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Vénérable Marie d'Agreda
La Cité Mystique de Dieu

15/30
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   DEUXIÈME PARTIE. — LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE V. Trois jours après, la très-pure Marie et Joseph trouvèrent l'Enfant Jésus dans le Temple proposant des questions aux docteurs.

Instruction que la Reine du ciel nie donna.

CHAPITRE VI. Dans la douzième année de l'Enfant Jésus, l'auguste Marie eut une vision pour continuer en elle l'image et la doctrine de la loi évangélique.

Instruction que notre auguste Maîtresse me donna.

CHAPITRE VII. Où sont indiquées plus expressément les fins du Seigneur en la doctrine qu'il enseigna à la très-pure Marie, et les manières avec lesquelles elle l'exécutait.

Instruction que la divine Mère me donna.

CHAPITRE VIII. Où il est déclaré comment notre grande Reine pratiquait la doctrine de l'Évangile, que son très-saint Fils lui enseignait.

Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

CHAPITRE IX. Où il est déclaré comment la très-pure Marie connut les articles de foi que la sainte Église devait croire, et ce que cette auguste Dame fit à la suite de cette faveur.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE X. La très-pure Marie eut une nouvelle lumière des dix commandements. — Comment elle profita de ce bienfait.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE XI. La très-pure Marie eut l'intelligence des sept sacrements que notre Seigneur Jésus-Christ devait instituer, et des cinq commandements de l'Église.

Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

CHAPITRE XII. Notre Rédempteur Jésus-Christ continue ses prières pour nous. — Sa très-sainte Mère prie aussi avec lui, et reçoit de nouvelles lumières.

Instruction que la très-sainte Vierge m'a donnée.

CHAPITRE XIII. L'auguste Marie achève la trente-troisième année de son âge. — Son corps virginal se conserve dans sa même disposition. Elle prend la résolution d'entretenir son adorable Fils et saint Joseph par son travail.

Instruction de la Reine du ciel

CHAPITRE XIV. Des maux et des infirmités que saint Joseph souffrit dans les dernières années de sa vie, et des soins que lui donnait la Reine du ciel son épouse.

Instruction que l'auguste Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE XV. De la bienheureuse mort de saint Joseph, et de ce qui y airiva; et comment notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère y assistèrent.

Instruction de notre auguste Princesse.

 

Ici commence le tome IV de l'édition de Paris 1857 (Poussièlgue-Rusand)

 
DEUXIÈME PARTIE. — LIVRE CINQUIÈME

 
CHAPITRE V. Trois jours après, la très-pure Marie et Joseph trouvèrent l'Enfant Jésus dans le Temple proposant des questions aux docteurs.

 

758. Dans le chapitre précédent, j'ai répondu en partie au doute qu'on pouvait avoir sur ce que, notre divine Reine accompagnant et servant son très-saint Fils avec une vigilance si attentive, elle le perdit néanmoins de vue, et le laissa s'écarter dans Jérusalem. Et quoiqu'il suffise de dire que le Seigneur lui-même en voulut disposer de la sorte, j'ajouterai pourtant ici quelque chose de plus, pour expliquer comment cette séparation se fit, sans qu'il y eût aucune négligence volontaire de la part de l'amoureuse Mère. Il est certain qu'outre que l'Enfant-Dieu profita, pour disparaître, de la multitude du peuple qui assistait à la fête, il se servit aussi d'un autre moyen surnaturel, qui était presque nécessaire pour divertir l'attention de sa prudente Mère et fidèle compagne,

 

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sans cela elle aurait infailliblement remarqué que le Soleil qui la conduisait dans toutes ses voies s'en éloignait. Or il arriva que, pendant que les hommes se séparaient des femmes, comme je l'ai dit, le puissant Seigneur répandit en sa très-pure Mère une vision intellectuelle de la Divinité, de sorte qu'il lui ravit toutes les puissances intérieures par la force de ce sublime objet, et l'éleva si fort au-dessus de ses sens, qu'elle n'en put user que pour poursuivre un assez long temps son chemin, et pour ce qui regarde le reste, elle se trouva par la vue du Seigneur tout abîmée dans la douceur de la divine consolation (1). Saint Joseph eut pour se tranquilliser les raisons que j'ai dites; et d'ailleurs, il fat aussi élevé à une haute contemplation qui lui rendit la pensée, et plus facile et plus mystérieuse, que l'Enfant allait avec sa Mère. Ce fut par ce moyen que cet adorable Enfant s'écarta de ses parents, et demeura à Jérusalem. Et lorsque notre Reine, ayant déjà beaucoup avancé son chemin, se trouva seule et sans son très-saint Fils, elle crut qu'il était avec son père putatif (2).

759. Cette séparation eut lieu fort près des portes de la ville, d'où l'Enfant-Dieu s'en retourna à travers les rues; et considérant alors par sa science divine tout ce qui lui devait arriver dans cette même ville, il l'offrit à son Père éternel pour le salut des âmes. Il demanda l'aumône pendant ces trois jours, pour anoblir dès lors l'humble mendicité, cette fille aînée de

 

(1) cant., V, 1. — (2) Luc., II, 44.

 

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la sainte pauvreté. Il visita les hôpitaux, il y consola tous les pauvres, et partagea avec eux les aumônes qu'il avait reçues; il rendit secrètement la santé du corps à plusieurs malades, et ü beaucoup de personnes celle de lame, les éclairant intérieurement, et les mettant dans le chemin de la vie éternelle. biais il opéra ces merveilles avec une plus grande abondance de grâce et de lumière en faveur de quelques-uns de ceux qui lui firent la charité, voulant accomplir par avance la promesse qu'il devait faire ensuite à son Église, l'assurant que celui qui reçoit un juste et un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense due au juste (1).

760. Après qu'il se fut occupé d ces oeuvres, et à plusieurs autres selon la volonté du Père éternel, il alla au Temple. Et an jour que l'évangéliste saint Luc indique (2), les rabbins, qui étaient les docteurs de la loi, s'assemblèrent en un lieu où ils discutaient quelques doutes et quelques passages des Écritures. Dans cette occasion on y disputait sur la venue du Messie ; car les nouveautés et les merveilles qui avaient suivi la naissance de saint Jean et la venue des rois mages, avaient beaucoup accrédité parmi les Juifs l'opinion que les temps étaient accomplis, et que, bien qu'il fût inconnu, le Messie devait déjà être au monde. ils étaient tous assis en leurs places, avec cette autorité qui distingue d'ordinaire ceux qui passent pour savants. L'Enfant Jésus s'approcha de l'assemblée de

 

(1) Matth., X, 41 — (2) Luc., II, 46.

 

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ces docteurs; et Celui qui était le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (1), la Sagesse infinie; Celui qui redresse les sages (2), se présenta devant les savants du monde comme un humble disciple (3), faisant connaître qu'il ne venait que pour ouïr la dispute, et s'informer du. sujet qu'on y proposait. Il s'agissait de savoir si le Messie promis était venu, ou si le temps de son avènement au monde était arrivé.

761. Les opinions des docteurs étaient fort opposées sur cet article; les uns assuraient la chose, et les autres la niaient. Et ceux qui tenaient la négative alléguaient quelques témoignages des fritures, et des prophéties entendues avec la grossièreté que l'Apôtre remarque (4); car la lettre tue, si elle est prise sans l'esprit. Or ces sages à leurs propres yeux avançaient que le Messie devait venir avec une majesté et une grandeur de roi, pour donner la liberté à son peuple par la grandeur de sa puissance, et le délivrer temporellement de la servitude des gentils ; et l’on ne voyait alors aucune apparence de cette puissance et de cette liberté, dans l’impossibilité où les Hébreux étaient de secouer le joug des Romains. Ce sentiment eut beaucoup de vogue parmi ce peuple grossier et aveugle; parce qu'il reprenait que pour lui seul la Majesté et la grandeur du Messie promis, aussi bien que la rédemption qu'il venait par son pouvoir divin accorder à son peuple, s'imaginant qu'elle devait être

 

(1) Apoc., XIX, 16. — (2) I Cor., I, 24. — (3) Sap., VII, 15. — (4) II Cor., III, 6.

 

temporelle et terrestre,, comme l'attendent toujours les Juifs aveuglés par les ténèbres qui remplissent leurs coeurs (1). Aujourd'hui même ils ne parviennent pas à comprendre que la gloire, la majesté et la puissance de notre Rédempteur, aussi bien que la liberté qu'il est venu donner au monde, ne sont point des choses terrestres , temporelles et périssables, mais célestes, spirituelles et éternelles, et qu'elles ne sont ; pas seulement pour les Juifs, quoiqu’ils en aient eu les prémices, mais pour tout le genre humain sans aucune exception.

762. Le Maître de la vérité , Jésus, reconnut quels dispute se terminait à cette erreur; car quoiqu'il y en eût quelques-uns qui soutinssent l'opinion contraire, le nombre en était fort petit; et ceux-là se trouvaient accablés par l'autorité et par les raisons des autres. Et comme cet adorable Seigneur était venu au monde pour rendre témoignage à la vérité, qui était lui-même (2), il ne voulut pas permettre dans cette occasion, en laquelle il importait extrêmement de la découvrir, que l'erreur contraire prévalût par l'autorité des docteurs. Sa charité immense ne put point supporter cette ignorance de ses oeuvres, et de ses fins très-sublimes chez les interprètes de la loi, qui devaient être  des ministres versés dans la véritable doctrine, pour enseigner au peuple le chemin de la vie, et lui en faire connaître l'auteur aussi bien que notre Rédempteur. L'Enfant-Dieu s'approcha

 

(1) Isa., VI, 10 ; II Cor., III, 15. — (2) Joan., XVIII, 37.

 

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davantage de l'assemblée, pour manifester la grâce qui était répandue sur ses lèvres (1). Il s'avança au milieu des interlocuteurs avec une rare majesté et avec une beauté admirable , exprimant le désir de proposer quelque doute. Et par ses manières nobles et agréables il inspira à ces docteurs l'envie de l'écouter avec attention.

763. Il prit la parole en ces termes : « J'ai entendu toute la discussion qui a eu lieu sur la venue du Messie, et les conclusions qui en ont été tirées. Avant de proposer mes objections contre cette solution, j'établis que les prophètes disent qu'il viendra avec une grande puissance et une grande majesté, a comme on vient de le prouver par les témoignages  qu'on a allégués. En effet, Isaïe dit qu'il sera notre Législateur, notre Roi, et Celui qui sauvera son peuple (2); et dans un autre endroit il assure qu'il accourra de loin avec une grande fureur (3), ce que David confirme en disant qu'il consumera tous ses ennemis (4). Daniel déclare que toutes les tribus et tous les peuples le serviront (5). L'Ecclésiastique dit qu'une grande multitude de saints viendra avec lui (6). Les Écritures sont remplies de semblables promesses, pour faire reconnaître son avènement  à des signes assez clairs, assez évidents, si on les  considère avec attention. Mais le doute est fondé sur la comparaison de ces passages avec d'autres

 

(1) Ps. XLIV, 3. — (2) Isa., XXXIII, 22. — (3) Isa., XXX, 27. — (4) Ps. XCVI, 3. — (5) Dan., VII, 14. — (6) Eccles., XXIV. 3, etc.

 

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passages des prophètes qui doivent être tous également vrais, bien qu'à la lettre ils paraissent contradictoires. Ainsi il faut nécessairement qu'ils accordent, et donner à chacun de ces passages un sens par lequel il puisse et doive se concilier avec les autres. Or comment entendrons-nous maintenant ce que dit le même Isaïe, qu'il viendra de la terre des vivants, et qui est-ce qui racontera sa génération ? qu'il sera rassasié d'opprobres, qu'il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger, et qu'il n'ouvrira point la bouche (1) ? Jérémie assure que les ennemis du Messie se réuniront pour le persécuter, pour mettre du poison dans son pain, et pour effacer son nom de la terre, quoiqu'ils ne doivent point réussir dans leur dessein (2). David a dit qu'il serait le rebut du peuple et l'opprobre des hommes, et qu'il serait foulé aux pieds et méprisé comme un ver de terre (3). Zacharie, qu'il viendrait doux et humble, et monté sur un vil animal (4). Tous les prophètes tiennent le même langage en parlant des marques que le Messie promis doit avoir. »

764. « Comment sera-t-il donc possible, ajouta l’Enfant-Dieu, d'accorder ces prophéties, si nous supposons que le Messie doive venir avec de puissantes armées et avec majesté, pour vaincre les rois et les monarques par la force et par l'effusion du

 

(1) Isa., LIII, 8, 11, 7. — (2) Jerem., XI, 19. — (3) Ps. XXI, 7 et 8. — (4) Zach., IX, 9.

 

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sang des étrangers? Nous ne pouvons pas nier que, devant venir deux fois, la première pour racheter le monde, et l'autre pour le juger, les prophéties ne doivent être appliquées à ces deux avènements, en attribuant à chacun ce qui lui appartient. Et comme les fins de ces mêmes avènements doivent être différentes, leurs circonstances le seront aussi, puisqu'il ne doit pas remplir le même office dans les deux cas , mais qu'au contraire les choses y seront fort opposées. Dans le premier il doit vaincre le démon et lui arracher l'empire qu'il a acquis sur les âmes par le premier péché. Et pour cela il doit d'abord satisfaire à Dieu pour tout le genre humain, et ensuite enseigner aux hommes par ses paroles et par ses exemples le chemin de la vie éternelle, les moyens de vaincre les ennemis de leur salut, comment ils doivent servir et adorer leur Créateur et Rédempteur, et de quelle manière ils sont obligés de répondre aux bienfaits qu'ils reçoivent de sa main libérale, et d'en faire un bon usage. Sa vie et sa doctrine doivent concourir à toutes ces fins dans le premier avènement. Le second aura lieu pour faire rendre compte à tous les hommes dans le jugement universel , et pour donner à chacun le prix dû à ses œuvres bonnes ou mauvaises; et alors il punira ses ennemis avec fureur et indignation; c'est ce que les prophètes disent de second avènement. »

765. « D'après toutes ces observations, si nous voulons supposer que le Messie paraîtra pour la

 

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première fois avec puissance et majesté, et que, comme le dit David (1), il règnera de la mer jusqu'à la mer, et que son règne sera glorieux , comme le disent d'autres prophètes (2) , tout cela ne peut être entendu matériellement d'un règne temporel ni d'un appareil de majesté sensible et extérieur, mais d'un nouveau règne spirituel qu'il établira dans une nouvelle Église qui s'étendra par tout l'univers avec majesté, avec puissance et avec des richesses immenses de grâce et de vertu contre le démon. Et avec cette juste interprétation, toutes les Écritures , qu'on ne saurait concilier dans un autre sens, se trouvent uniformes. Que si le peuple de Dieu est soumis à l'empire des Romains, sans pouvoir recouvrer son indépendance, ce n'est pas une marque que le Messie ne soit pas encore venu ; au contraire , c'est un témoignage infaillible qu'il est déjà au Inonde. Car notre patriarche Jacob a laissé cette marque afin que ses descendants le connussent, voyant la tribu de Juda sans le sceptre et sans le gouvernement d'Israël (3). Or vous avouez maintenant que ni cette tribu ni les autres ne l'ont et n'espèrent même de le recouvrer. Les semaines de Daniel (4), qui doivent être nécessairement accomplies, prouvent la même chose. Et ceux qui ont de la mémoire se souviendront de ce que j'ai

 

(1) Ps. LXXI, 8. — (2) Isa., LII, 6, etc.; Jerem., XXX, 9; Ezech., XXXVII, 22, etc.; Zach., IX, 10. — (3) Gen., XLIX, 10. — (4) Dan., IX, 25.

 

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entendu dire , savoir, qu'une grande splendeur a paru il y a quelques années dans Bethléem à minuit, et qu'il fut dit à de pauvres pasteurs que le Rédempteur était né (1); et qu'ensuite certains rois guidés par une étoile vinrent de l'Orient, cherchant le Roi des Juifs pour l'adorer (2). Et le tout était ainsi prophétisé (3). De sorte que le roi Hérode, père d'Archélaüs, frappé de ces signes infaillibles, fit mourir un très-grand nombre d'enfants, seulement dans l'espoir d'atteindre le Roi qui venait de naître, et qu'il voulait empêcher de pouvoir succéder au royaume d'Israël (4). »

766. L'Enfant Jésus joignit d'autres raisons à celles-là, et ce fut avec l'efficace de Celui qui, en proposant des doutes, enseignait avec un pouvoir divin. De sorte que les scribes et les docteurs qui l'entendirent restèrent dans le silence (5); et, convaincus par ses raisons, ils se regardaient les uns les autres, et se disaient avec une grande admiration : Quelle merveille est, celle-ci? Quel Enfant si prodigieux! D'où est-il sorti ? A qui appartient-il? Mais demeurant dans cet étonnement, ils ne découvrirent point quel était Celui qui les instruisait avec tant de lumière d'une vérité si importante. L'auguste Marie et son très-chaste époux saint Joseph arrivèrent à temps pour ouïr la fin de son discours. Et après qu'il l'eut achevé, tous les docteurs de la loi se levèrent

 

(1) Luc., II, 9, etc. — (2) Matth., II, 1, etc. — (3) Mich., V, 2 ; Ps. LXXI, 10; Isa., LX, 6. — (4) Matth., II, 16. — (5) Luc., IV, 32.

 

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avec une surprise extrême. Alors notre divine Dame, ravie de joie d'avoir retrouvé son trésor, s'approcha de son bien-aimé Fils, et en présence de toute l'assemblée lui dit ce que rapporte saint Luc (1) : Mon Fils, comment en avez-vous usé ainsi avec nous? Voici que nous vous cherchions, votre père et moi, fort affligés. La divine Mère lui fit cette amoureuse plainte avec autant de respect que d'affection, l'adorant comme son Dieu, et lui représentant sa douleur comme à son Fils. Sa Majesté lui répondit : Pourquoi me cherchiez-vous? ne saviez-vous pas qu'il fallait que je m'occupasse des choses qui regardent le service de mon Père (2)?

767. L'évangéliste dit (3) que la très-pure Marie et saint Joseph n'entendirent point le mystère de ces paroles, parce qu'il leur fut alors caché. Et cela provint de deux causes : d'une part, moissonnant dans la joie après avoir semé dans les larmes, ils furent tout absorbés par le bonheur de revoir leur riche trésor qu'ils avaient retrouvé. D'autre part ils n'arrivèrent pas assez tôt pour se mettre au courant de la matière qu'on avait traitée dans cette conférence. Outre ces raisons, il y en eut une autre pour notre très-prudente Reine: c'est, que le voile qui lui cachait l'intérieur de son très-saint Fils, où elle eût pu connaître tout ce qui s'était passé , ne fut écarté de ses yeux que quelque temps après qu'elle l'eut retrouvé. Les docteurs se retirèrent, repassant en leur esprit les merveilles qu'ils venaient d'ouïr de la Sagesse éternelle,

 

(1) Luc., II, 47. — (2) Ibid., 49. — (3) Ibid., 50.

 

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quoiqu'ils ne la connussent pas. De sorte que la bienheureuse Mère se trouvant presque seule avec son très-saint Fils, lui dit avec une tendresse maternelle : « Permettez, mon Fils, à mon coeur défaillant (et ce disant elle l'embrassa) de vous découvrir sa peine, afin qu'elle ne m'ôte pas la vie si elle est de quelque utilité à votre service. Ne m'éloignez point de votre présence, acceptez-moi pour votre servante, et si je vous ai perdu par ma faute, je vous en demande pardon, et je vous prie de me rendre digne de vous, et de ne me point châtier par votre absence. » L'Enfant-Dieu la reçut avec complaisance, et lui promit d'être son maître et son compagnon tout le temps qu'il serait convenable. Ces douces paroles calmèrent le coeur innocent et enflammé d'amour de notre grande Reine, et ils prirent le chemin de Nazareth.

768. Mais lorsqu'ils se furent un peu éloignés de Jérusalem , et qu'ils se trouvèrent seuls sur la route, la très-prudente Daine se prosterna , adora son très-saint Fils, et lui demanda sa bénédiction, parce qu'elle ne l'avait pas fait extérieurement au moment où elle le trouva dans le Temple au milieu de la foule : tant elle était attentive à ne perdre aucune occasion d'agir avec la plénitude de sa sainteté. L'Enfant Jésus la releva de terre et lui parla avec un air fort agréable et avec la plus grande douceur. Ensuite il écarta le voile mystérieux et lui découvrit de nouveau son âme très-sainte et ses opérations avec plus de clarté qu'auparavant. De sorte que la divine Mère apprit dans cette contemplation de l'intérieur de l'Enfant-Dieu

 

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toutes les oeuvres sublimes qu'il avait faites pendant les trois jours de son absence. Elle y vit également tout ce qui s'était passé dans la conférence des docteurs, ce que l'Enfant Jésus leur dit, et les raisons qu'il eut pour ne pas se manifester avec plus d'éclat comme le véritable Messie ; et cet adorable Enfant révéla à sa Mère Vierge plusieurs autres mystères, comme à celle en qui tous les trésors du Verbe incarné devaient être mis en dépôt, afin qu'elle rendit pour tous et en tous le retour de gloire et de louanges qui étaient ducs à l'auteur de tant (le merveilles. Et cette très-sainte Dame s'en acquitta selon le bon plaisir du Seigneur. Après quoi elle pria sa Majesté de reposer un peu dans la campagne, et de prendre quelque nourriture. Et le divin Enfant en accepta des mains de notre auguste Reine, qui prenait soin de tout comme Mère de la Sagesse (1).

769. La divine luire s'entretenait chemin faisant, avec son très-doux Fils, des mystères qu'il lui avait découverts dans son intérieur touchant la conférence des docteurs. Et le Maître céleste l'informa de nouveau verbalement de ce qu'il avait appris par révélation; et lui déclara notamment que ces docteurs et ces scribes n'avaient point reconnu en lui le Messie, à cause de la présomption et de la vanité qu'ils tiraient de leur science, parce que leur entendement était obscurci par les ténèbres de l'orgueil, qui les avaient empêchés de recevoir la divine lumière que

 

(1) Eccles., XXIV, 24.

 

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l'Enfant-Dieu avait si bien fait briller à leurs yeux; car ses raisons auraient suffi pour les convaincre s'ils eussent eu leur volonté disposée par l'humilité et par le désir de la vérité. C'est à cause des obstacles qu'ils lui opposèrent qu'ils ne la reconnurent pas, malgré son évidence. Notre Rédempteur convertit un grand nombre d'aines dans ce voyage. Et comme sa très-sainte Mère était présente, il l'employait pour instrument de ces merveilles; ainsi il éclairait les coeurs de tous ceux à qui elle parlait, au moyen des sages avis et des saintes instructions de notre auguste Princesse. Ils rendirent la santé à plusieurs malades, ils consolèrent les affligés, et ils ne perdirent aucune occasion convenable de répandre partout où ils allaient la grâce et les miséricordes. Et comme j'ai décrit, dans les autres voyages que j'ai racontés, des merveilles semblables à celles-ci, je ne m'y arrête pas plus longtemps , car le récit en exigerait plusieurs chapitres, et je suis forcée de passer à d'autres points de cette histoire qui sont plus importants.

770. Ils arrivèrent à Nazareth , où ils s'occupèrent comme je le dirai dans la suite. L'évangéliste saint Luc (1) renferme dus peu de paroles les mystères de leur vie, lorsqu'il dit que l'Enfant Jésus était soumis à ses parents (c'est-à-dire à sa très-sainte Mère et à son époux Joseph), et que sa divine Mère repassait et conservait toutes ces choses dans son coeur, et que Jésus croissait en sagesse (2), en age et en grave devant

 

(1) Luc., II, 51. — (2) Ibid., 52.

 

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Dieu et devant les hommes, ce dont je parlerai plus tard , selon les lumières qui me seront données. Je dis seulement ici que l'humilité et l'obéissance de notre Seigneur Jésus- Christ envers ses parents furent pour les anges un nouveau sujet d'admiration, aussi bien que la dignité et l'excellence de sa très-pure Mère, qui mérita que Dieu humanisé lui fût confié et assujetti, afin qu'elle en prit soin avec l'aide de saint Joseph, et qu'elle en disposât comme d'une chose qui lui appartenait. Et quoique cette soumission et cette obéissance fussent comme une conséquence de la maternité naturelle; néanmoins, pour user envers son Fils de ses droits et de son autorité de Mère, comme supérieure en cette qualité , il lui fallut une grâce différente de celle qu'elle reçut pour le concevoir et pour l'enfanter. De sorte que l'auguste Marie eut avec plénitude les grâces convenables et proportionnées pour tous ces ministères et offices : plénitude tellement surabondante qu'elle débordait sur l'aime du bienheureux époux saint Joseph, afin qu'il fût aussi le digue père putatif de Jésus-Christ et chef de cette très-sainte famille.

771. Notre illustre Princesse répondait de son côté par des oeuvres sublimes à l'obéissance et à la soumission que son bien-aimé Fils lui témoignait. Entre anti-es dons excellents elle eut alors une humilité quasi incompréhensible, et une ardente reconnaissance de ce que sa Majesté eût daigné retourner avec elle et demeurer en sa compagnie. Cette faveur, que notre divine Reine estimait des plus grandes et dont elle se

 

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croyait même indigne, accrut dans son très-fidèle coeur son amour et son zèle à servir son adorable Fils. Et elle lui en témoignait sa gratitude avec tant de ferveur, elle ne cessait de le servir avec tant d'attention, de ponctualité et d'empressement, et cela toujours à genoux , qu'elle excitait l'admiration des plus hauts séraphins. En outre , elle était très-soigneuse à l'imiter dans toutes ses actions , telles qu'elle les connaissait, et elle s'appliquait de toutes ses forces d'abord à étudier, puis à reproduire ses exemples. Elle blessait par cette plénitude de sainteté le coeur de notre Seigneur Jésus-Christ (1), et elle le tenait, pourrions-nous dire, captif dans les chaînes d'un amour invincible (2). Et cet adorable Seigneur étant ainsi attiré, comme Dieu et comme Fils véritable, par les doux charmes de l'incomparable Princesse, il se trouvait entre le Fils et la Mère une correspondance mutuelle et un divin cercle d'amour et d'oeuvres qui surpassaient tout ce que l'entendement créé peut concevoir. Car tous les fleuves des grâces et des faveurs du Verbe incarné entraient dans l'auguste Marie, comme dans l'océan des perfections, et cette mer ne regorgeait point, parce qu'elle était assez vaste pour les recevoir; mais ces fleuves retournaient à leur source (3), où l'heureuse Mère de la Sagesse lus renvoyait, afin qu'ils coulassent encore, comme si ces flux et ces reflux de la Divinité n'eussent été établis qu'entre l'Enfant-Dieu et sa Mère. C'est ici le mystère de ces

 

(1) Cant., II, 9. — (2) Os., XI, 4. — (3) Eccles., 1, 7

 

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humbles reconnaissances de l'Épouse, si souvent mentionnées dans les Cantiques : Mon bien-aimé est tout à moi, et je suis toute à lui ; il se plaît infiniment parmi les lis, jusqu'à ce que le jour commence à paraître et que les ombres soient dissipées. Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi; je suis à mon bien-aimé, et ses regards sont vers moi (1).

772. Il était comme inévitable que le feu de l'amour divin dont brûlait le coeur de notre Rédempteur, qui est venu l'allumer sur la terre (2), trouvant à sa portée une matière disposée comme l'était le coeur très-pur de sa Mère, causât par son activité extraordinaire des effets si sublimes, que le même Seigneur qui les avait opérés fût le seul qui pût aussi les connaître. On doit remarquer ici une chose qui m'a été révélée : c'est que le Verbe incarné ne mesurait point les témoignages extérieurs de l'amour qu'il portait à sa très-sainte Mère sur son inclination naturelle de fils, mais sur la capacité de mérites que présentait notre auguste Reine comme voyageuse , parce que cet adorable Seigneur savait que s'il l'eût favorisée dans ces démonstrations autant qu'il aurait été naturellement porté à le faire par affection filiale envers une telle Mère, elle eût été en quelque sorte empêchée, par la jouissance continuelle des délices qu'elle eût goûtées dans le commerce de son bien-aimé, de gagner tous les mérites qui lui étaient destinés. C'est pourquoi il réprima jusqu'à un certain point ce penchant naturel

 

(1) Cant. II, 16 et 17; VI, 2; VII, 10. — (2) Luc., XII, 49.

 

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de son humanité, et voulut que sa divine Mère, quoiqu'elle fût parvenue à une sainteté si éminente, continuât à agir, à souffrir, à mériter, en étant quelquefois privée de la douce récompense qu'elle aurait pu recevoir par les faveurs sensibles de son très-saint Fils. C'est pourquoi encore l'Enfant-Dieu montrait plus de réserve et de sévérité, même dans la conversation ordinaire. Et quoique notre diligente Darne le servit toujours avec un souverain respect, et lui fournit toujours avec le plus vif empressement tout ce dont il pouvait avoir besoin, notre aimable Sauveur ne manifestait pas toute la satisfaction que lui inspirait la sollicitude de sa Mère.

