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John A. McHugh, o.p. - Charles J. Callan, o.p.
THEOLOGIE MORALE un cours complet selon saint Thomas d'Aquin et les meilleurs auteurs modernes

Imprimatur Francis cardinal Spellman, Archbishop of New York, New York, May 24, 1958
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ARTICLE 7 : LES PÉCHÉS CONTRE L’AMOUR ET LA JOIE
           (somme théologique IIa-IIae, qq. 34-36)

 1295- On peut réduire les péchés contre la charité et contre ses vertus subordonnées à ce qui suit.   La haine qui est opposée à la charité.  La paresse et l’envie, qui sont contraires à la joie de la charité.  La discorde et le schisme qui sont opposés à la paix de la charité.  Le scandale qui est opposé à la bienfaisance et à la correction fraternelle.

 1296- La haine. La haine est une aversion de la volonté pour quelque chose que l’intelligence juge mauvais, c’est-à-dire contraire à elle-même.  Comme il y a deux sortes d’amour, il y a aussi deux sortes de haine.  La haine d’aversion (la haine d’abomination) est l’opposé de l’amour de désir.  Car cet amour tend vers quelque chose qui nous convient et qui nous est avantageux, tandis que la haine d’aversion nous détourne de quelque chose qui est considéré comme inconvenant et nuisible.  La haine d’inimitié est le contraire de l’amour de bienveillance.  Car cet amour désire du bien à l’objet de son affection, tandis que la haine d’inimitié souhaite du mal à l’objet de son aversion.

 1297- La haine de Dieu.  On ne peut haïr quelque chose qu’en le considérant comme mauvais.   Ainsi, Dieu ne peut être haï que par ceux qui le voient comme un mal pour eux-mêmes.  Ceux qui voient l’essence divine (les élus) ne peuvent pas haïr Dieu, car son essence est la bonté-même. Les bienheureux ne peuvent donc voir en Dieu que des raisons pour l’aimer.  Ceux qui voient Dieu  obscurément à travers les choses créées par lui (les voyageurs de la terre) ne peuvent pas détester un  Dieu qu’ils considèrent comme l’auteur de créatures qui ne sont en aucune façon déplaisantes à la volonté, comme l’existence, la vie, l’intelligence.  Mais ils peuvent haïr Dieu en tant qu’auteur de choses qui déplaisent à leur volonté, comme la loi et le châtiment.  Ainsi, personne ne peut détester Dieu parce qu’il lui a donné l’être, car l’existence, en elle-même, est quelque chose de bon et de désirable.  Mais une volonté dépravée peut haïr Dieu pour avoir interdit le péché, ou pour avoir infligé des châtiments, ou pour avoir permis que des malheurs côtoient les heureux moments de la vie.  Cette haine de Dieu n’est pas une simple possibilité.  Elle est attestée en plusieurs endroits de l’Écriture.  L’orgueil de ceux qui te haïssent s’exhale pour toujours (Ps LX111, 23. Ils ont vu, et m’ont haï moi et mon Père (Jn XV, 24).

1298-  Il ne faudrait pas inférer de ce qui a été dit que ce n’est pas Dieu lui-même qui est haï, mais seulement ses œuvres; ou que c’est un péché de détester les maux, ou même les punitions divines.  Dans ce cas-là, Dieu n’est pas le principe ou le motif de la haine dirigée contre lui, car en Dieu il n’y a rien qui puisse engendrer la haine.  Mais Dieu est le terme ou l’objet de la haine qu’éprouve le pécheur envers Dieu par les effets divins qui lui déplaisent, comme les citations de l’Écriture faites ci-haut  l’indiquent. Par exemple, on déteste quelqu’un à cause de certains défauts qu’on voit en lui, ou qu’on croit voir. Les défauts sont la cause de la haine, mais le prochain en est le terme.  L’aversion qu’on a pour les maux qui sont dans le monde, ou pour les châtiments envoyés par Dieu n’est pas une haine de Dieu lui-même, puisque Dieu ne nous demande pas  de commettre le mal, mais seulement de supporter les maux qu’on ne peut éliminer.   Même les reproches faits à la providence ne sont habituellement que des signes d’impatience, et non pas de haine envers Dieu.

 1299- Plusieurs sortes de haine de Dieu.  En ce qui a trait à l’intention, elle est interprétative ou formelle.  La haine interprétative est une aversion qui n’est pas voulue directement ou  pour elle-même,  mais seulement indirectement ou à cause d’autre chose qu’on aime de préférence. Chaque péché mortel  est un acte de haine interprétative de Dieu, puisque le péché mortel consiste à placer son plaisir ou ses intérêts au-dessus de l’amitié divine.  Mais c’est seulement le péché spécial qui attaque Dieu directement qui constitue la haine formelle.   Ainsi, celui qui tue son ennemi n’a pas pour motif immédiat la haine de Dieu, mais la vengeance, tandis que le meurtrier condamné à mort qui blasphème Dieu parce qu’il sera électrocuté, déteste directement Dieu.

 Au sujet des degrés de sa malice, la haine formelle de Dieu  est ou aversion ou inimitié.
 L’aversion est le péché de ceux qui n’aiment pas un des attributs de Dieu. L’inimitié est le péché de ceux qui souhaitent du mal à Dieu.   Ainsi, quelqu’un qui, délibérément, désirerait que Dieu approuve l’injustice, déteste l’attribut de Dieu de justice. Mais un homme injuste, qui désire pouvoir s’affranchir de Dieu et de sa justice, est coupable d’inimitié envers Dieu.

 1300- La haine de Dieu a un péché spécial. La haine interprétative de Dieu n’est pas un péché spécial, mais une circonstance générale de tout péché mortel.  C’est la haine formelle qui est un péché spécial. Il est particulièrement rare, ce péché,  et doit être confessé comme tel.  C’est un péché qui est distinct non seulement des péchés contre les autres vertus théologales (incroyance, désespoir), mais aussi des péchés contre les autres objets de charité (haine du prochain).  La haine formelle de Dieu n’est pas un péché spécial contre le Saint Esprit (Cf 899), mais sa malice contamine cette sorte de péché, et il est donc un péché général contre le Saint-Esprit.   Par exemple, la présomption est une détestation de la loi de Dieu qui requiert qu’on obtienne son salut en observant les commandements.  Le rejet de cette vérité connue est une aversion pour la  révélation.

 1301- La gravité de la haine de Dieu. C’est un péché mortel de par sa nature.  Il ne peut jamais être véniel à cause  de la petitesse de l’offense, mais seulement à cause d’un manque de délibération ou de consentement.  L’aversion pour un seul des attributs de Dieu est une grave offense, car tout ce qui appartient à Dieu est parfait, et infiniment aimable.  La haine de Dieu est le pire de tous les péchés mortels, car elle est directement opposée à Dieu (le bien suprême) et à la charité (la vertu la plus belle chez une créature), tandis que les autres péchés n’offensent ces biens qu’indirectement.  1302- La comparaison que nous venons de faire entre la haine de Dieu et les autres péchés suppose  que les autres péchés ne comportent pas la haine de Dieu, car il est clair que la simple haine Dieu dans la volonté  est moins sérieuse qu’un péché composite, comme un blasphème externe proféré pour manifester une haine interne de Dieu.   Ainsi, la haine de Dieu sans incroyance est pire que l’incroyance sans la haine de Dieu; la haine Dieu sans la haine du prochain est pire que la haine du prochain sans la haine de Dieu.

 1303- Les degrés de la malice qui se trouve dans la haine de Dieu. On ajoute une nouvelle espèce de péché à la haine de Dieu quand quelqu’un pêche par haine contre les créatures, ou commet d’autres offenses contre Dieu lui-même.   Exemple.  Pierre déteste Dieu, et, à cause de cette haine,  il persécute les créatures, et il blasphème.  Un nouveau degré de malice est ajouté quand quelqu’un passe de l’aversion à l’inimitié, ou quand des circonstances de personne, de temps ou de lieu  aggravent la malice. Exemple. La haine de Dieu exprimée extérieurement ajoute le mal du scandale. Il n’en est pas ainsi quand la haine est dissimulée.

 1304- La haine des créatures. Toute aversion pour Dieu est peccamineuse, car il n’y a rien en Dieu qui mérite d’être détesté.  Mais dans les créatures, on trouve aussi bien des imperfections que des perfections. En conséquence, l’aversion pour les imperfections de notre prochain (de tout ce qui vient du travail du démon ou de sa propre culpabilité), n’est pas contraire à la charité.  Elle lui est plutôt conforme,  car détester le mal qui se trouve dans le prochain est la même chose qui lui souhaiter du bien. Ainsi, on dit de Dieu qu’il déteste  les pécheurs, c’est-à-dire le péché (Rom 1, 30). Et le Seigneur commande à ses disciples de haïr leurs parents qui seraient un obstacle à leur progrès dans la sainteté, c’est-à-dire l’opposition peccamineuse de leurs parents (Luc, X1V, 26). L’aversion n’est un péché que quand il dépasse les bornes.  Ainsi, une femme qui a une si grande aversion pour l’ivrognerie de son mari  qu’elle ne lui donnera pas un médicament qui contient de l’alcool, va trop loin.   L’aversion pour les perfections de la nature ou de la grâce dans le prochain (tout ce qui en lui est l’œuvre de Dieu), est contraire à la charité.  Ainsi, Dieu ne hait pas le pécheur lui-même.  Les enfants ne devraient pas non plus haïr leurs parents, ou la relation qui les unit, quelque mauvais que puissent être ces derniers.  Comme le dit si bien saint Augustin : On doit aimer le pécheur, mais haïr ses vices.

 1305- Les mêmes principes s’appliquent à la haine de soi-même.  Ainsi, on devrait détester ses propres imperfections, car elles sont les ennemis de notre âme.  Voilà pourquoi on définit la contrition comme une haine et une détestation de ses vices. Et c’est une vertu et un acte de charité envers soi-même.  On ne devrait pas détester le bien qu’on a, mais uniquement dans la mesure où il est mêlé au mal.  Ainsi, on ne devrait pas regretter son honnêteté, même si elle nous cause une grosse perte d’argent.  Mais on peut regretter de s’être marié si on a fait un mauvais choix, et si ce mariage a empoisonné notre vie.

 1306- Peut-on détester l’opposition que nous font les autres ?  Si leur opposition est injuste, on peut la détester, car elle est  en eux un péché, et en nous une offense; et la charité envers eux et envers soi-même requiert qu’on ait de l’aversion pour ce qui est nuisible à tous.   Si leur opposition est juste, on devrait l’aimer, car elle est en eux une vertu, et pour nous un avantage. Les plaies faites par un ami sont préférables aux baisers trompeurs d’un ennemi  (Prov. XXV11, V1). 1307-   L’inimitié directe pour soi-même n’est pas possible, car la nature pousse tout homme si fortement à s’aimer lui-même qu’il est impossible à quiconque de se vouloir du mal comme tel. Personne ne déteste sa propre chair (Eph. V, 29).  Mais une personne peut, indirectement, avoir de l’aversion pour soi-même, dans la mesure où elle désire comme bien ce qui est mauvais. Et c’est pourquoi saint Augustin affirme, dans son commentaire, les paroles suivantes : Celui qui aime sa vie la perdra (Jn X11, 25),  Si vous vous aimez vous-mêmes de la mauvaise façon, vous vous haïssez vous-mêmes. Si vous vous aimez de la bonne façon, vous vous aimez vous-mêmes.

Cette inimitié directe envers soi-même se manifeste de deux façons. Une personne désire parfois un bien qui n’est pas réel, mais apparent, comme quand on choisit la satisfaction de la vengeance plutôt que le  pardon des injures. On choisit parfois ce qui est bien pour satisfaire la plus basse partie de son être, comme quand on choisit de plaire au corps au détriment de l’âme. 1308-   Peut-il jamais arriver que ce soit une bonne chose de vouloir du mal à soi-même et aux autres ?  Il n’est pas permis de souhaiter du mal en tel que tel  pour qui que ce soit.  Car Dieu lui-même,  en punissant les damnés, ne désire pas leur perte,  en tant qu’elle est pour eux un mal, mais en tant que contenant le bien de la justice.  En conséquence, il est contraire à la charité de souhaiter qu’un criminel soit mis à mort, si ce désir ne va pas plus loin que les souffrances et la perte de la vie du criminel.   Il est  permis de désirer le mal comme bien, ou, en d’autres mots, de souhaiter des malheurs qui sont des bénédictions déguisées.  Ainsi, on peut désirer qu’un diabétique perde un pied, si cette amputation est nécessaire pour lui sauver la vie.  1309- On peut facilement s’illusionner en désirant du mal à quelqu’un sous le prétexte qu’on ne lui désire que du bien, car la vraie intention pourrait bien être la haine ou la vengeance.  C’est pourquoi les conditions suivantes doivent être présentes quand on désire à quelqu’un un mal pour un bien.  De la part du sujet (celui qui désire le mal), l’intention doit être vraiment charitable, provenant du désir que le prochain en bénéficiera. Ainsi, il est permis de désirer qu’un joueur compulsif connaisse des revers, si ce qu’on désire vraiment n’est pas qu’il perde, mais qu’il se décide à suivre une thérapie. Saint Paul s’est réjoui d’avoir attristé les Corinthiens, parce que leur souffrance les a conduits au repentir (11 Cor. V11, 7-11).  Il est évident que le désir du bien d’un autre ne confère pas le droit de lui faire du tort, car la fin ne justifie pas les moyens.

En ce qui a trait à l’objet (du mal désiré à un autre), il doit être compensé par le bien désiré. Il n’est pas permis de désirer la mort d’un autre à cause de l’héritage qu’on en attend, car la vie de quelqu’un est plus importance qu’un gain privé.  Mais il est permis, dans l’intérêt du plus grand nombre, de désirer qu’un criminel soit capturé et puni, car la tranquillité publique ne peut être assurée que par la vindicte juridique (Gal, V, 12).

1310- Est-il permis de désirer sa propre mort ou celle d’un autre pour le bien privé de la personne dont la mort est désirée ?  Si le bien est un bien spirituel, et s’il est plus important que le bien spirituel contenu dans le désir de vivre, il est permis de désirer la mort.  Ainsi, il est permis de désirer mourir pour entrer dans une vie meilleure, ou pout être libéré des tentations ou des fautes de la vie terrestre.  Mais il n’est pas permis de mourir pour épargner à certains individus le scandale que sa vie leur cause, si d’autres ont besoin de cette vie comme source d’édification (Phil. 1, 21, suiv.)  Si le bien n’est que temporel, mais s’il est suffisamment important, il ne semble pas interdit de désirer la mort.  Ainsi, on ne devrait pas blâmer quelqu’un qui souffre d’une maladie douloureuse et incurable, laquelle est un fardeau pour lui et pour les autres, si, en résignation à la volonté de Dieu, il prie pour le soulagement de la mort, car la mort est meilleure qu’une vie pleine d’amertumes (Eccl, 30, 17).  Mais l’absence d’une santé parfaite ou l’épuisement des forces n’est pas une raison suffisante pour désirer mourir, surtout quand on a des personnes à sa charge, ou qu’on est encore utile à d’autres.

1311- Est-il jamais permis de souhaiter du mal spirituel à quelqu’un ? On ne peut jamais désirer le mal spirituel de l’iniquité, car le désir du péché, mortel ou véniel, est un péché lui-même (Cf. 242). Il ne peut pas être charitable, car la charité ne se réjouit pas de l’iniquité (1 Cor X111, 6).  C’est donc une mauvaise chose de désirer que quelqu’un tombe dans le péché, offense Dieu, diminue sa grâce, la perde complètement, ou perde son âme.  Au contraire, nous avons l’ordre de prier pour qu’il soit libéré de ces maux.  On peut désirer le bien que Dieu tire d’un mal spirituel.  Dieu permet que certains tombent dans le péché, ou soient soumis à la tentation pour qu’ils deviennent plus humbles, plus charitables, plus vigilants, plus fervents. Il semble que la permission du péché dans le cas des élus est un des bénéfices de la prédestination de Dieu, dans la mesure où il en fait l’occasion d’une plus grande vertu, et d’une persévérance plus assurée.  Il n’est pas permis de désirer que quelqu’un tombe dans le péché, mais il est permis de désirer que, si Dieu permet le péché, la conversion s’ensuive.

1312- La gravité du péché de haine envers le prochain. La haine, qu’elle soit d’aversion ou d’inimitié, est, de par sa nature, un péché mortel, puisqu’elle est directement opposée à la vertu de charité, qui est la vie de l’âme.  L’aversion, si l’inimitié ne s’y joint pas, est rarement un péché mortel. Les aversions ou les antipathies sont habituellement  non délibérées, ou sont causées par des défauts réels ou imaginaires d’autrui.  L’aversion est un péché mortel seulement quand on méprise quelqu’un au point d’avoir en horreur  ce qu’il y a de divin en  lui;  ou qu’on déteste un défaut réel au point de l’offenser gravement (refus du pardon ou des marques ordinaires de charité), et de causer un scandale.  L’inimitié n’est souvent qu’un péché véniel parce que la plupart du temps on ne souhaite que des maux anodins (la perte d’une petite somme d’argent), ou parce qu’on souhaite du mal, même grave, sans la pleine délibération.  L’inimitié est quand même un péché mortel quand on souhaite délibérément à quelqu’un un grand malheur (un péché mortel ou la perte de la réputation).

