : Ultiones crimimum pænitentiæ remediis relaxantur. Serm., XCII, 1.

Les préceptes qui imposent des jeûnes à toute l’Eglise, par exemple aux Quatre-Temps, font que ces jeûnes profitent à toute l’Eglise. Serm., LXXXVIIII, 2. La prière commune de l’Eglise est toute-puissante pour demander à Dieu la rémission des fautes de tous : Plenissimo peccatorum obtinetur abolitio quando totius Ecclesiæ una est oratio et una confessio. Ibid., 3. Grand spectacle que celui du peuple du Christ appliqué tout entier aux mêmes devoirs. Semblablement, Serm., LXXXIX, 2 : Tune est efficacior sacratiorque devotio, quando in operibus pietati totius Ecclesiæ unus animus et unus est sensus : publica enim præferenda sunt propriis.

Le pardon de Dieu ne peut être obtenu que par la prière des évêques : Indulgentia Dei nisi supplicationibus sacerdotum nequit obtineri. Ce pouvoir, en effet, a été donné par le Christ aux chefs de l’Eglise (præpositis Ecclesiæ) qui donnent à ceux qui confessent leurs fautes la pénitence à accomplir, confitentibus actionem pænitentiæ, et quand ces pécheurs se sont purgés par une salutaire satisfaction, on les admet à la communion des sacrements par la porte de la réconciliation, le Saint-Esprit coopérant certainement au ministère des évêques. Epist., CVIII, 2. à l’évêque de Fréjus. Les pénitents qui meurent avant d’avoir été réconciliés, Dieu les réserve à sa justice. Ibid., 3. En cas de péril urgent, on doit accorder sans délai la réconciliation. Ibid., 4. Le pécheur doit être instruit du danger qu’il court à remettre sa conversion à la dernière heure. Ibid., 5. La rémission des péchés par les évêques s’exerce en vertu du pouvoir des clés. Serm., V, 5. La lettre à Théodore de Fréjus est l’exposé le plus intégral que nous ayons de la discipline pénitentielle au Ve siècle : Léon en fixe la nature pour l’Occident, et il marque la discipline occidentale de sa puissante empreinte.

La participation à l’Eucharistie est une communion au corps et au sang du Christ. Le Sauveur n’a pas repoussé Judas a corporis et sanguinis sui communione. Serm., LIV, 3. A la dernière cène, mystica cena, le Sauveur révèle à ces apôtres quelle est la victime qui doit être offerte à Dieu : Corporis et sanguinis sui ordinans sacramentum, docebat qualis Deo hostia deberet offeri. Serm., LVIII, 3. Il leur donne les sacramenta de sa passion et de sa mort. Ibid., 4. Sur la croix, il offre son corps et son sang : Carnalium sacrificiorum varietate cessante, omnes differentias hostiarum una corporis et sanguinis sui implet oblatio. Serm., LIX, 7. Voir Serm., XCI, 3, un texte classique : Sic sacræ mensæ communicare debetis, ut nihil prorsus de veritate corporis Christi et sanguinis ambigatis. Hoc enim ore sumitur quod fide creditur, et frustra ab illis amen respondetur a quibus contra id quod accipitur disputatur. Allusion aux partisans de Nestorius et d’Eutychès qui disputent sur l’humanité du Sauveur. pareil texte, Epist., LIX, 2, à l’adresse des eutychiens : les infantes eux-mêmes ne se taisent pas de la veritas corporis et sanguinis Christi inter communionis sacramenta.

La communion aliment le fidèle et l’incorpore au Christ, de ipso Domino inebriatur et pascitur. Non enim aliud agit participatio corporis et sanguinis Christis, quam ut in id quod sumimus transeamus. Serm., LXIII, 7. Même thème, dans Epist., LIX, 2.

A aucun chrétien, on ne doit facilement refuser la communion : ce ne saurait être laissé à l’arbitraire

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d’un évêque irrité, mais il y faut un jugement, et un jugement qui ne frappe que le coupable. Epist., X, 8.

La célébration de l’Eucharistie est qualifiée par saint Léon de sacrificii oblatio. Epist., IX, 2. Il dit sacrificium offerre. Il dit missa. Ibid.

Parlant de l’invasion de l’Eglise d’Alexandrie par Timothée Ælure et la faction responsable du meurtre de l’évêque légitime Protérios, saint Léon écrit : Intercepta est sacrificii oblatio, defecit chrismatis sanctificatio, et parricidalibus manibus impiorum omnia se subtraxere mysteria. Epist., CLVI, 5. Ces lignes et celles qui suivent sont un rappel du massacre de Protérios, assassiné le jeudi saint, 28 mars, dans le baptistère de l’Eglise de Quirinos : Protérios offrait le saint sacrifice au cours duquel était consacré le saint chrême qui devait servir au baptême des catéchumènes dans la vigile pascale. Il ne fut évidemment pas possible d’administrer le baptême, faute de saint chrême, faute d’évêque, et omnia se subtraxere mysteria est une allusion à cette carence.

La charismatio des baptisés leur confère un sacerdoce comme le signe de la croix qu’on leur impose leur confère une royauté, allusion à un texte bien connu de I Pierre II, 9. Saint Léon peut dire : Omnes in Christo regeneratos crucis signum efficit reges, sancti vero Spiritus unctio consecrat sacerdotes. Serm., IV, 1. Il dira encore, après avoir rappelé que le temps est passé des figures, des ombres figuratives de l’ancienne Loi : Nunc et ordo clarior levitarum, et dignitas amplior seniorum, et sacratior est unctio sacerdotum. Serm., LIX, 7. Rapprocher Serm., LXVI, 2 : Nobiscum est signaculum circumcisionis (le baptême), sanctificatio chrismatum (la charismation ou la confirmation), consecratio sacerdotum (l’ordination des évêques), nobiscum puritas sacrificii, baptismi veritas, honor templi. Mains on ferait fausse route à chercher ici une attestation de l’existence d’une charismation dans l’ordination des évêques de Rome. On sait que le rite de l’onction, rite gallican, vient de Bretagne et n’est pas attesté avant le VIe siècle.

Léon distingue trois ordres hiérarchiques : l’épiscopat, la prêtrise, le diaconat. On ne peut être promu à un ordre sans avoir passé par l’ordre précédent : . . . Ne primum, aut secundum, aut tertium in Ecclesia gradum quisquam laicorum. . . ascendat, priusquam ad hoc meritum per legitima augmenta perveniat. Epist., XII, 5, lettre aux évêques de Mauritanie.

