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John A. McHugh, o.p. - Charles J. Callan, o.p.
THEOLOGIE MORALE un cours complet selon saint Thomas d'Aquin et les meilleurs auteurs modernes

Imprimatur Francis cardinal Spellman, Archbishop of New York, New York, May 24, 1958
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ARTICLE 2
LA VERTU DE JUSTICE
                                 (somme théologique, IIa-IIae, qq. 57-60)

 1688- Après la prudence, vient la justice. Cette vertu régule les actions humaines, et rend aux autres leur du. Elle l’emporte donc sur la force et la tempérance qui gouvernent les passions, et rendent l’homme vertueux à l’endroit de ses passions seulement, mais pas ce celles des autres.  L’ordre logique veut donc que la justice précède la force et la tempérance.

 1689- La nature de la justice.  En Dieu, la justice est un attribut en vertu duquel il traite ses créatures de façon à ce qu’elles n’aient pas de reproche fondé à lui adresser. Sa propre justice le soutient. Il revêt la justice comme  un pectoral. (Is L1X, 16, 17).  Dans l’homme, c’est la bonté envers Dieu, et envers le prochain.  Et l’Écriture lui donne des noms très sérieux, comme justice, équité, vérité,  droiture. Au sens large, la justice signifie la vertu générale de sainteté, ou la réunion de toutes les vertus, comme quand notre Seigneur dit :  Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de justice (sainteté) (Matt. V, 6).  La sainteté, en tant que vie surnaturelle communiquée à l’âme, est appelée aussi justice et justification. La justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ, à tous ceux et sur tous ceux qui croient en Lui (Rom. 11, 22).

 Dans un sens strict, elle signifie une vertu morale spéciale qui consiste dans une ferme intention de la volonté de donner à chacun ce lui est du, ou ce qui est droit. Aimez la justice, vous les juges de la terre (Sag, 1,1). Si dans chaque action vous appliquez la justice (Ps. LV11, 2).  C’est dans sons sens  strict, que le mot justice est ici employé.

 1690- Définition du droit. Droit signifie originairement ce qui suit la voie droite, ou ne dévie pas de la vraie norme, comme dans les expressions : tout droit, être dans le droit.  Mais, dans les matières morales, le droit a la signification dérivée de ce qui est bon, approprié et convenable.  Et, en général, il est de deux  sortes, objective et subjective, l’une étant le fondement de l’autre.  Le droit objectif  est celui qui est prescrit par la loi, ou c’est la loi elle-même en tant que règle et norme de ce qui doit être fait, surtout dans les relations des hommes entre eux.  En ce sens, il y a un double droit, naturel et positif, selon que c’est la raison ou la libre volonté qui impose une loi (286-296).  Le droit subjectif est cette relation introduite entre les hommes par le fait des lois qui règlent leur conduite mutuelle;  qui donne à quelqu’un une autorité d’exercer certains pouvoirs (le droit actif, celui qui est proprement appelé droit.); et impose à un autre la nécessité de respecter son autorité (le droit passif, le devoir).

 1691- Le droit proprement dit se définit comme le pouvoir moral de faire ou de posséder quelque chose.   C’est un pouvoir moral, c’est-à-dire un pouvoir créé par la loi morale qui donne à l’un un vrai titre, et qui interdit aux autres d’intervenir dans le plaisir qu’il en prend et dans  l’usage qu’il en fait.  Ce n’est pas un pouvoir physique, car la force ne fait pas le droit.  Au contraire, celui qui a le pouvoir moral est parfois empêché de l’exercer par celui qui a le pouvoir physique. Ce n’est pas non plus un simple pouvoir légal, ou une capacité d’agir validement à l’intérieur des lois.  Mais un pouvoir d’ordre éthique qui habilite quelqu’un à agir licitement devant Dieu et sa conscience.   C’est un pouvoir de faire et d’avoir. Il inclut aussi le pouvoir moral d’interdire une action (se reposer le dimanche), de requérir qu’un autre agisse (me rembourser ce qu’il me doit), ou d’interdire une action (sortez de ma propriété), alors que l’autre inclut aussi le pouvoir d’acquérir, de se servir de, de transférer etc.

 1692- Les divisions du droit.   En raison de son origine, ou de la loi dont il procède, un droit est soit naturel (le droit à la vie, à la liberté, à la poursuite du bonheur), soit positif divin (le droit de recevoir les sacrements), soit positif humain (le droit qu’ont les paroissiens que le curé dise la messe pour eux; le droit qu’ont les citoyens de voter et qu’on vote pour eux).  En raison de son terme ou du pouvoir qu’il confère, un droit est strict (légal) ou non strict (moral).  Quelqu’un possède un droit strict quand ce  qui lui est du est quelque chose de commun à tous  qui doit être distribué, et quand la personne en question est un digne membre de cette communauté (le droit d’être nommé à un poste par le gouvernement), ou à cause de la vertu (le droit de recevoir de la gratitude pour services offerts), ou de la perfection de la vertu (le droit d’être traité libéralement et affablement, ou de  l’amitié des autres).

 1693- On subdivise les droits de la façon suivante.  En raison de leur objet, certains droits sont absolus, ou se basent sur la nature seule (le droit d’un enfant au soutien de ses parents provient d’une source  naturelle).  Ou ils sont relatifs, en tant qu’ils sont basés sur la nature dans sa relation avec des faits concrets et contingents (le droit d’un propriétaire à la possession personnelle de sa terre provient de la nature de la terre qui a été faite pour servir l’homme, et du fait contingent que, en règle générale, elle ne peut pas servir l’homme sans la propriété privée.)   En raison de leur origine, certains droits sont innés, c’est-à-dire qu’ils ont été accordés à la naissance, du fait même de la nature humaine (le droit à la vie pour l’enfant nouveau-né). D’autres sont acquis, c’est-à-dire qu’ils ont été obtenus au cours du temps par un fait contingent.   Ainsi, des titres aux biens de la fortune que le propriétaire est le premier à posséder (des titres originaux) s’obtiennent par l’occupation ou l’entrée en possession; les titres aux biens possédés par d’autres (titres dérivés) s’obtiennent par la prescription, l’héritage, le contrat.  En relation  à leur fermeté, certains droits sont aliénables, c’est-à-dire qu’ils sont tels qu’on peut y renoncer, ou les remplacer légalement, puisqu’ils ne sont pas obligatoires (le droit de repousser la tentation, de servir Dieu).

 1694- Les signes qui permettent de distinguer les droits stricts et non stricts.  Ce à quoi l’homme a un droit strict fait partie de lui comme lui appartenant en propre.  En conséquence, cela peut être déterminé ou déterminable.  Le droit d’un mendiant de recevoir de l’aide de quelqu’un n’est pas un droit strict, puisqu’il ne peut être revendiqué contre rien ni personne.  Mais le droit d’un créancier est un droit strict, puisqu’il peut l’invoquer contre un débiteur pour recouvrer son argent.   Ce à quoi quelqu’un a un droit strict lui apparient en justice; et ce droit peut être réclamé par des moyens légaux, ou en cas de besoin, par la force physique.  Le droit d’un enfant de ne pas être offensé par la distribution de présents faits par les parents; le droit de quelqu’un, qui a eu une dispute avec un autre, que cet autre accepte ses avances de réconciliation; et le droit d’un bienfaiteur que les bénéficiaires montrent des signes de gratitude etc.,  tous ces droits ne sont pas des droits stricts, parce qu’on ne peut pas les faire valoir dans une cour de justice.  Mais le droit d’un employé contre son employeur  est un droit strict, parce qu’il peut  le faire reconnaître par des moyens légaux.  On devrait noter qu’un droit strict en est un qui est accordé comme un pouvoir propre, exclusif, inattaquable,  par n’importe laquelle loi, naturelle ou positive.  Et que le fait que la loi humaine ne reconnaît  pas un droit (le droit provenant d’un contrait bon naturellement, mais non légalement défendable; le droit des parents au respect de leurs enfants)  ne prouve pas que ce droit n’est pas strict.

 1695- Un droit strict d’avoir ou de posséder est ou dans la chose ou en relation à la chose.  Un droit dans une chose (un droit réel ou complet) est le droit à quelque chose que  quelqu’un a déjà légalement, comme quelque chose lui appartenant. (Le droit qu’a Paul dans le salaire que lui paie Pierre).  Un droit en relation à une chose (un droit personnel ou frustre) est le droit auquel quelqu’un peut prétendre comme à quelque chose lui appartenant (le droit que Paul a de recevoir le salaire que Pierre lui a promis).
1696- La mise en vigueur (la reconnaissance légale) légale des droits stricts.  Le droit à une chose autorise le recours à une action réelle, c’est-à-dire à poursuivre en cours la chose elle-même, sans tenir compte de l’endroit où elle se trouve, ou de la personne qui la retient, comme quand on intente un procès pour recouvrer sa propriété, pour que soit condamné le possesseur illégal.  Car la chose est immédiatement et juridiquement liée a celui qui en a le droit, puisqu’elle lui appartient.

