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Vénérable Marie d'Agreda
La Cité Mystique de Dieu

10/30
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LIVRE QUATRIÈME. QUI CONTIENT LA PERPLEXITÉ DE SAINT JOSEPH CONNAISSANT LA GROSSESSE DE LA TRÈS-PURE MARIE. — LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. — SA CIRCONCISION. — L'ADORATION DES ROIS ET LA PRÉSENTATION DE L'ENFANT JÉSUS AU TEMPLE. — LA FUITE EN ÉGYPTE. — LE MEURTRE DES INNOCENTS ET LE RETOUR A NAZARETH.

CHAPITRE I. Saint Joseph découvre la grossesse de son épouse la Vierge Marie, et entre dans de grandes peines, sachant qu'il n'y avait aucune part.

Instruction que me donna notre très sainte Reine et Maîtresse.

CHAPITRE II. Les soupçons de saint Joseph s'augmentent. — Il se résout à quitter son épouse, et consulte Dieu à cet égard.

Instruction que la Reine du ciel me donna.

CHAPITRE III. L'ange du Seigneur parle â saint Joseph dans un songe, et lui révèle le mystère de l'Incarnation. — Effets de cette ambassade.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE IV. Saint Joseph demande pardon à la très-pure Marie, son épouse, et notre divine Dame le console avec nue grande prudence.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE V. Saint Joseph prend la résolution de servir en tout la sainte Vierge avec un très-grand respect. — Ce que fit notre auguste Reine, et plusieurs autres détails relatifs à leur manière d'agir entre eux.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE VI. Quelques entretiens de l'auguste Marie et de saint Joseph sur les choses divines, et quelques autres événements admirables.

Instruction que notre divine Maîtresse me donna.

CHAPITRE VII. La très-pure Marie prépare les langes de l’enfant-Dieu avec un très-ardent désir de le voir bientôt naître.

Instruction que la sainte Vierge me donna.

CHAPITRE VIII. On publie l'édit de l'empereur Auguste-César, qui ordonnait le dénombrement de tous les sujets de son empire, et ce que fit saint Joseph quand il en eut connaissance.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE IX. Le voyage que la très-pure Marie fit de Nazareth à Bethleem, en la compagnie de saint Joseph et des anges qui l'assistaient.

Instruction que la Reine de l'univers vie donna.

 
LIVRE QUATRIÈME. QUI CONTIENT LA PERPLEXITÉ DE SAINT JOSEPH CONNAISSANT LA GROSSESSE DE LA TRÈS-PURE MARIE. — LA NAISSANCE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. — SA CIRCONCISION. — L'ADORATION DES ROIS ET LA PRÉSENTATION DE L'ENFANT JÉSUS AU TEMPLE. — LA FUITE EN ÉGYPTE. — LE MEURTRE DES INNOCENTS ET LE RETOUR A NAZARETH.

 
CHAPITRE I. Saint Joseph découvre la grossesse de son épouse la Vierge Marie, et entre dans de grandes peines, sachant qu'il n'y avait aucune part.

 

375. La Princesse du ciel était dans le cinquième mois de sa grossesse, lorsque son très-chaste époux Joseph commença d'en découvrir des marques dans la disposition de sa personne sacrée: car- elle était si bien faite et si bien proportionnée, comme je l'ai déjà dit, qu'il n'était pas possible que l'on n'y aperçût beaucoup plus facilement que chez les autres le moindre changement. L'auguste Marie sortant un jour de son oratoire, saint Joseph la regarda dans le souci où il

 

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était, et reconnut la nouveauté avec une plus grande certitude, sans que sa raison prit démentir à ses yeux des signes trop visibles (1). L'homme de bien en eut le coeur pénétré d'une intime douleur, sans pouvoir résister aux pénibles réflexions qui se pressaient en même temps dans son âme. Il pensait d'abord au trèschaste mais très-vif et très-sincère amour qu'il portait à sa très-fidèle épouse, à laquelle il avait dès les premiers jours donné irrévocablement tout son coeur; les manières agréables, la sainteté sans égale de notre grande Dame avaient encore resserré les liens qui attachaient saint Joseph à son service. Et comme dans sa modestie et dans son humble gravité elle était si parfaite et si ravissante, le saint nourrissait, parmi les soins respectueux dont il l'entourait, le désir, qui était comme naturel à son amour, de voir son épouse y correspondre. Le Seigneur 1'ordonnait.de la sorte, afin que le souhait de ce retour, de cette réciprocité inspirât au saint un plus grand soin de servir et de respecter notre divine Maîtresse. .

376. Saint Joseph s'acquittait de cette obligation en très-fidèle époux et comme le gardien du mystère qui lui était encore caché; et autant il était assidu à servir et à honorer son épouse, autant son amour était pur, chaste, saint et juste, autant et plus ardent était le désir qu'il avait qu'elle y répondit; il ne le lui découvrit pourtant jamais, tant à cause du respect auquel l'humble majesté de son épouse l'obligeait, que

 

(1) Matth., I, 18.

 

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parce que son dévouement pour elle ne lui avait certes pas été pénible en voyant sa sage conduite, sa douce conversation et sa pureté plus qu'angélique. Mais dans cette occasion embarrassante, où ses yeux étaient témoins d'une nouveauté qu'il rte pouvait mettre en doute, son âme se trouva partagée dans la surprise; et, quoiqu'il fût convaincu de la chose, il ne permit pas à son raisonnement d'aller su delà des apparences (1) : parce que, étant un homme saint et juste, il suspendit, tout en connaissant l'effet, son jugement sur la cause; car s'il eût été persuadé que son épouse était coupable, il serait sans doute mort naturellement de douleur.

377. Il réfléchissait ensuite à la certitude où il . était de n'avoir aucune part en cette grossesse, dont il voyait des marques si évidentes; et il se disait que le déshonneur était par là inévitable quand cela se saurait. Et cette prévision tourmentait d'autant plus saint Joseph, qu'il avait l'âme plus noble et plus élevée, et que sa rare prudence lui faisait mieux apprécier et comme savourer d'avance les amertumes de l'infamie personnelle qu'il était exposé à subir avec son épouse. La troisième chose qui torturait le plus le saint époux, c'était la crainte de trahir son épouse, qui eût été lapidée, aux termes de la loi (2) (qui infligeait ce châtiment aux adultères), dans le cas où elle eût pu être convaincue de ce crime. Toutes ces réflexions, comme autant de pointes de fer aiguës, perçaient le coeur de

 

(1) Matth., I, 19. — (2) Levit., XX, 10; Deut., XXII, 23.

 

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saint Joseph d'une douleur ou plutôt de mille douleurs réunies, auxquelles il ne pouvait trouver alors aucun soulagement que dans la conduite irréprochable de Marie. biais comme tous les signes extérieurs attestaient le fait le plus étrange, sans que le saint homme sût comment les expliquer, et sans même qu'il osât communiquer à qui que ce fût le sujet de sa douloureuse anxiété, il se trouvait comme environné des douleurs de la mort (1), et il ressentait par sa propre expérience que la jalousie est dure comme l'enfer (2).

378. II voulait s'entretenir avec lui-même, mais la douleur paralysait toutes ses facultés. Si par la pensée il se mettait à discuter les probabilités fournies par les sens, elles s'évanouissaient toutes comme la glace à l'ardeur du soleil et comme la fumée au souffle du vent, parce qu'il se souvenait de la sainteté éprouvée de sa très-sage et très-prudente épouse : s'il tachait de suspendre les affections de son très-chaste amour, il n'y parvenait pas, parce qu'elle lui paraissait toujours un objet digne d'être aimé, et, quoique la vérité fût cachée, elle avait plus de force pour l'attirer, que la fausse apparence de l'infidélité pour le rebuter. Ce sacré lien ne pouvait pas se rompre, resserré qu'il était par les noeuds solides de la vérité, de la raison et de la justice. Il ne jugeait pas à propos de s'ouvrir à sa divine épouse, et il était d'ailleurs retenu par cette gravité toujours égale et divinement humble qu'il

 

(1) Ps., XVII,5. — (2) Cant., VIII, 6.

 

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admirait en elle. Et quoiqu'il vit des marques si évidentes d'une grossesse, il se disait qu'une conduite aussi pure et aussi simple ne pouvait point aboutir à un oubli du devoir semblable à celui qu'on eût pu présumer; parce qu'une faute aussi grande était incompatible avec tant de pureté, d'égalité, de sainteté et de discrétion, et avec toutes les grâces réunies, dont l'augmentation se rendait tous les jours plus sensible en l'auguste Marie.

379. Le saint époux adressa ses peines au tribunal du Seigneur parla voie de l'oraison; et, s’étant mis en sa présence, il lui dit  Dieu éternel et mon Seigneur, mes désirs et mes gémissements ne sont ce point cachés à votre divine Majesté(1). Je me trouve a combattu par de violentes agitations qui ont frappé mon coeur par l'organe de ma vue. Ce coeur, je l'ai  donné avec sécurité à l'épouse que j'ai reçue de  votre main (2). Je me suis lié à sa grande sainteté; mais les signes du changement que je découvre en elle me jettent dans une perplexité affligeante, et  me font craindre que mes espérances ne soient frustrées. Il n'est personne qui l'ait connue jusqu'aujourd'hui, qui ait pu douter de sa prudente conduite et de ses excellentes vertus; mais aussi je ne puis pas nier qu'elle ne soit enceinte. Ce serait une témérité de penser qu'elle ait été infidèle et qu'elle vous ait offensé, en voyant en elle une si rare pureté et une sainteté si éminente : il m'est

 

(1) Ps. XXXVII, 9. — (2) Prov., XXXI, 11.

 

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pourtant impossible de nier ce que mes yeux m'assurent; mais il ne me le sera pas de mourir par la force de la douleur, s'il ne se trouve ici quelque mystère renfermé que je ne saisis point. La raison N la' disculpe, et les sens la condamnent. Je vois bien  qu'elle me cache la cause de sa grossesse: que dois je faire? Nous nous communiquâmes au commencement les voeux de chasteté que nous avions faits  pour votre gloire; que s'il était possible qu'elle eût  violé votre foi et la mienne, je défendrais votre honneur et renoncerais au mien pour votre amour. Mais comment pourrait-elle conserver en tout le  reste tant de pureté et de sainteté, si elle eût commis un crime si énorme? Et comment se fait-il  qu'étant si sainte et si prudente, elle veuille me cacher ce secret? Je suspends mon jugement, et je m'arrête dans l'ignorance de la cause de ce,que je vois. Je répands en votre présence mon âme affligée,  Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob (1) ! Recevez mes soupirs et mes larmes en sacrifice agréable  et si mes péchés ont mérité votre indignation, ayez égard, Seigneur, à votre propre clémence, et ne  méprisez point les peines de votre serviteur. Je ne  crois pas que Marie vous ait offensé; mais aussi,  étant son époux, je ne puis présumer aucun mystère dont je ne saurais être digne. Conduisez mon  entendement et mon cœur par votre divine lumière,  afin que je connaisse et que j'exécute ce qui sera,  plus agréable à votre bon plaisir. »

 

(1) Ps. CXLI, 3.

 

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389. Saint Joseph persévéra dans cette oraison, qu'il accompagna de plusieurs autres affections et demandes : car, bien qu'il lui vint parfois 'en pensée qu'il y avait peut-être dans la grossesse de la sainte Vierge quelque mystère qu'il ignorait, il ne pouvait pas s'eh assurer; parce que toutes les raisons qu'il se représentait dans la grande estime qu'il avait de la sainteté de notre divine Dame ne furent capables, au plus, que de le persuader qu'elle n'avait point commis de faute dans sa grossesse : aussi le saint ne crut-il jamais qu'elle pût être la Mère du Messie. Quelquefois il écartait ses soupçons, mais l'évidence du fait les ramenait bientôt en plus grand nombre de sorte qu'il en était terriblement agité; et après avoir été ainsi battu par l'orage de ses pensées, il tombait souvent dans un pénible calme sans pouvoir se déterminer à croire aucune chose qui pût dissiper ses doutes, apaiser son coeur, et lui faire rencontrer cette certitude dont il avait besoin pour régler sa conduite et fixer son esprit. C'est pour cela que la peine de saint Joseph fut si grande, qu'elle put être une preuve éclatante de son incomparable prudence et de sa sainteté, et qu'en la souffrant il mérita que Dieu le rendit capable de la faveur singulière qu'il lui préparait.

381. Tout ce qui se passait dans le coeur de saint Joseph était dévoilé à la Princesse du ciel, qui l'observait à la lumière de la science divine qui l'éclairait. Et quoiqu'elle fût remplie de tendresse et de compassion pour ce que son époux souffrait, elle ne lui parlait point du sujet de ses peines; mais elle se contentait

 

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de le servir avec -beaucoup de soumission et d'exactitude. L'homme de Dieu, sans faire semblant de rien, ne cessait de la regarder avec une sollicitude plus grande que jamais homme ait pu avoir : et comme notre illustre Reine le servait à table et s'occupait à d'autres choses domestiques, elle devait nécessairement alors (bien que sa grossesse ne lui fût aucunement pénible) prendre certaines précautions et faire certains mouvements qui trahissaient son état. Saint Joseph, qui était attentif à toutes ces occasions, s'assurait toujours de plus en plus de la vérité avec une plus grande affliction de son âme. Et quoiqu'il fût saint et juste, il se laissait pourtant servir et honorer par la sainte Vierge après qu'il l'eut épousée, conservant eu tout l'autorité de chef, qu'il savait tempérer par une humilité et une prudence rares. Car tant qu'il ignora le mystère de son épouse , il crut devoir toujours agir en maître, néanmoins avec toute la modération convenable, à l'exemple des anciens patriarches, dont il ne devait pas dégénérer, et à qui leurs femmes étaient soumises et obéissantes. Et il eût fait sagement de gouverner ainsi sa maison si notre divine Dame eût été comme les autres femmes. Mais quoiqu'elle fût si supérieure à toutes, il n'y en eut et il n'y en aura jamais aucune aussi obéissante, aussi soumise à son mari que l'auguste Marie le fut au sien. Elle le servait avec un respect et avec une promptitude incomparable; et bien qu'elle connût les soucis et les préoccupations que lui causait sa grossesse, elle ne laissa pas que de vaquer à toutes les

 

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occupations qui la regardaient, et elle ne songea ni à dissimuler ni à justifier les opérations qui se passaient dans son sein virginal, parce que les détours, les artifices, la duplicité étaient contraires à la véracité et à la candeur angélique qui la distinguaient,, et antipathiques à la grandeur et à la générosité de son très-noble coeur.

382. La Princesse du ciel aurait bien pu alléguer pour sa justification la vérité de son innocence irréprochable et le témoignage de sa cousine Élisabeth et de Zacharie ; attendu que si saint Joseph l'eût soupçonnée d'une faute, c'était à cette époque qu'il était le plus naturel de la faire remonter ; ainsi la divine Marie eût pu par ce moyen, ou par d'autres semblables, se disculper et tirer saint Joseph de peine, sans découvrir pour cela le mystère. Mais la Maîtresse de la prudence et de l'humilité ne le voulut pas faire, parce que ces vertus étaient incompatibles avec les soins qu'elle eût pris de soutenir ses intérêts, et qu’ elle ne devait pas hasarder l'explication d'une vérité si mystérieuse sur son propre témoignage. Elle abandonna le tout avec une grande sagesse. à la Providence divine. Et quoique la compassion et l'amour qu'elle avait pour son, époux, la portassent à le consoler et à le rassurer, elle ne le fit ni en se justifiant ni en cachant sa grossesse; elle se borna à le servir avec des démonstrations plus vives d'affection, tâchant de lui plaire en toutes choses, lui demandant ce qu'il voulait, ce gui il désirait qu'elle fit, et lui prodiguant d'autres marques de soumission et de tendresse.

 

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Elle le servait souvent à genoux, et bien que toutes ces prévenances consolassent en quelque façon le sain époux , elles augmentaient néanmoins par un autre endroit ses motifs d'affliction, en lui faisant mieux sentir combien il devait aimer et estimer celle dont il n'était pas sûr d'avoir lieu de se plaindre. Notre charitable Reine faisait des prières continuelles pour lui , afin que le Très- Haut le regardât et le consolât. Et dans son oraison elle s'abandonnait absolument à sa divine volonté.

383. Saint Joseph ne parvenait pas à lui cacher tout à fait son amer chagrin; il était donc bien souvent pensif, triste, inquiet, et cédant à sa secrète douleur, il parlait quelquefois à sa divine épouse avec plus de sévérité qu'auparavant; c'était comme un effet inévitable de la désolation de son coeur, et non point par indignation ni par vengeance, car il ne connut jamais de pareils sentiments, comme on le verra dans la suite. — Mais la très-prudente Dame ne changea rien en ses douces manières, et n'en témoigna aucun ressentiment; au contraire, elle apportait d'autant plus de soin à soulager son époux. Elle le servait à table, lui présentait le siège, lui offrait à manger et lui donnait à boire; et après qu'elle s'était acquittée de tout cela avec une grâce incomparable, saint Joseph , toujours plus convaincu de la certitude de la grossesse, lui ordonnait de s'asseoir. Il est sûr que ces circonstances furent de celles qui exercèrent le plus, non-seulement saint Joseph, mais. Aussi la Princesse du ciel, et qu'elle y fit paraître

 

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avec éclat sa très-profonde humilité et sa sublime sagesse. Le Seigneur fit que toutes ses vertus y furent exercées et éprouvées; car non-seulement il ne lui prescrivit pas de Unir caché le mystère de sa grossesse; mais il ne lui découvrit même pas sa divine volonté avec autant de clarté que dans les autres rencontres. Il semblait que Dieu eût remis et confié le tout à la science et aux vertus célestes de son Élue, en la laissant opérer par elles sans la favoriser d'aucune lumière spéciale. l.a divine Providence fournissait à là très-pure Marie et à son très-fidèle époux Joseph l'occasion d'exercer par des actes héroïques, chacun selon sa portée, les vertus et les dons qu'elle leur avait départis; elle se plaisait pour ainsi dire à considérer la foi, l'espérance et l'amour, l'humilité, la patience, la paix et la sérénité de ces coeurs candides su milieu d'une affliction aussi pénible. Le Seigneur (si nous pouvons user ici dut langage ordinaire) faisait le sourd pour sa plus grande gloire, pour donner au monde cet exemple de sainteté et de prudence, et pour ouïr plus longtemps les douces plaintes de la Vierge-Mère et de son très-chaste époux, qui lui étaient très-agréables; il voulait qu'ils les renouvelassent, et différait à leur répondre jusqu'à ce que le moment opportun fût venu.

 

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Instruction que me donna notre très sainte Reine et Maîtresse.

 

384. Ma très-chère fille, les pensées et les fins du Seigneur sont très-relevées, sa providence envers les âmes est forte et douce (1), et il est admirable en la conduite de toutes, surtout en celle de ses amis et de ses élus. Si les hommes parvenaient à comprendre le soin amoureux que ce Père de miséricorde prend de les diriger et de les conduire (2), ils s'occuperaient moins d'eux-mêmes et ne se plongeraient point dans tant de soucis pénibles, inutiles et dangereux, qui les tourmentent sans cesse et leur font rechercher mille appuis auprès des autres créatures (3) ; car alors ils s’abandonneraient avec une entière confiance à sa sagesse et à son amour infini, qui gouverneraient avec une douceur et une suavité paternelles toutes leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, et veilleraient à leurs plus chers intérêts (4). Je ne veux pas. que vous ignoriez cette vérité; je veux que vous sachiez bien que de toute éternité le Seigneur a présente dans son entendement divin tous les prédestinés qui doivent vivre en différents temps et âges; et qu'il leur dispose et prépare par la force invincible de sa sagesse et de sa bonté infinie, tous les dons qui leur

 

(1) Sap., VIII, 1. — (2) Ps. LXVII., 36. — (3) Matth., VI, 25. — (4) I Petr., V, 7.

 

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conviennent, afin qu'ils arrivent finalement su but due le Très-Haut a marqué.

385. C'est pour cela qu'il importe. tint à la créature raisonnable de se laisser conduire par la main du Seigneur, en se conformant entièrement à ses desseins, parce que les hommes mortels ignorent ses voies et la fin où elles doivent les faire aboutir (1); ils n'en sauraient avec leur ignorance faire eux-mêmes le choix, sans une grande témérité et sans un péril évident de leur perte. Mais s'ils s'abandonnent de tout leur coeur à la providence du Très-Haut, le reconnaissant pour leur Père, et se reconnaissant eux-mêmes pour ses enfants et ses ouvrages, sa divine Majesté se constitue leur protecteur, leur défenseur et leur guide, avec un amour tel. qu'il veut due le ciel et la terre sachent (2) que c'est un soin qui le regarde de gouverner lui-même les siens, et de diriger ceux qui se confient en lui et se livrent entre ses mains. I:t si Dieu était susceptible de quelque peine ou de quelque jalousie, comme les hommes, il en aurait de voir qu'une autre créature voulût partager avec lui le soin des âmes, et qu'elles allassent chercher la moindre des choses dont elles ont besoin en quelque autre que lui, qui veut se charger lui-même de ce qui les concerne (3). Les mortels ne pourront manquer de comprendre cette vérité, s’ils considèrent ce que parmi eux-mêmes un père fait pour ses enfants, un époux pour son épouse, un ami pour

 

(1) Eccles., VII, 1. — (2) Deut., XXXII,1, etc. — (3) Sap., XII, 18.

 

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un ami, et un prince pour le favori qu'il aime et qu'il veut honorer. Tout cela n'est rien en comparaison de l'amour que Dieu a pour les siens, et de ce qu'il veut et peut faire pour eux.

386. Mais quoique les hommes croient en général cette vérité, il n'en est aucun qui puisse pénétrer  ,quel est l'amour divin et quels sont les effets particuliers dans les âmes qui s'abandonnent avec une entière résignation à la volonté du Seigneur. Ce, que vous en savez, ma fille, vous ne pourriez vous-même et vous ne devez pas non plus l'exprimer, mais tâchez de le considérer sans cesse en Dieu. Sa divine Majesté dit qu'il ne se perdra pas un cheveu, de ses élus (1), parce qu'elle les a tous comptés (2). C'est lui qui conduit leurs pas à la vie et qui les, détourne de la mort (3); il surveille leurs actions, il corrige leurs défauts avec amour (4), prévient leurs désirs (5), va au-devant de leurs besoins et de leurs peines, les protège dans le danger (6), les caresse dans la paix et dans le calme (7), les arme pour le combat, les assiste dans les afflictions, les prémunit contre l'erreur par la sagesse, les sanctifie par sa bonté, et les fortifie par sa puissance (8); l’être infini à qui personne ne peut résister ni s'opposer (9), il exécute ce qu'il peut, et il peut tout ce qu'il vent (10), et il . veut se donner tout entier au juste qui est en sa

 

(1) Luc., XXI, 18. — (2) Luc., XII, 7. — (8) Ps. XXXVI, 23. — (4) Prov., III, 12. — (5) Sap., VI, 14. — (6) Sap., VI, 14. —(7) Cant., VIII, 4. — (8) Ps. XXVI, 3; XC, 15. — (9) Esth., XIII, 9. — (18) Ps. CXIII, 11.

