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John A. McHugh, o.p. - Charles J. Callan, o.p.
THEOLOGIE MORALE un cours complet selon saint Thomas d'Aquin et les meilleurs auteurs modernes

Imprimatur Francis cardinal Spellman, Archbishop of New York, New York, May 24, 1958
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ARTICLE 5 : LES PASSIONS
                      (somme théologique Ia-IIae qq. 22-48)

116- Après avoir traité des actes qui sont propres aux hommes, nous allons maintenant parler des actes qui sont propres aux hommes et aux animaux.

117- Définition. Les passions, appelées aussi émotions, affections ou sentiments, sont des actes de désir.  Mais, à la différence des actes de la volonté, ils ne sont pas dirigés vers le bien appréhendé par le pouvoir de connaître le plus élevé de l’intelligence, mais   par le pouvoir de connaissance le plus bas, celui des sens et de l’imagination.  Elles sont définies comme actes ou mouvements de l’appétit sensitif qui nait de la représentation d’un certain bien dans les facultés sensitives, et qui produisent des transformations dans le corps, comme les palpitations du cœur,  l’accroissement de la circulation du sang, la pâleur, la rougeur etc…

118- Division. Il y a deux classes de passions.  Les  concupiscibles qui ont pour objet un bien sensible perçu comme agréable, ou un mal sensible considéré comme désagréable, et qui sont l’amour, la haine, le désir, la fuite, la joie et la tristesse.  Les irascibles, qui ont pour objet un bien sensible ou un mal sensible considéré comme difficile à atteindre ou à éviter,  et qui sont l’espoir, le désespoir, la bravoure, la crainte, la colère.

119- On définit comme suit les passions concupiscibles. L’amour, la première des passions, et la cause de toutes les autres,  tend vers les biens sensibles considérés comme désirables, qu’ils soient présents ou absents.   Le désir tend vers un bien sensible absent, et la fuite détourne d’un mal sensible prévu.  La délectation ou la joie est l’affection produite dans l’appétit sensitif par la présence et la possession de l’objet désiré.  La tristesse est la passion qui déprime l’âme à cause de la présence d’un mal.

120- On explique les passions irascibles de la façon suivante.  L’espoir tend vers un bien futur difficile à obtenir, imminent, mais non impossible. La bravoure  affronte un mal difficile à supporter, imminent,  mais non invincible.  La peur tremble devant une difficulté future qui semble irréversible.  La colère est le désir de la vengeance pour une offense reçue.

121- La valeur morale de la passion.  Les stoïques considéraient que toutes les passions étaient des maladies de l’âme, et que quelqu’un est parfait quand il parvient à la condition d’impassibilité, ou d’apathie.  Lucrèce, au contraire, enseignait que toutes les impulsions des passions sont bonnes.  La vérité est que les passions sont bonnes ou mauvaises selon la façon dont on les considère.  Physiquement, les passions sont bonnes, puisqu’elles sont des actes de puissances naturelles, ou la perfection ou le complément de quelque chose qui est bon en lui-même.  Moralement, elles sont indifférentes, si on les regarde en elles-mêmes, en tant que produit de l’appétit sensitif.  Car cet appétit est un pouvoir irrationnel  de l’âme, semblable à celui des animaux,  et les actes ne sont moraux qu’à la condition d’être rationnels, c’est-à-dire qu’un acte est bon ou mauvais seulement en relation avec la raison.  Moralement, les passions sont bonnes ou mauvaises si elles sont commandées par la raison et la volonté,  car ainsi elles participent au bien ou au mal qui se trouve dans les actes qui les font naître, comme les actes des membres externes du corps sont moraux dans la mesure où ils exécutent les ordres de la volonté.   Les passions sont volontaires si elles sont commandées par la volonté ou non interdites par elle.   Notre Seigneur a regardé quelqu’un avec colère,  attristé qu’il était de l’aveuglement de ses ennemis qui l’épiaient dans la synagogue. (Marc 111, 5)  Il a ressenti de la tristesse à l’approche de sa passion. (Marc X1V, 34)

122- Les passions sont moralement bonnes si elles sont dirigées par la volonté vers un objet moralement bon.  Par exemple, la honte est une passion digne de louange parce qu’elle est la peur de ce qui est déshonorant.  La pitié aussi est bonne parce qu’elle est conforme à la droite raison, la tristesse étant causée par le malheur des autres. Les passions sont moralement bonnes si elles sont choisies par la raison pour une bonne fin.  Par exemple, c’est une bonne chose de provoquer une émotion de joie pour que quelqu’un puisse prier avec plus de ferveur ; ou de susciter des sentiments de pitié, de peur, d’espoir pour que quelqu’un soit plus enclin à la miséricorde, au repentir, et au courage.

Si les circonstances sont sous le contrôle de la droite raison.  Par exemple. S’affliger avec excès de la mort d’un ami de façon à ne plus pouvoir  remplir son devoir, et  à voir sa santé affectée est déraisonnable.   Mais pleurer  comme Jésus l’a fait à la tombe de Lazare est un acte de pitié.  De la même façon, la légère colère de Heli était blâmable, mais la grosse colère de Moïse était louable, parce que les maux dans les deux cas exigeaient la sévérité. (1 Rois 11,111 ; Exod.)

123- Les passions peuvent diminuer ou augmenter la bonté de l’acte. Elles diminuent sa bonté si elles sont antécédentes, c’est-à-dire antérieures au jugement de la raison, parce qu’elles obscurcissent l’esprit, et rendent l’acte qui suit moins volontaire.  Par exemple, il y a moins de mérite pour une aumône faite sous l’impulsion du moment que pour une faite après mûre  réflexion et pour des motifs de pure charité.

Elles augmentent la bonté de l’acte si elles sont conséquentes, c’est-à-dire subséquentes au jugement et le résultat de l’intensité de la volonté, ou d’un mouvement délibéré de la volonté (cf 47 et suiv.), car comme l’acte externe augmente la bonté de l’acte interne, il est ainsi préférable que l’homme tende vers le bien non seulement avec sa volonté, mais avec toutes ses émotions.  Exemples.  La joie spirituelle du psalmiste apparait plus grande qu’à l’ordinaire du fait qu’elle a affecté ses émotions, le cœur et la chair se réjouissant. (Ps LXXX11,3)  Chanter un hymne pour se porter à une plus grande ferveur ajoute à la bonté de ce qui est fait, en rendant l’acte plus prompt et plus aisé.

124- Les passions sont moralement mauvaises quand elles sont commandées par la volonté et dirigées vers un objet, un but mauvais ou une circonstance mauvaise. Ainsi, l’envie est une passion ignoble, parce qu’elle est déraisonnable, étant la tristesse du succès d’autrui.   Exemples.  Pierre boit avec excès pour la joie que lui donne l’ivresse (objet mauvais).  Paul excite volontairement son imagination pour pouvoir haïr avec plus de force, et agir plus cruellement (mauvaise fin.)  Luc aime ses enfants si immodérément  qu’il  devient soupçonneux et jaloux.   Les passions sont aussi moralement mauvaises quand elles devraient être interdites par la volonté, mais ne le sont pas.  Exemple. Jacques est surpris par un soudain accès de rage,  mais il ne fait rien pour y mettre fin,  même s’il le juge déraisonnable.

125- Les passions peuvent enlever, diminuer ou augmenter la méchanceté de l’acte.  Les passions antécédentes enlèvent toute malice si (chose rare)  elles empêchent complètement l’usage de la raison.  Elles diminuent la méchanceté d’un acte si elles obscurcissent le jugement.  Exemples. Ayant peur de se noyer,  Pierre panique. Il s’agrippe à Paul et cherche à l’entraîner avec lui au fond.  On menace Luc de lui infliger un œil au beurre noir s’il refuse de calomnier. Il calomnie donc.   Sa calomnie serait plus grave s’il avait agi de sang froid.  Les passions conséquentes augmentent le mal, car elles manifestent une forte intention, ou sont le résultat d’un but directement voulu.   Exemples. Pierre s’en prend  à la conduite d’un adversaire  non avec des arguments logiques ni poussé par l’amour de la vérité, mais par des sentiments d’antipathie et un désir de vengeance.  Paul laisse monter la colère en lui pour se mieux se préparer à rencontrer quelqu’un dont il est injustement jaloux.

126- Bien que les passions soient physiquement bonnes, et moralement indifférentes de leur nature, elles peuvent avoir des réactions physiques et des conséquences morales qui sont nuisibles ou mauvaises.   Ces dangers peuvent être physiques, mentaux ou moraux.

Les dangers physiques des passions. C’est un fait bien connu qu’il y a un lien étroit entre les passions, les nerfs, le cœur, et le corps en général, et qu’une émotion puissante et persistante peut être dommageable à la santé,  produisant la maladie, l’inconscience ou la mort.   Les dangers mentaux des passions.  Tous admettent que les passions troublent le jugement, et peuvent même priver quelqu’un de l’usage de la raison.  Car elles agissent sur le corps ou les sens, qui affectent à leur tour l’esprit d’une façon semblable à ce qui arrive dans le sommeil ou en état d’ivresse.  Ainsi, l’amour rend l’amant aveugle aux défauts de l’aimé ; la peur amplifie le danger ; la mélancolie paralyse l’esprit.

Les dangers moraux des passions. C’est un fait d’expérience que les passions sont une source de plusieurs tentations et de péchés.  Elles sont  souvent antécédentes, comme quand elles proviennent  d’états corporels qui échappent à tout contrôle, ou d’imaginations profondément ancrées dans l’esprit.  Elles tendent en même temps à ce qui n’est pas conforme à la raison droite, et se rebellent contre la loi de l’esprit.  Ainsi, une personne dont la santé est mauvaise est facilement déprimée, et cette dépression fait naître des tentations de désespoir, Quelqu’un dont la mémoire est hantée par le souvenir d’une personne défunte devient une proie facile de la tristesse ; et elle trouve difficile d’accomplir son devoir avec empressement et diligence.

127- Une passion peut devenir moralement mauvaise en raison des maux physiques ou mentaux qui lui sont associés.  Pour une personne qui a des devoirs envers son bien être.  Et il veut indirectement négliger ces devoirs celui qui se livre  à des passions nuisibles.  Exemple.  Pierre pleure sans retenue la mort de sa mère, avec le résultat que sa santé physique et mentale est altérée.  Une personne a aussi des devoirs envers la vie, la santé et le bonheur de son voisin ; et  il choisit de négliger ces devoirs s’il provoque injustement des émotions chez les autres, tout en prévoyant les conséquences malheureuses. (cf. 95 et suiv.)  Exemple.  Pierre indispose tellement Paul par son comportement insupportable que ce dernier en perd l’appétit et le sommeil, et devient un invalide.  Lucie exaspère  tellement son père  par son insubordination et sa révolte qu’il en devient fou.  Paul prétend avoir subi du tort d’un rival pour qu’il soit puni injustement.

128- Au sujet des passions qui incitent au mal ou qui détournent du bien, nous devons observer ce qui suit.  Si la passion est conséquente,  quelqu’un se met lui ou les autres en danger de péché ; et la conduite de quelqu’un doit être jugée d’après les principes donnés à 258 et suivants. Exemples.  Pierre aime broyer du noir, même si cela le porte à négliger ses devoirs.  Luc fait des remarques acerbes à quelqu’un qui prend feu immédiatement, le provoquant à manquer à la charité. Si la passion est antécédente, elle constitue  une tentation à laquelle on doit résister. (cf 252 et suiv.) Exemple.  Pierre est naturellement antipathique à Paul, et est, en conséquence, souvent jugé durement par lui, ou traité injustement.

129- Les passions antécédentes ou involontaires, comme les actes involontaires d’imagination,  les pensées ou les volontés tendant au mal,  sont souvent appelées les premiers mouvements de l’âme, en tant qu’elles se distinguent des passions conséquentes et volontaires et des actes qui sont connus comme les mouvements secondaires de l’âme.

Les premières motions sont de deux sortes.  Celles qui précèdent toute délibération ou consentement, actuel ou virtuel.  Elles sont exemptes de toute faute.  Celles qui précèdent la pleine délibération ou consentement, mais qui viennent après une délibération partielle sont des péchés véniels.

La plupart des théologiens, depuis le concile de Trente, maintiennent que les mouvements désordonnés de passion qui précèdent la prise de conscience, comme la sensualité, l’envie, etc. ne sont pas des péchés.  Le concile de Trente a défini que  l’imputation de péché n’avait jamais été comprise par l’Eglise au sens d’un péché véritable des baptisés, mais qu’elle a été appelée péché par saint Paul au sens où elle vient du péché et conduit au péché. (concile de Trente, 5ième session)  Sur la base de ce texte,  certains auteurs ont soutenu que c’est une matière de foi que les mouvements involontaires désordonnés ne sont pas des péchés chez les baptisés.  La condamnation des deux propositions de Baïus ( « les désirs mauvais auxquels la raison ne consent pas et que l’homme supporte malgré lui sont prohibés par le précepte. » Et sa cinquante-cinquième : « la sensualité ou la loi des membres et les mauvais désirs que l’homme subit involontairement  sont de vraies désobéissances à la loi ») est interprétée  comme établissant avec certitude l’absence de péché dans ces mouvements irréfléchis chez les infidèles.

Saint Thomas d’Aquin a enseigné autrement. Pour lui, ces mouvements désordonnés sont des péchés véniels.  Bien qu’ils précèdent la délibération de la raison, ils participent à l’ordre des actes moraux, même si imparfaitement, dans la mesure où la sensibilité, chez l’homme, doit être soumise à la raison.  La raison  qui peut et devrait contrôler ces mouvements, ne parvient pas à le faire en raison de leur grand nombre.  En conséquence, ils ne sont pas involontaires, mais indirectement volontaires, comme les péchés d’omission.   Puisque ces mouvements sont indirectement volontaires, l’enseignement de saint Thomas ne contredit pas celui du concile de Trente qui voit  ces mouvements comme des dispositions habituelles, et non comme des actes, à la façon de saint Thomas.  Il est clair aussi que sa doctrine ne tombe pas sous la condamnation des propositions de Baïus.  Chez Baïus, ces motions sont volontaires ; chez saint Thomas, indirectement volontaires.

