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Vénérable Marie d'Agreda
La Cité Mystique de Dieu

17/30
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   CHAPITRE XXIII. Des occupations de la Mère Vierge pendant l’absence de son très-saint Fils, et de ses entretiens avec ses saints anges.

Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

CHAPITRE XXIV. Notre Sauveur Jésus-Christ arrive au bord du Jourdain, où saint Jean le baptise et le prie de le baptiser lui-même.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE XXV. Notre Rédempteur, après avoir été baptisé, s'en va au désert, où il s'exerce à de grandes victoires et à toutes sortes de vertus contre les vices. — Sa très-sainte Mère en a connaissance et l'imite parfaitement en tout.

Instruction que j'ai reçue de notre Dame la Reine du ciel.

CHAPITRE XXVI. Notre Sauveur Jésus-Christ, à la fin de son jeûne, permet à Lucifer de le tenter. — Sa Majesté sort victorieuse de la tentation. — Sa très-sainte Mère est informée de tout ce qui se passe.

Doute que  j’exposai à la Reine du ciel.

Réponse et instruction de notre auguste Maîtresse.

CHAPITRE XXVII. Notre Rédempteur Jésus-Christ sort du désert, s'en retourne auprès de saint Jean, et s'occupe dans la Judée à disposer le peuple jusqu'à la vocation des premiers disciples. — L'auguste Marie connaissait et imitait les oeuvres de son très-saint Fils.

Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.

CHAPITRE XXVIII. Note Rédempteur Jésus-Christ commence à appeler et à recevoir ses disciples en présence de son précurseur. — Il se met à prêcher publiquement. — Le Très-Haut ordonne à l'auguste Marie de suivre son très-saint Fils.

Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE XXIX. Notre Sauveur Jésus-Christ retourne à Nazareth avec les cinq premiers disciples, et baptise sa très-sainte Mère. — Ce qui arriva dans cette circonstance.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

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Salomon (1), et qu'il y a un temps de jouir des embrassements et un temps de s'en priver; car c'est une ignorance des imparfaits et de ceux qui commencent à pratiquer la vertu, que,de vouloir déterminer le temps de l'entretien intime avec le Seigneur, et de trop ressentir la privation des divines caresses. Je ne prétends pas par là que vous cherchiez volontairement les distractions et les occupations, ni que vous vous y plaisiez, car ce serait une chose dangereuse; mais je veux que vous obéissiez avec tranquillité à vos supérieurs quand ils vous les ordonneront, et que vous laissiez le Seigneur dans votre douce retraite, pour le trouver dans le travail utile et dans les bons offices que vous rendrez à votre prochain : c'est ce que vous devez préférer à votre solitude et aux consolations secrètes que vous y recevez; et je ne veux pas que vous y soyez trop attachée pour ces seules consolations, afin que, dans les soins convenables auxquels vous obligent vos fonctions de supérieure, vous puissiez croire, espérer et aimer avec fidélité et, avec perfection. Par ce moyen vous trouverez le Seigneur en tout temps, en tout lieu et en quelque occupation que ce soit, comme vous l'avez déjà expérimenté; car vous ne devez jamais vous imaginer par une ignorance puérile d'être hors de sa douce présence, et de ne le pouvoir trouver ni jouir des charmes de sa conversation hors de votre retraite, parce que tout est plein do sa gloire sans qu'elle laisse aucun vide (2) : c'est en lui

 

(1) Eccles., III, 5. — (2) Eccles., XLII, 16.

 

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que vous vivez, que vous vous mouvez et que vous avez l'être (1); et lorsque sa Majesté ne vous imposera point ces occupations, vous pourrez jouir des charmes de la solitude après laquelle vous soupirez.

964. Vous connaîtrez mieux toutes ces choses par la générosité de l'amour que je demande de vous, afin que vous suiviez l'exemple de mon très-saint Fils et le mien, puisque par cet amour vous devez vous plaire tantôt aux choses de son enfance, tantôt à travailler au salut éternel des hommes à son imitation; quelquefois à l'accompagner en la retraite de sa solitude, d'autres fois à vous transfigurer avec lui en une nouvelle créature, d'autres fois encore à embrasser la croix des tribulations et à suivre ses traces, et la doctrine qu'il a enseignée sur cette croix comme divin Maître en un mot, je veux que vous sachiez que j'eus la plus sublime intention de l'imiter toujours en toutes ses oeuvres, et que je renfermai dans cette intention la plus grande perfection et la plus haute sainteté; et je veux que vous m'imitiez en cela autant que vos forces, assistées de la grâce, vous le permettront. Si vous voulez en venir à bout, vous devez premièrement mourir à tous les effets de votre, filiation d'Adam, sans vous réserver un seul je veux ou je ne veux pas, j'accepte ou je rejette pour ce sujet ou pour cette raison; car vous, ignorez ce gui vous convient, et votre Seigneur et, votre époux, qui lé sait et qui vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même, veut prendre soin de ce

 

(1) Act., XVII, 28.

 

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qui vous regardé si vous vous abandonnez entièrement à sa volonté; et je ne vous donne que la permission de l'aimer et de vouloir l’imiter dans les souffrances, parce qu'en tout le reste vous courez risque de vous éloigner de son bon plaisir et du mien; et vous tomberez dans ce malheur en suivant votre volonté, vos inclinations et vos appétits. Sacrifiez-les tous; élevez-vous au-dessus de vous-même; tâchez d'arriver à la haute demeure de votre divin Maître; soyez attentive à la lumière de ses inspirations et à la vérité de ses paroles de vie éternelle (1) : et afin d'y arriver, prenez votre croix (2), suivez ses traces, courez après l'odeur de ses parfums (3) , ne cessez point vos empressements jusqu'à ce que vous l'ayez rencontré, et quand vous l'aurez trouvé, gardez-vous bien de le laisser s'éloigner (4).

 

 
CHAPITRE XXIII. Des occupations de la Mère Vierge pendant l’absence de son très-saint Fils, et de ses entretiens avec ses saints anges.

 

965. Le Rédempteur du monde s'étant éloigné de la présence corporelle de sa très-amoureuse Mère, les

 

(1) Joan., vi, 69. — (1) Matth., XVI, 24. — (3) Cant., I. 3. — (4) Cant , III, 4.

 

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yeux de cette auguste Dame restèrent comme éclipsé, par l'absence du Soleil de justice, qui les éclairait et les récréait; mais la vue intérieure de son âme très-sainte ne perdit pas un seul degré de la divine lumière, qui la pénétrait tout entière et l'élevait au-dessus du plus sublime amour des plus enflammés séraphins. Et comme le principal emploi de ses puissances, en l'absente de l'humanité très-sainte, devait être le seul objet incomparable de la Divinité, elle régla toutes ses occupations de telle sorte, qu'elle pût, dans sa retraite et hors du commerce des créatures, s'appliquer entièrement à la contemplation, aux louanges du Seigneur et à la prière, afin que la doctrine et la semence de la parole que le Maître de la vie devait jeter dans les coeurs des hommes ne se perdissent point par leur dureté et leur ingratitude, mais qu'elles produisissent le fruit abondant de la vie éternelle et le salut de leurs âmes. Et, par la connaissance qu'elle avait des intentions du Verbe incarné, elle s'abstint de parler alors à aucune créature humaine, pour l'imiter dans les austérités qu'il devait pratiquer dans le désert, comme je le dirai ailleurs; car elle fut en tout une image vivante de ses oeuvres aussi bien en son absence qu'en sa présence.

966. La divine Reine s'attacha à ces exercices, dans sa solitude, durant tout le temps que son très-saint fils passa hors de la maison. Ses prières étaient si ferventes, qu'elle versait des larmes de sang pour les péchés des hommes. Elle se prosternait plus de deux cents fois chaque jour; elle aima toute sa vie cet exercice,

 

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et le renouvela très-souvent, comme un témoignage de son humilité, de sa charité et de son culte, dont je ferai plusieurs fois mention dans la suite de cette histoire. Elle coopérait ainsi, avec son très-saint Fils notre libérateur, à l'œuvre de la rédemption, tout absent qu'il était; et les prières de cette très-pieuse Mère furent si puissantes et si efficaces auprès du Père éternel, que ce fut à cause de ses mérites et de sa présence sur la. terre que le Seigneur oublia, pour. ainsi dire, les péchés de tous les mortels, qui étaient alors indignes de la. prédication et de la doctrine de son adorable Fils; car ce fut la très-pure Marie qui écarta cet obstacle à force de ferventes supplications et de charité. Elle fut la médiatrice qui nous procura et mérita le bonheur d'être enseignés de notre Sauveur et divin Maître, et de recevoir la loi de l'Évangile de sa bouche sacrée.

967. Quand notre grande Reine était descendue de ce degré suréminent de contemplation et de ces sublimes hauteurs de la prière, elle s'entretenait avec ses saints anges, à qui le Sauveur avait enjoint de nouveau de prendre une forme corporelle pour l’assister, servir son tabernacle, et garder la sainte Cité de sa demeure tant qu'il en serait éloigné. Ces très-diligents ministres du Seigneur obéissaient en fout, et servaient leur Reine avec un respect admirable. Mais comme rameur est essentiellement actif, et souffre avec impatience l'absence et la privation de l'objet qui l'attire, son plus grand soulagement est de parier de sa douleur et de ses justes causes; de renouveler le souvenir

 

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du bien-aimé, et de s'entretenir souvent de ses qualités et de ses excellences; car par ses entretiens.il charme ses peines, il trompe ou divertit sa douleur, en substituant à la .vue de l'original les images chéries qu'il a laissées dans l'âme. C'est ce qui. arrivait à la très-amoureuse Mère du véritable et souverain.Bien; car, pendant que ses puissances étaient, heureusement abîmées dans l'océan immense de la Divinité, elle ne sentait point l'absence corporelle de son Fils; mais quand elle reprenait l'usage de ses sens, accoutumés à jouir de la présence d'un objet si aimable dont ils se trouvaient privés, alors elle sentait la force impatiente de l'amour le plus intime, le plus sincère et le plus chaste qu'on puisse imaginer : et il est certain qu'elle n'aurait pu vivre dans une si grande douleur sans un secours divin.

968. Pour donner quelque adoucissement à la douleur naturelle de son coeur, elle s'adressait aux saints anges et leur disait : « Ministres diligents du Très Haut, ouvrage des mains de mon bien-aimé, mes  amis et mes compagnons, donnez-moi des nouvelles de mon très-cher Fils et mon divin Maître ; dites-moi où il se trouve, et dites-lui aussi que je meurs par l'absence de ma propre vie. O mon doux  bien ! O amour de mon âme ! où est votre beauté,  qui surpasse celle de tous les enfants des hommes (1)? Où pourrez-vous appuyer la tête? Où est-ce que  votre très-délicate et très-sainte humanité se reposera

 

(1) Ps. XLIV, 3.

 

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de ses fatigues? Qui vous servira maintenant,  lumière de mes yeux? Et comment pourront-ils,  ces yeux, arrêter leurs larmes en l'absence du  Soleil qui les éclairait? Où pourrez-vous, mon adorable Fils, trouver quelque repos? Et cette pauvre  brebis solitaire, où pourra-t-elle trouver le sien?   Quel port trouvera cette petite nacelle, battue dans  la solitude par les vagues de l'amour? Où trouverai je quelque tranquillité? O le bien-aimé de mes désirs, il n'est pas possible d'oublier votre aimable présence ! comment donc le sera-t-il de vivre dans .ce souvenir sans en jouir? Que ferai-je? Qui me consolera et me fera compagnie dans mon amère solitude? Mais que cherché-je, et que puis-je trouver parmi les créatures, si vous me manquez,

a vous qui êtes mon tout et le seul objet de mon a amour? Esprits célestes, dites-moi, que fait mon  Seigneur et mon bien-aimé ? Informez-moi de ses   occupations extérieures, et ne me cachez rien de ce  que vous découvrirez de ses opérations intérieures a dans le miroir de son auguste face et de son être divin. Apprenez-moi toutes ses voies, afin que je  les suive. »

969. Les saints anges obéirent à leur Reine, et la consolèrent dans ses amoureuses plaintes, en s'entretenant avec elle du Très-Haut, et en lui disant de grandes louanges de l'humanité sainte de son Fils et de ses perfections. Ensuite ils l'informaient de toutes ses occupations et des lieux où il était; et cela se faisait en illuminant son entendement en la manière

 

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qu'un ange supérieur illumine celui qui lui est inférieur : car elle gardait cet ordre spirituel, quand elle conférait intérieurement avec ces esprits bienheureux, sans se servir des organes corporels. Ils lui apprenaient encore en la mime manière quand le Verbe incarné priait retiré du commerce des hommes, quand il les instruisait, quand il visitait les pauvres et les hôpitaux, et plusieurs autres de ses actions qu'elle imitait autant qu'il lui était possible; de sorte qu'elle faisait de magnifiques et excellentes oeuvres, comme je le dirai dans la suite; et par là elle adoucissait en quelque façon sa douleur.

970. Elle envoyait aussi quelquefois les mêmes anges vers son très-doux Fils, afin qu'ils le visitassent de sa part; et alors elle les chargeait, avec la plus sage discrétion, de lui dire des choses que lui inspiraient son respect et son amour; dans ces occasions, elle leur remettait d'ordinaire un morceau d'étoffe ou de linge qu'elle-même avait travaillé, afin qu'ils en essuyassent le visage sacré du Sauveur quand ils le verraient dans l'oraison fatigué et baigné d'une sueur de sang : car la divine Mère savait qu'il éprouverait' ces angoisses de l'agonie, et de plus en plus à mesure qu'il s'appliquerait davantage aux oeuvres de la rédemption. Les saints anges obéissaient en cela à leur. Reine avec une respectueuse crainte, parce qu'ils comprenaient que le Seigneur lui-même voulait qu'ils le fissent pour satisfaire les désirs amoureux de sa très sainte Mère. D'autres fois elle savait, par les avis que les mêmes anges lui donnaient, ou par une révélation

 

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particulière du Seigneur, que sa Majesté priait dans les montagnes' pour les hommes; et cette très-miséricordieuse Dame, sans sortit de sa maison, l'imitait en tout, et faisait les mêmes prières en la même posture que notre adorable Sauveur. En certains cas, elle lui envoyait aussi quelque nourriture parle ministère des anges, et c'était lorsqu'elle savait qu'il n'y avait personne qui en donnerait au Maître de la nature. Toutefois cela arriva fort rarement, parce que le Seigneur n'avait pas voulu permettre, comme je l'ai marqué dans le chapitre précédent, que sa très-sainte Mère le fit toujours, comme elle le souhaitait; et elle s'en abstint pendant les quarante jours qu'il jeûna, parce que telle était la volonté de ce divin Seigneur.

971. Parfois notre grande Dame s'occupait à faire des cantiques de louange au Très-Haut, et elle les faisait étant seule en oraison , ou en la compagnie des saints anges, avec lesquels elle les chantait alternativement. Tous ces cantiques étaient aussi sublimes par le styla que profond par le sens. Parfois encore elle s'employait à soulager le prochain dans ses nécessités, à l'exemple de son Fils. Elle visitait les malades, consolait les affligés, instruisait les ignorants, et elle les perfectionnait tous et leur procurait une abondance de grâces et de biens célestes. Pendant le temps du jeûne du Seigneur, elle demeura toute seule dans sa maison sans fréquenter personne, comme je le dirai dans la suite. Dans cette solitude les extases lui furent plus fréquentes, et elle y reçut de la Divinité

 

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des dons et des faveurs incomparables; car la main du Seigneur traçait en elle, comme sur une toile bien préparée, les dessins et les traits. les plus admirables de ses infinies perfections. Elle se servait de tous ces dons pour travailler avec un nouveau zèle au salut des mortels, et elle les appliquait à une imitation plus parfaite de son très-saint Fils, avec intention de l'aider, comme sa coadjutrice dans les oeuvres de la rédemption. Et quoique ces bienfaits et ces entretiens intimes du Seigneur fussent toujours accompagnés d'une nouvelle joie et d'une, grande consolation du Saint-Esprit, elle souffrait néanmoins en la partie sensitive, ainsi qu'elle l'avait désiré et demandé pour imiter notre Seigneur Jésus-Christ, comme je l'ai marqué ailleurs. Chez elle, ce désir de partager ses souffrances, était insatiable, et elle ne cessait de demander avec un très-ardent amour au Père éternel de souffrir, renouvelant le sacrifice si agréable de la vie de son Fils et de la sienne, qu'elle avait déjà offert par la volonté du même Seigneur; car ce désir était aussi continuel qu'insatiable, elle en était jour et nuit consumée, et elle souffrait surtout de ne point pou voir souffrir davantage pour son bien-aimé..
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

 

972. Ma très-chère fille, la sagesse de la chair a rendu les hommes ignorants, insensée et ennemis de

 

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Dieu (1), parce qu'elle est diabolique, trompeuse, terrestre et rebelle à la loi divine; et plus les enfants d'Adam s'efforcent d'atteindre les mauvaises fins de leurs passions charnelles et animales, et cherchent les moyens d'y parvenir, plus ils ignorent les choses divines , qui sont les voies par lesquelles ils doivent arriver à leur véritable et dernière fin. Cette ignorance et cette prudence de la chair sont surtout déplorables et odieuses aux yeux du Seigneur chez les enfants de l’Eglise. A quel titre les enfants de ce siècle prétendent-ils s'appeler enfants de Dieu , frères de Jésus-Christ et héritiers de ses biens? Le fils adoptif doit être autant qu'il est possible semblable au fils naturel. Un frère n'est ni d'une race ni d'une condition autres que son autre frère. Un enfant ne s'appelle point héritier, si, au lieu de recueillir la masse des biens de son père, il n'a touché qu'une mince portion de l'héritage. Or comment seront héritiers avec Jésus-Christ ceux qui n'aiment, qui ne désirent et qui ne cherchent que les biens terrestres, et y mettent toutes leurs complaisances? Comment seront-ils ses frères, ceux qui dégénèrent si fort de ses qualités, de sa doctrine et de sa sainte loi? Comment lui seront-ils semblables , ceux qui si souvent effacent son image, et laissent empreindre leur âme de celle de la bête infernale (2)?

