ARTICLE 4 : LA VERTU D’ESPÉRANCE
(la somme théologique IIa-IIae qq. 17-22)
1009- Définition. Le mot espérance est employé différemment selon les contextes. Dans un sens large et impropre, il signifie l’attente de quelque malheur désiré, ou un désir sans attente. En conséquence, dans le langage courant, on espère le malheur de quelqu’un, (espoir d’un malheur futur) ou que quelqu’un a eu du succès ou est en bonne santé (espoir d’un bien passé ou présent), ou qu’on remportera le gros lot (espoir sans attente). Dans son sens strict et propre, l’espérance signifie l’attente d’un bien futur désiré. Ainsi, quelqu’un espère passer son examen ou recouvrer sa santé. 1010- L’espérance au sens strict est de plusieurs sortes. C’est une émotion ou un sentiment selon qu’il va de l’appétit sensitif à l’appétit rationnel. L’émotion de l’espérance est une inclination de l’appétit irascible qui le pousse à posséder, par l’intermédiaire des sens, un objet appréhendé comme bon et atteignable. On la trouve dans les hommes comme dans les animaux. Le sentiment d’espérance est une inclination spirituelle qui tend au bien connu par la raison. L’espérance est naturelle ou surnaturelle, selon qu’elle tend à des biens temporels que l’homme peut acquérir par lui-même, ou à des biens éternels qui sont au-dessus des pouvoirs des créatures laissées à elles-mêmes. C’est dans ce sens que nous prenons le mot espérance.
1011- On entend parfois l’espérance surnaturelle au sens large, parfois au sens strict. Au sens large, le mot est souvent employé objectivement pour désigner l’objet matériel ou formel de l’espérance. Ainsi, saint Paul parle de l’objet matériel de l’espérance (les choses désirées) quand il dit : L’espérance que l’on voit n’est pas une espérance (Rom V111, 24). Attendant la bienheureuse espérance ( Tit. 11, 13). Le Psalmiste, lui, parle de l’objet formel de l’espérance (le motif de l’espérance) quand il dit : Tu as été mon espérance, une tour de force contre la face de l’ennemi (Ps. 1X, 4). Au sens strict, on emploie le mot espérance subjectivement pour désigner l’acte ou l’habitus d’espérance. On parle de l’acte d’espérance dans les citations qui suivent : Nous sommes sauvés par l’espérance (Rom V11, 24), nous réjouissant dans l’espérance (Rom V11, 12), C’est de l’habitus d’espérance qu’il est question dans ces versets de Job et de saint Paul Cette espérance qui est mienne est placée dans mon sein (Job X1X, 27) Demeurent la foi, l’espérance, la charité, ces trois-là (1 Cor X111, 13). Nous prenons maintenant l’espérance dans son sens strict de vertu ou d’habitus d’où proviennent des actes surnaturels.
1012- On définit ainsi la vertu d’espérance : un habitus infus par lequel nous espérons avec confiance d’obtenir, avec l’aide de Dieu, la récompense de la vie éternelle. C’est un habitus infus. Ces mots expriment le genre auquel appartient l’espérance. Ils la séparent de l’émotion et du sentiment d’espérance ou de toute habitude acquise d’espérance de biens purement naturels. Une vertu surnaturelle d’espérance qui fortifie la volonté pour l’obtention d’un bonheur naturel n’est pas nécessaire dans l’état de l’homme tombé ou non, car la volonté ne sent pas le besoin d’une vertu surnaturelle pour les choses qui se situent dans sa sphère d’action. L’espérance est un habitus par lequel nous attendons etc. Ces mots expriment les éléments spécifiques subjectifs de l’espérance, c’est-à-dire les pouvoirs de l’âme dans laquelle elle réside, et les sortes d’actes qu’elle accomplit. Avec l’aide de Dieu. Ces mots expriment l’objet formel ou le motif de l’espérance. Les récompenses de la vie éternelle. Ces mots expriment l’objet matériel de l’espérance, c’est-à-dire la chose qu’on espère.
1013- Il y a une ressemblance entre la vertu d’espérance et l’espérance naturelle en ce qui a trait à leurs objets et leurs actes. L’espérance naturelle est le résultat de l’amour d’un bien, et diffère donc de la crainte qui est l’appréhension d’un malheur. Semblablement, la vertu d’espérance jaillit de l’amour des biens célestes (Rom V111, 24, 25). L’espérance naturelle porte sur un bien absent. Elle est donc un désir, et non une jouissance. Semblablement, la vertu d’espérance aspire à des biens qu’elle n’a pas encore atteints. Nous espérons dans ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience (Rom V111, 25). L’espérance naturelle, à la différence d’un simple désir, poursuit un bien qu’il n’est pas facile d’obtenir, et qu’on n’est pas certain d’obtenir. Elle présuppose donc du courage. Semblablement, la vertu d’espérance demande de la force d’âme. Conduisez-vous virilement, et fortifiez vos cœurs vous tous qui espérez dans le Seigneur ! (Pd. XXX, 25). L’espérance naturelle tend vers un objectif difficile à atteindre mais, à notre portée. On l’attend donc avec confiance, car quand un objet qu’on désire est impossible à atteindre, on ne l’espère plus, mais on désespère. La vertu d’espérance est confiante, elle aussi. Maintenez courageusement la gloire et la confiance de l’espérance jusqu’à la fin (Hebr. 111, 6).
1014- L’espérance chrétienne est supérieure à l’espérance naturelle, parce qu’elle est une vertu surnaturelle. C’est une vertu puisque ses actes sont commandés par Dieu, et parce que, par elle, la volonté met le cap sur la béatitude, et choisit les plus surs moyens pour réaliser ses aspirations élevées. J’ai disposé mon cœur à suivre tes justifications pour toujours, pour la récompense (Ps. CXV111, 112) Mets ta confiance dans le Seigneur, et fais le bien (Ps. XXXV1, 3). L’espérance chrétienne est une vertu surnaturelle parce que l’homme est sanctifié et sauvé par elle. Je (la sagesse) suis la mère de la sainte espérance (Eccl. XX1V, 24) Dieu nous a régénérés dans une espérance vivante (1 Pi 1, 3) Nous sommes sauvés par l’espérance (Rom V111, 24) Tous ceux qui ont en eux cette espérance se sanctifient eux-mêmes (1 Jn 111, 3). 1015- Bien que l’espérance cherche sa propre récompense, il n’est pas, à cause de cela, mercenaire ou égoïste. L’expérience montre que l’espérance produit de l’idéalisme et un esprit de sacrifice, tandis que l’absence d’espérance conduit à l’enlisement dans les choses temporelles et sensuelles, et dans l’égoïsme. L’espérance du juste n’est donc pas séparée de la charité, et, en conséquence, il aime Dieu avant tout, et son prochain comme lui-même. J’ai rendu mon cœur enclin à tes justifications pour la récompense (Ps. CXV111, 112). L’espérance du pécheur est une préparation pour la charité, puisqu’il doit désirer la charité comme un moyen d’obtenir la béatitude qu’il désire. Celui qui espère dans le Seigneur sera guéri (Prov. XXV111, 25).
1016- Comme la foi se divise en foi vivante et foi morte, l’espérance aussi est soit animée ou soit inanimée. L’espérance animée est celle à laquelle sont joints l’état de grâce et la charité, qui la rendent parfaite et méritoire en tant que vertu. Cette espérance-là est plus forte parce que nous espérons avec plus de confiance dans ceux qui sont nos amis. Un acte d’espérance animée est plus parafait quand elle est commandée par la charité, et moins parfaite quand elle ne l’est pas. C’est-à-dire que quelqu’un qui fait un acte d’espérance inspiré par l’amour de Dieu accomplit un acte meilleur que celui qui espère pour d’autres motifs. L’espérance inanimée est celle qui ne cohabite pas avec l’état de grâce ou la charité surnaturelle. Elle est donc une vertu imparfaite qui ne mérite rien.
1017- Les divisions suivantes de l’espérance faites par les quiétistes ne sont pas admissibles. Pêche par rigorisme la division de l’espérance entre espérance naturelle (qui cherche son bien propre, et qui est permise au fidèle ordinaire), et l’espérance surnaturelle (qui est complètement désintéressée, et qui est nécessaire pour le parfait). Car, puisque l’espérance naturelle ne sert en rien à la justification ou au mérite, il s’en suivrait que, sans amour désintéressé de Dieu, quelqu’un ne pourrait pas obtenir le pardon, et aucun acte ne serait méritoire. La division de l’espérance en deux espèces surnaturelles, l’une désintéressée (qui désire les biens célestes pour la seule gloire de Dieu), et l’autre intéressée (qui désire les biens célestes pour son propre avantage) est futile, car les actes d’amour désintéressé appartiennent à la charité, non à l’espérance (Deut. 1327, 1349).
1018- L’objet de l’espérance. Par l’objet de l’espérance nous entendons trois choses. Le bien désiré (l’objet matériel, la fin poursuivie), la personne qui désire ce bien (le fin de quelqu’un), le fondement de l’espérance (objet formel).
1019- L’objet matériel de l’espérance est double, à savoir l’objet primaire qui est désiré pour lui-même, et le secondaire, qui est désiré à cause du primaire. L’objet primaire de l’espérance est Dieu lui-même, le bien infini, considéré comme notre fin dernière et notre béatitude. (Ps. IXX11, 25) Impliqués dans cet objet sont la vision béatifique, et l’acte fini par le moyen duquel la créature obtient la possession de Dieu. L’objet primaire de notre espérance est la couronne impérissable (1 Cor 1X, 25), la gloire (Col. 1 27), la gloire des enfants de Dieu (Rom V, 2) le salut (1 Thess V, 8), la vie éternelle (Tit. 1, 2), l’entrée dans le sein des saints (Hel X, 19-23), l’héritage incorruptible et sans tache qui ne peut pas disparaître, et qui nous est réservé dans le ciel (1 Pier 1, 4), la vision de Dieu (1 Jn 111, 3) C’est précisément cet objet qui distingue l’espérance surnaturelle de l’espérance naturelle (1 Cor 1V, 19) De dieu, dit saint Thomas, nous ne devons attendre rien de moins que Dieu lui-même (11-11 q. 17, art. 2).
L’objet secondaire de l’espérance embrasse toutes les choses créées qui aident à l’obtention de la fin dernière. Nous pouvons espérer recevoir tout ce que nous demandons dans la prière, comme le remarque saint Augustin.
1020- L’objet primaire de l’espérance inclut la béatitude essentielle, c’est-à-dire la vision béatifique; la béatitude accessoire, c’est-à-dire les joies qui en résultent, comme la gloire de l’âme et du corps, la compagnie des saints, l’exemption définitive de toute souffrance, et d’autres choses semblables.
1021- L’objet secondaire de l’espérance comprend les biens spirituels. comme les grâces, les biens temporels comme la santé et les moyens qui nous permettront, au moins indirectement, de travailler pour la vie à venir, acquérir des mérites, et nous délivrer des maux qui pourraient compromettre nos biens spirituels; tout ce qui aide au salut de quelqu’un, comme les travaux pour Dieu. 1022- La personne dont on espère la vie éternelle peut être soi-même ou une autre personne. Absolument parlant, (mise à part la relation d’amitié) quelqu’un ne peut espérer que pour lui-même, car les autres ne peuvent obtenir leur salut que par eux-mêmes. En conséquence, si l’on n’est lié par aucun sentiment d’amitié avec quelqu’un, ne peut pas surgir dans l’âme ce sentiment de confiance courageuse qui appartient à l’espérance. Accidentellement, (dans le cas d’un sentiment d’amitié ou de charité envers les autres) quelqu’un peut espérer pour les autres, car l’amour fait qu’on regarde le bien des autres comme le sien propre. Ainsi, saint Paul est rempli d’espérance au sujet de la persévérance des Philippiens (Phil 1, 1), et il travaille pour les Corinthiens, pour que l’espérance qu’il a de leur salut demeure ferme (11 Cor. 1, 7).