 Le droit relatif à une chose habilite quelqu’un à faire valoir sa réclamation devant les tribunaux, c’est-à-dire à intenter un procès à une personne envers laquelle elle a des sujets de plainte  du fait d’un contrat, d’une relation domestique ou d’une position fiduciaire.  Comme quand quelqu’un va devant un juge pour recouvrir ses biens, en raison du non accomplissement des conditions d’un contrat. 1697- Le droit à la propriété de la chose est parfait ou imparfait.  Un droit parfait (un droit de possession totale) est celui qui rend cabale d’exercer toutes les prérogatives de la possession, c’est-à-dire de disposer à son gré d’un objet (de le vendre, de le prêter, de s’en débarrasser), de s’en servir (d’occuper une maison, de faire des aménagements en elle, de la jeter par terre), et d’en exclure les autres (de mettre une clôture autour de sa maison pour éloigner les curieux).   Un droit imparfait existe quand on a un droit restreint  de disposer de ses propres biens.  Par exemple,  Quand quelqu’un est empêché par les vœux de religion d’utiliser une propriété qui lui appartient; ou quand quelqu’un a le droit d’usufruit sans avoir le droit de disposition.   Exemple.  Quand quelqu’un n’a pas l’autorisation de faire des modifications permanentes dans la maison qu’il occupe come locataire.  Ou quand quelqu’un a les autres droits de propriété, mais n’a pas celui d’exclure les autres.  Par exemple,  quand quelqu’un n’a pas le pouvoir d’empêcher des moutons de brouter l’herbe de son gazon.

 1698- Le sujet de la justice, ou la faculté de l’âme dans laquelle elle existe.  La justice n’est pas dans l’intelligence, car on ne nous appelle pas justes parce que nous connaissons correctement quelque chose.  Elle n’est pas non plus dans l’appétit sensitif, puisqu’une faculté sensorielle ne saisit pas les relations qui existent entre les droits et les devoirs.  La justice est donc dans l’appétit rationnel ou dans la volonté.

 1699-  Les objets ou les sujets matières de la justice.  L’objet matériel de la justice (toutes les choses avec lesquelles elle a affaire) consiste, lointainement dans les choses externes qui sont les objets d’échanges et de distribution parmi les hommes; et, prochainement, dans les actions par lesquelles elles sont échangées et distribuées.  L’objet formel de la justice (ce qu’elle désire principalement quand elle traite avec son objet matériel) est que soient respectés  les droits des autres, ou leur pouvoir moral inviolable de faire, d’avoir et d’acquérir.  La justice diffère donc de la charité, car la charité est due aussi à nous-mêmes, mais la justice, seulement aux autres.   La charité considère le prochain comme faisant partie de son moi, et lui donne ce qui lui appartient.  1700- Puisque la justice se manifeste envers les autres, main non envers nous-mêmes, elle n’obtient pas sa perfection quand deux personnes n’en forment qu’une.  La mère et l’enfant sont un d’une manière spéciale, puisque l’enfant vient de la mère et en est une partie. Et, en conséquence, l’obligation naturelle qui provient de leur relation spéciale appartient à la vertu de la piété filiale et maternelle (paternelle), laquelle n’est pas strictement de la justice.  Elle oblige donc  plus strictement en raison des plus grands droits impliqués.   Mais les obligations qui proviennent de relations qui sont communes à tous (d’un contrait entre un père et son enfant) appartiennent à la stricte justice, car par ce type de relations,  ils traitent l’un avec l’autre non de père à fils, mais d’homme à homme.  L’employeur et les employés peuvent aussi être considérés comme un, dans la mesure ou l’un est l’agent ou l’instrument de l’autre. On peut donc leur appliquer les mêmes conclusions.

 L’époux et l’épouse sont moins une seule chose que la mère et son enfant, et que le maître et son serviteur, car aucun des deux ne descend de l’autre, ni n’est le serviteur de l’autre.  Mais puisqu’ils forment une société conjugale, et que le mari est la tête de la femme, ils se doivent l’un à l’autre des obligations plus strictes que s’ils étaient étrangers l’un à l’autre. Mais ces obligations participent moins rigoureusement au caractère de la justice.

 1701- Les divisions de la justice.  On divise la justice, en raison des droits dont elle s’occupe,  entre légale et particulière.  La justice légale (l’observance la loi) est celle qui est due à un individu, chef d’état ou citoyen, à la communauté de laquelle il forme une partie, ou à la loi ou au bien commun du corps entier.  1702- La justice particulière (la droiture)  est celle qui est du au bien privé d’un individu.  Est-ce que la justice légale est une vertu distincte et séparée, ou seulement une condition générale trouvée dans chaque vertu ?  Dans les faits, la vertu légale est une vertu générale, dans la mesure où son désir de promouvoir  le bien commun poussera un homme à observer toutes les lois, et à pratiques d’autres vertus que la justice, comme la force et la tempérance.  Les lois nous commandent d’accomplir des actions d’hommes courageux, du tempérant, de celui qui est amène.  Et donc, comme dit Aristote (Éth. Liv. V, ch. 2),  la justice légale est souvent regardée comme la vertu suprême, le résumé de toutes les vertus, plus brillante que l’étoile de la veille ou de l’aurore.

 Essentiellement, c’est une vertu distincte, car elle est seule à amener un homme premièrement et directement au respect des droits du bien commun, en tant qu’elle est ce grand tout dont l’individu n’est qu’une partie.  Elle diffère même du patriotisme et de la piété filiale (car ces choses sont nourries par leur dette envers la source de la vie) et de l’obéissance (car la justice légale cherche le bien-être de la communauté même dans les choses qui ne sont pas commandées).

 1703- Comparaison entre la justice légale et la justice particulière.  La justice particulière participe davantage à la nature de la justice, car il y a une plus grande distinction ou séparation entre celui qui a une obligation et celui qui a un droit; quand l’un est un individu et quand l’autre est un tout dont le premier est une partie.   Une caractéristique distincte de la justice, comme il a été dit plus haut, c’est qu’elle tient compte de l’indépendance ou de l’autonomie de ceux parmi lesquels elle existe.  Cela est tellement vrai que ce n’est que dans un sens métaphorique  qu’on parle de justice quand il n’est question que d’une personne ou d’une nature (la justice de l’homme envers son âme, son corps, ses puissances).
 La justice légale est une vertu plus parfaite que la justice particulière ou que la piété filiale, puisqu’elle recherche un objet plus élevé (le bien commun en tant que tel), et est plus volontaire.
 1704- Le droit que la communauté a de recevoir des biens  de ses membres appartient-il à la justice légale ou particulière ?  Le droit éminent de propriété (le droit que l’état possède sur les biens des personnes, quand le bien commun le requiert) est un droit de justice légale.  Car, même sans y être contraint, le citoyen doit être prêt à apporter sa contribution volontaire à ce qui est nécessaire à la communauté.  dont il fait partie.  Le droit des fonctionnaires du gouvernement de recevoir des compensations pour leurs services est un droit de justice particulière. Car il y a un contrat implicite entre eux  et l’état,  à savoir que les fonctionnaires serviront les intérêts de l’état, et que l’état défrayera les dépenses des employés, comme si les deux étaient des personnes privées (1708).

 1705- La justice distributive et la justice commutative.  En raison de l’inégalité ou de l’égalité entre les individus dans lesquels elle existe, la justice particulière se subdivise en distributive et commutative, lesquelles sont des espèces distinctes de la justice. Que cette distinction soit bien fondée, le prouve le fait que cette justice (les relations entre des personnes particulières) est ou bien  la relation du tout aux parties, ou des parties aux parties. Ces relations sont sous la gouverne de la justice distributive, que l’on définit comme la vertu qui incite les gouvernants, en tant que représentants de la communauté, à répartir le bien public (argent, honneurs, fonctions) et les fardeaux (les taxes), non d’après le favoritisme ou la partisannerie, mais d’après les mérites et les capacités.

 Les autres relations sont sous la gouverne de la justice commutative, que l’on définit comme la vertu qui incite l’individu à payer aux autres individus ce qui leur est du, que les droits soient personnels ( le droit à la réputation) ou réels (le droit au salaire ou aux prix).  La justice commutative reçoit son nom de ce qu’on fait souvent appel à elle dans les commutations (dans les échanges, les achats et les ventes).  Ainsi, le fait que  soit spécifique la distinction de la justice particulière entre la justice distributive et commutative  apparaît de ce que que les caractéristiques principales de la justice (la dette due à quelqu’un, et l’égalité entre le paiement et la dette) sont trouvées dans chacune de ces sortes de justice,  d’une manière qui leur est propre.  Il y a une dette relative à la justice commutative quand une chose est due à quelqu’un qui a le droit individuel de la posséder, et qui la possède déjà.    Il y a une dette de la justice distributive quand une chose est due à quelqu’un parce qu’il a un intérêt communautaire en elle, et un droit qu’elle lui soit remise à cause de ses mérites et de ses capacités.  Ainsi, l’égalité observée dans la justice commutative est arithmétique ou quantitative (si un cheval vaut cent euros, il est juste de payer cent euros).  1706- L’égalité observée dans la justice distributive est géométrique ou proportionnelle (si quelqu’un, qui a obtenu 90 % dans un examen de l’ENA,  reçoit une position dont le salaire est 90 euros,  il est juste de donner une position dont le salaire est 80 euros à quelqu’un qui a reçu 80% à son concours  d’entrée.)  Une indication de la différence entre la justice distributive et la commutative se trouve dans le fait que le même individu peut être juste dans les affaires privées, et injuste dans les affaires publiques.  Exemple.   Paul est un cadre. Il paye fidèlement ses dettes personnelles, mais il n’accorde qu’à ses amis d’importants honneurs, qu’ils les méritent ou pas.

