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originale par JesusMarie.com, 2007 avril 17
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les 13 livres de Soeur Marie Lataste
LIVRE HUITIÈME, De la grâce et des vertus théologales.
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 1
Un jour, je priais à genoux devant le saint tabernacle.
Je remerciais le Sauveur Jésus des nombreuses grâces qu'il
m’avait accordées et qu'il ne cessait de m’accorder encore. Il se
montra à moi sur l'autel; je ne sais pourquoi, n’osant m’approcher
de lui, je demeurai à ma place. Il m’appela; je m’approchai, et
je tombai à ses genoux : « Ma fille, me dit-il, j’ai entendu
votre voix et vos remerciements. Je vous ai accordé des grâces
nombreuses; votre reconnaissance pour mes bienfaits vous en obtiendra de
plus considérables; et la première que je veux vous donner,
c'est de bien comprendre ce que c'est que la grâce et les effets
qu'elle produit dans les âmes.
« Savez-vous, ma fille, quelles sont les diverses significations
de ce mot : Grâce? – Seigneur, je ne sais si je les connais; mais
du moins ne saurais-je ni m’exprimer, ni dire mes idées sur ce mot.
–Eh bien! ma fille, je vais vous l’apprendre.
« Le mot grâce signifie pardon. N’avez-vous point
entendu dire qu’un roi, qu’un juge, qu’un homme puissant avait fait grâce
à un coupable? Que le roi, le juge ou l'homme puissant ont pardonné
à ce coupable?
« Le mot grâce signifie affection, amour, bienveillance.
Vous vous rappelez sans doute cette parole de l’ange à Marie : «
Vous avez trouvé grâce devant Dieu »? –
Oui, Seigneur. – Cela signifie que Dieu accorde à Marie
toute sa bienveillance et qu'elle a gagné son amour.
« Le mot grâce signifie remerciement, comme quand
vous me dites : Je vous rends grâce, Seigneur, de tous vos bienfaits.
« Le mot grâce, considéré dans un
sens plus intime, signifie tout don de Dieu accordé aux hommes par
sa seule libéralité et sans aucun mérite de leur part.
« Considérée ainsi, vous en pouvez distinguer
de deux sortes : la grâce de l’ordre naturel qui regarde tous les
besoins de la vie du temps, la grâce de l’ordre surnaturel qui regarde
tous les besoins de votre âme pour la conduire à la félicité
éternelle.
« Ainsi votre création, la conservation de votre
vie, la force, la santé et le mouvement de votre corps, l’intelligence
et les facultés de votre âme sont des grâces naturelles,
des dons de Dieu. Ce sont des dons gratuits, car ces dons ne vous étaient
pas dus. Comment la naissance eût-elle été un droit
pour vous? Vous n’existiez pas. Le néant a-t-il des droits? L’intelligence,
comment eût-elle été un droit pour vous? Est-ce que
Dieu n’est pas libre de ses dons? Ne pouvait-il donc pas vous refuser l’intelligence?
Ne pourrait-il pas encore vous en refuser l’usage?
« La grâce dans l’ordre surnaturel est un don surnaturel
et invisible, mais que l’âme ressent et que Dieu accorde gratuitement
aux êtres intelligents et raisonnables comme force et puissance pour
arriver à la vie éternelle. C’est un don, comme tout ce qui
est en vous; surnaturel, c’est-à-dire au-dessus des dons naturels,
pour vous vivifier et vous transformer. C’est un don gratuit que Dieu aurait
pu ne point donner et que les créatures ne pouvaient point exiger.
Il est accordé aux êtres intelligents et raisonnables, par
ceux-là seuls qui ont l’intelligence et la raison peuvent mériter
ou démériter, mettre en usage ou laisser ce don, et ainsi
atteindre ou perdre la vie éternelle.
« C'est pour cela que la grâce vous est donné,
pour vous faire obtenir la gloire du ciel.
« De ce que je viens de dire par rapport à la grâce,
vous devez conclure que Dieu en est l’auteur et le donateur, c’est-à-dire
le principe, et que la fin qu'il se propose en la donnant est de faire
participer les âmes fidèles à la gloire du ciel.
« Pensez-vous, ma fille, qu'il n'y ait aucune cause depuis
la chute du premier homme, qui ait mérité le don de la grâce
aux hommes, et qui n’empêche pas la grâce d’être un don
gratuit? – Seigneur, il me semble, lui répondis-je, que vous êtes
la cause méritoire de la grâce. Votre incarnation, votre vie,
vos souffrances dans la passion, votre mort, nous ont mérité
toutes les grâces du salut. Néanmoins, malgré votre
mort et ses mérites, la grâce est un don gratuit, parce que
vous êtes Dieu et que votre incarnation, cause méritoire de
la grâce, a été libre.
« Oui, ma fille, c'est moi qui ai mérité
aux hommes toutes les grâces que Dieu leur accorde, et je les ai
méritées en souffrant volontairement, et sans y être
obligé, les tourments de ma passion.
« Ma fille, il y a deux espèces de grâce
que Dieu accorde aux hommes. Les premières pour eux-mêmes
et pour leurs besoins. Les secondes pour les besoins et les nécessités
d’autrui. Ces dernières ne sont pas par elles-mêmes une cause
directe de mérites; mais les premières rendent toujours agréable
à Dieu, quand on les reçoit avec de bonnes dispositions et
quand on en fait un saint usage.
« Je vous parlerai plus tard des grâces que Dieu
accorde à quelques âmes, non pour elles, mais pour les autres.
Aujourd’hui je veux vous parler uniquement des grâces que Dieu accorde
à chacun pour son utilité personnelle.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 2
Je ne sais si je m’exprime bien, mais je ne sais pas m’exprimer
autrement. J’écris selon l’intelligence qui m’a été
accordée des paroles du Sauveur Jésus.
Je continue : « Parmi les grâces que Dieu accorde
à chacun pour son utilité personnelle, on en distingue de
deux sortes : celles qu'il accorde pour la sanctification et la bonté
de tous les actes et celles qui constituent en l’âme un état,
une manière d’être, ou autrement dit les grâces actuelles
et les grâces habituelles ou sanctifiantes.
« Qu’est-ce que la grâce actuelle? Avant de répondre
à cela, je dois vous rappeler, ma fille, que l'homme par lui-même
ne peut rien faire de méritoire pour le ciel sans la grâce
de Dieu. Après cela, vous comprendrez aisément ce que c'est
que la grâce actuelle. La grâce actuelle est un secours passager
que Dieu donne à l'homme pour connaître, vouloir ou faire
un bien surnaturel, en l’excitant et l’aidant à cette connaissance,
à ce vouloir, à cette action.
« C'est un secours nécessaire à l'homme
que le péché a rempli de faiblesse et qui se trouve impuissant
devant une fin surnaturelle. C'est un secours passager, cela le distingue
de la grâce habituelle qui est en l'âme d’une manière
permanente.
« J’ai ajouté, ma fille, que ce secours excite
et aide l'homme, pour vous marquer que ce secours le dispose à l’action
et le soutient quand il l’accomplit. Pour quelle action ce secours est-il
donné à l'homme? pour une action ou intérieure ou
extérieure. Or, pour toute action, il y a deux choses : la disposition
à l’action et l’accomplissement de l’action. Dans la disposition
à l’action, c'est l’intelligence de l'homme qui est précisément
en jeu; ce secours de Dieu éclaire son intelligence. Dans l’accomplissement
de l’action, c'est la volonté; ce secours de Dieu excite et aide
la volonté à l’accomplir. Que l’action soit intérieure
comme un acte d’amour, ou extérieure, comme un exercice de piété
quelconque, pour que cette action soit bonne, il faut nécessairement
le secours de Dieu, et il s’appelle la grâce actuelle.
« La grâce actuelle est donnée à deux
fins; d’abord, de faire pratiquer le bien, comme je viens de vous l’indiquer;
et puis, de faire éviter le mal; d’où il suit, ma fille,
que si cette grâce est nécessaire, elle l’est pour opérer
le bien, et puis pour éviter le mal.
« La grâce actuelle est nécessaire pour opérer
le bien, pour produire des actes de foi, d’espérance et de charité
surnaturels, car la foi, l’espérance et la charité sont des
vertus surnaturelles, et par les seules forces de sa nature l'homme ne
peut en produire les actes. Celui même qui a la grâce sanctifiante
a besoin de la grâce actuelle pour produire ces actes, car cette
grâce sanctifiante, comme toutes les habitudes surnaturelles que
Dieu établit dans l’âme d'une manière permanente, est
à peu près pour les actions surnaturelles ce que sont pour
les actions simplement naturelles les puissances et les facultés
naturelles.
« Il ne faut pas dire pour cela, ma fille, que les actions
des hommes qui ne sont pas précédées et aidées
de la grâce sont des actions mauvaises; que l'homme, sans la grâce,
ne peut rien faire de bien; mais, en vérité, sans la grâce
il ne peut rien faire de méritoire pour le ciel.
« La grâce actuelle est nécessaire pour faire
le bien, et aussi pour éviter le mal.
« Oui, ma fille, elle est nécessaire même
à l'homme qui est en état de grâce, et sans cette grâce
actuelle, il lui est impossible de passer un long temps sans tomber dans
le péché véniel. Elle est nécessaire non-seulement
pour éviter le péché véniel, mais encore le
péché mortel. Pour éviter le mal, en effet, il faut
se déterminer au bien et l’accomplir; car qui n’avance pas recule,
et celui qui n’amasse pas constamment dissipe. Or, pour se déterminer
au bien, pour faire le bien, il faut, outre la prédisposition donnée
par la grâce habituelle, une excitation, et un secours actuel pour
l’accomplir.
« Ma fille, la grâce actuelle ne vous manquera jamais;
recevez-la et servez-vous en selon le dessein de Dieu. Ainsi vous éviterez
le mal et vous pratiquerez le bien. Je ne veux point vous retenir plus
longtemps; demain, revenez près de moi, je vous parlerai de la grâce
sanctifiante. Je vous dirai quels sont ses causes, sa nature et les effets
qu'elle produit dans l'âme. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 3
Le Sauveur Jésus me parla ainsi le lendemain : «
Ma fille, la grâce actuelle est le premier moyen qui dispose l'âme
à la possession de Dieu, à la vision béatifique, à
la gloire du ciel; mais il ne la met pas dans un rapport immédiat
avec sa fin surnaturelle. Elle n'est donc pas le dernier moyen qui conduise
à la vision de Dieu ou la fasse atteindre; mais elle conduit l'âme
à l’acquisition de la grâce surnaturelle habituelle, qui est
précisément la préparation immédiate à
la possession de Dieu, parce qu'elle dépose en elle la participation
de la vie divine.
« Il y a plusieurs causes de la grâce sanctifiante
que Dieu met en vous.
« La cause productive ou créatrice de la grâce,
qui est Dieu lui-même, auteur de tout don naturel et surnaturel.
« La cause méritoire de cette grâce, qui
n'est autre que le fils de l'homme et les souffrances de sa passion.
« La cause instrumentale, ou ce par quoi Dieu vous donne
la grâce, ce sont les sacrements.
« La cause formelle de la grâce ou la nature de
la grâce en tant que placée dans l'âme, c'est la justice
de Dieu communiquée à cette âme.
« Enfin, ma fille, la cause finale de la grâce ou
les motifs pour lesquels Dieu la communique sont au nombre de trois : le
premier motif, c'est sa propre gloire. Dieu, je vous l’ai déjà
dit, a tout fait pour sa gloire; mais rien ne peut plus contribuer à
sa gloire que le don de la grâce habituelle par laquelle il élève
l’âme jusqu'à lui, comme une louange éternelle qu'il
contemplera et recevra dans les siècles des siècles. Le second
motif, c'est la gloire de son Fils fait homme pour sauver les hommes. Qu’est-ce
que la gloire? C'est le rayonnement d’un être, c'est la manifestation
des attributs qui sont en lui. Or, l'homme, par la grâce, devient
membre de mon corps, et, uni à moi, il est juste, il est saint,
il est ami de Dieu, il est fils de Dieu; et cette filiation, cette amitié,
cette sainteté, cette justice brillent en lui dans tout leur éclat,
et me manifestent moi-même, qui ne fais qu'un avec lui. Le troisième
motif, c'est la participation de l'homme à la gloire de Dieu et
à ma gloire, lesquelles ne sont définitivement, et pour jamais
obtenues, que lorsque l'homme est définitivement, et pour jamais,
participant de la gloire de mon Père et de ma gloire.
« Quelle est donc la nature de la grâce sanctifiante,
ou qu’est-ce que la grâce sanctifiante? La grâce sanctifiante
est un don de Dieu surnaturel, gratuit et créé, intrinsèquement
inhérent à l'âme et demeurant en elle sous forme d’habitude,
et par lequel l'homme, participant de la vie divine, justifié, sanctifié
et agréable à Dieu, devient son fils adoptif, et acquiert
des droits à la vie éternelle.
« Comprenez-vous ces paroles, ma fille? – Seigneur, j’en
comprends quelques-unes; mais les autres sont pour moi pleines d’obscurité.
– Désirez-vous en avoir l’explication? – Oui, Seigneur, et je la
recevrai de vous avec empressement.
« Vous comprenez, ma fille, que la grâce sanctifiante
est un don surnaturel et gratuit? – Oui, Seigneur, vous me l’avez déjà
dit. – Eh bien! ma fille, la grâce sanctifiante est aussi un don
créé, c’est-à-dire que, quelle que soit la perfection
de ce don, ce don n'est pas la substance même de Dieu; car ce don
est intrinsèquement inhérent à l'âme, c’est-à-dire
qu'il vient modifier l'âme, mais non la détruire ou la changer
à ce point qu'elle cesse d'être âme. Il est inhérent
et sous forme d’habitude, c’est-à-dire d’inclination, de propension
à faire le bien. Or, si ce don était la substance même
de Dieu, il n'y aurait pas seulement inclination à faire le bien,
il y aurait action continuelle du bien, parce que Dieu est souverainement
et éternellement auteur du bien.