 

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grâce et qui se confie en lui seul. Ah ! qui pourra, concevoir le nombre et la grandeur des bienfaits qu'il répand, dans un coeur disposé de la sorte pour les recevoir ?

387. Si vous voulez, mon amie, avoir part à ce bonheur, vous devez faire tous vos efforts pour m'imiter, et travailler dès aujourd'hui à acquérir efficacement une véritable résignation à la Providence divine. Et si elle vous envoie des tribulations, des peines, des travaux, recevez-les, embrassez-les avec égalité d'âme, avec tranquillité d'esprit et avec une patience inébranlable, une foi vive et une ferme espérance en la bonté du Très-Haut, qui vous donnera toujours ce qui sera le plus sûr et le plus convenable pour. votre salut. Gardez-vous bien de faire choix d'aucune chose, car Dieu connaît toutes les voies que vous devez suivre; confiez-vous en votre Père et Époux céleste, qui vous protège avec l'amour le plus fidèle. Soyez attentive à toutes mes oeuvres, puisqu'elles ne vous sont point cachées; et sachez qu'après la douleur que me causa la vue des maux endurés par mon très-saint Fils, la plus grande que j'aie ressentie dans toute ma vie a été celle dont m'accablèrent la tristesse et l'inquiétude de mon époux Joseph, dans la circonstance que vous racontez.

 

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CHAPITRE II. Les soupçons de saint Joseph s'augmentent. — Il se résout à quitter son épouse, et consulte Dieu à cet égard.

388. Dans la tourmente des soucis qui agitaient son coeur si droit, saint Joseph tâchait bien souvent de se procurer par sa prudence un. certain calme, pour pouvoir respirer mi peu à l'aise après une trop. cruelle oppression : il réfléchissait donc dans la solitude de son âme et s'efforçait de révoquer en cloute la grossesse de son épouse. biais le changement de plus en plus sensible qui se produisait dans l'état de la sainte Vierge, lui rendait impossible une illusion en dehors de laquelle le glorieux patriarche semblait n'avoir plus d'heureuse chance à espérer, et cette chance loi échappait bien vite, puisqu'il passait du doute auquel il s'attachait à une certitude contraire, de plus en plus forte à mesure que la grossesse se prononçait davantage. Plus notre divine Princesse approchait de son terme, plus elle devenait exempte des infirmités habituelles, plus elle s'embellissait de. grâce, de santé, d'agilité. Nouveaux motifs d'anxiété pour saint Joseph ! et en même temps charmes irrésistibles qui attiraient son très-chaste amour, sans

 

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qu'il prit se défendre de1tous ces sentiments qui se disputaient son coeur. Après toutes ces agitations, il finit par se rendre à l'évidence; et quoique son esprit se conformât toujours à la volonté de Dieu , cela n'empêcha pas que la faiblesse de la chair ressentit l'excessive douleur de son âme, qui augmenta à un tel point qu'il ne sut plus où trouver de remède à sa tristesse. Il sentit diminuer ou s'épuiser les forces de son corps, et, bien qu'il ne frit réellement atteint d'aucune maladie déterminée, il s'affaiblit et maigrit beaucoup, et sa physionomie trahissait la sombre et profonde mélancolie qui l'affligeait. Et comme, il la tenait secrète, sans la communiquer à personne et sans chercher au dehors aucun soulagement (comme le font ordinairement les autres hommes), il en résultait que les peines que le saint souffrait étaient naturellement plus grandes et plus incurables.

389. Le coeur de la très-pure Marie n'était pas pénétré d'une moindre douleur; mais quoiqu'elle fût très-grande, sa généreuse magnanimité l'était encore davantage, et par cette vertu, elle ne tenait presque aucun compte de ses peines, mais elle ne s'en préoccupait pas moins de celles de sou époux Joseph, de sorte qu’elle résolut de l'aider en toutes choses plus que jamais et de redoubler les soins qu'elle prenait de sa santé. Et comme notre très-prudente Reine se faisait une loi inviolable d'agir en toutes ses actions avec plénitude de sagesse et de perfection, elle continuait à cacher la vérité du mystère qu'elle n'avait pas ordre de découvrir, et bien que seule elle eût pu, en

 

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le lui révélant, tranquilliser saint Joseph , elle s'en abstint, pour respecter et garder, le secret du Roi céleste (1). En ce qui la regardait, elle faisait tout ce quelle pouvait pour le soulager, s'informait souvent de l'état de sa santé, et lui demandait ce qu'il désirait qu'elle fit pour son service et pour la guérison de ce malaise, qui le réduisait à une si grande faiblesse. Elle l'engageait à se reposer, à se rafraîchir, puisqu'il était juste de subvenir aux besoins et de réparer les forces du corps, afin de travailler ensuite pour le Seigneur. Saint Joseph, attentif à tout ce que sa divine épouse faisait, considérant tant de vertu et tant de discrétion, et sentant les saints effets de la conversation et de la présence de Marie, se disait; « Est-il possible qu'une femme aussi vertueuse et en qui la grâce du Seigneur se manifeste avec tant d'éclat,  me mette dans une telle perplexité ) Comment concilier cette prudence, cette sainteté avec les signes  qui me la font paraître infidèle à Dieu, infidèle à a l'époux qui l'aime si tendrement? Si je veux la renvoyer on m'éloigner, je perds sa désirable compagnie, toute ma consolation , ma maison et mon repos. Quel bien trouverai-je qui lui soit comparable,  si je me retire? et quelle consolation si celle-ci me  manque? Mais tout cela me touche moins que l'in farcie qui peut résulter d'un cas si malheureux, et  que le danger de laisser croire que j'aie été complice de quelque crime. Cacher le fait est impossible ;

 

(1) Tob., XII, 7.

 

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car le temps ne le découvrira que trop, quand a bien même je fermerais maintenant mes yeux et ma bouche. Me reconnaître l'auteur de cette grossesse,  serait un vil mensonge aussi contraire à ma conscience qu'à ma réputation. Je ne puis, ni m'attribuer la paternité, ni remonter à une cause que   j'ignore. Que ferai-je donc dans un tel embarras?  Le parti le moins fâcheux, ce sera de m'absenter et  de quitter ma maison avant le moment de la délivrance, où je me trouverais plus confus et plus affligé sans savoir quel conseil suivre, quelle détermination prendre, en voyant chez moi un enfant  qui ne m'appartiendrait pas »

390. La Princesse du ciel, qui considérait avec une vive douleur la résolution que son époux avait. prise de la quitter et de partir, s'adressa aux saints auges de sa garde, et leur dit : « Esprits bienheureux, ministres du souverain Roi, qui vous a élevés à la félicité dont vous jouissez, et qui par un ordre de son infinie bonté m'accompagnez, comme ses très-fidèles serviteurs et mes gardes très-vigilants, je vous prie,  mes bons amis, de représenter à sa divine clémence les afflictions de mon époux Joseph. Suppliez sa Majesté de le consoler et de le regarder véritablement en Dieu et en Père. Et vous qui obéissez avec promptitude à toutes ses paroles, écoutez aussi mes prières; au nom de Celui qui, étant infini, bien  voulu s'incarner dans mou sein; je vous demande, je vous supplie et je vous conjure de tirer au plus  tôt de l'anxiété dans laquelle il gémit le coeur de

 

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mon très-fidèle époux, d'adoucir ses peines et de  lui ôter l'envie et la pensée qu'il a de s'absenter. Les anges qu'elle choisit à cet effet obéirent à leur Reine, et envoyèrent secrètement au coeur du patriarche, une foule de saintes inspirations, lui persuadant de nouveau que son épouse Marie était très-sainte et très-parfaite, et qu'on ne pouvait croire d'elle aucune chose indigne de sa vertu; que Dieu était incompréhensible dans ses oeuvres et impénétrable dans ses jugements (1), et qu il était toujours très-fidèle envers ceux (lui se confient en lui (2), quine méprise et n'abandonne personne dans l'affliction (3).

391. Ces pieuses réflexions et d'autres semblables calmaient quelque peu l'esprit agité de saint Joseph, bien qu'il ne sût par quel ordre elles lui étaient inspirées; mais comme l'objet de sa tristesse ne diminuait point, il y retombait incontinent, sans pouvoir s'arrêter, pour se rassurer, à rien de fixe et de certain. C'est pourquoi il reprit le dessein de partir et de quitter son épouse. Notre divine Dame. qui pénétra sa pensée, jugea qu'il était nécessaire de prévenir ce danger, et de prier avec plus d'instance le Seigneur de l'écarter. Elle s'adressa directement à son très-saint Fils, qu'elle portait dans son sein virginal, et lui dit avec une intime affection et une ardente ferveur : « Mon Seigneur et mon souverain Bien, si vous me le  permettez, je parlerai en votre divine présence, quoique je ne sois que cendre et que poussière (4),

 

(1) Eccles., XI, 4. — (2) Thren., III, 25. — (3) Ps. XXXIII, 19. — (4) Gen., XVIII, 27.

 

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et je vous ferai entendre mes gémissements, qui ne peuvent vous être cachés (1). Il est juste, mon divin Maître, que je ne néglige point le soulagement de l'époux que vous m'avez donné de votre main. Je vois dans quelle affliction il se trouve par une disposition de votre providence; il serait cruel de ma part de le laisser en cet état. Si j'ai trouvé grâce devant vous, Seigneur (2), j'oserai bien vous supplier,

par l'amour qui vous a porté à venir dans le sein de votre servante pour le salut des hommes (3), de daigner consoler votre serviteur Joseph et de le préparer à coopérer à l'accomplissement de vos grandes oeuvres. Il ne serait pas séant que votre servante  demeurât sans époux, qui la protégé, l'assiste et la  mette à couvert de la calomnie. Ne permettez pas, mon Seigneur et mon Dieu, qu'il exécute son des sein et qu'il m'abandonne. »

392. Le Très-Haut répondit en ces termes à la demande de notre Reine,  Ma Colombe et ma Bien Aimée, je consolerai bientôt mon serviteur Joseph , et quand je lui aurai déclaré par l'organe de mon  ange le mystère qu'il ignore, vous lui en pourrez  parler, et lui direz clairement tout ce que j'ai opéré   en vous, sans désormais vous renfermer à cet égard dans le silence. Je le remplirai de mon esprit, et le rendrai capable de ce qu'il doit faire dans ces mystères. Il vous y aidera et vous assistera dans tous les événements qui vous arriveront. » L'auguste

 

(1) Ps. XXXVII, 10. — (2) Exod., XXXIV, 9. — (3) I Joan., IV, 9.

 

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Marie, toute fortifiée et consolée par cette promesse du Seigneur, lui rendit de très-humbles actions de grâces, de ce qu'il disposait toutes choses avec un ordre admirable, et avec poids et mesure (1); car outre la consolation que cette grande Dame ressentit en se trouvant délivrée d'une peine si sensible, elle comprit combien il était utile pour son. époux Joseph d'avoir passé par cette tribulation, qui avait éprouvé et comme élargi son âme à la mesuré. des grandes choses qui lui devaient être confiées.

393. Cependant saint Joseph continuait à peser ses doutes. Il avait déjà vécu deux mois dans cette grande affliction, lorsque, vaincu par la difficulté, il dit ; « Je ne trouve point de remède plus propre à ma douleur que de m'absenter. J'avoue que mon épouse est très-parfaite, et je ne,vois rien en elle qui n'atteste sa sainteté; mais enfin elle est enceinte , et je  ne comprends pas ce mystère. Je ne veux point offenser sa vertu en, la soumettant à l'application de  la loi , mais aussi je ne dois pas attendre le moment  de la délivrance. Je partirai sans différer, et je m'abandonnerai à la providence du Seigneur, qui prendra soin de moi. »  Il résolut donc de partir la huit suivante; et ayant préparé à cet effet un habit et quelques bardes qu'il avait pour changer, il fit du tout un paquet. Il avait reçu un peu d'argent qu'on lui devait de son travail; et avec cette petite provision il se disposa, à partir , vers minuit. Mais tant à

 

(1) Sap., XI, 21

 

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cause de l'étrangeté du cas que par une pieuse habitude, il se recueillit pour méditer sur l'importance de son entreprise, et adressant ensuite sa prière au Seigneur, il lui dit; « Grand Dieu de nos pères Abraham , Isaac et Jacob, unique et véritable protecteur  des pauvres et des affligés, la douleur dont mon   coeur est pénétré n'est point cachée à votre divine clémence. Vous connaissez aussi, Seigneur, quoique  d'ailleurs je ne sois pas exempt de péché, mon innocence touchant le sujet de ma peine, comme l'infamie et le danger dont je suis menacé par l'état de  mon épouse. Je ne la crois pas adultère, parce, que  je reconnais en elle de très-grandes vertus et une perfection éminente, mais je vois avec certitude  qu'elle est enceinte. J'en ignore la cause, il est vrai,  mais je ne trouve aucun moyen de calmer mon es prit. Je choisis, comme un moindre mal, de m'en  aller loin d'elle en un endroit où personne ne me  connaisse, et d'achever ma vie dans quelque désert,  où je m'abandonnerai à votre providence. Ne me  délaissez pas, Seigneur, car je ne désire que de  m'employer à votre service, pour votre plus grande  gloire.

394. Saint Joseph se prosterna, et fit voeu d'aller offrir au Temple de Jérusalem une partie de la petite somme qu'il avait pour son voyage; et c'était afin que Dieu garantit son épouse des calomnies des hommes, et qu'il la préservât de tout mal : si grande était la droiture de l'homme de Dieu et l'estime qu'il faisait de notre divine Reine ! Après cette prière il prit un peu

 

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de repos, pour sortir ensuite vers minuit, à l'insu de son épouse : et il lui arriva en songe ce que je dirai  dans le chapitre suivant. La grande Princesse du ciel (comptant sur la promesse divine) observait de son oratoire tout ce que faisait et se proposait saint Joseph , car le Tout-Puissant le lui découvrait. Et, remplie de tendresse et de compassion à la connaissance du voeu qu'il avait fait pour elle, et à la vue du peu de hardes et d'argent qu'il avait préparés, elle fit de nouvelles prières pour lui et rendit des actions de grâces au Seigneur, le glorifiant dans ses oeuvres, et pour la sagesse qu'il y déploie au delà de tout ce que les hommes peuvent imaginer ou espérer.

395. Sa divine Majesté permit que la très-sainte Vierge et son saint époux fussent réduits à cette extrémité de douleur intérieure, afin que, outre les mérites qu'ils amassaient par un si long martyre, le bienfait de la consolation divine fiât en eux et plus admirable et plus singulier. Et quoique notre auguste Princesse, soutenue par la foi, espérât toujours fermement que le Très-Haut remédierait en temps et lieu à toutes leurs peines (ce qui lui, faisait garder le secret du grand Roi (1), qui ne l'avait point chargée de le communiquer), elle ne laissa pas que d'être vivement affligée; de la résolution de saint Joseph : parce qu'elle se représenta les grands inconvénients auxquels elle serait exposée, une fois seule, sans appui et sans compagnie qui l'assistât et qui la consolât, selon l'ordre commun

 

(1) Tob., XII, 7.

 

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et naturel; car on ne doit pas toujours chercher les choses par des voies miraculeuses et surnaturelles. Mais ces pensées accablantes ne purent l'empêcher de pratiquer les vertus les plus excellentes, comme celle de la magnanimité, en supportant les afflictions, les soupçons et les résolutions de saint Joseph; celle de la prudence, en considérant que le mystère qu'elle renfermait était grand, et qu'il ne convenait pas qu'elle le découvrit de son propre mouvement; celle du silence, en se rendant maîtresse de sa langue, comme une femme forte qui se distinguait entre toutes les autres, sachant taire ce que tant de raisons humaines l'auraient portée à déclarer; celle de la patience, en souffrant sans se plaindre, et celle de l'humilité, en ne dissipant pas les soupçons de son époux. Elle exerça d'une manière admirable beaucoup d'autres vertus dans cette épreuve, pour nous enseigner à attendre le remède du Très-Haut dans les plus grandes tribulations.

 
Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

396. Ma fille, l'instruction que je vous donne par cette observation du silence dont vous avez parlé, est que vous la preniez pour règle de votre conduite dans les faveurs et dans les mystères du Seigneur, en les gardant dans le plus secret de votre coeur. Et, quoiqu’il

 

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vous semble quelquefois à propos de les déclarer pour~la consolation de quelque âme, vous ne devez pas vous y décider de vous-même sans avoir d'abord consulté Dieu, et ensuite celui qui vous dirige, parce que, dans ces matières spirituelles, il faut ne pas agir d'après l'affection humaine, où les passions et les inclinations de la créature ont une si grande part; car il est fort à craindre qu'elles ne fassent prendre pour convenable ce qui est pernicieux, et pour être du service de Dieu ce qui lui déplaît : ce n'est pas par les yeux de la chair et du sang que l'on parvient à discerner entre les mouvements intérieurs ceux qui sont divins et qui naissent de la grâce, d'avec ceux qui sont humains et produits par les affections désordonnées. Sans doute il y a entre ces deux effets et leurs causes une distance énorme; néanmoins, si la créature n'est pas des plus éclairées, et si elle n'est pas entièrement morte à ses passions, elle ne saurait faire ce discernement, ni séparer ce qui est pernicieux de ce qui ne l'est pas (1). Et la difficulté est bien plus grande quand quelque motif temporel et humain s'y trouve ou s'y mêle : parce qu'alors l'amour-propre et naturel s'avise trop souvent de traiter les choses divines et spirituelles, et expose l'âme à tomber à chaque pas dans de très-dangereux précipices.

397. Que cet avis vous serve pour toute votre vie, de ne déclarer jamais aucune chose sans mon ordre, si ce n'est à celui qui vous conduit. Et puisque j'ai

 

(1) I Cor., II, 14; Jerem., IV, 19.

 

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bien voulu me constituer votre maîtresse, je ne manquerai pas de vous prescrire et de vous conseiller ce que vous aurez à faire en cela et dans tout le reste, afin que vous ne vous écartiez point de la volonté de mon très-saint Fils. Irais prenez bien garde à faire toujours une grande estime des faveurs et des bienfaits du Très-Haut (1). Regardez-les avec vénération, et préférez le cas que vous en devez faire et la reconnaissance que vous en devez avoir à toutes les choses inférieures, surtout à celles qui sont conformes à votre inclination. La crainte respectueuse que j'eus me fit garder un silence très-exact, persuadée, comme je devais l'être, que le trésor qui m'avait été confié était d'un prix inestimable. Et je m'imposai cette discrétion, ce silence, nonobstant mon état de dépendance naturelle et l'amour que je portais à saint Joseph, mon époux et mon maître, et malgré la douleur et la compassion que je ressentais de ses afflictions, dont j'eusse tant voulu le délivrer, parce que je préférais à tout le bon plaisir dit Seigneur, et que je lui remettais une cause qu'il s'était réservée à lui seul. Apprenez aussi par là à ne vous jamais disculper, pour innocente que vous soyez sur, ce qu'on vous impute. Rendez-vous agréable au Seigneur en vous confiant entièrement à son amour; abandonnez-lui votre. réputation , et cependant vainquez par la patience, par l'humilité, par les bienfaits et par les paroles douces et obligeantes, ceux qui vous offensent.

 

(1) Eccles., XXXIX, 19 et 20.

 

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Je vous recommande particulièrement de ne jamais juger mal de personne, quand même les indices les plus clairs viendraient frapper vos yeux; car la parfaite charité vous apprendra à donner à toutes choses une interprétation prudente et à excuser les fautes d'autrui. C'est pour cela que Dieu a mis pour modèle mon époux saint Joseph ; car jamais personne n'eut à la fois de plus justes motifs de suspicion et plus de discrétion à suspendre son jugement, parce que, suivant les règles d'une. charité circonspecte et généreuse, on fait acte de sage réserve et non point de témérité, quand on s'en rapporte, pour l'appréciation d'un fait dont la culpabilité n'est pas évidente, à des causes supérieures qu'on ne pénètre pas, plutôt que de juger et que de condamner le prochain. Je ne vous donne pas ici des instructions particulières pour ceux qui sont dans l'état du mariage, parce qu'elles ressortent assez de toute l'histoire de ma vie, et ils en peuvent tous faire leur profit, quoique je vous les donne maintenant pour votre avancement particulier, que je désire avec un amour de mère. Écoutez-moi, ma très-chère fille, et mettez en pratique mes conseils et mes paroles de vie.

 
CHAPITRE III. L'ange du Seigneur parle â saint Joseph dans un songe, et lui révèle le mystère de l'Incarnation. — Effets de cette ambassade.

 

398. Les pointes de la jalousie entretiennent dans l'Aine de celui qui en est atteint une douleur si vive, que maintes fois, non-seulement elle trouble son sommeil, mais elle l'éloigne de ses yeux et lui ôte entièrement le repos. Personne n'en ressentit si sensiblement les effets que saint Joseph , quoique dans la réalité personne n'en eût moins de sujet, s'il l'eût alors connue. Il était doué d'une science et d'une lumière singulière pour pénétrer la sainteté et les belles qualités de sa divine épouse, qui étaient inestimables. Mais cette science et cette lumière fournissaient les raisons qui l'obligeaient à renoncer à la possession d'un si grand bien; et par conséquent, plus elles lui faisaient connaître ce qu'il allait perdre, plus elles augmentaient les douloureux regrets que lui inspirait son départ (1). C'est pour cela que les peines de saint Joseph surpassèrent tout ce que les hommes ont souffert d'analogue : car aucun n'eut une plus

 

(1) Eccles., I, 18.

