édition numérique originale par JesusMarie.com, 2009 septembre 15.
LETTRE I, Nécessité
d’un directeur.
Monsieur le Curé,
Vous m’avez demandé si la
voix qui m’entretenait m’avait jamais parlé de mon directeur de
manière à former là-dessus une instruction. Je vous
ai déjà répondu que oui.
Le Sauveur Jésus, car il
me semble que c'est bien lui qui me parle, m’a donné plusieurs avis
sur ma manière d’agir vis-à-vis de mon directeur. Je l’ai
rappelé dans mes cahiers quand j’en ai trouvé l’occasion.
Mais, outre cela, il m'a parlé d’une manière toute particulière
de mon directeur dès le commencement où j'ai eu le bonheur
d’entendre sa voix. Il m'a parlé trois fois de suite sur ce sujet
et dans l’ordre suivant : Premièrement, de la nécessité
d’un directeur; secondement, de la manière d’agir avec un directeur;
troisièmement, des qualités d'un directeur.
Je vais rapporter le premier entretien,
savoir : de la nécessité d'un directeur.
" Ma fille, me dit un jour le Sauveur
Jésus après la sainte messe, je vous ai souvent recommandé
de parler à celui qui vous dirige de ce que vous éprouvez
dans vos relations avec moi. Vous ne vous êtes jamais demandé
à vous-même le motif de cette recommandation. Vous le comprendrez
plus tard. Vous ne vous êtes jamais demandé non plus pourquoi
vous avez non seulement un confesseur, mais aussi un directeur dans celui
à qui vous faites connaître les secrets de votre âme.
Je veux vous le faire comprendre et vous montrer comment il est nécessaire
qu'il en soit ainsi.
" Depuis la révolte du premier
homme, tous les hommes sont plongés dans les ténèbres;
ils ont des yeux et ils sont néanmoins incapables de se conduire
eux-mêmes dans la voie qui mène à Dieu. La vie, en
effet, est entourée de dangers, de périls, de précipices;
les ennemis de l'homme se dressent partout sur son passage, et voilà
pourquoi il faut à l'homme une lumière autre que celle de
son œil ou de son intelligence, pour qu'il puisse marcher sûrement,
et c'est ainsi, à l’aide de directeurs ou de conseillers, que tous
les hommes doivent poursuivre leur carrière vers l’éternité.
" Telle est la volonté de
Dieu. L'homme a péché par orgueil et voulu marcher par sa
propre lumière, il est puni par où il a péché,
et jusqu'à la fin des siècles l'homme marchera dans la voie
du salut d'après les lumières d’autrui.
" Vous savez ce qui se passait dès
le commencement du monde. Les chefs de famille étaient les conseillers
de toute la famille; et comme ils ne pouvaient trouver dans leurs enfants
les conseillers dont ils avaient besoin pour eux-mêmes, c'était
Dieu qui leur faisait entendre sa voix et leur prêtait ses lumières
et ses conseils. Tels étaient les chefs de famille, les patriarches,
les législateurs, les juges, les prophètes et les pontifes
du peuple de Dieu. Les conseils de ces hommes inspirés de Dieu étaient
la lumière du peuple.
" Quand le moment fut venu, je vins
moi-même pour être le conseiller universel de l’humanité.
Je vins lui rendre la lumière, la vérité et la vie.
J’ai répandu cette lumière, cette vérité et
cette vie dans mes apôtres, et, à travers les générations,
elles passent par le sacerdoce de ceux que j'ai choisis pour mes ministres,
éclairant les intelligences, les nourrissant de la seule nourriture
véritable, les vivifiant et les portant chaque jour par une vie
plus forte et plus généreuse au centre de la vie qui ne finira
jamais.
" Ainsi donc, ma fille, l'homme
doit se servir d'un conseiller ou d’un directeur, parce que Dieu a réglé
ainsi le commerce de la vie surnaturelle.
" Voyez l'homme, ma fille dans le
commerce de la vie naturelle; il consulte, il demande avis, conseil et
lumière; fût-il le plus savant, le plus éclairé,
le plus sage des hommes, il se défie de lui-même, il a recours
à autrui. La vie surnaturelle, à plus forte raison, demande
qu'on agisse ainsi, si l’on veut marcher droit dans cette vie, ne point
se perdre ni faire fausse route.
" Vous comprenez, en effet, ma fille,
que la vie surnaturelle est d'une importance bien autre que la vie naturelle
qui est pour le temps, tandis que l’autre est pour l’éternité.
Voilà pourquoi, si vous examinez le monde surnaturel, vous verrez
tous les saints, les plus grands docteurs, le docteur des nations lui-même,
frappé sur le chemin de Damas, demander à autrui conseil
et lumière pour marcher vers Dieu.
" Seul, je puis me passer de conseil
et de lumière, parce que je suis le conseil et la lumière
de tous; mais tous les hommes sont soumis à marcher d’après
la lumière d’autrui, non d’après leur lumière et leurs
conseils.
" Les hommes les plus savants et
les plus sages pour diriger les autres ressemblent à des aveugles
qui se trouvent sur un chemin seuls et sans guide, quand ils veulent marcher
d’après leur propre sagesse. Ils tâtonnent, ils vont à
pas lents pendant quelques jours et puis ils tombent dans des abîmes.
Car l'homme est aveugle pour ce qui le concerne lui-même, il prend
aisément ce qui est vicieux et défectueux pour le bien ou
la vertu, et l’erreur est pour lui une cause de chute et de mort. Il tombe,
parce qu'il n'a personne pour le guider; il meurt, parce qu'il n'a point
le secours d'un ami qui le retire d'un précipice.
" Vous devez voir clairement, ma
fille, que si Dieu a voulu que tous les hommes eussent un directeur, et
si un directeur est chose si nécessaire que même sans la volonté
expresse de Dieu tous les hommes devraient en avoir un, combien il vous
importe d'être dirigée dans le chemin du salut par un guide
autre que vous-même.
" Oui, ma fille, vous avez besoin
d'un directeur, afin qu'il vous apprenne ce que vous ignorez : la science
du salut, la science de la vie surnaturelle. Bien que par bonté
pour vous je veuille vous instruire moi-même, il est nécessaire
que vous soumettiez mes instructions à votre directeur, afin que
vous appreniez par lui et que vous sachiez d'une manière certaine
que vous pouvez recevoir mes enseignements, et vous y conformer parce qu'ils
ne renferment rien de contraire à la vérité sur l’objet
de votre foi, de votre espérance, de votre charité et des
actions de toute votre vie. Vous craignez d'être victime d’illusions;
qui vous rassurera, si ce n'est votre directeur?
" Vous avez besoin d'un directeur,
afin qu'il vous exerce dans la pratique de toutes les vertus, afin qu'il
vous indique les moyens d’éviter les péchés et qu'il
règle votre discrétion dans l’accomplissement de vos devoirs
envers Dieu.
" Vous avez besoin d'un directeur
pour accroître vos mérites de l’éternité et
votre couronne du ciel, par votre obéissance et votre soumission
à tout ce qu'il vous prescrira. L’obéissance à la
voix de votre directeur vous donnera une plus grande ressemblance avec
moi qui faisais toujours sur la terre la volonté de mon Père.
" Vous avez besoin d’un directeur,
parce que la vie est pleine de misères, de tribulations et d’épreuves;
il faut donc une parole pour consoler dans les tribulations, un secours
pour fortifier dans les combats. Or, voilà ce que vous trouverez
dans votre directeur.
" Enfin, ma fille, vous avez besoin
d'un directeur, parce que vous êtes, comme tous les enfants d’Adam,
victime du péché, entraînée au mal, sujette
à offenser Dieu.
" Suivez donc les lumières,
les conseils et les avis que vous recevrez de votre directeur. Ne vous
affligez pas si je vous ai enlevé celui qui vous avait le premier
montré la voie. Je vous le dis en vérité, vous bénirez
ma providence un jour de vous avoir placée entre les mains de celui
que je vous ai envoyé. "
Tel a été, Monsieur
le Curé, le premier entretien. Je vous livrerai les deux autres
dans le courant de la semaine; mes occupations ne me permettent pas de
les écrire aujourd’hui.
Je vous offre, Monsieur le Curé,
mes sentiments les plus respectueux et je vous prie de me croire,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 1er mai 1842.
LETTRE 2, Manière d’agi vis-à-vis
d’un directeur.
Monsieur le Curé,
Voici le second entretien du Sauveur
Jésus. Il m'a appris dans cet entretien de quelle manière
je devrais me conduire vis-à-vis de mon directeur.
" Ma fille, me dit-il, je veux vous
apprendre comment vous devez vous conduire vis-à-vis de votre directeur.
Il y a en vous deux manières d’agir, l’une intérieure, l’autre
extérieure : la première consiste dans les sentiments intimes
de votre âme, la seconde dans vos actes ou relations extérieures.
" Quelle doit être votre conduite
intérieure par rapport à votre directeur? Par quoi doit-elle
être réglée? Ma fille, c'est par des sentiments de
foi et de religion.
" Votre directeur est revêtu
de mon sacerdoce, c'est-à-dire de la dignité la plus grande
qu’il soit possible de communiquer à un homme. Il est prêtre,
il tient ma place, il agit comme j’agirais moi-même, il a tous mes
pouvoirs. Vous devez par conséquent me regarder comme vivant en
sa personne; vous devez m’honorer en l’honorant, me respecter en le respectant;
écouter ma voix en écoutant sa voix, m’être soumise
en lui donnant votre soumission; vous devez enfin avoir pour lui les sentiments
de la plus grande et de la plus sincère reconnaissance : vous devez
l’aimer comme le père spirituel de votre âme, comme votre
guide, votre conseiller et votre sauveur, car il continue près de
vous le rôle de sauveur que je lui ai communiqué, comme je
le communique à tous mes prêtres.
" Ces sentiments seront aussi la
règle de votre conduite extérieure.
" Si vous agissez avec foi et religion,
vous vous ferez connaître à votre directeur avec simplicité,
lui disant tout ce que vous savez, ne lui cachant rien, lui communiquant
vos secrets et vos peines les plus intimes, vous lui parlerez comme à
Dieu, que vous ne voudriez point tromper, parce qu'il connaît tout,
même les plus secrètes pensées; vous lui parlerez comme
à Dieu, c'est-à-dire comme à votre père, avec
confiance et abandon, espérant tout de lui, et vous abandonnant
à lui avec cette persuasion qu'il agira le mieux possible pour vous
éclairer, pour vous secourir et vous aider dans les combats ou les
épreuves de votre vie.
" Vous vous soumettrez à
sa volonté comme à ma propre volonté. Vous ne discuterez
point avec lui. Vous vous en rapporterez à sa sagesse. Vous serez
entre ses mains comme un instrument plein d’intelligence pour accomplir
ce qui lui aura été prescrit.
" Il vous est permis, néanmoins,
en certains cas, d’exposer humblement avec déférence une
observation, mais il fait le faire toujours avec l’intention de ne point
vous obstiner, et d’agir ensuite selon la volonté de votre directeur
quand il aura reçu votre observation.
" En agissant ainsi, ma fille, votre
conduite sera irréprochable, votre conduite sera pleine de mérites,
et vous obtiendrez la récompense que j’ai promise à ceux
qui écoutent ma parole. Je viendrai en vous et je ferai en vous
ma demeure. "
C’est ainsi que le Sauveur Jésus
m'a dit d’agir vis-à-vis de mon directeur.
Je ne sais si en toute circonstance
j’ai agi ainsi; mais mon désir le plus vrai est de me conformer
toujours à cet enseignement.
Oui, Monsieur, je veux me soumettre
en toutes choses à ce qu'il vous plaira de me conseiller ou de m’ordonner.
Je veux n’avoir point d’autre volonté que la vôtre.
Pour ce qui concerne la franchise
ou la simplicité avec laquelle je vous découvrirai tout ce
qui se passe en moi, je vous assure que mon intention bien formelle est
de ne vous rien cacher, et si je ne vous dis pas tout, c'est que je l’aurai
oublié.
Permettez-moi, Monsieur le Curé
et très vénéré Père en Notre-Seigneur
Jésus-Christ, de vous offrir tous les sentiments de respect et de
piété filiale que le Sauveur m'a recommandé d’avoir
pour vous.
Votre très humble et très
obéissante servante,
Marie.
Mimbaste, 5 mai 1842.
LETTRE 3, Les qualités du
directeur.
Monsieur le Curé,
Le sujet du troisième entretien
du Sauveur Jésus a été des qualités du directeur.
" Ma fille, me dit-il, un directeur
doit montrer la voie, par conséquent il doit être prudent;
il doit enseigner la vérité, par conséquent il doit
être savant; il doit fortifier la vie surnaturelle, par conséquent
il doit être plein de charité.
" La prudence est la première
qualité d’un directeur. Sans la prudence, comment un directeur pourrait-il
faire éviter les écueils semés à chaque pas
dans le chemin de la vie? Comment saurait-il prendre les moyens les plus
propres à arrêter le mal, à éviter le péché,
à dissiper la tiédeur, à former à une piété
franche, solide et pleine de fermeté? Sans la prudence, comment
un directeur donnera-t-il conseil dans les diverses positions des âmes?
Agira-t-il vis-à-vis d'un pécheur comme vis-à-vis
d'une personne déjà avancée dans la perfection? À
l’égard d'une âme faible comme à l’égard d’une
âme pleine de vigueur? Sans la prudence, il fera faire fausse route
aux âmes qu'il dirigera, il ne leur montrera point la voie droite
qui mène à Dieu.
" La seconde qualité d'un
directeur, c'est la science. La science doit être unie à la
prudence. Elles sont réciproquement leur aide et leurs secours respectifs.
Un directeur peut avoir en lui une certaine rectitude de jugement, une
certaine sagesse naturelle qui lui permettra dans les cas ordinaires d'être
utile aux âmes qu'il dirige; mais s’il n'est point savant, ne sera-t-il
pas arrêté à chaque pas? Ne ressemblera-t-il pas à
un aveugle qui en conduit un autre et qui tombent tous deux dans le précipice?
Comment montrera-t-il la vérité, s'il ne la connaît
pas lui-même? Comment jugera-t-il, s'il ne sait point la manière
dont il doit juger?
" C'est au directeur des âmes
que l'Esprit-Saint s’adresse par la bouche du prophète quand il
dit : Instruisez-vous, vous qui jugez la terre.
" Rien n’est aussi nécessaire
que la science à un directeur, car sans la science il perd les autres
et se perd lui-même. Malheur aux âmes dirigées par un
ignorant! Malheur aux ignorants directeurs des âmes!
" Ma fille, un directeur doit être
plein de charité. Il doit vivre dans la charité de Dieu,
pour donner aux autres la vie de la charité.
" La charité le rend juste,
vertueux, zélé : juste, et par sa justice lui permet de travailler
à la justice d’autrui; vertueux, et par sa vertu lui permet d’engager
et d’exhorter les autres à la pratiquer aussi; zélé,
et lui fait tout oublier pour ne penser qu’au salut des âmes. Il
ne pense point à ses avantages, à son bonheur, à sa
tranquillité. Son repos, c'est la fatigue après la brebis
errante; son repos, c'est la fatigue à la ramener vers Dieu; son
repos, c'est le salut de cette âme.
" Il se sacrifie, et ne désire
que se sacrifier de plus en plus pour sauver des âmes.
" Telles sont les qualités
d'un directeur; il ne peut être par lui-même prudent, savant
et vertueux; ou bien sa prudence n'est que folie, sa science qu’ignorance
et sa vertu qu'une vertu humaine et sans fondement.
" C'est Dieu qui donne la prudence;
un directeur doit la demander chaque jour dans ses prières, afin
que chaque jour il la voie croître et grandir pour le bien des âmes
qu'il dirige.
" C’est Dieu qui donne la science,
surtout la science du salut. Un directeur doit la lui demander dans ses
prières, afin qu'il soit toujours à même d’éclairer
les aveugles qu’il peut trouver sur son chemin.
" C’est Dieu qui donne la charité.
Un directeur doit la lui demander chaque jour afin qu'il travaille sans
relâche au salut des âmes, qu'il fasse passer cette vertu en
elles, et qu'il mette ainsi union parfaite entre Dieu et les âmes.
" Toutes les qualités d’un
directeur sont contenues dans ces trois qualités. Heureuses les
âmes dont le directeur est prudent, éclairé et vertueux!
Qu’elles écoutent sa voix, elles marcheront dans le chemin de la
vérité. "
Voilà, Monsieur, les trois
entretiens du Sauveur Jésus sur le directeur. Je ne sais si je n’ai
rien omis. J’ai dit tout ce que je me rappelais et de la manière
dont j’ai su m’exprimer.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’assurance de ma soumission filiale et de mon plus profond respect avec
lequel je suis.
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 7 mai 1842.
LETTRE 4, Il faut progresser dans
le bien. Motifs et moyens de ce progrès.
Monsieur le Curé,
Le Sauveur Jésus m'a ainsi
parlé, ou bien si ce n'est point lui, c'est quelqu'un que je ne
connais pas et que je ne puis faire connaître; je ne puis dire autre
chose, si ce n'est qu'il a toujours la même voix, toujours les mêmes
traits et qu'il m’entretient depuis l’époque que j’ai fixée.
Voici les paroles qu’il m'a adressées
: " Ma fille, votre vie doit être une vie de progrès dans
le bien et l'amour de Dieu. Il faut qu'elle ressemble à une lumière
dont la clarté augmente de plus en plus. Voilà pourquoi je
recommandais, quand j’étais sur la terre, de ne point regarder en
arrière, mais d’aller toujours en avant.
" Je veux vous montrer la nécessité
de ce progrès. Vous vous êtes donnée à moi,
vous m’avez consacré votre coeur, votre esprit, votre âme,
tout ce qui est en vous, tout ce qui vous appartient. Vous m’avez promis
de m’aimer tous les jours de votre vie, et de faire tous vos efforts pour
accroître et augmenter votre amour pour moi. Ce que vous m’avez promis
hier vous lie aujourd'hui, vous liera demain et toujours. Une promesse
comme celle que vous m’avez faite ne peut et ne doit être résiliée.
Je vous ai comblée de mes
grâces les plus insignes; je m’entretiens avec vous dans la familiarité
d’un père avec son enfant, je fais briller la lumière dans
votre âme, je vous console dans vos peines et vos afflictions, je
vous soutiens dans votre faiblesse, je me découvre à vos
regards, je vous laisse voir une partie de ma gloire du ciel, je verse
chaque jour sur votre tête mes plus paternelles bénédictions,
et je ne vous demande qu'une seule chose, que vous avanciez dans la pratique
du bien et l'amour de Dieu. Pourriez-vous refuser ce que je vous demande,
quand je ne vous refuse rien, quand je préviens même vos désirs,
quand je vous accorde ce que vous n’auriez même jamais pu espérer
d’obtenir, parce que vous en êtes indigne?
" Je vous ai donné le premier
l’exemple, ma fille, afin que vous fassiez comme moi, quand j’étais
sur la terre; vous devez donc vivre de telle manière qu'on puisse
vous rendre un jour ce témoignage : elle croissait en sagesse, en
âge et en vertus devant Dieu et devant les hommes; elle a passé
en faisant le bien.
" D’ailleurs, ma fille, une âme
ne peut rester dans le même état, il faut qu'elle avance dans
le bien ou qu'elle décline par le péché; car celui
qui n’amasse point avec moi dissipe, et dissiper est une injure qu’on me
fait, qui arrête mes grâces et qui attire le courroux et la
vengeance de ma justice.
" Vous devez avancer enfin et progresser
dans le bien et l’amour de Dieu, parce que je vous en ai fait un ordre.
Je vous ai dit à vous-même ce que j’ai dit à mes apôtres
: soyez parfaite comme mon Père céleste est parfait. Or,
pour cela, il faut nécessairement que vous progressiez toujours,
parce que vous ne trouverez jamais sur la terre un terme à votre
perfection, et qu'il vous restera toujours un long chemin à parcourir.
Ne vous arrêtez donc jamais, marchez toujours; ne craignez point
la fatigue, vous trouverez le repos à votre peine et à vos
labeurs.
" Or, pour cela, ma fille, vous
devez chaque jour vous considérer comme si vous étiez au
commencement et n’aviez rien fait encore; vous devez oublier ce que vous
avez corrigé de défectueux pour ne penser qu'à ce
que vous devez corriger encore, ce que vous devez faire encore, les marques
d’amour que vous avez données à Dieu pour chercher de quelle
manière vous pourrez l’aimer davantage.
" Pour progresser dans le bien et
l'amour de Dieu, vous devez correspondre à toutes les grâces
qu'il vous donne, vous devez de plus en plus vous détacher du monde
et de vous-même et vous donner plus entièrement à Dieu.
" Pour progresser dans le bien et
l’amour de Dieu, vous devez vous défier de vous-même, avoir
toujours sous les yeux votre faiblesse et votre impuissance, pour ne compter
que sur Dieu et le secours de son bras.
" Pour progresser dans le bien et
l’amour de Dieu, il faut enfin le vouloir; si vous le voulez, vous progresserez
parce que Dieu le veut aussi. Si Dieu le veut, il vous en donnera les moyens;
si vous le voulez, vous ne rejetterez aucun de ces moyens et votre vie
sera véritablement une vie de progrès. "
Telles sont les paroles que j’ai
entendues, je vous les rapporte le plus fidèlement que je le puis,
et je vous prie, Monsieur le Curé, d’agréer les sentiments
de ma sincère vénération et de mon plus profond respect.
Je ne saurais trop, Monsieur le
Curé, me recommander à vos prières, afin que Dieu
veuille avoir pitié de moi et ne permette jamais que je me sépare
de lui et de l'amour que je lui dois.
Je suis, avec le plus entier dévouement,
Monsieur le Curé,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 26 mai 1842.
LETTRE 5, Du bon exemple.
Monsieur le Curé,
Je ne veux rien vous cacher, mais
au contraire vous faire connaître tout ce que je vois, tout ce que
j’entends, tout ce que j’éprouve.
Je viens vous soumettre ce que m'a
dit sur le bon exemple celui qui me parle de temps en temps durant mon
oraison ou pendant la sainte messe. " Ma fille, m’a-t-il dit, je vous ai
souvent répété cette parole : Je vous ai donné
le premier l’exemple, afin que vous fassiez comme j’ai fait. Aujourd'hui,
je veux vous entretenir du bon exemple que vous devez donner à autrui.
" Donner le bon exemple, ma fille,
c'est comme l’indique le mot lui-même, servir d’exemple aux autres
pour le bien. Je suis la première forme exemplaire du bien; je suis
le bien par excellence; je me suis incarné pour montrer le bien
aux hommes. Toutes mes actions ont été pendant ma vie une
manifestation du bien. J’ai toujours agi selon le bien, je ne pouvais agir
autrement sans cesser d'être Dieu. Voilà pourquoi j'ai dit
avec autorité au monde entier : je vous ai donné le premier
l’exemple afin que vous fassiez comme j'ai fait, et dans une autre circonstance,
m’adressant aux pharisiens, je leur dis : qui, parmi vous, pourra m’accuser
de péché? Les hommes sont tenus d’agir comme moi, c'est-à-dire
de soumettre toujours leur volonté à la volonté de
Dieu, de chercher toujours ce qui peut être agréable à
Dieu, de vivre unis avec Dieu par l’accomplissement fidèle de sa
loi et par la plus ardente charité.
" Ma fille, vous devez donner le
bon exemple, et vous le donnerez en marchant sur mes traces, en suivant
celui que je vous ai donné. Donner le bon exemple, c'est servir
de modèle à autrui, non seulement en évitant le mal,
mais encore en faisant le bien, et par l’accomplissement de ce bien porter
les autres à faire bien aussi.
" Une bonne action est comme une
lumière brillante qui montre le bien aux yeux de ceux qui agissent
selon le bien et les maintient dans cette voie, et qui le montre aussi
à ceux qui agissent mal pour leur faire comprendre leur malheur
d’agir de cette sorte.
" Une bonne action est un soutien
et un appui pour les bons comme pour ceux qui ne le sont point : pour les
bons parce qu'elle les retient dans la voie droite; pour les mauvais, afin
de les retirer du mal et de les aider à marcher vers le bien.
" Une bonne action a une force et
un crédit plus puissant que les paroles les plus fortes et les plus
accréditées; voilà pourquoi j'ai commencé par
donner le bon exemple avant d’enseigner.
" Le bon exemple est la meilleure
prédication. Or, tous peuvent et doivent prêcher, non point
par la parole, mais par l’exemple. Je n’ai choisi que quelques âmes
pour prêcher par la parole, mais j’ai fait un ordre à tous
les hommes de prêcher par le bon exemple, et ceux qui prêchent
par la parole doivent faire comme moi, prêcher d’abord par l’exemple.