 1707- La justice corrective. La justice corrective (vindicative, punitive) est une vertu qui incite une personne publique ou un supérieur, comme un chef d’état, un magistrat, un juge,  à imposer aux malfaiteurs des peines proportionnelles à leurs fautes.  Il ne faut pas la confondre avec la juste vengeance ou avec des représailles, laquelle est la vertu qui modère, dans une personne privée, le désir de punir une offense à elle infligée.  Ce n’est pas la justice au sens strict, ni la commutative ni la distributive,  mais seulement une partie potentielle de la justice (comme il a été établi à l’article 6).  Ainsi, la justice corrective est élicitée par la justice commutative, car une peine est imposée par un juge, pour qu’il y ait de l’égalité entre la satisfaction faite par les malfaiteurs et la dette due à celui a été offensé.  Elle vise à réparer le tort commis, en enlevant ceci  à l’offenseur et en ajoutant cela à l’offensé, de façon à ce que les deux se retrouvent dans la situation d’avant.  Si la personne punie accepte la peine dans le même esprit, elle pratique aussi la justice commutative.   La justice légale peut commander la justice corrective, car le juste peut vouloir une peine pour le bien général de la société, ainsi que l’individu qui a subi une offense.

 1708- Les différentes espèces de la justice en un acte.  Plusieurs espèces de justice peuvent être présentes dans le même acte.  La même action peut être élicitée  par une sorte de justice (56 et suiv.), comme dans les exemples de justice vindicative donnés plus haut.  Le même acte peut être élicité par deux sortes de justice, comme quand une dette est due en vertu de la justice commutative et de  la justice distributive.  Quelques-uns pensent qu’un exemple de cela se trouve dans le paiement des employés du gouvernement, car le paiement est fait sous la forme d’une distribution de fonds communs (justice distributive), et il est du pour des services contractés (justice commutative).  Mais il semble plus correct de dire que les salaires pour services donnés à une communauté relèvent de la justice commutative plutôt que de la distributive.  Car dans la commutative, l’égalité règne entre ce qui est donné et ce qui est reçu; dans la distributive, entre la proportion reçue par l’un, et la proportion reçue par un autre.  Et le gouvernement devrait payer les salaires sur la base de la valeur reçue en service (1704, 1755, 1767).

 1709- L’objet de la justice. La fonction d’une vertu morale est de diriger modérément toutes ces choses qui sont les sujets de la volonté libre de l’homme, et peuvent être régulées par la raison, à savoir, les actions de l’homme  et les choses externes dont il se sert.   On peut entendre les actions de l’homme dans un sens large, de façon a y inclure ces affections internes qui sont accompagnées par des changements corporels notables (les passions, comme la colère, la tristesse), et ces actions qui n’agissent pas aussi fortement sur le corps (les opérations).  Chaque vertu a pour objet une action au sens large, car la vertu est définie comme une habitude qui rend l’agent bon et son action bonne. Mais ce ne sont pas toutes les vertus qui ont pour objet une action au sens strict, puisque les vertus de force et de tempérance ne régulent pas les passions mais les opérations.

 Les opérations sont de deux sortes.  Internes, par lesquelles les hommes ne communiquent pas les uns avec les autres (les pensées et les désirs); et externes, par lesquelles les hommes communiquent les uns avec les autres.   Ces opérations ont à voir avec les choses extérieures (la terre, les maisons, l’argent, le revenu), et nous voici avec des opérations comme le prêt, le bail, la vente, et autres contrats.   Ou aucune chose externe n’est introduite, et nous avons des opérations du genre de l’honneur, de la louange, de la calomnie.

 Toutes les vertus morales se rapportent à  l’opération interne du choix, car la vertu est une  bonne élection de la volonté,  Mais il existe cette différence entre la justice et les autres vertus morales, que la force et la tempérance ne font que disposer l’appétit intellectuel à faire un bon choix, par la régulation qu’elles donnent à l’appétit sensitif.   La justice, elle, a comme acte propre de bien choisir les moyens qui permettent de modérer les opérations externes.  Quant aux opérations externes elles-mêmes, elles sont les objets de la justice, mais non pas des deux autres vertus morales,  1710- Le but des autres vertus morales est de réguler l’homme en lui-même.  Car les passions qui sont modérées par la force et la tempérance (la peur et le désir), affectent  en premier lieu leur sujet, et non les autres personnes.  Le but que se propose la justice, au contraire, est de réguler l’homme dans ses relations avec les autres, parce que les passions et les  opérations externes ont des effets et des fins conséquentes qui leur donnent de nouvelles relations.  Et, en conséquence, nous pouvons distinguer entre l’objet primaire auquel une vertu tend directement, et l’objet secondaire vers lequel elle tend indirectement seulement, à cause des effets de l’objet primaire.

 L’objet primaire de la justice ce sont les opérations et les choses externes.  L’objet primaire de la force et de la tempérance, ce sont les passions.   Car la justice cherche le bien des autres; la tempérance et la force le bien de l’agent.  L’objet secondaire de la justice ce sont les passions, à chaque fois que son objet principal ne peut pas facilement être régulé sans réguler les passions.  Ainsi, quand la luxure incite à l’injustice de l’adultère ou de l’avarice, ou  à un déni de paiement, la justice fait appel à la vertu de tempérance ou de libéralité, selon le cas, pour modérer les passions qui s’y opposent.   Semblablement, l’objet secondaire de force et de tempérance peut être une opération externe, à chaque fois que l’effet sur le sujet de l‘objet principal (les passions) a des réactions qui se rapportent à d’autres personnes.   Ainsi, si la force modère la peur, et la tempérance le désir,  ces vertus ont des conséquences externes, comme un combat contre le mal, l’abstinence de nourriture ou de breuvage qui appartiennent à d’autres.   Mais si la colère n’est pas  modérée par la force,  elle peut conduire à des attaques injustes;  et si le désir est immodéré, il peut mener à l’injustice du vol de nourriture ou de boisson.

 1711- Le milieu doré de la vertu.   Le milieu doré de la vertu n’est pas le même dans toutes les vertus morales. (154).   Ainsi, la force et la tempérance régulent les passions pour le bénéfice de leur sujet,  pour qu’il puisse éviter les extrêmes de l’excès et du défaut.  Ainsi, le juste milieu qu’ils suivent doit être déterminé par la raison, à partir d’une considération du sujet et des circonstances (le milieu de la raison).  Il variera donc avec différents sujets  différents et des cas individuels.   Ainsi, en matière de tempérance, c’est un vieil adage que ce qui est la nourriture de l’un est le poison d’un autre.  Il serait donc absurde de dire qu’il n’y a qu’un seul juste milieu de la tempérance; et que toutes les personnes doivent adopter la même règle en ce qui a trait à la quantité et la qualité de la nourriture, au temps, et à la manière de manger de boire. C’est le contraire qui est vrai.  La règle, ici, doit convenir au sujet, et sera modéré ce qui conviendra à la santé, l’appétit, les devoirs, le mode de vie d’une personne. La justice, pour sa part, régule les opérations externes dans l’intérêt non du sujet, mais des autres personnes qu’elle affecte.  Elle veut que le sujet, dans ses tractations avec les autres, évite l’inégalité, ce qui veut dire l’excès d’un côté, et le manque ou le défaut de l’autre.  Le juste milieu de la justice est donc détecté par la raison en considérant les choses ou les actes externes qui sont dus à d’autres personnes.  Il ne varie donc pas avec les circonstances du sujet.   Si la valeur réelle d’un cheval est de cent euros, le fait que vendeur soit un prince ou un paysan ne fait aucune différence, ni qu’il soit riche ou qu’il soit pauvre.  Le juste paiement sera toujours 100 euros.  L’excès serait préjudiciable pour  l’acheteur, déficient pour le vendeur.

 1712- Bien que le milieu de la justice soit déterminé non en référence à la personne qui agit, mais à des choses externes, il peut arriver que cette chose externe ne puisse être évaluée sans tenir compte de la personne à laquelle est due la justice.  Dans la justice distributive, cela est toujours le cas, car le milieu de la chose dans les distributions consiste dans l’égalité entre les proportions relatives des distributions, des mérites ou des capacités relatifs des personnes auxquelles sont faites les distributions.   En conséquence, la justice distributive doit considérer les conditions des personnes auxquelles elle est due, en les comparant aux conditions d’autres personnes, afin d’observer l’égalité, en donnant à chacun la part qui lui revient.   Dans la justice commutative, on rencontre parfois le cas suivant : la condition de la personne offensée (un chef d’état) augmente la dette de la satisfaction qui lui est due, car le juste milieu, dans la justice commutative, est l’égalité entre le paiement et la dette.

