Le
Guide Spirituel
Pour
Dégager l'Ame des Objets Sensibles et pour la conduire par le Chemin Intérieur
de la Contemplation parfaite et à la Paix Intérieure
(la traduction que nous présentons est probablement celle d'Amsterdam, 1688, cad celle de Cornand de la Croze. Cette traduction n'est pas celle de Paul Drochon publiée par les éditions du Cerf en 1997, si jamais un passage avait échappé à notre attentionet ne se trouvait pas dans le domaine public, merci de nous prévenir pour que nous puissions le retirer immédiatement).
les mots contemplation et méditation furent substitutés dans tout le fichier html, j'en ai rétablis plusieurs mais je n'ai pas vérifié sur le pdf, ce travail reste à faire.
Plan
Avertissement par le Frère Jean de Sainte Marie,
Approbations des Docteurs
Préface de l'Auteur,
"Il n'est rien de plus difficile
que de plaire à tout le monde, ..."
Introduction au Guide Spirituel
ou Système Abrégé de cet Ouvrage
Livre
1: Des Ténèbres, de la Sècheresse et des Tentations dont Dieu se sert
pour purger l'âme et du Recueillement Intérieur
Livre 2
Du père spirituel,
de l'obéissance qu'on lui doit, du zèle indiscret, de la pénitence intérieure
et extèrieure.
Chapitre 1
Que le meilleur moyen de vaincre
les embûches de l'ennemi est de s'assujettir à un Père Spirituel
Chapitre 17 Qu'on ne doit pas s'inquiéter,
lorsqu'on tombe dans quelque faute [vénielle] mais en faire son profit.
Chapitre 18 Suite de la même matière
Livre 3 ( =Deuxième Partie), p.208
pdf
Des martyres
spirituels, avec lesquels Dieu purifie l'âme, de la contemplation infuse
ou passive, de la résignation parfaite, de l'humilité du coeur, de la
sagesse, du vrai anéantissement et de la paix intérieure.
Livre 1:
Des Ténèbres, de la Sècheresse et des Tentations dont Dieu se sert pour
purger l'âme et du Recueillement Intérieur
Chapitre 1 : Qu'afin que Dieu repose dans l'âme, il faut pacifier le coeur dans toutes sortes d'inquiétudes, de tentations et de tribulations.
Il faut que vous sachiez que votre âme est le centre, le siège et le règne de Dieu. p.91 pdf à suivre Ainsi, Pour que le souverain Roi puisse reposer sur le trône de votre âme, vous devrez vous donner la peine de la garder propre, tranquille, vide et paisible, exempte de culpabilités, pure de tous péchés et de défauts, vide d'attachements, vide de désirs et de pensées, paisible dans les tentations et les épreuves.
En effet vous devez toujours alors garder votre coeur en paix, afin que vous puissiez garder pur ce temple vivant de Dieu ; et avec une intention pure et intègre, vous avez à travailler, à prier, obéïr, et souffrir, sans même en être le moindrement ébranlé, peu importe ce qu'il plait à Dieu de vous envoyer. Car il est certain, pour le bien de votre âme, et de votre avantage spirituel Il permettra à l'ennemie jaloux de venir troubler cette cité de repos et ce trône de paix par des tentations, des suggestions et des tribulations, et par l'entremise de créatures et des ennuis douloureux de même que des persécutions pénibles.
Soyez constant, et que
vos coeurs se réjouissent quel que soit les inquiétudes que ces épreuves
puissent vous causer.
Entrez en votre intérieur, afin
de les surmonter, car à l'intérieur se trouve la forteresse divine
qui et là pour vous défendre, pour vous protéger, et pour combattre
à votre place.
L'homme qui possède une forteresse sûre ne craint rien lorsqu'il est poursuivi par ses ennemis car avec le retrait intérieur, ceux-ci sont vaincu et déçu. Le château fort qui vous fera triompher de tous vos ennemis, visibles et invisibles, ainsi que de tous leurs pièges et leurs tribulations, se trouve à l'intérieur de votre âme, parce qu'en elle réside l'aide Divine et le souverain secours. Retirez-vous en elle, et tout sera sure, paisible et calme.
Pacifier ce sanctuaire de votre cœur devrait donc être votre exercice principal, et perpétuel, afin que le souverain Roi puisse en faire Sa demeure. La paix profonde consiste à entrer en vous-mêmes par le recueillement intérieur. toute votre protection se trouve dans la prière et le recueillement d'amour en la Présence divine. Ainsi donc, quand vous vous retrouvez brusquement assailli, retirez-vous dans cet asile de paix là où vous trouverez la forteresse. Quand votre coeur est plus craintif, dirigez-vous dans ce refuge de prière, la seule armure qui puisse vaincre l'ennemi, et atténuer les tribulations ; dans la tempête vous ne devrez pas vous en éloigner, pour qu'à la fin, tel un autre Noé, vous puissiez expérimenter la tranquilité, la sécurité et la sérénité; et qu'à la fin votre volonté puisse être résignée, devouée, paisible et courageuse.
Finalement, ne soyez pas découragés
ni affligés de voir votre coeur troublé. Il revient
pour vous apaiser, pour vous raviver à nouveaux, car ce Seigneur
Divin sera seulement avec vous, pour se reposer dans votre âme, et y former
un riche trône de paix ; pour qu'à l'intérieur de votre coeur, par le
recueillement intérieur, et qu'avec Sa Divine Grâce, vous puissiez voir
le silence dans le tumulte, la solitude dans la compagnie, la lumière
dans les ténèbres, l'oubli dans les pressions, la vigueur dans le découragement,
le courage dans la peur, la résistance dans la tentation, la paix dans
la guerre, et le silence dans la tribulation.
Chapître II
Bien que l'âme se trouve privée
du discours et du raisonnement,
elle devrait tout de même persévérer
dans la prière et ne pas en être affligée
car cela est est son plus grand
bonheur.
Vous vous retrouverez, comme toutes les autres âmes qui sont Appelées par le Seigneur à la voie intérieure, remplie de confusion et de doutes, car dans votre prière vous avez failli dans votre discours.
Il vous semblera que le Divin Maître ne vous aide plus comme avant, que la pratique de la prière silencieuse n'est plus en votre pouvoir, que vous perdez du temps alors que vous pouvez de peine et de misère prononcer un court et simple mot de prière tout comme autrefois vous étiez disposés à faire.
Combien de confusion, et quels perplexités,
le désir de vous élargir avec le discours mental [vous voudrez prier
avec la manière traditionnelle de parler ;et de faire des supplications
à Dieu] lèvera en vous! Et si dans une telle joncion vous n'avez pas
de père spirituel qui soit un expert en la voie mystique, vous en conclurez
certainement que votre âme n'est pas en ordre, et que pour la sécurité
de votre conscience, vous demeurez avec le besoin d'une confession générale
;le seul résultat sera la honte et la confusion des deux. Oh combien d'âmes
sont appelés à marcher dans la voie intérieure, et les pères spirituelles,
faute de comprendre leurs cas, au lieu de les guider et de les aider à
avancer, stop them in their course, and ruin them.
Laissez-moi vous convaincre, que
lorsque vous sentez diminuer[à partir du silence intérieur] le besoin
d'élargir en discours[d'augmenter dans vos prières les conversations
et les supplications], cela est [le silence intérieur] pour votre plus
grand bonheur, car cela est un signe clair que le Seineur veut que vous
marchiez par la foi et le silence dans Sa Divine présence, ce qui est
le chemin le plus profitable et le plus facile ; dans le respect, qu'avec
une vision simple, ou une attention amoureuse envers Dieu, l'âme apparaissant
comme avec d'humble supplication devant son Seigneur, tel un jeune enfant,
qui se réfugie sur la poitrine douce et sûre de sa chère maman. Tel
que Gerson a exprimé : 'Bien que j'eusse consacré quarante ans, à la
lecture et à la prière, je n'ai pas pu trouver de manière plus efficace
, ni plus directe, pour parvenir à la théologie mystique, que d'entrer
dans la présence de Dieu avec mon esprit de jeune enfant, en suppliant
humblement.'
«Je me suis attaché, dit Gerson,
pendant quarante années, à la lecture et à la prière, mais je n'ai
pas trouvé de voie plus courte ni plus sûre pour parvenir à l'Union
mystique, que de mettre mon esprit en la présence de Dieu, dans l'état
d'un petit enfant, ou d'un malheureux, dépouillé de tout secours. »
Ce genre de prière n'est pas seulement
la plus facile, mais elle est aussi la plus sûre. Elle se soustrait des
opérations de l'imagination, qui se trouve toujours exposée aux tromperies
du diable ; aux extravagances de la mélancolie et du résonnement là
où l'âme peut facilement être distraite, s'emmêler dans la spéculation
et réfléchir sur elle-même.
Lorsque Dieu voulut instruire
Son propre capitaine Moïse (Exode 24:15 ), et qu'Il lui donna les deux
Tables de la Loi gravés dans la pierre, Il l'appela à la montagne, à
ce moment là Dieu était là avec Lui, la montagne était sombre, environnée
d'épais nuages, Moïse se tenant là immobile tout en ne sachant quoi
penser ou quoi dire. Après sept jours, Dieu commenda à Moïse de venir
au sommet de la montagne, là où Dieu lui montra Sa gloire, et le remplir
de grande consolation. (Exode 33:18-21 and 34:6)
Ainsi au début, lorsque Dieu veut,
de manière extraordinaire, guider l'âme dans l'école des aimables corrections
et de la Divine Loi intérieure, Il la fait passer par les ténèbres et
la sécheresse, afin qu'Il puisse l'amener près de Lui. Parce que la Mjerté
Divine sait très bien qu'une âme s'approche de Lui, non pas par son propre
résonnement, ou de son propre travail ; ni par la compréhension des écritures
et autres documentations divines; mais plutot par le silence ainsi qu'une
humble résignation.
Le patriarche Noé donna un bon
exemple de ceci, lui qui, après avoir été considéré comme un fou par
tous les hommes ; s'est retrouvé flottant au beaux millieux d'une mer
déchaînée, qui avait englouti le monde entiers, sans voile ni rame,
et entouré de bêtes sauvages enfermés dans une arche ; ainsi il marcha
uniquement par la foi, sans savoir ni comprendre ce que Dieu avait l'intention
de faire avec lui.
Ce qui vous concerne le plus , Oh
âmes rachetés, c'est la patience, ne renoncez pas à la prière, [le
silence devant Dieu] bien que vous ne puissiez pas multiplier vos discours[accroître
vos supplications et vos requêtes]. Marchez avec une foi ferme, dans un
silence saint, mourant à vous-mêmes, à tous vos désirs, à tous vos
efforts, confiant que Dieu, Lui qui est le même et qui ne change pas,
qu'Il ne peut non plus faire d'erreur, ne désir rien d'autre que votre
bien. Il est clair qu'il est douloureux de mourir ; mais cela est du temps
bien utilisé. Car lorsque l'âme est morte, muette, et résignée dans
la présence de Dieu, là, sans aucun encombrement ni aucune distraction,
l'âme peut recevoir l'influence Divine.
À travers les sens [la vue, l'ouïe,
le toucher] nous sommes incapables de [recevoir] Bénédictions Divines.
Donc si vous voulez être heureux et sages, faites silence, croyez, souffrez,
attendez, ayez confiance et marchez. Mieux vaut vous pour tenir votre paix
laisser conduire par Les Mains divines que d'acquérir tous les biens de
ce monde. Et bien que vous semblez ne rien faire du tout, néant, en étant
tellement muet et résigné, pourtant cela apporte du fruit à l'infini.
Considérez ces bêtes aveugles
qui font tourner la roue de la meule. Bien que ces bêtes ne puissent voir
le maïs, et ne sachant pas ce qu'ils font, ils font tout de même un grand
travail en moulant le grain. Et bien qu'ils ne goutent pas le maïs, bien
que le Maître en reçoit les fruits, et les goutes également. Qui aurait
pu croire qu'une semence qui gît longtemps en terre, qu'elle puisse mourir!
Pourtant ensuite, on peut la voir pousser, grandir et se multiplier. Dieu
fait de même avec l'âme , quand Il la prive de pensée et de raisonnement.
Alors [dans le silence de la prière] qu'elle pense qu'elle ne fait rien,
et qu'elle est en quelque sorte détruite ; à ce moment ele ressuscite,
renouvelée, affranchi, et parfaite, n'ayant jamais espéré autant de
faveur.
Prenez alors soins de ne pas vous
affliger, ni de tirer de l'arrière, mais ne vous étendez pas sur de longs
discours en prière ; supportez, gardez votre paix, et apparaissez dans
la présence de Dieu; persévérez constamment, et faites confiance à
son infinie générosité, qui peut vous donner une foi constante, la véritable
lumière, et le grâce Divine. Marchez comme si vous aviez les yeux bandés,
sans penser ni résonner; remettez vous entièrement entre Ses mains douces
et paternelles, en étant résolu à ne rien faire d'autre que Sa Volonté
et Son plaisir Divin .
Chapître III
Suite du même sujet
C'est l'opinion commune de tous les
hommes saints qui ont l'expérience de l'Esprit, et de tous les sujets
mystiques, que l'âme ne peut atteindre la perfection et l'union avec Dieu,
par le moyen de la méditation et du résonnement ; Ce chemin n'est utile
que pour celui qui commence à se diriger dans la voie spirituelle, ensuite
il doit acquérir une habitude de la connaissance, de la beauté de la
vertu, et de la laideur du vice- cette habitude qui, selon l'opinion de
Ste Teresa, peut s'acquérir en six mois ; et selon St. Bonaventure, en
deux mois (In prolog. de Mist. Theol., p. 655).
Quelle pitié ne doit-on pas avoir
pour ces âmes, trop nombreuses, qui, toute leur vie, se font violence
pour raisonner et méditer, alors que Dieu, voulant les élever à l'Union
parfaite, leur en a retiré le pouvoir ! Elles demeurent ainsi pendant
de longues années, sans avancer dans la voie spirituelle se faisant d'inutiles
tourments, cherchant Dieu au-dehors alors qu'Il (Dieu) est en eux-mêmes.
De toute manière, quelle pitié
ne doit-on pas avoir pour ces âmes, trop nombreuses qui, du début jusqu'à
la fin de leurs vies, ne s'adonnent qu'à la méditation, se contraignant
eux-mêmes au raisonnement ; Bien que Dieu Tout Puissant les privant de
résonnement, afin qu'Il puisse les élever à une autre condition, et
les amener vers un genre de prière encore plus parfait. Ainsi depuis plusieurs
années ils demeurent imparfaits, et en sont toujours au commencement sans
faire aucun progrès, ou bien qu'ayant malgré tout franchit un pas dans
la voie de l'Esprit ; ils se fendent la tête à propos de l'emplacement,
du choix des minutes, de l'imaginations, et des résonnements tendus, cherchant
Dieu au dehors, sans savoir qu'Il est déjà à l'intérieur d'eux-mêmes.
Saint Augustin se plaignit de cela
: quand Ddieu le guida dans la voie mystique, disant à sa Majesté Divine,
« J'allais, Seigneur, errant comme une brebis égarée, Te cherchant au-dehors,
raisonnant anxieusement, alors que Tu étais en moi. Je me lassais beaucoup,
et Te cherchais au-dehors, et cependant, Ta demeure est en moi, si je soupire
et j'aspire après Toi. J'allais le long des rues et des places de la cité
du monde, Te cherchant et ne Te trouvant pas, parce qu'en vain je demandais
au-dehors après Celui qui Se trouvait en moi-même.»
(Les Soliloques., C. 31).
L'angélique Docteur St. Thomas,*
pour tous il était si circonspect dans ses écrits, peut pourtant sembler
railler ceux qui vont toujours à la recherche de Dieu, au moyen du résonnement,
alors qu'Il est présent à l'intérieur d'eux-mêmes. Il y a un grand
aveuglement, une excessive folie en ceux ,(dit le saint) qui cherchent
toujours Dieu, qui soupirent continuellement après Dieu, l'invoquant chaque
jours dans leurs prières, eux qui, étant eux-mêmes, (selon l'Apôtre
), le Temple Vivant de Dieu, et Sa véritable demeure, puisque l'âme est
le siège et le trône de Dieu, là où Il demeure continuellement. Ne
serait-ce pas insensé que de chercher hors de chez soi une chose qu'on
possède dans sa maison? Ou bien, qui peut se régénérer avec la nourriture
qu'il désire, et ce sans même la gouter! Pourtant c'est là exactement
la vie de quelques hommes justes, cherchant toujours et n'étant jamais
satisfaits, et par conséquent toutes leurs oeuvres demeurent imparfaites(Optusc.
63, c. 3 in fin).
*Molinos a vécu au temps de l'Inquisition
qui fut responsable d'avoir torturé et tué 9 000 000 âmes entre les
années 800-1500 Apr. J.-C. L'Esprit de Dieu a enseigné Molinos à comprendre
la dépravation de plusieurs de ces soi-disant saints, (Thomas et Auguste
inclus), ou les abominations des soi-disant sacrements, Molinos aurait
été forcé de témoigner contre eux, ce qui aurait entraîné son exécution
immédiate. Molinos fût plus tard exécuté, mais après que ses enseignements
et livres se soient répandus à travers l'Europe.
Il est certains que Christ notre
Seigneur enseigne la perfection à tous, même les plus humbles, ces humbles
qu'Il a choisis pour apôtres et dont Il a dit: « Je te bénis, ô Père,
ô Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux
sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants.
» Il est certain que des personnes ignorantes et simples peuvent atteindre
aussi bien, et mieux même que les savants, à la perfection, et qu'elles
ne l'acquerront pas par des contemplatios ou de simples réflexions, car
la perfection consiste principalement dans les mouvements de la volonté.
Saint Bonaventure enseigne qu'on doit se garder de toute pensée, même
à l'égard de Dieu. C'est une imperfection de chercher à travers des
images, des idées, des représentations de la volonté (si subtiles soient-elles),
la Bonté, la Trinité, l'Unité ou l'Essence divine. Si ces images paraissent
ressembler à Dieu, elles ne sont pas Dieu Lui-même, car Il ne saurait
être dépeint sous aucune forme.Il n'est pas utile de penser à ce qui
concerne les créatures, les anges Ou la Trinité, la connaissance se formant,
non par la subtilité des pensées, mais par la violence de notre désir.
Tout cela est clair. Voudrions-nous
donc nous tourmenter nous-mêmes, abandonner la méditation, parce que
nous n'y pouvons plus raisonner? La volonté profonde et l'intention pure
ne sont-elles pas plus efficaces que les efforts de l'intelligence? Lorsque
les corbeaux, voyant leurs petits sans plumes noires, ne les croient pas
de même race qu'eux-mêmes et qu'ils les abandonnent, Dieu prend soin
de ces petits oiseaux, Il les nourrit de rosée. Que ne fera-t-il donc
pas pour nous? Lorsque nous ne pourrons ni parler ni raisonner, si nous
croyons et si nous avons confiance, si nous bramons, après la céleste
nourriture qui nous est nécessaire, la Bonté Divine pourvoira à tous
nos besoins.
C'est une grande épreuve, mais
aussi un extraordinaire privilège pour l'âme, que d'être privée des
douceurs sensibles et de marcher dans les sentiers arides et déserts de
la perfection, puisque la perfection ne peut être atteinte que par cette
voie, aussi ténébreuse et aride que parfaitement assurée. Lorsque le
raisonnement lui est enlevé, que l'âme soit donc confiante, et qu'elle
ne retourne pas en arrière; mais que, ferme dans sa foi, elle demeure
dans le silence et le repos, persévérant dans la patience afin d'être
heureuse, de parvenir à l'Union Divine, à la paix intérieure et au souverain
repos.
Chapitre IV
Dans l'exercice de méditation,
la sécheresse et les ténèbres
ne doivent pas décourager l'âme
qui s’y applique.
Vous saurez qu'il y a deux sortes
de prières: l'une facile, aimante, pleine de douceur et de sentiment ;
l'autre obscure, sèche, solitaire, remplie de tentations et de ténèbres.
La première est pour l'âme qui commence à chercher l'Union avec son
Dieu, l'autre est pour l'âme plus avancée dans cette voie, qui sont dans
le progrès à la perfection. Dieu nous donne la première pour nous attirer
à Lui, Il envoie la seconde comme purification. Dans la première, Il
nous traite comme des enfants, dans la seconde, comme des hommes faits.
On pourrait appeler la première
de ces voies : la vie naturelle, car cette voie est pour ceux qui cherchent
la dévotion sensible, Dieu l'avait donné aux débutants. De même qu'on
fait agir l'homme naturel par l'attrait des objets extérieurs, Dieu commence
par attirer les âmes à Lui par les douceurs de la dévotion, afin de
les faire entrer dans la vie spirituelle. Mais la seconde pourrait être
nommée: la voie humaine. Ceux qui s'y engagent doivent durement combattre
les passions, non par plaisir, mais parce que la raison montre que c'est
la seule manière d'atteindre la perfection.
Assurez-vous que la sécheresse
soit un instrument qui vous est bénéfique . parce qu'elle est vide de
plaisirs perceptibles ; la recherche de ce qui est un obstacle qui met
un frein à l'envol de la plupart des hommes spirituels, et qui les faits
mêmes reculer, et abandonner la prière comme on peut le voir dans plusieurs
âmes, qui persévèrent uniquement lorsqu'ils peuvent ressentir la consolation.
Sachez que Dieu fait usage du voile
de la sécheresse, pour qu'enfin nous ne puissions connaître ce qu'Il
oeuvre en nous, pour qu'ainsi nous demeurions humbles ; car si nous ressentions
et que nous connaissions le travail qu'Il fait dans notre âme, nous pourrions
tomber dans la satisfaction de même que dans la présomption, en nous
imaginant que nous-mêmes avons fait quelques choses de bien, et de ce
fait croyant nous être rapprocher de Dieu: ce qui serait notre méfait
.
Mettez ceci dans vos coeurs comme
une terre ferme, que pour marcher dans la voie intérieure, toute sensibilité
doit premièrement être enlever, et le moyen que Dieu emploie pour ôter
toute sensibilité, c'est la sécheresse. Par la sécheresse Il ôte ainsi
la réflexion, l'attention que l'âme porte à ses actions, ces réflections
qui ne sont rien d'autres que des obstacles à l'avancement et entravant
la communication de de Dieu Lui-même dans notre âme.
Ne vous affligez donc pas, ne vous
imaginez pas que vous demeurez sans progresser, parce qu'après la prière
ou la communion vous n'éprouvez aucun sentiment de douceur. Le laboureur
sème pendant une saison et récolte pendant une autre. De même, Dieu
a Ses temps marqués; c'est pourquoi Il vous aidera à résister aux tentations,
Il vous remplira de saintes résolutions et de désirs efficaces lorsque
vous y penserez le moins. Je vais citer ici quelques fruits que l'âme
retire de ses plus grandes sécheresses, afin que vous ne vous laissiez
pas séduire par l'ennemi de votre salut qui, pour vous détourner de la
prière, cherchera à vous persuader que vous êtes dans l'inaction et
que vous perdez votre temps.
1. Le premier et de persévérer
dans la prière, car plusieurs avantages surgissent du fruit de telle persévérance.
2. Vous trouverez une afversion
pour les choses du monde, ce qui peu à peu tend à conduire vers l'élimination
des désires de votre vie passée, et produit de nouveaux désires dde
servir Dieu.
3. Vous verrez vos manquements,
ceux qu'autrefois vous ne voyiez pas
4. Vous trouverez, lorsque vous
êtes sur le point de commettre une mauvaise action, dans votre coeur une
nouvelle considération, vous abstenant ainsi de tomber. En d'autre temps
cela vous abstient de parler, de vous lamenter, ou de vous venger. Ceci
élimine quelques petits plaisirs terrestres, vous libérant d'elle ou
de la conversation, dans laquelle autrefois vous courriez en toute quiétude,
sans le moindre remord de conscience.
5. Après être tombé par faiblesse
dans quelque manque de lumière, dû à cela, vous allez ressentir une
réprimande dans votre coeur , qui sera très pénible.
6. Vous ressentirez en vous le désir
de souffrir, et de faire la volonté de Dieu .
7. Vous vous sentirez enclin à
la vertu, et expérimenterez une plus grande facilité à surmonter vous-mêmes
les épreuves des passions, et des ennemis qui se mettent en travers de
votre chemin.
8. Vous vous connaîtrez mieux vous-mêmes,
et serez également confondu en vous-mêmes, ressentant en vous une grande
estime de Dieu au delà de toute la création, un mépris des choses du
monde, ainsi qu'une ferme résolution à ne pas abandonner la prière,
même si vous savez que cela se révèlera être pour vous l'un des plus
cruel martyrs.
9. Vous ressentirez une plus grande
paix dans votre âme, l'amour pour l'humilité, la confiance en Dieu, la
soumission, et la séparation des choses du monde; puis finalement, les
péchés que vous avez omis depuis le jours où vous avez commencés à
vous exercer à la prière, ce sont là de nombreuses évidences que le
Seigneur oeuvre dans votre âme, (bien que vous ne le savez pas), par le
biais de la prière stérile; et bien que vous ne le ressentez pas tandis
que vous êtes en prière, vous allez le sentir lorsqu'Il jugera le temps
approprié.
Tous ces fruits, et plusieurs autres
encore, sont produits par la prière, cette prière que vous voudriez abandonner
parce qu'elle vous semble stérile et que vous n'en voyez pas les fruits
et n'en récoltez jusqu'à maintenant aucun avantage. Ayez donc de la fermeté,
et persévérez dans la patience. car bien que vous ne vous en apercevez
pas, votre âme croît par cette sécheresse, n'allez pas croire que l'âme
est à rien faire, car même si elle n'est pas activement en fonction,
le Saint-Esprit agit quand même dans l'âme qui vit la sécheresse
Chapitre V
Il y a deux sortes de dévotions.
On doit soumettre celle qui est
sensible.
L'âme n'est pas passive, même
lorsqu'elle cesse de raisonner.
Il y a deux sortes de dévotions
: l'une essentielle et véritable ; l'autre, accidentelle et sensible.La
dévotion véritable se reconnaît à une habituelle promptitude de l'esprit
à faire le bien, [des bonnes actions, faisant aux autres ce que vous voudriez
qu'ils vous fasses, des dons par amour aux pauvres, etc.]à accomplir les
commandements de Dieu, et à être prêt à Son service; ce que la fragilité
humaine ne permet pas à l'âme de réaliser comme elle le désirerait.
Cette dévotion, quoique n'étant accompagnée ni de douceurs, ni de larmes,
ni de plaisir, étant combattue au contraire par les tentations, les sécheresses
et les ténèbres, est la véritable dévotion.
La dévotion accidentelle et sensible
se reconnaît à la tendresse de cœur, aux larmes, à la satisfaction
éprouvée lorsqu'on génère de bons désirs. Non seulement on ne doit
pas la rechercher, mais on doit l'abandonner, s'en détacher, parce qu'elle
est dangereuse et elle est un grand obstacle au progrès et à l'avancement
de la voie intérieure. C'est donc à la dévotion essentielle et véritable
qu'il faut s'adonner; cela est en notre pouvoir de l'acquérir, chacun
de nous en faisant son devoir pouvons, avec l'aide de la divine grâce
acquérir la véritable dévotion.
Il y a des personnes qui, parce
qu'elles expérimentent de sensibles plaisirs à la dévotion , croient
être favorisées de Dieu ; qu'elles y sont parvenue; elles passent toute
leur vie à soupirer après cet heureux état. mais le plaisir sensible
n'est que faux don, Car ce n'est là qu'une consolation de la nature, une
illusion à travers laquelle l'âme voie ce qu'elle fait, et qui l'empêche
de faire quoi que ce soit, ou d'avoir la possibilité de faire quelque
chose de productif ; l'acquisition de la véritable lumière, et le fait
d'emboiter le pas dans la voie de la perfection. Les sens ainsi que les
émotions n'affectent que la chair, et non l'âme, qui est purement esprit
qui n'a ni sentiment ni sens ; donc l'âme ne bénéficie pas de telles
plaisirs.
Par ceci vous pouvez en conclure
que les dévotions découlant des plaisirs sensibles ne sont pas de Dieu,
et ni de l'Esprit ; elles sont plutot de nature charnelle humaine. Par
conséquent on doit leur prêter très peu d'attention lorsqu'elles se
manifestent, en les évitant véritablement afin de persévérer dans la
prière silencieuse, en vous abandonnant vous-même à la lumière de la
grâce de Dieu dans la sécheresse et la noirceur.
N'allez pas penser que parce que
vous êtes présentement dans les ténèbres et la sécheresse, dans la
foi et le silence, que vous n'accomplissez rien, que vous perdez votre
temps, et que vous êtes passifs; parce que selon St. Bernard: la véritable
passivité c'est d'attendre devant Dieu , et que la passivité de l'âme
c'est l'affaire de Dieu.
Il ne faut donc jamais dire que
l'âme est passive, car bien qu'elle n'est pas active visiblement, le Saint-Esprit
opère quand même en elle. En outre, l'âme n'est pas totalement
inactive, parce qu'elle opère intimement et simplement à travers l'esprit.
Ses véritables actions consiste à: être attentive à Dieu, à s'approcher
de Lui, de suivre Ses inspirations intérieures, à recevoir Ses divines
influences, à L'adorer dans Son intime centre , de Le vénérer par de
pieuses affections de la volonté, de chasser ces nombreuses et fantastiques
imaginations et de vaincre avec douceur et mépris toutes les tentations.
Je dis que ce sont tous là de véritables actes, très simples, purement
spirituels, de manière imperceptibles, en toute tranquilité par lesquelles
l'âme oeuvre.
Chapitre VI
Que l'âme ne se trouble pas
lorsqu'elle se trouve dans l'obscurité,
car l'obscurité est l'instrument
de sa grande félicité.
(Note: Depuis le début nous sommes
tous dans l'obscurité, avant l'éveil, une telle obscurité n'est pas
tant à dédaigner qu'à nous stimuler à nous défaire de la perception
de cela, en abandonnant notre silence qui nous fait voir notre obscur et
déplorable condition. Comme Paul a dit : Mais, tandis que nous cherchons
à être justifié par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés
pécheurs, Christ serait-il un ministre du péché? Loin de là! Gal 2:17.
Et comme Pierre a dit : Et nous tenons pour d'autant plus certaine la parole
prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme
à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour vienne
à paraître et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs. Il a été
dit que pour reconnaître la Lumière,on doit premièrement marcher dans
l'obscurité.)
Il y a deux sortes d'obscurité,
les unes sont malheureuses, les autres sont heureuses. Les premières sont
la conséquence du péché et sont malheureuses. parce qu'elles conduisent
l'âme vers un précipice éternel. Les secondes sont celles que le Seigneur
a souffert pour être dans l'âme, afin de la fonder et l'établir dans
la vertu ; et celle-ci sont heureuses, parce qu'elle l'éclaire, elle la
fortifie, et produit une plus grande Lumière intérieure, pour ne pas
que vous puissiez vous affliger et vous troubler, non plus que soyez désolés
un vous retrouvant dans l'obscurité et les ténèbres, que vous avez failli
à Dieu et à la Lumière qui vous éclairait auparavant. Vous devriez
plutot, dès maintenant persévérer de manière constante dans la prière,
[la prière silencieuse] cela étant une évidence que Dieu dans Sa miséricorde
infinie tente de vous amener dans la voie intérieure, et l'heureux chemin
du Paradis. Oh combien heureux serez-vous si vous embrassez cela avec paix
et résignation, en tant qu'instrument de la parfaite tranquilité, de
la véritable Lumière, et de tous vos biens spirituels.
Sachez alors que le chemin
le plus droit, le plus parfait, et le plus sûr est la voie de l'obscurité,
parce qu'en eux le Seigneur y a placé Son trône; Il faisait des ténèbres
sa retraite. Psaume 18:11.Par elles, la lumière surnaturelle, que Dieu
infuse dans l'âme, grandi et s'intensifie; et parmi elles, la sagesse
et le puissant amour sont engendrés ; par l'obscurité, l'âme est anéantie,
de même que les espèces qui obstruent la droite vision de la Vérité
Divine sont consumés. De cette façon, Dieu introduit l'âme dans la voie
intérieure par la prière du repos, et la parfaite méditation, là où
si peu ont pu parvenir. Enfin, par l'obscurité le Seigneur purifie les
sens et la sensibilité, qui font obstacles au progrès mystique. Voyez
maintenant si l'obscurité ne doit pas être estimer et considérer. Ce
que vous devez faire parmi elles, c'est de croire que vous vous retrouvez
devant le Seigneur, et dans Sa Présence; mais vous devez faire cela avec
une douce et paisible attention, ne désirant rien connaître, ni rechercher
de délicatesses, de tendresses, ou de dévotions sensibles, ne désirant
rien faire de plus que ce qu'est la bonne volonté et le bon plaisir de
Dieu ; parce qu'autrement vous ne ferez que tourner en rond tout au long
de votre vie, et n'aurez pas avancés d'un pas vers la perfection.
Chapitre VII
Pour qu'enfin, l'âme puisse
parvenir à la paix intérieure suprême,
il est nécessaire qu'elle soit
purifiée par Dieu,
car les exercices ainsi que les
mortifications
qui l'ont tend à s'infliger
ne sont pas suffisant.
Dès que vous serez fermement résolu
à mortifier vos sens externes, afin que vous puissiez avancer en direction
de la haute montagne de la perfection et de l'union avec Dieu, Sa Majesté
Divine étendra Sa main pour vous purifier de vos mauvaises inclinaisons,
de vos désirs démesurés, de vos vaines complaisances, de votre amour
propre, de votre égo, ainsi que des autres vices cachés, que vous ne
connaissez pas, et qui pourtant, règne dans les parties intérieures
de votre âme, et entrave l'Union Divine.
Vous ne parviendrez jamais à cet
heureuse condition par les travaux ou les mortifications que vous vous
imposerez, ni par des actes de résignation. Jusqu'à ce que ce Seigneur
vous purifie intérieurement, qu'Il vous exerce selon Ses propres méthodes,
car Lui seul sachant comment purifier les âmes de leurs défauts secrets.
Si, constante est votre persévérance, Dieu vous délivrera de votre attachement
aux biens de ce monde. Il vous purifiera même de votre attachement aux
biens surnaturels, tels que : communications intérieures, ravissements,
extases, et autres grâces que nous considérons souvent comme le soutien
et la consolation de l'âme.
Telle sera l'œuvre divine en votre
âme par le moyen de la croix et sécheresses. Il vous suffit de consentir
à marcher avec une entière résignation dans cette voie déserte et ténébreuse.
Votre principal devoir est de ne pas agir par vous-mêmes, de vous soumettre
paisiblement à Dieu en toute chose votre liberté à toutes les mortifications
extérieures ou intérieures que Dieu jugera bon de vous imposer. Là est
l'unique moyen de vous préparer aux divines influences: souffrir patiemment,
avec calme et humilité, les tribulations extérieures et intérieures.
Les pénitences ou mortifications que vous vous infligerez ne vous seront
d'aucune aide.
