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Vénérable Marie d'Agreda
La Cité Mystique de Dieu

9/30
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CHAPITRE XXIV. La très-sainte Vierge prend congé de la famille de Zacharie pour retourner à Nazareth.

Instruction que notre auguste Reine me donna.

CHAPITRE XXV. La très-pure Marie retourne à Nazareth.

Instruction que la Reine du ciel mè donna.

CHAPITRE XXVI. Les démons tiennent un conciliabule dans l'enfer contre la très-pure Marie.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE XXVII. Le Seigneur prépare la très-pure Marie pour combattre contre Lucifer, et le dragon commence à la persécuter.

Instruction que la Reine de l'univers me donna.

CHAPITRE XXVIII. Lucifer et les sept légions continuent à tenter la très-sainte Vierge. — La tête de ce dragon est vaincue et brisée.

Instruction que la Maîtresse de l'univers me donna.

 
CHAPITRE XXIV. La très-sainte Vierge prend congé de la famille de Zacharie pour retourner à Nazareth.

 

304. Saint Joseph ayant été averti par ordre de sainte Élisabeth, partit de Nazareth pour aller prendre l'auguste Marie, son épouse, et la ramener dans sa maison. — Et étant arrivé en celle de Zacharie, où on l'attendait, il y fut accueilli par la pieuse famille avec un respect extraordinaire, car le saint prêtre savait alors que le grand patriarche était le dépositaire des mystères et des trésors du ciel qu'il n'avait pas encore découverts. La très-sainte Vierge le reçut avec les humides démonstrations d'une joie contenue, et, s'agenouillant à ses pieds, elle lui demanda sa bénédiction, selon sa coutume, et le pria de lui pardonner si elle avait manqué de le servir durant les trois mois ou environ qu'elle avait consacrés à sa cousine Élisabeth. Et, quoique en cela notre Reine n'eut commis aucune faute ni imperfection,. mais qu'elle eût au contraire

 

(1) 1 Petr., V, 9.

 

accompli la volonté divine, tout à fait su gré et suivant le bon plaisir du Seigneur lui-même et avec le consentement de son époux, néanmoins elle voulut par cette humble et tendre déférence le dédommager des consolations dont elle l'avait privé par son absence. Le saint lui répondit que sa présence lui faisait oublier toutes les peines que son éloignement lui avait causées. Et après qu'ils eurent pris quelques jours de repos, ils fixèrent celui de leur départ.

306. Ensuite notre Princesse prit congé de Zacharie, qui, déjà éclairé de la lumière du Seigneur, dont il reconnaissait en Marie la Mère Vierge, lui parla avec la plus profonde vénération, comme. au sanctuaire vivant de la divinité et de l'humanité du Verbe éternel. «Illustre Dame, lui dit-il, louez et bénissez   éternellement votre Créateur, qui a daigné, par sa  miséricorde infinie, vous choisir entre toutes les créatures pour être sa Mère et l'unique dépositaire de ses plus grands biens et de ses plus sublimes mystères : souvenez-vous de votre serviteur, et  priez notre Dieu de me retirer de ce lieu d'exil pour me conduire à la tranquille possession du véritable bien que nous espérons; faites que je puisse, par  votre intercession, mériter de voir sa divine face,  qui est la gloire des saints. Souvenez-vous aussi, Madame, de ma famille, singulièrement de mon fils,  et priez le Très-Haut pour votre peuple. »

L'auguste Daine se mit à genoux devant le prêtre, et lui demanda avec une profonde humilité sa bénédiction. Zacharie s'excusait de la donner, et suppliait

 

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Marie de lui accorder plutôt elle-même la sienne. Mais personne ne pouvait vaincre en humilité celle qui était Maîtresse et Mère de cette vertu aussi bien que de toute la sainteté : ainsi elle obligea le prêtre à la bénir, et il le fit, poussé par l'inspiration divine. Et, se servant des paroles de la sacrée Écriture, il lui dit ; « Que la droite du Tout-Puissant et du véritable  Dieu vous assiste toujours et vous garde de tout  mal (1); qu'il vous accorde la grâce de sa protection efficace; qui il vous donne en abondance le pain  et le vin, la rosée du ciel et la graisse de la terre;  que les peuples vous servent et que les tribus vous adorent (2), parce que vous êtes le tabernacle de  Dieu (3) : vous serez Maîtresse de vos frères, et les  enfants de votre mère se prosterneront en votre  présence (4). Celui qui vous exaltera et vous bénira  sera exalté et comblé de bénédictions : et celui qui  ne vous bénira et ne vous louera pas sera maudit : « Que toutes les nations connaissent en vous le Très-Haut, et que le nom du grand Dieu de Jacob soit  glorifié par vous (5). »

307. En reconnaissance . de cette bénédiction prophétique, l'auguste Marie baisa la main de Zacharie, et le pria de lui pardonner les embarras qu'elle pouvait avoir causés dans sa maison. Le saint vieillard fut fort attendri de cet adieu, et des discours de la plus pure et de la plus aimable des créatures : il garda

 

(1) Ps. CXX, 5, 7. — (2) Gen., XXVII, 28, 89. — (3) Eccles., XXIV, 12. — (4) Gen., XXVII, 29. — (5) Judith., XIII, 31.

 

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toujours dans son cœur le secret des mystères qui lui avaient été révélés en la présence de la très-sainte Vierge. Une fois seulement, comme il se trouvait au milieu des prêtres, qui se réunissaient ordinairement dans le temple, et qui le félicitaient de la naissance de son fils et du recouvrement de la parole, mû par la force de son esprit et répondant au sujet que l'on traitait, il dit ; « Je crois d'une foi infaillible que le Très Haut nous a visités, nous envoyant au monde le Messie promis qui doit racheter son peuple. » Mais il n'en dit pas davantage sur ce qu'il savait du mystère. Néanmoins le saint prêtre Siméon, qui était présent, ayant ouï ces paroles, fut saisi d'un vif enthousiasme, et s'écria dans ses transports ; « Ne permettez pas ,  Seigneur d'Israël, que votre serviteur sorte de cette   vallée de misères sans voir le Sauveur et le Restaurateur de votre peuple. » C'est à ce voeu qu'il fit plus tard allusion par les paroles qu'il proféra dans le Temple (1), lorsque , comme nous le dirons plus loin, il prit dans ses bras l'Enfant-Dieu quand il y fut présenté. Et dès ce jour-là, le désir ardent qu'il avait de voir le Verbe incarné s'enflamma de plus en plus.

305. Notre Princesse ayant laissé Zacharie baigné de larmes et tout ému de tendresse., alla prendre congé de sa cousine Élisabeth : douée, comme femme, d'un coeur plus sensible, parente, amie ayant joui tant de jours de la douce conversation de la Mère de la grâce, et ayant obtenu par son intercession tant de faveurs

 

(1) Luc., II, 28-33.

 

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de la main du Seigneur, elle était sur le point de s'évanouir de douleur, en pensant qu'elle allait être séparée de la causé de tant de biens reçus, privée de sa présence, dépouillée de l'espérance. d'en recevoir beaucoup d'autres. Le cœur de la sainte se brisait au moment de ce dernier adieu de la Maîtresse de l'univers, qu'elle aimait plus que sa propre vie, et elle lui découvrait le fond de son âme beaucoup plus par ses larmes et ses sanglots que par. ses paroles; car elle était incapable de s'exprimer. La sérénissime Reine, toujours maîtresse d'elle-même, inaccessible à tous les mouvements des passions naturelles, s'adressant à sainte Élisabeth, lui dit avec une douce sévérité; « Ma  très-chère cousine, ne vous affligez pas si fort de  mon départ, puisque la charité du Très-Haut, en   laquelle je vous aime véritablement, ne connaît ni  séparation ni distance de temps et de lieu. Je vous regarde et je vous aurai présente en sa divine Majesté, et vous me trouverez toujours en elle. Le temps pendant lequel nos corps peuvent être éloignés est fort court (1), puisque si courts sont les jours de la vie humaine; et, en remportant par le secours de la divine grâce la victoire sur nos ennemis, nous nous verrons bientôt, et nous jouirons éternellement l'une de l'autre dans la Jérusalem céleste, où il n'y a ni douleurs, ni larmes, ni séparation (2). En attendant cet heureux temps, ma

très-chère, vous trouverez en Dieu toute sorte de

 

(1) Job., XIV, 5. — (2) Apoc., XXI, 4.

 

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bien, et vous me trouverez et me verrez en lui; je souhaite qu'il fasse sa demeure dans votre coeur et  qu'il vous console.» Pour arrêter les pleurs d'Élisabeth, notre très-prudente Reine ne prolongea pas davantage cet entretien, et, se mettant à genoux, elle lui demanda sa bénédiction et pardon des peines qu'elle pouvait lui avoir occasionnées par son séjour. Elle insista jusqu'à ce que sainte Élisabeth eût cédé à ses désirs; celle-ci, à son tour, sollicita la bénédiction de notre divine Dame, qui la lui donna, pour ne point lui refuser cette consolation.

309. Notre auguste, Maîtresse alla voir aussi le petit Baptiste, et, le recevant entre ses bras, elle le couvrit de bénédictions efficaces et mystérieuses. L'enfant miraculeux; par un privilège divin, parla à la Vierge, quoiqu'à voix basse et d'une manière en rapport avec son âge.« Vous êtes Mère de Dieu, lui dit-il, et Reine   de tout ce qui est créé; vous êtes la dépositaire du  trésor inestimable du ciel, l'asile et la protectrice  de votre petit serviteur; donnez-moi votre bénédiction, et favorisez-moi toujours de votre intercession et de votre grâce. » Il baisa trois fois la main de notre Reine; il adora dans son sein virginal le Verbe humanisé, lui demanda sa bénédiction et sa grâce, et s'offrit à son service avec une très-profonde vénération. L'Enfant-Dieu regarda favorablement et avec bienveillance son précurseur. La bienheureuse Vierge-Mère voyait et contemplait ce doux spectacle. Elle procédait et agissait en toute chose avec plénitude de science divine, donnant à chacun de ces grands

 

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mystères toute la vénération, et toute l'estime, qu'il demandait : car elle avait de très-hautes idées de la sagesse de Dieu et de ses oeuvres (1).

310. Toute la maison de Zacharie resta sanctifiée de la présence de la très-chaste Marie et du Verbe incarné dans son sein, édifiée par son exemple, instruite par ses leçons et ses entretiens, ravie de sa modestie et de l'incomparable douceur de ses manières. Et ayant captivé les coeurs de tous les membres de cette heureuse famille, elle les laissa remplis des dons célestes, qu'elle leur mérita, et obtint de son très-saint Fils. Son saint époux Joseph s'attira toute la vénération de Zacharie, d'Élisabeth et du petit Baptiste, qui connurent sa dignité avant qu'elle fût. révélée à lui-même. Et après que l'heureux patriarche eut pris congé de tous, joyeux d'avoir son trésor (quoiqu'il n'en pénétrât pas entièrement la valeur), il partit. pour Nazareth. Je dirai dans le chapitre suivant ce qui arriva dans le voyage. Mais avant de l'entreprendre, la très-sainte Vierge demanda à genoux la bénédiction à son époux, selon qu'elle avait coutume de faire dans de semblables rencontres, et après qu'elle l'eut reçue ils se mirent en chemin.

 

(1) II Machab., II, 9.

 

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Instruction que notre auguste Reine me donna.

 

311. Mis, fille, l'âme bienheureuse que Dieu choisit pour lui faire part de ses caresses et pour l'élever à une haute perfection doit toujours avoir le coeur pré paré et tranquille (1), pour y laisser opérer sa divine Majesté sans résistance, selon qu'elle juge à propos, et de son côté elle doit concourir avec promptitude à l'exécution de ses desseins. C'est ce que je fis quand le Très-Haut m'ordonna de sortir de ma maison et de m'arracher à mon aimable retraite pour aller rendre visite à ma servante Élisabeth; c'est ce que je fis encore quand il me prescrivit de la quitter. J'exécutai fun et l'autre avec une joyeuse promptitude, et, quoique j'eusse reçu d'Élisabeth et de toute sa famille tous les bienfaits et toutes les marques d'amour et de bienveillance que vous avez appris, néanmoins, au milieu de toutes les obligations que je leur avais, du moment où je connus la volonté du Seigneur, je mis de côté toutes mes affections personnelles, ne donnant , plus à la charité et à la compassion que ce qui était compatible avec l'obéissance empressée que je devais au divin commandement, à toutes mes propres affections, et je n'en témoignai que ce qui pouvait s'accorder avec la charité et avec la compassion.

312. Ma très-chère fille, avec quelle ardeur ne

 

(1) Eccles., II, 20.

 

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tâcheriez-vous pas d'acquérir cette véritable et parfaite résignation, si vous en appréciiez entièrement la valeur, si vous saviez combien elle est agréable aux yeux du Seigneur, et utile et profitable à l'âme! Appliquez-vous donc à la pratiquer à mon imitation, ainsi que je vous y pousse et vous y convie si souvent. Ce qui empêche le plus de parvenir à ce degré de perfection, ce sont les inclinations ou les attachements particuliers aux choses de la terre : car ils infectent l'âme d'une indignité qui ne permet pas au Seigneur de la choisir pour ses délices et de lui manifester sa volonté. Et s'il arrive qu'elle la connaisse, l'amour qu'elle porte aux créatures la retient; et, par cette attache, elle n'est pas capable de cette promptitude et de cette joie avec laquelle elle doit obéir au bon plaisir de son Seigneur. Parez à ce danger, ma fille, et ne donnez entrée dans votre coeur à aucune affection particulière : car je souhaite que vous soyez fort parfaite et fort savante en l'art de l'amour divin, et que votre obéissance soit angélique et votre amour séraphique. Je veux que vous soyez telle dans toutes vos actions, puisque mon amour vous y oblige, puisque la science et la lumière que vous recevez vous enseignent à le devenir.