 1713- Est-ce que l’observance du juste milieu suffit pour faire un acte juste, quelles que soient les dispositions du sujet ?  S’il est question de la justice matérielle, la réponse est affirmative. Car on dit qu’on pratique une vertu matériellement, quand on se tient dans son juste milieu.  Le milieu de la force et de la tempérance ne peut pas être observé sans référence aux conditions du sujet (n’est pas brave celui qui entreprend une tâche qui est au-dessus de ses forces).   Mais la même chose n’est pas vraie de la justice (est juste celui qui a remboursé sa dette jusqu’au dernier sou, même si le paiement est au-dessus de ses moyens,  et requiert un sacrifice de sa  part.)  S’il est question de la justice formelle, la réponse est négative.  Car on dit qu’on pratique formellement une vertu (d’une habitude vertueuse) quand le motif du sujet et les circonstances conviennent à la raison. Ainsi, celui qui, poussé par la vaine gloire,  accomplit des exploits,  pratique la vertu de force matériellement, non formellement.  Et semblablement, celui qui paye ses dettes fidèlement uniquement pour échapper aux peines imposées par la loi,  pratique la justice matériellement, mais non formellement.

 1714- Comparaison entre la justice et les autres vertus.  Les différences entre la justice particulière et les autres vertus morales  sont donc les suivantes.  La justice est pour le bien d’un autre; les autres vertus,  pour le bien du sujet. La justice s’occupe des actes et des choses externes; les autres, des passions.  La justice suit le juste milieu de la chose; les autres, le milieu de la raison.  On peut pratiquer la justice matériellement, sans aucune convenance aux circonstances de l’agent; mais il n’est pas ainsi pour les autres vertus.

 1715-  Bien que la justice soit inférieure aux vertus théologales et intellectuelles (156, 157. 1028),  elle est supérieure à la plupart des vertus morales qui perfectionnent l’appétit sensitif ou intellectuel. La supériorité de la justice sur la force et la tempérance, et sur les vertus annexes, comme la miséricorde,  (1207) apparait dans les raisons qui suivent.  La justice légale est plus grande que ces autres vertus, car comme elles poursuivent le bien privé de leurs sujets, la justice recherche le bien public. Grande est la splendeur de la justice, dit saint Ambroise (de officiis, lib. 1, cap 28). qui est née pour les autres plutôt que pour soi-même, et qui aide la société et la communauté.  Elle est située en haut pour que tous soient soumis à ses jugements, pour qu’elle répande l’assistance, n’abdique  pas  ses responsabilités, et prenne  sur elle les dangers des autres.   De plus, puisque la loi nous commande d’agir en homme courageux, d’être courtois et tempérant, la justice légale, comme le dit Aristote (Eth., livre V, chapitre 2) est souvent considérée comme la vertu suprême, la somme de toutes les vertus.  Elle est plus brillante que l’étoile de la veille ou de l’aurore.

 La justice privée est aussi plus grande que ces autres vertus, puisqu’elle perfectionne une puissance plus noble de l’âme (la volonté), qu’elle recherche le bien non seulement de son possesseur propre, mais aussi des autres.  La justice est aussi impartiale ou aveugle  pour des personnes qui demandent satisfaction, même si le débiteur est un roi.  Elle accorde des compensations, même si la personne lésée est  la plus pauvre et la moins méritante de toute la terre.  La preuve que  la justice est plus noble que la régulation des passions, Aristote la voit dans  le fait de sa plus  grande difficulté et rareté. Beaucoup de personnes sont capables de manifester des vertus à la maison, mais ils ne peuvent pas les pratiquer avec leur prochain.  En conséquence, il semble y avoir du vrair  dans la sentence  de Dias :  la fonction révèlera l’homme. Car quelqu’un qui exerce une fonction est tout de suite mis en relation et association avec les autres.  Ainsi,  le pire des hommes exhibe sa dépravation  dans sa propre vie et dans ses relations avec les autres, tandis que le meilleur des hommes est celui qui fait montre de sa vertu non seulement dans sa vie privée, mais dans ses relations avec les autres. Voilà ce  qui est difficile ».

 1716- Les vertus de l’appétit sensitif qui semblent plus excellentes que la justice sont le courage et la libéralité.   Mais, dans la réalité, la justice est plus noble qu’elles.   Ainsi, le courage semble être meilleur parce qu’il est plus essentiel au bien commun en temps de grand danger, mais en réalité, la justice est plus utile à la communauté, car en tout temps, en temps de guerre ou de paix, c’est la justice qui préserve l’unité et le contentement parmi les peuples.  C’est elle qui suscite et récompense le courage et la dévotion au bien-être public.  La libéralité, aussi,  semble être meilleure que la justice, parce qu’elle donne plus que ce qui est du, tandis que la justice ne donne que ce qui est du.  Mais d’un autre côté, la justice procure un avantage plus général, puisque,  nécessairement,  la libéralité ne peut être qu’exceptionnelle, et ne s’adresse qu’à peu de personnes. La justice, elle, doit s’exercer continuellement et doit se manifester à tous. La justice est aussi plus nécessaire, car on doit être juste pour être libéral, et non vice-versa.   Car personne n’est loué comme généreux s’il ne  paye pas d’abord les dettes qu’il doit à la justice.  Enfin, bien que la libéralité donne  plus que ce qui est du, et peut donc apporter de plus grands bénéfices privés,  la justice sans la libéralité est plus profitable au bien commun que la libéralité sans la justice.

 1717- Les deux vertus de la volonté que certains moralistes estiment plus importantes que la justice sont les vertus de religion et de miséricorde.  La vertu de la religion a un objet plus noble, puisqu’elle régule le culte à rendre à Dieu, tandis que la justice régule ce qui est du à l’homme;  et son obligation est encore plus stricte que la justice légale.    La vertu de miséricorde,  qui est une inclination rationnelle de la volonté à soulager la souffrance ou la misère des autres, est tenue pour être plus grande que la justice. Car venir en aide à la détresse d’une communauté ou d’un individu  indique une plus grande perfection que de simplement payer ce qui est du à un autre.   1718- On peut comparer les vertus non seulement du point de vue de leur excellence objective, qu’elles ont de leur propre nature, (là où elles sont inégales et se classent d’après la grandeur de leurs objets), mais aussi du point de vue de leur participation subjective dans les âmes de leurs possesseurs.  En un certain sens, toutes les vertus sont égales dans leur possesseur, puisqu’elles sont toutes également reliées à la charité comme à leur perfectionnement (1118); et toutes augmentent ou diminuent  proportionnellement à la croissance ou au déclin de la grâce, laquelle est leur racine (745).   Dans un certain sens aussi, le rang des vertus peut s’éloigner de l’ordre qu’apporte  la dignité de leurs objets.  Car la facilité et l’empressement à exercer une vertu infuse  ne dépendent pas formellement de la vertu infuse, mais de conditions subjectives, comme l’inclination naturelle ou la coutume,  ou d’un don spécial de Dieu (135, 136).  En conséquence, il peut arriver qu’un saint montre une excellence supérieure et obtienne une plus grande renommée dans une vertu inférieure plutôt que dans une vertu supérieure.  Ainsi, Abraham est éminent dans la foi, Moïse dans la douceur, Josué dans la bravoure, David en ferveur et dévotion.  Et saint Joseph est loué comme un homme juste (Matt. 1, 19).

 1719- L’injustice. Comme on prend le mot justice au sens large pour la sainteté et pour l’ensemble de toutes les vertus, et, au sens strict, pour une vertu cardinale particulière, de la même façon l’injustice est prise au sens large comme un synonyme  de transgression, d’iniquité, ou de péché.  Il fait tomber la pluie sur les justes et les injustes. (Matt. V, 45); mais au sens strict, pour la violation de la vertu de justice. Écoute ce que dit le juge injuste. (Luc XV111, 6).   C’est de cette injustice-là que nous parlons maintenant,

  1720- Les sortes d’injustice.  L’injustice est de deux sortes.  L’injustice légale est un vice spécial qui pousse quelqu’un à mépriser le bien commun, ou à agir contre lui intentionnellement.  Ainsi, si quelqu’un vole ou mange avec excès pour satisfaire une passion, pour l’argent ou la nourriture,  il y a une certaine condition de légale injustice, dans la mesure où quelqu’un viole une loi.  Mais si quelqu’un fait aussi ces choses  seulement pour offenser le bien commun, ou dans ce but aussi,   il y a un péché spécial d’injustice légale. qui doit être déclaré en confession. L’injustice particulière est un vice spécial contre le bien privé des autres qui pousse quelqu’un à rechercher plus que la part qui lui revient, ou à désirer plus de bénéfices et moins de labeurs que l’égalité ne n’accorde.  Exemples.  Vendre au-dessus du juste prix, ou acheter en-dessous du juste prix (injustice commutative); montrer du favoritisme dans la distribution des charges publiques ou des postes.
 Comme quand une personne en autorité déverse des bénéfices publics sur ses parents ou amis indignes, et surtaxe les non amis ( injustice distributive).

