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John A. McHugh, o.p. - Charles J. Callan, o.p.
THEOLOGIE MORALE un cours complet selon saint Thomas d'Aquin et les meilleurs auteurs modernes

Imprimatur Francis cardinal Spellman, Archbishop of New York, New York, May 24, 1958
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ARTICLE 3         LES ACTES MORAUX
           (summa theologica, Ia-IIae qq.18-20)

63- Pour qu’un acte soit un moyen par lequel l’homme tend à sa fin dernière, il ne suffit pas qu’il soit humain, qu’il procède de la volonté et de l’intelligence.  Il doit aussi être moralement bon.

64- Définition.   La moralité est l’accord ou le désaccord d’un acte humain avec les normes qui régissent la conduite humaine en vue de la fin dernière.  L’acte qui est en accord avec ces règles est moralement bon ; l’acte qui est en désaccord avec elles est moralement mauvais.  Un acte qui n’est ni en accord ni en désaccord avec ces règles est appelé moralement indifférent.

65- La norme constitutive de la moralité est ce qui lui donne sa qualité morale.  La norme prochaine est la relation d’accord ou de désaccord de l’acte avec la nature raisonnable de l’homme considérée dans sa totalité, et en référence avec son vrai bonheur. La norme éloignée est la relation de l’acte à Dieu, la fin dernière de l’homme.  66- En conséquence, ce qui fait qu’un acte est moralement bon  c’est son accord avec la nature de l’homme en tant qu’être raisonnable destiné au ciel, et la promotion de la gloire de Dieu, qui est le but de toute la création.

67- La norme indicative de la moralité est ce par quoi la qualité morale des actes est connue. La norme prochaine est la droite raison, qui est la faculté supérieure et le guide la volonté. La norme éloignée est l’intelligence divine, de laquelle la raison reçoit sa lumière.

68- La norme prescriptive de la moralité est celle qui définit notre devoir en termes de bien et de mal.   La norme prochaine est la conscience ; la norme éloignée est la loi de Dieu.

69- Il y a trois sortes de moralité. 70- Les sources d’où découle la moralité d’un acte sont ses tendances et ses modalités,  pour autant qu’elles sont en accord ou en désaccord avec les principes de la morale.  Ces sources sont au nombre de trois. L’objet de l’acte, d’où il tire son essence. Exemple : Dieu est l’objet de la charité.  Les circonstances de l’acte,  qui le modifient accidentellement. Exemple : la ferveur  est une circonstance de l’acte de charité. Le but ou la fin de l’agent.  Elle est la circonstance principale.  Exemple.  Chercher à plaire à Dieu en faisant un acte de charité.

71- L’objet de l’action est ce à quoi il tend premièrement et naturellement  comme à son terme ou à sa fin, et qui lui donne son nom.   Ainsi, une aumône est destinée directement et de sa propre nature au soulagement des pauvres.  C’est seulement secondairement et d’après la direction que lui donne l’agent qu’elle tend à la générosité et à l’édification, puisque quelqu’un peut donner chichement ou pour de mauvaises raisons.

72- Les circonstances sont toutes ces conditions différentes de l’objet qui affectent la moralité de l’acte.  Les circonstances morales principales sont :  le temps (la durée, la sorte de jour,  comme un jour de congé ou de jeûne), le lieu (en public, en privé, à l’église ou ailleurs), la manière, ( l’attention, l’inattention, la cruauté) la quantité ou la qualité (l’aumône est grande ou petite,  si la personne aidée mérite plus ou moins de l’être), l’intention ou le but (l’aumône est donnée pour honorer Dieu) la qualité ou condition de l’agent (si celui qui fait l’aumône est pauvre lui-même) les moyens utilisés  (si l’argent d’un bienfaiteur est utilisé contre lui-même).

73- Sous l’aspect de leur influence sur le caractère moral des actes, les circonstances sont divisées de la façon suivante : les circonstances qui modifient la moralité de l’acte en rendant mauvais ce qui était bon, mauvais ou bon ce qui était indifférent, et mortel ce qui était véniel ; qui ajoutent une nouvelle dimension peccamineuse à ce qui était déjà mortel. 74- Le but ou la fin d’une action est la raison qui induit l’agent à l’acte.  C’est la circonstance principale de l’acte, et la fin de l’action est traitée séparément comme source de moralité.  75- La fin ou le but s’entendent de deux façons.  La fin est dite totale quand elle est désirée pour elle seule, sans qu’intervienne d’autre motif de force égale ou inférieure.  La fin est dite partielle quand elle est désirée avec d’autres motifs de force égale ou inférieure.  Exemple.  Si une personne aide un pauvre pour le soulager dans sa misère et pour retirer des avantages temporels de sa charité, l’aide apporté à autrui n’est qu’un mobile partiel de son acte.  Et s’il ne fait pas d’aumône à moins d’en retirer  des avantages, la charité devient le motif secondaire.