313. Je ne prétends pas vous dire par là d'être insensible, car cela est naturellement impossible à la créature; mais je veux vous engager, quand il vous arrivera quelque chose de fâcheux ou qu'il vous manquera ce qui pourrait vous paraître utile, ou nécessaire, ou désirable, à vous abandonner alors entièrement au

 

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Seigneur avec une indifférence joyeuse, et à lui offrir un sacrifice de louange en reconnaissance de ce que sa sainte volonté s'accomplit à votre égard. Et si vous ne considérez que son bon plaisir, convaincue que tout le reste est passager, il vous deviendra facile de vous vaincre promptement vous-même, et vous profiterez de toutes les occasions qui se présenteront de vous humilier sous le pouvoir de la main du Seigneur (1). Je vous recommande aussi de m'imiter dans le respect et dans la vénération dus aux prêtres, et de leur demander toujours la bénédiction avant de leur parler ou de prendre congé d'eux; vous pratiquerez la même chose envers le Très-Haut, avant que de commencer le moindre travail. Présentez-vous toujours avec une humble soumission devant vos supérieurs. Si les femmes qui viennent vous demander conseil sont mariées, avertissez-les d'être obéissantes à leurs maris, dociles; pacifiques dans leurs familles , retirées dans leurs maisons, et soigneuses à s'acquitter de toutes leurs obligations (2). Mais qu'elles prennent garde aussi de trop se plonger dans les affaires, sous prétexte de nécessité, parce qu'elles y doivent beaucoup plus réussir par la bonté et par la libéralité du Très-Haut que par leur trop grande industrie. Les divers événements parmi lesquels je me suis trouvée vous fourniront à cet égard une leçon; un véritable exemple : ma vie entière est un modèle dont les âmes doivent se servir pour arriver à la perfection qu'exigent tous les états;

 

(1) 1 Petr., V, 6. — (2) Tit., II, 5.

 

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c'est pourquoi je ne vous donne point d'instruction pour chacun.

 
CHAPITRE XXV. La très-pure Marie retourne à Nazareth.

 

314. Pour retourner de la ville de Juda à celle de Nazareth, notre grande Reine, ce tabernacle animé da Dieu vivant , traversa en partant les montagnes de Judée; accompagnée de son très-fidèle époux Joseph. Et quoique les évangélistes ne parlent point de la célérité avec laquelle elle exécuta: ce voyage, comme saint Luc l'a fait du premier (1), à cause du mystère particulier que renfermait cette hâte, elle ne laissa pourtant pas que d'effectuer sou retour à Nazareth avec la même diligence, à cause des événements qui l'attendaient dans sa maison. Et nous pouvons dire que tous les voyages de cette divine Dame furent une démonstration mystique de ses progrès spirituels et intérieurs; parce qu'elle était le véritable tabernacle du Seigneur, qui ne s'arrêtait et ne se reposait jamais dans la pérégrination de la vie mortelle (2) ; passant

 

(1) Luc., I, 89. — (2) I Paral., XVII, 5.

 

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au contraire chaque jour d'un état fort relevé de sagesse et de grâce à un autre plus sublime, elle avançait toujours, voyageuse toujours sans égale sur ce chemin de la terre promise , et elle portait constamment avec elle le véritable propitiatoire (1), où elle nous procurait continuellement le salut éternel par les accroissements de ses dons et de ses faveurs.

315. Notre grande Reine et saint Joseph firent le trajet en quatre jours, comme lors du voyage que j'ai raconté au chapitre XVI. Quant à la manière de Voyager et aux divins entretiens auxquels ils se livrèrent durant leur route, les choses se passèrent de même; il n'est donc pas nécessaire d'en rapporter ici les détails. Dans les luttes d'humilité qui s'élevaient souvent entre eux, la sainte Vierge l'emportait toujours, excepté dans les cas où son saint époux interposait son autorité; car la plus grande humilité consistait à se soumettre à l'obéissance. Mais comme elle était déjà enceinte de trois mois, elle marchait avec plus de précaution. Ce n'est pas que son fardeau lui parût lourd et gênant; elle éprouvait au contraire , à le porter, un sentiment de bonheur délicieux. Mais l'attentive et, prudente mère prenait un grand soin de son trésor, parce qu'elle le regardait avec les accroissements naturels que le très-saint corps de son Fils recevait chaque jour dans son sein virginal. Nonobstant cette facilité et cette légèreté de sa grossesse, les difficultés du chemin et la

 

(1) Num., VII, 89

 

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chaleur la fatiguaient parfois; parce que, pour avoir le moyen de souffrir, elle ne se servait point des privilèges de Reine et de Maîtresse des créatures, et que, loin d'éviter ce qui lui pouvait être pénible, elle donnait lieu aux incommodités et à la lassitude; afin d'être en toutes choses Maîtresse de la perfection et conforme à son très-saint Fils.

316. Comme sa divine grossesse était, en ce qui regarde la nature, si parfaite, et sa constitution à la fois si délicate et si excellente, qu'il n'y eût en sa personne rien de défectueux, son état se trahissait naturellement par des signes extérieurs, et la plus discrète des épouses s'apercevait bien qu'il.serait impossible de les cacher longtemps à son très-chaste et très-fidèle époux. Dans cette pensée, elle se mettait à le regarder avec plus de tendresse et de compassion , à cause des angoisses dont il devait être bientôt assailli , et dont elle aurait souhaité le délivrer, si elle avait su que tel eût été le bon plaisir divin. Mais le Seigneur ne dissipa point ses inquiétudes à cet égard, parce qu'il conduisait la chose par les moyens les plus convenables à sa gloire, et au mérite de saint Joseph et de sa Mère Vierge. Néanmoins notre auguste Dame priait intérieurement la Majesté divine de prévenir le coeur du saint époux par la patience et par la sagesse dont il avait besoin, et de l'assister de sa grâce, afin que dans les circonstances qu'elle prévoyait, il ne fit rien qui ne lui fût agréable; car elle jugeait toujours qu'il éprouverait une profonde douleur en la voyant enceinte.

 

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317. La Maîtresse de l'univers fit, en retournant à Nazareth, plusieurs oeuvres admirables, mais toujours à l'ombre et d'une manière secrète. Ils arrivèrent en un lieu assez pou éloigné de Jérusalem, et la même nuit, des gens d'un autre petit village vinrent loger dans la maison où ils étaient; ces gens allaient à la sainte cité, et y menaient une jeune femme malade, pour lui chercher. quelque remède, comme dans une localité plus populeuse et plus importante. Et quoiqu'ils sussent qu'elle était fort malade, ils ignoraient pourtant la nature et la cause de ses douleurs. Cette femme avait été fort vertueuse; mais l'ennemi commun, connaissant son caractère et ses progrès dans la vertu, s'acharna contre elle, comme il fait toujours contre ceux. qui sont amis de Dieu, et il la persécuta si fort qu'il la fit tomber dans quelques péchés, et pour la précipiter d'un abîme dans un autre, il la tenta par de fausses illusions de désespoir et par une douleur excessive de son propre déshonneur; et lui ayant troublé l'esprit; ce dragon trouva le moyen d'entrer dans cette femme affligée et de la posséder avec plusieurs autres démons. J'ai déjà dit dans la première partie que le dragon infernal conçut une grande colère contre toutes les femmes vertueuses, depuis qu'il vit dans le ciel cette femme revêtue du soleil, de laquelle les autres qui la suivent forment la famille, comme on peut l'inférer du chapitre XII° de l'Apocalypse; et par suite de cette haine, il s'enorgueillissait hautement de la possession du corps et de l'âme de cette pauvre femme, et il la traitait en tyran féroce.

 

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318. Aussitôt que notre Princesse la vit à l'hôtellerie, elle connut le mal que tous ignoraient, et mue de sa miséricorde maternelle, elle pria son très-saint Fils de lui donner la santé de l'âme et du corps. Et sachant que la volonté divine penchait à la clémence, elle usa de son pouvoir de Reine , pour commander aux démons de sortir à l'instant de cette femme, de la laisser libre, sans la tourmenter jamais plus, et de rentrer dans les profonds abîmes, comme dans leur légitime et propre demeure. Notre grande Reine ne se servit point de paroles pour intimer cet ordre, mais elle le donna mentalement, de manière que les esprits immondes pussent le comprendre; et il fut si efficace et si puissant, qu'aussitôt Lucifer et ses compagnons sortirent de ce corps, et furent précipités dans les ténèbres infernales. L'heureuse femme se trouva délivrée et fort surprise d'un cas si extraordinaire ; mais dans cet étonnement, elle tourna son cœur vers notre très-pure et très-sainte Dame. Elle la regarda avec une vénération et une tendresse singulière, et par cette -vue, elle reçut deux autres bienfaits : l'un, que son âme fut pénétrée d'une intime douleur de ses péchés; l'autre, qu'elle fut affranchie des mauvais effets qu'avaient produits et débarrassée des vestiges qu'avaient laissés dans son corps ces injustes possesseurs, dans le temps qu'elle avait été soumise à leur empire. Elle reconnut que cette divine étrangère qu'elle avait eu le bonheur de rencontrer, avait beaucoup contribué an bienfait qu'elle sentait avoir reçu du Ciel. Elle lui parla, et notre Reine lui répondant au cœur,

 

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l'exhorta par de sages avis à la persévérance, et même elle la lui mérita pour l'avenir. Les parents qui l'accompagnaient connurent aussi le miracle, mais ils l'attribuèrent à la promesse qu'ils avait faite de la mener au temple de Jérusalem, et qu'ils allaient accomplir en y portant quelques offrandes. C'est ce qu'ils firent en louant le Seigneur, mais en ignorant l'instrument dont il s'était servi pour un tel bienfait.

319. Grands furent le trouble et la colère dont Lucifer fut saisi en se voyant chassé de cette femme et précipité par le seul commandement de la très-chaste Marie; tout stupéfait, il disait avec une furieuse indignation : « Quelle est cette femmelette qui nous commande et qui nous opprime avec tant de force? Quelle nouveauté est celle-ci, et comment est-ce que mon orgueil la souffre? Il faut que nous prenions tous garde à cela , et que nous travaillions à l'écraser. » Et comme je dois m'étendre davantage sur ce sujet dans le chapitre qui suit, je le quitte maintenant pour revenir à nos divins voyageurs, qui arrivèrent dans une autre hôtellerie dont le maître était d'un très-mauvais naturel et d'une vie fort déréglée. Par une première grime qui devait être le principe du bonheur de cet homme, Dieu voulut qu'il accueillit l'auguste Marie et son époux Joseph avec des sentiments de bienveillance et des marques d'intérêt. Il leur montra plus de courtoisie et leur rendit plus de services qu'il n'avait accoutumé de faire aux autres étrangers. Et afin que la récompense surpassât le bienfait, notre grande Reine, qui connut l'état

 

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dépravé de la conscience de son hôte, pria pour lui, et lui laissa le. fruit de cette prière pour le paiement de son bon accueil; de sorte qu'elle lui procura la justification dé son âme, l'amendement de sa vie, et l'augmentation de ses biens. En effet, Dieu fit prospérer son établissement dans la suite, pour les petits services qu'il avait rendus aux saints voyageurs. La Mère de la grâce opéra beaucoup d'autres merveilles dans ce voyage; car il sortait d'elle comme des effluves divins (1), au moyen desquels elle sanctifiait toutes lés âmes. Enfin ils arrivèrent à Nazareth , où la Princesse du ciel nettoya sa maison, assistée de ses saints anges, qui, émulateurs de sou humilité et jaloux de lui témoigner leur zèle et leur vénération, la secondaient toujours et l'aidaient dans les plus basses occupations. Saint Joseph s'occupait à son travail ordinaire pour la. subsistance de notre Reine, et elle ne frustrait point l'espérance de son époux. Elle se ceignait d'une nouvelle force pour les mystères qu'elle attendait; elle portait la main à de grandes choses (2), et dans le secret de son âme elle jouissait de la vue continuelle du trésor renfermé dans son sein, et puisait dans cette vue des faveurs, des délices et des consolations ineffables. Elle acquérait d'incomparables mérites, et se rendait extraordinairement agréable, au Seigneur.

 

(1) Cant., IV, 13. — (2) Prov., XXXI, 11, 17, 19.

 

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Instruction que la Reine du ciel mè donna.

 

320. Ma fille, les âmes fidèles qui connaissent Dieu par la lumière de la foi et qui sont filles de l'Église, ne devraient point faire de différence de temps, ni de lieux, ni d'occupations pour pratiquer cette vertu comme celles qui leur sont infuses avec elle. En effet, Dieu est présent en toutes choses, il remplit toutes choses de son Être infini (1), et. il n'y a point de lieu, il n'y a point d'occasion où la foi ne, se trouve pour l'adorer et le reconnaître en esprit et en vérité (2). Et comme la création par où l'âme reçoit le premier être est suivie de la conservation, comme la vie suppose le jeu continu de la respiration, aussi bien que de la nutrition et de la croissance, jusqu'au complet développement des organes, de même la créature raisonnable, une fois régénérée par la foi et par la grâce, devrait, loin de jamais interrompre l'accroissement de sa vie spirituelle, constamment produire en tout temps et en tout lieu des rouvres de salut par la foi, l'espérance et l'amour. Mais, oublieux et négligents qu'ils sont, les hommes, et surtout les enfants de l'Église, rendent tout à fait stérile cette vie de la foi, car ils la laissent mourir en perdant la charité (3). Voilà ceux qui, suivant l'expression.de David (4), ont reçu en vain une âme nouvelle,

 

(1) Jerem., XXIII, 24. — (2) Joan., IV, 22 et 21. — (3) Jacob., II, 26. — (4) Ps. XXIII, 4.

 

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puisqu'ils ne s'en, servent non plus que s'ils ne l'avaient point reçue.

321. Je veux, ma très-chère fille; qu'il n'y ait pas dans votre vie spirituelle plus d'intermittence qu'il n'y en a dans votre vie. naturelle. Vous devez, usant des dons du Très-Haut, agir toujours par la vie de la grâce, dans la prière, dans la charité, dans la louange, dans la foi, dans l'espérance, dans l'adoration du Seigneur, en esprit. et en vérité , sans différence de temps, ni d'occupations, ni de lieux (1); car il est présent en toutes choses, et il veut être aimé et servi de toutes les créatures raisonnables. C'est pourquoi je vous ordonne de prier pour les âmes avec une vive foi et une ferme espérance, quand elles s'adresseront à votés, coupables de cet oubli ou d'autres fautes , et affligées par le démon ; que si le Seigneur ne fait pas toujours avec éclat ce que vous souhaitez et ce qu'elles demandent, il le fera secrètement, et vous acquerrez le mérite de lui avoir plu , en travaillant comme une fille et une épouse fidèle. Et si vous agissez en tout comme il l'exige, je vous assure qu'il vous accordera, dans l'intérêt des âmes, beaucoup de privilèges d'épouse. Considérez ce que je faisais quand je voyais les âmes dans la disgrâce du Seigneur, remarquez le soin et le zèle avec lesquels je travaillais au bien de toutes, et surtout de quelques-unes. Si vous voulez m'imiter et me plaire, quand le Très-Haut vous découvrira l'état de certaines âmes,

 

(1) Joan., IV, 23

 

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ou qu'elles-mêmes vous le déclareront, ne manquez pas de travailler et de prier pour elles; reprenez-les avec prudence, humilité et douceur; car le Tout-Puissant ne veut pas que vous fassiez du bruit, ni que votre activité produise au dehors des effets éclatants; il veut qu'ils soient cachés : et en cela il se conforme à votre timidité naturelle et à vos désirs, et en même temps il adopte pour vous le parti le plus sûr. Et quoique vous deviez prier pour toutes les âmes, vous prierez avec plus d'ardeur pour celles auxquelles vous saurez que Dieu veut surtout que vous vous intéressiez.

