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Vénérable Marie d'Agreda
La Cité Mystique de Dieu

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   CHAPITRE X. Le souvenir et les exercices de la passion auxquels la bienheureuse Marie se livrait. — La vénération avec laquelle elle recevait la sainte communion , et quelques autres oeuvres de sa vie trèsparfaite.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

CHAPITRE XI. Le Seigneur éleva par de nouveaux bienfaits la bienheureuse Mère au-dessus de l'état dont il a été parlé dans le chapitre huitième de ce livre.

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

CHAPITRE XII. Comment l'auguste Marie célébrait son Immaculée Conception et sa Nativité. — Les bienfaits qu'elle recevait ces jours-là de son Fils notre Sauveur Jésus-Christ.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.

CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie célèbre d'autres fêtes avec ses anges, notamment sa Présentation et les fêtes de saint Joachim, de sainte Anne et de saint Joseph.

Instruction que la grande Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE XIV. La manière admirable avec laquelle la bienheureuse Marie célébrait les mystères de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe incarné, et reconnaissait ces grands bienfaits.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

CHAPITRE XV. Des autres fêtes que la bienheureuse Marie célébrait. — De la Circoncision, de l'Adoration des Rois, de sa Purification, du baptême, du jeûne de Jésus-Christ, de l'institution du très-saint Sacrement, de la Passion et de la Résurrection.

Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges.

CHAPITRE XVI. De quelle manière la bienheureuse Marie célébrait les fêtes de l'Ascension de notre Sauveur Jésus-Christ, de la venue du Saint-Esprit, des anges et des saints, et comment elle faisait mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

CHAPITRE XVII. Le Très-Haut envoya en ambassade l'ange saint Gabriel à la bienheureuse Marie, pour lui annoncer qu'il ne lui restait plus que trois ans à vivre sur la terre. — Ce qui arriva à saint Jean et à toutes les créatures à la suite de cet avis du Ciel.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 
CHAPITRE X. Le souvenir et les exercices de la passion auxquels la bienheureuse Marie se livrait. — La vénération avec laquelle elle recevait la sainte communion , et quelques autres oeuvres de sa vie trèsparfaite.

 

573. Sans négliger le gouvernement extérieur de l'Église, ainsi qu’on l’a vu jusqu'ici, la  grande Reine du ciel se livrait dans sa solitude à d'autres exercices secrets, par lesquels elle méritait et obtenait de la main du Très-Haut des bienfaits innombrables pour

 

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la même Église, tant en commun pour tous les fidèles, que pour des milliers d'âmes en particulier, qui parvinrent ainsi à la vie éternelle. Je rapporterai, de ces oeuvres cachées qui ont été ignorées jusqu'à présent, ce que je pourrai, dans ces derniers chapitres, pour notre instruction, pour notre admiration et pour la gloire de cette bienheureuse Mère. Je commence donc par faire savoir qu'entre plusieurs privilèges dont notre auguste Princesse jouissait, elle avait toujours présents dans sa mémoire toute la vie, toutes les rouvres et tous les mystères de son très-saint Fils; car, outre la continuelle vision abstractive de la Divinité qu'elle ne cessa d'avoir dans ces dernières années, et par laquelle elle connaissait toutes choses, le Seigneur lui accorda dès sa conception qu'elle n'oubliât jamais ce qu'elle avait une fois connu et appris , parce qu'elle jouissait en cela du privilège des anges, comme on l'a vu dans la première partie.

574. J'ai dit aussi dans la seconde partie, en faisant le récit de la Passion, que la divine Mère sentit en son corps et en son âme très-pure toutes les douleurs que notre Sauveur Jésus-Christ y souffrit, sans que rien lui fût caché, et sans qu'il y eût aucune peine qu'elle ne sentit avec le même Seigneur. Toutes les images ou espèces de la Passion demeurèrent imprimées dans son intérieur, telles qu'elle les reçut suivant la demande qu'elle en fit au Seigneur. Ces images n'en furent point effacées, comme les autres images sensibles, par la vision de la Divinité dont j'ai signalé les effets; mais au contraire Dieu les perfectionna,

 

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afin qu'elles établissent une compatibilité miraculeuse entre la jouissance actuelle de cette vision et le sentiment simultané de ces douleurs, comme notre. grande Reine le désirait pour tout le temps qui lui restait à vivre dans sa chair mortelle; car, autant que cela dépendait de sa volonté, elle se consacra entièrement à ces exercices de la Passion. Son très-fidèle et très-ardent amour ne lui permettait point de vivre sans souffrir avec son très-doux Fils, depuis qu'elle l'avait vu et qu'elle l'avait accompagné du jardin des Oliviers au Calvaire. Néanmoins le Seigneur ne cessa de la combler des plus rares faveurs, ainsi que l'atteste toute cette histoire; mais ces faveurs, ces caresses furent des gages et des témoignages de l'amour réciproque de son très-saint Fils, qui, selon notre manière de concevoir, ne pouvait s’empêcher de traiter sa très-pure Mère en Dieu d'amour, tout-puissant et riche en miséricordes infinies. Quant à la très-prudente Vierge, elle ne sollicitait ni ne souhaitait ces faveurs, car elle ne tenait à la vie que pour être crucifiée avec Jésus-Christ, et pour continuer et renouveler en elle les douleurs de sa Passion ; sans cela il lui semblait inutile de vivre dans une chair passible.

575. C'est pourquoi elle régla ses occupations de telle sorte, qu'elle eut toujours au fond de son âme l'image de son très-saint Fils maltraité, affligé, couvert de plaies et défiguré par les souffrances de sa Passion , le regardant en elle-même en cette forme comme dans le miroir le plus brillant. Elle entendait les

 

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injures, les affronts et les blasphèmes qu'il souffrit ; elle voyait les lieux , connaissait les temps et les circonstances de toute la Passion, et en contemplait à la fois toutes les scènes d'un oeil vif et pénétrant. Et quoiqu'à la vue de ce triste spectacle elle continuât durant tout le jour. des actes héroïques de toutes les vertus , et qu'elle sentit une grande douleur et une tendre compassion son très-prudent amour ne se contenta point de ces exercices, et la porta à en pratiquer d'autres avec ses anges, à certaines heures et à des moments déterminés auxquels elle se trouvait seule, surtout avec ceux qui portaient les devises des instruments de la Passion, comme je l'ai marqué dans la première partie. Elle voulut que ceux-là d'abord, et les autres anges ensuite, se joignissent à elle dans les exercices suivants.

576. Pour chaque espèce de plaies et de douleurs que souffrit notre Sauveur, elle fit des hymnes particulières avec lesquelles elle l'adorait d'une manière spéciale. Pour les injures dont l'accablèrent les Juifs et ses autres ennemis dans le cours dé sa vie apostolique, à cause de l'envie que leur inspiraient ses miracles, et dans le cours de sa très sainte Passion, pour exercer leur vengeance et leur fureur, pour chacune de ces injures, pour chaque parole blasphématoire, elle fit un cantique particulier, par lequel elle rendait au Seigneur la vénération quo ses ennemis s'obstinaient à lui refuser, et l'honneur qu'ils cherchaient à ternir. Pour chacune des moqueries, pour chacune des avanies qu'il essuya,

 

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elle s'humiliait profondément par des génuflexions et des prosternations réitérées. De sorte qu'elle réparait et effaçait pour ainsi dire les opprobres et les ignominies dont son très-saint fils avait été couvert, et en sa vie et en sa mort, glorifiant sa divinité, son humanité, sa sainteté, ses miracles, ses oeuvres et sa doctrine. Elle l'exaltait et le magnifiait pour tout cela, et les saints anges ne cessaient de se joindre à elle, et répondaient aux cantiques qu'elle faisait, frappés d'admiration à la vue d'une telle sagesse, d'une telle fidélité et d'un tel amour chez une simple créature.

577. Assurément, quand même la bienheureuse Vierge ne se fût occupée pendant toute sa vie qu'à ces exercices de la Passion , elle eût plus souffert et plus mérité que. tous les saints ensemble. La violence dr. l'amour et des douleurs qu'elle sentait dans ces exercices, lui fit maintes fois subir un véritable martyre, car elle y eût succombé autant de fois, si la vie ne lui eût été conservée parla vertu divine, pour augmenter ses mérites et sa gloire. Or, si nous considérons qu'elle offrait toutes ces a ouvres pour l'Église , et avec quelle ardente charité elle le faisait, nous comprendrons combien ses enfants les fidèles sont redevables à cette Mère de clémence d'avoir augmenté avec tant d'abondance le trésor dont elle les enrichit , eux qui n'étaient d'abord que de misérables descendants d'Ève. Et afin que nous apportions dans notre méditation moins de mollesse et de tiédeur, je dis que les effets de celle de la bienheureuse Vierge étaient inouïs, car il arrivait souvent qu'elle versait des larmes de sang jusqu'à en

 

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avoir le visage inondé; d'antres fois elle était baignée des sueurs de l'agonie , et des gouttes d'eau et de sang ruisselaient jusqu'à terre. Bien plus, la violence de la douleur arracha en certains cas son coeur de son siège naturel; et lorsqu'elle était réduite à une telle extrémité, son très-saint Fils descendait du ciel pour la fortifier, et pour guérir la blessure que son amour avait faite, ou que sa très-douce Mère avait reçue pour lui; et le même Seigneur la réconfortait, la renouvelait, afin qu'elle pût continuer ses douloureux exercices.

578. Comme je le dirai dans la suite, le Seigneur n'épargnait ces effets pénibles à la divine Mère que les jours qu'elle célébrait le mystère de la résurrection, afin que les effets correspondissent à leur cause. En outre, il y avait quelques-unes de ces peines qui n'étaient point compatibles avec les faveurs dont les effets rejaillissaient jusque sur le corps de la bienheureuse Vierge, car alors la jouissance excluait la peine Mais, même en ce cas, elle ne perdait jamais de vue l'objet de la Passion, et cet objet lui inspirait une nouvelle compassion, qui lui faisait mêler la reconnaissance de ces faveurs avec celle qu'elle éprouvait à la pensée de ce que son très-saint Fils avait souffert. De sorte qu'à la jouissance que lui procuraient les bienfaits elle joignait toujours lé souvenir de la Passion du Seigneur, pour tempérer jusqu'à un certain point par cette amertume la douceur des caresses. Elle fit aussi que l'évangéliste saint Jean lui permit de se retirer chaque vendredi de l'année pour célébrer

 

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la mort et les funérailles de son très-saint Fils, et ce jour-là elle ne sortait point de son oratoire. Saint Jean restait dans le Cénacle pour répondre à ceux qui la demandaient, et afin que personne ne la troublât dans sa retraite; et lorsque l'évangéliste était occupé ailleurs, un autre disciple prenait sa place. La bienheureuse Vierge se retirait pour cet exercice le jeudi à cinq heures du soir, et ne sortait point jusque vers le midi du dimanche. 1lisis afin de ne pas laisser en souffrance les affaires importantes qui pouvaient se présenter pendant ces trois jours, notre grande Reine ordonna à l'un de ses anges de sortir sous sa forme en cas de nécessité, et alors le courtisan céleste expédiait rapidement ce qui ne pouvait pas être différé: si grande était la prévoyance qu'elle apportait en toutes les rouvres de charité utiles à ses enfants les fidèles.

579. Nous ne saurions ni exprimer ni même concevoir ce qui se passait en la divine Mère durant cet exercice de trois jours ; le Seigneur, qui seul en était l'auteur, le manifestera en son temps dans la lumière des saints. Je ne puis non plus expliquer ce que j'en ai compris, je dis seulement que la bienheureuse Marie, commençant par le lavement des pieds, continuait jusqu'au mystère de la résurrection, et à chaque heure commémorative elle renouvelait en elle-même tous les mouvements, tous les actes et toutes les oeuvres qu'avait faits, et toutes les souffrances qu'avait ressenties son très-saint Fils. Elle faisait les mêmes prières, les mêmes demandes qu'il avait faites, comme nous l'avons dit en son lieu. La divine Mère

 

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éprouvait de nouveau en son corps virginal toutes les douleurs qu'a souffertes notre Sauveur Jésus-Christ, aux mêmes endroits et aux moments correspondants. Elle portait la croix et s'y étendait. Et pour tout comprendre en peu de mots, je dis que, tant qu'elle vécut, la Passion de son très-saint Fils se renouvelait en elle chaque semaine. Elle obtint cri cet exercice de grandes faveurs dit Seigneur pour ceux qui seraient dévots à sa très-sainte Passion. Et cette grande Dame, comme puissante Reine, leur promit, outre sa protection, une participation spéciale aux trésors de la Passion; car elle désirait vivement que cette pratique se conservât et se perpétuât dans l'Église. Et pour satisfaire ses désirs et exaucer ses prières, le Seigneur a voulu que beaucoup de fidèles se dent depuis livrés à ces exercices de la Passion dans la sainte Église, il l'imitation de la bienheureuse Vierge, qui fut la première Maîtresse qui enseigna cette salutaire pratique.

580. Parmi ces exercices, notre auguste Princesse célébrait avec nue ferveur particulière l'institution du très-saint Sacrement, en faisant de nouveaux cantiques, de louange et de reconnaissance , et des actes du plus ardent amour. Et pour cette solennité elle conviait d'une manière spéciale ses anges et un grand nombre d'autres esprits célestes, qui descendaient de l'empyrée pour l'assister et l’accompagner en ses hymnes au Seigneur. Et, par une merveille digne de sa toute-puissance, le Très Haut, qui avait. voulu que la divine Mère portât Jésus-Christ lui-même dans son sein

 

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sous les espèces sacramentales, qui (comme je l'ai dit) y conservaient leur intégrité d'une communion à l'autre, envoyait du ciel des légions d'anges, afin qu'ils vissent ce prodige. en sa très-sainte Mère, et lui rendissent honneur et gloire pour les effets qu'il opérait sous les espèces sacrées, en cette créature plus pure et plus sainte que tous les anges et que tous les séraphins ensemble, qui n'ont vu ni avant ni après rien de semblable en tout le reste des créatures.

581. Ce qui n'excitait pas moins leur admiration, et ne doit pas moins exciter la. nôtre, c'est qu'encore que la grande Reine du ciel fût si saintement disposée quelle pût dignement conserver dans son sein Jésus-Christ sous les espèces sacramentales; elle se préparait néanmoins à le recevoir de nouveau quand elle communiait, (et elle le faisait presque tous les jours, excepté ceux où elle ne quittait point son oratoire), par de nouveaux actes de ferveur, par des oeuvres et par des dévotions extraordinaires qu'elle pratiquait pour cette préparation. A cet effet, elle offrait en premier lieu tout l'exercice de la Passion de chaque semaine, puis lorsqu'elle se retirait à l'entrée 'de la nuit qui précédait le jour de la communion, elle coin mentait d'autres exercices, se prosternant en forme de croix, faisant de nouvelles prières et adorant l'être immuable de Dieu. Elle demandait au Seigneur la permission de lui parler, et l'ayant obtenue, elle le suppliait de lui accorder, sans considérer sa bassesse terrestre, la communion de son très-saint Fils dans l'Eucharistie, et d'avoir égard, pour lui faire cette

 

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faveur, à sa bonté infinie et a ta charité que le Verbe incarné témoigne lui-même en demeurant dans la sainte Église sous les espèces sacrées. Elle lui offrait sa passion et sa mort, les dispositions excellentes avec lesquelles il se communia lui-même, l'union de la nature humaine avec la nature divine en la personne du même Jésus-Christ, toutes ses oeuvres dès l'instant qu'il s'incarna dans son sein virginal, toute la sainteté et toute la pureté de la nature angélique, toutes les oeuvres de ces esprits célestes, et toutes celles des justes des temps passés, du présent et de l'avenir, dans tous les siècles.

582. Ensuite elle faisait du fond de son dîne des actes d'humilité sincère, se considérant comme une vile poussière d'une nature toute terrestre devant l'être de Dieu, à qui les créatures sont si peu comparables et si inférieures. Par ce retour sur son être et par la contemplation de l'être de Dieu qu'elle devait recevoir dans le très-auguste sacrement, elle produisait des actes d'amour si admirables, qu'il n'y a point dans la langue humaine de termes qui puissent les traduire, car elle s'y élevait au-dessus de tous les chérubins et de tous les séraphins. Et comme en sa propre estime elle prenait la dernière place entre les créatures, elle s'adressait aussitôt à ses anges et à tous les autres esprits célestes, et les priait avec une humilité incomparable de supplier avec elle le Seigneur de la préparer à le recevoir dignement, elle qui n'était qu'une créature terrestre. Les anges lui obéissaient avec admiration et avec joie, et l'accompagnaient en ces prières,

 

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auxquelles elle s'occupait la plus grande partie de la nuit qui précédait le jour de la communion.

583. Et comme la sagesse de notre grande Reine, quoique finie en soi, n'en est pas moins incompréhensible pour nous, il est certain qu'on ne pourra jamais apprécier dignement le degré de mérite qu'atteignaient les oeuvres et les vertus qu'elle pratiquait, et les actes d'amour qu'elle produisait dans ces occasions. Mais ils étaient si parfaits, qu'ils obligeaient pour ainsi dire souvent le Seigneur de la visiter, ou de lui répondre en lui faisant connaître la complaisance avec laquelle il viendrait dans son sein et dans son coeur, et y renouvellerait les gages de son amour infini. Lorsque. le temps de communier était arrivé, elle entendait d'abord la messe que d'ordinaire disait l'évangéliste. Il n'y avait point alors d'épître ni d'évangile, puisque le Nouveau Testament n'était pas encore écrit; mais ils étaient remplacés par d'autres cérémonies et par divers psaumes et oraisons : quant à la consécration, elle fut toujours la même. La messe étant achevée, la divine Mère s'approchait pour communier, faisant trois profondes génuflexions, et tout enflammée de charité elle recevait sous les espèces sacramentales son propre Fils, auquel elle avait donné cette humanité très-sainte dans son sein virginal, et l'introduisait dans son coeur très-pur. Après avoir, communié, elle se retirait dans son oratoire et y pas-, sait trois heures dans le recueillement, si quelque pressante nécessité de son prochain ne la forçait d'en sortir. Et dans ces moments-là l'évangéliste mérita

 

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de la voir maintes fois revêtue de splendeur et toute rayonnante comme le soleil.

584. La prudente Mère connut que, pour célébrer le sacrifice non sanglant, il fallait que les apôtres et les prêtres portassent un ornement particulier, et des habita mystérieux outre leur costume ordinaire. Dans cet esprit elle fit de ses propres mains des ornements et des habits sacerdotaux pour célébrer la messe, ayant ainsi établi dans l'Église cette partie du saint cérémonial. Ces ornements n'étaient point de la même forme que ceux, dont l'Église romaine se sert maintenant, mais ils n'en différaient pas beaucoup, bien que plus, tard on les ait réduits à la forme qu'ils ont aujourd'hui. Quant à l'étoffe, elle se rapprochait davantage de celle de nos ornements, car elle les fit en toile et en soie fort riche, su moyen des aumônes et des dons que lui faisaient les fidèles. Lorsqu'elle y travaillait, qu'elle les pliait, qu'elle les arrangeait, elle se tenait toujours à genoux ou debout, et elle n'avait point d'autres sacristains que les anges, qui l'assistaient en tout cela; aussi entretenait-elle avec une propreté incroyable tout ce qui servait à l'autel, et les ornements sortaient de ses mains imprégnés d'une odeur céleste qui augmentait la dévotion des ministres.

585. Plusieurs nouveaux convertis de divers royaumes et de diverges provinces où les apôtres prêchaient, venaient à Jérusalem pour visiter la Mère du Rédempteur du monde, et lui offraient de riches dons. Parmi ces. visiteurs figurèrent quatre princes

 

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souverains,. qui étaient comme rois dans leurs provinces; ils lui apportèrent beaucoup d'objets d'un grand prix; afin qu'elle s'en servit et qu'elle les donnât aux apôtres et aux disciples. Notre grande Reine leur répondit qu'elle était pauvre comme son Fils, et que les apôtres l'étaient aussi bien que le Maître, et que ces richesses ne convenaient point au genre de vie qu'ils. professaient. Ils la prièrent avec instance de les accepter pour leur consolation , sauf à les distribuer aux pauvres ou à les employer au culte divin. Et pour ne pas les affliger, elle accepta une partie de ce qu'ils lui offrirent; elle fit des ornements pour l'autel de quelques riches brocards qui s'y trouvaient, et distribua le reste aux hôpitaux qu'elle avait accoutumé de visiter, et aux pauvres qu'elle servait et lavait dé ses propres mains; et lorsqu'elle remplissait ces offices de charité, comme lorsqu'elle donnait l'aumône aux pauvres, elle le faisait à genoux. Elle soulageait tous les nécessiteux, aidait à bien mourir les agonisants qu'il lui était possible d'assister, et ne se lassait point d'exercer les oeuvres de charité, soit par des secours extérieurs, soit en priant dans son oratoire.

586. Elle donna à ces princes qui la visitèrent des conseils et des instructions salutaires pour le gouvernement de leurs États, leur recommanda de rendre la justice avec impartialité, sans acception de personnes, de se reconnaître pour de simples mortels comme les autres hommes, et de craindre le jugement du souverain Juge, où tous doivent être jugés d'après leurs

 

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propres œuvres, et surtout de travailler à l'exaltation du nom de Jésus-Christ et à la propagation de la sainte foi, sur le fondement de laquelle les monarchies véritables sont établies; car en dehors de la foi, c'est une chose funeste que de régner, c'est un déplorable assujettissement aux démons, et Dieu ne le permet dans ses secrets jugements que pour le châtiment de ceux qui règnent et de leurs sujets. Ces heureux princes promirent à la divine Mère de profiter de ses avis, et entretinrent dans la suite des relations avec elle par lettres et par d'autres correspondances. Il en arriva de même à l'égard de tous ceux qui la visitèrent; tous la quittaient en meilleur état et remplis d'une lumière, d'une joie et d'une consolation qu'ils ne pouvaient expliquer. Beaucoup de personnes qui ne s'étaient pas précédemment converties aussitôt qu'elles la voyaient, confessaient à haute voix la foi du véritable Dieu, sans pouvoir résister à la force intérieure qui les maîtrisait en arrivant auprès de sa bienheureuse Mère.

587. On ne doit pas être surpris de ces effets, puisque cette grande Dame était un instrument très-fficace de la puissance de Dieu et de sa grâce en faveur des mortels. Non-seulement ses paroles pleines de la plus haute sagesse les mettaient dans l'admiration et les convainquaient tous en les éclairant d'une nouvelle lumière; mais de même que la grâce était répandue sur ses lèvres pour la communiquer (1), de

 

(1) Ps., XLIV, 3.

 

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même par les charmes et par la beauté de son visage, par la douce majesté de sa personne, par la modestie de sa physionomie à la fois grave et agréable, et par la vertu secrète qui en sortait, comme l'Évangile le dit de son très-saint Fils (1), elle attirait les coeurs et les renouvelait. Les uns étaient dans le ravissement, les autres fondaient en larmes, ou bien exhalaient leur admiration en magnifiques louanges, confessant hautement la grandeur du Dieu des chrétiens qui avait formé une telle créature. Ah! ils pouvaient véritablement attester ce que quelques saints ont dit depuis, que Marie était un prodige divin de toute sainteté (2). Qu'elle soit éternellement louée et reconnue de toutes les nations pour la véritable Mère de Dieu, qui l'a rendue si agréable à ses yeux (3), si douce Mère pour les pécheurs, et si aimable pour tous les anges et pour tous les hommes.

588. Dans ces dernières années notre auguste Reine ne mangeait et ne dormait que fort peu , encore ne le faisait-elle que pour obéir à saint Jean, qui la pria de prendre quelque repos dans la nuit. Mais son sommeil n'était qu'une légère suspension des sens, pendant une demi-heure ou tout au plus une heure entière, sans perdre la vision de la Divinité en la manière que j'ai dite ailleurs. Sa nourriture ordinaire ne consistait qu'en quelques morceaux de pain , et si parfois elle mangeait un peu de poisson, c'était à la sollicitation

 

(1) Luc., VI, 19. — (2) S. Ignat., mart., epist. 1; S. Ephtem, Orat. in Laud. Virg., et alii. — (3) Luc., 1, 48.

 

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de l'évangéliste et pour lui tenir compagnie, car le saint fut aussi heureux à cet égard qu'en tous les autres privilèges de fils de la bienheureuse Marie; puisque non-seulement il mangeait avec elle à la même table, mais notre grande Reine lui apprêtait encore elle-même ses repas, les lui servait comme une mère à son fils, et lui obéissait comme su prêtre et au substitué de Jésus-Christ. L'auguste Vierge pouvait bien se passer de ce sommeil et de ces aliments, qu'elle paraissait prendre pour la forme plutôt que pour entretenir sa vie: aussi n'y était-elle contrainte par aucune nécessité; mais elle voulait témoigner sa soumission à l'apôtre, et pratiquer l’humilité en reconnaissant le besoin de la nature humaine, et en y satisfaisant jusqu'à un certain point, car elle était très-prudente en tout.

 
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 

589. Ma fille, les mortels remarqueront dans toute l'histoire de ma vie le souvenir et la reconnaissance que j'eus des oeuvres de la rédemption du genre humain, de la Passion et de la mort de mon très-saint Fils, surtout après qu'il se fut offert sur la croix pour le salut éternel des hommes. Mais dans ce chapitre j'ai particulièrement voulu vous donner

 

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connaissance des exercices assidus et fervents par lesquels je renouvelais en moi non-seulement la mémoire, mais encore les douleurs de la Passion, afin de reprocher par mon exemple aux hommes rachetés, et de confondre l'oubli monstrueux qu'ils font de ce bienfait incompréhensible. Oh ! combien grossière, horrible et dangereuse est cette ingratitude des hommes 1 L'oubli est une marque évidente du mépris; car on n'oublie pas si facilement ce qu'on estime beaucoup. Or comment supposer, comment concevoir que les hommes méprisent et oublient le bien éternel qu'ils ont reçu, l'amour avec lequel le Père éternel a livré son Fils unique à la mort (1), la charité et la patience avec laquelle son même Fils et le mien l'a subie pour eux ? La terre insensible est reconnaissante à celui qui la cultive et qui l'améliore. Les bêtes féroces s'apprivoisent et s'adoucissent par les bons traitements qu'elles reçoivent. Les mêmes hommes, dans leurs rapports, reconnaissent la dette qu'ils contractent envers leurs bienfaiteurs; et si l'un d'eux manque à cette reconnaissance, on s'en ressent, on le condamne, et l'on considère cette faute comme une grande offense.