 

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haute idée de l'objet qu'il perdait, aucun ne put le connaître et l'apprécier comme le saint patriarche. Mais il faut que nous mettions une grande différence entre la jalousie et les soupçons de ce fidèle serviteur, et ceux des autres hommes condamnés à la même épreuve. En effet, la jalousie ajoute à un amour violent le vif désir de ne pas perdre, mais de conserver ce que l'on aime; et par une conséquence naturelle, cette affection est suivie de la douleur que cause la crainte de le perdre et de voir quelqu'un nous l'ôter; c'est cette douleur ou cette inquiétude que l'on appelle communément jalousie, laquelle produit en ceux qui ont les passions désordonnées, faute de prudence et des vertus nécessaires, divers sentiments de colère, de fureur et d'envie contre la personne aimée elle-même ou contre le rival , qui empêche le retour de l'amour, qu'il soit bien ou mal ordonné. Alors arrivent comme la tempête les conjectures hasardées , les soupçons téméraires que font naître les mêmes passions. Bientôt mille velléités contraires agitent, l'âme : on veut, on se repent, on aime, on abhorre, et les appétits concupiscible et irascible sont continuellement aux prises, sans qu'il y ait ni raison ni prudence pour les maîtriser, parce qu'un mal de ce genre obscurcit l'entendement, pervertit le sens moral et bannit la prudence.

399. Saint Joseph ne fut point sujet à ces désordres vicieux; il ne pouvait même pas l'être, non-seulement à cause de sa sainteté insigne, mais aussi à cause de celle de son épouse, car il ne connaissait en

 

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elle aucune faute qui pût le porter à la moindre indignation, et il ne lui vint pas à l'esprit qu'elle eût mis son amour en aucun autre qu'il dût voir avec envie ou repousser avec colère. La jalousie du saint ne consista qu'en la grandeur de son amour et en une espèce de doute ou de soupçon portant sur le retour qu'il avait obtenu de sa très-chaste épouse, parce qu'il ne trouvait pas le moyen de vaincre ce doute par une raison décisive, comme l'étaient les apparences qui le causaient. Il ne lui fallut point de plus grande certitude pour rendre sa douleur si véhémente; car en un gage aussi cher que l'amour d'une épouse, on ne doit souffrir aucune société, et afin que ces apparences produisissent une telle jalousie, il suffisait que, taudis que l'amour le plus pur et le plus ardent remplissait tout le coeur de saint Joseph, il dût voir la moindre marque d'infidélité et éprouver là crainte de perdre le plus parfait, le plus beau, le plus agréable objet dont s'occupassent son entendement et sa volonté. Car quand l'amour a des motifs si justes, les liens qui retiennent le coeur comme un captif enchaîné, sont d'autant plus forts, d'autant plus indissolubles, surtout quand il n'y a point dans l'objet aimé des imperfections capables de les faire rompre par un violent effort. Noire divine Reine n'en avait aucune, il ne te trouvait rien en elle qui pût diminuer l'amour de son saint époux; au contraire, tout ce qu'elle avait reçu de la grâce et de la nature lui fournissent tous les jours de nouveaux sujets de l'augmenter.

 

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400. Après que le saint eut fait sa prière, il s'endormit dans cette douleur, qui alla jusqu'à la tristesse, assuré qu'il s'éveillerait à temps pour sortir de sa,maison à minuit, sans être aperçu, espérait-il, de son épousé. Notre divine Dame attendait le remède et le demandait incessamment par ses humbles prières, parce qu'elle savait que, les peines de son époux étant arrivées à leur plus haut degré, le moment de la miséricorde était proche, où la consolation descendrait dans ce coeur désolé. Le Très-Haut envoya le saint archange Gabriel, le chargeant de découvrir par une révélation divine, à saint Joseph endormi, le mystère de la grossesse de son épouse Marie. Et l'archange s'acquittant de cette mission, apparut su saint dans un songe, comme le marque saint Matthieu, et lui déclara dans les termes que cet évangile rapporte (1), tout le mystère de l'incarnation et de la rédemption. On sera peut-être un peu surpris, aussi bien que moi, de ce que l'archange ait parlé à saint Joseph dans un songe, et non point lorsqu'il veillait, puisque le mystère était si relevé et si difficile à concevoir, surtout dans le trouble extrême où se trouvait le patriarche, tandis que le même mystère fut révélé à d'autres , non durant leur sommeil, mais en pleine veille.

401. Dans ces dispositions du Seigneur, la raison suprême n'est autre que sa divine volonté, toujours juste, sainte et parfaite. Je tâcherai pourtant de dire,

 

(1) Matth., I, 20 et 21.

 

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pour notre instruction , quelques-unes des choses que j'ai apprises à cet égard. La première est, nue saint Joseph était si prudent, éclairé d'une si céleste lumière , et pénétré d'une si haute estime pour la très-sainte Vierge, qu'il ne fut pas nécessaire de recourir à des moyens plus forts pour le convaincre de sa dignité et des mystères de l'incarnation , car les inspirations divines s'insinuent aisément dans les coeurs bien disposés. La seconde est, que son trouble ayant commencé par les sens, à la vue de la grossesse de son épouse, il était juste qu'ils fussent comme mortifiés et. privés de la vision angélique, et que la vérité ne fût point introduite dans l'âme par leur organe, puisqu'ils avaient donné l'entrée à la tromperie ou su soupçon. Une troisième raison qui a beaucoup de rapport à celle-là, est parce que saint Joseph, bien qu'il ne commit aucun péché, souffrit un trouble tel, que ses sens contractèrent une espèce de souillure (lui les rendit indignes de la vue et de la communication du saint ange; il fallait par conséquent que l'ambassadeur céleste lui parait dans an moment où les sens scandalisés auparavant, fussent interdits par la suspension de leurs opérations; dans la suite, le saint homme étant revenu à soi, se purifia et se disposa par plusieurs actes, comme je le dirai, à recevoir les influences du Saint-Esprit, car son trouble les eût écartées.

402. On comprendra par là pourquoi Dieu parlait aux anciens pères dans des songes, plus souvent qu'il ne fait maintenant aux fidèles enfants de la loi

 

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évangélique, sous le règne de laquelle ces sortes de révélations sont moins fréquentes que celles par lesquelles les anges se manifestent davantage. La raison en est que, dans l'économie divine, les plus grands obstacles qui empêchent que les âmes n'aient des rapports vraiment familiers avec Dieu et avec ses anges, sont les péchés, même légers, et voire les simples imperfections. Mais depuis que le Verbe s'est incarné et qu'il a conversé avec les hommes, les sens se sont purifiés et nos puissances se purifient tous les jours, étant sanctifiées par le bon usage des sacrements sensibles, de sorte qu'elles se dégourdissent, se spiritualisent, s'élèvent et s'habilitent dans leurs opérations à participer aux influences divines. Et ce privilège sur les anciens, nous le devons au précieux sang de notre Seigneur Jésus-Christ, en vertu duquel nous sommes sanctifiés par les sacrements, en y recevant les effets divins de grâces spéciales, et en quelques-uns le caractère spirituel qui nous distingue et nous dispose à de plus hautes fins. Mais quand le Seigneur parlait autrefois, ou qu'il parle maintenant dans des songes, il exclut les opérations des sens comme incapables ou indignes d'assister aux noces spirituelles de sa communication intime et de jouir de ses épanchements célestes.

403. On doit aussi inférer de cette doctrine, que pour recevoir les faveurs secrètes du Seigneur, il faut non-seulement que les âmes soient exemptes de péché, enrichies de grâce et de mérites, mais encore qu'elles aient le calme et la tranquillité de la paix, parce que

 

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si cette république des puissances est agitée comme elle l'était en saint Joseph, elle n'est pas disposée à recevoir des effets aussi divins et aussi spirituels que ceux que produisent dans l’âme la visite et les caresses du Seigneur. Et il n'arrive que trop souvent que ces troubles intérieurs les empêchent, lors même que la créature gagne les plus grands mérites, comme le faisait l'époux de notre Reine, par les peines et les tribulations qu'elle supporte: c'est que la souffrance suppose toujours un travail, une espèce. de lutte contre les ténèbres, tandis que la jouissance consiste. à se reposer en paix dans la possession de la lumière; or, la lumière n'est pas compatible avec la présence des ténèbres, dit-elle parvenir à les chasser. Ainsi, dans le plus fort du combat des tentations, que l'on peut comparer avec le sommeil ou avec la nuit, l'on entend ordinairement la voix du Seigneur par le moyen des anges, comme il arriva à notre saint, qui entendit et comprit tout ce que disait saint Gabriel , savoir : qu'il ne craignit point de demeurer avec son épouse Marie, parce que sa grossesse était l'ouvrage du Saint-Esprit (1); qu'elle enfanterait un Fils qu'il nommerait Jésus, et qui serait le Sauveur de son peuple (2), et que dans tout ce mystère serait accomplie la prophétie d'Isaïe qui dit : « Qu'une vierge concevrait et mettrait au monde un fils qui serait appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (3). » Saint Joseph ne vit point l'ange sous une forme sensible,

 

(1) Matth., I, 20. — (2) Ibid., 21. — (3) Isa., VII, 14.

 

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il en unit seulement la voix au fond de son dîne, et connut le mystère. Des termes dont l'ambassadeur céleste se servit, on doit conclure que le saint avait déjà, par la pensée, quitté la très-pure Marie, puisqu'il lui ordonna de la recevoir sans crainte.

404. Saint Joseph s'éveilla convaincu du mystère qui lui avait été révélé, et que son épouse était véritablement Mère de Dieu. Partagé entre la joie de son bonheur et de son sort inespéré, et de nouveaux regrets de sa conduite, il se prosterna à terre, et, troublé cette fois par une humble crainte et une joie ineffable, il fit des actes héroïques d'humilité et de reconnaissance. Il rendit des actions de grâces à Dieu pour le mystère qu'il lui avait découvert, et l'avoir fait époux de Celle qu'il avait choisie pour Mère, lui, qui ne méritait pas d'être son esclave. Par cette révélation et ces actes de vertu, l'esprit du saint recouvra sa sérénité et se trouva disposé à recevoir de nouveaux effets du Saint-Esprit. Les doutes et les troubles par lesquels il avait passé servirent à jeter en lui les fondements d'une plus profonde humilité, nécessaire à celui à qui l'on confiait la dispensation des plus hauts conseils du Seigneur; et le souvenir de cet événement fut une leçon qu'il médita durant toute sa vie. Ayant rendu ses actions de grâces à la divine Majesté, le saint homme commença à se faire à lui-même des reproches dans sa solitude, et s'écria : « O ma divine épouse et très-douce colombe, choisie a du Très-Haut pour sa demeure et pour sa propre Mère, comment cet indigne esclave a-t-il eu la

 

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hardiesse de mettre en doute votre fidélité ? Comment celui qui n'est que cendre et que poussière a-t-il pu se laisser servir par Celle qui est Reine du ciel et de la terre, et Maîtresse de toutes les créatures? Comment n'ai-je point baisé la terre  qu'ont touchée vos pieds sacrés? Comment n'ai-je  pas songé uniquement à vous servir à genoux? » Comment oserai-je lever les yeux en votre présente, demeurer en votre compagnie, et ouvrir la bouche pour vous parler? Seigneur, faites-moi la  grâce de me donner assez de force pour la prier de me pardonner, inspirez-lui d'user de miséricorde envers moi et de ne point rejeter, suivant ses mérites, ce serviteur qui reconnaît sa faute. « Hélas ! avec combien de clarté ne devait-elle pas  pénétrer toutes mes pensées, étant remplie de lumière et de grâce, et renfermant dans son sein le Soleil de justice ! Après avoir été sérieusement décidé à la quitter, ne serai-je donc pas téméraire  quand je paraîtrai devant elle ? Je connais mon a procédé. grossier et ma lourde méprise, puisqu'à  la vue d'une si grande sainteté j'ai accueilli d'indignes pensées et des doutes sur la fidélité d'un  retour que je ne méritais pas. Et si votre justice,  Seigneur, eût permis pour me châtier que j'eusse  exécuté ma résolution imprudente, quel serait maintenant mon malheur? Je vous remercierai éternellement, mon Dieu, d'un bienfait si incomparable. Donnez-moi, Roi tout-puissant, de quoi vous payer  largement la dette de la reconnaissance. Je me présenterai

 

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à ma Princesse, mon épouse, me confiant en la douceur de sa clémence, et, prosterné à ses pieds, je lui demanderai pardon, afin qu'à cause d'elle, Seigneur, vous me traitiez avec une indulgence paternelle et me pardonniez mon erreur. »

405. Saint Joseph, s'étant éveillé, sortit de son pauvre appartement aussi différent de ce qu'il était avant son sommeil, qu'il se trouvait heureux après son réveil. Et comme la Reine du ciel se tenait toujours dans la retraite, il n'osa point l'interrompre dans sa douce contemplation avant qu'elle en sortit d'elle-même (1). En attendant, l'homme de Dieu délia le petit paquet qu'il avait préparé, fondant en larmes, et animé de sentiments bien contraires à ceux qui le dominaient naguère. Et, vouant dès lors toute sa vénération à sa divine épouse, le saint se mit, tout en pleurant, à arranger la maison, à nettoyer le sol qu'elle devait toucher de ses pieds sacrés, et à s'occuper d'une foule de petites choses dont il avait accoutumé de remettre le soin à la sainte Vierge, lorsqu'il ne connaissait point sa dignité; et il résolut de changer de façons et de conduite envers elle, en s'appropriant l'office de serviteur pour lui réserver celui de maîtresse. Dès ce jour-là ils eurent à ce propos d'admirables disputes, pour savoir lequel des deux devait servir et se montrer plus humble. Là Princesse de l'univers découvrait toutes les pensées et tons les mouvements de son époux. Et quand l'heure fut arrivée,

 

(1) Cant., II, 7.

 

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il se présenta à la chambre de notre divine Dame, qui l'attendait avec la douceur et la complaisance que je dirai dans le chapitre qui suit.

 
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

406. Ma fille, vous avez dans et avec toutes les choses qui vous ont été enseignées au présent chapitre, un doux motif de louer le Seigneur, en connaissant l'ordre admirable avec lequel, toujours aussi sage que miséricordieux, il ménage à ses serviteurs et à ses élus tour à tour les afflictions et les consolations (1), pour les attirer tous à lui avec une plus grande augmentation de mérite et de gloire. Outre cet avis, je veux que vous en receviez un autre fort important pour votre conduite et pour l'étroit commerce auquel le Très-Haut vous appelle. C'est que vous fassiez tous vos efforts pour vous conserver toujours dans la tranquillité et dans la paix intérieure, sans permettre à aucun événement de la vie mortelle de vous les ôter ont de les altérer par le plus léger trouble, profitant, compte d'un exemple et d'une leçon, de ce qui arriva à mon époux Joseph dans la circonstance que vous venez de raconter. Le Très-Haut ne veut point que la créature se trouble par la

 

(1) 1 Reg., II, 6.

 

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tribulation, mais qu'elle mérite; il ne veut point qu'elle s'abatte, mais qu'elle fasse l'expérience de ce qu'elle peut avec sa grâce. Et, bien que les vents impétueux des tentations jettent d'ordinaire dans le port d'une plus grande paix et d'une plus haute connaissance de Dieu, bien qu'on puisse tirer de ce trouble la connaissance de soi-même et le sujet de son humiliation , il n'en est pas moins vrai que si l'on ne rentre dans le calme et dans le repos intérieur, on n'est pas disposé à recevoir les visites, les inspirations et les caresses du Seigneur, parce que sa divine Majesté ne vient point dans des tourbillons (1), et qu'on ne saurait apercevoir les rayons de ce suprême Soleil de justice dans un air peu serein.

407. Si le défaut de cette tranquillité suffit pour empêcher à. ce point les intimes communications dit Très-Haut, il est certain que les péchés sont encore de plus grands obstacles pour arriver à une si haute faveur. Je veux, ma fille, que vous soyez fort attentive à cet enseignement, et que vous ne supposiez pas avoir le droit de le soumettre au contrôle de vos facultés. Et, puisque vous avez si souvent offensé le Seigneur, ayez recours à sa miséricorde, pleurez et purifiez-vous entièrement, et sachez que vous êtes obligée, sous peine d'être condamnée comme infidèle, de veiller sur votre âme et de la conserver toujours pure, chaste et tranquille, comme destinée à servir éternellement de demeure au Tout-Puissant (2), afin

 

(1) III Reg., XIX, 11 et 12. — (2) I Cor., III, 16.

 

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que son Maître la possède et y trouve une habitation digne de lui. Il doit régner entre vos puissances et vos sens un ordre tel, qu'il en résulte, comme de plusieurs instruments de musique, une très-douce et très-agréable harmonie; et plus cet accord est parfait, plus il est ü craindre qu'il ne soit troublé par quelques dissonances : c'est pourquoi il faut garder d'autant plus soigneusement ses sens, pour les préserver du contact des choses de la terre: car il suffit malheureusement que l’âme respire l'air infect qui sort des objets mondains, pour que leur contagion atteigne et frappe les puissances, même le plus étroitement unies à Dieu. Travaillez donc à vous observer, à vous surveiller vous- même, pour conserver un empire absolu sur vos puissances et sur leurs opérations. Et si vous vous apercevez que cet ordre et cette harmonie sont quelquefois troublés, tâchez d'être attentive à la divine lumière, pour la recevoir sans altération et sans crainte, et pour agir avec son secours de la manière la plus pure et la plus parfaite. Je vous donne pour exemple à ce sujet mon époux saint Joseph, qui crut sans hésitation et sans défiance ce que l'ange lui dit, exécutant aussitôt avec une prompte obéissance ce qui lui fut ordonné, par où il mérita d'être élevé à de hautes récompenses et à une éminente dignité. Et si, n'ayant commis aucun péché en ce qu'il fit, il s'abaissa avec tant d'humilité, seulement pour s'être troublé dans une occasion où il avait, du moins en apparence, tant dé motifs d'inquiétude, considérez combien vous devez reconnaître votre néant et vous confondre avec

 

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la poussière, vous qui n'êtes qu'un pauvre vermisseau, en pleurant vos négligences et vos péchés, jusqu'à ce que le Très-Haut vous regarde avec les dispositions d'un père et d'un époux.

 
CHAPITRE IV. Saint Joseph demande pardon à la très-pure Marie, son épouse, et notre divine Dame le console avec nue grande prudence.

 

408. Saint Joseph, qui avait reconnu soit erreur, attendait que la sainte Vierge son épouse sortit de son recueillement; et, lorsqu'il crut que l'heure était venue, il ouvrit la porte de la petite chambre qu'occupait la Mère du Roi céleste; et aussitôt il se jeta à ses pieds et lui dit avec une humilité et une vénération profonde : « Puissante Mère véritable du Verbe éternel, voici votre serviteur prosterné aux pieds de votre clémence. Au nom de Seigneur votre Dieu lui-même, que vous portez dans votre sein virginal, je vous supplie de me pardonner ma témérité. Je suis certain, Madame, qu'aucune de mes pensées ne peut être cachée à votre sagesse et à la lumière divine que vous avez reçue. Je fus bien hardi, lorsque j'osai former le projet de vous quitter, et

 

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je ne fus pas moins grossier, lorsque je vous traitai jusqu'à présent comme mon inférieure, au lieu de vous servir comme la Mère de mon Seigneur et de mon Dieu. Mais aussi vous savez que j'ai fait tout cela par ignorance, parce que le secret du grand Roi ne m'avait pas été découvert, ni la grandeur de votre dignité, quoique je révérasse en vous d'autres dons du Très-Haut. Oubliez, Madame, les ignorances d'une vile créature, qui les ayant reconnues, offre son coeur et sa vie à votre service. Je ne me  lèverai point de vos pieds sans savoir que je suis dans vos bonnes grâces, que vous m'avez pardonné mon désordre et accordé votre bienveillance et votre bénédiction. »

409. En entendant les humbles paroles de son époux Joseph, l'auguste Marie ressentit des impressions diverses; car, si d'un côté elle se réjouissait vivement dans le Seigneur, de voir qu'il était informé des mystères de l'incarnation, et qu'il les confessait et les révérait avec une si haute foi et avec une,humilité si profonde, de l'autre, elle fut un peu affligée de la résolution qu'il avait prise de la traiter à l'avenir avec le respect et la soumission qu'il lui offrait; parce que la très-humble Dame craignit de perdre par ce changement les occasions d'obéir et de s'abaisser comme servante de son époux. Et comme quelqu'un qui se trouverait tout à coup dépossédé d'un bijou ou d'un trésor auquel il attachait un grand prix; ainsi la très-sainte Vierge fut attristée par l'appréhension qu'elle eut que saint Joseph l'ayant reconnue pour Mère du

 

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Seigneur, ne cessât de la traiter en toutes choses comme inférieure. Elle fit lever son époux, et se prosterna elle-même à ses pieds. Il tâcha de l'en empêcher, mais inutilement, car elle était invincible en humilité, et dans cette humble posture, elle dit au saint : « C'est a moi, mon maître et mon époux, qui dois vous demander pardon des peines et des amertumes que je vous ai causées; je vous supplie donc, prosternée à vos pieds, d'oublier vos soucis et la tristesse a qu'ils vous ont donnée, puisque le Très-Haut a exaucé vos désirs. »

410. Notre divine Dame crut devoir consoler son époux, et cent plutôt pour cela que pour se disculper, qu'elle lui dit en continuant son discours: « Je ne pouvais, malgré mon désir à cet égard, vous a rien confier du mystère caché que le Très-Haut  renfermé en moi, parce que je devais, petite esclave de sa Majesté souveraine, attendre les ordres de sa volonté toujours sainte, juste et parfaite. Si j'ai gardé le silence, ce n'est pas que je cessasse de vous   considérer comme mon maure et mon époux. Je  suis et serai toujours votre fidèle servante, et je répondrai dans toutes les occasions à vos justes souhaits et à vos saintes affections. Mais ce que je vous demande du plus intime de mon coeur, au nom  du Seigneur que j'ai dans mon sein , c'est que dans  vos rapports et dans vos manières, vous conserviez  le même genre qu'auparavant. Le Seigneur ne m'a pas élevée à la maternité divine pour être servie ni pour commander pendant cette vie, mais pour être

 

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la servante de tous, et particulièrement la vôtre ; c'est pourquoi je vous dois obéir en tout. Voilà, mon  seigneur, mon rôle; et si vous m'en privez, vous  me priverez en même temps de ma consolation. Il est juste que vous me le laissiez, puisque le Très-Haut l'a ordonné de la sorte, en m'assurant vos soins et votre protection, afin que je vive tranquille à l'ombre de votre nom, et qu'avec votre aide je puisse nourrir le fruit que je porte, mon Dieu et  mon Seigneur. » Par ces paroles et par plusieurs autres pleines de la plus douce éloquence, l'auguste Marie consola et rassura son saint époux; ensuite elle se releva pour lui apprendre tout ce qu'il devait savoir. Et comme notre divine Dame n'était pas seulement remplie du Saint-Esprit, main qu'elle avait encore dans son sein comme mère, le Verbe divin, dont il procède aussi bien que du hère, elle éclaira d'une manière merveilleuse l'intelligence de saint Joseph , qui reçut en ce moment une abondante effusion des grâces divines. Et l'esprit tout renouvelé et animé d'une nouvelle ferveur, il lui dit :

411. « Vous êtes bénie, ma chère Dame, entre a Mates les femmes, heureuse et bienheureuse entre  tontes les nations et tolites les générations. Que le  Créateur du ciel et de la terre soit glorifié par des  louanges éternelles, de ce qu'il vous a regardée du  plus haut de son trône royal et choisie pour sa demeure; il a accompli en vous seule les promesses  qu'il a faites à nos pères et aux prophètes. Que  toutes les générations lé bénissent de ce qu'en aucune

 

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autre créature il ne s'est autant exalté qu'en  votre humilité, et de ce qu'étant le plus vil des a hommes, il m'a choisi par sa divine bonté pour  votre serviteur. » Ces bénédictions et ce langage furent inspirés à saint Joseph par l'Esprit divin, comme la réponse que fit sainte Élisabeth à la salutation de notre grande Reine; seulement la lumière et la science que le saint reçut, furent en quelque façon plus admirables, comme étant en rapport avec sa dignité et avec son ministère: L'auguste Marie, entendant les paroles de son bienheureux époux, lui répondit par le cantique du Magnificat, qu'elle répéta dans les mêmes termes qu'à sainte Élisabeth (1), en y ajoutant plusieurs nouveaux versets; et pendant qu'elle les disait, elle fut tout enflammée d'un feu divin, ravie en une très-sublime extase, et élevée de terre dans un globe d'une brillante lumière qui l'environnait; et elle y fut toute transformée, comme si elle avait déjà participé aux dons de la gloire.

