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originale par JesusMarie.com, 2007 avril 17
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les 13 livres de Soeur Marie Lataste
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 1
Un jour, le Sauveur Jésus me parla ainsi : « Ma
fille, la vie de l’homme sur la terre est un labeur. La vie est un pèlerinage,
le monde un lieu d’exil, le corps une prison, chaque moment une lutte de
l'homme contre lui-même. C'est pour cela que, selon ma parole, le
royaume du ciel souffre violence. Vous n’avez jamais considéré
attentivement la vie de l'homme : elle est sujette à des changements
continuels. Il marche tantôt avec force et courage vers le terme,
et tantôt avec faiblesse et lâcheté. Aujourd'hui, il
est plein de feu; demain, sans mouvement. Quelquefois il s’élève
et semble pénétrer les cieux par la sublimité et la
grandeur des aspirations de son âme; quelques instants après
il rampe terre à terre. Voyez-le, sa figure rayonne de joie; voyez-le
de nouveau, son front est obscurci par le trouble et le chagrin. Voilà
ce que le prophète roi a dépeint dans ses psaumes, et ses
paroles sont pleines de vérité.
« Ces divers états de l'âme ne dépendent
pas toujours d’elle-même, Dieu l’éprouve en agissant ainsi.
Dieu ne soutient pas toujours également les âmes; il semble
se retirer quelquefois avec ses grâces, ses consolations, sa force,
son soutien; il abandonne les âmes à elles-mêmes, pour
qu'elles sentent mieux leur misère et leur néant, pour les
faire lutter, pour les exercer au combat, pour leur prouver combien elles
sont impuissantes sans lui et augmenter leurs mérites. Dieu agit
ainsi pour faire comprendre aux âmes, même les plus parfaites
et les plus saintes, que la perfection absolue n'est point sur la terre,
qu'il n'y a rien de stable ici-bas et qu'il faut toujours combattre. Dieu
agit ainsi pour montrer aux âmes que la vie sur la terre ressemble
à la vie d’un enfant, qui a toujours besoin de son père et
de sa mère tant qu'il est enfant, et que la virilité véritable
n'a lieu que dans le ciel. Dieu agit ainsi afin que l’âme, appesantie
sous le poids de son corps, se détache le plus possible de ce compagnon
de voyage pour ne s’attacher qu'à Dieu. Dieu agit ainsi afin que,
dans les moments de sécheresse, d’aridité ou de froideur,
l'âme se tourne vers lui, le suppliant de faire tomber sur elle une
rosée pleine de fraîcheur et de fécondité, et
de la réchauffer par les ardeurs de son amour.
« C'est pourquoi, ma fille, dans quelque état que
vous vous trouviez, ayez toujours soin de penser à Dieu. Faites
un doux effort pour aller vers lui. Jetez vers lui un cri d’alarme, ou
bien tenez-vous en sa présence, ramenez votre esprit vers lui. Oubliez
tout le reste; peines, chagrins, afflictions, travaux, exercices de piété;
si vous êtes unie à Dieu, tout ira bien. Votre vie pourra
être laborieuse, c’est-à-dire pénible, mais ce labeur
vous portera vers Dieu et vous engendrera à la gloire. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 2
Le Sauveur Jésus vint un jour à moi et me dit :
« Ma fille, je veux vous parler, selon la promesse que je vous ai
déjà faite, des épreuves des âmes justes, de
ces âmes qui marchent et s’efforcent d’avancer de plus en plus dans
la voie de la justice. Je vous indiquerai ensuite les motifs pour lesquels
Dieu éprouve ainsi ces âmes.
« Il y a deux sortes d’épreuves : les unes regardent
le corps ou la vie matérielle, les autres regardent l'âme
ou la vie surnaturelle. Les épreuves ne sont pas un mal, les âmes
intérieures le comprennent bien, mais les mondaines ne le comprennent
pas. Leur parler d’épreuves, de souffrances, de tribulations, de
pénitences, c'est leur tenir un langage barbare qu'elles ne veulent
point écouter. Ce sont des aveugles qui ne voient point dans la
vie intérieure; ce sont des sourds qui ferment leurs oreilles et
qui n’entendent point la parole de la vie intérieure; ce sont des
muets dont la langue est liée et qui ne peuvent dire la grandeur
de la vie intérieure; ce sont des paralytiques qui n’ont point l’usage
de leurs pieds pour marcher dans la vie intérieure, ni celui de
leurs bras pour en embrasser les pratiques.
« Vous n'êtes point du monde, ma fille, vous ne
lui appartenez point; vous êtes ma propriété, vous
comprendrez que les épreuves sont pour votre bien et qu'elles sont
pour vous encore une source très-grande de mérites.
« Les épreuves du corps ou de la vie matérielle
sont les infirmités, les souffrances, les maladies. Combien de saints,
aujourd'hui dans le ciel, qui doivent leur salut à ces épreuves?
La santé eût été pour eux l’occasion d’une ruine
éternelle.
« Les épreuves du corps ou de la vie matérielle
sont encore la perte d’un ami, d’un père ou d’une mère, d’un
frère ou d’une sœur. La mort, ma fille, ne frappe pas seulement
le cœur, elle frappe aussi l’esprit. Elle fait faire des réflexions
sérieuses, tourne l’esprit vers Dieu, l’attache à lui, et
par ce moyen fait suivre la voie de la vérité.
« Les épreuves du corps ou de la vie matérielle
sont encore la pauvreté, la misère, le dénuement de
toutes choses, la perte de sa fortune et de ses richesses. Ces épreuves
sont aussi fort utiles aux âmes. Le riche, je vous l’ai déjà
dit, ma fille, entre bien difficilement dans le ciel, parce qu'il s’attache
à ses richesses et non à Dieu. Le pauvre, au contraire, apprend
de bonne heure à n’espérer qu'en Dieu, à ne recourir
qu’à lui. Il est détaché de tout, mais il a Dieu pur
lui et Dieu lui suffit. C'est une grande grâce que Dieu fait souvent
au riche de lui enlever ses richesses. Il lui montre que rien n'est stable
ici-bas, qu'il ne faut compter sur rien, mais qu’on doit plutôt s’abandonner
complètement à Dieu et n’aimer que lui.
« Les épreuves de l'âme ou de la vie surnaturelle
sont les scrupules. Je ne parle point des scrupules qui arrivent aux âmes
timides ou ignorantes, mais de ceux qui obsèdent les âmes
les plus parfaites. Ces scrupules sont un bien, parce qu'ils attachent
de plus en plus à Dieu.
« Les épreuves de l'âme ou de la vie surnaturelle
sont la privation de la présence sensible de Dieu.
« Voyez cette personne dont la volonté est attachée
à celle de Dieu. Le démon lui suggère une pensée
coupable; aussitôt elle repousse cette mauvaise pensée. Cependant
la tentation redouble, remplit tout son cœur, occupe toutes les puissances
de son âme; il ne reste plus à cette personne que sa volonté
qui, pleine d’horreur pour le péché, se tient toujours attachée
à Dieu. Dieu, voulant l’éprouver encore davantage, lui ôte
sa présence sensible et elle demeure sans consolation de la part
de Dieu. Son esprit se remplit d’épaisses ténèbres;
elle ne sait plus distinguer si elle a consenti ou non à la tentation
qui l’a obsédée; elle se demande si elle jouit encore de
l’amitié de Dieu ou bien si elle est en état de péché
mortel. Néanmoins elle ne se trouble pas, elle reste toujours fortement
appuyée sur Dieu et inébranlable comme un rocher. Elle demande
des lumières à son directeur sans chercher de consolations
et demeure aveuglément soumise à la volonté de Dieu.
Que de mérites cette personne ne gagne-t-elle pas! Comme Dieu la
regarde avec complaisance! Ne sentez-vous pas qu'il faut une vertu bien
solide pour une telle épreuve? Cet état dure plus ou moins
longtemps selon la volonté de Dieu qui comble ensuite cette âme
de consolations sur la terre, ou lui accorde immédiatement la plus
brillante des couronnes du ciel quand l’épreuve a duré jusqu’à
la mort.
« Une âme, ma fille, est facilement joyeuse et fervente,
quand elle ressent toutes les consolations attachées à la
grâce de Dieu. Mais qu’une âme soit joyeuse et fervente quand
Dieu semble s’être retiré d’elle, quand elle sent sa faiblesse
et sa misère, quand son esprit est travaillé par mille pensées,
quand elle se voit distraite dans ses prières, quand elle se voit
assoupie dans le service de Dieu, c'est là, ma fille, une chose
rare, et pourtant, il devrait en être ainsi. Heureuses sont les âmes
qui ne se laissent point abattre par ces épreuves, qui repoussent
les distractions sans trop s’en préoccuper, qui recourent à
Dieu dans leurs peines et leurs afflictions, qui cherchent en lui leur
force et leur soutien! Heureuses les âmes qui conservent inaltérable
leur joie, et qui savent se soumettre entièrement et en toutes choses
à la volonté et au bon plaisir de Dieu, persuadées
qu'il dirige et dispose tout pour sa gloire et pour leur bien!
« Quand il plaît à Dieu d’éprouver
ainsi les âmes, il le fait pour trois motifs : le premier motif n'est
autre que celui de l’épreuve elle-même; Dieu connaît
ainsi quelles sont les âmes qui lui sont véritablement attachées,
qui l’aiment sincèrement, et non d’une manière intéressée.
Il les abandonne quelque temps à elles-mêmes pour voir comment
elles marchent et de quel côté elles tournent leurs pas, si
elles demeurent fermes et pleines de courage. Voyez une mère dont
l’enfant commence à marcher; elle le laisse seul quelque temps et
pour un petit espace à parcourir, afin qu’il marche sans le secours
de son bras. La mère ne se tient pas éloignée pourtant,
elle demeure tout près pour observer les mouvements de son enfant
et l’empêcher de tomber. Quelquefois la mère ne l’abandonne
pas complètement à lui-même, elle ne le soutient pourtant
pas avec ses deux mains, elle ne lui prête que le secours de son
petit doigt et fait ainsi marcher son enfant. Ainsi, peut à peu
l’enfant se fortifie, marche seul et se tient debout. Dieu agit comme cette
mère vis-à-vis des âmes. Ces âmes marchent, parce
qu'il les tient, pour ainsi parler, avec ses deux mains; ces âmes
l’aiment parce qu'il les comble de ses faveurs et de ses bénédictions.
