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Abbé Michel Boutauld
(S.J., PARIS 1608 - PONTOISE 1689)
Méthode pour Converser avec Dieu
édition numérique par JesusMarie.com

sous Boutauld, Michel  dans Brémond (Hist litt du sent. rel., t. X, p. 323-325) et dans le Dict de Spir., où sa date de
naissance est 1608.  "Ses ouvrages spirituels contiennent une doctrine pratique et consolante, de tendance nettement affective et rappelant saint François de Sales". (t.1, c. 1917).
 

réédition au XIXème siècle : Méthode pour converser avec Dieu, par Michel Boutault, de la Compagnie de Jésus, nouv. éd. , Paris, Ch. Amat, 1899, 64 p.
 

Imprimatur
F. Queste Archipresbyter, delegatus adlibrorum examen.
Monstrolii, die 11à Augusti 1899.
 

Cet excellent livre pourrait à bon droit recevoir le titre d’Entretiens cœur à cœur avec Dieu.
Peu de traités, ce semble, pourraient mieux exciter la confiance absolue dans le recours à la Bonté divine.
C’est dans l’espoir de provoquer des prières plus nombreuses et plus efficaces, dans un temps où il importe tant de prier, que cette édition populaire a été entreprise, dans des conditions accessibles à tout le monde. Il sera donc facile de répandre ce traité à des milliers d’exemplaires.
En se servant de ces pages, écrites dans la belle langue du grand siècle, il n’est personne qui n’en tire un grand profit. Ceux qui les feront connaître et goûter par d’autres ne feront rien qui puisse toucher davantage le Cœur Sacré de Jésus.
Hamy, s.j.

Paris, 14 bis, rue Lhomond
 

Méthode pour converser avec Dieu

Non habet amaritudinem conversatio illius, nec taedium convictus illius. (Sa conversation ne cause pas d'amertume, ni son commerce de peine, Sg 8,16)

Nos conversations avec nos semblables sont une des choses les plus nécessaires à notre esprit. Elles ont toutefois leurs incommodités et leurs disgrâces : au moins elles sont sujettes à deux accidents très fâcheux. L’un, que d’ordinaire elles nous déplaisent, et nous sont pénibles et insupportables, et que nos plus grands ennuis ont coutume de naître auprès de ceux à qui nous parlons, et que nous sommes obligés d’écouter ou d’entretenir. L’autre, et le pire, est que lorsqu’elles nous plaisent, elles sont criminelles ; et que presque toujours nous en revenons avec quelque plaie sur la conscience, et avec des fautes que nous n’y avons point portées.
La conversation avec Dieu est exempte de ces deux dangers : il ne s’y trouve point ni de péchés, ni d’ennuis : l’innocence et la joie sont les deux parties qui composent cette félicité spirituelle.
Si vous le voulez connaître par votre propre expérience, faites ce que le Saint Esprit et la Sagesse vous conseillent et vous inspirent par leurs paroles que je vais vous mettre devant les yeux ; et réglez-vous sur les exemples qu’ils vous proposent.
I
Dieu vous aime, aimez-le : ses délices sont d’être avec vous ; que les vôtres soient d’être avec lui, et de passer, s’il est possible, votre temps où vous passerez votre éternité bienheureuse, et en son aimable compagnie.
Accoutumez-vous à lui parler familièrement et confidemment comme à votre ami ; et faites réflexion que c’est une erreur et une faiblesse de notre nature aveugle, de n’être point libres en sa présence, et de ne paraître devant lui que comme des esclaves, timides et honteux devant un Prince, en tremblant de peur, et en ne pensant qu’à fuir pour aller chercher ailleurs notre consolation et notre liberté.
On ne demande pas que par une oraison extatique, ni par une application violente de vos pensées, vous formiez dans vous une figure de sa Personne adorable, et que prosterné en esprit devant cette figure imaginaire, vous vous oubliiez de vos devoirs domestiques, et que vous passiez les jours à contempler et à louer ses grandeurs.
Il n’est ici question que d’un entretien familier : on ne vous demande autre chose, sinon que, sans quitter votre travail, vous fassiez envers Dieu ce que vous faites chaque jour, et à chaque occasion, envers ceux qui vous aiment, et que vous aimez. Il est comme eux auprès de vous ; dites-lui les mêmes choses que vous leur dites : entretenez-le de vos affaires, de vos desseins, de vos espérances, de vos craintes, de tout ce qui vous regarde ; et faites-le de la façon que je viens de dire, confidemment, et avec un cœur ouvert ; car la réserve et le silence de l’âme lui déplaisent extrêmement dans les Saints. L’âme qui n’a rien à lui dire est comme cette petite sœur de Sunamite qui n’est pas encore en âge d’entrer au nombre des épouses, et d’être tendrement aimée.
Une des premières leçons de la vie spirituelle, est que Dieu, qui est le plus puissant et le plus redoutable des maîtres quand il commande, veut être le plus familier des amis quand il aime ; et que durant ses conversations solitaires avec les personnes qu’il a choisies, la plus petite des créatures n’est point trop petite, ni trop méprisable pour lui, sinon lorsqu’elle ne sait pas encore la manière de l’entretenir cœur à cœur, et de lui découvrir amoureusement ses pensées intimes.
Il est vrai qu’il doit être toujours souverainement respecté : mais quand il vous fait la grâce de vouloir être chez vous, et que par un mouvement intérieur il vous fait souvenir et sentir qu’il est présent, le plus grand honneur qu’il attend de votre part, est que vous lui parliez comme à celui qui vous aime ; et que vous lui disiez vos sentiments, avec toutes les libertés de la tendresse et de la confiance.
II
C’est pour recevoir cet honneur, dit le Prophète, que sans attendre que vous alliez à lui, dès que vous soupirez pour l’appeler, il vous prévient, et se présente à vous, tenant en sa main des grâces et des remèdes propres à toutes les peines dont vous avez coutume de vous plaindre. Il n’attend que l’heure que vous lui parliez, pour vous montrer qu’il ne cesse point d’être auprès de vous, et d’être prêt à vous écouter et vous consoler.
Sur quoi remarquez que Dieu se trouve en chaque partie du monde, et en chaque personne, par l’étendue de son immensité, et par les opérations de sa puissance de Créateur : mais qu’il y a deux endroits où il demeure comme en son propre domicile, et qui sont destinés et choisis pour être ses deux habitations principales.
L’un est le Ciel empirée, où il est présent par les émanations de sa gloire, communiquée aux Anges et aux Bienheureux ; l’autre, sur la terre, est la maison des prédestinés et des humbles, où il est présent par sa grâce, et par les opérations les plus divines de son esprit qui rétablit l’ancien Paradis dans leurs déserts. Habitans aeternitatem, dit un Prophète, et habitans cum contrito et humili spiritu. Dieu est celui qui habite là-haut aux endroits les plus sublimes de l’éternité ; et en même temps ici-bas dans la solitude des Saints, et sous leurs grottes, dans leurs tabernacles et leurs cellules, où il passe les jours à s’entretenir secrètement avec eux. Hélas, que de joies pour lors, et que de consolations célestes, disait le saint homme Job, en regrettant les anciennes et heureuses années de ses conversations avec Dieu ! Quando Deus secreto erat in tabernaculo meo, quando omnipotens erat mecum. En un mot, il est chez vous, Ame dévote, l’inséparable et l’unique fidèle entre les amis.