Thomas distingue les mouvements de sensualité autrement que ne le font les auteurs modernes de manuel.  Pour lui, les mouvements désordonnés proviennent de dispositions corporelles qui ne sont pas sous le contrôle de la raison, et ne peuvent donc pas être des péchés.  Les mouvements qui procèdent des sens internes propres aux passions peuvent être isolés séparément et donc contrôlés par la raison. Ils sont ainsi comptés parmi les actes moraux.

130- La souffrance physique ou la maladie reçoit souvent le nom de passion du corps. A la différence des maladies de l’âme, c’est un mal physique.  Considérée moralement, elle est indifférente en elle-même, mais touche à la moralité de plusieurs façons.  Elle peut ainsi recevoir de la moralité de la volonté.  Exemples. Les souffrances endurées avec résignation sont des actes de vertu.   L’injuste cause doit assumer la responsabilité de la  maladie ou de  la peine infligées à autrui.

La passion peut affecter la moralité de l’acte de la volonté.  Exemples. Un mal de dents aigu ou d’autres souffrances lancinantes est une circonstance qui atténue la gravité des péchés de répulsion, car la souffrance attire tellement d’attention sur elle-même que la capacité de penser à autre chose est fort diminuée.  Les maux d’estomac peuvent se révéler un avantage, en empêchant de manger avec excès.

131- Même si les passions sont bonnes en elles-mêmes, elles sont pourtant souvent moralement dangereuses.  La régulation des passions par les vertus de force et de tempérance sera traitée plus loin.  Mais nous allons indiquer ici quelques moyens naturels par lesquels on peut, avec l’aide de Dieu, contrôler leurs premiers mouvements.  Si la passion n’est pas violente, elle peut être réprimée directement  par un acte de la volonté.  Si la passion est violente, elle peut être combattue par d’autres activités qui lui sont contraires, ou qui, à cause de l’énergie qu’elles déclencheront, diminueront proportionnellement la force de la passion.  Si quelqu’un est envahi par la crainte,  il peut se rabattre sur des pensées d’espérance.  Si quelqu’un est accablé par la perte d’un être cher, il peut trouver du soulagement ou de la joie en recherchant la société de ses amis, ou du repos dans le sommeil.  L’étude ou des occupations astreignantes est un excellent moyen de surmonter des passions violentes.

Si une passion persiste, on peut faire diversion en se représentant intensément un objet moralement bon, le garder présent dans l’imagination ou la mémoire.  Exemples. Ceux qui sont enclins à aimer démesurément devraient détourner l’amour qu’ils ont du monde et des choses du monde par la beauté et la bonté divine.  Ceux qui sont peureux par nature devraient se servir de cette crainte toute humaine pour comprendre à quel point Dieu est à craindre.
 

                                QUESTION DEUX

          BONNES ET MAUVAISES HABITUDES

132- Après avoir considéré les actes humains et les passions, nous en venons aux principes dont  les actes procèdent prochainement.  Ces principes sont d’abord les facultés, les pouvoirs ou les forces de l’âme, comme l’intelligence, la volonté, les sens, les pouvoirs végétatifs ;  deuxièmement, les habitudes qui modifient les facultés de façon permanente.  Car quelques facultés peuvent être tournées dans différentes directions, bonnes ou mauvaises, en ce qui a trait à leurs fins.  Et c’est le pli stable donné à une faculté que l’on appelle une habitude.  Ainsi, on peut diriger l’intelligence vers sa fin qui est la vérité par l’habitus de la connaissance, ou l’en éloigner par l’habitus de l’ignorance.  De la même façon, la volonté peut être dirigée par la vertu vers sa fin qui est le bien,  ou en être détournée par le vice.  C’est à la psychologie de traiter des facultés, mais les habitus relèvent de la théologie morale et de la philosophie, puisqu’ils tournent les facultés vers le bien ou le mal.
 

    LES HABITUS EN GÉNÉRAL
                   (somme théologique 1-11 qq. 49-54)

133- Définition. Un habitus est une qualité parfaite et stable qui affecte en bien ou en mal un être en lui-même, ou par rapport à ses motions.  Il diffère d’une simple disposition ou tendance, lesquelles sont des qualités imparfaites et transitoires.  Par exemple, un teint jaunâtre est un habitus ; une rougeur subite une tendance.
134- Division.  Il y a plusieurs sortes d’habitus.  Du point de vue du sujet, ils sont constitutifs  ou opératifs, dans la mesure où ils affectent directement la nature ou les pouvoirs d’un être. Ainsi, il y a l’habitus inhérent de la grâce sanctifiante et des habitus opératifs comme la science ou la vertu, comme dans le corps, il y a les habitus de la beauté et la santé etc.  Du point de vue de l’objet, les habitus sont bons (vertus) ou mauvais (vices),   Du point de vue de leur cause, les habitus sont infus ou acquis, dans la mesure où ils sont surnaturellement produits par Dieu ou obtenus naturellement par les actes répétés de l’homme, ou ils résultent de la nature sans la répétition d’actes.  La foi dans un enfant baptisé est un habitus infus. La connaissance obtenue par l’étude est un habitus acquis.  Naturelle est la perception que  les premiers principes de vérité sont donnés gratuitement.

135- Les habitus opératoires acquis sont définis comme des qualités difficilement changeables, par lesquelles une faculté qui a la possibilité d’agir de plusieurs façons est disposée à agir  d’une seule façon avec facilité, promptitude et joie.  Ainsi, par l’entraînement l’homme acquiert un moyen de transport approprié qui lui permet de se déplacer sans difficulté.

136- Les habitus opératoires infus sont des qualités durables qui donnent à une faculté le pouvoir d’accomplir des actes qui sont surnaturels.  Ainsi, les vertus infuses de foi, d’espérance et de charité donnent à l’intelligence et à la volonté la capacité d’éliciter des actes en référence à la vérité surnaturelle et au bien. La facilité et la promptitude à éliciter ces actes viennent de l’usage de la puissance infuse.

137- Fortifier ou affaiblir les habitus.  On augmente les habitus extensivement quand ils sont appliqués à un plus grand nombre d’objets.  Ainsi, l’habitus de science s’accroit quand  il est appliqué à un plus grand nombre de vérités. On augmente les habitus intensivement quand ils sont enracinés plus fermement dans leur sujet, et deviennent de plus en plus faciles à mettre en opération.  C’est ce qui se produit quand les actes intenses d’un habitus sont fréquemment répétés.  Ainsi, un habitus de vertu ou de vice devient une seconde nature. Il pose des actes avec toujours plus de joie, et est capable de résister à des difficultés de plus en plus grandes.   138- Les habitus infus ne peuvent pas être diminués,  mais ils peuvent être détruits (cf 745)  Les habitus acquis, eux, sont affaiblis et détruits principalement de deux façons. Par des actes qui leur sont opposés, surtout si ces actes sont pressants et fréquents.  Une mauvaise coutume est renversée par une bonne, et vice-versa. Les habitus acquis sont aussi affaiblis et détruits par leur oubli ou leur non usage.  Car une personne qui a appris une langue étrangère l’oubliera si elle cesse de la parler, de la lire ou de l’écouter.  L’expérience montre, toutefois, qu’on ne perd pas la connaissance des premiers principes, spéculatifs ou moraux.

139- Un habitus peut être accidentellement corrompu par la blessure d’un organe nécessaire à son exercice.  C’est ainsi qu’on peut perdre le droit jugement moral, si certaines zones du cerveau sont affectées.

140- Les habitus et la moralité.

L’importance des habitus dans la vie morale de l’homme est très grande. Ils indiquent quelle a été la vie passée d’un homme, car l’aisance et la facilité qu’il a acquises par leur intermédiaire est le résultat de plusieurs luttes, d’efforts, et de difficultés surmontées, ou de défaites, d’abandons ou d’opportunités négligées.   Les habitus constituent le caractère moral de l’homme.  Sur le plan moral,  l’homme est la somme de ses habitudes morales, des dispositions groupées autour du centre d’intérêt ou du projet d’une vie.  Celui qui veut se connaitre, ne peut donc rien faire de mieux que d’examiner quels sont ses habitus, et quel est celui qui prédomine.  Les habitus sont une prophétie du futur.  Ils ne sont pas irrésistibles et ne détruisent pas la liberté, mais ils donnent une si grande aisance à l’action, qu’il est plus que probable qu’ils vont persister quand ils sont forts, pour le meilleur et pour le pire.

141- Les devoirs qui concernent les habitus.   On devrait éviter les mauvaises habitudes, et détruire celles qui ont été formées. (cf 138)  Les moyens pour remporter ce genre de victoire sont l’aide divin obtenu par la prière et d’autres instruments dont la grâce se sert, l’examen de conscience, l’amour du renoncement, ou la destruction de mauvaises habitudes en train de se former ou déjà existantes.(cf 255 et suiv.)

On devrait s’appliquer à acquérir de bonnes habitudes, et entretenir ou améliorer celles qu’on possède déjà.  Les moyens pour parvenir à cette fin, en plus de ceux qui sont surnaturels,  sont la prise de conscience de l’importance de bonnes habitudes, un grand désir de les posséder, et un effort régulier et constant pour les pratiquer. (cf. 137)
 

     ARTICLE DEUX

        LES BONNES HABITUDES OU LES VERTUS
                (somme théologique, 1-11 qq .55-70)

142- Définition.  La vertu est une bonne habitude des puissances libres de l’âme. Elle est un principe de bonne conduite et jamais d’une conduite mauvaise.   En conséquence, ce qui suit ne porte pas le nom de vertu : une inclination occasionnelle au bien, car il ne s’agit pas là d’une habitude fixe ;  les bonnes habitudes du corps ou des puissances végétatives, comme la beauté et la santé, parce qu’elles ne sont pas libres ; une connaissance de la justice ou une affection pour elle qui demeurent purement spéculatives, car la vertu est un principe de vie réglée ; des habitudes qui peuvent se rapporter aussi bien à la bonne qu’à la mauvaise conduite, comme l’opinion humaine.

143- Division.  On divise les vertus selon des causes différentes, entre vertus infuses et vertus acquises (cf 134) ; selon des objets différents, entre intellectuelles, morales et théologiques.  144- Les vertus intellectuelles sont celles qui perfectionnent l’intelligence dans sa relation au bien qui est la vérité spéculative ou pratique.

145- Les vertus spéculatives sont de trois sortes : l’intelligence, la connaissance et la sagesse.  La compréhension ou l’intelligence est l’habitude de percevoir les vérités qui, étant évidentes par elles-mêmes, n’exigent pas de preuve.  Les vérités axiomatiques ou les premiers principes sont les objets de cette vertu.   La connaissance ou la science est l’habitude de percevoir les vérités que l’on apprend à partir d’autres vérités, par l’argumentation, et qui sont les dernières dans une certaine catégorie d’être.  L’objet de cette vertu embrasse les différentes sciences, comme l’astronomie, qui sont des conclusions de principes.  La sagesse est l’habitude d’apprendre par le raisonnement ce qui se rapporte à ce qui vient en dernier, la connaissance des êtres dans la leur cause suprême, Dieu, comme la métaphysique et la théologie.

146- Les vertus de l’intelligence pratique sont la prudence et l’art. La prudence est cette vertu intellectuelle qui montre dans les cas concerts ce qu’on doit faire ou omettre pour que les actions  soient conformes aux normes morales.  L’art est une vertu intellectuelle qui montre dans des cas concrets comment agir pour produire des choses qui sont utiles ou belles.

147- Les vertus intellectuelles, à part la prudence, ne sont pas des vertus parfaites parce qu’en faisant un acte bon, elles ne rendent pas nécessairement bon l’agent.  Un homme peut avoir une grande connaissance de la moralité et être capable de produire d’excellentes œuvres d’art sans être vertueux, ou sans aimer son travail.  148- La prudence est une vertu intellectuelle, puisqu’elle réside dans l’intelligence, mais elle est classée aussi parmi les vertus morales, puisque son objet est la direction des actes humains vers la fin morale.

149-Les vertus morales sont ces habitudes qui perfectionnent la volonté et l’appétit sensitif  en relation avec leurs objets immédiats respectifs.  Ce sont des habitudes qui considèrent les actes comme moyens pour atteindre la fin dernière. Elles rendent bonnes les actions et bon aussi celui qui les accomplit.  Et elles sont donc, en tant que vertus, supérieures aux habitudes intellectuelles.

150- Il y  a quatre vertus morales principales.  Dans l’intelligence, il y a la prudence qui guide toutes les actions et passions, en dirigeant les autres vertus morales vers ce qui est bon selon la raison.   Dans la volonté, il y a la justice, qui incite  une personne à accorder ses actions avec ce qu’elle doit aux autres.  Dans l’appétit irascible, il y a la force qui soumet à la raison des passions qui détourneraient du bien, comme la peur des dangers et des labeurs.  Dans la partie concupiscible, il y a la tempérance qui réprime les mouvements des passions qui entraîneraient quelqu’un à des biens opposés à la droite raison.  Ces quatre vertus sont appelés aussi vertus cardinales, parce que toutes les autres vertus morales en dépendent.

