ARTICLE 6
LES PARTIES POTENTIELLES
RESTANTES DE LA JUSTICE
LA VERTU DE PIÉTÉ ET LES
COMMANDEMENTS
(somme théologique IIa-IIae qq. 101-122)
2344- Ayant traité de la religion, la plus importante partie de la justice, nous allons maintenant considérer les vertus subsidiaires du présent groupe qui restent, à savoir la piété, la révérence, la franchise, la gratitude, la justification, l’amitié, la libéralité, l’équité (cf. 2141-2143).
2345 La vertu de piété. En termes généraux, la vertu de piété est celle qui pousse quelqu’un à se montrer reconnaissant pour la dette contractée à la naissance. Ce mot peut se prendre en trois sens. Dans son sens le plus strict, il se réfère à l’accomplissement du devoir à rendre envers les causes immédiates et secondes de notre être, nos parents, notre patrie. Dans un sens dérivé, il s’applique aux devoirs religieux dus à Dieu, lequel est notre Père céleste et le premier auteur de notre être. Ainsi, on appelle pieux ceux qui remplissent fidèlement leurs devoirs envers Dieu; et on appelle œuvres de piété les services divins. Dans son sens le plus large, la piété s’applique aux œuvres de miséricorde, puisqu’elles plaisent grandement à Dieu en tant que tribut de filiation divine. Le miséricordieux pratique la pitié, parce que sa tendresse de cœur envers les infortunés honore Dieu plus que les victimes ou les sacrifices. En conséquence, puisque Dieu est miséricordieux, on l’appelle parfois pieux, lui aussi. Le Seigneur a de la compassion et de la miséricorde (Eccl 11, 13).
2346 Définition de la piété. On définit ainsi la piété au sens strict. Une vertu naturelle qui incite à payer aux parents et à la patrie le devoir de respect et d’assistance qui leur est du, en tant qu’auteurs et soutiens de notre être. C’est une vertu morale, qui appartient à la justice. Elle diffère donc du devoir spécial de charité du aux parents et au pays (1158, 1171). La charité aime les parents et le pays pour l’amour de Dieu dont ils sont des créatures. La piété les honore en reconnaissance des bienfaits reçus d’eux, et de l’autorité dont ils sont investis.
On montre de la piété envers les parents et la patrie. C’est-à-dire, comme un croyant adore son Dieu pour exalter son excellence, et reconnaître sa dépendance. La piété montre donc un respect qui est du à ceux qui, pour nous sur terre, tiennent la place de Dieu. On doit la piété filiale autant à la mère qu’au père, et, à un moindre degré à d’autres parents, dans la mesure ils participent au sang des parents et le continue, et peuvent être considérés comme leurs représentants (les grands-parents, les frères, les sœurs). Le patriotisme se rapporte à la terre natale, ou au pays, à la nation, à l’état, la cité etc. Et il devrait comprendre non seulement les concitoyens, mais les amis et les alliés d’un pays. Un migrant naturalisé devrait continuer à aimer le lieu de sa naissance, mais il doit sa loyauté et son obéissance à la nation à laquelle il a transféré son allégeance. La piété offre le respect et l’assistance. Le premier devoir est dû envers les parents en raison de leur position de géniteurs et de supérieurs. Le second est dû au besoin qu’ils peuvent avoir de leurs enfants, quand ils sont infirmes ou pauvres. Il est fort probable qu’on ne viole la piété filiale que quand les biens personnes la vie, la santé, le corps, la réputation, l’honneur) des parents sont menacés, et quand l’affront fait à ces biens provient de la fraude, du vol, ou d’un dommage plutôt que de l’impiété. De plus, en raison de la communauté de biens qui existe entre parents et enfants, les offenses mutuelles qu’ils se font ne sont pas strictement des actes d’injustice. Pour qu’il y ait un péché grave, elles requièrent ces offenses quelque chose de plus que la matière grave ordinaire d’un péché mortel (1902).
On doit la piété aux parents et au pays en tant qu’auteurs et préservateurs de notre vie. Elle diffère ainsi de la justice légale, laquelle est le devoir dû à l’état ou à la communauté, précisément en tant qu’elle est le tout dont chacun est une partie. Elle diffère aussi de la justice commutative qui est obligatoire dans les ententes avec les parents ou avec d’autres supérieurs, car le devoir leur est dû, alors, en tant que partenaires d’un libre contrat. En raison de la noblesse de l’objet formel, la piété filiale et le patriotisme ressemblent beaucoup à la religion, et se classent tout de suite après elle dans le catalogue des vertus.
2347 La révérence requise par la piété. On devrait honorer les parents intérieurement par l’estime avec laquelle on tient leur dignité parentale et leurs mérites (non leurs manquements); extérieurement, par les marques de respect qu’on leur montre régulièrement. On devrait accorder aux parents un plus bas degré de respect, selon que le lien de parenté est proche ou éloigné, et selon que la relation est étroite ou lâche. Ainsi, les parents devraient traiter leurs enfants avec la considération qui est due aux membres d’une famille, et non comme des serviteurs ou des étrangers. Les frères, les sœurs et les cousins au troisième degré devraient se traiter entre eux avec la courtoisie et le respect que demande la possession de parents ou d’ancêtres communs. Les parents en ligne directe sont plus apparentés que ceux en ligne collatérale, et les parents âgés (les grands parents) ont plus droit au respect que les plus jeunes. On devrait honorer la patrie non seulement par l’admiration que l’on ressent à cause de sa grandeur passée ou présente, mais en premier lieu, et surtout, par le tendre sentiment de vénération que quelqu’un a pour le pays qui lui a donné la naissance, la nourriture et l’éducation. Même si un pays est pauvre et humble, on le doit le révérer avec des sentiments patriotiques (Ps CXXXV1). Les manifestations externes montrées envers le pays sont les honneurs rendus au drapeau et aux symboles, les marques d’appréciation de sa citoyenneté (Act. XX1, 39), et les efforts pour promouvoir sa vraie gloire à l’intérieur et à l’extérieur.
L’assistance requise par la piété. On devrait aider les parents dans leurs besoins, spirituels ou temporels. S’ils sont malades, on devrait les visiter. S’ils sont pauvres, on devrait leur porter secours. S’ils ont besoin de sacrements, de prières ou de suffrages, on devrait leur procurer ces biens spirituels. Mais un fils n’est pas obligé de payer les dettes d’un père qui ne lui a rien légué, puisque la dette en était une personnelle. On devrait aider les parents dans leurs besoins, surtout si la nécessité est urgente et la relation étroite (comme dans le cas de frères et de sœurs). Mais ce devoir n’est pas aussi strict que celui envers la père et la mère. Et si la relation est distante, il n’y a pas d’obligation spéciale de piété. On aide le pays en aidant les concitoyens qui ont besoin d’un secours moral, temporel ou mental. Les plus nobles patriotes sont ceux qui vouent leur vie, leur labeur et leur argent à la promotion de la religion, de l’éducation et du bonheur des leurs; à la correction des vrais maux qui menacent de conduire à la décadence et la corruption de la vie nationale; et à la préservation des idéaux et des constitutions qui forment ce que chaque nation a de plus de caractéristique et de meilleur.
2349 Les péchés contre la piété.
Par excès. Un respect exagéré
pour la patrie ou les parents est un péché, puisqu’il n’est pas selon
l’ordre de la raison. Ainsi, s’il est vrai que les enfants ne
doivent pas déshonorer leurs parents sous prétexte de religion (Mat.
XV, 3-9), ils ne doivent pas être plus dévoués à leurs parents qu’à
Dieu (Luc X1V, 26; Matt. X111, 22), ni négliger l’appel de Dieu quand
les parents n’ont pas besoin d’eux (Matt. 1V, 22). Ainsi, le
patriotisme ne doit pas non plus dégénérer en patriolâtrie qui
fait un dieu d’une patrie parfaite et toute puissante; ni en chauvinisme
qui ne voit du bien que dans son pays, et qui méprise les autres, ainsi
que la justice internationale.
Par défaut. Le manque de respect envers les parents. Ce manque de respect a lieu par des paroles, quand on n’a que du mépris pour leur pauvreté, leur ignorance ou leur faiblesse (quand on s’adresse à eux en des termes amers, hautains, ou remplis de reproche; quand on parle en mal de ses parents aux autres; par des signes (quand, pour les ridiculiser, on se moque de leurs tics en les mimant); par des actions (quand on les menace ou quand on les frappe); et par omission (quand les enfants instruits de parents ignorants ne veulent pas les reconnaître et les honorer par respect humain). Le manque de respect pour sa patrie a lieu quand quelqu’un est imbu de doctrines anti nationales (les principes de l’internationalisme qui soutiennent que la loyauté est due à une classe, à savoir les travailleurs du monde ou à un groupe capitaliste, et que la patrie devrait être sacrifiée à des intérêts égoïstes; le principe d’humanitarisme qui prône que le patriotisme est incompatible avec l’amour de la race; le principe d’égoïsme qui soutient que l’individu n’a aucune obligation envers la société). Il est mis en pratique quand on ne voit que des défauts dans son pays ou dans son histoire, quand ignore son bon nom ou son prestige, subordonne sa juste prééminence à une classe, à une section, à un parti, à l’ambition personnelle, à la cupidité.
2350 La malice des péchés contre la piété. La malice morale est distincte de celle des autres péchés puisque l’injustice commise contre la dette due au principe humain d’existence a un caractère spécial de malice, comme étant opposée à une sorte spéciale de droit. Parmi les péchés de meurtre, le parricide et la matricide ont toujours été considérés comme particulièrement révoltants. De la même façon, le manque de respect envers le père et la mère sont de plus grands maux que le manque de respect envers des personnes qui n’ont pas cette sorte de droit à être honorés. Ainsi, celui qui a frappé son père doit mentionner, en confession, que c’est son père qu’il a frappé, puisque c’est une circonstance qui change l’espèce du péché. Mais celui qui a frappé son cousin au quatrième degré, n’a pas à parler de la parenté, parce qu’une parenté éloignée, même si elle représente une circonstance aggravante, ne donne pas à l’offense le caractère d’une impiété.
La malice théologique est grave
de par sa nature même, puisque la piété se range tout de suite après
la religion, et est l’objet d’un commandement spécial et d’une promesse
de Dieu. Mais le péché peut être véniel en raison de la légèreté
de l’offense, (quand les enfants répliquent à leurs parents du tic
au tac, mais sans mépris); ou en raison du peu d’importance de la personne
offensée (quand un frère gifle son frère, le péché n’est pas aussi
sérieux que s’il avait giflé ses parents). Les enfants qui ont gravement
manqué de respect envers leurs parents sont obligés de demander pardon.
Mais imposer à l’enfant l’obligation de confesser régulièrement
ce péché peut paraître un manque de sagesse, car une telle insistance
pourrait n’avoir pour effet que d’inciter le pénitent à de nouveaux
péchés. Et on peut normalement présumer que les parents ont pardonné
quand l’enfant s’est amendé.
2351- La vertu de vénération.
La vertu est connue en latin sous le nom d’observance, parce qu’elle
a pour objets des personnes en autorité. Elle s’observe ou elle se surveille
d’une façon spéciale afin de pouvoir révérer leurs dignités ou apprendre
leurs commandements. On la définit comme une vertu morale qui incite à
rendre à chaque personne haut placée le tribut d’honneur et d’obéissance
dû à leur autorité. C’est une vertu morale, c’est-à-dire,
qu’elle s’occupe immédiatement de la direction des actes humains.
La vénération appartient à la justice, car elle rend aux autres ce qui
leur est du. Les personnes auxquelles on rend justice sont
celles qui sont haut placées, les supérieurs qui ont autorité sur nous
et sur d’autres, ainsi que des gens éminents en vertu, en savoir, ou
en d’autres qualités qui les rendent aptes à gouverner. Les supérieurs
dont on parle ici n’ont pas à être meilleurs en tout que les personnes
qui leur portent respect (celui qui est supérieur en juridiction doit
un certain respect à un sujet plus savant ou plus vertueux que lui); il
ne doit pas y avoir non plus nécessairement une inégalité entre
celui qui reçoit la révérence et celui qui la donne (deux personnes
que distingue un égal rang ou mérite se doivent mutuellement la
révérence, en raison de la supériorité que chacun a sur plusieurs autres).
La raison qui justifie la vénération est l’autorité dont certaines personnes sont investies, c’est-à-dire l’excellence de leur état, qui leur confère une dignité supérieure; et le devoir qu’ils ont de gouverner, lequel les rend capable d’orienter leurs sujets vers la fin appropriée. Nous voyons ici que la vénération est une vertu divine, car, bien que la piété et la vénération soient toutes deux des formes de vénération, le motif en est différent. Ainsi, un enfant doit à son père la piété, parce qu’il a reçu de lui le commencement de sa vie, et la révérence, parce que c’est de son père qu’il a reçu la direction vers sa fin. Un sujet doit aussi aux dirigeants de son pays la piété et la vénération, en tant que représentants de la nation et du bien commun (quand on donne au chef de l’état un salut particulier), la révérence en considération de leur rang spécial et de leur gloire (quand on aide le chef de l’état à alléger le fardeau de sa charge).
L’honneur est le premier tribut que paye la vénération. C’est un témoignage donné à la grandeur, et il est offert à la dignité ou au rang du supérieur. L’honneur diffère de la vénération comme l’effet diffère de sa cause, ou les moyens de la fin. Car, c’est la vénération qui incite quelqu’un à honorer un supérieur, et l’honneur a pour fin d’exciter en autrui la vénération à l’endroit de la personne honorée. La dette d’honneur est due à ceux qui sont supérieurs en juridiction par la justice légale; elle est due aussi à ceux qui ne sont supérieurs ni en juridiction ni en justice légale, puisque la loi n’en fait pas d’obligation. C’est quelque chose qui est convenable et raisonnable. Le second tribut de la vénération est l’obéissance, laquelle est une soumission à la loi. Elle est offerte au pouvoir de gouverner du supérieur. On ne paye le tribut de vénération qu’à ses supérieurs, puisque les autres n’ont pas le pouvoir de nous imposer leur volonté ou leurs lois.
2352- Les espèces d’honneur. Quant aux sortes d’honneur, il y a un honneur commun qui est montré à tous et par tous (Dieu honore les saints, et Tobie et Mardochée ont été honorés par leur souverain); et l’honneur spécial de l’hommage qui inclut la soumission, et qui n‘est montré à leurs supérieurs et maîtres que par les inférieurs ou les serviteurs. Quant aux manières de le rendre, il y a l’honneur en général et la louange, laquelle est une forme spéciale d’honneur. On loue quelqu’un en paroles ou par écrit (par des mausolées, des présents, des banquets, des titres). Quand aux motifs, il y a l’honneur civil, (le respect montré à l’autorité temporelle des gouvernants, des instituteurs, des employeurs etc.); l’honneur religieux (le respect montré à l’autorité spirituelle du pape, des évêques, des prêtres etc.) et l’honneur surnaturel (le respect montré aux vertus des saints hommes). On connait cet honneur sous le nom de dulie, et d’hyperdulie pour la sainte Vierge.
2353- L’obligation d’honorer une excellence méritante. On devrait donner l’honneur commun à tous ceux qui ne sont pas irrévocablement mauvais et méchants. C’est-à-dire qu’on devrait le montrer à toutes les créatures, à l’exception des damnés. Car, comme nous avons dit plus haut, il n’y a personne qui, à un point de vue ou à un autre, ne possède pas une certaine supériorité. Et il est même raisonnable de penser qu’une personne que rien apparemment ne distingue, est meilleure que nous, ou possède une qualité qui nous fait défaut. Voilà pourquoi l’Écriture nous avertit d’honorer tout le monde (1 Pi 11, 17), d’être toujours disposés à nous honorer les uns les autres (Rom X11, 10), et de penser, en toute humilité, que les autres sont meilleurs que nous (Phil 111, 3). Mais, en rendant de l’honneur, même si chacun doit avoir au moins une opinion favorable de tous les autres, le devoir de l’honneur externe n’oblige pas en tout temps, dans toutes les circonstances. Et on ne doit pas donner la même sorte d’honneur à tous. Ceux qui montrent les signes ordinaires de charité (comme ils le devraient), dans des souhaits, des salutations, des gestes courtois, remplissent suffisamment le devoir de l’honneur commun.
On devrait donner un honneur spécial à tous ceux qui y ont droit. Tribut à qui le tribut est du, honneur à qui l’honneur est du (Rom X111, 7). Ainsi, les chefs d’état et les évêques devraient recevoir le respect qui leur est du par leur état, même s’ils sont personnellement mauvais. Car en rendant de la révérence à leur rang, on montre de la révérence à l’Église dont ils sont les ministres, et à la communauté qu’ils représentent. Il y a une obligation morale, même si non légale, d’honorer les saints. L’honneur, il est vrai, n’est pas une récompense suffisante pour la vertu, mais il est un signe sélect de reconnaissance; et dans l’intérêt des autres, puisque la vertu honorée est comme une lampe placée sur un lampadaire , et qui éclaire beaucoup de personnes (Matt. V, 15).
2354- L’obligation du culte religieux de dulie. Il n’y a pas de devoir strict de vénérer la sainte Vierge, les anges, les saints, les images ou les reliques, car, absolument parlant, il suffit, pour le salut, d’adorer Dieu. Mais il est de foi que le culte des saints est légal et utile, En conséquence, celui qui le négligerait non seulement ne tiendrait pas compte des pressantes incitations de l’Église à les prier, mais il dénierait aux amis et aux héros de Dieu les honneurs qui leur reviennent (Eccl VL1V, 1; Hebr. 11), et se priverait lui-même de précieux aides d’intercession et d’inspiration. Quelques moralistes pensent que c’est au moins un péché véniel de ne jamais invoquer la Vierge Marie. Il y aurait sûrement un péché, et peut-être grave, si la négligence était scandaleuse ou mettrait le salut en péril. En remplissant les actes du culte, il y a une obligation d’accorder aux saints la vénération qui convient à leur dignité, pourvu qu’elle soit conforme aux lois de l’Église, (seule l’Église peut donner les titres de vénérable, de bienheureux et de saint. Le culte public ne peut être rendu que par ceux qui sont autorisés à agir au nom de l’Église, et uniquement avec les rites approuvés). Il est permis d’invoquer privément des enfants morts après avoir reçu le baptême, et selon un grand nombre, les âmes du purgatoire. Mais il serait superstitieux de donner aux damnés ou faux saints le culte qui ne vaut que pour les saints canonisés.
