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Miguel de Molinos
Prêtre espagnol de l'église catholique romaine, Docteur en Théologie
(1640-1697)

Le Guide Spirituel
Pour Dégager l'Ame des Objets Sensibles et pour la conduire par le Chemin Intérieur de la Contemplation parfaite et à la Paix Intérieure

(la traduction que nous présentons est probablement celle d'Amsterdam, 1688, cad celle de Cornand de la Croze. Cette traduction n'est pas celle de Paul Drochon publiée par les éditions du Cerf en 1997, si jamais un passage avait échappé à notre attentionet ne se trouvait pas dans le domaine public, merci de nous prévenir pour que nous puissions le retirer immédiatement).

les mots contemplation et méditation furent substitutés dans tout le fichier html, j'en ai rétablis plusieurs mais je n'ai pas vérifié sur le pdf, ce travail reste à faire.

Plan
Avertissement par le Frère Jean de Sainte Marie,
Approbations des Docteurs

Préface de l'Auteur,
"Il n'est rien de plus difficile que de plaire à tout le monde, ..."
Introduction au Guide Spirituel ou Système Abrégé de cet Ouvrage
Livre 1: Des Ténèbres, de la Sècheresse et des Tentations dont Dieu se sert pour purger l'âme et du Recueillement Intérieur
Livre 2
Du père spirituel, de l'obéissance qu'on lui doit, du zèle indiscret, de la pénitence intérieure et extèrieure.
Chapitre 1
Que le meilleur moyen de vaincre les embûches de l'ennemi est de s'assujettir à un Père Spirituel

Chapitre 17 Qu'on ne doit pas s'inquiéter, lorsqu'on tombe dans quelque faute [vénielle] mais en faire son profit.
Chapitre 18 Suite de la même matière
Livre 3 ( =Deuxième Partie), p.208 pdf
Des martyres spirituels, avec lesquels Dieu purifie l'âme, de la contemplation infuse ou passive, de la résignation parfaite, de l'humilité du coeur, de la sagesse, du vrai anéantissement et de la paix intérieure.
 


Livre 1: Des Ténèbres, de la Sècheresse et des Tentations dont Dieu se sert pour purger l'âme et du Recueillement Intérieur

Chapitre 1 : Qu'afin que Dieu repose dans l'âme, il faut pacifier le coeur dans toutes sortes d'inquiétudes, de tentations et de tribulations.

Il faut que vous sachiez que votre âme est le centre, le siège et le règne de Dieu. p.91 pdf à suivre Ainsi, Pour que le souverain Roi puisse reposer sur le trône de votre âme, vous devrez vous donner la peine de la garder propre, tranquille, vide et paisible, exempte de culpabilités, pure de tous péchés et de défauts, vide d'attachements, vide de désirs et de pensées, paisible dans les tentations et les épreuves.

En effet vous devez toujours alors garder votre coeur en paix, afin que vous puissiez garder pur ce temple vivant de Dieu ; et avec une intention pure et intègre, vous avez à travailler, à prier, obéïr, et souffrir, sans même en être le moindrement ébranlé, peu importe ce qu'il plait à Dieu de vous envoyer. Car il est certain, pour le bien de votre âme, et de votre avantage spirituel Il permettra à l'ennemie jaloux de venir troubler cette cité de repos et ce trône de paix par des tentations, des suggestions et des tribulations, et par l'entremise de créatures et des ennuis douloureux de même que des persécutions pénibles.

Soyez constant, et que vos coeurs se réjouissent quel que soit les inquiétudes que ces épreuves puissent vous causer.
Entrez en votre intérieur, afin de les surmonter, car à l'intérieur se trouve la forteresse divine qui et là pour vous défendre, pour vous protéger, et pour combattre à votre place.

L'homme qui possède une forteresse sûre ne craint rien lorsqu'il est poursuivi par ses ennemis car avec le retrait intérieur, ceux-ci sont vaincu et déçu. Le château fort qui vous fera triompher de tous vos ennemis, visibles et invisibles, ainsi que de tous leurs pièges et leurs tribulations, se trouve à l'intérieur de votre âme, parce qu'en elle réside l'aide Divine et le souverain secours. Retirez-vous en elle, et tout sera sure, paisible et calme.

Pacifier ce sanctuaire de votre cœur devrait donc être votre exercice principal, et perpétuel, afin que le souverain Roi puisse en faire Sa demeure. La paix profonde consiste à entrer en vous-mêmes par le recueillement intérieur. toute votre protection se trouve dans la prière  et le recueillement d'amour en la Présence divine. Ainsi donc, quand vous vous retrouvez brusquement assailli, retirez-vous dans cet asile de paix là où vous trouverez la forteresse. Quand votre coeur est plus craintif, dirigez-vous dans ce refuge de prière, la seule armure qui puisse vaincre l'ennemi, et atténuer les tribulations ; dans la tempête vous ne devrez pas vous en éloigner, pour qu'à la fin, tel un autre Noé, vous puissiez expérimenter la tranquilité, la sécurité et la sérénité; et qu'à la fin  votre volonté puisse être résignée, devouée, paisible et courageuse.

Finalement, ne soyez pas découragés ni affligés de voir votre coeur troublé. Il revient pour vous apaiser, pour vous raviver à nouveaux, car ce Seigneur Divin sera seulement avec vous, pour se reposer dans votre âme, et y former un riche trône de paix ; pour qu'à l'intérieur de votre coeur, par le recueillement intérieur, et qu'avec Sa Divine Grâce, vous puissiez voir le silence dans le tumulte, la solitude dans la compagnie, la lumière dans les ténèbres, l'oubli dans les pressions, la vigueur dans le découragement, le courage dans la peur, la résistance dans la tentation, la paix dans la guerre, et le silence dans la tribulation.
 

Chapître II

Bien que l'âme se trouve privée du discours et du raisonnement,
elle devrait tout de même persévérer dans la prière et ne pas en être affligée
car cela est est son plus grand bonheur.

Vous vous retrouverez, comme toutes les autres âmes qui sont Appelées par le Seigneur à la voie intérieure, remplie de confusion et de doutes, car dans votre prière vous avez failli dans votre discours.

Il vous semblera que le Divin Maître ne vous aide plus comme avant, que la pratique de la prière silencieuse n'est plus en votre pouvoir, que vous perdez du temps alors que vous pouvez de peine et de misère prononcer un court et simple mot de prière tout comme autrefois vous étiez disposés à faire.

Combien de confusion, et quels perplexités, le désir de vous élargir avec le discours mental [vous voudrez prier avec la manière traditionnelle de parler ;et de faire des supplications à Dieu] lèvera en vous! Et si dans une telle joncion vous n'avez pas de père spirituel qui soit un expert en la voie mystique, vous en conclurez certainement que votre âme n'est pas en ordre, et que pour la sécurité de votre conscience, vous demeurez avec le besoin d'une confession générale ;le seul résultat sera la honte et la confusion des deux. Oh combien d'âmes sont appelés à marcher dans la voie intérieure, et les pères spirituelles, faute de comprendre leurs cas, au lieu de les guider et de les aider à avancer, stop them in their course, and ruin them.
Laissez-moi vous convaincre, que lorsque vous sentez diminuer[à partir du silence intérieur] le besoin d'élargir en discours[d'augmenter dans vos prières les conversations et les supplications], cela est [le silence intérieur] pour votre plus grand bonheur, car cela est un signe clair que le Seineur veut que vous marchiez par la foi et le silence dans Sa Divine présence, ce qui est le chemin le plus profitable et le plus facile ; dans le respect, qu'avec une vision simple, ou une attention amoureuse envers Dieu, l'âme apparaissant comme avec d'humble supplication devant son Seigneur, tel un jeune enfant, qui se réfugie sur la poitrine douce et sûre de sa chère maman. Tel que Gerson a exprimé : 'Bien que j'eusse consacré quarante ans, à la lecture et à la prière, je n'ai pas pu trouver de manière plus efficace , ni plus directe, pour parvenir à la théologie mystique, que d'entrer dans la présence de Dieu avec mon esprit de jeune enfant, en suppliant humblement.'
«Je me suis attaché, dit Gerson, pendant quarante années, à la lecture et à la prière, mais je n'ai pas trouvé de voie plus courte ni plus sûre pour parvenir à l'Union mystique, que de mettre mon esprit en la présence de Dieu, dans l'état d'un petit enfant, ou d'un malheureux, dépouillé de tout secours. »
Ce genre de prière n'est pas seulement la plus facile, mais elle est aussi la plus sûre. Elle se soustrait des opérations de l'imagination, qui se trouve toujours exposée aux tromperies du diable ; aux extravagances de la mélancolie et du résonnement là où l'âme peut facilement être distraite, s'emmêler dans la spéculation et réfléchir sur elle-même.
 Lorsque Dieu voulut instruire Son propre capitaine Moïse (Exode 24:15 ), et qu'Il lui donna les deux Tables de la Loi gravés dans la pierre, Il l'appela à la montagne, à ce moment là Dieu était là avec Lui, la montagne était sombre, environnée d'épais nuages, Moïse se tenant là immobile tout en ne sachant quoi penser ou quoi dire. Après sept jours, Dieu commenda à Moïse de venir au sommet de la montagne, là où Dieu lui montra Sa gloire, et le remplir de grande consolation. (Exode 33:18-21 and 34:6)
Ainsi au début, lorsque Dieu veut, de manière extraordinaire, guider l'âme dans l'école des aimables corrections et de la Divine Loi intérieure, Il la fait passer par les ténèbres et la sécheresse, afin qu'Il puisse l'amener près de Lui. Parce que la Mjerté Divine sait très bien qu'une âme s'approche de Lui, non pas par son propre résonnement, ou de son propre travail ; ni par la compréhension des écritures et autres documentations divines; mais plutot par le silence ainsi qu'une humble résignation.
Le patriarche Noé donna un bon exemple de ceci, lui qui, après avoir été considéré comme un fou par tous les hommes ; s'est retrouvé flottant au beaux millieux d'une mer déchaînée, qui avait englouti le monde entiers, sans voile ni rame, et entouré de bêtes sauvages enfermés dans une arche ; ainsi il marcha uniquement par la foi, sans savoir ni comprendre ce que Dieu avait l'intention de faire avec lui.
Ce qui vous concerne le plus , Oh âmes rachetés, c'est la patience, ne renoncez pas à la prière, [le silence devant Dieu] bien que vous ne puissiez pas multiplier vos discours[accroître vos supplications et vos requêtes]. Marchez avec une foi ferme, dans un silence saint, mourant à vous-mêmes, à tous vos désirs, à tous vos efforts, confiant que Dieu, Lui qui est le même et qui ne change pas, qu'Il ne peut non plus faire d'erreur, ne désir rien d'autre que votre bien. Il est clair qu'il est douloureux de mourir ; mais cela est du temps bien utilisé. Car lorsque l'âme est morte, muette, et résignée dans la présence de Dieu, là, sans aucun encombrement ni aucune distraction, l'âme peut recevoir l'influence Divine.
À travers les sens [la vue, l'ouïe, le toucher] nous sommes incapables de [recevoir] Bénédictions Divines. Donc si vous voulez être heureux et sages, faites silence, croyez, souffrez, attendez, ayez confiance et marchez. Mieux vaut vous pour tenir votre paix laisser conduire par Les Mains divines que d'acquérir tous les biens de ce monde. Et bien que vous semblez ne rien faire du tout, néant, en étant tellement muet et résigné, pourtant cela apporte du fruit à l'infini.
Considérez ces bêtes aveugles qui font tourner la roue de la meule. Bien que ces bêtes ne puissent voir le maïs, et ne sachant pas ce qu'ils font, ils font tout de même un grand travail en moulant le grain. Et bien qu'ils ne goutent pas le maïs, bien que le Maître en reçoit les fruits, et les goutes également. Qui aurait pu croire qu'une semence qui gît longtemps en terre, qu'elle puisse mourir! Pourtant ensuite, on peut la voir pousser, grandir et se multiplier. Dieu fait de même avec l'âme , quand Il la prive de pensée et de raisonnement. Alors [dans le silence de la prière] qu'elle pense qu'elle ne fait rien, et qu'elle est en quelque sorte détruite ; à ce moment ele ressuscite, renouvelée, affranchi, et parfaite, n'ayant jamais espéré autant de faveur.
Prenez alors soins de ne pas vous affliger, ni de tirer de l'arrière, mais ne vous étendez pas sur de longs discours en prière ; supportez, gardez votre paix, et apparaissez dans la présence de Dieu; persévérez constamment, et faites confiance à son infinie générosité, qui peut vous donner une foi constante, la véritable lumière, et le grâce Divine. Marchez comme si vous aviez les yeux bandés, sans penser ni résonner; remettez vous entièrement entre Ses mains douces et paternelles, en étant résolu à ne rien faire d'autre que Sa Volonté et Son plaisir Divin .