151- Les vertus théologales sont celles qui perfectionnent l’intelligence et la volonté relativement à Dieu, leur objet ultime et surnaturel.  Il y en a trois : la foi qui est une vertu surnaturelle infuse dans l’intelligence.  Elle donne à l’homme des vérités surnaturelles qui sont perçues par une lumière divine.  L’espérance est une vertu infusée dans la volonté, qui rend l’homme capable de tendre vers la destinée surnaturelle révélée par la foi comme un but possible à atteindre.  La charité  est une vertu infusée dans la volonté qui unit l’homme aux affections de l’objet de son espérance, et qui devient semblable à cet objet.

152- Les causes des vertus. Il y en a trois.  La nature est la cause initiale des vertus intellectuelles et morales, c’est-à-dire des principes théoriques et pratiques naturellement connus, et des inclinations à la vertu qui proviennent de la constitution physique de chacun.  La pratique est la cause du perfectionnement des vertus intellectuelles et morales, des bonnes habitudes qui sont formées par la répétition des actes, comme la connaissance acquise par l’étude, la tempérance devenue une seconde nature  par un effort continuel.  L’infusion venant d’en haut, qui est la cause des vertus qui transcendent la nature humaine, comme les vertus théologiques et morales.

153- Les propriétés des vertus.  De la définition ci-haut donnée, certaines propriétés procèdent. Comme la vertu rend l’acte concordant avec un code moral fixe, elle ne permet par l’excès, le manque ou le défaut.  La vertu suit donc le juste milieu.  Comme les autres vertus morales iraient à l’extrême si elles n’étaient pas guidées par la prudence, et puisque la prudence ne jugerait pas correctement sans les dispositions droites des autres vertus, il s’ensuit que les quatre vertus morales, à leur état parfait à tout le moins, doivent toujours être ensemble.  Et comme la charité est l’accomplissement de toute la loi, celui qui a la charité a aussi toutes les autres vertus infuses.

Puisque les vertus sont dirigées vers des objets de divers degrés d’excellence, et puisqu’elles sont des habitudes capables de croissance et de décroissance, (137 suiv.) il s’ensuit que les vertus de différences espèces et celles d’une seule espèce sont ou peuvent être inégales.  Puisque que quelques-unes des vertus impliquent des conditions qui n’existeront pas dans la vie à venir,  il faut en conclure que certaines de ces vertus seront changées chez les élus.  Ainsi, la tempérance qui soumet les passions à la raison n’aura pas à s’exercer au ciel.

154- Le juste milieu est différent dans différentes vertus.  Dans le cas de la justice, le milieu est déterminé par un objet externe invariable, puisque la justice donne ce qui est du aux autres, ni plus ni moins.  Dans le cas de la force et de la tempérance, le milieu est déterminé par un jugement prudent, et il n’est pas invariable parce que ces deux vertus s’emploient à la régulation des passions internes selon des conditions propres à chaque individu et selon les circonstances.   Ainsi, une dette de dix euros demeure la même si le débiteur est pauvre ou riche, ou si le créancier en a besoin ou pas.  Mais un verre de liqueur qui serait convenable à  une personne en santé pourrait être excessif pour un malade ; et un danger qu’un homme peut affronter pourrait être trop grand pour une femme ou un enfant.  Le milieu des vertus intellectuelles et spéculatives est leur accord avec la vérité objective.  Il se trouve donc entre la fausse affirmation et la fausse négation.  Le milieu de la vertu pratique de prudence, en tant qu’elle régule les vertus morales, est la droite raison.  Elle dirige les désirs et la conduite de façon à éviter l’excès et le défaut.

Les vertus théologales n’ont pas de juste milieu du point de vue de leur objet, puisque la vérité, la puissance et la bonté de Dieu sont infinies.  Elles ne peuvent donc pas être trop crues, trop espérées, trop aimées.  Mais du point de vue du sujet, ces vertus ont un milieu, car il est possible à quelqu’un d’espérer une grâce accordée à un autre, mais non à lui.

155- Sans la charité, on peut posséder certaines vertus morales,  comme ce fut le cas pour beaucoup de païens, puisque ces vertus ne dirigent pas leur objet vers la fin surnaturelle de l’homme.  On peut avoir les vertus infuses surnaturelles de foi et d’espérance sans être en état de grâce, mais ce sont des vertus imparfaites et non méritoires.

156- En tant que vertus, on divise les trois groupes de la façon suivante.  Les vertus théologales sont les plus excellentes, puisqu’elles se rapportent directement à la fin surnaturelle de l’homme.  En raison de leur objet qui est la vérité universelle, les vertus intellectuelles sont supérieures aux vertus morales qui se rapportent aux biens particuliers.  Les vertus morales sont plus parfaites en tant que vertus, parce que, si on les considère sur le plan de l’action,  elles sont plus proprement des principes d’action.

157- Les vertus les plus hautes dans chacun des groupes sont les suivantes.  La charité est plus grande que la foi et l’espérance, car elle implique une union avec ses objets,  alors que les deux autres conservent une distance avec leurs objets.
La justice est supérieure à la force et à la tempérance, puisqu’elle se rapporte à des actions par lesquelles l’homme est droitement conduit,  lui-même et les autres, alors que les autres ont affaire avec les passions et à la conduite correcte d’une personne. L’ordre des vertus morales est la prudence.  Elle est le guide des autres : de la justice qui s’occupe des actions des hommes pour les régulariser, de la force qui gouverne les passions même quand il est question de vie ou de mort, de la tempérance qui gouverne les passions dans des affaires de moindre importance.

La plus importante des vertus intellectuelles est la sagesse qui considère la cause suprême des choses, et juge en conséquence les autres vertus de l’intelligence.
158- Dans les élus, les vertus demeureront avec quelques changements.  Ainsi, la rectitude d’âme contenue dans certaines vertus demeurera, mais il n’y a aura pas de révoltes de passions à surmonter, pas de protection à assurer contre les dangers, aucune dette à acquitter, comme dans cette vie. Les vertus intellectuelles acquises dans cette vie vont demeurer, mais les âmes séparées des corps ne feront plus usage des images sensibles. La foi et l’espérance cèderont la place à la vision et à la réalité, mais la charité ne cessera jamais.

 159- Les compléments des vertus.

 Les vertus ou les habitus  procurent à l’âme un guide interne (la prudence),  qui la dispose  à suivre sa direction  (vertus morales).  Mais il y a aussi un guide plus élevé qui parle à l’âme; et il est nécessaire que les inclinations des vertus soient actualisées d’une façon surhumaine.  Voilà pourquoi les vertus ont pour complément les choses suivantes  qui leur sont ajoutées : les dons du Saint-Esprit, qui sont des habitus infus dans l’âme, la rendant attentive aux inspirations du Saint-Esprit, et docile à ses directives; les fruits du Saint-Esprit, qui sont des actes qui germent des vertus, et qui ont une certaine douceur spirituelle propre; les béatitudes, qui sont des activités d’une excellence toute spéciale, et qui ont une récompense toute particulière à attendre.   Les actes en sont produits par les vertus infuses et les dons, et surtout par les dons.

 160- Il y a sept dons du Saint-Esprit.  Ils sont divisés comme suit.   Il y a les dons intellectuels qui rendent l’âme plus réceptive à la lumière que l’Esprit saint répand sur les vérités présentées par la foi.  Ces dons assistent l’intelligence dans sa compréhension des mystères de la foi, pour qu’elle puisse saisir plus clairement ce qu’elle croit (le don d’intellection);  dans ses jugements, pour qu’elle soit illuminée de façon à pouvoir adhérer  aux principes de la foi, et s’éloigner de ce qui leur est opposé, toutes les fois qu’il s’agit de  jugements à porter sur les choses divines (don de sagesse), ou sur les créatures (de connaissance) ou sur les actes humains (don de conseil).

 Il y a les dons appétitifs qui rendent l’âme plus prompte à suivre les inspirations divines,   Ces dons portent secours aux affections irascibles en leur donnant, dans le péril, l’assurance de la victoire et la certitude d’arriver à bon port (don de force).  Ils aident la volonté dans les relations sociales, en conduisant le croyant à un amour filial et à une grande dévotion envers Dieu (don de piété).  Ils assistent les affections concupiscibles en les remplissant de révérence envers la majesté divine, et d’horreur du péché (le don de la crainte de Dieu.)

 161- Les dons du Saint-Esprit sont supérieurs aux vertus morales et intellectuelles.   Ces vertus, en effet, ne font que perfectionner les puissances de l’âme pour qu’elles soient toujours prêtes à suivre les directives de la raison, tandis que les dons du Saint Esprit les rendent dociles aux motions du Saint Esprit.

 162- Les dons du Saint Esprit sont inférieurs aux vertus théologales, parce que ces vertus unissent l’âme au Saint-Esprit. Les dons, eux,  ne font que rendre l’âme réceptive aux illuminations et aux inspirations du Saint-Esprit.

 163- Il y a douze fruits du Saint-Esprit énumérés par saint Paul (Gal V, 22-23). Certains actes procèdent de l’habitation du Saint-Esprit dans l’âme, et sont délectables au goût spirituel,  parce qu’ils concourent à  la perfection de  l’agent en lui-même.  La charité, la joie et la paix indiquent que l’âme est disposée à accueillir ce qui est bien, la patience, l’endurance, et qu’elle ne sera pas troublée par les maux.

 Parmi ces fruits, il y en a d’autres qui donnent de la délectation spirituelle, parce qu’ils perfectionnent les relations avec autrui.  La bonne volonté et la bonté indiquent que quelqu’un est excellemment disposé envers les autres; la douceur et la fidélité indiquent que les infirmités ne l’abattent pas, et ne le rendent pas trompeur.  Il y a encore d’autres fruits qui sont délectables parce qu’ils guident correctement un homme en ce qui a trait aux actions externes ou aux passions, comme la modestie, la continence, et la chasteté.

 164- Il y a huit béatitudes énumérées par notre Seigneur.  Certaines d’entre elles sont des actes qui surpassent les vertus, en ce qui se rapporte aux biens externes et au gouvernement des passions.  Ainsi, il est permis de posséder, mais le pauvre en esprit méprise les possessions.  Il est permis d’éprouver des passions de façon raisonnable,  mais, sous la direction divine, le doux  les laisse dormir.  Il est permis de se réjouir modérément, mais ceux qui font pénitence trouvent préférable de s’interdire toute réjouissance.

 D’autres béatitudes sont des actes qui surpassent les vertus de justice ou de libéralité.  Ainsi, ceux qui ont faim et soif de justice non seulement remplissent leurs obligations, mais ils le font avec le plus grand empressement.  Les miséricordieux répandent leur bonté non seulement sur leurs frères et leurs parents, mais sur les plus nécessiteux.

 D’autres béatitudes se rapportent aux actes  qui rendent quelqu’un  plus apte à  la contemplation des choses divines, comme, par exemple,  la pureté du cœur, l’éloignement des passions,  la paix avec soi-même et avec les autres.

 La béatitude finale est le couronnement de toutes les autres.  Car on peut dire de quelqu’un qu’il est vraiment attaché à la douceur et à la pauvreté en esprit etc…quand il est prêt  à souffrir la persécution pour elles.  165-  Les récompenses promises aux béatitudes sont accordées non seulement dans la vie à venir, mais aussi dans la vie présente.  Mais ces récompenses ne sont pas nécessairement corporelles ou temporelles, comme les richesses, le plaisir etc…Ce sont des récompenses spirituelles qui sont un avant-goût et une figure de la joie à venir.

 166- On peut appeler toutes les béatitudes fruits du Saint Esprit, puisqu’elles sont un produit de la présence du Saint-Esprit dans l’âme, et sont remplies de douceur spirituelle.   Mais les béatitudes sont meilleures que les fruits, puisqu’elles sont des actes d’une excellence plus qu’ordinaire. Or, tout autre acte de vertu qui donne de la délectation peut être appelé un fruit du Saint-Esprit.

              ARTICLE TROIS

               MAUVAISES HABITUDES OU VICES
   (somme théologique 1-11qq. 71-89)

 167- Définition.  Un vice est une habitude qui entraîne au mal moral.  Un péché est un acte qui résulte d’un vice ou qui tend à la formation d’un vice; ou il est une pensée, un mot, une action ou une omission contraire à la loi de Dieu.

 168- Divisions. Il y a plusieurs divisions du péché.  Selon la sorte de plaisir que procure le mal, les péchés sont soit spirituels (vaine gloire), soit charnels (intempérance). Selon la personne que le péché offense, les péchés sont ou contre Dieu (hérésie, désespoir, blasphème), ou contre le prochain (vol, calomnie) ou contre soi-même (intempérance, suicide).   Selon la plus ou moins grande gravité du mal,  les péchés sont ou mortels (blasphème) ou véniels. Selon le mal fait en agissant ou en n’agissant pas, les péchés sont soit de commission (vol) ou d’omission (le fait de ne pas payer ses dettes). Selon  la progression, il y a trois stages.  C’est un péché du cœur quand il n’existe que dans l’esprit, comme quand on entretient un désir de vengeance.  C’est un péché de la bouche quand il est exprimé en mots, comme quand quelqu’un parle de façon méprisante. C’est un péché de l’action quand il est mis à exécution, comme quand on frappe quelqu’un au visage.    Selon la façon dont ils s’éloignent du juste milieu, les péchés pêchent par excès ou par défaut.  Selon la façon dont la faute a été commise, le péché est soit originel (la perte de la grâce héritée d’Adam), soit actuel (la faute qui dérive des actions de chacun).

 169- le péché mortel.  Un péché est mortel quand il détourne quelqu’un de Dieu, sa fin dernière,  en lui préférant un bien créé quelconque.  Il encourt le châtiment de la perdition éternelle.