 
Instruction que la Reine du ciel nie donna.

 

773. Ma fille, toutes les rouvres de mon très-saint Fils et les miennes sont pleines d'une mystérieuse doctrine et de salutaires leçons pour les mortels, s'ils les considèrent avec une attention respectueuse. Sa Majesté s’absenta de moi afin que, la cherchant avec douleur et avec larmes, je la retrouvasse avec beaucoup de joie (1) et de profit pour mon âme. Je veux que, m'imitant en ce mystère, vous cherchiez le Seigneur

 

(1) Ps. CXXV, 5.

 

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avec une angoisse telle, qu'elle vous maintienne dans une vigilance continuelle et ne vous laisse vous reposer nulle part pendant toute votre vie, jusqu'à ce que vous l'ayez trouvé et que vous ne puissiez plus le perdre (1). Or, afin que vous pénétriez mieux le secret du Seigneur, il faut que vous remarquiez que sa sagesse infinie conduit de telle sorte les créatures capables de sa félicité éternelle, qu'elle les met dans le chemin de cette mémé félicité, mais à une grande distance et avec l'incertitude d'y jamais arriver, afin que, tant qu'elles n'y parviennent pas, elles ne,cessent de vivre dans l'inquiétude et dans une sainte tristesse, afin que cette inquiétude fasse naître en elles une crainte et une horreur continuelles da péché, qui est la seule chose qui puisse la leur faire perdre (2); et que, dans le tumulte de la conversation humaine, elles ne se laissent point entraîner ni enlacer par les choses visibles et terrestres. Le Créateur seconde leurs précautions en soutenant la raison naturelle par les vertus de foi et d'espérance, qui servent d'aiguillon à l'amour, par lequel les créatures cherchent et atteignent leur dernière fin. Et, indépendamment du secours de ces vertus et des autres dont il dépose le germe dates le baptême, il envoie à l'âme des inspirations qui l'excitent, dans l'absence du même Seigneur, à ne point l'oublier en s'oubliant elle-même pendant qu'elle est privée de son aimable présence, mais, au contraire, à poursuivre sa course jusqu'à ce qu'elle

 

(1) Cant., III, 4. — (2) Eccles., IX, 2.

 

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parvienne au but désiré, où elle verra tous ses goûts satisfaits et tous ses voeux accomplis (1).

774. Vous comprendrez par là la crasse ignorance des mortels, dont si peu s'arrêtent à considérer l'ordre mystérieux de leur création et de leur justification, et les oeuvres du Très-Haut tendant à une fin si sublime. Les plus grands maux que les créatures souffrent proviennent de cet oubli, qui leur fait prendre possession des biens terrestres et des plaisirs trompeurs comme s'ils devaient être leur félicité et leur dernière fin. C'est le plus grand désordre où ils puissent tomber contre l'ordre du Créateur, parce que les hommes veillent, durant leur vie si courte et si fugitive, jouir des choses visibles comme si elles étaient leur dernière fin, tandis qu'ils ne devraient user des créatures que pour acquérir le souverain bien, et non point pour le perdre. Or, pesez, ma très-chère fille, ce danger de la folie humaine, et regardez comme un écueil funeste tout ce que le monde offre d'agréable et de séduisant ; dites aux joies des sens qu'elles ne font que les tromper (2), engendrer la folie, enivrer le coeur, empêcher et détruire toute véritable sagesse. Soyez toujours dans une sainte crainte de perdre la vie éternelle, et, jusqu'à ce que vous l'ayez acquise, ne' vous réjouissez que dans le Seigneur. Fuyez la conversation des mortels, redoutez ses dangers; et si Dieu vous met par le moyen de l'obéissance dans quelque péril pour sa gloire, tout en comptant sur sa protection, ayez

 

(1) Ps., XVI, 17. — (2) Eccles., II, .

 

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soin de ne pas vous négliger et de vous tenir sur vos gardes. Ne livrez pas votre naturel confiant à l’amitié ni au commerce des créatures : c'est là que pour vous se trouve le plus grand danger; car le Seigneur vous a donné une humeur douce et reconnaissante, afin qu'il vous soit plus facile de ne point résister à ses opérations, et que vous employiez à son amour, le bienfait que vous en avez reçu. Mais si, vous donnez l’entrée à l'amour des créatures, elles vous entraîneront sans doute et vous éloigneront du souverain Bien, de sorte que vous renverserez l'ordre et les oeuvres de sa sagesse infinie; car c'est une chose indigne de consacrer le plus riche don de la nature à un objet qui n'en soit pas le plus noble et le plus excellent. Élevez-vous au-dessus de tout ce qui est créé et au-dessus de vous-même (1). Rehaussez les opérations de vos puissances, et montrez-leur comme le plus sublime de tous les objets l'être de Dieu, celui de mon Fils bien-aimé et votre, Époux, qui surpasse en beauté tous les enfants des hommes (2); aimez-le de tout votre coeur, de toute votre aime et de tout votre entendement.

 

(1) Thren., III, 28. — (2) Ps. XLIV, 2.

 

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CHAPITRE VI. Dans la douzième année de l'Enfant Jésus, l'auguste Marie eut une vision pour continuer en elle l'image et la doctrine de la loi évangélique.

 

775. J'ai commencé à raconter dans les chapitres premier et second de ce livre ce que je dois continuer dans celui-ci et dans les autres qui suivent, mais non sans une juste crainte de l'obscurité et de la faiblesse de mes termes, et surtout de la tiédeur de mon coeur pour traiter des profonds mystères qui se passèrent entre le Verbe incarné et sa bienheureuse Mère pendant les dix-huit années qu'ils demeurèrent à Nazareth, et qui s'écoulèrent depuis leur retour de Jérusalem, après la conférence des docteurs, jusqu à l'époque où notre Seigneur, âgé de trente ans, se mit à prêcher. Troublée et effrayée au bord de cette mer immense de mystères, je supplie du fond de l’âme le souverain Maître de charger un ange de prendre la plume, afin qu'un sujet si sublime ne soit point avili ; à moins qu'il ne veuille, dans sa puissance et dans sa sagesse, parler lui-même par mon organe, éclairer et diriger mes facultés, afin qu'étant guidées par sa divine lumière elles servent seulement d'instrument à sa volonté et à sa vérité, sans se ressentir te la fragilité

 

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humaine inhérente à la condition d'une femme ignorante.

776. J'ai dit dans les chapitres que je viens de citer que notre grande Dame fut la première disciple de son très-saint Fils, l'unique et l'élue entre toutes les créatures pour être l'image choisie en qui la nouvelle loi de l'Évangile et de son auteur devait être imprimée, afin qu'elle servît dans sa nouvelle Église comme de seul modèle que tous les autres saints devraient reproduire, et qui renfermerait tous les effets de la rédemption humaine. Le Verbe incarné agit dans cette occasion comme un excellent peintre qui possède les secrets de son art dans toutes ses parties, et qui tâche, entre plusieurs de ses ouvrages, d'en achever un avec tant de perfection et de délicatesse, qu'il établisse sa réputation, qu'il atteste son rare talent, et qu'il reste comme le type de ses autres tableaux. Il est certain que toute la sainteté et la gloire des saints fut l'oeuvre de l’amour de Jésus-Christ et de ses mérites (1); car ils furent tous les très-parfaits ouvrages de ses mains mais, comparés avec la grandeur de l'auguste Marie, ils ne semblent que des ébauches, parce que tous les saints eurent quelques défauts qu'il fallut corriger (2). Il n'y eut que cette seule image vivante de son adorable Fils qui en fut exempte;, et le premier coup de pinceau qu'il donna en la formant fut plus excellent et plus délicat que les retouches qu'exigèrent les plus sublimes esprits et les plus grands saints. Elle est le

 

(1) Ephes., I, 8; Joan., I, 16. — (2) I Joan., I, 8.

 

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modèle de toute la sainteté et de toutes les vertus des autres; le dernier terme que pût atteindre l'amour de Jésus Cherchez une simple créature, car aucune créature ne reçut en grâce ou en gloire ce qui ne put être donné à l'incomparable Marie, et elle reçut tout ce qui put être donné aux autres; de sorte que son très-béni Fils lui donna tout ce qu'elle put recevoir et qu'il put lui communiquer.

777. La variété des saints, aussi bien que leurs différents degrés, exaltent dans le silence l'ouvrier de tant de sainteté (1); les petits augmentent la grandeur des grands, et ils honorent tous ensemble la très-pure Marie, qui les surpasse glorieusement par son incomparable sainteté, et au bonheur de laquelle ils participent sous le rapport sous lequel ils l'ont imitée ; pour concourir à cet ordre, dont la perfection rejaillit sur tous. Et si l'auguste Marie est le couronnement qui a relevé tout l'ordre des justes, par là même elle a été l'instrument ou le motif de la gloire que tous les saints ont à un certain degré. Il suffit de considérer le temps que notre Seigneur Jésus-Christ mit à travailler en elle, et celui qu'il employa en tout le reste de l'Église, pour découvrir, quoique de loin, son excellence dans le mode qu'il suivit pour former cette image de sa sainteté. Car pour fonder l'Église et l'enrichir, pour appeler les apôtres, pour enseigner le peuple et pour établir la nouvelle loi de l'Évangile, il ne fallut que trois ans de prédication, pendant lesquels il accomplit

 

(1) Ps., XVIII, 2.

 

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surabondamment cette pauvre que son Père éternel lui avait recommandée (1), et il justifia et sanctifia tons les fidèles : mais pour imprimer en sa bienheureuse mère l'image de sa sainteté, il n'employa pas seulement trois ans, mais trente ans, pendant lesquels il opéra continuellement en elle par la force de son amour et de sa puissance divine, sans aucun intervalle où il ait cessé d'ajouter grâces sur grâces, dons sur dons, bienfaits sur bienfaits, sainteté sur sainteté. Et en outre il se réserva de la retoucher de nouveau, et ce fut parles faveurs qu'elle reçut après que Jésus-Christ son très-saint Fils fut monté à son Père, comme je le dirai dans la troisième partie. La raison se trouble, les paroles manquent à la vue de cette grande Dame, parce qu'elle fut élue comme le soleil (1), et que les yeux de l'homme n'en sauraient supporter la splendeur, non plus que ceux de toute autre créature.

778. Notre Rédempteur Jésus-Christ commença à découvrir ce dessein envers sa Mère dès leur retour d'Égypte à Nazareth, comme nous l'avons dit, et il continua toujours à son égard l'office de maître en l'enseignant, et l'exercice de son pouvoir divin en l'éclairant par de nouvelles notions sur les mystères de l'incarnation et de la rédemption. Après qu'ils furent revenus de Jérusalem , dans la douzième année de l'Enfant-Dieu, notre grande Reine eut une vision de la Divinité qui ne fut point intuitive, mais imaginative; elle fut pourtant fort relevée, et remplie de

 

(1) Joan., VI, 38. — (2) Cant., VI, 9.

 

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nouvelles influences de cette même Divinité et de sublimes communications des secrets du Très-Haut. Elle connut spécialement les décrets de l'entendement et de la volonté du Seigneur concernant la loi de grâce, que le Verbe incarné devait établir, et le pouvoir que le consistoire de la très-sainte Trinité lui donnait à cet effet (1). Elle vit aussi que le Père éternel remettait pour cette fin à son Fils fait homme ce livre scellé de sept sceaux dont saint Jean fait mention dans le chapitre V de l'Apocalypse, et que personne ne pouvait ouvrir ni dans le ciel ni sur la terre, jusqu'à ce que l'Agneau l'ouvrît par sa passion, par sa mort, par sa doctrine et par ses mérites; de sorte qu'il déclara en même temps aux hommes le secret de ce livre, qui était tonte la nouvelle loi de l'Évangile, et l'Église qui devait être fondée par le même Évangile dans le monde.

779. Ensuite notre auguste Princesse comprit que la très-sainte Trinité décrétait qu'elle serait dans tout le genre humain la première qui lirait et qui entendrait ce livre; que son Fils le lui ouvrirait et expliquerait entièrement, et qu'elle exécuterait tout ce qu'il contenait; qu'elle serait aussi la première qui, fidèle compagne du Verbe à qui elle avait donné la chair, le suivrait et aurait sa légitime place immédiatement. après lui dans les voies qu'il devait, en descendant du ciel, tracer dans ce livre, afin que les mortels y montent, et que ce Testament fût mis en dépôt en

 

(1) Ephes., II, 14 et 15; Matth., IV, 17; Matth., XXVIII, 18.

 

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celle qui était sa véritable Mère. Elle vit que le Fils du Père éternel et le sien acceptait ce décret avec beaucoup de complaisance, et que sa très-sainte humanité s'y soumettait avec une joie indicible par rapport à elle : et le Père éternel, s'adressant à cette très-pure Dame, lui disait :

 

780. « mon Épouse et ma Colombe, préparez votre coeur, afin que, selon notre bon plaisir, nous vous fassions participante de la plénitude de notre science, et que le nouveau Testament et la loi sainte de mon Fils soient gravés dans votre âme. Redoublez l'ardeur de vos désirs, et appliquez-vous entièrement à l'étude et à l'exécution de notre doctrine et de nos préceptes. Recevez les dons de notre pouvoir libéral et de l'amour que nous vous portons. Et, afin que vous nous rendiez un retour convenable, sachez que nous déterminons, par une disposition de notre sagesse infinie, que mon Fils, quant à l'humanité qu'il a prise de vous, trouve en une si simple créature son image et sa ressemblance autant que cette ressemblance est possible, comme l'effet et le digne fruit de ses mérites, et que, dans la préoccupation de cet effet et de ce fruit, son saint nom soit glorifié et exalté par votre parfaite correspondance. Or, considérez, ma Fille et mon Élue, que ces des seins exigent de votre part de grandes dispositions. Préparez-vous donc pour les couvres et le mystère de notre puissante droite. »

781.« Seigneur éternel, et Dieu immense, répondit la très-humble Dame, me voici prosternée

 

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en votre divine présence, découvrant à la vue de votre être infini la petitesse du mien, qui n'est a qu'un pur néant. Je reconnais, Seigneur, votre a grandeur et ma bassesse. Je suis indigne du nom de votre servante; je vous offre le fruit de mes entrailles et votre Fils, pour la bonté avec laquelle vous, avez daigné me regarder, et je supplie sa  Majesté de répondre pour sa servante inutile. Non a coeur est préparé (1), et en reconnaissance de vos miséricordes il se change en affections , parce qu'il ne peut point réaliser ses plus ardents désirs (2). Mais si j'ai trouvé grâce devant vos yeux (3), je  parlerai, Seigneur, où votre présence, pour vous supplier seulement de faire en votre servante tout a ce que vous lui demandez et ordonnez, puisqu'il n'y a que vous, mon divin Maître, qui puissiez l'opérer. Et si vous me demandez un coeur disposé et  soumis, je vous l'offre pour souffrir et obéir à votre   volonté, fallût-il mourir. » Alors notre auguste Princesse fut remplie de nouvelles effusions de la Divinité; elle fut illuminée, purifiée, spiritualisée, enrichie des dons du Saint-Esprit avec une plus grande abondance que dans le passé , car le bienfait que la Reine du ciel reçut en ce jour fut tout spécial. Sans doute tous ceux dont elle était l'objet étaient extraordinaires, exceptionnels, au-dessus de tous ceux que pussent recevoir les autres créatures et par conséquent chacun de ces bienfaits semblait être le

 

(1) Ps. LVI, 1. — (2) Ps. LXXII, 16. — (3) Esth., VII, 3.

 

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suprême, et marquer le non plus ultra; néanmoins il n'y a en la participation des perfections divines aucune borne de leur côté, et c'est la capacité de la créature qui manque. Et comme celle de notre auguste Princesse était grande, et qu'elle croissait en elle dans la proportion même des faveurs, elle ne faisait, en recevant de grandes grâces, que se disposer à en recevoir d'autres plus grandes. De sorte que le pouvoir divin ne trouvant en elle aucun obstacle qui l’empêchât, versait. tous ses trésors pour les confier à la très-fidèle Marie, comme su plus sûr réservoir.

782. Elle sortit toute renouvelée de cette vision extatique, et s'alla prosterner devant son très-saint Fils, en lui disant: « Mon Seigneur, ma lumière et mon Maître, voici votre indigne Mère, toute prêle à accomplir votre sainte volonté. Acceptez-moi de nouveau pour disciple et pour servante, servez-vous de l'instrument de votre sagesse, et exécutez en moi le bon plaisir du Père éternel et le vôtre. » Le très-saint Enfant reçut sa Mère avec la majesté et l'autorité d'un maître, et il lui tint un discours très-sublime. Il lui fit connaître par de puissantes raisons les trésors inestimables qui étaient renfermés dans les rouvres mystérieuses que le Père éternel lui avait recommandées touchant l'affaire de la rédemption des hommes, et l'établissement de la nouvelle Église et de la loi évangélique, qui avaient été décrétés dans l'entendement divin. Il lui déclara de nouveau comment, recevant les prémices de la grâce, elle devait être sa coadjutrice dans des mystères si profonds, et que

 

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pour ce sujet elle le devait accompagner dans ses travaux, et même jusqu'à la mort de la croix, et le suivre avec un ferme courage et avec un coeur magnanime, constant et invincible. Il lui communiqua une doctrine céleste, afin qu'elle se préparât par ce secours à recevoir toute la loi évangélique, à l'entendre, à la pénétrer, et à exécuter tous ses préceptes et tous ses conseils avec une très-haute perfection. L'Enfant Jésus révéla dans cette occasion d'autres sublimes mystères à la bienheureuse Mère relativement aux oeuvres qu'il ferait dans le monde. Et cette divine Dame s'offrit à tout avec beaucoup d'humilité, de soumission, de respect, de reconnaissance, et avec l'amour le plus ardent.

 
Instruction que notre auguste Maîtresse me donna.

 

783. Ma fille, je vous ai appelée plusieurs fois pendant le cours de votre vie, et surtout depuis que vous écrivez la mienne, à me suivre en m'imitant le mieux qu'il vous sera possible avec le secours de la divine grâce. Je vous rappelle maintenant de nouveau cette obligation et cette vocation , depuis que la bonté du Très-Haut vous a donné des notions si claires et si lumineuses sur le mystère que son puissant bras a opéré dans mon coeur, en y écrivant toute la loi de grâce et toute la doctrine de son Évangile, et depuis

 

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qu'elle vous a révélé en même temps l'effet qu'une si grande faveur produisit en moi, et la manière avec laquelle je la reconnus et y correspondis par une très-parfaite imitation de mon très-saint Fils et mon Maître. Vous devez regarder la connaissance que vous avez de tout cela comme une des grâces les plus insignes, que sa divine Majesté vous ait faites; puisque vous y trouverez la somme et l'épilogue de la plus haute sainteté et de la plus sublime perfection, comme dans un brillant miroir; et que par son moyen vous découvrirez les voies de la divine lumière, par où vous marcherez avec sûreté, et hors des ténèbres de l'ignorance qui environnent les mortels (1).

784. Suivez-moi donc, ma fille, venez après moi. Et afin que vous m'imitiez comme je le veux, et que vous soyez éclairée en votre entendement, que vous ayez l'esprit élevé, le coeur dispos et la volonté généreuse, établissez-vous dans une sainte liberté, qui vous sépare de toutes les choses passagères, comme votre époux vous l'ordonne; éloignez-vous de tout ce qui est terrestre et visible, quittez toutes les créatures, renoncez à vous-même (2), fermez vos sens aux tromperies du monde et du démon (3). Et je vous avertis de ne pas beaucoup vous troubler ni affliger de ses tentations , parce que, s'il peut vous causer le moindre retardement dans le chemin de la vertu , il aura par là remporté sur vous une grande victoire, et vous ne

 

(1) Prov., IV, 18; Joan., XII, 35. — (2) Matth., XVI, 24. — (3) Ps. XXXIX, 5.

 

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vous fortifierez point dans la perfection. Donnez donc toutes vos attentions au Seigneur, qui désire de voir la beauté de votre âme (1), qui est libéral pour vous l'accorder, puissant pour vous enrichir des trésors de sa sagesse, et industrieux pour vous disposer à les recevoir. Laissez-lui graver dans votre coeur sa divine loi évangélique; travaillez à en faire votre étude continuelle, votre méditation durant le jour et la nuit (2), tout le sujet de votre souvenir, votre nourriture, la vie de votre âme, et le nectar de votre goût spirituel; car ainsi vous accomplirez ce que le Très-Haut demande de vous, ce que je souhaite et ce que vous désirez.

 
CHAPITRE VII. Où sont indiquées plus expressément les fins du Seigneur en la doctrine qu'il enseigna à la très-pure Marie, et les manières avec lesquelles elle l'exécutait.

 

785. Il faut qu'une cause, quelle qu’elle soit, qui opère avec liberté et connaissance de ses actions, ait en elles quelque fin et quelques motifs par la considération desquels elle se détermine et se meuve à les

 

(1) Ps. XLIV, 11. — (2) Ps. I, 2.

 

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faire, et de la connaissance des fins s'ensuit le choix, ou l'élection des moyens pour y arriver. Cette règle est plus sûre dans les couvres de Dieu, qui est la suprême et la première cause, douée d'une sagesse infinie, par laquelle il dispose, exécute toutes choses (1), et atteint depuis une extrémité jusqu'à l'autre avec force et avec douceur, comme dit le Sage (2) , ne voulant jamais ni la destruction ni la mort, et faisant tout au contraire pour conserver aux créatures l'être et la vie. Plus les couvres du Très-Haut sont admirables, plus particulières et plus élevées sont les fins auxquelles il les fait servir. Et quoique la dernière fin de toutes soit sa propre gloire (3) et sa manifestation, il n'y a pas moins entre elles une coordination fixée par sa science infinie, comme une chaîne à plusieurs anneaux , qui, étant attachés de rang les uns aux autres, arrivent de la plus basse créature jusqu'à la plus haute et la plus immédiate, à Dieu, qui est l'auteur et la fin universelle de toute chose (4).

786. Toute l'excellence de la sainteté de notre grande Dame est comprise en ce que Dieu l'a faite une image vivante de son propre Fils, et si semblable à lui en la grâce et en ses opérations, qu'elle paraissait un autre Christ par communication et par privilège. Ce fut entre le Fils et la Mère un divin et ineffable commerce; car elle lui donna la forme et l'être de la nature humaine (5), et cet adorable Seigneur donna à sa très-pure Mère un autre âtre spirituel et de grâce,

 

(1) Ps. CIII, 24; Sap., VIII, 1. — (2) Sap., I, 13 et 14. — (3) Prov., XVI, 4. — (4) Apoc., XXII, 13. — (3) Galat., IV, 4.

 

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afin qu'ils se ressemblassent mutuellement sous ce rapport comme sous celui de leur humanité. Les fins qu'eut le Très-Haut furent dignes d'une si rare merveille, qui était la plus grande de ses oeuvres en une pure créature. Dans les chapitres précédents, savoir, le premier, le second et le sixième, j'ai dit quelque chose de ce qu'exigeaient à cet égard l'honneur de notre Rédempteur, et l'efficace de sa doctrine et de ses mérites; en effet il était comme nécessaire, pour mieux assurer l’un et attester l'autre, que l'on vît éclater en cette divine Mère la sainteté et la pureté de la doctrine de notre Seigneur Jésus-Christ, qui en était l'auteur et le Maître, et en même temps l'efficace de la loi évangélique et de l'œuvre de la rédemption, et que le tout tournât à la suprême gloire que la rédemption devait faire rejaillir sur notre aimable Sauveur. Aussi sa divine Mère en recueillit-elle. plus abondamment les fruits les plus exquis , à elle seule, que tous les autres enfants de la sainte Église et que tous les prédestinés.

787. La seconde fin qu'eut le Seigneur en cette oeuvre concerne également le ministère de Rédempteur; car les conditions de. notre rédemption devaient répondre à celles de la création du monde, et le remède du péché à son introduction : ainsi il convenait que, comme le premier Adam eut notre mère Ève pour compagne dans le péché; comme elle l'aida et le poussa à le commettre, et que le genre humain se perdit en lui comme en son chef (1), de même il arrivât

 

(1) I Cor., XV, 47.

 

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que, lors de la réparation d'une si grande perte, le second et le céleste Adam eût sa très pure Mère pour coadjutrice en la rédemption, et qu'elle concourut et coopérât au remède, quoique la vertu et la cause essentielle de la rédemption universelle fussent seulement en Jésus-Christ, qui est notre chef (1). Et, afin que ce mystère fut réalisé avec la dignité et la plénitude convenables, il fallut que s'accomplit entre notre Seigneur Jésus-Christ et la sainte Vierge ce que le Très-Haut dit lors de la formation de nos premiers parents : Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui un aide semblable à lui (2). Et c'est ce que le Seigneur fit, comme il le put; de sorte que, parlant dans cette occasion an nom du second Adam Jésus-Christ, il eut sujet de dire : Voici l'os de mes os, et la chair de ma chair; elle s'appellera d'un nom. qui marque l'homme, parce qu'elle a été prise de l'homme (3). Je ne m'arrête pas à faire un plus long exposé de ce mystère, puisqu'il se découvre de lui-même aux yeux de la raison , éclairée par la foi, et par la lumière divine, qui tonnait la ressemblance de Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère.

788. Il y eut encore un autre motif qui concourut à ce mystère; et, quoique je le mette ici le troisième dans l'exécution, il fut pourtant le premier dans l'intention, parce qu'il regarde la prédestination éternelle de notre Seigneur Jésus-Christ, conformément à ce que j'ai dit dans la première partie. Car le motif de

 

(1) Coloss., I, 18; I Tim., II, 6. —(2) Gen., II,18. — (3) Ibid., 93.

 

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l'incarnation du Verbe et de sa venue au monde pour y être l'exemplaire et le Maître des créatures, et réaliser ainsi son premier objet, devait répondre à la grandeur d'une telle oeuvre, qui était la plus grande de toutes, et la fin immédiate à laquelle toutes devaient se rapporter. Or, afin que la divine Sagesse gardât cet ordre et cette proportion, il était convenable que parmi les simples créatures il y en eût une qui remplit les conditions posées par la volonté du Seigneur, en sa détermination de venir être notre Maître et nous élever à la dignité d'enfants adoptifs par sa doctrine et par sa grâce (1). Et si Dieu n'eût pas fait la très-pure Marie en la prédestinant entre les créatures par un degré de sainteté en rapport avec l'humanité de son très-saint Fils, le monde ne lui aurait pas offert ce motif par lequel (pourrions-nous dire dans notre grossier langage) il colorait et justifiait son dessein de s'humaniser, suivant l'ordre et le mode que nous a manifestés sa toute-puissance., Je fais réflexion ici sur ce qui arriva à Moïse portant les tables de la loi, écrites du doigt de Dieu (2) : quand il eut vu due le peuple adorait le veau d'or, il les brisa, regardant ces infidèles comme indignes d'un tel bienfait (3). Mais la loi fut écrite depuis sur d'autres tables faites parla main des hommes (4), et celles-ci furent conservées dans le monde. Les premières tables, formées par la main du Seigneur, où sa loi fut écrite, furent brisées par le premier

 

(1) Galat., IV, 5. — (2) Exod., XXXI, 18. — (3) Exod., XXXII, 19. — (4) Exod., XXXIV, 4.

 

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péché; et nous aurions été privés de la loi évangélique, si nous n'avions eu en Jésus-Christ et en Marie d'autres tables faites d'une autre manière : Marie, de la manière commune et ordinaire, et Jésus-Christ par le concours de la volonté et de la substance de cette auguste Dame (1). De sorte que si elle ne se fût point montrée digne de concourir et de coopérer à la détermination de cette loi, nous ne l'aurions point reçue.

759. La volonté de notre Seigneur Jésus-Christ embrassait toutes ces fins si relevées avec la plénitude de sa science et de sa grâce divine, enseignant les mystères de la loi évangélique à sa bienheureuse Mère. Et, afin qu'elle fût non-seulement instruite de tous, mais aussi des différentes manières d'entendre cette même loi, et qu'elle devint une si savante disciple qu'elle pût elle-même être ensuite une maîtresse consommée et la Mère de la Sagesse (2), le Seigneur se servait de divers moyens pour l'éclairer. Quelquefois c'était par cette vision abstractive de la Divinité, qui lui fut dès lors plus fréquente; et quand elle ne l'avait point, il lui restait comme une vision intellectuelle, plus habituelle et moins claire que l'autre. Et dans l'une et l'autre elle connaissait distinctement toute l'Église militante, suivant l'ordre des événements successifs qu'elle avait traversés depuis le commencement du monde jusqu'à l'incarnation, et suivant le développement qu'elle devait avoir jusqu'à la fin du monde, et ensuite dans la félicité éternelle. Cette connaissance

 

(1) Luc., I, 88. — (2) Eccles., XXIV, 24.

