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John A. McHugh, o.p. - Charles J. Callan, o.p.
THEOLOGIE MORALE un cours complet selon saint Thomas d'Aquin et les meilleurs auteurs modernes

Imprimatur Francis cardinal Spellman, Archbishop of New York, New York, May 24, 1958
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Question 2
LES DEVOIRS DE TOUTES LES CLASSES DES HOMMES

LES VERTUS MORALES

 1626- Après les vertus théologiques, qui offrent à Dieu les services de la foi, de l’espérance et de la charité, et qui dirigent l’homme vers sa fin dernière, viennent les vertus cardinales ou morales, qui perfectionnent les actions et les passions des hommes, et font d’elles des moyens de tendre à la fin dernière.  De ces quatre vertus ( la prudence, la justice, la force et la tempérance), la prudence occupe le premier rang, car c’est elle qui dirige les autres.

                  ARTICLE 1
                  LA VERTU DE PRUDENCE
                (somme théologique 11-11 qq. 47-56)

 1627- Définition.  Toutes les définitions de la prudence sont d’accord sur l’essentiel.  Et à partir d’elles, nous pouvons présenter une définition détaillée, comme suit. La prudence est la vertu qui consulte comme il faut  au sujet des moyens à être employés pour vivre une bonne vie, et qui applique au fur à mesure aux cas particuliers la connaissance acquise par la consultation.  Ainsi, la prudence consulte bien, car c’est son devoir d’étudier les voies et les moyens d’une conduite réglée, et d’arriver à un   jugement judicieux, en dépit de toutes sortes d’incertitudes venant de facteurs inconnus.  Des deux vertus pratiques de l’intelligence, l’art et la prudence, la première traite de l’application de la raison droite aux cas dans lesquels il y a, la plupart du temps, des moyens certains et déterminés pour arriver à la fin qu’on se propose (les règles de la logique et de la grammaire, les méthodes de musique et de sculpture), tandis que la seconde a à faire avec l’application de la raison droite aux cas dans lesquels les moyens d’obtenir la fin qu’on se propose ne sont ni certains ni déterminés (les questions infiniment variées de rectitude morale ou d’immoralité qui se présentent d’elles-mêmes dans des cas particuliers);

 La prudence étudie les moyens qui mènent à une bonne vie. Et, en conséquence, nous ne considérons pas qu’un homme est prudent s’il consulte bien pour cette bonne fin particulière, mais pas pour la fin générale de mener une bonne vie.  Néanmoins, la prudence est loin derrière le don de sagesse, parce que la prudence se préoccupe des biens humains; la sagesse, des biens divins.  La prudence applique la connaissance à la direction de la conduite, car le but des vertus pratiques de l’intelligence est de guider les activités et productions de l’homme d’après la lumière de la droite raison. On devrait, quand même, noter que l’application de la connaissance est intrinsèque à la prudence, mais  extrinsèque à l’art.  Car la prudence inclut dans son essence-même,  une détermination de la volonté au bien. Ce qui n’est pas le cas de l’art.  Ainsi, un peintre n’est pas moins compétent dans son métier s’il ne l’exerce pas toujours, ou s’il  bâcle son travail.  Mais une personne versée dans la science morale est imprudente si elle se refuse volontairement à utiliser ses connaissances, ou les utilise de travers.  Le péché contre l’art est de ne pas savoir; le péché contre la prudence est soit de ne pas savoir ce qu’on devrait savoir, ou de ne pas appliquer correctement ce que l’on sait,

 1628- Les objets de l’acte de prudence.  La prudence n’a rien à voir avec la vérité spéculative (de ces choses que l’on connait dans le but de les connaitre). Elle ne se propose pas d’investiguer et de découvrir ce qui est la nature de la vertu, mais de guider l’homme pour qu’il devienne vertueux, et pratique la vertu.  On devrait noter, toutefois, que les actes de la raison spéculative, bien qu’ils n’appartiennent pas à la prudence elle-même, sont, comme les autres actes, soumis à la direction de la prudence, car en s’adonnant aux études spéculatives, on devrait user d’un bon jugement au sujet des objets à être considérés, du temps, de la place, de la manière de l’étude.

 La prudence ne se soucie pas des vérités nécessaires, des premiers principes de moralité, mais de leur application à des cas particuliers contingents.  Comme le médecin.  On le fait venir pour qu’il guérisse non un homme universel et abstrait, mais l’homme particulier et individuel qui est devant lui.  Mais comme on ne peut pas bien appliquer ce que l’on ignore, l’homme prudent doit se familiariser avec les règles générales de la vie droite, avec les choses particulières auxquelles il doit appliquer sa connaissance.  Il manque de prudence, donc, celui qui à cause d’une ignorance vincible, ne connait pas un principe général (que trop boire est mauvais), ou un cas auquel s’applique ce principe (la quantité de boissons alcooliques placées devant lui  est trop grande).

 1629- Il est coutumier de distinguer un double objet de la vertu, à savoir, l’objet matériel (la sorte d’activité que la vertu perfectionne, ou dans le champ de la connaissance, de l’action ou de la production), et l’objet formel (le point de vue spécial de la bonté à partir duquel on considère l’objet matériel).  L’objet matériel de la prudence embrasse les actions humaines individuelles accomplies après un choix, et en toute liberté.  L’objet formel de prudence est la délibération droite, la décision juste, et le cap à donner aux actions humaines. Avec en vue l’observance de la règle d’or.

 1630- La nécessité de la certitude. Étant une vertu intellectuelle, la prudence doit avoir de la certitude (640).  Mais en ce qui a trait à des contingences particulières (Si Pierre doit épouser Paulette). Il y a des sortes différentes de certitude.  Il y a une certitude de  connaissance basée sur une généralisation tirée de l’expérience de ce qui arrive dans la majorité des cas (que des personnes qui sont proches les unes des autres  par leur naissance, leur âge, leurs tempéraments, et leur éducation font un succès de leur mariage), Cette sorte de certitude appartient à la science morale.  Il y a aussi une certitude de connaissance basée sur des indications, dans un cas particulier (que Pierre et Paulette semblent avoir des dispositions concordantes, et une affection mutuelle qui devrait faire de leur mariage un succès).  Cela est la certitude d’opinion, et bien qu’elle puisse suffire en conscience pour un nombre de cas (672), les évènements ne justifient pas toujours la prédiction. C’est pourquoi il est dit : Les pensées des mortels sont changeantes, et leurs conseils incertains  (Sag. 1X, 14).  Il y  a finalement la certitude de la vérité pratique, qui consiste dans une connivance avec une bonne volonté.  Voilà la sainteté qui est propre à la prudence. Car cette vertu n’est pas une matière de la raison seule.  En conséquence, même si quelque chose qui avait été correctement décidé ne se réalisait pas, ou deviendrai toute autre chose que ce que l’on avait justement désiré (le mariage de Pierre et de Paulette n’a pas lieu, ou  tourne au vinaigre.)  Il reste vrai que la prudence n’a pas été trompée dans sa décision, car, quand elle été prise, cette décision était conforme à la droite raison et à la bonne volonté.

 1631- Les relations de la prudence avec les autres vertus morales.  La prudence ne dirige pas les autres vertus morales à leurs fins propres, car la connaissance de ces fins vient de la syndérèse ou d’une compréhension morale (la perception naturelle des premiers principes du droit et du mal), tandis que l’inclination vers ces fins vient des vertus morales elles-mêmes.  La prudence ne flirte pas avec les premiers principes.  Elle n’est pas non plus une inclination vers des fins particulières.  C’est donc la vertu naturelle de la syndérèse qui dirige les vertus morales d’après le dictat que la droite raison doit être suivie;  qu’on doit observer la modération; que les passions de colère, de plaisir ou de tristesse doivent être régulées de façon à éviter les excès et les défauts.

