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John A. McHugh, o.p. - Charles J. Callan, o.p.
THEOLOGIE MORALE un cours complet selon saint Thomas d'Aquin et les meilleurs auteurs modernes

Imprimatur Francis cardinal Spellman, Archbishop of New York, New York, May 24, 1958
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ARTICLE 6 : LES EFFETS DE LA CHARITÉ
                (somme théologique IIa-IIae qq. 28-33)

1193- Les effets internes de la charité.  Il y a trois actes de l’âme qui résultent de l’amour : la joie, la paix, la miséricorde. La joie de la charité est un repos ou une délectation de l’âme dans les perfections de Dieu, et dans l’union de soi-même et du prochain avec Lui.  Le fruit de l’esprit est la charité, la joie (Gal. V, 22).  La paix de la charité est l’harmonie existant entre Dieu et l’homme, entre soi-même et le prochain.  Il y a beaucoup de paix pour ceux qui aiment ta loi  (PS. CXV111, 165). La miséricorde est une inclination  de la volonté  à soulager la misère des autres.  Elle découle de la charité, car l’amour des frères pleure  avec ceux qui pleurent (Rom. X11, X, XV)

1194- La joie.  Le précepte de charité inclut un précepte de joie. Voilà pourquoi l’Apôtre dit : Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur. Je le répète : réjouissez-vous. (Phil. 1V. 4, 5)   La joie de la charité a les propriétés suivantes.  Elle porte sur le bien et non sur l’iniquité, et elle n’est pas sans retenue. Elle se réjouit dans le Seigneur. Elle ne devrait pas être discontinuée ou interrompue par le péché.  Elle devrait se réjouir toujours.  Elle peut, toutefois, être mélangée avec  la peine d’avoir commis un péché, ou d’avoir à attendre très longtemps l’entrée dans le ciel (Rom X11, 15; Ps. CX1X, 5), car ce n’est que dans le ciel que la joie sera complète.  St Paul a dit, en parlant de lui, qu’il était triste mais toujours joyeux (11 Cor. V1, 10).

1195- La paix. Le précepte de charité inclut aussi un précepte de paix.  Notre Seigneur a donné le commandement suivant :  Gardez  la paix entre vous (Marc 1X, 49).    La paix, comme la joie, a deux propriétés.  Elle devrait être véritable (ce devrait être une alliance basée sur le droit).  Car il y a une paix qui est fausse, dont le Christ a parlé en disant : Je ne suis pas venu apporter la paix (Matt. X, 34).  Cette paix fausse  repose sur un bien qui n’est qu’apparent, et qui n’exclut pas les pires maux et l’anxiété (Sag. X1V, 22).  La paix est durable, car, aussi longtemps que la charité demeure, il y a des relations d’amitié entre Dieu et l’homme, et de l’ordre dans l’intérieur de l’âme.  La tranquillité parfaite, il est vrai, ne se trouve que dans le ciel.   Sur la terre, des turbulences  peuvent surgir  dans la plus basse partie de l’âme, ou provenir de l’extérieur, mais la volonté  continue à jouir de la paix de Dieu (11 Cor. 1, 4).

1196- La réconciliation d’un pécheur avec Dieu s’effectue par un acte de charité parfaite.  Celui qui m’aime sera aimé par mon Père, et je l’aimerai  (Jn X1V, 21).  Ainsi, le péché est lavé, même avant le baptême ou l’absolution, quand le pécheur fait un acte d’amour de Dieu uni au désir, au moins implicite, de recevoir le sacrement de baptême ou de pénitence. L’acte d’amour n’est pas la cause mais la disposition finale qui introduit la justification.  La peine du péché est pardonnée, quand quelqu’un fait un acte d’amour, ou accomplit une bonne action par amour de Dieu.  Mais le degré de la remise de la peine dépend de la ferveur de la charité.

1197- Le précepte de paix demande-t-il l’unanimité des jugements ?   Dans les questions de grande importance, il devrait y avoir une similitude dans les jugements.  Autrement, il n’y aurait pas cette harmonie des volontés qui aiment et qui détestent les mêmes choses. Or, c’est elle qui constitue la paix.   Dans les choses nécessaires, il devrait donc y avoir unité de jugements.  Je vous supplie, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, de dire tous la même chose, et qu’il n’y ait pas de schisme parmi vous, mais que vous soyez parfaits dans la même pensée et le même jugement. (1 Cor. 1, 10).    Dans les choses de peu d’importance, la différence des opinions n’enlève pas l’amitié.  Car chacun pense que son jugement  servira mieux le bien recherché par tous.  Nous savons que de grands saints ont différé d’opinion.  Comme, par exemple, Paul et Barnabé, sur le fait de savoir si Marc les accompagnerait pendant le  deuxième voyage apostolique. Comme saint Jérôme et saint Augustin, sur le statut des observances mosaïques après la mort du Christ. Les disputes peuvent porter atteinte à la charité si elles s’attaquent à la personne, ou si elles sont trop enflammées, comme cela arrive parfois même à des théologiens et à des auteurs spirituels.

1198-  La réconciliation avec les ennemis est nécessaire pour maintenir la paix. Cela suppose, à l’interne, le rejet de pensées et de sentiments contraires à la concorde; à l’externe, des signes de charité renouvelée, s’il y a eu une rupture publique. 1199-   Le devoir de la réconciliation ne nécessite pas l’oubli de toutes les  sortes de torts causés par l’ennemi.  C’est-à-dire qu’il n’oblige pas toujours à pardonner les conséquences des actes de l’ennemi.

Il y a trois sortes de torts. Les offenses qui sont des épreuves souffertes par la volonté d’un autre,  mais qui ne bafouent  aucun droit strict   ou qui ne causent aucun dommage.  Pierre est dans un grand désarroi. Il demande à son ami Paul de lui procurer un emploi.  Paul pourrait facilement lui accorder cette faveur, mais il refuse.  Les injures qui sont des violations du droit strict de quelqu’un, mais qui ne causent   aucun dommage. Exemple. Marie parle à Diane en termes irrespectueux quand personne ne les entend.  Les dommages, qui consistent à enlever à quelqu’un ce qui lui appartient, ou à lui faire un tort qui affecte son âme, sa vie, sa réputation, sa fortune.  Exemples : le vol, le scandale, l’agression et la calomnie.

 1200- Que l’offenseur demande ou ne demande pas pardon, on est obligé de pardonner l’offense, c’est-à-dire de rejeter toute aversion, indignation et haine.  Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matt. V1, 12). Désirer le salut éternel de celui qui nous offense, comme nous désirons le salut des autres, c’est montrer les signes normaux de la charité. Cela ne peut pas venir de la haine.

 Les choses qui suivent ne sont pas obligatoires. Ne pas tenir compte d’une injure au point de ne pas demander de satisfaction.  (En conséquence, sans manquer à  la charité, Diane peut demander à Marie de s’excuser pour ses paroles inconvenantes.) Renoncer à recevoir des restitutions ou des réparations pour dommage causé.  Personne n’est obligé de donner à un autre ce qui lui appartient.  Et s’il n’y pas d’autre moyen de recouvrer ses biens, on peut poursuivre quelqu’un en cours.  Si le résultat de la poursuite devant les tribunaux risque d’être la punition de l’offenseur plutôt que la restitution des biens (comme dans les cas de libelle diffamatoire ou de calomnie), ce n’est pas un manque de charité que de poursuivre quelqu’un en justice, si le motif en est que la justice soit rendue, que soient prévenus d’autres torts semblables, ou que soit préservé l’honneur de sa famille (Lev. X1X, 17).1201-  Il y a des cas, toutefois, où la charité demande à quelqu’un d’oublier la dette de satisfaction ou de restitution, quand cela imposerait un fardeau trop lourd à l’offenseur, si on le compare au bénéfice qu’on pourrait en tirer.   On ne devrait donc pas insister sur la restitution quand l’offenseur se repent, et ne peut pas se permettre de payer la dette, et quand celui qui a été offensé n’a nul besoin de restitution.  On ne devrait pas insister sur la punition si le tort fait à l’offenseur ou à sa famille serait incomparablement plus grand que le peu de bien qui pourrait en résulter.  On ne devrait pas porter devant les tribunaux un différend, si on peut s’entendre à l’amiable (1 Cor V1, 1).

 1202- Qui devrait prendre l’initiative d’une réconciliation après la rupture de relations charitables ?  Si une seule personne est cause de la rupture, c’est à elle à faire les premiers pas. C’est un conseil évangélique,  non un commandement que celui qui n’a rien à se reprocher  demande la réconciliation.  Mais il peut arriver que les circonstances l’invitent à le faire, comme quand il est beaucoup plus facile pour l’offensé de faire les avances, ou si un grand scandale se déclencherait, ou quand l’offenseur s’enfoncerait davantage dans la haine ou risquerait de perdre son âme, si l’offensé n’entreprenait rien pour ramener la paix.   Si les deux personnes sont responsables de la rupture, celui qui a causé une plus grande offense devrait être le premier à faire une démarche de réconciliation.  Si les deux portent une responsabilité égale, celui qui a été le premier à troubler la paix devrait être le premier à travailler à sa restauration.  Si l’un  n’est pas plus à blâmer que l’autre, les deux ont une obligation semblable à ramener la paix.

   1203- Voici quelle est la manière de chercher la réconciliation.   On peut la rechercher en personne, ou par personne interposée, i.e. par quelqu’un qui est ami de l’un et de l’autre.  On peut la rechercher explicitement (en exprimant le regret et en demandant pardon), ou implicitement (par une conversation amicale ou par des cadeaux).  En règle générale, c’est à l’inférieur (un enfant)  à demander explicitement une réconciliation à un supérieur (père ou mère), mais il suffira à un supérieur de demander pardon à un inférieur implicitement.  1204- Le temps pour rechercher la réconciliation  est le plus tôt possible  Si tu offres ton présent à l’autel et si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, va te réconcilier avec ton frère, et au retour, tu pourras offrir ton présent (Matt. V, 23, 24).  Ainsi, on ne devrait pas retarder la réconciliation interne (le repentir de la part de l’offenseur, et l’oubli de la part de l’offensé).  Elle devrait même précéder toute action religieuse, comme l’offrande d’un don à Dieu,  afin qu’elle soit acceptable et méritoire.

 La réconciliation externe (la demande du pardon, et la satisfaction) et la manifestation du pardon devraient avoir lieu à toutes les fois que les circonstances de lieu et de place le permettent.  La décision de se réconcilier extérieurement est incluse dans la réconciliation interne.  Mais la prudence voit à ce qu’on attende l’occasion favorable, de peur que la précipitation n’empire les choses.

 1205- La miséricorde.  La miséricorde provient de la charité. Car celui qui aime son prochain comme un ami en Dieu s’attriste de ses souffrances, comme si c’étaient les siennes.  Notre Seigneur ordonne : Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux (Luc V1, 36). Mais toute compassion n’est pas une miséricorde véritable ou surnaturelle.  Ainsi,  au sujet de l’objet qui cause la souffrance, la vraie miséricorde s’attriste des maux qui frappent quelqu’un contre sa volonté, comme la maladie, un échec ou la faillite, ou un malheur non mérité.  Mais le mal volontaire, comme le péché, ne provoque aucune miséricorde, mais plutôt de l’indignation. On peut quand même s’apitoyer sur les pécheurs à cause des maux que les péchés leur procurent (Matt. 1X, 36).   En ce qui a trait à la cause interne de la souffrance ou de la sympathie, la miséricorde surnaturelle nait de l’amour de charité pour celui qui souffre. La miséricorde naturelle vient de la peur qu’on a  de subir un sort semblable, ou du fait que le malheur de quelqu’un nous occasionne une perte sensible.  En ce qui a trait à l’acte de miséricorde, il est à noter qu’il provient de la volonté, qu’il règle les émotions et est lui-même réglé par la raison.  La miséricorde diffère de la tristesse sensible qu’éprouve une personne civilisée  à la vue de la souffrance.  Bien que bonne en elle-même, elle ne conduira  jamais au désir de soulager l’infortune.  Elle diffère aussi de la sympathie désordonnée qui répand l’aide et le pardon sans distinction, sans penser aux plus grands maux qui pourraient en résulter.   Elle diffère de la sentimentalité qui fait déborder sans contrôle ses pleurs et ses sentiments.  La vertu de miséricorde se soucie des intérêts de la justice.   Mais la pitié à elle seule, comme les préjugés, aveugle l’esprit et l’empêche de voir ce qui est vrai et juste.

 1206- Les  causes d’un esprit non miséricordieux. Le manque de charité envers quelqu’un qui est dans la misère. L’orgueil ou une trop grande prospérité qui font croire à quelqu’un que les autres souffrent justement, ou que quelqu’un est d’une condition supérieure (Prov. XXV111, 4).  Un grand malheur ou des craintes qui ont durci le cœur de quelqu’un, ou qui l’ont centré sur lui-même.

 1207- La miséricorde comparée aux autres vertus morales.  Si on prend la miséricorde au sens d’une émotion ou d’une sympathie réglée par la raison, elle est inférieure à la prudence et à la justice, qui sont des perfections des  puissances supérieures de l’âme (l’intelligence et la volonté). Si on la considère comme un acte de la volonté détestant la misère d’un autre et poussant quelqu’un à l’enlever, elle surpasse les autres vertus morales.  On peut même dire que c’est quelque chose de divin, et donc plus  qu’une vertu.  C’est certainement la plus grande des vertus parmi celle  qui ont quelque chose à voir  avec le prochain, car, par sa nature-même, elle implique l’absence d’un défaut, et le soulagement de ce défaut chez les autres.  Ce qui n’est pas le cas des autres vertus.  Ainsi, pendant que la prudence dirige des actes, et pendant que la justice rend aux autres ce qui leur est du, elles n’enlèvent pas par elles-mêmes l’ignorance ou un manque chez quelqu’un.