Chapître III
Suite du même sujet

C'est l'opinion commune de tous les hommes saints qui ont l'expérience de l'Esprit, et de tous les sujets mystiques, que l'âme ne peut atteindre la perfection et l'union avec Dieu, par le moyen de la méditation et du résonnement ; Ce chemin n'est utile que pour celui qui commence à se diriger dans la voie spirituelle, ensuite il doit acquérir une habitude de la connaissance, de la beauté de la vertu, et de la laideur du vice- cette habitude qui, selon l'opinion de Ste Teresa, peut s'acquérir en six mois ; et selon St. Bonaventure, en deux mois (In prolog. de Mist. Theol., p. 655).
Quelle pitié ne doit-on pas avoir pour ces âmes, trop nombreuses, qui, toute leur vie, se font violence pour raisonner et méditer, alors que Dieu, voulant les élever à l'Union parfaite, leur en a retiré le pouvoir ! Elles demeurent ainsi pendant de longues années, sans avancer dans la voie spirituelle se faisant d'inutiles tourments, cherchant Dieu au-dehors alors qu'Il (Dieu) est en eux-mêmes.

De toute manière, quelle pitié ne doit-on pas avoir pour ces âmes, trop nombreuses qui, du début jusqu'à la fin de leurs vies, ne s'adonnent qu'à la méditation, se contraignant eux-mêmes au raisonnement ; Bien que Dieu Tout Puissant les privant de résonnement, afin qu'Il puisse les élever à une autre condition, et les amener vers un genre de prière encore plus parfait. Ainsi depuis plusieurs années ils demeurent imparfaits, et en sont toujours au commencement sans faire aucun progrès, ou bien qu'ayant malgré tout franchit un pas dans la voie de l'Esprit ; ils se fendent la tête à propos de l'emplacement, du choix des minutes, de l'imaginations, et des résonnements tendus, cherchant Dieu au dehors, sans savoir qu'Il est déjà à l'intérieur d'eux-mêmes.
Saint Augustin se plaignit de cela : quand Ddieu le guida dans la voie mystique, disant à sa Majesté Divine, « J'allais, Seigneur, errant comme une brebis égarée, Te cherchant au-dehors, raisonnant anxieusement, alors que Tu étais en moi. Je me lassais beaucoup, et Te cherchais au-dehors, et cependant, Ta demeure est en moi, si je soupire et j'aspire après Toi. J'allais le long des rues et des places de la cité du monde, Te cherchant et ne Te trouvant pas, parce qu'en vain je demandais au-dehors après Celui qui Se trouvait en moi-même.»           (Les Soliloques., C. 31).
L'angélique Docteur St. Thomas,* pour tous il était si circonspect dans ses écrits, peut pourtant sembler railler ceux qui vont toujours à la recherche de Dieu, au moyen du résonnement, alors qu'Il est présent à l'intérieur d'eux-mêmes. Il y a un grand aveuglement, une excessive folie en ceux ,(dit le saint) qui cherchent toujours Dieu, qui soupirent continuellement après Dieu, l'invoquant chaque jours dans leurs prières, eux qui, étant eux-mêmes, (selon l'Apôtre ), le Temple Vivant de Dieu, et Sa véritable demeure, puisque l'âme est le siège et le trône de Dieu, là où Il demeure continuellement. Ne serait-ce pas insensé que de chercher hors de chez soi une chose qu'on possède dans sa maison? Ou bien, qui peut se régénérer avec la nourriture qu'il désire, et ce sans même la gouter! Pourtant c'est là exactement la vie de quelques hommes justes, cherchant toujours et n'étant jamais satisfaits, et par conséquent toutes leurs oeuvres demeurent imparfaites(Optusc. 63, c. 3 in fin).
*Molinos a vécu au temps de l'Inquisition qui fut responsable d'avoir torturé et tué 9 000 000 âmes entre les années 800-1500 Apr. J.-C. L'Esprit de Dieu a enseigné Molinos à comprendre la dépravation de plusieurs de ces soi-disant saints, (Thomas et Auguste inclus), ou les abominations des soi-disant sacrements, Molinos aurait été forcé de témoigner contre eux, ce qui aurait entraîné son exécution immédiate. Molinos fût plus tard exécuté, mais après que ses enseignements et livres se soient répandus à travers l'Europe.
Il est certains que Christ notre Seigneur enseigne la perfection à tous, même les plus humbles, ces humbles qu'Il a choisis pour apôtres et dont Il a dit: « Je te bénis, ô Père, ô Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. » Il est certain que des personnes ignorantes et simples peuvent atteindre aussi bien, et mieux même que les savants, à la perfection, et qu'elles ne l'acquerront pas par des contemplatios ou de simples réflexions, car la perfection consiste principalement dans les mouvements de la volonté. Saint Bonaventure enseigne qu'on doit se garder de toute pensée, même à l'égard de Dieu. C'est une imperfection de chercher à travers des images, des idées, des représentations de la volonté (si subtiles soient-elles), la Bonté, la Trinité, l'Unité ou l'Essence divine. Si ces images paraissent ressembler à Dieu, elles ne sont pas Dieu Lui-même, car Il ne saurait être dépeint sous aucune forme.Il n'est pas utile de penser à ce qui concerne les créatures, les anges Ou la Trinité, la connaissance se formant, non par la subtilité des pensées, mais par la violence de notre désir.
Tout cela est clair. Voudrions-nous donc nous tourmenter nous-mêmes, abandonner la méditation, parce que nous n'y pouvons plus raisonner? La volonté profonde et l'intention pure ne sont-elles pas plus efficaces que les efforts de l'intelligence? Lorsque les corbeaux, voyant leurs petits sans plumes noires, ne les croient pas de même race qu'eux-mêmes et qu'ils les abandonnent, Dieu prend soin de ces petits oiseaux, Il les nourrit de rosée. Que ne fera-t-il donc pas pour nous? Lorsque nous ne pourrons ni parler ni raisonner, si nous croyons et si nous avons confiance, si nous bramons, après la céleste nourriture qui nous est nécessaire, la Bonté Divine pourvoira à tous nos besoins.
C'est une grande épreuve, mais aussi un extraordinaire privilège pour l'âme, que d'être privée des douceurs sensibles et de marcher dans les sentiers arides et déserts de la perfection, puisque la perfection ne peut être atteinte que par cette voie, aussi ténébreuse et aride que parfaitement assurée. Lorsque le raisonnement lui est enlevé, que l'âme soit donc confiante, et qu'elle ne retourne pas en arrière; mais que, ferme dans sa foi, elle demeure dans le silence et le repos, persévérant dans la patience afin d'être heureuse, de parvenir à l'Union Divine, à la paix intérieure et au souverain repos.