L’ordination des diacres, des prêtres, des évêques, est précédée d’un jeûne : His qui consecrandi sunt jejunis et a jejunantibus sacra benedicto conferantur. L’ordination est célébrée le dimanche : on jeûne donc le dimanche, on jeûne donc le samedi, mais on continue le jeûne jusqu’au matin du dimanche : Mane ipso dominico die, continuato sabbati jejunio, celebratur. Epist., IX, 1. Saint Léon qualifie l’ordination de tantæ benedictionis sacramentum. Ibid. Ce sera donc le dimanche que se fera l’ordination, en tenant compte que le dimanche commence le samedi soir : Nunquam benedictio nisi in die resurrectionis dominicæ, cui a vespera sabbati initium constat ascribi. Ibid. Rapprocher Epist., CXI, 2. Pour le dire en passant, on voit là comment peut s’expliquer l’usage de la vigilia liturgique : la nuit du samedi au dimanche fait partie du dimanche qui commence le soir du samedi. Saint Léon relève la dignité du dimanche, en faisant valoir que le monde a commencé à pareil jour, le Christ est ressuscité, les apôtres ont reçu leur mission, Matth., XXVII, 20, et aussi bien reçu le Saint-Esprit, Jean, XX, 22-23, ut cælesti quadam regula insinuatum et traditum noverimus in illa die celebranda nobis esse mysteria sacerdotalium benedictionum, in qua collata sunt omnia dona gratiarum. Ibid. Sur le dimanche,

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seul jour autorisé pour les ordinations, voir encore la lettre aux évêques de Viennoise, Epist., X, 6.

Qui voudra comprendre l’éminente dignité voit dans le sacerdoce n’aura qu’à relire sa lettre aux évêques de Campanie, Picénum, Toscane. Epist., IV. On a dénoncé au pape des évêques qui ont reçu dans le clergé des sujets qui n’avaient ni naissance, ni dignité de mœurs, et qui étaient de condition servile : l’on a été jusqu’à les porter à l’épiscopat, tamquam servilis vilitas hunc honorem capiat. Saint Léon s’élève contre cet abus : Sacrum ministerium talis consortii vilitate polluitur, écrit-il sévèrement. On ne peut recevoir des esclaves dans le clergé sans porter atteinte aux droits que leurs maîtres ont sur eux, à moins que leurs maîtres eux-mêmes n’y renoncent. En toute hypothèse, le ministère sacré doit être indépendant : Debet enim esse immunis ab aliis qui divinæ militiæ fuerit aggregandus, ut a castris dominicis quibus nomen ejus ascribitur nullis necessitatis vinculis abstrahatur. Ces décisions semblent manquer d’humilité, mais combien elles sont été favorables au recrutement de l’épiscopat d’Occident, et à son prestige !

Les diacres sont attachés au ministerium sacramentorum et à l’administration de l’ecclesiastica substantia. Serm., LXXXV, 2. Le premier des diacres est archidiacre : il est préposé aux ecclesiastica negotia, dira saint Léon de l’archidiacre de Constantinople. Serm., CXII, 1.

Le sous-diaconat est qualifié par saint Léon de quatrième ordre. Le pape veut que les sous-diacres soient astreints à la continence, aussi bien que les diacres, les prêtres, les évêques. Donc aux sous-diacres le connubium carnale est interdit : s’ils ont une femme, ils feront comme s’ils n’en avaient pas, I Cor., VII, 29, et s’ils ne sont pas mariés, permaneant singulares, qu’ils restent célibataires. Et saint Léon ajoute : Quod si in hoc ordine qui quartus a capite est, dignum est custodiri, quanto magis in primo, aut secundo, vel tertio servandum est ? Epist., XIV, 4, à l’évêque de Thessalonique.

Sur les fins dernières voir Serm., IX, 2, et encore Serm., XXXV, 4 : Non ita deliquentes peccata delectent, ut illos in suis actibus vitæ hujus finis inveniat : quoniam in inferno nulla est correctio, nec datur remedium satisfactionis ubi fam non superest actio voluntatis.

La politique de saint Léon. ? Nous l’avons ?tudiée au fur et à mesure des relations de saint Léon avec les diverses régions de l’Occident et avec l’Orient. Bonwetsch a pu dire : " La caractéristique de Léon est en ceci, que, théoriquement et pratiquement, il s’est appliqué à faire du siège de Pierre le fondement de l’Eglise. Non seulement, il a défendu le primat de l’évêque de Rome, comme déjà d’autres (papes) avant lui, et encore plus énergiquement qu’eux, mais il a entendu être l’évêque universel. " Art. cit. p. 373. Comparer les pages de l’Histoire de l’ancienne Eglise, 1913, du russe V. Bolotov, traduites par M. d’Herbigny, Theologica de Ecclesia, t. II, 1921, p. 138-140 ; et celles de J. Langen, vieux catholique, Geschichte der römischen Kirche, 1881-1893, t. II, p. 108-112. Cette politique s’applique en tout à resserrer les liens qui rattachent les évêques au Siège apostolique, mais on doit lui rendre cette justice qu’elle a pour fin supérieure le bien de l’Eglise universelle.

L’expression universalis Ecclesia, qui revient si souvent sous la plume de saint Léon, est une expression qu’il est le premier pape à employer, avec cette insistance du moins. Il encourage Julien de Kos à lui écrire plus souvent, et il lui écrira de son côté præsertium cum hoc, non pro amicitia tantum communi, sed multo magis pro statu universalis Ecclesiæ facia-

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mus. Epist., LXXXVI. Il rend grâces à Dieu que Pulchérie montre tantam universalis Ecclesiæ curam. Epist., XCV, 1. Il écrit à Marcien qu’il ne peut laisser enfreindre les canons dictés à Nicée ad totius Ecclesiæ regimen, et préférer par faiblesse un seul de ces collègues à l’universæ domus Domini communis utilitas. Epist., CIV, 3. Il a donné à Julien de Kos la mission de le représenter à Constantinople, d’y porter aux intérêts de la foi et de la discipline la sollicitude même du pape, sollicitudinem meam, et par d’opportunes suggestions d’insinuer quod universali Ecclesiæ prosit. Epist., CXII, 2. Il parle aux moines de Palestine de la sollicitude, que, dit-il, universalis Ecclesiæ omnibusque ejus filiis debeo. Epist., CXXIV, 1. Autant à l’évêque d’Antioche, Basile. Epist., CXLIX, 1. Autant à l’évêque de Jérusalem, CL. Il presse Théodoret de conserver dans la foi irréprochable qui est la sienne, pro universalis Ecclesiæ defensione. Epist., CXX, 5. Il ne sait comment rendre assez grâces à Dieu d’avoir en Marcien élevé un prince dont la piété apparaît evidenter ad universalis Ecclesiæ firmamentum a Domino præparata. Epist., CXVII, 1.