 

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était si claire et si distincte, quelle s'étendait sur tous les saints et les justes et sur tous ceux qui se distingueraient dans l'Église, comme les apôtres, les martyrs, les patriarches des religions, les docteurs, les confesseurs et les vierges. Notre Reine les connaissait tous individuellement aussi bien que leurs couvres, leurs mérites, la grâce qu'ils auraient, et la récompense qui devait y correspondre.

790. Elle connut aussi les sacrements que son très-saint Fils voulait instituer en sa sainte Église, l'efficace qu'ils auraient, les effets qu'ils produiraient en ceux qui les recevraient, selon leurs différentes dispositions; et comme le tout dépendait de la sainteté et des mérites de sou adorable Fils et notre Restaurateur (1), elle eut de même une connaissance claire de toute la doctrine qu'il devait prêcher et enseigner; des Écritures anciennes et de celles qui étaient à venir; de tous les mystères qu'elles renferment dans les quatre sens, savoir, le littéral, le moral, l'allégorique et l'anagogique, et de tout ce que les interprètes en devaient écrire. En outre, cette divine disciple pénétrait beaucoup d'autres choses; et elle comprit que cette science lui était communiquée afin qu'elle fût la Maîtresse de la sainte Église, comme elle la fut effectivement en l'absence de son très-saint Fils après sa glorieuse Ascension, et afin que les nouveaux fidèles réengendrés en la grâce eussent en cette auguste Dame une Mère amoureuse qui prit soin de les nourrir

 

(1) Joan., I, 16.

 

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au sein de sa doctrine comme avec un lait très-doux, aliment propre des enfants (1). De sorte que, pendant ces dix-huit ans qu'elle demeura avec son Fils, elle reçut et digéra, pour ainsi dire, la substance évangélique, qui est la doctrine de notre Sauveur Jésus-Christ, qu'elle recevait de ce mime Seigneur. Et, après l'avoir goûtée (2) et en avoir apprécié la force, elle en tira le doux aliment nécessaire pour nourrir la primitive Église, dont les jeunes enfants n'étaient pas encore assez forts pour prendre la nourriture solide de la doctrine, des Écritures et de l'imitation parfaite de leur Maître et Rédempteur. Et comme je dois traiter de cette matière dans la troisième partie, où elle trouvera sa place, je ne m'y étends pas ici davantage.

791. Indépendamment de ces visions et de ces illuminations, notre grande Reine recevait l'enseignement de son très-saint Fils en deux manières, dont j'ai déjà fait mention : d'abord, par la contemplation du miroir de son âme très-sainte et de ses opérations intérieures, et en quelque façon de la science même qu'il avait de toutes les causes; et c'était là un nouveau moyen par lequel elle apprenait les desseins du Rédempteur et Auteur de la sainteté, et les décrets relatifs à ce qu'il devait opérer par lui-même et par ses ministres dans l'Église. Ensuite par l'instruction extérieure et de vive voix : car le Seigneur conférait avec sa diane Mère de toutes les choses qu'il lui avait

 

(1) I Petr., II,2. — (2) Prov., XXXI, 18.

 

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manifestées en son humanité et en la Divinité. Il lui communiquait tout ce qui regardait l'Église jusque dans les moindres détails, et même les choses qui devaient correspondre aux temps et aux événements de la loi évangélique, du paganisme et des fausses sectes. Il informa de tout sa divine Disciple et notre auguste Maîtresse. De sorte qu'avant que le Seigneur eût commencé à prêcher, la sainte Vierge était versée en sa doctrine et l'avait déjà pratiquée avec une très-haute perfection; car la plénitude des oeuvres de cette grande Reine répondait à celle de sa sagesse et de sa science; et celle-ci fut si profonde, si pénétrante, si infaillible, que, comme elle n'ignorait rien, elle ne se trompa jamais ni dans ses idées ni dans ses paroles; n'omettant rien de nécessaire, n'ajoutant rien de superflu, elle ne prit jamais un ternie pour un autre, et n'avait pas besoin de réfléchir pour parler et pour expliquer les plus profonds mystères des Écritures, lorsqu'elle fut obligée de le faire dans la primitive Église.

 
Instruction que la divine Mère me donna.

 

792. Ma fille, le Très-Haut, qui par lui-même a donné l'être et le donne à toutes les créatures, ne refusant à aucune sa grande providence, est, par un effet de sa bonté et de sa clémence, très-fidèle à répandre

 

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sa lumière sur toutes les âmes, afin qu'elles puissent entrer dans le chemin de sa connaissance, et par là même dans celui de la vie éternelle (1), si elles n'y mettent aucun obstacle et n'obscurcissent cette même lumière par leurs péchés, qui leur font abandonner la conquête du royaume des cieux. Mais il se montre plus libéral envers ces âmes qu'il appelle par ses secrets jugements dans son Église (2); car il leur communique dans le baptême, avec la grâce de ce sacrement, des vertus qu'on appelle essentiellement infuses et, qu'elles ne sauraient acquérir par elles-mêmes; et d'autres qui sont accidentellement infuses et qu'elles pourraient acquérir par leurs oeuvres en coopérant à la grâce; mais le Seigneur les leur donne par anticipation , afin qu'elles soient plus promptes et plus ferventes à observer la sainte loi. Outre cette lumière commune de la foi, il ajoute à d'autres âmes, par sa clémence, d'autres dons particuliers et surnaturels d'une plus grande connaissance et d'une vertu plus relevée, pour les avancer en la pratique des bonnes œuvres et leur faire connaître les mystères de la loi évangélique. Et en ce bienfait il s'est montré plus libéral envers vous qu'envers une foule de générations : de sorte qu'il vous a obligée par là de vous distinguer en l'amour et en la correspondance que vous lui devez, et d'être toujours humiliée et abîmée dans votre propre néant.

793. Et, afin que vous soyez avertie de tout, je

 

(1) Joan., I, 9. — (2) Matth., XI, 12.

 

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veux, par un soin et par un amour maternel, vous découvrir, comme Maîtresse, la ruse avec laquelle l'ennemi tâche de renverser les oeuvres du Seigneur car aussitôt que la créature est arrivée à l'usage de la raison, elle est suivie par plusieurs démons vigilants et obstinés. Ainsi, au moment même où les âmes devraient élever leur entendement à la connaissance de Dieu et entreprendre les oeuvres des vertus infuses dans le baptême, ces ennemis de leur salut font avec une fureur et une adresse incroyables leurs efforts pour leur arracher cette divine semence; et, s'ils n'en peuvent venir à bout, ils tâchent ait moins d'en empêcher le fruit en portant les hommes à des actions vicieuses, inutiles et puériles. Par cette méchanceté ils les détournent d'user de la foi, de l'espérance et des autres vertus; de faire réflexion qu'ils sont chrétiens, et de s'attacher à la connaissance de leur Dieu et des mystères de la rédemption et de la vie éternelle. En outre, ils inspirent aux parents une nonchalance criminelle et un amour aveugle pour leurs enfants, et suggèrent aux précepteurs d'autres négligences, afin que les uns et les autres ne prennent point garde aux défauts qu'ils devraient corrigée, et qu'ils laissent ces pauvres enfants contracter plusieurs mauvaises habitudes et perdre les vertus et leurs bonnes inclinations, de sorte qu'ils prennent le chemin de la damnation.

794. Mais le miséricordieux Seigneur ne manque pas de parer à ce danger en redoublant la lumière intérieure par de nouveau secours et par de saintes inspirations :

 

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 par la doctrine de la sainte Église, par ses prédicateurs et par ses ministres; par l'usage et par le remède efficace des sacrements, et par d'autres moyens qu'il applique pour les remettre dans le chemin de la vie. Et si avec tant de, remèdes il y a si peu d'hommes qui recouvrent la santé spirituelle, la cause la plus puissante qui les en prive se trouve dans l'empire fatal des vices et des passions désordonnées auxquels ils se sont livrés dès leur jeune âge. Car cette sentence du Deutéronome est véritable: La vieillesse sera comme les jours de la jeunesse. C'est ainsi que les démons s'enhardissent et prennent un empire plus tyrannique sur les âmes, convaincus due, comme ils se les sont assujetties lorsqu'elles avaient de moindres péchés, ils se les assujettiront plus facilement encore quand elles en commettront sans crainte beaucoup de plus énormes. De sorte qu'ils ne cessent de les y pousser et de leur inspirer une nouvelle témérité, parce que la créature diminue ses forces spirituelles à mesure qu'elle augmente le nombre de ses péchés, et elle se soumet de plus en plus au démon, c'est-à-dire à un ennemi acharné qui acquiert sur elle un pouvoir absolu, et l'enchaîne si cruellement à sa corruption et à sa misère, qu'elle succombe sous le poids de son iniquité et se laisse entraîner au gré de son vainqueur de précipice en précipice, d'abîme en abîme : juste châtiment infligé à celle qui s'y est assujettie par le premier péché(1). C'est par ces moyens que Lucifer a jeté

 

(1) Ps. XLI, 7.

 

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un si grand nombre d'âmes dans les enfers, et qu'il y en précipite chaque jour, s'élevant en son orgueil contre Dieu (1). Il a introduit par là dans le monde sa tyrannie et l'oubli des quatre fins de l'homme, la mort, le jugement, l'enfer, le paradis : et il a 'roulé tant de nations d'abîme en abîme, jusqu'à les faire tomber dans des erreurs aussi brutales que le sont toutes les hérésies et toutes les fausses sectes des infidèles. Prenez donc bien garde, ma fille, à ce danger formidable, et faites en sorte de ne perdre jamais le souvenir de la loi de Dieu, de ses commandements (2), des vérités catholiques et de la doctrine évangélique. Ne laissez passer aucun jour sans en employer une bonne partie à les méditer; conseillez à vos religieuses d'en faire de même, aussi bien qu'à tous ceux à qui vous parlerez; car le démon, leur ennemi, travaille sans relâche à obscurcir leur entendement (3) et à lui faire oublier la loi divine, afin qu'il ne conduise point la volonté, qui est une puissance aveugle, aux actes propres à assurer la justification que l'on acquiert par une foi vive, par une ferme espérance, par un amour fervent et par un coeur contrit et humilié (4).

 

(1) Ps. LXXIII, 23. — (2) Ps. CXVIII, 92. — (3) I Petr., V, 8. — (4) Ps. I, 19.

 

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CHAPITRE VIII. Où il est déclaré comment notre grande Reine pratiquait la doctrine de l'Évangile, que son très-saint Fils lui enseignait.

 

735. Notre adorable Sauveur, commençant à sortir de l'enfance, croissait en âge et en oeuvres, accomplissant en toutes et en chacune ce que le Père éternel lui avait recommandé pour le salut des hommes. Il ne parlait point en public, et il ne faisait pas non plus alors en Galilée des miracles aussi éclatants que ceux qu'il avait faits auparavant en Égypte, ou que ceux qu'il fit dans la suite. Mais il opérait toujours secrètement de grands effets dans les âmes et clans les corps de beaucoup de personnes. Il visitait les pauvres et les malades; il consolait les affligés, et il conduisait ceux-là aussi bien que plusieurs autres au salut éternel, les éclairant par des conseils particuliers, et les excitant par des inspirations et des faveurs intérieures à se convertir à leur Créateur, et à s'éloigner du démon et de la mort. Ses bienfaits étaient continuels, et c'est pour les répandre qu'il sortait souvent de la maison de sa bienheureuse Mère. Et, quoique les hommes remarquassent qu'ils étaient émus et renouvelés par sa présence et par ses paroles, néanmoins, comme ils

 

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ignoraient le mystère, ils en étaient fort surpris, ne sachant à qui en attribuer la cause, sinon à Dieu même. L'auguste Maîtresse de l'univers connaissait, dans le miroir de l'âme très-sainte de son Fils et par d'autres voies, toutes les merveilles qu'il faisait; et, se trouvant seule avec lui, elle l'adorait toujours prosternée , et lui eu rendait ales actions. de grâces.

796. Le très-doux Jésus passait le reste du temps avec sa Mère, l'employant à faire oraison, à l'enseigner et à lui communiquer les soins qu'il prenait ale son cher troupeau (1), les mérites qu'il voulait multiplier pour son remède, et les moyens qu'il avait résolu d'appliquer à son salut. La très-prudente Mère était attentive à tout, et y coopérait par sa haute sagesse et par son amour divin, en prenant sa part dans les offices de père, de frète, d'ami, de mitre, d'avocat, de protecteur et de restaurateur, qu'il commençait à remplir en faveur du genre humain. Ces communications avaient lieu ou par paroles ou par les opérations intérieures, par le moyen (lesquelles le Fils et la Mère se parlaient et s'entendaient aussi. Le divin Enfant lui disait :  Ma Mère, le résultat de mes oeuvres, sur lequel je veux établir l'Église, doit être une doctrine et une science dont l'adoption et la mise en pratique procureront la vie et le salut (les hommes; une loi sainte, efficace et puissante pour enlever le mortel venin que Lucifer a jeté dans leur coeur avec le premier péché. Je veux qu'ils se spiritualisent

 

(1) Joan., X, 14.

 

 

au moyen de mes préceptes et de mes conseils; qu'ils s'élèvent à nia participation et à ma ressemblance; qu'ils soient les dépositaires de mes trésors dans l'état de leur mortalité, et qu'ils arrivent ensuite à la participation de ma gloire éternelle. Je veux renouveler dans le monde la loi que j'ai donnée à Moïse, et lui communiquer une plus grande perfection, une nouvelle lumière et une efficace spéciale, afin qu'elle renferme des préceptes et des conseils. »

797. La divine Mère connaissait avec une très-profonde science tous ces projets du Maître de la vie, les recevait, les honorait, et en témoignait sa reconnaissance avec un très-grand autour au nom de tout le genre humain. Et comme le Seigneur lui découvrait tous ces grands mystères en général, et chacun en particulier, elle connaissait en mégie temps l'efficace qu'il donnerait à tous aussi bien qu'à la loi de l'Évangile; et, pénétrant les effets que cette même loi produirait dans les âmes si elles l'observaient, et la récompense qu'elles acquerraient, elle lit dès lors toutes ses actions comme si elle les eût faites pour chacun des hommes. Elle connut distinctement les quatre Évangiles, avec leur texte spécial et les mystères que chacun des évangélistes écrirait. Elle comprit toute leur doctrine : car sa science surpassait celle des évangélistes mêmes et des autres écrivains sacrés; de sorte qu'elle eût pu être leur maîtresse, et leur exposer la première toutes ces choses sans avoir besoin de leurs récits. Elle sut aussi que cette science

 

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était comme tirée de celle de Jésus-Christ, et que par elle les Évangiles qu'on allait écrire étaient comme copiés en son âme et s'y trouvaient en dépôt, comme les tables de la loi dans l'Arche du Testament (1), afin qu'ils tinssent lieu de légitimes et véritables originaux à tous les saints et à tous les justes de la loi de grâce : parce qu'ils devaient tous imiter la sainteté et les vertus de l'auguste Marie, qui se trouvait dans les trésors de la grâce.

798. Son divin Maître lui fit aussi comprendre l'obligation qu'il lui imposait d'opérer et d'exécuter toute cette doctrine avec une sublime perfection pour les très-hautes fins qu'il avait dans ce rare bienfait. Et s'il fallait raconter ici avec combien d'excellence et d'exactitude notre grande Reine l'accomplit, il faudrait renfermer dans ce chapitre toute sa vie, puisqu'elle fut un sommaire de l'Évangile tiré de son Maître, son propre Fils. Qu'on tâche de voir ce que cette doctrine a opéré dans les apôtres, dans les martyrs, dans les confesseurs, dans les vierges et dans les autres saints qui ont para, et ce qu'elle doit opérer dans tous ceux qui paraîtront jusqu'à la tin du monde; personne ne saurait le déclarer ni comprendre, excepté le Seigneur même. Or considérons que tous les saints et tous les justes ont été conçus dans le péché; que tous ont mis quelque obstacle à la grâce; que nonobstant cela ils out pu croître en vertus, en sainteté et en perfection. Mais ils offraient toujours des vides

 

(1) Hebr., IX, 1.

 

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où cette grâce ne se trouvait point, tandis que notre auguste Princesse n'eut aucun de ces défauts en la sainteté (1); elle seule fut une matière parfaitement disposée, sans aucune forme qui contrariât l'action du puissant bras du Seigneur et qui s'opposât à ses dons elle reçut sans embarras et sans résistance le torrent impétueux de la Divinité (2), qui lui était communiqué par son propre Fils, Dieu véritable. C'est assez dire que nous ne parviendrons que dans la claire vision du Seigneur, et dans cette félicité. éternelle, à connaître d'une manière satisfaisante la sainteté et l'excellence de cette merveille de son pouvoir infini.

799. Or, j'ai beau vouloir déclarer maintenant quelque chose de ce qui m'en a été manifesté, mime en m'en tenant à des généralités, je ne trouve point de termes pour m'exprimer; car notre grande Reine gardait les préceptes et les conseils de l'Évangile selon la profonde intelligence qu'elle en avait reçue, et il n'est aucune créature qui puisse connaître la sublimité de la science de cette Mère de la sagesse eu la doctrine de Jésus-Christ : le peu que nous en concevons surpasse tout ce que nous en pouvons dire. Mais mettons ici pour exemple la doctrine de ce premier sermon que, comme le rapporte saint Matthieu (3) au chapitre cinquième, le Maître de la vie fit à ses disciples sur la montagne, en y comprenant l'abrégé de la perfection évangélique, sur laquelle il

 

(1) Rom., V, 12; I Joan., I, 8. — (2) Ps. XLV, 5. — (3) Matth., V, 2.

 

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établissait son Église, et en déclarant bienheureux tous ceux qui suivraient cette doctrine.

 

800 Bienheureux, dit notre divin Maître, sont les pauvres d'esprit, car le royaume du ciel est à eux (1). Ce fut le premier et le solide fondement de toute la vie évangélique. Et bien que les apôtres, et après eux notre père saint François, en aient fait une très-haute estime, l'auguste Marie néanmoins est la seule qui ait pénétré ce que la pauvreté d'esprit a de plus sublime, et qui l'ait observée avec toute la perfection possible, égalant cette pratique à l'idée qu'elle en avait. Les images des richesses temporelles n'entrèrent point dans son coeur, elle en ignora les désirs; mais, aimant les choses comme ouvrages du Seigneur, elle abhorrait les richesses en ce quelles étaient un achoppement et un embarras qui détournait l'amour divin; aussi n'en usa-t-elle qu'avec beaucoup de réserve, et qu’autant qu'elles la portaient ou l'aidaient à glorifier le Créateur. De sorte que la prérogative de Reine du ciel et la possession de toutes les créatures étaient comme dues à cette très-parfaite et admirable pauvreté. Tout cela est véritable; mais tout cela est peu de chose, si nous considérons avec quelle. sage vigilance et avec quelle estime celte grande Dame garda le trésor de la pauvreté d'esprit, qui est la première béatitude.

801. La seconde était celle-ci : Bienheureux sont ceux qui ont l'esprit doux, car ils auront la terre pour héritage (2). En cette doctrine et en sa pratique la

 

(1) Matth., V, 3. — (2) Ibid., 4.

 

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très-pure Marie surpassa par son incomparable douceur, non-seulement tous les mortels, comme Moïse tous ses contemporains (1), mais les anges et les séraphins eux-mêmes, parce que cette candide colombe fut en chair mortelle plus exempte de trouble et de colère en son intérieur et en ses puissances que les esprits qui ne sont point doués de notre sensibilité. Elle fut à ce degré inexplicable maîtresse de ses puissances et des opérations de son corps terrestre aussi bien que des coeurs de tous ceux qui l'abordaient, et elle possédait la terre en toutes les manières, l'assujettissant à sa douce et paisible obéissance. La troisième : Bienheureux sont ceux qui pleurent, car ils seront consolés (2). L'auguste Marie connut l'excellence des larmes et leur valeur aussi bien que la folie et le danger de la vaine joie du monde (3) au-dessus de tout ce qu'on peut dire : en effet, tandis que tous les enfants d'Adam, conçus dans la faute originelle et ensuite souillés par les péchés actuels, s'abandonnent à la joie et au plaisir, cette divine Mère, exempte qu'elle était de tout péché, comprit que la vie mortelle était pour pleurer l'absence du souverain Bien et les péchés qui ont été et qui sont commis contre lui : elle les pleura amèrement pour tous, et ses très-innocentes larmes méritèrent les consolations et les faveurs qu'elle reçut du Seigneur. Son coeur très-pur fut toujours en proie à la douleur à la vue des offenses

 

(1) Num., XII, 8. — (2) Matth., V, 8. — (8) Ps. CXXV, 8; Prov., XIV, 13.

 

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qu'on faisait à son bien-aimé et son Dieu éternel; de sorte que ses yeux en donnaient des marques continuelles (1), et son pain ordinaire (2) était de pleurer jour et nuit les ingratitudes que les pécheurs commettaient contre leur Créateur et leur Rédempteur. La cause des gémissements et des larmes se trouve, à cause du péché, dans les créatures, et celle de la joie et de la consolation, en Marie par la grâce , et cependant toutes les créatures ensemble n'ont plus pleuré que la Reine des anges.

802. En la quatrième béatitude, qui rend bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice (3), nôtre divine Dame pénétra le mystère de cette faim et de cette soif, qui furent plus grandes en elle que le dégoût qu'en ont eu et qu'en auront tous les ennemis de Dieu. Car, parvenue au faite de la justice et dé la sainteté, elle aspira toujours à s'élever davantage; elle était toujours altérée de mérites, et à cette soif répondait la plénitude de grâce dont le Seigneur la rassasiait en lui versant le torrent de ses trésors et la douceur de la Divinité. En la cinquième béatitude, des miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde (4) de Dieu, elle eut un degré si excellent et si noble, qu'il n'a pu se trouver qu'en elle ; c'est pourquoi on l'appelle la Mère de la miséricorde, comme Dieu est appelé le Père des miséricordes (5). De sorte qu'étant très-innocente et sans aucun péché pour lequel elle

 

(1) Jerem., IX, 1. — (2) Ps. XLI, 4. — (3) Matth., V, 6. — (4) Ibid., V, 7. — (5) II Cor., I, 3.

 

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eût besoin de solliciter la miséricorde du Seigneur, elle eut pitié de tout le genre humain à un point incompréhensible, et par cette pitié elle le secourut. Et comme elle connut par la plus haute science toute l'excellence de cette vertu, elle n'a refusé et ne refusera jamais de l'exercer envers ceux qui l'imploreront (1), imitant très-parfaitement Dieu en cela, comme aussi dans le zèle avec lequel elle allait au-devant de leurs nécessités pour leur offrir le remède.

803. La sixième béatitude, qui regarde ceux qui ont le coeur pur, pour voir Dieu (2), fut réalisée en la sainte Vierge d'une manière incomparable; car elle était élue comme le soleil (3), imitant à la fois le véritable Soleil de justice et l'astre matériel qui nous éclaire, et qui ne se souille point par les immondices de notre globe; ni le coeur, ni les puissances de notre pudique Princesse ne reçurent jamais la moindre image des choses impures : ces sortes d'impressions étaient comme impossibles cri elle, à cause de la sainteté de ses très-chastes pensées; c'est cet état qui détermina, dès le premier instant, cette vision de la Divinité dont jouit son coeur, ainsi que les autres faveurs dont il est fait mention dans cette histoire, quoiqu'elles ne pussent être que passagères et intermittentes à cause de sa qualité de voyageuse. La septième béatitude, celle des pacifiques, qui seront appelés les enfants de Dieu (4) , fut accordée à notre Reine

 

(1) Isa., XXX, 18 ; Ps., LVIII, 18. — (2) Matth., V, 8. — (3) Cant., VI, 9. — (4) Matth., V, 9.

 

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avec une sagesse admirable, car elle en avait besoin pour conserver la paix de son coeur et dé ses puissances dans les alarmes et les tribulations de la vie, de la passion et de la mort de son très-saint Fils. Dans toutes ces occasions aussi bien que dans les autres elle montra, comme un portrait vivant, le calme de ce pacifique Seigneur. Jamais elle ne se troubla d'une manière désordonnée, et, restant toujours la Fille parfaite du Père céleste, elle sut supporter les plus grandes peines avec une paix inaltérable. C'est surtout par l'excellence de ce don qu'elle mérita le titre de Fille du Père éternel. La huitième béatitude, qui s'applique à ceux qui soufrent persécution pour la justice (1), se trouva en notre très-sainte Dame dans le plus haut degré possible car lorsque les hommes ôtèrent l'honneur et la vie à son adorable Fils et Seigneur de l'univers pour leur avoir prêché et enseigné la justice, et cela dans les circonstances qui accompagnèrent cet attentat, il n'y eut que Dieu et la seule Marie qui le souffrirent avec quelque égalité, puisqu'elle était la véritable Mère de son très-cher Fils, comme le Seigneur en était le Père. Cette grande Dame fut la seule qui imita sa Majesté dans la souffrance de cette persécution, persuadée qu'elle devait pratiquer jusque-là la doctrine que son divin Maître enseignerait dans l'Évangile.

804. Voilà comment je puis faire comprendre jusqu'à un certain point ce que j'ai appris de la science

 

(1) Matth., V, 10.

 

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que notre grande Dame apportait dans la méditation et dans la pratique de la doctrine de l'Évangile. Et ce que je viens de dire des béatitudes pourrait aussi être appliqué aux préceptes, aux conseils, et aux paraboles de l'Évangile, tels que les préceptes d'aimer nos ennemis, de pardonner les injures, de faire les bonnes oeuvres sans ostentation , de fuir l'hypocrisie (1), tous les conseils qui tendent à la perfection ; les paraboles du trésor, de la perle, des vierges, du semeur, des talents (2), et tous les mystères que les quatre Évangiles renferment. Car elle en pénétra toute la doctrine, aussi bien que les très-hautes fins auxquelles notre divin Maître rapportait ces choses; elle sut aussi tout ce qui était le plus saint et le plus conforme à sa divine volonté,-et comment on le devait pratiquer; et elle agit en conséquence sans en omettre un seul point (3). De sorte que nous pouvons appliquer à cette auguste Dame ce que notre Seigneur Jésus-Christ a dit de lui-même, savoir qu'il n'était pas venu détruire la loi, mais l'accomplir (4).

 

(1) Matth., V, 44 ; VI, 3, 15 ; Luc., XVII, 4. — (2) Matth., XIII, 44 et 45; XXV, 1, 15; Luc., XIX, 13. — (3) Matth., V, 17, etc. — (4) Ibid., 17.

 

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Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

 

805. Ma fille, il faut que le véritable maître de la vertu enseigne ce qu'il exerce, et qu'il exerce lui-même ce qu'il enseigne aux autres; car l'instruction et l'action sont les deux parties de ses fonctions. Si les paroles enseignent l'auditeur, l'exemple l'excite et le convainc en même temps de l'objet de la leçon qu'il apprend à mettre en pratiqué. C'est ce que fit mon très-saint Fils, et ce que je fis aussi à son imitation. Mais comme sa divine Majesté ni moi non plus ne devions pas toujours demeurer au monde, elle voulut laisser les saints Évangiles comme une copie de sa vie et de la mienne aussi, afin que les enfants de la lumière, croyant en cette même lumière et la suivant (1), conformassent leur vie à celle de leur Maître par l'observance de la doctrine évangélique qu'il leur laissait; en effet, le Seigneur a reproduit dans sa propre vie toutes les leçons qu'il m'a enseignées et qu'il m'a ordonné de pratiquer à son imitation. Voilà l'importance des sacrés Évangiles, pour lesquels vous devez avoir une très-grande estime et une très-haute vénération. Car je veux que vous sachiez que pour mon très-saint Fils et pour moi, il est également doux et glorieux de voir ses divines paroles, et celles qui renferment l'histoire de sa vie, dignement estimées et

 

(1) Joan., XII, 36.

 

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révérées des hommes; et qu'au contraire le Seigneur regarde comme une grande injure que les enfants de l'Église méprisent les Évangiles et sa doctrine, comme le font tant de chrétiens qui ne comprennent, ne considèrent et ne reconnaissent point ce bienfait, et qui n'en font non plus de cas que s'ils étaient païens, ou s'ils n'avaient point la lumière de la foi.