" Vous devez donner le bon exemple
dans toutes vos actions extérieures, en vous tenant partout dans
la réserve et la modestie, veillant sur vos yeux pour ne les porter
jamais sur rien d’indécent ou de déshonnête; en observant
vos paroles pour ne jamais rien dire qui puisse offusquer le prochain ni
offenser Dieu, mais pour dire toujours des choses conformes à la
charité, à l’amour de Dieu et du prochain; en marchant sans
cesse d'après les lumières de la foi dans vos entreprises,
dans vos œuvres, dans vos déterminations; en éloignant tout
ce qui manifeste adhésion au parti du démon, du monde, de
la chair et du péché, et observant tout ce qui plaît
à la vertu, à la sainte Église, à votre Sauveur,
à votre Dieu.
" N’agissez jamais, ma fille, afin
d'être vue, considérée ou approuvée par les
hommes; n’agissez jamais par amour-propre ou satisfaction personnelle,
mais agissez toujours dans l’intention de n'être point pour autrui
une pierre d’achoppement, dans l’intention de ramener à Dieu autant
que vous le pourrez, par vos actions bonnes et conformes à la volonté
divine, ceux qui s’éloignent de lui. Vous acquerrez ainsi un double
mérite, celui de vos actions et celui des actions bonnes que vous
inspirerez à autrui. "
Je termine, Monsieur le Curé,
en me recommandant à vos prières, et vous renouvelant l’assurance
de mes sentiments les plus respectueux.
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 2 juin 1842.
LETTRE 6, Du scandale.
Monsieur le Curé,
Un jour, après la sainte
communion, le Sauveur Jésus m'a ainsi parlé du scandale :
" Ma fille, me dit-il, une des choses
que j'ai le plus recommandées pendant ma vie à mes disciples,
c'est la fuite du scandale; je vous le répète, le monde sera
maudit à cause de ses scandales. Malheur aussi à l'homme
qui scandalise!
" Le scandale, c'est l’exemple du
mal donné à autrui par une parole ou une action qui n'est
point, en entier ou en partie, conforme au bien.
" Le scandale, c'est l'action mauvaise
des autres, accomplie après et par suite de l’audition d'une parole
ou de la vue d'une action qui n'est point, en entier ou en partie, conforme
au bien.
" Le scandale enfin, c'est l’action
mauvaise des autres, accomplie sous le faux prétexte d'une parole
entendue ou d'un acte vu qu'on dit coupable, quand même cette parole
ou cette action n'ont en rien que d’innocent.
" Celui qui accomplit une action
et prononce une parole coupables ou revêtues d’apparence de culpabilité
avec l’intention d’entraîner le prochain dans le mal, celui-là
est coupable du premier scandale, quand même son action demeurerait
sans effet. Il est coupable encore de cette sorte de scandale par la parole
qu'il prononce ou l’acte qu'il accomplit, n’eût-il pas l’intention
de scandaliser, si par cette parole ou cette action il entraîne au
mal son prochain.
" Celui qui, entendant une parole
déréglée ou voyant une action criminelle, se laisse
entraîner à parler ou agir de la même manière,
est coupable de la seconde espèce de scandale.
" Celui qui, entendant une parole
bonne et convenable ou voyant une action qui n'a rien que de conforme au
bien, l’interprète volontairement en mauvaise part pour agir lui-même
d'une manière criminelle, est coupable de la troisième espèce
de scandale.
" J’appelle le premier scandale,
scandale infernal, parce qu’à l’exemple des démons, celui
qui donne ce scandale travaille à la ruine des âmes. C'est
de ce scandale que j'ai dit : Malheur à l'homme par qui le scandale
arrive!
" J’appelle le second scandale,
scandale des enfants, parce que les enfants sont plus susceptibles, à
cause de leur faiblesse ou de leur ignorance, de se laisser entraîner
au mal en le voyant, ou bien parce que ceux qui se laissent entraîner
au mal par sa vue sont faibles comme des enfants. C'est pour faire éviter
ce scandale que j'ai dit : Si quelqu'un devait être un sujet de scandale
pour un de ces petits enfants qui croient en moi, il vaudrait mieux pour
lui qu'on attachât à son cou une meule de moulin et qu'on
le jetât au fond de la mer.
" J’appelle le troisième
scandale, scandale d’aveuglement. C'est de ce scandale que j’ai dit à
mes disciples des pharisiens qui s’étaient scandalisés de
mes paroles : Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles.
" Ces trois sortes de scandale sont
des péchés plus ou moins graves, selon la réflexion
plus ou moins grande de celui qui veut entraîner au mal; selon que
son acte, cause ou occasion de péché, est plus ou moins coupable;
ou moins considérable; selon que l’acte criminel, posé et
fondé injustement sur un autre acte qui n'est nullement défendu,
est plus ou moins opposé à la règle du bien.
" Voyez, ma fille, combien la première
sorte de scandale est un grand péché. Je m’arrête sur
ce scandale parce que le scandale des enfants n'est que la conséquence
du scandale infernal, et que le scandale d’aveuglement n'est point un véritable
scandale.
" Celui qu scandalise, en effet,
offense Dieu par l'acte mauvais qu'il accomplit. Il se révolte contre
Dieu, il brise le joug du Seigneur pour s’incliner sous celui de Satan.
Ce n'est pas tout, en même temps qu'il est fils rebelle à
Dieu, il est ministre plein d’activité du prince des ténèbres;
il le remplace d'une manière visible sur la terre dans son œuvre
de destruction et de ruine éternelle pour les âmes. Son acte,
c'est une semence de mort jetée sur les âmes; c'est une pierre
lancée sur le chemin du ciel pour précipiter dans les enfers
ceux qu'elle rencontre; c'est un filet qui captive et retient pour le mal
celui qui n'a pas la force de le briser ou de l’éviter. Son acte,
c'est un homicide, non pour le temps, mais pour l’éternité.
O ma fille, malheur, malheur, trois fois malheur au scandaleux!
" C’est moi qui exercerai ma vengeance
sur lui. C'est moi qui lui demanderai compte de toutes ces âmes pour
lesquelles j'avais répandu mon sang sur le Calvaire, pour lesquelles
j’étais mort sur la croix, et qu'il a perdues, qu'il a de nouveau
livrées à Satan et abîmées éternellement
dans les gouffres de l’enfer.
" Ces âmes étaient
ma propriété, elles étaient le prix de mon sang :
il me les a ravies, malheur à lui! Mon sang se dressera sur sa tête
et retombera sur son front plus terrible que sur le front des Juifs qui
l’ont versé.
" J’apparaîtrai au scandaleux
dans toute la fureur d'un père dont a tué l’enfant, d'un
rédempteur à qui l’on a ravi celui qu'il avait sauvé,
d'un Dieu auquel on donne ses malédictions et les malédictions
d’autrui, tandis qu’on ne lui devait qu’amour, louange et remerciement.
Que répondra-t-il à ma colère, que répondra-t-il
à mon amour paternel irrité contre lui, parce qu'il a séparé
de moi pour jamais des âmes que j’affectionnais comme Dieu et comme
Sauveur? Pourra-t-il supporter la sévérité de mon
regard? Pourra-t-il supporter les reproches de ma voix? Tout s’élèvera
au dehors pour demander vengeance contre le scandaleux, et tout en moi
lui apparaîtra exerçant cette vengeance. Il y aura désormais
entre lui et moi une séparation éternelle. O ma fille, malheur,
malheur, trois fois malheur au scandaleux!
" Ma fille, fuyez le scandale comme
un des péchés qui m’affligent le plus. Qu'il n'y ait jamais
rien dans vos paroles, dans vos regards, dans vos habits, dans votre tenue,
dans vos actions qui puisse scandaliser votre prochain. Il faut souvent
peu de chose pour scandaliser une âme et la perdre à jamais.
" Craignez d'avoir part aux malédictions
que j'ai lancées contre le monde et ses scandales.
" Ne scandalisez point; réparez,
au contraire, même les scandales des autres qui devraient les réparer
eux-mêmes et qui ne le font pas. "
Ainsi ma parlé le Sauveur
Jésus. Sa voix était forte et terrible comme le tonnerre,
quand il menaçait les scandaleux, et pénétrait jusqu’au
fond de mon âme.
J’étais saisie de crainte;
il m’a rassurée en me disant de m’unir à lui, de demeurer
attachée à lui, et qu'en agissant ainsi j’éviterais
le scandale.
Je serais bien coupable et bien
ingrate envers le Sauveur Jésus, si je pouvais jamais m’oublier
à ce point de scandaliser personne. Non, jamais je ne le ferai volontairement;
puisse-t-il arriver que je ne scandalise jamais, même contre ma volonté,
et par suite de ma faiblesse et de mon inclination au mal; je me recommande,
à cet effet, à vos ferventes prières.
Recevez, Monsieur le Curé
et très respectable Père en Notre-Seigneur, l’offrande des
sentiments de vénération profonde et d’entière soumission
à tous vos désirs,
De votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 8 juin 1842.
LETTRE 7, De l’union de l'âme
avec le corps. Comment l'âme est la vie du corps. Union des puissances
de l'âme. Du rôle de chaque faculté dans la constitution
du péché.
Monsieur le Curé,
Le Sauveur Jésus m’a donné
un jour un enseignement que je viens vous soumettre. Voici comment il m'a
parlé, et comment j'ai retenu ses paroles.
" Ma fille, me dit-il, je veux vous
expliquer ce qu'on ne vous a jamais expliqué, savoir : l’union de
l'âme avec le corps, la manière dont l'âme anime et
vivifie le corps, et les rapports qui existent entre les puissances de
l'âme.
" L’âme est un être
spirituel, qui n'a ni corps, ni figure, ni couleur, de telle sorte qu'elle
ne peut tomber sous les sens. Elle est indivisible, parce quelle est spirituelle;
elle est le principe vital du corps : séparé de l'âme,
le corps est sans vie. Or, comme Dieu est le vivificateur de toutes choses
et que tout ce qui a vie l'a reçue de lui, l'âme vient de
Dieu. Elle est donc éternelle dans son principe, puisqu’elle vient
de Dieu; elle est éternelle aussi dans sa fin, car elle ne finira
jamais.
" Dieu a fait l'âme à
son image et l'a douée de qualités en rapport de ressemblance
avec ses attributs divins. L'âme pense, juge, connaît, veut,
parce que Dieu veut, connaît, juge et pense. Elle a reçu une
imitation de l’immensité de Dieu par son agilité qui lui
fait parcourir en un clin d’œil toute l’étendue de la terre, et
lui permet de se transporter de la terre au ciel, et du ciel au plus profond
des enfers.
" L'âme est un esprit doué
de facultés, Dieu a donné à cet esprit un instrument
pour l’exercice de ses facultés, c'est le corps dans lequel elle
habite, qu'elle vivifie, qu'elle anime, qu'elle met en mouvement comme
il lui plaît.
" Le corps a plusieurs membres qui
ont chacun un usage particulier et qui sont tous animés par l’âme.
L'âme est indivisible. Elle est aussi bien dans la plus petite partie
du corps que dans la plus grande; elle y est toute entière. Cependant
il n'y a pas plusieurs âmes dans un seul corps; il n'y a qu’une,
bien que le corps ait plusieurs parties.
" Voilà pourquoi quand un
homme perd un de ses membres, un bras, une jambe, un œil ou une partie
de lui-même, à moins que cette partie ne soit une partie essentielle,
comme le cœur ou la tête, l’âme demeure tout entière
dans le corps, bien qu'elle n’agisse plus dans la partie qui a été
enlevée. Elle agirait en l'homme sur ce membre enlevé, s'il
n’était point enlevé; si elle n’agit plus, c'est qu'il n'est
plus uni avec le corps, et par conséquent sous l’action de l'âme.
" L’âme habite dans tout le
corps, mais elle a pour siège particulier la tête et le cœur.
C'est de là qu'elle répand sa vitalité dans tout le
corps, qu'elle se rend présente dans toutes ses parties, qu'elle
les vivifie toutes, qu'elle les met toutes en mouvement, qu'elle commande
à toutes. Voilà pourquoi si on enlève la tête
ou le cœur à un homme l'âme qui n'a plus son siège
principal se sépare du corps qui demeure sans vie.
" L'âme, pour user d’une comparaison,
est comme un cercle, dont les rayons appartiennent au cercle et ne font
qu'un avec le cercle; toutes les facultés appartiennent à
l'âme et ne font qu'un avec elle.
" Les diverses facultés de
l'âme sont : l’imagination, la mémoire, l’entendement, la
volonté et la raison.
" L’imagination est la faculté
de l'âme par laquelle elle se représente les choses ou les
objets, ce qui vous montre combien l’ouïe et la vue ont un grand rapport
avec elle. L’imagination jette à la mémoire, avec qui elle
a une union intime, les objets qu'elle a vus ou les choses qu'elle a entendues.
L’entendement est comme la chambre du conseil de ce qui se passe dans l'âme.
Il voit les choses, les considère, les examine et les présente
à la volonté, selon le jugement qu'il en fait. Il a pour
conseiller et pour flambeau la raison.
" Il faut que la raison et l’entendement
soient d’accord, sans cela on ne fait point le bien. La raison sans l’entendement
ne peut rien, et l’entendement sans la raison ne marche point dans la voie
droite. L’entendement reçoit les lumières de la raison et
celles de Dieu. Lorsque les lumières de Dieu sont plus grandes,
plus apparentes ou plus claires que celles de la raison, l’entendement
doit toujours les préférer. Quand Dieu laisse l’entendement
aux lumières de la raison, c’est d’après ces lumières
qu'il doit se diriger.
" Quand l’entendement a jugé
une chose, il la présente à la volonté comme à
la reine et à la supérieure des autres facultés. Si
ce qui lui est proposé lui plaît, la volonté l’agrée;
s'il en est autrement, ou qu'elle s’en défie, elle le renvoie à
l’entendement et demande un second conseil. L’entendement scrute de nouveau
dans la mémoire et l’imagination et tâche de faire agréer
ce qu'il présente.
" Le démon accourt toujours
dans le conseil qui se forme parmi les facultés de l'âme,
il cherche à répandre ses ténèbres et à
faire réussir le plaidoyer selon ses vues.
" Mais la volonté a un censeur,
un témoin de ses actes, une voix qui lui dit qu'ils sont bons ou
mauvais, qu'elle peut agréer ou refuser ce qui lui est présenté;
c'est la conscience.
" Si la volonté agit contre
le sentiment de sa conscience, celle-ci élève la voix qui
n'est autre que la voix de Dieu, et qui est chargée de reproches
amers et incessants. Si la volonté agit selon le sentiment de la
conscience, tout se conserve en bonne harmonie et en paix parmi les facultés
de l'âme, parce qu'elles sont réglées selon le bien.
Quand la conscience est satisfaite, toutes les facultés sont dans
la jouissance de la paix et de la tranquillité; quand elle fait
entendre des reproches, tout est dans le trouble, parce que la conscience
fait germer le remords dans l'âme.
" Ainsi donc, quand l’entendement
consulte la volonté, la volonté doit écouter la voix
de la conscience et agir d'après cette voix.
" Telle est l’union des facultés.
" Je veux maintenant vous parler
de l’esprit. L’esprit est la partie la plus subtile et la plus spirituelle
de l’imagination. C'est le souffle qui met en mouvement toutes les autres
facultés de l'âme. L'esprit est ce qui fatigue le plus la
volonté, ce qui lui donne le plus de peine; car malgré ses
soins et sa vigilance, souvent elle n’en est point maîtresse, il
lui échappe, elle ne peut le retenir. Il se transporte où
il veut, sans que les distances, les portes ou les murailles soient pour
lui un obstacle; il va dans le ciel et dans les enfers; il pénètre
même le coeur d'une personne; il est toujours en mouvement, il n'a
jamais un moment de repos. Quand il est en dehors des facultés,
elles sont calmes et tranquilles; s'il revient dedans, il les met toutes
en mouvement, il les occupe toutes; il leur donne à toutes travail
et activité.
" La volonté est plus ou
moins maîtresse de l’esprit, selon qu'elle lui donne plus ou moins
de liberté.
" Il y a diverses sortes d’esprits.
Les uns sont turbulents, inconstants ou légers, les autres pesants
et assoupis; ceux-ci vifs et pénétrants, ceux-là réfléchis
et avisés. Tous ont en eux cette partie spirituelle et subtile de
l’imagination, mais tous ne l’ont pas au même degré; de là
leur diversité.
" Si l’esprit, comme je vous l’ai
dit, met toutes les facultés en mouvement, c'est de lui que procèdent,
comme d'un premier principe intérieur, tous les actes de ces facultés.
" L’esprit siège dans la
tête et dans le coeur; c'est là qu'il accomplit toutes ses
opérations, dans la tête par les idées, dans le coeur
par les pensées.
" Quand une idée est formée
dans l’esprit, celui-ci la présente à la mémoire qui
la communique à l’entendement. Celui-ci consulte la raison, et puis
il juge selon les lumières qu'il reçoit de Dieu, de la raison
et de l’esprit. Quand il a jugé, il présente son jugement
à la volonté; la volonté le présente à
la conscience qu'elle consulte comme son censeur. La conscience, par les
lumières qu'elle reçoit de l’entendement et le rapport intime
qui est entre eux, fait connaître son sentiment à la volonté,
et la volonté agit selon le sentiment de la conscience pour avoir
la paix, ou bien elle en appelle à un second conseil. Celui qui
a présenté l’idée à l’esprit et l’a formée
en lui préside à ce conseil, savoir Dieu, le démon
ou l’esprit lui-même, chacun tâchant de faire réussir
sa cause.
" Toutes les idées qui viennent
de Dieu sont bonnes; celles qui viennent du démon sont mauvaises
ou tendent au mal; celles qui viennent de l’esprit sont indifférentes.
Elles n'ont point toutes la même intensité dans le bien ni
dans le mal, parce que l'esprit qui les élabore n'a pas en tout
la même force, la même vigueur, le même souffle. L'esprit
tire sa force de Dieu qui la lui donne, mais il l’augmente avec les connaissances
qu'il acquiert par l’étude et l’application. Quand l'esprit cherche
à augmenter sa force, toutes les facultés lui prêtent
secours, et puis, à son tour, il leur fait part des connaissances
qu'il a acquises pour les perfectionner elles-mêmes.
" L'esprit prend son origine dans
l’imagination et siège par conséquent dans la tête
où réside cette faculté de l'âme. Il siège
aussi dans le coeur par les pensées.
" Les pensées, comme les
idées, ont plusieurs principes. Elles viennent de Dieu, du démon,
de la nature corrompue ou de l'esprit lui-même.
" Que les pensées viennent
de l'un ou de l'autre de ces principes, elles sont présentées
à la volonté qui les livre à l’entendement, afin qu'elles
soient jugées comme les idées. Ce commerce intérieur
s’appelle réflexion, considération, méditation.
" Puisqu'il y a plusieurs principes,
il doit y avoir plusieurs sortes de pensées. Celles qui viennent
de Dieu étant formées par le souffle de sa grâce, sont
toutes bonnes. Celles qui viennent du démon, de la nature corrompue
ou de la partie inférieure de l'âme, sont mauvaises ou tendent
au mal; celles qui viennent de l'esprit sont indifférentes, elles
deviennent bonnes si elles sont saisies par Dieu, sa grâce et son
esprit; mauvaises, si le démon ou l’entraînement au mal prend
empire sur elles.
" Or, pour toutes les pensées,
comme pour les idées, il n'est pas nécessaire de tenir toujours
conseil; la volonté seule, par les lumières et les connaissances
qu'elle reçoit de l’entendement, les accueille ou les rejette, selon
qu'elle croit devoir le faire. Ce serait un travail trop pénible
et trop fatigant qu'un jugement séparé et distinct formé
par le conseil de toutes les facultés de l'âme, pour chaque
idée et chaque pensée.
" Ce conseil n'a lieu que pour les
grandes pensées, les pensées graves et importantes. Dans
les autres cas, la volonté agit comme un avocat qui donne ses avis
pour des affaires de peu d’importance, selon les lumières qui sont
en son esprit, et qui ne fait un plaidoyer selon les règles que
devant les juges et le tribunal de justice.
" L'esprit est indépendant
de toutes les autres facultés, et la volonté les domine toutes.
La volonté pourtant règne plus dans le cœur que dans la tête,
parce que c'est dans le coeur qu'elle réside.
" La volonté est reine et
maîtresse des autres facultés; mais il lui faut un maître
à elle aussi, c'est Dieu ou Satan.
" Dieu et Satan se la disputent,
l'un et l'autre lui demandent la préférence. Tant que la
volonté délibère, elle est en de rudes combats.
" Dieu et Satan plaident chacun
leur cause devant la volonté, en montrant les avantages de leur
parti respectif. Or, comme Dieu ne trompe jamais, il montre non seulement
les avantages, mais aussi les peines et les difficultés qui se présenteront
sous son drapeau. Le démon, au contraire, montre les roses et cache
les épines; il parle de plaisirs et de jouissances; il ne dit mot
des peines et des tribulations dont il abreuve ceux qui l’écoutent.
" Dieu parle à la volonté
par les mouvements de sa grâce, par les consolations de la vertu,
par les avis et conseils des hommes sages et surtout de ses ministres.
" Satan parle à la volonté
par le plaisir et les vanités du monde, les mauvais exemples, les
paroles et les discours des hommes perverses, et leurs railleries contre
la religion.
" La raison et la conscience viennent
au secours de la volonté et la conseillent. La raison est la lumière
de la volonté; la conscience, la voix qui lui dit de marcher selon
cette lumière. La conscience et la raison ont les rapports les plus
intimes. Elles sont presque toujours du même avis. Voici les principes
et les sentiments de la conscience : fais le bien, évite le mal.
Ne fais point à autrui ce que tu ne voudrais point qu'il fit à
ton égard; rends à chacun ce qui lui est dû.
" Si la volonté agit contre
la conscience, celle-ci le lui reproche. La conscience est l’organe de
Dieu, comme la nature corrompue est l’organe de Satan. Aussi, quand la
volonté agit selon la conscience, c'est-à-dire selon Dieu
dont elle est l’organe, elle a pour ennemis le démon, le monde,
la nature corrompue ou la partie inférieure de l'âme, mais
Dieu lui donne grâce et secours pour la faire triompher de ses ennemis.
Dieu retire ses grâces à celui qui suit le parti du démon;
il le poursuit par le remords, car il est écrit qu'il n'y a point
de paix pour l’impie. Suivre le parti de la conscience, c'est marcher dans
le chemin de la vertu, car la conscience est le germe merveilleux qui développe
le bien en vous. Suivre la voie de la nature corrompue, c'est marcher dans
le chemin du vice, car la nature corrompue est le germe déplorable
qui développe le mal dans les âmes.
" Telles sont les luttes et les
combats des facultés en face de Dieu et de Satan. Malheur à
l'âme qui s’habitue à donner la victoire à Satan contre
Dieu! le dernier combat sera un combat de mort pour elle et de victoire
pour Dieu. Heureuse l'âme qui s’attache toujours à Dieu! elle
aura vite affaiblie ses ennemis, et Dieu l’illuminera de sa lumière,
la fortifiera par ses grâces et la verra toujours d’un œil de complaisance.
Le démon cherchera, mais en vain, à la troubler : la paix
se trouve dans le service de Dieu.
" Quand la volonté se révolte
contre Dieu, la conscience devient le témoin de Dieu, et la mémoire,
le livre où s’inscrit cette révolte, qui est plus ou moins
coupable, selon que le consentement est plus ou moins parfait et la matière
plus ou moins considérable. "
Vous penserez de ceci ce qu'il vous
plaira. J'ai connu que le Sauveur aurait eu de bien plus grandes lumières
à me donner là-dessus, et je confesse que, par moi-même,
je suis non seulement incapable de les acquérir, mais même
d'avoir su jamais ce que je viens d’écrire, s'il ne me l’avait appris
lui-même.
Il me les a apprises lui-même
avec bonté et je les ai retenues naturellement et sans difficulté
comme pendant le jour mon œil reçoit et conserve la lumière
du soleil, comme mon oreille reçoit et conserve, autant que cela
est nécessaire, les paroles prononcées qu'elle entend. Ses
instructions se sont gravées aussi facilement en moi que l’empreinte
des doigts de ma main sur une cire molle.
Comment cela s’opère-t-il?
Je ne le sais point, mais il en est ainsi, et je me soumets à la
volonté de Dieu comme je me soumets à votre volonté,
qui ne peut et ne doit pas être différente de la volonté
de Dieu, puisque vous êtes revêtu du caractère sacerdotal,
selon l’ordre de Melchisédech, comme Jésus-Christ mon Sauveur.
Je suis fille de Dieu par le baptême, je suis aussi votre fille en
Dieu et vous me représentez l’autorité de Dieu lui-même.
Je dois par conséquent me soumettre à votre volonté,
attendre, écouter et suivre toutes vos décisions. Or, pour
cela, je dois me montrer à vous telle que je suis et ne vous rien
cacher; je le fais ainsi.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’assurance de mes sentiments très respectueux avec lesquels je
suis,
Votre très humble servante,
Marie
Mimbaste, 11 juillet 1842.
LETTRE 8, De la viduité.
Devoirs et obligations d’une veuve. L’église catholique modèle
des femmes veuves.
Monsieur le Curé,
Je viens soumettre avec confiance
à votre jugement l’enseignement que j’ai reçu sur l’état
de viduité.