Léon se sent comptable à Dieu de la discipline de l’Eglise universelle. Cette discipline ne sera pas d’une rigueur aveugle, elle comportera des tempéraments dans ses sanctions. Voir sur cet équilibre une page très caractéristique de la prudence de saint Léon, dans sa lettre aux évêques de Mauritanie. Epist., XII, 5. Léon sait qu’il faut proportionner la peine au délit, au coupable, aux circonstances : Cogimur secundum Sedis apostolicæ pietatem ita nostram temperare sententiam, ut trutinato pondere delictorum, quorum utique non una mensura est, quædam credamus utcumque toleranda, quædam vero penitus amputanda. Ibid., 15. Il écrira à Pulchérie au sujet d’Eutychès Sedis apostolicæ moderatio (l’action) hanc temperantiam servat, ut et severius agat cum obduratis, et veniam cupiat præstare correctis. Epist., XXX, 1.

Mais la discipline s’impose : elle a pour règle les apostolica et canonica decreta. Saint Léon parle des beatorum patrum venerabiles sanctiones, et on notera avec les Ballerini qu’il désigne par là les canons de Nicée et aussi ceux de Sardique. Epist., XII, 4. Aux canons des pères, c’est-à-dire des conciles, il joint les règles posées par le Siège apostolique, non præjudicantes apostolicæ Sedis statutis, nec beatorum patrum regulas resolventes. Ibid., 5. Ailleurs, auctoritatem canonum decretorumque nostrorum, Epist., I, 1 à l’évêque d’Aquilée. Rapprocher Epist., XIII, 3, aux métropolitains d’Illyricum. Comparer le langage de saint Léon sur sa sollicitude à procurer l’observation universelle de la même date pascale. Epist., CXXI, à Marcien ; CXXII, à Julien de Kos. Rapprocher CXXXIV, 3 et CXLII, 1, à Marcien. Le conformisme pascal est un des plus vieux sujets qui manifeste à Rome le sens de l’universel.

Les Ecclesiæ gubernacula ont été confiés par le Sauveur à saint Pierre, qui ne les a pas lâchés, Serm., III, 3, et qu’il tient présentement par les mains de Léon. Serm., II, 2. L’empereur Marcien, en demandant à saint Léon d’assister au concile de Chalcédoine, n’a fait que rendre hommage au droit et à l’honneur du bienheureux apôtre Pierre, Petri beatissimi apostoli jure atque honore servato. Le pape n’ira pas au concile, mais ses légats y seront : Me synodo vestra fraternitas æstimet præsidere. Epist., XCIII, 1. Saint Léon dit cela dans la lettre qu’il adresse au concile, il ne suppose pas qu’aucun évêque d’Orient conteste son droit de présider, et même de présider en la personne de ses légats.

Le siège de Rome est dans l’ordre des sièges, le premier. Le jugement prononcé contre Eutychès par le concile de Chalcédoine est un jugement prononcé en premier lieu par Rome, quod prius a prima

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omnium sede formatum (est). Epist., CXX, 1. Dans la pensée de saint Léon, cette primauté n’est pas une pure préséance d’honneur du siège, quam ceteris omnium Dominus statuit præsidere, car si l’univers a suivi la sentence prononcée par le premier siège, c’est qu’il est naturel que le corps suive la tête, ut in hoc quoque capiti membra concordent. Ibid. Saint Léon dit cela à Théodoret. les évêques, lui dit-il encore, sont nos membres, membra nostra sunt : l’audace inouïe de Dioscore aura été de vouloir frapper la tête, contra suum caput est molitus injuriam. Ibid., 3. La primauté de l’évêque de Rome n’est pas la création des Pères, mais de Dieu lui-même : curam quam universis Ecclesiis principaliter ex divina institutione debemus. Epist., XIV, 1.

Les légats que le pape envoie eu concile de Chalcédoine ont dans leurs instructions de faire respecter la volonté de saint Léon, qui exige que Dioscore soit mis en jugement. Ils parlent au nom de celui qu’ils appellent le bienheureux et apostolique évêque de la ville des Romains, qui est caput omnium Ecclesiarum. Siège apostolique, p. 538. L’interprète, qui traduit incontinent en grec les paroles de Paschasinus, nous empêche d’avoir aucune hésitation sur le texte, puisqu’il dit : ??? ???????? ??? ??????????? ????????? ??? ‘??????? ?????? ??????? ?????????? ????? ??? ?????????. C’est bien L?on qui est la tête de toutes les Eglises, et non pas Rome, comme l’insinue quelques manuscrits qui disent quæ au lieu de qui. Cette déclaration ne soulève aucune réclamation du concile. M. d’Herbigny, Theologica de Ecclesia, t. II, 2e édit., 1921, p. 125. Nous retrouvons pareille expression dans le texte de la sententia de saint Léon prononcée au concile par ses légats et portant condamnation d’Eutychès et de Dioscore. Le pape y est qualifié sanctus ac beatissimus papa caput universalis Ecclesiæ Leo. . . Petri apostoli præditus dignitate, qui Ecclesiæ fundamentum et petra fidei, cælestis regni janitor nuncupatur. Siège apostolique, P. 542. Le texte est en appendice à la lettre CIII de saint Léon aux évêques gallo-romains. Voir la note des Ballerini sur cette lettre. mais le texte grec des actes du concile de Chalcédoine n’a pas le caput universalis Ecclesiæ et le (Petri) præditus dignitate. Il n’en est que plus remarquable que le concile, après sa clôture, écrivant à saint Léon le félicite d’avoir été pour tous qui y prirent part " l’interprète de la voix du bienheureux Pierre ", et de la es avoir " conduits comme la tête conduit les membres. " Inter S. Leon. Epist., XCVIII, 1. Siège apostolique, p. 562. Nous n’attachons pas de valeur au titre d’archevêque œcuménique donné à saint Léon dans des suppliques à lui adressées par des clercs alexandrins, au cours du concile de Chalcédoine. S. Vailhé, Le titre de patriarche œcuménique avant saint Grégoire-le-Grand, dans Echos d’Orient, 1908, p. 65-69.

L’hommage du concile de Chalcédoine au principatus de saint Léon s’adresse à l’auteur de la lettre à Flavien ; il s’adresse à l’évêque de Rome qui a exigé et obtenu la cassation du grand concile que lui-même a stigmatisé du nom de " brigandage d’Ephèse " ; il s’adresse au pape dont les formules christologiques viennent de rallier l’Orient, et à qui l’Orient demande confirmation de ses propres actes. Si l’on rapproche de cette démarche du concile les déclarations ou les démarches conformes soit de la cour de Constantinople avec Marcien et Pulchérie, soit de la cour de Ravenne, il faut bien reconnaître que saint Léon a porté à son apogée l’unité de l’Eglise universelle et de la papauté qui en est la tête.