Chapitre IV
Dans l'exercice de méditation, la sécheresse et les ténèbres
ne doivent pas décourager l'âme qui s’y applique.
Vous saurez qu'il y a deux sortes de prières: l'une facile, aimante, pleine de douceur et de sentiment ; l'autre obscure, sèche, solitaire, remplie de tentations et de ténèbres. La première est pour l'âme qui commence à chercher l'Union avec son Dieu, l'autre est pour l'âme plus avancée dans cette voie, qui sont dans le progrès à la perfection. Dieu nous donne la première pour nous attirer à Lui, Il envoie la seconde comme purification. Dans la première, Il nous traite comme des enfants, dans la seconde, comme des hommes faits.
On pourrait appeler la première de ces voies : la vie naturelle, car cette voie est pour ceux qui cherchent la dévotion sensible, Dieu l'avait donné aux débutants. De même qu'on fait agir l'homme naturel par l'attrait des objets extérieurs, Dieu commence par attirer les âmes à Lui par les douceurs de la dévotion, afin de les faire entrer dans la vie spirituelle. Mais la seconde pourrait être nommée: la voie humaine. Ceux qui s'y engagent doivent durement combattre les passions, non par plaisir, mais parce que la raison montre que c'est la seule manière d'atteindre la perfection.
Assurez-vous que la sécheresse soit un instrument qui vous est bénéfique . parce qu'elle est vide de plaisirs perceptibles ; la recherche de ce qui est un obstacle qui met un frein à l'envol de la plupart des hommes spirituels, et qui les faits mêmes reculer, et abandonner la prière comme on peut le voir dans plusieurs âmes, qui persévèrent uniquement lorsqu'ils peuvent ressentir la consolation.
Sachez que Dieu fait usage du voile de la sécheresse, pour qu'enfin nous ne puissions connaître ce qu'Il oeuvre en nous, pour qu'ainsi nous demeurions humbles ; car si nous ressentions et que nous connaissions le travail qu'Il fait dans notre âme, nous pourrions tomber dans la satisfaction de même que dans la présomption, en nous imaginant que nous-mêmes avons fait quelques choses de bien, et de ce fait croyant nous être rapprocher de Dieu: ce qui serait notre méfait .
Mettez ceci dans vos coeurs comme une terre ferme, que pour marcher dans la voie intérieure, toute sensibilité doit premièrement être enlever, et le moyen que Dieu emploie pour ôter toute sensibilité, c'est la sécheresse. Par la sécheresse Il ôte ainsi la réflexion, l'attention que l'âme porte à ses actions, ces réflections qui ne sont rien d'autres que des obstacles à l'avancement et entravant la communication de de Dieu Lui-même dans notre âme.
Ne vous affligez donc pas, ne vous imaginez pas que vous demeurez sans progresser, parce qu'après la prière ou la communion vous n'éprouvez aucun sentiment de douceur. Le laboureur sème pendant une saison et récolte pendant une autre. De même, Dieu a Ses temps marqués; c'est pourquoi Il vous aidera à résister aux tentations, Il vous remplira de saintes résolutions et de désirs efficaces lorsque vous y penserez le moins. Je vais citer ici quelques fruits que l'âme retire de ses plus grandes sécheresses, afin que vous ne vous laissiez pas séduire par l'ennemi de votre salut qui, pour vous détourner de la prière, cherchera à vous persuader que vous êtes dans l'inaction et que vous perdez votre temps.
1. Le premier et de persévérer dans la prière, car plusieurs avantages surgissent du fruit de telle persévérance.
2. Vous trouverez une afversion pour les choses du monde, ce qui peu à peu tend à conduire vers l'élimination des désires de votre vie passée, et produit de nouveaux désires dde servir Dieu.
3. Vous verrez vos manquements, ceux qu'autrefois vous ne voyiez pas
4. Vous trouverez, lorsque vous êtes sur le point de commettre une mauvaise action, dans votre coeur une nouvelle considération, vous abstenant ainsi de tomber. En d'autre temps cela vous abstient de parler, de vous lamenter, ou de vous venger. Ceci élimine quelques petits plaisirs terrestres, vous libérant d'elle ou de la conversation, dans laquelle autrefois vous courriez en toute quiétude, sans le moindre remord de conscience.
5. Après être tombé par faiblesse dans quelque manque de lumière, dû à cela, vous allez ressentir une réprimande dans votre coeur , qui sera très pénible.
6. Vous ressentirez en vous le désir de souffrir, et de faire la volonté de Dieu .
7. Vous vous sentirez enclin à la vertu, et expérimenterez une plus grande facilité à surmonter vous-mêmes les épreuves des passions, et des ennemis qui se mettent en travers de votre chemin.
8. Vous vous connaîtrez mieux vous-mêmes, et serez également confondu en vous-mêmes, ressentant en vous une grande estime de Dieu au delà de toute la création, un mépris des choses du monde, ainsi qu'une ferme résolution à ne pas abandonner la prière, même si vous savez que cela se révèlera être pour vous l'un des plus cruel martyrs.
9. Vous ressentirez une plus grande paix dans votre âme, l'amour pour l'humilité, la confiance en Dieu, la soumission, et la séparation des choses du monde; puis finalement, les péchés que vous avez omis depuis le jours où vous avez commencés à vous exercer à la prière, ce sont là de nombreuses évidences que le Seigneur oeuvre dans votre âme, (bien que vous ne le savez pas), par le biais de la prière stérile; et bien que vous ne le ressentez pas tandis que vous êtes en prière, vous allez le sentir lorsqu'Il jugera le temps approprié.
Tous ces fruits, et plusieurs autres encore, sont produits par la prière, cette prière que vous voudriez abandonner parce qu'elle vous semble stérile et que vous n'en voyez pas les fruits et n'en récoltez jusqu'à maintenant aucun avantage. Ayez donc de la fermeté, et persévérez dans la patience. car bien que vous ne vous en apercevez pas, votre âme croît par cette sécheresse, n'allez pas croire que l'âme est à rien faire, car même si elle n'est pas activement en fonction, le Saint-Esprit agit quand même dans l'âme qui vit la sécheresse
Chapitre V
Il y a deux sortes de dévotions.
On doit soumettre celle qui est sensible.
L'âme n'est pas passive, même lorsqu'elle cesse de raisonner.
Il y a deux sortes de dévotions : l'une essentielle et véritable ; l'autre, accidentelle et sensible.La dévotion véritable se reconnaît à une habituelle promptitude de l'esprit à faire le bien, [des bonnes actions, faisant aux autres ce que vous voudriez qu'ils vous fasses, des dons par amour aux pauvres, etc.]à accomplir les commandements de Dieu, et à être prêt à Son service; ce que la fragilité humaine ne permet pas à l'âme de réaliser comme elle le désirerait. Cette dévotion, quoique n'étant accompagnée ni de douceurs, ni de larmes, ni de plaisir, étant combattue au contraire par les tentations, les sécheresses et les ténèbres, est la véritable dévotion.
La dévotion accidentelle et sensible se reconnaît à la tendresse de cœur, aux larmes, à la satisfaction éprouvée lorsqu'on génère de bons désirs. Non seulement on ne doit pas la rechercher, mais on doit l'abandonner, s'en détacher, parce qu'elle est dangereuse et elle est un grand obstacle au progrès et à l'avancement de la voie intérieure. C'est donc à la dévotion essentielle et véritable qu'il faut s'adonner; cela est en notre pouvoir de l'acquérir, chacun de nous en faisant son devoir pouvons, avec l'aide de la divine grâce acquérir la véritable dévotion.
Il y a des personnes qui, parce qu'elles expérimentent de sensibles plaisirs à la dévotion , croient être favorisées de Dieu ; qu'elles y sont parvenue; elles passent toute leur vie à soupirer après cet heureux état. mais le plaisir sensible n'est que faux don, Car ce n'est là qu'une consolation de la nature, une illusion à travers laquelle l'âme voie ce qu'elle fait, et qui l'empêche de faire quoi que ce soit, ou d'avoir la possibilité de faire quelque chose de productif ; l'acquisition de la véritable lumière, et le fait d'emboiter le pas dans la voie de la perfection. Les sens ainsi que les émotions n'affectent que la chair, et non l'âme, qui est purement esprit qui n'a ni sentiment ni sens ; donc l'âme ne bénéficie pas de telles plaisirs.
Par ceci vous pouvez en conclure que les dévotions découlant des plaisirs sensibles ne sont pas de Dieu, et ni de l'Esprit ; elles sont plutot de nature charnelle humaine. Par conséquent on doit leur prêter très peu d'attention lorsqu'elles se manifestent, en les évitant véritablement afin de persévérer dans la prière silencieuse, en vous abandonnant vous-même à la lumière de la grâce de Dieu dans la sécheresse et la noirceur.
N'allez pas penser que parce que vous êtes présentement dans les ténèbres et la sécheresse, dans la foi et le silence, que vous n'accomplissez rien, que vous perdez votre temps, et que vous êtes passifs; parce que selon St. Bernard: la véritable passivité c'est d'attendre devant Dieu , et que la passivité de l'âme c'est l'affaire de Dieu.
Il ne faut donc jamais dire que l'âme est passive, car bien qu'elle n'est pas active visiblement, le Saint-Esprit opère quand même en elle. En outre,  l'âme n'est pas totalement inactive, parce qu'elle opère intimement et simplement à travers l'esprit. Ses véritables actions consiste à: être attentive à Dieu, à s'approcher de Lui, de suivre Ses inspirations intérieures, à recevoir Ses divines influences, à L'adorer dans Son intime centre , de Le vénérer par de pieuses affections de la volonté, de chasser ces nombreuses et fantastiques imaginations et de vaincre avec douceur et mépris toutes les tentations. Je dis que ce sont tous là de véritables actes, très simples, purement spirituels, de manière imperceptibles, en toute tranquilité par lesquelles l'âme oeuvre.