« La grâce sanctifiante est une participation à
la nature divine. Ma fille, vous ne pouvez comprendre ni le sens ni la
nature de cette parole : vous la comprendrez au ciel, et cela fera votre
bonheur dans la patrie.
« Je veux néanmoins vous donner une explication
ou vous faire concevoir par image ce que c'est que cette participation.
« Je vous ai dit, en vous parlant de Dieu, qu'il y a trois
personnes en Dieu. Que le Père se connaît et engendre son
Fils par cette connaissance; que le Père et le Fils s’aiment, et
que cet amour du Père et du Fils est le Saint-Esprit, troisième
personne de la sainte Trinité. Cette connaissance éternelle
du Père, cette tendance éternelle du Fils vers le Père,
cet amour éternel du Père vers le Fils et du Fils vers le
Père par le Saint-Esprit constitue la vie intérieure de la
sainte Trinité. Ma fille, il se passe quelque chose de semblable
dans l'homme qui est fait à l’image de Dieu, bien plus encore par
la seconde création opérée par la grâce que
par la première, oeuvre de la nature. La grâce met dans l'homme
la foi, l’espérance et la charité; et ces trois vertus constituent
la vie intérieure de l'âme, vie active et de mouvement, puisque
par la foi l'homme connaît Dieu, tend vers lui par l’espérance,
et s’unit à lui par la charité. Or, vivre ainsi n'est-ce
pas vivre à l’image de la vie de Dieu?
« Je vous ai dit, ma fille, que Dieu est saint, que Dieu
est juste, que Dieu est tout-puissant, et que, par ses œuvres extérieures,
Dieu manifeste ainsi ses attributs. Or, ma fille, tel est l'homme avec
la grâce sanctifiante. Il est saint, car la grâce sanctifiante
est incompatible avec le péché mortel; il est juste, parce
qu’il discerne le bien du mal, évite le mal et pratique le bien.
Il est tout-puissant, et ses bonnes œuvres manifestent sa force et son
pouvoir. Il lutte contre le monde, contre le démon, contre lui-même;
il lutte contre le mal, il ne combat que pour le bien, il peut tout pour
l’opérer.
« Que de merveilles la grâce sanctifiante n’opère-t-elle
donc pas! Ce n'est pas tout, elle rend encore agréable à
Dieu. Car Dieu s’aime lui-même et aime sa vie. Il se trouve reproduit
dans celui qui a la grâce sanctifiante; il y considère sa
vie, il y voit sa justice, sa sainteté, comment donc n’aimerait-il
pas celui qui a la grâce sanctifiante?
« Oui, ma fille, il l’aime comme il aime son Fils; car
l'homme
qui a la grâce sanctifiante devient par cela seul son fils adoptif.
Il voit en lui mes mérites, ma passion et ma mort, et il dit : il
est mon fils! Il voit en lui ma vie toute entière, et il dit : Il
est mon fils!
« Or, cette adoption de l'homme comme fils de Dieu, produite
par la grâce, entraîne immédiatement un autre résultat
qui est inséparable de l’adoption; c'est le droit réel, véritable,
de celui qui a la grâce sanctifiante, et de celui qui est adopté,
à la gloire, à la félicité de Celui qui l’adopte.
« Voilà, ma fille, en quelques mots, l’explication
de la définition que je vous adressais tout à l'heure, et
quelle est la nature même de la grâce.
« Que pourriez-vous conclure de ce que je viens de vous
dire sur la grâce sanctifiante? – Je ne sais, Seigneur; mais parlez
à votre servante Marie, et la lumière se fera dans son intelligence.
– Ma fille, ne vous ai-je pas dit que la grâce sanctifiante rend
l'homme juste, saint, ami de Dieu? – Oui, Seigneur. – L’homme, ma fille,
naît-il dans cet état de justice, de sainteté, d’amitié
de Dieu? – Non, Seigneur. – En quel état naît l'homme? – Il
naît dans le péché. – Comment sort-il de cet état?
– Par le baptême. – Que dépose le baptême dans celui
qui est baptisé outre et avec le caractère de chrétien?
– La grâce sanctifiante. – Que fait donc la grâce sanctifiante
dans le baptisé? – Elle le justifie, elle le rend saint. – La justification
peut-elle exister sans la grâce sanctifiante? – Je ne le pense pas.
– La grâce sanctifiante peut-elle exister dans une âme sans
qu'elle soit justifiée? – Non, Seigneur. – Au même moment
où une âme reçoit la grâce sanctifiante, reçoit-elle
aussi la justification? – Oui, Seigneur. – Comment comprenez-vous cela?
– Seigneur, je me figure le pécheur comme un pauvre dénudé
de tout, et Dieu comme un roi infiniment riche. Ce roi vient vers le pauvre
avec tous ses trésors qu'il met en sa possession; dès lors,
ce pauvre cesse d’être pauvre et se trouve riche dès qu'il
a reçu les dons du roi. Il en est de même pour le pécheur;
il a le péché dans le cœur, Dieu lui donne la grâce,
le péché s’en va. Le péché me semble incompatible
avec la grâce sanctifiante, comme la pauvreté avec la richesse.
– Ma fille, vous avez raison, l'homme ne peut être en même
temps pécheur et ami de Dieu; s’il est pécheur, il reste
dans la mort, parce que le péché est la mort de l'âme;
dès lors il est séparé de Dieu; mais s’il a la grâce,
il a la vie; s’il a la grâce, il est ami de Dieu, et si Dieu l’aime,
il doit nécessairement être justifié. Dieu hait le
péché, mais il aime la justice; par conséquent, celui
qui est l’objet de l’amitié de Dieu par la grâce sanctifiante
est nécessairement justifié.
« La grâce sanctifiante donnée à l'âme
produit en elle autre chose que la justification. Elle renouvelle encore
complètement l’intérieur de l'homme; elle le rajeunit, elle
le rapproche de Dieu son principe, elle l’éloigne des créatures.
Or, si Dieu se rapproche de l'homme ou l'homme de Dieu, il doit nécessairement
y avoir changement ou en Dieu ou en l'homme. En Dieu, ma fille, cela ne
se peut pas; c'est donc l'homme qui change, et qui est changé. Il
devient un homme nouveau, un homme sans péché, un homme uni
à Dieu, un homme avec une inclination qui le porte vers le bien.
« La grâce sanctifiante néanmoins n’enlève
point de l'âme la concupiscence.
« Qu’est-ce que la concupiscence, ma fille? Ce n'est rien
autre chose que l'inclination désordonnée de l’âme
qui porte à s’attacher à la créature et à faire
oublier le Créateur.
« Le péché originel a mis dans l'âme
l'amour du bien créé. En lui-même, cet amour n'est
pas un mal, il n'est point péché, mais il le devient très
facilement; il l’est réellement dès que l'amour du bien infini
n'est pas supérieur à l'amour du bien fini, dès que
l'amour du Créateur n'est pas supérieur à celui de
la créature.
« Cela doit vous suffire pour vous faire comprendre que
la concupiscence ne disparaît point par la grâce sanctifiante,
parce que l'amour du bien créé, de ce qui est fini, terrestre,
n’étant pas un péché, et n’étant pas incompatible
avec la grâce sanctifiante, celle-ci ne peut le faire disparaître.
« La grâce sanctifiante pourtant lutte contre la
concupiscence; elle est une arme contre la concupiscence, elle est une
tendance opposée à celle de la concupiscence, car elle donne
à l’âme un amour prédominant du bien infini, qui l’emporte
sur celui des biens matériels et terrestres.
« C’est là l’œuvre de la grâce dans l’âme.
»
LIVRE HUITIÈME, chapitre 4
Je priais un jour près du saint tabernacle; je m’étais
unie au Sauveur Jésus par la communion spirituelle, il vint à
moi et me dit :
« Je vous ai parlé, ma fille, de la grâce
et des diverses sortes de grâce; je veux que vous sachiez aussi que
la grâce se donne à tous et que les obligations de chaque
état n’empêchent pas son cours. La grâce est une source
immense et inépuisable qui s’échappe de mon cœur, et à
laquelle tous peuvent puiser abondamment. Quelle que soit la position et
l'état des hommes, tous peuvent y prendre part, en m’offrant leurs
actions, en les sanctifiant, en les faisant en vue de plaire à mon
Père, et surtout par la pratique de la religion et la fréquentation
des sacrements.
« Cependant, ma fille, voyez les hommes, ils fuient ma
grâce, ils n’ont d’yeux que pour leurs intérêts matériels;
ils vivent dans le péché, ils vivent dans la mort. Quelle
ignorance en eux des vérités du salut! Et n'est-ce pas leur
faute? Comment excuseront-ils leur indifférence, comment expliqueront-ils
leur éloignement de Dieu? Mais leur ignorance est une ignorance
coupable ou une ignorance qui n’est point vraie. Souvent ces hommes se
rappellent bien les instructions de leur première communion, mais
ils sont attachés à leurs péchés et ils ne
veulent point y renoncer; à leurs rapines et ne veulent point les
abandonner; à leurs passions, et, ne voulant point les maîtriser
ils se disent ignorants. Pauvres hommes, quelle folie!
S’ils sont réellement ignorants, pourquoi n’écoutent-ils
pas l’instruction de mes ministres? Pourquoi ne conforment-ils pas leur
conduite aux enseignements qui leur sont donnés par mes prêtres?
Mais ne savent-ils pas qu'ils ont fait mal, qu'ils ont commis le péché,
qu'ils se sont révoltés contre Dieu, qu'ils sont privés
de ma grâce?
« Ma fille, ce n'est point ni l’éclat ni la condition
diverse des hommes qui empêche le cours de ma grâce, tous peuvent
y participer et abondamment. Mon plus grand désir serait de la répandre
avec profusion sur toutes les âmes. Ceux qui veulent y participer
le peuvent, même les plus ignorants, parce qu'ils trouvent dans mes
prêtres des amis qui les soutiennent, qui les guident, qui les éclairent,
qui leur rendent la paix du cœur et de l'âme, qui les délivrent
de leurs fautes, qui leur donnent ma grâce. O hommes! Ne savent-ils
pas que Dieu regarde moins ce qu'ils savent, ce qu'ils font, que la bonne
volonté avec laquelle ils agissent? N’éprouvent-ils pas en
eux les mouvements quotidiens de la grâce qui les invite à
revenir à Dieu, à se donner à lui? Dieu veut le salut
de tous, je vous l’ai déjà dit, et il donne à tous
les grâces qui leur sont nécessaires pour qu'ils opèrent
leur salut.
« Néanmoins, ma fille, il y a une certaine mesure
de grâce que Dieu, dans ses décrets éternels et insondables,
destine à chacun. Il n’accorde pas à tous le même degré.
Mais aussi ne demandera-t-il pas à tous non plus le même compte.
Il proportionne la grâce au degré de sainteté auquel
il veut que s’élève celui à qui il la donne; il proportionne
sa grâce aussi aux besoins de chacun.
« Il y a des grâces générales auxquelles
tous participent, les justes, les pécheurs, et tous les hommes dans
leurs diverses conditions. Mais il y a des grâces particulières
que Dieu n’accorde pas à tous les chrétiens, parce qu'elles
ne sont nécessaires qu’à quelques âmes d’élite
et à certaines vocations. Que de grâces plus grandes, par
exemple, ne faut-il, pas à un prêtre pour vivre saint et sanctifier
les autres; à un confesseur, à un directeur pour mener et
conduire les âmes dans le sentier de la vérité et du
bien? Celles-là ne vous sont point nécessaires, ma fille;
aussi vous n’en rendrez pas compte.
« La grâce est pour tous une source de vie et le
remède à tous les maux. Elle rend la vie à ceux qui
sont morts par le péché. Elle donne la ferveur à ceux
qui sont lâches et négligents, la componction aux insensibles,
le recueillement aux dissipés, la soumission aux indociles, la charité
à ceux qui sont froids et sans cœur.
« Comprenez toujours bien ce que c'est que la grâce,
ma fille, estimez-la toujours davantage, augmentez-la dans votre cœur.
N’oubliez pas que Dieu l’accorde à tous, mais plus particulièrement
et en plus grande abondance à ceux qui la lui demandent et y correspondent.
»
LIVRE HUITIÈME, chapitre 5
J’étais fort inquiète sur tout ce qui se passait
en moi depuis quelque temps. Le doute que me témoignait mon directeur
sur la vérité de ce que je voyais et entendais augmentait
en moi la crainte d’être victime de quelque illusion. J’ai dit ailleurs
comment le Sauveur Jésus lui-même m’a détrompée
et m’a rassurée.
Voici ce qu'il m’a dit sur la conduite à tenir dans les
faveurs extraordinaires que Dieu accorde, comme sont des révélations,
des visions, des extases, des ravissements.
« Ma fille, une personne qui éprouve de ces sortes
d’attraits qui la mettent hors d’elle-même, et qui réjouissent
son cœur et son âme, doit-elle s’abandonner à ces attraits
et les suivre? Mais qu’arrive-t-il à cette pauvre âme si c'est
le démon qui se change en ange de lumière pour la séduire?
Doit-elle résister opiniâtrement? Mais si cet attrait est
une
grâce de Dieu, elle n’y correspond point. Que doit-elle faire en
pareille conjoncture?
« La première chose à faire, ma fille, c'est
de déclarer à son directeur tout ce que l’on éprouve
et tout ce qui se passe dans l’âme; puis il faut suivre en tout le
conseil de son directeur.
« Le directeur, s’il est sage, s’il est prudent, s’il
est instruit, examinera tout ce que cette âme lui aura rapporté;
il verra si ces choses sont conformes à l’esprit de piété
et à celui de l’Église. Il examinera les dispositions de
la personne qu'il dirige, et s'il juge que ce qui se passe en elle la porte
à la vanité et à l’indépendance ou opère
en elle quelque résultat fâcheux, il l’engagera à résister
à ces attraits et à les repousser.
« S’il voit, au contraire, que tout ce qu'elle dit est
conforme à l'esprit de piété et de l’Église,
et qu’au lieu de perdre sa piété, cette personne devient
de plus en plus pieuse, simple, humble, soumise et fidèle à
remplir ses devoirs, il l’engagera à se soumettre humblement à
la volonté de Dieu et à s’abandonner à lui comme un
enfant aux bras de sa mère.