1023- L’objet formel de l’espérance est double, à savoir l’objet primaire qui est la cause principale de notre salut; l’objet secondaire, qui est une cause instrumentale ou secondaire de notre salut. Le motif principal de l’espérance est Dieu lui-même, l’Auteur du salut. Voilà pourquoi il a été dit : Maudit celui qui met sa confiance dans l’homme ! (Jer. XV11, 5). Les motifs secondaires de l’espérance sont les créatures qui apportent leur aide en procurant les moyens de salut (comme les saints, qui nous aident par leur intercession). Ainsi dans le salve regina,(salut, reine) on appelle Marie notre espérance. Les mérites du Christ, ainsi que les nôtres, sont des motifs d’espérance, puisqu’ils sont des instruments utilisés par Dieu.
1024- Sir quel attribut divin la vertu d’espérance est-elle fondée ? Essentiellement, la vertu d’espérance se fonde sur Dieu en tant qu’aide tout puissant, car la note spécifique et différentielle de cette vertu est sa confiance courageuse. A cause de la hauteur inaccessible des sommets qu’on espère atteindre et la faiblesse des efforts créés, on doit mettre toute sa confiance en Celui qui est capable de nous y mener. Le Seigneur est mon rocher et ma force, Dieu est mon protecteur, je mets ma confiance en lui. (1 Rois XX11, 2,3) Vous avez espéré dans le Seigneur tout puissant depuis toujours et pour toujours (Is XXV1, 4). Le nom du Seigneur est une tour fortifiée. Le juste court vers elle, et sera élevé. (Prov. XV111, 10) L’espérance secondaire (d’après les actes qu’elle présuppose ou qui sont reliés à elle). L’espérance nourrit des relations avec d’autres attributs divins. Ainsi, on n’espère pas, à moins de croire d’abord que Dieu a promis la béatitude, et qu’il est fidèle à ses promesses. A moins qu’on ne regarde la béatitude comme quelque chose de désirable. Et ainsi, celui qui espère s’est rendu dépendant de la loyauté de Dieu envers sa parole, et de la désirabilité de Dieu comme prix de ses efforts. Gardons fermement la confession de notre espérance sans branler dans le manche, car il est fidèle Celui qui a promis. (Hebr. X, 23). L’espoir de la vie éternelle que Dieu qui ne ment pas a promis auparavant. (Hebr. X, 23). Le Seigneur est ma part d’héritage. Je l’attendrai donc. (Lam. 111, 24). Ne crains pas, je suis ta récompense, excessivement grande. (Gen. XV, 1) Comme la foi présuppose un début de croyance et une pieuse inclination envers elle, l’espérance suppose elle aussi la foi et l’amour de Dieu en tant que notre béatitude.
1025- On peut comprendre de deux façons l’aide divine tout puissante en tant que fondement de notre espérance. On peut la considérer comme un être créé, c’est-à-dire comme un don de Dieu possédé par nous (comme la grâce habituelle ou actuelle, les mérites, les vertus). Ce n’est pas dans ce sens que l’aide divine est appelée le motif de l’espérance, car même un pécheur peut et doit espérer. Mais les mérites des justes, bien qu’ils soient des attentes de la béatitude, ne sont pas la cause principale qui mène à la vertu d’espérance. On peut regarder l’aide divine comme une aide non créée, c’est-à-dire comme l’acte par lequel Dieu nous communique ses dons. C’est dans ce sens seulement que l’aide divine est le fondement de l’espérance. Car, si on demande à quelqu’un : pourquoi êtes-vous confiant de pouvoir vous sauver, il ne répondra pas : parce que je suis en état de grâce et fais de bonnes œuvres. Mais : parce que je sais que Dieu va m’aider.
1026- Voici les divines perfections incluses dans le titre d’aide que l’on donne à Dieu. Essentiellement, la toute puissance de Dieu. Car voilà quelle est la raison immédiate et suffisante de l’attente confiante que l’on possédera, à la fin, le même objet de félicité que Dieu lui-même. Plus est élevé le but que quelqu’un se propose, plus grandes doivent être les ressources sur lesquelles il compte pour l’atteindre. En second lieu, ces perfections incluent la bonté infinie de Dieu. Car c’est s bonté qui pousse Dieu à employer sa toute puissance pour qu’elle vienne en aide aux créatures dans l’obtention de leur fin dernière. L’homme espère donc atteindre la félicité suprême parce qu’il compte que la toute puissance va l’aider. En conséquence, on le dirige vers la bonté infinie et la miséricorde infinie. Ainsi dit le Psalmiste : J’ai mis ma confiance dans ta miséricorde (Ps. X11, 6) Tout comme la foi repose prochainement sur la fiabilité de Dieu, et lointainement, sur la perfection de son être, l’espérance repose prochainement sur la toute puissance de Dieu, et radicalement, sur sa bonté et sur sa perfection.
1027- L’excellence de l’espérance. L’espérance est une vertu théologale. Elle est donc supérieure aux vertus morales. C’est une vertu théologale, dans la mesure même où elle tend immédiatement vers Dieu lui-même. Comme il a été dit plus haut, (1019, 1023), nous espérons Dieu et nous espérons en Dieu. En Dieu est mon salut et ma gloire, Il est le Dieu de mon secours, et mon espérance est en Dieu (LX1, 8). Quelle est mon espérance ? N’est-ce pas Dieu ? (Ps. XXXV111, 8). En toi, Seigneur, j’ai cru (Ps. XXX 1,). L’Apôtre range donc l’espérance parmi les vertus théologales (1 Cor. 111, 13). Par la foi, la maison de Dieu a reçu ses fondements, par l’espérance, elle a grandi, et par la charité elle a atteint sa perfection. (St. Aug. Serm XXV11,1). Les deux vertus morales qui ressemblent le plus à l’espérance sont l’endurance et la magnanimité, cat l’une est l’attente de biens distants, et l’autre est l’empressement à affronter des difficultés dans la poursuite d’un idéal élevé. Mais ces deux vertus relèvent du courage plutôt que de l’espérance, car les biens qu’elles recherchent est fini, et les difficultés qu’elle rencontre sont des batailles externes, tandis que le bien que recherche l’espérance est infini; et la difficulté qu’il y a à l’atteindre réside dans la grandeur véritable de ce bien.
1028- Il y a plusieurs points de vue à partir desquels on peut comparer les vertus les unes avec les autres. Une vertu l’emporte sur une autre en durée, quand elle la précède dans le temps. Ainsi, les vertus naturelles que les païens pratiquaient avant leur conversion sont antérieures aux vertus surnaturelles qu’ils ont reçues au baptême. Une vertu l’emporte sur une autre par la nature, ou dans l’ordre de génération, quand elle est une préparation nécessaire pour une autre qui la présuppose essentiellement. Ainsi, les vertus intellectuelles sont naturellement antérieures à la justice, car on ne peut pas rendre à chacun ce qui lui est du sans savoir que c’est notre devoir d’agir ainsi. Une vertu l’emporte sur une autre du point de vue de l’excellence en tant qu’habitus, quand elle a un objet qui est plus élevé et plus compréhensif, et quand elle a tout ce qu’il faut pour être le guide d’une autre vertu. Car les différents points de vue à partir desquels on compare les vertus doivent provenir des objets vers lesquels elles tendent, et de qui ils tirent leur caractère spécifique (Cf. 134). Ainsi, l’habitude de philosopher est elle-même plus noble que celle d’accumuler des richesses, car la vérité est meilleure que l’argent.
Une vertu est supérieure à une autre sous le rapport du concept général de vertu, quand elle sert plus que d’autres à maintenir la volonté dans la droiture. Car la comparaison porte, ici, sur l’influence exercée sur les actes de quelqu’un (comme le mot vertu ou puissance le laisse entendre). La volonté est le moteur qui met en marche les autres facultés. Ainsi, pour quelqu’un qui a des dettes à payer, il est préférable qu’il consacre son temps à gagner de l’argent plutôt qu’à meubler son esprit avec des notions scientifiques. La justice a plus de choses à lui réclamer que n’en a le savoir.
1029- Comparaison entre l’espérance et la foi. Ces vertus ne sont pas semblables. La foi nous fait adhérer à Dieu en tant que donneur de vérité, et donne son assentiment à ce qui nous parait obscur; l’espérance nous fait tourner vers lui en tant qu’Auteur de la béatitude, et s’efforce d’atteindre ce qui est pour nous difficile. La foi et l’espérance sont normalement égales en durée, puisque, en règle générale, elles sont infusées en même temps (au baptême). Accidentellement, cependant, la foi peut précéder l’espérance, comme, par exemple, quand quelqu’un conserve sa foi au moment ou il perd l’espérance en désespérant, puis la retrouve plus tard. Elles sont inégales dans la préséance naturelle, la foi venant avant l’espérance, puisque ce n’est que par la foi que les objets de l’espérance, la gloire et la grâce, peuvent être connus (Hebr, V1, 6). Elles sont inégales en tant qu’habitus, la foi étant supérieur à l’espérance, et ayant un objet plus abstrait et plus universel. Elles sont inégales en tant que vertus, l’espérance étant supérieure à la foi, comme les vertus morales sont supérieures aux intellectuelles (Cf. 156). Car l’espérance inclut une rectitude de la volonté à l’endroit de Dieu, qui n’est pas incluse dans le concept de foi, lequel est strictement intellectuel; et c’est la volonté qui incite les autres puissances à l’action.
1030- Comparaison de l’espérance avec la charité.
Ces vertus ne sont pas semblables. La foi et l’espérance adhèrent à Dieu en tant que principe d’où découlent la foi et l’espérance, la charité adhère à Dieu pour lui-même. L’espérance tend vers Dieu en tant qu’il est le Bien duquel on doit attendre la béatitude et les moyens pour y parvenir. Mais la charité nous unit à Dieu de façon à ce que nous vivions pour Dieu plutôt que pour nous-mêmes. La foi et la charité sont normalement égales quant à la durée; mais, accidentellement, l’espérance peut précéder la charité, comme quand quelqu’un commet un péché mortel, mais conserve l’espoir d’être sauvé. Il n’est question ici que d’habitus, car les actes du pécheur qui mènent à la charité (foi, crainte, espérance, contrition) sont successifs, bien que dans une conversion soudaine l’espérance puisse être virtuellement incluse dans la charité. Elles sont inégales du point de vue de la préséance naturelle, l’espérance apparaissant avant la charité. Comme la peur conduit naturellement à un amour intéressé contenu dans l’espérance, l’amour intéressé prépare quelqu’un à un amour plus élevé, celui qui est désintéressé. La fin du commandement est la charité venant d’un cœur pur (1 Tim 1, 5). Nous parlons ici d’une espérance qui n’est pas animée par la charité, car l’espérance animée et vivante se fie à Dieu comme à un ami. Elle présuppose donc la charité.
Elles sont inégales en excellence, car l’espérance procède d’un amour imparfait qui désire Dieu pour le bien de celui qui aime, alors que la charité est un amour parfait qui désire Dieu pour lui-même. 1031- Comme nous l’avons dit plus haut (1015-1017, l’espérance est bonne et vertueuse même quand elle est séparée de la charité, ou quand elle s’exerce sans le motif de charité. Mais on ne doit pas confondre l’espérance imparfaite ou moins parfaite avec les actes suivants qui n’ont que l’apparence de l’espérance. Les actes qui enlèvent l’objet matériel de l’espérance et font rechercher la béatitude en quelque chose d’autre que Dieu (les joies secondaires du ciel). Les actes qui injurient les objets de l’espérance, comme sont ceux qui les subordonnent à des biens inférieurs (une espérance qui nous place au-dessus de Dieu, et qui fait passer le plaisir avant la vertu). 1032- On peut distinguer trois sortes de cette pseudo espérance. L’espérance égoïste est celle qui met la fin pour laquelle on espère la béatitude au-dessus de la fin qui est la béatitude, ou qui place la béatitude subjective (l’acte de vision) au-dessus de la béatitude objective (Dieu). L’intelligence est dans l’erreur quand elle méprend les prémisses pour la conclusion. La volonté est, elle aussi, désordonnée quand elle prend un moyen pour la fin. En conséquence. Il n’y a rien de désordonné dans l’espérance d’une nourriture voulue pour être mangée, ou dans la manducation de cette nourriture faite pour entretenir la santé, puisque c’est la santé qui est le but de la manducation, et la manducation le but de la nourriture. Mais c’est une chose extrêmement désordonnée d’espérer Dieu pour la vision béatifique dans son propre intérêt. Car Dieu est la finn de tout, et la vision béatifique n’est que la condition pour parvenir à cette fin, et le bienheureux n’est que le sujet à qui sont donnés Dieu et la vision béatifique. pour qu’il parvienne par eux à sa perfection.