 
CHAPITRE XXVI. Les démons tiennent un conciliabule dans l'enfer contre la très-pure Marie.

 

322. J'ai dit au paragraphe 130 du chapitre XIe, qu'au moment où s'opéra le mystère ineffable de l'incarnation, Lucifer et tous les autres esprits rebelles sentirent la vertu du bras du Tout-Puissant, qui les précipita dans le plus profond des abîmes. Ils y furent abattus quelques jours, jusqu'à ce que le même Seigneur, par sa providence admirable, leur permit de

 

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se relever de cet abattement dont ils ignoraient la cause. Or, après s'être redressé, le grand dragon s'avança vers le monde , pour reconnaître, en parcourant toute la terre, s'il était survenu quelque chose de nouveau à quoi il pût attribuer le coup imprévu qui l'avait frappé, lui et tous ses ministres. Le superbe prince des ténèbres ne voulut point confier cette recherche à ses seuls compagnons; mais il se mit lui-même en campagne avec eux, et explorant le monde entier avec autant de ruse que de méchanceté, il alla s'enquérant partout , guettant de toutes parts les faits pour tâcher de découvrir ce qu'il brûlait de savoir. Il employa trois mois à cette ardente recherche; au bout de ce temps il dut retourner dans l'enfer, aussi ignorant de la vérité qu'il en était sorti , parce que le moment n'était pas encore venu pour lui de pénétrer des mystères aussi divins, sa malignité étant si ténébreuse, qu'il ne devait pas jouir de leurs effets admirables, ni en glorifier et bénir son Créateur comme nous, qui devions participer aux fruits de la rédemption.

323. L'ennemi de Dieu se trouvait toujours plus confus et tourmenté, sans savoir à quoi attribuer son nouveau malheur : ce qui fut cause qu'il convoqua toutes les troupes infernales, sans excepter aucun démon, pour délibérer sur ce cas. Et ayant pris la première place dans ce conciliabule , il leur tint ce discours : vous savez bien, mes sujets, avec quelle ardeur j'ai travaillé à me venger de Dieu, en faisant tout pour détruire sa puissance, depuis qu'il nous a

 

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dépouillés de la nôtre et bannis de notre maison. Et quoique je ne puisse point l'atteindre lui-même, je n'ai point perdu un instant, je n'ai point négligé une occasion pour attaquer les hommes, qu'il aime, et pour les réduire sous mon empire (1); j'ai peuplé par mes forces et par mes soins mon royaume, et j'ai un grand nombre de nations qui me suivent et qui m'obéissent (2); je gagne tous les jours une quantité innombrable d'âmes que j'éloigne de la connaissance de Dieu et de l'obéissance qu'elles lui doivent, afin qu'elles né parviennent point à jouir de ce que nous avons perdu; je prétends au contraire les entraîner dans les supplices éternels que nous endurons, puisqu'elles ont suivi ma doctrine et mes traces, et j'assouvirai sur elles la haine que j'ai conçue contre leur Créateur. Mais tout cela me parait peu de chose, et je suis encore tout étourdi de la nouvelle secousse que nous avons ressentie; car depuis que nous avons été chassés du ciel , il ne nous était rien arrivé de semblable, et jamais nous n'avions été frappés, terrassés d'une manière aussi violente : je reconnais que ce coup a singulièrement ébranlé mes forces comme les vôtres. Un effet aussi insolite, aussi extraordinaire, ne peut s'expliquer que par une cause nouvelle, et le sentiment de notre faiblesse me fait vivement craindre la ruine de notre empire.

324. « Cette affaire demande une nouvelle attention, ma fureur persiste, et l'ardeur de la vengeance

 

(1) Job., XLI, 25. — (2) Luc., IV, 6.

 

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me dévore toujours. J'ai quitté l'abîme, j'ai parcouru toute la terre, j'en ai examiné avec un très-grand soin tous les habitants , et je n'ai trouvé aucune chose, notable. J’ai observé et persécuté toutes les femmes vertueuses et parfaites appartenant à la race de l'ennemie implacable que nous avons connue dans le ciel, pour tâcher de la rencontrer parmi elles; mais aucun indice ne me marque qu'elle soit née, car je n'en vois aucune avec les qualités que me parait devoir réunir . la femme appelée. à être la, Mère du Messie. Une fille que je craignais à cause de ses grandes vertus, et que je persécutai dans le Temple, est maintenant mariée ainsi elle ne peut être celle que nous cherchons, car Isaïe a dit qu'elle doit être vierge (1). Néanmoins je la crains et je, la déteste, car étant si vertueuse, il pourrait bien arriver que d'elle naquit la Mère du Messie ou quelque grand prophète; il ne m'a pas été possible de me l'assujettir jusqu'à présent en aucune chose, et, je pénètre moins dans la conduite de sa vie que dans. celle des autres. Elle m'a toujours résisté avec une, fermeté invincible; je la perds facilement de vue, et quand je pense à elle, je ne puis m'en approcher autant que de ses compagnes. Je ne parviens point à discerner si cette difficulté et cet oubli proviennent d'une cause mystérieuse, ou s'ils résultent du mépris même que je fais d'une simple femmelette. Mais j'y prendrai bien garde à l'avenir, car elle nous a commandé en deus occasions récentes où

 

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nous n'avons pu résister à son empire, ni à l'énergie souveraine avec laquelle elle nous a privés de la possession que nous avions des personnes dont elle nous a chassés. Cela est digne de toute notre attention, et cette créature mérite mon indignation par cela seul qu'elle a opéré dans ces occasions. C'est pourquoi je jure de la persécuter et de la dompter, et pour cette entreprise je demande le concours de toutes , vos forces, de toute votre malice; car celui qui se signalera dans cette victoire que je me promets de remporter, recevra de ma grande puissance des récompenses considérables. »

325. Toute la populace infernale, après avoir écouté attentivement Lucifer, loua et approuva, ses intentions; elle lui dit de ne pas craindre que cette femme compromît ses succès ou ternit ses triomphes puisque son pouvoir était si grand, qu'il avait assujetti à son empire le monde presque entier (1). Les démons convinrent ensuite des moyens qu'ils prendraient pour persécuter la très-chaste Marie, comme femme distinguée par ses vertus et par une sainteté singulière, et non point comme Mère du Verbe incarné; car, comme je l'ai dit, ils ignoraient alors le mystère caché. Après qu'ils eurent pris cette résolution, notre divine Princesse eut à soutenir un long combat contre Lucifer et ses ministres d'iniquité, afin qu'elle pût écraser d'autant plus souvent la tête à ce dragon infernal (2). Et quoique dans le cours

 

(1) Ephes., II, 2 ; Joan., XIV, 30. — (2) Gen., III, 15.

 

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de la vie de cette Vierge puissante, ç'ait été là une grande et mémorable bataille, elle en livra une plus grande encore au prince des ténèbres, lorsqu'elle resta sur la terre après l'ascension de son très-saint Fils. Je parlerai de celle-ci dans la troisième partie de cette divine histoire, à laquelle on me l'a fait rapporter, car elle fut fort mystérieuse, attendu qu'à cette époque Lucifer connaissait la Mère de Dieu; saint jean en a fait mention au XIIe chapitre de l'Apocalypse, comme je le dirai en son lieu.

326. La providence du Très-Haut fut admirable dans la dispensation des mystères incompréhensibles de l'incarnation, et elle l'est maintenant dans le gouvernement de l'Église catholique. Et il est sûr qu'il fallait que cette farté et douce Providence cachât plusieurs choses aux démons qu'il n'était pas à propos qu'ils sussent, tant parce qu'ils sont indignes de connaître les mystères sacrés, que parce que à l'égard de, ces ennemis, la puissance divine doit se manifester avec plus d'éclat que les autres attributs, afin de les accabler de tout son poids. En outre , grâce à leur ignorance des oeuvres que Dieu leur cache, l'économie de l'Église et l'exécution de tons les mystères que Dieu y opère, se déroulent sur un plan plus doux; c'est une barrière contre laquelle viennent se briser tous les efforts du démon furieux, pour les choses que la Majesté divine veut soustraire à ses attaques. Sans doute elle peut et pourrait toujours le dompter et le retenir; mais le Seigneur dispense toutes choses en la manière qui convient le mieux

 

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à sa bonté infinie. C'est pour cette raison que le Très-Haut cacha à ces esprits rebelles la dignité de l'auguste Marie, le miracle de sa grossesse , son intégrité virginale avant et après l'enfantement, et en lui donnant un époux , il tenait cela dans un plus grand secret. Ils ne connurent non plus la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ avec certitude qu'à l'heure de sa mort; et dès lors ils découvrirent plusieurs mystères de la rédemption sur lesquels ils s'étaient mépris et aveuglés; car, s'ils eussent connu auparavant cet adorable Seigneur, ils eussent plutôt tâché d'empêcher sa mort, comme le dit l'Apôtre (1), qu'excité les Juifs à lui en infliger une aussi cruelle, ainsi que je le rapporterai en son lieu. Ils auraient prétendu détourner la rédemption, et, publier eux-mêmes devant le monde qu'il était le Christ vrai Dieu; et c'est pour cela que quand saint Pierre le reconnut et le confessa pour tel, il lui ordonna à lui et aux autres apôtres, de n'en rien dire à personne (2). Et bien que les démons se doutassent que le Sauveur fût le Messie, et qu'ils l'appelassent même Fils du Très-Haut, il cause des miracles qu'il faisait et de ce qu'il les chassait des corps, comme le raconte saint Luc (3), sa divine Majesté, ne permettait pourtant pas qu'ils dissent, avec une ferme assurance ce qu'ils pensaient; car, en voyant notre Seigneur Jésus Christ pauvre, méprisé et outragé, les doutes qu'ils

 

(1) I Cor., II, 8. — (2) Matth., XVI, 20. — (3) Luc., VIII, 28; IV, 34.

 

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avaient se dissipaient aussitôt; c'est qu'aveuglés par leur orgueil démesuré, ils ne purent jamais pénétrer le mystère de l'humilité du Sauveur.

327. Or, comme Lucifer ne connaissait point en la très-pure Marie la dignité de Mère de Dieu lorsqu'il lui prépara la terrible persécution que l'on verra bientôt, il lui en fit depuis subir une beaucoup plus cruelle, sachant qui elle était. Car s'il eût su, dans la circonstance dont je vais parler, que c'était celle qu'il avait vue dans le ciel revêtue du Soleil (1), et celle qui lui devait écraser la tête (2), il eût été pris d'un tel accès de fureur et de rage, qu'il se fût transformé en un feu comparable à celui de la foudre. Que si en la regardant seulement comme une femme sainte et parfaite, les démons conçurent tous contre elle une si grande indignation, il est certain que s'ils eussent connu son excellence, ils eussent, dans la limite de leur pouvoir, bouleversé la nature entière pour mieux la persécuter et même pour l'exterminer~Mais comme le dragon et ses complices ignoraient d'un côté le mystère caché de notre divine Dame, et que d'un autre ils découvraient en elle une vertu si puissante et une sainteté si sublime; dans la confusion où toutes ces choses les mettaient, ils allaient tâtonnant et se perdant en conjectures; ils se demandaient les uns aux autres quelle pouvait être cette femme contre laquelle ils reconnaissaient que tous leurs efforts étaient si impuissants, et si ce n'était point par hasard

 

(1) Apoc., XII, 1 — (2) Gen., III, 15.

 

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celle qui devait occuper le rang le plus éminent entre les simples créatures?

325. Certains répondaient qu'il n'était pas possible que cette femme fût la Mère du Messie que les fidèles attendaient, parce que, outre qu'elle était mariée, son mari et elle étaient fort pauvres, fort humbles et fort Feu connus dans le monde; qu'ils ne se distinguaient point par des miracles, et qu'ils ne se faisaient ni estimer ni craindre des hommes. Et comme Lucifer et ses ministres étaient si superbes, ils ne pouvaient se persuader qu'un mépris aussi souverain de soi-même et une humilité aussi rare fussent comparables avec la grandeur et la dignité de Mère de Dieu, et leur chef s'imaginait que le Tout-Puissant, étant q'une nature infiniment supérieure à la sienne, ne choisirait pas une condition qui lui avait tant déplu à !ni même. Enfin il fut trompé par sa présomption mime et par son fol orgueil, c'est-à-dire par les vices les plus propres, par les ténèbres qu'ils répandent, à aveugler l'entendement et à précipiter la volonté. C’est pour cette raison que Salomon dit que leur propre malice les avait aveuglés (1) de telle sorte qu'ils ne comprissent point que le Verbe éternel devait choisir de pareils moyens afin d'abattre la hautaine arrogance du dragon, dont les pensées étaient beaucoup plus éloignées des jugements du Très-Ilaut que le ciel n'est distant de la terre (2); car il croyait que Dieu descendrait sur la terre, pour la combattre, dans

 

(1) Sap., II, 21 — (2) Isa., LV, 9.

 

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un grand appareil et une pompe éclatante, humiliant d'une main puissante les superbes, les princes et les monarques, dont le démon avait enflé le coeur, comme on le vit chez tant de rois qui régnèrent avant la venue de notre Seigneur Jésus-Christ, hommes si pleins d'orgueil et de présomption, qu'ils paraissaient avoir perdu le sens commun et la connaissance de leur condition mortelle et de leur origine terrestre. Lucifer mesurait tout cela suivant ses idées, et il lui semblait que Dieu dût agir dans cette vue avec la même fureur et les mêmes procédés avec lesquels l'ennemi attaque les oeuvres du Seigneur.

329. Mais sa divine Majesté, qui est la sagesse infinie, fit tout le contraire de ce que Lucifer croyait car pour le vaincre elle ne vint pas seulement avec sa toute-puissance, mais elle se servit aussi de l'humilité, de la douceur, de l'obéissance et de la pauvreté, qui sont les armes de sa milice, et non pas dit faste et de l'ostentation de la vanité mondaine, qui s'appuie sur les richesses de la terre (1). Elle vint dans l'obscurité et sans aucun éclat sensible; elle choisit une Mère pauvre, et elle vint mépriser tout ce que le monde estime, et enseigner  la science de la vie par la doctrine et par l'exemple; de sorte due le démon se trouva trompé et vaincu par les moyens qui l'humiliaient et le tourmentaient le plus.

330. Dans l'ignorance de tons ces mystères, Lucifer employa quelques jours à étudier et à reconnaître

 

(1) II Cor., I, 4.