76- Les bonnes actions.  On dit qu’un acte est totalement bon quand tous ses éléments, objet, circonstances, but, sont conformes aux exigences de la moralité.  Ainsi, une aumône donnée à  un pauvre, de façon délibérée, et uniquement pour l’amour de Dieu est bonne à tous points de vue.  Bien plus, le fait que les circonstances et le motif d’un acte sont bons augmente la bonté qui provient de l’objet de cet acte. 77-  On peut dire également qu’un acte est totalement bon quand un de ses éléments  au moins est bon,  les autres indifférents, et aucun mauvais, car c’est le bien seul qui est désiré. (cf 85) Et c’est ce qui donne la couleur morale à tout l’acte.

 Ce qui arrive de la façon suivante.  Quand un objet est indifférent et que l’intention est bonne, ou quand quelqu’un va marcher dans le but d’accomplir un acte de miséricorde. Quand un objet est indifférent et que la circonstance est bonne, ou quand quelqu’un mange modérément.  Quand l’objet est bon et la circonstance indifférente,  ou quand quelqu’un prie en marmottant des mots auxquels il ne prête aucune attention.

78- Un acte est partiellement bon lorsque, bien que son objet soit bon, il y a quelque chose de mauvais dans des circonstances qui ne neutralisent ni ne transforment l’objet.  Ceci arrive dans les cas suivants.  Quand l’objet est bon et un mobile secondaire est légèrement mauvais, comme quand une personne prie en public pour édifier et aussi pour être bien vue.  Dans ces deux cas, le bien –l’adoration de Dieu-est voulu pour lui-même en tant que bon, et le mal qui s’est subrepticement glissé n’enlève pas la bonté de l’action.

79- Les actes mauvais.  On dit qu’un acte est entièrement mauvais quand tous les éléments (l’objet, les circonstances, l’intention) sont contraires aux normes morales.  Par exemple, voler sur une grande échelle de manière à réduire la victime au désespoir est un acte entièrement mauvais.  La malice des circonstances et du mobile accroit la méchanceté de l’objet de l’acte.

80- On dit aussi qu’un acte est entièrement mauvais quand un ou plusieurs de ses éléments sont par eux-mêmes bons ou indifférents,  mais quand il y a un élément mauvais qui neutralise ou transforme la bonté de l’acte.   Ce qui se réalise de plusieurs façons.  Quand l’objet est mauvais et l’intention bonne, comme quand quelqu’un vole pour payer les dettes d’un autre.  La bonne fin n’est voulue que par l’intermédiaire d’un moyen mauvais, et cesse donc d’être bonne.  Quand l’objet est bon ou indifférent et la fin entièrement mauvaise, comme quand quelqu’un marche ou prie sans aucune autre raison que d’emmerder une autre personne.  Le bien n’est pas voulu pour lui-même, mais comme un moyen pour faire le mal.  Quand l’objet est bon ou indifférent et qu’un mobile secondaire ou subséquent est mauvais, comme quand quelqu’un éteint un feu pour sauver la maison de son voisin, et pour pouvoir le voler.  Si une personne fait des exercices de culture physique pour grossir sa musculature,  afin de tabasser son voisin.  Le bon acte et sa fin immédiate dans ces deux cas n’ont pas été voulus en raison de leur bonté, mais comme des moyens pour l’obtention d’une fin subséquente mauvaise.

Quand un objet est bon ou indifférent, et qu’une fin mauvaise est poursuivie non comme une circonstance mais comme formant un tout avec l’objet et affectant la substance de l’acte. Par exemple, quand une personne veut et entretient des distractions en priant, faisant ainsi de la prière un péché.  Le bon objet, dans ce cas, n’est pas voulu comme quelque chose de bon, mais comme une chose qui est viciée par une circonstance mauvaise.  81- Même si l’acte est complètement mauvais,  quand le bien qui est en lui est absorbé par le mal, la présence de ce bien peut diminuer le mal, à défaut de pouvoir l’enlever.

