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originale par JesusMarie.com, 2007 avril 17
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les 13 livres de Soeur Marie Lataste
LIVRE NEUVIÈME, Des vertus morales et des dons du Saint-Esprit.
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 1
« Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus, je
veux vous parler des vertus de prudence, de justice, de force et de tempérance,
c'est-à-dire des vertus morales. Ces vertus, comme l’indique leur
nom, servent à diriger les mœurs du chrétien. Elles sont
données avec la grâce sanctifiante.
« La prudence est parmi les vertus morales ce qu'est la
foi parmi les vertus théologales. Elle affecte l’intelligence dont
l’action précède celle de la volonté et dirige toutes
les forces, toutes les puissances qui sont dans l'homme. Il y plusieurs
espèces de prudence, plusieurs parties qui entrent dans la constitution
de la prudence, plusieurs vertus qui sont comme les compagnes de la prudence.
« La prudence par laquelle un confesseur, un magistrat,
un empereur se dirigent, est différente de la prudence par laquelle
ils dirigent les hommes qui leur sont soumis ou qui leur demandent conseil;
il y a donc deux sortes de prudence.
« Voici les diverses parties qui constituent la prudence;
pour que vous compreniez mieux, je vais vous apprendre d'abord en quoi
consiste la prudence. La prudence est cette inclination de l'âme
qui fait que l'homme dirige ses actions avec une connaissance sûre
pour opérer le bien. Puisque telle est la nature de la prudence,
je dis que la mémoire, l’intelligence, la docilité, l’habileté,
la raison, la prévoyance, la circonspection, les précautions,
sont autant de parties intégrantes de la prudence. La mémoire
qui rappelle le passé; l'intelligence qui donne la connaissance
du présent; la docilité qui fait qu'on s’instruit par l'enseignement
d’autrui et qu'on suit ses conseils; l'habilité qui fait qu'on interprète
bien ce qui est passé; la raison qui par la connaissance d'une chose
vous en fait connaître une autre; la prévoyance, par laquelle
on devine les moyens pour arriver au but qu'on se propose; la circonspection,
par laquelle on remarque les circonstances d'un événement,
et la précaution, par laquelle on prévient les obstacles
ou les dangers. Sans toutes ces choses, il n'y a point de prudence possible;
il y a un côté faible, et la prudence n'est point une prudence
véritable.
« Les trois puissances de la vertu de prudence sont :
le bon conseil, un jugement droit et une vue claire et distincte.
« Comme je veux vous parler uniquement de la vertu surnaturelle
de prudence, je vous entretiendrai seulement de cette vertu et des autres
vertus secondaires qui doivent lui être nécessairement annexées
: la discrétion, la docilité, la sollicitude et la circonspection.
Si vous réunissez en vous tout ce que je vous dirai sur la prudence,
vous aurez réellement cette vertu.
« La prudence, je vous l'ai déjà dit, ma
fille, est cette inclination de l'âme qui fait que l'homme dirige
toutes ses actions avec une connaissance sûre d’opérer le
bien. La prudence est la vertu de l'intelligence en action pour opérer
le bien. Par la prudence, l'intelligence cherche dans le conseil le moyen
d’arriver au bien, elle trouve ces moyens dans le jugement vrai de ce qu'elle
voit, et elle emploie ces moyens en suivant la voie capable de la mener
au but.
« Comme vous pouvez le penser, ma fille, la prudence,
cette prudence surnaturelle, seule capable d’opérer le bien surnaturel,
seule capable de faire atteindre aussi la fin surnaturelle, elle vient
de Dieu, c'est Dieu qui la donne et la place dans l’âme.
« Désirez ardemment cette vertu, demandez-la à
Dieu, demandez-lui qu'il la développe en vous. Sans elle, toutes
les autres vertus perdraient en vous leur éclat et leur beauté,
elles se changeraient même aisément en vices. Car, sans la
prudence, il y a toujours dans les actes excès, diminution ou défaillance,
et par conséquent vice. Sans la prudence, l'homme risque de tomber
dans les plus grands dangers, parce qu'il marche comme un aveugle avec
pleine sécurité, et à l'heure où il y pensera
le moins, il trouvera sous ses pieds sa perte et sa ruine. Sans la prudence,
on ne peut faire le bien, on ne peut éviter le mal, parce que la
prudence montre ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter, et
empêche de prendre le bien pour le mal et le mal pour le bien. Rappelez-vous,
ma fille, la parabole des dix vierges de l’Évangile : les cinq vierges
folles étaient des vierges sans prudence; les vierges sages, au
contraire, possédaient la prudence. Aussi, seules, trouvèrent-elles
leurs lampes allumées à l'heure de la venue de l’époux.
« Demandez à Dieu la prudence, il vous l’accordera;
vous la reconnaîtrez dans vos actions.
« Vous serez prudente si, dans toutes vos actions, vous
cherchez le bon plaisir et la gloire de Dieu, si vous vous proposez par
vos actes de vertu d’obtenir le ciel.
« Vous serez prudente si, pour obtenir la gloire de Dieu
et votre salut, vous consultez les lois de Dieu, si vous priez pour connaître
en tout la volonté divine, et si vous recourez à votre réflexion
ou à celle d’autrui, parce que vous vous défiez de vous-même.
« Vous serez prudente si, dans les conseils que vous avez
reçus, vous savez distinguer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas,
ce qui est utile des choses inutiles, ce qui est en rapport avec votre
vocation et vos forces d’avec ce qui les surpasse ou s’oppose à
votre genre de vie.
« Vous serez prudente si vous savez distinguer ce qu'il
y a de meilleur et de plus propre à vous conduire à votre
fin.
« Vous serez prudente si vous dominez votre volonté
et l’obligez à accomplir ce qui est bien et à l’accomplir
le mieux possible.
« Ainsi, ma fille, vous le voyez, la prudence s’exerce
sur les actions extérieures des œuvres morales; il est une autre
sorte de prudence qui s’exerce sur les œuvres intimes ou intérieures
de l’âme, c'est le discernement.
« Le discernement, c'est la prudence spirituelle par laquelle
on distingue, dans tout ce qui a rapport à l’intérieur, le
bien du mal, le vrai du faux, le mieux de ce qui est bien, pour opérer
ce qui est bien et meilleur, saisir ce qui est vrai, laisser le mal et
répudier ce qui est faux.
« De même que Dieu dans l’œuvre de la création
sépara l'eau de la terre, la terre des cieux, la lumière
des ténèbres, ainsi le juste, par le discernement que lui
donne la grâce, discerne toutes choses dans le monde qui est en lui,
et qu'il ment et fait vivre, mettant toutes choses à leur place
et réservant pour Dieu ce qui est et doit être à Dieu.
« Le discernement, c'est l’œil de l'âme; celui qui
n’a pas le discernement est un pauvre aveugle, victime de mille maux qu'il
ne peut éviter parce qu'il n'y voit point.
« Le discernement fait connaître ce qui est bien,
ce qui est mieux, ce qui est parfait, ce qui est mal, ce qu'il y a de plus
mauvais.
« Le discernement fait connaître les devoirs envers
le prochain, les parents, les amis et les étrangers, envers les
saints et les élus de Dieu, envers les trois personnes de la sainte
Trinité.
« Le discernement fait connaître le temps du repos
et du travail, de la parole et du silence.
« Le discernement fait connaître la règle
des pensées et leur ordre vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis
de soi-même et des créatures.
« Pour que la prudence soit entière et parfaite,
il faut qu'elle soit suivie de la docilité à écouter
les conseils de Dieu, les conseils des hommes sages, les conseils de l’intelligence
propre de chacun, quand elle est en rapport avec la raison et la pensée
de ceux qui sont plus sages et plus expérimentés.
« Tous les saints ont usé de docilité, et
parce qu'ils ont été dociles, ils ont été prudents,
et la prudence les a sanctifiés.
« Moïse fut docile à écouter les conseils
de Jéthro, saint Paul ceux d’Ananie, et le premier avait vu Dieu
face à face, le second avait été ravi jusqu’au troisième
ciel. À combien plus forte raison devez-vous être docile,
vous ma fille, si vous voulez arriver à la perfection.
« Il y a, en effet, une infinité de choses dictées
par la prudence et le discernement, et le plus sage ne peut les observer
toutes par lui-même; par conséquent rien de plus nécessaire
que la docilité à écouter les discours d’autrui et
à les mettre en pratique. Je ne veux point dire pour cela que vous
devez écouter et recevoir les conseils de tout homme qui se présentera
à vous. Non, ma fille; ne recevez et ne demandez de conseil qu’aux
personnes mûres, réfléchies et sages, aux personnes
qui elles-mêmes sont pleines de docilité et dont la parole
sera claire, sans dissimulation, ni nuages, ni malveillance.
« La docilité vous portera à suivre en tout
les avis de votre directeur comme à lui dévoiler tout ce
qui se passe dans l’intérieur de votre cœur. Elle vous portera à
abandonner votre propre jugement pour vous conformer au sien, et cette
docilité suppléera à ce qui pourrait vous manquer
de prudence et de discrétion.
« Soyez docile, ma fille, soyez aussi pleine de sollicitude dans
vos actions pour opérer le bien.
« La sollicitude est la promptitude de l'âme à opérer
ce que la prudence et le discernement lui ont montré être
conforme aux règles du vrai et du bien. La sollicitude, c'est l’empressement
chaleureux de l'âme à faire le bien. Rien de plus précieux
que cette sollicitude; elle arrête la tiédeur, elle empêche
de tomber dans le péché. Voyez quelle sollicitude parmi les
mondains pour accroître leur fortune, pour ramasser gloire et honneur
sur le chemin de leur vie. Ils ne négligent rien, ils sont toujours
en mouvement. Et qu’est-ce que la gloire du monde, que sont les richesses
de la terre devant la gloire du ciel et les trésors de l’éternité?
« La sollicitude, ma fille, vous portera à faire
vos bonnes œuvres avec empressement, avec attention, à l’heure convenable,
dans le lieu opportun.
« La sollicitude vous fera éloigner les obstacles
et les difficultés, et vous fera accomplir chaque action comme si
elle était la dernière de votre vie.
« Enfin, ma fille, pour que la prudence soit entière
et parfaite, il faut avoir encore la circonspection c'est-à-dire
cette attention ferme de l'âme sur tout ce qui entoure l’action qu’on
veut entreprendre, afin qu'elle se fasse selon les règles du vrai
et du bien, et qu'on éloigne tous les obstacles, afin qu’une fois
entreprise on ne soit point obligé de l’abandonner.
« Sans la circonspection, il sera impossible d’opérer
le bien; voilà pourquoi en envoyant mes disciples prêcher
la bonne nouvelle de l’Évangile, je leur parlai ainsi : Voici que
je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; soyez simples comme
des colombes et prudents comme des serpents.