2355- L’obéissance. L’obéissance est une vertu morale annexée à la justice, qui incite quelqu’un à répondre promptement et volontairement au commandement de son supérieur, parce qu’il est un commandement et qu’il est obligatoire. L’obéissance est prompte et volontaire. Elle diffère donc d’une soumission contrainte, subie, et tardive, ainsi que d’une obéissance servile et politique (obéissance par crainte ou intérêt). Car il manque là la bonne volonté, ou le bon motif requis par la vertu. Notez aussi que la vertu d’obéissance diffère du vœu d’obéissance en ceci que le vœu oblige à l’observance externe d’un commandement, tandis que la vertu inclut la soumission interne. Elle est montrée à un supérieur. Entre égaux, il n’y a pas d’obéissance au sens strict, même si l’un d’entre eux peut céder à ce qu’un autre désire pour des motifs de charité ou d’amitié. C’est une conformité à une loi ou un précepte imposée par l’autorité sous forme de commandement. Quelques moralistes soutiennent que c’est un acte d’obéissance que d’accomplir la volonté connue d’un supérieur, même si elle n’a pas été imposée comme obligatoire. Mais d’autres ne voient aucune obéissance là-dedans, mais la perfection ou l’esprit de l’obéissance. Ainsi, si un fils sait que son père aimerait qu’il coupe le gazon ou sorte les poubelles, mais n’en a pas reçu l’ordre explicite, cette omission, selon la première opinion, est de la désobéissance, mais, selon la seconde, un manque d’esprit d’obéissance.
On obéit précisément parce que le supérieur en a donné l’ordre. C’est cette intention qui sépare l’obédience des autres actes de vertu qui portent sur des matières commandées, Il y a une obédience matérielle qui est une circonstance des autres vertus, et qui peut être appelée une vertu générale (quand quelqu’une garde la premier commandement par amour pour Dieu, il y a de la charité; quand on garde le septième commandement par amour de l’honnêteté, il y a de la justice). L’obéissance formelle dont nous parlons maintenant est une vertu particulière et distincte, car elle ne garde la loi que parce qu’elle est la loi, et que, parce qu’étant loi, elle doit être observée.
2356- -Le pouvoir de juridiction et le pouvoir de gouvernement. Il y a deux sortes de pouvoir qui confèrent l’autorité morale d’imposer un commandement : le pouvoir de juridiction et de gouvernement. Détient le pouvoir de juridiction celui qui règne dans une société parfaite (l’Église ou l’état), qui possède l’autorité suprême, et a le droit d’imposer des lois. Détient le pouvoir de gouvernement celui qui règne dans une société imparfaite, dont l’autorité dépend d’un autre, mais qui n’a que le droit d’imposer des préceptes. Ce pouvoir provient de la vraie nature de la société en tant que corps composé d’un supérieur et de sujets (dans une famille, les enfants sont nécessairement soumis à leurs parents); ou en vertu d’une entente les parties concernées (en se mariant, la femme devient la sujette de son mari; en acceptant un emploi, la servante devient sujette de son employeur; en faisant le voeu d’obéissance, une religieuse devient sujette de sa supérieure).
2357- Les degrés d’obéissance. Les auteurs ascétiques distinguent trois degrés d’obéissance : l’obéissance externe, qui accomplit avec exactitude la chose commandée, même si le cœur n’y est pas; l’obéissance interne, qui joint la bonne volonté à la soumission externe, même si le jugement doute de la valeur ou de la bonne foi du commandement; l’obéissance aveugle, qui soumet son jugement au jugement du supérieur, pourvu, évidemment, que la chose commandée ne soit pas mauvaise (Matt. 1X, 9; Gen X11, 3; Matt. 11, 13).
2358- Comparaison de l’obéissance avec les autres vertus. L’obéissance, comme nous l’avons expliqué plus haut (2355), est distincte des autres vertus en raison de son objet formel différent. On trouve souvent son acte uni avec les autres vertus (le jeûne durant le carême pour observer la loi, est un acte d’obéissance, mais il est aussi un acte de tempérance, s’il est motivé par l’amour de la modération; ou un acte de religion, s’il est offert comme un hommage à Dieu). Mais l’obéissance peut être séparée des autres vertus, comme un supérieur qui commande ou interdit quelque chose d’indifférent pour tester l’obéissance d’un sujet (ne prendre une marche que parce qu’on en a reçu l’ordre).
L’obéissance est moins parfaite que les vertus théologales, puisqu’elle fait partie des vertus morales, qui ne sont pas centrées directement sur Dieu lui-même, mais qui s’occupent des moyens qui procurent l’union avec Lui (1 Tim 1, 5). Parmi les vertus qui inspirent le mépris des choses temporelles, l’obéissance qui sert Dieu en toutes choses, a une certaine prééminence, dans la mesure où, pour le bien humain le plus noble, Dieu, le croyant sacrifie sa volonté propre. Les autres vertus, elles, font renoncer à des biens plus bas (ceux du corps et des choses externes). D’un autre côté, l’obéissance est inférieure à la religion. Car, l’obéissance consiste dans la vénération de la loi, tandis que la religion consiste dans la vénération de Dieu lui-même. Mais, les actes de culte accomplis sans dévotion ou sans faire état de la volonté de Dieu ne souffrent pas la comparaison avec l’obéissance respectueuse, parce que les premiers sont des péchés, et l’autre. de la religion et de l’obéissance. Voilà pourquoi il a été dit que l’obéissance vaut mieux que le sacrifice (1 Rois XV, 22). Ce qui signifie que la dévotion interne est préférable à un culte purement externe. Les mystiques louent l’obéissance qu’ils considèrent comme la gardienne des vertus, et le chemin sûr où marcher (Prov. X1, 28).
2359- La comparaison des actes d’obéissance. Tous les actes d’obéissance sont de la même espèce, puisque, en dépit de la diversité des supérieurs et des lois, il y a toujours dans l’obéissance le même caractère du au motif. Quel que soit le supérieur ou quelle que soit la loi, la raison pour obéir est toujours l’autorité qui commande, et l’obligation qu’elle impose. Ainsi, qu’on obéisse à Dieu, à l’Église, à l’état, aux parents, la vertu est toujours la même. Mais tous les actes d’obéissance n’ont pas toujours la même perfection, car, les circonstances (l’empressement, la durée, la difficulté) ajoutent quelque chose au mérite de l’obéissance. Il est à noter, toutefois, qu’obéir en accomplissant ce que l’on aime n’est pas nécessairement moins vertueux que le contraire. Car la chose aimée peut être quelque chose de pénible que peu recherchent, et être accomplie spontanément et joyeusement, tandis que celle qui n’est pas aimée peut être quelque chose de facile, mais qui est accomplie à contre cœur.
2360- Le devoir d’obéissance. Puisque l’obéissance est obligatoire en vertu du droit qu’a un supérieur de commander, l’étendue du devoir dépend de l’étendue de l’autorité du supérieur. Ainsi, on doit obéir à Dieu en tout ce qu’il commande, parce qu’il est le Seigneur de tous, et qu’il ne peut pas commander des choses illégales. Faisons tout ce que le Seigneur a dit, et nous serons obéissants (Ex XX1V, 7). L’homme n’est pas tenu, cependant, de désirer tout ce que Dieu désire en particulier, puisque Dieu veut les choses du point de vue du bien universel, et la créature du point de vue d’un bien particulier qui lui est connu (il n’est pas permis à l’homme de désirer la damnation éternelle de ceux qui seront ainsi punis par Dieu). Mais l’homme est tenu de désirer ce que Dieu veut qu’il désire (que son voisin ne se perde pas, que son père ne meure pas tout de suite). Nul n’est tenu d’accomplir ce que Dieu lui propose comme un conseil. Dans certains cas (Gen XX11, 2; Ex. X11, 36; Os 1, 2), il semble que Dieu ait commandé un péché, mais seulement un fou ou un blasphémateur interpréterait ce passage dans un sens impossible. Dans l’ordre physique, un miracle accompli par Dieu n’est pas contraire à la loi de la nature établie par lui, mais au cours habituel de la nature. Et, semblablement, les commandements auxquels on vient de faire allusion, ne sont pas contraires aux lois de la vertu, mais à la manière habituelle d’exercer la vertu, comme on l’a expliqué en 308 et suiv.
On doit obéir à un supérieur dans toutes les choses où il a l’autorité légale de commander, d’abord, parce que Dieu le demande, et parce que celui qui résiste à l’autorité humaine résiste à Dieu (Rom X11, 2). Ensuite, parce que, sans obéissance, l’ordre paisible de la société ne peut pas être maintenu. Même si le supérieur est mauvais et infidèle, l’obéissance lui est due, car il n’exerce pas l’autorité en son nom personnel, mais dans sa capacité officielle (Matt. XX111, 2,3). L’Écriture commande d’obéir à toutes les classes de supérieurs légitimes, qu’ils soient ecclésiastiques (Hebr. V11, 17), civils (Tit 111, 1; Pi 11, 13), ou domestiques (Eph V1, 1; V, 22-24; V1, 5-8).
2361- Quand l’obéissance n’est ni légale ni obligatoire. L’obéissance à un supérieur humain n’est ni légale ni permise dans les matières où un supérieur n’a pas le droit de commander. Il n’est pas permis d’obéir à un supérieur humain quand son ordre est clairement contraire à celui d’un supérieur plus haut gradé. C’est illégal. Ainsi, on ne doit obéir à aucun supérieur humain qui commande le péché, même véniel, car nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Act V, 29; Rom 111, 8). On ne doit pas non plus obéir à une autorité subordonnée si elle commande quelque chose qui est contraire à la loi ou aux ordres donnés par son supérieur. Il n’appartient pas à un sujet, cependant, de juger son supérieur, ni de prétendre que son ordre ne sera légal que quand sa légalité sera reconnue publiquement. Il n’est pas nécessaire d’obéir à un supérieur humain quand son commandement excède sa compétence, ou quand il demande des choses sur lesquelles il n’a aucun contrôle. Ainsi, Dieu seul a l’autorité sur l’action interne de l’âme, et sur l’état naturel du corps. Et, relativement à ces choses, tous sont égaux, même si l’un est plus parfait mentalement ou corporellement qu’un autre. Mais nul n’est sujet à un autre dans ces matières. La loi divine régule l’intérieur (le commandement de croire, l’interdiction de convoiter), tandis que la loi humaine est confinée aux actes externes. La loi divine peut réguler des choses qui appartiennent à la nature du corps (Dieu pourrait demander à quelqu’un de se marier ou de conserver la virginité, ou de s’abstenir de toute nourriture). Mais la loi humaine porte sur les choses externes, là où il n’y a pas d’égalité entre les hommes; et elle ne peut pas enlever les droits naturels à la vie (292). De plus, même en ce qui a trait aux actes externes et aux choses, l’autorité d’un supérieur est limitée par les bornes que lui donne sa nature. Exemple. L’autorité temporelle ne peut pas commander des actes spirituels. L’administrateur d’un territoire ou d’un groupe ne peut pas commander aux autres; un corps constitutionnel ne peut pas faire des lois au-delà des pouvoirs conférés par la constitution. On ne peut pas imposer des lois ecclésiastiques ou des canons rejetés par le code. Il est clair aussi qu’aucun supérieur ne peut exiger qu’on fasse ce qui est moralement ou physiquement impossible. Et, en règle générale, on ne peut pas obliger quelqu’un à pratiquer une vertu héroïque (exposer sa vie au danger, 374). Si un commandement est manifestement ridicule (s’il n’a pas de motif raisonnable), il serait plus parfait d’obéir, mais il n’y aurait pas de faute à ne pas obéir.
2362- L’obéissance dans le cas où il n’y a ordinairement aucune obligation. Si un supérieur va au-delà de ce qui lui permet son autorité, le sujet peut obéir quand la matière est égale, et le motif de la soumission est bon. Dans certains cas, il est même obligatoire d’obéir à un supérieur dans des matières où il n’a normalement aucune autorité. Les voici. En raison d’un vœu, ou d’une autre entente libre et morale, Un sujet est tenu à l’obéissance dans des matières qui appartiennent à la nature du corps (quand on a fait un vœu de virginité). L’Église ne peut pas imposer la virginité, mais celui qui a fait vœu de l’observer, doit remplir les conditions et les précautions nécessaires à son observance. Mais on ne peut pas lui ordonner de le faire. En raison des circonstances, comme le scandale ou le danger de grands maux, il est parfois nécessaire de se soumettre à un commandement qui n’est pas, de lui-même, obligatoire.(376,377).
2363- Les actes internes et les supérieurs humains. Les actes internes, en eux-mêmes, ne tombent pas sous l’autorité humaine, et c’est pourquoi l’apôtre dit : Ne jugez pas avant le temps de la venue du seigneur qui rendra manifestes les intentions des cœurs (1 Cor 1V, 5). Mais, de deux façons, les supérieurs pourront les traiter avec autorité. Ainsi, au for interne, et là seulement, les actes internes eux-mêmes relèvent d’un supérieur humain. Car, le confesseur connait et agit non en tant qu’homme, mais en tant que représentant de Dieu. En conséquence, il peut examiner et prescrire des pensées internes et des désirs, comme Dieu peut le faire. Au for externe, l’Église s’occupe des actes internes en autant qu’ils entrent dans les actes externes, comme un ingrédient nécessaire de leur bonté ou de leur malice, comme quand elle commande une communion dévote, ou prononce une censure contre les juges qui sont dévoyés par la peur ou les faveurs. Cette question a été traitée en 426.
2364- L’obligation du vœu d’obéissance. Un vœu oblige un religieux à observer les ordres des supérieurs donnés selon la règle qu’il professe. En conséquence, il n’y aurait pas d’obligation, en vertu du vœu, d’accomplir des ordres qui ne sont pas autorisés explicitement ou implicitement dans la règle (si on voulait forcer une religieuse cloîtrée à travailler dans un hôpital), ni d’observer toutes les prescriptions et les règles des constitutions, si on n’a pas promis de les observer. Un commandement d’accepter le relâchement d’une règle est obligatoire, à moins que cette dispense soit clairement invalide (2225, 2237). L’obligation est grave seulement quand le commandement des supérieurs porte sur une chose grave, et quand le supérieur a l’intention de l’imposer comme un précepte grave. L’intention d’un supérieur se découvre par la forme des mots et par d’autres circonstances que la règle ou les constitutions prescrit pour l’imposition d’un précepte grave.
2365- Les péchés contre l’obéissance. Puisque l’obéissance est une vertu morale, donc une vertu qui se situe dans le juste milieu, elle doit éviter aussi bien l’excès que le défaut. Ainsi, on ne trouve pas le péché par excès dans la quantité de l’obéissance, car plus un sujet est obéissant, plus il mérite des louanges. On le trouve donc dans d’autres circonstances de l’acte de soumission, comme quand on obéit alors qu’on ne devrait pas obéir. La soumission coupable est aussi étrangère à l’obéissance que la superstition l’est à la religion. La soumission aveugle ou la servilité dans des domaines où quelqu’un devrait penser et juger par lui-même, est un simulacre d’obéissance. On trouve un péché par défaut dans la désobéissance à un commandement légitime. Le péché peut inclure à la fois le défaut et l’excès. Le premier parce que le sujet suit son propre désir plus qu’il ne devrait, et l’autre parce que le supérieur ne reçoit pas ce à quoi il a droit (1711).
2366- Définition de la désobéissance. La désobéissance est la transgression d’un commandement légal d’un supérieur, C’est une transgression, c’est-à-dire, une négligence volontaire ou un refus d’accomplir ce qui a été ordonné; ou d’omettre ce qui a été interdit, ou de l’accomplir ou de l’omettre au moment et de la manière prescrite. Ainsi, il n’y a pas de désobéissance, si l’on ne peut pas exécuter l’ordre. Par exemple. On a demandé à quel qu’un de se rendre à tel endroit, mais il ne reçoit aucune convocation, ou il tombe malade; on lui demande de donner ce qu’il ne peut pas donner; il est harassé par tant de lois et règlements, et il ne sait pas où donner de la tête. La désobéissance transgresse un commandement légal, c’est-à-dire qui est moralement bon et qui a été donné par une autorité compétente. Ce n’est pas une désobéissance de refuser de faire ce qui est manifestement illicite ( de mentir ou de voler), ou ce qui a été commandé illégalement (se soumettre aveuglément à une arrestation; d’accomplir ce que la loi interdit au supérieur de commander).
Elle est une violation d’un commandement, c’est-à-dire d’une loi ou d’un précepte. Ainsi, ce n’est pas de la désobéissance de négliger un avis, ou une exhortation ou des requêtes faites par les supérieurs, si la matière-sujet n’est pas par ailleurs obligatoire (une fille n’est pas désobéissante si elle ne choisit pas le mari choisi par ses parents). Elle est contraire au commandement d’un supérieur. Et, en conséquence, s’il y a une opposition entre les lois et les préceptes, la loi la plus haute et le supérieur le plus élevé prévalent (299 suiv).