590. Quelle raison ont-ils donc de n'être méconnaissants qu'envers leur Dieu et leur Rédempteur, et d'oublier ce qu il a souffert pour les racheter de leur damnation éternelle ? Et après cette ingratitude ils se plaignent s'il ne leur accorde tout ce qu'ils

 

(1) Joan., III, 16.

 

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souhaitent. Afin qu'ils sachent combien cette insensibilité leur est funeste, je vous déclare, ma fille, que quand Lucifer et ses démons l'observent en un si grand nombre dames qui en sont frappées, ils tirent cette conséquence, et disent de chacune : Cette âme ne se souvient point et ne fait aucune estime de la faveur que Dieu lui a faite en la rachetant; nous sommes donc sûrs de nous en emparer: car une créature assez stupide pour tomber dans un pareil oubli sera certainement incapable de découvrir nos artifices. Approchons-nous-en pour la tenter et pour la perdre, puisqu'il lui manque ce qui pourrait la mieux défendre contre nous. Et, encouragés par la longue expérience qu'ils ont faite que cette conséquence est presque infaillible, ils travaillent avec une ardeur infatigable à effacer de l'esprit des hommes le souvenir de la rédemption et de la mort de Jésus-Christ, ils les portent à dédaigner de s'en entretenir ou de l'entendre prêcher, et, malheureusement pour la perte des âmes, ils ont réussi près de la plupart. Mais, au contraire, ils craignent de tenter ceux qui ont accoutumé de méditer sur la Passion, parce que les démons sentent que ce souvenir renferme une force, une vertu, dont l'influence souvent ne leur permet pas de s'approcher de ceux qui renouvellent en leur mémoire ces mystères avec dévotion.

591. Je veux donc, ma fille, que vous n'éloigniez point de votre coeur ce bouquet de myrrhe (1), et

 

(1) Cant., I, 12.

 

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que vous vous efforciez de m'imiter autant que possible dans les exercices que je faisais pour imiter moi-même mon très-saint Fils en ses douleurs, et. pour réparer les outrages que les ennemis qui font crucifié ont faits à sa divine personne par leurs injures et leurs blasphèmes. Tâchez maintenant dans le monde de le dédommager au moins un peu de la noire ingratitude des mortels. Et, pour le faire comme je veux que vous le fassiez, vous ne devez jamais interrompre le souvenir de Jésus-Christ crucifié, affligé et blasphémé. Persévérez en ces exercices sans les omettre, si ce n'est que l'obéissance ou quelque juste cause vous en empêche ; car si vous m'imitez en cette pieuse pratique, je vous rendrai participante des effets qu'elle me faisait éprouver.

592. Pour vous disposer chaque jour à la communion, servez-vous de ces mêmes exercices; imitez-moi en outre dans les autres oeuvres par lesquelles vous avez appris que je m'y préparais, considérant que si, étant Mère du même Seigneur que je devais recevoir, je ne me croyais pas digne de participer à l'Eucharistie et je tâchais par toute sorte de moyens d'acquérir la pureté que requiert un si auguste sacrement, vous devez faire bien plus, vous qui êtes pauvre et sujette à tant de misères, d'imperfections et de péchés. Purifiez le temple de votre intérieur, l'examinant au flambeau de la lumière divine, et l'ornant des vertus les plus excellentes; car c'est le Dieu éternel que vous recevez, Celui qui fut seul digne par lui-même de se recevoir sous les espèces

 

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sacrées. Sollicitez l'intercession des auges et des saints, afin qu'ils vous obtiennent la grâce de sa divine Majesté. Et surtout ne manquez pas de vous adresser à moi, et de me demander ce bienfait; car je vous fais savoir que je suis l'Avocate et la Protectrice spéciale de ceux qui désirent recevoir avec une grande pureté la sainte communion. Et lorsqu'ils m'invoquent pour cela, je me présente dans le ciel devant le trône du Très-Haut, et je demande ses bénédictions en faveur de ceux qui veulent recevoir en parfait état de grâce l'adorable Sacrement, parée que je connais la préparation qu'exige dans un lieu la prochaine entrée de Dieu lui-même. Je n'ai pas perdu dans le ciel ce zèle de sa gloire, que je procurais avec tant de soin étant sur la terre. Après que vous aurez imploré mon intercession, vous solliciterez celle des anges , qui souhaitent aussi avec ardeur que les âmes s'approchent de l'adorable Eucharistie avec beaucoup de dévotion et de pureté.

 

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CHAPITRE XI. Le Seigneur éleva par de nouveaux bienfaits la bienheureuse Mère au-dessus de l'état dont il a été parlé dans le chapitre huitième de ce livre.

 

593. Il a été dit au chapitre huitième que la grande Reine de l'univers fut nourrie par cet aliment, que le Seigneur lui procura dans l'état et de la manière que j'y ai fait connaître, pendant les mille deux cent soixante jours dont l'évangéliste fait mention au chapitre douzième de l'Apocalypse (1). Ces jours font environ trois ans et demi, par lesquels la divine Mère accomplit la soixantième année de son âge, plus deux mois et quelques jours; et c'était l'an quarante-cinq du Seigneur. Et de même que la pierre, dans le mouvement naturel avec lequel elle descend vers son centre, prend une plus grande vitesse à mesure qu'elle s'en approche davantage ; de même, plus notre auguste princesse s'approchait de sa fin et du terme de sa très-sainte vie, plus chez elle étaient rapides les élans de l'esprit et plus véhéments les désirs du coeur, pour arriver au centre de son repos éternel.

 

(1) Apoc., XII, 5.

 

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Dès l'instant de son immaculée Conception elle était sortie de l'océan de la Divinité comme un grand fleuve dont le cours fut tracé dans les siècles éternels; et par les affluents de tant de dons, de grâces, de vertus, de sainteté et de mérites il avait eût de telle sorte, que toute l'étendue des créatures était pour lui un lit trop étroit, et dans son impétuosité, dans l'espèce d'impatience que lui donnaient la sagesse et l'amour, il se hâtait de s'unir à cet océan d'où il était sorti, pour y retourner et en rejaillir ,une seconde fois en torrents de miséricorde sur l'Église (1).

594. Notre grande Reine vivait en ces dernières années, à cause de la douce violence de l'amour, dans une espèce de martyre continuel; car il est clair que, dans ces mouvements de l'esprit, il est métaphysiquement nécessaire que, quand le centre est plus Voisin , il attire avec une plus grande force l'objet qui s'en approche; et la bienheureuse Marie était si près du Bien souverain et infini, qu'elle n'en était séparée (comme elle l'a dit dans le Cantique des cantiques) (2), que par le treillis ou la muraille de la mortalité, et cet obstacle n'empêchait point qu'ils se regardassent par une vue et par un amour, réciproques; et du côté de tous les deux l'amour tendait avec tant d'impatience à franchir les milieux qui empêchaient l'union à l'objet aimé, qu'il ne souhaitait rien tant que de les anéantir, pour réaliser cette

 

(1) Eccles., I, 7. — (2) Cant., II, 9.

 

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union. Son très-saint Fils la désirait, mais le besoin que l'Église avait encore d'une telle Maîtresse l'arrêtait. La très-douce Mère la souhaitait aussi, et sans oser demander la mort naturelle, elle ne pouvait pourtant, pas s'empêcher de sentir la force de l'amour, et de souffrir violence dans les liens de la vie mortelle, qui arrêtaient son vol.

595. Mais, en attendant le temps déterminé par la Sagesse éternelle, elle souffrait les douleurs de l'amour, qui est fort comme la mort (1). Par ces mêmes douleurs elle appelait son bien-aimé , et lui disait de sortir de sa retraite (2), de venir aux champs, de s'y arrêter, et d'y voir les fleurs odoriférantes et les doux fruits de sa vigne (3). Elle blessé par les traits de ses yeux et de ses désirs le coeur de son bien-aimé (4); et le fit descendre des hauteurs en sa présence. Or il arriva qu'un jour, au temps dont je parle, les amoureuses ardeurs de la bienheureuse Mère s'augmentèrent de telle sorte, qu'elle eut véritablement sujet de dire qu'elle languissait d'amour (5); car, sans tomber dans les défauts de nos passions terrestres, elle devint malade par les transports de son coeur, qui se déplaça de son siège, le Seigneur le permettant afin que, comme il était la cause de la maladie, il le fût aussi glorieusement de la guérison et du remède. Les saints anges qui l'entouraient, étonnés de la force et des effets de l'amour de leur.

 

(1) Cant., VIII, 6. — (2) Cant., VII, 11. — (3) Ibid., 12. — (4) Cant., IV, 9. — (5) Cant., II, 5.

 

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Reine, lui parlaient en anges, afin de lui procurer quelque soulagement par l’espérance si assurée de la possession à laquelle elle aspirait; mais ces remèdes augmentaient sa flamme au lieu de l'éteindre; notre auguste Princesse ne leur répondait que pour les conjurer de dire à son bien-aimé qu'elle languissait d'amour (1); et ils répétaient au bien-aimé l'amoureux message dont elle les chargeait. On doit savoir que tous les mystères renfermés dans le Cantique des cantiques de Salomon s'accomplirent plus particulièrement chez cette unique et digne Épouse dans cette circonstance et dans plusieurs autres de ces dernières années. Il fallut que les ministres célestes qui l'assistaient sous une forme visible, la reçussent entre leurs bras à cause des douleurs qu'elle sentait.

596. En cette circonstance son très-saint Fils, accompagné de milliers d'anges qui le magnifiaient, descendit du ciel sur un trône de gloire pour la visiter. Et s'approchant de la divine Mère, il la renouvela, la réconforta dans ses défaillances, et lui dit en même temps : « Ma très-chère Mère, choisie pour   être l'objet de notre complaisance, vos gémissements et vos soupirs ont blessé mon coeur (2). Venez, ma colombe, dans ma patrie céleste, où vos douleurs et vos larmes seront changées en joie, et où vous serez soulagée de vos peines. » Et aussitôt les saints anges placèrent, par ordre du

 

(1) Cant., V, 8. — (2) Cant., IV, 9.

 

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même Seigneur, leur Reine sur un trône, à côté de son très-saint Fils, et ils montèrent tous dans l'empyrée, au milieu des accords d'une musique céleste. La bienheureuse Vierge y adora le trône de la très-sainte Trinité. L'humanité de notre Sauveur Jésus-Christ la tenait toujours à son côté, causant par là une joie accidentelle à tous les courtisans du ciel; et le même Seigneur, faisant ressortir cette glorification de Marie, comme s'il avait voulu, pour ainsi dire, rendre plus vive l'attention des saints, dit au Père éternel

597. « Mon Père, Dieu éternel, cette Femme est Celle qui m'a donné la forme humaine dans son sein virginal; Celle qui m'a nourri de son lait et qui m'a entretenu par son travail ; Celle qui s'est associée à mes propres travaux, et qui a coopéré avec moi dans les oeuvres de la rédemption du genre humain; Celle qui a toujours été très-fidèle et qui a en tout accompli notre volonté avec la plénitude de notre bon plaisir. Elle est immaculée et pure, comme ma digne Mère ; par ses oeuvres elle cet arrivée ait comble de toute sainteté et de tous les dons que notre puissance infinie lui a communiqués; lorsqu'elle avait mérité la récompense éternelle et qu'elle en pouvait jouir pour toujours, elle eu est privée Mur notre seule gloire, retournant près de l'Église militante pour l'établir, la gouverner et l'enseigner ; c'est donc parce qu'en restant sur la terre elle peut aller au secours des fidèles, que nous lui avons différé le repos éternel, qu’elle

 

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a mérité tant de fois. Il est conforme à la souveraine bonté et à la souveraine équité de notre Providence, que ma Mère soit récompensée de l'amour et des oeuvres qui nous la rendent agréable su dessus de toutes les créatures, et que la loi commune ne lui soit pas appliquée. Et si j'ai mérité   pour toutes des récompenses infinies et une grâce  sans mesure, il est juste que ma Mère les reçoive  au-dessus de tout le reste de celles qui lui sont si   inférieures, puisqu'elle correspond par ses oeuvres  à notre grandeur libérale, et qu'elle ne présente  aucun obstacle qui empêche la puissance infinie de notre bras de se manifester en elle avec éclat, et  de lui faire part de nos trésors comme à la Reine et  Maîtresse de tout ce qui a l'être créé. »

598. A cette proposition de la très-sainte humanité de Jésus-Christ, le Père éternel répondit : « Mon  Fils bien-aimé, en qui je trouve la plénitude de mes  complaisances (1), vous êtes l'aîné et le chef des   prédestinés (2), et j'ai mis toutes choses entre vos  mains (3), afin que vous jugiez avec équité toutes  les tribus et toutes les nations (4). Distribuez mes  trésors infinis, et faites-en part selon votre volonté  à notre bien-aimée, qui vous a revêtu de la chair passible, et ce sera conformément à sa dignité, et a à ses mérites, qui sont d'une si haute valeur à nos  yeux. »

 

(1) Matth., XVII, 5. — (2) Rom., VIII, 29. — (3) Joan., III, 35. — (4) Joan., V, 22.

 

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599. Alors notre Sauveur Jésus-Christ, sous le bon plaisir du Père éternel, détermina en la présence des saints, et par une espèce de promesse à sa très-sainte Mère, que dès ce jour-là, tant qu'elle vivrait en la chair mortelle, elle serait élevée par les anges à l'empyrée chaque dimanche, c'est-à-dire le jour qui mettait fin aux exercices qu'elle faisait sur la terre, et qui correspondait à la résurrection du même Seigneur, afin que, se trouvant en corps et en âme en la présence du Très-Haut, elle y célébrât la joie de ce mystère. Le Seigneur détermina aussi qu'en la communion de chaque jour, sa très-sainte humanité unie à la Divinité, lui serait manifestée d'une manière nouvelle et ineffable, différente de la manifestation qui lui avait été accordée jusqu'alors, afin que ce bienfait fût comme les arrhes, comme le gage précieux de la gloire qu'il avait préparée dans son éternité pour sa très-sainte Mère. Les bienheureux comprirent combien il était juste de faire cette faveur à la divine Mère, pour la gloire du Tout-Puissant et en témoignage tant de sa grandeur, que de la dignité et de la sainteté de l'auguste Vierge, à cause du digne retour qu'elle seule rendait à de telles oeuvres; et tous firent de nouveaux cantiques de gloire et de louange au Seigneur, qui est saint, juste et admirable en toutes ses oeuvres.

600. Puis notre Seigneur Jésus-Christ s'adressa à sa bienheureuse Mère, et lui dit : « Ma Mère bien-aimée, je serai toujours avec vous pendant le reste  de votre vie mortelle, et ce sera d'une nouvelle

 

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manière si merveilleuse, que jusqu'ici les hommes  ni même les anges ne l'ont point connue. Par ma a présence vous ne vous trouverez point dans la solitude, et où je suis là sera ma patrie; en moi vous serez soulagée de vos peines; quoique le terme de votre exil soit proche ; je vous en adoucirai moi-même les rigueurs. Que les liens du corps mortel ne vous soient donc point à charge, vous en serez  bientôt délivrée. Et en attendant que ce jour  arrive, je serai le terme de vos afflictions, et je tirerai quelquefois le rideau qui gêne vos désirs  amoureux. Pour tout cela je vous donne ma royale parole. » Au milieu de ces promesses et de ces faveurs, la bienheureuse Marie se renfermait dans les profondeurs de son humilité ineffable, où elle louait, exaltait et reconnaissait la munificence des bienfaits du Tout-Puissant; en s'anéantissant dans sa propre estime. C'était là un spectacle divin qu'on ne saurait décrire ni même concevoir dans la vie présente, que de voir Dieu lui-même élever justement sa digne Mère à une si haute excellence et à une si grande estime de sa sagesse et de sa volonté, et de la voir, elle, lutter, pour ainsi dire, avec la puissance divine, pour s'humilier, pour s’abîmer dans le néant, méritant par là même l'élévation qu'elle recevait.

601. Après tout cela, pour mieux la préparer à la vision béatifique, son âme fut illuminée et ses facultés furent retouchées, comme je l'ai déjà dit ailleurs, ou retrempées au feu divin. Le mystérieux rideau fut enfin tiré, et elle vit intuitivement Dieu; jouissant

 

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pour quelques heures plus que tous les saints de la fruition et de la gloire essentielle, elle buvait les eaux de la vie à leur propre source, elle rassasiait ses très-ardents désirs, atteignait son centre, et s'y fixait pour reprendre bientôt le mouvement rapide qui l'y avait portée. Sortie de cette vision, elle rendit des actions de grâces à la très-sainte Trinité, pria pour l'Église , et , toute renouvelée et réconfortée , les mêmes anges la ramenèrent à son oratoire, où son corps était demeuré en la manière que j'ai expliquée ailleurs, afin qu'on ne s'aperçut pas de son ravissement. En, descendant de la nuée dans laquelle les auges l'avaient portée, elle se prosterna selon sa coutume, et s'humilia après une telle faveur plus que tous les enfants d'Adam ne se sont jamais humiliés pour reconnaître leurs péchés et leurs misères. Dies ce jour-là, pendant tout le temps qu'elle passa encore sur la terre, la promesse du Seigneur fut accomplie en elle; ainsi tous les dimanches, lorsqu'elle avait achevé les exercices de la Passion , après minuit , vers l'heure de la résurrection, tous ses anges l'élevaient sur un trône lumineux et la portaient dans l'empyrée, où Jésus-Christ son très-saint Fils venait la recevoir, et l'attirait à lui par une espèce d'embrassement ineffable. Et quoique la Divinité ne lui fut pas toujours manifestée intuitivement, cette vision , lors même qu'elle n'était point béatifique, se trouvait accompagnée de tant d'effets admirables et d'une si grande participation de ceux de la gloire, qu'elle surpasse tout ce que l'esprit humain peut imaginer. Dans ces occasions

 

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les anges lui chantaient ce cantique : Regina caeli, laetare, alleluia; et c'était un jour fort solennel pour tous les saints, particulièrement pour saint Joseph, sainte Aune, saint Joachim, pour ses plus proches parents et pour ses anges gardiens. Ensuite elle consultait le Seigneur sur les affaires les plus importantes de l'Église, priait pour elle, surtout pour les apôtres, et s'en retournait sur la terre chargée de richesses, comme le vaisseau du marchand dont parle Salomon au chapitre trente-unième de ses Proverbes (1).

602. Sans doute, ce bienfait était une grâce insigne du Très-Haut; mais sa bienheureuse Mère y avait en quelque sorte droit à deux titres: l'un, parce qu'elle avait volontairement renoncé à la vision béatifique, qui lui était due à raison de ses mérites et parce qu'elle s'était privée de ces délices afin de prendre soin de l'Église sur la terre, où la violence de son amour et de ses désirs de voir Dieu faillit si souvent lui faire perdre la vie, que, pour la lui conserver, c'était un moyen fort convenable que de l'élever quelquefois en sa divine présence : or, ce qui était possible et convenable devenait comme nécessaire entre le Fils et la Mère; l'autre, parce que, renouvelant chaque semaine en elle-même la Passion de son très-saint Fils, elle en sentait si vivement. les douleurs, qu'elle se trouvait comme réduite à mourir de nouveau avec le même Seigneur, et par conséquent

 

(1) Prov., XXXI, 14.

 

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elle devait ressusciter avec lui. Et comme cet adorable Seigneur était déjà glorieux dans le ciel , il était juste qu'en sa présence même il fit participer sa propre Mère et son imitatrice à la joie de sa résurrection, afin que dans une semblable joie elle cueillît le fruit des douleurs et des larmes qu'elle avait semées (1).

603. Pour ce qui est du second bienfait que son très-saint Fils promit de lui accorder dans la communion, il est à remarquer que, jusqu'au temps dont je parle, notre grande Reine laissait passer plusieurs jours sans recevoir la communion, comme il arriva pendant le voyage d'Éphèse et en diverses absences de saint Jean, ou en d'autres circonstances. Sa profonde humilité l'obligeait' à se soumettre à tout cela sans s'en plaindre aux apôtres , à la décision desquels elle s'en remettait; car elle fut en tout le modèle et la maîtresse de la perfection , nous enseignant la soumission que nous devons pratiquer à son exemple, même en ce qui nous semble fort saint et fort utile. Mais le Seigneur, qui repose dans les coeurs humbles, et qui voulait surtout demeurer et reposer dans celui de sa Mère, pour y renouveler sans cesse ses merveilles, ordonna qu'après le bienfait dont je parle, elle communion chaque jour pendant le reste de sa vie. Elle connut cette volonté du Très-Haut dans le ciel; néanmoins, toujours très-prudente dans toutes ses actions, elle détermina que la volonté divine s'exécuterait

 

(1) Ps. CXXV, 5.

 

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au moyen de l'obéissance qu'elle rendait à saint Jean, afin d'agir en tout comme inférieure, avec humilité et comme soumise à celai qui la dirigeait dans sa conduite.

606. C'est pour cette raison qu'elle ne voulut point découvrir par elle-même à l'évangéliste ce qu'elle savait de la volonté du Seigneur. Or il arriva qu'un jour le saint apôtre fut fort occupé en la prédication, et que l'heure de la communion allait passer. Elle s'adressa aux saints anges, et leur demanda ce qu'elle devait faire: ils lui répondirent qu'il fallait accomplir ce que son très-saint Fils avait prescrit, qu'ils avertiraient saint Jean et lui apprendraient cet ordre de son Maître. Aussitôt un des anges alla trouver le saint où il prêchait, et se manifestant à lui, il lui dit : « Jean, le Très-Haut veut que sa Mère et notre Reine le reçoive sous les espèces sacramentales chaque a jour, tant qu'elle vivra dans le monde. » L'évangéliste, sur cet avis, sen retourna incontinent au Cénacle, où la très-pure Marie se préparait par le recueillement à la communion, et il lui dit : « Ma Mère et ma Maîtresse, fange du Seigneur m'a appris l'ordre de notre Dieu, qui veut que je vous administre son a corps adorable tous les jours sans en omettre aucun. » La bienheureuse Vierge lui répondit : « Et à vous, seigneur, que m'ordonnez-vous à cet égard? » Saint Jean répartit : «  Il  faut faire ce que votre Fils et mon Seigneur ordonne. » Et notre auguste Reine dit : « Voici sa servante toute prête à obéir. » Dès lors elle le reçut tous les jours tant qu'elle vécut sur la

 

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terre. Mais les jours auxquels elle pratiquait les exercices de la Passion, elle ne communiait que le vendredi et le samedi, car le dimanche elle était enlevée dans l'empyrée, comme je l'ai dit, et cette faveur lui tenait lieu de la communion.

605. A partir de l'époque dont je parle, l'humanité de Jésus-Christ lui était manifestée sous les espèces sacramentelles, su moment où elle les recevait dans son sein, en l'âge qu'il avait lorsqu'il institua le très-saint Sacrement. Et quoique dans cette vision la Divinité ne lui fût découverte que par la vision abstractive qu'elle avait toujours, la très-sainte humanité lui était néanmoins manifestée glorieuse, beaucoup plus resplendissante et plus admirable que lorsqu'elle se transfigura sur le Thabor. Elle jouissait pendant trois heures de cette vision après avoir communié, et c'était avec des effets qu'on ne saurait exprimer. Ce fut le second bienfait que son très-saint Fils lui promit pour la dédommager en partie de l'ajournement de la gloire éternelle qui lui avait été préparée. Outre cette raison, le Seigneur en eut encore une autre pour opérer cette merveille, c'est qu'il voulait réparer par avance l'ingratitude, la tiédeur et les mauvaises dispositions avec lesquelles les enfants d'Adam , dans les siècles de l'Église, traiteraient et recevraient le mystère sacré de l’Eucharistie. Et si la bienheureuse Marie n'eût suppléé à ce manquement de toutes les créatures, ce bienfait n'eût pas été dignement reconnu de la part de l'Église, et le Seigneur n'eût pas non plus été satisfait du retour que les

 

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hommes lui doivent pour s'être donné à eux dans cet auguste sacrement.

 
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

 

606. Ma fille, quand les mortels, ayant fourni la courte, carrière de leur vie, arrivent au terme que Dieu leur a assigné pour mériter la vie éternelle, alors s'évanouissent toutes leurs illusions devant cette grande expérience de l'éternité, dans laquelle ils vont entrer pour la gloire ou pour la peine qui ne finira jamais. C'est là où les justes connaissent en quoi a consisté leur bonheur et leur remède, et les réprouvés leur perdition éternelle et irréparable. O ma fille combien heureuse est la créature qui, dans le court moment de sa vie, tâche de prévoir par la science divine ce qu'elle doit bientôt connaître par sa propre expérience. C'est là la véritable sagesse que de connaître le but dès le commencement et non-seulement à la fin de la carrière, afin de la parcourir avec moins d'incertitude, et même avec une certaine assurance de l'atteindre. Or, considérez maintenant quelles seraient les dispositions de ceux qui , en entrant dans la lice , regarderaient un prix considérable qu'on aurait placé au bout de l'espace à franchir, et qu'ils pourraient gagner en y courant à toute vitesse. Certes, ils s'élanceraient, ils courraient avec toute la vitesse possible, sans se laisser distraire ni amuser par rien

 

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de ce qui pourrait les arrêter (1). Et s'ils ne couraient pas, s'ils ne regardaient pas le prix et la fin de leur course, on les ferait passer pour des fous ou pour des gens qui ne savent pas ce qu'ils perdent.

607. C'est là l'image de la vie mortelle des hommes, au terme de la courte carrière de laquelle se trouve pour prix la gloire éternelle, ou pour punition le tourment éternel, qui mettent fin à la course. Ils naissent tous à l'entrée de la carrière pour la parcourir par l'usage de la raison et par le libre arbitre; et personne ne peut prétexter l'ignorance de cette vérité, et encore moins les enfants de l'Église. Cela étant, que font de leur jugement ceux qui ont la foi catholique ? Pourquoi s'arrêtent-ils à la vanité? Pourquoi et comment s'attachent-ils à l'amour des choses passagères , apparentes et mensongères? Pourquoi songent-ils si peu à la fin où ils arriveront en si peu de temps? Comment ne s'occupent-ils pas de ce qui les attend à ce terme? Ignorent-ils peut-être qu'ils naissent pour mourir (2), et que la vie est fort courte, la mort inévitable, la récompense ou la punition infaillible et éternelle (3)? Que répondent à cela les amateurs du monde, qui consument leurs jours si rapides (ils le sont pour tous les mortels) à acquérir des richesses et des honneurs, et qui usent leurs forces et leurs facultés a la poursuite des plaisirs fugitifs et abjects de la terre?