« Je ne voulais, par ces paroles, que leur recommander
la circonspection : voilà pourquoi ils devaient être simples
comme des colombes, c'est-à-dire accomplir tout ce que je leur avais
recommandé et se fier à moi; prudents comme des serpents,
c'est-à-dire pleins d’avisement au milieu des crimes, des vices
et des scandales qu'ils devaient trouver dans le monde. Or, dès
que le serpent aperçoit le danger, il cache immédiatement
sa tête pour la préserver, ainsi devez-vous à l’approche
du danger mettre votre âme à couvert pour qu'elle ne succombe
pas. Et que de périls dans le monde. Satan est toujours prêt,
comme un lion rugissant, à vous dévorer. Les passions sont
toujours prêtes à se déchaîner. La vertu elle-même,
dans les autres comme chez soi, devient un écueil. Combien donc
faut-il avoir l’œil ouvert pour apercevoir tous les dangers et aussi les
moyens de les éviter.
« La circonspection évite les extrêmes, elle
marche dans le droit chemin où se trouve la vertu. Elle observe,
elle pèse les moyens pour arriver à la fin proposée,
elle consulte dans le doute; elle ne se hâte pas pour agir, elle
attend et la réflexion et le moment opportun. Néanmoins,
elle ne traîne pas en longueur pour ne point laisser échapper
l’occasion de faire le bien.
« La circonspection mesure toutes les pensées,
toutes les paroles, toutes les actions, tous les sentiments; elle ne se
fie point à tous, et ne dévoile point ce qu'il faut tenir
secret.
« La circonspection ne craint point sans un sujet de crainte,
et dans les dangers qu'elle ne cherche pas, elle se fie à Dieu et
demeure impassible. Elle ne se laisse ni tromper, ni séduire par
l’extérieur, elle pénètre au fond des choses et puis
elle se prononce et agit.
« La circonspection n’ajoute point foi aisément
à toutes choses, elle ne concède rien sans réflexion,
ne juge point sans motifs, ne fait point de promesse qu’elle ne puisse
tenir facilement; elle parle peu et se fâche rarement.
« O ma fille, soyez circonspecte, soyez docile, soyez
pleine de sollicitude, acquérez le discernement et la prudence;
je vous le dis, même pour le bien de votre vie matérielle
et terrestre; vous ferez toutes choses selon Dieu et son divin Fils, votre
Sauveur, Dieu et homme tout ensemble, et la paix qui vous donnera la vie
spirituelle, reposant dans le bien, vous donnera aussi la paix du cœur.
»
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 2
« Une des vertus les plus admirables dans l’ordre moral
c'est la justice. Elle est parmi les vertus morales ce qu'est la charité
parmi les vertus théologales. La justice dure dans le temps où
elle commence et durera à jamais dans l’éternité.
« La justice a plusieurs aspects. Elle consiste à
rendre à chacun ce qui lui est dû; par conséquent selon
la diversité des devoirs, vous trouverez autant d’espèces
ou d’aspects dans la justice. Je ne vous parlerai point de la justice humaine
ou naturelle; je ne vous entretiendrai que de la vertu surnaturelle de
justice.
« La vertu de justice est une inclination surnaturelle
qui porte l'homme à rendre à Dieu, au prochain et à
soi-même, ce qui est dû à chacun.
« Vous devez à Dieu, ma fille, les devoirs de religion
qu'il vous a prescrits, l’observation des commandements qu'il vous a donnés.
Vous lui devez la reconnaissance pour tous les bienfaits dont il vous a
comblée; enfin, si vous l’avez offensé, vous lui devez réparation
et repentir; tels sont vos devoirs envers Dieu.
« Je vous ai déjà fait connaître quel
est votre prochain. Or, je distingue dans votre prochain, vos parents,
vos supérieurs, les personnes qui sont au dessus de votre position,
vos égaux et vos inférieurs.
« Vous devez à tous le respect, l’amour et la vérité.
Le respect, car tout homme venant de Dieu mérite que vous le respectiez;
Dieu vous a fait un ordre de les aimer tous, et l’ordre vous impose l’obligation
de dire à tous la vérité par vos paroles, vos signes
ou vos écrits.
« Vous devez agir envers tous avec simplicité,
de telle manière que vous apparaissiez à chacun dans tous
vos actes et toutes vos démarches telle que vous êtes en réalité.
« Vous devez en particulier à vos parents un amour
spécial parce qu'ils sont près de vous les représentants
de Dieu; vous leur devez l’obéissance en tout ce qui n'est point
contraire à la loi de Dieu, vous leur devez le respect le plus profond,
vous leur devez la reconnaissance pour tout ce que vous avez reçu
d’eux.
« Vous devez en particulier à vos supérieurs
comme à vos parents amour spécial, obéissance, respect
et reconnaissance.
« Vous devez en particulier à ceux qui sont dans
une position supérieure à la vôtre le respect et l’honneur
qui leur sont dus par le rang qu'ils occupent.
« Vous devez en particulier à vos inférieurs
les secours et les soutiens que vous pouvez leur donner.
« Vous ne devez à vous-même, après avoir
rempli vos devoirs envers Dieu et le prochain, que le mépris et
le désir de l’humiliation.
« On pèche contre la justice envers Dieu par négligence,
envers son prochain par cupidité, envers soi-même par amour-propre.
« Fuyez la négligence et vous serez exacte à
rendre à Dieu tous vos devoirs; fuyez la cupidité des biens
terrestres, la cupidité de vos satisfactions personnelles, et vous
remplirez vos devoirs envers le prochain; fuyez l’amour-propre, ma fille,
et vous remplirez aussi tous vos devoirs envers vous-même. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 3
« La vertu de force pose dans l’âme la fermeté
nécessaire pour soutenir ou repousser ce que la raison et la foi
disent de repousser ou de soutenir.
« La force est une vertu qui repousse une crainte coupable
qui empêcherait de faire le bien, et qui chasse au loin une témérité
qui ferait entreprendre une œuvre contraire à la raison.
« La force est dans l'âme comme le tronc d’un arbre
qui soutient l’arbre, les branches, les feuilles et les fruits, la force
soutient toutes les autres vertus. Par conséquent, ma fille, si
vous ne voulez point perdre les vertus que Dieu a mises dans votre âme,
vous devez conserver et tâcher d’augmenter la vertu de force en vous.
Par elle vous conserverez le bien qui est en vous, par elle vous perfectionnerez
ce bien, vous y attirerez celui qui n’y est point encore.
« Car si vous avez la vertu de force, vous ne craindrez
ni les périls, ni la mort; vous ne craindrez ni les épreuves,
ni les afflictions, ni les douleurs, ni les misères de la vie; vous
ne craindrez ni les attaques du démon, ni ses tentations; vous ne
craindrez ni les assauts du monde, ni ceux de vos passions.
« Vous combattrez noblement tous vos ennemis, ne cherchant
pas votre gloire, mais celle de Dieu.
« Vous entreprendrez avec sécurité tout
ce que Dieu vous inspirera sans craindre de vous tromper, sans craindre
de ne pas atteindre votre fin.
« Vous ne regretterez rien de ce que vos pourrez donner
à Dieu, ni jeunesse, ni fortune, ni tranquillité, ni bonheur;
vous lui donnerez tout et vous reposerez en lui, comme un enfant sur les
genoux de sa mère.
« Vous serez patiente et soutiendrez sans faillir les
épreuves de la vie, sans vous troubler intérieurement ni
manifester extérieurement votre tristesse.
« Vous soutiendrez longtemps les peines de votre corps
et de votre âme, les maladies de votre corps, les aridités
et la sécheresse de votre âme. Vous soupirerez vers la patrie
du ciel, il est vrai, mais vous attendrez patiemment l’heure de Dieu.
« Vous persévérerez dans le bien jusqu’au
dernier instant de votre vie. Jusqu’à la mort, vous ferez le bien
et éviterez le mal.
« Vous serez comme une colonne de fer assise sur un roc
de l’océan. Vainement les flots et les vents se déchaînent
contre elle, elle demeure inébranlable. Vous serez ainsi, ma fille,
vous serez ferme comme la montagne de Sion. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 4
« La tempérance est la quatrième des vertus
morales. On peut considérer la tempérance d'une manière
tout à fait générale : alors on entend par tempérance
une règle quelconque dans les actions et l’usage de la vie. Je veux
vous entretenir de la vertu de tempérance, c'est-à-dire de
la règle qui dirige l'homme dans l’usage des choses qui le captivent
le plus et peuvent le plus facilement le séparer du bien, savoir,
les plaisirs de la nourriture et des sens.
« Les vertus morales sont celles qui dirigent le coeur
de l'homme selon la raison des choses, pour l’éloigner du mal et
lui faire pratiquer le bien dans l’usage des créatures.
« Or, parmi les choses qui se portent contre la raison
et voudraient l’opprimer, il n’en est pas dont l’empire soit plus puissant
que celui des plaisirs des sens, d’autant plus sentis qu'ils viennent d'un
acte plus naturel ou plus en rapport avec la nature; par conséquent,
le plaisir sera plus grand dans les actes qui tendent à la conservation
de la nature humaine. Ces actes peuvent être considérés
par rapport à la conservation de l’individu, qui s’opère
par le boire et le manger, ou par rapport à la conservation de l’espèce
humaine, qui s’opère par la génération. Voilà
les actes les plus naturels à l’homme, les actes où il éprouve
le plus de plaisir, les actes, par conséquent, qui tendent le plus
à l’éloigner de Dieu. C'est donc sur ces actes que la raison,
qui a été donnée à l'homme pour lui servir
de lumière et de guide, doit s’exercer d’une manière toute
particulière. C'est l’exercice de cette raison et la règle
par laquelle elle dirige ces actes qui est la vertu de tempérance.
« Par la vertu de tempérance que Dieu lui donne,
l'homme exerce une domination ferme et juste sur les plaisirs qui sont
dans le goût et le toucher, pour vivre d’une manière raisonnable
et conformément aux desseins de Dieu sur lui.
« On distingue dans la vertu ce qui est nécessaire
pour son existence, les objets sur lesquels elle se porte et les effets
qu'elle produit.
« Or, deux choses sont essentielles à la vertu
de tempérance, savoir; la honte, ou ce sentiment qui éloigne
de la turpitude de tout acte contraire à la tempérance, et
l’honnêteté, ou ce sentiment qui fait aimer la beauté
inhérente à la tempérance; car, entre toutes les vertus,
la tempérance réclame cet honneur qui ressort de la vertu,
et l’intempérance, le déshonneur qui ressort du vice.
« La vertu de tempérance a pour objet principal
le toucher, dont elle règle l’usage.
« C'est la tempérance qui règle la sensation
de plaisir qu'on éprouve au toucher. C'est pourquoi toute vertu
qui tend à refréner, à modérer ou à
diriger une inclination quelconque vers le mal, est une partie de la vertu
de tempérance. Or, les vertus produisent cet effet de trois manières
: en agissant sur les mouvements intérieurs du cœur, sur les mouvements
extérieurs et les actes du corps, ou bien en observant la valeur
réelle des choses de la vie.
« Outre les sensations du toucher, la tempérance
règle encore les mouvements de l'âme qui l’attirent vers quelque
chose, attraction qui est le toucher intérieur de l'âme.
« Le premier mouvement est celui de la volonté,
émue par l’impétuosité de la passion; il est maîtrisé
par la continence, qui fait que l'homme, éprouvant les assauts de
la concupiscence, loin d’être battu par elle, lui résiste
et lui commande en maître.