 1632-La prudence dirige les vertus morales vers les voies et les moyens qui leur permettront d’atteindre leurs fins, car la régulation de choses particulières et variables, comme des voies et des moyens, appartient à la prudence.   La syndérèse s’intéresse aux principes nécessaires, et les vertus morales donnent une inclination uniforme et constante pour suivre le moyen de la droite raison.  Mais ni l’une ni l’autre ne peuvent indiquer comment les principes doivent être appliqués, ou comment les inclinations seront mises en œuvre.  C’est donc le travail de la science morale de déterminer comment la colère, le plaisir ou la tristesse doivent être modérés,  pour la moyenne des gens.   Mais la prudence doit décider cela pour un cas particulier, à un moment précis et en un lieu donné (575). Sans la prudence, la bravoure devient de la témérité, la tempérance dégénère en avarice, et la pitié devient de la faiblesse.  Il est donc vrai de dire que la prudence dirige les actes de toutes les vertus.  Elle régule les vertus qui lui sont inférieures (l’art et les vertus morales), et elle sert les vertus qui lui sont supérieures (les vertus intellectuelles supérieures spéculatives, et les vertus théologales).  Ainsi en pratiquant les vertus intellectuelles par l’étude, la contemplation, l’art etc., on s’égarerait misérablement si on ne consultait pas la prudence, pour accomplir ces actes,  au sujet du temps, de la manière, et de la méthode.  Ainsi, une maîtresse de maison, qui a employé trop de temps à méditer,  négligera ses devoirs domestiques.  En exerçant les vertus théologales avec des actes de foi, d’espérance et de charité, on a aussi besoin de la prudence, car il n’est possible de continuer dans ces actes sans interruption, quand d’autres actes de vertu s’imposent, et quand il faut trouver du temps pour le repos.

 Ainsi quelqu’un qui se promène sans but, et qui  distribue sur son passage des aumônes aux pauvres  quand il devrait être au travail pour lequel il est payé, manque de prudence (discernement) dans sa charité, puisqu’il ne choisit pas le bon moment pour l’exercer.  1633-   L’exercice de la prudence.  Les actes qui appartiennent à la prudence sont ceux dont a besoin pour diriger sa conduite vers la modération, qui est la fin de la vertu.   Il y en a trois : la délibération, la décision, la direction. La prudence commence donc par consulter, puis elle délibère au sujet des voies et des moyens.  Quand les voies et les moyens sont connus, elle passe un jugement (575) sur leur convenance, (qu’une restitution doit être faite à tel moment, de telle façon;  ou que la modération dans le boire et le manger requiert que l’on consomme telle quantité, ou qu’on évite telle sorte de nourriture).  Finalement, mais c’est là le plus important, la prudence donne le commandement que ce qui a été décidé soit exécuté, que ce soit la recherche de certaines choses avantageuses, ou la fuite de certaines choses nuisibles.

 1634- Les qualités de la prudence. Les qualités qui devraient caractériser la prudence sont la diligence, l’application, l’attention  et la confiance. Le soin est une attention vigilante donnée à la délibération et au jugement, qui rend capable quelqu’un d’agir avec promptitude et décision, quand le moment de l’action est arrivé. Sa nécessité pour la prudence est évidente; on ne s’informe pas, on ne juge pas, à moins d’avoir quelque chose qui nous tient à cœur, de s’inquiéter au sujet de sa réussite, et d’y consacre de l’étude et de la vigilance.  On ne dirige pas bien non plus s’il y des hésitations et des reports, des remises à plus tard, au lieu de la promptitude à faire ce qui a été  décidé.  En un mot, on devrait être rapide dans l’exécution, mais lent dans la délibération.  D’où l’admonition de saint Pierre d’être prudents et attentifs dans la prière, comme une préparation pour une bonne vie, et pour le jugement (1 Pi 1V, 7). Un exemple du soin à apporter se trouve dans saint Paul qui avait le souci de toutes les églises (1 Cor 11, 28).  Il s’informait toujours de leurs conditions, de leurs progrès, de leurs besoins etc.   La confiance, comme qualité de la prudence, est la fiabilité des jugements formés avec soin. Elle exclut les soucis et les hésitations indues. Elle est nécessaire pour contrebalancer le soin. Car bien qu’il soit vrai qu’on ne peut pas à s’attendre à une certitude absolue dans des décisions morales ( le futur évènement, été beaucoup de choses présentes qui nous sont inconnues).  Il est vrai également qu’un excès le soin aveugle le jugement, et paralyse la décision.  Dans le caractère de Hamlet, Shakespeare peint un homme qui devient imprudent à force de se précautionner contre le danger.

 1635- Les parties ou les sortes de la prudence. Comme les divisions des parties correspondent aux divisions des touts, nous devrions noter qu’il y a trois sortes de touts : un subjectif, un intégral, et un potestatif.   Un tout subjectif en est un qui est présent dans toutes ses parties dans la totalité de son essence; et toutes ses puissances sont dans chacune de ses parties. On trouve cette sorte de tout dans le genre, car chacune de ses espèces participe à la nature entière et à l’énergie incluse dans le concept générique, comme la façon d’être et d’agir, exprimée dans le terme animal, se trouve au complet dans les chiens, les chats, les chevaux, et dans tous les autres animaux.    Un tout intégral en est un qui n’est pas présent dans la plénitude de son essence ou de ses puissances dans chacune des parties.  On trouve ce genre de tout dans un composé fini, fait d’unités hétérogènes, comme une maison. Car ni les murs, ni le plafond, ni le plancher ne sont une maison complète, ni n’ont les moyens que possède une maison. Mais, si une ce ces parties fait défaut, la maison n’est pas intégrale et complète.  Un tout potestatif en est un qui est présent dans chacune des parties avec toute son essence, mais non avec toutes ses puissances.  On trouve un exemple de ce tout dans un principe actif  qui fonctionne au moyen de facilités diverses, comme l’âme, qui pense, perçoit, accomplit à l’aide de moyens fournis par l’esprit, la volonté, les sens, les organes corporels.  L’âme est présente en son entièreté dans chacune de ces choses, puisqu’elle est une substance simple.  Mais, dans une partie, elle exerce une puissance, dans une autre, une autre.  Dans aucune d’elle, toutes ses puissances.  1636- On est habitué de parler aussi des parties intégrales, subjectives et potestatives d’une vertu morale.  Ainsi les  parties  quasi intégrales d’une vertu  sont ces fonctions sans lesquelles son acte n’est pas accompli parfaitement.  Il est beaucoup plus parfait avec elles.  Les parties subjectives sont les espèces dans lesquelles on divise une vertu. Les parties quasi subjectives sont des vertus subsidiaires ou annexes, qui se rapportent aux actes secondaires d’une vertu principale.

 1637- Les parties intégrales de la prudence.1638- Les parties intégrales de la prudence considérées comme une vertu cognitive ou comme une indication des moyens idoines, sont ces actes qui rendent quelqu’un capable d’avoir la connaissance et d’acquérir des informations.  Ainsi, les actes requis pour la possession de la connaissance des voies et des moyens, sont la mémoire du passé, et l’intelligence de la situation présente.  Les actes requis pour l’acquisition d’une connaissance nouvelle sont la docilité, par laquelle on apprend d’un autre, et la rapidité de perception, par laquelle on découvre pour soi-même.   Les parties intégrales  de la prudence, en tant qu’elle est conservée comme une vertu opérative ou préceptrice,  c’est-à-dire en tant que  conseiller,  directeur de la vie et de la conduite, sont les actes sans lesquels on ne peut pas faire un bon usage de la connaissance  appliquée à la conduite.  Ainsi la connaissance des principes généraux doit être appliquée aux affaires particulières.  Et cela suppose qu’on sait comment raisonner correctement; comment inférer le particulier du général, comment mettre des faits ensemble. Même ceux qui ne sont pas des dialecticiens chevronnés, ont un certain pourcentage de logique naturelle, et sont capables de faire un bon usage des faits et des prémices pour tirer des conclusions sur leurs obligations, et pour faire ensuite une application prudente de ce qu’ils savent.

 La connaissance obtenue par le moyen de la délibération doit être efficacement utilisée, c’est-à-dire que la raison doit imposer son jugement soigneusement formé,  elle doit déterminer le temps de l’action, doit disposer proprement les moyens en vue de la fin.   Cela demande qu’on dirige les actes futurs comme des moyens en vue de la fin qu’on se propose, de façon à ce qu’ils soient bons en eux-mêmes (la prévision du futur ou la providence), et dans leurs circonstances, et qu’on sera protégé contre les empêchements externes, qui pourraient  nuire, se tenant loin de Scylla et de Charybdis. L’homme prudent considère ses pas (Prov. X1V, 15).  Exemples.  Paul a le désir d’aider les pauvres.  Il choisit certaines façons déshonnêtes de ramasser de l’argent, et qui font scandale.   Pierre veut inciter Paul à aller à l’église.  Il lui montre en conséquence des marques d’amitié qui, à cause du caractère de Paul, n’éveilleront en lui quel la morgue et la suspicion.  Claude veut se mortifier.  Il prend la décision de jeûner, mais il entretient en même temps l’idée d’aller voir des amis qui feront tout ce qu’ils peuvent pour lui faire rompre son jeûne.  Luc prend la résolution de fournir à sa famille tout ce dont elle a besoin, et aux pauvres des aumônes.  Mais il n’a pas réussi à assurer sa propriété, à faire de bons investissements, et à faire un testament. Il en résulte donc que ni sa famille ni les pauvres n’ont obtenu ce qu’il leur destinait.  L’un manquait de prévision, un autre de circonspection. Les deux autres étaient insouciants.