82- Les actes indifférents.  Un acte est complètement indifférent si ses éléments (l’objet, les circonstances, l’intention) ne sont ni en harmonie ni en discordance avec les règles de la moralité.  Par exemple.  Marcher rapidement vers sa maison pour aller y prendre un repas,  s’il n’y a rien d’autre qui s’y ajoute en bien ou en mal.   83- En effet, considérés dans l’abstrait,  certains actes sont moralement indifférents, car si on considère des actes exclusivement en référence avec leur objet, indépendamment des circonstances qui les  accompagnent, il est clair qu’un grand nombre d’entre eux n’ont rien à voir avec les normes morales, comme lire, écrire, marcher. Mais considérés dans le concret, et dans des cas individuels,  aucun acte n’est moralement indifférent, puisque l’intention de l’agent est toujours conforme à la droite raison ou non conforme.   De sorte que, en dépit de l’indifférence de l’objet,  les actes sont bons ou mauvais à cause de la présence ou de l’absence d’une intention bonne.   84- Considérés encore dans le concret et dans les cas individuels, tous les actes ne sont pas humains, mais non délibérés et non volontaires (cf 23 et suiv), et indifférents moralement, et plus précisément amoraux,  étant en dehors de la moralité à cause de l’absence en eux de volonté, laquelle est pré requise à  toute moralité.  Donc, les actes faits par distraction ne sont ni bons ni mauvais moralement. 85-  Nous concluons en parlant de la sorte d’intention requise pour rendre moralement bon un acte indifférent, ou qu’on devrait avoir quand un acte est objectivement bon.   Le bien désiré ne doit pas être seulement un bien sensible, (le plaisir procuré par un acte) mais aussi et surtout un bien rationnel (la conformité aux normes morales).  En conséquence, manger sans autre but que de se remplir la panse c’est manger sans un mobile moral digne d’un être humain, et c’est un acte mauvais.  Le bien moral de la vertu qui est visé dans des actes ne doit pas être regardé comme le bien suprême, mais devrait être référé à Dieu, puisque lui seul est la fin suprême.  En conséquence, manger et boire avec modération seulement parce que c’est raisonnable et que ça convient à la nature humaine, en excluant la fin dernière, c’est passer à côté du but ultime, et c’est moralement mauvais.

L’intention d’un bien moral ou la vertu dans les actes humains n’a pas besoin d’être actuelle ou réfléchie.  Ainsi, une personne qui a antérieurement formé l’intention de vivre raisonnablement, ou qui, à table, se propose de manger modérément dans l’intérêt de sa santé accomplit un acte qui est moral.   De la même façon, il n’est pas nécessaire de penser actuellement ou explicitement à la fin dernière. En conséquence, chaque personne en état de grâce a, dans tous ses actes délibérés qui ne sont pas mauvais, une référence à Dieu, laquelle est contenue dans le fait qu’il a choisi Dieu pour sa fin dernière, ou dans le fait qu’elle agit pour un motif qui convient à un être raisonnable. 86-  L’intention actuelle et explicite de bonté morale d’un acte et la référence explicite et actuelle à la fin dernière, même si non nécessaires, augmentent la valeur morale de ce que l’on fait.

87- Axiome du pseudo Denys l’Aréopagite : bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu : pour être bien le bien doit l’être au complet ; un seul défaut rend une action mauvaise.  On peut comprendre cet axiome en  le mettant en rapport au bien parfait, et la signification en est alors qu’un acte n’est pas parfaitement bon au sens moral du terme à moins que tous ses éléments ne soient bons : l’objet, les circonstances, l’intention.  Exemple.  Un discours n’est pas déclaré parfait à moins que tous ses éléments (l’orateur, la matière, le style, l’éloquence) ne soient au point.  Un seul défaut suffit donc pour empêcher qu’un acte soit parfait.  On peut entendre l’axiome au sens de la bonté essentielle, et la signification en est alors qu’un acte n’est pas essentiellement bon à moins que toutes les causes qui contribuent à la bonté essentielle ne soient bonnes.  De la même façon on ne peut dire qu’un homme est en santé à moins que les organes vitaux de son corps ne soient sains.  En conséquence, un acte est substantiellement mauvais si l’objet ou l’intention sont mauvais.

88- L’axiome de Denis l’aréopagite ne signifie pas qu’un acte ne peut pas être essentiellement et substantiellement bon, et au même moment accidentellement mauvais, (cf 78), car  si une circonstance discordante pouvait rendre mauvais un acte bon,  combien peu de bons actes seraient faits même par les saints.  Exemple. Henri se sacrifie pour le service de Dieu et de son prochain, mais il succombe à quelques pensées de vanité.  Ses actes demeurent substantiellement bons.  L’axiome ne signifie pas qu’un acte peut être substantiellement mauvais  et avoir de bonnes conséquences qui diminuent sa malice.