1313- La comparaison de la haine avec les autres péchés contre le prochain.   La haine est un péché plus grand que les péchés internes contre le prochain, comme l’envie et la colère.  Car ces derniers attaquent une sorte particulière de biens du prochain, ou seulement à un faible degré.  Mais la haine peut porter sur n’importe quoi et ne connait pas de mesure.  La convoitise vise les biens externes ou les possessions du prochain, tandis que la haine s’étend sur les biens internes autant que sur les externes. L’envie se gendarme contre les biens d’autrui relativement, c’est-à-dire dans la mesure où elle y voit un obstacle à son bien-être.  Mais la haine déteste les biens d’autrui absolument.  Celui qui hait trouve sa satisfaction non dans un profit quelconque qu’il pourrait en tirer, mais dans son aversion pour le bien d’autrui, et dans le mal qu’il souhaite à autrui.  Toutes choses étant égales par ailleurs, on devrait  comprendre ainsi  cette comparaison. La haine de la vie d’un autre est mise en comparaison avec l’envie de la vie d’un autre etc. Car si les biens ne sont pas les mêmes, la haine pourrait être un  péché plus petit, comme quand on compare la haine de biens temporels avec l’envie d’un bien spirituel.

La haine du prochain est un péché plus grave que des offenses externes. Car la haine empoisonne la volonté, et c’est dans la volonté que le péché prend sa racine. Celui qui hait son frère est un meurtrier (1 Jn. 111, 15).  L’acte externe (le meurtre d’un homme innocent), au contraire, n’est pas un péché formel quand la volonté est sans faute.  La haine est un péché qui cause moins de tort au prochain que les offenses externes. Il n’est que trop évident qu’une aversion interne ou un mauvais vouloir ne peut pas porter de coups capables de casser des os.

1314- Pourquoi la haine ne figure-t-elle pas parmi les vices capitaux ?  Comme il a été dit auparavant (Cf. 269), un vice capital est un vice d’où d’autres espèces de péché tirent leur origine. Or, la haine de Dieu ou du prochain, dans le cours normal des choses, ne précède pas d’autres crimes, mais les suit plutôt.  En conséquence, la haine n’est pas un péché capital.  Cela n’apparaîtra que plus clairement si nous distinguons deux sortes de haine.   La haine de ce qui est vraiment mauvais, et opposé au vrai bien de l’homme (la haine du vice), est naturellement antérieure aux autres mauvais penchants, puisque la nature rationnelle incite quelqu’un à aimer d’abord son bien, et à haïr son mal (Cf. 1106).  La haine de ce qui n’est pas mauvais (haine de Dieu et du prochain) vient naturellement après les autres péchés, car seule une nature déjà corrompue peut détester la vraie bonté. Cela ne veut pas dire, cependant, que tous les péchés mineurs, catalogués  comme tels, doivent avoir été commis avant que survienne la haine.  Cela ne veut pas dire non plus que, dans des cas particuliers, un pécheur n’a pas la possibilité de haïr avant d’avoir commis des péchés moins importants.

1315- Dans un sens large, on peut dire que la haine du prochain précède tous les autres péchés contre le prochain, comme on l’a noté plus haut (Cf. 1299) au sujet des péchés contre Dieu. La haine interprétative, c’est-à-dire un sentiment qu’on éprouve envers autrui qui fait agir comme s’il y avait de la haine, précède donc les autres péchés. Ainsi, si Pierre, qui n’avait rien contre Paul, s’enrage contre lui et le tue, le meurtre est attribué à la colère, mais cette colère peut être appelée haine dans la mesure où la détestation de la vie de Paul est incluse dans le désir de vengeance.  La haine formelle ---l’aversion qu’on a pour un autre qui est absolue, ou qui n’est pas modifiée par des considérations telle que le désir, la vengeance ou la peine  que provoque le sentiment de sa propre infériorité --- ne précède pas, mais suit les autres péchés.  Il n’y a que ce péché de haine formelle qui soit un péché spécial. Dans l’exemple cité plus haut, Pierre a tué Paul non parce qu’il lui inspirait une aversion insurmontable, mais parce que la soif de la vengeance l’a rendu insupportable.

1316- Voici quelles sont les causes du péché de haine. Les causes qui disposent quelqu’un à la haine sont la colère et l’envie, car désirer du mal à quelqu’un pour se venger ou pour sa propre gloire prépare le chemin à lui vouloir du mal absolument, c’est-à-dire à le haïr.  L’envie dispose à la haine plus que la colère, car elle est plus apparentée à la haine.  La haine souhaite du mal à quelqu’un comme quelque chose qui est du en justice, mais l’envie et la haine regardent, toutes les deux, les biens d’autrui d’un œil méprisant. L’envie est la cause qui produit la haine coupable du prochain. Car on ne peut pas haïr ce qui est bon, à moins de le regarder comme nous étant désagréable. Et c’est  le vice de l’envie qui fait regarder les biens d’autrui comme quelque chose de mauvais pour soi.   La haine de Dieu procède indirectement aussi de l’envie, car, bien que la créature n’envie pas Dieu, son envie des autres engendre sa haine des humains, et cette haine peut produire à son tour la haine de Dieu.

1317- Différentes espèces du péché de haine. La haine de Dieu et la haine du prochain sont des péchés spécifiquement distincts, et doivent être déclarés comme tels en confession. Ils sont opposés à la vertu de charité elle-même, mais à cause de l’immense différence existant entre les péchés contre Dieu et les péchés contre les créatures, on doit les considérer comme des espèces différentes de péché.  La haine du prochain en elle-même n’est qu’une espèce de péché, puisque tous ses actes ont ce caractère essentiel que le mal est désiré au voisin en tant que mal, c’est-à-dire qu’on souhaite à quelqu’un du mal en général ou toutes sortes de malheur, sans entrer dans les détails des maux, comme la damnation éternelle.   En raison des circonstances ou de ses conséquences, la haine du prochain peut être mise en relation avec les péchés d’autres espèces.  Ainsi, celui qui hait son prochain parce qu’il est pieux,  ajoute l’irréligion à sa haine. Celui qui hait quelqu’un au point de désirer sa mort  ajoute le meurtre à la haine. Celui qui désire détruire la propriété de son voisin parce qu’il le hait ajoute à sa haine le péché d’injustice. Celui qui hait ses parents ajoute l’impiété à son manque de charité. Celui qui jette  un sort ou un maléfice  sur quelqu’un ajoute la malédiction à la haine.

1318- Les pénitents qui s’accusent de péché de haine ont souvent en tête un péché spécifiquement distinct du péché de haine, ou un acte qui n’est pas du tout un péché.  Ainsi la haine de Dieu signifie parfois un manque de résignation à la volonté divine. L’aversion qu’on a pour le  prochain signifie souvent une incompatibilité de caractère ou une réprobation de qualités positives ou d’actes qui méritent d’être détestés ou censurés.   Ainsi, un pénitent qui se sent toujours mal à l’aise dans la compagnie d’un voisin à cause d’une antipathie naturelle ou d’une crainte qu’il ne peut pas expliquer lui-même, ou qui redoute de rencontrer des individus qui sont ennuyants ou dont la conversation manque de savoir vivre, peut s’accuser d’une aversion coupable.

Souhaiter du mal à quelqu’un signifie parfois que la justice suive son cours, ou qu’on s’en tienne à l’ordre de charité.  Ainsi, un pénitent qui a désiré qu’un criminel soit puni pour le plus grand bien de la société, ou, pour des motifs de charité, ou qui  a désiré que son ami remporte la victoire sur son adversaire dans une compétition sportive, peut s’accuser d’avoir voulu du mal au criminel ou de la male chance à l’adversaire de son ami.  1319-  On devrait mentionner les circonstances d’un péché de haine au confessionnal, de la façon suivante.  Quand elles ajoutent une nouvelle espèce, comme la personne haie (son propre père), ou le mal souhaité (la chute dans un péché mortel, la perte de la réputation, la mort etc).

1320- Le péché de paresse. La paresse est une tristesse ou un abattement de la volonté devant les biens divins que nous possédons.  Elle provient d’un manque d’estime pour la fin dernière et pour les moyens qui y conduisent.   La paresse est une tristesse de la volonté. En conséquence le péché de tristesse diffère de la passion de la tristesse et aussi de la lassitude  corporelle.   Les passions (Cf 121) ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais deviennent  mauvaises quand elles sont immodérées, ou quand elles se tournent vers un objet mauvais.  La faiblesse ou la lassitude corporelle n’est pas peccamineuse, mais dispose quelqu’un à la passion de tristesse. Cette dernière peut, à son tour,  entraîner la volonté vers la paresse, quand il faut rendre des devoirs à Dieu.   La paresse est une tristesse ressentie devant le bien à faire, et ainsi elle diffère de la tristesse que cause la petitesse de ses biens.  L’humilité demande qu’on soit attentif à ses insuffisances et aux plus grands mérites de ceux qui sont meilleurs que nous.  Mais ne c’est pas de l’humilité, mais de l’ingratitude et de la paresse de déprécier les biens reçus de Dieu et de s’en attrister, comme le don de croire et d’être membre de l’Église.   La paresse est une tristesse qui porte sur un bien divin qui est aimé par charité. Ainsi le péché de paresse diffère des circonstances de la paresse, que l’on retrouve dans tous les péchés.
 Il n’y a pas de péché qui ne contienne pas une tristesse ou un dégout occasionnée par la vertu opposée.  La seule idée de modération est répulsive au gourmand, et l’irréligieux associe l’idée de religion à la noirceur.  Mais ce que le péché de paresse a de spécial c’est qu’il est attristé par le bien divin qui réjouit la charité, et qui est la fin de toutes les autres vertus.  La paresse est une tristesse que cause le bien divin, en tant que nous y participons.  C’est-à-dire la fin qui nous est offerte, et les moyens pour l’atteindre, comme la béatitude éternelle, l’amitié de Dieu, les sacrements, les commandements, les bonnes œuvres, et les autres biens divins que l’on devrait estimer et recevoir avec joie.  La paresse diffère ainsi de la haine de Dieu, laquelle est une tristesse que cause la bonté elle-même de Dieu;  et de l’envie,  qui est une tristesse causée par le bien d’autrui.

 La paresse est une tristesse que cause le bien divin, quand il est considéré comme mauvais.  Le péché de paresse regarde avec mépris les joies du ciel et  la pratique de la vertu. Il les repousse comme indignes d’être aimées (Cf Num XX1,4). La paresse diffère donc de la fainéantise ou  de l’oisiveté,  car cette dernière  déteste l’exercice de la vertu, non parce qu’elle voit un mal dans la vertu, mais parce qu’elle a une crainte du labeur et de l’effort que la vertu exige, et affectionne  le repos et le loisir.
 1321- La paresse est un péché. Elle est interdite par Dieu.  Courbe tes épaules, et porte la sagesse sur ton dos. Ne sois pas troublé par ses sangles (Eccl. V1, 26).  Elle a une tristesse  mauvaise, parce que le bien la rend triste. Elle a des effets mauvais, parce qu’en remplissant quelqu’un de tristesse, elle l’empêche de faire son devoir. (11 Cor. 11, V11).

 1322- Les qualités du péché de paresse.  La paresse est un péché spécial parce que, comme il a été expliqué plus haut, ses objets particuliers la différencient de la paresse générale qui se trouve dans tous les péchés, ainsi que de la haine, de l’envie et de l’oisiveté.  Mais c’est un péché qui, si on le compare aux autres, est rarement commis. C’est un péché mortel de par sa nature, puisqu’il consiste à détester le bien divin et à l’avoir en horreur. Il est implicitement interdit dans le troisième commandement. C’est un péché capital (un vice qui, naturellement, en produit d’autres) parce que la tristesse incite quelqu’un à commettre d’autres péchés, pour la fuir ou y obvier.
 1323-   La paresse n’est pas un péché mortel dans les cas suivants.   Il n’y a pas de péché grave s’il n’y a pas, dans l’objet, de matière grave.   Quand une personne se désole à la pensée qu’elle sera forcée de faire un bien spirituel qui n’est pas de précepte, mais de conseil, elle ne commet pas de péché, car on ne pêche pas en ne choisissant pas un conseil évangélique.   En toute rigueur de terme, la douleur n’est pas le péché de la paresse, car ce péché  est une tristesse causée par un bien divin, qu’on est obligé d’accepter avec joie. La paresse n’est pas un péché mortel, si le sujet n’a pas suffisamment réfléchi ou consenti.   Ainsi, une simple lassitude physique, en travaillant pour Dieu, n’est pas du tout un péché. Et un sentiment de dégoût pour les choses spirituelles, auquel on ne consent pas, n’est qu’une lutte de la chair contre l’esprit, et, tout au plus, un péché véniel.

 1324- Les péchés qui proviennent de la paresse. Pour fuir la tristesse que lui causent les choses divines, le paresseux se croit obligé d’éviter ou de fuir les choses qui l’attristent, sa fin dernière (péché de désespoir), et les moyens pour y parvenir (péchés de lâcheté et d’insouciance). Il s’en prend aussi aux  causes de sa tristesse, aux personnes qui pourraient le conduire à Dieu (un péché de rancœur), ou aux choses spirituelles elles-mêmes  (péché de malice).  Pour se consoler du manque de joie dans les choses spirituelles, il est tenté de chercher  du réconfort dans les choses défendues.  Son esprit  inquiet et curieux s’enquiert de ce qui ne le concerne pas.  Il parle sans arrêt.  Il bouge toujours, et il doit se déplacer constamment.

 1325- Comment vaincre la paresse. La fuite est une forme convenable de résistance à la tentation, quand la réflexion ne fait que la rendre plus forte, comme dans les tentations contre la pureté (1 Cor V1, 18). L’attaque est une forme convenable de résistance, quand la tentation s’affaiblit en y pensant (Cf 257).  C’est ce qui se passe dans le cas de la paresse, car plus on réfléchit aux choses spirituelles, plus elles deviennent agréables. 1326-  L’oisiveté, en tant qu’elle est distincte du vice capital de paresse, est un nom général donné à un des péchés ou à des circonstances de péché. Elle sera donc traitée dans des endroits différents. Ainsi, la négligence est un manque de décision prompte sur des devoirs à accomplir.  Elle est opposée à la vertu de diligence ou de sollicitude, laquelle appartient à la prudence.  On traitera donc de la négligence avec les péchés contre  la prudence.  La temporisation ou le lambinage est un accomplissement tardif du devoir. On la traitera avec les péchés opposés à la diligence. L’insouciance est un accomplissement sommaire de ses devoirs faits sans amour. Elle est une des conséquences de la paresse données plus haut, et elle est donc, un péché contre la charité. L’indolence est une aversion extrême du labeur et de l’effort causée par un amour désordonné de la détente ou de la relaxation.  On en parlera quand nous traiterons des péchés de douceur, de délicatesse qui sont opposés à la force.  L’oisiveté est l’omission d’un devoir par indolence.  On la regardera donc avec les péchés de différentes sortes.  L’omission du travail auquel on est tenu sera traitée quand on parlera des préceptes de charité et de justice.

 1327- Le péché d’insouciance dans les choses de Dieu est connu aussi sous le nom de tiédeur.  Elle consiste dans un manque de ferveur, et elle pousse quelqu’un à vivre dans une langueur spirituelle.  Elle voudrait, d’un côté, vivre saintement et éviter le péché, mais, d’un autre côté, elle redoute l’effort et la générosité qui sont requis pour pratiquer la vertu et combattre le mal.  Elle est donc très dangereuse.  Même si elle n’est qu’interne, elle peut être plus grave pour le tiède que le péché mortel lui-même, car les menaces ou les promesses qui font changer un pécheur sont souvent sans effet sur un tiède.  Ainsi, nous lisons :  Parce que tu es tiède, ni chaud ni froid, je te vomirai de ma bouche (Ap. 111, 15, 16).  Si elle se manifeste à l’extérieur, elle est un danger pour tous ceux qui sont témoins du manque de conscience avec lequel un tiède prie ou fait ses devoirs.

 1328- Le péché d’envie.  L’envie est une tristesse que causent  les biens d’autrui, lesquels sont vus comme faisant du tort à quelqu’un, ou donc comme quelque chose qui, pour lui, est mauvais.  L’envie est une espèce de tristesse, c’est-à-dire un déplaisir de la volonté  en présence de ce qui est considéré comme un mal.   De cette façon, l’envie diffère du péché qui consiste à se réjouir du malheur des autres, qui, comme nous le dirons plus haut (1342), est une des conséquences de l’envie, même si les deux sont de la même espèce.  Ainsi, l’envie diffère aussi de l’orgueil et de la vaine gloire (qui ne sont pas des aversions mais des tendances), et de la convoitise (qui est le désir de ce qui appartient à quelqu’un).  L’envie porte sur un bien, surtout sur ces biens qui procurent à l’homme l’honneur et l’estime, comme la vertu, la compétence,  le rang, le succès, la propriété.  Ainsi, l’envie diffère de la tristesse causée par le mal ou les effets mauvais du bien, comme le repentir de ses péchés, le regret de n’être pas aussi bon que les autres, le déplaisir qui vient du mauvais usage que les gens font de leur  santé ou de leurs  richesses.  L’envie porte sur le bien du prochain, car seul un fou se chagrinerait à la pensée de la supériorité de Dieu; et l’envie de soi-même  est une contradiction dans les termes.  Ainsi, l’envie diffère de la tristesse causée par la bonté de Dieu (la haine de Dieu), et de la tristesse relativement à son bien (la paresse). On peut quand même dire qu’une personne envie Dieu au sens où elle se sent mortifiée par la gloire externe de Dieu, si elle se prend elle-même pour   un antagoniste de cette gloire. C’est de cette façon qu’on dit que Lucifer envie les attributs de Dieu, parce qu’ils compromettent ses tentatives de promouvoir l’impiété.  Et on dit que l’homme envie l’Esprit Saint quand il est insatisfait du progrès spirituel et de l’avancement de la  sainteté dans les âmes des hommes. L’envieux considère le bien de son prochain comme un obstacle à son propre bien.  Voilà quel est le trait distinctif de l’envie qui le met à part des autres,  de ceux qui en veulent aux biens des autres.   Ainsi, le déplaisir causé par l’excellence ou la gloire d’un autre,  sans relation au moi, n’est pas de l’envie, mais de la haine;  s’il est en relation  avec l’indignité d’un autre, ce n’est pas de l’envie, mais de l’indignation.  En conséquence, l’envie regarde la prospérité du riche comme un malheur pour soi-même, comme une sorte de punition, et d’opposition à ses propres désirs.  L’envie est donc contraire à la miséricorde.  Car le miséricordieux regarde les malheurs des autres comme s’ils étaient ses propres malheurs, tandis que  l’envieux regarde la prospérité des autres comme étant son propre malheur.