" Ma fille, me dit le Sauveur Jésus,
la femme est soumise à son mari et lui doit obéissance tant
qu'il vit. La mort seule peut rompre ses liens, mais elle les rompt entièrement;
de telle sorte qu'elle peut contracter un nouveau mariage, car elle est
libre. Si cette femme ne peut garder la continence, si elle ne se sent
point assez de force, de vigueur et de courage pour demeurer chaste en
sa viduité, qu'elle se lie par un nouveau mariage. Mais qu'elle
se garde de chercher cette nouvelle union uniquement pour satisfaire ses
passions; qu'elle se marie pour plaire à Dieu dans l’observation
de ses lois et de ses commandements, et la pureté de son âme.
Pour cela, il lui est permis de chercher à plaire à celui
qu'elle choisit pour son époux; mais dans cette recherche, qu'elle
n’oublie pas qu'il doit y avoir en elle plus de gravité que si elle
n’avait point été mariée, et que jamais elle ne doit
permettre rien de contraire à la volonté de Dieu. Elle doit
agir comme je vous l’ai indiqué dans les relations entre deux fiancés.
Tel est, ma fille, le droit d’une veuve; elle peut se marier une seconde,
une troisième, une quatrième fois si elle devient libre une,
deux ou trois fois par la mort de son mari.
" Néanmoins, ma fille, il
est bien glorieux pour une veuve de ne point contracter un second mariage
et de demeurer fidèle à son époux, même mort.
D’ailleurs, si elle a une véritable affection pour celui qu'elle
a perdu bien que les liens du corps soient rompus elle ne voudra pas rompre
et briser les liens du coeur; elle n’usera de la liberté qui lui
a été donnée que pour servir Dieu avec plus de fidélité
et avancer de plus en plus dans la vertu.
" Quelles raisons une veuve pourrait-elle
donner afin de se marier de nouveau? Sa jeunesse, sa faiblesse, la recherche
d’un appui et d’un soutien? Mais la jeunesse est-elle donc une obligation
pour un second mariage? La faiblesse? Est-ce donc le mariage qui donne
la force, ou bien le Très-Haut, qui s’appelle de Dieu fort, le Tout-Puissant?
La recherche d’un appui et d’un soutien? Est-ce donc sur quelqu’un qui
a lui-même besoin de soutien qu'elle espère pouvoir se soutenir
suffisamment? Faut-il jamais préférer l’appui d’un homme,
trop faible pour se soutenir lui-même, à celui de Dieu, qui
soutient le monde entier?
" Sans doute, comme je vous l’ai
déjà dit, il est permis à une veuve de s’unir encore
en mariage; mais en vérité je vous le dis, il est bien plus
parfait qu'elle ne le fasse point et bien plus convenable qu'elle s’ensevelisse
dans la retraite, au souvenir de son époux enseveli dans le tombeau.
" Il en est peu qui comprennent
ces paroles; heureuses celles qui les comprennent et les mettent en pratique!
" Heureuses les veuves qui, dès
le premier jour de leur veuvage, prennent des habits de deuil et de tristesse,
qu'elles ne quittent que pour le suaire blanc de leur tombeau!
" Heureuses les veuves qui vivent
de telle manière que tous ceux qui les voient disent non-seulement
: Voilà une veuve! Mais encore : Voilà une veuve chrétienne!
" Heureuses les veuves qui sont
ainsi en spectacle aux hommes et aux anges par leur retenue et leur modestie!
" Une veuve ne doit point chercher
à plaire au monde par ses ajustements, ni par la somptuosité
de ses habits. Elle ne doit point vivre, comme vit le monde, dans le bruit
et le tumulte. Elle ne doit point chercher les assemblées du monde,
fréquenter les places, ni les promenades publiques. Son unique occupation
doit être de chercher à plaire à Dieu. elle doit fuir
toutes les pompes extérieures, toutes les parures, tous les ornements
du corps et ne s’occuper que de rendre son âme de plus en plus belle,
de plus en plus ornée de vertus, de plus en plus enflammée
par l’amour de Dieu. Il faut que toute sa beauté soit intérieure.
Peu importe que les hommes ne voient et ne pénètrent point
cette lumière dont resplendira son âme. Dieu la verra bien,
cela doit lui suffire.
" Néanmoins il ne doit y
avoir rien de désordonné dans une veuve. Qu'elle soit toujours
vêtue d’une manière convenable à sa condition, mais
avec simplicité et sans apprêt.
" Une veuve, plus que personne,
doit comprendre que les plaisirs de la vie sont passagers et fugitifs,
que tout disparaît promptement sur la terre, qu'il n'y a point de
joie de longue durée et que par conséquent elle ne doit point
y attacher son cœur. Les joies, les satisfactions, le contentement, la
paix ne doivent pourtant pas être éloignés d’elle;
elle les trouvera non point dans la chair, non point dans les sens, non
point dans le monde, non point dans la vie animale et terrestre, mais en
Dieu, joie, félicité, bonheur, paix et consolation des âmes.
Qu'elle s’attache à Dieu, et Dieu lui donnera dans sa vie chaste
et pure les chastes et pures délices dont il enivre les âmes
qui ont les yeux levés au ciel.
Dieu ne manque jamais aux âmes
qui le prennent pour la part de leur héritage, qui s’abandonnent
à lui, qui lui demandent secours et appui, qui lui donnent le nom
de père et le regardent comme tel. Il est spécialement le
Dieu des veuves et des orphelins, c'est-à-dire qu'il veille davantage
sur eux. Les veuves et les orphelins ont en effet peu de secours et d’appui
sur la terre, mais ils ont l’appui et le secours de Dieu; Dieu les garde,
les protège et les délivre de tout danger. Qui donc affligera
celui que Dieu console ? Qui attaquera celui que Dieu défend ? Qui
menacera celui que Dieu protège ?
Une veuve doit mettre toute sa confiance
en Dieu et s’abandonner à lui, marcher en sa présence et
tendre avec un grand désir vers la perfection.
" Pour cela elle doit veiller sur
sa maison, sur ses intérêts temporels, non pour s'y attacher,
mais pour en faire l’usage le plus convenable et le plus en rapport avec
les sentiments pieux et charitables que Dieu met dans son coeur. Elle ne
doit point rester oisive. Elle doit travailler selon sa condition. Elle
doit nourrir son cœur de bonnes pensées, de saints désirs,
de sentiments de charité envers Dieu et le prochain, faire de bonnes
œuvres selon ses facultés et ses loisirs. Elle doit veiller soigneusement
sur sa chasteté, fuir toutes occasions dangereuses, garder sa réputation
intacte et à l’abri de toute détraction. Elle l’obtiendra
si elle est vigilante, si elle s’observe, si elle est modeste, réservée,
éloignée du monde. Toute détraction injuste, toute
calomnie tombera d’elle-même, si jamais elle en était victime
par la perversité des méchants.
" Une veuve ne doit point oublier
que la chasteté pour elle comme pour tous est un don de Dieu ; par
conséquent, elle doit la demander à Dieu souvent, tous les
jours, ne point se croire plus forte qu'elle ne l’est, se rappeler que
toute chair est faible et que Dieu seul accorde la victoire sur les passions,
et entretient le cœur humain dans le bien, la vérité et la
vertu.
" Dieu ne lui refusera pas ce qu'elle
lui demandera avec un cœur pur et droit, il la fortifiera, il la rendra
inébranlable comme une colonne d’airain.
" Une veuve, ma fille, trouve un
modèle accompli de la manière dont elle doit se comporter
et agir pendant sa vie. L’Église, que j’ai acquise par mon sang
et que j’ai établie sur la terre, est mon épouse. Je suis
son époux. Or, depuis mon ascension, mon épouse est demeurée
veuve parce que je suis monté au ciel. Je suis et je serai néanmoins
avec elle par le sacrement de mon amour et par mes grâces, mais je
ne serai avec elle d'une manière visible que dans le ciel. Or, ma
fille, que fait l’église ? Elle a constamment les yeux fixés
sur moi. Son cœur m’est uni par des liens indissolubles. Elle vit dans
la fidélité de l'amour qu'elle m’a juré, et elle persévérera
jusqu’à la fin. Elle ne s’attache point aux biens périssables
de ce monde. Je suis sa richesse, son tout. Elle ne soupire qu’après
le moment de ma possession. Elle ne demande que la consommation pour l’éternité
de notre union dans le royaume de mon Père. Elle passe en faisant
le bien.
" Que les veuves agissent ainsi,
qu'elles s’attachent à Dieu et coulent le reste de leur vie dans
la pratique du bien.
" Ce que je viens de vous dire,
ma fille, d'une femme qui a perdu son époux, je le dis aussi d’un
homme qui perdu son épouse. Il peut se marier de nouveau ; il fera
mieux de ne pas contracter un second mariage.
" Qu'il agisse comme je l'ai indiqué
pour une femme veuve, car l'homme, comme la femme, a une âme à
sauver, un Dieu à aimer et à adorer. Il a comme elle des
devoirs à remplir. Heureux celui qui est fidèle et marche
dans la crainte et l’amour de Dieu ! "
Telle est l’instruction que m'a
donnée le Sauveur Jésus. Il me semble avoir dit à
peu près toutes ses paroles.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’assurance de ma profonde vénération.
Votre très-humble servante,
Marie.
Mimbaste, 15 octobre 1842.
LETTRE 9, Signes auxquels on reconnaît
l’esprit de Dieu dans les visions ou les révélations.
Monsieur le Curé,
Le Sauveur Jésus m'a dit
un jour : " On craint que ce ne soit pas ma parole que vous entendez. Afin
de détromper ou de rassurer ceux qui vous dirigent, je veux vous
indiquer la différence qui existe entre une personne trompée
par le démon ou égarée par son imagination et celles
qui sont conduites par l’Esprit de Dieu. Faites connaître mon enseignement
à ce sujet, et qu'on vous juge après sans crainte de se tromper.
" Ma fille, à quels signes
reconnaît-on le principe des choses extraordinaires qui se passent
dans une âme vertueuse? Je vais vous l’indiquer. Si le démon
ou l’imagination sont le principe de ces merveilles en cette personne,
elle demeurera encore vertueuse, au moins extérieurement. Mais examinez
sa conduite et sa manière d’agir; vous y découvrirez promptement
un orgueil secret, une certaine fierté, un attachement à
tout ce qu'elle éprouve et très peu de docilité. Elle
sera sans douceur, mansuétude, humilité et simplicité.
Si elle obéit, elle obéira par orgueil. Si l’orgueil ne trouve
pas de soutien dans son obéissance, elle n’obéira pas. Elle
parlera beaucoup à tout le monde et avec plaisir de ce qu'elle éprouve;
ou bien elle le cachera et n’en dira rien, pas même à son
directeur; elle usera de détours et de ruses, elle manquera de droiture,
de simplicité. Ces signes sont infaillibles; une personne orgueilleuse,
insubordonnée, hypocrite et fausse n'est point une personne conduite
par l’Esprit de Dieu, mais par les penchants de sa nature corrompue.
" Celles, au contraire, qui sont
dirigées par l’Esprit de Dieu sont humbles, soumises et unies à
Dieu, indifférentes à toutes choses, sans volonté
propre et obéissant en tout, sans chercher ou demander raison des
ordres qu'elles reçoivent.
" Elles ne parlent à personne
de ce qu'elles éprouvent. Elles restent dans l’oubli et le silence
de leur coeur; elles en parlent pourtant à leurs directeurs, et
c'est là le premier mouvement que j’inspire à leur âme.
" Les unes en parlent facilement,
mais toujours avec cette humilité qui est le signe distinctif de
mon esprit et de mon cœur; les autres n’en parlent qu’avec peine, elles
en parlent néanmoins et gagnent plus de mérite en surmontant
leur peine à parler de ce qui se passe entre elles et moi.
" Naturellement le directeur de
ces personnes cherchera à les éprouver. Il leur fera même
subir des épreuves très pénibles et très difficiles.
Elles supporteront tout sans se plaindre et avec une patience admirable,
parce qu'elles auront toujours mon exemple sous leurs yeux. Rien ne les
rebutera, elles se soumettront à tout. Elles feront aujourd'hui
ce qu’on leur commandera et ne le feront plus demain si on le leur défend.
Elles agiront moins par elles-mêmes que d’après la volonté
de leur directeur. Elles auront foi à sa parole comme à ma
propre parole et ne se fieront nullement sur elles.
" À ces signes on reconnaîtra
l’esprit de Satan ou mon esprit en ces personnes, les mouvements de mes
grâces les plus signalées.
" Quelquefois, c'est mon esprit
qui travaille une âme comme un laboureur le champ de sa famille;
mais le démon veut y semer l’ivraie de son esprit et étouffer
le bien que j’ai fait à cette âme.
" Voici la manière d’agir
du démon. Écoutez-moi attentivement.
" Le démon, ma fille, n’agit
pas de la même manière vis-à-vis de toutes sortes de
personnes. Il consulte le caractère, l’inclination, la force ou
la faiblesse de chacun; il considère l’état des âmes,
leur amour pour moi ou leur peu d’affection, et puis il commence habilement
son œuvre.
" Il voit une personne pieuse comblée
d'une de ces grâces si admirables et si admirées parmi les
saints. Que fait le démon? Il essaye de la porter à la vanité,
de lui faire comprendre qu'elle doit être quelque chose puisqu’elle
a reçu de pareilles grâces. S’il est repoussé, il ne
se décourage point, il revient à la charge et il l’importune
si fort que, si cette âme n’y apporte prompt remède et ne
court à moi dans ces circonstances, le souffle du démon sera
en elle comme un levain qui la fera fermenter dans la révolte contre
son Sauveur par l’orgueil le plus coupable et le plus criminel.
" Une autre personne reçoit
les mêmes faveurs. Que fera le démon? Il lui inspirera de
les tenir cachées, de n’en parler à personne. Ainsi il troublera
sa paix et son repos et la détournera, par ces inquiétudes,
de Dieu et de la vertu.
" Que fera le démon vis-à-vis
d'une autre personne ainsi favorisée? Il la poussera à en
parler facilement, elle en entretiendra ses amis. Ils divulgueront cette
nouvelle, qui relèvera l’estime que l’on a d’elle. Elle s’en apercevra
et recevra sans s’en douter le germe d’orgueil que le démon lui
glissera aussitôt dans l’âme. Elle se croira élevée
au dessus des autres. Pauvre âme! l’orgueil l’aura abaissée
plus bas que terre et séparée de Dieu.
" D’autres fois le démon
se transformera en ange de lumière; il simulera mon langage et ma
manière de parler, afin de prendre empire sur une âme, et
puis, il lui glissera l’erreur et le mensonge, sources de tout péché.
" Enfin, ma fille, quand une personne
est vertueuse et qu'elle éprouve les bienfaits de ma grâce,
sans pourtant participer à mes grâces que je n’accorde que
par un effet tout particulier de ma bonté, le démon se sert
de toutes les dispositions qui sont en elle pour la perdre. Si son imagination
est vive et son tempérament pétulant, il la frappera par
certaines visions, lui persuadant qu'elle a des révélations,
et elle le croira si fort qu'il n'y aura point moyen de la dissuader. Il
se servira de sa négligence, de son imprudence, de sa trop grande
familiarité, en un mot de tout ce qui peut être défectueux
en elle pour l’entraîner à sa perte et à sa ruine.
" Toutes ces personnes doivent dire
à leur directeur ce qui se passe en elles, sans cela elles tombent
infailliblement dans les pièges de leur plus grand ennemi.
" Le directeur connaîtra si
elles sont dans la bonne voie d’après leur obéissance et
leur soumission à ses avis et à ses conseils. Si elles n’écoutent
point la voix de leur directeur, elles ne sont point conduites par mon
esprit. Si elles cachent ce qui leur est dit, et si celui qui leur parle
les oblige à ne rien dire à leur confesseur, elles ne sont
point conduites par mon esprit, ce n'est pas ma voix qu'elles entendent;
car je n’ai jamais défendu de parler de ce que je disais, d’en parler
du moins à ceux qui dirigent les âmes que je me plais à
enseigner.
" Écrivez ces mots, ma fille,
ils seront utiles à beaucoup d’âmes illusionnées et
trompées par l’esprit de mensonge, quand elles les auront lus. Écrivez-les
et celui qui vous dirige verra bien clairement quel est le principe qui
les a dictés. Il y verra un caractère de franchise et de
vérité qui n’appartiennent point à Satan, mais seulement
à la vérité incarnée, à Dieu lui-même.
" Qu’il vous juge et qu'il dise
franchement à son tour ce qu'il pense de vous et de celui qui vous
parle.
" Allez en paix, ma fille, votre
directeur sais bien que c'est moi qui vous parle. Depuis longtemps il aurait
mis fin aux épreuves qu'il vous impose. C'est au souffle de mon
esprit qu'il les continue et que son directeur l’engage à les continuer.
"
Je vous dis toutes ces choses, Monsieur
le Curé, avec la plus grande et la plus entière confiance.
Je les dis aussi par obéissance et soumission, je ne prétends
vous rien apprendre, de moi-même je ne sais rien. Je ne fais que
vous rapporter ce que j’ai entendu. Vous en jugerez comme il vous plaira,
ou plutôt comme vous devez le faire pour la gloire de Dieu et pour
le salut de l’âme de votre enfant en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
Recevez, Monsieur, l’assurance de
tout mon respect et de ma parfaite considération.
Votre très-humble servante,
Marie.
Mimbaste, 20 juin 1843.
LETTRE 10, Comment une âme
doit agir dans les faveurs extraordinaires qu'elle reçoit de Dieu.
Monsieur le Curé,
L’état où je me trouvais
depuis quelque temps me causait un peu de peine. Pendant mes prières,
pendant la sainte messe ou dans mes communions, j’étais pour ainsi
dire sans sentiment. J'étais complètement absorbée
par une douceur ineffable qui remplissait toute mon âme et m'empêchait
de lire et de prier pour m’obliger à suivre l’attrait de cette douceur.
J’en ai parlé au Sauveur Jésus, et lui ai dit : Seigneur,
je ne sais ce que je sens, ni comment je me trouve; vous qui le savez,
daignez m’éclairer, m’instruire et me faire connaître de quelle
manière je dois agir.
" Ma chère fille, me répondit
le Sauveur Jésus, oui, je vous connais, je sais ce que vous éprouvez,
je sais ce que vous êtes. Vous n’êtes encore qu'une apprentie,
qu'une jeune novice, qui ne sait encore de quelle manière elle doit
se conduire dans la voie nouvelle où je veux vous faire entrer.
Cette douceur qui remplit votre âme, et, comme un doux sommeil, l’endort
pour la laisser reposer en Dieu, tandis que votre corps est sans mouvement
et votre cœur sans action sous le poids de cette béatitude qui vous
pénètre en vous attachant à moi, est une grâce
que je me plais à vous accorder, et qui, loin de vous attrister
ou de vous faire de la peine, doit exciter votre plus vive reconnaissance
envers votre Sauveur.
" Goûtez cette douceur quand
vous l’éprouverez; suivez l’attrait qu'elle vous donnera et qui
l’aura produite.
" Voici, ma fille, comment vous
devez recevoir cette douceur et cet attrait; comment vous devez le suivre
et agir quand vous l’éprouverez.
" Je vous ai déjà
parlé de l’oraison. Elle est un entretien, une communication de
l'âme avec Dieu par des paroles, des sentiments, des pensées
et des affections; en un mot, c'est une élévation de l'âme
vers Dieu. Cette élévation doit être opérante,
c'est-à-dire qu'elle doit offrir à Dieu les devoirs de l'âme
et lui demander sa grâce, car c'est là le but de l'oraison.
" Quand vous vous y trouvez sans
sentiments, sans attraits, tâchez d’en exciter de bons en vous par
quelque lecture ou quelque pensée pieuse. Si vous ne pouvez lire
ni vous arrêter à quelque bonne pensée, mais que vous
ressentiez immédiatement cette douceur et cet attrait qui fait goûter
Dieu, bien que vous n’ayez ni sentiments ni pensées sensibles, demeurez
en cet état, cet état est le degré de la perfection
dans l’oraison, et cette oraison est encore plus ou moins parfaite, selon
que ce degré de repos est aussi plus ou moins parfait. C'est là
l’état des bienheureux dans le ciel, le repos dans la vue et l’amour
de Dieu.
" Or, ma fille, vous devez grandir
et croître en cette nouvelle voie dont vous n’avez pas encore franchi
le premier degré. Armez-vous donc de vigilance et d’humilité;
sans cela, vous descendrez au lieu de monter, et vous deviendrez semblable
à ces âmes qui, après s’être élevées
comme des aigles dans le ciel, tombent à terre pour être comparées
aux plus vils animaux. Soyez vigilante et soyez humble : vigilante pour
marcher en avant; humble pour demeurer amie de Dieu et rester dans la vérité,
qui vous dira que vous n’êtes rien par vous-même; soyez circonspecte
aussi, afin de ne point vous laisser séduire et de ne point vous
laisser entraîner dans les choses vaines, inutiles ou mauvaises;
car il n'y a que les choses saintes qui mènent à Dieu.
" Cette voie est non-seulement inconnue,
mais elle est encore aussi périlleuse que toutes les autres.
" Elle est périlleuse : on
peut donc faire dans cette voie des chutes déplorables; par conséquent,
il faut y prendre garde, et ne s'y reposer qu'en Dieu et sur Dieu.
" Elle est inconnue : Dieu seul
peut en donner la connaissance. Il est impossible à l'âme
de la trouver par elle-même et d’y marcher, si elle n'est éclairée
et conduite par l’Esprit-Saint. Or, L’Esprit-Saint n’en instruit et n'y
mène que quelques âmes privilégiées.
" Puisque cette voie est ouverte
devant vous, ma fille, suivez avec humilité et circonspection l’attrait
qui vous y porte. Je vous soutiendrai et vous éclairerai; lorsque
vous en aurez besoin, appelez-moi à votre aide, je me hâterai
d’accourir.
" Que ce soit pendant la sainte
messe ou après la communion, pendant la prière ou la méditation,
suivez toujours l’attrait qui vous sera donné; mais suivez-le comme
je vous ai appris à le faire, c'est-à-dire en vous occupant
de Dieu ou de ce qui est à Dieu, et vous reposant en lui. Si vous
faites ainsi, soyez tranquille, vous agirez selon le bien.
" Ma fille, dans votre conduite,
cherchez plutôt à faire la volonté de Dieu que votre
volonté. Cherchez plutôt le bon plaisir de Dieu que le vôtre.
Qu’il vous conduise d’une manière ou d'une autre, que vous importe,
pourvu que vous fassiez sa volonté!
" O Marie! Ma chère fille,
vous êtes petite sur la terre; mais je vous donnerai une place élevée
dans mon royaume.
" Communiquez tout ce qui se passe
en vous à votre directeur, et suivez ensuite ses conseils. Quelque
chose que vous éprouviez, dites-lui tout, et puis demeurez calme
et tranquille. "
Voilà, Monsieur, ce que je
désirais vous soumettre pour vous supplier de m’accorder le secours
de vos prières. J’en ai ressenti et j’en ressentirai toujours les
salutaires effets, parce que je crois qu'elles vous sont inspirées
par la charité que vous avez pour moi.
Je ne puis vous en témoigner
toute ma reconnaissance; mais vous savez que Dieu ne laissera pas sans
rémunération ce que vous faites pour la plus humble de ses
servantes.
Je vous prie de recevoir, Monsieur
le Curé, l’hommage de la plus haute considération avec laquelle
j’ai l’honneur d'être
Votre très humble et très
soumise servante,
Marie.
Mimbaste, 25 juillet 1843.
LETTRE 11, Description du tabernacle
admirable ou Marie Lataste reçoit les plus grandes faveurs de Dieu.
Monsieur le Curé,
C’est avec une entière soumission
que je viens vous soumettre ce que j’éprouve depuis quelque temps
dans ma nouvelle manière de vivre.
Il me semble que mon âme est
dans une nouvelle vie, dans le centre de la lumière et des connaissances
intérieures et spirituelles. Ce centre merveilleux m’apparaît
comme un appartement qui n’est ni grand ni petit; il est fermé,
mais non pas par aucun mur, parce qu'il est tout spirituel. Ce nouvel appartement
où se retire mon âme, le Sauveur Jésus m’a appris à
le nommer le tabernacle admirable. J’y aperçois une grande croix
de douze à quinze pieds de hauteur, dont le Christ est de grandeur
naturelle. Elle repose sur un beau piédestal, qui me paraît
être de marbre ainsi que la croix, mais qui ne l’est pas, parce que
tout y est spirituel. Il y a dans ce tabernacle admirable comme une atmosphère
vivante de lumières, de connaissances et de sentiments divers qui
portent vers Dieu. Il est impossible d’y entrer sans en être tout
pénétré. Or, j'ai vu clairement que ces lumières,
ces connaissances et ces sentiments viennent de la croix du tabernacle
admirable comme d’une source intarissable.