Saint Léon réalise aussi bien le système qui assurera cette unité et cette primauté. Que l’on se rappelle la déclaration de sa lettre à Anastase de Thessa-

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lonique, Epist., XIV, 11, qui décrit l’épiscopat tel que saint Léon le conçoit : les évêques groupés province par province autour d’un métropolitain, puis, de grands sièges groupant autour d’eux plusieurs provinces, grands sièges per quos ad unam Petri sedem universalis Ecclesiæ cura conflueret et nihil usquam a suo capite dissideret. Et d’ajouter : Qui ergo scit se quibusdam esse præpositum, non moleste ferat aliquem sibi esse prælatum, sed obedientiam quam exigit etiam ipse dependat, et sicut non vult gravis oneris sarcinam ferre, ita non audeat alii importabile pondus imponere. Si jadis on a pu penser à l’épiscopat comme à un numerus episcoporum, tous égaux, tous autonomes, c’en est fini, et voici le " système papal " construit : Saint Léon en donne le plan achevé. Par là s’explique que saint Léon ait opposé une résistance si intransigeante au 28e canon de Chalcédoine, qui, dans sa pensée, menaçait l’équilibre de ce plan. Saint Léon avait tort de retrouver son plan dans les canons de Nicée : c’est plutôt dans les canons du concile de Constantinople de 381 que l’on a le premier essai de groupement d’où sortiront les patriarcats du temps de Justinien. Saint Léon les dessine lui aussi, mais il y réserve la souveraineté centralisante de Rome, et se défend contre l’ingérence impériale. Il suffirait d’un pareil plan pour faire de saint Léon l’organisateur de la papauté historique.

En cela, cependant, saint Léon est l’écho de papes antérieurs, comme Innocent ou Boniface : il ne créé rien, est l’observation est de Langen lui-même, t. II, p. 108. " On reconnaît universellement, écrit l’historien vieux-catholique, que l’idée de la papauté a été suffisamment réalisée par Léon. Il n’a créé, ni l’idée en soi, ni son fondement scripturaire ; mais au système qui s’en était formé à Rome depuis la fin du IVe siècle, il a donné une expression et un jeu, que ne lui avait donnés aucun de ses prédécesseurs. " Le même historien reconnaît que " Léon voulait être considéré comme le chef de toute l’Eglise, tant d’Orient que d’Occident ", de sorte que, " toutes les Eglises lui fussent assujetties. Il sentait que cette prétention était prise en Orient tout autrement qu’en Occident, où l’autorité de l’évêque romain était depuis longtemps incontestée. " Langen croit surprendre une évolution dans la politique orientale de Léon, timide d’abord, plus impérieuse ensuite, à mesure que l’Orient, mis sens dessus dessous par l’eutychianisme, a besoin du secours de Rome. Il croit pareillement que l’épiscopat oriental dans son ensemble était réfractaire à l’hégémonie de Rome, et que, à Chalcédoine, cet épiscopat ne s’inclina que sous la pression de l’empereur Marcien. Toutes ces restrictions de Langen ne font pas que saint Léon n’ait eu gain de cause sur les points qu’il estimait essentiels, sans que, avec le versatile épiscopat d’Orient, et avec l’autorité discrétionnaire du basileus, l’avenir de l’unité fut assuré.

Insistons sur quelques points. Entre les évêques, la communion s’établit par la communauté de la foi. Illa est virgo Ecclesia, sponsa unius viri Christi, quæ nullo se patitur errore vitiari, ut per totum mundum una nobis sit unius castæ communionis integratis, in qua societatem tuæ dilectionis amplectimur, écrit saint Léon au nouvel évêque de Constantinople Anatolios, en lui donnant acte de son élévation. Epist., LXXX, 1. Rapprocher, id., 2 et LXXIX, 2. Saint Léon se réjouit de recevoir les assurances nécessaires sur la foi de Protérios d’Alexandrie, quia fraterna pax non nisi in una fidei confessione servatur. Epist., CXXX, 2.

On ne conçoit pas qu’on puisse être dans la communion catholique si l’on n’est pas en communion

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avec le Siège de Rome. inversement, la communion du Siège du Rome suffit à assurer la communion catholique. Saint Léon informe l’évêque de Constantinople Anatolios qu’Eusèbe de Dorylée, déposé par le brigandage d’Ephèse, est à Rome, et in nostra nunc communione persistere. Epist., LXXX, 4. Cela suffit pour qu’Eusèbe doive être tenu pour couvert. On voit, à ce moment même, les malheureux évêques qui ont trempé dans le brigandage d’Ephèse, solliciter la communion de Rome, gratiam nostræ communionis exposcunt, écrit saint Léon à Julien de Kos. Epist., LXXXI. Autant LXXXII, 1, et LXXXVII. Que Protérios, qui succède à Dioscore sur le siège d’Alexandrie, fasse traduire en grec et publier la lettre à Flavien, afin que le clergé et le peuple d’Alexandrie probentur apostolicæ Sedis sinceri esse discipuli. Epist., CXXX, 3.

La liaison de Rome et des évêques s’entretient par leurs lettres. Omnium litteras sacerdotum grato nos relegere animo fraterni collegii caritas facit, écrit saint Léon à l’évêque de Thessalonique. Epist., VI, 1. Il presse l’évêque d’Arles de l’informer souvent de ce qu’il fait : Sæpius nos de processu actuum tuorum facias certiores. Epist., XLI. Se rappeler sa lettre à l’évêque d’Antioche, Maxime, Epist., CXIX, 3 ; sa lettre à Théodoret, CXX, 6. Voir sur les lettres qu’il adresse aux grands sièges d’Orient, Epist., CLIII.

Parlant d’une des lettres adressées par saint Cyrille à Nestorius, le pape mentionne qu’elle est conservée dans les archives du Siège apostolique, quam. . . apostolicæ Sedis scrinia susceperunt. Epist., LXIX, 1. De même la lettre que saint Cyrille a écrite à Léon, du temps que Léon n’était encore que diacre : Eam in nostro scrinio requisitam nos authenticam noveris reperisse. Epist., CXIX, 4.