 170- La première condition nécessaire à ce qu’un péché soit jugé mortel  est la gravité de la matière du péché, considérée en elle-même ou dans la pensée de celui qui  le commet.  Elle doit inclure le détournement de Dieu, et la substitution d’une chose créée à la fin dernière.  171- On sait que la matière d’un péché est grave quand la loi de Dieu ou de l’église déclare qu’il déplait sérieusement à Dieu, ou qu’il privera quelqu’un des faveurs et des récompenses divines; quand la droite raison montre qu’il est injurieux envers les droits de Dieu, de la société, du voisin, et de soi-même.

 172- La matière d’un péché est grave de deux façons.  Elle est grave d’après le caractère de l’acte,  et quand le bien qu’on injurie est soit infini,  soit fini, mais d’une grande importance,  ou inséparable du bien infini.  Ainsi, l’hérésie, la simonie, le désespoir sont toujours des péchés sérieux, parce qu’ils offensent le bien infini;  le meurtre, même s’il n’offense qu’un bien fini, est quand même  toujours une matière grave, parce que la vie terrestre est de la plus haute importance parmi les biens finis, et si on l’enlève on l’enlève au complet.  La matière d’un péché est grave d’après le caractère d’un acte, mais avec l’exception suivante : quand le bien qu’on a injurié est d’une importance qui est grande, mais finie et susceptible de degrés.  Ainsi, l’adoration que nous vouons à Dieu est finie, et comporte du plus et du moins.  En conséquence,  un péché contre l’adoration,  même s’il est sérieux par la nature de l’offense,  peut être léger eu égard à la petitesse de l’irrévérence. De la même façon, même si le vol porte offense à un droit sérieux,  il n’est pas une matière grave quand le montant de l’argent volé est petit.

173- La deuxième condition requise pour qu’un péché soit mortel, est qu’on soit pleinement conscient de la grave méchanceté d’un acte, car on ne peut pas dire que quelqu’un se soit séparé de Dieu à moins qu’il ait  fait la même réflexion ou délibération qui est requise pour une affaire temporelle de grande importance.

174- L’attention est l’acte par lequel l’esprit s’applique à quelque chose.   Elle est de deux sortes.  L’attention parfaite quand rien ne la distrait, comme quand une personne est bien réveillée, et est en pleine possession de ses moyens. L’attention partielle, quand il y a quelque chose qui déconcentre, comme quand une personne est à moitié réveillée, n’est pas totalement consciente, et est distraite par plusieurs choses.

175- Même si la matière est sérieuse, un péché peut ne pas être mortel à cause du manque d’attention dans les cas suivants.  Quand, sans l’avoir voulu,  il n’y a pas une pleine attention portée à l’acte lui-même, comme cela arrive chez ceux qui ne sont pas bien réveillés, ou qui sont sous l’influence de drogues,  ou qui souffrent d’anxiété ou de peine physique (cf 24).  Un péché n’est pas mortel quand quelqu’un n’est pas pleinement conscient de la malice ou de la gravité d’un acte.  Ceux, par exemple,  qui, sans faute de leur part, ne savent pas qu’un acte est peccamineux, ou est un péché mortel, comme les enfants, les sous doués, les illettrés.  Ceux également qui, sans être responsables de leur inadvertance, ne pensent pas au moment où ils agissent au sérieux de ce qu’ils font, comme ceux qui pensent à se venger avant d’avoir réfléchi à l’immoralité de cet acte.

176- Voici les signes qui indiquent qu’il n’y avait pas une pleine attention portée aux actes.   Si, après coup, quelqu’un se rappelle à peine ce qui s’est passé.   Si tout de suite après, quelqu’un ne sait pas avec certitude quel était  son état d’âme.

177- Même si la pleine attention portée aux actes est requise  pour qu’il y  ait un péché mortel,  il n’est pas nécessaire qu’elle soit la plus parfaite possible.  Il n’est pas non plus nécessaire qu’elle soit précédée d’une longue délibération, car, en un instant, l’attention peut devenir suffisante pour rendre un acte humain moral.  Il n’est pas nécessaire qu’elle continue pendant qu’on commet le péché, car ce qui vient après avait déjà été prévu.  Il n’est pas nécessaire que l’attention qu’on porte sur la malice de l’acte soit claire et exacte   Quelqu’un qui comprend que voler une église est quelque chose de mauvais,  même s’il n’en saisit pas toute la gravité,  a suffisamment de connaissance pour commettre un péché de sacrilège.  De la même façon, quelqu’un qui doute ou soupçonne que tel péché est mortel, a suffisamment de connaissance de la gravité de ce péché.  Il n’est pas non plus nécessaire que l’attention portée sur la malice du péché soit explicite. Par exemple, que quelqu’un ait  présente à l’esprit la nature précise d’un péché en tant qu’offense à Dieu, qui produit une tache dans l’âme et qui conduit en enfer.  Il suffit que quelqu’un en perçoive la malice et la gravité, même s’il ne va pas plus loin dans ses réflexions.

178- La troisième condition requise pour qu’un péché soit mortel est le plein consentement de la volonté, car personne ne peut se séparer de Dieu que par son libre choix.  Le consentement n’est pas entier  quand il n’y pas eu une pleine attention portée aux actes, ou quand un acte a été fait sous la contrainte (cf. 52).
179-  Voici quelques indications à l’effet que le consentement n’était pas total.   Si avant le péché quelqu’un avait une conscience délicate, et avait généralement en horreur le péché mortel. Si, au moment du péché, la personne a reculé à la pensée du péché.  Si elle l’a pris en haine dès qu’elle en a pris conscience, ou si la tentation l’avait attristée, ou si elle s’est abstenue d’un acte externe qu’elle aurait facilement pu faire.  Si après le péché la personne se trouve  en pleine conscience, mais doute si elle a donné son consentement.

180. Le péché véniel.   Un péché est véniel ou plus facilement pardonnable, quand quelqu’un se tourne vers un bien créé bon, mais sans se détourner de Dieu comme fin suprême, et sans préférer sa volonté propre à  l’amitié divine.

181-  La première condition requise pour qu’un péché soit véniel est que la matière soit légère,  ou dans la réalité ou dans la croyance invincible de celui qui le commet.  Les critères qui nous font connaître que la matière est légère sont l’autorité et la droite raison.

182- La matière d’un acte est légère de deux façons.  Du point de vue du caractère d’un acte, la matière est légère quand le bien qui est offensé est fini et de peu d’importance.  Des paroles triviales ne représentent pas quelque chose de grave, ni un petit  mensonge dans des choses anodines,  qui aide quelqu’un plutôt qu’il ne le blesse. Du point de vue de la quantité de la matière, la matière est légère quand le bien offensé est d’une importance majeure, mais susceptible de degrés, comme un vol qui ne cause que peu de dommage (cf 172)

 183- La seconde condition pour qu’un péché soit véniel consiste dans une certaine connaissance de la malice de l’acte.  Si la matière est grave mais l’attention portée au péché superficielle, le péché peut n’être que véniel. Quand la matière est légère, la conscience de ce que l’on fait peut être totale ou mitigée.

/ 184- La troisième condition pour qu’un acte soit véniel : la volonté doit donner un certain consentement à la malice de l’acte.  Si la matière est grave mais le consentement  faible,  le péché peut n’être que véniel.   Quand la matière est légère, le consentement peut être total ou partiel.

 185- Les imperfections.  La description du péché véniel telle qu’elle vient d’être donnée fait assez savoir qu’il est une transgression volontaire  de la loi de Dieu dans des choses de peu d’importance.  Il se distingue donc des différentes sortes d’imperfections morales.    Ces imperfections sont d’abord des imperfections naturelles,  qui empêchent les bons actes d’atteindre le haut degré de perfection qui leur était du.  Comme l’homme est fini par nature, il est inévitable qu’il se bute sur des limites dans le bien qu’il fait.  Cette sorte d’imperfection n’est donc ni un péché ni une transgression.

 Les imperfections personnelles  qui sont volontaires, mais qui ne sont pas des transgressions.  Ce sont des actes ou omissions dont le motif est raisonnable, mais qui sont contraires aux conseils évangéliques.  Comme quand quelqu’un, qui pourrait le faire,  omet d’assister à une messe qui n’est pas d’obligation, s’il a de bonnes raisons de ne pas y participer. Il y a aussi des imperfections personnelles  qui sont des transgressions, mais non volontaires.  Ce sont des actes ou omissions faits sans réflexion, mais qui sont contraires à quelque loi peu importante.  Comme prier avec des distractions involontaires.

 186- Changement dans la gravité des défauts moraux.  Une imperfection devient un péché quand le motif pour omettre ce qui n’est que de conseil est peccamineux, comme négliger par mépris une messe qui n’est pas d’obligation. Si une transgression faite sans réflexion a une cause volontaire, comme des distractions involontaires causées par une négligence antérieure.

 187- Des péchés véniels deviennent mortels quand ce qui, en soi, est une offense légère devient, dans l’agent individuel,  une grave offense en raison d’un changement dans l’objet, ou d’une malice grave dans le but, les circonstances, ou les résultats prévus (cf. 97 et suiv.)

 188- Un changement dans l’objet peut rendre mortel un péché véniel  quand ce qui est objectivement une matière légère est perçu subjectivement comme une matière grave, comme quand quelqu’un fait un petit mensonge ou un petit vol en croyant commettre un péché grave.  Quand ce qui est en soi  une matière légère devient sciemment une matière grave par les additions qui lui sont faites.  Un voleur vole de petits montants d’argent à plusieurs reprises dans l’intention de posséder un jour une grande quantité d’argent.

 189- Il est à noter que même si la matière d’un péché véniel peut s’alourdir et devenir un péché mortel, les péchés véniels ne deviennent jamais, en se multipliant, des péchés mortels, puisque la différence entre les deux péchés n’est pas de l’ordre de la quantité. Exemple, quelqu’un qui arrive en retard à la messe à tous les dimanches.  Mais cette multiplication, surtout si on la considère comme de peu d’importance, peut conduire au péché mortel directement, en formant une habitude qui entraînera un plus grand relâchement; ou indirectement, en familiarisant quelqu’un avec le mal et en refroidissant l’amour de la vertu.

 191- La mauvaise intention d’un agent rend grave un péché qui n’est que véniel (en ne considérant que l’objet), quand le but contient une grande malice en lui-même, car un acte n’est alors voulu que comme un moyen d’obtenir ce qui est sérieusement mauvais (cf 80).  Par exemple, dire un petit mensonge pour détruire une amitié et semer de la haine.

 192- Quand elles comportent une grande malice, les circonstances d’un acte, véniel en lui-même, peuvent le rendre mortel. En voici quelques cas.   La circonstance d’une personne qui commet un péché change souvent la malice de légère à grave. Exemple. Une légèreté inconvenante chez quelqu’un en autorité peut causer un sérieux manque de respect envers sa fonction, et constituer un péché grave.   La circonstance de la manière avec laquelle un acte est accompli le change de véniel à mortel, quand le péché provient du mépris, ou quand il est convoité de façon à être préféré à une grave obligation.  Exemples.  Quelqu’un qui viole une loi de peu d’importance  non parce qu’il la considère mauvaise, mais parce qu’il veut montrer son mépris pour toute loi et toute autorité. Ou quelqu’un qui est si esclave des jeux de hasard  qu’il est prêt à voler de larges sommes  plutôt que de s’en libérer.

 193- Le tort sérieux qui est prévu comme le résultat d’un péché véniel change aussi la malice de légère à sérieuse.  Exemples.  Quelqu’un qui en vexe un autre par manière de jeu,  tout en sachant qu’il va provoquer, par son comportement, de graves réactions; ou quelqu’un qui raconte de petits mensonges à des personnes connues pour faire une tempête dans un verre d’eau; ou quelqu’un qui boit trop de liqueurs fortement alcoolisées, tout en sachant par expérience que cet excès le conduira à d’autres excès.

 194- Les péchés mortels deviennent véniels quand ce qui en soi est une grave offense devient léger en raison de quelque changement dans l’objet,  ou de l’absence d’un plein consentement dans le sujet.

 195- Un changement dans l’objet rend véniel un péché mortel quand ce qui est objectivement une matière grave est considéré comme matière légère, en raison d’une ignorance non coupable ou seulement véniellement coupable, comme quand un enfant sans instruction pense qu’une calomnie sérieuse n’est qu’un péché véniel.  Quand un péché est grave par lui-même, mais quand sa matière comporte du plus et du moins, comme s’absenter d’une petite partie de la messe le dimanche.  Quand une loi dont l’obligation est grave causera plus qu’un faible inconvénient dans un cas particulier.  Elle deviendra donc dans ce cas d’une obligation moindre.  Exemple. Manquer la messe le dimanche à cause d’une difficulté qui n’était pas insurmontable, mais considérable.

 196- Le manque de réflexion, l’inadvertance ou l’absence de consentement rendent véniel un péché mortel. Comme quand, sans commettre une faute sérieuse, quelqu’un ne se détourne pas d’un acte gravement mauvais (comme le désir de la vengeance)  Comme quand, sans faute sérieuse, quelqu’un ne connait pas la malice grave de ce qu’il fait,  ou n’y pense pas.  Exemple.  Répéter une histoire sans savoir ou sans se souvenir que c’est une calomnie.  Quand, à cause de la peur ou d’autre excitant,  quelqu’un donne un consentement partiel à ce qui est péché mortel. Comme quand quelqu’un invective celui qui vient de l’insulter à brûle pourpoint.

 197- La distinction des péchés.   Il y a trois sortes de distinction des péchés.
Des péchés qui diffèrent selon l’espèce théologique, dans la mesure où ils détournent ou ils ne détournent pas le pécheur de Dieu en tant que fin dernière. Il y a seulement deux espèces théologiques de péché, le mortel et le véniel.  Des péchés qui diffèrent selon l’espèce morale, selon leur essence, ou la grande variété de biens finis vers lesquels se tourne le pécheur.  Il y a plusieurs espèces morales de péché, comme l’infidélité, l’égoïsme etc.  Des péchés qui diffèrent selon le nombre, mais s’accordent selon l’espèce morale, comme deux actes distincts de haine imprégnée d’égoïsme.