973. Vous connaissez, ma fille, ces vérités en la divine lumière, aussi bien que les peines que j'ai

 

(1) Rom., VIII, 7. — (2) Apoc., XVI, 2.

 

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prises pour me rendre semblable à l'image du Très-Haut, qui est mon Fils et mon Seigneur. Ne vous imaginez pas que je vous aie donné en vain cette si haute connaissance de mes oeuvres; car mon intention est que vous graviez ces leçons dans votre coeur, que vous les ayez toujours devant vos yeux, et que vous en profitiez pour régler votre vie et vos actions tout le temps qu'il vous reste à passer sur la terre, et qui ne peut pas ~être fort long. Ne vous embarrassez point avec les créatures, et ne vous laissez point retarder par leurs piéges pour marcher à ma suite; évitez-les, méprisez-les, abandonnez-les, du moment où elles vous deviennent un obstacle. Si vous voulez faire des progrès à mon école, il faut que vous soyez pauvre, humble, méprisée et soumise, et que vous conserviez dans tous les événements un visage gai , un coeur joyeux. Ne vous arrêtez point aux applaudissements et aux affections de qui que ce soit, et prenez garde de vous laisser entraîner par les inclinations humaines; car le Seigneur ne veut point que vous vous laissiez absorber par des attentions si inutiles , par des occupations si basses et si incompatibles avec l'état auquel il vous appelle. Faites humblement réflexion sur les témoignages d'amour que vous en avez reçus, et considérez que pour vous enrichir il a tiré de ses trésors les dons les plus magnifiques. Lucifer et ses ministres n'ignorent point ces faveurs, c'est pourquoi ils déploient contre vous toute leur colère et toutes leurs ruses. Il n'est point de baliste qu'ils ne doivent Faire jouer pour démolir les murs de la place ;

 

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mais ils dirigeront surtout leurs attaques contre votre intérieur, c'est là qu'ils pointeront leurs principales batteries. Tenez-vous sur vos gardes et veillez; fermez les portes de vos sens, consignez votre volonté, et ne permettez pas qu'elle sorte à la rencontre d'aucune chose humaine pour bonne et honnête qu'elle vous paraisse ; car la moindre brèche que vous laisserez pratiquer à l'amour que Dieu exige de vous, suffira pour faire entrer vos ennemis. Tout le royaume de Dieu est au dedans de vous (1); c'est là que vous trouverez le bien que vous désirez. N'oubliez point le bienfait de mes instructions, et conservez-les dans votre coeur; sachez que le danger et le dommage dont je cherche à vous éloigner sont très-considérables, et que de suivre mon exemple, de participer à ma ressemblance, c'est le plus grand bonheur auquel vous puissiez aspirer, et soyez persuadée que je suis portée par toute ma tendresse à vous l'accorder, si vous vous y disposez par de hautes pensées et par des paroles saintes, qui vous élèvent à l'état auquel le Tout-Puissant et moi vous destinons.

 

(1) Luc., XVII, 21.

 
CHAPITRE XXIV. Notre Sauveur Jésus-Christ arrive au bord du Jourdain, où saint Jean le baptise et le prie de le baptiser lui-même.

 

974. Après que notre Rédempteur eut laissé sa très-amoureuse Mère à Nazareth, sans aucune créature humaine 'pour compagnie, mais occupée dans sa pauvre demeure aux exercices de son ardente charité dont j'ai parlé ci-dessus, il continua son chemin vers le Jourdain, où son précurseur prêchait et baptisait (1) près de Béthanie, bourg situé de l'autre côté du fleuve, et autrement nommé Bethabara. Dès les premiers pas qui il fit hors de sa maison, notre adorable Seigneur éleva les yeux su Père éternel, et lui offrit de nouveau avec la plus ardente charité tout ce qu'il allait opérer pour les hommes, les fatigues, les douleurs, la passion et la mort de la croix , qu'il voulait souffrir pour eux, obéissant à la volonté éternelle du même Père, à qui il offrit aussi la douleur naturelle qu'il éprouvait d'avoir quitté sa Mère, et de s'être privé de sa douce compagnie, dont il avait joui l'espace de vingt-neuf ans. Le, Seigneur de l'univers

 

(1) Matth., III, 1, etc.

 

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marchait tout seul, sans ostentation, sans cortège, sans éclat; le souverain Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (1) s'avançait inconnu et méconnu de ses propres sujets, qui pourtant dépendaient si étroitement de lui, qu'ils ne tenaient et ne conservaient l'être que par sa seule volonté (2). Son royal équipage consistait en une extrême pauvreté, en un dénuement absolu.

975. Comme les écrivains sacrés ont passé sous silence ces oeuvres du Sauveur, et leurs circonstances si dignes de notre attention, quoiqu'elles aient été effectivement accomplies; comme, en outre, nous sommes accoutumés par un grossier oubli à ne pas le remercier même de celles dont les Évangiles contiennent le récit, il arrive que nous ne réfléchissons pas à l'immensité des bienfaits que nous avons reçus, ni à cet amour infini qui nous a enrichis avec tant de munificence, et qui a bien voulu nous attirer à lui par tant de liens d'une charité toute gratuite (3). O amour éternel du Fils unique du Père! O mon souverain bien et vie de mon ilote! Combien peu votre excessive charité est reconnue! Pourquoi, mon doux amour, tant de tendresses, tarit de soins et tarit de peines, pour ceux dont non-seulement vous n'avez pas besoin , mais qui tic répondront pas même à vos faveurs, et ne s'en soucieront non plus que si c'était une chimère? O coeur humain ! plus insensible et plus féroce que celui d'un tigre ou d'un lion! Qui t'endurcit de la sorte? Qui te retient? Qui t'opprime et

 

(1) Apoc., XIX, 16. — (2) Apoc., IV, 11. — (3) Os., XI, 4.

 

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qui t'appesantit au point de t'empêcher de te diriger vers un tel bienfaiteur dans les voies de la reconnaissance? O hommes, d'où vient un pareil ensorcellement? Quel objet vous fascine d'une manière si étrange? Dans quelle léthargie mortelle vous êtes tombés! Qui a effacé de votre souvenir des vérités si infaillibles et des bienfaits si mémorables, et en même temps les conditions de votre propre et véritable félicité? Si nous sommes de chair et naturellement si sensibles, qui nous a rendus plus insensibles et plus durs que les rochers? Comment ne nous réveillons-nous pas de notre assoupissement au bruit éclatant des bienfaits de notre rédemption? Des os desséchés s'animent et se meuvent à la voix d'un prophète (1), et nous résistons aux paroles et aux oeuvres de Celui qui donne à tout la vie et l'être. Voilà de quoi est capable l'amour terrestre, et ce que notre funeste oubli peut produire.

976. Recueillez donc maintenant, à mon divin Maître et lumière de mou âme ! ce vil vermisseau, qui se traînant par terre va à la rencontre des soins amoureux que vous prenez pour le chercher. Ce sont ces soins qui me donnent l'assurance certaine de trouver en vous la vérité, la voie, la perfection et la vie éternelle. Je n'ai rien à vous offrir, mon bien-aimé, pour ce que je vous dois, si ce n'est votre bonté et votre, amour, et l'être que j'en ai reçu. Rien au-dessous de vous ne saurait payer les choses infinies que vous avez

 

(1) Ezech., XXVII, 10.

 

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faites pour moi. Je vais au-devant de votre adorable grandeur, toute brûlante de la soif de votre charité; ne veuillez point, Seigneur, détourner l'œil de votre divine clémence de cette pauvre créature, que vous cherchez avec des empressements si amoureux. Vie de mon âme, âme de ma vie ! puisque je n'ai pas été assez heureuse pour mériter de jouir de votre vue corporelle dans le siècle fortuné qui vous a vu naître, je suis du moins fille de votre sainte Église, membre de ce corps mystique et de cette sainte assemblée des fidèles. Je vis dans une vie dangereuse, dans une chair fragile, dans un temps. triste et calamiteux; mais je crie et je soupire du plus profond de mon coeur pour avoir part à vos mérites infinis; et vous m'exaucerez, Seigneur, parce que la foi m'enseigne la destination de ces mérites, que l'espérance me les assure, et que la charité me donne le droit d'y prétendre. Regardez donc votre pauvre servante, rendez-la reconnaissante de tant de bienfaits, humble de coeur, constante en votre saint amour, et toute souple entre les mains de votre bon plaisir.

977. Notre Sauveur poursuivit son chemin vers le Jourdain, répandant en divers endroits ses anciennes miséricordes et des bienfaits admirables soit en faveur des corps, soit en faveur des âmes d'une foule de personnes qui avaient besoin de son secours; ce fut pourtant toujours d'une manière secrète, car il ne donna aucun témoignage public de son pouvoir divin et de ses grandes excellences jusqu'au temps qu'il fut baptisé. Avant que d'arriver près de son saint précurseur,

 

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il lui communiqua une nouvelle lumière et une joie extraordinaire qui élevèrent et changèrent son esprit et le saint, émerveillé en remarquant ces nouveaux effets en lui-même, s'écria : « Quel mystère est celui ci? Quel favorable présage de mon bonheur? Car, depuis qu'étant dans le sein de ma mère je reconnus la présence de mon Seigneur, je n'ai pas ressenti des effets semblables à ceux que j'éprouve  maintenant. Le Sauveur du monde viendrait-il par  bonheur ici, ou serait-il proche de moi? » Après cette illustration spéciale, le saint précurseur eut une vision intellectuelle, où il connut avec une plus grande clarté le mystère de l'union hypostatique en la personne du Verbe, et plusieurs autres mystères de la rédemption du genre humain. Et ce fut à cause de cette nouvelle lumière qu'il rendit les témoignages que raconte l'évangéliste saint Jean, pendant que notre Seigneur Jésus-Christ était au désert, et après qu'il en fut sorti pour retourner au Jourdain; l'un, quand il fut interrogé par les Juifs, et l'autre quand il dit : Ecce Agnus Dei, etc. (1), comme je le dirai dans la suite. Quoique Jean-Baptiste eût auparavant appris de grands mystères, lorsque le Seigneur lui ordonna d'aller prêcher et baptiser, ils lui furent néanmoins annoncés de nouveau et découverts avec une plus grande clarté dans cette vision; et alors il sut que le Sauveur du monde venait recevoir le baptême.

 

(1) Joan., I, 36.

 

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978. Sa Majesté se joignit donc à la foule, et pria saint Jean de le baptiser avec les autres; mais le Précurseur le reconnut, et, se prosternant à ses pieds, il lui dit pour s'en dispenser : C'est vous, Seigneur, qui me devez baptiser, et vous venez me demander le baptême? comme le raconte l'évangéliste saint Matthieu (1). Le Sauveur lui répondit : Laissez-moi faire pour cette heure ce que je souhaite; car nous devons accomplir ainsi toute justice (2). Par cette espèce de refus que le saint opposa au baptême de notre Seigneur Jésus-Christ, et par la demande qu'il lui adressa lui-même, il fit entendre qu'il le reconnaissait pour le véritable Messie. Et ceci n'est point contradictoire avec ce que l'évangéliste saint Jean nous rapporte que le saint Précurseur dit aux Juifs : Pour moi, je ne le connaissais point; mais Celui qui m'a envoyé baptiser dans Peau m'a dit : Celui sur qui vous terrez l'Esprit descendre et se reposer, c'est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit : Je l'ai vu, et j'ai rendu le témoignage qu'il est le Fils de Dieu (3). La raison que j'allègue pour prouver qu'il n'y a point de contradiction entre ce passage de saint Jean et ce que dit saint Matthieu, est que le témoignage du ciel et la voix du Père, qui se firent entendre sur notre Seigneur Jésus-Christ près du Jourdain, coïncidèrent avec le moment où saint Jean-Baptiste eut la vision et l'illumination dont je viens de parler, et jusque-là il n'avait pas encore vu Jésus-Christ de ses yeux corporels. Il put donc déclarer

 

(1) Matth., III, 14. — (2) Ibid., 15. — (3) Joan., I, 33 et 34.

 

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qu'il ne l'avait pas connu comme il le connut alors; mais il le vit non-seulement des yeux du corps, mais aussi et su même moment par la lumière de la révélation : c'est pour cela qu'il se prosterna à ses pieds et qu'il lui demanda le baptême.

979. Aussitôt que saint Jean eut achevé de baptiser notre Seigneur Jésus-Christ, le ciel s'ouvrit, le Saint-Esprit descendit sur sa tète sous la forme visible d'une colombe, et l'on entendit la voix du Père qui dit Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me plais uniquement (1). Plusieurs de ceux qui se trouvaient présents, et qui ne s'étaient pas rendus indignes d'une faveur si admirable, entendirent cette voix du ciel, et virent aussi le Saint-Esprit en la forme sous laquelle il se reposa sur le Sauveur. Ce témoignage fut le plus grand qui se pût donner de la divinité de notre Rédempteur, tant du côté du Père, qui l'avouait pour Fils, que de celui du Saint-Esprit, qui en fournissait la preuve, puisque tout cela manifestait que Jésus-Christ était Dieu véritable, égal à son Père éternel quant à la substance et quant à ses perfections infinies. Le Père voulut être le premier à attester du ciel la divinité de Jésus-Christ, afin d'autoriser par cette attestation toutes celles que l'on en devait donner ensuite dans le monde. Ces paroles du Père renfermaient encore un mystère : c'était une manière de dégager, pour ainsi dire, l'honneur de son Fils, et de récompenser l'acte d'humilité qu'il pratiquait en se

 

(1) Matth., III, 17.

 

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soumettant au baptême, qui servait de remède aux péchés, dont le Verbe incarné était exempt, puisqu'il était impeccable (1).

980. Notre Seigneur Jésus-Christ offrit avec soumission au Père cet acte d'humilité qu'il faisait en paraissant sous la forme de pécheur et en recevant le baptême avec ceux qui l'étaient, pour se reconnaître, par cette obéissance, inférieur quant à la nature humaine, qui lui était commune avec tous les enfants d'Adam, et pour instituer par là le sacrement du baptême, qui devait laver les péchés du monde par la vertu de ses mérites; et ce divin, Seigneur, s'humiliant le premier jusqu'à recevoir le baptême des péchés, demanda au Père éternel, et en obtint en même temps un pardon général pour tous ceux qui le recevraient, afin qu'ils sortissent de l'empire du démon et du mal, et fussent régénérés en l'être nouveau, spirituel et surnaturel des enfants adoptifs du Très-Haut et des frères du même Rédempteur (2). Et comme les péchés des hommes, tant les passés que les actuels et les futurs que le Père éternel avait présents en la prescience de sa sagesse, auraient empêché ce remède si doux et si facile, notre Seigneur Jésus-Christ le mérita par justice, afin que l'équité du Père pût l'accepter, l'approuver et s'en déclarer satisfaite; il savait pourtant combien de mortels, dans les siècles présents et futurs, ne profiteraient pas du baptême, et combien d'autres ne le recevraient point. Notre Seigneur

 

(1) Hebr., VII, 26. — (2) I Petr., I, 23.