 1208- La miséricorde comparée à la charité. En elle-même, (si on considère en elle ses notes essentielles qui sont l’affranchissement de la misère et le soulagement donné au misérable), la miséricorde est la plus grande de toutes les vertus.  Car, quand elle atteint son plus haut degré, l’affranchissement des défauts signifie la perfection infinie, tandis que le soulagement des défauts dans les autres signifie que, à cause de l’amour infini du Bien suprême, le soulagement est répandu par Dieu sur ses créatures.  Ainsi, en Dieu, la miséricorde est une extension de l’amour que Dieu a pour sa propre bonté, pour le bénéfice de ses créatures.  Elle est donc plus grande que la charité. La miséricorde Dieu est au-dessus de toutes ses œuvres (Ps. CLX1V, 9).  Dans son sujet, (considérée précisément en tant que perfection apportée à son possesseur), la miséricorde, dans les créatures, est inférieure à la charité.  Car il est préférable d’être uni par l’amour au Dieu suprême que d’enlever le mal dans une créature. Au-dessus de toutes ces choses, ayez la charité (Col 111, 14).  La miséricorde est la somme  de la religion chrétienne, en autant que les actes externes sont concernés, mais la charité est la somme du christianisme  relativement aux actes internes.

 1209- L’obligation de la miséricorde.  La loi naturelle elle-même inculque la miséricorde. Mais ceux qui n’ont pas subi l’influence de la divine révélation ne l’ont pas eu en grande estime, et ils ne l’ont pas pratiquée.  Ainsi, Platon désirait qu’on puisse envoyer tous les pauvres en exil.  Virgile pensait que l’affranchissement de la pitié était un signe de sagesse. Sénèque et Cicéron appelaient la pitié un vice de l’âme. Nietzsche enseignait que la compassion n’avait pas de place dans la moralité du surhomme.  La loi divine commande la miséricorde, surtout le nouveau testament. Partout on insiste sur l’aide à apporter aux pauvres, aux veuves, aux orphelins, aux malades, aux captifs, aux esclaves, et aux autres malheureux.  Je vais te montrer ce que le Seigneur demande de toi : de faire vraiment la justice, d’aimer la miséricorde, et de marcher en te souciant de ton Dieu (Mich. V1, 8).

 1210- Les effets externes de la charité.  Nous allons maintenant considérer les effets externes de la charité : la bienfaisance, l’aumône, la correction fraternelle. Ce ne sont pas là des vertus distinctes, mais des actes séparés qui appartiennent à la vertu de charité, et qui procèdent, comme l’amour, la joie et la paix,  du même motif d’amour de Dieu. Ainsi, la bienveillance résulte naturellement de la charité, puisqu’un des actes de l’amitié est de faire du bien à son ami. L’aumône est une des différentes manières d’exercer la bienveillance.  La correction fraternelle est une espèce de l’aumône spirituelle.

 1211- La bienveillance. Ce ne sont pas tous les actes d’entraide qui sont vertueux. Ce ne sont pas non plus tous les secours vertueux qu’on appelle bienveillance.   Ainsi, aider quelqu’un à faire le mal est de la malveillance. Ce n’est pas non plus vertueux d’aider quelqu’un,  avec une mauvaise intention.   Exemples.  Donner de l’argent à des criminels pour les aider à violer la loi est une participation au crime. Donner de l’argent pour recevoir des faveurs en retour est de la cupidité (Luc X1V, 12).  Aider les autres ou leur faire des dons par compassion pour la misère d’autrui est de la miséricorde. C’est de la justice de le faire parce qu’on s’y sent obligé.  C’est de la bienveillance de le faire par amour de Dieu.   1212- La bienveillance est un devoir.  Elle devrait être universelle comme la charité Pendant que nous le pouvons encore, faisons du bien à tous (Gal V1. 10). Mais cela ne veut pas dire qu’il faut la pratiquer sans discernement, ou que nous soyons tenus à l’impossible.

 Ce ne sont pas toutes les activités dans lesquelles les hommes sont engagés qui méritent notre assistance.  Et il n’est pas possible de faire disparaitre  toutes les sortes de souffrances qui affligent les humains.   Exemples.  On ne doit pas aider les criminels ou les ennemis de l’état dans leurs mauvaises entreprises. Mais on peut tenter de les ramener sur le droit chemin.  On ne peut pas aider à s’évader de prison un criminel qui a été justement condamné. Mais on peur lui rendre visite, le consoler et lui apporter un soutien religieux.   On ne peut pas aider tous et chacun.  Même les bienfaiteurs les plus riches et les plus généreux ne peuvent rejoindre qu’un faible pourcentage des nécessiteux.  Mais la charité requiert que quelqu’un soit dans la disposition d’esprit d’aider tous les êtres humains, si la chose était possible, et d’aider effectivement tout le monde en priant pour les catholiques et les non catholiques.

 1213- Comme il est impossible d’aimer tous les êtres humains individuellement, la bienveillance devrait être réglée par l’ordre de charité (1174 et suiv.) Et on devrait être spécialement bienveillant envers ceux qui nous sont de plus près associés.  D’où les règles suivantes.  Pour les bienfaits qui appartiennent à une sorte particulière de relation, on devrait donner la préférence, toutes choses étant égales, à ceux avec lesquels nous avons cette relation. Exemples. Faire un banquet pour quelqu’un est un bienfait qui relève de l’amitié. On devrait donc l’accorder à un ami plutôt qu’à un copin de travail qui n’est pas un intime.  Secourir quelqu’un est un bienfait qui appartient à la parenté. Un parent devrait donc passer avant un étranger.   Pour les bienfaits donnés à ceux avec lesquels on a le même type de relation, on devrait donner la préférence, toutes choses étant égales, à ceux qui nous sont de plus près reliés.  On devrait faire l’aumône aux membres de sa famille plutôt qu’aux petits cousins.1214-   Si toutes les choses ne sont pas égales, il faut parfois inverser ces règles.   Quand le bien commun est en jeu, on devrait donner la préférence à ceux qui le représentent, même si d’autres sont plus près de nous par rapport au bien privé.    En conséquence, un citoyen doit apporter son soutien à son pays d’adoption plutôt qu’à son pays d’origine.  Dans une guerre civile, quelqu’un devrait aider ses camarades plutôt que les membres de sa parenté qui sont du côté opposé.  Quand le bien suprême d’une personne privée est en jeu, on devrait l’aider,   même si elle  est un étranger,  de préférence à un ami ou à un ami qui n’est pas dans cette situation extrême.  Exemple.  On devrait donner un pain à quelqu’un qui est en train de mourir de faim plutôt qu’à son père qui  a faim,  mais qui n’est pas menacé de mort.

 Quand les moyens avec lesquels ont peut accorder un bienfait appartiennent à un autre,  on doit préférer redonner ce qui appartient à cet  autre, même s’il est étranger, plutôt que l’utiliser pour le bien d’un ami  ou d’un parent.   Ainsi, si un homme  a volé de l’argent à un étranger, il  doit le lui rapporter plutôt que de s’en servir pour offrir un cadeau à sa femme. Il faudrait faire une exception à cette règle dans le cas d’une épouse réduite à la misère, quand le possesseur légitime de l’argent est dans l’abondance.  Mais l’obligation de restituer demeure toujours, et n’est que remise à plus tard.  1215- Il n’y a pas de règle générale qui puisse s’appliquer à tous les cas dans lesquels l’un est plus près de soi et l’autre plus en besoin. La décision, dans beaucoup de ces cas, ne peut être prise que par un jugement prudent qui tient compte de toutes les circonstances.   Il faut noter que bien que les enfants et la femme soient plus près de quelqu’un que son père et sa mère, ces derniers ont plus de droits à la charité quand les uns et les autres sont également dans une extrême nécessité, à cause du bienfait suprême de la vie qu’ils ont reçu d’eux.  Mais, dans la plupart des cas, chacun n’a qu’à pourvoir aux besoins de ses enfants (11 Cor. X11, 14).

 1216- L’aumône. On définit l’aumône comme suit.  Une aide à quelqu’un qui est en besoin, et qui est inspirée par la compassion, et faite pour l’amour de Dieu.  Cet acte appartient donc à plusieurs vertus.  Il est élicité par la vertu de miséricorde.  Cela signifie donc que la compassion pour la misère d’autrui  est le principe immédiat qui produit l’aumône.  Elle est commandée par la vertu de charité,  ce qui signifie que l’amour de Dieu est le principe éloigné ou la fin des aumônes.  Car, comme il a été dit plus haut (Cf. 1205), la miséricorde elle-même est un effet de la charité (1 Jn 111, 17).  En second lieu, elle peut aussi être commandée par d’autres vertus. Ainsi, si quelqu’un donne une aumône comme satisfaction  pour ses péchés, il accomplit un acte de justice.  S’il la donne dans le but d’honorer Dieu, il accomplit un acte de religion.  S’il donne sans éprouver de regret pour ce qu’il perd en donnant, il pratique la libéralité.

 1217- Les qualités qui sont recommandées pour l’aumône. On ne devrait pas faire l’aumône avec ostentation (Matt. V1, 2 et suiv.), même si le fait qu’elle soit connue se trouve être  une source d’édification.  Elle doit être donnée joyeusement (11 Cor. 1X, 7). 1218-  Les formes de l’aumône.  Au sens strict, une aumône est un don fait sans obligation de retour ou de paiement.   Au sens large, l’aumône peut aussi signifier vendre à crédit à un pauvre consommateur pour lui faire une faveur, un prêt accordé à un bas taux d’intérêt ou sans intérêt, un coup de main pour procurer à quelqu’un un emploi.  Ainsi, si un pauvre reçoit suffisamment d’aide de l’une ou des autres de ces façons, on n’a pas a lui en faire un présent.

 1219- Il faut distinguer aussi l’aumône du simple don. Ainsi,  est coupable l’assistance accordée à un pauvre pour un mauvais motif, comme pour le détourner de sa religion, ou pour l’inciter à  commettre un crime.  L’assistance donnée à un pauvre pour un motif purement naturel (la pitié pour ses souffrances) est de la philanthropie, non de la charité (1 Cor. X11, 111).   Elle  peut coexister avec la haine de Dieu.   1220- Les aumônes corporelles, sous la forme de biens corporels  donnés librement en nature  ou en argent, sont d’autant de sortes qu’il y a de besoins corporels.   En conséquence, les besoins ordinaires comme la nourriture, le breuvage  le vêtement et le logement devraient être donnés comme aumône à ceux qui en manquent.  Les besoins spéciaux internes (comme la maladie) ou externes (comme la persécution ou l’emprisonnement) devraient être assouvis ou soulagés par des remèdes, des visites, de la protection ou par le soulagement.

 Les besoins du corps après la mort consistent à lui accorder le soin que mérite l’honneur de sa mémoire. Voilà pourquoi on compte l’ensevelissement des morts parmi les aumônes corporelles.  1221- C’est ainsi qu’il y a sept œuvres corporelles de miséricorde.  Celles qui appartiennent aux besoins du corps pendant sa vie sont mentionnées par notre Seigneur en Matt. XXV, 35, 36.   L’Écriture fait l’éloge de l’ensevelissement des morts qu’elle considère comme une bonne œuvre, comme nous le voyons très bien dans la vie de Tobie (1, 11, X11), et chez ceux qui ont enseveli notre Seigneur (Matt. XXV1, 12; XXV11, 57 et suiv.)

 1222- Les aumônes spirituelles, consistant dans l’aide accordée à ceux qui souffrent mentalement ou spirituellement, sont des prières,  par lesquelles est demandée un secours divin, ou différents actes qui procurent de l’aide.   Ces actes sont aussi de deux sortes, et forment sept aides spirituelles de miséricorde.  Les défauts qui font souffrir une âme, et qui ne sont pas moraux, supposent de l’ignorance dans l’intelligence, le doute dans le jugement pratique, et la tristesse dans les affections. En conséquence, les actes d’aumônes dans ces cas-là sont l’instruction, le conseil et le réconfort. Les défauts de l’âme qui sont moraux  sont la culpabilité  du péché et ses conséquences.  C’est-à-dire l’offense donnée, et les fardeaux à porter pour le pécheur et les autres.  Les aumônes spirituelles qui lui correspondent sont l’admonition, le pardon des offenses, la patience à supporter les comportements des autres, surtout s’ils proviennent des infimités, et la volonté de les aider à supporter les suites de leurs erreurs (Rom. XV, 1)
Il y a trois sortes de torts. Les offenses qui sont des épreuves souffertes par la volonté d’un autre,  mais qui ne bafouent  aucun droit strict, ou qui ne causent aucun dommage.  Pierre est dans un grand désarroi. Il demande à son ami Paul de lui procurer un emploi.  Paul pourrait facilement lui accorder cette faveur, mais il refuse.  Les injures qui sont des violations du droit strict de quelqu’un, mais qui ne causent   aucun dommage. Exemple. Marie parle à Diane en termes irrespectueux quand personne ne les entend.  Les dommages, qui consistent à enlever à quelqu’un ce qui lui appartient, ou à lui faire un tort qui affecte son âme, sa vie, sa réputation, sa fortune.  Exemples : le vol, le scandale, l’agression et la calomnie.

 1200- Que l’offenseur demande ou ne demande pas pardon, on est obligé de pardonner l’offense, c’est-à-dire de rejeter toute aversion, indignation et haine.  Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matt. V1, 12). Désirer le salut éternel de celui qui nous offense, comme nous désirons le salut des autres, c’est montrer les signes normaux de la charité. Cela ne peut pas venir de la haine.

 Les choses qui suivent ne sont pas obligatoires. Ne pas tenir compte d’une injure au point de ne pas demander de satisfaction.  (En conséquence, sans manquer à  la charité, Diane peut demander à Marie de s’excuser pour ses paroles inconvenantes.) Renoncer à recevoir des restitutions ou des réparations pour dommage causé.  Personne n’est obligé de donner à un autre ce qui lui appartient.  Et s’il n’y pas d’autre moyen de recouvrer ses biens, on peut poursuivre quelqu’un en cours.  Si le résultat de la poursuite devant les tribunaux risque d’être la punition de l’offenseur plutôt que la restitution des biens (comme dans les cas de libelle diffamatoire ou de calomnie), ce n’est pas un manque de charité que de poursuivre quelqu’un en justice, si le motif en est que la justice soit rendue, que soient prévenus d’autres torts semblables, ou que soit préservé l’honneur d’une famille (Lev. X1X, 17).1201-  Il y a des cas, toutefois, où la charité demande à quelqu’un d’oublier la dette de satisfaction ou de restitution, quand cela imposerait un fardeau trop lourd à l’offenseur, en comparaison du bénéfice qu’on pourrait en tirer.   On ne devrait donc pas insister sur la restitution quand l’offenseur se repent, et ne peut pas se permettre de payer la dette; et quand celui qui a été offensé n’a nul besoin de restitution.  On ne devrait pas insister sur la punition si le tort fait à l’offenseur ou à sa famille serait incomparablement plus grand que le peu de bien qui pourrait en résulter.  On ne devrait pas porter devant les tribunaux un différend, si on peut s’entendre à l’amiable (1 Cor V1, 1).