 198- Il y a deux critères pour la distinction spécifique. Ce qui fait que les péchés diffèrent selon l’espèce est la différence des objets vers lesquels ils tendent, dans la mesure où ces biens créés ne sont pas en accord de plusieurs façons avec les normes morales (l’orgueil, la gourmandise). Ce qui nous fait reconnaître la différence spécifique des péchés c’est l’opposition qu’ils ont aux vertus ou aux lois qui sont spécifiquement différentes.  Ainsi, l’orgueil est opposé à l’humilité, la gourmandise à la tempérance, deux vertus différentes.

 199- Les règles suivantes nous assistent pour reconnaître les distinctions spécifiques des péchés. Sont spécifiquement différents ceux qui s’opposent aux vertus qui sont spécifiquement distinctes.  Ainsi, l’infidélité et le désespoir sont d’une espèce différente, parce qu’ils sont opposées à  la foi et à l’espérance, lesquelles sont deux espèces distinctes de vertu.  Sont spécifiquement différents ceux qui sont opposés  aux objets spécifiquement différents d’une seule et même vertu, c’est-à-dire, à des fonctions de la vertu ou à des lois qui la concernent,  qui ont des motifs intrinsèquement différents. Ainsi, des péchés de meurtre, de vol, et de faux témoignage, même s’ils sont opposés à la même vertu de justice, sont spécifiquement distincts puisqu’ils contreviennent aux obligations de cette vertu, dont les buts sont moralement distincts.  Sont spécifiquement différents les péchés qui sont opposés aux moyens spécifiquement différents d’un même objet ou d’une même vertu, l’un s’opposant à cet objet par excès, et l’autre par défaut.  Ainsi, l’égoïsme et l’extravagance sont des péchés spécifiquement distincts parce que l’un pêche par défaut, et l’autre par excès.

200- Les péchés ne sont pas spécifiquement distincts quand ils sont opposés à la même vertu d’une façon qui les rend contraires physiquement, mais non moralement.  Ainsi, les péchés de commission et d’omission sont opposés physiquement mais non moralement, à moins qu’ils portent offense à  des objets moraux différents,  de la façon qui a été expliquée au chapitre précédent.  En conséquence, voler et refuser de payer ses dettes, prendre et receler les biens d’autrui ne sont pas des péchés spécifiquement différents, tandis que violer deux préceptes distincts de la même vertu, un commandement et  une prohibition,  c’est commettre deux espèces de péché, l’un par omission et l’autre par commission.   Quand ils sont opposés à la même vertu qui se réfère à des commandements différents quant à leurs législateurs,  mais non différents quant à leurs motifs. Ainsi, Dieu, l’Eglise et l’état interdisent tous le vol, mais celui qui vole n’est pas pour autant coupable de trois vols, parce que chaque législateur interdit le vol pour la même raison intrinsèque, pour le tort causé à autrui.

201- Le même acte contient en lui-même plusieurs péchés, quand il a plusieurs malices spécifiquement différentes.  Ainsi, celui qui tue ses parents viole deux commandements qui se rapportent à la vertu de justice. Celui qui vole dans une église est coupable de vol et de sacrilège.

202- Les péchés de même espèce qui sont réitérés plusieurs fois  sont commis de trois façons. Par des actes purement internes, c’est-à-dire, par des actes complétés à l’intérieur seulement par les facultés de l’âme, qui ne tendent donc pas à s’extérioriser, comme l’incroyance, l’envie, l’orgueil, trouver du plaisir à penser à un péché.  Par des actes internes qui ne se terminent pas dans la volonté mais qui tendent à se compléter par des actes externes, comme le désir de blesser quelqu’un.  Par des actes externes qui sont accomplis ou négligés par les facultés physiques qui sont sous le contrôle de la volonté, comme le vol, les querelles, les mensonges, les devoirs négligés ou omis.

203- Les actes peuvent être  numériquement un ou plusieurs, de deux façons.  Physiquement.  Il y a un seul acte quand l’agent met en action une puissance de l’âme ou du corps une seule fois, comme voler dans une église. Il y a physiquement plusieurs actes quand l’agent mobilise plusieurs  facultés opératives ou la même en des temps différents, comme mettre sa main plusieurs fois dans un tronc pour en voler tout l’argent.

204- Moralement, il y a un seul acte quand un seul acte physique ne contient pas plus qu’une espèce morale, ou quand plusieurs actes physiques sont unis comme des parties d’un tout par l’intention de l’agent, ou la nature des actes eux-mêmes.  Exemple. Le désir de voler est moralement un seul acte.  L’intention de voler, la décision d’utiliser certains moyens pour accomplir son intention, les diverses tentatives de la réaliser, et finalement l’exécution du plan,  toutes ces choses ne forment moralement qu’un seul acte, puisque que les actes qui suivent ne sont que le déploiement de l’intention originale.  De la même façon, plusieurs malédictions hurlées à quelqu’un ne forment moralement qu’un seul acte, si elles sont toutes sous l’influence de la même passion de colère.  Enfin, des actes d’espionnage,  d’intrusion dans une maison, de vol d’objets sont moralement un seul acte, parce que les premiers actes sont des préparations de ce qui suit.

204- Moralement, il y a plusieurs actes quand un simple acte physique contient différentes espèces de malice (un vol dans une église), ou quand il y a plusieurs actes physiques qui ne sont pas unis par un but commun ou par une subordination naturelle.  Comme quand quelqu’un vole en différentes occasions parce qu’une opportunité s’est soudainement présentée à lui, ou quand quelqu’un manque à la messe plusieurs dimanches.

205- Les objets des actes peuvent être aussi numériquement un ou plusieurs de deux façons.  Physiquement.  Un objet est un quand il a son individualité propre, différente de celle des autres.   Ainsi, chaque pièce de monnaie dans un porte feuille est physiquement une seule chose, chaque membre d’une famille est physiquement une personne.  Il y a plusieurs objets quand il y a plus qu’une chose ou une personne. Ainsi, un porte feuille contient plusieurs objets comme une famille.

Moralement, les objets qui sont physiquement nombreux deviennent un s’ils ne requièrent pas des actes moralement distincts, et s’ils forment, selon un estimé prudent, des parties d’un seul  tout.  Autrement, ces objets sont moralement nombreux. Exemple. Manquer la messe pendant une année entière constitue, moralement, plusieurs objets, parce cela suppose plusieurs omissions externes indépendantes, ou des actes moralement distincts.  Une tire lire,  même si elle contient plusieurs pièces individuelles, est communément considérée comme un objet.  Semblablement, des corporations civiles, domestiques,  religieuses, financières, bien que formées de personnes distinctes, ne sont qu’une seule personne morale.  Mais, les possessions de différentes personnes ne constituent pas un objet moral.  Les droits personnels individuels des membres d’un groupe ne forment pas non plus un seul objet.

206- Il est clair que deux péchés qui sont spécifiquement différents selon la malice sont aussi différents numériquement, comme un péché de vol et de calomnie.  Les règles qui suivent  ne s’appliquent qu’aux péchés de même espèce, mais qui diffèrent numériquement, comme deux péchés distincts de vol, deux péchés distincts de calomnie.

207- Les règles pour la distinction numérique des péchés à l’intérieur d’une même espèce supposent que la distinction ne vienne pas de l’objet qui donne la différence spécifique, mais de la répétition des actes d’un seul objet, fait actuellement (par des actes différents) ou de façon équivalente (par ce qui est égal à des actes différents.)  Que la distinction ne provienne pas de considérations d’ordre physique, mais moral.

208- Nous donnons trois règles de distinction numérique, une pour chacune des trois hypothèses qui suivent. 1- Plusieurs actes distincts se rapportent à des objets distincts moralement de la même espèce. 2- Plusieurs actes distincts se rapportent à ce qui est moralement un seul objet. 3- Un acte se  rapporte à ce qui est nombreux physiquement, mais un moralement.

209- Première règle de distinction numérique. Plusieurs actes peccamineux dont chacun d’entre eux se rapporte à un objet numériquement distinct  (moralement parlant) des objets d’autres actes,  font autant de péchés numériquement distincts  qu’il y d’actes et d’objets numériquement distincts. Exemple. Celui qui tire plusieurs balles l’une après l’autre  et tue injustement trois personnes est coupable de trois meurtres.

210- La seconde règle de distinction numérique.  Plusieurs actes peccamineux, dont tous se rapportent à un objet moralement un et le même, font autant de péchés numériquement distincts qu’il y d’actes numériquement distincts selon l’estimation morale.

211- Quand les actes qui se rapportent au même objet sont purement internes, ils sont multipliés numériquement selon l’estimation morale, dans les cas suivants.  Quand ils ont été répétés après que la volonté les ait rejetés.   Exemple. Celui qui hait quelqu’un le matin, se repent le midi, et hait de nouveau la même personne  l’après-midi commet deux crimes de haine.  Quand ils sont renouvelés après avoir été volontairement discontinués par un acte de la volonté, si l’intervalle entre les deux actes est si considérable que le second n’est pas une simple continuation du premier.  Exemple.  Quelqu’un qui déteste en esprit un ennemi qui passe par là, se remet ensuite au travail, et perd complètement la haine de vue.  Si,  revoyant plus tard son ennemi, il  le déteste une deuxième fois, il  commet deux péchés.  Quand ils sont répétés après avoir été involontairement interrompus, si plusieurs heures s’écoulent pendant les deux actes.   Exemple.  Celui qui pense à des désirs de haine jusqu’à ce qu’il tombe endormi, ou jusqu’à ce qu’un évènement quelconque l’en distraie, commet un deuxième péché de haine, si l’interruption était assez longue pour qu’il n’y ait aucune connexion entre les deux actes.

212- Quand des actes tendant vers le même objet sont internes, mais sont dirigés, pour leur accomplissement, vers un acte externe, ils sont multipliés numériquement, selon l’estimation morale, dans les cas suivants : quand on y revient après y avoir renoncé.  Exemple.  Celui qui décide de voler, se repent, puis décide de nouveau de voler,  commet deux péchés.   Quand on récidive après une interruption volontaire, si l’intervalle  n’est pas de courte durée.  Exemple.

 Il commet un nouveau péché  celui qui élabore un plan pour acquérir de l’argent injustement,  s’en détourne subitement, se concentre ensuite sur des affaires légales, mais revient plus tard à ses projets déshonnêtes.  Il y a deux péchés quand des actes sont réitérés après une interruption involontaire, si l’intervalle entre le nouvel acte et l’ancien est considérable, et s’ils ne sont reliés par aucun acte extérieur.  Exemple. Un voleur projette un vol qui pourrait facilement être exécuté tout de suite, mais il n’entreprend rien pour mettre son plan à exécution, et finit par l’oublier.  Un mois plus tard, en passant devant la maison qu’il avait l’intention de voler, son plan lui revient à la mémoire, et il l’exécute sur-le-champ.  Deux péchés différents ont été commis.

 213- Des interruptions involontaires, toutefois,  ne répartissent pas les actes en deux péchés distincts, si l’intervalle entre l’acte commis et l’acte désiré était bref.  Par exemple, le voleur ci-haut mentionné n’avait oublié son plan que pendant peu de jours avant de le concevoir de nouveau et de le mettre à  exécution.  Si quelque chose avait déjà été commencé dans le premier acte, par exemple si le voleur s’était procuré des clefs ou des outils, et les avait conservés en mémoire, même s’il avait permis que des jours et des années passent avant d’exécuter son dessein.

 214- Quand les actes qui tendent vers le même objet sont externes, ils sont multipliés numériquement selon l’estimation morale, et constituent des péchés distincts de la façon suivante.  Si les actes internes d’où ils procèdent sont des péchés numériquement distincts.  Exemple.  Si un voleur tente de dérober une maison, mais ne termine pas ce qu’il a entrepris parce qu’il a eu un sursaut de conscience,  ou parce qu’il est interrompu, et s’il fait plus tard un autre plan et une autre tentative, il y a deux péchés.

 Si les actes externes sont de telle sorte qu’aucune intention interne ne peut en faire moralement un seul acte, même si une action vient tout de suite après l’autre. Exemple. Manquer la messe le dimanche, et un jour d’obligation rend coupable de deux violations distinctes de la loi.

 215- Dans les cas suivants, cependant, les actes externes distincts qui se rapportent au même objet ne multiplient pas le nombre des péchés.  Quand ces actes forment une partie d’un tout moral, et sont voulus comme tels par l’agent, comme quelqu’un qui lit un livre à l’index, mais quelques minutes seulement par jour. Quand ces actes ont entre eux la relation de moyen à fin, et sont voulus comme tels par l’agent, comme diverses préparations faites pour un vol.

 216- La troisième règle d’une distinction numérique.   Un acte peccamineux,  interne ou externe, qui se rapporte à des objets physiquement nombreux, mais moralement un,  ne constitue qu’un seul péché.  Exemple.  Quelqu’un qui vole une bourse qui contient dix euros ne commet qu’un seul péché.  Celui qui calomnie une famille de dix personnes ne commet qu’un seul péché.  Celui qui vole ce que trois personnes possèdent en commun ne commet qu’un péché.   217- Quand les objets ne sont pas moralement un par eux-mêmes, ils peuvent le devenir par la pensée de l’agent, puisque nul n’encourt une malice distincte, à moins de l’avoir désirée (cf 588-592)  Exemple.  Celui qui dit trois mensonges différents au sujet d’un voisin (qu’il est un voleur, un ivrogne et un menteur)  commet un seul péché de calomnie, si son intention n’est que de porter atteinte à sa réputation, et s’il ne s’arrête pas à penser   à chacune des calomnies.  Semblablement, celui qui se livre à la calomnie devant dix personnes ne commet qu’un seul péché, s’il ne pense qu’au tort qu’il veut causer, et non au nombre de personnes présentes.