« Le second est celui que produit une espérance
fausse et une audace criminelle; il est réprimé par l’humilité,
qui ne s’attend à rien, qui ne réclame rien et se croit incapable
de tout par elle-même.
« Le troisième est celui de la colère, qui
porte à la vengeance; il est réprimé par la douceur
et la clémence.
« La tempérance règle aussi les mouvements
du corps en lui-même, par la modestie et les mouvements de la langue,
par la réserve et le silence; elle règle enfin les mouvements
du corps vers les choses créées, par la discrétion,
la pauvreté et l’économie.
« Ma fille, je vous ai déjà parlé
de la pureté, de la chasteté, de la virginité et de
la pauvreté. Je vous parlerai maintenant sur la honte, l’honnêteté,
l’abstinence, la sobriété, la continence, l’humilité,
la douceur, la clémence, la modestie, le silence, la discrétion
et l’économie.
« Je vous ai dit, ma fille, que les sentiments de honte
et d'honnêteté sont deux sentiments ou deux inclinations de
l'âme nécessaires pour la vertu de tempérance.
« La honte est la crainte du déshonneur par l’accomplissement
d'un acte mauvais. Il y a quatre espèces de honte : celle du mal
qu'on a commis, celle du mal qu'on commet, celle qui fait éviter
le mal et celle qui empêche de faire le bien.
« La honte qui empêche de faire le bien est coupable,
mauvaise, c'est le respect humain; ne craignez jamais de faire le bien,
n’en rougissez jamais, ne craignez que le mal.
« La honte du mal qu'on commet est mauvaise, si elle ne
produit rien que la fuite des regards d’autrui, si elle ne fait point éviter
le péché.
« La honte du mal qu'on a commis est bonne, si elle porte
à éviter le mal; elle est sans effet véritable, si
elle ne fait point éviter le péché.
« La honte qui empêche non-seulement de commettre
le péché, mais encore qui le fait fuir et donne de l’horreur
pour lui, est bonne et appartient à la vertu de prudence.
« Cette honte ne mérite point le nom de vertu dans
sa signification véritable, parce que le mot vertu implique en lui-même
un certain degré de perfection. Or dans la honte, il n'y a que tendance
à fuir le mal.
« Ainsi la honte ne se trouve ni dans ceux qui sont endurcis
dans le vice, ni dans les parfaits. Les uns ne font que le bien, les autres,
loin de craindre l’opération du mal, vivent continuellement dans
le mal.
« Elle n’est point dans les enfants, parce qu'elle suppose
un jugement, et qu'ils n'ont point l’usage de la raison et ne peuvent juger
de rien.
« La honte se trouve dans les imparfaits qui tendent vers
la perfection; elle est d’autant plus forte, elle a d’autant plus d’empire
sur les hommes, que le vice ou le péché est plus grand, qu'ils
se trouvent en face de personnages probes et vertueux, ou de personnes
qui les voient plus souvent et sont plus à même de s’apercevoir
de leurs défauts.
« Pour que la honte ne soit pas nuisible et qu'elle soit
avantageuse, il faut tantôt l’éviter et la mépriser,
et tantôt la modérer ou l’exciter en soi.
« Il faut fuir et éviter la honte dans tout ce
qui est bon. Si vous rougissez de moi, ma fille, pendant votre vie, je
rougirai de vous à la fin des temps.
« Il faut mépriser la honte dans les conditions
et les états où il n’y a aucun motif de rougir, ni crainte
de déshonneur, comme la pauvreté et la misère.
« Il faut modérer la honte que l'on a des péchés
dont on s’est rendu coupable, afin qu'elle n’empêche point d’en faire
l’aveu au ministre chargé de les pardonner.
« Il faut exciter la honte en soi quand on est tenté
violemment et qu’on court risque de tomber dans le péché.
C'est alors le moment de considérer la noirceur de l’offense envers
Dieu et l’opprobre dont on se couvre par cette faute, parce que cette vue
fait éviter le péché.
« La honte est essentielle à la vertu de tempérance;
le second sentiment nécessaire à cette vertu c'est l’honnêteté.
« L’honnêteté est le sentiment de l'âme
qui fait aimer la beauté inhérente à la vertu ou à
la tempérance. Elle consiste dans le jugement de l’excellence d'un
acte que l’on accomplit, et comme tout acte bon est beau, et tout acte
beau digne d’honneur, celui qui a l’honnêteté juge de la bonté
et de la beauté de cet acte et de l'honneur qui lui revient.
« L’honnêteté est l’accomplissement d’un
acte bon dicté par le jugement intime de l'âme. Ainsi elle
a sa source, son principe dans l’intérieur, mais elle ressort extérieurement
par l’accomplissement de l’acte, et c'est l’acte bon accompli qui fait
juger de l’honnêteté de quelqu'un. Tant que l’acte n'est point
accompli, on ne peut juger de l’honnêteté de celui qu'on examine,
ni lui rendre l’honneur qu'il mérite.
« Or, comme la tempérance est précisément
la vertu qui incline à faire le bien et à éviter le
mal, vous comprenez, ma fille, que l’honnêteté doit nécessairement
précéder la tempérance et être constamment avec
elle.
« L'abstinence est une vertu par laquelle on modère
le plaisir et l’usage de la nourriture.
« Ainsi, l’abstinence consiste non à se priver
complètement de nourriture, ce qui serait détruire sa santé
et sa vie, mais à prendre la quantité suffisante afin de
ne pas trop exciter les mouvements déréglés de la
nature, et à savoir même distraire une légère
partie de cette quantité pour réprimer ces mouvements.
« Je vous ai donné l’exemple de l’abstinence dans
l’usage que je fis sur la terre des mets les plus communs et dans le jeûne
que je supportai dans le désert. Suivez mon exemple et pratiquez
l’abstinence telle que je vous l’ai indiquée, elle produira les
plus heureux effets sur votre âme et votre corps.
« Elle disposera votre âme à prier avec plus
de ferveur. Celui qui ne pratique pas l’abstinence ressent dans son âme
la pesanteur de son corps chargé de nourriture, qui lui enlève
toute sa vigueur de l’esprit et lui enlève par conséquent
toute aptitude pour la prière.
« Elle développera votre mémoire et la rendra
plus apte à se rappeler tous les bienfaits dont Dieu vous a comblée
et que vous lui devez. Celui qui ne pratique pas l’abstinence est toujours
dans une sorte d’engourdissement qui empêche le développement
ou l’usage de ses facultés, et l’oblige à l’inaction intellectuelle.
Ce qui vous le fera bien comprendre, ma fille, c'est ce que vous éprouvez
en vous-même. Le matin, quand vous êtes levée, vous
vous trouvez plus disposée, plus apte à la prière,
votre esprit se porte plus naturellement vers moi; il est plus frappé
par les paroles que je vous adresse le matin que dans la journée,
et voilà pourquoi j’ai voulu de préférence vous entretenir
et vous parler le matin, soit dans votre chambre, à l'heure de votre
prière, soit plus particulièrement dans le lieu saint, près
de mon tabernacle.
« L'abstinence produit aussi le développement de
l’intelligence. L’intelligence ne se trouve pas arrêtée dans
son essor par le poids des choses sensibles, par la matière qui
l’entoure et l’enveloppe comme un nuage. C'est le matin aussi que vous
comprenez mieux les paroles que je vous adresse, que vous vous rendez mieux
raison des choses.
« Puisque l’abstinence est si avantageuse, pratiquez-la
ma fille; elle servira non-seulement à votre âme, mais aussi
à votre corps.
« L’abstinence rend le corps le temple de Dieu. Le temple
de Dieu est saint, dit l’apôtre, et ce temple, c'est l'homme.
« Or, l’abstinence est une dédicace du corps à
Dieu. Par l'abstinence, en effet, ne semblez-vous point ne vouloir y introduire
rien de ce qui est superflu? En outre, le corps est l’instrument de l’âme,
et l'âme par le corps opère des œuvres de vertu et évite
le péché; il évite le péché quand il
a la force de résister, quand il n'est point mou et efféminé;
il pratique le bien, il fait de bonnes œuvres parce qu'il a la vigueur
nécessaire, et que les aliments qu'il a pris ne le lient et ne le
retiennent point attaché à la matière. L’abstinence
est donc comme une porte fermée au mal et ouverte à la vertu.
C'est donc elle qui rend le corps saint, qui en fait véritablement
le temple de Dieu.
« L’abstinence est l’assaisonnement de la nourriture de
l'homme et le soutien de sa santé. Celui qui pratique l’abstinence
ne mange que ce qui lui est nécessaire. Aussi, quelle que soit la
nourriture qui lui est présentée, il l’accepte et la trouve
bonne. Et cette nourriture le soutient, le fortifie sans altérer
sa santé.
« Enfin, l’abstinence est le soutien des relations de
la vie. Celui qui ne la pratique point ne peut vivre dans la société
de ses pairs; il est méprisé, honni par tous. Celui qui ne
pratique pas l’abstinence peut à peine se supporter lui-même,
tant il a pris de nourriture.
« Pratiquez l’abstinence, ma fille; elle est utile aux
intérêts de votre corps comme à ceux de votre âme;
elle conservera la santé de votre âme et celle de votre corps.
Pratiquez-la dès à présent. C'est la première
condition pour que vous la pratiquiez toute votre vie. Ne recherchez point
les mets délicats et bien préparés. Ne mangez jamais
autant que votre appétit vous le permettrait. Ne mangez pas avec
trop d’empressement. Enfin ne vous occupez point de la nourriture que vous
aurez pour en désirer une plus recherchée, et, à ces
conditions, vous pratiquerez l’abstinence.
« La sobriété est pour l’usage du vin ce
que l’abstinence est pour l'usage de la nourriture. C'est une vertu par
laquelle on modère le plaisir et l’usage de la boisson.
« C’est une vertu morale qui dépend de la vertu
de tempérance. C'est une vertu morale, car les vertus morales ont
pour but de conserver et de défendre le bien de la raison contre
tout ce qui peut l’attaquer et le faire perdre. Par conséquent,
là où se trouve un écueil pour la raison, là
doit se trouver une vertu pour combattre cet écueil. Or, l'usage
du vin, quand il est immodéré, fait perdre la raison. Il
faut donc un rempart contre ce vice : vous le trouverez dans la sobriété,
qui donne la règle dans l'usage qu'on doit faire du vin que Dieu
a donné à l'homme pour le désaltérer et réparer
ses forces, non pour lui faire perdre sa raison.
« La sobriété produit quatre effets principaux
: elle conserve et entretient la lumière de l’intelligence, car
l'usage modéré du vin fortifie le cœur, d’où procèdent
tous les actes naturels et vitaux de l'homme; elle développe la
puissance de l'esprit en l’excitant doucement et avec mesure; elle conserve
le cerveau dans toute sa pureté; enfin, elle réjouit l'âme
dans toutes ses facultés, et en particulier, celle qui saisit la
vérité pour perfectionner toutes ses œuvres et leur donner
de la fermeté. Voilà pourquoi vous avez vu que dans les Livres
saints la sobriété est appelée la santé du
corps et de l'âme. Il est facile de comprendre comment la sobriété
dispose l’intelligence à saisir ce qu'il y a de plus subtil et de
plus fin, parce que la sobriété place la personne dans la
règle parfaite de son être, et que l'homme n'est jamais plus
apte à agir intellectuellement ou matériellement que lorsqu'il
se trouve en cet état.