806. Vos obligations sont grandes à cet égard, parce que je vous si avertie de l'estime que je faisais de la doctrine évangélique, et des soins que je prenais de la mettre en pratique, et si en cela vous n'avez pas pu connaître tout ce que j'opérais et pénétrais, car votre capacité ne saurait aller jusque-là, du moins je vous ai témoigné par mes communications plus de bonté qu'à aucune nation. Travaillez donc avec le plus grand zèle à y correspondre, et à ne point perdre l'amour que vous avez conçu par l'étude des sacrées Écritures, et surtout par celle des Évangiles, et de la très-haute doctrine qu'ils contiennent. Elle doit être, cette doctrine, la lampe allumée dans votre coeur (1), et ma vie vous doit servir d'exemplaire, sur lequel vous règlerez la vôtre. Considérez combien il vous importe de le faire avec toute la diligence possible, et que si vous le faites, mon très-saint Fils en recevra une grande satisfaction, et je m'engagerai de nouveau à exercer envers vous l'office de mère et de maîtresse. Craignez le danger auquel s'exposent ceux qui ne sont point attentifs aux inspirations divines, car une

 

(1) Ps. CXVIII, 105.

 

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infinité d'âmes se perdent par cette inattention. Et les appels que vous fait la miséricorde libérale du Tout-Puissant sont si fréquents et si admirables, que si vous n'y répondiez pas, votre grossière et coupable indifférence serait horrible aux yeux du Seigneur, aux miens et à ceux de ses saints.

 
CHAPITRE IX. Où il est déclaré comment la très-pure Marie connut les articles de foi que la sainte Église devait croire, et ce que cette auguste Dame fit à la suite de cette faveur.

 

807. Le fonderaient immuable de notre justification , et le principe de toute sainteté, c'est la foi aux vérités que Dieu a révélées à sa sainte Église; c'est sur cette base solide qu'il les a établies, comme un très-prudent architecte qui bâtit sa maison sur la pierre ferme, afin qu'en cas d'inondation, les torrents les plus impétueux ne puissent point l’ébranler (1). Tel est le secret de la stabilité (2) de cette invincible Église évangélique, catholique et romaine, qui est une : une, en l'unité de la foi, de l'espérance

 

(1) Luc., VI, 48. — (2) I Tim., III, 15.

 

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et de la charité qui y règnent (1); une, sans ces divisions et ces contradictions que l'on découvre dans toutes les synagogues de Satan (2), c'est-à-dire dans toutes les fausses sectes et dans toutes les hérésies, qui sont si pleines de ténèbres et d'obscurités, que non-seulement elles se combattent les unes les autres et choquent toutes la raison, mais encore, que chacune se combat elle-même par ses propres erreurs, en affirmant et croyant des choses si opposées, que les unes détruisent les autres. Notre sainte foi ne cesse de triompher de toutes ces fausses sectes, sans que les portes de renier prévalent un instant contre elle (8), quelques efforts que le démon ait faits et puisse faire pour l'attaquer, et pour en cribler les fidèles comme on crible le froment, ainsi que Maître de la vie le dit à son vicaire saint Pierre (4), et en lui à tous ses successeurs.

808. Afin que notre Reine et Maîtresse reçût une parfaite connaissance de toute la doctrine évangélique et de la loi de,grâce, il fallait faire entrer dans l'océan de ces merveilles et de ces grâces la connaissance de toutes les vérités catholiques qui devaient être crues des fidèles au temps de la prédication de l'Évangile, et notamment celle des articles auxquels ces mêmes vérités sont réduites comme à leurs principes. Car tout cela trouvait place dans la capacité de cette auguste Dame; tout pouvait être confié à son incomparable

 

(1) Ephes., IV, 5 ; I Cor., I, 18. — (2) Apoc., II, 9. — (3) Matth., XVI, 18. — (4) Luc., XXII, 31.

 

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sagesse, jusqu'aux articles et ana vérités catholiques qui la regardaient, et que l'on devait croire dans l'Église; aussi connut-elle. toutes, ces choses, comme je le dirai plus tard, avec les circonstances des temps, des lieux, des moyens et des manières, au milieu desquelles elles se succéderaient dans les siècles futurs, au moment opportun où la manifestation en serait nécessaire. Or, pour en informer cette bienheureuse Mère, et particulièrement de cet articles, le Seigneur lui donna une vision de la Divinité sous cette forme abstractive dont j'ai parlé en d'autres endroits, et elle y découvrit les profonds mystères que cachent les jugements impénétrables du Très-Haut et de sa providence; elle y sut aussi avec combien de douceur dans son infinie bonté avait dispensé le bienfait de la sainte foi infuse, afin que les hommes, privés de la vue de la Divinité, pussent tous indistinctement la connaître sans peine et en peu de tempe, sans attendre ni chercher cette connaissance parla science naturelle, d'ailleurs si bornée, que fort peu de personnes acquièrent. Mais notre foi catholique, dès le premier usage de la raison, nous élève à la connaissance, non-seulement de la Divinité en trois personnes, mais de l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ,  et des moyens qu'il a établis pour nous faire arriver à la vie éternelle: connaissance que ne sauraient acquérir les sciences humaines , toujours stériles et impuissantes, si elles ne sont fécondées et vivifiées par la vertu de la foi divine.

809. Dans cette vision nôtre grande Reine approfondit

 

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tous ces mystères et tout ce qu'ils contiennent; elle apprit encore que la sainte Église recevrait dès sa naissance les quatorze articles de la foi catholique, et qu'elle définirait ensuite à divers époques plusieurs vérités, qui étaient renfermées dans ces mêmes articles et dans les saintes Écritures, comme en leurs racines, qui étant cultivées produisent leurs fruits. Après avoir connu tout cela dans le Seigneur, elle le vit en sortant de l'extase dont je viens de parler, par une autre. vision ordinaire que j'ai aussi mentionnée; savoir en l'âme, très-sainte de Jésus-Christ; et elle découvrit que toutes les parties de ce plan divin étaient tracées d'avance dans l'entendement du souverain Architecte. Puis elle en conféra avec sa Majesté, elle sut comment elles seraient exécutées, et quelle serait la première à les adopter par une croyance expresse et parfaite, et à l'instant elle fit une profession spéciale de chacun des articles de foi. Dans le premier des sept concernent la Divinité, elle comprit par la foi que le véritable Dieu était unique, indépendant, nécessaire, infini, immense en ses attributs et en ses perfections, immuable et éternel ; et combien il était juste et nécessaire que les hommes crussent et confessassent cette vérité. Elle rendit des actions de grâces pour la révélation de cet article, et pria son très-saint Fils de continuer : cette faveur envers le genre humain, et de donner des grâces Aux hommes, afin qu'ils la reçussent et qu'ils connussent la véritable Divinité. Par cette lumière infaillible (quoique obscure) elle apprécia le péché de l’idolâtrie,

 

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qui ignore cette vérité , et elle le pleura avec une amertume et une douleur inexprimables; et voulant le réparer, elle fit avec ardeur des actes de foi et de vénération qu'elle adressa au seul et véritable Dieu; elle en fit aussi plusieurs autres de toutes les vertus qu'exigeait cette connaissance.

810. Le second article, qui est de croire qu'il est Père , elle le crut de même , et elle comprit qu'il était donné afin que les mortels passassent de la connaissance de la Divinité à celle de la Trinité des personnes divines, ainsi que des autres articles qui l'expliquent et la supposent, et que par là ils parvinssent à connaître parfaitement leur dernière fin, comment ils en doivent jouir, et les moyens d'y arriver. Elle découvrit que la personne du Père ne pouvait point procéder d'une autre, qu'elle était comme l'origine de tout, et que pour ce sujet on lui attribue la création du ciel et de la terre, aussi bien que de toutes les autres créatures, comme à Celui qui, sans principe lui-même, est le principe de tout ce qui a l’être. Notre divine Dame rendit pour cet article des actions de grâces su nom de tout le genre humain, et fit tout ce que cette vérité demandait. Le troisième article, qui nous oblige de croire que le même Dieu est Fils, cette Mère de la grâce le crut avec une lumière et une connaissance très-particulière des processions au dedans; dont la première dans l'ordre d'origine est la génération éternelle du Fils, qui est engendré par l'acte de l'entendement, et qui fa été de toute éternité du seul Père, auquel il est non point inférieur,

 

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mais égal en la divinité, en l'éternité, en l'infinité et tous les attributs. Le quatrième article, qui est de croire qu'il est Esprit-Saint, elle le crut et le pénétra en sachant que la troisième personne du Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d'un principe par l'acte de la volonté, étant égal aux deux personnes, sans qu'il y ait entre les trois aucune autre différence que la distinction personnelle, qui résulte des émanations et des processions infinies de l'entendement et de la volonté. Et quoique la très-pure Marie eût déjà puisé des notions spéciales sur ce mystère dans les visions dont j'ai parlé ailleurs, elles lui furent renouvelées cette fois avec l'indication des détails et des circonstances qui en devaient faire des articles de foi en la nouvelle Église; et avec l'intelligence des hérésies que Lucifer dresserait contre ces articles, telles qu'il les avait forgées dès qu'il fut tombé du ciel, et qu'il eut appris que le Verbe allait s'incarner. Notre auguste Princesse offrit des actes sublimes contre toutes ces erreurs, en la manière que j'ai marquée plus haut (n° 123).

811. Le cinquième article, qui dit que le Seigneur est Créateur, la très-pure Marie le crut, en concevant qu'encore que la création de toutes les choses soit attribuée au Père, elle est pourtant commune à toutes les trois personnes, en ce qu'elles sont un seul Dieu infini et tout-puissant; que les créatures dépendent de lui seul en leur être et en leur conservation, et qu'aucune, fût-ce un ange, n'a le pouvoir d'en créer une autre, fût-ce un vermisseau, en la tirant

 

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du néant (c'est là proprement la création), parce que celui-là seul qui est indépendant en son être peut opérer sans aucune dépendance d'une autre cause quelconque. Elle prévit le besoin que l'Église aurait de cet article contre les tromperies de Lucifer, afin que Dieu fût honoré et reconnu pour l'auteur de toutes choses. Le sixième article le déclare Sauveur; elle le pénétra de nouveau. avec tous les mystères de la prédestination, de la vocation et de la justification finale qu'il renferme, et qui regardent aussi les réprouvés, qui, pour n'avoir pas profité des moyens salutaires que la miséricorde divine leur avait donnés et leur donnerait, perdraient la félicité éternelle. Cette très-fidèle Dame comprit aussi que le titre de Sauveur appartenait sua trois personnes divines , mais surtout, à celle du Verbe -en tant qu'homme, parce qu'il devait se livrer pour le prix de la rédemption; et que Dieu accepterait son sacrifice comme une satisfaction suffisante pour les péchés originel et actuels. Cette grande Reine méditait tous les sacrements et tous les mystères que la sainte Église devait recevoir et croire : et dans la connaissance qu'elle en avait, elle faisait des actes très-relevés de plusieurs vertus. Dans le septième article, qui le proclame glorificateur, elle pénétra ce qu'il promettait aux mortels relativement à la félicité qui leur était préparée dans la jouissance et dans la vision béatifique et combien il leur importe de croire cette vérité; pour se disposer à acquérir cette gloire, et de ne point se regarder comme habitants de la terre, mais comme

 

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pèlerins et citoyens du ciel (1), afin de se consoler par cette foi et par cette espérance au milieu des tristesses de leur exil.

812. Notre grande Reine eut une égale connaissance des sept articles qui regardent l'humanité ; mais ce fut avec de nouveaux effets en son très-candide et très-humble coeur. Car à propos du premier, qui dit que son très-saint Fils fut conçu en tant qu'homme par l'opération du Saint-Esprit ; comme ce mystère s'était opéré dans son sein virginal, la très-prudente Dame éprouva, en sachant que ce serait un article de foi en la sainte Église militante aussi bien que les autres points qui suivent, des sentiments inexplicables. Elle s'humilia au-dessous de toutes les créatures et jusqu'au centre de la terre, elle descendit par la méditation dans le néant d'où elle avait été tirée, elle creusa de nouveaux fondements d'humilité pour le haut édifice que la droite du Tout-Puissant bâtissait dans sa très-sainte Mère, je veux dire pour la plénitude de science infuse et de perfection excellente dont il la comblait. Elle loua le Très-Haut et lui rendit des actions de grâces pour elle-même et pour tout le genre humain, de ce qu'il avait choisi un moyen si admirable et si efficace, de s'attirer tous les coeurs, en obligeant les hommes, après avoir opéré ce bienfait, à l'avoir présent parla foi chrétienne. Elle en fit de même pour le second article, qui déclare que notre Seigneur Jésus-Christ est né de Marie.

 

(1) Ephes., II, 19.

 

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vierge avant, pendant et après l'enfantement. Elle considéra ce mystère de son inviolable virginité dont elle faisait une si grande estime, et du choix que le Seigneur avait fait d'elle pour sa Mère, dans ces conditions et entre toutes les créatures; la dignité et la convenance de ce privilège, tant pour la gloire du Seigneur que pour son propre honneur, enfin la certitude de foi catholique avec laquelle la sainte Église enseignerait et professerait tous ces points; mais on ne saurait élever le langage à la sublimité des actes et des oeuvres qu'elle fit clans la créance et l'intelligence de toutes ces vérités et des autres, car elle traita chacun de ces mystères avec la plénitude de magnificence, de culte, de foi, de louange et de gratitude qu'il demandait, s'humiliant et s'abîmant toujours plus dans le néant à mesure qu'elle était plus glorifiée.

813. Le troisième article porte que notre Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort et la passion. Le quatrième, qu'il est descendu aux enfers, et qu’il délivra les dores des saints Pères qui étaient dans les limbes en attendant sa venue. Le cinquième, qu'il est ressuscité des morts. Le sixième, qu'il est monté aux cieux et qu'il est assis à la droite du Père éternel. Le septième, qu'il viendra de là juger les vivants et les morts au jugement universel, pour donner à chacun ce qu'il aura mérité par ses ouvres. L'auguste Marie crut et connut ces articles comme tous les autres; elle en pénétra la substance , l’ordre, les convenances, et découvrit le besoin que les hommes avaient de cette foi.

 

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Elle seule en a rempli le vide et a suppléé aux manquements de tous ceux qui n'ont point cru et qui ne croiront point, aussi bien qu'à notre tiédeur à croire les divines vérités , en leur donnant l'estime, la vénération et les effets de reconnaissance qu'elles exigent. L'Église appelle cette grande Reine bienheureuse, non-seulement parce qu'elle crut l'ambassadeur du ciel (1), mais aussi parce qu'elle crut ensuite les articles qui se formulèrent et se réalisèrent dans son sein virginal, et elle les crut pour elle-même et pour tous les enfants d'Adam. Elle fut la Maîtresse de la foi, et celle qui, à la vue des courtisans célestes, arbora l'étendard des fidèles dans le monde. Elle fut la première reine catholique de l'univers, et celle qui n'aura point de semblable. Mais les véritables catholiques trouveront en elle une Mère assurée, puisqu'ils sont par ce titre spécial ses enfants; et ils en seront convaincus s'ils l'invoquent clans leurs besoins, car il est constant que cette miséricordieuse Mère, cette généralissime de la foi catholique, regarde avec un amour singulier ceux qui l'imitent en cette grande vertu , en sa propagation et en sa défense.

814. Ce discours serait fort long si je devais raconter tout cc qui m'a été déclaré de la foi de notre grande Dame, de ses caractères et de la science consommée avec laquelle elle pénétrait en général et en particulier les quatorze articles et les vérités catholiques qui s'y trouvent renfermées. Les entretiens

 

(1) Luc., I, 45.

 

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qu'elle avait sur ces articles avec son divin maître Jésus, les humbles et discrètes questions qu'elle lui adressait sur le même sujet, les réponses qu'elle recevait de cet adorable Seigneur, les profonds secrets qu'il lui révélait avec la plus tendre complaisance, et tant d'autres communications ineffables et mystérieuses; qui ne se passaient qu'entre le Fils et la Mère, sont autant de choses divines que je ne saurais exprimer. Il m'a été déclaré d'ailleurs qu'il n'est pas convenable de les découvrir toutes pendant cette vie mortelle. Mais tout ce nouveau et divin Testament fut mis en dépôt en la très-pure Marie, et elle seule garda très-fidèlement ce trésor, pour le dispenser à propos selon les nécessités de la sainte Église (1). Heureuse et fortunée Mère ! si le fils qui est sage est la joie de son père (2), qui pourra dire celle que vous fit éprouver la gloire que procurait au Père éternel son Fils unique, de qui vous étiez Mère par les mystères de ses oeuvres, que vous connûtes dans les vérités de la sainte foi de l'Église?

 
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

815. Ma fille, on ne saurait connaître dans l'état de la vie mortelle ce que je sentis par la foi et par la

 

(1) Matth., XIII, 52. — (2) Prov, I, 1.

 

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connaissance infuse du Symbole que mon adorable Fils destinait à la sainte Église , ni ce que mes facultés opérèrent en cette créance. Il est inévitable que les termes vous manquent pour exposer ce que vous en avez appris, parce que tous ceux qui tombent sous le sens sont trop faibles pour donner une juste idée de ce mystère. Mais ce que je vous ordonne est ce que vous pouvez faire avec le secours divin, et c'est de garder avec la plus respectueuse sollicitude le trésor que vous avez trouvé en la doctrine et en la science de mystères si augustes (1). Car comme Mère, je vous avertis des ruses homicides dont vos ennemis se servent pour tilcher de vous l'enlever. Faites donc en sorte qu'ils vous trouvent revêtue de force (2), et que vos domestiques, qui sont vos sens et vos puissances, aient un double vêtement : savoir, une bonne garde intérieure et extérieure, qui résiste aux attaques des tentations (3). Les armes offensives avec lesquelles vous pourrez vaincre ceux qui vous font la guerre, doivent être les articles de la foi catholique. En effet, le continuel exercice que l'on en fait, la ferme créance, la méditation et l'attention que l'on y donne, éclairent les esprits, bannissent les erreurs, découvrent les embûches de Satan, et les détruisent comme les rayons du soleil dissipent les plus légères vapeurs; et en outre l’âme y puise un aliment solide et une nourriture spirituelle qui l'anime et la tortille pour les combats du Seigneur (4).

 

(1) Matth., XIII, 44. — (2) Prov., XXXI, 17; ibid., 21. — (3) I Petr., V, 9. — (4) Rom., I, 17.

 

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816. Que si les fidèles ne ressentent point ces effets de la foi, et même plusieurs autres qui seraient et plus grands et plus admirables, il ne faut pas l'attribuer à son défaut d'efficace; cela vient uniquement de ce que des fidèles eux-mêmes, les uns se laissent aller à une telle insouciance, et les autres se livrent si aveuglément à une vie toute charnelle et animale (1), qu'ils ne profitent point du don le plus précieux, et ne songent guère à en user plus que s'ils ne (avaient pas reçu. De sorte qu'ils perdent peu à peu la foi, en vivant comme les infidèles, dont ils déplorent avec raison le malheur et l'ignorance, tandis qu'ils deviennent eux-mêmes beaucoup plus méchants par cette horrible ingratitude, et par le mépris qu'ils font d'un bienfait si grand et si inestimable. Pour vous, ma très-chère fille, je veux que vous le reconnaissiez avec une profonde humilité et avec une ardente affection, que vous en usiez continuellement par des actes héroïques, et que vous méditiez sans cesse les mystères que la foi vous enseigne, afin que vous jouissiez sans aucun empêchement terrestre des très-doux et divins effets qu'elle produit. Vous les éprouverez ces effets, d'autant plus efficaces et plus puissants, que la connaissance que la foi vous donnera sera plus vive et plus pénétrante. Et en apportant de votre côté ce zèle et cette docilité qui vous regardent, vous aurez une plus grande lumière des profonds et admirables mystères de l'être de Dieu

 

(1) I Cor., II, 14.

 

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trin et un; de l'union hypostatique des deus natures divine et humaine, de la vie, de la mort et de la résurrection de mon très-saint Fils; aussi bien que de tous les autres mystères qu'il a opérés. Et par là vous goûterez leur douceur, et vous cueillerez une abondance de fruits, qui seront dignes du repos et de la félicité éternels (1).

 
CHAPITRE X. La très-pure Marie eut une nouvelle lumière des dix commandements. — Comment elle profita de ce bienfait.

 

817. Comme les articles de la foi catholique appartiennent aux actes de l’entendement dont ils sont l'objet, de même les commandements regardent les actes de la volonté. Et quoique tous les actes libres dépendent de la volonté dans toutes les vertus infuses et acquises, ils n'en sortent néanmoins pas de la même manière; car les actes de la foi libre naissent immédiatement de l'entendement qui les produit, et ne relèvent de la volonté qu'en ce qu'elle les ordonne par une affection pure, sainte, pieuse et respectueuse

 

(1) Ps. XXXIII, 9.

 

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car les objets et les vérités obscurs n'entraînent point l'adhésion de l'entendement au point de les lui faire croire sans la participation de la volonté; c'est pourquoi il attend sa décision. Mais dans les autres vertus la volonté agit par elle-même, et n'exige autre chose de l'entendement, si ce n'est qu'il lui montre ce qu'elle doit faire, comme un guide précède avec son flambeau. Après quoi elle reste maîtresse, si absolue et si libre, que l'entendement ne saurait lui faire la. loi , et, due personne ne saurait la violenter. Le Très-Haut l'a disposé de la sorte, afin qu'aucun homme ne le servit avec tristesse, ou par nécessité et par force, mais que tous le servissent librement, sans contrainte et avec joie, comme dit l'apôtre (1).

818. L'auguste Marie ayant été si divinement éclairée sur les articles et les vérités de la foi catholique, afin qu'elle fût aussi renouvelée en la science des dix commandements, elle eut une autre vision de la Divinité en la manière que j'ai marquée au chapitré précédent. Elle y découvrit avec une plus grande plénitude et avec plus de clarté tous les mystères des préceptes du Décalogue, comment ils étaient décrétés dans l'entendement divin, pour conduire les hommes à la vie éternelle, comment Moïse les avait reçus sur les deux tables (2) : savoir, sur la première les trois commandements qui concernent le culte dû à Dieu lui-même, et sur la seconde les sept commandements qui regardent le prochain. Elle vit ensuite que son

 

(1) I Cor., IX, 7. — (2) Exod., XXXI, 18; Deut.. V, 22

 

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très-saint Fils, le Rédempteur du monde, les devait imprimer de nouveau dans les coeurs des hommes, en commençant à les faire observer dans toute leur étendue par cette grande Dame, qui connut aussi leur rang et leurs rapports, et la nécessité où sont les fidèles de se conformer à l'ordre qu'ils ont entre eux, pour arriver à la participation de la Divinité (1), Elle eut une merveilleuse intelligence de l'équité, de le sagesse et de la justice avec lesquelles les commandements étaient établis par la volonté divine (2), et comprit mieux que jamais que c'était une loi sainte, sans tache, douce, facile, pure, véritable et accommodée pour les créatures (3); parce qu'elle était si juste et si conforme à la nature capable de raison, qu'on la pouvait et devait embrasser avec estime et avec joie, et enfin que l'auteur de cette même loi avait destiné la grâce pour aider les hommes à l'observer (4). Cette incomparable Reine connut dans cette vision plusieurs autres mystères très-relevés qui regardaient l'état de la sainte Église, et ceux qui y observeraient les divins commandements, aussi bien que ceux qui les transgresseraient, qui les mépriseraient et qui chercheraient des prétextes pour ne pas les garder.

819. La très-innocente colombe sortit de cette vision enflammée du zèle, et transformée par l'amour de la loi divine. Elle alla trouver aussitôt son très

 

(1) II Petr., I, 4. — (2) Rom., VII, 12. — (3) Ps. XVIII, 8; Matth., XI, 80. — (4) Ps. CXVIII, 142; Ps. XVIII, 9; Jerem., XXXI, 33; Rom., VII, 22.

 

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saint Fils, dans l'intérieur duquel elle la connut de nouveau, et vit comment il l'avait disposée dans les décrets de sa sagesse et de sa volonté, pour la renouveler en la loi de grâce (1). Elle discerna en outre par une vive illumination le bon plaisir du Seigneur, et le désir qu'il avait qu'elle fût l'image de tous les préceptes que cette même loi contenait. Il est vrai que notre grande Reine avait, comme je l'ai dit plusieurs fois, une science habituelle de tous ces mystères, afin qu'elle en usât continuellement; mais c'était la un fonds quelle voyait se renouveler, s'agrandir et s'enrichir de jour en jour. Car comme l'extension et la profondeur des objets étaient presque immenses, il restait toujours comme un champ infini, où elle pouvait étendre la vue de son intérieur et découvrir de nouveaux secrets. Notre divin Maître lui en révéla plusieurs dans cette occasion , en lui exposant ça sainte loi, ses préceptes et le parfait enchaînement que l'Église militante donnerait à ses mystères. Il l'éclairait sur chacun par une fouie de détails particuliers, et par une effusion de nouvelles lumières. Et quoique les bornes de notre capacité ne nous permettent pas d'embrasser des mystères si vastes et si relevés, il n'y en eut pourtant aucun qui ait échappé à notre auguste Princesse, aussi ne devons-nous pas mesurer sa très-profonde science à l'étroitesse de notre entendement.

820. Elle se présenta avec beaucoup d'humilité

 

(1) Matth., V, 17.

 

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devant son très-saint Fils, et, d'un coeur prêt à lui obéir dans l'observation de ses commandements, elle le pria. de l'enseigner et de la favoriser de son divin secours pour exécuter tout ce qu'il y ordonnait. Sa Majesté lui répondit : « Ma Mère, mon élue et ma  prédestinée par ma volonté et par ma sagesse éternelle pour être le sujet des plus grandes complaisances de mon Père, à qui je suis égal quant à ma divinité; notre amour éternel, qui nous a porté à communiquer notre divinité aux créatures en les  élevant à la participation de notre gloire et de notre félicité, a établi cette loi sainte et pure comme la voie par où les hommes pourront parvenir à la fin pour laquelle les a créés notre clémence (1) ; et ce désir que nous avons, ma bien-aimée, reposera en vous et se réalisera pleinement dans votre coeur, où notre divine loi sera gravée avec tant de force et de netteté, qu'elle ne pourra jamais être obscurcie ni effacée, et que son efficace ne sera en rien ni empêchée ni affaiblie, comme chez les autres enfants d'Adam. Sachez, ma chère Sulamite, que cette loi est toute pure et sans tache (2), et que nous la voulons déposer en un sujet très-pur en qui nos pensées et nos œuvres seront glorifiées. »

821. Ces paroles, qui curent en la divine Mère l'efficace de ce qu'elles renfermaient, la renouvelèrent et la déifièrent par la connaissance et par la pratique des dix commandements, et en particulier de leurs

 

(1) Ezech., XX, 11. — (2) Ps. XVIII, 8.

 

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mystères. De sorte que, donnant son attention. à la lumière céleste et soumettant sa volonté à son divin Maître, elle approfondit le premier et le plus grand de tous les commandements : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de toutes vos forces, comme ensuite l'écrivirent les évangélistes (1), et comme auparavant Moïse l'avait écrit dans le Deutéronome (2) avec lés conditions dont le Seigneur l'accompagna; car il ordonna aux Hébreux d'en conserver les termes dans leur coeur, et aux pères de les enseigner à leurs enfants; de les méditer assis dans la maison et marchant dans le chemin, en dormant et en veillant, et de les avoir toujours présentes devant les yeux intérieurs de l'âme. Notre Reine, dis-je, connut ce commandement de l'amour de Dieu, et l'accomplit avec les conditions et avec l'efficace que sa Majesté attendait d'elle. Et si aucun des enfants des hommes n'est parvenu en cette vie à l'accomplir dans toute sa perfection, la très-pure Marie au moins, dans sa chair mortelle, a atteint ni! degré plus élevé que les plus hauts et les plus embrasés séraphins, et que tous les bienheureux qui sont dans le ciel. Je ne m'étends pas ici davantage sur cette matière, parce que j'ai déjà dit quelque chose de la charité de cette grande Dame dans la première partie, en parlant de ses vertus. Mais ce fut particulièrement dans cette occasion qu'elle pleura avec une extrême

 

(1) Matth., XXII, 37; Marc., XII, 29; Luc., X, 27. — (2) Deut., VI, 5, 6, 7 et 8.

 

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douleur les péchés que l'on commettrait dans le monde contre ce grand commandement, et qu'elle se chargea de réparer par son amour toutes les fautes par lesquelles les hommes l'enfreindraient.

822. Après ce premier commandement viennent les deux autres, qui sont, le second, de ne point déshonorer le Seigneur en jurant son saint nom en vain, et le troisième, de l'honorer en gardant et sanctifiant ses fêtes. La Mère de la Sagesse pénétra et comprit ces commandements, les grava avec beaucoup d'humilité et de piété dans son coeur, et leur donna le suprême degré de vénération et de culte de la Divinité. Elle pesa dignement l'injure que la créature faisait à l’être immuable de Dieu et à sa bonté infinie en jurant par elle en vain ou à faux, ou en le blasphémant en lui-même et en ses saints contre l'honneur qui est dû à sa divine Majesté. Et, dans la douleur qu'elle ressentit à la vue de la témérité avec laquelle les hommes violaient et violeraient ce précepte, elle pria les saints anges qui l'assistaient de recommander de sa part à tous les autres gardiens des enfants de la sainte Église de préserver les personnes que chacun d'eux gardait de commettre cette offense contre Dieu, et de leur donner des inspirations et des lumières pour les empêcher de tomber dans ce malheur; ou de se servir d'autres moyens, comme de les intimider par la crainte du Seigneur (1), afin qu'ils ne blasphémassent point son saint nom. Elle leur recommanda en

 

(1) Ps. CXVIII, 120.