 1329- Les objets de l’envie. Les objets matériels sont nombreux, mais ils sont réduits à l’excellence et la gloire.  L’excellence inclut toute sorte de qualités désirables.  La gloire est l’honneur, la réputation et les louanges qui sont la récompense de l’excellence.  En règle générale, l’envie porte sur l’excellence de la gloire, mais elle peut porter aussi sur une excellence interne ou objective. Ainsi,  quand ils sont seuls,  le moins méritant de deux orateurs enviera peut-être la plus grande compétence de son rival. Mais s’ils débattent en public, le meilleur enviera peut-être les applaudissements reçus par le moins capable.  Il n’y a qu’un seul objet formel de l’envie, le tort fait à son excellence et à sa gloire, que l’envieux voit dans l’excellence ou la gloire d’un autre.   On ne doit pas entendre ici le mot tort d’une façon absolue, comme si l’envieux avait perdu quelque chose ou avait échoué en quelque chose, à cause d’une autre personne.  On doit l’entendre relativement, au sens où un envieux sent que la situation  n’est plus la même, que l’autre l’a dépassé, a eu le meilleur sur lui, et a ainsi diminué son excellence.

 1330- Les sujets de l’envie. Ceux qui sont le plus portés à envier autrui sont de deux types passablement différents :  les ambitieux et les pusillanimes.  L’ambitieux convoite les honneurs avec ardeur, et il est en conséquence attristé quand d’autres le surpassent, surtout s’il est déjà célèbre, et n’est pas très éloigné d’atteindre l’objet de ses rêves.  Le pusillanime est susceptible.  Il considère que chaque progrès des autres porte un coup à son prestige. Il est donc plein d’une envie intense, là où une personne normale ne verrait rien qui soit capable de susciter un tel sentiment.  D’un autre côté, ceux qui admettent facilement qu’ils sont inférieurs à d’autres mieux doués qu’eux, ceux qui sont magnanimes, ne ressentent pas ce besoin d’envier les autres.

  Les personnes qui ont le plus de chances d’être enviées sont celles qui sont semblables aux autres ou leurs égales. Car on ne croit pas avoir été retenu à l’écart par quelqu’un qui nous est toujours supérieur, ou par ceux qui nous sont très éloignés dans le temps, le lieu et l’âge. Ainsi, un mendiant enviera un autre mendiant qui est devenu millionnaire, mais pas ceux qui ont toujours été riches, et encore moins les fortunés qu’il ne connait que par oui dire.  Le fils aîné de la parabole a envié son frère puiné, mais non son père (Luc XV, 28). Les exceptions à ce que nous venons d’indiquer ne sont qu’apparentes.  Ainsi, il arrive parfois que des personnes envient ceux qui sont très au-dessus d’elles, mais c’est parce qu’ils se sont enrichis à leurs dépens, comme quand un pauvre envie celui qui possède maintenant la propriété qui était la sienne autrefois. Il y a des gens qui envient leurs égaux, ceux qui ne les ont pas surpassés, mais c’est parce qu’ils ont obtenu pour rien ce qu’ils avaient gagné, eux, à la sueur de leur front.   Il y en a qui envient leurs inférieurs, mais c’est parce qu’ils se comparent à eux  à un point de vue où ils se trouvent égaux, comme quand un vieux envie un jeune, parce que ce jeune  a des avantages qu’il n’avait pas, lui,  de son temps, ou une promotion qui surpasse la sienne.

 1331- Il a été dit plus haut que la haine diffère des autres péchés contre la charité dans la mesure où elle déteste les biens d’autrui sans réserve, sans distinction, tandis que les autres péchés détestent les biens d’autrui pour une raison spécifique.  Ainsi, l’envie diffère de la haine parce que l’envie est un déplaisir de quelque chose en particulier. Elle diffère des autres sortes de déplaisir provoqué par la prospérité d’autrui, parce que la raison du déplaisir est différente en chaque cas.  Ainsi l’émulation trouve du déplaisir en pensant à la prospérité de quelqu’un, non parce qu’elle n’aime pas le succès d’autrui, mais parce qu’elle a de l’aversion pour son  insuccès à elle.  Exemple. Pierre devient triste quand il pense aux vertus de Paul, parce qu’il ne les possède pas.   La crainte déteste la prospérité ou la supériorité d’un autre, non à cause de la prospérité ou de la supériorité en elle-même, mais à cause des mauvais effets appréhendés.  Exemple. Pierre est mécontent de l’élévation de Paul, parce qu’il sait qu’il est son ennemi, et qu’il se servira de son haut poste pour le persécuter.  Il est aussi déçu de ce que, en dépit de son plus grand savoir et de sa plus grande expertise, il n’a pas autant  d’influence que lui, lequel trompe beaucoup de monde par ses sophismes controuvés.

 L’indignation (nemesis) trouve déplaisant qu’un voisin ait un bien qu’il ne mérite pas.  Exemple. Jacques est fâché de voir que Jean, qui est malhonnête, réussisse en affaires.  L’envieux s’attriste de la prospérité de quelqu’un, non parce qu’il pense que cette prospérité entraînera une diminution de son propre honneur, mais parce qu’il voit la prospérité en elle-même, indépendamment de toutes les circonstances, comme un changement dans les relations, et donc un obscurcissement de sa propre gloire. Exemple.  Pierre est attristé par la prospérité de Paul, parce qu’il sait qu’il se servira du pouvoir qu’elle lui procurera pour détruire sa réputation. Jean est attristé par la prospérité de Luc, parce qu’elle lui renvoie l’image de sa propre situation,  qui est beaucoup moins reluisante.  L’un a peur, l’autre envie.

 1332- Est-ce que l’émulation ou la rivalité est un péché ?  Si l’émulation porte sur les choses spirituelles, elle n’est pas blâmable mais digne de louanges. Saint Paul encourage une sainte rivalité, entre les Corinthiens, pour l’obtention des plus hauts dons de Dieu (1 Cor X11, 31).  Saint Jérôme écrit à Laeta pour qu’elle place sa fille avec les autres jeunes filles, ses condisciples, pour que les progrès que feront les autres et les félicitations qu’elles recevront soient un stimulant pour sa fille, afin qu’elle ne tire pas de l’arrière.  Celui qui a une vertu égale ou supérieure à celle des autres ne dérobe pas ou ne diminue pas le bien des autres.  C’est son propre bien qu’il fait croître.  L’émulation n’est donc pas nuisible, mais bénéfique dans les matières spirituelles.  Si l’émulation porte sur les choses temporelles, il est aussi permis de s’attrister de leur absence.  Mais si le désir est désordonné, l’émulation est alors peccamineuse.   Exemple.  Pierre n’est pas moins habile que Paul. Mais sans désirer le monopole, ou sans détester la compétition, il s’attriste de ne pas avoir obtenu un succès égal en affaires. Jacques est très inférieur en ce qui à trait à l’éducation, l’initiative et le caractère, tandis que Jean excelle en tout cela.  Jacques est quand même très désappointé de ne pas avoir obtenu le poste que détient Jean. La première émulation est raisonnable, l’autre ne l’est pas.

 1333- La rivalité s’appelle jalousie quand elle procède d’un amour si ardent qu’elle désire la possession exclusive de l’objet aimé.  Cette jalousie est permise ou défendue selon que la personne qui désire a ou n’a pas des droits exclusifs sur l’objet aimé.  La jalousie n’est pas permise dans le cas d’une mère qui est vexée parce que son enfant aime autant son père qu’elle, car l’enfant doit aimer les deux parents, et c’est une jalousie mauvaise qui pousse une mère à être vexée parce que son enfant aime son père autant qu’il l’aime.  La jalousie est permise pour une épouse qui s’attriste de voir son mari donner à d’autres l’affection qu’il a promis de lui donner.  L’Écriture dit que Dieu lui-même est jaloux de la fidélité de ses créatures.  Il déclare aussi que sa volonté ne souffre aucun rival; qu’Il doit être le seul à exercer son empire sur le cœur (Jos. XX1V, 19 suiv.)  Et saint Paul dit aux Corinthiens qu’il éprouve de la jalousie à leur endroit, celle-là même de Dieu, parce qu’ils n’ont pas été fidèles à sa prédication, mais se sont  liés d’amitié  avec de faux prédicateurs (11 Cor. X1)

 1334- La tristesse provenant de la vue de la prospérité d’autrui est-elle un péché, si elle est causée par la crainte du tort qu’elle produira ?  S’il est clair que quelqu’un usera de sa haute situation pour agir contre la justice et la charité, ce n’est pas un péché de s’attrister de sa prospérité.   Car, puisque c’est une bonne chose de priver quelqu’un des moyens de pécher, quand on a le pouvoir de le faire, ce n’est donc pas une mauvaise chose de désirer que quelqu’un soit dépourvu de ces moyens.  Ainsi, ce n’est pas un péché de s’attrister de l’élection d’un ministre qui promouvra ceux qui enfreignent la loi, et persécutera ceux qui l’observent. Quand les justes s’élèveront, le peuple se réjouira. Quand le méchant sera porté au pouvoir, le peuple se lamentera  (Prov. XX1X, 2).  Saint Grégoire le grand déclare que comme ce n’est pas interdit de se réjouir de la chute d’un ennemi, ce n’est pas de l’envie que de s’attrister de son succès, puisque sa chute est une bénédiction pour les opprimés, tandis que son succès signifie l’injustice pour beaucoup.  S’il est clair que quelqu’un se servira de son pouvoir, de sa richesse ou d’autres biens pour infliger des maux qui sont mérités, donc en toute justice, c’est une mauvaise chose de s’attrister de ce qu’il ait le pouvoir ou des richesses, comme ce serait quelque chose de mauvais de l’en priver. C’est donc une chose mauvaise de s’attrister de l’élection d’un homme honnête, qui abolira les abus, et punira ceux qui enfreignent la loi. Ce n’est quand même pas une faute pour ceux qui enfreignent la loi de s’apitoyer sur eux-mêmes à la pensée de la punition qu’ils recevront.  Si on ne sait pas avec certitude que quelqu’un se servira de son pouvoir pour nous nuire, à nous et aux autres, il est permis de craindre et de se tenir sur ses gardes. Mais il n’est pas permis de s’attrister inconditionnellement de la prospérité d’un autre, ni de le priver de cette prospérité.

 1335- La souffrance causée par la prospérité d’un autre est-elle un péché, quand elle provient de la constatation qu’il est indigne d’une telle prospérité ?  Si l’indignation portait sur des choses spirituelles, elle serait, bien entendu,  un péché.  Mais c’est impossible, car ce sont précisément les biens spirituels (les vertus) qui rendent quelqu’un digne d’une récompense.   Si l’indignation se rapporte  aux choses temporelles que possèdent les mauvais, et si on déplore qu’ils soient prospères, on commet un péché.  Car c’est Dieu qui distribue à ceux qui ne les méritent pas les biens qu’ils possèdent.  Son intention est juste.  Il se sert de ces biens pour corriger ou punir les mauvais, (ou pour les récompenser pour le bien qu’ils ont fait, car ils n’ont pas à attendre de récompense dans le ciel).   Ceux qui s’attristent de la prospérité temporelle des mauvais ne tiennent pas compte du fait que les biens éternels sont une récompense de l’homme, et les biens temporels, des biens en fiducie.  Voilà pourquoi le psalmiste parle ainsi :  Ne cherche pas à rivaliser avec ceux qui font le mal, n’envie pas ceux qui commettent l’iniquité, parce qu’ils vont se faner bientôt comme l’herbe des champs (Ps. XXXV1. 1)

 1336- On doit considérer deux sortes de tristesse qui proviennent de la vue des biens d’autrui. Si qu’qu’un s’attriste précisément de ce que la prospérité est celle d’une mauvaise personne, et ne pense pas au rôle que joue Dieu dans les affaires humaines, il ne semble pas qu’il y ait là un péché.  Car, si on ne  tient pas compte de la providence divine, la prospérité du méchant semble indue, et mérite qu’on la déplore.   Mais ce genre de tristesse est une préparation pour le péché dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et on devrait la rejeter. Mes pieds tremblaient, mes pas chancelaient en pensant aux méchants, en voyant la prospérité des pécheurs (Ps. LXX11, 2,3).  Si quelqu’un s’attriste à la pensée que le pécheur se servira de ses richesses pour devenir encore plus méchant, et pour  encourir de plus grands châtiments, sa tristesse ne va pas contre la charité, elle est même charitable.

1337 C’est de l’envie que vient la peine que cause le fait d’avoir été surpassé par un autre, et d’avoir vu sa gloire pâlir, quand l’envie  est accompagnée du désir que l’autre ne conserve pas le bien qui le rend supérieur à soi.  Cette peine est un péché.  C’est pourquoi elle est condamnée dans l’Écriture : Ne désirons pas la vaine gloire, n’envions pas autrui (Gal V, 26). C’est par envie que les patriarches ont vendu Joseph en Égypte  (Act. V11, 9) La charité ne connait pas l’envie  (1 Cor X111, 4). Ce n’est pas une chose raisonnable de s’attrister de la prospérité d’autrui, puisque la prospérité est une chose bonne, quelque chose, donc,  qui réjouit et qui n’attriste pas.

1338-  De par sa nature, l’envie est un péché mortel.  Elle est ainsi opposée directement  aux actes principaux de la charité, qui sont l’amour du prochain, le désir qu’il ait du bien, et la joie de le voir prospérer.  Car la charité est la vie de l’âme (1 Jn 111, 14).  Les actes secondaires de la charité, comme un baiser donné à un lépreux, peuvent être omis sans perte pour la charité. Mais l’envie détruit l’amour.  L’envie est directement contraire à la miséricorde, car, pendant que la miséricorde pleure à la vue du malheur des autres, l’envie s’attriste de leur bonheur.  Les envieux ne sont pas miséricordieux;  les miséricordieux ne sont pas envieux.

1339-- L’envie est un plus grand péché que les autres sortes de tristesse  qui naissent à la vue du bonheur d’autrui.  Ainsi, l’envie s’attriste du bonheur d’autrui (même mérité); et elle est plus ou moins grande selon que ce bien est plus ou moins grand.   L’émulation s’attriste de ses propres déficiences; la peur, des conséquences du bien d’autrui, l’indignation, de la prospérité de celui qui n’en est pas digne. 1340-  L’envie n’est pas un péché mortel dans les cas suivants.  Si l’objet n’est pas grave, comme quand on porte envie à quelqu’un pour des bagatelles (une belle apparence). Si le sujet ne réfléchit pas suffisamment,  ou ne donne pas son consentement, comme quand des enfants sont jaloux les uns des autres,  ou quand des adultes sentent la piqure de l’envie.  Même les saints ne sont pas à l’abri des tentations de l’envie; et beaucoup de pensées d’envie ne sont pas des péchés mortels, parce qu’elles ne sont pas toujours conscientes.

1341- Les degrés de gravité du péché d’envie.  Il n’y pas d’espèces différentes du péché d’envie du prochain, car tous les actes d’envie ont, comme trait essentiel, d’être une tristesse causée par l’excellence d’autrui,  considérée non elle-même, mais en tant qu’elle amoindrit sa propre excellence.  Nous devrions, cependant, faire une distinction  entre l’envie qui est un péché contre Dieu (l’envie du bien spirituel de quelqu’un, ou la peine causée par la communication de la grâce), et celle qui porte sur le bien du prochain.  Il y a différents degrés d’envie à l’intérieur de l’espèce, selon la plus ou moins grande excellence du bien qui est envié.  Ainsi, c’est un plus grand péché d’envier des biens spirituels (une renommée de sainteté)   que des biens temporels (la facilité que quelqu’un a à gagner de l’argent).  C’est un plus grand péché d’envier la santé de quelqu’un que son habit ou son niveau de vie.