III
Les autres amis ont des heures de séparation ; il n’y en a point pour lui : tous les temps sont propres à son saint amour. Quand le Soleil se retire, il ne se retire pas, dit Salomon. Il se trouve les soirs à votre chevet, pour vous entretenir durant le silence de la nuit par de secrètes inspirations, et pour vous aider à vous endormir saintement parmi les douceurs et les plaisirs célestes de cette conversation intérieure.
Il s’y trouve aussi les matins, pour entendre de votre bouche quelque mot de confiance, et pour être le dépositaire de vos premiers soins de chaque jour. Mais comme il ne manque pas, dit le même Sage, à paraître devant vous au moment que vous vous éveillez, ne manquez pas aussi de votre part à tourner aussitôt les yeux vers lui, et à lui tendre les bras. Ah ! mon bien-aimé, lui disait une âme sainte, que j’ai pensé à vous durant cette nuit,, et que vous m’avez causé de peines et de larmes ! Anima mea desideravit te in nocte. Je songeais que mes ingratitudes vous avaient enfin contraint d’écouter votre justice, et de vous éloigner de moi. Je soupirais, et je courais après vous dans les déserts où je ne voyais que ténèbres. Sed et spiritu meo, in proecordiis meis de mane vigilabo ad te. N’en doutez point, divin Sauveur, que je suis à vous, puisque vous voyez que le premier mouvement de mon cœur en m’éveillant, est d’apprendre la nouvelle heureuse que vous m’aimez encore aujourd’hui, et que vous n’êtes pas si loin de moi que je l’ai mérité par mes fautes, et que je me l’étais imaginé par mes craintes.
IV
Non assurément, Ame dévote, il n’est pas loin : il est où vous êtes ; et il n’y a rien au monde qui soit si près de vous que l’est cet Amant inséparable. Mais au moins n‘oubliez pas qu’il y est, comme la plupart des hommes l’oublient, et ne laissez point passer les heures et les jours sans le regarder, et sans penser à lui, ou sans lui dire aucun mot. Entretenez-le de quelques discours : si vous avez un peu de dévotion, les sujets et les paroles ne vous manqueront pas. Dites-lui ce que vous savez de votre personne et de votre famille, et ce que vous ne manqueriez pas de dire à un autre ami qui serait chez vous, et auprès de vous. Tout Dieu qu’il est, il lui est important de le savoir, puisqu’il vous aime, et qu’il n’y a rien entre les choses qui vous regardent, qui ne soit l’affaire et l’intérêt de son amour.
Ne le prenez pas pour un Roi qui ne voudrait avoir en l’âme que des pensées de Roi, ni être entretenu que de grandes choses, ou qui craindrait de s’abaisser en appliquant son esprit à écouter ce qui se passe dans un petit ménage, ou dans la conscience d’une petite créature.
Il est vrai, comme dit Saint Chrysostôme, que les soins de Dieu dans le Ciel, et sur le Trône de son empire, sont de penser aux Anges et aux Bienheureux, et aux grands desseins de sa Sagesse et de sa Sainteté ; mais chez vous, et dans votre cabinet, son unique soin est de penser à vous ; et toute l’application de sa Providence et de son Amour ne regarde que vos intérêts particuliers. Chez vous et aux endroits où vous êtes seule avec lui, pour ainsi parler, il n’est Dieu que pour vous seule : il n’est là le tout-puissant que pour vous aider ; ni le tout-aimable que pour être aimé de vous, ou pour attirer votre confiance, et vous présenter l’occasion de lui dire ce qui vous afflige, et en quel état sont les affaires de votre famille, ou de votre charge, ou de votre intérieur. Dites-lui donc avec amour, et avec sincérité tout ce que vous en savez. Revela Domino viam tuam, et pete ab eo ut vias tuas dirigat, et omnia consilia tua in ipso permaneant.
V
Ne me répondez point qu’il le sait déjà. Il le sait certainement, puisqu’il n’ignore rien, et puisqu’il est Dieu. Mais remarquez que par une Loi de sa divine Sagesse, il veut prendre pour inconnu tout ce qu’il connaît, sans s’y plaire, et sans l’approuver, ou sans qu’il ait aucun dessein d’y coopérer, et d’y prendre des soins qui en rendent le succès heureux.
Il y a des larmes qu’on répand devant ses yeux, et que néanmoins il ne voit pas ; ce sont les larmes des pénitents hypocrites. Il y a des personnes qu’il ne connaît point du tout, et dont il jure qu’il ne sait qui elles sont. Amen dico vobis, nescio vos ; ce sont les pécheurs réprouvés. Il y a des affaires dont il ne sait rien ; et ce sont justement les vôtres lorsque vous ne lui en parlez pas vous-même : votre silence qui les lui cache, fait qu’elles lui sont comme inconnues, et qu’il n’a nul dessein de les faire réussir par les bénédictions de sa Providence. Si tandis que vous avez entretenu les compagnies de vos déplaisirs, et de vos ennuis, vous n’en avez rien dit à Dieu, les compagnies du monde savent ce que vous avez dit ; Dieu n’en sait rien.
Tout Dieu qu’il était, il ne savait pas que le Lazare fût malade ; il ne le sut que lorsque la Magdeleine lui en écrivit. Vous êtes indisposé, vous êtes affligé et poursuivi par des créanciers ; vous poursuivez une affaire d’importance, où vous avez besoin d’un sage conseil, et du secours d’un ami puissant : le Sauveur ne sait rien de tout cela. Si vous voulez qu’il le sache, il faut que ce soit de vous-même qu’il l’apprenne ; c’est une Loi sacrée que son amour lui a prescrite, et qu’il ne manque pas d’observer.
Ainsi des autres afflictions, Dieu ne les saura pas tandis que vous vous tairez. Ne vous taisez point, Ame dévote. Dès qu’il vous est arrivé quelque disgrâce, ou quelque accident fâcheux, venez aussitôt lui en faire vos plaintes avec respect et avec humilité. Ne le priez pas de vous aider : si votre confiance est grande, il suffit que vous lui mettiez votre mal devant les yeux, et qu’il soit averti que vous endurez : Vide, Domine, quoniam tribulor. Il se plaît à voir un cœur affligé, et à le consoler. Découvrez-lui le vôtre, et faites-lui voir tout ce qu’il y a là-dedans d’amertume et d’inquiétude, et tous les mouvements de vos pensées agitée par la crainte et par la tristesse. Amaritudine plena sum ; subversum est cor meum in memetipsa. Me voilà, mon Dieu, perdue et abîmée ; les dangers et les ténèbres m’environnent. Je n’ai rien à vous dire ; mais votre miséricorde voit ma peine et mes pleurs, et elle voit que toute mon espérance est en vous seul. Demandez-lui ce que doit faire un Dieu ; interrogez votre amour, et puis faites tout ce qu’il vous plaira.
VI
Il ne se fâche pas, comme je vous ai dit ailleurs, que durant vos déplaisirs vous vous adressiez aux créatures pour être soulagé par elles ; mais quand elles n’ont pas le pouvoir, ou la volonté de vous aider, il lui plaît que vous veniez lui témoigner votre sentiment là-dessus, et vous plaindre entre ses bras de leur impuissance, ou de leur ingratitude. Verbosi amici mei, mes amis n’ont rien que des paroles ; c’est à vous, divin Sauveur, que je viens raconter mes peines, et adresser mes larmes : Ad Deum stillat oculus meus.