 1202- Qui devrait prendre l’initiative d’une réconciliation après la rupture de relations charitables ?  Si une seule personne est cause de la rupture, c’est à elle à faire les premiers pas. C’est un conseil évangélique,  non un commandement que celui qui n’a rien à se reprocher  demande la réconciliation.  Mais il peut arriver que les circonstances l’invitent à le faire, comme quand il est beaucoup plus facile pour l’offensé de faire des avances, ou si un grand scandale se déclencherait, ou quand l’offenseur s’enfoncerait davantage dans la haine ou risquerait de perdre son âme, si l’offensé n’entreprenait rien pour ramener la paix.   Si les deux personnes sont responsables de la rupture, celui qui a causé une plus grande offense devrait être le premier à faire une démarche de réconciliation.  Si les deux portent une responsabilité égale, celui qui a été le premier à troubler la paix devrait être le premier à travailler à sa restauration.  Si l’un  n’est pas plus à blâmer que l’autre, les deux ont une obligation semblable à ramener la paix.

   1203- Voici quelle est la manière de chercher la réconciliation.   On peut la rechercher en personne, ou par personne interposée, i.e. par quelqu’un qui est ami de l’un et de l’autre.  On peut la rechercher explicitement (en exprimant le regret et en demandant pardon), ou implicitement (par une conversation amicale ou par des cadeaux).  En règle générale, c’est à l’inférieur (un enfant)  à demander explicitement une réconciliation à un supérieur (père ou mère), mais il suffira à un supérieur de demander pardon à un inférieur implicitement.  1204- Le temps pour rechercher la réconciliation  est le plus tôt possible  Si tu offres ton présent à l’autel et si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, va te réconcilier avec ton frère, et au retour, tu pourras offrir ton présent (Matt. V, 23, 24).  Ainsi, on ne devrait pas retarder la réconciliation interne (le repentir de la part de l’offenseur, et l’oubli de la part de l’offensé).  Elle devrait même précéder toute action religieuse, comme l’offrande d’un don à Dieu,  afin qu’elle soit acceptable et méritoire.

 La réconciliation externe (la demande du pardon, et la satisfaction) et la manifestation du pardon devraient avoir lieu à toutes les fois que les circonstances de lieu et de place le permettent.  La décision de se réconcilier extérieurement est incluse dans la réconciliation interne.  Mais la prudence voit à ce qu’on attende l’occasion favorable, de peur que la précipitation n’empire les choses.

 1205- La miséricorde.  La miséricorde provient de la charité. Car celui qui aime son prochain comme un ami en Dieu s’attriste de ses souffrances, comme si c’étaient les siennes.  Notre Seigneur ordonne : Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux (Luc V1, 36). Mais toute compassion n’est pas une miséricorde véritable ou surnaturelle.  Ainsi,  au sujet de l’objet qui cause la souffrance, la vraie miséricorde s’attriste des maux qui frappent quelqu’un contre sa volonté, comme la maladie, un échec ou la faillite, ou un malheur non mérité.  Mais le mal volontaire, comme le péché, ne provoque aucune miséricorde, mais plutôt de l’indignation. On peut quand même s’apitoyer sur les pécheurs à cause des maux que les péchés leur procurent (Matt. 1X, 36).   En ce qui a trait à la cause interne de la souffrance ou de la sympathie, la miséricorde surnaturelle nait de l’amour de charité pour celui qui souffre. La miséricorde naturelle vient de la peur qu’on a  de subir un sort semblable, ou du fait que le malheur de quelqu’un nous occasionne une perte sensible.  En ce qui a trait à l’acte de miséricorde, il est à noter qu’il provient de la volonté, qu’il règle les émotions et est lui-même réglé par la raison.  La miséricorde diffère de la tristesse sensible qu’éprouve une personne norale  à la vue de la souffrance.  Bien que bonne en elle-même, elle ne conduira  jamais au désir de soulager l’infortune.  Elle diffère aussi de la sympathie désordonnée qui répand l’aide et le pardon sans distinction, sans penser aux plus grands maux qui pourraient en résulter.   Elle diffère de la sentimentalité qui fait déborder sans contrôle ses pleurs et ses sentiments.  La vertu de miséricorde se soucie des intérêts de la justice.   Mais la pitié à elle seule, comme les préjugés, aveugle l’esprit et l’empêche de voir ce qui est vrai et juste.

 1206- Les  causes d’un esprit non miséricordieux. Le manque de charité envers quelqu’un qui est dans la misère. L’orgueil ou une trop grande prospérité qui font croire à quelqu’un que les autres souffrent justement, ou que quelqu’un est d’une condition supérieure (Prov. XXV111, 4).  Un grand malheur ou des craintes qui ont endurci le cœur de quelqu’un, ou qui l’ont centré sur lui-même.

 1207- La miséricorde comparée aux autres vertus morales.  Si on prend la miséricorde au sens d’une émotion ou d’une sympathie réglée par la raison, elle est inférieure à la prudence et à la justice, qui sont des perfections des  puissances supérieures de l’âme (l’intelligence et la volonté). Si on la considère comme un acte de la volonté détestant la misère d’un autre et poussant quelqu’un à l’enlever, elle surpasse les autres vertus morales.  On peut même dire que c’est quelque chose de divin, et donc plus  qu’une vertu.  C’est certainement la plus grande des vertus parmi celle  qui ont quelque chose à voir  avec le prochain, car, par sa nature-même, elle implique l’absence d’un défaut, et le soulagement de ce défaut chez les autres.  Ce qui n’est pas le cas des autres vertus.  Ainsi,  la prudence dirige des actes, et la justice rend aux autres ce qui leur est du, mais  elles n’enlèvent pas par elles-mêmes l’ignorance ou un manque chez quelqu’un.

 1208- La miséricorde comparée à la charité. En elle-même, (si on considère en elle ses notes essentielles qui sont l’affranchissement de la misère et le soulagement donné au misérable), la miséricorde est la plus grande de toutes les vertus.  Car, quand elle atteint son degré le plus élevé, l’affranchissement des défauts signifie la perfection infinie, tandis que le soulagement des défauts dans les autres signifie que, à cause de l’amour infini du Bien suprême, le soulagement est répandu par Dieu sur ses créatures.  Ainsi, en Dieu, la miséricorde est une extension de l’amour que Dieu a pour sa propre bonté, pour le bénéfice de ses créatures.  Elle est donc plus grande que la charité. La miséricorde Dieu est au-dessus de toutes ses œuvres (Ps. CLX1V, 9).  Dans son sujet, (considérée précisément en tant que perfection apportée à son possesseur), la miséricorde, dans les créatures, est inférieure à la charité.  Car il est préférable d’être uni par l’amour au Dieu suprême que d’enlever le mal dans une créature. Au-dessus de toutes ces choses, ayez la charité (Col 111, 14).  La miséricorde est la somme  de la religion chrétienne, en tant que les actes externes sont concernés, mais la charité est la somme du christianisme  relativement aux actes internes.

 1209- L’obligation de la miséricorde.  La loi naturelle elle-même inculque la miséricorde. Mais ceux qui n’ont pas subi l’influence de la divine révélation ne l’ont pas eu en grande estime, et ils ne l’ont pas pratiquée.  Ainsi, Platon désirait qu’on puisse envoyer tous les pauvres en exil.  Virgile pensait que l’affranchissement de la pitié était un signe de sagesse. Sénèque et Cicéron appelaient la pitié un vice de l’âme. Nietzsche enseignait que la compassion n’avait pas de place dans la moralité du surhomme.  La loi divine commande la miséricorde, surtout le nouveau testament. Partout on insiste sur l’aide à apporter aux pauvres, aux veuves, aux orphelins, aux malades, aux captifs, aux esclaves, et aux autres malheureux.  Je vais te montrer ce que le Seigneur demande de toi : de faire vraiment la justice, d’aimer la miséricorde, et de marcher en te souciant de ton Dieu (Mich. V1, 8).

 1210- Les effets externes de la charité.  Nous allons maintenant considérer les effets externes de la charité : la bienfaisance, l’aumône, la correction fraternelle. Ce ne sont pas là des vertus distinctes, mais des actes séparés qui appartiennent à la vertu de charité, et qui procèdent, comme l’amour, la joie et la paix,  du même motif d’amour de Dieu. Ainsi, la bienveillance résulte naturellement de la charité, puisqu’un des actes de l’amitié est de faire du bien à son ami. L’aumône est une des différentes manières d’exercer la bienveillance.  La correction fraternelle est une espèce de l’aumône spirituelle.

 1211- La bienveillance. Ce ne sont pas tous les actes d’entraide qui sont vertueux. Ce ne sont pas non plus tous les secours vertueux qu’on appelle bienveillance.   Ainsi, aider quelqu’un à faire le mal est de la malveillance. Ce n’est pas non plus vertueux d’aider quelqu’un,  avec une mauvaise intention.   Exemples.  Donner de l’argent à des criminels pour les aider à violer la loi est une participation au crime. Donner de l’argent pour recevoir des faveurs en retour est de la cupidité (Luc X1V, 12).  Aider les autres ou leur faire des dons par compassion pour la misère d’autrui est de la miséricorde. C’est de la justice de le faire parce qu’on s’y sent obligé.  C’est de la bienveillance de le faire par amour de Dieu.   1212- La bienveillance est un devoir.  Elle devrait être universelle comme la charité  Pendant que nous le pouvons encore, faisons du bien à tous (Gal V1. 10). Mais cela ne veut pas dire qu’il faut la pratiquer sans discernement, ou que nous soyons tenus à l’impossible.

 Ce ne sont pas toutes les activités dans lesquelles les hommes sont engagés qui méritent notre assistance.  Et il n’est pas possible de faire disparaitre  toutes les sortes de souffrances qui affligent les humains.   Exemples.  On ne doit pas aider les criminels ou les ennemis de l’état dans leurs mauvaises entreprises. Mais on peut tenter de les ramener sur le droit chemin.  On ne peut pas aider à s’évader de prison un criminel qui a été justement condamné. Mais on peut lui rendre visite, le consoler et lui apporter un soutien religieux.   On ne peut pas aider tous et chacun.  Même les bienfaiteurs les plus riches et les plus généreux ne peuvent rejoindre qu’un faible pourcentage des nécessiteux.  Mais la charité requiert que quelqu’un soit dans la disposition d’esprit d’aider tous les êtres humains, si la chose était possible, et d’aider effectivement tout le monde. en priant pour les catholiques et les non catholiques.

 1213- Comme il est impossible d’aimer tous les êtres humains individuellement, la bienveillance devrait être réglée par l’ordre de charité (1174 et suiv.) Et on devrait être spécialement bienveillant envers ceux qui nous sont de plus près associés.  D’où les règles suivantes.  Pour les bienfaits qui appartiennent à une sorte particulière de relation, on devrait donner la préférence, toutes choses étant égales, à ceux avec lesquels nous avons cette relation. Exemples. Faire un banquet pour quelqu’un est un bienfait qui relève de l’amitié. On devrait donc l’accorder à un ami plutôt qu’à un copin de travail qui n’est pas un intime.  Secourir quelqu’un est un bienfait qui appartient à la parenté. Un parent devrait donc passer avant un étranger.   Pour les bienfaits donnés à ceux avec lesquels on a le même type de relation, on devrait donner la préférence, toutes choses étant égales, à ceux qui nous sont de plus près reliés.  On devrait faire l’aumône aux membres de sa famille plutôt qu’aux petits cousins.1214-   Si toutes les choses ne sont pas égales, il faut parfois inverser ces règles.   Quand le bien commun est en jeu, on devrait donner la préférence à ceux qui le représentent, même si d’autres sont plus près de nous par rapport au bien privé.    En conséquence, un citoyen doit apporter son soutien à son pays d’adoption plutôt qu’à son pays d’origine.  Dans une guerre civile, quelqu’un devrait aider ses camarades plutôt que les membres de sa parenté qui sont du côté opposé.  Quand le bien suprême d’une personne privée est en jeu, on devrait l’aider,   même si elle  est un étranger,  de préférence à un ami ou à un ami qui n’est pas dans cette situation extrême.  Exemple.  On devrait donner un pain à quelqu’un qui est en train de mourir de faim plutôt qu’à son père qui  a faim,  mais qui n’est pas menacé de mort.

 Quand les moyens avec lesquels ont peut accorder un bienfait appartiennent à un autre,  on doit préférer redonner ce qui appartient à cet  autre, même s’il est étranger, plutôt que l’utiliser pour le bien d’un ami  ou d’un parent.   Ainsi, si un homme  a volé de l’argent à un étranger, il  doit le lui rapporter plutôt que de s’en servir pour offrir un cadeau à sa femme. Il faudrait faire une exception à cette règle dans le cas d’une épouse réduite à la misère, quand le possesseur légitime de l’argent est dans l’abondance.  Mais l’obligation de restituer demeure toujours, et n’est que remise à plus tard.
1215- Il n’y a pas de règle générale qui puisse s’appliquer à tous les cas dans lesquels l’un est plus près de soi et l’autre plus en besoin. La décision, dans beaucoup de ces cas, ne peut être prise que par un jugement prudent, qui tient compte de toutes les circonstances.   Il faut noter que bien que les enfants et la femme soient plus près de quelqu’un que son père et sa mère, ces derniers ont plus de droits à la charité quand les uns et les autres sont également dans une extrême nécessité, à cause du bienfait suprême de la vie qu’ils ont reçue d’eux.  Mais, dans la plupart des cas, chacun n’a qu’à pourvoir aux besoins de ses enfants (11 Cor. X11, 14).