2367- Les sortes de désobéissance. En raison du sujet, la désobéissance est matérielle ou formelle, selon que le transgresseur n’a pour but que la satisfaction d’un mauvais désir contraire à une vertu, ou la violation de l’obéissance elle-même. On trouve la désobéissance matérielle dans chaque péché, puisque chaque péché est une transgression. Et c’est dans ce sens que l’orgueil du péché originel s’appelle désobéissance (Rom V, 19). Mais la désobéissance formelle est un péché spécial, et on ne le commet que quand le pécheur transgresse volontairement pour ne pas se soumettre. En raison de l’objet, la désobéissance formelle est un mépris ou de la loi ou du supérieur. Dans le premier cas, le transgresseur méprise le commandement qui lui a été donné, et décharge son mécontentement dans la désobéissance. Dans l’autre cas, le transgresseur mésestime l’autorité du législateur ou du supérieur qui a fait la loi ou qui a donné le précepte ou le dédaigne à cause de son ignorance, ou de sa basse naissance; ou le hait ou l’envie. C’est à cause de cela qu’il viole les lois et les préceptes. Si la morgue amène quelqu’un à se rebeller contre tous les commandements, elle est parfaite. Elle est imparfaite si elle ne s’étend qu’à l’un ou l’autre. 2368- Ne méprise pas gravement une personne en autorité le sujet qui n’admire pas son caractère, ou ne partage pas toutes ses opinions, ni n’approuve tous ses projets, quand le sujet a de bonnes raisons à faire valoir, et n’oublie pas le respect et l’obéissance qui sont dus à l’autorité et à la loi.
2369- La culpabilité théologique de la désobéissance formelle. De par sa nature, la désobéissance formelle est un péché grave, puisqu’elle est contraire à la charité, qui est la vie de l’âme et la fin de la loi. L’amour de Dieu demande que nous gardions ses commandements, et que nous soyons soumis à ses représentants (Rom X111, 2; Jn X1V, 2; Rom 11, 23; X111, 2; Luc X, 16); l’Écriture par le des pécheurs des derniers jours (11 Tim X111, 1), de la sorcellerie et l’idolâtrie (1 Rois, XV, 23). En raison de l’imperfection de l’acte formel, la désobéissance n’est souvent qu’un péché véniel, si le mépris est imparfait et n’est pas dirigé contre Dieu, et si la matière du commandement ou de la transgression n’est pas sérieuse (si, pour protester contre la règle, quelqu’un se lève parfois quelles minutes en retard). Mais même si la matière n’est pas sérieuse en elle-même, la désobéissance formelle est un péché grave quand le mépris est parfait (si à cause d’un mépris anarchique pour toutes ses lois, un sujet n’observe pas une loi mineure de son supérieur). Et peut-être aussi quand le mépris porte sur un précepte divin (si quelqu’un dit de petits mensonges, parce qu’il pense que le huitième commandement est ridicule et inutile). Dans le premier cas, il y a un mépris grave, dans le second un cas de blasphème.
2370- L’espèce morale de la désobéissance. Dans la désobéissance formelle, il y a deux péchés si le commandement se rapporte à une vertu spéciale, à savoir celui contre l’obéissance, et l’autre contre la vertu visée par le législateur (quand, par mépris, quelqu’un viole le commandement). Mais si le commandement n’avait été donné que pour tester l’obéissance, il n’y a qu’un péché de désobéissance formelle (quand, par entêtement, un enfant refuse de faire les devoirs scolaires imposés par l’école et ses parents). Dans la désobéissance matérielle, si le commandement a été donné dans le but de faire pratiquer telle vertu, il n’y a que le péché contre cette vertu, comme quand on viole le cinquième ou le sixième commandement pour satisfaire ses passions. Mais si le commandement n’avait été donné que comme un entraînement à l’obéissance, il n’y a que le péché général de désobéissance, comme quand un enfant mange entre les repas, sans tenir compte de l’interdiction de sa mère.
2371- Les circonstances qui aggravent la désobéissance formelle. Un acte de désobéissance formelle peut être pire qu’un autre de deux façons. En raison du rang de la personne qui a donné le commandement. Ainsi, il est plus sérieux de désobéir à Dieu qu’aux hommes, et plus sérieux de désobéir à un supérieur général qu’à un supérieur local. En raison du rang que la chose commandée a dans l’intention du supérieur. Ainsi, quand on désobéit à Dieu, il est plus grave de transgresser un commandement plus exigeant que celui qui l’est moins, car Dieu préfère toujours le meilleur bien. Mais quand on désobéit à un homme, il est plus grave de transgresser les préceptes qui tiennent le plus à cœur au législateur.
2372- La comparaison de la désobéissance formelle avec les autres péchés. La désobéissance envers Dieu (le mépris de sa loi) est pire que les péchés envers le prochain (meurtre, vol, adultère). Cela est vrai lorsque ces péchés n’incluent pas une désobéissance formelle envers Dieu, car, en soit, et toutes choses étant égales par ailleurs, un péché contre Dieu est plus sérieux qu’un péché contre la créature. C’est également vrai quand les péchés contres les créatures incluent une désobéissance formelle contre Dieu, mais offensent un commandement moins important, comme quand l’un est un parjure et l’autre est un vol. Le mépris pour du législateur, même sans désobéissance, est pire que le mépris de la loi avec désobéissance, puisque le législateur est plus important que son précepte.
2373- La vertu de gratitude ou de reconnaissance. On annexe à la justice la religion, la piété, la vénération, et l’obéissance, à cause d’une dette légale. Les vertus qui restent, commençant par la gratitude, relèvent de la justice seulement à cause d’une dette morale (2143). On définit la gratitude ou la reconnaissance comme une vertu morale qui incite à reconnaître et à apprécier les faveurs reçues, et à payer par des remerciements. L’objet de la gratitude consiste dans les faveurs reçues, c’est-à-dire un bien utile et désiré gratuitement accordé. Ainsi, on n’a pas de gratitude pour une chose nuisible (pour l’aide apportée par quelqu’un à commettre le mal; pour des dons offerts comme pots de vin ou simonie); ou utiles (pour des choses démodées dont le donateur veut se défaire). On n’a pas non plus de gratitude pour des présents faits pour ridiculiser quelqu’un ou pour s’en moquer. Enfin, on ne doit aucun remerciement pour ce qui est du en justice (le salaire), même si la courtoisie demande une réponse chaleureuse pour chaque bienfait qu’on reçoit, même quand ce n’est pas une faveur.
Les devoirs de la gratitude sont la reconnaissance et le paiement en retour. Le premier consiste en pensées et en mots, comme se souvenir des bienfaiteurs, louanger leurs bonnes actions, dire des mots de remerciement; l’autre consiste dans des actes ou des choses, comme l’honneur, le service, l’assistance, et les dons (Tob X11, 2,4). 2374- Les deux sortes de gratitude. Dans un sens large, la gratitude est la reconnaissance des faveurs reçues de supérieurs. Elle ne diffère pas de la religion, de la piété, et de la vénération par lesquelles on reconnait Dieu comme la cause première de tous les bienfaits, les parents comme seconde cause de la vie et de l’éducation, et les chefs d’état comme causes secondes de la de la gestion du bien public. Dans son sens strict, la gratitude ne se réfère qu’à des bienfaits spéciaux et privés, provenant de ceux mentionnés plus haut. La gratitude est donc une vertu distincte, et vient tout de suite, par ordre, après la vénération.
2375- Doit-on à Dieu une reconnaissance plus grande pour le don d’innocence que pour celui du repentir ? Si nous ne considérons que la grandeur de la faveur, celui qui a été préservé de tout péché par Dieu doit plus de gratitude à Dieu. Car, en soi, et toutes choses étant égales par ailleurs, c’est une plus grande faveur d’être préservé du péché que d’en être rescapé. Si nous considérons la libéralité de la faveur, celui qui a reçu le don du repentir devrait manifester plus de reconnaissance, car Dieu est plus généreux quand il répand sa grâce sur quelqu’un qui mérite la punition.
2376- Les circonstances de la gratitude. A qui la gratitude devrait-elle être rendue ? Chaque bienfaiteur devrait être payé en retour intérieurement (par un souvenir ému et des prières), ainsi qu’extérieurement, à moins que ça soit impossible (quand quelqu’un est devenu si dépravé que toute relation a cessé). La dette intérieure est moins grande quand le bienfaiteur se montre moins bienveillant (s’il donne à contre cœur, ou impoliment, ou seulement dans le but de se faire de la publicité). Car la valeur du don vient principalement de la bonne volonté du donateur. La dette externe diminue si le bienfaiteur n’a pas besoin d’aide (s’il est riche ou célèbre).
Qui devrait montrer de la gratitude
? Toute personne qui a reçu des faveurs devrait être reconnaissante.
Il n’y a personne de si élevé qui ne puisse pas avoir besoin d’un
bienfaiteur. Une vedette et un multimilliardaire ne devraient pas considérer
indigne d’eux de remercier pour une faveur insignifiante donnée avec
cœur. Il n’y a non plus personne de si bas qui ne puisse, par son respect,
son affection, ses prières, récompenser un bienfaiteur.
Le temps pour la gratitude. La gratitude interne devrait être
immédiate, et devrait se manifester par des paroles et des gestes affectueux.
Le paiement externe en retour devrait attendre un temps convenable, car
cela semble un geste forcé et comme automatique de donner une faveur dès
qu’on en a reçu une.
Le degré de gratitude dû.
Si on a fait une faveur pour motifs d’amitié fondée sur l’utilité,
la gratitude devrait correspondre au bénéfice reçu. Mais si la faveur
a été accordée par amitié pure ou générosité, la gratitude devrait
prendre pour mesure la bienveillance qui est à l’origine de la faveur.
En conséquence, comme le remarque Sénèque, on doit souvent plus de reconnaissance
à ceux qui nous font de petites faveurs, mais avec tout leur cœur.
Quelle récompense donnée pour les faveurs reçues ? Il convient de récompenser les bienfaiteurs en leur donnant plus que ce que nous avons reçu d’eux, si la chose est possible. Ou autrement, il semblerait qu’on ne fait que retourner en totalité ou en partie ce qu’on a reçu (les enfants envers leurs parents). On peut au moins aller plus loin en désir et en bienveillance interne.
2377- Les péchés contre la gratitude. Puisque la gratitude est une vertu morale, les péchés qui lui sont contraires le sont par excès (être reconnaissant pour une chose qu’on ne désire pas) ou par défaut (par ingratitude). Puisque la gratitude s’applique à surpasser la faveur reçue, elle se sent plus offensée par le manque de gratitude que par des remerciements excessifs. Quant à son motif, la gratitude est double. Elle est matérielle ou formelle. L’ingratitude formelle consiste dans le mépris du bienfait ou du bienfaiteur. Comme quand la personne favorisée n’a que du dédain pour ce qu’on lui a donné, omet de remercier, ou va même jusqu’à offenser son bienfaiteur. L’ingratitude matérielle consiste dans une offense faite au bienfaiteur, sans mépris pour lui ou pour son don. Quant à la manière de la faire, l’ingratitude formelle est aussi double. Par omission ou par commission. La première est la négligence coupable de l’acte de gratitude, qui a pour but de payer en retour le bienfaiteur, ou d’une parole de remerciement, ou d’une pensée affectueuse de reconnaissance.
2378- L’espèce morale de l’ingratitude. L’ingratitude matérielle n’est pas un péché spécial, puisqu’on peut la trouver dans toutes les sortes de péché commis contre un bienfaiteur. Par exemple, chaque violation d’un commandement est un acte d’ingratitude envers Dieu; et toute offense faite à un bienfaiteur humain est un acte d’ingratitude envers un être humain. Mais l’ingratitude matérielle est une circonstance aggravante, parce qu’il est pire de faire du tort à ceux à qui nous devons de la reconnaissance, qu’aux autres. L’ingratitude formelle est un péché spécial, parce que c’est le déni d’une dette spéciale due à la nature humaine, et d’une vertu spéciale qui veut qu’on s’en acquitte (2374). Saint Paul place l’ingratitude parmi les péchés (11 Tim 111, 2).
2379- L’espèce théologique de l’ingratitude. De par sa nature, l’ingratitude formelle semble être un péché mortel, puisqu’elle est contraire à la charité, qui nous demande d’aimer ceux qui nous font du bien. Elle peut être vénielle, cependant, en raison de l’imperfection de l’acte ou de la petitesse de la matière. Ainsi, offenser un bienfaiteur en quelque chose de trivial ne constituerait pas un péché mortel, même s’il y avait un léger mépris dans cet acte. L’ingratitude matérielle est vénielle ou mortelle d’après la nature de l’offense faite au bienfaiteur. Ainsi, on fait une petite offense à un bienfaiteur, quand on donne pour cadeau, à qui a donné un présent de prix, une boite d’allumettes ou un briquet avarié, car le bienfaiteur n’avait pas un droit strict à recevoir rien de plus. Le péché est donc véniel. Mais on commet une grave offense quand on calomnie un bienfaiteur; le péché est alors mortel.
2380- Est-ce correct de conférer des faveurs aux ingrats ? Si les faveurs peuvent être bénéfiques, on ne devrait pas les retirer uniquement parce qu’elles ne rencontrent que de l’ingratitude. On ne peut pas toujours être certain que le bénéficiaire sera un ingrat, et on peut avoir des raisons d’espérer qu’il s’améliore (Luc V1, 35). Si les faveurs ne sont pas bénéfiques, parce qu’elles ont empiré l’ingrat ou de lieu de l’améliorer (arrogant, paresseux), on devrait les interrompre.
2381- La vertu de vengeance. Comme la gratitude retourne le bien pour le mal, la vengeance retourne le mal pour le mal, c’est-à-dire le mal de la punition pour le mal du péché. La vengeance est définie comme une vertu morale qui incite une personne privée à prendre les moyens nécessaires pour punir les mauvaises actions, en vue de satisfaire à la justice publique ou privée. La vengeance est une vertu des personnes privées. C’est-à-dire qu’elle appartient à ceux qui ne sont pas chargés officiellement de la punition des crimes. Le devoir de personnes publiques, comme les juges, est beaucoup plus restreint et appartient à la vertu de justice vindicative, qui est une forme de la justice commutative, tandis que la vengeance n’est qu’une vertu annexée à la justice (2141 et suiv). La justice vindicative tend vers l’égalité entre la faute et la peine, mais la vengeance tend vers la protection de la personne offensée. La vengeance porte sur la punition des mauvaises actions ou sur l’imposition d’une rétribution pénible à celui qui a offensé quelqu’un. Ainsi, cette vertu n’est pas strictement identique à l’autodéfense légale, laquelle est dirigée vers un mal présent, même si l’autodéfense peut être considérée comme un acte secondaire de la vertu de vengeance.
La vengeance n’emploie que des moyens légaux. C’est-à-dire qu’elle cherche un redressement ou une réparation de la part des autorités qui ont le pouvoir de le donner, et sa démarche est conforme à la loi. Cette vertu diffère donc de la vengeance privée, de la vendetta, de la loi du lynchage, de l’exercice d’une loi non écrite, lesquels sont des actes de violence coupable, bien qu’ils soient parfois excusables à cause de l’ignorance. La vertu de vengeance est exercée aussi par ceux qui désirent que la justice soit faite contre les malfaiteurs, ou qui s’infligent entre eux avec modération des punitions qui ne sont pas défendues à des personnes privées (le déni d’amitié). Les parents aussi exercent cette vertu quand ils corrigent et punissent judicieusement leurs enfants. La vengeance a pour but la justice publique et privée, c’est-à- dire la vindicte de l’ordre droit de la société, ou la compensation ou la satisfaction pour une offense personnelle. Si un autre bon motif pousse quelqu’un à désirer une récompense pour des mauvaises actions, l’acte appartiendra à une autre vertu. Ainsi, si quelqu’un se propose l’amendement d’un malfaiteur, son acte appartient à la charité. Si quelqu’un désire, par la dissuasion de la punition, assurer la sécurité et la paix d’un pays, son acte en est un de justice légale. Si quelqu’un recherche l’honneur de Dieu, son acte en est un de religion. Si on est poussé à punir par un mauvais désir, ce désir n’est pas du tout vertueux, mais coupable. Ainsi, celui qui s’évertue à ce qu’un criminel soit capturé, condamné et exécuté, et dont l’intention n’est pas la vindicte de la justice, mais la gratification de la jalousie, de la haine, de la cruauté ou d’une autre passion, pèche gravement, et devient pire que le criminel. Rendre le mal pour le mal de cette façon est être vaincu pat le mal (Rom X11, 17-21).
2382- La moralité de la vengeance. La vengeance est permise puisqu’elle appartient à la justice, et notre Seigneur déclare qu’elle est fondée sur la justice et est approuvée par Dieu (Luc XV111, 7). Elle est, de plus, une vertu spéciale, car elle régule l’inclination particulière qui pousse l’homme à attaquer ce qui est nuisible et injurieux; elle a ses fins propres (2381). Elle est étroitement reliée à la force et au zèle, qui lui préparent le chemin. Étant un amour fervent de Dieu et de l’homme, le zèle inspire l’indignation contre l’injustice, tandis que la force enlève la crainte qui pourrait empêcher de s’en prendre à l’injustice. Accidentellement, à cause de plus grands crimes, la vengeance est souvent illégale, comme quand elle punirait l’innocent avec le coupable, ou s’appesantirait surtout sur les moins coupables (Matt X111, 29, 30). La vengeance est obligatoire quand une offense qui nous est faite blesse aussi le bien public ou un autre bien nécessaire (les droits de Dieu ou de l’Église). Voilà pourquoi Élie et Élisée ont puni ceux qui les maltraitaient (4 Rois, 1, 9 et suiv; 11, 23,24); pourquoi les auteurs inspirés demandent à Dieu de punir les méchants (Ps XV111, LXV111, CV111Vi; Jer V1, 20; XV11, 18; XV111, 21; XX, 12). Et le pape Sylvestre a excommunié ceux qui l’avaient envoyé en exil.
Si une offense faite à soi-même est purement personnelle, on devrait se disposer à renoncer à la punition de la personne coupable, et on devrait le faire à toutes les fois que cela semble profitable, comme le Sauveur l’enseigne en Matthieu V1, 14, 15. (Regarder aussi 1198). Quand aucune nécessité ne demande à quelqu’un de venger un tort personnel, ce qu’on a de mieux à faire est de pardonner pour l’amour de Dieu. Car en vengeant des offenses personnelles, il y a toujours le danger que s’infiltrent des mobiles mauvais comme l’arrogance, la haine, le scandale, et la perte de la paix de l’âme, de la conversion de l’autre, de l’édification et d’un plus grand droit au pardon de Dieu. En conséquence, la vengeance est appelée une petite vertu, parce qu’elle est souvent le moyen le moins parfait.