Un cultivateur fait plus de cas
des plantes qu'il a semées que de celles qui croissent d'elles-mêmes,
car les unes et les autres ne portent pas les mêmes fruits. C'est ainsi
que Dieu estime et préfère la vertu qu'Il infuse à l'âme (celle qui
est plongée dans son propre néant, dans le calme et la tranquilité,
retiré en son propre centre, et sans aucun effort) à toutes les vertus
que l'âme prétend acquérir par ses vains efforts et ses oeuvres. [les
oeuvres de la chair, qui comptent pour rien]
Votre seule préoccupation est de
préparer votre coeur comme une feuille propre sur laquelle la Sagesse
divine imprime les caractères selon Sa volonté. Oh combien grand est
l'accomplissement pour votre âme de passer des heures entières ensemble
dans méditation, tranquille , humble, soumise, sans agir, ni connaître,
sans même essayer de comprendre quoi que ce soit !
Chapitre VIII
La Suite.
AVEC de nouveaux efforts vous vous
exercerez, différemment de vos manières habituelles, en acceptant de
recevoir les opérations divines et secrètes, et à être purifié par
le Seigneur, cela étant les seules moyens pour être propres et purifiés
de votre ignorance et de vos dérèglements. Sachez toutefois, que vous
devez être plongés dans une mer de tristesses amers, et de douleurs autant
internes qu'externes, dont les tourments transperceront jusqu'au plus profond
de votre corps et de votre âme.
Vous subirez l'épreuve d'être
abandonné par les gens du monde, même de ceux dont vous espériez le
plus de secours et qui semblaient compatir à vos détresses.; les chemins
de votre intellect seront si asséchés, que vous serez incapable de résonner;
non, pas plus que de concevoir une bonne pensée de Dieu. Les cieux vous
sembleront d'airain, et vous croierz ne pas recevoir de Lumière Le doux
souvenir des rayons célestes dont autrefois votre âme était ensoleillée
ne pourra vous consoler de l'obscurité présente.
Les ennemis invisibles vous poursuivront
avec scrupules, avec des suggestions lascives, et des pensées impures,
avec des incitatifs à l'impatience, à l'orgueil, à la colère à la
malédiction, et à blasphémer le Nom de Dieu, Ses sacrements* ainsi que
Ses mystères saints. Vous ressentirez une grande tiédeur, de la haine
et du dégout pour les choses de Dieu, votre entendement sera remplit d'obscurité
et de ténèbres, et dans le coeur un malaise, une confusion, un resserrement
; telle une froideur et une faiblesse de la volonté de résister, qu'une
paille vous semblera comme une poutre. Votre désertion sera si grande
qu'il vous semblera ne plus y avoir de Dieu pour vous, and that you are
rendered incapable of entertaining a good desire; que vous êtes devenus
incapables de bons désirs, et vous serez enfermés entre deux murailles
au milieu de peines et de tourments continuels, sans aucun espoir de ne
jamais sortir d'une si épouvantable oppression.
*Molinos a vécu au temps de l'Inquisition
qui fut responsable d'avoir torturé et tué 9 000 000 âmes entre les
années 800-1500 Apr. J.-C. L'Esprit de Dieu a enseigné Molinos à comprendre
la dépravation de plusieurs de ces soi-disant saints, (Thomas et Auguste
inclus), ou les abominations des soi-disant sacrements, Molinos aurait
été forcé de témoigner contre eux, ce qui aurait entraîné son exécution
immédiate. Molinos fût plus tard exécuté, mais après que ses enseignements
et livres se soient répandus à travers l'Europe.
Ne craignez rien . Tous ceci est
nécessaire pour la purification de votre âme, lui faire sentir sa propre
misère, et lui faire percevoir sensiblement l'annihilation de toutes ses
passions et ses appétits démesurés, les plaisirs de votre passé. Pour
qu'enfin le Seigneur puisse vous affiner et vous purifier selon Sa propre
manière par des tourments intérieurs, en jetant à la mer le raisonnement
de Jonas, renoncant à la logique du monde et amener ainsi la purification
de l'âme! Quel que soit votre mortfication et votre descipline extérieure,
elles ne produiront jamais la véritable Lumière, ni vous faire avancer
d'un seul pas vers la perfection ; de tels efforts vous feront plutot abandonner
dès le commencement, et votre âme ne progressera pas vers l'amiable repos
et la suprême paix intérieure.
Chapitre IX
L'âme ne doit pas s'inquiéter,
ni se détourner du chemin spirituel
parce qu'elle est assaillie par des tentations.
Notre propre nature est si méprisable,
fière et ambitieuse, et tellement remplie de ses propres appétits, de
ses propres jugements et de ses propres opinions, que si elle ne retenait
pas ses tentations, nous serions perdu sans aucun espoir. Le Seigneur,
alors,en voyant notre misère et nos penchants pervers, et de ce fait ému
de compassion, permet que nous soyons troublés par de violentes tentations,
des mouvements d'impatience, d'orgueil, d'intempérance, de luxure, de
colère, de murmure, de blasphème, de désespoir, dans le but de nous
faire connaître nos faiblesses et que nous puissions demeurer humble.
Par ces horribles tentations, par cet bonté infinie qui humilie notre
orgueil, nous en retirons un remède des plus salutaire.
Tout comme Ésaïe avait dit,«
Toutes nos œuvres, dit Isaïe, sont comme des draps souillés » ( Ésaïe
64:6), à travers les taches de la vanité, de la complaisance de soi,
et de l'amour propre. Il est nécessaire qu'elle soit purifié par le feu
de la tribulation, et de la tentation, afin qu'elles puissent être lavé,
pure, parfaite, et agréable aux yeux de Dieu.
Par conséquent le Seigneur purifie
les âmes qu'Il appelle, et qu'Il désire avoir pour Lui, se servant de
la tentation comme d'une lime pour enlever la rouille de l'orgueil, de
l'avarice, de la vanité, de l'ambition, de la présomption, et de l'amour-propre.
Par la même façon Il les humilie, les calme, et leur fait reconnaître
leur misère. Par ce moyen Il purifie et dépouille le coeur, afin que
toutes ses oeuvres soient purs et de valeurs inestimables.
Bien des âmes, lorsqu'elles sont
aux millieux de douloureux tourments, qu'elles sont troublées, affligées
et préoccupées; elles se sentent comme si elles avaient été condamnées
à souffrir le chatiment éternel ; et si, par malheur elles s'en remettent
entre les mains d'un confesseur inexpérimenté, au lieu de les récomforter,
il les laissera dans de grandes confusions et de grandes perplexités.
Pour que vos ne perdiez pas votre
paix intérieure, il est nécessaire que c'est la bonté de la miséricorde
Divine, qui vous humilie, vous afflige et qui vous tente. Afin que, par
ce moyen votre âme parvienne à une profonde connaissance d'elle-même,
en croyant qu'elle est la pire, la plus impie et la plus abominable de
toute les âmes vivante, et qu'ainsi avec humilité et bassesse elle s'abhorre
elle-même. Oh combien l'âme serait heureux si elle pouvait faire silence,
et que toutes ces tentations suscités par le diable, et reçu de la main
de Dieu, concourent à leurs bien et leurs avancement spirituel !
Mais vous allez dire, que ce n'est
pas le travail du diable, lorsqu'Il se sert des hommes pour vous éprouver
; mais que , lorsque vous êtes outragés et injuriés par vos prochains,
c'est à cause de leurs défauts et de leurs méchancetés . Sachez que
c'est là une autre tentation subtile et cachée, car, si Dieu réprouve
les crimes des hommes, Il se sert néanmoins des douleurs et des inquiétudes
qu'ils causent pour vous perfectionner par les avantages de la patience
et du pardon.
Lorsque vous êtes outragés par
tout homme ! il y a deux éléments en cela : le péché de celui qui le
commet, et le châtiment que vous subissez; le péché est contre la volonté
de Dieu, et cela Lui déplait, quoiqu'Il le permet ; le chatiment c'est
afin de vous aider à vous conformer à sa volonté, et Il permet les préjudices
pour votre progrès ; raison pour laquelle il convient que vous les receviez,
comme si cela venait de Lui. [Lorsque vous pouvez accepter que les tors
qui vous ont été fait, avaient été orchestrés par Lui de sorte que
vous pouvez pardonner facilement à la personne qui vous fait du mal ;
et lorsque vous pouvez leur pardonner sans colère ni ressentiment, vous
en êtes arrivé à un tournant critique dans votre voyage avec le Seigneur.]
La passion ainsi que la mort de notre Seigneur Jésus-Christ fut le résultat
des péchés et de la méchanceté de Pilate, [ainsi que des leaders religieux
d'Israël]; et cependant il est certain que Dieu voulut la mort de Son
propre Fils pour notre rédemption, [comme il orchestra le temps et le
lieu de la Pâques à Jérusalem. Et n'allons pas oublier l'exemple de
notre Seigneur, alors qu'Il souffrit l'inimaginable douleur de la croix,
a dit ; "Père pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font."]
Voilà comment le Seigneur Se sert
des fautes des autres pour le bien de votre âme. Oh grandeur de la Divine
Sagesse! qui peut sonder les profondeurs du secretet des voies extraordinaires,
les sentiers inconnus par lesquels Il guide l'âme, afin de vouloir nous
purifier, nous transformer, et nous transformer dans la perfection et la
sainteté!
Chapitre X
Suite au chapître précédent.
Pour que l'âme puisse être l'habitation
du Roi céleste, elle se doit nécessairement d'être pur, et sans aucune
tache; Raison pour laquelle le Seigneur la purifie comme l'or dans la fournaise
des terribles et douloureuses tentations. Il est certain que jamais l'âme
n'aime ni ne croit autant que lorsqu'elle se trouve affligée et tourmentée
par les tentations; parce que les doutes et les craintes qui l'environnent
afin de voir si elle croit ou pas, voir si elle consent ou pas, ne sont
rien d'autre que la particularité de son amour.
Les effets qui demeurent dans l'âme
sont très clairs ; et normalement elle produit un dédain de soi-même,
avec une connaissance plus profonde de la grandeur et de l'omnipotence
de Dieu, ainsi qu'une grande confiance dans le Seigneur qu'Il la délivrera
de tout risque et de tout danger; croyant et confessant avec une plus grande
vigeur de foi, que c'est Dieu qui lui donne la force de supporter les tourments
de ces tentations, car il serait naturellement impossible, si l'on considère
la force et la violence avec lesquelles on nous attaque parfois, de supporter
plus d'un quart d'heure.
Vous devez reconnaître alors, que
la tentation vous est d'un grand bonheur, que, plus elle vous entoure,
plus vous devrez vous en réjouir en paix; au lieu de vous en affliger,et
remercier Dieu pour la faveur, Il vous a favorisé. Pour toutes ces tentations
et ces mauvaises pensées le meilleur remède c'est de les mépriser avec
un manque d'égard continuel.
Car rien n'afflige autant le fier
démon, que lorsqu'il se voit traité sans aucune considération et avec
mépris, lui, ainsi que toutes ses autres choses qu'il nous suggère. Et
cependant vous devez vous attarder avec lui, comme ne le percevant pas,
et vous emparer de votre paix sans tracas, sans multiplier les raisonnements
et les réponses; en voyant bien que rien n'est plus dangereux que de débattre
en raisonnements avec lui qui est prêt à vous séduire.
Les saints en arrivant à la sainteté
ont dut passer par cette pénible vallée des tentations. Plus ils étaient
saints, plus les tentations auxquelles ils furent confrontés étaient
grandes, non, après que les saints eurent atteint la sainteté et la perfection,
le Seigneur leurs permit de vives tentations, afin que leur couronne soit
des plus magnifique, et que l'esprit de vaine gloire, ou autres entraves,
soit mit à l'échec, les préservant de cette manière, sûr, humble,
et concerné par leur condition.
Finalement, vous devez savoir que
la plus grande des tentations c'est de ne pas avoir de tentation. C'est
pour cela que vous devez vous réjouir lorsque vous en êtes assaillit.
Ainsi résistez avec résignation, paix et constance. Car si vous voulez
servir Dieu, et parvenir à la région sublime de la paix intérieure,
vous devez passer par le rude sentier de la tentation, revêtez cette joyeuse
armure, combattez dans cette guerre acharné et cruelle, et dans cette
fournaise ardente faites-vous, polir, purger, renouveler, et purifier.
Chapitre XI
Comment l'âme doit se comporter
dans le recueillement intérieur,
ainsi que dans la guerre spirituelle
dans laquelle le diable met tout en oeuvre afin de perturber ce moment.
Le recueillement intérieur est
foi et silence en présence de Dieu. Ainsi vous devrier prendre l'habitude
de vous recueilir dans Sa présence, avec une affectueuse attention, comme
étant totalement abandonné à Dieu, et uni à Lui avec révérence, humilité
et soumission, e considérant dans les parties les plus profondes de votre
âme, sans forme, sans idée, sans manière, sans figurer; au moyen de
la connaissance et de la vue générale d'une foi aimante et obscure, sans
chercher à concevoir ni Ses perfections ni Ses attributs.
Demeurez en cet état, conservant
cette vue simple et pleine d'amour, tournée vers Dieu. Remettez-vous entre
Ses mains, afin qu'Il dispose de vous comme Il lui plaira, sans faire de
réflexions ni sur vous-mêmes, ni sur les perfections divines. Ayant dominé
vos sens, vous étant abandonnés aux mains du Père Céleste, demeurez
dans la solitude et dans l'oubli de toutes les choses du monde. En résumé,
votre foi doit être pure, sans images, sans idées, simple et sans raisonnement,
universelle et sans aucune distinction.
La prière de recueillement intérieur
est figurée par cette lutte que, selon l'Écriture, le patriarche Jacob
mena la nuit contre Dieu, jusqu'à ce que se levât la lumière du jour
et que Dieu le bénît. L'âme doit en effet persévérer et lutter contre
les difficultés qu'elle ressent dans le recueillement intérieur, sans
faiblir, jusqu'à ce que luise la lumière de l'aurore, et que le Seigneur
accorde à cette âme sa bénédiction.
À peine vous serez-vous livrés
à ton Dieu par ce chemin intérieur, que tout l'enfer se conjurera contre
vous, parce qu'une seule âme recueillie intérieurement en présence de
Dieu livre mieux bataille aux ennemis que mille autres qui cheminent par
l'extérieur: ces ennemis connaissent la supériorité infinie d'une âme
intériorisée.
Plus que vos bonnes actions et vos
grands sentiments Dieu appréciera, si vous êtes recueilli, la paix et
la résignation de votre âme aux prises avec une foule de pensées inconvenantes,
importunes ou impudiques. Sache que l'effort même que vous ferez afin
de résister à ces pensées est un obstacle, et qu'il laissera l'âme
plus inquiète. Ce qui importe, c'est de les mépriser avec douceur, de
reconnaître votre misère et d'offrir à Dieu paisiblement la gêne ressentie.
Même si vous ne pouvez échapper
à la préoccupation de vos pensées et que vous ne sentez pas la lumière,
ni la consolation, ni le réconfort spirituel, ne vous affligez pas et
ne délaissez pas le recueillement, car il s'agit d'embûches de l'ennemi.
Résignez-vous alors avec force, souffrez avec patience et persévèrez
en présence de Dieu : tant que vous persévérerez de cette manière,
votre âme, intérieurement, en recueillera du profit.
Si tu termines ta prière dans la
même sécheresse où tu l'as commencée, tu penseras que c'est par manque
de préparation et que tu n'en tires pas de fruit. Illusion! parce que
le fruit de la véritable prière n'est pas de savourer la lumière, ni
d'avoir connaissance des choses spirituelles : celles-ci peuvent en effet
se trouver par l'entendement spéculatif, sans la vraie vertu et la perfection.
Le fruit de la véritable oraison réside seulement dans le fait de souffrir
avec patience, et de persévérer dans la foi et le silence, en croyant
qu'on est en présence du Seigneur et en tournant son cœur vers lui, avec
quiétude et pureté d'intention. Et tant que tu persévéreras de cette
manière, tu seras dans la seule condition et disposition dont tu aies
besoin en ce temps, et tu recueilleras un fruit infini.
Dans ce recueillement intérieur,
la guerre est tout à fait habituelle. D'un côté, Dieu vous privera d'agrément
sensible pour vous éprouver, vous humilier et vous purifier. D'un autre
côté, les ennemis invisibles vous agresseront avec leurs suggestions
continuelles pourvous inquiéter et vous entraver. D'un autre côté encore,
la nature elle-même, toujours ennemie de l'esprit, vous tourmentera, car
si on la prive de satisfactions sensibles, elle reste sans vigueur, mélancolique
et pleine de dégoût; de sorte qu'elle pressent l'enfer dans tous les
exercices spirituels, et spécialement dans celui de l'oraison. Aussi,
animée du désir d'en arriver à la fin de cette oraison, ressent-elle
la désolation la plus vive, à cause de l'assujettissement aux pensées,
de la fatigue du corps, du sommeil inopportun, et parce qu'elle ne peut
pas réfréner les sens, chacun de son côté voulant suivre ses goûts.
Heureux êtes-vous si vous persévérez au milieu de ce martyre!
Le grand docteur et maître mystique,
sainte Thérèse, accrédite tout cela de son enseignement inspiré, dans
une lettre qu'elle écrivit à l'évêque d'Osma pour l'instruire de la
manière de se comporter dans la prière et devant le flot des pensées
importunes dont on est alors agressé. Voici ce qu'elle dit: « Il faut
souffrir la gêne due au tumulte des pensées ou des imaginations importunes,
et aux élans des mouvements de la nature, qu'ils proviennent soit de l'âme,
à cause de sa sécheresse et de son désordre, soit du corps, parce qu'il
n'offre pas à l'esprit la soumission qu'il lui doit. »
C'est ce que les spirituels appellent
la sécheresse de l'âme; mais celle-ci est très profitable si on l'accepte
et endure avec patience. Celui qui apprendra à la supporter, à ne pas
la refuser, tirera un profit infini de cette épreuve. Il est certain que,
dans le recueillement, le démon se déchaîne bien davantage, en insufflant
des pensées pour ruiner la quiétude de l'âme et l'écarter de ce commerce
intérieur si doux et si rassurant: il lui inspire de l'horreur pour qu'elle
abandonne cet exercice, si bien que la plupart du temps elle s'y rend comme
si on la conduisait à un supplice très rigoureux.
Souvent aussi pendant le recueillement,
le tentateur vient susciter des pensées volages pour troubler le repos
de l'âme. Il tâche de lui insuffler du dégoût pour la conversation
intérieure, si douce et si tranquille, afin de lui faire abandonner cet
exercice. Il parvient parfois à réduire l'âme à un tel état qu'il
lui semble qu'on la mène alors au plus cruel supplice.
Bien informée de ces choses, la
sainte dit dans la lettre citée: « Les rapaces, je veux dire les démons,
piquent et molestent l'âme avec les imaginations, pensées importunes
et inquiétudes qu'engendre le démon à ce moment-là, emportant la pensée
et la répandant d'un côté et de l'autre. Et derrière la pensée s'en
va le cœur; et le fruit de la prière n'est pas négligeable, quand on
souffre ces tracasseries et agacements avec patience. S'offrir en holocauste
n'est pas autre chose, et l'holocauste consiste en ce que tout le sacrifice
se consume dans le feu de la tentation, sans que rien du sacrifice soit
épargné. » Vois comment cette maîtresse céleste encourage à souffrir
et supporter pensées et tentations, puisque tant qu'on n'y consent point,
le gain est double.
Autant de fois tu t'appliqueras
à rejeter avec douceur ces vaines pensées, autant de couronnes le Seigneur
déposera sur ta tête. Et si tu crois que tu ne fais rien, détrompe-toi
: un bon désir, si on demeure ferme et per-sévérant dans l' oraison,
plaît beaucoup au Seigneur.
« En effet, conclut la sainte,
le fait d'être là sans rien obtenir, n'est pas du temps perdu, mais un
temps de grand profit, parce qu'on travaille sans intérêt et pour la
seule gloire de Dieu. L'âme, certes, estime qu'elle travaille en vain,
mais il n'en est rien. Il en va d'elle plutôt comme de ces enfants qui
travaillent dans le domaine de leurs parents: si le soir ils ne reçoivent
pas de salaire, à la fin de l'année ils perçoivent tout. » Voilà donc
com-ment la sainte confirme nos leçons par son précieux enseignement.
Chapitre XII
Suite du même sujet
Ce n'est pas celui qui fait davantage,
ou qui ressent davantage, ou qui affiche davantage de sensibilité, que
Dieu aime davantage, mais celui qui souffre davantage, à la condition
qu'il adore avec foi et révérence, en croyant qu'il est en présence
de Dieu. Il est vrai qu'enlever à l'âme la prière des sens et de la
nature lui est un martyre rigoureux; mais le Seigneur se félicite et se
réjouit de la paix de cette âme, si elle est ainsi dans la quiétude
et la résignation. Ce n'est pas alors le moment de recourir à la prière
vocale, car si la prière vocale est de soi bonne et sainte, y recourir
dans ces circonstances est une tentation manifeste, par laquelle l'ennemi
cherche à ce que Dieu ne nous parle pas au cœur, sous prétexte que nous
ne ressentons rien et que nous perdons notre temps.
Dieu ne regarde pas au flux des
paroles, mais à l'intention, si elle est pure. Sa plus grande satisfaction
et sa plus grande gloire est de voir l'âme comblée de silence, de désirs,
d'humilité, de quiétude et de résignation. Chemine, persévère, prie
et garde silence, car, là où tu ne trouveras pas de douceur sensible,
tu trouveras une porte pour pénétrer dans ton néant, en sachant que
tu n'es rien, que tu ne peux rien, pas même avoir une bonne pensée.
Tous ceux qui se sont engagés dans
cet heureuse pratique de la prièreet du recueillement intérieur, et l'ont
abandonné sous prétexte, disent-ils, qu'ils n'y éprouvaient aucun goût,
qu'ils perdaient leur temps, qu'ils étaient assaillis de distractions,
que la prière n'était pas pour eux puisqu'ils n'y trouvaient aucun contact
avec Dieu, ni ne pouvaient raisonner (alors qu'ils auraient pu croire,
garder silence et prendre patience) ... oui, tous ceux-là, à dire vrai,
n'ont d'autre volonté que celle de partir, de manière ingrate, en quête
de satisfactions sensibles, en se laissant emporter par leur amour-propre',
en se recherchant eux-mêmes au lieu de rechercher Dieu, pour ne pas souffrir
la moindre peine ou sécheresse ... sans compter la perte infinie que font
ces personnes, puisque le moindre acte de déférence à l'égard de Dieu
leur assurerait, au milieu de la sécheresse, une récompense éternelle.
À la vénérable mère Françoise
Lopez de Valence, membre du tiers-ordre de saint François, le Seigneur
dit trois choses fort lumineuses sur le recueillement intérieur.
«La première est que l'âme profite
davantage d'un quart d'heure de prière avec recueillement des sens et
de ses facultés, avec résignation et humilité, que de cinq jours d'
œuvres pénitentielles avec cilices, disciplines, jeûnes et lit de planches;
car tout cela, c'est tourmenter le corps, tandis qu'avec le recueillement,
l'âme se purifie. »
La deuxième est qu'il plait davantage
à la Majesté divine que l'âme lui accorde une heure de prière paisible
et fervente, plutôt qu'elle ne parte pour de grands pèlerinages ou pieux
rassemblements. Dans la prière, en effet, elle est utile à elle-même
et à ceux pour qui elle prie : c'est un grand bonheur pour Dieu et cela
mérite un grand poids de gloire; tandis que dans un pèlerinage, l'âme
d'ordinaire se distrait, les sens s'éparpillent et la vertu s'affaiblit,
abstraction faite d'autres dangers
La troisième est que « la prière
continue» consiste à laisser toujours son cœur entre les mains de Dieu,
et que, pour être intérieure, une âme doit être conduite plutôt par
les affections de la volonté que par les efforts de l'entendement.
Tout cela se trouve dans le récit
de sa vie.
Plus l'âme trouve plaisir à un
amour sensible, moins Dieu trouve plaisir en elle; et au contraire, moins
l'âme trouve plaisir à cet amour sensible, plus Dieu trouve plaisir en
elle. Et elle sait que fixer en Dieu sa volonté, en écartant pensées
mauvaises et tentations, avec la plus grande quiétude possible, est une
haute forme de prière.
Je conclurai ce chapitre en te détournant
de l'erreur commune de ceux qui disent que, dans ce recueillement intérieur
ou prière de quiétude, les facultés n'œuvrent pas, et que l'âme est
oisive, sans aucune activité: c'est un leurre manifeste de la part de
ceux qui ont peu d'expérience. En effet, la mémoire, certes, n'entre
pas en œuvre ; ni le jugement, qui est la deuxième opération de l'entendement;
non plus que le raisonnement, qui en est la troisième. Mais la première
et principale opération de l'entendement illuminé par notre sainte foi
et aidé par les dons divins de l'Esprit-Saint se fait par simple appréhension.
Et la volonté prête plus d'attention pour continuer un seul acte que
pour multiplier des actes, bien que l'acte de l'entendement et l'acte de
la volonté soient si simples, imperceptibles et spirituels que l'âme
les connaît à peine : encore moins en donne-t-elle un reflet ou les prend-elle
en considération
Chapitre XIII
Ce que l'âme doit faire dans
le recueillement intérieur
Vous devez aller en prière pour
vous livrer complètement entre les mains de Dieu avec une parfaite résignation,
en faisant un acte de foi, en croyant que vous êtes en sa divine présence,
en demeurant ensuite en cette sainte oisiveté, avec quiétude, dans le
silence et le calme, en essayant de prolonger par la foi et l'amour, durant
toute la journée, toute l'année et toute votre vie, ce premier acte de
méditation.
Vous ne devez pas tendre à multiplier
ces actes de foi, ni à entretenir des affections sensibles, parce que
tout cela empêche la pureté de l'acte spirituel et parfait de la volonté.
En effet, d'abord, ces sentiments délectables sont imparfaits, à cause
de la réflexion par laquelle ils se forment, et à cause de la satisfaction
personnelle et de la consolation intérieure pour lesquelles on les recherche,
pendant que l'âme se répand au-dehors par ses puissances externes. En
outre, il n'y a pas nécessité à renouveler ces actes, comme le dit fort
bien le mystique Falconi 1 dans la comparaison suivante :
« Si un jour vous présentez à
un ami un riche joyaux et que vous lui en fassiez hommage, il n'est pas
nécessaire de lui rappeler votre geste en lui disant tous les jours: "Ami,
je t'ai donné ce joyau; ami, ce joyau, je te l'ai donné." Il faut plutôt
le lui laisser et ne pas vouloir le lui enlever, parce que tant qu'on ne
le lui enlèvera pas ou qu'on ne voudra pas le lui enlever, il le considérera
toujours comme sien. »
De la même manière, une fois prononcés
l'abandon et la résignation amoureuse à la volonté du Seigneur, il n'est
que de vous y maintenir, sans les réitérer formellement par de nouveaux
actes, tant que vous ne ravissez pas à Dieu le joyau de votre abandon
par quelque action grave contre sa volonté. Et cela, même si au-dehors
vous vous adonnez aux œuvres extérieures de votre vocation et de votre
état, car, en vous y adonnant, vous faites la volonté de Dieu et vous
demeurez virtuellement en prière continue. Il prie toujours, dit Théophilacte',
celui qui accomplit de bonnes oeuvres, et il ne cesse de prier que lorsqu'il
cesse d'être juste.
Vous devez donc mépriser toutes
ces choses sensibles pour que votre âme s'établisse dans le recueillement
dont elle aura acquis l'habitude intérieure. Cette habitude est tellement
efficace que la seule résolution d'entrer en prière éveille un vif sentiment
de la présence de Dieu. Cela constitue une préparation à la prière
qui suivra ou, pour mieux dire, ce n'est qu'un prolongement plus efficace
de cette oraison continue dans laquelle doit s'établir le contemplatif.
Comme elle a bien pratiqué cette
leçon, la vénérable mère de Chantal, fille spirituelle de saint François
de Sales et fondatrice en France de l'ordre de la Visitation! Dans sa Vie,
on trouve les paroles suivantes qu'elle adressait à son saint directeur:
« Très cher Père, je ne saurais faire aucun acte; il me semble que cette
disposition est toujours plus ferme et assurée. Mon esprit, dans sa partie
supérieure, se trouve dans une unité très simple; il ne s'unit pas,
parce que, s'il veut faire des actes d'union (ce qu'il essaie souvent),
il ressent de la difficulté et il reconnaît clairement qu'il ne peut
pas s'unir, mais être uni. L'âme voudrait se servir de cette union pour
l'exercice du matin, celui de la sainte messe, de la préparation à la
communion et de l'action de grâces; et finalement elle voudrait, pour
toutes choses, être toujours dans cette très simple unité d'esprit,
sans regarder à autre chose! ». À tout cela son saint directeur répond
en donnant son approbation et en l'incitant à continuer, lui rappelant
que le repos de Dieu est dans la paix.
Dans une autre circonstance, elle
adressait au même saint les mots suivants : « Alors que je m'incitais
à produire des actes particuliers pour protester de ma vue simple de Dieu,
de ma totale résignation et de mon anéantissement en Dieu, l'infinie
bonté divine me reprit et me fit comprendre que ces choses procédaient
de mon amour-propre et qu'ainsi je portais préjudice à mon âme » (extrait
de sa Vie).
Grâce à cela, tu seras éclairé
et tu connaîtras quelle est la manière parfaite et spirituelle de prier;
et tu seras averti de ce que tu dois faire dans le recueillement intérieur;
et tu sauras qu'il importe, pour que ton amour soit parfait et pur, de
réduire le nombre des actes sensibles et fervents, l'âme demeurant en
quiétude et repos dans ce silence intérieur. Car la tendresse, la douceur
et les sentiments délectables qu'éprouve l'âme dans sa volonté ne sont
pas purement spirituels; tout cela est mêlé aux réalités sensibles
de la nature. Et n'est pas amour parfait mais plaisir sensible l'acte qui
trouble et blesse l'âme, selon ce qu'a dit le Seigneur à la vénérable
mère de Chantal.
Supposons que ton âme entre à
l'intérieur d'elle-même et se mette en son néant, là, en son centre
et sa partie supérieure, sans savoir ce qu'elle fait, sans savoir si elle
est recueillie ou non, si cela lui convient ou non, si elle agit ou n'agit
pas, sans regarder ni porter soin ou attention aux choses sensibles, alors,
comme elle sera heureuse! et quelle saine occupation pour elle! C'est ainsi
que l'entendement croît par un acte pur, et que la volonté aime d'un
amour parfait, sans obstacle quelconque, imitant cet acte pur et continu
de méditation et d'amour qui est, disent les saints, celui des bienheureux
dans le Ciel, avec la seule différence que les bienheureux voient Dieu
face à face, tandis que l'âme ici-bas a devant elle le voile obscur de
la foi.
Oh! que peu nombreuses sont les
âmes qui arrivent à cette manière parfaite de prier, parce qu'elles
ne pénètrent pas assez dans ce recueillement intérieur et ce silence
mystique, et qu'elles ne se dépouillent pas de la réflexion imparfaite
et des satisfactions sensibles! Oh! Si seulement ton âme se lançait sans
précautions excessives, fût-ce d'elle même, dans cette tranquilité
sainte et spirituelle, et si elle disait comme saint Augustin : « Sileat
anima mea et transeat se, non se cogitando » (Confessions, livre IX, chap.
x)! « Que mon âme fasse silence et ne veuille rien faire ni penser à
rien », qu'elle s'oublie soi-même et s'immerge dans cette foi obscure,
et alors comme elle sera sécure et sauve, même s'il lui semble être
inactive et ne faisant rien, ou perdu. Pour couronner ces exhortations,
voici la lettre qu'adressait l'illustre mère de Chantal à une vraie servante
de Dieu: « La bonté divine, dit la mère inspirée, m'a gratifiée de
cette manière de prier, dans laquelle, grâce à une vue simple sur Dieu,
je me sentais toute plongée, absorbée et pacifiée en lui. Cette grâce
continua toujours pour moi, bien que je m'y fusse opposée par mon infidélité
et fisse naître en moi la crainte, croyant être inutile en cet état.
Comme je voulais pour cette raison faire quelque chose de mon propre chef,
je gâchais tout ; et même présentement, je me sens parfois envahie de
la même crainte, non pas cependant dans la prière, mais dans les autres
exercices où je veux toujours agir quelque peu, en accomplissant des actes,
quoique je sache fort bien qu'en les accomplissant je perds ma quiétude,
et quoique je discerne nettement que cette vue simple sur Dieu est aussi
mon unique remède et recours en toutes les épreuves, tentations et événements
de cette vie.
Et certainement, si je voulais suivre
mon impulsion intérieure, je n'userais pas d'autre moyen en toutes circonstances,
sans exception aucune car, lorsque je pense fortifier mon âme par les
arts, les raisonnements et renoncements, alors je m'expose à de nouvelles
tentations et épreuves. De plus, je ne peux le faire sans m'imposer une
grande violence, laquelle me laisse épuisée et désséché. Ainsi m'est-il
nécessaire de revenir rapidement à la simple résignation, sachant que
Dieu me fait voir par là qu'il veut rendre impossibles les opérations
de mon âme, parce qu'il veut, dans sa divine activité, tout faire lui-même.
Et par bonheur il ne veut de moi autre chose que cette vue simple, soit
dans tous les exercices spirituels, soit dans toutes les peines, tentations
et afflictions qui me peuvent échoir en cette vie. Et la vérité est
que, plus grande est la quiétude où je tiens mon esprit par ce moyen,
mieux me réussit toute chose, et plus tôt s'évanouissent toutes mes
affections. Mon bienheureux père saint François de Sales, lui aussi,
me l'a souvent assuré.
Notre défunte mère supérieure
(la mère Marie de Castel) m'incitait à demeurer ferme dans cette voie
et à ne rien craindre dans cette vue simple de Dieu. Elle me disait que
cela suffisait; et que plus complets sont le dépouillement et la quiétude
en Dieu, plus grandes sont la douceur et la force que reçoit l'âme: et
celle-ci doit essayer d'être si pure, si simple, qu'elle n'ait d'autre
appui qu'en Dieu seul.