608. Or, ma bien-aimée, considérez combien est

 

(1) I Cor., IX, 24. — (2) Ps. LXXXVIII, 47. — (3) II Cor., IV, 17.

 

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faux et perfide le monde dans lequel, vous êtes née, et que vous avez sous les yeux. Je veux que vous y soyez ma disciple, mon imitatrice, l'enfant de mes désirs et le fruit de mes prières. Oubliez-le entièrement avec. une intime horreur; ne perdez point de vue le terme vers lequel vous marchez d'un pas si accéléré, ni la fin pour laquelle votre Créateur vous a tirée du néant; soupirez toujours après cette fin ; qu'elle soit le but de tous vos efforts, de toutes vos aspirations; ne vous amusez point aux choses transitoires, vaines et mensongères; faites que le seul amour divin demeure en vous, et qu'il consume toutes vos forces; car ce n'est pas un véritable amour, que celui qui les laisse libres pour aimer quelque autre chose avec Dieu, et qui ne soumet, ne mortifie et n'attire toute la créature. Qu'il soit en vous fort comme la mort (1) , afin que vous soyez renouvelée comme je le désire. Ne contrariez point la volonté de mon très-saint Fils en ce qu'il veut opérer en vous, et soyez assurée de sa fidélité, et qu'il paie toujours le centuple (2). Méditez avec une humble vénération sur ce qui vous a été découvert jusqu'ici; je vous recommande et vous prescris d'en expérimenter de nouveau la vérité. C'est pourquoi, ayant achevé cette histoire, vous continuerez mes exercices avec un nouveau zèle. Rendez des actions de grâces au Seigneur de la grande faveur qu'il vous a faite de vous avoir ordonné par l'organe de vos supérieurs de le recevoir chaque jour

 

(1) Cant., VIII, 6. — (2) Matth., XIX, 29.

 

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dans l'adorable sacrement, et pour vous y disposer à mon imitation, continuez les prières que je vous ai enseignées.

 
CHAPITRE XII. Comment l'auguste Marie célébrait son Immaculée Conception et sa Nativité. — Les bienfaits qu'elle recevait ces jours-là de son Fils notre Sauveur Jésus-Christ.

 

609. Tous les offices et tous les titres honorables que la bienheureuse Marie avait dans l’Eglise, de Reine, de Mère, de Gouvernante, de Maîtresse et les autres, le Tout-Puissant les lui donna, non vides comme les hommes les donnent, mais avec la plénitude et la grâce surabondante que chacun demandait et que. Dieu même pouvait lui communiquer. Elle les possédait d'une manière si parfaite, que comme Reine elle connaissait toute sa monarchie, l'étendue qu'elle avait, et jusqu'où allait soli pouvoir; comme Mère, elle connaissait ses enfants et les domestiques de sa famille, sans qu'aucun lui fût caché de tous ceux qui dans la durée des siècles appartiendraient à l'Église; comme Gouvernante, elle connaissait tous ceux qui étaient sous sa conduite; et comme Maîtresse pleine de toute sagesse, elle embrassait toute la

 

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science doctrinale au moyen de laquelle la sainte Église allait, par son intercession, être gouvernée et enseignée dans tous les temps, dans tous les âges, par le Saint-Esprit, qui devait la diriger jusqu'à la fin du monde.

610. C'est pour cette raison que notre grande Reine eut une claire connaissance, non-seulement de tous les saints qui l'ont précédée et qui lui ont succédé dans l'Église, de leur vie, de leurs oeuvres, de leur mort et des récompenses qui leur étaient destinées dans le ciel ; mais encore de toutes les cérémonies, de tous les rites, de toutes les fêtes que l'Église établirait , et de toutes les décisions qu'elle rendrait dans la suite des temps; des raisons, des motifs, de la nécessité et des circonstances favorables qui détermineraient toutes ces choses par l'assistance du Saint-Esprit , qui nous donne la nourriture dans le temps le plus convenable pour la gloire du Seigneur et le progrès de l'Église. Et comme j'ai déjà parlé de tout cela dans le cours de cette histoire divine , notamment dans la seconde partie, je m'abstiendrai de répéter dans celle-ci ce que j'en ai dit. De cette plénitude de science et de sainteté qui se trouvait en notre auguste Maîtresse naquit en elle une sainte émulation de la reconnaissance et de la vénération que les anges et les saints témoignaient au Seigneur, du culte qu'ils lui rendaient, des fêtes qu'ils célébraient dans l'Église triomphante, et qu'elle voulait introduire dans l'Église militante, en tant que la seconde pourrait imiter la première, où elle avait vu si souvent

 

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tout ce qui s'y faisait à la louange et à la gloire du Très-Haut.

611. Avec cet esprit plus que séraphique, elle commença à pratiquer en elle-même plusieurs des rites et des exercices que l'Église a imités depuis, et les enseigna aux apôtres, afin qu'ils les introduisissent selon qu'il était possible alors. Ce fut elle qui établit non-seulement les exercices de la Passion que j'ai précédemment indiqués, mais encore un grand nombre d'usages et de cérémonies qui ont été plus tard repris dans les temples, dans les congrégations et dans les communautés: Car elle pratiquait tout ce qu'elle connaissait être du culte du Seigneur ou de l'exercice de la vertu; et d'un autre côté elle était si éclairée, qu'elle n'ignorait rien de ce qui se pouvait savoir. Entre autres institutions dont elle fut la promotrice, il faut citer la célébration de plusieurs fêtes du Seigneur et des siennes, pour renouveler la mémoire des bienfaits dont elle se trouvait redevable, tant de ceux qui regardaient le genre humain en général que de ceux qui la regardaient en particulier, et pour rendre des actions de grâces et mi juste culte d'adoration à Celui qui en était l'auteur. Il est vrai qu'elle .y consacrait sa vie entière, sans jamais se laisser aller à la moindre négligence ni au moindre oubli; néanmoins, quand arrivaient les jours auxquels ces mystères avaient été opérés , elle s'y disposait d'une manière spéciale, et les célébrait par de nouveaux exercices et par de nouveaux actes de reconnaissance. Je parlerai de diverses autres fêtes dans les chapitres suivants, je

 

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dirai seulement en celui-ci, comment elle célébrait son Immaculée Conception et le jour de sa Naissance, qui étaient les premiers mystères de sa vie. Elle avait commencé la commémoration de ces fêtes dès l'incarnation du Verbe, mais elle les célébrait avec un rite particulier après l'ascension, et surtout dans les dernières années de sa vie.

612. Le 8 décembre de chaque année, elle solennisait son Immaculée Conception avec des transports de jubilation et de reconnaissance qu'on ne saurait dépeindre; car notre auguste Reine prisait souverainement cet incomparable bienfait, auquel elle se croyait incapable de correspondre par une suffisante reconnaissance. Elle commençait dès la veille an soir, et passait toute la nuit en des exercices admirables, en des larmes de joie, en des actes d'humiliation et en des cantiques qu'elle faisait à la louange du Seigneur. Elle se considérait formée du limon commun de la terre, et descendante d'Adam dans l'ordre commun de la nature; mais choisie entre lors, et préservée elle seule de la loi commune, exempte du pesant tribut du péché, et comblée dès sa conception de tous les dons et de toutes les grâces. Elle conviait les anges à rendre des actions de grâces avec elle, et chantait avec eux les nouvelles hymnes qu'elle faisait. Puis elle priait encore les antres anges et les saints qui étaient dans le ciel de se joindre à elle ; mais elle s'enflammait de telle sorte en l'amour divin, qu'il fallait toujours que le Seigneur la fortifiait pour empêcher qu'elle ne se consumât et qu'elle ne mourût.

 

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613. Après qu'elle avait consacré presque toute la nuit à ces exercices, notre Sauveur Jésus-Christ descendait du ciel, les anges l'élevaient sur son trône, et le Seigneur la menait avec lui dans l'empyrée, où la solennité était continuée avec une nouvelle joie et une gloire accidentelle des habitants de la Jérusalem céleste. La bienheureuse Marie s'y prosternait, et adorait la très-sainte Trinité, lui rendant de nouvelles actions de grâces pour le bienfait de son immunité et de sa conception immaculée. Ensuite les anges la replaçaient à la droite de Jésus-Christ son très-saint Fils; et alors le Seigneur faisait lui-même une espèce de déclaration à la louange du Père éternel, le glorifiant de ce qu'il lui avait donné une Mère si digne, si pleine de grâce et exempte du commun péché des enfants d'Adam. Aussitôt les trois personnes divines confirmaient de nouveau ce privilège, comme si elles en eussent approuvé, ratifié et assuré la possession à notre auguste Reine, et comme si elles se fussent félicitées de l'avoir tant favorisée entre toutes les créatures. Et pour attester de nouveau cette vérité aux bienheureux, il sortait du trône, au nom de la personne du Père, une voix qui disait : O Fille du Prince ! vos pieds sont beaux (1), vous avez été conçue sans aucune tache de péché. Une autre voix du Fils qui disait : Ma Mère, qui m'a donné la forme en laquelle j'ai racheté les hommes, est très pure et sans aucune contagion du péché. Et le Saint-Esprit ajoutait : Vous êtes toute

 

1) Cant., VII, 1.

 

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belle, mon Épouse, vous êtes toute belle et exempte de la souillure du commun péché (1).

614. Après ces voix, on entendait celles de tous les choeurs des anges et des saints, qui répétaient avec une très-douce harmonie: Marie très-sainte, conçue sans le péché originel. La très-prudente Mère répondait à toutes ces faveurs par des actes de reconnaissance et d'adoration , et par des hymnes de louange su Très-Haut, avec une humilité si profonde, qu'elle surpassait tout ce que l'esprit angélique peut imaginer. Bientôt, pour terminer la solennité, elle~était élevée à la vision intuitive et béatifique de là très-sainte Trinité, et jouissait durant quelques heures de cette gloire, d'où les anges la ramenaient au Cénacle. Ce fut en cette manière que la solennité de sa Conception Immaculée se continua après l'ascension de son très-saint Fils. Et maintenant elle est célébrée le même jour dans le ciel d'une manière différente, que je rapporterai dans un autre livre que j'ai ordre d'écrire sur l'Église triomphante, si le Seigneur me le permet. La bienheureuse Vierge commença à solenniser cette fête et les autres dès l'incarnation du Verbe; car, aussitôt qu'elle se vit Mère de Dieu, elle commença à renouveler la mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus pour cette dignité : alors elle célébrait ces fêtes avec ses saints anges, et avec le culte et la reconnaissance qu'elle rendait à son adorable Fils, de qui elle avait reçu tant de faveurs.

 

(1) Cant., IV, 7.

 

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Les autres choses qu'elle faisait dans son oratoire, quand elle était descendue du ciel, sont les mêmes que j'ai dites ailleurs, après d'autres semblables bienfaits; car ils accroissaient sans cesse son humilité admirable.

615. Elle solennisait la fête de sa Naissance le 8 septembre, jour où elle naquit, et la commençait à l'entrée de la nuit avec les mêmes exercices et les mêmes cantiques qu'à la Conception. Elle rendait des actions de grâces de ce qu'elle était née en vie à la lumière de ce monde, de ce qu'elle avait eu le bonheur d'être élevée au ciel incontinent après sa naissance, et de ce qu'elle y avait vu la Divinité intuitivement, comme je l'ai dit en la première partie. Elle s'offrait de nouveau à employer toute sa vie à ce qu'elle connaîtrait être à la plus grande gloire du Seigneur et le plus agréable à sa divine Majesté, puisqu'elle savait qu'elle lui était donnée pour cela. De sorte que Celle qui, dès l'instant qu'elle parut sur la terre, surpassa en mérite les plus grands saints et les plus hauts séraphins, prenait encore, arrivée presque au terme de sa vie, la résolution de recommencer à travailler, comme si c'eût été le premier jour auquel. elle. se fût mise à pratiquer la vertu, et elle suppliait de nouveau le Seigneur de l'assister, de gouverner toutes ses actions, et de les diriger à la plus haute fin de sa gloire.

616. Quant aux autres choses qui se passaient en cette fête, quoiqu'elle ne fût point enlevée au ciel comme le jour de sa Conception , son très-saint Fils

 

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en descendait néanmoins, et venait dans sou oratoire avec un très-grand nombre d'anges, avec les anciens patriarches et prophètes, et particulièrement avec saint Joachim , sainte Anne et saint Joseph. Notre Sauveur Jésus-Christ descendait avec ce cortége, pour célébrer la Nativité de sa bienheureuse Mère sur la terre. Et la plus pure des créatures , en présence de cette céleste assistance , l'adorait avec une humilité admirable , et lui rendait de nouvelles actions de grâces du bienfait de l'existence, et des. faveurs dont il avait été accompagné. Ensuite les anges se joignaient à elle et lui chantaient : Nativitas tua, Dei Genitrix Virgo, etc. C'est-à-dire: «Votre naissance, ô Vierge, Mère de Dieu, a annoncé une grande joie à tout l'univers ; car de vous, comme de sa couche, s'est levé le Soleil de justice, qui est Jésus-Christ notre Dieu. »  Les patriarches et les prophètes entonnaient à leur tour des cantiques de gloire et de reconnaissance; Adam et Ève, de ce que la Réparatrice du dommage qu'ils avaient causé était née;; les parents et l'époux de notre auguste Reine, de ce qu ils avaient eu une telle fille et une telle épouse. Enfin le Seigneur lui-même relevait sa divine Mère, prosternée par terre, et la plaçait à sa droite, où elle découvrait de nouveaux mystères par une vision de la Divinité qui n'était point intuitive et béatifique, mais qui, tout en restant abstractive, était plus pénétrante et plus lumineuse.

617. Par ces faveurs si ineffables, elle était de nouveau transformée en son très-saint Fils, enflammée

 

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d'une plus vive ardeur, et toute spiritualisée pour travailler dans l'Église, comme si elle n'eût fait que commencer. Dans ces occasions, saint Jean l'évangéliste, qui méritait de prendre part à la fête, entendait la musique avec laquelle les anges la célébraient. Et pendant que le Seigneur lui-même restait dans l'oratoire. avec les anges et les saints qui l'accompagnaient, l'évangéliste y disait la messe, et notre auguste Reine communiait, se trouvant à la droite de son adorable Fils, qu'elle recevait dans son sein sous les espèces eucharistiques. Tous ces mystères faisaient un spectacle qui ravissait les saints d'une nouvelle joie, et ils servaient en même temps comme de témoins à la communion la plus digne que l'on ait vue et que l'on verra jamais dans le monde après celle de Jésus-Christ. Après que notre grande Dame avait reçu son très-saint Fils dans l'auguste sacrement, le Seigneur la laissait recueillie avec lui-même en cet état, et, reprenant son état glorieux et naturel, il s'en retournait au ciel. O merveilles cachées de la toute-puissance divine! Si Dieu se montre grand et admirable envers tous les saints (1), que n'aura-t-il pas fait envers sa digne Mère, qu'il aimait plus que tous, et pour laquelle il réserva tout ce qu'il y avait de plus grand et de plus excellent dans les trésors de sa sagesse et de sa puissance. Que toutes les créatures le glorifient, le louent et le bénissent.

 

(1) Ps. LXVII, 36.

 

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Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.

 

618. Ma fille, je veux que la première leçon que vous tirerez de ce chapitre serve à dissiper certaines craintes que je découvre dans votre coeur, à raison de la sublimité et du caractère extraordinaire des mystères de ma vie, que vous écrivez dans cette histoire. Vous êtes intérieurement assaillie de deux doutes d'une part, vous vous demandez si vous êtes un instrument convenable pour écrire ces secrets, ou s'il ne vaudrait pas mieux qu'une autre personne plus savante et plus avancée en vertu les écrivît pour donner plus d'autorité à son travail, puisque vous êtes la moindre, la plus inutile et la plus ignorante de toutes. D'autre part, vous doutez que ceux qui liront ces mystères y ajoutent foi, parce qu'ils sont si rares et si inouïs, surtout les visions béatifiques et intuitives de la Divinité, dont je jouis si souvent pendant la vie mortelle. Je vais répondre au premier de ces doutes, en convenant d'abord avec vous que vous êtes la moindre et la plus inutile des créatures; car, puisque vous l'avez appris de la bouche du Seigneur, et que je vous le confirme, vous en devez être persuadée. Mais sachez que l'autorité de cette histoire et de tout ce qui s'y trouve renfermé ne dépend point de l'instrument, mais de l'Auteur, qui est la souveraine. Vérité, et de celle que ce que vous écrivez contient en soi; le plus haut séraphin n'y pourrait

 

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rien ajouter s'il écrivait cette histoire, et vous non plus ne pouvez rien en omettre, rien en retrancher.

619. Il n'était pas convenable qu'un ange l'écrivit, et l'eût-il écrite, les incrédules et les endurcis de coeur y trouveraient encore à redire. Il fallait qu'une créature humaine en fût l'instrument, mais il n'était pas convenable que ce fût la plus savante et la plus sage ; car on aurait pu attribuer ce travail à sa science, ou bien la lumière divine y aurait moins éclaté, parce qu'on l'aurait confondue avec les lueurs de la raison naturelle. Il est de la plus grande gloire de Dieu que ce soit une femme que ne puissent aider ni la science. ni l'industrie personnelles. Moi-même j'y trouve une gloire et une satisfaction particulières, d'autant plus que vous êtes l'instrument choisi ; car vous saurez, et tout le monde doit savoir, qu'il n'y a rien du vôtre dans cette histoire, et que vous ne devez non plus vous l'attribuer qu'à la plume avec laquelle vous l'écrivez-vous n'êtes que l'instrument de la main du Seigneur, que l'organe de mes paroles. Et ce n'est pas parce que vous ôtes une vile pécheresse que vous devez craindre que les mortels ne me refusent l'honneur qu'ils me doivent ; puisque si quelqu’un n'ajoute pas foi à ce que vous écrivez, ce ne sera pas vous qu'il offensera, mais ce sera moi qu'il outragera en mettant mes paroles en doute. Quoique le nombre de vos péchés soit grand, la charité et la miséricorde du Seigneur peuvent les effacer tous; c'est pour le montrer qu'il n'a pas voulu choisir un autre instrument

 

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plus grand, mais qu'il a daigné vous tirer de la poussière et manifester en vous sa puissance libérale, d'après les motifs que je vous ai expliqués, et par une conduite propre à faire mieux connaître la vérité et l'efficace qu'elle a par elle-même; c'est pourquoi je veux que vous vous y conformiez, que vous pratiquiez ses enseignements, et que vous deveniez telle que vous souhaitez être.

620. Pour ce qui regarde le second doute que vous avez; si l'on ajoutera créance à ce que vous écrivez, à cause de la grandeur de ces mystères, j'y ai répondu amplement dans tout le cours de cette histoire. Ceux qui se feront une juste idée de ma personne ne trouveront aucune difficulté à me croire ; car ils découvriront le rapport qu'il y a entre les bienfaits que vous rapportez et celui de la dignité de Mère de Dieu auquel tous les autres se rattachent, parce que sa divine Majesté fait ses oeuvres parfaites; et si quelqu'un en doute, assurément il ignore ce que Dieu est et ce que je suis. Si Dieu s'est montré si puissant et si libéral à l’égard des autres saints; si l'on dit dans l'Église de plusieurs d'entre eux qu'ils ont vu la Divinité pendant leur vie mortelle (et il est certain qu'ils la virent), comment, ou avec quel fondement me refusera-t-on ce que l'on accorde à d'autres qui me sont si inférieurs ? Tous les bienfaits que mon très-saint Fils leur a mérités, et toutes les faveurs dont il les a prévenus, n'ont eu d'autre but que sa gloire, et ensuite la mienne; or l'on estime et l'on aime plus la fin que les moyens, que l'on aime pour cette fin ;

 

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il est donc évident que l'amour qui a porté la volonté divine à me favoriser a été plus grand que celui avec. lequel elle a favorisé tous les autres pour moi : et l'on ne doit pas trouver étrange que ce que le Seigneur a fait une fois envers eux , il l'ait fait plusieurs fois envers celle qu'il a choisie pour Mère.

621. Les personnes pieuses et prudentes savent; et c'est ce que l'on a enseigné dans mon Église, que la règle par laquelle on mesure les faveurs que j'ai reçues de la droite de mon très-saint Fils, est sa toute-puissance et ma capacité car il m'accorda toutes les grâces qu'il put m'accorder, et que je fus capable de recevoir. Ces grâces ne furent point stériles en moi, mais elles fructifièrent toujours autant qu'il était possible en une simple créature. Le même Seigneur était mon Fils, et son action est toute-puissante, pourvu que la créature ne lui oppose aucun obstacle; or, puisque je ne lui en opposai aucun, qui osera lui limiter ses opérations et l'amour qu'il avait pour moi comme étant sa Mère, quand lui-même me rendit plus digne de ses bienfaits que tous les autres saints, parmi lesquels il n'y en a pas un qui se soit privé dé jouir un seul moment de sa présence pour assister l'Église comme je le fis? Et si toutes les autres merveilles qu'il a opérées en ma faveur semblent excessives et incroyables, je veux que vous sachiez et que tous sachent aussi que tous ses bienfaits furent fondés et renfermés en celui de ma conception immaculée ; car ce fut une plus grande grâce de me rendre, digne de sa gloire lorsque je ne pouvais-la mériter,

 

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que de la manifester lorsque je l'avais méritée, et que je ne présentais aucun empêchement à cette manifestation.

622. Ces avis suffiront pour dissiper vos doutes et vos craintes, le reste me regarde; pour vous, vous n'avez qu'à me suivre et à m'imiter; car c'est là pour vous la fin de tout ce que vous apprenez et écrivez c'est à cela que vous devez tendre, vous proposant sans cesse de pratiquer toutes les vertus que vous connaîtrez, sans en omettre aucune. Et pour cela je veux que vous considériez aussi ce que faisaient les aubes saints qui nous ont suivis, mon très-saint Fils et moi , puisque vous n'êtes pas moins redevable qu'eux à sa miséricorde, et que je ne me suis montrée envers aucun ni plus tendre ni plus libérale. Je veux que vous appreniez à mon école, comme ma véritable disciple, la charité, la reconnaissance et l'humilité; et j'exige que vous fassiez de tels progrès dans ces vertus, que vous vous y signaliez. Vous devez aussi, en sollicitant l'assistance des saints et des anges, célébrer mes fêtes avec une intime dévotion, et solenniser d'une manière spéciale celle de mon Immaculée Conception, en laquelle je fus si favorisée de la puissance divine; ce bienfait me pénétra d'une joie indicible, et maintenant j'en ai une toute nouvelle de voir que les hommes remercient et louent le Très-Haut pour un si rare miracle. A mon exemple, vous rendrez de plus ferventes actions de grâces au Seigneur le jour anniversaire de votre naissance , et vous y ferez quelque chose de particulier pour son service; en

 

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outre, vous prendrez la résolution, dès ce jour-là, de perfectionner votre vie et de commencer de nouveau à y travailler; c'est ce que tous les mortels devraient faire , au lieu d'employer le jour de leur naissance à de vaines démonstrations d'une joie toute terrestre.

 
CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie célèbre d'autres fêtes avec ses anges, notamment sa Présentation et les fêtes de saint Joachim, de sainte Anne et de saint Joseph.

 

623. La reconnaissance des bienfaits que la créature reçoit de la main du Seigneur est une vertu si noble, que par elle nous entretenons le commerce et la correspondance qui peuvent exister entre nous et Dieu lui-même, lui en nous distribuant les dons et les trésors de sa libéralité et de sa puissance, et nous en lui offrant humblement dans notre pauvreté les témoignages de notre gratitude. C'est le propre de celui qui donne d'une manière généreuse, de se contenter de la seule reconnaissance du nécessiteux qui a besoin de ses secours; la reconnaissance est un retour facile, prompt et agréable, qui satisfait l'auteur des libéralités, et qui l'oblige à les continuer envers

 

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celui qui les reçoit. Et si cela arrive même entre les hommes lorsqu'ils ont un coeur magnanime et généreux , il en sera bien plus certainement de même entre Dieu et les hommes; car nous sommes la misère et la pauvreté même, et il est très-riche et très-libéral, et si nous pouvons imaginer quelque besoin en lui, c'est le besoin de donner, et non de recevoir (1). Aussi ce souverain Seigneur est-il si sage, si juste et si saint, que, s'il nous repousse, ce n'est jamais parce que nous sommes pauvres, mais parce que nous sommes ingrats. Il veut nous donner beaucoup, mais il veut aussi que nous soyons reconnaissants et que nous lui rendions la gloire, l'honneur et la louange que la gratitude renferme. Ce retour à l'égard des moindres bienfaits le porte à nous en départir de plus grands, et quand nous les reconnaissons tous, il les multiplie; mais il n'y a que ceux qui sont humbles qui se les assurent, parce qu'ils sont toujours reconnaissants.

624. La bienheureuse Marie fut la maîtresse de cette science, car ayant reçu à elle seule le comble et la plénitude des bienfaits que la Toute-Puissance pouvait communiquer à une simple créature, elle les reconnut tous avec toute la perfection possible. Pour chacun des dons qu'elle reconnaissait avoir reçu, soit dans l'ordre de la nature, soit dans l'ordre de la grâce (et elle n'en ignorait aucun), elle exprimait sa gratitude par des cantiques, de louange et par

 

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d'autres actes admirables, dans lesquels elle en renouvelait la mémoire avec des hommages et des remerciements particuliers. Pour cela elle destinait dans l'année certains jours, et dans ces jours certaines heures dans lesquelles elle repassait en son esprit ces faveurs, et en rendait mille actions de grâces. A tous ces exercices, à tous ces soins, elle joignait l'activité infatigable avec laquelle elle s'occupait du gouvernement de l'Église et de l'enseignement des apôtres et des disciples ; en outre , elle donnait ses conseils à ceux qui venaient la consulter, et quoiqu'ils fussent en très-grand nombre, elle ne les refusait à aucun, et pourvoyait à tous les besoins des fidèles.