 

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Jésus-Christ ôta tous ces obstacles et suppléa au peu de mérite des hommes par ses propres mérites, et en s'humiliant jusqu'à paraître sous la ressemblante de pécheur (1) et à recevoir le baptême, tout innocent qu'il était. Tous ces mystères sont renfermés dans la réponse qu'il fit à son saint précurseur : Laissez-moi faire pour cette heure, car nous devons accomplir ainsi toute justice (2). La voix du Père et la personne du Saint-Esprit descendirent (3) pour accréditer le Verbe incarné, récompenser son humilité, et approuver le baptême et les effets qu'il devait opérer; cet adorable Sauveur fut ainsi reconnu et proclamé comme véritable Fils de Dieu, en même temps qu'était révélée l'existence des trois personnes divines, au nom desquelles on devait donner le baptême.

981. Le grand Baptiste fut celui qui pénétra le plus ces merveilles et leurs effets, et qui en eut la meilleure part; car non-seulement il baptisa son Rédempteur et son Maître, vit le Saint-Esprit et le globe lumineux qui descendirent du ciel sur le Seigneur; découvrit . la multitude innombrable d'anges qui assistaient au baptême, entendit la voix du Père et connut d'autres mystères en la vision que j'ai décrite; mais il fut en outre baptisé par le Rédempteur lui-même. Et quoique l'Évangile dise seulement qu'il a demandé le baptême (4), il ne nie pourtant pas qu'il l'ait reçu, parce

 

(1) Rom., VIII, 3. — (2) Matth., III, 15. — (3) Ibid., 16 et 17. — (4) Ibid., 14.

 

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que sans doute notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir été baptisé, aura donné à son précurseur le baptême, que celui-ci lui demandait, et que sa divine Majesté institua dès lors, quoique la promulgation et l'application générale de cette loi n'aient eu lieu que plus tard, quand le Sauveur, après sa résurrection, prescrivit aux apôtres de conférer ce sacrement (1). Et, comme je le dirai plus loin, le Seigneur baptisa aussi sa très-sainte Mère avant cette promulgation, en laquelle il détermina la forme du baptême, qu'il avait ordonné. Voilà ce qui m'a été déclaré. J'ai également appris que saint Jean fut le premier né du baptême de notre Seigneur Jésus-Christ et de la nouvelle Église qu'il établissait à l'ombre de ce grand sacrement, et que ce saint précurseur reçut ainsi le caractère de chrétien et une grande plénitude de grâces, quoique, ayant été justifié par le Rédempteur avant de naître, comme je l'ai marqué ailleurs, il n'eût pas besoin d'être purgé du péché originel. Et on ne doit pas conclure que le Seigneur lui ait refusé le baptême des paroles qu'il lui répondit : Laissez-moi faire pour cette heure, car nous devons accomplir toute justice; cela veut seulement dire qu'il le lui différa jusqu'à ce qu'il est été lui-même baptisé le premier, et qu'il eût accompli la justice cil la manière que j'ai expliquée; après quoi sa divine Majesté le baptisa, lui donna sa bénédiction et se retira dans le désert.

982. Revenons maintenant à mon sujet et aux

 

(1) Matth., XXVIII, 19.

 

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oeuvres de notre grande Reine. Aussitôt que son très-saint Fils fut baptisé, quoiqu'elle connût par la lumière divine les actions de sa Majesté, les saints anges qui assistaient cet adorable Seigneur ne laissèrent pas de l'informer de tout ce qui s'était passé au Jourdain; et ces anges furent de ceux qui portaient, comme je l'ai dit dans la première partie, les devises de la passion du Sauveur. La très-prudente Mère, voulant témoigner sa reconnaissance pour tous les mystères qui se trouvaient renfermés dans le baptême, qu'il avait reçu et ordonné, et pour le témoignage rendu à sa divinité, fit de nouveaux cantiques de louange au Très-Haut et au Verbe incarné, et elle imita notre divin Maître en tons ses actes d'humilité et en toutes ses prières. Elle intercéda avec une très-ardente charité pour les hommes, afin qu'ils profitassent du baptême, et que ce sacrement s'étendit par tout le monde. Après avoir fait ces prières et ces cantiques, elle convia les courtisans célestes à exalter avec elle son très-saint Fils, pour s'être humilié jusqu'à recevoir le baptême.

 
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

983. Ma fille, par les différentes lumières que je vous ai communiquées des rouvres que mon très saint fils a faites pour les hommes, aussi bien que de l'estime

 

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et de la reconnaissance que j'en si témoignées, vous comprendrez combien ce fidèle retour auquel je vous exhorte est agréable au Très-Haut, et vous découvrirez les grands biens qu'une semblable correspondance renferme. Vous êtes, dans la maison du Seigneur, une pauvre pécheresse, une petite créature inconsistante comme la poussière; mais je veux néanmoins que vous vous chargiez dé rendre de continuelles actions de grâces au Verbe incarné pour l'amour qu'il a porté aux enfants d'Adam; pour a loi sainte, pure, efficace et parfaite qu'il leur a donnée pour leur remède, et spécialement pour l'institution du saint baptême, par l'efficace duquel ils sont délivrés de la tyrannie du démon et régénérés en enfants du Seigneur lui-même (1) par la grâce, qui les justifie et les aide à éviter le péché. Cette obligation est commune à tous, mais, comme les hommes semblent presque l'oublier, je vous la rappelle afin que vous tachiez, à mon imitation, d'être reconnaissante pour tous, comme si vous étiez la seule redevable, puisque vous l'êtes du moins pour d'autres faveurs singulières que vous avez reçues du Seigneur; car il vous a distinguée par ses libéralités au milieu de nombreuses générations : vous étiez présente à sa mémoire lors de l'établissement de sa loi évangélique et des sacrements, et l'objet de son amour quand il vous a appelée et choisie pour être fille de son Église, et pour vous y nourrir du fruit de son précieux sang.

 

(1) Joan., III, 5.

 

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984. Que si l'auteur de la grâce, mon très-saint Fils, pour fonder, comme un habile architecte, sa nouvelle Église et établir le sacrement du baptême comme la première base de cet édifice, s'humilia, pria et accomplit toute justice en reconnaissant l'infériorité de son humanité très-sainte; si, étant Dieu par la divinité, il ne dédaigna point de s'abaisser en tant qu'homme jusqu'au néant, dont son âme très-pure fut créée et l'être humain fut formé, combien ne devez-vous pas vous humilier, vous qui avez commis des péchés, et qui êtes plus méprisable que la poussière et que la cendre ! Avouez que de justice vous ne méritez que le châtiment, que le rebut et l'aversion de toutes les créatures, et qu'aucun des hommes qui ont offensé leur Créateur et leur Rédempteur ne peut dire avec vérité qu'on lui fait tort, quand même il souffrirait successivement toutes les peines et toutes les afflictions possibles. depuis le commencement jusqu'à la fin du monde; et puisque tous ont péché en Adam (1), avec quelle humilité ne doivent-ils pas souffrir, lorsque la main du Seigneur les touche par quelque tribulation (2) ! Et si vous enduriez toutes les peines des mortels avec une humble résignation; et qu'en outre vous exécutassiez parfaitement tout ce que je vous enseigne et vous ordonne, vous devriez toujours vous regarder comme une servante inutile (3). Or, combien vous faut-il vous humilier de tout votre coeur lorsque vous manquez à accomplir

 

(1) I Cor., XV, 22. — (2) Job., XIX, 21. — (3) Luc., XVII, 10.

 

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votre devoir, et que vous vous voyez si éloignée de rendre ce retour ! Que si je veux que vous le rendiez et pour vous et pour les autres, considérez bien votre obligation, et préparez votre coeur en vous humiliant jusqu'au néant, sans aucune résistance et sans même être satisfaite, jusqu'à ce que le Très-Haut vous reçoive pour sa fille et vous déclare pour telle en sa divine présence, et en sa jouissance éternelle dans la céleste et triomphante Jérusalem.

 
CHAPITRE XXV. Notre Rédempteur, après avoir été baptisé, s'en va au désert, où il s'exerce à de grandes victoires et à toutes sortes de vertus contre les vices. — Sa très-sainte Mère en a connaissance et l'imite parfaitement en tout.

 

985. Par le témoignage que la vérité souveraine rendit près du Jourdain à la divinité de notre Sauveur Jésus-Christ, sa personne et la doctrine qu'il devait prêcher furent en une si haute réputation, qu'il pouvait dès lors commencer à l'enseigner et à se faire connaître par elle, par ses miracles, par ses oeuvres et par la sainteté de sa vie, qui devaient confirmer cette même doctrine, afin que tous reconnussent en lui le Fils naturel du Père éternel, le  Messie Israël

 

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et le Sauveur du monde. Néanmoins le divin Maître de la sainteté ne voulut point commencer à prêcher ni se manifester comme notre Restaurateur qu'il n'eût auparavant triomphé de nos ennemis, le monde, le diable et la chair, afin de triompher ensuite de leurs continuelles séductions, de nous donner par les oeuvres de ses héroïques vertus les premières leçons de la vie chrétienne et spirituelle, et de nous enseigner à combattre et à vaincre au moyen de ses victoires. En effet, c'est lui qui le premier a terrassé ces ennemis communs, et a tellement affaibli leurs forces que notre fragilité n'a point à les craindre, à moins que nous rte trous livrions nous-mêmes entre leurs mains, et que nous ne leur rendions volontairement leur puissance. Et quoique sa Majesté fût, comme Dieu, infiniment supérieure au démon, et qu'exempte, comme l’homme, de tout défaut et de tout péché (1), elle possédât une suprême sainteté et un pouvoir absolu sur toutes les créatures, elle voulut pourtant, comme homme saint et juste, vaincre les vices et celui qui en était l'auteur, en offrant son humanité très-sainte au combat de la tentation, et en dissimulant dans la lutte la supériorité qu'elle avait sur les ennemis invisibles.

986. C'est par la retraite que notre Seigneur Jésus-Christ vainquit et nous apprit à vaincre; car bien que le monde laisse ordinairement ceux dont il n'a pas besoin pour ses fins terrestres, et qu'il ne coure pas après ceux qui ne le cherchent point, néanmoins ceux

 

(1) I Petr., II, 22.

 

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qui le méprisent véritablement doivent en détourner leurs affections, et témoigner leur mépris par leurs oeuvres en s'en éloignant autant qu'il leur sera possible. Sa Majesté vainquit aussi la chair, et nous enseigna à la vaincre par la pénitence d'un si long jeûne, par lequel elle affligea son corps très-innocent, quoiqu'elle n'eût point de répugnance pour le bien, ni de passions qui la portassent au mal. Elle vainquit aussi le démon par la doctrine et par la vérité, comme je le dirai dans la suite, parce que toutes les tentations de ce père du mensonge se présentent d'ordinaire déguisées et revêtues de charmes trompeurs. Que si notre Rédempteur ne voulut point prêcher ni se faire connaître au monde avant que d'avoir remporté ces victoires, ce fut pour nous prémunir contre le danger auquel nous exposons notre fragilité lorsque nous recevons les honneurs du monde, fût-ce pour des faveurs que nous avons reçues du ciel, sans être morts à nos passions et sans avoir vaincu nos ennemis communs; car si les applaudissements des hommes nous trouvent immortifiés, ardents et avec des ennemis domestiques au dedans de nous-mêmes, les dons du Seigneur ne seront pas en une grande sûreté, puisque ce vent de la vaine gloire du monde renverse quelquefois les plus hautes colonnes. Ce qui nous importe le plus, c'est de savoir que nous portons le trésor de nos âmes dans des vases fragiles (1), et que, quand Dieu voudra glorifier la vertu de son nom en

 

(1) II Cor., IV, 7.

 

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notre faiblesse, il saura bien trouver le moyen de l'affermir et de faire éclater ses oeuvres. Pour nous, nous n'avons qu'à nous tenir sur nos gardes et à prendre de prudentes précautions.

987. Notre divin Sauveur étant parti du Jourdain après avoir pris congé de son saint Précurseur, poursuivit son chemin sans se reposer jusqu'à ce qu'il frit arrivé au désert. Il n'était assisté et accompagné que des anges, qui le servaient comme leur roi et l'honoraient par des cantiques de louange, pour les oeuvres qu'il faisait en faveur, de la nature humaine. Il arriva enfin au lieu qu'il avait volontairement choisi (1), et qui était situé entre quelques rochers arides où se trouvait une grotte fort retirée, en laquelle il s'arrêta, la destinant pour sa demeure pendant tout le temps de son saint jeûne. Il se prosterna le visage contre terre avec une très-profonde humilité, et c'était ce que sa Majesté et sa bienheureuse Mère faisaient toujours avant de commencer leurs prières. Il glorifia le Père éternel et lui rendit des actions de grâces pour les oeuvres de sa divine droite, et de ce qu'il avait daigné lui ménager, suivant son bon plaisir, dans cette solitude, un endroit si propre à sa retraite; il remercia aussi en quelque sorte le désert même, par l'acceptation qu'il en fit, de ce qu'il l'avait accueilli pour le cacher aux yeux du monde tout le temps qu'il serait convenable. Sa Majesté continua son oraison les bras étendus en croix,

 

(1) Matth., IV, 1.

 

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et ce fut la plus ordinaire occupation qu'elle eut dans le désert; elle sollicitait du Père éternel le salut du genre humain, et en priant ainsi, elle suait parfois du sang, pour la raison que je dirai lorsque je parlerai de la prière du jardin.

988. Plusieurs bêtes sauvages qui étaient dans ce désert vinrent, par un instinct admirable, reconnaître leur Créateur, qui sortait quelquefois de sa grotte, et elles le lui témoignèrent par certains cris qu'elles jetaient et certains mouvements qu'elles faisaient autour de son adorable personne; mais les oiseaux s'acquittèrent de ce devoir d'une manière plus particulière , car il en vint une grande multitude auprès du Seigneur, et ils le fêtaient à leur façon, faisant éclater leur joie par divers chants harmonieux, et exprimant leur reconnaissance de la faveur qu'il leur accordait en demeurant au milieu d'eux dans ces lieux arides , qu'il sanctifierait par sa divine présence. Le Seigneur commença son jeûne, et ne prit aucune nourriture pendant les quarante jours qu'il dura; il l'offrit au l'ère éternel en réparation des désordres que les hommes commettraient par leur gourmandise, qui est un vice très-bas, et qui ne laisse pourtant pas d'être commun et même hautement honoré dans le monde; et comme notre Seigneur Jésus-Christ vainquit ce vice, il vainquit aussi tous les autres et répara les injures que le suprême Législateur et Juge souverain des hommes en recevait. Les lumières qui m'ont été communiquées m'apprennent que notre Sauveur voulant faire l'office de Prédicateur, de Maître, de

 

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Médiateur et de Rédempteur des hommes auprès du Père éternel, vainquit auparavant tous leurs vices et répara leurs péchés par la pratique des vertus si contraires au monde; et quoique ce fût l'occupation ordinaire de toute sa très-sainte vie, et l'exercice continuel de son ardente charité, néanmoins il appliqua spécialement à cette fin les oeuvres d'un prix infini qu'il ferait durant son jeûne dans le désert.

989. Comme un tendre Père dont les nombreux enfants ont tous commis de grands crimes, par lesquels ils méritent des punitions rigoureuses, offre tous les biens qu'il peut avoir afin de satisfaire pour eux, e t de les soustraire au châtiment qu'ils devaient subir; de même notre amoureux père et charitable frère Jésus-Christ pavait nos dettes, acquittait nos obligations, et plus spécialement il offrit pour notre orgueil sa très-profonde humilité, pour notre avarice sa pauvreté volontaire et le dénuement de tout ce qui lui appartenait, pour nos plaisirs criminels sa pénitente et ses austérités , pour nos colères et nos vengeances sa mansuétude et sa charité envers ses ennemis, pour notre paresse et notre lâcheté son active sollicitude, enfin pour nos faussetés et notre envie il offrit son admirable candeur, sa sincérité, sa véracité, la douceur de son amour et de sa conversation. C'est ainsi qu'il apaisait le juste Juge et sollicitait la grâce d'enfants que leur désobéissance avait exclus de la famille; et non-seulement il obtint leur pardon , mais il leur mérita de nouvelles faveurs, des dons et des secours extraordinaires, afin qu'ils pussent

 

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se rendre dignes de jouir éternellement de la vue de son Père et de la sienne, en la participation et en l'héritage de sa gloire. Et quoiqu'il eût pu obtenir tout cela par la moindre de ses actions , il ne se contenta point de ce que nous eussions fait, mais au contraire son surabondant amour nous prodigua ses bienfaits à un point tel, que si nous n'y répondions pas, notre ingratitude et notre dureté seraient sans excuse.