La sollicitude de saint Léon s’inquiète quoties aliqua contra constituta canonum ecclesiasiticamque disciplinam præsumpta vel commissa cognoscimus. Le pape a le sentiment que s’il n’intervient pas pour rétablir l’ordre, il sera sans excuse auprès de Dieu, pour qui il monte la garde : Quæ si non qua debemus vigilantia resecemus, illi qui nos speculatores esse voluit excusare non possumus, écrit-il aux évêques de Campanie, Picénum et Toscane. Epist., IV, 1. Nous avons, écrit-il à l’évêque de Thessalonique, à exercer la vigilance de notre sollicitude, et nous y sommes astreints par la considération de notre office, qui veut que nous corrigions ce qui se déprave, adhibitæ coercitionis remediis. Epist., VI, 1. Il parle aux métropolitains d’Illyricum de sa volonté de quorumdam inobedientam justa coercitione corrigere. Epist., XIII, 2. Il écrit à l’évêque de Bénévent : Noveris quanta sollicitudine per omnes Domini Ecclesias paternorum velimus canonum præcepta servari. Epist., XIX, 1. Cf. XVI, 1 et 7, aux évêques de Sicile.

La sollicitude du pape s’étend à toutes les Eglises. Per omnes Ecclesias cura nostra distenditur, exigente hoc a nobis Domino, qui apostolicæ dignitatis beatissimo apostolo Petro primatum fidei suæ remuneratione commisit, universalem Ecclesiam in fundamenti ipsius soliditate constituens, necessitam sollicitudinis quam habemus cum his qui nobis collegii caritate juncti sunt sociamus. Saint Léon dit cela aux métropolitains de l’Illyricum oriental. Epist., V, 2. Le pape partage cette sollicitude avec tous les évêques, mais sa sollicitude personnelle embrasse l’Eglise universelle en vertu du rôle de fondement que le Sauveur a donné à saint Pierre et que son successeur romain perpétue.

Il ne parle pas un autre langage aux évêques de Mauritanie. On s’est plaint à lui et la piété donc exige ut, pro sollicitudine, quam universæ Ecclesiæ ex divina institutione dependimus, rerum fidem studeremus agnoscere. Epist., XII, 1. Il disait de même

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à l’évêque de Thessalonique qu’il lui avait délégué le vicariat de l’Illyricum ut curam quam universis Ecclesiis principaliter ex divina institutione debemus imitator nostræ mansuetudinis adjuvares. Epist., XIV, 1. Autant aux évêques de Sicile, avec lesquels il s’explique sur l’institution divine de cette charge : Manente dominicæ vocis imperio, quo beatissimus apostolus trina repetitione mysticæ sanctionis imbuitur ut Christi oves qui Christum diligit pascat ; ipsius Sedis, cui per abundantiam divinæ gratiæ præsumus, reverentia coarctamur ut periculum disidiæ quantum possumus declinemus. Epist., XVI, 1. La desidia dont il s’agit est celle dont serait coupable saint Léon s’il manquait à corriger les désordres de toutes les Eglises, car il doit veiller sur toutes les Eglises : Divinis præceptis et apostolicis monitiis incitamur ut pro omnium Ecclesiarum statu impigro vigilemus affectu. Ibid. Rapprocher, Epist., XIX, 1, à l’évêque de Bénévent.

Saint Léon entend bien que sa sollicitude embrasse l’Orient. Il écrit à Flavien au sujet des premières mesures prises par celui-ci contre Eutychès : Dilectio tua de tanta causa nos videt necessario esse sollicitos. Epist., XXIII, 2. Quand le brigandage d’Ephèse éclate, on sait avec quelle force il en demande l’annulation. La foi est en jeu, mais c’est aussi bien la cause des évêques sacrifiés comme Flavien, que saint Léon prend en mains. Il écrit au clergé et au peuple de Constantinople, en mars 450 : Nous vous avons écrit des lettres d’encouragement et nous vous avons donné l’approbation que de vous-mêmes vous nous aviez demandée, confirmationem quam expetistis ultro præbuimus : ne doutez pas que nous ayons de vous un soin paternel et que, Dieu aidant, nous travaillions par tous les moyens à corriger les scandales qui viennent de donner des insensés. Il ajoute, et ces mots visent Dioscore : Nec quisquam sibi audeat de sacerdotali honore blandiri, qui potuerit in exsecrandi sensus impietate convinci. Epist., LIX, 1. Il écrit, vers le même temps, à des archimandrites de Constantinople, qu’il espère qu’ils ont reçu ses précédentes lettres, ut in his quantam curam totius Ecclesiæ habeamus appareat. Epist., LXI, 1. Il le leur répète quelques mois plus tard : Ex ipsa frequenta litterarum possitis agnoscere quantam curam Ecclesiæ universalis habeamus. Epist., LXXV, 1. Il veut que, in causa fidei, quand la foi est en jeu, aucune part de l’Eglise catholique ne soit négligée par lui, per desidiam nostram ulla pars Ecclesiæ catholicæ neglecta videatur. Epist., CXVIII, 1, à Julien de Kos. Il ne demande qu’à aider Théodoret et ses collègues de de Comagène. Que Théodoret informe le Siège apostolique, quatenus illius regionis sacerdotes, in quocumque usus exegerit, adjuvemus. Epist., CXX, 6. Cependant, on notera que nulle part saint Léon ne paraît penser aux Eglises établies au-delà des frontières de l’Empire romain, et pas davantage aux missions à entreprendre auprès des barbares païens ou ariens.

Saint Léon ne perd pas une occasion de dire aux évêques qu’il admoneste qu’il entend ne rien diminuer de leurs droits. In nostram recurrit gratiam si Ecclesiæ sic regantur ut nullus querimoniis aditus reseretur, dit-il aux métropolitains de l’Illyricum oriental. Vous accepterez dans l’ordre que vous donne le Siège apostolique, nec vobis aliquid juris credatis immunui si tam præsentibus quam futuris rebus videatis ne illicitis præsumptionibus reseretur aditus præcaveri. Epist., V, 1. Il assure les évêques de Viennoise que la charité du siège apostolique ne leur a jamais manquée, et s’il s’applique à mettre de l’ordre chez eux, c’est avec eux, communicato vobiscum labore. Epist., X, 2. Car la sollicitude de Rome, non sua quærens, sed quæ sunt Christi, s’interdit de porter atteinte à la

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dignité de droit divin des Eglises et des évêques (Sollicitudo nostra) dignitatem divinitus datam nec Ecclesiis nec Ecclesiarum sacerdotibus abrogabat.Ibid. Voir la lettre à l’évêque d’Antioche, Maxime, où le pape compte sur lui pour avoir soin des Eglises quas antiochenæ sedi sacratissimorum Patrum nicæni canones deputaverunt. Epist., CXIX, 2. De même, il veut que l’évêque d’Alexandrie, Protérios, comprovinciales suos episcopos, qui alexandrinæ sedi ex antiqua constitutione subjecti sunt, congrua sibi auctoritate contineat. Epist., CXXIX, 3. Il donne mission à Julien de Kos d’être à Constantinople son représentant, son informateur, son agent, et d’intervenir, mais sequestrata carum actione causarum quæ in quibusque Ecclesiis præsulum suorum debent cognitione firmari. Epist., CXIII, 2. Il y a donc des causes qui, en chaque Eglise, regardent l’évêque et ne regardent que lui.