 1721- L’espèce théologique de l’injustice légale et particulière.  De par sa nature, l’injustice est un péché mortel, parce que c’est une attaque contre un très grand bien, à savoir la paix et la sécurité d’une société.  Ce sont les bases mêmes d’une vie communautaire ordonnée  qui sont ébranlées quand l’injustice s’attaque aux droits  communs ou privés.  De plus, des actes d’injustice (à la différence des péchés de passion) offensent, si la matière est sérieuse,  la charité qui est la vie de l’âme.  Car la charité n’envie pas, ne traite pas avec le prochain de façon perverse (1 Cor X111, 4).  L’injustice, elle, offense le prochain et conduit à la haine, aux querelles, aux séparations. Voilà pourquoi l’Apôtre dit ceci de l’injustice :  Ne vous trompez pas : ni les adultères, ni les voleurs, ni les  cupides, ni les extorqueurs n’hériteront du royaume de Dieu.  (1 Cor, V1, 10).   Et parlant de la justice, notre Seigneur a dit :  Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements (Matt. 1X, 18).  Par manque d’attention du sujet (173 et suiv.), ou à cause de la légèreté de la matière de l’objet, (172), un péché d’injustice peut n’être que véniel. Ainsi, l’injustice est vénielle  si l’on prend de l’argent qui appartient à un autre, à cause d’une ignorance invincible causée par une légère négligence; ou si on ne prend qu’une petite somme dont la privation  ne cause aucun sérieux dommage.

 1722- Règle pour déterminer la gravité des péchés d’injustice. La règle qui permet de juger si la matière du péché d’injustice est grande ou petite. est la quantité d’offenses infligées, ou le degré  de l’opposition raisonnable à souffrir l’injustice que présente la personne offensée.   Car les péchés contre le prochain sont coupables précisément à cause de et en proportion des torts faits aux autres.   En conséquence, puisque chaque injustice offense ou le bien public ou le bien privé, ou les deux à la fois, les actes d’injustice qui suivent sont gravement coupables.   On commet un péché mortel quand un tort est fait à un droit privé dans une matière d’une importance telle que la personne offensée a de graves raisons pour ne pas vouloir tolérer l’injustice (des cas de calomnie, d’adultère, de pyromanie ).  Mais si l’offense elle-même est petite,  et même si la personne offensée ne veut absolument pas la supporter, il n’y a quand même qu’un péché véniel commis contre la justice.  Mais il peut y avoir un péché mortel  contre la charité.  Comme quand quelqu’un vole un bibelot sans valeur, sachant que son propriétaire est si déraisonnablement attaché à lui que sa perte lui brisera le cœur, ou provoquera en lui une colère noire, ou des blasphèmes.   On commet aussi un péché mortel quand on porte offense à un droit public, dans une matière si importante que la communauté est, pour de bonnes raisons, grandement hostile à ce genre d’offense.  Cela arrive quand on attaque directement le bien commun, comme quand un anarchiste se rebelle contre un gouvernement légalement constitué, ou quand la paix ou la sécurité d’une communauté sont mises en péril par l’offense faite à une personne privée, ou quand un pickpocket  soutire une somme considérable à un riche, même si ce dernier n’en souffrira pas.   En conséquence, une offense faite à une personne privée qui ne lui cause pas un grand tort,  peut faire un tort sérieux à une communauté, et être gravement coupable en raison des conséquences désastreuses sur l’ordre social qui s’ensuivraient, si cette sorte d’offense n’était pas gravement interdite.

 1723- L’espèce morale de l’injustice légale ou particulière.  On les distingue d’après les classes principales d’objets ou de droits qui sont blessés ou lésés (199). En conséquence,  nous trouvons quatre sortes d’injustice.  Des offenses faites à des droits ou à des biens spirituels, naturels ou surnaturels (la superstition, l’idolâtrie, la simonie).  Les injures faites aux biens internes de l’âme (les mensonges) ou au corps (meurtre, mutilation).  Des torts causés aux biens externes incorporels (calomnie) ou corporels (vol, fraude).

 1724- Les formes accidentelles de l’injustice.  Il y a aussi plusieurs formes accidentelles d’injustice, c’est-à-dire des variations qui ne changent pas, par elles-mêmes, l’espèce morale (200).  Ainsi, relativement à sa forme, l’injustice se commet soit positivement, par l’action (en volant quelque chose de son employeur), ou négativement par omission (en permettant à un employé de dérober le bien de son employeur). Dans les deux cas, l’injustice commise est du même genre.  Par exemple. Celui qui permet un vol est aussi voleur que s’il avait volé lui-même.  En ce qui a trait aux conséquences qui affectent la personne offensée, l’injustice est soit simplement offensante  ou soit offensante et préjudiciable, selon qu’un droit strict est violé sans qu’on subisse de perte (un adultère duquel aucun enfant n’est né), ou avec perte de la part de la partie lésée (un adultère dont est né un enfant).  Le caractère du péché est le même dans les deux cas,  mais dans le dernier cas, une restitution est due (1199, 1200).  Le tort qui résulte de  la violation d’un droit strict  peut se trouver dans les biens internes (le salut, la vie, la santé de l’esprit), ou dans les biens externes (la réputation, l’argent, la propriété).

 Quand aux conséquences qui se rapportent à  la partie qui a fait l’offense,  ou bien l’injustice lui est profitable (comme dans le cas d’une acquisition injuste) ou non profitable (comme dans le cas de dommages injustes).  L’espèce morale est la même dans les deux cas, car le fait qu’une personne injuste tire profit de son injustice ne rend pas l’offense plus grande.  Et le fait qu’elle ne tire pas de profit de son injustice ne rend pas l’offense moins grande. 1725-   Ne subit aucune injustice celui qui connait et désire un acte contraire à ses droits  (règle 27 des décrétales), car une personne de ce genre cède ses droits.   En conséquence, si quelqu’un regarde en souriant des enfants du voisinage prendre des pommes dans son verger, et si les enfants voient cela comme une autorisation, aucune injustice n’a été commise, ni formelle ni matérielle.  Mais la maxime légale a besoin d’une interprétation, car, pour qu’il y ait une cession de  droits, les deux conditions suivantes sont nécessaires.  Celui qui consent doit être habilité à abandonner ses droits.  S’il ne l’est pas, la cession de ses droits est invalide.  En conséquence, quelqu’un, qui tue une personne qui demande la mort, est injuste envers Dieu et envers l’état.   Celui qui commet un adultère autorisé par le mari de la femme, est injuste envers l’état du mariage et les enfants légitimes.   Celui qui frappe un clerc qui a renoncé à son privilège canonique est injuste envers l’état clérical.  Celui qui s’empare de la propriété d’un régisseur avec la permission de ce dernier,  est injuste envers le vrai  propriétaire, puisqu’un régisseur n’a pas le pouvoir d’aliéner ce qui ne lui appartient pas.   Un grand nombre de martyrs, il est vrai, désiraient perdre leurs vies aux mains des persécuteurs, mais cela ne signifiait pas autre chose qu’ils consentaient à la volonté de Dieu.  Non qu’ils consentaient à leur propre meurtre par les tyrans, car  il ne leur était pas permis de donner aux tyrans un pouvoir absolu sur leur vie.

 Celui qui consent doit véritablement vouloir céder ses droits.  En conséquence, s’il y a une erreur, de la fraude, de la peur ou de la violence, la cession est sans effet.  Ainsi, un acheteur qui, par ignorance, choisit un article défectueux, ou paye un prix exorbitant, un travailleur qui, par nécessité, accepte un salaire inférieur au salaire minimum, ou un homme qui donne sa bourse à un voleur qui pointe sur lui un fusil,  tous ces gens-là   ne cèdent pas vraiment leurs droits, par manque de vrai consentement.  De la même façon, quand quelqu’un suit le conseil du Christ  de ne  pas résister à la spoliation (Matt. V, 40), ou quand un saint se réjouit des offenses qu’on lui inflige (Hebr. X, 34),  leur intention n’est pas de livrer leurs droits à des injustes,  ni d’approuver leur conduite, mais de pratiquer une vertu héroïque par la patience, l’humilité, le pardon etc.

 1726- L’injustice interne.  Est-ce que l’injustice interne (l’intention de nuire à quelqu’un) rend injuste une action externe ?  Si l’intention fait en sorte que l’acte externe soit une violation d’un droit strict,  elle rend l’acte externe injuste.   Ainsi, prendre un livre de la chambre d’un autre  est en soi-même une action indifférente.  Car il peut n’y avoir aucune violation de droit, si l’intention est d’emprunter.  Il y a violation de droit, si l’intention est de voler,  Si l’intention ne fait pas de l’acte externe une violation d’un droit strict, même si cet acte peut être dommageable à un tiers, elle ne rend pas l’action externe injuste.   En conséquence, si l’autre personne n’a aucun droit strict contre l’acte externe ( Pierre voit que la maison de Paul est en flammes.  Mais il n’a pas été engagé par Pierre pour prendre soin de sa propriété, et il n’alerte personne pour empêcher que la maison ne soit consumée), ou si l’agent a le droit d’accomplir un acte externe (Le juge Luc condamne Henri selon la loi, mais son intention principale est le tort qu’il lui infligera).  L’intention injuste ne rend pas injuste un acte externe, mais, dans ces cas, un péché, et même grave, est commis contre la charité.