« Quand le directeur a conseillé à une personne
de recevoir ainsi cet attrait et d’y correspondre, comment doit agir cette
personne pour correspondre à cet attrait?
« Au moment où elle sent son âme attirée
vers un état autre que son état habituel ou normal, elle
doit commencer par se dépouiller complètement de sa volonté,
pour embrasser entièrement celle de son directeur, et puis conjurer
Dieu de ne point permettre qu'elle soit trompée. Elle doit reconnaître
enfin qu'elle n'est digne d’aucune de ces faveurs signalées et prier
le Seigneur de lui faire miséricorde.
« Si cette âme agit ainsi, il est certain, ma fille,
que Dieu ne permettra pas qu'elle soit victime d’aucune illusion, parce
qu'elle a mis en lui toute sa confiance. Mais si cette faveur est une faveur
que Dieu lui accorde, cette faveur, loin de lui être retirée,
lui sera donnée avec plus d’abondance et de perfection, parce qu'elle
la méritera plus encore par sa manière d’agir si soumise
et si humble.
« Cette personne pourra non-seulement s’abandonner ainsi
à ces ravissements qu'elle éprouvera, mais encore écouter
et retenir les enseignements qui lui seront donnés, pourvu que ces
enseignements soient conformes en tout aux enseignements de la sainte Église
de Dieu. Comme elle ne peut pas en juger par elle-même, elle doit
communiquer aussi à son directeur ce qui lui a été
dit, comme cela lui a été dit, autant qu'elle pourra se le
rappeler. Son directeur jugera ces enseignements avec prudence, discrétion,
et consultera même, s'il le faut, des hommes, ministres de Dieu comme
lui, mais plus instruits que lui. Après cela le directeur se prononcera.
Si celle qu'il dirige reçoit ses décisions avec humilité
et soumission, ce sera une preuve que l’esprit de Dieu est avec cette personne.
Si, au contraire, elle les reçoit avec peine, si elle brise le joug
de la dépendance pour suivre sa volonté, ce sera un signe
non équivoque que l’esprit de Dieu n'est pas en elle.
« Ma fille, dans ces circonstances, il faut deux choses
à ces âmes, une grande humilité et une grande soumission
à leur directeur. De plus, pour que cette soumission soit non-seulement
bonne en elle-même, mais produise de bons résultats, il faut
que le directeur de ces âmes soit instruit, sage et prudent; sans
cela, ce sera un aveugle qui en mènera un autre, et ils tomberont
tous deux dans le précipice. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 6
Le Sauveur Jésus m’a dit une autre fois : « Ma fille,
je vous ai parlé des grâces que Dieu accorde aux hommes pour
eux-mêmes et pour leur avancement spirituel. Il est d’autres grâces
que Dieu accorde à certaines âmes et qui sont plus pour l’utilité
des autres que pour leur propre utilité : comme celles des apôtres
qui faisaient des miracles, ressuscitaient les morts, redressaient les
boiteux, confondaient les imposteurs, se faisaient comprendre de plusieurs
nations dont le langage était différent, annonçaient
longtemps à l’avance les événements futurs.
« Ces dons de miracles, de langues, de prophéties
et autres semblables furent donnés aux apôtres, et sont encore
données à quelques âmes d’élite pour le bien
de leurs frères. C'est par les miracles qu'ils convainquent les
incrédules; c'est par le langage qu'ils les instruisent; c'est par
l’annonce des événements futurs qu'ils maintiennent dans
les cœurs des fidèles des sentiments d’espérance ou qu'ils
excitent en eux des sentiments de crainte.
« Il ne faut point désirer ces dons, ma fille,
et Dieu ne les accorde qu’aux âmes qu'il a choisies pour cela. Mais
quand Dieu donne ces grâces extraordinaires et purement gratuites,
il faut en faire un usage conforme à sa volonté, afin d’opérer
pour autrui et en autrui le bien que Dieu désire voir opérer.
« Ces enseignements sur la grâce et ses effets vous
suffiront, ma fille, et vous permettront de vous montrer plus fidèle
à toutes les grâces de Dieu, aux grâces de chaque jour,
de chaque heure, de chaque moment, qui tombent sur votre âme comme
une rosée bienfaisante pour faire germer en vous toutes sortes de
vertus. »
Je remerciai le Sauveur Jésus, je me jetai à ses
genoux et lui demandai sa bénédiction.
Le Sauveur leva les yeux au ciel et dit : « Mon Père,
bénissez votre servante Marie, comme je la bénis, et que
ma parole produise en son âme des fruits de vie. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 7
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais
rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père
et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
« La grâce sanctifiante met dans l'âme les
trois vertus de foi, d’espérance et de charité pour la diriger
vers Dieu; celles de justice, de force, de prudence et de tempérance
pour la diriger dans ses rapports avec les créatures, et enfin les
sept dons du Saint-Esprit pour la disposer à recevoir les mouvements
qu'il donne à ceux qui veulent se sauver. »
Il ne me parla ce jour-là que de la foi, de l’espérance
et de la charité.
« La foi, me dit-il, peut s’entendre de plusieurs manières,
comme l’espérance, la charité et la grâce.
« La foi désigne le jugement intérieur de
l'âme, qui marque le bien et le mal; comme on vous dit d'un homme
: Il a fait cela de bonne foi, ou de mauvaise foi.
« La foi désigne la fidélité à
tenir un pacte ou une promesse.
« La foi désigne la confiance que l’on a en la
parole de quelqu'un.
« La foi désigne cette inclination par laquelle
quelqu'un donne son assentiment, sans crainte d’être trompé,
à
ce qu'il ne voit pas pourtant d'une manière précise.
« La foi désigne un des dons gratuits de Dieu par
lequel on a une certitude suréminente des choses qu'on doit croire.
« La foi désigne le caractère distinctif
entre les chrétiens et ceux qui ne le sont pas, c'est le baptême.
« La foi désigne la matière ou la réunion
des vérités qu'il faut croire, ou les symboles.
« La foi désigne une habitude informe et sans vie,
insuffisante au salut, la foi sans les œuvres.
« Voilà les diverses manières d’entendre
la foi; mais la foi dont je veux vous parler t que vous ne devez pas confondre
avec ces sortes de foi, c'est la foi théologique, la vertu surnaturelle
de foi.
« Vous devez distinguer dans la vertu de foi quatre choses
: sa nature, son acte, son objet, sa cause et son effet.
« La vertu de foi, ma fille, est une habitude surnaturelle
que Dieu met dans l'âme et qui lui donne la conviction ferme et l’assentiment
libre aux vérités qu'il a révélées,
et que l’Église catholique propose à sa croyance.
« La foi est une vertu surnaturelle, par conséquent
un don de Dieu. Elle donne la conviction ferme, c’est-à-dire qu'elle
enlève toute crainte d’erreur dans ce que l’on croit. Cette conviction
produit l’assentiment de la volonté, assentiment libre et non forcé,
comme celui des démons, qui croient, eux aussi, mais avec nécessité.
La foi se porte sur les vérités que Dieu a révélées
et que l’Église catholique propose à sa croyance. Il a institué
l’Église pour cela. Celui qui a la vertu de foi croit ces vérités
sans peine ni difficulté; il est porté à les croire
vérités, parce que la vertu de foi est une habitude, une
inclination, une propension que l'âme reçoit de Dieu par cette
vertu, et qui la porte à croire que qu'il révèle.
Celui qui a la vertu de foi est convaincu de ces vérités,
bien qu'il ne les comprenne pas. Ces vérités ne sont point
une simple opinion, c'est une réalité divine; et la conviction
est d’autant plus ferme qu'elle repose sur Dieu, vérité éternelle
qui ne peut tromper. Celui qui a la foi a en lui le commencement de la
vie éternelle, c’est-à-dire qu'il possède par la croyance
ce qu'il ne voit point, mais qu'il espère, qu'il désire et
vers quoi il tend par ce mouvement de son intelligence et cet assentiment
de sa volonté.
« La foi est la première des vertus et le fondement
des autres vertus. Elle est avant l’espérance, parce que pour espérer
il faut savoir ce qui fait l’objet de cette espérance. Elle est
avant la charité, parce que la charité c'est l'amour, et
pour aimer aussi, il faut connaître l’objet de cet amour. Or, la
foi fait connaître Dieu et ce qui a rapport à Dieu. C'est
donc sur elle que reposent l’espérance et la charité.
« La foi peut exister seule sans la charité et
l'espérance. Mais l’espérance ne peut exister sans la foi.
La charité aussi, du moins ici-bas, demande la foi pour exister.
Je dis du moins ici-bas, parce que la foi et l’espérance ne sont
que des vertus du temps : elles n’existeront point dans l’éternité
parce qu'elles n’auront plus de raison d’être. Dans le ciel on voit
Dieu face à face, par conséquent la foi est inutile; dans
le ciel on possède Dieu, par conséquent on ne l’espère
plus.
« La foi est la première des vertus dans l’ordre
de l’existence, mais non dans celui de la dignité. La charité
est la plus considérable des vertus; elle en est la vie.
« La foi doit être une, catholique et vraie. Elle
est une en tant que vertu; il n'y a point plusieurs vertus de foi, bien
qu'elle soit donnée à plusieurs. Elle est une quant à
son objet; tous doivent croire la même chose, Dieu et les révélations
de Dieu. Elle est une quant à sa fin, elle ne dirige que vers la
possession de Dieu.
« Elle doit être catholique et universelle, c’est-à-dire
qu'elle doit s’étendre à toutes les vérités
sans exception, remplir tous les lieux de la terre et embrasser le bien
universel du temps et de l’éternité, Dieu.
« Elle doit être vraie. Si la foi était erronée,
elle ne serait plus foi : elle serait erreur, mensonge, fausseté;
la foi doit nécessairement porter sur la vérité, c’est-à-dire
sur Dieu.
« La vertu de foi repose dans l’intelligence et dans la
volonté. Dans l’intelligence comme dans le lieu spécial de
sa demeure, d’où elle explore et regarde; dans la volonté,
comme force de ce regard et comme assentiment à l’existence de ce
qui est vu.
« Il y a, ma fille, deux sortes d’actes de foi : le premier
est purement intérieur, le second est extérieur et se manifeste
au dehors.
« L’acte de foi intérieur est de trois sortes.
Il peut porter sur Dieu d’une manière générale, tel
qu'il est en lui-même trinité et unité, sans chercher
à pénétrer ce mystère; c'est l'âme qui
dit simplement : Je crois.
« L’acte de foi peut porter sur Dieu, vérité
infaillible et éternelle. Cet acte peut s’exprimer ainsi : Je crois
à la parole de Dieu et à sa révélation.
« Enfin, l’acte de foi peut être un acte de l’intelligence
que la volonté détermine à tendre vers Dieu; cet acte
peut s’exprimer ainsi : Je crois en Dieu, vérité et bonté
suprême.
« L’acte de foi extérieur est triple aussi. L’acte
de foi extérieur n'est rien autre chose que la manifestation extérieure
de ce qui est dans l'âme qui croit, et cette manifestation a lieu
de trois manières.
« Le premier acte de foi est la reconnaissance publique
de tous les articles de foi. Cette reconnaissance n'est pas de nécessité
de salut, mais elle peut le devenir selon les lieux ou le temps. Si vous
étiez citée devant le tribunal d’un prince, d’un juge ou
d’un magistrat et qu’on vous interrogeât sur votre foi, vous seriez
obligée de la manifester à ce point que si vous veniez à
mourir après l’avoir méconnue ou dissimulée, sans
vous être rétractée, vous seriez certainement damnée.
« Cette confession de sa foi est, vous le comprenez, ma
fille, un des actes les plus glorieux du chrétien. Confesser sa
foi, en effet, c'est honorer et glorifier Dieu; confesser sa foi, c'est
être son défenseur; confesser sa foi, c'est confondre les
incrédules; confesser sa foi, c'est édifier son prochain
et lui donner le bon exemple.
« Le second acte extérieur de foi, c'est l’acte
d’adoration de Dieu par le culte extérieur qu'on lui rend pour reconnaître
ses divins attributs.
« Le troisième acte extérieur de foi, c'est
la confession de ses péchés par laquelle on reconnaît
avoir offensé Dieu, et par laquelle aussi on lui demande pardon
et oubli de ses offenses.
La foi est nécessaire au salut, ma fille. Le salut, en
effet, n'est que la conclusion de la perfection d’un être raisonnable.
Or, la perfection de cet être ne consiste pas seulement dans la possession
de tout ce qui en constitue la nature, mais encore dans la réception
du mouvement qui est donné à cette nature par une nature
supérieure. Vous rappelez-vous ce que je vous ai dit des deux mouvements
de l'homme, le mouvement vers l’existence et le mouvement de retour vers
Dieu ? Le mouvement vers l’existence, c'est le don de tout ce qui convient
à la nature humaine ; le mouvement de retour vers Dieu, c'est le
mouvement que la nature divine, supérieure à la nature humaine,
donne à celle-ci pour la diriger dans le bien. Avec ce mouvement,
on va droit au bien, droit à Dieu, droit à l’éternelle
félicité. Or, la première condition pour la réception
de ce mouvement, c'est la foi qui fait connaître Dieu, qui fait tendre
vers lui en appréciant ce qui est en lui et ce qu'il veut mettre
en vous. Celui qui n’a pas la foi ressemble à une maison dont les
portes sont fermées, où Dieu voudrait entrer, mais où
il n’entre pas parce que le maître ne l’ouvre pas. S’il y entrait,
il y apporterait la lumière, mais parce qu'il n'y pénètre
pas, cette maison demeure dans l’obscurité et les ténèbres.
Sans la foi donc, il est impossible de plaire à Dieu, parce que
c'est repousser Dieu. Sans la foi on ne peut être sauvé, parce
qu'on n'est pas uni à Dieu. Sans la foi, on encourt la condamnation
de Dieu, parce qu'on se laissera aller à toutes ses inclinations,
parce qu’on commettra le péché, et que le péché
demande condamnation.
« Ma fille, que devez-vous croire ? La vérité
; la vérité éternelle, la vérité qui
demeure toujours et demeurera dans les siècles des siècles.