L’espérance épicurienne est celle qui met le plaisir au dessus de tous les autres éléments qui font partie de la béatitude subjective. Le bonheur subjectif de l’homme consiste essentiellement dans l’acte le plus élevé et le plus proprement humain, dans l’acte de l’intelligence qui est la vision intuitive de Dieu. En conséquence, le plaisir, même le plus pur plaisir spirituel, devrait être considéré comme quelque chose de secondaire et de conséquent. L’espérance utilitariste est celle qui place la récompense avant la vertu, comme si la vertu n’était qu’un moyen pour parvenir à la récompense. Comme quand on dit : S’il ‘y avait pas de ciel, je ne pratiquerais pas la vertu. Il y a trois sortes de biens. Les biens utiles, ceux qui ne sont désirés que parce qu’ils sont des moyens pour parvenir à une fin. (une médecine amère, qui n’est pas désirée pour elle-même mais pour la santé). Les biens moraux, ceux qui sont désirés pour eux-mêmes parce que conformes à la nature raisonnable de l’homme (les vertus). Les biens agréables, c’est-à-dire le repos ou la satisfaction de la volonté dans la possession de ce qui est désirable pour lui-même. C’est donc une faute de regarder la vertu comme un simple bien utile, comme quelque chose qui est désagréable en soi, et qui ne peut pas être pratiquée à cause de sa bonté inhérente. C’est aussi une faute de considérer le ciel comme quelque chose qui est au-dessus de et en marge de la vertu, car la vie éternelle est la floraison parfaite et la fructification de la vie morale, qui a été planté et développée ici sur la terre. Les choses de ce monde ne sont que des moyens pour pratiquer les vertus, et les vertus atteignent leur zénith dans la vision béatifique. Les délices du ciel sont les résultats de cette vision, non sa fin.
1033- L’espérance doit donc chercher Dieu comme le bien suprême. Elle ne doit pas préférer le plus petit au plus grand. Et elle ne doit pas considérer que la vertu est bonne uniquement dans la mesure où elle procure la récompense. Mais, d’un autre côté, l’espérance cherche Dieu comme son bien propre; et pour être une vertu véritable, il n’est pas nécessaire qu’elle soit unie à la charité. En conséquence, il n’est pas nécessaire que quelqu’un conserve l’espérance dans l’hypothèse où Dieu ne récompenserait pas la vertu, où il n’y aurait aucune récompense à attendre, car on n’a pas à envisager tous les cas chimériques. Il n’est pas nécessaire que l’espérance soit élicitée par un acte de charité (que quelqu’un applique toujours son désir d’être sauvé à la fin que Dieu en soit glorifié), car le motif de l’espérance cesserait d’agir, et la vertu inférieure serait absorbée par la vertu supérieure (la charité). Il n’est pas nécessaire que l’espérance soit commandée par un acte de charité (que quelqu’un espère le salut comme son bien propre seulement quand un acte de charité antérieur a ordonné que cela se fasse comme une marque d’amour envers Dieu), car désirer ce que Dieu veut qu’on désire est en soi bon et louable, et ne requiert aucun autre acte pour justifier cela.
1034- Le découragement et l’acédie arrivent même dans les vies des grands saints. Et aux moments où l’amour pur de Dieu semble presque impossible, l’espérance vient à sa rescousse en apportant du réconfort, et en poussant à l’action. D’où l’importance de cette vertu dans la vie spirituelle, car l’espérance est une ancre de l’âme durant les tempêtes, puisqu’elle offre des motifs de patience et d’encouragement (Hébr, V1, 19); Eccl. 111, 9; Rom X11, 12, V111, 25; 1 Thess V, 8). L’espérance donne des ailes à l’âme quand on est abattu et accablé, puisque les motifs qu’elle présente incitent au courage et aux bonnes œuvres (Is, X1, 31, XX, 13; Ps CXV111, 32; Hebr, X, 11).
1035- Voici ce qui est recommandé pour faire croître l’espérance. Demander ceci à Dieu : Donne-nous, Seigneur, une augmentation de la foi, de l’espérance et de la charité. (Missel, 13ième dimanche de la Pentecôte). Méditer sur les récompenses du ciel dans tous nos besoins, rejetant tous nos soucis sur lui. (1 Pi V, 7). Travailler courageusement pour le salut, et préserver la pureté de conscience (Ps. XXV1, 14; Jn. 111, 21, 22).
1036- Le sujet de l’espérance. Par le sujet de l’espérance nous entendons la puissance de l’âme à qui appartient cette vertu, et aussi les personnes qui sont capables d’espérance. La faculté de l’âme dans laquelle l’espérance réside est la volonté, car cette vertu cherche le bien non le vrai. Les personnes qui peuvent posséder cette vertu sont tous ceux qui n’ont pas encore reçu leur récompense finale ou leur punition finale. 1037- La vertu d’espérance ne demeure pas dans les bienheureux. Ils ne peuvent pas espérer dans le principal objet de la béatitude puisqu’ils en jouissent déjà. L’espérance qui est vue n’est pas l’espérance. Car ce quelqu’un voit pourquoi le désirerait-il ? (Rom. V111, 24). Les bienheureux peuvent désirer des objets secondaires, comme la continuation de leur état, la glorification de leurs corps, le salut de ceux qui sont encore sur la terre etc. Mais ce désir appartient à la vertu de charité, puisque, chez les élus, il n’y plus l’attente laborieuse du futur qui est contenue dans la vertu d’espérance. De plus, le désir d’autres objets que Dieu ne constitue par la vertu théologale d’espérance, laquelle tend directement vers Dieu.
1038- Quand aux défunts qui ne sont pas dans le ciel, nous devons faire la distinction entre ceux qui sont en enfer et ceux qui sont au purgatoire. Ceux qui sont en enfer, démons ou hommes, ne peuvent plus espérer, car cela fait partie de leur punition de savoir que leur perte est éternelle. (Matt. 25, 4; Prov. X1, 7). Dante exprime cette vérité quand il dit qu’il est écrit sur les portes de l’enfer : L’espérance vous abandonne vous qui entrez ici. Ce n’est que dans un sens impropre qu’on peut dire que les damnés espèrent, dans la mesure qu’ils désirent des maux ou d’autres choses que le ciel. Les enfants non baptisés ou ne connaissent pas ce qu’ils ont perdu, ou ne sont pas tourmentés par la pensée que le ciel ne leur est pas accessible. Ils réalisent, en effet, que sa privation ne provient d’aucune faute de leur part. Ceux qui sont dans le purgatoire espèrent, car, bien qu’ils soient certains d’être sauvés, il demeure vrai qu’ils ont à traverser de grandes difficultés avant d’arriver à leur récompense. Voilà pourquoi, à la messe, l’Église prie pour les défunts, qui dorment dans le repos de la paix, c’est-à-dire qui sont surs de leur salut. Les pères qui étaient dans les limbes espéraient eux aussi avant leur entrée dans le ciel. Tous ceux-là étaient morts dans la foi, sans avoir reçu les promesses, mais les saluant de loin et confessant qu’ils étaient des pèlerins et des hôtes de passage sur la terre. Ils désiraient un pays meilleur, c’est-à-dire céleste. (Hebr. X1, 11-16).
1039- Quand à ceux qui n’ont pas encore fait le passage par la mort, il y en a qui ont l’espérance, d’autres qui ne l’ont pas. Les incroyants n’ont pas d’espérance théologale, puisque la foi est la substance des choses qui doivent être espérées (Hebr, X1, 1). En conséquence, même si quelqu’un accepte les articles du crédo j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir, son espérance n’est pas réelle s’il rejette coupablement d’autres articles. Ce serait espérer la fin sans posséder les moyens nécessaires qui y conduisent (Hebr, X1, 6). Les croyants, qui désespèrent du salut, ou qui ne l’attendent pas de Dieu, n’ont pas la vertu d’espérance. Comme la foi est perdue si son objet formel ou son motif n’est pas accepté, l’espérance périt si son objet n’est pas attendu, on si on ne s’appuie plus sur son motif.
La crainte du Seigneur
Ceux qui ont l’espérance ce sont les croyants qui ne sont pas coupables d’un péché contre l’espérance. Les pécheurs ne peuvent pas compter sur le salut, s’ils persévèrent dans le péché. Mais ils peuvent espérer, par la grâce de Dieu, d’être délivrés du péché et de mériter la vie éternelle. Ils sont même tenus de croire que Dieu veut leur salut, et de l’espérer. 1040- La certitude de l’espérance n’exclut pas l’incertitude de la crainte. Au contraire, au sujet de son salut, l’homme doit nourrir des sentiments d’espérance et de crainte. Si l’on jette un coup d’œil sur le motif (la puissance et la miséricorde de Dieu), la foi nous assure que Dieu veut et peut nous aider à atteindre le salut. C’est ainsi que la foi fait naître dans l’âme une espérance ferme et inébranlable. Je sais en qui j’ai cru, et je suis certain qu’il est capable de conserver ce que je lui ai confié, contre ce jour. (2, Tim. 1, 12; Hebr. V1, 18; Ps. XX1V, 2; Ps. XXX, 2; Rom. 1V, 4). Mais si quelqu’un contemple sa propre fragilité, et se rappelle que d’autres aussi ont espéré mais se sont perdus, il ne se sent pas certain de pouvoir coopérer avec Dieu et d’être sauvé. Il doit donc craindre. (Eccl. 1X, 1; 1 Cor. 1V, 4; 1X, 27). Le concile de Trente déclare que personne ne peut se promettre à lui-même de persévérer, avec une certitude absolue (sess. V1, chap. 13). C’est pour cela qu’il est écrit : Celui qui pense pouvoir rester debout, qu’il se tienne sur ses gardes afin de ne pas tomber. (1 Cor. X, 12). Avec crainte et tremblement travaillez à votre salut. (Phil. 11, 12).
1041- Le don de la crainte du Seigneur. Le don du Saint-Esprit qui parfait la vertu d’espérance est la crainte du Seigneur (Cf. 159 et suiv.) Car l’espérance est la racine d’où procède le don de la crainte. L’espérance joint les affections à Dieu, et la crainte agit sur l’âme dans son élan vers la béatitude. Nous craignons, en effet, de perdre ce que nous désirons. La crainte assiste l’espérance, car elle nous fait redouter non la perte de la béatitude ou de l’aide de Dieu, mais le manque de coopération de notre part, en dépit de toute l’aide que Dieu nous apporte. 1042- Ce ne sont pas toutes les craintes qui correspondent au don appelé crainte de Dieu. En premier lieu, nous devons faire la distinction entre la crainte physique et la crainte morale. La crainte physique est l’émotion dont nous avons parlé plus haut (Cf. 41, 120). Elle se manifeste par l’aversion, la gêne, la honte, le désarroi, l’anxiété, l’horreur. Cette sorte de peur, comme les autres passions, est moralement indifférente en elle-même. La peur morale est la crainte d’un mal imminent qui mène à Dieu, ou qui en éloigne. C’est dans ce sens que nous prenons maintenant la peur.
L’objet de la crainte est toujours un mal, car le bien ne repousse pas, mais attire. Le motif de la peur, cependant, est quelque chose de bon, car quelqu’un redoute un mal à cause d’un bien qu’il désire obtenir ou conserver. Du point de vue du motif, on peut donc diviser la crainte en deux espèces morales, à savoir la peur du monde et la peur de Dieu. La peur du monde est celle qui redoute plus les créatures que Dieu, car elle attache plus d’importance au temps qu’à l’éternité. Ainsi, le reniement de Pierre a été causé par la peur du monde. Quand l’objet de cette peur est la perte de l’estime des hommes, on l’appelle respect humain. La peur de Dieu est celle qui redoute le Créateur plus que les créatures, parce qu’elle l’estime plus que tout. 1043- Ainsi, la mort de saint Pierre pour le Christ provenait de sa crainte de Dieu. La peur du monde est toujours coupable, car elle pousse à offenser Dieu pour échapper à un malheur temporel. Elle est interdite par notre Seigneur : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent pas aller plus loin, Mais craignez celui qui a le pouvoir d’envoyer et le corps et l’âme dans la géhenne. Celui-là, craignez-le ! (Matt. X, 28). On loue Elie à cause de son absence de toute crainte du monde. De son vivant, il n’eut pas peur du roi (Eccl XLV111, 13). On devrait, pourtant, noter la distinction entre la crainte habituelle, d’un côté, et la crainte actuelle ou virtuelle de l’autre.