Ne lui parlez pas seulement des choses qui vous fâchent. Dès que vous avez reçu quelque nouvelle qui vous plaît, et vous console, et qui fait naître l’espérance ou la joie dans votre cœur, faites ce que demande la fidélité et l’amitié : accourez aussitôt à celui que vous aimez, et qui vous attend ; dites-lui votre nouvelle, et ajoutez que ce qui vous console davantage, est que vous ne doutez point que ce plaisir vous est venu par les soins charitables de sa bonté paternelle : Propter hoc laetatum est cor meum, et exultavit lingua mea : exultabo in Deo Jesu meo ; cantabo Domino, qui bona tribuit mihi.
VII
C’est un autre trait de confiance, qui plaît extrêmement à ce cher et divin époux, de lui confier la connaissance de vos fautes, dès que vous les avez commises. Avant que d’aller paraître au trône du Confesseur, et vous acquitter des devoirs de la pénitence, venez déclarer à cet aimable confident ce qui vous est arrivé, et dites-lui comme David : Peccavi valde in hoc facto, et stulte egi nimis. Mon Dieu, je viens de dire indiscrètement une parole, et de faire une action très indigne, et capable de causer quelque désordre. Je ne sais quel aveuglement m’a fermé les yeux, et m’a fait tomber en ce péché : j’en suis en vérité bien honteuse, et bien affligée ; mais ce qui m’attriste le plus, et ce qui me rend inconsolable, est que vous y êtes offensé. Toutefois si j’ai été moins sage que je ne devais être, vous n’êtes pas moins miséricordieux, ni moins sensible à mes larmes. Je vois dans vos yeux vos douceurs et vos bontés ordinaires. Je sens dans votre cœur cet amour, qui est ma consolation et ma vie : touchez-y vous-mêmes, vous y sentirez que nonobstant mon ingratitude, les flammes de votre charité n’y sont pas éteintes, et que vous êtes encore aujourd’hui ce que vous étiez éternellement, Suavis, et mitis, et copiosus in misericordia.
VIII
A l’occasion de ces fautes légères et ordinaires qui vous arrivent souvent, et presque à chaque heure priez-le de ne pas oublier ce qu’il sait mieux que vous-même, que vous êtes né pécheur et infirme, sujet comme un enfant à des chutes perpétuelles, dont il semble que sa bonté de Père ne lui permet pas de se fâcher.
Représentez-lui qu’un petit fils à l’âge de deux ans, le bien aimé de la maison, quand il tombe, n’est pas moins aimable à sa mère, que lorsqu’il est debout ; au contraire, que c’est alors qu’elle le caresse plus tendrement. Dites-lui qu’il n’appartient qu’à des mères violentes et furieuses d’entrer en colère, et d’outrager cet enfant à chaque fois qu’il lui arrive de tomber ; qu’une vraie mère, dont il veut porter le nom, dès qu’elle le voit tomber, court aussitôt pour le relever avec amour ; et qu’au lieu de rigueur et de menaces, elle le prend en son sein, qu’elle l’embrasse et le flatte, et qu’elle tâche par ses caresses et par ses baisers d’apaiser sa douleur, et d’empêcher qu’il ne crie, et qu’il ne s’afflige.
Grand Dieu, vous me donnez le nom de votre petite créature que vous tenez sur vos genoux, ou que vous conduisez par la main, pour lui apprendre à marcher. Voilà ce que je suis : jugez lorsque je tombe, ce que vous devez être, et ce que votre bonté veut de vous.
Il est vrai, mon cher Père, que même encore aujourd’hui, et devant vos yeux, nonobstant mes résolutions et mes promesses, je viens de retomber dans ma faute de chaque jour. Mais ne vous fâchez point : c’est à moi de pleurer, et de m’affliger ; et à vous, mon bien-aimé, de me tendre la main, et de me prendre entre vos bras, pour essuyer mes larmes, et pour dissiper mes inquiétudes et mes craintes, en m’assurant que vous m’aimez toujours, et que vous ne cessez point d’être mon Dieu.
Je ne désavoue pas que vous avez de grands sujets de vous plaindre, lorsqu’après tant de Confessions et tant de grâces, vous voyez de si fréquentes rechutes ; néanmoins il me semble que vous avez aussi beaucoup de raison d’excuser en moi ces faiblesses inévitables ; ou bien si vous voulez vous en fâcher, que vous devez vous en prendre aux parents qui m’ont conçu dans l’ignorance, et qui m’ont donné leur péché pour une partie de ma personne.
Hélas ! divin Sauveur, contemplez un peu ce qui est dans moi, et ce que je suis ; quel cœur on m’a donné, et de quel sang on s’est servi pour former une créature qui devait être pure, et impeccable comme les Anges. Lorsque je sortis du néant, vous, grand Dieu, vous me refusâtes ce que vous aviez de plus saint ; je naquis sans la grâce : mes parents ne me donnèrent que ce qu’ils avaient de plus impur. Je ne reçus rien de vous qu’une âme réprouvée, rien d’eux qu’un corps rempli de corruptions, et d’inclinations au mal. Vous en colère, eux dans le péché, vous fîtes cet ouvrage malheureux : et vous vous fâchez maintenant de ce qu’il est fragile, et sujet à quelques fautes ; vous vous étonnez de ce qu’il n’est pas si saint que vous.
J’aurais tort néanmoins de demander que votre infinie sainteté regardât mes chutes sans s’y déplaire : je m’y déplais beaucoup moi-même et j’en souffre des regrets et des repentirs douloureux. Mais je vous dirai ce que je fais pour me consoler, et ce que vous devez faire vous même, à mon avis, pour vous apaiser, et pour n’avoir envers moi que des sentiments de compassion, et que des desseins de miséricorde.
Moi, mon Dieu, au moment que j’ai péché, je vous regarde en l’état que vous étiez sur le Calvaire, où vous ne pensiez qu’à pardonner, et à effacer des péchés, et à chercher des pécheurs par tout le monde, pour les laver, en votre Sang ; c’est ce que je regarde, et c’est ce qui me fait accourir à vous ; adorable miséricorde, voici le pécheur que vous cherchez.
Pour vous, mon Dieu, en ce même moment que vous me voyez tombé, regardez-moi en l’état où je serai quelque jour dans le Ciel, et où je ne penserai plus qu’à vous aimer. Quand vous me regardez ici-bas, vous voyez une personne, qui durant les trente et les quarante années de sa vie, ne passe aucun jour, ni peut-être aucune heure sans vous offenser par quelque faute ; mais quand vous me regardez dans le Paradis, vous voyez un Saint qui passe les millions d’années et de siècles, et l’éternité toute entière, sans vous offenser une seule fois, et qui ne cesse point en aucun moment de cette longue éternité, de vous glorifier et de vous aimer. Regardez-moi dans cet état, et ne vous fâchez pas de me voir sur la terre durant cinquante ou soixante ans, c’est-à-dire durant deux ou trois minutes, sujet à des chutes de fragilité.
IX
Souvenez-vous de vous acquitter de ce devoir de confiance, dont je vous parle, dans les occasions où il faut délibérer sur quelque événement imprévu, ou sur quelque difficulté qui vous embarrasse, et où vous ne voyez pas bien ce que vous avez à faire, ni quelle résolution vous devez prendre. Da verbum in ore meo, et in corde meo consilium. Conseillez-moi, mon Dieu, et répandez vos lumières. Par quelque signe de votre sagesse, marquez à mon âme ce qu'elle doit répondre, ou ce qu'elle doit faire en cette occurrence, et quel est le meilleur de tous les moyens qui me viennent en la pensée, et de tous ceux que mes amis me proposent. Conduisez mes pas, et ne permettez point que je m’égare. Je vois quantité de conseils, mais ma peine est de savoir quel est le vôtre ; faites-le moi connaître, en aidant par votre main mon inclination à pencher de ce côté-là, et à se déterminer au choix que vous m’inspirez.