Ces âmes sont fidèles à leurs exercices de piété,
parce qu’elles y trouvent un avant-goût du bonheur du ciel. Or, Dieu
veut éprouver ces âmes, il veut connaître leur force,
leur fermeté, leur amour pour lui; il s’éloigne un peu, il
ne leur accorde pas autant de consolations. Alors, si ces âmes lui
demeurent fidèles, si elles ne se refroidissent pas dans son service,
si elles l’aiment toujours, Dieu leur accorde encore plus de consolations,
plus de bonheur et des grâces plus nombreuses qu’au commencement.
« Le second motif, c'est que Dieu veut, par les épreuves,
corriger les âmes et les punir de leurs péchés.
« Je veux me servir encore de la même comparaison.
Quand une mère voit que son enfant se révolte contre elle
et manque de respect envers elle, elle ne lui témoigne point la
même affection, elle le prive de ses bonnes grâces, et lui
fait sentir son autorité au lieu de l’embrasser dans son amour.
L'enfant, reconnaissant sa faute, en a du repentir, demande pardon à
sa mère, promet de ne plus agir comme il a agi, et sa mère
lui rend son affection, lui accorde ce qu'elle lui avait pris et le presse
dans ses bras.
« Ainsi, quand les âmes tombent dans la négligence
à s’acquitter fidèlement de leurs devoirs envers Dieu, ou
quand elles l’offensent, Dieu leur retire sa présence sensible,
leur envoie des tribulations et leur fait sentir son autorité. L’âme
voyant alors sa détresse, se trouvant sans secours loin de Dieu,
n’ayant d’autre espérance qu’en lui, reconnaît ses négligences,
ses fautes, ses péchés, en demande pardon, et promet de faire
tous ses efforts pour se corriger.
« Dieu, content et satisfait de ce retour de l'âme
vers lui, répand encore sur elle ses grâces, ses bénédictions
et ses faveurs les plus signalées.
« Le troisième motif des épreuves se tire
de la seule bonté de Dieu. L’âme est si faible qu'elle ne
peut même pas supporter et soutenir les grâces de Dieu, si
elles lui sont données avec abondance. C'est pourquoi il sait les
proportionner à la force de l'âme à qui il les donne.
Il se retire un instant, pour lui laisser mieux entrevoir la grandeur et
l’immensité des trésors divins. Il se retire un instant,
pour se l’attacher de plus en plus, en lui faisant comprendre que rien
sur la terre ne peut la satisfaire, si ce n’est lui. Ainsi, elle apprécie
mieux les dons de Dieu; ainsi, elle fait de nouveaux efforts pour les conserver
et les augmenter.
« Vous comprenez maintenant, ma fille, l’économie
des actions de Dieu dans sa conduite envers les âmes. Quand il vous
surviendra donc des épreuves dans votre vie, supportez-les patiemment
et avec courage, pensant que Dieu ne vous les envoie que pour votre bien.
»
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 3
Je lisais un jour ces paroles des saints Livres : Ils m’ont tendu
un piège en secret dans le chemin que je suivais. Le Sauveur Jésus
vint à moi et me dit : « Ma fille, la vie de l'homme est traversée
par mille embarras et pleine de tentations. Il faut nécessairement
combattre ou mourir. Celui qui combat conserve sa vie, pourvu qu'il prenne
tous les moyens pour vaincre ses ennemis dans le combat. Si vous aviez
un ennemi acharné à votre perte et que vous n’eussiez d’autre
espoir de lui échapper que de le combattre, repousseriez-vous le
combat? Ne vous armeriez-vous pas de toutes vos forces? N’appelleriez-vous
pas des amis à votre aide pour marcher ensuite fièrement
contre cet ennemi? Voilà la situation de l'homme en face du démon.
Depuis qu'il a été précipité du ciel, le démon
poursuit sa révolte contre Dieu. L'homme a été créé,
c'est à l'homme qu'il s’adresse, c'est l'homme qu'il veut entraîner
avec lui. Que fait-il pour cela? Il sème partout des embûches
et des pièges pour l’entraîner au péché. Voilà
pourquoi le prophète s’écriait : Ils m’ont tendu un piège
en secret dans le chemin que je suivais.
« Savez-vous quel est ce secret dont parle le prophète,
et quel est ce chemin qu'il parcourait? Je répondis : Non, Seigneur.
– Ma fille, je veux vous le faire connaître. Par ce secret et ce
chemin, le prophète entend l’intérieur de son âme et
sa vie. Là, tout est caché, tout est secret entre Dieu et
l'homme. L’âme vit là de sa vie cachée et ignorée,
et Dieu la conduit. Mais voici un autre guide, un autre directeur qui se
présente et qui s’oppose à Dieu, c'est Satan. Dieu indique
la voie, et suivre cette voie c'est marcher à la vie. Satan approche,
montre une autre voie qui semble plus brillante que la voie de Dieu, mais
qui en vérité conduit à la mort. Pour entraîner
l'âme, il emploie toute sorte de ruses et de moyens; il agit intérieurement
et extérieurement par les créatures ou par les facultés
de l'âme qu'il obscurcit. Malheur à qui suit la voie qu'il
indique, malheur à qui ne s’en détourne pas! Voilà
le commerce de la vie de l’âme située entre Dieu et Satan.
Les mondains n'y avisent point, ils ne connaissent point ces secrets de
la vie intérieure qui est la seule vie. Je veux vous en entretenir.
« La vie intérieure ressemble à un chemin
caché, inconnu, souterrain. C'est la retraite où l’âme
se renferme pendant son passage sur la terre. Dieu seul a le droit de pénétrer
cette retraite de l'âme. Il y vient et gagne l’amitié de l'âme
par la douceur de sa présence et les consolations qu'il lui fait
goûter. Mais afin d’éprouver la fermeté de l’attachement
et de l’amour de l'âme, il se plaît à lui retirer le
bonheur de sa présence et il permet au démon de la tenter.
Le démon aussitôt représente à l'âme la
vie qu'elle mène comme pleine d’ennuis et de dégoûts;
il parle des rudes combats qu'il va lui livrer et des fortes tentations
qui vont l’assaillir de toutes parts; il lui dépeint la vie des
personnes qui suivent le monde comme pleine de charmes, de bonheur et de
félicité; il l’engage à embrasser cette vie.
« Heureuse l'âme qui sait en ce moment s’humilier
devant Dieu, s’attacher à lui et lui jurer fidélité
à jamais!
« Alors le démon exécute ses menaces, il
trouble cette âme, il la remplit de pensées déshonnêtes
et indécentes, il attaque surtout sa chasteté, qu'il veut
ruiner soit par des désirs du cœur, soit par des représentations
de l’imagination.
« Heureuse l'âme qui en ce moment compte sur Dieu,
qui ne se trouble pas, qui repousse les pensées mauvaises par le
souvenir de ma passion, les représentations indécentes par
les représentations de ma mort sur le calvaire, qui s’arme de ma
croix et qui la présente au tentateur! Dieu revient à elle
avec plus de consolations, et l'âme s’attache encore plus à
lui.
« Quand le démon agit ainsi, c'est qu'il veut du
premier coup être maître de la place, et le plus sûr
moyen est une chute contre la vertu de chasteté. Mais il ne procède
pas toujours ainsi. Il attaque plus souvent en inspirant des sentiments
de crainte, il effraie en montrant à l'âme sa faiblesse, et
en l’exagérant à l’extrême. Une âme lâche,
craintive, timide est bien vite abattue.
« Heureuse l'âme qui repousse ces suggestions du
démon, qui n’exécute point sa parole, qui oublie même
sa faiblesse pour jeter les yeux sur moi et placer l'espérance de
son cœur dans mes plaies et ma victoire sur la mort et sur l'enfer!
« L'âme a résisté; elle a mis le démon
en déroute. Tout n’est pas fini pour elle, et le démon lui
représente cette victoire comme une preuve de sa force; il souffle
des pensées de vaine complaisance et d’orgueil, et cherche à
l’entraîner ainsi et à la séparer de Dieu.
« Heureuse l'âme qui, en ce moment, se rappelle
son néant et se souvient qu'elle ne peut rien par elle-même,
que Dieu est toute sa force, qu'elle ne peut rien opérer que par
lui!
« Le démon ne se décourage pas encore :
il voit l'âme attachée au bien, amie de la vertu; il l’engagera
à des actes de vertu excessifs, qui seront pour elle une occasion
de chute, par ce qu'elle n’aura pas agi avec discrétion et discernement.
« Heureuse l'âme qui, en ce moment, juge chaque
chose à sa juste valeur, et qui n’emploie pas inutilement ses forces!
Heureuse l'âme qui consulte Dieu et qui a la clarté et la
lumière des conseils d’en haut!
« Enfin, ma fille, le démon fait un assaut général
contre toutes les forces de l'âme, il l’attaque à la fois
par la sensualité, par l’orgueil, par la suffisance, par la défiance,
par la crainte, par la lâcheté, par la paresse, par la présomption.
La lutte dure longtemps, les pièges sont tendus partout. Le chemin
de l'âme est recouvert par un filet satanique, où, comme un
oiseleur, le démon cherche à saisir l'âme et à
la réduire en esclavage.
« O ma fille! avisez toujours aux pièges que le
démon vous tendra sur le chemin de votre vie; ouvrez vos yeux, considérez
attentivement toutes choses. Observez moins votre vie extérieure
que votre vie intérieure, moins vos ennemis du dehors que ceux du
dedans. Rappelez-vous qu'un piège est tendu sur le chemin que vous
parcourez. »
Après m’avoir ainsi parlé des tentations du démon,
le Sauveur Jésus me dit : « Les tentations viennent du démon;
elles viennent aussi de la nature corrompue par le péché.
Le cœur de l'homme est devenu par le péché comme une terre
stérile pour le bien, mais très-féconde pour le mal.
C'est cette inclination au mal qui a été combattue par tous
les saints et changée en eux et par eux avec ma grâce en une
inclinaison vers le bien. Ce combat ne leur a pas été préjudiciable,
loin de là, il a été la source de leur mérite
et de leur sainteté. La tentation n'est donc pas un mal par elle-même,
qu'elle vienne du démon ou de votre nature corrompue. Si vous résistez
à la tentation et la combattez, cette résistance sera, au
contraire, un sujet de mérite et augmentera votre récompense.
La tentation ne sera péché qu’autant qu vous succomberez
et que vous n'y résisterez point.