1342- L’envie est un des péchés capitaux, c’est-à-dire que c’est un mauvais arbre qui, de par sa nature, produit les mauvais fruits d’autres péchés.  Les fruits de l’envie marquent un progrès dans le mal. Ainsi, au commencement de l’envie, on essaie de diminuer la gloire de la personne qu’on envie, ou secrètement (en murmurant à l’oreille), ou ouvertement.   En progressant, l’envie se réjouit de l’adversité du prochain, si sa tentative de lui porter malheur réussit, ou elle se désole que la prospérité continue, si sa tentative de le démoniser a échoué.  Se réjouir du malheur de quelqu’un ne diffère pas spécifiquement de l’envie, mais l’affliction causée par la prospérité d’autrui, et dont nous parlons maintenant, est de la même espèce que le vice qui cherchait à ruiner le prochain.  Ainsi, si l’envieux avait recours en vain à la détraction, la peine que lui cause son échec est, quant à la culpabilité, un péché de détraction. Quand elle a atteint sa perfection, l’envie devient de la haine, comme nous l’avons dit plus haut en parlant des causes de la haine (1316).  1343-  L’envie n’est pas le premier des vices capitaux.   Ainsi, elle est causée par l’orgueil, car celui qui désire, de façon désordonnée, sa propre excellence  va facilement s’attrister devant ce qu’il considère comme diminuant sa propre excellence, l’excellence des autres.   Elle est causée par la vaine gloire, car celui qui aspire, de façon désordonnée, aux honneurs et à la gloire sera facilement peiné par les honneurs rendus à autrui.

1344- De quelle façon l’envie est-elle plus grave que les autres péchés ?  L’envie n’est pas le vice le plus énorme, car, comme on l’a déjà dit, la haine de Dieu est, de par sa nature,  le péché le plus grave de tous.   Mais il y a une sorte d’envie (l’envie du bien spirituel de quelqu’un) qui a une place parmi les plus graves offenses  appelées péchés contre l’Esprit Saint  (899). L’envie est presque semblable au péché qui amené tous les malheurs dans le monde,  car c’est par l’envie du démon que la mort est entrée dans le monde (Sag 11, 24).  C’est la tristesse ressentie par Lucifer, devant les dons qui avaient été accordés à nos premiers parents, qui l’a incité à les tenter. Et son envie eut pour conséquence la perte de la justice originelle pour toute la race.

1345- Quelques considérations utiles sur l’envie. L’envie est inutile, car elle ne permet pas d’obtenir ce que l’on désire. Elle ne l’obtient que par le sacrifice de la charité qui est un bien supérieur. L’envie est nuisible parce qu’elle porte avec elle son propre tourment (Gen. 1V, 5; Sag V1, 25; Prov. X1V, 30), et qu’elle pousse à commettre d’autres péchés contre le prochain.  C’est par l’envie que le premier meurtre a été commis (Gen. 1V, 8).  Et c’est l’envie qui a mené à la crucifixion du Christ (Matt. XXV11, 18).

1346- Voici quelques pratiques utiles contre l’envie.  Combattre ses racines, l’orgueil et la vaine gloire.  Cultiver une charité désintéressée, et chercher à imiter ce qu’il y a de meilleur dans les autres.   Je me réjouis de ce que le Chris soit prêché,   par intérêt personnel ou par charité, peu importe,  je m’en réjouis. (Phil 11, 18)  Regardons ce que font les autres pour être stimulés, par leur charité, à faire de bonnes œuvres  (Hebr. X, 24).
 

                                      ARTICLE 8

  LES PÉCHÉS CONTRE LA PAIX
(la somme théologique 11-11 qq. 37-42)
 

Voici quels sont les péchés qui sont opposés à la paix de la charité.  La discorde, qui est opposée à la paix dans les volontés.  La contention ou la querelle, qui est opposée à la paix dans les paroles. Le schisme, la guerre, les combats et la sédition qui sont opposés à la paix dans les actions.

1348- La discorde.  Comme nous l’entendons ici, la discorde est un désaccord des volontés de deux ou plusieurs personnes dans des choses qui appartiennent au bien divin, ou au bien du prochain, au sujet desquelles elles devraient s’entendre.   La discorde est un désaccord des volontés dans les désirs et les souhaits. Ce n’est donc pas la même chose qu’une différence d’opinion (1197), laquelle est un désaccord dans les  jugements. Elle porte sur des choses sur lesquelles on doit être d’accord, c’est-à-dire sur celles qui, d’après la loi de Dieu,  doivent être désirées par tous d’un seul cœur et d’une seule âme.  La discorde diffère donc du désaccord sur des choses surérogatoires.  Exemple. Pierre et sa femme sont à couteaux tirés parce que Pierre ne veut pas faire l’aumône.  Paul et sa femme ont un différend parce qu’elle veut que son mari donne en aumône plus qu’il est nécessaire.  Il y a discorde dans le premier cas, mais non dans le second.   La discorde est opposée au bien divin ou au bien du prochain. Elle diffère donc d’un désaccord avec quelqu’un  qui attaque le bien divin ou le bien du voisin.  La norme de la concorde est la volonté divine, et la seule personne à faire une fausse note  est celle qui n’est pas en harmonie avec la volonté divine.  La discorde ne porte que sur les choses que la charité veut mettre d’accord. Si c’est une autre vertu qui demande l’unanimité (la justice), le désaccord n’est pas une discorde au sens où nous employons ce mot.  Ainsi, celui qui refuse de donner son consentement à l’ordre d’un supérieur est appelé désobéissant; celui qui refuse de payer ses dettes est appelé malhonnête.

1349- Il y a deux sortes de discorde. La discorde intentionnelle, est l’acte de quelqu’un qui, sciemment et volontairement, contredit les autres dans un domaine où la charité requiert qu’il donne son consentement.  La discorde non intentionnelle, qui est un désaccord entre personnes qui recherchent le bien divin et le bien du prochain, mais qui ont des opinions différentes sur ce qui est bien et sur ce qui convient dans une situation donnée.

1350- La culpabilité de la discorde intentionnelle.  De par sa nature, cette espèce de discorde est un péché mortel, puisqu’elle exclut directement la charité.  En conséquence, ceux qui sont coupables du péché de discorde n’obtiendront pas le royaume du ciel (Gal. V, 21). A cause du manque de réflexion suffisante et de consentement, les premières impulsions de discorde ne sont pas des péchés mortels.  1351-  La culpabilité de la discorde non intentionnelle.  De par sa nature, cette sorte de discorde n’est pas opposée à la charité, et n’est pas peccamineuse, parce que la concorde de la charité consiste dans l’union des volontés,  non dans l’union des opinions.  Ainsi, le désaccord de Paul et de Barnabée  (Act. XV, 30), au sujet de Marc n’avait rien de peccamineux.  La différence dans les jugements n’indiquait que leurs limites humaines.  Des circonstances peuvent rendre cette sorte de discorde coupable, comme quand elle est causée par une ignorance coupable en matière de foi, ou qu’elle perdure  avec opiniâtreté.

1352- Qui commet le péché de discorde ? Il arrive parfois qu’il ne soit commis que par une seule personne, comme quand quelqu’un s’oppose sciemment à la volonté d’un autre qui désire faire un acte nécessaire de charité. Il est parfois commis par deux individus, comme quand chacun, dans la chaleur de la dispute, manque à la charité envers l’autre.1353-  Est-il permis de fomenter des divisions  quand l’intention et le but poursuivi sont bons ?  Susciter des dissensions qui détruisent la concorde de  la charité n’est jamais une chose permise.  C’est un péché mortel. Il y a six choses que le Seigneur déteste, et voici quelle est la septième : un semeur de discorde parmi les frères (Prov. V1, 19)  Promouvoir une division qui enlève une concorde chez les méchants est chose permise et louable.  Ainsi, saint Paul a introduit une dissension entre les Pharisiens et les Sadducéens qui s’étaient alliés contre lui (Act. XX111, 6, 7). Mais l’intention de saint Paul était d’engager les Pharisiens à défendre la résurrection et lui-même, non d’inciter les Sadducéens à nier la résurrection.  Il n’avait donc pas utilisé de mauvais moyens pour atteindre une bonne fin.

1354- L’origine de la discorde. Le désaccord des volontés provient parfois de l’envie.  Car celui qui voit l’excellence de son prochain comme une diminution de la sienne propre est porté à s’opposer aux désirs de son prochain, même quand il sait qu’ils sont bons.  La préférence portée à sa volonté propre et la persistance obstinée dans ses desseins  sont dues à l’orgueil et à la vaine gloire.  Car, celui qui recherche indument sa propre excellence ou sa renommée ne cherche pas à céder aux autres ou à changer d’opinion.  Il pense que, même s’il est dans son tort, il ne doit pas se mettre dans ce qu’il considère comme une position d’infériorité.

1355- La contention.   La contention ou la querelle est une discorde exprimée par des mots ou d’autres signes équivalents ( dispute, altercation), dans laquelle l’un nie ce que l’autre affirme.  On la divise comme suit.  Du point de vue de l’intention, c’est une investigation de la vérité, une défense de la vérité, ou une attaque de la vérité. Selon la façon dont elle se déroule, elle convient ou ne convient pas aux personnes ou à la matière débattue. 1356-  La contention qui a pour but de découvrir la vérité est permise de la façon suivante. Cette contention est permise et utile en elle-même, car elle est un moyen d’acquérir des connaissances utiles, de voir les deux côtés d’une question, et à aiguiser l’esprit pour la réfutation de l’erreur. En conséquence, des plaidoyers dans une cour de justice, une controverse dans un journal scientifique, un débat contradictoire, ou une dispute théologique sont, de par leur nature, permis et peut-être même nécessaires. Ce n’est  même pas inutile d’argumenter contre la vérité pour se former à la dialectique, ou pour mettre en lumière la vérité avec encore plus de clarté et de force, si tout danger de scandale est exclu.  Un débat est invalide quand on n’en respecte pas les règles, quand on table sur des préjugés et sur l’ignorance, quand on insulte l’adversaire, ou quand on se sert d’un vocabulaire de bas étage.

1357- Le péché de contention ou de querelle.   La contention est un péché quand elle vise à cacher ou à déformer la vérité.   De par sa nature, ce genre de contention est un péché mortel, car c’est l’expression externe d’une discorde interne dans des choses où la charité requiert la concorde et des paroles semblables.  Voilà pourquoi l’Apôtre mentionne la discorde parmi les œuvres de chair qui excluent du royaume de Dieu (Gal. V, 20).  En raison de la légèreté de la matière ou de l’imperfection du consentement, ce genre de contention n’est souvent, pour ne pas dire la plupart du temps, qu’un péché véniel, ou n’est pas du tout un péché.  Exemples.  Quelqu’un argumente contre quelque chose qu’il sait être vrai, mais la matière est de peu d’importance (son poids), ou il est emporté par la chaleur de la dispute ou il est mis hors de soi par les tactiques de son adversaire.
1358-   On ne commet pas de péché mortel avec la contention, à moins que les vérités contre lesquelles on dispute soient sérieuses par nature. Comme celles qui suivent.  Les vérités qui ont un caractère religieux ou moral, la connaissance de choses qui appartiennent à la perfection de l’intelligence, comme les premiers principes.   Les vérités naturelles d’un caractère spécial, dans les quelles des droits importants sont impliqués.  Exemple.  Un écrivain qui écrit contre une personne du passé respectée et méritante,  ou un avocat qui se sert, pour faire condamner un accusé, d’un fait qu’il sait n’avoir pas existé.  Tous les deux sont coupables d’un péché de contention.
1359-  En conséquence, quelqu’un peut défendre une sorte de vérité et argumenter contre une autre sorte de vérité, au même moment.  C’est ainsi que saint Paul a fait la distinction entre annoncer la vérité pour des motifs de charité et annoncer la vérité par esprit de contention ou de rivalité (Phil. 1, 15).  On défend la vérité pour des motifs de charité quand on ne se sert pas de la vérité comme d’un moyen pour la défense de l’erreur. On la défend dans un esprit de contention quand on l’utilise comme un moyen pour propager l’erreur.  Ainsi, pendant que saint Paul était emprisonné à Rome en 61, certains de ses ennemis personnels ont prêché le Christ, mais, en même temps, insinuaient des faussetés contre Paul pour miner son autorité ou ajouter à l’amertume de sa captivité.   Semblablement, si quelqu’un défend la vérité pour se faire apparaître différent ou meilleur qu’il est, il parle dans un esprit de contention.

 1360- Ce qui rend quelqu’un coupable du péché mortel de contention.  Quand quelqu’un milite formellement contre la vérité, c’est-à-dire quand quelqu’un connait la vérité, et s’efforce de la réfuter ou de la supprimer.  Quand quelqu’un s’attaque à la vérité virtuellement, c’est-à-dire quand quelqu’un est si acharné à faire triompher son point de vue, qu’il n’a cure que ce qu’il dit soit vrai ou faux.  Comme les sophistes qui ne cherchaient qu’à vaincre, de la bonne ou de la mauvaise façon.

 1361- Quand le but de la contention est le renversement de l’erreur.  En elle-même, cette contention est bonne et digne de louanges, et même parfois nécessaire.  Les circonstances peuvent la rendre vénielle ou mortelle. Exemples.  Un débat sur un sujet inconvenant, comme qui est le plus grand (Luc XX11, XX1V). Un débat avec une chaleur plus grande que le sujet ne le demande. Une dispute qui s’envenime et cause un scandale ou d’autres conséquences mauvaises, comme dans les controverses religieuses.

 1362- Les causes de la contention peccamineuse.  La cause de ce qui est le plus important dans la contention –l’éloignement de la vérité et le soutien de l’erreur—est l’envie, l’orgueil et la vaine gloire, comme nous l’avons expliqué plus haut au sujet de la discorde (Cf 1854).   La cause de ce qui est secondaire dans la contention –les insultes, les coups bas, les attaques à la personne, les cris,-- est la colère.

 1363- Les péchés en acte contre la paix de la charité sont les suivants.  Le schisme, qui est opposé à la paix de la société spirituelle, l’Église. La guerre, qui est opposée à la paix entre les nations. La sédition, qui est opposée à la paix nationale. Les duels ou les échauffourées  qui sont opposés à la paix entre individus. 1364-  Le schisme (étymologiquement, une séparation, une déchirure) est une séparation volontaire d’avec l’unité de l’Église.   C’est une séparation volontaire, c’est-à-dire une séparation voulue pour elle-même. Dans un certain sens, chaque pécheur se sépare lui-même de l’unité, car le péché sépare l’homme de Dieu (Is., L1X, 2), mais ce n’est que le schismatique qui veut la séparation pour elle-même.  Ce que les autres pécheurs désirent expressément c’est une gratification désordonnée.  De plus, le schisme n’est pas semblable à l’état du non baptisé qui ne s’est pas séparé de l’unité;  ou de l’excommunié, que l’Église rejette de son corps, en raison d’un péché autre que le schisme.   Le schisme est une séparation d’avec l’unité, et il diffère donc de la non croyance dans l’unité (hérésie), ou de la détestation de l’unité (la haine). Car quelqu’un peut se séparer de l’unité même s’il y croit; quelqu’un peut détester l’unité sans se séparer d’elle.  De plus, le schisme n’implique pas nécessairement une affiliation à un corps schismatique, ou  la fondation d’un nouveau corps ecclésial.  Le schisme est une séparation d’avec l’unité non de l’unité,  c’est-à-dire que le schisme ne prive pas l’Église de sa note de l’unité, mais sépare le schismatique lui-même de cette unité qui est dans l’Église.  Le schismatique peut bien désirer porter atteinte à l’unité de l’Église, mais tout ce qu’il parvient à faire c’est de perdre l’union qu’il avait avec l’Église.

 Le schisme est une séparation d’avec l’unité, c’est-à-dire d’avec l’appartenance au corps mystique du Christ (1 Cor X11).  C’est un refus de reconnaître l’autorité de la tête de l’Église, ou de communiquer avec ceux qui sont ses sujets.  Ainsi, le schisme diffère de la désobéissance au chef de l’Église, ou aux évêques.  Car on peut refuser d’obéir,  et reconnaître l’autorité de celui qui donne des ordres. Le schisme est une séparation d’avec l’unité de l’Église, c’est-à-dire du royaume spirituel du Christ sur la terre.  En conséquence, une révolte en matière purement civile contre un homme d’église qui n’a aucune autorité civile n’est pas un schisme.  C’est une guerre injuste ou une sédition.  Le schisme n’est possible que dans l’Église militante, car les membres de l’Église souffrante et de l’Église triomphante ne peuvent pas tomber hors  de l’unité.

 1365- Les mouvements schismatiques principaux.  Dans les temps apostoliques, il y avait des factions locales ou des dissensions, mais pas de vrais schismes (1 Cor 1, 10 suiv; 111 Jn 1, 10).  Dans les temps postapostoliques, il y a eu de nombreux schismes, comme celui des Novatiens à Rome, dans le troisième siècle, des Mélétiens en Egypte, dans le quatrième siècle, des Donatistes en Afrique au quatrième siècle, des Acaciens dans l’Est, au cinquième siècle.  Le plus lamentable de tous les schismes, à cause du grand nombre de personnes qui ont été privées de l’unité, est le schisme de Photius au neuvième siècle, que Michel Cérulaire a rendu permanent au onzième siècle.

 1366- Le schisme est volontaire de deux façons.  Directement, quand quelqu’un désire le schisme lui-même, c’est-à-dire la séparation d’avec la tête et les membres. Indirectement, quand quelqu’un a l’intention de faire ce qui conduit à un schisme.  Ainsi,  quelqu’un qui préfère agir comme s’il n’était pas un membre de l’Église au lieu d’abandonner son projet de  présider un concile non autorisé, est coupable de schisme, même s’il ne désire pas formellement se séparer de l’Église.  Son cas ressemble à celui de quelqu’un qui ne veut pas tuer son prochain, mais qui est déterminé à faire ce qui entraînera surement la mort du prochain.