La crainte habituelle du monde est un état, non un acte. C’est-à-dire que c’est la condition de ceux qui sont en état de péché mortel, et qui ont donc préféré leur moi à Dieu, qui est la fin suprême de la vie. C’est une question de foi que tous les actes des pécheurs ou des incroyants ne sont pas mauvais, car ils sont capables de rechercher certains biens particuliers ou naturels. La crainte habituelle du monde est un choix délibéré d’un péché inspiré par la peur d’un malheur temporel. La crainte virtuelle est un acte qui procède d’un choix semblable, mais sans se rendre compte du choix ou de la crainte. Dans ces deux sortes de crainte il y a un péché, car la crainte actuelle commande le mal, la virtuelle l’exécute. Exemples. Pierre décide dans son cœur de se garder du parjure par peur de l’emprisonnement plutôt que par obéissance à la loi divine (peur actuelle). Il se met alors à se parjurer conformément à ce qu’il avait dit, mais sans plus penser à sa crainte antérieure (peur virtuelle).
1045- Voici quelles sont les espèces de péché auxquelles appartient la peur mondaine. L’espèce théologique de ce péché dépend de la disposition de la personne. Il pèche mortellement si la crainte le dispose à offenser Dieu sérieusement. Il pèche véniellement si la crainte le dispose à commettre un péché véniel. Exemples. Pour échapper à l’emprisonnement ou à l’exil, Pierre fait un faux serment. Paul s’est absenté de son travail sans autorisation. Il dit un petit mensonge pour échapper au reproche que son inconduite mérite. La peur de Pierre est un péché grave; celle de Paul un véniel. L’espèce morale de la crainte mondaine est, en règle générale, la même que l’espèce du péché auquel elle conduit. Ce qui signifie qu’un seul péché a été commis et a besoin d’être confessé. La raison en est que, normalement, l’objet de la crainte est quelque chose qui doit être redouté, et que l’aversion qu’on en a n’est mauvaise qu’au cas où elle va jusqu’à se servir du péché comme d’un moyen d’échappatoire. Exemple. Pierre est accusé à tort d’avoir volé. Pour sauver sa réputation, il fait un faux serment relativement à une circonstance incriminante. Sa peur de perdre son bon renom n’est pas une faute en elle-même. Il n’est donc coupable que du péché de parjure.
1046- Il y a des cas exceptionnels où la crainte est un péché distinct du péché auquel elle conduit. Si la peur de perdre un bien temporel est si grande que quelqu’un est prêt à commettre n’importe lequel péché pour l’éviter, et si, demeurant sous le coup de cette crainte, quelqu’un fait, un peu plus tard, un faux serment, deux actes ont été commis. Un contre la charité, parce qu’un bien temporel a été préféré à Dieu, et un autre contre la religion, parce qu’on a fait appel à Dieu pour qu’il soit le témoin de la fausseté. Si la peur est de nature à rendre quelqu’un incapable de commettre tel crime, mais à l’inciter à en commettre un autre, il est évident que deux péchés ont été commis. Exemple. Pierre désire calomnier Paul, mais il est incapable de le faire lui-même. Craignant que Paul n’échappe à sa vengeance, il vole de l’argent et l’offre à Luc pour l’induire à calomnier Paul. Deux péchés ont été commis : la calomnie et le vol. 1047- Ce ne sont pas toutes les craintes mondaines ou temporelles qui entrent dans la catégorie de peur mondaine et coupable. Craindre et respecter quelqu’un en tant qu’il représente l’autorité de Dieu est un devoir. Rendez à tous les hommes ce qui leur est du. Crainte à qui est due la crainte, honneur à qui est du l’honneur. (Rom. X111, 7). Redouter des maux temporels (la perte de la vie, de la réputation, de la liberté, de la propriété), d’une façon modérée et raisonnable est une bonne chose. Voilà pourquoi notre Seigneur nous demande de prier pour être délivré du malin.
1048- La crainte de Dieu est de deux sortes distinctes, selon qu’on redoute l’offense faite à Dieu ou la punition infligée par Dieu. La crainte servile, celle d’un esclave pour son maître, redoute le péché à cause de la punition qu’il entraîne. La crainte filiale, celle d’un fils envers son père, redoute le péché à cause de l’offense qu’il fait à Dieu. 1049- On peut considérer la crainte servile dans sa substance ou dans ses accidents. La substance ou l’essence de la crainte servile provient de son objet, c’est-à-dire du mal ou de la punition que le mal provoque. Les accidents de la crainte servile sont les circonstances (Cf. 72), comme le statut de la personne qui a peur, la manière dont il craint. La peur servile en elle-même est bonne et surnaturelle. Que la crainte servile soit bonne est un dogme de foi défini au concile de Trente (sess. V1, canon 8; sess. XX1V, canon 5). Notre Seigneur recommande cette crainte quand il dit : Je vais vous montrer celui que vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter quelqu’un dans l’enfer. Oui, je vous le dis, craignez-le celui-là. (Luc X11, 5). L’objet de cette crainte est la punition, un mal, donc, qui doit être redouté.
1050-- La crainte servile est bonne en elle-même et surnaturelle. Que la crainte soit surnaturelle c’est quelque chose qui découle du fait que ses actes sont surnaturels. Cela vient de Dieu que l’homme se prépare pour la grâce. La crainte est le commencement de la sagesse. (Ps. CX 10), parce que c’est par elle que la sagesse de la foi commence par servir efficacement de règle pour l’action. Elle pousse ainsi l’homme à s’éloigner du péché à la vue de la justice de Dieu. La peur servile est donc très supérieure à la peur naturelle de la peine et de la souffrance, que tous possèdent. 1051- Même si la crainte servile est bonne et utile et digne de louange, elle n’est pas parfaite. Elle est inférieure à la crainte filiale. La peur servile considère Dieu comme un maître puissant qu’on ne peut offenser avec impunité, tandis que la crainte filiale le regarde comme un Père qu’on ne désire pas offenser. En conséquence, la loi ancienne donnée au milieu du tonnerre du Sinaï, et avec plusieurs menaces contre ceux qui la transgresseraient, est moins parfaite que la loi nouvelle qui insiste plus sur l’amour que sur la crainte (Rom. V111, 15; Hebr. X11, 18-25; Gal. 1V, 22 suiv). Même si quelques théologiens regardent la crainte servile comme une vertu infuse, elle n’est pas un don du Saint Esprit, car elle peut cohabiter avec le péché mortel. Il semblerait qu’elle n’est même pas une vertu, car elle détourne l’homme non d’un mal moral mais d’un mal physique. Mais un grand nombre de moralistes la considèrent comme un acte secondaire de la vertu d’espérance.
1052- Des circonstances peuvent rendre mauvaise la crainte servile. La circonstance de l’état de la personne qui éprouve une crainte servile est bonne quand elle est une amie de Dieu; elle est mauvaise, quand elle est une ennemie de Dieu. Bonne est la circonstance de la façon avec laquelle est élicitée la crainte servile, si la punition n’est pas considérée comme le plus grand des maux. Elle est mauvaise si la punition est vue comme le plus grand des maux. Car, par cette façon de penser, quelqu’un s’établit comme la fin principale de la vie, et montre qu’il serait prêt à pécher sans retenue s’il n’y avait pas de punition. 1053- Voici l’effet des circonstances mauvaises sur la crainte servile. La crainte servile n’est pas rendue mauvaise à cause de l’état mauvais de la personne qui craint. Comme une personne qui dit habituellement des sottises peut parfois dire une parole de sagesse, de la même façon une personne qui commet habituellement des mauvaises actions peut parfois faire des actes vertueux. Le péché mortel n’est pas plus, chez un pécheur, un défaut de la crainte servile que la foi sans les œuvres n’est un défaut de la foi ou de l’espérance. Car ce n’est ni la foi, ni l’espérance ni la crainte qui sont â blâmer pour l’état de péché mortel, mais la personne qui a ces dons de Dieu, c’est elle qui est en faute. Il est vrai que le pécheur, en raison de son manque d’amour envers Dieu, ne met pas la crainte du péché au-dessus de la crainte de la punition. Mais il ne s’ensuit pas qu’il mette la peur de la punition au-dessus de la peur du péché, car il peut redouter la punition tout simplement (sans faire de comparaison). La peur qui ne fait pas de comparaison avec une autre peur est bonne, ou autrement, il faudrait dire qu’il n’y a que la peur filiale qui a de la valeur, ce qui n’est pas vrai, comme nous l’avons dit plus haut.
La peur servile peut devenir mauvaise à cause de sa manière d’être, quand quelqu’un compare le péché avec la punition, n’a de répulsion que pour la punition, et n’évite le péché que pour ne pas être puni. Cette sorte de peur est celle d’un esclave, car elle fait faire involontairement à quelqu’un quelque chose de bon , comme un esclave qui est forcé de travailler contre sa volonté. Mais le seul service qui plait à Dieu est celui d’une volonté libre. (1 Par XXV111, 9). 1054- Nous devons donc distinguer les cas suivants de crainte filiale. La peur de la punition est purement servile quand quelqu’un renonce au péché à cause d’elle, mais n’abandonne pas, à cause d’elle, son amour de Dieu . La peur de la punition n’est pas purement servile quand quelqu'un ne renonce pas seulement au péché à cause d’elle, mais se libère de son attache au péché. Cette crainte est distincte de la charité, mais y prépare. La crainte du Seigneur expulse le péché. (Eccl. 1, 27). La peur de la punition est encore moins servile quand elle incite un homme juste qui déteste déjà le péché comme offense à Dieu, à le détester comme une punition de Dieu. Cette crainte existe avec la charité, car l’amour de Dieu et le juste amour de soi ne s’excluent pas l’un l’autre. Mais, plus la charité croitra, plus devra diminuer la crainte servile; plus quelqu’un aime Dieu, moins il s’intéresse à son bien propre. Plus grande est la confiance avec laquelle il espère en Dieu, et plus faible la peur de la punition.
1055- On doit distinguer deux degrés
de la crainte filiale. La crainte initiale est celle de ceux
qui font leurs premiers pas dans la charité. A cause des péchés
passés, ils redoutent la punition de Dieu; et l’amour qu’ils commencent
à éprouver leur fait craindre d’être séparés de Dieu.
La deuxième peur est plus forte chez eux, et elle commande que la première
soit attisée pour fortifier la volonté contre tout ce qui pourrait séparer
de Dieu. De cette crainte, il a été dit : La crainte de Dieu est
le commencement de son amour (Eccl. XXV, 16). La crainte parfaite
est celle de ceux qui sont établis dans la charité. Plus
l’amour de Dieu emplit le cœur, plus tout autre amour (même de soi)
est subjugué par l’amour de Dieu. Même dans cette vie présente,
l’amour de Dieu est si grand chez certaines âmes que la crainte
servile disparait. Je suis sûr que ni la mort ni la vie ne peut
me séparer de l’amour de Dieu (Rom. V111, 38, 39). La charité parfaite
rejette la crainte, parce que la crainte comporte des peines, et celui
qui craint n’est pas parfait dans la charité (1 Jn, 1V, 18).
1056- La peur parfaite de Dieu a deux actes. Dans la
vie présente, il est possible d’offenser Dieu et de perdre son amitié.
Quelqu’un craint donc d’offenser Dieu et de perdre son amitié.
Nous devrions toujours avoir cette crainte. Conserve sa crainte, et progresse
à partit de là (Eccl. 11, 6). Avec la croissance de la charité,
il y a une croissance correspondante de la crainte de la séparation de
Dieu, car plus quelqu’un aime Dieu ardemment, plus il comprend
la grandeur de la perte qu’apporte le péché. Dans la vie
éternelle, où le péché et la séparation d’avec Dieu ne peuvent
plus se produire, le bienheureux ne redoute pas ces maux. Celui qui
m’écoutera reposera sans terreur, et jouira de l’abondance sans la
crainte des maux (Prov. 1, 33). Mais en présence de la majesté
divine, les anges et les saints sont remplis d’émerveillement et de
respect. J’ai vu ceux qui ont vaincu la bête, chanter : Qui ne
te craindra pas, o Seigneur, et ne magnifiera pas ton nom ? (Ap. XV, 3,
4). Les piliers du ciel tremblent et redoutent sa face (Job, XXV1, 2).