625. Et si la véritable reconnaissance est si agréable à Dieu , et le porte à renouveler et à augmenter ses bienfaits, qui pourra imaginer la complaisance avec laquelle il agréait celle que sa très-prudente Mère lui témoignait pour de si sublimes faveurs, et les louanges qu'elle lui offrait pour toutes et pour chacune en particulier, avec l'humilité et la charité la plus parfaite? Tous les autres enfants d'Adam par rapport à elle sont lâches et ingrats, et si inconsidérés, que s'il leur arrive de faire quelque petite chose, elle leur semble fort grande, tandis que notre très-reconnaissante Reine regardait tout ce quelle faisait de plus grand comme fort petit; et après avoir donné à ses actions la plénitude de toute la perfection possible, elle se croyait encore lâche et peu diligente. J'ai dit ailleurs que l'activité de la bienheureuse Marie était semblable à celle de Dieu ,

 

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qui est un acte très-simple qui agit par son être propre, sans pouvoir cesser ses opérations infinies. Notre grande Reine participa d'une manière ineffable à cette excellence de la Divinité, car elle paraissait être elle-même une opération infatigable et continuelle ; et si la grâce est, chez tous, impatiente d'être seulement oisive, on ne doit pas être surpris qu'en Marie, qui avait reçu une grâce sans bornes, et, si je puis m'exprimer de la sorte, sans la mesure commune, elle lui donnât une si haute participation de l'être de Dieu et de ses qualités.

626. Je ne saurais mieux faire comprendre ce secret que par l'admiration des saints anges qui la pénétraient davantage. Il arrivait souvent que, ravis de ce qu'ils contemplaient en leur grande Reine, ils disaient soit entre eux , soit en s'adressant à elle-même : « Dieu est puissant, grand et admirable en cette créature au-dessus de toutes ses oeuvres ! En elle la nature humaine nous surpasse de beaucoup. Que votre Créateur, ô Marie, soit éternellement béni et glorifié. Vous êtes l'ornement et la beauté de tout le genre humain. Vous êtes l'objet de la sainte émulation des esprits angéliques et de l'admiration des habitants du ciel. Vous êtes la merveille de la puissance de Dieu , le prodige glorieux de sa droite, l'abrégé des oeuvres du Verbe incarné, la parfaite image de ses perfections, le vestige de tous ses pas ; vous ressemblez en tout à Celui à qui ,vous avez donné la forme humaine dans votre sein. Vous êtes la digne Maîtresse de l'Église militante,

 

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et la gloire spéciale de l'Église triomphante ! l’honneur des courtisans célestes et la Restauratrice de  votre peuple. Que toutes les nations connaissent  votre vertu et votre grandeur, que toutes les  générations vous louent et vous bénissent. Ainsi  soit-il. »

            627. L'auguste Marie célébrait avec ces princes célestes la mémoire des bienfaits et des dons qu'elle avait reçus du Seigneur. Et la demande qu'elle leur faisait,de l'assister en cette reconnaissance ne lui était pas seulement inspirée par son très-ardent amour, qui lui méritait toutes ces faveurs et les lui procurait par cette soif insatiable que le feu de la charité cause là où il brûle; ce qui y contribuait aussi, c'était son humilité profonde, par laquelle elle se reconnaissait obligée au delà de toutes les créatures; c'est pourquoi elle les engageait toutes à l'aider à s'acquitter de sa dette, quoiqu'elle fût la seule qui pût dignement y satisfaire. Et par cette sagesse admirable elle attirait dans son oratoire la cour du souverain Roi , et faisait du monde un nouveau ciel.

628. Elle célébrait tous les ans le jour qui correspondait à sa Présentation dans le Temple, commençant le soir de la veille les saints exercices et les actions de grâces auxquels elle consacrait toute la nuit, comme aux jours de sa Conception et de sa Nativité. Elle reconnaissait la faveur que le Seigneur lui avait faite en l'introduisant dans son Temple à un âge si tendre , et le remerciait de tous les bienfaits dont il l'avait

 

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prévenue pendant qu'elle y demeura. Mais ce qu'il y avait de plus admirable dans la célébration de cette fête, c'était que la grande maîtresse des vertus , quoique pleine de sagesse divine, rappelait à sa mémoire les instructions que le prêtre et sa Maîtresse lui avaient données en son enfance dans cette maison de prière. Elle repassait aussi en son esprit ce que ses saints parents Joachim et Anne lui avaient enseigné, et tout ce qu'elle avait entendu de la bouche des apôtres. Et elle faisait de nouveau tout ce qui lui avait été dit, de la manière convenable à cet âge plus avancé. Ainsi, quoique l'enseignement de son très-saint Fils lui fût bien suffisant pour diriger toutes ses actions, et valût plus que tous les autres enseignements, il n'en était point, de tous ceux qu'elle avait reçus, qu'elle ne voulût méditer. Car quand il s'agissait de s'humilier, d'obéir en inférieure, et de recevoir des leçons, elle ne perdait pas un moment, et il n'y avait pas de secrète industrie de ces vertus qu'elle négligeât. Oh ! avec combien de perfection elle exécutait les conseils des sages! Ne vous appuyez point sur votre prudence, et ne soyez point sage à vos propres yeux (1). Ne méprisez point les avis des anciens, et réglez-vous toujours sur leurs maximes (2). Ne vous élevez pas avec arrogance, mais accommodez-vous aux petits (3 ).

629. Quand l'auguste Vierge célébrait cette fête, elle éprouvait une espèce de doux regret naturel à la

 

(1) Prov., III, 5 et 7. — (2) Eccles., VIII, 9. — (3) Rom., XII, 16.

 

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pensée du séjour qui elle avait fait dans le Temple; elle l'avait pourtant quitté aussitôt qu'elle avait connu la volonté du Seigneur à cet égard , se soumettant à toutes les très-hautes fins pour lesquelles il lui ordonna d'en sortir, et le Seigneur continuait à la récompenser de cette prompte obéissance par diverses faveurs qu'il lai faisait en cette fête. Il descendait ce jour-là du ciel dans tout l'éclat de sa magnificence, accompagné des anges, comme dans les autres occasions, et s'adressant à la bienheureuse Mère dans son oratoire, il lui disait : « Ma Mère et ma Colombe , venez à moi, qui suis votre Dieu et votre Fils. Je veux vous donner un temple et une habitation plus haute, plus tranquille et plus divine, qui sera dans mon être propre. Venez, ma très-chère et ma bien-aimée, dans la demeure qui vous appartient légitimement. » Après ces très douces paroles, les séraphins relevaient lotir Reine de terre (car elle restait toujours prosternée en la présence de son Fils, jusqu'à ce qu'il lui ordonnât de se lever), et au milieu des accords d'une musique céleste, ils la plaçaient à la droite du même Seigneur. Elle sentait on connaissait incontinent que la divinité de Jésus-Christ la remplissait tout entière, comme le temple de sa gloire, et qu'elle l'inondait, l'entourait, l'enveloppait comme la mer le poisson qu'elle renferme dans son sein ; et cette espèce d'union et d'embrassement divin lui faisait éprouver de nouveaux effets ineffables, car elle recevait une certaine possession de la Divinité que je ne puis expliquer, et

 

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la divine Mère, quoiqu'elle ne vit point Dieu face à face, y ressentait une joie extraordinaire.

630. La très-prudente Mère appelait cette grande faveur, mon très-sublime refuge et ma très-haute demeure, elle appelait aussi cette fête, la fête de l'être de Dieu, et récitait des hymnes admirables pour en exprimer à la fois la grandeur et sa reconnaissance. Elle employait la fui de ce jour à rendre des actions de grâces au Tout-Puissant au nom des patriarches et des anciens prophètes, depuis Adam jusqu'à ses propres parents , qui formaient comme le dernier anneau de la chaîne. Elle les rendait pour tous les dons de grâce et de nature que le Seigneur leur avait départis, pour tout ce qu'ils avaient prophétisé, et pour ce que les saintes Écritures rapportent d'eux. Puis elle s'adressait à ses parents saint Joachim et sainte Anne, les remerciait de ce qu'ils l'avaient offerte à Dieu dans le Temple dès son enfance, les suppliait de reconnaître en son nom ce bienfait dans la Jérusalem céleste, où ils jouissaient de la vision béatifique, et de prier le Très-Haut de lui enseigner à être reconnaissante, et de, la conduire en toutes ses actions. Et surtout elle les conjurait de nouveau de, rendre des actions de grâces au Seigneur tout-puissant de ce qu'il l'avait exemptée du péché originel pour la choisir pour sa Mère, car elle regardait toujours ces deux bienfaits comme inséparables.

631. Elle célébrait les fêtes de saint Joachim et de sainte Anne avec presque les mêmes cérémonies, et les deux saints descendaient dans l'oratoire avec notre

 

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Sauveur Jésus-Christ et une multitude innombrable d'anges; et la bienheureuse Vierge rendait avec eux des actions de grâces au Seigneur de lui avoir donné des parents si saints et accomplissant si parfaitement sa divine volonté, ainsi que de la gloire par laquelle il les avait récompensés. Pour toutes ces oeuvres du Seigneur, elle faisait de nouveaux cantiques avec ses anges, qui les répétaient avec la musique la plus harmonieuse. Il arrivait encore une autre. chose à la fête de ses patents : c'est que les anges de cette mime Reine et plusieurs autres qui descendaient du ciel, lui expliquaient, chacun selon son rang et sa hiérarchie, un attribut ou une perfection de l’être de Dieu, et ensuite une autre du Verbe incarné. Cet entretien si divin lui causait une joie incomparable, et ne faisait qu'exciter encore l'ardeur de ses affections amoureuses. Saint Joachim et sainte Anne recevaient aussi une joie accidentelle très-grande, et à la fin de tous ces mystères notre auguste Princesse demandait la bénédiction à ses parents; ensuite ils s'en retournaient au ciel, et elle demeurait prosternée pour exprimer de nouveau la gratitude que lui inspiraient ces bienfaits.

632. Lors de la fête de son très-chaste et très-saint époux Joseph, elle célébrait les épousailles dans lesquelles le Seigneur le lui avait donné pour son très-fidèle compagnon, afin de cacher les mystères de l'incarnation du Verbe, et pour exécuter avec une si haute sagesse les secrets et les oeuvres de la rédemption du genre humain. Et comme tontes ces oeuvres du

 

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Très-Haut et de son conseil éternel étaient comme en dépôt dans le coeur très-prudent de Marie, et qu'elle en faisait la digne estime qu'elles demandaient, la joie et la reconnaissance avec lesquelles elle en célébrait la mémoire étaient ineffables. Le très-saint époux Joseph descendait à la fête tout rayonnant de gloire, accompagné de milliers d'anges , qui la solennisaient avec une grande jubilation et une grande pompe, chantant de nouvelles hymnes et de nouveaux cantiques que la bienheureuse Marie faisait pour reconnaître les bienfaits que son saint époux et elle avaient reçus de la main du Très-Haut.

633. Après avoir ainsi passé plusieurs heures, elle s'entretenait une partie de ce jour avec le glorieux époux Joseph sur les perfections et les attributs divins; car, en l'absence du Seigneur, c'étaient les entretiens auxquels la tendre Mère se plaisait le plus. Et au moment de prendre congé du saint époux, elle le suppliait de prier pour elle en la présence de la Divinité, et de la louer en son nom. Elle lui recommandait aussi de prier pour les besoins de la sainte Église et des apôtres, et surtout elle lui demandait sa bénédiction. Le glorieux saint s'en retournait ensuite au ciel, et elle continuait dans son oratoire, suivant sa coutume , ses actes d'humilité et de reconnaissance. Mais on doit remarquer deux choses : la première, c'est que, quand son Fils vivait sur la terre, et se trouvait présent à ces fêtes; il se montrait ordinairement transfiguré à sa bienheureuse Mère, comme sur le Thabor. Il lui fit souvent cette faveur à elle seule,

 

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surtout dans cet occasions, lui donnant par là quelque récompense de son intime dévotion et de sa profonde humilité, et la renouvelant par les effets divins que produisait en elle cette merveille. La seconde chose, c'est que, pour célébrer ces faveurs, elle ajoutait à tout ce que j'ai dit un autre soin bien digne de sa charité et de notre attention. Aux jours qui ont été indiqués et en d'autres jours dont je parlerai plus loin, elle nourrissait plusieurs pauvres, leur apprêtait elle-même à manger, et les servait à genoux. En pareil cas, elle recommandait à l'évangéliste de lui amener les pauvres les plus délaissés et les plus misérables, et le saint se conformait à ses instructions. En outre, elle apprêtait quelque autre chose de plus délicat pour l'envoyer dans les hôpitaux aux malades pauvres qu'elle ne pouvait appeler chez elle, et elle allait ensuite les consoler et les soulager par sa présente. Voilà comment la bienheureuse Marie célébrait ses fêtes ; voilà l'exemple qu'elle a proposé à l'imitation des fidèles, afin qu'ils se montrent constamment reconnaissants, et qu'ils offrent, autant qu'ils le peuvent, le sacrifice de leurs louanges et de leurs bonnes oeuvres.

 
Instruction que la grande Reine du ciel m'a donnée.

 

634. Ma fille, le péché d’ingratitude envers Dieu est un des plus énormes que les hommes commettent,

 

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un de ceux par lesquels ils se rendent le plus indignes et le plus abominables aux yeux du Seigneur et des saints, qui ont une espèce d'horreur pour cette honteuse insensibilité des mortels. Et quoiqu'il leur soit si funeste, chacun d'eux en particulier ne commet néanmoins aucun autre péché avec plus d'inconsidération ni plus fréquemment. Il est vrai que le Seigneur, pour n'avoir pas lieu d'être aussi irrité de cet oubli de ses bienfaits si odieux et si général , a voulu que la sainte Église réparât publiquement en partie le manque de reconnaissance que ses enfants et tous les hommes témoignent envers Dieu. C'est pour reconnaître ses bienfaits que le corps de l'Église lui adresse tant de prières et lui offre tant de sacrifices de louange et de gloire, qui sont ordonnés dans la même Église. Mais comme les faveurs et les grâces de sa libérale et attentive providence ne tombent pas seulement sur le commun des fidèles, mais s'adressent en particulier à celui qui reçoit le bienfait , ils ne sauraient s'acquitter de leur dette par la reconnaissance commune, parce que chacun y est spécialement obligé pour ce qui lui revient des divines largesses.

635. Combien s'en trouve-t-il parmi les mortels, qui pendant toute leur vie n'ont pas fait un seul acte de véritable reconnaissance envers Dieu de ce qu'il la leur a donnée et la leur conserve; de ce qu'il leur donne la santé, les forces, la nourriture, les honneurs , la fortune, et tant d'autres biens temporels et naturels? Il y en à d'autres qui, tout en connaissant l'Auteur de ces bienfaits, ne songent point à l'en

 

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remercier; à la vérité, ils aiment Dieu, qui les leur a départis, mais pour l'amour qu'ils se portent à eux-mêmes, et parce qu'ils se complaisent en ces choses temporelles et terrestres, parce qu'ils se réjouissent de les posséder. Il y a là une illusion qu'on découvrira par deux marques : d'abord , quand ils perdent ces biens terrestres et passagers, ils s'affligent, se dépitent, se désolent, ils ne sauraient penser à autre chose; il n'y a rien qu'ils estiment ni qu'ils désirent, parce qu'ils n'aiment que ce qui est apparent et périssable. Et quoique bien souvent le Seigneur ne fasse que leur accorder le plus grand des bienfaits en les privant de la santé, des honneurs, des richesses et autres choses semblables, afin qu'ils ne s'y attachent point avec une affection désordonnée et aveugle, ils regardent néanmoins cette heureuse perte comme un malheur et comme une espèce d'injustice, et veulent toujours que leur coeur coure après les choses périssables pour périr avec elles.

636. Seconde marque de cette illusion : la passion aveugle qu'ils ont pour ce qui est passager les empêche de se souvenir des biens spirituels, qu'ils ne savent ni estimer ni reconnaître. Cette faute grossière est surtout énorme de la part des enfants de l'Église, que la miséricorde infinie, sans y être aucunement obligée, sans qu'ils l’eussent aucunement mérité, a daigné mettre dans le chemin assuré de la vie éternelle eu leur appliquant spécialement les mérites de la Passion et de la mort de mon très-saint Fils. Chacun de ceux qui sont aujourd'hui dans la saints Église

 

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pouvait naître en d'autres temps et en d'autres siècles, avant que Dieu vint au monde, et, après son avènement, il pouvait le créer parmi les gentils, les idolâtres , les hérétiques et autres infidèles , où sa damnation éternelle aurait été inévitable. Sans qu'ils pussent se prévaloir d'aucun mérite, il les a tous appelés à la foi, il leur a fait connaître la vérité infaillible, il les a justifiés par le baptême., il leur a donné les sacrements, les ministres, la doctrine et la lumière de la vie éternelle. Il les a mis dans le chemin assuré, il les assiste par ses secours, il leur pardonne quand ils ont péché, il les relève, quand ils sont tombés, il les attend à la pénitence , il les convie par sa miséricorde, et il les récompense de la main la plus libérale. Il les défend par ses anges, il se donne lui-même à eux en gage et comme l'aliment de leur vie spirituelle; enfin, il les comble de tant de bienfaits, qu'on ne saurait ni les compter ni les mesurer, et il ne se passe point un jour, point une heure où leur dette ne grossisse.

637. Or dites-moi, ma fille, quelle reconnaissance ne doit-on pas à une si libérale et si paternelle clémence? Et combien sen trouve-t-il qui l'aient dignement? Le plus considérable bienfait est que, malgré cette ingratitude, les portes de cette miséricorde ne se soient point fermées, et que ses sources n'aient point été taries, parce qu'elle est infinie. Le principe d'où provient le plus souvent cette méconnaissance si effroyable chez les hommes, est leur ambition démesurée, et l'avidité avec laquelle ils convoitent les

 

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biens temporels , apparenta et passagers. C'est cette soif insatiable qui cause leur ingratitude; car, comme ils désirent si vivement la possession des choses temporelles , tout ce qu'ils reçoivent leur parait peu de chose; ils n'en témoignent aucune reconnaissance, et ils oublient en même temps les bienfaits spirituels, et ainsi ils sont très-ingrats à l'égard des uns et des autres. A cette folie ils en ajoutent d'ordinaire une autre plus grande, qui est de demander à Dieu non-seulement ce dont ils ont besoin, mais tout ce qui leur vient à la fantaisie, et qui doit contribuer à leur propre damnation. C'est quelque chose de bas et de honteux parmi les hommes, que de demander un bienfait à celui qu'on a offensé, et surtout que de le lui demander pour s'en servir à l'offenser davantage. Or quelle raison aura un homme vil, terrestre et ennemi de Dieu, de lui demander la vie, la santé , la réputation , la fortune, et les autres choses qu'il a toujours reçues avec ingratitude, et dont il n'a jamais usé que contre Dieu même?

638. Ajoutez à cela qu'il ne lui a jamais témoigné aucune reconnaissance pour le bienfait de l'avoir créé, racheté, appelé, entendu, justifié, et de lui avoir destiné sa propre gloire dans le ciel. Et si l'homme vent obtenir cette gloire, il est évident qu'il ne pourra, après s'en être rendu si indigne par son ingratitude, la demander sans un excès d'audace et de témérité, sil ne demande d'abord la connaissance et la douleur d'une telle offense. Je vous assure, ma très-chère fille, que ce péché si réitéré de l'ingratitude

 

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envers Dieu est une des plus grandes marques de réprobation chez ceux qui le commettent avec tant d'oubli et d'inconsidération. C'est aussi une mauvaise marque , que le juste Juge accorde les biens temporels à ceux qui les lui demandent, en oubliant le bienfait de la rédemption et de la justification; car ne faisant aucun cas de ce qui peut leur procurer la vie éternelle, ils demandent alors l'instrument de leur mort; et s'ils l'obtiennent, ce n'est pas une faveur, c'est la punition de leur aveuglement qu'ils reçoivent.

639. Je vous découvre toutes ces illusions, toutes ces erreurs, afin que vous les craigniez et que vous les évitiez. Mais sachez que votre reconnaissance ne doit pas être commune: car vous ne sauriez vous-même vous faire une idée de la grandeur des bienfaits que vous avez reçus. Ne vous laissez point abuser par une certaine retenue qui, sous prétexte d'humilité, pourrait vous empêcher de les reconnaître et d'en témoigner toute la gratitude à laquelle vous êtes tenue. Vous n'ignorez pas les efforts qu'a faits le démon pour vous détourner du souvenir des oeuvres et des faveurs du Seigneur et des miennes, par la vue de vos fautes et de vos misères, qu'il tâche de vous représenter comme incompatibles avec les dons et les lumières que vous avez reçus. Débarrassez-vous une bonne fois de toutes ces pensées, vous persuadant que plus vous attribuez à Dieu les biens que vous recevez de sa main libérale, plus vous vous abaissez , plus vous vous humiliez; et que plus vous lui devez, plus vous

 

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vous trouverez pauvre pour vous acquitter envers lui d'une plus grande dette, n'étant pas capable de satisfaire à la plus petite que vous ayez. Il n'y a pas de présomption à connaître cette vérité, mais de la prudence ; il n'y a pas d'humilité à vouloir l'ignorer, mais de la folie, et une folie fort répréhensible; car vous ne sauriez reconnaître ce que vous ignorez, ni aimer beaucoup votre bienfaiteur si vous n'appréciez les bienfaits qui vous y obligent. Vous craignez de perdre la grâce et l'amitié du Seigneur ; et c'est avec beaucoup de raison , car il a fait en votre faveur ce qui suffirait pour justifier bien des âmes. Mais c'est une chose fort différente de craindre avec prudence de perdre cette grâce, ou de la révoquer en doute pour n'y ajouter pas foi ; et le démon cherche par ses artifices à vous donner ici le change : car au lieu d'une sainte crainte il veut vous inspirer une incrédulité opiniâtre sous les apparences d'un bonne intention et d'une crainte salutaire. C'est celle-ci seule qui doit vous servir à garder votre trésor, à vous conserver dans une pureté angélique, à m'imiter avec zèle, et à profiter de toutes les instructions que je vous donne pour cela dans cette histoire.

 

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CHAPITRE XIV. La manière admirable avec laquelle la bienheureuse Marie célébrait les mystères de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe incarné, et reconnaissait ces grands bienfaits.

 

640. L'auguste Marie étant si fidèle dans les petites choses, il est hors de doute qu'elle ne fût aussi très-fidèle dans les grandes. Et si elle fut si prompte, si attentive et si exacte à reconnaître les moindres bienfaits, il est certain qu'elle l'était aussi parfaitement que possible dans les plus grandes faveurs qu'elle et tout le genre humain reçurent de la main du Très-Haut. Entre tous ces bienfaits, l'oeuvre de l'incarnation du Verbe éternel dans le sein de sa très-heureuse et très-pure Mère tient le premier lieu; car ce fut l'oeuvre la plus excellente et la grâce la plus grande de toutes celles jusqu'auxquelles pouvaient aller, eu faveur des hommes, la puissance et la sagesse infinies, unissant l'être divin avec l'être humain en la personne du Verbe par l'union hypostatique, qui fut le principe de tons les dons que fit le Tout-Puissant à la nature humaine et à la nature angélique. Par cette merveille inouïe, Dieu contracta un tel engagement, due, si je puis m'exprimer de la sorte, il ne s'en serait point tiré d'une manière aussi glorieuse, s'il n'avait

 

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trouvé en la nature humaine elle-même quelque caution qui, par sa sainteté et sa reconnaissance, profitât,aussi pleinement que possible d'un pareil bienfait, conformément à ce que j'ai dit dans la première partie. Cette vérité devient plus intelligible quand on se rappelle ce que la foi nous enseigne, à savoir que la divine Sagesse a prévu de toute éternité l'ingratitude des réprouvés, et combien ils profiteraient peu et useraient de la faveur si insigne et si ineffable que Dieu nous a faite en se faisant homme véritable , Maître, Rédempteur et Exemplaire de tous les mortels.

641. C'est pourquoi la même Sagesse infinie ordonna cette merveille de telle sorte qu'il y eût parmi les hommes quelqu'un qui pût réparer cette injure faite par tous ceux qui se montrent insensibles à un bienfait si sublime, et s'entremettre par une digne reconnaissance entre eux et Dieu, pour l'apaiser et le satisfaire autant qu'il était possible du côté de la nature humaine. C'est ce que fit en premier lieu la très-sainte humanité de notre Rédempteur Jésus-Christ, qui fut le Médiateur auprès du Père éternel (1), réconciliant avec lui tout le genre humain, et satisfaisant pour les péchés des hommes avec une surabondance de mérites et une ample compensation de notre dette. Mais compte ce Seigneur était vrai Dieu et vrai homme, il semble que la nature humaine lui aurait été encore redevable à lui-même, si parmi

 

(1) I Tim., II. 5.

 

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les simples créatures il ne s'en fut trouvé une qui lui payât cette dette tout autant qu'il était possible de leur côté avec la divine grâce. Sa propre Mère et notre auguste Reine lui rendit ce retour; car elle seule fut la Secrétaire du grand conseil et la Dépositaire de ses mystères. Elle seule les pénétra, les estima et les reconnut aussi dignement qu'on pouvait l'exiger de la nature humaine sans divinité. Elle seule pénétra notre ingratitude et la lâcheté avec laquelle, comparativement à elle, les autres enfants d'Adam tâchent quelquefois de la réparer. Elle seule sut et put apaiser et satisfaire son propre Fils après l'injure qu'il reçut des mortels quand tous ne le reçurent pas pour leur Rédempteur et leur Maître, et pour leur vrai Dieu incarné pour le salut de tous.