990. Pour donner connaissance de tout ce que le Sauveur opérait à l'égard de sa bienheureuse Mère, il faudrait avoir la divine lumière et les révélations continuelles qu'elle avait; mais elle y ajoutait dans sa tendre sollicitude les fréquents messages qu'elle chargeait les saints anges de porter à son très-saint Fils. Ce même Seigneur le disposait de la sorte, afin que lui et sa Mère connussent réciproquement et d'une manière sensible, par l'intermédiaire de ces fidèles ambassadeurs, les sentiments qu'ils formaient dans leur coeur, car ces esprits célestes les rapportaient à Marie avec les mêmes paroles qui sortaient de la bouche de Jésus pour elle, et à Jésus avec celles qui sortaient de la bouche de Marie pour lui, quoique le Fils et la Mère eussent déjà pénétré leurs sentiments mutuels par une autre voie. Aussitôt que notre grande Dame sut que le Rédempteur du mondé avait pris le chemin du désert, et qu'elle eut été informée de ses intentions, elle ferma les portes de sa maison, de sorte que personne ne put s'apercevoir qu'elle s y trouvât, et tel fut le secret de cette retraite, que ses voisins crurent qu'elle s'était absentée comme son

 

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très-saint Fils. Elle s'enferma dans son oratoire, où elle demeura quarante jours et quarante nuits sans en sortir et sans prendre aucune nourriture, voulant imiter ce qu'elle savait que son adorable Fils faisait; ainsi ils gardèrent tous deux la même rigueur de jeûne. Elle l'imita aussi en ses autres exercices, en ses prosternations, en ses prières, en ses génuflexions sans en omettre aucune, et ce qui est plus remarquable, c'est qu'elle pratiquait tout cela au même moment que le Seigneur, car pour être libre elle renonça à toutes-les occupations extérieures; et indépendamment des avis que les anges lui donnaient, elle savait ce que faisait son très-saint Fils, comme je l'ai marqué ailleurs, au moyen du privilège qui lui permettait de découvrir toutes les opérations de son âme; elle jouissait de ce privilège tant en son absence qu'en sa présence, et dans le premier cas elle connaissait par une vision intellectuelle ou par la révélation des anges les actions corporelles dont elle était témoin oculaire quand ils étaient réunis.

991. Pendant tout le temps qu'il passa dans le désert, notre Sauveur faisait par jour trois cents génuflexions et prosternations, et sa très-sainte Mère en faisait autant dans son oratoire, et elle employait ordinairement le temps qui lui restait à faire des cantiques avec les anges, comme je l'ai dit dans le chapitre précédent. Dans cette constante imitation de Jésus-Christ notre Seigneur, la divine Reine coopéra à toutes ses prières, à toutes ses impétrations; elle remporta les mêmes victoires sur tous les vices, et les

 

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répara de son côté par la pratique et les fruits des vertus les plus héroïques; de sorte que si Jésus-Christ comme Rédempteur nous mérita tant de biens, et paya nos dettes avec une condignité si absolue, la très-pure Marie, comme sa coadjutrice et notre Mère, employa sa miséricordieuse intercession auprès de cet adorable Seigneur , et fut notre médiatrice autant qu'une simple créature pouvait l'être.

 
Instruction que j'ai reçue de notre Dame la Reine du ciel.

 

992. Ma fille, les oeuvres pénibles du corps sont si propres et si conformes à la nature des mortels, que l'ignorance de cette vérité et de cette dette, l'oubli et le mépris de l'obligation qu'ils ont d'embrasser la croix , causent la perte d'un grand nombre d'à mes et en mettent beaucoup d'autres dans le même danger. La première raison pour laquelle les hommes doivent affliger et mortifier leur chair, c'est qu'ils tint été conçus dans le péché (1), et que par le péché toute la nature humaine a été corrompue; ses passions se sont révoltées contre la raison, elles ont été portées au mal et sont devenues hostiles à l'esprit, et quand on leur laisse suivre ce funeste penchant, elles entraînent

 

(1) Ps. L, 6; Rom., VII, 13.

 

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l'âme d'un vice dans un autre, et bientôt la précipitent dans un abîme de malheurs. Mais du moment où l'on dompte ce monstre, c'est-à-dire le péché, où on lui met le frein de la mortification et de la souffrance, il perd ses forces; la raison et la lumière de la vérité conservent leur empire. La seconde raison, c'est que parmi les mortels il n'y en a pas un seul qui n'ait offensé Dieu; que la peine doit indispensablement suivre le péché en cette vie ou en l'autre, et que l'âme et le corps ayant péché ensemble, doivent, suivant toutes les règles de la justice, être châtiés tous les deux; ainsi la douleur intérieure ne suffit pas, si par délicatesse on exempte le corps de la peine qui lui est due. En outre la dette des coupables est si énorme, la satisfaction qu'ils peuvent offrir est si bornée et si faible, sans qu'ils sachent jamais d'une manière certaine si elle est agréée par le souverain Juge, eussent-ils consacré leur vie entière à rendre cette satisfaction de plus en plus ample, qu'il y a bien lieu de travailler a l'augmenter jusqu'au dernier soupir.

993. Le Seigneur est si libéral et si clément envers les hommes, que s'ils veulent satisfaire pour leurs péchés par la pénitence, au moins le plus qu'ils peuvent, non-seulement sa divine Majesté se déclare satisfaite des offenses qu'elle en a reçues , mais elle a bien voulu encore s'obliger par sa parole à leur accorder de nouvelles grâces et des récompenses éternelles. Toutefois cette bonté ne dispense pas les serviteurs fidèles et prudents qui aiment véritablement leur Seigneur, de tâcher d'y ajouter d'autres oeuvres volontaires; car le

 

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débiteur qui ne projette que de payer ses dettes et de ne faire que ce qu'il doit, ne s'en trouvera pas moins pauvre et dénué de ressources, si après qu'il s'est libéré il ne lui reste rien. Or que doivent attendre ceux qui ne paient ni ne songent à payer leurs dettes? La troisième raison, qui doit le plus obliger les âmes, c'est l'exemple que leur a laissé le divin Naître; puisque cet adorable Seigneur et moi, tout exempts que nous étions du péché et des passions, nous nous sommes néanmoins sacrifiés au travail, sans cesser un seul instant de notre vie d'affliger et de mortifier notre chair; car il fallait que le Seigneur lui-même entrât par cette voie dans la gloire de son corps et de son nom (1), et que je le suivisse en tout. Or, si nous avons agi de la sorte, parce qu'il était convenable que nous le fissions, quel sujet ont les hommes de chercher une autre voie, de mener une vie douce, agréable, molle et voluptueuse, et de fuir avec horreur les peines, les affronts, les ignominies, les jeûnes et les mortifications? Croient-ils que les souffrances ne soient que pour Jésus-Christ mon très-saint Fils et pour moi, et que les coupables, les débiteurs et ceux qui méritent les peines doivent demeurer sans rien faire, se livrer aux honteux désordres de la chair, et consacrer à la poursuite des plaisirs et au commerce du démon qui les procure, les facultés qu'ils out reçues pour les employer au service de Jésus-Christ mon Seigneur et pour suivre son exemple? Cette absurdité si commune

 

(1) Luc., XXIV, 25.

 

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parmi les enfants d'Adam provoque au plus haut point la colère du juste Juge.

994. Il est constant, ma fille, que les peines et les afflictions de mon très-saint Fils ont suppléé à l’insuffisance des mérites des hommes, et afin que je coopérasse avec lui, simple créature que j'étais, mais tenant la place de toutes les autres, il ordonna que je m'associasse par une imitation parfaite à ses peines et à ses exercices. Ce ne fut pas néanmoins pour exempter les hommes de la pénitence, mais plutôt pour les animer à l'embrasser, puisque, s'il n'eût cherché qu'à satisfaire pour eux, il n'était pas nécessaire qu'il souffrit tout ce qu'il a souffert. Il voulut aussi, dans son amour à la fois paternel et fraternel, communiquer le prix de ses mérites aux oeuvres et aux pénitences de ceux qui le suivraient; car toutes les actions des mortels ne peuvent avoir une certaine valeur aux yeux de Dieu que par leur participation, leur assimilation à celles que mon très-saint Fils a faites. Et si cela est vrai pour les oeuvres entièrement vertueuses et parfaites, que sera-ce de celles que pratiquent d'ordinaire les enfants d'Adam, et qui, quoique servant de matière aux différentes vertus, sont si défectueuses, puisque les âmes les plus justes et les plus avancées dans la spiritualité trouvent elles-mêmes beaucoup de choses à corriger en leurs oeuvres? Jésus-Christ mon Seigneur a par les siennes suppléé à tous ces manquements et rempli tous ces vides, afin de rendre celles des hommes acceptables au Père éternel; mais ceux qui, loin de faire quelques oeuvres, restent les bras

 

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croisés dans une lâche oisiveté, ne sauraient s'appliquer celles de leur Rédempteur; puisqu'il ne trouve rien à suppléer ni à perfectionner en eux, mais mille choses à condamner. Je ne vous dis rien maintenant, ma fille, de l'erreur détestable de quelques fidèles qui ont introduit la vanité et (ostentation jusque dans les pratiques de pénitence, de sorte qu'ils méritent un plus grand châtiment par leur pénitence même que par leurs autres péchés, puisqu'ils joignent des fins terrestres, vaines et imparfaites aux oeuvres pénibles, oubliant les fins surnaturelles, qui sont celles qui donnent le mérite à la pénitence et la vie de la grâce à l'âme. Je vous parlerai de cela dans une autre occasion s'il est nécessaire; en attendant songez à déplorer cet aveuglement, et préparez-vous à travailler et à souffrir; car quand il vous faudrait endurer toutes les souffrances des apôtres, des martyrs et des confesseurs, vous ne devriez pas hésiter. Apprenez par cette instruction à châtier toujours votre corps, et à croire que vous n'aurez jamais assez fait, et qu'il vous restera toujours quelque chose à payer, d'autant plus que la vie est si courte et que vous êtes naturellement si insolvable.

 
CHAPITRE XXVI. Notre Sauveur Jésus-Christ, à la fin de son jeûne, permet à Lucifer de le tenter. — Sa Majesté sort victorieuse de la tentation. — Sa très-sainte Mère est informée de tout ce qui se passe.

 

995. J'ai dit su chapitre vingtième de ce livre que Lucifer sortit des antres infernaux pour chercher notre divin Maître avec intention de le tenter, et que sa Majesté se déroba à ses regards jusqu'à ce qu'elle fût arrivée au désert, où, après un jeûne de près de quarante jours, elle permit au tentateur de s'en approcher, comme le rapporte l'Évangile (1). 1J entra dans le désert, et, ayant trouvé tout seul celui qu'il cherchait, il se félicita vivement de ne point voir à ses cotés sa très-sainte Mère, que ce prince des ténèbres et ses ministres appelaient leur ennemie, à cause des victoires quelle remportait sur eux; et comme ils n'avaient point encore lutté contre notre Sauveur, ils présumaient, dans leur orgueil, qu'en l'absence de la Mère ils triompheraient infailliblement du Fils. Toutefois, ayant observé de près leur adversaire, ils se sentirent tous saisis d'une grande crainte : non qu'ils

 

(1) Matth., IV, 2.

 

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le reconnussent pour Dieu véritable; l'aspect de sa bassesse suffisait pour détourner tous leurs soupçons à cet égard, et, s'ils avaient essayé leurs forces coutre notre divine Dame, ils ne s'étaient point encore mesurés avec lui; mais ils remarquèrent chez le Sauveur une si grande sérénité, un air si majestueux, des oeuvres si parfaites et si sublimes, qu'ils en prirent l'épouvanté : car ses actions et ses qualités n'avaient rien de commun avec celles des autres hommes, qu'ils tentaient et vainquaient sans peine. Lucifer s'entretenant sur ce sujet avec ses ministres, leur dit : « Quel homme est-ce que celui qui se montre si supérieur aux vices que nous faisons prévaloir chez les autres? S'il a un si grand mépris pour le monde, et s'il mortifie et dompte son corps avec tant de rigueur, comment pourrons-nous le tenter? Ou comment en serons-nous victorieux, s'il nous a ôté les armes avec lesquelles nous faisons la, guerre aux hommes? Je doute fort du succès de ce combat. » On peut voir par là combien la mortification de la chair et le mépris des choses terrestres sont importants, puisqu'ils causent de la terreur à tout l'enfer; et il est certain que les ennemis du genre humain rabattraient singulièrement de leur orgueil s'ils ne trouvaient les hommes soumis à l'empire tyrannique de leurs passions, lorsqu'ils s'en approchent pour les tenter.

996. Notre Sauveur Jésus-Christ laissa Lucifer dans l'erreur qui le lui faisait considérer comme un simple homme, quoique fort juste et fort saint, afin qu’il redoublât ses efforts et sa rage dans le combat, comme

 

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quand il se sent quelques avantages sur ceux qu'il veut tenter. Le Dragon s'étant armé de toute sa présomption et ayant ramassé toutes ses forces, le désert vit commencer ce grand combat, si rude et si acharné, qu'on n'en a vu et qu'on n'en verra jamais un semblable dans le monde entre les hommes et les démons; car Lucifer et ses satellites, excités par leur propre fureur, épuisèrent toutes leurs ruses et déployèrent toute leur puissance contre la vertu supérieure qu'ils reconnaissaient en notre Seigneur Jésus-Christ, quoique sa Majesté suprême modérât ses actions avec une sagesse et avec une bonté incomparables, et cachât suivant une juste mesure la cause première de son pouvoir infini, n'empruntant qu'à sa sainteté en tant qu'homme les forces nécessaires pour remporter la victoire sur ses ennemis. Il s'avança en cette qualité au combat, et fit d'abord une prière au Père éternel en la partie supérieure de l'esprit, où ne porte point la vue des démons, s'adressant en ces termes à sa Majesté : « Mon Père, Dieu éternel, je vais combattre  contre mon ennemi pour détruire ses forces et pour  abattre son orgueil, qu'il élève contre vous et contre  les âmes qui me sont si chères : je veux, pour votre  gloire et pour leur propre bien, souffrir la témérité  de Lucifer et lui briser la tête, afin que, quand les  mortels en seront tentés, ils le trouvent vaincu  d'avance, s'ils ne se livrent volontairement à lui. Je vous supplie, mon Père, de vous souvenir de  mon combat et de ma victoire, quand les hommes  seront attaqués par l'ennemi commun, et de les

 

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secourir dans leur faiblesse, afin qu'ils obtiennent  à leur tour le triomphe que je leur procure par le mien; qu'ils s'animent par mon exemple, et qu'ils  apprennent la manière de résister à leurs ennemis  et de les vaincre. »

997. Les saints anges assistaient à ce combat, témoins rendus invisibles à Lucifer par la volonté divine, pour que leur présence ne lui fit point soupçonner le pouvoir divin de notre Seigneur Jésus-Christ; et ils offraient tous ensemble des hymnes de gloire et de louange au Père et au Saint-Esprit, qui se complaisaient aux oeuvres admirables du Verbe incarné; et l'auguste Marie, dans son oratoire, contemplait aussi ce spectacle, comme je le dirai bientôt. La tentation commença le trente-cinquième jour du jeûne et de la solitude de notre Sauveur, et dura jusqu'à ce que les quarante jours que l'Évangile marque fussent accomplis. Lucifer se présenta sous une forme humaine ; comme si Jésus-Christ ne l'eût ni vu ni connu auparavant; et pour réussir en son dessein, il se transforma 'et prit les dehors resplendissants d'un ange de lumière, et, ne doutant pas que le Seigneur n'eût faim après un si long jeûne, il lui dit en le regardant : Si vous êtes le Fils de Dieu, ordonnez que ces pierres se changent en pain (1). Il supposa la qualité de Fils de Dieu, parce que la crainte qu'il pût l’être était ce qui causait son plus grand souci, et qu'il cherchait des indices propres à le lui faire reconnaître. Mais le Sauveur

 

(1) Matth., IV, 3.

 

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du monde ne lui répondit que par ces mots : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (1). Le Sauveur prit cette réponse du chapitre huitième du Deutéronome (2). Mais le démon n'en pénétra pas le sens; car cet esprit des ténèbres entendit que Dieu pouvait fans aucun aliment corporel entretenir la vie de l'homme. Cela était vrai, et les paroles de notre divin Maître avaient bien cette signification : toutefois elles renfermaient encore un autre sens plus relevé, et elles voulaient dire : Cet homme avec qui tu parles vit en la parole de Dieu; qui est le Verbe divin, auquel il est uni hypostatiquement; et quoique ce fût précisément ce que le démon désirait savoir, il ne mérita pas de le comprendre, parée qu'il avait d'avance refusé d'adorer le Dieu-Homme.

998. Lucifer fut confondu par la force de cette réponse et par, la vertu secrète qu'elle renfermait; mais-il ne voulut point témoigner de faiblesse ni quitter le combat. Et le Seigneur permit qu'il le continuât et qu'il le transportât lui-même à Jérusalem, et qu'il le mit sur le. pinacle du Temple, d'où l'on découvrait un grand nombre de personnes sans que cet adorable Seigneur fût aperçu d'aucune. Le démon chercha à flatter son imagination de la pensée que si on le voyait tomber de si haut sans recevoir aucun mal, on l'acclamerait comme un grand, prodigieux et saint personnage, et, recourant aussi à l'Écriture, il lui

 

(1) Matth., IV, 4. —(2) Deut., VIII, 3.

