ARTICLE 9 : LES PÉCHÉS
CONTRE LA BIENFAISANCE
(la somme théologique, IIa-IIae, q. 43)
1444- Après avoir discuté dans les paragraphes précédents les péchés opposés aux actes internes de la charité (l’amour, la joie, la paix), nous en venons à traiter du scandale et de la coopération qui sont opposés aux actes externes de charité, la bienfaisance et la correction fraternelle.
1445- Le scandale. Le mot scandale est dérivé d’un mot grec qui signifie un piège ou une trappe préparé pour un ennemi, ou une pierre ou un arbre déposée sur un sentier, pour qu’un ennemi tombe ou trébuche en s’y heurtant. Le mot a un sens général et un sens plus strict. Dans son sens le plus large, il se rapporte à n’importe lequel dommage spirituel ou moral causé par quelqu’un. Dans son sens le plus strict, il se rapporte à une chute dans le péché, occasionnée par la mauvaise conduite de quelqu’un. 1446- Voici quelques exemples du mot scandale employé au sens large. On s’en sert pour parler d’offenses physiques ou naturelles de plusieurs sortes. Ainsi, les serviteurs de Pharaon ont appelé scandales les plaies infligées au peuple égyptien par Moïse (Exod X, 7). Et le psalmiste dit d’un pécheur qu’il a tendu un scandale contre son frère (Ps. XL1X, 20). Ceux qui répandent des propos diffamatoires sont des gens par qui le scandale arrive. Le scandale signifie souvent un opprobre ou une disgrâce, comme quand Shakespeare parle des querelles entre les nobles comme d’un scandale pour la couronne. Le mot scandale est aussi employé pour signifier des offenses morales distinctes de l’incitation au péché. Ainsi le choc et l’offense donnés aux personnes vertueuses par un langage blasphématoire dont on se sert en leur présence, est appelé scandale. Et on appelle aussi scandaleux quelqu’un qui cherche à détourner un autre du chemin de la perfection qui n’est obligatoire pour personne.
1447- La définition du scandale. Au sens strict, le scandale est défini ainsi : toute conduite qui est mauvaise au moins en apparence, et qui présente au prochain une occasion de ruine spirituelle. Par conduite on entend un comportement externe, ou une façon d’agir en présence des autres. Ainsi, le scandale diffère du péché, car le péché n’est pas commis seulement par des actes externes faits en présence des autres, mais aussi par des pensées internes, par des désirs et des actes qui sont secrets. Le scandale est une conduite qui est mauvaise au moins en apparence ou d’après les circonstances. Ainsi, un acte n’est pas scandaleux s’il est moralement indifférent ou un moindre bien, et s’il est perçu comme tel. Le scandale tend à la ruine spirituelle, c’est-à-dire à une chute dans le péché, grande ou petite. Ici, le scandale au sens strict diffère du scandale au sens large que nous avons présenté plus haut. Le scandale est une occasion de chute dans le péché, c’est-à-dire qu’il présente un exemple de péché au su et au vu de tous, et il sollicite ainsi la volonté d’autrui à imiter l’action pécheresse. Le scandale n’est pas, cependant, la cause du péché, car quelqu’un cause son propre péché en consentant à la suggestion que lui présente le scandale. Le scandale s’adresse à autrui. On peut dire que quelqu’un se scandalise lui-même au sens où par ses regards ou ses actions, il se met lui-même dans une occasion de péché (Matt. V, 29.30); ou dans la mesure où, des actes vertueux de son prochain, il fait malicieusement une occasion de péché. Mais on entend surtout le mot scandale comme une occasion de péché préparée par un autre que soi.
1448- Les causes du scandale. Il
y a différentes divisions de scandale selon les sortes d’actes externes.
Il y a le scandale en paroles, comme quand on profère des calomnies ou
des blasphèmes, en présence d’un grand nombre de personnes. Il
y a le scandale en actes, comme quand quelqu’un se saoule dans
une rue, ou se chamaille à la vue de tous. Le mot scandale s’applique
aussi aux choses en tant qu’elles sont les résultats d’actions ou
qu’elles y sont reliées, comme des livres non édifiants, des images
obscènes ou des habits provocants. Ainsi, quelqu’un scandalise
autrui en étalant des objets mauvais, comme des slogans profanes sur son
mur ou sur ses panneaux d’affichage. Il y a aussi des scandales par omission,
comme quand quelqu’un est notoirement absent de la messe le dimanche.
1449- Les actes qui suivent
ne sont pas scandaleux, puisque, étant inconnus, ils ne peuvent pas entraîner
les autres dans le mal. Les actes internes, comme les
pensées mauvaises, les désirs, les émotions; les actes externes cachés
aux autres comme des blasphèmes inaudibles, un enivrement que personne
ne connait, l’obligation d’une pénitence obligatoire dont personne
n’est au courant.
1450- Il y a, également, diverses branches de scandale selon le but que se propose celui qui scandalise. Le scandale est directement intentionnel quand le but de celui qui scandalise est de porter les autres au péché (scandale diabolique). Exemple. Pierre blasphème contre la religion devant Paul dans le but de l’entraîner à l’irréligion, et de le persuader de mener plus facilement une vie criminelle. Le scandale est indirectement intentionnel quand l’intention de celui qui scandalise est de poser des actions qui seront de nature à entraîner les autres au péché; quand il a vraiment l’intention de poser cette action, sans pourtant vouloir la faute qui en résultera. Exemple. Pierre n’aime pas voir ses enfants ivres, mais il aime se saouler de temps en temps, tout en sachant que son exemple encourage ses enfants à boire.
1451- Dans les cas qui suivent, il n’y a aucune intention de scandale. Quand quelqu’un fait quelque chose qui n’a aucune apparence de mal, et quand il ne veut ni directement ni indirectement que son action soit une occasion de péché. Exemple. Pierre remplit ses devoirs fidèlement, bien qu’il sache que sa fidélité occasionne de l’envie et de la haine dans le cœur de Paul. Quand quelqu’un pose un geste mauvais ou apparamment mauvais, mais est invinciblement ignorant du scandale qu’il pourrait procurer. Exemple. Jacques et Jean conversent dans une langue étrangère en pensant que Luc ne la comprend pas. La conversation est loin d’être édifiante, et Luc, qui a tout compris, en est outré. 1452- On appelle scandale actif l’action d’un provocateur qui poursuit directement ou indirectement la ruine spirituelle de son prochain. Mais on appelle passif l’acte de la personne qui prend occasion du scandale actif pour encourir une ruine spirituelle. Le scandale actif et le scandale passif sont parfois réunis ensemble, parfois séparés l’un de l’autre. Ainsi, il y a scandale actif et scandale passif quand le tentateur veut la chute de son prochain, et quand le scandalisé tombe. Il y a un scandale actif mais pas de scandale passif quand le séducteur veut la chute de son prochain, mais quand celui qu’on veut scandaliser ne tombe pas dans son piège. Il y a un scandale passif mais aucun scandale actif quand on fait une occasion de péché d’une bonne action correctement faite par quelqu’un. Ainsi, il y en a qui font de la vie et de la passion du Sauveur un prétexte pour ne pas l’accepter (Matt. X111, 57; Jn V1, 62; Cor 1, 23). Ils se sont dits scandalisés parce qu’il guérissait les malades le jour du sabbat.
1453- Quant à l’acte qui occasionne la ruine spirituelle de quelqu’un, il doit être mauvais en lui-même ou en apparence seulement. L’acte scandaleux est réellement mauvais quand il est interdit en tant que péché. Par exemple, offrir un sacrifice dans le temple d’une idole, ou détourner à son usage personnel de l’argent donné pour les pauvres. L’acte scandaleux est mauvais en apparence quand, à cause des circonstances, il semble être un acte interdit en tant que péché. Ainsi, prendre part à un banquet tenu dans un temple païen peut passer pour une participation aux rites païens (1 Cot V11, 10). Dépenser en secret l’argent donné pour les pauvres peut donner l’impression d’un usage indu de la collecte (11 Cor V111, 20, 21). Voilà pourquoi saint Paul enseigne : Gardez-vous de toute apparence de mal (1 Thes V, 22).
1454- Les actes réellement mauvais, ou qui le paraissent seulement, et qui causent du scandale sont innombrables, puisque le monde entier est assis dans la méchanceté (Jn V, 19). Mais il y a plusieurs actes qui méritent une mention spéciale, eux qui sont une cause de plus d’offenses que d’autres. Parmi eux il y a : les occasions de péché contre la foi, comme la littérature athée, dont nous avons parlé en traitant de la foi; les occasions de péché contre la morale comme l’obscénité dans les vêtements, les images, les pièces de théâtre, les écrits et les danses. Voilà de quoi nous allons parler dans les prochains paragraphes.
1455- L’obscénité. L’obscénité est une qualité de mots, d’actes ou d’objets qui véhiculent des pensées impures, ou des désirs impurs ou des actions suggestives. On peut la considérer intérieurement (selon l’intention qui inspire les mots, les actes ou les objets), ou extérieurement (dans la nature elle-même des choses employées). Ainsi, l’obscénité interne, ou la volonté de se servir de ce qui corrompra les esprits et les mœurs des autres) est, bien entendu, un péché mortel. Si l’intention est de dépraver quelqu’un, le péché de scandale direct a été commis. Si l’intention n’a pas pour but que de satisfaire le désir d’employer des mots orduriers, la faute est celle d’un scandale indirect. Ainsi, une femme qui se dénude la poitrine dans le but d’exciter un amour impur est coupable d’un scandale direct. Si elle s’habille de façon provocante pour suivre la mode, mais sans désirer susciter un amour impur, elle est coupable d’un scandale indirect.
L’obscénité externe est le pouvoir qu’ont les mots, les actes ou les objets de susciter des images impures dans l’esprit, d’exciter des pensées ou des actions impures en ceux à qui ils s’adressent. L’usage de ces choses est donc un péché mortel. Car, si la chose dite ou faite est mauvaise en elle-même (comme un langage obscène) c’est un péché de scandale contre la charité. Si elle est mauvaise à cause de ceux qui en subiront l’influence (comme des discours sur le sexe devant des enfants), c’est un péché de scandale. En conséquence, un motif bon et même religieux (comme l’instruction ou la réfutation d’erreur, la santé ou le mysticisme) ne justifie pas l’emploi de ce qui est clairement obscène. Car la fin ne justifie pas les moyens.
1456- Il n’est pas toujours facile de déterminer, dans des cas particuliers, à quel moment une chose est obscène de par sa propre nature. Mais, on peut donner les règles suivantes. Les tableaux, les sculptures et les images sont obscènes quand ils représentent des scènes d’actes immoraux ou sexuels, ou des postures lascives; également, quand ils représentent des figures humaines nues, ou quand ils représentent les parties honteuses de l’homme ou les parties moins honnêtes de la femme. Un habit féminin est lascif quand il met à nu une grande partie de la personne par des décolletés ou des robes très courtes, ou par la transparence du matériel, ou par des habits collants qui moulent les formes. Les pièces de théâtre ou les films sont obscènes à cause du message (quand la pureté est ridiculisée et l’impureté encouragée); à cause de la chose représentée ou à cause des acteurs (connus pour leur immoralité). Les danses sont obscènes en elles-mêmes quand les mouvements, les postures et les contacts sont indécents. Elles sont obscènes à cause des danseurs quand ils sont accoutrés de façon indécente. Les salles de danse publiques, les cabarets, les clubs de nuit, les discothèques, les lieux, en somme, où il n’y a pas de supervision, et où les jeunes filles se rendent seules pour danser avec des inconnus jusqu’aux petites heures du matin, où il y a un bruit assourdissant, de la boisson et de la drogue, sont les antres naturels de la danse obscène. Mais on la trouve aussi dans des lieux respectables, comme les salles paroissiales.
Les livres ou les écrits contiennent de l’obscénité quand ils inculquent ou recommandent des actes impurs, ou expliquent comment on peut les commettre; quand ils parlent des péchés d’impureté ou racontent des faits ou des histoires immorales de façon à rendre le vice attrayant ou excusable au lecteur perspicace; quand une production érotique promeut la passion animale par les mots choisis, les allusions, ou le traitement sympathique. 1457- Comme il a été dit plus haut (Cf. 1461 et suiv.). il n’y a pas de scandale donné à moins que les personnes affectées par la conduite d’autrui ne soient susceptibles de mauvaise influence. En conséquence, il n’y a pas d’obscénité quand, en raison des circonstances, il n’y a aucune suggestion de mal dans des choses qui, en d’autres circonstances, seraient immorales ou suggestives. Les images de nudités dans les studios des artistes, les études d’anatomie, les images ou les illustrations des manuels de médecine ne sont pas considérés comme obscènes, puisque les personnes pour lesquelles elles ont été faites sont censées être tellement sous l’influence des principes esthétiques ou scientifiques qu’elles n’en retireront aucun dommage.
L’obscénité du vêtement dépend largement de la nouveauté, car les choses auxquelles ont est habitué cessent d’attirer l’attention. Nous pouvons nous en rendre compte par le fait que des styles jugés conservateurs aujourd’hui aurait été perçus comme audacieux il y a dix ans. Ainsi, le pagne des pays chauds, les costumes de bain, et les décolletés tolérés dans des réunions privées ne sont pas obscènes en leurs lieux et temps. Des pièces de théâtre qui emploient des mots scabreux et grivois ne sont pas pour autant obscènes si, dans leur ensemble, elles maintiennent la décence et la moralité. Autrement, nous devrions considérer immoraux même les drames classiques. Newman dit de Shakespeare : « Il blesse souvent la modestie, mais il est à l’abri de l’accusation la pire, celle de sensualité. Dans tout ce qu’il a écrit, ou peut difficilement citer un passage où il séduit l’imagination ou excite les passions ». Rien n’est plus simple que d’omettre, de ses pièces, tel mot ou telle phrase qui offense les oreilles modernes ou l’innocence de la jeunesse.
Le fait que certains individus trouvent que toutes les danses sont un puissant stimulant aux passions impures ne prouve pas que toutes les danses soient obscènes. Certaines danses, il est vrai, pourraient être correctement appelées des marches du diable. D’autres danses, qui tirent leur nom de certains animaux, peuvent aussi être suggestives. Mais il y a aussi le ballet classique qui ne représente pas pour la plupart une tentation, mais un passetemps innocent, et qui comporte aussi des valeurs physiques, esthétiques et sociales.
On devrait appliquer aux livres et aux autres écrits ce que nous avons dit au sujet des pièces de théâtre, à savoir qu’on ne doit pas les tenir pour obscènes à cause de passages isolés qui ne conviennent pas à des enfants, à des gens scrupuleux ou à ceux qu’enflamment des images impures. Même la bible peut prêter flanc à la critique pour un pudique ou un prude; et celui dont les mœurs sont indécentes en parcourra à la loupe les pages à la recherche de choses indécentes. Mais tous s’entendraient pour appeler lunatique celui qui classerait la bible parmi les livres obscènes.
1458- Les personnes qui scandalisent à cause de l’obscénité. Dans les cas des statues ou des images, le scandale est donné par les artistes, les peintres, les sculpteurs ou d’autres faiseurs d’image; et par les personnes responsables qui les placent dans des musées, dans des galeries ou à d’autres lieux publics. Quand aux vêtements féminins, les responsables sont prochainement celles qui les portent, et lointainement et principalement les modélistes et les chefs d’entreprise qui imposent leur volonté en lançant des modes dangereuses, et en faisant succéder rapidement les modes osées les unes après les autres. En ce qui a trait aux pièces de théâtre, le scandale est donné par les dramaturges, les metteurs en scènes, les producteurs, les acteurs, les actrices, et par tous ceux qui en font la publicité et qui l’applaudissent. Le public lui-même et les autorités civiles ont leur part de responsabilité quand ils tolèrent passivement la dégradation du théâtre et la corruption des mœurs. Dans le cas des danses obscènes, ceux par qui le scandale arrive sont les propriétaires des lieux où sont présentées ces danses, les musiciens et les chanteurs (surtout quand les chants eux-mêmes sont obscènes), ainsi que les danseurs, les spectateurs et autres patrons. Pour les publications salées, les auteurs, les éditeurs, les imprimeurs, les vendeurs et les lecteurs ont leur part de responsabilité dans le scandale. La censure gouvernementale de la presse n’est pas désirable, mais la suppression gouvernementale de l’obscénité a toujours été la politique des pays anglophones. Le citoyen n’est donc pas exempt de faute s’il prend intérêt aux piles de magazines indécents qui sont étalés au grand jour dans les kiosques à journaux. Le droit canon (canon 1404) interdit aux libraires de vendre, de prêter ou de conserver des livres qui traitent formellement de l’obscénité. Mais il n‘est pas interdit de les vendre, s’ils ont été expurgés, comme c’est le cas des livres classiques.