412. Saint Joseph fut rempli d'admiration et d'une joie inexprimable à la vue d'un objet si divin; car il n'avait pas encore vu sa très-sainte épouse élevée a. un si haut degré de gloire et d'excellence. C'est alors qu'il comprit clairement, entièrement sa grandeur, parce qu'il découvrit en même temps l'intégrité et la pureté virginale de la Princesse du ciel, et le mystère de sa dignité; il vit et reconnut dans son très-chaste sein l'humanité sacrée de l'Enfant-Dieu, et l'union des

 

(1) Luc., 1, 45.

 

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deux natures en la personne du Verbe; il l'adora avec une profonde humilité, le reconnut pour son véritable Rédempteur, et se consacra à son service en multipliant les actes de l'amour le plus généreux. Le Seigneur le regarda avec une grande complaisance, et le distingua entre toutes les autres créatures; car il l'accepta pour son père putatif, et lui en donna le titre; et pour qu'il pût porter dignement un nom si extraordinaire, il lui départit toute la plénitude de la science et des dons célestes que la piété chrétienne peut et doit présumer. Je ne m'arrête point à raconter ce qui m'a été déclaré des excellences de saint Joseph, parce qu'il faudrait m'étendre au delà des bornes que m'assigne le plan de cette histoire.

413. Mais si ce fut une preuve de la magnanimité du glorieux saint Joseph , et une marque très-évidente de sa sainteté éminente, de ne pas mourir par suite de la jalousie qu'il eut de sa très-chère épouse, c'est encore un sujet plus digne d'admiration, de ne le voir pas suffoquer de la joie inespérée dont son âme fut inondée au moment où toutes ses craintes furent dissipées Dans le premier fait on découvrit sa sainteté, mais dans le second il reçut un, tel surcroît de grâces et de dons du Seigneur, que si sa divine Majesté ne lui eût dilaté le coeur, il eût été incapable de les recevoir et de résister à l'enivrement des consolations spirituelles. Tout son être fut renouvelé et éclairé, pour devenir digne de converser avec celle qui était Mère de Dieu aussi bien que son épouse, et pour dispenser de concert avec elle les choses qui regardaient l'incarnation

 

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et l'entretenement du Verbe humanisé, comme je le dirai dans la suite. Et afin qu'il fdt plus apte à sa mission, et qu'il comprit mieux les obligations qu'il avait de servir sa divine épouse, il lui fut manifesté que tousses dons et bienfaits qu'il avait reçus de la main du Très-Haut, lui avaient été départis par elle et pour elle : ceux qui lui furent faits avant que d'être son époux, parce que le Seigneur l'avait choisi pour cette dignité; et ceux qu'il recevait alors, parce qu'elle les lui avait obtenus et mérités. Il connut aussi l'incomparable prudence qui avait réglé ses rapports avec lui, non-seulement quand elle l'avait servi avec une obéissance si inviolable et avec une humilité si profonde, mais quand elle l'avait consolé dans son affliction, en lui procurant la grâce et le secours du Saint-Esprit, et qu'elle avait dissimulé avec une très-grande discrétion tout ce qui se passait dans son âme; enfin, quand ensuite elle l'avait calmé, pacifié et animé des dispositions nécessaires pour bien recevoir les influences de l'Esprit divin. Et comme notre grande Reine avait été l'instrument dont Dieu s'était servi pour sanctifier le petit Baptiste et sa mère sainte Élisabeth, de même,elle fut l'organe par lequel saint Joseph reçut la plénitude de grâce avec une bien plus grande abondance. Le très-heureux époux comprit tout cela, et il y répondit comme un très-fidèle et très-reconnaissant serviteur.

414. Les saints évangélistes n'ont fait aucune mention de ces grands mystères ni de beaucoup d'antres qui arrimèrent à notre Reine et il son saint époux

 

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Joseph, non-seulement parée que ces deux incomparables modèles d'humilité les conservèrent toujours dans leurs coeurs sans les communiquer à personne, mais aussi parce qu'il n'était pas nécessaire d'insérer ces merveilles dans la vie de notre Seigneur Jésus-Christ qu'ils ont écrite, afin que par sa foi la nouvelle Eglise et la loi de grâce s'étendissent; outre que la connaissance aurait pu n'en être pas utile à la gentilité au commencement de sa conversion. La Providence, toujours admirable dans ses secrets et impénétrables jugements, se réserva de tirer de ses trésors ces choses qui sont à la fois nouvelles et anciennes (1), au moment marqué comme le plus propre par sa divine sagesse, lorsque l'Église avant déjà été fondée et la foi catholique établie, les fidèles auraient besoin de l'appui et de l'intercession de leur puissante Reine et Protectrice, afin qu'après avoir appris par une nouvelle lumière quelle mère tendre, quelle avocate zélée ils ont en elle dans le ciel auprès de son très-saint Fils, à qui le Père a donné la puissance de juger (2), ils eussent recours à elle dans leurs nécessités comme à l'unique et sûr refuge des pécheurs. Pour savoir si l'Église est arrivée à cette triste époque, il ne faut qu'observer ses larmes et ses tribulations, puisqu'elles n'ont jamais été plus grandes qu'à présent, où ses propres enfants nourris clans son sein sont ceux qui l'affligent, la déchirent et dissipent les trésors du sang de son Époux (3), avec plus

 

(1) Matth, XIII, 52. — (2) Joan., V, 27. — (3) Hebr., X, 29.

 

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de cruauté que ses ennemis les plus acharnés. Or à quoi songent les plus fidèles, les plus catholiques et les plus constants enfants dè cette Mère désolée, quand tant de misères se font sentir, quand le sang répandit de leurs frères, et surtout le sang de notre souverain Pontife Jésus-Christ (1), profané sous divers prétextes de justice, crie vengeance jusqu'au ciel? Pourquoi gardent-ils ce silence? Comment n'invoquent-ils pas, n'appellent-ils pas à haute voix l'auguste Marie? Comment, dans leur détresse, ne font-ils pas violence à son coeur par leurs prières? On ne doit pas être surpris si le remède tarde, puisque nous négligeons de le chercher et de reconnaître cette divine Dame pour véritablement Mère de Dieu lui-même. J'avoue que cette Cité mystique renferme de magnifiques mystères (2), et que nous ne pouvons les annoncer que par une foi vive et constante. Ils sont tels, que la connaissance complète n'en sera accordée qu'après la résurrection générale, époque où les saints les connaîtront en Dieu. Mais en attendant, les âmes pieuses et fidèles doivent admirer la bonté de cette très-aimable et très-amoureuse Reine, qui a bien voulu se servir d'un aussi vil instrument que moi pour leur en révéler quelques-uns; et mes faiblesses et oies lâchetés sont si grandes, qu'il n'y a que le commandement maintes fois réitéré de la Mère de la charité qui puisse encourager mes efforts.

 

(1) Hebr., XII, 24. — (2) Ps., LXXXVI, 2.

 

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Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

415. Ma fille, c'est dans le désir que je vous 'exprime de vous voir orner votre vie sur le miroir de la mienne, et régler fidèlement toute votre conduite sur mes actions, que je vous découvre dans cette histoire non-seulement les mystères que vous rapportez , mais tant d'autres que vous ne pouvez faire connaître parce qu'ils doivent tous demeurer gravés dans le plus intime de votre coeur. Ainsi, pour m'acquitter de l'office de maîtresse; je vous renouvelle le souvenir de la leçon qui vous doit apprendre la science de la vie éternelle. Soyez prompte à exécuter ce qui vous est ordonné, comme une obéissante et diligente disciple. Que l'humble empressement de mon époux Joseph, sa docilité et l'estime qu'il fit de la lumière et de la doctrine divine, vous servent maintenant d'exemple. Considérez que le Très-Haut voulant trouver son coeur préparé et bien disposé à accomplir avec zèle sa très-sainte volonté, le changea et le réforma entièrement par cette plénitude de grâce dont il avait besoin pour le ministère auquel sa divine Majesté le destinait. Or faites en sorte que la connaissance de vos péchés serve à vous humilier avec soumission, et non pas à empêcher le Seigneur, sous prétexte de votre peu de mérite, de se servir de vous en ce qu'il voudra.

416. Je veux à cette occasion vous manifester les

 

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justes plaintes et le courroux du Très-Haut contre les mortels, afin que par la divine lumière vous en compreniez mieux la raison à la vue de l'humilité et de la douceur que j'eus envers mon époux Joseph. Ces plaintes du Seigneur, que j'exprime aussi de mon côté, sont fondées sur la monstrueuse perversité qui porte les hommes à se traiter sans charité et sans humilité; et eu cela concourent trois péchés qui détournent beaucoup le Très-Haut et moi d'user de miséricorde envers eux. Le premier est, que les hommes, sachant qu'ils sont tous enfants d'un Père qui est aux cieux (1), ouvrage de ses mains, formés d'une même nature, entretenus par ses largesses, vivifiés par sa providence (2), et nourris à une même table de ses divins mystères et de ses augustes sacrements, et spécialement du propre corps et du sang précieux de Jésus-Christ, ne laissent pas d'oublier et de ravaler toutes ces choses à la vue du moindre intérêt temporel : comme si cela suffisait pour leur faire perdre la raison, ils se troublent, s'échauffent, se livrent à la discorde, à la rancune, aux trahisons et aux murmures, et parfois i1 des vengeances inhumaines et à de mortelles inimitiés les uns contre les autres. Le second est, que si, surpris par la fragilité d'une nature immortifiée et par la tentation du démon, ils tombent dans quelqu'une de ces fautes, ils ne tâchent pas aussitôt de rien relever et de se réconcilier entre eux, comme des frères qui vivent

 

(1) Act., XVII, 26. — (2) Matth., VI, 45, etc.; Ps. CXXVII, 3.

 

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sous les yeux. du juste Juge; su lieu d'avoir en Dieu un Père plein de clémence, ils ne demandent qu'un juge sévère et rigoureux de leurs péchés (1), puisque la haine et la vengeance sont ce qui irrite le plus sa justice. Le troisième qui excite toute son indignation e•t , que parfois quand quelqu'un veut se réconcilier avec son frère , celui qui se croit offensé le rejette et exige une satisfaction plus ample que celle qu'il sait être capable de satisfaire le Seigneur, et même que celle dont il veut lui-même se servir pour apaiser sa divine Majesté (2); car tous veulent que, contrits et humiliés, ce Dieu qu'ils ont bien plus grièvement offensé les reçoive dans ses bras et leur pardonne; et cependant eux qui ne sont que cendre et poussière prétendent se venger de leur frère, et ne se' donnent point pour satisfaits de ce dont le souverain Maître se contente pour leur pardonner.

117. De tous les péchés que les enfants de l'Église commettent, il n'en est point de plus abominables que ceux-là aux yeux du Très-Haut; c'est ce que lui-même vous a fait connaître par la force qu'il a donnée aux prescriptions de sa divine loi, en ordonnant à l'homme de pardonner à son frère, quand même il pêcherait contre lui soixante-dix fois sept fois (3), et les offenses dussent-elles se renouveler chaque jour, il suffit, dit le Seigneur, que le coupable exprime son repentir pour que le frère offensé lui pardonne autant de fois, sans en limiter le nombre (4) ; et il réserve un

 

(1) Matth., XVIII, 35. — (2) Ibid., 32 et 33. — (3) Ibid., 22. — (4) Luc., XVII, 4.

 

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châtiment effroyable à celui qui, manquera à cette obligation, parce qu'il scandalise les autres, comme on le peut inférer de la menace faite par le Seigneur lui-même. « Malheur, dit-il, à celui par qui le scandale arrive (1) ! il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât une meule de moulin au cou, et qu'on le jetât au fond de la mer (2), » n signifiant par là combien la réparation de ces péchés est difficile, puisque celui qui ils aurait commis serait en un aussi grand danger que ce malheureux qui tomberait dans la mer avec une si lourde masse attachée au cou. Il marqué aussi la punition que le scandaleux subira dans l'abîme des peines éternelles; et c'est pour cela que les fidèles suivront un salutaire conseil, s'ils aiment mieux s'arracher les yeux, et se couper les mains (3), puisque mon très saint Fils a parlé en ces termes, plutôt que de scandaliser les petits par ces péchés ;

418. O ma très-chère fille! avec combien de larmes de sang devez-vous pleurer la laideur et les dommages de ce péché ! C'est- lui qui attriste le Saint-esprit (4), qui donne de superbes triomphes au démon, qui change les,créatures raisonnables en monstres, et qui efface en elles l'image de leur Père céleste. Quoi de plus étrange, de plus vilain et de plus horrible que de voir un homme de terre, destiné à la corruption et aux vers, s'élever contre un de ses semblables avec tant de furie et d'orgueil (5) ?

 

(1) Matth., XVIII, 7. — (2) Luc., XVII, 2. — (3) Matth., XVIII, 8 et 9 — (4) Ephes., IV, 80. — (5) Matth., V.

 

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Vous ne trouverez point d'expressions assez fortes pour inspirer aux mortels toute l'horreur que mérite une pareille méchanceté, et pour leur persuader de se garder de la colère du Seigneur (1). Quant à vous, ma fille, préservez votre coeur de ce malheur déplorable, et gravez-y profondément les leçons si salutaires que je vous recommande de suivre. Et n'allez pas croire qu'il puisse n'y avoir qu'une faute légère à offenser et à scandaliser son prochain, car tous ces péchés sont grands en la présence de Dieu. Mettez une forte garde à votre bouche, à toutes vos puissances et à tous vos sens (2), pour observer exactement la charité envers les ouvrages du Très-Haut. Donnez cette satisfaction à celle qui veut que vous acquériez dans une vertu si excellente la haute perfection dont je vous fais à vous une obligation rigoureuse, de ne penser, de ne dire et de ne faire jamais rien qui puisse offenser votre prochain, ni de permettre, pour quelque raison que ce soit, que vos inférieures, ni même aucune autre personne, si cela peut dépendre de vous, le fassent en votre présence. Faites de sérieuses réflexions, ma très-chère fille, sur ce que je vous demande, parce que vous y trouverez la science la plus divine et la moins connue des mortels. Que mon humilité et ma douceur servent de remède à vos passions et d'exemple qui vous anime; regardez-les comme un effet de l'amour sincère que je portais, non-seulement à mon époux, mais à tous

 

(1) Matth., III, 7. — (2) Ps. CXL, 3 et 4.

 

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les enfants de mon Seigneur et de mon Père céleste, parce que je savais à quel haut prix ils ont été achetés et rachetés (1). Apprenez à vos religieuses avec vérité, fidélité et charité, que, bien que tous ceux qui n'accomplissent pas ce commandement que mon Fils appela sien et nouveau, offensent grièvement sa divine Majesté, son indignation est sans comparaison plus grande contre les religieux qui le transgressent. Tandis qu'ils sont plus strictement obligés de se montrer les enfants parfaits du l'ère (2) qui leur a enseigné cette vertu, il s'en trouve beaucoup qui la détruisent, comme les mondains, mais en se rendant bien plus odieux aux yeux du Seigneur.

 
CHAPITRE V. Saint Joseph prend la résolution de servir en tout la sainte Vierge avec un très-grand respect. — Ce que fit notre auguste Reine, et plusieurs autres détails relatifs à leur manière d'agir entre eux.

 

419. Le très-fidèle époux Joseph ayant appris la dignité de son épouse, l'auguste Marie, et le mystère de l'incarnation , conçut une si haute estime pour

 

(1) 1 Petr., I, 18; I Cor., VI, 20. — (2) Joan., IV, 12, 13, 34; Matth., V, 48.

 

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elle, qu'il en devint un nouvel homme, quoiqu'il eût toujours été très-saint et très-parfait : de sorte qu'il résolut de changer de. manières et de redoubler sa vénération envers notre divine Dame, comme je le dirai dans la suite. Cela était conforme à la sagesse du saint et dû à l'excellence de son épouse, puisqu'il était serviteur, et elle Maîtresse de l'univers, ainsi que la divine lumière le montra à saint Joseph. Or, pour satisfaire le désir qu'il avait d'honorer Celle qu'il reconnaissait pour Mère de Dieu, quand se trouvant seul avec elle il lui parlait, ou passait devant elle, il pliait le genou, et il ne voulait pas souffrir qu'elle le servit, ni qu'elle se mêlât du ménage, ni qu'elle s'occupât à d'autres humbles offices, comme à balayer la maison, à laver la vaisselle, et à d'autres choses semblables, parce que le bienheureux époux les voulait toutes faire lui-même, pour ne pas déroger à la dignité de notre Reine.

420. Mais la divine Dame, qui était la plus humble d'entre les humbles, et qui ne pouvait être surpassée en humilité, disposa les choses de façon à toujours remporter la palme de toutes les vertus. Elle pria saint Joseph de ne lui point rendre cet honneur, que de plier le genou en sa présence, lui alléguant que, bien que cette vénération fût due au Seigneur qu'elle portait dans sou sein, néanmoins, pendant qu il y restait et qu'il ne se manifestait point, on ne pouvait distinguer dans cette action la personne de Jésus-Christ de la sienne. C'est pourquoi le saint s'accommoda aux désirs de la Reine du ciel, ne rendant ce

 

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culte au Seigneur, qu'elle avait dans son sein virginal, et à elle comme à sa Mère, et toujours dans une juste proportion, que lorsqu'elle ne s'en apercevait pas. Ils eurent d'humbles disputes touchant plusieurs autres actions et sur la pratique des oeuvres serviles. Car saint Joseph ne savait pas se résoudre à consentir que notre aimable Maîtresse les fit; et c'est pour cela qu'il tâchait de la prévenir. Elle en agissait de même de son côté, faisant tout son possible pour le devancer. Mais comme le saint avait le temps de vaquer à une foule de petits soins pendant qu'elle était retirée dans son oratoire, il frustrait les désirs continuels qu'elle avait de travailler comme la servante chargée de s'acquitter de toute la besogne de sa maison. Notre divine Dame, trompée dans ses calculs, adressa ses humbles plaintes au Seigneur, et le pria d'obliger effectivement son époux à ne point l'empêcher d'exercer l'humilité autant qu'elle le désirait. Et, comme cette vertu est si puissante au tribunal divin, où elle a toujours ses entrées libres, il n'est point de prières inefficaces quand elle les accompagne, parce qu'elle suit pour les élever, et pour incliner l'être immuable de Dieu à la clémence (1). Le Seigneur exauça cette demande, et ordonna que l'ange gardien du bienheureux époux lui parlât intérieurement et lui dit ce qui suit : « Ne frustrez point les humbles désirs de Celle qui est au-dessus de toutes les créatures du ciel et  de la terre. En ce qui regarde les choses extérieures,

 

(1) Eccles., XXXV, 21.

 

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permettez qu'elle vous serve,, et conservez  toujours dans votre intérieur un souverain respect  pour elle; et rendez en tout temps et en tout lieu le  culte que vous devez au Verbe humanisé, qui a  voulu, comme sa divine Mère, venir pour servir,  et non pour être servi (1), afin d'enseigner au  monde la science de la vie et l'excellence de l'humilité (2). Vous pouvez pourtant l'aider dans quelques  détails, honorant toujours en elle le Maître de l'univers. »

421. Par cette instruction et ce commandement du Très-Haut, saint Joseph permit les humbles exercices de notre divine Princesse; et ils eurent ainsi tous deux occasion d'offrir à Dieu un sacrifice agréable de leur volonté, la très-pure Marie en pratiquant toujours la plus profonde humilité et l'obéissance la plus fidèle envers son époux dans tous les actes de vertu, qu'elle exerçait avec une perfection sublime, sans en omettre aucun qui fût en son pouvoir, et saint Joseph en se soumettant à l'ordre du Très-Haut avec une juste et sainte confusion qu'il avait de se voir soigner et servir par Celle qu'il reconnaissait pour Maîtresse de l'univers et Mère du Créateur. Le prudent saint se dédommageait ainsi de ne pouvoir exercer l'humilité dans les autres actes qu'il cédait à son épouse : en effet, cela l'humiliait davantage, l'obligeait de s'abîmer dans le mépris de lui-même, et augmentait la crainte révérentielle avec laquelle il regardait l'auguste Marie, et

 

(1) Matth., XX, 28. — (2) Matth., XI, 29.

 

en elle le Seigneur qu'elle portait dans son très-chaste sein, où il l'adorait et lui rendait honneur et gloire. Quelquefois l'Enfant-Dieu humanisé se manifestait à lui d'une manière admirable, en récompense de sa sainteté et de sa crainte respectueuse, ou pour lui eu donner un plus grand motif; il le voyait dans le sein de sa très-pure Mère comme à travers un cristal lumineux. Notre incomparable Reine s'entretenait plus familièrement avec son bienheureux époux des mystères de l'incarnation, parce qu'elle ne mettait plus la même réserve dans ses discours, depuis que le saint avait été informé des secrets divins de l'union hypostatique des deux natures divine et humaine dans le sein virginal de son épouse.