2383- Excès et défaut. La justice punitive est une vertu morale, et devrait donc être envisagée en lien avec toutes les circonstances. Elle devrait éviter les deux extrêmes de l’excès et du défaut. Le péché d’excès, ici, est la cruauté, laquelle, dans la qualité et la quantité de la punition, porte atteinte aux droits humains, ou outrepasse la mesure du crime, ou de la coutume ou de la loi. Ainsi, il est immoral d’associer des jeunes prisonniers à des criminels endurcis, de priver un offenseur des sacrements. Il est inhumain de traiter un être humain comme s’il n’était qu’une brute, ou moins qu’une brute (par confinement dans un dongeon insalubre, par des travaux forcés sans nourriture suffisante, par la torture). Il n’est pas permis d’user de châtiments inconnus à la loi ou la coutume, ou dont la rigueur outrepasse le degré de l’offense. Il y a excès même dans les peines médicinales ou réformatrices, si on sacrifie un bien supérieur à un plus bas (le spirituel pour le temporel, une qualité meilleure à une moins bonne). Car, alors le remède est pire que la maladie.
Le péché par défaut dans les punitions c’est le laxisme qui récompense le crime, ou lui donne l’impunité, ou impose des peines qui ne font pas mal aux coupables, ou qui ne détournent pas du mal, et qui sont disproportionnelles. L’Écriture condamne ce laxisme quand elle déclare que le parent qui n’emploie pas le bâton gâte son enfant (Prov X111m 24). En pesant la gravité de la délinquance, on devrait tenir compte de la faute elle-même, de l’offense donnée et du scandale. On doit regarder, dans la faute, l’élément objectif (la nature et l’importance de la loi violée); de l’élément subjectif (l’âge, l’instruction, l’éducation, le sexe, l’état d’esprit de l’offenseur); des circonstances (du temps, du lieu, des personnes impliquées, et de la fréquence) (canon 2218).
2384- Les circonstances de la justice punitive. Les punitions qu’on peut utiliser. Les punitions ne sont légitimes que quand elles détournent du mal ceux que l’amour de la vertu ne peut pas convaincre. En conséquence, les pénalités devraient consister dans la privation de biens qui sont plus estimés que ne le sont les satisfactions obtenues par le péché. La loi divine aussi bien que la loi humaine ont établi comme punitions la perte d’un bien corporel (par la mort, la flagellation, l’emprisonnement), ou d’un bien externe (l’exil, une amende, l’infamie). On trouve principalement dans les choses corporelles ou externes les incitations au crime. On devrait réserver pour des cas spéciaux la peine capitale. Et les autres peines doivent être faites sur mesure pour chaque crime, de façon à en enlever le goût ou les moyens (on devrait punir la malhonnêteté par la perte des biens, la calomnie par l’infamie, la luxure par la peine etc.)
Les personnes que l’on peut punir. La punition n’est vertueuse que parce qu’elle appartient à la justice, et qu’elle rétablit l’égalité que le péché avait enlevée. En conséquence, on ne devrait punir personne à moins que son péché ou sa transgression n’ait été volontaire. Il n’est pas permis de punir l’innocent à la place du coupable, ou de punir un innocent pour l’empêcher de pécher dans l’avenir. On devrait noter, cependant, que Dieu inflige aux justes des maux temporels en vue de biens spirituels (pour qu’ils ne s’attachent pas à ce monde, pour qu’ils aient des occasions de mérite, et pour qu’ils puissent donner le bon exemple); que quelqu’un peut être puni pour le péché d’un autre, quand il l’aide ou l’approuve, comme quand des parents insouciants ont de mauvais enfants, ou des sujets insouciants de mauvais gouvernants (Job XXX1V,30; Ex XX, 5); que pour une raison suffisante, un innocent peut être privé d’une chose qui ne lui convient pas (une ordination quand quelqu’un est irrégulier par défaut) ou pour laquelle il n’a aucun droit.(la propriété familiale qui n’a plus de valeur pour les enfants, à cause des dettes du père).
2385- La vertu de franchise. Ayant traité des vertus de gratitude et de vengeance, qui se rapportent aux obligations morales causées par un acte de celui qui doit, nous en venons maintenant à la franchise. Elle est une obligation morale provenant des actes dus par celui qui communique avec les autres. Car, celui qui parle, écrit ou manifeste par un autre moyen son intention aux autres, se met dans la situation d’avoir à ne pas tromper. La francise ou la véracité se définit comme suit. Une vertu morale qui incite dument et fidèlement quelqu’un à exprimer ce qu’il a dans sa pensée. C’est une vertu, c’est-à-dire, une bonne habitude. Elle diffère ainsi de la vérité qui est l’objet d’habitus intellectuels. Ainsi, la vérité première, ou Dieu, est l’objet de la foi. La franchise n’est pas l’objet d’une vertu. C’est une vertu. C’est une vertu morale qui porte sur des choses externes (les mots, les signes par lesquels on exprime sa pensée). Ce n’est donc pas une vertu théologale. De plus, bien que la connaissance de la vérité appartienne à l’intelligence, la manifestation droite de la vérité dépend de la bonne volonté. La franchise n’est donc pas une vertu intellectuelle. L’homme véridique peut être ignorant, mais c’est quelqu’un qui aime l’honnêteté.
Elle régule l’expression de la pensée, les mots, les écrits, les gestes, la conduite, et d’autres signes externes, de façon à les rendre conformes à l’idée qu’ils représentent. La franchise se rapporte aux choses internes (quand quelqu’un affirme qu’il a une bonne santé, ou qu’il n’a que de bons sentiments envers un tel); et à des choses externes, de la façon qu’elles apparaissent à celui qui parle (quand il dit qu’il dit qu’il est certain ou qu’il croit que ce rapport est objectif). C’est une expression fidèle de ce qu’il a dans l’esprit ou dans la croyance. En conséquence, quelqu’un peut être véridique même s’il fait des affirmations démenties par les faits, ou menteur même s’il fait des affirmations conformes aux faits. Car, la franchise est la sincérité, non l’exactitude. C’est une expression due de la pensée ou de la croyance. C’est-à-dire qu’elle est donnée quand, où et de la façon dont elle doit être donnée. Quelqu’un qui parle au travers de son chapeau, sans se soucier des conséquences, n’est pas un menteur. Il est imprudent. On ne peut pas dire qu’il possède la vertu de franchise, car chaque vertu est prudente. Exemples. Des gens qui, sans aucune nécessité, font leur propre éloge, et rabattent les oreilles des autres de leurs vertus et de leurs perfections (Prov. XXX11, 2); ou qui, par une vaine gloire mal placée, sont assez fous pour divulguer leurs péchés et leurs imperfections (Is 111, 9).
2386- L’excellence de la franchise. La franchise est une vertu, puisqu’elle fait un emploi correct du langage et des autres signes, en les utilisant pour dire la vérité. Elle rend aussi service à la société, laquelle repose dans la confiance que chacun a de la parole des autres. Saint Paul enseigne aux Éphésiens (1V, 25) que chacun doit dire la vérité à son prochain, puisqu’ils sont tous membres les uns des autres. C’est une vertu morale qui préserve la modération dans les conversations, et dans les autres expressions de la pensée. Cette vertu voit à ce que les faits ne soient ni outrés ni minimisés; que la vérité ne soit pas rendue publique quand elle devrait être cachée, qu’elle ne soit pas cachée quand elle devrait être criée sur les toits. C’est une vertu spéciale, car, bien que les autres vertus morales régulent les actions et les choses externes, aucune d’entre elles, à part la franchise, ne régule ces objets précisément dans leur caractère de moyens ou d’instruments aptes à l’expression des pensées, des opinions, des décisions. Et comme une grande partie de la vie humaine est composée de conférences et de correspondances, la franchise est une des vertus les plus utiles, et un des plus nécessaires. C’est une vertu annexée à la justice. D’un côté, elle est comme la justice, parce que, en disant la vérité, elle paye une dette qu’un être social doit aux autres. D’un autre côté, elle est éloignée de la justice, puisque la dette est morale, on légale. Ce que l’on dit là de la francise vaut pour la vie de tous les jours, car, dans les procès et dans les contrats, il y a aussi une obligation légale de justice de dire la vérité.
2387- La sincérité et la fidélité. Les vertus qui appartiennent à la francise sont la sincérité et la fidélité. La sincérité est la vertu de quelqu’un qui est fidèle à lui-même, qui évite la duplicité et la parole à double sens, comme les mensonges, les formules équivoques, les sophismes, les excuses spécieuses, les jeux de mots etc. La fidélité (la loyauté) est la vertu de quelqu’un qui remplit des promesses qui ne sont obligatoires qu’en vertu de sa parole librement donnée. Elle diffère de la constance laquelle ne traite pas de promesses mais de résolutions; ainsi que des vertus qui se rapportent à des promesses qui sont obligatoires en vertu d’une dette légale, comme les contrats, les serments (1692, 1749, 1753, 1888). La fidélité rend la parole d’un homme honnête aussi sûre qu’un engagement. Elle est donc une des vertus les plus appréciées (Matt. XXV, 21; Ps X1V). Horace l’appelle la sœur de la justice.
2388- Les vices opposés à la franchise. Par défaut, on pèche contre la vérité par le mensonge et le bris d’une promesse. Par excès, on pèche contre la franchise en violant un secret ou en révélant sans raison des crimes cachés.
2389- Le mensonge. Un mensonge est un mot émis dans le but d’affirmer ce qui n’est pas vrai. On dit que c’est un mot, voulant exprimer par là tout signe externe dont est formé le discours, ou son équivalent. On peut exprimer un mensonge par un langage oral, écrit ou gestuel; par des signes, des insinuations, un silence expressif, par des actions (2012, 2028). Un mensonge est une parole, c’est-à-dire qu’il s’exprime extérieurement. Mais la faute se trouve dans la volonté. En conséquence, ceux qui planifient les mensonges sont coupables de duplicité, même s’ils ne parviennent pas à leurs fins. Un mensonge est dit dans un but précis, c’est-à-dire qu’il y a une comparaison faite par l’intelligence entre le signe et la chose signifiée, et le choix volontaire d’utiliser un signe insuffisant. Un enfant ou une personne inconsciente, en conséquence, peuvent dire quelque chose qui n’est pas vrai, mais non un mensonge. De plus, une personne qui ne maîtrise pas sa langue, ou qui ne comprend pas bien de quoi l’on parle, n’est pas coupable de mensonge, en dépit des apparences contraires. Mais ceux qui ne pensent pas avant de parler, ou qui se servent de la parole inadéquatement peuvent être coupables d’injustice, et même de mensonge indirect. Le but d’un mensonge est l’affirmation de ce qui n’est pas vrai, ou la prétention d’avoir dans l’esprit ce qu’on n’a pas. Comme la vérité est l’accord du mot avec la pensée, le mensonge est le désaccord du mot avec la pensée. Mais il n’est pas nécessaire qu’un mensonge soit entièrement faux; et le plus dangereux des mensonges est la demie vérité, par laquelle de vrais faits sont rapportés pour donner créance aux faux; ou de véritables arguments, pour faire avaler des sophismes.
2390- Des affirmations qui se rapportent à la mauvaise compréhension ou à la mauvaise interprétation. Un mot qui exprime suffisamment la pensée de quelqu’un n’est pas un mensonge, bien qu’un auditeur puisse en tirer une autre pensée, ou que le sens ne soit véhiculé que par les lettres. Ainsi une mésentente qui est due au défaut non de l’orateur mais du l’auditeur ne rend pas ses mots non véridiques, pas plus qu’elle ne les rend scandaleux (1462). Comme quand un auditeur n’a pas prêté attention à ce que l’on disait (Jn XX1, 23). Un discours formulé obscurément parce que la matière est obscure, ou parce que les auditeurs pourraient être blessés par certains mots crus (1001) ne peut pas être dit mensonger, mais prudent. La mésinterprétation que la formulation rend possible ne rend pas l’énoncé mensonger, si le contexte ou les circonstances font entendre suffisamment le véritable sens des mots. Exemples. Un discours ironique, hyperbolique ou métaphorique; des paroles dites pour rire, ou selon les formules de politesse habituelles, comme votre serviteur le plus obéissant; des déclarations faites sous la forme de suppositions ou d’hypothèses (quand un juge ou un procureur accuse un défendant d’un crime dans le but de découvrir la vérité, cf. Gen X111, 9); des citations ou un récit fictif; des disputes qui se font dans les écoles pour se former aux débats. Ce n’est pas un mensonge d’écrire sous un pseudonyme, de parler selon la personnalité qu’on représente (Gen XXX1,13; Tob V, 18); de répondre selon l’esprit du questionneur, comme quand A dit à B : « Avez-vous vu votre père? », en voulant dire : « Savez-vous où il est ? ». Et B répond : « Je ne l’ai pas vu », voulant dire : « Je ne sais pas où il est ». Les histoires de pêche des pêcheurs qui exagèrent la taille des poissons ne sont pas en elles-mêmes des péchés, mais il peut y avoir des circonstances (scandale, danger) qui les rendent répréhensibles.
2391- Les différentes sortes de mensonges. Intrinsèquement, ou en raison de sa nature. qui est un éloignement de la pensée de celui qui parle, chaque mensonge est soit une exagération, qui dit plus que ce qui est vrai, ou une suppression qui dit moins que ce qui est vrai. Il exagère celui qui professe ce qu’il ne croit pas, ou qui présente comme certain ce qu’il sait être incertain. Est coupable de suppression celui qui nie ce qu’il croit vrai, ou qui présente comme douteux ce qu’il sait être certain. Extrinsèquement, ou en raison du but, de la manière et du résultat, il y a plusieurs sortes de mensonges. Quant à la manière de mentir, le mensonge est en parole ou en actes. Le premier est une fausseté, l’autre une hypocrisie. Quant à son but immédiat, le mensonge sert à exprimer une fausseté ou à tromper. Le premier est une fausse représentation, et l’autre une tromperie (Si Pierre sait qu’il a calomnie Paul et que Paul a entendu la calomnie, et s’il dit impudemment à Paul qu’il ne l’a pas calomnié, c’est de la mauvaise représentation). Si Jacques tente d’induire en erreur ceux qui n’ont que des soupçons à son endroit en donnant de faux alibis, il y a de la tromperie. Quant à son but ultérieur, un mensonge sert au bien (un mensonge joyeux) ou au mal (un mensonge pernicieux). Ou il sert aux deux à la fois. Quant au résultat, un mensonge peut produire ou ne pas produire une affirmation qui ne correspond pas aux faits. Parfois il trompe les auditeurs, et parfois, non..
2392- La classification des mensonges. De par sa nature, tout mensonge est nocif, puisqu’il tend à tromper autrui, et à détruire le bon ordre de la société. Mais la raison qui pousse à mentir n’est par toujours mauvaise. D’où les classes suivantes de mensonge. Certains mensonges ont un bon but, quand quelqu’un ment pour plaire (mensonge joyeux) ou rendre service à un autre (mensonge officieux). Le mensonge joyeux inclut toutes les sortes de récits ou descriptions humoristiques qui n’ont pour but que de plaire, mais qui sont présentés comme des faits par quelqu’un qui sait très bien que ce n’en sont pas. Les contre-vérités dites de cette façon (en riant, ou sur un ton enjoué, surtout si les auditeurs ont le sens de l’humour), c’est-à-dire quand il est clair qu’on n’a pas à les prendre au sérieux, ne sont ni des mensonges joyeux, ni même des mensonges tout court. On dit des mensonges officieux dans le but d’aider ou d’accommoder un ami; pour qu’il puisse en tirer quelque bien (faire de fausses promesses comme une incitation à une bonne conduite); ou pour échapper à un mal (remplir les oreilles d’un homme déprimé de fausses bonnes nouvelles pour lui remonter le moral). Il semble que nous devrions considérer comme mensonges officieux plusieurs affirmations faites par Jacob (Gen. XXV11, 35; par David (1 Rois XX, 6; XX1, 2; XXV11, 10), et par Judith (X, X1, X11).
Il y a certains mensonges qui sont dits dans un mauvais esprit, comme quand on ne ment que pour satisfaire une tendance à halluciner, ou pour le seul plaisir de mentir (les mensonges d’inclination); ou quand on ment pour faire du tort à un autre (mensonge pernicieux).
2393- Les motifs du mensonge. Les motifs du mensonge ne sont pas toujours simples, et il peut arriver que dans un seul et même mensonge il y ait des motifs différents. Ainsi, un mensonge officieux n’est pas toujours dicté par la pure bienveillance. Il peut être égoïste (quand quelqu’un ment pour cacher la culpabilité de quelqu’un dans un crime auquel il a pris part). Il peut être aussi altruiste (quand le menteur ne tire aucun profit de son mensonge), ou il peut provenir de l’abnégation (quand le mensonge cause des dépenses, des soucis ou des pertes au menteur). Un mensonge officieux peut être aussi pernicieux et joyeux, car il peut affecter différentes personnes de différentes manières. Ainsi, si Pierre calomnie Paul pour protéger Luc de la mauvaise opinion qu’en a Marc, lequel ne connait pas Luc, et pour amuser Thomas qui connait la vérité, le mensonge est pernicieux pour l’un officieux pour un autre, et joyeux pour le dernier.