La vérité, c'est Dieu ; la vérité, c'est moi.
Je suis l’expression personnelle de la vérité, et c'est avec
droit que j’ai dit aux hommes et que je vous dis en ce moment : Je suis
la vérité ! Je suis la vérité première
qui contient toutes les autres vérités, la vérité
qui les rassemble toutes, et toutes les vérités réunies
en moi ne font qu’une vérité : la vérité de
Dieu ou Dieu, vérité éternelle.
« Or, vous devez croire la vérité première.
Vous devez croire aussi les autres vérités qui découlent
de moi et par lesquelles vous êtes aidée à tendre vers
moi. La manifestation de la vérité première à
une âme attire cette âme vers la vérité. Pour
l’attirer plus facilement, cette vérité se manifeste sous
diverses formes, et, comme autant de liens, elles viennent l’enlacer doucement
et la porter vers Dieu.
« Ainsi, tout ce qui a rapport à la divinité,
en tant qu’elle est Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et
le Saint-Esprit, ce qui a rapport à mon humanité, à
mon Église, aux sacrements que j’ai institués, sont autant
de formes diverses de la vérité première qui se présentent
à l'homme et lui disent : Crois et marche vers Dieu !
« Toutes ces vérités sont renfermées
dans les symboles de l’Église et les décisions qu’elle porte
sur la vérité première, décisions qui lui sont
inspirées par Dieu lui-même.
« Ces vérités, l'homme ne les comprend pas
dans leur nature intime, parce que la vérité c'est Dieu,
mais il les croit et les doit croire parce qu’elles viennent de Dieu.
« La foi, ma fille, est donnée par Dieu. C'est
lui qui est la cause première de la foi. Mais la foi a plusieurs
causes secondaires qui la produisent : la révélation de ce
qu'il faut croire, la vision des miracles qui ne sont autre chose qu’une
persuasion motivée de foi, enfin l’assentiment de l’âme à
ce qu'il faut croire.
« La révélation est cause de la foi. Comment
avoir la foi, en effet, si Dieu ne révèle pas ce qu'il faut
croire, ou si ceux à qui Dieu l’a révélé ne
vous font point participer à la révélation qui leur
a été faite ? La foi véritable est une foi vivante,
et pour qu’elle vivre, il lui faut une nourriture, un objet qu’elle saisisse.
La révélation est cause secondaire de la foi, mais cause
venant de Dieu, révélateur de la vérité.
« La vue des miracles est cause de la foi, non-seulement
en ce sens que les miracles sont opérés par Dieu, mais en
ce sens que Dieu doit exciter la foi par la vue des miracles. C’est aussi
une cause secondaire et insuffisante. Et n’en avez-vous pas la preuve dans
ce qui s’est passé durant ma vie ? Combien de personnes ont vu mes
miracles et combien peu pourtant ont eu la foi en eux-mêmes ? C'est
pourquoi les miracles sont aussi bien un motif qu’une cause de la foi.
« L’assentiment de l’âme à la vérité
est une cause de la foi, non en ce sens que l’âme puisse par elle-même
recevoir et admettre la vérité éternelle qui lui est
proposée, ce qui est faux, parce que cet acte dépasse les
forces de la nature humaine, mais en ce sens que Dieu donne à l’âme
l’inclination, la force pour arriver à la foi.
« Les avantages de la foi sont immenses pour une âme.
La foi, c'est une arme contre le monde : elle triomphe de lui et le foule
aux pieds. Car, par la foi, on repousse la concupiscence de la chair, parce
qu’on sait que tout passera en ce monde et qu'il ne restera qu’une seule
chose : le bien et le mal qu’on aura fait. On repousse la concupiscence
des yeux, parce qu’on sait qu'il n’y a qu’une seule richesse que les voleurs
ne puissent point enlever ni la rouille faire disparaître, Dieu !
On repousse l’orgueil de la vie, parce que la vue d’un Dieu humilié,
crucifié et mort pour les hommes fait connaître le néant,
la misère et le péché de l'homme qui ne lui permet
pas de s’enorgueillir.
« La foi est un bouclier contre Satan et contre ses traits.
Vainement cherchera-t-il à frapper celui qui a la foi, à
l’entraîner dans la révolte, à le faire tomber dans
le péché. Celui qui a la foi sait que Satan veut sa perte
et sa damnation, il sait que Dieu veut son salut et son bonheur, il écoutera
Dieu et repoussera Satan.
« La foi est par conséquent un éloignement
du péché. Celui qui résiste au monde et à Satan
n’a plus qu’un autre ennemi : lui-même et ses passions ; mais il
a en lui la même force pour se combattre que pour repousser ses deux
premiers ennemis ; il lutte, et triomphe de lui-même et de ses passions,
qui deviennent pour lui l’occasion de mérites considérables.
« La foi produit la sanctification du cœur. Elle fait
fuir le péché, par conséquent elle conserve la grâce,
qui est état de sainteté ; elle fait avouer le péché
quand on a eu la faiblesse de le commettre ; elle fait expier par la pénitence.
Aussi est-elle une source de sanctification pour l’âme.
« La foi produit la crainte, non point seulement la crainte
servile, c'est-à-dire la crainte de l’enfer, la crainte de la punition,
mais la crainte de la séparation de Dieu, la crainte de ne point
l’aimer, de ne point le servir fidèlement, de ne point lui être
uni sur la terre et dans le ciel.
« La foi opère des prodiges : Celui qui a la foi
transporte des montagnes.
« La foi fait exaucer les prières qu’on adresse
à Dieu.
« La foi, sur la terre, relève la dignité
de l'homme et le déifie en le faisant participer à la vie
divine, dont elle est le commencement et l’origine en l'homme.
« Enfin, la foi assure la vie éternelle, parce
que celui qui a la foi vit dans la justice, opère des œuvres bonnes
et saintes qui seront l’objet de sa récompense dans l’éternité.
« Ce que je viens de vous dire sur la foi doit vous la
faire estimer beaucoup, vous la faire désirer de plus en plus et
vous inciter à l’augmenter autant qu'il vous sera possible, en ne
faisant rien de contraire à ce don qu'il a plu au Seigneur de déposer
en vous.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 8
« Je veux vous parler maintenant de l’espérance.
« Ma fille, il y a trois sortes d’espérance : l’espérance
naturelle, l’espérance surnaturelle et l’espérance criminelle.
« L’espérance naturelle est une inclination qui
se trouve dans chaque individu, et le fait tendre vers un but naturel qu'il
croit être bon et dans lequel il croit posséder le bonheur.
« L’espérance surnaturelle ou la vertu d’espérance
est une habitude surnaturelle que Dieu met dans l’âme pour lui faire
attendre avec une confiance certaine la vie éternelle et les moyens
de l’obtenir par le secours de Dieu.
« L’espérance criminelle n'est une espérance que
de nom. Qui dit espérance marque le bien; et quel bien peut-on attendre
du crime? Ah! c'est avec raison que le prophète disait : ne mettez
point votre espérance dans l’iniquité. Cette espérance
est une espérance nulle, trompeuse et mensongère.
« L’espérance criminelle peut s’entendre de trois
manières : l’espérance fondée sur soi, l’espérance
fondée sur autrui, l’espérance fondée sur la vanité.
La première est criminelle. Qu’est-ce que l'homme, ma
fille, pour espérer en lui-même? L'homme n’est-il pas incapable
de se suffire à lui-même, de se défendre et de mériter
la récompense de l’éternité? L'homme n'est pas capable
de se suffire à lui-même, car il est de l’essence des êtres
tirés du néant de tendre au néant, si l’action de
Dieu ne les soutenait. L'homme est faible et le démon ne tarderait
pas, par ses ruses et son habileté, sa puissance et sa malice, de
l’entraîner au mal, si la miséricorde de Dieu ne le soutenait
à chaque moment. L'homme ne peut rien mériter par lui-même,
et la pensée qui semble être la première possession
de l'homme en puissance de raison, la pensée, si elle revêt
un caractère de bonté surnaturelle, n'est pas à lui,
car elle lui vient de Dieu.
« Par conséquent, fonder sur soi son espérance,
c'est faire injure à Dieu, c'est opérer le mal, c'est se
perdre.
« L’espérance fondée sur les autres est
une espérance criminelle. En qui placeriez-vous votre espérance,
ma fille, si vous ne pouvez la placer sur vous-même? Serait-ce dans
votre famille, dans vos amis, dans des hommes puissants? Mais tous les
hommes, unis ensemble, sont la personnification même de la faiblesse;
ils sont plus fragiles qu’un roseau et, compter sur eux, c'est être
sûr d’être trompé et confondu à l'heure du danger.
Votre espérance doit s’arrêter à Dieu et demeurez toujours
en lui; il ne vous trompera pas, et vous pourrez dire un jour : Seigneur,
j’ai espéré en vous; je ne serai point confondue.
« L’espérance dans la vanité est une espérance
criminelle. Espérer dans la vanité, c'est espérer
sur sa vie, qui est fugitive et transitoire comme la fumée emportée
par le vent; c'est espérer sur la renommée, la gloire ou
l’estime des hommes; et la renommée, la gloire et l’estime disparaissent
avec la vie en face de l’éternité; c'est enfin espérer
sur les richesses et les biens de ce monde; mais les richesses, les biens
de ce monde, le monde lui-même, auront un terme; et peut-on placer
une espérance solide sur ce qui aura un terme et une fin? L’espérance
dans la vanité est une vaine espérance, une espérance
qui éloigne de Dieu, par conséquent coupable et criminelle.
« La seule véritable, c'est l’espérance
surnaturelle; je veux vous en faire connaître la nature, l’acte,
l’objet, l’effet, la nécessité et le sujet.
« La nature de l’espérance n'est autre chose qu'une
habitude, une inclination surnaturelle; par conséquent, l’espérance
est un don de Dieu; toute chose surnaturelle vient de Dieu et dépasse
les forces de la nature humaine. Par cette inclination, l'homme a constamment
les yeux sur les biens futurs : il les regarde, il les attend avec courage,
avec fermeté, avec certitude de les obtenir, parce qu'il sait que
Dieu lui accordera les moyens nécessaires pour les acquérir,
et en être un jour le possesseur. Celui qui a la vertu d’espérance
s’oublie lui-même pour s’abandonner complètement à
Dieu, pour se reposer en lui.
« L’acte d’espérance n’est rien autre chose qu'une
attente, une expectative certaine, et quand vous faites un acte d’espérance,
quand vous dites à Dieu : Mon Dieu, j’espère votre grâce
en cette vie et la vue de votre gloire dans le ciel, vous dites en vérité
: Mon Dieu, j’attends votre grâce en cette vie et la vue de votre
gloire dans l’autre. Je vous ai dit que cette expectative est certaine,
parce qu’elle repose sur des fondements certains, le secours de la toute-puissance
de Dieu et de son immense miséricorde, sa libéralité
infinie et son désir éternel que vous parveniez à
la possession de ce que vous attendez.
« L’objet de l’espérance, c'est la béatitude
éternelle dont vous jouirez; tel est le premier objet de votre espérance,
la possession de Dieu. L’objet secondaire, ce sont les grâces de
Dieu, les secours de Dieu, la protection de votre Sauveur, l’effusion sur
vous de mes mérites, la tutelle de Marie, qui éloignera de
vous les dangers.
« Et savez-vous, ma fille, quels heureux effets l’espérance
produira en votre âme? Les voici. Elle vous excitera à faire
pénitence de vos péchés, parce que vous en espérerez
le pardon; elle vous donnera force et courage dans les dangers, parce qu’avec
elle vous ne compterez point sur vous, mais sur le bras de Dieu, qui renverse
tous les ennemis; elle vous délivrera des dangers, car Dieu n’abandonne
jamais ceux qui se fient en lui. Voyez comme il délivra Daniel et
Suzanne qui espéraient en lui. Elle vous fera triompher des tentations,
parce que vous aurez la force de l’espérance et le désir
de la voir se réaliser, ce qui vous fera lutter avec fermeté
contre les tentations, et cette lutte ferme est toujours suivie de la victoire.
Elle éclairera votre intelligence. Espérer en Dieu, c'est
se rapprocher de lui; or, Dieu est lumière, et sa lumière
répand le jour dans les ténèbres et montre la vérité.
Elle gardera et sauvera la bonté de vos intentions. Vous n’espérerez
que le bien; vous ne voudrez par conséquent jamais que le bien,
et c'est ainsi encore, ma fille, que l’espérance sera pour vous
une source de multiplicité de bonnes œuvres que vous n’auriez point
opérées sans elle.
« Or, ma fille, l’espérance ne doit pas être
seulement en vous quelques jours, quelques années, tant que vous
jouissez des bénédictions de Dieu, tant que vous êtes
en état de grâce, elle doit y être toujours.
« Vous devez espérer aussi bien dans la tentation
que dans l’affliction, dans la sécheresse comme dans l’état
de péché.
« Vous devez espérer dans la tentation. C'est alors,
surtout, que votre espérance doit être forte; c'est elle qui
doit être le bouclier avec lequel vous renverserez vos tentations.
Or, vous n’espérez point, si vous vous procurez à vous-même
des tentations; si vous ne les fuyez point, c'est là de la présomption.
Vous n’espérez point, si vous ne considérez que votre fragilité
et non la peine due à votre défaite dans la tentation, c'est
de l’aveuglement. Vous n’espérez point, si dans la tentation vous
ne priez pas, c'est vous mettre dans la certitude de succomber et de pécher.
Espérez donc, ma fille, à l'heure de la tentation.
« Espérez dans l’affliction. Espérez, parce
que Dieu n’abandonne jamais les malheureux; espérez, parce que Dieu
mettra un terme à vos afflictions; espérez, parce que Dieu
vous donnera une sécurité entière au milieu même
de vos tribulations.
« Espérez dans la sécheresse de l'âme,
dans la pauvreté, comme un serviteur espère dans la fortune
de son maître, et espérez, comme ce serviteur, que Dieu vous
donnera la nourriture dont vous avez besoin, le secours qui vous est indispensable
pour vous soutenir, un abri pour vous couvrir, et vous ne serez point trompée
dans votre espérance.