« La sobriété réprime la concupiscence
de la chair. Le vin en effet, ma fille, excite tout l’organisme de l'homme;
il augmente le penchant qu'il a pour le mal et porte naturellement au vice
d’impureté. Voilà pourquoi Dieu avait ordonné aux
Nazaréens de ne point boire de vin ni de liqueur enivrante. Vous
avez une preuve de cet effet dans Noé, que l’ivresse mit dans un
état complet de nudité, et dans saint Jean-Baptiste, que
la sobriété ou plutôt, la privation complète
de vin conserva dans une si parfaite pureté.
« La sobriété est la conservatrice de la
paix parmi les hommes. La paix disparaît parmi les hommes quand ils
perdent la raison, ou que leur intelligence est voilée, ou que leur
esprit est surexcité. Or, la sobriété conserve la
raison, empêche la raison de se voiler et les esprits ou les forces
de l'homme de se surexciter. La sobriété donc conserve la
paix et la bonne harmonie parmi eux.
« La sobriété n'est pas l’abstention complète
du vin, elle est la règle de son usage. Elle convient à tout
le monde. En premier lieu, elle convient aux ministres de mes autels, puis
aux princes et aux magistrats, afin qu'ils soient toujours à même
d’agir conformément à la mission qui leur est confiée.
« Elle convient en particulier aux religieux, afin qu'ils
puissent vaquer aux œuvres de piété que leur devoir leur
impose, afin qu'ils mortifient leur chair et s’exercent facilement dans
la pratique de toutes les vertus
« Elle convient surtout à la jeunesse et aux femmes
: à la jeunesse, pour ne point augmenter l’entraînement qu'elle
a vers le mal; elle convient aux femmes pour conserver toujours intacte
la dignité de leur sexe.
« La continence, ma fille, est une vertu qui donne la
force de résister à toute passion.
« On peut entendre la continence de trois manières.
La continence, dans un sens large et général, est la répression
des entraînements mauvais provenant du toucher et de tous les autres
sens. La continence s'entend encore de la chasteté dans l’état
de mariage. Enfin, la continence est la répression actuelle des
mouvements déréglés de la concupiscence qu'on éprouve
dans son âme.
« De quelque manière que vous l’entendiez, la continence
est la fermeté de la raison et du devoir contre les passions pour
qu'elles n’entraînent point au mal.
« Cela doit vous faire comprendre les immenses avantages
de la continence pendant votre vie, qui est si courte et qui n'est pour
vous qu'un temps d’épreuve. Que de maux, que de peines, que de regrets,
que de malheurs dont préserve la continence! La continence, en effet,
prolonge les jours de la vie du temps et assure la possession de l’éternité.
La continence conserve le souvenir des fins dernières et fait prendre
les moyens pour arriver à la félicité suprême.
C'est là l’heureux résultat de la continence; elle donne
une vie tranquille et pacifique, elle donne une vie estimable et estimée
des hommes, des anges et de Dieu; elle assure la vie heureuse du ciel.
« L’humilité est encore une vertu qui appartient
à
la vertu de tempérance, car elle porte l'homme à ne point
s’élever au dessus de ce qu'il est.
« C'est une vertu par laquelle l'homme, d'après
la connaissance intime de la majesté de Dieu et de son propre néant,
se méprise lui-même et aime à se voir méprisé
par autrui. L’humilité ne consiste pas seulement dans la connaissance
de Dieu, ni de soi-même, mais dans la répression du mouvement
qui porte l'homme à s’élever au dessus de lui-même.
La connaissance de Dieu et de soi produit cette répression qui constitue
l’humilité.
« Or, celui qui réprime ce mouvement désordonné
de lui-même est véritablement humble, parce qu'il se connaît
lui-même, et que s'il trouve en soi quelque chose de bien, il reconnaît
ne l’avoir pas de lui-même, mais par le don de la miséricorde
de Dieu.
« Il est véritablement humble, parce qu'il se méprise
lui-même, et qu'il sait bien qu'il est indigne des biens que Dieu
lui a accordés et de ceux qu'il veut lui accorder encore.
« Il est véritablement humble, parce que bien loin
de désirer l’estime, l’honneur ou les louanges d’autrui, il ne cherche
que le mépris et rapporte à Dieu toutes les faveurs qui lui
viennent des hommes afin qu'elles retournent à Celui qui seul les
a véritablement méritées.
« Il est véritablement humble, parce qu'il se croit
la plus vile des créatures, à la vue de ce que Dieu a fait
pour lui et du peu de reconnaissance qu'il lui en a rendu, et qu'il ne
considère en autrui que le bien qu'il possède.
« Il est véritablement humble, parce qu'il se fait
volontiers le serviteur de tous, qu'il cherche partout la dernière
place et les emplois les plus vils.
« Il est véritablement humble, parce qu'il se tient
vis-à-vis de Dieu comme un esclave soumis en toutes choses à
la volonté de son maître, et comme un pauvre pécheur
indigne de paraître devant lui et d’être souffert en sa présence.
« Or, rien n'est supérieur à la vertu d'humilité;
l’humilité, en effet, est la première des vertus. Elle est
avant la foi, l’espérance et la charité. Elle est leur fondement.
Cela vous étonne, ma fille? — Oui, Seigneur. — Pourquoi cela? —
Parce que je me souviens que vous m’avez dit en me parlant de la foi, qu'elle
est le fondement de toutes les vertus. Comment donc les vertus peuvent-elles
avoir deux fondements? — Ma fille, me répondit le Seigneur Jésus,
si votre humilité avait été plus grande, vous n’auriez
éprouvé aucun étonnement de mes paroles. Vous auriez
pensé que je suis la vérité et que par conséquent
mes paroles sont des paroles de vérité.
Je demandai pardon au Sauveur Jésus de ma manière
d’agir, je le conjurai de continuer à m’instruire et je l’écoutai
avec docilité.
« L'humilité, me dit-il, est le fondement des vertus,
mais d’une manière différente ou sous un autre aspect que
la foi. Vous allez le comprendre aisément. La connaissance d’une
chose précède le désir qu'on a de cette chose, et
le désir précède les moyens pour acquérir sa
possession. Les vertus théologales précèdent donc
les vertus morales, parce qu'elles sont la connaissance, le désir
et l’amour de Dieu, tandis que les vertus morales ne sont que les moyens
pour atteindre Dieu. Or, la foi est une vertu théologale, et la
première des vertus théologales dans l’ordre de l’existence;
donc elle est avant l’humilité, qui est une vertu morale, puisqu’elle
se rattache à la tempérance, et, sous ce rapport, la foi
est le fondement de toutes les vertus, même de l'humilité.
« Sous un autre rapport, au contraire, l’humilité
est le fondement de toutes les vertus, même de la vertu de foi.
« Personne, en effet, n’aura la foi s’il ne commence par
chasser l’orgueil de son âme et s'il n’y place l’humilité
qui le soumet à la parole et à la révélation
de Dieu. L’humilité est donc le fondement de la foi.
« L'humilité est le fondement de l’espérance.
C'est l’humilité qui dit : Je ne suis que faiblesse, je ne suis
qu’impuissance, mais je puis tout dans Celui qui me fortifie. Car celui
qui est humble se connaît lui-même, et sachant qu'il ne peut
rien par lui-même, il met tout son espoir en Dieu, et dans son espérance,
il s’écrie : Je puis tout dans Celui qui me fortifie. Ainsi, l’humilité
ne repousse pas, ne refuse pas les grandes entreprises quand Dieu les demande
et les attend; elle ne refuse rien, mais elle met tout son espoir en Dieu.
« L'humilité est le fondement de la charité.
C'est l’estime de soi qui éloigne de Dieu, c'est le mépris
de soi qui rapproche de lui. Celui qui s’estime ne pense qu’à soi,
voilà pourquoi il oublie Dieu. Celui qui se méprise ne pense
qu’à Dieu, et cette pensée n'est point vaine, car elle produit
l'amour, et plus cette pensée est ferme, plus elle est constante
et plus l'amour pour Dieu devient intense.
« L’humilité est donc le fondement des vertus théologales.
Voyez plutôt, ma fille, sans elle, la foi chancelle; sans l’humilité,
l’espérance diminue; sans l'humilité, la charité est
détruite. Ce que je dis des vertus théologales, je le dis
aussi des vertus morales. Sans l’humilité, la prudence est aveugle,
la justice trompeuse, la force impuissante et la tempérance immodérée.
« L’humilité, ma fille, est encore la grande voix
de l'âme qui va de la terre au ciel et qui pénètre
jusqu'au trône de Dieu. C'est la voix la plus agréable qui
résonne aux oreilles de Dieu; c'est la prière la plus puissante
qui monte jusqu'à lui, et voilà pourquoi elle obtient à
l'âme les faveurs de Dieu les plus signalées. Marie fut la
plus humble des créatures et elle est devenue ma mère. Est-il
faveur comparable à cette faveur?
« L'humilité préserve du péché,
maintient et fortifie dans le bien, elle enseigne la véritable sagesse,
et donne enfin le bonheur véritable par la participation à
la vue de Dieu.
« Ma fille, aimez donc l’humilité, cherchez l’oubli
et le mépris. Marchez, sur mon exemple, dans la voie des humiliations;
ne cherchez point à vous produire, effacez-vous en tout, n’élevez
jamais ni votre tête, ni votre voix, ni votre cœur; votre tête
pour dominer quelqu'un, votre voix pour vous imposer à qui que ce
soit, votre cœur pour vous estimer vous-même. Comprenez que tout
ce que vous avez, vous l’avez reçu de Dieu, par conséquent
ne vous en glorifiez point. Si je vous comble de mes faveurs les plus signalées,
méritez-les encore plus par votre humilité, et en reconnaissant
qu'il n'y a rien en vous qui vous rende digne de si grands témoignages
de mon amitié pour vous. Recevez sans vous plaindre, sans murmurer,
tous les mépris dont vous serez l’objet; estimez-vous heureuse d'être
ainsi méprisée, honnie ou mal vue, et dans ces sentiments
de l’humilité la plus profonde, tenez-vous toujours comme une servante
devant Dieu.
« Si vous avez ces sentiments, ma fille, vous serez toujours
calme. Qu’est-ce donc qui pourrait vous troubler, si vous croyez être
un rien, un néant? Qu’est-ce qui pourrait vous affliger, si vous
croyez mériter tous les mépris? L’humilité, c'est
le calme, la tranquillité, la joie sur la terre, c'est le mérite
du bonheur dans l’éternité.
« La douceur et la clémence sont deux vertus qui
ont une grande analogie; elles diffèrent pourtant l’une de l’autre.
Je vous l’ai déjà dit, ma fille, les passions intérieures
sont le principe ou l’empêchement des actes extérieurs. De
même les vertus qui règlent les passions concourent au même
effet que les vertus qui règlent les actions, quoique d’une manière
différente. Si vous appliquez ces paroles à la douceur et
à la clémence, vous comprendrez leur différence. La
douceur et la clémence concourent à refréner la colère,
c'est là leur but commun, et en cela ces deux vertus paraissent
se ressembler; elles diffèrent pourtant par leur manière
d’opérer.
