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originale par JesusMarie.com, 2007 avril 17
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les 13 livres de Soeur Marie Lataste
LIVRE ONZIÈME, Des relations.
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
LIVRE ONZIÈME, chapitre 1
Le Sauveur Jésus a voulu par ses instructions me former
au moule de sa sagesse. Combien je serais heureuse si je savais profiter
de sa parole! Il n'est pas de vérité utile à connaître,
d’enseignement profitable pour la vie du temps ou de l’éternité
que ne m’ait donnés ce Dieu si bon, si aimable, si aimant et si
peu aimé. Voici à peu près, si je me le rappelle bien,
comment il m'a parlé des relations de la vie.
« Ma fille, la vie de l'homme sur la terre n'est qu'une
série successive et continue de relations. Elles sont entre l'homme
et l'homme, entre l'homme et l'ange entre l'homme et son Sauveur, entre
l'homme et son Dieu.
« Je vous ai parlé des relations entre l'homme
et l'ange, entre l'homme et la Trinité, je veux vous parler des
relations entre l'homme et son prochain, et des relations entre l'homme
et le Fils de Dieu, comme sauveur et rédempteur.
« Les relations générales consistent à
être bienséant avec tout le monde, et à respecter tout
le monde pour être soi-même respecté.
« La bienséance dans les relations avec le prochain
consiste, comme l’indique son nom, à se tenir bien partout où
l’on est présent, c'est-à-dire à se tenir toujours
d’une manière conforme à l’esprit de religion, règle
universelle du bien.
« Pour observer parfaitement la bienséance, vous
devez l’observer pour tout ce qui vous concerne vous-même et aussi
pour tout ce qui concerne le prochain.
« Or, ma fille, la bienséance par rapport à
vous-même comprend la contenance et la posture de votre corps, le
maintien de votre tête et la composition de votre visage, votre rire
et votre regard, votre parole et votre silence.
« La bienséance est parfaite parmi les parfaits.
J’ai observé, ma fille, la bienséance en tous les points
que je viens de vous énumérer quand j’étais sur la
terre, et je les ai observés d'une manière parfaite, parce
que je suis très parfait. Aussi devez-vous m’avoir constamment présent
à vos yeux, afin de m’imiter toujours et de marcher sans cesse sur
mes traces.
« Regardez-moi, et je vous apprendrai à tenir votre
corps droit sans affectation ni contrainte, sans le pencher ni le courber,
ce qui serait l’indice de la faiblesse ou de la nonchalance de votre esprit.
« Regardez-moi, et je vous apprendrai à ne point
vous remuer de côté et d’autre comme une feuille au souffle
du vent, ce qui serait l’indice de la légèreté de
votre esprit.
« Regardez-moi, et je vous apprendrai quand vous êtes
assise à ne point vous tenir avec mollesse, à ne point vous
incliner immodérément, ce qui serait l’indice de la paresse
de votre esprit.
« Regardez-moi, et je vous apprendrai à ne jamais
prendre un air fier, hautain et dédaigneux, ce qui serait l’indice
de l’orgueil de votre esprit.
« Regardez-moi, et je vous apprendrai à ne point
tourner la tête à chaque moment de côté et d'autre,
à ne point rire à haute voix, ni souvent, à conserver
vos regards doux, humbles et modestes, ne les fixant jamais avec roideur
sur personne, et à composer si bien votre visage qu'il soit toujours
l’expression d'un cœur pur et vertueux.
« Oui, ma fille, ayez toujours un visage ouvert, calme,
plein de bonté, de douceur, d’aménité, et qui, par
le reflet d'une piété franche et sincère, gagne tous
les cœurs et les porte vers Dieu.
« C'est surtout dans vos paroles, dans vos conversations,
que vous devez observer la bienséance.
« La première condition de la bienséance
dans la parole, c'est de parler peu. Celui qui parle peu est sage et prudent,
et préserve son âme de mille embarras. Celui qui parle peu
édifie par sa modestie, conserve la dignité de sa personne,
et demeure plus facilement aussi attaché à Dieu, parce qu'il
se détache de lui-même.
« La seconde condition de la bienséance dans la
parole, c'est de fuir tout ce qui doit être évité dans
la conversation, savoir : les railleries, les disputes, les contestations,
la médisance, la calomnie, le mensonge, les discours mondains, oiseux
et tout à fait inutiles, la précipitation, la prétention,
la contention, la suffisance et la hauteur.
« La troisième condition de la bienséance
dans la parole, c'est de parler toujours d'une manière conforme
au bien, à la vérité et à la justice, avec
affabilité, modestie, douceur et charité.
« Ainsi donc, ma fille, parlez peu; n’affectez pas néanmoins
d'être trop morne ou trop silencieuse. Parlez quand la nécessité,
la charité ou l’honnêteté le demanderont; mais avisez
à vos intentions, ne parlez jamais par amour-propre et pour plaire
au monde. Si vous êtes obligée de parler à quelqu'un,
offrez à Dieu vos paroles et priez-le de vous préserver de
pécher. Si vous voulez parler par plaisir, taisez-vous; pour vous
plaindre, taisez-vous encore. Le silence est préférable ou
obligatoire en ces circonstances.
« Si vous voulez parler pour épancher votre cœur,
ne le faites que devant quelques personnes choisies, pieuses et amies de
la vertu; en un mot, parlez toujours utilement et saintement, et vous observerez
la bienséance.
« La bienséance, par rapport à votre prochain,
consiste à lui rendre tous les devoirs de charité que vous
pouvez quand vous êtes avec lui, à supporter et pardonner
tout ce qu'il y a de défectueux en lui.
« La bienséance demande qu'on sacrifie ses goûts,
ses inclinations, sa volonté, pour suivre les goûts, les inclinations,
la volonté du prochain en tout ce qui n'est pas contraire à
la loi de Dieu, et cela sans contention, avec bonté et tout naturellement;
à prévenir le besoin ou la nécessité du prochain
pour lui rendre service ou lui être agréable.
« La bienséance demande encore qu'on supporte avec
patience tous les défauts du prochain, les infirmités du
corps ou du caractère, de l’esprit ou du coeur. Se supporter ainsi
mutuellement et se rendre service, c'est là, ma fille, la souveraine
et parfaite bienséance, parce que c'est l’accomplissement de ma
loi.
LIVRE ONZIÈME, chapitre 2
« Les relations intimes, ma fille, sont entre deux amis,
entre deux fiancés, entre deux époux, entre les parents et
leurs enfants, entre un maître et un serviteur.
« L’amour est le propre du cœur. Il semble qu'il soit
pétri d’amour, car il doit nécessairement s’attacher à
quelque chose. Quelque méchant ou barbare que soit un homme, son
cœur le portera, quand même, à s’attacher à quelque
chose ou à quelque personne; il a un coeur, par conséquent
il doit aimer, à cause de la nature même de ce cœur. Je ne
vous parle pas à cette heure de l’amour qui est un commandement
que Dieu a fait à l'homme d’aimer son prochain, de l’aimer comme
soi-même en Dieu et pour Dieu, je vous parle de cet amour intime
et affectueux, qu'on appelle amitié, et qui dit nécessairement
réciprocité d'amour de la part de la personne qu'on aime.
« Cet amour d’amitié, on ne le doit pas à
son prochain; aussi n’est-il point général, mais particulier.
Il y a plusieurs degrés, comme plusieurs espèces différentes
d’amitié.
« Il y a des amitiés bonnes, inutiles, permises,
dangereuses, criminelles, commandées. Je veux vous les faire connaître;
vous comprendrez mieux ensuite ce que j’ai à vous dire sur les diverses
relations intimes de la vie.
« L’amitié est un sentiment du cœur produit par
l’estime qu'on porte à une personne; on aime ce que l’on estime,
comme on hait ce que l’on méprise. Quand on estime selon Dieu, l’amitié
produite par cette estime est toujours bonne. Quand on estime selon le
monde, l'amitié est au moins inutile. Je vous dirai quant elle est
coupable.
« L’amitié, ma fille, est toujours bonne quand
elle est selon Dieu. Car elle a Dieu pour principe; elle a aussi Dieu pour
fin. Elle a Dieu pour principe; par conséquent, c'est lui qui l’a
inspirée par la vertu réciproque des deux amis, ou par la
vertu d'un des deux amis qui, par ce sentiment d'amitié, mènera
à la vertu celui qu'il aime et dont il est aimé. Elle a Dieu
pour fin; ces deux amis ne s’aiment que pour jouir tous les deux un jour
de la vue de Dieu, en faisant ce que Dieu prescrit à cet effet et
en se soutenant dans la pratique du bien. Oui, ma fille, cette amitié
est bonne, ferme, solide, inébranlable, parce qu'elle repose sur
Dieu.