 1639- Les parties subjectives ou les espèces de la providence.  Généralement parlant,  la prudence est la droite direction des actions humaines vers leurs fins,  Il y aura donc autant de sortes différentes qu’il y a de fins différentes pour les êtres humains.  Mais la division des biens se fera entre le bien particulier d’un individu,  et le bien commun de la multitude. Et c’est ainsi qu’il y a deux espèces : la prudence individuelle ou personnelle, ou la prudence sociale.

 La prudence individuelle est la direction droite des actes d’un individu, ayant en vue sa sainteté personnelle.   La prudence sociale est la conduite droite des actes des autres ou de soi-même avec en vue le bien-être général de la société.  1640 -La prudence sociale se subdivise à son tour d’après les deux classes de la société : les parfaits et les imparfaits; la prudence politique et la prudence domestique.  La prudence politique est l’administration droite des affaires d’un grand nombre, comme de l’état.  La prudence domestique est l’administration droite des affaires d’une famille,  1641- La prudence politique peut, selon la coutume, revendiquer souvent des significations défavorables et mauvaises.   En conséquence, comme nous sommes en train de considérer la vertu de prudence, nous devrions remarquer que la prudence politique est quelque chose de bien différent des méthodes politiques,  qui sont sages chez des mauvaises personnes,  mais non en bien,  même si on les nomme prudents (1651, 1674 et suiv.)  Exemples.  Des  formes mauvaises de gouvernement, comme la tyrannie, l’oligarchie, ou le gouvernement de la canaille, ne peuvent pas prétendre posséder la vertu de prudence politique, quels que soient les succès qu’ils remportent, car ils ne règnent pas dans l’intérêt du peuple. Et le souci du peuple est le commencement et la fin de la vraie prudence sociale.   Des mauvaises pratiques dans la régulation du gouvernement ou des partis politiques, comme l’usage de moyens crapuleux pour maintenir les intérêts de l’état, la corruption, les pots de vin, l’intimidation utilisés dans une élection pour obtenir d’être candidat.  Ces choses ne peuvent pas recevoir le nom honorable de prudence.  On devrait plutôt les appeler du machiavélisme  ou des politiques déshonnêtes.

 1642- La prudence exercée pour le bénéfice de la nation comme un tout, ne devrait pas se trouver seulement chez les gouvernants, mais aussi chez les citoyens privés.  On peut donc distinguer les sortes suivantes de prudence.  En ceux qui conduisent les affaires d’une nation, il devrait y avoir une prudence gouvernementale ou d’hommes d’état.  Des gouvernants, on attend une prudence de haut degré.
 

 Car la fonction de la prudence est de diriger les actions. Et les chefs d’état doivent diriger non seulement leurs propres actions, mais celles de grands corps d’hommes. L’Écriture parle de la justice et de la prudence comme de vertus qui sont spécialement requises à un prince (Jer. XX111, 5).  En ceux qui dirigent la défense de la nation contre ses ennemis, il doit se trouver de la prudence militaire, car la bravoure doit être guidée par la sagesse. Un homme sage est fort, et un homme qui sait est résistant et vaillant, parce que la guerre se mène par des commandements vrais, et il y aura de la sécurité quand il y aura de nombreux conseils. (Prov. XX1V, 5, 6).  Dans les sujets, il devrait y avoir aussi de la prudence politique, car comme ils sont des êtres rationnels et des membres de la société, ils devraient volontairement conformer leurs actes à la loi;  et ils devraient accomplir leurs devoirs particuliers non seulement en pensant à leur bien personnel, mais à celui de toute la communauté.

 1643- Utilité de la prudence pour la société. Nous voyons donc qu’aucune des vertus n’est égoïste, et qu’aucune ne recherche exclusivement le bien des individus.  Comme nous l’avons déjà dit, la prudence est politique et domestique, et individuelle.   La justice est légale (envers la société) et commutative (entre les individus).  Même la défense et le courage appartiennent au bien commun, et sont recommandés par des lois de l’état.

 1644- La prudence porte surtout sur les bonnes moeurs, mais elle s’applique aussi à d’autres biens qui sont bénéfiques à la vie humaine.  Ainsi, la prudence personnelle dirige quelqu’un non pas seulement pour qu’il recherche la vertu, mais aussi des avantages légaux; et pour qu’il fuie les choses embarrassantes et indésirables. Ainsi, l’homme prudent agit de façon à éviter les offenses, et à gagner le bon vouloir des autres.  Il étudie les tempéraments de ceux avec qui il vit, pour pouvoir vivre en paix. Il se protège contre les attaques et les pièges de ceux qui ne sont pas amicaux (act. XXX111, 6; Matt. XX11, 17).  La prudence domestique ne se soucie pas seulement des vies vertueuses des membres de la maisonnée, mais de leur santé et de leur bonheur, de la nourriture et du vêtement, et d’autres nécessités, ainsi que des plaisirs innocents (Luc V11, 42).  On exerce la prudence politique non seulement en régulant la conduite du peuple par le moyen de bonnes lois, mais en promouvant le bien-être, la paix, la prospérité et la satisfaction.   La prudence militaire pourvoit à  la religion et aux bonnes mœurs, en nommant des aumôniers, en accordant le temps voulu pour les exercices religieux, en insistant sur la discipline et les vertus militaires.  Mais elle s’intéresse aussi aux besoins des individus, à l’efficacité de toutes les branches du service, à la préparation des forces de combat.  1645-  Ni la prudence pratique ni le pragmatisme ne devraient être identifiés avec la seule poursuite de biens matériaux, puisque c’est une qualité qui informe toutes les activités humaines, de la plus basse à la plus haute, des manuelles aux intellectuelles, des temporelles aux spirituelles,  Tout comme il y a des ouvriers maladroits et  des hommes d’affaire qui ont les deux pieds dans la même bottine, il y a aussi des étudiants et des  hommes d’église qui ont le sens pratique et qui savant tirer leur épingle du jeu.

 1646- Les parties potentielles de la prudence. Comme il a été expliqué en 1636,  les parties potentielles d’une vertu sont des vertus annexes, habituellement inférieures, qui ont quelque chose à voir avec les actes secondaires d’une vertu, à laquelle ils sont subordonnés.  L’acte principal de la prudence est la direction.  Ses actes secondaires sont la délibération et la décision (1633).  Nous avons  donc ainsi les parties suivantes de la prudence.  Une délibération savante, qui est une habitude de débattre avec  soi-même selon les bonnes méthodes, les moyens à employer pour des choix vertueux.   Une décision sage qui est un état habituel de l’esprit. qui permet de tirer des conclusions droites au sujet des moyens à être choisis pour des conduites différentes. 1647- La délibération sage et la décision sage diffèrent de la prudence, laquelle est une direction sage.   Et sont sujettes de la prudence comme des conseillers sont sujets d’un commandeur.

 Est-il permis à ces trois vertus d’exister à l’état séparé ?  S’il n’est question que des naturelles dispositions, elles peuvent exister à part. Ainsi, nous trouvons que certains ont une imagination apte à découvrir  des voies et des moyens, mais que d’autres ne sont pas aussi inventifs.  Ils sont pourtant remarquables par leur gros bon sens, quand ils font un choix de moyens.  Et il y en a d’autres qui ont une telle attirance envers une telle vertu qu’ils utiliseront sans tarder les moyens qui y conduisent.  Les gens de la première classe sont bien informés; ceux de la deuxième classe, sont prompts à se décider, et ceux de la troisième sont employés avec succès dans les choses qui correspondent à leur inclination.  S’il est question des vertus elles-mêmes, elles n’existent pas à part, car un homme n’est pas prudent s’il n’est pas réfléchi comme il le devrait (s’il recherche de mauvais moyens pour atteindre une bonne fin), ou s’il ne décide pas comme il le devrait (s’il conclut qu’il fera passer avant les mauvais moyens), ou s’il ne dirige pas ses actions comme il le devrait (s’il néglige d’exécuter ce qu’il avait décidé ou de  l’accomplit sans le soin requis).  La vraie prudence est donc sage dans la délibération, dans la décision et la direction. On peu pardonner à un bon homme de ne pas être débrouillard, ou de mal juger les choses mondaines,  mais n’est pas un homme bon celui qui est imprudent face à la vie vertueuse.