422. Il n'est aucune langue humaine qui puisse exprimer les entretiens célestes que la sainte Vierge et son bienheureux époux avaient ensemble. J'en dirai pourtant quelque chose, comme je saurai , dans les chapitres suivants. Mais qui pourra raconter les effets que causait dans le très-doux et très-dévot coeur de ce saint, non-seulement de se voir l'époux de Celle qui était la véritable Mère de son Créateur, mais aussi de recevoir ses services comme si elle eut é!é une simple servante, tandis qu'il la considérait élevée en sainteté et en dignité au-dessus de tous les séraphins; et inférieure à Dieu seul? Et si la droite du Tout-Puissant enrichit de tant de bénédictions la maison et la personne d'Obédédom pour avoir gardé quelques mois sous sa tente l'arche figurative de l'ancien

 

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Testament  (1), de quelles bénédictions ne devait-elle pas combler saint Joseph, à qui sa divine Majesté avait confié l'Arche véritable et le Législateur même qui y était renfermé! Le bonheur et la fidélité de ce saint furent incomparables, non-seulement parce qu'il avait dans sa maison l'Arche vivante. et véritable du nouveau Testament, l'autel, le sacrifice et le temple, car tout cela lui fut confié, mais parce qu'il le garda dignement, comme un serviteur prudent et fidèle (2). Aussi le même Seigneur le constitua-t-il sur sa famille, afin qu'il en eût sain pendant le temps convenable, comme un très-fidèle dispensateur. Que toutes les nations le reconnaissent, le hérissent et publient ses louanges (3), puisque le Très-Haut n'a tait à l'endroit d'aucune ce qu'il fît envers ce glorieux saint. Pour moi, qui ne suis qu'un petit vermisseau, à la vue de mystères si augustes, j'exalte de toutes mes forces le Seigneur non Dieu, et, malgré mon indignité, je confesse et proclame qu'il est saint, juste, miséricordieux, sage et admirable dans la disposition de toutes ses grandes oeuvres.

423. La pauvre mais heureuse maison de Joseph ne consistait guère qu'en trois chambres, où les deux saints époux faisaient leur plus ordinaire demeure, car ils n'eurent ni serviteur ni servante. Saint Joseph dormait dans l'une; il travaillait dans l'autre, et y tenait les outils de son métier de charpentier : et la troisième était habituellement occupée par la Reine

 

(1) I Paral., XIII, 14. — (2) Matth., XXIV, 45. — (3) Ps. CXLVII, 20.

 

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du ciel, qui y couchait dans un petit lit que le saint avait fait : ils prirent ces arrangements dès le commencement de leur mariage et de leur installation dans la maison. Le saint époux allait rarement voir son auguste épouse et maîtresse avant qu'il eût appris sa dignité, parce qu'il vaquait à son travail pendant qu'elle demeurait dans sa retraite, à moins que quelque ;affaire, pressante ne l'obligeât de la consulter. Mais après qu'il eut découvert la cause de son bonheur, le saint,homme se montrait,beaucoup plus assidu ; et, pour renouveler sa consolation, il allait très-souvent visiter notre auguste Princesse dans sa petite chambre, ,et lui faire offre de ses services. Il ne l'abordait pourtant, jamais qu'avec une extrême humilité et une crainte respectueuse, et avant de lui adresser la parole il observait en silence à quoi elle s'occupait; maintes fois il la voyait ravie en extase, élevée de terre et entourée d'une lumière éblouissante : d'autres fois il la trouvait en compagnie de ses anges, avec lesquels elle avait de divins entretiens, et souvent prosternée les bras en croix et conversant avec le Seigneur. Le très-heureux époux eut part à toutes ces faveurs. Mais, quand notre divine Dame était dans cet état où dans ces occupations, il n'osait que la regarder avec un très-profond respect : et il méritait d'ouïr quelquefois la très-douce harmonie du concert céleste que les Anges donnaient à leur Reine, et de respirer une odeur de parfums exquis qui le fortifiait et le remplissait entièrement de joie et de consolation spirituelle.

 

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424. Les deux saints époux vivaient seuls dans leur maison, n'y ayant, comme je l'ai dit, aucun serviteur, non-seulement à cause de leur profonde humilité, mais aussi parce qu'il était convenable qu'il n'y eût point de témoins de tant de merveilles sensibles qui se passaient entre eux, et dont ceux du dehors ne devaient avoir aucune connaissance. La Princesse du ciel ne sortait pas non plus de sa maison, si ce n'est qu'elle y fût obligée par quelque occasion pressante qui regardait le service de Dieu et le bien du prochain ; car, s'ils avaient besoin de quelque chose du dehors , cette heureuse femme qui servit saint Joseph, ai-je déjà dit, pendant que la sainte Vierge séjourna chez Zacharie, prenait le soin de le leur porter. Et elle reçut une si bonne récompense de ses services, que non-seulement elle fut sainte et parfaite, mais que toute sa famille ressentit les favorables effets de la protection de la Reine de l'univers, qui veilla sur elle d'une manière spéciale, et s'empressa même, comme voisine, de soigner cette femme dans plusieurs maladies, et la combla enfin, elle et tous ceux de sa maison, des bénédictions du ciel.

425. Saint Joseph ne vit jamais dormir sa très-sainte épouse, il ne sut pas même par expérience si elle dormait, quoiqu'il la priât souvent de prendre quelque repos, surtout au temps de sa divine grossesse. Le lieu où elle le prenait était le petit lit que j'ai dit avoir été fait des mains de saint Joseph lui-même; il était couvert de deux couvertures entre lesquelles

 

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elle se mettait pour se livrer quelques instants à un saint sommeil. Son vêtement de dessous était une tunique ou chemise de toile semblable au coton, d'un tissu plus doux que les simples étoffes ordinaires. Elle ne quitta jamais cette tunique après qu'elle fut sortie du Temple. Elle la conserva toujours sans qu'elle s'usât ni se salit, et sans qu'aucune personne la vit. Saint Joseph lui-même ne sut point si elle la portait, parce qu'il ne vit que l'habillement extérieur que tout le monde pouvait voir. Cet habillement était de couleur de cendre, comme je l'ai dit; et la grande Reine du ciel ne changeait quelquefois que celui-là, et les voiles dont elle se servait pour se couvrir la tète; ce n'était pas qu'ils fussent salis, mais c'était pour empêcher qu'on ne s'aperçût, comme ils étaient visibles à tous, qu'elle les conservait toujours dans le même état. Car elle ne salit jamais rien de ce qu'elle portait sur son corps si pur et si virginal, parce qu'elle ne suait point, et qu'elle n'était pas sujette aux incommodités que souffrent les autres enfants d'Adam dans leurs corps souillés par le péché. Il semblait que son extrême pureté contribuât à donner à ses ouvrages manuels quelque chose de plus propre et de plus achevé. Elle s'occupait avec le même soin des habits et clos autres effets nécessaires à son époux. Elle s'astreignait dans ses repas à une petite ration qu'elle prenait tous les jours avec saint Joseph; mais elle ne mangea jamais de viande, quoique le saint en mangeât , et qu'elle-même la lui apprêtât Elle se nourrissait de fruit, de poisson, de

 

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pain ordinaire et de quelques herbes cuites; mais c'était avec poids et mesure , n'en prenant que ce qu'il fallait absolument pour soutenir la nature et pour entretenir la chaleur vitale, sans s'accorder jamais un superflu qui aurait pu l'exposer au danger de l'intempérance ; elle observait la même sobriété dans son boire, quoique ses actes de ferveur lui causassent une certaine chaleur plus que naturelle. Elle suivit toujours la même règle dans ees repas quant à la quantité, bien qu'elle les modifiât quant à la qualité, selon les diverses circonstances où elle se trouva dans le cours de sa très-sainte vie, comme je le dirai plus loin.

426. La très-pure Marie fut en toutes choses d'une perfection consommée, sans qu'il lui manquât aucune grâce, et cette perfection qu'elle possédait dans toute la plénitude possible, caractérisait toutes ses actions tant naturelles que surnaturelles. La grâce ne manque qu'à mes paroles pour expliquer ces merveilles, car je n'en saurais jamais être satisfaite, voyant combien elles sont au-dessous de ce que je connais, et beaucoup plus par conséquent au-dessous de ce qu'un objet si sublime renferme en lui-même. Mon insuffisance me jette dans des appréhensions continuelles, et je me plains toujours de la faiblesse de mes termes. Je crains d'être plus hardie que je ne dois en poursuivant ce qui est si au-dessus de mes forces; mais celles de l'obéissance m'emportent avec je ne sais quelle douce violence qui anime ma timidité, excite mon peu de courage, et me fait regarder avec quelque

 

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consolation la grandeur de l'ouvrage ét la bassesse de mon langage. J'agis par obéissance, et c'est dans cette voie que tant de biens me viennent à la rencontre. Ceci me servira d'excuse.

 
Instruction de la Reine du ciel.

 

Ma fille, je veux que vous soyez fort exacte ee fort diligente en l'école de l'humilité, comme vous l'enseigneront tous les événements qui se sont passés dans ma vie; vous en devez faire le premier et le dernier de vos soins, si vous voulez vous préparer aux caresses du Seigneur, vous assurer ses faveurs et jouir des trésors de la lumière cachée aux superbes (1); parce qu'aucune créature ne saurait recevoir de si grandes richesses, si elle ne peut présenter l'humilité comme un fidèle garant. Je veux que tous vos efforts ne tendent qu'à vous humilier toujours de plus en plus dans votre propre estime , comme dans celle des autres et dans les actions extérieures, prenant bien garde à ce que vous faites, pour n'agir que suivant l'opinion que vous devez concevoir de vous-même. Ce vous doit être une instruction et un sujet de confusion, aussi bien qu'à toutes les âmes qui ont le Seigneur pour Père et pour Époux , de voir que la présomption et

 

(1) Matth., XI, 25.

 

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l'orgueil ont plus de pouvoir sur les enfants de la sagesse humaine que l'humilité et la véritable science n'en ont sur les enfants de lumière. Considérez les empressements, le zèle, l'activité infatigables des hommes ambitieux et superbes. Observez leurs démarches pour parvenir dans le monde, leurs prétentions insatiables quoique vaines, comme ils agissent selon ce qu'ils présument faussement d'eux-mêmes, comme ils s'estiment ce qu'ils ne sont pas, et tout en n'étant pas ce qu'ils se flattent d'être, ils n'en travaillent pas moins à acquérir les biens qu'ils ne méritent pas, quoiqu'ils ne soient que terrestres et périssables. Or ce sera une très-grande honte et un très-sensible affront pour les élus, de voir que le, mensonge a plus de pouvoir sur les enfants de perdition que la vérité n'en a sur eux (1), et que le nombre de gens su mondé qui veulent, au service du Dieu leur Créateur, rivaliser avec ceux qui servent la vanité, soit si restreint, qu'encore que tous soient appelés, il n'y a que peu d'élus (2).

428. Tàchez donc, ma fille, d'acquérir cette science, et d'y gagner la palme sur les enfants de ténèbres; et pour vous opposer à leur orgueil, remarquez ce que j'ai fait pour le vaincre dans le monde par l'industrie de l'humilité. Le Seigneur veut, et moi aussi, que vous en appreniez tous les secrets et toute la sagesse. Ne perdez jamais l'occasion de pratiquer les choses humbles, ne permettez pas non plus que personne

 

(1) Luc., XVI, 8. — (2) Matth., XX, 16.

 

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vous les enlève, et si les occasions de vous humilier vous manquent ou se présentent trop rarement, cherchez-les, et demandez à Dieu qu'il vous les donne; car sa divine Majesté se plait à voir cette sollicitude et cette ardeur pour ce qui lui est si agréable. Quand ce ne serait que pour cette seule complaisance, volts devriez, en qualité de fille de sa maison et d'épouse, montrer le plus vif empressement à répondre à ses désirs ; et afin que vous appreniez encore de l'ambition humaine à ne pas être ici négligente, remarquez les Fatigues qu'une femme économe s'impose pour accroître les biens et arrondir la fortune de sa famille; elle ne laisse aucune occasion de bénéfice ; rien ne lui colite, et si elle perd la moindre bagatelle, on croirait quelle va défaillir de douleur. Voilà ce qu'enseigne la cupidité mondaine, et il n'est pas juste que la sagesse du ciel soit plus stérile à cause de la négligence de ceux qui la possèdent. Ainsi je veux que l'on ne trouve en vous ni paresse, ni lenteur, ni oubli, en une affaire qui vous importe si grandement; je veux que vous ne perdiez aucune occasion de vous humilier, et de travailler à la gloire du Seigneur; il faut au contraire que vous les recherchiez toutes, et que vous vous en prévaliez comme une fille et une épouse très-fidèle, afin que, suivant votre désir, vous trouviez grâce devant le Seigneur et devant moi.

 

(1) Luc., IV, 8.

 
CHAPITRE VI. Quelques entretiens de l'auguste Marie et de saint Joseph sur les choses divines, et quelques autres événements admirables.

 

429. Avant que saint Joseph frit informé du mystère de l'incarnation, la Princesse du ciel avait coutume de lui faire, aux moments les plus convenables, la lecture des saintes Écritures, surtout des psaumes de David et des autres prophéties; elle les lui expliquait comme une très-sage maîtresse, et le saint époux, qui était aussi capable de cette sagesse, lui adressait une foule de questions; et les divines ré. panses que son épouse lui faisait le pénétraient à la fois d'admiration et de consolation; de sorte que torts deux louaient et bénissaient tour à tour le Seigneur. Mais après que l'ineffable secret eut été révélé au bienheureux époux, notre pleine lui parlait comme à celui qui était choisi pour être le coadjuteur des rouvres et des mystères admirables de notre rédemption; ainsi ils scrutaient et commentaient plus clairement dans leurs entretiens tontes les prophéties et les oracles divins qui concernaient la conception du Verbe par une mère vierge, sa naissance, son éducation et sa très-sainte vie. Notre auguste Maîtresse expliquait

 

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tout, et ils discouraient sur ce qu'ils devraient faire quand arriverait le jour si désiré auquel l'enfant naîtrait, qu'elle l'aurait entre ses bras, qu'elle le nourrirait de son lait virginal, et qu'entre tous les mortels le saint époux participerait à ce bonheur souverain. C'était sur la mort et sur la passion, et sur ce qu'Isaïe et Jérémie en ont écrit (1), qu'elle s'étendait le moins, 'parce que la très-prudente Reine ne voulait point affliger son époux, qui était d'un naturel fort sensible, en lui en donnant une plus grande connaissance que celle qu'il pouvait avoir puisée dans les conférences auxquelles se livraient les anciens sur la venue du Messie et sur ce qui lui devait arriver. La très-prudente Vierge voulait aussi attendre que le Seigneur parlât à son serviteur, ou qu'il lui déclarât à elle-même sa sainte volonté.

430. Le très-fidèle et très-heureux époux s'enflammait d'amour au milieu de ces doux entretiens, et, versant des larmes de joie, il disait à sa divine épouse : « Est-il bien possible, illustre Dame, que je voie mon Dieu et mon Rédempteur entre vos très-chastes bras? Que je l'y adore? Que j'entende sa douce voix?  Que je le touche? Que mes yeux voient sa divine face?  Que je puisse consacrer la sueur de mon front à  son service et à son entretien? Qu'il demeure avec  nous? Que nous mangions à sa table? Que nous   parlions et conversions avec lui? D'où me viendra ce bonheur, que personne n'a jamais pu mériter?

 

 

 

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Oh ! combien je regrette d'être si pauvre ! Que n'ai-je de riches palais pour le recevoir, et beaucoup de trésors à fui offrir ! » Alors notre auguste Reine lui répondait : « Mon époux et mon maître , il est juste que votre tendre sollicitude embrasse autant que possible tout ce qui peut regarder le service de votre Créateur; mais ce grand Dieu notre Seigneur ne veut point venir au monde par la voie des richesses, d'une pompe et d'une majesté temporelles : car il n'a besoin d'aucune de ces choses-là (1), et ce n'est pas pour elles qu'il descendra du ciel sur la terre. Il ne vient que pour remédier aux désordres du monde, et acheminer les hommes dans les droits sentiers de la vie éternelle (2); et cela se doit faire par le moyen de l'humilité et de la pauvreté; il y veut naître, vivre et mourir pour bannir de leur coeur cet orgueil , ces  convoitises grossières qui s'opposent à leur félicité. C'est pourquoi il a choisi notre humble et pauvre maison, et ne veut pas que nous soyons riches des biens apparents; trompeurs et passagers, qui ne sont que vanité et affliction d'esprit (3), qui appesantissent et obscurcissent

l'entendement, et l'empêchent de connaître et de pénétrer la véritable lumière. »

431. Le saint priait souvent la sainte Vierge de lui enseigner la nature et l'essence des vertus, surtout de l'amour de Dieu, pour savoir comment i1 devait se comporter envers le Très-Haut humanisé, et pour

 

(1) Ps. XV, 2. — (2) Joan., X, 10. — (3) Eccles., I, 14.

 

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n'être point rejeté comme serviteur inutile et incapable de le servir. La Reine et la maîtresse des vertus condescendait à ces demandes, et détaillait à son époux leurs propriétés et la manière de les pratiquer dans toute la plénitude de la perfection. Néanmoins elle se comportait dans ses instructions avec une discrétion si rare et une humilité si profonde, qu'elle ne paraissait point maîtresse de son époux, quoiqu'elle le fût de toutes les créatures : au contraire, elle les donnait en forme d'entretiens, ou en parlant avec le Seigneur, et quelquefois eu interrogeant elle-même le saint et en l'éclairant par ses questions. Ainsi elle mettait toujours à l'abri son incomparable humilité, sans qu'on eût pu trouver en notre très-prudente Dame la moindre apparence qui lui fût contraire. Quand le saint était forcé de se livrer au travail corporel, ils l'accompagnaient soit de ces entretiens, soit de la lecture des livres sacrés. Et, quoique la compassion que notre très aimable Dame lui témoignait, avec une réservé admirable de le voir se fatiguer au travail, eût pu le soulager, elle ajoutait à ce soulagement la doctrine céleste, que l'heureux époux écoutait avec une attention telle, qu'il travaillait plus avec les vertus qu'avec les mains. Ainsi la très-douce colombe le soutenait par cette divine nourriture, avec la prudence de la vierge la plus sage, lui montrant les fruits salutaires qu'on peut tirer des occupations matérielles. Et comme elle se croyait indigne d'être entretenue par le labeur de son époux, elle ne cessait de s'humilier en considérant ce dont elle était redevable

 

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aux sueurs de saint Joseph, et qu'elle recevait comme une grande aumône et une pure faveur. — Elle s'en croyait autant obligée que si elle eût été la plus inutile de toutes les créatures. Et, bien qu'elle ne pût pas aider le saint dans les ouvrages de son métier, parce qu'il ne s'accordait point avec la faiblesse de son sexe, et beaucoup moins avec la modestie et la dignité de notre divine Reine, néanmoins elle le servait comme une simple servante en tout ce qui n'était point incompatible avec cette modestie; et il est certain que son très-humble et très-noble coeur n'aurait pu s'empêcher de témoigner en cela la reconnaissance qu'elle croyait devoir à saint Joseph.

432. Entre plusieurs choses sensibles et miraculeuses que saint Joseph vit dans le temps qu'il demeura avec l'auguste Marie, il arriva un jour, pendant sa grossesse, qui un grand nombre d'oiseaux de différentes espèces vinrent récréer la Reine et Maîtresse des créatures, et, voltigeant autour d'elle comme pour lui faire un choeur de musique, ils se mirent à chanter avec une admirable mélodie, comme ils avaient fait, autrefois; et leurs chants étaient toujours miraculeux, aussi bien que leurs visites à notre divine Dame. Saint Joseph n'avait pas encore vu cette merveille; et, en étant ravi d'admiration de joie, il dit à sa très-sainte épouse : « Est-i1 possible, illustre Dame, que les créatures irraisonnables s'acquittent mieux de leurs obligations que moi ? Il est juste que si elles vous a reconnaissent , vous servent et vous honorent en ce qu'elles peuvent, vous me permettiez de m'acquitter

 

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ce que je vous dois en justice. » Mais la très-prudente Vierge lui répondit : « Mon époux et mon maître, le Créateur de l'univers nous donne en ce que ces petits oiseaux font un motif efficace pour que nous, qui le connaissons, fassions tous nos efforts pour employer dignement toutes nos forces et toutes nos puissances à sa louange, comme eux, qui viennent le reconnaître dans mon sein : pour moi, je ne suis qu'une simple créature; l'honneur ne m'est point dû, ainsi il n'est pas juste que je le reçoive ; mais je dois tâcher de porter toutes les créatures à louer le Très-Haut de ce qu'il a regardé sa servante, et qu'il m'a enrichie par les trésors de sa divinité (1).

633. II arrivait aussi souvent que notre divine Dame et son saint époux se trouvassent dépourvus du nécessaire, parce qu'ils étaient très-libéraux envers les pauvres, et qu'ils ne partageaient point les soucis des enfants de ce siècle, pour s'occuper d'avance de leurs besoins avec les précautions et les inquiétudes d'une convoitise méfiante (2). Le Seigneur ne voulait point que la foi et la patience de sa très-sainte Mère et de saint Joseph fussent oisives. L'auguste Marie trouvait d'ailleurs dans ce dénuement une consolation ineffable, non-seulement à cause de la pauvreté, mais aussi à cause de sa prodigieuse humilité, qui la portait à se croire indigne des aliments nécessaires à la vie; il lui semblait qu'il était très-juste qu'elle seule

 

(1) Luc, 1, 48. — (5) Matth., VI, 25.

 

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en fût privée comme celle qui ne les méritait pas : et en faisant cette confession elle bénissait le Seigneur dans sa pauvreté, et se bornait à demander au Très-Haut de pourvoir aux besoins de sou époux , qu'elle estimait seul digne de cette grâce, comme saint et juste, et de lui donner le secours qu'il attendait de sa main libérale. Le Tout-Puissant n'oubliait pas ses pauvres dans leur détresse (1) : car en leur ménageant l'occasion d'augmenter leur mérite et d'exercer les vertus, il leur accordait aussi leur nourriture dans le temps le, plus propre (2). C'est et que sa divine Providence disposait par des voies différentes. Quelquefois elle inspirait à leurs voisins et à ceux qui les connaissaient, de les secourir de quelque honnête présent. Le plus souvent sainte Élisabeth leur envoyait des provisions de sa maison; car après le séjour qu'y fit la Reine du ciel, la très-dévote cousine ne négligea jamais de les assister de temps en temps de quelques-uns de ses bienfaits, auxquels l'humble Princesse répondait toujours en lui offrant des ouvrages de ses mains. Notre aimable Maîtresse usait aussi en certaines circonstances qu'elle jugeait convenable, à la plus grande gloire du Très-Haut, du pouvoir qu'elle avait sur toutes les créatures; ainsi elle commandait aux oiseaux de lui apporter des poissons ou des fruits, et ils lui obéissaient sur-le-champ : quelquefois même ils lui apportaient dans leur bec du pain qu'ils avaient pris à l'endroit désigné par le Seigneur. Et le bienheureux époux était maintes fois témoin de tout cela.