 

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dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas; car il est écrit que Dieu a commandé à ses anges de prendre soin de vous, et qu'ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre (1). Les esprits célestes escortaient leur Roi, et s'étonnaient de la permission qu'il donnait à Lucifer de le porter corporellement pour le seul profit qui en devait résulter aux hommes. Le prince des ténèbres fut suivi en cette occasion d'une multitude innombrable de démons; car ce jour-là ils sortirent presque tous de l'enfer pour assister à cette entreprise. L'Auteur de la sagesse répondit: Il est écrit aussi : Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu (2). Notre aimable Rédempteur prononça ces paroles avec une douceur incomparable, avec la plus profonde humilité, et en même temps avec une noble fermeté et une majesté si accablante pour l'indomptable orgueil de Lucifer, que cet esprit rebelle fut tout troublé de ce calme inaltérable, et y trouva le motif de nouveaux tourments.

999. Il essaya d'un autre artifice pour attaquer le Seigneur de l'univers, et ne désespéra point d'exciter son ambition en lui promettant une partie de son domaine; à cet effet il le transporta sur une haute montagne, d'où l'on découvrait une immense étendue de pays, et il lui dit avec autant de témérité que de perfidie: Je vous donnerai tout ce que vous voyez, si vous

 

(1) Matth., IV, 5 ; Ps., XCVI, 11. — (2) Matth., IV, 7 ; Deut., VI, 16.

 

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vous prosternez devant moi pour m'adorer (1) Excessive arrogance, odieuse hypocrisie d'un stupide menteur ! qui lui faisaient promettre ce qu'il n'avait point, ce qu'il ne pouvait point donner, puisque les cieux, la terre, les royaumes et les trésors, tout appartient au Seigneur, qui distribue et ôte les empires et les richesses à qui il lui plait, et selon qu'il le juge convenable. Lucifer n'a jamais pu offrir aucun bien qui lui appartint, même parmi les biens terrestres, et c'est pour cela que toutes ses promesses sont fausses. Le souverain Roi répondit d'un ton impérieux à celle qu'il venait de lui faire : Retire-toi, Satan; car il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul (2). Par ces paroles, Retire-toi, Satan, que Jésus-Christ proféra, il ôta au démon la permission qu'il lui avait donnée de le tenter, et, se servant de son irrésistible empire, il le précipita avec tous ses ministres d'iniquité au fond des gouffres infernaux, où ils demeurèrent comme enchaînés l'espace de trois jours sans pouvoir remuer. Et quand il leur fut permis de se relever, ils se sentirent tellement affaiblis, tellement brisés, qu'ils commencèrent à soupçonner que celui qui les avait terrassés et vaincus était peut-être le Verbe incarné. Ils continuèrent ù être ballottés par des doutes contraires, sans parvenir h discerner la vérité, jusqu'à la mort du Sauveur. Mais Lucifer, désespéré de la mauvaise issue de son entreprise, se consumait de sa propre fureur. .

 

(1) Matth., IV, 9. — (9) Ibid., 10; Deut., VI, 13.

 

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1000. Notre divin vainqueur Jésus-Christ loua et glorifia le Père éternel de la victoire qu'il lui avait donnée sur l'ennemi commun du genre humain; et il fut replacé dans le désert par une grande multitude d'esprits célestes, qui célébraient son triomphe par de doux cantiques. Ils le portaient alors dans leurs mains, quoiqu'il n'en eût pas besoin, pouvant user de sa propre vertu; mais ce service des saints anges lui était dû, comme en réparation de la téméraire audace que Lucifer avait eue de transporter sur le pinacle du Temple et sur la montagne cette très-sainte humanité, en laquelle la Divinité se trouvait substantiellement. On n'aurait jamais pu croire que notre Seigneur Jésus-Christ eût donné une telle permission su démon, si l'Évangile ne l'eût dit. Mais que faut-il admirer le plus, ou de ce qu'il ait permis à Lucifer, qui ne le connaissait point, de le porter en ces divers endroits, ou de ce qu'il se soit laissé vendre par Judas, et laissé recevoir dans l'adorable sacrement de l'Eucharistie par ce disciple infidèle et par tant de pécheurs qui, le connaissant pour leur Dieu, le reçoivent si indignement? Assurément, l'un et l'autre doivent nous surprendre, d'autant plus qu'il le permet encore pour notre bien et pour nous attirer à lui par la bénignité et la patience de son amour. O mon divin Maître, que vous êtes doux, clément et miséricordieux envers les âmes (1) ! Votre amour vous a fait descendre du ciel sur la terre pour elles; vous avez souffert et avez

 

(1) Joël., II, 13.

 

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donné votre vie pour leur salut. Vous les attendez et les supportez avec miséricorde; vous les appelez, voua les cherchez, vous les accueillez, vous entrez dans leur sein avec une bonté ineffable; vous êtes tout à elles, et vous voulez qu'elles soient entièrement à vous. Ce qui me brise le coeur, c'est que, nous attirant par tant de liens amoureux, nous vous fuyions, c'est que nous répondions par des ingratitudes à de si grandes tendresses. O amour immense de mon doux Seigneur, que vous êtes méconnu et mal payé de retour! Donnez, Seigneur, des larmes à mes yeux pour pleurer un malheur si lamentable, et faites que tous les justes de la terre le pleurent avec moi. Notre aimable Sauveur ayant été remis dans le désert, l'Évangile dit que les anges le servaient (1). En effet, à la fin de ces tentations et de son jeûne, ils lui présentèrent à manger un aliment céleste qu'il prit; et, par cette divine nourriture, 'son corps sacré recouvra de nouvelles forces naturelles; et non-seulement les saints anges l'assistèrent et le félicitèrent de ses victoires, mais les oiseaux de ce désert vinrent aussi récréer leur Créateur incarné par la grâce de leur chant et de leur vol, et les bêtes sauvages, perdant toute leur férocité, s'empressèrent à leur tour de venir reconnaître leur Seigneur.

1001. Revenons à Nazareth, où la Reine des anges considérait de son oratoire les combats de son très-saint Fils, qu'elle voyait par la lumière divine, comme

 

(1) Matth., IV, 11.

 

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je l'ai expliqué; elle ne cessait d'ailleurs de recevoir les messages des anges de sa garde, qui allaient de sa part visiter le Sauveur du monde. La divine Dame fit les mêmes prières que son Fils au moment où la tentation commença, et elle combattit avec lui contre le Dragon, quoique d'une manière invisible et seulement en esprit; de sorte qu'elle vainquit Lucifer et ses ministres sans sortir de sa retraite, coopérant en notre faveur à toutes les actions de notre Seigneur Jésus-Christ. Quand elle sut que le démon transportait le Seigneur d'un lieu à un autre, elle pleura amèrement de ce que le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs fût réduit par la malice du péché à lui laisser prendre une pareille liberté; et à chaque victoire que le Sauveur remportait sur le démon , elle offrit à lit Divinité et à la très-sainte humanité de nouveaux cantiques de louange que les anges répétaient pour exalter le Seigneur. Ce fut encore par l'entremise des ambassadeurs célestes qu'elle le félicita de ses triomphes et des bienfaits qui en résulteraient pour tout le genre humain, et que, de son côté, le Seigneur la consola et la félicita de ce qu'elle avait fait contre Lucifer en se conformant et en s'associant aux actes de sa divine Majesté.

1002. Compagne fidèle des peines et du jeûne, il était juste que notre auguste Princesse participât aux consolations; c'est pour cela que son très-amoureux Fils chargea les anges de lui porter et de lui servir des mêmes mets qu'ils lui avaient offerts. Et, chose merveilleuse! cette grande multitude d'oiseaux qui entouraient

 

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le Seigneur suivit à tire-d'aile tes anges à Nazareth, quoique d'un vol moins rapide; elle entra dans la maison de la puissante Reine du ciel et de la terre, et, pendant qu'elle prenait la nourriture que son très-saint Fils lui avait envoyée par les anges, tous ces oiseaux se présentèrent à elle et la réjouirent par les mêmes ramages qu'ils avaient fait entendre en la présence du Sauveur. Elle mangea de cet aliment céleste, d'autant plus salutaire qu'il venait bénit des mains de Jésus-Christ, et elle se sentit à l'instant toute réconfortée et remise des effets d'un jeûne si long et si rigoureux. Elle rendit des actions de grâces au Tout-Puissant avec la plus profonde humilité; et les actes héroïques des vertus qu'elle pratiqua pendant le jeûne et les combats de Jésus-Christ furent si sublimes et si nombreux, qu'il n'est pas possible de les raconter ni même de les concevoir : nous les connaîtrons en Dieu quand nous le verrons, et alors nous lui rendrons honneur et gloire pour tant de grâces ineffables qu'il a daigné faire à tout le genre humain.

 
Doute que  j’exposai à la Reine du ciel.

 

1003. Reine et Maîtresse de l'univers, votre bonté incomparable m'enhardit à vous exposer, comme à la Mère de la Sagesse, un doute qui me vient à propos de ce que vous m'avez découvert en ce chapitre et en quelques autres, sur la qualité de cette nourriture

 

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céleste que les saints anges offrirent à notre Sauveur dans le désert; je m'imagine que celle-ci n'était pas différente des autres, qu'ils servirent à sa Majesté et à vous en certaines occasions où, par une disposition spéciale du même Seigneur, vous manquiez de l'aliment commun des mortels, comme je l'ai rapporté, selon les lumières dont vous m'avez éclairée. J'ai appelé ce manger un aliment céleste, parce que je n'ai pas trouvé d'autres termes pour m'expliquer, et je ne sais s'ils sont propres , car j'ignore d'où venait cette nourriture et quelle en était la qualité; je ne crois pas d'ailleurs qu'il y en ait dans le ciel pour nourrir les corps, puisqu'ils n'auront besoin d'aucun aliment terrestre pour y vivre. Et quoique les organes physiques des bienheureux aient quelque objet délectable et sensible, et que le goût participe à cette satisfaction comme les autres sens, je suppose que cela doit se faire, non par le moyen d'aucune nourriture, mais par un certain rejaillissement de la gloire de l'âme, à laquelle le corps et les sens participeront d'une manière admirable , chacun selon ses fonctions et ses aptitudes naturelles, sans cette imperfection et sans cette sensibilité obtuse, qui dans la vie mortelle paralysent les organes, gênent leurs opérations et altèrent les impressions des objets. Pauvre ignorante que je suis, je désire viveement que votre bonté maternelle m'éclaircisse là-dessus.

 
Réponse et instruction de notre auguste Maîtresse.

 

1004. Ma fille, votre doute est fondé, parce qu'il est certain que, comme vous l'avez déclaré, il n'y a aucun aliment matériel dans le ciel; mais cela n'empêche pas que la nourriture que les anges présentèrent à mon très-saint Fils et à moi dans la circonstance que vous avez indiquée, soit appelée fort à propos un aliment céleste, et je vous ai inspiré ce terme pour que vous l'employassiez, parce que la vertu de cet aliment venait du ciel et non point de la terre, où tout est grossier, matériel et fort inefficace. Et afin que vous en connaissiez la nature, et la manière dont la divine Providence le forme, vous devez savoir que quand le Très-Haut daignait dans sa bonté nous nourrir lui-même, et suppléer aux autres aliments ordinaires par celui qu'il nous envoyait miraculeusement par les saints anges, il se servait de quelque chose de matériel, et le plus souvent d'eau , à cause de la clarté et de la simplicité de cet élément, car pour ces sortes de miracles le Seigneur ne se sert point d'ingrédients. multiples. D'autres fois il nous envoyait du pain et quelques fruits; mais il donnait, par sa puissance divine, à la moindre de ces choses, une vertu toute particulière et une faveur si délicieuse , qu'elle surpassait infiniment tout ce que la terre offre de plus exquis et de plus délicat; on n'y saurait même rien trouver qui ne fût insipide en comparaison de cette

 

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nourriture céleste; les exemples suivants vous en donneront une plus juste idée. Le premier c'est le pain cuit sous la cendre que le Seigneur procura à Élie, et qui avait une telle vertu, qu'il lui donna des forces pour marcher jusqu à la montagne d'Oreb (1). Le second c'est la manne, qui s'appelle le pain des anges (2), parce qu'ils la préparaient en coagulant la vapeur de la terre, et ainsi condensée, puis séparée en forme de grains, ils la répandaient sur le sol; elle avait différentes saveurs, ainsi que l'Écriture le rapporte, et en outre des qualités merveilleuses pour nourrir et fortifier le corps (3). Le troisième exemple c'est le miracle que fit aux noces de Cana mon très-saint Fils, changeant l'eau en vin, et donnant à ce vin un goût si excellent et si relevé, que tous ceux qui en burent le remarquèrent avec admiration (4).

1005. C'est ainsi que la puissance divine donnait une vertu et une saveur surnaturelles à l'eau, ou bien la changeait en une autre liqueur très-douce et trèsdélicate; elle communiquait la même vertu au pain et au fruit, et semblait jusqu'à un certain point les spiritualiser; cet aliment céleste nourrissait le corps, satisfaisait le sens, et réparait les force.% d'une manière admirable, de sorte que la faiblesse humaine sen trouvait toute fortifiée, toute allégée, et savait se porter aux rouvres pénibles avec une nouvelle promptitude, sans aucun dégoût ni aucune pesanteur

 

(1) III Reg., XIX, 6. — (2) Ps. LXXVII, 29. — (3) Exod., XVI, 14 ; Num., XI, 7 ; Sap., XVI, 20 et 21. — (4) Joan., II, 10.

 

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physique. Telles étaient les qualités que réunissait la nourriture que les anges nous servirent à mon très-saint Fils et à moi après notre long et pénible jeûne; aussi bien que celle que nous reçùmes en d'autres occasions avec mon époux Joseph (car il participait à cette faveur), et le Très-Haut a exercé la même libéralité envers plusieurs de ses amis et serviteurs; mais moins fréquemment et avec moins de circonstances miraculeuses qu'envers nous. Voilà, ma fille, la réponse à votre doute. Soyez maintenant attentive à l'instruction qui ressort de ce chapitre.

1006. Afin que vous pénétriez mieux ce que vous y avez écrit, je veux que vous considériez les trois motifs qu'a eus mon très-saint Fils, entre plusieurs autres, pour combattre contre Lucifer et ses ministres infernaux, car cette connaissance vous donnera une plus grande lumière et augmentera vos forces pour leur résister. Or le premier motif fut de détruire le péché et l'ivraie qu'en faisant tomber Adam, cet ennemi sema en la nature humaine par les sept péchés capitaux, l'orgueil, l'avarice, la luxure et les autres, qui sont les sept têtes de ce dragon. Et comme Lucifer destina à chacun de ces péchés un démon qui fût comme le chef de ses compagnons d'iniquité dans la guerre qu'ils feraient aux hommes, avec des armes propres à leur légion, qui les leur distribuât, qui en réglât l'emploi au moment de la tentation, et qui fit mettre par ces ennemis, dans les combats qu'ils livreraient aux mortels, cet ordre confus que vous avez signalé dans la première partie de cette histoire

 

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divine; ainsi mon très-saint Fils combattit contre tous ces princes des ténèbres , les vainquit et brisa toutes leurs forces par le pouvoir de ses vertus. L'Évangile ne fait mention que de trois tentations, parce quelles furent les plus manifestes ; mais les combats et les victoires de mon adorable Fils s'étendirent plus loin. Car il vainquit tous ces démons aussi bien que tous les péchés dont ils étaient les chefs : l'orgueil par son humilité, la colère par sa douceur, l'avarice par le mépris des richesses, et de même tous les autres. Ces esprits rebelles se sentirent surtout abattus et découragés, lorsque au pied de la croix ils reconnurent avec certitude que Celui qui les avait -vaincus était le Verbe incarné. Dès lors ils appréhendèrent beaucoup (comme vous le direz dans la suite) d'attaquer les hommes, qui pourraient assurément remporter de grands avantages sur les ennemis de leur salut, s'ils profitaient des victoires de mon très-saint Fils.