2394- Comparaison de la gravité des différents mensonges. Les mensonges faits par exagération ne sont pas pires que les mensonges faits par suppression, parce que dans les deux cas, on s’écarte de la vérité. Mais il est plus imprudent de trop dire que de ne pas dire assez; et, pour cette raison, le péché d’exagération est pire. Les mensonges sont empirés par le désir de causer du tort, et plus le tort causé est grand, plus grand est le péché de mensonge. Ainsi, le pire de tous les mensonges pernicieux est celui qui est dirigé contre Dieu, comme la doctrine d’une fausse religion. Et un mensonge qui lèse quelqu’un dans ses biens spirituels est pire que celui qui ne l’affecte que dans ses biens temporels. Les mensonges sont atténués par le désir d’aider, et plus grand est le bien désiré, plus petit est le mensonge. En d’autres mots, les mensonges qui ne sont pas pernicieux ne possèdent pas la malice des mensonges pernicieux. Les mensonges officieux sont moins peccamineux que les mensonges joyeux. Les mensonges officieux qui sont faits pour procurer un grand bien sont moins coupables que ceux qui sont faits pour ne procurer qu’un petit bien. Ainsi, c’est un moindre mensonge de mentir pour sauver la vie d’un homme, que pour prendre sa vie. Le péché est moins grand quand on ment pour épargner à quelqu’un le choc d’une mauvaise nouvelle que quand on le fait pour enjoliver une belle histoire. C’est une offense moins grande de mentir pour échapper à une blessure corporelle que pour prévenir une perte financière.
2395- La culpabilité de tous les mensonges. Mais même si les mensonges sont des péchés inégaux, il demeure qu’aucun mensonge, même le plus petit, n’est jamais justifié, même pour un plus grand bien (Job X111, 7). Car un mensonge est intrinsèquement mauvais, et la fin ne justifie pas les moyens. Un mensonge est un péché parce qu’il est un abus de la parole et des autres signes donnés par Dieu pour la manifestation de la vérité. Parce qu’il est un acte inamical et insociable, tendant à la dissolution des relations harmonieuses entre les hommes. Parce qu’il est directement opposé à la vérité, le bien propre et distinctif de l’esprit humain. Même les païens ont regardé avec mépris les menteurs, et ont considéré les mensonges avec dédain. Et même ceux qui font peu de cas de la vertu, se trouvent grandement insultés si on les appelle menteurs. En plusieurs endroits, l’Écriture interdit le mensonge (Ex XX111, 7; Lev, X1X, 11; Prov. X11, 22; Ecc. XX, 26; Col 111, 9), et dans saint Paul surtout, (Eph 1V, 25) qui est très clair sur ce sujet Mettant de côté le mensonge, dites la vérité à tout homme, car nous sommes les membres les uns des autres. Les Pères et les théologiens ont enseigné pour la plupart qu’aucune nécessité ne peut justifier un mensonge, pas même le danger de mort, lequel ne peut justifier ni le vol ni l’adultère. Si Dieu pouvait approuver un seul petit mensonge, est-ce que cette approbation ne minerait pas notre foi dans sa véracité ? Nous n’aurions certainement pas une grande confiance en quelqu’un qui aide autrui à mentir même en peu de chose.
Un mensonge, considéré précisément comme un mensonge, semble n’être, de par sa nature, qu’un péché véniel, car le désordre qui résulte de l’usage de signes contraires à que ce que l’on a dans la pensée, ne semble pas sérieux; et le mal fait à la société, en lui refusant la vérité sur un point particulier, ne semble pas si grave (la chose se présenterait autrement, si on rejetait la vérité en principe ou pour s’en moquer). Même des personnes pieuses ne regardent pas comme des péchés importants des mensonges anodins (2143, 2386). En conséquence, comme les mensonges joyeux et officieux n’ont pas d’autre malice que celle de n’être pas vrais, et comme l’intention diminue cette malice, ils sont généralement véniels. Mais des circonstances extrinsèques (comme le scandale, le fait que quelqu’un ment habituellement et sans scrupule, ou des résultats désastreux) peuvent les rendre mortels. Les mensonges pernicieux ont une autre malice que celle de l’insincérité, et, en conséquence, leur cas est différent.
2396- Quand le mensonge n’entraîne aucun péché formel. Les mensonges sont parfois à l’abri de tout péché en raison de l’ignorance (comme dans le cas des enfants ou des illettrés, qui croient qu’on peut mentir pour se tirer une épine du pied); ou d’une irresponsabilité (comme dans le cas de certains individus qui ont sucé le mensonge avec le lait de leurs mères, ou qui expriment la ruse et l’intelligence par le même mot). 2397- Les mensonges pernicieux. Les mensonges pernicieux sont des péchés mortels par nature. Mais ils peuvent devenir véniels en raison de l’imperfection de l’acte, ou de la légèreté de la matière. Car un mensonge pernicieux ne pèche pas seulement contre la vérité, mais contre la justice et la charité. Voilà pourquoi l’on dit que le menteur détruit sa propre âme. (Sag 1, 2); que Dieu abomine et hait le mensonge (Pr V1, 17; X11, 22)l qu’il a le démon pour père (Jn V111, 44; Ap XX1, 8).
On commet ce péché de deux façons, comme suit. Un mensonge est pernicieux quand sa matière est nocive, comme étant contraire à la saine doctrine, aux bonnes mœurs ou à la vraie science. En conséquence, un prédicateur pèche gravement si le contenu de sa prédication en chaire est fautif (si, dans un sermon, il énonce ou défend des principes erronés de conduite); véniellement, s’il ment aux sujet de choses accidentelles (s’il donne le mauvais chapitre ou verset de la bible); un savant, un physicien ou un juriste est semblablement coupable de mensonge pernicieux quand il fourvoie le public par des informations qui ne sont pas sûres. Un pénitent au confessionnal et un témoin en cours mentent pernicieusement si leurs accusations ne sont pas fondées, car l’un offense le sacrement, et l’autre la justice publique. Mais si le mensonge porte sur une chose de peu d’importance, le péché est véniel, à moins qu’il n’y ait rien d’autre à confesser, ou que le témoignage soit fait sous serment. Un mensonge est pernicieux quand l’intention du menteur est d’offenser Dieu ou son prochain, même quand la matière elle-même n’est pas opposée à la vraie doctrine, ou quand il ne s’agit pas d’un témoignage officiel. On trouve des exemples de cela chez ceux qui mentent en faisant de l’humour, dans le but d’offenser ou de faire souffrir les autres.
2398- La dissimulation de la vérité. On offense la franchise non seulement en disant des faussetés, mais aussi par une illégale dissimulation de la vérité. Cette dissimulation est négative ou positive. Il y a une dissimulation négative de la vérité quand on a recours au silence ou au mutisme. Tous admettent que cette sorte de dissimulation est permise quand il n’y a pas d’obligation de fournir une information, ou quand il y a une obligation de ne pas la donner. Ainsi, une personne, qui est assiégée par les journalistes, ne se sent pas obligée de répondre à toutes leurs questions; une personne qui est interrogée par des gens curieux au sujet de ses affaires ou de l’état de ses finances ne se sent pas coupable si elle élude adroitement leurs questions. Il y a une dissimulation positive de la vérité quand on répond dans un langage obscur pour l’interrogateur, ou obscur en lui-même. Si celui qui écoute n’a aucun droit à la vérité, ce n’est pas une faute de lui parler dans des termes qu’il ne comprendra pas (des mots techniques ou scientifiques), car si on le trompe, il n’a que son impertinence à blâmer ou sa paresse. Le cas est plus difficile, toutefois, si la réponse est obscure en elle-même, c’est-à-dire si on a recours à l’ambiguïté ou à la restriction mentale.
2399- La restriction mentale. La restriction mentale est un acte de l’esprit par lequel un locuteur restreint ou limite ses mots à un sens qu’ils ne possèdent pas normalement; ou c’est une modification interne d’un discours externe donné sans modification externe évidente. La restriction mentale au sens strict est celle dans laquelle une modification interne n’est manifestée par rien d’externe, ni par le sens naturel des mots (le sens qui leur est habituellement donné), ni par un sens accidentel (le sens que leur donne le contexte). Exemple. Pierre a frappé Paul avec un bâton de golf, puis il nie que c’est lui qui l’a frappé, pensant intérieurement que c’est son bâton. La restriction mentale au sens large est celle dans laquelle la modification interne peut être aperçue, du moins par un homme attentif, ou par le sens naturel des mots (parce qu’on sait qu’ils peuvent avoir plusieurs sens), ou par le contexte (à cause de circonstances qui indiquent qu’il ne faut pas prendre les mots dans leurs sens obvie). Exemple. Marc est entré en collision avec Luc, et l’a blessé. Luc pense que quelqu’un l’a frappé. Marc nie l’avoir frappé, et, à ceux qui n’ont aucun droit à poser des questions, il déclare ne rien savoir de l’incident.
2400- La légalité de la restriction mentale. La réservation mentale au sens strict est illégale, et l’Église l’a condamnée (Denzinger, nn.1174-1178). Les raisons en sont, d’abord, que c’est un mensonge, puisqu’on emploie des mots qui n’expriment pas du tout ce qu’on a dans l’esprit; et cette restriction mentale ne peut pas leur donner un sens qu’ils ne possèdent pas. En second lieu, si elle était permise, chaque personne malhonnête pourrait éluder la faute du mensonge, et tromper à volonté. D’après l’Écriture, le sophiste est détesté (Eccl XXXV11, 23). Mais le juste parle et jure sans astuce (Ps XXXV111, 14; XX111, 4). La restriction mentale au sens large est illégale quand il y a une raison qui la défend, ou quand il n’y a pas de raison suffisante pour la justifier. Elle est interdite quand le questionneur a droit a une réponse dépourvue de toute ambiguïté. Exemple. Quand un curé questionne des futurs mariés; quand on demande à une personne qui sera embauchée si elle exempte de toute disqualification; quand un témoin en cours est interrogé sur des questions auxquelles il peut facilement donner une réponse; quand une partie contractante demande à l’autre des informations nécessaires à la compréhension d’un contrat. Dans tous ces cas, la dissimulation de la vérité cause du tort à quelqu’un. La restriction mentale n’est justifiée que si elle nécessaire pour procurer un bien ou éviter un mal, spirituel ou temporel, pour soi-même ou pour les autres. Et, à cause de son importance, la fin offre une compensation suffisante pour la tromperie qui a pu être causée. En dehors de ces cas, la restriction mentale, est, à tout le moins, un éloignement de la vertu chrétienne de la sincérité ou de la simplicité, qui appartient à la franchise, et qui interdit de cacher aux autres sa pensée, quand il n’y a pas de bonne raison pour la dissimuler (Matt. V, 37). De plus, les relations amicales de l’humanité seraient enrayées s’il était permis de parler équivoquement, même quand on discute de choses banales, ou quand il n’y a pas de raison de garder secret quelque chose..
La restriction mentale au sens large est permise quand il y une raison suffisante pour la justifier, comme le bien public (la prévention d’un blasphème ou d’un enivrement), le bien-être corporel (la prévention de la mort ou d’un meurtre), un avantage monétaire (la prévention d’un brigandage). Mais cette restriction doit être nécessaire, c’est-à-dire qu’elle doit être le seul moyen légal capable d’obtenir une fin (on ne devrait pas avoir recours à la restriction mentale pour donner une réponse évasive quand le silence suffit); elle ne doit pas porter atteinte aux droits d’un autre (elle ne devrait pas être employée en faveur d’un bien particulier contre le bien commun). On trouve la raison de la conclusion présente dans le principe du double résultat (103 et suiv), et dans le fait qu’une restriction mentale au sens large n’est pas intrinsèquement mauvaise, parce qu’elle ne contient ni mensonge ni insincérité, et ne cause aucun tort à des individus ou à la société. Il n’y a pas de mensonge, parce que les mots correspondent à la pensée, soit de par leur sens obvie (dans le cas de mots à double sens), ou par leur signification accidentelle (dans le cas de mots dont le sens varie d’après le contexte). Il n’y a pas de manque de sincérité, car le but n’est que de cacher une vérité qui ne devrait pas être connue. Il n’y a aucune offense faite à celui qui questionne ou qui écoute puisque, s’il est trompé, cela est du à son manque d’attention, à sa paresse, ou à une curiosité injustifiée. Il n’y a pas d’offense faite à la société puisque le bien être général demande qu’existent certains moyens honnêtes qui permettent de se soustraire à des enquêtes injustes, et de protéger des secrets importants. Notre Seigneur lui-même, qui est infiniment au-dessus de tout soupçon de duplicité ou d’insincérité, peut avoir utilisé une restriction mentale au sens large quand il a déclaré qu’il n’irait pas à Jérusalem (Jn V11, 8-10), que la fille de Jaïre n’était pas morte, mais qu’elle dormait (Matt. 1X, 24). On trouve, dans l’Écriture, d’autres cas de restriction mentale au sens large : Élisée (1V, Rois, V1, 19).
2401- Quand la restriction mentale au sens large est-elle permise ? On s’accorde à dire que la restriction mentale au sens large est permise dans les cas suivants. Elle est permise et obligatoire quand quelqu’un s’est engagé à ne pas révéler une vérité. En conséquence, ceux que l’on questionne au sujet de sujets que le sacrement ou le secret professionnel interdit de dévoiler (les confesseurs, les docteurs, les avocats, les hommes d’état, et les secrétaires) devraient nier avoir connaissance de la chose. Et si on insistait, ils pourraient même nier le fait. Dans ces cas, la réponse je ne sais pas, ou non ne signifie que je n’ai pas de connaissance personne ou communicable. En temps de guerre, un gouvernement a le droit de censurer les nouvelles pour ne pas donner d’informations à l’ennemi. Une raison de charité peut aussi rendre obligatoire de déguiser sa pensée par une restriction mentale (quand une réponse claire donnée à la question d’un malade ne ferait que diminuer le léger espoir qui reste encore de sauver sa vie; ou quand une information exacte donnée à un homme d’arme le rendrait capable de s’emparer d’une victime). Elle est permise quand une coutume locale raisonnable permet de dissimuler la vérité. Ainsi, une personne accusée a, même si elle est coupable, le droit de plaider non coupable, ce qui signifie qu’elle ne confesse pas sa faute. Quelqu’un qui reçoit un visiteur à une heure importune peut faire savoir qu’il n’est pas à la maison, ce qui signifie qu’il n’y est pas pour les visiteurs; une personne à qui on a demandé une offrande ou une aumône qu’elle ne peut pas offrir, peut répondre, selon certains, qu’elle n’a pas d’argent, au sens où elle n’a pas d’argent à dépenser pour cela (2251).
2402- Les réponses ambigües. Sont-elles ambigües les réponses qui ne sont pas données selon l’esprit du questionneur, et pour lesquelles il n’y pas de raison valable pour les classer parmi les mensonges ? Si la réponse, même interprétée par son contexte, conserve son ambiguïté, ou peut être interprétée en deux sens, il n’y a pas, à proprement parler, de mensonge, car les mots signifient, même obscurément, ce qu’il y a dans la pensée du locuteur. Mais c’est une forme d’insincérité connue sous le nom d’équivoque, ou de jeu de mots, que plusieurs rejettent avec dégoût, et qu’ils considèrent comme un mensonge pur et simple. Sont des exemples d’équivoque les oracles païens qui faisaient des prédictions qui pouvaient s’appliquer à toute éventualté, ou les politiciens qui disent oui et non en même temps. Si la réponse qui, en elle-même, est susceptible de deux sens, est limitée par le contexte à un seul sens, c’est un mensonge, car elle n’exprime pas la pensée du locuteur. Ainsi, si Pierre sait que Paul est bon physiquement, mentalement, mais non moralement, il équivoque en répondant que Paul est bon, si d’après les circonstances, cette réponse ne fait qu’indiquer que, d’une manière ou d’une autre, il est bon. Mais Pierre ment en répondant que Paul est bon, et en restreignant le sens à la bonté physique ou industrielle, si la question posée porte sur la bonté morale.
2403- Le simulacre. Une forme spéciale de péché contre la franchise est le simulacre, qui emploie des actions ou des choses externes pour signifier le contraire de ce quelqu’un pense. Le simulacre emploie des choses ou des actions externes, et ainsi, il y a une déférence accidentelle entre le mensonge et le simulacre, l’un étant un manque de franchise en paroles, l’autre en actes (1678). Il emploie des choses ou des actes pour signifier, à la différence des mots, des actions et des choses qui ne servaient pas d’abord à signifier. Et, en conséquence, ce ne sont pas toutes les conduites qui sont différentes de ce que pense quelqu’un qui sont des simulacres. On peut agir sans penser une seconde à l’effet que nos actions auront sur les autres. Et même quand un acte est fait avec l’intention d’influencer autrui, le but peut-être de cacher quelque chose plutôt que de signifier quelque chose (Josué a fui devant les troupes de Hai pour les empêcher de connaître ses plans (Jos V111, 1 suiv. David a feint la folie pour cacher son identité (1 Rois XX1, 2, suiv). Ainsi, la dissimulation est généralement reconnue comme légale. Le montrent tous les exemples de stratagèmes, d’embuches, de camouflage en guerre, de déguisements des détectives; et en ne faisant pas connaître qu’on est marié quand on n’est pas encore prêt à tenir maison. Le simulacre signifie le contraire de ce quelqu’un a dans l’esprit. Comme quelqu’un qui est triste rit et fait des farces pour faire en sorte que les autres pensent qu’il est heureux; ou quand un homme en bonne santé adopte le comportement d’un malade poue apparaître en mauvaise santé; ou quand quelqu’un fait des faveurs en public à quelqu’un qu’il déteste. Une forme spéciale de la dissimulation est l’hypocrisie, qui fait un étalage de vertus qu’elle ne possède pas du tout, ou pas au degré prétendu. Il n’y a pas de dissimulation si l’extérieur correspond à l’intérieur. Exemple. A Emmaüs (Luc XX1V, 28), Jésus fit celui qui voulait aller plus loin, mais c’est qu’il ne voulait pas s’arrêter sans invitation.