Je ne puis pas pénétrer,
quand je le veux, ni demeurer autant que je le veux dans le tabernacle
admirable. Il m’est néanmoins quelquefois permis d’y entrer, d’y
goûter et d'y recevoir les instructions qui s'y donnent, quoique
sans paroles. C'est une des faveurs les plus signalées que puisse
m’accorder le Sauveur Jésus. Il me l’accorde pour me donner plus
de force et de vigueur afin d’opérer le bien, car je sens cette
force et cette vigueur me pénétrer et m’envelopper intérieurement
et extérieurement, sans que rien soit capable ensuite de m’en dessaisir.
Vous comprendrez difficilement ce
que j’entends par des instructions sans paroles; je veux dire, Monsieur,
que dans le tabernacle admirable, mon âme voit les choses si clairement
que, soit sur Dieu, sur Jésus-Christ, sur Marie, sur soi-même,
sur la religion, elle s’instruit comme si elle entendait parler. Souvent
elle voit et ne comprend pas; mais elle goûte avec suavité
les étonnants mystères qui sont devant elle.
D’autres fois, un pouvoir invisible
m’empêche d’entrer dans le tabernacle admirable, ou bien me force
d’en sortir dès que j'y suis entrée.
O Monsieur, que de bonté
en ce Sauveur Jésus! Qui me donnera de me confondre en actions de
grâces devant lui, de lui donner à jamais et mon esprit et
mon cœur, et mon âme et tout ce que j’ai!
Je vous prie de vouloir agréer,
Monsieur le Curé, l’hommage de mon plus profond respect et de ma
soumission entière à votre jugement, auquel je soumets toutes
choses.
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, ler août 1843.
LETTRE 12, Jésus en croix
nous montre l’énormité du péché.
Monsieur le Curé,
Je viens vous soumettre, avec le
même abandon et la même confiance, ce que vous m’avez demandé
de mes méditations sur la passion du Sauveur Jésus.
Je ne sais trop comment je pourrai
m’exprimer et dire des choses que j’ai entendues sans qu’on proférât
une parole, et qui étaient bien plus l’effet d’un éclat de
lumière que de voix clairement et distinctement articulées.
Pour ces méditations, je
ne me suis point servie de livres; je ne les ai non plus jamais préparées.
J’avais déjà plusieurs fois médité sur la passion
de la manière que je vous ai dite ailleurs; la passion est le sujet
le plus ordinaire de mes méditations. C'est une source inépuisable
vers laquelle me porte un attrait irrésistible, et dans laquelle
mon âme prend force, courage et vertu pour faire le bien et éviter
le mal.
Or, un jour, je me mis à
genoux pour faire ma méditation selon l’attrait qui me serait donné.
Quand je ne prépare point ma méditation, ne c'est point que
je veuille tenter Dieu ainsi; mais c'est que je suis obligée de
suivre l’attrait qui me porte ailleurs, et qui m’oblige même à
laisser la méditation que j’aurais préparée pour en
suivre une autre. Quelquefois Dieu m’envoie des occupations qui m'empêchent
la veille de me préparer à ma méditation du lendemain.
C'est là pour moi l’indice que le Sauveur se charge de ma méditation
ou bien que je devrai me tenir humblement à ses pieds, quelquefois
sans aucun sentiment d’amour, jusqu’à ce qu'il lui plaise d’avoir
pitié de moi.
Après m’être agenouillée
aux pieds du Sauveur, je sentis aussitôt en mon âme un attrait
qui la portait presque avec violence à considérer Jésus
attaché à la croix.
Ah! Monsieur, je ne sais comment
je devins alors. Pendant que mon corps me semblait d'un poids et d'une
lourdeur accablants, mon âme semblait avoir une nouvelle vie. Elle
se trouva dans le centre de la lumière et des connaissances du tabernacle
admirable. Mon Dieu, que de lumières et que de connaissances! Je
les vis toutes immédiatement dans leur ensemble, mais je ne pus
les supporter ensuite dans leur détail; elles débordèrent
mon âme, qui dut nécessairement se retirer et attendre jusqu’au
lendemain; ce qui me fait supposer que le Sauveur avait d’abord voulu me
montrer comme un plan général des méditations qu'il
voulait que je fisse ensuite séparément et chaque jour. C'est
du moins ce qui est arrivé.
Voici le plan général
tel que je l’aperçus : 1° Jésus en croix nous fait comprendre
la grandeur et l’énormité du péché; 2°
Jésus en croix est pour nous le modèle de toutes les vertus;
3° Jésus en croix fait connaître la justice et la miséricorde
de son Père.
Le premier jour, je pus méditer
sur la première partie, qui est : Jésus en croix nous fait
comprendre la grandeur et l’énormité du péché.
Dans une première vue, je
considérai le péché en lui-même et dans sa nature
intime; dans une seconde considération, je vis l’injure et l’outrage
qu'il fait à Dieu; enfin je compris quel est la cause de tous nos
maux, tant spirituels que temporels. Quelles connaissances profondes! quelles
lumières éclatantes environnèrent mon âme en
cet heureux moment! Ce n’était point une parole parlée que
j’entendais, mais je comprenais mieux qu'en entendant l’homme le plus savant
et le prédicateur le plus distingué. C'était une parole
sans voix et une voix sans parole, et je n’ai point de parole pour exprimer
cette voix, ni de voix pour rendre cette parole. J’ai vu, j’ai entendu,
j’ai compris; j’essayerais en vain de le rappeler, je ne le pourrais pas.
C'était plus fort, plus tendre, plus sensible, plus doux, plus pénible,
plus douloureux, plus intelligible, plus saisissant pour moi que toute
chose au monde. C'est aujourd'hui si profondément gravé dans
mon cœur, que je ne puis même l’extérioriser par écrit
ou par parole. O Jésus en croix, salut de mon âme! O croix
de Jésus, salut du monde! O Jésus en croix, Dieu mort pour
mes péchés! O croix de Jésus, délivrance de
mes iniquités! O Jésus en croix, réparateur de l’injure
faite à Dieu! O croix de Jésus, témoin éclatant
et glorieux du pardon de Dieu le Père! O Jésus en croix,
libérateur du genre humain! O croix de Jésus, bouclier contre
Satan, le monde et les passions! O Jésus en croix, félicité
dans nos souffrances et nos peines! O croix de Jésus, arc-en-ciel
de la miséricorde de Dieu! O Jésus en croix, ce sont mes
péchés qui vous ont fait mourir! O croix de Jésus,
ce sont mes péchés qui vous ont rougie du sang de mon Sauveur!
O Jésus en croix, que je sois à jamais près de vous,
avec vous, en vous! O croix de Jésus, que je vous embrasse à
jamais et meure en vous pressant sur mon coeur.
Je ne pouvais plus rester dans le
tabernacle admirable dont la lumière éclatante me repoussait
au loin. Avant de sortir, j’entendis, forte comme un tonnerre, une voix
prononçant ces paroles, qu'elle m’adressait et que j'ai conservées
: " Ma fille, dites chaque jour cette prière : Mon Dieu, souvenez-vous
de ce moment où vous avez fait couler pour la première fois
votre grâce dans mon coeur, en me lavant du péché originel
pour me recevoir au nombre de vos enfants. O Dieu, qui êtes mon Père,
accordez-moi, par votre infinie miséricorde, par les mérites
et le sang de Jésus-Christ, les peines et les douleurs de la sainte
Vierge, les grâce que vous désirez que je reçoive en
ce jour pour votre plus grande gloire et mon salut. "
Voilà, Monsieur le Curé,
ce que j’éprouvai en ce jour. Je continuerai à écrire
le reste dans mes moments de loisir.
Je vous prie d’agréer l’hommage
de ma vénération et de mon plus profond respect avec lequel
je suis,
Monsieur le Curé,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 7 août 1843.
LETTRE 13, Jésus en croix
modèle de toutes les vertus.
Monsieur le Curé,
La considération de Jésus
en croix comme modèle de toutes les vertus m’a retenue plusieurs
jours dans le tabernacle admirable.
Chaque jour c'étaient des
lumières et des connaissances diverses sur chacune de ces vertus
données à mon âme et des désirs immenses de
les posséder. Ce n’étaient point des instructions comme celles
que je reçois ordinairement. Je vous l’ai déjà dit,
dans le tabernacle admirable je n’entends ni la voix ni la parole du Sauveur;
mais je vois, je comprends, j’ai l’intelligence de ce qui se présente
à moi, et je voudrais toujours voir ces choses, toujours reposer
mon intelligence sur elles et y prendre mon repos. Aussi, il est impossible
que j’essaye de vous exprimer ce que j’ai éprouvé sur l’amour
de Jésus-Christ pour son Père; amour qui lui fait prendre
un corps et une âme semblable à notre âme, pour vivre
d’une vie pareille à notre vie et qui le fait mourir sur la croix
pour offrir à Dieu un sacrifice digne de lui; sur la soumission
entière et parfaite du Sauveur Jésus à la volonté
de son Père, par laquelle il lui sacrifie sa volonté pour
accomplir la sienne; sur le désir infini de réparation de
la gloire de son Père; sur l’abandon et la confiance sans bornes
en Dieu son Père, entre les mains de qui il remet son âme
pour mourir.
Il est impossible que j’essaye de
vous exprimer ce que j'ai vu de l'amour de Jésus-Christ pour tous
les hommes, pour ses bourreaux, pour moi, et de vous montrer le tableau
de lumière qui s'est fait autour de cette parole que je voyais en
caractères de feu dans le Cœur de Jésus : " J’ai soif. "
C'était la soif de notre salut, du salut des pauvres pécheurs
dont il était dévoré. Il aurait voulu pouvoir dire
à tous comme il le dit au bon larron : " Aujourd'hui, vous serez
avec moi dans le paradis. " c'était là le désir de
son cœur, désir immense, qu'il manifestait dans cette parole d'un
Dieu mourant pour la rédemption des hommes : " J’ai soif! "
Il est impossible que j’essaye de
vous exprimer l’humilité de Jésus en croix, de ce Dieu souverainement
grand et élevé, anéanti dans les supplices et la mort.
Il est impossible que j’essaye de vous exprimer son obéissance qui
le soumet à ses bourreaux, sa patience qui l’empêche de se
plaindre, sa douceur qui en a fait dans ses supplices l’agneau de Dieu
effaçant les péchés des hommes.
Chacune de ces vertus de Jésus
en croix m'a retenue un jour en oraison devant mon Sauveur. Je ne puis
dire autre chose. Si je veux écrire, ma plume s’arrête, parce
que l’expression lui manque; si je veux parler, ma langue est comme sans
mouvement. On ne peut rendre par une parole extérieure, sensible
une parole insensible et intérieure. Je ne puis exprimer un enseignement
que j’ai reçu dans l’éclat d'une lumière sortie de
la croix, par des signes de convention sortis de la langue de l'homme et
qu'on appelle la parole.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’assurance de ma profonde reconnaissance, de mon respect le plus grand
et de ma vénération la plus entière.
Monsieur le Curé,
J’ai l’honneur d’être votre
très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 9 août 1843.
LETTRE 14, Jésus en croix
fait connaître la justice de son Père, et cette connaissance
est l’effroi du pécheur impénitent. Jésus en croix
montre aussi sa miséricorde.
Monsieur le Curé,
C'est avec la plus entière
et la plus parfaite soumission que je désire me conformer à
votre volonté. Vous m’ordonnez de faire un effort et de tenter la
découverte d'une expression de ce que j’éprouve dans mes
méditations sur la passion.
Je vais essayer, je ferai comme
je pourrai; pardonnez-moi si je ne fais point de la manière que
vous le désireriez, et que ma bonne volonté me fasse trouver
grâce près de vous.
Après avoir médité
sur Jésus en croix, modèle de toutes les vertus, j'ai vu
se dérouler la suite du plan général que je vous ai
tracé. Jésus en croix fait connaître la justice de
son Père, et cette connaissance est l’effroi du pécheur impénitent.
Ce sujet m’a retenue dans le tabernacle
admirable pendant trois jours à l’heure de ma méditation.
Vous savez, Monsieur, et vous voyez
combien la justice de Dieu apparaît dans Jésus en croix. Je
ne m’arrêterai point là-dessus. D’ailleurs, dans ma méditation,
cette vue de la justice divine sur Jésus en croix a brillé
pendant un instant seulement, et parce que c'est là, je pense, on
mystère insondable, il ne m’a point été permis de
m’y arrêter. Mon intelligence et mon coeur se sont portés
pendant les trois jours sur l’effroi que doit causer au pécheur
impénitent Jésus crucifié.
Jésus en croix est la victime
sur laquelle Dieu a exercé la rigueur de sa justice et la sévérité
de ses jugements. Or, Jésus était juste et il n’avait en
lui que l’apparence du péché pour lequel il venait mourir
afin de sauver le monde. Que doit donc attendre le pécheur impénitent
qui ne veut point renoncer à son péché, et que la
mort frappera à l'heure où il y pensera le moins?
Telle est la vue générale
que j’aperçus le premier jour où il me fut donné d’entrer
dans le tabernacle admirable pour y voir la justice de Dieu manifestée
dans Jésus en croix.
Voici la vue en son détail
ou l’enseignement que mon esprit puisait dans cette vue.
Jésus était juste,
saint et impeccable. Le coeur de Jésus ne pouvait ressentir l’impression
d’aucun vice, d’aucune mauvaise inclination, ni de la plus petite imperfection,
tandis que les saints, même les plus grands saints, par un effet
de la nature corrompue, ont éprouvé en eux ces impressions,
bien qu'ils n’en aient pas été les victimes. La divinité
qui remplissait son coeur y enfermait la sainteté parfaite de Dieu,
et repoussait par conséquent tout ce qui n'était pas saint,
et l’empêchait par des barrières infinies d’arriver jusqu’à
lui.
L’esprit de Jésus était
éclairé de la lumière même de la divinité
qui le divinisait, c'est-à-dire lui donnait la plus entière
conformité et la plus grande participation à la sainteté
de Dieu, pour qu'il fût l’esprit de l’Homme-Dieu.
L'âme de Jésus était
remplie par la divinité qui se communiquait à elle d’une
manière si intime que l'âme du Sauveur était tout absorbée
dans la divinité, devenait une même chose avec elle, et pourtant
sans confusion et en conservant toutes ses puissances et toutes ses facultés
distinctes de la divinité. L'âme de Jésus était,
comme celle des autres hommes, douée des mêmes facultés,
l’entendement, la mémoire, la volonté et la raison; mais
ces facultés étaient divinisées dans le Sauveur Jésus.
Le corps de Jésus était
pur et saint; car son âme étant pleine de grâces, possédant
toutes les vertus dans un degré infiniment plus élevé
qu’on ne peut le concevoir, participant aux perfections de la divinité,
étant divinisée elle-même, ne pouvait conduire le corps
que d'une manière divine. Car c'est l'âme qui est le guide
du corps, qui le fait agir et opère par lui ce qu'elle veut. Or,
l'âme de Jésus étant divinisée par son union
à la divinité, divinisait le corps de Jésus par son
union avec lui. Dans le corps de Jésus se trouvait la divinité
du Verbe de Dieu et l’âme de Jésus divinisée par son
union avec elle; et le corps, l'âme, la divinité étaient
si parfaitement unis, qu’ils ne formaient qu'un seul être ou une
seule personne, la personne du Fils de Dieu fait homme; personne juste,
sainte et impeccable. En Jésus il a trois substances : la substance
divine, la substance de l'âme et la substance du corps. Ces trois
substances font deux natures, la nature divine et la nature humaine. Ces
deux natures font une seule personne, la personne du Fils de Dieu fait
homme, qui s’appelle Jésus-Christ.
L'homme doit avoir en lui nécessairement
le corps et l'âme. S'il n'avait que le corps, il ne serait point
homme, ce serait une machine sans vie, une statue sans mouvement. S'il
n’avait que l'âme, il ne serait point homme, ce serait une intelligence
spirituelle; il faut, pour que l'homme existe, qu'il y ait union entre
le corps et l'âme, qui se conservent sans se confondre, car l'âme
ne devient point matière ni le corps un esprit. Ils se conservent
mutuellement, et leur union compose l'homme.
Jésus-Christ est vraiment
homme. Il est homme uni à la divinité. L'union de la nature
divine avec la nature humaine ne fait point que la nature humaine soit
confondue avec la nature divine. La nature humaine est parfaitement et
entièrement conservée en Jésus-Christ, sans cela il
ne serait point homme. La nature divine ne se confond point avec la nature
humaine par son union avec le corps et l'âme de Jésus-Christ;
elle se conserve telle qu'elle a été de toute éternité;
s'il en était autrement, Jésus-Christ ne serait point Dieu.
Aussi, de même que le corps et l'âme unis entre eux, sans se
confondre, forment l'homme, ainsi la réunion de la nature divine
et de la nature humaine forment, sans se confondre aucunement, une seule
personne, la seconde personne de la sainte Trinité faite homme pour
nous.
Tel est Jésus-Christ, Dieu
et homme en même temps; par conséquent infiniment juste, infiniment
saint, infiniment impeccable. Tel est Jésus-Christ, en qui rien
ne peut déplaire à Dieu son Père, dont il est la splendeur
et la gloire. Tel est Jésus-Christ, la justice et la sainteté
par excellence. En lui par conséquent rien ne méritait le
courroux de Dieu son Père, et c'est lui que je vois en croix, c'est
lui que je vois victime de la sévérité des jugements
de Dieu. Il n'y a en lui que l’apparence de nos péchés, dont
il a voulu se charger, et cependant quelles rigueurs, quelles punitions,
quelles vengeances Dieu exerce sur lui! Tous les maux que le péché
a attirés sur le monde pèsent sur lui, le torturent et l’accablent.
Si le Juste et le Saint des saints
est ainsi traité, que sera-ce du pécheur coupable et impénitent,
du pécheur qui s’abandonne à toutes ses passions, qui se
fait un plaisir d’offenser Dieu, qui se roidit et se dresse contre le ciel,
qui arme le bras de la justice divine par ses iniquités, qui l’oblige
à le frapper par son obstination dans le mal et son impénitence?
Malédiction éternelle de Dieu, flammes vengeresses et dévorantes
de l’enfer, n’anéantirez-vous point ce pécheur? Non, mais
pendant l’éternité vous l’étreindrez vivant sans le
lâcher jamais.
Le lendemain, je vis combien Jésus
en croix doit épouvanter le pécheur impénitent qui
abuse du sang de son Sauveur, en refusant de se convertir.
Jésus-Christ, par sa mort
et les mérites de sa mort, nous a obtenu les grâces qui nous
sont nécessaires pour opérer notre salut. Les sacrements
et les actes de religion sont la source où nous pouvons aller puiser
ces grâces. Que fait le pécheur impénitent? Il néglige
ces grâces qui lui sont offertes, il n’en profite pas. Elles sont
là devant lui pour le retirer de la mort et lui donner la vie, et
il refuse la vie pour rester dans la mort. O folie et aveuglement du pécheur!
Que fait-il encore? Il ne se contente pas d’abuser ainsi de ces grâces
en les négligeant, il en abuse en les profanant; il les fait servir
à sa ruine, à sa condamnation. O désolation des désolations
et malheur des malheurs! Le péché est un effet de la faiblesse
humaine; mais la persévérance dans le péché
n'est-elle point un effet d'une malice satanique? Que dira ce pécheur
à l'heure où Dieu lui demandera compte de l’administration
de son âme? Quelle contenance fera-t-il? Quel sera son courage? Ne
fuira-t-il pas dans les feux de l’enfer, parce qu'il ne pourra supporter
l'œil courroucé de Dieu?
Jésus-Christ, par sa mort
et par la satisfaction qu'il a offerte à Dieu pour les péchés
des hommes, n'a pas voulu pour cela délivrer l'homme de toute satisfaction.
Il a donné à Dieu la satisfaction que l'homme ne pouvait
lui donner. Mais pour que cette satisfaction que Jésus-Christ a
donnée à Dieu devienne utile à l'homme, l'homme doit
faire ce qui lui est imposé et donner à Dieu la satisfaction
qu’il veut agréer de sa part, après la satisfaction de son
Fils sur la croix.
Or, la première satisfaction
que Dieu demande à l'homme, c'est le repentir et l’intention de
ne plus pécher. Dieu connaît la faiblesse de l'homme, aussi
est-il disposé à lui pardonner ses fautes, dès qu'il
a le repentir dans son âme.
Que fait le pécheur impénitent
en face de Jésus en croix, en face de la satisfaction que le Sauveur
donne à Dieu pour le salut de tous les hommes? Il dit à Dieu,
il dit à Jésus : Vous me demandez satisfaction pour mes péchés,
vous me demandez repentir de mes péchés, vous me demandez
résolution de ne plus pécher; demandez O Dieu! et vous, Christ,
demandez aussi; mais votre demande sera repoussée, le repentir ne
sera jamais dans mon coeur. O parole impie, parole blasphématoire,
parole qui soulève l’indignation du Très-Haut, parole qui
fait tomber ses malédictions et ses vengeances! O mon Dieu! je ne
puis par moi-même faire autre chose que pécher et vous offenser,
mais je ne veux point persévérer dans le péché,
je ne veux point résister à votre grâce. Je veux recueillir
de votre bouche paternelle le pardon que vous m’offrez. Sauveur Jésus,
réparateur des péchés de mon âme, vous avez
eu pitié de moi, je veux du moins ne pas rendre inutiles vos souffrances
et vos douleurs. Si je vous ai offensé, dès ce jour je veux
vous aimer. Je déteste mes péchés; je vous promets,
avec votre grâce, de les fuir comme à l’approche d’un serpent.
Je veux m’unir à vous, vivre de vous, en vous et pour vous.
Ah! mieux eût valu pour le
pécheur impénitent que Jésus-Christ ne fût jamais
venu sur la terre. Mieux eût valu pour lui que jamais la croix n’eût
élevé le Fils de Dieu entre le ciel et la terre; les crimes
de ce pécheur n’eussent point été si considérables
ni si outrageants pour Dieu. O sort mille fois malheureux de ce pécheur!
Effroi de son âme au tribunal de Dieu et terreur à nulle autre
pareille! Mon Dieu, grâce pour moi, et que je vous aime à
jamais!
Le troisième jour, je vis
dans ma méditation combien Jésus en croix est la terreur
des pécheurs impénitents, par la grandeur des tourments qu'ils
s’attirent en rendant les mérites du Sauveur inutiles.
J'ai vu l’effroi de ce pécheur
avant sa mort; je l’ai vu aussi dans l’enfer. Mon âme en est encore
toute saisie d’effroi.
Quels moments que ceux qui précèdent
la mort d'un pécheur impénitent, quelles douleurs dans son
âme, quelles terreurs en son esprit, quels regrets en son cœur, quel
désespoir insoutenable! Il voit toutes les jouissances, tous les
plaisirs, toutes les séductions de sa vie; il n’en reste plus rien,
tout a passé, voici la mort. Toute sa vie est comme un tableau devant
ses yeux. Il la regarde et il tremble, il la regarde et il désespère,
il la regarde et il voudrait ne point la voir. Pauvre pécheur, s'il
avait plutôt regardé Dieu et sa miséricorde, Dieu et
sa bonté paternelle, Jésus et sa croix, Jésus et ses
blessures, Jésus et son Cœur ouvert, Jésus et son sang, les
âmes pieuses qui prient pour lui, qui ne désespèrent
point de la générosité de Dieu, les âmes pieuses
qui font une sainte violence à la justice divine; s'il savait lancer
une parole de repentir, une parole d'amour, une parole de supplication
vers le ciel, il serait sauvé! Mais non, ses yeux sont fermés
et ne voient point la miséricorde de Dieu, ni la satisfaction du
Sauveur, ni les prières de ceux qui l’aiment. Ses yeux sont fermés,
et cependant il voit la justice de Dieu et sa main chargée de vengeances;
il voit la croix de Jésus, non comme un instrument de salut, mais
comme une verge éternelle qui le torturera à jamais. Il entend
des voix non de prières et de supplications en sa faveur, mais des
voix accusatrices pour sa condamnation. Sa bouche ne demande point pardon,
elle ne prononce que des blasphèmes et des malédictions.
Quelle agitation, quel trouble, quels mouvements affreux en tout son être!
Pauvre pécheur! On veut le consoler, mais les consolations ne pénètrent
point dans son cœur. On veut ranimer en lui la foi, et la foi reparaît
non pour le sauver, mais pour le consumer comme le feu d’un vaste incendie.
La foi l’éclaire et le brûle. Le bandeau de l’aveuglement
est tombé de ses yeux, il voit. Mais quoi? L’éternité
qui s’ouvre devant lui chargée de supplices et de maux inventés
et créés par un Dieu vengeur de son nom et de sa gloire.
Il voit entre Dieu et lui une distance infinie qu'il ne pourra franchir
jamais, et il s’affaisse sous le poids de ses iniquités.
Quels moments et quelles souffrances!
Je vis d'autres pécheurs
impénitents n’éprouver à cette heure ni peine ni remords.
Il semblait que Dieu les avait abandonnés à eux-mêmes,
et leur trépas ressemblait à celui des animaux sans raison.