 1648- Les personnes qui possèdent la prudence. La prudence politique, si on la prend au sens de la capacité de bien gouverner,  ne se trouve pas dans toutes les personnes, même pas dans tous les bons.  Ainsi, ceux qui sont imprudents dans leurs propres affaires, n’ont pas ce qu’il faut  pour gouverner.  En conséquence, un homme qui est injuste, intempérant ou lâche manque de prudence politique, Si quelqu’un ne sait pas comment gouverner sa propre maison, comment pourra-t-il prendre en charge l’Église de Dieu ?  a dit saint Paul en discutant des qualités requises pour les évêques (1 Tim 111, 5)  Celui qui ne sait pas obéir ne sait pas commander.   Ceux qui ont la grâce infuse à cause de leur état de grâce, ne sont pas nécessairement  qualifiés pour gouverner, car même les enfants ont la grâce de la prudence de par leur baptême; et il y a beaucoup de saintes personnes qui gouvernent mal.  Ainsi, le pape Célestin V, tout saint qu’il était, a résigné de son poste de pape, parce qu’il ne se sentait pas capable de gouverner l’église, la cour pontificale et la curie,  Ceux qui ont acquis de la prudence par la raison et l’expérience, et qui sont donc justes, tempérants, et forts ont la force morale suffisante pour gouverner.   Celui qui a appris à bien obéir est préparé pour bien gouverner.

 1649- La prudence politique appartient aux sujets comme aux gouvernants, mais pas de la même façon.  Ainsi les gouvernants civils devraient avoir une prudence politique  portée au suprême, degré, ou la stature d’un homme d’état, pour qu’ils puissent s’acquitter bellement de leurs responsabilités, soit en tant que législateurs,  en délibérant sagement et en choisissant des lois sages, ou en tant que juges, en interprétant et en appliquant correctement les lois.  Les citoyens qui exercent leur droit de vote devraient être dotés d’un haut degré de prudence politique.  Ils devraient être loyaux aux institutions, aux lois et au bien-être du pays.   Ils devraient être capables de former un bon jugement sur les hommes et les projets de loi qui sont les enjeux d’une campagne électorale; et prêts à voter selon leurs convictions,  plutôt que selon leurs intérêts ou leur partisannerie,  Le peuple peut pratiquer aussi la prudence politique en obéissant aux lois, ou en agissant, s’il est poussé par un devoir moral et s’il se comporte comme des êtres rationnels, non involontairement, non aveuglément.  Car  en agissant ainsi, ils se gouvernent comme des hommes libres, après avoir délibéré et décidé avec eux-mêmes comment ils peuvent coopérer au bien commun, et diriger leurs actions d’après la loi.

 1650- Les principes que nous venons de dire concernant la prudence politique s’appliqueront aussi, toute proportion gardée, à la prudence domestique.   C’est donc le devoir de ceux qui détiennent l’autorité sur une famille ou une communauté semblable de cultiver la prudence domestique, sans laquelle ils ne peuvent pas accomplir correctement les devoirs de leur position de parent, de recteur, de supérieur, de gestionnaire, d’administrateur.  Les confesseurs et les directeurs d’âmes ont tout particulièrement besoin d’être prudents, car, bien qu’ils aient parfaitement assimilé  un système moral de conscience, et les enseignements de la théologie ascétique, ils devront être guidés par la prudence en faisant usage de cette connaissance, pour être capables de les appliquer correctement dans la variété des cas qui se présenteront, en décidant ce qui  est le plus utile au bien spirituel de chacun.  C’est le devoir de ceux qui élisent des personnes à des positions d’autorité, de s’assurer d’avance de leur éligibilité, à savoir, qu’elles se consacreront au bonheur de ceux qu’elles gouverneront, qu’elles ont suffisamment de connaissances et d’expérience, qu’elles sont tempérantes, honnêtes  et justes.

 1651- Les relations entre la prudence et les autres vertus.   Dans les paragraphes précédents, nous avons associé la possession de la prudence aux vertus morales.  La question se présente donc d’elle-même :  celui à qui font défaut les vertus morales peut-il posséder la prudence ?  La prudence mauvaise qui choisit des voies et des moyens bien adaptés à des plans néfastes  et la prudence imparfaite qui désire et juge bien, mais ne sait pas prendre une ferme résolution,  ces prudences se trouvent dans les pécheurs.  On l’appelle prudence mauvaise d’après la vertu, parce que c’est une contrefaçon de la bonté de l’autre. Mais, elle porte mieux le nom d’astuce et de  fourberie,  Sa méchanceté est exprimée avec force chez saint Paul qui déclare que la prudence de la chair est la mort  (Rom V111, 6).   La prudence imparfaite est aussi un péché,  car elle permet à un droit jugement de demeurer inefficient, et d’envoyer la conscience en congé.

 Les exemples de prudence mauvaise sont l’injuste administrateur mentionné dans l’Évangile (Luc, XV1, 1) qui était assez fin finaud pour trahir son maître et assurer ses propres intérêts, et les escrocs de métier qui savent comment arnaquer leurs victimes, et se sauver sans détection.  Des exemples de prudence imparfaite se rencontrent chez ceux qui délibèrent bien sur les moyens de surmonter les assauts des tentations, ou de se défaire des occasions de péché, mais dont les résolutions ne durent pas.  La prudence indifférente est pleine de ressources pour trouver des moyens d’accomplir des projets qui sont bons, mais qui ne se réfèrent pas nécessairement à des fins morales.  Ainsi, certaines personnes du monde des affaires et de l’industrie semblent posséder un flair mystérieux pour accoucher des méthodes qui conduisent au succès, et pour les appliquer au bon moment.  On observe la même chose dans le domaine des sciences, de la médecine et de l’art.  Cette sorte de don de savoir et de faire la chose correcte est décrit diversement comme une intuition judicieuse,  et reçoit le nom de chance, génie, de savoir-faire.  Mais, moralement parlant,  ce n’est ni une vertu ni un péché.  Nous découvrons, en effet, que des hommes doués du sens des affaires ou des virtuoses du piano ou du violon emploient leurs talents tantôt pour le bien, tantôt pour le mal, selon la diversité de leurs caractères.  La prudence bonne est celle qui, en pensée et en action, opère bien,  en ce qui a trait aux moyens qui font mener une bonne vie.  Ce n’est que cette prudence qui peut recevoir le nom de vertu.  Et comme son concept le laisse entendre clairement, elle suppose une bonne vie,  nous devons en conclure que la vertu de prudence ne se rencontre pas chez les pécheurs.  Il peut arriver qu’un homme soit plus sagace pour traiter les affaires temporelles, ou plus efficace pour administrer les intérêts spirituels d’autrui, et pourtant, plus imprudent, parce qu’il néglige son propre salut.

 1652- Les péchés qui amènent à forfaire à la vertu de prudence.  On perd la prudence infuse par n’importe lequel péché morte, que le péché soit contre la connaissance obtenue par la foi, ou contre celle que lui procure sa raison.   La prudence acquise se perd par la répétition d’actes de péché mortel, qui sont opposés à la connaissance que nous donne la foi, mème par  un seul acte.  Ainsi, une personne qui, en raison de l’expérience et de la pratique  est devenue prudente pour vaincre des vices du passé, perd cette prudence si elle rejette les expériences du passé, et s’expose aux anciens dangers de péché mortel (138).  1653- Nous pouvons résumer ainsi au sujet des pécheurs et de la possession de la vertu de prudence.  Les pécheurs qui n’ont commis qu’un péché  véniel ont la prudence infuse, et aussi l’habitude de la prudence naturelle, s’ils l’ont acquise par leurs propres efforts.  Les pécheurs coupables de péché mortel contre la lumière surnaturelle (comme ceux qui pêchent contre la foi ou l’espérance), n’ont plus la vertu infuse de prudence, même s’ils peuvent en avoir la vertu acquise.  Les pécheurs coupables d’un péché mortel habituel contre la lumière naturelle, (ceux qui sont habitués de pécher contre la tempérance ou la justice, n’ont ni l’infuse ni l’acquise vertu de prudence.   Même  un seul péché mortel, même s’il n’enlève pas l’inclination de la vertu de prudence, privera quelqu’un des perfections de la vertu de prudence, laquelle demande que, dans chaque acte, il y ait un jugement agréable à la bonne volonté.