« C'est pourquoi, ma fille, ne vous découragez
jamais. Quand vous serez attaquée par une tentation, venez, courez
vers moi, pour l’empêcher d’entrer dans votre cœur. Si elle est entrée
en vous, ne vous troublez point pour cela, oubliez plutôt la tentation
et tenez votre volonté fortement attachée à Dieu.
Pour pécher, il faut le consentement de la volonté; si votre
volonté est attachée à Dieu, elle ne le sera point
à la tentation, et par conséquent vous n’aurez point péché.
Quand la tentation aura été si violente qu'il vous sera difficile
de reconnaître si vous avez péché ou non, demandez-vous
si vous avez eu du déplaisir, de l’aversion pour elle. S’il en a
été ainsi, tranquillisez-vous, c'est là une preuve
que votre volonté n’a pas donné son consentement. Or, quand
toutes les puissances de votre âme seraient absorbées par
une tentation, quand votre esprit, votre imagination, votre mémoire
seraient remplis par les représentations les plus mauvaises, si
votre volonté ne prête point son consentement, soyez tranquille,
vous n’avez point péché.
« Pour le péché, il faut matière
suffisante, advertance de l’esprit et consentement de la volonté;
à ces trois choses, vous reconnaîtrez toujours votre culpabilité
ou votre innocence.
« Tenez donc votre volonté ferme à l'heure
de la tentation; ne vous découragez pas, ne laissez pas la crainte
prendre entrée dans votre âme; le découragement de
l'âme donne force à la tentation. Toujours confiance et abandon
à Dieu, et vous triompherez des tentations les plus fortes, et vos
triomphes seront pour vous une source de mérite pour le ciel.
« Si la tentation est légère, ne faites
point d’efforts pour la repousser et l’éloigner. Cela vous fatiguerait,
vous manqueriez de force plus tard pour repousser les tentations plus considérables;
conservez votre vigueur pour celles-ci, afin de les repousser victorieusement
et de rendre inutiles leurs attaques. Il doit vous suffire, pour les petites
tentations, de demeurer unie à Dieu.
« Avisez surtout à ne juger personne pour ne point
pécher contre la charité. Quand il vous survient une pensée
peu flatteuse sur une personne, dites en vous-même : pourquoi la
juger ou la condamner? Dieu seul connaît le fond de son cœur, pour
moi je ne le connais pas et je n’aurai point à en rendre compte.
Quand vous remarquerez quelque chose de mal en votre prochain, n’y faites
point attention; si vous voyez au contraire le bien en lui, observez-le
et faites-en votre profit. Quand quelqu'un par sa manière de parler
vous donnera lieu de croire que ses sentiments ne sont pas ceux d’un parfait
chrétien, gardez-vous de le condamner; supposez plutôt qu'il
y a dissimulation de sa part, et que ses sentiments intimes diffèrent
de ceux qu'il fait paraître. Ne vous arrêtez pas non plus à
l’action d’autrui, si elle ne vous paraît point convenable et si
votre conscience ne l’approuve pas. Gardez-vous vous-même d’agir
contre
votre conscience. Si vous voyez faire le mal, pensez que celui qui le fait
n'est peut-être pas aussi coupable qu'il le paraît, et que
l’inadvertance, l’ignorance ou tout autre motif connu de Dieu peut diminuer
la grandeur de son péché. Quand une personne a de la peine
pour une injure qu'elle a reçue et qu'il lui est nécessaire
de soulager son cœur en vous parlant de sa peine, vous pouvez l’écouter
sans pécher. Refuser de l’entendre, serait augmenter sa peine. Écoutez-la,
tachez de la calmer, et gardez-vous de l’aigrir contre celui qui l'a offensée.
« Faites tout cela, ma fille, sans préoccupation,
avec calme, en rendant à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu. À César, c’est-à-dire
à vous-même, le mépris, l’humiliation et la reconnaissance
de votre néant; à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire
tout le bien qui est en vous, parce qu'il en est le principe et que vous
avez eu besoin de sa grâce pour l’opérer.
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 4
Après m’avoir ainsi parlé, le Sauveur Jésus
m’entretint quelques jours après du scrupule. Voici à peu
près comment il s’exprima : « Ma fille, je suis la lumière
des âmes; celle qui me possède, qui est bien unie à
moi, qui ne vit que de moi, marche dans la vérité; ses actions
sont pleines de vérité et demeurent fermes comme la vérité.
Je suis pour l'âme comme une lumière claire, brillante et
sans ombre; je suis pour l'âme comme un feu ardent qui la réchauffe
et la vivifie. Or, quelquefois il sort de cette lumière et de ce
feu une fumée plus ou moins épaisse qui empêche l'âme
de voir clairement, qui l’étourdit et souvent la fait succomber.
Cette fumée n'est point produite par la lumière ni par le
feu que j’apporte dans l’âme quand je suis avec elle; elle est produite
par l'âme elle-même que pénètrent ce feu et cette
lumière.
« Or, voilà l'image du scrupule. Le scrupuleux
est celui qui juge faussement le jugement de sa conscience. Il juge faussement
parce que son intelligence ne reçoit pas à plein jour l’illumination
de ma lumière. Il se fait comme une ombre dans son intelligence,
et cette ombre il la prend pour les ténèbres, parce qu’elle
l’empêche de voir l’éclat de la lumière, c’est-à-dire
la vérité. Ainsi, après avoir posé un acte
qui peut être bon et qui même l’est en réalité,
revenant sur cet acte et ne le voyant pas tel qu'il est réellement,
l’intelligence le juge mauvais et le regarde comme tel. Ma fille, les âmes
qui sont ainsi sont malades, et leur maladie vient de ce qu'elles ne me
sont pas unies en tout et pour tout. Je manque à ces âmes,
parce qu'elles ne savent pas me trouver. Il y a en elles défaillance
dans l’amour qu'elles doivent avoir pour moi. Elles ne savent pas regarder
en face la vérité, voilà pourquoi elles se trompent.
Néanmoins, ma fille, ces âmes ne sont que malades, elles vivent;
elles sont malades et elles désirent guérir, car leur maladie
est un tourment très-pénible qui leur cause une souffrance
extrême; elles me sont unies par l’amour, mais leur amour est mal
compris, mal entendu. Il n'y a pas en elles de simplicité, d’abandon,
de confiance, elles ne sont pas vis-à-vis de moi comme je le voudrais,
comme des enfants vis-à-vis de leurs mères. Cet état
peut être utile pour ces âmes, il peut leur être aussi
très-funeste.
« Il est utile, quand elles savent l’accepter comme une
épreuve de Dieu; il est funeste, quand elles veulent secouer ce
joug pour marcher, non plus à la lueur d’une lumière voilée,
mais dans les ténèbres complètes et dans l’obscurité,
ou quand elles tombent dans le désespoir. Les âmes scrupuleuses,
quand elles perdent leurs scrupules et qu'elles entrevoient clairement
la vérité, deviennent des âmes d'une haute sainteté;
mais aussi, quand elles ferment complètement les yeux à cette
vérité, elles tombent dans toute sorte de péchés
et se séparent complètement de Dieu.
« Il y a deux cas dans lesquels le scrupule vient prendre
possession d'une âme; quand une âme commence à se donner
à Dieu, quand une âme marche déjà dans la pratique
et l’exercice de toutes les vertus.
« Le scrupule s’empare d'une âme qui commence à
se donner à Dieu : cette âme n'est pas bien éclairée;
elle m’aime, mais elle ne laisse pas ma lumière entrer en elle à
son aise; elle craint de trouver encore les ténèbres. Cette
crainte ferme à demi les yeux de cette âme, l'ombre, comme
je vous le disais tout à l'heure, se faire dans son intelligence,
et cette intelligence, prenant l’ombre pour les ténèbres,
trouve le mal là où il n'est pas. Cette répétition
de jugements faux portés sur ses actes peut être funeste à
cette âme qui commence à se donner à Dieu, la faire
tomber dans le désespoir et abandonner complètement la voie
qui mène au ciel, pour reprendre celle qui mène à
l’éternelle damnation. Il faut à cette âme beaucoup
de patience, une grande humilité, surtout une obéissance
entière en celui qui la dirige. Elle doit écouter mon ministre,
comme elle m’écouterait moi-même, suivre ses conseils et ses
avis, s’en rapporter à son jugement et ne pas vouloir faire prédominer
le sien. Le scrupule ne résiste pas à l’humilité,
et l’obéissance le chasse au loin et le détache de l'âme,
comme un vent violent soulève et emporte la poussière des
chemins.
« Le scrupule s’empare aussi des âmes qui déjà
marchent depuis longtemps dans la pratique des vertus. Elles feront une
action indifférente, une action imparfaite, une action même
qui pourra être véniellement coupable; aussitôt le trouble
s’empare d’elles, elles croient s’être séparées de
moi et ne plus marcher à la clarté de ma lumière.
Ce premier trouble agit sur elles pour ce qu'elles accomplissent encore
après, et l'état dans lequel elles se trouvent devient, de
toutes les épreuves auxquelles elles peuvent être exposées,
la plus rude et la plus terrible. Dieu permet cela bien souvent pour le
plus grand bien de ces âmes, pour les exercer à une plus grande
humilité, pour se les attacher davantage. Mais pour que cette épreuve
tourne à leur profit, il faut qu'elles s’exercent à l’humilité,
à la douceur, à la simplicité, à l'amour familier
envers Dieu, envers moi, envers ma Mère; il faut surtout qu'elles
se défient d’elles-mêmes, de leur jugement, de leur manière
de voir; elles doivent s’en défier tellement que ce jugement faux
produit leur scrupule; elles doivent non-seulement s’en défier,
mais y renoncer. Alors, se renonçant elles-mêmes, l’humilité
grandira, et le scrupule, qui le plus souvent naît de l’orgueil,
de l’amour-propre, de la complaisance et de l’obstination pour sa manière
de voir et de juger, le scrupule disparaîtra complètement.
« Le meilleur moyen pour guérir un scrupuleux,
ma fille, c'est de lui montrer la vérité, de lui donner la
lumière qui lui manque, puisque le scrupule est l’erreur dans un
jugement porté par l’intelligence. Cette erreur provient quelquefois
d'une éducation fausse et tronquée; il faut compléter
ou redresser cette éducation en donnant la vérité
et la lumière.