 1216- L’aumône. On définit l’aumône comme suit.  Une aide à quelqu’un qui est en besoin, et qui est inspirée par la compassion, et faite pour l’amour de Dieu.  Cet acte appartient donc à plusieurs vertus.  Il est élicité par la vertu de miséricorde.  Cela signifie donc que la compassion pour la misère d’autrui  est le principe immédiat qui produit l’aumône.  Elle est commandée par la vertu de charité,  ce qui signifie que l’amour de Dieu est le principe éloigné ou la fin des aumônes.  Car, comme il a été dit plus haut (Cf. 1205), la miséricorde elle-même est un effet de la charité (1 Jn 111, 17).  En second lieu, elle peut aussi être commandée par d’autres vertus. Ainsi, si quelqu’un donne une aumône comme satisfaction  pour ses péchés, il accomplit un acte de justice.  S’il la donne dans le but d’honorer Dieu, il accomplit un acte de religion.  S’il donne sans éprouver de regret pour ce qu’il perd en donnant, il pratique la libéralité.

 1217- Les qualités qui sont recommandées pour l’aumône. On ne devrait pas faire l’aumône avec ostentation (Matt. V1, 2 et suiv.), même si le fait qu’elle soit connue se trouve être  une source d’édification.  Elle doit être donnée joyeusement (11 Cor. 1X, 7). 1218-  Les formes que prennent l’aumône.  Au sens strict, une aumône est un don fait sans obligation de retour ou de paiement.   Au sens large, l’aumône peut aussi signifier vendre à crédit à un pauvre consommateur pour lui faire une faveur, un prêt accordé à un bas taux d’intérêt ou sans intérêt, un coup de main pour procurer à quelqu’un un emploi.  Ainsi, si un pauvre reçoit suffisamment d’aide de l’une ou des autres de ces façons, on n’a pas à lui en faire un présent.

 1219- Il faut distinguer aussi l’aumône du simple don. Ainsi,  est coupable l’assistance accordée à un pauvre pour un mauvais motif, comme pour le détourner de sa religion, ou pour l’inciter à  commettre un crime.  L’assistance donnée à un pauvre pour un motif purement naturel (la pitié pour ses souffrances) est de la philanthropie, non de la charité (1 Cor. X11, 111).   Elle  peut coexister avec la haine de Dieu.   1220- Les aumônes corporelles, sous la forme de biens corporels  donnés librement en nature  ou en argent, sont d’autant de sortes qu’il y a de besoins corporels.   En conséquence, les besoins ordinaires comme la nourriture, le breuvage  le vêtement et le logement devraient être donnés comme aumône à ceux qui en manquent.  Les besoins spéciaux internes (comme la maladie) ou externes (comme la persécution ou l’emprisonnement) devraient être assouvis ou soulagés par des remèdes, des visites, de la protection ou par le soulagement.

 Les besoins du corps après la mort consistent à lui accorder le soin que mérite l’honneur de sa mémoire. Voilà pourquoi on compte l’ensevelissement des morts parmi les aumônes corporelles.  1221- C’est ainsi qu’il y a sept œuvres corporelles de miséricorde.  Celles qui appartiennent aux besoins du corps pendant notre vie sont mentionnées par notre Seigneur en Matt. XXV, 35, 36.   L’Écriture fait l’éloge de l’ensevelissement des morts qu’elle considère comme une bonne œuvre, comme nous le voyons très bien dans la vie de Tobie (1, 11, X11), et chez ceux qui ont enseveli notre Seigneur (Matt. XXV1, 12; XXV11, 57 et suiv.)

 1222- Les aumônes spirituelles, consistant dans l’aide accordée à ceux qui souffrent mentalement ou spirituellement, sont des prières,  par lesquelles est demandée un secours divin, ou différents actes qui procurent de l’aide.   Ces actes sont aussi de deux sortes, et forment sept aides spirituelles de miséricorde.  Les défauts qui font souffrir une âme, et qui ne sont pas moraux, supposent de l’ignorance dans l’intelligence, le doute dans le jugement pratique, et la tristesse dans les affections. En conséquence, les actes d’aumônes dans ces cas-là sont l’instruction, le conseil et le réconfort. Les défauts de l’âme qui sont moraux  sont la culpabilité  du péché et ses conséquences.  C’est-à-dire l’offense donnée, et les fardeaux à porter pour le pécheur et les autres.  Les aumônes spirituelles qui lui correspondent sont l’admonition, le pardon des offenses, la patience à supporter les comportements déplaisants des autres, surtout s’ils proviennent des infimités, et la volonté de les aider à supporter les suites de leurs erreurs (Rom. XV, 1)

 1223- Le don de l’aumône spirituelle peut supposer une autorité ou une supériorité du donneur sur le receveur, ou une certaine façon de procéder.   En conséquence, dans l’administration de bienfaits spirituels, il faut respecter les notions de temps, de lieu et de personnes.  Ainsi, quand on instruit un ignorant, il faut savoir   que ce n’est pas n’importe laquelle sorte d’ignorance qui constitue  un défaut, mais seulement celle des choses qu’on doit connaître.  Et ce n’est pas à n’importe qui de donner l’instruction nécessaire.  Dans la correction des pécheurs, on ne doit pas faire n’importe laquelle réprimande. Mais, autant que possible, il faut privilégier la gentillesse et une remontrance secrète (Prov. XXV11, 6).

 1224- La comparaison entre les aumônes corporelles et spirituelles.  Les aumônes spirituelles sont meilleures que les corporelles, parce que leur nature est plus haute, et elles procurent un plus grand bénéfice au récipiendaire.  Même si ce dernier les apprécie moins.  Ainsi, il est préférable de jouir de la paix de l’âme, plutôt que de banqueter somptueusement.  Mais, dans certains cas,  les aumônes corporelles sont souvent plus nécessaires. On devrait alors leur donner la priorité.  Ainsi, pour quelqu’un qui est affamé, la nourriture est plus nécessaire que des mots de réconfort (Jacq. 11, 15, 16).  1225- Bien que les aumônes corporelles n’accordent pas une aide spirituelle, elles sont spirituelles dans leurs effets.  Ainsi, elles bénissent le récipiendaire corporellement, en soulageant  sa faim ou d’autres besoins.  Car Dieu va récompenser sa charité (Eccl. XX1V, 13, 14); et la personne aidée priera pour son bienfaiteur (ibid. 15).

 1226- Le devoir de l’aumône.  La loi naturelle demande que nous fassions  à autrui ce que nous aimerions qu’on nous fasse.  Et il n’y a personne qui ne désire pas être aidé, en cas de besoin.  De plus, le bien commun demande que le riche aide le pauvre, pour éviter le désordre et le mécontentement.  En conséquence, les incroyants eux-mêmes ne sont pas exempts de l’obligation de faire l’aumône.  Tant dans l’ancien testament que dans le nouveau, la loi divine fait de l’aumône une obligation.  Fais l’aumône avec tes biens, et ne détourne pas ta face du pauvre (Tob 1V, 7). Éloignez-vous de moi, vous maudits, dans le feu éternel, car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger (Matt. XXV, 41, 42). Aimons, non en parole, non avec la langue, mais avec des actes et réellement  (1 Jn 111, 18). Tobie, Dorcas, Corneille et Zachée ont été loués pour leurs dons inspirés par la charité.

 1227- L’obligation de faire l’aumône est un commandement positif.  Elle ne s’impose donc pas à chaque instant, mais seulement quand la droite raison le demande, compte tenu de la condition du donneur et du rédipiendaire.  La condition du donneur requiert de lui qu’il ne donne que de son superflu.  Car personne n’est obligé de se priver du nécessaire (Cf. 1164, 1169). Saint Jean baptiste a dit au peuple :  Que celui qui a deux manteaux en donne un à celui qui n’en a pas. Qu’il fasse la même chose celui qui a de la nourriture (Luc 111, 11). Donne en aumône ce qui reste, a dit notre Seigneur (Luc X1, 45).  L’état du récipiendaire  lui donne un droit à la charité quand il est en besoin,  et est incapable de s’aider lui-même.  Les biens temporels, de par la volonté de Dieu, existent pour le bénéfice de toute la race humaine.  Et bien que la propriété de certains biens soient soit assignée à son possesseur légitime, il ne doit pas  les mettre à son usage exclusif,  et en frustrer le pauvre, quand il possède plus que ce dont il a besoin pour vivre.  Pour faire l’aumône, il n’est pas nécessaire non plus qu’on le demande. On est obligé de faire l’aumône dès qu’on s’aperçoit que le prochain est en détresse.  Même s’il est incapable de demander de l’aide, ou trop gêné pour le faire.

 1228- Qu’on ait à donner dans d’autres cas, ce n’est pas une obligation, mais seulement un conseil.  Peut donner à un autre quelqu’un qui est autant dans le besoin qu’un autre et qui n’a pas de superflu. On peut donner aussi par charité à quelqu’un qui le mérite, s’il n’est pas dans le besoin, et s’il est capable de s’aider lui-même.

 1229- Le superflu est ce qui reste en plus de ce qui est nécessaire pour vivre, ou du maintien d’un statut de vie justement acquis ou socialement utile.  Les nécessités de la vie sont les biens qu’on doit avoir pour se procurer la nourriture, le vêtement, le logement pour soi-même et  pour sa famille. Parmi les choses nécessaires à la vie il faut aussi compter ce qu’on doit mettre de côté pour la vieillesse, la maladie, l’accroissement de la famille, et la prise en charge future de nouveaux dépendants. (11 Cor. X11, 14).  Mais on ne devrait pas y faire entrer des cas imaginaires, ou tous les cas possibles de besoin personnel qui pourraient se présenter dans le futur.  Autrement on serait coupable d’une sollicitude exagérée pour le lendemain.  Ce que le Seigneur interdit (Matt. V11, 34).   Les choses nécessaires à un état de vie ce sont les biens qu’on doit conserver pour maintenir sa position, et celle de sa famille, selon le niveau de vie de sa classe.   Cela inclut les ressources nécessaires pour assurer l’éducation des enfants, pour pourvoir à l’hospitalité, à l’entretien de la maison, et au développement de son entreprise.  Mais cela n’inclut pas l’accumulation de  fortes sommes d’argent pour des plaisirs excessifs ou pour le luxe ou pour des occasions hypothétiques d’améliorer sa condition dans le futur.   Autrement même un multimilliardaire pourrait prétendre que tout son argent est engagé,  et qu’il n’a pas de superflu.

 1230- Qu’est-ce qui est nécessaire à chaque état de vie pour qu’on y vive avec décence ?  Ça ne peut consister en aucun montant d’argent fixe, car un homme riche peut conserver le même rang social en ajoutant ou en perdant quelques millions. Ça consiste donc dans la quantité suffisante d’argent pour maintenir ce qui, selon l’opinion des gens prudents,  convient à sa classe. Ainsi, la position de quelqu’un peut requérir qu’il procure des divertissements, ou mène un train de vie dispendieux.  Elle peut, au contraire, demander qu’il dépense modérément.

 1231- Le don en aumône des biens dont le donateur a besoin est régi par les règles suivantes. Il faudrait donner à un autre les choses nécessaires à la vie, comme matière de précepte, si le bien commun  dépend de la vie de cet autre, mais non de la nôtre.  On peut les donner à un autre, comme matière de conseil, quand le bien commun le ne requiert pas, mais quand le bien le plus élevé de la vertu invite quelqu’un à sacrifier sa vie pour son prochain, (opinion probable).  Exemples. Quelqu’un devrait donner le dernier pain qui lui reste pour sauver la vie d’un chef de qui dépend le salut de son peuple.   Quelqu’un peut faire le même sacrifice, s’il est célibataire et n’a personne à sa charge, pour quelqu’un  qui est marié et qui a à prendre soin d’une famille. Mais il n’est pas permis de donner ce qui est nécessaire à la vie d’une famille (1 Tim. V, 8).

 Les besoins qui viennent du statut social, devraient, au moins en partie, être sacrifiés à un autre, comme matière de précepte, si le bien commun ou la vie d’un individu sont en jeu; on si l’on peut facilement recouvrer  ce que l’on donne, ou si on peut prévenir une grave calamité.  On peut les sacrifier, comme matière de conseil, si le bien plus grand bien de la vertu nous invite à embrasser la pauvreté volontaire. Si tu veux être parfait, va, vends tous ce que tu as, et donne-le aux pauvres (Matt. X1X, 21).  Exemples.  On devrait offrir sa fortune personnelle  pour supporter son propre gouvernement, si la nation en crise ne peut pas être sauvée autrement.  On peut renoncer aux richesses et devenir pauvre pour suivre Jésus dans la vie religieuse.

 1232- Le surplus d’un état de vie ce sont les biens à partir desquels le précepte de l’aumône requiert qu’on prête ordinairement assistance à quelqu’un.   Mais le seul fait d’avoir un superflu n’oblige pas en lui-même à faire l’aumône. Comme dans toute autre action vertueuse, il ne doit pas y avoir, dans l’aumône,  seulement un objet qui est conforme à la raison, mais aussi des circonstances qui y sont conformes.  En conséquence, celui qui a du superflu est tenu à donner seulement quand sont présentes les conditions convenables de temps, de lieu, de personne.  A sujet du temps, on n’est pas obligé de faire l’aumône pendant le temps qui est consacré à l’accomplissement d’autres devoirs.  Au sujet des personnes, on n’est pas obligé de donner l’aumône si on ne connait aucune personne qui soit dans le besoin.

 1233-  En ce qui a trait au besoin,  on peut distinguer trois classes de personne.  Ceux qui sont dans un besoin apparent, ce sont ceux qui feignent d’être pauvres, malades ou infortunés pour attirer la sympathie et recevoir une aide financière (les quêteurs professionnels).  On ne devrait évidemment pas donner des aumônes à ces sortes de personnes, parce  qu’ils prennent ce qui devrait être donné aux vrais pauvres et nécessiteux. On devrait plutôt les dénoncer et les punir.  Ceux qui sont dans le besoin par choix ne devraient pas être aidés, s’ils se sont mis à quémander parce qu’ils sont trop fainéants pour travailler, ou qu’ils trouvent avantageux de vivre au crochet des autres. Car ils n’ont pas le droit de mendier, étant capables de s’aider eux-mêmes,  et ce serait une vilaine chose de les encourager dans leur paresse et dans leur extorsion des biens des autres (11 Thess, 3).    Mais ceux qui se sont faits volontairement pauvres pour l’amour du Christ, qu’ils soient religieux ou pas, sont dignes de respect, et il est méritoire de les aider.  On devrait aider ceux  qui sont vraiment miséreux, contre leur volonté.  Car, s’ils sont devenus démunis par leur propre faute, ils sont devenus incapables de s’aider eux-mêmes.