Chapitre VI
Que l'âme ne se trouble pas lorsqu'elle se trouve dans l'obscurité,
car l'obscurité est l'instrument de sa grande félicité.
(Note: Depuis le début nous sommes tous dans l'obscurité, avant l'éveil, une telle obscurité n'est pas tant à dédaigner qu'à nous stimuler à nous défaire de la perception de cela, en abandonnant notre silence qui nous fait voir notre obscur et déplorable condition. Comme Paul a dit : Mais, tandis que nous cherchons à être justifié par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, Christ serait-il un ministre du péché? Loin de là! Gal 2:17. Et comme Pierre a dit : Et nous tenons pour d'autant plus certaine la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour vienne à paraître et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs. Il a été dit que pour reconnaître la Lumière,on doit premièrement marcher dans l'obscurité.)
Il y a deux sortes d'obscurité, les unes sont malheureuses, les autres sont heureuses. Les premières sont la conséquence du péché et sont malheureuses. parce qu'elles conduisent l'âme vers un précipice éternel. Les secondes sont celles que le Seigneur a souffert pour être dans l'âme, afin de la fonder et l'établir dans la vertu ; et celle-ci sont heureuses, parce qu'elle l'éclaire, elle la fortifie, et produit une plus grande Lumière intérieure, pour ne pas que vous puissiez vous affliger et vous troubler, non plus que soyez désolés un vous retrouvant dans l'obscurité et les ténèbres, que vous avez failli à Dieu et à la Lumière qui vous éclairait auparavant. Vous devriez plutot, dès maintenant persévérer de manière constante dans la prière, [la prière silencieuse] cela étant une évidence que Dieu dans Sa miséricorde infinie tente de vous amener dans la voie intérieure, et l'heureux chemin du Paradis. Oh combien heureux serez-vous si vous embrassez cela avec paix et résignation, en tant qu'instrument de la parfaite tranquilité, de la véritable Lumière, et de tous vos biens spirituels.
  Sachez alors que le chemin le plus droit, le plus parfait, et le plus sûr est la voie de l'obscurité, parce qu'en eux le Seigneur y a placé Son trône; Il faisait des ténèbres sa retraite. Psaume 18:11.Par elles, la lumière surnaturelle, que Dieu infuse dans l'âme, grandi et s'intensifie; et parmi elles, la sagesse et le puissant amour sont engendrés ; par l'obscurité, l'âme est anéantie, de même que les espèces qui obstruent la droite vision de la Vérité Divine sont consumés. De cette façon, Dieu introduit l'âme dans la voie intérieure par la prière du repos, et la parfaite méditation, là où si peu ont pu parvenir. Enfin, par l'obscurité le Seigneur purifie les sens et la sensibilité, qui font obstacles au progrès mystique. Voyez maintenant si l'obscurité ne doit pas être estimer et considérer. Ce que vous devez faire parmi elles, c'est de croire que vous vous retrouvez devant le Seigneur, et dans Sa Présence; mais vous devez faire cela avec une douce et paisible attention, ne désirant rien connaître, ni rechercher de délicatesses, de tendresses, ou de dévotions sensibles, ne désirant rien faire de plus que ce qu'est la bonne volonté et le bon plaisir de Dieu ; parce qu'autrement vous ne ferez que tourner en rond tout au long de votre vie, et n'aurez pas avancés d'un pas vers la perfection.
Chapitre VII
Pour qu'enfin, l'âme puisse parvenir à la paix intérieure suprême,
il est nécessaire qu'elle soit purifiée par Dieu,
car les exercices ainsi que les mortifications
qui l'ont tend à s'infliger ne sont pas suffisant.
Dès que vous serez fermement résolu à mortifier vos sens externes, afin que vous puissiez avancer en direction de la haute montagne de la perfection et de l'union avec Dieu, Sa Majesté Divine étendra Sa main pour vous purifier de vos mauvaises inclinaisons, de vos désirs démesurés, de vos vaines complaisances, de votre amour propre, de votre égo, ainsi que des autres vices cachés, que vous ne connaissez pas, et qui pourtant, règne dans les parties  intérieures de votre âme, et entrave l'Union Divine.
Vous ne parviendrez jamais à cet heureuse condition par les travaux ou les mortifications que vous vous imposerez, ni par des actes de résignation. Jusqu'à ce que ce Seigneur vous purifie intérieurement, qu'Il vous exerce selon Ses propres méthodes, car Lui seul sachant comment purifier les âmes de leurs défauts secrets. Si, constante est votre persévérance, Dieu vous délivrera de votre attachement aux biens de ce monde. Il vous purifiera même de votre attachement aux biens surnaturels, tels que : communications intérieures, ravissements, extases, et autres grâces que nous considérons souvent comme le soutien et la consolation de l'âme.
Telle sera l'œuvre divine en votre âme par le moyen de la croix et sécheresses. Il vous suffit de consentir à marcher avec une entière résignation dans cette voie déserte et ténébreuse. Votre principal devoir est de ne pas agir par vous-mêmes, de vous soumettre paisiblement à Dieu en toute chose votre liberté à toutes les mortifications extérieures ou intérieures que Dieu jugera bon de vous imposer. Là est l'unique moyen de vous préparer aux divines influences: souffrir patiemment, avec calme et humilité, les tribulations extérieures et intérieures. Les pénitences ou mortifications que vous vous infligerez ne vous seront d'aucune aide.
Un cultivateur fait plus de cas des plantes qu'il a semées que de celles qui croissent d'elles-mêmes, car les unes et les autres ne portent pas les mêmes fruits. C'est ainsi que Dieu estime et préfère la vertu qu'Il infuse à l'âme (celle qui est plongée dans son propre néant, dans le calme et la tranquilité, retiré en son propre centre, et sans aucun effort) à toutes les vertus que l'âme prétend acquérir par ses vains efforts et ses oeuvres. [les oeuvres de la chair, qui comptent pour rien]
Votre seule préoccupation est de préparer votre coeur comme une feuille propre sur laquelle la Sagesse divine imprime les caractères selon Sa volonté. Oh combien grand est l'accomplissement pour votre âme de passer des heures entières ensemble dans méditation, tranquille , humble, soumise, sans agir, ni connaître, sans même essayer de comprendre quoi que ce soit !

Chapitre VIII
La Suite.
AVEC de nouveaux efforts vous vous exercerez, différemment de vos manières habituelles, en acceptant de recevoir les opérations divines et secrètes, et à être purifié par le Seigneur, cela étant les seules moyens pour être propres et purifiés de votre ignorance et de vos dérèglements. Sachez toutefois, que vous devez être plongés dans une mer de tristesses amers, et de douleurs autant internes qu'externes, dont les tourments transperceront jusqu'au plus profond de votre corps et de votre âme.
Vous subirez l'épreuve d'être abandonné par les gens du monde, même de ceux dont vous espériez le plus de secours et qui semblaient compatir à vos détresses.; les chemins de votre intellect seront si asséchés, que vous serez incapable de résonner; non, pas plus que de concevoir une bonne pensée de Dieu. Les cieux vous sembleront d'airain, et vous croierz ne pas recevoir de Lumière Le doux souvenir des rayons célestes dont autrefois votre âme était ensoleillée ne pourra vous consoler de l'obscurité présente.
Les ennemis invisibles vous poursuivront avec scrupules, avec des suggestions lascives, et des pensées impures, avec des incitatifs à l'impatience, à l'orgueil, à la colère à la malédiction, et à blasphémer le Nom de Dieu, Ses sacrements* ainsi que Ses mystères saints. Vous ressentirez une grande tiédeur, de la haine et du dégout pour les choses de Dieu, votre entendement sera remplit d'obscurité et de ténèbres, et dans le coeur un malaise, une confusion, un resserrement ; telle une froideur et une faiblesse de la volonté de résister, qu'une paille vous semblera comme une poutre. Votre désertion sera si grande qu'il vous semblera ne plus y avoir de Dieu pour vous, and that you are rendered incapable of entertaining a good desire; que vous êtes devenus incapables de bons désirs, et vous serez enfermés entre deux murailles au milieu de peines et de tourments continuels, sans aucun espoir de ne jamais sortir d'une si épouvantable oppression.
*Molinos a vécu au temps de l'Inquisition qui fut responsable d'avoir torturé et tué 9 000 000 âmes entre les années 800-1500 Apr. J.-C. L'Esprit de Dieu a enseigné Molinos à comprendre la dépravation de plusieurs de ces soi-disant saints, (Thomas et Auguste inclus), ou les abominations des soi-disant sacrements, Molinos aurait été forcé de témoigner contre eux, ce qui aurait entraîné son exécution immédiate. Molinos fût plus tard exécuté, mais après que ses enseignements et livres se soient répandus à travers l'Europe.
Ne craignez rien . Tous ceci est nécessaire pour la purification de votre âme, lui faire sentir sa propre misère, et lui faire percevoir sensiblement l'annihilation de toutes ses passions et ses appétits démesurés, les plaisirs de votre passé. Pour qu'enfin le Seigneur puisse vous affiner et vous purifier selon Sa propre manière par des tourments intérieurs, en jetant à la mer le raisonnement de Jonas, renoncant à la logique du monde et amener ainsi la purification de l'âme! Quel que soit votre mortfication et votre descipline extérieure, elles ne produiront jamais la véritable Lumière, ni vous faire avancer d'un seul pas vers la perfection ; de tels efforts vous feront plutot abandonner dès le commencement, et votre âme ne progressera pas vers l'amiable repos et la suprême paix intérieure.