Mais quel réveil! La justice
de Dieu ne les frappera-t-elle pas d’une manière d’autant plus sensible
qu'ils s'y attendent moins. Je suivis ces pécheurs dans le lieu
de leur supplice.
Comment exprimer leur état,
leurs peines, leurs tourments, leurs afflictions dans ce lieu d’éternelle
douleur! Ils aperçoivent les perfections et les amabilités
de Dieu, ou plutôt ils les comprennent sans les voir; ils comprennent
que Dieu seul pouvait être leur bonheur et qu'ils en sont séparés
pour jamais, et cette pensée fait leur premier et plus cruel tourment.
Ils voient la grandeur et l’énormité
de leurs péchés, les grâces et les moyens de salut
que Dieu leur avait ménagés dans sa bonté et dont
ils n'ont point profité; et le remords le plus cuisant, parce qu'il
est inutile et sans remède, fait leur second et insupportable tourment.
Ils voient que les maux qui les
accablent n’auront jamais de fin, qu'ils dureront toujours et avec la même
intensité. O vie désespérante qui leur fait pousser
des cris et des hurlements affreux, des blasphèmes et des malédictions
contre le ciel! O mon Dieu, quelle haine dans leur âme contre vous!
quelle haine contre eux-mêmes! Quelle haine contre ceux qui les ont
entraînés au mal! Est-ce qu'ils ne sont point au plus intime
de ces âmes comme des orages d’imprécations, de malédictions,
de blasphèmes, d’injures, de menaces qui sillonnent les enfers pour
en raviver les flammes à jamais? Quelle vue et quel spectacle! Mon
âme en fut effrayée et put à peine considérer
la violence du feu de ces abîmes, et la fureur des démons
à tourmenter les damnés dans tous leur sens.
Justice de mon Dieu, préservez-moi
de ces rigueurs! Mon âme, de quoi me plaindrais-je? Les maux que
Dieu m’envoie ne sont-ils pas un effet de sa miséricorde? Non, je
ne veux point murmurer, Seigneur, de mes peines d’ici-bas, pour néanmoins
en point mériter de plus terribles dans l’éternité.
Faites de moi ce qu'il vous plaira. Que ma vie soit un martyre de chaque
jour et de chaque instant, pourvu que je sauve mon âme! Quelles que
soient mes souffrances, votre religion sainte me les rendra douces et faciles
à supporter; le souvenir de l’enfer, dussent-elles durer un millier
d’années sur la terre, me les fera supporter comme un fardeau léger.
Que je souffre, ô Jésus crucifié, et que je vous aime
toujours! Que mon corps et mon âme soient affligés par toutes
les épreuves les plus fortes et les plus pénibles; mais qu'à
ce prix mon coeur vous demeure attaché, qu'il ne soit jamais séparé
de vous, qu'il n’ait pour vous qu’amour et reconnaissance, même au
milieu de mes plus grandes tribulations!
Voilà, Monsieur, ce que j’ai
vu, ce que j’ai éprouvé, ce que j’ai compris autant que mon
esprit pouvait le comprendre, ce que j’ai senti en moi autant que mon âme
était capable de sentiment. Je le sens, je n’ai pu vous montrer
par cette lettre la lumière que j’ai vue, c'est Dieu seul qui la
montre; je n’ai pu vous marquer en leur perfection les enseignements que
j’ai reçus. Dieu seul pourrait le faire; je n’ai pu vous tracer
les sentiments de mon cœur pendant ces heures de communications intimes
avec Jésus, c'est là le secret du Roi que je ne puis dévoiler.
Mais j’ai essayé de vous montrer ma bonne volonté et le désir
que j’ai d’obéir à tout ce qu'il vous plaira de me commander.
Je veux terminer en vous disant,
autant que je saurai m’exprimer, comment Jésus en croix fait reconnaître
la miséricorde de Dieu.
La miséricorde de Dieu me
fut manifestée de trois manières dans le tabernacle admirable
par la vue de Jésus en croix.
La miséricorde de Dieu se
manifeste dans les biens qu'elle nous donne, dans les maux qu'elle nous
envoie, et dans la félicité qu'elle nous accorde dans le
ciel. Or, Jésus en croix manifeste ce triple aspect de la miséricorde
de Dieu.
La miséricorde de Dieu est
une mer immense et infinie, dans laquelle se trouvent tous les biens, tous
les dons et toutes les grâces qui nous sont réservés.
Or, le péché mit au commencement un mur de séparation
entre Dieu et l'homme, et Dieu ne pouvait plus faire miséricorde
à l'homme ni verser sur lui l’abondance de ses bienfaits. L'homme
était séparé de Dieu par une distance infinie, le
péché. Mais Jésus vint sur la terre, monta sur l’arbre
de la croix, rendit réparation pour le péché de l'homme,
et la miséricorde continua son œuvre, en donnant à l'homme
des grâces encore plus abondantes.
La miséricorde de Dieu se
manifeste dans les maux qu'il nous envoie. Châtier, c'est aimer;
châtier, c'est faire expier, châtier, c'est rappeler le souvenir
de Dieu; châtier, c'est punir ici-bas pour ne point punir dans l’autre
vie. Les maux que Dieu nous envoie sont des traits que la justice de Dieu
lance sur l'âme; mais ces traits ne sont point mortels, ils sont
au contraire cause de vie, parce qu'ils sont trempés dans les eaux
de la miséricorde et qu'ils attirent les grâces de Dieu. Or,
c'est de Jésus en croix que nous recevons cette effusion de la miséricorde
de Dieu; c'est lui qui demande pardon à Dieu pour nos péchés,
et nous fait envoyer les maux de la vie pour nous préserver de ceux
de l’éternité. Ces maux sont une participation à ses
douleurs et, unis à elles, ils nous sanctifient et expient nos péchés.
Enfin, la miséricorde de
Dieu se manifeste en nous donnant le bonheur du ciel. C'est encore Jésus
en croix qui manifeste sous ce rapport la miséricorde de Dieu; car
c'est par sa croix qu'il a fermé les portes de l’enfer et ouvert
celles du ciel. C'est par sa croix qu'il nous a délivrés
de l’esclavage de Satan et rendus fils de Dieu.
O croix de Jésus, mystère
dans le temps! O croix de Jésus, mystère dans l’éternité!
Jésus en croix, vous ravissez nos cœurs sur la terre! Jésus
en croix, vous captivez nos esprits sur la terre! Jésus en croix,
vous attirez tous nos regards! Jésus en croix, vie de notre vie!
Jésus en croix, mort de notre mort! Jésus en croix, bonheur
et félicité de l'âme sur la terre! Jésus en
croix espoir du bonheur et de la félicité du ciel!
Croix de Jésus, lumière
du ciel! croix de Jésus, repos des âmes dans le ciel! croix
de Jésus, lien éternel entre les âmes et Dieu dans
le ciel! croix de Jésus, à vous gloire à jamais!
O Jésus en croix, que mon
âme se consume à vous aimer! O croix de Jésus, que
je vous porte, non un instant sur mes épaules comme le Cyrénéen,
mais toute ma vie, tous les jours, et qu’avec vous je me présente
à Dieu pour lui demander miséricorde pour l’éternité.
Je vous prie, Monsieur, en finissant,
d’excuser ma si longue lettre et la manière dont je l’ai écrite.
Vous n'y goûterez point ce que j'ai goûté dans le tabernacle
admirable; vous n'y verrez point les lumières que j'y ai vues; vous
n'y prendrez point les connaissances qui m’ont été données.
Je donne ce que je puis donner par obéissance et de grand coeur.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’assurance de mes sentiments de vénération, de respect et
d’obéissance avec lesquels je suis, Monsieur le Curé,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 14 août 1843.
LETTRE 15, Souffrances du corps
et de l'âme de Jésus dans la passion.
Monsieur le Curé,
Je viens vous soumettre encore ce
que j’ai éprouvé un autre jour dans le tabernacle admirable
à la vue de Jésus en croix.
Je vis dans le Sauveur deux sortes
de souffrances : les souffrances du corps et les souffrances de l'âme,
et cette vue me montra combien je devais prendre avec patience et soumission
toutes les douleurs que je pourrais éprouver moi-même dans
mon corps et dans mon âme.
Le corps de Jésus me paru
affligé de tous les maux, de toutes les douleurs les plus aiguës
qu'il soit possible d’imaginer. Il souffrait non-seulement toutes les souffrances
des hommes à cause de leurs péchés, mais encore infiniment
plus que tous les fils d’Adam ensemble. Son corps était comme un
océan de souffrances. Sa chair était déchirée
par la flagellation; ses nerfs, contractés et disloqués par
le crucifiement; mais rien ne me paraissait comparable à la soif
qui le brûlait. Mon cœur était brisé, en le voyant
en cet état, mes yeux ne pouvaient se détacher de lui, et
je souffrais mille morts en le voyant souffrir. J’aurais voulu le détacher
de la croix pour mourir à sa place, pour souffrir ce qu'il souffrait;
car, je ne pouvais me faire illusion, Jésus est innocent et je ne
suis qu'une misérable pécheresse; c'est pour moi qu'il est
en croix; c'est moi qui l’ai attaché en croix. O péché
de mon âme! quelle est ton œuvre?
En ce moment, la lumière
qui entourait le crucifix du tabernacle admirable devint plus éclatante
que jamais. Le corps de Jésus m’apparut comme un océan immense,
sans bornes et sans limites, d’où s’échappaient dans tous
les temps passés, présents et à venir, sur toutes
les épreuves des hommes, sur tous les maux, sur toutes les douleurs,
sur toutes les peines, sur toutes les tribulations qu'ils endurent une
fécondité nouvelle, une vertu divine qui changeait ces tribulations
en une joie éternelle, ces maux en un bien éternel, ces épreuves
en un repos éternel. Son corps m’apparut en même temps comme
un océan immense où affluaient toutes les peines de l'humanité
entière pour l’accabler lui seul, et des souffrances encore plus
grandes qui eussent suffi et au delà pour affaisser toute l'humanité
et l’empêcher de se relever jamais; mais il était Dieu et
sa force divine contenait tous ces maux dans le corps et l'âme qu'il
avait pris. La voix de Jésus se fit entendre, ou plutôt je
compris sans qu'il parlât, ce que je puis à peu près
rendre par ces paroles qui sont l’expression de ce que je compris : " Je
suis le roi de la douleur, le maître des souffrances, le distributeur
des tribulations. J'ai conquis ma couronne sur la croix, ma domination
par ma mort et mon autorité par ma résurrection. Ceux qui
veulent être couronnés avec moi doivent porter ma couronne
d’épines; ceux qui veulent régner avec moi doivent mourir
de la mort que je leur destine chaque jour de la vie; ceux qui veulent
participer à mon autorité ne la recevront que par la voie
douloureuse des tribulations. C'est moi qui envoie à chacun ses
épreuves, qui en règle la durée comme l’intensité,
et qui donne à tous l’exemple de la conquête de la gloire
du paradis. Je n’avais point besoin de souffrir pour moi. C'est par amour
pour les hommes que j'ai souffert. Tous les hommes ont péché;
ils doivent souffrir pour expier leurs péchés, souffrir en
union avec mes souffrances, souffrir par reconnaissance de ce que j'ai
moi-même souffert pour eux. "
Ah! Monsieur, peut-on se plaindre
quand on souffre, si l'on regarde un seul moment Jésus en croix?
Ne trouve-t-on point là consolation, force, courage, et même
désir de sa souffrance, puisqu'elle fait ressembler à Jésus
et mérite le ciel?
Je vis aussi et je compris, autant
que je pouvais la voir et la comprendre, la douleur de l'âme de Jésus.
La plus grande douleur d'une âme, c'est l’abandon de tous ceux qu'elle
aime. S'il en est ainsi, comment représenter la douleur de l'âme
du Sauveur? Ah! je crois que si cette douleur était une chose sensible,
ni la distance qu'il y a entre le ciel et la terre, ni la profondeur, ni
l’immensité du monde, ne serait capable de la contenir.
Jésus était abandonné
de tous, même de son Père. Si Dieu avait jeté en l'âme
du Sauveur un regard miséricordieux, elle eût été
consolée. Mais non, en ce moment, la divinité de Jésus
seule trouvait en son Père l’amour éternel qu'il a eu et
qu'il aura toujours pour elle; mais l'âme de Jésus ne trouvait
qu'une rigueur extrême et inflexible en Dieu, qui réclamait
tous les droits de sa justice. L’abandon de l’Homme-Dieu! Jésus
seul peut comprendre et comprit tout ce qu'il y avait de pénible
en cet état de son humanité abandonnée par Dieu son
Père.
Jésus était abandonné
de toutes les créatures. Les unes le torturaient, exerçaient
sur lui toutes leurs cruautés, toutes leurs railleries et tous leurs
affronts; les autres demeuraient dans la plus complète indifférence.
Il voyait pourtant quelques personnes
debout près de lui, qui prenaient part à ses douleurs; mais
leurs peines l’affligeaient bien plus qu'elles ne le consolaient. Leur
impuissance à diminuer ses peines, comme leur présence qui
les augmentait, n’étaient-elles donc pas encore plus pénibles
que si elles l’eussent abandonné? Il voyait là Marie, sa
Mère qui, en union avec lui, offrait à Dieu son sacrifice,
et dont l'âme était véritablement traversée
par un glaive de douleur. Il voyait là l’apôtre bien-aimé,
le disciple seul demeuré fidèle, et cette vue pouvait-elle
ne point le faire souffrir plus que tous les autres tourments?
Quelles douleurs en Jésus!
Quel calme cependant en sa douleur! Il garde le plus profond silence :
silence de miséricorde pour ses bourreaux, silence de soumission
pour son Père. S’il le rompt, c'est par charité pour sa mère
et son disciple bien-aimé; s’il le rompt, c'est par pitié
pour le larron pénitent; s’il le rompt, c'est pour accomplir les
prophéties; s'il le rompt, c'est pour remettre son âme entre
les mains de son Père; s'il le rompt enfin, c'est pour témoigner
que la vie lui appartient et que nul ne pourrait la lui ravir. O clameur
dernière du Sauveur au moment de son trépas, jetée
au monde comme un mystère qu'il ne comprendra jamais, combien vous
avez saisi mon âme! Ne m’avez-vous point dit et montré comment
Dieu use de plus de miséricorde envers nous, ses enfants adoptifs,
qu’envers Celui qui est son fils par nature? Ne m’avez-vous point fait
comprendre qu’au milieu de mes souffrances j’avais toujours les grâces
de Dieu comme un appui, un soutien, une consolation, et la parole d’un
ami, pour me donner courage et faire lever mes yeux au ciel, la parole
du Sauveur? Ne m’avez-vous point fait sentir la nécessité
de souffrir pour fuir le péché, de souffrir et de me soumettre
à la volonté de Dieu, de souffrir et de ne désirer
qu’une seule chose, la pureté du cœur?
Ah! Monsieur, je sens combien je
ferais injure au Sauveur Jésus de me plaindre de mes souffrances.
Il m’a montré la nécessité, l’avantage et la manière
de souffrir. Je saurai mieux le faire que le dire, pourvu que Dieu m’assiste
de sa grâce dans les tribulations.
Je suis, avec le plus profond respect,
Monsieur le Curé,
Votre très humble servante,
Marie
Mimbaste, 19 août 1843.
LETTRE 16, Des trois communications
dans le sein de Dieu.
Monsieur le Curé,
C'est avec une soumission entière
que je viens soumettre à vos lumières ce que je vais écrire.
Ce ne sont point des paroles qui
m’aient été adressées, ni des pensées qui m’aient
été inspirées; ce sont des clartés brillantes,
des vues, des connaissances que j’ai reçues dans l’oraison. Vous
vous rappelez la différence que j’ai mise entre le tabernacle admirable,
le sein et le coeur de Dieu. C'est dans le sein de Dieu que j’ai reçu
ces communications. Je puis les réduire à trois points. Je
ne sais si je pourrai bien me faire comprendre; je m’expliquerai le plus
clairement que je pourrai.
Dans la première communication,
il s’est agi de Dieu infiniment grand et infiniment incompréhensible
dans son être et dans ses perfections.
Dans la seconde, il s'est agi des
relations entre Dieu et l'âme élevée jusqu’à
lui par l’union le plus intime.
Dans la troisième, il s’est
agi de l’état d'une âme dépouillée de la grâce
sanctifiante, de son retour à Dieu et de ses combats après
sa conversion.
Enfin, comme conclusion, j'ai vu
autant qu'elle peut être vue, la disproportion infinie qui existe
entre Dieu et l'homme.
Voici la première.
La simple vue et la connaissance
de Dieu offrent quelque chose de si grand, de si parfait, de si relevé,
de si sublime, de si infini, de si fort au dessus de ce que l'esprit de
l'homme est capable de comprendre, de concevoir ou d’imaginer, que toutes
les facultés de son âme sont débordées, et que
son cœur est ému par divers sentiments qu'il chercherait inutilement
à contenir.
C'est en vain que l'esprit demande
des expressions pour rendre les choses même telles qu'il les conçoit
et les comprend. Quelque élevée que soit la conception ou
l’intelligence qu'il a de Dieu, il est obligé de reconnaître
qu'il ne peut rien dire de plus digne sur Dieu que d’avouer et de proclamer
Dieu au dessus de tout ce que l’esprit de l'homme peut comprendre ou concevoir.
Dieu est un tout qui ne peut être compris. Il remplit tout par son
immensité. Tout vient de lui et retourne à lui. Dieu possède
toutes les perfections qui de lui retombent sur les créatures, dans
la mesure qu'il leur destine. Tout proclame les perfections de Dieu, tout
publie sa gloire, tout annonce son existence. Dieu est le principe de tout
bien. La source de la grâce est en Dieu; c'est de son sein qu'elle
se répand sur les cœurs des hommes. Dieu est un fonds inépuisable
de lumières, dans lequel se trouvent toute science et toute connaissance
dans un degré infini.
En un mot, Dieu est un être
infiniment grand, infiniment incompréhensible dans son être
et ses perfections. Seul, il peut se comprendre lui-même.
Voici la deuxième.
Quand il plaît à Dieu
d’élever une âme, il se communique à elle, il la fait
participer à sa sainteté, à sa sagesse, à sa
force; il l’éclaire de ses lumières, il la remplit de la
vertu de son Esprit, il se découvre à elle, il la transporte
et la fait monter jusque dans le cercle de l’adorable Trinité, et
là, il répand sur cette âme l’abondance de ses biens
et de ses grâces, pour lui faire goûter une félicité
au dessus de toute félicité.
L'âme, se voyant comblée
des bienfaits immenses du Très-Haut, les reçoit avec les
sentiments de la plus profonde reconnaissance; mais, sachant sa faiblesse
et sa misère, et craignant de faire mauvais usage des dons de Dieu,
elle les jette dans le sein de la divinité vers qui elle les fait
remonter, proclamant ainsi qu'elle regarde Dieu comme son principe et sa
fin, proclamant surtout qu'elle se croit incapable de tout et qu'elle s’abandonne
entièrement à Dieu. Ainsi dégagée et détachée
de tout, l'âme se perd dans le sein de Dieu et repose en lui : mais
elle n’oublie pas, à cette heure des bénédictions
et des faveurs divines, ce qu'elle est, et, jusque dans sa plus haute élévation,
elle conserve le sentiment de sa bassesse et de son néant.
Voici sur la troisième.
Quand l'âme est dans le péché,
elle se trouve plongée dans un abîme profond. Elle est là,
environnée de ténèbres et victime des démons,
ses ennemis, qui la tiennent captive par les chaînes de ses passions.
Cette âme, si belle et si noble par elle-même, est par son
péché dans un état de noirceur et de laideur qui la
rend hideuse aux yeux de Dieu, des anges et des saints. Elle est séparée
de Dieu et éloignée de lui par une distance infinie. Cependant
Dieu, toujours miséricordieux, ne veut point abandonner cette âme,
malgré ses péchés. Il lance sur elle des traits de
lumière et lui envoie des grâces pour qu'elle connaisse son
état et gémisse sur ses iniquités. Il lui fait comprendre
son malheur par la perte qu'elle a faite de son amitié. Il lui montre
combien il a été bon envers elle, combien il use encore de
miséricorde et de patience et combien il désire renouveler
son alliance. Il ne néglige rien, il met tout en usage jusqu’à
ce qu'il ait triomphé de cette âme.
L'âme ne peut point par elle-même
sortir de son abîme, briser ses chaînes, arriver à Dieu;
mais elle lève ses yeux vers lui et lui jette ses supplications.
Dieu descend près de cette âme, lui donne le repentir qui
brise ses liens et lui permet de sortir de l’abîme. Puis il la revêt
de la robe blanche de l’innocence et de la pureté, par le pardon
des échés qu'elle accuse au ministre du Sauveur Jésus.
L'âme est pourtant encore
tout près de l’abîme qu'elle vient de quitter. Là,
le démon et les passions lui livrent de rudes assauts pour l’enchaîner
de nouveau s’il est possible. Elle rencontre mille obstacles, mille embarras
qui l’empêchent d’avancer dans la route du bien; il lui faut à
chaque pas un nouveau combat, une victoire nouvelle. Dieu ne lui manque
pas, heureusement; Dieu la soutient, nourrit son courage, et peu à
peu elle fuit loin de l’abîme en marchant plus commodément
vers le ciel.
Conclusion. J’ai vu enfin la disproportion
qu'il y a entre Dieu et l'homme. En Dieu tout est infini; en l'homme tout
est borné. Dieu se suffit à lui-même, il n’a besoin
de personne, il est sa propre gloire, sa propre félicité;
il est, il a été, il sera au siècle des siècles.
Le monde n’existait pas, l'homme n’avait point été créé,
les anges ne peuplaient point les cieux, Dieu néanmoins n’avait
rien à désirer pour son éternel bonheur, car il était
infiniment bon, infiniment grand, infiniment parfait.
Mais l'homme ne s’est pas fait lui-même;
il est l’ouvrage de Dieu, il a eu un commencement, il aura une fin; il
tient tout de Dieu, et, quelque élevé que soit un homme en
grâce, en mérite, en perfection, il n'est rien en comparaison
de Dieu. On ne peut comprendre la différence qu'il y a entre eux.
Quelque profonde que soit la science de l'homme, elle est bornée
et très bornée; la science de Dieu ne connaît point
de limites, elle est infinie. Qui peut donc s’abaisser assez devant vous,
mon Dieu, qui êtes si saint, si parfait, si puissant, si incompréhensible!
Recevez, Monsieur le Curé,
l’hommage de ma vénération la plus grande et de mon respect
le plus profond.
Je suis votre très humble
servante,
Marie.
Mimbaste, 30 août 1843.
LETTRE 17, Entrée et progrès
dans la perfection.
Monsieur le Curé,
Vous m'avez demandé si le
Sauveur Jésus m’avait parlé dans quelque circonstance d'une
âme qui entre et s’avance dans la perfection.
Voici les lumières qu'il
a plu au Sauveur de me donner à ce sujet :
" Quand une âme est en état
de grâce et désire entrer et s’avancer dans la perfection,
elle s’humilie profondément devant Dieu. Elle reconnaît que
par elle-même elle n’est que péché, qu'il lui est impossible
de faire le bien et qu'elle a un besoin permanent et continuel du secours
de Dieu. C’est par ces sentiments humbles qu'elle attire Dieu près
d’elle. Dieu, en effet, ne résiste point aux humbles. Il inspire
confiance à cette âme, il lui donne courage et fermeté,
il l’attire vers lui, il souffle en elle peu à peu le feu d’une
charité qui croît de plus en plus. Cette charité fait
que cette âme ne désire que Dieu, ne cherche que Dieu, ne
veut que Dieu, qu'elle se détache de tout ce qui n'est pas Dieu,
qu’elle oublie tout en Dieu pour ne s’occuper que de Dieu. Ses yeux deviennent
comme fermés à la lumière du jour; elle a des yeux
et elle ne voit point, parce qu'elle ne veut regarder qu’avec les yeux
de son âme. La lumière qu'elle cherche n'est point celle du
soleil, mais celle de la grâce, qui est la lumière de Dieu
éclairant les âmes.
Ainsi cette âme s’élève
au dessus des choses de la terre, au dessus d’elle-même, et Dieu
répand d’autant plus de grâces en elle qu'il la voit vide
de l’amour des créatures et d’elle-même. Ainsi cette âme
étouffe les sentiments de la nature, maîtrise ses passions
et les amortit, renonce à la lumière de la chair pour ne
suivre que celle de l’esprit de Dieu.
Dieu la voyant en ces dispositions
admirables se communique à elle et lui fait part des perfections
qui sont en lui. Plus elle avance dans le chemin de la perfection, plus
la lumière céleste croît en elle, plus elle comprend
qu'il n'y a qu'un seul mal, le péché, parce qu'il éloigne
de Dieu; qu'il n'y a qu'un seul bien, Dieu et son amour. Qu'elle est admirable
l’action de Dieu sur cette âme! Qu’il est admirable le commerce de
Dieu avec cette âme!