 

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outre de prier le Très-Haut de combler de ses plus douces et de ses plus abondantes bénédictions ceux qui s'abstiennent de jurer en vain et qui honorent son Étre immuable. Et cette très-miséricordieuse Dame faisait alors la même prière avec beaucoup de ferveur.

823. A l'égard de la sanctification des fêtes, qui est le troisième commandement, la Reine des anges eut connaissance dans ces visions de toutes celles qu'on devait célébrer dans la sainte Église, et des cérémonies particulières par lesquelles on les solenniserait. Et quoiqu'elle eût commencé dès qu'elle fut arrivée en Égypte à célébrer celles qui regardaient les mystères précédents (comme je l'ai dit en son lieu), elle en célébra pourtant d'autres par suite de cette connaissance, comme celle de la très-sainte Trinité, celles qui étaient également dédiées à son Fils et celles des auges; alors elle les conviait à solenniser avec elle ces fêtes aussi bien que les autres que la sainte Église établirait, et pour chacune elle offrait au Seigneur des hymnes de louange et de reconnaissance. Ces jours qui étaient spécialement destinés pour le culte divin, elle les employait tout entiers eu ce même culte. Ce n'est pas que ses actions corporelles empêchassent jamais les opérations et les attentions admirables de sou esprit, mais elle s'appliquait à pratiquer ce qu'elle comprenait qu'on devait faire pour sanctifier les fêtes du Seigneur, et se plaçait d'avance au point de vue de la loi de grâce, car elle voulut avec une sainte émulation et une prompte obéissance se conformer par

 

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anticipation à tout ce qu'elle contiendrait, comme la première disciple du Rédempteur du monde.

824. L'auguste Marie eut la même intelligence des sept commandements qui regardent notre prochain. Elle connut dans le quatrième, qui nous oblige d'honorer nos parents, tout ce qu'il renfermait sous le nom de parents, et elle considéra qu'après l'honneur dû à Dieu vient immédiatement celui que les enfants leur doivent; et qu'il leur est ordonné de les respecter et de les secourir, comme, les pères et mères sont obligés de soigner leurs enfants. Dans le cinquième commandement, qui défend le meurtre, cette Mère compatissante apprécia de même combien ce précepte était juste, parce que le Seigneur est auteur de la vie et de l'être de l'homme, et qu'il n’a entendu donner à personne aucun pouvoir sur sa propre vie et encore moins sur celle de son prochain, qu'on n'a nullement le droit ni de tuer ni même de blesser. Et, comme la vie est le premier bien de la nature et le fondement de la grâce, elle loua le Seigneur d'avoir promulgué ce commandement en faveur des mortels. la voyant en eux les ouvrages de Dieu (1), des créatures capables de sa grâce et de sa gloire, et rachetées au prix du sang que sou Fils verserait et offrirait pour elles (2), elle fit de ferventes prières pour obtenir l'observation de ce précepte dans l'Église. Notre très-pure Dame saisit tous les caractères du sixième commandement, comme les bienheureux qui ne trouvent

 

(1) Sap., II, 23; Eccles., XV, 14 , etc. — (2) I Petr., I, 19.

 

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plus en eux-mêmes le danger de la faiblesse humaine, mais qui le remarquent chez les mortels, et qui le prévoient sans qu'il les touche. C'est des plus sublimes hauteurs de la grâce que cette très-sainte Vierge le regardait et le connaissait à l'abri de cette concupiscence rebelle qu'elle ne put contracter, parce qu'elle en fut miraculeusement préservée. Les sentiments de pur amour que conçut cette grande partisane de la chasteté, en pleurant les péchés des hommes contre cette vertu, furent tels, qu'elle blessa de nouveau le coeur du Seigneur (1), et qu'elle consola, pour ainsi dire, son très saint fils des offenses que les mortels lui feraient par la violation de ce précepte. Mais, sachant que son observation s'étendrait en la loi de l'Évangile jusqu'à établir des communautés de vierges et de religieux qui promettraient de garder cette vertu de chasteté, elle pria le Très-Haut de les enrichir du trésor de ses bénédictions. Et c'est ce que sa divine Majesté a fait par l'intercession de cette très-pure Darne, en leur réservant la récompense particulière qui revient à la virginité, parce qu'ils ont suivi celle qui a été Vierge et Mère de l'Agneau (2). Et comme elle prévoyait que sous la loi évangélique elle aurait dans le culte de cette vertu une foule d'imitateurs, elle en rendit avec une joie singulière de très-grandes actions de grâces au Seigneur. Je ne m'arrête pas davantage à rapporter combien elle estimait cette vertu , parce que j'en ai dit quelque chose en la première partie et ailleurs.

 

(1) Cant., IV, 9. — (2) Ps. XLIV, 15.

 

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825. Pour ce qui est des autres. commandements, qui sont, le septième, de ne point dérober; le huitième, de ne dira aucun faux témoignage; le neuvième, de ne point désirer la femme de son prochain; le dixième, de ne point désirer ses biens ni aucune chose qui lui appartienne; l'auguste Marie en eut une intelligence aussi merveilleuse que des précédents. Elle faisait pour chacun des actes généreux de ce qu'en demandait l'accomplissement, louant et remerciant le Seigneur, au nom de tous les hommes, de ce qu'il les conduisait avec tant de sagesse et d'efficace à sa félicité éternelle par une loi si conforme à leurs besoins et si bienfaisante, qu'en l'observant ils ne s'assuraient pas seulement la récompense qui leur était promise pour toujours dans la gloire, mais qu'ils pouvaient aussi jouir pendant cette vie d'un calme et d'une tranquillité qui les rendraient en quelque façon bienheureux. En effet, si toutes les créatures raisonnables se conformaient à l'équité de la loi divine et se résolvaient à la garder, elles goûteraient ici-bas un bonheur et des délices ineffables dans le témoignage de la bonne conscience (1), car toutes les jouissances humaines ne sauraient être comparées à la consolation qu'éprouvent ceux qui sont fidèles à observer les petites et les grandes choses de la loi (2). Nous sommes redevables à notre Rédempteur Jésus-Christ de ce bienfait, puisqu'il nous a mérité la grâce de faire le bien, la satisfaction intérieure, la paix, la consolation

 

(1) II Cor., I, 12. — (2) Matth., XIV, 21.

 

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et plusieurs autres bonheurs dont nous pouvons jouir même dès cette vie. Et si tous ne les reçoivent pas, cela vient de ce qu'on ne garde pas ses commandements. Car toutes les disgrâces et toutes les calamités des hommes sont comme autant d'effets inséparables de leurs désordres; et, pendant que chacun y contribue de son côté, nous sommes tellement aveugles, que si quelque affliction nous arrive, nous en cherchons ailleurs la cause, qui se trouve pourtant en nous-mêmes.

826. Serait-il possible de raconter les dommages que causent dans cette vie le larcin et la transgression du commandement qui le défend, et qui nous oblige en même temps de nous contenter tous de. notre sort et d'y espérer le secours du Seigneur, qui n'abandonne pas les oiseaux (1) ni les plus misérables vermisseaux? Combien de misères et d'afflictions ne souffrent pas les peuples chrétiens par l'ambition des princes, qui ne se contentent pas des royaumes que le souverain Roi de l'univers leur a donnés ! Mais ils prétendent encore étendre leur puissance et leurs couronnes au delà; ils bannissent dit monde la paix et la tranquillité, appauvrissent les familles, dépeuplent les provinces et fout périr une infinité d'âmes. Les faux témoignages et les mensonges, qui offensent la suprême vérité et enveniment les relations humaines, produisent tout autant de maux et de discordes qui troublent et ravagent les cours des mortels. Et tout

 

(1) Matth., VI, 26.

 

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cela les rend incapables de préparer à leur Créateur la demeure qu'il voudrait y établir comme dans son temple (1). La convoitise de la femme d'autrui, l'odieux adultère, la violation de la sainte loi du mariage, confirmée et sanctifiée par notre Seigneur Jésus-Christ dans le sacrement (2), n'ont-ils pas causé et ne causent-ils pas encore tous les jours de très-grands malheurs secrets et publics parmi les catholiques? Et sans doute beaucoup de ces péchés sont cachés aux yeux du monde; mais quand ils le seraient même davantage, ils ne le seront jamais aux yeux de Dieu, qui, étant un juge très-équitable, ne laissera pas passer ces péchés sans les châtier en cette vie; et s'il ne les châtie pas maintenant autant qu'ils le méritent, pour ne pas détruire la république chrétienne, il est certain que plus sa Majesté les aura dissimulés eu ce monde, plus ses jugements seront rigoureux en l'autre (3).

827. Notre grande Reine voyait toutes ces vérités, les regardant dans le Seigneur. Et quoiqu'elle connût la lâcheté des hommes, qui manquent si imprudemment et pour des choses si viles à l'honneur et au respect qu'ils doivent à Dieu, et qu'elle considérât d'ailleurs que sa Majesté a pourvu avec tant de bonté à leurs besoins en leur imposant des lois si saintes et si importantes, cette très-prudente Dame ne se scandalisa pourtant pas de la fragilité humaine; elle n'était

 

(1) I Cor., III, 17. — (2) Matth., XIX, 4, etc. — (2) Ps. VII, 12; Rom., II, 5.

 

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même pas surprise de nos ingratitudes; toujours Mère tendre, elle portait au contraire compassion à tous les mortels et les aimait avec la plus ardente affection; elle reconnaissait pour eux les oeuvres du Très-Haut, réparait par avance les transgressions qu'ils commettraient contre la loi évangélique, intercédait en leur faveur, et demandait su Seigneur que cette même loi fût parfaitement observée de tous. Elle comprit admirablement que tout le Décalogue se résumait en ces deux commandements, savoir, d'aimer Dieu de tout son coeur et le prochain comme soi-même (1), et qu'étant bien entendus et bien pratiqués, on y trouve la véritable sagesse, puisque celui qui les accomplit n'est pas loin du royaume de Dieu, comme l'a dit le Seigneur dans l'Évangile (2). Elle connut aussi que l'observation de ces deux préceptes doit être préférée à tous les holocaustes et à tous les sacrifices. Et elle proportionna à cette science qu'elle eut la pratique de cette sainte loi, telle que la contiennent les Évangiles, sans en omettre ni les commandements, ni les conseils; ni la plus petite chose. De sorte que cette divine Princesse accomplit à elle seule la doctrine du Rédempteur du monde son très-saint Fils avec plus de perfection que tout le reste des saints et des fidèles de la sainte Église.

 

(1) Matth., XXII, 40 ; Rom., XIII, 10. — (1) Marc., XII, 34, 33.

 

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Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

828. Ma fille, puisque le Verbe du Père éternel était descendu de son sein pour prendre dans le mien cette chair humaine par laquelle il allait racheter l'humanité, il fallait, pour. éclairer ceux qui demeuraient dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort (1), et pour les conduire à la félicité qu'ils avaient perdue, que sa Majesté fût leur lumière, leur voie, leur vérité et leur vie (2), et qu'elle leur donnât une loi si sainte, qu'elle les justifiât; si claire, qu'elle les illuminât; si assurée, quelle les fortifiât; si puissante, qu'elle les excitât; si efficace, qu'elle les aidât; et si véritable, qu'elle communiquât à tous ceux qui la gardent une joie et une sagesse solide. La très-pure loi de l'Évangile a en ses préceptes et en ses conseils une vertu singulière pour produire tous ces effets et plusieurs autres admirables; et elle dirige de telle sorte les créatures raisonnables, que tout leur bonheur spirituel et corporel, temporel et éternel ne consiste qu'à la garder (3). Vous découvrirez par là cette ignorance aveugle des mortels dont leurs ennemis irréconciliables se servent pour les tromper (4) : puisque les hommes aspirant avec tant d'ardeur à leur propre félicité, il en est cependant si peu qui l'acquièrent; parce qu'ils ne la cherchent pas dans la loi divine, où seulement ils peuvent la trouver.

 

(1) Luc., I, 79. — (2) Joan., XIV, 6. — (3) Prov., XXIX, 18. — (4) Galat., III, 1.

 

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829. Préparez votre coeur par cette science, afin que le Seigneur y grave sa sainte loi (1), comme il l'a gravée dans le mien, et qu'il vous éloigne de telle sorte de tout ce qui est visible et terrestre, que toutes vos puissances se trouvent débarrassées d'images étrangères, et ne soient occupées que de celles que le doigt du Seigneur y aura imprimées, pour vous marquer sa doctrine et son bon plaisir, que les vérités de l'Évangile renferment. Priez continuellement le Seigneur de vous rendre digne de cette faveur et de la promesse de mon très-saint Fils, afin que vos désirs ne soient point stériles. Mais faites aussi réflexion que si vous manquiez à vous y disposer, cet oubli serait en vous beaucoup plus blâmable qu'en tous les autres vivants; puisque aucun n'a été attiré à son divin amour par d'aussi douces violences et par d'aussi. grands bienfaits que vous. Aux jours d'abondance comme dans la nuit de la tentation et de la tribulation , songez à la dette que vous avez contractée, songez à la jalousie du Seigneur, afin que vous ne soyez point enflée par les faveurs ni abattue par les peines et par les afflictions; et vous jouirez de cette bienheureuse égalité, si dans ces deux états vous vous appliquez à la méditation de la divine loi écrite dans votre coeur, pour la garder inviolablement, et avec toute la perfection qu'il vous sera possible. En ce qui concerne l'amour du prochain, servez-vous toujours de cette première règle avec laquelle on le doit mesurer quand

 

(1) Jerem., XXXI, 33.

 

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on le veut mettre en pratique; c'est de vouloir qu'il lui soit fait ce que vous voudriez qu'on vous fit (1). Si vous souhaitez vivement qu'on pense ou qu'on dise du bien de vous et qu'on vous en fasse, pratiquez la même chose envers les autres. Si vous n'êtes pas bien aise qu'on vous offense en la moindre chose, évitez de donner ce déplaisir à qui que ce soit. Et si vous n'approuvez pas qu'une personne en fâche une autre, ne tombez pas vous-même dans ce désordre; puisque vous savez que l'on transgresse ainsi la règle et le commandement que le Très-Haut a établi. En outre, pleurez vos péchés et ceux de votre prochain, parce qu'ils sont contre Dieu et contre sa sainte loi; car c'est là une bonne charité à l'égard de Dieu et des hommes. Ressentez les afflictions d'autrui comme les vôtres propres, m'imitant dans le fraternel amour.

 
CHAPITRE XI. La très-pure Marie eut l'intelligence des sept sacrements que notre Seigneur Jésus-Christ devait instituer, et des cinq commandements de l'Église.

 

830. Pour achever la beauté et mettre le comble aux richesses de la sainte Église, il fallut que son

 

(1) Matth., XXII, 39.

 

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auteur Jésus-Christ établit dans son sein les sept sacrements comme un dépôt commun où seraient versés les trésors infinis de ses mérites, et où l'auteur même de toutes ces merveilles se trouverait sous les voiles eucharistiques, par un mystérieux mais réel et véritable mode d'assistance, afin que les fidèles se nourrissent de ses biens, et se consolassent par sa présence, qui leur est un gage de la vision dont ils espèrent jouir éternellement face à face. Il fallait aussi, pour la plénitude de la science et de la grâce que l'auguste Marie devait recevoir, que tous ces mystères et tous ces trésors fussent comme enregistrés dans son coeur magnanime, afin qu'autant qu'il se pourrait, toute la loi de grâce y fait mise en dépôt et imprimée, comme elle l'était en son très-saint Fils; car c'est elle qui, en son absence, devait être la Maîtresse de l'Église, et enseigner à ses premiers enfants les dispositions scrupuleuses avec lesquelles on devait vénérer et recevoir tous ces sacrements.

831. Notre grande Dame découvrit tout cela par une nouvelle lumière dans l'intérieur de son très-saint Fils, y pénétrant chaque mystère en particulier. En premier lieu, elle connut que la dure loi de la circoncision serait ensevelie avec honneur, et que le très-doux et admirable sacrement du baptême prendrait sa place. Il lui fut manifesté que l'unique matière de ce sacrement serait l'eau élémentaire, et que sa forme consisterait dans les paroles par lesquelles il a été déterminé, avec la spécification des trois personnes divines sous les noms de Père, de Fils, et de Saint-Esprit,

 

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afin que les fidèles professassent la foi explicite de la très-sainte Trinité. Elle connut la vertu que notre Seigneur Jésus-Christ communiquerait au baptême, elle sut qu'il aurait une efficace singulière pour purifier entièrement les hommes de tous leurs péchés, et les délivrer des peines qu'ils auraient méritées en les commettant. Elle vit les effets admirables qu'il produirait en tous ceux qui le recevraient, en les régénérant, en les faisant renaître comme enfants adoptifs et héritiers du royaume du Père céleste, en leur donnant par infusion les vertus de foi, d'espérance, de charité et plusieurs autres; en imprimant par sa vertu dans leurs âmes un caractère surnaturel et spirituel, qui servirait comme d'un sceau royal pour marquer les enfants de la sainte Église; en un mot, la bienheureuse Marie connut tout ce qui regarde ce sacrement et ses effets. Et aussitôt elle le demanda à son très-saint Fils, avec un très-ardent désir de le recevoir au moment convenable: sa Majesté le lui promit, et le lui donna plus tard, comme je le dirai en son lieu.

832. L'auguste Princesse eut la même connaissance du sacrement de confirmation, qui est le second : elle sut qu'on le donnerait dans la sainte Église après le baptême; parce que celui-ci engendre premièrement les enfants de la grâce, et celui-là leur donne le courage et la force de confesser la sainte foi qu'ils ont reçue dans le baptême , leur augmente la première grâce, et leur en ajoute une particulière pour sa propre fin. Elle connut la matière, la forme, les ministres,

 

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les effets spirituels de ce sacrement, et le caractère qu'il imprime dans l'âme; elle comprit que le chrême composé d'huile et de baume qui en fait la matière, représente la lumière des bonnes couvres, et la bonne odeur de Jésus-Christ (1), que les fidèles répandent par ces mêmes couvres en le confessant; et que c'est aussi ce que signifient les paroles qui en constituent la forme, chaque chose en sa manière. Dans la perception de toutes ces notions, notre grande Reine faisait des actes sublimes de louange et de gratitude, qu'elle accompagnait de ferventes prières qui partaient du fond de son coeur, afin que tous les hommes vinssent puiser de l'eau de ces fontaines du Sauveur (2), et jouissent de tant de trésors incomparables, en le connaissant et le confessant pour leur Dieu véritable et pour leur Rédempteur. Elle pleurait amèrement la perte lamentable de tant de personnes qui, à la vue de l'Évangile, seraient privées par leurs péchés de tant de remèdes efficaces.

833. Quant su troisième sacrement, qui est la pénitence, notre divine Dame apprécia la convenance et la nécessité de ce moyen pour rétablir les âmes en la grâce et en l'amitié de Dieu, attendu la fragilité humaine, par laquelle on perd si souvent ce trésor inestimable. Elle connut les parties et,les ministres que ce sacrement aurait, la facilité avec laquelle les enfants de l'Église pourraient en user, et les effets admirables qu'il produirait. Et pour témoigner

 

(1) II Cor., II, 15. — (2) Isa., XII, 3.

 

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sa reconnaissance de ce qui lui avait été découvert de ce bienfait, elle rendit, comme Mère de miséricorde et des fidèles ses enfants, de singulières actions de grâces au Seigneur, avec une joie incroyable de voir un remède si facile pour des maladies aussi fréquentes que les péchés ordinaire des hommes. Elle se prosterna, et su nom de l'Église elle reconnut et honora le saint tribunal de la confession, où le Seigneur avait résolu et ordonné dans sa clémence ineffable, que l'on terminerait une cause aussi importante pour les dînes, que le sont la justification et la vie, ou la condamnation et la mort éternelle, et laisse en conséquence aux prêtres le pouvoir d'accorder ou de refuser l'absolution des péchés (1).

834. Notre très-prudente Reine fut ensuite inities à une connaissance toute particulière du sublime mystère et auguste. sacrement de l'Eucharistie; et dans cette merveille, elle pénétra profondément plus de secrets que les plus hauts séraphins, car elle y sut la manière surnaturelle en laquelle l'humanité et la divinité de son très saint Fils seraient sous les espèces du pain et du vin; la vertu des paroles, pour consacrer son corps et son sang par le changement d'une substance en une autre; le maintien des accidents en l'absence du sujet; la simultanéité de la présence de son adorable Fils en tant d'endroits différents ; l'institution de l'auguste mystère de la messe pour le

 

(1) Matth., XVIII, 18.

 

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consacrer et l'offrir en sacrifice au Père éternel jusqu'à la fin des siècles; le culte d'adoration et les hommages que la sainte Église catholique lui rendait dans un très-grand nombre de temples par tout le monde; les favorables effets que cet adorable sacrement produirait en ceux qui, quoique plus ou moins bien disposés, le recevraient dignement, et combien ces effets seraient formidables pour ceux qui l'auraient reçu indignement. Elle connut aussi la foi avec laquelle les catholiques accueilleraient cet incomparable bienfait, et les erreurs que les hérétiques y opposeraient, et surtout l'amour immense avec lequel son très-saint Fils avait résolu de se donner en aliment de vie éternelle à chacun des mortels.

835. Toutes ces révélations et plusieurs autres fort relevées que la Reine du ciel eut sur le plus auguste des sacrements, allumèrent dans son chaste cœur de nouveaux brasiers d'amour dont l'ardeur dépasse l'intelligence humaine, et quoiqu'elle fit de nouveaux. cantiques pour chacun des articles de foi et des autres sacrements qui lui avaient été manifestés, elle épancha encore plus largement son cœur sur ce grand mystère de l'Eucharistie; de sorte que, se prosternant, elle redoubla ses effusions d'amour, ses hymnes de louange, ses témoignages d'humble vénération pour mieux reconnaître un si haut bienfait, et en même temps ses gémissements et les marques de sa douleur, à cause de ceux qui n'en profiteraient pas et qui s'en serviraient pour leur propre damnation. Elle eut des désirs si véhéments de voir

 

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l'institution de cet adorable sacrement, que si la force du Très-Haut ne l'eût soutenue, l'ardeur de ses sentiments aurait consumé sa vie naturelle, quoique la présence de son très-saint Fils la prolongeât et l'entretint jusqu'au temps marqué, en étanchant quelque peu sa soif brûlante. Mais dès lors elle commença à s'y préparer, et demanda d'avance à sa Majesté la communion de son corps eucharistique pour le moment où en aurait lieu la consécration; et dans cette occasion elle lui dit : « Mon souverain Seigneur et  vie véritable de mon âme, pourrai-je mériter de  vous recevoir dans mon sein, moi qui ne suis qu'un  petit vermisseau et que l'opprobre des hommes?  Serai-je assez heureuse que de vous recevoir de noua veau dans mon corps et dans mon âme? Est-il possible que mon cœur vous serve encore de demeure  et de tabernacle, où vous reposerez, et où nous   jouirons, monde vos doux embrassements , et vous,  mon bien-aimé, de ceux de votre servante? »

836. Notre divin Maître lui répondit : « Ma Mère  et ma Colombe, vous me recevrez plusieurs fois  sous les espèces sacramentelles, et vous goûterez  cette consolation après ma mort et mon ascension, a car je ferai mon habitation continuelle dans l'asile  de votre très-chaste et très-amoureux coeur, que  j'ai choisi pour ma demeure privilégiée et pour la a lieu de mes complaisances. » A cette promesse du Seigneur, la grande Reine s'humilia de nouveau, et, baisant la poussière, elle en rendit des actions de grâces si ferventes, qu'elle causa de l’admiration à

 

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toute la cour céleste. Dès lors elle résolut de diriger toutes ses affections et toutes ses œuvres à cette fin de se préparer et de se disposer à recevoir à l'époque fixée la sainte communion de son Fils sous la forme sacramentelle; de sorte qu'à partir de ce moment elle n'oublia ni n'interrompit jamais cette application des actes de sa volonté. Sa mémoire était (ainsi que je l'ai dit ailleurs) sûre et constante, comme aux esprits angéliques, et sa science était beaucoup plus sublime que la leur, et comme elle se souvenait toujours de ce mystère aussi bien que des autres, elle ne cessait d'agir d'après les pensées qui lui étaient toujours présentes. Elle supplia en outre instamment le Seigneur de donner la lumière aux mortels pour connaître et révérer cet auguste sacrement, et pour le recevoir dignement. Si nous parvenons quelquefois à le recevoir avec les dispositions convenables (veuille le Seigneur que ce soit toujours!), après l'obligation que nous en avons aux mérites de notre Rédempteur Jésus-Christ, qui est la source de toutes les grâces que nous recevons, nous devons cette faveur aux larmes et aux prières de sa très-sainte Mère, qui nous l'ont procurée. Et si quelqu'un pousse la témérité et l'audace jusqu'à oser le recevoir en mauvais état, il doit savoir qu'outre l'injure sacrilège dont il se rend coupable contre son Dieu et son Sauveur, il offense aussi sa très-pure Mère, parce qu'il méprise et qu'il perd en même temps les fruits de son amour, de ses désirs charitables, de ses prières, de ses larmes et de ses soupirs. Tâchons donc d'éviter un crime si horrible.

 

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837. Dans le cinquième sacrement de l'extrême-onction, notre incomparable Reine eut connaissance de la fin merveilleuse pour laquelle le Seigneur l'instituait, de sa matière, de sa forme et de son ministre. Elle apprit que la matière serait l'huile d'olive bénite, comme étant le symbole de la miséricorde; la forme, une prière accompagnant l'onction des sens par lesquels nous avons péché, et que le ministre serait le seul prêtre, à l'exclusion de tous autres. Elle connut les fins et les effets de ce sacrement, destiné à secourir les fidèles dangereusement malades et aux approches de la mort, contre les embûches et les tentations du démon, qui sont terribles et multipliées dans ces derniers moments; aussi l'extrême-onction communique-t-elle à celui qui la reçoit dignement la grâce pour recouvrer les forces spirituelles, affaiblies par les péchés qu'il a commis, et contribue-t-elle même à soulager ou à guérir les maux de son corps si la santé lui est avantageuse. Ce sacrement porte encore intérieurement le malade à une nouvelle dévotion et à des désirs ardents de voir Dieu, lui ménage le pardon des péchés véniels et de certaine restes et effets des péchés mortels, et enfin marque son corps, non point d'un caractère ineffaçable, mais d'un signe apparent et comme d'un sceau, afin que le démon craigne de s'en approcher comme d'un tabernacle où le Seigneur a résidé par la grâce sacramentelle. Tel est le privilège en vertu duquel Lucifer est privé dans ce sacrement du pouvoir et du droit qu'il avait acquis sur nous par les péchés originel, et actuels; afin que le

 

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corps du juste, marqué et embaumé par ce même sacrement, soit réuni un jour à son âme, ressuscite et jouisse de Dieu en cette même âme. Notre très-charitable Mère et Maîtresse connut tout cela, et en rendit des actions de grâces au nom des fidèles.

838. Touchant le sacrement de l'ordre, qui est le sixième, elle vit comment la providence de son très-saint Fils, l'habile Architecte de la grâce et de l'Église, établissait en cette même Église des ministres assez enrichis par les sacrements qu'il instituait, pour pouvoir sanctifier le corps mystique des fidèles et consacrer le corps et le sang de cet adorable Seigneur, et comment, afin de les élever à cette dignité, qui les mettrait au-dessus de tous les autres hommes et des anges mêmes, il établissait un autre nouveau sacrement de l'ordre et de consécration. Cette vue lui inspira un si grand respect pour les prêtres à cause de leur dignité, qu'elle commença dès lors à les honorer avec une profonde humilité, et à prier le Très-Haut de tes rendre de dignes ministres et très-capables de leur office, et de porter les autres fidèles à les révérer. Elle pleura les offenses que les uns et les autres commettraient contre Dieu; mais comme j'ai parlé, ailleurs de la grande vénération que notre auguste Reine avait pour les prêtres, et que j'en dois dire encore davantage dans la suite de cette histoire, je ne m'y arrêté pas maintenant. La sainte Vierge eut une connaissance distincte de toutes les autres choses qui regardent ce sacrement, comme de ses effets et des ministres qu'il aurait.