 1654- La vertu de la prudence infuse pour ceux qui sont en état de grâce. Les enfants qui sont en état de grâce  au baptême, possèdent la vertu d’une manière habituelle, mais non actuelle.   C’est-à-dore que, en raison de leur sanctification, ils possèdent un pouvoir, mais non l’usage de ce pouvoir, à cause de leur incapacité de raisonner. Tous les adultes qui sont en état de grâce ont la vertu habituellement et actuellement, dans la mesure ou le besoin d’assurer leur salut requiert son exercice, La grâce les rend capables de percevoir ce qu’ils devraient faire pout mener une bonne vie, ou de chercher des conseils chez les gens expérimentés, et de faire la distinction entre un avis qui est bon et entre un autre qui est mauvais.  Certains adultes qui sont en état de grâce on un bon jugement, bien meilleur que d’autres.  Ils sont capables de se diriger eux-mêmes, ainsi que les autres, de délibérer et de décider droitement non seulement dans ce qui se rapporte au salut éternel, mais dans toutes sortes de choses qui relèvent de la vie humaine.

 1655- Est-ce que la vertu acquise de prudence peut exister chez les enfants ?  S’il est question d’une habitude de prudence formée,  la vertu n’est pas dans le jeune, mais en ceux qui sont d’un âge avancé.  Une prudence acquise suppose la délibération sur des cas particuliers,  et par habitude. Et ces choses ne s’acquièrent pas sans expérience et temps.  En conséquence, on doit rechercher cette vertu chez les personnes âgées,  parce que ne sont plus impétueuses en eux les passions qui troublent la délibération, et aussi parce que les années leur ont enseigné plusieurs leçons, et leur ont donné la chance d’acquérir des modes fixes d’action. Dans l’ancien est la sagesse, et dans la longueur des jours, la prudence  (Job X11, 12; 111 Rois, X11).  S’il est question d’une prudence en formation, on trouve cela  chez les jeunes, parce qu’ils délibèrent et décident parfois  avec jugement et force.  Et si ces actes sont répétés souvent, ils procèderont d’une  inclination morale  fortifiée.  Il est donc nécessaire que la formation morale du jeune commence très tôt; que l’instruction, les conseils et la direction soient donnés par les parents et d’autres.  Pour que le chemin vers la vertu puisse se faire plus facilement.  Les jeunes sont tenus par  devoir d’écouter fréquemment, volontairement et respectueusement les admonitions des plus vieux.  La tendance morale des jeunes de se comporter comme des critiques de la morale, est folle et présomptueuse.

 1656- Existe-t-il une chose comme une prudence native ou instinctive ?   Si nous parlons de la connaissance des principes universels du bien et du mal qui sont appliqués par la prudence, les principes les plus généraux sont connus naturellement, même sans instruction, mais non les principes moins généraux qui découlent d’eux (320).  En général, donc, quelqu’un pourrait prétendre que la prudence est naturelle, parce qu’ à cause de ses principes naturels, elle est naturellement évidente.  Mais il est juste de dire que la connaissance des premiers principales appartient à la raison intuitive, qui est aussi appelée syndérèse,  en référence aux vérités pratiques, et qui est un don de la nature.   Si nous parlons de la connaissance particulière des fins vertueuses  que la prudence présuppose,  on peut posséder une jugement correct au sujet de ces fins, dans la mesure où les vais objectifs de la vue  humaine ne sont pas variables, mais fixes, et peuvent donc être des centres d’attraction de la nature, qui est attirée par ce qui est déterminé et invariable, comme on le voit dans les créatures irrationnelles.  En réalité, certaines personnes sont naturellement disposées pour certaines vertus.  Nous pouvons dire, en termes généraux, que la prudence est naturelle au sens où la nature prépare certaines personnes à bien juger deschoses morales,

 Si nous parlons de la connaissance particulière des voies et des moyens nécessaires pour réaliser des projets vertueux,  il n’y a pas de connaissance naturelle de cette sorte, car les chemins et les moyens qui conduisent à la modération sont infiniment variés, compte tenu de la diversité des affaires, des personnes et des circonstances.  Et puisque la prudence, au sens strict  ne s’intéresse  pas aux principes universels ni aux fins des vertus, mais  aux cas individuels, ou aux moyens particuliers à employer, il s’ensuit qu’au sens strict, la prudence n’est pas naturelle,  Mais comme nous trouvons que certaines personnes sont mieux dotées par la nature pour juger correctement des matières spéculatives,  de la même façon, certaines personnes sont supérieures aux autres dans leur capacité de raisonner  des cas pratiques, et dans les moyens qui conduisent à la moralité.

 1657- La croissance et la décroissance de la prudence.  Comme des actes répétés forment une habitude de prudence, des actes répétés fortifient une prudence déjà acquise, surtout quand l’ace principal de la prudence est mis en évidence (l’ordre que les choses sagement délibérées soient accomplies).  La prudence infuse est elle-même augmentée et perfectionnée par l’usage et la pratique.  De la nourriture forte est pour le parfait, pour ceux qui,  par l’habitude ont les sens exercés au discernement du bien et du mal (Habr. V, 14).  Comme la conscience consiste principalement dans le dictat  qui applique la connaissance de la raison au contrôle de la volonté et à  la conduite,  cette vertu se corrompt principalement par la passion.

 Nous constatons que ceux qui se laissent dominer par le plaisir ou la souffrance perdent de vue le véritable motif du choix et de l’action,  et ne s’intiment pas l’ordre que leur inspirent la prudence et leur meilleur jugement.  Ainsi, la luxure a trompé même les vieillards du peuple juif  (Dan V111, 56); et les pots de vin aveuglent même les prudents (Ex XX111, 8). La nature rend capable un homme de porter un jugement correct sur les premiers principes du  bien et du mal.   Mais quand on doit donner un jugement au sujet de différentes lignes d’action, l’homme juge comme il est. Le licencieux penchera pour la luxure, le paresseux pour la négligence du devoir.  Ainsi,  les vertus morales doivent être unies avec la prudence;  autrement, elles périssent.   Comme la prudence présuppose un fond de principes moraux, l’oubli est  un empêchement à cette vertu,  Mais pas au point que chaque perte de mémoire prive quelqu’un des arts ou des sciences.  Celui qui fera cela privera la même personne de la prudence,  Car, puisque l’art et la science consistent essentiellement de connaissances, la prudence a toujours un élément moral qui découle d’une droite inclination de la volonté vers le bien.  Et sa tâche principale est l’utilisation des principes dans la pratique.  L’homme vertueux continuera à suivre la prudence, même s’il a oublié tout l’attirail des lois morales.  Il se guidera par les bonnes habitudes formées par les conseils de ceux qui étaient plus sages que lui.

 1658- Le don de conseil.

 Les donc du Saint-Esprit apportent un supplément aux vertus théologales, en se mettant à leur service.  Mais ils suppléent aux vertus morales, dont la prudence est la première, en les aidant et les perfectionnant.  Le don qui correspond directement à la prudence est le conseil, car ils sont tous les deux intéressés à la direction des  actes , humains, la prudence dirigeant selon les normes de la raison humaine, et le conseil par le Saint-Esprit.

 1659-Définition.
 On définit le conseil comme un habitus infus qui dispose l’âme à recevoir promptement les éclaircissements faits par le Saint Esprit sur les moyens à choisir en vue du salut éternel.  Le conseil est différent de la vertu de sage délibération, dont nous avons parlé en 1646.  Car les vertus habilitent quelqu’un à faire le bien d’une manière humaine, et de sa propre initiative (en cherchant des avis, en faisant des enquêtes); mais le don rend quelqu’un capable de bien faire,  d’une façon surnaturelle, et sous la motion du Saint Esprit (en acquiesçant à l’avis donné par Dieu).  Le conseil diffère aussi du charisme de bon conseil qui rend certaines personnes des conseillers et des directeurs remarquables.  Ainsi, Mattathias dit à ses fils en mourant : Je sais que votre frère Simon est un homme de bon conseil. Écoutez-le toujours, et il sera un père pour vous (1 Macc. 11, 65). Saint Antonin de Florence réussissait tellement bien à guider ceux qui se présentaient à lui avec leurs difficultés, qu’on l’avait appelé : Antonin des conseils.  Le but du don est de rendre service à son possesseur; et il est donc la possession de tous les justes. Mais le charisme est pour le bénéfice des autres, et Dieu le répand seulement sur ceux qui ont une mission particulière pour la  direction et à l’assistance du prochain.