Je ne ferai rien que sagement et heureusement, lorsque les splendeurs de votre Sagesse éclateront sur moi, et qu’elles me conduiront dans les ténèbres ; quando splendebit lucerna tua super caput meum, et ad lumen tuum in tenebris ambulabo.
En un mot, vivez dans un continuel exercice de communication avec Dieu : ne le distinguez point d’un ami puissant et fidèle, qui serait nuit et jour auprès de vous. Ayez avec lui, comme j’ai dit, la plus libre et la plus amoureuse familiarité que vous pourrez, en lui confiant même vos défiances, et vos craintes, et vos autres faiblesses les plus cachées ; toutes les agitations de vos désirs, et les divers mouvements de votre prudence irrésolue, ou de vos secrètes inquiétudes. Ante te omne desiderium meum, et gemitus meus a te non est absconditus.
X
Ne craignez pas non plus de lui confier les mécontentements que vous pourriez avoir de lui ; et si la pensée vous vient quelque fois de murmurer, et de vous plaindre de sa conduite, murmurez-en, et faites comme envers les autres amis, et comme ont fait les Saints dans l’occasion. Plaignez-vous à son amour de ce qu’il semble vous délaisser, et mépriser vos cris et vos larmes. Ut quid Domine recessisti longe, despicis in opportunitatibus ? Qu’est ceci, mon Dieu, vous me méconnaissez vous-même lorsque je pleure, et vous vous éloignez de moi, lorsque j’ai le plus besoin de votre consolation, et de votre main pour me soutenir ?
Ayez, si l’inspiration vous y pousse, ce qu’ont eu les mêmes Saints, des mouvements d’indignation, et d’une sainte colère contre lui : accusez-le par des reproches plus agréables à sa bonté, que ne sont les adorations et les soumissions des âmes timides. Clamo ad te, et non exaudis me : sto, et non respicis me : mutatus es mihi in crudelem, etc. Où êtes-vous, divin Sauveur, où est votre miséricorde et votre amour ? Je vous appelle, et vous ne répondez pas ; je crie de tout l’effort de ma voix, et vous n’écoutez rien : je vous montre la douleur qui me presse, et le déplorable état où je suis ; vous détournez les yeux, et vous ne voulez rien voir. Vous avez peur, ce semble, d’être fléchi par mes larmes : vous voulez être cruel en mon endroit, et m’abandonnez sans pitié.
Mais de ces colères dévotes revenez aussitôt, et rentrez dans les sentiments de votre confiance et de votre humilité : Verumtamen non ad comsumptionem emittis manum tuam. Mais quoi que vous fassiez, grand Dieu, je vois bien que vous ne prétendez rien moins que de me perdre : tous ces coups de votre main sont des coups favorables, et des présages de mon bonheur ; c’est votre bonté qui me fait souffrir. Plus j’endure, plus je suis assuré que vous m’aimez, et que votre Providence médite pour moi des pensées secrètes, et des desseins d’amour, qui me consoleront inespérément, et qui surpasseront mes vœux. Ecce tu Deus noster, expectavimus te, et salvabis nos : sustinuimus, et exultabimus, et laetabimur in salutari tuo.
XI
Vous faites bien de penser à vos déplaisirs et à vos peines quand vous êtes auprès de lui ; mais pensez aussi à celles des autres. Dites-lui-en les nouvelles que vous en savez ; et tâchez de tirer de son cœur quelque miséricorde et quelque grâce pour le soulagement des personnes, qui, selon le Prophète, ne se nourrissent en terre que du pain des larmes. Leur malheur est le sujet et le discours ordinaire des conversations ; on en parle, et on s’en plaint dans toutes les compagnies : mais les plaintes qui s’y font, ne servent pas de beaucoup aux misérables. Elles leur serviront, Ame dévote, lorsque vous les ferez à Dieu durant vos entretiens familiers, et que vous lui raconterez ce qui se passe dans les maisons dont vous connaissez les misères, et les pauvretés. En vérité, mon cher Maître, je ne puis aller en aucun endroit où je ne trouve des gens qui pleurent ; et je puis dire que depuis que j’ai commencé à voir des hommes, et à converser avec eux, je n’en ai connu presque aucun qui ne se plaignît, et qui ne pleurât, ou qui n’eût de très justes sujets de le faire. Il me semble que je ne suis né que pour voir des afflictions et des affligés, et que pour les regarder cruellement, sans les pouvoir secourir.
C’est, en effet, mon Dieu, cette impuissance qui est la chose la plus funeste que je souffre en cette vie malheureuse, lorsque je vois des créatures qui vous appartiennent, et qui vous sont chères, venir pleurer devant mes yeux, et que je suis contraint de les abandonner comme font les autres, et de leur dire : N’attendez rien de moi, il m’est impossible de vous aider.
Je vous le dis sincèrement, que depuis trente ou quarante ans que je vois tous les jours des personnes désolées, il ne me souvient pas d’avoir eu le pouvoir, ni le bonheur d’en rendre une seule heureuse, et de la renvoyer avec la consolation qu’elle désirait.
Ce serait, mon cher Epoux, un crime énorme, et une dureté détestable, d’être insensible à leurs peines : mais c’est un grand malheur de les ressentir autant qu’eux, et de ne les pouvoir soulager en rien.
Plusieurs saintes personnes vont chez les riches et chez les heureux du monde, tendre la main par charité, et tâcher de ramasser des aumônes pour les porter aux malades et aux pauvres honteux qu’ils connaissent. Je le fais aussi ; et même maintenant, moi qui vous parle, je cherche du soulagement pour eux : mais c’est à vous, mon bien-aimé, que je m’adresse. Vous avez vos mains remplies des consolations et des bénédictions qui leur sont nécessaires : je vous présente les miennes, en vous adorant, et en me jetant à vos pieds. Ne souffrez pas, mon Dieu, que j’en sorte sans obtenir quelque grâce en leur faveur. Envoyez chez eux vos élus pour leur porter vos présents et vos charités, ou bien pour leur annoncer quelque nouvelle agréable qui les retire de l’abîme de tristesse où ils sont, et qui les fasse revivre inespérément.
Je vous ai, mon Dieu, des obligations éternelles et infinies. Vous savez qu’à chaque heure mon cœur vous demande ce que je pourrai faire pour vous témoigner ma reconnaissance. Quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit mihi ? Votre réponse ordinaire est de me dire, que tout ce que je ferai pour secourir ceux qui endurent, vous le regarderez comme un service rendu à votre propre personne, et que vous vous en ressentirez autant que si le mal était dans vous, et que si vous-même et vous seul receviez ce soulagement. Mettez-moi donc dans les mains le secours que vous voulez que je leur donne ; et ne permettez pas que je sois plus longtemps si malheureux, que de savoir que mon Dieu pleure, et qu’il souffre de grands maux en la personne des nécessiteux, des prisonniers, des malades, et de ne les pouvoir secourir.
Ma chère créature, me dites-vous, voilà votre frère et votre sœur qui languissent sur la paille, et qui ont besoin d’assistance ; en voilà d’autres qui souffrent dans l’âme des tristesses désespérées, et qui vous appellent à leur secours : allez, et secourez-les. Et moi, mon Dieu, je vous réponds en pleurant, Da quod jubes, et jube quod vis. Donnez-moi premièrement ce que vous me commandez, et puis commandez tout ce qui vous plaira.