 

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839. A propos du sacrement de mariage, le septième et dernier, notre illustre Dame fut aussi informée des hautes fins que le Rédempteur du monde eut en instituant un sacrement par lequel serait bénie et sanctifiée, dans la loi évangélique, la propagation des fidèles, et serait symbolisé avec plus d'efficace qu'auparavant le mystère du mariage spirituel de ce même Seigneur avec la sainte Église (1). Elle apprit comment ce sacrement devait être perpétué, sa forme , sa matière, et les grands biens qui en reviendraient aux enfants de l'Église; aussi bien que tout le reste qui regarde ses effets, le besoin qu'on en avait, et la vertu qu'il renferme; elle fit en conséquence des cantiques de louange et des actes de reconnaissance au nom des catholiques qui recevraient ce bienfait. Ensuite elle connut les saintes cérémonies dont l'église se servirait dans les temps à venir pour le culte divin et pour l'ordre des bonnes moeurs. Elle connut aussi toutes les lois qu'elle établirait dans ce but, entre autres les cinq commandements : savoir, d'ouïr la messe les jours de fête, de confesser ses péchés au temps prescrit, de recevoir le très-saint corps de Jésus-Christ dans l'eucharistie, de jeûner les jours qui sont marqués, de payer les dîmes et les prémices des fruits que le Seigneur fait croître sur la terre.

840. L'auguste Marie découvrit les hautes et mystérieuses raisons qui justifiaient ces préceptes ecclésiastiques,

 

(1) Ephes., V, 32.

 

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les effets qu'ils produiraient dans les fidèles, et le besoin que la nouvelle Église en aurait, afin que ses enfants observant le premier de tous ces commandements, eussent des jours destinés pour s'occuper de Dieu, et assister au très-saint sacrifice de la messe, qui serait offert pour les vivants et pour les morts; qu'ils renouvelassent en cet auguste mystère la profession de leur foi et la mémoire de la passion et de la mort de Jésus-Christ, par lesquelles nous avons été rachetés; qu'ils coopérassent en la manière possible à la grandeur et à l'offrande de ce souverain sacrifice; et qu'ils y participassent à tous les fruits que la sainte Église en reçoit. Elle comprit aussi combien il nous importait de ne pas négliger de recouvrer la grâce et l'amitié de Dieu par le moyen de la confession sacramentale, et de nous confirmer dans cette amitié par la très-sainte communion : car outre le danger où l'on s'expose, et le dommage que l'on souffre en retardant l'usage de ces deux sacrements, on fait une autre injure à leur auteur, parce qu'on résiste à ses désirs et à l'amour avec lequel il les a institués pour notre salut; et comme cette négligence suppose nécessairement un grand mépris tacite ou manifeste, les personnes qui y tombent offensent grièvement le Seigneur.

841. Elle eut une égale connaissance des deux derniers préceptes, qui ordonnent de jeûner et de payer les dîmes, sachant combien il était important que les enfants de la sainte Église travaillassent à vaincre les ennemis qui peuvent les empêcher de faire leur salut,

 

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comme il arrive à tant d'infortunés, à tant d'imprudents, parce qu'ils ne mortifient et ne domptent pas leurs passions, qui sont d'ordinaire excitées par le vice de la chair; et celui-ci est mortifié par le jeûne, dont le Maître de la vie nous a donné particulièrement l'exemple, quoiqu'il n'eût pas à vaincre comme nous la concupiscence rebelle. Pour ce qui regarde les dîmes, elle découvrit que c'était un. ordre spécial du Seigneur, que les enfants de l'Église lui payassent ce tribut des biens de la terre, qu'ils le reconnussent pour le suprême Seigneur et créateur de l'univers, et le remerciassent des fruits que sa providence leur donnait pour la. conservation de leur vie; enfin que ces dîmes ayant été offertes à sa divine Majesté, servissent à la subsistance et au profit des prêtres et des ministres de l'Église, afin qu'ils fussent plus reconnaissants su Seigneur, à la table duquel ils reçoivent une si abondante nourriture, et qu'ils connussent par là l'obligation qu'ils ont de s'occuper continuellement du salut et des besoins spirituels des fidèles, puisqu'ils ne tirent leur entretien de la sueur du peuple que pour consacrer toute leur vie au culte divin et à l'utilité de la sainte Église.

842. J'ai du beaucoup me restreindre dans cette succincte exposition des profonds et sublimes mystères qui furent opérés dans le coeur magnanime de notre grande Reine, par la connaissance que le Très-Haut lui donna de la nouvelle loi et de l'Église évangélique. C'est la crainte qui m'a empêchée de m'étendre davantage, et surtout celle que j'avais de ne pas bien

 

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exprimer ce qui m'en a été manifesté ; les lumières de la sainte croyance que nous professons, accompagnées de la prudence et de la piété chrétienne, dirigeront les âmes catholiques qui s'appliqueront attentivement à la respectueuse méditation de sacrements si augustes, et qui sauront considérer avec une vive foi l'accord merveilleux des lois, des sacrements, de la doctrine et de tant de mystères que l'Église catholique renferme, dont elle s'est servie admirablement pour sa conduite dès son origine, et dont elle se servira jusqu'à la fin du monde sans que rien puisse l'ébranler. Tout cela se trouva uni d'une manière ineffable dans l'intérieur de notre Princesse, et ce fut là que le Rédempteur du monde s'essaya pour ainsi dire à établir la sainte Église, en en modelant par avance toutes les parties en sa très-pure Mère, afin qu’elle fut la première à jouir de ses trésors avec surabondance, et que dans cette jouissance elle opérât, aimât, crût, espérât et rendit des actions de grâces au nom de tous les autres mortels, et qu'elle pleurât en même temps leurs péchés, pour que le genre humain ne fût point privé du torrent de tant de miséricordes. Ainsi cette incomparable Dame devait être comme le registre public où tout; ce que Dieu opèrerait pour la rédemption des hommes serait écrit, et lui-même allait se trouver comme obligé de l'accomplir, en la prenant pour coadjutrice, et en gravant dans son coeur le mémorial des merveilles qu'il voulait opérer.

 

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Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

 

842. Ma fille, je vous ai représenté plusieurs fois combien est injurieux au Très-Haut, et funeste à tous les mortels, le mépris qu'ils font des oeuvres mystérieuses et admirables que sa divine clémence a disposées pour leur salut. Mon amour maternel me porte à vous rappeler eu quelques mots ce souvenir, et la douleur d'un oubli si déplorable. Où est le jugement des hommes qui méprisent si imprudemment leur salut éternel et la gloire de leur Créateur et Rédempteur? Les portes de la grâce et de la gloire sont ouvertes; et non-seulement ils ne veulent point y entrer, mais la vie et la lumière sortant pour les prévenir, ils ferment les leurs, afin qu'elles n'entrent point dans leurs coeurs remplis des ténèbres de la mort. O pécheur, que ta cruauté envers toi-même est barbare, puisque ta maladie étant mortelle et la plus dangereuse de toutes, tu ne veux pas recevoir le remède que l'on t'offre si généreusement! Quel serait le mort qui ne se crût pas fort obligé à celui qui lui aurait rendu la vie? Où est le malade qui ne remerciât le médecin qui l'aurait tiré d'une grave maladie? Or si les enfants des hommes sentent cela, et savent témoigner leur reconnaissance à un mortel qui leur rend une santé et une vie qu'ils doivent bientôt perdre, et qui ne servent qu'à les remettre dans de nouveaux dangers et dans de nouvelles afflictions, comment sont-ils si

 

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insensés et si endurcis, que de ne montrer que de l'ingratitude à Dieu, qui leur donne le salut et la vie du repos éternel, et qui veut les délivrer des peines qui ne finiront jamais, et qu'on ne saurait dépeindre?

844. O ma très-chère fille, comment puis-je reconnaître pour enfants ceux qui méprisent de la sorte mon bien-aimé Fils et Seigneur, et qui font si peu de cas de sa bonté libérale? Les anges et les saints la proclament dans le ciel, et sont surpris de la noire ingratitude et de l'effroyable témérité des vivants; de sorte que l'équité de la divine justice se justifie en la présence de ces esprits bienheureux. Je vous si découvert beaucoup de ces secrets dans cette histoire, et je vous en dis plus maintenant, afin que vous m'imitiez dans les larmes si amères que j'ai versées sur ce terrible malheur, par lequel Dieu a été et est encore grièvement offensé, et qu'en pleurant les injures qu'on lui fait, vous tâchiez autant qu'il vous sera possible de les empêcher et de les éviter. Je veux que vous ne laissiez passer aucun jour sans rendre d'humbles actions de grâces à sa divine Majesté de ce qu'elle i institué les sacrements, et de ce qu'elle souffre le mauvais usage que les méchants en font. Recevez-les avec un profond respect, et avec une foi et une espérance ferme; et comme vous sentez un attrait particulier pour le sacrement de la pénitence, faites en sorte de vous en approcher avec les dispositions que la sainte Église et ses docteurs recommandent pour le recevoir avec fruit. Fréquentez-le tous les jours avec un coeur humble et reconnaissant, et toutes les fois

 

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que vous aurez quelque faute à vous reprocher, ne différez pas le remède de ce sacrement. Lavez et purifiez votre âme, car ce serait une négligence horrible de la voir souillée da péché, et de la laisser longtemps ou même un seul instant dans cette difformité.

815. Je veux surtout que vous sachiez l'indignation du Dieu tout-puissant (quoique vous ne puissiez pas vous en faire une juste idée) contre ceux qui dans leur folle témérité ont l'imprudence de recevoir indignement ces sacrements, et même le très-auguste sacrement de l'autel. O âme! combien est affreux ce péché devant Dieu et devant les saints! Et ce ne sont pas seulement les communions indignes, mais encore les irrévérences que l'on commet dans les églises et en sa divine présence. Comment certains enfants de l'Église peuvent-ils dire qu'ils croient cette vérité et qu'à la révèrent, si, Jésus-Christ se trouvant dans le saint sacrement en tant d'endroits, non-seulement ils ne se mettent pas en peine de l'aller visiter et honorer; mais qu'ils commettent en sa présence des sacrilèges tels que les païens ne les oseraient pas commettre dans les temples de leurs idoles? C'est ici un sujet sur lequel il faudrait donner plusieurs avis et écrire plusieurs livres; je vous avertis, ma tille, que les hommes irritent beaucoup la justice du Seigneur dans le siècle présent, et qu'ils empêchent par là que je ne leur apprenne ce que ma pitié souhaiterait leur apprendre pour leur remède. Mais ce qu'ils doivent savoir maintenant, c'est que son jugement,sera formidable et sans miséricorde, comme envers des serviteurs méchants

 

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et infidèles condamnés par leur propre bouche (1). C'est ce que vous pourrez dire à tous ceux qui voudront vous entendre, en leur conseillant d'aller au moins chaque jour dans une église pour y adorer Dieu dans le saint Sacrement, et d'assister autant que possible à la messe avec beaucoup de respect, car les hommes ne savent pas ce qu'ils perdent par leur négligence.

 
CHAPITRE XII. Notre Rédempteur Jésus-Christ continue ses prières pour nous. — Sa très-sainte Mère prie aussi avec lui, et reçoit de nouvelles lumières.

 

846. Nous avons beau chercher à développer nos discours pour manifester et glorifier les oeuvres mystérieuses de notre Rédempteur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère, nous ne parviendrons jamais à les embrasser, ni à atteindre, même de loin, la grandeur de ces mystères, parce qu'ils sont, comme dit l’Ecclésiastique, au-dessus de toutes nos louanges (2); jamais nous ne les saisirons ni ne les comprendrons, et il nous échappera toujours des merveilles plus

 

(1) Luc., XIX, 22. — (2) Eccles., LXIII, 33.

 

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grandes que celles que nous aurons voulu raconter, car nous n'en découvrirons que fort peu , et celles-ci, même, nous ne méritons pas de les pénétrer ni de savoir exprimer ce que nous en concevons. Les plus hauts séraphins avec toute leur intelligence, ne sont pas capables de sonder et d'approfondir les secrets qui se passèrent entre Jésus et Marie pendant les années qu'ils demeurèrent ensemble, principalement en celles dont je parle, lorsque le Maître de la lumière informait sa très-sainte Mère de tout ce qu'il ferait en la loi de grâce, et de tous les événements qui s'accompliraient dans ce sixième âge du monde, et lui apprenait en même temps que la loi de l'Évangile durerait jusqu à la fin, ce qui est arrivé dans l'espace de plus de mille six cent et cinquante-sept ans, et le reste que nous ignorons, et qui doit arriver jusqu'au jour du jugement. Cette grande Dame apprit tout cela à l'école de son très-saint Fils, car sa Majesté lui déclara toutes choses , en lui marquant les temps, les lieux, les royaumes, les provinces et tout ce qui s'y passerait tant que l'Église durerait; et ce fut avec une si grande clarté, que si elle vivait encore sur la terre, elle connaîtrait tous ceux qui composent l'Eglise, individuellement et par leurs noms, comme on le vit avant sa mort, car quand quelqu'un l'abordait, elle ne faisait que le reconnaître par les sens et par une impression qui répondait à l'image inférieure du même objet.

847. Quand la très-pure Mère de la Sagesse connaissait ces mystères dans l'intérieur de son très-saint

 

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Fils et dans les actes de ses puissances, elle ne parvenait point à les pénétrer comme l'âme de cet adorable Seigneur, unie à la Divinité par l'union hypostatique et béatifique, parce que cette auguste Dame était une simple créature, non bienheureuse par une vision continuelle; elle ne percevait d'ailleurs les notions et la lumière béatifique de cette âme très-heureuse que lorsqu'elle jouissait de la claire vision de la Divinité. Mais dans les autres visions où elle connaissait les mystères de l'Église militante, elle apercevait les espèces imaginaires des puissances intérieures de notre Seigneur Jésus-Christ; elle comprenait encore que leur manifestation dépendait de sa très-sainte volonté, et qu'il décrétait et disposait toutes ces oeuvres pour de tels temps, de tels lieux et de telles occasions, et découvrait par un autre endroit que la volonté humaine du Sauveur se conformait à la volonté divine, et qu'elle en était gouvernée en toutes ses déterminations et en toutes ses mesurés. Alors une harmonie divine s'établissait et allait jusqu'à mouvoir la volonté et les puissances de cette incomparable princesse, afin qu'elle agit et coopérât avec la propre volonté de son très-saint Fils, et immédiatement avec la volonté divine. Il y avait ainsi une ressemblance ineffable entre notre Seigneur Jésus-Christ et sa bienheureuse Mère, et elle concourait, comme coadjutrice, à l'édification de la loi évangélique et de la sainte Église.

848. Toutes ces merveilles étaient opérées d'ordinaire dans l'humble oratoire de la Reine céleste, où

 

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le plus grand des mystères fut lors de l'incarnation du Verbe, célébré dans son sein virginal; car quoiqu'il fût si pauvre et si petit, qu'il ne consistait qu'en une étroite enceinte de murs tout nus, il n'en a pas moins contenu la grandeur infinie de Celui qui est immense; et il en est sorti tout ce qui a donné et qui donne la majesté divine qu'ont aujourd'hui tous les temples magnifiques de l'univers et leurs sanctuaires innombrables. C'est dans ce saint des saints (1) que le souverain Prêtre de la nouvelle loi, notre Seigneur Jésus-Christ, priait ordinairement; et sa perpétuelle oraison se terminait par de ferventes prières pour les hommes, adressées au Père éternel, et par des entretiens avec sa très-pure Mère sur toutes les oeuvres de la Rédemption, et sur les riches trésors de grâces qu'il voulait laisser dans le Nouveau Testament et dans la sainte Église pour les enfants de la lumière et de cette même Église. Il ne cessait de demander au l'ère éternel que les péchés des hommes et leur très-dure ingratitude ne fussent point un obstacle à leur rédemption; et comme les crimes du genre humain et la damnation de tant d'âmes insensibles à ce bienfait, furent toujours également présents à la pensée de cet adorable Sauveur, à cause de sa prescience, la perspective de la mort qu'il allait subir pour eux, le tint dans une longue et douloureuse agonie, et le baigna maintes fois d'une sueur de sang. Et quoique les évangélistes ne fassent mention que de celle qui

 

(1) Levit., XVI, 12.

 

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eut lieu avant la passion (1), parce qu'ils n'ont pas écrit tous les événements de sa très-sainte vie, il est néanmoins certain que cette sueur lui survint fort souvent, et que sa divine Mère put sen apercevoir. C'est ce qui m'a été déclaré en plusieurs rencontres.

849. Quant à la posture dans laquelle notre aimable Maître priait, il était quelquefois à genoux, d'autres fois prosterné en forme de croix, et quelquefois en l'air, et en cette même forme de croix qu'il aimait singulièrement. Même lorsqu'il priait en présence de sa Mère, il avait coutume de dire: « Oh! bienheureuse croix, quand est-ce que je me trouverai entre vos bras et que vous porterez les miens, afin que, cloués à votre bois, ils restent ouverts  pour recevoir tous les pécheurs! Puisque je suis  descendu du ciel pour les appeler à mon imitation  et à ma participation (2), comment ne serais-je pas  toujours prêt à les embrasser et à les enrichir?  Venez donc à la lumière, vous tous qui êtes aveugles.  Pauvres, venez puiser aux trésors de ma grâce. Venez, petits, venez recevoir les caresses de votre  véritable Père. Venez à moi, vous tous qui travaillez  et qui êtes affligés, et je vous soulagerai (3). Venez,  justes, venez à moi, car vous êtes ma possession et  mon héritage. Venez , enfants d'Adam, je vous  appelle tous (4). Je suis la voie, la vérité et la

 

(1) Luc., XXI, 44. — (2) Matth., IX, 13. — (3) Matth., XI, 28. — (4) I Tim., II, 4.

 

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vie (1), je ne la refuserai à personne si on veut la   recevoir. Père éternel, ils sont les ouvrages de vos  mains, ne les méprisez pas (2), car je m'offre  pour eux à la mort de la croix, afin de les rendre  justes et innocents (s'ils ne repoussent point mes faveurs), et afin de les remettre au nombre de vos  élus et dans le royaume céleste , où votre saint nom  soit glorifié. »

850. La compatissante Mère de trouvait présente à tout cela, et la lumière de son adorable Fils rejaillissait en la pureté de son âme comme en un cristal sans tache; et parce qu'elle était comme l'écho de ses voix intérieures et extérieures, elle les répétait, imitant en tout notre aimable Sauveur, se joignant à ses prières, et prenant la posture dans laquelle il les faisait. La première fois que cette grande Dame le vit suer du sang, elle en eut comme nuls amoureuse mère le coeur percé de douleur, et admirant l'effet que produisait en ce divin Seigneur la prévision des péchés et des ingratitudes des hommes (car cette très-sainte Mère pénétrait toutes ses pensées), elle s'adressait aux mortels, et disait d'une voix gémissante : « 0 enfants des hommes, que vous comprenez peu combien le Créateur estime en vous son image et sa ressemblance , puisqu’il offre son propre sang pour le prix de votre rachat, et qu'il aime mieux  le verser que de vous perdre! Oh! si je pouvais  enchaîner votre volonté à la mienne, pour vous

 

(1) Joan., XIV, 6. —(2) Ps., CXXXVII, 8.

 

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forcer à l'aimer et à lui obéir 1 Dénis soient de sa  divine main les justes et les reconnaissants qui seront les fidèles enfants de leur Père céleste. Que  ceux qui répondront aux désirs ardents que mon  Fils a de leur donner le salut éternel, soient remplis de sa lumière et des trésors de sa grâce. Ah! si  je pouvais devenir l'humble servante des enfants  d'Adam, pour les obliger par mes services à mettre  fin à leurs péchés et à leur propre perte ! Mon divin  Seigneur, vie et lumière de mon âme, qui peut être  assez endurci de coeur et assez ennemi de lui-même  pour ne pas se reconnaître vaincu par vos bienfaits?  Qui peut être assez insensible, assez ingrat pour  oublier votre très-ardent amour? Comment pour rai-je souffrir sans mourir, que les hommes, si favorisée de votre main libérale, vous soient si odieuse ment rebelles? O enfants d'Adam, tournez contre a moi votre cruelle impiété. Affligez-moi et méprisez moi tant que vous voudrez , pourvu que vous rendiez ô mon aimable Maître l’amour et le respect  que vous lui devez pour tant de faveurs que vous  en recevez. Mon très-saint Fils et mon Seigneur,  vous êtes la lumière de la lumière, le Fils du Père  éternel, l'image de sa substance (1), éternel et  infini comme lui, égal en l'essence et dans les attributs, en ce que vous êtes avec lui un seul Dieu  et une même majesté souveraine (2). Vous êtes choisi  entre mille (3), vous surpassez en beauté les enfants

 

(1) Hebr., I, 3. — (2) Joan., X, 30 . — (3) Cant., V, 10.

 

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des hommes, vous êtes saint, innocent et sans  aucun défaut (1) ! Comment donc, ô Bien suprême,  les mortels ignorent-ils le plus noble objet de leur  amour? Comment méconnaissent-ils le principe qui  leur a donné l'être, et la fin en laquelle consiste  leur véritable et éternelle félicité? Oh! si je pouvais  au prix de ma propre vie les tirer tous de leur  aveuglement ! »

851. Notre auguste Princesse ajoutait à ce que je viens de dire beaucoup d'autres choses que j'ai entendues; mais le coeur et la parole me manquent également pour exprimer les affections si ardentes qui embrasaient cette chaste colombe; et c'est avec cet amour incomparable et avec un souverain respect qu'elle essuyait le sang que son très-doux Fils suait. D'autres fois elle le trouvait dans un état bien différent, revêtu de gloire et de splendeur, transfiguré comme il le fut depuis sur le Thabor (2), et accompagné d'une grande multitude d'anges en forme humaine, qui l'adoraient et lui chantaient dans un concert harmonieux de nouveaux cantiques de louange. Notre Dame écoutait cette musique céleste, elle en jouissait aussi en d'autres circonstances, où notre Seigneur Jésus-Christ n'était point transfiguré; car la volonté divine ordonnait quelquefois que la partie sensitive de l'humanité du Verbe reçoit ce soulagement, comme elle le recevait lorsque cet adorable Seigneur était transfiguré par l'écoulement de

 

(1) Hebr., VII, 26. — (2) Matth., XVII, 2.

 

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la gloire de l'âme qui se communiquait au coups, quoique cela arrivât rarement. Mais quand la divine Mère le voyait en cette forme glorieuse, ou qu'elle entendait la musique des anges, elle participait si largement aux transports de cette allégresse céleste, que si elle n'avait point eu l'âme aussi forte, et si le Seigneur son Fils ne l'avait assistée, elle aurait perdu toutes ses forces naturelles; les saints anges la soutenaient aussi dans les défaillances du corps qu'elle ressentait ordinairement en ces sortes de rencontres.

352. Il arrivait souvent que son très-saint Fils se trouvant en ces dispositions de tristesse ou de joie dans lesquelles il priait le Père éternel, et semblait s'entretenir avec lui des très-hauts mystères de la rédemption, la même personne du Père lui répandait et accordait ce que le Fils demandait pour le salut des hommes, ou représentait à la très-sainte humanité les décrets cachés de la prédestination ou de la réprobation de quelques-uns. Notre grande Reine entendait tout cela avec une humilité très-profonde. Elle adorait avec une crainte respectueuse le Tout-Puissant , et se joignait à son adorable fils dans ses prières et dans les actions de grâces qu'il rendait au Père pour ses grandes œuvres et pour la clémence qu'il exerçait envers les hommes; elle louait aussi ses jugements impénétrables. Cette très-prudente Vierge repassait et gardait tous ces mystères dans le plus intime de sou coeur, et s'eu servait comme d'une nouvelle matière pour augmenter et entretenir le feu du sanctuaire qui brûlait dans son âme ; car elle ne recevait

 

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aucune de ces faveurs secrètes qu'elle n'en tirât quelque fruit. Elle correspondait à toutes selon le bon plaisir du Seigneur, avec la plénitude de sentiments et le retour convenables, pour que les fins du TrèsHaut eussent leur accomplissement, et que toutes ses oeuvres fussent connues et célébrées par de dignes actions de grâces, autant qu'il était en une simple créature:

 
Instruction que la très-sainte Vierge m'a donnée.

 

853. Ma fille une des raisons pour lesquelles les hommes doivent m'appeler Mère de miséricorde, c'est la tendre compassion qui me fait désirer si vivement que tous viennent se désaltérer au torrent de la grâce, et que tous goûtent la douceur du Seigneur (1), comme je le fis. Je les appelle et les convie tous à venir avec moi étancher leur soif aux eaux de la Divinité. Que les plus pauvres et les plus affligés s'approchent, car s'ils me répondent et me suivent, je leur promets ma puissante protection auprès de mon Fils, et je leur procurerai la manne cachée qui leur donnera la nourriture et la vie. Venez, ma bien-aimée, venez, approchez-vous, ma très-chère, afin que vous me suiviez et receviez le nom nouveau,

 

(1) Ps. XXXIII, 9.

 

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qui n'est, connu que de celui qui le reçoit (1). ]Levezvous de la poussière, secouez et rejetez tout ce qui est terrestre et passager, et approchez-vous des choses célestes. Renoncez à vous-même et à toutes les oeuvres de la fragilité humaine, marchant à l'éclatante lu-. mière dont vous éclairent celles de mon très-saint, Fils, et, à son exemple, mes propres actions; étudiez, ce modèle et regardez-vous dans ce miroir, pour, vous orner de la beauté que le souverain Roi désire trouver en vous (2).

854. Or, comme ce moyen est le plus puissant pour arriver à la perfection et à la plénitude de vos oeuvres que vous souhaitez, je veux que, pour régler toutes vos actions, vous graviez cet avis dans votre coeur : que quand l'occasion se présentera de faire quelque couvre intérieure ou extérieure, vous vous demandiez à vous-même, avant d'agir, si mois très-saint Fils et moi eussions fait ce que vous allez dire ou faire, et avec quelle droiture d'intention nous l'eussions rapporté à la gloire du Très-Haut et au bien de notre prochain. Et si vous reconnaissez que nous l'eussions fait avec cette fin, exécutez-le pour suivre, notre exemple; mais si vous découvrez le contraire, abstenez-vous: c'est la conduite que j'observai à l'égard de mon divin Maître, quoique je n'eusse point la répugnance que vous avez pour le bien, mais qu'au contraire je désirasse par inclination de l'imiter parfaitement; et c'est en cette imitation que, consiste la

 

(1) Apoc., II, 17. — (2) Ps. XLIV, 11.

 

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participation fructueuse de sa sainteté; car cet adorable Seigneur enseigne aux créatures, et les oblige à pratiquer en toutes choses ce qui est le plus parfait et le plus agréable à Dieu. En outre, je vous avertis que vous devez commencer dès à présent à ne rien faire, ni dire, ni penser sans m'en avoir demandé la permission avant que de vous déterminer, me consultant en tout comme votre Mère et votre Maîtresse. Et si je vous réponds, vous en rendrez des actions de grâces au Seigneur; et si je ne le fais pas et que vous restiez fidèle à cette salutaire habitude, je vous assure et vous promets de la part, du Seigneur qu'il vous donnera lui-même la lumière pour vous résoudre. à ce qui sera le plus conforme à sa très-sainte volonté. Nais prenez garde à ne rien exécuter sans l'ordre de votre Père spirituel, et n'oubliez jamais. cette pratique.

 
CHAPITRE XIII. L'auguste Marie achève la trente-troisième année de son âge. — Son corps virginal se conserve dans sa même disposition. Elle prend la résolution d'entretenir son adorable Fils et saint Joseph par son travail.

 

855. Notre grande Reine s'occupait aux exercices et dans les mystères divins.que j'ai jusqu'à présent

 

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indiqués plutôt qu'exposés, surtout après que son très-saint Fils eut passé sa douzième année. Le temps s'écoula; de sorte que cet aimable Sauveur ayant accompli la dix-huitième année de son adolescence, selon la supputation de son incarnation et de sa naissance, que nous avons faite ailleurs, sa bienheureuse Mère acheva la trente-troisième année de son âge parfait; et c'est ainsi que je l'appelle, parce que, selon les parties qui divisent communément la vie des hommes (soit six, soit sept), l'âge de trente-trois ans est celui de son plein développement et de sa perfection naturelle; il marque la fin de la jeunesse, comme quelques-uns le. tiennent, ou le commencement de la maturité, selon l'opinion des autres; mais, quelque division des âges que l'on adopte, la trente-troisième année est généralement le terme de la perfection naturelle, et l'homme ne s'y maintient guère, car bientôt la nature corruptible, qui ne demeure jamais en un même état (1), commence à décliner, comme la lune quand elle est arrivée au période de sa plénitude. A ce déclin du milieu de la vie, non-seulement le corps ne croît et ne grandit plus, mais s'il grossit et augmente de volume, loin qu'il y ait là un accroissement de perfection, il y a souvent un défaut de la nature. C'est pour cette raison que notre Seigneur Jésus-Christ mourut à l'âge de trente-trois ans; parce que son très-ardent amour voulut attendre que son corps sacré fût parvenu au terme de sa perfection naturelle

 

(1) Job., XIV, 2.