S’il agit à Constantinople, si, par exemple, il travaille à réconcilier les évêques d’Orient qui ont participé au brigandage d’Ephèse, c’est d’accord avec l’évêque de Constantinople que ses légats ont l’ordre d’agir, participata nostrorum quos misimus cura cum supradicto episcopo, écrit-il à Pulchérie. Epist., LXXIX, 2. Rapprocher LXXX, 2 : Cum legatis nostris quos misimus participata lecture sollicitudine et LXXXII, 2 : injuctum est ab apostolica Sede directis ut in consortium suæ deliberationis adscito Constantinopolitanæ urbis antistite. . . Autant LXXXIV, 1, où l’on voit saint Léon se rallier aux suggestions de l’évêque de Constantinople. Rapprocher LXXXV, 3. Cet évêque, cependant ne cachera pas un jour à saint Léon que sa sollicitude lui semble bien détaillée et finit par l’offenser. Saint Léon lui représente qu’il s’est plaint en effet de son indulgence envers un de ses prêtres dénoncé à Rome comme eutychien, mais qu’il lui a laissé le soin de corriger ce prêtre : Neque in aliquo honorem tuum læsi, in discutienda ea quæ ad me erant perlata commisi. Epist., CLXIII.

Il est vrai que ces ménagements n’empêchent pas saint Léon de faire la loi à l’évêque de Constantinople. Anatolios devra, de concert avec les légats, réconcilier les évêques compromis dans le brigandage d’Ephèse qui sollicitent la communion catholique. Mais le cas des auteurs responsables du brigandage, même s’ils offrent satisfaction, matuoribus apostolicæ Sedis consilis reservetur, et qu’aucun de leurs noms ne soient, à Constantinople même, prématurément replacé dans les diptyques. Epist., LXXXV, 2. Au lendemain du concile de Chalcédoine, saint Léon, inquiet du 28e canon où il croit découvrir une manœuvre sournoise d’Anatolios, s’exprime dans une lettre en termes sévères sur l’ambitieux évêque, et rappelle que c’est par considération du prince qu’il a consenti à être plus indulgent que juste envers un évêque dont les débuts n’étaient pas rassurants, Epist., CIV, 2. Il attend qu’il renonce à usurper des droits que lui refusent les canons et à faire violence aux règles ecclésiastiques, ne se ab universali Ecclesiæ dum inimica paci tentat, abscidat, car il ne craint pas de parler de cette sanction suprême quæ illum ab omnibus separare poterit, et qui serait prononcée (il ne le dit pas) par le Siège apostolique. Ibid., 5. Mais il l’avait dit ailleurs, au lendemain de l’exil de Flavien : Quisquis, incolumi atque superstite Flaviano episcopo vestro, sacerdotium ejus fuerit ausus invadere, nunquam in communione nostra habebitur, nec inter episcopos poterit numerari. Epist., L, 1, au clergé et au peuple de Constantinople.

Un mot des moines, pour qui saint Léon a une vénération sincère, à condition que ce soient " de saints et vrais moines, fidèles à la modestie de leur profession et mettant d’accord leurs mœurs et la vie à laquelle

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ils se sont voués. " Saint Léon s’exprime ainsi à propos des moines de Palestine en révolte contre le concile de Chalcédoine, " des orgueilleux et des agités, qui se glorifient de mépriser et d’insulter les évêques " mais soldats de l’Antéchrist, qu’il faut humilier surtout dans leurs supérieurs, " qui entraînent une multitude ignorante à la défense de leur perversité. " Epist., CIX, 2, à Julien de Kos. Saint Léon se réjouit que l’empereur Marcien mette leur insania à la raison. Epist., CXVII, 2. On doit défendre aux moines de prêcher. Epist., CXIX, 6.

Pour ce qui est des rapports de l’Eglise et de l’Etat, nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit des relations de Léon avec la cour de Ravenne, et qui nous révèlent l’entente concertée et continue des deux pouvoirs. On se rappelle la constitution obtenue de Valentinien III par saint Léon contre les manichéens, 19 juin 445, et la constitution du 8 juillet 445, qui consacre, s’il était besoin, l’autorité du Siège apostolique sur l’épiscopat d’Occident. On se rappelle les lettres que, en janvier 450, saint Léon obtient de Valentinien III qu’il écrive à Théodose II pour l’annulation du brigandage d’Ephèse. On voit à ces lettres du prince d’abord, puis de Galla Placidia sa mère et de Licinia Eudoxia, sa femme, combien étroite est l’entente du patriarchium et du comitatus.

On ne peut douter qu’entre Pulchérie et saint Léon l’entente soit pareille. la première lettre que nous ayons du pape à l’impératrice, et qui est du 13 juin 449, est pour lui recommander la cause de la foi troublée par Eutychès. Quantum sibi fiduciæ de fide vestræ clementiæ Ecclesia Dei debeat polliceri, multis sæpe probavimus documentis, écrit saint Léon. Epist., XXX, 1. Il avait reçu déjà, au sujet de l’affaire d’Eutychès, des scripta envoyés par Théodose II, et mentionnés dans l’Epist., XXIII, 1, à Flavien, du 18 février 449 ; nous ignorons ce qu’il répondit à cette communication officielle, qui ne pouvait manquer d’être favorable à Eutychès et hostile à Flavien. Théodose II décida de convoquer un concile à Ephèse, sans prendre les convenances du pape, qui ne cache pas son déplaisir. Epist., XXXI, 4, à Pulchérie, Epist., XXXVI, 1, à Flavien. Il répond avec une réserve évidente, le 20 juin à Théodose II, Epist., XXXVII. Quand le brigandage d’Ephèse est consommé, la lettre de protestation qu’il adresse à Théodose II est un modèle de fermeté, de dignité, sans manquer au respect. Il souhaite au prince de vouloir plaire à Dieu, ad quem ab universa Ecclesia unanimiter pro vestro imperio preces funduntur. Epist., XLIII, 1. Mais il ne peut douter des dispositions hostiles de Théodose II. Les lettres que le pape écrit à Pulchérie ne lui parviennent pas. Epist., XLV, 1. Il insiste cependant avec confiance, auprès de la pieuse et sûre princesse pour qu’elle travaille au rétablissement de la vérité et de la justice sacrifiées par le brigandage d’Ephèse. Ibid., 1 et 2. Il gardera avec Théodose II, persévéramment la même attitude de correction et de netteté. Epist., LIV et LXIX. Il faut qu’il y ait une union sincère de l’empire et du sacerdoce pour que la sécurité des choses humaines soit acquise : Res humanæ aliter tutæ esse non possunt, nisi quæ ad divinam confessionem pertinent et regia et sacerdotalis defendat auctoritas, écrit le pape à Pulchérie. Epist., LX. Rapprocher LXXXII, 1 ; LXXXIII, 1 ; LXXXIV, 2.