1007. Le second motif de son combat fut d'obéir au Père éternel, qui lui ordonna non-seulement de mourir pour les hommes et de les racheter par sa passion et par sa mort, mais aussi de soutenir cette lutte contre les démons, et de les vaincre par la force spirituelle de ses vertus incomparables. Le troisième, qui est comme une conséquence des deux autres, fut de donner aux hommes l'exemple, et de leur enseigner le secret de triompher de leurs ennemis, afin qu'aucun mortel ne soit surpris d'en être tenté et persécuté, et que tous aient cette consolation dans leurs tentations, de voir que leur Rédempteur les a

 

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essuyées le premier (1). Sans doute, les siennes furent sous certains rapports différentes, mais au fond elles furent les mêmes, et avec plus de violence et de malice du côté de Satan. Jésus-Christ, mon Seigneur, permit que Lucifer et ses partisans déployassent toute leur fureur et toutes leurs forces contre sa Majesté, . afin de les abattre par sa divine puissance et de les rendre plus faibles quand ils attaqueraient les hommes, et que ces mêmes hommes les vainquissent avec plus de facilité s'ils profitaient du bienfait de leur Rédempteur.

1008. Tous les mortels ont besoin de ces leçons s'ils veulent vaincre le démon; mais vous, ma fille, vous en avez plus besoin qu'une foule de générations entières, parce que ce dragon est fort irrité contre vous, et que vous êtes naturellement incapable de lui résister si vous ne vous prévalez de mes instructions et de l'exemple de mon très-saint Fils. Il faut avant tout vaincre le monde et la chair, celle-ci en la mortifiant avec une prudente rigueur, celui-là en le fuyant et en vous retirant dans le secret de votre intérieur; vous surmonterez ces deux ennemis si vous ne sortez point de cette sage retraite, si vous ne négligez point les faveurs et les lumières que vous y recevez, et, si vous n'aimez aucune chose visible qu'autant que la charité bien ordonnée vous le permettra. Je vous en renouvelle le souvenir et le commandement que je vous ai fait plusieurs fois, car le

 

(1) Hebr., IV, 15.

 

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Seigneur vous a donné un naturel qui ne se contente pas d'aimer médiocrement; et nous voulons que cette faculté d'aimer soit toute consacrée à notre amour, et afin de n'y trouver aucun obstacle, vous devez ne pas consentir au moindre mouvement de vos appétits, ni permettre à vos sens le moindre exercice, si ce n'est pour la gloire du Très-Haut et pour faire ou souffrir quelque chose en vue de son amour et du bien de votre prochain. Si vous m'obéissez en tout, je veillerai à ce que vous soyez fortifiée comme une citadelle, afin que vous combattiez généreusement pour le Seigneur (1) contre ce cruel dragon; et vous serez environnée de mille boucliers (2), à l'abri desquels vous pourrez repousser et poursuivre votre adversaire. Mais vous vous souviendrez de vous prévaloir toujours contre lui des paroles sacrées et de l'Écriture sainte, sans vous amuser à de longs raisonnements avec un ennemi si rusé, car de faibles créatures ne doivent point entamer de conférences ni entrer en pourparlers avec leur mortel ennemi, avec le maître des mensonges, puisque mon très-saint Fils, qui avait une puissance et une sagesse infinies, ne l'a pas fait, afin que les âmes apprissent par son exemple à user de circonspection vis-à-vis du démon. Armez-vous d'une foi vive, d'une ferme espérance, d'une charité ardente accompagnée d'une profonde humilité; ce sont ces vertus-là qui renversent le dragon ; loin d'oser leur tenir tête, il prend devant elles la fuite,

 

(1) I Reg., XXIV, 28. — (1) Cant., IV, 4

 

parce qu'elles valent de puissantes armées pour abattre sa superbe arrogance.

 
CHAPITRE XXVII. Notre Rédempteur Jésus-Christ sort du désert, s'en retourne auprès de saint Jean, et s'occupe dans la Judée à disposer le peuple jusqu'à la vocation des premiers disciples. — L'auguste Marie connaissait et imitait les oeuvres de son très-saint Fils.

 

1009. Notre Sauveur Jésus-Christ ayant atteint les fins sublimes et mystérieuses de son jeûne et de sa solitude dans le désert par les victoires qu'il remporta sur le démon et sur tous les vices, résolut d'en sortir pour continuer les oeuvres de la rédemption des hommes que son Père éternel lui avait recommandées. Mais avant d'exécuter son dessein, il se prosterna et glorifia son Père , lui rendant des actions de grâces pour tout ce qu'il avait opéré par l'humanité sainte pour la gloire de la Divinité et pour le bien du genre humain. Il fit ensuite une très-fervente prière pour ceux qui à son imitation se retireraient, soit pour toute leur vie, soit pour quelque temps, dans des lieux solitaires, pour suivre ses traces et s'appliquer à la contemplation et aux saints exercices loin du monde et de ses embarras. Le Très-

 

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Haut lui promit de les favoriser, de leur dire au coeur des paroles de vie éternelle (1), et de les prévenir de grâces singulières et de douces bénédictions (2), s'ils se disposaient de leur côté à les recevoir et à y correspondre. Après cela, il demanda comme homme véritable, au Père éternel, la permission de sortir du désert, et assisté de saints anges il en sortit.

1010. Notre divin Maître prit le chemin du Jourdain, où son grand précurseur continuait de baptiser et de prêcher, afin qu'en le voyant le saint rendit un nouveau témoignage de sa divinité et de son ministère de Rédempteur. Le Seigneur eut aussi égard à l'affection du fils d'Élisabeth, qui souhaitait de jouir encore de sa présence et de ses entretiens. Car du moment où le saint précurseur avait vu pour la première fois le Sauveur, lors de son baptême, son coeur était resté tout enflammé et subjugué par cette secrète et divine force qui attirait toute chose au Christ; seulement elle excitait un plus vif amour dans les cours qui se trouvaient mieux disposés, comme l'était celui de saint Jean. Le Sauveur arriva en présence de Baptiste (ce fut la seconde fois qu'ils se virent), et à l'instant où le Seigneur sen approchait, les premières paroles que prononça le précurseur furent celles que rapporte l'évangéliste : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi : Voilà l'Agneau de Dieu, voilà celui qui ôte les péchés du monde (3).

 

(1) Os., II, 14. — (2) Ps., XX, 6. — (3) Joan., I, 39.

 

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Saint Jean rendit ce témoignage en montrant notre Seigneur Jésus-Christ, et s'adressant aux personnes qui étaient près de lui pour recevoir le baptême et pour ouïr sa prédication, il ajouta : C'est celui dont j'ai dit : Il vient un homme après moi qui a été élevé au-dessus de moi, parce qu'il était avant moi, et je ne le connaissais point; mais c'est afin qu'il fut connu que je suis venu baptiser dans l'eau (1).

1011. Le saint Précurseur dit ces paroles, parce qu'avant que notre Seigneur Jésus-Christ vint à lui pour recevoir le baptême il ne l'avait pas vu, et il n'avait pas encore eu non plus la révélation de son arrivée, telle qu'il l'eut alors, comme je l'ai marqué au chap. XXIVe de ce livre. Ensuite le saint ajouta qu'il avait vu le saint Esprit descendre sur le Sauveur pendant qu'il le baptisait (2), et qu'il avait rendu témoigna;e à la vérité en disant que le Christ était le Fils de Dieu. Car pendant que le Seigneur se trouvait au désert, les Juifs envoyèrent de Jérusalem quelques lévites au saint Précurseur, comme le raconte saint Jean (3), pour savoir de lui qui il était, et le reste, que cet évangéliste rapporte. Alors Baptiste répondit qu'il baptisait dans l'eau, trais qu'il y en avait au milieu d'eux un qu'ils ne connaissaient point (en effet, le Seigneur s'était mêlé à la foule sur les bords du Jourdain); que celui-là venait après lui, et qu'il n'était pas digne de délier les courroies de sa chaussure. De sorte que quand notre Sauveur sortant du désert alla

 

(1) Joan., I, 30. — (2) Ibid.. 32. —- (3) Ibid., 19, etc.

 

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voir une seconde fois son Précurseur, le saint l'appela Agneau de Dieu , et rendit le même témoignage qu'il avait rendu aux.pharisiens peu de temps auparavant; il dit en outre qu'il avait vu le Saint-Esprit sur sa tète, comme il lui avait été révélé qu'il le verrait. Saint Matthieu et saint Luc ajoutent (1) qu'on entendit la voix du Père, quoique saint Jean ne mentionne que l'apparition du Saint-.Esprit sous la forme d'une colombe; parce que le Précurseur n'en déclara pas davantage aux Juifs.

1012. Du fond de sa retraite, la Reine du ciel connut la fidélité qu'eut le Précurseur de confesser qu'il n'était point le Christ, et d'attester la divinité du Sauveur lui-même, par les témoignages que j'ai rapportés; et en reconnaissance elle pria le Seigneur de récompenser son très-fidèle serviteur. C'est ce que le Tout-Puissant fit avec munificence; car il l'éleva au-dessus de tous ceux qui sont nés de la femme; et comme Baptiste ne voulut point accepter le titre de Messie qu'on lui offrait, le Seigneur résolut de lui décerner l'honneur qu'il pouvait, sans âtre le Messie, recevoir entre les hommes. Dans cette entrevue de notre Rédempteur Jésus-Christ avec saint Jean, le glorieux Précurseur fut rempli de nouveaux dons du Saint-Esprit. Quelques-unes des personnes présentes qui lui avaient entendu dire : Ecce Agnus Dei, frappées de ses discours, lui demandèrent quel était celui dont il parlait. Alors le Sauveur, laissant Baptiste

 

(1) Matth., III, 17 ; Luc., III, 22.

 

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instruire, comme je l’ai dit, les auditeurs de la vérité, quitta ce lieu pour prendre le chemin de Jérusalem, après n'avoir passé que fort peu de temps avec son Précurseur. Il ne se rendit pourtant pas directement à la sainte cité; car il employa plusieurs jours à visiter auparavant divers villages, où il enseignait les hommes d'une manière secrète, les avertissait que le Messie était au monde, les faisait entrer par sa doctrine dans le chemin de la vie éternelle, et en envoyait la plupart recevoir le baptême de saint Jean, afin qu'ils se préparassent par la pénitence à profiter de la rédemption.

1013. Les évangélistes ne disent point où demeura notre Sauveur dans cette conjoncture, ni quelles oeuvres il fit, ni le temps qu'il y 'employa. Mais il m'a été déclaré que sa Majesté resta près de dix mois en Judée, sans retourner à Nazareth pour voir sa très-sainte Mère, et sans entrer en Galilée, jusqu'à ce qu'allant trouver son Précurseur dans une autre occasion, le même saint dit une seconde fois : Ecce Agnus Dei (1); et alors saint André et les premiers disciples ayant ouï dire ces paroles à Baptiste, suivirent le Seigneur, qui appela ensuite saint Philippe, comme le raconte l’évangéliste saint Jean (2). Le Sauveur employa ces dix mois à instruire les âmes et à les préparer par ses grâces, par sa doctrine et par des bienfaits admirables, afin qu'elles sortissent de ce mortel aveuglement dans, lequel elles étaient, et qu'ensuite lorsqu'il

 

(1) Joan., I, 36. — (2) Ibid., 43.

 

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commencerait à prêcher et à faire des miracles publics, elles fussent plus promptes à embrasser la foi au Rédempteur et à le suivre; comme il arriva à plusieurs de ceux qu'il avait instruits. Il est vrai qu'il ne s'entretint point pendant ce temps avec les pharisiens et les docteurs de la loi; parce qu'ils n'étaient pas fort disposés à croire que le Messie frit venu, eux qui ne voulurent pas même admettre cette vérité lorsqu'elle fut confirmée par la prédication, les miracles et les témoignages si éclatants de notre Seigneur Jésus-Christ (1). Mais cet adorable Sauveur parla pendant ces dix mois aux humbles et aux pauvres (2) , qui méritèrent ainsi d'être les premiers à recevoir les lumières de sa doctrine, et il fit en leur faveur d'insignes miséricordes dans le royaume de Judée, non-seulement par ses instructions particulières et ses grâces secrètes, mais aussi par quelques miracles cachés; de sorte qu'on le regardait déjà comme un grand prophète et un saint personnage. Par ce premier enseignement, il porta une foule de personnes à sortir du péché, et à chercher le royaume de Dieu qui commençait à s'approcher, et qui allait se manifester par la prédication évangélique et par la rédemption que le Seigneur voulait bientôt opérer dans le monde.

1014. Notre grande Reine était toujours à Nazareth, où elle connaissait toutes les oeuvres de son très-saint Fils, tant par la lumière divine, comme je

 

(1) Matth., XI, 5. — (2) Luc., IV, 18

 

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l'ai expliqué, que par les détails que lui donnaient les mille anges qui l'assistaient toujours sous une forme visible en l'absence du Rédempteur. Et pour l'imiter en tout avec la plénitude possible, elle sortit de sa retraite en même temps que cet adorable Seigneur quitta le désert, et comme sa divine Majesté, quoiqu'elle ne pût point augmenter sa charité, la témoigna néanmoins avec une plus vive ferveur après avoir vaincu le démon par le jeûne et par la pratique de toutes les vertus, de même l'auguste Vierge, enrichie des grâces nouvelles qu'elle avait acquises, et animée d'un zèle plus ardent que jamais, sortit pour imiter les oeuvres de son très-saint Fils en faveur des mortels, et pour recommencer son office de Précurseur. Notre céleste Maîtresse sortit de sa maison de Nazareth, et parcourut les villages circonvoisins, accompagnée de ses anges, et par la plénitude de sa sagesse et sa puissance de Reine de l'univers, elle y lit de grandes merveilles, nais toujours d'une manière secrète, imitant la conduite du Verbe incarné dans la Judée. Elle annonça la venue du Messie sans découvrir qui il était, et montra à beaucoup de personnes le chemin de la vie; elle les retirait du péché, elle chassait les démons, elle dissipait les ténèbres de l'erreur et de l'ignorance, et préparait les esprits à recevoir la rédemption et à croire en Celai qui en était l'auteur. Outre ces bienfaits qu'elle répandait sur les âmes, elle accordait souvent des grâces temporelles, guérissant les malades, consolant les affligés, visitant les pauvres. Et quoiqu'elle pratiquât plus fréquemment ces oeuvres

 

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envers les femmes, elle en fit aussi plusieurs en faveur des hommes, qui. participaient surtout à ces secours et au bonheur d'être visités par la Reine des anges et de toutes les créatures, lorsqu'ils étaient pauvres et méprisés.

1015. Notre auguste Princesse continua ces charitables visites tout le temps que son très-saint Fils employa en Judée pour instruire le peuple, et elle l'imita constamment en toutes ses oeuvres, jusqu'à aller à pied comme sa divine Majesté; et si elle retournait quelquefois à Nazareth , elle reprenait bientôt ses pérégrinations. Pendant ces dix mois elle mangea fort peu, parce qu'elle se trouva si fortifiée par cet aliment céleste que son adorable Fils lui envoya du désert, comme je l'ai dit au chapitre précédent, qu'elle eut assez de forces non-seulement pour faire tous ses voyages à pied , mais encore pour pouvoir se passer bien souvent de la nourriture commune. La bienheureuse Dame eut aussi connaissance de ce que faisait saint Jean, qui prêchait et baptisait sur le bord du Jourdain, comme on l'a vu plus haut. Elle lui envoya en diverses occasions plusieurs de ses anges, pour le consoler et le récompenser en quelque sorte de la fidélité qu'il montrait à son Dieu. Au milieu de ces occupations, cette tendre Mère éprouvait de pénibles langueurs, que lui causait l'amour saint et naturel qu'elle portait à son très-saint Fils; elle ne cessait de l'appeler par ses soupirs et ses gémissements, et ils pénétraient d'une amoureuse compassion le cœur du divin Maître. Toutefois, avant qu'il retournât à

 

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Nazareth pour lui procurer la consolation de sa présence, et qu'il commençât à opérer des merveilles et à prêcher en public, il arriva ce que je dirai dans le chapitre qui suit.

 
Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.