C’est par lui que les anges louent ta majesté, que les principautés
t’adorent, que les puissances te glorifient (préface de la messe).
La sainte crainte ne finira jamais, à cause de son incompréhensibilité
et à cause de l’infinie distance qu’il y a et qu’il y aura toujours
entre Dieu et ses créatures. La crainte du Seigneur est sainte,
et durera pour toujours et toujours (Ps. Xv111, 10).
1056- La foi parfaite de Dieu a deux actes. Dans la vie présente, où il est possible qu’on offense Dieu et qu’on perde son amitié, on a peur effectivement d’offenser Dieu et de perdre son amitié. Cette crainte devrait toujours être nôtre. Garde sa crainte et progresse par elle (Eccl. 116). Avec la croissance de la charité il y a une croissance correspondante de la crainte de la séparation d’avec Dieu, car plus quelqu’un aime Dieu avec ardeur, plus il réalise la grandeur de la perte qu’occasionne le péché. Dans la vie éternelle où le péché et la séparation d’avec Dieu ne sont plus possibles, les bienheureux ne redoutent pas ces maux. Celui qui m’écoutera reposera sans terreur, et il jouira de l’abondance sans la peur des maux. (Prov. 1, 33). Mais en présence de la divine majesté les anges et les saints sont remplis d’admiration et de révérence. J’ai vu ceux qui ont vaincu la bête. Ils chantaient : qui ne te craindra pas, o Seigneur, et qui ne magnifiera pas ton nom ? (Ap. V1, 3, 4). Les piliers tremblent et redoutent son aspect (Job XXV1, 1). Par qui les anges louent ta majesté, les dominations t’adorent, les puissances s’émerveillent (préface de la messe). La sainte crainte ne finira jamais, à cause de la distance infinie qui existe entre Dieu et ses créatures, et à cause de son incompréhensibilité. La crainte du Seigneur est sainte. Elle dure éternellement. (Ps, XV111, 10).
1057- La crainte filiale de Dieu
est identique au don de crainte du Seigneur, dont parle l’Écriture :
Il sera rempli de l’esprit de la crainte du Seigneur (Is. X1, 3).
Le rôle des dons est de rendre l’âme docile aux inspirations du Saint
Esprit, d’aider et de servir les habitus des vertus. Ces deux bénéfices
sont conférés par la crainte filiale. La crainte prépare l’âme
à suivre les inspirations de Dieu. Grâce à elle, nous nous soumettons
à Dieu comme à notre Père; nous révérons sa merveilleuse majesté,
et nous redoutons de nous éloigner de lui. En définitive, c’est le
premier des dons, car la prise de conscience de notre néant devant Dieu
est le point de départ de la promptitude à recevoir ses enseignements
et ses directives. La crainte filiale est le principe d’où
procèdent les actes de toutes les vertus morales. Car le respect
que nous avons pour sa majesté inégalable, pour sa toute puissance et
sa justice nous porte à mettre de côté l’orgueil, l’intempérance
et tous les autres vices, et à pratiquer les œuvres bonnes qui lui plaisent.
La racine de la sagesse est la crainte de Dieu, et ses branches ont une
longue vie. (Eccl. 1, 27). La crainte filiale est principalement
et spécialement reliée à la vertu d’espérance. Ces deux là
se complètent l’une l’autre, comme le font les émotions d’espérance
et de crainte. L’espérance aspire à conquérir les hauteurs du ciel,
et sent que Dieu est de son côté; la crainte nous rappelle la grandeur
de Dieu et le danger de l’excès de confiance. Chacune a donc besoin
de l’autre pour trouver son juste équilibre. Le Seigneur prend plaisir
en ceux qui le craignent, et en ceux qui espèrent en sa miséricorde (Ps.
CXLV1,
2)
1058- Le don de crainte correspond à la première béatitude, et aux fruits de modestie, de continence et de chasteté. La crainte filiale fait comprendre qu’à côté de Dieu tout n’est rien; et, qu’en conséquence, la vraie grandeur ne se trouve pas dans l’estime orgueilleuse de soi, ni dans la pompe externe des richesses et des honneurs, mais en Dieu seul. Quelques-uns mettent leur confiance dans les chariots, d’autres dans les chevaux, mais nous, nous invoquerons le nom du Seigneur notre Dieu. (Ps. X1X, 8). Voilà quelle est la disposition de l’âme à laquelle est promise la première béatitude. Bénis les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. (Matt. V, 3). Dans l’ordre de préparation, au premier des dons correspond la première des béatitudes. La crainte filiale fait trembler quelqu’un à la pensée de la séparation d’avec Dieu; elle amène donc les chrétiens à user avec modération des choses de la terre, et à s’en passer même entièrement. A elle appartiennent les fruits de l’Esprit que nomme saint Paul : la modestie, la continence et la chasteté (Gal, V, 23).
1059- Les péchés contre l’espérance. Il y a deux péchés contraires à l’espérance : le désespoir qui est le contraire de l’espérance par défaut, et la présomption, qui en est le contraire par excès. 1060- Comme l’espérance a plusieurs éléments qui la composent, le désespoir (la perte de l’espérance) peut arriver de diverses façons. L’espoir est l’élan de l’âme vers la béatitude; on peut donc appeler désespoir l’absence de l’acte d’espoir. L’espérance regarde la béatitude comme son bien; on peut donc appeler désespoir l’aversion pour les choses divines. L’espérance poursuit un bien difficile à obtenir; on peut donc dire qu’il désespère celui qui est rebuté par la difficulté. L’espérance croit fermement qu’elle peut atteindre son but; il désespère donc celui qui doute de la possibilité de succès dans sa quête du ciel. L’espérance s’attend à entrer un jour dans la vie éternelle; il désespère donc celui qui reconnait que d’autres pourront se sauver, mais que cela ne peut lui arriver.
1061- La définition du désespoir. Laissons de côté le désespoir négatif, et celui qui en porte improprement le nom. On peut définir ainsi le péché dont nous traitons maintenant. Le désespoir est un acte de la volonté par lequel quelqu’un se détourne de la béatitude à laquelle tous aspirent, non parce qu’il la juge mauvaise en soi, mais parce qu’il considère qu’il est trop difficile ou impossible de l’atteindre, et qu’elle est donc mauvaise sous cet aspect. Le désespoir est un acte de la volonté, et diffère par là même du péché intellectuel d’incroyance. Les Novatiens qui rejetaient le pardon des péchés, et un hérétique qui dénie la vie future sont coupables de péché contre la foi. Mais, bien entendu, quelqu’un qui ne croit plus doit aussi désespérer de son salut.
Le désespoir détourne vraiment quelqu’un de la béatitude. Il diffère donc de la simple omission de l’acte d’espérance, ou d’un acte de foi faible, ainsi que des péchés contre les vertus morales, qui consistent à tourner quelqu’un vers les biens créés. Le désespoir détourne de Dieu, et diffère ainsi de la dépendance envers les autres biens. Le désespoir détourne de Dieu considéré bomme bon, et comme celui qui est désiré en tant que béatitude de l’homme. Car personne ne désespère d’obtenir ce qui est mauvais ou indésirable. Le désespoir diffère donc des aversions et des craintes, comme la haine de Dieu (qui le regarde comme mauvais), ou la peur de Dieu (qui le voit non comme quelqu’un qui récompense, mais qui punit). Le désespoir, cependant, ne rejette pas Dieu parce qu’il est bon et désirable, mais parce qu’il est vu comme une béatitude trop difficile ou impossible à obtenir. Car une personne ne se détourne pas de l’objet de son bonheur, à moins qu’elle ne considère qu’il y ait de grands inconvénients à le rechercher.
1062- Le découragement dans la quête des biens autres que Dieu est-il un péché ? C’est un péché de pusillanimité quand le découragement fait perdre espoir dans l’obtention d’un bien qu’on peut atteindre, et qu’on doit poursuivre. Comme quand des étudiants, à cause de l’effort requis, ne croient plus être capables d’apprendre une matière qui leur a été assignée. Nous traiterons de ce péché dans la section portant sur la force. Il n’y a pas de péché si quelqu’un cesse d’attendre ce qu’il n’a aucune raison d’espérer pouvoir obtenir, ou si rien ne l’oblige de l’espérer. Exemples. Pierre abandonne l’idée d’aller étudier à l’université parce qu’il ne peur pas payer les frais de scolarité. Paul cesse de prier pour recouvrer sa santé, parce qu’il pense que ce n’est pas la volonté de Dieu qu’il guérisse. Luc cesse de désirer vivre longtemps, et il lui arrive même de désirer mourir.
1063- Le désir de la mort peut est être lié au désespoir du salut ou à d’autres péchés. Si ce désir signifie que quelqu’un n’a plus aucun désir de vivre, il est clair que ce n’est pas la vie éternelle qui est souhaitée. C’est donc du désespoir. On doit noter, cependant, que des expressions comme plût à Dieu que je ne fusse jamais né, ou que je fusse demeuré dans le néant, ne signifient généralement rien de plus que la difficulté de vivre, ou le dégout des conditions de la vie présente. Si le désir ne porte pas sur l’anéantissement, mais sur le fait que Dieu envoie la mort, ce n’est pas un péché de désespoir. Mais si le désir est désordonné, c’est une autre espèce de péché qui est commis. Exemple. Si la personne qui veut mourir n’est pas résignée ou soumise à la volonté de Dieu, elle est coupable de rébellion contre la providence, et son péché est grave, si elle a suffisamment de réflexion et de consentement. Si le désir ne porte que sur la mort et s’il n’est pas désordonné, il peut être un acte de vertu, comme quand, à cause d’un désir nostalgique du ciel, quelqu’un souhaite en toute lucidité être retiré de ce monde, si cela est conforme au bon plaisir de Dieu. Ainsi, saint Paul a dit qu’il désirait être dissout pour être avec le Christ. (Philip. 1, 23).
1064- On ne doit pas prendre pour du désespoir certains actes de crainte ou de tristesse, des actes qui sont louables comme la crainte servile et la crainte filiale, dont nous avons parlé plus haut (Cf. 1048 et suiv.),( la peine d’avoir péché ; les épreuves et les tentations, les désolations spirituelles dans les personnes saintes, les scrupules, les anxiétés portant sur la prédestination ou sur la persévérance ou sur le jugement dernier; les actes coupables comme la peur du monde, la peur purement servile de Dieu, la timidité, la peur excessive de la mort ou des malheurs). Sont coupables de pusillanimité ceux qui craignent que, à cause de leur fragilité, ils ne pourront jamais acquérir une bonne habitude, ni surmonter un mal, Ceux qui négligent la prière à cause de leur tristesse sont coupables de paresse spirituelle. 1065- Il y a deux espèces de désespoir, le désespoir de l’incroyance, et le désespoir que l’on rencontre même chez les croyants. Le désespoir de l’incroyance procède d’un jugement contraire à la foi, comme quand quelqu’un soutient en principe que le salut est impossible, que Dieu ne pardonne pas aux pécheurs, que certains péchés ne peuvent pas être pardonnés. C’est dans ce sens que saint Paul voit les païens qui n’acceptent pas la résurrection finale. comme des gens qui n’ont pas d’espérance (1 Thess. 1V, 12). Le désespoir des incroyants provient d’un jugement formé par eux qui n’est pas directement opposé à la foi, mais qui est erroné, et qui est induit par quelque passion ou mauvaise habitude. Exemple. Pierre vit en dévergondé. Il se croit prédestiné à l’enfer, et se considère trop faible pour se repentir ou pour persévérer dans le bien. Puisque sa prédestination et sa persévérance ne sont pas des matières qui relèvent de la foi, le jugement qu’il porte sur elles ne le rend pas coupable d’incroyance. Mais le jugement lui-même est mauvais. C’est un jugement qu’il n’a pas le droit de former, et qu’il ne peut pas utiliser pour sa conduite.