« La colère porte à se venger d'une offense
et à infliger une sévère punition. La douceur est
une force qui empêche la colère et par conséquent qui
prévient toute punition. La clémence, au contraire, porte
à diminuer la peine ou la punition méritée et que
la colère a augmentée. Ces deux vertus tendent donc à
régler la colère; la douceur en la faisant disparaître,
la clémence en diminuant la vengeance excitée par la colère;
la douceur en combattant la colère, la clémence en combattant
l’acte produit par la colère.
« Ma fille, c'est avec raison qu'on a comparé la
douceur au lait et au miel. Il n'est rien en effet de plus suave dans la
vie que les relations avec les personnes qui sont douces. C'est un parfum
délicieux dont l’odeur se répandant sur toute la terre ravit
tous les cœurs. Elle ressemble à celui qui coula le long de la robe
d’Aaron; c'est ainsi, en effet, qu'elle se répand sur toutes les
actions de celui qui la possède. Elle est si aimable qu'elle s’insinue
et pénètre dans les âmes dont vous approchez, autant
par votre air et vos manières que par vos paroles. C'est la compagne
fidèle de l’humilité. Toute personne humble est douce en
même temps; mais une personne qui est douce peut bien n'être
pas humble; alors néanmoins elle n'a pas la véritable vertu
de douceur. Elle a une douceur naturelle ou, comme vous le dites habituellement,
elle a la douceur de caractère, ou encore une douceur calculée,
préméditée, douceur qui n'est pas toujours dans la
conduite ni les paroles.
« Quelle différence entre celui qui a la douceur
et celui qui n'a point cette vertu. Quand on l’a, on est affable, prévenant,
aimable, patient, sans chercher jamais à déplaire en rien;
on est toujours égal dans ses actions comme dans ses paroles; on
a toujours une figure calme et sereine; on se possède même
dans les torts ou les injures qu'on reçoit; on oublie le mal et
on le pardonne; on fait du bien à ses plus grands ennemis. On m’imite
dans ma manière d’agir, et au dernier jour on entendra cette parole
: parce que vous avez été doux et humble de cœur, venez,
bon serviteur, posséder la terre qui vous a été promise,
c'est-à-dire le ciel.
« Quand on n'a pas la douceur, au contraire, on est brusque,
froid, sévère, irascible; on éloigne les coeurs de
soi.
« Exercez-vous, ma fille, dans la vertu de douceur. Elle
convient à tous en général, mais en particulier aux
supérieurs quels qu'ils soient, afin qu'ils puissent gagner la confiance
et l’affection des inférieurs; elle convient en particulier aux
prêtres, à cause de leurs relations intimes avec les consciences
des fidèles. Elle vous convient en particulier, afin d’édifier,
de donner le bon exemple et de vous perfectionner de plus en plus. Demandez
à Dieu cette belle vertu de douceur.
« La clémence est une vertu qui porte à
pardonner une peine méritée ou une partie de cette peine.
La clémence est, par conséquent, une vertu morale, car elle
soumet le mouvement du cœur à la raison. Que fait la clémence
en pardonnant une peine ou une partie de cette peine, si ce n'est voir
quand et pourquoi il faut pardonner et moins punir, et considérer
aussi s'il y a motif ou non d’infliger une peine. La sévérité
est l’application rigoureuse de la loi. La clémence diminue la peine
qui serait due, selon l’expression de la loi, parce que celui qui l’applique
interprète l’intention du législateur plutôt que sa
loi; aussi la clémence modère le mouvement du cœur pour que
la peine ne soit pas appliquée dans toute sa rigueur.
« La clémence doit être la grande vertu des
princes, des prélats, des magistrats et des supérieurs. Ils
doivent se rappeler la clémence de Dieu et de son Fils sur les hommes,
et ne point punir selon l’étendue de leurs pouvoirs. La clémence
guérit plus de maux que la sévérité. Les passions
sont surexcitées par la sévérité et apaisées
par la clémence, qui souvent obtient ce que jamais n’aurait obtenu
la sévérité. Rien de plus propre à exciter
en vous la clémence que la considération de la fragilité
humaine, de votre propre fragilité. Que de fautes aussi commises
par mégarde ou par ignorance! Aussi ne faut-il point les punir selon
la rigueur de la loi.
« Soyez clémente, ma fille, c'est-à-dire
pardonnez toute la peine que mériteraient ceux qui pourraient vous
offenser. Ne cherchez point à les faire punir. Pardonnez-leur de
grand cœur; traitez-les comme frères et amis. Rendez-leur service
si vous le pouvez; témoignez-leur que vous avez tout oublié
et que votre esprit n'a gardé aucun souvenir de leurs injures.
« Ma fille, la tempérance règle les mouvements
intérieurs de l'âme par la continence, l’humilité,
la douceur et la prudence; elle règle aussi les mouvements personnels
et extérieurs du corps par la modestie et le silence.
« La modestie est une vertu qui règle les mouvements
du corps, qui gouverne les sens, indique la manière dont on doit
se récréer et préside à l’arrangement extérieur
des vêtements, selon la conduite dans laquelle on est placé.
« Vous comprenez que le mouvement du corps, que les sens,
les jeux, les délaissements et les habits dont on se couvre sont
susceptibles de recevoir une règle dictée par la raison;
par conséquent la modestie est une vertu morale.
« Elle vous apprendra à régler les mouvements
du corps; à ne point marcher avec précipitation ni avec trop
de lenteur; à ne point agiter les bras d’une manière inconvenante;
à ne point étendre votre corps avec mollesse; à vous
tenir toujours, même seule, comme devant les personnes de distinction
ou qui méritent votre respect.
« La modestie vous apprendra à ne point tourner
la tête légèrement de tous cotés et à
chaque instant; mais à la tourner doucement quand il y a nécessité,
à la tenir un peu inclinée sur le devant, sans la pencher
immodérément ni à droite ni à gauche.
« La modestie vous apprendra surtout à ne point
tourner vos yeux de tous cotés, à ne point les fixer sur
toutes choses; elle vous apprendra à regarder non avec fureur, mais
avec bonté; non avec orgueil, mais avec humilité; non avec
inconvenance, mais avec chasteté et pudeur; elle vous apprendra,
quand vous parlerez à quelqu'un, à le regarder non fixement
et d’un air sérieux, mais avec douceur et un peu en dessous de ses
yeux, comme si vous regardiez plutôt l’intérieur de son âme
que l’extérieur de sa figure.
« Elle vous apprendra à revêtir votre figure
d’un air plein de douceur et de bonté, sans contracter ni vos sourcils
ni vos lèvres; à ne point garder un silence obstiné,
mais à adresser quelques paroles dictées par la circonstance
et toujours empreintes de dignité autant que de franchise et de
sincérité.
« Elle vous apprendra à user de délassements
convenables à votre âge, à votre condition, à
votre sexe, pour récréer et refaire votre esprit et ne point
le tenir toujours tendu. Elle vous apprendra à ne jamais vous tenir
seule avec un homme seul, et à fuir dans vos récréations
tout ce qui peut blesser l’honnêteté ou la politesse. Elle
vous apprendra à ne point trop satisfaire votre esprit, à
ne pas trop le délasser par vos amusements, et à ne vous
récréer que dans les lieux et aux moments convenables.
« Elle vous apprendra à vous habiller d'une manière
digne et en rapport avec votre position, sans chercher des habits de luxe
ou des formes trop élégantes qui favorisent le dérèglement
des passions. Elle vous apprendra à être au contraire toujours
vêtue avec simplicité, ordre et propreté.
« Elle vous apprendra la même simplicité
dans la disposition de votre maison, dans les meubles et dans la nourriture
qui sera servie sur votre table.
« C'est là, ma fille, la première vertu
qui règle les mouvements extérieurs du corps; voici la seconde,
le silence.
« Le silence, ma fille, peut s’entendre de deux manières,
en tant qu’acte ou abstention de langage et en tant qu’inclination à
retenir et à modérer la parole. Pour les distinguer, j’appellerai
l’acte par lequel on s’abstient de parler, silence, et l’inclination ou
la force par laquelle on modère sa propension à parler, l'amour
du silence.
« L'amour du silence est une vertu qui a un double but.
Le premier est d’interdire à la langue toute parole illicite, comme
la médisance, la calomnie, le mensonge, le parjure, toute parole
déshonnête, impure, oiseuse ou inutile. Le second, d’interdire
à la langue des paroles même utiles ou licites quand il n'y
a point de nécessité.
« Vous reconnaîtrez en vous l'amour du silence,
si vous ne prononcez jamais de paroles déplacées, si vous
ne parlez que dans le lieu où vous pouvez parler, c'est-à-dire
hors du lieu saint; si pour vous recueillir, réparer les forces
de votre esprit, vous vous abstenez pendant un certain temps de la journée
de parler et de converser; si vous vous abstenez non-seulement du langage
extérieur, mais encore du langage intérieur de votre esprit,
en contenant votre imagination; si vous ne parlez jamais pour votre propre
satisfaction, par amour-propre, mais toujours par charité et pour
la plus grande gloire de Dieu.
« Ma fille, je vous recommande l'amour du silence. Suivez
l’exemple que je vous ai donné quand j'étais sur la terre.
Je suis la parole éternelle de Dieu le Père, et j’ai demeuré
les trente premières années de ma vie sans me manifester
qu'une seule fois dans le temple de Jérusalem. Je suis la parole
éternelle de Dieu et je demeure en silence dans le sacrement de
l'autel, ne parlant aux hommes que par la voix de ma grâce et de
mon amour.
« Gardez le silence et vous aurez la paix avec Dieu, avec
le prochain, avec vous-même. Gardez le silence et vous avancerez
rapidement dans la perfection, car vous fuirez de nombreuses occasions
de péché; vos n’exciterez ni vos passions ni celles d’autrui,
et vous serez plus à même d’apercevoir les pièges que
vous tendra l’ennemi de votre salut.
« La discrétion est une vertu morale qui règle
le don de la science ou de la connaissance. C'est le contraire de la curiosité.
« Il y a des sciences qui sont utiles, d’autres dangereuses
et d’autres coupables; d’autres qui ne peuvent servir de rien, et qui par
conséquent sont inutiles.
« La discrétion apprend à connaître
celles qui sont utiles et à repousser les autres comme mauvaises
ou entraînant au mal. Elle apprend aussi à réprimer
le désir trop grand des sciences même utiles, parce que la
science enfle le cœur et engendre l’orgueil.
« La discrétion apprend à connaître
les choses utiles et porte à les étudier, à cause
de l’avantage qui ressort de l’étude tant pour soi que pour autrui.
Or, la première science, la première connaissance nécessaire,
c'est la science de Dieu, la connaissance de la religion, la science et
la connaissance du salut. Après celle-là viennent les sciences
secondaires qui facilitent le moyen de perfectionner la science du salut,
comme la lecture et l’écriture, par lesquelles on apprend par soi-même
et on retient ce que l’on a appris en le gravant sur le papier pour le
graver ensuite dans le cœur.