« Le second remède, c'est l'amour de cette vérité
connue. Là où se trouve l’amour, là, ma fille, n’existent
point la crainte ni le trouble. Or, le scrupule est encore souvent produit
par la crainte. L’impression trop forte qu’éprouve l’imagination
à la vue de certaines idées premières, aperçues
sous un faux jour et d’une manière exagérée, tient
l’âme dans la crainte, la crainte agit sur l’intelligence et l’intelligence
juge comme elle ne doit pas juger; de là le scrupule. Or, la vérité,
sous quelque aspect qu'elle se présente, ne produit jamais le mal;
la vérité, c'est le bien; seule l’altération de la
vérité fait le mal. Aimez donc la vérité, attachez-vous
à elle; si vous l’aimez, vous n’aurez pas de crainte, parce que
l’amour chasse la crainte.
« Voilà les deux remèdes principaux pour
guérir le scrupule : voir la vérité, aimer la vérité.
« Ajoutez à cela la prière, la soumission
complète à la volonté de Dieu, la plus grande humilité,
et le scrupule s’en ira bientôt.
« Ainsi donc, ma fille, quand il vous semblera que vous
avez commis un péché mortel ou plusieurs, si vous n’en êtes
pas sûre, si vous ne pouvez vous rendre un témoignage certain
de cette faute, ne vous troublez point, ne vous arrêtez point à
cette faute; allez en avant, vous n’avez point péché mortellement.
Quand on pèche mortellement, on le sait bien, on s’en aperçoit,
parce qu'il faut pour cela un plein consentement de la volonté.
Or, vous pouvez toujours savoir si vous avez donné ce consentement.
Si ce consentement donné n'est pas pour vous une chose certaine,
ne vous arrêtez pas à examiner si vous l’avez donné
ou non. Le démon ne cherche que cela, afin de vous troubler, parce
qu'il sait bien qu’après votre examen vous ne seriez guère
plus avancée, tandis que vous auriez, au contraire, produit ou augmenté
le trouble en votre âme. Dites-vous plutôt à vous-même
: Je ne sais si j’ai péché; mais ma faiblesse est si grande,
et si grand aussi mon entraînement au mal, que j’ai bien pu pécher.
Mon Dieu, pitié pour moi; je me jette entre les bras de votre miséricorde
et déteste ce péché de tout mon cœur. N’oubliez pas,
ma fille, que, lorsque vous éprouvez de la peine ou de l'aversion
pour un acte mauvais, et qu’après la tentation pour accomplir cet
acte, vous ne savez si vous avez consenti ou non, il est certain que vous
n’avez point péché. C'est pourquoi je vous engage, si vous
vous trouvez jamais en une pareille circonstance, d’abandonner tout cela
dans le sein de la miséricorde de Dieu, de vous abriter dans les
plaies de mes pieds et de mes mains, en disant à Dieu : Si j’ai
péché, mon Dieu, pardonnez-moi; si je n’ai point péché,
préservez-moi à l’avenir de toute faute et conservez-moi
la paix de l’âme.
« Agissez ainsi, ma fille; marchez à la lumière
du flambeau que je fais briller devant vos yeux; correspondez à
l'amour que j’ai pour vous; donnez-moi votre cœur et je lui donnerai le
calme, la paix, la tranquillité, parce que je lui donnerai la vérité.
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 5
Quelques jours après cet entretien, je me trouvais dans
un état d’abattement tel que je n’en avais jamais éprouvé.
Le Sauveur Jésus vint à moi et me dit : « Qu’avez-vous,
ma fille? – Seigneur, lui répondis-je, je me sens faible, languissante,
exténuée; mais j'espère en vous. – Prenez courage,
ma fille, je vous l’ai dit, la vie est parsemée de peines et de
contradictions; ne vous laissez pas aller au découragement; entretenez,
au contraire, toujours en vous ces pensées d’espérance et
de confiance en moi. Vous avez vu souvent une croix, une couronne d’épines,
une lance qui vous étaient destinées, vous les trouverez
dans les souffrances que vous aurez à endurer. Vous n’êtes
encore qu’au commencement de vos tribulations; ce que vous éprouvez
à cette heure est peu de chose en comparaison de ce que vous éprouverez.
Que serait-ce, en effet, ma fille, si toutes les créatures se tournaient
contre vous; s'il vous fallait supporter les rigueurs du froid et les ardeurs
du soleil; si la maladie vous retenait clouée sur votre lit; si
les hommes s’unissaient entre eux pour vous contrarier, vous faire souffrir,
vous calomnier, vous accabler d’injures et de mauvais traitements; si le
démon vous suggérait mille tentations; si Dieu ne vous donnait
pas l'abondance de ses grâces; si je ne venais point vous consoler,
vous encourager et vous fortifier? Accoutumez-vous à supporter patiemment
ces petits riens. Cette patience vous donnera de la force; combattez toujours,
les combats rendent puissant et vigoureux. Quand vous vous verrez sans
force ou près de succomber, criez vers Dieu, abandonnez-vous à
sa miséricorde; attachez-vous à moi; regardez-moi portant
la croix sur le chemin du Calvaire; regardez-moi attaché à
cette croix, les mains et les pieds percés, mon côté
ouvert. Ma vue sera pour vous comme un bâton sur lequel vous vous
appuierez. Pensez ensuite que vous n'êtes point seule soumise à
ces rudes épreuves. Dites-vous qu'elles sont communes à tous
les enfants de Dieu, qui les leur ménage pour accroître leurs
mérites. Voyez comme le prophète parle de ses tribulations
dans ses saints cantiques. Il marche toujours, dit-il, avec un visage triste
et abattu; il est sec et aride comme une terre sans eau, mais il espère
en Dieu. Pour se consoler et reprendre courage, il dit que ses jours passent
comme l’ombre qui s’évanouit le soir; il ajoute, afin de s’exciter
à les mieux employer, qu'il les voit se flétrir et se sécher
comme l’herbe des champs.
« Puisque tous les enfants de Dieu sont soumis à
des épreuves cruelles, à des peines et à des tribulations
de toute sorte, puisque j’ai dû les endurer moi-même, eh bien!
ma fille, ne les repoussez pas; acceptez-les avec reconnaissance, et désirez
souffrir toujours davantage pour accroître de plus en plus vos mérites,
et devenir une image frappante de votre Rédempteur.
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 6
Il me parla encore une autre fois sur le même sujet, et me dit : « Ma fille, les années s’écoulent; les siècles s’accumulent et les hommes se succèdent. J’ai jeté un regard sur la terre, et j’ai vu tous les hommes passer leurs jours dans la peine et la douleur, arroser la terre de l’eau de leur sueur et de leurs larmes. L’enfant, à peine sorti du sein de sa mère, fait entendre ses cris en entrant dans le lieu de son exil; il commence sa vie par les larmes, il la finit par la douleur. Pendant les premières années de sa vie, n’ayant pas assez de connaissance pour qu'il éprouve de grandes souffrances, son jeune cœur ne laisse pas d’être affligé par des déplaisirs enfantins parce qu'il est enfant, et les larmes qu'il répand pour ces déplaisirs ne sont qu'un apprentissage de celles qu'il versera avec plus d’amertume dans un âge plus avancé. De l’enfance, passez à toutes les conditions de la vie; interrogez les riches et les pauvres, les puissants et les faibles, les ignorants et les savants, les princes et les sujets; demandez-leur s’ils sont soumis à la peine, à la souffrance, à la tribulation, et tous vous répondront par un profond soupir. Oui, ma fille, il y a des peines pour tous, pour les justes comme pour les pécheurs, pour les parfaits comme pour les imparfaits. L'homme a été condamné à la souffrance à cause de sa révolte contre Dieu, et la souffrance s’est répandue sur le monde comme une malédiction portée contre le péché. Mais quelle n'est pas la bonté et la miséricorde de Dieu! La souffrance, qui était malédiction, il l'a rendue bénédiction pour l'homme. Il l’a rendue bénédiction, en lui permettant de mériter. Acceptez donc la souffrance, ma fille; elle expiera tous vos péchés et la peine due à vos péchés; acceptez la souffrance; elle vous méritera un poids éternel de gloire dans le ciel. Ah! ce n'est pas trop cher acheter la félicité éternelle par quelques peines passagères, par des épines d’un moment. Acceptez la souffrance; elle vous unira à Dieu sur la terre, elle vous unira à lui à jamais dans la patrie qui n’aura jamais de fin. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 7
Le Sauveur Jésus me dit un jour : « Je vous ai dit
que l'homme est condamné à la souffrance. Cette condamnation
s’exécute chaque jour, car chaque jour tous les hommes ont à
souffrir quelque peine, quelque contradiction, quelque malheur qui leur
sont envoyés par Dieu. L’homme est sur la terre comme plongé
dans une mer de misère, de peine, d’amertume. Il a péché,
il pèche chaque jour, il faut que chaque jour aussi il porte la
croix qui doit le sauver, s’il la porte comme je lui ai appris à
la porter. Dieu lui ménage chaque jour quelque douleur pour qu'il
la lui offre en expiation de ses péchés et pour lui faire
gagner le ciel, et chaque jour il peut aussi expier, chaque jour ainsi
mériter le ciel. Voilà pourquoi à chaque jour suffit
son mal. Mais ce mal n'est pas un mal; c'est un bien pour celui qui l’accepte
de bon coeur, pour celui qui reçoit ce mal en retire le mérite
qui y est enfermé, et que la patience et la soumission donnent et
procurent à tous. Heureux celui qui ne murmure pas, qui élève
ses yeux au-dessus de la terre, au-dessus des sens pour monter jusqu’à
Dieu et comprendre en lui le mystère de la souffrance! Heureux celui
qui ne murmure pas et me prend pour modèle de sa conduite dans la
tribulation, qui ouvre ses mains, ses pieds et son côté à
la douleur! il sera élevé par sa croix au-dessus de la terre,
il sera rapproché de Dieu, et sa mort sera une naissance à
la vie de la gloire.
« Ma fille, soyez de ce nombre; mettez-vous au-dessus
de la faiblesse, de la timidité et de la crainte, si ordinaires
aux personnes de votre sexe; surpassez, par votre courage, ces hommes pusillanimes,
ces hommes lâches qui craignent les incommodités de la vie,
les sacrifices, les peines et les pleurs, et ne cherchent en tout que leurs
satisfactions et leurs aises. Les satisfactions de la vie et les aises
qu'ils se procureront auront une fin; n’ayant rien acquis pendant leur
pèlerinage ici-bas, ils se présenteront à Dieu couverts
de confusion à la vue de leur pauvreté.