 1367- L’unité de l’Église est triple. L’unité dans les vertus théologales et dans les sacrements.  Tous les fidèles ont la même foi, la même espérance, la même charité, les mêmes sacrements.  Il y a ainsi une unité de similitude. Il y a l’unité entre la tête et les membres. Il n’y a qu’une seule tête de l’Église, le Christ dans le ciel et le vicaire du Christ sur la terre.  Il y a ainsi une unité de subordination. L’unité entre les membres de l’Élise. Tous les fidèles forment une seule société, et sont tous des parties prenantes d’un grand tout.  Ainsi, il y a une unité collective. 1369-   Le péché de schisme se commet de deux façons (canon 1325, no 2). On le commet en se séparant de la tête de l’Église sur la terre, de la pierre angulaire de l’unité, le Pape (Col 11, 18,19).  Le seul fait d’être en rébellion avec son évêque ne fait pas de quelqu’un un schismatique, si cette personne continue toujours à se soumettre au Saint Siège.  Mais ce genre de rébellion est souvent le premier pas qui mène au schisme.  On commet aussi le péché de schisme en se séparant des membres de l’Église. Ainsi, quelqu’un qui refuse de communier avec les catholiques en matière de foi ou de culte, et agit dans ces choses en toute indépendance, est un schismatique.

 1369- Le rejet d’une décision ou d’un commandement du pape peut arriver de trois façons.  La cause du rejet de la décision peut être la chose qui est commandée, et non celui qui a donné le commandement.  Comme quand quelqu’un refuse de jeûner ou de restituer un bien mal acquis, non parce qu’il veut désobéir au pape, mais parce qu’il trouve la chose trop difficile.  La personne, en ce cas, est coupable de désobéissance, mais non de schisme, même si elle persiste dans son refus.  Car ce qu’elle rejette c’est un commandement de l’Église, non la tête de l’Église.  La raison de refuser d’obéir à un ordre peut être  la personne elle-même qui a donné l’ordre à quelqu’un.  Comme le pape, dans ses relations avec les personnes, n’est pas au-dessus des faiblesses humaines, il peut être influencé par la haine, des préjugés, ou des impulsions quand il se forme un jugement sur quelqu’un ou quand il donne un ordre.  Donc, si nous supposons qu’il est certainement raisonnable qu’un pape soit mal disposé envers tel individu, et que l’inculpé ne veut pas que son cas soit jugé par ce pape, aucun péché de schisme n’est commis là, ni aucun autre.  Car il est naturel qu’on cherche à protéger ses intérêts contre la partialité.  La raison  alléguée pour rejeter le jugement du pape peut être  que celui qui a donné le commandement est considéré dans sa capacité officielle de pape.  Dans ce cas, la personne est coupable de schisme, car elle ne désobéit pas parce que la chose demandée est difficile à faire, ou parce qu’elle pense avoir affaire à un injuste, mais parce qu’elle ne veut pas reconnaître le pape dans celui qui profère ce jugement.

 1370- La comparaison entre le schisme et l’hérésie.  Ces péchés ne sont pas semblables, puisque l’hérésie est opposée à la foi et le schisme à la charité.  Une personne qui croit vraiment que l’Église est une dans sa tête et dans son corps, mais qui, à cause de l’orgueil, de la haine, de l’ambition, de l’intérêt, de son autosuffisance, décide de ne pas reconnaître l’autorité de la tête et de ne pas communiquer avec le corps.  Il y a une union étroite entre l’hérésie et le schisme, puisque chaque hérétique se sépare de l’unité de la foi, et que le schismatique est toujours disposé à adopter une hérésie quelconque pour justifier sa séparation (1 Tim 1, 6).   Ainsi, le schisme oriental en est venu à accuser l’Église d’hérésies. Et l’histoire montre que le schisme conduit presque inévitablement au rejet de la primauté du pape.

 1371-  Comparaison entre le schisme et la charité. La charité, en elle-même, est un lien spirituel d’unité entre Dieu et l’âme, parce que l’amour unifie. Quelqu’un qui pèche contre cette unité en offensant Dieu ou son prochain,  n’est pas pour autant un schismatique, car on peut haïr un chrétien, sans haïr l’Église. La charité a pour effet d’être la communion de tous les fidèles dans le seul corps mystique du Christ.  Car la charité inspire le désir d’aimer non seulement les individus, mais aussi la société spirituelle formée d’individus qui sont répandus sur toute la planète. Un schismatique est celui qui pêche contre l’unité et la paix de l’Église. 1372-   La culpabilité du schismatique.  Le schisme est quelque chose de spécialement sérieux, puisqu’il s’oppose à l’union et à la paix de l’humanité, dans son ensemble, dans la société spirituelle universelle qu’est l’Église.  Il semble que ce soit le plus grand péché contre le prochain.  Car les autres péchés sont ces péchés qui sont contre un individu ou contre la multitude dans les choses temporelles, tandis que ce péché est contre la multitude dans les choses spirituelles. L’Écriture (Cf  1 Cor 1, 10, et la tradition  (Saint Clément de Rome, Saint Ignace d’Antioche, Saint Irénée, Saint Cyprien, Saint Augustin). Tous condamnent énergiquement le péché de schisme.

 Objectivement, il n’est pas aussi sérieux que l’incroyance, puisque l’incroyance est contre Dieu, et le schisme contre le prochain. Mais, subjectivement, ou dans ses conséquences, il peut être un péché plus grand que l’incroyance.  Comme quand un schismatique pèche avec un plus grand mépris qu’un incroyant, ou est l’occasion d’un plus grand danger pour les autres.  1373-   Le schisme, comme l’hérésie, peut être matériel ou formel (Cf 628).  Le schisme formel est celui qui a été décrit plus haut.  C’est celui qui fait désirer de se séparer de l’unité de l’Église, et qui pousse à une révolte coupable. C’est un péché mortel.  Le schisme matériel est celui d’une séparation de fait d’avec l’unité de l’Église, mais de bonne foi.  Exemple.  Dans le grand schisme d’Occident (1378-1417), quand il y avait des prétendants rivaux à la papauté, et une ignorance invincible dans le peuple, sur qui était le véritable pape.  Ce genre de schisme n’est pas un péché mortel.

 1374- Les pouvoirs spirituels des schismatiques.  Le schisme n’entraîne pas la perte du pouvoir d’ordre, car ce pouvoir a été conféré par une consécration ecclésiale qui est permanente. En conséquence, un prêtre schismatique peut accomplir validement les actes qui appartiennent au pouvoir d’ordre, comme la célébration des messes et l’administration des autres sacrements.  Mais il ne les fait licitement que si l’Église le lui permet, car le pouvoir des ordres ne peut être exercé par un inférieur que par la permission d’un supérieur.    Le schisme peut faire perdre le pouvoir de juridiction, car ce pouvoir dépend d’un mandat reçu d’un supérieur.  Le supérieur peut retirer ce pouvoir.  Donc, un prêtre schismatique qui a perdu sa juridiction ne pourrait pas absoudre, excommunier, accorder des indulgences, ou exercer d’autres actes qui ont un rapport avec le pouvoir de juridiction.

 1375- Voici quelles sont les lois de l’Église sur les pouvoirs des schismatiques.  Tous les schismatiques encourent, par le fait même, l’excommunication, ainsi que plusieurs incapacités et pénalités (canon 2314).  Il convient que ceux qui se séparent eux-mêmes soient déclarés en dehors de la communion des fidèles. C’est ce que Moïse a ordonné qu’on fasse au temps du schisme de Coré Éloignez-vous de la tente de ces hommes méchants, et ne touchez à rien ce qui leur appartient, pour ne pas subir la contagion de leurs péchés (Num XV1, 26)   Les excommuniés sont interdits de la célébration de  messes et de l’administration des sacrements et sacramentaux, sauf dans le cas où des fidèles ont recours à eux, ou en danger de mort, comme le déclare le canon  2261. On refuse aux excommuniés le pouvoir de juridiction, excepté dans certains cas où l’Église le leur accorde en vue du bien commun.  Ainsi, ils peuvent donner l’absolution en danger de mort (canon 882), ou dans une erreur commune (canon 209), ou sur demande, s’ils ne font pas partie de ceux qu’on doit éviter ou qui ont été condamnés nommément (canon 2261).  Les auteurs compétents enseignent que l’Église romaine, a, pour le bien des âmes, permis que, pour la confection des sacrements,  la juridiction ecclésiastique demeure dans les églises orientales.

 1376- La guerre.  On définit la guerre comme un état de conflit, entre deux ou plusieurs nations souveraines,  qui est exercé par la force des armes. Elle diffère ainsi de conflits passagers, comme des batailles, des escarmouches, des campagnes. Les ennemis de guerre ne sont pas seulement ceux contre qui on se bat, mais tous ceux qui se rangent de leur côté, comme conseillers et aides etc.   La guerre se fait entre nations souveraines, et diffère donc de la guerre civile, de la sédition, des émeutes, des mutineries et des duels. De plus, la guerre est le fait d’une nation qui se bat contre une autre nation, non contre des individus ou des groupes d’individus qui font partie d’une nation.  On fait la guerre par la force des armes.  Elle diffère donc d’une guerre commerciale, de la guerre froide, de l’embargo, d’un blocus, de la rupture des relations diplomatiques.

 1377- Il y a deux sortes de guerre, la juste et l’injuste.  La guerre est juste quand elle est entreprise pour une cause juste (l’indépendance d’une nation).  Elle est injuste quand elle est entreprise pour une cause injuste (l’asservissement d’une nation).   1378- La guerre juste est offensive ou défensive. Une guerre offensive est une attaque faite sur un ennemi pour se venger d’une offense ou pour imposer par la force un droit (l’invasion d’un territoire ennemi pour obtenir des compensations pour des dommages par lui infligés).  La guerre défensive est une résistance à une attaque injuste qu’un ennemi fait ou menace de faire.  1379-   La guerre juste est appelée défensive en deux sens.  Au sens strict, elle est dite défensive quand une nation dont les droits sont injustement menacés n’a pas l’initiative des hostilités, c’est-à-dire que ce n’est pas elle qui déclare ou qui commence la guerre.  Dans un sens moins strict,  elle est défensive quand une nation injustement attaquée déclare la guerre ou tire les premiers coups de feu.   Ainsi, si une nation innocente savait que son ennemi était en train de préparer secrètement la guerre contre son indépendance, elle serait sur la défensive, même si elle déclarait la guerre.

 1380- La guerre n’est pas contre la loi de Dieu. Sous la loi de la nature, Melchisédech bénit Abraham qui retournait vainqueur après avoir défait les quatre rois (Gen. X1V, 18-20). Sous la loi écrite, Dieu a souvent commandé ou approuvé la guerre, comme on peut le voir dans l’Exodus et dans les livres qui suivent,  en plusieurs endroits.  Sous la loi nouvelle, saint Jean baptiste a reconnu la légalité de la profession militaire (Luc 111, 14).  Jésus a félicité un centurion (Matt. V111, 10).  Les actes (X, 2) parlent de l’officier Cornélius comme d’un homme religieux; et saint Paul loue les guerriers de l’Ancien Testament comme Gédéon, Barac, Samson etc. (Hébr. X1, 32-34). 1381- Ces paroles de notre Seigneur – : ceux qui se servent de l’épée périront par l’épée (Matt. V, 39)--- ne sont pas une approbation du pacifisme extrême, mais sont respectivement la condamnation de ceux qui, sans l’autorité requise, ont recours à la violence, et un conseil de perfection, quand cela sert mieux l’honneur de Dieu ou le bien du prochain.  De plus, ces mots du Christ ne s’adressaient pas aux états, qui sont responsables du bien-être de leurs ressortissants, mais à des individus. Les Quakers (les trembleurs) ont rendu un grand service à la paix mondiale, mais on ne peut admettre leur enseignement que toute guerre est contraire à la loi du Christ. L’esprit de l’évangile comprend la justice autant que l’amour.

 1382- La guerre n’est pas contre la loi de l’Église.  L’Église n’a jamais condamné la guerre comme telle.  Elle s’est toujours efforcée de promouvoir la paix ou de diminuer les maux de la guerre qui ne pouvaient pas être empêchées. Mais ses déclarations officielles et les écrits des saints Pères montrent qu’elle reconnaissait que le recours aux armes par une nation n’est pas nécessairement blâmable. L’Église a approuvé certaines guerres comme étant nécessaires et dignes d’éloge. Ainsi, les croisades, auxquelles est due la préservation de la civilisation chrétienne. ont été promues par l’Église;  des ordres militaires ont été institués par elle pour la défense du saint sépulcre; et elle a conduit aux honneurs de l’autel des soldats comme saint Sébastien, saint Maurice, saint Martin de Tours, sainte Jeanne d’Arc et saint Louis.

 1383- La guerre n’est pas contre la loi de nature.  Comme la loi de la nature permet à une personne privée de repousser par la force un agresseur injuste, ça ne peut pas être contraire à la loi pour une nation d’avoir recours à une guerre défensive quand ses droits sont bafoués.  Comme la loi de nature permet aux individus de chercher une satisfaction pour les offenses et une restitution de ce qui a été perdu, ce ne devrait  pas être immoral pour une nation de faire une guerre offensive, quand une autre nation n’acceptera de faire des réparations que quand elle y sera contrainte. Si toute guerre était contre la loi, une nation sans conscience morale en tirerait avantage au détriment d’une autre.  Et ainsi, l’iniquité serait récompensée.
1384-     Comme tout autre acte, la guerre n’est moralement bonne que si son objet, son but et ses circonstances ont quelque chose à voir avec ce qui est juste.  La guerre n’est donc juste que dans la mesure où existent les trois conditions suivantes.
 C’est l’autorité publique qui doit autoriser les hostilités, car assurer la sécurité de l’état contre les perturbations internes et externes est quelque chose qui a été confié au chef (Rom X11, 4; Ps. LXXX1, 4); et le citoyen peut avoir recours à la plus haute autorité pour la protection de ses droits.  La guerre doit avoir une cause juste, c’est-à-dire, quelque faute de la part d’une autre nation.  Car si un pays ne peut pas, sans raison suffisante, user de la force contre ses propres sujets, il le peut encore moins contre ceux qui ne sont pas ses sujets.  Il faut qu’il y ait une intention droite, c’est-à-dire le désir d’obtenir quelque bien, et de repousser quelque mal.  Même si la guerre a été déclarée par l’autorité compétente, et si les raisons pour la livrer sont suffisantes, les soldats sont coupables de péché s’ils ont des motifs mauvais, comme un assouvissement de la cruauté, la vengeance, l’orgueil, le pillage.  Se réjouir de la guerre pour l’effervescence qu’elle procure, pour faire une démonstration de son habileté, ou pour obtenir une promotion, tout cela  ne constitue pas une disposition droite de l’âme.

 1385- Quelle est l’autorité  publique qui a le droit de déclarer la guerre ?  Normalement, seule l’autorité souveraine –c’est-à-dire la personne ou le corps dans lesquels l’autorité suprême est investie, d’après la constitution d’un pays—peut faire la guerre.  La guerre est l’acte d’un pays.  En conséquence, l’autorité qui représente un pays est la seule à pouvoir faire la guerre. Des corps subordonnés dans une confédération ou une union d’états ont aussi le droit de faire la guerre, si la coutume le permet.   Dans des circonstances extraordinaires, un pouvoir inférieur peut autoriser la guerre, comme quand la guerre est nécessaire, et qu’il n’est pas possible d’attendre qu’un pouvoir supérieur la déclare.  Ainsi, si une province était soudainement envahie, le chef de cette province aurait le droit de guerroyer immédiatement contre l’envahisseur. Il semble même que le chef d’une province pourrait, en toute justice, autoriser l’invasion de la province voisine pour se protéger contre des agressions éventuelles, si l’autorité centrale ne fait rien. Car une telle guerre serait vraiment une guerre défensive.