Chapitre IX
L'âme ne doit pas s'inquiéter,
ni se détourner du chemin spirituel parce qu'elle est assaillie par des tentations.
Notre propre nature est si méprisable, fière et ambitieuse, et tellement remplie de ses propres appétits, de ses propres jugements et de ses propres opinions, que si elle ne retenait pas ses tentations, nous serions perdu sans aucun espoir. Le Seigneur, alors,en voyant notre misère et nos penchants pervers, et de ce fait ému de compassion, permet que nous soyons troublés par de violentes tentations, des mouvements d'impatience, d'orgueil, d'intempérance, de luxure, de colère, de murmure, de blasphème, de désespoir, dans le but de nous faire connaître nos faiblesses et que nous puissions demeurer humble. Par ces horribles tentations, par cet bonté infinie qui humilie notre orgueil, nous en retirons un remède des plus salutaire.
Tout comme Ésaïe avait dit,« Toutes nos œuvres, dit Isaïe, sont comme des draps souillés » ( Ésaïe 64:6), à travers les taches de la vanité, de la complaisance de soi, et de l'amour propre. Il est nécessaire qu'elle soit purifié par le feu de la tribulation, et de la tentation, afin qu'elles puissent être lavé, pure, parfaite, et agréable aux yeux de Dieu.
Par conséquent le Seigneur purifie les âmes qu'Il appelle, et qu'Il désire avoir pour Lui, se servant de la tentation comme d'une lime pour enlever la rouille de l'orgueil, de l'avarice, de la vanité, de l'ambition, de la présomption, et de l'amour-propre. Par la même façon Il les humilie, les calme, et leur fait reconnaître leur misère. Par ce moyen Il purifie et dépouille le coeur, afin que toutes ses oeuvres soient purs et de valeurs inestimables.
Bien des âmes, lorsqu'elles sont aux millieux de douloureux tourments, qu'elles sont troublées, affligées et préoccupées; elles se sentent comme si elles avaient été condamnées à souffrir le chatiment éternel ; et si, par malheur elles s'en remettent entre les mains d'un confesseur inexpérimenté, au lieu de les récomforter, il les laissera dans de grandes confusions et de grandes perplexités.
Pour que vos ne perdiez pas votre paix intérieure, il est nécessaire que c'est la bonté de la miséricorde Divine, qui vous humilie, vous afflige et qui vous tente. Afin que, par ce moyen votre âme parvienne à une profonde connaissance d'elle-même, en croyant qu'elle est la pire, la plus impie et la plus abominable de toute les âmes vivante, et qu'ainsi avec humilité et bassesse elle s'abhorre elle-même. Oh combien l'âme serait heureux si elle pouvait faire silence, et que toutes ces tentations suscités par le diable, et reçu de la main de Dieu, concourent à leurs bien et leurs avancement spirituel !
Mais vous allez dire, que ce n'est pas le travail du diable, lorsqu'Il se sert des hommes pour vous éprouver ; mais que , lorsque vous êtes outragés et injuriés par vos prochains, c'est à cause de leurs défauts et de leurs méchancetés . Sachez que c'est là une autre tentation subtile et cachée, car, si Dieu réprouve les crimes des hommes, Il se sert néanmoins des douleurs et des inquiétudes qu'ils causent pour vous perfectionner par les avantages de la patience et du pardon.
Lorsque vous êtes outragés par tout homme ! il y a deux éléments en cela : le péché de celui qui le commet, et le châtiment que vous subissez; le péché est contre la volonté de Dieu, et cela Lui déplait, quoiqu'Il le permet ; le chatiment c'est afin de vous aider à vous conformer à sa volonté, et Il permet les préjudices pour votre progrès ; raison pour laquelle il convient que vous les receviez, comme si cela venait de Lui. [Lorsque vous pouvez accepter que les tors qui vous ont été fait, avaient été orchestrés par Lui de sorte que vous pouvez pardonner facilement à la personne qui vous fait du mal ; et lorsque vous pouvez leur pardonner sans colère ni ressentiment, vous en êtes arrivé à un tournant critique dans votre voyage avec le Seigneur.] La passion ainsi que la mort de notre Seigneur Jésus-Christ fut le résultat des péchés et de la méchanceté de Pilate, [ainsi que des leaders religieux d'Israël]; et cependant il est certain que Dieu voulut la mort de Son propre Fils pour notre rédemption, [comme il orchestra le temps et le lieu de la Pâques à Jérusalem. Et n'allons pas oublier l'exemple de notre Seigneur, alors qu'Il souffrit l'inimaginable douleur de la croix, a dit ; "Père pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font."]
Voilà comment le Seigneur Se sert des fautes des autres pour le bien de votre âme. Oh grandeur de la Divine Sagesse! qui peut sonder les profondeurs du secretet des voies extraordinaires, les sentiers inconnus par lesquels Il guide l'âme, afin de vouloir nous purifier, nous transformer, et nous transformer dans la perfection et la sainteté!

Chapitre X

Suite au chapître précédent.
Pour que l'âme puisse être l'habitation du Roi céleste, elle se doit nécessairement d'être pur, et sans aucune tache; Raison pour laquelle le Seigneur la purifie comme l'or dans la fournaise des terribles et douloureuses tentations. Il est certain que jamais l'âme n'aime ni ne croit autant que lorsqu'elle se trouve affligée et tourmentée par les tentations; parce que les doutes et les craintes qui l'environnent afin de voir si elle croit ou pas, voir si elle consent ou pas, ne sont rien d'autre que la particularité de son amour.
Les effets qui demeurent dans l'âme sont très clairs ; et normalement elle produit un dédain de soi-même, avec une connaissance plus profonde de la grandeur et de l'omnipotence de Dieu, ainsi qu'une grande confiance dans le Seigneur qu'Il la délivrera de tout risque et de tout danger; croyant et confessant avec une plus grande vigeur de foi, que c'est Dieu qui lui donne la force de supporter les tourments de ces tentations, car il serait naturellement impossible, si l'on considère la force et la violence avec lesquelles on nous attaque parfois, de supporter plus d'un quart d'heure.
Vous devez reconnaître alors, que la tentation vous est d'un grand bonheur, que, plus elle vous entoure, plus vous devrez vous en réjouir en paix; au lieu de vous en affliger,et remercier Dieu pour la faveur, Il vous a favorisé. Pour toutes ces tentations et ces mauvaises pensées le meilleur remède c'est de les mépriser avec un manque d'égard continuel.
Car rien n'afflige autant le fier démon, que lorsqu'il se voit traité sans aucune considération et avec mépris, lui, ainsi que toutes ses autres choses qu'il nous suggère. Et cependant vous devez vous attarder avec lui, comme ne le percevant pas, et vous emparer de votre paix sans tracas, sans multiplier les raisonnements et les réponses; en voyant bien que rien n'est plus dangereux que de débattre en raisonnements avec lui qui est prêt à vous séduire.
Les saints en arrivant à la sainteté ont dut passer par cette pénible vallée des tentations. Plus ils étaient saints, plus les tentations auxquelles ils furent confrontés étaient grandes, non, après que les saints eurent atteint la sainteté et la perfection, le Seigneur leurs permit de vives tentations, afin que leur couronne soit des plus magnifique, et que l'esprit de vaine gloire, ou autres entraves, soit mit à l'échec, les préservant de cette manière, sûr, humble, et concerné par leur condition.
Finalement, vous devez savoir que la plus grande des tentations c'est de ne pas avoir de tentation. C'est pour cela que vous devez vous réjouir lorsque vous en êtes assaillit. Ainsi résistez avec résignation, paix et constance. Car si vous voulez servir Dieu, et parvenir à la région sublime de la paix intérieure, vous devez passer par le rude sentier de la tentation, revêtez cette joyeuse armure, combattez dans cette guerre acharné et cruelle, et dans cette fournaise ardente faites-vous, polir, purger, renouveler, et purifier.
Chapitre XI
Comment l'âme doit se comporter dans le recueillement intérieur,
ainsi que dans la guerre spirituelle dans laquelle le diable met tout en oeuvre afin de perturber ce moment.
Le recueillement intérieur est foi et silence en présence de Dieu. Ainsi vous devrier prendre l'habitude de vous recueilir dans Sa présence, avec une affectueuse attention, comme étant totalement abandonné à Dieu, et uni à Lui avec révérence, humilité et soumission, e considérant dans les parties les plus profondes de votre âme, sans forme, sans idée, sans manière, sans figurer; au moyen de la connaissance et de la vue générale d'une foi aimante et obscure, sans chercher à concevoir ni Ses perfections ni Ses attributs.
Demeurez en cet état, conservant cette vue simple et pleine d'amour, tournée vers Dieu. Remettez-vous entre Ses mains, afin qu'Il dispose de vous comme Il lui plaira, sans faire de réflexions ni sur vous-mêmes, ni sur les perfections divines. Ayant dominé vos sens, vous étant abandonnés aux mains du Père Céleste, demeurez dans la solitude et dans l'oubli de toutes les choses du monde. En résumé, votre foi doit être pure, sans images, sans idées, simple et sans raisonnement, universelle et sans aucune distinction.
La prière de recueillement intérieur est figurée par cette lutte que, selon l'Écriture, le patriarche Jacob mena la nuit contre Dieu, jusqu'à ce que se levât la lumière du jour et que Dieu le bénît. L'âme doit en effet persévérer et lutter contre les difficultés qu'elle ressent dans le recueillement intérieur, sans faiblir, jusqu'à ce que luise la lumière de l'aurore, et que le Seigneur accorde à cette âme sa bénédiction.
À peine vous serez-vous livrés à ton Dieu par ce chemin intérieur, que tout l'enfer se conjurera contre vous, parce qu'une seule âme recueillie intérieurement en présence de Dieu livre mieux bataille aux ennemis que mille autres qui cheminent par l'extérieur: ces ennemis connaissent la supériorité infinie d'une âme intériorisée.
Plus que vos bonnes actions et vos grands sentiments Dieu appréciera, si vous êtes recueilli, la paix et la résignation de votre âme aux prises avec une foule de pensées inconvenantes, importunes ou impudiques. Sache que l'effort même que vous ferez afin de résister à ces pensées est un obstacle, et qu'il laissera l'âme plus inquiète. Ce qui importe, c'est de les mépriser avec douceur, de reconnaître votre misère et d'offrir à Dieu paisiblement la gêne ressentie.
Même si vous ne pouvez échapper à la préoccupation de vos pensées et que vous ne sentez pas la lumière, ni la consolation, ni le réconfort spirituel, ne vous affligez pas et ne délaissez pas le recueillement, car il s'agit d'embûches de l'ennemi. Résignez-vous alors avec force, souffrez avec patience et persévèrez en présence de Dieu : tant que vous persévérerez de cette manière, votre âme, intérieurement, en recueillera du profit.
Si tu termines ta prière dans la même sécheresse où tu l'as commencée, tu penseras que c'est par manque de préparation et que tu n'en tires pas de fruit. Illusion! parce que le fruit de la véritable prière n'est pas de savourer la lumière, ni d'avoir connaissance des choses spirituelles : celles-ci peuvent en effet se trouver par l'entendement spéculatif, sans la vraie vertu et la perfection. Le fruit de la véritable oraison réside seulement dans le fait de souffrir avec patience, et de persévérer dans la foi et le silence, en croyant qu'on est en présence du Seigneur et en tournant son cœur vers lui, avec quiétude et pureté d'intention. Et tant que tu persévéreras de cette manière, tu seras dans la seule condition et disposition dont tu aies besoin en ce temps, et tu recueilleras un fruit infini.
Dans ce recueillement intérieur, la guerre est tout à fait habituelle. D'un côté, Dieu vous privera d'agrément sensible pour vous éprouver, vous humilier et vous purifier. D'un autre côté, les ennemis invisibles vous agresseront avec leurs suggestions continuelles pourvous inquiéter et vous entraver. D'un autre côté encore, la nature elle-même, toujours ennemie de l'esprit, vous tourmentera, car si on la prive de satisfactions sensibles, elle reste sans vigueur, mélancolique et pleine de dégoût; de sorte qu'elle pressent l'enfer dans tous les exercices spirituels, et spécialement dans celui de l'oraison. Aussi, animée du désir d'en arriver à la fin de cette oraison, ressent-elle la désolation la plus vive, à cause de l'assujettissement aux pensées, de la fatigue du corps, du sommeil inopportun, et parce qu'elle ne peut pas réfréner les sens, chacun de son côté voulant suivre ses goûts. Heureux êtes-vous si vous persévérez au milieu de ce martyre!
Le grand docteur et maître mystique, sainte Thérèse, accrédite tout cela de son enseignement inspiré, dans une lettre qu'elle écrivit à l'évêque d'Osma pour l'instruire de la manière de se comporter dans la prière et devant le flot des pensées importunes dont on est alors agressé. Voici ce qu'elle dit: « Il faut souffrir la gêne due au tumulte des pensées ou des imaginations importunes, et aux élans des mouvements de la nature, qu'ils proviennent soit de l'âme, à cause de sa sécheresse et de son désordre, soit du corps, parce qu'il n'offre pas à l'esprit la soumission qu'il lui doit. »
C'est ce que les spirituels appellent la sécheresse de l'âme; mais celle-ci est très profitable si on l'accepte et endure avec patience. Celui qui apprendra à la supporter, à ne pas la refuser, tirera un profit infini de cette épreuve. Il est certain que, dans le recueillement, le démon se déchaîne bien davantage, en insufflant des pensées pour ruiner la quiétude de l'âme et l'écarter de ce commerce intérieur si doux et si rassurant: il lui inspire de l'horreur pour qu'elle abandonne cet exercice, si bien que la plupart du temps elle s'y rend comme si on la conduisait à un supplice très rigoureux.
Souvent aussi pendant le recueillement, le tentateur vient susciter des pensées volages pour troubler le repos de l'âme. Il tâche de lui insuffler du dégoût pour la conversation intérieure, si douce et si tranquille, afin de lui faire abandonner cet exercice. Il parvient parfois à réduire l'âme à un tel état qu'il lui semble qu'on la mène alors au plus cruel supplice.
Bien informée de ces choses, la sainte dit dans la lettre citée: « Les rapaces, je veux dire les démons, piquent et molestent l'âme avec les imaginations, pensées importunes et inquiétudes qu'engendre le démon à ce moment-là, emportant la pensée et la répandant d'un côté et de l'autre. Et derrière la pensée s'en va le cœur; et le fruit de la prière n'est pas négligeable, quand on souffre ces tracasseries et agacements avec patience. S'offrir en holocauste n'est pas autre chose, et l'holocauste consiste en ce que tout le sacrifice se consume dans le feu de la tentation, sans que rien du sacrifice soit épargné. » Vois comment cette maîtresse céleste encourage à souffrir et supporter pensées et tentations, puisque tant qu'on n'y consent point, le gain est double.
Autant de fois tu t'appliqueras à rejeter avec douceur ces vaines pensées, autant de couronnes le Seigneur déposera sur ta tête. Et si tu crois que tu ne fais rien, détrompe-toi : un bon désir, si on demeure ferme et per-sévérant dans l' oraison, plaît beaucoup au Seigneur.
« En effet, conclut la sainte, le fait d'être là sans rien obtenir, n'est pas du temps perdu, mais un temps de grand profit, parce qu'on travaille sans intérêt et pour la seule gloire de Dieu. L'âme, certes, estime qu'elle travaille en vain, mais il n'en est rien. Il en va d'elle plutôt comme de ces enfants qui travaillent dans le domaine de leurs parents: si le soir ils ne reçoivent pas de salaire, à la fin de l'année ils perçoivent tout. » Voilà donc com-ment la sainte confirme nos leçons par son précieux enseignement.