 

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pour offrir pour nous sa très-sainte humanité avec tous les dons de la nature et de la grâce; ce n'est pas que celle-ci eût aucun accroissement en lui, mais c'était afin que la nature y correspondit, et qu'il ne pût avoir rien de plus à sacrifier pour le genre humain. C'est pour cette raison que l'on dit que le Très-Haut créa nos. premiers parents Adam et Ève en la perfection qu'ils auraient eue à l'âge de trente-trois ans. Il rien est pas moins vrai pourtant que dans les premier et second âges du monde, où la vie était plus longue et où l'on divisait l'existence humaine en six ou sept parties, plus ou moins, chacune de ces parties devait être composée de beaucoup plus d'années que dans ces derniers siècles, puisque David fait appartenir la soixante-dixième année à la vieillesse (1).

856. La Reine du ciel entra dans sa trente-troisième année, et lorsqu'elle fut révolue, son corps virginal se trouva dans sa perfection physique, si.. beau et si bien proportionné, qu'il faisait l'admiration non-seulement de la nature humaine, mais encore des esprits angéliques. Ce corps sacré avait atteint sa juste grandeur, et présentait dans tous ses membres le plus harmonieux développement, de sorte qu'il réalisait l'idéal de la perfection dont est susceptible une créature humaine. C'est pourquoi l'auguste Marie ressembla dés lors merveilleusement à la très-sainte humanité de son Fils tel qu'il apparut au même âge : car ils avaient les mêmes traits et le même teint,

 

(1) Ps. LXXXIX, 10.

 

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quoique subsistât toujours cette différence que Jésus-Christ était le plus parfait des hommes, et que sa Mère, malgré son infériorité, était la plus parfaite des femmes. Il faut remarquer ensuite que chez les autres mortels la perfection naturelle commence ordinairement à déchoir dès cet âge, parce que l'humide radical et la chaleur intérieure diminuent insensiblement : les humeurs perdent leur équilibre, et l'élément terrestre tend à prédominer; peu à peu les cheveux blanchissent, les rides se forment, le sang se refroidit, les forces s'épuisent, et toutes les parties de l'humain assemblage commencent, sans qu'aucune industrie puisse les retenir, à se désorganiser, pour passer de la vieillesse à la corruption. Mais la très-pure Marie fut exempte de tout cela, car elle conserva cette vigueur et cette admirable complexion qu'elle avait dans sa trente-troisième année, sans le moindre affaiblissement et sans la moindre altération; et quand elle atteignit sa soixante-dixième année, qui fut la dernière de sa vie (comme je le dirai en son lieu), la constitution de son corps virginal présentait la même intégrité et lui laissait les mêmes forces qu'à l'âge de trente-trois ans.

857. Notre grande Dame connut ce privilège que le Très-Haut lui accordait, et lui en rendit des actions de grâces. Elle sut aussi qu'elle en jouissait afin que la ressemblance de l'humanité de son très-saint Fils se conservât toujours en elle-même sous le rapport de cette perfection physique, malgré la différence de leurs vies. En effet le Seigneur devait sacrifier sa vie

 

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à cet âge, et la divine Reine devait prolonger la sienne; mais toujours avec cette ressemblance. Saint Joseph n'était pas fort vieux lorsque cette divine Reine eut atteint sa trente-troisième année, mais ses forces ne laissaient pas d'être fort abattues, parce que les soucis, les voyages et les peines, continuelles qu'il avait prises pour entretenir son épouse et le Seigneur de l'univers l'avaient affaibli bien plus que son âge. Et comme ce même Seigneur voulait l'avancer dans l'exercice de la patience et des autres vertus, il permit qu'il eût quelques maladies (comme je le dirai dans le chapitre suivant) qui l'empêchaient beaucoup de s'appliquer au travail corporel. Sa très-prudente épouse (qui l'avait toujours estimé, aimé et servi au delà de tout ce que les autres femmes ont jamais su faire à l'égard de leurs maris), connaissant ses indispositions, lui dit : « Mon époux et mon seigneur, je  me sens extrêmement obligée de votre fidélité, de vos soins et des fatigues que vous vous êtes toujours imposées, puisque vous avez entretenu jusqu'à présent votre servante et mon adorable Fils à la sueur de votre visage, et que dans ces travaux vous avez usé vos forces, votre santé et votre vie  pour pourvoir à mes besoins; vous recevrez de la main libérale du Très-Haut la récompense de vos peines et les douces bénédictions que vous méritez (1). Je vous prie, cher maître, de vous reposer maintenant et de cesser votre travail; puisque vos

 

(1) Ps. XX, 3.

 

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infirmités ne vous permettent plus de vous y livrer. Je veux à présent travailler pour vous et vous  témoigner ma reconnaissance tant que le Seigneur  nous laissera la vie. »

858. Le saint écouta les raisons de sa très-douce épouse en versant d'abondantes larmes d'humble gratitude et de consolation; et, tout en lui exprimant le désir de travailler toujours, il se rendit aux prières de la Reine de l'univers et se crut obligé de lui obéir. Dès lors il cessa le travail manuel, dont le produit servait à l'entretien de la sainte famille, et pour qu'il n'y eût rien d'inutile ni de superflu dans sa demeure, tous les outils propres au métier de charpentier furent donnés par aumône. Saint Joseph, se voyant ainsi débarrassé de ses occupations, s'appliqua tout entier à la contemplation des mystères qu'il conservait dans son coeur et aux exercices des vertus. Et comme dans cette vie spirituelle il fut si heureux que de jouir de la présence et de la conversation de la Sagesse incarnée et de celle qui en était la Mère, il arriva à un si haut degré de sainteté qu'après sa divine Épouse, qui fut toujours l'unique entre les simples créatures, il surpassa tous les hommes, ou il ne sera jamais surpassé d'aucun. Cette auguste Reine et son très-saint Fils l'assistaient, le servaient, le consolaient et le soulageaient dans ses maladies avec la plus grande sollicitude; aussi n'est-il pas possible de décrire les effets d'humilité, de respect et d'amour que leurs charitables soins produisaient dans le coeur candide et reconnaissant de l'homme de Dieu. Ce fut sans doute un sujet d'admiration

 

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et de joie pour les esprits angéliques, et d'une haute satisfaction pour le Très-Haut.

859. Dès lors l'illustre Princesse se chargea d'entretenir son très-saint Fils et son époux par son travail, la Sagesse éternelle mettant ce couronnement à toutes ses vertus et à tous ses mérites pour l'exemple et la confusion des enfants d'Adam. Le Seigneur nous a proposé pour modèle cette femme forte, revêtue de beauté et de force (1); il l'avait ceinte à cet effet de beaucoup de vigueur dans cet âge, affermissant ses bras afin qu'elle les étendit vers les pauvres; qu'elle achetât le champ, et qu'elle plantât la vigne du fruit de ses mains. Le coeur de son mari mit sa confiance en elle, et non-seulement celui de son époux Joseph, mais aussi celui de son Fils, Dieu et homme véritable, maître de la pauvreté et le pauvre des pauvres; et ils ne furent point trompés dans leur attente. Notre grande Reine commença à travailler plus que jamais, filant du lin et de la laine, et pratiquant mystérieusement tout ce que Salomon en a dit dans le chapitre trente et unième des Proverbes : et comme j'ai expliqué ce chapitre à la fin de la première partie, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'y revenir maintenant, quoiqu'il y ait plusieurs détails qui s'appliquent à la circonstance dont je parle, et dans laquelle notre incomparable Reine les accomplit d'une manière spéciale dans ses occupations extérieures et matérielles.

860. Il n'aurait pas manqué de moyens au Seigneur

 

(1) Prov., XXXI, 10. etc.

 

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pour entretenir la vie temporelle de sa très sainte Mère et de saint Joseph, puisque' l'homme ne vit pas seulement de pain, et que ce divin Seigneur pouvait les soutenir par sa parole, comme il le dit lui-même (1). Il pouvait aussi leur fournir miraculeusement chaque jour le nécessaire; mais s'il eût usé de sa puissance souveraine dans cette rencontre, le monde aurait été privé de cet exemplaire de voir travailler sa très-sainte Mère, Reine de l'univers, pour gagner sa nourriture; et si la plus généreuse des Vierges n'eût pas acquis ces mérites, elle aurait elle-même été privée d'une récompensé considérable. Le Maître de notre salut disposa tout cela avec une merveilleuse providence pour la gloire de sa Mère et pour notre instruction. On ne saurait exprimer la diligence avec laquelle cette prudente Princesse pourvoyait à tout. Elle travaillait beaucoup; et comme elle gardait toujours la solitude, cette heureuse femme sa voisine, dont nous avons parlé ailleurs, prenait soin de débiter ses ouvrages et de lui porter le nécessaire. Quand l'auguste Marie lui donnait quelque commission, ce n'était jamais en lui commandant; elle ne faisait que la prier avec une profonde humilité, après avoir sondé ses dispositions; et, afin de les découvrir, elle la prévenait et lui demandait si elle jugeait à propos de faire telle ou telle chose. Notre adorable sauveur et sa divine Mère ne mangeaient point de viande; leur nourriture ne consistait qu'en des poissons, des fruits

 

(1) Matth., IV, 4.

 

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et des herbes, et c'était encore avec une sobriété admirable. Elle préparait néanmoins de la viande pour saint Joseph; et quoique la pauvreté éclatât eu tout, notre auguste Reine y suppléait par les soins qu'elle mettait à apprêter le mets le plus frugal, par son empressement et par les manières agréables avec lesquelles elle le lui présentait. Elle dormait fort peu, et passait quelquefois la plus grande partie de la nuit au travail ; et le Seigneur le permettait plus souvent que lorsqu'ils étaient en Égypte, comme je l'ai raconté. Il arrivait aussi de temps en temps que son travail ne suffisait pas pour lui fournir tout ce qui leur était nécessaire, parce que saint Joseph avait besoin de nourritures plus varus et de plus de vêtements que par le passé. Alors notre Seigneur Jésus-Christ usait de a pouvoir et multipliait les choses qui étaient dans la maison, où il commandait aux anges de les apporter; mafia les merveilles qu'il opérait le plus souvent en faveur de sa très-sainte Mère consistaient à faire qu'elle travaillât beaucoup en peu de temps, et que ses ouvrages se multipliassent entre ses mains.
Instruction de la Reine du ciel

 

881. Ma fille, vous avez découvert en ce qui est écrit de mon travail une très-sublime doctrine dont

 

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vous pouvez vous servir pour votre conduite; et, afin ,que vous n'en oubliiez rien, je vais vous la résumer dans ces leçons. Je veux que vous m'imitiez en trois vertus que ce que vous venez d'écrire vous a fait reconnaître en moi : ce sont la prudence, la charité et la justice, vertus sur lesquelles les mortels ne réfléchissent guère. Par la prudence, vous devez prévoir les  nécessités de votre prochain et la manière d'y subvenir, autant que votre état vous le permettra. Par la charité, vous vous devez porter avec diligence et amour à lui rendre vos bons offices. La justice vous enseigne que c'est une obligation d'agir comme vous pourriez désirer qu'on agit à votre égard, et comme le nécessiteux le demande. Vous devez être l'oeil de l'aveugle (1), la préceptrice du sourd, et le manchot doit pouvoir se servir de vos mains pour travailler. Et quoique dans votre état vous ayez toujours à pratiquer cette doctrine dans un sens spirituel, je veux pourtant que vous l'étendiez aussi sur ce qui concerne le temporel, et que vous soyez très-fidèle à m'imiter en, tout, puisque je prévins les besoins de mon époux, et que je résolus de le servir et de le nourrir, le reste de ses jours, dans la pensée que je le devais; et c'est ce que je fis avec une ardente charité; au moyen de mon travail. Sans doute le Seigneur me l'avait donné pour qu'il pourvût à mon entretien, comme il le fit avec une grande ponctuait tout le temps que ses forces le lui permirent : mais quand il les eut perdues,

 

(1) Job., XXIX, 15.

 

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cette obligation m'incombait, puisque le même Seigneur me conservait les miennes : et c'eût été une grande faute de ne lui pas rendre le retour avec une généreuse fidélité.

862. Les enfants de l'Église ne considèrent pas cet exemple, et c'est pourquoi il s'est introduit parmi eux un impie dérèglement qui porte le Juge suprême à les châtier avec sévérité; puisque tous les hommes étant destinés au travail (1) non-seulement depuis le péché , qui le leur a mérité comme une juste peiné, mais même depuis la création du premier homme (2), le travail n'est pas également réparti entre tous; car les plus puissants, les plus opulents et ceux que le monde appelle seigneurs et nobles tâchent de s'exempter de cette loi commune, et en font retomber toutes les charges sur les humbles et sur les pauvres, qui entretiennent par leurs propres sueurs le luxe et l'orgueil des riches : de sorte que l'on peut dire que le faible sert le fort et le puissant. Ce dérèglement prend un tel empire sur certains superbes, qu'ils s'imaginent que tout leur est dû, et dans cette pensée ils foulent, abattent et méprisent les pauvres (3); ils se lattent qu'ils ne doivent vivre que pour eux-mêmes et pour jouir du repos, des plaisirs et des richesses du monde; et, ce qui est étrange, ils ne paient pas même le mince salaire de leur labeur. A propos de cette négligence à satisfaire les pauvres, les serviteurs et les artisans, et de tout ce que vous avez appris sur

 

(1) Job., V, 7. — (2) Gen., II, 15. — (3) Jacob., II, 4.

 

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cette matière, vous pourriez attaquer les injustices énormes que l'on commet contre l'ordre et contre la volonté du Très-Haut : mais il suffit de faire savoir aux coupables que, comme ils pervertissent la justice et la raison, et ne veulent point participer au travail des hommes, de même l'ordre de la miséricorde sera changé à leur égard (1); car elle sera accordée aux petits et aux misérables (2), et ceux que l'orgueil a retenus dans une heureuse oisiveté seront punis avec les démons qu'ils ont imités.

863. Vous devez, ma très-chère fille, prendre garde à ces illusions; et, pour les éviter, il faut que vous soyez toujours occupée à votre travail, selon l'exemple que je vous ai donné, et que vous vous éloigniez des enfants de Bélial (3), qui cherchent dans leur damnable oisiveté les applaudissements de la vanité, pour travailler en vain (4). Ne vous regardez point comme supérieure, mais comme la servante de vos inférieures, et surtout des plus faibles et des plus humbles, et servez-les toutes avec beaucoup de diligence, sans aucune distinction. Vous devez pourvoir à leurs besoins, même par votre propre travail, si c'est nécessaire, croyant que cette obligation vous incombe non-seulement en qualité de supérieure, mais encore parce que les religieuses sont vos soeurs, les filles de votre Père céleste et les ouvrages du Seigneur, qui est votre époux. Car, comme vous avez

 

(1) Ps. VII, 12. — (2) Sap., VI, 7. — (3) II Paral., XIII, 7. — (4) Ps. IV, 3.

 

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plus reçu de sa main libérale qu'elles toutes ensemble, vous êtes aussi tenue à travailler plus qu'aucune autre, puisque vous méritiez le moins ses faveurs. Exemptez les faibles et les malades du travail corporel, et prenez-le vous-même pour elles. Je ne veux pas que vous chargiez les autres des peines que vous pouvez prendre et qui vous regardent; au contraire, vous devez vous charger de tout leur travail autant qu'il vous sera possible, comme leur servante et la moindre du couvent, car je veux que vous n'ayez qu'une pareille opinion de vous-même. Et comme vous ne pourrez pas vous employer à tout et que voua serez obligée de répartir les divers travaux corporels entre vos inférieures, il faut bien veiller à mettre dans votre conduite beaucoup d'ordre et d'impartialité, afin dé ne pas surcharger celles qui résistent moins par humilité ou qui sont plus faibles: su contraire, jq veux que vous cherchiez à humilier les plus hautaines et celles qui s'appliquent à leur besogne avec plus de répugnance, sans pourtant les irriter par une trop grande rigueur, mais en les amenant sous le joug, de la sainte obéissance. avec une humble fermeté et avec une douce sévérité. Vous leur rendrez ainsi le meilleur office possible, et vous satisferez en même temps à vos obligations et à. votre conscience; c'est ce que vous leur devez faire entendre. Vous viendrez à bout, de tout si vous. ne faites, aucune acception de personne, si, en donnant à chaque religieuse une tache en rapport avec ses forces, vous lui fournissez toutes les choses nécessaires ; si vous observez constamment

 

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les règles d’une stricte équité, et si par votre exemple vous leur inspirez de l'horreur pour l'oisiveté et pour la paresse, en vous appliquant la première à tout ce qui sera le plus difficile. Vous acquerrez par là une humble liberté de commander à vos sueurs : mais souvenez-vous de ne vous décharger sur aucune de ce que vota pouvez faire, si vous voulez jouir à mon imitation du fruit et de la récompense de votre travail, suivre mes avis et obéir à mes ordres.

 
CHAPITRE XIV. Des maux et des infirmités que saint Joseph souffrit dans les dernières années de sa vie, et des soins que lui donnait la Reine du ciel son épouse.

 

864. C'est,un défaut commun à presque tous ceux qui ont été appelés à la lumière et à la profession de la sainte foi, et aux disciples qui devraient suivre Jésus-Christ, de chercher en lui le Rédempteur qui nous délivre de nos péchés plutôt que le Maître qui nous enseigne par son exemple à souffrir les afflictions. Nous voulons tous jouir du fruit de la rédemption; nous demandons tous que le Réparateur nous ouvre les portes de la grâce et du ciel, mais nous ne nous soucions pas autant de le suivre dans le chemin

 

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de la croix, par lequel il est entré dans sa gloire, et dans lequel il nous invite à marcher pour arriver à la nôtre (1). Sans doute les catholiques ne tombent pas à cet égard dans les erreurs grossières des hérétiques, car tous avouent que sans les bonnes oeuvres et sans les afflictions il n'y a ni récompense ni couronne (2), et que c'est un véritable blasphème et un sacrilège horrible de se prévaloir des mérites de notre Seigneur Jésus-Christ pour pécher sans retenue et sans crainte; néanmoins, en la pratique des oeuvres qui supposent la foi, certains catholiques enfants de la sainte Église ne cherchent guère à se distinguer de ceux qui sont dans les ténèbres, puisqu'ils évitent les oeuvres pénibles et méritoires, comme s'ils croyaient pouvoir, en dehors d'elles, suivre leur adorable Maître et arriver à la participation de sa gloire.

865. Sortons de cette erreur manifeste, et soyons bien persuadés que la souffrance a été dévolue non-seulement à notre Seigneur Jésus-Christ, mais à nous aussi; et que s’il a enduré tant de peines et subi la mort comme Rédempteur du monde, il nous a en même temps enseigné et engagés comme Maître à porter sa croix. C'est à ses amis qu'il l'a communiquée, de sorte que ses plus grands favoris en ont reçu une plus grande part et ont pu la porter plus souvent personne n'est entré dans le ciel (étant en état de pouvoir le mériter pendant sa vie) qu'il ne l'ait mérité par ses œuvres. La Mère de Dieu, les apôtres, les

 

(1) Matth., XVI, 24; Luc., XXIV, 26. — (1) II Tim., II, 5.

 

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martyrs, les confesseurs, les vierges, tous ont marché par les voies des afflictions, et ceux qui les ont embrassées avec plus de générosité reçoivent une plus grande récompense et une plus riche couronne. Que si cet adorable Seigneur est le plus vif et le plus admirable exemplaire de la souffrance, on ne doit pas pousser la témérité jusqu'à dire que s'il a souffert comme homme, il était à la fois Dieu tout-puissant, et que par conséquent il a offert à la faiblesse humaine plutôt un sujet d'admiration que d'imitation tir le Sauveur de nos âmes renverse cette excuse par l'exemple de sa très-chaste Mère et de saint Joseph, et par celui de tant d'hommes et de femmes aussi faibles et moins coupables que nous, qui l'ont imité et suivi par le chemin de la croix : en effet, le Seigneur n'a pas souffert seulement pour exciter notre admiration, mais pour nous proposer un exemple admirable et imitable en même temps : sa divinité ne l'a pas empêché de ressentir les peines; au contraire, plus il était innocent, plus il était sensible à la douleur.

866. Il conduisit par ce chemin royal l'époux de sa très-pure Mère, saint Joseph, que sa Majesté aimait sur tous les enfants des hommes; et, afin d'accroître du mérites et d'embellir sa couronne pendant le temps qui lui était accordé pour s'en rendre digne, ce divin Seigneur lui envoya dans les dernières années de sa vie diverses maladies, des fièvres, de violentes migraines, des rhumatismes aigus par tout le corps, qui le tourmentèrent et qui l'affaiblirent extrêmement; outre ces infirmités, il passa par une autre souffrance,

 

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plus douce et à la fois plus vive, qui résultait de la force de l'amour dont il était embrasé : car cet amour était si ardent, et il jetait maintes fois le saint patriarche dans des transports si véhéments, si irrésistibles, que son très-pur esprit aurait rompu les chaînes du corps sans le secours spécial que le même Seigneur, qui les lui causait, se plaisait à lui ménager pour qu'il ne succombât point à cette douleur. Mais sa Majesté lui laissait souffrir cette douce violence jusqu'au temps qu'elle avait déterminé; et, dans l'état d'excessive faiblesse auquel le saint était réduit par l'épuisement de la nature, cet héroïque exercice lui procurait d'inestimables mérites, non-seulement eu raison du supplice qu'il endurait, mais aussi à cause de l'amour qui le lui faisait endurer.

867. Notre grande Reine, son épouse, était témoin de tous ces mystères, et pénétrait, comme je l'ai dit ailleurs, l'intérieur du saint, afin qu'elle ne fût pas privée de la joie d'avoir un époux si saint et si aimé du Seigneur. Elle ne se lassait point de considérer la candeur et la pureté de cette âme, ses ardentes affections, ses hautes et divines pensées, sa patience et son inaltérable sérénité dans les maladies; elle mesurait et pesait toutes les douleurs qu'elles apportaient au grand patriarche sans qu'on l'entendit jamais se plaindre, soupirer ni demander aucun soulagement soit dans ses souffrances, soit dans sa faiblesse, soit dans ses divers besoins : car il supportait tout avec une résignation et une magnanimité incomparables. Et comme sa très-prudente épouse découvrait tout

 

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cela aussi bien que la valeur et le mérite de tant de vertus que le saint pratiquait , elle conçut une si grande vénération pour lui, qu'il n'est pas possible de l'exprimer. Elle travaillait avec une joie incroyable, afin de mieux le nourrir et de mieux le soulager, quoique pour lui le plus grand régal consistât en ce qu'elle-même lui apprêtait et lui servait à manger de ses mains virginales. Mais, de son côté, tout ce. qu'elle faisait elle l'estimait fort peu, eu égard aux besoins de son époux, et surtout au grand amour qu'elle lui portait. C'est pourquoi elle usait assez convent du pouvoir de Reine et Maîtresse de toutes les créatures; et elle commandait quelquefois aux aliments qu'elle apprêtait pour son saint malade de lui donner des forces et de lui rendre l'appétit, puisque c'était pour conserver la vie du saint, du juste et de l'élu du Très-Haut.

868. Cela arrivait comme notre illustre Dame l'ordonnait, parce que toutes les créatures lui obéissaient; et quand saint Joseph mangeait et ressentait les douces bénédictions et les merveilleux effets de ces aliments, il disait à la Reine du ciel: « Noble épouse,  quels aliments de vie sont ceux-ci, qui me vivifient   avec tant d'efficace, me réveillent l'appétit, rétablissent mes forces et me remplissent d'une nouvelle consolation? » La Reine du ciel le servait à genoux; lorsque ses douleurs augmentaient, elle le déchaussait en la même posture, et dans ses langueurs elle le soutenait et l'aidait avec une tendresse admirable. Et quoique l'humble saint fit tous ses efforts

 

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pour empêcher son épouse de prendre cette peine, c'était toujours en vain; car la divine infirmière, connaissant toutes les infirmités de son malade et les moments où il fallait l'assister, accourait aussitôt près de lui et le soignait dans tous ses besoins. Elle lui disait souvent, comme Maîtresse de la sagesse et des vertus, des choses qui le consolaient extrêmement. Dans les trois dernières années de la vie du saint, qui furent la période de ses plus grandes douleurs, elle ne le quitta ni le jour ni la nuit.; et si quelquefois elle s'en écartait, ce n'était que pour servir son très-saint Fils, qui se joignait à sa Mère pour assister le saint patriarche, excepté lorsqu'il était nécessaire qu'il s'employât à d'autres oeuvres. De sorte que nous pouvons dire qu'il n'y a eu et qu'il n'y aura jamais de malade aussi bien servi, soigné et soulagé. Et par là l'on peut voir combien le bonheur et les mérites de saint Joseph furent grands; car lui seul a mérité d'avoir pour épouse celle qui a été l'Épouse du Saint-Esprit.

869. Notre divine Dame ne satisfaisait point son affection pour saint Joseph par tous ces services dont nous venons de parler; elle tâchait encore de le soulager et de le consoler par d'autres moyens. Quelquefois elle priait le Seigneur, avec la plus ardente charité, de délivrer son époux de ses douleurs et les lui envoyer à elle même. Dans cette demande elle se croyait digne de toutes les peines des créatures, dont elle se regardait comme la dernière, et c'est ce qu'elle alléguait en la présence du Très-Haut : elle lui représentait

 

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que sa dette était plus grande que celle de tous les vivants ensemble, et qu'elle ne lui rendait pas le retour qu'elle lui devait; en expiation, elle lui offrait un coeur préparé à toutes sortes d'afflictions et de douleurs. Elle alléguait aussi la sainteté, la pureté et la candeur de saint Joseph, et les délices que le Seigneur prenait dans ce coeur si conforme à celui de sa Majesté. Elle le priait de le combler de ses bénédictions, et lui rendait des actions de grâces d'avoir créé un homme,si digne de ses faveurs et si rempli de sainteté et de droiture. Elle recommandait aux anges de l'en louer et glorifier, et, considérant la gloire et 1a sagesse du Très-Haut en ses oeuvres, elle le bénissait par de nouveaux cantiques : car d'un côté elle regardait les peines de son époux bien-aimé, et cette vue excitait sa compassion; et d'un autre côté, connaissant ses mérites et les complaisances que son adorable Fils y mettait, elle se réjouissait de la patience du saint et en exaltait le Seigneur; de sorte que notre auguste Reine pratiquait dans toutes ses oeuvres, et dans l'intelligence qu'elle en avait, divers actes de vertus qui répondaient à chacune de ces mêmes oeuvres; mais ces actes étaient tous si sublimes et si éminents, que les esprits angéliques se pâmaient d'admiration. Avec leur ignorance, les mortels pourraient être plus ravis encore de voir qu'une créature humaine donnât la plénitude à tant de choses différentes, et que les soins de Marthe n'empêchassent point la contemplation de Marie (1),

 

(1) Luc., X, 41, 42 ; Matt., XVIII, 10.

 

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étant en cela semblable aux anges qui nous assistent et nous gardent sans perdre de vue le Très-Haut : mais la très-pure Épouse les surpassait en cette attention, car elle travaillait en même temps par les organes corporels, dont eux sont privés; fille terrestre d'Adam et esprit céleste, elle se trouvait par la partie supérieure de l'âme élevée aux choses les plus divines et à l'extase du saint amour, tandis que par la partie inférieure de l'âme elle restait à exercer la charité envers son vénérable époux.

870. En d'autres occasions la pitoyable Reine savait combien les douleurs que souffrait saint Joseph étaient cuisantes, et, touchée d'une tendre compassion, elle commandait, après en avoir obtenu la permission de son adorable Fils, aux accidents douloureux et à leurs causes naturelles de suspendre leur activité, et de ne point tant affliger le juste et le bien-aimé du Seigneur. A ce commandement efficace (car toutes les créatures obéissaient à leur grande Maîtresse), le saint se trouvait délivré de ses maux, quelquefois pour un jour, d'autres fois pour un temps plus long, selon qu'il plaisait au Très-Haut. Elle priait aussi en d'autres rencontres les saints anges de consoler son époux et de le fortifier dans ses souffrances, comme la condition fragile de la chair le demandait. Et lorsqu'elle leur avait ainsi exprimé son désir, les esprits bienheureux se montraient au saint malade sous une forme humaine, tous resplendissants de beauté, et l'entretenaient de la Divinité et de ses perfections infinies. Quelquefois ils lui faisaient entendre

 

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les accords harmonieux d'une musique céleste, et lui chantaient en choeur des hymnes et des cantiques divins, par lesquels ils charmaient les douleurs de son corps et enflammaient de plus en plus son âme très-pure du saint amour. En outre, l'homme de Dieu avait pour sa plus. grande consolation une connaissance particulière, non-seulement de toutes ces faveurs, mais aussi de la sainteté de sa très-chaste Épouse, de l'amour qu'elle lui portait, de la charité intérieure avec laquelle elle le servait, et des autres excellences et prérogatives de cette puissante Reine de l'univers. Toutes ces choses réunies produisaient de tels effets en saint Joseph, et le comblaient de tant de mérites, que dans cette vie mortelle aucune langue humaine ne saurait les décrire , aucune intelligence humaine ne saurait même seulement les concevoir.