À ce propos, il me vient à l'esprit
qu'il y a quelques jours, Dieu m'a communiqué une illumination qui me
fit une telle impression sur moi comme si je l'avais vue de mes yeux. Et
cette lumière est que je ne dois jamais me regarder moi-même, mais cheminer
les yeux fermés, appuyée sur mon bien-aimé, sans chercher ni à voir,
ni à connaître le chemin par lequel il me guide, sans penser à rien,
ni même lui demander des grâces, mais en étant tout simplement tout
abandonnée et pacifiée en lui »
Chapitre XIV
Où l'on explique comment l'âme,
s'étant plaçée en présence de Dieu avec une parfaite résignation,
par un pur acte de sa foi, progresse toujours dans la méditation virtuelle
et acquise
Vous me direz, comme m'ont dit beaucoup
d'âmes, qu'une fois réalisé avec une parfaite résignation l'abandon
de vous-même, en présence de Dieu, vous n'avez ni mérite, ni profit,
parce que votre pensée, dans le temps de l'oraison, se distrait de telle
manière qu'elle ne peut rester en Dieu. Ne vous désolez pas, car vous
ne perdez ni votre temps, ni votre mérite; et vous n'avez de cesse non
plus d'être en oraison, puisqu'il n'est pas nécessaire que pendant tout
ce temps vous pensiez formellement à Dieu. Il suffit de lui avoir prêté
attention au début, tant que vous ne vous divertissez pas délibérément,
ni ne rétractez l'intention formelle que vous avez eue. Il en va de même
de celui qui entend la messe ou prononce l'office divin: il s'acquitte
fort bien de son obligation en vertu de cette première intention formelle,
même si ensuite il ne persévère pas à tenir sa pensée formellement
fixée en Dieu. C'est ce que nous assure le Docteur Angélique, saint Thomas,
dans les termes suivants : « Seule cette première intention et première
pensée en Dieu, qu'a eue en commençant celui qui prie, a force et valeur
pour que, tout le reste du temps, ce soit une véritable prière salutaire
et méritoire, même si, pendant tout le temps que dure encore l'oraison,
il n'y a pas contact formel avec Dieu» (22 qusest, 82 are. 13 ad. 1).
Le saint peut-il parler plus clairement à notre adresse?
Ainsi donc la prière dure toujours,
dit saint Thomas, même si l'imagination vagabonde sur une foule de pensées,
à la condition que celui qui prie n'y consente pas, ni n'abandonne le
lieu de prière ou la prière même, ni ne change sa première intention
d'être avec Dieu. Et il est certain qu'il ne la change pas tant qu'il
n'abandonne pas le lieu; d'où l'on déduit en bonne logique qu'il persévère
dans la prière, même si son imagination s'envole sur des pensées diverses
et involontaires. « Il prie en esprit et en vérité, dit le saint au
lieu cité, celui qui va à l'oraison avec l'esprit et l'intention de prier,
même si ensuite, en raison de sa faiblesse et de sa misère, sa pensée
vagabonde. »
Mais, me me direz-vous, ne dois-je
pas pour le moins, à ce moment-là, me rappeler que je suis devant Dieu,
et lui dire à plusieurs reprises : « Seigneur, Tu es en moi et je voudrais
me donner entièrement à Toi » ? Je réponds que ce n'est pas nécessaire,
parce que vous avez la volonté de prier et c'est à cette fin que vous
êtes venu là où vous êtes. La foi et l'intention vous est suffisant,
et celles-ci persévèrent toujours; et plus ton souvenir de la présence
divine est simple, dénué de paroles et de pensées, plus il est pur,
spirituel, intérieur et digne de Dieu.
Ne serait-il pas impertinent et
irrespectueux si, étant en présence du Roi, vous Lui disiez de temps
à autre: « Seigneur, je crois que votre Majesté est ici présente»?
Eh bien, c'est cela même qui arriverait. Par le simple regard de la foi,
l'âme voit Dieu, croit en lui et est en sa présence; et donc, quand l'âme
croit, elle a besoin non pas de dire : « Mon Dieu, vous êtes ici »,
mais de croire comme elle croit. Dès qu'arrive en effet le temps de la
prière, la foi et l'intention la guident et la portent à contempler Dieu
par le moyen de la simple foi et de la résignation parfaite
Ainsi , tant que vous ne rétractez
pas cette foi, que vous n'avez pas l'intention de vous résigner, vous
demeurez toujours dans la foi et la résignation, et par conséquent vous
demeurez dans la prière et dans la méditation virtuelle et acquise, même
si vous ne le ressentez pas, ni ne le rappellez à votre mémoire en y
réfléchissant de nouveau. Le chrétien, la personne mariée, le religieux,
même s'ils n'accomplissent pas d'actes nouveaux, ni ne se remettent en
mémoire soit leur baptême en disant: Je suis chrétien », soit
leur mariage en disant: « Je suis marié », soit leurs vœux en disant:
« Je suis religieux », non, ceux-là ne cessent pas pour autant d'être
l'un baptisé, l'autre marié, et le troisième profès. Ils seront seulement
obligés, le chrétien d'accomplir de bonnes œuvres en témoignage de
sa foi et de croire plus en vérité qu'en paroles, la personne mariée
de donner des marques de la fidélité qu'elle a promise à son époux,
et le moine de donner des marques de l'obéissance qu'il a vouée à son
supérieur.
De même que , l'âme intérieure,
une fois résolue à croire que Dieu est en elle, résolue à se résigner,
à ne rien vouloir d'autre que d'œuvrer pour Dieu et en présence de Dieu,
doit se contenter de cette foi et de cette intuition qui sont les siennes,
en toutes ses œuvres et tous ses exercices, sans exprimer ou réitérer
des actes de foi et de résignation.
Chapitre XV
Suite du même sujet
Cettte véritable doctrine est utile
non seulement pour le temps de prière, mais aussi pour celui d'après
la prière ; elle sert la nuit, le jour, et à toute heure, et dans toutes
tes fonctions quotidiens exigés par ta vocation, tes obligations et ton
état. Si tu me dis que souventefois, pendant la journée, tu oublies de
raviver ta résignation, je répondrai que, même si tu crois t'en éloigner
quand tu vaques aux occupations de ton état (comme l'étude, la lecture,
la prédication, le manger, le boire, les affaires ou autre chose du genre),
tu fait erreur, car, tu ne t'en éloignes pas pour autant, ni ne cesses
de faire la volonté de Dieu ou de pratiquer prière virtuelle, comme dit
saint Thomas.
En effet, aucune de ces occupations
ne va contre la volonté divine ni contre ta résignation, car il est certain
que Dieu veut que tu manges, que tu étudies, que tu travailles, que tu
fasses des affaires, etc., et donc, en vaquant à ces exercices-là, qui
sont conformes à sa volonté et son bon plaisir, tu ne t'éloignes ni
de sa présence, ni de ta résignation.
Mais si, durant la prière ou en
dehors de la prière, tu te divertissais et distrayais volontairement,
en te laissant emporter délibérément par quelque passion, alors il serait
bon pour toi de te tourner vers Dieu et sa divine présence, en réitérant
un pur acte de foi et de résignation. Cependant, il n'y aura pas nécessité
d'agir ainsi quand tu connaîtras la sécheresse, parce que la sécheresse
est bonne et sainte, et elle ne peut, si rigoureuse soit-elle, enlever
à l'âme la divine présence qui est établie sur la foi. Tu ne dois jamais
appeler sécheresse la distraction, parce qu'elle est chez les débutants
un défaut de la sensibilité, et chez les âmes avancées elle est une
abstraction; et par son intermédiaire, si tu la supportes avec constance
et que tu restes paisible en ton néant, ton âme s'intériorisera et le
Seigneur en elle opérera des merveilles.
Essaie donc, à partir du moment
où tu sors de la méditation et jusqu'à ce que tu y reviennes, de ne
pas te distraire ni te divertir, mais d'être totalement résigné à la
volonté de Dieu, pour que Dieu fasse et défasse, en toi-même et en tout
ce qui te concerne, ce quIl voudra selon son bon plaisir : tu t'en remettras
à lui comme à un père affectueux. Ne te détourne jamais de cette intention;
et même si tu es pris par les obligations de ton état, là où Dieu t'a
placé, tu seras toujours en prière, en la présence de Dieu, et dans
une résignation permanente. C'est pourquoi saint Jean Chrysostome a dit:
« Le juste ne cesse pas de prier, à moins qu'il ne cesse d'être juste;
il prie toujours, celui qui agit bien; et le bon désir c'est la prière;
et si le désir est continuel, continuelle aussi est la prière » (Super
1 Ad Thessalon. 5).
Tu comprendras tout cela par cet
exemple tout simple : lorsqu'une personne se met en route pour aller à
Rome, tous les pas qu'elle fait sur le chemin sont bien voulus; cependant
il n'est pas nécessaire qu'à chaque pas elle manifeste son intention,
ni qu'elle produise un nouvel acte de la volonté en disant: « Je veux
aller à Rome; je vais à Rome. » Car, en vertu de sa première intention
qu'elle avait le jour de son départ, la volonté d'aller à Rome se prolonge
toujours en elle; de sorte qu'elle chemine sans le dire, bien qu'elle ne
chemine pas sans le vouloir. Et même tu comprendras clairement que ce
pèlerin, par un seul geste de sa volonté - un seul vouloir - chemine,
parle, entend, voit, réfléchit, mange et procède à diverses autres
opérations, sans que celles-ci brisent sa volonté première ou suspendent
sa marche actuelle vers Rome.
Il en est de même pour l'âme méditative
: une fois qu'elle a exprimée sa détermination à faire la volonté de
Dieu et à vivre en sa présence, cette âme se maintient en permanence
dans la même détermination tant qu'elle ne recule pas, même si elle
est occupée à écouter, parler, manger ou à quelque autre œuvre bonne
ou exercice extérieur propre à sa vocation et son état. Saint Thomas
d'Aquin a dit tout cela en peu de mots.» Non enim oportet quod qui propter
Deum aliquod iter arripuit, in quolibet parte itineris de Deo cogitet actu.
Tu diras que tous les chrétiens
s'en tiennent à cela, parce que tous ont la foi et peuvent, bien qu'ils
ne soient pas tous intérieurs, se conformer à cet enseignement, en particulier
ceux qui cheminent par le chemin extérieur de la méditation et du raisonnement.
Il est vrai que tous les chrétiens ont la foi, et spécialement ceux qui
méditent et réfléchissent. Mais la foi de ceux qui cheminent par la
voie intérieure est très différente, parce qu'elle est foi pure, universelle
et indistincte, et par conséquent plus pratique, plus vive, efficace et
éclairée. L'Esprit-Saint, en effet, illumine davantage l'âme mieux disposée;
et celle dont l'entendement est recueilli est toujours mieux disposée,
parce que c'est à la mesure du recueillement que l'Esprit illumine. Certes,
dans la méditation, Dieu communique quelque lumière. Mais c'est une lumière
différente de celle qu'il communique à l'entendement recueilli au préalable
dans une foi pure et universelle : elle en est aussi différente que deux
ou trois gouttes d'eau le sont de l'eau de la mer. En effet, dans la méditation,
une, deux ou trois vérités particulières sont communiquées à l'âme,
mais, dans le recueillement intérieur et dans l'exercice d'une foi pure
et universelle, c'est une mer d'abondance - la sagesse de Dieu - qui lui
est communiquée par cette connaissance obscure, simple, générale et
universelle.
La résignation est également plus
parfaite dans les âmes recueillies, parce qu'elle naît de la force intérieure
et infuse, laquelle croît au fur et à mesure que continue l'exercice
intérieur de la foi pure, dans le silence et la résignation. C'est de
cette même manière que croissent les dons de l'Esprit divin chez les
âmes méditatives, car, ces dons divins ont beau se trouver aussi chez
tous ceux qui sont en état de grâce, ils y sont comme morts et sans force,
et ils présentent une différence presque infinie, quant à leur éclat,
leur vivacité et leur efficacité, avec ceux qui règnent chez les méditatifs.
Ainsi tu comprendras que l'âme intérieure qui a l'habitude d'aller en
prière chaque jour, à des heures déterminées, avec la foi et la résignation
que je t'ai dites, est continuellement en la présence de Dieu. Cet enseignement
important et véridique est donné par tous les saints, tous les maîtres
expérimentés et les mystiques, parce que tous ont eu un même Maître,
qui est le Saint-Esprit.
Chapitre XVI
Comment on peut entrer dans le recueillement
intérieur par la très sainte humanité du Christ Notre-Seigneur
Les maîtres spirituels forment
deux catégories qui sont radicalement opposées. Les uns disent effectivement
qu'il faut toujours considérer les mystères de la passion du Christ et
méditer là dessus. Les autres, donnant à l'extrême opposé, enseignent
que la méditation des mystères de la vie, de la passion et de la mort
du Sauveur n'est pas la prière, non plus leur commémoration ; mais l'exaltation
élevé en Dieu, la Divinité contemplée par l'âme dans la quiétude
et le silence devrait s'appeler la prière.
Il est certain que le Christ Notre-Seigneur
est le guide, le chemin, selon ce que lui-même a dit de ses lèvres :
« Je suis le chemin la vérité et la vie » (Jn 14). Et avant que l'âme
soit en mesure de paraître en présence de la divinité, et pour s'unir
à Celle-ci, elle doit se laver avec le précieux sang du Rédempteur et
doit se parer des riches robes de Sa passion.
Par Son enseignement et Son exemple,
Jésus-Christ Notre-Seigneur est la lumière, le miroir, le guide de l'âme,
le chemin et l'unique porte pour entrer dans les pâturages de la vie éternelle
et du vaste océan de la Divinité. De là, il découle qu'on ne doit pas
effacer complètement le souvenir de la passion et de la mort du Sauveur.
Et il est également certain que, quelle que soit l'élévation de l'esprit
à laquelle on parvienne, l'âme ne doit pas se détacher complètement
de la très sainte humanité de Jésus-Christ. Mais de là il ne découle
pas que l'âme, formée au recueillement intérieur et devenue incapable
de raisonner, doive toujours être en train de songer et de « considérer»
(comme disent les autres maîtres spirituels) les très saints mystères
du Sauveur. Il est bon et saint de contempler; et plût à Dieu que tout
le monde s'y exerçât! En outre, si une âme se recueille avec facilité,
raisonne et considère », on doit la laisser en cet état et ne pas la
faire accéder à un état supérieur, tant qu'elle trouve dans la méditation
nourriture et profit.
Il revient à Dieu seul - non au
directeur spirituel- de faire passer l'âme de la méditation à la contemplation,
parce que si le Seigneur ne l'appelle pas par une grâce spéciale à cet
état de prière, le directeur spirituel, avec toute sa sagesse et ses
conseils, n'y fera rien
Pour choisir une façon sécure
pour fuir ces deux extrêmes qui sont tellement opposés - car on ne doit
ni effacer ou écarter complètement l'humanité du Christ, ni l'avoir
continuellement devant les yeux - nous devons donc supposer qu'il y ait
deux manières de prêter attention à cette humanité pour entrer par
la divine porte qui est le Christ, notre bien. La première serait de considérer
les mystères et de contempler les actions de la vie du Sauveur, de sa
passion et de sa mort. La seconde, de penser à lui par l'application de
l'entendement, par la foi pure ou par l'intermédiaire de la mémoire.
Quand l'âme se perfectionne et
entre en elle-même par le recueillement interne, après avoir médité
sur les Mystères auxquels elle a déjà été informée, elle conserve
une foi et un amour tels pour la Parole Incarné, qu'elle est pleine d'obéissance
aux préceptes divins, même si elle n'a pas ces mystères toujours présents
devant les yeux. C'est comme si l'on disait à un fils qu'il ne doit jamais
abandonner son père : on ne voudrait pas pour autant l'obliger à avoir
toujours les yeux fixés sur lui, mais à garder toujours son souvenir,
pour s'acquitter en temps opportun de ses devoirs à son égard.
Par conséquent, l'âme qui, de
l'avis du directeur expérimenté, est entrée dans le recueillement intérieur,
n'a pas besoin d'entrer par la première porte de la méditation des mystères,
étant donné qu'elle est continuellement en méditation: elle ne pourrait
le faire sans une grande fatigue de l'entendement; et elle n'a pas besoin
de ces méditations qui ne sont qu'un moyen pour arriver à croire ce que
déjà elle a saisi.
La seconde manière d'entrer dans
le recueillement intérieur au moyen de l'humanité de Jésus-Christ est
plus noble, plus spirituelle, destinée aux âmes plus avancées. Elle
consiste à regarder l'humanité et la Passion du Christ par un acte simple
de foi ; en L'aimant, en se pénétrant de la pensée qu'Il est le tabernacle
de la Divinité, qu'Il est le principe et la fin de notre salut, qu'Il
est né, qu'Il a souffert une mort ignominieuse pour l'amour de nous. [Penser
seulement à Son Nom ,ou penser à Christ à l'intérieur de nous est suffisant
, pour soit rappeler Sa mort, Sa résurrection, la croix, l'espoir,ses
enseignements, ses priorités, etc.]
Ceci est la méthode qui fait progresser
les âmes intérieures, sans que le souvenir saint, pieux, rapide ou instantané
de l'humanité du Christ puisse faire obstacle lors du recueillement. Sauf
si, à l'heure d'entrer en prière, l'âme se trouvait à reculer: il serait
mieux alors d'entretenir le recueillement et l'exercice mentale. Mais,
si tel n'est pas le cas, l'âme la plus élevée et la plus noble, la plus
détachée et la mieux transformée n'est pas gênée par le simple et
rapide souvenir de l'humanité de la Parole Divine.
C'est aussi la méthode que recommande
sainte Thérèse pour les méditatifs, et qui rejette les avis tapageurs
de certains scolastiques. Tel est donc le chemin droit, sûr et sans péril,
celui qu'a enseigné le Seigneur à beaucoup d'âmes, pour qu'elles accèdent
au repos et à la sainte tranquilité de la méditation
Que l'âme, qui entre dans la voie
du recueillement, se tienne elle-même à la porte de la Miséricorde divine,
en se rappelant avec amour et douceur la Croix et la Passion de la Parole
faite chair, mort pour nous. Qu'elle demeure ainsi, humblement résignée
à faire la volonté de Dieu , dans tous ce qu'il plaît à Sa Majesté
Divine. Si de ce saint et doux souvenir, elle tombe aussitôt dans l'oubli
de ces pensées, qu'elle ne s'efforce pas de les renouveler, mais qu'elle
se tienne en toute quiétude dans le silence en présence du Seigneur.
Saint Paul appuit merveilleusement
ces considérations dans la lettre qu'il écrivit aux Colossiens, lettre
où il les exhorte (eux et nous-mêmes) : «Et quoi que vous fassiez, en
parole ou en oeuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant
par lui des actions de grâces à Dieu le Père» (Col 3, 17). Dieu veuille
que nous commencions tous par Jésus-Christ, et que seulement en lui et
par lui seulement nous puissions arriver à la perfection.
Chapitre XVII
Du silence intérieur et mystique
Il y a trois sortes de silence:
le premier est de paroles, le deuxième de désirs, et le troisième de
pensées. Le premier est parfait, le deuxième l'est davantage, et le troisième
est le plus parfait. Dans le premier, le silence de paroles, on acquiert
la vertu; par le deuxième, le silence des désirs, on obtient la quiétude;
par le troisième, on gagne le recueillement intérieur. En ne parlant
pas, en ne désirant pas et en ne pensant pas, on arrive au véritable
et parfait silence mystique, dans lequel Dieu parle à l'âme, se communique
Lui-même à elle, et dans l'abyss de Ses enseignements les plus profonds,
la sagesse la plus parfaite et la plus exaltante.
À cette solitude intérieure et
ce silence mystique Dieu appelle l'âme, et il la conduit, quand il lui
dit qu'il veut lui parler seul à seule, au plus secret et intime de son
cœur. Il te faut entrer dans ce silence mystique, si tu veux entendre
la suave et Divine voix intérieure. Il ne te suffit pas de fuir le monde
pour atteindre ce trésor, ni de renoncer à ses vanités et te déprendre
de toutes les créatures, tu dois encore te détacher de toute vanité
et de toute pensée. Repose en ce silence mystique, et la porte te sera
ouverte pour que Dieu se communique à toi, qu'il t'unisse à lui et te
transforme.
La perfection de l'âme ne consiste
pas à parler beaucoup à Dieu, ni à penser beaucoup à lui, mais à l'aimer
beaucoup. On atteint cet amour par la voie de la résignation parfaite
et du silence intérieur. L'amour de Dieu est tout entier en actes, peu
en paroles. C'est ce que saint Jean l'évangéliste confirme quand il recommande:«
Mes enfants, n'aimons pas par nos paroles et notre langue, aimons par nos
actes et en vérité. (1 Jean 3:18) »
Tu comprendras désormais que l'amour
parfait n'est pas dans les élans de dévotion, ni dans les tendres prières
jaculatoires, ni même dans ces actes intérieurs par lesquels tu dis à
Dieu que tu as pour lui un amour infini et que tu l'aimes plus que toi-même.
Il se pourrait en effet que par là tu te cherches, toi et ton amour, plus
que l'amour vrai et celui de Dieu : Ce sont les œuvres, et non les réflexions,
qui témoignent de l'amour. Pour qu'une créature raisonnable comprenne
tes désirs, tes intentions et ce que tu as de caché dans le cœur, il
est nécessaire que tu le lui dises avec des mots. Mais Dieu, qui pénètre
les cœurs, n'a pas besoin de tes affirmations et de tes protestations;
il ne se paie pas, comme dit l'Évangile, d'amour en paroles et de bouche,
mais d'amour véritable et en actes. A quoi bon lui dire avec grande insistance
et ferveur que tu l'aimes avec ten-dresse et plus que tout, si, devant
une parole blessante ou un léger outrage, tu ne te résignes pas et n'acceptes
pas cette mortification par amour pour lui? Preuve manifeste que ton amour
était en paroles, non en vérité.
Efforce-toi d'être résigner en toute chose dans le silence, car c'est de cette manière, sans dire que tu aimes Dieu, que tu atteindras l'amour parfait, le plus paisible, le plus efficace et le plus vrai. Saint Pierre déclara au Seigneur avec une vive affection que pour son amour il eût offert volontiers sa vie; et aux termes d'une jeune demoiselle, il renia son maître, et sa ferveur disparut (Mt 26). Madeleine ne dit pas un mot, et le Seigneur lui-même, touché de son amour parfait, se fit son chroniqueur, en disant qu'elle avait beaucoup aimé. C'est au dedans de toi dans le silence, que s'exercent les plus parfaites vertus de foi, d'espérance et de charité, sans qu'il y ait nécessité d'aller à Dieu en lui disant que tu l'aimes, que tu espères et que tu crois en lui, parce que ce Seigneur sait mieux que toi ce que tu fais intérieurement. Le profond et grand mystique que fut le vénérable Grégoire Lôpez a fort bien compris et pratiqué ce pur acte d'amour, lui dont la vie fut tout entière un acte de méditation et d'amour de Dieu, acte si pur et si spirituel que jamais il ne fit place aux émotions et aux mouvements de sa sensibilité. Après qu'il eut pratiqué pendant un laps de trois ans ce court énoncé: « Que ta volonté soit faite dans le temps et l'éternité », la répétant autant de fois qu'il respirait, Dieu lui montra le trésor infini de l'acte pur et continu de foi et d'amour, dans le silence et la résignation. Il en vint à dire lui-même que durant les trente-six années qu'il vécut ensuite, il continua toujours en son for intérieur cet acte pur d'amour, sans jamais pousser un soupir ni un seul énoncé, ni rien qui. fût sensible ou relevât de la nature. 0 séraphin incarné! 0 homme de Dieu! Comme tu as bien su pénétrer ce silence intérieur et mystique, et distinguer l'homme intérieur de l'homme extérieur!
Livre 2
Du père spirituel,
de l'obéissance qu'on lui doit,
du zèle indiscret,
de la pénitence intérieure et
extérieure
CHAPITRE 1
Que le meilleur moyen de vaincre
les embûches de l'ennemi est de s'assujettir à un Père spirituel.
1.Il faut sur tout choisir un Directeur
expert dans la voie intérieure. Dieu ne voulant pas faire pour tous ce
qu'il fit en faveur de Sainte Catherine de Sienne, qu'il prit par la main,
pour la mener immédiatement dans le chemin Mystique. Si dans les voies
de la Nature on a besoin de guide, que sera-ce dans celles de la Grâce
? Si dans les sciences extérieures & sensibles, on ne peut se passer
de Maître, comment s'en passerait-on dans l'intérieure & la secrète?
S'il faut des Docteurs, pour apprendre la Théologie Morale , la Scolastique
& la positive, qui peuvent être expliquées clairement, comment n'en
faudrait-il pas pour la mystique qui est obscure et cachée ? Si l'on a
besoin d'instructions, pour se conduire avec les hommes, comment n'en faudrait-il
point pour converser avec Dieu.
2. Un directeur n'est pas moins
nécessaire, pour éviter les embûches de Satan. Saint Augustin rapporte
plusieurs raisons pour lesquelles Dieu a donné à son Eglise des Docteurs
et des Maîtres, qui sont des hommes de la même nature que nous. La principale
est pour nous garantir des embûches de l'ennemi ; étant sûr que s'il
nous eut abadonné à nos lumières et à nos mouvements naturels, nous
aurions bronché à chaque pas, et nous nous serions précipités dans
les abîmes, comme il arrive aux Hérétiques et aux superbes. S'il nous
eut donné des Anges pour Maîtres, les Démons, qui se transforment en
Anges de lumière auraient pu nous faire illusion. Il était donc concevable
qu'il nous donnât des hommes comme nous, comme guides et comme conseillers.
Si ce guide est expert, il connaîtra d'abord les subtilités et les finesses
du Diable ; qui s'évanouissent presqu'aussitôt qu'elles sont connues,
à cause de leur peu de solidité.
3. On doit regarder un père spirituel
comme un don de la Main de Dieu. C'est pourquoi avant de le choisir, il
faut bien y penser et le demander au Ciel par la prière : mais ce choix
étant fait, il ne faut point point le changer, sans des raisons bien précises
, telles que seraient celles de son ignorance dans les chemins et les états
par lesquels Dieu veut conduire l'âme , personne ne pouvant enseigner
ce qu'il ne sait pas.
4. S'il ne comprend pas les choses
qui regardent l'esprit de Dieu, selon la parole de Saint Paul, parce
qu'elles s'examinent spirituelle ment, et qu il manque d'expérience pour
faire cet examen, c'est une marque de son ignorance : Mais celui qui est
spirituel et expert les voit clairement et en juge.L'iniexpérience d'un
Directeur est donc la principale raison pour laquelle on peut l'abandonner,
et en élire un autre plus consommé : l'âme ne pouvant avancer sans cela.
5. Pour passer d'un méchant état
à un bon, on n'a pas besoin de conseil, mais, pout en changer un bon en
un meilleur, il faut.du temps,des prières et des avis ; parce que
tout ce qui est meilleur en soi ne l'est pas à l'égard de chaque particulier,
et que même tout ce qui est bon ne l'est pas pour tous, Non omnibus omnia
expediunt. Il y en a d'appelés au chemin extérieur et ordinaire, d'autres
à l'intérieur et à l'extraordinaire ; tous ne sont pas dans le même
état et la voie Mystique a elle-même tant de diverses routes qu'il est
impossible de faire un pas dans ces sentiers intérieurs et secrets, sans
un guide expérimenté, parce qu'au lieu de marcher droit on tomberait
dans le précipice.
6.Quand l'âme marche en tremblant,
qu'elle doute si elle est dans la bonne voie, et qu'elle souhaite de s'en
éclaircir le plus sûrement et de le soumettre à un Père spirituel,
sa lumière intérieure connaîtra clairement ce qui est tentation et ce
qui est inspiration ; elle distinguera les mouvements qui procèdent de
la Nature, du Démon, ou de l'âme même, qui doit s'assujettir entièrement
à celui qui a plus d'expérience qu'elle, et qui peut découvrir les amusements
et les mauvaises habitudes, qui arrêtent son vol. De cette manière l'âme
évitera non seulement les embûches du Diable, mais encore elle avancera
plus en un an qu'elle n'aurait fait en mille, avec d'autres guides sans
expérience.
7. On lit dans la vie du Père spirituel
Jean Taulère, que le Séculier, qui l'avait amené à l'état de perfection,
étant désabué du monde, et voulant s'adonner sincèrement à la Sainteté,
fit de si grandes abstinences que sa santé en fût grandement altérée.
Un jour qu'il était dans son lit accablé de faiblesse et de sommeil,
il entendit en songe une voix qui lui dit : ô homme, si de ton propre
mouvement tu te fais mourir avant que ton terme soit venu, je t'infiltrerai
de grandes peines. Effrayé par cet avertissement, il s'en alla dans le
désert trouver un Saint Ermite, auquel il déclara la route qu'il suivait,
et les abstinences, et qui par l'ordre du Ciel lui fit connaître que ces
abstinences excessives étaient une tromperie du Démon. Mais, dit le Séculier,
je les fais pour plaire à Dieu. Et quand par le conseil de qui, lui demanda
l'ermite, de personne, répondit-il : c'était donc une tentation évidente
du Démon, répliqua l'ermite. Cette conversation ayant ouvert les yeux
à ce dévôt, et lui ayant fait connaître le danger où il était, il
ne se gouverna plus que par le conseil d'un Père spirituel, qui en sept
années de temps lui fit faire plus de progrès, que dans tous les livres
du monde.
CHAPITRE 2
Continuation de la même manière.
8. Il est beaucoup plus avantageux
dans le chemin mystique d'avoir un bon Directeur que des livres spirituels.
Un Directeur sait accomoder les conseils aux occasions, au lieu qu'on
ne trouve ordinairement dans les livres, que de choses qui n'ont que fort
peu de rapports à nos besoins, et l'on manque ainsi des instructions nécessaires.
Ajoutez à cela que les livres mystiques font naître plusieurs idées
fausses ; l'âme s'imaginant d'avoir des choses qu'elle ne possède point
réellement, et d'être plus avancée qu'elle n'est dans l'état spirituel
; ce qui lui fait faire plusieurs faux pas.
9. Il est sûr que la fréquente
lecture des livres mystiques, qui consistent en de pures spéculations,
et ne donnent point de lumière pour la conduite de la vie, fait plutôt
du mal que du bien ; qu'elle brouille l'esprit au lieu de l'éclairer,
et le remplit de connaissances raisonnées, qui ne lui servent que d'obstacle,
parce qu'en entrant par les sens, elles rendent ses facultés obtuses et
pleines d'images, au lieu qu'il faudrait les vider, afin que Dieu les remplit
de lui-même. Beaucoup de personnes lisent perpétuellement des Livres
spéculatifs, parce qu'elles ne veulent pas croire ceux qui pourraient
leur faire voir que cette lecture ne leur est pas propre, et il est indubitable
que si elles se soumettaient à eux, un Directeur qui a de l'expérience
les leur défendrait, et alors elles ne se souciraient plus de les lire
; ce qui arrive aux âmes qui sont soumises, qui ont de la lumière, et
qui font des progrès. Il s'ensuit de là qu'il n'est rien qui donne plus
de tranquillités et qui garantit plus sûrement des tromperies du Démon
et des illusions des sens, que de se laisser gouverner par un Directeur
expérimenté, qui enseigne par une lumière réelle. Cependant, on ne
prétend pas de condamner généralement la lecture des Livres spirituels,
puisqu'on parle ici en particulier des âmes, qui sont purement intérieures
et mystiques, pour lesquelles seules ce Livre est écrit.
10. Tous les Saints et les Théologiens
Mystiques tombent d'accord qu'afin qu'une âme soit en sûreté, il faut
qu'elle se soumette à un Père spirituel, et qu'elle lui communique tout
ce qui se passe dans son intérieur. C'est pourquoi celui, qui ne suit
point d'autre régle que ses propres sentiments, et qui ne se met pas en
peine de chercher un Directeur, a beau s'imaginer être spirituel et passer
pour tel dans l'esprit des autres, puisqu'il s'oppose à la Doctrine des
Saints et des âmes éclairées. Plus une âme est illuminée et unie à
dieu, plus elle doit être humble, soumise et obéissante à son Directeur.
Pour prouver cette vérité, je rapporterai ici ce que Dieu dit à la bien-heureuse
Marine d'Escobar. On lit dans la vie de cette Sainte, qu'étant malade,
elle demanda à Dieu si pour ne pas se fatiguer davantage, et n'occuper
pas trop son Père spirituel, elle pouvait se taire, et cesser de l'avertir
des choses surprenantes, qui se passaient dans son âme. Sur cela le Seigneur
lui répondit qu'elle ferait mal de ne pas n'en rendre compte à son Père
spirituel, pour trois raisons. La première est que comme l'or se purifie
dans le creuset, et qu'on connaît à la touche la valeur des pierres précieuses,
ainsi l'âme devient plus pure, et l'on en connaît mieux le prix, lorsqu'un
serviteur de Dieu la met à l'épreuve. La seconde est que pour ne pas
tomber dans l'ereur, il faut toujours se conformer aux régies que Dieu
nous prescrit, par son Eglise, dans l'Ecriture et dans les Saints Pères.
La troisième est qu'il est bon de publier les grâces que Dieu accorde
à ses serviteurs et aux âmes pures, afin que cette connaissance anime
les autres fidèles à le servir, et qu'il soit glorifié en eux.
11. On trouve dasn le même endroit
les paroles suivantes, qui confirment cette vérité : "Mon confesseur
étant tombé malade, m'ayant ordonné de ne pas dire, à celui qui tenait
sa place pour ce temps-là, toutes les choses qui m'arriveraient, mais
seulement quelques-unes, selon que je le jugerais à propos, je me plaignais
à Dieu de ce que je n'avais personne à qui communiquer mes pensées ;
sur quoi il me répondit "tu as celui qui supplée à ton confesseur, dis-lui
tout ce qui t'arrive", "non Seigneur, répliquais-je, ce n'est pas celui-là"
; "Pourquoi,?"me demandât-il encore, "Parce que, dis-je, mon Confesseur
m'a recommandé de ne pas lui rendre compte de tout, et que je dois obéir
à celui qui est mon Directeur. Cette réponse me plaît, répartit là-dessus,
sa Majesté Divine, et c'est parce que je t'ai vu en cet état, que je
t'ai dit ce que tu viens d'entendre. Fais donc ainsi, cependant, tu peux
lui faire le récit de certaines choses, par le consentement même de ton
Directeur."
12. Ce que Sainte Thérèse rapporte
d'elle-même vient ici fort à propos. "Lorsque, dit-elle, le Seigneur
me commandait une chose, et mon Confesseur une autre, le Seigneur revenait
à moi pour m'ordonner d'obéir à mon Confesseur. Ensuite, il s'adressait
à lui, afin qu'il me le commandât de nouveau." C'est cette doctrine véritable
et pure qui met les âmes en assurance, et qui dissipe les illusions du
Démon.
CHAPITRE 3
Que le zèle indiscret et un amour
déréglé envers le prochain
troublent la paix intérieure.
13. Il n'est point de sacrifice plus
agréable à Dieu que le zèle ardent des âmes. C'est l'effet que Dieu
s'est proposé dans l'envoi de son Fils au monde, et depuis ce temps-là,
le zèle a été conté parmi les devoirs les plus nobles et les plus sublimes,
mais lorsqu'il est indiscret, c'est un des plus grands obstacles que l'on
puisse rencontrer.
14. A peine vous sentirez-vous éclairée
d'une nouvelle lumière, que vous voudrez vous consacrer entièrement au
bien des âmes, et que vous courrez risque de prendre pour un pur zèle,
ce qui n'est qu'un effet de l'amour propre. Cet amour est d'ordinaire accompagné
d'un désir excessif, d'une vaine complaisance, d'une affection indiscrète,
d'une grande estime de soi-même, et toutes ces passions sont ennemies
de la paix de l'âme.
15. Il ne faut jamais aimer votre
prochain au détriment de votre bien spirituel. Plaire à Dieu avec pureté
doit être l'unique but de vos actions, de vos désirs et de vos pensées,
et vous devez tâcher de modérer cette ferveur déréglée, afin que la
paix et la tranquilité règnent dans votre âme. Le vrai zèle consiste
à faire ses efforts, pour demeurer toujours dans un amour pur de Dieu.