 

(1) Ps. LXXIII, 22 — (2) CXLIV, 16.

 

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434. En d'autres circonstances, ils étaient aussi secourus d'une manière admirable par le ministère des saints anges; et avant que de raconter un des nombreux miracles qui arrivèrent par leur moyen à l'auguste Marie et à son époux, il faut admettre que la noblesse de cœur, la foi et la libéralité du saint étaient si grandes, que son âme ne put jamais être atteinte de la moindre apparence d'avarice ni de souci de l'avenir. Et, bien qu'ils s'appliquassent tous deux au travail, ils ne demandaient jamais et ne voulaient même pas fixer le prix de leurs ouvrages; car les faisant non par intérêt, mais par obéissance, et pour exercer la charité envers ceux qui en avaient besoin, ils s'en rapportaient à eux pour la rémunération; et ce qu'ils en recevaient, ils l'acceptaient comme une aumône gratuite plutôt due comme le paiement d'un salaire. Telle était la sainteté et telle la perfection que saint Joseph apprenait à récole du ciel, qu'il avait dans sa maison. Et comme avec un pareil système, il arrivait qu'on ne récompensait pas leur travail, ils se trouvaient bien souvent dans une si grande nécessité, qu'ils n'avaient rien à manger à l'heure du repas, jusqu'à ce que Dieu y pourvût. Il arriva donc un jour que l'heure ordinaire étant passée, ils se trouvèrent sans aucune nourriture; et pendant qu'ils prolongeaient très-tard leur oraison pour remercier le Seigneur de cette affliction, en attendant qu'il ouvrit sa main toute-puissante (1), les saints anges leur préparèrent

 

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à manger, leur couvrirent la table, et ils y mirent quelques fruits, du pain très-délicat et des poissons, et surtout une espèce de conserve d'un goût exquis et d'une vertu admirable. Bientôt ces esprits bienheureux appelèrent, les uns leur Reine, et les autres saint Joseph, qui, étant sortis de leur retraite, reconnurent le bienfait qu'ils recevaient du ciel, et en rendirent, avec des larmes de joie et de ferveur, des actions de grâces au Très-Haut; puis ils mangèrent, et après le repas ils lui adressèrent de sublimes cantiques de louanges.

435. L'auguste Marie et son époux étaient fort accoutumés à beaucoup d'autres merveilles de cette nature; car comme ils étaient seuls, sans qu'il y eût dans leur maison des témoins à qui il fallût les cacher, le Seigneur eu était très-libéral envers eux, qu'il avait établis les dispensateurs du plus grand prodige que son puissant bras eût jamais opéré. Il faut ici remarquer que, quand je dis que notre divine Dame entonnait des cantiques de louanges, ou seule, ou avec saint Joseph, ou avec les anges, on doit toujours entendre qu'ils étaient nouveaux, comme ceux que firent Anne, mère de Samuel, Moïse, Ézéchias et plusieurs autres prophètes (1), après avoir reçu quelque grand bienfait de la main du Seigneur. Et si l'on eût écrit ceux que la Reine du ciel composa, on en aurait pu faire un gros volume que le monde admirerait d'une manière inexprimable.

 

(1) I Reg., II, 1; Deut., XXXII, 1; Exod., XV, 2; Isa., XII, XXXVIII, 10.

 

 

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Instruction que notre divine Maîtresse me donna.

 

436. Ma très-aimée fille, je veux que. la science du Seigneur se renouvelle sans cesse en vous et qu'elle devienne éloquente dans votre bouche, afin que vous connaissiez et que vous fassiez. connaître aux mortels les dangereuses illusions où les plonge l'amour du mensonge, et les jugements erronés qu'il leur fait porter sur les choses temporelles et sensibles (1). Qui est-ce parmi les hommes qui n'échappe à l'universelle fascination d'une cupidité sans bornes (2)? Ils placent communément leur confiance en l'or et en leurs biens temporels (3), et ils consacrent à les accroître tous les. efforts dont sont capables les forces humaines, de sorte qu'ils usent dans un vain labeur la vie et le temps qui leur ont été donnés pour mériter la félicité et le repos éternel. Et ils s'enfoncent dans le labyrinthe de cette activité inquiète, comme s'ils ne connaissaient point Dieu ni sa divine Providence; parce qu'ils oublient de lui demander ce qu'ils désirent, et même ils ne le souhaitent pas d'une manière qui les porte à le lui demander, et à l'attendre de sa main libérale. Ainsi ils perdent tout, parce qu'ils cherchent tout avec une fausse prévoyance dans le mensonge et dans les illusions où ils se flattent de trouver la réalisation

 

(1) Ps., IV, 3. — (2) Sap., IV, 12. — (3) Baruch., III, 17, 18.

 

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de leurs désirs terrestres (1). Cette cupidité aveugle est la racine de tous les maux (2); car pour punir; le Seigneur, indigné d'une telle perversité, permet que les mortels s'abandonnent à la servitude honteuse de l'avarice, et que leur entendement s'y obscurcisse (3), que leur volonté s'y endurcisse de plus en plus. Et bientôt, pour aggraver le châtiment, le Très-Haut en détourne ses regards comme d'objets odieux, et leur refuse sa protection paternelle: dernier malheur qui puisse arriver dans la vie humaine!

437. Il est vrai que personne ne peut se dérober à la vue du Seigneur (4), mais quand les transgresseurs et les ennemis de sa loi provoquent sa colère, il en éloigne de telle sorte ses regards. favorables et les attentions de sa providence, qu'il les laisse tomber sous la tyrannie de leurs propres désirs (5). Dès lors ils n'éprouvent plus les effets de la sollicitude paternelle avec laquelle le Seigneur s'occupe de ceux qui mettent toute leur confiance en lui. Ceux qui la mettent en leur propre habileté et dans les trésors qu'ils palpent et qu'ils comptent, recueillent le fruit de ce qu'ils espéraient (6). Mais autant l'Être divin et son pouvoir infini sont distants de la bassesse et de l'impuissance des mortels, autant les effets de la cupidité humaine sont éloignés de ceux de la providence du Très-Haut, qui se constitue l'appui et le protecteur des humbles qui se confient en lui; car sa divine Majesté les

 

(1) Ps. XLVIII, 7. — (2) I Tim., VI, 10. — (3) Ps. XLVIII, 13. — (4) Ps. CXXXVIII, 6, etc. — (5) Ps. LXXX, 11. — (6) Ps. XLVIII, 6.

 

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regarde avec amour et les caresse, elle se plait avec eux, elle les porte dans son sein, elle est attentive à tous leurs désirs et à toutes leurs peines (1). Nous étions, mon saint époux Joseph et moi, fort pauvres, et nous nous trouvions souvent dans des nécessités pressantes; aucune néanmoins ne put introduire dans nos coeurs le poison de l'avarice et de la cupidité. Nous ne cherchions que la gloire du Très-Haut, nous abandonnant pour le reste aux soins de son très-fidèle amour. Et il se complut singulièrement, dans cet abandon, comme vous venez de l'apprendre et de l'écrire, puisqu'il secourait notre pauvreté de tant de diverses manières, jusqu'à commander aux esprits angéliques qui forment sa cour, de nous pourvoir et. de bous préparer à manger.

438. Je ne veux pas dire par là que les hommes doivent se laisser aller à l'oisiveté et à la négligence; au contraire il est juste qu'ils travaillent tous, et l'inaction est aussi un vice fort blâmable. Mais il faut éviter l'excès dans le repos comme dans les affaires; la créature ne doit pas mettre sa confiance en sa propre industrie (2), il ne faut pas que celle-ci étouffe ni empêche l'amour divin (3); on doit se contenter du nécessaire (4), et être persuadé que la providence du Créateur ne manquera pas d'y pourvoir : que s’il tarde quelquefois d'envoyer son secours, on ne doit ni s'affliger ni se décourager (5). Celui qui est dans l'abondance

 

(1) Ps. XVII, 21; XXXII, 18; XC, 15. — (2) Ps. XLVIII, 7. — (3) Luc., VIII, 14. — (4) Prov., XXX, 8. — (5) Eccles., II, 11.

 

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ne doit pas non plus compter sur elle (1), et se livrer à l'oisiveté, oubliant qu'il est homme sujet à la peine du travail (2). Ainsi il faut attribuer à Dieu l'abondance aussi bien que la pauvreté (3), pour en user saintement et à la gloire du Créateur et Conservateur de l'univers. Si les hommes se conduisaient par cette science, l'assistance du Seigneur, qui est le Père véritable, ne manquerait à aucun, et la nécessité ne serait pas au pauvre ni la prospérité au riche une pierre d'achoppement et de scandale. Pour vous, ma fille, je veux que vous mettiez cette doctrine en pratique; et, bien qu'en vous l'enseignant je l'enseigne à tous , vous devez particulièrement l'inculquer à vos inférieures, afin qu'elles ne se troublent ni ne se découragent dans les nécessités qu'elles endureront, et qu'elles ne prennent des soucis désordonnés touchant leur nourriture et leur vêtement (4), mais au contraire qu'elles se confient dans le Très-Haut et s'abandonnent à sa providence; car si elles répondent à son amour, je les assure que ce dont elles auront besoin ne leur manquera jamais. Avertissez-les aussi de s'entretenir toujours de choses saintes et divines (5), qui soient à la louange et à la gloire du Seigneur, selon la doctrine de ses docteurs, de ses Écritures et des saints livres, afin que leur conversation soit dans le ciel (6) avec le Tout-Puissant, avec moi, qui suis leur Mère et leur Supérieure, et avec les esprits angéliques, qui elles doivent imiter en l'amour.

 

(1) Eccles., XXXI, 8. — (2) Job., V, 7. — (3) Eccles., XI, 14. — (4) Matth., VI, 25. — (5) I Petr., I, 15. — (6) Philip., III, 20.

 

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CHAPITRE VII. La très-pure Marie prépare les langes de l’enfant-Dieu avec un très-ardent désir de le voir bientôt naître.

 

439. La divine grossesse de la Mère du Verbe éternel la très-pure Marie était déjà fort avancée, et pour agir en tout avec la plénitude de la prudence céleste, quoiqu'elle sût qu'il fallait indispensablement préparer les langes, et les autres choses nécessaires pour l'enfantement si désiré, elle ne voulut rien entreprendre sans la volonté et sans l'ordre du Seigneur, et de son saint époux, afin de remplir en tout les devoirs d'une très obéissante et très-fidèle servante. Elle eût pu se déterminer d'elle-même en ce qui regardait uniquement l'office de mère, et de mère seule de, son très-saint fils, à la formation duquel aucune autre créature n'avait pris part; elle ne le fit pourtant pas, mais elle consulta son saint époux Joseph, et lui dit : «Cher  Seigneur, il est temps de disposer les choses nécessaires pour la naissance de mon très-saint Fils. Et  quoique sa divine Majesté veuille être traitée comme  les enfants des hommes, en s'abaissant à souffrir  les peines qu'ils ont méritées, il n'en est pas moins  juste que nous témoignions, en le servant et en

 

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entourant son enfance de tous les soins possibles, que  nous le reconnaissons pour notre Dieu, notre Roi et notre Seigneur véritable. Si vous le permettez, je  commencerai à préparer les langes pour le recevoir. J'ai une toile de lin filée de ma main, qui servira  pour les premiers; vous, digne époux, ayez soin, je  vous prie, de chercher pour les autres une étoffe  de laine bien souple, bien douce et d'une couleur  foncée; car dans la suite je lui ferai une tunique sans couture , mais tissue, qui lui conviendra. Et  afin que nous réussissions en tout, faisons une prière  particulière, et demandons à sa divine Majesté de  nous gouverner, de nous conduire et de nous manifester sa très-sainte volonté, de manière que nous  agissions selon ce qui lui sera le plus agréable. »

440. « Épouse vénérée, répondit saint Joseph, s'il   m'était possible de donner le plus pur sang de mon coeur pour témoigner mon zèle à mon Seigneur et à mon Dieu, et pour faire ce que vous  commandez, je m'estimerais fort heureux de le  verger au milieu des tourments les plus atroces; à défaut de quoi je voudrais avoir de grandes richesses et des brocards à vous offrir dans cette cira constance. Décidez ce qui sera convenable, car je veux vous obéir en tout comme votre serviteur. » Ils se mirent en oraison, et le Très-Haut leur répondit à chacun en particulier par une même voix, en renouvelant la science et les instructions que notre auguste Princesse avait déjà reçues plusieurs fois, car sa divine Majesté répéta à la très-pure Marie

 

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et à son saint époux Joseph : « Je suis descendu du ciel sur la terre pour élever l'humilité et abaisser  l'orgueil, pour honorer la pauvreté et mépriser  les richesses, pour détruire la vanité , établir la vérité, et faire comprendre la valeur des peines de la vie. C'est pourquoi je veux qu'à l'extérieur vous me traitiez en l'humanité dont je me suis revêtu, comme si j'étais votre commun enfant; et intérieurement vous me reconnaîtrez pour Fils de mon Père éternel et Dieu véritable, avec la vénération et l'amour qui me sont dus comme Homme Dieu. »

441. L'auguste Marie et Joseph ayant été confirmés par cette voix divine en la sagesse avec laquelle ils devaient agir dans les soins qu'ils prendraient de l'Enfant-Dieu , résolurent de l'honorer, comme le véritable Être infini, du culte le plus élevé et le plue parfait que l'on ait jamais vu entre les liures créatures, et de le traiter en même temps aux yeux du monde connue s'il était leur commun enfant, puisque les hommes le regarderaient comme tel, et dise telle était la volonté dit Seigneur lui-même. Ils exécutèrent celte résolution et ce commandement d'une manière si accomplie, que le ciel en fut dans l'admiration. Je m'étendrai davantage sur ce sujet dans la suite. ils convinrent aussi que dans leur humble sphère et leur pauvre condition, il fallait qu'ils rendissent tous leurs services à l'Enfant-Dieu, sans faire autant que possible ni trop ni peu, afin que le secret du grand Roi fût caché sous le voile de l'humble

 

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pauvreté (1), et que l'ardent amour qu'ils lui portaient ne fût point frustré des témoignages qu'ils pourraient lui donner. Ensuite saint Joseph ayant reçu le paiement de quelques-uns de ses ouvrages, alla acheter deux pièces de laine, comme sa divine épouse lui avait dit, l'une blanche et l'autre qui s'approchait plus du violet que du gris: et ce fut la meilleure étoffe qu'il pût trouver. Notre divine Reine en coupa des langes pour son très-saint Fils, et de la toile qu'elle avait filée et tissue elle fit les petites chemises et les bandes du maillot propres à l'envelopper. Cette toile était fort fine, digne des mains qui l'avaient fabriquée; elle la commença dès le jour qu'elle entra dans sa maison avec saint Joseph, se proposant d'aller l'offrir an Temple. Et quoique ce bon désir n'eût fait place qu'à un meilleur, elle porta néanmoins au saint Temple de Jérusalem l'offrande de ce qui en resta après qu'elle eut achevé les petites hardes de l'Enfant-Dieu. La sainte Vierge les fit, les cousit , les arrangea toutes de ses propres mains, se tenant toujours à genoux , et avec des larmes d'une dévotion sans égale. Saint Joseph prépara toutes les fleurs et herbes aromatiques qu'il put trouver, et d'autres ingrédients; dont la différente Mère fit une eau de senteur plus exquise que les parfums angéliques. Et après en avoir arrosé les langes consacrés à l'Hostie (2) et su sacrifice qu'elle attendait, elle les plia et les mit soigneusement dans un coffre , dans lequel

 

(1) Tob., XII, 7. — (2) Ephes., V, 2.

 

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elle les emporta plus tard à Bethléem, comme je le dirai en son lieu.

442. On ne doit pas considérer toutes ces oeuvres de la Princesse du ciel à travers la lettre morte de mon récit; on ne doit pas les peser ainsi dépouillées de leur mérite, mais richement parées de leur beauté spirituelle , et remplies au delà de toute mesure de la plus haute perfection que, l'entendement humain puisse concevoir ; car, Mère de la sagesse, Mère et Reine de toutes les vertus, elle traitait avec magnificece tous les ouvrages de la sagesse divine (1). Elle offrait, le sacrifice de la nouvelle dédicace (2) et du Temple du Dieu vivant en la très-sainte humanité de. son Fils, qui devait bientôt naître. Elle connaissait, mieux que tout le reste des créatures la hauteur incompréhensible du mystère de l'incarnation et,de la venue de Dieu sur la terre; et elle redisait plusieurs fois,, non par incrédulité, mais par admiration, avec un ardent amour et une profonde vénération, ce que Salomon disait en bâtissant le Temple : « Quoi, sera-t-il possible que Dieu habite avec les hommes sur  la terre? Si tout le ciel et les cieux des cieux ne sont pas assez spacieux pour le recevoir, combien moins le sera cette habitation de l'humanité qui a été construite dans mon sein (3) ! » Mais si ce Temple, qui n'était que le trône où Dieu s'asseyait pour y entendre les prières qu'on lui adressait, fut bâti et dédié avec tant d'éclat et une telle profusion d'or,

 

(1) Ps. XCV, 6. — (2) II Machab., II, 9 . — (3) II Paral., VI, 18.

 

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d'argent, de trésors et de sacrifices (1), que ne devait pas faire la Mère du véritable Salomon dans la construction et la dédicace du Temple vivant où habitait corporellement, dans toute la plénitude de son essence, le Dieu éternel et infini (2) ! Tout ce que figuraient ces sacrifices et ces trésors innombrables prodigués dans le Temple matériel, (auguste Marie l'accomplit, non en entassant l'or, l'argent et les étoffes précieuses (car alors Dieu ne demandait plus ces offrandes), mais en multipliant les actes des vertus les plus héroïques, et en accumulant les richesses de la grâce et des dons du Très-Haut, dont la possession lui inspirait mille hymnes de louange. Elle offrait des holocaustes qu'elle tirait de son coeur tout embrasé du divin amour; elle prenait des Écritures saintes les hymnes, les psaumes et les cantiques, qu'elle appliquait à ce mystère, en y ajoutant plusieurs autres. Elle réalisait véritablement, quoique d'une manière mystique, les figures anciennes, par l'exercice des vertus, et par tous ses actes intérieurs et extérieurs. Elle appelait et conviait toutes les créatures à louer Dieu, à rendre honneur et gloire à leur Créateur, à attendre Celui qui les devait sanctifier par sa venue. Et saint Joseph, le plus fortuné des époux, l'imitait en plusieurs de ces oeuvres.

443. Aucune langue, aucune intelligence humaine ou créée ne saurait exprimer les sublimes mérites que la Princesse du ciel acquérait par ces actes et ces exercices,

 

(1) III Reg., VI, VII et VIII. — (2) Colos., II, 9.

 

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ni la grande complaisance que le Seigneur y prenait. Si le moindre degré de grâce qu'une créature, telle qti elle soit, reçoit par un acte de vertu qu'elle exerce, vaut plus que tout l'univers, qui pourra estimer la valeur de la grâce que recevait Celle qui ne surpassa pas seulement les anciens sacrifices , les offrandes , les holocaustes et tous les mérites des hommes, mais nième ceux des plus hauts séraphins, auxquels elle était si supérieure? Les affections amoureuses que notre divine Dame formait dans l'attente de son Fils et de son Dieu, quelle aspirait à recevoir entre ses bras, à nourrir de sou propre lait, à entretenir, à soigner, à servir, et qu'elle adorait fait homme de sa propre chair et de sou sang, étaient si ardentes, qu'elle se serait consumée dans ce très-doux embrasement d'amour si elle n'eût pas été fortifiée par un secours miraculeux. Et elle aurait perdu plusieurs fois la vie, si son très-saint Fils ne la lui eût conservée; car elle le regardait d'ordinaire dans son sein virginal, et par la lumière divine elle voyait son humanité unie à la divinité, tous les actes intérieurs de son âme très-sainte, son adorable corps, les prières qu’il faisait pour elle, pour saint Joseph, pour tout le genre humain, et particulièrement pour les prédestinés. Elle connaissait tous ces mystères et beaucoup d'autres; et, renfermant dans son sein le feu brûlant qui éclaire sans consumer (1), elle s'enflammait de plus en plus du désir de l'imiter et de le louer.

 

(1) Exod., III, 2.

 

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444. Abîmée dans cet incendie du divin amour, elle disait quelquefois à son très-saint Fils : «  Mon doux bien-aimé, Créateur de l'univers, quand est-ce que mes yeux jouiront de la lumière de votre divine face? Quand mes bras consacrés deviendront-ils l'autel de l'hostie que votre Père éternel attend? Quand baiserai je, comme votre servante, la terre qu'auront foulée vos pieds sacrés? Quand obtiendrai-je comme Mère le baiser que mon âme désire, afin de participer par votre divin souffle à votre propre esprit (1)? Lumière inaccessible que vous êtes, Dieu véritable de Dieu véritable, lumière de la lumière (2), quand vous manifesterez-vous aux mortels, après tant de siècles qui vous ont cachée à  notre vue (3)? Quand est-ce que les enfants d'Adam,  esclaves par leurs péchés, connaîtront leur Rédempteur, verront leur salut, et trouveront parmi eux leur Naître, leur frère et leur père véritable (4)? O lumière et vertu de mon âme! mon bien-aimé pour qui je vis en mourant! Enfant de mes entrailles, comment fera-t-elle l'office de Mère, celle qui ne sait pas faire celui de servante et qui n'en mérite pas le titre? Comment vous pourrai-je traiter dignement, moi qui ne suis qu'un pauvre ver de terre? Comment vous servirai-je, vous qui êtes la sainteté même et la bonté infinie, moi qui ne suis que cendre et poussière? Comment oserai-je parler

 

(1) Cant., I, 1, etc. — (2) Joan., I, 9. — (3) Baruch., III, 38. — (4) I Tim., III, 16; Isa., LII, 10; XXX, 20.