« Espérez quand vous êtes dans l’état
de péché. Pourquoi, ma fille? Parce que Dieu est un médecin
qui connaît la manière de guérir l’infirmité
de votre âme, qui peut la guérir et le désire.
« Ce que je viens de vous dire, ma fille, vous fait comprendre
la nécessité de l’espérance. Sans elle, vous ne pouvez
obtenir le ciel, parce que Dieu ne veut le donner qu'à ceux qui
l’espèrent. Ceux qui l’espèrent, en effet, seuls font ce
qui est nécessaire pour l’obtenir, et nul ne l’obtiendra s’il ne
l’a mérité.
« En qui peut et doit se trouver l’espérance? L’espérance
n'est point dans le ciel où les anges et les élus jouissent
de la vue de Dieu. S’ils le possèdent, ils n’en attendent plus la
possession; par conséquent ils n’ont point l’espérance. L’espérance
n'est point dans l’enfer. Les démons et les damnés savent
qu'ils sont à jamais séparés de Dieu. Ils n’attendent
donc point la jouissance de sa vue et de sa gloire; par conséquent
ils n’ont point l’espérance. L’espérance était parmi
les âmes qui attendaient ma venue, et le bonheur du ciel que je devais
leur donner par la satisfaction de ma croix offerte à mon Père.
L’espérance est dans le purgatoire, parmi les âmes qui n’ont
point encore satisfait à la justice de Dieu, et qui attendent le
moment où elles jouiront du bonheur. L’espérance est parmi
les hommes tant qu’ils sont sur la terre. C'est, en effet, dans la vie
que le ciel leur est montré comme une récompense, et qu'ils
cherchent à l’obtenir par les actes de vertus qu'ils accomplissent.
« Ayez une ferme espérance en Dieu, ma fille, une
ferme espérance en moi. Cette vertu est comme un trait qui me perce
le coeur, non pour me faire souffrir, mais pour que j’en laisse sortir
les flots de ma miséricorde sur l'âme qui espère en
son Sauveur. Allez, ma fille, marchez dans cette belle voie de la sainte
espérance, vous ne serez point trompée. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 9
Après m’avoir parlé ainsi, le Sauveur Jésus
s’arrêta quelque temps et me regarda avec une expression de bonté
qui me pénétra jusqu’au fond de mon âme. J’étais
toujours à ses genoux. Je trouvais un charme inexprimable en ses
paroles. Je craignis un instant qu’il ne continuât point à
m’entretenir. Je désirais bien entendre encore sa parole. Il me
semblait qu'il lisait en mon âme le désir que j’avais, et
je lui dis : Seigneur, je désire encore que vous me parliez; mais
que votre volonté soit faite et non la mienne.
« Ma fille, me dit-il, je veux vous entretenir encore
et vous parler de la charité.
« La charité est triple, et vous pouvez la considérer
dans son essence, qui est Dieu, dans sa personne, qui est le Saint-Esprit,
et dans le don que Dieu en fait à l'homme, savoir : la vertu de
charité.
« La charité est l’essence de Dieu; c'est ce qui
constitue la Divinité; la charité c'est Dieu. La charité
en Dieu n'est point un simple accident, c'est-à-dire quelque chose
qui pourrait ne pas être en lui; la charité, c'est l’être
même de Dieu.
« La charité est la personne du Saint-Esprit. La
personne du Saint-Esprit, en effet, qui procède du Père et
du Fils, est l’éternel amour du père pour le Fils et du Fils
pour le Père. Le Saint-Esprit est le lien du Père et du Fils,
et ce lien vient du père et du Fils; il est dans le Père
et dans le Fils; il en est pourtant distinct, et ne fait qu’un néanmoins
avec le Père et le Fils. Le Père est charité, le Fils
est charité, le Saint-Esprit est charité. Je dis néanmoins
que la charité est la personne du Saint-Esprit, qui procède
du Père et du Fils, et qui unit, par la charité, qui est
lui-même, la personne du Fils à la personne du Père.
« La charité comme vertu est le don que Dieu fait
à l'homme du mouvement surnaturel de son cœur vers la Divinité,
comme objet de son amour.
« C'est de la charité comme vertu que je veux vous
entretenir.
« La charité, ma fille, remarquez-le bien, diffère
de l’amour, de la bienveillance, de l’amitié et de l’affection.
On confond souvent ces choses entre elles. Je veux que vous en ayez une
idée claire et nette, afin que vous compreniez mieux la nature de
la charité.
« L’amour est un nom générique qui désigne
la propension naturelle vers une chose bonne ou mauvaise; c'est une passion
de l’âme. Ce nom s’applique à la tendance, à la propension
vers une chose dont on recherche le bien qui est en elle. Ainsi on aime
une fleur, une habitation, un lieu. Cet amour vous pouvez l’appeler l’amour
de désir.
« Mais quand on aime ainsi un objet ou une personne, et
qu’on désire du bien à cet objet ou à cette personne,
cet amour s’appelle bienveillance, parce qu’on veut du bien à ce
qu’on aime.
« L’amitié renferme plus que la bienveillance.
Il y a bienveillance quand on désire du bien à quelqu'un
sans qu'il y ait réciprocité de sa part. L’amitié
requiert cette réciprocité. L’amitié consiste à
aimer et à être aimé, à aimer et à savoir
qu'on est aimé. Il y a entre deux amis communication réciproque
du cœur.
« La charité est l’amour de Dieu fondé sur
la communication future de la béatitude. La charité ne s’adresse
d’abord qu’à Dieu, elle n’a que Dieu pour objet; secondairement
elle s’adresse aux hommes en qui on voit l’image de Dieu, et parce que
Dieu l’a voulu comme condition de la communication de son bonheur.
« La charité est une vertu ou un don surnaturel
intrinsèquement inhérent à l’âme, par lequel
l'homme aime Dieu par-dessus tout, à cause de ses perfections, et
le prochain en Dieu et pour Dieu.
« La charité est au dessus de toutes les autres
vertus, à cause de sa nécessité, de ses œuvres, de
sa durée et de sa dignité.
« Pour la nécessité, elle est évidente.
Quand vous auriez tous les autres dons spirituels, si vous n’avez point
la charité, ces dons ne vous servent de rien pour le salut; et avec
la charité sans rien de plus, vous feriez sûrement votre salut.
« La foi elle-même, cette foi qui transporte les
montagnes, ne vous servirait de rien sans la charité. Le martyre,
s’il pouvait être enduré sans la charité, ne vous servirait
de rien. La conversion du monde entier opérée par votre parole,
sans la charité, ne vous servirait de rien.
« Il n'y a point de vertu sans la charité, de vertu
véritable, vivante, opérante. La vertu, en effet, est un
mouvement vers le bien. Or, le bien suprême c'est Dieu; pour tendre
vers lui, il faut le connaître et l’aimer. On ne va point vers celui
qu’on n’aime pas; on ne le cherche pas, on ne désire point jouir
de sa présence, on ne s’empresse point de lui être agréable.
La charité vous fait aimer Dieu, vous le fait désirer, vous
porte à lui être agréable, afin qu'il se rapproche
de vous, et vous de lui. La charité vous attache à lui, c'est
là le caractère spécial du mouvement vers le bien.
Comme il y a plusieurs vertus, il faut que chacune ait un mouvement particulier.
La vertu de foi meut l’âme vers Dieu et la porte à affirmer
son existence; la vertu d’espérance meut l’âme vers Dieu et
la porte à attendre la jouissance de sa vue; la vertu de charité
meut l’âme vers Dieu et la porte à s’attacher à lui.
Le mouvement de la vertu de charité est la vie des deux mouvements
donnés à l’âme par les vertus de foi et d’espérance.
On peut avoir la foi et l’espérance sans la charité; mais
cette foi et cette espérance sont sans couleur, sans force, sans
action féconde et fructueuse. Vous avez la foi, vous n’avez point
la charité; cette foi tournera à votre ruine et à
votre condamnation; cette foi n’est donc pas une vertu véritable,
une vertu vivante, puisque toute vertu doit tourner à la gloire
et à la béatification de celui qui la possède. Vous
avez l’espérance; mais quel est donc le fondement de cette vertu?
Que pouvez-vous espérer, si vous n’aimez point Dieu? Vous attendez
la vision de sa gloire? Mais Dieu ne l’accorde qu'à ceux qui l’aiment.
Vous ne l’aimez pas, vous ne participerez point à la récompense
qu'il donne à ses amis.
« La charité, ma fille, est la voie qui mène
au ciel. Vous ne pourriez rentrer dans votre maison, si vous n’aviez point
une voie que vous puissiez suivre; de même, sans la charité,
vous ne pouvez point aller au ciel.
« Par conséquent, de toutes les vertus, la charité
est la plus nécessaire, celle que vous devez le plus désirer,
le plus conserver, le plus aussi chercher à augmenter.
« La charité est au dessus de toutes les autres
vertus, à cause de l’excellence de ses œuvres.
« Toutes les œuvres produites par la charité sont
bonnes; voilà pourquoi je suis venu en allumer le feu sur la terre,
n’ayant qu’un seul désir, celui de voir le monde entier embrasé
par ses flammes. Celui qui a la charité, qui aime Dieu, cherche
à lui plaire, observe sa loi et ses commandements, n’agit que pour
suivre en tout sa divine volonté.
« Celui qui a la charité opère par conséquent
des œuvres de vertu, puisque la charité en est le fondement et comme
le souffle qui les inspire. Enfin, celui qui a la charité, faisant
le bien, évite le mal, afin que le bien qu'il opère se conserve
et demeure, afin qu’aimant Dieu, il ne fasse rien qui puisse l’attrister
ou lui déplaire.
« Estimez donc la charité qui vous obtiendra tant
de mérites pour la vie qui ne passera jamais.
« La charité est de toutes les vertus celle qui
dure le plus. La durée de la charité peut se considérer
sous trois aspects principaux, et, sous ces trois aspects, on peut dire
que la charité ne tombera jamais et qu'elle demeurera toujours.
La charité dure toujours en ce sens qu'elle ne tombe jamais dans
le péché mortel¨tant que la charité est dans une
âme, cette âme a la vie, conserve la vie et fuit la mort, c'est-à-dire
le péché.
« La charité dure toujours dans ceux qui sont confirmés
en grâce comme dans les apôtres, parce que la grâce donne
la charité, et qu’avec la confirmation dans la grâce on reçoit
aussi la confirmation dans la charité.
« La charité dure toujours, même après
cette vie. La foi et l’espérance finissent avec la vie; mais après
la mort la charité est reçue dans le ciel avec les âmes,
et la félicité de ces âmes consistera dans la conservation,
et, bien mieux, dans la perfection de la charité.
« La charité est de toutes les vertus la plus précieuse,
parce que c'est celle qui rapporte le plus à l’âme. La foi
fait regarder Dieu; l’espérance le fait attendre; la charité
le fait posséder. Or, vous le comprenez, la possession d’une chose
quelconque est de beaucoup préférable à son regard
ou à son attente. La charité est aussi de toutes les vertus
la plus estimable, parce que la charité est la vertu qui rehausse
le plus une âme. C'est elle qui élève l'âme jusqu'à
Dieu, c'est elle qui l’unit à Dieu, c'est elle qui la couronne en
lui.
« Voilà, ma fille, en quelques paroles, la nature
de la charité. Quel est le sujet de la vertu de charité?
En quelle proportion est-elle dans les âmes? Peut-elle croître,
diminuer ou se perfectionner, ou bien reste-t-elle toujours dans le même
état? Quelle est la perfection de la charité? Peut-on avoir
sur la terre la perfection absolue de la charité? Vous ne vous êtes
jamais demandé cela à vous-même. Il est pourtant bon
et utile de réfléchir ainsi et de considérer la vie
intérieure de l’âme. Sans cette considération, peu
à peu on se relâche, on tombe dans l’engourdissement, on perd
le bien surnaturel que l’on possède.
« Écoutez-moi avec attention. La charité,
je vous l’ai déjà dit, ne finit point avec la vie. Elle continue
dans le ciel. La charité n’existe pas dans l’enfer, séjour
du désordre et de la haine éternelle contre Dieu. La charité
sur la terre se trouve dans les âmes qui ont en elles la grâce.
« La charité réside principalement dans
une des facultés de l’âme; cette faculté, c'est la
volonté. C'est la volonté en effet, qui saisit Dieu et s’attache
à lui dès qu'il lui est présenté par l’intelligence.
« Il y a des degrés dans la charité et dans
le don de la vertu de charité que Dieu accorde aux hommes. Ce degré
est plus ou moins grand, selon la volonté divine et selon les dispositions
que Dieu découvre dans l’âme. Quand la vertu de charité
lui est donnée, l'âme peut augmenter en elle l’intensité
de sa charité. La charité augmente à mesure qu'on
se rapproche de Dieu. La charité n’augmente pas d’une manière
sensible par chaque acte de charité, mais chaque acte dispose à
l’augmentation de la charité, parce que chacun de ces actes rend
l'homme plus apte à agir de nouveau selon la charité. Celui
qui est dans l’état de charité peut désirer de l’augmenter
de plus en plus, et trouve toujours en lui une capacité qui n’est
jamais remplie.
« Il y a trois degrés dans la charité qui
vous montreront qu'elle est susceptible d’augmentation et de progrès.
« La charité telle qu'elle est donnée par
la grâce de Dieu; la charité déposée dans l'âme,
mais soutenue et fortifiée; et enfin la charité parfaite
ou la charité que rien ne peut enlever d’une âme.
« Il y a trois sortes de perfections dans la charité
: la perfection de la charité en Dieu, la perfection de la charité
dans le ciel et la perfection de la charité sur la terre. »En
Dieu; car il est parfait et Dieu est charité, par conséquent
il y a en lui perfection dans la charité. Cette perfection divine
de la charité qui est Dieu, n’appartient qu’à Dieu.
« Dans le ciel, la perfection de la charité consiste
en ce que toutes les puissances de l'âme sont uniquement attachées
à Dieu et ne peuvent tendre que vers lui.