L'âme qui le comprend bien
ne hait, ne déteste, ne fuit rien tant que le péché;
elle n’aime, elle ne désire, elle ne cherche rien tant que Dieu
et l’accomplissement de sa volonté. Elle s’abandonne tout à
Dieu avec ses peines, ses afflictions, ses joies et sa félicité;
elle garde ses yeux attachés sur Dieu et marche au souffle de la
grâce vers la perfection, comme une nacelle vers le rivage au souffle
du vent qui l’entraîne.
Elle peut s’abandonner à
Dieu, nautonier habile qui connaît tous les périls, tous les
dangers, tous les tourbillons de la mer du monde; il les évitera
et la conduira sûrement au port du salut. Quelquefois il paraîtra
sommeiller; des tempêtes surgiront, des abîmes sembleront entr’ouverts
et prêts à engloutir cette âme; mais ce n'est pas elle
qui conduit la barque, ce n'est pas elle qui la dirige, c'est le Dieu qui
commande aux vents déchaînés et qui les arrête
par sa parole. Cette âme est en sûreté et son salut
repose sur la confiance qu'elle a dans le Sauveur.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’hommage de mon plus profond respect, et l’assurance de ma plus entière
déférence à tous vos ordres.
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 10 septembre 1843.
LETTRE 18, Bonheur de Marie Lataste.
Sa soumission entière à la volonté de Dieu.
Monsieur le Curé,
Je ne sais si ce que je vous ai
dit dans mes lettres pourra vous laisser une idée du bonheur que
Dieu m’a fait goûter dans le tabernacle admirable. Les lumières
qui éclairent mon âme, les grâces et la félicité
qui l’enivrent en ces moments de la méditation ont quelque chose
de si divin, de si heureux, que volontiers, si c’était possible,
je passerais là ma vie et l’éternité, car j’y possède
l’objet de tous mes désirs, le Sauveur Jésus.
Je ne saurais jamais vous répéter
assez, publier assez haut, combien le Seigneur est aimable dans ses communications
avec l’âme; combien il fait goûter à celui qui l’aime
une félicité suprême jusque dans les plus grandes tribulations!
Je le sens bien, plus l’attachement
qu'on a pour Dieu est désintéressé, plus la paix que
Dieu donne est inaltérable. Plus l’âme est libre et dégagée
de tout ce qui n'est pas Dieu, même des consolations de Dieu, plus
elle est heureuse et contente. Plus le cœur est vide de tout ce qui n'est
pas Dieu, plus il est rempli de la grâce et de la douceur de Dieu,
et rien ne saurait le rendre content s'il ne possède point Dieu.
Pour être content, le coeur doit être indifférent à
tout, oublier tout en Dieu. Heureuse l'âme établie dans cette
indifférence, indifférence dictée par l'amour de Dieu
et le mépris de soi, et nullement semblable à l’indifférence
qui vient de l'amour de soi et du mépris de Dieu. Cette dernière
indifférence est une noire ingratitude indigne d’un cœur chrétien.
C'est l’oubli de tout ce que Dieu a fait pour soi.
Mais tout oublier en Dieu, c'est
reconnaître que tout vient de Dieu, c'est tout rapporter à
Dieu, c'est tout renfermer en Dieu pour que rien ne se perde et ne se dissipe;
c'est là la reconnaissance souveraine et parfaite, le plus bel hommage
qu'on puisse rendre aux dons de Dieu.
Je désire augmenter en moi
cette indifférence, cette soumission, cet abandon à la volonté
de Dieu. C'est dans ces sentiments que je trouve la paix, la force et la
confiance qui me rendent presque insensible aux peines que je dois éprouver
et à mes tribulations. Mes tribulations n'ont point disparu; mais
je goûte, même avec elles, des consolations qui m’enivrent
de félicité.
Oui, Monsieur, je suis heureuse,
je ne désire plus rien; mon bonheur, c'est Dieu; il me suffit, rien
ne pourra me rendre malheureuse; le malheur lui-même augmenterait
ma félicité, qui est Dieu et le repos en Dieu.
Vous le voyez, c'est avec un entier
abandon que j’épanche mon cœur dans votre cœur; Dieu qui voit tout
sait bien que je ne vous cache rien, et que je vous parle dans la simplicité
d'un enfant qui s’entretient avec son père dont il connaît
toute la bonté.
Priez pour moi, Monsieur le Curé,
et croyez aux sentiments de vénération profonde, de respect,
de soumission et de reconnaissance avec lesquels,
J’ai l’honneur d'être, Monsieur
le Curé,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 5 septembre 1843.
LETTRE 19, Diverses communications
de Dieu à l’âme dans l’oraison.
Monsieur le Curé,
Vous m’obligez à vous dire
ce que j’éprouve dans mes méditations ces jours-ci. Je l’avoue,
c'est là chose assez difficile. J’essayerai pourtant de vous obéir,
et tâcherai de faire de mon mieux.
Lorsque je veux faire oraison, je
ne me propose pas de sujet pris à l’avance, je ne me sers point
de livre; rien de tout cela ne pourrait convenir à l’attrait que
j’éprouve chaque fois, et par conséquent loin de m’être
utile, ce choix ou cette préparation me serait à charge ou
pénible.
Je me mets donc en oraison avec
la seule disposition de recevoir l’attrait qui me sera donné. Quelquefois,
immédiatement après, je me sens portée à chercher
Dieu; je le cherche avec docilité et humilité. D’autres fois
cet attrait tarde à venir; alors je me repose dans le sein de Dieu,
m’humiliant et m’anéantissant en la présence de son immense
sainteté, moi, pauvre créature pécheresse et entraînée
au mal. Dieu se laisse chercher plus ou moins longtemps, et je lui demeure
toujours soumise, quand même il ne devrait pas se laisser trouver.
Mais non, tôt ou tard, il vient dire à mon âme : " Cherche
moi. " Je le cherche et je le trouve. Dieu, en effet, ne résiste
pas à la soumission pleine et entière à sa divine
volonté.
Dieu se communique à l’âme
et se découvre à elle de plusieurs manières.
Dieu se communique à l’âme
par sa seule présence, et l'âme ressentant la présence
sensible de Dieu repose en lui et suit l’attrait qui lui est donné
conformément à cette communication.
Dieu se communique à l’âme
par les dons de sa grâce. Alors il semble que l'âme reçoive
des flots de grâces qui remplissent son coeur et pénètrent
avec le sang dans tout le corps. L'âme en est tout enivrée.
En ce moment, quelles que soient ses peines, elles disparaissent; l'âme
ne les sent pas parce qu'elle goûte un bonheur ineffable dans la
communication qui lui est faite.
Dieu se communique à l'âme
en lui donnant des connaissances diverses, par des lumières et des
illuminations divines, des vues en quelque sorte béatifiques, ou
bien par des pensées qu'il lui inspire et des paroles qu'il lui
fait entendre.
Dieu se communique à l'âme
en la faisant pénétrer dans le sein de son immensité,
et plus elle pénètre avant, et plus cette communication est
grande et relevée.
Dieu se communique encore à
l'âme d’une manière plus parfaite en la faisant pénétrer
jusque dans son cœur. Je ne sais, Monsieur, si vous comprenez ce que je
veux dire. Je mets une grande différence entre le sein et le cœur
de Dieu. les communications que Dieu fait à une âme dans son
cœur sont les plus intimes, les plus élevées, les plus parfaites.
C'est là, en effet, que l'âme trouve le point de réunion
de toutes les perfections de Dieu, là qu'elle en reçoit en
elle-même les plus douces impressions, là qu'elle en s'est
toute compénétrée. Elle voit là et contemple
les perfections divines dans tout leur éclat, saisie d’étonnement,
d’admiration et d’amour. Le cœur de Dieu, c'est la source d’où jaillissent
toutes les grâces. Le cœur de Dieu, c'est la plénitude de
tous les biens, et l'âme qui pénètre dans ce cœur les
possède à ce point qu'ils lui paraissent communs avec Dieu.
c'est là qu'il lui découvre la réalité de sa
substance dont il lui donne communication pour ne faire qu'un avec elle.
Enfin, c'est là qu’a lieu le commerce le plus merveilleux, le plus
admirable, le plus sublime qu'on puisse supposer entre l'âme et Dieu,
entre le créateur et la créature, le fini et l’infini. Là,
Dieu parle un langage que les hommes ne comprennent point; là l'âme
parle à Dieu un langage dont elle n’a plus l’intelligence quand
elle a cessé de parler, et qu'elle ne retrouvera qu’au ciel pour
le posséder à jamais. Ce langage est caché, intime,
mystérieux; il est en forme de chant, et cependant il n'est point
un chant. On n’emploie pour ce langage ni le son de la voix ni celui des
paroles. L'âme, en ce moment, comprend ce langage, mais ce n'est
point par une intelligence véritable et raisonnée, mais par
le sentiment et l’impression si douce et si suave qui est en elle.
Dans ce langage, l'âme et
Dieu expriment réciproquement leurs sentiments l’un pour l’autre.
Dieu touche toujours le cœur de l'âme, c'est-à-dire ce qu'il
y a de plus intime en son intelligence et sa volonté, et quelque
insensible que soit ce cœur, il lui faut verser des larmes. Il n’en est
pas de même du coeur de l'âme, car il ne parvient pas toujours
à toucher le cœur de Dieu.
Dieu parle en Dieu, c'est-à-dire
en maître; Dieu parle en père, c'est-à-dire comme l’ami
le plus tendre et le plus aimant; et l’âme, comment peut-elle parler,
si ce n'est comme parle un sujet ou un esclave, comme parle un petit enfant?
Quand Dieu parle, il se fait écouter; quand il a cessé de
parler, c'est l'âme qui lui répond; mais cette réponse
ne dépend point d’elle, elle dépend de Dieu qui l’inspire
par un attrait auquel l'âme ne doit point résister, mais qu'elle
doit suivre avec soin et avec une grande humilité pour ne point
s’exposer à tout perdre. O bonheur ineffable des communications
de l'âme avec Dieu dans le coeur de Dieu, c'est-à-dire dans
son Verbe éternel! Langage sans paroles, entretiens muets et mystérieux
par l’onction éternelle de la Divinité, c'est-à-dire
par le Saint-Esprit! O Monsieur! Je crois bien que c'est là le ciel.
O Dieu, trinité et unité! O Dieu de mon âme, Dieu plein
de miséricorde, Dieu plein de tendresse, Dieu plein d’amour, Dieu
admirable, Dieu trois fois saint, que je vous aime à jamais!
Voilà, Monsieur, des communications
auxquelles il me semble avoir pris part; que je n’ai point cherché
à hâter, cela eût été inutile; que je
n’ai point désirées, je ne désire que ce que Dieu
veut, mais auxquelles je n'ai pas voulu résister par crainte de
l’offenser. Je m'y suis attachée avec fidélité, avec
une humble indifférence et une entière soumission à
la volonté de Dieu.
Il me semble que le Sauveur Jésus
m'a dit, il y a quelque temps : " Ma fille, plus une âme avance dans
la soumission et la fidélité à Dieu et l’humilité,
plus elle avance dans la hiérarchie des communications avec Dieu.
Soyez-moi fidèle, soyez soumise à mon Père, soyez
humble. " C'est pour cela que je tâche de faire en tout sa volonté
et que je me défie complètement de moi-même.
Le Sauveur Jésus m'a dit
encore qu'il y a deux sortes de communications de Dieu à l’âme
: la première sensible et la seconde insensible. Quand Dieu fait
connaître à l'âme les dons et les grâces qu'il
lui fait, il y a communication sensible; quand il les lui cache, il y a
communication insensible. Dieu agit de l’une ou l’autre manière,
toujours pour le plus grand bien des âmes et selon la voie dans laquelle
il veut les conduire. Il ne les conduit pas toutes par le même chemin;
il fait suivre aux unes la route du Calvaire et place les autres sur le
Thabor, pour un temps, pour placer ensuite celles-ci sur le Calvaire et
celles-là sur le Thabor. Il est infiniment sage, et sa sagesse fait
tout pour le plus grand bien. Je vous rapporte ces paroles qui peuvent
se joindre à ce que vous m’avez demandé, et je vous prie,
Monsieur le Curé, d’agréer l’hommage de ma considération
la plus distinguée.
Votre très humble servante,
Marie
Mimbaste, 7 septembre 1843.
LETTRE 20, Du coeur de Dieu.
Monsieur le Curé,
Un jour, pendant mon oraison, mon
âme fut ravie, non-seulement dans le sein de Dieu, mais jusque dans
son cœur. Voici de quelle manière il me semble avoir compris ce
que j’éprouvai.
Dans la substance de Dieu il y a
une partie intime et particulière que j’appelle le cœur de Dieu.
Le Père, principe des deux
autres personnes, et principe sans principe autre que lui-même, a
en lui-même et de lui-même cette partie intime et particulière
qui est son coeur.
Le Père, en communiquant
au Fils et au Saint-Esprit sa substance, ses perfections, sa divinité,
leur communique aussi cette partie intime et particulière qui est
son cœur.
Ainsi le Fils et le Saint-Esprit
ont en eux, comme le Père, une partie intime et particulière,
que j’appelle dans les trois personnes le coeur de Dieu.
Le Père n’a reçu son
cœur d’aucune personne divine, puisqu’il est la première personne,
c'est-à-dire le principe des deux autres.
Le Fils a reçu son cœur de
Dieu le Père dans sa génération éternelle,
et le Saint-Esprit, du Père et du Fils dans sa procession éternelle
de l’une et de l’autre personne.
Or, par l’union intime de ces trois
personnes, elles n'ont qu'un même cœur comme une même substance
et une même divinité.
Il n'est pas nécessaire que
je vous dise, Monsieur, que je n’entends rien de matériel et de
sensible par le cœur de Dieu. Dieu est esprit et tout esprit est en lui.
J’entends donc par le cœur de Dieu,
la partie la plus intime de lui-même, si je puis ainsi parler; il
faut bien que je m’exprime de quelque manière; j’entends par le
cœur de Dieu le principe qui produit, le point sans bornes, sans limites,
sans mesure, où se trouvent réunies les perfections de Dieu.
Là, se trouvent la source de la grâce, la source de tout bien,
la source de toute félicité, qui de Dieu se répandent
sur les créatures, selon qu'il lui plaît de les leur communiquer.
C'est là que se sont formés, de toute éternité,
que se conservent, cachés, secrets, impénétrables,
tous les jugements de Dieu.
Voilà, Monsieur, ce qu'il
m’a semblé comprendre sur le cœur de Dieu. J’avais donc raison de
vous dire que le cœur de Dieu, c'est son Verbe éternel. Car le Verbe
éternel, c'est la vie intime de Dieu; le Verbe éternel, c'est
la félicité intime de Dieu; le Verbe éternel, c'est
le bien, c'est la gloire, c'est la splendeur, c'est la vertu, c'est l’image
de Dieu; le Verbe éternel, c'est la parole, c'est l’intelligence,
c'est le jugement de Dieu. O Verbe éternel, coeur de Dieu le Père!
Père éternel, principe du Verbe et de votre cœur; Esprit
divin, union par votre coeur du cœur du Verbe et du cœur de Dieu le Père!
Comment se fait-il que ces trois cœurs soient distincts et ne forment qu’un
cœur? Comment se fait-il que Dieu le Père soit le principe du cœur
de son Verbe et que le Verbe soit le cœur de Dieu le Père? Comment
se fait-il que le cœur du Saint-Esprit, procédant éternellement
du cœur du Père éternel et de son Verbe, les réunisse
d’une manière si étroite qu'ils ne fassent tous trois qu'un
seul coeur, le cœur de Dieu?
O mon âme! ne cherche point
à pénétrer le mystère premier de l’éternité.
Adore-le dans la crainte et le tremblement. Adore-le dans l’amour et la
soumission entière de toutes tes puissances.
Degrés incompréhensibles
de l’éternité, degrés incompréhensibles du
ciel, degrés incompréhensibles de la Divinité, je
vous vois, mais je ne vous comprend pas. Demeures diverses de la maison
du Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que vous êtes
admirables.
Vous voyez maintenant, autant que
je puis vous le faire voir, Monsieur, la différence qu'il y a entre
les divers états d’une âme qui se trouve sous la protection
de Dieu, d'une âme qui repose dans le sein de Dieu et d'une âme
qui vit dans le coeur de Dieu.
Un pécheur peut être,
il est réellement sous la protection de Dieu, puisqu’il lui donne
les grâces pour quitter son péché et revenir à
la vie.
Une âme en état de
grâce peut être et est réellement dans le sein de Dieu,
puisque la grâce la rend amie de Dieu, agréable à Dieu,
fille de Dieu.
Mais pour qu'une âme vive
dans le cœur de Dieu, il faut une bien plus grande perfection; il faut
que cette âme mérite cette vie en réglant toutes ses
pensées, tous ses désirs, toutes ses paroles, toutes ses
actions selon Dieu et l’amour qu'elle doit à Dieu.
Je n’éprouve pas toujours
des communications pareilles dans mes méditations. Elles sont bien
rares même. Ah! Monsieur, c'est que j’en suis bien indigne. Ce que
j'ai éprouvé n'est que l’effet de la bonté et de la
miséricorde infinies du Sauveur Jésus à mon égard.
Quelles que soient les communications
que je reçoive, elles n'en sont pas moins agréables à
mon coeur, ni moins utiles à mon âme. Mon âme ne se
préoccupe que d'une chose, de suivre avec une entière soumission,
et en reconnaissant qu'elle ne mérite rien de la part de Dieu, l’attrait
qui lui est présenté. En le suivant, elle trouve Dieu, en
trouvant Dieu, elle trouve la grâce et le bonheur.
Je ne suis attachée à
rien; je ne désire que l’accomplissement parfait de la volonté
de Dieu. Tout le reste m’est indifférent, même ce qui m’intéresse
le plus.
Recevez avec bonté cet épanchement
de mon âme, et qu'il soit pour vous, Monsieur le Curé et très
vénéré père en Notre-Seigneur Jésus-Christ,
l’assurance de ma vénération et de mes sentiments les plus
soumis et les plus respectueux. Je suis, Monsieur le Curé,
Votre très-humble et très
indigne servante,
Marie,
Mimbaste, 20 septembre 1843.
LETTRE 20, Du coeur de Dieu.
Monsieur le Curé,
Par obéissance et soumission
entière à votre volonté, je vais vous exprimer ce
que je pense, non par moi-même, mais après les instructions
du Sauveur Jésus, sur la sainte vertu de chasteté. Pour répondre
clairement à votre demande, je considérerai d’abord la chasteté
en elle-même, en second lieu dans ses avantages et ses effets, et
enfin dans sa pratique.
I. La chasteté est une vertu
divine : elle vient de Dieu, elle donne à l'homme ressemblance avec
Dieu, qui est l’être souverainement pur, sans aucun mélange
ni participation à autre chose qu'à la divinité; elle
le mène à Dieu et le lui fait posséder à jamais.
La chasteté est une vertu
sublime, sa source est infiniment élevée, puisqu’elle vient
de Dieu; son efficace empêche l'homme de tomber au niveau des animaux
sans raison, elle l’élève jusqu’à l’auteur même
de la raison, Dieu, roi du monde et des cieux.
La chasteté est une vertu
puissante : elle rend l'homme maître de lui-même, lui donne
la force de résister à ses mauvais penchants et à
ses inclinations perverses, de mépriser et fouler aux pieds toute
jouissance criminelle, tout plaisir défendu, de vaincre généreusement
l’attrait pour tout ce qui est impur et d’éloigner son âme
du libertinage et de la corruption. La chasteté est la vertu opposée
au vice d’impureté.
La chasteté est une vertu
nécessaire; car il est écrit que rien de souillé n’entrera
dans le royaume des cieux, et sans la chasteté, il est impossible
de ne point souiller son corps et son âme.
La chasteté est une vertu
qui convient à toute sorte de personnes : elle convient à
tout âge, à l'homme comme à la femme, au vieillard
comme à l’enfant, au riche comme au pauvre, à l’ignorant
comme au savant, aux vierges comme aux personnes engagées dans le
mariage, au roi le plus illustre et le plus puissant comme au dernier de
ses sujets.
La chasteté est une vertu
que tous doivent posséder; dans n’importe quel état et quelle
condition, tous doivent être chastes.
II. Telle est la vertu de chasteté
considérée dans sa nature; voici comment on peut l’envisager
dans ses avantages.
La chasteté est une vertu
merveilleuse, admirable, inappréciable. Elle mérite notre
amour le plus grand, notre estime la plus parfaite, notre empressement
et tous nos efforts pour l’acquérir si nous ne sommes pas assez
heureux pour la posséder, ou bien pour l’augmenter chaque jour davantage
en évitant tout ce qui pourrait la blesser ou la ternir.
Combien cette vertu de chasteté
est avantageuse à l'homme pour ses intérêts spirituels!
La chasteté délivre l'homme d'une passion honteuse qui l’agite
et le tyrannise sans cesse, qui le dévore et le consume par cette
soif des plaisirs et des jouissances impures et criminelles, qu'il ne peut
éteindre ni satisfaire, même en lui accordant tout ce qu'elle
lui demande.
Quelle différence entre deux
hommes, dont l'un est chaste et l’autre ne l’est point! Que trouve-t-on
dans celui-ci? Troubles, agitations, souffrances et malheur. En celui-là?
Le calme, la paix, la tranquillité, le bonheur. l’un a toujours
l’esprit occupé d’images et de figures déshonnêtes
qui appesantissent son âme et l’empêchent de s’élever
vers Dieu, la courbent et l’inclinent tristement vers la terre, la dégradent
et la plongent dans la corruption et la misère, lui ôtent
l’amour de Dieu et le goût de la piété en le rendant
semblable aux animaux sans raison. La conduite de cet homme devient souvent
la cause de son désespoir à l'heure de sa mort et il tombe
dans les abîmes de l’éternelle malédiction.
Celui qui est chaste, au contraire,
tient son esprit libre de toute pensée déshonnête;
il dissipe et repousse bien loin tout ce qui pourrait troubler ou embarrasser
son âme, même une pensée tant soit peu immodeste, dès
qu'il l’aperçoit venir. Il s’élève autant vers Dieu
qu'il se détache des créatures. Il conserve son cœur pur,
et Dieu le regarde avec complaisance, lui donne ses bénédictions,
répand en lui ses grâces avec abondance, lui donne ses plus
affectueuses consolations, ou bien, s'il l’éprouve pour augmenter
sa couronne dans le ciel, il ne torture point son cœur par l’aiguillon
cuisant du remords. Aussi, quand vient l’heure de sa mort, quel bonheur
et quelle paix sur son visage! Son âme s’envolera avec confiance
vers Dieu pour aller recevoir la couronne de gloire et d’immortalité
qu'elle aura méritée par ses combats, ses luttes et ses triomphes
de chaque jour.
Les avantages spirituels de la chasteté
sont donc le bonheur et la paix de l'âme pendant la vie, la tranquillité
à l'heure de la mort, la gloire et la félicité du
ciel après la vie.
Les avantages temporels ne sont
pas moins importants. La chasteté entoure de respect et d’honneur
celui qui la possède; car il est estimé des anges et des
hommes, des gens de bien et même des libertins. Celui, au contraire,
qui n'a point la chasteté, est méprisé de tous et
regardé comme un vil fumier, qu'on ne foule point aux pieds, mais
dont on a horreur et que l'on fuit pour n’en point être souillé.
La chasteté fait le bonheur
de la famille. Elle resserre et sanctifie les liens sacrés du mariage
par une mutuelle fidélité entre les deux époux, et
leur fait remplir les obligations que cet état leur impose.
La chasteté fait la gloire
et l'honneur de la jeunesse des deux sexes et la consolation des parents
dans leurs enfants.
La chasteté étend
ses bienfaits jusque sur les biens temporels.
La chasteté attire sur une
famille la paix, la concorde, l’économie et la prospérité,
parce que ceux qui aiment la chasteté aiment toujours le travail.
Car si l’on peut aimer le travail sans être chaste, il faut nécessairement
aimer le travail quand on pratique la chasteté; et ce travail, en
ces conditions, est toujours fécondé par Dieu, dont la bénédiction
est attirée sur tous ceux qui sont chastes.
Au contraire, ceux qui ne pratiquent
point la chasteté tombent bien souvent d’une position élevée
et brillante, ou du moins aisée et commode, dans un état
voisin de la misère, et quelquefois dans une ruine complète.
Le vice opposé à la chasteté amène avec lui
l’oubli des devoirs de son état, rend le travail insupportable,
l’économie et l’ordre impossibles, et tout disparaît rapidement.
Dieu ne répand point ses
bénédictions sur les familles où la chasteté
ne règne point; loin de là, il les frappe avec la verge de
sa justice d'une manière éclatante. Il frappe les royaumes
et les cités, les rois et les sujets, les pères et les enfants.
Que d’exemples dans les temps passés Dieu n'a-t-il point données
aux nations, aux rois et aux individus? N'est-ce point lui qui par le feu
du ciel a détruit Sodome et Gomorrhe, et qui a frappé David
et Salomon et mille autres, à cause du vice opposé à
la vertu de chasteté?