642. Notre grande Reine eut ce mystère incompréhensible si présent en sa mémoire, qu'elle ne l'oublia jamais un seul moment. Elle connaissait aussi toujours l'ignorance que tant d'enfants d'Adam avaient de ce bienfait; et pour la reconnaître, tant en son nom qu'au nom de tous, elle se prosternait chaque jour plusieurs fois, faisait d'autres actes d'adoration, et répétait continuellement en divers termes cette prière : « Souverain Seigneur, Dieu de mon âme, je  me prosterne en votre divine présence en mon nom et en celui de tout le genre humain, et je vous loue  et vous bénis pour le bienfait admirable de votre Incarnation ; je vous glorifie et vous adore dans le mystère de l'union hypostatique de la nature divine  avec la nature humaine, en la divine personne du

 

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Verbe éternel. Si les misérables enfants d'Adam  ignorent ce bienfait, et si ceux qui le connaissent  n'en rendent pas de dignes actions de grâces, souvenez-vous, Seigneur très-clément, vous qui êtes  notre Père, souvenez-vous qu'ils vivent en une  chair pleine de faiblesses, d'ignorance et de passions, et qu'ils ne peuvent venir à vous si vous  ne daignez les attirer par votre bonté miséricordieuse (1). Pardonnez, pion Dieu, ce manquement  d'une nature si fragile. Moi qui suis votre servante  et un vermisseau de terre, je vous remercie de ce  bienfait avec tous les courtisans de votre gloire,  et pour moi et pour chacun des mortels. Et vous,  mon adorable Fils, je vous supplie du plus intime   de mon âme de vous charger de cette cause des  hommes vos frères, et de leur obtenir le pardon de  votre Père éternel. Secourez avec votre bonté immense ces infortunés conçus dans le péché, qui  ignorent leur propre mal, et qui ne savent ce qu'ils  font ni ce qu'ils doivent faire. Je prie pour votre  peuple et pour le mien; puisque, en tant que vous  êtes homme, nous sommes tous de votre nature, ne   la méprisez pas; et en tant que vous êtes Dieu,  vous donnez un prix infini à vos oeuvres. Faites a qu'elles soient le retour et la reconnaissance digne  de notre dette : puisque vous seul pouvez payer ce  que nous avons tous reçu et ce que nous devons au  Père éternel, qui, pour le salut des pauvres et le

 

(1) Joan., VI, 44.

 

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rachat des captifs, a bien voulu vous envoyer du ciel sur la terre. Donnez la vie aux morts, enrichissez les pauvres, éclairez les aveugles; vous êtes notre salut, notre bien et tout notre remède (1). »

663. La grande Reine de l'univers faisait ordinairement cette prière et d'autres semblables. Mais , outre cette continuelle reconnaissance, elle ajoutait d'autres nouveaux exercices pour célébrer le sublime mystère de l'Incarnation, lorsque les jours arrivaient auxquels le Verbe divin se revêtit de chair humaine dans son sein : en ces jours elle était plus favorisée du Seigneur que dans les autres fêtes qu'elle célébrait : car celle-ci durait les neuf jours qui précédèrent immédiatement le 25 mars, c'est-à-dire celui où ce mystère fut accompli avec la préparation que j'ai dite an commencement de la seconde partie. J'y ai rapporté dans neuf chapitres les merveilles qui précédèrent l'Incarnation , pour disposer dignement la divine Mère qui devait concevoir le Verbe incarné dans son âme et dans son sein virginal. Je suis obligée d'en rappeler ici et d'en répéter brièvement les circonstances, pour indiquer la manière dont elle célébrait et renouvelait la reconnaissance de ce miracle et de ce bienfait ineffable.

fils. Elle commençait cette solennité le 16 mars vers le soir, et pendant les neuf jours suivants jusqu'au 25, elle demeurait enfermée sans manger ni dormir; et pendant cette neuvaine, l'évangéliste seul

 

(1) Luc., IV, 18; Matth., X, 8.

 

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la voyait pour lui administrer la sainte communion. Le Tout-Puissant renouvelait toutes les faveurs qu'il fit à la bienheureuse Marie dans les autres neuf jours qui précédèrent l'Incarnation ; mais en ceux-ci elle recevait de son adorable Fils, notre Rédempteur, d'autres nouveaux bienfaits; car, comme il était déjà né de la très-digne Mère, il se chargeait de l'assister et de la favoriser en cette fête. Les six premiers jours de cette neuvaine il arrivait que, quelques heures après le commencement de la nuit, que la divine Mère consacrait à ses exercices ordinaires, le Verbe incarné descendait du ciel avec la même majesté et la même gloire qu'il y a à la droite du Père éternel, accompagné d'un très-grand nombre d'anges; et il entrait avec cet éclat dans l'oratoire où était sa très-sainte Mère.

645. La très-prudente et très-pieuse Mère adorait son Fils et son Dieu véritable avec une humble vénération, et avec ce culte que sa très-haute sagesse était seule capable de lui rendre dignement. Ensuite, parle ministère des saints anges, elle était élevée de terre et placée à la droite du même Seigneur sur son trône, où elle sentait une union intime et ineffable avec l'humanité et la Divinité, qui la transformait et la remplissait de gloire et de nouvelles influences, que je ne saurais exprimer. Dans cet état le Seigneur renouvelait en elle les merveilles qu'il opéra pendant les neuf jours avant l'Incarnation: le premier de ceux-ci répondant au premier de ceux-là, le second au second, et ainsi des autres. Il ajoutait aussi d'autres

 

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nouvelles faveurs et de nouveaux effets admirables, conformes à l'état où se trouvaient le même Seigneur et sa bienheureuse Mère. Et quoiqu'elle conservât toujours là science habituelle de toutes les choses qu'elle avait connues jusqu'alors, dans cette occasion néanmoins son entendement était éclairé d'une nouvelle lumière et doué d'une nouvelle force pour user de cette science avec une intelligence et avec des effets plus merveilleux.

646. Le premier jour de cette neuvaine ; toutes les oeuvres que Dieu fit au premier jour de la création du monde lui étaient manifestées ; elle connaissait l'ordre et le mode suivant lesquels toutes les choses qui regardent ce jour-là furent créées: le ciel, la terre et les abîmes avec leur longueur, leur largeur et leur profondeur ; la lumière, les ténèbres, et leur division ; toutes les qualités et toutes les propriétés de ces choses matérielles et visibles. Et des invisibles, elle connaissait la création des anges, toutes leurs espèces, toutes leurs qualités, le temps qu'ils persévérèrent en la grâce, la lutte qui eut lieu entre les anges fidèles et les apostats, la chute de ceux-ci et la confirmation en grâce des autres; et tout le reste que Moïse renferme mystérieusement dans les œuvres du premier jour (1). Elle pénétrait aussi les fins qu'eut le Tout-Puissant en la création de ces choses et des autres, pour communiquer sa Divinité et pour la manifester par 'elles, de sorte qu'elles portassent

 

(1) Gen., I, 1

 

tous les anges et tous les hommes, comme êtres intelligents, à le connaître et à le louer. Et comme le renouvellement de cette science n'était pas oiseux en la très-prudente Mère, son très-saint Fils lui disait : « Ma Mère et ma Colombe, je vous ai fait connaître  toutes ces oeuvres de ma puissance infinie pour  vous manifester ma grandeur avant de prendre   chair dans votre sein virginal ; et maintenant je vous en renouvelle la connaissance pour vous donner de nouveau la possession, et pour vous constituer la Maîtresse absolue de toutes, comme étant ma Mère, voulant que les anges, les cieux, la terre, la lumière et les ténèbres vous servent et vous obéissent, et afin que vous rendiez de dignes actions  de grâces au Père éternel, et que vous le bénissiez  pour le bienfait de la création, que les mortels négligent de reconnaître. »

647. Notre grande Reine répondait à cette volonté du Seigneur, et satisfaisait à cette dette des hommes avec toute la plénitude possible , reconnaissant pour elle-même et pour toutes les créatures ces bienfaits incomparables. Elle passait le jour en ces exercices et en d'autres fort mystérieux, jusqu'à ce que son très-saint Fils s'en retournât au ciel. Le second jour, le Seigneur en descendait à minuit dans le même apparat, et renouvelait en sa divine Mère la connaissance de toutes les oeuvres du second jour de la création (1) la formation du firmament au milieu des eaux, la

 

(1) Gen., I, 6, etc.

 

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division des eaux supérieures et des eaux inférieures, le nombre et la disposition des cieux, leur construction et leur harmonie, leurs lois et leur nature, leur grandeur et leur beauté. Elle connaissait. tout cela avec une certitude infaillible, supérieure à tous les systèmes, quoiqu'elle connût aussi ceux que les docteurs et les écrivains ont conçus sur cette matière. Le troisième jour il lui était manifesté de nouveau ce que les livres saints en rapportent (1), et que le Seigneur rassembla les eaux qui étaient sur la terre, en forma la mer, et découvrit la terre afin qu'elle donnât des fruits, comme elle le fit aussitôt au commandement de son Créateur, produisant des plantes, des herbes, des arbres, et les autres choses qui la parent et l'embellissent. Elle connut la nature, les qualités et les propriétés de toutes ces plantes, et en quelle manière elles pouvaient être utiles ou nuisibles pour l'usage des hommes. Le quatrième jour elle connut en particulier la formation du soleil , de la lune , des étoiles, des cieux, leur matière, leur forme, leurs qualités, leurs influences, les orbites qu'ils décrivent, et les divers mouvements par lesquels ils distinguent les temps, les années et les jours (2). Le cinquième jour il lui était manifesté la création ou génération des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui furent tous formés des eaux, et de quelle manière ces êtres se produisirent dans leur commencement, et devaient ensuite se conserver et se propager; elle connut

 

(1) Gen., I, 9. — (2) Ibid., 14.

 

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toutes les espèces et toutes les qualités des animaux de la terre et des poissons de la mer (1). Le sixième jour elle recevait de nouvelles lumières et de nouvelles notions sur la création de l'homme, comme étant la fin de toutes les autres créatures matérielles (2); et outre qu'elle voyait sa structure et l'harmonie de son organisation, en laquelle il les résume toutes d'une manière admirable, elle connaissait aussi le mystère de l'Incarnation, à laquelle se rapportait cette formation de l'homme, ainsi que tous les autres secrets de la sagesse divine, qui étaient renfermés en cette oeuvre et en celles de toute la création, par où le Seigneur faisait éclater sa grandeur et sa majesté infinie.

648. En chacun de ces jours l'auguste Vierge faisait un cantique particulier à la louange du Créateur, pour les oeuvres qui correspondaient à la création de ce jour, et pour les mystères qu'elle pénétrait en ces oeuvres. Elle faisait ensuite de grandes prières pour tous les hommes, surtout pour les fidèles, afin qu'ils fussent réconciliés avec Dieu et qu'ils apprissent à le connaître, à l'aimer, à le louer dans ses oeuvres et pour ses oeuvres, au moyen des lumières qu'ils recevraient et sur elles et sur la Divinité. Et comme elle prévoyait l'ignorance de tant d'infidèles, qui n'arriveraient point à cette connaissance ni à la véritable foi qui leur pouvait être communiquée; et que beaucoup de fidèles, tout en proclamant que le Très-Haut est

 

(1) Gen., I, 20. — (2) Ibid., 27.

 

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l'auteur de ces oeuvres , seraient fort négligents à lui en témoigner une juste reconnaissance, elle faisait des actes héroïques et admirables pour réparer tous ces manquements des enfants d'Adam. Cette généreuse correspondance lui attirait de nouvelles faveurs de la part de son très-saint Fils , qui l'élevait à de nouveaux dons et à une nouvelle participation de sa divinité et de ses attributs, rassemblant en elle ce dont les mortels s'étaient rendus indignes par leur odieuse insensibilité. Et il lui donnait un nouvel empire sur chacune des oeuvres de ce jour, afin qu'elles la reconnussent et la servissent toutes comme la Mère du Créateur, qui l'établissait Maîtresse souveraine de tout ce qu'il avait créé dans le ciel et sur la terre.

649. Au septième jour, ces divines faveurs lui étaient renouvelées avec surcroît. En effet, les trois derniers jours son Fils ne descendait point du ciel, mais la divine Mère y était enlevée , comme il arriva dans les jours correspondants qui précédèrent l'incarnation. Ainsi , à minuit, sur l'ordre du Seigneur, les anges la portaient dans l'empyrée, où après qu'elle avait adoré l'être de Dieu, les plus hauts séraphins l'ornaient d'un vêtement plus blanc que la neige et plus brillant que le soleil. Ils lui mettaient une ceinture de pierres précieuses si riches et si belles, qu'il n'y 'a rien dans la nature à quoi on puisse les comparer, car chacune surpassait en éclat le soleil, et même plusieurs s'ils eussent été unis ensemble. Ils l'ornaient ensuite de bracelets, de colliers et d'autres parures

 

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dignes de la personne qui les recevait, et de Celui qui les donnait; car les séraphins descendaient avec un respect admirable tous ces bijoux du trône de la très-sainte Trinité, dont la participation était marquée d'une manière différente par chacun de ces ornements. Et non-seulement ils signifiaient la nouvelle participation des perfections divines que notre auguste Reine recevait, mais les séraphins qui la paraient (ils étaient au nombre de six), représentaient aussi de leur côté le mystère de leur ministère.

650. Après ces séraphins il en venait six autres, qui revêtaient leur Reine d'un autre ornement nouveau, et retouchaient, pour ainsi dire, toutes ses puissances, leur donnant une souplesse, une beauté et une grâce qu'il n'est pas possible d'exprimer. Quand ils avaient terminé leur travail, six autres séraphins leur succédaient, et par leur ministère ils lui donnaient les qualités et la lumière par lesquelles son entendement et sa volonté étaient élevés pour la vision et la jouissance béatifique. Et notre grande Reine une fois parée de tous ses atours et si ravissante, tous ces séraphins (au nombre de dix-huit) l'élevaient au trône de la très-sainte Trinité, et la plaçaient à la droite de son Fils unique notre Sauveur. Là il lui était demandé de déclarer ce qu'elle voulait et ce qu'elle désirait. Et la véritable Esther répondait : a Je demande, Seigneur, miséricorde pour mon peuple (1), et en son nom et an mien je désire et je veux reconnaître

 

(1) Esth., VII, 3.

 

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la faveur que votre toute-puissance miséricordieuse lui a faite, en donnant la forme humaine au Verbe éternel dans mon sein pour le racheter. » Elle présentait encore d'autres demandes pleines d'une charité et d'une sagesse incomparables, priant pour tout le genre humain, et spécialement pour la sainte Église.

651. Bientôt son très-saint Fils, s'adressant au Père éternel , lui disait : « Je vous glorifie, mon Père, et je vous présente cette créature, fille d'Adam, agréable à vos yeux, comme choisie entre toutes les autres créatures pour être ma Mère et le témoignage de nos attributs infinis. Elle seule sait pleinement correspondre par une digne estime et par une reconnaissance sincère à la faveur que j'ai faite aux hommes en me revêtant de leur nature pour leur enseigner le chemin du salut éternel et pour les racheter de la mort. Nous l'avons choisie pour apaiser notre colère contre l'ingratitude des mortels. Elle nous donne le retour que les autres ne peuvent ou ne veulent nous donner; mais nous ne pouvons rejeter les prières que notre bien-aimée nous fait pour eux avec la plénitude de sa sainteté et de notre complaisance. »

652. Toutes ces merveilles étaient réitérées pendant les trois derniers jours de cette neuvaine; et au dernier, c'est-à-dire au 25 mars, à l'heure de l'incarnation, la Divinité lui était intuitivement manifestée avec une plus grande gloire que celle de tous les bienheureux. Et quoique dans tous ces jours les saints

 

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reçussent une nouvelle joie accidentelle, le denier jour était néanmoins plus solennel pour toute cette Jérusalem triomphante, qui faisait éclater des transports d'allégresse extraordinaire. Les faveurs que la bienheureuse Mère recevait dans ces jours surpassent infiniment tout ce que nous pourrions imaginer, car le Tout-Puissant lui confirmait et lui augmentait d'une manière ineffable tous les privilèges, toutes les grâces et tous les dons. Et comme elle était voyageur pour mériter, et qu'elle connaissait tous les états de la sainte Église, tant à son époque que dans les siècles futurs, elle sollicita et mérita pour tous les âges de grands bienfaits, ou, pour mieux dire, tous ceux que le pouvoir divin a opérés et opèrera jusqu'à la fin du monde en faveur des hommes.

653. Notre auguste Princesse obtenait, dam toutes les fêtes qu'elle célébrait, la conversion d'une infinité d'âmes, qui alors et depuis embrassèrent la foi catholique. Cette indulgence était pins grande le jour de l'Incarnation, car elle mérita pour plusieurs royaumes, plusieurs provinces et plusieurs nations, les faveurs qu'elles ont reçues par leur vocation à la sainte Église. Et les peuples qui ont persévéré avec plus de constance dans la foi catholique sont plus redevables aux prières et aux mérites de la divine Mère. Mais il m'a été particulièrement découvert que c'était pendant les jours auxquels elle célébrai le mystère de l’incarnation qu'elle délivrait toutes les Amer qui. étaient dans le purgatoire; et du ciel, où cette faveur lui était accordée en qualité de Reine de tout ce qui est

 

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créé et de Mère du Rédempteur du monde, elle envoyait les anges qui les menaient à l'empyrée, et là elle les présentait au Père éternel comme le fruit de l'incarnation pour laquelle il avait envoyé son Fils unique su monde, afin de lui gagner les âmes que son ennemi avait tyrannisées, et elle faisait de nouveaux cantiques de louange pour toutes ces âmes. Et dans cette joie d'avoir augmenté la cour céleste , elle revenait sur la terre, où elle rendait de nouvelles actions de grâces pour ces bienfaits avec son humilité ordinaire. On ne doit pas être surpris de cette merveille, tarit fallait bien que le jour où la bienheureuse Marie fut élevée à la dignité immense de Mère de Dieu et de Maîtresse de tout ce qui est créé, elle distribuât les trésors de la Divinité aux enfants d'Adam , ses frères et ses propres enfants , lorsqu'ils lui avaient été tous remis ce jour-là, au moment où elle avait reçu dans son sein cette même Divinité unie hypostatiquement à sa propre substance; et sa seule sagesse parvenait à estimer dignement ce bienfait propre pour elle et commun pour tous.

654. Elle célébrait d'une autre manière et avec d'autres faveurs la fête de la Naissance de son adorable Fils. Elle commençait dès la veille avec les mêmes exercices, les mêmes cantiques et les mêmes dispositions que dans les autres fêtes; et à l'heure de la naissance, son très saint Fils descendait du ciel accompagné d'une infinité d'anges, et avec la même gloire et avec la même majesté que les autres fois. Il menait aussi avec lui saint Joachim, sainte Anne, saint

 

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Joseph, sainte Élisabeth, mère de Baptiste, et plusieurs autres saints. Puis les anges,, par ordre du Seigneur, l'élevaient de terre et la plaçaient à sa divine droite, répétant avec une harmonie céleste le Gloria in excelsis qu'ils chantèrent le jour de la naissance (1), et d'autres hymnes que cette même Reine avait faites en reconnaissance de ce mystère et de ce bienfait, et à la louange de la Divinité et de ses perfections infinies. Après avoir consacré un temps assez long à ces louanges, la divine Mère demandait à son Fils Jésus la permission de descendre du trône, et se prosternait de nouveau en sa présence. En cette humble posture elle l'adorait au nom de tout le genre humain, et lui rendait des actions de grâces de ce qu'il était né au monde pour son salut. Après cet acte de reconnaissance elle faisait une fervente prière pour tous, et spécialement pour les enfants de l'Église, représentant la fragilité de la condition humaine, et le besoin qu'elle avait de la grâce et du secours de la divine droite, pour se relever et pour parvenir à la connaissance du Seigneur, et mériter la vie éternelle. Elle alléguait la miséricorde que le même Seigneur avait témoignée en naissant dans son sein virginal pour le remède des enfants d'Adam; la pauvreté dans laquelle il était né, les travaux et les peines qu'il avait supportés , le temps qu'elle l'avait nourri de son propre lait et entretenu comme Mère, et de tous les mystères qui lui arrivèrent en ces oeuvres. Son

 

(1) Luc., II, 14.

 

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très-saint Fils, notre Sauveur, agréait cette prière, et en présence de tous les auges et de tous les saints qui l'accompagnaient, il témoignait la satisfaction qu'il avait de la charité avec laquelle sa bienheureuse Mère priait pour son peuple; et lui accordait de nouveau, que comme maîtresse et dispensatrice de tous les trésors de la grâce, elle les appliquât et les distribuât entre les hommes selon sa volonté. C'est ce que la très-prudente Reine faisait avec une sagesse admirable au plus grand profit de l'Église. Et pour terminer cette. solennité, elle priait,les saints de louer le Seigneur dans le mystère de sa naissance, en son nom et en celui de tous les autres mortels. Puis elle demandait la bénédiction à son très-saint Fils, qui, après la lui. avoir donnée, s'en retournait au ciel.

 
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 

655. Ma fille et ma disciple, je veux que l'admiration avec laquelle vous écrivez les secrets que je vous découvre de ma vie et de ma sainteté, vous soit un sujet de louer le Tout -Puissant, qui a été si libéral envers moi, et de vous élever au-dessus de vous-même par la confiance avec laquelle vous devez implorer ma puissante intercession et ma protection maternelle. Mais si vous êtes surprise de ce que mon très-saint Fils ajoutait en moi grâces sur grâces et dons sur

 

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dons, et me visitait et m'élevait si souvent au ciel, souvenez-vous de ce que vous avez écrit, que je me privai volontairement de la vision béatifique pour prendre soin de l'Église. Et quand même cette charité n'aurait pas mérité auprès du Très-Haut la récompense quelle le porta à me donner lorsque j vivais dans la chair mortelle, il suffisait que je fusse sa Mère et qu'il fût mon Fils pour qu'il opérât à mon égard des merveilles telles, qu'une intelligence créée ne saurait les concevoir, et qu'elles ne pourraient convenir à aucune autre créature. La dignité de Mère de Dieu est d'un ordre tellement supérieur à toutes les dignités possibles, que ce serait une grossière ignorance de me dénier les faveurs que n'ont point obtenues les autres saints. Quand le Verbe éternel prit de ma substance la chair humaine, Dieu lui-même contracta un engagement si considérable (pour emprunter votre langage), qu'il ne l'aurait point rigoureusement rempli, s'il n'avait en conséquence fait en ma faveur tout ce qui dépend de sa toute-puissance, et tout ce que j'étais capable de recevoir. Cette puissance de Dieu est infinie, et l'on ne saurait l'épuiser; elle reste toujours infinie, et ce qu'elle communique au dehors est toujours fini, toujours borné. Moi aussi, je suis une simple créature finie, et en comparaison de l'être de Dieu, tout ce qui est créé n'est rien.

656. Mais en outre je ne mis aucun empêchement de mon côté; au contraire, je méritais que la Toute-Puissance réalisât en moi sans restriction, sans mesure,

 

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tous les dons, toutes les grâces et toutes les faveurs jusqu'où elle pouvait s'étendre. Et comme toutes ces faveurs, quelque grandes et admirables qu'elles fussent, étaient toujours finies, et que le pouvoir et l'être de Dieu sont infinis et sans bornes, on doit en conclure qu'il a pu accumuler en moi grâces sur grâces et bienfaits sur bienfaits. Et non-seulement il a pu le faire, mais il convenait qu'il le fit pour accomplir avec toute perfection cette oeuvre et cette merveille de me rendre sa digne Mère : puisque aucune de ses oeuvres n'est en son genre imparfaite ou défectueuse. C'est parce que toutes mes grâces sont renfermées dans la dignité dont il m'honora en me rendant sa Mère, comme dans le principe d'où elles découlent, que le jour auquel les hommes ont connu ma maternité divine, ils ont connu implicitement, et comme dans leur cause, les prérogatives qui m'appartiennent à raison d'une telle excellence ; seulement il a été laissé à la dévotion, à la piété et à la délicatesse des fidèles, pour complaire à mon très-saint Fils et pour mériter ma protection, de traiter dignement de ma sainteté et de mes dons, et de les déduire de mon titre de Mère de Dieu, pour les proclamer selon leur dévotion et ma dignité. Ainsi,plusieurs saints et divers docteurs ont reçu une science, des lumières et des révélations particulières sur quelques-unes des faveurs, et sur les nombreux privilèges que le Très Haut m'a accordés.

657. Et comme la plupart des mortels ont été à cet égard, les uns timides par un bon zèle, les autres

 

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plus réservés qu'ils ne devaient l'être, par indévotion, mon très-saint Fils a voulu, dans sa bonté paternelle, leur découvrir ces mystères cachés, au moment le plus opportun pour la sainte Église, sans en confier le soin au raisonnement humain ni à la science sur laquelle il s'exerce, mais en ne s'en rapportant qu'à sa propre lumière et à sa divine vérité; afin que les mortels ressentent une nouvelle joie et conçoivent de plus vives espérances, sachant combien je puis les favoriser, et rendant au Tout-Puissant la gloire et la louange qu'ils lui doivent rendre en moi et dans les oeuvres de la rédemption du genre humain.

658. C'est là, ma fille, une obligation à laquelle je veux que vous vous regardiez comme la première et la plus rigoureusement soumise, puisque je vous ai choisie pour être ma fille et ma disciple spéciale, afin qu'en écrivant ma vie, votre coeur s'élevât à un plus ardent amour et à un plus grand désir de me suivre par l'imitation à laquelle je vous convie et vous appelle. L'enseignement pratique que renferme pour vous ce chapitre est que vous devez vous associer à la reconnaissance ineffable que j'eus du bienfait et du mystère de l'incarnation du Verbe éternel dans mon sein. Écrivez dans votre coeur cette merveille du Tout-Puissant, afin que vous ne l'oubliiez jamais; et signalez-vous surtout par ce souvenir les jours qui correspondent à l'accomplissement des mystères que vous écrivez de moi. Je veux que vous y célébriez en mon nom sur la terre cette fête avec des dispositions spéciales, et i'âme pénétrée d'une joie toute, particulière,

 

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reconnaissant au nom de tous les mortels la grâce que Dieu leur a faite en s'incarnant en moi pour leur salut ; et je veux aussi que vous le glorifiiez pour la dignité à laquelle il m'a élevée en me choisissant pour être sa Mère. Sachez que rien ne cause aux anges et aux saints dans le ciel, après la connaissance qu'ils ont de l'être infini de Dieu, une plus grande admiration que de le voir uni à la nature humaine; et quoiqu'ils connaissent de plus en plus ce mystère, il leur en reste toujours plus à connaître pour toute l'éternité.