XII
Il est assez ordinaire aux personnes dévotes, et presque à tous les Chrétiens, de parler à Dieu de leurs déplaisirs, et de passer auprès de lui de longues heures au temps de l’affliction ; mais il ne leur est pas moins ordinaire de s’oublier de ce devoir au temps du repos et de la prospérité. Ne vous en oubliez point, ô fidèle Sunamite, dit saint Bernard, et n’imitez pas les exemples d’ingratitude qui paraissent en la vie de la plupart des hommes, et même de quelques unes de vos compagnes, quoique spirituelles et scrupuleuses en d’autres occasions.
C’est une chose étrange que lorsque nos desseins réussissent, et que le bonheur est chez nous, une de nos plus sensibles joies, est de le dire à nos amis ; et que cependant tout dévots que nous sommes, nous négligeons de le dire à Dieu, et de recevoir la consolation la plus douce et la plus sainte que nous puissions tirer des félicités de cette vie misérable, qui est de nous en entretenir avec notre aimable bienfaiteur, et de lui en témoigner notre ressentiment, et notre reconnaissance.
Témoignez-lui la vôtre, vous qui aimez le devoir, et faites-le le plus fidèlement, et avec le plus de sincérité que vous pourrez. Rendez-lui compte de l’état heureux de vos affaires, et du succès de vos travaux, et de votre conduite éclairée par ses lumières.
Parlez-lui de chaque chose ; et comme faisait la véritable Sunamite, menez-le partout, et montrez-lui dans vos trésors, et dans les autres endroits où vous avez du bien, la multitude de ses libéralités et de ses faveurs : In portis nostris omnia poma nova et vetera servavi tibi, dilecte mi. Mon bien-aimé, lui disait-elle, voilà beaucoup de fruits à nos portes et dans notre enclos : de quelque côté que je jette les yeux, je ne vois qu’abondance et fertilité, et que branches chargées de vos bénédictions et de vos présents. Que de douceurs, mon cher Epoux, que de biens vous avez répandus sur nos arbres ! que de richesses assemblées par les soins de votre providence et de votre amour ! C’est vous qui avez fait naître ces fruits et ces grains, et toutes ces moissons que voilà dans nos campagnes : qui êtes l’inventeur et l’origine de cette multitude de commodités qui soutiennent notre vie, et qui nous soulagent ici-bas.
Je les reçois, mais pour vous les présenter. Car en recevant ces biens temporels, nous vous devons deux choses, vous louer, et vous aimer.
L’usage, puisque vous l’ordonnez sera pour nous : mais l’honneur et l’amour seront pour vous seul. Je dirai, Non nobis, Domine, sed nomini tuo da gloriam. La gloire de tant de prospérités n’est due qu’à Dieu : mes mains, ni celles d’aucune créature, n’y ont point de part, et point de part à l’amour : je n’en dois rien à qui que ce soit. Il ne faut pas même que j’aime les dons de mon Epoux, ni ses libéralités les plus précieuses. Je dois recevoir et posséder les bienfaits, mais ne rien aimer que le bienfaiteur.
Vous qui savez tout, vous le savez, mon Dieu, que ce ne sont pas vos présents qui font mon bonheur : je vous l’ai dit mille fois ; je vous le dis encore, qu’entre toutes les richesses et les félicités, et entre tous les mondes que vous pouvez créer, il n’y a rien que je veuille aimer. L’amour est pour vous seul ; vous êtes, et vous serez éternellement le Dieu de mon cœur, et l’unique. Deus cordis mei, et pars mea Deus in aeternum.
XIII
Appliquez-vous avec un soin particulier à lui parler familièrement et franchement, lorsqu’il vous arrivera, ce qui n’est que trop ordinaire durant les exercices de la vie dévote, de sentir dans votre âme de certaines négligences et découragements, comme des lassitudes spirituelles, ou comme des chagrins et des ennuis dont vous ne connaissez point la cause. In memetipso marcessit anima mea. Je ne puis, mon Dieu, vous dire ce que j’ai, ni en quel état je suis : mon âme est dégoûtée de tout ; rien ne lui plaît : elle se déplaît elle-même plus que le reste : il me semble que vous ne lui plaisez pas davantage, au moins je n’ai pu d’aujourd’hui tirer d’elle aucun acte d’adoration ni d’amour. Mes oraisons n’ont été faites que très indévotement, et avec une lâcheté honteuse : il ne m’a pas été possible, lorsque j’ai paru en votre présence, de me tenir dans le devoir et dans le respect, ni de dissiper l’assoupissement et la langueur qui m’ont fait dormir à vos pieds, au lieu de vous écouter. Dormitavit anima mea prae taedio.
Je ne sais d’où m’est venue cette humeur, mais je sais bien qu’elle vous déplaît, et qu’elle vous offense : vous savez qu’elle me déplaît aussi beaucoup, et que ce m’est une peine et une confusion extrême de me trouver en cet état. Mais ce qui me console, est que vous portez mon remède en votre voix. Si vous avez pitié de mon mal, parlez et guérissez-moi : Confirma me in verbis tuis. Souvenez-vous, ô adorable Puissance, que de moi-même je ne suis rien que faiblesse et que misère ; toute ma force est sur vos lèvres, et dans vos yeux. Regardez-moi, divin Sauveur, et dites un mot : la vie, le courage, et la grâce, entreront avec vos paroles, et feront renaître mon âme, qui est dans un vrai tombeau, lorsqu’elle est assoupie de la sorte, et ensevelie dans son corps par la paresse. Dormitavit anima mea prae taedio : confirma me in verbis tuis.
XIV
Il survient d’autres jours bien différents, mais qui ne sont pas moins fâcheux, ni moins contraires à ce dessein que vous devez prendre, d’avoir l’âme toujours tranquille et présente à Dieu, et de ne la point laisser enlever d’auprès de lui par l’inquiétude, ni par la distraction. C’est lorsque la multitude des affaires nous oblige, comme sainte Marthe, à nous priver du bonheur de Madeleine, et aller çà et là, pour porter nos yeux et nos pensées en chaque endroit de la maison et pour prendre garde à une infinité de choses. Car quel moyen durant ces courses, et durant cette application de notre esprit à tant d’affaires, et à la conduite de tant de personnes, de demeurer aux pieds du Sauveur, et de posséder en repos la consolation de ses entretiens ?
Il est possible, Ame dévote. Vous le pouvez sans doute, et aussi aisément que Sunamite, qui vous donne chez elle un exemple qu’il est bien doux et bien facile d’imiter chez vous, durant les journées de vos empressements, et parmi la foule de vos affaires domestiques.
Voyez-la faire, et vous confesserez que c’est une erreur inexcusable, de croire que les occupations qui vous sont assignées par le devoir, et commandées de la part de Dieu, vous contraignent d’oublier Dieu même. Car si tandis que vous agissez, vos actions ne vous empêchent point de parler de votre besogne à d’autres personnes qui se rencontrent, pourquoi vous empêcheront-elles d’en parler à celui que vous aimez, et de faire comme cette épouse laborieuse, aux jours mêmes qu’elle était le plus embarrassée dans les tracas, et qu’elle se trouvait obligée de donner ses ordres à quantité de domestiques, et de les tenir par sa vigilance attachés assidûment à leur travail ? Regardez-la, dis-je, et jugez si le repos des Contemplatifs est plus agréable que les travaux de cette ménagère sainte et dévote. Mane surgamus ad vineas, et videamus si floruit vinea, si flores fructus parturiunt, si germinarunt mala punica, etc. Mon cher Maître, il est temps de travailler, et de penser au ménage, mais ne me laissez pas seule parmi les peines. Je ne les crains pas, pourvu qu’elles ne me séparent point d’avec vous, et que tandis que je travaillerai, vous teniez mes yeux et mes pensées attachées inséparablement à votre présence et à votre cœur. Allons ensemble faire un tour dans notre enclos, et voyons si les vignes sont en état, et si elles ont profité d’une saison si favorable : allons dans le verger, visitons les arbres, et voyons si notre plant a réussi : visitons la métairie, et sachons si les laboureurs travaillent, si les pasteurs, si les serviteurs, si les officiers font leur devoir. Allons, et mettons ordre que chacun le fasse, et que chacun soit où il doit être.