« La perfection de la charité sur la terre est
triple et renferme trois degrés. La charité est parfaite
dans un homme qui se donne tout entier à l’étude de Dieu,
à la recherche de Dieu et de ce qui est à Dieu, oubliant
tout le reste et s’occupant à peine de ce qui est nécessaire
pour l’entretien de sa vie. La charité est parfaite dans celui qui
tient habituellement son cœur uni à Dieu, de telle manière
qu'il ne veuille et ne désire rien qui soit contraire à l’amour
de Dieu. La charité est parfaite dans celui qui tend vers Dieu,
non seulement par l’accomplissement des commandements, mais encore par
la pratique des conseils évangéliques.
« Telle est la perfection possible de la charité
sur la terre; la perfection absolue de la charité ou le plus haut
degré de charité qui puisse se concevoir n'est point possible
sur la terre, parce qu'on peut toujours concevoir une charité plus
parfaite dans celui qui a la charité parfaite.
« Je n’ai pas besoin d’insister longuement, ma fille,
pour vous montrer que la charité peut diminuer et se perdre. Adam
avait la charité, il la perdit par son péché. Les
chrétiens, après leur baptême, ont la charité,
un seul péché mortel suffit pour la leur faire perdre. En
effet, ma fille, pécher mortellement, c'est se retirer et s’éloigner
de Dieu, c'est se révolter contre lui, et l’éloignement et
la révolte sont opposés à la charité, ils la
ruinent et la font disparaître. Le péché mortel est
la mort de la charité dans une âme; le péché
véniel en est la diminution. Le péché véniel
n'est qu’une petite offense, une légère révolte, mais
néanmoins c'est une révolte et une offense; ces péchés,
par conséquent, diminuent la charité; ils ne séparent
pas tout à fait, ils n’éloignent pas complètement
de Dieu, néanmoins ils commencent la séparation et l’éloignement.
« Fuyez donc, ma fille, non seulement le péché
mortel, mais encore le péché véniel, qui est si préjudiciable
aux âmes. Conservez précieusement la charité. Si vous
avez la charité, vous le reconnaîtrez aux signes que je vais
vous indiquer. Nul ne sait s’il est digne d'amour ou de haine, à
moins que cela ne lui soit révélé. On peut néanmoins
avoir une connaissance suffisante de l’état de sa conscience et
de son âme quand on fait attention aux signes principaux qui témoignent
de la possession de la charité.
« Si vous pensez à Dieu volontiers et avec plaisir,
tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité. Là
où est votre cœur, là est votre trésor, c'est-à-dire
Dieu, et celui qui a Dieu pour trésor n’a rien à craindre.
« Si vous entendez parler de Dieu avec plaisir, si vous
retenez les paroles bonnes et édifiantes que vous aurez entendues,
tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous
n’avez rien à craindre.
« Si vous vous entretenez souvent avec Dieu, si vous lui
parlez par la prière, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie
par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous donnez volontiers pour Dieu ce qui vous appartient,
ce dont vous pouvez disposer, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie
par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous souffrez patiemment les douleurs de cette vie
en vue de plaire à Dieu, tranquillisez-vous, vous lui êtes
unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous observez fidèlement les commandements
de Dieu, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité,
vous n’avez rien à craindre.
« Si vous aimez tout ce que Dieu aime, ce qui lui est
agréable, les œuvres de vertu; si vous détestez tout ce qu'il
déteste, le crime et le vice, tranquillisez-vous, vous lui êtes
unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Tels sont, ma fille, les signes divers auxquels vous
reconnaîtrez que la charité est en vous. Si vous avez la charité,
Dieu vous aime parce que vous lui êtes agréable, et vous êtes
vraiment ainsi digne de son amour.
« Il ne suffit pas, ma fille, que vous sachiez ce que
c'est que la charité et quel est le sujet de la charité,
il faut que vous en connaissiez encore l’objet, afin que vous exerciez
dignement la vertu de charité.
« La charité, dans son exercice, trouve quatre
objets sur lesquels elle doit se porter : Dieu, votre âme, votre
prochain et votre corps. Dieu, qui est au dessus de votre âme; votre
âme, qui est ce qui vous touche le plus après Dieu; le prochain,
qui est votre frère et votre semblable; enfin, votre corps, ce compagnon
de votre exil et de votre pèlerinage ici-bas.
« Dieu, ma fille, est le premier objet de votre charité.
« Vous devez aimer Dieu par reconnaissance. C'est de lui
que vos avez reçu tout ce qui est en vous, l'âme et le corps,
la rédemption et la grâce. C'est lui qui vous facilite tous
les moyens d’aller au ciel, et qui veut vous le donner et vous y montrer
à découvert la splendeur de sa gloire.
« Vous devez aimer Dieu parce qu'il est infiniment aimable.
Vous devez l’aimer à cause de sa sainteté, à cause
de ses perfections : car on doit aimer et on aime tout ce qui est bon,
tout ce qui est bien, tout ce qui est parfait. Or, est-il bien ou perfection
supérieure à celle de Dieu?
« Vous devez l’aimer, non seulement parce qu'il est Dieu,
mais parce qu'il est votre Dieu, c'est-à-dire votre Maître,
votre Seigneur, c'est-à-dire parce qu'il s’est pour ainsi dire donné
à vous et qu'il veut être votre possession, votre Dieu. Oui,
Dieu vous appartient, car il est votre Père; Dieu vous appartient,
car vous êtes son enfant. Eh bien! puisqu’il en est ainsi, aimez
Dieu, aimez-le de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes
vos forces, c'est-à-dire aimez-le autant que vous pouvez l’aimer,
en lui consacrant votre intelligence, votre volonté, votre corps,
tout ce qui est en vous. Aimez-le non seulement intérieurement,
mais manifestez encore votre amour par des œuvres extérieures. Aimez
Dieu toujours; aimez Dieu dans toutes les positions, dans tous les événements,
dans tous les actes, dans tous les désirs de votre vie. Que votre
vie ne soit qu'une seule chose, l’amour continuel de Dieu, plus grand que
celui de vous-même, de vos parents, de vos amis et de toutes les
choses du monde.
« C’est là un commandement formel qui est imposé
à toute créature raisonnable et dont l’observation produit
les plus grands biens, comme sa violation entraîne des malheurs considérables.
« La charité ou l’amour de Dieu produit les plus
grands biens. En effet, elle efface la multitude des péchés
qu'on peut avoir commis, et j’adresserai à tous les pécheurs
qui auront imité Marie-Madeleine les paroles que je lui adressai
à elle-même : Tous vos péchés vous sont remis
parce que vous avez beaucoup aimé.
« La charité est la lumière de l’âme.
Quand on aime quelqu'un, on cherche tous les moyens pour lui plaire et
lui être agréable. Quand on aime Dieu, on cherche aussi à
lui plaire et on en trouve facilement le moyen, parce qu’il se rapproche
de celui qui l’aime. En se rapprochant de lui il l’éclaire, parce
qu'il est la lumière éternelle, dont la clarté n’est
comparable à aucune autre lumière.
« La charité est la sauvegarde de l’âme,
non seulement en tant qu’elle préserve du mal, mais en tant qu'elle
donne Dieu lui-même pour gardien. Dieu aime ceux qui l’aiment, il
les garde, il les préserve de tout malheur, comme l'homme garde
et préserve de tout mal la prunelle de son œil. Elle obtient le
secours de Dieu dans les nécessités de la vie, elle soutient
à l’heure de la mort. La charité, en effet, donne du courage
dans toutes les situations pénibles, parce qu'elle fait tout endurer
pour l’amour de Dieu; elle soutient à l’heure de la mort, car celui
qui a la charité ne craint pas la mort, au contraire, il la désire,
parce qu’après la mort il possédera Dieu, non par l’espérance,
mais en réalité.
« La charité tourne tout ce qui est dans l'homme
à son avantage et à son profit : le bien et la souffrance,
la consolation et la tristesse, parce qu’elle rapporte tout à Dieu,
et que cette relation sanctifie tout, et que tout acte sanctifié
est un bien pour celui qui l’opère.
« La charité, enfin, donne ici-bas un avant-goût
de la réalité du ciel. Elle élève au plus haut
degré de la contemplation de Dieu les âmes qui la possèdent,
et les tient ainsi ravies en Dieu, loin des biens méprisables de
la terre, de ses plaisirs, de ses honneurs et de ses consolations.
« Tout, au contraire, s’élève contre celui
qui n’aime pas Dieu. Le péché s’empare de son cœur et le
fait ramper terre à terre; les contrariétés de la
vie et ses diverses épreuves se tournent contre lui; le monde entier,
selon l’expression du sage, combat pour Dieu et contre les insensés
qui ne savent point s’attacher à Dieu et l’aimer.
« La vertu de charité est unique en elle-même,
mais elle a plusieurs objets différents. Elle s’exerce sur Dieu,
elle doit s’exercer aussi sur soi-même et sur le prochain, selon
le précepte que j’en ai donné quand j’étais sur la
terre : Aimez Dieu par-dessus tout et le prochain comme vous-même.
« Le chrétien doit aimer le prochain comme il s’aime
lui-même. Dans le chrétien comme dans chaque individu, il
y a deux choses : l’âme et le corps. Vous devez donc aimer en vous
et votre âme et votre corps, et dans les autres, leur âme et
leur corps. Voici l’ordre que vous devez suivre dans cet amour de vous-même
et du prochain.
« D’abord, vous devez commencer par vous aimez vous-même,
puisque l’amour que vous devez avoir pour le prochain doit être à
l’exemple de celui que vous devez avoir pour vous. Vous devez aimer votre
âme plus que celle de votre prochain, c'est-à-dire que vous
devez aimer votre âme avant et de préférence à
celle de votre prochain, mais vous devez aimer plus l’âme de votre
prochain que votre corps, tout comme vous devez commencer par aimer votre
corps avant celui de votre prochain.
« Pourquoi, ma fille, devez-vous plus aimer votre âme
que celle de votre prochain ou devez-vous aimer votre âme avant celle
de votre prochain? Cela se conçoit aisément. Vous aimez Dieu
comme principe du bien, vous devez vous aimer vous-même en Dieu par
charité pour obtenir société avec Dieu, qui sera votre
bien. Cette future association de vous-même avec Dieu est la raison
de l'amour que vous avez pour Dieu, amour qui sera la mesure de votre union
à Dieu. Or, l’unité de participation à Dieu est préférable
pour vous à l’union de plusieurs avec vous dans cette même
participation, par conséquent vous devez chercher d’abord votre
union à Dieu avant celle d’autrui. Vous avez la preuve de ce que
je vous dis, ma fille, en ce qu'il vous est défendu de faire le
plus petit péché pour délivrer qui que ce soit de
son péché, parce que ce péché vous détournerait
plus ou moins, selon sa malice, de la participation du souverain bien.
« Mais vous devez plus aimer l'âme que votre frère
ou de votre prochain que votre propre corps. Ainsi, ma fille, vous seriez
tenue d’exposer votre vie, c'est-à-dire la vie du corps, pour procurer
le salut de l'âme d’une personne quelconque, si vous pouviez, en
exposant votre vie, même en la sacrifiant, sauver l’âme de
cette personne. Ce serait là, ma fille, la marque d’une charité
parfaite, bien comprise et bien entendue. Vous n’êtes point tenue
à cela par nécessité de charité, c'est-à-dire
pour avoir la charité; mais la charité parfaite porte à
ce sacrifice, tant à cause du bonheur que vous procurez à
l'âme que vous sauvez, que de la gloire qui en revient à Dieu.
« Ce que je vous ai dit de la préférence
que vous devez donner à votre âme dans votre amour doit vous
faire comprendre la préférence que vous devez aussi donner
à votre corps sur le corps de votre prochain.
« Vous devez aimer le prochain. Savez-vous quel est votre
prochain? Votre prochain est tout être raisonnable de qui vous pouvez
recevoir quelque bien en vue de la vie éternelle, ou à qui
vous pouvez rendre quelque bien de cette sorte.
« Ainsi les anges comptent parmi votre prochain, parce
qu'ils vous obtiennent des biens spirituels, parce qu'ils veuillent sur
vous, parce que vous partagerez un jour leur bonheur et que vous serez
véritablement leur proche. Les élus du ciel sont votre prochain;
ils sont de la grande famille humaine à laquelle vous appartenez,
et ils vous obtiennent de Dieu les secours qui vous sont nécessaires
pour arriver au bonheur qu'ils possèdent eux-mêmes. Tous les
justes de la terre sont votre prochain, non seulement parce qu'ils sont
disposés à vous faire du bien, mais parce que vous pouvez
leur en faire à votre tour, et vous devez aimer par charité
les anges, les élus du ciel et les justes de la terre. Les âmes
qui sont dans le purgatoire sont votre prochain, vous pouvez et devez prier
pour elles, afin de les soulager dans leurs peines et d’obtenir leur délivrance.
« Les pécheurs sont aussi votre prochain, et vous
devez les aimer par charité. Vous devez considérer deux choses
en eux : leur personne et leur péché. Leur personne est susceptible
de participer au bonheur du ciel, et vous devez aimer leur personne; mais
le péché qui est en eux mérite votre haine et votre
aversion. Ne confondez pas le péché avec le pécheur.
Haïssez le péché comme Dieu le hait; mais aimez le pécheur
comme Dieu l’aime dans sa miséricorde, puisqu’il ne veut point sa
mort, mais sa conversion et sa vie.
« Si le précepte de la charité s’étend
sur tous les hommes de la terre, sur les âmes du purgatoire et celles
qui participent au bonheur du ciel, il ne s’étend point aux démons
ni aux damnés. Les démons et les damnés ont tellement
déformé leur nature que vous ne devez point les aimer, mais
les haïr comme Dieu, qui les haïra éternellement. »
Le Sauveur Jésus me dit un autre jour : « Ma fille,
si vous voulez bien accomplir le précepte de la charité,
prenez-moi toujours pour modèle. Considérez de quel amour
j’ai aimé les hommes, et vous verrez qu'il avait trois caractères
bien distincts.