« L'amitié est toujours inutile quand elle repose
sur le monde. Quel est, en effet, le fondement de cette amitié?
Les avantages matériels, temporels ou mondains, l’esprit, la richesse
ou la beauté. Or, tout cela est vanité; c'est un sable mouvant
qui tourbillonne et tombe. Combien d’amis selon le monde sont devenus plus
tard des ennemis irréconciliables. Il n'y avait donc point là
de véritable amitié.
« Il est permis à un jeune homme et à une
jeune fille de s’unir d’amitié en vue d'un juste et légitime
mariage.
« Mais pour que cette amitié soit bonne et durable,
elle ne doit point être fondée sur les richesses, les bonnes
grâces, le talent ou la beauté, car ces choses ne sont point
un fondement solide de l’amitié. Elle doit, au contraire, reposer
uniquement sur Dieu afin de ne former à jamais qu'une chair et qu'un
esprit, un cœur et une âme.
« Il y a des amitiés dangereuses; ce sont les amitiés
entre des personnes de sexe différent. Elles peuvent être
bonnes, innocentes, mais elles sont toujours dangereuses, à cause
de l’inclination perverse de la nature corrompue et des efforts continuels
de Satan qui cherche toujours à entraîner au mal. Aussi, dans
ces amitiés, faut-il user de beaucoup de circonspection, de vigilance
et de prudence, car quelquefois ce qui est bon devient mauvais, ce qui
est innocent devient coupable et criminel.
« Une jeune personne doit toujours veiller sur ses yeux
et ses oreilles, qui sont les portes par lesquelles le démon entre
en elle le plus souvent. Elle doit veiller sur ses yeux pour fuir le serpent
infernal chaque fois qu'elle l’apercevra; elle doit veiller sur ses oreilles
pour fuir le serpent infernal chaque fois qu'elle l’entendra jeter de loin
ses sifflements. Par conséquent, lorsqu’elle voit qu'une affection
affaiblit ou ruine sa vertu, elle doit y renoncer immédiatement,
lui fût-elle aussi chère que la prunelle de son oeil. Une
jeune personne doit toujours conserver son intérieur dans la pratique
du bien et conformer son extérieur à son intérieur.
Son intérieur sera bon s'il est pur, innocent et éloigné
de toute pensée, de toute image inconvenante ou déshonnête;
son extérieur sera bon si elle éloigne de ses manières,
de ses habits, de ses regards et de ses paroles tout ce qui pourrait porter
atteinte à la modestie et à la pureté. Cette modestie
doit être véritable et non fausse et mensongère, pour
qu'elle ne devienne pas un piège plus dangereux en cachant un cœur
gâté sous le voile de l’hypocrisie.
« Le jeune homme doit ressembler à la jeune fille.
Il doit veiller sur ses yeux, pour ne point tomber dans la tentation du
mal; sur sa langue, pour ne point l’enseigner à autrui : sur ses
oreilles, pour ne point l’apprendre à lui-même.
« Rien de ce qui est souillé n’entrera dans le
royaume des cieux; rien de ce qui est souillé ne peut former une
bonne amitié.
« Il y a des amitiés criminelles. Je ne vous en
dirai rien, ma fille. tout le monde les connaît; mais sachez que
la malédiction de Dieu retombera sur la jeunesse corrompue, dont
le cœur, esclave de ses passions, est devenu plus vil qu'un sale fumier;
sur les époux qui brisent les nœuds de leurs liens les plus sacrés;
sur les vieillards courbés sous le poids des ans, et qui, un pied
dans le tombeau, conservent dans toute la vivacité de leurs désirs
et de leurs souvenirs les hontes de leur passé, et sur ceux qui,
m’ayant consacré volontairement leur corps et leur âme, ne
craignent point de les profaner par des actes sacrilèges d’iniquité.
« Enfin il y a des amitiés commandées. Un
père et une mère sont obligés d’aimer leurs enfants,
comme un enfant est obligé d’aimer son père et sa mère.
De même deux époux sont obligés de s’aimer d’une manière
toute particulière, et de resserrer par cet amour les liens de leur
mariage.
LIVRE ONZIÈME, chapitre 3
« Les relations intimes reposent toutes sur l’amitié;
or, comme toutes les relations intimes doivent être bonnes, il faut
aussi que toutes les amitiés soient bonnes.
« Je vous ai dit, ma fille, que la première des
relations intimes est entre un ami et son ami.
« Rien, ma fille, n'est comparable à un ami véritable,
à un ami fidèle. Or, ma fille, il n'y a pas d’ami parmi les
méchants, et le meilleur ami, c'est le plus vertueux. Il faut donc
choisir ses amis, les choisir entre mille. On finit par devenir comme celui
qu'on fréquente, avec qui on vit constamment, à qui on parle
dans la sincérité de son cœur, c'est-à-dire à
son ami; d’où le proverbe : Dis-moi qui tu fréquentes, je
te dirai qui tu es, est plein de vérité.
« Combien de jeunes gens malheureux, ruinés, corrompus
par un ami lui-même corrompu!
« Combien de jeunes filles qui pleureront toujours sur
la terre la perte de leur honneur, à cause d’amies qui les ont entraînées
dans les voies de corruption!
« Combien d’époux divisés par des amis pervertis,
cause de leur désunion et de leur séparation!
« L’amitié, ma fille, se forme et s’entretient
par la conformité de sentiments. Si les sentiments sont contraires,
l’amitié nécessairement doit se rompre ou les sentiments
devenir semblables quand un ami est bon et l’autre mauvais, il faut que
le mauvais devienne bon ou que le bon devienne mauvais.
« Par conséquent, quand vous voyez rechercher votre
amitié, examinez, avant de la donner, quelles sont les mœurs et
la conduite de celle qui demande part à votre amitié. Voyez
si cette personne est douce, modeste, retenue, appliquée au travail,
soumise à ses parents, pieuse; s'il en est ainsi, vous pouvez l’aimer;
attendez néanmoins quelque temps encore avant que de lui ouvrir
votre cœur, pour mieux vous assurer de la vérité de ses qualités
et vous épargner beaucoup de peines et d’inquiétudes pour
l’avenir. Quand vous l’aurez éprouvée et que vous connaîtrez
sa fidélité, sa modestie, sa prudence, sa charité
et toutes ses vertus, alors liez-vous d'amitié avec elle, avec l'amour
de Dieu pour principe. Animez-vous mutuellement par vos paroles et vos
exemples à avancer de plus en plus dans le bien et la perfection.
Que celle qui reste debout relève celle qui tombera; consolez votre
amie si elle est triste, soyez gaie si elle est gaie et réjouissez-vous
avec elle.
« Si au contraire, c'est une personne qui aime le monde,
sa vanité, ses amusements, ses fêtes, ses plaisirs, ses joies
et ses folies; si vous voyez qu'elle aime la médisance, la calomnie
et le mensonge, qu'elle est légère et peu portée à
la piété; ma fille, fuyez-la, ne cherchez point sa compagnie.
« Néanmoins, il ne faut pas toujours fuir, éviter
ou abandonner ces personnes qui sont ainsi légères et amies
du monde. Car si les mauvais entraînent les bons, les bons ramènent
aussi quelquefois les mauvais. Alors il faut avoir une vertu ferme et solide,
il faut avoir une grande confiance en Dieu, ne pas compter sur soi, mais
tout espérer de Dieu. Mais si celle qui est bonne sent sa bonté
faiblir et la méchanceté ou la malice de son amie prendre
le dessus, elle doit rompre immédiatement, afin de ne pas devenir
mauvaise, elle aussi. Vous pourriez donc, ma fille, par un sentiment de
charité, tâcher de gagner l'amitié d'une jeune personne
que vous verriez entraînée par le courant du monde. Vous pourriez
lui adresser quelques bonnes paroles, lui inspirer quelques bons sentiments.
En agissant ainsi, épiez ses mouvements, voyez si elle reçoit
de bon cœur les avances que vous faites, ou bien si elle raille, méprise
ou tourne en ridicule la religion. Si tout va bien, allez plus avant, mais
avec discrétion et sagesse. Quand vous lui parlerez du mal, n’en
parlez pas comme s'il était en elle, cela lui déplairait;
quand vous lui parlerez du bien, ne dites pas que vous ne l’avez point
vu en elle, cela pourrait la décourager. Procédez avec mesure
et lenteur, mais travaillez solidement. Quelle que soit la bonté
de ses sentiments, sous l’influence de votre exemple et de votre amitié,
ne lui révélez pas tous les secrets de la vie intime avec
Dieu, ne les lui faites connaître qu’autant qu'elle en aura besoin,
faim ou soif.