1459- Les effets du scandale. La ruine spirituelle occasionnée par un scandale est un péché. Ainsi, un péché formel ou matériel peut résulter d’un scandale. Exemple. Pierre a blasphémé devant un enfant qui ne comprenait pas le sens du mot, et devant un adolescent qui le comprenait parfaitement. Et les deux blasphémèrent. Le scandale donné par Pierre causa un péché matériel chez l’enfant, et formel chez l’adolescent. Un péché mortel ou un péché véniel peuvent résulter d’un scandale, comme une pierre sur le chemin peut faire tomber ou trébucher quelqu’un. Un péché de même espèce ou d’une espèce différente de celui commis par celui qui scandalise peut aussi résulter du scandale. Ainsi, une calomnie proférée contre quelqu’un peut induire ceux qui l’entendent à la répéter ou à imiter l’action imputée par le calomniateur, ou à abandonner la religion. Un péché déjà commis par la personne scandalisée ou un péché qui lui est nouveau; un péché qu’il avait l’intention de commettre ou auquel il n’avait jamais pensé, chacun des ces résultats suffit pour qu’il y ait scandale. Exemple. C’est un scandale d’inciter à l’ivrognerie par un mauvais exemple quelqu’un qui a fait une cure d’intoxication; ou de raviver le souvenir d’un péché que quelqu’un avait autrefois l’intention de commettre.
1460- Le scandale ressemble à la sollicitation et à la complicité, puisque, comme elles, il exerce une mauvaise influence sur les autres. Mais il ne leur est pas identique. La sollicitation entraîne quelqu’un au mal par des conseils, la persuasion, le commandement, ou l’invitation; le scandale peut influencer les autres par tous ces moyens-là, mais aussi par l’exemple. De plus, la sollicitation ne se propose pas nécessairement comme but la chute de quelqu’un dans le péché, comme le fait le scandale. Ainsi, on peut inciter à s’enivrer quelqu’un qui avait déjà décidé de s’enivrer. Ou on peut persuader quelqu’un que l’ivrognerie n’est pas un péché, et le pousser ensuite à s’enivrer. Mais si celui qui désire la démoralisation et la corruption de quelqu’un l’induit à se saouler, la sollicitation se joint au scandale.
La complicité ou la coopération porte quelqu’un au mal en l’aidant à commettre le péché, tandis que le scandale pousse quelqu’un mal en lui faisant désirer de commettre un péché. Exemple. Pierre est un homme âgé. Il se saoule ou fait l’éloge de l’ivrognerie en la présence de Paul, un adolescent. Influencé par ces paroles, Paul indique à son ami Luc qu’il a l’intention de s’enivrer. Luc alors lui fournit les boissons alcoolisées. Pierre est coupable de scandale, Luc de coopération.
1461- Il ya deux classes de personnes devant lesquelles des paroles, des actions ou des omissions non édifiantes sont faites. Les personnes les plus susceptibles de se scandaliser sont celles qui n’ont d’expérience ni dans le vice ni dans la vertu. Ces personnes sont plus propres à être influencées par des mauvaises actions. Ainsi, les personnes dont le caractère n’est pas encore trempé, ceux qui sont ignorants et bien disposés, mais faibles, sont plus particulièrement exposés à se laisser détourner de leur chemin par les mauvais exemples. Les personnes qu’on ne scandalisera pas facilement sont celles qui sont si mauvaises ou si bonnes que tous les mauvais exemples ne les amènerot pas à commettre le péché. 1462- Peut-on penser qu’on n’a pas commis de péché de scandale parce que ceux qui ont été témoins de nos mauvaises actions n’ont pas été scandalisés ? Si quelqu’un est certain que les témoins de ses actions ne seront pas affaiblis moralement par elles, et s’il ne désire par leur chute, il n’a pas commis le péché de scandale. Ainsi, si quelqu’un blasphème en présence d’une dame connue pour sa piété, ou devant des bucherons qui ont toujours le blasphème à la bouche, il est, à toute fin pratique, sur qu’aucun scandale n’a été donné. Si on n’est pas certain que les témoins de ses paroles ou de ses actions ne souffriront aucun dommage moral, on ne peut pas se prétendre exempt de toute faute de scandale. Car, même si quelqu’un pense que tel témoin est bon et que tel autre est mauvais, ils peuvent être autres que ce qu’ils apparaissent, et son mauvais exemple peut-être pour eux le point de départ d’une course vers l’abime, ou d’une descente plus rapide vers le mal. En règle générale, il y a toujours de l’incertitude au sujet de l’influence qu’a un mauvais exemple, car la lecture des caractères n’est pas une science exacte, et beaucoup de péchés ne sont commis qu’en pensée. 1463- Il y a deux cas où même les meilleurs peuvent devenir mauvais par la force de l’exemple, ou les mauvais, devenir pires. Quand le péché commis est, de par sa nature, très alléchant. Ainsi, les auteurs estiment qu’en matière de luxure, il est pratiquement impossible qu’un mauvais exemple ne provoque pas un mouvement peccamineux. Le second cas, est quand l’autorité de celui qui est cause de scandale est grande. Car le fait qu’il se range du côté du mal, ou qu’il semble le faire, démoralisera les bons et encouragera les mauvais à mal faire.
1464- Le scandale passif (Cf 1452), c’est-à-dire la chute spirituelle qui résulte du mauvais exemple d’un autre, est de deux sortes. Le scandale donné, lequel est une chute dans le péché occasionnée par une conduite non édifiante. Comme quand un adolescent se saoule parce qu’il a vu ses oncles se saouler. Le scandale attrappé, lequel est une chute dans le péché occasionnée par une conduite irréprochable en elle-même, mais interprétée de travers par inadvertance ou par malice (le scandale pharisaïque), par ignorance ou par faiblesse (le scandale des faibles). Les pharisiens étaient scandalisés parce que Jésus mangeait avec des pécheurs, parce qu’ils étaient, eux, sans pitié (Matt. 1X, 11). Et les frères faibles de Corinthe étaient scandalisés par la manducation de certains mets, parce que leur conscience était faible X, 23).
1465- La culpabilité du scandale. Le scandale, pris au sens large, n’est pas nécessairement un péché. Ainsi, saint Pierre était poussé par l’amour qu’il portait à son maître quand il chercha à le détourner de la passion. Mais le Seigneur, pour corriger plus vigoureusement les mauvaises idées de Pierre, les a affublées du nom de scandale (Mat. XV1, 23). Le scandale passif est toujours un péché dans la personne qui chute à cause de la conduite d’un autre. Mais il ne suppose pas nécessairement que la conduite qui a occasionné la chute est un péché, comme il ressort clairement des remarques faites plus haut au sujet du scandale pharisaïque et du scandale des faibles. Le scandale actif est toujours un péché en celui dont la conduite occasionne la chute d’un autre, puisque cette conduite est soit peccamineuse, ou est tellement semblable à un péché qu’il faut la rejeter. Il ne sera pas nécessairement un péché dans la personne qui est témoin du scandale, car cette personne peut continuer son chemin sans s’occuper de la pierre d’achoppement.
1466- Le scandale est-il une espèce
distincte de péché, ou simplement une circonstance qui peut se rencontrer
dans n’importe laquelle sorte de péché ? Le scandale passif n’est
pas une espèce distincte de péché, parce que la personne qui est scandalisée
peut tomber dans n’importe laquelle sorte de péché. Et le fait
que c’est l’exemple qui occasionne cette chute n’ajoute aucune opposition
nouvelle ou spéciale à la vertu qu’elle blesse. Ainsi,
celui qui rompt le jeûne parce qu’il a vu d’autres le rompre est coupable
du même péché d’intempérance que ceux qui l’ont scandalisé.
Mais le scandale passif peut être une circonstance aggravante ou atténuante.
Aggravante si le scandale a été accueilli; atténuante, s’il
a été donné.
Si le scandale actif n’est qu’indirectement intentionnel (1450), et s’il prend la forme d’une conduite mauvaise en elle-même, il n’est pas un péché distinct. La raison en est que, dans ce type de scandale, on ne cherche pas directement la ruine spirituelle de quelqu’un, mais seulement la satisfaction de son propre désir. Ainsi, celui qui rompt le jeûne avant les autres pour satisfaire son appétit, ne désire pas directement la corruption de ceux avec qui il mange. Son péché en est donc un d’intempérance, avec la circonstance additionnelle de mauvais exemple. Si le scandale actif n’est qu’indirectement intentionnel, et prend la forme d’une conduite non mauvaise mais de mauvaise apparence, il est l’espèce spéciale du scandale. Car, puisque tous les scandales actifs sont des péchés, et puisqu’il n’existe pas d’autre espèce de crime dans ce cas-ci, et que la conduite n’est pas vraiment mauvaise en elle-même, le péché en question doit être réduit à n’être qu’un scandale. Ainsi, quelqu’un qui est dispensé de la loi d’abstinence, et qui mange de la viande en présence de personnes qui savent qu’il est un catholique, mais ne connaissent rien de sa dispense, ne pèche pas contre la tempérance, mais contre l’édification. Son péché est un péché de scandale spécial puisqu’il ne désire pas directement la chute d’autrui. Il y a aussi la circonstance que la loi d’abstinence peut souffrir du faux exemple donné.
S’il est directement intentionnel (1450), le scandale actif est aussi directement une espèce spéciale de scandale. Car cette sorte de scandale désire directement la ruine spirituelle de quelqu’un, et est ainsi directement opposé au bien spirituel d’une autre personne, et, spécialement, à l’acte charitable de la correction fraternelle. En conséquence, une personne qui rompt le jeûne pour inciter une autre personne à en faire autant, est coupable d’intempérance et de scandale. Mais celui qui fait semblant de rompre le jeûne pour inciter un autre à pécher est coupable de scandale, mais non de concupiscence.
1467- Une application spéciale du précédent paragraphe à la confession Les espèces de péché. Dans le cas d’un scandale passif, il n’y a qu’une espèce de péché à déclarer en confession : l’intempérance causée par le mauvais exemple. Dans le cas d’un scandale actif indirectement voulu, qui prend la forme d’une conduite mauvaise, il n’y a qu’une seule espèce de péché, l’intempérance, avec la circonstance de mauvais exemple. Dans le cas d’un scandale actif indirectement voulu et présenté par une conduite apparemment mauvaise, il n’y qu’une espèce de péché, le scandale. Dans le cas d’un scandale actif directement voulu, il n’y a que l’espèce du scandale si la conduite du séducteur n’est mauvaise qu’en apparence. Mais il y a plusieurs espèces de péché si sa conduite est réellement mauvaise, à savoir, sa propre intempérance et le scandale qu’il donne.
Le nombre des péchés. Il y a autant de péchés de scandale commis qu’il y a de personnes présentes sujettes à être scandalisées, car le scandale est donné à ceux qui sont présents en tant qu’individus, non pas en tant que faisant partie d’un groupe (Cf 219). En conséquence, quelqu’un commet plus de scandales en se saoulant sur une rue passante que dans sa chambre avec des amis; en attaquant la religion devant une grande assemblée, que devant un cercle d’amis.
Les circonstances de l’intention et de la conduite. Ceux qui donnent de mauvais exemples devraient déclarer en confession surtout la fin et les moyens employés, car c’est d’eux que dépend l’importante distinction entre un scandale directement voulu et indirectement voulu, et le caractère spécifique du péché commis, comme il a été expliqué au paragraphe précédent. La circonstance de la condition des personnes impliquées. Il faudrait le mentionner en confession si cette circonstance apporte une nouvelle malice. Ainsi, le fait que le scandale est donné par un supérieur, qui est tenu par sa charge de donner le bon exemple, ajoute au viol de la charité le viol de la justice. Le fait que la personne dont on désire la ruine est consacrée à Dieu, est mariée ou est une parente, ajoute à la malice d’un scandale intentionnel contre la charité. Le fait qu’une personne est scandalisée complètement contre sa volonté rend le péché un scandale plutôt qu’une simple sollicitation. La circonstance du résultat du scandale. On devrait confesser les résultats du scandale quand ils ajoutent une nouvelle malice au péché, ou obligent à restituer. Nous allons considérer ce sujet dans les trois paragraphes suivants.
1468- Celui qui scandalise est-il coupable de l’espèce du péché dans laquelle il veut entraîner quelqu’un par sa conduite ? Si le scandale est directement voulu, c’est-à-dire, si le tentateur a pour but que tel ou tel péché soit commis par celui qu’il scandalisera, il est coupable, en désir, du péché que l’autre commettra en réalité (Cf 96, 102). En conséquence, si, en calomniant des clercs, des religieux, ou des chrétiens pratiquants, son intention est que ceux qui l’entendront seront incités à répéter ses calomnies, ou à faire ce que les personnes calomniées sont censées faire, ou à abandonner la religion, ce calomniateur est coupable, en désir, du péché ou des péchés qu’on voudra commettre. Si le scandale est seulement indirectement intentionnel, c’est-à-dire si celui qui scandalise prévoit mais ne veut pas expressément la chute du scandalisé (s’il calomnie quelqu’un pour le blesser lui, mais non les autres qui entendent la calomnie), la question est plus délicate, et les auteurs ont des opinions divergentes. Quelques moralistes pensent que le tentateur est coupable du résultat qu’il prévoit, parce qu’il le veut d’une certaine façon en présentant l’occasion qui y conduit. D’autres pensent qu’il n’est pas coupable du résultat prévu, parce qu’il ne l’effectue ni dans l’intention (car il ne le désire pas), ni en réalité (parce qu’il n’est tenu que par la charité d’empêcher le mal chez les autres); parce qu’il permet mais n’approuve pas le péché d’un autre.
1469- Une application pratique du précédent paragraphe à la confession peut se formuler comme suit. Ceux qui sont coupables d’un scandale direct ne doivent pas avouer seulement leurs propres fautes, mais aussi le péché dans lequel ils ont entraîné les autres. Ceux qui sont coupables d’un scandale indirect ne sont pas obligés, selon la deuxième opinion, d’avouer l’espèce de péché à laquelle leur conduite a entraîné celui qui en a été le témoin. Et si leur conduite n’était mauvaise qu’en apparence, il leur suffit de dire qu’ils ont causé du scandale. 1470- Celui qui scandalise est-il responsable des torts faits à une tierce personne s’ils résultent des péchés occasionnés par le scandale ? Selon une opinion, il est tenu de restituer en partie pour les injustices causées par son mauvais exemple, parce qu’il est admis que celui qui commet l’injustice doit restituer; et l’exemple est plus persuasif qu’un conseil. En conséquence, celui qui vole son employeur à la vue et au su des autres employés, et qui fait ainsi d’eux d’autres voleurs, est tenu de restituer non seulement ce qu’il a dérobé lui-même mais une part des pertes subies par l’employeur. Mais selon l’opinion la plus commune, celui qui a scandalisé les autres n’est tenu à restituer que ce qu’il a volé, même quand le scandale est directement voulu. Car, il n’est pas coupable de l’injustice commise par les autres puisqu’il ne l’a pas désirée. Et, de toute façon, il n’est que l’occasion de l’injustice; il n’est est ni la cause ni un coopérateur.