89- Moralité de l’acte externe.  Après avoir considéré la moralité de l’acte interne, nous nous tournerons maintenant vers l’acte externe, comme faire l’aumône, voler, etc. Nous nous demanderons s’il a une moralité à lui,  distincte de celle de l’acte interne.  90- S’il est considéré comme l’objet ou l’effet de l’acte interne de la volonté, il n’ajoute aucune moralité importante à l’acte interne, puisque, n’ayant aucune liberté propre, il n’est moral que dans la mesure où il procède de la volonté.   Dans ce sens, celui qui fait l’aumône et celui qui le ferait s’il le pouvait sont égaux en bonté de la volonté.  Et celui qui voudrait frauder est égal en malice à celui qui fraude effectivement.

91- Si on considère l’acte externe précisément en tant que terme auquel tend l’acte interne, il complète la moralité essentielle de l’acte interne en l’étendant et en le communiquant à l’extérieur.  Car bien que cet acte externe ne puisse pas ajouter une moralité par lui-même, il porte la moralité interne à sa conclusion naturelle, et en propage le bien ou le mal. En ce sens, celui qui donne une aumône rend plus service que celui qui se contente de le désirer, et celui qui fraude est plus répréhensible que celui qui ne fait que le désirer.

92- Si l’acte externe est considéré comme quelque chose d’ajouté à l’acte interne, il peut augmenter la moralité accidentelle de l’acte interne par la réaction des circonstances externes sur la volonté.  Cela peut arriver comme suit.  La production de l’acte externe, par le seul fait qu’elle est agréable ou pénible,  augmente ou décroit l’intensité de la volonté.    En prenant plus de temps que l’acte interne, il le prolonge ; et en étant répété, il peut en augmenter la force. 93-  De plus, c’est par l’acte externe que se produisent l’édification ou le scandale ; et c’est l’acte externe qui mérite des punitions ou des récompenses.  Exemple.  Pierre nourrit une haine mortelle envers Paul, mais la garde pour lui.  Jean déteste aussi Paul, le calomnie et le tue.  Il devient justiciable.

94- La moralité d’un acte voulu indirectement.  On dit qu’un acte est voulu indirectement ou dans sa cause quand il est prévu comme le résultat d’un autre acte qui est seul directement visé. (cf 35 et suiv.)  Selon le différent caractère moral des actes, il y a quatre cas dans lesquels l’acte est voulu indirectement. Quand l’acte directement voulu et l’acte qui en résulte sont mauvais.  Exemples. Pierre est tout à fait opposé à la bagarre et au blasphème, mais il se saoule pour oublier ses soucis, tout en sachant d’avance qu’il se bagarrerait et qu’il blasphèmerait en état d’ivresse.  Paul n’a qu’aversion pour les manquements de charité, mais, pour s’amuser,  il choisit la compagnie d’une commère,  tout en sachant à l’avance qu’en l’écoutant, il aura des pensées contre la charité.

Quand l’acte directement voulu est mauvais, et que ce qui en résulte est bon.  Exemple.  Pierre est sans coeur quand il est sobre, mais très généreux quand il est intoxiqué.  Pour échapper à la monotonie de sa vie, il décide de devenir intoxiqué, mais se désole à la pensée de l’argent qu’il peut donner à des causes charitables avant de reprendre ses sens.  Jacques décide de commettre un acte d’injustice tout  en éprouvant la tristesse que lui procureront ses remords.

Quand les deux actes sont bons.  Exemple. Pour des raisons de charité, Pierre décide d’aller visiter un parent pieux malade.  Et il prévoit que des pensées de conversion,  qui lui sont déplaisantes, vont provenir de cette visite.

Quand l’acte directement voulu est bon et que l’acte qui en résulte est mauvais.  Exemples. Pierre prend une drogue prescrite pour sa santé, même s’il prévoit qu’elle le rendra inapte à aller à l’église.  Paul donne des aumônes aux pauvres dans le seul but de faire la charité, tout en sachant que des pensées de vaine gloire surgiront.

95- Un acte voulu indirectement parfois donne une nouvelle moralité, et parfois n’en donne pas.   S’il est bon, il n’ajoute aucune bonté interne, parce que la volonté permet le bien, mais ne le veut pas.  Exemple. Pierre qui n’a pas l’intention de faire la charité mais permet, en le déplorant, l’acte qu’il prévoit, ne désire pas faire la charité.

Si l’acte indirectement voulu est mauvais, il ajoute un acte mauvais à la volonté, si la volonté désire le mal en permettant ce qu’elle n’a pas le droit de permettre.  Exemple.  En ne prévenant pas comme il le devrait ce qui le conduira au blasphème, Paul désire implicitement blasphémer.