2404- La culpabilité de la dissimulation. En général, la dissimulation est un péché, puisqu’elle n’est rien d’autre qu’un mensonge en acte. Mais les gestes, à l’exception des flexions des épaules, des hochements de tête, de certains autres, ne sont pas, par leur nature, des signes de pensées; et ceux qui sont employés comme signes sont moins précis que des mots. En conséquence, ce n’est pas plus facile de décider qu’un acte est une dissimulation, que de décider qu’un mot est un mensonge. Ainsi, ce n’est pas une dissimulation de faire usage d’une perruque, de dentiers, de bijoux de pacotille, comme moyen de protection ou d’embellissement, quand il n’y a pas d’intention de tromper autrui. Ce n’est pas non plus de la simulation pour un clerc pervers de porter l’habit clérical, puisque l’habit signifie premièrement l’état, et non nécessairement le caractère moral d’une personne. La dissimulation par l’hypocrisie et la tromperie est particulièrement détestable. Car l’hypocrisie prostitue les œuvres de vertu à la fin ignoble des applaudissements, du lucre, et de pire encore, tandis que la tromperie utilise l’intimité ou les marques d’amitié comme moyens de trahison. Les réprimandes les plus sévères Notre Seigneur les a adressées aux Pharisiens hypocrites : Guides aveugles, sépulcres blanchis, serpents, génération de vipères, (Matt. XX111, 23). Et une des paroles les plus tristes du Christ a été adressée à Judas : Tu trahis le Fils de l’Homme par un baiser ? (Luc XV11, 48).
Aux premiers, il a dit : malheur à vous ! Et de Judas il dit qu’il eut été préférable qu’il ne fut jamais né (Matt. XX1V, 24)
2405- La culpabilité de l’hypocrisie. L’hypocrisie au sens le plus strict du terme, est la simulation de quelqu’un qui veut paraître ce qu’il n’est pas, vertueux quand il ne l’est pas. Ce péché est mortel ou véniel selon le motif. Exemple. Agir en hypocrite pour séduire un autre est un péché mortel. Mais le péché est véniel si le motif n’est que la vanité. Il est à noter que ce n’est pas de l’hypocrisie de cacher, par dissimulation, ses péchés pour une juste cause. Isaïe blâme ceux qui scandalisent les autres en exhibant leur méchanceté devant le public (111, 9). L’hypocrisie en son sens le plus large revêt l’apparence d’un haut degré de sainteté, au-delà de ce qui est requis pour le salut. Comme quand une personne d’une bonté moyenne essaie d’usurper la réputation d’un thaumaturge, ou de passer pour plus fervent, plus humble que les autres. Ce péché n’est pas mortel en lui-même, mais il peut le devenir en raison des motifs, des moyens ou des circonstances. Il n’y pas du tout d’hypocrisie à se montrer comme on est réellement. Au contraire, il ment le bon qui prétend ne pas être bon, ou être vicieux celui qui ne l’est pas.
2406- La vanité et l’autodépréciation. Il y a deux façons de mentir à son sujet, la vantardise et la dépréciation. La fanfaronnade est de la vantardise de mauvais aloi. Comme quand quelqu’un prétend être de descendance royale; ou fait un récit fabuleux de richesses que nul ne peut posséder ; ou veut se faire passer pour une autorité dans des matières qu’il ignore; ou essaie d’éblouir en présentant ses défauts comme des perfections. Ce péché est mortel quand il offense Dieu ou le prochain sérieusement (Ezech XXV111, 2; Luc XXV111, 2), ou quand le motif est gravement peccamineux, comme une arrogance, une ambition ou une avarice graves. Feindre des défauts inexistants (ironie) c’est de l’autodépréciation non véridique. Comme quand on nie posséder une bonne qualité que l’on possède (un homme excessivement humble refuse de reconnaître les bonnes actions que les autres lui attribuent, même s’il sait qu’elles sont vraies); ou quand on admet posséder un défaut qu’on ne possède pas. (Celui qui cherche à s’attirer les bonnes grâces de quelqu’un s’accuse de méfaits qu’il sait n’avoir jamais commis). Ce péché est habituellement moins grave que la fanfaronnade, parce que, en règle générale, son but est d’éviter d’offenser les autres. Mais il peut devenir grave en raison de certaines circonstances, comme quand quelqu’un parle en mal de lui pour scandaliser ou séduire quelqu’un. A certains moments, le fait de feindre des défauts est de la fanfaronnade masquée, comme quand quelqu’un s’habille avec des habits en lambeaux, espérant par cette prouesse, acquérir la réputation d’un grand ascète (Prov XXV1, 25; Matt. V1, 16; Eccles 1X, 23).
2407- L’infidélité et la violation d’un secret. Il nous reste à parler des vices d’infidélité et de violation d’un secret (2388 a). Quat au premier, comme on en a parlé ailleurs (1877 suiv. 1888m 1889), il suffira ici de poser la question suivante : est-ce que le bris d’une promesse librement donnée est un péché ? Si l’observance de la promesse est due à la fidélité seulement, il n’y a pas de faute légale, mais morale; et le bris d’une promesse est donc un péché. La malice est essentiellement la même que celle de l’insincérité (2395), car le menteur et le briseur de promesse se montrent sans foi. Le premier parce que ses paroles ne correspondent pas à sa pensée, et l’autre parce que ses actions ne sont pas à la hauteur de ses engagements. Un bris de promesse semble donc être en lui-même un péché véniel, bien qu’il existe souvent des circonstances qui le rendent mortel. Si l’observance d’une promesse n’est pas due à la fidélité, il n’y a pas d’obligation morale de la tenir, si on détecte la présence d’un défaut. On ne commet alors aucun péché en ne la gardant pas. Les défauts dont on parle ici sont ceux qui enlèvent, dès le début, toute force à la promesse (si elle était immorale, ou extorquée par la force) ou la privent de la force qu’elle avait (l’incapacité de la part de celui qui a promis, ou la perte du droit chez celui à qui on a fait la promesse). Celui qui a promis est incapable de tenir sa promesse si la chose promise est devenue physiquement impossible (il n’a plus la force ou les moyens d’accomplir ce qu’il a promis), ou moralement impossible (la chose promise est devenue illégale, ou un changement important est survenu qui aurait empêché la promesse s’il avait été prévu). Celui à qui on a fait une promesse perd ses droits, si a pris fin la raison qui a dicté la promesse, ou si elle devient inutile, ou si celui qui a fait la promesse en a été dégagé, ou si celui à qui on avait fait une promesse a torpillé son droit à la revendiquer par son comportement perfide envers celui qui a fait la promesse (2256 suiv. 1889).
2408- Définition d’un secret. Un secret est une matière (une invention, une information valable, des vertus cachées, le fait qu’un crime a été commis) connue privément par une seule personne ou par quelques-uns, qui n’est ni propriété publique ni de notoriété publique. Les moralistes distinguent différentes sortes de secrets. Un secret naturel, lequel ne peut pas être révélé sans causer des dommages ou des soucis à quelqu’un, quand sa révélation le lèsera dans sa réputation, son honneur, son influence, sa propriété. On dit qu’il est naturel car il provient de la nature même de la matière du secret, et non d’une promesse ou d’un contrat. Un secret promis est celui que quelqu’un a promis de garder inviolable, mais seulement après qu’il l’ait déjà appris. Ne fait aucune différence le fait que celui qui a promis apprenne le secret de la bouche de celui qui le lui a confié, ou d’une autre source. Un secret confié ou commis est celui qu’une personne a promis (avant de l’apprendre) de ne pas révéler aux autres. La promesse ici est explicite ou implicite. Une promesse implicite de garder un secret en est une que demande la nature confidentielle des communications entre deux parties (secret professionnel), comme quand les médecins, les avocats, les prêtres, les parents, ou les amis apprennent des matières privées, en raison de leur position ou de leur relation. Une promesse explicite en est une qui est donnée par des termes explicites, comme quand A dit à B : « J’ai quelque chose d’une grande importance à te dire, mais tu dois d’abord me promettre que tu me garderas le secret ». Après la promesse de B, A lui confie son secret.
2409- Le péché qu’il y a à violer un secret. Un secret est la propriété de son possesseur; et à ce secret, il a un droit strict. Car si c’est un bon secret (comme un idée géniale, une découverte), c’est le produit de son labeur, ou, tout au moins, une possession légalement acquise. Si c’est un secret mauvais (comme un crime dont il est coupable), nul ne peut le révéler sans porter atteinte au droit qu’il a à sa réputation. Ce n’est pas plus légal de violer le droit au secret que de violer le droit de propriété. Et comme il y a trois sortes d’offense à une propriété, il y en a trois pour les offenses faites à un secret. Ainsi, le droit de possession est violé par ceux qui, par fraude ou d’autres moyens illégaux, privent quelqu’un de son secret (en interceptant secrètement des lettres privées, en enivrant quelqu’un pour le faire parler). Ils violent le droit à l’usage ceux qui, après avoir acquis la connaissance d’un secret, prennent des décisions qui lèseront les droits des autres. Le droit de disposer de ses biens est violé par ceux qui révèlent un secret qu’ils avaient l’obligation de ne pas révéler.
2410- Le pillage des secrets des autres. Il n’est pas permis de chercher à découvrir les secrets des autres, à moins que ne soient présentes les conditions suivantes. On droit avoir un droit à la connaissance. En conséquence, s’il est question d’un crime qui vient d’être commis, ou qui est sur le point de l’être, on a le droit d’investiguer pour prévenir qu’un tort soit fait à des intérêts publics ou privés. Pendant la guerre, on peut essayer de découvrir les plans de l’ennemi. Mais il n’est pas permis de s’immiscer dans les affaires purement personnelles, de soutirer des secrets naturels ou confidentiels de personnes qui ont l’obligation de les garder; de dérober à quelqu’un ses pensées, ses plans, ses inventions, qui lui appartiennent en propre. On ne doit utiliser que des moyens honnêtes pour découvrir des secrets qu’on a le droit de connaître (1504). Ainsi, il ne semble pas correct, en règle générale, d’enivrer quelqu’un pour apprendre de lui un secret (ou de le mettre sous hypnose). Et il y a certainement un péché à recourir aux mensonges ou à la simulation ou à l’immoralité.
2411- Lire les lettres ou les papiers d’un autre. Quand est-il permis de lire les lettres ou les papiers d’une autre personne ? Cela est permis quand des écrits n’ont jamais prétendu au secret, comme quand une circulaire est faite pour un usage public, ou quand des souhaits de bonne fête sont imprimés sur ces cartes que tous peuvent lire; ou quand une lettre a été laissée décachetée, ou jetée, ou laissée là. Mais est secrète une lettre scellée, ou une lettre décachetée dans une chambre privée, ou perdue dans une place publique. Si un manuscrit a été déchiré par son propriétaire et jeté à la rue ou sur une place publique, il ne semble pas qu’il soit légal de remettre en place les pages déchirées et de les lire. Car, même si le manuscrit a été abandonné, le propriétaire, en le détruisant, a indiqué sa volonté d’en garder secret le contenu. Il est aussi permis de lire les écrits des autres que rien ne nous empêche de lire, comme quand on a été autorisé par l’épistolier de parcourir une lettre écrite par lui; ou quand on peut présumer ce genre de permission en raison de l’amitié qui unit quelqu’un à un écrivain; ou quand la loi ou une coutume légale donne au supérieur d’une institution le droit d’inspecter la correspondance de ses sujets. Mais on doit faire une exception pour les matières exemptes, pour lesquelles aucune permission n’est donnée, comme les lettres parlant de ce qui est confidentel, et les lettres envoyés aux autorités religieuses supérieures (canon 611).
Il est aussi permis de lire les écrits des autres qui se voulaient secrets, si on a le droit d’en connaître le contenu, Car, dans ce cas, le propriétaire se montrerait déraisonnable s’il voulait empêcher quiconque d’en prendre connaissance. Ainsi, l’autorité publique, en temps de guerre, a le droit de lire les lettres des citoyens et tous leurs écrits, quand le bien commun le demande. Les parents et les directeurs d’école ont le droit d’examiner la correspondance de leurs sujets. Mais les parents devraient respecter les secrets de conscience; et les étrangers ne devraient pas lire des secrets de famille. Chaque individu possède, comme mesure d’autodéfense, le droit naturel de lire les lettres d’un autre, quand on a une bonne raison de penser qu’elles contiennent des choses capables de nuire gravement et injustement (une conspiration, un piège, une calomnie).
2412- La légalité de l’utilisation de la connaissance d’un secret. On dit que quelqu’un se sert de la connaissance d’un secret, quand on dicte la conduite de quelqu’un d’après cette connaissance, faisant ou omettant ce qu’autrement on ne ferait ni n’omettrait. Cet usage d’un secret est-il légal ? Si on avait promis de ne pas se servir du secret, son usage est illégal (2414). En cas d’un secret simplement promis, le bris d’une promesse est donc au moins un acte d’infidélité; et c’est un acte d’injustice dans le cas d’un secret confié. Ainsi, quand nous consultons une personne professionnelle, il y a une entente tacite à l’effet que la connaissance communiquée ne sera pas utilisée contre nos intérêts, ou sans notre consentement. Et en conséquence un avocat agirait injustement si, après avoir appris de son client que ses affaires étaient loin d’être prospères, il en informait les créanciers de son client. S’il n’y a pas eu de promesse de ne pas utiliser un secret, son usage est quand même injuste s’il viole un droit strict (faire de l’argent avec un procédé secret dont un autre a la formule; prendre connaissance des projets et des plans d’un autre en lisant ses lettres, et en profiter pour l’empêcher d’obtenir une poste vacant); ou si cela équivaut à une injuste révélation d’un secret. L’emploi d’un secret est un manque de charité s’il blesse une autre personne sans nécessité ( cesser de faire affaire avec un marchand honnête parce qu’il s’est, selon le quand dira-t-on, enivré une fois).
S’il n’y a pas eu de promesse de ne pas s’en servir, et si aucun tort n’a été infligé à personne, il est permis de faire usage d’un secret pour un bien non nécessaire ( hausser le prix de sa propriété quand on apprend, en écoutant une conversation secrète, que la propriété vaut beaucoup mieux). Et il est obligatoire de s’en servir pour un bien nécessaire (aider quelqu’un quand on apprend par une confidence secrète qu’il a grandement besoin d’être secouru). Même si l’usage d’un secret lèsera quelqu’un, son usage n’est pas répréhensible, si aucun droit n’est enfreint, et si on ne peut s’en passer sans subir de graves inconvénients. Comme quand quelqu’un a découvert, par son ingéniosité, une vérité importante en art ou en science, qu’un autre avait découverte avant lui, et qu’il avait négligé de faire sienne par un droit exclusif; ou quand quelqu’un apprend d’un secret que telle personne est son ennemi, et qu’il doit s’en méfier.
2413- Le péché commis en volant ou en usant indument du secret d’un autre. De par sa nature, (à l’exception des cas de pure fidélité), le péché est mortel, comme étant une violation de la justice commutative ou de la charité. Une offense aux droits de propriété, qu’il s’agisse de biens ou de connaissance, est une violation d’un droit strict (1890, 1894). L’importance du secret rend le péché plus grave, ou les dommages causés. En raison de l’imperfection ou de la légèreté de l’acte, le péché peut devenir véniel, comme quand, sans y penser, quelqu’un lit les lettres d’une autre personne, ou ouvre une correspondance sans en avoir le droit, parce qu’il est moralement certain qu’il n’y a rien là de confidentiel; ou qui fait usage d’un secret important sans permission.
2414- L’obligation de garder un secret. Un secret naturel oblige par lui-même sous peine de péché grave. Car sa violation offense la charité et la justice en attristant et en blessant quelqu’un. Ce péché peut devenir véniel en raison de la légèreté de la matière, comme quand il ne cause qu’un léger désagrément. Le secret promis oblige ordinairement sous peine de péché léger, car, en règle générale, la promesse entend obliger en vertu de la fidélité seule (1888); et l’obligation de fidélité, comme il a été dit plus haut (2407), n’est pas grave. Mais exceptionnellement, l’obligation peut devenir grave, comme quand celui a fait la promesse avait l’intention de s’engager en vertu de la justice, et sous peine de péché grave; ou quand le secret est naturel en plus d’être promis. Le secret confié oblige par lui-même sous peine de péché grave, parce qu’il y a un devoir de justice commutative et légale à le garder, en raison des droits du contrat, et du bien commun qui y est impliqué. Le violeur d’un secret confié offense un bien privé en ne tenant pas compte d’un contrat; et il offense le bien public en affaiblissant la confiance dans les officiers ou les professionnels, que les autres doivent aller consulter pour recevoir de l’aide.. La violation d’un secret engagé peut n’être qu’un péché véniel en raison de la légèreté de la matière, Ainsi, quelques-uns pensent que ce n’est pas une injustice sérieuse de révéler un secret à une personne discrète, si la personne à laquelle on le révèle n’a pas d’objection à l’entendre, et n’en fera pas un mauvais usage (2065).
2415- Comparaison des secrets sous l’ange de la force contraignante. Le secret promis oblige moins que le secret naturel ou confié, comme il a été dit dans le paragraphe précédent. Le secret naturel oblige moins par lui-même que le secret confié, car c’est par un contrat onéreux qu’on s’engage à garder un secret confié, tandis que pour conserver le naturel, aucun engagement n’a été fait. Quelques secrets confiés sont plus sacrés que d’autres. Ainsi, un secret confié par nécessité est plus astreignant qu’un autre qui a été fait sans nécessité. Un secret que quelqu’un a juré de garder est plus obligatoire que celui auquel on n’a donné que sa parole d’honneur. Un secret professionnel oblige plus qu’un secret privé. Un secret d’état est beaucoup plus important que n’importe quel secret d’individus privés. Le plus inviolable de tous les secrets est celui du confessionnal, parce que sa violation est toujours un sacrilège.