 218- Quand les objets sont moralement un, ils peuvent devenir plusieurs par l’intention de l’agent.  Exemple.  Celui qui calomnie une famille de trois personnes en disant qu’ils sont tous malhonnêtes, commet trois péchés, s’il a l’intention de faire du tort aux trois ( à l’entreprise de l’un, à la réputation religieuse d’un autre, et à l’amitié du troisième).  Également, celui qui vole de l’argent dans une bourse, et quand l’occasion se présente, en vole encore, commet deux péchés.

 219- Quand les objets ne sont pas moralement un en eux-mêmes et ne peuvent pas être considérés comme tels, les péchés commis sont distincts. Exemple.  Celui qui a l’intention de ne pas assister à la messe pendant toute l’année, prévoit, au moins confusément, diverses violations de la loi.   Celui qui se propose de voler plusieurs maisons prévoit,  au moins d’une manière vague, plusieurs actes externes de vol complets et séparés.

 220- La comparaison des péchés.   Les péchés qui diffèrent selon l’espèce diffèrent aussi selon la gravité. Ceux qui sont  plus sérieux que d’autres s’éloignent davantage des normes de la raison et de la loi de Dieu.  221- Toutes choses étant égales, les péchés les pires sont ceux qui portent offense à un objet plus noble ou à une vertu plus noble.  En conséquence, les péchés qui sont directement contre Dieu (comme l’infidélité, le désespoir, la haine de Dieu) sont les plus sérieux de tous, tandis que les péchés contre la personne humaine (le meurtre) sont plus sérieux que ceux contre les droits humains (le vol).

 222- Parmi les péchés qui s’opposent à la même vertu, le pire est celui qui s’oppose à l’inclination principale de la vertu.  Ainsi, l’avarice est plus étrangère à la vertu de libéralité que ne l’est le vice opposé de prodigalité.  La peur est plus contraire à la bravoure que ne l’est son contraire la témérité.

 223- La gravité d’un péché augmente de façon suivante.  Par les circonstances, dans la mesure où elles lui ajoutent une nouvelle espèce de malice (un vol dans une église), ou augment la malice existante.  Exemple.  De l’argent donné sans discernement, ou à des gens qui ne le méritent pas, ou de l’argent volé en très grande quantité.  Par la plus grande intensité avec laquelle le péché est commis.  En conséquence, ceux qui pêchent par ignorance ou sous le coup d’une passion sont moins coupables que ceux qui pêchent de sang froid.  Par la condition de la personne offensée.   Ainsi, plus la personne offensée est proche de Dieu en raison de sa sainteté personnelle,  du caractère sacré de son état,  de la dignité de son poste, ou plus elle est proche de l’offenseur,  plus le péché est grave.  Ainsi,   l’offense  est plus grande si elle est faite à un prêtre, à un représentant de l’état, ou à un membre de la famille.  Par la condition de la personne qui pêche.  Ceux qui ont reçu une meilleure éducation ou sont plus en vue que les autres, ou sont tenus de donner le bon exemple, pêchent plus gravement à cause de leur grande ingratitude et du grand scandale que leur conduite apporte, quand ils pêchent délibérément.  Par les résultats mauvais produits par le péché quand ils sont voulus indirectement ou implicitement, comme quand quelqu’un lance des bobards qui sont de nature à causer des inimitiés, des conflits ou à salir des réputations.

 224- Les péchés spirituels et charnels, considérés en eux-mêmes,  tout le reste étant semblable, peuvent être comparés de deux points de vue : ceux de la malice et de la réputation.  Du point de vue de la malice, les péchés spirituels sont les pires de tous, car un pécheur charnel est emporté par une forte  passion  et n’offense directement que son corps.  Mais celui qui  commet un péché spirituel agit avec une plus grande liberté, et offense directement Dieu et son prochain.  En conséquence, même s’ils méprisaient la femme tombée, les pharisiens étaient pires qu’elle puisque, aux yeux de Dieu, leur orgueil, leur envie, leur animosité, leur hypocrisie étaient des crimes plus haineux.  Du point de vue de la réputation, les péchés charnels sont plus graves, parce qu’ils assimilent plus l’homme à la bête, et sont plus infamants.

 225- Dans les faits, les péchés charnels sont fréquemment plus graves que les non charnels.  Car plusieurs péchés charnels ne sont pas purement charnels, mais contiennent aussi une autre malice, et causent directement plus d’offense à Dieu et au prochain qu’un péché non charnel de la même catégorie.  Exemple. L’adultère contient à la fois la luxure et l’injustice, et est une plus grande injustice que le péché non charnel du vol.   Le rapt unit la luxure à l’injustice, et est plus offensant  que le péché non charnel de colère qui conduit à des rixes.  Une conversation lascive unit l’impureté au tort spirituel, et est plus dommageable que le péché non charnel d’enlever quelque chose à quelqu’un, et de lui causer ainsi quelque tort temporel

Plusieurs péchés charnels sont accompagnés par une plus grande malice ou un plus grand scandale ou causent de plus grands maux que les péchés purement spirituels.   Exemple.  Les péchés d’impureté  et d’ivrognerie commis délibérément et habituellement par des adultes sont plus malicieux que les péchés d’orgueil et de colère commis rarement ou sans une pleine délibération, ou par des enfants.   L’ébriété ou un langage licencieux et des intimités suspectes venant de ceux qui doivent donner le bon exemple font plus pour saborder la religion que les péchés d’impatience ou d’égoïsme chez ces mêmes personnes.  Les résultats de l’orgueil d’un homme (comme l’ambition, l’arrogance, un mode de vie luxurieux, et la tromperie) sont souvent moins désastreux que les conséquences de son intempérance.

226- Les péchés qui diffèrent par un rang différent selon leurs objets, dans l’ordre de la gravité, comme il a été dit plus haut.  Car, comme les maladies sont considérées plus sérieuses quand elles affectent d’importants organes vitaux, ou des fonctions vitales, de la même façon les péchés sont plus graves quand ils s’en prennent aux principes radicaux de la conduite humaine. Plus grand est l’objet offensé ou l’action, plus grand est le tort causé et plus grand le péché.   En conséquence, les péchés commis directement contre Dieu sont pires que les péchés commis contre les créatures, car Dieu est la fin de toutes les créatures.  Les crimes commis contre les personnes sont plus grands que les crimes commis contre les choses, car les personnes sont la fin des choses.

227- Les crimes commis contre Dieu se rangent ainsi selon la gravité.  Les péchés contre la personne de Dieu,  c’est-à-dire contre la nature divine, comme la haine envers Dieu (le plus grand des péchés), l’infidélité, le désespoir.  Les crimes commis contre ce qui appartient en propre à Dieu, son honneur externe, sa gloire, et tout ce qui lui appartient d’une façon particulière, comme l’humanité du Christ unie dans l’hypostase au Verbe, les sacrements, les choses consacrées à Dieu.  Ces péchés sont l’idolâtrie, la superstition, le parjure, les péchés de Dieu qui ont crucifié le Christ, la simonie, le sacrilège, la réception indigne du sacrement de l’autel ou d’autres sacrements, la violation des vœux etc.

228- Les péchés commis contre les créatures, toutes les autres choses étant égales par ailleurs, possèdent la gravité suivante.  Les péchés contre les personnes sont plus grands que ceux contre les possessions. Exemple. Le péché de meurtre qui est un péché contre la personne humaine est plus grave que le péché de vol qui est un péché contre les possessions.  Les péchés contre l’être sont plus grands que les péchés contre le bien-être.  Exemple.  Le meurtre est plus grave que la mutilation; et le scandale qui cause la perte d’une âme est plus grave que le péché  qui ne fait que diminuer la bonté de quelqu’un.  Le meurtre et le scandale irréparable enlèvent la vie, tandis que la mutilation et un scandale plus faible ne font que diminuer la perfection de la vie.

Les péchés contre les choses les plus importantes sont plus grands que les péchés portant sur des choses de moindre importance.  Exemples. C’est un plus grand péché de négliger son propre salut que celui du voisin. Tuer un membre de sa propre famille, un bienfaiteur ou une personne qui se distingue par sa position ou sa vertu, est un plus grand crime que tuer un étranger, un ennemi, le premier venu, ou quelqu’un qui est connu pour sa mauvaise vie.  Les péchés contre les possessions auxquelles on est très attaché sont des offenses plus graves.  C’est un péché plus grave de troubler la paix d’une maison que d’emporter ses trésors matériels.  C’est un péché plus grand de dérober à quelqu’un sa réputation  que de le priver de ses revenus.

229- Cette estimation des péchés est basée sur leurs natures considérées dans l’abstrait, c’est-à-dire d’après les relations essentielles qu’elles ont avec leurs objets propres.  Il est impossible d’envisager d’autres critères quand on établit des règles de comparaison, car les circonstances qui entrent dans les cas concrets de péchés sont innombrables, et doivent donc être ici laissées pour compte.  Les facteurs qui sont différents de l’objet peuvent modifier la cote de culpabilité des péchés.  Dans l’acte d’un péché plus grand, il peut y avoir des circonstances atténuantes, ou dans l’acte d’un péché moins grave, il peut y avoir des circonstances aggravantes qui modifient leur ordre respectif.  Exemple. Le dénigrement est pire que le vol.   Mais si le dénigrement ne fait qu’on tort léger et le vol un trot grave, le vol est pire en raison des circonstances.

Dans les personnes qui commettent des péchés, il peut y avoir des circonstances qui renversent l’ordre  de culpabilité,  en rendant moins coupable celui qui commet le plus grand péché.  Exemples.  Par le maniement insouciant d’un pistolet,  Pierre inflige involontairement une blessure à une personne présente.  Paul, sans mauvaise intention préalable,  mais mis en colère par une insulte subite,  donne à son adversaire un œil au beurre noir,  qui le prive de la vue.  Jacques, fâché parce qu’il avait été congédié,  se venge en défigurant une précieuse œuvre d’art.  Les torts physiques causés par les deux premiers sont plus graves  que le tort fait à la propriété de Paul. Mais ils pêchèrent, l’un par ignorance, et les autres par passion, tandis que Jacques a péché par malice.  En conséquence, bien que les péchés des deux premiers soient matériellement et objectivement plus grands, le péché du dernier est plus grand subjectivement ou formellement.

230- Les sujets du péché.  Par les sujets du péché nous entendons les facultés de l’âme dans lesquels on trouve le péché.  On les appelle parfois les causes matérielles du péché,  comme sont appelées causes formelles les objets vers lesquels tendent les péchés.  231-Comme des habitus variés ont leur siège dans la volonté (la justice), dans la raison (la prudence), et dans les appétits sensitifs  (force et tempérance), les habitus contraires du vice peuvent se trouver aussi dans ces mêmes facultés.

Des appétits sensitifs,  procèdent des impulsions causées par l’opération d’un sens ou des états physiques, qui sont peccamineuses quand elles sont planifiées et volontaires, comme la luxure, l’envie, cf 129)  De la raison,  procèdent de faux jugements causés par une ignorance vincible,  de mauvaises directions volontairement données aux passions, ou des pensées désordonnées.  De la volonté,  procède le consentement donné aux péchés des autres facultés, les désirs de commettre le péché, la joie d’en avoir commis.

232- Comme il a été dit plus haut, les actes externes des membres du corps n’ont pas de moralité propre, puisqu’ils sont totalement soumis à la volonté.  En conséquence, il n’y a que trois classes de péché, si la classification est faite d’après les facultés d’où procèdent les péchés : les péchés de sensualité dont nous avons parlé en traitant des passions,  les péchés en pensée, les péchés de désir et de réminiscence.

233- Le plaisir qui habite dans des pensées désordonnées se produit quand quelqu’un, délibérément, même si au cours d’un seul instant, entretient dans son esprit le souvenir d’un objet peccamineux, s’en réjouissant comme s’il était actuellement présent, mais sans vouloir passer à l’acte.  Exemple. Quelqu’un imagine que la maison de son voisin a été incendiée et s’en réjouit mentalement, même si, pour des raisons intéressées, il ne souhaite pas qu’il y ait des maisons qui passent au feu  dans le voisinage.

234- On ne doit pas confondre les pensées peccamineuses qu’on vient de décrire avec celles dont l’objet de la délectation est quelque chose d’autre qu’une image peccamineuse représentée dans l’esprit.  Les pensées de cette sorte sont celles dans lesquelles quelqu’un se délecte d’un acte externe de péché déjà commis, comme quand quelqu’un détruit la propriété de son voisin avec une grande satisfaction intérieure.  La pensée ici et l’acte externe  forment un seul péché.  Celles dans lesquelles quelqu’un se délecte d’une image mentale non pas comme quelque chose qui représente du moralement mauvais,  mais quelque chose qui procure une saine joie.  Il y a une distinction à faire entre des mauvaises pensées et des pensées de choses mauvaises.  Exemples.  Un moraliste peut se réjouir à la pensée du vol, non parce qu’il l’approuve, mais parce que c’est un sujet qu’il doit connaitre.  Une personne peut lire des histoires de détectives avec  beaucoup d’intérêt, non parce que le crime l’attire,  mais à cause du style de l’auteur, du choix des péripéties, de  la façon mystérieuse dont le crime a été commis.  Il y a, cependant, du danger dans des pensées de ce genre,  s’y quelqu’un s’y complait par pure curiosité ou sans modération, ou si ces récits deviennent une sorte d’apologie du crime.