 

1016. Ma fille, je réduis pour vous la doctrine de ce chapitre à deux avis fort importants. Le premier, c'est que vous aimiez la solitude, et trichiez de la garder avec un soin particulier, afin que vous obteniez les bénédictions que mon très-saint Fils a méritées, et les promesses qu'il a faites à ceux qui l'imiteraient en ce point. Tâchez d'être toujours seule quand, par l'obéissance, vous ne serez pas obligée de converser avec les créatures; et si vous quittez alors votre retraite, portez-la avec vous dans le secret de votre cœur, de sorte que vos sens extérieurs et l'usage que vous en ferez ne soient pas capables de vous en priver. Vous ne devez faire que passer à travers les occupations sensibles, pour vous réfugier aussitôt et vous retrancher dans l'ermitage de votre intérieur; et, afin que vous y restiez seule, ne donnez aucune entrée aux images des créatures, qui bien souvent attachent plus fortement que les réalités mêmes, ou du moins embarrassent toujours le coeur et lui ôtent sa liberté. Ce serait une chose indigne que vous arrêtassiez le

 

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vôtre au moindre objet passager; mon très-saint fils veut que vous le lui donniez tout entier, et c'est ce que j'exige aussi. Le second avis , c'est que vous ayez une grande estime de votre âme, pour la conserver en toute pureté. Et, quoique ce soit ma volonté que vous travailliez au salut de tous vos frères, je veux surtout que vous imitiez mon adorable Fils et votre Maîtresse en ce que nous avons fait en faveur des plus pauvres et des plus méprisés du monde. Ces petites gens demandent bien souvent le pain du conseil et de la doctrine, et elles ne trouvent personne qui le leur distribue (1), comme aux puissants et aux riches du monde, qui sont entourés de nombreux conseillers. Beaucoup de ces pauvres et de ces infortunés viennent à vous : accueillez-les avec la compassion qu'ils vous inspirent; prodiguez-leur les, consolations et les marques d'une tendre affection, afin qu'ils reçoivent avec leur sincérité naturelle la lumière et le conseil, sauf à agir différemment avec les autres, qui passent pour plus capables. Cherchez à gagner ces âmes qui, au milieu des misères temporelles, sont si précieuses devant Dieu; et, afin que celles-ci aussi bien que les autres ne perdent point le fruit de la rédemption, je veux que vous travailliez sans cesse à leur salut, fallût-il, pour y réussir, sacrifier votre propre vie.

 

(1) Thren., IV, 4.

 
CHAPITRE XXVIII. Note Rédempteur Jésus-Christ commence à appeler et à recevoir ses disciples en présence de son précurseur. — Il se met à prêcher publiquement. — Le Très-Haut ordonne à l'auguste Marie de suivre son très-saint Fils.

 

1017. Notre Sauveur ayant employé les dix mois qui suivirent son jeûne à visiter les villages de la Judée, opérant comme à l'ombre de grandes merveilles, résolut de se manifester au monde; non qu'il se frit auparavant caché pour parler de la vérité qu'il enseignait, mais parce qu'il ne s'était point encore annoncé comme le Messie et le Maître de la vie, et que le moment de se faire connaître approchait, selon qu'il avait été déterminé par la sagesse infinie. C'est pour cela que le divin Messie retourna vers son précurseur, afin que, par le témoignage qu'il lui appartenait, à raison de son office, de donner à la face du monde, la lumière commençât de luire dans les ténèbres (1). Le saint fut informé par une révélation divine de la venue du Sauveur, et que le temps était arrivé où il se ferait connaître pour le Rédempteur du monde et le véritable Fils du Père éternel. Déjà

 

(1) Joan., I, 5.

 

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prévenu par cette révélation, il vit le Sauveur qui venait vers lui, et soudain il s'écria, transporté d'une joie ineffable en présence de ses disciples : Ecce Agnus Dei (1) : Voilà l'Agneau de Dieu, le voilà. Ce témoignage rappelait et supposait non-seulement celui qu'il avait rendu autrefois à Jésus-Christ par les mêmes paroles, mais aussi la doctrine qu'il avait plus particulièrement enseignée à ses disciples les plus assidus, et ce fut comme s'il leur eût dit : Voilà l'Agneau de Dieu, dont je vous ai parlé, qui est venu pour racheter le monde et ouvrir le chemin du ciel. Ce fut la dernière fois que Baptiste vit notre Sauveur selon les voies naturelles, car il jouit encore de sa vue et de sa présence par un autre moyen à l'heure de sa mort, comme je le dirai en son lieu.

1018. Deux des premiers disciples qui se trouvaient avec saint Jean ouïrent ce qu'il venait de dire, et, touchés de son témoignage et de la grâce qu'ils reçurent intérieurement de notre Seigneur Jésus-Christ, ils le suivirent: et lui, se retournant amoureusement vers eux, leur, demanda ce qu'ils cherchaient (2). Et ils lui répondirent qu'ils souhaitaient savoir où il logeait; alors il leur permit de le suivre, et ils restèrent avec lui ce jour-là, comme le raconte l'évangéliste saint Jean (3), qui dit que l'un des deux disciples était saint André, frère de saint Pierre, sans indiquer le nom de l'autre. Mais, selon ce que j'ai appris, c'était l'évangéliste lui-même, qui ne voulut

 

(1) Joan., I, 29 et 36 . — (2) Ibid., 38 . — (3) Ibid., 39.

 

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point se désigner à cause de sa grande modestie. Ainsi ils furent, lui et saint André, les prémices de l'apostolat en cette première vocation : car les premiers ils suivirent le Sauveur, sur le seul témoignage extérieur de Baptiste, dont ils étaient disciples, sans aucune autre vocation sensible du Seigneur lui-même. Aussitôt saint André chercha son frère Simon, et lui dit comment il avait trouvé le Messie, qui s'appelait Christ (1), et il le mena à Jésus, qui, l'ayant considéré, lui dit : Vous êtes Simon, fils de Jona ; vous serez appelé Céphas, ce qui signifie Pierre. Tout cela eut lieu dans les confins de la Judée, et le Seigneur résolut d'entrer le jour suivant en Galilée; et ayant rencontré Philippe, il lui dit de le suivre. Ensuite Philippe appela Nathanaël, et lui raconta ce qui lui était arrivé, et comme ils avaient trouvé le Messie, qui était Jésus de Nazareth, et il le mena vers lui. Après les entretiens qui se passèrent avec Nathanaël, et que saint Jean rapporte à la fin du chapitre premier de son Évangile, ce digne Israélite eut la cinquième place, parmi les disciples de notre Seigneur Jésus-Christ.

1019. Notre Sauveur, accompagné de ces cinq disciples, qui étaient les premiers fondements de la nouvelle Église, entra dans la province de Galilée, prêchant et baptisant publiquement. Telle fut la première vocation de ces apôtres, qui ne se trouvèrent pas plutôt avec leur véritable Maître, qu'ils furent

 

(1) Joan., I, 41,

 

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éclairés d'une nouvelle lumière et enflammés d'un nouveau feu de l'amour divin, cet aimable Seigneur les ayant prévenus de ses plus douces bénédictions (1). Il n'est pas possible d'exprimer combien coûtèrent à notre divin Maître la vocation et l'éducation de ces premiers disciples, aussi bien que des autres sur lesquels il voulait fonder son Église. Il les chercha avec un zèle et une sollicitude extraordinaires, les encouragea par de puissants, fréquents et efficaces appels de sa grâce, éclaira leur intelligence des plus hautes lumières, et enrichit leur coeur des dons les plus précieux, les reçut avec une bonté admirable, les nourrit du très-doux lait de sa doctrine, les supporta avec une patience invincible, et les caressa comme le père lé plus tendre caresse de tout petits enfants bien-aimés. Nous sommes naturellement si lourds et si grossiers quand il s'agit de nous élever aux matières sublimes, spirituelles et délicates de la vie intérieure, dans lesquelles ils devaient être non-seulement des disciples parfaits, mais aussi des maîtres consommés du monde et de l'Église ! Quelle tâche n'était-ce pas que de les former et de les faire passer de leur condition terrestre à l'état céleste et divin auquel le Seigneur les appelait par sa doctrine et par son exemple! Sa Majesté a donné par sa conduite à leur égard une grande leçon de patience, de douceur et de charité aux prélats, aux princes et aux supérieurs, en leur montrant comment ils doivent gouverner

 

(1) Ps. XX, 3.

 

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les personnes qui leur sont soumises. L’assurance qu'elle nous a laissée, à nous autres pécheurs, de sa clémence paternelle, n'a pas été moindre; car si elle l'a porté à souffrir les défauts, les manquements, les inclinations et les passions naturelles des apôtres et des disciples, cette clémence ne s'est point épuisée en eux: au contraire, elle n'a répandu sur eux ses trésors avec une abondance si merveilleuse, que pour nous empêcher de perdre courage parmi les misères et les imperfections innombrables auxquelles nous expose sur la terre la fragilité de la nature.

1020. la Reine du ciel avait connaissance par les voies dont j'ai parlé ailleurs de toutes les merveilles que notre Sauveur opérait en la vocation des apôtres et des disciples et en sa prédication. Elle en rendait des actions de grâces au Père éternel au nom des premiers disciples; elle les reconnaissait et les adoptait intérieurement pour ses enfants spirituels, comme ils l'étaient- de notre Seigneur Jésus-Christ; et elle les offrait à sa divine Majesté avec de nouveaux cantiques de louange et avec une joie indicible. A l'occasion de la vocation des premiers disciples, elle eut une vision particulière en laquelle le TrèsHlaut lui manifesta derechef ce que sa sainte et éternelle volonté avait déterminé touchant l'économie de la rédemption des hommes et la manière dont elle devait commencer à s'accomplir par la prédication de son très-saint Fils; et là-dessus le Seigneur lui dit : « Ma Fille, ma Colombe, mon Élue entre mille, il faut que vous vous

 

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associiez à mon Fils unique et au vôtre dans les  peines qu'il doit souffrir en l'oeuvre de la rédemption du genre humain. Le temps de son épreuve   approche, et voici venir le moment ou, apaisé par  son sacrifice, j'ouvrirai les trésors de ma sagesse et de ma bonté pour enrichir les hommes. Je veux,  par l'entremise de leur Restaurateur, les tirer de la servitude du péché et du démon, et combler de mes grâces et, de mes dons les coeurs de tous les mortels  qui se disposeront à reconnaître mon Fils incarné,  et à le suivre comme leur chef, et leur guide dans  les voies que je leur ai tracées pour les faire par venir au bonheur éternel. Je veux enrichir les  pauvres, abaisser les superbes, élever les humbles et  éclairer ceux qui sont plongés dans les ténèbres de  la mort (1). Je veux exalter mes amis et mes élus, et  faire éclater la gloire de mon saint nom. Je veux ;  ma chère Colombe, qu'en cet accomplissement de  ma volonté éternelle, vous coopériez avec thon  Fils bien-aimé, et que vous le suiviez et l'imitiez,  car je serai avec vous en tout ce que vous ferez.

1021.« Suprême Roi de l'univers (répondit la très pure Marie), de qui toutes les créatures reçoivent  l'être et la conservation, quoique je ne sois que  cendre et que poussière, je parlerai, si votre bonté me le permet, en votre divine présence (2). Agréez  donc, ô Dieu éternel , le coeur de votre servante;   elle vous l'offre tout prêt à exécuter ce qui sera de

 

(1) Isa., IX, 2. — (2) Gen., XVIII, 27.

 

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votre bon plaisir. Agréez, Seigneur, le sacrifice et   l'holocauste que je vous fais , non-seulement du  bout des lèvres, mais du plus intime de mon âme  pour obéir à l'ordre de votre sagesse éternelle que   vous intimez à votre servante. Me voici prosternée  aux pieds de votre Majesté souveraine: que vôtre  volonté s'accomplisse pleinement en moi. Mais s'il   était possible, ô puissance infinie, que je mourusse  avec votre Fils et le mien, ou que je souffrisse pour  l'empêcher de mourir, ce serait le comble de tous   mes désirs et la plénitude de ma joie; le glaive de  votre justice devrait faire en moi la blessure, puisque j'ai été plus voisine du péché. Cet adorable Sauveur est impeccable par nature et par les  dons de sa divinité. Je sais , ô très-juste Roi qu'ayant été offensé par le péché de l'homme:, votre   équité exige que la satisfaction vous soit offerte par a une personne égale à votre Majesté. Toutes les simples créatures sont infiniment éloignées de cette   dignité; mais, aussi il est vrai que la moindre des  oeuvres de votre Fils incarné est plus que suif saute pour la rédemption du monde, et combien ce charitable Seigneur n'en a-t-il pas faites pour les  hommes ! Si donc il est possible que je meure pour  conserver sa vie , qui est d'un prix inestimable, j'y suis toute disposée. Et si votre décret est immuable, permettez au moins, s'il vous plan, Père  souverain de toutes les créatures, que je vous sacrifie ma vie avec la sienne. Je me soumettrai en  cela à tout ce que vous voudrez, comme je me

 

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soumets à l'ordre que vous me donnez de suivre votre Fils et le mien dans ses afflictions et dans ses peines. Soutenez-moi de votre main puissante , afin que je réussisse à l'imiter, et à me conformer comme je le souhaite à votre bon plaisir. »

1022. Mes paroles ne sauraient exprimer davantage ce qui m'a été découvert des actes héroïques et admirables de notre grande Reine, quand elle reçut ce commandement du Très-Haut, ni mieux dépeindre l'ardeur incompréhensible avec laquelle elle désirait souffrir pour empocher la passion et la mort de son adorable Fils, ou mourir avec lui. Que si les vifs sentiments d'un saint amour, même lorsqu'il aspire à des choses impossibles, touchent tellement Dieu, qu'il s'en contente, qu'il s'y complait, pourvu qu'ils partent d'un coeur sincère et droit, et qu'il les récompense comme s'ils avaient abouti à des oeuvres, qui pourra pénétrer ce que mérita la Mère de la grâce et de la belle dilection par l'amour avec lequel elle fit ce sacrifice de sa vie? Les hommes ni les Anges ne sauraient comprendre un si haut mystère d'amour ; car les souffrances et la mort lui auraient été fort douces, et elle ressentit une douleur beaucoup plus grande de ne point mourir avec son Fils que de vivre en le voyant souffrir et mourir. Du reste j'aurai lieu d'en parler plus longuement. On peut découvrir par cette vérité la ressemblance qu'a la gloire de la très-pure Marie avec celle de Jésus-Christ, et celle que la grâce et la sainteté de cette noble Dame eurent avec leur exemplaire, puisque la

 

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gloire, la grâce, la sainteté répondirent à cet amour, qui s'éleva au plus haut degré qu'on puisse imaginer en une simple créature. Notre auguste Reine sortit dans ces dispositions de la vision que je viens de rapporter; et le Très-Haut ordonna de nouveau aux Anges qui l'assistaient, de l'accompagner et de la servir en tout ce qu'elle devait faire; ils obéirent comme de très-fidèles ministres du Seigneur; et ils l'assistaient d'ordinaire sous une forme visible, l'accompagnant et la servant partout.
Instruction que j'ai reçue de la très-sainte Vierge.

 

1023. Ma fille, toutes les oeuvres de mon très-saint Fils manifestent l'amour de Dieu pour les créatures, et prouvent combien il est différent de celui qu'elles ont entre elles; car comme elles sont si faibles et si intéressées, elles ne se décident ordinairement à aimer qu'excitées par l'espoir de quelque bien qu'elles supposent en ce qu'elles aiment; ainsi l'amour d'une créature naît du bien qu'elle trouve en l'objet qu'elle se propose d'aimer. Mais l'amour divin a son principe en lui-même, et il est assez puissant pour faire ce qu'il veut; c'est pourquoi il ne recherche point la créature parce qu'il la croit digne; au contraire, il l'aime pour la rendre digne en l'aimant. Il n'est donc point d'âme qui doive se méfier de la bonté de Dieu.

 

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Toutefois la certitude de cette vérité ne doit pas non plus inspirer une confiance vaine et téméraire, et faire espérer à l'homme que l'amour divin opèrera en lui les eflets de la grâce , dont il se rend indigne : car le TrèsHaut observe en cet amour et en ses dons un ordre d'équité très-mystérieux : il aime toutes les créatures, et il veut que toutes soient sauvées (1); néanmoins en la distribution de ses dons et des effets de son amour, qu'il ne refuse à personne, il y a un certain poids du sanctuaire, avec lequel ils sont partagés. Et comme les mortels ne peuvent point pénétrer ce secret, ils doivent tâcher de ne pas perdre la première grâce et de répondre à leur première vocation; parce qu'ils ne savent pas si l'ingratitude qu'ils commettent en y manquant ne les privera point de la seconde; tout ce qu'ils peuvent savoir, c'est qu'elle ne leur sera point refusée s'ils ne s'en rendent pas indignes. Ces effets de l'amour divin commencent dans les âmes par une illustration intérieure, afin qu'à la faveur de cette lumière les hommes soient avertis et convaincus de leurs péchés, de leur mauvais état et du péril de la mort éternelle auquel ils s'exposent. Mais leur orgueil les rend si stupides et si pesants, que beaucoup ferment les yeux à la lumière (2) ; d'autres sont si languissants, qu'ils ne se meuvent qu'avec peine, et ne se résolvent jamais à répondre à leurs obligations, et c'est pour cela qu'ils ne profitent point de la première efficace de l'amour de Dieu, et qu'ils se mettent dans

 

(1) I Tim., II, 4. — (2) Ps., IV, 3.

 

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l'impossibilité d'en recevoir d'autres effets. Et comme ils ne peuvent ni éviter le mal ni faire le bien (1), ni même le connaître sans le secours de la grâce, il arrive qu’ils se précipitent d'un abîme dans plusieurs autres (2); parce que ne profitant point de la grâce qu'ils rejettent, et se rendant indignes de nouveaux secours, ils tombent inévitablement, par une pente de plus en plus rapide, dans les péchés les plus abominables.