 

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le naturel de l'auguste Marie, son tempérament, ses démarches, ses inclinations, la juste mesure, la tranquillité et l'égalité d'âme qu'elle apportait dans toutes ses actions; car ces choses ne lui étaient point cachées. Et ayant trouvé que tout en elle était si parfait, que, malgré la douceur de son caractère, elle lui présentait comme un mur impénétrable, il consulta de nouveau les démons et leur exposa la difficulté qu'il voyait à pouvoir tenter cette femme, sans dissimuler que l'entreprise était extrêmement ardue. Tous dressèrent leurs batteries, et se préparèrent à l'attaquer de concert par toutes sortes de tentations formidables. Je dirai dans les chapitres suivants comment ils s'y prirent, et j'y raconterai le glorieux triomphe que notre invincible Reine remporta sur tous ces ennemis, et toutes les malices dont ils se servirent contre elle.

 
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

331. Ma fille, je désire que vous preniez bien garde à ne vous laisser pas posséder de l'ignorance et des ténèbres qui aveuglent ordinairement les mortels, en leur faisant oublier leur salut éternel, et en les empêchant de considérer les périls où ils sont exposés parmi les tentations dont les démons les entourent de toutes harts pour les perdre. Les hommes dorment,

 

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s'amusent et s'oublient, comme s'ils n'avaient point d'ennemis forts et vigilants à combattre. Cette effroyable négligence tire son origine de deux causes : la première , c'est que les hommes sont tellement livrés aux choses terrestres, animales et sensibles, qu'ils ne savent plus sentir d'autres blessures que celles qui atteignent leurs sens physiques (1), comme s'il n'y avait rien de vulnérable au dedans d'eux-mêmes; la seconde, c'est que les princes des ténèbres sont invisibles et inaccessibles à nos organes; et comme les hommes charnels ne les touchent, ni ne les voient, ni ne les sentent, ils ne songent point à les craindre (2). Et pourtant c'est pour cela même qu'ils devraient se tenir beaucoup plus sur leurs gardes : car les ennemis invisibles sont plus perfides, plus habiles à porter leurs coups à l'improviste, et par conséquent le danger est d'autant plus certain qu'il est moins apparent, et les blessures d'autant plus mortelles, qu'elles sont moins sensibles, moins perceptibles et moins extérieures.

332. Écoutez, ma fille, les vérités les plus importantes pour la vie véritable, pour la vie éternelle. Soyez attentive à rues conseils, recevez mes avis et conformez-vous à mes leçons : car si vous vous laissez aller à la négligence, je ne vous dirai plus rien. Or, considérez ce que vous n'avez pas assez remarqué jusqu'à présent dans le caractère de ces ennemis, et. sachez que parmi les anges comme parmi les hommes,

 

(1) I Cor., II, 14. — (2) Ephes., II, 12.

 

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aucune intelligence ni aucune langue ne sauraient exprimer la haine forcenée que Lucifer et ses satellites ont conçue contre les mortels, parce qu'ils sont les images de Dieu lui-même et qu'ils sont capables d'en jouir éternellement. Il n'y a que le Seigneur qui puisse sonder les abîmes d'iniquité et de méchanceté creusés par l'orgueil dans cet être rebelle au saint nom qu'il a refusé d'adorer. Que si de son bras puissant il ne tenait pas ces ennemis terrassés, en un clin d'oeil ils détruiraient le monde, ils mutileraient tous les hommes et déchireraient leurs chairs avec plus de férocité que des lions affamés, des dragons et des bêtes fauves. Mais le benin père des miséricordes arrête et réprime leur fureur, et garde ses pauvres petits enfants dans ses bras, afin qu'ils ne tombent point sous la dent de ces loups infernaux.

333. Considérez donc maintenant, avec toute l'attention qu'il vous sera possible, si l'on .peut concevoir quelque chose d'aussi douloureux, d'aussi lamentable que de voir tant d'hommes plongés dans l'aveuglement et oublieux d'un tel péril, abandonner volontairement l'asile que leur ouvre le Très-Haut, les uns par légèreté, par des motifs frivoles, en vue d'un plaisir qui passe en un moment;. les autres par négligence, d'autres encore à cause de leurs appétits désordonnés, pour se livrer tous entre les mains cruelles de tant d'impies et furieux ennemis, qui se promettent d'exercer leur rage sur leurs victimes, non une heure, un jour, un mois ou un an, mais éternellement, par des tourments qu'on ne saurait ni comprendre ni

 

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exprimer. Tremblez, ma fille, et contemplez avec stupéfaction cette horrible, cette effroyable folie des mortels impénitents et des fidèles eux-mêmes, qui, connaissant tout cela par la foi, ont tellement perdu la raison, et se laissent, comme des insensés, au milieu de la lumière que leur fournit la foi catholique et véritable dont ils font profession, aveugler par le démon à tut tel point, qu'ils ne voient ni ne connaissent plus le péril, et qu'ils ne savent point l'éviter.

334. Et afin que vous le craigniez davantage et que vous vous gardiez d'y tomber, vous devez faire réflexion que ce dragon vous épie depuis l'heure que vous fûtes créée et que vous naquites; qu'il rôde nuit et jour autour de vous, sans se reposer jamais, pour saisir l'occasion où vous lui donnerez prise, et qu'il observe vos inclinations naturelles et nième les faveurs que vous avez. reçues du Seigneur pour vous attaquer avec vos propres armes. Il complote votre perte avec les autres démons, et il promet des récompenses à ceux qui y travailleront avec plus d'ardeur; et c'est pour ce sujet qu'ils pèsent vos actions avec une grande exactitude, qu'ils mesurent vos pas, et, que tous s'emploient il vous tendre des pièges dans tout ce que vous entreprenez. Je veux que vous considériez tontes ces vérités en Dieu, oit vous en connaîtrez la portée; mesurez-les ensuite avec les données que vous fournit l'expérience, et vous verrez, en les examinant ainsi, s'il est raisonnable que vous vous endormiez au milieu de tant de dangers. Et quoique cette vigilance soit importante pour tous les vivants, elle vous est plus

 

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nécessaire qu'à qui que ce soit, pour des raisons particulières; et, bien que je ne vous les déclare pas toutes maintenant, vous ne devez pas pour cela douter qu'il ne vous convienne d'apporter à tout ce que vous faites l'attention la plus scrupuleuse; il suffit que vous connaissiez votre caractère doux et faible, dont vos ennemis cherchent à se prévaloir contre vous.

 
CHAPITRE XXVII. Le Seigneur prépare la très-pure Marie pour combattre contre Lucifer, et le dragon commence à la persécuter.

 

335. Le Verbe éternel, qui, ayant pris chair humaine dans le sein de Marie , la reconnaissait déjà pour sa Mère, et pénétrait les desseins de Lucifer, non-seulement par sa sagesse incréée en tant que Dieu, mais encore par sa science créée en tant qu'homme, veillait à la défense de son tabernacle, plus précieux que toutes les autres créatures. Et, pour revêtir notre invincible Dame d'une nouvelle force contre la folle témérité de ce traître dragon et de ses troupes perfides, sa très-sainte humanité se mut et se tint comme sur pied dans le tabernacle virginal, comme qui voudrait s'opposer et accourir au combat, et comme indignée

 

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contre les princes des ténèbres. Dans cette posture elle pria le Père éternel, et lui demanda de renouveler ses faveurs et ses grâces envers sa Mère, afin qu'étant fortifiée de nouveau, elle brisât la tête de l'ancien serpent; afin qu'humilié et abattu parme femme, il vit ses projets déjoués et sa puissance affaiblie, de sorte que la Reine du Ciel sortît victorieuse et triomphante de sa lutte contre l'enfer, à la plus grande gloire et louange de Dieu lui-même et de la Mère Vierge.

336. La très-sainte Trinité accorda et décréta tout ce que notre Seigneur Jésus-Christ venait de demander. Et incontinent il le déclara d'une manière ineffable à sa très-pure bière, qui le portait dans son sein. Dans cette vision, une très-abondante plénitude de biens, de grâces et de dons inconcevables lui furent communiqués, et elle y connut par une nouvelle lumière de très-sublimes et très-profonds mystères que je ne puis exprimer. Elle apprit notamment que Lucifer couvait d'orgueilleux desseins coutre la gloire du Seigneur lui-même, et fabriquait de grandes machines de guerre, et que dans sa présomption cet ennemi allait jusqu'à se promettre de dessécher les pures eaux du Jourdain (1). Le Très-Haut lui dit, en lui révélant toutes ces choses ; « Mon Épouse et ma  Colombe, l'ardente fureur du dragon infernal a contre mon saint nom et contre ceux qui l'adorent  est si insatiable, que, dans l'excès de sa présomptueuse

 

(1) Job., XL, 18.

 

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audace il prétend les terrasser tous, sans en excepter aucun, et effacer mon nom de la terre des vivants. Je veux, ma bien-aimée, que vous preniez ma cause en main, et que vous défendiez mon saint honneur en combattant en mon nom contre ce cruel ennemi ; je serai avec vous dans le combat, puisque j'habite votre sein virginal. Et avant que de naître je veux que vous abattiez et confondiez les démons par ma vertu divine : car ils sont persuadés que la rédemption des hommes s'approche, et ils aspirent, avant qu'elle arrive, à les exterminer tous et à séduire les âmes qui sont dans le monde, sans en excepter aucune. Je confie cette victoire à votre fidélité et à votre amour. Vous combattrez en mon nom, et moi en vous contre ce dragon et cet ancien serpent (1). »

337. Cet avis du Seigneur, et la connaissance de mystères si cachés, firent naître de tels sentiments dans le coeur de la divine Mère, que je ne trouve point de termes pour déclarer ce que j'en sais. Notre très-zélée Reine, sachant que c'était la volonté de son très-saint. Fils qu'elle défendît l'honneur du Très-Haut , s'enflamma si fort dans son divin amour, et se revêtit d'une force si invincible, que si chaque démon eût été un enfer tout entier rempli de la fureur et de la malice de tous les autres, ils n'eussent tous été ensemble que de faibles, que d'imperceptibles fourmis, pour s'opposer à la puissance incomparable

 

(1) Apoc., XII, 9.

 

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de notre protectrice; elle les eût tous anéantis et vaincus par la moindre de ses vertus et par le zèle de la gloire et de l'honneur du Seigneur. Ce divin Défenseur et Rédempteur des hommes destina ce glorieux triomphe sur l'enfer à sa divine Mère; il voulut que ce fût elle qui réprimât l'arrogance superbe de ses ennemis, si impatients de perdre le monde avant que son salut lui vint; et que tous les mortels se reconnussent obligés, non-seulement à l'amour si inestimable de son très-saint Fils, mais aussi à leur divine Protectrice et Réparatrice, qui, allant au-devant de notre ennemi commun, l'arrêta, le vainquit et l'abattit, pour que le genre humain ne fût plus incapable et comme dans l'impossibilité de recevoir son Rédempteur.

333. O enfants des hommes, d'un coeur tardif et pesant ! Comment n'apprécions-nous pas tant d'admirables bienfaits, Seigneur? Qu'est-ce que l'homme, pour mériter que vous l'estimiez et que vous le favorisiez de la sorte (1) ? Vous engagez votre propre Mère et notre Maîtresse au combat et au travail pour notre défense. Qui a jamais ouï un tel exemple? Qui a pu trouver le secret d'un amour aussi fort et aussi ingénieux? Où est notre jugement? Quelle dureté est la nôtre? Qui a introduit dans nous une si noire ingratitude? Comment les hommes, si éperdument épris de l'honneur, ne rougissent-ils pas de. honte lorsqu'ils se rendent coupables d'une ingratitude aussi indigne,

 

(1) Ps., I, 5.

 

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aussi infâme, que d'oublier un pareil bienfait ? Le reconnaître, le paver de leur propre vie, voilà en quoi les mortels enfants d'Adam devraient faire consister la véritable noblesse, le véritable honneur.

339. La très-obéissante Mère s'offrit de combattre contre Lucifer, pour la gloire de son très-saint Fils, de son Dieu et le nôtre. Et, répondant à ce qu'il lui commandait, elle lui dit ; « Mon Seigneur et mon souverain bien, dont la bonté infinie m'a donné l'être, la grâce et la lumière, que je confesse d'avoir reçue, je suis, Seigneur, entièrement à vous, et vous êtes, par cette même bonté, mon Fils; faites de votre servante tout ce qui sera de a votre plus grande gloire et de votre boit plaisir;   que si vous êtes, Seigneur, en moi, et moi en  vous , qui sera assez puissant pour résister à votre volonté? Je serai l'instrument de votre bras invincible; fortifiez-moi , venez avec moi , et allons combattre contre l'enfer, contre le dragon et contre  tous ses alliés. » Pendant que notre divine Reine faisait cette prière, Lucifer sortit de ses conciliabules avec un tel orgueil et une telle haine contre elle, qu'il semblait ne plus faire cas des autres âmes, dont il ne respire que la perte. Ft si nous pouvions nous faire une juste idée de cette fureur infernale, nous concevrions facilement ce que Dieu dit à Job de cet esprit rebelle, qu'il méprisait le fer comme la paille, et l'airain comme un bois pourri (1). Telle était la

 

(1) Job., XLI, 18.

 

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colère de ce dragon contre la très-sainte Vierge. Et comparativement elle n'est pas moindre maintenant contre les âmes, si nous y mettons quelque espèce de modification; car si son orgueil fait autant de mépris de la plus sainte et de la plus forte que d'une feuille sèche (1), que fera-t-il des pécheurs qui ne lui résistent non plus que de faibles roseaux ? La foi animée des bonnes oeuvres et l'humilité de coeur nous serviront de doubles armes pour le vaincre glorieusement (2).

342. Lucifer, voulant commencer de donner la bataille, assembla près de lui, avec leurs principaux chefs, les sept légions (3) qu'il destina, lors de sa chute du ciel, à tenter les hommes sur les sept péchés capitaux. Et il recommanda à chacun de ces escadrons d'attaquer vigoureusement notre innocente Princesse et d'employer contre elle leur plus grande adresse. En ce moment l'invincible Reine vaquait à l'oraison, et, le Seigneur le permettant, la première légion s'avança pour la tenter d'orgueil : car c'était le principal ministère de ses ennemis. Pour exciter les passions ou les inclinations naturelles par l'altération des humeurs du corps (c'est leur manière ordinaire de tenter les âmes), ils tâchèrent de s'approcher de notre divine Maîtresse, supposant qu'elle ressemblait aux autres créatures, sujettes, à cause de la faute originelle, aux passions désordonnées; mais ils ne purent l'aborder comme ils auraient voulu,

 

(1) Job., XLI, 20. — (2) Ephes., VI, 16. — (3) Apoc., XII, 3.