96- La moralité des conséquences de l’acte.  La vie de l’homme reçoit son caractère moral non seulement de ses actes externes et internes,  ceux qui sont faits dans le présent et ceux qu’il sait devoir en résulter,  mais aussi de l’influence que ses actes  ont maintenant  et auront plus tard sur les autres.  C’est cette influence sur les autres que nous appelons les conséquences d’un acte.  Selon les cas, les circonstances ajoutent ou n’ajoutent pas à la moralité d’un acte.  Le bien que l’homme  fait continue après lui, ainsi que le mal.   Il y a plusieurs sortes de conséquences.

Les conséquences prévues qui, si elles ont été voulues, ajoutent à la moralité de l’acte,  parce qu’il est clair que quelqu’un qui veut les bons ou les mauvais résultats d’un acte est meilleur ou pire selon l’intention que quelqu’un  qui n’a pas ce genre de désir.  Ainsi, quelqu’un qui, sachant que plusieurs seront édifiés ou scandalisés par sa conduite,  veut quand même le résultat est meilleur ou pire que quelqu’un qui n’a pas ce genre de désir.

Les conséquences imprévues qui, si elles découlent naturellement et habituellement d’un acte, rendent l’acte meilleur ou pire en lui-même selon leur caractère. Ainsi, l’enseignement de la doctrine chrétienne est bon puisqu’il donne la connaissance de la vérité, mais il devient encore meilleur par les avantages qu’en retirent ceux qui l’écoutent.  De la même façon l’enseignement du mal devient encore plus mauvais par la mauvaise influence qu’il a sur ceux qui l’écoutent.  Si elles découlent seulement accidentellement et rarement d’un acte, les conséquences imprévues n’affectent pas sa moralité, puisqu’un acte doit être jugé par ce qui appartient à sa nature et non par ce qui est simplement occasionné par lui.  Ainsi, le fait que l’aumône est utilisée par quelqu’un comme un moyen pour satisfaire l’intempérance ne prive pas l’acte de la bonté de l’aumône faite pour la charité.  De la même façon, le fait qu’une blessure est utilisée par la victime  comme l’occasion d’un profit spirituel n’enlève pas la malice de l’acte violent.