1471- Si le scandale va jusqu’à l’incitation ou la coopération, le péché du prochain et la responsabilité du tort causé par ce prochain retombent sur celui qui scandalise. Ainsi, de mauvais exemples peuvent devenir des incitations au péché, comme quand quelqu’un sait que les autres sont disposés à l’imiter, mais leur donne quand même un mauvais exemple. Même s’il ne désire par directement leur chute dans le péché, sa conduite est volontaire, et il est pleinement conscient qu’elle est une invitation au péché. Il semblerait donc qu’il a aussi commis ce péché. Le mauvais exemple peut devenir une coopération dans le péché, comme quand quelqu’un montre aux autres, par son mauvais exemple, comment commettre un péché qu’ils n’auraient pas connu sans cet exemple. En conséquence, si une personne ouvre un coffre-fort pour voler, sachant très bien que des personnes malhonnêtes l’observent pour découvrir la combinaison et voler à leur tour, il semble qu’elle participe à la faute et au devoir de restitution qu’ont les voleurs qui sont allés à son école. Il est certain qu’un diffamateur est tenu à réparer non seulement devant ses auditeurs immédiats, mais devant ceux aussi qui l’ont entendu parler. Car, en faisant des diffamations devant des gens qui ont le don de la parole, il les autorise virtuellement à répandre ses paroles.
1472- La gravité du péché de scandale. De par sa nature, tout scandale actif est un péché mortel; il éloigne du Christ (1 Cor V111, 12); c’est un meurtre spirituel qui détruit les âmes des autres. Il est ainsi contraire à la miséricorde et à la correction fraternelle que requiert la charité (Rom X1V, 15). Il nous apporte la colère de Dieu (Matt XV111, 6), la honte et la disgrâce sur une famille, les enfants et la profession. A cause du manque de délibération ou à cause de la petitesse de la matière, le scandale actif peut être véniel, comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant.
1473- Le scandale mortel et véniel. Le scandale passif est toujours un péché, mortel ou véniel, selon la sorte de chute occasionnée par la mauvaise conduite dont on a été témoin. Mais un péché mortel peut être occasionné par un péché véniel, comme quand un inférieur prend la liberté de blasphémer parce que son supérieur use un langage vulgaire. Le péché véniel peut être occasionné par un péché mortel quand le blasphème d’un infidèle provoque quelqu’un à se servir d’un langage profane contre lui. Le scandale actif indirectement voulu est parfois un péché véniel, comme quand la conduite scandaleuse n’est qu’un péché véniel, ou n’est pas un péché, mais a seulement l’apparence d’un léger péché. Il est parfois un péché mortel comme quand la conduite scandaleuse est un péché mortel; ou quand quelqu’un a un tel mépris du bien-être spirituel d’un autre, qu’il choisit de faire un acte apparemment mauvais qui fera tomber dans le péché celui qui en est témoin.
Le scandale actif directement voulu peut parfois n’être qu’un péché véniel, quand quelqu’un, par une conduite véniellement mauvaise, entraîne un autre à commettre un péché véniel. Il est parfois un péché mortel, comme quand on incite quelqu’un à commettre un péché mortel pour lui faire commettre un péché véniel. 1474- La gravité plus ou moins grande du scandale dépend des dispositions internes de celui qui scandalise, et de l’influence externe qu’il a sur la personne scandalisée. Les facteurs internes de qui dépend la gravité du scandale dépendent de la somme des délibérations et du degré de l’intention. C’est une chose plus sérieuse de dire un seul mot scandaleux avec préméditation que d’en dire un grand nombre sans réflexion. Il est plus scandaleux de dire un seul mauvais mot quand on recherche directement la ruine spirituelle de quelqu’un que quand on ne la recherche pas. Les facteurs externes de qui dépend la gravité du scandale sont la sorte d’influence que possède le mauvais exemple, et la nature du mal où il conduit. C’est une chose plus grave de corrompre A qui n’aurait pas été autrement corrompu, que de corrompre B qui aurait été corrompu même sans mauvais exemple. Plus grave d’inciter quelqu’un à commettre un péché mortel qu’un péché véniel.
1475- Les personnes scandalisées. Est-il possible de scandaliser des gens qui sont solidement enracinés dans la vertu ? Si on entend le scandale au sens large du terme, même le parfait peut être scandalisé. Il peut être choqué et horrifié par le mauvais exemple dont il est témoin. Il peut même être empêché d’accomplir les actes externes bons qu’il désire accomplir (1 Thess. 38-39). Mais les mauvais exemples ne l’atteignent pas intérieurement, et ne le séparent pas de l’amour de Dieu (Rom. V111, 38, 39). Si on doit entendre la question au sens d’une possibilité dans l’absolu, même un parfait peut souffrir d’un scandale, c’est-à-dire qu’il peut être porté à pécher à cause de l’exemple reçu. Puisqu’il n’est pas encore confirmé dans la grâce, il ne répugne pas qu’il commette un péché et perde la grâce. Si on entend la question au sens d’une possibilité relative, c’est-à-dire si nous considérons ce que nous devrions attendre du caractère d’un homme vertueux, et ce qui arrive ordinairement, le parfait ne peut pas être scandalisé, parce qu’il est si uni à Dieu que les paroles ou les actions de quelque personne que ce soit ne peuvent pas l’entraîner dans le péché (Ps CXX1V, 1,2). Même s’il peut parfois en être troublé (ps L XX11, 1).
1476- Est-il possible qu’un parfait scandalise ? Si on entend la question au sens d’une possibilité absolue, même un parfait peut causer un scandale, puisqu’il n’est pas sans défaut. Si on l’entend au sens d’une possibilité relative, le parfait ne peut pas scandaliser, car ses péchés sont surtout des actes internes non entièrement délibérés. Et les actes externes répréhensibles dévient si peu du droit chemin qu’ils n’offrent aucune occasion de péché à personne. L’homme parfait est toujours sur ses gardes; il veille surtout à ne pas être une pierre d’achoppement pour les autres. Et ce n’est que très rarement qu’il est cause de scandale.
1477- Le devoir d’éviter le scandale. Il est parfois impossible d’éviter de donner scandale sans renoncer à un bien spirituel ou temporel. Sur ce sujet, il y a deux questions à considérer. Quand quelqu’un est-il obligé de renoncer à un bien spirituel pour éviter le scandale ? Quand quelqu’un est-il obligé de renoncer à un bien temporel pour éviter le scandale ?1478- Le renoncement aux biens spirituels pour éviter le scandale. Les biens spirituels qui sont si essentiels que nul ne peut s’en détourner sans commettre un péché, ne peuvent pas être sacrifiés. Car, selon l’ordre de charité, on doit être plus attentif à se préserver soi-même du péché qu’à en préserver les autres. De plus, une bonne fin ne justifie pas des moyens mauvais. En conséquence, il n’est pas permis de commettre un péché véniel pour éviter de procurer le scandale à d’autres. Exemples. On ne doit pas passer sous silence la doctrine du bien et du mal pour empêcher quelqu’un de blasphémer. On ne peut pas dire le plus léger mensonge pour empêcher quelqu’un de s’offenser pour rien. On ne doit pas négliger les biens spirituels qu’on peut mettre de côté sans pécher à cause d’un scandale pharisaïque ou malicieux, tant qu’on a une bonne raison de s’en servir. Car la personne qui se scandalise malicieusement de bonnes choses spirituelles se crée des soucis par sa propre faute, et peut s’en tirer par elle-même. Et il n’est pas raisonnable que sa malice ait le droit d’empêcher les autres de recevoir des bénéfices de leurs bonnes actions.
Ainsi, le Seigneur a déclaré qu’il ne fallait prêter aucune attention au scandale que sa doctrine donnait aux pharisiens (Matt. XV. 14). Les biens spirituels qu’on peut délaisser sans péché devraient être omis à cause du scandale pharisaïque, si on n’a pas de grandes raisons de s’en servir. Car on ne devrait pas donner à un autre une occasion de pécher, même si l’autre est de mauvaise foi, à moins qu’il n’y ait nécessité. Ainsi, le Seigneur a déclaré qu’on devait s’abstenir de prêcher la vérité si la prédication ne pouvait provoquer que le rejet (Matt. V11, 6). Exemple. Une femme peut s’interdire de dire les grâces à voix haute si sa prière ne fait que porter son mari à se moquer de la religion. Les biens spirituels qu’on peut mettre de côté sans pécher pourraient être omis pour ne pas scandaliser les petits, aussi longtemps que le scandale ne provient que de la faiblesse ou de l’ignorance. Car la charité demande que l’on assiste ceux qui ont des besoins spirituels. Et les personnes qui sont portées à se scandaliser sans faute de leur part, ou à cause d’une faute légère, ont un besoin spirituel. En conséquence, on pourrait cacher ou retarder l’accomplissement de bonnes œuvres qui ne sont pas nécessaires, si elles avaient pour effet de scandaliser les faibles; ou bien on devrait expliquer à ces gens la justesse des actions. En tout cas, on ne devrait pas faire ces actions devant ceux qui, sans malice, en seraient scandalisés. On devrait attendre qu’ils comprennent mieux, plutôt que les rendre de mauvaise foi. Exemples. Si l’on sait que certains actes de piété semblent, à des personnes bien intentionnées, relever de la superstition, et qu’ils peuvent ébranler leur foi, on devrait les omettre en présence de ces personnes. Si les parents sont scandalisés parce que leur fils veut les quitter pour devenir un prêtre ou un religieux, l’enfant devrait laisser passer un peu de temps, s’il pense qu’ils peuvent changer d’idée,
1479- Comme il a été dit au chapitre de la loi (Cf 288 et suiv), en cas de conflit, on doit donner la préférence à la loi la plus haute. Or, la loi naturelle elle-même demande qu’on évite de scandaliser le faible. D’où les cas suivants. Les préceptes négatifs de la loi naturelle ne peuvent pas être enfreints pour éviter de scandaliser un faible, car cette infraction est nécessairement un péché. Quelqu’un ne peut donc pas se parjurer pour éviter un scandale. Les préceptes affirmatifs de la loi naturelle peuvent être enfreints pour éviter de scandaliser le faible, mais seulement quand ce scandale est un mal plus grand que l’omission de la chose commandée. Ainsi, on peut omettre une correction fraternelle ou une punition si elle ne faisait que rendre plus mauvais celui qu’on veut corriger; ou si la punition occasionne un schisme. Mais nul ne peut omettre, par crainte de scandale, d’aider quelqu’un qui est dans un besoin extrême. On devrait enfreindre les préceptes de la loi divine pour éviter de scandaliser le faible, à moins que l’infraction à la loi soit un plus grand mal que la permission du scandale. Ainsi, la loi divine fait de la prédication de l’évangile une obligation, mais on peut l’omettre pour éviter le scandale (Matt. V11, 6). De la même façon, l’intégrité de la confession est de droit divin, mais un pénitent devrait taire un péché s’il savait que le confesseur auquel il est obligé de se confesser en serait scandalisé. Mais il n’est pas permis d’omettre le baptême pour éviter de scandaliser ceux qui s’en courrouceront ou qui proféreront des blasphèmes.
Les préceptes de la loi ecclésiastique devraient être enfreints s’ils suscitent un scandale des faibles qui est un plus grand mal que la désobéissance au précepte. Ainsi, un curé devrait dire la messe le dimanche même s’il n’est pas à jeun, si la chose est nécessaire pour éviter un grand scandale chez les fidèles. Une femme peut omettre la messe pour empêcher son mari ignorant de blasphémer ou de maudire, ou pour éviter des tensions dans la maison. Une jeune fille qui sait qu’un jeune homme infirme va se scandaliser à seule vue doit omettre le devoir sacré, et rester chez elle. 1480- Pour que le scandale du faible soit considéré un mal plus grand que la désobéissance à un précepte grave, il est nécessaire que soient vérifiées les conditions suivantes. Le mal du scandalisé doit être certain et grave, car un scandale incertain et léger n’est pas un plus grand mal que la non observation d’un précepte grave. Donc, si on n’a que de vagues craintes qu’un scandale soit effectué, ou si on ne pense à aucune personne en particulier, la non observation d’un précepte ne peut revendiquer aucune excuse. Le mal qu’il y a à enfreindre un précepte ne doit pas imposer des torts considérables, ou mener à de plus grands scandales, car, à l’impossible nul n’est tenu, et on ne peut pas donner un scandale pour éviter un scandale.
Ainsi, il serait déraisonnable de s’attendre
à ce que les étudiants ne lisent jamais les poètes classiques et les
philosophes grecs ou romains, pour éviter toute possibilité de scandale;
qu’une épouse s’absente de la messe de façon permanente pour ne pas
enrager son mari; qu’une jeune fille soit privée d’air frais et d’exercice
pour ne pas mal édifier quelqu’un. Si nous avons à choisir entre
être l’occasion d’une irréligion pour une personne en assistant à
la messe ou pour beaucoup en n’y assistant pas, nous devrions choisir
d’en scandaliser un seul. Les moralistes soutiennent, généralement,
que le scandale du faible ne justifie pas l’absence de la messe obligatoire,
et plus souvent qu’une fois ou deux. Et il n’y en a qui soutiennent
qu’il ne requiert aucune absence de la messe.
1481- Les bonnes œuvres qui ne sont que
de conseil (comme la pauvreté évangélique), et celles qui ne sont obligatoires
que sous condition (comme les aumônes), peuvent plus facilement être
mises de côté pour éviter le scandale des faibles. Il faudrait noter,
cependant, que, pour certaines personnes, ces œuvres sont de précepte.
Il faut donc les juger d’après les règles données pour la désobéissance
aux préceptes. Ainsi, les conseils sont obligatoires pour
ceux qui en ont fait le vœu (les religieux). Les œuvres spirituelles
et corporelles de miséricorde sont obligatoires aux prélats et aux autres
clercs, en raison de leur office.
1482- Il ne faut donc pas mettre de côté les biens spirituels de précepte ou de conseil, pour des raisons de scandale, que ce soit le pharisaïque ou celui des faibles. Mais, pour des raisons de charité, on pourrait s’en passer (à l’exception de ceux qui sont nécessaires) s’ils étaient une occasion de ruine spirituelle pour autrui; s’il y a un danger de scandale. Ou on devrait les faire secrètement, --comme quand on va à la messe à six heures le matin,-- pour ne pas être l’occasion de scandale. On peut aussi les remettre à plus tard, comme quand ont attend, pour corriger quelqu’un, qu’il soit dans l’état d’esprit voulu pour profiter de la réprimande. On peut s’en servir, mais on devrait les expliquer, comme quand un prêtre est appelé à aller donner le baptême à un mourant dans une station balnéaire fréquentée. Il se fait accompagner de témoins, et explique aux badauds la raison de sa visite.
1483- Quand devrait-on se défaire de biens temporels pour pouvoir éviter le scandale ? Les biens temporels qui ne nous appartiennent pas, mais dont nous ne sommes que le gardien ou l’administrateur, ne peuvent pas être cédés à volonté pour éviter le scandale, car personne n’a le droit de donner ce qui appartient aux autres. En conséquence, les chefs d’état ou d’église ne peuvent pas céder la propriété commune; les gardiens ne peuvent pas donner les biens qui leur ont été confiés. On devrait se départir des biens temporels dont on est le propriétaire, pour éviter le scandale des faibles, à moins qu’un plus grand mal n’en résulte. Car, comme il a été dit plus haut (1165 et suiv) on devrait être prêt à subir de légères pertes temporelles pour empêcher que le prochain ne subisse des pertes spirituelles. Quelqu’un devrait donc s’abstenir de telle nourriture si, en en mangeant, il causait la ruine spirituelle d’un innocent (1 Cor V111, 13). Mais pas pour le scandale pharisaïque, car ce serait faire une offense au bien commun. puisque ce serait encourager les gens de mauvaise foi à dépouiller les gens de bonne foi. Ce serait injurieux aussi aux méchants eux-mêmes car, en obtenant ce qui ne leur appartient pas, ils continueraient à pécher. Ainsi, quelqu’un peut réclamer l’argent qu’il a prêté, même si le débiteur est avide, et même s’il se sert de jurons.
1484- On peut prendre dans plusieurs sens abandonner ses biens temporels pour éviter un scandale. On peut y voir l’acte de donner à quelqu’un ce que nous avons en propriété, ou l’acte de permettre à un autre de garder notre bien qu’il détient maintenant. La charité peut demander qu’on donne de l’une ou l’autre façon pour éviter le scandale. Exemple. Plutôt que de se quereller ou de perdre un ami pour quelques euros, il est préférable de laisser l’autre garder ce qu’il nous doit, ou de lui donner ce que nous ne lui devons pas, s’il est de bonne foi.