« La discrétion apprend à repousser les
sciences inutiles pour le bien, parce que ces sciences peuvent très
facilement entraîner au mal; elle apprend à repousser les
sciences dangereuses, la science du mal, parce que l'homme qui connaît
le mal peut l’opérer très facilement.
« La discrétion apprend à réprimer
le désir qu'on a de connaître ce qui regarde autrui, elle
porte aussi à ne point communiquer ce qu'on a appris quand il y
a des motifs suffisants pour ne point faire ces communications.
« Demandez à Dieu la discrétion, ma fille,
et vous croîtrez comme votre Sauveur en âge, en sagesse et
en grâce devant Dieu; vous apprendrez à connaître Dieu
de plus en plus, de plus en plus à vous attacher à lui et
à n’aimer que lui.
« L’économie est la dernière vertu qui a
rapport à la vertu de tempérance. L’économie est la
vertu qui règle l'usage convenable et nécessaire des choses
dont on se sert. Cette vertu a un triple objet, l'âme, le corps et
les objets matériels qui l’environnent.
« L’économie règle les forces de l'âme
en mesurant leur emploi, en donnant celles qui sont indispensables et n’employant
point celles dont l’usage serait superflu.
« L’économie règle les forces du corps en
mesurant la manière dont l'homme doit travailler, le travail qu'il
doit faire, l'heure et le temps dans lequel il doit le faire.
« Enfin, l’économie règle l'emploi des choses
extérieures que l'homme a à sa disposition, afin d’en user
selon ses besoins, et de ne point les dissiper d'une manière inutile.
« D’où vous voyez que l’économie est essentiellement
une conservation des forces de l'âme et du corps et des biens de
la fortune. Cette conservation des forces de l'âme tend à
les augmenter pour qu'elle grandisse et croisse en vertu par l’accomplissement
du bien et la conformation à la vérité, en appliquant
toutes ses forces quand il est nécessaire à cet accomplissement
et à cette conformation.
« Cette conservation des forces du corps tend à
les augmenter pour conserver à l'âme qu'il renferme sa vigueur
et sa fermeté, et permettre au corps soumis à l'âme
d’accomplir les actions nécessaires à la vie naturelle et
surnaturelle.
« Cette conservation des biens de la fortune tend à
les augmenter, afin de s’en servir ensuite selon les desseins de Dieu,
afin de secourir les pauvres et les malheureux, et de pourvoir soi-même
à des malheurs imprévus qui pourraient advenir. Ainsi, ma
fille, l’économie se rapporte à la tempérance et règle
en vous toutes vos actions selon l'ordre et la raison. Demandez à
Dieu toutes ces vertus, et quand Dieu vous les donne, tachez de les augmenter
et de les accroître par une correspondance fidèle à
l’inclination qu’elles mettront en votre âme. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 5
Je vais rapporter aussi ce que le Sauveur Jésus m'a dit,
en deux circonstances différentes, sur la pureté et les cœurs
purs. Je méditais un jour sur la passion. Je le considérais
dépouillé de ses vêtements par ses bourreaux : «
Si vous saviez combien j’ai souffert, ma fille, en ce moment! Vous ne le
comprendrez jamais, cela dépasse la portée de votre intelligence.
Quelle confusion j’éprouvais en me voyant en la présence
de mon Père, chargé de toutes les infamies, de toutes les
turpitudes, de tous les péchés dont les hommes s’étaient
rendus et devaient se rendre coupables, moi Dieu de sainteté! Ah!
Dieu seul a pu apprécier l’étendue de la honte et de la douleur
que j’éprouvais. Comprenez, du moins un peu, combien j'aime la pureté
et à quel prix je voudrais l’établir sur la terre. Les cieux
ne sont pas assez purs pour contenir ma sainteté et je viens habiter
dans vos temples; je descends sur vos autels et même dans votre cœur.
Priez Dieu de vous purifier de plus en plus, afin que de plus en plus vous
soyez digne de me recevoir. Jamais pour la communion vous n’auriez assez
de pureté, assez de sainteté, si mon amour n'y suppléait.
O sainte et aimable pureté! tu mérites l’honneur et le respect
des hommes, l’estime des anges et l'amour de Dieu. Comme un parfum suave
tu t’élèves jusqu'au ciel pour revenir ensuite sur la terre
avec la bénédiction de Dieu.
« Il y a, ma fille, trois sortes de pureté : la
première consiste à n’avoir aucun péché mortel
sur la conscience; la seconde dans l’exemption du péché véniel
et de l’attache à ce péché; la troisième dans
l’exemption ou le désir ferme d’exemption de toute imperfection,
dans la privation de toute attache aux choses créées et dans
l’amour parfait.
« Être pur, c'est être séparé
de toute attache déréglée; être pur, c'est ne
vivre qu'en Dieu, avec Dieu et pour Dieu; être pur, c'est renoncer
à tous les plaisirs les plus légitimes pour n’avoir qu'un
seul plaisir, la volonté de Dieu; et vivre comme cela, c'est ressembler
aux anges, c'est être un ange dans un corps mortel. O ma fille! Tendez
toujours vers la pureté la plus parfaite, en vous détachant
non seulement du mal, mais de ce qui est permis, pour ne vous attacher
qu'à moi; tout le reste ternirait votre pureté, votre innocence;
je serai pour vous ce qu'est le soleil pour un cristal très pur
qu'il pénètre et dont il rehausse l'éclat.
Quelque temps après Jésus me dit encore : «
Heureux les cœurs purs, ma fille, parce qu'ils verront Dieu. Ma fille,
il y a deux sortes de vision de Dieu : la vision en ses œuvres, et puis
en lui-même. Les cœurs purs ont la première de ces visions
sur la terre, ils les auront toutes les deux dans l’éternité.
« Dieu se manifeste par ses œuvres et dans ses œuvres.
Celui qui les voit peut et doit dire : Ces œuvres dont d'un Dieu. Il y
a deux sortes d’œuvres opérées par Dieu, les unes de création,
les autres de réparation et de rédemption. Ces deux œuvres
sont pleines de réalités; mais tous ceux qui ont des yeux
pour voir ne les voient pas; tous ceux qui ont des yeux pour les considérer
ne savent point y distinguer leur auteur. Il faut pour cela, ma fille,
voir un cœur pur, c'est-à-dire un cœur détaché du
péché, exempt du péché, un cœur où la
grâce habite, un cœur où la Divinité trouve un séjour
digne d’elle, un cœur où elle vienne demeurer et prendre son repos,
un cœur embelli des plus belles vertus, un coeur non de marbre et de pierre,
mais un cœur sensible, un cœur éclairé. Celui qui a le cœur
ainsi fait a des yeux pour voir, parce que Dieu est sa lumière,
et à la clarté de cette lumière, il aperçoit
le nom de Dieu écrit dans toutes ses œuvres. Il regarde le ciel
et dit : Le ciel est l’oeuvre de Dieu; la terre et il dit : C'est l’œuvre
de Dieu; le jour et il dit : C’est l’œuvre de Dieu; la nuit et il dit :
C'est l’oeuvre de Dieu; l’Océan et les mers et il dit : C'est l’œuvre
de Dieu. Celui qu a le cœur ainsi fait a des yeux pour voir, parce Dieu
est sa lumière, et, à la clarté de cette lumière,
il aperçoit le nom de Dieu dans toutes les œuvres de réparation
et de rédemption. Il regarde ma naissance et il dit : C'est là
l’œuvre de Dieu; ma vie et il dit : C'est là l’oeuvre de Dieu; ma
passion, mon humiliation, mes peines, mes souffrances, ma mort, et il dit
: C'est là l’oeuvre de Dieu; ma résurrection et il dit :
C'est là l’oeuvre de Dieu. Il regarde ma croix, mon tabernacle,
le sacrement de mon amour, tous les sacrements, mon Église, ma religion,
et il dit : C'est là l’oeuvre de Dieu.
« Ainsi, ma fille, se réalise la vérité
de cette parole : Heureux les cœurs purs, parce qu'ils verront Dieu. Mais
les cœurs purs ne verront pas Dieu seulement à travers le voile
de la création et comme dans une énigme dont ils ont trouvé
le nœud, ils le verront face à face, tel qu'il est dans sa gloire
au ciel, en lui-même. Ils le verront dans cette création première
qui est le ciel ou la manifestation de lui-même, et dans cette manifestation,
ils se rendront compte de la manifestation qu’il a faite dans le temps
par la création du monde, manifestation qu'ils ne pouvaient saisir
parfaitement alors qu'ils la voyaient avec les yeux du corps, mais qu'ils
comprendront sous tous ses aspects alors qu'ils l’auront quittée
pour jamais. Ils le verront dans sa vie, dans sa nature, dans ses relations
intimes avec les anges, dans ses relations avec les élus, dans ses
relations ave eux-mêmes, et cela fera leur bonheur et leur félicité.
Oui, heureux les cœurs purs, parce qu'ils verront Dieu!
« Ma fille, purifiez votre cœur de plus en plus; détachez-le
de vous-même et de vos inclinations; détachez-le du monde
et de tout ce qui est du monde; détachez-le de Satan et de ses inspirations
pour l’unir de la manière la parfaite à votre Dieu et Sauveur.
Ne vous découragez point, luttez contre vos imperfections; gémissez
sur la misère de votre nature; humiliez-vous profondément,
ouvrez vos yeux à ma lumière, votre oreille à ma parole,
votre âme à ma grâce et votre cœur deviendra pur. Alors
j’habiterai dans votre cœur, je me manifesterai à vous, non
pas seulement dans la création extérieure, mais dans votre
propre cœur. Je le disposerai comme une habitation de plaisance où
je veux demeurer; je vous en confierai la clef et vous m'y trouverez quand
vous vous sentirez l’attrait de venir à moi. Alors vous aurez dans
l’exil et dans cette vallée de larmes un avant-goût de la
réalisation de ma parole : Heureux les cœurs purs, parce qu'ils
verront Dieu; vos serez heureuse parce que vous me verrez. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 6
Le Sauveur Jésus m’a ainsi parlé des sept dons
du Saint-Esprit. Je ne sais pas trop si je me rappellerai ses paroles comme
il me les a dites. Je ferai comme je pourrai.
« Ma fille, me dit-il, je veux vous faire connaître
les dons du Saint-Esprit que la grâce sanctifiante communique à
l'âme. Ils sont au nombre de sept : Le don de sagesse et d’intelligence,
le don de conseil et de force, le don de science et de piété,
et le don de la crainte du Seigneur.
« Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes ou des inclinations
inhérentes à l'âme, distinctes des vertus surnaturelles
infuses, nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut,
et inséparables les unes des autres. Je vous les ai fait connaître
selon le rang de leur dignité. Les dons du Saint-Esprit sont inférieurs
en dignité aux vertus théologales, mais ils sont supérieurs
aux vertus morales.
« Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes infuses,
c'est-à-dire inhérentes à l'âme. Car, par la
grâce, l'Esprit-Saint habite dans l'âme et il y demeure avec
ses dons. Cette permanence du don n'est point par conséquent quelque
chose de transitoire, mais une réalité fixe qui demeure dans
l'âme, une inclination, une habitude qui la porte à agir selon
la tendance du don du Saint-Esprit.