235- La gravité et l’espèce du plaisir qui demeurent dans des pensées désordonnées varient selon l’objet de la pensée. (cf 70 et suiv.)  Si le plaisir provient du seul objet représenté,  le péché a le caractère moral de cet objet.  Exemple. Celui qui se réjouit à la pensée d’un vol est coupable de vol, et s’il pense à un gros vol, il est coupable d’un péché mortel.   Si le plaisir provient aussi des circonstances imaginées dans l’esprit, le péché voit sa gravité redoublée par cette malice ajoutée.  Exemple. Celui qui se réjouit à la pensée d’un vol fait dans une église, est coupable de vol et de sacrilège.

236- Les signes qui suivent sont des signes que le  plaisir qui a été pris à la pensée de choses mauvaises portait sur la malice elle-même, et non sur autre chose. Si quelqu’un pense à eux sans nécessité légale (comme par exemple, une étude), par pure curiosité ou sans raison valable.  Si quelqu’un aime a y penser longtemps et souvent, ou manifeste une grande satisfaction à chaque fois qu’on en prononce le nom.  Exemple.  Quelqu’un qui pense à des injustices par manière de passe-temps, et les admire comme de grands exploits; qui fait des criminels des héros et des martyrs.

237- Une joie peccamineuse est un acte de la volonté par lequel quelqu’un tire un plaisir de péchés commis par lui ou par d’autres.  On doit faire la distinction entre une joie peccamineuse et une joie qui porte sur des choses qui sont des péchés.  La joie peccamineuse porte sur l’iniquité contenue dans les actes passés, ou parce que quelqu’un aime l’iniquité en elle-même,  ou parce qu’il l’aime comme la cause de quelques gains.  Exemples.  Un homme injuste et revanchard se réjouit en pensant à l’oppression qu’il a exercée sur certaines personnes faibles qui avaient provoqué sa colère.  Un criminel se rappelle avec joie les parjures faits par les témoins pour le soustraire à la justice.  La joie au sujet de choses peccamineuses ou qui découlent des péchés ne porte pas sur la malice de l’action mais sur les circonstances qui étaient bonnes ou indifférentes.  Exemples.  Un employé admire dans la conduite d’un employé déshonnête non l’injustice commise, mais la manière habile avec laquelle la fraude a été perpétrée.   Un passant trouve du plaisir à regarder un combat non parce qu’il aime la bagarre, mais parce que les gestes et les paroles des combattants sont comiques.  Quelqu’un se réjouit en entendant dire que son ami s’est suicidé et l’a fait son héritier.  238-  La gravité morale et l’espèce d’une mauvaise réjouissance  ont le même caractère que les péchés passés qui sont leur objet (cf 70).  Car se réjouir d’un péché c’est l’approuver, et donc en être volontairement responsable.  Example.   Un prisonnier qui, pour éviter la mélancolie, pense au temps où il se saoulait,  est de nouveau coupable de ce péché, avec le nombre de fois  et les circonstances.

239- Ce qui a été dit sur la délectation mauvaise s’applique aussi sur la vantardise d’un crime commis, parce que cela indique qu’on se complait dans le péché; sur le regret d’avoir omis un crime, car cela indique la préférence de quelqu’un pour le crime.

240- Le regret d’avoir fait un acte qui n’est pas obligatoire n’est pas peccamineux en soi, mais il peut le devenir,  si ce sentiment vient d’un motif mauvais ou d’une occasion de péché.  Exemples.  Si quelqu’un regrette d’avoir fait plusieurs actes de dévotion non obligatoires parce que sa santé en a été affectée, il n’y a pas de péché.  S’il s’en attriste parce que, entre temps, il a pris ses distances avec la religion, sa tristesse est rendue mauvaise par le motif mauvais.  S’il regrette de s’être marié, ce regret est coupable, s’il l’amène à négliger les devoirs de son état,  et à commettre une injustice.

241- Les mauvais désirs sont des actes de la volonté par lesquels quelqu’un projette délibérément de commettre un péché dans le futur.   Ils sont de deux sortes : les absolus et les conditionnels.  On parle de désirs absolus ou efficaces quand l’esprit est tout à fait résolu à mettre en œuvre un mauvais dessein, quelles qu’en soient les conséquences.  On parle de désirs conditionnels ou inefficaces quand l’intention de commettre un crime dépend de l’existence d’un évènement ou d’une circonstance implicitement ou indirectement voulue.  Les mauvais désirs absolus ont la même gravité morale et la même espèce que les choses vers lesquelles  ils tendent. (ils tirent leur caractère de l’objet, de la fin et des circonstances.)  Exemple.  Celui qui projette de voler à un bienfaiteur une grosse somme d’argent pour pouvoir vivre dans l’oisiveté et l’opulence,  pêche gravement contre la justice,  et il est aussi coupable d’ingratitude et d’intempérance.  Car il a commis tous ces péchés-là dans son cœur.

243- Les mauvais désirs conditionnels ne sont pas formellement peccamineux s’ils expriment plutôt l’inclination de la nature que la volonté ferme de celui qui les a.  Exemples.  Un pauvre qui, sans y avoir bien réfléchi, souhaite que le vol soit légal.  Un malade qui, accablé par ses souffrances, désire que le Tout Puissant n’ait pas interdit  le suicide.

244- S’ils sont faits délibérément, les désirs conditionnels sont de deux sortes. Il y a des désirs qui comportent des conditions ( si ce n’était pas un péché, si c’était légal, si c’était permis par Dieu) qui enlèvent la malice de l’acte désiré, puisqu’il y a des lois qui changent, et d’autres dont on peut être dispensé.  Exemples.  « Ah1 Si Dieu ne s’était pas prononcé contre le fait d’enlever aux autres ce qui leur appartient ! »  Ou : « Je resterais loin de l’église si ce n’était pas un dimanche ».  Des désirs de ce genre ne sont pas des péchés en raison de leur objet, qui n’est pas vraiment désiré, mais à cause de leur fin, ou de l’absence de tout but utile, ou du danger que le conditionnel ne devienne absolu.

Il y a d’autres désirs où la condition n’enlève pas la malice de ce qui est désiré, soit parce que la condition ne se rapporte pas à la malice, ou bien parce qu’on désire que devienne légal ce que Dieu lui-même ne peut pas autoriser.  Exemples. « Je volerais si cela pouvait se faire en toute sécurité. »  « Je blasphèmerais si Dieu le permettait ! » Ces désirs participent à la malice de la chose désirée.

245- Comme nous avons distingué plus haut entre des pensées mauvaises et des pensées de choses mauvaises, nous pouvons aussi faire la distinction entre les désirs mauvais et les désirs de choses mauvaises.  Car les mauvais désirs qui ne sont pas de pures velléités sont des péchés, comme nous venons tout juste de voir, tandis que le désir de ce qui est physiquement mauvais est bon si le mal n’est pas désiré pour lui-même, mais pour un plus grand bien.   Exemple.  Le désir inspiré par la colère que le voisin soit amputé d’un bras est un mauvais désir et est peccamineux, mais il est bon s’il a pour but de lui sauver la vie.  Même s’il désire quelque chose de mauvais, ce n’est pas le mal mais ce qui est bénéfique qui est recherché.  En conséquence, le désir lui-même n’est pas mauvais.

246- Les causes du péché.  Les causes du péché sont partiellement internes (qui sont dans l’homme lui-même) et partiellement externes (qui sont à l’extérieur).    247- Les causes internes sont : l’ignorance, la passion et la malice.    248- Puisque l’ignorance et la passion peuvent rendre un acte involontaire, (cf 40 et suiv.) les péchés qui en résultent sont de deux sortes : matériels et formels.   Les péchés matériels ou objectifs sont des transgressions involontaires de la loi, donc non fautifs.    Exemples. Des blasphèmes prononcés par quelqu’un qui délire ou qui est sous hypnose; l’inobservance du jeûne ou de l’abstinence du carême par quelqu’un qui, sans faute de sa part, ignore ces lois de l’église; des imprécations lancées par une personne que la peur a mise hors d’elle-même.

Les péchés formels ou subjectifs sont des transgressions volontaires de la loi, et donc fautifs.  Ils ne sont pas seulement contraires à la loi, comme c’est le cas pour les péchés matériels, mais ils sont aussi contraires à la conscience.

249- L’ignorance, la passion et la malice causent le péché de la façon suivante.  Chaque péché découle d’une erreur pratique (d’une mauvaise décision au sujet de ce  que quelqu’un devrait faire dans une situation donnée), car la volonté choisit le mal uniquement après que l’intelligence s’est tournée vers le mal.  Dans ce sens, on a raison de dire que tout pécheur a été induit en erreur, et que tout pécheur agit dans l’ignorance. (Aristote)  Mais ce ne sont pas tous les péchés qui résultent d’une erreur spéculative, (d’une fausse notion, ou d’un jugement faux au sujet de la légalité d’un acte en général), autrement il nous faudrait soutenir que tous ceux qui pêchent sont ignorants de la foi.

L’ignorance spéculative cause un péché formel quand l’ignorance est coupable  et conduit au mal, comme quand une personne viole la loi du jeûne par qu’elle  n’a jamais pris la peine de lire en quoi elle consistait.  Ou quand, par inattention, un automobiliste ne voit pas quelqu’un qui traverse la rue, et le frappe.   L’ignorance spéculative cause un péché matériel quand l’ignorance n’est pas volontaire, et amène quelqu’un à faire ce qu’il ne ferait pas normalement, comme quand un élève tire sur un de ses camarades de classe sans savoir que c’est un péché; ou quand un soldat tire sur un des siens en pensant, à cause de l’obscurité, tirer sur un espion.

En obscurcissant le jugement et en agissant puissamment sur la volonté, la passion  amène quelqu’un à poser des actes contraires à ses convictions,  et à suivre de façon désordonnée les attraits du plaisir, de la richesse et de la gloire.   Si la passion est volontaire, le péché qui en résulte est formel;  mais si la passion est involontaire et compromet l’usage de la raison,  le péché causé est matériel.

On trouve de la malice dans chaque acte formel, dans la mesure où chaque péché résulte d’un choix.  Mais la malice au sens strict  est le choix d’un péché fait non à cause d’une ignorance antérieure ou d’une passion, mais à cause de certaines dispositions perverses du pécheur qui lui rendent le crime plaisant et acceptable, comme une tendance ou une habitude vicieuse qu’il cultive, ou un désespoir qu’il nourrit, ou une présomption entretenue.  250- L’ignorance ou la passion ne rendent pas toujours un acte involontaire, (cf, 40 et suiv.), et on peut, en conséquence, distinguer trois sortes de péché formel d’après les trois sortes de causes d’où elles procèdent.  Il y a d’abord les péchés de faiblesse.  Ce sont ceux qui proviennent d’une concupiscence antécédente ou d’une autre passion qui diminue le caractère volontaire d’un acte sans l’enlever complètement.  Puisque la première personne de la trinité est suffisamment décrite par l’attribut de la puissance, les péchés de cette sorte sont fréquemment appelés des crimes contre le Père.  Les péchés d’ignorance sont ceux qui résultent d’une ignorance antérieure et vincible.  Comme la sagesse est principalement attribuée à la deuxième personne de la trinité, les péchés de cette sorte sont souvent appelés des péchés contre le Fils.   Les péchés de malice sont ceux qui  procèdent entièrement d’une volonté libre qui n’est affaiblie ni par l’ignorance ni par la passion.  Comme l’amour est spécialement attribué à la troisième personne de la trinité,  les péchés de cette classe sont parfois appelés péchés contre le Saint Esprit.  Exemples  Quelqu’un qui est si épris des  richesses  qu’il décide de sacrifier l’amitié de Dieu à de nouvelles acquisitions.  Quelqu’un qui voit clairement comment le péché offense Dieu, mais le choisit quand même de façon délibérée.  Quelqu’un qui est si jaloux de son voisin qu’il planifie sa ruine.   Quelqu’un qui pêche habituellement sans crainte et sans remords.

251- Toutes choses étant égales par ailleurs, les péchés de malice sont plus graves que les péchés de faiblesse, puisqu’ils sont plus volontaires, plus durables et plus dangereux.  Mais comme les péchés d’ignorance et de faiblesse peuvent être mortels, comme quand leur objet est sérieusement mauvais, les péchés de malice peuvent être eux aussi véniels, comme quand leur objet n’est pas sérieusement mauvais.   Un mensonge parfaitement délibéré qui ne cause pas un grand tort est un péché véniel, tandis qu’un meurtre commis par un drogué ou un enragé est un péché mortel, s’il y a eu une réflexion suffisante.

252- Les causes externes des péchés sont les esprits mauvais qui, en agissant sur l’imagination ou d’autres facultés sensitives,  s’efforcent de mener les hommes à la destruction; le monde, les personnes et les choses  qui nous entourent qui, par leur séduction, leurs principes et leurs exemples nous détournent de la pratique de la vertu.

253- Puisque le libre arbitre est requis pour le concept de péché formel, aucune des causes internes ou externes ci-haut mentionnées, à la seule exception du choix de la volonté, ne peut dans les faits produire un péché.  D’où la distinction entre la tentation et le péché.  La rébellion des passions, les suggestions des démons, les séductions du monde sont des tentations. Si la volonté n’y donne pas son consentement, il n’y a pas là de péché, mais plutôt de la vertu et du mérite.  254- En présence d’une tentation devenue pleinement consciente, il n’est pas permis de demeurer indifférent (i.e. ni y consentir, ni la repousser), car cela, sans juste cause, nous expose au danger d’être vaincus par elle.