« Si, au contraire, elle est rebutée par vos paroles
ou si elle ne répond pas à votre bonne volonté, attendez
quelque temps encore, priez pour cette personne, mais ne la voyez point
habituellement; elle pourrait par ses railleries vous dégoûter
de la religion et vous rendre pire qu'elle; puis, quand vous verrez le
moment opportun, profitez-en, revenez à la charge, tentez un nouvel
effort. Une personne, aussi mauvaise qu'elle soit, comprend bien et interprète
en bonne part ce zèle de la charité. Quelquefois elle voudrait
se laisser aller à vous, suivre votre impulsion, écouter
votre parole, marcher sur votre exemple, vous ouvrir son cœur, vous le
dévoiler à nu; ce serait un besoin pour son âme, elle
se trouverait ensuite calme, heureuse et tranquille; mais elle est retenue
par une force secrète, elle n’ose point, elle conserve ce poids
sur son cœur, ce qui l’étouffe et l’empêche de vivre. Que
faudrait-il? Pénétrer plus avant dans son cœur, toucher le
point sensible, l’amener à vous dire : Vous avez raison, et j’ai
tort; dès lors tout serait fini. Mais, ma fille, cela est une chose
pénible et bien difficile; il faut un secours extraordinaire de
la grâce. Aussi devriez-vous prier beaucoup en ces circonstances,
ne rien négliger, profiter de tous les moments où il vous
serait possible d’agir, vous multiplier en quelque sorte, vous fatiguer,
vous épuiser même pour sauver cette âme.
« C’est là, ma fille, la marque de la véritable
amitié. Les sacrifices, les peines, les souffrances, les contradictions,
les humeurs de caractère, les difficultés de toute nature
ne rebutent point un ami véritable, parce que celui qui aime véritablement
aime en Dieu et pour Dieu; or, cette amitié est forte, durable et
résiste à tout. Elle est plus forte que la mort. Cette amitié
n'est point sujette aux changements, elle n'est point pointilleuse, elle
ne se rompt point pour une bagatelle, pour un petit manquement, pour une
inattention. Elle n'est pas fondée sur la fortune, sur la beauté,
sur l’esprit ou l’intelligence; elle est fondée sur la vertu, elle
repose sur Dieu. Ainsi doivent être les relations entre deux amis
véritables. »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 4
« La seconde est entre deux fiancés.
« Le mariage, ma fille, est un état saint institué
par Dieu; il n’a, par conséquent, rien de contraire à la
pureté ni à la chasteté, et la chasteté et
la pureté ne disparaissent point dans l’état du mariage,
quand on criant et quand on aime Dieu. Voilà pourquoi le ciel compte
tant de saints et de saintes qui se sont sanctifiés dans l’état
du mariage, et qui par conséquent n’ont point perdu leur pureté.
La virginité, il est vrai, est un état plus parfait, un état
d’une pureté et d’une chasteté beaucoup plus grandes, mais
ce n'est point l’état propre des hommes c'est celui des anges, à
qui devient semblable celui qui l’observe.
« Ainsi cet état ne peut-être généralement
recommandé à tout le monde, il ne peut être l’état
que du très petit nombre.
« L’état du mariage est un état saint, par
conséquent agréable à Dieu qui est le Dieu de la sainteté.
Le plus souvent pourtant le mariage est un état dans lequel on ne
se sanctifie point, parce qu’on n'y apporte pas les dispositions convenables.
« Voici les dispositions avant et après le mariage.
« La première disposition avant d’y entrer, c'est
d’y être appelé, c'est d’avoir la vocation. Une jeune personne
qui veut se marier doit bien examiner sa vocation et l’état vers
lequel la porte sa vocation, afin qu’après l’avoir embrassé,
elle puisse supporter les peines de cet état par cette pensée
: C’était la volonté de Dieu. Elle doit bien se garder d’entrer
en cet état par légèreté, par caprice, encore
moins par passion, mais uniquement parce que c'est là la vocation
que Dieu lui a donnée. Lors donc qu'elle connaît sa vocation
et qu'elle y a mûrement réfléchi, elle doit demander
à Dieu de lui faire connaître celui à qui elle doit
unir ses jours, demander un appui pendant sa vie et donner son cœur. Si
elle demande cela à Dieu avec foi et un désir véritable
de connaître sa divine volonté, Dieu l’écoutera et
l’exaucera. Il ne lui enverra pas un ange pour cela, mais il agira néanmoins
de telle manière qu'elle puisse avoir une certitude morale que sa
prière est exaucée. Il ne lui enverra pas un ange, mais il
se servira de sa famille, qui a des grâces spéciales pour
la diriger dans le choix qu'elle doit faire de son époux, ou bien
d’un ami de sa famille, qui disposera toutes choses selon ses desseins
secrets et impénétrables. Quelquefois encore, il ne se servira
point de sa famille, parce que les sentiments de sa famille ne seront point
droits, vertueux, désintéressés, mais fondés
uniquement sur la nature et la raison, qui regardent plus la terre que
le ciel. Il ne se servira d’aucun intermédiaire; il éclairera
lui-même l’esprit de cette jeune personne; il lui montrera la sagesse,
la modestie, la retenue de celui qu'il lui réserve et son choix
sera fixé d’une manière irrévocable par cette vue.
Alors, après de nouvelles et de plus mûres réflexions,
elle devra s’en ternir à ce choix, malgré les obstacles qui
pourront survenir, compter sur la grâce de Dieu qui les aplanira,
et demeurer en tout confiante en lui.
« Alors, par crainte pourtant d’illusion de sa part, cette
jeune personne qui connaîtra d’ailleurs l’intention et le désir
réciproque de celui qu'elle a choisi et qu'elle se croit destiné
de la part de Dieu, en informera sa famille et son directeur. Elle en informera
sa famille, à cause du respect et de l’obéissance qu'elle
lui doit, et pour connaître ses vues à cet égard. Elle
en informera son directeur pour lui demander conseil et avis. Il serait
bon qu’en cette circonstance son confesseur, qui la connaît bien
par ses confessions, fût aussi son directeur. Cela n’est pourtant
point nécessaire, et à certains égards vaut-il mieux
quelquefois que ce ne soit point le confesseur; car il faut pour cela s’adresser
à un homme prudent, sage, circonspect, éclairé, en
qui on ait confiance, avec lequel on se trouve plus à son aise,
et qui soit à même de pouvoir traiter cette affaire si grave
d’une manière sûre.
« Quand elle a écouté les avis de ce directeur,
comme je viens de vous le faire connaître, elle doit les suivre et
les mettre à exécution comme l’expression de la volonté
de Dieu. Les conseils du directeur, qui sont toujours désintéressés
et par conséquent mieux réfléchis, doivent être
préférés aux conseils de sa propre lumière
ou de sa famille.
« Quand son choix sera fait et approuvé, qu'elle
donne dès ce moment son amour à celui qu'elle a choisi, qu’elle
lui donne sa parole et qu'elle ne lui retire jamais ni sa parole ni son
cœur. Pour cela, qu'elle ne fixe point ses regards sur d’autres, et ne
cherche point à faire un nouveau choix. Celui-ci est selon Dieu;
le second pourrait être selon le péché et le démon.
« Dans les premières entrevues avec celui qu'elle
a choisi, cette jeune personne doit surtout garder ses yeux, se souvenant
que les yeux sont les portes principales par où entre l’esprit impur.
Elle doit les garder pleins de réserve, non seulement à cause
d’elle, mais encore à cause de lui. Elle doit aussi veiller beaucoup
sur ses paroles, mais sans excès : une trop grande réserve
pourrait être mal interprétée et prise pour du dédain,
de la froideur, ou comme un refus formel. Il faut donc éviter et
trop de liberté et trop de réserve. Que ses manières
soient bonnes, douces, polies, honnêtes, franches, affectueuses,
et que tout répande en elle la bonne odeur de ma grâce et
de la modestie. Que tout dans sa conduite témoigne qu'elle n’embrasse
point l’état de mariage par caprice ni passion, mais pour accomplir
la volonté de Dieu qui lui a donné cette vocation.
« Que les premières entrevues ne soient jamais
solitaires, qu'elles aient toujours des parents pour témoins; qu'elles
soient assez fréquentes, afin que les deux futurs époux se
connaissent et apprennent à s’aimer par cette connaissance; qu'elles
ne soient point trop prolongées par des discours oiseux et inutiles.
Que jamais leur conversation ne soit entretenue par des paroles inconvenantes,
déshonnêtes et criminelles. Qu’ils bannissent de leur conversation,
non seulement tout ce qui est contre la modestie, mais tout ce qui est
opposé à la loi de Dieu, la médisance, la calomnie,
le mensonge, la jalousie et mille autres choses défendues. Que leurs
paroles au contraire soient pour l’un et l’autre des paroles d’édification,
et qui inspirent réciproquement une vénération mutuelle.