La mort de Théodose II viendra heureusement mettre fin à une situation tendue et périlleuse. Avec l’empereur Marcien, saint Léon aura le meilleur empereur que la papauté ait jamais eu à Constantinople, le plus attentif à seconder ses desseins, surtout après le concile de Chalcédoine. Saint Léon aussi bien a constamment recours à lui : il accrédite

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auprès de lui Julien de Kos, qui a ordre de ne pas s’éloigner de la cour, ut a comitatu vestro non abesset exegi. Epist., CXI, 3. Mais on ne doit pas oublier que le concile de Chalcédoine a été convoqué par Marcien à l’encontre des plans de saint Léon.

En 453 (21 mars), saint Léon écrivant à Marcien rend à " Dieu ineffablement grâces " que dans un temps où devaient éclater les scandales des hérétiques, la Providence ait mis Marcien au faîte de l’Empire, in quibus ad totius mundi salutem et regia potentia et sacerdotalis vigeret industria. Epist., CXV, 1. Mêmes expressions, Epist., CXVI, qui reviennent à dire que l’empereur Marcien et l’impératrice Pulchérie ont, avec la puissance impériale, un zèle sacerdotal, un zèle d’évêques.

Cers termes qui ont été très remarqués, se retrouvent ailleurs encore chez saint Léon. Rapprocher Epist., CXI, 3, où saint Léon souhaite à Marcien que Dieu lui donner præter regiam coronam, etiam sacerdotem palmam ; Epist., CXVII, 2, où saint Léon exprime à Julien de Kos que l’excellence des princes (Marcien et Pulchérie) est un indice non solum regii culminis, sed etiam sacerdotalis sanctitatis. Rapprocher CXXXIV, 1 ; CXLIII, 1 ; CLIV.

Ces termes ne sont pas réservés à Marcien et à Pulchérie, car saint Léon les applique au successeur de Marcien, Léon le Thrace, dont il louera non solum regiam, sed et sacerdotalem mentem. Epist., CLV, 2, à Anatolios, 11 octobre 457. Il s’en sert dans une lettre à l’empereur Léon lui-même dont il s’applique à émouvoir sacerdotalem et apostolicum pietatis animum. Epist., CLVI, 6. Le P. Quesnel s’est un peu échauffé sur ce langage, qui est surtout de l’emphase, et dans lequel il ne faut pas voir l’esquisse d’une théorie sur la royauté. C’est ce que les Ballerini ont fort bien noté, P.L., t. LV, col. 1441. Le langage de saint Léon n’est pas même à rapprocher de l’acclamation à Marcien : T? ????? ?? ???????, que l’on signale dans les actes de la quatri?me session du concile de Chalcédoine, ou de l’acclamation à Théodose II : T? ???????? ?? ???????, dans les actes du concile tenu par Flavien contre Eutych?s, acclamations qui préludent au byzantinisme ecclésiastique.

Saint Léon compte absolument sur le prince pour la répression de l’hérésie, mais sans lui permettre d’aller jusqu’à l’effusion du sang : Disciplina inquietos revocari et a sanguine eorum jubeat abstineri. Epist., CXVIII, 2, à Julien de Kos.

Léon le Thrace qui succède à Marcien en 457, est moins sûr. Le langage de Léon, au début, est moins confiant : Gloriosum vobis est universali Ecclesiæ me supplicante concedere, écrit le pape au nouvel empereur, en le conjurant de tenir ferme pour la foi de Chalcédoine et de rétablir l’ordre dans l’Eglise d’Alexandrie. Epist., CXLV, 2. Il écrit dans le même sentiment à Anatolios et à Julien de Kos, CXLVI, CXLVII : tout dépend-t-il donc des dispositions du basileus ? La foi de Chalcédoine n’est-elle donc assurée que si le basileus en est le gardien ? Le pape ne peut-il que supplier ? Epist., CXLVIII, à l’empereur Léon. Il prend peu à peu confiance et il lui dit son devoir : Debes incunctanter advertere regiam potestatem tibi non ad solum mundi regimen, sed maxime ad Ecclesiæ præsidium esse collatam. Epist., CLVI, 3. Il faut qu’il triomphe des ennemis de la vérité : Diademati vestro de manu Domini etiam fidei addatur corona, et de hostibus Ecclesiæ triumphetis. Ibid., 5. Rapprocher CLXIV, 1. Saint Léon se persuade trop facilement que l’empereur Léon surpasse par sa foi la sollicitude des évêques, il presse Anatolios de ne pas cesser de supplier le prince " pro universalis Ecclesia ", d’empêcher qu’on ne touche au concile de Chalcédoine, sous prétexte d’un nouveau concile. Epist., CLVIII. Un

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peu plus tard, le pape se répand en compliments, qui nous semblent pas passer la mesure. Epist., CLXII, et qui manqueront leur but, puisque l’empereur procèdera à une consultation des évêques d’Orient qui, heureusement, tournera en faveur de Chalcédoine, mais qui allait contre le dessein du pape.

Saint Léon croyait ne demander l’aide du basileus que contre les hérétiques, et en fait le basileus, mettait l’épiscopat en tutelle : le pape se prêtait à un jeu singulièrement dangereux !

Le mérite supérieur de saint Léon est dans la conception qu’il a de l’unité et de la discipline de l’universalis Ecclesia, dans la conception qu’il a du rôle de l’évêque de Rome dans cette unité. Il n’a rien créé en cela, il a tout hérité, mais il a donné à ces conceptions leur expression la plus poussée : il n’est pas le premier pape, comme on a prétendu, mais il est pleinement le pape. Dans un temps où l’Empire romain se disloque, où l’Orient catholique avec le monophysisme va vers le schisme, où l’Occident, proie des barbares, verra bientôt disparaître son dernier empereur, le pape Léon a travaillé à consolider la seule autorité subsistante, celle de la Catholica dont il est la tête. On peut douter qu’il ait vu si loin, car il vit dans le moment présent, il résout les difficultés au jour le jour et une à une, il ne doute pas de la solidité de l’Empire romain, et il compte sur ce totius mundi præsidium. Par là, il est un pape du vieux monde, mais l’ancienne Eglise n’en a pas connu de plus complet ni de plus grand.