 1727- L’acte propre de la vertu de justice est le jugement, ou la détermination droite de ce qui est juste et du aux autres. Et c’est pour cela qu’Aristote déclare dans Eth, Lib. V. ca. 7), que le peuple apporte ses disputes à un juge comme à la justice personnifiée.  Le jugement est privé ou public.   Un jugement public est passé par un juge qui a l’autorité de forcer les parties litigieuses à s’en tenir à ses décisions.   Le jugement privé est passé par des individus qui n’ont pas d’autorité publique. Il concerne les mœurs et la conduite des autres.   1728- Puisque le jugement est un acte de vertu, il est donc légal.  Et nous trouvons que, dans l’ancien et dans le nouveau testament, des hommes ont été investis de l’autorité nécessaire pour juger. Ainsi, Dieu a ordonné que des juges soient choisis dans toutes les villes d’Israël (Deut. XV1, 18).   Saint Paul déclare que le juge est le ministre de Dieu (Rom X111, 4).  Et depuis les temps apostoliques, des tribunaux ont été dressés dans les églises.   Mais certaines conditions sont requises pour la bonté morale, et dans ceux qui font appel au juge et dans ceux qui jugent.  Ainsi, ceux qui ont recours à la justice doivent y être poussés  par des motifs appropriés, et doivent se conduire en gens vertueux.   Notre Seigneur en Matt. V, nous enseigne qu’il est préférable de supporter des pertes temporelles plutôt que de réclamer son du en justice pour satisfaire son désir de vengeance, au préjudice de son bien spirituel propre.  Et saint Paul condamne les Corinthiens pour le scandale qu’ils ont donné en demandant à des tribunaux païens  de régler leurs différends; et en recourant à la fraude et aux injures dans leurs litiges (1 Cor V1, 1).

 Ceux qui prononcent un jugement doivent avoir une bonne intention.  Ils doivent procéder selon les lois, et décider avec prudence.  Si la première condition fait défaut, le jugement est injuste ou mauvais, selon que le juge choisit d’agir contre le droit, ou qu’il est mu par un motif  humain (comme la haine, la colère, la vaine gloire, l’avarice). Si la seconde condition fait défaut, le jugement, s’il est public, est usurpé ou illégal. Si la troisième condition fait défaut, le jugement est bâclé.  Mais il faut noter que l’Église a condamné l’enseignement de Wicliff à l’effet que la fonction et les autorités exercées par des pécheurs deviennent invalides.  (Denzinger, 595, 597).

 1729- La première condition d’un jugement droit. La première condition d’un jugement droit est que l’intention du juge soit juste et sincère.   Mais est-il possible qu’un jugement soit droit si le juge est un mauvais homme, c’est-à-dire s’il est en état de péché mortel ?  Si le péché du juge est public, et s’il porte un jugement sur un péché du même genre que le sien (si un voleur notoire passe un jugement sur un autre voleur), il y a un sérieux scandale de donné. Car la justice est discréditée, et une occasion est offerte pour la critique de l’autorité et pour le mépris des lois.   Mais si le péché n’est pas semblable à celui qui est condamné (un voleur notoire juge un meurtrier), le scandale n’est pas grand, en ce qui concerne la justice.   Si le péché n’est pas public, il est évident qu’aucun scandale n’a été donné.   Et si le juge est poussé par le devoir de sa charge et par le zèle de la justice, à condamner même un péché semblable au sien, il ne commet absolument aucun péché en agissant ainsi (1280). Mais il est coupable d’hypocrisie  s’il se sert de cette occasion pour simuler une droiture personnelle qu’il ne possède pas.  C’est cela que le Seigneur a reproché aux Pharisiens qui, bien que coupables de péchés graves, voulaient mettre à mort une adultère,  pour qu’ils puissent paraître sans fautes. La parole : que celui qui est sans péché lui jette la première pierre (Jn V111, 7) condamne l’hypocrisie dans les juges;  mais elle ne requiert pas que le juge soit sans péché.  Mais bien que les pécheurs puissent agir contre le péché en tant que législateurs,  procureurs, juges, membres d’un jury,  policiers, leur charge devrait leur rappeler sans cesse qu’ils ont à se réformer, selon les paroles de saint Paul : En jugeant un autre tu te condamnes toi-même, puisque tu fais la même chose que ce que  tu juges  (Rom 11, 1).

 1730- La deuxième condition.  La deuxième condition d’un jugement droit est la légalité, si l’on parle d’un jugement devant un tribunal.   Ainsi, le juge doit avoir une autorité publique, car, comme les lois ne peuvent être faites que par une autorité publique, elles ne peuvent être interprétées que par la même autorité (Rom X1V. 4). En conséquence, un procès qui n’a pas lieu à la place où il doit avoir lieu, au temps fixé, et de la façon prescrite par la loi,  est nul et invalide.  Et la même chose est vraie si la cour n’a aucune juridiction sur les accusés, ou sur le sujet en litige.

 Le juge doit administrer la justice selon la loi et la procédure généralement reconnue en cour, puisque son rôle est d’interpréter, non de faire des lois ou des coutumes (dire le droit, non le faire).  Ses opinions qui sont celles d’un président peuvent avoir un impact sur le développement et la croissance de la loi.  Voilà pourquoi il est tenu tout spécialement de respecter en toute fidélité les principes généraux qui s’imposent à lui.  Si on découvre, dans la pratique, qu’un statut  ne fait qu’empêcher la juste disposition des controverses, les juges rendent un service public en signalant la chose à ceux qui ont l’autorité voulue pour  réguler la procédure.  Si on commettrait une injustice en appliquant une loi, aucun juge ne peut, en conscience, prononcer une sentence conforme à cette loi.  Mais il y a de nombreux cas qui sont reconnus en jurisprudence, pour lesquels les cours d’équité apportent des atténuations aux lois qui ne peuvent ni être défendues ni protégées en cour.   Dans les cas de ce genre, le juge devrait se guider par des principes reconnus de justice naturelle et les règles de sa cour.

 1731- La troisième condition.  La troisième condition d’un jugement droit est que la sentence ou la décision soit prudente ou bien fondée.  Ainsi, dans un procès juridique, les faits qui se rapportent au  cas doivent être examinés, et les règles qui portent sur les preuves doivent être observées, en jugeant la signification d’un fait.  Puisqu’un jugement bâclé est un péché commis non seulement extérieurement ou en public, mais surtout intérieurement et en privé, il sera bien d’expliquer clairement  les conclusions formées d’après le caractère ou les actions de quelqu’un, et parce que c’est un des péchés les plus communs.

 C’est un péché interne, qui diffère ainsi des actes externes qui sont contre le pécheur.  Mais la calomnie, la détractation et une sentence injuste sont ses expressions externes.   Un jugement bâclé est un péché interne de décision dans lequel quelque chose est affirmé ou nié mentalement au sujet du prochain. Il diffère donc d’une pure représentation ou pensée.  La distinction est importante pour les personnes scrupuleuses qui pensent que de simples suggestions contre les autres. qui traversent leur esprit comme un éclair, sont des jugements à l’état brut.  Ces suggestions sont des tentations communes à tous.  Si on les repousse, elles sont des occasions de mérite.  Elles ne deviennent des péchés que quand on s’en délecte.  Un jugement bâclé est une décision défavorable aux autres portant sur le caractère ou la réputation.  Il diffère ainsi des décisions favorables (comme quand, sans aucune raison, quelqu’un est tenu pour vertueux ou extrêmement méritant); et des décision défavorables dans les choses autres que le caractère et la réputation (comme quand quelqu’un conclut qu’un autre est mentalement ou physiquement  déficient, mais n’associe pas des défauts avec la dépravation ou l’ignominie); et de décisions défavorables qui se rapportent au péché, mais qui ne sont pas personnelles (comme quand quelqu’un pense qu’une expression employée par un ignorant est blasphématoire, mais ne passe aucun jugement sur l’état de conscience de l’individu).

 Un jugement bâclé  est une décision qui exprime une conviction, et non une simple supposition.   Il diffère ainsi de l’attitude prudentielle qui fait qu’on se propose,  pour plus de sureté, de ne pas faire confiance à tel étranger, puisqu’il peut être malhonnête. Le jugement bâclé  et une conviction certaine ou un jugement, selon lequel on considère que ce que l’on pense est vrai, et que ce que les autres pensent ne mérite pas même une pensée.  Il diffère ainsi du doute (un état dans lequel l’âme est suspendue entre une vue défavorable et son contraire, et ne penche pas vers l’une plus que l’autre); de la suspicion (un état dans lequel l’âme penche  vers la position défavorable mais ne la voit ni comme certaine ni comme probable); de l’opinion (qui est un état dans lequel l’esprit  donne son assentiment à la vue défavorable comme étant probablement vraie, tout en admettant qu’elle pourrait ne pas être vraie).  On a déjà traité ces différentes formes de réaction mentale à 654 et suiv.

 Le jugement bâclé est bâclé, c’est-à-dire qu’il est une croyance basée sur  une autorité insuffisante, ou une déduction qui est sans fondement, ou mal déduite des prémices. Ainsi, si quelqu’un juge que son voisin est un voleur pour l’avoir entendu dire par une personne honnête et bien informée, le jugement est prudent. Mais s’il fonde son jugement sur la parole de quelqu’un qui n’a aucune fiabilité, ou sans rien savoir de ce qui s’est passé, le jugement est imprudent. De plus, si quelqu’un juge qu’il est certain que son voisin soit un voleur parce qu’il est en possession de preuves qui éliminent tout doute, le jugement est prudent. Mais si la preuve n’est que circonstancielle, une opinion basée sur elle est prudente; mais un jugement basé sur elle est imprudent. Ce n’est pas le fait d’un jugement bâclé d’estimer que la majorité de l’humanité est perdue, ou que la génération présente n’est pas aussi bonne que la précédente, si quelqu’un a de bonnes raisons à faire valoir. Mais un pessimisme larmoyant et généralisateur dans ces domaines est injustifié.