 

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parce qu'ils étaient repoussés par une force irrésistible et une odeur de sainteté qui les tourmentaient beaucoup plus que le feu qu'ils enduraient. Et bien qu'il en fût ainsi, bien que le seul aspect de la très-humble Marie les pénétrât d'une cuisante douleur, la rage qui les transportait contre elle était si violente, si excessive, qu'ils ne comptaient pour rien ce tourment, et ils s acharnaient à l'envi à s'en approcher davantage, brûlant de la troubler et de l'offenser.

341. Le nombre des démons était considérable, et la très-sainte Vierge n'était qu'une seule et simple femme; mais elle seule leur était aussi formidable et aussi terrible que plusieurs armées rangées en ordre de bataille (1). Ces ennemis l'attaquaient avec autant de violence que de malice (2). Mais notre auguste Princesse, voulant nous enseigner à vaincre, ne se donna point la peine de bouger; elle n'éprouva aucune altération, aucun changement, ni dans ses traits, ni dans son teint. Elle n'en fit non plus de cas que s'ils eussent été de petites fourmis, et elle les méprisa avec un coeur magnanime et invincible : car comme cette guerre se fait avec les vertus, il faut en exclure tout bruit, toute agitation extérieure, tout excès quelconque; il faut n'y apporter que sérénité, calme, paix au dedans, modestie au dehors. Ils ne parvinrent pag non plus à exciter ses passions ou ses appétits, parce que le pouvoir du démon ne s'étendait point jusque-là en notre Reine, qui était entièrement soumise

 

(1) Cant., VI, 3. — (2) Ps. CXVIII, 85.

 

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à la raison, et cette même raison à Dieu : le coup fatal du premier péché n'avait point dérangé l'harmonie de ses facultés, ni troublé leur accord , comme dans les autres enfants d'Adam. C'est pour cela que les flèches de ces ennemis étaient, ainsi que dit David , comme les flèches lancées par de petits enfants (1), et que leurs efforts ressemblaient au tir d'armes non chargées : toute leur force tournait contre eux-mêmes, parce qu'elle ne servait qu'à leur faire sentir plus vivement une infériorité qui les tourmentait. Et quoiqu'ils ignorassent l'innocence et la justice originelle de la très-chaste Marie, et due par conséquent ils ne s'aperçussent point qu'elle était inaccessible aux tentations communes, ils ne laissaient pas de conclure du caractère de grandeur et de constance empreint sur sa physionomie , qu'elle les méprisait et qu'ils lui nuisaient fort peu , ou, pour mieux dire, point du tout; car, ainsi que le dit l'évangéliste dans l'Apocalypse, et que je l'ai marqué. dans la première partie, la terre aida la femme revêtue du Soleil, lorsque le dragon lança contre elle les eaux impétueuses des tentations(2), parce que le corps terrestre de notre Dame n'était point vicié en ses facultés ni en ses sensations, comme les autres, qui ont été atteints par le péché.

342. Ces démons prirent des figures corporelles, terribles et épouvantables, et y joignant des hurlements, des cris et des rugissements effroyables, ils

 

(1) Ps. LXIII, 8. — (2) Apoc., XII, 16.

 

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faisaient entendre des bruits sinistres et menaçants, ils ébranlaient le sol ou la maison , comme si elle avait dit s'écrouler, et se livraient à d'autres extravagances semblables, pour troubler, épouvanter ou émouvoir la Princesse de l'univers; car ils se seraient crus victorieux s'ils eussent seulement remporté quelqu'un de ces avantages sur elle, ou s'ils l'eussent distraite de l'oraison. Mais aucun trouble, aucune altération, aucun changement ne se ;produisit dans le grand coeur de l'invincible Marie. Il faut remarquer ici que dans ce combat le Seigneur laissa sa très-sainte Mère dans l'état commun de la foi et des vertus qu'elle avait, lui suspendant l'influence des antres faveurs qu'elle recevait continuellement hors de ces occasions. Le Très-Haut le voulut ainsi, afin que le triomphe de sa Mère fût plus glorieux et plus excellent, outre plusieurs antres raisons que Dieu a dans cette manière de conduire les âmes : car dans cette conduite ses jugements sont impénétrables. Notre grande Reine disait quelquefois ; « Qui est semblable au Seigneur  notre Dieu, qui habite les lieux les plus élevés, qui  regarde les humbles dans le ciel et sur la terre (1)? j, Et par ces paroles elle abattait ces épées tranchantes des deux côtés qui la menaçaient.

343. Ces loups affamés changèrent leur peau' et prirent celle de brebis, laissant les figures épouvantables, et se transformant en anges de lumière tout resplendissants de beauté. Étant en la présence de

 

(1) Rom., XI, 33; Ps. CXII, 5.

 

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notre divine Dame, ils lui dirent: «Vous avez vaincu, vous avez vaincu, vous êtes forte, nous venons vous assister et récompenser votre invincible valeur; » et après lui avoir débité ces flatteries trompeuses, ils l'environnèrent et s'offrirent de la servir. Mais la très-prudente Reine recueillit tous ses sens , et s'élevant au-dessus d'elle-même (1), elle adora par le moyen des vertus infuses le Seigneur en esprit et en vérité (2) ; et méprisant les piéges de ces langues iniques et éloquentes en mensonges (3), elle s'adressa en ces termes à son très-saint Fils : « Mon Seigneur, mon Maître , ma force et véritable lumière de la lumière inaccessible , toute ma confiance n'est qu'en votre protection , et qu'en l'exaltation de votre saint Nom. J'anathématise et je déteste tous ceux qui en veulent ternir la gloire. » Ces artisans du mal s'obstinèrent à tenir des discours fabuleux à la Maîtresse de la science, et à élever par leurs fausses louanges au-dessus des étoiles Celle qui s'humiliait au- dessous des plus basses créatures; ils lui dirent qu'ils la voulaient distinguer entre toutes les femmes, et qu'ils prétendaient lui faire une faveur singulière, qui était de la choisir au nom du Seigneur pour Mère du Messie, afin que sa sainteté surpassât celle des patriarches et des prophètes.

344. Lucifer fut auteur d'une entreprise si extravagante, mais sa malice y est découverte, afin que les autres âmes la connaissent. C'était une chose bien

 

(1) Thren., III, 28. — (2) Joan., IV, 23. — (3) Eccles., LI, 3.

 

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ridicule que d'offrir à la Reine du ciel un titre qui lui appartenait déjà, et ils furent eux-mêmes trompés et abusés, non-seulement en ce qu'ils offraient ce qu'il leur était impossible de donner, mais en ce qu'ils ignoraient les secrets du grand Roi , renfermés en cette bienheureuse femme qu'ils persécutaient. La méchanceté du dragon fut pourtant fort grande, car il savait qu'il ne pouvait pas effectuer ce qu'il promettait ; mais il voulut voir si dans le cas où notre divine Dame eût été destinée à devenir la mère du Messie, elle montrerait d'une manière quelconque qu'elle le sût. La prudence de la très-sainte Vierge découvrit la fourberie de Lucifer ; et la méprisant , elle se tint dans une réserve sévère, et dans une constance admirable. Tout ce qu'elle fit parmi ces trompeuses flatteries, fut de continuer son oraison, et prosternée en terre d'adorer le Seigneur ; en le glorifiant, elle s'humiliait elle-même, et se croyait la plus méprisable de toutes les créatures, plus vile même que la poussière qu'elle foulait aux pieds. Pendant tout le temps que cette tentation dura, elle abattit l'orgueil de Lucifer par sa prière et par son humilité. Je n'ai pas cru devoir m'étendre davantage sur les autres cruautés et sur les autres mensonges que leur sagacité inspira aux démons dans cette rencontre, parce que ce que j'en ai dit suffit pour notre instruction, outre que l'on ne doit pas exposer toutes choses à l'ignorance ni à la faiblesse des créatures terrestres.

345. Ces ennemis de la première légion ayant été dissipés et vaincus , ceux de la seconde se présentèrent

 

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pour tenter d'avarice celle qui était la plus pauvre du monde. Ils lui offrirent de grandes richesses, de l'or, de l'argent et des pierres précieuses. Et afin que leurs promesses ne parussent en l'air, ils lui présentèrent plusieurs trésors, quoiqu'ils ne fussent qu'apparents, dans la pensée que les objets présents et délectables avaient une grande force pour émouvoir la volonté. Ils étayèrent leur imposture de beaucoup de raisonnements perfides, et lui dirent que Dieu lui envoyait tout cela afin qu'elle le distribuât aux pauvres. Et comme elle ne voulait rien recevoir, ils changèrent de tactique, et lui alléguèrent que c'était une chose injuste qu'elle fuît si pauvre, puisqu'elle était si sainte, qu'il était bien plus raisonnable qu'elle fût maîtresse de ces richesses que tant de pécheurs et ennemis de Dieu, et que ce serait une injustice et un désordre de la providence du Seigneur, de tenir les justes dans la pauvreté, et les méchants dans l'abondance de toute sorte de bien.

346. C'est en vain, dit le Sage, qu'on jette le filet devant les yeux de ceux qui ont des ailes (1). Cela était vrai dans toutes les tentations que les démons inventèrent contre notre auguste Princesse; mais en celle de l'avarice, la malice du serpent était beaucoup plus insensée, puisqu'il tendait ses filets en des choses si terrestres et si viles contre celle qui était le phénix de la pauvreté, et qui, si loin de la terre, avait élevé son vol au-dessus des séraphins eux-mêmes. Jamais la

 

(1) Prov., I, 17.

 

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très-prudente Dame, quoique remplie d'une sagesse divine, ne se mit à raisonner avec ces ennemis; et c'est ce que personne ne doit faire non plus, puisqu'ils combattent contre la vérité évidente, à laquelle ils ne se rendront pas, bien qu'ils la connaissent. C'est pour cette raison que la sainte Vierge se prévalut de quelques paroles, de l'Ecriture, prononçant avec une humilité sévère celles du psaume CXVII Haereditate acquisivi testimonia tua in aeternum (1) « J'ai acquis, Seigneur, les témoignages de votre loi, pour être éternellement mon héritage. » Elle en joignit d'autres à celles-là, louant et bénissant le Très-Haut avec de vives actions de grâces de ce qu'il l'avait créée et conservée, et de ce qu'il l'assistait malgré son indignité. Et par cette conduite pleine de sagesse, elle vainquit et dissipa la seconde tentation, jetant dans une nouvelle confusion et dans de plus grands tourments tous ces ouvriers d'iniquité.

347. La troisième légion se présenta avec le prince impur qui s'attaque à la faiblesse de la chair; ils redoublèrent ici d'efforts, parce qu'ils y trouvèrent plus d'impossibilité à rien faire de ce qu'ils désiraient. Ainsi, ils y réussirent moins, si toutefois il peut, dans un cas, être question de moins par rapport aux autres. Ils essayèrent de la troubler par des suggestions honteuses et par des images abominables et monstrueuses. Mais tout cela se réduisit. en fumée, parce que la très-pure Vierge, reconnaissant la

 

(1) Ps. CXVIII, 111.

 

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nature de cette tentation, se recueillit aussitôt dans son intérieur, et suspendit l'usage de ses sens et toutes leurs opérations; de sorte qu'elle ne put être frappée par aucune de ces images : aucune de leurs espèces n'entra même dans sa pensée, car elle leur avait rendu toutes ses facultés inaccessibles. Elle renouvela plusieurs fois avec une volonté fervente le voeu de chasteté en la présence intérieure du Seigneur; et elle mérita plus dans cette occasion que toutes les vierges qui ont été et qui seront dans le monde. Le Tout-Puissant lui donna en cette matière une vertu telle, que la poudre allumée dans un canon ne pousse pas -la balle placée devant elle avec autant de force et de vitesse, que la très-pure Marie chassait les ennemis quand ils voulaient l'insulter par une tentation de ce genre.

348. La quatrième légion s'employa contre la douceur et la patience, tâchant d'irriter la très-douce colombe. Cette tentation fut plus incommode que les autres, parce que les ennemis bouleversèrent toute la maison. Ils rompirent et brisèrent tout ce qui s'y trouvait dans les circonstances et de la manière qu'ils croyaient les plus propres à fâcher la plus bénigne des créatures; mais les saints anges réparèrent aussitôt tout ce dommage. Les démons vaincus dans cette première attaque, prirent les figures de quelques femmes connues de la sérénissime Princesse, et. ils l'abordèrent ensuite avec, bien plus d'insolence et de fureur qu'elles n'eussent pu le faire elles-mêmes; ils lui dirent des injures atroces, et poussèrent

 

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l'impudence jusqu'à la menacer et lui prendre des choses qui lui étaient les plus nécessaires. Mais toutes ces machinations n'étaient que frivoles pour qui en connaissait les auteurs, comme la pacifique Marie; car ils ne firent point un geste, point un acte dont elle ne- pénétrât la malice. Cela ne l'empêchait pas d'en faire entièrement abstraction sans trouble, sans émotion, mais avec une majesté de Reine qui se riait de tous ces efforts. 'Les malins esprits se doutèrent qu'ils étaient reconnus , et par suite ainsi méprisés. Ils .se servirent d'un autre instrument, qui fut une véritable femme d'un naturel propre à leur dessein: Ils l'excitèrent contre la Princesse du ciel avec un artifice diabolique, car un démon prit la forme d'une dé ses amies, et lui dit que Marie, femme de Joseph, l'avait déshonorée en son absence, disant d'elle plusieurs indignités que le même démon inventa.

349. Cette femme trompée, qui se mettait d'ail .leurs fort facilement en colère, alla trouver, remplie de fureur, notre très-douce brebis, la très-pure Marie, et lui dit en face toutes les injures que l'on peut imaginer. Mais notre paisible Reine lui laissant peu à peu épancher toute sa bile, lui parla ensuite avec tant d'humilité et de douceur, qu'elle la changea entièrement et lui attendrit le coeur. Et la voyant dans une assiette plus raisonnable, elle la consola, l'apaisa et l'avertit de se garder du démon; et après lui avoir fait quelque aumône, parce qu'elle était pauvre, elle la congédia en paix, de façon que ce piège se rompit, comme plusieurs autres que l'auteur du mensonge,

 

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Lucifer, avait tendus , non-seulement pour irriter la très-douce colombe, mais aussi pour la déshonorer en même temps. Mais le Très-Haut pourvut à la défense de l'honneur de sa très-sainte bière au moyen de sa propre perfection , de son humilité et de sa prudence , en telle sorte que le démon ne parvint jamais à entamer d'aucun côté sa réputation, parce qu'elle agissait envers tous avec tant de sagesse , de douceur et do circonspection , que toutes les machines que le dragon dressait contre elle se détruisaient d'elles-mêmes sans produire aucun effet. La fermeté, la modération et la tranquillité que notre auguste Reine conserva dans ces sortes de tentations, firent l'admiration des anges; les. démons eux-mêmes étaient émerveillés ( quoique d'une manière fort différente ) de voir une créature humaine, et une femme, tenir une pareille conduite, car ils n'en avaient jamais trouvé aucune qui lui fût semblable.