1234-  Voici les règles à employer concertant l’argent qui a été obtenu sous de faux prétextes, et le devoir de restitution. Si une personne a reçu d’importantes aumônes en prétendant être aveugle, impotente, ou en grand besoin etc. sans l’être réellement, elle doit rendre l’argent aux donateurs, ou, si la chose est impossible, aux pauvres, puisque la volonté des donateurs était d’aider les pauvres et non d’encourager des paresseux.  Si quelqu’un ne reçoit qu’un petit montant d’argent sous un faux prétexte de pauvreté, il n’est pas obligé de restituer, selon certains moralistes, puisqu’on peut présumer que le donateur est disposé à donner pour rien  quelques euros.  De la même façon, si un mendiant est vraiment pauvre, mais exagère ses besoins, il ne semble pas qu’il soit obligé de restituer, car ceux qui font l’aumône s’attendent à quelque exagération de la part des va-nu-pieds ou des mendiants professionnels.
1235-  Quel est notre devoir dans les  cas de besoins douteux ?  Des enquêtes instantanées ne sont pas possibles. Parce que ceux qui sont vraiment généreux ne veulent pas rendre public leur refus de faire l’aumône en dehors des cas où ils sont certains qu’il y a besoin.  Ce n’est pas une bonne règle générale à suivre, car c’est une chose moins mauvaise d’aider une personne indigne que de refuser d’aider une personne qui le mérite.
1236- Il y a trois degrés de besoins temporels.  On dit qu’une personne est dans un extrême besoin quand elle est dans un danger manifeste de perdre sa vie, si elle ne reçoit pas tout de suite de l’aide.  Cela ne veut pas dire que quelqu’un n’est pas dans un besoin extrême tant qu’il n’a pas râlé son dernier râlement.  Car, à ce moment, évidemment,  il ne peut plus être aidé par personne.   Une personne est dans un grand besoin quand elle est dans un danger probable de mort, ou dans un danger sérieux d’éprouver une grave calamité, comme une maladie grave, une amputation d’un membre, un long et douloureux emprisonnement, la folie, la perte de son bon renom, le passage de la richesse à la pauvreté, la destruction de sa maison par un incendie etc     Une personne est dans un besoin ordinaire quand elle souffre des inconvénients de la pauvreté, comme de l’obligation de mendier, de la perte de plusieurs biens, d’être mal vêtue, de manger des mets insalubres,  mais sans connaître le danger d’une perte sérieuse quelconque.

 1237- Règles pour faire des aumônes avec notre superflu, selon notre condition sociale.  Il faut donner une aumône à chacun de ceux qui sont dans une nécessité grave ou extrême, car ces cas sont rares. Les personnes nécessiteuses ont un droit particulier à recevoir la charité, quand c’est la seule façon de les sauver de la mort ou d’un autre mal sérieux.  Exemple.  L’an passé, Pierre a sauvé une mère et son enfant qui étaient atteints d’une maladie, en leur donnant de l’argent, et en leur rendant service gratuitement. Ce qu’il a fait alors ne l’exempterait pas d’avoir à le refaire si une situation semblable se présentait.  A ceux qui sont dans un besoin commun, on doit faire l’aumône de temps en temps, tantôt à l’un, tantôt à l’autre, comme le veut la prudence. Mais on n’est pas obligé de faire l’aumône à tous.   Même un milliardaire ne pourrait pas faire l’aumône à tous ceux qui sont dans un besoin commun.  Et leur manque n’est souvent pas assez grand pour leur donner un droit à l’aumône.

 1238- La gravité de l’obligation de faire l’aumône.  Pour les cas de nécessité grave et extrême, l’obligation de l’aumône est grave.  Les théologiens sont d’accord sur ce point. Car la perte subie par le nécessiteux est grave, et le refus d’aider quelqu’un  indique un manque de charité (1 Jn 111, 17).  Exemple.  Le prêtre et le lévite qui ont passé, sans s’arrêter, près  d’un blessé étendu sur la route, étaient coupables d’un acte qui, par sa nature, est un péché mortel.  Pour les cas de nécessité commune, il semble bien que l’obligation soit grave, elle aussi.  Car, il arrive rarement qu’on soit appelé à aider des gens qui sont dans une nécessité grave ou extrême. Or, l’aumône s’adresse aux besoins communs; et les raisons données par notre Seigneur  en Matt. XXV, 41-46, pour justifier l’exclusion du ciel,  semblent s’appliquer aux aumônes de nécessité commune.  Mais quelques théologiens soutiennent que ce n’est qu’une obligation légère, puisque le besoin est léger.  Et comme ces auteurs sont nombreux et compétents, un confesseur ne pourrait pas refuser l’absolution à un riche qui a refusé, en principe, de faire l’aumône à ceux qui sont en nécessité commune.  On devrait plutôt l’avertir  que le réprouver.

 1239- D’après ce qui a été dit plus haut, on peut tirer la conclusion suivante au sujet de la gravité du péché de refus de faire l’aumône.  C’est certainement un péché mortel de refuser l’aumône à ceux qui sont dans un besoin extrême ou grave.  Et c’est probablement aussi un péché grave de refuser l’aumône à ceux qui sont dans un besoin commun.  Ce n’est pas un péché mortel de refuser l’aumône dans un cas particulier, si quelqu’un n’est pas sur qu’il y est obligé (s’il y a un doute sur la capacité de faire l’aumône, ou sur le besoin du nécessiteux), ou si, selon toute apparence, d’autres lui fourniront de l’aide, ou si le besoin disparaîtra, ou si quelqu’un souffrirait un sérieux inconvénient en donnant.

 1240- Le refus de l’aumône, et la restitution.  Le simple refus de faire l’aumône n’oblige pas quelqu’un à faire une restitution.  Car la restitution consiste à rendre à quelqu’un ce qui lui appartient, et on ne pas dire qu’un pauvre a un droit strict à recevoir un don de telle personne.  Une violation de la charité peut être gravement coupable sans qu’elle oblige quelqu’un à restituer.  Le refus de l’aumône, s’il est joint à une injustice, oblige quelqu’un à restituer. Ainsi, si, par des menaces ou par la force, quelqu’un empêche un homme affamé de prendre de la nourriture qui lui a été refusée, il commet une injustice, car, en cas de nécessité, quelqu’un a le droit strict de prendre ce qui lui est nécessaire.  Et une réparation s’impose, si quelqu’un empêche le pauvre d’agir ainsi.

 1241- L’aumône donnée avec des biens mal acquis est tantôt bonne, tantôt mauvaise.
Si l’acquisition des biens a été injuste parce qu’ils appartiennent à un autre, et que le propriétaire actuel n’a pas le droit de les garder, il n’est pas permis de les donner aux pauvres, car ils doivent être retournés à leur propriétaire légitime.  Mais, il faudrait quand même faire une exception pour le cas d’extrême nécessité, car, en ce cas, la personne en danger de mort aurait un droit qui passerait avant celui du propriétaire non nécessiteux.   Exemple. Il est défendu de donner en aumône de l’argent volé  à un pauvre, quand on est capable de le retourner à son  propriétaire légitime.  Si l’acquisition des biens a été injuste parce que le donateur et l’acquéreur ont agi tous les deux contre la loi, et ont perdu leurs droits à la possession,  le premier n’a pas droit à la restitution, et les biens devraient être voués à l’aumône.  Exemple. Si une transaction simoniaque est interdite sous peine de perte du prix payé et reçu, celui qui  a reçu l’argent est obligé de le remettre aux pauvres.  Si l’acquisition n’était pas  illégale, mais si la manière avec laquelle elle a été faite était illégale, le gain est honteux, mais il continue à appartenir à celui qui l’a acquis.  Il peut être consacré à l’aumône.   Exemple.  Pierre a engagé Paul pour qu’il travaille le dimanche.  La violation de la loi du dimanche était un péché;  mais le travail accompli a rendu service à Pierre, et il a été pénible pour Paul.  Paul n’est donc pas obligé de rendre son argent; il peut le garder et s’en servir pour une bonne cause. 1242-  Même si un gain honteux peut être employé en aumônes, il ne devrait pas être voué à des fins sacrées, au cas où ce serait  une cause de scandale  ou un manque de révérence envers la religion.  Ainsi, les grands prêtres n’acceptèrent pas que l’argent de sang de Judas serve aux besoins du temple (Matt. XXV11, 6), parce que la loi interdisait l’offrande de dons qui étaient en abomination au Seigneur (Deut. XX111, 18; Eccl. XXX1V, 23).

 1243- Les jeux d’argent et l’aumône.  On ne peut pas faire l’aumône avec de l’argent gagné dans les jeux de hasard, quand on a l’obligation de le retourner au perdant.   Ainsi, selon la loi naturelle, doit remettre ses gains celui qui gagne de l’argent au poker ou à d’autres jeux semblables, en battant un mineur ou une personne qui n’a pas le droit de disposer de son argent, ou qui gagne frauduleusement.  De la même façon, la restitution est due, d’après  certains auteurs, si la loi civile rend ces contrats aléatoires nuls ou invalides.  Mais d’autres  ne sont pas d’accord avec cette façon de voir.  Les profits procurés par les jeux de hasard peuvent, selon eux,  être employés  à faire l’aumône, quand, selon la loi, quelqu’un y a droit, et quand quelqu’un a joué pour se détendre, avec modération et sans tricher.

 1244- Les personnes qui peuvent faire l’aumône sont toutes celles qui ont le droit de disposer de biens ou de dons.  Les autres qui n’ont pas généralement ces droits (les religieux, les épouses, les enfants et les serviteurs) peuvent aussi faire l’aumône de la façon suivante. Elles peuvent faire l’aumône avec les biens qui leur appartiennent, et dont elles peuvent disposer.   Ainsi, une épouse peut faire l’aumône avec de l’argent qui lui appartient par héritage, gains etc.  Elles peuvent faire l’aumône avec les biens qui sont remis à leurs soins, et dont elles peuvent disposer. Ainsi, l’économe d’un ordre religieux a le droit de faire l’aumône avec la permission du supérieur, et selon que le prescrit sa constitution (canon 537).   Un religieux qui est un curé peut gérer et distribuer les aumônes paroissiales (canon 634).   Ils peuvent faire l’aumône avec une permission explicite ou implicite.  Ainsi, les enfants peuvent donner de la nourriture aux pauvres,  si leurs parents y consentent.  Ils peuvent faire l’aumône sans permission dans les cas d’extrême besoin.  Ainsi, une femme pourrait utiliser l’argent de son mari, sans son consentement, si ce don s’avérait nécessaire pour sauver une vie.

 1245- Voici quel est le droit que la femme a de faire l’aumône avec les gains de son mari. Elle peut donner des aumônes raisonnables avec l’argent qui lui est remis pour elle et sa famille.  Elle peut aussi faire l’aumône avec l’argent destiné à toute la famille, avec le consentement exprimé ou présumé du mari.  Mais s’il est sans pitié et répugne à faire l’aumône, elle peut quand même faire l’aumône raisonnablement d’après les revenus de la famille (comme aider ses parents appauvris).  1246-   Le droit qu’ont les serviteurs de faire l’aumône avec les biens de leur patron s’énonce comme suit.  La règle est que les serviteurs n’ont, en aucune façon, le droit de faire l’aumône avec les biens de leur employeur sans sa permission expresse.  Car, si la permission pouvait être présumée, les biens des employeurs ne seraient pas en sécurité.  On fait une exception pour les choses qu’on jette (les restes de table), parce que le propriétaire n’encourt aucune perte si elles sont données en aumône.

 1247- Puisque la charité devrait être universelle, aucune classe de personnes (étrangers, incroyants ou pécheurs)  ne doit être exclue des bienfaits de l’aumône (Matt. V, 45). Cependant, la charité, elle aussi, doit être ordonnée; et il y a donc une préférence à observer,  de la façon suivante.  Toutes choses étant égales, on devrait préférer ceux qui sont plus près de nous par la parenté, l’amitié, etc, puisque leur droit à réclamer notre charité est plus grand. La charité commence à la maison.  Si d’autres choses (comme la dignité, le besoin, l’utilité publique)  jouent en faveur de ceux qui ne sont pas liés par la parenté ou l’amitié, l’ordre de préférence peut être inversé.   Ainsi, si quelqu’un avait à choisir entre un parent éloigné, dont il ne se sent pas particulièrement responsable, qui est un vaurien, qui n’est pas dans le besoin, et qui ne vaut pas grand-chose pour la communauté, et un étranger très méritant, qui rend un grand service à la communauté,  c’est celui-là qu’il devrait aider.

 Dans le cas de deux étrangers à pauvreté égale, on devrait aider d’abord celui qui est le plus digne, ou qui ressent davantage sa misère.  Ainsi, une personne que le sort a rendue pauvre mérite plus d’être aidée que celui qui gaspillé sa fortune aux jeux de hasard.  Ceux qui étaient riches autrefois souffrent davantage de la pauvreté que ceux qui sont habitués à une vie de privation.

 1248- Est-il permis à quelqu’un qui a été choisi pour distribuer des aumônes d’en garder quelques-unes pour lui-même, s’il est vraiment pauvre ?  Si les personnes auxquelles l’aumône est censée être distribuée sont désignées par leur nom, le distributeur ne peut donner l’aumône qu’à elles.  Si le choix des personnes à recevoir l’aumône est laissé à la discrétion du distributeur, il peut s’en attribuer une part raisonnable.  1249- La quantité d’argent à donner en aumône devrait se déterminer d’après les revenus et les besoins.  Le donateur devrait donner en proportion de ses revenus. Selon ce que tu peux donner, sois miséricordieux.  Si tu as beaucoup, donne abondamment. Si tu as peu, vois à donner quelque chose de grand cœur  (Tob 1V, 9).  Ne donnent pas selon leurs moyens un homme riche qui dépense plus d’argent en parfum et en onguent qu’il n’en donne aux pauvres, et un pauvre qui consacre plus d’argent à l’aumône qu’à l’entretien de sa famille.  En ce qui a trait au besoin du récipiendaire, celui qui fait l’aumône devrait donner d’après les besoins qu’il perçoit de ses propres yeux.  Ainsi, s’il n’y personne d’autre qui peut et qui veut donner, et si l’indigent est dans une grave nécessité, un homme charitable défrayera la totalité des dépenses, comme l’a fait  le bon samaritain.  Mais, si la nécessité est ordinaire (comme dans le cas des mendiants qui vont de porte à porte),  ou si d’autres apportent de l’aide, une aumône plus petite suffit.  Un emploi permanent est une charité meilleure qu’un poste à temps partiel, car il donne une aide permanente.