 1386- Pour que la cause de la guerre soit juste, il faut que le pays ennemi ait causé des torts -- ou menace d’en causer—qu’on ne peut réparer sans la guerre, et qui sont tellement graves que les maux que causent la guerre seraient plus petits que les dommages subis. Ainsi, une offense grave ou un grave déshonneur infligé par un autre pays est la seule cause juste d’un conflit armé qu’on appelle guerre. Car la guerre sert de punition ou de coercition, et elle est injuste si on ne peut imputer aucune faute au pays auquel on fait la guerre.  Seul  un tort qu’on ne peut autrement réparer est une cause juste pour entrer en guerre. Car un pays n’a aucun droit qui lui permette d’user de la force contre un pays souverain, si ce n’est en dernier ressort.  En conséquence,  si le pays en faute a déjà fait satisfaction ou a promis de le faire, on ne devrait pas déclarer la guerre. Seule une offense si grave, qu’elle pèse plus lourd que les aléas et les pertes d’une guerre,  est une justification pour en faire une. Car, quand deux effets, l’un bon l’autre mauvais, découlent d’un acte, il doit y avoir une raison proportionnellement grave pour permettre le mauvais effet avant d’agir (Cf. 104, 105).  Ce serait mauvais de venger une petite insulte ou une offense passagère aux dépends d’un immense trésor et d’une énorme perte de vie.  Les guerres modernes sont si dévastatrices que seules les plus graves raisons peuvent les autoriser. Car, au dire des savants, une simple bombe H peut causer la mort et la destruction sur une très large échelle, peut-être cent mille carrés.  Dans le cas où l’on prévoit que les ravages seront  bien plus grands que les bienfaits d’une guerre, il pourrait arriver qu’un pays, qui a la justice de son côté et tout ce qu’il faut pour faire la guerre, ne puisse pas faire une guerre juste (Cf. 1410).  Le pouvoir destructeur des armes modernes n’entraîne pas, toutefois, la condamnation de toute guerre.   Les valeurs spirituelles, l’affranchissement de la tyrannie, la liberté d’adorer Dieu, continuent à l’emporter sur les valeurs matérielles, et peuvent être estimées  précieuses au point d’être plus importantes que les grandes pertes de vie et de biens.  Un peuple menacé d’une injuste agression ou qui en est déjà victime ne peut pas demeurer dans une indifférence passive, s’il désire penser et agir d’une façon chrétienne  (Pie X11, message de Noël, 1948). 1387-  En comparant les avantages et les inconvénients d’une guerre, on doit prendre en considération non pas seulement les souffrances d’une seule personne mais de toutes.  Ainsi, si pour rentrer dans un de ses droits, un pays devait causer la ruine d’un autre pays, la charité le pousserait à s’abstenir de la guerre.  Si le monde en général ou la postérité devait, matériellement et spirituellement, souffrir de plus grands maux que ceux dont souffre un pays en raison du déni d’un droit non essentiel, la charité, à tout le moins, devrait écarter l’idée d’une guerre.

 1388- Y a-t-il une cause de guerre juste quand une faute a été commise par les deux partis en présence ?  Si les offenses sont à peu prés égales et continuent encore, il n’y a aucune raison de faire la guerre, car aucune des deux n’est dans la  position d’accuser l’autre d’injustice.  Si les offenses sont dissemblables, et si un des deux belligérants a montré son intention de cesser d’offenser l’autre, le pays le moins coupable a le droit de faire la guerre.  Mais, il devrait rejeter toute injustice avant de procéder à châtier l’injustice d’un autre.

 1389- Voici quelles sont les causes suffisantes pour faire la guerre.  Une grave offense à l’honneur d’un pays, comme une insulte à son chef ou à son ambassadeur (11, rois 10).  Négation du droit naturel d’un pays à l’existence, à  l’auto préservation, à la libre circulation à l’intérieur de ses frontières.  Ainsi, un peuple peut faire la guerre pour défendre son indépendance (1 Mal 2, 59), pour recouvrer un territoire dont on s’était injustement emparé, pour résister à une violation de neutralité (11 Rois, V111, 5), pour protéger ses propres citoyens et son commerce.

 Des offenses faites aux droits des nations sous la loi positive. Une nation peut faire la guerre pour respecter des ententes internationales importantes, pour contraindre à l’observance de traités, et autres choses semblables. 1390-  Des offenses faites à une troisième nation ou aux sujets d’une troisième nation peuvent aussi représenter des raisons suffisantes pour faire la guerre. Ainsi, pour des raisons de justice, un pays est obligé d’aider ses alliés dans une juste guerre, car aider ceux dont les intérêts sont entremêlés aux nôtres n’est que de l’autodéfense.  Pour des raisons de charité, un pays qui a un droit d’intervention peut en toute légalité entrer en guerre pour protéger un pays plus faible contre un pays plus fort et plus agressif;  pour aider un gouvernement qui a été injustement attaqué par ses sujets, ou pour aider des sujets innocents qui sont tyrannisés par leur gouvernement.

 1391- Est-il permis de rentrer en guerre pour des raisons de religion ou de moralité ? L’erreur dans la religion ou l’immoralité dans les pratiques d’un autre peuple n’est pas une raison suffisante pour lui déclarer la guerre.  On ne peut forcer personne à croire, dit saint Augustin.  Et il est également vrai qu’on ne peut forcer personne à aimer la vertu, car la simple conformité externe sans la conviction ou l’amour n’est rien d’autre que de l’hypocrisie. De plus, un pays n’a pas l’autorité voulue pour punir les péchés de ceux qui ne sont pas ses sujets.  Ainsi, ce ne serait pas une chose juste d’attaquer un peuple pour la seule raison qu’il serait païen ou polygame.  L’interférence cependant, dans les droits religieux des autres, ou dans les pratiques mauvaises qui offensent d’autres personnes,  est une cause suffisante de guerre.  Aucune guerre n’a jamais eu une cause plus légitime que les croisades.  Elles ont été entreprises pour défendre la religion chrétienne contre les atrocités indicibles des infidèles.  La cause de l’humanité justifie une guerre qui se propose de mettre fin au cannibalisme et aux sacrifices humains.

 1392- Est-il permis de faire la guerre à un pays pour lui apporter les bienfaits de la civilisation moderne ?  Si la nation barbare est privée de tout gouvernement et vit dans l’anarchie, c’est un acte de charité de la part d’une nation civilisée de lui fournir un gouvernement  qui travaillera pour le bien du peuple. Il est aussi permis de batailler contre ceux qui résisteront au gouvernement établi.  Si la nation barbare a un gouvernement légitime qui maintient la paix, aucun autre pays n’a le droit d’intervenir sous prétexte d’introduire un plus haut type de gouvernement.  L’expansion coloniale n’est pas une raison suffisante pour faire la guerre dans de telles circonstances.

 1393- Ne sont pas suffisantes pour faire la guerre les causes suivantes. Des motifs clairement mauvais comme, dans l’absence de toute forme d’offense faite par un autre pays,   l’ambition,  l’orgueil, la cupidité, la jalousie, les soupçons ou l’égoïsme.  Ainsi, il n’est pas permis de guerroyer pour la plus grande gloire d’un chef guerrier ou d’une nation belliqueuse, pour l’agrandissement de son territoire, pour obtenir un avantage sur un rival commercial, pour la préservation de la balance du pouvoir, ou pour la prévention de difficultés domestiques.  Des motifs apparemment justes mais qui sont, en réalité, blâmables, sont des offenses faites par un autre, mais secrètement provoquées,  pour avoir un motif de guerre. Il n’est pas permis de faire la guerre  à un autre pays parce que ses citoyens  nous ont attaqués, si cette attaque a été causée à dessein par nos propres citoyens. Des mécontentements ne sont pas des motifs de guerre  suffisants, si personne n’a violé le droit, mais si on a seulement agi de façon à blesser la charité ou l’amitié.  Ainsi, n’est pas une cause de guerre le seul fait qu’un pays refuse d’aider financièrement un autre pays, ou de lui accorder  les avantages tarifaires concédés à un troisième pays. Car dans les matières de bienveillance ou de privilège, nul n’a de droit strict. Elles n’offrent donc aucune prise à une guerre juste.

 1394- La guerre est-elle permise quand la justice de la cause est douteuse ?  Un gouvernement ne peut pas déclarer la guerre avant de s’être moralement assuré qu’il a le droit de son côté. Les conséquences de la guerre sont si redoutables, et l’usage de la guerre contre une autre nation est une mesure si extrême, qu’on devrait se garder de toute hostilité tant qu’il y a un doute sur la justice du motif.  Des volontaires qui n’ont pas encore été enrôlés ne peuvent offrir leur service à un belligérant que s’ils sont moralement certains que la cause est juste. Puisque c’est par choix qu’ils participent au conflit, ils ont le devoir de s’assurer que leur choix est correct.  Les conscrits devraient se battre pour leur pays, même s’ils ont des doutes au sujet de la justice de la cause, car la présomption est du côté du gouvernement.  Cela ne veut pas dire, toutefois, qu’on devrait vouloir se battre pour son pays, bon ou mauvais; ni qu’on soit obligé de se battre pour une cause manifestement injuste; ni d’obéir à un ordre manifestement mauvais.

 1395- Que signifie certitude morale  dans le paragraphe précédent ?  Quelques moralistes prétendent qu’un haut degré de probabilité de la justice de la cause suffit pour qu’un chef se mette sur un pied de guerre.  Mais le plus grand nombre des moralistes soutiennent qu’aucun degré de probabilité ne suffit.  La raison justificatrice doit être plus claire que le jour; et, pour aller en guerre, un chef militaire ne doit avoir aucun doute sur la justice de sa cause.  Nous préférons cette opinion, car si un jury ne peut pas condamner à mort un accusé tant qu’il y a un doute raisonnable de son innocence, un pays ne devrait pas non plus passer ce qui est vraiment une sentence de mort sur des centaines ou des milliers de citoyens, tant qu’il existe un doute sur la nécessité d’un tel recours. On devrait quand même observer qu’un chef qui n’a qu’un indice vraisemblable qu’une offense a déjà été commise, peut avoir la certitude qu’elle sera commise si elle n’est pas prévenue par la guerre.

 1396- Est-il possible que la cause de la guerre soit juste chez les deux belligérants ? Matériellement et objectivement, la cause d’une guerre n’est juste que d’un côté. Car, si un pays a le droit de demander une satisfaction ou une restitution, il est évident que l’autre n’a en rien le droit de refuser ou de résister.   Formellement ou subjectivement, la cause de la guerre est juste pour les deux côtés si le pays qui est objectivement en tort est subjectivement persuadé qu’il est dans son droit.  Et même si un gouvernement est de mauvaise foi, ses sujets, en règle générale, seront de bonne foi du fait de ne pas comprendre les faits ou les mérites de la controverse.

 1397- Est-il possible qu’il y ait, du même côté, une justice objective et une injustice ? Oui, car on peut être juste relativement aux causes de la guerre, et injuste d’après la façon don on la conduit.  Le côté qui était juste au sujet de la cause originelle de la guerre, peut être injuste relativement à une autre cause qui survient.  Ainsi, un pays qui part en guerre pour recouvrer un territoire qui a été perdu, mais qui continue à se battre à des seules fins de conquête après que la fin légitime ait été satisfaite,  milite pour une juste cause au début, mais pour une cause injuste plus tard.  Le côté qui semble avoir raison au premier coup d’œil peut se trouver dans le tort après un examen plus poussé.

 1398- Quels sont les devoirs avant d’ouvrir les hostilités, selon la loi naturelle ?  L’examen de la cause de la guerre. Il est clair que ceux qui sont chargés de déclarer la guerre sont tenus d’examiner diligemment et surnaturellement en quoi consiste la dispute.  Ils doivent peser les raisons avancées par les deux côtés, et demander la lumière d’en haut.  Ils devraient demander l’avis non de quelques personnes seulement, mais d’un grand nombre, non seulement de ceux qui sont des experts dans les aspects diplomatiques, légaux, économiques et militaires de la question, mais aussi de ceux qui regarderont la question sous son angle éthique, des gens guidés par l’impartialité et la justice.  Et puisque c’est le peuple qui doit porter le fardeau de la guerre, il semble qu’on aurait évité un grand nombre de guerres dans le passé si on avait tenu compte des désirs du peuple.

 Jugements au sujet des mérites d’un litige.  Il est aussi évident que ceux qui ont à décider en faveur de  la guerre ou de la paix doivent être impartiaux dans leur jugement.    En conséquence, ils doivent se mettre en garde contre le chauvinisme, le journalisme jaune, et les lobbys de guerre, aussi bien que contre le pacifisme qui favorise un pays étranger au dépends du sien. Ils ne devraient pas entreprendre de guerre offensive si leur cause demeure douteuse, à moins que la partie adverse ne provoque la guerre en refusant une entente amicale.  Mais s’ils sont en possession (d’une cause juste ?), ils ont le droit de faire une guerre défensive.

 Jugement au sujet de la faisabilité de la guerre.  La prudence demande que, même quand un pays est convaincu d’avoir une cause juste pour faire la guerre, il devrait attendre, avant de se lancer, d’avoir des espérances bien fondées que la guerre améliorera les choses (Luc X1V, 31, 32).  Ce sont des criminels les hommes d’état qui plongent leur peuple dans des conditions de vie qu’ils n’avaient pas prévues.   Efforts pour une solution pacifique.  Même si la cause est juste et la guerre faisable, on ne devrait avoir recours à la guerre qu’en dernier ressort.   En conséquence, les moyens pacifiques ---comme les négociations directes, les médiations, les arbitrages, des règlements juridiques, ou des pressions comme des embargos, des boycottages, des blocus, des ruptures de relations diplomatiques—devraient être essayés d’abord.

 1399- Les principaux devoirs avant  qu’on entreprenne une guerre, selon la loi internationale. Avant de déclarer la guerre, on doit lancer un ultimatum à l’autre pays; on lui fait une offre finale, et on lui donne une dernière chance de s’excuser ou de réparer. On devrait donner aux étrangers qui résident dans notre territoire la possibilité de mettre l’ordre dans leurs affaires et un temps raisonnable pour  quitter le pays.  On devrait donner des sauf-conduits aux ambassadeurs et aux représentants de l’autre pays. 1400-  En elle-même, comme il a déjà dit (1350), la guerre n’est pas contraire aux lois.  Mais à la lumière des conditions requises pour une juste guerre et aux circonstances qu’on rencontre aujourd’hui, la guerre peut-elle être encore justifiable ?  Si les intérêts supérieurs d’une nation sont en jeu (comme son indépendance, les politiques ou les règles essentielles à son existence, ses obligations en vertu des alliances ou des traités de paix), la guerre peut encore être moralement permise aujourd’hui, car une nation ne peut pas renoncer à son droit d’autodéfense, ni trahir ses engagements solennels de défense collective.  Si les intérêts qui sont en jeu ne sont pas les plus importants, la guerre aujourd’hui, semble injustifiable.  Car quel rapport y a-t-il entre les intérêts minimes d’un pays ou de plusieurs pays et l’hécatombe que cause la guerre moderne, et la disfonctionnement de la sécurité internationale ?  Marquent  un progrès dans ce sens  les efforts des hommes d’état pour promouvoir un pacte mondial qui rendrait illégal tout recours à la guerre,  comme moyen que peut revendiquer  une politique nationale.

  1401- Quels sont les devoirs pendant une guerre ? On devrait utiliser chaque moyen légal, chacun selon sa position, pour assurer la victoire de son propre pays.  Se battre seulement pour aboutir à une impasse est en soi immoral. On devrait éviter tout ce qui est opposé  à la loi naturelle et à la loi internationale. 1402-  Ce n’est pas vrai que tout est correct dans une guerre, car même une cause juste ne peut pas valider des moyens injustes. Les commandements de Dieu et les lois des nations demeurent en force même en pleine guerre.  Voici des exemples d’actes de guerre qui sont illégaux parce qu’opposés à la loi naturelle.  Des actes de profanation comme des saccages d’églises ou de monastères, des tentatives de séduire les soldats ennemis pour qu’ils trahissent leurs chefs et passent sous le commandement des nôtres;  le meurtre, c’est-à-dire la tuerie d’un innocent et de personnes sans armes. Quand on refuse de prêter l’oreille aux soldats qui veulent se rendre, quand on tire sur un officier qui  porte un drapeau blanc, quand on coule des bateaux de voyageurs non engagés dans la guerre, quand on massacre des populations civiles avec un raid aérien, quand on laisse une population sans défense à la merci de bandits ou de criminels embauchés comme soldats, quand on déshonore les femmes, quand on établit des bordels pour les soldats, quand on vole ou on pille sans autorisation, quand on ment effrontément en reniant les traités, quand on ne garde pas sa parole donnée à l’ennemi, quand on fait des traités en se parjurant, quand on répand de faux récits d’atrocités, quand on forge des documents etc.

1403-  La guerre juste est une résistance à une injuste agression.  Les mêmes moyens qui sont légitimes dans une agression privée le sont en tant de guerre.  Ainsi, les moyens employés contre un agresseur ne doivent pas être injustes en eux-mêmes, comme quand quelqu’un se protège d’un assaillant en se servant d’un innocent comme paravent. En conséquence, pendant la guerre, on ne doit utiliser aucun moyen qui est opposé à la loi de Dieu, ou à des contrats humains, ou à d’autres genres d’obligation. Les moyens à employer doivent être ceux qui sont vraiment nécessaires pour s’assurer le dessus sur l’agresseur.  Ainsi, il n’est pas permis de tuer un mendiant, quand il suffirait de le blesser pour protéger sa propriété.  Semblablement, en temps de guerre, il n’est pas permis d’exterminer ou de dépeupler, quand on peut atteindre le but de la guerre en privant l’ennemi de ses armes.