350. La cinquième légion entra avec la tentation de la gourmandise , et bien que l'ancien serpent ne dit point à notre Reine de changer les pierres en pain, comme il le dit depuis à son très-saint Fils (1), parce qu'il ne lui avait pas vu faire d'aussi grands miracles, à cause qu'ils lui avaient été cachés, il la tenta néanmoins de gourmandise comme la première femme (2). Tous les démons de cette légion lui présentèrent les mets les plus délicats, dont le seul aspect aurait pu allécher et exciter son appétit; ils tâchèrent de lui

 

(1) Matth., IV, 3. — (2) Gen., III, 1.

 

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altérer les humeurs naturelles, afin qu'elle ressentit une sorte de fausse faim , et ils eurent recours à mille ruses pour l'engager à regarder avec quelque attention ce qu'ils lui offraient. Mais tous leurs soins furent vains et sans aucun effet , parce que le grand coeur de notre divine maîtresse était aussi élevé au-dessus de tous ces objets si matériels et si terrestres, que le ciel l'est au-dessus de la terre; et elle tint ses sens dans une telle retenue, qu'elle ne les aperçut presque point, car ses manières étaient entièrement opposées à celles de notre imprudente mère Eve, qui, sans se méfier du danger, arrêta ses regards sur l'arbre de la science et sur la séduisante beauté de son fruit, puis tendit la main et en mangea, ouvrant ainsi la source de tous nos malheurs (1). C'est ce que la très-prudent. Vierge ne fit point, puisqu'elle interdit tous ses sens dans une occasion où elle ne courait pourtant point lé même péril que la première femme; aussi celle-ci fut-elle vaincue pour notre perte, taudis que notre grande Reine fut victorieuse pour notre salut et notre rédemption.

351. La sixième légion arriva avec les tentations de l'envie, découragée d'avance par la défaite des légions qui l'avaient précédée; car si elles ne connaissaient pas toute la perfection avec laquelle opérait la Mère de la sainteté, elles n'en sentaient pas moins sa force irrésistible, et elles la trouvaient si inébranlable, qu'elles désespéraient de réussir auprès d'elle

 

(1) Gen., III, 6.

 

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dans aucun de leurs desseins dépravés. Cependant la haine implacable du dragon ne se rebutait pas plus que son orgueil démesuré ne fléchissait ; au contraire, il ordonna à ses ministres d'iniquité de dresser de nouvelles machines pour pousser celle qui était toute embrasée de charité. envers le Seigneur et envers le prochain, à envier aux autres ce qu'elle-même possédait, ou ce qu'elle rejetait comme inutile et dangereux. Ils lui firent une longue relation de plusieurs perfections naturelles que d'autres personnes avaient, lui disant que Dieu ne lui avait pas départi les mêmes biens, Et comme si les dons surnaturels devaient plus sûrement la piquer d'émulation, ils lui parlèrent de faveurs insignes, que la droite du Tout-Puissant avait faites à d'autres, et non point à elle. Mais comment était-il possible que ces récits menteurs fissent chanceler Celle qui était la Mère de toutes les grâces et de tous les dons du ciel? Car tout ce que les créatures ensemble pouvaient avoir reçu du Seigneur, était fort au-dessous de la dignité de Mère de l'auteur de la grâce, et celle que sa divine Majesté lui avait départie, aussi bien que le feu de la charité qui brûlait continuellement dans son coeur, lui faisaient souhaiter avec des ardeurs incroyables que la droite du Très-Haut les enrichit et les favorisât avec munificence. Or comment l'envie aurait-elle pu trouver sa place là où abondait la charité (1)? Les cruels ennemis ne se désistaient pourtant pas de leur entreprise. Ils

 

(1) I Cor., XIII, 4.

 

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représentèrent ensuite à notre divine Reine le bonheur apparent de plusieurs qui s'estimaient fort heureux en cette vie, et qui se distinguaient dans le monde par leurs grandes richesses. Et ils suscitèrent en mime temps diverses personnes qui allèrent voir la pauvre Vierge Marie et lui dépeignirent les jouissances que leur procuraient l'opulence et la fortune : comme si cette félicité trompeuse des mortels n'eût point été condamnée très-souvent dans les divines Écritures (1); et c'était la haute doctrine que la Reine du ciel et son très-saint Fils venaient enseigner, au monde parleurs exemples (2).

352. Notre divine Maîtresse exhortait ces mêmes personnes à user saintement des dons et des richesses temporelles, et à en rendre grâces à Celui qui en était l'auteur, et c'est ce qu'elle-même faisait pour suppléer à l'ingratitude ordinaire des hommes. Et quoique la très-humble Dame se crût indigne du moindre bienfait du Très-Haut, en réalité sa dignité suprême et sa très-haute sainteté protestaient en elle du contraire, puisque c'était eu. son nom que lés sacrées Écritures avaient dit: Les richesses et la gloire sont avec moi, la magnificence et la justice; car les fruits que je porte sont plus estimables que l'or et les pierres précieuses (3). En moi repose toute la grâce de la voie et de la vérité; en moi se trouve toute l'espérance de la vie et de la vertu (4). Par cette excellence et cette supériorité,

 

 

(1) Ps. XLVIII; Eccles., V, 9; Jerem., XVII, 11 — (2) Matth., XIX, 24; I Tim., VI, 9, et alibi. — (3) Prov., VIII, 18 et 19. — (4) Eccles., XXXIV, 25.

 

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elle vainquait les ennemis, les laissant comme étonnés et confus de voir que là où ils déployaient toutes leurs forces et toutes leurs ruses, ils n'aboutissaient qu'à une plus honteuse et plus complète défaite.

353. Ils s'obstinèrent néanmoins dans leurs attaques, puisqu'ils firent avancer la septième légion , celle de la paresse ; ils prétendaient l'introduire en l'auguste Marie en tâchant de lui faire éprouver quelques infirmités corporelles, une certaine lassitude, ou langueur, ou tristesse. C'est là une de leurs ruses les moins connues, par le succès de laquelle le péché de paresse fait de grands ravages en beaucoup d'âmes, et les empêche d'avancer dans la vertu. Ils firent encore d'autres tentatives pour tâcher de lui persuader qu'étant fatiguée, elle pouvait bien différer quelques exercices, jusqu'à ce qu'elle se trouvât mieux disposée; ce qui n'est pas une moindre fourberie que quand ils nous trompent en des choses plus considérables; et nous n'y prenons pas assez garde, car souvent nous ne nous en apercevons même pas. Enfin ils cherchèrent à troubler notre très-sainte Dame dans quelques-uns de ses exercices, par l'entremise de créatures humaines, auxquelles ils suggérèrent la pensée de l'aller voir à contre-temps, afin qu'elles la détournassent de ses saintes occupations, n'y en ayant pas une qui n'eût son heure réglée. Mais la très-prudente et très-diligente Princesse connaissait toutes ces malicieuses inventions, et les détruisait par sa sagesse et par sa ponctualité, sans que l'ennemi. pût jamais

 

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empêcher qu'elle n'opérât en tout avec toute la plénitude de la perfection. Ces ennemis restèrent comme désespérés et épuisés , et Lucifer fut saisi d'un accès de rage contre ses satellites et contre lui-même. Mais, puisant bientôt une nouvelle fureur dans leur orgueil, ils résolurent d'attaquer tous ensemble leur adversaire, comme je le dirai dans le chapitre qui suit.

 
Instruction que la Reine de l'univers me donna.

 

354. Ma fille, quoique vous ayez réduit en abrégé le récit du long combat de mes tentations; je veux que vous tiriez de ce que vous en avez écrit, aussi bien que du reste que vous avez connu en Dieu, les règles et les instructions pour résister à l'enfer et pour en triompher. La meilleure manière de le combattre, c'est de mépriser le démon en le considérant comme ennemi de Dieu, privé de la sainte crainte de ses enfants, sans espérance d'aucun bien, abandonné dans son malheur, obstiné dans sa méchanceté et incapable de s'en repentir. Appuyée sur cette vérité infaillible, vous devez paraître contre lui avec un air de supériorité et avec un coeur magnanime et. inébranlable, le traitant en contempteur de l'honneur et du culte de son Dieu. Et sachant que vous défendez une cause si

 

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juste, vous ne devez pas perdre courage (1) au contraire, vous devez lutter sans cesse et opposer à toutes ses entreprises la résistance la plus énergique, comme si vous étiez à côté du même Seigneur pour le nom duquel vous combattez; puisqu'il est sûr que sa divine Majesté assiste ceux qui combattent fidèlement. Vous êtes dans un état d'espérance et prédestinée à la gloire éternelle, si vous travaillez avec persévérance pour votre divin Maître.

355. Or, considérez que les démons abhorrent d'une haine implacable ce que vous aimez et ce que vous désirez, c'est-à-dire l'honneur de Dieu et votre félicité éternelle, et qu'ils veulent vous priver de ce qu'ils ne peuvent recouvrer. Mais Dieu a réprouvé le démon, et il vous offre sa grâce, sa vertu et sa force pour vaincre son ennemi et le vôtre, et pour parvenir à votre heureuse fin du repos éternel, si vous travaillez avec fidélité et si vous observez les commandements du Seigneur. Quoique l'arrogance du dragon soit grande, sa faiblesse est encore plus grande (2) ; ce n'est qu'un misérable atome aux yeux de la puissance divine. Mais comme il surpasse tant les mortels en ruses et en malice (3), il ne faut pas qu'une âme s'amuse à raisonner avec lui, soit qu'il se rende visible, soit qu'il agisse d'une manière invisible; car il sort du sombre fonds de son entendement, comme d'une fournaise allumée , de confuses ténèbres qui obscurcissent le jugement des mortels; et s'ils

 

(1) Eccles., IV, 33. — (2) Isa., XVI, 6. — (3) Job., XLI, 24.

 

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l’écoutent, il les remplit de:, faussetés;et de . troubles, afin qu'ils ne connaissent ni la vérité, ni la beauté de la vertu ; ni la perfidie de ses douceurs empoisonnées. Et alors les âmes ne savent distinguer le précieux .d'avec le méprisable (1), la vie de la mort, ni la vérité du mensonge; de sorte qu'elles tombent sous le, pouvoir de cet impie et cruel dragon,.

356. Faites-vous une règle, inviolable,de ne point faire de cas de ce qu'il vous propose dans les tentations, de ne pas l'écouter et de ne point approfondir la chose. Et si vous pouvez vous en débarrasser et vous en éloigner de telle sorte que vous ne l'aperceviez plus, que vous oubliiez sa mauvaise intention, ou que vous ne regardiez plus les tentations que de bien loin, ce vous sera le plus assuré; car le démon prend toujours quelques mesures préparatoires, avant d'envoyer la tentation, surtout à l'égard des âmes dont il prévoit la résistance, s'il ne s'en facilite l'entrée auparavant. Ainsi il a coutume de commencer l'attaque par la tristesse, par l'abattement de coeur ou par quelque mouvement violent, afin de les distraire de la pensée et de l'affection du Seigneur; et ensuite il leur présente le poison dans une coupe d'or, afin qu'il ne leur cause pas tant d'horreur. A l'instant que vous reconnaîtrez en vous quelqu'une de ces marques (puisque vous avez déjà l'expérience, l'obéissance et les instructions nécessaires), Je veux que vous preniez votre essor avec des ailes de colombe, et que vous

 

(1) Jerem., IV, 19.

 

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vous éloigniez de l'ennemi jusqu'à ce que vous soyez arrivée dans le refuge du Très-Haut (1), le priant de vous être favorable , et lui offrant les mérites de mon très-saint Fils. Vous devez également recourir à ma Protection, comme à votre Mère et Maîtresse, et à celle des anges qui vous assistent, aussi bien que de tous les autres du Seigneur. En outre, fermez tous vos sens avec beaucoup de diligence; regardez-vous comme morte ou comme une âme de l'autre vie, sur laquelle le pouvoir tyrannique du serpent ne s'étend point. Appliquez-vous alors avec plus de zèle aux exercices des actes des vertus contraires aux vices qu'il vous propose; multipliez surtout les actes de foi, d'espérance et d'amour divin, pour bannir la lâcheté et la crainte par lesquelles la volonté s'affaiblit et mollit dans sa résistance (2).

357. Il faut que vous cherchiez en Dieu seul les raisons pour vaincre Lucifer; et vous ne devez point les communiquer à cet ennemi, de peur qu'il ne vous remplisse de confuses illusions. Regardez comme une chose indigne (outre qu'elle est dangereuse) de vous arrêter avec l'ennemi de Celui que vous aimez aussi bien que le vôtre. 1llontrez-vous magnanime et supérieure à lui; protestez de vouloir toujours pratiquer toutes les vertus. Et, contente de ce trésor, vous devez vous y retirer comme dans un asile assuré; car la plus grande adresse des enfants de Dieu dans ce combat est de fuir bien loin, parce que le démon, rempli

 

(1) Ps. LIV, 6 et 7. — (2) I Joan., IV, 18

 

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d'orgueil, se confiant en son audace et en ses ruses, souhaite qu'on l'écoute, et se rebute quand on le méprise. De là vient l'acharnement avec lequel il travaille à se ménager au moins une entrevue quelconque : car le menteur ne peut pas se confier en la force de la vérité, puisqu'il tic la dit jamais; ainsi il compte sur ses importunités, et sur l'art avec lequel il déguise ses tromperies sous les apparences du bien et de la vérité. Et tant que ce ministre d'iniquité tic voit point qu'on le méprise, il ne peut jamais croire qu'on l'ait reconnu; c'est pourquoi il se tourne, comme une mouche importune, du côté qu'il voit le plus proche de la corruption.