« Vous ne savez pas comment il se fait que les dons du
Saint-Esprit soient distincts des vertus? Vous allez le comprendre facilement.
Les dons du Saint-Esprit seraient mieux appelés les inspirations
du Saint-Esprit, parce que ce mot indiquerait la nature même de ces
dons, c'est-à-dire qu'ils sont dans l’âme comme le souffle
de l'Esprit-Saint. Or, l’inspiration marque un mouvement venu de l’extérieur.
« Dans l'homme il y a deux principes de mouvement : un
principe intérieur, qui est la raison; un principe extérieur,
qui est Dieu. Or, pour le mouvement, il faut qu'il y ait proportion entre
l’objet du mouvement et son principe, et le mouvement sera parfait si le
moteur sait bien diriger la disposition mobile de l’objet qu'il veut mettre
en mouvement. De même, plus le principe du mouvement sera considérable,
et plus aussi l’objet doit avoir une disposition mobile plus considérable.
Un maître distingué, savant, érudit, élevé
dans la doctrine, demande nécessairement en son élève
une intelligence qui soit à la hauteur de son enseignement. Les
vertus humaines perfectionnent l'homme, selon qu'il est mû par la
raison à agir intérieurement ou extérieurement. Mais
il faut qu'il y ait en l'homme des perfections ou des vertus plus élevées
par lesquelles il soit disposé à recevoir en lui l’action
de Dieu. Les dons du Saint-Esprit sont ces perfections et ces vertus qui
soufflent sur l'âme, afin qu'elle reçoive le mouvement que
Dieu veut lui donner. Les dons du Saint-Esprit élèvent l'homme
à Dieu et le disposent à recevoir le mouvement qu’il veut
lui donner.
« Voilà pourquoi les dons du Saint-Esprit sont
inférieurs aux vertus théologales. Les vertus théologales,
en effet, attachent l'âme à Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit
ne font que la diriger et la mouvoir vers lui.
« Voilà pourquoi aussi ils sont supérieurs
aux vertus morales, parce que les vertus morales ne font qu’enlever les
obstacles qui éloignent de Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit
dirigent véritablement et meuvent vers Dieu.
« Les dons du Saint-Esprit sont nécessaires pour
opérer le bien et obtenir le salut.
« Les œuvres de l'homme sont perfectionnées de
deux manières : par la lumière naturelle qui est la raison,
et par la lumière surnaturelle donnée par les vertus théologales.
Mais cette perfection est imparfaite, puisque même avec ces vertus
vous ne connaissez et n’aimez Dieu qu’imparfaitement. Par conséquent
il faut à ces vertus une force différente d’elles-mêmes
pour les pousser à agir. La raison, n’étant éclairée
qu’imparfaitement par les vertus théologales, a besoin, pour tendre
avec plus de sûreté vers la fin surnaturelle, de l’inspiration
et du mouvement qui lui sont données par l'Esprit-Saint. Ceux qui
sont conduits par lui sont vraiment fils de Dieu et partageront son héritage
que nul ne peut atteindre, à moins d'y être poussé
par le souffle du Saint-Esprit. De même, l’éloignement des
obstacles qui l’empêchent d’aller à Dieu ne suffit pas à
la volonté de l'homme, il faut encore que cette volonté soit
poussée vers Dieu, c'est là l’œuvre des dons du Saint-Esprit.
« Par conséquent les vertus théologales
et morales ne suffisent pas à l'homme, il lui faut encore les dons
du Saint-Esprit pour lui faire atteindre sa fin dernière.
« Vous le comprenez, en effet, ma fille, si les vertus
théologales et morales donnent à l'homme de nombreuses connaissances
et éloignent de lui mille embarras, elles ne lui font point tout
connaître et ne lui rendent pas tout possible. Mais Dieu, qui est
tout-puissant et qui connaît tout, perfectionne en l'homme l'œuvre
de sa grâce par les dons du Saint-Esprit.
« Les vertus théologales et morales sont au nombre
de sept, de même on compte sept dons du Saint-Esprit qui perfectionnent
l'oeuvre de ces vertus.
« Les vertus théologales et morales reposent toutes
dans la raison ou dans la volonté, parce que la raison et la volonté
sont dans l'homme seuls principes d’action.
« La raison est spéculative, c'est-à-dire
observatrice; ou pratique, c'est-à-dire agissante. Or, dans la raison
spéculative comme dans la raison pratique, vous pouvez considérer
l’appréhension du bien ou de la vérité par la vue
de la vérité ou du bien, et par le jugement que vous en portez.
« Dans la vue de la vérité, la raison spéculative
est perfectionnée par le don d’intelligence, et la raison pratique
par le don de conseil.
« Dans le jugement de la vérité, la raison
spéculative est perfectionnée par le don de sagesse, et la
raison pratique par le don de science.
« Si, après la raison ou l’intelligence, vous considérez
la volonté et l’opération des vertus sur elle, vous verrez
que les vertus exercent la puissance de la volonté par rapport à
Dieu, à soi et aux passions.
« Or, cette puissance que développent les vertus
est perfectionnée par rapport à Dieu par le don de piété,
par rapport à soi par le don de force, et contre les passions par
le don de la crainte du Seigneur.
« Ces dons du Saint-Esprit sont tous donnés par
la grâce sanctifiante, et ils reposent sur la charité qui
unit l'âme à Dieu. Celui qui a la charité a en lui
tous les dons du Saint-Esprit; mais celui qui perd la charité, perd
aussi les dons du Saint-Esprit, c'est-à-dire qu'il n’éprouve
point l’effet du souffle de l'Esprit-Saint qui le pousse vers Dieu. »
Je ne me rappelle pas mieux que je ne viens de le dire cette
question.
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 7
Voici ce que le Sauveur Jésus m'a dit sur chacun de ces
dons :
« Je veux, me dit-il, vous parler de chacun des dons du
Saint-Esprit, vous apprendre à les estimer en les connaissant mieux.
« Ma fille, il y a trois sortes de sagesse : la sagesse
incréée qui est Dieu, la sagesse incarnée qui est
le Fils de Dieu fait homme, et la sagesse humaine ou la sagesse de l'homme.
« La sagesse incréée, c'est Dieu, ce sont
les trois personnes divines, inséparables les unes des autres, et
qui par leur sagesse ont tout créé, gouvernent et dirigent
tout. L’esprit de l'homme ne peut comprendre cette sagesse infinie, et
l’apôtre, ravi jusqu’au troisième ciel, en ayant aperçu
l’éclat quelques instants, n’en put rien dire que ces mots : O élévation
des trésors de la sagesse et de la science de Dieu!
« La sagesse incarnée, c'est la seconde personne
de la sainte Trinité, le Fils de Dieu fait homme, qui est venu manifester
d’une manière extérieure la sagesse incréée
par la réparation du désordre causé par le péché.
« La sagesse humaine se divise en deux : La sagesse selon
le monde, la chair et le péché, et la sagesse selon Dieu
et venue de Dieu. La première est la sagesse des méchants;
la seconde, celle des bons.
« La sagesse est une habitude de l'âme qui lui permet
de goûter les choses et de les juger, d’où vous voyez que
la sagesse des méchants est une habitude de leur âme qui produit
un goût et un jugement dépravés, tandis que la sagesse
des bons est une habitude qui produit un goût et un jugement parfaits
de toutes choses.
« C'est cette sagesse des bons qui est le premier don
du Saint-Esprit. Elle se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante;
elle se trouve même dans les enfants et les adultes baptisés,
qui n'ont point l’usage de la raison, à l'état d’habitude,
mais non à l’état de sagesse en acte, parce que ces actes
de sagesse sont empêchés dans les enfants et les adultes privés
de l’usage de la raison, à cause de ce défaut naturel qui
est en eux.
« La sagesse, don du Saint-Esprit, consiste pour tous
à goûter et à juger sainement ce qui est à Dieu
et en Dieu, comme ce qui est à la vie, de la vie et dans la vie,
pour opérer le salut en faisant tout ce que Dieu a prescrit pour
cela. Telle est la sagesse commune à ceux qui sont en état
de grâce sanctifiante.
« Il y a pourtant une sagesse, don du Saint-Esprit, qui
est plus élevée et que certaines âmes reçoivent
pour s’élever plus haut dans la contemplation des mystères
divins, dans la connaissance de ces mystères et le pouvoir de les
manifester à autrui, comme pour mieux connaître la direction
des actes de leur vie, selon la volonté de Dieu, connaissance dont
l’utilité ne s’arrête pas à eux seulement, mais retombe
aussi sur autrui. Mais cette sagesse est une des grâces purement
gratuites, et qui, considérées en elles-mêmes, ne concourent
pas à rendre plus agréables à Dieu ceux qui les ont.
« Les avantages de ce don de sagesse sont immenses. Celui
qui a le don de sagesse est chaste, pacifique, modeste, confiant à
la parole d’autrui, favorise le bien, pratique la miséricorde et
juge sans dissimulation.
« Car la sagesse ne fait pas seulement contempler Dieu,
elle régularise encore les actes de l'homme. Or, le premier effet
de cette régularisation est d’éloigner du péché,
par conséquent l'homme sage est aussi un homme chaste.
« Il est pacifique, car celui qui est sage n’éprouve
point de mouvements désordonnés, déréglés,
et tout en lui obéit à Dieu et à la raison; or, la
paix, c'est l’ordre, c'est le calme.
« Il est modeste, car si l'homme sage est éloigné
du péché, à plus forte raison de ce qui peut conduire
au péché.
« Il est confiant, il aime à recevoir des conseils,
à les écouter et à les suivre. Il favorise le bien,
ne l’empêchant jamais et cherchant au contraire à le développer
le plus possible. Il fait le bien lui-même et l’opère avec
empressement. Il est miséricordieux, car voyant que l'homme est
fait à l’image de Dieu, il a pitié de sa faiblesse, lui porte
secours et l’aide selon ses facultés. Il juge sans dissimulation,
c'est-à-dire qu'il ne craint point de montrer le mal quand il l’aperçoit,
pour le faire disparaître et avertir celui qui le fait de ne le point
faire. Et sa sagesse le portera à donner cet avertissement en termes
convenables et en circonstances opportunes pour ne point augmenter le mal,
mais le guérir complètement.
« Tel est le premier don du Saint-Esprit. Il affecte directement
la puissance intelligente de l'homme ainsi que les trois dons suivants,
savoir : le don d’intelligence, le don de science et le don de conseil
dont je vais vous parler. Mais, afin de vous mieux faire comprendre la
nature de ces dons, je veux vous montrer comment ils diffèrent et
le rôle qui leur est destiné.
« Ces quatre dons appartiennent à la connaissance
surnaturelle de l'homme qui est fondée sur la foi. Or, la foi se
porte immédiatement et directement sur la vérité première
qui est Dieu; puis sur quelques faits principaux dans l’ordre de la création
: l’incarnation et l’humanité du Sauveur, la rédemption de
l'homme, sa justification par la grâce, la création et le
gouvernement du monde; enfin, elle se porte sur la direction des actes
de l'homme, direction fondée sur les règles données
par Dieu.