 1250- Ainsi, dans les cas suivants, l’aumône est excessive.  Quand, en dehors des cas ci-haut mentionnés, quelqu’un donne en aumône tout ce qui est nécessaire à sa vie et à sa condition sociale.  La pauvre veuve qui a donné tout ce dont elle avait besoin pour vivre a été louée par le Seigneur, mais elle était sans doute capable de se procurer, d’une façon ou d’une autre, de quoi se maintenir en vie.  Les aumônes sont excessives quand on donne tellement de son superflu qu’on gâte les pauvres, et qu’on les encourage à ne rien faire.  Car le but de l’aumône n’est pas que les riches soient appauvris pour que les pauvres vivent dans le luxe, mais que le pauvre soit soulagé dans ses souffrances, et que le riche gagne le mérite de la charité (11 Cor. V111, 13).

 1251- En ce qui a trait à l’obligation de donner tous les biens propres à la condition de vie de quelqu’un ou tout son superflu, il faudrait noter les points suivants.   Certains théologiens soutiennent qu’en cas d’extrême nécessité, on est tenu de donner tous les biens nécessaires à sa condition de vie, puisque la vie d’une personne est un bien plus important que la condition sociale.  Mais d’autres sont d’un avis opposé. Ils se basent sur le fait que nul n’est obligé, pour préserver sa propre vie, d’avoir recours à des moyens extraordinaires, et de perdre par là le rang et le style de vie qu’il a. Ainsi, un ouvrier, qui gagne sa vie par le travail, ne serait pas obligé de se réduire à la mendicité  pour prolonger la vie d’une personne mourante.  Une personne aisée n’est pas obligée de ventre son bureau, son moyen de transport, ses livres et les autres choses dont elle a besoin pour son métier ou sa profession, pour racheter un captif détenu par des bandits pour obtenir une rançon.  Il y a des théologiens qui soutiennent qu’on est obligé de donner tout son superflu en aumône, même en dehors des cas de grave ou d’extrême nécessité.  Mais d’autres enseignent que bien que ce soit conseillé, ce n’est pas ordonné.  Car, disent-ils, les pauvres recevront suffisamment de soulagement si tous les riches donnent un peu de leur superflu.  De plus, la conservation de biens superflus est nécessaire à la promotion des entreprises industrielles et commerciales.  Et en augmentant la richesse nationale, on aide indirectement le pauvre.

 1252- La loi ecclésiastique requiert, cependant, que les clercs qui jouissent d’un bénéfice  donnent aux pauvres et à des causes pieuses  tout ce qui reste après avoir pourvu décemment  à leur entretien.  Cette obligation est considérée comme grave.  Nous en reparlerons plus loin quand nous traiterons des devoirs spéciaux du clergé.  1253- Y a-t-il un montant défini ou un pourcentage précis à être alloué aux aumônes ?   Pour un cas de nécessité extrême ou grave, on devrait apporter une contribution suffisante, selon ses capacités, en association avec d’autres, ou seul, si les autres ne veulent pas aider.   Ainsi, si quelqu’un est sur le point de mourir de faim, un homme charitable lui donnera des aliments gratuitement.   Si on se prépare à traiter injustement un pauvre, un avocat charitable lui donnera des avis gratuitement.  Mais il n’est pas nécessaire qu’on procure des aides ou des remèdes extraordinaires.  Par exemple,  payer un voyage en Europe  à un pauvre, parce que le changement d’air lui serait bénéfique.

 Pour les cas de nécessité commune, saint Alphonse est d’avis qu’on devrait donner deux pour cent de ce qui reste du revenu annuel, après avoir pourvu aux besoins de sa vie et de sa condition sociale.  Mais, aujourd’hui, d’autres moralistes pensent qu’on ne peut pas fixer mathématiquement de montant; qu’on doit se contenter de donner une direction générale,  comme d’être généreux selon ses moyens, et de donner plus ou moins à chaque année selon la plus ou moins grande pauvreté.   1254- Est-il préférable de donner un peu à plusieurs,  plutôt que beaucoup à un seul ?  Si une personne est dans un grand besoin, et que les autres n’ont que peu de besoin, il est préférable de donner à celle qui a de grands besoins.   Exemple. Si quelqu’un a dix euros à donner en aumône, il est préférable d’acheter un paletot pour Pierre qui grelotte de froid, plutôt que les donner à  dix qui ont besoin de cols empesés ou de colliers.  Si le besoin est semblable pour tous, il est préférable de diviser les aumônes.  Ainsi, on soulage plus de personnes, et on a évité le danger de pourrir quelqu’un avec des dons excessifs.   Exemple.  Pierre a trente mille euros à donner, et il connait bien trois institutions de charité méritantes  (un hôpital, un orphelinat, et une école).   Elles sont toutes les trois en grand besoin d’argent.  Il devrait réparatir son argent en trois parts.

 1255- Le temps pour donner des aumônes.  On devrait donner à un seul moment toute la quantité des aumônes à distribuer pendant une certaine période, si on peut le faire, et s’il est nécessaire d’agir ainsi.  Il donne deux fois celui qui donne rapidement  (Prov. 111, 28).   Car, si on retarde l’aide, le pauvre peut être réduit au désespoir ou à la violence.  Quelqu’un peut étaler dans le temps son aumône si personne n’en a un besoin urgent, c’est-à-dire qu’il peut donner des sommes partielles d’argent, conservant entre temps de l’argent dans le but de l’investir pour des charités futures, ou attendant de voir de plus grands besoins à satisfaire.

 1256- La façon de donner l’aumône.  On fait l’aumône directement quand on  apporte personnellement un secours aux nécessiteux, en donnant de la nourriture aux affamés, ou en aidant à éteindre un feu etc.  On fait l’aumône indirectement quand on paye des taxes pour les hospices, les hôpitaux publics, les orphelinats, les maisons de l’âge d’or, les asiles d’aliénés etc…; quand on apporte son écot aux collectes d’œuvres de charité, aux campagnes de financement, aux organisations philanthropiques etc…; quand on promeut ou appuie des mouvements pour l’éducation gratuite de ceux qui ne peuvent pas payer, pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, pour l’assurance contre la perte d’emploi, les pensions de vieillesse etc…

 1257- La charité publique offerte par l’état est utile et nécessaire d’après les conditions de la vie moderne, mais elle ne peut pas et ne doit pas prendre la place de la charité exercée par l’Église ou par les individus.   La charité étatisée n’atteint pas tout le monde, même pas les plus nécessiteux.   En conséquence, ceux qui payent des taxes pour le soutien des charités de l’état ne sont pas, pour autant, exemptés de venir en aide aux miséreux qu’ils croisent sur leur chemin, surtout ceux qui sont dans une nécessité très grande ou extrême.   Le payement de ces taxes a, toutefois, pour heureuse conséquence de diminuer les besoins, et donc de diminuer le montant d’argent à consacrer à l’aumône.   La charité d’état  pourvoit aux besoins corporels du bénéficiaire en forçant les donateurs à donner. Elle ne peut donc pas prendre la place des aumônes données par l’Église, ou par des individus qui se soucieront et de l’âme et du corps, et qui donneront joyeusement et avec action de grâces.

 1258- La correction fraternelle.  On définit ainsi la correction fraternelle : un acte de charité et de miséricorde par lequel on fait choix de paroles ou d’autres moyens appropriés pour convertir quelqu’un du péché à la vertu.  C’est donc un acte de charité parce que c’est l’amour de notre prochain, et le désir de son bien être spirituel qui incitent à la correction.  En conséquence, l’admonition diffère ainsi de la correction qui est infligée à un malfaiteur pour le bien d’un autre ou du public. La première est une correction fraternelle et un acte de charité, tandis que l’autre est une punition et un acte de justice. La correction fraternelle est un acte de miséricorde, car, comme nourrir les affamés, et faire d’autres aumônes, enlèvent la misère corporelle,  l’admonition donnée aux pécheurs enlève la misère spirituelle.   La correction fraternelle emploie les mots appropriés et d’autres moyens convenables, car bien qu’elle procède de la charité et de la miséricorde, elle doit être régulée par la prudence. Ce n’est certes pas une chose facile que de réussir  à corriger quelqu’un. D’où le besoin du gros bon sens, que l’on parle ou que l’on agisse, pour savoir quand réprouver, instruire, conseiller, encourager. La correction fraternelle vise à détourner un pécheur du vice et à le tourner vers la vertu. C’est le remède propre aux péchés de négligence, && car la correction juridique est pour les péchés de malice. Elle s’emploie aussi et surtout pour la cure du péché déjà commis.  Mais on devrait l’étendre au point d’inclure la prévention du péché dans le futur, puisqu’on n’a pas moins d’obligation de prévenir que d’enlever le péché.
 Ceux qui sont dans des occasions dangereuses de péché reçoivent donc une correction fraternelle, quand on leur donne un avis charitable. La correction fraternelle est donnée à une personne en particulier.  Elle diffère donc de la réprobation générale du vice donnée par les prédicateurs, dont c’est le devoir de corriger les péchés capitaux, pourvu que ce soit avec prudence, de façon à aider les auditeurs, et non à leur nuire. L’impopularité ou d’autres insuffisances semblables ne dispense pas un prédicateur du devoir de correction.
 1259-  La correction fraternelle est un devoir grave.  Elle est plus importante que l’aumône. La loi naturelle demande qu’on fasse aux autres ce qu’on voudrait qu’on nous fasse; et chacun a le droit de penser que s’il a besoin d’une correction, elle lui sera donnée. Même les païens ont proclamé le droit de la correction. Sénèque désirait avoir un moniteur qui, par des avis et des reproches, le protège des dangers des mauvais exemples et des conversations mondaines. Et Platon a dit qu’un ami qui refuse de réprimander un ami, pris en faute, est digne de blâme. La loi divine positive commande, elle aussi,  de corriger son frère pour l’empêcher de retomber dans le péché (Eccl. X1X, 13,14), et de le ramener au bien (Matt. XV111, 15). Elle demande que le spirituel instruise gentiment ceux qui ont commis quelque faute (Gal. V1, 1); qu’un pécheur ne soit pas traité en ennemi, mais averti en frère. (11 Thes. 111, 15).

 1260- Est-ce que le devoir de la correction fraternelle oblige quelqu’un à  partir à la recherche de celui qui vit dans le péché ?  Une personne a le devoir de partir à la recherche du fauteur, s’il est à sa charge, et si elle en est vraiment responsable,  tant qu’il y aura  un espoir d’amendement.  Car le bon pasteur va à recherche de la brebis perdue (Matt. XV111, 12, 13). En conséquence, les parents, les curés et les supérieurs doivent tenter de retirer leurs sujets des chemins d’iniquité.  Si l’on n’est pas responsable du pécheur, il n’y a pas d’obligation de courir après. Parce que les obligations que nous avons envers le prochain en général, et envers aucune personne en particulier, ne requièrent pas que nous partions à la recherche de personnes qui ont besoin d’aide.   Elles demandent seulement que nous aidions ceux que nous rencontrons.  Ainsi, personne n’est obligé de fréquenter les antres du vice et du crime pour réformer ceux qui s’y trouvent. C’est la communauté, prise dans son ensemble,  qui a ce genre de responsabilité.
 1261- Puisque le précepte de correction fraternelle est affirmatif, il n’oblige pas en tout temps et en tout lieu. On doit accomplir les actes de vertu de façon à ce que non seulement l’objet et le motif soient bons, mais aussi de façon à ce que les circonstances soient propices : l’objet et le motif de la correction (la conversion d’un pécheur), et les circonstances de temps, de lieu, etc, les considérations secondaires. En conséquence, la correction est un bien et un devoir, quand elle sert à convertir ou à améliorer un pécheur,  maintenant ou plus tard, même si elle peut être imparfaite à cause de quelques circonstances.  La correction n’est ni un bien ni un devoir quand elle ne servira pas à convertir un pécheur, même si certaines circonstances semblent la favoriser (Eccl. XXX11, 6).  En conséquence, on ne devrait pas tenter de corriger quelqu’un qui agit sous l’action de la colère, de peur de ne faire qu’empirer les choses. Cela s’applique, évidemment, à la correction fraternelle, non à la correction juridique.  Car un juge, et même un supérieur, doit punir, même quand le coupable n’en retirera pas d’amélioration, pour l’empêcher de faire le mal et pourvoir au bien commun, pour protéger le peuple et éviter le scandale.

 1262- Dans les cas suivants, la correction fraternelle va contre son propre but.  Quand, en rejetant l’admonition, un pécheur empire au lieu de s’améliorer. Quand un pécheur s’endurcira et s’envenimera après avoir été réprimandé, et commettra des péchés plus nombreux et plus graves. Ainsi, si l’on sait qu’un blasphémateur prend très mal les reproches et les conseils, c’est un péché d’essayer de le corriger. Ne reprends pas un moqueur de peur qu’il ne te haïsse  (Prov. 1X, 8).
 1263-  Le devoir de la correction fraternelle dépend donc de l’idée qu’on se fait du succès escompté. En conséquence, les cas suivants peuvent arriver. Si l’on est certain que la correction aura de bons effets, on doit la donner.  Si l’on est certain qu’elle n’aura pas de bons effets, on doit l’omettre. S’il est probable qu’elle sera profitable, et si on est certain qu’elle n’aura pas de fâcheux effets, on devrait l’administrer.  Car, pour aider un malade, un médecin devrait donner un remède qui n’est pas dommageable, même s’il n’est que probable qu’il apportera la guérison, s’il n’existe rien d’autre  à tenter.  S’il est douteux qu’une admonition fasse un bien quelconque, et s’il est également douteux qu’elle soit nuisible, (quand on a affaire à un étranger dont on ne connait pas le caractère), on doit alors peser les avantages et les inconvénients, et décider en conséquence, comme on l’expliquera dans le paragraphe suivant.