358. Vous ne devez pas être moins sur vos gardes quand votre ennemi se servira des autres créatures contre vous; ce qu'il peut faire par deux différentes voies, en les portant soit il un amour désordonné, soit au contraire à une haine excessive. Lorsque vous remarquerez une affection trop vive en ceux qui vous fréquenteront, observez les mêmes maximes qu'en fuyant le démon, avec cette différence que vous détesterez cet esprit de ténèbres, que vous considèrerez les autres créatures comme les ouvrages du Seigneur et que vous ne leur refuserez point ce que vous leur devez eu Dieu et pour Dieu. Mais eu ce qui concernera leur fuite, regardez-les tous comme des ennemis; car pour ce que Dieu demande de vous et dans l'état où vous êtes, celui qui voudra par lui-même ou par autrui vous éloigner du Seigneur et de ce que vous lui devez sera un démon. Que si, par une autre extrémité, on

 

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vous haît, on vous persécute, opposez aux mauvais procédés et aux mauvais traitements l'amour et la mansuétude, priant pour ceux qui vous baissent et vous persécutent; et que ce soit avec une affection sincère de votre coeur. Et s'il était nécessaire de calmer quelque personne irritée par des paroles douces ou par quelque éclaircissement en faveur de la vérité, vous ne manquerez pas de le faire; non pas pour vous disculper, mais seulement afin d'apaiser vos frères, pour leur propre bien et pour leur paix intérieure et extérieure : et par cette charitable conduite vous triompherez tout à la fois et de vous-même et de ceux qui vous en veulent. Pour établir tout cela, il faut couper, arracher jusqu'à la dernière racine les péchés capitaux , en mourant à tous lés mouvements, à tous les appétits de la nature, où germent les vices dont le démon se sert pour tenter les âmes; car il les sème tous dans les passions et dans les appétits désordonnés et immortifiés.

 
CHAPITRE XXVIII. Lucifer et les sept légions continuent à tenter la très-sainte Vierge. — La tête de ce dragon est vaincue et brisée.

 

359. Si le prince des ténèbres était capable de reculer dans sa malice, son orgueil démesuré aurait été

 

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rebuté et humilié par les victoires que la Reine du ciel avait remportées. Mais comme il se révolte toujours contre Dieu (1) sans pouvoir assouvir sa malice, quoique vaincu, il ne se rendit pas encore. Ce qui attisait le feu de son inextinguible fureur, c'était de se voir vaincu, et vaincu à ce point par une humble et faible femme, lorsque lui et ses ministres infernaux avaient soumis un si grand nombre d'hommes courageux et de femmes magnanimes. Cet ennemi parvint à connaître, Dieu le permettant ainsi, la grossesse de la très-pure Marie :  il sut seulement toutefois qu'elle portait un enfant véritable, la divinité et les autres mystères restant toujours cachés à ses ennemis; de sorte qu'ils se persuadèrent que ce n'était point le Messie promis, puisque c'était un enfant semblable aux autres hommes. Cette méprise les dissuada aussi que la très-sainte Vierge fût cette Mère du Verbe qu'ils craignaient tant, parce que le Fils et la Mère devaient leur écraser la tète. Néanmoins ils conjecturèrent que quelque grand personnage d'une sainteté insigne naîtrait d'une femme qui leur avait fait paraître tant de force, et qui avait remporté sur eux de tels avantages. Et prévoyant cela, le dragon conçut coutre le, fruit de l'auguste Marie cette fureur que dépeint saint Jean dans le chapitre douzième de l'Apocalypse, et dont j'ai fait mention dans la première partie, attendant qu'elle l'eût enfanté pour le dévorer.

360. Lucifer regardant cet enfant renfermé dans

 

(1) Ps. LXXIII, 23.

 

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le sein de sa très-sainte Mère, ressentait une force secrète qui l'accablait. Et bien qu'il comprit seulement qu'en sa présence il se trouvait réduit it l'impuissance et comme enchaîné, cela suffisait pour exciter sa fureur et lui inspirer le dessein de travailler par tous les moyens possibles à détruire cet enfant si suspect à ses yeux, et à perdre la mère, qu'il reconnaissait lui être si supérieure dans le combat. Il se fit voir à notre divine Dame sous diverses figures épouvantables, comme sous celle d'un méchant taureau et d'un dragon formidable; il prit encore d'autres formes pour s'approcher d'elle, mais il ne le pouvait pas. Il faisait tous ses efforts pour l'attaquer de près, et il en était empêché sana savoir par qui ni comment. Il se débattait comme une bête féroce qui se trouve enchaînée; et jetait des hurlements si effroyables, que si Dieu ne les eût étouffés, ils auraient. rempli le monde de terreur, et que beaucoup de gens seraient morts de frayeur. Il vomissait du feu mêlé avec une fumée de soufre et de l'écume venimeuse, et la divine Marie voyait et entendait tout cela sans pâtir, sans s'émouvoir plus que si elle n'eût vu qu'un petit moucheron. Il causa d'antres désordres en l'air, sur la terre et dans la maison par des tempêtes et des bouleversements,.sans que notre auguste Reine perdît la tranquillité intérieure ni la sérénité extérieure, car elle fut toujours invincible et victorieuse en tout.

361. Lucifer se voyant vaincu avec tant de confusion, ouvrit sa bouche pleine de mensonges et de blasphèmes, et versa tout ce qui lui restait de méchanceté,

 

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proposant et. énonçant, ci, présence de notre divine Princesse, toutes les hérésies infernales qu'il avait forgées avec l'aide de ses ministres d'iniquité. Car après qu'ils furent tous chassés du ciel et qu'ils eurent appris que le Verbe devait prendre chair humaine pour être le chef d'un peuple qti il comblerait de faveurs et enrichirait d'une doctrine céleste, le dragon résolut d'inventer des erreurs, des sectes et des hérésies contre toutes les vérités qu'il découvrirait quant à la connaissance, à l'amour et au culte du Très-Haut. Les démons s'occupèrent à cela pendant tout le temps qui s'écoula jusqu'à la venue de notre Seigneur Jésus-Christ; et Lucifer, l'antique serpent, avait amassé dans son sein tout ce venin qu'il vomit par flots contre la Mère de la vérité et de la pureté; et souhaitant de l'en infecter, il dit tontes les erreurs qu'il avait forgées jusqu'à ce jour contre Dieu et coutre sa vérité.

362. Il n’est pas convenable de les rapporter ici , non plus que les tentations. du chapitre précédent, parce que ces détails seraient dangereux non-seulement pour les faibles, mais pour les plus forts même , qui doivent craindre ce souffle empoisonné de Lucifer, qui jeta tout son venin dans cette occasion. Et je crois certainement, par ce qui m'en a été révélé, qu'il n'y eut aucune erreur, aucune idolâtrie, ni aucune hérésie de celles qui ont été reconnues jusqu'aujourd'hui dans le monde, que ce dragon ne soutint devant l’auguste Marie, afin que la sainte Église pût chanter d'elle avec toute vérité, en la félicitant de ses victoires,

 

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qu'elle seule dissipa et étouffa toutes les hérésies de l'univers (1). C'est ce que fit notre Sulamite victorieuse (2), car il n'y avait en elle que des bataillons de vertus, rangés en très-bel ordre pour défaire., confondre et anéantir les troupes infernales. Elle détruisit toutes leurs faussetés en général, aussi bien qu'en particulier, elle les détesta et les anathématisa avec une foi inébranlable et par une très-sublime confession, attestant les vérités contraires et s'en servant pour glorifier le Seigneur, comme vérace, juste et saint, par des cantiques de louanges qui exprimaient toutes les vertus et la doctrine saine, pure, sainte et louable. Elle demanda au Seigneur par une ardente prière d'humilier en cela l'insolence et l'orgueil des démons, d'empêcher qu'ils ne répandissent une doctrine si empoisonnée dans le monde, et de ne pas permettre le triomphe des erreurs qu'ils y avaient semées, et de celles qu'ils tâcheraient d'introduire à l'avenir parmi les hommes.

363. Je compris qu'à cause de cette grande victoire que remporta, et de la prière que fit notre divine Reine, le Très-Haut empêcha par justice le démon de semer dans le monde autant d'ivraie d.'erreurs qu'il souhaitait et que les,péchés des hommes méritaient. Et quoiqu'ils aient donné naissance à tant d'hérésies et de sectes qu'on y a vues jusqu’à ce jour, le nombre en eût néanmoins été bien plus grand, si l'invincible Marie n'eût brisé la tête du dragon par

 

(1) Offic. Eccl. B. Marias. — (2) Cant., VII, 1.

 

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tant d'insignes victoires et de ferventes prières. Et ce qui peut diminuer `l'amertume de notre douleur en voyant la sainte Église affligée par tant d'ennemis infidèles, est un grand mystère qui m'a été découvert ici. C'est que dans ce triomphe de l'auguste Marie, et dans un autre qu'elle remporta après l'ascension de son très-saint Fils, et dont je parlerai dans la troisième partie, sa divine Majesté accorda à notre Reine, en récompense de ces combats, d'obtenir par son intercession et par ses vertus la chute et l'extinction des hérésies et des fausses sectes. qui s'élèveraient dans le monde contre la sainte Église. Le temps que Dieu a marqué pour une si grande faveur ne m'a pas été découvert; mais bien que l'exécution de cette promesse du Seigneur soit soumise à quelque condition tacite ou secrète , je suis sûre que si les princes catholiques et leurs sujets servaient convenablement cette grande Reine du ciel et de la terre, s'ils l'invoquaient comme leur unique avocate et protectrice, et s'ils consacraient toute leur puissance, toutes leurs richesses, toutes leurs ressourcés et toute leur autorité à l'exaltation de la foi et à la gloire du nom de Dieu et de la très-pure Marie (ce qui pourrait bien être la condition de la promesse), sa divine Majesté en ferait comme ses instruments pour détruire et abattre les infidèles, et pour bannir les sectes et les erreurs qui causent tant de ravages dans le monde, et il est certain qu'ils remporteraient sur eux de grandes et éclatantes victoires.

364. Avant que notre Rédempteur Jésus-Christ

 

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naquit, le démon crut, comme je l'ai insinué dans le chapitre précédent, que sa venue était retardée par les péchés du monde; et pour l'empêcher tout à fait, il résolut de grossir cet obstacle en multipliant de plus en plus les erreurs et les désordres parmi les mortels; mais le Seigneur confondit cette orgueilleuse malice par le ministère de la très-pure Marie, au moyen des insignes triomphes qu'elle remporta. Après qu'il fut né Dieu et homme pour nous, et qu'il fut mort pour nous racheter, ce même dragon prétendit empocher le fruit de son sang et l'effet de notre rédemption , et dans ce but il commença d'inventer et de semer les erreurs qui ont affligé et qui affligent la sainte Église depuis les apôtres. Notre Seigneur Jésus-Christ a remis aussi à sa très-sainte Mère la victoire sur cette méchanceté infernale, parce qu'elle seule a mérité et put mériter cette puissance. C'est par elle que l'idolâtrie a été dissipée à la prédication de l'Évangile, par elle que plusieurs autres sectes anciennes ont été détruites, comme celles d'Arias, de Nestorius, de l'étage et de tant d'autres hérésiarques; c'est encore elle qui a secondé les efforts et les soins des rois, des princes , des pères et des docteurs de la suinte Église. Or comment peut-on douter que si à présent les mêmes princes catholiques, tant ecclésiastiques que séculiers, prenaient avec un zèle ardent les mesures en lotir pouvoir pour concourir pour ainsi dire à l'œuvre de cette divine Dame, elle ne fût toujours prote à les assister et à les rendre très-heureux eu cette vie et en l'autre, enfin qu'elle ne

 

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détruisit toutes les hérésies qui infestent le monde C'est pour cette raison que le Seigneur a tant enrichi son Église , les royaumes et les monarchies catholiques, car sans cela il vaudrait mieux qu'ils fussent dans la pauvreté. Il n'était pas aussi convenable que tout se fit par la voie des miracles; il fallait donc les laisser agir par les moyens naturels que leur ménageaient les richesses. Mais ce n'est pas à moi à juger s'ils s acquittent de cette obligation , ou s'ils y manquent. Je dois seulement dire ce que le Seigneur m'a fait connaître, me déclarant que ceux-là sont d'injustes possesseurs des titres honorables et du pouvoir suprême que l'Église leur donne, qui ne l'aident ni lie la défendent, et qui n'emploient pas toutes leurs forces et toutes leurs richesses pour empocher que le fruit du sang de notre Seigneur Jésus-Christ ne se perde, puisque c'est en cela que les princes chrétiens se distinguent des infidèles.

365. Reprenant mon discours, je dis que le Très-Haut connut par sa prescience infinie l'iniquité du dragon infernal, et prévit que s'il pouvait satisfaire sa haine contre l'Église en répandant toutes les erreurs qu’il avait inventées, il troublerait beaucoup de fidèles, et ferait tomber par sa malice les étoiles du ciel militant, qui sont les justes (1); de sorte que la divine justice serait toujours plus provoquée, et le fruit de la rédemption presque empoché. C'est pourquoi le Seigneur résolut, dans sou immense miséricorde, de

 

(1) Apoc., XII, 4.

 

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détourner ce fléau qui menaçait le monde. Et pour', disposer toutes choses avec plus d'équité et à la plus grande gloire de son saint nom , il voulut que l'auguste Marie lui fit violence; car elle seule entre toutes les pures créatures était digne des privilèges, des dons et des prérogatives nécessaires pour vaincre l'enfer, cette incomparable Dame étant seule capable d'une entreprise si difficile et de subjuguer le coeur de Dieu lui-même par sa sainteté, sa pureté, ses mérites et ses prières. Rien ne pouvait rehausser davantage l'éclat de la puissance divine, que de montrer pendant toute l'éternité que le Seigneur avait vaincu Lucifer et tous ses ministres par le moyen d'une simple créature et d'une femme, comme il avait lui-même perdu le genre humain par le moyen d'une autre; et aucune ne pouvait mieux remplir ce rôle glorieux que sa propre Mère, à qui il voulait que l'Église et le monde entier dussent faire remonter ce bienfait; c'est pour cette raison et pour plusieurs autres que nous connaîtrons en Dieu que sa divine Majesté confia le glaive de sa puissance à notre victorieuse Reine, afin qu'elle abattit le dragon infernal , avec la certitude que ce pouvoir ne serait jamais révoqué, et qu'elle s'en servirait au contraire, du haut du ciel pour défendre et protéger l'Église militante, selon les travaux et les besoins qui lui surviendraient dans les temps à venir.