Chapitre XII
Suite du même sujet
Ce n'est pas celui qui fait davantage, ou qui ressent davantage, ou qui affiche davantage de sensibilité, que Dieu aime davantage, mais celui qui souffre davantage, à la condition qu'il adore avec foi et révérence, en croyant qu'il est en présence de Dieu. Il est vrai qu'enlever à l'âme la prière des sens et de la nature lui est un martyre rigoureux; mais le Seigneur se félicite et se réjouit de la paix de cette âme, si elle est ainsi dans la quiétude et la résignation. Ce n'est pas alors le moment de recourir à la prière vocale, car si la prière vocale est de soi bonne et sainte, y recourir dans ces circonstances est une tentation manifeste, par laquelle l'ennemi cherche à ce que Dieu ne nous parle pas au cœur, sous prétexte que nous ne ressentons rien et que nous perdons notre temps.
Dieu ne regarde pas au flux des paroles, mais à l'intention, si elle est pure. Sa plus grande satisfaction et sa plus grande gloire est de voir l'âme comblée de silence, de désirs, d'humilité, de quiétude et de résignation. Chemine, persévère, prie et garde silence, car, là où tu ne trouveras pas de douceur sensible, tu trouveras une porte pour pénétrer dans ton néant, en sachant que tu n'es rien, que tu ne peux rien, pas même avoir une bonne pensée.
Tous ceux qui se sont engagés dans cet heureuse pratique de la prièreet du recueillement intérieur, et l'ont abandonné sous prétexte, disent-ils, qu'ils n'y éprouvaient aucun goût, qu'ils perdaient leur temps, qu'ils étaient assaillis de distractions, que la prière n'était pas pour eux puisqu'ils n'y trouvaient aucun contact avec Dieu, ni ne pouvaient raisonner (alors qu'ils auraient pu croire, garder silence et prendre patience) ... oui, tous ceux-là, à dire vrai, n'ont d'autre volonté que celle de partir, de manière ingrate, en quête de satisfactions sensibles, en se laissant emporter par leur amour-propre', en se recherchant eux-mêmes au lieu de rechercher Dieu, pour ne pas souffrir la moindre peine ou sécheresse ... sans compter la perte infinie que font ces personnes, puisque le moindre acte de déférence à l'égard de Dieu leur assurerait, au milieu de la sécheresse, une récompense éternelle.
À la vénérable mère Françoise Lopez de Valence, membre du tiers-ordre de saint François, le Seigneur dit trois choses fort lumineuses sur le recueillement intérieur.