« Quand ils se verront seul à seul, que ce ne soit
jamais dans un lieu secret, mais où ils puissent être vus
facilement, et que ce soit promptement et rapidement.
« Une jeune personne doit se montrer aimable et affectueuse
pour son futur époux; mais elle ne doit jamais permettre ni flatterie,
ni familiarité d’aucune sorte. Elle doit toujours avoir devant elle
la loi de Dieu, l’honnêteté et le devoir. Cette conduite à
la fois prévenante, cordiale et respectueuse, lui méritera
et l’affection et la vénération de son époux.
« Après une connaissance réciproque et mutuelle
suffisante, il est prudent de conclure immédiatement le mariage
et de ne point le différer trop longtemps. Ce délai pourrait
être une cause de péché. Aussi, pour se fortifier l’un
et l’autre et demander à Dieu la grâce dont ils ont besoin
pour demeurer toujours justes et saints jusqu’à la célébration
de leur mariage, ils feront bien de s’unir à moi de temps en temps
dans le sacrement de mon amour.
« Ces avis sont pour le jeune homme comme pour la jeune
fille.
« Un jeune homme doit chercher et désirer pour
son épouse une jeune personne modeste, pieuse et vertueuse. S’il
la trouve, elle le rendra heureux et ils se sanctifieront dans l’état
qu'ils embrasseront tous deux. Qu'il ne cherche point la beauté.
La beauté passe plus rapide que la fleur des champs. Que lui resterait-il
dans son épouse, si elle n’avait que la beauté et si cette
beauté disparaissant en quelques jours? Qu’il ne cherche point uniquement
la fortune. La fortune ne fait ni la vertu, ni la paix, ni la tranquillité,
ni le bonheur dans une famille. Qu’il ne cherche point uniquement l’esprit
et l’intelligence pour les choses de la terre, qu'il cherche plutôt
l’esprit et l’intelligence pour les choses du ciel. Qu’il ne cherche point
dans le mariage à satisfaire sa passion. Malheureuse la femme d’un
tel homme! Il n'est homme que de nom; en réalité, c'est un
démon et un animal sans raison. »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 5
« Les époux doivent s’aimer mutuellement, et par
cet amour resserrer de plus en plus les liens de leur union. Ils ne doivent
point vivre comme des païens. Ils sont les enfants des saints, et
doivent par conséquent garder les règles et les lois qui
leur sont imposées par leur état. Ils doivent garder la chasteté
et la continence prescrite à leur condition et n’abuser point de
la liberté qui leur est donnée; car la liberté dans
cet état, comme dans tous, est la liberté pour le bien et
non pour le mal et l’impureté. Combien de personnes damnées
pour leurs péchés dans l’état du mariage, et qui se
fussent sauvées si elles avaient été soumises aux
règles qui leur sont tracées. Ah! dans ces personnes, il
n'y a point un amour véritable, un amour fondé sur Dieu,
mais un amour coupable et criminel, uniquement fondé sur la chair
qui entraîne au péché.
« L’amour de deux époux doit être vrai et
fondé sur Dieu, afin qu'il soit constant et qu'il demeure toujours.
Deux époux doivent se garder une inviolable fidélité
et craindre qu'une affection étrangère ne vienne rompre des
liens aussi sacrés. Ils doivent s’exciter mutuellement à
remplir leurs devoirs, dont le parfait accomplissement fera leur bonheur
ici-bas et dans l’autre vie. Ils doivent s’aider, se soutenir, se consoler,
se réjouir ensemble et ne former qu'un coeur et qu'une âme.
« Une épouse chrétienne doit veiller avec
soin sur le fruit de ses entrailles, craindre de lui faire perdre la vie
par sa faute et de le priver du plus grand bonheur en le privant du baptême.
Un enfant qui n'est pas baptisé ne verra jamais Dieu. Ce malheur
devrait rendre une mère inconsolable. Cependant, combien de malheureuses
qui, par leur légèreté, leur avarice, leurs emportements
ou leurs excès, étouffent le fruit de leur sein!
« Une épouse chrétienne doit surtout prier
Dieu de préserver son enfant de pareil malheur, et prendre pour
cela toutes les précautions que peuvent inspirer la prudence et
la réflexion. Elle doit même avant sa naissance l’offrir à
Dieu et lui demander de veiller sur lui.
« Une épouse chrétienne doit garder son
enfant après sa naissance et lui prodiguer tous les soins que lui
inspirera son amour maternel et que réclame sa faiblesse. Dès
que la langue de son enfant commencera à se délier et sa
raison à se développer, elle lui fera connaître Dieu
et gravera son amour dans son tendre cœur. Elle lui donnera de bonne heure
le goût de la piété et de la vertu; elle lui apprendra
à tout faire en vue de plaire à Dieu; elle le suivra toute
sa vie, en l’entourant de sa sollicitude maternelle.
« Des parents chrétiens dirigeront toujours leurs
enfants par la raison et non point par caprice; les reprenant, les avertissant
ou les corrigeant quand ils le croient opportun et nécessaire, afin
de ne point leur laisser contracter de mauvaises habitudes, qu'il est impossible
de déraciner plus tard. Cette formation à la piété
et à la vertu fera grandir dans le bien les enfants, et ils deviendront
la joie et la couronne de leurs parents.
« Enfin, ma fille, quand l’un des deux époux s’est
uni à une personne sans vertu et sans religion, il doit en demander
pardon à Dieu et supporter en expiation de sa conduite tout ce qu'il
a à souffrir. Il doit prendre sur lui tous les devoirs qui retomberaient
sur tous deux par rapport à la conduite des enfants, afin qu'ils
soient bons et vertueux. Il doit essayer de ramener à de meilleurs
sentiments celui qui est sans vertu, et pour cela prier beaucoup, prier
sans cesse, prier avec confiance et espoir d’être exaucé.
»
LIVRE ONZIÈME, chapitre 6
« Voici les relations entre parents et enfants.
« Les relations entre un père, une mère
et leurs enfants doivent être tout à fait intimes. Le père
et la mère revivent dans leurs enfants, les enfants tiennent la
vie de leur père et de leur mère après Dieu; peut-il
être un sujet de relations plus intimes? Ces relations doivent avoir
de part et d’autre l’amour le plus puissant et le plus fort pour principe.
Que pourraient donc aimer un père et une mère, sinon leurs
enfants? Et un enfant, sinon son père et sa mère? Tous les
cœurs d’une même famille doivent être unis, n’avoir qu'un même
sentiment, une même volonté. Ils doivent tous travailler à
leur bonheur réciproque, s’entr’aider, se soutenir. Un père
et une mère doivent protéger, défendre et nourrir
leurs enfants tant qu'ils sont en bas âge. Les enfants doivent être
plus tard, selon leurs facultés, le soutien et la défense
de leurs parents. Leurs relations doivent durer toujours, toute la vie
et même au-delà de la tombe. Il faut que l'enfant se souvienne
des peines, des souffrances, des labeurs, des soucis qu'il a causés
à sa famille quand il était dans l’impuissance de pourvoir
à sa subsistance; il faut qu'il se souvienne des entrailles qui
l’ont porté, du sein qui l’a allaité, de la sollicitude dont
la mère l’a entouré, pour rendre à son tour à
sa famille le travail de sa jeunesse et la soumission qu'il doit aux auteurs
de ses jours. Il faut qu'il donne tous les témoignages de son amour
à son père et à sa mère; il faut qu'il n’afflige
point par ses vices ou sa révolte l’auteur de ses jours, et que
sa vie déréglée et irréligieuse ne fasse point
couler les larmes de sa mère.
« Malheur aux enfants qui rendent pénibles les
vieux jours de leurs parents, malheur aux enfants surtout qui attirent
sur leur tête la malédiction de leur père et de leur
mère mourants!
« Malheur aussi aux parents qui sont sans cœur pour leurs
enfants, qui les abandonnent dès leur plus jeune âge ou qui
ne les dirigent point dans le sentier de la vertu!
« Heureuses les familles qui vivent en paix et dans l’union,
l’œil de Dieu se repose sur elles avec complaisance! »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 7
« Il y a enfin, ma fille, des relations moins intimes,
mais qui doivent avoir pourtant un certain degré d’intimité
: c'est entre supérieur et inférieur, maître et domestique.
« Ces relations sont très difficiles à observer
et à conserver telles qu'elles doivent être.