366. Or Lucifer, persévérant dans son malheureux . dessein, sous une formevisible, comme je l'ai dit, avec ses légions infernales, la sérénissime Marie ne daigna jamais les regarder, ni en faire le moindre cas , quoi

 

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qu'elle les entendit, ainsi qu'il était convenable. Et comme l'on ne peut pas empêcher l'ouïe, ni se boucher les oreilles aussi bien que les yeux, elle faisait eu sorte qu'aucune espèce de ce qu'ils lui disaient n entrât dans son imagination ni dans son intérieur. Elle ne leur adressa parfois la parole que pour leur commander de cesser leurs blasphèmes. Et ce commandement était si efficace, qu’il les forçait de se mettre la bouche contre terre; et pendant qu'ils étaient dans cet abaissement, notre auguste Princesse chantait les louanges et célébrait la gloire du Très-Haut; seulement à l'entendre converser avec la Majesté suprême, et confesser hautement les vérités divines, ils étaient si abattus et si tourmentés , qu'ils se mordaient les uns les autres comme des chiens enragés, ou comme des loups carnassiers; car la moindre action de notre invincible Reine était une flèche enflammée, la moindre de ses paroles, un éclair qui les perçait d'une douleur plus cuisante que le feu même de l'enfer. Ce n'est pas une, exagération, puisque le dragon et ses satellites prétendirent fuir et s'éloigner de la présence de la sainte Vierge, qui les humiliait et les tourmentait; mais.le Seigneur les arrêtait par une force occulte, afin d'augmenter le glorieux triomphe de sa Mère et de son Épouse, et pour confondre d'autant plus et écraser l'orgueil de Lucifer. C'est pour. cela que sa divine Majesté permit et même ordonna que les démons s'humiliassent jusqu'à demander à notre incomparable Dame de les éloigner et de les chasser de sa présence, là où elle voudrait. Alors elle leur enjoignit

 

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impérieusement de retourner dans l'enfer, 05 ils demeurèrent quelque espace de temps. Et la grande triomphatrice resta tout absorbée dans les divines louanges et dans les actions de grâces.

367. Lorsque le Seigneur eut permis à Lucifer de se relever, cet ennemi de la paix retourna au combat, usant pour instruments de certains voisins de la maison de saint Joseph; et ayant semé une diabolique zizanie entre eux et leurs femmes sur quelques intéréts temporels, le démon prit la forme d'une commune amie, et leur dit qu'ils n'avaient pas sujet de se tourmenter de la sorte les uns contre les autres, parce que Marie, femme de Joseph , était cause de toute cette dispute. La femme que le démon représentait avait du crédit et de l'autorité, et c'est par là qu'il leur persuada mieux son imposture. Et bien que le Seigneur ne permit pas qu'on attaquât la réputation de sa très-sainte Mère en des choses considérables, néanmoins il consentit à ce que toutes ces personnes trompées exerçassant dans cette occasion sa patience, pour augmenter sa gloire et sa couronne. Elles allèrent de compagnie à la maison de saint Joseph, et ayant appelé la très-innocente Marie, elles lui dirent en présence de son époux des paroles pleines d'aigreur, l'accusant de les inquiéter et de troubler la paix de leurs familles. Ce reproche fut sensible à notre très-sainte Dame, à cause de la peine que saint Joseph en recevait; en outre, il avait déjà remarqué quelque chose de sa grossesse, et elle pénétrait son coeur et ses pensées, qui commençaient à lui donner quelque

 

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souci. Elle tâcha néanmoins, dans sa sagesse et sa prudence, de vaincre cette imposture par l'humilité, par la patience et par une foi ferme et inébranlable. Elle ne voulut point se disculper ni faire paraître son innocence; au contraire elle s'humilia, et pria ces voisines abusées de lui pardonner si elle les avait offensées en quelque chose, et de calmer leurs esprits; et par des paroles pleines de raison et de douceur elle les éclaira et les pacifia, en leur montrant qu'elles n'étaient point coupables les unes envers les autres. Satisfaites alors, et édifiées de l'humilité avec laquelle elle leur avait répondu, ces femmes s'en retournèrent en paix à leurs maisons, et le démon prit la fuite, parce qu'il ne put supporter une si haute sainteté ni une sagesse si céleste.

368. Saint Joseph resta un peu triste et pensif, et se laissa aller à de pénibles réflexions, comme je le dirai dans les chapitres qui suivent. Mais le démon, qui ne perd aucune occasion de nuire aux hommes, quoiqu'il ignorât le principal motif de son chagrin, voulut se prévaloir de celle-ci pour l'inquiéter. Or, après s'être demandé s'il fallait attribuer ce trouble à quelque déplaisir que le saint eût reçu de son épouse, ou à la pauvreté dans laquelle il se trouvait, il visa à son but en conséquence de ces deux suppositions, également fausses. Ainsi cet ennemi de la paix suggéra à saint Joseph de sombres pensées pour le dégoûter de sa pauvreté et la lui faire supporter avec impatience et tristesse; et en même. temps il lui représenta que son épouse Marie passait beaucoup de

 

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temps dans ses exercices et dans ses oraisons, qu'elle ne travaillait guère, et qu'eu égard à sa condition elle n'était pas assez active ni laborieuse. Mais saint Joseph, déjà élevé à une sublime perfection, avait le coeur trop droit et trop magnanime pour ne point mépriser ces inventions diaboliques et les rejeter bien loin, outre que la peine intérieure que la grossesse de son épouse lui causait, l'occupait si fort, qu'elle seule suffisait pour lui faire oublier toutes les autres. Et le Seigneur, tout en le laissant dans ces premières inquiétudes, le délivra de la tentation du démon par l'intercession de la sainte Vierge, qui était attentive à tout ce qui se passait dans le coeur de son très-fidèle époux, et qui pria son très-saint Fils de vouloir se contenter de la peine que sa grossesse lui donnait, et de le soulager des autres.

369. Le Très-Haut ordonna que la Princesse du ciel soutint un si long combat contre Lucifer, et permit à cet esprit de ténèbres, accompagné de toutes ses légions, d'employer encore tout ce qui lui restait de force et de malice, afin qu'ils fussent en tout et partout humiliés et vaincus, et que notre divine Dame remportât le plus grand triomphe que jamais aucune pure créature ait pu obtenir sur l'enfer. Toutes ces troupes rebelles se présentèrent avec leur chef infernal devant l'auguste Marie, et, pleines d'une fureur indicible, elles lui livrèrent- un nouvel assaut avec toutes les tentations réunies dont elles s'étaient servies auparavant pour des attaques partielles; elles redoublèrent, s'il était possible, leurs efforts; mais

 

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je n'entre point dans les détails, car ils se trouvent presque tous dans les deux chapitres précédents. Quant 'à notre incomparable Reine, elle resta aussi ferme et aussi tranquille que l'auraient été les plus hautes hiérarchies des anges, s'ils eussent ouï ces contes de l'ennemi (1). Aucune impression étrangère, aucun nuage ne put troubler la sérénité de ce ciel, c'est-à-dire du coeur de la pure Marie, quoique ces embûches, ces illusions, ces menaces et ces flatteries eussent comme épuisé toute la malice du dragon, qui en ce moment en vomit tous les flots sur cette femme invincible et vraiment forte; la Vierge sans tache (2).

370. Au milieu de ce combat, et lorsque par des actes héroïques elle déployait toutes les vertus contre ses ennemis, elle comprit que le Très-Haut ordonnait et voulait qu'elle humiliât et abattit l'orgueil du dragon en usant du pouvoir de Mère de Dieu et de l'autorité d'une si grande dignité. Et animée d'un ardent courage et d'une valeur invincible, elle se tourna vers les démons, et leur dit : « Qui est semblable à Dieu, a qui habite les lieux les plus élevés (3) ? » Et, répétant ces paroles, elle ajouta : «  Prince des ténèbres, auteur du péché et de la mort (4), je te commande au nom du Très-Haut de te taire, et je t'envoie avec tes ministres dans l'abîme des cavernes infernales qui vous sont destinées (5), et d'où vous ne

a sortirez point que le Messie promis ne vous ait

 

(1) Ps. CXVIII, 85. — (2) Apoc., XII, 15. — (3) Ps. CXII, 5. — (4) Ephes., VI, 12; I Joan., III, 8; Sap., II, 24. — (5) Jud. Ep., 6.

 

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domptés et assujettis, ou qu'il ne vous l'ait permis. » Notre divine Reine était remplie d'une lumière et d'une splendeur céleste. Le dragon orgueilleux essaya de résister un instant à cet empire : il ramassa toutes ses forces; mais cela ne servit qu'à l'humilier davantage, et à lui attirer une aggravation de peine qui s'étendit à tous les démons. Ils furent précipités tous ensemble et renfermés au fond de l'abîme en la manière que j'ai marquée en parlant du mystère de l'Incarnation, et que je dirai dans la suite en rapportant la tentation et la mort de notre Seigneur Jésus-Christ. la lorsque ce dragon livra à la Reine du ciel un autre combat dont je ferai mention dans la troisième partie, elle le vainquit avec tant de gloire, que j'ai su que sous ses coups et sous ceux de son très-saint Fils, Lucifer perdit tout son pouvoir, sa tète fut écrasée (1) et toutes ses forces anéanties, de sorte que si les créatures humaines ne les lui rendent par leur propre malice, elles peuvent très-facilement lui résister et le vaincre avec le secours de la grâce.

371. Alors le Seigneur se manifesta à sa très-sainte Mère, et en récompense de la glorieuse victoire qu'elle venait de remporter, il l'enrichit de nouveaux dons et de faveurs singulières : elle vit sous des formes corporelles les mille anges de sa garde, accompagnés d'une infinité d'autres, qui entonnèrent de nouvelles hymnes de louanges à la gloire du Très-Haut et à la

 

(1) Gen., III, 15.

 

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sienne; et, avec une harmonie toute céleste, ils lui chantèrent d'une voix à la fois douce et éclatante ce que l'on dit autrefois à Judith, qui fut une figure de ce triomphe, aussi bien que ces paroles que la sainte Église lui applique ; « Vous êtes toute belle, Marie! il n'est point en vous de souillure du péché; vous êtes la gloire de la Jérusalem céleste; vous êtes la  joie d'Israël; vous êtes l'honneur du peuple du  Seigneur (1). Vous êtes celle qui glorifie son saint nom; vous êtes l'avocate des pécheurs, et vous les  défendez contre leur superbe ennemi. O Marie !  vous êtes pleine de grâce et de toutes les perfections (2). » Notre divine Dame fut remplie de joie et de consolation, louant l'Auteur de tout bien, et lui rapportant tous ceux qu'elle recevait; mais bientôt elle se rappela le chagrin de son époux, comme je le dirai au quatrième livre, dans les chapitres suivants.

 
Instruction que la Maîtresse de l'univers me donna.

 

372. Ma fille, le soin que l'âme doit avoir de ne pas se mettre à raisonner avec les ennemis invisibles n'empêchent point qu'elle puisse leur commander avec autorité et avec empire au nom du Très-Haut, de se taire, de s'éloigner et de s'enfuir avec confusion.

 

(1) Judith., XV. — (2) Luc., I, 28.

 

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C'est ce que je veux que vous fassiez dans toutes les occasions où ils vous persécuteront; car les plus puissantes armes dont la créature humaine peut se servir contre la malice du dragon, consistent à le regarder avec mépris et à le maîtriser avec un air de supériorité, en se fondant sur sa qualité de fille de son véritable Père, qui est aux cieux (1), dont elle reçoit cette vertu et cette assurance contre les ennemis de son salut. Il est constant que Lucifer, depuis qu'il fut chassé du ciel, emploie tous ses soins à détourner les âmes de leur Créateur (2), et à semer la division entre le Père céleste et les enfants adoptifs (3), entre l'épouse et l'Époux,des âmes fidèles. Et quand il voit l'une d'elles unie à son Créateur, puisant dans son chef Jésus-Christ, comme un membre plein de vie, de nouvelles forces et une volonté énergique pour le combattre et le confondre , alors il a recours pour la perdre à toutes les ruses que peut lui inspirer la fureur de la haine la plus acharnée et la plus perfide; mais quand il voit qu'il ne lui est pas possible d'arriver à son but, et que les âmes trouvent dans la protection du Très-Haut un asile sûr et inaccessible (4), il perd courage et se reconnaît vaincu, et en proie à d'inexprimables tourments. Et si l'Épouse bien-aimée sait le repousser avec hauteur et dédain, il n'est point de vermisseau ni de fourmi plus faible que ce superbe géant.

 

(1) Matth., VI, 9. — (2) Apoc., XII, 17. — (3) Matth., XIII, 25. — (4) Ps. XVII, 3.

 

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373. Vous devez vous animer et vous affermir par la vérité de cette doctrine, lorsque le Tout-Puissant permettra que, dans les grandes tentations, la tribulation et les douleurs de la mort vous environnent (1), ainsi qu'il m'arriva; car c'est dans ces sortes d'occasions que l'Époux éprouve le mieux la fidélité de la véritable épouse. Et. si elle l'est en effet, elle ne doit pas se contenter des Feules affections, mais il faut qu'elle produise des fruits plus solides; car le seul désir qui ne conte rien à l'âme n'est pas une preuve suffisante de son amour, ni de l'estime qu'elle fait du bien qu'elle loue et qu'elle aime. La force et la constance qu'on montre à souffrir les afflictions avec un coeur généreux et magnanime, voilà les témoignages du vrai amour. Que si vous souhaitez si passionnément d'en donner quelque marque à votre Époux pour vous rendre agréable à ses yeux, la plus grande de toutes sera que, quand vous vous trouverez plus affligée et plus dépourvue de tout secours humain, alors vous vous montriez plus inébranlable que jamais, plus confiante dans le Seigneur votre Dieu, et que vous espériez, s'il le faut, contre toute espérance (2) ; puisque celui qui garde Israël ne dort ni ne sommeille (3), et su moment opportun il commandera aux vents et à la mer de s'apaiser, et il fera renaître le calme désiré (4).

374. Mais prenez garde, ma fille, d'être bien avisée dans les commencements des tentations, où il y a

 

(1) Ps. XVII, 5. — (2) Rom., IV, 18. — (3) Ps. CXX, 4. —(4) Matth., VIII, 26.

 

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beaucoup de danger si l'âme commence aussitôt à en être troublée, lâchant les passions de l'appétit concupiscible ou irascible par lesquelles la lumière de la raison est obscurcie. Car si le démon remarque ce trouble , s'il s'aperçoit des nuages qu'il élève et de la tempête qu'il excite dans les puissances, comme sa cruauté est toujours implacable, toujours insatiable, il s'anime d'une plus grande ardeur, il ajoute feu sur feu et redouble sans cesse de fureur, se flattant que l'âme n'a personne qui la défende de ses insultes et qui la délivre de ses mains (1) : et la violence de la tentation devenant plus grande, il y a bien plus de sujet de craindre que celle qui a commencé à faiblir dans son principe ne soit pas en état de lui résister lorsqu'elle sera dans toute sa force. Je vous avertis de tout cela afin que vous redoutiez le danger des premières négligences. N'en ayez aucune dans une affaire si importante; su contraire, à quelque tentation que vous soyez exposée, persévérez dans l'égalité de vos actions; continuez intérieurement les dévots entretiens avec le Seigneur, et conservez dans vos rapports avec le prochain cette douceur, cette charité et cette prudente honnêteté que vous, devez avoir pour lui; vous opposant par la prière et par le calme de vos passions au désordre que l'ennemi veut y introduire.

 

(1) Ps. LXX, 12.
 
 
 

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