« D’où vous voyez, ma fille, qu'il fait nécessairement
de votre part deux choses pour l’objet de la foi : d’abord que vous pénétriez
cet objet de votre croyance pour avoir la foi, et vous le faites par le
don d’intelligence, qui vous donne une certitude non de démonstration,
mais de persuasion tellement efficace que vous voyez clairement que vous
devez affirmer votre foi. Il faut que vous portiez sur l’objet de votre
foi un jugement droit, de telle manière que vous compreniez la nécessité
de vous attacher à ces objets et de vous éloigner de ceux
qui leur sont opposés. Or, ce jugement droit est formé pour
ce qui concerne Dieu par le don de sagesse, pour ce qui concerne la créature
par le don de science. Cela ne suffit pas, il faut encore que le don de
conseil vienne en vous pour l’application particulière de chacun
de vos actes.
« Vous allez mieux comprendre maintenant, ma fille, mes
explications sur ces dons du Saint-Esprit.
« La lumière naturelle qui permet à l'homme
de diriger ses actes et de les régler ne lui suffit point, parce
qu'il est destiné à une fin surnaturelle. Or, pour obtenir
cette fin, ce bien surnaturel, il lui faut une lumière surnaturelle
qui lui permette de voir cette fin et ce bien. Elle lui est communiquée
par le don d’intelligence.
« Le mot intelligence a plusieurs significations : il
signifie la nature de l'âme; il signifie la faculté de l'âme
qui est opposée à la volonté; il signifie une disposition
à percevoir les principes premiers en tant qu'il faut les affirmer
ou les nier, par exemple, qu'il faut aimer Dieu, qu'il ne faut point aimer
le mal; enfin, il signifie le don du Saint-Esprit.
« Considéré en lui-même, le mot intelligence
signifie connaissance intime d’une chose. Le don d’intelligence surnaturelle
est le don de la connaissance intime de ce qui est en Dieu, et des actions
à accomplir en vue de Dieu et pour Dieu.
« Le don d’intelligence n'est pas un don d’intelligence
purement spéculative, il est aussi un don d’intelligence pratique;
car ce don ayant rapport à la foi, il doit être comme la foi,
spéculatif et pratique. Or, le don d’intelligence ne se rapporte
pas uniquement à ce qui est immédiatement du domaine de la
foi, mais encore à tout ce qui est uni avec la foi, par conséquent,
les bonnes œuvres lui sont étroitement unies, puisqu’elles la vivifient,
car pour l’accomplissement de ces œuvres, il faut nécessairement
le don d’intelligence qui les règle et les ordonne.
« Le don d’intelligence se trouve dans tous ceux qui ont
la grâce sanctifiante, car la grâce sanctifiante dirige la
volonté vers le bien, et la volonté ne peut être dirigée
vers le bien, si elle ne le connaît pas. Quelquefois pourtant il
est enlevé à ceux qui se trouvent en état de grâce;
cependant ils le conservent autant qu'il leur est nécessaire pour
opérer le bien, se maintenir dans le bien et dans la voie du salut.
Mais il leur est enlevé pour qu'ils ne pénètrent pas
trop avant dans les secrets de Dieu et les vérités sublimes
de la foi. Cette élévation de leur esprit pourrait les enorgueillir,
et Dieu leur retire l’intelligence par laquelle ils s’élèveraient
à ce degré qui causerait leur ruine et leur perte.
« C'est ainsi, ma fille, que tout est disposé pour
le
bien de vos âmes dans la grâce de Dieu et les dons de son Esprit.
« Le don de science est le don qui vous fait connaître
tout ce qui est dans l’ordre de la création et des devoirs que vous
avez à remplir en vue de cet ordre, pour obtenir votre fin surnaturelle.
Par conséquent ce don vous apprend le chemin que vous devez tenir
et les dangers que vous devez éviter; l’usage que vous devez faire
des créatures; la manière dont vous devez en user ou la séparation
que vous devez établir entre elles et vous. Le don de science est
par conséquent un don qui tend nécessairement à l’action.
« Le don de conseil est un don surnaturel qui dirige,
règle et conduit les actes de l'âme qui a connaissance de
ses devoirs. Cette direction, cette conduite ne vient pas par le raisonnement,
mais par le conseil ou l’inspiration du Saint-Esprit. Ce don de conseil
fait donc éviter le mal dans les actes et toujours opérer
le bien; il vous mène dans toutes les actions qui tendent à
la vie éternelle, dans tout ce qui est, comme dans tout ce qui n'est
pas de nécessité de salut.
« Il vous est facile de comprendre, ma fille, quelle perfection
l’âme acquiert par ce don, car elle a par lui la rectitude même
de Dieu ou de l'Esprit-Saint qui dirige toutes choses sur la terre et dans
le ciel.
« Ces quatre dons du Saint-Esprit, ma fille, ont rapport
à l’intelligence; les autres, à la volonté de l'homme.
« Le don de force est mis dans l'âme par le Saint-Esprit
pour qu'elle résiste vigoureusement à toutes les adversités
de la vie, de quelque nature qu'elles soient, pour les lui faire traverser
avec fermeté et l’empêcher de succomber sous leur poids.
« Ce don de force se fait sentir par trois effets dans
l'âme : le premier qui la porte à attaquer et à prévenir
les difficultés de la vie; le second qui la porte à tout
supporter sans attaquer jamais, et le troisième à tout supporter
aussi, et non pas seulement un jour, mais plusieurs années et même
jusqu'à la mort.
« Or, vous devez remarquer encore, ma fille, que le don
de force ne doit point faire dire à l'âme qui l’a reçu,
que ce que le corps éprouve n'est pas un mal, n'est pas une douleur,
une souffrance; il suffit pour que le don de force opère, que l'âme
ne se laisse pas aller à la tristesse, au point de quitter la voie
du bien et de la vérité.
« Enfin, vous devez remarquer que la grâce de Dieu
se fait sentir tellement quelquefois à l’âme, qu'elle oublie
toutes les peines de son corps pour n’éprouver qu'une entière
et complète satisfaction, ce qui lui permet de s’écrier qu'elle
surabonde de joie au milieu de toutes ses tribulations.
« La pitié, ma fille, est un don du Saint-Esprit,
qui vous porte avec empressement et amour à rendre à Dieu
le culte intérieur et extérieur qui lui est dû, et
à vous soumettre en tout à sa volonté.
« La piété est un don de la vie présente
et aussi un don de la vie future.
« Le don de piété vous portera à
honorer Dieu, à lui rendre vos devoirs, parce qu'il est votre créateur,
votre souverain maître, votre Dieu, votre rédempteur, et qu’à
ces titres il mérite tous vos devoirs tant intérieurs qu’extérieurs.
Il vous portera à vous soumettre à toute les lois et pratiques
de la religion que vous devez observer. Il vous portera à l’aimer
et à vous donner tout entière à lui. Il vous portera
à rendre hommage aux saints parce qu'ils sont les temples glorifiés
de Dieu, à honorer surtout votre famille et à lui demeurer
toujours humblement soumise. Il vous portera à secourir les pauvres
dans les nécessités du corps comme dans celles de l'âme,
parce qu'il vous montrera en eux mon image. Il vous portera à passer
toujours au milieu des méchants sans les scandaliser par votre conduite,
et à vivre même parmi eux dans la pratique constante du bien
et de la vertu.
« Je vous ai dit, ma fille, que la piété
demeurera avec vous dans le ciel; vous y conserverez en effet ce don, mais
non tel que vous l’avez sur la terre; vous le conserverez pour demeurer
toujours attachée et unie à Dieu.
« Ma fille, il y a plusieurs sortes de crainte. La crainte
du pécheur, crainte excessive qui le fait tomber dans le désespoir
à la vue de la justice de Dieu et de ses jugements : cette crainte
est mauvaise.
« Celle des personnes qui redoutent les vengeances de
Dieu et qui pour cela accomplissent sa loi, n’osant commettre le péché
à cause du châtiment qui le suivrait. La loi est pour elles
un pesant fardeau. L'amour seul peut rendre le fardeau de la loi doux et
léger.
« Il y a une autre espèce de crainte, la crainte
des serviteurs. Ils accomplissent fidèlement toute la loi, ils regardent,
craignent et aiment Dieu comme leur maître. Ils craignent de lui
déplaire à cause des châtiments qu'ils encourraient
et de la perte de leur récompense. Ils l’aiment pour lui-même,
sans doute, mais ils l’aiment surtout pour leurs intérêts.
« La meilleure des craintes est celle des enfants de Dieu.
Ceux-ci regardent, aiment et craignent Dieu comme leur père; ils
ne considèrent ni le châtiment, ni la récompense, et
n’ont d’autre mobile de leurs actions que la volonté de leur Père
qui règne au ciel. Cette volonté est la seule loi qu'ils
reconnaissent et ils se soumettent à cette volonté pour être
agréables à Dieu, par amour pour lui, à cause de ses
infinies perfections et des bienfaits dont il les a comblés. Ne
sachant comment lui témoigner leur reconnaissance, ils lui offrent
toutes leurs actions et tout ce qu'ils possèdent. Désirant
l’aimer le plus parfaitement possible, et voyant que tout est imperfection
sur la terre et danger de lui déplaire, ils soupirent après
le ciel, non pour être plus heureux ou délivrés des
peines de la vie, mais pour ne plus offenser Dieu et l’aimer parfaitement.
Ils sont vertueux non à cause de la récompense qui les attend,
mais pour plaire à Dieu; et, après l’avoir servi fidèlement
toute leur vie, ils se verraient sans peine condamnés au feu de
l’enfer, pourvu qu'ils pussent là encore donner à Dieu leur
amour. S’ils tombent dans le péché, dans un moment de faiblesse,
loin de se décourager et de refroidir leur amour pour Dieu, ils
se relèvent avec courage, avec une ferme résolution de ne
plus pécher; ils vont se jeter entre les bras paternels du Seigneur,
ils lui demandent pardon et s’engagent à l’aimer désormais
davantage, à faire plus fidèlement en tout sa volonté.
S’ils demandent une grâce, ils la demandent comme la demanderait
un enfant à son père. Ah! Ma fille, combien ceux qui agissent
ainsi sont peu nombreux.
« Cette crainte filiale, c'est le Saint-Esprit qui la
donne à l'âme. Ceux qui ont cette crainte sont conduits par
l'Esprit-Saint. Aussi toutes leurs actions sont les actions des véritables
enfants de Dieu.
« Ce que je viens de vous dire, ma fille, des divers dons
du Saint-Esprit, vous en fait assez comprendre l’importance, la nécessité
et les immenses avantages. Le Saint-Esprit vous les a donnés dans
leur plénitude au jour de votre confirmation. Ne mettez jamais d’obstacle,
ma fille, à l’efficacité de ces dons. Laissez-vous conduire
par l'Esprit-Saint; il est Esprit de vérité, ils vous maintiendra
dans la vérité, il vous attachera à la vérité,
et par lui vous serez unie à Dieu et vos trouverez en Dieu la félicité.
»
Amour et reconnaissance soit à jamais à Jésus
au saint sacrement de l'autel. Amen.