C'est celui là, qui est le fertile, l'efficace, et qui produit des miracles
dans les âmes, quoi qu'il ne fait aucun bruit.
16. Saint Paul recommande de se
considérer attentivement soi-même, avant que de penser à son prochain.
Ne vous tourmentez point. Quand le temps sera venu, que vous pourrez être
utile à votre prochain, Dieu saura bien vous tirer de l'état dans lequel
vous êtes, et vous donner un emploi qui vous soit propre. Laissez lui
ce soin, et demeurez tranquille, détaché de tout et résigné entièrement
à son bon plaisir. Ne vous imaginez pas d'être oisif en cet état, celui-là
est assez actif, qui tâche en toutes choses à exécuter la volonté divine,
et qui a toujours les yeux sur soi-même, dans la vue de plaire à Dieu
fait tout (ce qu'il commande :) un seul acte pur de résignation intérieure,
étant de plus grand prix devant lui, que mille et mille exercices, qu'on
se donne de son propre mouvement.
17. Une citerne a beau être profonde,
elle ne se remplit point que le Ciel n'y répande la pluie. Demeurez tranquille,
Âme chrétienne, soyez humble et résignée à tout ce que Dieu voudra
faire de vous. Remettez-lui vos soins, comme à un Père plein d'amour,
qui ferait ce qui vous est le plus propre. Conformez-vous entièrement
à ses ordres puisque c'est là-dessus que la perfection est fondée, et
que celui qui fait la volonté du Seigneur, est la mère, l'enfant et le
frère du fils de Dieu.
18. Ne croyez pas que Dieu estime
le plus celui qui travaille plus que les autres. Celui là est le plus
aimé, qui est le plus humble, le plus fidèle, le plus soumis, et qui
correspond le mieux aux inspirations intérieures et aux ordres divins.
CHAPITRE 4
Continuation du même sujet
19. Que tous vos désirs tendent
à vous conformer à la volonté du Seigneur, qui sait tirer des sources
d'eau des roches arides, et n'aime pas les âmes, qui voulant aider les
autres avant le temps, se trompent elles-mêmes, et se laissent transporter
à un zèle indiscret et à une fausse complaisance.
20. Elles ressemblent au serviteur
d'Elizée, qui ayant reçu l'ordre de ce Prophète de mettre son bâton
sur un enfant mort, pour le ressusciter ne put en venir à bout, (apparemment)
à cause de la complaisance qu'il eut pour soi-même en cette rencontre.
Le sacrifice de Caïn, le premier, qui ait été offert, ne fut réprouvé,
qu'à cause de la vanité qu'il tira de ce privilège, (s'imaginant sans
doute) qu'il était plus qu'Adam son père, parce qu'il était le premier,
qui présentât à Dieu des offrandes.
21. Les Disciples de Jésus-Christ
n'étaient pas exempts de cette contagion, lorsqu'ils se réjouissaient
de ce qu'ils chassaient les Démons ; aussi leur Divin maître les en reprit-il
âprement. Il fallut que Saint Paul, avant que d'annoncer l'Evangile aux
païens, il fallut, dis-je, que lui qui était un vase d'élection destiné
à ce Grand Ouvrage, fut éprouvé, humilié et renfermé dans une étroite
prison. Et vous voudriez devenir prédicateur, sans essuyer les assauts
des hommes et des Démons ? Et vous osez espérer de faire du bruit dans
ce ministère, avant que d'avoir passé par le feu de la tentation, de
la tribulation et de la purification passive ?
22. Il vaut beaucoup mieux pour
vous demeurer tranquille et résigné dans une sainte inaction, que de
faire de grandes choses en grand nombre, de votre propre mouvement. Ne
croyez pas que les actions héroïques qu'ont faites, ou que font encore
dans l'Eglise les grands serviteurs, soient des effets de leur force ou
de leur adresse, puique tout ce qu'il y a de spirituel et de temporel,
jusqu'au mouvement de la moindre feuille, a été ordonné par la Providence
divine. Celui qui fait la volonté de Dieu fait tout, et c'est ou l'âme
doit viser uniquement en demeurant tranquille et dans une parfaite résignation
aux ordres de Dieu. Reconnaissez-vous indigne du haut ministère de la
conduite des âmes, de peur de troubler votre repos et votre paix intérieure.
CHAPITRE 5
Que la lumière, l'expérience,
et la vocation divine
à ceux qui veulent servir de Guide
aux âmes
dans le chemin intérieur.
23. Le dessein, que vous avez formé
de conduire les âmes à la vie de l'esprit, vous donnera beaucoup de satisfaction
; et ce ne sera peut-être qu'un orgueil, une ambition spirituelle et un
aveuglement sensible. La raison en est qu'outre qu'un emploi si relevé
demande des lumières sublimes, un entier détachement et d'autres qualités,
que nous marquerons dans les chapitres suivants ; la grâce de la vocation
y est aussi nécessaire, et que sans elle toutes ces belles résolutions
ne sont qu'amour propre et vanité. Gouverner les âmes et les conduire
à la contemplation et à la perfection est à la vérité quelque chose
de fort bon et de fort sain. Mais qui vous a dit que Dieu veut vous donner
cet emploi ? Et puis que vous savez qu'il est difficile à ceux-là même,
qui ont beaucoup de lumière et d'expérience, comment pouvez-vous assurer
que le Seigneur vous y appelle.
24. Ce ministère est si grand,
qu'il ne faut jamais s'y ingérer soi-même, mais attendre que Dieu nous
y engage par le moyen de nos Supérieurs et de nos Conducteurs spirituels.
Cette entreprise nous serait toujours préjudiciable, quand même elle
serait unie à notre prochain, et que nous importe de gagner tout le monde,
si nous causons par là la perte de notre âme ?
25. Quand même vous seriez convaincu
évidemment de votre expérience et de vos lumières intérieures, vous
devez pourtant demeurer dans votre néant tranquille et résigné, jusqu'à
ce que Dieu vous appelle au secours des âmes. C'est à lui qui connaît
votre suffisance et votre détachement d'en juger. Ne vous ingérez donc
pas dans ce Ministère ; parce que l'amour propre vous trompera, vous aveuglera
et vous perdra, si vous vous abandonnez à vos propres sentiments, dans
une affaire de si grande conséquence.
26. Si l'expérience, la lumière
et la capacité ne suffisent pas pour entrer dans cet emploi, lorsqu'on
n'a pas la grâce de la vocation, que sera-ce si cette capacité, cette
lumière et cette expérience vous manquent ? Dons que Dieu ne communique
pas à toutes les âmes, mais seulement à celles qui sont détachées
et résignées, qui ont passé au travers d'un anéantissement parfait,
d'horribles tribulations, et de la purification passive. Persuadez-vous
une bonne fois que toutes les actions qu'on fait dans ce ministère, qui
ne procèdent pas d'un vrai zèle, d'un amour pur, et d'un esprit purifié,
ne sont que des effets de l'amour propre, de la vanité et d'une ambition
spirituelle.
27. Qu'il y a de gens, qui n'embrassent
ce Ministère, que pour le satisfaire eux-mêmes ; et qui au lieu de nettoyer
leur âme et de la détacher du monde, pour se rendre agréables à Dieu,
la remplissent de la terre et de la boue de l'amour propre. Demeurez
calme et résigné, renoncez à vos propres sentiments et à vos désirs
; enfoncez-vous dans l'abîme de votre insuffisance et de votre néant.
C'est là que vous trouverez Dieu, la véritable lumière, le souverain
bonheur et le comble de la perfection.
CHAPITRE 6
Avis aux Confesseurs et aux Directeurs
spirituels
28. C'est le plus haut et le plus
important de tous les Ministères que celui de Confesseur et de Directeur
spirituel ; et les maux que causent ceux qui s'en acquittent mal sont irréparables.
29. Il est bon de choisir un patron
qu'on se propose à imiter dans ce grand emploi de qui peut être le Saint
auquel on aura plus de dévotion.
30. Le premier et le plus sûr de
tous les préceptes est de recommander le recueillement intérieur et continuel
; parce qu'avec ces secours, on s'acquitte toujours de tous les devoirs
de sa condition ; Il faut le faire particulièrement dans le confessionnal.
Parce que, lorsqu'ensuite une âme intérieurement recueillie va s'occuper
à des exercices extérieurs et nécessaires, Dieu l'illumine et opère
en elle.
31. Pour guider les âmes intérieures,
on ne doit pas leur donner des préceptes ; mais lever doucement les obstacles,
qui suspendent les influences divines. C'est pourquoi il faudra leur donner
ce saint conseil, mon secret est à moi.
32. On s'imagine d'ordinaire que
tous les Confesseurs entendent les matières spirituelles et contemplatives
; mais on se trompe. Aussi se trouve-t-on souvent fort mal de leur communiquer
les pensées qu'on a là-dessus. Ceux qui n'ont point d'expérience dans
ces sortes de choses ne sachant pas quand Dieu a mis une âme dans la voie
intérieure, empêchent les progrès vers la contemplation en lui ordonnant
de faire des efforts pour méditer, quoi qu'elle se trouve dans dans l'impuissance
d'y réussir. Ainsi au lieu de la soutenir et de l'encourager, ils l'abattent
et l'étourdissent ; et pendant que Dieu l'appelle à la contemplation,
ils la retirent vers la méditation ; parce qu'ils ne savent point d'autre
chemin.
33. Si un Directeur veut faire du
fruit, qu'il ne recherche point la conduite des âmes. Il faut qu'elles
viennent d'elles-mêmes ; encore ne doit-on pas les admettre toutes, particulièrement
si ce sont des femmes, qui n'ont pas ordinairement les dispositions nécessaires.
C'est le vrai moyen d'être utile, que de ne faire point le maître, et
de n'affecter point de le paraître.
34. Qu'un Confesseur se serve du
nom de fille le moins qu'il pourra, parce qu'il est dangereux de se servir
d'un nom si tendre et si plein d'amour, et que Dieu est jaloux de sa gloire.
35. Un Directeur, étant hors du
tribunal de sa Confession, ne doit point se charger d'un grand nombre d'occupations,
en faveur de ses pénitences, Dieu ne veut pas qu'il se mêlede leurs affaires
temporelles, et il faudrait, s'il était possible, qu'on ne le vit que
lorsqu'il est dans son Confessionnal.
36. Il ne doit jamais accepter d'être
Compère ou Exécuteur testamentaire ; parce que ces emplois causent beaucoup
d'inquiétude et d'embarras à l'âme qui conviennent mal avec un Ministère
si parfait, et si élevé.
37. Un Confesseur ne doit jamais
visiter ses filles spirituelles, non pas même lorsqu'elles sont malades,
si ce n'est qu'elles le demandassent.
38. Lorsqu'un Confesseur tâchera
de faire entrer les âmes dans le recueillement extérieur et intérieur,
ses paroles seront comme des charbons ardents, qui les embraseront, sans
qu'il n'en cache rien.
39. Un Confesseur doit se revêtir
dans le Confessionnal de la douceur d'un agneau, et rugir en chair comme
un lion furieux. Les réprimandes douces sont efficaces envers les pénitents
; parce qu'alors ils se trouvent déjà émus ; mais il faut épouvanter
en chair les pécheurs aveugles et endurcis. On doit aussi être sévère
à l'égard de ceux qui viennent mal disposés à la Confession, et qui
veulent arracher l'Absolution par force.
40. Lorsqu'on a fait tout ce qu'on
a pu pour le bien des âmes, on ne doit point regarder aux fruits de ces
travaux ; ce regard étant une tentation subtile du Démon qui veut nous
faire prendre pour notre ouvrage ce qui est celui de Dieu, et qui attaque
un Confesseur par l'amour propre et la fausse complaisance, les ennemis
capitaux de l'anéantissement, pour l'empêcher de mourir et de renoncer
à lui-même.
41. Lorsqu'un Directeur voit que
les âmes qu'il a sous sa conduite n'avancent point, ou que celles qui
étaient avancées perdent la grâce, qu'il ne s'inquiète point et qu'il
demeure dans le calme spirituel, Dieu permet souvent ces mauvais succès,
afin qu'ils s'humilient, qu'ils se désabusent et s'animent intérieurement.
42. Un Confesseur doit éviter et
faire fuir aux âmes dont il a la Direction, toute sorte d'hypocrisie ;
parce que son Dieu en a de l'horreur.
43. Comme on ne doit pas ordonner
la communion ni la défendre non plus, par forme d'épreuve ou de mortification,
et ayant une infinité d'autres manières d'éprouver et de mortifier les
âmes, sans leur faire un si grand tort ; on ne doit pas aussi la refuser
à celles qui la souhaitent sincèrement, parce que Jésus Christ n'est
pas demeuré avec nous pour être renfermé.
44. L'expérience apprend que plus
les pénitences sont grandes, plus il est difficile de s'en acquitter.
Ainsi le meilleur est de n'en imposer que de modérées, et qui renferment
quelque chose d'utile.
45. Qu'un Père spirituel ne fasse
jamais paraître trop d'affection à une de ses filles, et trop de chagrin
à l'autre. Il lui est important d'être prudent, circonspect, et de ne
parler à aucune trop particulièrement : parce que le Démon qui cherche
à les démunir se servira de qu'il dit à l'une pour donner de l'inquiétude
à l'autre.
46. Le principal et le continuel
exercice des âmes purement mystiques doit être de demeurer toujours renfermées
en elles-mêmes, de détruire l'amour propre en ne prenant pas garde à
lui, et de s'encourager à souffrir patiemment les mortifications intérieures
que le Seigneur leur envoie, pour les purifier, les anéantir et les perfectionner.
47. Comme le désir des révélations
est un des plus grands et plus fréquents obstacles, que les âmes intérieures
rencontrent, particulièrement les femmes, et qu'il n'est point de songe
qu'elles ne baptisent du nom de vision, il faut leur inspirer de l'horreur
pour ces rêveries.
48. Quoi qu'il soit fort difficile
aux femmes de garder le silence, un Directeur doit néanmoins leur recommander
expréssement ; n'étant pas bien séant d'exposer les choses spirituelles
à la raillerie des profanes.
CHAPITRE 7
Continuation de ces avis, des attachements
de quelques Confesseurs,
des qualités nécessaires à cet
emploi,
et à guider les âmes dans le chemin
mystique.
49. Un Confesseur doit porter les
pénitents à l'oraison, lorsqu'il les voit se venir mettre souvent à
ses pieds, et qu'ils font paraître un désir ardent de leur salut.
50. Une des principales maximes
d'un Confesseur doit être de n'accepter jamais de présent, quand même
il deviendrait Directeur de tout le monde.
51. Quoique le nombre des Confesseurs
soit fort grand, celui des bons ne l'est pas, les uns sont ignorants, qui
plus, qui moins ; les autres tâchent de s'introduire dans l'esprit des
grands. Ceux-ci s'efforcent de gagner l'amitié de leurs pénitents et
d'en tirer des présents, ceux-là plein d'une ambition spirituelle ne
veulent que faire du bruit, acquérir de la réputation et avoir grand
nombre de personnes sous leur direction.
52. Il y a des Confesseurs faciles
ou téméraires, qui croient, approuvent et louent tous les esprits, il
y en a d'autres qui donnant dans l'extrémité opposée, condamnent tout
ce qui s'appelle vision ou révélation ; au lieu qu'il ne faut ni les
croire ni les condamner toutes. Quelques-uns sont si prévenus des dons
spirituels de leurs filles, que tout ce qu'elles songent ou qu'elles rêvent
passe chez eux pour des Mystères sacrés. Quelques autres portent l'air
mondain et séculier jusque dans les Confessionnaux, s'amusent à entretenir
leurs pénintents de bagatelles, peu conformes à la dignité de ce Sacrement,
et à la grâce qu'on y vient chercher, et raisonnent avec eux d'affaires,
avant que d'entendre leur confession et de leur parler de pénitence ;
ce qui achève de refroidir leur dévotion et d'éteindre leur zèle. Quelques
fois les Confesseurs font attendre les pénitents, qui ayant la tête pleine
de leurs occupations domestiques, s'ennuient, se chagrinent et s'abandonnent
à l'impatience, et perdent ainsi la disposition actuelle qu'ils avaient
à recevoir ce Sacrement. De là viennent tant de distractions, et de discours
superflus, qui font perdre le temps, déshonorent les Saints lieux et les
Sacrements, et nuisent à la préparation de ceux qui se confessent, et
de ceux qui attendent que ceux-là aient fait pour se confesser. Tous ces
inconvénients sont considérables, et mériterait bien qu'on y apportât
du remède.
53. Encore trouve-t-on quelques
bons Confesseurs ; mais pour des Directeurs dans le chemin Mystique, à
peine en trouve-t-on, un entre mille, selon le Père Jean d'Avila ; à
peine encore dix mille, selon encore Saint François de Sales, à peine
entre entre cent mille, selon l'illuminé Taulere. La raison en est que
le nombre de ceux qui se disposent à recevoir la science Mystique est
très petit, selon Henriquez, Arpio, Pauci ad eam recipiendam se disponunt.
Plût à Dieu que cela ne fut pas si vrai, il y aurait moins de gens entêtés
du monde, moins de pécheurs et plus de saints.
54. Lorsqu'un Directeur spirituel
souhaite sincèrement que toutes ses brebis aiment la vertu , et que leur
amour pour Dieu soit pur et parfait, avec peu de paroles et de raisonnements,
il produit des fruits infinis.
55. Lorsqu'une âme intérieure
est dans la purification passive et dans l'abstraction, si elle n'a pas
un Guide expérimenté, qui modère l'ardeur qu'elle a pour le recueillement
et la solitude, elle deviendra incapable de la confession, de la prédication,
de l'étude, et des autres devoirs où sa condition l'engage.
56. Il faut donc qu'un Directeur
expert ait grand soin, lorsque les facultés de l'âme commencent à être
occupées en Dieu, de ne pas donner trop d'entrée à la solitude et de
recommander à ceux qu'il voit en cet état, qu'ils n'abandonnent point
leurs emplois ordinaires, parce qu'encore qu'ils semblent causer de la
distraction, ils ne sont pas néanmoins pas opposés à la vocation divine.
Au contraire, il arrive quelquefois que l'âme se retire si fort dans la
solitude, et s'éloigne si bien des objets sensibles, que lorsqu'elle veut
s'y appliquer de nouveau, elle ne peut le faire qu'avec beaucoup de peine
et de répugnance, et cela cause même du trouble d'esprit et la perte
de la santé. Inconvénients assez considérables pour mériter toute l'attention
d'un Directeur.
57. Que s'il n'a pas de l'expérience,
et qu'il ne sache pas quand c'est que l'abstraction le forme, il croira
que le meilleur conseil, qu'il puisse donner à une âme en ce temps-là,
c'est de l'exciter au recueillement, où elle trouvera la perte. On voit
par là combien un Guide expérimenté est nécessaire dans la voie mystique
et spirituelle.
CHAPITRE 8
Continuation du même sujet
58. Ceux qui, sans expérience, se
mêlent de conduire les âmes, marchent comme des aveugles, qui n'arrivent
jamais à la connaissance des différents états de l'âme ni de ses opérations
intérieures et surnaturelles. Ils savent seulement que quelquefois l'âme
se trouve bien et a de la lumière, que d'autre fois elle est dans les
ténèbres ; mais pour ce qui regarde la différence de ces deux états,
leur source et les causes de ces changements, c'est où ils ne connaissent
et ne comprennent rien, et qu'ils ne sauraient apprendre dans les livres,
n'en ayant pas fait l'épreuve ni été mis dans cette forme où se forme
la véritable lumière.
59. En effet, comment est-ce qu'un
guide qui n'a jamais passé dans les sentiers écartés et raboteux de
la route intérieure pourrait les connaître. C'est une grâce qui n'est
pas peu considérable, qu'une âme trouve un Directeur capable de la fortifier
contre les difficultés insurmontables continuelles, qu'elle rencontre
dans ce voyage ; sans quoi elle ne peut arriver à la montagne sainte de
la perfection, à moins d'une grâce extraordinaire.
60. Un Directeur, qui vit dans le
détachement, a plus d'amour pour la solitude intérieure que d'ardeur
pour son Ministère ; de sorte que quand un Père spirituel a du chagrin
de ce qu'on le quitte, et qu'on va vers un autre, c'est une marque évidente,
qu'il n'est pas dans un détachement parfait, qu'il a de grands reflets
d'amour propre, et qu'il ne recherche pas uniquement la gloire de Dieu.
61. Ce n'est pas un moindre mal,
que celui que commet un Directeur, lorsqu'il tâche de soustraire par des
pratiques secrètes les âmes, qui sont sous la direction d'un autre. De
quelque côté qu'on se tourne, on ne saurait nier que ce soit un grand
crime : car si l'on se croit meilleur Directeur qu'un autre, c'est l'orgueil
; et si l'on se sent moindre, on se rend coupable de perfidie envers Dieu,
envers ces âmes et envers soi-même, puisqu'on retarde l'avancement spirituel
du prochain.
62. Les Directeurs tombent aussi
dans une faute considérable, lorsqu'ils ne permettent pas que les âmes
qu'ils guident aient communication avec d'autres, qui sont plus saintes,
plus savantes et plus expertes qu'elles. Tout cela n'est qu'attachement,
amour propre et vanité, et ils n'interdisent cette petite satisfaction
à leurs disciples que dans la crainte où ils sont de les perdre, et qu'on
ne dise que leurs enfants spirituels cherchent ailleurs la satisfaction
qu'ils ne trouvent pas chez eux. Le mal est que le plus souvent ces mauvaises
fins empêchent l'avancement des âmes.
63. Un Directeur, qui ayant passé
par la tribulation, la tentation et la purification passive, est parvenu
jusqu'à ouïr la voix intérieure de Dieu, est délivré de ces attachements
et d'une infinité d'autres ; parce que cette voix divine produit dans
l'âme qui l'écoute et qui lui obéit, des effets miraculeux et sans nombre.
64. Elle est de si grande efficacité
qu'elle foule aux pieds l'honneur mondain, la fausse estime, l'ambition
spirituelle, le désir de réputation et de grandeur ; l'orgueil et la
présomption, qui font croire qu'on excelle en tout, et qu'on fait tout.
Elle bannit les amis, les amitiés, les lettres de compliment, le commerce
du monde, l'attachement aux enfants spirituels, l'envie de faire le Maître,
et de se mêler d'affaires. Elle étouffe là trop grande inclination qu'on
a à paraître dans le Confessionnal, la passion déréglée de se mêler
de la conduite des âmes, fondée sur une prétendue habileté qu'on s'attribue.
Elle éteint l'amour propre, la présomption, l'envie de commander, de
parler des fruits que l'on fait, de montrer les lettres qu'on écrit, ou
celles de ses enfants spirituels, pour en faire conclure qu'on est un Ouvrier
de grand mérite. Elle lui fait oublier l'envie qu'ont les autres Directeurs
contre lui, et la passion qu'il avait d'attirer tout le monde à son Confessionnal.
65. Enfin la voix intérieure de
Dieu produira dans l'âme du Directeur la solitude et le silence, le mépris
et l'oubli des amis, des parents et des enfants spirituels, en sorte qu'il
ne s'en souvient que lorsqu'ils lui parlent. Ce sont là les marques auxquelles
on peut connaître le détachement d'un Directeur, qui fait plus de fruit
en se taisant, qu'un million d'autres par une infinité de préceptes.
CHAPITRE 9
Que l'obéissance simple et prompte,
est l'unique moyen pour marcher
sûrement dans la voie spirituelle,
et obtenir la paix intérieure.
66. Si vous êtes entièrement résolu
de renoncer à votre volonté, et de ne suivre en toutes choses que celle
de Dieu, il faut le faire paraître par l'obéissance ; soit par les voeux
que vous ferez entre les mains d'un supérieur, en vous mettant dans quelque
Ordre, soit en vous soumettant librement à un Directeur expert, et qui
ait les qualités marquées dans les chapitres précédents.
67. Vous ne sauriez arriver à la
montagne de la perfection, ni monter sur le trône de la paix intérieure,
en suivant votre volonté pour règle. Il faut vaincre cette cruelle ennemie
de Dieu et de votre âme, et consumer dans le feu de l'obéissance toutes
vos vues et tous vos sentiments. C'est la pierre de souche, à laquelle
on connaît si c'est l'amour divin ou l'amour propre dont vous êtes remplie.
68. Un train de vie ordinaire, réglé
par l'obéissance, vaut plus que toutes les pénitences que l'on fait par
son propre mouvement, parce qu'outre que la soumission met à couvert les
illusions de Satan, elle est un sacrifice et un holocauste de nous-mêmes,
que nous présentons à Dieu sur l'Autel de notre coeur. De là vient qu'un
grand serviteur de Dieu disait qu'il aimerait mieux ramasser de la fiente
par obéissance, que d'être ravi au Troisième Ciel par ses propres efforts.
69. L'obéissance est le chemin
le plus court de la perfection, et l'âme ne peut jouir de la paix véritable,
qu'en se renonçant elle-même, et domptant les passions révoltées. Le
moyen de remporter cette victoire est de montrer partout une ferme résolution
d'obéir à celui qui tient pour nous la place de Dieu ; le coeur demeurant
libre et déchargé de tout ce qu'il répand avec humilité dans le sein
d'un Père Spirituel. Ainsi pour faire des progrès sûrs et infaillibles
dans la voie spirituelle, on n'a qu'à se mettre bien dans l'esprit que
notre Directeur nous tient la place de Dieu, et que tout ce qu'il dit ou
ordonne sont autant d'Oracles divins.
70. Dieu a souvent révélé à
la vénérable Mère soeur Anne Marie de Saint Joseph qu'elle devait plutôt
obéir à son Directeur qu'à lui-même. Il dit aussi un jour à la soeur
Catherine Paulucci, "vous devez vous présenter devant votre Père spirituel
avec autant de confiance et de sincérité que si vous veniez vers moi,
sans vous mettre en peine s'il observe ou enfreint mes ordres, et penser
seulement qu'il est conduit par le Saint-Esprit et qu'il tient ma
place ; parce que je ne permettrai point qu'on trompe une âme qui fuit
cette règle". Paroles dignes d'être imprimées dans le coeur de tous
ceux qui soupirent vers la perfection.
71. Dieu révéla aussi à Marie
d'Escobar que quand même il lui semblerait que Dieu l'appelât à communier,
si son Directeur le lui défendait, elle était obligée d'obéir à ce
dernier ; et un Saint descendit du Ciel pour lui en dire la raison, qui
est qu'elle pouvait se tromper dans le premier, et non pas dans le second.
72. Le Saint-Esprit nous exhorte
dans les Proverbes à prendre conseil des autres, et à ne pas nous confier
sur notre prudence. Et à ne pas nous conduire selon nos lumières, mais
à prendre toujours conseil des sages. Quoiqu'un Directeur se trompe en
nous donnant un conseil, on ne peut néanmoins errer en le suivant, parce
qu'on fait sagement en cela. Mais Dieu ne permet point que les Directeurs
se trompent, quand même il lui faudrait faire des miracles pour conserver
exempts d'erreurs le tribunal visible du Père spirituel. On n'a donc qu'à
le consulter sans rien craindre, pour savoir la volonté divine.
73. C'est la doctrine de tous les
Saints, de tous les Docteurs, et de tous les Mystiques que Jésus-Christ
a confirmé, lorsqu'il ordonna d'obéir à nos Pères spirituels comme
à lui-même, même à ceux dont les actions ne s'accordent pas avec leurs
paroles.
CHAPITRE 10
Continuation du même sujet
74. Une âme obéissante, dit Saint
Grégoire, possède toutes les vertus. Dieu récompense son humilité et
sa soumission, en l'éclairant et l'instruisant par le moyen d'un Guide
qui tient sa place, entre les mains duquel elle doit entièrement se remettre,
et lui découvrir librement, clairement, fidèlement et simplement toutes
ses pensées et ses actions, tous ses mouvements, toutes ses inspirations
et ses tentations. De cette manière le Démon ne saurait la tromper, et
elle n'a point à craindre de rendre compte à Dieu de ce qu'elle fait
ou de ce qu'elle omet. Mais pour ceux qui veulent marcher sans guide, s'ils
ne se trompent pas, ils seront au moins en état de l'être, et de prendre
des tentations pour des inspirations.
75. Au reste, pour atteindre à
la perfection, il ne suffit pas d'honorer les supérieurs et de leur obéir,
il faut faire la même chose à l'égard de ses inférieurs.
76. De plus, l'obéissance pour
être parfaite doit être volontaire, pure, prompte, joyeuse, intérieure,
aveugle et persévérante. Volontaire sans contrainte et sans apréhension
; pure, sans intérêt, considération mondaine ou amour propre, et uniquement
pour plaire à Dieu ; prompte, sans réplique, excuse ni renvoi ; joyeuse,
sans chagrin intérieur et avec exactitude ; intérieure parce qu'elle
ne s'étend pas seulement sur l'extérieur et le dehors ; mais sur l'esprit
et sur le coeur ; Aveugle, parce qu'on doit renoncer à ses propres sentiments,
pour les soumettre à celui qui nous guide, sans examiner l'intention,
la fin ni les raisons de cette obéissance ; persévérante, parce qu'elle
doit continuer constamment jusqu'à la mort.
77. L'obéissance, dit Saint Bonaventure,
doit être prompte, sans renvoi ; fervente, sans tiédeur ; volontaire,
sans contradiction ; simple, sans examen ; persévérante, sans interruption,
réglée sans désordre, tranquille et agréable sans inquiétude ; courageuse,
sans abattement ; universelle sans exception. Mettez-vous dans l'esprit,
Âme chrétienne, qu'avec tous vos efforts vous ne sauriez sans cette obéissance
accomplir la Volonté Divine ; que celui qui se conduit soi-même s'égare
et se perd ; et qu'encore qu'on ait de grandes marques que c'est un bon
Ange qui nous inspire, il le faut regarder comme un Démon, s'il ne veut
pas se soumettre à un Directeur. C'est la doctrine de Gerfon et de plusieurs
théologiens mystiques.
78. Ce qui arriva à Sainte Thérèse
sert de confirmation à cette doctrine. Cette sainte, voyant que Catherine
de Cardone menait une vie fort austère dans le désert, résolut de l'imiter,
contre l'avis de son Père spirituel, qui voulait l'en détourner. Sur
cela, le Seigneur lui dit, "Ecoute ma fille, toute bonne voie n'est pas
sûre. J'estime plus dans la vie ton obéissance, que toutes les pénitences
de Catherine." Ce qui lui fit faire voeu d'obéir à son Directeur. On
lit aussi dans la vie de cette religieuse que Dieu lui ordonna souvent
de communiquer toutes ses pensées, et toutes les grâces qu'il lui faisait,
à son Directeur, et de lui obéir en toutes choses.
79. Remarquez comme Dieu a voulu
que cette céleste et importante Doctrine fut appuyée sur l'Ecriture,
sur les Livres des Saints et des Théologiens, et sur des raisons et des
exemples, afin de confondre toutes les finesses de l'ennemi.
CHAPITRE 11
En quel temps et en quelles choses
l'obéissance est plus nécessaire
à une âme intérieure.
80. Le temps auquel l'obéissance
vous est le plus nécessaire, est celui auquel les tentations sont plus
véhémentes, et les mauvaises suggestions plus importunes ; quand vous
êtes dans les ténèbres, l'angoisse, la sécheresse et l'abandonnement
; quand vous vous sentez attaqué de tous côtés, par des tentations de
colère, de fureur, de luxure ; d'ennui, d'impatience, de murmure, de blasphème
et de désespoir. C'est alors que vous avez le plus besoin de vous confier
à un Directeur expert, de lui obéir, de suivre ses conseils, pour ne
pas vous laisser persuader au Démon, qui vous voyant, dans cette affliction
et cet abandonnement, voudrait vous faire croire que Dieu n'a que de la
haine pour vous, que vous êtes hors de l'état de grâce, et que votre
obéissance ne vous sert à rien.
81. Vous vous trouverez plongé
dans un abîme de scrupules, de douleurs, d'angoisse, de défiance, d'abandonnement
des créatures ; en un mot, de tourments si cruels, qu'ils vous paraîtront
insupportables. Que vous serez heureuse, Âme Chrétienne, si dans cet
état vous vous remettez entièrement à la conduite de votre Directeur,
et que vous lui obéissez en toutes choses ; vous marcherez alors avec
d'autant plus de sûreté dans la voie secrète et intérieure, que vous
vous croirez plus enfoncé dans l'égarement et dans les ténèbres, plus
méchant, plus détestable et plus digne que jamais de la colère Divine.
82. Vous vous imaginerez fortement
que vous êtes hors du temps et possédé du Démon ; parce que les marques
de ce tourment intérieur et de cet angoisse terrible peuvent être facilement
confondues avec les signes de la possession des Démoniaques. Mais ayez
une ferme confiance dans votre Directeur, et vous trouverez dans cette
obéissance la véritable félicité.
83. Il faut vous avertir que dès
que le Démon voit une âme se renonce parfaitement, et se soumettre sans
réserve à son Directeur, il soulève tout l'enfer pour empêcher ce saint
Sacrifice. Plein de fureur et d'envie, il tâche d'inspirer à l'âme,
de l'ennui, du dédain, de l'aversion et de la haine pour son Guide, et
la pousse souvent à lui dire des injures. Mais un savant Directeur se
rit de ces subtilités du Démon. Cet esprit malin tâche en vain de leur
persuader qu'elles ne croient point à leur Directeur, parce qu'elles ne
lui obéissent pas et n'avancent point ; puisque malgré toutes ces faiblesses
elles peuvent croire, et croient même assez pour obéir, quoi qu'elles
se fassent sans y trouver du plaisir.
84. Si ayant demandé permission
de quelque chose à votre Directeur, ou lui ayant communiqué quelque grâce
que vous croyez avoir reçu du Ciel, il vous refuse cette permission, ou
que pour vous humilier, il fait semblant de ne pas tenir compte de cette
grâce, et que là-dessus vous l'abandonniez, c'est une marque que cette
grâce était fausse, et que vous êtes dans un danger évident. Mais si
vous demeurez attaché à lui et que vous lui obéissiez, quoi qu'à regret
: c'est une preuve que vous vivez, et que vous n'êtes pas assez mortifié.
C'est pourquoi cette Médecine amère et violente vous sera très utile,
la partie supérieure de votre âme embrassant le trouble que sent l'intérieur,
avec humilité et comme une mortification que la Providence divine lui
envoie. Ainsi, croît peu à peu le plaisir, la satisfaction et la confiance
qu'elle a en son Guide, sans qu'elle le sache.
85. Pour renoncer à l'amour propre
et à son propre jugement, il faut se remettre entièrement et avec
une soumission véritable entre les mains du Médecin spirituel. Si lorsqu'il
ne s'accomode pas à votre goût et qu'il vous ordonne des choses que vous
n'aimez pas, il vous vient dans l'esprit une infinité de raisons probables,
mais fausses, pour vous opposer à ses conseils, c'est une preuve que votre
esprit n'est pas bien mortifié, ni votre jugement assez captif. Ce qui
est un grand obstacle à l'obéissance aveugle et à la paix de l'âme.