Mais encore un coup, mon bien-aimé, ne me quittez pas : car rien ne me sera fâcheux ni incommode, aux heures que vous serez présent à mon esprit, et que j’écouterai votre voix. Parlez à mon âme, tandis que mon corps fera ses courses, et que je m’occuperai à vous servir, et à régler la maison que vous m’avez fait la grâce de confier à mes soins et à ma conduite.
Dès lors qu’on parle à Dieu de ce qu’on fait en travaillant, le travail n’est plus une distraction, mais une dévotion de grand mérite. Marthe, qui pense aux affaires temporelles, et qui a toutes les peines de la maison, n’est pas distraite, puisque c’est au Sauveur qu’elle en fait ses plaintes, et puisqu’elle ne perd aucune occasion de lui dire quelque mot, et de se soulager, en lui témoignant que c’est pour lui qu’elle travaille, et qu’elle s’estime heureuse de travailler et de se lasser à la vue de son Dieu.
N’en doutez point, dès lors qu’au milieu d’une multitude d’occupations, vous vous souvenez de dire à Notre Seigneur ce que vous dites à d’autres personnes, que vous êtes accablée, et que vous lui communiquez avec confiance les pensées qui lui viennent durant cet accablement ; toutes vos distractions se changent à l’heure même en autant d’actes d’amour divin. Si les Madeleines contemplatives ont plus de douceur, elles n’ont pas plus de mérite.
Une personne qui ne s’éloigne point de Dieu, en courant par la ville, vaut bien mieux que celle qui y laisse courir ses pensées en demeurant à l’Oratoire.
XV
Enfin, parlez-lui de toutes les choses dont vous vous parlez secrètement à vous-même, et faites-le de toutes les manières que l’amour vous inspirera.
Au moins imprimez bien cette maxime en votre cœur, que vous n’avez point de maître, que vous ne deviez moins craindre et moins respecter que Dieu : et que vous n’avez point d’ami, ni de frère ni de sœur à qui vous deviez parler avec plus de confiance et plus de liberté qu’à lui.
Ceux qui s’imaginent que de lui parler librement, c’est pécher contre les lois de l’adoration, et de la soumission qui est due à sa présence, et à sa majesté suprême, se trompent fort.
Plusieurs en effet ont voulu croire que ce que les Pères spirituels ont dit là-dessus, étaient des pensées de leur simplicité, contraires à la solide et sérieuse dévotion, qui condamne d’illusion et d’irrévérence toutes ces confiances prétendues, et toutes ces manières hardies et présomptueuses de converser avec Dieu ; soutenant que devant lui nous ne sommes que terre et poussière, et que nous n’y devons avoir que des pensées d’anéantissement, et que des dévotions d’une humilité profonde.
Mais hélas, que les dévots qui croient parler fortement en parlant de la sorte, ont l’esprit faible et étroit ! Qu’ils savent peu ce que c’est que la grandeur de Dieu, et qu’ils sont éloignés de concevoir que les grandeurs mortelles d’ici-bas sont infiniment petites et méprisables, et infiniment moindres que celles de Dieu, parce qu’elles ne peuvent pas s’accommoder aux petites choses, ni s’égaler à elles, lorsque la sagesse et l’amour les y obligent.
Remarquez, s’il vous plaît, que l’immensité de Dieu surpasse infiniment les autres immensités, et qu’elle seule est divine et souveraine, parce qu’au même temps qu’elle est plus étendue que le onde, elle est aussi petite que a moindre créature, et qu’elle se trouve toute entière dans une fleur aussi bien que dans le ciel empirée. C’est pourquoi un saint Père a dit, que Dieu est celui qui est le plus grand que tout, et égal à tout.
Ame sainte, méditez un peu, et vous apprendrez par le même principe un autre secret bien merveilleux, que Dieu est le plus aimable d’entre tous ceux que vous aimez, et qui vous aiment, et qu’il est le véritable et l’unique objet de l’amour, parce que vous trouvez dans lui seul les deux choses les plus nécessaires pour être aimé parfaitement, la supériorité et l’égalité ; je veux dire une grandeur infinie, qui l’élève infiniment au-dessus de vous, et une infinie bonté, qui raccourcit autant qu’il faut pour être votre pareil, et pour faire que tout ce qu’il a de perfections et de biens puissent entrer dans votre cœur, et vous rendre infiniment et éternellement heureux. Il est lui seul votre maître et votre égal ; et c’est de lui dont vous pouvez dire en vérité, Dilectus meus mihi, et ego illi. Quoiqu’il soit Dieu, et quoique je sois néant, par un mystère ineffable, je lui suis propre, et il m’est propre. Sa Sagesse a pris sur lui ma mesure, et a rendu ma petitesse capable de contenir son immensité.
XVI
Ainsi donc, ô sainte Sunamite, dans le Temple, et aux heures des adorations et des sacrifices, ne paraissez en sa présence que comme une ombre anéantie par l’humilité ; mais aux endroits et aux heures que j’ai dit, et durant vos conversations solitaires ou domestiques, vous êtes coupable et ingrate, si vous n’avez toute la liberté, et la familiarité, et toute la tendresse qu’on doit avoir pour un époux qui aime tendrement, et qui pour lors ne parle point d’autre langue que celle de la tendresse et de l’amour.
C’est là qu’il vous appelle sa bien-aimée, son immaculée, sa colombe, et qu’il vous défend de l’appeler Seigneur et Maître. Appelez-moi, vous dit-il, le Dieu de votre cœur, le Dieu de vos consolations, le Père de vos miséricordes, le bien-aimé de vos désirs et de vos espérances, le tout désirable, le tout aimable, le tout parfait, votre tout et votre unique, dont le cœur n’est plus qu’un avec le vôtre, et dont la grâce entre dans votre âme pour en être la vie, et pour ne s’en séparer jamais : Non vocabis me ultra Baalim, sed vocabis me Vir meum.
XVII
Au reste, durant ces colloques, ne lui parlez pas toujours de vous-même, ni toujours de vos affaires, ou de vos consolations et afflictions ; changez de discours, et après les plaintes, et les autres entretiens sur les accidents de votre vie domestique, élevez-vous plus haut, et entretenez-le de choses qui le touchent, et qui lui sont propres.
Parlez-lui de ses félicités, de ses grandeurs, de ses attributs divins, de ses actions admirables, et des pouvoirs de sa parole lorsqu’il donna l’être aux créatures, et qu’il les tira de leur néant éternel ; et parlez-en comme ont fait les Saints, par des soupirs et par des exclamations dévotes, qui ont été toute leur éloquence, quand ils ont loué ses ouvrages. Quam admirabile nomen tuum ! Quam magnificata sunt opera tua ! Quam profundae cogitationes tuae ! O Sagesse, qui avez formé ce grand monde, que vous êtes sublime et incompréhensible en vos pensées ! Que vous êtes profonde en vos desseins ! Que vous êtes magnifique et inimitable en vos actions ! Que cette vaste immensité du Ciel, que cet éclat de tant de lumières incorruptibles, et arrangées en un si bel ordre, que cette variété de tant de biens que produit la terre, ou qui sortent de la mer et des autres éléments, que toutes ces magnificences, et toutes ces beautés ont de grâce, et qu’il est doux de les contempler en silence, et de laisser remplir son âme d’admirations et de pensées célestes, en les considérant ! Potentiam tuam et justitiam tuam usque in altissimae ; quae fecisti magnalia ! Deus quis similis tui ?