 1660- Les sujets ou les matières du conseil. Le sujet ou la matière du conseil embrasse tout ce qui appartient au salut, autant les choses qui sont commandées, que celles qui ne sont pas nécessaires, et qui ne sont que conseillées.  1661- Le don de conseil peut parfois engager quelqu’un  dans des parcours singuliers et extraordinaires. Mais, puisque la règle apostolique demande qu’on ne prête pas sa foi à n’importe lequel esprit, même venant de Dieu (1 Jn 1V, 1; 1 Thess. V, 21), ceux qui se sentent appelés à un genre de vie inhabituel devraient soumettre leur projet de vie au jugement de l’Église.  Lève-toi et va dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire  (Act. 1X, 7).

 1662- La béatitude et les fruits qui correspondent au don de conseil.  Le conseil conduit quelqu’un à tous les moyens qui sont utiles pour atteindre la vie éternelle, mais surtout aux actes de miséricorde.  Car, comme le remarque saint Augustin,  Sans montrer de la pitié aux autres, nous ne pouvons pas être libérés de nos propres maux. La cinquième béatitude est donc apparentée au conseil.  Bénis soient les miséricordieux, car ils obtiendront la miséricorde (Matt. V, 7).

 Le conseil est pratique, et son dernier résultat ne pourra être qu’une action.    Les actes que sa vue pénétrante produit d’une façon spéciale sont les actes de miséricorde.  Et les actes de miséricorde sont doux et agréables, quand  ils sont accompagnés par  un amour d’empathie des affligés, et un service joyeux et généreux de leurs besoins.  Ils appartiennent donc à la miséricorde les deux actes ou fruits délectables du Saint Esprit mentionnés en Galat V, 22, et appelés bonté (la bienveillance interne) et  charité (la bienfaisance externe).

 1663- Les péchés contre la prudence.  Il y a deux classes de péchés opposés à la prudence.  Manifestement opposés sont ceux qui consistent dans un manque d’actes ou de conditions que requiert la prudence.  On peut les appeler des péchés d’imprudence, ou des péchés qui offensent la prudence,  du fait du non usage.  Semblablement,  reliés avec la prudence sont ceux qui consistent dans une application erronée des actes  ou des conditions de la vertu.   On peut les appeler des péchés de pseudo prudence,  des péchés qui offensent la prudence par le moyen de l’abus.   Nous parlerons d’abord de l’imprudence, et ensuite de la pseudo prudence.

 1664- Les sortes d’imprudence.  Considérée négativement, l’imprudence n’est rien de plus que l’absence de prudence, et elle n’est pas nécessairement un péché.  Ainsi, les enfants et les jeunes, sans faute de leur part, sont imprudents négativement, bien que leur manque de prudence puisse remonter au péché originel.  Considérée privativement,  l’imprudence est l’incapacité d’avoir la prudence habituelle qu’on peut et qu’on doit posséder.  Cet échec tient au fait qu’on n’a fait aucun effort pour se former par des études, des sermons, des instructions, de façon à être capable d’agir prudemment quand l’occasion se présente.  On peut donc réduire l’imprudence privative au péché de négligence, en tant qu’elle est opposée à l’application et la sollicitude (1634).  Elle est aussi opposée à la prudence, comme nous le verrons.

 Considérée comme contraire à quelque chose,  l’imprudence est l’omission volontaire d’un acte ou d’une condition demandé par la prudence (comme quand quelqu’un  est si friand d’amusements qu’il ne prend pas le temps de réfléchir sur un sujet important, ou le fait avec précipitation), ou la commission volontaire d’un acte qui exclut un autre acte, ou une condition de la prudence (comme quand quelqu’un méprise la réflexion, ou décide d’agir contre les règles de la prudence.)   Cette sorte d’imprudence est un péché mortel, quand elle éloigne des choses nécessaires au salut.  Autrement, c’est un péché véniel,

 1665- La culpabilité de l’imprudence. L’imprudence est-elle un péché général,  c’est-à-dire un péché inclus dans toutes les sortes de péché ?  L’imprudence n’est pas incluse dans toutes les sortes de péché, au sens où elle formerait une partie de la nature-même de chaque sorte de péché.   Car, comme la prudence a ses actes spéciaux (de diriger d’après la raison), qui sont distincts de ceux des autres vertus, l’imprudence a ses défauts spéciaux qui n’appartiennent pas à d’autres sortes de péché.  L’imprudence est incluse dans n’importe laquelle sorte de péché, dans le sens que tous ceux qui pêchent agissent imprudemment.  Car, comme on n’agit pas vertueusement à moins que la prudence ne nous dirige, on n’agit pas méchamment, à moins qu’il n’y ait un défaut dans la délibération, la décision et la direction données par la raison. 1666-   On devrait noter que bien que les défauts contre la délibération, la décision et la direction soient différentes sortes d’imprudence, ils ne forment pas des espèces différentes de péché, s’ils se rapportent tous à un but mauvais.  En conséquence, si une personne a mal délibéré, mal décidé et a mal agi en se demandant si elle pouvait frapper un prêtre,  elle n’a qu’un péché à accuser en confession, celui d’avoir porté sur un prêtre des mains sacrilèges.

 1667- Le péché de précipitation.  Le péché de hâte ou de précipitation passe par-dessus ou précipite le processus de délibération qui doit précéder toute action. Il accorde peu ou pas  d’importance au souvenir des expériences passées, à la compréhension des conditions présentes, ou à la prévision du futur. Il ne donne pas à une question le temps voulu pour qu’on l’étudie, ou pour qu’on consulte.    Elle est de deux sortes,  ordinaire ou arrogante.  La précipitation ordinaire provient d’une forte inclination de la volonté ou des passions, comme quand quelqu’un parle en colère, avant d’avoir réfléchi aux conséquences sérieuses de ses paroles; ou se marie sans réflexion, ou achète un objet sans en connaître la valeur;  ou tombe d’accord sur une chose qui demeure pour lui dans la noirceur.  Les deux testaments et les proverbes condamnent ce péché.  La précipitation arrogante  provient du mépris de la loi, comme quand quelqu’un méprise une loi au point de la violer sans la moindre hésitation ou réflexion.  Ce péché appartient à l’orgueil aussi  bien qu’à l’imprudence. Dans différentes censures, le mot arrogance ou témérité a le sens qu’on lui donne ici, comme quand l’excommunication est prononcée contre les violateurs opiniâtres de la loi

1668- Le péché d’irréflexion.   Le péché d’irréflexion ou de manque de délibération est une négligence ou un mépris des moyens aptes à arriver à une décision sage.  C’est une incapacité de faire usage de la compréhension droite qui examine bien les cas particuliers qui sont devant elle, qui les étudie et les mesure à la lumière des premiers principes.  Il est donc coupable d’irréflexion celui qui ne fait pas tout ce qu’il faut pour juger correctement d’un devoir.  Il n’est pas excusé de toute responsabilité s’il remet le tout à Dieu.   Car c’est tenter Dieu qu’attendre de lui qu’il fasse ce qu’on ne veut pas faire (Prov. 1V, 25.  Il n’est pas coupable d’irréflexion celui qui n’a pas la possibilité de juger, ou qui a été pris de court.  Il n’est pas non plus coupable de tenter Dieu, si, dans ces grandes difficultés, il remet tout à la providence.  Ainsi, quand plusieurs nations s’étaient réunies pour se battre contre Juda, le roi Josaphat pria : Comme nous ne savons pas quoi faire, nous ne pouvons que tourner nos yeux vers toi (11 Par XX, 12).   Et notre Seigneur a promis une aide spéciale pour les disciples en cas de besoin, c’est-à-dire, quand ils ne pouvaient pas s’en sortir par eux-mêmes (Matt. X, 19).

1669- Le péché d’inconstance.  Le péché d’inconstance ou de girouette,  se commet quand, à cause de la colère, la jalousie ou une autre passion désordonnée, la raison répudie ce qui avait été correctement décidé, et ne met pas en pratique des jugements qui avaient été correctement posés.. Isaïe 37, 3.  De l’inconstance provient l’incontinence.