86. C'est alors qu'il faut se vaincre
soi-même, résister à ses sentiments, mépriser ces fausses raisons,
obéir, se taire et exécuter les saints conseils qu'on nous donnera, afin
de déraciner la convoitise et les désirs déréglés.
87. Les Pères des premiers Moines,
grands Maîtres dans cette science, exerçaient la patience de leurs Disciples,
en leur donnant des ordres qui paraissaient extravagants. Ils commandaient
aux uns de planter des laitues, les feuilles en bas, aux autres d'arroser
des troncs d'arbres secs, et à d'autres de coudre et de découdre plusieurs
fois un même habit ; stratagèmes surprenants mais efficaces, pour éprouver
leur simplicité et leur obéissance ; et arracher de leur coeur jusqu'aux
moindres racines de la concupiscence et du jugement propre.
CHAPITRE 12
Suite de la même matière
88. Vous ne sauriez faire un pas dans la vie spirituelle, si vous ne travaillez à captiver votre propre jugement, et si vous ne connaissez pas la nécessité de ce travail, vous êtes perdu sans ressources. Un malade, qui connaît son mal, sait qu'il ne lui est pas bon de boire toutes les fois qu'il a soif, et qu'une Médecine, toute amère et désagréable qu'elle est, lui est pourtant fort utile et il le sait ; parce qu'il ne s'abandonne pas à ses sentiments et à ses désirs déréglés, mais qu'il s'en rapporte à un habile médecin et lui obéit en toutes choses. Ainsi, la connaissance de la maladie le porte à se défier de soi-même ; et à suivre l'avis d'une personne qui a plus de prudence et plus d'expérience que lui.
89. Nous sommes tous malades d'amour
propre et de concupiscence. Nous sommes tous pleins de nous-mêmes et ne
souhaitons que des choses qui nous nuisent, qui nous déplaient ou nous
ennuient, dès que nous les possédons. Il nous faut donc faire comme les
malades qui veulent guérir, ne pas suivre nos appétits et nos caprices,
mais nous en tenir à un Médecin spirituel, qui soit expert, et lui obéir
sans réplique, sans excuse, et sans écouter les raisons plausibles de
l'amour propre. Alors, notre guérison est certaine, et la défaite de
la concupiscence, l'ennemie de la paix et de la perfection de l'esprit
de Dieu, n'est pas moins assurée.
90. Combien de fois vos jugements
se sont-ils trouvés faux, et avez-vous changé d'avis, ayant honte de
n'avoir consulté que vos lumières ? Si un homme vous avait trompé deux
ou trois fois, vous fierez-vous encore à lui ? Et comment vous fiez-vous
encore à votre propre jugement, qui vous a tant de fois trompé. Ne vous
en croyez plus, Âme chrétienne, ne vous en croyez plus, soumettez-vous
et obéissez aveuglément.
91. Vous êtes peut-être fort satisfait
d'avoir trouvé un Directeur expert et vous le regardez comme un trésor
: mais cela vous sert de peu, si vous faîtes plus de cas de vos lumières
que de ses conseils, et si vous ne vous soumettez pas à lui sincèrement
et avec sincérité.
92. Un grand Seigneur étant tombé
malade, appelle un célèbre Médecin, qui connaît aussitôt la nature
de sa maladie, découvre les causes et ses effets, et juge qu'il faut des
remèdes violents pour la guérir, cependant il ordonne des lénitifs.
Voilà, direz-vous, une grande extravagance, puisqu'il sait que les lénitifs
ne sont pas d'un grand secours, et que les purgatifs violents seraient
efficaces, pourquoi ne lui en fait-il pas prendre ? C'est parcequ'encore
que le malade ait grande envie de guérir, il n'a pas néanmoins la force
de supporter des remèdes si violents. C'est pourquoi le Médecin fait
fort prudemment de lui ordonner des lénitifs, qui à la vérité ne sont
pas capables de le guérir, mais qui empêchent au moins pour quelques
temps que la maladie ne devienne mortelle.
93. Il ne sert de rien d'avoir le
plus habile Directeur du monde, lorsqu'on n'a pas une vraie soumission.
Que le vôtre ait beaucoup d'expérience, qu'il connaisse votre mal, et
qu'il sache que le remède le plus efficace qu'on peut y apporter serait
de vous faire renoncer à votre volonté, si vous n'avez pas le courage
de souffrir cette opération rigoureuse, et qu'il ne la fasse pas, ce sera
un miracle si vous guérissez, et si cette redoutable ennemie ne vous fait
pas déchoir de la grâce.
94. Si votre Directeur est expert,
il méprisera toutes les grâces que vous recevez ; or, comme votre esprit
n'est pas encore assez ferme, il faut l'en croire et suivre ses conseils,
parce que si cet esprit est faux, il le fera connaître par l'orgueil,
secret avec lequel ces sortes d'esprits regardent d'ordinaire ceux qui
s'opposent à eux ; mais si vous êtes animés d'un bon esprit, cette humiliation,
bien que chagrinante, vous sera néanmoins très avantageuse.
95. Une âme, qui se plaît à s'attirer
l'estime des hommes, en publiant les faveurs qu'elle reçoit de Dieu, et
qui n'obéit pas à son Directeur, lorsqu'il lui ordonne de s'en taire,
est dans l'illusion, et se laisse éblouir à Satan, transformé en Ange
de lumière. Une âme mal disposée, qui est tombée entre les mains d'un
si sage Directeur, perd bientôt l'affection qu'elle avait conçue pour
lui, tâche insensiblement de s'en éloigner, et d'en trouver un autre
qu'elle puisse tromper : les superbes n'aimant pas la compagnie de ceux
qui leur donnent des sujets d'humilité. Mais lorsque l'Esprit qui nous
anime est véritablement de Dieu, ces humiliations redoublent l'amour,
la confiance, et le mépris qu'on a pour soi-même. Ce sont là des marques
sûres et infaillibles de la solidité des esprits.
CHAPITRE 13
Que la fréquente communion est
un moyen efficace
pour acquérir toutes les vertus,
et particulièrement la paix intérieure.
96. Il y a quatre choses très nécessaires
pour acquérir la perfection et la paix spirituelle ; à savoir l'oraison,
l'obéissance, la fréquente communion et la mortification intérieure.
Ayant déjà traité des deux premières, nous passerons présentement
à la troisième.
97. Plusieurs personnes s'abstiennent
de la communion, s'imaginant qu'elles ne sont pas assez bien préparées
à recevoir cette nourriture céleste, et qu'il faudrait pour cela une
pureté Angélique. Mais sachez que pourvu que vous ayez une intention
pure, et un désir sincère de vous soumettre à la volonté de Dieu, sans
aucun égard à la dévotion sensible, ni à votre propre satisfaction,
vous êtes bien disposé, et que vous pouvez vous en approcher sans crainte.
98. Ce désir sincère est un écueil
contre lequel vous devez briser tous les scrupules et les doutes, toutes
les tentations, les répugnances et les frayeurs que vous sentez. La meilleure
préparation qu'on puisse apporter à la communion, c'est de communier
souvent, celle qui précède étant une disposition pour celle qui suit.
Cependant, il faut que je vous dise qu'il y a deux formes de préparation.
La première est pour les âmes extérieures, qui ont l'intention bonne,
et la seconde est pour les spirituels, qui vivent intérieurement, et qui
ont plus de lumière et de connaissance de Dieu, de ses Mystères, de ses
opérations et de ses Sacrements.
99. La préparation des âmes extérieures
est de se confesser, de se séparer des créatures, et de demeurer dans
le silence, en considérant qui est celui qu'elles vont recevoir, l'état
de celui qui le doit loger, en pensant que c'est la chose la plus importante
du monde que de bien recevoir Dieu. Et que c'est une faveur sans exemple
que la pureté même veuille habiter au milieu de l'impureté, la Majesté
dans la bassesse, et le Créateur dans la créature.
100. La seconde préparation, qui
regarde les âmes intérieures et spirituelles, consiste à vivre avec
plus de pureté et de renoncement à soi-même, dans un entier détachement,
une mortification intérieure, un recueillement continuel. Les âmes qui
sont en cet état n'ont pas besoin de se préparer actuellement ; toute
leur vie étant une préparation perpétuelle et parfaite.
101. Si vous ne sentez pas cette
vertu dans votre âme, il faut pour l'acquérir, vous approcher souvent
de cette Table sacrée. Ne vous en abstenez pas, parce que vous êtes fébrile,
froid et plein d'imperfections ; la fréquente communion étant une médecine
qui guérit les défauts et qui augmente les vertus. C'est parce que vous
êtes malade qu'il faut aller au Médecin, parce que vous êtes froid qu'il
faut vous mettre auprès du feu.
102. Pourvu que vous y veniez avec
humilité, avec un désir sincère d'obéir à Dieu, et avec la permission
de votre Confesseur, vous pouvez le faire tous les jours et vous en recevrez
tous les jours de nouveaux fruits. Ne vous effrayez point de ce que vous
vous voyez dénué de cet amour effectif et sensible, que quelques-uns
croient si nécessaire ; ce n'est qu'un mouvement naturel, qui n'est pas
parfait, et que Dieu donne d'ordinaire aux personnes faibles et délicates.
103. Mais direz vous, je me sens
mal disposé, sans dévotion, sans ferveur, et sans faim pour cette viande
divine, comment oserais-je m'en approcher ? Je réponds qu'aucune de ces
choses ne saurait vous êtres un obstacle, pourvu que vous ayez une ferme
résolution de ne plus pécher, d'éviter avec soin tout ce qui peut porter
au crime ; et que vous vous confessiez de tous ceux que vous pourriez vous
souvenir. Après cela, ne doutez point que vous ne soyez en état d'approcher
de cette Table sacrée.
CHAPITRE 14
Continuation du même sujet
104. Dans ce Sacrement auguste, Jésus-Christ
s'unit à l'âme, et devient une même chose avec elle ; ce qui est un
excès d'amour, si grand et si admirable, qu'il mérite toute notre attention
et notre reconnaissance. L'amour qu'il fait paraître pour le genre humain,
en le faisant homme, était grand, celui qu'il témoigna en souffrant pour
nous la mort honteuse de la Croix l'était encore plus ; mais celui qu'il
montre en se donnant tout entier à nous dans ce Sacrement, est incomparable.
C'est une faveur sans égale, un amour infini, et après cela il n'a plus
rien à donner ni nous recevoir, plût à Dieu que nous en puissions
approfondir et connaître l'immensité !
105. Quel miracle d'amour que Dieu,
étant ce qu'il est, veuille se communiquer à mon âme, et s'unir à la
misère même ! Que n'allons-nous rassasier à cette Table céleste, nous
consumer dans ce bûcher ardent, et devenir un même esprit avec le Seigneur
! Qui nous arrête ? Qui nous détourne ? Qui nous empêche de nous aller
jeter comme des Salamandres dans ce feu de l'amour Divin ?
106. Il est vrai, Seigneur, que
vous entrez en moi tout misérable que je suis ; mais il est vrai aussi
que vous demeurez dans votre gloire, dans votre splendeur, et dans vous-même.
Recevez-moi donc en vous, mon doux Jésus, dans votre Majesté et dans
votre beauté, puisqu'aussi bien la bassesse de mon âme ne saurait obscurcir
l'éclat de votre grandeur. Vivez au milieu de votre lumière et de votre
magnificence, quoique vous soyez dans mon obsurité et dans ma misère.
107. Ô mon âme, que vous êtes
vile et misérable ! Ah Seigneur ! Qu'est-ce que l'homme, pour vous souvenir
ainsi de lui ; et pour l'honorer de vos visites ? Qu'est-ce que l'homme,
que vous l'estimiez assez pour en faire vos délices, et pour venir habiter
en lui avec toute votre grandeur ? Comment une créature abjecte pourrait-elle
recevoir la Majesté infinie ? Plongez-vous, mon âme, jusque dans le fond
du néant, confessez votre indignité, considérez votre misère, reconnaissez
le miracle de l'amour Divin, dans ce Mystère incompréhensible où Dieu
s'abaisse jusqu'à se communiquer et s'unir à vous.
108. Quel excès d'amour que le
Divin Jésus se trouve dans une petite Hostie ! Qu'il se soumette à l'homme
en quelque manière, en se donnant tout entier à lui, et se sacrifiant
pour lui au Père Eternel ! Ô Souverain Seigneur, enchaînez mon coeur
par des liens si forts, qu'il ne retourne plus dans les dérèglements,
qu'il s'anéantisse, qu'il meurt au monde, et demeure uni avec vous pour
jamais.
109. Voulez-vous acquérir toutes
les vertus dans le plus haut degré, venez, Âme chrétienne, venez souvent
à cette Table sacrée où elles font leur demeure. Mangez de cette viande
Céleste, mangez-en avec persévérance, venez-y avec foi et avec humilité,
et vous en remporterez la pureté, la charité, la chasteté, la lumière,
la force, la perfection et la paix.
CHAPITRE 15
En quel temps on doit se servir
des pénitences spirituelles,
et des corporelles,
combien elles sont nuisibles lorsqu'elles
sont indiscrètes,
et qu'elles n'ont pour principe
que nos propres lumières.
110. Il y a des âmes, qui, pour
vouloir trop se hâter dans le chemin de la sainteté, reculent au lieu
d'avancer, en faisant des pénitences indiscrètes, à peu près comme
ceux qui en forçant leur voix la chauffent, et chantent d'une manière
qui choque extrêmement l'oreille.
111. Plusieurs personnes sont tombées
dans ce précipice, faute de vouloir le soumettre à leur Père spirituel,
s'imaginant qu'on ne peut devenir Saint, qu'en se livrant en proie aux
pénitences les plus austères ; comme si la sainteté ne consistait qu'en
cela. Ils disent d'ordinaire que celui qui ne sème que peu de grains n'en
saurait recueillir beaucoup ; mais s'ils ne jettent point d'autres semences
dans le champ céleste, que celles de leurs pénitences mal réglées,
ils n'y ferment que l'ivraie de l'amour propre, au lieu de le déraciner.
112. Le pire est que l'usage de
ces pénitences et de ces austérités infructueuses, produit dans le coeur
une amertume qui se répand sur nous et sur nos prochains. Comme on ne
goûte la douceur du joug de Jésus-Christ ni celle de la charité, la
nature s'aigrit et s'enflamme. Aussi voit-on que ces sortes de gens s'emportent
facilement contre leurs prochains, qu'ils les reprennent aigrement de leurs
défauts, et qu'ils les regardent comme des personnages imparfaits et peu
avancés, parce qu'ils les voient marcher dans une voie moins pénible
que la leur. Il n'est pas rare non plus qu'ils tirent vanité de leurs
exercices austères ; et que comme ils voient peu de gens qui les imitent,
ils s'estiment meilleurs que les autres : ce qui les empêche de faire
des progrès dans la vertu. Il leur arrive aussi souvent de porter envie
à ceux qui font moins de pénitences qu'eux, et à qui Dieu fait quelquefois
plus de grâces : ce qui fait voir clairement qu'ils mettaient leur confiance
sur leurs oeuvres.
113. L'aliment de l'âme est l'oraison,
et l'âme de l'oraison est la mortification intérieure. Et quoique les
pénitences corporelles et les autres exercices qui domptent la chair soient
bons et saints, pourvu qu'ils soient réglés par la direction conforme
à l'état où l'on se trouve, et aux avis du Directeur : cependant, elles
ne produisent aucune vertu, et ne font qu'enfler du vent de la gloire,
lorsqu'elles ne procèdent pas de l'intérieur. C'est pourquoi il est bon
de savoir en quel temps les pénitences extérieures sont le plus d'usage.
114. Quand l'âme commence à se
retirer du monde et du vice, il faut qu'elle dompte son corps par des austérités,
afin qu'il se soumette plus facilement à l'esprit et qu'il ne soit point
rebelle aux ordres de Dieu. C'est alors qu'il faut s'armer du silice, du
jeûne, de la discipline, pour couper les racines du péché. Mais quand
l'âme entre par la voie de l'esprit, et qu'elle embrasse la mortification
intérieure, il faut modérer les pénitences du corps ; parce que l'esprit
est assez fatigué, que le coeur s'affaiblit, que la poitrine se charge,
que le cerveau se détraque, et que tout le corps devient pesant et incapable
de servir aux actions de l'âme.
115. Un Directeur prudent ne doit
jamais permettre ces excès de pénitence corporelle extérieure, auxquels
une âme est portée, par la haute idée qu'elle a conçue de Dieu, dans
le recueillement intérieur, ténébreux et purgatif. La raison en est
qu'il ne faut pas fatiguer le corps et l'esprit en même temps, ni diminuer
les forces par des pénitences rigoureuses et excessives, lorsque les mortifications
intérieures les minent. Aussi Saint Ignace de Loyola dit-il fort bien
que dans la vie purgative, les pénitences corporelles sont nécessaires,
que dans l'illuminative elles doivent être modérées ; mais encore plus
dans l'Unitive.
116. Mais les Saints, direz-vous,
ont fait des pénitences horribles : je réponds qu'ils ne les ont pas
faite de leur tête, mais de l'avis de leurs Supérieurs et de leurs Directeurs,
qui les leur permettaient ; connaissant que le Seigneur les y portait intérieurement,
soit pour confondre par leur exemple la lâcheté des pécheurs, soit pour
tempérer la ferveur d'esprit, que leurs ravissements leur causaient, ou
pour d'autres fins particulières, qui ne donnent jamais lieu à une règle
générale.
CHAPITRE 16
Différence entre les pénitences
intérieurs et extérieures.
117. Les pénitences qu'on s'impose
soi-même, pour rigoureuses qu'elles soient, sont douces en comparaison
de celles que les autres nous font faire. L'amour propre, et le plaisir
qu'il y a à faire un choix libre et volontaire, contrepèsent la douleur
des premières : au lieu que tout est pénible dans les secondes, et les
mortifications elles-mêmes, et la cause d'où elles procèdent, qui est
la volonté, et le bon plaisir d'un autre, auquel il faut le soumettre.
118. C'est ce que Jésus-Christ
voulait marquer à Saint Pierre, lorsqu'il lui disait et à toute l'Eglise
en la personne de son chef. Quand vous étiez jeune, vous vous mortifiiez
vous-même ; mais quand vous serez passé à une discipline plus sublime,
et que vous serez plus avancé dans la vertu, un autre vous ceindra et
vous mortifiera. Alors, si vous voulez me suivre parfaitement, il faut
vous renoncer à vous-même, et quitter votre croix pour prendre la mienne,
c'est à dire, souffrir sans murmures qu'un autre vous crucifie.
119. Ne prétendez pas qu'il y ait
sur ce sujet de la différence entre les hommes. Votre père, vos enfants,
vos amis et vos frères seront les premiers à vous mortifier, et à se
soulever contre vous, soit par de fausses raisons ou par fantaisie. Ils
vous feront passer pour un insensé, ou pour un hypocrite ; ils tâcheront
de vous détourner de vos saints exercices ; et cela vous arrivera fort
souvent, si vous voulez servir sincèrement le Seigneur, et vous laisser
purifier à lui.
120. Soyez persuadé qu'encore que
les mortifications et les pénitences extérieures, qu'on s'impose soi-même
soient bonnes, elles ne sauraient toutes seules vous mener à la perfection,
parce qu'elles ne domptent que le corps, et ne purifient pas l'âme des
passions intérieures, qui empêchent la contemplation parfaite et l'union
divine.
121. Il est très facile de mortifier
le corps par l'esprit ; mais non pas l'esprit par le corps. Ainsi, la mortification
de l'esprit, qui consiste à vaincre les passions, à déraciner l'amour
propre, à se défaire de son choix et de son jugement, doit nous occuper
sans relâche, jusqu'à la mort, pour élevé que soit l'état où nous
nous trouverons ; les pénitences extérieures et corporelles ne suffisent
pas pour nous rendre parfaits.
122. Qu'un homme s'accable s'il
veut de tous les tourments, que tous les hommes ensemble ont jamais soufferts,
et de toutes les pénitences, qui ont été faites jusqu'ici dans l'Eglise,
s'il ne se renonce, s'il ne se mortifie intérieurement, il demeurera toujours
fort éloigné de la perfection.
123. Ce qui arriva au bienheureux
Henri Sufo est une preuve de cette vérité. Après vingt ans de cilices,
de disciplines et d'austérités si grandes que leur seule lecture fait
frémir, Dieu versa sur lui, durant une extase, une lumière, qui lui fit
connaître, qu'il n'avait pas encore commencé le chemin de la perfection,
et que si le Seigneur ne le mortifiait par des tentations et des mortifications
violentes, il n'arriverait jamais au terme. Cela peut vous faire comprendre
combien les mortifications intimes et spirituelles diffèrent des corporelles
et des extérieures.
CHAPITRE 17
Qu'on ne doit point s'inquiéter,
lorsque tombe dans quelque faute,
mais en faire profit.
124. Quand vous tomberez dans quelque
faute, au lieu de vous chagriner et de vous troubler, considérez que ce
sont des infirmités de la Nature corrompue par le péché originel, qui
est si enclin au mal, que sans un privilège aussi singulier que celui
de la Sainte Vierge, il n'est pas possible d'être exempt de péché viénel.
125. Si lorsque vous avez commis
quelque faute par inadvertance, vous vous inquiétez, c'est une marque
d'orgueil secret. Croyez-vous donc de n'avoir plus de défauts et de n'être
plus fragile ? Quoique Dieu laisse aux plus saints et aux plus parfaits
quelques restes de leur faiblesse naturelle, pour les tenir dans l'humilité,
les rendre plus circonspects, et leur faire penser qu'ils ne sont pas encore
sortis de l'état d'imperfection, puisqu'ils retombent à tout moment dans
les défauts de ceux qui commencent.
126. Y a-t-il de quoi s'étonner
que vous fassiez quelque légère chute ? Humiliez-vous, reconnaissez votre
misère, et rendez grâces à Dieu, qui vous a préservé d'une infinité
de crimes, où votre inclination naturelle vous aurait indubitablement
porté. Que peut-on attendre d'une terre aussi infertile que notre nature
l'est, que des épines et des chardons. C'est un miracle de la grâce que
nous ne tombions pas à tout moment dans une infinité de péchés, et
si Dieu ne nous soutenait continuellement, nous remplirions le monde de
scandale et d'horreur.
127. Dès que vous aurez fait quelque
chute, l'ennemi du genre humain tâchera de vous persuader que vous ne
marchez point d'un pas ferme dans la vie spirituelle, que vous vous trompez,
que jamais vous ne fîtes une bonne confession générale, que vous n'eûtes
jamais une vive douleur de vos fautes, ni ne vous en corrigeâtes jamais
bien, et qu'ainsi vous êtes hors de Dieu et de la grâce. Que si vous
retombez par malheur dans ce péché véniel, quels troubles, quelles craintes,
quelles frayeurs, quelles réflexions accablantes ne vous mettra-t-il point
dans l'esprit ? Il vous représentera que vous consumez le temps en vain,
que nous ne faîtes rien, que votre oraison est infructueuse, que vous
ne vous préparez pas à recevoir la communion, que vous ne vous mortifiez
pas, comme vous le promettez à Dieu tous les jours ; que l'oraison et
la communion ne sont qu'une vanité toute pure, sans la pénitence. C'est
ainsi que le Démon s'efforcera de vous faire désespérer de la grâce
de Dieu, et de vous persuader que vous reculez au lieu d'avancer, puisque
vous faites tous les jours de nouvelles chutes.
128. Ouvrez les yeux, Âme chrétienne,
et ne vous laissez pas prendre aux amorces trompreuses de Satan, qui ne
cherche qu'à vous séduire par des raisons plausibles, mais fausses, arrêtez
le cours de ses réflexions, et fermez la porte à ces vaines pensées
et à ces suggestions du Diable. Défaîtes vous de cette crainte et de
cette lâcheté, et que la connaissance de votre miséricorde ne fasse
qu'exciter en vous une forte confiance sur la miséricorde divine. Si vous
tombez demain, comme vous avez fait aujourd'hui, reposez-vous de nouveau
sur cette bonté souveraine et plus qu'infinie, qui est si prompte à oublier
nos fautes, et à nous recevoir entre ses bras comme ses enfants.
CHAPITRE 18
Suite de la même matière.
129. Aussitôt donc que vous serez
tombé en quelque faute, sans perdre le temps à faire des réflexions
sur votre chute, dissipez votre crainte, votre inquiétude et vos troubles,
en reconnaissant humblement votre misère, tournez-vous vers le Seigneur,
avec une confiance amoureuse ; mettez-vous en sa présence, demandez-lui
pardon de tout votre coeur, sans parler, ni faire de bruit ; et vous reposant
là-dessus, sans faire réflexion, si Dieu vous a pardonné où s'il vous
tient encore pour coupable, reprenez vos exercices, et rentrez dans le
recueillement, comme si vous n'étiez point tombé.
130. Ne traiteriez-vous pas de ridicule
un homme, qui disputant du prix de la course, et venant à broncher au
milieu de la carrière, demeurerait couché par terre, à faire des lamentations
sur sa chute? Levez-vous mon ami, lui diriez-vous, et sans perdre de temps,
remettez-vous à courir ; car qui se relève promptement et poursuit sa
carrière, est comme celui qui n'est point tombé.
131. Si vous souhaitez d'atteindre
à la perfection et à la paix intérieure, il faut être ceint, jour et
nuit, de l'épée de la confiance, et faire usage de cette humble et amoureuse
conversation, et de cette assurance entière sur la miséricorde Divine,
dans tous les défauts et toutes les imperfections, où vous aurez succombé,
soit de propos délibéré, ou par inadvertance.
132. Que si vous tombez souvent
et que vous vous sentiez découragé, tâchez de vous animer et de ne vous
laisser abbatre à l'affliction. Ce que Dieu ne fait pas en quarante ans,
il le fait quelquefois en un moment, par une grâce particulière, afin
que nous soyons humbles, et que nous reconnaissions que c'est la main toute
puissante qui nous délivre de nos défauts.
133. C'est un effet de la sagesse
impénétrable de Dieu, qu'il se serve non seulement des vertus, mais encore
des vices et des passions, par lesquelles le Démon prétend nous précipiter
dans l'abîme, pour nous faire monter au Ciel. Alcendamus etiam pervisia
& passiones nostras, dit Saint Augustin. De peur que nous ne fassions
de la Médecine un venin, et que nous ne transformions les vertus en vice,
Dieu change les vices en vertus, et nous guérit par le même poison, qui
devait nous ôter la vie. Quia ergo nos de medicamentes vulnus facimus,
dit Saint Grégoire, facit ille de vulnare medicamentum, ut qui virtute
percusimur visio cutemur.
134. C'est par les petites chûtes
que le Seigneur nous convainct que c'est la bonté toute seule qui nous
préserve des grandes. C'est par là qu'il nous rend humbles et vigilants,
de quoi notre nature fière et paresseuse a extrêmement besoin. Ainsi,
quoi que vous deviez être toujours sur vos gardes, du côté de vos imperfections
; cependant, quand vous y succomberiez mille fois, il faut vous servir
du remède que j'ai marqué, qui est une confiance amoureuse sur la miséricorde
Divine. Ce sont les armes avec quoi vous devez combattre la paresse spirituelle
et les vaines pensées. C'est le moyen qu'il faut mettre en usage pour
ne pas perdre de temps en regrets inutiles, et pour faire des progrès
dans la vertu. Ce sont les riches ornements dont il faut parer votre âme
; pour la mener sur la haute montagne de la perfection, de la tranquillité
et de la paix intérieure.
(Première Partie = livre 1 et livre
2)
Livre 3 ( =Deuxième
Partie), p.208 pdf
Des martyres spirituels, avec lesquels
Dieu purifie l'âme, de la contemplation infuse ou passive, de la résignation
parfaite, de l'humilité du coeur, de la sagesse, du vrai anéantissement
et de la paix intérieure.
Chapitre premier
Les différences qu'il y a entre
l' homme intérieur et l' homme extérieur.
Il y a deux genres de personnes spirituelles : les unes sont intérieures, les autres extérieures. Celles-ci cherchent Dieu à partir du dehors, par le raisonnement, l'imagination, et la réflexion. Afin d'acquérir les vertus, elles pratiquent non sans grand effort, l'abstinences, la mutilation du corps ainsi que la mortification des sens. Se livrant ainsi à une pénitence rigoureuse, portant le cilice, châtiant leur chair avec discipline, observant le silence et portant en elles la présence de Dieu, présence qu’elles forment dans leur pensée ou leur imagination, que ce soit sous les traits d'un pasteur, ou d'un médecin, ou bien d'un père et seigneur aimant. Elles se délectent à parler sans relâche de Dieu, en accomplissant souventefois des actes d'amour fervent. Et tous ceci est art et méditation. Par cette voie, elles désirent la grandeur, et, à travers des mortifications volontaires et extérieures, elles vont à la recherche d'affections sensibles et de sentiments de ferveur, croyant que Dieu ne réside qu'en elles. Tel est la voie extérieur, celle des débutants. Et bien que cette voie soit bonne, ce n'est pas par elle que l'on parvient à la perfection, ou que l'on avancera d'un pas vers elle, comme le montre l'expérience démontré par plusieurs. Après cinquante ans de cet exercice extérieur, celles-ci se trouvent vides de Dieu et imbues d'elles-mêmes, et n'ont de spirituel que le nom.
II y a les autres spirituels, vrais,
qui ont débutés en suivant les principes du chemin intérieur, de celui
qui conduit à la perfection et à l'union avec Dieu, chemin auquel le
Seigneur, dans sa miséricorde infinie, les a appelés, alors qu'ils empruntaient
le chemin extérieur là où ils s'étaient d'abord exercés. Ceux-là,
recueillis en l'intérieur de leur âme, pratiquant un véritable abandon
entre les mains de Dieu, un oubli et un dépouillement total, y compris
de soi, ont toujours leur esprit porté en la présence du Seigneur, par
le moyen de la foi pure, sans image, sans forme ni figure, mais avec une
grande sécurité basée sur la tranquillité et la paix intérieur. Et,
dans son recueillement infus, l'esprit se manifeste avec une telle force
qu'il engendre un recueillement intérieur de l'âme, du cœur, du corps
et de toutes les forces corporelles.
Ces âmes-là [les méditatifs intérieurs]comme
elles sont déjà passées par la mortification intérieure et que Dieu
les a purgées par le feu de la tribulation, avec d'infinis et d'horribles
tourments, qu'elles ont été ordonnées de Sa main à Sa manière, elles
sont maîtresses d'elles-mêmes car elles sont dominées et ont renoncé
à elles-mêmes ; aussi vivent-elles en sérénité et dans la paix intérieure.
Et, bien qu'en de nombreuses occasions elles éprouvent résistance et
tentations, elles sont tout de même victorieuses. Parce que ce sont des
âmes déjà éprouvées et remplies de la force Divine, les mouvements
des passions ne peuvent pas durer longtemps sur eux. Et les tentations
véhémentes ou les mauvaises suggestions de l'ennemi s'allongeraient,
qu'elles en triompheraient tout de même avec un bénéfice infini, parce
que c'est Dieu qui combat à l'intérieur d'elles.
Ces âmes [les méditatifs intérieurs]qui
se sont procuré une grande lumière et une véritable connaissance du
Christ Notre-Seigneur, aussi bien de sa divinité que de son humanité.
Elles cultivent cette connaissance infuse avec calme et silence au sein
de leur retraite intérieure, dans la partie supérieure de leur âme,
leur esprit étant libéré des images et représentations extérieures,
et leur amour purifié et détaché de toute créature. Elles s'élèvent,
même de leurs actions extérieures, à l'amour de l'humanité du Christ
et de sa divinité. Plus grande est leur connaissance, plus elles aiment.
Plus elles jouissent, plus elles s'oublient; et en toute chose elles font
l'expérience d'aimer leur Dieu avec tout leur cœur et leur esprit.
Ces âmes [les méditatifs intérieurs]
heureuses et de grande élévation ne se réjouissent de rien au monde,
si ce n'est qu'on les méprise, qu'elles se voient seules et que le monde
les abandonne et les oublie. Elles vivent tellement détachées que, bien
qu'elles reçoivent continuellement beaucoup de grâces surnaturelles,
elles ne changent pas et ne sont pas plus portées vers ces grâces que
si elles ne les avaient pas reçues. Gardant toujours, dans l'intimité
de leur cœur, une grande humilité et un grand mépris pour elles-mêmes,
puisqu'elles sont toujours plongées dans l'abîme de leur indignité et
de leur infamie. De la même manière, elles restent calmes, sereines et
constantes, aussi bien dans les victoires et les faveurs extraordinaires
que dans les tourments les plus rigoureux et les plus cruels. Il n'est
de nouvelle qui les réjouisse, ni d’évènements qui les attriste. Elles
ne s'émeuvent pas des tribulations, ni ne tirent vanité du commerce intérieur
et continuel avec Dieu, car elles sont toujours pleines de la sainte crainte
filiale, dans une paix, une confiance et une sérénité merveilleuses.
Chapitre II
La Suite du même sujet
Dans le chemin extérieur, les âmes,
afin de devenir vertueuses, s'appliquent continuellement à des actes de
toutes les vertus prises les unes après les autres (le dessein étant
de se purger des imperfections avec des moyens appropriés à leur ruine),
Elles essaient de briser leurs attachements aveugles avec des activités
différents et même opposés ; mais elles ont beau s'y épuiser,
elles ne parviennent à aucun résultat, parce que nous ne pouvons, par
nous-mêmes, rien faire qui ne soit imperfection et misère.
Mais, dans la voie intérieur et
le recueillement amoureux dans la présence Divine, comme c'est le Seigneur
qui est à l'œuvre, la vertu s'établit, les attachements sont rompus,
les imperfections détruites, les passions éradiquées, et l'âme se trouve
libre et détachée, quand les occasions divines se présentent, sans avoir
jamais pensé au bienfait que le Seigneur, dans son infinie miséricorde
a préparé pour elles.
Vous devez savoir que ces âmes
bien qu'elles se perfectionnent , alors qu'elles reçoivent la véritable
Lumière de Dieu, ont par cette Lumière une connaissance profonde de leurs
misères, faiblesses et imperfections. Elles savent combien elles sont
éloignées de la perfection vers laquelle elles cheminent. Elles se répugnent
et se réprouvent elles-mêmes, et elles s'exercent à la crainte amoureuse
de Dieu et au mépris de soi, mais avec une véritable espérance en Dieu
et méfiance à leur propre égard. Plus elles s'humilient avec un vrai
mépris et une vraie connaissance de soi, plus elles plaisent à Dieu et
parviennent à demeurer en sa présence avec respect et profonde adoration.
Toutes les bonnes œuvres qu'elles font et ce qu'elles souffrent continuellement,
tant à l'intérieur d'elles-mêmes qu'à l'extérieur, elles le tiennent
pour rien devant cette divine présence.
Elles s'appliquent continuellement
à pénétrer en Dieu à l'intérieur d'elles-mêmes, dans la quiétude
du silence, parce que là se trouvent leur centre, leur demeure et leurs
délices. Elles ont plus d'estime pour cette retraite intérieure que pour
un discours sur Dieu. Elles se retirent dans ce centre intérieur et secret
de leur âme, pour connaître Dieu et recevoir son influence divin avec
crainte et révérence amoureuse. Si elles vont à l'extérieur, elles
y vont seulement pour se connaître et se mépriser soi-même.