1066- Voici les signes qui indiquent qu’une personne dépressive n’est pas coupable du péché de désespoir. Si elle conserve la foi, si elle n’a pas abandonné ses pratiques usuelles de religion et de piété; si elle a conservé la foi et a laissé tomber quelques unes de ses pratiques par découragement ou faiblesse, mais a l’intention de se repentir. Son péché en est un de paresse, ou de lâcheté, ou d’attachement à un vice. 1067- En conséquence, le jugement erroné qui précède le désespoir est semblable à celui qui précède tout acte de péché, c’est-à-dire qu’il est pratiquement toujours erroné, mais pas toujours spéculativement tel. Le jugement est spéculativement erroné en regard du devoir quand on décide généralement que ce qui est illégal est légal; ou vice versa, comme quand on pense que mentir est agréable à Dieu. Il est clair que cette sorte d’erreur n’a pas à précéder le péché, ou autrement, tous les pécheurs erreraient par rapport à la foi. Le jugement qui porte sur le devoir est pratiquement erroné quand on décide que dans la circonstance présente on devrait faire quelque chose qu’en réalité on ne devrait pas faire. Comme quand on sait très bien que le mensonge est un péché, et qu’on juge, après avoir tout bien considéré, qu’il faut mentir. Il est clair que cette sorte d’erreur précède tous les péchés, car personne ne veut quelque chose avant que son jugement ne lui ait dit qu’il devrait le vouloir. Le pécheur juge d’abord, dans chaque cas particulier, qu’il devrait préférer le bien du plaisir ou de l’utile au bien de la vertu; ou il néglige de considérer de la manière qu’il faut comment il devrait agir. Ils se trompent ceux qui accomplissent le mal (Prov. X1V, 22).
1068- La malice du désespoir. Le désespoir est un péché, car la Sainte Écriture déclare malheureux le pusillanime qui n’a pas confiance en Dieu, et qui perd patience. (Eccl. 11, 15, 16). Et elle considère répréhensible le désespoir de Caïn et de Juda. La malice du désespoir apparaît en ceci qu’il est basé sur le jugement pervers qu’on ne devrait pas travailler pour son salut dans une attente confiance, en dépit de la promesse de Dieu et du commandement de ne pas perdre espoir. C’est un péché mortel de par sa nature propre, car il détruit la vertu théologale d’espérance, détourne l’homme de Dieu, sa fin dernière, et mène à une perte irréparable.
1069- Le désespoir n’est pas un péché mortel, pas même un péché véniel, dans les cas suivants. Quand il n’y a pas une réflexion suffisante, le désespoir n’est pas un péché mortel. Exemples. Ne pèchent par gravement ceux qui ignorent que le désespoir est un péché, ceux qui à cause du découragement ou de la peur ne sont pas vraiment conscients de leur état. Le désespoir est souvent enfanté par la folie. Quand il n’y a pas un plein consentement de la volonté, le désespoir n’est pas un péché grave. Exemples. Ne sont pas coupables de péché ceux qui, à cause de leur tempérament mélancolique, d’une tendance au pessimisme, ou à cause de péchés passés, abandonnent l’espoir du salut, pourvu qu’ils luttent contre ces suggestions de l’esprit ou de l’imagination.
1070- Voici quelle est la gravité du désespoir, comparée à celle d’autres péchés. Le désespoir offense les vertus morales. Il est un plus grand péché car le trait principal du désespoir est son aversion pour Dieu, tandis que le trait principal des autres péchés est la conversion vers les créatures. Ainsi, quand on boit avec excès, on ne cherche pas d’abord et avant tout à offenser Dieu, mais à se faire plaisir et à échapper à ses soucis. En lui-même, le péché de désespoir est moins grave que le péché d’incroyance et de haine de Dieu. Car, comme le désespoir est opposé à Dieu en tant qu’il est notre bien, les deux autres péchés sont opposés à la vérité et à la bonté en tant qu’appartenant en propre à Dieu. Le désespoir est plus sérieux que l’incroyance et la haine de Dieu, du pont de vue du danger qu’il représente pour le pécheur. Car il paralyse l’effort, et résiste aux remèdes. Pourquoi ma souffrance est-elle devenue perpétuelle, et pourquoi ma plaie désespérée refuse-t-elle d’être soignée ? (Jer. XV, 18). Si vous perdez l’espoir, si vous vous découragez au jour de la détresse, votre force diminuera. (Prov. XX1V, 10). Le désespoir est donc un péché envers le Saint Esprit, une sorte de tentative de suicide spirituel. Mais (Cf. 900) il est pardonnable, et il peut être surmonté par la grâce divine.
1071- Il est important de connaître les causes du désespoir, car cette connaissance nous rend capables de le distinguer de l’état mystique connu sous le nom de nuit de l’esprit, et de prescrire des remèdes appropriés. Le désespoir vient de la faute de quelqu’un, tandis qu’une purification divine est une préparation à un état plus élevé de divine union. On peut réduire à deux les causes du désespoir : la luxure et la paresse. La caractéristique secondaire d’une poursuite confiante du ciel est le courage ou l’audace qui fait fi du confort et de l’aisance pour s’adonner à la poursuite des choses les plus hautes, en foulant aux pieds le danger et la difficulté. En conséquence, le vice de la luxure, comme tous les autres péchés opposés à la vie spirituelle (Gal. V, 17) est une cause de désespoir, puisqu’il fait aimer les plaisirs corporels et mésestimer ou mépriser les spirituels. Le trait principal et distinctif de l’espérance est sa confiance joyeuse dans le succès. En conséquence, le vice de paresse est la principale cause de désespoir parce qu’il est une tristesse qui pèse sur l’âme et la rend non désireuse de penser droitement ou d’agir (Prov. XV11, 22).1072- On peut donc distinguer du péché de désespoir le désespoir apparent qui est une épreuve subie par les saints de la façon suivante. Bien qu’ils soient désolés spirituellement et qu’ils ne trouvent aucune joie dans les exercices religieux, ces personnes ne se tournent pas, pour se consoler, vers des plaisirs défendus, mais conservent leur répulsion pour les plaisirs charnels. Même si elles se sentent terrassées par la pensée de leur propre imperfection et de la sainteté de Dieu, elles ne se découragent pas pour autant, et n’abandonnent pas leurs exercices de piété (Saint Jean de la Croix, nuit de l’esprit, l, 9).
1073- Les auteurs spirituels font les recommandations suivantes pour les cas de désolation spirituelle. Les personnes affligées devraient comprendre que la privation des consolations sensibles est un signe de l’amour de Dieu, et a été maintes fois expérimentée par les saints. Elles devraient donc garder la paix intérieure, remettant à Dieu le temps et la manière de sa sainte visite. Elles ne devraient pas se charger de nouvelles et plus dures mortifications, de peur d’être accablées par la tristesse. Elles devraient continuer à pratiquer leurs bonnes œuvres, et comprendre que tout amères qu’elles soient ces actions sont plus agréables à Dieu. (Ibid. c. 10).
1074- Quelques remèdes au péché de désespoir. Si la cause du désespoir est la luxure, il faudrait apprendre que les joies spirituelles sont plus nobles et plus durables que les plaisirs de la chair; et prendre les moyens de sacrifier les plus basses au profit des plus hautes. Si la cause de désespoir est la paresse spirituelle, il faudrait méditer sur la grandeur du pouvoir de Dieu, de sa miséricorde et de son amour, et éviter tout ce qui cause une tristesse indue. De peur qu’il ne soit englouti par une trop grande tristesse. (11, Cor. 11, 7). Ainsi, ceux qui sont tourmentés à la pensée de leurs péchés passés ou de futures tentations, doivent soumettre leurs scrupules à un directeur spirituel, et se rappeler la miséricorde montrée au bon larron, à Marie Madeleine, et à d’autres pénitents. Ceux qui ont perdu courage après avoir lu des livres spirituels rigoristes ou terrifiants, ou après avoir été lancés dans une voie qui n’était pas la leur, devraient rechercher un directeur plus prudent. Ceux qui sont naturellement nerveux ou mélancoliques (neurasthéniques) devraient avoir recours à des traitements thérapeutiques, dans la mesure où ces derniers s’avèreraient nécessaires ou utiles. Tous devraient suivre les incitations de saint Pierre à travailler davantage, pour que, par les bonnes œuvres, ils rendent certains leur appel et leur élection (11 Pi. 1, 10).
1075-- La présomption est le nom donné à certains actes de l’intelligence. Elle signifie parfois une estime de soi arrogante, comme quand un ignorant se croit capable de donner la réplique à un docteur. Elle est parfois un jugement au sujet des affaires d’autrui fait sans réflexion ou causé par la peur. Une conscience troublée suppose toujours les pires choses (Sag. XV11, 10). Elle est parfois une conclusion basée sur un argument probable, appelé violent par les juristes, une présomption forte ou faible de ce qui est vraiment arrivé (Cf. 658). 1076- La présomption est aussi un nom donné à des actes variés de la volonté. On l’emploie dans un bon sens pour signifier une confiance excellente ou l’espérance, qui semble non fondée selon les catégories humaines, puisqu’elle repose sur l’immensité de la bonté divine. Voilà pourquoi Judith a-t-elle prié ainsi : O Dieu des cieux, créateur des eaux et Seigneur de toute la création, entends-moi une pauvre misérable qui te supplie et qui présume de ta bonté. (Jud. 1X, 17). Abraham a espéré, lui, aussi, contre l’espérance (Rom. 1V, 18).
En règle générale, cependant, le mot présomption s’applique, dans un mauvais sens, aux actes de la volonté, et indique l’intention de faire ce qui dépasse les forces de quelqu’un.
1077- Ici, nous ne traitons
de la présomption qu’en tant qu’elle est un acte de la volonté ordonnant
de faire ce qui dépasse les forces ou le pouvoir d’un agent.
On peut entendre le mot pouvoir de trois façons, et il y a ainsi trois
sortes de péchés qui portent le nom de présomption. Si une personne
choisit de dépasser son pouvoir moral (son droit d’agir), elle est coupable
du péché générique de présomption. Ce n’est pas une catégorie
spéciale de péché, mais une circonstance commune à n’importe
laquelle sorte de péché qui fait agir avec pleine connaissance
et sans subir aucune pression ou peur. Voilà pourquoi le Droit Canon
nous dit à différents endroits : Si quelqu’un présume de transgresser
(c’est-à-dire si quelqu’un transgressait de sang froid.) Si
quelqu’un désire accomplir par ses propres efforts une chose qui est
si grande et si difficile qu’elle transcende ses forces physiques, il
est coupable de la sorte de péché de présomption qui s’oppose à la
vertu morale de magnanimité ou de grandeur d’âme, lesquelles tendent
vers de grandes choses qui sont à leur portée. Il est donc
présomptueux celui qui entreprend une profession sans avoir aucune connaissance
suffisante de ses devoirs (Luc X1V, 28 et suiv.) On peut l’appeler
le péché moral de présomption. Si quelqu’un désire obtenir
par l’aide de Dieu quelque chose qui surpasse même le pouvoir divin,
il est coupable du péché de présomption qui s’oppose à la vertu théologale
de l’espérance, laquelle n’attend de Dieu que les choses qui sont
dignes de lui, et qui correspondent aux promesses qu’il a faites.
Celui qui pense pouvoir obtenir un billet d’entrée gratuit dans le ciel,
sans se repentir, et sans faire la volonté de Dieu, injurie le caractère
de Dieu et la vertu d’espérance. C’est ce péché spécial de
présomption que nous allons maintenant considérer. On peut
l’appeler le péché théologique de présomption.
1078- Définition de la présomption. On peut définir ainsi le péché théologique de présomption. Un acte de la volonté par lequel quelqu’un espère témérairement obtenir le bonheur éternel et les moyens pour y parvenir. C’est un acte de la volonté. Elle est donc distincte des actes de l’intelligence, comme le refus de croire dans la justice de Dieu ou dans la nécessité de se repentir. C’est un acte d’expectation agréable; et elle diffère donc de la crainte, qui est un acte d’expectation redoutable. C’est une attente sans rien qui la justifie. Elle est donc spécifiquement opposée à l’espérance, laquelle est une attente bien fondée.