III Il ne suffit point d’admirer
la beauté et l’excellence de la chasteté et d’en reconnaître
les avantages, il faut encore la pratiquer. Mais, hélas! Il n'est
que trop vrai pourtant que la plupart l’admirent, l’aiment et la respectent
chez les autres; bien peu la possèdent et la pratiquent telle qu'on
devrait la pratiquer et la posséder.
Cette vertu est d'une délicatesse
extrême; peu de chose la ternit, ce n'est qu'avec une précaution
continuelle qu'on peut la conserver. Une pensée, une parole, un
regard, une action sur soi ou sur autrui suffisent pour lui porter atteinte.
Je ne veux point dire pour cela que toute pensée contre la modestie
soit un péché, tout le monde est soumis à ces sortes
de pensées, même les plus grands saints. Or, bien loin que
ces pensées aient été des péchés en
eux, elles étaient la source d'une quantité immense de mérites
par la manière dont ils se conduisent à l’égard de
ces pensées.
Que fait une personne chaste quand
il lui vient des pensées contraires à la chasteté?
Loin de les entretenir dans son esprit et de se complaire en elles, elle
les rejette aussitôt qu'elle s’en aperçoit; elle porte son
esprit et son coeur vers Dieu et lui demande sa sainte grâce pour
ne point l’offenser. Elle ne se permettra jamais une parole inconvenante,
une parole à double sens qui pourrait perdre une âme un peu
faible, et même une parole un peu libre qui ferait une fâcheuse
impression sur le prochain. Non seulement elle s’interdit des paroles de
cette sorte, mais elle ne peut même supporter qu'on les prononce
en sa présence. Une personne chaste, se trouvant dans une réunion
qui attaque ou blesse la chasteté, non seulement arrêtera
tout sourire sur ses lèvres, pour ne point engager à continuer,
mais elle témoignera par son air sérieux et modeste, ou bien
par quelque parole dite avec une noble fermeté et une sainte indignation,
que cela lui déplaît. Une personne chaste ne s’arrêtera
jamais au moindre désir contre la modestie ou l’honnêteté,
parce qu'elle sait qu'en agissant ainsi elle pêcherait et offenserait
Dieu. Elle les étouffe dès leur principe, les dissipe et
les fait disparaître aussitôt qu'ils se présentent.
Une personne chaste ne se permet jamais le moindre regard opposé
à la modestie, parce qu'un regard jeté avec de mauvaises
intentions ou des pensées criminelles est un péché.
C'est un trait cruel, capable de donner la mort à une âme.
Voilà pourquoi une personne chaste veille sur ses regards, voilà
pourquoi elle tient les yeux modestement baissés et ne les arrête
jamais sur des objets qui pourraient faire sur elle une funeste impression.
Une personne chaste ne se permettra et ne permettra jamais à autrui
par rapport à elle-même rien de contraire à la vertu
de modestie, aucune légèreté, aucune familiarité
défendues; elle respectera son corps et le fera respecter par autrui.
Elle ne se contentera pas d'être chaste intérieurement, elle
saura manifester extérieurement son amour pour cette vertu. Car
il n’en est point de celle-ci comme des autres. Il est bon de tenir souvent
les autres vertus cachées dans son cœur; mais la vertu de chasteté
ne saurait jamais être assez manifestée au grand jour. De
même il servirait peu d'être chaste extérieurement si,
sous ce voile extérieur, on cachait un cœur gâté et
corrompu. Cette chasteté ne serait qu'une chasteté mensongère
et criminelle.
Une personne véritablement
chaste l’est à la fois intérieurement et extérieurement.
La chasteté est dans son coeur comme un précieux parfum qui
répand une odeur douce et suave qui ravit tous ceux qui l’approchent.
La chasteté est dans son coeur comme un cristal limpide dans lequel
le soleil fait pénétrer ses rayons pour lui donner un éclat
splendide et brillant.
Qu'il est doux et agréable
de voir pratiquer la chasteté!
O chasteté, vertu de l'homme
et de la femme, vertu de tous les âges et de toutes les conditions!
c'est toi qui fait fermer l'oeil et l’oreille de l’enfant à tout
ce qui pourrait ternir son innocence. Tu es le plus bel ornement de la
jeune fille et tu lui donnes cette retenue si agréable dans ses
paroles, dans ses regards, dans ses habits, dans ses pensées, dans
toute sa conduite, en tout temps, en tout lieu, en toute rencontre. Tu
lui fais éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait ternir
la pureté et l’innocence de son âme, tu lui fais regarder
comme une insulte dont elle ose se plaindre amèrement et témoigner
son indignation envers qui que ce soit, toute familiarité qu'on
voudrait se permettre envers elle. Tu es la gloire du jeune homme qui,
loin de rougir de ta pratique, te prend pour règle de sa conduite.
Tu le fais respecter et tu lui dis de respecter autrui, parce qu'en déshonorant
les autres il se déshonorerait lui-même. Tu es la vertu principale
des personnes mariées, tu leur donnes des jours heureux et sereins,
tu les empêches de suivre uniquement l’impulsion des passions comme
des païens et les fais vivre comme les vrais enfants de Dieu. Tu es
l’auréole glorieuse du vieillard qui t’a prise pour compagne durant
toute ta vie, et qui, malgré le poids accablant de ses années
et malgré ses cheveux blanchis par la fatigue et le travail, semble
encore se défier de lui-même comme d'un feu couvant sous la
cendre, et conserve partout et toujours, dans toute sa conduite, cette
retenue parfaite qui le rend doublement respectable, et par son âge
et par sa vertu.
Voilà, Monsieur le Curé,
autant que j'ai pu les réunir et les classer, les divers enseignements
que j’ai reçus, que j'ai gardés et que je vous transmets
selon vos désirs.
J’oubliais de dire que, puisque
cette vertu doit être pratiquée dans tous les états
et dans toutes les conditions, elle n'est incompatible avec aucune condition
ni aucun état. Tous peuvent être chastes, parce qu'ils doivent
l'être. Ce qui est impossible n’a jamais été et ne
sera jamais l’objet d’un commandement de Dieu.
Recevez, Monsieur, je vous prie,
l’assurance de ma considération la plus distinguée avec laquelle,
J’ai l’honneur d’être, Monsieur
le Curé,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 1er octobre 1843
LETTRE 21, Moyens de garder la chasteté.
Monsieur le Curé,
Il me reste encore à vous
parler des moyens que m'a indiqués Notre-Seigneur Jésus-Christ
pour observer et garder précieusement la chasteté.
Voici comment il m'a parlé
: " Ma fille, il y a deux sortes de chasteté, la chasteté
du corps et celle de l’esprit. Celui qui n'est pas chaste dans son corps
ne peut l'être dans son esprit, et rarement celui qui n'est pas chaste
dans son esprit demeure chaste dans son corps. Le corps est l’instrument
par lequel la concupiscence pose les actes contraires à la pureté,
l'esprit est celui qui conçoit les actes et les fait produire d'une
manière extérieure par le corps.
" Or, il y a différence entre
le corps qui est matière et l'esprit qui n'a en lui rien de matériel.
Il faut donc leur donner deux secours ou deux moyens différents
à l'aide desquels le corps et l'esprit puissent, chacun pour soi,
garder la chasteté.
" Ces deux moyens sont la mortification
pour le corps, la prière pour l'esprit ou pour l'âme.
" Si vous prenez soin de votre corps,
si vous le nourrissez avec abondance et délicatesse, si vous lui
accordez tout ce qu'il vous demande, si vous lui laissez prendre ses aises,
soyez persuadée que vous deviendrez aisément la proie du
démon de l’impureté. Le corps ainsi traité est mou,
efféminé, sans force ni vigueur; il est incapable de soutenir
une lutte, de se faire la moindre violence; il devient l’esclave de l’incontinence,
à laquelle il sacrifie aussi souvent qu'elle le demande.
" Mais si vous le réduisez
en servitude, si vous le traitez comme un esclave, si vous le liez par
les liens de la mortification, des veilles et des jeûnes, il deviendra
fort contre le démon de l’impureté. Celui-ci en aura même
horreur, il ne voudra pas d'un butin qu'il croira trop méprisable
mais, en vérité, c'est qu'il n’aura pas accès près
de lui. Il trouvera tous les accès, par lesquels il pourrait s’introduire
en vous, soigneusement gardée, formée et défendus.
" Veuillez donc et mortifiez votre
corps; vous serez forte et puissante contre l’impureté. Mais il
ne suffit pas de le mortifier dans le sommeil et la nourriture; il faut
le mortifier dans la vue, l’ouie, l’odorat, le toucher, en un mot, dans
tout ce qui est du corps, faisant du corps et de tous ses membres l’objet
spécial et particulier de votre mortification de chaque jour et
de chaque instant.
" Enfin, ma fille, observez vos
pas et vos mouvements, ne vous exposez jamais à la tentation d’impureté
en fréquentant des lieux ou des personnes qui pourraient devenir
pour vous une occasion de chute. Si vous faites cela, ma fille, vous serez
chaste dans votre corps.
" Mais cela ne suffit pas. Vous
êtes composée de corps et d’âme, et ce corps et cette
âme ne font qu'un. Le corps et l’âme doivent être chastes
l’un et l’autre, et ne peuvent l’être séparément s’ils
ne le sont tous deux à la fois. Il faut donc que vous joigniez à
la mortification, qui est la sauvegarde du corps, la prière, qui
est la sauvegarde de l'âme.
" Vous vous rappelez ce que je vous
ai dit de la prière. La prière, c'est une élévation
vers Dieu, c'est un cri vers Dieu, c'est une demande de secours à
Dieu, c'est un repos en Dieu, c'est un refuge cherché près
de Dieu. La prière, c'est une défiance de soi, c'est un acte
d’amour de Dieu. Par conséquent, tout ce qui est prière est
pour l'âme assurance de la chasteté, défense de la
chasteté.
" Ma fille, la chasteté est
un don de Dieu. L'homme n'est point chaste par lui-même. S’il a la
chasteté, c'est parce que Dieu la lui a donnée. Il faut donc
demander à Dieu la chasteté si on ne l’a point, c'est-à-dire
prier. Il faut la recommander à Dieu, la remettre entre ses mains
pour la conserver, c'est-à-dire prier, parce que l'homme ne peut
pas plus la conserver qu'il ne peut l’acquérir par lui-même.
" La prière est la seule
défense, le seul soutien de la chasteté; et s’il y a plusieurs
sortes de prière, on peut recourir à chacune d’elles pour
la conservation comme pour l’augmentation de la chasteté.
" La meilleure des prières,
celle qui a le plus d’efficacité, ma fille, c'est la prière
dictée par l’amour, c'est un cri d’amour jeté vers moi. Ah!
ma fille, jamais une âme tentée contre l’impureté ne
m’a dit : Sauveur Jésus, je vous aime de tout mon cœur, sans que
je lui aie donné la victoire. Jamais une âme tentée
contre la pureté ne s’est réfugiée dans les plaies
de mon corps, sans que je lui aie donné le triomphe contre la tentation.
Jamais une âme n’a pénétré dans l’ouverture
de mon cœur, sans que mon cœur ait été pour elle une défense
inexpugnable. Jamais une âme n’a regardé en face ma passion
à l’heure de sa tentation, sans qu'elle l’ait vue disparaître
comme un éclair; ou bien, si la tentation à persisté,
sans qu'elle ait repoussé tous les traits jusqu’au dernier, jusqu’au
plus aigu.
" Jamais une âme amie de la
chasteté n’a porté son œil sur la Divinité, considéré
sa justice ou sa miséricorde, la toute-puissance de son amour, sa
sainteté ou sa perfection infinie, sans avoir senti croître
en elle son amour pour cette admirable vertu.
" Jamais une âme n’a reconnu
sa misère, sa bassesse, son néant, sa faiblesse, son impuissance
et dit à Dieu, au moment de la tentation : Mon Dieu, sauvez-moi,
sans qu'elle ait été délivrée par Dieu.
" Enfin, ma fille, jamais une âme
ne s’est approchée dignement du sacrement de mon amour sans qu'elle
y ait trouvé cette table merveilleuse que j’ai préparée
pour mes amis, comme un rempart inexpugnable contre ceux qui les persécutent.
" Communier à mon corps et
à mon sang, c'est me prier et m’adresser même la prière
la plus agréable, c'est me dire : Sauveur Jésus, vous êtes
le pain de vie, délivrez-moi de la mort. Seigneur, vous êtes
le Dieu trois fois saint, délivrez-moi du péché. Seigneur
Jésus, vous vous plaisez parmi les lis de la pureté, préservez-moi
de toute souillure, Seigneur Jésus, je ne suis que péché,
faiblesse et impuissance, fortifiez-moi, soutenez-moi, sanctifiez-moi.
" Je ne demeure point sourd à
cette prière et je permets à l'âme de puiser en mon
Cœur comme à une source intarissable le vin qui fait germer les
vierges.
" Tels sont, ma fille, les moyens
assurés par lesquels vous garderez la chasteté.
" Soyez mortifiée et soyez
vigilante; priez, c'est-à-dire reconnaissez votre faiblesse, et
pleine de confiance abandonnez-vous à Dieu; vous demeurerez chaste,
vous demeurerez pure, et vainement l’esprit de ténèbres tendra
des pièges sous vos pas, jamais il ne vous prendra dans ses filets.
Voilà M. le Curé,
ce que je devais ajouter à ce que je vous ai dit précédemment
dans mes cahiers ou dans mes lettres sur la chasteté.
Je me recommande à vos ferventes
prières, afin que j’aie un nouveau moyen pour demeurer chaste et
éloignée de tout ce qui pourrait offenser Dieu.
Agréez, je vous prie, Monsieur
le Curé, l’assurance de mes sentiments respectueux, et croyez à
toute ma gratitude pour la charité immense que vous me témoignez.
Votre très humble servante,
Marie,
Mimbaste, 8 octobre 1843.
LETTRE 23, Des pensées contraires
à la chasteté.
Monsieur le Curé,
Je vous ai parlé sur la vertu
de chasteté, il y a quelques jours; je vous ai rapporté ce
que je pensais sur cette vertu, d’après les enseignements du Sauveur.
Je viens vous soumettre aujourd'hui un entretien que j’ai eu avec le Sauveur
sur les pensées contraires à la chasteté et les actes
qui lui sont opposés. Il m'a instruite plusieurs fois là-dessus
pour me faire bien comprendre et distinguer ce qui est mal de ce qui ne
l’est point. Voici ce que je puis ajouter à ce que j’ai dit dans
mes cahiers :
Seigneur Jésus, dis-je un
jour au Sauveur, faites-moi connaître de quelle manière je
dois me conduire pour ne jamais blesser la vertu de chasteté ni
par pensées ni par actions. " Ma fille, me répondit-il, je
vais faire ce que vous désirez. Je pose en principe que les actes
opposés à la virginité ne sont point mauvais par eux-mêmes,
que la connaissance de tout ce qui est contraire à la virginité
et à la chasteté n'est point mauvaise par elle-même,
et que les pensées de tout ce qui ternit la virginité ou
la chasteté ne sont point mauvaises non plus par elles-mêmes.
" L’acte contraire à la virginité
n'est un péché que lorsqu'il y a abus dans l’accomplissement
de cet acte, et dans les circonstances et cas où il n'est point
permis de l’accomplir. Mais cet acte, dans l’état de mariage, quand
on observe les lois fixées par Dieu, devient un acte de religion.
" La connaissance des choses opposées
à la virginité ou à la chasteté n'est mauvaise
que par l’usage mauvais que l’on en fait; mais elle est souvent utile pour
travailler au salut des âmes et augmenter ma gloire. Comment pourrait-on
diriger et donner conseil sur l’accomplissement ou l’abstention de ces
actes, si l’on n’en avait pas la connaissance? Ce serait chose impossible,
cette connaissance est donc bonne, considérée en elle-même.
" Les pensées contraires
à la chasteté ne sont mauvaises que lorsqu’on y arrête
son esprit avec complaisance et qu'on ne cherche point à éloigner
ces pensées. Il est quelquefois nécessaire de penser à
ces choses, par exemple quand on doit instruire une personne et lui montrer
le mal là où il est. Pour cela, il faut connaître ce
qui fait le sujet de l’instruction que l’on donne. Or, dans ces cas, vous
le comprenez, ni la connaissance ni les pensées ne sont mauvaises.
" Les pensées contraires
à la pureté viennent de quatre sources différentes.
" Elles viennent du démon,
qui les lance dans les cœurs comme des traits empoisonnés par le
désir de l’impureté. Ces pensées sont très
pénibles à supporter et très difficiles à vaincre.
Néanmoins, si l’on demande le secours de Dieu, si on se confie en
lui, on triomphe toujours, parce que jamais nul n'est tenté au dessus
de ses forces.
" Elles viennent de la partie inférieure
de l’âme qu'on appelle la nature corrompue. C'est là qu'est
le foyer de la concupiscence, la racine de toutes les passions, surtout
de la passion de l’impureté. Cette partie de l'âme est féconde
en mauvaises pensées, en mauvais désirs. Elle influe sur
le corps, à qui elle donne des mouvements selon l’inclination de
l’impureté. Le corps qui par lui-même n'est que matière,
étant mis en mouvement par l’influence de la volonté inférieure
de l'âme s’accorde, parfaitement avec elle pour livrer à la
volonté supérieure une guerre cruelle et opiniâtre.
Or, ma fille, tout ce qui se passe dans la partie inférieure de
l'âme et dans le corps, soit en pensées, soit en mouvements,
soit en jouissances impures, n'est point péché si la volonté
supérieure ne donne point son consentement; mais pour peu qu'elle
consente et qu'elle se plaise dans ces pensées, ces mouvements et
ces jouissances, il y a péché.
" Donc, ma fille, quelque chose
qu'on éprouve, fussent les mouvements les plus déréglés
et les pensées les plus obscènes, tant que la volonté
supérieure de l'âme ne donne point son consentement, il n'y
a point péché, parce que le consentement seul est ce qui
constitue le péché dans sa réalité. Tout le
reste n'est que matière de péché, mouvement à
accomplir le péché, mais ce n'est point le péché.
C'est le consentement qui fait le péché quand il tombe sur
une matière de péché. Ces pensées impures,
ces mouvements déréglés ne doivent donc point vous
alarmer, vous inquiéter, vous faire perdre courage. Car c'est là
la guerre que l'homme doit livrer pendant toute sa vie, et dont il ne peut
être délivré que par une grâce toute spéciale
de Dieu. C'est cette guerre et cette lutte qui font dire à tant
de saints : Hélas! Quand serai-je délivré de ce corps
de mort? Cette lutte, loin d’être un péché, est un
sujet de mérites considérables. Par conséquent, loin
de se troubler ou de s’affliger, il faut n'y point faire attention, mais
demander humblement à Dieu son secours et se tenir toujours sur
ses gardes. C'est là le plus terrible ennemi de la volonté
supérieure, parce qu'il ne la quitte jamais, et qu’à peine
éloigné, il revient souvent avec des forces nouvelles et
au moment où l’on y pense le moins.
Ces pensées viennent encore
de l’imagination. L’imagination, frappée et impressionnée
par ces choses impures, les présente sans cesse à la volonté.
Or, pour ne point pécher, pour ne point consentir, il n'est pas
nécessaire d’avoir horreur et d’être peiné de ce que
l’imagination présente à la volonté; il suffit d'y
être indifférent et de ne point y prendre plaisir. L’horreur
ou la peine qu'on éprouverait, bien loin quelquefois d’amortir l’imagination,
ne feraient que l’impressionner davantage. Le mieux est de se tenir indifférent,
de ne point y faire attention, de fermer doucement la porte de son cœur
et de se tenir en paix. Si c'est le démon qui agite ces pensées
dans l’imagination, il en sera mortifié.
" Souvent, ne pouvant faire perdre
la grâce à une âme en obtenant qu'elle prenne plaisir
à des pensées impures, il profite de l’état de peine
ou d’horreur que ces pensées inspirent à cette âme
pour lui faire perdre sa paix; il la trouble, il l’agite et profite ensuite
de ce malaise pour la jeter dans le découragement. C'est ainsi surtout
qu'il attaque les âmes pieuses. Elles doivent y aviser, reconnaître
là l’artifice du démon, et au lieu de cette horreur et de
cette peine sensible, préférer le mépris et l’indifférence
qui suffisent.
" Ces pensées, enfin, viennent
quelquefois de Dieu.
" Lorsqu’il plaît à
Dieu d’éclairer une âme et de lui montrer la vérité,
c'est-à-dire l’ordre et le bien, il lui donne des lumières
et des pensées sur ces choses, qui, loin d’apporter le trouble et
le péché en elle, lui donnent le calme et la paix.
" Ainsi, ma fille, je suis venu
vous éclairer vous-même et vous apprendre là où
se trouve le mal et là où il n'est pas.
" Votre esprit et votre cœur étaient
dans l’inquiétude, parce qu'ils n’avaient point la vérité.
Aujourd'hui que je vous l’ai révélée, soyez calme
et tranquille, conservez la paix. Soyez toujours maîtresse de la
volonté supérieure qui est en votre âme et méprisez
tout le reste. "
Vous penserez de ceci ce que vous
jugerez à propos, je me conformerai à votre jugement.
Recevez, Monsieur le Curé,
l’assurance de mon plus profond respect et de mes sentiments les plus reconnaissants.
Votre très humble servante,
Marie
Mimbaste, 8 octobre 1843.
LETTRE 24, Dieu protège les
humbles et punit les impies.
Monsieur le Curé,
Permettez-moi de vous rapporter
ce que j’ai vu, entendu un jour après avoir eu le bonheur de faire
la sainte communion.
Je levai vers le ciel les yeux de
mon âme comme pour m’offrir à Dieu en union avec Jésus-Christ
que je venais de recevoir. Or, il me sembla voir en l'air une personne,
mais je ne voyais que la moitié de son corps.
Elle dit, d'une voix forte et d’un
ton assuré : " Le Seigneur a abaissé ses yeux sur la prière
des âmes humbles, et il n'a point méprisé leurs demandes.
Sion sera rétablie, et on écrira le rétablissement
de Sion dans les annales de l’histoire, pour en faire passer le souvenir
jusqu’au dernier âge, afin que les générations à
venir louent le Seigneur de ce qu'il a regardé du haut de son sanctuaire
et contemplé la terre du haut des cieux, pour entendre les gémissements
des captifs et pour briser les liens des enfants de ceux qui ont été
mis à mort.
" Gloire au Père, au Fils
et au Saint-Esprit. "
Cette personne s’arrêta; elle
jeta les yeux sur moi comme pour me dire d’achever, et je prononçai
ces paroles : A présent et toujours, au commencement et dans tous
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
J’en vis une autre qui fermait ses
oreilles avec ses mains, et qui s’écriait :
" J’entends le bruit des trompettes
et des cymbales. Mais qu’est-ce que cette bruyante musique qui résonne
à mes oreilles? "
La première voix répondit
: " C’est le bruit des puissances des ténèbres. Les hommes
se sont réunis pour s’élever contre le Seigneur, et ils ont
dit : Qui nous punira? Mais Celui qui n'a jamais eu de commencement et
qui n’aura jamais de fin les a vus et entendus; il lancera contre eux des
traits brûlants et dévorants, et ils seront dispersés.
"
Je vis une troisième personne
dont la figure inspirait la dévotion, et sur laquelle étaient
reflétés l’amour de Dieu, la joie et la reconnaissance. Elle
éleva ses yeux et ses mains au ciel en disant : " Je louerai le
Seigneur sur les instruments d’harmonie, parce qu'il n'a pas permis que
ceux qui espèrent en lui fussent livrés aux loups ravissants,
ni aux ennemis des âmes pour être broyés entre leurs
dents. "
Je vis une quatrième personne
qui s’écria d’un ton à la fois plein d’étonnement,
de simplicité et de naïveté :
" J’ai vu un champ de blé
dans sa maturité; il brûlait, et à peine les moissonneurs
ont-ils pu en ramasser quelques gerbes pour les porter dans les greniers
du grand roi; ils ont dit que les pertes sont considérables. "
Je vous abandonne ces lignes; je
n’en ai point demandé l’explication au Sauveur Jésus; mais
il me semble qu'elle est assez facile à deviner. Je me contente
de vous dire ce que j'ai vu et entendu, aussi fidèlement que cela
m’est possible, et je vous prie, Monsieur le Curé, d’agréer
l’hommage de mes sentiments très respectueux avec lesquels,
J’ai l’honneur d’être,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 4 novembre 1843.
LETTRE 25, Dieu protègera
et soutiendra son Église jusqu’à la fin des temps.
Monsieur le Curé,
J’ai entendu un jour la voix du
Sauveur Jésus prononcer ces paroles :
" Je me souviendrai de mon alliance
avec l’Église dans tous les siècles des siècles.
" L’Église est mon épouse;
la croix est notre lit nuptial. C'est sur la croix que j’ai engendré
mes enfants par l’effusion de mon sang; c'est sur la croix que le sein
de l’Église est devenu fécond par la grâce du Saint-Esprit.
" Elle est belle, mon épouse,
et je suis toujours auprès d’elle pour la soutenir et la consoler;
elle souffrirait trop de mon absence si je m’éloignais d’elle.