 1264- Des cas de doute concernant la correction fraternelle peuvent se présenter ainsi.  Si le bien espéré est supérieur au mal redouté, on devrait donner la correction. Exemple. Si on prévoit qu’on humiliera et éloignera un pécheur en le corrigeant, mais qu’il se ressaisira plus tard et se convertira, le bon résultat de la conversion est à préférer à l’humiliation et à l’éloignement.  Si on doute qu’une correction  aide ou blesse  un mourant, le bien de son salut devrait être préféré à la liberté de commettre un nouveau péché.  Si le bien espéré et le mal redouté sont à peu près de valeur égale, il faudrait omettre la correction, puisque le précepte négatif de ne pas offenser le prochain l’emporte sur le précepte positif de lui rendre service.
 1265- Quand commet-on un péché en omettant la correction fraternelle ?  Si on  l’omet pour des motifs de charité, l’omission est bonne et méritoire.   Pierre omet de corriger Paul parce qu’il pense qu’un reproche lui ferait du mal à lui et aux autres, ou parce qu’il attend une occasion plus favorable.  Si on l’omet en allant contre la charité (parce que quelqu’un hait son prochain, ou ne s’intéresse pas à son bien être spirituel), l’omission est un péché mortel.   Exemple. Jacques néglige de corriger Jean parce qu’il préfère qu’il se ruine plutôt que de perdre son amitié, ou d’encourir son inimitié.  Si on omet la correction en dépit de la charité, l’omission est un péché véniel.   Exemple.  Pierre n’est pas un supérieur.  Il commet la faute de ne pas corriger Paul par faiblesse,  parce qu’il craint de l’offenser et d’être considéré prétentieux.  Mais il fait passer le bien spirituel de Paul avant ses craintes et ses intérêts, et serait prêt  à lui donner la correction s’il sentait qu’elle est absolument nécessaire.
 1266- On doit juger les péchés commis en retardant la correction fraternelle, d’après les règles qui viennent d’être données sur l’omission et la correction.   Mais est-ce correct de retenir la correction dans l’espoir que le pécheur devienne plus réceptif  s’il fait, au préalable, l’expérience des mauvais effets du péché ?  Si on espère que la correction aura pour effet  d’amender le pécheur, on ne devrait pas la remettre à plus tard.  Autrement, ce serait comme ne pas se soucier de l’honneur de Dieu, de l’édification du prochain, de l’endurcissement possible du pécheur, ou de la mort en état de péché mortel. S’il n’y pas de probabilité d’amendement immédiat par la correction, on ne peut qu’attendre que l’expérience des maux qu’apporte le péché pour ramener  l’enfant prodigue à son Père céleste.
 1267-  Il n’est pas toujours nécessaire à quelqu’un qui n’est pas supérieur de faire la correction fraternelle, puisqu’il y a bien des conditions qui doivent exister avant qu’il soit obligé de le faire.   Ces conditions incluent le but qu’on se propose, dont nous avons déjà parlé, et des circonstances qui sont comme suit.   La faute à corriger devrait être un péché connu et sérieux. La personne qui donne la correction devrait avoir le devoir et le droit de réprimander. La façon de donner la correction devrait être telle qu’elle permette d’atteindre la fin  proposée.
 1268- On ne devrait pas entreprendre de corriger une faute à moins d’être sur qu’une faute a été commise, ou est sur le point d’être commise.  Les scrupuleux, qui ont tendance à soupçonner ou à voir le mal là où il n’est pas,  sont en général dispensés de l’obligation de faire des corrections fraternelles.

 Voici quelles sont les raisons pour lesquelles ne suffisent pas le doute, la peur, la suspicion, le quand dira-t-on.  La correction ne plait pas à celui est corrigé. Et, si on ne peut pas prouver sa faute, il ergotera avec le correcteur, et il n’en résultera que des querelles et des inimitiés.  La charité nous demande de donner au prochain le bénéfice du doute.  Si on ne le fait pas, celui qu’on corrige pourra corriger le correcteur, en l’accusant de suspicions non charitables.
 1269-  Est-on donc obligé de faire une enquête sur la conduite de ceux qu’on soupçonne d’avoir fait de mauvaises actions ? S’il est question de la correction juridique, l’autorité publique est tenue en justice de clarifier tout doute avant d’agir.   S’il est question de la correction fraternelle, un parent ou un supérieur est tenu par charité de faire des enquêtes paternelles sur  la conduite de ses sujets.  Car un père n’attend pas que ses enfants lui demandent des biens corporels, avant de savoir qu’ils en ont besoin.  Il ne devrait pas attendre non plus qu’on porte à son attention leur détresse spirituelle.  Le supérieur, d’un côté, devrait éviter tout soupçon excessif qui le porterait à agir durement, à se faire haïr par ses sujets, et d’un autre côté, tout excès de confiance qui encouragerait toutes sortes d’irrégularités.  Semblablement, il ne manquera pas à surveiller tout spécialement celui qui porterait atteinte à la réputation d’autrui.   S’il est question de la correction fraternelle, les personnes privées ne devraient pas se mettre le nez dans les affaires des autres.  Ceux qui ont la manie d’épier les autres, et de les suivre come leurs ombres, manquent à la charité envers eux-mêmes et envers les autres,  même s’ils ont l’intention de les réformer. Leurs propres affaires en souffriront, puisque ceux qui ont besoin de correction sont nombreux.  Et les personnes investiguées en seront ennuyées ou indignées. Ne fais pas le guet devant la maison du juste pour le prendre en faute, et ne trouble pas son repos (Prov. XX1V, 15).

 1270-  Voici quelles sont les fautes qui demandent la correction fraternelle.  Les péchés graves devraient être corrigés, car, autrement, on laisse aller à la perdition une âme qui aurait pu être sauvée (Matt. XV111, 14, 15).   Les péchés légers ou les transgressions de règlements réclament aussi la correction, s’ils sont l’occasion d’un scandale grave ou d’un désordre social.  Ils commettent un péché mortel les supérieurs qui se montrent négligents là-dessus.  On ne devrait pas corriger les péchés légers ou les transgressions dans les cas suivants, car ces fautes sont si nombreuses que s’il fallait les corriger toutes, on placerait sur les épaules de quelqu’un un fardeau intolérable.  Les gens qui font un drame avec la moindre imperfection sont de vraies pestes, et font plus de mal que de bien.
 1271-  Le but de la correction fraternelle est de sauver quelqu’un qui est danger de perdre son âme.  En conséquence, elle ne devrait pas porter exclusivement sur les péchés qui offensent le correcteur, mais sur ceux qui offensent Dieu, le prochain, ou l’offenseur lui-même.
 1272-  Puisque le but de la correction fraternelle est de détourner le pécheur de ses mauvaises habitudes, elle n’a pas sa raison d’être pour ceux qui ne pèchent pas, ou qui ne pèchent plus.  Il n’y a donc aucun besoin de cette correction dans les cas suivants. Quand une personne pèche par ignorance et n’est coupable d’aucun péché formel ; quand celui qui péchait autrefois a cessé de commettre des péchés.
 1273- On ne corrigera pas une personne qui pèche par une ignorance vincible, à moins que ne soient réunies les deux conditions suivantes.  On doit avoir un espoir d’amendement, car, autrement, l’admonition ne ferait qu’augmenter la culpabilité du pécheur.  Il ne faut pas qu’un grand mal résulte de la correction ou de l’admonition.

 1274- Une personne qui pèche par ignorance invincible n’est pas coupable de péché mortel, et elle n’est donc pas, comme il a été dit plus haut,  sujet  à la correction fraternelle.  Mais la charité demande souvent que les supérieurs ou les confesseurs lui apprennent ce qu’il ignore, dans le but de prévenir des maux éventuels.  Voici quels sont ces maux.  Une injure à Dieu, quand quelqu’un ne saisit pas vraiment le sens  des expressions blasphématoires. Une injure envers soi-même, comme quand un enfant, qui ne connait rien à l’alcool, s’enivre.  Une injure envers le prochain, quand on ne sait pas qu’on peut scandaliser les autres en ne respectant pas le jeûne du carême.
 1275-  Si on espère que l’instruction portera de bons résultats,  on devrait instruire l’invinciblement ignorant pour l’empêcher d’injurier Dieu, le prochain et lui-même.  Mais si on pense que l’instruction fera plus de tort que de bien, on devrait la laisser tomber. Le devoir de l’instruction repose surtout sur les supérieurs, comme les parents, les enseignants, les confesseurs.

 Ces principes s’appliquent à différents cas de la manière suivante.   Pierre, par inadvertance, a mangé de la viande un jour d’abstinence, sans donner aucun scandale. Paul a fait la même chose, mais il a causé un grand scandale.  Il pourrait y avoir une obligation de dire à Paul ce qu’il a fait, pour réparer le scandale.  Mais cette obligation ne vaudrait pas dans le cas de Pierre.  Luc et Marc sont tous les deux mariés invalidement, mais de bonne foi.   Si on dit à Luc ce qui en est de son mariage, il ne verra aucune difficulté à recommencer. Mais si Marc apprend que son mariage est nul, il abandonnera  son épouse et sa famille, et des discordes et des scandales éclateront.  On devrait donc dire la vérité au premier, mais non au second.

 Un péché matériel peut être sur le point d’être commis contre la loi naturelle ou la loi divine. Pierre est sur le point de détruire ce qu’il croit être un tableau sans valeur, mais qui est, en réalité, une grande œuvre d’art appartenant à Paul. Jacques va à l’église pour se marier. Jean connait un empêchement diriment à ce mariage, mais ne peut pas le faire connaitre sans faire un drame et causer un grand scandale. On devrait avertir Pierre,  mais on a le devoir de ne rien dire à Jacques.  Un péché matériel peut être sur le point d’être commis contre la loi humaine.   Pierre voit Paul et d’autres manger par mégarde de la viande un jour d’abstinence.  Il a constaté aussi que le père Isaac avait oublié de mettre une aube ou une chasuble pour dire la messe.  Il n’y a aucune obligation de rappeler à Paul que c’est un jour d’abstinence.  Mais pour le respect qu’on doit aux choses saintes, il faudrait faire remarquer au prêtre qu’il a omis un vêtement liturgique.    1276- Certaines fautes du passé ne requièrent pas la correction fraternelle, celles  dont on s’est repenti, surtout s’il n’y a pas de danger de rechute (une femme n’a pas à rabâcher à son mari qu’il était adonné à la boisson avant qu’il la rencontre).  Ces péchés qui seront facilement corrigés sans l’intervention de personne.  En conséquence, il n’est pas nécessaire de faire des reproches à Pierre parce qu’il a trop bu, s’il n’est pas soucieux de son salut, ou s’il ne s’approche pas des sacrements, ou si ses parents et son épouse sont les mieux placés pour faire la correction, et ne manqueront pas de la faire.

 1277- Quelle personne doit-on corriger ?   On ne peut donner la correction juridique qu’à ses sujets, car elle suppose une autorité.   La correction fraternelle peut être donnée non seulement aux inférieurs et aux égaux, mais aussi aux supérieurs.  Car il faut manifester de la charité à tous ceux qui ont besoin d’aide; et plus élevé est le poste, plus grand est  le danger. Les supérieurs qui causent du scandale ou qui font du tort aux autres devraient être semoncés par leurs égaux, ou, en cas de nécessité, par leurs sujets.   La correction fraternelle entre les membres du clergé est particulièrement avantageuse.
 1278-   Quand un supérieur reçoit une correction fraternelle, il devrait la prendre, si elle est pertinente, avec humilité et reconnaissance, imitant saint Pierre quand il a été réprimandé par saint Paul (Gal. 11, 11). L’inférieur devrait donner la correction sans arrogance ou âpreté, mais respectueusement, et gentiment. Ne rebute pas un vieillard, mais traite-le comme un père (1 Tim V, 1).  Il est préférable que la personne qui corrige soit d’un certain rang, de peur que la démarche ne soit  attribuée au mépris, et qu’elle ne fasse qu’indisposer davantage le supérieur en faute.  Exemple.  Les enfants devraient supplier leurs parents de cesser de voler, de s’enivrer, de négliger la religion, et de s’amender.

 1279- Quelles sont les personnes qui peuvent administrer la correction fraternelle ?  La correction juridique, comme nous l’avons déjà dit, ne peut être donnée que par un supérieur.   La correction fraternelle peut être  donnée par quiconque a ce qu’il faut pour qu’elle ne soit pas automatiquement inutile ou nuisible.  Il n’est pas requis, toutefois, que la personne qui corrige soit sans faute.  Car s’il fallait  exiger l’impeccabilité, qui pourrait corriger les délinquants ? (1 Jn 1, 8).  1280- Le fait que quelqu’un soit connu pour être un pécheur en état de péché mortel, ou coupable des mêmes péchés qu’il réprouve, ne le disqualifie pas pour donner une correction fraternelle.  Parce qu’en dépit de tous ses péchés, il peut conserver un jugement droit, et être ainsi capable de corriger les mauvaises actions.  Dans les cas qui suivent, la correction faite par un pécheur est répréhensible, à cause des circonstances.  Le motif de la correction est mauvais, quand quelqu’un corrige un pécheur uniquement pour détourner l’attention de lui-même, pour cacher des mauvaises actions sous de bons morts, pour exercer la vengeance etc…  La façon de corriger est coupable quand le pécheur corrige avec orgueil, comme s’il était lui-même au-dessus de toute correction. Quand tu juges un autre, tu te condamnes toi-même, car tu fais les mêmes choses que tu condamnes  (Rom. 11, 1).

 Les conséquences des corrections faites par un pécheur sont une circonstance mauvaise, comme quand un scandale en résulte.  Pierre est coupable de péchés bien plus grands que son voisin, et il lui fait la leçon. Un effet démoralisant est produit quand on donne l’impression que les bonnes paroles sont plus importantes que les bonnes actions.
1281- Quelqu’un qui fait passer la conversion de son prochain avant la sienne dévie du droit ordre de la charité, puisqu’il devrait s’aimer lui-même plus que son prochain.  Mais on peut, sans transgresser le précepte de la correction fraternelle, chercher à corriger son voisin avant de s’être corrigé soi- même.  Ainsi, de par la nature de la correction elle-même, ou d’après ce qu’ordonne le commandement, il ne semble pas qu’il y ait aucune obligation de se corriger soi-même avant de corriger les autres. Car une correction faire humblement par un pécheur qui se reconnait indigne de juger les autres, ou par un pécheur que l’on croit ou bon ou réformé,  peut être aussi efficace que celle faite par des gens vraiment vertueux.   Mais, c’est un conseil évangélique qui demande de se corriger soi-même pour pouvoir mieux corriger les autres.