659 Or, afin que vous célébriez et renouveliez en vous ces bienfaits de l'incarnation et de la naissance de mon très-saint Fils, je veux que vous tachiez d'acquérir une humilité et une pureté angéliques ; car par ces vertus la reconnaissance que vous devez au Seigneur lui sera agréable, et, par ce retour, vous satisferez en partie aux grandes obligations que vous avez à Dieu, parce qu'il a bien voulu se revêtir de votre nature. Considérez et pesez l'énormité des péchés des hommes, qui, ayant Jésus-Christ pour frère, dégénèrent de cette excellence et de cette noblesse. Regardez-vous comme l'image du Dieu-Homme, et soyez persuadée que vous la méprisez et la défigurez par la moindre faute que vous commettez. Les enfants d'Adam oublient trop cette dignité nouvelle à laquelle la nature humaine a été élevée; ils ne veulent point se dépouiller de leurs anciennes coutumes et de leurs misères, pour se revêtir de Jésus-Christ (1). Mais,

 

(1) Rom., XIII, 14

 

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pour vous, ma fille, oubliez la maison de votre père et votre peuple (t), et tàchez de vous renouveler par la beauté de votre Réparateur, afin que vous soyez agréable aux yeux du souverain Roi.

 
CHAPITRE XV. Des autres fêtes que la bienheureuse Marie célébrait. — De la Circoncision, de l'Adoration des Rois, de sa Purification, du baptême, du jeûne de Jésus-Christ, de l'institution du très-saint Sacrement, de la Passion et de la Résurrection.

 

660. En renouvelant la mémoire des mystères de la vie et de la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, notre auguste Reine ne voulait pas seulement lui rendre la due reconnaissance pour elle et pour tout le genre humain , et enseigner à l'Église cette science divine comme Maîtresse de toute sainteté et de toute sagesse; mais, après avoir payé cette dette, elle prétendait encore apaiser le Seigneur, et incliner sa bonté infinie à la miséricorde et à la clémence, dont elle savait que la fragilité naturelle et la misère des hommes avaient besoin. La très-prudente Mère savait que leurs péchés irritaient extrêmement le Très-Haut,

 

(1) Ps. XLIV, 10.

 

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et que devant le tribunal de sa miséricorde ils ne pouvaient alléguer en leur faveur que la charité infinie avec laquelle il les a aimés et réconciliés avec lui, lorsqu'ils étaient pécheurs et ennemis (1). Et comme notre Rédempteur Jésus-Christ a opéré cette réconciliation par ses oeuvres, par sa vie, par sa mort et par ses mystères , e est pour cette raison que la bienheureuse Vierge croyait que les jours auxquels tous ces bienfaits arrivèrent étaient propices pour redoubler ses prières, pour apaiser le Tout-Puissant, et pour le supplier d'aimer les hommes parce qu'il les avait aimés ; de les appeler à la foi et à son amitié, parce qu'il les leur avait méritées; et de les justifier effectivement, parce qu'il leur avait acquis la justification et la vie éternelle (2).

661. Jamais les hommes ni même les anges ne parviendront à apprécier l'étendue des obligations qu'ale monde à la bonté maternelle de cette charitable Reine. Les grandes faveurs qu'elle reçut de la droite du Tout-Puissant toutes les fois que la vision béatifique lui fut manifestée durant sa vie mortelle, ne furent pas des bienfaits pour elle seule, mais aussi pour nous; car sa science et sa charité atteignirent dans ces occasions au plus haut degré possible chez une simple créature, et c'est avec les sentiments qu'elles lui inspiraient qu'elle désirait la gloire du Très-Haut dans le salut des créatures raisonnables. Et comme elle était en même temps dans l'état de

 

(1) Rom., V, 8. — (2) Ibid.. 9.

 

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voyageuse pour mériter et obtenir ce salut, elle souhaitait si vivement qu'aucun ne se damnât de ceux qui pouvaient arriver à la jouissance de Dieu, qu'on ne saurait s'imaginer l'ardeur de l'amour qui embrasait son chaste coeur. De là lui vint un continuel martyre qu'elle souffrit pendant toute sa vie, et qui l'aurait consumée à chaque heure, à chaque instant, si la puissance divine ne l’eût conservée. Et ce qui le lui causait, c'était de penser qu'un si grand nombre d'âmes se damneraient et resteraient privées éternellement de la vision et de la jouissance de Dieu; et que de plus elles subiraient les tourments éternels de l'enfer, sans aucune espérance du remède qu'elles auraient méprisé.

662. La très-douce Mère sentait ce malheur si lamentable avec une douleur immense, parce qu'elle le connaissait, le considérait et l'appréciait avec une sagesse égale. Et, sa très-ardente charité répondant à cette sagesse, elle n'eût pu trouver aucune consolation dans ces peines, si elle eût été abandonnée à la force de son amour et à ses réflexions sur ce que notre Sauveur a fait et a souffert pour racheter les hommes de la perdition éternelle. Mais le Seigneur prévenait en sa très-fidèle Mère les effets de cette douleur mortelle , et quelquefois il lui conservait miraculeusement la vie; d'autres fois il la distrayait de cette douleur par des considérations différentes, ou bien il lui découvrait les secrets cachés de la prédestination éternelle, afin que la connaissance des raisons et de l'équité de la justice divine adoucit

 

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l’affliction de son coeur. Tels étaient, entre autres, les moyens que notre Sauveur Jésus-Christ prenait pour empêcher que la vue des péchés et de la damnation éternelle des réprouvés ne fit mourir sa très-sainte Mère. Or, si la prévision de ce malheureux sort a pu tant affliger le coeur compatissant de notre auguste Princesse, et a produit en son adorable Fils des effets tels, que, pour' remédier à la perte des hommes, il s'est offert à la passion et à la mort de la croix, quels termes employer pour exprimer la folie aveugle de ces mêmes hommes qui courent avec tant d'impétuosité et d'insensibilité à leur propre ruine, ruine si irréparable, que les suites n'en seront jamais assez calculées !

663. Mais ce par quoi notre divin Maître adoucissait beaucoup cette douleur de sa Mère bien-aimée, c'était en écoulant ses prières et ses supplications pour les mortels, en lui témoignant que son amour lui était agréable, en lui offrant ses trésors et ses mérites infinis, en la faisant sa grande Aumônière, et en laissant à sa charitable volonté, la distribution des richesses de sa miséricorde et de ses grâces, afin qu'elle les appliquât aux âmes, selon qu'elle saurait être le plus convenable. Ces promesses du Seigneur à sa bienheureuse Mère étaient aussi fréquentes que les prières et les sentiments par lesquels elle les provoquait, et les unes et les autres augmentaient lors des fêtes qu'elle célébrait en mémoire des mystères de sou très-saint Fils. Pour la Circoncision, quand tenait le jour auquel le mystère eut lieu, elle commençait

 

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les exercices ordinaires à la même heure que dans les autres fêtes, et le Verbe incarné descendait aussi dans son oratoire avec la même majesté et le même cortége d'anges et de saints. Et comme ce fut en ce mystère que notre Rédempteur commença à verser son sang pour les hommes et à se soumettre à la loi des pécheurs, comme s'il en eût été du nombre, les actes que sa très-pure Mère faisait en commémoration de la bonté et de la clémence de son très-saint Fils, étaient ineffables.

664. La divine Mère s humiliait profondément ; elle s'apitoyait avec une vive tendresse sur ce que l’Enfant-Dieu a souffert en un âge si tendre ; elle le remerciait de ce bienfait pour tous les enfants d'Adam ; elle pleurait l'ingratitude commune qui leur faisait méconnaître le prix de ce sang versé de si bonne heure pour le rachat de tous. Et comme si elle se fût trouvée confuse en la présence de sou adorable Fils de ce qu'ils ne reconnaissaient pas ce bienfait, elle s'offrait à mourir et à verser elle-même son propre sang pour satisfaire à cette dette, et pour imiter son Modèle et son Maître. Ces désirs et ces demandes amenaient entre elle et le même Seigneur de très-doux entretiens pendant tout ce jour-là. Il acceptait le sacrifice de sa bienheureuse Mère ; mais comme il n'était pas convenable que ses ardents désirs fussent accomplis, elle ajoutait de nouvelles inventions de charité en faveur des mortels. Elle priait son très-saint Fils de partager les douceurs, les. caresses et les faveurs qu'elle recevait de sa puissante droite entre

 

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ses enfants les hommes, et de lui attribuer à elle une part spéciale dans les souffrances pour son amour et par ce même amour, demandant que, pour ce qui regardait la récompense, elle s'étendît sur tous, et que tous goûtassent de la suavité et des délices de son divin esprit, afin qu'attirés par ses charmes ils entrassent tous dans le chemin de la vie éternelle, et qu'aucun d'eux ne se damnât après que le Seigneur lui-même s'était fait homme et avait souffert pour attirer toutes choses à lui (1). Ensuite elle offrait au Père éternel le sang que son Fils Jésus a versé dans sa Circoncision, et l'humilité qu'il avait pratiquée en se laissant circoncire étant impeccable. Elle l'adorait comme Dieu et homme véritable ; et après toutes ces oeuvres et plusieurs autres d'une perfection incomparable, son très-saint Fils la bénissait, et s'en retournait au ciel à la droite de son Père éternel.

665. Pour l'Adoration des rois elle se préparait quelques jours avant que la fête arrivât, comme amassant quelques dons qu'elle pût offrir au Verbe incarné la principale offrande, que la très-prudente Dame appelait or, c'étaient les âmes qu'elle ramenait à l'état de grâce ; et pour cela elle se servait d'avarice du ministère des anges, qu'elle priait de l'assister à préparer ce don, en lui disposant plusieurs âmes par de saintes inspirations, afin qu'elles se convertissent au vrai Dieu, et qu'elles le connussent. Tout cela s'opérait par leur ministère, et plus encore par les

 

(1) Joan., XII, 32.

 

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prières qu'elle faisait; car c'était par ces prières qu'elle retirait plusieurs âmes du péché, qu'elle en amenait d'autres à la foi et au baptême, et qu'elle eu arrachait d'autres encore au pouvoir du démon à l'heure de la mort. A ce don elle ajoutait celui de la myrrhe, qui consistait dans ses prosternations les bras en croix, dans ses actes d'humiliation, et dans d'autres exercices de pénitence qu'elle faisait pour se préparer et pour avoir de quoi offrir à son propre Fils. La troisième offrande, qu'elle appelait encens, c'étaient les élans, les ardents transports de son amour, ses oraisons jaculatoires , et d'autres très-douces affections pleines de sagesse.

666. Le jour de la fête arrivé, son très-saint Fils descendait du ciel escorté d'une multitude innombrable d'anges et de. saints pour recevoir cette offrande ; la bienheureuse Vierge priait les courtisans célestes de l'assister, et, en leur présence, elle offrait ses dons au Seigneur avec les hommages d'un culte et les sentiments d'un amour admirables, et en même temps elle faisait une fervente prière pour mortels. Elle était ensuite élevée au trône de son adorable Fils, et là elle participait à la gloire de sa très-sainte humanité d'une manière ineffable, se trouvant divinement unie à elle, et comme transfigurée par ses splendeurs. Quelquefois le Seigneur lui-même la tenait appuyée sur ses bras, afin qu'elle pût, pour ainsi dire, se reposer de ses ardentes affections. Les faveurs qu'elle recevait étaient d'une nature telle, que nous n'avons point de termes pour les exprimer; car le

 

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Tout-puissant tirait chaque jour de ses trésors des bienfaits anciens et nouveaux. (1).

667. Après avoir reçu ces faveurs, elle descendait da trône et demandait miséricorde pour les hommes. Elle terminait ces prières par un cantique de louange au nom d'eux tous, et conviait les saints à se joindre à elle. Il arrivait ce jour-là une chose merveilleuse, c'est que , pour finir cette solennité, elle demandait à tous les patriarches et à tous les autres saints qui s'y trouvaient, de supplier  le Tout-puissant de l'assister et de la gouverner dans toutes ses actions. Elle adressait cette demande à chacun d'eux en particulier, s'humiliant devant tous comme si elle eût voulu leur baiser la main. Et son très-saint Fils le permettait aveu une complaisance incomparable, afin que la Maîtresse de l'humilité pratiquât cette vertu envers ses parents, et envers les patriarches et les prophètes qui étaient de sa propre nature. Mais elle n'exerçait point cette humilité envers les anges, parce. qu'ils étaient au ministres, et qu'ils n'avaient point avec la bienheureuse Vierge cette affinité de nature qu'avaient ses vénérables ancêtres : c'est pourquoi les esprits célestes s'associaient alors à ses exercices, en lui donnant leur concours d'une manière différente.

668. Elle célébrait ensuite le baptême de notre Sauveur Jésus-Christ avec beaucoup de reconnaissance de ce sacrement, et de ce que le Seigneur lui-même avait voulu le recevoir pour lui donner un

 

(1) Math., XIII, 52

 

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commencement dans la loi de grâce. Après lei prières qu'elle faisait pour l'Église, elle se retirait pendant quarante jours pour célébrer le jeûne de notre Sauveur, en le pratiquant de nouveau aussi rigoureusement que le divin Maître l'avait fait, et qu'elle-même l'avait imité, comme je l'ai rapporté dans la seconde partie.. Durant ces quarante jours elle ne dormait, ni ne mangeait, ni ne sortait de sa retraite, à moins que quelque nécessité pressante n'exigeât sa présence. Elle ne communiquait qu'avec l'évangéliste saint Jean pour recevoir de sa main la sainte communion, et pour expédier par son entremise les affaires les plus importantes qui se rattachaient su gouvernement de l'Église. Pendant ces jours-là le disciple bien-aimé jouait un rôle plus actif, parce qu'il s'absentait moins de la maison du Cénacle. Si beaucoup de malades se présentaient, il les guérissait en leur appliquant quelque objet appartenant à notre puissante. Reine. Un grand nombre de possédés venaient aussi au Cénacle, et plusieurs étaient délivrés avant d'y arriver, parce que les démons n'osaient s'approcher du lieu où était la bienheureuse Marie. En d'autres cas, l'application au malade du manteau, ou du voile, ou de tout autre objet servant à l'auguste Vierge, suffisait pour que les esprits rebelles se précipitassent aussitôt dans l'abîme. Et si quelques-uns essayaient de résister, l'évangéliste l'appelait, et à l'instant qu'elle arrivait auprès des possédés, les démons en sortaient sans attendre qu'elle le leur commandât.

669. Si j'étais obligée de raconter toutes les merveilles

 

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qui se passaient pendant ces quarante jours à l'égard de notre divine Maîtresse, il faudrait que j'écrivisse volumes sur volumes; car, puisqu'elle cessait de dormir, de manger, de reposer, comment rapporter ce qu'avec son activité et sa sollicitude si efficaces elle opérait durant un si long laps de temps? Il suffit de savoir qu'elle appliquait, qu'elle offrait toutes ses oeuvres pour les progrès de l'Église, pour la justification des filmes, pour la conversion du monde et pour secourir les apôtres et les disciples qui prêchaient dans toutes les parties de l'univers. Après avoir achevé ce carême , son très-saint Fils la régalait par un festin semblable à celui que les anges firent au Seigneur lui-même lorsqu'il eut achevé son jeûne de quarante jours, comme on l'a vu plus haut. Toutefois, ce qui embellissait celui de l'auguste Marie, c'était la présence de notre Sauveur, glorieux , plein de majesté, et accompagné de milliers d'anges, dont les uns servaient leur Reine, les autres chantaient des hymnes d'une harmonie divine, tandis que le Seigneur donnait de sa propre main à sa Mère bien-aimée ce qu'elle mangeait. C'était pour elle un jour délicieux , plus à cause de la présence de son Fils et de ses caresses, qu'à cause du goût exquis des aliments et du breuvage célestes. Et pour rendre grâces de toutes ces faveurs, elle se prosternait, adorait le Seigneur et lui demandait sa bénédiction ; sa divine Majesté la lui donnait, et s'en retournait ensuite au ciel. Dans toutes ces apparitions de notre Seigneur Jésus-Christ, la très-pieuse Mère faisait des actes

 

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héroïques d'humilité, de soumission et de vénération, baisant les pieds de son Fils, avouant qu'elle ne méritait point ces faveurs, et lui demandant une nouvelle grâce pour le mieux servir dès lors à l'aide de sa protection.

670. Il serait possible qu'imbues des idées de la sagesse humaine, certaines personnes s'imaginent que les apparitions du Seigneur que j'ai eu lieu de rapporter en tant d'occasions étaient trop fréquentes. Mais elles devraient commencer par mesurer la sainteté de la Maîtresse des vertus et de la grâce, et l'amour réciproque d'une telle Mère et d'un tel Fils , et nous dire de combien ces faveurs excèdent la règle avec laquelle elles mesurent cette cause, que la foi et la raison tiennent, que l'esprit humain ne saurait mesurer. Quant à moi, la lumière avec laquelle je connais cette cause me suffit pour ne point me faire douter de ce que je dis, d'autant plus que je sais que chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, notre Sauveur Jésus-Christ descend du ciel entre les mains du prêtre, qui le consacre légitimement en quelque partie du monde que ce soit Et je dis qu'il descend, non par un mouvement corporel, mais par le changement du pain et du vin en son sacré corps et en son précieux sang. Ce prodige s'opère d'une manière différente, que je ne cherche ni à expliquer ni à prouver ici; mais la doctrine catholique m'enseigne que Jésus-Christ en personne, par une merveille ineffable, se trouve présent et réside dans l'hostie consacrée. Cette merveille, le Seigneur la renouvelle sans cesse

 

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pour les hommes et pour leur salut, malgré l'indignité d'un si grand nombre d'entre eux , et parfois de ceux mêmes qui le consacrent. Or, si quelqu'un a pu le porter à continuer ce bienfait, ç'a été uniquement la bienheureuse Marie, pour laquelle il l'a principalement ordonné, comme je l'ai déclaré ailleurs. Qu'on ne suit donc pas surpris s'il l'a visitée si souvent, puisqu'elle seule a pu et su le mériter pour elle et pour nous.

671. Après le . jeûne elle célébrait la fête de sa Purification et de la Présentation de l'Enfant-Dieu dans le Temple. Lorsqu'elle était prête à offrir cette hostie, et que le Seigneur voulait l'accepter, la très-sainte Trinité lui apparaissait dans son oratoire avec les courtisans célestes. Et su moment où elle allait offrir le Verbe incarné, les anges la revêtaient des mêmes ornements que j'ai décrits pour la fête de l'Incarnation. Ensuite elle faisait une longue prière pour tout le genre humain, et en particulier .pour l'Église. Le fruit de cette prière et de l'humilité avec laquelle elle se soumit à la loi de la purification et la récompense des exercices qu'elle faisait, étaient de nouveaux accroissements de grâce, de nouveaux dons et de nouvelles faveurs qu'elle recevait pour elle-même, et en outre de grands bienfaits qu'elle obtenait pour les autres.

672. Elle célébrait la mémoire de la Passion, l'institution du très-saint Sacrement, la Résurrection, non-seulement chaque semaine, comme je l'ai dit plus haut , mais encore au jour anniversaire de l'accomplissement

 

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du mystère. De sorte qu'elle renouvelait chaque année cette mémoire, comme l'Église le fait maintenant dans la semaine sainte. Aux exercices ordinaires de chaque semaine elle en ajoutait plusieurs autres, et à l'heure où Jésus-Christ fut crucifié, elle s'étendait sur la croix et y demeurait trois heures. Elle répétait alors toutes les prières que fit le Seigneur lui-même , et s'associait à toutes ses douleurs et à tous les mystères qui arrivèrent ce jour-là. Mais en la solennité du Dimanche suivant, qui correspondait à la résurrection, elle était transportée par les anges dans l'empyrée, où elle jouissait ce jour-là de la vision béatifique, tandis qu'elle n'était qu'abstractive aux autres dimanches de l'année.

 
Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges.

 

673. Ma fille, l'esprit divin dont la sagesse et la prudence gouvernent la sainte Église, n'a pas ordonné par mon intercession qu'on y célèbrerait tant de fêtes différentes seulement afin qu'on renouvelât la mémoire des mystères divins, des oeuvres de la rédemption du genre humain-, de celles de ma très-sainte vie et de celles des autres saints, et afin que les hommes, loin d'oublier les bienfaits qu'ils ne pourront jamais dignement reconnaître, se montrassent reconnaissants envers leur Créateur et leur Rédempteur; mais ces solennités ont été aussi établies afin qu'en ces

 

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jours-là ils s'occupassent à de saints exercices, se retirassent intérieurement des distractions dans lesquelles les jette les autres jours le soin des choses temporelles, réparassent par l'exercice des vertus et par le bon usage des sacrements ce qu'ils ont perdu par ces distractions, imitassent les vertus des saints, recourussent à mon intercession, et méritassent le pardon de leurs péchés, la grâce et les bienfaits que la divine miséricorde leur destine par ces moyens.

674. C'est là l'esprit de la sainte Église avec lequel elle désire gouverner et nourrir ses enfants comme une tendre mère. Et moi qui suis la Mère commune de tous, j'ai prétendu par là les lier et les attirer au chemin assuré de leur salut. Mais le serpent infernal a toujours travaillé, et surtout dans les temps malheureux où vous vivez, pour empêcher ces saintes fins du Seigneur et les miennes; et lorsqu'il ne peut pervertir les institutions de la sainte Église, il emploie sa malice à les rendre au moins inutiles pour la plupart. des fidèles, et à faire que, pour beaucoup d'entre eux , ce bienfait ne soit qu'un plus grand motif de condamnation. Aussi le démon le leur allèguera-t-il lui-même au tribunal de la divine justice, non-seulement parce que dans les jours les plus saints et les plus solennels ils n'ont point suivi l'esprit de la sainte Église , en les consacrant à des oeuvres de vertu et au culte da Seigneur, mais parce qu'en de pareils jours ils ont commis des péchés plus graves, comme font ordinairement les hommes charnels et mondains. L'oubli et le mépris que les enfants de

 

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l'Église témoignent en général de cette vérité , sont en effet tort grands et fort criminels : profanant les jours les plus saints et les plus sacrés, ils s'y livrent d'ordinaire aux jeux, aux plaisirs, aux désordres, à toutes sortes d'excès dans le boire et dans le manger, et lorsqu'ils devraient apaiser le Tout-Puissant, c'est alors qu'ils irritent davantage sa justice; et au lieu de vaincre leurs ennemis invisibles, ils s'en laissent vaincre eux-mêmes, et procurent un déplorable triomphe à leur orgueil et à leur malice.

675. Pleurez, ma fille, ce malheur, puisque je ne puis pas le pleurer maintenant, comme je le fis durant ma vie mortelle, et comme je le ferais si j'y étais encore; tâchez de le réparer autant qu'il vous sera possible avec le secours de la divine grâce , et travaillez à tirer vos frères de cet oubli si général. La vie des personnes consacrées à Dieu devrait différer de celle des séculiers, en ne faisant aucune distinction des jours et en les employant tous su culte divin , à l'oraison et à de saints exercices (et c'est ce que vous devez enseigner à vos inférieures); mais je veux d'une manière particulière que vous et elles vous vous signaliez dans la célébration des fêtes, surtout de celles du Seigneur et des miennes, par une préparation et une pureté de conscience plus grandes. Je veux que vous remplissiez tous les jours et toutes les nuits d'oeuvres saintes et agréables à votre divin Maître; mais aux jours de fête vous ajouterez de nouveaux exercices intérieurs et extérieurs. Redoublez de ferveur, recueillez-vous entièrement dans votre intérieur, et s'il

 

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vous semble que vous faites beaucoup, travaillez de plus en plus pour assurer votre vocation et votre élection (1), et ne laissez jamais aucun exercice par négligence. Considérez que les jours sont mauvais (2), et que la vie passe comme l'ombre (3). Prenez bien garde,de vous trouver vides de mérite et d'oeuvres saintes et parfaites. Donnez à chaque heure son occupation légitime, comme vous savez que je le faisais, et comme je vous l'ai souvent appris et enseigné.

676. Or, afin que vous réussissiez en toutes ces choses, je vous avertis d'être fort attentive aux saintes inspirations du Seigneur, et parmi les autres faveurs, faites une estime particulière de celle qu'elles renferment. Votre fidélité doit être telle, qu'il n'y ait aucun acte de vertu ou de plus grande perfection qui vous vienne à la pensée, sans que vous l'exécutiez en la manière qu'il vous sera possible. Je vous assure, ma très-chère fille, que, par le peu de cas que les mortels font de ces saintes inspirations, ils perdent des trésors immenses de grâce et de gloire. J'imitais tout ce que je voyais faire à mon très-saint Fils lorsque je vivais avec lui, et je pratiquais tout ce que le divin Esprit m'inspirait de plus saint, comme vous l'avez appris. Je vivais dans ce soin continuel comme par la respiration naturelle, et c'est par ces affections que je portais mon très-saint Fils à m'accorder les faveurs et les visites qu'il me fit si souvent pendant ma vie mortelle.

677. Je veux aussi , afin que vous et vos religieuses

(1) II Petr., I, 10. — (2) Ephes., V, 18. — (3) Ps. CXLIII, 4.

 

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m'imitiez dans les retraites que je faisais, que vous régliez dans votre monastère l'ordre et le genre des exercices d'usage à pratiquer durant leur retraite, par celles que la supérieure autorisera à y passer quelques jours. Vous savez par votre propre expérience quel fruit l'on retire de cette solitude, puisque vous y avez écrit presque toute ma vie, et le Seigneur vous y a départi d'insignes et grandes faveurs, afin que vous perfectionniez la vôtre et que vous vainquiez vos ennemis. Or, afin que vos religieuses sachent comment elles doivent se comporter dans ces exercices pour en tirer un plus grand fruit, je veux que vous leur écriviez un traité particulier, où vous leur, marquerez les heures de toutes leurs occupations pendant leur retraite. Et ces occupations doivent être réglées de telle manière, que celles qui feront ces exercices ne manquent point aux actes de communauté, car on doit préférer cette obligation à toutes les dévotions particulières. Elles garderont pendant ce temps-là un silence inviolable, et marcheront toujours couvertes de leur voile, afin qu'on les distingue et que personne ne leur parle. Celles qui auront quelque office ne seront point pour cela privées de cet avantage; c'est pourquoi vous en, chargerez en vertu de l'obéissance d'autres religieuses qui le rempliront pendant ce temps-là. Priez le Seigneur de vous éclairer de sa lumière pour écrire ce traité, et je vous assisterai, afin qu'alors vous connaissiez plus particulièrement ce que je faisais, et que vous le leur proposiez pour leur instruction.