" Comme son Époux, elle est
en butte à la persécution. Satan s’élève de
dessous les pieds de l'Église; il arme contre elle ses propres enfants
pour lui déchirer le sein, et les enfants dénaturés
de mon épouse écoutent la voix de satan.
" Elle élève sa voix
et tourne vers moi ses yeux mouillés de larmes. Non, je ne permettrai
pas que ses ennemis aient le dessus.
" Ce ne sera qu'une poussière
imperceptible lancée sur son visage; elle le lavera avec l’eau de
ses larmes, et sa beauté, devenue plus éclatante, ravira
même ses ennemis. "
Telles sont les paroles prononcées
par le Sauveur Jésus.
Daignez recevoir, je vous prie,
Monsieur le Curé, l’hommage de ma très profonde vénération
et de mon entière soumission.
J’ai l’honneur d’être,
Monsieur le Curé,
Votre très humble et très
obéissante servante,
Marie.
Mimbaste, 10 novembre 1843.
LETTRE 26, Actions de Dieu par la
France.
Monsieur le Curé,
C’est toujours avec cette confiance
que m’inspire votre charité, et ma qualité de votre enfant
dans le Sauveur Jésus, que je vous communique, selon votre désir,
tout ce que j’éprouve.
Voici ce que me dit, dimanche dernier,
après la sainte communion, le Sauveur Jésus : " Ma fille,
je suis le maître de ma parole. Je dis tout ce que je veux, quand
je veux, à qui je veux, et nul n'a le droit de m’interpeller ainsi
: Pourquoi, Seigneur, parlez-vous de cette sorte? Pourquoi de semblables
entretiens? Je sais faire tourner tout à ma gloire et à l’économie
de ma providence sur une âme en particulier comme sur le monde entier.
Aujourd'hui, je veux vous parler de votre patrie. Je vous ai entretenue
plusieurs fois de la France, mais je ne vous ai point dit encore ce qu'elle
est ni comment elle agit,
Écoutez :
" Le premier roi, le premier souverain
de la France, c'est moi. Je suis le maître de tous les peuples, de
toutes les nations, de tous les royaumes, de tous les empires, de toutes
les dominations; je suis particulièrement le maître de la
France. Je lui donne prospérité, grandeur et puissance au
dessus de toutes les autres nations quand elle est fidèle à
écouter ma voix. J’élève ses princes au dessus de
tous les autres princes du monde quand ils sont fidèles à
écouter ma voix. Je bénis ses populations plus que toutes
les autres populations de la terre quand elles ont fidèles à
écouter ma voix. J’ai choisi la France pour la donner à mon
Église comme sa fille de prédilection. A peine avait-elle
plié sa tête sous mon joug qui est suave et léger,
à peine avait-elle senti le sang de mon cœur tomber sur son coeur
pour la régénérer, pour la dépouiller de sa
barbarie et lui communiquer ma douceur et ma charité, qu'elle devint
l’espoir de mes pontifes, et bientôt après, leur défense
et leur soutien. Ils lui donnèrent le nom bien mérité
de Fille aînée de l'Église. Or, vous le savez, tout
ce qu'on fait à mon Église, je le regarde comme fait à
moi-même. Si on l’honore, je suis honoré en elle; si on la
défend, je suis défendu en elle; si on la trahit, je suis
trahi en elle; si on répand son sang, c'est mon sang, qui coule
dans ses veines. Eh bien, ma fille, je le dis à l’honneur, à
la gloire de votre patrie, pendant des siècles la France a défendu,
protégé mon Église; elle a été mon instrument
plein de vie, le rempart indestructible et visible que je lui donnais pour
la protéger contre ses ennemis. Du haut du ciel, je la protégeais,
elle, ses rois et leurs sujets. Que de grands hommes elle a produits, c'est-à-dire
que de saints dans toutes les conditions, sur le trône comme dans
les plus humbles chaumières! Que de grands hommes elle a produits,
c'est-à-dire que d’intelligences amies de l’ordre et de la vérité!
Que de grands hommes elle a produits, c'est-à-dire que d’esprits
uniquement fondés pour leurs actions sur la justice et sur la vérité!
Que de grands hommes elle a produits, c'est-à-dire que d’âmes
embrasées du feu brûlant de la charité! C'est moi qui
lui ai donné ces hommes qui feront sa gloire à jamais.
Ma générosité
n'est point épuisée pour la France; j'ai les mains pleines
de grâces et de bienfaits que je voudrais répandre sur elle.
Pourquoi a-t-il fallu, faut-il encore et faudra-t-il donc que je les arme
de la verge de ma justice?
Quel esprit de folle liberté
a remplacé dans son cœur l’esprit de la seule liberté véritable
descendue du ciel, qui est la soumission à la volonté de
Dieu! Quel esprit d’égoïsme sec et plein de froideur a remplacé
dans son coeur l’esprit ardent de la charité descendue du ciel,
qui est l’amour de Dieu et du prochain! Quel esprit de manœuvres injustes
et de politique mensongère a remplacé dans son cœur la noblesse
de sa conduite et la droiture de sa parole, conduite et parole autrefois
dirigées par la vérité descendue du ciel, qui est
Dieu lui-même!
Je vois encore, je verrai toujours
dans le royaume de France des hommes soumis à ma volonté,
des hommes enflammés de charité, des hommes amis de la vérité,
mais, à cette heure, ma fille, le nombre en est petit. Aussi elle
brise le trône de ses rois, exile, rappelle, exile encore ses monarques,
souffle sur eux le vent des tempêtes révolutionnaires, et
les fait disparaître comme les passagers d'un navire englouti dans
les abîmes de l’Océan. A peine leur reste-t-il dans ce naufrage
une planche de salut qui les mène quelquefois au rivage. Je lui
ai suscité des rois; elle en a choisi d’autres à son gré.
N’a-t-elle point vu, ne voit-elle pas que je me sers de sa volonté
pour la punir, pour lui faire lever les yeux vers moi? Ne trouve-t-elle
aujourd'hui le joug de son roi pénible et onéreux? Ne se
sent-elle pas humiliée devant les nations? Ne voit-elle pas la division
parmi les esprits de ses populations? Elle n’est point en paix. Tout est
dans le silence à la surface; mais tout gronde, tout mugit, tout
fermente en dessous, dans le peuple, dans ceux qui se trouvent immédiatement
au dessus du peuple comme parmi les grands. L’injustice marche tête
levée et semble être revêtue d’autorité; elle
n'a pas d’obstacle, elle agit comme elle veut agir. L’impiété
fait ses préparatifs pour dresser son front orgueilleux et superbe
dans un temps qu'elle ne croit pas éloigné et qu'elle veut
hâter de tout son pouvoir. Mais, en vérité, je vous
le dis, l’impiété sera renversée, ses projets dissipés,
ses desseins réduits à néant à l’heure où
elle les croira accomplis et exécutés pour toujours.
" France! France! Combien tu es
ingénieuse pour irriter et pour clamer la justice de Dieu. Si tes
crimes font tomber sur toi les châtiments du ciel, ta vertu de charité
criera vers le ciel : Miséricorde et pitié, Seigneur! Il
te sera donné, ô France, de voir les jugements de ma justice
irritée, dans un temps qui te sera manifesté et que tu connaîtras
sans crainte d’erreur; mais tu connaîtras aussi les jugements de
ma compassion et de ma miséricorde, et du diras : Louange et remerciements,
amour et reconnaissance à Dieu à jamais dans les siècles
et dans l’éternité!
" Oui, ma fille, au souffle qui
sortira de ma bouche, les hommes, leurs pensées, leurs projets,
leurs travaux disparaîtront comme la fumée au vent.
" Ce qui a été pris
sera rejeté, ce qui a été rejeté sera pris
de nouveau. Ce qui a été aimé et estimé sera
détesté et méprisé, ce qui a été
méprisé et détesté sera de nouveau estimé
et aimé.
" Quelquefois, un vieil arbre est
coupé dans une forêt, il ne reste plus que le tronc; mais
un rejeton pousse au printemps, et les années le développent
et le font grandir; il devient lui-même un arbre magnifique, l’honneur
de la forêt.
" Priez pour la France, ma fille,
priez beaucoup, ne cessez point de prier. "
Vous penserez de ceci, Monsieur,
comme des autres communications qui m’ont été faites, ce
que vous jugerez à propos. Pour moi, je suis contente, tranquille
et paisible. Il me semble que la grâce de Dieu préparer mon
âme et la fortifie de telle sorte que je suis prête à
recevoir toute sorte d’épreuves. Si Dieu est pour moi et je suis
pour Dieu rien ne me surprendra, rien ne m’effraiera. Avec la grâce
et l’appui du Sauveur Jésus, je suis disposée à tout
souffrir généreusement pour son amour. Sa croix et sa pauvreté
me tiennent plus au cœur que toutes les grandeurs de la terre. Je saurai
me passer de tout pour posséder Dieu, tout mépriser pour
estimer Dieu, ne rien aimer pour aimer Dieu et ce qu'il m’ordonne d’aimer.
Je vous prie de recevoir l’assurance
de ma plus profonde vénération et de ma vive reconnaissance
avec laquelle j’ose me dire avec respect,
Monsieur le Curé,
Votre très humble et obéissante
servante,
Marie.
Mimbaste, 20 novembre 1843.
LETTRE 27, Règles à
suivre pour toute vocation.
Monsieur le Curé,
Le Sauveur Jésus m’a un jour
parlé de la vocation et de la règle de conduite que doit
suivre un directeur, quand il se trouve en face d'une vocation. Sa parole
était claire et simple. Je vous transmets ce qu'il m'a dit, vous
en penserez ce qu'il vous plaira.
" Ma fille, me dit le Sauveur, je
veux vous parler de la vocation. Dieu a destiné tout homme qui vient
en ce monde à un genre de vie particulier. Cette destination se
nomme vocation. La vie de l'homme ressemble à une immense mécanique,
dont la roue principale est la vocation. Dans cette mécanique, si
la grande roue va bien, le reste marche avec ordre; si elle s’arrête,
le reste ne saurait avoir de mouvement. Il en est comme cela de la vocation.
Si vous vous trouvez dans votre vocation, votre salut sera facile; si vous
manquez votre vocation, votre salut ne sera pas impossible, mais il sera
bien difficile.
" Dans l’ancienne loi, il n'y avait
en général qu'une vocation, c'était le mariage. La
gloire d’une femme, en ces temps, était d'avoir un époux
et plusieurs enfants; la gloire d'un homme d’avoir une épouse féconde
et d'être le père d’une nombreuse prospérité.
" La loi nouvelle que j'ai donnée
au monde est incomparablement plus parfaite que la loi ancienne. Aussi,
dans cette loi, la gloire d'une femme n'est pas d’avoir un époux
et des enfants, mais de n’avoir ni époux ni enfants. La gloire d'un
homme n'est pas d'avoir une épouse féconde et une nombreuse
famille, mais de n’avoir ni épouse ni famille. O virginité,
jusque là inconnue et même méprisée, combien
tu as grandi et quelle gloire est pareille à ta gloire! Oui, les
entrailles qui n’ont point engendré et qui n'ont point conçu
sont celles qui me plaisent le plus et que je comble de mes bénédictions.
" Dans la loi nouvelle, il y a plusieurs
vocations. La vocation à l’état de mariage, la vocation à
l’état de virginité, la vocation à l’état religieux,
la vocation à mon sacerdoce.
" Quand une personne est arrivée
à l'âge de faire choix d'un état de vie, elle doit
chercher à connaître quel est celui auquel Dieu l’appelle,
demander à Dieu les lumières nécessaires pour connaître
cet état et soumettre ses inclinations à son directeur.
" Pour se prononcer, un directeur
doit avoir une sagesse, une prudence et une justice très grandes
qui l’empêchent de se tromper et lui permettent de juger sainement.
" Il faut agir pour ce discernement
d’une manière différente presque pour chaque personne, selon
son âge, son tempérament, ses inclinations, son éducation;
selon le temps, les lieux et les circonstances.
" Avant qu'une personne soit arrivée
à l'âge d’embrasser un état de vie, un directeur doit
avoir soin de l’engager à demander à Dieu qu'il lui fasse
connaître sa volonté. Il ne doit point prononcer le mot de
vocation, qu’elle ne comprendrait peut-être pas et qui pourrait la
troubler. Il doit lui apprendre à dire souvent et du fond du cœur
ces paroles : Mon Dieu, faite-moi connaître et accomplir votre sainte
volonté. Dieu écoutera favorablement et exaucera cette prière.
" Un directeur ne doit point chercher
à inspirer de vocation, ce serait usurper le droit de Dieu. Un directeur
ne peut être que le juge de la vocation à laquelle Dieu appelle
une âme. Or, pour juger, il doit examiner les sentiments et les inclinations
de la personne qu'il dirige, et puis se prononcer d'après les lumières
de la foi et non d'après des vues purement humaines.
" Tout cela posé, vous comprenez,
ma fille, qu'un directeur peut se trouver en face d'une personne qui, arrivée
à l'âge de choisir un état, n'y a point encore pensé
ou qui hésite entre deux états différents, ou bien
en face d'une personne appelée au mariage, à la virginité,
à la vie religieuse ou à la participation de mon sacerdoce.
" Que doit faire un directeur vis-à-vis
d'une personne en âge d’embrasser un état de vie et qui n'a
encore pensé à en embrasser aucun? Il doit lui montrer, si
du moins elle est capable de comprendre ces choses, combien il est important
de connaître sa vocation et, sans lui parler d’aucune, l’engager
à prier Dieu de l’éclairer à ce sujet. Il doit étudier
ses goûts, ses inclinations, afin de l’aider, s'il est besoin, à
distinguer l’appel de Dieu; mais il ne doit lui signaler aucun genre de
vie particulier, avant d’avoir connu autant que possible quel est celui
auquel elle est destinée.
" Que doit faire un directeur qui
voit la personne qu'il dirige placée comme entre deux partis, indécise
et ne sachant lequel suivre et embrasser? Dans ce cas deux choses sont
indispensables à un directeur, une prudence extrême, une fermeté
inébranlable. Il faut qu'un directeur soit toujours prudent, sage
et circonspect, mais en ce cas plus que jamais. Vous le comprenez, ma fille,
Dieu ne donne point deux vocations, il n’en donne qu'une. Si le directeur
fait embrasser à cette personne le genre de vie auquel Dieu ne l’appelle
pas, que de dangers pour elle! Le directeur examinera donc avec un soin
minutieux ces deux chemins différents qui se présentent devant
celle qu'il dirige; il examinera ensuite les inclinations, les sentiments
et les pensées de celle qu'il doit éclairer. Il pèsera
sérieusement et avec foi les motifs qui portent plus pour un genre
de vie que pour l’autre; et quand il verra qu l’un des deux ne présente
point une grande espérance de salut, tandis que l’autre offre une
grande probabilité ou du moins plus d’assurance, il obligera la
personne qu'il dirige à embrasser ce dernier état et lui
défendra d’embrasser le premier. Il se servira pour cela de toute
son autorité. Car si elle peut se perdre dans un état où
il y a grand espoir quelle se sauvera, que sera-ce dans l’état qui
n’offre point ou presque point d’espérance? Il doit être par
conséquent aussi plein de fermeté. Cette personne, comme
toute autre, du reste, doit se soumettre à la décision de
son directeur. Dieu bénira sa soumission, la préservera de
tout danger et lui fera atteindre le port du salut. Je vous ai déjà
parlé de la vocation à l’état du mariage, je ne vous
en dirai plus rien.
" Que doit faire un directeur à
qui une personne manifeste son inclination pour la virginité? Il
doit d’abord ne pas entrer dans ses sentiments, lui représenter
que le mariage est un sacrement institué par Dieu, un état
où plusieurs se sont sanctifiés, où elle peut se sanctifier
elle-même, où elle trouvera des grâces spéciales
et particulières, en rapport avec les besoins de son âme;
il lui fera remarquer surtout qu'il n'y a rien dans le mariage d’opposé
à la chasteté. Après cela, si elle demeure ferme,
si elle persévère dans ses sentiments, il ne doit point s’opposer
à ses désirs, mais lui faire connaître les devoirs
d’une vierge, et comprendre combien sa vie doit être plus sainte,
plus détachée du monde et de ses plaisirs, plus attachée
à Dieu et aux bons mouvements de sa grâce. A mesure qu'il
la verra se fortifier dans sa résolution, il lui montrera les beautés,
la grandeur, la sublimité de la virginité. Il lui fera estimer
cet état comme le plus précieux trésor de son âme,
comme le moyen le plus sûr de croître en vertu et d’attirer
sur elle mes bénédictions les plus abondantes.
" Que doit faire un directeur à
qui une personne manifeste son inclination pour la vie religieuse? Le directeur,
dès le principe, ne doit point entrer dans son sentiment. Sans trop
chercher pourtant à l’éloigner de la vie religieuse, il doit
lui représenter qu'elle peut bien se sauver dans le monde, qu'un
nombre infini de bienheureux s'y sont sauvés, et qu'une multitude
considérable de chrétiens s'y sanctifient encore. Il doit
lui représenter que s'il n'y a pas autant de danger dans l’état
religieux que dans le monde, il y a aussi des obligations plus considérables.
Il doit lui faire comprendre qu'il faut un détachement complet de
toutes choses, une soumission et une obéissance aveugles quand on
veut entrer en religion, et lui montrer autant les épines que les
roses de la vie qu'elle veut embrasser, afin que plus tard elle ne se trouve
point étonnée et découragée même par
les peines ou les difficultés qui pourront se présenter.
Il ne doit point lui présenter souvent ces difficultés, mais
assez pour qu'elle les connaisse. Puis il lui demandera quelles réflexions
elle a faites à ce sujet; il l’engagera à parler simplement,
sincèrement et sans timidité, lui faisant voir clairement
combien elle est intéressée à ne se point tromper
dans ses démarches. Il écoutera, il pèsera, il jugera
toutes ses paroles et toutes ses réponses.
" Le directeur verra si c'est une
véritable vocation, une vocation ordinaire ou extraordinaire.
" S’il ne voit point de vocation,
il détournera cette personne de la vie religieuse dans laquelle
elle se perdrait probablement parce qu'elle n’est point appelée
à cette vie.
" S’il ne voit qu'une vocation ordinaire,
il ne donnera point à cette personne de grandes épreuves,
il s’assurera seulement de la sincérité de ses sentiments
et des motifs qui la portent à embrasser cet état et il l’engagera
à suivre cette vocation.
" S’il voit une vocation plus qu’ordinaire,
il commencera par donner de petites épreuves, examinant la manière
dont les supporte celle qu'il dirige. Il observera son caractère,
ses goûts, ses sentiments, ses inclinations, et cherchera à
modifier, légèrement d’abord, tout ce qu'il y a de défectueux
en elle. Il ménagera néanmoins sa faiblesse et lui donnera,
comme une mère à son enfant, une nourriture de plus en plus
substantielle. Il la formera peu à peu à l’obéissance
et proportionnera tout à sa vigueur et à son énergie,
à mesure qu'elle croîtra et se fortifiera. S'il voit en elle
un grand courage, une fermeté prête à tout supporter,
c’est une marque que Dieu destine cette personne à de grandes épreuves,
et le directeur doit commencer en elle l’œuvre de Dieu, pour qu'elle s’achève
et se perfectionne plus tard dans la vie religieuse. On n'est point parfait
en un seul jour, on n'est point athlète et soldat tout d'un coup,
il faut nécessairement être formée; et la vie religieuse
bien plus que la vie commune et ordinaire doit être une lutte et
un combat auquel il faut s’exercer pour remporter la victoire.
" Quand le directeur croit dans
sa sagesse et d'après les lumières de la foi avoir suffisamment
éprouvé cette personne, il lui permettra d’embrasser la vie
religieuse.
" Un directeur ne doit jamais pousser
de lui-même qui que ce soit à la vie religieuse. Combien seraient
blâmables ceux qui, par un zèle indiscret, voudraient engager
des personnes à s’enfermer dans un cloître, sous prétexte
qu'elles y trouveront moins de dangers. Il n'y a point là plus qu'ailleurs
espoir de salut s'il n'y a pas vocation; au contraire, une personne, sans
vocation pour la vie religieuse, pourra se perdre en ce genre de vie, tandis
qu'elle serait sauvée dans le monde. Ce directeur aura à
me rendre compte de ces âmes que son ignorance ou ses conseils auront
perdues. Quand même une personne aurait vocation pour vivre dans
la virginité, pour s’élever à une grande sainteté,
pour marcher dans des voies extraordinaires, ce n'est pas une raison suffisante
pour la retirer du monde et la faire entrer en religion. Je destine ces
âmes à être l’édification du monde et le soutien
des faibles, voilà pourquoi je ne les appelle point à la
vie religieuse; c'est là leur vocation
" Mais s'il faut user de prudence,
de sagesse et de discrétion, s'il faut être éclair
en face d'une vocation, c'est bien devant une vocation au sacerdoce. Vous
rappelez-vous ce que je vous ai dit du sacerdoce, de cette fonction si
sublime et si redoutable? Quel malheur que l’usurpation du sacerdoce, quel
malheur que le renoncement au sacerdoce! Quel compte sévère
devra me rendre celui qui éloigne du sacerdoce celui que j’appelais
à être mon prêtre et mon ministre, et celui qui pousse
au sacerdoce celui que je n'y appelais point! Combien ma justice sera sévère
pour ceux qui admettent au sacerdoce ceux qui ne semblent point le mériter,
et repoussent ceux qui n'en sont point indignes par leur conduite et leurs
actions! O sacerdoce catholique, vocation des vocations! O vous qui êtes
chargés de la direction de mes prêtres futurs, étudiez,
examinez, scrutez, jugez tous leurs sentiments, toutes leurs actions et
prononcez-vous ensuite comme je le ferais moi-même! Quel malheur
pour vous, et quel remords dans l’avenir si, par votre négligence,
vous appeliez quelqu'un qui n'est point élu, qui ne serait point
le pasteur de mon troupeau, mais un loup ravissant qui travaillerait à
sa ruine! Quel malheur pour lui! Est-ce que le joug de mon sacerdoce ne
l’oppresserait pas sous son poids accablant? Quel malheur pour les âmes
à qui il ne saurait montrer la voie et enseigner la vérité
et dont il ne pourrait entretenir la vie! Quel malheur pour mon Église,
et surtout quelle désolation! O vous qui êtes chargées
de mes prêtres futurs, encore une fois, étudiez, examinez,
scrutez et jugez tous leurs sentiments, toutes leurs inclinations; suivez-les
pas à pas, observez tout en eux, prononcez-vous ensuite comme je
le ferais moi-même!
" Le sacerdoce, ma fille, nul ne
le mérite, il faut y être appelé comme Aaron, comme
les apôtres, comme moi-même, par mon Père céleste
qui règne dans les cieux. Quand on a entendu sa voix, il faut se
défaire complètement de tout sentiment personnel, pour ne
suivre que l’impulsion et le mouvement de la volonté de Dieu, afin
de travailler avec succès au salut des âmes et continuer sur
la terre mon œuvre de Rédempteur et de Sauveur.
" La vie religieuse demande qu'on
l’embrasse avec des sentiments purs et saints, et pour correspondre à
l’appel de Dieu; non par caprice, vaine gloire, contrariété,
intérêt ou ferveur passagère et de peu de durée,
pour n'être point un mauvais religieux.
" La virginité demande qu'on
l’embrasse par des sentiments purs et saints et pour suivre sa vocation,
en éloignant de ses pensées la passion ou l’intérêt,
causes assurées de discorde et souvent de mauvaise vie.
" Ma fille, vous devez comprendre
et tous doivent comprendre aussi combien la vocation est une grande chose,
combien il faut lui donner d’attention, puisque c'est d’elle que dépend
la gloire que l’on rendra à Dieu dans le temps et dans l’éternité,
ou la révolte qu'on lancera vers lui pendant la vie de la terre
pour l’éternelle malédiction dans les abîmes de l’enfer.
Néanmoins, au temps où vous vivez, est-il rien qu'on traite
plus légèrement? O hommes irréfléchis, hommes
insensés, hommes oublieux de tous leurs intérêts!
" Je vous ai fait connaître
votre vocation, ma fille. Vous serez mon épouse toute votre vie,
vous le serez aussi dans l’éternité. Vous demeurerez vierge
et j’abriterai votre virginité dans mon Cœur sacré. Bientôt
il vous sera donné de l’abriter d'une manière sensible dans
la congrégation qui lui est consacrée si spécialement
et dans laquelle je vous ferai entrer. "
Voilà, Monsieur le Curé,
ce que m’a dit le Sauveur Jésus. Je termine cette longue lettre
en me recommandant à vos prières, j’en sens un besoin plus
pressant que jamais. Ayez pitié de moi, priez pour votre enfant
et croyez à mon éternelle reconnaissance.
Je suis, Monsieur le Curé
et très vénéré Père en Notre Seigneur
Jésus-Christ, avec les sentiments du plus profond respect et de
ma gratitude,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 25 novembre 1943.