XVIII
Ne vous oubliez pas aussi du plus grand de tous ses miracles, de l’Incarnation du Verbe, et de la Rédemption des Hommes. Dites-lui que c’est le sujet ordinaire de vos Méditations de chaque jour, comme c’est le sujet de la Méditation des Anges dans le Paradis et durant l’éternité. Que j’y pense souvent, ô Rédempteur de ma vie, et que ce m’est un doux repos d’y penser, et de contempler dans la Crèche, et aux pieds de la Croix, vos anéantissements glorieux !
Sur cela rappelez en votre mémoire les choses qui vous sont venues durant vos Méditations, ou celles que vous avez lues dans les livres, ou entendues durant les Sermons. Dites-les-lui comme des choses que vous ne pouvez cesser de dire et de méditer, et mêlez-y des actes d’amour, de reconnaissance, d’admiration, de foi : Credidi propter quod locutus. Je crois de ces Mystères ineffables ce que m’en dit votre Eglise, et votre Evangile : je l’ai cru depuis ma naissance, je le dis encore tous les jours, et je le dirai jusqu’à la mort, que JESUS-CHRIST crucifié est mon Seigneur et mon Dieu. C’est la première parole qu’on m’a fait prononcer dans le berceau ; ce sera la dernière, comme j’espère, que je prononcerai en sortant du monde, et que je porterai écrite sur mon cœur, en allant paraître au Jugement : Dominus meus, et Deus meus.
XIX
Dites-le dévotement ; mais ajoutez avec David, Ego autem humiliatus sum nimis : que sur la Croix vous ne voyez pas moins clairement les abaissements de votre personne, et les opprobres de votre vie, que les exaltations de la Justice et de la bonté de Dieu.
Je veux dire que durant ces sortes de conversations avec le Sauveur, vous ne devrez pas manquer à l’entretenir des péchés et des malheurs de votre jeunesse. Parlez-en à ce cher Epoux ; et quoiqu’aux jours de votre ancienne pénitence, vous n’ayez pas oublié de lui dire tout ce que vous en saviez, ne craignez point de l’importuner en vous humiliant encore, et en lui redisant les mêmes choses.
Racontez-lui l’histoire de ces misérables années, et de tout ce qui se passa dans les occasions funestes où les compagnies vous engagèrent. Souvenez-vous de chaque faute, et sur chacune soupirez, et pleurez, et exercez des actes de Contrition dignes des grâces que la mort de votre Epoux vous a méritées et qui vous ont retiré de l’Enfer.
Ce qui me déplaît, mon bien-aimé, et ce qui m’afflige davantage en des péchés si énormes, c’est que mon cœur est trop faible pour les haïr. Ah ! certes, c’est bien peu que lui seul, et bien peu que le cœur de mes Confesseurs qui les ont connus, et qui les ont pleurés avec moi ! Je voudrais avoir les cœurs de tous les hommes et de tous les Anges, et de cette multitude de cœurs assemblés, former contre mes ingratitudes, des imprécations et des haines assez fortes, pour être égales à ma tristesse et à mon malheur. Cor mundum crea in me, Deus. Seigneur, employez votre puissance et votre miséricorde ; créez un nouveau cœur, et donnez-le-moi pour vous aimer.
Ce désir plaît au Sauveur, comme lui plut le désir de David et de saint Pierre, et de tant d’autres pécheurs convertis, qui après avoir employé des années à soupirer et à pleurer, leurs pleurs étant épuisés, s’informèrent s’il n’y avait point quelqu’un au monde qui pût faire naître dans leur âme une source de ces eaux amères qui ne s’épuisât point, et qui durât autant que leur vie : Quis dabit capiti meo aquam, et oculis meis fontem lacrymarum, etc.
Dites-le vous-même, âme dévote, en contemplant les veines ouvertes de votre Epoux crucifié ; mais dites-le sincèrement, et de cœur, et par des paroles qui ne soient rien que des soupirs de l’amour : Quis dabit capiti meo aquam ? Que je serais heureuse, mon cher Maître, de voir sortir de mes yeux des torrents de larmes, qui pussent se joindre aux torrents de votre Sang, et couler avec eux en chaque endroit où mes fautes ont été commises, afin que par tout où l’on a su que j’ai été pécheresse, on sut aussi que j’ai pleuré, et qu’on y vît des marques éternelles de ma pénitence ! O peuples qui avez ouï parler des scandales de ma vie, venez entendre mes cris et mes plaintes, et venez voir ma douleur ! Voyez-la, mon Dieu, et considérez ce qui se passe en ma conscience. J’espère en vous jusque dans l’état où je suis : ayez la bonté de m’aimer encore jusque-là : au moins ne refusez pas de m’y regarder, et de laisser sortir de vos yeux la vertu qui rend la grâce et la vie : Vide Domine, et considera.
Dieu vous voit, ô Sunamite, et durant ces saintes heures, où vous sentez renaître vos douleurs, et les convulsions de votre conscience affligée, il ne manquera pas de vous consoler, en vous redisant lui-même intérieurement ce qu’il vous a fait dire tant de fois par les Evangélistes, et par les Prophètes, que vos péchés sont pardonnés et effacés, et qu’il n’en reste plus aucune tache en votre cœur. Je le sais bien, divin Sauveur : mais il en reste encore la mémoire dans votre esprit.
Hélas, grand Dieu, qu’il me semble que c’est peu pour me consoler, de me dire, Je pardonne ! Pour le faire parfaitement, il faudrait que vous, qui ne pouvez rien ignorer, trouvassiez l’invention d’ignorer ce que j’ai fait, et d’oublier tout ce qui m’est arrivé durant les années de ma vie criminelle et scandaleuse.
Car quel moyen de vivre en la présence d’un Dieu, qui a vu mes infidélités, et qui s’en souvient encore ? Et quel moyen d’être consolé par la nouvelle qu’on me dit chaque jour de votre part, que mes péchés ont été lavés dans votre sang répandu, tandis que j’apprends d’ailleurs, qu’ils paraissent encore devant vos yeux ; qu’ils y paraîtront éternellement, et que parmi les splendeurs du paradis, le siècle de mes ingratitudes sera un des spectacles de votre éternité. Posuisti iniquitates nostras in conspectu tuo, saeculum nostrum in illuminatione vultus tui.
Dieu, qui voit avec complaisance cette sorte de craintes et d’anxiétés dans votre esprit les a prévenues, et a voulu vous donner la consolation entière. Car lorsque durant ces entretiens familiers il vous console là-dessus, il ne vous parle que comme un Dieu, quii par un miracle ineffable a étendu sa puissance jusqu’à oublier tout, et qui a enseveli la mémoire de vos péchés et des nôtres dans un abîme d’où elle ne sortira jamais : Deponet iniquitates nostras, et projiciet in profunda maris omnia peccata nostra, quoniam volens est misericordiam.