« Ordinairement elles seront toujours bonnes si le supérieur
ou le maître fais vis-à-vis de ses inférieurs ce qu'il
doit faire. Si le supérieur ou le maître a de la charité,
c'est-à-dire s'il est bon sans préférence, doux sans
lâcheté, condescendant sans faiblesse, ferme sas fierté,
sans aucun doute il gagnera l’affection, l’estime et le respect de celui
qui lui est subordonné. Mais si un supérieur agit avec partialité,
il excitera contre lui la jalousie; s’il est lâche, il encouragera
le désordre; s'il est fier et impatient, il rebutera, et la conduite
de ses inférieurs se modèlera sur sa conduite.
« Un supérieur doit beaucoup pardonner à
son inférieur, et pardonner pourtant avec sagesse et discrétion.
Pour cela, il doit observer le caractère, l’esprit, le tempérament
de son inférieur; il doit encourager pour relever les faibles, il
doit être doux et affable pour gagner les cœurs, il doit être
grave pour ne point attirer le mépris sur lui.
« Il doit se considérer comme le représentant
de Dieu sur ses inférieurs, et agir vis-à-vis d’eux comme
il voudra que Dieu agisse vis-à-vis de lui au jour de la justice.
Cette conduite sage, réglée, charitable et vertueuse des
supérieurs influera sur celle de leurs inférieurs, et introduira
entre eux les relations les plus agréables et les plus amicales
ils comprendront qu'ils sont tous frères, et ils éprouveront
combien il est doux pour des frères de vivre unis en Dieu et pour
Dieu.
« Voilà, ma fille, les relations des hommes entre
eux. »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 8
Voici ce que le Sauveur m'a fait voir et comprendre et ce qu'il
m'a dit à propos de ses relations avec les âmes. Elles sont
plus intimes que toutes les autres, et sont fondées sur son union
avec les âmes, union admirable, union incompréhensible, mais
union pleine de vérité et plus parfaite que toute union des
créatures entre elles, puisque c'est l’union de la créature
avec la divinité.
Il m’a entretenue des relations toutes particulières
qui existent entre lui et les âmes qui lui sont spécialement
consacrées par la virginité, qui l’ont choisi pour époux,
et qui ont célébré leurs noces avec l’Agneau au jour
où du fond de leur cœur elles lui dirent : Sauveur Jésus,
votre beauté me ravit, je vous choisis pour mon époux, daignez
m’accepter aussi pour votre épouse.
Je rapporterai en toute simplicité ce que j’ai éprouvé
et la manière dont je l’ai éprouvé.
Un jour, après la sainte communion, j’adorai le Sauveur
Jésus dans mon cœur. J’aperçus une belle vallée que
me montra le Sauveur. « Ma fille, parcourez cette vallée,
me dit Jésus, et atteignez la plaine qui la domine. » J’obéis
aussitôt. De chaque côté de la vallée j’aperçus
de distance en distance des arbres magnifiques dont les feuilles brillaient
comme des perles. Entre chaque arbre il y avait une sentinelle. Elles n’avaient
point l’uniforme de soldat et ne portaient point de fusil. Toutes avaient
les bras croisés sur la poitrine, se tenaient debout et regardaient
au ciel. Je les vis tout à tour abaisser leurs yeux sur moi et puis
les relever au ciel.
Je ne craignais point et j’avançais toujours. Bientôt
j’atteignis le commencement de cette vallée. Un immense mur avait
été jeté de chaque côté, et ces deux
murs étaient joints par des marches en pierre d’à peu près
douze pieds de longueur sur trois de largeur et un en hauteur. Sur chaque
mur j’aperçus des figures de lion, d’éléphant et de
taureau.
Quand j’eus atteint la dernière marche, je vis une plaine
immense tout entourée de murs, et au milieu de cette plaine un palais
magnifique. Une grille en fer m’empêchait de pénétrer
dans cette plaine; mais tout à coup elle s’ouvrit, roulant sur le
pavé qui était en pierre bien polie. J’entrai, et la grille
se referma aussitôt. Je parcourus seule cette plaine. Le palais était
fermé et me semblait inhabité. Je me trouvai prisonnière,
ignorant ce que j’allais devenir. Je me trouvais heureuse, pourtant, pensant
que j’allais mourir là, et m’envoler au ciel. Seigneur, m’écriai-je,
venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir et délivrez
mon âme. Seigneur, ayez pitié de moi; tournez-vous vers moi,
mon Dieu, et montrez-moi un visage favorable. Oublierez-vous votre humble
servante, ô Jésus, et jusques à quand lui cacherez-vous
la vue de votre gloire? O Jérusalem, sainte Sion, qu'ils sont heureux
ceux qui vivent dans ton sein! Pour moi, je gémis ici comme une
exilée, comme une pauvre prisonnière. Seigneur Jésus,
n’entendrez-vous point la voix de votre servante?
Alors une voix venue du palais se fit entendre et dit : «
Quelle est celle qui se trouve en dehors et qui m’appelle? » Seigneur,
lui répondis-je, vous connaissez toutes choses, vous connaissez
même les plus secrètes pensées des hommes, vous connaissez
le nombre des cheveux de ma tête, vous savez bien que la voix que
vous avez entendue est celle de votre servante Marie. Je tombai à
genoux, la face contre terre.
Les portes du palais s’ouvrirent, et, me relevant, j’aperçus
une multitude de vierges qui portaient des couronnes sur leur tête
et des palmes dans leurs mains. Jésus était au milieu d’elles,
les surpassant toutes par son éclat et sa beauté. Les voyant
s’approcher de moi, je m’écriai : Seigneur, je ne suis qu’une pécheresse,
je ne mérite point de paraître en votre présence :
Jésus s’approcha de moi. Je lui dis : Votre beauté surpasse
toute beauté et votre gloire surpasse toute gloire. Alors, je devins
belle comme les autres vierges, qui mirent une couronne sur ma tête
et une palme dans ma main. Je pris rang parmi elles. Toutes rentrèrent
dans le palais en chantant un cantique plein d’harmonie, dans lequel elles
promettaient à Jésus de l’aimer toujours et de le suivre
partout où il irait.
LIVRE ONZIÈME, chapitre 9
Un jour de devais avoir le bonheur de faire la sainte communion.
J’entendis la voix du Sauveur qui me disait : « Combien il me tarde,
ma fille, d’entrer dans votre cœur pour vous donner les grâces que
je vous ai préparées! » Pour moi, je le dis à
ma confusion, au lieu d’être remplie d’amour et de reconnaissance
pour un Dieu si bon, j’étais privée, ce me semble, de tout
sentiment affectueux pour lui; mon cœur néanmoins gardait de sa
parole une impression très douce. Après avoir communié,
j’entrai dans mon cœur, je fléchis le genou devant Jésus
que je trouvai assis comme un maître et un souverain. Il ne me donna
aucune marque de tendresse, pas même un de ses regards pleins de
douceur qui pénètrent jusqu’au fond de l’âme. Je n’osais
porter mes yeux sur lui. Je me tenais silencieusement à ses pieds,
m’estimant bien heureuse qu'il voulût m’y supporter, faisant le sacrifice
du désir que j’avais de participer à ses douceurs et reconnaissant
combien j’en étais indigne. Je ne tardai pas à me sentir
suavement attirée. Puis, s’adressant à son Père, il
lui dit : « Mon Père, envoyez-lui le Saint-Esprit. Répandez
sur cette enfant vos grâces les plus abondantes, vous savez les desseins
que j’ai sur elle, ne regardez point ses mérites, mais rien que
les miens. » Me regardant ensuite avec un œil plein de bonté
: « Offrez-vous en sacrifice à Dieu mon Père, comme
je le fis moi-même dans le temple entre les bras de ma Mère.
» J’exécutai sa volonté, et il me sembla que Dieu répandait
sur moi sa grâce et la douceur de son Esprit.
Après cela, je vis une personne vêtue de blanc
se diriger vers moi. Je la pris pour un ange. Voici ce dont je fus témoin
et les pensées qui me vinrent à l’esprit en même temps
: L’ange prit une grande chaîne d’or attachée à la
ceinture de Jésus, et, sans me dire une seule parole, il l’attacha
par une extrémité à ma ceinture, passant entre deux
anneaux de cette chaîne, un cadenas, qu'il ferma avec une clef d’or.
Il attacha aussi mes mains et mes pieds aux pieds et aux mains de Jésus
de la même manière, mais avec des chaînes plus petites,
et je me dis à moi-même : Ces chaînes sont la figure
de la charité qui doit m’unir à Dieu dans toutes mes actions.
L’ange apporta ensuite une robe d’une blancheur éclatante,
mais d’étoffe fort simple, et il m’en revêtit, et je me dis
à moi-même; Cette robe est la figure de l’innocence et de
la simplicité qui doivent être en moi.