2416- Les cas où il n’est pas nécessaire de garder un secret. S’il n’y avait pas eu d’obligation depuis le temps où le secret a été connu, il n’est pas nécessaire de le garder. Ainsi, si un simple secret promis était accepté sous la contrainte, et si sa révélation était avantageuse et n’était nuisible en rien, il ne semble pas nécessaire de garder un secret. Si l’obligation du secret a cessé, il n’est pas nécessaire de garder le silence. Les exemples suivants sont des cas où l’observance d’un secret n’était promise que pendant un certain laps de temps. Ou une matière qui était d’abord secrète est devenue publique; ou le propriétaire du secret lui-même désire sa divulgation; ou il n’a pas conservé sa confiance envers le possesseur du secret. Pourvu que, dans ces cas, aucune offense, aucun tort ne soit causé par la révélation du secret. Semblablement, si le récipiendaire d’un secret ne peut pas le garder sans se faire beaucoup de tort à lui-même, il n’est pas tenu de le garder, à moins que la charité ou la justice ne demande le contraire (1165, 1236). La justice commutative demanderait le silence, s’il y avait un contrat exprès de garder le secret, à ses risques et périils.. La justice légale le demanderait, si la sécurité de la république était impliquée.
2417- Cas dans lesquels il n’est pas permis de garder un secret. Si un secret ne peut pas être gardé sans causer un grand tort au bien commun, il ne peut pas être gardé, car la justice légale requiert que le bien privé soit subordonné au bien de l’ensemble des citoyens. La violation des secrets est un tort fait au bien public, et un tort plus grand que les maux ordinaires qui frappent la communauté (comme l’évasion d’un coupable). Mais elle représente un tort moins grave que les maux sérieux qui affectent le peuple (comme une menace à la santé publique, une sédition ou une trahison). Le possesseur d’un secret naturel ou promis doit le révéler à l’autorité légitime quand elle l’ordonne, comme en cour. Mais un supérieur n’a aucun droit qui lui permette de poser des questions sur des secrets confiés. La loi positive reconnait habituellement cela dans la protection qu’elle accorde aux communications professionnelles. Si on ne peut pas conserver un secret sans que ne soit causé un grand tort au bien privé du propriétaire du secret, il faut distinguer entre un secret confié et non confié. Dans le cas d’un secret non confié, on peut ne pas garder le secret, car la charité nous demande d’aider quelqu’un à échapper à un plus grand mal; et le possesseur du secret se montrerait fort déraisonnable s’il s’opposait à la révélation du secret (501 suiv). Dans l’autre cas, quelques moralistes pensent qu’il faut garder le secret, s’il est professionnel (puisque le bien public passe avant le bien privé du propriétaire du secret). Mais d’autres sont d’un avis opposé. Exemple. Pierre sait que Paul va se marier avec un double empêchement qui va invalider son mariage, mais il ne peut pas persuader Paul de le faire savoir au curé).
Si on ne peut garder un secret sans faire un tort plus grand au bien privé d’une tierce partie (une autre personne que le propriétaire du secret), il faut faire une distinction parmi les cas selon qu’un tort est fait ou n’est pas fait à la tierce partie par le propriétaire du secret. Si aucune offense n’est faite à la tierce partie, il faudrait garder le secret (si quelqu’un a appris par une confidence que Luc a fait une invention qui va éclipser celle faite par Marc, il n’est pas obligé de mettre Marc au courant, car Luc n’a fait aucun tort à Marc). Mais si, quand on garde le secret, un tort est causé à une tierce partie par le propriétaire du secret, il n’y a pas d’obligation à garder le secret, car la charité demande qu’on aide un innocent à éventer les pièges, même si cela doit être fait au détriment de la cause responsable du dommage. Exemples. Si quelqu’un a été informé secrètement que A. B. et C. ont conspiré pour tuer D, demain soir, et s’il n’est pas possible autrement de prévenir ce meurtre, il devrait rompre le secret, au moins en avertissant D que sa vie est en danger. Si un médecin sait qu’un homme qui est sur le point de contracter un mariage n’est pas sain alors qu’il prétend l’être (il a la syphilis), il devrait avertir lui-même la femme s’il ne parvient pas à convaincre le futur époux de dire la vérité à sa promise. A moins que les lois du pays défendent de faire cet usage du savoir professionnel,
2418- Que devrait faire le possesseur
d’un secret confié, s’il apprend par ce même secret, que celui qui
le lui a confié est coupable d’un crime pour lequel un innocent est
sur le point d’être accusé et condamné ? Si celui qui est coupable
est responsable de la mise en accusation de l’innocent (parce qu’il
l’a accusé faussement ou l’a piégé), la loi naturelle demanderait
que le possesseur du secret fasse connaître ce qui en est vraiment, car
le coupable est alors la cause injuste du dommage causé, et il est tenu
de se dénoncer lui-même (1763). Mais la révélation du vrai coupable
ne serait pas nécessaire s’il y avait d’autres moyens de sauver l’innocent.
Si la personne coupable n’est pas responsable des difficultés dans lesquelles
se trouve un innocent, si elle n’a rien tenté pour jeter la suspicion
sur lui, quelques moralistes pensent que le secret devrait être gardé,
puisque le coupable a alors le droit de garder son secret, et donc
le droit que celui à qui il l’a confié le garde (1968).
Mais d’autres canonistes accordent,
il est vrai, que la personne coupable n’est pas obligée de s’accuser
elle-même, mais ils nient que le confident ne soit pas obligé de l’accuser.
Car inégaux sont les droits qui s’affrontent, celui que
le coupable a à ce que son secret soit gardé, et celui que l’innocent
a de ne pas être privé de la vie et de la liberté. Et celui qui préfère
le droit du coupable fait un tort irréparable à l’innocent (288).
2419- La question précédente portait sur une tierce partie innocente.
Si le détenteur du secret est aussi l’accusé, il semble qu’il ne
soit pas obligé de faire passer l’inviolabilité du secret avant
sa propre préservation (2418). La chose à faire serait d’avertir
le coupable de se sauver à temps, et puis de se disculper en faisant éclater
la vérité.
2420- La légalité qu’il y a à révéler un secret appris de force, ou sous la contrainte. Dans le but de détourner un mal grave, est-il permis de révéler, contre les désirs ou les intérêts de son propriétaire, un secret que quelqu’un a appris par des moyens détournés (par l’espionnage, par l’écoute téléphonique ou électronique, par une consultation non autorisée de documents), ou par la force ? Différentes réponses sont données à cette question, mais la meilleure, pour nous, semble être la suivante. Le recours à la ruse ou à la force, dans les circonstances présentes est permis, parce que le propriétaire du secret a le devoir de le révéler (en raison du bien public, ou du besoin extrême d’une personne privée); ou parce que l’autre partie a le droit de chercher à le découvrir (parce qu’il ne peut pas autrement se défendre lui-même contre les vexations injustes que lui inflige le propriétaire du secret). Car ce cas ne porte que sur l’application du principe d’une occupation légale, ou de l’autodéfense légale (1920 suiv. 1819). Mais si la ruse ou la force va jusqu’à l’excès, et cause un tort non nécessaire, elle devient un péché, et commande le devoir de restitution. Et on n’a aucun droit de faire un usage de la révélation d’un secret de ce genre, parce qu’elle est un péché par elle-même (en raison des calomnies, des scandales, des désordres).
Si la ruse ou la force s’avéraient injustes dans des circonstances particulières, la réponse est non. Parce que, dans ce cas, il y aurait un vrai vol d’un secret, lequel est la possession la plus intime d’une personne, et une continuation de l’offense initiale, par l’emploi de la propriété volée contre son propriétaire. Ou, à tout le moins, un transfert illégal de propriété. En conséquence, s’il n’y a pas de raison grave et proportionnelle pour l’usage d’un secret, ou si on peut employer des méthodes autres ou plus simples, on ne peut l’utiliser. Ceux qui jouent aux détectives pour de prétendues bonnes raisons, mais qui le font, en réalité, pour faire du chantage, ou en recherchant d’autres avantages égoïstes, se mettent dans la même classe que les voleurs, et sont tenus à la restitution. Leur péché est mortel de lui-même, car on a habituellement une plus grande estime pour un secret que pour de l’argent Et ce serait un grand tort fait au bien-être de la société si était permise la pratique d’utiliser des secrets illégalement obtenus (en enregistrant des communications privées ou des secrets d’état).
2421- Les vertus de l’affabilité et de la libéralité. Même si elles ne sont pas aussi importantes que celles qui précèdent, ces deux vertus sont très utiles à la vie humaine (2143). L’affabilité (l’amitié, la politesse) est une vertu qui, pour remplir le devoir de la vie en société, incite une personne à se montrer, dans les choses sérieuses, avenante envers tous. L’affabilité a pour objet d’être aimable envers les autres, dans son apparence externe, dans ses manières, dans ses paroles et ses actions; de les traiter avec tact et chaleur; et de leur donner ainsi de l’agrément. L’affabilité est plus que la simple civilité, laquelle évite la goujaterie, s’en tient à ce qui est nécessaire, et ne montre pas un visage joyeux. Le gentilhomme, d’après le cardinal Newman (l’idée d’une université, discours V111, 10) est quelqu’un qui ne fait de peine à personne, et dont le souci principal est de mettre chacun à son aise et comme s’il était chez lui. Le vrai gentilhomme prend la défense de ses amis et de ses gardes devant toute allusion malveillante. Il tient rarement le haut du pavé dans la conversation, et n’est jamais importun. Il met en lumière les faveurs qu’il a reçues des autres, ne parle de lui-même que quand il en est obligé, évite de parler en mal des autres, ou même d’insinuer le moindre mal. Et il est compréhensif envers ses opposants. L’affabilité est agréable dans la mesure où elle est convenable, c’est-à-dire si elle observe la règle du juste milieu, si elle vise la modération et si elle tient compte des circonstances, c’est-à-dire, si elle se conforme au temps, au lieu, à l’occasion, et aux personnes, et si elle se plie aux lois reconnues de l’étiquette dans les relations sociales officielles, d’affaires, religieuses ou domestiques. Mais il y a des temps où on ne devrait pas faire montre d’affabilité, comme quand, pour un plus grand bien, il est nécessaire d’être sévère et désagréable, ou même d’attrister les autres (11 Cor V11, 8,9).
Son but est de remplir un devoir social. Sans affabilité, la vie est plus rugueuse et plus difficile pour tous. En conséquence, puisque l’homme est un être social, il devient obligatoire que chacun se conduise avec les autres de façon à éviter ce qui déplait et à cultiver ce qui plait. Ainsi, l’affabilité est de moindre valeur que l’amitié (1110), puisqu’elle ne comporte pas une bienveillance spéciale, et qu’elle se montre indifféremment à l’ami et à l’ennemie. Mais elle vaut plus que la politesse, car elle ne consiste pas seulement dans de bonnes manières externes, mais surtout dans un sens interne de responsabilité envers la société, et de déférence à ce qu’elle requiert. Mais l’affabilité est à son meilleur quand elle se met au service de l’amitié et de la charité chrétienne. Un brin de courtoisie accompagné de sincérité et de bonté de cœur est plus apprécié que des compliments alambiqués, et des cérémonies derrière lesquelles ne se trouve que peu de sincérité ou d’affection. L’affabilité régule la conduite dans les affaires sérieuses, et la régulation des amusements ou des récréations appartient surtout à la modestie, et tombe sous la responsabilité de la tempérance plutôt que de la justice.
2422- Les devoirs de l’affabilité. Tous, et surtout les prêtres, devraient pratiquer la courtoisie, imitant saint Paul qui s’est fait tout à tous, pour les gagner tous au Christ (1 Cor 1X, 22). Et nous devrions suivre son avis de n’offenser personne, ni les Gentils, ni les Juifs, ni les chrétiens (1 Cor X, 32). On peut réduire les devoirs de l’affabilité à des devoirs négatifs et positifs, comme suit. Les devoirs négatifs consistent à éviter l’excès (l’adulation) et le défaut (la maussaderie); les devoirs positifs consistent dans l’observance, en des occasions spéciales, des formes et des usages appropriés, et, en toute occasion, dans une attitude compréhensive et sympathique envers les sentiments des autres.
2423- Les péchés contre l’affabilité. L’adulation est le vice de ceux qui, dans leur effort de plaire aux autres, vont au-delà de ce qui convient; de l’homme complaisant qui cherche à faire plaisir par des compliments conventionnels ou extravagants; ou du flatteur qui cherche à obtenir des faveurs en exprimant une admiration délirante. On montre aussi de l’adulation en s’abaissant exagérément (la servilité, l’obséquiosité), et par une exaltation exagérée des autres (la flagornerie). Le péché d’adulation n’est pas grave par nature, puisqu’il n’est qu’une excessive volonté de plaire. Mais des circonstances peuvent parfois le rendre grave, comme sa matière (quand on complimente quelqu’un pour ses péchés, Is V, 20); comme son effet (quand la flatterie rendra quelqu’un orgueilleux), ou comme son but (quand la flatterie a pour but la séduction XXV11, 6). Elle est semblable à la flatterie dans son exagération, mais elle est différente dans sa manière, par sa démonstration d’amitié par une familiarité offensive, ou une conduite tapageuse.
La maussaderie ou la goujaterie est le péché de ceux qui sont disgracieux dans leurs manières, non à cause de la haine ou de la colère, mais à cause d’un désir d’être déplaisant, et d’amener les autres à leur céder le pas en tout. Le maussade est toujours prêt à contredire ou à ergoter. Il n’est pas facile à contenter; il est susceptible, revêche, bourru, geignard, et broyant du noir. La maussaderie est en soi pire que l’adulation, mais elle n’est pas un péché mortel, car elle plus éloignée de l’affabilité que de l’adulation. Mais elle n’inflige pas nécessairement un coup sévère à la charité. L’habile palabreur est, lui, souvent plus dangereux que le morose (Ps CXL, 5). Semblable à la maussaderie est la goujaterie de ceux qui, par cynisme et paresse, méprisent le raffinement, ou qui, par goinfrerie, négligent les bonnes manières à table. Mais entièrement éloignée de la maussaderie est cette dignité qui peut être réservée sans être distante ou difficile d’approche, et cette gravité qui peut être sérieuse et sévère dans être désagréable.
2424- La libéralité. La libéralité est une vertu qui modère l’amour des richesses et incite quelqu’un, dans les affaires ordinaires, à donner volontairement de ses biens aux autres, au moment et quand la droite raison le demande. Elle modère l’amour des richesses, c’est-à-dire qu’elle fait estimer et évaluer l’argent à sa vraie valeur. Sous cet angle, elle appartient au moins improprement à la tempérance, en autant que l’amour de l’argent est une passion. La libéralité est donc distincte de la miséricorde et de la bienfaisance. Ces vertus ont la main ouverte comme la charité, et donnent parce que quelqu’un est nécessiteux ou aimé. La libéralité, au contraire, peut exister sans la charité, et elle peut montrer sa bonté même à ceux qui ne sont ni nécessiteux ni aimés. Car la raison pour laquelle elle est libre dans son usage de l’argent est qu’elle ne prise pas excessivement les choses externes. Elle incite quelqu’un à gratifier autrui avec ce qu’il possède, ou à communiquer ses biens en toute liberté. A ce point de vue, la libéralité est assignée à la justice, puisque son objet ce sont les choses externes dues aux autres par une dette morale. Puisque la libéralité consiste premièrement en une inclination généreuse, même un pauvre peut avoir cette vertu. En fait, étant moins rivés à l’argent, les pauvres sont de loin plus disposés à la libéralité que les riches. Elle fonctionne cette libéralité dans les affaires ordinaires, car il y a une vertu spéciale de magnificence qui fait que les riches dépensent leur argent sans compter dans des entreprises de marque. Le bénéficiaire de la libéralité est différent, car aucune vertu spéciale n’est requise pour faire que quelqu’un use de son argent librement pour ses propres besoins ou pour son confort.
La libéralité donne joyeusement mais d’après la juste raison. Car, il n’y a pas de mérites dans des dons non volontaires, et pas de vertu dans ceux qui sont versés à contre temps, sans tenir compte du moment, du lieu, du but, de la personne, de la quantité, de la qualité. La libéralité n’est donc pas inconsistante avec la prudence qui porte sur les affaires temporelles, c’est-à-dire avec l’économie qui adapte les dépenses au revenu, avec le souci d’épargner et de mettre de côté un peu d’argent pour le futur; et avec la frugalité qui n’achète que le nécessaire, et fuit le luxe comme la peste (1681).
2425- L’importance de la libéralité. La libéralité n’est pas la plus grande des vertus. Elle vaut moins que la tempérance, parce que la tempérance régule les passions en référence au corps, tandis que la libéralité les régule en référence aux choses extérieures. Elle a moins de valeur que la force ou la justice, qui sont au service du bien commun, tandis que la libéralité traite des individus. Elle vaut moins que les vertus qui sont reliées aux choses divines, car la libéralité a affaire directement aux choses temporelles. La vertu de libéralité est une des plus utiles des vertus, puisqu’elle rend capable quelqu’un de se servir au mieux de son argent, au service de Dieu et de l’humanité, et qu’elle procure à quelqu’un influence qui peut être employée pour le bien (Eccl XXX1, 28). Selon Aristote, les vertus qui donnent le plus de renommée sont d’abord la bravoure, ensuite la justice, et enfin la libéralité. De plus, la vertu de générosité est l’une des marques les plus sures de la religion interne et de la charité, comme étant une expression naturelle de dévotion et de bienveillance (2185, 1211).
2426- Le vice de l’avarice. Le vice qui, dans le don, est opposé à la libéralité, par défaut, est l’avarice. A parler proprement, ou en tant qu’elle se distingue du vol ou du cambriolage, l’avarice est un désir immodéré, ou un amour ou une délectation morose des biens corporels externes, comme les terres et l’argent. La malice absolue de l’avarice. Le péché est véniel par lui-même, puisqu’il n’est qu’un excès d’amour d’une chose qui en elle-même est indifférente ou légale. Mais il devient mortel si l’attache à l’argent est si grande qu’on est prêt à sacrifier de graves devoirs pour sa possession (rester loin de l’église plutôt que d’avoir à apporter sa contribution). Elle n’est pas purement charnelle puisqu’elle n’est pas associée avec le plaisir corporel; ni non plus spirituelle, puisque les richesses ne sont pas des objets spirituels. Elle se tient donc à mi chemin entre les vices spirituels et charnels.