Mais tu sauras que peu nombreuses
sont les âmes qui arrivent à cet heureuse condition, car il en est peu
qui veulent embrasser le mépris et souffrir pour se raffiner et se purifier.Pour
cette raison, qu'elles sont nombreuses celles qui s'engagent dans ce chemin,
mais choses rares celles qui vont de l'avant et qui n'en restent pas collées
aux commencements. Le Seigneur a dit à une âme : «Ce chemin intérieur
est emprunté par un petit nombre, c'est une grâce si grande que personne
n'en est digne , très peu y marche, car il n'est pas autre chose qu'une
mort pour les sens; et il n'en est guère qui veulent ainsi mourir et être
anéantis, disposition sur laquelle est fondé ce don souverain. »
Ainsi donc tu seras détourné de
l'erreur. Tu connaîtras parfaitement la grande différence qu'il y a entre
la voie extérieure et celle de l'intérieur et sauras combien la présence
de Dieu issue de la méditation est différente de celle qui est infuse
et surnaturelle qui est issue du recueillement intérieur infus et de la
méditation passive. Et finalement tu connaitra la grande différence qu'il
y a entre l'homme extérieur et l'homme intérieur.
Chapitre III
On n'arrive pas à la paix intérieure
par les douceurs sensibles ni par les consolations spirituelles, mais par
le renoncement à son amour-propre
Aux dires de Saint Bernard, servir
Dieu n'est rien d'autre que de faire le bien et de supporter le mal. Qui
veut arriver à la perfection par la douceur et la consolation vit dans
l'illusion. Tu ne doit pas attendre de Dieu d'autre consolation que de
Lui donner ta vie, mû par l'obéissance vraie et la soumission. Le chemin
du Christ ne fut pas celui de douceur et de tendresse , et tel n'est pas
celui auquel il nous a conviés quand il a dit: « Celui qui veut venir
après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il
me suive» (Mt 24, 26). Si une âme veut s'unir avec le Christ, il lui
convient de se modeler sur lui, en le suivant dans sa souffrance.
Vous commencerez à jouir de la
douceur de l'amour divin dans la prière, mais l'ennemi, avec ses jongleries
mensongères, vous inspirera des désirs de désert et de solitude, afin
que vous puissiez, sans être gêné par personne, tendre vos voiles à
la prière continue et savoureuse. Ouvrez les yeux et considèrez que ce
conseil et ce désir ne se conforment pas au vrai conseil du Christ Notre
Seigneur, lequel ne nous a pas invités à rechercher l'agrément et la
consolation de notre volonté propre, mais le renoncement à soi, quand
il a dit: « Qu'il renonce à lui-même », comme s'il avait dit: « Celui
qui veut me suivre et atteindre la perfection, qu'il aliène son propre
jugement, et, abandonnant toutes choses, qu'il se plie en toutes choses
au joug de l'obéissance et de la sujétion, par le renoncement à soi-même,
ce qui est la croix la plus véritable. »
Il y a beaucoups d'âmes vouées
à Dieu, qui reçoivent de Sa main de grande pensées, des visions et des
élévations mentales. Et que malgré tout cela, le Seigneur ne leur aura
pas donné la grâce de faire des miracles, de pénétrer les secrets cachés
et de prédire les événements futurs, comme Il communique ces choses
à d'autres âmes qui sont passées avec constance par la tribulation,
la tentation et la véritable croix, dans un état assujettie de parfaite
humilité et de confiance.
Oh! Quel grand bonheur pour une
âme d'être soumis et assujetti! Quelle grande richesse que d'être pauvre!
Quel puissant honneur que d'être méprisé! Quelle élévation que d'être
abaissé! Quelle consolation que d'être affligé! Qu'il est profitable
au savoir que d'être tenu pour ignorant! Et finalement quelle bonheur
incomparable que d'être crucifié avec le Christ! C'est dans ce bonheur
que se glorifiait l'apôtre: «Glorifions-nous, par la Croix de Notre Seigneur
Jésus-Christ» (Ga 6, 14). Que les autres se glorifient dans leurs richesses,
leurs dignités, leurs délices et leurs honneurs! Pour nous, il n'est
point d'autre honneur que d'être reniés, méprisés et crucifiés avec
Christ.
Mais, quelle douleur! à peine y
a-t-il une âme qui méprise les plaisirs spirituelles et qui veuille renoncer
à lui-même pour Christ, embrassant sa croix avec amour. «Il y a beaucoup
d'appelés mais peu d'élus. » (Mt 22), dit l'Esprit-Saint. Nombreux sont
ceux qui sont appelés à la perfection, mais peu sont ceux qui y parvienne,
parce que rares sont ceux qui embrassent la croix avec patience, constance,
paix et résignation.
Renoncer à soi-même en toute chose,
se soumettre au jugement d'un autre, mortifier continuellement toutes les
passions intérieures, s'anéantir soi-même en tout et pour tout, suivre
toujours ce qui est contraire à sa volonté propre, à son jugement et
à ses appétits personnels : tout cela est le fait d'un petit nombre.
Beaucoup l'enseignent, mais peu le pratiquent.
Beaucoup d'âmes ont emprunté et
empruntent chaque jour ce chemin ; et elles y persévèrent tant qu'elles
goûtent la douceur savoureuse du miel de la première ferveur. Mais à
peine cette suavité et cette douceur se perdent-elles sous l'effet de
la tempête née de la tribulation, de la tentation et de la sécheresse
(autant de choses nécessaires utiles à l'homme pour gravir la haute montagne
de la perfection), qu'elles déclinent et rebroussent chemin. C'est le
signe manifeste qu'elles se cherchaient elles-mêmes au lieu de chercher
Dieu et la perfection.
Il est des âmes qui ont reçu la
lumière, ont été appelées à la paix intérieure, et qui par manque
de constance dans la sécheresse, la tribulation et la tentation, ont rebroussé
chemin. Plaise à Dieu qu'elles ne soient pas jetées dans les ténèbres
extérieures, comme celui qui fut découvert sans la robe de noce et qui
n'avait pas fait ses dispositions, se laissant emporter par son amour-propre.
Il faut vaincre ce monstre de l'amour-propre.
Il faut égorger cette bête à sept têtes, pour atteindre le sommet de
la haute montagne de la paix. Il n'est rien dont ce monstre ne se nourrit
: ou bien il s'insinue parmi nos proches, qui, par leur affection à notre
endroit disent des choses étranges et empêchent que notre nature ne se
laisse facilement convaincre. Ou bien il se mêle, sous les nobles traits
de la gratitude, soit à un attachement fervent et sans bornes pour le
confesseur, soit à un attachement pour quelque vaine gloire fort subtile,
d'ordre spirituel ou temporel, ou pour un sentiment très pointilleux de
l'honneur : autant de réalités qui se prennent à notre chair, Ou bien
il se plaît aux douceurs spirituelles et va jusqu'à s'établir sur les
dons mêmes de Dieu et les grâces gratifiés. Ou bien il désire avec
outrance la conservation de la santé et, tout en dissimulant, recherche
les égards et son intérêt personnel. Ou bien il veut se donner bel air
avec des subtilités fort ingénieuses. Et finalement, en toute chose,
Il se plaît, avec une inclination marquée, à son jugement et ses vues
personnelles, dont les racines plongent dans la volonté propre : si on
n'y renonce pas, il est impossible d'accéder à la cime de la contemplation
parfaite, à la félicité suprême et au trône sublime de la paix intérieure.
L'amour de soi-même est comme un
monstre, il faut le vaincre, et ce n'est que par cette victoire qu'on arrive
au sommet de la montagne de Paix. C'est une hydre aux têtes sans nombre
qui se glisse partout. Tantôt ce sont nos parents, qui, par leurs paroles,
l'indulgence naturelle qu'ils ont pour nous, nous sont un puissant obstacle,
tantôt c'est le respect et la reconnaissance que nous avons pour notre
directeur qui se changent en affection démesurée. Quelquefois l'amour-propre
se métamorphose en ambition et en vanité dangereuses, en attachement
pour ce qui passe, en recherche des égards qu'on nous témoigne, en soif
des douceurs de la dévotion, des dons divins ou des grâces du Seigneur.
Parfois nous souhaitons sans mesure la conservation de notre santé, et
sous ce prétexte nous nous enchaînons au désir de la bonne chère et
au confort de la vie! Enfin l'amour de nous-mêmes nous attache en toutes
choses à nos sentiments et à nos désirs, et nous pousse à souhaiter
de les voir triompher autour de nous comme en nous. Si nous voulons un
jour en arriver à la contemplation parfaite, à la Sainte union et à
la paix intérieure, il nous faut renoncer à cet amour de nous-mêmes.
Chapitre IV
Des martyrs spirituels avec lesquels
Dieu assaini l'âme qu'Il veut unir à Lui
Il te sera maintenant indiqué quels
sont les deux moyens dont Dieu a coutume de se servir pour purger les âmes
qu'il entend perfectionner et illuminer, en vue de les unir à Lui. Le
premier, dont il sera question dans ce chapitre et le suivant, ce sont
les eaux amères de l'affliction, de la tentation, de l'angoisse, des contrariétés
et tourments intérieurs. Le second, c'est le feu ardent d'un amour enflammé,
impatient et dévorant. Peut-être Dieu se sert-il de l'un et l'autre dans
les âmes qu'il veut combler de grâces, d'amour, de lumière et de paix
intérieure. Ou bien il les plonge dans le bain décapant des tribulations
et amertumes intérieures et extérieures, les embrasant au feu de l'âpre
tentation; ou bien il les introduit dans le creuset de l'amour ardent et
jaloux, pour les mettre à très rude épreuve, car plus le Seigneur veut
que l'illumination de l'âme et son union avec lui soient exemplaires,
plus douloureuses sont la torture et la purgation. Toute connaissance de
Dieu et toute union avec lui naissent en effet de la souffrance, qui est
la preuve véritable de l'amour.
Ah! si vous pouviez connaitre les
grands avantages de la tribulation! C'est elle qui efface les péchés,
qui purifie l'âme, et produit en elle la patience. C'est elle qui enflamme
la prière pendant qu'on s'y adonne, qui la dilate et lui fait accomplir
l'acte de charité le plus élevé. C'est elle qui réjouit l'âme, la
rapproche de Dieu, la fait crier vers lui et entrer au Ciel. C'est elle
qui met à l'épreuve les vrais serviteurs du Seigneur, et les rend sages,
forts et constants. C'est elle qui fait que Dieu nous entend rapidement.
Dans ma détresse, j'ai crié à l'Éternel et Il m'a délivré. (ps 119).
C'est elle qui anéantit, affine et perfectionne. C'est elle qui finalement
rend célestes les âmes terrestres, et divines les âmes humaines, en
les transformant et en les unissant de manière merveilleuse à son humanité
et sa divinité. Saint Augustin eut bien raison de dire que la vie de l'âme
sur la terre est la tentation. Bienheureuse l'âme qui est toujours combattue,
si elle résiste avec constance à la tentation! Tel est le moyen que prend
le Seigneur pour l'humilier, l'anéantir, l'affermir, la mortifier, la
désavouer, la perfectionner et la remplir de ses dons divins. Oui, par
ce moyen de la tribulation et de la tentation, Dieu arrive à la transformer.
Soyez persuadé que, pour que l'âme devienne parfaite, tentations et combats
lui sont nécessaires.
Ô âme bénie, si tu savais garder
constance et quié-tude dans le feu de la tribulation, et si tu te laissais
laver dans les eaux amères de l'affliction, avec quelle rapidité tu te
trouverais enrichie de dons célestes! Avec quelle promptitude la bonté
divine établirait dans ton âme un trône somptueux, une gracieuse et
récomfortante demeure pour t'y rafraichir!
Sache que le Seigneur ne trouve
son repos que dans les âmes en quiétude, dans celles où le feu de la
tribulation et de la tentation a consumé les résidus des passions, et
dans celles où l'eau amère des afflictions a dévoré les taches immondes
des appétits déréglés. Et finalement ce Seigneur ne prend de repos
que dans l'âme où règne la quiétude et d'où a été banni l'amour-propre.
Mais votre âme ne parviendra pas
à ce bienheureux état ni ne palpera ce joyau précieux de la paix intérieure
- dût-elle, avec la grâce de Dieu, avoir remporté la victoire sur ses
sens extérieurs - tant qu'elle ne sera pas purifiée des folles passions
de la concupiscence, de l'estime de soi-même, des désirs et préoccupations,
même d'ordre spirituel ; tant qu'elle ne sera pas purifiée de beaucoup
d'autres attaches et vices cachés, qui sont à l'intérieure d'elle-même
et empêchent misérablement l'entrée pacifique de ce grand Seigneur,
qui veut s'unir à vous et vous transformer.
À ce grand don de la paix de l'âme,
les vertus acquises font elles-mêmes obstacle, si elles ne sont pas purifiées.
L'âme est également entravée par son aspiration désordonnée aux dons
sublimes, par son appétit de consolations spirituelles sensibles, par
son attachement aux grâces divines infuses. Elle y met sa complaisance
et en désire beaucoup d'autres encore afin d'en jouir. Finalement, elle
est entravée par son aspiration à la grandeur.
Oh! Que de choses sont à purifier
dans une âme qui doit gravir la sainte montagne de la perfection et de
la transformation en Dieu ! Oh! Que l'âme doit être bien disposée, dépouillée,
éprise de renoncement et d'anéantissement, pour ne pas empêcher l'entrée
de ce divin Seigneur, ni sa communication continuelle!
Préparer l'âme dans ses profondeurs
à l'entrée de Dieu en elle est une œuvre qui, de nécessité, doit être
accomplie par la divine Sagesse. Si un séraphin n'est pas en mesure de
purifier l'âme, comment cette âme elle-même, qui est fragile, misérable
et sans expérience, se purifiera-t-elle?
C'est pourquoi le Seigneur même
vous disposera et vous préparera passivement, sans que vous le compreniez,
avec le feu de la tribulation et du tourment intérieur, sans autre disposition
de votre part que le consentement à la croix intérieure et extérieure.
Vous ferez l'expérience en vous-mêmes
de la sécheresse passive, des ténèbres, des angoisses, des contradictions,
du dégoût continuel, du délaissement intérieur, des horribles solitudes,
de fortes suggestions continuelles et des tentations véhémentes de l'ennemi.
Et finalement vous vous retrouverez dans une telle agitation, que vous
serez incapable d'élever votre cœur étant rempli d'amertume, pas même
pour accomplir le moindre geste de foi, d'espérance ou d'amour.
Alors vous vous verrez délaissé
et sujet à vos passions : impatience, colère, rage, blasphème et appétits
désordonnés. Vous vous verrez comme la plus misérable des créatures,
la plus pécheresse, la plus abhorrée de Dieu et la plus dénuée de toute
vertu, souffrant pour ainsi dire peines d'enfer, vous voyant dans l'affliction
et la désolation, parce que vous penserez avoir complètement perdu Dieu.
Ainsi sera pour vous le fer le plus cruel, le tourment le plus affreux.
Supposons que vous vous voyez opprimés
de la sorte et que votre âme semblerait à l'évidence être orgueilleuse
, impatiente et agitée. Même alors, ces tentations ne trouveront en votre
âme ni efficacité, ni collusion, grâce à la vertu cachée et au don
de cette force intérieure qui règne en sa plus profonde intimité, et
qui surmontera la peine la plus terrible et la tentation la plus véhémente.
Sois constante, ô âme bénie,
sois constante, car tu n'aimeras jamais Dieu davantage ni te trouveras
plus près de lui que dans de semblables délaissements. En effet, si le
soleil est caché par les nuages, il ne change pas de place pour autant,
ni ne perd sa merveilleuse splendeur. Le Seigneur permet en ton âme ce
pénible délaissement afin que tu te purifie, que tu te laves, que tu
te renonces et te dépouilles de toi-même, et pour que de cette manière
tu sois tout à lui et que tu te livres à lui entièrement, de même que
son infinie bonté se donne entièrement à toi pour que tu sois ses délices.
En effet, bien que tu frémisses, que tu te lamentes et que tu pleures,
lui se réjouit et prend son plaisir au plus secret et au plus intime de
ton âme.
Ce chapitre est spécifiquement
lié et fait référence à des discussions de Tribulation pour apaiser
la crainte que la recherche de Dieu et la rencontre de l'opposition surnaturelle
soit trops étrange et soit évité, au lieu d'être accepté comme souffrance
que Dieu permet dans le cadre de Son processus de purification( un mini-Enfer,
communément appelé tribulation) sur Terre. Le reste du livre y est consacré
aussi. H.W.
Chapitre V
Combien il est important et nécessaire
à l'âme intérieure de supporter aveuglément ce premier martyr spirituel
Pour que l'âme devienne céleste,
de terrestre qu'elle était, et qu'elle arrive à ce bien suprême de l'union
avec Dieu, il est nécessaire qu'elle se purifie dans le feu de la tribulation
et de la tentation. Et bien que ce soit une vérité et une maxime vérifiée,
que tous ceux qui servent le Seigneur doivent souffrir peines, persécutions
et tribulations, les âmes heureuses qui sont guidées par Dieu sur la
voie secrète du chemin intérieur et de la méditation purgative doivent
endurer surtout de fortes et horribles tentations, et des tourments plus
atroces que ceux qui ont valu leur couronne aux martyrs de l'Église primitive.
Les martyrs, sans compter que leur
tourment était bref (quelques jours à peine), se réjouissaient, par
l'effet d'une claire lumière et d'une grâce spéciale, dans l'espoir
de récompenses prochaines et assurées. Mais quand l'âme désolée doit
mourir à soi-même, dépouiller et purifier son cœur, et qu'elle se voit
abandonnée de Dieu, environnée de tentations, de ténèbres, d'angoisses,
de transes, de désirs ardents et de sécheresses rigoureuses, elle fait
l'épreuve de la mort à chaque instant, au sein d'un pénible tourment
et d'une redoutable désolation. Elle ne ressent pas la moindre consolation,
et son affliction est si profonde que ce n'est pas, dirait-on, une peine
passagère, mais une mort prolongée et un martyre continuel. Mais, hélas!
comme elles sont peu nombreuses les âmes qui suivent le Christ Notre-Seigneur
avec paix et résignation dans de pareils tourments!
Pour ce qui est des martyrs d'autrefois,
ce sont les hommes qui les suppliciaient, et Dieu consolait leur âme.
Là, c'est Dieu même qui fait souffrir, qui se cache, et ce sont les démons
qui, comme de cruels bourreaux, tour-mentent de mille manières le corps
et l'âme; et l'homme tout entier reste crucifié au-dedans comme au-dehors.
Tes angoisses te paraîtront insurmontables,
et irrémédiables tes afflictions; et tu penseras que la pluie du ciel
sur toi ne descend plus. Tu te verras investi de douleurs, assiégé de
tourments intérieurs ; tes facultés se feront ténébreuses, et stérile
ton raisonnement. Tu seras assailli de tentations véhémentes, de méfiance
et de scrupules accablants. La lumière de l'esprit et la raison même
te délaisseront.
Toutes les créatures te donneront
l'occasion de déplaisir ; les conseils spirituels te feront souffrir;
la lecture des livres - même des livres saints - ne te consolera plus
comme de coutume; si on te parle de patience, tu en ressentiras une affliction
extrême ; la crainte de perdre Dieu par tes ingratitudes ou ta reconnaissance
trop tiède te mettra au supplice jusqu'au plus intime de tes entrailles.
Si tu gémis et demandes secours à Dieu, tu trouveras au lieu d'un soulagement,
la réprimande intérieure et la disgrâce, comme cette Cananéenne a qui
d'abord le Christ ne répondit pas, et qu'il compara ensuite à une chienne
avec ses petits. Matt 15:22-28
Et certes à cette heure le Seigneur
t'abandonnera pas, puisqu'il te serait impossible de passer un seul instant
sans son aide. Néanmoins, si discrète sera son assistance, que ton âme
ne la connaîtra pas, ni ne s'ouvrira à l'espérance et à la consolation.
Il lui semblera au contraire se trouver sans remède, souffrant comme les
damnés souffrent les peines de l'enfer. Elle changerait volontiers ses
propres peines contre une mort violente, ce qui lui serait d'un grand soulagement.
Mais, à elle comme aux damnés, la fin de l'affliction et de la désolation
lui paraîtra impossible
Mais, âme bénie, si tu savais
comme tu es aimée et défendue par ce divin Seigneur au milieu de tes
vifs tourments, tu trouverais ceux-ci tellement doux, que Dieu serait
obligé de faire un miracle pour que tu continues à vivre. Sois constante,
âme heureuse, sois constante d’une grande fermeté, car, même si tu
es intolérable à tes propres yeux, tu seras bien protégé, enrichie
et aimée par ce Grand Souverain, comme s’Il n'avait pas autre chose
à faire que de t'acheminer vers la perfection par les degrés les plus
hauts de l'amour. Et si tu ne détournes pas ton visage, et si tu persévères
avec courage sans abandonner ton dessein, sache que tu fais à Dieu le
plus agréable sacrifice, de telle sorte que, si ce Seigneur était capable
de souffrance, il ne trouverait jamais de quiétude, tant qu'il ne réaliserait
pas l'union amoureuse avec ton âme. Je vous exhorte donc, frères, par
les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant,
saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable.
Rom 12:1
Puisque du chaos du néant sa toute-puissance
a tiré tant de merveilles, que ne fera-t-il pas en ton âme créée à
son image et à sa ressemblance, si tu persévères avec constance, quiétude
et résignation, dans la connaissance véritable de ton néant! Heureuse
l'âme qui, même quand elle est troublée, affligée et désolée, reste
constante au fond de soi, sans aller chercher des consolations extérieures
au-dehors.
Ne t'afflige pas à l'excès, ne
sois pas trop inquiet, de peur que ces supplices atroces ne se prolongent.
Persévère dans l'humilité et ne va pas au-dehors chercher de l'aide.
Tout ton bien est dans le silence, la souffrance la patience déployée
avec quiétude et résignation. C'est là que tu trouveras la force divine
pour en finir avec une guerre aussi cruelle. C'est à l'intérieur de toi
que se trouve celui qui combat pour toi, celui qui est la force même.
Quand tu arriveras à cet état
douloureux de l'horrible désolation, les plaintes et les lamentations
ne te seront pas interdites, pourvu que tu sois résigné dans la partie
supérieure de ton âme. Qui pourrait supporter la main pesante du Seigneur
sans plaintes et lamentations? Le grand champion que fut Job a gémi, et
aussi le Christ Notre-Seigneur lui-même, au milieu de sa déréliction,
mais leurs plaintes étaient accompagnées de résignation.
Ne t'afflige pas du fait que Dieu
te crucifie et qu'Il éprouve ta fidélité; imite la Cananéenne, qui,
se trouvant rebutée, s'humilia et suivit le Christ, bien qu'il l'eût
comparée à la chienne avec ses petits. Il faut boire le calice et ne
pas revenir en arrière. Si, comme à saint Paul, on ôtait les écailles
de tes yeux, tu verrais l'importance de la souffrance et tu te glorifierais
comme lui, préférant être crucifié plutôt que te livrer à l'apostolat.
Le bonheur n'est pas dans la jouissance,
mais dans la souffrance endurée avec quiétude et résignation. Après
sa mort, sainte Thérèse apparut à une âme et lui dit qu'elle n'avait
été récompensée que pour ses tourments, et qu'elle n'avait pas obtenu
une once de récompense pour toutes les extases, révélations et consolations
dont elle avait joui ici-bas.
Ce douloureux martyr de l'horrible
désolation et de la purgation passive est si redoutable que les mystiques
lui donnent le nom d'enfer. (Il paraît en effet impossible de vivre un
seul instant avec un tourment aussi atroce, de sorte qu'on peut dire en
toute vérité que celui qui le subit vit en mourant, et qu'en mourant
il vit une mort interminable.) Quoi qu'il en soit, le patient sait qu'il
faut le supporter pour atteindre aux doux et suaves et féconds trésors
de la haute contemplation et de l'union d'amour. Et il n'est pas d'âme
sainte qui soit arrivée à semblable hauteur sans être passée par ce
martyre spirituel et ce tourment douloureux. Saint Grégoire subit cette
épreuve durant les deux derniers mois de sa vie; saint François d'Assise,
durant deux ans et demi; sainte Madeleine de Pazzi, durant cinq ans ; sainte
Rose de Lima, durant quinze ans. Et saint Dominique, après ses prodiges
si nombreux qui stupéfièrent le monde, en souffrit jusqu'à une demi-heure
avant sa bienheureuse mort. Ainsi donc, si tu veux devenir ce que furent
les saints, il faut que tu souffres ce qu'ils ont souffert.
Chapitre VI
Le second martyr spirituel avec
lequel Dieu purifie l'âme qu'il veut unir à lui
Le second martyr, plus utile et méritoire
pour les âmes déjà avancées dans la perfection et la profonde méditation,
est un feu d'amour divin qui embrase l'âme et fait qu'elle souffre avec
le même amour. Ou bien elle est affligée par l'absence du Bien-Aimé;
ou bien elle est oppressée par le fardeau suave, brûlant et délectable
de la divine présence amoureuse. Ce martyr délectable la fait soupirer
continuellement; que ce soit, quand elle jouit de son Bien-Aimé et le
possède, en raison de la jouissance qu'elle éprouve à le posséder,
jouissance qu'elle ne contient pas en elle; que ce soit, quand l'Aimé
ne se manifeste pas, en raison de l'angoisse ardente qu'elle éprouve à
le chercher, pour le trouver et en jouir. Tout est soupir, souffrance et
mort par amour.
Oh! Si on arrivait à comprendre
la contrariété des sentiments qui affectent une âme livrée à l'amour!
La guerre qui l'éprouve est, d'un côté, si terrible, si violente, et
d'un autre, si douce, si délectable et si tendre! Le martyr que l'amour
inflige à l'âme est si déchirant, si cuisant! C'est une croix si douloureuse
et en même temps si délectable ! croix dont l'âme ne désire pas se
voir libérée en cette vie.
À mesure que croissent la lumière
et l'amour, croît aussi la douleur, du fait que l'âme voit l'absence
du bien qu'elle aime tant. Sentir le bien près de soi est jouissance ;
et n'en pas finir de le connaître et de le posséder parfaitement consume
la vie. L'âme a nourriture et breuvage à sa portée, alors qu'elle est
grandement affamée et assoiffée, et qu'elle ne peut pas se satisfaire.
Elle se voit abîmée et engloutie dans un océan d'amour, et elle voit
la main puissante auprès d'elle, qui la peut secourir et cependant ne
le fait pas, et elle ne sait pas quand elle verra ce qu'elle désire tant.
Parfois elle entend la voix intérieure
de son Bien-Aimé qui la courtise et l'appelle, ainsi qu'un murmure très
discret qui vient du plus intime de l'âme où le Bien-Aimé demeure: appel
qui la pénètre profondément jusqu'à la dissoudre et la briser, car
elle voit combien proche et en même temps loin d'elle-même elle tient
son hôte, puisqu'il est en elle et qu'elle n'en finit pas de le posséder.
Cela l'enivre, la décourage, l'abat et la rend totalement insatiable.
Chapitre VII
La mortification intérieure et
la résignation parfaite
sont nécessaires afin de parvenir
à la paix intérieure.
La flèche la plus subtile que nous
décoche notre nature est de nous inciter aux choses illicites, sous prétexte
qu'elles sont nécessaires et profitables. Oh! Combien d'âmes se sont
laissé emporter et ont perdu la grâce à cause de ce leurre doré. Tu
ne goûteras jamais de la manne délicieuse si tu ne te domines parfaitement
jusqu'à mourir à toi-même. Car celui qui ne tâche pas de mourir à
ses passions n'est pas bien disposé à recevoir le don d'intelligence,
sans l'infusion duquel il est impossible qu'il entre en soi et se convertisse
à la grâce. Aussi ceux qui se tiennent au-dehors vivent-ils sans ce don.
Un des traits les plus subtils et
les plus pénétrants de la nature inférieure est son attachement aux
choses basses sous prétexte qu'elles sont utiles et nécessaires. Beaucoup
d'âmes se sont laissé transpercer par ce dard empoisonné et ont perdu
la vie de la grâce. Jamais vous ne goûterez à la manne divine que personne
ne connaît, sinon celui qui la reçoit, à moins que vous ne renonciez
entièrement à vous-mêmes. Celui qui n'est pas mort à ses passions est
dans l'impossibilité de recevoir les dons divins sans lesquels nul ne
peut rentrer en soi-même et devenir une créature spirituelle. Les hommes
qui marchent dans la voie intérieure sont privés de ces grâces.
Ne vous inquiétez de rien! Le souci
est une des portes par lesquelles l'ennemi entre, pour nous ravir notre
paix.
Renoncez entièrement à vous-mêmes,
remettant tout à Dieu. Cette abnégation, pénible au début, vous deviendra
facile, puis douce.
Celui qui ne trouve pas Dieu partout
est encore fort éloigné de la perfection.
L'amour, pur dans son essence et
dans sa perfection, consiste à porter sa croix, à se sacrifier soi-même,
à être pénétré d'humilité, de résignation, de pauvreté d'esprit
et du mépris de soi-même.
A l'heure de la tentation, de l'abandon
et du désespoir, renfermez-vous en vous-mêmes au coeur de votre être,
et là, contemplez Dieu, qui seul y règne et y domine dans la paix.
Si votre cœur est plein d'amertume
et d'impatience, c'est là une marque d'amour sensible, mais d'un amour
vide et mortifié.
On reconnaît l'amour véritable
à ses fruits qui sont une humilité profonde et un désir sincère d'être
méprisé et mortifié.
Il en est beaucoup qui, bien
qu'ils se soient adonnés à la prière, ne goûtent pas Dieu, parce qu’après
leur prière, ils ne se mortifient pas, ni ne prêtent plus grande attention
à Dieu. Pour parvenir à une attention paisible et continuelle,
il faut avoir une grande pureté de cœur et de pensée, une grande
paix dans l’âme, ainsi qu'une résignation totale.
Les êtres sincères et mortifiés
considèrent le délassement des sens comme une mort; jamais ils n'y consentent
sauf par contrainte, par nécessité et pour l'édification du prochain.
Tu sauras que le fond de notre âme
est l'assise de notre félicité. C'est là que le divin Seigneur nous
manifeste ses merveilles. C'est là que nous nous engageons et nous perdons
dans l'océan immense de sa bonté infinie, où nous demeurons stables
et fermes. C'est là que s'accomplissent la délectation ineffable de notre
âme et son éminente quiétude d'amour. L'âme humble et résignée qui
est arrivée à cette profondeur ne cheche rien d'autre que le pur plaisir
de Dieu; et le divin esprit d'amour lui enseigne toutes choses avec son
onction suave et vivifiante.
Parmi les saints, il est quelques
géants qui souffrent continuellement avec patience les infirmités de
leur corps: Dieu les traite avec un soin particulier. Mais ceux qui, par
la force du Saint-Esprit, supportent avec résignation et patience les
croix intérieures et extérieures ont reçu un don éminent et souverain.
Au yeux de Dieu, c'est un genre de sainteté aussi rare que précieux.
Rares sont les spirituels qui empruntent ce chemin, parce que peu nombreux
au monde sont ceux qui renoncent totalement à eux-mêmes pour suivre le
Christ crucifié, avec simplicité et dépouillement de l'esprit, par les
déserts et les chemins épineux de la croix, sans faire référence à
eux-mêmes.
Nous considérons comme des géants
les saints, qui, avec l'aide de Dieu, ont supporté de continuelles souffrances
physiques, mais ceux qui endurent patiemment les croix intérieures sont
plus admirables encore. Cette sainteté est aussi rare qu'elle est précieuse
aux yeux du Seigneur. Petit est le nombre de ceux qui marchent dans cette
voie spirituelle, car ceux qui renoncent complètement à eux-mêmes pour
suivre Jésus-Christ, marchent dans les sentiers épineux et déserts de
la croix, pleins de simplicité et de pauvreté d'esprit, sans penser à
eux-mêmes, ne sont pas nombreux.
Une vie de renoncement surpasse
tous les miracles des saints. Elle ne sait même pas si elle est vivante
ou morte si elle est perdue ou sauvée, si elle consent ou résiste, car
elle ne peut faire référence à rien. Telle est la vie résignée, la
véritable vie. Cependant, même si tu n'arrives pas d'ici longtemps à
cet état et s'il te semble que tu n'as fait aucun pas, ne te décourage
point pour autant, car ce qui a été refusé à une âme durant de nombreuses
années Dieu peu le donne en un instant.
Celui qui désire souffrir aveuglément,
sans consolation ni de Dieu, ni des créatures, a déjà parcouru un long
chemin pour résister aux accusations injustes que portent contre lui ses
ennemis, même dans la désolation intérieure la plus redoutable
Le spirituel qui vit pour Dieu et
en Dieu, au milieu des adversités du corps et de l'âme, est intérieurement
satisfait, parce que la croix et les afflictions sont sa vie et ses délices.
La tribulation est un grand trésor
dont Dieu honore les siens en cette vie. C'est pourquoi les hommes mauvais
sont nécessaires pour les bons; les démons qui nous affligent le sont
aussi, en cherchant notre ruine et au lieu de nous faire du mal, nous font
le plus grand bien qu'on puisse imaginer.
Si une vie humaine veut être agréable
à Dieu, elle ne peut se passer de la tribulation, comme le corps ne peut
se passer de l'âme, l'âme de la grâce, et la terre du soleil.
Avec le vent de la tribulation,
Dieu sépare la paille du grain sur l'aire de notre âme.
Nulle créature ne peut consoler
une âme que Dieu crucifie au profond d'elle-même. Bien au contraire,
les consolations ne lui sont que des croix pesantes et amères. Et si l'âme
est bien instruite des lois et règles des chemins du pur amour, elle ne
devra ni ne pourra, au temps des grandes désolations et épreuves intérieures,
chercher au-dehors la consolation dans les créatures, ni se lamenter avec
elles; et elle ne pourra pas lire de livres spirituels, car ce serait un
moyen caché de s'écarter de la souffrance.
Aie de la compassion pour les âmes
à qui on ne peut faire admettre que la tribulation et la souffrance soient
le plus grand bien. Les parfaits désireront toujours mourir et souffrir
mort et souffrance perpétuelle. Qui ne souffre pas est un être insignifiant,
parce que l'homme est né pour travailler et souffrir, et encore plus encore
s'il est l'ami et l'élu de Dieu.
Détrompe-toi : pour que ton âme
arrive à la transformation totale en Dieu, il est nécessaire qu'elle
se perde, qu'elle renonce à sa vie, à sa sensibilité, à son savoir,
à son pouvoir et à sa mort, soit qu'elle vive ou ne vive pas, qu'elle
meure ou ne meure pas, qu'elle souffre ou ne souffre pas, qu'elle se résigne
ou ne se résigne pas, sans faire référence à quoi que ce soit.