97- L’imputabilité.  Comme un acte peut être un acte fait par un homme mais ne pas être un acte humain, (en rêve, par exemple), un acte peut être moral sans pouvoir être imputé comme bon ou mauvais à l’agent (par un enfant ou un ivrogne).
98- L’imputabilité est la propriété d’un acte par laquelle il appartient à l’agent, non seulement dans sa nature physique comme quelque chose de lui-même, ou comme un effet produit par lui, ou dans sa qualité humaine de sujétion à la volonté, mais dans son caractère moral de bonté ou de méchanceté. Par le seul contact avec l’objet moral, l’agent acquiert quelque chose de la pureté ou de l’impureté de l’objet, et devient ainsi responsable du bien ou du mal.
98- Les conditions pour l’imputabilité d’un acte sont les suivantes. L’acte doit être humain, c’est-à-dire, doit être accompli sciemment et volontairement. (cf 23 et suiv.)  L’homme n’a pas à rendre compte de la qualité de l’acte s’il n’est pas responsable de sa substance. Exemple. Pierre éprouve une peine si intense qu’il ne sait pas ce qu’il dit, et il blasphème. La moralité du blasphème ne lui est pas inconnue, mais son état présent n’est pas voulu, et ne lui est donc pas imputable. La moralité de l’acte doit être connue, ou être quelque chose qui doit être connu à l’agent, au moins au sens général, car personne n’est responsable de ce qu’il ignore sans faute de sa part. Exemple. Pierre, Jacques et Jean volent le jardin de leurs voisins. Pierre pense de bonne foi qu’il fait un acte de vertu, parce que le jardinier doit de l’argent à ses compagnons. Jacques pense qu’il commet une certaine sorte de péché, mais il ne sait pas si c’est le vol ou la gourmandise. Jean pense qu’il ne commet qu’un péché véniel. Luc, le plus jeune du groupe, regarde l’aventure comme un jeu. Tous commirent un vol, et l’acte est mauvais. Pierre et Luc ne commirent pas de faute, parce qu’ils étaient de bonne foi. Jacques et Jean commirent un péché dont l’espèce et le degré dépendent de la connaissance qu’ils avaient ou qu’ils auraient du avoir.
La moralité de l’acte doit être voulue. Si l’acte est bon, sa bonté doit être désirée, puisqu’une personne ne peut pas être créditée de ce qu’elle ne désire pas. Exemple. Pierre ne croit pas dans la vertu, et Paul s’oppose à aider les pauvres, mais tous les deux font l’aumône à un mendiant, le premier pour s’en débarrasser, l’autre pour se défaire de vieux vêtements. Aucun des deux  ne sera récompensé pour l’acte accompli. Si l’acte est mauvais, le désir de la malice est suffisamment indiqué par l’accomplissement lui-même de l’acte qui est connu comme mauvais et défendu. La volonté  choisit de prendre contact avec l’acte mauvais, et implicitement avec la méchanceté de l’objet. Exemple. Après avoir déclaré qu’il ne veut blesser personne, Pierre se met à calomnier ses voisins. Le désaveu de toute mauvaise intention ne le rend pas moins coupable de calomnie.
100- On peut concevoir que l’imputabilité rend quelqu’un responsable de la qualité morale de ses actes de trois façons. De façon  générale, si quelqu’un devrait recevoir le crédit ou le discrédit de la bonté ou de la méchanceté seulement d’après la sorte, si quelqu’un reçoit le crédit ou le discrédit seulement de la bonté ou de la méchanceté ; d’après le degré, si quelqu’un reçoit le crédit ou le discrédit de degrés moins hauts ou plus hauts de la même vertu ou vice, ou si quelqu’un est rendu coupable de péché mortel ou véniel. Ces choses seront discutées dans les articles consacrés aux vertus et aux vices. (cf 186 et suiv.)
101-La bonté est imputable de la façon suivante. En ce qui a trait aux actes internes, une personne est créditée de toute la bonté de l’objet, de la fin et des circonstances dans la mesure où elle est connue et voulue par elle. Exemple. Pierre se propose d’adopter une position pénitentielle dans la prière pour obtenir la vertu d’humilité. Son saint désir lui a donné le mérite de l’adoration, de la mortification et de l’humilité. S’il n’avait pas donné un sens moral à sa posture, s’il ne l’avait pas voulue comme un acte pénitentiel, ou s’il avait regretté de l’avoir prise,  il aurait l’acte de la mortification mais non le mérite.
En ce qui a trait aux actes externes, une personne est récompensée pour la  promptitude, l’empressement, l’intensité ou la durée avec laquelle la volonté se livre à ce qui est bon.  Exemple.  Si Pierre prie de la manière ci-haut décrite, sa bonne volonté est intensifiée, et il a le mérite de l’augmentation de la bonté accidentelle de l’acte.   Quant aux actes indirectement voulus, quelqu’un n’a pas le crédit de leur bonté, si cela est simplement permis.  Pierre qui s’attriste de ce que des pensées de changement de vie lui viendraient  à l’esprit s’il allait à l’église,  ne reçoit aucune récompense pour ses bonnes pensées.

En ce qui a trait aux conséquences qui étaient prévues ou prévisibles (qui résultent naturellement d’un acte),  nul n’en a le mérite à moins de les avoir voulues. Exemple. Pierre enseigne la religion à des enfants parce qu’il est payé pour le faire. Paul l’enseigne aussi parce que c’est une bonne action.  Pierre ne recevra aucune récompense de ce que les enfants vivent ensuite vertueusement, puisque la chose lui indifférait. Mais Paul si.   Quant aux conséquences qui ne sont pas un résultat naturel de l’acte, l’agent n’en recevra pas de crédit s’il ne les a ni désirées ni prévues.   Exemple.  Paul donne un conseil de bonne conduite à Pierre de la façon la plus simple et la plus banale, mais qui  fait sur lui une telle impression qu’il entreprend et accomplit des choses extraordinaires que Pierre n’aurait pas cru possibles ni recommandables.

102- Le mal est imputable de la façon suivante.  En ce qui a trait à l’acte interne, une personne est coupable de tout le mal de l’objet, de la fin et des circonstances, en autant qu’elle le connait et le veut.  Exemple.  Pierre pense qu’en volant tout ce que Paul possède il pourrait l’induire au suicide.  Il a commis un vol et un meurtre dans son cœur.  En ce qui a trait à l’acte externe, quelqu’un est coupable de toutes les circonstances qui amènent à une détermination plus grande, laquelle s’ajoute à l’acte interne.  Exemple.  Si Pierre vole les biens de Pierre et cause ainsi sa mort, sa malice apparait très grande et s’étend aux conséquences mauvaises des actes externes.    Quant aux actes voulus indirectement, un agent est coupable du mal qu’ils provoquent s’il avait pu ou du l’empêcher.   Exemple. Pierre est coupable des blasphèmes qu’il avait prévu qu’il ferait s’il buvait trop, car il pouvait et devait rester sobre.