 

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en votre présence, et paraître devant votre divine  Majesté? Maître de tout ce que je suis, qui m'avez  choisie, malgré ma petitesse, parmi les autres filles  d'Adam, gouvernez mes actions, dirigez mes désirs  et enflammez mes affections, afin que je fasse en  tout ce qui vous sera le plus agréable. Que ferai-je,  mon souverain bien, si vous sortez de mon sein  pour souffrir des affronts et mourir pour le genre  humain, si je ne meurs avec vous et si je ne vous   accompagne au sacrifice, vous qui êtes mon être et  ma vie? Faites, Seigneur, que ma vie empêche la  cause qui doit vous ravir la vôtre, puisqu'elles sont  si étroitement unies. Il n'est pas nécessaire que  vous mouriez pour racheter le monde et des milliers de monde : laissez-moi donc mourir pour vous  et endurer vos ignominies, et contentez-vous de  sanctifier le monde et de dissiper les ténèbres des  mortels par votre amour et par votre lumière. Et  s'il n'est pas possible de révoquer le décret du Père  éternel, afin que la rédemption soit abondante (1)  et que votre extrême charité soit satisfaite (2),  agréez mes affections, et faites que j'aie part à tous  les travaux de votre vie, puisque vous êtes et mon  Fils et mon Seigneur. »

445. La variété de ces affections et de plusieurs autres actes intérieurs rendait la Reine du ciel très-agréable et très-belle aux yeux du Prince des éternités (3), qui reposait dans son sein virginal. Et elle les

 

(1) Ps. CXXIX, 7. — (2) Ephes., II, 4. — (9) Esther., II, 9.

 

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subordonnait toutes aux actions de cette très-sainte humanité déifiée; car la digne Mère ne cessait de les observer pour les imiter. Il arrivait souvent que l'Enfant-Dieu se mettait à genoux dans ce sanctuaire pour prier le Père: quelquefois il y étendait les bras comme voulant s'essayer à la croix. De là (comme il le fait maintenant du suprême trône du ciel) il regardait et connaissait par la science de son âme très-sainte tout ce qu'il connaît à cette heure, sans que pût lui être cachée aucune créature présente, passée, ni future, avec toutes ses pensées et tous ses mouvements; et il veillait sur toutes en qualité de Maître et de Rédempteur. Et comme sa divine Mère découvrait tous ces mystères, et que pour répondre à cette science elle était remplie de grâce et de dons célestes, elle agissait toujours avec une si haute plénitude de sainteté et de perfection, que l'éloquence humaine n'a point de paroles pour l’expliquer. Mais si notre jugement n'est perverti, et si notre coeur n'est devenu aussi dur et insensible qu'un rocher, il est impossible qu'à la vue et, pour ainsi dire, su contact de tant de choses qui ne sont pas moins salutaires qu'admirables, notre âme ne soit pénétrée d'une douleur amoureuse et d'une humble reconnaissance.

 

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Instruction que la sainte Vierge me donna.

 

446. Je veux, ma fille, vous convaincre dans ce chapitre de la décence avec laquelle on doit traiter toutes les choses consacrées au culte divin, et blâmer en même temps l'irrévérence par laquelle les ministres du Seigneur eux-mêmes l'offensent dans leur insouciance à cet égard. Qu'ils se gardent bien de mépriser ou d'oublier la colère du Très-Haut, qu'ils s'attirent par la grossière incivilité et par la lourde ingratitude avec lesquelles ils traitent les ornements et les choses sacrées, qu'ils manient d'ordinaire sans la moindre attention et sans le moindre respect. L'indignation de sa divine Majesté est beaucoup plus grande contre ceux qui reçoivent les fruits et les gages de son très-précieux sang, et les prodiguent pour de basses vanités ou pour des choses profanes et plus repréhensibles encore. Ils recherchent pour leurs délices et leurs commodités ce qui est le plus précieux et le plus estimable, et réservent tout ce qu'il y a de plus grossier et de plus vil pour le culte et l'honneur du Seigneur. Je veux que vous sachiez que quand cela arrive, surtout à l'endroit des linges qui touchent le corps et le sang de mon très-saint Fils, tels que les corporaux et les purificatoires, les anges, qui assistent au très-éminent et très-redoutable sacrifice de la Messe, détournent, comme saisis de confusion, leur vue de ces sortes de ministres, et s'étonnent de ce que le Tout-Puissant

 

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les souffre et dissimule si longtemps leur témérité et leur manque de respect. Sans doute tous les prêtres ne commettent pas cette faute, mais il y en a pourtant beaucoup, et il s'en trouve à peine quelques-uns qui se distinguent par leur zèle en ce qui concerne le culte divin, et qui traitent extérieurement les choses sacrées avec la due révérence; encore en est-il parmi ceux-ci qui n'agissent pas avec une intention droite et pour s'acquitter de leur devoir, mais par vanité et pour d'autres fins humaines : de sorte que ceux qui adorent purement et avec un coeur sincère le Créateur en esprit et en vérité (1) sont fort rares.

447. Considérez, ma très-chère fille, ce que nous pouvons sentir, nous qui sommes en la présence de l’Être incompréhensible du Très-Haut, et qui savons que sa bonté immense a créé les hommes, afin qu'ils l'adorassent et lui rendissent un juste culte, et que c'est pour cela qu'il leur a laissé cette loi, fondée sur la nature même, et qu'il leur a livré gratuitement tout le reste des créatures (2). Cependant nous voyons avec quelle ingratitude ils répondent aux largesses de leur Créateur, puisqu'ils lui disputent les mêmes choses qu'ils reçoivent de sa main libérale; et s'ils en destinent quelques-unes à son honneur et à son service, ce ne sont que les plus viles et les plus méprisables (3), réservant pour leurs vanités les plus précieuses et les plus recherchées. On ne fait pas réflexion

 

(1) Joan., IV, 24. — (2) Eccles., XVII, 3, 4, 7 et 8. — (3) Malach., I, 8.

 

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sur ce péché, qui n'est pas assez connu; ainsi je veux que non-seulement vous le pleuriez avec une vive douleur, mais que vous le répariez autant qu'il vous sera possible, pendant que vous serez supérieure. Donnez toujours le meilleur au Seigneur, et recommandez à vos religieuses de s'occuper avec simplicité et dévotion de l'arrangement et de la propreté des ornements sacrés, et d'en faire non-seulement pour leur couvent, mais encore pour les églises pauvres qui peuvent en manquer. Qu'elles soient bien sûres que le Seigneur leur tiendra compte du zèle pieux qu'elles montreront pour le culte divin, qu'il remédiera à leur pauvreté, et qu'il subviendra comme un père aux besoins du monastère, qui ne s'appauvrira jamais par là. C'est l'office le plus propre et le plus légitime des épouses de Jésus-Christ, et elles devraient y employer le temps qui leur reste, après avoir assisté au choeur et satisfait aux autres obligations de l'obéissance. Si toutes les religieuses se portaient avec ardeur à ces occupations si honnêtes, si louables et si agréables à Dieu, il ne leur manquerait jamais rien, et elles formeraient sur la terre un état angélique et céleste. Et parce qu'elles refusent de s'appliquer à ce service du Seigneur, il en est beaucoup qui, privées de l'appui de sa main, se laissent aller à des légèretés et des distractions si dangereuses, qu'étant abominables à mes yeux, je ne veux pas que vous les écriviez ni même que vous y pensiez, si ce n'est pour les pleurer du plus profond de votre coeur, et pour demander à Dieu la cessation de péchés qui l'offensent

 

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et qui l'irritent plus qu'on ne saurait se l'imaginer.

448. Mais parce que pour des raisons particulières ma volonté penche à regarder avec amour les religieuses de votre monastère, je veux que vous les engagiez et les excitiez en mon nom et de ma part, avec une douce violence, à vivre toujours retirées et mortes au monde par un oubli constant de tout ce qui s'y trouve; à n'avoir de commerce que dans le ciel et avec les choses divines (1), et à conserver à tout prix la paix et la charité inaltérables que vous leur recommandez si souvent. Et si, m'obéissant sur ce point, elles tâchent de se maintenir en mes bonnes grâces, je leur promets, avec ma protection continuelle, mon intercession efficace auprès de mon très-saint Fils, et je me constitue leur Mère et leur Bienfaitrice, comme je suis la vôtre. A cet effet vous leur inspirerez toujours pour moi la dévotion spéciale et , l'amour qui doivent animer leur coeur; car si de leur côté elles sont fidèles, elles obtiendront tout ce que vous souhaitez, outre les autres faveurs que je leur ferai. Et afin qu'elles se portent avec un joyeux empressement aux choses du culte divin, et qu'elles se chargent volontiers de tout ce qui le regarde, rappelez-leur ce que je faisais pour le service de mon très-saint Fils et du Temple. Je veux que vous sachiez que les anges admiraient le zèle, la vigilante attention et la propreté avec laquelle je m'occupais de toutes les

 

(1) Philip., III, 20.

 

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choses qui devaient servir à mon Fils et Seigneur. C'est dans cette sollicitude aussi tendre que respectueuse que je préparais tout ce qui était nécessaire pour son entretien, sans qu'il me manquât jamais rien (comme certaines personnes le pensent) pour le couvrir et pour le soigner : toute la suite de cette histoire vous montrera qu'à cet égard la moindre négligence, la moindre inadvertance étaient incompatibles avec ma prudence et avec mon amour.

 
CHAPITRE VIII. On publie l'édit de l'empereur Auguste-César, qui ordonnait le dénombrement de tous les sujets de son empire, et ce que fit saint Joseph quand il en eut connaissance.

 

449. Il était déterminé par la volonté immuable du Très-Haut que le Fils unique du Père naquit en la ville de Bethléem, et en vertu de ce divin décret, les anciens prophètes l'annoncèrent longtemps avant qu'il arrivât (1), parce que la détermination de la volonté absolue du Seigneur est toujours infaillible, et que le ciel et la terre passeront avant qu'elle cesse de

 

(1) Mich., V, 2; Jerem., XXX, 9; Ezech., XXXIV, 22.

 

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s’accomplir (1), puisque personne ne lui peut résister (2). Le Seigneur prépara l'exécution de ce décret immuable au moyen d'un édit que l'empereur Auguste-César fit publier dans l'empire, et par lequel (comme le raconte saint Luc) il ordonnait le dénombrement des habitants de toute la terre (3). Cet empire s'étendait alors sur la plus grande partie du monde connu des Romains; et c'est pourquoi ils s'appelaient les maîtres de l'univers, ne faisant pas grand cas du reste. Ce dénombrement consistait à faire déclarer sujets de l'empereur tous ceux qui s'y trouvaient, et à lui payer en même temps un certain tribut, comme au maître naturel en ce qui regarde les choses temporelles; et pour faire cette reconnaissance , chacun allait se faire inscrire sur le registre commun de sa propre ville (4). Cet édit arriva à Nazareth et à la connaissance de saint Joseph : il retourna chez lui tout affligé (car il était dehors lorsqu'il en ouit parler) et il raconta à sa divine épouse cette nouveauté. Mais la très-prudente Vierge lui répondit : « Il ne faut  pas, cher époux, que l'édit de l'empereur do la  terre vous mette dans cette peine, puisque c'est le  Maître et le Roi du ciel et de l'univers qui règle  tous les événements de notre vie; sa providence  nous assistera et nous guidera dans toute sorte  d'occasions. Abandonnons-nous avec confiance à sa  conduite, nos espérances ne seront point trompées (5). »

 

(1) Matth., XXIV, 88. — (2) Esth., XIII, 9. — (3) Luc., II, 1. — (4) Ibid. 8. — (5) Eccles., II.

 

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450. La sainte Vierge était versée dans tous les mystères de son très-saint Fils, elle savait de quelle manière les prophéties s'accompliraient, et que le Fils unique du Père et le sien devait naître à Bethléem, comme pauvre et étranger. Mais elle n'en déclara rien à saint Joseph, parce que sans un ordre du Seigneur elle ne voulait pas découvrir son secret. Tout ce qu'il ne lui était pas commandé de dire, elle le taisait avec une discrétion admirable, nonobstant son désir de consoler son très-fidèle époux Joseph , s'abandonnant sans réserve à la divine conduite, et ne voulant point être prudente à ses propres yeux, contrairement su conseil du Sage (1). Ensuite ils conférèrent sur ce qu'ils devaient faire, parce que la grossesse de notre divine Dame étant fort avancée, le moment de sa délivrance approchait, sur quoi saint Joseph lui dit : « Reine du ciel et de la terre, il me semble que je ne saurais me dispenser, supposé que le Très Haut ne vous ait pas ordonné quelque autre chose, d'aller exécuter cet édit de l'empereur. Et quoiqu'il  suffise d'y aller seul, la prescription ne regardant que les chefs de famille, je n'oserais pas vous quitter ni m'éloigner de votre service; je ne saurais d'ailleurs vivre sans votre présence : si je vous laisse je n'aurai pas un moment de repos, et mon coeur sera dans de continuelles alarmes. Je vois que vos divines couches sont fort proches, et que je hasarderais trop de vous engager à venir

 

(1) Prov., III, 7.

 

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avec moi en notre ville de Bethléem, où nous devons accomplir les ordres de l'empereur; ainsi je crains, tant pour cette raison qu'à cause de ma grande pauvreté, de vous mettre dans un danger si évident. Si vos couches arrivaient dans le voyage sans que j'eusse le moyen de subvenir à vos besoins, ce serait pour moi un sujet d'une affliction mortelle. Ces pensées me désolent : je vous supplie, illustre Dame, de les exposer su Très-Haut, et de le prier d'ouïr mes désirs, qui consistent à ne point me séparer de votre compagnie. »

451. La très-humble épouse obéit à ce que saint Joseph ordonnait; et, quoiqu'elle n'ignorât pas la volonté divine, elle voulut pourtant profiter de cette occasion pour témoigner son obéissance et sa soumission. Elle présenta su Seigneur la volonté et les désirs de son très-fidèle époux; et sa divine Majesté lui répondit : « Ma Bien-Aimée et ma Colombe, obéissez à mon serviteur Joseph en ce qu'il vous a proposé et  qu'il désire. Accompagnez-le dans le voyage : je  serai avec vous; je vous assisterai et vous protègerai avec un paternel amour dans les fatigues et dans   les tribulations que vous endurerez pour moi; et,  quelque grandes qu'elles doivent être, la puissance de mon bras vous en fera sortir glorieusement. Vos pas seront beaux et agréables à mes  yeux (1) : ne craignez pas, ma Bien-Aimée, et marchez, car telle est ma volonté. » Ensuite le Seigneur

 

(4) Cant., VII, 1.

 

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fit, en présence de la divine Mère, un nouveau commandement aux anges de sa garde de la servir dans ce voyage avec un soin particulier, selon les solennels et mystérieux événements qui l'attendaient. Outre les mille anges qui la gardaient ordinairement, le Seigneur ordonna à neuf mille autres d'assister leur Reine; de sorte que tous les dix mille ensemble furent chargés de l'accompagner dès le jour qu'elle se mettrait en chemin. Ils obéirent tous, comme de très-fidèles ministres du Seigneur, et ils la servirent comme je le dirai dans la suite. Notre grande Reine fut renouvelée et élevée par une lumière divine à la connaissance de nouveaux mystères, touchant les maux qu'elle endurerait après la naissance de l'Enfant-Dieu par la persécution d'Hérode (1) et plusieurs autres tribulations qui arriveraient. Prête à tout, elle tint son coeur invincible dans la paix du Seigneur, et lui rendit mille actions de grâces pour tout ce qu'il opérait et disposait en elle (2).

452. La Princesse du ciel fit part de cette réponse à saint Joseph, et lui déclara que c'était la volonté du Très-Haut qu'elle lui obéit et l'accompagnât dans son voyage de Bethléem. Le saint époux en fut rempli d'une nouvelle joie; et, pour reconnaître cette grande faveur que la main libérale du Seigneur lui faisait, il lui en témoigna son humble gratitude. Et s'adressant ensuite à sa divine épouse, il lui dit : « Chère Dame, a qui êtes la cause de ma joie et de ma félicité, je ne

 

(1) Matth., II, 16. — (2) Ps., 2.

 

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m'afflige plus, dans ce voyage, qu'à la pensée des peines que vous y souffrirez, n'ayant pas assez de ressources pour vous en délivrer ni pour vous mener avec la commodité que je souhaiterais. Mais nous trouverons des amis et des parents à Bethléem; j'espère qui ils nous recevront avec charité, et que vous pourrez vous reposer chez eux de la fatigue de la route, s'il plaît au Très-Haut, comme votre serviteur le désire. » Il est vrai que l'affection du saint époux lui inspirait ces suppositions; mais il ignorait alors ce que le Seigneur avait décidé; et parce qu'il fut trompé dans soit attente, il en conçut ensuite une douleur d'autant plus amère, comme on le verra en son lieu. La très-pure Marie ne déclara pas à Joseph ce qui elle prévoyait en Dieu touchant le mystère de soit divin accouchement, quoiqu'elle sût que la chose ne se passerait point comme il se le promettait; elle lui dit, au contraire, pour l'encourager : « Mon époux et mon maître, je suis bien heureuse de voyager en votre compagnie ; nous marcherons comme les pauvres gens, au nom du Très-Haut, car sa divine Majesté ne méprise point cette même pauvreté quelle vient chercher avec tant d'amour. Et, assurés de sa protection dans nos nécessités et dans nos embarras, mettons en elle notre confiance (1). Il n'est point une seule de vos inquiétudes, cher époux, que vous ne deviez rejeter sur la Providence (2). »

 

(1) Ps. XVII, 31 — (2) Ps. LIV, 23.

 

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453. Ils arrêtèrent ensuite le jour de leur départ, et le saint époux s'empressa d'aller chercher par Nazareth quelque monture pour porter la Maîtresse du monde: il lui fut très-difficile d'en trouver une, à cause du grand nombre de personnes qui se rendaient en de différentes villes pour y faire enregistrer leurs noms, conformément à l'édit de l'empereur. Mais, à force de démarches et de peines, il finit par trouver un petit âne, heureux, pourrions-nous dire, entre tous les animaux irraisonnables, puisque non-seulement il porta la Reine de l'univers, et avec elle le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, mais même qu'il assista à la naissance de l'enfant, et rendit à son Créateur le service que les hommes lui refusèrent (1), comme je le dirai plus loin. Ils préparèrent le nécessaire pour le voyage, auquel ils employèrent cinq jours; et la provision des divins voyageurs était il peu près la même que celle dont ils se munirent lorsqu'ils allèrent chez Zacharie, comme je l'ai dit plus haut au livre IIIe, chapitre XV, § 196, car ils n'emportaient que du pain, du fruit et quelques poissons, dont ils faisaient leur plus ordinaire nourriture. Et comme la très-prudente Vierge savait qu'elle demeurerait longtemps hors de sa maison, elle ne se contenta point de prendre les langes et les autres effets qu'elle avait disposés pour ses divines couches, mais elle régla secrètement les choies de manière qu'elles tendissent toutes à l'accomplissement des fins du Seigneur et des

 

(1) Isa., I, 3.

 

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événements qu'elle attendait; puis ils chargèrent une personne de soigner leur maison jusqu'à leur retour.

454. L'heure de leur départ arriva; et comme le très-heureux Joseph commençait de traiter avec un nouveau respect sa divine épouse, il recherchait, comme un serviteur vigilant et fidèle, les occasions de la servir et de lui plaire; dans ces empressements il la pria avec les plus vives instances de l'avertir de tout ce qu'elle désirait, et qu'il pourrait lui-même ne pas deviner, pour sa satisfaction, pour son soulagement et pour le bon plaisir du Seigneur qu'elle portait dans son sein virginal. Notre très-humble Reine agréa les saintes affections de son époux; et, les rapportant à la gloire et au service, de son très-saint Fils, elle le consola et l'exhorta à ne point se préoccuper des fatigues de la route, en l'assurant de nouveau que sa divine Majesté regardait tous ses soins avec complaisance, et qu'elle voulait qu'ils acceptassent avec un coeur égal et joyeux les incommodités auxquelles leur pauvreté les exposerait dans le voyage. Avant que de le commencer, la Princesse du ciel se mit à genoux, et pria saint Joseph de lui donner sa bénédiction. Et quoique l'homme de bien, considérant. la dignité de son épouse, voulût à tout prix sen excuser, néanmoins l'humilité toujours incomparable de l'auguste Marie vainquit ses résistances et l'obligea de la lui donner. Saint Joseph le fit avec beaucoup de crainte et de vénération; ensuite il se prosterna lui-même baigné. de larmes, et la conjura de l'offrir de nouveau à son très-salut Fils, et de lui obtenir le pardon

 

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de ses fautes et sa divine grâce. Après cette sainte préparation ils partirent pour Bethléem au plus fort de l'hiver, ce qui rendait le voyage et plus pénible et plus incommode. Mais la Mère de la vie qui la portait dans son sein, n'était attentive qu'à ses divins effets, et qu'à ses intimes colloques avec son Fils; elle ne cessait de le contempler dans ce saint Tabernacle, l'imitant en ses couvres, lui rendant plus de gloire et lui étant plus agréable que tout le reste des créatures ensemble.

 
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

455. Ma fille, vous découvrirez dans tout le cours de ma vie, et dans chacun des chapitres et des mystères que vous avez écrits et due vous devez écrire, la divine et admirable providence du Très-Haut et son amour paternel envers moi, sa très-humble servante. Et quoique l'entendement humain ne soit ici digne de pénétrer ni capable d'apprécier ces merveilles, qui partent d'une si haute sagesse, il doit néanmoins faire tous ses efforts pour les révérer et se disposer à suivre mon exemple, et à participer aux faveurs que m'accorda le Seigneur. Car les mortels ne doivent pas s'imaginer que Dieu n'ait voulu se montrer saint, puissant et infiniment bon, qu'eu moi et pour moi ; il est certain que, si toutes les âmes s'abandonnaient

 

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entièrement à sa disposition et à sa conduite, elles connaîtraient bientôt par expérience cette fidélité, cette ponctualité et cette très-douce efficace avec lesquelles sa divine Majesté disposait à mon égard toutes les choses qui regardaient et sa gloire et sou service; elles éprouveraient aussi ces délicieux effets et ces mouvements divins que je sentais par la soumission cote j'avais à sa très-sainte volonté; enfin, toutes proportions gardées, elles ne recevraient pas avec moins d'abondance ses dons, qui sont pour ainsi dire retenus dans sa divinité , comme dans un océan infini. Et comme, si l'on ouvrait à la masse des eaux de la mer une issue par laquelle elles pourraient suivre leur libre cours, elles s'échapperaient avec une impétuosité invincible, de même la grâce et les bienfaits du Seigneur se répandraient sur les créatures raisonnables, si, loin de l'empêcher, elles en facilitaient l'écoulement. Les mortels ignorent cette science, parce qu'ils ne prennent pas le temps de penser et de réfléchir aux œuvres du Très-Haut.