Dans ses fidèles, la perfection
ne reçoit ses splendeurs que par le feu, le martyr, les souffrances, les
tourments, les peines et mépris supportés de bonne grâce. Et celui qui
désire toujours voir où se retirer pour prendre du repos, et qui ne dépasse
pas le territoire de la raison et du sentiment, n'entrera jamais dans le
cabinet secret de la science mystique, même s'il apprécie cette science
par la lecture et que son intelligence la savoure de l'extérieur.
Chapitre VIII
La Suite du précédent chapitre
Tu sauras que le Seigneur ne se
manifestera pas dans ton âme, tant que celle-ci n'aura pas renoncé à
elle-même et qu'elle ne sera pas morte à ses sens et ses puissances.
Et elle n' arrivera jamais à cet état, tant qu'elle ne se résoudra pas,
avec une parfaite résignation, à être seule à seul avec Dieu, estimant
autant les faveurs que les disgrâces, la lumière que les ténèbres,
la paix que la guerre. Finalement, pour que l'âme arrive à la quiétude
parfaite et la suprême paix intérieure, elle doit d'abord mourir à soi-même
et vivre seulement en Dieu et pour Dieu. Sache que ton âme connaîtra
Dieu d'autant plus qu'elle sera morte à elle-même. Mais si elle n'a cure
du renoncement à soi et de la mortification intérieure, elle n'arrivera
jamais à cet état ni ne conservera Dieu en elle. Elle sera en effet toujours
sensible aux mouvements et passions de la volonté que sont par exemple
le fait de juger, le fait de médire, d'éprouver du ressentiment, de se
disculper, de se défendre pour garder son honneur et l'estime de soi :
autant d'ennemis de la quiétude, de la perfection, de la paix et de la
grâce.
La diversité des états entre les
spirituels consiste seulement dans le fait qu'ils ne meurent pas tous de
manière égale. Mais, chez ceux qui sont heureux, qui sont en état de
mort continuel, Dieu a son paradis, son honneur, ses biens et ses délices
sur cette terre.
Grande est la différence qui existe
entre agir, souffrir et mourir. Agir est délectable et propre aux débutants,
souffrir en le désirant est propre à ceux qui progressent; mourir sans
cesse à soi-même est propre à ceux qui sont avancés et parfaits. Le
nombre de ces derniers, dans le monde, est bien réduit.
Comme tu seras heureux si tu n'as
d'autre souci que de mourir à toi-même! Alors tu seras vainqueur non
seulement de tes ennemis, mais de toi-même. Et, dans cette victoire, tu
trouveras assurément le pur amour, la quiétude parfaite et la divine
sagesse
Il est impossible que quelqu'un
puisse sentir et vivre comme mystique, dans une compréhension simple de
la divine sagesse infuse, s'il ne meurt pas d'abord à soi, par le renoncement
total aux sens et à l'appétit rationnel
La véritable leçon du spirituel,
leçon que tu dois apprendre, c'est de laisser toutes choses en leur place
et ne pas t'en mêler ni t'immiscer en aucune, à moins que ce ne soit
par obligation d'état; parce que l'âme qui se mortifie en abandonnant
tout pour Dieu commence alors à tout posséder pour l'éternité.
Il y a des âmes qui cherchent à
se libérer des pressions. D'autres, sans le chercher, prennent plaisir;
d'autres prennent plaisir dans la souffrance, et d'autres la recherchent.
Ces âmes, respectivement, ou bien n'avancent pas du tout, ou bien marchent,
ou bien courent, ou bien volent.
Se sentir malheureux dans les délices
et les tenir pour un tourment, c'est caractéristique de celui qui est
vraiment mortifié.
L'allégresse et la paix intérieure
sont fruits de l'esprit divin, et aucun homme ne peut les posséder si
au fond de son âme il n'est pas résigné.
Considère que les déplaisirs des
gens de vertu passent rapidement, mais essaie de ne pas en avoir ou de
ne pas t'y arrêter, parce qu'ils ruinent ta santé, dérange ta raison
et inquiètent l'esprit.
Parmi les saints conseils que tu
dois observer, prête attention aux suivants : ne regarde pas les fautes
des hommes, mais les tiens ; garde le silence, dans une conversation intérieure
continue ; mortifie-toi en toutes choses et à toute heure. De cette façon
tu te libéreras de beaucoup d'imperfections et deviendras commandant de
grandes vertus.
Mortifie-toi en ne jugeant jamais
mal de personne, parce que le soupçon grave à l'égard du prochain trouble
la pureté et la sérénité du cœur, attire l'âme vers l'extérieur
et lui ravit sa quiétude.
Tu n'atteindras jamais à la résignation
parfaite si tu gardes du respect humain et si tu vénères la petite idole
du qu'en-dira-t-on. Si, pour traiter avec les créatures, l'âme qui chemine
par la voie intérieure tient compte de sa raison, elle se perdra. Rien
n'est plus raisonnable que de ne pas tenir compte de la raison, et de penser
que Dieu permet que des torts nous soient infligés pour nous humilier
et nous anéantir, et qu'en toutes choses nous soyons résignés.
Considère que Dieu a plus
d'estime pour une âme qui vit intérieurement résignée que pour une
autre qui fait des miracles, même si celle-ci ressuscite des morts
II est de certaines âmes qui, bien
qu'elles exercent la prière, restent toujours imparfaites et pleines d'amour-propre,
parce qu'elles ne se mortifient pas.
Garde cette vraie maxime que si
une âme se méprise elle-même et qu'elle reconnaisse qu'elle est néant,
personne ne peut lui faire offense ni injure.
Finalement, soit dans l'espérance,
souffre, garde le silence et aie de la patience. Que rien ne te trouble,
que rien ne t'épouvante, car tout a une fin. Seul Dieu ne change pas.
Et la patience obtient tout. Qui a Dieu a tout. À celui qui n'a pas Dieu,
n'a rien.
Chapitre IX
Pour obtenir la paix intérieure
l'âme doit connaître la misère.
Si l'âme ne tombe pas dans certaines
fautes, jamais elle n'arrivera à comprendre sa propre misère, même si
elle entend des paroles stimulantes et lit des livres spirituels. Et jamais
elle ne pourra non plus obtenir la précieuse paix, si elle ne connaît
d'abord sa misérable faiblesse. II est en effet difficile de porter remède
là où il n'y a pas une connaissance claire du mal. Dieu permettra que
tu aies tel ou tel défaut pour que, grâce à cette connaissance de toi-même,
en te voyant tant de fois à terre, tu te persuades que tu n'es rien. En
cela, se tient le fondement de l'humilité parfaite et de la paix véritable.
Et pour que tu connaisses plus profondément ta misère et ce que tu es,
je veux te faire saisir quelques-unes de tes nombreuses imperfections.
Tu es tellement inconsidéré que
si par hasard, alors que tu chemines, quelqu'un retient tes pas ou entrave
ta marche, tu pressens l'enfer. Si l'on te refuse ce qui t'est dû ou si
l'on contrarie tes goûts, tu t'emportes avec indignation. Si tu vois quelque
défaut dans ton prochain, au lieu de lui être compatissant et de penser
que tu es exposé à la même chute, tu le reprends sans discernement.
Si tu désires quelque chose pour ton confort personnel et que tu ne puisses
pas l'acquérir, tu sombres dans la mélancolie et te remplis d'amertume.
Si tu reçois de ton prochain la moindre offense, tu t'émeus et te lamentes.
De sorte que, pour une quelconque futilité, tu t'emporte à l'intérieur
et à l'extérieur, et tu te perds toi-même. [Tu n'as aucun contrôle
de tes émotions]
Tu voudrais bien t'exercer à la
patience, mais avec la patience d'autrui. Et si ton impatience dure toute
ta vie, tu en rejettes la faute avec beaucoup d'ingéniosité sur ton compagnon,
sans prendre garde que tu es insupportable à toi-même. Une fois dissipée
la rancœur, tu te remets, non sans artifice, à donner dans la vertu,
en prodiguant des conseils et en prononçant des sentences spirituelles
avec une ingéniosité subtile, sans t'amender de tes vieux défauts. Certes,
tu t'accuses volontiers en réprouvant tes fautes en présence d'autres
personnes; mais cet aveu est une justification devant qui connaît tes
défauts - justification destinée à recouvrer l'estime perdue plutôt
que l'effet d'une humilité parfaite.
D'autres fois, tu prétends avec
subtilité que, si tu gémis de ton prochain, ce n'est pas par imperfection,
mais par zèle pour la justice. Tu te persuades, le plus souvent, que tu
es vertueux, constant, courageux, jusqu'à abandonner ta vie entre les
mains d'un tyran par pur amour de Dieu. Et à peine t'arrive-t-il quelque
parole blessante et douloureuse, que tu t'aftliges, te troubles et t'inquiètes.
Tout cela n'est que ruse ingénieuse de l'amour-propre et orgueil secret
de l'âme. Sache donc que règne en toi l'amour-propre et que pour atteindre
à cette paix précieuse, il n'est point de plus grand obstacle.
Chapitre X
Montrant laquelle est la fausse
et la vraie humilité, et où sont exposés leurs effets
Tu sauras qu'il y a deux sortes d'humilité: l'une est fausse et feinte, l'autre est vraie. Il y a humilité simulé chez ceux qui revêtent une attitude de soumission apparente et artificieuse, pour s'élever ensuite, comme une eau qui roule vers le bas avant de jaillir. Ils fuient l'estime et les honneurs afin de passer pour humbles. Ils se disent eux-mêmes très mauvais afin qu'on les tienne pour bons. Certes, ils connaissent leurs misères, mais ils ne veulent pas que celles-ci soient connues des autres. Leur humilité est fausse et feinte. Elle est un orgueil secret.
Il est une autre humilité, la vraie, l'humilité de ceux qui ont atteint un parfait habitus d'humilité. Ceux-là jamais n'y pensent, mais ils jugent humblement d'eux-mêmes; ils œuvrent avec force et tolérance ; ils vivent et meurent en Dieu. Ils ne prêtent attention ni à eux-mêmes, ni aux créatures. En tout, ils demeurent dans la constance et la quiétude. Ils supportent avec joie les contrariétés, en désirant toujours de plus grandes pour imiter leur sauveur Jésus aimé et méprisé. Ils désirent être pris par le vulgaire pour objet de dérision et de raillerie. Ils se contentent de ce que Dieu leur donne et considèrent leurs défauts avec une confusion paisible ; ils s'humilient non pas à l'instigation de leur raison, mais sous l'élan de leur volonté. Ils ne recherchent aucun honneur ; aucune offense ne les trouble. Il n'est point d'épreuve qui les inquiète, ni de succès qui les enorgueillisse. Ils restent en effet toujours immuables en leur néant et en eux-mêmes, dans une paix parfaite.
Et pour que tu sois bien éclairé sur l'humilité intérieure et véritable, sache qu'elle ne consiste pas en des attitudes extérieures, comme de prendre la dernière place, s'habiller avec modestie, parler bas, fermer les yeux, pousser des soupirs ardents; qu'elle ne consiste pas non plus à s'accuser de défauts en se déclarant misérable, pour donner à entendre qu'on est humble. L'humilité intérieure et véritable n'est que dans le mépris de soi et dans le désir d'être méprisé, joints à une connaissance si profonde de sa propre bassesse que l'âme ne croirait pas à son humilité, dût un ange la lui révéler.
Le flot de lumière dont le Seigneur,
dans sa libéralité, illumine l'âme, opère deux effets:
1) Il révèle la grandeur de Dieu
et,
2) en même temps, il fait connaître
à l'âme dans quelle infection et misère elle se trouve, de sorte qu'aucune
langue ne puisse dire l'abîme où elle demeure plongée, son désir étant
que tout le monde connaisse son infumie. Et elle est d'autant plus loin
de la vaine gloire et de la complaisance envers soi-même, qu'elle sait
que cette grâce libératrice n'est que bonté et pure miséricorde de
la part de Dieu.
Tu n'éprouveras jamais de dommage
venant des hommes ou des démons, mais seulement de toi, de ton propre
orgueil et de la violence de tes passions. Garde-toi de toi-même, car
tu es pour toi le plus grand démon de l'enfer.
Ne cherche pas à être estimé,
alors que Dieu fait homme est tenu pour un insensé, un ivrogne et un possédé.
Oh ! Stupidité des chrétiens ! Vouloir jouir de la béatitude sans vouloir
imiter le Seigneur sur la croix, dans les opprobres, dans l'humilité,
dans sa pauvreté et les autres vertus !
Celui qui est véritablement humble
habite la sérénité, dans la quiétude de son cœur. C'est là qu'il
supporte les épreuves venues de Dieu, des hommes et du démon, au-delà
de toute raison et sagesse humaine, maître de lui dans la paix et la quiétude,
attendant en toute humilité le bon plaisir de Dieu, aussi bien dans la
vie que dans la mort. Les choses de l'extérieur ne l'inquiètent pas plus
que si elles n'existaient pas. Pour lui, la croix et la mort sont des délices,
même s'il n'extériorise pas ce sentiment. Mais, hélas! de qui parlons-nous?
II est si peu de ces humbles par le monde !
Espère, désire, souffre et meurs
dans le secret. C'est en cela que consiste l'amour humble, l'amour parfait.
Oh! quelle paix n'éprouveras-tu pas dans ton âme si avec une humilité
profonde, tu acceptes d'être méprisé !
Tu ne seras pas parfaitement humble,
même en connaissant ta misère si tu ne désires pas que cette misère
soit connue de tous. Tu fuiras donc les éloges, tu accepteras les offenses
tu mépriseras toutes prétentions provenant de créatures, y compris de
toi-même et s'il t'arrive quelque tribulation, tu n'incrimineras personne,
mais tu penseras que celle-ci vient de la main du Créateur, en tant que
dispensateur de tout bien.
Si tu veux supporter allégrement
les défauts des autres, pose ton regard sur les tiens. Et si tu penses
avoir fait par toi-même quelque progrès vers la perfection, sache que
tu n'es pas humble et que tu n'as pas fait un seul pas sur le chemin spirituel.
Les degrés de l'humilité sont
comme les états successifs du corps mis en terre : être enseveli en un
lieu exigu, devenir fétide et putride pour soi-même, se considérer personnellement
comme poussière et néant. Finalement, si tu veux être heureux, apprends
à te mépriser et à être méprisé.
Chapitre XI
Maximes pour reconnaître un
cœur simple, humble et sincère
Incite-toi à l'humilité, en accueillant
les tribulations comme instruments de ton bien. Réjouis-toi quand tu es
méprisé, et désire que Dieu seul soit ton unique refuge, ton unique
protection et consolation.
Aucun, si grand soit-il en ce monde,
n'est rien de plus que ce qu'il est aux yeux de Dieu ; aussi, l'humble
véritable ne se souci guère de tout ce qui existe, y compris soi-même,
et c'est en Dieu seul qu'il met sa tranquillité et son repos.
L'humble véritable souffre avec
quiétude et patience les épreuves intérieures, et en peu de temps il
parcourt un long chemin, comme celui qui navigue avec le vent en poupe.
L'humble véritable trouve Dieu
en toutes choses. Et c'est ainsi que tout ce qui lui arrive de la part
des créatures en fait d'outrage, d'injure et d'affront, il le reçoit
avec une grande paix et sérénité intérieure, comme une libéralité
de la main de Dieu; et il aime au plus haut degré l'instrument avec lequel
le Seigneur l'éprouve.
Il n'a pas encore acquis une humilité
profonde, celui qui se complaît dans les éloges, même s'il ne les désire
pas ni ne les cherche, ou quoiqu'il les fuie, parce que le cœur humble
voit les éloges comme des croix amères, bien qu'en toute chose il demeure
paisible et indifférent.
Il n'a pas d'humilité intérieure,
celui qui ne se hait pas lui-même d'une haine mortelle, certes, mais pacifique
et paisible. Il ne réussira jamais à atteindre ce trésor, celui qui
n'a pas une connaissance humble et très profonde de son infamie, de sa
fétidité et de sa misère.
Celui qui se disculpe et réplique
n'a pas le cœur simple et humble, spécialement s'il le fait avec ses
supérieurs, parce que les répliques procèdent de l'orgueil secret qui
règne dans l'âme, et de celui-ci vient la ruine totale.
L'obstination suppose une soumission
défectueuse, et celle-ci une humilité encore plus imparfaite. De ce double
défaut naissent l'inquiétude, la discorde et le trouble.
Le cœur humble n'est pas inquiété
par ses imperfections, même si celles-ci lui transpercent l'âme de douleur,
du seul fait qu'elles contrarient son Seigneur très aimant. Qu'il ne puisse
réaliser de grandes choses ne le trouble pas non plus, parce qu'il se
garde toujours dans son néant et sa misère. Bien au contraire, il est
pour lui-même un sujet d'étonnement quand il accomplit quelque action
vertueuse; puis il en rend grâce au Seigneur, reconnaissant avec sincérité
que c'est seulement la majesté de Dieu qui accomplit toute chose; et il
n'éprouve que mécontentement pour tout ce qu'il fait de lui-même.
L'humble véritable, bien qu'il
voie tout, ne regarde rien pour en juger car il ne méjuge que sa personne.
L'humble véritable trouve toujours
une excuse pour défendre celui qui le mortifie, du moins en raison de
sa bonne intention. Qui, en effet, s'emporterait contre l'homme de bonne
intention?
La fausse humilité déplaît à
Dieu tout autant et même plus que le véritable orgueil, parce que c'est
de l'hypocrisie déguisé.
L'humble véritable, même si toute
chose lui tombe dessus, ne s'inquiète pas des pensées importunes par
lesquelles le monde le tourmente, ni des tentations, tribulations et afflictions,
Bien au contraire, Il s'en reconnaït indigne, et il tient pour un grand
récomfort lorsque le Seigneur le tourmente par le démon, si mauvais que
puisse être cet instrument. Et tout ce qu'il souffre ne lui semble rien,
et rien de ce qu'il fait ne mérite jamais, à son avis, qu'on en fusse
cas.
Celui qui est arrivé à l'humilité
intérieure parfaite ne perd pas sa quiétude pour rien. Toutefois, comme
la connaissance qu'il a de son imperfection en toute chose, de son ingratitude
et de sa misère qui lui inspire un profond dégoût de soi, lourde est
la croix qu'il porte en se supportant soi-même. Mais cette âme heureuse
, qui est arrivée à cette sainte haine de soi, vit perdue, abîmée et
submergée en son néant, d'où le Seigneur l'élève : pour lui communiquer
sa divine sagesse et la rendre riche de lumière, de paix, de tranquillité
et d'amour.
Chapitre XII
La solitude intérieure est le
meilleur guide pour nous guider vers la paix intérieure
Sache que, bien que la solitude extérieure
aide beaucoup à parvenir à la paix intérieure, non pas celle dont a
parlé le Seigneur quand il a parlé par son prophete : « Je la conduirai
à la solitude et lui parlerai au cœur» (Os 2); mais c'est la solitude
intérieure, la seule capable de nous procurer cette perle précieuse qu'est
la paix intérieure. La solitude intérieure consiste dans l'oubli de toutes
les créatures, dans le détachement et le plus parfait dénuement vis-à-vis
de tous les affections, désirs, pensées, et de sa volonté propre. Telle
est la véritable solitude, celle de l'âme qui repose avec une sérénité
amoureuse et intime, dans les bras du Bien suprême.
Oh! Quels espaces infinis n'y a-t-il
pas à l'intérieur de l'âme qui est parvenue à cette divine solitude
! Oh ! Quels domaines intimes, mystérieux, secrets, amples, immenses,
n'y a-t-il pas à l'intérieur de l'âme qui est parvenue à être vraiment
solitaire ! C'est là que le Seigneur parle intérieurement à l'âme et
se communique à elle. C'est là qu'il la remplit de lui-même, parce qu'elle
est vide, et qu'il la revêt de sa lumière et de son amour, parce qu'elle
est nue. C'est là qu'il l'élève, parce qu'elle est abaissée ; qu'il
s'unit à elle et la transforme en soi, parce qu'elle est seule.
Ô douce solitude, abrégé des
biens éternels! Ô miroir où se contemple sans cesse le Père Éternel
! C'est avec raison que tu t'appelles solitude. Tu es si seule en effet
qu'à peine est-il une âme qui te cherche, qui t'aime et te connaisse.
Ô divin Seigneur! Comment les âmes ne courent-elles pas vers cette gloire
d'ici-bas? Comment perdent-elles un si grand bien pour le seul goût et
désir des créatures ? Oh ! Que tu seras heureux si tu abandonnes tout
pour Dieu ! Ne cherche que lui seul; ne désire que lui seul; ne soupire
qu'après lui seul ! N'aie envie de rien, et rien ne te causera déplaisir.
Et si tu convoites quelque bien, même spirituel, que ce soit de façon
telle que tu ne perdes pas ta quiétude s'il t'échappe.
Si, avec cette liberté, tu donnes
à Dieu ton âme détachée, libérée, amie de la solitude, tu seras la
plus heureuse des créatures de la terre, parce que, dans cette sainte
solitude, le Très-Haut tient sa résidence secrète. Dans ce désert et
paradis, Dieu se laisse approcher ; et c'est seulement dans cette retraite
intérieure qu'on entend cette divine voix intérieure merveilleuse et
agissante.
Si tu veux entrer dans ce Ciel de
notre terre, oublie tout souci et toute pensée, dépouille-toi de toi-même
pour que vive en ton, âme l'amour de Dieu.
Vis, autant que tu pourras, détaché
des créatures ; consacre toi en toute chose à ton Créateur et offre-toi
en sacrifice, dans la paix et la quiétude de ton esprit. Sache que, plus
l'âme se dépouille, plus elle pénètre dans la solitude intérieure
(et plus elle se revet de Dieu); et plus l'âme demeure seule et vide de
soi, plus l'Esprit divin la remplit.
Il n'est pas de vie plus heureuse
que la vie solitaire, parce que, dans cette vie heureuse, Dieu se donne
tout entier à la créature, et la créature tout entière a Dieu par une
intime et douce union d'amour. Oh! Que rares sont ceux qui arrivent à
goûter cette solitude véritable!
Pour que l'âme soit une véritable
solitaire, elle doit oublier toutes les créatures, y compris elle-meme;
sans quoi, elle ne pourra pas s'approcher intérieurement de Dieu. Beaucoup
abandonnent toutes les choses temporelles mais ils n'abandonnent pas leurs
goûts et leurs volontés ni ne s'abandonnent eux-mêmes. Et c'est pourquoi
les véritables solitaires sont si peu nombreux. En effet si l'âme ne
se détache pas de ses goûts, de ses désirs de sa volonté, des dons
spirituels et du repos, même en esprit, elle ne pourra pas arriver à
cette félicité suprême de la solitude intérieure.
Avance, ô âme bénie, avance,
sans t'arrêter vers cette béatitude de la solitude intérieure. Vois
que Dieu te prie d'entrer en ton centre intérieur, où il veut te renouveler,
te changer, te combler, te vêtir et te révéler un nouveau Royaume des
Cieux, plein d'allégresse. de paix, de délectation et de sérénité.
Chapitre XIII
Exposé sur la contemplation
infuse et passive, et descriptions de ses merveilleux effets
Tu doit savoir que lorsque l'âme
est déjà habituée au recueillement intérieur et à la méditation acquise
dont nous avons parlé, lorsqu'elle est déjà mortifiée et qu'elle désire
en toute chose renoncer à ses appétits, lorsque déjà elle embrasse
en toute vérité la mortification intérieure, et qu'elle veut du fond
du cœur mourir à ses passions et à ses propres volontés, alors Dieu
l'introduit, en l'élevant et sans qu'elle le remarque, dans un repos parfait.
Et là, de manière douce et intime, il lui infuse sa lumière, son amour
et sa force, en l'embrassant, en l'enflammant d'un véritable élan vers
toute sorte de vertu.
C'est alors que le divin Époux,
en suspendant les puissances de l'âme, l'endort d'un sommeil très suave
et très doux. C'est alors que l'âme, élevée et exaltée dans cet état
passif, se trouve unie au Bien suprême, sans que cette union ne lui coûte
quelque fatigue. C'est alors que, dans cette region suprême et dans le
temple sacré de l'âme le Bien suprême se complaît, se manifeste et
se laisse goûter par la créature d'une manière qui dépasse les sens
et tout entendement humain. C'est alors que le seul Esprit pur, qui est
Dieu, (la pureté de l'âme n'étant pas attirée par les objets sensibles
) la domine et s'en rend maître en lui communiquant ses lumières et les
sentiments nécessaires à l'union la plus pure et la plus parfaite.
Après ces divins embrassements
l'âme se trouve pleine de lumière et d'amour, pleine d'un respect profond
pour la grandeur de Dieu et d'un vif sentiment de sa propre misère. Elle
est alors disposée à accepter, à souffrir et à accomplir tout ce que
demande la vertu la plus parfaite.
La méditation simple, pure, infuse
et passive est une manifestation intime, une expérience que Dieu donne
de soi-même, de sa bonté, de sa paix et de sa douceur, manifestation
et expérience dont l'objet est un Dieu pur, ineffable, détaché de tout
sentiment particulier, dans le silence intérieur. Mais Dieu est délectable,
ce Dieu qui nous attire, ce Dieu qui doucement nous élève selon un mode
spirituel et très pur : don admirable que Sa Majesté accorde à qui elle
veut, comme elle veut et quand elle veut, et pour le temps qu'elle veut,
bien que cette vie soit plus un temps de croix, de patience, d'humilité
et de souffrance que de délectation.
Jamais tu ne goûteras à ce divin
nectar, si tu n'avances pas dans la vertu et la mortification intérieure,
si tu n'essaies pas de tout cœur d'établir en ton âme une grande paix,
le silence, l'oubli. et la solitude intérieure. Comment la voix secrète
et agissante de Dieu pourrait-elle être entendue au milieu du vacarme
et du tumulte des créatures? Et comment le pur Esprit divin serait-il
entendu au milieu de vaines considérations et raisonnements ? Si ton âme
ne veut pas mourir continuellement à elle-même en te soustrayant à toutes
les réalités matérielles et aux jouissances, ta contemplation ne sera
que pure vanité, vaine complaisance et présomption.
Chapitre XIV
La Suite du même sujet
Dieu ne se communique pas toujours
avec la même générosité, dans cette très suave méditation infuse.
Il se livre certaines fois plus que d'autres, et Il n'attend pas toujours
que l'âme soit vraiment morte à elle-même et qu'elle se soit niée,
car, étant donné que ce don est grâce, il l'accorde quand il veut, comme
il veut, sans qu'on puisse formuler en cela de règle générale, ni mettre
une borne à sa divine grandeur. Bien au contraire, par le moyen de la
méditation elle-même, il la fait se renoncer s'anéantir et mourir.
Tantôt le Seigneur donne plus de
lumière à l'entendement, tantôt un plus grand amour à la volonté.
Dans ces conditions, l'âme n'a pas à se tourmenter. Elle doit recevoir
ce que Dieu lui donne et rester unie à Dieu comme lui-même le veut. Car
le Seigneur de Majesté est le maître, et en même temps qu'il la tient
endormie, il la possède, la comble et œuvre en elle de manière puissante
et suave, sans qu'elle y soit pour rien ni qu'elle s'en aperçoive. Ainsi,
avant de se rendre compte d'une aussi grande faveur, se trouve-t-elle conquise,
convaincue et divinement transformée.
L'âme qui se trouve dans ce bienheureux
état doit se garder de deux choses: de l'activité de l'esprit humain
et de l'attachement à cet état. Notre esprit humain ne veut pas mourir
à soi, mais œuvrer et raisonner à sa manière, affectionnant ses activités
propres. Une grande fidélité et un grand dépouillement de soi sont nécessaires
pour arriver à s'ouvrir de façon parfaite et passive aux influx divins.
L'habitude continuelle qu'à l'âme d'agir à son gré l'empêche de s'anéantir.
En second lieu, l'âme ne doit pas
s'attacher à la méditation même. Tu dois donc t'efforcer d'obtenir en
ton âme un parfait détachement vis-à-vis de tout ce qui est, de tous
ce qui n'est pas Dieu, sans chercher, ni à l'intérieur de toi ni à l'extérieur,
une autre fin ou un autre intérêt que la volonté de Dieu.
En un mot, le moyen avec lequel
tu dois, de ton côté, te préparer à cette pure et parfaite prière
passive, sera de te remettre d'une manière totale et absolue entre les
mains de Dieu, avec une parfaite soumission à sa très sainte volonté,
pour agir selon ce qu'il désirera et disposera, accueillant avec une égale
et parfaite résignation tout ce qu'il ordonnera.
Tu sauras que rares sont les âmes
qui arrivent à cette prière infuse et passive, parce que rares sont celles
qui reçoivent ces influx divins avec un total dénuement et en acceptant
la mort de leur activité propre et de leurs facultés. Et ceux qui expérimentent
cette prière sont les seuls à savoir que telles en sont les exigences.
Ce dénuement parfait s'acquiert avec la grâce divine, avec une mortification
intérieure continue et la mort à toute inclination et tout désir propres.
En aucun temps tu n'as à regarder
les effets qui s'accomplissent en ton âme, mais surtout pas à ce moment-là,
parce que ce serait mettre obstacle aux divines opérations qui l'enrichissent.
Tu dois aspirer seulement à la croix, au mépris et à l'anéantissement
de toi-même, à tes désirs intimes et efficaces de la perfection la plus
grande et de l'union la plus pure et la plus chaleureuse.
Chapitre XV
Deux moyens par lesquels l'âme
monte vers la contemplation infuse. Nature et nombre des degrés de cette
contemplation
Il est deux moyens par lesquels l'âme
accède à la félicité de la méditation et de l'amour fervent : les
satisfactions sensibles et les désirs. Au début, Dieu a coutume de remplir
l'âme de satisfactions sensibles, parce que cette âme est si fragile
et misérable que, sans cette consolation préalable, elle ne peut s'envoler
vers la jouissance du Ciel. Elle se dispose à ce premier degré par la
contrition et s'exerce par la pénitence, en méditant la passion du Sauveur,
en déracinant avec une grande ardeur les désirs mondains et les coutumes
vicieuses; car le Royaume des Cieux souffre violence. Les pusillanimes
et les faibles ne le conquièrent pas; seuls ceux qui usent de la force
et qui se font violence.
Le second moyen, ce sont les désirs.
Plus on apprécie les choses du Ciel, plus on les convoite. C'est pourquoi
les satisfactions spirituelles engendrent le désir de jouir des biens
célestes et divins, et le mépris des biens terrestres. De ce désir naît
le goût d'imiter le Christ Notre-Seigneur qui a dit: « Je suis le chemin»
(Jn 14). Cette imitation a comme des échelons par lesquels on doit monter.
Ce sont la charité, l'humilité, la douceur, la patience, la pauvreté,
le mépris de soi, la croix, la prière et la mortification.
On distingue trois degrés dans
la méditation infuse. Le premier est l'assouvissement: quand l'âme se
remplit de Dieu, elle conçoit de la haine pour tout ce qui est du monde;
c'est alors qu'elle trouve la paix et se rassasie du seul amour de Dieu.
Le deuxième est le transport. Ce
degré-là est un dépassement de l'esprit et une élévation de l'âme,
produite par l'amour divin et l'assouvissement qu'il procure.
Le troisième est la sécurité,
degré qui bannit toute crainte. L'âme est tellement imprégnée d'amour
divin et tellement résignée au bon plaisir de Dieu, que, si elle savait
que telle serait la volonté du Très-Haut, elle irait de très bonne grâce
en enfer. À ce degré, elle fait l'expérience d'un certain lien qui l'unit
à Dieu, car il lui paraît impossible de se séparer de son Bien-Aimé
et de son trésor infini.
Il est six autres degrés de méditation,
à savoir: le feu, l'onction, l'élévation, l'illumination, la délectation
et le repos. Avec le premier degré, l'âme s'enflamme; enflammée, elle
reçoit une onction ; ointe, elle est élevée ; élevée, elle contemple,
et, en se délectant, elle se delasse et se repose. Par ces degrés l'âme
s'élève, soustraite au monde et instruite par l'expérience de la voie
spirituelle et intérieure.
Dans le premier degré, qui est
le feu, l'âme est illuminée grâce à l'ardeur d'un rayon divin, qui
allume en elle les désirs du Ciel et consume ceux de la terre. Le deuxième
degré est l'onction : liqueur suave et spirituelle, qui, en se répandant
dans la totalité de l'âme, l'éduque, la fortifie et la dispose à recevoir
et contempler la vérité divine. Il arrive qu'elle s'étende jusqu'au
naturel même de la personne, le réconfortant pour le rendre longanime,
avec un bonheur sensible qui paraît venir du Ciel.
Le troisième est une élévation
de l'homme intérieur au-dessus de lui-même, qui le fait arriver avec
plus d'aptitude à la fontaine limpide du pur amour.
Le quatrième, qui est l'illumination,
est une connaissance infuse émanée de la vérité, de la suavité et
douceur de Dieu que l'âme contemple en montant de clarté. en clarté
et de lumière en lumière, conduite par l'Esprit divin.
Le cinquième est le goût savoureux
de la douceur divine, émanée de la source précieuse et abondante du
Saint-Esprit.
Le sixième est une tranquillité
suave et admirable née de la victoire remportée dans le combat intérieur,
et de la prière fréquente, tranquillité connue de très peu d'hommes;
mieux, de quelques-uns seulement. SI grande alors est l'abondance de la
joie et de la paix, que l'âme croit se récréer en un doux sommeil et
reposer sur la sein aimant du Sauveur.
Il est bien d'autres degrés de
méditation, comme l'extase les ravissements, la liquéfaction, l'abandon,
la jubilation, le baiser, l'embrassement, l'exultation, l'union, la transformation,
les fiançailles et les épousailles : autant de degrés que j'omets d'expliquer
pour fuir la spéculation et parce que des livres entiers ont été décrits
sur de pareils sujets ; bien que, pour celui qui est inexpérimenté en
la matière, tous ces livres soient comme les couleurs pour l'aveugle ou
les harmonies pour le sourd. Finalement, par ces échelons, on monte au
refuge de quiétude et au reposoir du Roi de Paix, le véritable Salomon.
Chapitre XVI
Signes par lesquels on reconnaît
l' homme intérieur et l'esprit purifié.
Il est quatre signes pour reconnaître
l'homme intérieur.
Le premier est que, d'une part,
son entendement ne conçoit pas d'autres pensées que celles qui excitent
en lui la lumière de la foi, et que, d'autre part, sa volonté est déjà
tellement résignée, que les actes d'amour dont elle est la source sont
ordonnés à Dieu seul.
Le deuxième est que, une fois accomplies
les œuvres externes qui l'occupaient, son entendement et sa volonté se
tournent vers Dieu sur le champ et avec aisance.
Le troisième signe est que, sitôt
entré en prière, il oublie toutes choses, comme s'il ne les avait jamais
vues ni traitées.
Le quatrième est qu'il se comporte
à l'égard des choses externes comme s'il entrait en novice dans le monde,
craignant d'en affronter les intrigues, pour lesquelles il nourrit une
horreur spontanée, sauf quand l'oblige la charité.