En ce qui a trait aux conséquences mauvaises des actes prévues ou prévisibles, l’agent est responsable du mal s’il pouvait ou devait l’empêcher.  Exemples.  Pierre sait que tel mendiant va blasphémer s’il lui refuse l’aumône, mais il n’a pas d’argent à lui donner, et n’est donc pas responsable de ce que fera le mendiant.  Paul blasphème en compagnie de plusieurs personnes, et est donc coupable du péché de scandale, puisqu’il n’a aucun droit au blasphème.  Les mauvaises conséquences des actes qui ne peuvent pas être prévues ne sont pas imputables.  Exemple. Pierre vole cinquante  sous à Paul.  Ce dernier  en est si peiné qu’il commet le suicide.  Pierre n’est pas responsable d’un suicide qu’il n’a pu désirer ni prévoir d’aucune façon.

103- On a déjà dit que quand deux résultats, l’un bon et l’autre mauvais, sont causés par un acte  le mal est imputable s’il pouvait ou devait être empêché.  Il n’est pas toujours facile, toutefois, de déterminer sur-le-champ à quel moment le résultat devrait être empêché, et comme les cas de double effet sont nombreux, il sera utile de donner des règles plus particularisées et qui permettront à quelqu’un de décider quand il est permis de faire ce d’où résultera un acte indirectement voulu, ou une conséquence qui est mauvaise.

104- Il est permis d’accomplir une action qui fait prévoir un effet mauvais quand les conditions suivantes sont présentes. L’action voulue doit être bonne ou au moins indifférente, car si l’action est mauvaise, elle est aussi illégale.  Un bon effet doit aussi découler de l’acte et il ne doit pas être causé par l’effet mauvais, car la fin ne justifie pas les moyens.  Ainsi, ce n’est pas permis de prendre ce qui appartient aux autres pour faire l’aumône, parce que l’effet mauvais résulte immédiatement de l’acte, et le bon effet ne résulte qu’au moyen du vol.   L’agent ne doit désirer que le bon effet, puisqu’il n’est pas permis de désirer le mal.   Ainsi, si quelqu’un prévoit qu’une conduite vertueuses causera un péché d’envie chez un voisin,  ce mauvais résultat de la vertu ne doit pas être perçu comme quelque chose dont on peut se réjouir.  Un agent doit avoir une raison suffisamment sérieuse pour permettre le résultat mauvais d’un acte. 105- Le mal ne peut être permis à moins de trouver des compensations adéquates dans le bien poursuivi.  Ainsi, il n’est pas permis de tuer un voleur pour sauver un peu d’argent ;  mais il est permis de tuer un agresseur si la chose s’avère  nécessaire pour sauver sa vie.  Plus grande est la dépendance de l’effet mauvais d’un acte, plus grande doit être la raison pour accomplir l’acte.  Exemple.  Pierre autorise ses élèves à jouer contre d’autres élèves tout en sachant qu’on va se quereller et se chamailler.  Il ne lui faut pas,  non plus, une bien grande raison pour donner son accord s’il sait qu’une autorité supérieure donnera son autorisation à défaut de la sienne.  Plus le mauvais effet suit de près l’acte, plus grande doit être la raison pour accomplir l’acte.  Ainsi, il faut une raison moindre pour diriger vers la cité  un soulon que pour le conduire vers une bouteille de brandy.   Plus on est certain que l’effet suivra, plus grande sera la raison requise pour causer l’acte.  Exemple. Quelqu’un qui roule à toute vitesse sur une route peu fréquentée n’a pas besoin d’une raison aussi grave que s’il roulait en plein trafic.  Plus quelqu’un a d’obligation de prévenir un effet mauvais, plus grave doit être la raison pour entreprendre l’acte.  Ainsi, puisque les curés, les légistes, les supérieurs et les policiers sont tenus par leur office de prévenir les désordres moraux, il leur faut des raisons plus sérieuses qu’à leurs subordonnés pour poser un acte qui aura de mauvaises conséquences.
 

                                ARTICLE 4

                           LES ACTES MÉRITOIRES
       (somme théologique 1-11 q.21

106- Quand la moralité d’un acte est attribuée à quelqu’un comme lui appartenant en propre, il devient digne de félicitations et de récompenses si son acte est bon, et susceptible de blâme et de punition si son acte est mauvais.