Dans celui qui abandonne des biens temporels, on peut considérer le désir interne de sacrifier des biens temporels pour des biens spirituels, quand la nécessité le demande, ou le sacrifice externe actuel de biens temporels. La charité requiert le désir interne, mais elle ne demande pas toujours le sacrifice actuel. Car il peut arriver qu’un tel sacrifice soit dommageable au bien-être des individus. Ainsi, la parole de notre Seigneur selon laquelle à celui qui nous demande notre tunique il faut donner aussi notre manteau (Matt. V, 40), et celle de saint Paul aux Corinthiens )1 Cor V1, 7) doivent être prises au sens d’une volonté de sacrifier les biens temporels pour éviter le scandale, quand un plus grand bien le rend nécessaire. Mais ces textes ne signifient pas qu’il est obligatoire ou convenable de sacrifier ces choses en d’autres temps. Le sacrifice de ses biens temporels peut aussi s’entendre au sens de donner à autrui sans protester et sans remontrance, ou de les céder, ces biens, seulement après avoir essayé de prévenir le scandale sans encourir des pertes temporelles. La charité ne demande pas, même en cas de danger de scandale pour les faibles, qu’on se défasse de ses biens sans avoir rien essayé pour les sauver. Ainsi, si l’ignorant catholique est choqué parce que le prêtre demande de l’argent pour entretenir l’église, le prêtre lui rendrait service en lui expliquant que l’église a le droit d’être aidée financièrement, et que c’est un devoir pour les paroissiens d’apporter leur contribution. 1485- Les biens temporels que l’on sacrifie ici peuvent être de grande valeur (des choses nécessaires pour la vie) ou des choses de moindre valeur (des objets de luxe). Ainsi, si un scandale devait placer quelqu’un dans un besoin spirituel extrême, il faudrait renoncer même à des biens de grande valeur, si la chose était vraiment nécessaire pour éviter un scandale. Si le scandale ne place pas quelqu’un dans un besoin extrême, on n’est tenu à renoncer qu’aux choses de faible valeur (Cf. 1165 suiv). Ainsi, saint Paul ne demande pas à ses convertis de renoncer à toute nourriture pour ne pas scandaliser les faibles, mais seulement à celle dont ils peuvent se passer (Rom X1V, 15; 1 Cor V111, 13).
1486- Doit-on livrer les biens de l’Église pour éviter le scandale des faibles ? D’un côté, les biens de l’Église ont quelque chose de sacré, parce qu’ils ont été donnés et mis à part dans des buts spirituels et pour le bien général de l’Église. En conséquence, il serait un intendant infidèle celui qui les vouerait à des fins purement temporelles, comme pour son enrichissement personnel ou sa promotion sociale ou pour ses amis, ou qui les aliénerait sans l’autorisation requise. D’un autre côté, les biens temporels de l’Église ont à être mis au service des fins spirituelles. En conséquence, une des plus grandes causes de scandale dans l’Église est l’apparence d’avarice chez les gens d’église (même en ce qui a trait à des biens qui ne sont pas personnels mais communs), surtout s’ils semblent mettre l’argent avant le salut des âmes. Il y a donc des moments ou les prêtres devraient renoncer à des choses qui leur sont réellement dues.
1487- Des cas de scandale et de renoncement aux biens d’église. S’il n’est question que du scandale pharisaïque, on ne devrait pas renoncer aux biens d’église quand on en est le gardien; mais on devrait résister à la spoliation autant que possible. Ainsi, saint Thomas de Canterbury n’a pas permis au roi Henri 11 d’envahir les droits de l’église. De même, un pasteur ne devrait pas négliger la collecte d’argent nécessaire à l’entretien de l’église, parce que quelques mécontents en feraient des gorges chaudes. Il ne devra pas céder non plus à un employé qui est scandalisé par son bas salaire. S’il s’agit du scandale des faibles, on devrait faire des concessions, de peur que les choses spirituelles ne souffrent à cause des temporelles. Ainsi, saint Paul a refusé tout support financier de personnes récemment converties, pour enlever tout obstacle à la prédication de la parole de Dieu (1 Cor 1X, 12). A cause des faibles et des ignorants, l’église n’insiste pas sur les dimes et autres paiements, tant que les gens n’ont pas eu le temps d’apprendre leur devoir. Les fidèles ont donc un devoir d’aider financièrement les prêtres qui sont à leur service. Mais ce précepte est affirmatif, et il n’oblige donc pas en tout temps, mais quand les conditions de temps, de lieu et de personne sont réunies. Ce serait un vrai scandale des faibles si quelqu’un était expulsé de l’église parce qu’il n’avait pas réalisé qu’il avait l’obligation d’apporter son écot; ou si un pauvre était taxé au-delà de ses moyens ; ou si un prêtre riche passait son temps à demander de l’argent et n’en donnait jamais aux pauvres; ou si un prêtre parlait des quêtes au lieu de parler de la doctrine, ou consacrait le meilleur de son temps à placer son argent dans des entreprises rentables ou à la bourse. Tout ce qui fait de la religion un commerce est un objet de scandale pour les catholiques et les non-catholiques.
1488- L’obligation de réparer le scandale. Les paragraphes qui précèdent ont parlé de l’obligation d’éviter le scandale. Il y a aussi l’obligation de réparer le scandale qui a été donné. Ainsi, il y a un devoir de charité de réparer le scandale qu’on a donné, car, si on demande à tous de pratiquer la correction fraternelle, ceux qui sont responsables des péchés des autres y sont tenus d’une façon toute particulière. Il y a parfois un devoir de justice légale, comme quand des supérieurs qui sont tenus par leur charge de donner le bon exemple, scandalisent leurs sujets. Il y a aussi parfois un devoir de justice commutative, comme quand celui qui a scandalisé a employé des moyens injustes (comme la force, la crainte, l’arnaque) pour entraîner quelqu’un au scandale.
1489-- Des façons de réparer le scandale. On peut le réparer publiquement ou privément. La réparation est publique quand elle est faite devant la communauté, et privée quand elle est faite devant des individus. On répare le scandale explicitement ou implicitement. La réparation explicite se fait par la rétractation de ses propres paroles, par la condamnation de ses actes, par la destruction des écrits scandaleux, par des efforts pour ramener à la vertu ceux qui ont été dévoyés, etc. On fait une réparation implicite en réformant sa conduite personnelle, en abandonnant ce qui a occasionné le scandale, en donnant le bon exemple, et en priant pour ceux qu’on a scandalisés, etc. 1490- Des sortes particulières de scandale à réparer. Le scandale est public ou privé. On donne un scandale public devant des spectateurs ou des auditeurs présents ou éloignés, ou quand quelqu’un apostasie de façon telle que tout le voisinage en parle, ou quand des auteurs écrivent en faveur de l’athéisme, ou des orateurs parlent de façon non édifiante devant un large auditoire. Le scandale est privé quand il est donné devant peu de personnes, et quand il ne tend pas à rejoindre tout le monde, comme quand un mari et sa femme se querellent devant le cercle familial. Le scandale est ordinaire ou extraordinaire. Le scandale ordinaire se donne par le mauvais exemple seul. Le scandale extraordinaire ajoute au mauvais exemple l’injure et l’injustice, ou la dette d’une punition pour un crime.
Celui qui, lors d’un banquet, n’est que pompette ou éméché donne un scandale ordinaire. Mais il est extraordinairement coupable de scandale celui qui, par tromperie, manoeuvre pour mettre quelqu’un dans une situation où il sera effectivement scandalisé, ou qui frappe un prêtre inoffensif, ou qui répand des écrits fielleux. 1491- Il est laissé au jugement du confesseur ou de l’autorité ecclésiastique de décider, pour chaque cas particulier, comment le scandale doit être réparé. Mais, en gros, on peut donner les règles suivantes. Un scandale public devrait être réparé publiquement, même si tous ceux qui en ont été témoins n’ont pas été séduits. Autrement, la mauvaise influence demeure. Ainsi, un ivrogne devrait promettre l’abstinence totale, ou donner un exemple de sobriété; un apostat devrait rétracter ses erreurs aussi ouvertement qu’il les a professées. On peut réparer un scandale privé privément, c’est-à-dire, devant les quelques personnes qui ont été scandalisées. Ainsi, les parents qui se sont disputés devant leurs enfants réparent quand ils incitent leurs enfants à ne pas se chicaner, et quand ils appuient leur dire par le bon exemple. On peut réparer un scandale ordinaire implicitement, c’est-à-dire, en tournant la page. Ainsi, quelqu’un qui s’est éloigné de la messe et des sacrements fait réparation quand il se montre à l’église, va se confesser et communier. Celui qui a fréquenté de mauvais compagnons répare quand il rompt avec eux. On répare le scandale extraordinaire explicitement, c’est-à-dire, en faisant la restitution ou la satisfaction demandée par la justice, ou en subissant la peine imposée par la loi. Ainsi, si, par tromperie, quelqu’un a détourné un autre du sentier de la vertu, il doit, par lui-même ou par d’autres, s’efforcer de le ramener à la pratique de la vertu. Si une personne a commis la faute de frapper un prêtre, elle doit accomplir la pénitence prescrite. Si quelqu’un a distribué de la littérature scandaleuse, il doit arrêter d’en distribuer, ou distribuer de la bonne littérature. 1492- Quand la satisfaction requiert une apologie publique ou une rétractation, on peut la faire de plusieurs façons. Quelqu’un peut retirer, par l’intermédiaire de la presse, de fausses affirmations faites en public. Quelqu’un peut s’excuser devant des journalistes pour qu’ils le fassent savoir à tous. Quelqu’un peut se rétracter devant son confesseur ou son pasteur, et inciter le prêtre à déclarer publiquement que la satisfaction a été faite.
1493- Déni des sacrements en cas de scandale. Est-il permis d’administrer les sacrements à quelqu’un qui n’a pas fait de satisfaction pour un scandale public ? Si l’obligation ou la réparation n’est pas grave, il est permis de lui administrer les sacrements, puisque la personne qui a donné le scandale n’est pas en état de péché mortel et n’est donc pas indigne de recevoir les sacrements. Et ce faisant, le prêtre ne commettra pas un nouveau scandale. Si l’obligation de réparation est grave, il n’est pas permis, en règle générale, de l’admettre aux sacrements tant que la réparation n’aura pas été faite. Ainsi, si c’est de notoriété publique dans une paroisse que tel individu a vécu dans une sérieuse occasion de péché, ou a fait circuler des doctrines impies, il faudrait, avant de l’admettre à la communion, qu’il écarte l’occasion de péché et qu’il rejette publiquement son erreur. Autrement, un nouveau scandale serait présenté aux fidèles par l’approbation apparente que la réception du sacrement semblerait donner. 1494- Il y a, pourtant, certains cas où les sacrements autres que la pénitence peuvent être donnés avant que soit donnée réparation pour les scandales graves, à savoir quand les circonstances sont telles que l’administration du sacrement n’offrirait aucun scandale. Ainsi une personne moribonde qui se repent mais qui ne peut pas donner de satisfaction pour les scandales donnés, a droit aux sacrements. Une personne bien disposée mais qui n’a pas encore satisfait pour le scandale donné, peut, à l’occasion, recevoir la communion privément. Une personne qui n’est pas bien disposée et qui ne fera pas de satisfaction pour le scandale qu’elle a donné, est parfois autorisée à contracter un mariage devant un prêtre, c’est-à-dire quand il y a une grave raison qui justifie le mariage, et quand le scandale est écarté.
1495- La séduction. Après avoir discuté du scandale qui conduit les autres au péché par un mauvais exemple, nous considérerons d’abord la sollicitation ou la séduction, qui conduisent les autres au péché par une incitation morale, puis la coopération qui aide les autres à pécher (Cf 1460). 1496- La séduction est un acte externe (mots, écriture, signes ou gestes) par lequel on cherche directement et explicitement à gagner le consentement de quelqu’un à faire le mal. La sollicitation est de différentes sortes. Il y a le commandement de pécher, qui est une directive comminatoire de commettre un péché, imposée par un supérieur à un sujet. Un commandement est donné expressément comme quand un père dit à son fils de voler; ou implicitement, comme quand un père dit à son enfant que, s’il volait, il lui ferait plaisir. Il y a aussi le conseil de voler, qui est une persuasion directe de faire le vol, en insinuant que le vol n’est pas un péché, ou en montrant des moyens de voler, ou par des avis, des promesses, des menaces etc. Comme quand quelqu’un parle en faveur du suicide et le recommande à une personne déprimée et neurasthénique. C’est aussi une incitation qui est une persuasion indirecte de pécher faite par le moyen de la flatterie, de l’insinuation, de la calomnie, de faux rapports. Ainsi Absalon a flatté le peuple d’Israël et les a entrainés dans sa rébellion contre son père (11 Rois, XV, 1,6,). Ceux qui se moquent de la tempérance et qui poussent ainsi les autres à boire avec excès et à s’enivrer. Un hôte qui n’offre que de la viande un vendredi incite à la violation de l’abstinence.
1497- La malice de la sollicitation. La gravité de ce péché selon sa nature est mortelle; mais elle peut être vénielle en tenant compte de l’imperfection de la délibération et de la petitesse de la matière (1473). Ainsi, c’est, pour un père, un péché mortel de commander à son fils de commettre un vol ou de se parjurer. C’est, pour un père, un péché véniel de commander à son fils de faire un larcin ou de dire un mensonge joyeux. Les circonstances qui aggravent ou atténuent un péché sont le plus ou moins grand degré de délibération et de malice, la plus ou moins grande malice du péché dans lequel on entraîne le prochain (1473, 1474). L’espèce du péché de sollicitation est double. Il y a le péché de scandale opposé à la charité dans la mesure où quelqu’un est conduit au péché, et il y a aussi le péché qu’on persuade à quelqu’un de commettre (1468).
1498- Applications à la confession et à la satisfaction. Puisque le séducteur a voulu entraîner son prochain dans un péché particulier, il ne suffit pas qu’il dise en confession qu’il a entraîné quelqu’un à pécher; il doit aussi donner le nom du péché dans lequel il l’a entraîné (le vol). Puisque le séducteur est coupable d’injustice envers la personne qu’il a séduite, s’il a utilisé la fraude, des pièges, de la violence etc., il ne suffit pas dans ces cas, qu’il se confesse d’avoir séduit quelqu’un, il doit dire aussi qu’il a utilisé des moyens injustes pour séduire. Puisque le séducteur est coupable de dommage spirituel, il est tenu à réparer pour le scandale qu’il a donné (1488 et suiv). Puisque le séducteur est responsable de dommages temporels (quand il commande à A de voler ou de calomnier B) il doit restituer pour tous les dommages causés (vol 11 sur la justice).
1499- En confessant un péché qui suppose un complice (conversation obscène) est-il nécessaire de mentionner la circonstance que l’un a séduit l’autre ? Si la séduction implique une malice spéciale contre la charité ou contre la justice, on devrait le mentionner, Ainsi, si celui qui a été séduit était innocent et a été scandalisé, ou a été piégé, il faut mentionner le facteur séduction. Si la séduction ne comporte aucune malice spéciale contre la justice ou la charité, il ne semble pas qu’il faille la mentionner. Ainsi, si celui qui a été sollicité a vécu une vie de péché, et a consenti à la sollicitation sans atteinte portée à ses idéaux et en toute liberté, aucun scandale n’a été donné, et aucune injustice n’a été commise par le sollicitation, en autant que le séduit est concerné, et il ne semble pas y avoir de raison obligeant à confesser la circonstance de séduction.
1500- La séduction est une incitation à pécher, et diffère ainsi de la simple permission de pécher en un autre. Il n’est jamais permis d’inciter à pécher, mais il est permis, pour une raison suffisante, de permettre le péché en autrui, comme il a été dit plus haut au sujet du scandale pharisaïque (1477, 1482, 1483). Mais, en appliquant ce principe à des cas concrets, il est parfois difficile d’établir une claire ligne de démarcation entre incitation et permission. Nous allons étudier maintenant les cas suivants où l’on rencontre cette difficulté. Quand on demande à quelqu’un de faire quelque chose tout en sachant que ce serait pour lui un péché de le faire; quand on donne à quelqu’un l’avis qu’il serait préférable de commettre un petit mal plutôt qu’un grand; quand, au lieu d’écarter l’occasion de commettre le péché, on en fournit une à quelqu’un.