 

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CHAPITRE XVI. De quelle manière la bienheureuse Marie célébrait les fêtes de l'Ascension de notre Sauveur Jésus-Christ, de la venue du Saint-Esprit, des anges et des saints, et comment elle faisait mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus.

 

678. Je trouve en chaque oeuvre et en chaque mystère de notre auguste Reine de nouveaux secrets à pénétrer et de nouveaux sujets d'admiration; mais je ne saurais trouver de nouvelles paroles pour exprimer ce que j'en connais. Par ce qui m'a été manifesté de l'amour que notre Sauveur Jésus-Christ avait pour sa très-pure Mère et sa très-digne Épouse , il me semble que, selon l'inclination et la force de cette charité, il se serait privé du trône de la gloire et de la compagnie des saints pour rester auprès de sa Mère bien-aimée, s'il n'eût été convenable pour d'autres raisons que le Fils fût dans le ciel, et la Mère sur la terre, pendant le temps que dura cette séparation corporelle. On ne doit pas s'imaginer que cette appréciation de l'excellence de la sacrée Vierge déroge à celle de son très-saint Fils et à celle des saints , car la divinité du Père et du Saint-Esprit était en Jésus-Christ indivisible avec une suprême unité individuelle, et toutes les trois personnes sont en chacune paf un mode inséparable

 

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d'inexistence, de sorte que la personne du Verbe ne pouvait jamais être sans le Père et sans le Saint-Esprit. Il est certain que la compagnie des anges et des saints, comparée avec celle de la bienheureuse Marie, était pour son très-saint Fils moindre que celle de sa très-digne Mère, et cela en considérant la force de l'amour réciproque de Jésus-Christ et de la très-pure Marie. Mais il était convenable, pour d'autres raisons, que le Seigneur, ayant achevé l'oeuvre de la rédemption du genre humain, s'en retournât à la droite du Père éternel, et que sa bienheureuse Mère demeurât dans l'Église, afin de procurer par ses soins et par ses mérites l'efficace de cette même rédemption, et d'assister à l'enfantement de la passion et de la mort de son très-saint Fils:

679. C'est avec cette providence ineffable et mystérieuse que notre Sauveur Jésus-Christ ordonna ses oeuvres, les laissant pleines de sagesse, de magnificence et de gloire divine, mettant sa confiance en cette femme forte, comme il le dit par Salomon dans ses Proverbes (1). Il ne fut point trompé dans sa confiance, puisque la très-prudente Mère, au moyen des trésors de la Passion et du sang du même Seigneur, appliqués par ses propres mérites et par ses soins, acheta pour son Fils le champ dans lequel elle planta, pour la faire fleurir jusqu'à la fin du monde, cette vigne (2) de l'Église, représentée par les âmes des fidèles en qui elle se conserva jusqu'alors, et parcelles

 

(1) Prov., XXXI, 11. — (2) Ibid., 16.

 

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des prédestinés , en qui cette Église sera transférée dans la Jérusalem triomphante pour tonte l'éternité. Et s'il était convenable à la gloire du Très-Haut que toute cette oeuvre fût confiée à la très-pure Marie, afin que notre Sauveur Jésus-Christ entrât dans la gloire de son Père après sa résurrection miraculeuse, il fallait aussi qu'il conservât avec sa bienheureuse Mère, qu'il aimait infiniment et qu'il laissait dans le monde, toute la correspondance, tout le commerce possible; ce n'était pas seulement (amour qu'il lui portait qui l'exigeait, c'était encore la place qu'occupait, c'était l'entreprise que menait notre auguste Maîtresse sur la terre , où la grâce , les moyens et les faveurs devaient être proportionnés avec la' cause et avec la fin très-sublime de tant de profonds mystères. Tout cela était glorieusement accompli par les fréquentes visites que le Fils lui-même faisait à sa Mère, et en l'élevant si souvent su trône de sa gloire, afin que ni cette invincible Reine ne restât toujours loin de la cour céleste, ni les courtisans divins ne fussent privés pendant des années entières de la vue désirable de leur Reine, puisque ce bonheur était possible et convenable pour tous.

680. Un des jours auxquels ces merveilles étaient renouvelées (outre ceux que j'ai indiqués), c'était celui où elle célébrait chaque année l'Ascension de son très-saint Fils. Ce jour-là était grand et fort solennel pour le ciel et pour elle, car elle s'y préparait dès le jour auquel elle célébrait la Résurrection de son adorable Fila. Durant tout ce temps elle faisait mémoire

 

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des faveurs qu'elle avait reçues de son très-doux Fils, et de la compagnie des anciens patriarches et -des saints qu'il avait tirés des limbes, et de tout ce qui lui arriva pendant ces quarante jours, rendant des actions de grâces particulières pour chaque jour avec de nouveaux cantiques et exercices, comme si les merveilles qui s'étaient passées fussent arrivées alors, car elle avait toutes ces choses présentes en sa mémoire. Je ne m'arrête point à rapporter les particularités de ces jours, parce que j'en ai dit assez dans les derniers chapitres de la seconde partie. J'ajouterai seulement que dans cette préparation notre grande Reine obtenait des faveurs incomparables et. de nouvelles influences de la Divinité, par lesquelles elle était de plus en plus divinisée et disposée aux bienfaits qu'elle devait recevoir le jour de la fête.

681. Or, le jour mystérieux étant arrivé qui en chaque année répondait à celui où notre Sauveur Jésus-Christ monta su ciel, cet adorable Seigneur descendait en personne dans l'oratoire de sa bienheureuse Mère, accompagné d'une multitude innombrable d'anges, ainsi que des patriarches et des saints qu'il emmena lors de sa glorieuse ascension. Notre auguste Dame attendait cette visite prosternée, selon sa coutume, et anéantie dans les profondeurs de son. humilité ineffable; mais élevée au delà de tout ce que l'esprit humain et l'esprit angélique peuvent concevoir au plus haut degré de l'amour divin auquel puisse atteindre une simple créature. Son très-saint Fils lui apparaissait au milieu des choeurs des saints,

 

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et renouvelant en elle la douceur de ses bénédictions, il ordonnait aux anges de l'élever de terre et de la placer à sa droite. Ils exécutaient aussitôt la volonté du Sauveur, et les séraphins mettaient sur son trône Celle qui lui avait donné l'être humain, et là son très-saint Fils lui disait : « Que désirez-vous? que demandez-vous? que voulez-vous? » A ces questions la bienheureuse Marie répondait : « Mon Fils et mon  Dieu éternel , je désire la gloire et l'exaltation de  votre saint nom, je veux reconnaître su nom de  tout le genre humain la faveur que vous nous avez  faite en élevant par votre toute-puissance en ce jour  notre nature à la gloire et à la félicité éternelles. Je  demande que tous les hommes connaissent, bénissent et glorifient votre Divinité et votre très sainte humanité. »

682. Le Seigneur lui répliquait : « Ma Mère et  ma Colombe, choisie entre les créatures pour être  ma demeure , venez avec moi dans ma patrie céleste, où vos désirs seront accomplis et vos de mandes expédiées, et où vous jouirez de la solennité  de ce jour, non parmi les mortels enfants d'Adam, mais en la compagnie de mea courtisans et des  habitants du ciel. » Ensuite toute cette céleste assemblée s'élevait dans la région de l'air, comme il arriva le jour même de l'Ascension, et parvenait à l'empyrée, la Vierge Mère étant toujours à la droite de son adorable Fils. Mais lorsque le saint cortège atteignait les sublimes hauteurs où il s'arrêtait dans un bel ordre , on remarquait dans le ciel comme un

 

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nouveau silence et une nouvelle attention, non-seulement parmi les saints, mais jusque dans le Saint des saints. Alors notre grande Reine demandait au Seigneur la permission de descendre du trône, et, prosternée devant la très-sainte Trinité, elle faisait un cantique ineffable de louanges, qui s'appliquait aux mystères de l'incarnation et de la rédemption, et à toutes les victoires que son très-saint Fils remporta jusqu'au jour de sa glorieuse ascension, auquel il s'en retourna triomphant à la droite du Père éternel.

683. Le Très-Haut témoignait combien ce cantique lui était agréable, et tous les saints y répondaient par de nouveaux cantiques, glorifiant le Tout-Puissant en cette créature si admirable ; de sorte qu'ils recevaient tous une nouvelle joie par la présence et par l'excellence de leur Reine. Ensuite, par le commandement du Seigneur, les anges l'élevaient une seconde fois à la droite de son très-saint Fils, et la Divinité lui était manifestée par une vision intuitive et glorieuse, précédée des mêmes illustrations et du même cérémonial que j'ai rapportés ailleurs. L'auguste Vierge jouissait ce jour-là de cette vision béatifique pendant quelques heures, et alors le Seigneur lui donnait de nouveau la possession de ce lieu qu'il lui avait préparé pour son éternité, comme je l'ai dit en parlant de l'ascension. Pour exciter davantage notre admiration, et pour mieux découvrir l'étendue de nos obligations envers la divine Mère, je dois déclarer que, chaque année, le Seigneur lui-même lui demandait

 

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ce jour-là si elle voulait demeurer dans cette jouissance éternelle pour toujours, ou redescendre sur la terre pour favoriser la sainte Église. Laissant ce choix à sa disposition, elle répondait : Que si c'était la volonté du Tout-Puissant, elle retournerait dans le monde afin d'y travailler pour les bommes, qui étaient le fruit de la rédemption et de la mort de son très saint Fils.

684. La très-sainte Trinité acceptait de nouveau cette renonciation que la divine Marie réitérait chaque année à la grande admiration des bienheureux, De sorte qu'elle se priva plusieurs fois pour un temps de la jouissance de la vision béatifique, afin de venir sur la terre assister l'Église et l'enrichir par ses mérites ineffables. Et puisqu'il nous est impossible de les déclarer, il faut bien, sans que cela laisse une lacune dans cette histoire , que nous en remettions la connaissance jusqu'au moment où nous l'aurons dans la vision divine. Mais tous ses mérites et toutes ses récompenses lui étaient gardés comme en dépôt dans la divine estime, afin qu'ensuite, quand elle en serait mise en possession, elle fût semblable à l'humanité de son Fils, au degré possible, comme celle qui devait être dignement à sa droite et sur son trône. Toutes ces merveilles étaient suivies des prières que notre charitable Reine faisait dans le ciel pour obtenir l'exaltation du nom du Très-Haut, la propagation de l'Église, la conversion du monde et une suite de victoires sur le démon; et tous ces avantages étaient accordés en la manière qu'ils se sont accomplis, et

 

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qu'ils s'accomplissent dans tous les siècles de l'Église, et ces faveurs seraient encore plus grandes, si les péchés du monde ne l'empêchaient pas, en rendant les mortels indignes de les recevoir. Puis les auges ramenaient leur Reine dans l'oratoire du Cénacle aux sons d'une musique céleste, et y étant arrivée, elle se prosternait pour reconnaître de nouveau ces bienfaits. On doit remarquer que l'évangéliste saint Jean, par la connaissance qu'il avait de ces merveilles, eut le bonheur de participer jusqu'à un certain point à leurs effets; car il voyait souvent la bienheureuse Vierge rayonnante d'une telle splendeur, qu'il ne pouvait la regarder à cause de la divine lumière qui en rejaillissait de son visage. Et comme la Maîtresse de l'humilité ne faisait rien sans en demander à genoux la permission à l'évangéliste, le saint avait de fréquentes occasions de voir cette splendeur, et par la crainte respectueuse qu'elle lui causait, il était maintes fois troublé en la présence de notre grande Reine, tout eu éprouvant une joie ineffable et des effets extraordinaires de sainteté.

            685. L'auguste Marie se servait des effets et des faveurs de cette grande fête de l'Ascension pour célébrer plus dignement la venue du Saint-Esprit, et pour s'y préparer pendant les neuf jours qui séparent ces deux solennités. Elle continuait toujours ses exercices, désirant de toute l'ardeur de son âme que le Seigneur renouvelât en elle les dons de son divin Esprit. Et lorsque le jour arrivait, ses désirs étaient accomplis par les oeuvres de la Toute-Puissance; car à la même

 

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heure qu'il descendit la première fois dans le Cénacle sur le sacré collège, il descendait chaque année sur la Mère de Jésus, l'Épouse et le Temple de ]'EspritSaint. Cette venue n'était pas moins solennelle que la première, car il venait sous la forme visible de rayons de feu avec un grand bruit et une splendeur merveilleuse ; mais néanmoins ces signes n'étaient point manifestes à tous comme ils le furent lors de la première venue, parce qu'alors cette manifestation fut nécessaire, tandis qu'en, ce dernier cas il était convenable qu'elle ne fût connue entièrement que par la divine Mère, et un peu que par l'évangéliste. Quand elle recevait cette faveur, un très-grand nombre d'anges l'entouraient, faisant entendre les plus harmonieux cantiques à la louange du Seigneur, et le Saint-Esprit l'embrasait de ses feux, et la renouvelait par des dons extraordinaires et par de nouveaux accroissements de ceux qu'elle possédait déjà à un degré si éminent. Ensuite notre grande Dame lui rendait de très-humbles actions de grâces pour cette faveur, et pour celle qu'il avait faite aux apôtres. et aux disciples, en les remplissant de sa sagesse et de ses grâces, afin qu'ils fassent les dignes ministres du Seigneur et les fondateurs de sa sainte Église, et de ce que par sa venue il avait mis le sceau aux oeuvres de la rédemption du genre humain. Elle priait encore avec beaucoup d'instance le divin Esprit de continuer en la sainte Église pour les siècles présents et pour les siècles à venir les influences de sa grâce et de sa sagesse f et de ne point les suspendre en aucun temps

 

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à cause des péchés des hommes, qui l'offensaient et qui s'en rendaient indignes. L'Esprit-Saint accordait toutes ces demandes à son Épouse incomparable, et la sainte Église en recevait le fruit, dont elle jouira jusqu'à la fin du monde.

686. La bienheureuse Marie ajoutait à tous ces mystères et à toutes ces fêtes du Seigneur et aux siennes, deux autres fêtes qu'elle célébrait avec une joie et une dévotion singulières en deux autres jours de chaque année: l'une des saints Anges, et l'autre des Saints de la nature humaine. Pour solenniser les excellences et la sainteté de la nature angélique , elle se préparait quelques jours. par les exercices qu'elle faisait dans les autres fêtes, et par de nouveaux cantiques de gloire et de louanges, où elle résumait l'oeuvre de la création de ces esprits célestes, surtout celle de leur justification et de leur glorification, tous les mystères et tous les secrets qu'elle connaissait de tous et de chacun en particulier. Puis, le jour qu'elle avait destiné étant arrivé, elle les conviait tous, et il en descendait des milliers de tous les choeurs et de tous les ordres dans son oratoire, où ils se manifestaient à elle avec une gloire et une beauté admirables. Bientôt deux choeurs se formaient, dans l'un desquels était notre Reine, et dans l'autre tous les esprits bienheureux, disant alternativement les louanges de Dieu; la bienheureuse Vierge commençait, et les anges répondaient avec une harmonie céleste durant tout ce jour. Et s'il était possible de révéler an monde les cantiques mystérieux que la très-pure Marie et les anges faisaient

 

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alors, ce serait sans doute une des plus grandes merveilles du Seigneur, et tous les mortels en seraient ravis. Je ne trouve point de termes pour déclarer le peu que j'ai connu de ce mystère, et je n'en si d'ailleurs pas le temps. Mais en premier lieu ils louaient l'8tre de Dieu en lui-même, en toutes les perfections et en tous les attributs qu'ils connaissaient. Ensuite notre auguste Reine le bénissait et l'exaltait de ce qu'il avait manifesté sa majesté, sa sagesse et sa toute-puissance en créant d'aussi belles substances spirituelles, de ce qu'il les avait favorisées de tant de dons dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, de leurs ministères, de leur emploi et de leur promptitude à accomplir la volonté de Dieu et à assister les hommes et toutes les autres créatures. Les anges répondaient à ces louanges par le retour de leurs sentiments et la reconnaissance de leurs obligations, et chantaient tous ensemble au Tout-Puissant des hymnes magnifiques, pour le remercier de ce qu'il avait créé et choisi pour être sa Mère une Vierge si pure, si sainte et si digne de ses plus grands dons et de ses plus singulières faveurs, de ce qu'il l'avait élevée au-dessus de toutes les créatures en sainteté et en gloire, et de ce qu'il lui avait donné un empire absolu sur toutes, afin qu'elles la servissent, l'honorassent et la reconnussent pour la digne Mère de Dieu et la Restauratrice du genre humain.

687. C'était de cette manière que les esprits célestes s'entretenaient des grandes excellences de leur Reine, et bénissaient Dieu en elle. De son côté, elle

 

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proclamait celles des anges, et rendait au Seigneur les mêmes louanges ; de sorte que ce jour était très-doux et très-agréable pour la sainte Vierge, et procurait une joie accidentelle aux anges, et spécialement aux mille anges qui avaient été destinés à sa garde ordinaire, encore qu'ils participassent tous, dans une certaine mesure, à la gloire qu'ils rendaient à leur Reine. Et comme ni de part ni d'autre les divins interlocuteurs n'étaient embarrassés par l'ignorance ou par un manque de sagesse et d'appréciation des mystères qu'ils confessaient, cet entretien était d'une sublimité incomparable , et nous en serons persuadés quand nous le connaîtrons dans le Seigneur.

688. Elle célébrait en un autre jour la fête de tous les Saints de la nature humaine, s'y disposant d'avance par plusieurs prières et par plusieurs exercices, comme dans les autres solennités ; et en celle-ci tous les anciens Pères, tous les patriarches, tous les prophètes et tous les autres saints qui étaient morts depuis la résurrection, descendaient du ciel pour la célébrer avec leur Restauratrice. Elle faisait en ce jour de nouveaux cantiques de reconnaissance pour la gloire de ces saints, et de ce qu'en eux la rédemption et la mort de son très-saint Fils avaient été, efficaces. La joie que notre grande Reine avait dans cette occasion était fort grande ; car elle connaissait le secret de la prédestination des saints, qui avaient traversé dans une chair mortelle une vie environnée de tant de périls, et qu'elle voyait déjà dans la félicité

 

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assurée de la vie éternelle. Elle bénissait le Père des miséricordes pour ce bienfait, et récapitulait dans ces louanges les faveurs et les grâces que chacun d'eux avait reçues. Elle leur recommandait de prier pour la sainte Église, et pour ceux qui y combattaient en danger de perdre la couronne qu'ils possédaient déjà. Après cela elle faisait mémoire et témoignait une nouvelle reconnaissance des victoires qu'elle-même avait remportées par la vertu divine sur le démon, dans les combats qu'elle avait soutenus contre lui, récitant de nouveaux cantiques, et rendant d'humbles et ferventes actions de grâces pour ces faveurs et pour les Ames qu'elle avait délivrées de la puissance des ténèbres.

689. Ce sera un sujet d'admiration pour les hommes comme ce l'a été pour les anges, d'apprendre qu'une simple créature revêtue de la chair mortelle opéra tant et de si incessantes- merveilles, que la réalisation en paraîtrait impossible à plusieurs âmes ensemble, fussent-elles aussi ardentes que les plus hauts séraphins; mais notre auguste Reine avait une certaine participation de la toute-puissance divine, qui rendait facile pour elle ce qui est impossible pour les autres créatures. En ces dernières années de sa très-sainte vie, cette activité s'accrut de telle sorte chez elle, que nous ne saurions concevoir la grandeur de ses oeuvres ; elle n'y mettait aucune interruption, et ne reposait ni jour ni nuit, parce que le poids de la mortalité ne l'embarrassait point; au contraire, elle agissait comme les anges d'une manière infatigable, et

 

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plus même que plusieurs anges ensemble; elle n'était plus qu'une flamme, un incendie d'une activité immense. Malgré cette énergie divine, les jours lui paraissaient courts, les occasions rares, et ses exercices bornés, parce que son amour s'étendait toujours infiniment au delà de ce qu'elle faisait, quoique le champ de son action fût incommensurable. J'ai dit fort peu de chose ou rien du tout de ces merveilles par rapport à ce qu'elles étaient en elles-mêmes; c'est ce que je reconnais et confesse ; car je vois une distance presque infinie entre ce qui m'a été manifesté, et ce que je ne saurais comprendre en cette vie. Et si je ne puis donner une entière connaissance de ce qui m'a été découvert, comment dirais-je ce que j'ignore, et sur quoi je ne connais que ma propre ignorance ? Tâchons de ne nous rendre pas indignes de la lumière qui nous attend pour le voir en Dieu, car cela seul pourrait nous servir de récompense; et quand même nous souffririons jusqu'à la fin du monde tous les supplices des martyrs, nous serions très-bien récompensés par la joie que nous aurons de connaître la dignité et l'excellence 'de la bienheureuse Marie, en la voyant à la droite de son adorable Fils, élevée au-dessus de tous les esprits angéliques et de tous les saints qui sont dans le ciel.

 

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Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 

690. Ma fille, à mesure que vous avancez dans le récit de mes oeuvres et dans l'histoire de ma vie mortelle, je désire que vous avanciez aussi en ma parfaite imitation. Ce désir croit en moi, comme en vous la lumière et l'admiration de ce que vous entendez et que vous écrivez. Il est temps de réparer le retard que vous avez apporté jusqu'à présent, et d'élever votre esprit à l'état auquel le Très-Haut vous appelle, et auquel je vous convie. Remplissez vos oeuvres de toute la perfection et de toute la sainteté possible. Sachez que la guerre que vos ennemis, le démon, le monde et la chair vous font, est implacable, et que vous ne sauriez vaincre tant de difficultés et tant de tentations, si vous n'excitez dans votre coeur une émulation assez vive, une ardeur assez impétueuse pour que vous puissiez renverser d'un choc irrésistible le serpent venimeux, et lui écraser la tête; car, avec sa malice diabolique, il se sert d'une foule de ruses, soit pour vous abattre, soit du moins pour vous arrêter en cette carrière, et pour vous empêcher d'arriver à la fin que vous poursuivez, à l'état que le Seigneur vous prépare, et pour lequel il vous a choisie.

691. Vous ne devez point ignorer, ma fille, combien le démon est attentif à la moindre négligence et à la plus petite distraction des âmes, qu'il assiège et

 

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épie toujours (1), se prévalant de leurs moindres imprudences pour s'introduire perfidement chez elles avec ses tentations, puis réveillant les passions vis-àvis desquelles il sait qu'elles ne se tiennent pas sur leurs gardes, afin qu'elles reçoivent la blessure du péché presque sans s'en apercevoir : et quand ensuite elles la sentent et qu'elles souhaitent le remède, c'est alors qu'elles trouvent une plus grande difficulté; car elles out besoin d'une plus forte grâce pour se relever après leur chute, que pour résister avant de tomber. Par le péché l'âme s'affaiblit dans la vertu; son ennemi s'enhardit , les passions se rendent plus puissantes ; et c'est pour cela qu'il y en a tant qui tombent, et si peu qui se relèvent. La ressource contre ce péril est de vivre avec une attention vigilante, avec un désir continuel de s'attirer la divine grâce, et avec une ferme résolution de pratiquer ce qui est le plus parfait, ne laissant aucun moment libre où l'ennemi puisse trouver l'âme oisive, négligente et sans quelque oeuvre de vertu. Par là le poids de la nature terrestre s'allège, on maîtrise les passions et les mauvaises inclinations, on intimide le démon, l'esprit s'élève et se fortifie contre la chair pour l'assujettir à la volonté divine.

692. Vous avez pour tout cela un vivant exemple en mes œuvres ; vous les écrivez, et je vous les manifeste par tant d'illuminations que vous avez reçues afin que vous ne l'oubliiez pas. Or, soyez attentive,

 

(1) 1 Petr., V, 8.

 

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ma très-chère fille, à tout ce qui vous est représenté dans ce brillant miroir: et si vous me reconnaissez pour votre Mère, pour votre Maîtresse et pour la Maîtresse de toute sainteté et de toute perfection véritable, ne tardez point à m'imiter et à me suivre. Il n'est pas possible que ni vous ni aucune autre créature arriviez à la perfection et à la sublimité de mes oeuvres: aussi le Seigneur ne vous y oblige pas; mars il vous est très-facile avec la divine grâce de remplir votre vie d'oeuvres vertueuses et saintes, et d'y consacrer tout votre temps et toutes vos puissances, ajoutant de saints exercices à d'autres exercices, des prières à d'autres prières, et des vertus à d'autres vertus, sans qu'il y ait une époque, un jour, une heure de votre vie que vous ne remplissiez de bonnes oeuvres, comme vous savez que je faisais. C'est pour cette raison que j'ajoutais de nouvelles oeuvres aux autres occupations que me donnait le soin que je prenais de l'Église; et que je célébrais tant de fêtes en la manière et avec les dispositions que vous avez connues et écrites. En achevant une action, je commençais à me préparer pour une autre, afin qu'il n'y eût pas dans ma vie un instant sans des oeuvres saintes et agréables su Seigneur. Tous les enfants de l'Église peuvent, s'ils le veulent, m'imiter en cela, et vous le devez faire plus que les autres; car c'est pour ce sujet que le Saint-Esprit a institué les fêtes de mon très-saint Fils, les miennes, et celles des autres saints que la même Église célèbre.

693. Je veux que vous vous signaliez d'une manière

 

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toute particulière en ces diverses solennités, comme je vous l'ai prescrit en d'autres circonstances, et surtout en la mémoire des mystères de la divinité et de l'humanité de mon très-saint Fils, et de ceux de ma vie et de ma gloire. Je veux aussi que vous ayez une grande dévotion pour les anges, tant à cause de leur excellence, de leur sainteté et de leur ministère, qu'à raison des faveurs singulières que vous avez reçues par leur entremise. Je veux que vous tâchiez de leur ressembler par la pureté de votre âme, par la sublimité des saintes pensées, par l'ardeur de l'amour, et en vivant comme si vous étiez affranchie de votre corps terrestre et de ses passions. Ils doivent être vos amis et vos compagnons dans votre pèlerinage, afin qu'ils le soient plus tard dans la patrie céleste. C'est avec eux que doivent être maintenant vos entretiens les plus familiers; ils vous y. découvriront les inclinations de votre Époux , et vous donneront une connaissance certaine de ses perfections; ils vous enseigneront les- voies droites de la justice et de la paix; ils vous défendront contre les démons; ils vous avertiront de leurs tromperies, et à l'école ordinaire de ces ministres du Très-Haut vous apprendrez les lois de l'amour divin. Écoutez-les, et obéissez-leur en toute chose.