 1732- La raison invoquée pour un jugement peut suffire pour quelque chose d’autre, mais ne pas suffire pour le jugement que l’on est train de former.  Ainsi, il peut y avoir des raisons suffisantes pour juger que telle sorte ou tel degré de péché  a été commis, mais qui sont insuffisantes pour une autre sorte de péché.   Par exemple, si quelqu’un brise la serrure du bureau d’un autre, il y a là la preuve d’une faute volontaire. Mais ce bris à lui seul n’est pas une preuve de larcin ou d’intention de voler. Les raisons peuvent être suffisantes pour le doute, mai insuffisantes pour le soupçon; suffisantes pour le soupçon, et insuffisantes pour l’opinion; suffisantes pour l’opinion et insuffisantes pour le jugement.

 1733- Un jugement bâclé. L’opinion, la suspicion et le doute sont aussi frustres qu’un jugement bâclé si aucune raison suffisante ne peut les justifier.  Ainsi, s’il n’y a pas de raisons probables  pour une opinion défavorable, il est déplacé de former ce genre d’opinion.  Par exemple, le seul fait  que deux hommes aient des conversations à vois basse fréquentes ne prouve pas qu’ils complotent pour faire le mal.  S’il n’y a pas de raisons suffisantes pour pencher du côté d’une  opinion défavorable, ou pour suspendre tout assentiment,  la suspicion et le doute sont déplacés.  Par exemple, le seul fait que quelqu’un entre dans une maison en l’absence des propriétaires n’est pas une raison de le soupçonner de desseins pervers, ni même d’avoir des doutes à ce sujet, s’il a une bonne réputation,  s’il entre dans la maison en plein jour, et à l’accotumée.
 

 1734- La culpabilité d’un jugement bâclé ou approximatif (rash).  Un jugement bâclé est, au sens strict, un assentiment ferme de l’esprit basé sur des données insuffisantes, et qui porte sur le fait que quelqu’un est ou a été coupable de péché.  De par sa nature, ce péché est mortel, car il consiste à mépriser et à injurier ce qui est considéré comme un des biens principaux de l’homme, à savoir l’opinion favorable que les autres ont de lui. Il est dénoncé dans l’Écriture comme une offense faite à la loi elle-même : Celui qui juge son frère juge la loi (Jac 1V, 2), et comme méritant la condamnation : Ne juge pas, et tu ne seras pas jugé; ne condamne pas, et tu ne seras pas condamné (Luc, V1, 37).  A cause de l’imperfection de l’acte, ou à cause de la légèreté de la matière, un jugement approximatif ou bâclé  peut n’être qu’un péché véniel, (comme quand des soupçons non fondés surviennent  dans l’esprit sans qu’on prenne  garde à leur gravité; ou quand quelqu’un juge de façon approximative. dans une légère matière, comme, par exemple, que quelqu’un a volé un euro).

 1735-  Un jugement bâclé ou approximatif  n’est, dans tous les cas,  un péché mortel  que si les conditions suivantes sont présentes.  Il faut qu’il y ait eu une délibération parfaite, c’est-à-dire une pleine attention au jugement lui-même, et à sa peccabilité et sa gravité (175).  Il n’y a pas de pleine attention à la peccabilité et à la gravité du jugement, toutefois, si on ne perçoit pas, au moins de manière confuse, qu’on est en train de prendre, sans preuve suffisante,  une décision  sur la culpabilité du prochain, et qu’on lui fait une grave offense.  Mais il n’est pas nécessaire que le jugement approximatif continue pendant longtemps, car la malice dépend du mal causé, non de la longueur du temps qu’il a duré. Il faut que l’approximation soit sérieuse, car la culpabilité d’un jugement bâclé  repose sur son bâclage.  En conséquence, si quelqu’un juge certain un péché qui est très probable et presque certain, il n’y a pas là de grande imprudence, et donc pas de péché sérieux.  Il faut qu’il y ait une grande offense et du mépris, car c’est dans ces choses que consiste la malice du jugement précipité.  En conséquence, si quelqu’un juge qu’un tel est un ivrogne,  et si ni lui ni les autres qu’il fréquente ne trouvent déshonorante l’ivrognerie,  il n’y a pas eu de grand tort de fait.   Semblablement, si quelqu’un juge qu’un inconnu, faisant partie d’un groupe, est un coquin, ou que l’étranger qu’il rencontre sur la rue, tard le soir, est un truand, ou que le groupe qu’il voit de loin se dirige vers un lieu mal famé, il ne semble pas avoir commis de grande offense, car on ne souffre pas du manque d’estime de ceux qu’on ne connait pas.

 1736- Les règles pour l’attention parfaite aux jugements bâclés.  Il y a une attention parfaite quand quelqu’un se rend compte, sur le fait, que sont insuffisantes les raisons qu’il apporte  pour juger défavorablement quelqu’un.  Il y a une attention parfaite quand quelqu’un se rend compte virtuellement  de l’insuffisance sérieuse des raisons, c’est-à-dire quand quelqu’un pourrait et devrait  s’en rendre compte, mais quand, vinciblement, il ne perçoit rien (30, 31),  à cause d’une certaine passion volontairement cultivée, comme la haine ou l’envie de la personne jugée.  Dans ces cas, quelqu’un juge avec négligence ou précipitation, dans une matière sérieuse.

 1737- Les règles pour l’insuffisance des raisons menant à des jugements défavorables. Les témoins d’un péché ne sont pas suffisamment fiables si leur crédibilité est de peu de valeur (parce qu’ils sont des ennemis de la personne contre laquelle ils parlent, ou des calomniateurs, ou des gens qui  partent des rumeurs ou lancent des bobards, ou ont eux-mêmes une mauvaise réputation, ou dont les racontars ne méritent pas d’être écoutés.)  Si les dénonciateurs et la personne contre laquelle ils parlent ont un nombre égal de bonnes qualités, il y a suffisamment de raisons pour douter, mais on ne peut aller plus loin.  Des arguments pour démontrer un péché ne suffisent pas  s’ils ne font qu’engendrer une légère présomption de culpabilité (658), c’est-à-dire s’ils présentent des faits qui ne sont jamais ou rarement et pas nécessairement des causes, des effets ou des indications de péché.  Ainsi, il est présomptueux de juger qu’un homme mur et  une dame, qui parlent entre eux de façon respectueuse en public, discutent de choses obscènes; ou qu’une personne respectable dont la face est rougeâtre, dont les mains tremblent,  et qui glisse en marchant sur la rue, a bu un peu abondamment; ou qu’un homme  qui grimpe au second étage d’une maison située sur un boulevard achalandé, en plein jour, est un cambrioleur.   On peut exprimer cette règle en d’autres mots, en disant que les raisons pour juger défavorablement son insuffisantes lorsque, compte tenu des circonstances de temps, de lieu, de personnes  et du fait lui-même, aucune personne prudente ne considérerait que les raisons qui mènent à ces conclusions sont justifiées.

 1738- Les règles sur la gravité de la matière dans les jugements précipités tendancieux.  D’après la nature d’une chose qui affecte d’autres personnes, seuls les jugements qu’un péché mortel a été commis sont une grave matière.   Car le péché mortel est le seul à être en lui-même un reproche grave.  D’après les circonstances des personnes ou des actes,  un jugement précipité de péché mortel  peut n’être que véniel, car il arrive parfois que certaines sortes de péchés sérieux ne soient pas considérés comme déshonorants chez certaines personnes, ou dans certaines conditions.  Ainsi, en certains lieux, il est considéré honorable pour les soldats ou les étudiants d’avoir blessé des adversaires en duel.  Des personnes frustres et non dégrossies se réjouissent de leur aisance à proférer des blasphèmes ou des obscénités.  Là où l’ivrognerie est entrée dans les moeurs, elle n’est pas vue comme déshonorante.  D’après les circonstances de personnes ou d’actes, des jugements approximatifs sur ce qui est péché véniel ou qui n’est pas péché du tout,   peuvent être mortels. Car de ceux dont on attend beaucoup, des défauts légers peuvent être les causes de grandes disgrâces.   Ainsi, il est vraiment déshonorant pour ceux qui sont concernés de penser qu’un prélat est un menteur invétéré; qu’un tel fait trop de visites; qu’un ministre est illégitime ou stupide ou atteint d’une maladie vénérienne, et donc indigne de sa charge.