L’ange me revêtit encore d’une mantille rouge, qu'il croisa
sur ma poitrine; et je me dis : C'est la figure des souffrances que j’aurai
à supporter, mais sur lesquelles je ne dois point arrêter
mon esprit.
Après cela, l’ange jeta sur mes épaules un manteau
superbe dont je ne saurais dire les couleurs si variées et si belles.
Il était enrichi de broderies magnifiques en or, très larges
et retenu sur ma poitrine par une agrafe d’or; et je me dis à moi-même
: C’est la figure de la charité.
Je remarquai au milieu de ce manteau un ruban blanc très
large dont la sainte Vierge tenait l’extrémité. Marie s’avança
près de moi, passa ce ruban trois fois autour de mon cou et le disposa
avec beaucoup de grâce; et je me dis à moi-même : C'est
la figure de la dévotion pure et tendre que tu dois avoir pour Marie.
Enfin, l’ange peigna mes cheveux et les mit en désordre
sur mes épaules; et je me dis à moi-même : Cela te
figure l’esprit de pénitence que tu dois avoir. Il laissa mes pieds
nus, et je me dis : Cela te figure le détachement complet que tu
dois avoir de toutes choses. Il lava mes pieds, mes mains et mon visage,
et ils devinrent d'une blancheur éblouissante, et l’eau qu'il avait
employée fut répandue sur ma tête; et je me dis à
moi-même : Cela figure la pureté d’intention nécessaire
dans toutes les actions. Il mit une couronne d’épines sur ma tête,
une croix simple et pauvre entre mes mains, sous mes yeux une lance et
un glaive aux pointes teintes de sang, qu'il essuya et trempa dans l’eau
; et je me dis à moi-même; Cette couronne et cette croix te
figurent ta souffrance future, cette lance et ce glaive te figurent non
ton sang répandu, mais tes larmes versées ou encore des peines
que tu souffriras, non dans ton corps, mais dans ton âme. Il me couvrit
ensuite d’un grand voile noir. Il couvrit aussi la moitié de la
lance et du glaive sous ce voile; et je me dis à moi-même
: Le glaive et la lance cachés à moitié te figurent
tes peines qui seront à moitié cachées, le voile te
figure l’humilité dont tu dois t’environner toute ta vie.
Alors Jésus me dit : « Ma fille, soyez heureuse,
je vous choisis pour épouse. Que ce titre soit pour vous préférable
à celui de reine : je suis votre époux. Ne partagez donc
jamais votre cœur avec aucune créature. Qui trouveriez-vous de plus
beau, de plus aimant, de plus riche, de plus puissant, de plus parfait
que moi? Qui donc mérite, qui a le droit d’être mon rival?
Dites aux hommes : Je suis vierge, et j’aimerais mieux, avec ce titre,
passer ma vie dans la misère que de devenir reine en le perdant.
Ou encore : Jésus est mon époux, il m’a choisie pour son
épouse; je n’en suis pas digne, mais je ne veux lui préférer
personne. Une vierge véritablement vierge est humble, douce, modeste
dans ses yeux, ses oreilles et ses paroles; elle évite toute familiarité
avec les personnes de différent sexe, elle ne désire point
une vie facile et aisée; elle aime le travail, la mortification,
le recueillement, la retraite et la prière; elle évite dans
ses habits l’ajustement trop recherché comme la négligence;
elle s’habille conformément à son rang et à sa condition;
elle est détachée de tout, elle ne flatte point son corps,
elle le regarde comme sa prison, elle le respecte comme le temple où
son époux vient habiter; elle gémit et languit dans son exil,
elle soupire après la vue de son époux et n’a de consolation
sur la terre que quand elle le reçoit dans son coeur par la sainte
communion.
« Une vierge qui m'a choisi pour époux est comme
ce serviteur de l’Évangile qui veille toujours et se tient prêt
pour attendre l’arrivée de son maître. Elle est comme une
épouse qui aime véritablement son époux, qui s’afflige
et s’ennuie quand il est absent, qui attend avec impatience son retour,
qui tend toujours l’oreille pour distinguer ses pas, qui ne sort pas et
ne visite point ses amies, craignant de n’être point présente
pour recevoir son époux à l’heure de son arrivée;
qui ne dort point ou qui a un sommeil bien léger pour ne point laisser
son époux frapper longtemps à la porte; qui se lève
dès qu’elle entend sa voix, va au devant de lui et, toute transportée
de joie, l’embrasse en lui disant : Combien votre absence a été
longue! Combien je me suis ennuyée sans vous! J’attendais avec impatience
votre retour et je ne dormais point pour ne pas vous faire attendre longtemps.
L’époux est touché de tant d’amour de la part de son épouse,
et lui fait part des présents qu'il lui a apportés pour la
dédommager de la peine qui lui a causé son absence.
« L’épouse donne encore tous ses soins à
son époux. Elle a pour lui toutes sortes de prévenances et
d’attentions, elle a toujours ses yeux attachés sur lui pour deviner,
s’il est possible, ses désirs et ses volontés et les exécuter
aussitôt.
« L’époux, ma fille, n'est point indifférent
à ces témoignages affectueux de son épouse ; il lui
rend amour pour amour, il lui complaît en tout. Ses absences deviennent
moins longues et moins fréquentes. Il dispose toutes choses pour
demeurer avec elle constamment et ne s’en séparer jamais.
« Je suis l’époux, ma fille. Avez-vous pour moi
les sentiments de cette épouse dont je viens de vous parler? Avez-vous
sa joie dans votre cœur quand vous me voyez venir? Vous ne l’avez point,
je ne l’exige point; mais ce que je demande de vous, c'est que vous vous
observiez toujours, c'est que vous soyez toujours attentive à suivre
l’attrait et l’inspiration de ma grâce lorsqu’elle vous sera donnée,
et à accomplir mes moindres volontés. Cette disposition de
votre cœur vous attachera de plus en plus à moi, rendra plus forte
votre union avec moi, vous fera grandir dans la perfection à laquelle
j’appelle toutes les âmes qui se donnent à moi, et je vous
comblerai de toutes les faveurs les plus précieuses, les plus riches;
je vous ferai éprouver la douceur et la suavité de mon amour,
et bientôt vous ne pourrez plus vivre sans moi; je serai votre vie,
parce que je posséderai réellement votre cœur et que j’y
aurai établie une demeure permanente. »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 10
Un jour, après la sainte communion, je remerciais le Sauveur
Jésus de la grâce qu'il m’avait faite de m’unir à lui.
J’étais là devant lui, lui offrant la reconnaissance de mon
coeur, mais sans rien dire. Il me sembla entendre sa voix : « Ma
colombe, me dit-il, ma bien-aimée, où êtes-vous? »
Je m’approchai de Jésus. Il se plaça sur son trône,
dans mon coeur, et me dit : « Suivez ce chemin. » Il me le
montra du doigt. J’avançai quelques pas, mais, je l’avoue, avec
tristesse. Je me fis violence néanmoins; j’arrivai à un escalier
dont les degrés étaient d’or massif. Je descendis et je vis
devant moi un immense fossé qui entourait une citadelle. Sur le
haut des fossés j’aperçus des remparts qui défendaient
la citadelle; sur ces remparts étaient représentées
en relief diverses têtes d’animaux; c’était comme cela aussi
dans les fossés. J’étais là seule, sans guide, sans
soutien, et ne voyant personne. Je sentais presque mon courage faiblir.
Je m’adressai à Dieu de tout mon coeur, le conjurant de venir à
mon secours afin de ne point me laisser tomber entre les bras de mes ennemis.
En même temps, je roulai dans le fossé; mais je fus soutenue
par une main invisible, qui me promena autour du fossé. J’entendis
une voix sortir d’une des nombreuses fenêtres de la citadelle : Elle
ne fera point, dit cette voix, elle ne fera point sa demeure parmi les
tentes des pécheurs.
La même main me transporta ensuite en pleine mer sur n
vaisseau magnifique dont les câbles étaient en argent et les
chaînes en or. Je fus placée sur un lit superbe dont la beauté
surpassait celle de tous ceux que j’avais vus dans ma vie. Je me trouvai
là aussi bien que je m’étais trouvée mal ailleurs,
et je dis : Il fait bon être ici! Néanmoins, je vis bien que
ce n’était pas là le lieu de mon repos, car je soupirais
après la vue de mon bien-aimé : il n’était point en
ces lieux. J’étais bien fatiguée, et tournant la tête,
je m’endormis.
Bientôt après, je fus réveillée par
une voix qui m’appelait : Marie! Marie! J’ouvris les yeux, et regardant
un beau personnage qui était devant moi : Qui êtes-vous? lui
dis-je. Je ne vous connais pas. Il ne répondit rien. Retirez-vous,
vous n’êtes pas le bien-aimé. Je détournai la tête,
je fermai les yeux, et je me rendormis.