XX
Mais si d’aventure il vous arrive ce qui arrive assez souvent aux âmes les plus innocentes, d’être troublée par la crainte qu’il ne reste en votre conscience quelque péché secret, et dans l’esprit de Dieu quelque dessein de réprobation et de colère contre vous ; dès que la pensée vous en vient, ne manquez pas d’entrer vous-même en colère contre vous, et de vous blâmer de cette inquiétude, comme d’une faute peut-être plus odieuse à sa sagesse et à sa miséricorde, que tout ce que vous avez commis de péchés. Soyez-en honteuse, et repoussez-la comme un souffle d’enfer, et parlez-en à votre Epoux avec abomination, et avec horreur, en détestant une défiance si criminelle et si aveugle.
Ainsi à l’égard des autres faiblesses qui vous font craindre le pouvoir des hommes, ou le pouvoir des démons, en formant dans votre imagination des scrupules et des idées chimériques qui vous persécutent importunément, et excitent en votre âme des mouvements de désespoir ; gardez-vous bien de vous laisser abattre par cette importunité. Ouvrez les yeux, et reconnaissez combien vous êtes indignes que Dieu vous aime, lorsque vous vous laissez effrayer de la sorte, et que vous permettez que ces fumées et ces ombres aient le pouvoir de troubler le repos d’une personne qui est aimée de Dieu, et soutenue par sa grâce.
En effet, mon bien-aimé, quel aveuglement est ceci, et quelle indignité ? D’où me vient cette frayeur, et comment peut-elle entrer dans moi parmi tant de miracles de votre miséricorde et de votre amour !
Il est vrai, j’ai été pécheur : je suis venu du néant ; je suis poussière et cendre, petit ver sorti de la boue. Mais vous êtes un Dieu, consolateur éternel, et protecteur invincible de misérables ; et c’est vous qui me dites : Ma chère créature, tout néant que tu es, et tout petit vermisseau digne d’être foulé aux pieds, console-toi ; ne crains pas, puisque je suis ton libérateur, ton bien-aimé, ton fidèle, et puisque c’est moi qui te jure que le monde périra plutôt, que je permette que tu périsses, ou que les démons te retirent d’entre mes mains, et qu’il t’arrive aucun mal.
Vous me le dites, ô toute puissante miséricorde, et je ne laisse pas de trembler. Insensée que je suis, votre Prophète m’assure que vous me tenez sur vos genoux comme une mère qui tient son fils unique, et qui l’embrasse tendrement durant les transports de son amour ; que vous me cachez en votre sein comme un nourrisson aimé ; que vous me portez entre vos bras, comme un père porte son fils, lorsqu’il ne peut pas encore marcher ; que vous me porterez de la sorte durant le cours de ma vie, jusqu’à la vieillesse, et jusqu’à l’heure de mon trépas. Ego feci, et ego feram, et ego salvabo. Vous me le dites, mon Dieu, je l’écoute ; je sais que c’est vous qui me parlez ; et cependant je demande si vous m’aimez, et si vous pensez à moi ; si vous regardez mes larmes, si vous écoutez ma voix ; et après tant de promesses que vous m’avez faites, comme si c’étaient les promesses d’un homme faible et trompeur, je continue de craindre et d’offenser l’adorable vérité de votre parole et de votre amour par mes inquiétudes inconsidérées. Ah ! mon Dieu, je les déteste pour jamais ; et si elles étaient attachées inséparablement à mon cœur, je ferais tous mes efforts pour pousser mon cœur hors de moi-même, et pour ne laisser en aucun endroit de ma personne ces défiances si indignes et si criminelles. Ah ! Seigneur, plutôt périr que de trembler sous l’ombre de votre protection ! Appuyée sur vous, et élevée au-dessus de tout ce qui est mortel et créé, je ne crains, je n’espère, et je n’aime rien que vous.
Pour vous aider à faire entrer bien avant la confiance et la consolation dans votre cœur, racontez-vous souvent les bienfaits les plus remarquables que vous ayez reçus de Dieu, et les occasions où vous avez connu qu’il avait pour vous des bontés particulières : racontez-les à lui-même, et souvenez-vous qu’il y a trois histoires que cet Epoux aimable vous écoute dire avec plaisir, et que vous ne devez pas craindre de répéter trop souvent ; faites-en le sujet ordinaire de vos entretiens domestiques. L’histoire de vos péchés ; l’histoire de votre rédemption, et de sa mort sur le Calvaire ; et enfin l’histoire de sa conduite envers vous, et des secours que vous avez reçus miraculeusement par sa providence, dans les rencontres où vous étiez en danger de périr, et où vous auriez en effet péri pour jamais, s’il n’eut eu pitié de vous, et si sa miséricorde n’eut entendu votre voix sans les malheureuses occasions que vous savez. C’est vous, mon Dieu, qui m’avez tendu la main, et qui m’avez retiré de la mort ; qui avez essuyé mes larmes, et rompu mes chaînes, pardonné mes ingratitudes, et guéri mes faiblesses et mes maladies ; qui m’avez rendu la santé, la grâce, et l’espérance ; qui m’avez couronné de bénédictions, et comblé de biens ; qui m’avez révélé les secrets de votre sagesse, et les plus hautes vérités de votre Evangile ; et qui du misérable état où j’étais des portes de l’Enfer et d’entre les mains des démons, m’avez élevé au rang et à la condition des Anges. Benedic anima mea Domino, et noli oblivisci omnes retributiones ejus.
Enfin, parlez-lui de tout, et ayez envers lui les familiarités les plus intimes, et les plus secrètes communications qu’on peut avoir envers un ami ; ayez-les hardiment, âme dévote, et ne craignez rien tant que de trembler devant celui à qui rien ne déplaît davantage dans les Saints, que les tremblements de la défiance, et que les inquiétudes d’un esprit timide et pusillanime.
XXI
Ce qui est le plus avantageux en ces sortes de conversations avec Dieu, est que quoi qu’il semble, tandis que vous l’entretenez, qu’il vous laisse dire sans parler lui-même, et sans vous répondre, néanmoins il ne garde pas le silence.
Il a une certaine voix qui n’est propre qu’à lui, et qui sans que vos facultés extérieures, et sans même que votre imagination s’aperçoive de rien, marque dans vous les vérités que son amour veut que vous sachiez. Vous sentez naître imperceptiblement en votre esprit des pensées qui vous consolent, et qui apaisent vos craintes ; des lumières qui dissipent vos incertitudes et vos doutes ; des réflexions, qui vous découvrent ce que vous avez à faire et qui vous montrent des voies sûres pour conduire heureusement vos desseins.
C’est beaucoup qu’il vous écoute. Quand vous lui parlez avec cette confiance respectueuse, il ne peut pas manquer à vous consoler, et à vous répondre. Il le fait, non pas en formant des paroles en l’air, mais en appliquant ses lumières, ses pensées, ses consolations, et ses douceurs à votre cœur. C’est son cœur qui parle à ses Epouses ; et d’un langage qu’elles entendent bien.
FIN
 

BOUTAULT MICHEL (S.J., PARIS 1604 - PONTOISE 1689) Méthode pour converser avec Dieu
Bruxelles, A.Vromant, 1910. 56pp. nouvelle éd.corrigée-, dans la série "Petite bibliothèque chrétienne", 11x17cm.
 

 2 orthographes: mais il semble que Boutauld soit la plus répandue. (cf Catalogue BnF).
L'orthographe Boutault semble être une erreur tardive qui n'apparaît que dans les dernières éd. (dont celle que j'ai utilisée).
De plus, il est bien sous Boutauld, Michel  dans Brémond (Hist litt du sent. rel., t. X, p. 323-325) et dans le Dict de Spir., où sa date de
naissance est 1608. "Ses ouvrages spirituels contiennent une
doctrine pratique et consolante, de tendance nettement affective et rappelant saint François de Sales". (t.1, c. 1917).
 

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