 1404- Voici quelles sont les principales classes d’actes de guerre d’un point de vue moral. Les actes par lesquels on exerce de la violence envers des choses reliées à la religion.   Des actes de violence contre des personnes.  Des actes de violence contre la propriété.  Des actes utilisés pour camoufler la vérité.  1405-   Les actes de guerre et les temps sacrés. Il est légitime de continuer à faire la guerre, défensivement ou offensivement, les jours de fête, quand la chose est nécessaire,  comme il est permis de faire des actes serviles en ces jours, en cas de nécessité (1 Mach 11, 41; Jn V11, 23).  Mais si on peut négocier une suspension des hostilités pour les jours de fête, surtout pour Noël et Pâques, on devrait arrêter les combats en ces jours. 1406-   Actes de guerre et lieux sacrés.  Il est permis d’attaquer une église si on est sur qu’elle est utilisée à des fins militaires. Il est aussi permis d’attaquer des forteresses, même si on endommage des maisons religieuses adjacentes.  Il n’est pas permis, pour des raisons de nécessité militaire, de profaner des églises ou des monastères.
1407-  Actes de guerre et personnes sacrées.
 Il est permis aux clercs de coopérer à une guerre par des moyens spirituels, comme des prières, des exhortations, et toute autre forme d’aide religieuse. Moïse a prié pour ses soldats durant la bataille (Ex XV11, 8 suiv); les prêtres ont accompagné Josué autour des murs de Jéricho (Jos. V1,4). Et saint Bernard et de saints papes ont prêché la croisade. (La première croisade a été prêchée par le pape Urbain 11 à Clermont).  Il n’est pas permis aux clercs, en dehors des cas de nécessité (comme la conscription) de prendre part au combat. La guerre ne convient pas à un clerc, parce qu’il est déjà enrôlé pour un combat spirituel (11 Tim 11, 4).  Voilà pourquoi l’Église interdit aux clercs de s’enrôler comme soldats (canon 141).

 1408- Voici quelles sont les personnes qui subissent la violence pendant une guerre.  Les combattants, c’est-à-dire tous ceux qui sont engagés pour aller au front. Les combattants directs sont ceux qui se battent, comme les officiers,-- et ceux qui sont sous leurs ordres,-- de l’armée de terre, de la marine, de l’aviation.  Les combattants indirects sont ceux qui, sans être armés,  aident les soldats militairement, comme ceux qui font des munitions, qui transportent les bagages, et tous les éclaireurs.  Les non combattants sont ceux qui sont les sujets des ennemis,   qui ne sont ni des soldats ni des auxiliaires des forces armées, comme les chapelains, les médecins et les infirmières; des civils de tous âges.   Les neutres sont ceux qui ne sont sujets d’aucun des belligérants, et qui ne prennent aucune part aux hostilités, même s’ils peuvent sympathiser avec tel ou tel.

 1409-- Tuer ou blesser les combattants ennemis. Selon la loi naturelle, il est permis de tuer ou de blesser un ennemi au cours d’un combat, ou de l’affamer au moyen d’un blocus, tout comme il est permis, en autodéfense, de tuer ou de blesser un injuste agresseur.   Selon la loi internationale, il était expressément défendu d’attaquer de façon à rendre la guerre cruelle sans hâter la décision.  Tuer ou blesser des non combattants.  1410- Tuer indirectement des non combattants (si l’acte est non intentionnel et inévitable) est une chose permise, d’après les règles données pour le double effet (Cf. 103, 104).  En conséquence, il est permis de bombarder des fortifications, des arsenaux, des usines militaires, et les baraques d’une ville; de couler un paquebot qui transporte des armes ou des victuailles à l’ennemi; de couper une ville ou un pays de son ravitaillement pour affamer ses troupes, même si ces mesures entraîneront la mort de quelques civils.  L’humanité requiert, cependant, qu’un effort soit fait pour épargner les non combattants, dans la mesure du possible, comme, par exemple, en avertissant d’avance qu’il y aurait une attaque, pour que tous aient le temps de se retirer en lieu sur.

 Quant il est question de l’usage des armes modernes (l’atome, l’hydrogène, les bombes au cobalt) sur des cibles militaires proches de larges cités, là où on prévoit que plusieurs milliers de civils seront tués ou grièvement blessés, le principe de double effet semble éliminer la légalité du recours à de telles armes. L’effet civil immédiat, l’assassinat d’innocents, peut difficilement être appelé accidentel et permis à contre cœur.  En fait, les résultats inévitables de l’usage de telles armes ne pourraient qu’être voulus directement, si non comme fin, du moins comme moyen.  Tuer directement des non combattants (une tuerie intentionnelle), est quelque chose d’illégal.  C’est proprement un meurtre. Les bombardements à l’aveuglette, le lancement de bombes à hydrogène ou de bombes atomiques sur les zones résidentielles des villes qui ne contiennent aucun objectif miliaire, font partie de ce genre, cat ce sont des attaques sur des civils.

On ne peut pas arguer qu’une telle attaque est légitime parce qu’elle briserait le moral des citoyens au point de les amener à contraindre leurs dirigeants à faire la paix, pour sauver des milliers de vies.  Car cet argument repose sur le principe que la fin justifie les moyens.  On prétend parfois que la guerre moderne totale demande que tous les citoyens fassent leur effort de guerre, et que, en conséquence, chacun devient un combattant.  On ne peut guère soutenir cet argument, car la doctrine catholique insiste sur le fait que ceux qui participent à la guerre d’une façon éloignée ou accidentelle ne peuvent pas être considérés comme des combattants.  La validité de la distinction entre combattants et innocents non combattants vaut toujours, même pour la guerre moderne. M. Ford, dans ses études théologiques, montre que, dans une ville industrielle américaine, les trois quart de la population appartiennent à la catégorie des non combattants.  Il énumère une centaine de métiers ou de professions qui, selon la loi naturelle, font de ceux qui les pratiquent  des non combattants. Une attaque directe sur une telle population constituerait une boucherie injustifiable de non combattants.

 1411- La sentence de mort pour crimes militaires. C’est légal de condamner à mort des gens coupables d’un crime international, comme sont ceux qui approchent quand on leur dit d’arrêter, comme les civils qui tirent sur les troupes, les pirates, les espions, les déserteurs.  Il n’est pas permis de condamner à mort des gens qui ne sont pas coupables d’un crime international.  Ainsi, on ne devrait pas mettre à mort un soldat qui, sur l’ordre de son chef,  a tiré sur un non combattant.  Un otage non coupable d’un crime capital ne devrait pas être mis à mort parce que ses concitoyens se sont rebellés ou n’ont pas tenu leurs engagements.

 1412- L’emprisonnement et la rétention. Les combattants peuvent être faits prisonniers de guerre.  Les non combattants sont sujets aux restrictions des règlements militaires, quand leur territoire est occupé. Et ce n’est que dans des cas tout à fait exceptionnels qu’on peut les transporter derrière les lignes ennemies.  Les prisonniers de guerre et les habitants de territoires occupés doivent être traités comme des êtres humains, mais pas mieux que les soldats de sa propre armée. On ne peut pas les réduire à l’esclavage, les garder comme des otages, les torturer ou les affamer à mort, ou les placer dans les tranchées du front pour servir de paravents aux troupes.

 1413- La destruction ou la saisie de biens pendant la guerre.  La propriété militaire d’une nation ennemie ou de ses sujets peut être confisquée ou détruite, tout comme un individu a le droit de détruire l’arme d’un agresseur injuste.  En conséquence, un commandant peut démolir des fortifications, des usines de guerre, des porte-avions, des cuirassiers, les armes et l’artillerie.  Il peut intercepter et saisir des provisions d’argent, de nourriture ou de boisson.  Un envahisseur victorieux peut occuper les propriétés non militaires de l’ennemi. Il peut s’approprier des biens meubles ( les œuvres d’art et d’autres biens sont protégées par la loi internationale), et il peur faire usage des biens immeubles (les lieux publics de culte, et les musées, entre autres, sont protégés par la loi internationale).  En ce qui a trait à la propriété privée des sujets ennemis sur le territoire, la loi internationale requiert qu’on respecte les biens immeubles, et qu’on ne s’empare des biens meubles que pour un besoin militaire pressant.  Les réquisitions peuvent être faites  et les contributions sollicitées et les soldats peuvent être hébergés dans les maisons des citoyens.  Mais on ne devra prélever que ce qui est nécessaire pour la maintenance de l’armée et l’administration civile. On devra donner une compensation ou un reçu pour une future compensation. On ne fait pas la guerre contre les personnes privées, mais contre l’état.

 En ce qui a trait aux propriétés privées maritimes, l’usage veut que les navires marchands de l’ennemi soient capturés en toute légalité.  On ne peut pas toucher aux  propriétés terrestres de ceux qui sont restés neutres, à moins qu’elles ne soient pas réellement neutres, et qu’elles soient utilisées par l’ennemi. En ce qui a trait aux bateaux et à la flotte marchande des neutres en haute mer, ils ne sont pas jusqu’à présent, protégés par une entende internationale. Les puissances navales sont plutôt divisées entre les théories du commandement de la mer ou de la liberté des mers. Ainsi, l’Angleterre réclame le droit de rechercher, de saisir et de retenir les bateaux et les cargos des neutres qui transportent de la contrebande ou qui cherchent à faire du commerce avec l’ennemi aux prises avec un blocus.  1414- Un adage veut que le butin de guerre appartienne au gouvernement, et non aux soldats.   D’où la question suivante : Les soldats qui s’emparent des biens des vaincus sans l’autorisation de leurs officiers, sont-ils obligés de faire restitution ?  S’ils prennent ce qui est nécessaire à leur subsistance, ils agissent contre la discipline militaire, mais pas contre la justice.  Ils ne sont donc pas obligés de restituer.  S’ils ont pris d’autres choses, ils doivent les rapporter, puisque la loi internationale en fait un devoir de justice.  Mais si aucun des deux belligérants n’a tenu compte de cette entente internationale, on ne peut pas faire, de l’obligation de restituer, une faute grave.

 1415- Est-il permis de livrer une cité au pillage des soldats ?  Dans les temps anciens, cela était parfois permis, comme quand il était autrement impossible, dans une guerre juste, de récompenser ou de vaincre.   Dans les temps modernes, et selon la loi internationale, le vandalisme est strictement interdit. La violation de traités par des chefs d’état ne justifie pas une attaque de la propriété des citoyens qui n’en sont pas responsables; et une brave défense d’une cité par ses troupes ne fait pas perdre à ses habitants le droit à ses biens.  1416-  Les stratagèmes de guerre.  Il est permis d’user de subterfuges  pour cacher le plan de guerre aux ennemis, comme le camouflage, les écrans de fumée, les manœuvres de diversions.  Ainsi, Josué, sur l’ordre du Seigneur, prépare une embuche aux citoyens de Hai (Jos. V111, 2). Il est permis aussi de dissimuler son identité en revêtant l’uniforme de l’ennemi pour s’enquérir de son plan d’attaque. Le Seigneur a commandé à Moïse d’envoyer des espions sur le territoire de  Chanaan (Num X111, 1). Bien qu’il ne soit pas permis de mentir en paroles ou par signes, il est permis de cacher la vérité à ceux qui n’ont aucun droit de la connaitre.

/ 1417- Les représailles sont des ripostes aux agressions illégales de l’ennemi par des agressions équivalentes. Leur moralité dépend des circonstances.  Si l’action de l’ennemi n’est que contraire à la loi internationale,  il n’est pas interdit de lui retourner la pareille.  Car, puisqu’il a manqué à la foi jurée, l’obligation de respecter le traité ne lie plus la partie adverse.  Exemple. Si, contrairement à ses engagements, l’ennemi utilise des  gaz empoisonnés, il est permis d’utiliser des gaz empoisonnés  contre lui.  Les représailles ne devraient pas se faire, toutefois, sans l’autorisation de l’autorité compétente.  Si l’action de l’ennemi est contraire à la loi naturelle, il n’est pas possible de riposter avec des actions semblables.  Car, deux maux ne font pas un bien, ou un droit.  Mais on peut riposter par des moyens légaux, ou protester en cour martiale, et attendre une compensation à la fin des la guerre. Ainsi, si l’ennemi massacre la population civile, cela ne nous donne pas le droit de lui rendre la pareille.

 1419- Les devoirs d’une nation victorieuse. Le pays victorieux ne doit pas prolonger la guerre après l’obtention de la victoire, ou après que l’ennemi s’est engagé de bonne foi à cesser les hostilités.  Il ne doit pas exiger de l’ennemi vaincu plus que ne lui permet la justice.   Les droits de guerre.  Si la cause de la nation victorieuse était injuste, sa victoire ne lui donne aucun droit.  Car la force ne fait pas le droit.  Elle peut même, au contraire, être obligée de faire une restitution à la partie lésée pour les pertes encourues.  Si la cause du vainqueur était juste, la nation victorieuse a doit à trois choses. A la satisfaction ou à la restitution de ce pourquoi la guerre a été entreprise. A la compensation pour les dommages causés par l’ennemi durant la guerre. Et à des garanties contre la répétition des mêmes offenses. La supervision de traités de paix par un tribunal impartial est fort recommandée, parce que les vainqueurs ont tendance à faire fi de la charité et de la justice dans leurs rapports avec les vaincus, et d’extorquer d’eux des ententes forcées.

 1420- L’obligation d’un vainqueur dont la cause était injuste. Si la nation victorieuse s’est battue de bonne foi, et ne s’est rendue compte que plus tard de l’injustice de sa cause, elle n’est obligée à restaurer que les choses qu’elle n’a pas complètement détruites. Si elle s’est battue de mauvaise foi, elle devrait tout restaurer.  Une victoire ne prouve pas que quelqu’un était dans son droit, mais seulement qu’il était plus fort. Elle ne rend pas bonne une mauvaise cause. 1421-   L’obligation d’un vainqueur qui a guerroyé sans l’autorité requise, ou dans une mauvaise intention.  Les soldats qui infligent du dommage à l’ennemi contre les ordres de leurs commandants (en brûlant des maisons, en volant des citoyens privés, en massacrant…), sont obligés de restituer à cause des injustices qu’ils ont commises.  Car cela ne s’appelle pas de la guerre, mais du brigandage.   Les soldats qui se battent avec une mauvaise intention (haine) ne sont pas obligés de restituer,  puisqu’ils n’ont pas commis d’injustice.  Semblablement, un juge qui condamne un accusé convaincu de crime, pêche s’il est motivé par la haine.  Mais il n’est pas tenu à la restitution.

 1422- Quelle indemnité peut-on imposer à un vaincu ?  Selon la justice, on peut exiger des compensations pour les pertes ou les dépenses de guerre, puisque c’est l’ennemi qui en est responsable.   Selon la charité,  quelqu’un peut être obligé de renoncer à une partie de ce qui lui appartient, ou à faciliter le remboursement de la dette, ou même à le canceler quand l’ennemi est très pauvre, et ne peut pas facilement payer présentement. 1423-  En cas de doute, quand chacun prétend être dans son droit, et quand aucun n’est vraiment vainqueur, ou quand un pays vaincu se déclare incapable de payer la dette de guerre, on doit avoir recours à d’autres façons de sortir de l’impasse.  Ainsi, dans le premier cas, un compromis ou un abandon réciproque des plaintes,  semblerait raisonnable, surtout si les deux côtés sont épuisés par la guerre. Dans le dernier cas, les vainqueurs et les vaincus auraient intérêt à se soumettre à la décision d’un arbitrage ou d’un tribunal impartial. Parce que, à long terme, ce n’est pas à l’avantage de l’un que l’autre soit privé de ses biens et de sa productivité.

 1424- Les garanties pour le futur. On devrait insister sur des garanties qui assureront contre le retour éventuel de l’offense commise par la nation conquise. En conséquence, on peut demander qu’elle livre les fortifications, les usines de munitions, des navires en perdition, qu’elle réduise sa puissance militaire, punisse certains individus, ou dépose certains chefs.  On ne peut pas exiger des garanties telles quelles rendront absolument impossible le retour d’une autre guerre par l’ennemi vaincu. Comme nous l’avons dit plus haut, une nation a le droit d’aller en guerre pour se défendre contre une agression, mais elle n’a pas le droit de s’évertuer à détruire d’autres nations parce qu’elles sont de force égale ou parce qu’elles compétitionnent avec nous. En conséquence, il n’est pas permis de demander à une nation conquise de renoncer à  son indépendance et à  la gestion de ses affaires, ou d’annexer tout le pays conquis pendant la guerre, si les droit ou la sécurité du vainqueur ne requièrent pas de telles choses.   L’assujettissement et l’occupation temporaire sont toutefois permis, s’il n’y a pas d’autre moyen de redresser la situation, ou d’assurer la sécurité.

 1425- La punition des soldats ennemis pour les crimes commis pendant la guerre.  Des crimes spéciaux commis durant la guerre (massacres de non combattants) peuvent recevoir une punition.  Mais la punition doit porter sur les vrais responsables, et non sur ceux qui n’ont fait qu’exécuter des ordres.  On ne doit pas chercher à venger un crime de guerre sur des soldats, car il est injuste de punir les soldats pour la folie des officiers et des chefs. Pour les soldats, il n’est pas facile de déterminer leur faute morale. Les tribunaux de Nuremberg ont déclaré les commandants et les officiers responsables de crimes contre l’humanité.  Ce n’était pas un précédent.

 1426- La préparation pour les guerres à venir. Une préparation raisonnable est non seulement légitime, elle est un devoir de l’état envers son peuple. Une nation devrait avoir une puissance militaire ou des alliances capables de sauvegarder sa souveraineté  face à une attaque éventuelle.  Une préparation déraisonnable va contre la loi puisqu’elle remet au peuple le fardeau de la guerre, et prépare celle-ci  par son incurie.  Exemples de préparation déraisonnable.   Maintenir une armée ou une marine beaucoup plus puissante  que celles que possèdent des pays d’égale force.  Des dépenses militaires oppressives, des manœuvres qui indisposent  les autres pays, ou qui sont trop dangereuses en raison du nombre de troupes engagées, des courses à l’armement  ruineuses.