1079- Les objets de la présomption sont matériel et formel. L’objet matériel est le bonheur éternel et les moyens pour l’atteindre, comme le pardon des péchés, l’observance des commandements. Cet objet inclurait aussi par extension les dons surnaturels, comme l’union hypostatique, l’égalité dans la gloire avec la mère de Dieu, etc. Car ce serait faire preuve de témérité que d’attendre de Dieu ce qui est un privilège réservé à une seule personne. L’objet formel ou le motif de la présomption est la miséricorde divine non unie à la justice, ou la puissance divine non réglée par la sagesse. Exemple. Quelqu’un qui espère aller au ciel parce qu’il pense que Dieu est trop miséricordieux pour juger sévèrement les pécheurs. Par extension, le motif inclurait aussi la capacité de la nature humaine de procurer par elle-même le salut. Exemple. Quelqu’un se sent si sur de sa vertu et de sa résistance à la tentation qu’il croit pouvoir se sauver en se passant de la prière et des autres canaux de la grâce. Semblablement, quelqu’un pèche par présomption s’il pense que, parce qu’il a reçu le baptême et les autres sacrements, il est absolument impossible qu’il se damne.
1080- La présomption est donc téméraire pour les raisons suivantes. Parce qu’elle conduit quelqu’un à attendre ce qui est impossible selon le pouvoir absolu ou ordinaire de Dieu : participer à un attribut divin, s’asseoir à la droite du Christ dans la gloire. Parce qu’elle fait en sorte que quelqu’un espère posséder des biens surnaturels par des moyens autres que ceux que Dieu a préparés : obtenir le pardon sans se repentir, obtenir la gloire sans posséder de mérites, ou sans être en état de grâce.
1081- Voici en quoi consiste la nature de la présomption comparée avec la tentation de Dieu (le fait de tenter Dieu) et l’espérance blasphématoire. Elles sont semblables dans la mesure où elles attendent incorrectement toutes trois quelque chose de Dieu. Mais elles sont différentes, car la présomption tend vers le salut et le bonheur éternel, tandis que celui qui tente Dieu demande témérairement à Dieu des signes comme preuves de sa sagesse, de sa bonté, de sa puissance. Et l’espérance blasphématoire espère recevoir l’aide de Dieu pour se venger ou commettre d’autres crimes.
1082- La malice de la présomption. C’est un péché, parce que c’est un acte de la volonté qui se complait dans de faux jugements intellectuels. Comme, par exemple, que Dieu pardonne à celui qui ne se repent pas de ses péchés, ou qu’il accorde la vie éternelle à ceux qui n’ont rien fait pour la mériter. C’est un péché mortel car elle injurie gravement les attributs divins. Nous ne pouvons pas espérer trop en Dieu; nous pouvons même espérer ce qu’un Dieu parfait ne peut pas accorder. Mais l’offense de la présomption consiste dans le mépris de la majesté et de la justice divine. C’est un péché contre l’Esprit Saint, parce qu’elle pousse quelqu’un à faire peu de cas de la grâce de Dieu et du repentir, comme si c’étaient des choses non nécessaires.
1083- Voici quelle est la gravité de la présomption si on la compare avec les autres péchés. Elle est plus grave que ne le sont les péchés contre les vertus morales, parce qu’elle vise Dieu directement. Ainsi, la présomption théologale, en tant qu’elle est attentatoire au pouvoir de Dieu, est une offense plus grande que la présomption morale, qui n’est qu’une exagération du pouvoir de l’homme. Elle est moins grave que le désespoir, car, bien que la présomption soit un rejet de la justice punitive de Dieu, le désespoir est un refus de la miséricorde. La vindicte divine est due aux péchés de l’homme, et la miséricorde, à sa bonté. La présomption est donc moins grave que l’incroyance et la haine de Dieu, lesquelles sont, comme il a été dit plus haut, plus mauvaises que le désespoir (Cf. 1070).
1084- La présomption et l’incroyance. La présomption se joint à l’incroyance à toutes les fois qu’elle procède d’un faux jugement spéculatif dans des matières de foi. Mais les personnes qui sont dans l’erreur (les pélagiens, les luthériens, les calvinistes) peuvent être de bonne foi, et donc non coupables du péché de présomption. Exemples. Pierre s’attend à être égal en gloire avec les plus grands saints, et à être sauvé par les mérites du Christ sans se repentir ou sans observer les commandements de Dieu (présomption luthérienne). Paul place l’espérance de son salut dans le port des scapulaires, dans la pratique de certaines dévotions et dans l’aumône, tout en ignorant ses devoirs ecclésiastiques et des commandements importants (présomption pharisaïque). Jean pense que tous les membres de sa secte sont prédestinés. Il ne se soucie donc que très peu des commandements, persuadé que tout tourne au bien pour les élus (présomption calviniste). Le péché de présomption n’est pas associé à l’incroyance quand il procède d’un jugement pratique selon lequel on doit agir comme si on pouvait atteindre le salut sans mérites et sans repentir; ou comme si les efforts naturels suffisaient par eux-mêmes, même si spéculativement on n’accepte pas ces erreurs (Cf. 1067). La même chose est vraie quand la présomption surgit du fait de ne pas avoir pris en considération la justice divine ou les moyens établis pour obtenir le salut.
1085- La présomption et la perte de la vertu d’espérance. La présomption proprement dite (espérer l’impossible) prive de la vertu d’espérance, parce qu’elle enlève le motif ou le caractère raisonnable de la vertu. Car, l’essence de la vraie espérance est une attente raisonnable, comme l’essence de la foi est un assentiment à l’autorité divine. Il n’espère donc pas mais est présomptueux celui qui attend un bonheur futur de façon déraisonnable, par le moyen de ses seuls efforts, ou par une bonté de Dieu chimérique. La présomption improprement dite (espérer l’incertain) n’évacue pas la vertu d’espérance, puisqu’elle n’enlève pas le motif de l’espérance. Ainsi, quelqu’un qui commet un péché et qui s’engage à se confesser et à restituer, après avoir joui des bénéfices procurés par sa malversation, est présomptueux au sens qu’il se met en état de péché mortel, car il n’a pas la certitude que le temps de se repentir lui sera octroyé. Cependant, s’il met sa confiance dans la miséricorde de Dieu, qui n’abandonne jamais l’homme durant sa vie, et non dans ses propres efforts, ou en un pardon donné gratuitement, il est coupable d’un manque de charité envers lui-même, et d’injustice envers son prochain, plutôt que d’un manque d’espérance.
1086- La présomption proprement dite est un péché rarement commis par un catholique, car la présomption d’incroyance est exclue par leur foi dans la justice de Dieu, dans la nécessité du repentir et des bonnes œuvres. Est aussi inhabituelle la présomption qui n’est pas une conséquence de doctrines erronées, car ceux qui continuent à pécher tout en espérant pouvoir être sauvés à la fin, conservent le désir de se repentir un jour, et de faire pénitence pour leurs péchés. 1087- Ce péché est pire que d’autres parce qu’il est commis dans l’espoir de pouvoir être pardonné. Si au moment du péché quelqu’un a l’intention de continuer à pécher, il est coupable de présomption et son péché a empiré. S’il a l’intention de pécher, met espère dans le pardon, et est résolu de se repentir plus tard pour mériter le pardon, il n’est pas coupable de présomption. L’intention de ne pas continuer diminue son péché, car cela montre qu’il n’est pas fortement attaché au péché.
1088- L’intention de pécher maintenant et de se repentir plus tard varie en malice selon les circonstances. Si l’espoir de recevoir le pardon est concomitant avec le péché, c’est-à-dire si quelqu’un pèche avec l’espoir mais non à cause de l’espoir de pardon, la culpabilité est moindre. Exemple. Pendant un voyage, Pierre se permet de boire excessivement, parce que l’occasion lui en a été donnée et qu’il n’est connu de personne. Mais il a l’intention de se repentir à son retour à la maison. Si l’espoir d’obtenir le pardon est antérieur au péché, c’est-à-dire si quelqu’un pèche parce qu’il espère être pardonné, il pèche plus gravement. Exemple. Paul se tient loin de l’église la plupart des dimanches, parce qu’il se dit que Dieu est bon et qu’il lui sera facile d’obtenir le pardon. Quand on l’incite à se repentir, Jean a l’habitude de répondre que ce sera une affaire de rien de tourner la page à l’heure de la mort. Luc pèche jour après jour, parce qu’il se persuade qu’il est aussi facile d’être pardonné à la dernière minute que tout de suite; qu’il est aussi facile de se repentir de cent péchés que de dix.
1089- La présomption n’est pas un péché grave dans les cas suivants. Il n’y a pas de péché mortel commis s’il n’y a pas de réflexion suffisante. Exemple. Une personne qui est invinciblement ignorante de la gravité du péché de présomption, ou qui, à cause de son immaturité, a exagéré la conception qu’elle a de sa propre force, ne pèche pas gravement si elle compte sur la miséricorde ou la puissance de Dieu. Il n’y a pas de péché mortel s’il n‘y a pas de plein consentement de la volonté. Exemple. Pierre est un autodidacte. Il est donc parfois porté à croire qu’il peut opérer son salut sans l’aide de personne, mais il rejette cette idée présomptueuse aussitôt qu’il en prend conscience.
1090- Y a-t-il des cas où la présomption et le désespoir se transforment en péché véniel, non à cause de la connaissance imparfaite ou du faible consentement de quelqu’un, mais en raison de la légèreté de la matière impliquée ? S’il est question de la présomption et du désespoir au sens strict, ils ne constituent jamais un péché véniel en raison de la légèreté de la matière. La matière, en effet, qui est la destinée éternelle de l’homme, doit toujours être une matière de la plus haute importance. Si on prend les mots présomption et désespoir au sens large, leurs péchés peuvent être véniels en raison de la légèreté de la matière, car ils peuvent se rapporter à d’autres choses qu’au salut éternel. Exemples. Pierre désespère de jamais pouvoir surmonter la mauvaise habitude qu’il a prise d’arriver en retard aux repas, ou de parler trop. Paul met étourdiment sa confiance dans ses propres efforts pour pouvoir se lever tôt le matin, ou pour chasser telle ou telle distraction dans la prière.
1091- Voici quelles sont les causes de la présomption. La présomption qui dépend trop du pouvoir de quelqu’un naît de la vaine gloire, car plus quelqu’un désire la gloire, plus il est porté à convoiter ce qui le dépasse, surtout ce qui est nouveau et attirera des éloges. La présomption qui dépend témérairement de l’assistance divine semble bien provenir de l’orgueil, car une personne qui désire et espère obtenir le pardon sans se repentir, ou le ciel sans mérites, peut avoir un sentiment démesuré de son importance.
1092- Les commandements de l’espérance et de la crainte. Puisque l’espérance est une préparation nécessaire pour la justification, et puisque l’homme devrait tendre à la béatitude suprême que Dieu lui a préparée, nous ne pouvons pas être surpris que, en plusieurs endroits, l’Écriture enseigne le devoir de l’espérance. Dans la première législation donnée dans le décalogue, aucun commandement ne prescrit distinctement la foi et l’espérance. Car, à moins que l’homme n’ait déjà cru et espéré en Dieu, il aurait été inutile de lui donner des commandements de la part de Dieu. En conséquence, dans le décalogue, la foi et l’espérance sont présupposées. La foi n’est commandée que quand on l’enseigne, comme quand la loi commence par les mots : Je suis le Seigneur ton Dieu (Ex. XX, 2). L’espérance n’est prescrite que quand sont ajoutées des promesses aux préceptes, comme dans le premier et le quatrième commandements. Dans les lois qui vinrent plus tard, des commandements distincts d’espérer ont été donnés, pour rappeler à l’homme qu’il ne doit pas seulement observer la loi, mais aussi ce que la loi présuppose. Ainsi, nous lisons : Espérez en lui, vous tous les peuples rassemblés (LX1, 9). Impose au riche de ce monde de ne pas être arrogant, de ne pas mettre son espérance dans l’incertitude des richesses, mais dans le Dieu vivant) 1 Tim V1, 17).