Quelque temps après, une nouvelle voix se fit entendre.
J’ouvris les yeux et j’aperçus un personnage. Il s’approcha de moi
et me frappa doucement sur la joue. Je fus saisie de frayeur, car il était
hideux à voir. Ses cheveux crépus semblaient être grillés,
deux cornes se dressaient sur sa tête, et ses yeux et ses lèvres
se contractaient d’une manière horrible. Qui que vous soyez, lui
dis-je, retirez-vous, fuyez loin d’ici! Mon Dieu! m’écriai-je ensuite,
veillez sur moi. Je détournai la tête, je fermai les yeux
et je me rendormis.
Une nouvelle voix se fit encore entendre. Je la reconnus, c'était
celle du Sauveur. J’ouvris les yeux, je ne m’étais point trompée,
c'était bien Jésus, avec son air doux et majestueux, sa contenance
humble et sans affectation. « Ma fille, me dit-il, levez-vous. »
Je me levai. Il me prit par la main et dit; « Nous sommes au port.
» Nous abordâmes et entrâmes dans un lieu ravissant.
« C'est ici, ma bien-aimée, me dit le Sauveur, que vous demeurerez
éternellement avec moi, parce que vous m’avez reconnu et n’avez
voulu reconnaître que moi seul. » Seigneur, lui répondis-je,
le lieu de mon repos sera partout où vous serez; j’y ferai mon séjour,
parce que je n’en veux pas d’autre que celui de mon bien-aimé, du
sauveur et époux de mon âme.
LIVRE ONZIÈME, chapitre 11
Le Sauveur me regarda un jour avec un air de bonté extrême
et me dit : « Ma fille, à partir de ce moment, soyez-moi unie
pour toujours, resserrez de plus en plus les liens qui nous unissent. Je
vous ai choisie pour mon épouse, je vous accepte aujourd'hui; donnez-vous
à moi, je me donne à vous, et vous apprécierez dans
l’intimité de nos relations la dignité, le bonheur et l’avantage
de m’avoir pour époux.
« Est-il rien, en effet, de plus glorieux pour vous que
d’avoir pour époux le roi du ciel et de la terre, celui qui commande
aux hommes les plus puissants, qui commande aux monarques et aux potentats,
les fait trembler sur leurs trônes et les brise comme un vase d’argile
sur un pavé? Est-il une dignité supérieure à
cette dignité? Tout ce qui est à l’époux appartient
à l’épouse aussi. Tout est commun entre eux. Si l’époux
est roi, il établit son épouse reine dans ses états.
Si l’époux est puissant, couvert de gloire, porté en triomphe,
il met son épouse à son côté pour la faire participer
à sa puissance, à sa gloire et à ses triomphes. Ainsi,
ma fille, je livre tout à l’âme qui veut être mon épouse;
je lui livre ma puissance, mes grâces, mes mérites; je la
constitue reine dans le royaume de mon Père.
« Le bonheur de la vie, c'est l’union des âmes.
Le fondement de l’union, c'est la force, l’amour en fait le charme.
« Or, peut-il être un bonheur supérieur à
celui de l’union entre Dieu et une âme. Cette union est durable,
parce qu'elle est fondée sur la paix. Je suis le Dieu de la paix,
et les âmes qui me sont unies reçoivent de moi la paix de
la conscience. Cette union est préférable à toute
autre union, car je suis le Dieu de la charité. Je suis charité,
et je l’insinue dans celle qui veut être mon épouse.
« Aussi, entre une âme qui m’est unie et moi, il
n’y a point de secrets, mais la confiance la plus entière. Je vois
cette âme telle qu'elle est, et cette âme se montre aussi telle
qu'elle est en réalité. Je lui montre tout ce qui est en
moi; elle l’aperçoit, elle le regarde comme en plein jour. Quels
suaves épanchements entre mon cœur et celui de mon épouse!
Elle s’est donnée tout à moi, je me suis donné aussi
tout à elle. Elle ne me refuse rien, je lui accorde tout ce qu'elle
me demande, et dans le secret de ces épanchements intimes, notre
union devient de plus en plus forte, de plus en plus heureuse.
« Enfin, ma fille, une âme qui est mon épouse,
dans quelque position qu'elle se trouve, comprend que tout est pour son
avantage. Si elle est pauvre, elle voit ma pauvreté et s’estime
heureuse de me ressembler. Si elle est persécutée, elle voit
toutes les persécutions que j’ai souffertes et s’estime heureuse
de me ressembler. Si elle est dans les peines, les tribulations, les douleurs
de la vie, elle jette un regard sur moi et s’estime heureuse de me ressembler.
Si Dieu lui accorde des consolations, des grâces, des faveurs, elle
comprend que c'est à son titre de mon épouse qu'elle les
doit, et tâche par sa correspondance de croître de plus en
plus en vertus.
« Est-il donc rien de plus avantageux, de plus heureux,
de plus glorieux pour vous que d’être mon épouse? Je puis
vous suffire et vous suffirai, ma fille, car je suis Dieu. Je prendrai
plus de soin de vous, je veillerai plus sur vous, je vous rendrai plus
heureuse que l’époux le plus tendre, parce que je commande en maître
à toutes choses et dispose de tout pour réjouir les âmes
qui se donnent à moi.
« Donnez-vous donc tout à moi, unissez-vous de
plus en plus à moi par une plus grande pureté. Éloignez
de votre cœur tout ce qui pourrait y blesser mes yeux purs, chastes et
saints. Je suis jaloux des affections de mes épouses; je veux posséder
leur coeur tout entier, afin de le remplir de la suavité et de la
tendresse de mon amour, et rendre leurs relations avec moi les relations
les plus parfaites, les plus glorieuses, les plus intimes qui puissent
être au ciel et sur la terre après les relations éternelles
des personnes de la sainte Trinité. »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 12
Le lendemain je m’unis au Sauveur Jésus par la communion
spirituelle. Il me parla ainsi :
« Ma fille, je vous ai dit et je vous ai fait comprendre
le bonheur et la dignité des âmes qui sont mes épouses.
Cette grâce d’union avec moi, je la donne à qui il me plaît.
Quand j’ai jeté mes regards sur une âme et que je veux l’attirer
à moi, je souffle dans son cœur une pensée qui grandit et
se développe comme un germe mystérieux. Puis cette âme
manifeste cette pensée que j’ai déposée en elle, elle
dit : Je serai l’épouse de Jésus. Elle a entendu ma voix,
elle y répond. Heureuses ces âmes qui répondent à
ma voix! Mais malheur à ceux qui veulent les détourner de
moi, les arrêter, étouffer en elles la vocation que je leur
ai donnée! Malheur aux parents à qui je demande ainsi un
enfant et qui ne veulent point me l’accorder! De qui donc ont-ils reçu
leurs enfants, si ce n'est de Dieu? Dieu n’en est-il donc pas le premier
père? N’a-t-il pas sur eux des droits bien plus forts et plus vrais
que leurs parents?
« De quelle injustice ne se rendent-ils donc pas coupables
envers Dieu et envers leurs enfants? Envers Dieu, puisqu’ils lui ravissent
ses droits; envers leurs enfants, puisqu’ils lui ravissent ce qu’il y a
de plus précieux pour eux, la faveur de m’appartenir et de me posséder
dans l’intimité. Quelle injustice envers Dieu et envers leurs enfants!
Envers Dieu, car si un roi de la terre leur demandait une enfant pour en
faire son épouse, ils la lui accorderaient et consentiraient même
à ne pas la voir, se croyant dédommagés par l’honneur
qu'il leur reviendrait de sa haute alliance. Mais quand le Roi des rois
leur demande un enfant, il est, lui, refusé, comme s’il n’était
pas au dessus de tous les rois de la terre! Quelle injustice et quel outrage!
Injustice à l’égard de leurs enfants; car ces enfants, éclairés
par la lumière divine, voient non avec les yeux du corps, mais avec
les yeux de l'âme, et non par conséquent comme leurs parents.
Ils voient le bonheur dans leur union avec moi et le malheur et l’infortune
loin de moi. N’est-ce donc pas les éloigner de la félicité,
n'est-ce pas les rendre malheureux? Quelle injustice de la part des parents
et quelle dureté de cœur!
« Combien ils ont à redouter les châtiments
de Dieu pour leur inconduite. Ah! malheur à ces parents!
« Malheur aussi à ceux à qui je fais entendre
ma voix et qui ne l’écoutent point! Un jour aussi ils crieront vers
moi; je les éloignerai et je resterai sourd à leur supplication.