« Je les ai aimés gratuitement, c'est-à-dire
sans avoir rien reçu d’eux et sans qu'ils m’aient aimé les
premiers. Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, ma fille, vous n’aimeriez
point votre prochain. J’ai aimé les hommes, non à cause du
bien qu'ils m’avaient fait, mais uniquement pour leur faire du bien. C'est
ainsi que vous devez aimer votre prochain, sans rien attendre de lui, et
dans la disposition de lui faire toujours du bien si vous le pouvez. J’ai
aimé les hommes, même mes plus grands ennemis, mes bourreaux,
et, sur la croix, je demandai à mon Père leur pardon. Si
vous avez des ennemis, si vous rencontrez des personnes qui vous persécutent,
qui vous chagrinent, loin de les haïr, aimez-les encore plus que vos
amis, ce sera le moyen de vous les concilier et de vous rendre plus agréable
à Dieu.
« J’ai aimé les hommes avec discrétion.
Je n’ai jamais aimé en eux le vice ou le péché. J’ai
guéri le paralytique en lui disant : Tes péchés te
sont remis. J’ai pardonné à la femme adultère en lui
disant : Allez, ne péchez plus. J’ai pardonné à saint
Pierre, et mon regard pénétra jusqu’au fond de son âme.
J’ai pardonné à l’apôtre incrédule, et il se
releva plein de foi en disant : Mon Seigneur et mon Dieu! et le pardon
que je leur ai accordé était bien la preuve de mon amour
pour eux. J’ai pardonné tous les péchés des hommes
sur la croix; mais ce pardon n’était point l’approbation de ces
fautes, c’en était la condamnation par l’éclat de ma miséricorde,
puisqu’il a fallu la souffrance d’un Dieu pour effacer le péché.
Ainsi, ma fille, il faut aimer le prochain, mais néanmoins condamner
et haïr tout ce qu'il y a de répréhensible en lui, c'est-à-dire
le vice et le péché.
« J’ai aimé les hommes d’un amour extrême
et fructueux. Je les ai aimés d’un amour extrême, car j'ai
quitté la splendeur des cieux, je me suis fait homme, je me suis
humilié jusqu’à la mort de la croix. Je les ai aimés
d’un amour fructueux, puisque mon amour leur a rendu la vie, leur a ouvert
le ciel. Aimez ainsi le prochain, en vous dépouillant de votre volonté
propre, en vous mortifiant, en vous sacrifiant pour lui, en travaillant
autant que vous le pourrez à son salut; et ainsi vous aimerez véritablement
votre prochain, car vous l’aimerez comme j’ai aimé moi-même
les hommes.
« Aimez le prochain, ma fille; aimez-le en Dieu et pour
Dieu, et en aimant le prochain vous aimerez Dieu, et ces deux amours en
feront qu’un amour, l'amour de Dieu, bien que les objets et les actes de
cet amour soient distincts, parce que votre amour se terminera toujours
directement ou indirectement à Dieu.
« Vivez dans l'amour de Dieu, dans cet amour tel que je
vous l’ai fait connaître, dans l’exercice de cette vertu que je dépose
dans tous ceux qui reçoivent ma grâce.
« Si vous avez l’amour de Dieu, si vous vivez dans la
charité, quand vous n’auriez d’autre toit que le ciel, d’autre nourriture
que celle qui vous serait offerte par la charité publique, d’autres
vêtements que des haillons, vous êtes plus riche que ceux qui
possèdent des trésors immenses s’ils n’aiment pas Dieu.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez
Dieu, la charité rendra tout aimable en vous; elle attirera sur
vous l’admiration des anges et des hommes, et répandra sur toutes
vos actions la douceur et la suavité de son impression.
« Si vous vivez dans la charité, si vous avez l'amour
de Dieu, vous serez pleine de force et d’énergie, vous deviendrez
capable des plus grandes choses et rien ne pourra vous résister.
« Si vous vivez dans la charité, si vous avez l'amour
de Dieu, votre âme généreuse se détachera de
tout et sera prête aux plus grands sacrifices. Rien ne l’étonnera,
rien ne l’ébranlera, rien ne l’épouvantera; vous traverseriez
des armées rangées en bataille, votre âme, calme et
tranquille, ne se sentirait point trembler ni craindre.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez
Dieu, vous déposerez vos peines en son sein, vous épancherez
votre cœur dans le coeur de Dieu, seul objet digne de votre confiance,
seul être capable de vous consoler, et vous éprouverez combien
est doux et suave le service de Dieu au milieu des plus grandes tribulations.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez
Dieu, vous ne vous appartiendrez plus; Dieu sera votre maître, il
règnera sur vous, il vous parlera, et vous lui obéirez sans
pouvoir lui résister, parce que l'amour que vous aurez pour lui
vous attirera vers lui par l’accomplissement de sa volonté.
« O amour! amour! amour! flamme de la charité,
comment se fait-il que, désirant si fort de te communiquer, tu embrases
si peu de cœurs? Le savez-vous, ma fille? Ah! c'est qu'il trouve l’entrée
des âmes fermée et que ses traits s’émoussent sur des
cœurs aussi durs que le roc. Priez Dieu qu'il dispose ces cœurs à
recevoir et à conserver la grâce; il les ouvrira, il les ramollira,
et avec la grâce, l'amour divin viendra habiter en eux. Le cœur d’un
pécheur ressemble à une belle maison remplie de meubles vermoulus
et gâtés, que la lumière du jour ne pénètre
point, et qui éloigne par son infection insupportable ceux qui voudraient
en approcher. Si l'amour divin pénètre dans ce cœur, il l’éclaire,
il l’illumine, il remplace par des meubles précieux ceux qui y étaient
avant, il répand enfin dans tout son intérieur un parfum
dont l’odeur suave monte de la terre au ciel pour inviter le Dieu de charité
à venir en prendre possession.
« Ma fille, resserrons de plus en plus les doux liens
qui nous unissent, que rien ne soit capable de nous séparer, ni
la vie, ni la mort, ni les hommes, ni les démons. Aimez-moi chaque
jour davantage; moi, je ne vous aimerai pas demain plus que je ne vous
aime aujourd'hui, mais je vous donnerai des marques plus sensibles de mon
amour. Ouvrez votre âme à toutes les ardeurs du divin amour,
et que ses flammes circulent avec votre sang dans vos veines. Offrez-vous
comme victime, et que votre sacrifice soit consumé par le feu de
l'amour divin. Aimez-moi comme je vous ai aimée quand j’étais
sur la terre. Que de peines, que de fatigues, de souffrances vous m’avez
coûtées! J’ai donné ma vie et mon sang pour vous sauver,
et, non content d’être mort une fois pour vous, je suis toujours
ici près de vous dans le sacrement de mon amour. Je demeure ici
constamment avec mon corps, mon âme et ma divinité par amour
pour vous; demeurez ici par la pensée par amour pour moi. Quand
j’instituai ce sacrement, je connaissais déjà les outrages,
les irrévérences, les sacrilèges et toutes les injures
que je devais y recevoir, mais je sus me contenter du petit nombre d’âmes
fidèles qui devaient m’y honorer et m’y témoigner leur amour.
Soyez de ce nombre, ma fille. Dédommagez-moi par votre amour de
l’indifférence et de l’insensibilité de tant de mauvais chrétiens.
J'ai le droit et un droit tout spécial pour attendre cela de vous.
« O amour sacré, étendez-vous sur la terre,
embrasez tous les cœurs! Qu'il embrase surtout votre coeur, ma fille. Qu'il
soit pour vous le plus précieux de tous les biens. Qu'il soit la
souveraine beauté de votre âme. Qu'il soit le soulagement,
la consolation et le repos de votre cœur dans vos peines et vos afflictions.
« O puissance de l'amour divin sur les hommes! Ô
puissance de l'amour divin sur Dieu! Il donne les hommes à Dieu,
il fait mourir Dieu pour les hommes!
« Je suis mort par amour pour vous, ma fille, donnez-vous
donc à votre Sauveur, à votre Dieu par amour pour lui. Répondez
à mon amour par votre amour, vivez par amour pour moi, sacrifiez-vous
par amour pour moi, mourez par amour pour moi, parce que j’ai vécu,
j’ai souffert, je suis mort par amour pour vous. »
Ainsi me parla le Sauveur Jésus, et mon âme fut toute
pénétrée par l’ardeur de sa voix et la douceur de
sa parole.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 10
Le Sauveur Jésus m’a dit encore en m’entretenant sur la
charité : « Ma fille, je vous ai fait connaître d’une
manière générale les fruits de la vertu de charité,
je veux vous les faire connaître en détail et en particulier.
Les fruits principaux de la vertu de charité sont : la paix, la
soumission à la volonté de Dieu, le détachement de
soi-même, la pauvreté, la liberté entière et
complète et le bon exemple.
« La paix, ma fille, est un fruit de la vertu de charité,
mais elle n'est pas une vertu spéciale et distincte des autres vertus.
La paix consiste dans la concorde de ses propres désirs ou celle
de ses désirs avec les désirs d’autrui. Or, de quelque manière
que vous l’envisagiez, la paix est un effet de la vertu de charité.
La charité, en effet, opère en vous l'amour de Dieu de tout
votre cœur, c'est-à-dire que vous rapportez toutes choses à
Dieu, et se rapport à Dieu est l’union ou la concorde de tous vos
désirs. La charité est encore la concorde de tous vos désirs
avec les désirs d’autrui, en tout ce qui n'est pas contraire à
la volonté de Dieu. La charité, en effet, opère en
vous un amour du prochain égal à celui que vous avez pour
vous-même, d’où il suit que la charité vous fait suivre
la volonté d’autrui comme votre propre volonté.
« La paix n'est point une vertu spéciale, car tous
les actes qui produisent la paix ne partent que du principe de la charité;
les effets de la charité sont divers, mais ne réclament point
chacun pour cela une cause diverse.
« Tout le monde veut la paix, cherche la paix, mais bien
peu la possèdent, parce qu'il y en a peu qui aient la charité.
« La paix a trois aspects sous lesquels on peut la considérer
: la paix temporelle, la paix spirituelle et la paix éternelle.
« La paix temporelle, c'est la paix dans la famille, dans
les cités, dans les empires; elle vient de la charité parce
que la charité est l’union des cœurs, et l’union des cœurs la paix
des familles, et l’union des familles la paix des cités, et l’union
des cités la paix des royaumes et des empires; car la charité
c'est l’accord, l’entente entre deux hommes, entre plusieurs hommes, entre
plusieurs peuples divers. Là où il n'y a point de charité
il n'y a point de paix.
« La paix temporelle, c'est la paix ou le calme du corps,
c'est
la concorde entre l’esprit et la chair, c'est l’entente dans les diverses
opinions.
« Le corps est en paix, il a le calme, quand il ne souffre
pas, quand il n’a point de maladies; la charité lui conserve ce
calme et cette paix, même dans la souffrance et la maladie, parce
que la charité les fait aimer, et l’amour est le conservateur comme
le producteur de la paix.
« La charité conserve la paix entre la chair et
l’esprit, parce qu'elle dompte la chair et permet à l’esprit de
demeurer uni à Dieu, et cette paix contribue au bien-être
temporel.
« La charité conserve la paix entre des opinions
diverses, car la paix ne consiste pas dans la concorde des opinions, mais
dans la concorde de ce qui est bien et mène à la vie éternelle.
La diversité d’opinion n'est point une attaque à la paix,
c'est l’usage rationnel et raisonné de la liberté dans le
mouvement actif de l’intelligence, et rien dans cet usage légitime
ne peut combattre la paix. La charité même la maintient, parce
qu'elle voit et interprète en bien ce mouvement actif de l’intelligence
d'autrui.
« Si vous avez la charité, ma fille, vous aurez
cette paix temporelle. Car si vous avez la charité, si vous m’aimez,
vous vous tournerez vers moi dans les souffrances et les maladies de votre
corps, dans l’affliction ou l’abattement de votre cœur, dans les contradictions
ou les contrariétés de votre esprit; vous viendrez à
moi sans effort me faire part de votre état avec la sincérité
et la confiance d’un enfant. Vous viendrez me donner communication de vos
peines les plus secrètes, les plus cachées, les plus intimes.
Je vous recevrai avec affection, et dans la tendresse de ces épanchements
vous vous trouverez déchargée du poids qui pourrait vous
oppresser, et vous conserverez la paix et l’égalité de votre
âme. Combien de personnes affligées, souffrantes et durement
éprouvées, supporteraient leurs épreuves, leurs souffrances,
leurs afflictions, si elles avaient la charité, sans perdre jamais
la paix ni le calme de leur âme; mais sans la charité elles
se troublent et rien ne peut les consoler. Elles me prendraient pour leur
confident et trouveraient combien je mérite de l’être, parce
que je les aimerais moi-même avec constance et fidélité,
ne les abandonnant point alors que tous les autres les abandonnent ou se
séparent d’elles, parce que je compatirais à leur douleur
et que je les consolerais. Chacun a ses peines ici-bas. Si vous entretenez
toujours un ami de vos afflictions, votre conversation lui deviendra importune
et désagréable. Mais moi, ma fille, non seulement je vous
écouterai, mais mon attention et ma constance vous feront tellement
éprouver de consolation que vous oublierez même votre douleur,
et que vos plaintes et vos épanchements ne seraient qu’une conversation
pleine de félicité avec votre Sauveur et votre Dieu.
« Celui qui a la charité a la paix, parce qu'il
sait de quelle manière il doit agir pour que la concorde soit en
lui pour tout ce qui le concerne. Il a la paix, parce qu'il se hait lui-même,
parce qu'il hait le monde, parce qu'il a confiance en Dieu.
« Il se hait lui-même, c'est-à-dire qu'il
ne cherche point ses aises, ses commodités, ses satisfactions personnelles,
et alors, malade, souffrant, pauvre ou malheureux, il est toujours calme
et toujours en paix. Sa chair ne l’emporte point sur son esprit, il est
calme et toujours en paix.
« Celui qui a la charité hait le monde et le méprise.
Il sait que le monde passera et avec lui tout ce qui est dans le monde.
Il ne s’offusque point de ses paroles, de ses jugements, de ses actes;
il ne recherche ni son estime ni son affection, il ne considère
que mon jugement, la connaissance que j’ai de lui, l’amitié que
j’ai pour lui, et cela lui suffit, il est calme et toujours en paix.