1093- Puisque, en cette vie, les actes d’espérance sont obligatoires pour tous les adultes, les quiétistes avaient tort de promouvoir l’amour désintéressé et la sainte indifférence absolue. (Denz. 1221 ff. 1327-1349). En conséquence, l’homme peut faire de temps en temps des actes de pur amour, sans penser à son moi, ou même de renoncement à la béatitude, à la condition que cela soit possible ou nécessaire, mais on ne peut accepter l’état habituel de pur amour dans lequel on perd de vue complètement son intérêt propre. (Philip. 111, 14; 11 Tim. 1V, 8). Bonne est l’indifférence aux évènements de la vie, le péché exclu. Mais il n’est pas permis d’être indifférent par rapport à son propre salut, ou au moyens nécessaires pour l’obtenir. L’indifférence envers son salut n’est pas sainte, mais tout le contraire.
1094- Est-il permis de désirer renoncer à sa béatitude pour le bien spirituel d’un autre ? Si l’on parle de la béatitude elle-même, cela n’est pas permis. La prière de Moïse qui demandait qu’il soit rayé du livre de vie (Ex. XXV111, 31), et de saint Paul qui se disait prêt à perdre les biens messianiques (Rom. 1X, 3) n’étaient que des velléités ou des expressions hyperboliques du grand amour qu’ils avaient pour leur race. S’il est question non de la béatitude elle-même, mais de quelque chose qui s’y rapporte, (comme le moment de recevoir la récompense, la certitude présente au sujet de sa possession), quelqu’un peut avoir l’intention de sacrifier ce bien pour le bénéfice d’autrui. Ainsi, saint Martin de Tours a désiré que son entrée au ciel soit retardée pour le bien de son troupeau. (Cf. Philpp. 1, 22 suiv.) Et sains Ignace de Loyola aurait préféré demeurer dans l’incertitude de son salut et travailler pour les âmes, plutôt que d’être sur de son salut, et de mourir immédiatement.
1095-A combien d’actes le commandement d’espérance oblige-t-il ? Sous son aspect négatif ou prohibitif ce commandement oblige en tout temps (cf. 371) En conséquence, il n’est jamais permis de désespérer, même dans les plus grandes ténèbres, ni de présumer, même quand tout va comme sur des roulettes. Sous son aspect affirmatif ou prescriptif ce commandement oblige toujours, mais pas en tout temps. En conséquence, la loi d’espérance demeure toujours en vigueur, mais quelqu’un n’est pas obligé de faire des actes d’espérance à chaque instant.
1096- En vertu de l’espérance elle-même (à cause de la réponse que quelqu’un doit donner aux promesses de vie éternelle faites par Dieu), un acte d’espérance est obligatoire dans les conditions suivantes. Au commencement de la vie morale, c’est-à-dire au moment où quelqu’un réalise pour la première fois que, pour trouver son bonheur, il a à choisir entre Dieu et les créatures. Ce moment arrive pour tous à l’âge de raison. Et nous pouvons lui appliquer les paroles du Christ : Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice (Matt. V1, 33). Pour ceux qui sont en état de péché mortel, ce moment arrive quand ils réalisent la nécessité qu’il y a de se détourner des créatures et de se tourner vers Dieu. Ne retarde pas ta conversion au Seigneur, et ne la remets pas à plus tard (Eccl. V, 8). Pendant le cours de la vie morale, chacun a l’obligation de renouveler l’acte d’espérance. La grâce de Dieu notre Sauveur est apparue à tous les hommes, nous instruisant à vitre sobrement, saintement et divinement dans ce monde, attendant l’espérance bénie (Tit. 11, 11, 12). Servant Dieu, nous réjouissant dans l’espérance (Rom X11, 11,12) Celui qui laboure doit labourer dans l’espérance (1 Cor. 1X, 10). Même ceux qui sont les plus parfaits doivent porter le casque de l’espérance (1 Thess. V, 8). Car, par l’espérance tous sont sauvés (Rom. V111, 25). Il semble qu’à la fin de la vie, chacun est particulièrement tenu d’éliciter un acte d’espérance, car c’est de ce moment que toute l’éternité dépend (Hébr. 111, 6). Mais si quelqu’un a reçu les derniers sacrements, ou s’il est bien préparé à la mort, et n’est pas troublé par des tentations de désespoir, il n’y a aucun besoin manifeste de faire explicitement un acte de foi (Cf. 390).
1097- Avec quelle fréquence doit-on faire des actes d’espérance au cours de la vie ? Au sujet de la question théorique, il y a la même diversité d’opinions que pour l’ace de foi (Cf. 933). Mais, en pratique, les théologiens s’accordent sur la constatation que le commandement est rempli par tous ceux qui font un acte d’espérance quand il est nécessaire de préserver la vertu contre le danger de présomption ou de désespoir; et par tous ceux qui accomplissent les devoirs de la vie chrétienne, comme l’assistance à la messe et la réception des autres sacrements.
1098- Comment devrait-on faire l’acte d’espérance ? On le fait de façon explicite quand on exprime son attente confiante, les objets qu’on attend et la raison pour laquelle on les attend, comme quand quelqu’un récite la prière de l’Église. O mon Dieu, me confiant dans ton aide toute puissante et dans tes promesses miséricordieuses, j’espère fermement obtenir le pardon de mes péchés, l’obéissance à tes commandements et la vie éternelle. On recommande cette forme de prière d’espérance parce qu’elle exprime les éléments essentiels de la vertu. On fait de façon implicite l’acte d’espérance quand on demande des choses à Dieu de la façon qui convient, car la confiance qui accompagne toute bonne prière en fait une formulation de confiance en Dieu. Ainsi, les mots que ton règne arrive expriment l’attente de l’âme de la béatitude, et son abandon entre les mains de Dieu. L’acte implicite d’espérance satisfait au commandement. Et, en conséquence, ceux qui remplissent le devoir de la prière remplissent aussi le devoir de l’espérance.
1099- La présence d’une autre vertu que l’espérance peut engendrer l’obligation de faire un acte d’espérance. Si une vertu risque de se perdre ou de subir des dommages sans l’assistance de l’espérance, on est obligé de faire un acte de foi. Exemples. Pierre est tellement découragé par la difficulté de ses devoirs qu’il ne les accomplira pas à moins qu’il ne fouette sa volonté en pensant à la récompense. Paul trouve la prière si rebutante à cause de son aridité qu’il la laisserait tomber s’il ne pensait pas à la récompense céleste promise. Si un autre commandement présuppose un acte d’espérance, on est tenu d’en faire un, même s’il pourrait être fait virtuellement ou implicitement, en tant qu’il est contenu dans une autre vertu. Exemple. Luc est en état de péché mortel. Il est donc obligé de se repentir. Puisque le repentir suppose l’espoir du pardon comme moyen de salut, il ne doit pas seulement pleurer ses péchés mais avoir confiance dans la miséricorde divine.
1100- Pèchent-elles contre l’espérance
par omission les personnes qui souhaitent continuer toujours à jouir
des plaisirs de la vie présente ? Si elles sont dans la disposition
d’esprit de faire passer la terre avant le ciel, elles sont coupables
d’avoir négligé le précepte d’espérance (1 Tit. V1, 17).
La vertu surnaturelle d’espérance requiert que Dieu soit l’objet premier
de nos désirs; mais ces personnes attribuent la première place
aux créatures (Cf. 1019, 1031). Si ces personnes n’ont pas l’intention
de renoncer au ciel, et si leur désir de toujours demeurer sur la terre
ne fait qu’exprimer un amour excessif de la vie ou une peur instinctive
de la mort, elles n’ont pas évacué la vertu d’espérance, mais elles
sont coupables d’un amour des créatures plus ou moins désordonné,
selon les cas. Si elles ne veulent exprimer que le grand attachement
qu’elles ont à quelque chose, et le désir de le conserver aussi longtemps
que Dieu le permettra, il n’y a pas de péché commis. Des époux
heureux ou des amis affectueux expriment parfois le désir de vivre toujours
ainsi. Mais tout ce qu’ils veulent dire c’est que l’idée de séparation
leur déplait énormément.
1101- Jusqu’à présent, nous avons parlé de la nécessité de précepte de l’acte d’espérance. Mais il y a aussi une nécessité de moyen, comme nous l’avons dit au sujet de la foi (Cf. 785, 918), en parlant et de l’acte et de l’habitus. L’acte d’espérance est une condition indispensable du salut de tous les adultes. L’homme non encore justifié ne peut pas se disposer à recevoir le pardon, à moins de croire dans la miséricorde de Dieu; il ne peut pas se résoudre à amender sa vie à moins de mettre sa confiance dans l’aide de Dieu. Celui qui a été justifié doit gagner le ciel par ses œuvres, et doit invoquer Dieu dans ses besoins, chose qui serait impossible sans la ferme confiance de l’espérance (Rom. V1, 23). L’habitus de l’espérance est une condition indispensable de salut pour tous, enfants inclus. Car c’est par la justification --qui sanctifie l’âme et ses diverses puissances-- qu’on est élevé à la sphère surnaturelle, et préparé pour la vision béatifique.
1102- Un péché contre l’espérance ne fait pas perdre l’habitus de l’espérance. Il n’est pas perdu par des péchés d’omission, car il dépend d’une infusion divine, non des actes humains (Cf. 745). Il n’est pas perdu non plus par des péchés en acte qui n’enlèvent pas son objet formel ou son motif, comme des péchés contre la charité et les vertus morales. Car il est possible à quelqu’un d’espérer posséder la béatitude éternelle et, au même moment, de ne pas aimer Dieu pour lui-même, ou de ne pas conformer sa vie à la fin espérée. Comme il est possible à quelqu’un de croire et de ne pas agir conformément à sa croyance (Cf. 1016, 10130). On perd l’espérance par des péchés d’action qui enlèvent son fondement ou son objet formel. En conséquence, les péchés d’incroyance (puisqu’ils enlèvent le fondement de la foi) et les péchés de non espérance et de désespoir (puisqu’ils enlèvent l’objet formel de l’espérance) détruisent cette vertu. Il faudrait cependant noter que les péchés de présomption et de désespoir, pris au sens large. n’enlèvent pas l’objet formel de la vertu, et ne détruisent donc pas l’espérance. Exemples. Pierre ne croit pas en une vie future, et ne l’espère donc pas. Paul croit dans une vie future, mais il est si lâche dans sa lutte contre le péché, qu’il a perdu toute attente de récompense céleste. Jean vit de propriétés volées, et il a l’intention de continuer à agir ainsi. Mais il espère quand même que, à la fin, tout tournera à son avantage. Luc est l’associé de Jean. Il a l’intention de se repentir sur son lit de mort et de faire restitution. Les péchés des trois premiers mènent à la ruine de l’espérance, parce que, par eux-mêmes, ils ne laissent aucun espoir de salut, ou seulement une attente qui n’est pas basée sur la puissance divine. Le péché du dernier est la présomption, puisqu’il prend imprudemment un très grand risque. Mais ce n’est pas de la présomption théologique puisqu’il attend le pardon de la puissance divine d’une façon qui n’excède pas le pouvoir de Dieu. Il n’est pas contraire à l’espérance, mais au-delà de.
1103- Le commandement divin de la crainte. La crainte servile n’était pas l’objet d’un commandement dans le décalogue sous forme d’aucun précepte particulier, car la peur de la punition est supposée en ceux qui ont accepté la loi. Elle était commandée implicitement dans la mesure où des punitions étaient liées aux transgressions. Plus tard, afin d’implanter plus profondément la loi, des instructions ou des commandements sur la nécessité de la crainte ont été donnés. Job : J’ai accompli toutes mes actions dans la crainte, sachant que tu n’épargnais pas le transgresseur (Job 1X, 28). Et le psalmiste : Perce ma chair avec ta crainte, car je redoute tes jugements (Ps. CXV111, 120). Et le Seigneur : Craignez celui qui a le pouvoir de jeter le corps et l’âme dans les enfers (Matt. X, 28).
La crainte filiale, au contraire
(l’amour révérenciel de Dieu), a été inculquée au temps de la première
loi, puisqu’elle est le principe d’où procèdent les actes externes
de respect et d’hommage prescrits dans le décalogue. Qu’est-ce
que le Seigneur demande de toi, sinon que tu craignes le Seigneur ton Dieu
et que tu marches dans ses sentiers, que tu l’aimes et le serves ? (Deut.
X, 12). 1104- Quand aux moments et au nombre de fois où s’impose l’obligation,
on peut appliquer à la crainte les principes et les conclusions donnés
plus haut pour l’espérance.
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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction
Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.