1501-Est-il permis de demander quelque
chose à quelqu’un quand on sait qu’il ne peut pas y consentir sans
pécher ? Si la chose demandée est un péché en elle-même, la
demande est également un péché. En conséquence, il n’est pas
permis de demander à un voleur de vendre les biens qu’il a volés.
Il n’est pas permis, non plus, de demander l’absolution à un prêtre
qui n’a pas la juridiction. La demande est un péché si la chose demandée
est mauvaise en elle-même, et si la demande ne peut jamais être
légitimée, du fait que l’autre pécherait en l’accordant.
En conséquence, il n’est pas
permis de demander le baptême à une personne en état de péché mortel
quand on peut le recevoir de quelqu’un qui est en état de grâce.
Si la chose demandée est légale, et si on a une raison suffisante pour
la demander, on ne pèche pas en faisant la demande. Il est donc permis,
dans l’intérêt du bien commun, de demander à ceux qui vont prêter
serment, de jurer sur l’évangile, même si l’on sait que l’un d’entre
eux va se parjurer. 1502- Est-il permis de conseiller à quelqu’un
un moindre mal pour lui épargner un plus grand mal ? Si l’autre
n’a pas encore choisi entre les deux, il n’est pas permis de lui conseiller
de prendre l’un plutôt que l’autre. Ainsi, c’est une espèce de
séduction de conseiller à un pauvre de voler; et de faire
des riches ses victimes plutôt que les pauvres. Si quelqu’un a
déjà pris sa décision de commettre le plus grand mal, et si le moindre
mal est virtuellement contenu dans le plus grand, il est permis de
lui conseiller d’omettre l’un pour l’autre. Car, en agissant
ainsi, on empêche un plus grand mal, sans être la cause du moindre mal,
puisqu’il est virtuellement contenu dans le plus grand mal qui avait
déjà été décidé. Ainsi, si Pierre a l’intention de voler
cent euros, Paul n’est pas coupable d’un péché de séduction s’il
lui persuade de n’en voler que dix. Nous supposons, bien
entendu, que Pierre est tellement décidé de voler qu’il n’y a pas
moyen de l’empêcher de voler la plus petite somme. Si quelqu’un
a pris la décision de voler une forte somme d’argent, et si aucune petite
somme d’argent n’est virtuellement contenue en elle, il n’est pas
permis de lui conseiller de voler une petite somme plutôt qu’une grande.
Car, en agissant ainsi, on n’enlève pas à quelqu’un la faute interne
du vol important décidé, mais on ajoute la malice du vol mineur qui n’était
pas désiré. Ainsi, si Pierre se propose de tuer Jean, il n’est
pas permis de lui conseiller de le voler plutôt, ou de tuer Jacques à
sa place, car le vol est un péché distinct du meurtre, et Jacques
est une personne différente de Jean. Mais si Pierre avait l’intention
de tuer Jean pour le voler, il ne serait pas interdit de lui faire comprendre
qu’il pourrait le voler sans le tuer, et de le conseiller dans ce sens.
1503- Ce ne sont pas tous les théologiens qui acceptent la solution que nous venons tout juste de proposer. Il y en a qui s’y opposent, et qui soutiennent que même quand le moindre mal n’est pas virtuellement contenu dans un plus grand, il est permis de conseiller le moindre mal. Ils affirment que ce que l’on fait alors, ce n’est pas commettre le moindre mal, l’encourager ou l’approuver, mais seulement le permettre, pour diminuer le tort qui sera causé. Et ils prouvent leur point de vue par l’Écriture (Gen X1X, 8). D’après cette opinion, qui est défendue par quelques bons auteurs, il serait permis de conseiller le vol pour empêcher le meurtre. D’autres apportent une modification à la solution donnée au paragraphe précédent. Ils soutiennent qu’il est permis de proposer le moindre mal ou d’en faire mention, pourvu qu’on ne cherche pas à amener quelqu’un à l’exécuter.
1504- Est-il permis de préparer des circonstances de façon à ce qu’une occasion de péché semblera se présenter d’elle-même à quelqu’un ? Si la fin et les moyens sont bons, cela est permis, car il n’y a ni scandale ni séduction. Mais le péché et le danger de pécher peuvent être permis pour une raison proportionnellement grave. Exemples. Pierre sait que quelqu’un prend des choses sur son bureau, et il est important pour lui de découvrir le voleur. Il laisse la porte ouverte et surveille, de sa cachette, pour savoir si la personne qu’il soupçonne viendra voler. Jacques est presque certain que Jean vole ses poulets. Mais il doit en avoir la preuve avant de l’accuser et de l’empêcher de voler davantage. Il laisse donc les portes grandes ouvertes, et se cache avec des témoins, pour pouvoir le prendre sur le fait.
Si la fin ou les moyens sont mauvais, il n’est pas permis de préparer une occasion de péché, parce que, dans les deux cas, c’est planifier le mal. Luc sait que sa femme Mathilde a été infidèle et il menace de la quitter. Pour pouvoir le contrer et pour ramasser des preuves qui lui enlèveront sa crédibilité, elle engage des prostituées pour qu’elles séduisent son mari et ses amis. Pour se venger, Pierre veut que Paul soit envoyé en prison. Il engage donc des vauriens pour qu’ils provoquent Paul et le pousse à dire ou à faire des choses qui justifieront une incarcération. Thomas sait que Judas a un caractère difficile, et il élabore un plan d’après lequel Judas sera invité à participer à du banditisme et à être capturé. Les deux premiers pèchent parce que leur motif est mauvais. L’autre pèche parce qu’il emploie des moyens mauvais. Les trois sont coupables de séduction, au moins dans l’intention.
1505- On a décrit plus haut la séduction (1496) comme une invitation au péché par le commandement, le conseil et l’incitation. Mais il y aussi une forme plus subtile de séduction qui ne s’adresse pas directement à l’intelligence ou à la volonté, mais fait une approche physique, agissant sur le corps, les sens ou l’imagination. C’est une forme de séduction plus subtile, mais non moins coupable. En voici des exemples. La séduction sur les états corporels se trouve en ceux qui présentent secrètement à d’autres des boissons, des drogues, des nourritures qui produiront des troubles émotionnels ou de la confusion mentale, et les rendront plus faibles devant la tentation. On rencontre la séduction par les sens chez ceux qui assaillent les autres avec des images, des compagnons, de la musique etc ; qui parlent constamment de la désirabilité du vice et de l’ennui mortel de la vertu. La séduction par l’imagination on la voit dans l’hypnotisme ou dans la suggestion, quand on s’en sert pour produire une impression vive et profonde d’une chose à laquelle on ne peut penser sans danger. Un climat d’uniformité fanatique qui demande que tout soit séducteur, habit, pensée, action, même là ou devrait régner la liberté. Car plutôt que de commettre le crime impardonnable de passer pour homo, quelqu’un peut s’enivrer ou s’adonner à n’importe quel vice que pratique son groupe.
1506- La coopération dans le péché. La coopération ou la participation dans le péché au sens strict, est l’aide apportée à quelqu’un, qu’on n’a pas séduit, pour qu’il puisse mener à bien son projet fautif. La coopération diffère donc du scandale ou de la sollicitation, car ces dernières conduisent au péché quelqu’un qui n’avait pas l’intention de pécher, tandis que la coopération suppose que l’autre a déjà pris sa décision de pécher. Celui qui cause un scandale conduit quelqu’un au péché, mais ne l’aide pas à le commettre; le coopérateur n’entraîne pas au péché, mais aide à le commettre. La coopération, cependant, peut inclure le scandale et la sollicitation, par rapport aux péchés à venir ou à des tierces parties. Exemple. Pierre a décidé par lui-même de voler. Il est surpris de voir que son projet reçoive de l’aide et de l’encouragement de Paul, un homme bien vu. Cette coopération aura chez Pierre l’effet de l’encourager à récidiver, et sera aussi l’occasion de péché pour d’autres. 1507- Voici comment la coopération est différente de la complicité. Le coopérateur agit comme un assistant ou comme un agent subordonné de celui qui commet le péché, en lui procurant une aide physique ou morale, ou en lui fournissant les moyens requis pour l’acte peccamineux. Ainsi, est un coopérateur celui dont les services sont réquisitionnés par des voleurs, et celui qui transporte au loin les biens volés, ou qui met un pistolet dans les mains de quelqu’un qui est enclin au meurtre, ou des livres obscènes entre les mains de celui qui projette la corruption de la jeunesse.
Le complice agit comme un agent égal en importance ou coordonné à un autre dans la commission du même péché, fournissant sa propre part dans l’acte commun peccamineux. Ainsi, est un complice celui qui s’inscrit comme membre d’une bande de voleurs, et agit comme leur chauffeur, ou fait le guet pendant un vol à main armée, ou qui se bat en duel, ou qui participe à un dialogue obscène, ou écoute complaisamment des paroles obscènes. Le complice est toujours coupable, mais le coopérateur peut ne pas l’être.
1508- Les sortes de coopération. Les divisions de la coopération d’après les différentes sortes d’actions. Du point de vue de l’acte interne, la coopération est formelle ou matérielle, selon que le coopérateur désire ou ne désire pas le péché qu’il aide à commettre. Pierre explique à un cambrioleur comment se rendre à une fenêtre du second étage. Jacques a un fusil pour se protéger, mais il n’offre aucune résistance, ne crie pas quand des bandits saccagent le bureau de son employé. Pierre est un instigateur de crimes et un coopérateur formel en raison de son intention criminelle. Jacques apporte son aide à l’accomplissement de la rapine, mais il n’est qu’un coopérateur matériel, puisqu’il ne veut pas ce que veulent les voleurs. Du point de vue de l’acte externe, la coopération est positive ou négative, selon que quelqu’un fait quelque chose pour aider l’agent principal ou ne fait rien pour l’empêcher. Dans les exemples donnés plus haut, l’un était un coopérateur actif, l’autre passif. La coopération positive peut être de nature morale, comme quant on vote pour une loi ou une sentence injuste, ou quand on applaudit à une remarque déplacée. Elle peut être aussi de nature physique, comme quand on aide des bandits à bâillonner et à ligoter leurs victimes, ou quand on laisse des portes entrebâillées ou des fenêtres béantes.
1509- Les divisions de la coopération d’après ses degrés d’influence. Du point de vue de son activité, la coopération est ou occasionnelle ou effective. Par coopération occasionnelle, on entend ce qui conduit un autre au péché, ou lui permet d’être entraîné dans le péché, mais ne l’assiste pas pour commettre le péché (un exemple scandaleux, ne pas donner une admonition ou une correction fraternelle). Par coopération effective on entend une assistance donnée à un autre qui le rend capable d’effectuer, ou de faire plus facilement, un acte peccamineux qu’il avait décidé de faire. Comme il ressort clairement de l’explication donnée plus haut, il n’est question ici que de la coopération effective. Du point de vue de sa proximité à l’acte de l’agent principal, la coopération est immédiate ou médiate, selon la participation que le coopérateur a dans le mauvais acte de l’agent principal, ou dans un acte qui l’a précédé ou l’a suivi. Ainsi, celui qui aide un voleur à transporter des biens volés est un coopérateur immédiat. Mais celui qui a fourni des clefs à un voleur, qui lui a préparé un refuge, ou une cachette pour les biens volés est un coopérateur médiat. Du point de la dépendance sur ce qui est fait, la coopération est indispensable ou aléatoire, selon que l’agent principal peut ou ne pas agir sans un aide. Exemple. Pierre fournit des boissons alcooliques à Paul et à Jean qui sont intempérants. Paul ne peut se procurer de l’alcool que par Pierre, mais Jean peut en trouver ailleurs. La coopération de Pierre est indispensable à Paul, mais elle ne l’est pas pour Jean.
1510- On divise aussi la coopération, du point de vue de la responsabilité ou des conséquences qui en découlent, entre une coopération injuste et une autre qui est à peine légale. La coopération injuste est une participation dans la faute de l’injustice faite à un tiers, qui implique le devoir de restitution ou de réparation. Ainsi ceux qui acquièrent ou reçoivent les biens volés participent à l’injustice commise, et sont tenus à les restituer au propriétaire légitime. Une coopération illégale est une participation dans un péché qui ne comporte aucune injustice à un tiers, et qui n’encourt que les obligations du repentir et de la satisfaction; et si le cas le demande, des amendes pour le scandale, des preuves de sincérité, des éloignements du danger, et la soumission à une pénalité. Ainsi, ceux qui coopèrent en se mariant illégalement, ou en fournissant de la littérature obscène à des gens qui le demandent avec insistance, sont coupables de péché, et sont sous le coup de plusieurs peines prévues par la loi. La coopération, en tant qu’elle est injuste, sera traitée en particulier quand on parlera de la justice. Ce qui nous intéresse, ici, c’est la coopération en général, et en tant que péché contraire à la charité.
1511- La coopération formelle est explicite ou implicite. Elle est explicite quand le but poursuivi par le coopérateur (la fin celui qui opère) est le péché de l’agent principal. Exemples. Pierre donne de l’argent sous forme d’encens à un idolâtre parce qu’il approuve l’idolâtrie, et veut assister à des rites païens. Paul se joint à une société anarchique parce qu’il est d’accord avec les buts qu’elle poursuit et veut travailler à leur réalisation. La coopération formelle est implicite quand le coopérateur ne veut pas directement s’associer au péché de l’agent principal. Mais la fin de l’acte externe (la fin de l’œuvre) que le coopérateur désire par intérêt ou pour en obtenir un avantage, inclut. de par sa nature et du fait des circonstances. la faute du péché de l’agent principal. Exemples. Pierre déteste l’idolâtrie. Mais, pour se montrer courtois, il aide un païen à brûler de l’encens devant une idole, ou il apporte son aide à la réparation d’un temple païen, même si son geste est interprété comme un acte rituel. Paul entre dans une société de libres penseurs, non parce qu’il en aime les principes, mais parce qu’il espère que, par son inscription, il pourra obtenir des avantages sociaux ou financiers qu’il ne pourrait absolument pas trouver ailleurs.
1512- La coopération médiate est aussi subdivisée entre prochaine et éloignée. Elle est prochaine ou éloignée en raison de la proximité, selon que l’acte du péché suivra de près ou de loin l’acte de coopération. Ainsi, celui qui donne une échelle à un cambrioleur coopère sous forme de préparation éloignée. Celui qui tient l’échelle quand le cambrioleur grimpe, coopère sous forme de préparation prochaine. La coopération médiate est prochaine ou éloignée, selon que la préparation tend clairement ou seulement vaguement à la commission d’un péché. La coopération prochaine est une action qui, de par sa nature et en vertu des circonstances, est considérée comme moralement unie à l’action mauvaise de l’agent principal. La préparation éloignée est une action qui n’a pas cette union morale avec le péché qui est commis. Ainsi, celui qui vend un fusil à un tueur à gages qui se prépare à abattre quelqu’un, coopère prochainement, tandis que celui qui vend des balles pour une arme ne coopère que lointainement. Celui qui vend à un cambrioleur une lampe de poche, un fusil, des explosifs, sa coopération est décisive, puisque les circonstances indiquent qu’un vol est en préparation.
1513- La culpabilité de la coopération. La culpabilité de la coopération formelle. La coopération formelle est toujours coupable, car elle suppose l’approbation du péché d’un autre, et la participation volontaire dans le délit de ce péché. La coopération formelle est, de par sa nature, opposée à la charité, car la charité désapprouve les péchés des autres, et s’évertue à les empêcher. Mais la coopération formelle approuve les péchées des autres, et apporte son aide à la commission des péchés. La coopération formelle est opposée aussi à la vertu que viole le péché de l’agent principal, dans la mesure où le coopérateur se réjouit de l’aide qu’il apporte au péché d’un autre (Cf 1468). Ainsi, si quelqu’un ouvre la porte à un visiteur que l’on suspecte être un cambrioleur, et s’il approuve intérieurement le vol commis, il est intérieurement coupable de l’acte qu’il approuve. La coopération formelle de par son acte externe est opposée à la vertu violée par le coopérateur, quand l’acte externe a une malice propre. Ainsi, si quelqu’un fait un faux serment pour nier la présence d’un voleur caché dans un garde-robe, il est coupable de parjure. Si quelqu’un enfreint la loi de l’Église en se mariant clandestinement, il est coupable de désobéissance. Si quelqu’un scandalise autrui en coopérant au péché, il est coupable de scandale. Si quelqu’un aide un autre à frauder, il est coupable d’injustice, etc. Il ne suffit donc pas, en confession, de dire qu’on a coopéré dans le péché, mais il faut indiquer le péché commis, et les circonstances essentielles.