1670- Les causes des péchés de précipitation, d’irréflexion et d’inconstance.  Tout désir désordonné emporte avec lui ces péchés,  en détournant d’un bon objet et  en proposant un mauvais.  L’expérience montre que les avaricieux, les ambitieux, les colériques et les jaloux n’écoutent pas la raison, mais agissent imprudemment. Quand il y de l’envie et de la contention,, il y a de l’inconstance (Jacques 111, 16).  Le désir du plaisir, surtout le vénérien, est fatal à la prudence  en éteignant le jugement de la raison.  L’intelligence est immatérielle et se délecte des vérités abstraites, alors que les plaisirs sensuels sont immergés dans le matériel et le sensible.  En conséquence, les péchés de la chair font plus de tort à la prudence que les péchés spirituels.  L’homme sensuel n’écoute pas la raison; il ne l’entend même pas.  Vénus vole la raison, a dit Aristote, et cette vérité est parfaitement illustrée par l’histoire du roi Salomon.

1671- Le péché de négligence. Le péché de négligence est opposé au sens de responsabilité ou de diligence, et consiste dans l’incapacité de la raison de diriger un acte proprement, ou une circonstance de l’action, dont nous sommes obligés de tenir compte.  La négligence est un péché général du fait qu’elle n’a pas de matière propre, comme une passion à modérer  (comme c’est le cas avec la tempérance ou la force), ou une action à réguler, (comme c’est le cas avec la justice). Les actes de la raison devraient s’étendre à toute sorte de matière.   On peut donc être négligent ( et inconstant, irréfléchi, soupe-au lait ) par rapport à n’importe laquelle passion ou action.  C’est un péché vraiment spécial  en tant qu’il s’oppose au soin attentif, lequel est un acte spécial de la prudence.

1672- La négligence est distincte des péchés qui suivent.  De la paresse et de la tiédeur, qui sont des défauts de l’acte externe, tandis que la négligence est un défaut de l’acte interne (1325, 1327).  Des péchés d’omission qui appartiennent aux actes externes.  Ils  sont des résultats de la négligence, et sont opposés à d’autres vertus que la prudence (la négligence à payer ses dettes est opposée à la justice).   De l’inconstance, qui n’arrive pas à commander un acte qu’on est tenu de faire, comme si elle était empêchée de le faire.  La négligence, elle, faillit parce qu’il y a un manque de prompte décision dans la volonté.  L’homme inconstant dévie facilement; le négligent est lent à décoller.

1673- La culpabilité de la négligence.  Un péché mortel est commis quand est omis, à cause d’elle, un acte ou une circonstance nécessaire au salut,  (quand un débiteur remet de jour en jour le paiement de sa dette, et, à cause de cela, cause un grand tort). Ou si elle provient du mépris ou du fait de préférer une créature à Dieu.  C’est un péché véniel quand n’est pas nécessaire pour le salut l’acte omis ou la circonstance omise (quand un juge cause une certaine injustice  par sa procrastination.), ou si la négligence provient d’un manque de ferveur.

1674- La fausse prudence.  Jusqu’à maintenant, nous avons considéré les péchés d’imprudence.  Nous allons maintenant parler des péchés de fausse prudence qui retournent à des mauvais objets les actes que la prudence utilise pour le bien;  ou qui emploient de façon  désordonnée le soin modéré que prend la prudence.  Il y a donc plusieurs sortes de semblants de prudence.  La prudence est en amour avec la fin de la vertu comme la fin de la vie, et fait de ce bien le pôle d’attraction de tous ses actes.   La prudence délibère et juge les moyens bons et loyaux de sa fin.  L’astuce délibère et juge comment elle pourrait se servir de moyens mauvais.  Et elle emploie l’arnaque et la fraude pour accomplir ce qu’elle a décidé.  La prudence se soucie surtout du spirituel, mais avec modération.   Le souci des choses temporelles ou du lendemain est plus anxieux du fait qu’il porte sur les choses temporelles, ou développe une anxiété indue  au sujet des choses spirituelles.

1675- La prudence dont la fin est mauvaise est le péché de ceux qui conseillent,  jugent  et dirigent correctement au sujet des moyens qui permettent d’acquérir des biens temporels, dont ils ont fait le but suprême de leur vie.  Ce péché reçoit l’appellation générique de prudence  de la chair (Rom V111, 6); là où les aspirations de la chair sont en guerre avec les aspirations de l’esprit.  Mais on la distingue parfois d’après les différentes sortes de choses créées, dans lesquelles la fausse prudence met son nez; ou d’après les différentes sortes d’attirance qu’exercent les choses créées.  Ainsi, ceux qui aspirent surtout à des biens internes (plaisirs corporels, santé) possèdent la prudence de la chair.  Mais ceux qui soupirent surtout après les biens externes (de beaux habits, des colliers de perles, des domaines) ont la prudence de ce monde. Les enfants de ce monde sont plus prudents que les enfants de la lumière (Luc, XV1, 8).

Nous pourrions aussi diviser la prudence qui recherche une mauvaise fin, en terrestre, animale et diabolique, d’après la triple source de tentation, comme il a été expliqué en 1623). 1676-  La culpabilité de la prudence de la chair.   Si on entend la prudence de la chair au sens strict, en tant qu’elle désigne la condition de ceux qui mettent dans les choses de ce monde la fin de leur existence,  elle est un péché mortel.  Car il est impossible d’avoir deux fins dernières, ou de servir deux maîtres dont les intérêts sont opposés. La sagesse de la chair est une ennemie de Dieu, car elle n’est pas soumise à la loi de Dieu, et ne peut pas l’être (Rom V11, 7).  Si on entend la prudence de la chair dans un sens moins strict, comme signifiant la conduite de ceux qui font de Dieu leur fin suprême de leurs vies, mais qui, dans une transaction financière, choisissent habilement un plan en vue d’une fin particulière,  qui ne cadre pas parfaitement avec la droite raison, elle n’est alors qu’un péché véniel.

Exemple. Un hôte a le sens pratique, et il n’éprouve aucune difficulté à se procurer ce dont il a besoin, et à faire les préparatifs d’un banquet  dans lequel les invités se comporteront avec une  grande licence..  Si ont entend sagesse de la chair dans un sens large et impropre, comme signifiant le souci du corps et de choses temporelles, pour qu’elles finissent bien, il n’y a pas  de péché,  là,  mais de la vertu.  Une personne qui respecte sa diète pour pouvoir conserver sa santé et pour être capable de travailler plus efficacement et plus fructueusement, est vertueusement prudente.  L’emploi du mot prudence de la chair pour ces deux derniers exemples est inadéquat et trompeur.

1677- L’astuce, la tromperie et la fraude.  La prudence dont les moyens sont mauvais est le péché de ceux qui planifient habilement et mettent sur pied des méthodes et des moyens mauvais pour obtenir une fin désirée, même si elle est bonne.  La planification des moyens mauvais par lesquels un projet peut être réalisé avec succès, est le péché d’astuce.   Et ceux qui sont doués pour ce genre de choses manigancent ou ourdissent en secret.  Le conseil des Juifs contre le Christ, et le pot de vin des gardes du sépulcre, sont des exemples d’astuce.  La mise en application de plans astucieux peut se faire par la violence ou dans le plus grand des calmes.  Mais comme le mal aime se cacher, et  passer pour le bien,  pour ne pas compromettre le succès de ce qu’il entreprend, ceux qui trament des complots en secret ont habituellement recours à la tromperie et à la fraude.  L’essai de Lord Bacon sur la dissimulation est une bonne description de la méthode de la politique mondiale.

1678- La tromperie ou la ruse est l’emploi secret de moyens mauvais dans le but d’en imposer aux autres, et d’obtenir les avantages visés.   Ainsi, elle a une application large, et inclut la fraude parmi d’autres usages de moyens illégaux.  Mais on peut distinguer la tromperie de la fraude.   La tromperie est l’exécution d’un plan astucieux par des mots calculés pour tromper ou circonvenir une autre personne.   Les mots sont les moyens principaux de communication entre les hommes.  Voilà pourquoi  la tromperie est plus fréquente que la fraude.   Des exemples de tromperie sont les pièges savamment élaborés pour le Seigneur par les Pharisiens (Jn V111, 3), et le paiement du tribut (Matt. XX11, 17).  Leur but était d’obtenir des preuves qu’il parlait contre la loi.  La fraude est la mise en exécution de plans astucieux, par des moyens et des actions déshonnêtes, comme quand quelqu’un triche en n’observant pas les lois d’une partie; ou fraude en vendant des biens de qualité inférieure;  ou gagne faussement l’amitié des autres. 1679-   La tromperie peut servir pour l’obtention de bonnes ou de mauvaises fins.  Et c’est ainsi que saint Paul a désavoué la pratique de persuader les hommes d’embrasser la foi, en faisant appel à leurs préjugés ou en édulcorant l’Évangile. Nous renonçons aux choses cachées de la malhonnêteté, sans marcher dans la ruse, sans fausser  la parole de Dieu, mais par la manifestation de la vérité, recommandant à tout homme la droiture à la vue de Dieu (11 Cor 1V, 2).