1024. Soyez donc attentive, ma très-chère fille, aux lumières que l'amour du souverain Seigneur a produites en votre âme, puisque quand vous n'auriez reçu que celle qui vous découvre les mystères de ma vie, vous vous trouveriez dans de si grandes obligations, que si vous ne les remplissiez pas, vous seriez devant Dieu et devant moi, devant les anges et devant les hommes, plus répréhensible qu'aucun autre de vos semblables. Que la conduite des premiers disciples de mon très-saint Fils, et la promptitude avec laquelle ils l'ont suivi et imité vous servent d'exemple. Car si la Majesté suprême leur a fait une grâce très-particulière en les supportant et en se chargeant elle-même de leur éducation , ils y ont répondu de leur côté, et ont mis en pratique la doctrine de leur Maître ; et quoiqu'ils fussent naturellement fragiles, ils ne se mettaient point dans l'impossibilité de recevoir d'autres plus grands bienfaits de la divine droite, et ils étendaient leurs désirs au delà de leurs forces.

 

(1) Joan., XV, 5. — (2) Ps. XLI, 8.

 

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Pourquoi vous ai-je révélé aujourd'hui quelque chose de mes rouvres, sinon pour que vous m'imitiez dans ces élans, dans ces épanchements d'un amour aussi sincère qu'ingénieux, et dans ces désirs que j'eus de mourir pour mon très- saint Fils et avec lui, s'il m'eût été permis? Préparez votre coeur à se pénétrer de ce que dans la suite je vous apprendrai de la mort 'de l'adorable Rédempteur, et de l'histoire du reste de ma vie; par là vous pratiquerez ce qui sera le plus parfait et le plus saint. Je veux aussi, ma fille, vous communiquer un sujet de plainte que j'ai contre les mortels, et qui s'applique presque à tous, comme je vous l'ai témoigné ailleurs: c'est touchant le peu de soin qu'ils prennent de savoir ce que mon Fils et moi avons fait pour eux. On les voit se consoler en y croyant à peine (1), et les ingrats ne considèrent point le bien que leur procure chacune de nos rouvres, ni le retour qu'elles méritent. Ne me donnez point ce déplaisir, puisque je vous rends capable et vous fais part de tant d'augustes mystères, dans lesquels vous trouverez la lumière, la doctrine et la pratique de la perfection la plus sublime. Élevez-vous au-dessus de vous-même, soyez diligente à faire le bien, afin que vous receviez une augmentation de grâce, et qu'en y coopérant, vous amassiez chaque jour de nouveaux mérites et vous vous assuriez les récompenses éternelles.

 

(1) Thren., III, 18.

 

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CHAPITRE XXIX. Notre Sauveur Jésus-Christ retourne à Nazareth avec les cinq premiers disciples, et baptise sa très-sainte Mère. — Ce qui arriva dans cette circonstance.

 

1025. L'édifice mystique de l'Église militante, qui élève son faite jusqu'aux hauteurs les plus cachées de la Divinité elle-même, est fondé tout entier sur le roc inébranlable de la sainte foi catholique, base sur laquelle notre Rédempteur, comme un habile architecte, a voulu le construire. Mais il fallait d'abord bien asseoir et affermir les premières pierres fondamentales de l'édifice, c'est-à-dire les premiers disciples appelés par le Sauveur. C'est pourquoi il commença dès lors à les initier aux vérités et aux mystères qui regardaient sa divinité et son humanité. Et comme il se faisait connaître pour le véritable Messie et le Rédempteur du monde, descendu du sein du Père éternel afin de sauver les hommes en se revêtant de leur chair, il était en quelque façon nécessaire et convenable qu'il leur expliquât le mode de son incarnation dans le sein virginal de sa très-sainte Mère; il fallait aussi qu'ils la connussent et l’honorassent pour véritable mère et vierge. Il leur découvrit donc ce divin mystère avec

 

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les autres qui concernaient l'anion hypostatique et la rédemption du genre humain : doctrine céleste et vivifiante, dont furent nourris ces nouveaux et premiers enfants du Sauveur. Elle leur fit comprendre les hautes excellences de notre grande Reine, quoiqu'ils ne l'eussent point encore vue, et leur apprit qu'elle était vierge avant, pendant et après l'enfantement. Notre Seigneur Jésus-Christ se plut d'ailleurs à leur inspirer un très-profond respect et un amour filial pour elle, de sorte qu'ils désiraient voir et connaître le plus tôt possible une créature si divine. Le Seigneur leur donnait ces idées et ces sentiments afin de satisfaire le grand zèle qu'il avait pour l'honneur (le sa Mère, et parce qu'il importait aux disciples eux-mêmes de s’en former la plus haute opinion , et de concevoir pour elle une pieuse vénération. Et quoiqu'ils fussent tous éclairés de ces divines lumières, saint Jean se signala pourtant le plus en cet amour respectueux; car à mesure due le divin Maître parlait de la dignité et de l'excellence de sa très-pure Mère, le saint redoublait l'estime qu'il avait pour sa sainteté, comme étant destiné et préparé à obtenir de plus rares privilèges au service de sa Reine, ainsi que son Évangile le prouve, et que je le dirai clans la suite.

1026. Les cinq premiers disciples prièrent le Seigneur de leur donner la consolation de voir sa Mère et de lui témoigner leurs respects; et, voulant satisfaire leurs désirs, il se dirigea vers Nazareth, après qu'il fut entré en Galilée, sans néanmoins discontinuer

 

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de prêcher publiquement, en s'annonçant alors comme le Maître de la vérité et de la vie éternelle. Beaucoup de personnes se mirent à l'écouter et à l'accompagner, attirées par la force de sa doctrine, par la lumière et par la grâce qu'il répandait dans les coeurs dociles, quoiqu'il n'appelât personne à sa suite dans cette occasion, en sus des cinq disciples qu'il menait avec lui. Et c'est une chose digne de remarque que ceux-ci, ayant une si grande dévotion pour notre auguste Reine, et une connaissance si claire de la dignité qu'elle avait entre les créatures, cachèrent tous néanmoins les sentiments qui les animaient : et afin qu'ils ne publiassent point ce qu'ils en savaient, la Sagesse divine les rendit comme muets sur cette matière, et leur fit, pour ainsi parler, perdre le souvenir des sublimes mystères qui la regardaient; parce qu'il n'était pas convenable que ces vérités de la foi fussent vulgarisées dans le commencement de la prédication de Jésus-Christ. Le Soleil de justice ne faisait alors que de naître dans les aimes, et il fallait qu'il répandit ses lumières sur toutes les nations (1); et bien que la Lune mystique, sa très-sainte Mère, fût déjà dans la plénitude de tonte sainteté, il convenait qu'elle restât cachée, pour luire dans la nuit qu'amènerait sur l'Église l'absence de ce divin Soleil quand il monterait à son Père. Et c'est ce qui arriva; car notre grande Dame resplendit alors, comme je le dirai dans la troisième partie : jusque-là sa sainteté et sou

 

(1) Malach., IV, 2.

 

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excellence ne furent manifestées qu'aux apôtres, afin qu'ils la reconnussent et la consultassent comme la digne Mère du Rédempteur du monde et la Maîtresse de toutes les vertus.

1027. Notre Sauveur poursuivit son chemin vers Nazareth, instruisant ses nouveaux enfants et premiers disciples, non- seulement en ce qui regardait les mystères de la foi, mais en toutes les vertus, qu'il leur enseignait par sa doctrine et par son exemple, comme il continua pendant tout le temps de sa prédication évangélique. Dans ce dessein, il visitait les pauvres, consolait les affligés dans les hôpitaux et dans les prisons, et pratiquait envers tous des oeuvres admirables de miséricorde pour le corps et pour l'âme; sans pourtant se déclarer pour auteur d'aucun miracle jusqu'aux noces de Cana (comme je le dirai au chapitre suivant). Dans le même temps que le Seigneur faisait ce voyage, sa très-sainte Mère se préparait à le recevoir avec les disciples qu'il menait avec lui, car elle fut informée de tout; ainsi elle disposa le logement pour tous, arrangea sa pauvre maison, et se pourvut des vivres nécessaires, toujours également soigneuse, active et prévoyante.

1028. Le Sauveur du monde arriva à sa maison, où la bienheureuse Mère l'attendait à la porte, et, an moment où sa Majesté y entrait, elle se prosterna, l'adora et lui baisa les pieds et ensuite les mains, en lui demandant sa bénédiction. Puis elle glorifia dans les termes les plus sublimes la très-sainte Trinité et l'Humanité sainte, et cela en présence des nouveaux

 

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disciples. Ce ne fut point sans un très-grand mystère, à la hauteur duquel s'éleva la prudence de notre auguste Reine : car, outre qu'elle rendait il son très-saint Fils le culte et l'adoration qui lui étaient dus comme Dieu et homme tout ensemble, elle lui rendait aussi le retour des magnifiques louanges qu'il lui avait données devant ses apôtres ou disciples. Et comme cet adorable Seigneur leur avait, le long de la route, parlé de la dignité de sa Mère et du respect avec lequel ils la devaient traiter, de même cette sage et fidèle Mère voulut, en présence de son Fils, enseigner à ses disciples la vénération qu'ils devaient avoir pour leur divin Maître, qui était aussi leur Dieu et leur Rédempteur. Et c'est ce qu'elle fit; car les marques de sa très-profonde humilité, et le culte avec lequel elle reçut Jésus-Christ comme Sauveur, causèrent aux disciples une nouvelle admiration, une plus grande dévotion et une crainte respectueuse pour leur adorable Maître. De sorte qu'elle leur servit dans la suite de modèle de religion; commençant même dès lors à être leur Maîtresse et leur Mère spirituelle en la matière la plus importante, puisqu'elle leur enseignait comment ils devaient se comporter dans le commerce familier avec leur Dieu et leur Rédempteur. Cet exemple redoubla la dévotion des nouveaux disciples envers leur Reine, et se mettant à genoux devant elle ils la prièrent de vouloir bien les recevoir pour ses enfants et pour ses serviteurs. Mais saint Jean fut le premier qui fit cette consécration, de sorte qu'il commença à se distinguer entre tous les apôtres est la

 

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dévotion de la très-pure Marie, et cette auguste Princesse le traita avec une charité particulière; parce qu'il était doux et humble, et surtout à cause du don de virginité qu'il avait en un degré éminent.

1029. Notre grande Dame, toujours prévoyante en toutes choses, logea tous ses saints hôtes, et leur servit à manger avec un soin maternel, et avec une modestie et une majesté vraiment royales; car sa sagesse incomparable savait tout concilier avec une perfection que les anges eux-mêmes ne se lassaient point d'admirer. Elle servait son très-saint Fils à genoux, et en s'acquittant de ce pieux office elle témoignait encore sa vénération par des considérations sublimes qu'elle adressait aux apôtres, sur les grandes excellences de leur Maître et Rédempteur, pour les instruire en la doctrine véritablement chrétienne. Cette même nuit, après que les nouveaux hôtes se furent retirés dans leur appartement, le Sauveur se rendit, selon sa coutume, à l'oratoire de sa très-pùre blère. Aussitôt la très-humble entre les humbles se prosterna à ses pieds, comme elle l'avait fait auparavant en pareil cas, et quoiqu'elle n'eût jamais commis aucune faute dont elle dût s'accuser, elle pria sa Majesté de lui pardonner celles qu'elle croyait lui être échappées à son service, et le peu de retour dont elle avait payé ses bienfaits immenses; car dans sa profonde humilité, elle s'imaginait que tout ce qu'elle faisait était très-peu de chose, et fort au-dessous de ce quelle devait à son amour infini, et aux dons qu'elle en avait reçus, et c'est pourquoi elle se regardait comme une créature

 

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aussi inutile que la poussière. Le Seigneur la releva, et lui dit des paroles de vie éternelle , mais avec beaucoup de majesté; parce qu'alors il la traitait avec un plus grand sérieux, pour donner lieu aux souffrances, ainsi que je l'ai fait remarquer quand il la quitta pour aller recevoir le baptême et se retirer dans le désert.

1030. Elle pria aussi son très-saint Fils de lui donner le sacrement du baptème, qu'il avait institué, et qu'il lui avait déjà promis, comme je l'ai dit plus haut. Pour le célébrer avec la solennité digne d'un tel Fils et d'une telle Mère, une multitude innombrable d'anges descendirent du ciel par la volonté divine sous une forme visible. Et en leur présentce Jésus-Christ baptisa sa très-pure Mère. Alors on entendit une voix du Père éternel qui dit : « Voici ma Fille bien-aimée, en qui je trouve mes complaisances. Le Verbe incarné ajouta : Voici ma Mère, que je me suis choisie, et que j'aime tendrement; elle m'accompagnera en toutes mes oeuvres. Une autre voix , celle du Saint-Esprit, dit : Voici mon Épouse et mon Élue entre mille. Marie ressentit en même temps des effets si divins, et son âme reçut tant de faveurs et tant de lumières, qu'il n'est pas possible de l'exprimer; car elle fut plus élevée en la grâce, la beauté de son âme très-sainte eut un nouvel éclat, toutes ses excellences furent rehaussées, et le divin caractère dont ce sacrement marque les enfants de Jésus-Christ en son Eglise, brilla en elle de toute sa céleste splendeur. Indépendamment des autres avantages que le sacrement communique par lui-même et quelle recueillit,

 

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à l'exception de la rémission du péché quelle ne contracta jamais, elle mérita de très-hauts degrés de grâce, par l'humilité avec laquelle elle reçut le sacrement qui fut établi pour la purification des âmes; de sorte qu'il lui arriva à peu près, relativement au mérite, ce que j'ai dit ailleurs de son très-saint Fils, quoiqu'elle ait seule reçu l'augmentation de grâce, dont Jésus-Christ n'était point susceptible. Elle fit ensuite un cantique de louanges avec les saints anges pour le baptême qu'elle avait reçu, et, prosternée devant son adorable Fils, elle lui en rendit de très-humbles actions de grâces.

 
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

1031. Ma fille, je vois la sainte jalousie et l'émulation que vous inspire l'inestimable bonheur des disciples de mon très-saint Fils, et particulièrement de saint Jean mon serviteur et mon favori. Il est sûr que je l'aimai d'une manière spéciale, parce qu'il était pur, candide et simple comme une colombe; c'est aussi pour cela et pour l'amour filial qu'il me portait, qu'il était fort agréable aux yeux du Seigneur. Je veux que cet exemple vous anime à faire ce que je désire que vous fassiez pour le mène Seigneur et pour moi. Vous savez, ma fille, que je suis une Mère indulgente, et que j'adopte avec une tendresse mater

 

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tous ceux qui souhaitent avec ferveur devenir mes enfants et les serviteurs de mon Seigneur; je les recevrai toujours à bras ouverts, et je serai leur avocate et plaiderai leur cause avec toute la chaleur de la charité, que sa divine Majesté m'a communiquée. Vous, qui êtes la plus inutile, la plus pauvre et la plus faible des créatures, vous me fournirez un motif plus grand de manifester davantage ma munificence et mon affection ; c'est pourquoi je vous appelle et vous convie à être ma fille chérie, et je veux que vous vous distinguiez dans la sainte Église par votre dévotion envers moi.

1032. Vous aurez ce bonheur, je vous le promets à une condition que j'exige de vous, c'est que si vous êtes véritablement animée d'une sainte émulation à la pensée de l'amour que j'eus pour mon fils Jean, et du retour qu'il m'en donna, vous l'imitiez avec toute la perfection possible; voilà ce que vous devez me promettre à votre tour, en accomplissant sans faute ce que je vous ordonne. Je veux donc que vous travailliez jusqu'à ce que vous ayez anéanti en vous l'amour-propre, et tous les effets du premier péché, aussi bien que les inclinations terrestres qu'engendre la concupiscence, et que vous ayez recouvré cette simplicité de la colombe, qui exclut toute sorte de malice et de duplicité. Vous devez être un ange en toutes vos opérations, puisque la bonté du Très-Haut a été si libérale à votre égard, qu'elle vous a communiqué dés lumières plus propres à la condition d'un esprit angélique qu'à celle d'une créature humaine C'est

 

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moi qui vous procure ces grandes faveurs, ainsi il est juste que vos oeuvres répondent à vos Connaissances, et que vous preniez un soin continuel de me plaire et de me servir, étant toujours attentive à mes conseils, et ne me perdant jamais de vue, pour savoir ce que je vous ordonne, et pour l'exécuter aussitôt. Par ce moyen vous deviendrez véritablement ma très-chère fille, et je serai votre protectrice et votre plus tendre Mère.
 
 
 

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