« Celui qui a la charité met toute sa confiance
en Dieu. La charité véritable ne peux exister avec la défiance,
et sans la défiance on ne craint, on ne redoute rien, on est calme
et toujours en paix. Celui qu a la charité met toute sa confiance
en Dieu. Il attend par conséquent et supporte toutes les épreuves
qu’il lui envoie; il n’a d’autre volonté que sa volonté,
et cette conformité de volonté, c'est la paix.
« Ayez donc la charité et vous aurez la paix temporelle,
vous aurez aussi la paix spirituelle.
« Vous aurez la paix spirituelle, c'est-à-dire
la paix avec Dieu. La paix avec Dieu, c'est la concorde entre vous et Dieu,
et c'est la charité qui vous la donne. Si vous avec la charité,
vous accomplissez toujours la volonté de Dieu, vous observez fidèlement
sa loi et ses commandements. Cet accomplissement vous tient nécessairement
dans le calme et la paix du cœur, car il vous unit à Dieu, vous
fait vivre de sa vie. Il y a donc conformité de volonté,
conformité de vie, vous avez la paix véritable, la paix spirituelle.
« Quelque grand pécheur qu’ait été
celui qui a la charité, par cela seul qu'il a la charité,
il a paix; car le souvenir des fautes passées éloigne du
péché, et là où il n'y a point de péché,
là règne la paix. Le souvenir des fautes passées est
le souvenir d’un état qui n'est plus et il donne une meilleure appréciation
de l’état présent. Le souvenir des fautes passées
que la charité a effacées rappelle le pardon qu'on en a reçu,
les démarches faites pour obtenir ce pardon, l’aveu qu'on en a fait
au ministre sacré, la douleur et le repentir du coeur, le don de
soi-même à Dieu pour toujours, et le souvenir du pardon, c'est
la paix spirituelle. Le souvenir du pardon, c'est la paix, parce qu'il
rappelle l’œuvre de Dieu sur le pécheur et les paroles qu'il lui
a adressées : Courage, mon fils, ne craignez point. Venez à
moi; si vous êtes faible, je suis fort; si vous ne pouvez rien, je
puis tout; si vous êtes pauvre, je suis riche, je vous donnerai tout
ce qui vous sera nécessaire. Venez puiser à mes pieds les
eaux salutaires de la grâce, ces eaux pleines de force qui jaillissent
jusqu’à la vie éternelle. Venez, je serai votre bonheur,
le bonheur ne se trouve qu’avec moi. Vous l’avez cherché loin de
moi et il vous a échappé; vous avez voulu puiser dans les
citernes bourbeuses du monde, de Satan et des passions, et vous n'y avez
trouvé que des eaux empoisonnées qui ne désaltèrent
point et consument plus que le feu. Venez à moi, ayez confiance
en moi, écoutez ma voix, acceptez mon amour et vous aurez le bonheur
autant qu'il peut être sur la terre. Le souvenir de ces paroles raffermit
l’âme, la tient tournée vers Dieu et lui donne la paix.
« La charité donne la paix éternelle, c'est-à-dire
le ciel. La paix éternelle, comme l’indique son nom, ne passera
jamais; elle est la récompense de l'âme qui a la charité
quand Dieu l’appelle à lui. La paix du ciel, c'est la paix. La charité
donne la paix au ciel et sur la terre. Soyez donc toujours en état
de charité; vivez aujourd'hui dans la charité et vous aurez
aujourd'hui aussi la paix sur la terre, pour l’avoir demain au ciel.
« Il y a une grande ressemblance entre la paix et la soumission
à la volonté de Dieu. Celui qui a la paix est soumis à
la volonté de Dieu, et celui qui est soumis à la volonté
de Dieu a la paix. On ne peut pas être soumis à la volonté
de Dieu sans avoir la charité, comme on ne peut sans elle non plus
avoir la paix. La soumission à la volonté de Dieu est donc
produite aussi par la charité. La soumission à la volonté
de Dieu n'est pourtant pas la même chose que la paix. La paix est
un état de l’âme donné par la charité, état
de calme et de tranquillité. La soumission à la volonté
de Dieu est plus qu'un état, c'est une inclination active, opérante,
une inclination qui fait que l'homme accomplit tout ce que Dieu veut, supporte
tout ce que Dieu veut qu'il supporte, et n’attend que ce que Dieu voudra
lui donner. Telle est la soumission à la volonté de Dieu.
« Or, la soumission à la volonté de Dieu
est l'hommage le plus glorieux que l'homme puisse offrir à Dieu
et l’acte le plus avantageux à l'homme.
« C'est l'hommage le plus glorieux que l'homme puisse
offrir à Dieu. Qu’est-ce, en effet, que se soumettre à Dieu?
C'est accomplir sa volonté, c'est faire ce qu'il désire,
lui accorder ce qu'il demande, c'est reconnaître qu'il est maître
souverain, que rien n'est au dessus de lui; c'est adorer ses desseins,
c'est lui plaire en tout, c'est lui marquer son dévouement, lui
donner des preuves convaincantes de l'amour qu'on a pour lui; c'est, en
un mot, donner à Dieu tout ce que l’on a, car c'est se dépouiller
complètement et agir en tout selon le bon plaisir de Dieu.
« Et l'homme peut-il rien faire de plus agréable
à Dieu? Non, ma fille. La soumission à la volonté
de Dieu est préférable pour Dieu à tous les jeûnes,
à toutes les austérités, à tous les sacrifices,
à l’apostolat le plus fécond et le plus fructueux, s'il ne
demande rien de ces choses. Que diriez-vous d’un serviteur qui travaillerait
toujours à accroître le bien-être et les possessions
de son maître, qui vanterait partout sa bonté, qui lui prodiguerait
toutes sortes de richesses, mais qui refuserait de lui obéir ou
d’accomplir sa volonté? Que diriez-vous de ce serviteur si son maître
ne pouvait lui adresser aucun reproche, aucune remontrance sans qu'il se
révoltât, sans qu'il lui témoignât son mécontentement?
Ne préfèreriez-vous pas un serviteur moins entreprenant,
mais plus obéissant, plus soumis, plus modéré, plus
respectueux? Eh bien, ma fille, il en est ainsi de Dieu.
« Dieu vous demande la soumission pleine et entière
à sa sainte volonté. Si vous l’aimez, vous la lui accorderez.
Vous recevrez les maladies, la souffrance, les épreuves qu'il vous
imposera en lui disant : Mon Dieu, que votre volonté soit faite
et non la mienne. Vous ne vous plaindrez jamais, vous recevrez tout comme
des avertissements de Dieu, comme des témoignages de l’amitié
de Dieu, qui veut vous purifier davantage par ses épreuves pour
que vous soyez plus unie à lui.
« Ce n'est pas à dire pour cela qu'on ne puisse
jamais se plaindre. Non, ma fille; mais il faut se plaindre à Dieu
comme le prophète. Cette plainte n'est pas une plainte véritable,
c'est un cri de prière, une demande, un appel du secours de Dieu,
prière et demande dictées par la soumission.
« Combien est agréable à Dieu une âme
ainsi soumises à sa sainte volonté.
« La soumission à la volonté de Dieu est
aussi l’acte le plus avantageux pour l'homme. Pourquoi, ma fille? Parce
que suivre cette volonté, c'est marcher dans le droit chemin, c'est
marcher dans le bien, c'est suivre la direction de Dieu, et Dieu ne conduit
que dans le bien et la vérité. Que cherchez-vous sur la terre?
La vérité. Que désirez-vous? La possession de la vérité.
Vous la trouverez dans la soumission à la volonté de Dieu,
parce que vous trouverez Dieu, et que Dieu est la vérité.
Dieu a fait les hommes pour les ramener à lui. Il les y ramène
par plusieurs voies différentes tracées par sa volonté.
Pour aller à lui, il faut suivre ses voies, et pour suivre ses voies,
il faut être soumis à sa volonté. Celui qui se soumet
à sa volonté, va vers Dieu, arrive au ciel. La soumission
à la volonté de Dieu est donc l’acte le plus avantageux pour
l'homme.
« Donc, ma fille, que Dieu vous envoie des peines, des
souffrances, des tribulations, des maladies, des infirmités, des
contradictions, des affronts, qu'il vous éprouve de quelque manière
que ce soit, soyez soumise à sa volonté. Que cette pensée
: Dieu le veut! vous aide et vous soutienne. Ayez confiance dans cette
volonté, et marchez, vous arriverez au ciel.
« La soumission à la volonté de Dieu n'est
pas un bien seulement pour le ciel, elle est encore un bien pour le temps.
Cette soumission fait disparaître les contradictions, les maux, les
souffrances et les épreuves, parce qu'elle les fait aimer en tant
que venant de Dieu et de sa volonté. La soumission à la volonté
de Dieu fait disparaître toute haine ou toute aversion autre que
celle du péché. Une âme soumise à la volonté
de Dieu s’écrie : O mon âme! Pourquoi aurais-tu de l’aversion
pour cette chose? Est-il rien que tu doives détester sur la terre,
si ce n'est le péché et les défauts qui sont en toi?
Mon Dieu, que votre volonté se fasse en toutes choses, et donnez-moi
une haine continuelle pour le péché et mes propres imperfections.
« Si la charité produit la soumission, elle produit
aussi le détachement. Dieu, ma fille, suffit à celui qui
l’aime et celui qui l’aime est seul véritablement détaché
de tout.
« Dieu suffit à celui qui l’aime. Aimer Dieu, ma
fille, c'est le posséder; posséder Dieu, c'est posséder
le souverain bien, le bien qui ne passe pas, le bien qui demeurera éternellement.
Or, celui qui a ce bien ne peut s’attacher aux biens périssables,
ni à la vie, ni aux créatures, ni aux richesses; il en est
complètement séparé, et ne s’en sert que selon les
desseins de Dieu. Il ne tient à rien; aussi plus facilement s’élève-t-il
vers Dieu et n'est-il point retenu comme par des liens qui l’attachent
à la terre. Il accepte tout comme venant de Dieu, il se sert de
tout pour aller à lui, mais ne tient pas plus à une chose
qu’à une autre; il n’a qu’un seul attachement, l’attachement pour
Dieu.
« Il n'est point attaché à la vie, il en
ferait volontiers le sacrifice, et à l’heure fixée par le
Seigneur, il remettra avec calme son esprit entre les mains de Dieu.
« Il n'est point attaché aux créatures,
ni à cause de leur beauté qui est passagère et transitoire,
ni à cause de leurs qualités qui pâlissent devant celles
de Dieu, ni à cause des liens du sang, parce qu'il a un Père
dans le ciel.
« Il n'est point attaché aux richesses, la rouille
et les voleurs les enlèvent; il n'est point attaché à
la gloire, aux honneurs de la vie, sa gloire consiste à servir Dieu.
« Dieu est tout pour lui, et rien ne le séparera
de Dieu; ni la vie, ni la mort, ni les créatures raisonnables, ni
les créatures sans raison, ni le monde, ni Satan, parce que l'amour
de Dieu est plus puissant que toutes les puissances, et que rien ne peut
lui résister.
« Je vous recommande, ma fille, ce détachement
universel de toutes les choses créées et le détachement
de vous-même. C'est là la véritable marque de la charité.
On reconnaît l’arbre à ses fruits, et la charité produit
le détachement.
« Parmi les diverses sortes de détachement, il
en est un que je vous recommande entre tous, la pauvreté.
« Il y a deux sortes de pauvreté : la pauvreté
volontaire et la pauvreté de nécessité.
« Ceux qui non seulement sont détachés des
biens de ce monde, mais qui s’en dépouillent volontairement, acquièrent
des richesses éternelles et un bonheur qui ne finira jamais.
« Ceux qui vivent dans la pauvreté parce qu'ils
sont dénués de tout doivent bien se garder de désirer
les richesses. Qu'ils s’estiment heureux plutôt d’être dans
le même état où je me trouvais sur la terre avec ma
Mère. Qu’ils se gardent de ternir l’état glorieux que Dieu
leur a donné, par l’attache aux biens de ce monde et aux richesses.
Qu’ils se disent à eux-mêmes : Nous sommes petits aux yeux
des hommes, mais nous sommes grands aux yeux de Dieu. Qu’ils se disent
à eux-mêmes : Nous sommes méprisés par les hommes,
mais Dieu juge différemment des hommes. Qu’ils se disent à
eux-mêmes : Nous sommes pauvres des biens d’ici-bas, mais nous sommes
riches des biens de l’éternité. Les embarras des richesses,
les difficultés et les inquiétudes qu’elles donnent ralentissent
la marche vers le ciel et en détournent quelquefois, mais nous,
rien ne nous arrête, nous sommes sûrs d’aller au ciel; car
le ciel c'est Dieu, et Dieu est la possession et la richesse du pauvre.
« Ma fille, les pauvres doivent être soutenus dans
leur état de pauvreté par la vue de ma pauvreté et
de celle de ma Mère, par l’espérance de voir leur pauvreté
disparaître et se changer en une richesse immense et sans bornes.
C'est la charité encore qui nourrit et entretient ces sentiments
de foi et d’espérance.
« Enfin, ma fille, la charité vous donnera la vraie
liberté, la liberté des enfants de Dieu. Je n’entends point
parler de cette liberté qui est le désordre, de cette liberté
qui fait le mal. Non, cela n'est point la liberté. La liberté
consiste à se soumettre volontairement à la loi. Or, celui
qui aime véritablement Dieu, l’aimant toujours, fera toujours aussi
ce qu'il lui commande, ce qu'il demande de lui; il se soumettra sans peine,
parce qu'il l’aime et qu'il ne veut lui déplaire en rien. La volonté
de Dieu sera la règle de sa conduite, et il suivra cette règle
parce qu'il aime Dieu. Il fera tout ce qu’il voudra, et sera libre par
conséquent, parce qu'il ne voudra que ce que Dieu veut. Tenez à
cette liberté qui est la seule liberté vraie, conservez-la
toujours en vous en y conservant l’amour de Dieu. Croissez dans l’amour
de Dieu, et votre liberté grandira, parce que vous deviendrez de
plus en plus portée à ne faire que ce que Dieu veut. »