« Vos peines, vos tribulations, vos pleurs auront un terme
aussi; mais vous aurez gagné par ces tribulations un trésor
immense de mérites, et quand vous vous présenterez à
Dieu, vous vous réjouirez, parce que vous aurez bien accompli sa
loi et ses desseins sur vous, et il vous introduira dans ses tabernacles
éternels. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 8
Le Sauveur Jésus me dit un jour : « Ma fille, je
vous ai parlé de la souffrance ou des mortifications que Dieu envoie.
Ce sont là des pénitences très-bonnes, très-utiles,
très-méritoires, puisqu’elles perfectionnent les hommes en
les retirant du péché et leur faisant pratiquer la vertu.
« Je veux vous parler aujourd'hui des pénitences
que l'homme peut et doit s’imposer à lui-même pour se perfectionner
encore davantage.
« J’en distingue trois qui les renferment toutes : la
mortification, la prière et l’aumône. Toutes les pénitences,
toutes les peines que l'homme peut s’infliger à lui-même sont
dans ces trois choses, et ces trois choses n’en forment qu’une, parce que
les deux dernières sont renfermées dans la première.
»
Ce discours me parut étrange. Je ne comprenais pas bien
comment la prière est une mortification. Je ne compris même
pas d’abord comment l’aumône l’est aussi; mais un peu de réflexion
instantanée me le laissa entrevoir, et les paroles que Jésus
m’adressa m’éclairèrent complètement là-dessus.
Le Sauveur ayant aperçu mon trouble, me dit : «
Écoutez-moi avec attention, ma fille, vous comprendrez aisément
ce que j’ai à vous dire.
« Savez-vous ce que c'est, ma fille, que la souffrance
que Dieu envoie à l'homme? ce n'est rien autre chose qu’une séparation
d’une partie de l'homme que Dieu s’est choisie, qu'il veut pour lui, mais
qu'il ne veut qu’autant que l'homme la lui offrira.
« Savez-vous ce que c'est que la mortification que l'homme
s’impose à lui-même? Ce n'est rien autre chose qu'une séparation
d’une partie de ce qui lui appartient, dont l'homme se défait pour
l’offrir à Dieu. Voilà la souffrance, la mortification, telle
que le chrétien devrait l’envisager.
« Savez-vous ce qu’opère la mortification ou la
souffrance? Elle prend ainsi peu à peu et partie par partie ce qui
est de l'homme, ce qui appartient à l'homme; elle le donne à
Dieu, et quand elle lui a donné tout l'homme, l'homme par la souffrance
se trouve entièrement uni à Dieu.
« Voilà, ma fille, la véritable physionomie
de la souffrance et de la mortification.
« Or, la première mortification ou plutôt
toutes les mortifications consistent dans le jeûne. Qu’est-ce que
jeûner, ma fille? Jeûner, est-ce seulement se priver de certains
aliments dans sa nourriture? Est-ce seulement diminuer la quantité
et la qualité des mets avec lesquels on entretient la vie du corps?
Jeûner est-ce seulement se priver de toutes les commodités
de la vie du corps? Non, ma fille, ce jeûne est uniquement matériel,
corporel, n’affecte que les sens; le jeûne véritable est celui
qui saisit l’âme, qui saisit les facultés et les enchaîne
contre le mal pour leur donner l’essor et l’élan vers le bien. Voilà
le jeûne véritable, le jeûne le plus méritoire,
le jeûne dont tout le monde est capable, le jeûne qui me plaît
le plus et qui est le plus agréable à mon Père.
« Aussi ai-je peu de chose à vous dire des mortifications
extérieures ou du jeûne purement corporel. Je ne veux, en
vous parlant de ces mortifications ou de ce jeûne, qu’éclairer
votre esprit et vous montrer ce dont il vous est permis d’user.
« Il vous est permis d’user des choses qui ne sont point
nécessaires pour votre vie, mais de pur agrément; car si
Dieu les a faites, c'est pour votre usage. Mais vous ne pouvez point sans
péché vous attacher immodérément au plaisir
que vous trouveriez en cet usage, et votre péché deviendrait
plus ou moins grand, selon que votre attache serait plus ou moins déréglée.
« User de ce que le bon Dieu vous a donné, en user
avec plaisir, sans le lui offrir, c'est chose imparfaite. En user avec
plaisir, mais en Dieu, selon Dieu et pour Dieu, c'est chose bonne. S’en
priver par mortification et pour l'amour de Dieu, c'est jeûner, et
ce jeûne est chose parfaite.
« Ce que je vous dis de l’usage des biens et des plaisirs
de la terre, je puis le dire et je le dis aussi de l’usage de votre volonté
intérieure. Vous pouvez vouloir ce qui n'est point défendu
et qui est de pur agrément et sans pécher, mais vous ne pouvez
en cela être tellement attachée à votre volonté
que vous ne soyez en rien disposée à céder cette satisfaction
de votre volonté, et votre péché serait plus ou moins
grave selon l’attache que vous auriez à la satisfaction de votre
volonté.
« Satisfaire votre volonté en ce qui n'est ni défendu
ni nécessaire sans l’offrir à Dieu, c'est chose imparfaite.
Satisfaire votre volonté en offrant à Dieu cette satisfaction,
c'est chose bonne. Priver votre volonté de cette satisfaction par
mortification et par amour pour Dieu, c'est jeûner, et ce jeûne
est chose parfaite. Dieu aime d’un amour tout particulier ce jeûne.
C'est lui offrir un sacrifice d’agréable odeur que de jeûner
de cette manière.
« Mortifiez votre volonté, faites jeûner
votre volonté, luttez contre vos goûts, vos inclinations,
vos désirs, luttez contre vos passions. Réformez votre intérieure;
rapetissez-le, en le dépouillant de lui-même pour y introduire
tout ce qui est de Dieu, et vous l’agrandirez en réalité.
Dépouillez-le, et vous l’enrichirez; ensevelissez-le dans la mortification
comme dans un linceul; vous le croirez mort, mais il sera plein de vie;
vous le croirez sans mouvement, mais il reposera en Dieu. C'est là
le jeûne véritable, celui qui acquiert aux âmes des
trésors que la rouille ni les voleurs ne peuvent endommager.
« Vous ne comprenez pas, ma fille, comment la prière
est une pénitence, un jeûne, une mortification; comment la
prière ne fait qu'une seule chose avec la souffrance et la douleur.
« Il en est pourtant ainsi. Je dirai plus, il faut nécessairement
que la prière soit jointe à la douleur, à la souffrance,
aux mortifications et aux jeûnes, sans quoi il n'y a point de mérite,
il n'y a point de vie, il n'y a point de mouvement dans toutes ces privations
du corps et de l'âme. Vous allez me comprendre, ma fille, comme je
vous l’ai promis.
« Et d’abord, ma fille, la prière est une mortification;
elle est même la plus grande des mortifications. Je vous ai dit que
la mortification est la séparation d'une partie de soi-même
pour l’offrir et la présenter à Dieu; que la séparation
d’une partie de son corps pour l’offrir à Dieu est chose parfaite,
que la séparation d'une partie de son âme est chose encore
plus parfaite. Or, ma fille, qu’est-ce que la prière? Prier, n'est-ce
pas prendre tout son corps et toute son âme pour l’offrir en holocauste
à Dieu? Prier, n'est-ce pas s’humilier, n'est-ce pas renoncer à
soi pour aller à Dieu, embrasser Dieu, recourir à Dieu? Or,
tout renoncement est une peine, tout sacrifice un labeur. Pour prier, il
faut se faire violence, à cause de l’inclination que le péché
a mise dans l'homme et qui tend à le séparer de Dieu, à
l’éloigner de Dieu, à lui faire oublier Dieu. Quand on prie,
au contraire, on se rappelle Dieu, puisque c'est lui qu'on prie; on se
le rappelle avec tout ce qu'il y a en lui de bonté, de miséricorde
et d'amour; quand on prie, on se rapproche de Dieu par l’esprit, par le
coeur, par tout son être; quand on prie, on se met à genoux
devant lui pour lui demander ses bienfaits et ses grâces; quand on
prie, on s’unit à Dieu, parce que la prière est dictée
par la confiance et par l’amour, et que l'amour et la confiance sont les
liens merveilleux qui unissent Dieu et l'âme. Agir ainsi, c’est-à-dire
prier, c'est donc lutter contre son inclination; c'est lutter non-seulement
avec les forces du corps, mais encore avec celles de l'âme. c'est
se sacrifier, c'est se mortifier, c'est faire pénitence, et de toutes
les pénitences, c'est la plus agréable à Dieu.
« Savez-vous pourquoi, ma fille? Parce que si la prière
ne fait qu'un avec la mortification et la souffrance, attendu qu'elle est
elle-même souffrance et mortification, la mortification et la souffrance
n’ont de vie et de mouvement que par la prière. En effet, ma fille,
faites pénitence, mortifiez-vous, mais ne présentez point
à Dieu par l’élan de votre cœur ou de votre âme vos
pénitences et vos mortifications, elles ne vous serviront de rien.
Vous aurez là des victimes, il est vrai, mais non des victimes pour
Dieu, parce que le feu du ciel, c’est-à-dire la prière, ne
sera point venu les consumer.
« Je vous ai dit, ma fille, que le troisième moyen
de faire pénitence c'est de donner l’aumône.
« Donner l’aumône, c'est chose facile à comprendre,
est encore faire pénitence, parce que l’aumône est une mortification
ou la privation d'une partie de ce qui est à soi pour l’offrir à
Dieu en la personne des pauvres.
« L’aumône ne fait donc qu'un avec la mortification;
mais si la prière est la vie et le mouvement de la mortification,
l’aumône en est la base et le fondement.
« Quels sont ceux, ma fille, qui ne font point l’aumône?
Les avares, les personnes trop attachées aux biens de ce monde,
les personnes qui cherchent trop à se satisfaire et qui ne veulent
rien perdre pour ne rien diminuer de leurs plaisirs et de leurs satisfactions.
Un avare, une personne attachée aux biens de ce monde, n'est point
une personne mortifiée.
« Faire l’aumône, c'est être détachée
des richesses; faire l’aumône, c'est se fier à Dieu et entrer
dans les desseins de Dieu; faire l’aumône, c'est souvent s’imposer
des sacrifices; faire l’aumône, c'est vouloir diminuer les souffrances
d’autrui et les soulager quelquefois par des privations personnelles.