I. EDITIONS. ? On consultera, pour la revue des ?ditions de saint Léon, la Notitia historico-litteraria extraite de la Bibliotheca de Schoenemann, Leipzig, 1792-1974, et reproduite en tête du t. LIV de la Patrologie latine de Migne qui contient les œuvres de saint Léon. la première édition, comptant 12 sermons et 5 lettres a été publiée à Rome en 1470. A la suite, Schoenemann énumère douze éditions successives pour la fin du XVe siècle, trente-deux pour le XVIe, dix-neuf pour le XVIIe, jusqu’à l’édition du P. Quesnel, Paris, 1675. Pour la fin du XVIIe siècle Schoenemann relève quatre éditions, et au XVIIIe quatorze, jusqu’à celle de P. et H. Ballerini, Venise, 1755-1757, trois volumes réimprimés dans P. L., t. LIV-LVI, Paris, 1865. L’édition de Quesnel fait époque pour les corrections apportées aux textes de saint Léon, plus encore pour les notes et dissertations qui l’accompagnent, alors même que le jugement de l’éditeur n’est pas toujours sûr. Le tort de Quesnel est d’voir gâte ce commentaire par un gallicanisme agressif, qui lui valut d’être mis à l’Index par décret du 22 juin 1676. Quesnel sera l’auteur, vingt ans plus tard, des Réflexions morales, qui amèneront la bulle Unigenitus. Les deux frères Ballerini, de Vérone, qui s’étaient fait connaître par leur publication des sermons de saint Léon (1736) et par leur vaste compétence tant en théologie morale qu’en droit canonique, furent invités par Benoît XIV à reprendre, en la corrigeant, l’édition de Quesnel. L’œuvre des Ballerini comprend une révision du texte de saint Léon, une réfutation des notes et dissertations erronées ou tendancieuses de Quesnel, des suppléments concernant le sacramentaire romain d’une part, et d’autre part les collections canoniques antérieures à Gratien. L’édition des Ballerini est un chef-d’œuvre de l’érudition du XVIIIe siècle pour son information et sa sûreté.

L’académie de Vienne annonce, depuis longtemps, une édition des sermons de saint Léon par A. Haberda, qui tarde à paraître. Jusque-là, nous avons aurons manqué d’une édition critique, dans l’acception moderne du mot, des sermons de saint Léon, puisque ni Quesnel, ni les Ballerini, n’ont procédé à un établissement rigoureux du texte. Du moins, leur devons-nous, aux Ballerini surtout, la discrimination des sermons authentiques. Le style de saint Léon est un critérium assez caractérisé pour permettre d’éliminer les sermons apocryphes : on en a vingt seulement, dans l’édition des Ballerini, auxquels on joindra les huit publiés par Caillau et reproduits dans P. L., t. LVI, col. 1131-1154. Sur un sermon (Ve siècle) relatif à la chaire de saint Pierre, que De Rossi pensait pouvoir attribuer à saint Léon, voir Dom Morin, Etudes, textes, découvertes, 1913,

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p. 35. Les sermons authentiques sont au nombre de 96.

Nous n’avons pas davantage d’étude critique d’ensemble sur la tradition manuscrite des lettres de saint Léon. On trouvera dans Jaffé, Regresta Pontif. rom., l’inventaire des lettres conservées ou signalées de saint Léon, 153 numéros au total. ? B. Krusch, Studien zur christi mittelalteri. Chronologie, Leipzig, 1880, a publié les lettres relatives à la date de Pâques, Epist., LXXXVIII, CXXI, CXXII, CXXVII, CXXXI, CXXXVII, CXLII ; O. Guenther, Epistulæ imperatorum et pontificum, Vienne, 1895, a donné les lettres de saint Léon qui figurent dans la Collectio Avellana, Epist., CLXIX-CLXXXII. Les lettres qui concernent Arles, Epist., XL-XLII, Germ. hist., Epistol., t. III, Berlin, 1892 ; Hurter, SS. Patrum opuscula, n. 14, 25, 26 donne un choix de sermons et de lettres ; C. H. Turner, The collection of the dogmatic letters of St Leo, dans Miscellanea Ceriani (Milan, 1910).

II. ETUDES. ? Moins heureux que saint Gr?goire, le pape saint Léon n’a pas eu de biographe ancien. La notice que lui consacre le Liber pontificalis contient peu de choses. On a une notice tirée d’un ménologe grec du XIe ou du XIIe siècle, étudiée par C. van de Vorst, La vie grecque de saint Léon le Grand dans Analecta bollandiana, t. XXIX, 1910, p. 400-408.

Les Acta sanctorum, avril, t. II, Anvers, 1675, p. 14-22, ont une courte notice sur saint Léon de G. Henschenius, dans laquelle est insérée sa biographie par Canisius. Quesnel a parmi les dissertations de son édition un De vita et rebus gestis S. Leonis, qui est reproduit par Migne, P. L., t. LV, col. 183-336, avec les notes de Ballerini. Le P. Maimbourg, prédicateur et écrivain plus oublié peut-être qu’il ne mérite, expulsé de la compagnie de Jésus pour son gallicanisme, a écrit une Histoire du pontificat de saint Léon le Grand, La Haye, 1687 ; Tillemont, Mémoires pour servir à l’hist. eccl., t. XV, Paris, 1711n p. 414-832, recueille tout ce que les sources anciennes donnent sur saint Léon. Nous avons noté dans le corps du présent article les exposés récents de Duchesne, de Kidd, et on nous permettra de rappeler la large place que nous avons donnée à saint Léon dans notre Siège apostolique, 1924.

On signale : W. A. Arendt, Leo der Grosse und seine Zeit, Mayence, 1825 ; E. Perthel, Papst Leo’s Leben und Lehren, Iéna, 1843 ; A. de Saint-Chéron, Histoire du pontificat de saint Léon le Grand, Paris, 1845 ; C. Bertani, Vita di S. Leone Magno pontefice Massimo, Monza, 1880-1881 ; A. Regnier, Saint Léon le Grand, Paris, 1910. ? Sur la doctrine de saint L?on : Griesbach, Loci communes theologici collecti e Leone Magno, Halle, 1768 ; J. Lucchesini, Sacra monarchia S. Leonis Magni, Rome, 1693 ; A. G., Amelli, S. Leone Magno e l’Oriente, Rome, 1882 ; P. Kuhn, Die Christologie Leos I d. G. in systematischer Darstellung, Wurzbourg, 1894 ; J. Pschmadt, Leo d. G. als Prediger, Elberfeld, 1912 ; W. Kissling, Das Verhältniss zwischen Sacerdotium und Imperium nach den Anschauugen der Pæpste von Leo d. G. bis Gelasius I, Paderborn, 1921.

P. BATTIFOL.