 A cause de raisons spéciales, on peut être obligé de se corriger soi-même avant de corriger les autres, quand la correction de soi-même est le seul moyen d’obtenir le résultat espéré..  Ainsi, un supérieur qui ne peut pas maintenir la discipline, parce qu’il n’observe pas la règle lui-même; l’ami d’un moribond qui ne peut pas le convertir sans apporter la preuve de sa  propre conversion; quelqu’un qui ne peut pas réparer le tort fait par un  scandale sans manifester son repentir.  Tous ceux-là devraient commencer par se corriger eux-mêmes.  Quelqu’un devrait enlever la poutre de son œil, s’il ne peut pas autrement enlever la paille des yeux de son prochain (Matt. V11, 5).
 1282- Toutes les personnes qui en sont capables sont donc tenues par le devoir de la correction fraternelle.  Il a donné à chacun d’eux un commandement qui concerne le prochain  (Eccl,. XV11, 12).   Mais ce devoir s’impose davantage à certaines personnes qu’à d’autres.   Ainsi, les évêques et les curés sont tenus par la justice à la correction fraternelle, et même au péril de leur vie.  Les autres, prélats, confesseurs, parents, maris, maîtres, enseignants et gardiens sont tenus à la correction fraternelle par la charité, et de par leur fonction propre.   Mais ils ne sont pas tenus par ce devoir quand ils se mettraient, en le remplissant,  en grand danger personnel.  Les personnes privées y sont tenues aussi par  la charité,  mais leur obligation est moindre que celle dont c’est le devoir de faire des corrections fraternelles.
 1283- Une personne n’est pas obligée de faire une correction fraternelle simplement parce qu’elle est capable de la faire avec succès.  Car elle en est dispensée si sa correction à elle n’est pas vraiment nécessaire,  lorsque, par exemple, d’autres personnes, comme les parents, s’en acquitteraient mieux.  Si sa correction lui causerait des soucis auxquels elle n’est pas obligée de s’exposer. 1284-   L’obligation de faire une correction fraternelle, même si elle devait  faire un grand tort à celui qui la fait, existe dans les cas suivants. Si la correction est nécessaire pour détourner un mal spirituel extrême (la damnation), on devrait être prêt à faire même le sacrifice de sa vie pour la donner. (Cf 1165). Exemple. Pierre est en train de mourir d’une maladie contagieuse. Il perdra son âme si Paul ne vient pas le sermonner. Si une correction fraternelle est nécessaire pour détourner un grave mal spirituel, un curé devrait être prêt à mettre sa vie en danger, et une autre personne devrait être disposée à prendre le risque de perdre de l’argent et à endommager sa santé.  Mais un sujet n’est pas tenu de corriger son supérieur, si ce reproche  déclenchera sur lui une persécution.  Un scrupuleux n’est pas tenu à corriger son frère, parce que cela lui causerait des inquiétudes et des anxiétés.

 1285- Voici quelle est la manière de faire une correction fraternelle.  Les dispositions internes qu’on devrait posséder sont la charité envers celui que l’on corrige, et l’humilité provenant de son indignité propre.   Car le devoir de la correction fraternelle n’est pas en opposition avec le commandement de supporter les faiblesses des autres (Gal. V1, 2), et de ne pas se préférer orgueilleusement aux autres (Phil. 11. 3).  On devrait corriger les inférieurs paternellement, les égaux charitablement, les supérieurs respectueusement.  Dans toute correction, il devrait y avoir un mélange de fermeté et de d’aménité.

 L’ordre externe à suivre est celui donné par notre Seigneur en Matt. XV111, 15-18. Quand la chose est possible, on devrait donner l’admonition en privé. Et on ne devrait pas porter d’accusation devant les supérieurs, avant que d’autres moyens, comme le recours aux témoins, se soient avérés inutiles.  L’ordre à suivre dans la correction fraternelle ne vient pas seulement de la loi divine positive, mais aussi de la loi naturelle.   Car la loi naturelle requiert que nous fassions aux autres ce que nous aimerions qu’ils nous fassent,  et il n’y a aucune personne qui ne désire que la correction soit faute sans porter atteinte à ses sentiments et à sa réputation.

 1286- Dans quels cas doit-on faire la correction fraternelle en secret ?   Pour des péchés publics (des péchés réels connus par la communauté, ou qui le seront), aucune admonition secrète n’est requise, puisque le péché est déjà connu.  Une correction publique, au contraire, s’impose ici pour remédier au scandale.  Ceux qui pèchent réprouve-les devant tous, pour que les autres aussi craignent (1 Tim. V, 20).  Aucune admonition secrète n’est requise non plus pour les péchés occultes qui sont contraires au bien commun ou au bien d’une tierce personne.  Il faut, au contraire, les dénoncer immédiatement, car le bien-être spirituel ou corporel de la multitude ou d’une personne privée innocente est un plus grand bien que la réputation d’une personne coupable.  On devrait toutefois faire une exception. Quand on est certain de pouvoir convertir un pécheur par une admonition secrète, et de prévenir le tort que peuvent subir les autres.   Si Pierre sait  qu’il y a un complot visant à voler la maison de Paul,  et que toute tentative de dissuader les voleurs se retournerait violemment contre lui, il devrait avertir Pierre ou les policiers.  Si Jacques sait que, dans son école, un étudiant initie les autres au vol et à l’ivrognerie, il doit révéler la chose.  Il ne pourrait pas recevoir l’absolution s’il refusait de le faire.  Mais le secret de la confession doit être sauvegardé.

 Pour d’autres péchés qui ne sont pas contre le bien commun ou une tierce personne, on devrait avoir recours à l’admonition secrète, avant de les faire connaitre à tous.  Cela préservera la réputation du pécheur et empêchera son endurcissement dans le mal. Cela fera aussi en sorte que d’autres ne soient pas atteints par ses déportements,  et qu’il n’y ait pas de scandale causé par la publicité.  1287-   Quelle est l’obligation de dénoncer un péché occulte qui cause du tort à une communauté, quand la personne qui le dénoncera devra en subir les conséquences ?  Si le silence ferait du tort à une communauté, on est obligé de parler, même si on devait en éprouver de grandes souffrances (Cf. 1284).   Exemple.  Pierre sait qu’un de ses confrères de classe a une mauvaise influence sur les autres; qu’il en entraîne un nombre toujours croissant à voler.  La conséquence en sera que plusieurs seront corrompus  et la réputation de l’institution ternie. Mais il ne peut pas parler sans s’exposer à de graves inconvénients, parce qu’il a été lui aussi impliqué dans cette affaire, ou parce que les délateurs sont considérés comme des traîtres.

 Si un tort privé résulte du silence, on n’est pas obligé de parler en s’exposant à de graves inconvénients.   Exemple.  Si Matthieu sait qu’il n’y a que deux ou trois étudiants à avoir été dévoyés, il n’est pas obligé de s’impliquer lui-même, ou d’encourir l’ignominie d’être considéré comme un espion. 1288-  Il y a des cas exceptionnels où les fautes occultes, qui n’offensent personne, sont dénoncées publiquement sans admonition privée préalable. Dieu, en tant que chef suprême, a le droit de rendre publics des péchés cachés, même s’il avertit secrètement par la voix de la conscience,  par des prédications, ou par d’autres moyens. En faisant connaître le péché d’Ananie et de Saphira, Pierre  a agi comme un instrument de la justice de Dieu, et en vertu d’une révélation qui lui avait été faite (Act. V, 3, 4, 9).  Les membres d’une société qui se sont mis d’accord pour rendre publiques les transgressions de leurs règles, ne violent pas l’ordre de correction fraternelle donné par le Christ, s’il n’y a rien de diffamatoire dans ces rappels à l’ordre.   Exemple. La proclamation des fautes faites pendant le chapitre, dans les ordres religieux.

 1289- Un prélat, en visite, peut-il, avant d’avoir averti en secret les personnes suspectes,  obliger ses sujets de lui apporter des informations au sujet de péchés secrets, faits par leurs compagnons,  qui ne font de tort à personne ?  Si un péché est vraiment secret, et si les sujets n’ont pas renoncé au droit à leur réputation aux yeux du prélat, ce dernier n’a pas le droit de donner l’ordre qu’on l’informe immédiatement.  Car la règle fournie par le Christ requiert qu’on fasse d’abord la correction fraternelle.  En conséquence, un sujet qui recevrait ce genre d’ordre serait tenu à obéir au Christ plutôt qu’au prélat (Actes V, 3, 4, 9).  Si un péché est vraiment secret, et si les sujets ont renoncé à leurs droits de recevoir d’abord une admonition privée, un prélat peut demander qu’on lui apporte immédiatement les informations.  Cela est la règle dans certaines sociétés religieuses.  Mais même là, on ne devrait rien rapporter au prélat, si le pécheur s’est amendé.  Et on ne devrait pas informer le supérieur général si le supérieur local peut régler efficacement la question. Ces religieux ont le droit, eux aussi, à leur réputation.   Si un péché n’est pas entièrement secret, parce qu’il a laissé certaines traces, un prélat peut demander qu’on l’informe immédiatement du cas. 1290-  Si, après plusieurs admonitions, il n’y a plus d’espoir de réussite en procédant ainsi, que devrait-on faire ?  Si l’on pense que les autres moyens prescrits par le Christ ont des chances de succès, on devrait les essayer, comme un médecin se tourne vers de nouveaux remèdes, quand les anciens se sont révélés insuffisants.  Si on se rend compte que d’autres essais feraient plus de tort que de bien, on devrait laisser tomber la tentative de corriger un péché privé, qui ne fait du tort qu’au pécheur.

 1291- Voici quel est l’ordre à suivre pour la correction fraternelle après qu’aient failli les remontrances et les blâmes.  On devrait demander l’aide d’un ou de deux personnes pour poursuivre la correction fraternelle. Car la conversion du coupable est plus importante que sa réputation auprès des autres.  Et leur connaissance de la situation protègera le correcteur contre l’accusation d’être un délateur malicieux, si les choses allaient plus loin.  Et cela devrait susciter dans le coupable le besoin de se corriger, avant que le supérieur n’en prenne connaissance, et ne le punisse. Quand tous les moyens se sont avérés insuffisants, on devrait recourir au supérieur de la personne en faute, si on a  des raisons d’espérer une amélioration.  Si le supérieur est imprudent ou colérique, ou est connu comme détestant la personne qu’il aurait à corriger, ou si un reproche ne ferait qu’engendrer de la révolte,  la charité demanderait de ne pas parler de cela.   Exemple.  Pierre s’enivre de temps en temps.  Paul est le seul à le savoir, et il essaie de le corriger fraternellement.  Mais comme Pierre rejette l’accusation, Paul amène avec lui deux amis de Pierre, Luc et Marc, comme témoins. Les trois font un effort pour le convertir.  Cette tentative de correction n’a pas plus de succès que l’autre.  Les trois mettent donc les parents de Pierre au courant de sa conduite, pour qu’ils le surveillent étroitement, et l’éloignent des occasions d’enivrement.

 1292 - Quels sont les devoirs d’un supérieur quand on lui fait savoir que tel sujet a besoin de correction fraternelle ?  Il devrait essayer de découvrir ce qui en est vraiment. Il doit d’abord s’enquérir du caractère et des motifs de celui qui accuse; réfléchir sur les réponses que donne l’informateur pour sa défense. Et, en cas de nécessité, organiser une confrontation entre accusé et accusateur (Cor 1, X1; Dan. X111, 5). Ceux qui  trouvent leur plaisir à rapporter à leurs supérieurs toutes sortes de racontars,  sont des casse-pieds.  Et on devrait leur faire comprendre qu’on n’a que faire de leurs bobards. Si le supérieur a de bonnes raisons pour croire que l’accusation est fondée, il devrait employer des mesures curatives modérées, tout en préservant en même temps la bonne réputation de la personne mise en accusation.  Car les informations qui lui sont parvenues ne s’adressent pas à un juge, mais au père de la personne accusée.  Il doit donc éviter les punitions publiques et les corrections attentatoires  à sa réputation.  Il peut écarter quelqu’un de la fonction qu’il occupe, il peut l’affecter à un autre emploi, quand tout cela peut se faire prudemment. 1293-   Ne sont pas purement théoriques les cas où un sujet est dénoncé à son supérieur pour correction fraternelle, sans admonition préalable.  Car la loi donnée par le Seigneur concernant l’ordre à suivre pour la correction est affirmative.  Elle n’oblige donc que quand sont présentes les circonstances appropriées.  Ainsi, si une admonition préalable serait nuisible, mais bénéfique celle faite par le supérieur, on devrait recourir d’abord au supérieur.  On peut donc omettre les autres admonitions, si celle faite par le supérieur est plus fructueuse. Ainsi, il est préférable que le supérieur soit saisi le premier d’une affaire, s’il inspire plus de respect que les autres à la personne suspecte, et a plus de chance d’être écouté; s’il y a un danger de perdre un temps précieux en faisant les admonitions préalables. On peut appliquer ce qu’on a dit du supérieur à toute personne pieuse et prudente qui inspirerait confiance à l’accusé.

 1294- On peut résumer ainsi l’obligation de la correction fraternelle. On est obligé de corriger quelqu’un quand on est certain qu’un péché grave ne peut être corrigé que par soi-même. Quand on a de bonnes raisons de penser que la correction sera fructueuse pour l’accusé et non déraisonnablement dommageable pour le correcteur.  Ceux qui interviennent quand ces conditions ne sont pas présentes sont indiscrets ou imprudents plutôt que charitables.  On a l’obligation de faire un rapport à un supérieur quand on est certain qu’un péché grave a été commis qui fait du tort à la communauté; ou qui ne pourrait pas être aussi bien corrigé par une admonition privée; quand on pense être le seul à pouvoir le rapporter, et  que l’information sera bénéfique à la communauté, et non indument nuisible à l’informateur.  Ceux qui prennent la décision de dénoncer autrui quand ces conditions n’existent pas sont des mouchards malveillants, des colporteurs de ragots, plutôt que des accusateurs charitables.
 

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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction

Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note: Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.

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