« Or, il y a deux sortes d’aumônes : l’aumône
corporelle et l’aumône spirituelle. L’aumône corporelle regarde
les corps et leurs nécessités; l’aumône spirituelle
regarde les âmes et leurs besoins.
« Faire l'aumône corporelle, c'est donner à
manger et à boire aux indigents qui ont faim, c'est vêtir
et abriter les indigents qui sont nus et sans asile. Or, pour cela, il
faut non-seulement donner de son superflu, mais encore, quand la circonstance
le demande, de ce qui n'est point superflu. Ah! que de riches auront un
jour à se reprocher leur conduite sur la terre. Ils n’ont point
compris l’aumône, cette mortification, comment auraient-ils prié,
puisque la prière est elle-même une mortification? Et sans
aumône, sans prière, sans mortification, qu’auront-ils à
espérer? Ils n’ont rien donné à Dieu, ils n’auront
rien non plus à en recevoir.
« Faire l’aumône spirituelle, c'est instruire les
ignorants, reprendre les pécheurs, consoler les affligés.
Or, agir ainsi, ma fille, c'est se disposer à la mortification,
c'est se mortifier réellement. La science enfle le cœur de l'homme
instruit; mais quand il la verse dans l’esprit d'un ignorant, il s’humilie
et s’abaisse; la vertu est quelquefois sujette à tomber et à
défaillir complètement, mais reprendre les pécheurs,
c'est se fortifier soi-même. Le bonheur de la vie est un écueil
considérable; mais celui qui pleure avec les malheureux renonce
pour ainsi dire à son bonheur pour participer à l’infortune
et aux douleurs d’autrui. Or, agir ainsi, c'est bien se disposer à
la mortification, c'est la désirer, c'est même être
mortifié.
« Voilà, ma fille, comment toutes choses se lient
et s’enchaînent, comment vous devez voir et envisager les choses,
les comprendre et les aimer. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 9
Le Sauveur Jésus, pour mieux graver dans mon intelligence
et dans mon coeur ses paroles et ses enseignements, me les redisait quelquefois
de plusieurs manières différentes. Ainsi, après m’avoir
parlé des mortifications que Dieu impose à l'homme et de
celles que l'homme s’impose à lui-même, il me dit en une autre
circonstance : « Ma fille, il y a deux sortes de sacrifices : les
sacrifices forcés et les sacrifices volontaires. Les sacrifices
forcés sont ceux que Dieu envoie à l'homme, les sacrifices
volontaires sont ceux que l'homme s’impose à lui-même.
« Les sacrifices volontaires sont très-agréables
à Dieu; les sacrifices qu’on doit supporter par force ou par nécessité
peuvent lui être et lui sont réellement agréables,
selon les sentiments de ceux qui les supportent.
« Les sacrifices qu'un homme doit supporter nécessairement,
comme la maladie, la perte de ses biens et de ses enfants ou quelque autre
épreuve que ce soit, sont pour lui une occasion de mérite
s'il se soumet entièrement à la volonté de Dieu. Car
en agissant ainsi, il rend ces sacrifices volontaires, parce qu'il a une
même volonté avec Dieu et qu'il ne récuse pas ce que
Dieu demande de lui. Si, au contraire, cet homme murmure contre Dieu, et,
loin d’être soumis à sa volonté, s’élève
contre lui par le chagrin de son cœur et l’irritation de son âme,
les sacrifices qu'il doit supporter bon gré mal gré seront
pour lui une occasion de punition nouvelle dans le temps ou dans l’éternité.
« Les sacrifices qu'un homme s’impose volontairement sont
ceux qui plaisent le plus à Dieu.
« Un homme peut s’imposer des sacrifices pour des motifs
purement humains, pour des motifs surnaturels de foi, pour des motifs surnaturels
d’espérance, pour des motifs surnaturels d’amour.
« Celui qui s’impose des sacrifices pour des motifs purement
humains, qui trouve dans ces motifs la raison unique et le seul stimulant
de ses sacrifices, celui-là, ma fille, a déjà reçu
sa récompense dans la vaine gloire, dans l’approbation et les applaudissements
des hommes qu'il recherche et qu'il obtient.
« Ceux, au contraire, qui s’imposent des sacrifices non
pour gagner une couronne corruptible, mais une couronne incorruptible;
ceux qui s’imposent des sacrifices pour éviter les peines de l’enfer
ou du purgatoire et pour gagner le ciel, et par la considération
que les souffrances de cette vie n’ont aucune proportion avec la gloire
future qui se manifestera en elles, puisque des afflictions courtes et
légères leur donneront une gloire inénarrable et d’une
éternelle durée, ceux-là obtiendront leur but et ne
seront pas déçus dans leurs espérances.
« Ceux qui s’imposent des sacrifices, qui volent au-devant
de la souffrance, de la mortification et de la douleur pour marcher sur
mes traces, pour imiter l'exemple que je leur ai donné, sans aviser
à la récompense, mais pourtant sans la rejeter, ceux-là,
ma fille, sont présentés par moi à mon Père
dans le ciel, et mon Père les bénit sur la terre et les bénira
à jamais dans le ciel.
« Ceux qui s’imposent des sacrifices, qui recherchent
les tribulations, et qui se détachent de plus en plus d’eux-mêmes,
uniquement par amour pour Dieu, par reconnaissance pour ses bienfaits,
sans même désirer le ciel, si telle était sa volonté,
ceux-là sont les plus agréables à Dieu. Il vient en
eux, il les transforme en lui par l’effusion de toutes ses grâces,
et leur accorde le plus haut degré de gloire dans le ciel. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 10
Un jour, le Sauveur Jésus me parla ainsi : « Ma
fille, il y a trois sortes d’afflictions parmi les hommes; mais s’ils les
examinaient, bien souvent, au lieu de s’affliger, ils se réjouiraient
et réaliseraient cette parole : Bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux
ceux qui souffrent persécution!
« Pourquoi l'homme s’afflige-t-il? Parce qu'il a perdu
sa fortune, sa position, une partie de ses biens, parce qu’il est délaissé?
Est-ce donc là un motif d’affliction ou de réjouissance?
Ah! s'il comprenait que Dieu, en agissant ainsi, veut le détacher
des biens passagers de la terre pour l’unir à lui et être
son souverain bien, loin de s’affliger, il se réjouirait.
« Pourquoi l'homme s’afflige-t-il? Parce qu'il a perdu
un ami, un frère, un père, une mère? Mais la mort
est-elle donc une séparation éternelle? Ne reverrez-vous
pas cet ami, ce frère, ce père, cette mère? Pourquoi
donc pleurer? Ne devriez-vous pas plutôt vous réjouir de ce
qu'ils ont quitté le lieu de l’exil pour aller se reposer en Dieu?
Non, il ne faut point pleurer un mort s'il est en état de grâce;
s'il est en état de péché mortel, alors pleurez, pleurez
encore, vos larmes sont justes; mais ne pleurez pas seulement sur lui,
pleurez aussi sur vous qui êtes pécheur, et craignez d'avoir
un jour un sort pareil au sien, si vous continuez à vivre dans le
péché.
« Pourquoi l'homme s’afflige-t-il? Parce qu’il est dans
la souffrance, parce que son corps éprouve des douleurs immenses,
parce que son âme est torturée par les tentations, le dégoût
et l'ennui.
« Et cependant, ma fille, ne vous ai-je pas dit que tous
ces maux, toutes ces afflictions sont un bien? Heureux qui sait distinguer
le bien du mal, qui a la véritable science du bien et du mal, pour
ne pas les confondre l’un avec l’autre!
« Or, ma fille, je vous le dit en vérité,
il n'y a qu'un seul mal sur la terre, c'est le péché. Tout
le reste et bien ou source de bien, tout le reste est utile et méritoire,
tout le reste porte à Dieu et unit à lui. Heureux qui le
sait et ne l’oublie pas, qui le comprend et cherche à le comprendre
plus encore! »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 11
« Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus, il
y a deux sortes de tristesse, l’une expressément défendue,
et l’autre fortement recommandée.
« La tristesse défendue est celle qui produit de
mauvais effets. Cette tristesse abat l’âme, lui inspire le dégoût
de toutes choses, lui enlève sa force, sa ferveur, la rend craintive,
pusillanime et incapable d’opérer le bien. Le démon inspire
cette tristesse, et, quand il l’a assise dans une âme, il lui suggère
de mauvaises pensées, la retire de Dieu, en amortissant l’amour
qu'elle a pour lui. Que de ravages cette tristesse produit dans une âme!
Tous peuvent y être soumis, mais tous doivent la rejeter, la repousser;
elle ne vaut rien, elle est mauvaise, car ses fruits sont mauvais, et,
comme un arbre qui ne produit pas de bons fruits, il faut la déraciner
et la jeter au feu, c’est-à-dire la renvoyer ou l’abandonner à
Satan qui l’a inspirée.
« Il y a une autre sorte de tristesse qui est bonne et
qui produit de bons fruits. Cette tristesse n’abat point l’âme, elle
la relève; elle ne la sépare point de Dieu, elle l’unit à
lui; elle n’excite point le dégoût, mas l’amour pour Dieu.
Cette tristesse donne une sainte confusion de l’état malheureux
dans lequel on a été ou dans lequel on se trouve, état
de péché et de séparation de Dieu. Elle fait verser
des larmes de douleur et de componction; elle remplit de force, de courage
et de confiance. O sainte tristesse! Heureuses les âmes qui ont cette
tristesse et qui sont tristes jusqu'à la mort, c’est-à-dire
jusqu'à la séparation de toutes choses! Cette tristesse convient
aux âmes pécheresses afin qu'elles quittent leur état
de péché; elle convient aux âmes justes afin qu'elles
gémissent sur leur exil et soupirent après la patrie. Cette
tristesse est bonne; je vous la recommande, ma fille; elle vous préservera
des joies de la terre et vous fera obtenir celles du ciel. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 12
Ainsi me parlait le Sauveur Jésus; mais, voyant combien
j’étais éloignée de ce qu'il demandait de moi, je
me sentis un jour plus accablée qu’à l’ordinaire et même
tout à fait dégoûtée de la vie. Le Seigneur
vint encore à moi avec sa bonté habituelle, et me dit : «
Il y a deux sortes de dégoûts de la vie, comme il y a deux
sortes de tristesses. Leurs effets sont différents : les uns sont
bons et les autres mauvais. Vous devez repousser le dégoût
de la vie qui produit de mauvais effets, mais vous devez accepter l'autre
et chercher à l'exciter en vous.