« Celui qui entend ma voix doit la suivre. Celui qui éprouve
le souffle de mon esprit doit suivre l’impulsion de ce souffle et se diriger
vers le but qui lui est indiqué.
« J’aime à me multiplier à l’infini et à
attirer vers moi les âmes par mille attraits différents, mille
moyens divers. Il en est que je laisse dans le monde combattre vaillamment
mes combats. Ces âmes sont fortes, ces âmes sont à l’abri
de toutes les attaques, rien ne les ébranlera, rien ne les séparera
de moi.
« Il en est d’autres que j’appelle dans la solitude pour
leur parler seul à seul, coeur à coeur, loin du monde et
de ses séductions, pour les vivifier constamment par ma grâce,
ma parole, mon regard.
« Il en est que j’attire uniquement, et dès le
premier instant, par l’amour qu'elles ont pour moi, et d’autres par la
crainte d’être séparées de moi pendant l’éternité.
« Le plus souvent, ma fille, je sépare du monde
les âmes que je veux ainsi m’unir et que je choisis pour épouses,
et elles entrent en religion, c'est-à-dire, comme je vous l’ai déjà
expliqué, elles se lient à moi d'une manière plus
intime en se séparant du monde.
« Il y a quelquefois des âmes qui se croient appelées
et qui ne le sont point; il y en a dont les sentiments ne sont ni purs
ni désintéressés. C'est pour cela que je veux vous
dire les dispositions nécessaires pour entrer en religion.
« Pour cela, ma fille, il faut d’abord être appelée,
et puis correspondre à sa vocation, qui n'est rien autre chose que
l’inclination donnée par Dieu à une âme pour un état
de vie qui la sanctifiera par la pratique spéciale des vertus.
« Cette inclination est développée par l'âme
de deux manières. La première est l’inclination d'une âme
qui accepte l’impulsion de Dieu, non point pour éviter les peines
et les combats qui se trouvent dans le monde, mais pour glorifier davantage
le Seigneur en prenant un genre de vie plus parfait.
« La seconde est l’inclination d’une âme qui accepte
l’impulsion de Dieu, parce qu'elle voit les combats qu'il faut soutenir
dans le monde et les dangers qu’on y rencontre, et parce qu'elle craint
pour sa faiblesse.
« Cette manière d’accepter l’impulsion de Dieu
est bonne, mais moins parfaite que l’autre.
« Mais il faut se garder de vouloir suppléer à
cette vocation, à cet appel de Dieu, par une volonté personnelle
qui donne une dévotion fausse, ou par un dégoût du
monde qu'on ne veut point supporter. En effet, ma fille, celui qui veut
entrer en religion doit d’abord renoncer à sa volonté, et
puis savoir se supporter lui-même patiemment et supporter autrui.
Sans cela, cette détermination irréfléchie et dénuée
d’un véritable fondement mettrait en danger de passer des jours
tristes, pénibles et tout à fait malheureux, une fois que
serait éteint le premier feu excité dans un moment d’enthousiasme,
d’impatience ou d’irréflexion. Le nombre de ceux qui agissent comme
cela est grand, et au lieu de s’avancer dans la perfection en s’unissant
de plus en plus à moi, ils scandalisent les autres et les empêchent
d’avancer dans le bien et la vertu.
« Quand on a entendu l’appel de ma voix, on doit se préparer
à en exécuter le commandement par une grande pureté
de cœur, en suivant les avis de celui à qui on aura fait connaître
sa vocation et qui l’aura reconnue véritable. Il faut se défaire
du vieux levain qui pousse au péché en déracinant,
par des efforts généreux, toutes les mauvaises habitudes.
Car, malheur à celui qui apporterait parmi les bénis de mon
cœur, un cœur coupable et enclin au péché!
« Celui qui veut ainsi tout quitter pour me posséder
et vivre avec moi doit se regarder comme mort au monde, au démon,
à lui-même. 1° Au monde, c'est-à-dire oublier ses
parents, ses amis, éloignant même toute pensée qui
se rapporterait à eux d’une manière humaine et naturelle,
pour n'y penser que devant Dieu; 2° au démon qui fait la guerre
à tout le monde, mais particulièrement aux âmes qui
se donnent à moi. Il ne leur présente pas d’abord de grands
péchés, mais il les porte au relâchement par des pensées
vaines et des imperfections qui leur nuisent autant que les péchés
véniels aux personnes du monde. Si on écoute le démon,
peu à peu on tombe dans l’oubli de ses devoirs, on se sépare
de moi; 3° à lui-même, c'est-à-dire de ne pas écouter
les suggestions perverses de la chair et des sens. Cette mort est une victoire
véritable et la plus difficile. C'est une victoire, car c'est réellement
triompher de soi. C'est une victoire difficile; il en coûte en effet
beaucoup pour se dompter en tout, pour n'être pas plus touché
des outrages et des injures que des louanges et des honneurs; pour ne tenir
à rien, se défaire de tout, pour se reposer uniquement en
moi.
« Cette triple mort est une vie véritable et la
seule qui puisse mériter le nom de vie. Car être dans cette
mort, c'est être uni à moi, c'est me posséder, et je
suis la vie de tous ceux qui sont dans ce monde et qui veulent vivre dans
l’éternité de la vie à laquelle je les initie ici-bas.
« Le monde, le démon et la concupiscence luttent
contre ces âmes que je me choisis : le monde, par le désir
qu'il leur inspire des biens d’ici-bas; le démon, par l’esprit de
rébellion; la concupiscence, par les tentations impures. Mais je
donne à ces âmes trois armes qui abattent le monde, le démon
et la concupiscence; ce sont : le vœu de pauvreté contre le monde,
le vœu d’obéissance contre le démon, le vœu de chasteté
contre la concupiscence. »
LIVRE ONZIÈME, chapitre 13
« Le vœu, ma fille, est un soutien, un appui, un abri,
une défense pour l'âme. L'âme sent que le désir
des richesses triompherait bientôt d’elle-même; elle met le
vœu de pauvreté comme une barrière qui l’arrêtera et
l’empêchera de succomber, et de même pour les autres vœux.
Le vœu est quelque chose d’essentiellement libre; mais le vœu est quelquefois
une chose souverainement nécessaire. Il peut être et devenir
aussi chose très importante. Aussi ne faut-il faire des vœux qu’avec
circonspection.
« Le vœu est une promesse faite à Dieu par serment
de l’accomplissement d’un acte bon. Il y a deux sortes de vœux : le vœu
conditionnel, et celui par lequel on s’engage sans condition. La condition
réalisée, on doit accomplir le vœu qu'on a fait; le vœu absolu,
ou qui ne renferme pas de condition, doit être toujours accompli.
Le vœu est une chose fort agréable à Dieu, et les actes accomplis
sous l’empire ou la nécessité d’un vœu sont plus agréables
à Dieu que les autres, parce qu'on s’est engagé volontairement
à les faire. On ne pèche point en ne faisant pas des vœux;
mais on pèche si on ne les accomplit pas, et le péché
est d’autant plus grave que la chose promise est grave et importante, à
moins qu'on ne se soit réservé expressément de ne
vouloir point s’engager à l’observation du vœu, sous peine de péché
mortel. Il est prudent de ne jamais faire de vœu sans l’autorisation de
son confesseur, et un confesseur ne doit jamais permettre des vœux perpétuels
et pour la vie, qu’après s’être bien assuré de la vertu,
de la fermeté et de la vigueur de celui qui veut s’engager ainsi.
« Que de peines on se crée par des vœux prononcés
légèrement! Que d’embarras on s’épargne en ne prononçant
point ces vœux! Que de grâces on attire sur soi quand on correspond
au désir que Dieu manifeste de l’émission d’un vœu! Que de
secours on obtient pour soi! Oh! bienheureux sont ceux qui résistent
au monde et à ses richesses par le vœu de pauvreté, et qui
demeurent fidèles dans l’observation de ce vœu! Bienheureux sont
ceux qui résistent au démon et à son esprit de révolte
et d’orgueil par le vœu d’obéissance, et qui demeurent fidèles
dans l’observation de ce vœu!
« Je serai leur richesse dans l’éternité;
je serai leur gloire dans l’éternité; je serai leur félicité
dans l’éternité.
« Nos relations auront commencé dans le temps,
elles dureront dans les siècles des siècles. Ayez espoir,
ma fille, vous triompherez de tout. Je vous cacherai comme ma colombe dans
le trou du rocher; je vous enlèverai au monde, je vous donnerai
une place dans la famille sainte consacrée à mon divin Cœur;
là vous serez tout à moi et je serai tout à vous.
»
Amour à Jésus à jamais dans le sacrement
de l’autel. Amen.