Cette âme est déjà libérée du monde extérieur et pénètre avec aisance dans la solitude intérieure, où elle voit Dieu seul et elle-même en Dieu, qu'elle aime dans la quiétude, dans la paix et un amour vrai. Là, en son centre intime, se trouve le Seigneur qui lui parle amoureusement et lui révèle un nouveau Royaume : la paix et l'allégresse véritables.
Même si elle soutient des combats extérieurs, cette âme spirituelle, détachée, recueillie, garde intacte sa paix intérieure, car les tempêtes ne parviennent jamais jusqu'à son ciel intérieur, où réside le pur et parfait amour. En effet, s'il lui arrive de se voir dépouillée, délaissée, assaillie, désolée, ce n'est que fureur de la bourrasque qui menace du dehors.
Cet amour intime produit quatre effets.
Le premier s'appelle « illumination»
: c'est une connaissance savoureuse et expérimentale de la grandeur de
Dieu, et de son propre néant.
Le deuxième est "l'embrasement",
qui est un amour enflammé et un désir de s'embraser, comme la salamandre,
dans le feu de l'amour de Dieu.
Le troisième est la « suavité
», qui est une jouissance paisible, joyeuse, douce et intime.
Le quatrième est le ravissement
de nos facultés en Dieu, facultés que le Seigneur tient abîmées et
absorbées en Lui au point que l'âme ne peut ni chercher, ni désirer,
ni vouloir autre chose que le Bien souverain et infini.
De cette plénitude totale naissent
deux effets.
Le premier est un grand courage
à souffrir pour Dieu.
le second est l'espérance certaine
ou la conviction que jamais l'âme ne perdra Dieu ni ne se séparera de
Lui.
C'est là, dans cette retraite intérieure,
que Jésus notre bien-aimé a son paradis, auquel nous pouvons accéder
tout en étant vivant sur cette terre. Et désires-tu savoir qui est Irrésistiblement
conduit à cette retraite intérieure en Dieu avec une simplicité toute
lumineuse? Je te dirai que c'est celui qui, dans l'adversité, la désolation
spirituelle et le défaut du nécessaire, demeure ferme et inébranlable.
Ces âmes constantes et intérieures
sont dépouillées de toute chose extérieure et totalement livrées à
Dieu, qu'elles contemplent de façon continuelle. Elles n'ont aucune tache,
elles vivent en Dieu et de Dieu même ; elles resplendissent plus que mille
soleils ; aimées du Fils, elles sont les filles chéries du Père, les
épouses choisies de l'Esprit-Saint.
Selon ce que dit saint Thomas
dans un opuscule, on reconnaît l'esprit purifié à trois signes.
Le premier est l'application ou
force de l'âme qui rejette toute négligence et paresse pour se disposer,
avec sollicitude et confiance, à cultiver soigneusement les vertus.
Le deuxième est la sévérité,
force de l'âme contre la concupiscence, accompagnée d'un amour ardent
des choses rudes et méprisables et de la sainte pauvreté.
La troisième est la bienveillante
douceur de l'âme qui chasse toute rancœur, jalousie, aversion et haine
du prochain.
Tant que l'esprit ne sera pas assaini,et
les affections purifiées, la mémoire dépouillée, l'entendement éclairé
et la volonté reniée et embrasée, jamais l'âme n'arrivera à l'union
intime et aimante avec Dieu. En effet, comme l'esprit de Dieu est par excellence
pureté, lumière et quiétude, sont requises, dans l'âme où il doit
demeurer, grande pureté, paix, attention et quiétude.
Finalement, le précieux don de l'esprit assaini revient seulement à ceux qui cherchent l'amour avec une application continue, et qui se tiennent et désirent être tenus pour les êtres les plus vils au monde.
On peut acquérir la Science et elle ne fait de découvertes que dans la nature; on ne peut acquérir la Sagesse divine, qui est inspirée et qui nous amène à la connaissance de la Bonté de Dieu. La Science recherche des connaissances qu'on n'obtient pas sans travail et sans effort, la Sagesse voudrait ignorer même qu'elle sait, et cependant elle comprend tout. Les savants vivent dans la connaissance des choses du monde, les Sages demeurent abîmés en Dieu.
Chapitre XVII
La Véritable Sagesse Divine.
La véritable sagesse! est une connaissance
intellectuelle et infuse des perfections divines et des choses éternelles.
On doit l’appeler méditation plutôt que spéculation. La science s'acquiert
et permet d'avoir une connaissance de la nature. La sagesse, elle, est
infuse et permet d'avoir une connaissance de la bonté divine. La science
veut connaître ce qui n'est compris qu'avec peine et fatigue; la sagesse
désire tout autant ignorer que connaître, bien qu'elle comprenne toute
chose. En un mot, les hommes qui sont scientifiques s'entretiennent
dans la connaissance des choses de ce monde, tandis que les sages vivent
immergés en Dieu Lui-même.
Chez le Sage, la raison illuminée
est une élévation simple et sublime de l'esprit; et c'est avec une vision
nette qu'il considère tout ce qui est au-dessous de lui, et ce qui concerne
sa vie et sa manière d'être. C'est cette élévation qui rend l'âme
simple, lumineuse, égale, spirituelle, toute recueillie en soi et détachée
de toutes les créatures. Le cœur des êtres humbles et doux est transformé
par la raison illuminée dans une paisible violence, il est alors rempli
d'une paix et d'une sérénité sans mesure. Finalement le Sage dit à
son sujet qu'elle lui a apporté tous les biens qui allaient de conserve
avec elle.
Tu doit savoir que l'opinion d'autrui
gouverne la plupart des hommes, et leur jugement se base sur leur imagination
et leur sens. Le Sage, lui, n'établit son jugement que sur la vérité
absolue, qui demeure en lui, et qui fait qu'il entend tout, qu'il conçoit
tout, qu'il pénètre tout, puisqu'il s'élève au-dessus de tout ce qui
est, au-dessus de lui-même.
Le Sage agit beaucoup et parle peu.
On apprécie la sagesse dans les
œuvres et les paroles du sage. En effet, puisque le sage est parfaitement
maître toutes ses passions, ses mouvements et affections, il se répand
dans toutes ses œuvres comme une eau tranquille et agréable, sur laquelle
brille la sagesse avec éclat.
La connaissance des vérités mystiques
reste cachée et inconnue aux hommes purement scholastiques qui ne sont
pas humbles, parce que c'est la science des saints. Et celle-ci ne se manifeste
qu'à ceux qui aiment de tous leurs coeurs et recherchent le reniement
d'eux-mêmes. Par conséquent les âmes qui, ayant adopté cette voie,
en sont arrivées au pur mysticisme et à la véritable humilité, pénètrent
jusqu'à la plus profonde connaissance de la divinité; et plus les hommes
vivent sensuellement selon la chair et le sang, plus grande est la science
qui les séparent de la science mystique.
La Sagesse divine règne rarement
dans le cœur de ceux qui se plaisent aux spéculations de la science humaine;
mais lorsque la sagesse et la science se trouvent réunies, c'est une rencontre
merveilleuse. Les savants que la miséricorde du Seigneur a rendus mystiques
sont dignes en vérité de vénération et de louanges.
C'est d'une manière passive, plutôt
qu'active, que les mystiques et les Sages agissent dans le monde, et cela
leur est une mort très cruelle, mais cependant toute leur vie est dirigée
avec mesure et avec prudence.
Les sermons des enseignants qui
veulent l’Esprit bien qu’ils sont remplies de divers récits
imaginaires, de descriptions élégantes, de discours subtils et de citations
exquises, sont encore très loin d’être la parole de Dieu, mais plutôt
des paroles d’hommes, plaquées de faux or. Ces prédicateurs corrompent
les chrétiens, les nourrissant de vent et d'illusion ; aussi, les uns
et les autres restent-ils vides de Dieu.
Ces enseignants nourrissent leurs
auditeurs de subtilités venimeuses, en leurs donnant des pierres pour
du pain, des feuilles pour des fruits, et en guise de véritables aliments,
un peu de terre insipide mêlée de miel empoisonné. Ce sont ceux-là
qui recherchent les honneurs, les applaudissements, qui se forgent eux-mêmes
des réputations idoles, au lieu de rechercher la gloire de Dieu et l’édification
spirituel pour l’homme.
Ceux qui prêchent avec zèle et
font du bien à leurs auditeurs prêchent Dieu. Ceux qui parlent sans être
animés de ce zèle ne se prêchent qu'eux-mêmes. Ceux qui enseignent
la parole de Dieu, poussés par Son Esprit, l'impriment dans le fond des
cœurs, tandis que la voix des autres ne parvient qu'aux oreilles.
Ce n'est pas dans le fait de donner
un enseignement, mais dans la pratique de cet enseignement que consiste
la perfection. Car la connaissance de beaucoup de vérités ne rend ni
plus saint ni plus sage, on ne le devient qu'en les mettant en pratique.
Vous savez que la Sagesse divine
engendre toujours l'humilité, et la science acquise, amène l'orgueil.
La sainteté ne consiste pas à
se former de subtils et profondes conceptions des connaissances et des
attributs de Dieu, mais à L'amour et au renoncement de soi-même. C'est
pourquoi cette vertu se trouve plus fréquemment chez les simples et les
ignorants que chez les savants. Que d'humbles femmes sont pauvres en science,
mais sont riches en amour pour Dieu! Combien de théologiens, qui s'enorgueillissent
de leur fausse sagesse, sont dépouillés de véritable lumière et de
charité !
Souvenez-vous que, pour bien parler,
il faut le faire en disciple et non en maître. Voyez donc comme un plus
grand honneur d'être traités d'ignorants que de sages et d'âmes éclairées.
Les savants qui recherchent les
spéculations intellectuelles ont quelques étincelles de la lumière céleste,
cependant cette clarté ne vient pas du centre de la Divine Sagesse qui
exècre comme la mort l'imagination et les raisonnements de la pensée.
Un peu de science est un obstacle à l'invincible, à l'éternelle, à
la profonde, pure, simple et véritable sagesse.
Chapitre XVIII
La Véritable Sagesse Divine.
(La suite.)
Deux voies mènent à la connaissance
de Dieu. L'une est indirecte, l'autre est courte, La premiere est appelée
la spéculation, la seconde c'est la méditation. Les doctes qui s'élèvent
vers Dieu suivent la première et s'efforcent de L'aimer de leur mieux
par la douceur sensible de leurs raisonnements pleins de science. Nul de
ceux qui marchent dans cette route, qu'on peut appeler la voie scolastique,
ne pénètre par son moyen dans la voie mystique. Nul d'entre eux ne peut
atteindre à l'Union excellente, à la transformation, à la simplicité,
à la lumière, à la paix, au calme, et à l'amour que connaissent ceux
que la grâce a conduits dans la voie intérieure de la méditation.
Ces doctes scolastiques ne connaissent
pas l'Esprit, ne savent pas ce que c'est que de se perdre en Dieu; ils
n'ont jamais goûté, dans le fond de leur âme où Dieu règne, la douce
et délicieuse ambroisie qu'Il accorde avec une abondance incroyable. Il
en est de même qui condamnent la science mystique parce qu'ils n'en comprennent
rien.
Si un théologien ne goûte pas
la douceur de la contemplation, c'est qu'il n'entre pas par la porte que
saint Paul a désignée en disant : Si quelqu'un d'entre vous croit être
sage, qu'il devienne fou afin d'être sage. C'est-à-dire qu'il doit s'humilier
lui-même en s'estimant plein d'ignorance.
C'est une règle générale et même
une maxime de la théologie mystique, qu'il faut connaître la pratique
avant la théorie et ressentir les effets spirituels de la contemplation
mystique par l’exercice, avant la recherche de la connaissance et de
prétendre en acquérir la pleine intelligence.
La science mystique est d'ordinaire
le propres des humbles et des simples d'esprit, mais les savants peuvent
y prétendre, si, au lieu de se chercher eux-mêmes, au lieu d'élever
bien haut leur fausse science, ils en tenaient aussi peu compte que s'ils
ne la possédaient pas. Il devraient alors ne s'en servir que dans les
occasions importantes, pour prêcher ou pour discuter, rendus ensuite attentifs
à la seule méditation de Dieu, méditation parfaite toute dénuée de
formes d'images et de pensées.
Toute étude qui n'a pas pour unique
but la gloire de Dieu, est un chemin rapide vers l'Enfer, non à cause
de l'étude elle-même, mais à cause du vent d'orgueil qui en est le motif.
Hélas ! n’est-ce pas misérable que la plupart des savants du temps
présent n'étudient que pour satisfaire une curiosité insatiable?
Beaucoup d'âmes cherchent Dieu
et ne Le trouvent pas, parce qu'elles, Le cherchent plus par curiosité
que dans une intention sincère, droite et pure; elles désirent les récomforts
spirituelles plus que le Seigneur Lui-même, et c'est pourquoi elles ne
trouvent ni Dieu ni récomforts.
Celui qui ne recherche pas un total
renoncement de soi-même n'est pas vraiment détaché et ne saurait être
ouvert aux vérités et aux lumières du Saint-Esprit. Pour tendre à la
connaissance de la Science Mystique, il ne faut se mêler que des choses
où notre devoir nous appelle et encore avec beaucoup de prudence ! Rares
sont ceux qui préfèrent écouter plutôt que parler, mais les Sages,
mais les vrais Mystiques, ne parlent que lorsqu'ils ne peuvent l'éviter
et ils ne se mêlent que des choses qui relèvent de leur charge. Encore
se comportent-ils avec une grande prudence.
L'esprit de Sagesse divine remplit
les hommes de douceur, dirige avec force, et éclaire sans illusion celui
qui Le consulte. Là où cet esprit règne, se trouve toujours la simplicité
et la liberté sainte. Mais pour les hommes sages et purs, la finesse,
la dissimulation, l'artifice, l'intrigue et les considérations mondaines
sont un véritable enfer.
Sachez que celui qui prétend à
la science mystique doit parvenir à cinq réalisation ou renoncement 1)
D'abord il faut se détacher des
créatures, 2) des choses temporelles, 3) des dons de l'Esprit-Saint, 4)
de vous-mêmes. 5) et vous abandonner complètement en Dieu. Alors seulement
vous pourrez vous perdre en Dieu. C'est là l'ultime et parfaite période
du détachement. L'âme qui sait se renoncer et se perdre ainsi, parvient
à se trouver.
Dieu préfère l'affection du cœur
aux désirs de la science du monde. C'est une chose excellente que de nettoyer
le cœur de tout ce qui le rend impur et captif, mais c'est autre chose
d'accomplir toutes sortes d'actions fussent-elles bonnes et saintes, sans
prêter attention à cette pureté du cœur qui est plus important que
tout pour parvenir à la sagesse divine
Vous ne sauriez acquérir cette
Sagesse Suprême si vous n'avez pas la force de souffrir que Dieu vous
purifie quand Il le voudra, non seulement de l'attachement aux bénédictions
naturelles et temporelles, qui ne sont que passagers, mais aussi de souffrir
qu'Il vous détache de ceux qui sont surnaturels et sublimes, tels que
les communications intérieures, les ravissements et les extases et autres
grâces gratuites que l'âme souhaite avec une si grande ardeur et auxquels
elle tient tant.
Il est beaucoup de gens qui ne peuvent
s'élever jusqu'à la quiétude méditative, ni jusqu'à la véritable
Sagesse divine et à la véritable connaissance, bien qu'ils consacrent
beaucoup de temps à la prière et qu'ils communient tous les jours, ils
ne se livrent pas complètement à Dieu dans un parfait détachement et
dépouillement. En un mot, tant que l'âme ne se purifie pas dans le brasiers
des douleurs intérieures et extérieures elle n'arrive jamais à l'état
de régénération, à sa transformation, à la méditation parfaite, à
l'union affective et à la vraie sagesse.
Chapitre XIX
L'anéantissement parfait et
véritable.
Tu dois savoir que toute cette oeuvre
d'anéantissement est fondé sur deux seuls principes. Le premier c'est
le mépris de soi-même et des choses du monde, d'où la mise en pratique
du dépouillement et du renoncement à soi et à toutes choses, doit naître,
et cela avec résolution et ardeur
Le second principe est une vénération
profonde pour Dieu. C'est le sentiment qui nous pousse à L'aimer à L'adorer,
et à Le suivre sans aucun intérêt pour soi-mêmes. De ces deux principes
naît une conformité efficace et entière à la volonté divine, et c'est
par elle que l'âme est conduite à l'anéantissement et à la transformation
en Dieu. Cela se produit sans aucun mélange de ravissements, d'extases
extérieures de sentiments d'amour exalté ; cette voie est souvent sujette
à beaucoup d’illusions, à des angoisses d'esprit et à des infirmités
dangereuses, et il est rare qu'on atteigne de cette manière le sommet
sublime de la perfection. Le chemin qui y mène est plus sûr et plus rapide
bien qu'épineux; c'est la voie royale de l'anéantissement, elle est toute
resplendissante de lumière et de grâces divines. Que l'âme s'anéantisse
donc, se dépouillant de tout, puisque tout peut être un obstacle dans
sa voie vers la déification.
Tout en faisant de continuels progrès
dans la connaissance de sa méchanceté que l'âme doit avancer dans la
pratique de l'anéantissement qui consiste à abhorrer les honneurs, les
distinctions et les éloges, car en effet, comment le néant pourrait-il
participer aux honneurs et aux dignités ?
Pour l' âme qui est sensible à
son abjection il lui apparaît tout à fait impossible mériter quoi que
ce soit ; au contraire, elle se confond et se reconnaît indigne de la
vertu et de louange. Elle embrasse avec un courage égal toutes les occasions
de mépris, de persécution, d'infamie, de honte et d'outrage. Et, reconnaissant
qu'elle mérite vraiment de pareils opprobres, elle rend grâce au Seigneur,
quand elle se voit ainsi éprouvée, et traitée comme elle le mérite.
Et même elle se reconnaît indigne que Dieu exerce sur elle sa justice.
Mais, surtout, elle se réjouit du mépris et des outrages reçus, parce
que c'est Dieu qui en retire toute la gloire.
Telle âme choisit toujours ce qui
est le plus modeste, le plus vil au degré le plus méprisable, soit dans
les places, soit dans les vêtements, soit dans toute autre chose, sans
aucune affectation de singularité, estimant qu'il n'existe rien d'assez
humble pour elle; et se se reconnaissant même indigne de cet abaissement.
Ceci est la pratique qui fait accéder l'âme à un véritable anéantissement
de soi-même.
L'âme qui veut atteindre à la
perfection commence par mortifier ses passions, puis quand elle a réussi
à faire de grands progrès dans cette tâche, elle renonce à elle-même,
puis enfin, elle s'anéantit et, dans cet état, conçoit d'elle-même
une horreur et un mépris infini. Elle sait qu'elle ne peut rien, et qu'elle
est incapable de faire quoi que ce soit de bien. Voilà ce qui la fait
mourir à ses sens et à ses facultés, à chaque instant et de toute manière,
et c'est dans cette mort spirituelle que réside l'anéantissement parfait
et véritable. C'est la dernière disposition de l'âme avant la transformation
complète et l'union divine. Elle entre dans cet heureux état sans le
savoir, car si elle s'en doutait elle ne serait pas vraiment anéantie.
Quelques progrès que vous puissiez faire dans cette voie, soyez bien persuadés
qu'il faut y marcher, s'y purifier et s'y anéantir sans cesse.
Vous devez savoir, que cette anéantissement,
pour qu'il soit parfait dans l'âme, il faut l'étendre au jugement, aux
actions, aux inclinations, aux désirs, aux pensées, à l'être tout entier
en un mot. afin que l'âme se retrouve morte à ses désirs, à ses efforts
et à ses compréhensions et à ses pensées, il faut qu'elle veuille comme
si elle ne voulait pas, qu'elle comprenne comme si elle ne comprenait pas,
qu'elle pense comme si elle ne pensait pas. Elle ne doit même pas ressentir
d'attrait pour ce néant, car elle doit embrasser avec une égale ferveur
le mépris et les honneurs, les bienfaits et les châtiments. Oh ! qu'heureuse
est l'âme qui peut ainsi mourir, qu'heureuse est l'âme qui ne vit plus
pour elle mais en qui Dieu vit! C'est de cette âme qu'on peut dire ce
qu'on dit du phénix « qu'il renaît de sa cendre », car n'est-elle pas
changée complètement? spiritualisée, transformée et déifiée ?
Chapitre XX
L'anéantissement est le plus
court chemin pour parvenir à la pureté de l'âme,
à la méditation parfaite et
à la paix intérieure.
Le chemin pour arriver à cet état
sublime de l'esprit régénéré, le chemin par lequel l'homme arrive immédiatement
au plus grand Bien-être, à l'origine première de notre être et à la
paix suprême, c'est d'arriver à l'anéantssement. Efforce-toi ô âme
de toujours demeurer enseveli dans cette misère: ce néant et cette misère
reconnue sont les moyens par lesquels le Seigneur opère des merveilles
en ton âme. Revêts-toi de ce néant et de cette misère, et voit à ce
que cette misère et ce néant soient ton soutien continuel et ta demeure,
Abîme-toi dans ce qui n'est pas et je t'assure que lorsque tu sera néant,
Dieu en ton âme sera ton Tout.
Pourquoi, selon toi, d'innombrables
âmes font-elles obstacle au flot abondants des dons divins? Parce qu'elles
veulent réaliser quelque chose et qu'elles ont le désir de la grandeur.
Ceci est un éloignement de leur humilité intérieure et de leur néant,
et par conséquent elles rendent impossibles les merveilles que veut produire
cette bonté infinie en elles. Recherchant seulement les dons spirituels
ils sont coincés sans progrès elles sortent du milieux de leur néant,
et leur échec est complet. Elles ne cherchent pas Dieu avec sincérité;
aussi ne le trouvent-elles pas. Tu dois savoir en effet que Dieu ne se
trouve que dans le mépris de soi et dans le néant.
Nous nous recherchons nous-mêmes
chaque fois que nous sortons de notre néant, et par conséquent nous n'arrivons
jamais à la quiétude et la méditation parfaite. Pénètre aussi loin
qu'il t'est possible dans la vérité de ton néant et alors rien ne t'inquiéteras
plus ; au contraire, tu accepteras humiliations et la honte, et tu perdras
de vue ta propre réputation et l'estime de toi.
Oh! Quel puissant rempart tu rencontreras
dans ce néant! Qui peut t'affliger du tourment une fois que tu es à l'abris
dans cette forteresse? Car, personne ne peut causer aucun préjudice ou
dommage à l'âme qui se méprise et se voit comme n'étant rien, L'âme
qui est dans son néant garde le silence intérieur, se laisse transformer
par le souverain Bien, ne convoite rien de tout le créé, vit immergée
en Dieu, et, dans quelque épreuve que ce soit, se montre résignée, parce
qu'elle pense toujours que cette épreuve est mieux que ce qu'elle mérite.
Et alors que l'âme se maintient tranquille en son néant, cela la perfectionne,
cela l'enrichit et il n'existe plus aucun obstacle qui puisse empêcher
Dieu de graver Son image en elle.
C'est par le chemin du néant que
tu doit arriver à te perdre en Dieu. Car c'est par cette voie qu'on s'élève
aux plus hauts degrés de la perfection. alors heureux seras-tu! Si tu
arrive à t'abandonner toi-meme, alors tu te retrouveras à nouveau très
certainement. C'est dans ce même endroit du néant que s'élabore la simplicité,
que se trouve le recueillement intérieur et infus, que s'acquiert la quiétude
et que le cœur se purifie de tout genre d'imperfection. Que de trésors
trouveras-tu si établis dans ce néant ta demeure! Et si tu pénètres
au centre du néant, plus jamais tu ne te soucieras du dehors (pierre d'achoppement
pour d'innombrables âmes), si ce n'est des seules choses à quoi t'obligent
tes fonctions.
Le néant est un abîme si profond
que les coups de l'adversité ne peuvent y atteindre, et que rien ne vient
tourmenter ceux qui y sont plongés. C'est le bouclier impénétrable aux
coups des plus violentes tentations et aux suggestions les plus importunes
de l'Ennemi. Quand nous possédons ce rempart, nous sommes maîtres de
nous-mêmes.
Lorsque vous aurez reconnu que vous
n'êtes rien, que vous ne pouvez rien, vous accueillerez avec calme les
sécheresses de l'âme, vous supporterez les désolations pleines d'horreur,
vous souffrirez les douleurs spirituelles et les tourments intérieurs,
vous mourrez à vous-mêmes à toute heure et de toute manière.
Si l'âme est endormie dans son
néant, qui pourrait la réveiller de ce sommeil doux et paisible? C'est
de ce néant que David tomba sans le savoir dans le parfait anéantissement
: Je suis réduit au néant et je ne le sais pas. (Ps. 17.) Demeurant dans
le néant, vous fermerez la porte à tout ce qui n'est pas Dieu, vous rentrerez
en vous-mêmes, vous progresserez dans cette solitude intérieure où le
Divin époux parle au cœur de Son épouse, et lui enseigne la sublime
et divine sagesse. Abîmez-vous dans le sentiment de ce néant. C'est là
que vous trouverez le port assuré, l'abri contre les vents et les tempêtes.
L'anéantissement est la voie qui
mène à l'heureuse innocence que nos premiers parents [Adam & Ève]
ont perdue; c'est la porte qui nous ouvre la terre fortunée de la Vie
où se trouvent le plus grand bien, la plénitude de la charité, de la
beauté, de la justice, de la rectitude, de l'équité, en un mot, de la
perfection même. La vie, le repos et la joie de l'âme consistent à ne
rien considérer, à ne rien désirer pour soi, à ne rien vouloir par
soi-même, à ne faire aucun effort personnel.
Tel est le chemin qui mène à la
pureté parfaite, à la méditation, à la paix intérieure; marchez dans
cette voie sûre; efforcez-vous de vous y abandonner complètement, de
vous y perdre, de vous y plonger profondément. En faisant ainsi vous vous
anéantirez parfaitement, et vous serez unis à Dieu et transformés. [la
pensée de Christ]
Chapitre XXI
La grande félicité de la paix
intérieure
et ses merveilleux effets.
Lorsque l'âme est anéantie et
renouvelée par un dépouillement parfait, elle goûte dans son être supérieur
une paix profonde et un délicieux repos; par eux elle est conduite à
une union d'amour si parfaite que la joie qu'elle éprouve l'inonde entièrement.
Dans cette félicité, elle ne veut, elle ne désire que ce que veut et
désire son Bien-Aimé, et c'est dans cet esprit qu'elle accepte tous les
événements, travaux et angoisses, ainsi que les consolations et les plaisirs.
Sa joie, quoi qu'il lui arrive, c'est de se conformer en toutes choses
au bon plaisir de Dieu.
Il n'est rien qui ne la console;
rien ne l'afflige. La mort est pour elle un sujet de joie; la vie une raison
d'être pleine d'allégresse. Aussi heureuse sur la terre que dans le Ciel,
aussi joyeuse dans les privations que lorsqu'elle est comblée de biens,
égale dans la maladie et dans la santé, l'âme sait que toutes ces choses
dépendent de la volonté du Seigneur, du Seigneur qui est sa vie, sa gloire,
son Paradis, son repos, sa paix, sa consolation et sa souveraine béatitude.
Une âme parvenue à cette paix,
si on lui en donnait le choix, préférerait la désolation à la consolation
et le mépris à l'honneur. Car Jésus, son bien-aimé, avait faim et soif
des peines et de l'ignominie.Ardente à la recherche des biens célestes,
elle avait autrefois soif de Dieu, elle craignait de Le perdre ! Dans son
cœur elle poussait des gémissements, et la lutte qu'elle soutenait contre
le diable était rude! Mais sa faim s'est transformée en satisfaction,
sa soif en satiété. Ses frayeurs ont été changées en confiance, sa
tristesse en joies, ses plaintes en chants joyeux, ses combats en paix
éternelle. Oh ! qu'heureuses sont les âmes qui jouissent sur la terre
d'une si grande félicité! Elles ne sont pas nombreuses, il est vrai,
mais elles sont les colonnes qui soutiennent l'Église, le bouclier qui
détourne les coups de la vengeance divine.
Une âme entrée ainsi dans le ciel
de la paix se sent remplie de Dieu, comblée de ses dons surnaturels, parce
que le pur amour est son appui, et qu'elle se plaît dans la lumière comme
dans les ténèbres, dans le jour comme dans la nuit, dans l'affliction
comme dans la consolation. Cette sainte et céleste indifférence lui conserve
la paix dans l'adversité et le calme dans la tribulation où elle ne cesse
d'être comblée d'une joie inexprimable.
Et même si le prince des ténèbres
déchaine contre elle tous les assauts de l'enfer, avec d'horribles tentations,
elle tient tête dans la bataille comme une colonne ferme, car il en est
de même de la haute montagne et de la vallée profonde au milieu de la
tempête.
La vallée est assombrit par d'épais
nuages et de féroces tempêtes de grêle, sous le tonnerre, la foudre
ainsi que des grêlons de pierre telle une image de l'enfer, dirait-on.
Et au même instant, la haute montagne qui resplendit par les faisceaux
lumineux du soleil, dans la paix et la sérénité; demeurant clair comme
le ciel, immuable et remplie de lumière.
Il en est de même pour cette âme
bienheureuse. La vallée de son être inférieur, souffrant tribulations,
combats, ténèbres, désolation, tourments, martyrs et suggestions malfaisantes.
Et en même temps, sur la haute montagne sur le plus haut sommet de l'âme,
le vrai Soleil brille, la transperse de ses rayons, l'embrase et l'illumine,
et afin qu'elle devienne limpide, pacifique, resplendissante, tranquille,
sereine un océan d'allégresse, un simple océan de joie
La paix de cette âme pure, le contentement
de son esprit, sa sérénité et son calme intérieurs sont si intenses
qu'ils brillent même au-dehors, comme un faible rayon et une étincelle
de la divinité.
Dans ce trone de quiétude set manifestent
les perfections des splendeurs spirituelles. La véritable lumière divine
éclaire les mystères de la foi; l'humilité parfaite portée jusqu'à
l'anéantissement de soi: la résignation totale, la chasteté, l'esprit
de pauvreté l'innocence et la simplicité de la colombe, la modestie extérieure,
le silence et la solitude intérieure, la liberté et la pureté du cœur,
l'oubli des créatures y compris de soi-même, la joyeuse simplicité,
la divine indiférence, la prière continue, le dépouillement total, le
parfait détachement, la sublime méditation, la conversation avec les
Cieux, et finalement la paix intérieure pa plus parfaite et sereine, dont
cette âme heureuse pourrait dire ce que disait le Sage en parlant de la
Sagesse ; “Avec elle sont venue toutes les autres grâces”
213. Voilà le riche trésor caché,
la drachme perdue de l'Évangile, la vie heureuse et véritable, la félicité
de la terre. 0 beauté ! o grandeur inconnue aux fils des hommes ! 0 vie
surnaturelle et excellente, combien tu es admirable et ineffable, car tu
es la retraite de la béatitude ! 0 divin soutien d'une âme qui ne s'appuie
plus sur les vanités de ce monde ! Tu te croyais pauvre et tu étais comblée
de biens! Tu te croyais humble et tu étais dans la plus haute élévation.
Tu ressemblais à une mort et tu étais la Vie. O Seigneur, ô Bonté souveraine,
accordez-moi une portion abondante de cette paix, de ce bonheur céleste
que le monde est incapable de connaître et de recevoir.
Chapitre XXII
Une triste lamentation à Dieu
pour le petit nombre d'âmes qui parviennent à la perfection,
à l'union et à la transformation
divine.
O Majesté divine, devant qui les
colonnes du ciel tremblent et s'écroulent ! O bonté plus qu'infinie qui
embrasez d'amour les Séraphins ! Seigneur ! permettez-moi de plaindre
notre aveuglement et notre ingratitude. Plongés dans un égarement déplorable,
nous vous abandonnons, vous, notre Dieu, pour nous élancer à la poursuite
du monde trompeur. Nous quittons les eaux cela vies, pour chercher les
eaux bourbeuses et corrompues du monde.
Et nous, enfants des hommes jusques
à quand, abandonnant Dieu notre Souverain Bien, poursuivrons-nous les
mensonges et les vanités ? - Qui donc pourrait nous parler avec plus de
vérité, qui nous aimerait davantage, qui nous défendrait avec plus de
force ? qui donc serait plus fidèle comme ami, plus tendre comme époux,
meilleur comme Père? Aveugles que nous sommes de ne pas reconnaître sa
Bonté souveraine et infinie !
O Seigneur, qu'elles sont peu nombreuses
en ce monde les âmes qui vous servent parfaitement ! Qu'elles sont peu
nombreuses celles qui veulent souffrir sur les traces de Jésus-Christ
crucifié ! qui embrassent la croix et renoncent à leur volonté et qui
se condamnent elles-mêmes ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes détachées
de tout et totalement à nue, mortes à tout ce qui les concerne, et qui
ne vivent que pour Dieu et pour se conformer à Sa Volonté ! Qu'elles
sont peu nombreuses celles qui sont revêtues d'une obéissance simple,
d'une profonde connaissance d'elles-mêmes et d'une véritable humilité!
Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui s'abandonnent à Dieu, indifférentes,
prêtes à tout ce qui Lui plaira! Qu'ils sont peu nombreux les cœurs
simples et désintéressés, les âmes pures, qui se sont dépouillés
de leur propre intelligence, de leur science, de leurs désirs, de leur
volonté et qui ne soupirent qu'après le renoncement et la mort spirituelle
! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui laissent Dieu agir en elles,
qui souffrent de ne pas souffrir et qui meurent de ne pas mourir ! Qu'elles
sont peu nombreuses les âmes qui consentent à s'oublier elles-mêmes,
à dépouiller leur cœur de toutes ses affections, de toutes ses inclinations,
de tous ses plaisirs, de l'amour de soi-même ! qui s'efforcent de le dépouiller
de ses jugements ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui permettent
qu'on les guide par la voie de l'abnégation, par le chemin intérieur
du renoncement de soi-même ; qui veuillent mourir à leurs sens et à
leurs facultés ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui se laissent
dépouiller, purifier, appauvrir, afin que Dieu les revête, les perfectionne
et les enrichisse! Enfin, Seigneur, que petit est le nombre des âmes aveugles,
muettes, sourdes, et parfaitement silencieuses!
Quelle honte pour nous, fils d'Adam!
nous qui sommes capables pour quelque objet vil, de mépriser la vraie
félicité et de rejeter le Bien suprême, le trésor des richesses et
l'infinie bonté! Avec juste raison, le Ciel se plaint que peu nombreuses
sont les âmes à vouloir suivre ses inestimables voies.“Les chemins
de Sion mènent deuil de ce qu'il n'y a personne qui vienne aux fêtes;
toutes ses portes sont désolées; ses sacrificateurs gémissent, ses vierges
sont dans la détresse; elle-même est dans l'amertume.. Lamentations 1:4”
FIN
source pour le livre 2 : le pdf réalisé par google.
source pour les livres 1 et 3: www.hallvworthington.com/french/fmolinos1.html
(17 aout 2010).
Site anticatholique, créé par
Hall et Joan Worthington, qui semblent être des Quakers de New York,
ils semblent avoir adopté un chemin
spirituel refusant toute église.
Le Guide connut plusieurs éditions dans toute l'Europe entre 1675 et 1699.