« Quand le dégoût de la vie produit en vous
l’accablement, le découragement, l’affaiblissement dans le service
de Dieu, il faut le rejeter et le combattre, parce qu’il vient d’un mauvais
principe.
« Quand le dégoût de la vie vous rend plus
fervente, plus fidèle, plus attachée à Dieu, il faut
l'entretenir et l'alimenter en votre âme, parce qu'il vient d’un
bon principe.
« Ne soyez jamais dégoûtée de la vie,
ma fille, à cause de ses misères, de ses souffrances ou des
tentations que vous devrez supporter; ce dégoût accablerait
votre âme et finirait par l’abattre. Si, au contraire, le dégoût
que vous éprouvez vient du désir de voir Dieu et de l’aimer
plus parfaitement, de la crainte de lui déplaire et de l’offenser,
s’il vous rend plus vigilante pour éviter le mal, plus attentive
et plus avisée pour opérer le bien, acceptez-le, recevez-le,
et ne supportez la vie que pour éprouver la souffrance de ce dégoût.
»
C’est ainsi que me parlait le Sauveur Jésus aux heures
de peine, de souffrance et d’accablement. Sa parole était un baume
consolateur pour mon âme, et une huile fortifiante qui me redonnait
courage et mouvement vers Dieu.
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 13
« Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus, l'homme
sur la terre est tantôt dans la joie et tantôt dans la peine;
car rien n’est stable sur la terre, et rien ne l’est moins que les sentiments
divers de l'homme. La joie est dans l'homme; elle disparaît promptement
et la peine remplace la joie dans son cœur, jusqu'à ce que la consolation
vienne enlever peu à peu la peine elle-même, et redonner la
joie à celui qui l’avait perdue.
« Il y a plusieurs sortes de consolations : les consolations
divines et les consolations humaines. Les consolations divines sont celles
qui viennent de Dieu, qui sont données par lui ou puisées
en lui. Les consolations humaines sont celles qui viennent des hommes ou
sont puisées parmi eux ou dans la nature humaine. Les consolations
divines sont toujours bonnes, parce que Dieu est le bien, et que tout ce
qui vient de lui est bien. Les consolations humaines peuvent être
bonnes; elles peuvent être mauvaises aussi, parce qu’en l'homme il
y a bien et mal. On ne peut recevoir les consolations des hommes, quand
ces consolations viennent d’un principe qui est mauvais. Au contraire,
on peut les recevoir quand elles partent d’un principe qui est bon. Mais
pour bonnes que soient les consolations des hommes, on peut toujours les
repousser pour ne vouloir uniquement que les consolations de Dieu. Il y
eu des saints qui ont refusé constamment toute consolation humaine;
qui n’ont voulu avoir d’autre consolation, d’autre appui, d’autre soutien
que Dieu. Il faut pour cela être parvenu à un haut degré
de sainteté, être dans la plus grande familiarité avec
Dieu. Alors on ne pense qu’à Dieu, on ne veut que Dieu, tout le
reste semble fade et insipide. Dieu seul est quelque chose pour ces âmes;
Dieu seul est tout pour elles. Ma fille, ne désirez pas les consolations
des hommes, mais si elles se présentent, acceptez-les et renvoyez-les
à Dieu. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 14
Un jour, après la sainte communion, j’ouvris la porte
de mon cœur et j’attendis Jésus avec mon ange gardien. Mon cœur
m’apparut tel qu'il n’est pas ordinairement, mais je n’y fis point attention,
ne pensant qu’au Sauveur Jésus. Il ne tarda pas à venir.
Je fus au devant de lui et lui offris l’entrée de mon coeur. Quand
il fut dans mon cœur, mon cœur m’apparut comme une fosse large, ronde,
et d’une grande profondeur. L’intérieur de cette fosse me semblait
garni par une boiserie sculptée, bien ornée et d’un très-joli
aspect. Le Sauveur voulut que je descendisse dans cette fosse, je n’osait
point : « Ne craignez point, me dit-il, cela ne vous sera point nuisible.
» Je descendis. Il n’y avait ni escalier ni échelle pour descendre.
Je devais pour cela me tenir contre les sculptures, ce qui ne me permettait
pas de descendre promptement. Quand je me trouvai à peu près
au milieu, Jésus qui était toujours en haut, sur le bord
de la fosse, me regardant, me fit parvenir le bout d’une chaîne d’or
qu’il tenait lui-même. Je la saisis pour faciliter ma descente jusqu'au
bas de la fosse. Le bas était recouvert de sable. Je me plaçai
au milieu, tenant toujours d’une main la chaîne que m’avait jetée
le Sauveur Jésus. Mon ange gardien vint me tenir compagnie et converser
avec moi : « Vous êtes heureuse, me dit-il, des grâces
nombreuses que Dieu vous accorde. – Oui, mon ange, Dieu est plein de bonté
pour moi. – Ne mettez jamais d’obstacles à ses grâces. – Et
comment faut-il faire pour cela? – Suivre toujours l’attrait qui vous sera
donné et demeurer sans cesse dans la plus profonde humilité.
Vous allez soutenir ici un grand combat. – Comment pourrai-je combattre,
je n’ai rien pour me défendre? – Je vous ai apporté une croix;
tenez-vous fortement à la chaîne que vous avez en main; on
voudra vous en détacher, mais avec la croix vous éloignerez
tous ceux qui approcheront de vous. » Je saisis la croix que me présenta
mon ange.
Aussitôt le sable se souleva et une bête immense,
comme je n’en avais jamais vu, sortit de dessous terre et vint se coucher
devant moi, à deux ou trois pas, parce que l'espace était
très-étroit. Son corps était développé
comme celui d’un bœuf, mais les jambes étaient plus courtes; sa
tête ressemblait aussi à la tête d’un bœuf. Elle avait
plusieurs cornes grandes et petites; ses yeux ressemblaient à ceux
du bœuf; sa gueule était très-fendue; il en sortait une langue
d’une longueur démesurée qui se terminait par deux pointes
très-affilées. Elle portait sur le dos une ville, où
je ne vis que des maisons de danse et de théâtre. Elle lançait
vers moi des traits, des lances, des balles que je repoussais avec ma croix
et qui rebondissaient sur elle et la blessaient. Bientôt survint
une multitude considérable d’agresseurs qui ressemblaient à
des hommes. Ils étaient très-petits et me paraissent très-légers.
Ils couraient et tournaient autour de moi; quand ils s’approchaient, je
leur présentais ma croix, ils se retiraient. Ils disparurent et
furent remplacés par d’autres hommes plus grands que les premiers.
Ceux-ci voulurent arracher de ma main la chaîne d’or, mais je les
repoussai victorieusement en leur présentant ma croix. Ils firent
un suprême effort et voulurent me renverser à terre; ma croix
les mit en fuite. En combattant ces adversaires, je ne perdais point de
vue la bête qui était devant moi. Je la vis approcher doucement
sa tête pour me percer avec ses cornes ou sa langue; je la frappai
avec ma croix, et les hommes et la bête me laissèrent en repos.
Les hommes disparurent, mais un nombre immense de corbeaux s’abattit sur
moi, cherchant à me crever les yeux. Ne pouvant me défendre
seule, je tirai la chaîne et jetai un cri vers le Sauveur Jésus.
Immédiatement une grêle de plomb tomba d’en haut sur eux et
les étendit morts à mes pieds.
La bête jeta une nouvelle lance vers moi, je la repoussai
avec ma croix; je la frappai trois fois, elle mourut.
Après le combat, je ne vis plus mon ange gardien; mais
deux jeunes hommes vêtus de blanc, c'étaient deux anges sans
doute, s’approchèrent de moi, me pressèrent avec leurs mains
sur la poitrine et je rendis mon âme. Il me sembla en effet que je
laissai là mon corps et que mon âme tout heureuse s’élevait
vers Jésus : « Venez, ma fille, me dit-il, venez jouir de
la récompense que vous méritez pour vos combats. »
Je montai avec lui dans un char de lumière qui s’éleva vers
le ciel et nous conduisit devant un autel magnifique autour duquel je vis
diverses places en forme de trônes, qui se rapprochaient plus ou
moins de l’autel qui les dominait tous.
« Voyez ces trônes, ma fille, me dit le Sauveur
Jésus. Les uns sont plus élevés que les autres; plus
vous vous élèverez en sainteté, plus aussi le trône
qui vous sera donné pour récompense sera élevé
et se rapprochera du trône de la Divinité. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 15
J’étais un jour près de Jésus; je récitais
ma prière; j’entendis une voix qui me disait : Regarde! regarde!
Je ne voulu point regarder dans la crainte d’être trompée.
Cependant, entendant de nouveau cette voix, je me recommandai
à Dieu, je levai les yeux et j’aperçus devant moi un singulier
personnage. Il me paraissait d’un tempérament fort et robuste et
d’un caractère capable de résister à tout. Il portait
une robe qui descendait jusqu’aux genoux; ses bras et ses pieds étaient
nus. Je ne saurais dire de quelle matière était cette robe.
Elle n’était ni en or, ni en argent, ni en fer, mais forte comme
le fer, l’argent et l'or. Le diadème qu'il portait sur le front
était de la même matière que sa robe. La chair de ses
membres n’était pas comme celle du reste des hommes; elle paraissait
être d’une dureté extrême.
Il se plaça dans le sanctuaire en face du tabernacle;
il se tint droit sur ses deux pieds et resta inébranlable. Je vis
une multitude de personnes vêtues de blanc se ranger autour de lui,
et il prononça un discours ou un sermon; je veux dire que ce discours
était conforme aux enseignements de l’Église. Je ne me rappelle
point les paroles qu'il prononça, mais il exhorta à peu près
comme l’Apôtre à vivre selon l’esprit et non selon la chair.