1514- La culpabilité de la coopération matérielle. La coopération matérielle, est, en elle-même, un péché, car la charité ordonne d’empêcher les péchés des autres, et à bien plus forte raison interdit-elle d’aider quelqu’un à pécher. La coopération matérielle, en cas de grande nécessité, n’est pas un péché, car la charité n’oblige pas dans le cas où l’on aurait à subir de sérieux inconvénients. Et elle ne nous empêche pas de coopérer par un acte indifférent à détourner quelqu’un de commettre un plus grand mal que celui auquel il pense. Celui qui coopère matériellement par nécessité ne cause pas de péché, mais il fait usage de son bon droit, dont la mauvaise volonté de l’autre abuse en en faisant une occasion de péché (1447 d).
1515- La légitimité de la coopération matérielle. Les conditions nécessaires pour qu’une coopération matérielle soit légale sont les mêmes que celles de tout autre acte qui a un double résultat (cf. 104), car, de la coopération découlent deux résultats, un qui est mauvais (le péché de l’autre personne), et l’autre qui est bon (avoir évité une perte, ou la conservation du bien). Il faut, cependant, considérer deux des conditions requises dans le principe du double résultat, puisque leur présence est manifestement assurée par le seul fait que la coopération est purement matérielle. La condition que le bon effet ne doit pas être procuré par le mauvais effet est vérifiée. Car si quelqu’un désire le péché de l’autre comme le moyen d’une bonne fin, la coopération est formelle, En conséquence, si Pierre aide Paul à se saouler pour qu’il aille se confesser au plus vite, la coopération de Pierre dans l’enivrement de Paul est formelle. La condition que le mauvais effet n’est pas désiré est aussi vérifiée, car la définition elle-même de la coopération matérielle exclut l’intention du péché commis par un autre.
1516- Nous pouvons donc restreindre notre attention aux deux conditions restantes comprises dans le principe du double effet, et conclure que la coopération matérielle est permise quand et si l’acte du coopérateur est bon ou indifférent, et quand il a une raison suffisamment importante pour permettre le péché de l’autre. 1517- La première condition d’une coopération matérielle est que l’acte du coopérateur soit bon ou indifférent. Car, s’il est mauvais, la coopération devient implicitement formelle, Mais, comme il est souvent difficile de déterminer, dans des cas particuliers, si la coopération est implicitement mauvaise ou purement indifférente, il faut examiner la nature et les circonstances de l’acte. Ainsi, selon sa nature, un acte de coopération est intrinsèquement mauvais s’il n’est utilisé que pour le mal. Il est indifférent si, selon l’intention de ceux qui l’emploient, il est tantôt bon, tantôt mauvais. Ainsi, c’est intrinsèquement mauvais d’aider à la confection et à la distribution de livres ou d’images obscènes, ou de drogues, ou d’instruments qui ne sont employés qu’à des fins immorales, puisqu’ils ne peuvent servir qu’au mal. C’est aussi immoralement mauvais de participer, même de loin, à des superstitions païennes, ou de donner une aide quelconque à un acte qui, de par sa nature, est opposé au sixième commandement.
Mais il n’est pas intrinsèquement mauvais de travailler dans une manufacture d’armes à feu ou de poisons, qui sont employés à plusieurs bonnes choses, ou d’agir comme garde du corps pour une personne qui craint d’être agressée. D’après ses circonstances, un acte de coopération est mauvais s’il le devient par l’ajout de certaines circonstances, comme quand il signifie une approbation du mal, quand il donne du scandale aux autres, quand il met en danger la vertu ou la foi du coopérateur, ou quand il viole une loi de l’Église. Ainsi, ne provient pas de la nature d’un acte mauvais, l’invitation faite à un piéton de monter dans une voiture. Mais c’est une chose mauvaise, en raison des circonstances, quand un piéton demande d’être conduit en voiture à un endroit où il a l’intention de voler. Ce n’est pas intrinsèquement mauvais de travailler à la construction d’un temple, mais les circonstances peuvent rendre cet acte mauvais, s’il est vu par les gens comme un signe d’adhésion à une fausse religion, ou s’il cause un scandale (Cf 983).
Les lois de l’église sur les mariages mixtes ou les écoles neutres présentent d’autres exemples de coopération, légale dans telle circonstance, et illégale dans telle autre. 1518- Mais la circonstance selon laquelle le coopérateur sait avec certitude que l’agent principal se servira de la coopération pour des fins mauvaises, ou sera scandalisé par l’assistance donnée, au point d’être plus déterminé que jamais à poursuivre ses mauvais desseins, cette circonstance ne rend pas nécessairement la coopération mauvaise. Ainsi, le coopérateur peut connaitre, par la bouche même de l’agent principal, ce qui est projeté, sans avoir aucune intention d’apporter son concours au mal. En conséquence, si une personne est forcée, à la pointe du fusil, d’aider à voler ses propres invités, elle sait très bien ce qui se passe, mais ne l’approuve pas.
Le coopérateur peut savoir que la coopération occasionnera un scandale chez l’agent principal ou chez d’autres personnes, mais il peut avoir des raisons suffisantes pour le permettre (1478-1482). Ainsi, si un employé de pompes funèbres reçoit l’ordre d’assister aux funérailles d’un anarchiste, sachant qu’il perdra son emploi s’il n’y va pas, il n’est pas obligé d’encourir cette grande perte, pour éviter un scandale pharisaïque ou un scandale des faibles. Mais il devrait, s’il le peut, manifester son antipathie pour l’anarchie, s’il apprend que certains anarchistes présents voient sa coopération comme une approbation donnée aux principes du défunt.
1519- La deuxième condition pour une coopération matérielle légale est que le coopérateur devrait avoir une raison suffisamment forte pour permettre le mal qui est lié à la coopération. Les critères pour juger si une raison est suffisamment importante, ce sont les règles données plus haut pour autoriser un effet mauvais (105). En conséquence, plus grave est le péché commis, plus grave doit être la raison requise pour la coopération. Ainsi, il faut une raison plus grande pour coopérer dans une agression que dans un vol. Plus proche est la coopération à l’acte du péché, plus grande est la raison requise pour la coopération. Ainsi, quelqu’un qui vend du papier à un éditeur de livres obscènes coopère de façon éloignée. Celui qui vend des caractères d’imprimerie ou qui lit les épreuves de ces livres coopère prochainement. Il faut une plus grande raison dans le deuxième cas que dans le premier. Plus un acte mauvais dépend d’une coopération, plus la raison qui requiert une coopération doit être grande. Ainsi, il faut une plus grande raison pour justifier l’offre de boissons alcooliques à un ivrogne; une plus grande raison quand il ne peut pas s’en procurer ailleurs, que quand il peut facilement s’en trouver. Mais le fait que si vous refusez de donner de l’alcool ou toute autre forme de coopération, quelqu’un d’autre accordera ce que vous déniez n’est pas, en soi, une raison suffisante pour justifier une coopération. Plus l’acte mauvais est certain, plus la raison requise pour la coopération doit être grande. Exemple. Pierre se saoule souvent; Paul, de temps en temps. Il faut donc une plus grande raison pour fournir de l’alcool à Pierre qu’à Paul. Plus grande est l’obligation d’éviter un acte de coopération ou de prévenir l’acte d’un péché, plus grande doit être la raison pour la coopération. En conséquence, il faut une raison beaucoup plus grande pour une coopération légale de prévention de crime, à ceux qui y sont tenus par leur charge religieuse ou juridique, qu’à ceux qui ne sont responsables de rien.
1520- Les raisons pour qu’une coopération corresponde en gravité avec l’importance des biens ou des maux impliqués (1163 et suiv). Il existe une raison sérieuse de coopération quand, en refusant, un grand bien sera perdu ou un grand mal arrivera. Le salaire d’un jour de travail ou le revenu annuel est généralement un grand bien. Des exemples de grands maux sont une douleur lancinante continue, une grosse colère d’un employé ou d’un patron, des choses qui dérangent et préoccupent comme la honte, la répugnance, etc. Une très grande raison pour coopérer est le gain ou la conservation d’un très grand bien, ou la fuite d’un très grand mal. Un pourcentage important des biens conformes à l’état de vie de quelqu’un devrait être considéré un très grand bien. Une maladie sévère et continue, l’absence de travail d’un soutien de famille, des atteintes sérieuses à l’honneur, à la réputation ou à la paix de l’âme sont des exemples de très grands maux. Les raisons plus graves pour justifier une coopération sont celles qui dépassent les très graves sans être les plus graves de toutes, comme la perte de son état, une maladie incurable, la perte d’un œil, ou d’un membre important, un emprisonnement sévère ou perpétuel. Les raisons les plus graves pour la coopération sont la sécurité de l’état ou de l’église, la perte de tout ce qu’on possède, la mort, la disgrâce extrême, et autres choses semblables.
1521- Quand le péché commis par l’agent principal est grave, mais ne contient aucune injustice envers une tierce personne, les raisons pour coopérer n’ont pas à être aussi sérieuses que quand le péché est grave et injuste. Ainsi, une coopération immédiate et indispensable est justifiée pour éviter de graves pertes personnelles. Par exemple, on peut demander l’absolution à un prêtre indigne pour pouvoir recouvrer plus rapidement l’état de grâce. Une coopération immédiate et non indispensable, ou médiate et indispensable, est permise quand elle est nécessaire pour évider une perte ordinaire. Exemples. On peut recevoir la communion d’un prêtre indigne pour faciliter l’accomplissement du devoir pascal. On peut donner un flacon d’alcool à un ivrogne pour empêcher une bagarre, si on n’a pas le temps d’appeler la police pour qu’elle maîtrise le forcené. Une coopération modérée et non indispensable se justifie aussi pour ne pas perdre un bien de faible valeur. Exemple. Un boucher peut vendre de la viande le vendredi à un chef cuisinier qui la servira à des gens qui sont tenus à faire maigre, si le cuisinier peut facilement se procurer de la viande ailleurs; le profit alors irait ailleurs.
1522- Quand le péché commis par l’agent principal est une injustice grave envers une personne privée, les raisons qui justifient la coopération n’ont pas à être aussi sérieuses que quand le péché lèse le bien public. Ainsi, une coopération immédiate et indispensable peut être permise si, sans elle, on ne peut pas éviter une perte personnelle élevée et certaine, ou, à tout le moins, une plus grande que celle qu’éprouvera la partie offensée. Car cette dernière serait déraisonnable si elle s’attendait que l’autre accepte de souffrir une plus grande perte pour l’épargner. Exemple. Jean est menacé de mort subite s’il n’ouvre pas le coffre-fort de son employeur, s’il n’en retire pas certains papiers, et ne les donne pas au cambrioleur.
La coopération immédiate et non indispensable ou médiate et indispensable est permise si elle est nécessaire pour éviter une perte personnelle de valeur égale. Exemples. Le cambrioleur mentionné plus haut peut faire exploser le coffre-fort, si Jean refuse de l’ouvrir. S’il est obligé d’en vernir là, le cambrioleur volera des objets de valeur comparables aux papiers du coffre-fort. Marc, un serviteur, ouvre la porte de service à l’arrière de la maison, la seule porte par laquelle un voleur peut pénétrer sans attirer l’attention, parce qu’il est pris par surprise, et parce qu’un refus de sa part lui coûterait la perte de papiers aussi importants que ceux dont le voleur veut s’emparer. Pierre désire voler une maison, mais il ne peut pas y pénétrer sans l’aide de Paul, un chauffeur. Paul comprend ce que veut Pierre, mais refuse de le faire entrer, car Pierre ferait connaitre des informations qui feraient autant de tort à Paul que le vol en ferait au propriétaire de la maison.
Une coopération médiate et non indispensable se justifie quand on cherche à éviter une perte personnelle inférieure à celle soufferte par la partie offensée, mais qui lui est proportionnée. Pierre est un homme honnête. Mais aujourd’hui il va escroquer un certain nombre de victimes qui ne sont pas sur leurs gardes. Il ordonne à son serviteur Paul de prendre son manteau et son chapeau, et d’ouvrir la porte. Il ordonne à son chauffeur Luc de le conduire à une maison de jeux de hasard. Paul et Luc ont une idée de ce que Pierre veut faire, mais ils n’en sont pas certains. Mais s’ils désobéissent, d’autres feront ce qu’on leur demande de faire, l’arnaque aura lieu quand même, et les deux perdront un emploi dont ils ont besoin pour vivre.
1523- Quand le péché commis par l’agent principal est contre un bien de caractère public, mais non contre la sécurité de tous, de plus grandes raisons sont nécessaires pour coopérer que celles données plus haut. Ainsi, la coopération immédiate et indispensable est permise pour éviter un plus grand mal public, ou un mal public égal, joint à une grande perte personnelle, car il est permis de permettre un moindre mal pour échapper à un plus grand. Ainsi, la loi peut tolérer certains maux pour garantir la paix publique, si la tentative de les supprimer conduisait à des troubles sociaux. Quelqu’un peut remettre à plus tard la dénonciation d’une pratique qui fait du tort à une famille, si une plainte immédiate causerait un mal égal à la famille, et si l’auteur de la dénonciation devait en souffrir gravement. Une coopération immédiate et non indispensable, ou médiate et indispensable est permise quand il est nécessaire d’éviter un mal public égal ou un mal personnel très sérieux qui est proportionné au tort causé, selon un jugement prudent. Ainsi, un acteur qui a un rôle honnête dans une mauvaise pièce peut le jouer pendant un certain temps, si la troupe peut facilement trouver un remplaçant, mais s’il ne peut pas, lui, trouver facilement un autre emploi, et s’il a grand besoin de son salaire. Semblablement, le propriétaire de l’unique théâtre en ville peut le louer à cette troupe pour pouvoir le refuser à une autre troupe qui est pire. La coopération médiate et non indispensable peut être permise quand on a besoin d’éviter une grave perte personnelle qui ne peut être empêchée que par la coopération. Ainsi, les placiers dans un théâtre, qui n’ont d’autres moyens de revenu que leurs salaires, peuvent aider les patrons à s’asseoir, même quand la pièce qui est présentée n’est pas sans reproche.
1524-Quand le crime commis par quelqu’un est dirigé contre le bien-être public lui-même (contre la sécurité de l’état ou de l’église), on ne peut pas coopérer; on doit résister. En ce cas, la coopération est illégale, car il n’y a pas un bien public plus grand pour le justifier. Et elle peut être encore bien moins justifiée par le bien privé. On devrait résister, quand la chose est possible, car on devrait être prêt à souffrir une perte, la spoliation et la mort pour assurer la sécurité de l’état et de l’église. 1525- En donnant des raisons suffisantes pour une coopération avec des péchés qui ne font tort qu’au pécheur lui-même, ou à une tierce personne, nous n’avons considéré que le tort subi par quelqu’un, qui résulterait d’un refus de coopérer. Mais le bien des autres peut suffire aussi pour justifier la coopération. Ainsi, le bien d’un pécheur peut être une justification à sa coopération, comme quand quelqu’un aide dans le but de prévenir la commission d’un plus grand mal. Ce ne serait pas une mauvaise chose de donner du wiski à quelqu’un qui veut s’enivrer, pour l’empêcher de boire de l’alcool frelaté (1502). Le bien d’un tiers peut justifier la coopération, comme quand on aide à perpétrer une offense mineure pour arrêter une offense majeure. Ce ne serait pas une mauvaise chose de bâillonner et de ligoter celui que l’on vole, pour éviter que le cambrioleur ne le tue.
Le bien commun est souvent une raison justificatrice. Ainsi, en politique, il est parfois nécessaire, dans des choses indifférentes, de faire des compromis avec des opposants dont on n’approuve pas les orientations, dans le but d’assurer l’élection de bons citoyens ou de faire passer de bonnes lois, quand le bien commun le demande vraiment. Il est permis d’administrer un sacrement à quelqu’un qui en est indigne, dans le but d’éviter un mal public, comme des troubles sociaux ou des scandales.