La malice comparative de l’avarice. Quant à la difformité, l’avarice n’est pas pire que les autres péchés. C’est plutôt le contraire. Plus petit est le bien auquel le vice s’oppose, plus petite est la dépravation causée par le vice. Et, en conséquence, puisque les biens externes, dont l’avarice fait une fausse estimation, sont moins importants que les divins ou les humains, il s’ensuit que l’avarice n’est pas un péché aussi grave que l’irréligion, l’homicide, le vol etc. Quant à l’avilissement, cependant, l’avarice est pire que les autres péchés. Moins valable est le bien qu’un vice poursuit, plus disgracieux est le vice. Et, en conséquence, puisque le radin met son cœur dans des choses externes, lesquelles sont parmi les plus basses, les préférant aux biens du corps et de l’âme (la santé, l’éducation, les arts), et même aux biens divins, il est regardé à bon droit comme le plus méprisable de tous les pécheurs. Il y a des formes d’avarice qui inspirent plus de dégoût que d’autres. Ainsi, pour certaines personnes, l’avarice se montre dans la peur de dépenser dans les choses qui sont nécessaires à la vie (parcimonie). En d’autres, elle se manifeste dans son refus de donner quelque chose aux autres (ladrerie), ou dans une volonté de vivre aux dépends des autres (le parasitisme). Enfin, la forme la plus distinguée de l’avarice se voit chez ceux qui ne peuvent pas se départir de leurs possessions, ni dans leur propre intérêt ni dans celui des autres, et qui trouvent leur béatitude dans la possession elle-même (radinerie). Quant à l’influence, l’avarice a une prééminence parmi les péchés puisqu’elle la range parmi les sept vices capitaux. Un vice capital est une des principales sources d’attraction mauvaise qui produit d’autres péchés. Et il est clair que l’amour immodéré des richesses est la mère prolifique de plusieurs péchés. Tous sont attirés par le bonheur, et l’argent semble capable de fournir tout ce qui le procure (Eccl X, 16). C’est pourquoi nous voyons que pour conserver leur argent, les hommes se rendent durs de cœur (Matt. XX111, 14; Luc XV1, 21). Pour l’acquérir, ils deviennent charnels, et toujours à l’affut (Eccl. X1V. 9; Matt. X111, 22). Ils ont recours à la violence (111 Rois XX1m 2), à l’arnaque (Act. XX1V, 26), au parjure (Matt. XXV111, 12), à la fraude (Luc XV1, 4), à la tromperie (Matt. XXV1, 15). L’avarice est en même temps l’un des péchés les plus dangereux, car elle amènera quelqu’un à vendre même sa propre âme (Eccl. X, 10), et à commettre n’importe quelle énormité (1 Tim V1, 9). Et elle est un des plus incurables, car l’avare n’a jamais assez (Prov XXX, 15, 16). Et l’avare est toujours prêt à faire croire que son vice est de la prudence ou de l’économie, ou un détachement des biens de ce monde. (Sag XV, 12).
2427- Le vice de prodigalité. Le vice opposé à la libéralité par excès dans le don est la prodigalité. Elle est une appréciation défectueuse des choses temporelles, et une communication excessive de ses biens à tout venant. Elle a un soin insuffisant des choses temporelles, c’est-à-dire que l’avare aime trop l’argent, et le prodigue l’estime trop peu. L’avare est toujours anxieux d’obtenir et de garder de l’argent; le prodigue ne prête pas attention à ses gains et à ses épargnes. La prodigalité est un don extravagant de biens temporels, c’est-à-dire que le prodigue donne plus qu’il ne devrait, comme quand les circonstances ne requièrent pas un don, ou quand il donne à la personne à qui il ne devrait pas donner, ou en temps inopportun.
2428- La culpabilité de la prodigalité. De par sa nature, elle est vénielle. Le prodigue n’est pas le propriétaire absolu de ses biens, mais un gérant qui doit les administrer selon la raison. Mais son péché n’est pas grave, puisqu’il ne cause pas d’offenses aux autres, et que les biens dont il se prive sont les plus bas qui soient. Des circonstances particulières peuvent le rendre mortel. Le but, par exemple, peut le rendre mortel (des présents extravagants faits dans le but de séduire ou de faire chanter quelqu’un); les conséquences (la dilapidation qui rend quelqu’un incapable de payer ses dettes, ou d’aider des parents qui en ont grand besoin); ou l’obligation spéciale de consacrer son superflu aux œuvres de charité, comme quand quelqu’un gaspille le surplus que lui apporte un bénéfice (1252).
2429- La comparaison entre l’avarice et la prodigalité. Elles sont compatibles, car le même individu peut être à la fois avare et prodigue, mais de façon différente (certaines personnes ne regardent pas à la dépense quand il est question de faire des présents en argent, mais elles sont forcées de faire de grandes épargnes pour en conserver un peu, et sont souvent prêtes à tout pour en acquérir.) Elles sont inégales en malice. La prodigalité est un péché moins grave que l’avarice, parce qu’elle est moins éloignée de la libéralité, moins nuisible à soi-même et aux autres; et moins difficile à guérir. On dit que la prodigalité est le vice de la jeunesse, et l’avarice celui de la vieillesse.
2430- La vertu d’équité. Les vertus qui ont été traitées jusqu’ici dans cet article, sont des formes de la justice particulière, et elles ont le statut de parties jointes ou potentielles. Nous allons conclure la liste des vertus que regroupe la justice en discutant de l’équité qui appartient à la justice légale (générale, et occupe le rang d’une partie subjective (1635, 1636, 1745, 1701, 1704).
2431- Définition de l’équité. Dans la loi, l’équité est tout système de cour de justice extraordinaire dans laquelle la norme est l’honnêteté, telle que déclarée par la conscience du juge, ou par un corps de règles ou de procédures qui suppléent aux règles ou aux procédures habituelles ou qui les renversent quand elles sont trop étroites ou trop limitées. Ainsi, en Angleterre et aux États-Unis, les cours d’équité sont celles qui se chargent des cas spéciaux pour les quels il n’y a pas de remède dans les cours communs ou usuels de loi. Mais nous prenons ici l’équité au sens d’une vertu morale; et elle est de deux sortes, l’équité particulière qui appartient à la justice particulière (l’équité naturelle), et l’équité générale qui relève de la justice légale (l’équité légale).
L’équité naturelle est une vertu morale qui incite quelqu’un à ne pas insister sans nécessité sur ses droits stricts ou légaux, quand cela causerait du désagrément ou des inconvénients à d’autres. On peut en trouver un exemple dans les actes d’un employeur qui accorde gratuitement un bonus à des employés méritants, en plus du salaire promis; et d’un créancier qui condède une extension de temps à un débiteur en difficulté. Cette vertu appartient aussi bien à la charité qu’à la justice. A la charité, puisqu’elle tempère la justice avec la miséricorde. A la justice, parce qu’elle est réellement identique à la vertu d’affabilité ou d’amitié mentionnée plus haut (2421). Son obligation comme acte de justice n’est pas grave, puisque sa dette n’est pas rigoureuse.
L’équité morale est une vertu qui incite l’homme à pratiquer la justice au-delà des lois communes; ou elle est une correction de la loi, là où elle est manifestement insuffisante, en raison de son universalité. On dit que la loi est déficiente quand son application dans un cas particulier serait préjudiciable au but suprême de la loi (au bien commun ou à la justice légale). Quelques préceptes de la loi naturelle (les prohibitions contre le mensonge et l’adultère), ne peuvent pas être dites déficients, et n’ont besoin d’aucune équité supplémentaire. Mais d’autres préceptes de la loi naturelle, d’après certains moralistes, (comme le commandement qu’un dépôt doit être retourné à celui qui l’avait déposé, et aussi certains préceptes de la loi positive) semblent ne pas pouvoir s’appliquer dans certains cas. La raison de ce défaut d’une bonne loi réside dans la nature du cas. Car ces lois doivent être faites en vue de ce qui se passe dans la majorité des cas. Elles sont formulées en termes généraux, et souffrent des exceptions que le législateur lui-même autoriserait (411 suiv).
2432- La grandeur de l’équité légale. C’est une vertu distincte, puisqu’elle incite la volonté à faire du bien et à éviter l’iniquité dans des matières d’une difficulté spéciale. Ce n’est pas une transgression de la loi, puisqu’elle conserve l’esprit quand la lettre s’éloigne de l’esprit, et fait passer l’intention du législateur de faire ce qui est juste et droit avant ses paroles. C’est une partie subjective de la justice commune, car tout ce qui est contenu dans le concept de justice appartient à l’équité. Ainsi, elle diffère des parties potentielles et intégrales de la justice que nous avons traitées jusqu’ici dans les articles 5 et 6. Elle appartient à l’espèce non de la justice particulière, mais de la générale ou de la légale. Son obligation est donc grave par elle-même (1721).
C’est la partie la plus haute de la justice légale. Comme la prudence a deux parties (le bon jugement, qui règle les cas ordinaires des mœurs selon les règles habituelles de la conduite; et le jugement aigu qui porte sur les problèmes moraux exceptionnels), la justice légale a, elle aussi, deux actes, un plus bas qui applique la loi aux cas ordinaires, et un plus élevé (l’équité) qui applique des principes plus éloignés (qu’on ne peut pas porter atteinte au bien commun, qu’on ne peut commettre aucune injustice), là où les principes immédiats de la loi sont clairement insuffisants. Ainsi, si, dans le but de commettre un meurtre, un fou demande à reprendre le pistolet qu’il a mis en dépôt, la lettre de la loi approuverait le fou, mais l’équité se prononcera contre lui. L’équité est donc le plus noble acte de la justice. Car la justice légale est préférable à la justice particulière (1703, 1715), et l’équité est l’acte supérieur de la justice légale. Dans la volonté et l’intention, le bien commun et la justice doivent l’emporter sur les lois et les statuts en tout temps. Mais c’est dans les actes, par obéissance à la loi, que les fins suprêmes de la loi sont atteintes, sauf dans des cas extraordinaires.
2433- Les compléments de la justice.
A chacune des différentes vertus correspondent certains compléments,
à savoir les dons du Saint-Esprit, les fruits du Saint-Esprit, et les
béatitudes (159).
Le don qui correspond à la justice
est la piété, car, comme la justice, la piété s’exerce envers autrui.
Et la piété est aussi ce qui complète la vertu de religion, le plus
haut développement de la justice. Ce don se définit comme un habitus
infus qui rend l’âme bien disposée envers Dieu, qu’elle regarde comme
son bon Père. Il la rend attentive aux inspirations du Saint-Esprit,
quand il lui fait produire des actes de filiale affection envers Dieu.
Comme la vertu de piété s’adresse aux pères de la terre, le don de
piété s’adresse au Père du ciel. Vous avez reçu l’Esprit d’adoption
filiale dans lequel nous crions Abba, Père (Rom V111, 15). La religion
honore Dieu comme Seigneur, la piété comme Père, la crainte filiale
révère sa majesté, la piété sa bonté aimante. Et comme un enfant
aime tendrement tout ce qui appartient à un bon père, la piété fait
que l’âme se réjouisse et tire son bonheur des choses de Dieu, des
saints, des écritures, et des pratiques de la religion.
Les béatitudes qui s’appliquent ici sont, d’abord, la quatrième (bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront comblés), car elle porte sur la justice; et la cinquième (bienheureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde.) Elle se rapporte à la piété dans la mesure où celui qui trouve sa joie et son amour en Dieu, en tant que Père, aura de la compassion pour les créatures de Dieu souffrantes. Comme la justice, ces deux béatitudes se raportent au prochain (164).
Les fruits qui semblent les mieux appropriés ici sont la bonne volonté et la bonté, lesquelles trouvent une joie insigne à concevoir et à rendre des services aux autres. Comme la justice, ces actes sont en relatiion au prochain (163); et comme la piété, ils voient dans leur prochain les enfants du même Père céleste. Ainsi en va-t-il de la justice quand elle est guidée par la prudence. Elle paye ce qu’elle doit à Dieu en tant que Seigneur; ce qu’elle doit à l’homme en tant que frère. Elle agit parfois péniblement, mais par sens du devoir. Or, quand la justice est surnaturellement perfectionnée, c’est l’Esprit de piété qui guide, et qui fait de Dieu un Père et de l’homme un enfant de Dieu. Ce qui n’est pas du est donné quand même au nom de la miséricorde; et il y a une faim et une soif de la justice. Et dans l’accomplissement des devoirs envers les autres, il y a à la fin une joie fondée sur la difficulté elle-même de l’acte.
2434- Les commandements de la justice. Les différents préceptes concernant la justice se trouvent dans le décalogue. Car la justice consiste dans l’accomplissement de nos devoirs envers les autres, qu’ils soient supérieurs, égaux on inférieurs. Les dix commandements résument ces devoirs de justice. Les trois premiers présentent les devoirs que nous devons à Dieu; le quatrième les devoirs que nous devons à nos parents, et les six autres les obligations que nous avons envers tous les êtres humains. 2435- L’ordre des commandements est très approprié, car leur but est de former l’homme à la vertu et le conduire à la perfection, laquelle consiste dans l’amour de Dieu et du prochain (1118, 1553 et suiv). Ils indiquent donc d’abord les devoirs que nous devons rendre à Dieu, puis les services que nous devons aux hommes.
Les trois premiers commandements posent le fondement de l’édifice de justice, car ils nous enseignent que notre premier devoir est de rendre à Dieu les choses qui sont à Dieu. Nous devons donc éviter l’excès qu’apporte la superstition (vous n’aurez pas de dieux étrangers devant moi), et le défaut d’irréligion (tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur don Dieu). Nous devons donc pratiquer la vertu de religion (souviens-toi de garder le jour du sabbat).
Les autres commandements commencent
avec les devoirs que nous devons remplir envers ceux auxquels nous sommes
les plus liés après Dieu : les parents, la patrie, les supérieurs (honore
ton père et ta mère). Viennent ensuite les interdictions d’offenser
le prochain par des actes ou des paroles, que le tort soit causé à la
personne (tu ne tueras pas), ou à ceux qui sont une seule et même personne
que soi (tu ne commettras pas d’adultère) ou aux biens corporels externes
de quelqu’un (tu ne voleras pas). Finalement il y a les prohibitions
contre les pensées et les désirs injurieux envers les autres. Une
mention spéciale est faite de ces péchés internes qui sont très communs,
à cause de l’utilité qu’ils ont (tu ne convoiteras pas les biens
de ton prochain) ou du plaisir qu’ils procurent ( tu ne convoiteras
pas la femme de ton voisin).
2436- Nous ne traiterons pas ici
d’une façon spéciale du décalogue. Nous référons plutôt le
lecteur aux excellentes explications données dans la troisième partie
du catéchisme du concile de Trente. De plus, chacun de ces commandements
a déjà été traité dans le présent travail, surtout dans les articles
sur la justice. Et on peut tirer, d’autres articles, des renseignements
supplémentaires. Pour faciliter les choses, nous allons donner une
liste des références, en citant les passages de cette théologie morale
dans lesquels on explique les commandements du décalogue.
Ainsi, pour le premier commandement
lire ce qui a été dit sur la superstition (2214 et suiv). Pour
la partie propitiatoire, sur la foi, l’espérance et la charité (740
et suiv). Sur les serments, l’adjuration et les louanges
(2245 et suiv), pour la partie préceptrice. Pour le troisième
commandement, quant à son précepte naturel, lire sur la vertu de religion
(2145 et suiv). Quant à son précepte positif, lire les lois positives
(340 et suiv 352, 425). Et sur le premier commandement de l’Église (2575
et suiv). Pour le quatrième commandement, lire sur les vertus de
piété, de vénération, d’obéissance et de gratitude (2344 suiv).
On trouvera d’autres développements sur la charité (1158 et suiv. 1211
et suiv), et sur les devoirs des états particuliers. Pour le cinquième
commandement, lire sur l’homicide, le suicide et les offenses corporelles
(1816-1871). On trouvera autre chose dans les articles sur la charité
(1579 suiv 1193 suiv), et sur l’affabilité (2421 suiv).
Pour le sixième commandement, lire sur l’injustice (1719 et suiv), sur
la restitution (1803), et sur la vertu de tempérance (2461 et suiv).
Pour le septième commandement, lire sur la justice commutative et distributive
(1745 et suiv), sur la restitution (1751 et suiv), sur les offenses à
la propriété (1872-1938), sur la fraude (2121 suiv), sur la libéralité
(2424 et suiv). Pour le huitième commandement, lire sur l’injustice
judiciaire (1939 et suiv), sur les paroles injustes (2009 et suiv), et
sur la franchise (2385 et suiv). Pour le neuvième et le dixième
commandement, lire sur les péchés internes (230 et suiv.) et sur la malice
de l’acte interne peccamineux (89-93).
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Traduction originale française par JesusMarie.com, 7 octobre 2016 : autorisation est donnée à tout catholique de reproduire sur tous supports cette traduction à condition de mentionner JesusMarie.com comme auteur de la traduction
Titre Original : Moral Theology A Complete Course Based on St. Thomas Aquinas and the Best Modern Authorities. Révision par le père Edward P. Farrel, o.p. New York City Joseph F. Wagner, Inc. London : B. Herder. All Rights Reserved by Joseph F. Wagner, Inc., New York, printed in the United States of America Note : Nous avons contacté le frère dominicain américain responsable des droits littéraires des frères de cette province de l'Ordre des Frères Prêcheurs, celui-ci affirme que cette THEOLOGIE MORALE, dans sa version originale anglaise, est maintenant dans le domaine public, c'est pourquoi nous la publions et la proposons en téléchargement. Si nos informations étaient fausses, merci de nous contacter par l'email figurant en première page du site pour que nous puissions immédiatement retirer tout ce qui serait litigieux. JesusMarie.com attache la plus grande importance au respect des droits des ayants droits et au respect des lois. Tout ce qui est publié, l'est avec autorisation, relève du domaine public ou est le fruit de notre propre esprit.