«La première est que l'âme profite davantage d'un quart d'heure de prière avec recueillement des sens et de ses facultés, avec résignation et humilité, que de cinq jours d' œuvres pénitentielles avec cilices, disciplines, jeûnes et lit de planches; car tout cela, c'est tourmenter le corps, tandis qu'avec le recueillement, l'âme se purifie. »
La deuxième est qu'il plait davantage à la Majesté divine que l'âme lui accorde une heure de prière paisible et fervente, plutôt qu'elle ne parte pour de grands pèlerinages ou pieux rassemblements. Dans la prière, en effet, elle est utile à elle-même et à ceux pour qui elle prie : c'est un grand bonheur pour Dieu et cela mérite un grand poids de gloire; tandis que dans un pèlerinage, l'âme d'ordinaire se distrait, les sens s'éparpillent et la vertu s'affaiblit, abstraction faite d'autres dangers
La troisième est que « la prière continue» consiste à laisser toujours son cœur entre les mains de Dieu, et que, pour être intérieure, une âme doit être conduite plutôt par les affections de la volonté que par les efforts de l'entendement.
Tout cela se trouve dans le récit de sa vie.
Plus l'âme trouve plaisir à un amour sensible, moins Dieu trouve plaisir en elle; et au contraire, moins l'âme trouve plaisir à cet amour sensible, plus Dieu trouve plaisir en elle. Et elle sait que fixer en Dieu sa volonté, en écartant pensées mauvaises et tentations, avec la plus grande quiétude possible, est une haute forme de prière.
Je conclurai ce chapitre en te détournant de l'erreur commune de ceux qui disent que, dans ce recueillement intérieur ou prière de quiétude, les facultés n'œuvrent pas, et que l'âme est oisive, sans aucune activité: c'est un leurre manifeste de la part de ceux qui ont peu d'expérience. En effet, la mémoire, certes, n'entre pas en œuvre ; ni le jugement, qui est la deuxième opération de l'entendement; non plus que le raisonnement, qui en est la troisième. Mais la première et principale opération de l'entendement illuminé par notre sainte foi et aidé par les dons divins de l'Esprit-Saint se fait par simple appréhension. Et la volonté prête plus d'attention pour continuer un seul acte que pour multiplier des actes, bien que l'acte de l'entendement et l'acte de la volonté soient si simples, imperceptibles et spirituels que l'âme les connaît à peine : encore moins en donne-t-elle un reflet ou les prend-elle en considération
Chapitre XIII
Ce que l'âme doit faire dans le recueillement intérieur
Vous devez aller en prière pour vous livrer complètement entre les mains de Dieu avec une parfaite résignation, en faisant un acte de foi, en croyant que vous êtes en sa divine présence, en demeurant ensuite en cette sainte oisiveté, avec quiétude, dans le silence et le calme, en essayant de prolonger par la foi et l'amour, durant toute la journée, toute l'année et toute votre vie, ce premier acte de méditation.
Vous ne devez pas tendre à multiplier ces actes de foi, ni à entretenir des affections sensibles, parce que tout cela empêche la pureté de l'acte spirituel et parfait de la volonté. En effet, d'abord, ces sentiments délectables sont imparfaits, à cause de la réflexion par laquelle ils se forment, et à cause de la satisfaction personnelle et de la consolation intérieure pour lesquelles on les recherche, pendant que l'âme se répand au-dehors par ses puissances externes. En outre, il n'y a pas nécessité à renouveler ces actes, comme le dit fort bien le mystique Falconi 1 dans la comparaison suivante :
« Si un jour vous présentez à un ami un riche joyaux et que vous lui en fassiez hommage, il n'est pas nécessaire de lui rappeler votre geste en lui disant tous les jours: "Ami, je t'ai donné ce joyau; ami, ce joyau, je te l'ai donné." Il faut plutôt le lui laisser et ne pas vouloir le lui enlever, parce que tant qu'on ne le lui enlèvera pas ou qu'on ne voudra pas le lui enlever, il le considérera toujours comme sien. »
De la même manière, une fois prononcés l'abandon et la résignation amoureuse à la volonté du Seigneur, il n'est que de vous y maintenir, sans les réitérer formellement par de nouveaux actes, tant que vous ne ravissez pas à Dieu le joyau de votre abandon par quelque action grave contre sa volonté. Et cela, même si au-dehors vous vous adonnez aux œuvres extérieures de votre vocation et de votre état, car, en vous y adonnant, vous faites la volonté de Dieu et vous demeurez virtuellement en prière continue. Il prie toujours, dit Théophilacte', celui qui accomplit de bonnes oeuvres, et il ne cesse de prier que lorsqu'il cesse d'être juste.
Vous devez donc mépriser toutes ces choses sensibles pour que votre âme s'établisse dans le recueillement dont elle aura acquis l'habitude intérieure. Cette habitude est tellement efficace que la seule résolution d'entrer en prière éveille un vif sentiment de la présence de Dieu. Cela constitue une préparation à la prière qui suivra ou, pour mieux dire, ce n'est qu'un prolongement plus efficace de cette oraison continue dans laquelle doit s'établir le contemplatif.
Comme elle a bien pratiqué cette leçon, la vénérable mère de Chantal, fille spirituelle de saint François de Sales et fondatrice en France de l'ordre de la Visitation! Dans sa Vie, on trouve les paroles suivantes qu'elle adressait à son saint directeur: « Très cher Père, je ne saurais faire aucun acte; il me semble que cette disposition est toujours plus ferme et assurée. Mon esprit, dans sa partie supérieure, se trouve dans une unité très simple; il ne s'unit pas, parce que, s'il veut faire des actes d'union (ce qu'il essaie souvent), il ressent de la difficulté et il reconnaît clairement qu'il ne peut pas s'unir, mais être uni. L'âme voudrait se servir de cette union pour l'exercice du matin, celui de la sainte messe, de la préparation à la communion et de l'action de grâces; et finalement elle voudrait, pour toutes choses, être toujours dans cette très simple unité d'esprit, sans regarder à autre chose! ». À tout cela son saint directeur répond en donnant son approbation et en l'incitant à continuer, lui rappelant que le repos de Dieu est dans la paix.
Dans une autre circonstance, elle adressait au même saint les mots suivants : « Alors que je m'incitais à produire des actes particuliers pour protester de ma vue simple de Dieu, de ma totale résignation et de mon anéantissement en Dieu, l'infinie bonté divine me reprit et me fit comprendre que ces choses procédaient de mon amour-propre et qu'ainsi je portais préjudice à mon âme » (extrait de sa Vie).
Grâce à cela, tu seras éclairé et tu connaîtras quelle est la manière parfaite et spirituelle de prier; et tu seras averti de ce que tu dois faire dans le recueillement intérieur; et tu sauras qu'il importe, pour que ton amour soit parfait et pur, de réduire le nombre des actes sensibles et fervents, l'âme demeurant en quiétude et repos dans ce silence intérieur. Car la tendresse, la douceur et les sentiments délectables qu'éprouve l'âme dans sa volonté ne sont pas purement spirituels; tout cela est mêlé aux réalités sensibles de la nature. Et n'est pas amour parfait mais plaisir sensible l'acte qui trouble et blesse l'âme, selon ce qu'a dit le Seigneur à la vénérable mère de Chantal.
Supposons que ton âme entre à l'intérieur d'elle-même et se mette en son néant, là, en son centre et sa partie supérieure, sans savoir ce qu'elle fait, sans savoir si elle est recueillie ou non, si cela lui convient ou non, si elle agit ou n'agit pas, sans regarder ni porter soin ou attention aux choses sensibles, alors, comme elle sera heureuse! et quelle saine occupation pour elle! C'est ainsi que l'entendement croît par un acte pur, et que la volonté aime d'un amour parfait, sans obstacle quelconque, imitant cet acte pur et continu de méditation et d'amour qui est, disent les saints, celui des bienheureux dans le Ciel, avec la seule différence que les bienheureux voient Dieu face à face, tandis que l'âme ici-bas a devant elle le voile obscur de la foi.
Oh! que peu nombreuses sont les âmes qui arrivent à cette manière parfaite de prier, parce qu'elles ne pénètrent pas assez dans ce recueillement intérieur et ce silence mystique, et qu'elles ne se dépouillent pas de la réflexion imparfaite et des satisfactions sensibles! Oh! Si seulement ton âme se lançait sans précautions excessives, fût-ce d'elle même, dans cette tranquilité sainte et spirituelle, et si elle disait comme saint Augustin : « Sileat anima mea et transeat se, non se cogitando » (Confessions, livre IX, chap. x)! « Que mon âme fasse silence et ne veuille rien faire ni penser à rien », qu'elle s'oublie soi-même et s'immerge dans cette foi obscure, et alors comme elle sera sécure et sauve, même s'il lui semble être inactive et ne faisant rien, ou perdu. Pour couronner ces exhortations, voici la lettre qu'adressait l'illustre mère de Chantal à une vraie servante de Dieu: « La bonté divine, dit la mère inspirée, m'a gratifiée de cette manière de prier, dans laquelle, grâce à une vue simple sur Dieu, je me sentais toute plongée, absorbée et pacifiée en lui. Cette grâce continua toujours pour moi, bien que je m'y fusse opposée par mon infidélité et fisse naître en moi la crainte, croyant être inutile en cet état. Comme je voulais pour cette raison faire quelque chose de mon propre chef, je gâchais tout ; et même présentement, je me sens parfois envahie de la même crainte, non pas cependant dans la prière, mais dans les autres exercices où je veux toujours agir quelque peu, en accomplissant des actes, quoique je sache fort bien qu'en les accomplissant je perds ma quiétude, et quoique je discerne nettement que cette vue simple sur Dieu est aussi mon unique remède et recours en toutes les épreuves, tentations et événements de cette vie.
Et certainement, si je voulais suivre mon impulsion intérieure, je n'userais pas d'autre moyen en toutes circonstances, sans exception aucune car, lorsque je pense fortifier mon âme par les arts, les raisonnements et renoncements, alors je m'expose à de nouvelles tentations et épreuves. De plus, je ne peux le faire sans m'imposer une grande violence, laquelle me laisse épuisée et désséché. Ainsi m'est-il nécessaire de revenir rapidement à la simple résignation, sachant que Dieu me fait voir par là qu'il veut rendre impossibles les opérations de mon âme, parce qu'il veut, dans sa divine activité, tout faire lui-même. Et par bonheur il ne veut de moi autre chose que cette vue simple, soit dans tous les exercices spirituels, soit dans toutes les peines, tentations et afflictions qui me peuvent échoir en cette vie. Et la vérité est que, plus grande est la quiétude où je tiens mon esprit par ce moyen, mieux me réussit toute chose, et plus tôt s'évanouissent toutes mes affections. Mon bienheureux père saint François de Sales, lui aussi, me l'a souvent assuré.
Notre défunte mère supérieure (la mère Marie de Castel) m'incitait à demeurer ferme dans cette voie et à ne rien craindre dans cette vue simple de Dieu. Elle me disait que cela suffisait; et que plus complets sont le dépouillement et la quiétude en Dieu, plus grandes sont la douceur et la force que reçoit l'âme: et celle-ci doit essayer d'être si pure, si simple, qu'elle n'ait d'autre appui qu'en Dieu seul.
À ce propos, il me vient à l'esprit qu'il y a quelques jours, Dieu m'a communiqué une illumination qui me fit une telle impression sur moi comme si je l'avais vue de mes yeux. Et cette lumière est que je ne dois jamais me regarder moi-même, mais cheminer les yeux fermés, appuyée sur mon bien-aimé, sans chercher ni à voir, ni à connaître le chemin par lequel il me guide, sans penser à rien, ni même lui demander des grâces, mais en étant tout simplement tout abandonnée et pacifiée en lui »