1526- La légitimité de la coopération immédiate. Si on ne peut pas coopérer immédiatement sans faire un acte intrinsèquement mauvais (1517), la coopération immédiate est, bien entendu, illégale. Ainsi, si quelqu’un a aidé un assassin qui tremblotait en administrant le poison, s’il a aidé à poignarder ou à fusiller à mort une victime, il deviendrait le complice d’un meurtre. Si quelqu’un aide un païen impotent à brûler de l’encens devant une idole, il deviendrait le complice d’un faux culte. Si on peut coopérer immédiatement sans faire un acte intrinsèquement mauvais, cette coopération immédiate est considérée licite par certains auteurs. Mais il y en a d’autres qui soutiennent que toute coopération immédiate est un péché.
1527 Les arguments avancés par ceux qui sont d’une opinion opposée, Ceux qui nient la légalité de toute coopération immédiate font valoir que la coopération immédiate ne diffère pas de la complicité, et qu’elle est donc toujours intrinsèquement mauvaise. Si le vol consiste à s’emparer du bien d’autrui sans le consentement du propriétaire, comment appellerons-nous l’action d’un serviteur qui aide un voleur à mettre dans le coffre de sa voiture les pièces d’argent qui appartiennent à la famille. Le fait que le serviteur agisse ainsi pour ne pas être blessé ou tué ne peut pas changer le caractère moral de l’acte. Autrement, nous devrons dire que la fin justifie les moyens. Et on peut dire des autres sortes de péché ce que nous venons de dire du vol. Ceux qui sont pour la légalité de la coopération immédiate dans certains cas prétendent que les circonstances peuvent enlever le mal propre à un geste d’aide donné à un pécheur, de façon à ce que l’acte devienne indifférent ou bon. Or, le vol consiste à prendre le bien d’autrui sans le consentement du propriétaire. Le propriétaire serait donc déraisonnable s’il ne voulait pas que quelqu’un coopère à lui enlever ses biens, ou avait à agir ainsi pour protéger sa vie, du moins s’il n’avait pas engagé ses services pour protéger ses biens, car on est tenu de faire passer la protection de sa vie avant la sauvegarde des biens d’autrui. Si un homme affamé peut prendre une tranche de pain sans le consentement du propriétaire, pourquoi ne pourrait-on pas sauver sa propre vie en aidant un criminel désespéré à emporter de l’argent volé ? De plus, on admet communément qu’une personne en grand besoin peut légalement demander un sacrement à un ministre indigne, et qui péchera en le conférant. Ce qui signifie qu’on peut coopérer immédiatement avec l’administration indigne d’un sacrement, et être quand même exempt de toute faute à cause des circonstances.
1528- Les cas spéciaux de coopération. Les cas de coopération comme ceux qui comportent du scandale, sont innombrables. Mais il y a certains cas qui arrivent, aujourd’hui, plus souvent que d’autres, comme les cas de coopération avec des publications mauvaises, les danses et les théâtres, ainsi que les cas de coopération avec les marchands, les aubergistes, les loueurs, les serviteurs et les ouvriers. La coopération dans les péchés contre la foi et contre la justice est traitée ailleurs.. Mais il sera utile ici de parler des autres sortes spéciales de coopération, puisqu’elles présentent plusieurs difficultés. Et en parlant, nous illustrerons les principes généraux de coopération déjà donnés. Il faut, cependant, noter ce qui suit. L’application à des cas particuliers des définitions et des règles qui se rapportent à la coopération, est une des entreprises les plus difficiles en théologie morale. Il ne faut donc pas se surprendre de trouver une grande diversité d’opinions parmi les moralistes. L’espace interdit un exposé des opinions divergentes, Nous devrons donc nous contenter des exemples qui suivent. Leurs solutions sont vraisemblables, mais celles de leurs adversaires le sont aussi.
Les cas qui suivent sont traités selon les principes qui régissent la coopération. Mais il arrivera souvent que, dans la vie, d’autres facteurs devront être considérés, comme une occasion de péché pour soi-même, ou un scandale donné aux autres. On devrait donc se rappeler que quand on dit ici qu’une sorte particulière de coopération est appelée légale, cela doit être compris comme parlant abstraitement. Car, dans un cas particulier, il peut y avoir les circonstances de danger ou de non édification qui rendent la chose illégale, comme cela arrive souvent.
1529- La coopération formelle avec des mauvaises lectures. Les cas de coopération formelle, due à une intention explicite de faire du tort, sont ceux des chefs d’entreprise, des éditeurs, des collaborateurs, des auteurs de périodiques, de journaux, de livres etc. qui sont formellement opposés à la foi et aux bonnes mœurs. Car ces gens sont les cerveaux qui dirigent et choisissent ce qui doit être écrit ou publié; et ce qu’ils composent ou mettent sur le parier est mauvais, et n’a pas d’autre but que le mal.
Des cas de coopération formelle,
due à l’intention implicite de faire du tort, sont ceux des têtes
responsables des maisons d’édition et d’impression et des dessinateurs,
qui consentent à publier tous ces écrits discutables; ou les libraires,
les propriétaires de kiosques etc qui sont d’accord pour les vendre.
Car, nous supposons que ces gens comprennent que la littérature en question
est intrinsèquement mauvaise et gravement défendue.
1530- La coopération avec
des journaux mauvais et autres périodiques est matérielle et permise,
si le tout n’est pas complètement mauvais, c’est-à-dire s’il sert
au bien autant qu’au mal, et si la personne a une raison pour sa coopération,
qui est juste et proportionnée à la sorte de coopération.
Voici des exemples de coopération qui peuvent être matérielles et légales. Coopèrent matériellement des écrivains de bons livres qui assistent comme collaborateurs; ceux qui présentent de petits articles, ou des messages publicitaires; ceux qui lisent un livre, un périodique, un journal etc. pour ce qu’il a de bon, et passent par-dessus le reste. Car tous ces gens contribuent plus ou moins, selon leur influence, leur réputation et leur capacité, au prestige ou au succès du journal, de la revue ou d’un livre qu’ils approuvent et auxquels leur nom est lié. Voici les raisons que certains auteurs donnent pour pouvoir les excuser. Pour une contribution permanente, une raison vraiment grave, comme le besoin d’un support financier pour sa famille, qu’il ne peut trouver ailleurs. Pour une contribution occasionnelle, une raison plutôt grave, comme la possibilité de réfuter une erreur ou de défendre des principes vrais (canon 1386). Pour le lecteur habituel, une raison grave, comme des renseignements utiles à son entreprise qu’il ne peut pas trouver ailleurs. Pour le lecteur occasionnel, une raison légère, comme le divertissement que procure la lecture d’une bonne histoire. Pour le petit commanditaire, une raison légère, comme le profit qu’en tirera son commerce. Ceux qui par des messages publicitaires louangeurs ou par des recensions favorables de livres encouragent les gens à acheter à et à lire des mauvais livres sont coupables du péché de séduction plutôt que de coopération (1495).
Donnent une coopération financière ceux qui fournissent l’argent à une publication : les actionnaires, les commanditaires, les abonnés. Voici quelles sont les raisons qui sont considérées comme suffisantes dans ces cas. Pour les investisseurs, les pourvoyeurs de fonds, seulement la plus grave raison. Pour les acheteurs d’actions ou d’espace publicitaire, seulement une très grave raison. Pour les abonnés, une raison grave comme celle qui suffit pour une lecture habituelle. L’assistance matérielle est donnée par ceux qui produisent ou distribuent une publication, et par ceux qui fournissent le matériel nécessaire. Parmi les producteurs, les principaux coopérateurs sont, d’abord, les gestionnaires de l’imprimerie, et en second lieu les imprimeurs, les lecteurs d’épreuves, et les correcteurs. Les coopérateurs éloignés sont les dactylographes, les fournisseurs d’encre et de papier, les relieurs et les opérateurs de machine. Pour une coopération prochaine, on pense que la plus grave des raisons suffit, comme quand un coopérateur ne pourrait pas autrement subvenir aux besoins de sa famille. Pour une coopération éloignée, on a besoin d’une raison qui n’est que grave. Parmi les distributeurs, il y a des degrés de proximité dans la coopération, comme suit. D’abord, ceux qui mettent des écrits dans les mains d’autres personnes (en les gardant sur des tables, dans leurs salles d’attente ou sur leurs bureaux); ensuite, ceux qui les conservent pour des acheteurs éventuels; enfin, ceux qui sont préposés aux kiosques ou affectés à la livraison. Nous ne pouvons penser à aucune raison suffisante pour excuser la première forme de coopération, car il ne manque pas de bonne littérature que les docteurs, les avocats et les coiffeurs peuvent mettre à la disposition de leurs clients. Pour la deuxième sorte de coopération, une raison très grave suffit pour la justifier, comme, pour un libraire, la perte de son emploi, s’il ne fournit pas à ses patrons les livres à la mode et des périodiques de bas étage. Pour la troisième forme de coopération, une raison grave suffit.
Parmi les fournisseurs, il y a ceux qui vendent à l’imprimeur de l’encre, du papier, des caractères d’imprimerie, des machines. Ces gens-là ne coopèrent que lointainement, et on considère que le profit est une raison suffisante pour justifier la coopération. Cela, nous l’admettons si la coopération n’est pas indispensable. Mais nous ne pensons pas que le profit pourrait à lui seul justifier, dans tous les cas, une coopération volontaire, dont dépendrait la publication d’écrits mauvais.
1531- La coopération formelle avec des mauvaises danses et des mauvaises pièces de théâtre. Les cas de coopération formelle, avec intention explicite de causer du tort, se trouvent chez les organisateurs de danses indécentes, et les écrivains de pièces de boulevard. Les cas de coopération formelle, avec l’intention implicite de causer du tort, se trouvent chez les producteurs de spectacles indignes, les promoteurs de danses lascives, et ceux qui en font la publicité et le marketing.
1532- La coopération matérielle avec des danses mauvaises et des pièces mauvaises. La coopération matérielle est permise si elle n’est pas, en elle-même, intrinsèquement mauvaise, et s’il y a une raison suffisante pour la permettre. Les cas de coopération matérielle immédiate sont ceux de joueurs et de danseurs dont la contribution est honnête. Une très grave raison, comme la perte de l’emploi, est considérée suffisante, du moins pour un temps. Les cas de coopération matérielle prochaine sont ceux de musiciens ou de chanteurs qui n’interprètent pas de musique sexée, ou de spectateurs qui ne montrent aucune forme d’approbation du mal qui y est commis, ou de ceux qui achètent des billets mais ne se rendent pas au spectacle. Il faut une raison plus sérieuse pour un musicien qui joue pour une danse que pour une pièce. De la même façon, il faut une raison plus grave quand on assiste souvent à un spectacle, ou quand notre présence est nécessaire au succès de la pièce, que quand on va au théâtre rarement, ou quant le succès de la pièce ne dépend pas de notre présence. Les cas de coopération matérielle éloignée sont ceux des propriétaires qui louent leurs théâtres ou leurs salles de danse ou leurs cabarets; des placiers, des gardes, de ceux qui sont affectés à la billetterie, des machinistes. On considère que le profit est une raison suffisante pour justifier la location de leurs salles par les propriétaires, si, en cas de refus, les troupes de théâtre ou de danse peuvent facilement trouver d’autres lieux. Les placiers, les gardes, et les autres employés ne sont pas coupables’ils ne peuvent pas facilement trouver un autre emploi. Mais cela n’autorise pas les regards complaisants, les éclats de rire indécents et les applaudissements inconvenants.
1533- La coopération formelle par la fabrication ou la vente d’objets dont le seul but est le péché véniel ou mortel. Les cas de coopération explicite sont ceux des inventeurs des contraceptifs, des condoms ou des capotes, de tous les instruments qui freinent la génération; des dessinateurs de représentations blasphématoires, ou de statues de faux dieux; des auteurs de cartes profanes ou irrévérentes. Les cas de coopération implicite sont ceux de personnes qui, pour le profit seulement, fabriquent ou vendent des objets comme ceux déjà mentionnés, tout en sachant que ces objets servent d’eux-mêmes à commettre le mal. 1534- La coopération matérielle par la fabrication ou la vente d’objets qui sont utilisés pour des fins véniellement ou gravement peccamineuses, est permise sous les conditions données à 1515. En conséquence, en premier lieu, la coopération ne doit pas être, en elle-même, mauvaise, c’est-à-dire que l’objet fabriqué ou vendu peut avoir de bons et de mauvais usages. Il y a deux classes d’objet de ce genre : ceux qui peuvent avoir de bons usages, mais qui sont généralement employés pour de mauvaises fins (les statues d’idole, les insignes des sociétés secrètes, des images de nudités, des robes provocantes, des drogues ou des poisons, des matraques et des pistolets silencieux). Il y a d’autres objets qui sont indifférents en eux-mêmes, mais qui sont souvent mal employés ( les dés, les cartes à jouer, le rouge à lèvres, les colliers et autres accoutrements féminins, des fausses perles, des articles avariés, et autres choses du même genre).
1535- Les règles, qui déterminent la raison suffisante pour une coopération à la fabrication et à la vente de choses qui sont utilisées pour commettre des péchés, sont celles données plus haut à 1519. En conséquence, plus grand sera le péché qui sera commis, ou plus nocives en seront les conséquences, plus grande devra être la raison pour faire l’objet, le réparer ou le vendre. Dans certains cas, seule une très grave raison peut excuser la coopération, comme un danger de mort instantanée en cas de refus. Ainsi, on ne peut pas vendre du poison ou des drogues à une personne déterminée à se suicider, à commettre un meurtre ou à avorter. On ne peut pas vendre des narcotiques à quelqu’un qui les demandes de bonne foi, et qui ne peut pas en trouver ailleurs, mais qui deviendra un toxicomane si on lui en donne. On ne peut pas vendre de la morphine ou de l’héroïne à un drogué qui en abusera certainement, à moins qu’il y ait une très grave raison pour ne pas la lui refuser, comme le danger qu’un refus lui ferait mettre le feu à sa maison. Si quelqu’un possède toutes les cartes à jouer de son patelin, il ne devrait pas, sans de bonnes raisons, en vendre à un client qui va employer une grande partie de sa journée à jouer aux cartes, en négligeant des devoirs pressants; ni à un prestidigitateur ou illusionniste qui va escroquer plusieurs innocentes victimes, ni à un joueur compulsif qui va dépenser tout son argent et hypothéquer sa maison. Plus un objet est étroitement relié à de mauvais usages, plus grave doit être la raison pour justifier une participation dans sa fabrication ou sa vente. Ainsi, une raison ordinaire (le profit) peut suffire pour vendre un agneau à un païen, ou des perles à une femme. Il faudrait une raison grave et même très grave pour vendre de l’encens à un païen, ou des ornements qui sont souvent utilisés comme amulettes ou charmes. En règle générale, c’est sérieusement mauvais et gravement peccamineux de fabriquer ou de vendre des articles qui servent à commettre des péchés mortels.
Plus un consommateur dépend d‘un fabriquant ou d’un marchand pour obtenir tel objet, plus grave doit être la raison pour le fabriquer ou le vendre. Ainsi, une grave raison, comme une perte importante, est suffisante pour vendre un costume sophistiqué à un « vampire » (c’est-à-dire une femme qui entretient des relations scandaleuses pour recevoir des présents), si les embellissements peuvent être procurés par d’autres couturières ou modélistes. Mais il faudrait une bien plus grande raison si la chose demandée ne pouvait être achetée qu’à un seul endroit. Dans le premier cas, un refus ne mettrait pas un frein aux activités de la femme; dans le deuxième cas, il devrait au moins lui mettre des bâtons dans les roues. Plus on est certain qu’un objet sera utilisé de la mauvaise façon, plus grande devra être la raison pour le fabriquer, le réparer ou le vendre. Exemple. Pierre est un vendeur de bibelots et de gadgets. Trois hommes lui demandent une statue d’idole chinoise, des bâtonnets d’encens et du papier. Le premier client déclare qu’il a l’intention d’utiliser ces articles à des fins religieuses. Le second n’indique pas ce qu’il veut en faire. Le troisième veut remettre le tout à un musée. Pierre ne peut vendre au premier acheteur que pour une très grave raison, comme la peur de se faire tuer, s’il refuse. Il ne peut vendre au second qu’avec une grave raison, comme une perte considérable d’argent. Il peut vendre au troisième acheteur pour une raison quelconque, comme le profit qu’il tire de la vente. Ainsi, celui qui vend des armes à feu sait que certains clients, dont il ne connait pas l’identité, vont utiliser ces armes illégalement, pour faire, par exemple, du braconnage. Comme on ne doit présumer le mal de personne, Paul a le droit de tout vendre pour le profit.