456. Je veux , ma fille, que vous les étudiiez et les graviez dans votre coeur, et je veux aussi que vous appreniez de ce que je faisais à garder le secret de votre intérieur, et à pratiquer une prompte obéissance et une humble soumission envers tous, préférant toujours le sentiment d'autrui au vôtre. De sorte que lorsque vos supérieurs et vos pères spirituels vous commanderont quelque chose, vous leur devez obéir aveuglément, quand même vous sauriez que le contraire de ce qu'ils prévoient va arriver; comme je savais

 

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moi que dans le voyage de Bethléem ne se réaliserait pas ce qu'espérait mon saint époux Joseph. Et si c'est un inférieur ou un égal qui vous commande, exécutez sans réplique tout ce qui ne sera point péché ou imperfection. Écoutez tout le monde en silence et avec attention, afin de vous instruire. Vous serez fort circonspecte dans vos paroles, car c'est en cela que consiste la prudence. Je vous avertis aussi de nouveau de demander la bénédiction du Seigneur en tout ce que vous ferez, afin que vous ne vous écartiez point de son bon plaisir. Et s'il vous est possible, demandez-la également à votre Père spirituel; par cette conduite, vous ne perdrez pas le grand mérite et la perfection de vos différentes oeuvres, et vous me donnerez la satisfaction que je désire devons.

 
CHAPITRE IX. Le voyage que la très-pure Marie fit de Nazareth à Bethleem, en la compagnie de saint Joseph et des anges qui l'assistaient.

 

457. L'auguste Marie et le glorieux saint Joseph partirent de Nazareth pour Bethléem , aussi seuls que pauvres et humbles voyageurs aux yeux du monde, sans qu'on leur accordât une plus grande estime que

 

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celle que l'humilité et la pauvreté peuvent obtenir. Mais, d’admirables secrets du Très-Haut cachés aux superbes et impénétrables à la prudence de la chair (1) ! ils ne marchaient pas seuls, ni pauvres ni méprisés; mais avec un cortége magnifique, des richesses inestimables et une très-grande gloire. Ils étaient le plus digne objet du Père éternel et de son amour immense, et le plus estimable à ses yeux. Ils portaient avec eux le trésor du ciel et de la Divinité même (2). Toute la cour céleste les révérait. Toutes les créatures insensibles reconnaissaient l'Arche vivante et véritable du Testament, bien mieux que les eaux du Jourdain ne reconnurent celle qui n'en était que la figure, lorsqu'elles se divisèrent par respect pour lui frayer un libre passage, et à tous ceux qui la suivaient (3). Ils étaient accompagnés de dix mille anges, que Dieu lui-même avait désignés comme je l'ai dit ci-dessus au paragraphe 451, pour servir le Verbe incréé et sa très-sainte Mère pendant ce voyage. Les bataillons de cette céleste escorte marchaient sons des formes humaines, visibles pour notre divine Daine, et chaque ange était plus resplendissant que plusieurs soleils ensemble. Elle avançait au milieu de tous, bien mieux gardée et défendue que le lit de Salomon ne l'était par les soixante hommes les plus vaillants d'Israël lorsqu'ils l'entouraient l'épée au côté (4). Outre ces dix mille anges, il s'en trouvait beaucoup d'antres qui descendaient

 

(1) Matth., XXI, 25. — (3) Colos., II, 3. — (3) Jos., III, 16. — (4) Cant., III, 7.

 

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étaient du ciel et y remontaient, envoyés par le Père éternel à son Fils humanisé et à sa très-pure Mère, et chargés par ceux-ci de leurs messages.

458. C'est dans ce royal appareil, caché aux yeux des mortels, que marchaient l'incomparable Marie et son saint époux Joseph, sûrs que leurs pieds ne heurteraient point contre la pierre de la tribulation, parce que le Seigneur avait ordonné à ses anges de les porterdans leurs mains, et de les garder dans toutes leurs voies (1). Et ces très-fidèles ministres exécutaient cet ordre, et servaient comme des sujets très-soumis leur grande Reine, exprimant leur admiration et leur joie à la vue de tant de mystères, de tant de perfections, de tant de grandeurs et de tous les trésors de la Divinité réunis dans une simple créature, et cela avec une si digne et si haute raison d'être, qu'elle surpassait leur propre intelligence. Ils chantaient des hymnes nouvelles au Seigneur, au souverain. Roi de gloire (2), qu'ils contemplaient appuyé contre son dossier de fin or (3); et à la divine Mère, qu'ils considéraient tantôt comme un char incorruptible et animé, tantôt comme l'épi fertile de la terre promise qui contenait le grain vivant (4), tantôt comme le riche vaisseau d'un marchand (5), qui le portait pour le faire naître dans la maison du pain, je veux dire Bethléem, afin que, mourant sur la terre, il fût multiplié dans le ciel (6). Le voyage dura cinq jours, car le saint époux ne

 

(1) Ps. XC, 12. — (2) Ps. XXIII, 10. — (3) Cant., III, 19. — (4) Levit., XXIII, 10. — (5) Prov., XXXI, 14. — (6) Joan., XII, 24.

 

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voulut pas faire de fortes journées à cause de la grossesse de la Mère Vierge. il n'y eut point de ténèbres pour notre divine Reine, parce que quand parfois le saint couple cheminait une partie de la nuit, les anges répandaient une si grande lumière, que si toutes les étoiles eussent été des soleils, elles n'auraient pas fait un plus beau jour par le temps le plus serein. A ces heures de la nuit, saint Joseph profitait du prodige et jouissait aussi de la vue des anges; et alors il se formait un choeur céleste, où notre auguste Dame et son époux répondaient aux esprits bienheureux par des cantiques et des hymnes admirables de louange, de sorte que les champs se changeaient en de nouveaux cieux. La Reine de l'univers jouit pendant tout le voyage de la vue et de la splendeur de ses ministres et de ses sujets, ainsi que de leur très-doux entretiens.

459. Le Seigneur mêlait à ces faveurs et à ces privilèges ineffables quelques embarras, quelques souffrances qui se présentaient à sa divine Mère dans le voyage. En effet, la rencontre de tant de gens qui remplissaient les hôtelleries et qui couvraient la route pour obéir à l'édit de l'empereur, gênait sensiblement l'extrême modestie de la très-pure Mère et Vierge, et affligeait son époux : pauvres et timides, ils étaient moins bien reçus que les autres, et exposés à plus d'incommodités que les plus riches; car le monde, qui ne consulte que les apparences, partage d'ordinaire ses faveurs injustement et avec acception des personnes. C'est pourquoi nos saints voyageurs

 

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entendaient maints propos désagréables dans les hôtelleries où ils arrivaient fatigués; quelquefois on les congédiait comme des gens inutiles et méprisables , ou bien on reléguait la Maîtresse du ciel et de la terre en un recoin de vestibule; souvent elle ne l'obtenait môme pas, et alors elle et son époux se retiraient dans des réduits encore plus abjects et plus dédaignés par le monde; mais quelque misérable que fût le lieu , la troupe des courtisans célestes s'y trouvait avec leur souverain Roi et leur auguste Reine; elle en était incontinent environnée comme d'un mur impénétrable : de sorte que la couche du véritable Salomon était assurée et défendue contre les craintes et les surprises de la nuit (1). Le très-fidèle époux Joseph, voyant la Maîtresse de l'univers si bien gardée, se reposait et s'endormait en paix à la prière de notre charitable Dame, qui tenait beaucoup à ce qu'il se remit un peu de la fatigue du chemin. Et pendant ce temps-là, elle se livrait à des entretiens célestes avec les dix mille auges qui l'assistaient.

460. Quoique Salomon ait renfermé dans les Cantiques de grands mystères de la Reine du ciel sous diverses métaphores et similitudes, il a parlé néanmoins plus expressément ait chapitre IIIe de ce qui arriva à la divine Mère pendant la grossesse de son très-saint Fils, et dans le voyage qu'elle fit pour ses couches sacrées; car ce fut alors que s'accomplit à la lettre tout ce qui est dit du lit de Salomon , de son

 

(1) Cant., III, 7.

 

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char, du dossier de fin or, de la garde qu'il y mit des plus forts et des plus courageux d'Israël, qui jouissent de la vision divine, et tout le reste que contient cette prophétie, dont ce que j'ai dit afin d'en marquer le sens, doit suffire pour tourner toute mon admiration vers le mystère de la sagesse infinie qui se trouve en ces oeuvres. si dignes de la vénération de la créature. Or qui d'entre les mortels sera si endurci qu'il ne s'attendrisse? ou si superbe qu'il ne rougisse de confusion? ou si préoccupé qu'il ne s'émerveille à la vue d'un prodige où se rencontrent les extrêmes les plus éloignés? Un Dieu infini et véritablement caché dans le sein virginal d'une jeune fille remplie de beauté et de grâce, innocente, pure, agréable et douce, aimable aux yeux de Dieu et des hommes au delà de tout ce que ce môme Seigneur a créé et créera jamais! Cette grande Dame, dis-je, avec le trésor de la Divinité, méprisée, affligée et repoussée par l'ignorance aveugle et le damnable orgueil des mondains! Et pourtant lors même qu'elle est retirée dans les lieux les plus abjects, aimée et estimée de la très sainte Trinité, favorisée de ses caresses, servie, révérée, défendue et protégée parles anges qui forment sa vigilante garde ! O enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti (1) ? Combien fausses sont vos balances et trompeurs vos jugements (2), comme dit David? Vous estimez les riches, vous méprisez les pauvres, vous élevez les superbes,

 

(1) Ps. IV, 3. — (2) Ps. LXI, 10.

 

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vous abattez les humbles, vous rebutez les justes et vous applaudissez à ceux qui sont pleins de vanité (1). Votre discernement est aveugle et votre raison dépravée, de sorte que vous vous trouvez déçus dans vos propres désirs. Ambitieux, qui cherchiez les richesses, et vous êtes trouvés dans la plus grande pauvreté, n'ayant embrassé que de la fumée, si vous eussiez reçu l'Arche véritable de Dieu, vous auriez obtenu mille bénédictions de sa main libérale, comme Obédédom (2); mais parce que vous l'avez méprisée, il est arrivé à un grand nombre d'entre vous ce qui, arriva à Oza (3), vous avez été châtiés.

461. Parmi tout cela notre Dame connaissait et observait la diversité des âmes de tous ceux qui allaient et qui venaient; elle pénétrait leurs pensées les plus secrètes, l’état de grâce ou de péché de chacune, et le degré que chacune occupait entre ces extrémités différentes; elle savait aussi, à l'égard de plusieurs âmes, si elles étaient prédestinées on réprouvées; si elles persévèreraient, tomberaient ou se, relèveraient; et toute cette diversité lui donnait occasion d'exercer des actes héroïques de vertu envers les uns et envers les autres ; car elle obtenait pour plusieurs la persévérance ; aux uns elle procurait un secours efficace pour s'élever du péché à la grâce; elle pleurait et invoquait le Seigneur par des affections intimes pour les autres, et quoiqu'elle ne priât point avec tant d'efficace pour les réprouvés , elle ressentait

 

(1) Jacob., II, 2. — (2) II Reg., VI, 11. — (3) Ibid., 7.

 

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sentait une très-vive douleur de leur perte finale. Maintes fois, incomparablement plus accablée de l'excès de ses peines que de la fatigue de la route, elle éprouvait une certaine. défaillance corporelle; et alors les saints anges, remplis d'une éclatante lumière et d'une beauté céleste, l'appuyaient sur leurs bras, afin qu'elle y prit un peu de repos et de soulagement. Elle consolait sur la route les malades, les affligés et les nécessiteux , mais seulement par ses prières, et en demandant à son très-saint Fils de remédier à leurs maux et de pourvoir à leurs besoins car dans ce voyage elle se tenait en silence à l'écart, le plus loin possible de la foule, ne songeant qu'à sa divine grossesse, qui devenait de plus en plus apparente. Voilà comment la Mère de miséricorde répondait au mauvais accueil que lui faisaient les mortels.

462. Il arriva aussi quelquefois, pour une plus grande honte de l'ingratitude humaine, qu'étant dans la saison la plus rigoureuse, et se présentant aux hôtelleries tout transis de froid, à cause des neiges et des pluies (car le Seigneur voulut qu'ils eussent aussi part à cette incommodité), ils étaient obligés de se retirer jusque dans les sales endroits où se trouvaient les animaux , parce que les hommes ne leur donnaient pas de meilleur gîte; et, alors les bêtes suppléaient à leur inhumanité en se reculant par respect pour leur Créateur et pour sa Mère, qui le portait dans son sein virginal. La Maîtresse des créatures eût bien pu commander aux vents, à la gelée et à la neige de ne les point incommoder, mais elle s'en abstenait, pour imiter

 

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son très-saint Fils dans les souffrances avant même qu'il sortit de son très-chaste sein; elle eut donc à subir assez souvent les intempéries de la saison durant sa marche. Le fidèle et soigneux époux Joseph ne négligeait pourtant rien pour l'en mettre à l'abri, et il était plus que secondé par les anges, et surtout par le prince saint Michel , qui se tint toujours su côté droit de sa Reine, sans l'abandonner un seul moment pendant tout ce voyage; et maintes fois il la servait et la soutenait quand elle se trouvait fatiguée. Et quand telle était la volonté du Seigneur, il la préservait de la rigueur du temps et recourait à mille moyens pour le service de notre divine Dame et de Jésus, le fruit béni de ses entrailles.

463. Parmi la diversité de ces miracles successifs nos voyageurs la très-pure Marie et Joseph arrivèrent à la ville de Bethléem le cinquième jour de lotir voyage, qui était un samedi, sur les quatre heures dit soir, temps auquel, dans le solstice d'hiver, le soleil commence à baisser et la nuit approche. Ils entrèrent clans la ville pour y chercher un gîte; et ayant parcoure plusieurs rues et demandé l'hospitalité non seulement dans les hôtelleries, mais dans les maisons de leurs amis et de leurs proches parents, ils ne furent reçus nulle part, et dans beaucoup d'endroits ils furent congédiés d'une manière incivile et méprisante. Notre auguste Reine suivait son époux , qui allait de maison en maison et de porte en porte, à travers la cohue formée par tant de personnes. Et, quoiqu'elle sût que les maisons et les coeurs des hommes leur seraient

 

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fermés, elle voulut néanmoins, pour obéir à saint Joseph, souffrir cette peine et la confusion que lui inspirait son extrême pudeur; car il lui était bien plus sensible, à cause de sa retenue, de son état et de son âge, de circuler au milieu de cette multitude que de ne pas trouver de logement. Or, continuant d'aller par la ville, ils rencontrèrent la maison où l'on tenait le registre commun; et, pour n'être pas obligés d'y retourner, ils se firent inscrire et payèrent le tribut royal. Débarrassés de cette affaire, ils recommencèrent leurs recherches et se présentèrent à d'autres auberges. Ils demandèrent l'hospitalité en plus de cinquante maisons, où ils essuyèrent un dur refus, tandis que les esprits bienheureux admiraient les très-hauts mystères du Seigneur, la patience et la mansuétude de sa Mère Vierge, et l'insensibilité des hommes. Dans ces sentiments ils bénissaient le Tout-Puissant en ses oeuvres et eu ses mystérieux desseins, comprenant qu'il voulait dès ce jour-là élever à la plus haute gloire l'humilité et la pauvreté, que les mortels méprisent.

464. Il était environ neuf heures du soir lorsque le très fidèle Joseph, le coeur plein d'une amère douleur, se tourna vers sa très-prudente épouse et lui dit : « Ma très-douce Dame, je succombe oit ce moment à a la douleur, en voyant que je ne puis non-seulement  vous loger selon vos mérites et comme mon affection me le faisait désirer, mais au moins vous procurer l'abri et le repos qu'on ne refuse jamais, ou que bien rarement, aux plus pauvres et aux plus

 

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méprisables. Il y a sans doute ici quelque mystère,  pour que le Ciel ait permis que les coeurs des  hommes n'aient point été portés à nous recevoir  dans leurs maisons. Je me souviens, chère épouse,  d'avoir vu hors des murs de la ville une grotte où  les pasteurs vont ordinairement se retirer avec leurs  troupeaux. Allons-y, car si par hasard cet endroit  n'est pas occupé, le ciel vous y ménagera l'asile que  la terre nous refuse. » La très-prudente Vierge lui répondit : « Mon époux et mon maître, que votre  coeur si sensible ne s'afflige pas de ce que les ardents  désirs produits par l'affection que vous avez pour le Seigneur ne s'accomplissent point. Et puisque  j'ai le bonheur de le porter dans mon sein, je vous  supplie pour lui-même de lui rendre avec moi des actions de grâces de ce qu'il lui a plu disposer la  chose de la sorte. Le lieu dont vous me parlez sera  fort conforme à mes souhaits. Changez vos larmes   un joie par l'amour et dans la possession de la pauvreté, qui est le trésor inestimable de mon très saint Fils (1). Il vient du ciel pour le chercher (2);   ainsi il faut que nous le, lui préparions avec une  âme joyeuse; pour moi, c'est là toute ma consolation : ne me l'enviez donc pas en ce moment. Allons  avec plaisir où le Seigneur nous conduit. » Ensuite les saints anges menèrent les divins époux vers ces lieux, leur servant do brillants flambeaux; et étant arrivés à la grotte, ils la trouvèrent inoccupée. Et, remplis

 

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d'une joie céleste, ils louèrent le Seigneur de ce nouveau bienfait, et il arriva ce que je raconterai au chapitre suivant.

 
Instruction que la Reine de l'univers vie donna.

 

465. Ma très-chère fille, si vous avez un coeur tendre et docile envers le Seigneur, les divins mystères que vous avez connus et écrits auront le pouvoir d'exciter en vous de douces et amoureuses affections pour l'auteur de tant de merveilles, en la présence duquel je veux que dès aujourd'hui vous attachiez un nouveau prix à vous voir rebutée et méprisée du monde. Et dites-moi, ma bien-aimée, si en échange de cet oubli et de ce mépris acceptés avec joie, Dieu, jetant sur vous ses regards favorables, vous accorde la force de son très-doux amour, pourquoi n'achèterez-vous pas à si bon marché ce qu'on ne doit pas estimer moins que d'un prix infini? Que recevrez-vous des hommes, quand ils vous applaudiront le plus? Et que perdrez-vous, si vous méprisez leur approbation? Ne voyez-vous pas que tout n'est que mensonge et que. vanité (1)? Cette estime n'est-elle pas une ombre fugitive qui s'évanouit à l'instant entre les mains de ceux qui prétendent l'attraper (2)? Or, quand

 

(1) Ps. IV, 8. — (2) Sap., V, 9.

 

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elle ne s'évanouirait pas entre les vôtres, que ne devriez-vous pas faire pour vous en détacher? Considérez combien il vous sera plus facile de la refuser pour acquérir l'amour de Dieu, le mien et celui de ses anges. Renoncez, ma fille, généreusement à tout. Et si le monde ne vous méprise pas autant que vous le devez désirer, méprisez-le vous-même, et tâchez de rester indépendante , dégagée et seule, afin que le souverain bien vous accompagne, que vous receviez avec plénitude les très-heureux effets de son amour, et que vous y correspondiez avec liberté (1).

466. Mon très-saint Fils est un si fidèle amant des âmes, qu'il m'a établie Maîtresse et exemplaire vivant, pour leur apprendre l'amour de l'humilité et le mépris efficace de la vanité et de l'orgueil. Ce fut aussi par son ordre que sa divine Majesté et moi, sa très humble servante et sa Mère, ne trouvâmes aucune retraite parmi les hommes, afin que les âmes, touchée; de cet abandon, consacrent au Seigneur toutes leurs affections, et le forcent par leur générosité à venir résider en elles. Il chercha de même la solitude et la pauvreté, non parce qu'il eut besoin de ces moyens pour pratiquer les vertus au degré le plus parfait, mais afin d'enseigner aux mortels que c'était le chemin le plus court et le plus sûr pour arriver aux sublimes hauteurs de l'amour divin et de l'union avec Dieu.

467. Vous savez bien, ma chère fille, que vous ôtes continuellement instruite par la lumière céleste, afin

 

(1) II Petr., I, 4.

 

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qu'ayant oublié tout ce qui est terrestre, vous vous ceigniez de force (1) et vous animiez à m'imiter, en exprimant en vous-même, autant qu'il vous sera possible, les actes et les vertus de ma vie que je vous manifeste. C'est le premier but de la science que je vous enseigne et que-je vous dicte, afin que vous trouviez en moi cette règle, et que vous vous en serviez pour diriger votre vie et vos oeuvres, en la manière que j'imitais celles de mon très-doux Fils. Vous devez Modérer la crainte que ce commandement vous a causée en le croyant au-dessus de vos forces, et vous encourager en vous rappelant ce que mon très-saint Fils dit par la bouche de l'évangéliste saint Matthieu (2) Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Cette volonté du Très-Haut, que lui-même propose à sa sainte Église, il n'est pas impossible à ses enfants de la remplir; et si, de leur côté, ils sont bien disposés, cette grâce, pour acquérir la ressemblance du Père céleste, ne sera refusée à personne, parce que mon très-saint Fils l'a méritée pour tous. Mais le pesant oubli des hommes et le peu de cas qu'ils font de leur rédemption empêchent qu'ils n'en obtiennent efficacement le fruit.

468. J'exige spécialement de vous cette perfection, ma fille, et je vous y convie par les prescriptions de la douce loi de l'amour, à laquelle mes instructions aboutissent. Considérez, avec le secours de la divine lumière; quelles obligations je vous impose, et tâchez

 

(1) Prov., XXXI, 17. — (2) Matth., V, 48.

 

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de vous en acquitter avec la prudence d'une fille fidèle et diligente, sans vous laisser arrêter par aucune difficulté ou affliction, et sans omettre un seul acte de vertu ou de perfection, pour pénible qu'il soit. Vous ne devez pas vous contenter non plus de vous procurer à vous seule l'amitié du Seigneur et le salut éternel; mais si vous voulez être parfaite à mon imitation et accomplir ce qu'enseigne l'Évangile, vous devez travailler au salut des autres âmes et à l'exaltation du saint nom de mon Fils, et servir d'instrument à sa puissante main pour les choses fortes qui seront de son bon plaisir et à sa plus grande gloire.
 
 
 

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