Parmi les vices que nous devons fuir, il fit mention de celui que l’Apôtre
défend de nommer. Il termina en engageant à éviter
le mal et à pratiquer le bien. Après qu'il eut parlé,
un homme tout noir se dirigea vers lui, mais il lui donna sur la tête
un coup si vigoureux, que l'homme noir tomba mort à ses pieds. Aussitôt
survint une multitude innombrable de corbeaux qui enlevèrent le
cadavre hors de l’église. Bientôt ils retournèrent
près de celui qu se tenait toujours dans le sanctuaire. Mais celui-ci
se défendit sans s’émouvoir, en saisit un avec ses mains,
le coupa par le milieu du corps et le jeta loin de lui; tous les autres
s’enfuirent immédiatement. Quelques instants après, j’aperçus
un nombre considérable d’autres oiseaux voler autour et l’importuner
extrêmement. On lui apporta un filet avec lequel il les prit presque
tous. Il jeta ce filet dans les airs avec une force extraordinaire, et
les oiseaux qu'il n’avait point pris dans le filet s’enfuirent.
Une voix se fit entendre dans le ciel, qui disait : «
Celui-là est vraiment un homme fort, il a vaincu ses ennemis. »
Après cela, je vis un énorme dragon ouvrant une
gueule épouvantable, bondissant orgueilleusement autour de lui comme
pour le dévorer mais celui qui se tenait au milieu du sanctuaire
ne me parut ni ému ni effrayé.
En même temps apparut un autre personnage dont les mains,
les pieds et le visage étaient plus blancs que la neige. Ses cheveux
étaient d’or; il était ceint d’une écharpe d’argent
et tenait une trompette à la main.
À sa vue, le dragon trembla, et dès qu'il entendit
le son de la trompette, il cessa ses mouvements et demeura tranquille.
Alors ce personnage remit la trompette à celui qui était
debout et se prosterna ensuite aux pieds de Jésus, posant à
terre son écharpe en signe de soumission.
Quand le dragon vit que celui dont il s’était approché
d’abord avait la trompette, il devint furieux et s’élança
sur lui. Mais le personnage sonna de la trompette et le dragon recula;
il sonna une seconde fois, et le dragon, terrassé, tomba comme mort;
il sonna une troisième fois, et le dragon se releva, se traîna
jusqu’aux portes de l’église en poussant d’affreux hurlements. Le
sanctuaire se remplit aussitôt de personnes vêtues de blanc,
avec des guirlandes de roses sur leurs robes. Une de ces personnes s’éleva
dans les airs, louant le Seigneur à peu près de cette manière
: « Il a vaincu, il a vaincu. Gloire et louange au Seigneur, au Dieu
trois fois saint. Que tout ce qui est sur la terre bénisse son saint
nom. Il est également fort et puissant, et sa bonne volonté
égale son pouvoir, etc., etc. »
Puis on plaça un chandelier allumé sur la tête
du vainqueur; on l’enleva quelque temps après pour l’éteindre
et il en sortit une grande fumée.
Je vis ensuite une personne travailler à une chaise,
qu'elle orna de perles très-brillantes. Elle mit sur le dossier
trois bouquets avec trois rubans bien beaux : le premier était blanc,
le troisième vert, celui du milieu surpassait tous les autres en
beauté. Je ne pouvais y fixer mes yeux, encore moins en estimer
la valeur et le prix. Quand la chaise fut achevée, la personne qui
l’avait faite, et qui me semblait être un ange, dit au vainqueur
: « Tu as assez combattu, assez travaillé, il est temps de
te reposer. » Aussitôt, le vainqueur fut frappé d’un
coup invisible et renversé, les anges le soutinrent dans leurs bras.
Une dame magnifiquement vêtue s’approcha de lui et lui dit : «
Apprenez que je vais à l’heure de la mort au secours de ceux qui
m’ont invoquée pendant leur vie. Vous m’avez invoquée, mon
fils, pendant votre vie; je viens vous secourir. »
Je vis cette dame éloigner les mouches qui fatiguaient
celui qui reposait sur les bras des anges; enfin, je l’entendis prononcer
cette parole : « Il est temps, frappez-le à mort. »
Une lance fut enfoncée dans son cœur, il mourut.
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 16
Le Sauveur Jésus me montra un jour une couronne ornée
de perles superbes et magnifiques et surmontée de petites pointes
qui jetaient beaucoup d’éclat. En la considérant attentivement,
je m’aperçus bien vite que beaucoup de perles manquaient à
cette couronne : « Vous voyez votre couronne, ma fille; ce sera par
l’humilité et la patience que vous placerez en elle les perles qui
manquent encore. » Je vis aussi tout près une paire de ciseaux
: « Gardez-vous bien de les toucher, ils représentent l’orgueil,
et l’orgueil arrache les perles de la couronne des enfants de Dieu. »
Il me sembla l'entendre un autre jour s’adresser aux justes
qui sont dans l’épreuve; il les encouragea à vivre et à
souffrir patiemment et leur dit : « Le Seigneur viendra vers sa bien-aimée
et lui criera de loin : Ma bien-aimée, voici que je viens. Venez
au devant de moi, sortez de votre tristesse, cessez vos larmes, quittez
vos habits de deuil. Réjouissez-vous, prenez vos habits de fête,
lavez-vous, peignez vos cheveux, parfumez votre tête; et la bien-aimée
du Sauveur se lèvera, prendra ses habits de fête, peignera
ses cheveux, parfumera sa tête, lavera ses mains et son visage, et,
transportée de joie, parée comme une épouse, elle
viendra au devant de son bien-aimé. Elle lui dira : mon bien-aimé,
vous voilà, que je suis heureuse de vous voir! Bien longue a été
votre absence et mon ennui bien grand, si éloignée de vous!
Ah! je le sais, Seigneur, je ne suis pas digne d’entrer dans votre maison,
mais dites seulement une parole et mon âme sera guérie de
ses infirmités. Le Seigneur ne pourra pas résister à
une telle humilité, et il introduira sa bien-aimée dans ses
tabernacles éternels. Vous voyez, Marie, comme vous êtes encore
petite. Priez le Seigneur qu'il vous fasse grandir; surtout ne regardez
point d’un œil jaloux ceux qui sont plus élevés que vous.
Estimez-vous bien heureuse qu’on vous laisse dans le palais du Roi pour
voir ce qui s’y passe. »
LIVRE SEPTIÈME, chapitre 17
Je lisais un jour ces paroles du psalmiste : « Justes,
réjouissez-vous dans le Seigneur et tressaillez d’allégresse;
glorifiez-vous en lui, vous tous qui avez le cœur droit. »
Le Seigneur Jésus vint à moi et me dit : Je veux
vous expliquer ces paroles, afin de vous apprendre à bien pénétrer
le sens de toutes les paroles des saints Livres.
« Le prophète invite le juste à se réjouir
dans le Seigneur. Qu’est-ce qu'un homme juste, ma fille? Un homme juste
est celui qui est exempt de tout péché mortel. Celui-là
est non-seulement enfant de Dieu, car tous les chrétiens le sont,
mais encore l'ami de Dieu. Il a en lui la vie de Dieu, par conséquent
il a part à tous mes mérites, il a part aussi à toutes
les prières, à toutes les bonnes œuvres qui se font dans
mon Église, dont il est un membre vivant. Le Saint-Esprit habite
en lui, il trouve en lui une demeure, un temple, et il y fait sa résidence.
Comprenez-vous la grandeur de cet état de justice, ma fille? Être
juste, c'est vivre de Dieu, c'est être participant de mes mérites
et des mérites de mon Église; c'est être le temple
du Saint-Esprit. Oh! c'est avec raison que le psalmiste invite le juste
à se réjouir. Justes, réjouissez-vous donc. La tristesse
ne vous convient pas, elle ne doit même pas approcher de vous.
« Voilà en général ce qu'on entend
par homme juste. Mais si l’on examine sous tous les aspects l’état
de justice dans un homme, on y trouve trois degrés bien distincts.
Le premier degré est celui d'une âme qui n’a pas de péché
mortel sur la conscience, ni d’attache pour ce pécheur. Elle peut
avoir, elle a même non-seulement des péchés véniels,
mais encore de l’attache pour ces péchés. Le péché
véniel ne lui fait pas perdre l'état de justice et ne la
sépare pas de Dieu. Elle peut en obtenir le pardon de plusieurs
manières : par la douleur et la contrition du coeur, par les prières,
par les mortifications.
« Le second degré est celui d'une âme qui
n’a point d’attache même pour le péché véniel
et qui désire avancer de plus en plus dans perfection, faisant pour
cela tout ce qui dépend d’elle. Combien elle est agréable
à
Dieu! Combien elle lui plaît! Combien Dieu aussi veille avec complaisance
sur elle, comme il met sous sa main tous les moyens de s’avancer dans la
vertu et la perfection!
« Le troisième degré est celui d’une âme
parvenue au sommet de la perfection. Elle s’est mise au-dessus de tous
ses ennemis : le démon, le monde, les passions; elle a tout foulé
aux pieds, rien ne la retient plus captive, elle s’élève
de plus en plus vers Dieu, portée, par ses vertus et par sa charité,
comme sur un char rapide qui va au gré de ses désirs. O heureuse
cette âme! qu'elle marche toujours inébranlable, qu'elle ne
regarde que Dieu et qu'elle ne s’appuie que sur les sentiments de la plus
profonde humilité. A ces conditions, cette âme sera toujours
debout.
« Oui, ma fille, tous ces justes doivent se réjouir
et se réjouir dans le Seigneur, qui est la joie de tout ce qui lui
ressemble et veut lui ressembler.
« Le prophète ajoute : Glorifiez-vous en lui, vous
tous qui avez le cœur droit.
« Dans ces paroles : Vous tous qui avez le cour droit,
le prophète comprend non-seulement les justes dont je viens de vous
parler, mais encore les pécheurs qui, comprenant la fausseté
de la vie qu'ils mènent, veulent y renoncer, ont la douleur dans
leur âme et sont prêts à faire tout ce que Dieu demande
pour marcher dans la voie de la vérité. Car ceux-là
ont véritablement le cœur droit.
« Que dit le prophète à ceux qui ont le
cœur droit? Glorifiez-vous dans le Seigneur. Oui, qu'ils se glorifient
non pas en eux-mêmes, mais en Dieu. Car c'est lui qui leur a donné
la rectitude du coeur. Qu’ils se glorifient dans le Seigneur, c’est-à-dire
qu'ils rendent gloire au Seigneur pour ses bienfaits, pour l’étendue
de sa miséricorde et de sa bonté.
« Gardez précieusement dans votre esprit ces paroles
que vous venez de lire : justes, réjouissez-vous dans le Seigneur,
etc. »
Reconnaissance à jamais à Jésus au saint
sacrement de l’autel! Amen