1536- Un marchand est-il obligé de s’enquérir de l’usage que fera un client d’un objet qui sert souvent à commettre des péchés ? Si la loi positive exige que le marchand s’en informe, il doit faire les recherches nécessaires pour obtenir l’information. Ainsi, si la loi civile interdit la vente d’une arme sans un permis, ou de poisons sans prescription, le vendeur doit demander à l’acheteur s’il a l’autorisation voulue. Si la loi positive n’a pas fait ce genre de règlementations, nous devrions faire la distinction entre les articles qui sont souvent utilisés pour commettre un péché, et ceux qui le sont généralement. Quand on demande un article du premier groupe, il n’y a pas d’obligation de faire des enquêtes, car cette exigence serait disproportionnée. Mais si on demande un article du second groupe, on devrait faire des enquêtes, à moins d’être moralement certain que l’intention de l’acheteur est bonne, ou qu’il y ait une grave raison de ne pas rechercher des informations. Ainsi, on peut vendre un paquet de cartes à un étranger sans lui demander des preuves de son honnêteté. Mais on ne peut pas vendre du poison mortel à un pur étranger, simplement parce qu’il dit qu’il en a besoin pour des fins médicales ou d’autres légales.
1537- La coopération coupable avec des pourvoyeurs de nourriture et de boisson. Il y a une coopération explicite formelle avec les péchés de gloutonnerie, d’ivrognerie, de violation du jeûne et de l’abstinence, à chaque fois qu’on fournit les moyens pour la commission de ces péchés, à ceux qui sont enclins à s’y livrer. Ainsi, si un hôte sert à son invité ivrogne toutes les sortes de boissons alcoolisées qu’il désire, et s’il souhaite intérieurement qu’il se saoule, il y a coopération explicite. Il y a une coopération formelle implicite quand celui qui fournit la nourriture ou la boisson n’a pas directement le mal pour but, mais quand l’acte de fournir de la nourriture et de la boisson est mauvais, à cause des circonstances, comme quand on donne à quelqu’un un mets qui ne lui convient pas et le rendra malade, ou aggravera sa maladie, ou quand on sert les viandes qu’il demande à celui qui, par mépris, rompt son jeûne avec ostentation. Il y a une coopération matérielle illégale quand, sans approuver le péché qui sera commis, on fournit à quelqu’un, sans raison suffisante, la nourriture et le breuvage. Ainsi, il y a une coopération coupable quand le propriétaire d’un restaurant donne de la viande, un vendredi, à quelqu’un qui n’est pas dispensé du jeûne, dans le seul but de faire de l’argent. 1538- La coopération matérielle, en fournissant de la nourriture ou de la boisson à ceux qui en demandent sans en avoir le droit, est légale quand quelqu’un a le droit de fournir la nourriture et la boisson, et qu’il y a une raison suffisante pour coopérer. Pour savoir si la raison est suffisante, regardez les circonstances indiquées à 1519.
En conséquence, une raison plus grande est requise quand le péché que l’autre personne commettra sera plus grand. Ainsi, une raison grave, comme l’indignation d’un client, pourrait suffire pour la coopération dans la violation de la tempérance ou de l’abstinence. Mais une plus grande raison, comme une bagarre sérieuse, sera requise si la violation est gravement mortelle. Une raison plus grave est aussi requise quand les conséquences seront plus dommageables (les batailles de l’ivrogne, ou une grave maladie de quelqu’un qui a négligé sa diète) que quand elles le seront moins (les propos sans queue ni tête de l’ivrogne, ou la stupéfaction du gourmand). Une plus grande raison est requise quand la coopération est plus proche. Ainsi, en fournissant la viande, le boucher coopère lointainement seulement, tandis que le chef cuisinier qui la prépare et le garçon qui la sert coopèrent prochainement. Il faut une plus grande raison quand la coopération de quelqu’un est essentielle à la commission d’un péché. Ainsi, dans une grande ville, où il y a beaucoup de restaurants, le fait qu’un client ferait une crise, si on lui refusait de la viande un jour d’abstinence, serait une excuse pour la coopération, tandis que dans un village qui ne possède qu’un endroit où l’on sert à manger, il semble qu’il faudrait une raison plus grave pour refuser, comme des blasphèmes, un boycottage ou une grève.
Il faut qu’il y ait une plus grande raison quand on est certain que telle personne pèchera. Ainsi un restaurant qui est fréquenté par des étrangers de toutes sortes, par des tempérants et des intempérants, des catholiques et des non catholiques, peut servir du vin aux repas, là où la chose est permise, et mettre de la viande, sur le menu, les jours d’abstinence, pour tous ceux qui se présentent, car ses clients sont pour lui de purs inconnus, et il ne lui serait pas possible de s’informer de chacun, s’il est sobre ou s’il est dispensé des lois de l’abstinence. Mais, dans une pension de famille, la propriétaire ne devrait pas être fière de mettre sur la table des boissons alcooliques quand elle sait que quelques-uns se saouleront. Elle ne devrait pas non plus s’autoriser à servir de la viande le vendredi à un catholique qui n’a pas été dispensé de la loi de l’abstinence, à moins qu’elle ait une raison sérieuse de le faire, comme la perte de son auberge, chose qu’elle ne peut pas se permette sans se réduire à la misère. De plus, puisque des dispenses se donnent pour le jeûne et l’abstinence, mais non pour la loi de la tempérance, il y a moins de certitude sur l’intention de péché quand quelqu’un demande de la viande un vendredi, que quand quelqu’un demande qu’on lui apporte plusieurs flacons d’alcool On est encore plus certain que quelqu’un s’enivrera, quand celui qui demande de l’alcool est déjà pompette.
1539- Les péchés, auxquels quelqu’un coopère en servant de la nourriture ou de la boisson à ceux qui n’ont pas le droit d’en user, sont plus ou moins grands selon qu’ils violent la loi naturelle ou la loi positive humaine. Ainsi, la violation du jeûne et de l’abstinence s’oppose à la loi naturelle quand elle est voulue comme une manifestation de haine envers la religion. On ne peut pas coopérer avec une violation du jeûne et de l’abstinence qui est manifestement de ce genre. La violation de la tempérance est, elle aussi, opposée à la loi naturelle, et doublement, quand elle conduit à des maux comme des querelles, des bagarres, des meurtres, des blasphèmes. Il n’est pas permis de coopérer avec l’intempérance, à moins que ce ne soit nécessaire pour prévenir la commission d’un plus grand crime par une autre personne, ou une perte sérieuse pour soi-même. Ainsi, il n’est pas interdit de présenter du wiski à un cambrioleur qui veut s’enivrer, si c’est la seule façon de l’empêcher de voler ou de nous agresser. La violation du jeûne ou de l’abstinence, en elle-même, ne s’oppose qu’à la loi positive, et puisqu’il est plus difficile de jeûner que de faire maigre, l’on est plus facilement dispensé de l’observance de l’un que de l’autre. Ainsi, si on doute qu’un des clients a le droit de recevoir la viande ou la boisson qu’il demande, le chef cuisinier pourra être plus accommodant pour le jeûne et l’abstinence que pour l’intempérance, et plus encore, s’il est question de jeûne plutôt que d’abstinence. En règle générale, un chef cuisinier peut servir de la viande le vendredi à tous ceux qui en demandent, pourvu qu’il y ait aussi du poisson sur le menu, et qu’il soit disposé à en servir.
1540- Location de maisons et de chambres, et coopération dans le péché. Celui qui loue des maisons et des chambres à des gens qui ont l’intention de s’en servir pour des activités immorales, illégales, idolâtriques, ou autres du même genre, est coupable de coopération formelle ou matérielle illégale, s’il approuve la conduite de ses locataires, ou n’a pas de raison suffisante pour louer à de pareilles gens. La même chose vaut pour ceux qui permettent aux malfaiteurs (pickpocket), de se prélasser ou de flâner dans les vestibules, les hôtels etc. Celui qui prête sa maison, sa chambre, son salon à des gens qui en feront un mauvais usage n’est pas un coopérateur coupable; il n’est qu’un coopérateur matériel, si aucune de ces mauvaises actions n’a été interdite, et s’il a des raisons suffisantes pour agir ainsi.
1541- Exemples de raisons suffisantes pour justifier une coopération dans la location. Une très grave raison. Dans les villes où la chose est permise, pour éviter un plus grand mal, il est permis de louer une maison à des prostituées, pourvu que les voisins n’en subissent pas de graves inconvénients, ou que le lieu où la maison est située ne soit pas une plus grande occasion de péché, et qu’il y ait une raison proportionnellement grave, comme le fait qu’il n’existe pas d’autres locataires, que le propriétaire souffre un grand dommage si la maison n’est pas louée, et que les prostituées peuvent facilement trouver ailleurs une autre maison. Mais quand on se rend compte qu’aujourd’hui plusieurs prostituées exercent à contre cœur ce métier (l’esclavage blanc), qu’elles sont affligées de maladies graves et de mort prématurée, un homme honnête aura en horreur le prix de location demandé par les administrateurs de maisons de débauche. Une plus grave raison. Les réunions dont le but est contraire au bien commun (des assemblées antireligieuses), même si elles sont permises par la loi civile, ne devraient pas être autorisées à utiliser la salle d’un catholique, sauf en cas de grande nécessité.
1542- La coopération illégale des serviteurs, employés et ouvriers. La coopération est formelle s’ils ont l’intention de commettre le même péché que leurs employeurs, ou si l’acte de coopération est en lui-même intrinsèquement mauvais. Ainsi, un libraire ne fait rien de mal en conservant un registre de ses revenus et de ses dépenses. Mais s’il découvre plusieurs cas de fraudes ou d’injustices commises par sa firme, et ferme les yeux pour camoufler l’imposture, et laisse les choses aller ainsi, il devient un coopérateur formel. Mais un libraire qui falsifie ou détruit des registres pour que son entreprise puisse faire des déclarations incorrectes sur sa situation financière, participe à la faute de l’entreprise, même si non motif est la pitié ou la loyauté. D’autres exemples de coopération formelle sont ceux d’un secrétaire qui écrit, sous la dictée, des phrases blasphématoires ou des expressions obscènes; ou d’un chauffeur de taxi qui dit à ses passagers comment se rendre à des bars de danseuses nues, ou qui aide un criminel à s’échapper, en circulant dans des rues non éclairées.
La coopération est matérielle et illégale quand l’intention et l’acte ne sont pas mauvais, mais quand il n’y a pas de raison suffisante pour la coopération. Ainsi, la proposition suivante a été condamnée par Innocent 1X en 1679, comme scandaleuse ou pernicieuse. Un serviteur qui, en courbant ses épaules, aide sciemment son maître à monter à une fenêtre pour violer une vierge, et qui lui rend plusieurs fois ce service en tenant l’échelle, en lui ouvrant la porte, ou autre choses du même genre, ne pêche pas mortellement s’il le fait sous la menace d’un châtiment (Denzinger, 1201). Bien que les actes de coopération de ce serviteur ne soient pas intrinsèquement mauvais, la coopération est prochaine, positive et habituelle; et le tort causé est si sérieux que seulement une très grave raison, comme la peur d’être tué, pourrait justifier cette aide donnée à son maître par le serviteur.
1543- La coopération légale des serviteurs, des employés et des ouvriers. Si la coopération est éloignée et n’est pas indispensable au péché qui va être commis, le simple fait que l’un est employé par la cause principale apportera une excuse, car un employé n’est pas supposé questionner son maître au sujet des ordres donnés, et il n’est pas responsable de l’intention de son patron. Il ne l’est que pour son travail à lui. En conséquence, les sortes suivantes de coopération sont considérées comme permises pour aucune autre raison que celle du travail demandé : apporter des boissons alcoolisées ou de la nourriture à un patron qui veut se saouler ou rompre le jeûne; lui acheter et lui apporter des journaux qu’il ne devrait pas lire; lui donner son chapeau ou son manteau ou lui préparer sa voiture, au moment il part pour attaquer un ennemi; ouvrir la porte à un calomniateur que la maîtresse de maison désire employer. Également, un chauffeur de taxi peut conduire ses patrons à des bars ou à des tavernes où ils se saouleront, s’il n’est pas du tout responsable de leurs désirs, ne les approuve en rien, et s’ils peuvent s’y rendre sans lui.
Si la coopération est prochaine,
le seul fait que quelqu’un est un employé n’est pas suffisant pour
justifier une coopération. Il doit y avoir une autre raison suffisamment
grave, vue la gravité du péché et celle des autres circonstances.
Ainsi, conduire son patron à un endroit où il recevra des biens précieux
volés, est une chose permise à un chauffeur, s’il agit sous la
menace ou la crainte de graves blessures en représailles. De même, pour
éviter un inconvénient plus grave, il est permis à un serviteur d’apporter
les lettres amoureuses de son maître à une amante, avec laquelle le maître
entretient une relation illicite; de faire savoir à l’amante le jour
et le lieu de la rencontre; de les observer quand ils sont ensemble.
Mai si on demande régulièrement à un serviteur ce genre de service,
il serait préférable qu’il cherche un autre emploi.
1544- Les principes
donnés pour les serviteurs devraient s’appliquer aux autres personnes
qui sont sous les ordres de quelqu’un, en tenant compte des circonstances.
Ainsi, les femmes, les enfants, les élèves peuvent avoir moins d’excuse
pour leur coopération que les serviteurs, puisqu’ils sont mieux
placés pour faire des remontrances. En conséquence, si le maître
de maison va souvent fêter, et ordonne à son serviteur de lui apporter
sa boisson alcoolique, le serviteur serait moins bien placé pour désobéir
que l’épouse. Les enfants, les épouses et les élèves pourraient,
d’un autre côté, être plus excusables parce que, à la différence
des serviteurs, ils ne peuvent pas aller ailleurs. Ceux qui acceptent de
travailler dans des endroits connus pour être des antres du vice, ou qui
font comprendre à leur employeur qu’Ils ne verront ni n’entendront
rien, ou qui remplissent régulièrement des services qui sont prochainement
reliés au vice, sont coupables de coopération formelle, au moins quand
ils peuvent se trouver un bon emploi ailleurs. Les enfants, au contraire,
peuvent être si dépendants d’un père tyrannique, qu’ils ne peuvent
pas refuser de coopérer sans de graves conséquences pour eux-mêmes.
1545- Les devoirs des confesseurs. Ils devraient instruire les pénitents qui sont coupables de coopération peccamineuse. Le confesseur devrait instruire un pénitent ignorant en lui faisant comprendre que la coopération est un péché, quand il y a un devoir de justice de le faire, comme quand les pénitents demandent qu’on les instruise; ou quand il y a un devoir de charité, comme quand la culpabilité de la coopération est connue par plusieurs personnes, ou quand les pénitents sont, à cause de leur coopération, une source de scandale, ou sont exposés à un grand danger. Le confesseur ne devrait pas instruire les pénitents ignorants en leur apprenant quel a coopération est un péché, du moins, pendant un certain temps, s’ils sont de bonne foi, et si de plus grands maux résulteraient de l’instruction que du silence.
1546- Les obligations qu’on doit
imposer aux pénitents à cause de la coopération coupable. Certains
cas de coopération font encourir au coupable des peines ecclésiastiques.
Exemples. Ceux qui agissent comme seconds ou spectateurs dans des
duels (canon 2351). Quelques cas entraînent un devoir de réparation
à cause du scandale donné, comme quand quelqu’un a prêté son aide
à la diffusion de livres obscènes et scandaleux, ou les a ébruités.
Quelques sortes de coopération comportent de dangereuses occasions de
pécher qu’il faut éviter, comme quand quelqu’un vend de la marchandise
avariée, ou gagne de l’argent sous de fausses représentations.
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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction
Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.