1427-  La préparation pour la paix ou contre la guerre est un devoir qui n’est pas moins obligatoire que la préparation pour une guerre défensive : le désir de la paix, les œuvres de paix.   Le désir de la paix est promu quand les nations éduquent leurs enfants à la fraternité humaine, au danger et à la folie d’un nationalisme étroit, de la criminalité d’une guerre qui n’a pas toutes les conditions d’une guerre juste.  Sans le désir de la paix, les conférences et les traités auront peu de résultat.    Le travail pour la paix s’accomplit par tous ceux qui prêtent leur concours à tous les projets de prévention de guerre et de préservation d’une harmonie mondiale durable.  Parmi ces plans, il y a tous les traités internationaux qui se donnent pour but de substituer le droit moral à la force brute, d’abolir la conscription et les armes, d’établir des tribunaux internationaux, des associations et des cours mondialistes, pour rendre obligatoire le règlement amical de conflits, pour codifier une loi internationale.

 L’histoire rend témoignage aux grands et fréquents services que les papes ont rendus en agissant comme arbitres entre les nations qui étaient sur le point de se lancer l’une sur l’autre. Si les jalousies empêchent des ententes entre gouvernements, les peuples du monde devraient quand même œuvrer pour la paix, et faire prévaloir leurs désirs par des moyens constitutionnels sur ceux des gouvernements.  Avec l’Église, nous devons demander à Dieu : de la peste, de la famine, de la guerre délivre-nous, Seigneur !

 1428- La guerre.  La guerre est un conflit enflammé,  entre deux ou plusieurs personnes,  qui se déroule dans la violence physique. Elle est un conflit destructeur, et diffère  des compétitions sportives ou des tournois qui ont pour but l’adresse, l’amusement, la récréation, la santé, l’exercice et l’entraînement.  En conséquence, les matches de lutte et de boxe, les parties de football, l’escrime et d’autres compétitions sportives, où prévaut l’esprit sportif, ne sont pas des combats au sens que nous donnons ici à ce mot.  Semblablement, les tournois des chevaliers du moyen-âge étaient des joutes ou des spectacles plutôt que des combats.  La guerre est un conflit, et elle diffère donc de la punition infligée par une autorité légitime, comme quand un policier se sert de sa matraque pour prévenir un crime; quand des parents ou des professeurs réprimandent des enfants insubordonnés; ou quand un homme sobre se bagarre avec un ivrogne pour lui enlever son flacon d’alcool, ou avec un fou pour lui enlever son arme. Il s’agir là d’un conflit entre deux ou plusieurs individus, et il diffère donc de la guerre ou de la sédition qui sont des conflits entre nations ou classes sociales.  La guerre  se réalise au moyen de violences physiques, c’est-à-dire en infligeant des blessures ou des dommages corporels. La guerre diffère ainsi d’une querelle qui est une dispute de mots.  Il est indifférent que l’attaque soit faite avec les poings, les ongles ou les dents, ou par des armes ou des missiles; que le dommage corporel soit direct (un œil au beurre noir)  ou indirect (le chapeau arraché de la tête).

 1429- Les sortes de bataille. Quant à son origine, la guerre est provoquée ou non provoquée, selon qu’on attaque ou qu’on se défend.  Quant à sa forme, c’est une bataille ordinaire ou un duel, selon qu’elle a lieu avec ou sans préparation, avec ou sans conditions stipulées.
 La loi civile fait une distinction entre l’assaut et la batterie. L’assaut est une démonstration de violence exercée contre quelqu’un, comme quand on lève le poing ou une canne sur quelqu’un, d’une façon menaçante, pour faire naître chez lui la peur de blessures.  La batterie est l’infliction actuelle d’une violence personnelle, comme quand quelqu’un frappe, égratigne, mord quelqu’un ou crache dessus.

 1430- La culpabilité du combat. Une bataille non provoquée, de par sa nature, est un péché mortel. Elle est classée parmi les œuvres de chair qui excluent quelqu’un du royaume de Dieu (Gal V, 20,21).  Elle est essentiellement opposée à la charité due au prochain.  Mais ce n’est souvent qu’un péché véniel, soit parce que l’acte n’est pas complètement délibéré –comme quand on se bat parce qu’on perd la tête--, ou soit parce que la violence est anodine, comme quand des écoliers se tirent par les cheveux ou se lancent des mottes de neige.  Se battre parce qu’on a été  provoqué n’est pas du tout un péché, quand on n’a pas d’autre intention que de défendre ses droits, et quand on ne va pas plus loin que ce qui est nécessaire pour assurer sa juste défense.  Comme quand quelqu’un se bat contre un cambrioleur qui tente de pénétrer par effraction, et le met à la porte.  C’est un péché véniel quand celui qui résiste à l’agression agit avec un léger degré de haine ou de ressentiment, ou cause un plus grand dommage qu’il n’était nécessaire. C’est un péché mortel quand la personne attaquée se défend avec des pensées de haine et de vengeance, ou cherche, délibérément et sans raison, à tuer ou à blesser grièvement l’adversaire.

 1431- Les causes du combat. Le remède au combat blâmable est l’élimination de ses causes. Les sources du combat sont prochaines ou éloignées. La cause immédiate est la colère. L’homme coléreux provoque les affrontements (Prov. XV, 18; XX1X, 22). Car la colère étant un désir de revanche, elle ne se contente pas d’offenser quelqu’un en catimini,  mais elle désire le punir, c’est-à-dire  l’offenser d’une façon telle qu’il saura qu’il est puni, et en ressentira de la douleur.  La colère aveugle quelqu’un sur la folie de ses actions, et le pousse  à agir avec précipitation,  à invectiver à se battre. (Prov. XV111, 6).  La cause éloignée du combat est un désir désordonné des choses temporelles, comme la richesse, le pouvoir, l’aisance, le confort.  Pourquoi y a-t-il des dissensions  et des disputes parmi vous ? N’est-ce pas à cause des désirs qui font la guerre dans vos membres ? (Jacques 1V, 1).  Ceux qui sont trop passionnés  par ce qui les intéresse se sentent facilement offensés par ce qu’ils considèrent des mépris, des insultes ou de l’opposition.  C’est la cupidité et l’envie qui ont poussé les bergers de Palestine à remplir les puits creusés par Isaac,  pour en prendre possession, et à se battre avec ses serviteurs (Gen XXV1, 14).

 1432- La haine et la bataille. La haine n’est pas nécessairement une cause de bataille. Celui qui hait souhaite du mal à son prochain, non pas comme punition mais dans l’absolu. Sa passion est plus calme, plus durable et plus insatiable que celle du coléreux.  Si cela lui convient,  il saura attendre son heure patiemment, feignant l’amitié, tout en préparant la ruine de celui qu’il hait.  La haine cause parfois des batailles, car si celui qui hait se rend compte qu’il peut attaquer ouvertement, il se servira, pour atteindre son but, des altercations et des bagarres.

 1433- Les occasions qui amènent fréquemment une bataille.  Sa vanter et déprécier autrui, en présence de personnes qui prendront mal la chose,  occasionne des conflits. Car celui qui se vante et se glorifie lui-même provoque des querelles (Prov. XXV111, 25).  Ainsi, les disputes portant sur les mérites respectifs des nations ou des partis politiques dégénèrent souvent en affrontements où le sang coule.  L’ivrognerie est une occasion de combats, car elle engourdit l’esprit de quelqu’un  au point de lui faire minimiser le danger, de surestimer sa force, et de le préparer pour le combat.

 1434- Les mauvaises conséquences d’un combat. La charité est blessée par les combats,  comme quand on estropie ou tue quelqu’un, ou quand on est soi-même emprisonné ou exécuté, pour le plus grand déshonneur ou la privation de ses descendants.

 1435- Le duel.  Un duel est un combat arrangé d’avance entre deux personnes qui se battent pour tirer une affaire au clair.  Ainsi, c’est un combat.  Et en conséquence,  un duel suicidaire,  dans lequel les combattants s’engagent à ce que le perdant se tue lui-même à un moment donné,  n’est pas un duel.  Un duel est arrangé d’avance. Si deux antagonistes se rencontrent par hasard et se mettent immédiatement à faire feu ou à jouer de l’épée, leur combat ne peut pas porter le nom de duel.  Mais il n’est pas nécessaire qu’une lettre de défi et une lettre d’acceptation en bonne et due forme  précèdent le combat.    Un duel est entre deux personnes, c’est-à-dire qu’un combattant déterminé se mesure contre un combattant déterminé.  Un vrai duel peut quand même être livré entre plusieurs couples simultanément, comme dans le combat entre les douze soldats d’Abner et les douze soldats de Joab (11 Rois, 11, 13-17).   La présence de seconds ou de témoins n’est pas essentielle à un duel.   Dans un duel, on se bat avec des armes mortifères, c’est-à-dire avec des armes capables d’infliger de sérères blessures, de sorte  qu’il y a un sérieux danger de lésion, de mutilation ou de mort.  Il n’y a donc pas de duel quand quelqu’un se bat avec des armes qui ne peuvent pas causer de sérieux dommage (comme les poings, des bâtonnets, ou de la vase).  Mais les duels académiques, dans lesquels les étudiants cherchent à se frapper  les uns les autres au visage avec des dards, sont de vrais duels.  Car bien que les lutteurs aient les parties vitales bien protégées et que des blessures fatales arrivent rarement, il demeure vrai que cette forme de combat est dangereusement mortelle. La même remarque s’applique aux duels livrés sous la condition qu’on tirera des coups de fusil pendant une ou deux rondes, ou que le combat cessera dès que le sang commencera à couler.  On fait un duel pour mettre fin une fois pour toutes à une dispute privée.   Un combat que se livrent deux soldats pendant une guerre n’est pas un duel au sens où nous l’entendons maintenant, parce qu’il n’y a pas de querelle privée entre eux.

 1436- La moralité du duel. En règle générale, le duel est une faute mortelle.  Comme un combat ordinaire, il est contre la charité, et il inclut, en plus, un désir de tuer, ou d’estropier gravement quelqu’un, de remettre sa vie entre les mains du hasard,  et d’usurper la fonction de l’état. Cela vaut aussi bien pour celui qui a lancé le défi que pour  celui qui a relevé le gant.  Car rien n’oblige quelqu’un à accepter un duel.    Exceptionnellement, un duel ne serait pas coupable, s’il prenait la forme d’une guerre, ou d’une autodéfense contre un injuste agresseur.  Ainsi, pour mettre fin à une guerre, et pour limiter l’effusion du sang, il pourrait être permis de remettre l’issue du combat de toute l’armée entre les mains de champions choisis par les deux camps, comme dans le cas de David et Goliath (1 Rois XV11).   Mais cette pratique a été abandonnée dans les temps modernes.  De plus, si une personne avait à choisir entre une mort certaine, si elle refusait un duel, et une mort possible, si elle acceptait le duel, il semblerait que cette personne est dans la position de quelqu’un qui est attaqué par un injuste agresseur. Mais il est difficile de concevoir qu’un cas de ce genre puisse arriver dans des conditions normales.

 1437- La fausseté des arguments justifiant le duel. L’amusement des spectateurs était le but des combats de gladiateurs livrés dans l’ancienne Rome.  Mais, aujourd’hui, il n’y personne qui ne considérerait  pas comme de la barbarie la boucherie d’êtres humains accomplie pour amuser le peuple. La décision à rendre dans les cas où la cour n’avait pas pu trancher  était le but des duels juridiques livrés chez les Lombards et les Germains au moyen âge.  Mais, il est évident que ces duels ont pour effet de  tenter Dieu, parc qu’ils obligent Dieu à révéler clairement, par le moyen d’un duel entre combattants, ce qu’un procès n’a pu faire. L’issue d’un duel montre qui est le plus adroit et le plus fort, non qui est dans son droit. L’entraînement à la bravoure et le fait de mettre un terme à de sérieuses différences sont les excuses offertes pour les duels militaires ou universitaires.  Mais tuer, paralyser ou brutaliser les jeunes ne rend pas une nation plus forte.  Et la substitution de la violence à la loi comme moyen de terminer des disputes est un encouragement au crime. La vengeance pour les offenses ou insultes reçues ou la réputation de lâche est la raison invoquée  pour les soi disant affaires d’honneur. Mais n’est-ce pas  une superstition ou un reliquat de sauvagerie  de penser que le déshonneur est effacé par un combat déshonorant, ou qu’une personne se montre brave parce que lui fait défaut le courage d’agir contre les opinions de la multitude ?

 1438- Les peines contre le duel. L’Église a privé de sépulture ecclésiastique ceux qui meurent, sans se repentir, à la suite d’un duel (canon 1240). Elle a aussi lancé l’excommunication réservée au Saint Siège  et l’infamie  contre les duellistes et leurs aides (canon 2351). La loi civile dans les pays anglophones fait du duel un crime. Il est regardé comme un meurtre. Et les seconds sont susceptibles d’être punis en tant qu’auxiliaires. 1439-  Quel est le devoir moral de restitution pour les offenses causées par un duel ? Celui qui a lancé le défi et ses héritiers n’ont droit à aucune restitution. Si celui qui a été défié  a accepté volontairement, il n’a aucun droit à la restitution, car son acceptation libre du combat implique la cession d’un droit de ce genre.  Celui qui a été défié a le droit à la restitution,  s’il a été contraint d’accepter. S’il est  blessé, c’est à l’initiateur du combat à payer le coût des traitements médicaux. S’il est tué, le même devrait donner des compensations aux héritiers.

 1440- La sédition. La sédition est une  discorde  si grave entre différentes factions d’un nombre égal  qu’elle dégénère en conflit physique, et brise l’unité de l’état.  C’est une discorde, c’est-à-dire un désaccord des volontés, et elle ressemble par là au schisme,  à la guerre, et à la bagarre. La différence d’opinion dans des partis politiques n’est pas une sédition, puisqu’il y a une unité de volonté et de but en eux tous, relativement au bien commun et à la paix de l’état (Cf. 1197,1348). En fait, sous un système démocratique de gouvernement, l’existence de partis en opposition les uns avec les autres s’est avérée un moyen utile et nécessaire de stimuler l’intérêt des citoyens, et d’accélérer le processus législatif.   La sédition existe entre des factions différentes qui sont semblables. C’est-à-dire entre des sections différentes ou des groupes du même corps politique. Elle diffère ainsi de la guerre (qui est entre états) et de la bagarre (qui est entre individus).  La sédition dégénère en affrontements physiques, c’est-à-dire qu’elle tend, de par son caractère, à éclater en violence, et à entraîner les factions opposées à se battre les unes contre les autres. Elle est une simple sédition si elle n’est pas accompagnée par des  hostilités. Mais si le combat a commencé, c’est une insurrection ou une rébellion quand le peuple cherche à renverser le gouvernement.  C’est une guerre civile, si une partie de la nation cherche à vaincre l’autre ou à s’en séparer.  Elle est préjudiciable à l’unité civile et à la paix du peuple, du fait qu’elle tend à un démembrement violent de l’état ou à la perturbation de la paix civile.  Ainsi, la sédition est plus sérieuse que des émeutes, des tumultes, des mutineries ou d’autres soulèvements du même genre, qui ne sont pas dirigés contre l’état lui-même, ou contre l’harmonie de toute la population.  La sédition diffère aussi de la séparation pacifique de parties d’un état, et de l’autodéfense légitime d’un peuple contre un gouvernement tyrannique.

 1441- D’après la définition donnée plus haut, il est évident que la sédition est une espèce distincte et spéciale de péché.   Elle diffère de la discorde spirituelle, car, à la différence du schisme, elle ne s’oppose pas à l’unité de l’Église, mais à celle de l’état.   Elle diffère des autres sortes de discorde temporelle car à la différence de la guerre et des bagarres, elle ne s’oppose pas à la paix entre les nations ou les individus, mais à la paix entre les membres d’un même corps civil.  La guerre enlève la paix qui régnait avec les étrangers, la sédition enlève la paix qui existait entre les concitoyens, le combat attaque une ou des personnes privées, la sédition attaque le bien-être d’un pays. 1442- La sédition, au sens strict donné ici, est toujours un péché.  Ainsi, elle est un péché mortel par nature, parce qu’elle s’oppose à ce qui est manifestement un des plus grands biens temporels, l’unité d’un état. Elle est en opposition avec la charité,  du fait qu’elle rompt le lien de la paix.  Elle est en opposition avec la justice,  du fait qu’elle attaque une unité basée sur la loi et sur l’utilité commune à laquelle toute nation a un droit strict.  La sédition est plus grave dans certaines personnes que dans d’autres.  Ainsi, les causes morales de la sédition (celles qui sèment la discorde, ou promeuvent la désaffection) portent plus de responsabilité que ceux qui ont été entraînés à commettre des actes de violence.  La gravité du péché dans chaque cas dépend de la quantité de dommages provenant de l’influence ou des actes de chacun.

 1443- Quelqu’un qui oppose une résistance à un gouvernement tyrannique est-il coupable d’un péché de sédition ?  Quand les moyens légaux et pacifiques sont impraticables  et qu’une agression armée contre un tyran sera profitable au bien commun, un rebelle n’est pas coupable du péché de sédition. Dans ce cas, c’est plutôt  le mauvais chef qui cause la discorde qui  est séditieux contre le bien commun, tandis que le peuple ne fait que se défendre légalement.  Ainsi, la rébellion des Macchabées contre leurs oppresseurs syriens n’était pas séditieuse.  Quand les moyens légaux sont inutilisables, et quand un soulèvement armé ne servira pas au bien commun, un rebelle est coupable du crime de sédition.
 
 

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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction

Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.

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