107- Définitions. Le mérite est le droit à une récompense provenant de travaux faits pour Dieu.  Le démérite est la dette de punition encourue pour des œuvres faites contre Dieu.  D’après la différence des personnes qui confèrent la récompense, le mérite est de deux sortes : le mérite humain, ou le droit que possède une personne de réclamer une récompense à son voisin, à la société pour les bienfaits qu’elle leur a octroyés ; le mérite divin, ou le droit qu’une personne a de recevoir une récompense de Dieu, pour la fidélité avec laquelle elle a accompli ces actes dont Dieu est la fin dernière, ou travaillé pour la société dont Dieu est le maître suprême. On ne considère ici que le mérite divin.

108- Divisions.  Selon les différents objets de récompense, il y a deux sortes de mérites.  Le mérite naturel, qui rend l’homme digne d’une récompense qui ne dépasse pas les pouvoirs ou exigences natives d’un être créé, comme le succès, la prospérité, ou d’autres biens qui ne se rapportent pas à la fin dernière de l’homme. C’est ainsi que nous lisons dans l’Ecriture que des païens ou des pécheurs ont joui d’un bonheur terrestre à cause de leurs vertus naturelles.  Le bien surnaturel,  qui rend quelqu’un digne d’une béatitude qui transcende le pouvoir de la créature, que Dieu a préparé à ceux qui le servent (cf 20).  Ce n’est que cette sorte de mérite qui est considérée ici. 109- La fin dernière de l’homme étant une récompense surnaturelle, il s’ensuit que les actes par lesquels il y tend ne doivent pas être seulement moraux et humains, mais surnaturellement méritoires.

110- Il y a quatre sortes de mérite surnaturel. Le mérite au sens strict, c’est-à-dire le mérite qui provient de la justice, et qui ne suppose aucune faveur de la part de celui qui récompense.  En ce sens, le Christ a mérité, car même la grâce qui rendait ses mérites surnaturels lui était due en tant qu’Homme-Dieu. Le mérite au sens le moins strict, c’est-à-dire le mérite qui ne provient pas de la justice, mais qui présuppose une faveur de la part de celui qui récompense.  C’est de cette façon que les justes méritent devant Dieu puisque leurs actions confèrent un droit à la récompense divine, alors que la grâce qui leur a permis de les accomplir est une faveur divine.  Le mérite de convenance au sens strict est un mérite qui ne provient pas de la justice, (puisqu’il n’y a aucune égalité entre l’acte et la récompense), mais parce que la personne qui la mérite est un ami de Dieu.  Dans ce sens, tous ceux qui sont en état de grâce peuvent mériter des biens spirituels pour les autres. Le mérite de convenance au sens large est un mérite qui provient de la libéralité de Dieu, qui répond à une bonne œuvre comme si elle était une prière.  Dans ce sens, on peut dire que les bonnes œuvres faites par les pécheurs peuvent mériter leur conversion.

111- La deuxième sorte de mérite ci-haut mentionnée –le mérite de convenance au sens large---est celui qui nous intéresse particulièrement ici, car c’est la sorte de mérite qui doit se trouver dans les actes humains pour qu’ils puissent conduire l’homme à une récompense surnaturelle.  Un traitement plus complet du mérite se trouve dans la théologie dogmatique à la question de la grâce.

112- Les conditions requises pour la sorte de mérite dont il est maintenant question sont les suivantes.  Le travail doit être humain, libre, moralement bon et surnaturel (provenant de la grâce sanctifiante et de la charité).  Il faut que celui qui mérite soit dans l’état de voyageur (qu’il n’ait pas encore été puni ou récompensé).  Il doit être en état de grâce.        Dieu a promis une récompense pour le travail accompli.  Il découle de ce que nous avons dit que sont méritoires tous les actes humains moralement bons de ceux qui sont état de grâce.

113- Les objets du mérite de convenance  --les récompenses promises par Dieu pour les actes bons faits pour lui pendant la vie---sont une augmentation de la grâce sanctifiante, le droit à la vie éternelle, l’obtention de la vie éternelle si celui qui mérite meurt dans la grâce, et une augmentation de gloire.

114- Les conditions pour le mérite de stricte convenance sont les mêmes que celles données plus haut, à part la promesse faite par Dieu, qui n’est pas requise.  Un exemple de cette sorte de mérite : la sainteté de la sainte Vierge qui lui a fait mériter plus que toutes les  autres d’être la mère de Dieu ;  et la conversion de saint Paul opérée par les mérites de la mort de saint Etienne. 115-  Pour le mérite de convenance au sens large, il est nécessaire que l’œuvre soit moralement bonne.  On trouve des exemples de cette sorte de mérite dans les soupirs des anciens patriarches pour la venue du Messie.  L’homme juste peut mériter par le mérite de convenance au sens large sa propre conversion après une chute, sa persévérance finale, et des biens temporels.
 

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Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.

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