1680- La gravité des péchés d’astuce, de tromperie (ruse) et de fraude dépend du caractère de l’objet,  de la fin et des circonstances.   Ainsi, à cause de l’objet, le péché est grave quand les moyens choisis sont vraiment mauvais (de sérieuses calomnies); il est véniel quand les moyens sont légèrement mauvais (des mensonges contre des choses sans importance).  Eu égard à la fin, le péché est mortel quand on a l’intention de perpétrer une offense sérieuse (des ruses raffinées pour trouver le moyen d’entrer dans une maison et de voler);  il est véniel quand l’intention n’est pas mauvaise (tricher aux cardes pour remporter une petite somme d’argent).  Si on considère les circonstances,  le péché devient mortel à cause d’un grave défaut ou d’un désordre dans l’acte, qui provient de la condition du temps, du lieu et des personnes.   Ainsi, il pourrait facilement y avoir un grand scandale si une personne en autorité avait la réputation de mentir habituellement, selon que le demandaient ses intérêts.

1681- La sollicitude.  Une autre forme de fausse prudence est la sollicitude, c’est-à-dire un souci désordonné des choses temporelles ou du futur.  Sa culpabilité apparaît de ce qui suit.  Notre seigneur condamne la sollicitude (l’inquiétude) Ne vous souciez pas du lendemain, car il prendra soin de lui-même.  A chaque jour suffit sa propre peine (Matt. X1, 31, 34).   La sollicitude recherche les choses temporelles sans la modération que requiert la raison.  Elle n’estime pas le spirituel à sa vraie valeur, et ne met pas sa confiance dans la divine Providence.  Sans que l’homme ne se soit soucié de rien, Dieu répand sur lui le don de la vie, pourvoit aux besoins des  animaux et des plantes, dirige toute la création inanimée.  Il est donc déraisonnable de se tracasser et de rager  au sujet des choses temporelles,  comme si Dieu ne pouvait ni ne voulait s’en occuper (Matt. V1, 25).

1682- Cas de sollicitude coupable envers les choses temporelles.  La sollicitude est un péché en raison des choses poursuivies, si l’on fait des biens temporels la fin de sa vie.  Comme quand on pratique la religion comme on traite une affaire, c’est-à-dire, à cause des avantages mondains qu’elle procure.  La sollicitude est un péché si l’on a un  désir immodéré d’obtenir quelque bien, comme quand on recherche les biens temporels avec une telle frénésie,  que le bien spirituel en souffre; quand on consacre tellement de temps et de pensées aux affaires, à la politique, à la vie sociale, aux arts et à la science,  que la religion tient de moins en moins de place dans la vie. Les soucis du monde étouffèrent la semence (Matt. X111, 22).  La sollicitude est peccamineuse quand on a une  peur bleue de perdre un bien temporel; quand on est détourné de la religion par la pensée que la fidélité à la vertu implique le sacrifice des choses nécessaires à la vie.  Exemples. Des gens qui ne vont jamais à l’église ou ne font jamais d’offrande au prêtre, de peur de perdre du temps ou de l’argent; ou qui prennent des pilules anticonceptionnelles pour se délester du  fardeau d’avoir à faire vivre une famille.

 1683- Cas de sollicitude légale.  Quand la fin est un bien temporel de bon aloi, la sollicitude modérée n’est pas seulement permise, elle est un devoir  dicté par la prudence. Ainsi un homme qui travaille avec assiduité,  fait des économies, et dépense raisonnablement pour son entretien et celui de sa famille, de sa maison et de son entreprise, est prudent au vrai sens du terme, pourvu qu’il ne pense pas qu’à faire de l’argent, ou qu’il brasse des affaires sans anxiété.  On doit s’occuper du travail, mais l’anxiété doit être bannie (Saint Jérôme).   Quand la fin est spirituelle, une sollicitude modérée est aussi un devoir. Saint Paul se faisait du souci pour ses églises (11 Cor X1, 28); Timothée pour les Philippiens (Phil 11, 21).   Ceux qui sont chargés de faire l’aumône devraient prendre soin des biens destinés aux pauvres.

 1684- Cas de sollicitude coupable portant sur le futur. La sollicitude est coupable à cause de la fin proposée, quand quelqu’un fait son Dieu des biens temporels, et vit donc dans l’anxiété à la pensée de l’avenir.   Comme quand quelqu’un s’est donné pour but d’obtenir des honneurs, en se servant de moyens bons ou mauvais, et est agité et tourmenté à la pensée qu’ils lui filent entre les doigts.  La sollicitude n’est pas permise si elle est accompagnée de désirs immodérés,  comme quand quelqu’un aspire à plus qu’il ne mérite.  Comme quand quelqu’un qui est suffisamment nanti, s’affaire à trop de choses, et compromet sa santé et sa paix pour être plus riche dans l’avenir.  La sollicitude peut être mauvaise quand on agit à contre temps.  Comme quand  on anticipe la saison par inquiétude : c’est-à-dire,  quand un cultivateur s’inquiète de la moisson pendant les semailles; et des semailles pendant la moisson.  Ceux qui prennent au sérieux les prédictions des horoscopes,  ou ont le pressentiment de terribles calamités hypothétiques  (la destruction imminente du monde) ou de maux qu’on ne peut pas prévenir (la mort), sont, eux aussi, coupables de sollicitude déplacée.

 1685- Cas de sollicitude légale portant sur le futur.  Quand la fin est un bien temporel permis, il est bon de conserver une sollicitude modérée pour le futur.  Car la providence du futur est une partie de la providence (1654).  La sainte Écriture n’a que des louanges pour la fourmi  qui, pendant l’été,  grapille sa nourriture pour l’hiver (Prov. V1, 6). Joseph engrangea des centaines de minots de grains (Gen, X11, 34).  Notre Seigneur assigna à Judas la tâche de l’économat, pour lui et ses disciples. Les apôtres conservèrent, pour être dépensées plus tard,  les offrandes qui venaient de la vente des champs (Actes 1V, 34, 35).  Quand la fin est spirituelle, une sollicitude raisonnable est acceptable.  C’est ce qu’on a vu dans la conduite des premiers chrétiens,  qui recueillaient des aumônes à l’avance,  pour avoir les moyens de passer au travers d’une famine prédite (Act. 11, 27),

 1686- La fausse prudence et l’avarice.  Les péchés de fausse prudence sont causés surtout par l’avarice.  Ce sont des péchés dans lesquels la raison joue un grand rôle, même si elle n’est pas affectée à un bon usage.  En conséquence, ils ne proviennent pas des vices charnels ou de la lâcheté, lesquels obscurcissent la raison.  L’avarice, au contraire, raisonne beaucoup sur ce qu’elle peut obtenir et garder.  Elle est rusée, astucieuse, attentive et prévoyante.  Il y a des péchés qui ont recours à la tranquillité et au secret;  ils ne sont donc pas semblables à l’orgueil, à la vaine gloire et à la colère, qui cherchent à être vus et aperçus.   Mais l’avarice met le profit au dessus des considérations de gloire ou de vengeance.  Elle préfère être sans renom et supporter des affronts,  plutôt que de perdre des profits.

 1687- Les commandements de la prudence.  La prudence n’est pas commandée expressément dans le décalogue, mais il y a des préceptes qui concernent cette vertu dans d’autres parties de l’Écriture.      La prudence ne fait pas l’objet d’un commandement dans le décalogue, parce que les dix commandements portent sur les fins des vertus qui sont évidentes à tous; tandis que la prudence porte sur les moyens aptes à  pratiquer la vertu.  La prudence est recommandée dans plusieurs endroits de l’Écriture.  Sois sage.  Et avec toutes tes possessions achète la prudence (Prov. 1V, 7). Marche dans le chemin de la prudence (ibid. X, V1).  Achète la prudence, car elle est plus précieuse que l’argent (ibid. XV1, 16).  Soyez prudents comme des serpents (Matt. X, 16), Dites les choses qui se rapportent à la saine doctrine.  Que l’homme âgé soit sobre, chaste, prudent (Tit. 11,  1, 2). Soyez prudents. Soyez sur le qui vive en priant. (1 Pi 1V. 7).
 
 

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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction

Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.

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