 1739- L’espèce morale du péché de jugement bâclé.  C’est un péché contre la justice, pace qu’il enfreint le droit strict qu’a le prochain de ne pas être jugé coupable sans raison suffisante, et de n’être considéré digne de mépris que quand il a clairement forfait au droit d’être respecté. Il est vrai que le jugement dont nous parlons est un acte interne, et qu’il a été dit plus haut que seuls les actes externes forment la matière de la justice,  Mais les actes internes qui conduisent immédiatement à des actes externes,  comme la concupiscence tend à la luxure,   la colère à l’injure, peuvent être classés en compagnie des actes externes. En conséquence, un jugement interne conduit naturellement à un jugement externe.  Il appartient donc à la justice, comme  est injuste le désir de voler, ou juste le désir de restituer.   C’est un péché contre la charité parce qu’il ne pratique pas la bienveillance. La charité ne pense rien de mal (1 Cor V111). Et il est habituellement associé à la mauvaise foi ou à l’envie.   Celui qui juge n’aime pas vraiment son prochain comme lui-même, car il n’observe pas la règle de ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse à nous-mêmes.  1740- L’espèce morale du jugement précipité présomptueux ne change pas selon l’espèce du péché attribué à un autre (comme l’hérésie, la malhonnêteté, l’impureté), et ces circonstances d’un jugement approximatif n’ont pas à être mentionnées en confession.

 1741- L’espèce morale de l’opinion approximative tendancieuse, de la suspicion et du doute.  Est-ce que les conclusions qui viennent d’être données sur le jugement bâclé valent pour une opinion, un soupçon et un doute précipités et tendancieux ?

 Il y a des moralistes qui répondent  par l’affirmative.  Ils prétendent que la même grave offense, le même mépris du prochain qui existent dans le jugement  se trouvent aussi  dans ces péchés, et que l’Écriture ne fait aucun clivage entre l’un et les autres.  Au contraire, disent-ils, les commérages, les détractations et les haines sont souvent causés par des doutes, des soupçons  et des opinions, puisque les jugements fermes et bien fondés sont rares.  De plus, il n’y a personne qui  ne préfèrerait  être jugé coupable de fornication, plutôt que de voir qu’on doute de lui et qu’on le soupçonne des péchés les plus haineux, come l’inceste ou la sodomie.

 D’autres moralistes penchent  pour la négative. Ils soutiennent que le soupçon et le doute ne causent pas de tort sérieux, puisqu’ils ne forment pas une  ferme décision de la pensée. Ils sont des offenses incomplètes qui diminuent mais n’enlèvent pas l’estime due aux autres.  Mais les partisans de l’affirmative répliquent que bien que l’opinion, le soupçon et le doute soient incomplets en ce qui concerne l’assentiment, ils ne sont pas incomplets en ce qui a trait à la délibération et au consentement. Ils peuvent donc être des péchés mortels, comme il a été dit pour les doutes contre la foi (840).  D’autres moralistes soutiennent que les opinions, les soupçons et les doutes précipités et tendancieux sont, de par leur nature, des péchés mortels, à cause des arguments que donnent les partisans de la première opinion;  mais que, dans les faits, ils ne sont que véniels à cause de l’imperfection de l’acte, (puisque, à cause de la fragilité humaine, les doutes, les soupçons et les mauvaises opinions qui portent sur les autres peuvent facilement surgir avant qu’on ne s’en rende compte) ou à cause de la légèreté de la matière (car il y a rarement un de ces états mentaux sans quelque raison qui semble à tout le moins approximativement une  justification),  Mais il semble vraisemblable que les jugements approximatifs tendancieux ne soient que rarement des péchés mortels, puisque les conditions requises pour qu’il y ait péché mortel ne se rencontrent pas souvent.

 1742- Les raisons principales pour des jugements téméraires portant sur le  caractère des autres.  Une première raison est que la personne qui tire la conclusion est elle-même mauvaise.  Les malfaiteurs sont très enclins à soupçonner le mal chez les autres.   Car le péché leur semble si délectable qu’ils pensent que les autres doivent y trouver le même plaisir. Quand il marche sur une route, il  pense que tous sont fous comme il l’est lui-même (Eccé X. 3).  Une deuxième raison est que le désir est souvent le père du dessein  Ainsi, si quelqu’un hait ou envie une autre personne, ou est en colère contre elle, un rien suffira pour qu’il la juge  coupable de péché.  Comme l’amour aveugle un amoureux au point de ne pas voir les péchés et les crimes de l’objet de son affection, les préjugés donnent une vue déformée qui ne peut voir que du mauvais dans l’objet qui lui déplait.   Une troisième raison pour un jugement approximatif défavorable aux autres est une longue expérience des relations humaines.  Ainsi, les vieux ne se contentent pas toujours de rester sur leurs gardes, chose raisonnable, mais ils deviennent indument soupçonneux. Semblablement, ceux qui ont connu plusieurs épreuves ou déboires dans leurs vies deviennent souvent  cyniques ou misanthropes. Et les actions de tous leurs concitoyens leur apparaissent mauvaises, ou souillées par une mauvaise intention.

 1743- Les doutes non fondés.  Les doutes au sujet de l’honnêteté des autres sont des péchés, quand aucune raison suffisante ne les justifie.  Par exemple, il serait déraisonnable de suspendre son jugement sur une personne jouissant d’une excellente réputation, parce qu’un calomniateur, connu comme tel, a vomi sur elle,  Mais un doute serait raisonnable quand un homme crédible déclare déshonnête une personne qui a la réputation d’être honnête.  Dans un cas de ce genre, on aurait la possibilité d’opter pour la malhonnêteté ou l’honnêteté de l’accusé, ou de suspendre son jugement.   Il n’est pas permis d’interpréter des doutes raisonnables dans un sens défavorable à une autre personne, car cela reviendrait à un jugement précipité tendancieux, puisque les raisons suffisent pour le doute, mais pas pour une décision.  En conséquence, ce serait une mauvaise chose de croire qu’une personne jouissant d’une bonne réputation a été un voleur de grand chemin,  parce qu’une autre personne de bonne réputation le dit.  Il est permis de suspendre son jugement dans le cas de doutes raisonnables, s’il n’y a pas d’obligation de décider dans un sens ou dans l’autre.  Car, en agissant ainsi, on n’offense pas sa propre intelligence (puisque le doute est raisonnable), et on ne porte pas atteinte à la réputation de quelqu’un (puisqu’on suppose qu’il n’y a aucune obligation de juger en sa faveur).  Comme aucun devoir ne nous oblige à faire des actes d’amour à notre prochain à chaque occasion; et aucun devoir ne nous oblige à faire penser la balance du doute en sa faveur à chaque occasion, ou à avoir de lui une opinion quelconque.

 Il y a des moralistes qui n’admettent pas cela. Mais l’enseignement de la majorité leur est contraire. Il n’est pas permis de suspendre son jugement, mais un doute raisonnable doit être résolu dans un sens favorable, s’il y a une obligation ou un désir de décider d’une façon ou de l’autre.   Autrement, on déciderait dans un sens défavorable, et on deviendrait coupable d’un jugement bâclé.  C’est ce que signifie le fameux adage selon lequel on devrait trancher en faveur du prochain quand il y a des doutes au sujet de son caractère.  En conséquence, si on était dans le sérieux danger de former un jugement bâclé, et si on ne pouvait pas autrement surmonter la tentation, une suspension de jugement devrait laisser place à  un jugement favorable. Il est vrai qu’on pourrait fréquemment être en erreur en ne voyant que du bien dans l’humanité, puisque l’homme est attiré au mal depuis son enfance (Gen. V111, 21), et que le nombre des fous est infini (Eccl 1, 15).   Mais c’est un mal moindre de tomber dans l’erreur spéculative de prendre un mauvais homme pour un bon, plutôt que de tomber dans l’erreur pratique de devenir mauvais soi-même en violant les lois de la prudence, de la justice et de la charité.  Et il est moins dommageable que plusieurs pécheurs  reçoivent plus de gloire qu’ils ne méritent, qu’un seul juste soit privé de la réputation à laquelle il a droit.  Le pseudo-Ambroise (Apolog 11 David, e. 2. n. 5) dit que ceux qui jugent les autres témérairement sont rendus par là-même pires que ceux  qu’ils jugent.  Et saint Thomas remarque que les opinions favorables envers les autres ne font de mal à personne, tandis que les  opinions défavorables font du tort aux personnes innocentes.

 1744- L’interprétation des doutes dans un sens favorable ne signifie pas qu’on ne doive pas prendre en considération les possibilités de danger ou de tromperie, ni de ne pas prendre les moyens pour se protéger.   Cette façon de faire n’est pas un jugement bâclé, car même quand on juge que telle personne est bonne, on sait très bien qu’on peut se tromper, et qu’on ne peut s’y fier totalement pour sa conduite externe.  Il est donc permis d’agir comme si on avait une mauvaise opinion d’un autre, quand on doit se prémunir contre un dommage possible.   Ainsi, un père peut interdire à ses enfants de s’amuser avec  d’autres enfants, car ces derniers peuvent être des voyous,   Un employeur peut garder son argent sous clef, parce que les employés peuvent être déshonnêtes; les travailleurs peuvent avoir des armes, parce que les habitants des lieux où ils voyagent peuvent être  traîtres.  Même si les apparences sont favorables, il faut toujours se méfier, car elles sont souvent trompeuses.   Il n’est pas permis, toutefois, pour  se protéger soi-même et les autres,  d’être indument soupçonneux et agressifs, et de salir ou de détruire la réputation de celui contre lequel on se prémunit.   Ainsi, il serait injuste et non charitable de se précipiter avec ostentation sur les coffres-forts  et les tiroirs pour les mettre en sécurité,   à chaque fois que telle personne apparaît.  Car ce serait la même chose que de dire qu’elle est un voleur.
 

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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction

Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.

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