255- La résistance aux tentations est faite par l’acte de la volonté qui commande aux autres facultés de ne pas céder,  et retient son consentement au péché suggéré.   Ainsi, la résistance peut être explicite ou implicite, selon que le refus porte sur le contenu de la tentation ou sur la tentation elle-même.    Exemples.  Le mépris de la tentation ou l’horreur que cause sa présence est une résistance implicite, tandis que la ferme résolution de ne jamais succomber est une résistance explicite.   La résistance est interne ou externe selon qu’elle demeure dans la volonté ou qu’elle est exercée par les autres facultés.  Exemples. L’indignation que provoque l’idée d’un manque à la charité est une résistance interne, tandis que la lecture d’un livre pour détourner l’esprit d’une pensée est une résistance externe.

256- La résistance peut être directe ou indirecte dans la mesure où les moyens mis en œuvre pour repousser une tentation sont la fuite ou l’attaque.   Exemples. Quelqu’un qui est troublé par des pensées de haine leur résiste indirectement s’il va à l’opéra pour que la musique le rassérène, tandis qu’il leur résiste directement s’il lit pieusement un passage de saint Paul (1 Cor X111) pour obtenir d’être plus charitable.    Elle peut être virtuelle ou actuelle selon que l’acte de refus qui a été fait et non rétracté est actuellement présent à l’esprit ou pas.  Exemples.  Si quelqu’un rejette une tentation d’envie aussitôt qu’il s’en rend compte, et répète cet acte de rejet tant que la tentation n’est pas disparue, sa résistance est actuelle. S’il rejette la tentation une fois pour toutes dès son apparition, sans garder ce rejet présent à la pensée à chaque instant, sa résistance était actuelle au début, mais virtuelle par la suite.

256- Les règles générales qui concernent la tentation.  C’est un péché grave de ne pas résister à la tentation quand le péché suggéré est grave, le danger de consentement sérieux, et la négligence considérable.  Autrement, le péché est véniel.  Exemple.  Si un homme prenait soudainement conscience qu’un plan astucieux qu’il avait résolu de mettre en oeuvre  était gravement injuste,  il serait sérieusement négligent s’il remettait à plus tard de surseoir à son exécution pour l’examiner de plus près.

257- La sorte de résistance à opposer à la tentation dépend du caractère et de l’urgence de la tentation, et des dispositions de la personne tentée.  Généralement parlant, plus sérieuse est la tentation plus forte doit être la résistance.  Exemple.  Quelqu’un qui sait par expérience que les tentations de haine prennent le dessus sur lui s’il n’a recours qu’à la résistance interne, il doit ajouter la résistance externe.  Dans les cas où la violence de la tentation augmente en proportion de la force de la résistance, une résistance interne, indirecte est préférable.  Exemples.  On triomphe plus facilement des tentations contre la foi en détournant son esprit de ses doutes et en l’appliquant à autre chose.   Les tentations qui durent longtemps peuvent être vaincues plus facilement en les méprisant qu’en se faisant de la bile,  et qu’en multipliant les protestations.  La même chose vaut pour les tentations contre la pureté.

258- Le danger de pécher est la probabilité qu’on péchera dans certaines circonstances.  Il est de deux sortes : prochain et éloigné.   Le danger de péché est prochain quand il y une certitude morale que, dans des circonstances données, un péché sera commis, ou bien parce que la majorité des gens tombe dans ces cas (danger absolu), ou parce que tel individu a toujours tombé.  Exemples.  S’associer avec des personnes dépravées est un danger prochain de péché pour tous, car c’est le produit d’une expérience universelle  que les mauvaises associations corrompent les bonnes mœurs. Boire de l’alcool est un danger prochain pour quelqu’un qui n’a jamais bu avec modération.    Le danger de péché est éloigné quand la probabilité qu’un péché sera commis n’est pas moralement certaine,  et n’exclut pas une possibilité ou une attente sérieuse et bien fondée du contraire.  Exemple. Il y a un danger éloigné à boire de temps en temps, si une personne qui est retombée plusieurs fois dans l’intempérance,  a pratiqué l’abstinence pendant des années.

259- La possibilité du péché  est la concevabilité  mais la non vraisemblance  qu’il résultera d’un ensemble de circonstances.  Exemple.  L’intérêt porté à l’argent rend parfois un homme avare; les exercices de piété peuvent dégénérer en hypocrisie.  Mais il n’y a aucun lien naturel entre finance et dévotion, d’un côté, entre convoitise et manque de sincérité, de l’autre.  Le péché découle naturellement du danger, mais seulement accidentellement de sa possibilité.

260- Il n’est pas permis de s’exposer imprudemment à un danger de pécher, puisque c’est manifestement contraire à la raison de prendre, sans cause, le risque d’une perte spirituelle.  Le caractère du péché de celui qui agit ainsi diffère selon les circonstances.   Celui qui, étourdiment, s’expose lui-même au danger prochain d’un péché grave ou à ce qu’il prévoit devoir le devenir, est coupable d’un péché grave, et de la sorte de péché auquel il s’expose, et cela même si le péché n’est pas commis.  Car aimer ce qui est si étroitement relié au péché c’est aimer le péché lui-même.

Celui qui, étourdiment, s’expose lui-même au danger éloigné d’un péché grave ou au danger prochain d’un péché véniel est véniellement coupable.  Car même si cette action n’est pas raisonnable, elle n’implique pas une attache au péché mortel. 261- Il est permis de s’exposer soi-même au danger de pécher, si cela peut être fait dans le respect  des lois de la prudence, car autrement, on déboucherait sur des absurdités.  Par exemple, on ne devrait pas accomplir des devoirs urgents si l’on redoutait un danger de pécher).  Ce qui est requis en fait de prudence s’énonce comme suit.  Celui qui s’expose lui-même au danger de pécher doit être sûr de la bonté de son mobile, qu’il a la ferme intention d’éviter le péché qu’il sera tenté de commettre, et de ne faire que le bien qu’il désire.  Il faut aussi que l’action qui implique un danger soit nécessaire, et que son importance contrebalance la gravité du péché et la proximité du risque.  Il faut employer des moyens ( prière, pensées pieuses, lecture spirituelle, la réception des sacrements) qui réduiront tellement le danger qu’ils feront naitre la confiance qu’il pourra être surmonté en toute sécurité.

262- Il est permis de s’exposer à la possibilité de pécher, car,  puisque que chaque action peut être faussée, quelqu’un qui voudrait éviter toute possibilité de pécher devrait quitter ce monde et devenir confirmé en grâce.

263- Les occasions de pécher sont des circonstances externes –personnes, lieux, ou choses—qui incitent quelqu’un à pécher.  Exemples. Des personnes qui invitent les autres à frauder et leur montrent comment faire;  des pièces de théâtre blasphématoires; des livres qui visent à dénigrer la vertu.    264- Les occasions de péché sont de plusieurs sortes.   Elles sont prochaines ou éloignées selon qu’il est moralement certain ou simplement probable qu’elles conduiront au péché.  Les occasions sont nécessaires ou libres, selon que quelqu’un peut ou ne pas les quitter sans difficulté.  Par exemple.  Quelqu’un qui choisit comme associées des personnes malhonnêtes est dans une occasion libre de péché.  Quelqu’un qui est emprisonné avec des criminels est dans une occasion nécessaire de pécher.   Une occasion de pécher est aussi nécessaire quand l’impossibilité de la quitter n’est pas physique mais morale.  Exemples.  Une femme qui est liée à un mari provocateur.  Une personne qui ne peut pas quitter un emploi qui offre certaines tentations,  sans souffrir de graves conséquences temporelles ou spirituelles.   Les occasions sont présentes ou absentes selon que quelqu’un a les occasions avec lui ou doit aller les chercher.  Exemples. Les drogues conservées dans la maison sont une occasion présente de pécher pour un drogué.  Des livres d’auteurs athées sont une occasion absente de pécher si quelqu’un doit se rendre  à une bibliothèque pour les lire.

265- Il n’est pas permis de rester dans une occasion libre de pécher, qu’elle soit présente ou absente, car c’est s’exposer imprudemment  au danger de pécher (cf 258 et suiv.) 266- Il n’est pas permis à une personne qui est dans une occasion nécessaire de pécher de négliger les moyens qui sont de nature à la préserver de la contagion morale qui l’entoure.  Car la négligence des sauvegardes et des protections spirituelles dans ce cas est l’équivalent du refus de résistance à la tentation. (252 et suiv,)   Les moyens à employer dépendent des circonstances, mais la prière et la ferme résolution d’éviter tout péché doivent être employées dans tous les cas.

267- La gravité du péché commis par quelqu’un qui demeure librement dans une occasion de péché  ou qui n’utilise pas les secours nécessaires,  dépend de plusieurs facteurs. Si le péché qui le tente est léger, il ne pêche pas gravement.  S’il est sérieux et l’occasion prochaine, il pêche gravement.  Si l’occasion est éloignée, il pêche véniellement.

268- Les motifs du péché.  Les objectifs qui conduisent les hommes au péché peuvent être considérées comme suit. (a) D’après les vices prédominants des individus qui leur servent de motif pour commettre d’autres crimes, comme un homme dont le péché principal est le manque de foi et qui y est conduit par l’intolérance, le blasphème et le désespoir. (b) D’après la tendance naturelle à l’erreur et au péché et d’après les appétits sensitifs qui tendent de façon désordonnée vers le plaisir et  rendent difficile de surmonter les obstacles. (c) Le corps qui avait été soumis à l’esprit et était auto-immune à la souffrance et à la mort, devint un poids pour l’âme, et il fut sujet à la souffrance et à la mort. [le pdf passe directement du N°268 au N°274, vérifier autres éditions papiers]
 274- Les conséquences qui sont communes à tous les péchés,  autant le péché originel que les péchés actuels,  sont les suivantes.   Le pécheur perd la beauté spirituelle que ternit  le péché, et cette perte est appelée la tache du péché, puisque l’âme se souille elle-même par les contacts désordonnés avec ce qu’elle aime.   Le pécheur contracte une  dette de punition, puisque le péché est une injustice contre la loi interne de la raison, et externe de Dieu et des hommes.

 275- La tache du péché n’est pas une simple privation ou absence de grâce, car, s’il en était autrement, tous les péchés seraient semblables,  Elle n’est pas non plus une ombre transitoire qui passe sur l’âme, puisque la mauvaise disposition de la volonté peut stagner après le péché.   276- La tache du péché est différente selon les différents péchés. La tache du péché originel est la privation de la justice originelle (de la soumission de la raison et de la volonté à Dieu).  Une privation volontaire provenant de la volonté du premier parent Adam.   La tache du péché mortel est la privation de la grâce sanctifiante, consécutive à l’acte de la volonté individuelle responsable de cette perte.  La tache du péché véniel est la privation de la ferveur de la charité.  Elle empêche la beauté de la grâce intérieure de filtrer dans les actes extérieurs.  277- La tache du péché grave est la difformité de la mort, car  il enlève le principe de l’existence surnaturelle, (les habitus infus), même si la foi et l’espérance perdurent.  Il prive l’âme des droits qui appartiennent à un être spirituel, (les mérites déjà acquis).278-   La tache du péché véniel est la difformité de la maladie, car il dispose à la mort spirituelle (le péché mortel), et affaiblit la vitalité spirituelle, en formant des habitudes qui rendent plus difficile la pratique de la vertu.

 279- - La punition du péché.  Elle est de trois sortes en raison des trois offenses du péché.  En tant que péché contre la raison, il est puni par le remords de la conscience.  En tant qu’il est contre la loi ecclésiastique ou civile, il est puni par l’homme.  En tant qu’il est contraire à la loi divine, il est puni par Dieu.

 280- Quant à sa durée, la punition du péché est de deux sortes.  Puisqu’il prive l’homme de la vie spirituelle,  et le détourne de sa fin dernière, le péché grave introduit un désordre radical et irréparable, et encourt ainsi la punition éternelle.  Ceux qui meurent en état de péché mortel (grave) seront condamnés à une punition éternelle. 281- D’après la qualité,  la punition du péché est de deux sortes.  Le péché qui détourne l’homme de sa fin dernière est puni par la peine du dam, la perte du bonheur éternel qui a été méprisé.  La peine peut être appelée infinie dans la mesure où c’est la perte du Bien infini.   En autant que pécher c’est se tourner de façon désordonnée vers les choses créées,  le péché est puni  par la peine du sens qui vient des créatures.  Cette peine est finie.

 282- Le péché peut être une punition du péché.  Si un péché résulte d’un péché antérieur : Dieu peut permettre que ceux qui refusent de le servir deviennent esclaves de leurs passions.  Si l’action peccamineuse est accompagnée d’une souffrance interne ou externe : les jaloux jouissent de leur vice au prix d’un grand tourment moral.

 283- Les afflictions qui frappent les hommes ne sont pas toutes des châtiments.  Au sens strict, seuls sont des châtiments  les maux qui sont infligés par le législateur contre la volonté de l’offenseur, ou comme une vengeance de la justice violée par l’offense d’un individu.  Il nous faut donc distinguer la punition de ce qui suit.  De la satisfaction qui est une compensation volontairement supportée pour un péché commis.   Exemples.  David, après s’être repenti, a fait pénitence pour ses péchés.  Le Christ, sur la croix, a offert sa satisfaction pour la race humaine.  De l’affectation médicinale.  Elles ne sont pas voulues comme des réparations pour une justice outragée, mais comme des remèdes devant préserver du péché ou de la rechute,  ou permettre des progrès.  Comme les  calamités de Job, la cécité de l’aveugle né, les douleurs de la Saint Vierge, les maux physiques.  Ces maux frappent parfois les peuples à cause des manquements de leurs chefs.  Des défauts naturels de la nature humaine déchue, comme la faim, la soif, la maladie, etc.  Ils ne sont qu’indirectement des conséquences du péché originel, la punition directe dont ils sont la conséquence étant l’infirmité et la corruption de la nature engendrée sous l’action du péché originel.
 

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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction

Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.

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