 
Instruction que l'auguste Reine du ciel m'a donnée.

 

871. Ma fille, l'exercice de la charité envers les malades est une des oeuvres vertueuses qui sont le plus agréables à Dieu, et le plus utiles aux âmes; parce qu'on y accomplit une grande partie de la loi naturelle, qui ordonne à chacun de faire à l'égard de sou prochain ce qu'il souhaiterait pour lui-même (1). On

 

(1) Matth., XXV, 34, etc.

 

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trouve dans l'Évangile que c'est une des causes que le Seigneur, allèguera pour décerner la récompense éternelle aux justes, et que l'inobservation de cette loi sera une des causes de la damnation des réprouvés. Et le même Évangile en donne la raison que voici: tous les hommes étant enfants d'un seul Père céleste, sa divine Majesté regarde le bien ou le mal, que l'on fait à ses enfants, qui la représentent, comme fait à elle-même, ainsi qu'il arrive entre les mortels. Indépendamment de la charité fraternelle, vous êtes encore unie par d'autres liens aux religieuses; car vous êtes leur mère, et elles sont aussi bien que vous les épouses de Jésus-Christ mon très-saint Fils et mon Seigneur, de qui elles. ont reçu beaucoup moins de faveurs que vous. Ces titres vous obligent plus étroitement à les servir et à les soigner dans leurs maladies; c'est pour cela que je vous si prescrit dans une autre occasion de vous considérer comme leur infirmière, comme la moindre de toutes, et comme la plus strictement tenue à ce rôle; je veux même que vous me soyez fort reconnaissante de ce commandement, parce que je vous donne par son moyen un office qui est très-estimable et très-grand dans la maison du Seigneur. Pour vous acquitter dûment de cet emploi, vous ne devez pas charger les autres de ce que vous pouvez faire par vous-même auprès des malades, et ce que vous ne pourrez pas faire à cause des autres occupations de votre office de supérieure, vous le devez recommander avec instance à celles que vous chargerez en vertu de l'obéissance d'en prendre soin. Et

 

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quoique l'on accomplisse en tout cela le devoir de la charité commune, il y a pourtant une autre raison pour laquelle on doit secourir les religieuses dans leurs maladies avec toute la sollicitude possible, c’est afin qu'elles ne regrettent pas d'avoir quitté le monde, et ne se souviennent point avec tristesse de la maison de leurs parents, en se voyant privées des choses nécessaires. Croyez que de grandes misères surviennent dans les maisons monastiques par suite de la négligence des infirmières; car la nature humaine est si impatiente, que si dans la souffrance elle n'a point ce quelle réclame, elle se jette dans les plus grands précipices.

872. La charité que j’ai témoignée envers mon époux Joseph dans ses maladies vous servira de règle en cette matière, et vous excitera à pratiquer cette doctrine. La charité et même l'honnêteté sont lien languissantes, lorsqu'elles attendent que celui qui est dans le besoin demande ce qui lui manque. Certes, je n'attendais pas cela, moi, car j'assistais mon époux avant qu'il me demandât le nécessaire, mon affection et ma prévoyance prévenaient ses désirs; ainsi je le consolais, non-seulement par mon secours, mais par ma tendresse et par mes ingénieux empressements. Je ressentais ses douleurs et ses peines avec une compassion intime, mais en même temps je louais le Très-Haut et lui rendais des actions de grâces pour la faveur qu'il faisait à son serviteur. Si quelquefois je tâchais de le soulager, ce n'était pas pour lui ôter l’occasion de souffrir, mais afin qu’il s’animât par ce soulagement

 

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à endurer davantage, et qu'il eût un nouveau sujet de glorifier l'auteur de tout ce qui est bon et saint; c'est à quoi je l'exhortais. On doit exercer cette noble vertu de charité avec une semblable perfection , en prévenant autant qu'il sera possible le besoin du malade et du nécessiteux en les encourageant par des paroles édifiantes, en les consolant par des marques d'intérêt, en leur souhaitant quelque adoucissement à leurs maux comme un bien, sans prétendre qu'ils perdent le bien plus grand qui se trouve dans les souffrances. Prenez garde que l'amour-propre et sensible ne vous trouble lorsque vos soeurs tombent malades, quand même ce seraient celles qui vous sont les plus utiles ou les plus chères; car dans le monde et en religion, plusieurs personnes perdent par là le mérite des afflictions; sous prétexte de compassion, la douleur qu'elles ont de voir leurs amis nu leurs parents malades, les déconcerte et les met dans l'impatience on dirait qu'elles ont à blâmer les couvres du Seigneur, puisqu'elles ne se conforment point à sa sainte volonté. En toutes choses je leur ai donné l'exemple, et j'exige de vous que vous le suiviez parfaitement, en vous attachant à mes pas.

 

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CHAPITRE XV. De la bienheureuse mort de saint Joseph, et de ce qui y airiva; et comment notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère y assistèrent.

 

873. Il y avait déjà huit ans que les maladies et les douleurs exerçaient saint Joseph, et. purifiaient de plus en plus sou âme généreuse dans le creuset de la patience et de l'amour divin; les accidents pénibles croissaient aussi avec les années; ses forces diminuaient; le terme inévitable de la vie s'approchait, auquel on paie le commun tribut de la mort, que doivent tous les enfants d'Adam (1) ; de son côté, sa divine épouse redoublait de soins et de sollicitude, et ne se lassait point de l'assister, de le servir avec une ponctualité scrupuleuse ; et cette très-amoureuse Reine, sachant par sa rare sagesse que la dernière heure en laquelle son très-chaste époux devait sortir de ce cruel bannissement était fort proche, alla trouver son adorable Fils, et lui parla en ces termes : « Mon Seigneur et mon Dieu, Fils du Père éternel,  Sauveur du monde, le temps de la mort de votre

 

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serviteur Joseph, que vous avez déterminé par votre volonté éternelle, s'approche, ainsi que je le prévois par votre divine lumière. Je vous supplie, Seigneur, par vos anciennes miséricordes et par votre bonté infinie, de l'assister en cette heure, afin que sa mort soit aussi précieuse à vos yeux (1) que la droiture de sa vie vous a été agréable, et  qu'il sorte de cette vie en paix, et avec des espérances certaines. de recevoir les récompenses éternelles, que vous distribuerez le jour où vous ouvrirez par votre clémence les portes du ciel à tous les fidèles. Souvenez-vous, mon Fils, de l'amour et de l’humilité de votre serviteur; de la plénitude de ses mérites et de ses vertus, de la fidélité et de la sollicitude qu'il m'a montrée; souvenez-vous enfin qu'il a nourri votre suprême Majesté et votre très humble servante à la sueur de son visage. »

874. Notre Sauveur lui répondit: « Ma Mère, vos  demandes me sont fort agréables, et les mérites de Joseph me sont présents. Je l'assisterai maintenant, et lui assignerai au moment venu une place si éminente entre les princes de mon peuple (2), que ce sera un sujet d'admiration pour les anges, et pour eux comme pour les hommes un motif d'éternelle  louange; je ne ferai en faveur d'aucune nation ce que je prétends faire à l'égard de votre époux. » Notre auguste Dame rendit des actions de grâces à son très-doux Fils pour cette promesse; et durant les

 

(1) Ps. CIV, 5. — (2) Ps. CXII, 7.

 

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neuf jours qui précédèrent la mort de saint Joseph, le Fils et la Ibère l'assistèrent jour et nuit, s'entendant pour qu'il ne fût jamais privé des soins de l'un des deux. Pendant le même laps de temps, les anges chantaient par l'ordre du Seigneur trois fois par jour une musique céleste au saint malade: elle était composée de cantiques de louange au Très-Haut, et de bénédictions pour le saint lui-même. En outre , il se répandit dans toute cette pauvre mais inestimable maison, une douce et forte odeur de parfums si merveilleux, qu'elle fortifiait non-seulement l'homme de Dieu, mais encore tous ceux qui furent à même de la sentir du dehors, où beaucoup de personnes expérimentèrent ses effets.

875. Un jour avant sa mort, étant tout enflammé du divin amour pour tant de bienfaits, il fut ravi en une très-sublime extase, qui lui dura vingt-quatre heures, le Seigneur lui conservant les forces et la vie par un concours miraculeux ; et en ce haut ravissement il vit clairement l'essence divine, et découvrit en elle sans voile ce qu'il avait cru par la foi, tant de la Divinité incompréhensible que des mystères de l'incarnation et de la rédemption, de l'Église militante et des sacrements dont elle est enrichie. La très-sainte Trinité le choisit pour être le précurseur de notre Sauveur Jésus-Christ auprès des saints pères et des prophètes qui étaient dans les limbes, et le chargea de leur annoncer de nouveau leur rédemption, et de les préparer à la visite que le même Seigneur leur ferait pour les tirer de ce sein d'Abraham et les introduire

 

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au lieu du repos et du bonheur éternels. L'auguste Marie observa toutes ces merveilles en filme de son très-saint Fils comme les autres mystères; elle sut comment elles avaient été manifestées à son époux bien-aimé, et en rendit de dignes actions de grâces à cet adorable Seigneur.

876. Saint Joseph revint de cette extase revêtu de splendeur et de beauté, et l'âme toute divinisée de la vue de l'être de Dieu; et s'adressant à son épouse, il lui demanda sa bénédiction : mais elle pria son très-saint Fils de lui donner la sienne, ce que sa divine Majesté fit avec beaucoup de complaisance. Alors notre grande Reine et Maîtresse de l'humilité s'étant mise à genoux, pria aussi saint Joseph de la bénir comme son époux et comme son chef ; et ce ne fut pas sans une impulsion divine que l'homme de Dieu, pour consoler sa très-prudente épouse, lui donna sa bénédiction avant que de s'en séparer, elle lui baisa ensuite la main dont il l'avait bénie; et lui recommanda de saluer de sa part les saints patriarches des limbes; mais le très-humble Joseph voulant fermer le testament de sa vie par le sceau de la vertu d'humilité, demanda pardon à sa divine épouse des fautes qu'il pouvait avoir commises à son service, comme homme faible et terrestre, et la supplia de l'assister en cette dernière heure, et de lui accorder l'intercession de ses prières. Il témoigna surtout sa reconnaissance à notre adorable Sauveur des bienfaits qu'il avait reçus de sa main très-libérale pendant toute sa vie, et particulièrement en cette maladie; puis, faisant un dernier adieu à sa

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neuf jours qui précédèrent la mort de saint Joseph, le Fils et la Mère l'assistèrent jour et nuit, s'entendant pour qu'il ne fût jamais privé des soins de l'un des deux. Pendant le même laps de temps, les anges chantaient par l'ordre du Seigneur trois fois par jour une musique céleste au saint malade: elle était composée de cantiques de louange au Très-Haut, et de bénédictions pour le saint lui-même. En outre , il se répandit dans toute cette pauvre mais inestimable maison, une douce et forte odeur de parfums si merveilleux, qu'elle fortifiait non-seulement l'homme de Dieu, mais encore tous ceux qui furent à même de la sentir du dehors, où beaucoup de personnes expérimentèrent ses effets.

875. Un jour avant sa mort, étant tout enflammé du divin amour pour tant de bienfaits, il fut ravi en une très-sublime extase, qui lui dura vingt-quatre heures, le Seigneur lui conservant les forces et la vie par un concours miraculeux ; et en ce haut ravissement il vit clairement l'essence divine., et découvrit en elle sans voile ce qu'il avait cru par la foi, tant de la Divinité incompréhensible que des mystères de l'incarnation et de la rédemption, de l'Église militante et des sacrements dont elle est enrichie. La très-sainte Trinité le choisit pour être le précurseur de notre Sauveur Jésus-Christ auprès des saints pères et des prophètes qui étaient dans les limbes, et le chargea de leur annoncer de nouveau leur rédemption , et de les préparer à la visite que le même Seigneur leur ferait pour les tirer de ce sein d'Abraham et les

 

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introduire bu lieu du repos et du bonheur éternels. L'auguste Marie observa toutes ces merveilles en l'âme de son très-saint Fils comme les autres mystères; elle sut comment elles avaient été manifestées à son époux bien-aimé, et en rendit de dignes actions de grâces à cet adorable Seigneur.

876. Saint Joseph revint de cette extase revêtu de splendeur et de beauté, et l'âme toute divinisée de la vue de l'être de Dieu; et s'adressant à son épouse, il lui demanda sa bénédiction : mais elle pria son très-saint fils de lui donner la sienne, ce que sa divine Majesté fit avec beaucoup de complaisance. Alors notre grande Reine et Maîtresse de l'humilité s'étant mise à genoux, pria aussi saint Joseph de la bénir comme son époux et comme son chef;, et ce ne fut pas sans une impulsion divine que l'homme de Dieu, pour consoler sa très-prudente épouse, lui donna sa bénédiction avant que de s'en séparer, elle lui baisa ensuite la main dont il l'avait bénie; et lui recommanda de saluer de sa part les saints patriarches des limbes; mais le très-humble Joseph voulant fermer le testament de sa vie par-le sceau de la vertu d'humilité, demanda pardon à sa divine épouse des fautes qu'il pouvait avoir commises à son service, comme homme faible et terrestre, et la supplia de l'assister en cette dernière heure, et de lui accorder l'intercession de ses prières. Il témoigna surtout sa reconnaissance à notre adorable Sauveur des bienfaits qu'il avait reçus de sa main très-libérale pendant toute sa vie, et particulièrement en cette maladie; puis, faisant un dernier adieu à sa

 

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très-sainte épouse, il lui dit: « Vous êtes bénie entre   toutes les femmes , et choisie entre toutes les  créatures. Que les anges et les hommes vous louent,  que toutes les nations connaissent , célèbrent et   exaltent votre dignité; que le nom du Très-Haut  soit par vous connu, adoré et glorifié dans tous les  siècles futurs, qu'il soit éternellement loué de tous  les esprits bienheureux de vous avoir créée si  agréable à ses yeux. J'espère jouir de votre vue dans la patrie céleste. »

877. Après cela l'homme de Dieu se tourna vers notre Seigneur Jésus Christ, et voulant à cette heure solennelle parler à sa Majesté avec un profond respect, il fit tous ses efforts pour se mettre à genoux sur terre; mais le très-doux Jésus s'approcha de lui et le reçut dans ses bras : alors le saint y appuya la tête et lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu, Fils du Père  éternel , créateur et rédempteur du monde, donnez  votre bénédiction éternelle à votre serviteur, qui est l'ouvrage de vos mains; pardonnez, Roi très clément, les fautes que j'ai commises étant à votre  service et en votre compagnie Je vous confesse, je  vous glorifie , et je vous rends avec un coeur contrit et humilié des actions de grâces éternelles d'avoir daigné, par votre bonté ineffable, me choisir entre les hommes pour être l'époux de votre véritable  Mère; faites , Seigneur , que votre propre gloire  soit ma reconnaissance durant toute l’éternité. » Le Rédempteur du monde lui donna sa bénédiction, et lui dit : « Mon père, reposez en paix, en la grâce de

 

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mon Père céleste et en la mienne; donnez de bonnes  nouvelles à mes prophètes et à mes saints, qui vous  attendent dans les limbes; dites-leur que leur rédemption est fort proche. » Au moment où notre aimable Sauveur disait ces paroles, le bienheureux Joseph expira entre ses bras, et sa divine Majesté lui ferma les yeux. Incontinent les anges, qui étaient avec leur Roi et leur Reine, entonnèrent de doux cantiques de louanges. Ensuite ils conduisirent par ordre du souverain Roi, cette âme très-sainte dans les limbes des saints patriarches, qui tous, aux splendeurs de grâce incomparable dont elle brillait, reconnurent le père putatif du Rédempteur du monde, et en lui son grand favori digne d'une grande vénération; et remplissant la mission qu'il avait reçue du Seigneur, il causa une nouvelle joie à l'innombrable assemblée des justes, par l'annonce de leur prochaine délivrance.

878. Il ne faut pas omettre que, quoique la précieuse mort de saint Joseph fût précédée d'une si longue maladie et de tant de douleurs, elles n'en furent pourtant pas la cause principale, car il aurait pu naturellement vivre plus longtemps malgré toutes ses infirmités, si elles n'avaient été aggravées par les effets et les accidents que produisait en lui le très-ardent amour dont brûlait son très-chaste coeur; et afin que cette bienheureuse mort fût plutôt un triomphe de l'amour qu'une peine des péchés, le Seigneur suspendit le concours miraculeux par lequel il conservait les forces physiques de son serviteur, et

 

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empêchait que le divin incendie ne les consumât; de sorte que ce concours manquant, la nature succomba, et les liens qui retenaient cette âme très-sainte dans la prison du corps mortel, furent rompus; or, c'est en cette séparation que consiste notre mort. Ainsi l'amour fut la dernière des maladies de Joseph que j'ai décrites : ce fut aussi la plus grande, puisqu'elle amène le sommeil du corps, et la, plus glorieuse, puisqu'elle contient le principe d'une vie assurée.

879. La grande Reine du ciel, voyant son époux mort, s'occupa des préparatifs de la sépulture, et ensevelit son corps selon- la coutume, sans que d'autres mains que les siennes le touchassent, et celles des anges, qui l'assistèrent en forme humaine; et pour satisfaire la modestie incomparable de la Mère Vierge, le Seigneur revêtit les membres de saint Joseph d'une splendeur céleste, qui l'enveloppait de façon qu'on n'en pouvait découvrir que le visage; ainsi la très-pure Épouse ne vit point le reste du corps, quoiqu'elle l'ensevelit pour l'enterrement. Il y eut quelques personnes qui vinrent dans la maison, attirées par la douce odeur que ce saint corps exhalait, et le trouvant aussi beau et aussi flexible que s'il eût été encore vivant, elles en eurent une grande admiration. Il fut porté à la sépulture commune, accompagné des parents, des amis et d'une foule nombreuse à la tête de laquelle marchaient le Rédempteur du monde, sa très-sainte Mère, et une grande multitude d'anges. Mais en ces circonstances, notre très-prudente Reine conserva dans toute sa conduite une dignité et une

 

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sérénité inaltérables; sa physionomie ne trahit en rien la faiblesse de son sexe, et sa douleur ne l'empêcha point de prévoir toutes les choses nécessaires aux obsèques de son époux, et au service de son très. saint Fils. De sorte qu'elle s'employait à tout avec une magnanimité royale. Bientôt elle rendit des actions de grâces à son adorable Fils des faveurs qu'il avait faites à saint Joseph; et redoublant les démonstrations de son humilité, elle se prosterna devant sa Majesté, et lui dit : « Mon Fils et Seigneur de tout mon êtres la sainteté de mon époux Joseph a pu vous arrêter jusqu'à présent et nous procurer l'honneur de votre douce compagnie; mais par la mort de votre bien-aimé serviteur, j'ai sujet d'appréhender la perte du bien que je ne mérite pas; faites, Seigneur, que votre. propre bonté vous sollicite de ne point m'abandonner, de me recevoir de nouveau pour votre servante, et d'agréer les humbles désirs d'un coeur qui vous aime. » Notre aimable Sauveur accueillit avec complaisance cette nouvelle offre de sa très-pure Mère, et lui réitéra la promesse de ne point la laisser seule avant que fût arrivé le moment marqué par le Père éternel, où il devrait la quitter pour commencer sa prédication.

 

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Instruction de notre auguste Princesse.

 

880. Ma très-chère fille, il n'est pas fort extraordinaire que votre coeur ait été ému de compassion à l'égard de ceux qui sont à l'article de la mort, et animé d'un désir particulier de les assister en cette dernière heure; car il. est vrai, comme vous l'avez compris, que les âmes souffrent alors des peinés incroyables et courent les plus graves dangers, tant à cause des embûches du démon, qu'à cause des impressions des objets visibles et des sentiments de la nature elle-même. C'est en ce moment que le procès de la vie est vidé, et que la dernière sentence de mort ou de vie éternelle, de peine ou de gloire, est prononcée; et comme le Très-Haut se plaît à seconder ce désir charitable qu'il vous a donné, je veux, pour vous aider à le réaliser, l'augmenter en vous, et je vous recommande de concourir de toutes vos forces à la grâce, et de faire tous vos efforts pour nous obéir. Sachez donc, ma fille, que lorsque Lucifer et ses ministres de ténèbres reconnaissent par les accidents et par les causes naturelles que les hommes sont atteints d'une maladie mortelle, ils s'arment aussitôt de toutes leurs ruses pour attaquer le pauvre malade rempli d'ignorance, et pour tâcher de l'abattre par diverses tentations; et comme ces ennemis voient qu'il ne leur reste plus guère de temps pour persécuter son âme, ils y veulent suppléer en redoublant leurs efforts, leur rage et leur malice.

 

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881. Ils s'unissent tous à cet effet comme des loups carnassiers, et cherchent à reconnaître de nouveau l'état du malade, par ses qualités naturelles et acquises; ils étudient ses inclinations et ses habitudes, et par quel endroit ils le trouveront plus faible, afin de l'assaillir par là avec plus de- violence. Ils persuadent à ceux qui ont un amour déréglé pour la vie, que le péril n'est pas si grand; ils empêchent qu'on ne les détrompe, ils inspirent de nouvelles tiédeurs à ceux qui ont été négligents à fréquenter les sacrements, et leur suggèrent de plus grandes difficultés, afin qu'ils meurent sans les recevoir, ou qu'ils, les reçoivent sans fruit et avec de mauvaises dispositions. Ils jettent les uns dans une honte funeste pour qu'ils ne découvrent point leurs péchés. Ils troublent et embarrassent les autres pour qu'ils ne satisfassent point à leurs obligations, et qu'ils ne se mettent pas eu peine de décharger leur conscience. Ils excitent les orgueilleux à ordonner à leurs héritiers, même en cette dernière heure, de faire après leur mort une foule de choses remplies de vanité et d'ostentation. Ils portent les avares et les sensuels à se rappeler les objets de leurs passions aveugles. Enfin, ces cruels ennemis se servent de toutes les mauvaises habitudes des malades pour les attirer dans le précipice et pour leur rendre le retour difficile ou impossible. De sorte que tous les actes qu'on a commis pendant la vie et par lesquels on a contracté des habitudes vicieuses., sont comme les trophées et les armes offensives dont l'ennemi commun se sert pour combattre les hommes

 

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en cette heure formidable de la mort; car tous les appétits désordonnés qu'on a satisfaits, sont alors comme autant de brèches par où il entre dans le château de l'âme, pour y répandre son mortel venin, et y amener des ténèbres épaisses, effet naturel de sa présence, afin qu'elle rejette les inspirations divines, quelle n'ait aucune véritable douleur de ses péchés, et qu'elle finisse une vie mauvaise dans l'impénitence.

882. Ces ennemis causent généralement de grands dommages en cette heure, par l'espérance trompeuse qu'ils donnent aux malades d'une plus longue vie, et en leur faisant accroire qu'ils pourront exécuter plus tard ce que Dieu leur inspiré alors par l'organe de ses anges : fatale illusion qui trop souvent les perd. Le danger de ceux qui ont négligé pendant leur vie le remède des sacrements, est aussi formidable à l'heure suprême, car la justice divine punit ordinairement ce mépris, qui est horrible au Seigneur et aux saints, en abandonnant ces &mes imprudentes entre les mains de leur mauvais conseil: En effet, puisque, loin de vouloir profiter du remède efficace au temps propice, elles n'ont fait que le dédaigner, elles méritent par un juste jugement d'être dédaignées à leur tour en cette dernière heure, jusqu'à laquelle elles ont différé par une folle assurance de s'occuper de leur salut éternel. Il y a fort peu de justes que l'antique serpent n'attaque avec une fureur incroyable quand ils sont dangereusement malades. Et s'il prétend alors vaincre les plus grands sainte, que doivent

 

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espérer les négligents et les vicieux, qui ont employé toute leur vie à démériter la grâce et les faveurs divines, se trouvant dépourvus de bonnes oeuvres dont ils pourraient se prévaloir contre leur ennemi? Mon sains; époux Joseph fut un de ceux qui jouirent du privilège de ne voir point le démon dans cette extrémité: car ces esprits de ténèbres, voulant s'en approcher, sentirent une puissante force qui les arrêta, et les anges les précipitèrent ensuite dans les abîmes infernaux, où ils éprouvèrent un accablement si affreux (selon, votre manière de concevoir ces choses-là) qu'ils en furent tout troublés et tout stupéfaits. Ce prodige donna lieu à Lucifer de convoquer une assemblée on un conciliabule pour en découvrir la cause, et pour ordonner à ses ministres de parcourir le monde et de rechercher si par hasard le Messie y était venu; et il arriva dans cette rencontre ce que vous écrirez plus loin.

883. Vous comprendrez par là le danger imminent où l'on se trouve à l'heure de la mort, et combien d'âmes périssent en ce moment auquel les mérites et les péchés des hommes commencent à produire leur fruit. Je ne vous. déclare point le grand nombre de ceux qui se perdent, parce que, le connaissant et ayant un véritable amour pour le Seigneur, vous en mourriez de douleur; mais vous devez savoir qu'en règle générale une bonne mort suit une bonne vie, et que dans les autres cas elle est fort incertaine, fort rare et fort chanceuse. Le plus au moyen d'arriver au but, c'est de se mettre tôt à courir; ainsi je vous

 

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avertis de regarder désormais chaque jour de votre vie comme s'il en devait être le dernier, puisque vous ne savez pas si vous arriverez au lendemain, et de préparer votre âme de façon que vous puissiez recevoir la mort avec joie si elle se présentait. Ne différez donc pas un instant de vous repentir de vos péchés, et de prendre le parti de vous en confesser aussitôt que vous vous en apercevrez; corrigez en vous jusqu'à la moindre imperfection, et faites en sorte de ne laisser subsister dans votre conscience aucune tâche qui puisse la souiller sans la laver de vos larme, sans vous en purifier par le sang de Jésus-Christ mon très-saint Fils, et sans vous mettre en état de pouvoir paraître devant le juste Juge qui doit vous examiner, et juger jusqu'à la plus petite de vos pensées et au moindre mouvement de vos puissances.

884. Si vous voulez aider, comme vous le souhaitez, ceux qui sont en cette dangereuse extrémité, commencez par conseiller à tous ceux que vous pourrez ce que je viens de vous dire, et par leur faire entendre que pour obtenir une bonne mort ils doivent vivre soucieux de leurs âmes. En outre, vous prierez tous les jours à cette intention sans l'oublier jamais, et vous supplierez le Tout-Puissant de détruire les embûches et les batteries que les démons dressent contre les agonisants, et de les confondre tous par sa divine droite. Je faisais cette même prière pour les mortels, comme vous le savez, c'est pourquoi je veux que vous la fassiez aussi à mon imitation. Et, afin que vous leur donniez un plus grand secours, je vous enjoins de

 

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commander aux démons de s'en éloigner et de ne point les inquiéter; et vous pouvez user de ce pouvoir sans aucune difficulté, quoique vous ne soyez pas auprès des malades, puisque le Seigneur s'y trouve, lui, au nom duquel vous les devez chasser pour sa plus grande gloire.

885. Instruisez vos religieuses dans ces occasions, mais sans les troubler. Ayez un grand soin de leur faire recevoir incontinent les sacrements et de les porter à les fréquenter toujours. Tâchez de les encourager et de les consoler en les entretenant des choses de Dieu, de ses mystères et de ses Écritures, pour enflammer dé plus en plus leurs bons désirs et leurs saintes affections, et pour les disposer à recevoir les lumières et les influences célestes. Confirmez-les dans l'espérance; fortifiez-les contre les tentations, et enseignez-leur comment elles y doivent résister et les moyens de les vaincre, cherchant à les deviner avant qu'elles vous les confient; et si vos conjectures sont insuffisantes, le Très-Haut vous les découvrira et volis éclairera, afin que vous appliquiez à chacune le remède qui lui sera convenable, car les maladies spirituelles sont difficiles à connaître et à guérir. Vous devez profiter, comme une fille bien-aimée, de tous les avis que je vous donne pour le service du Seigneur. Je vous obtiendrai de sa divine Majesté quelques privilèges pour vous et pour ceux que vous désirerez assister en cette heure formidable. Ne soyez pas avare dans cette charitable distribution, car en cela vous ne devez pas agir par ce que vous êtes, mais par

 

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ce que le Très-Haut veut opérer en vous par lui-même.
 

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