 

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CHAPITRE XVII. Le Très-Haut envoya en ambassade l'ange saint Gabriel à la bienheureuse Marie, pour lui annoncer qu'il ne lui restait plus que trois ans à vivre sur la terre. — Ce qui arriva à saint Jean et à toutes les créatures à la suite de cet avis du Ciel.

 

694. Pour achever ce qu'il me reste à dire sur les dernières années de la vie de notre unique et divin Phénix, l'auguste Marie, il faut que le coeur et les yeux me fournissent l'encre avec laquelle je désire écrire des merveilles si douces, si tendres et si touchantes. Je voudrais inspirer aux dévots fidèles de ne point les lire ni les considérer comme passées, puisque la puissante vertu de la foi rend présentes les vérités; et si nous les regardons de près avec la piété convenable et avec une véritable dévotion chrétienne, nous en tirerons sans doute le très-doux fruit, nous en sentirons les effets, et notre coeur jouira du bonheur qui a été refusé à nos yeux.

695. La bienheureuse Marie arriva à l'âge de soixante-sept ans sans avoir interrompu sa carrière, ni arrêté son vol, ni diminué l'ardeur de son amour et la grandeur de ses mérites depuis son immaculée conception ; mais plutôt elle augmenta tout cela dans tous les moments de sa vie. Les dons et les faveurs

 

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ineffables du Seigneur l'avaient toute divinisée et toute spiritualisée; les affections, les désirs et les aspirations de son coeur très-pur ne la laissaient point reposer hors du centre de son amour; les chaînes de la chair lui faisaient violence; l'inclination qu'avait la Divinité de l'unir à elle par un éternel et étroit lieu, était (selon notre manière de parler) à son plus haut degré; et la terre, indigne par les péchés des mortels de posséder le trésor des cieux, ne pouvait. le conserver plus longtemps sans le rendre à son véritable Maître. Le Père éternel réclamait son unique et véritable Fille; le Fils sa Mère bien-aimée; et le Saint-Esprit désirait les embrassements de sa ravissante Épouse. Les anges souhaitaient la présence de leur Reine; les saints celle de leur grande Maîtresse; et tous les cieux demandaient à leur manière leur Habitante et leur Impératrice, afin qu'elle les remplit de gloire, de beauté et de joie. Ils alléguaient seulement en faveur du monde et de l'Église le besoin qu'elle avait d'une telle Mère et Maîtresse, et la charité avec laquelle Dieu aimait les infortunés enfants d'Adam.

696. Mais comme le terme de la carrière mortelle de notre grande Reine était inévitable, le décret de la glorification de la bienheureuse Mère fut (pour employer notre langage) rendu dans le divin consistoire, où, fut considéré l'amour qui n'était dit qu'à elle seule, puisqu'elle avait amplement satisfait à la miséricorde envers les hommes pendant tant d'années que l'Église l'avait eue pour sa fondatrice et pour sa maîtresse. Le Très-Haut résolut de l'encourager

 

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et de la consoler, en lui donnant un avis certain du temps qu'il lui restait à vivre, afin qu'assurée du jour et de l'heure si désirés, elle attendit avec joie la fin de son bannissement. En conséquence, la très-sainte Trinité députa le saint archange Gabriel avec plusieurs courtisans des hiérarchies célestes, afin qu'ils annonçassent à leur Reine quand et comment arriverait le terme de sa vie mortelle, et elle passerait à la vie éternelle. »

697. Le saint prince descendit avec les autres anges à l'oratoire de notre auguste Reine dans le Cénacle de Jérusalem, où ils la trouvèrent prosternée les bras étendus en croix, demandant miséricorde pour les pécheurs. Mais en entendant la musique céleste et en s'apercevant de la présence des saints anges, elle se mit à genoux pour écouter le divin ambassadeur et ses compagnons, qui, revêtus de robes d'une blancheur éclatante, l'entourèrent avec un empressement et un respect inexprimables. Ils avaient tous à la main des couronnes et des palmes différentes, qui représentaient par leur beauté et leur inestimable richesse les diverses récompenses et prérogatives de leur grande Reine. Le saint ange lui adressa d'abord lit salutation de l'Ave, Maria, et poursuivant, il lui dit : « Notre auguste Impératrice,  le Tout-Puissant et le Saint des saints nous envoie  de sa cour avec ordre de vous annoncer de sa part a la fin très-heureuse de votre pèlerinage et de votre . exil en la vie mortelle. Bientôt viendra le jour,  divine Reine, bientôt viendra l'heure si désirée, où

 

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par le moyen de la mort naturelle vous obtiendrez la possession éternelle de la vie immortelle qui vous attend à la droite et dans la gloire de votre très saint Fils, notre Dieu. Il ne vous reste plus dès  aujourd'hui à vivre sur la terre que trois ans, après lesquels vous serez élevée et reçue en la joie éternelle du Seigneur, où tous les bienheureux  vous attendent et souhaitent votre présence. »

698. La très-pure Marie entendit ce message avec une consolation ineffable., et se prosternant de nouveau , elle répondit comme lors de l'incarnation du Verbe : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum: Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (1). Ensuite elle pria les saints aunes de l'aider à rendre des actions de grâces pour une nouvelle qui lui était si agréable. La divine Mère entonna le cantique, et les séraphins et les anges lui répondirent alternativement l'espace de deux heures. Et quoique ces esprits angéliques soient par leur nature et par leurs dons surnaturels si actifs, si éclairés et si éloquents, la bienheureuse Vierge néanmoins les surpassait tous en tout, comme une reine ses sujets, car la sagesse et la grâce abondaient en elle comme chez la maîtresse , et en eux comme chez les disciples. Ayant achevé ce cantique, et s'humiliant de nouveau, elle chargea les esprits célestes de prier le Seigneur de la préparer pour passer de la vie mortelle à la vie éternelle, et de demander de sa part la même chose

 

(1) Luc., I, 38

 

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aux autres anges et aux saints qui étaient dans le ciel. Ils lui promirent de lai obéir en tout. Après cela saint Gabriel s'en retourna à l'empyrée avec tout son cortège.

699. La grande Reine de l'univers demeura seule dans son oratoire, et pleurant à la fois d'humilité et de joie, elle se prosterna; puis, baisant la terre comme la commune mère de tous, elle lui adressa ces paroles : « Terre , je vous offre les remerciements que je vous dois, puisque, sans que je le méritasse,  vous m'avez nourrie durant soixante-sept ans. Vous  êtes la créature du Très-Haut, et par sa divine a volonté vous m'avez conservée jusqu'à présent. Je  vous prie de m'aider dans le temps qu'il me reste  à demeurer parmi vos habitants, afin que, comme   de vous et en vous j'ai été créée, de vous et par  vous j'arrive à la fin désirée de la vue de mon  Créateur. » Elle s'adressa aussi aux autres créatures, et leur dit : « Cieux, planètes, astres, éléments formés par la puissante main de mon Bien-Aimé, témoins fidèles et hérauts de sa grandeur et  de sa beauté, je vous remercie aussi de ce que vous  avez contribué par vos influences et par vos propriété à la conservation de ma vie; assistez-moi  de nouveau dès aujourd'hui, car je la perfectionnerai avec la faveur divine dans le reste de ma carrière, afin de montrer ma reconnaissance à mon Créateur et au vôtre. »

700. Le jour auquel cette ambassade arriva, était celui qui dans le mois d'août répondait trois ans auparavant

 

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à celui de la glorieuse mort de l'auguste Marie; dont je parlerai dans la suite. Mais dès qu'elle eut reçu cet avis, elle s'enflamma de nouveau au feu du divin amour, elle multiplia et prolongea tous ses exercices comme si elle avait eu à réparer quelque chose que par négligence ou par tiédeur elle eût omis jusqu'à ce jour-là. Le voyageur hâte le pas lorsqu'il voit finir le jour et qu'il lui reste encore beaucoup, de chemin à faire; l'ouvrier et le mercenaire redoublent d'efforts et de zèle quand le soir approche, et qu'ils n'ont point rempli leur tache. Mais notre auguste Reine pressait le pas dans ses oeuvres héroïques, non par crainte de la nuit, ni par aucune appréhension de ne pouvoir achever son travail , mais par l'amour et les ardents désirs de la lumière éternelle; non pour arriver plus tôt, mais pour entrer plus riche dans la joie du Seigneur. Elle écrivit aussitôt à tous les apôtres et à tous les disciples qui prêchaient en divers endroits du monde, pour les animer de nouveau à travailler à la conversion des peuples, et réitéra plusieurs fois ces exhortations pendant ces trois dernières années. Quant aux autres fidèles qui étaient près d'elle, elle leur donna des témoignages plus sensibles de son zèle, les encourageant et les affermissant dans la foi. Et quoiqu'elle ne leur découvrit point son secret, elle semblait néanmoins, par ses affections, comme se disposer à prendre bientôt congé d'eux, en cherchant à les laisser tous riches et comblés de bienfaits célestes.

701. Elle avait des raisons différentes qui la portaient

 

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à ne point agir envers l'évangéliste saint Jean comme envers les autres, car elle le regardait comme son fils, et de son côté il l'assistait et la servait avec plus d'assiduité. C'est pour cela que notre auguste Princesse crut devoir l'informer de l'avis qu'elle avait de sa mort, et quelques jours après qu'elle l'eut reçu , lui ayant en premier lieu demandé sa bénédiction et sa permission, elle lui dit : « Vous savez, mon fils et mon seigneur, qu'entre les créatures du Très-Haut, je suis la plus redevable et la plus obligée à être soumise à sa divine volonté, et si tout ce qui est créé dépend de cette même volonté, son bon plaisir doit être entièrement accompli en moi pour le temps et pour l'éternité. Et vous, mon fils, vous me devez aider en cela, puisque vous connaissez les titres que j'ai d'être toute à mon Dieu. Il m'a manifesté par sa bonté et par sa miséricorde infinies, que le terme de ma vie mortelle pour passer à la vie éternelle, arrivera bientôt; et à partir du jour où j'ai reçu cet avis, il ne me reste plus que trois ans pour achever mon exil. Je vous supplie, seigneur, de m'aider pendant ce temps à rendre des actions de grâces et quelque retour au Très-haut pour les bienfaits immenses que j'ai reçus de son amour très-libéral. Priez pour moi, comme je vous en supplie du fond de mon âme. »

702. Ces paroles de la bienheureuse Mère brisèrent le coeur de saint,Jean, qui, sans pouvoir cacher sa douleur ni retenir ses larmes, lui répondit : « Ma Mère et  ma charitable Maîtresse, je suis tout prêt à obéir à

 

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la volonté du Très-Haut et à la vôtre, quoique mes  mérites ne puissent égaler mes obligations et mes  désirs. Mais vous, ma très-miséricordieuse Mère,  protégez votre pauvre fils, qui se voit sur le point   de rester orphelin et privé de votre sainte compagnie. » Saint Jean n'eut pas la force d'en dire davantage, suffoqué qu'il était par les sanglots et par les larmes que lui arrachait la douleur. Et quoique notre très-douce Reine l'animât et le consolât par de tendres paroles et des raisons très-efficaces, le saint apôtre resta dès lors pénétré d'une si cruelle tristesse, qu'il en était tout affaibli , tout abattu, comme il arrive aux fleurs qui, ayant suivi dans sa carrière le soleil qui les vivifie, s'inclinent et se flétrissent vers le soir quand elles commencent à être privées de ses rayons. La bienheureuse Mère fit de grandes promesses à saint Jean dans cette affliction, afin qu'il ne mourût point de douleur, l'assurant qu'elle exercerait en sa faveur l'office de mère et d'avocate auprès de son très-saint Fils. L'évangéliste fit part de cette triste nouvelle à saint Jacques le Mineur, qui en qualité d'évêque de Jérusalem s'employait avec lui au service de la Reine de l'univers (ainsi que saint Pierre le lui avait recommandé, et que je l'ai dit en son lieu); et dès lors les deux apôtres étant prévenus du peu de temps qu'ils avaient à demeurer avec leur auguste Maîtresse, résolurent d'en profiter : c'est pourquoi ils la visitaient plus fréquemment, et surtout l'évangéliste, qui ne pouvait s'en éloigner.

703. Dans le cours de ces trois dernières années de

 

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la vie de notre grande Reine, la puissance divine ordonna, par une secrète et douce force, que toute la nature commençât à prendre davantage le deuil pour la mort de Celle qui par sa vie donnait la beauté et la perfection à l'univers. Les saints apôtres, quoiqu'ils fussent dispersés en divers endroits du monde, commencèrent à sentir une nouvelle peine que leur causait la crainte qu'ils avaient d'être privés de leur Maîtresse et de leur Protectrice; car une illumination divine et mystérieuse leur faisait comprendre que ce terme inévitable ne pouvait plus être fort éloigné. Les autres fidèles qui se trouvaient dans Jérusalem et dans la Palestine reconnaissaient en eux-mêmes comme un secret avis qui leur faisait appréhender que leur trésor et la cause de leur joie ne leur fussent bientôt enlevés. Les cieux, les astres et les planètes perdirent beaucoup de leur beauté et de leur éclat, comme le jour lorsque la nuit s'approche. Les oiseaux donnèrent des marques singulières de tristesse dans les deux dernières années. Ainsi, il y en avait un très-grand nombre qui s'assemblaient d'ordinaire où était la bienheureuse Vierge, voltigeant autour de son oratoire, et faisant entendre, au lieu de leurs chants agréables, des cris plaintifs et des gémissements, comme pour témoigner leur douleur, jusqu'à ce que la Reine de l'univers leur ordonnât elle-même de louer leur Créateur par leurs concerts naturels. Saint Jean, qui les accompagnait en leurs tristes gémissements, fut plusieurs fois témoin de cette merveille. Quelques jours avant la mort de la divine Mère, une

infinité de petits oiseaux se présentèrent à elle, penchant la tête, becquetant la terre, et poussant des cris lugubres, comme pour se plaindre de ce qu'elle allait les quitter pour toujours, et lui demander en même temps sa dernière bénédiction.

704. Les bêtes féroces même prirent part à cette affliction universelle; car la bienheureuse Marie, allant un jour visiter les lieux sacrés de notre rédemption, selon sa coutume, fut entourée, en arrivant sur la montagne du Calvaire, de plusieurs de ces animaux qui étaient venus pour l'y attendre; les uns se prosternaient, les autres inclinaient leur tête, tous poussaient des gémissements lugubres, et manifestèrent pendant quelques heures la douleur qu'ils sentaient de ce que la terre allait perdre Celle qu'ils reconnaissaient pour leur Reine et pour l'honneur de l'univers. La plus grande merveille qui arriva dans ce deuil général de toutes les créatures fut que, durant les six mois qui précédèrent la mort de l'auguste Marie, le soleil, la lune et les étoiles, donnèrent moins de lumière qu'ils n'en avaient donné jusqu'alors aux mortels, et le jour de sa glorieuse mort ils s'éclipsèrent, comme à la mort du Rédempteur du monde (1). Plusieurs savants remarquèrent ce changement dans les cieux , mais les plus habiles en ignoraient la cause, et n en purent avoir qu'un grand étonnement. Quant aux apôtres et aux disciples qui, comme je le dirai dans la suite, assistèrent à sa très-douce et

 

(1) Matth., XXVII, 45.

 

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très-heureuse mort, ils connurent alors les regrets de toute la nature insensible, qui témoigna d'avance son deuil, tandis que les mortels, capables de raison , ne songeaient pas à pleurer la perte de leur légitime Reine et de leur véritable gloire. Pour ce qui regarde les autres créatures, il semble. qu'en elles fut accomplie la prophétie de Zacharie qui dit , qu'en ce temps-là toute la terre et toutes les familles de la maison de Dieu seraient dans les larmes, et que chaque. famille à part aurait un grand deuil, et que ce deuil serait comme celui qui arrive à la mort d'un fils unique, à laquelle tous ceux de la famille sont pénétrés de douleur (1). Ce que le prophète dit du Fils unique du Père éternel et du premier-né de la bienheureuse Marie, notre Sauveur Jésus-Christ, on le doit aussi appliquer, avec une juste proportion, à la mort de sa très-sainte Mère, comme étant la Fille aînée et la Mère de la grâce et de la vie. Et de même que les sujets et les serviteurs fidèles, non-seulement prennent le deuil à la mort de leur prince et de leur reine, mais s'affligent encore du moindre danger qui les menacent, dans la crainte de les perdre, de même les créatures irraisonnables donnèrent par avance des marques de leur tristesse lorsque la mort de l'auguste Marie approchait.

705. L'évangéliste les accompagnait en cette douleur, et fut le premier à s'affliger de cette perte plus que tous les autres, sans pouvoir cacher son affliction

 

(1) Zach., XII, 10 et 12.

 

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aux personnes qui le fréquentaient plus familièrement dans la maison du Cénacle. Quelques membres de la famille, et notamment deux filles du maître de la maison qui étaient très-assidues au service de la Reine de l'univers, et d'autres personnes dévotes, remarquèrent la tristesse de l'apôtre saint Jean, et le virent maintes fois verser des torrents de larmes. Et comme elles savaient que le saint était d'une humeur fort égale, il leur sembla que ce changement supposait quelque chose de grave et d'inquiétant; c'est pourquoi , touchées de compassion, elles le prièrent, à diverses reprises, avec instance, de leur apprendre la cause de sa nouvelle tristesse, pour le soulager autant qu'il leur serait possible. Le saint apôtre leur en cacha la cause durant plusieurs jours. Mais, pressé par les charitables importunités de ces braves gens , il leur découvrit, non sans une disposition particulière de la divine Providence, que l'heureuse mort de sa Mère et de sa Maîtresse approchait. C'étaient les titres que l'évangéliste donnait à l'auguste Vierge en son absence. Et ainsi cette perte dont l'Église était menacée commença à être connue et pleurée quelque temps avant qu'elle arrivât, par diverses personnes qui avaient des rapports plus fréquents avec notre bienheureuse Reine; car toutes celles qui apprirent cette affligeante nouvelle ne purent retenir leurs larmes et les démonstrations de leur inconsolable douleur. Dès lors elles visitaient plus souvent la très-pure Marie, se prosternant à ses pieds, baisant la terre sur laquelle elle avait marché, et la priant de

 

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leur donner sa bénédiction, de les attirer après elle, et de ne les point oublier dans la gloire du Seigneur, où elle enlèverait avec elle le coeur de tous ses serviteurs et de toutes ses servantes.

706. Ce fut par une providence très-miraculeuse du Seigneur que plusieurs fidèles de ; la primitive Église furent avertis si longtemps d'avance de la mort de leur Reine; car il n'envoie point d'épreuves ou de fléaux au peuple qu'il ne les découvre auparavant à ses serviteurs, selon qu'il l'assuré par le prophète Amos (1). Et quoique cette affliction fût inévitable pour les fidèles de ce siècle, la divine clémence fit que la primitive Église réparât autant qu'il était possible cette perte de sa Mère,et de sa Maîtresse, eu la portant par ses larmes et, par sa douleur pendant l'espace de temps qu'il lui restait à vivre, à favoriser les fidèles et à les enrichir des trésors de la divine grâce, qu'elle pouvait, comme en étant la Maîtresse, leur distribuer pour les consoler au moment de son départ, ainsi qu'elle le fit en effet; car les entrailles maternelles de la bienheureuse Marie s'émurent d'une compassion extrême à la vue de leurs larmes, et elle obtint dans les derniers jours de sa vie de nouveaux bienfaits et de nouvelles miséricordes de son très-saint Fils, pour eux et pour tout le reste de l'Église: ce fut pour ne point priver les fidèles de ces faveurs que le Seigneur ne voulut pas leur ôter à l'improviste la divine Mère, en laquelle ils trouvaient leur

 

(1) Amos., III ;7.

 

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protectrice, leur consolation, leur joie, le secours dans leurs besoins, le soulagement dans leurs travaux , le conseil dans leurs doutes, la santé dans leurs maladies et toutes sortes de biens.

707. Il est certain que ceux qui ont cherché la grâce en Celle qui en était la Mère , n'ont jamais été frustrés dans leur attente. Elle a toujours secouru tous ceux qui n'ont point résisté à sa clémence maternelle. Mais on ne saurait s'imaginer les merveilles qu'elle opéra en faveur des mortels dans les dernières années de sa vie, à cause du grand nombre de personnes qui la visitaient. Elle donna la santé du corps et de l'âme à tous les malades qui se présentèrent à elle, en convertit beaucoup à la vérité de l'Évangile, et rétablit dans l'état de grâce une infinité d'âmes qu'elle tira du péché. Elle secourut plusieurs pauvres dans des nécessités pressantes, donnant aux uns ce qu'elle avait et ce qu'on lui offrait, assistant les autres d'une manière miraculeuse. Elle affermissait tous ceux qu'elle voyait dans la crainte de Dieu, dans la foi et dans l'obéissance qu'ils devaient à la sainte Église, et en qualité de trésorière des richesses de la Divinité, de la vie et de la mort de son très-saint Fils, elle voulut les distribuer avec une miséricorde libérale avant de mourir, pour laisser dans l'abondance les fidèles enfants de l'Église qu'elle allait quitter; et en outre elle les consola et les anima par la promesse des faveurs et des grâces qu'elle nous obtient aujourd'hui à la droite de son Fils.

 

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Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 

708. Ma fille , pour comprendre la joie que causa en mon âme l'avis du Seigneur m'annonçant que la fin de ma vie mortelle approchait, il faudrait connaître la force de mon amour et du désir que j'avais de le voir et de jouir éternellement de sa divine présence dans la gloire qu'il m'avait préparée. Ce mystère surpasse la portée de l'esprit humain , et les enfants de l'Église se rendent indignes et incapables du peu qu'ils en pourraient pénétrer pour leur consolation; car ils ne regardent point la lumière intérieure, et ne, s'appliquent pas à purifier leurs consciences pour en recevoir de plus abondantes effusions. Nous avons été, mon très-saint Fils et moi, fort libéraux à votre égard en cette miséricorde et en plusieurs autres, et je vous assure, ma très-chère Fille, que bienheureux seront les yeux qui verront ce que vous avez vu, et les oreilles qui entendront ce que vous avez entendu. Gardez votre trésor, et prenez garde de le perdre; travaillez de toutes vos forces à recueillir le fruit de cette science et dé ma doctrine. Je veux que vous le fassiez consister en partie à m'imiter en vous disposant dès maintenant pour l'heure de votre mort , puisque quand même vous auriez quelque certitude de vivre, encore longtemps, cet espace devrait vous paraître fort court pour y assurer une affaire qui doit aboutir à une éternité de gloire ou à une éternité de supplices.

 

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Aucune créature raisonnable n'a pu être aussi sûre que moi de la récompense: c'est là une vérité infaillible, et cependant je reçus l'avis de ma mort trois ans d'avance, et vous avez appris que je m'y préparai, comme créature mortelle et terrestre, avec la sainte crainte que l'on doit avoir à cette dernière heure. Je fis en cela ce qui me regardait en qualité de mortelle et de Maîtresse de l'Église, lui laissant un exemple de ce que les autres fidèles doivent faire comme mortels, qui ont un plus grand besoin de cette préparation pour ne point encourir la damnation éternelle.

709. Parmi les stupides illusions que les démons ont introduites dans le monde, il n'en est pas de plus grande ni de plus pernicieuse que l'oubli de l'heure de la mort, et de ce qui doit arriver dans le juste jugement du souverain Juge. Considérez, ma fille, que le péché est entré dans le monde par cette porte, car la principale chose que le serpent prétendit persuader à la première femme, fut qu'elle ne mourrait point et qu'elle ne devait point songer à la mort (1). Il continue à tromper les hommes par le même mensonge, de sorte qu'il y a un nombre infini d'insensés qui vivent dans cet oubli, et qui meurent sans avoir réfléchi un seul instant au malheureux sort qui les attend. Or, afin que vous ne tombiez point dans cette funeste erreur, souvenez-vous dés à présent que vous devez infailliblement mourir, que vous avez reçu beaucoup, et peu payé en retour, et que vous rendrez

 

(1) Gen., III, 4.

 

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un compte d'autant plus rigide, que le souverain Juge a été plus libéral à vous enrichir de ses dons, et plus patient à vous attendre. Je ne demande de vous ni plus ni moins que ce que vous devez à votre Seigneur et à votre Époux , et c'est de pratiquer toujours ce qu'il y a de plus parfait, sans négligence, sans interruption et sans oubli.

710. Et si votre faiblesse vous fait tomber dans quelque omission ou dans quelque négligence, faites en sorte que le soleil ne se couche point sans que vous vous en soyez repentie et confessée, si c'est possible, comme si vous aviez à rendre vos derniers comptes. Et après avoir pris la résolution de vous en corriger, quelque légère que puisse être la faute, vous commencerez à travailler avec une nouvelle ferveur et avec autant de soin que si vous n'aviez plus que quelques instants pour terminer une entreprise aussi importante et aussi difficile que l'est celle d'acquérir la gloire et la félicité éternelles, pour éviter de tomber dans une mort et dans des tourments qui n'auront point de fin. Ce doit être là l'application continuelle de toutes vos puissances et de tous vos sens, afin que votre espérance soit ferme et accompagnée de joie ; que vous ne travailliez point en vain, et que vous ne marchiez point au hasard, comme font ceux qui se contentent de pratiquer quelques bonnes oeuvres , et qui commettent une foule de péchés énormes (1). Ceux-là ne sauraient marcher avec

 

(1) II Cor., I, 7 ; Philiè., II, 16 ; I Cor., IX, 26.

 

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sûreté ni avoir la joie intérieure de l'espérance véritable : car leur propre conscience la leur fait perdre et les jette dans la tristesse, à moins qu'ils ne vivent dans l'insouciance et dans la folle allégresse de la chair. Pour remplir vos œuvres, continuez les exercices que je vous ai enseignés, et conservez l'habitude de penser à la mort, en faisant toutes les prières, tous les actes d'humiliation et les recommandations de l'âme qui vous sont ordinaires. En outre, recevez mentalement le viatique, comme si vous étiez près de partir pour l'autre vie, et détachez-vous de la vie présente , en oubliant tout ce qui s'y trouve. Enflammez votre coeur par des désirs ardents de voir Dieu, et montez jusqu'à sa présence, où vous devez avoir éternellement votre demeure, et maintenant votre conversation (1).

 

(1) Philip., III, 20.
 
 
 

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