Chapitre XIV
Où l'on explique comment l'âme, s'étant plaçée en présence de Dieu avec une parfaite résignation, par un pur acte de sa foi, progresse toujours dans la méditation virtuelle et acquise
Vous me direz, comme m'ont dit beaucoup d'âmes, qu'une fois réalisé avec une parfaite résignation l'abandon de vous-même, en présence de Dieu, vous n'avez ni mérite, ni profit, parce que votre pensée, dans le temps de l'oraison, se distrait de telle manière qu'elle ne peut rester en Dieu. Ne vous désolez pas, car vous ne perdez ni votre temps, ni votre mérite; et vous n'avez de cesse non plus d'être en oraison, puisqu'il n'est pas nécessaire que pendant tout ce temps vous pensiez formellement à Dieu. Il suffit de lui avoir prêté attention au début, tant que vous ne vous divertissez pas délibérément, ni ne rétractez l'intention formelle que vous avez eue. Il en va de même de celui qui entend la messe ou prononce l'office divin: il s'acquitte fort bien de son obligation en vertu de cette première intention formelle, même si ensuite il ne persévère pas à tenir sa pensée formellement fixée en Dieu. C'est ce que nous assure le Docteur Angélique, saint Thomas, dans les termes suivants : « Seule cette première intention et première pensée en Dieu, qu'a eue en commençant celui qui prie, a force et valeur pour que, tout le reste du temps, ce soit une véritable prière salutaire et méritoire, même si, pendant tout le temps que dure encore l'oraison, il n'y a pas contact formel avec Dieu» (22 qusest, 82 are. 13 ad. 1). Le saint peut-il parler plus clairement à notre adresse?
Ainsi donc la prière dure toujours, dit saint Thomas, même si l'imagination vagabonde sur une foule de pensées, à la condition que celui qui prie n'y consente pas, ni n'abandonne le lieu de prière ou la prière même, ni ne change sa première intention d'être avec Dieu. Et il est certain qu'il ne la change pas tant qu'il n'abandonne pas le lieu; d'où l'on déduit en bonne logique qu'il persévère dans la prière, même si son imagination s'envole sur des pensées diverses et involontaires. « Il prie en esprit et en vérité, dit le saint au lieu cité, celui qui va à l'oraison avec l'esprit et l'intention de prier, même si ensuite, en raison de sa faiblesse et de sa misère, sa pensée vagabonde. »
Mais, me me direz-vous, ne dois-je pas pour le moins, à ce moment-là, me rappeler que je suis devant Dieu, et lui dire à plusieurs reprises : « Seigneur, Tu es en moi et je voudrais me donner entièrement à Toi » ? Je réponds que ce n'est pas nécessaire, parce que vous avez la volonté de prier et c'est à cette fin que vous êtes venu là où vous êtes. La foi et l'intention vous est suffisant, et celles-ci persévèrent toujours; et plus ton souvenir de la présence divine est simple, dénué de paroles et de pensées, plus il est pur, spirituel, intérieur et digne de Dieu.
Ne serait-il pas impertinent et irrespectueux si, étant en présence du Roi, vous Lui disiez de temps à autre: « Seigneur, je crois que votre Majesté est ici présente»? Eh bien, c'est cela même qui arriverait. Par le simple regard de la foi, l'âme voit Dieu, croit en lui et est en sa présence; et donc, quand l'âme croit, elle a besoin non pas de dire : « Mon Dieu, vous êtes ici », mais de croire comme elle croit. Dès qu'arrive en effet le temps de la prière, la foi et l'intention la guident et la portent à contempler Dieu par le moyen de la simple foi et de la résignation parfaite
Ainsi , tant que vous ne rétractez pas cette foi, que vous n'avez pas l'intention de vous résigner, vous demeurez toujours dans la foi et la résignation, et par conséquent vous demeurez dans la prière et dans la méditation virtuelle et acquise, même si vous ne le ressentez pas, ni ne le rappellez à votre mémoire en y réfléchissant de nouveau. Le chrétien, la personne mariée, le religieux, même s'ils n'accomplissent pas d'actes nouveaux, ni ne se remettent en mémoire soit leur baptême en disant:  Je suis chrétien », soit leur mariage en disant: « Je suis marié », soit leurs vœux en disant: « Je suis religieux », non, ceux-là ne cessent pas pour autant d'être l'un baptisé, l'autre marié, et le troisième profès. Ils seront seulement obligés, le chrétien d'accomplir de bonnes œuvres en témoignage de sa foi et de croire plus en vérité qu'en paroles, la personne mariée de donner des marques de la fidélité qu'elle a promise à son époux, et le moine de donner des marques de l'obéissance qu'il a vouée à son supérieur.
De même que , l'âme intérieure, une fois résolue à croire que Dieu est en elle, résolue à se résigner, à ne rien vouloir d'autre que d'œuvrer pour Dieu et en présence de Dieu, doit se contenter de cette foi et de cette intuition qui sont les siennes, en toutes ses œuvres et tous ses exercices, sans exprimer ou réitérer des actes de foi et de résignation.

Chapitre XV
Suite du même sujet
Cettte véritable doctrine est utile non seulement pour le temps de prière, mais aussi pour celui d'après la prière ; elle sert la nuit, le jour, et à toute heure, et dans toutes tes fonctions quotidiens exigés par ta vocation, tes obligations et ton état. Si tu me dis que souventefois, pendant la journée, tu oublies de raviver ta résignation, je répondrai que, même si tu crois t'en éloigner quand tu vaques aux occupations de ton état (comme l'étude, la lecture, la prédication, le manger, le boire, les affaires ou autre chose du genre), tu fait erreur, car, tu ne t'en éloignes pas pour autant, ni ne cesses de faire la volonté de Dieu ou de pratiquer prière virtuelle, comme dit saint Thomas.
En effet, aucune de ces occupations ne va contre la volonté divine ni contre ta résignation, car il est certain que Dieu veut que tu manges, que tu étudies, que tu travailles, que tu fasses des affaires, etc., et donc, en vaquant à ces exercices-là, qui sont conformes à sa volonté et son bon plaisir, tu ne t'éloignes ni de sa présence, ni de ta résignation.
Mais si, durant la prière ou en dehors de la prière, tu te divertissais et distrayais volontairement, en te laissant emporter délibérément par quelque passion, alors il serait bon pour toi de te tourner vers Dieu et sa divine présence, en réitérant un pur acte de foi et de résignation. Cependant, il n'y aura pas nécessité d'agir ainsi quand tu connaîtras la sécheresse, parce que la sécheresse est bonne et sainte, et elle ne peut, si rigoureuse soit-elle, enlever à l'âme la divine présence qui est établie sur la foi. Tu ne dois jamais appeler sécheresse la distraction, parce qu'elle est chez les débutants un défaut de la sensibilité, et chez les âmes avancées elle est une abstraction; et par son intermédiaire, si tu la supportes avec constance et que tu restes paisible en ton néant, ton âme s'intériorisera et le Seigneur en elle opérera des merveilles.
Essaie donc, à partir du moment où tu sors de la méditation et jusqu'à ce que tu y reviennes, de ne pas te distraire ni te divertir, mais d'être totalement résigné à la volonté de Dieu, pour que Dieu fasse et défasse, en toi-même et en tout ce qui te concerne, ce quIl voudra selon son bon plaisir : tu t'en remettras à lui comme à un père affectueux. Ne te détourne jamais de cette intention; et même si tu es pris par les obligations de ton état, là où Dieu t'a placé, tu seras toujours en prière, en la présence de Dieu, et dans une résignation permanente. C'est pourquoi saint Jean Chrysostome a dit: « Le juste ne cesse pas de prier, à moins qu'il ne cesse d'être juste; il prie toujours, celui qui agit bien; et le bon désir c'est la prière; et si le désir est continuel, continuelle aussi est la prière » (Super 1 Ad Thessalon. 5).
Tu comprendras tout cela par cet exemple tout simple : lorsqu'une personne se met en route pour aller à Rome, tous les pas qu'elle fait sur le chemin sont bien voulus; cependant il n'est pas nécessaire qu'à chaque pas elle manifeste son intention, ni qu'elle produise un nouvel acte de la volonté en disant: « Je veux aller à Rome; je vais à Rome. » Car, en vertu de sa première intention qu'elle avait le jour de son départ, la volonté d'aller à Rome se prolonge toujours en elle; de sorte qu'elle chemine sans le dire, bien qu'elle ne chemine pas sans le vouloir. Et même tu comprendras clairement que ce pèlerin, par un seul geste de sa volonté - un seul vouloir - chemine, parle, entend, voit, réfléchit, mange et procède à diverses autres opérations, sans que celles-ci brisent sa volonté première ou suspendent sa marche actuelle vers Rome.
Il en est de même pour l'âme méditative : une fois qu'elle a exprimée sa détermination à faire la volonté de Dieu et à vivre en sa présence, cette âme se maintient en permanence dans la même détermination tant qu'elle ne recule pas, même si elle est occupée à écouter, parler, manger ou à quelque autre œuvre bonne ou exercice extérieur propre à sa vocation et son état. Saint Thomas d'Aquin a dit tout cela en peu de mots.» Non enim oportet quod qui propter Deum aliquod iter arripuit, in quolibet parte itineris de Deo cogitet actu.
Tu diras que tous les chrétiens s'en tiennent à cela, parce que tous ont la foi et peuvent, bien qu'ils ne soient pas tous intérieurs, se conformer à cet enseignement, en particulier ceux qui cheminent par le chemin extérieur de la méditation et du raisonnement. Il est vrai que tous les chrétiens ont la foi, et spécialement ceux qui méditent et réfléchissent. Mais la foi de ceux qui cheminent par la voie intérieure est très différente, parce qu'elle est foi pure, universelle et indistincte, et par conséquent plus pratique, plus vive, efficace et éclairée. L'Esprit-Saint, en effet, illumine davantage l'âme mieux disposée; et celle dont l'entendement est recueilli est toujours mieux disposée, parce que c'est à la mesure du recueillement que l'Esprit illumine. Certes, dans la méditation, Dieu communique quelque lumière. Mais c'est une lumière différente de celle qu'il communique à l'entendement recueilli au préalable dans une foi pure et universelle : elle en est aussi différente que deux ou trois gouttes d'eau le sont de l'eau de la mer. En effet, dans la méditation, une, deux ou trois vérités particulières sont communiquées à l'âme, mais, dans le recueillement intérieur et dans l'exercice d'une foi pure et universelle, c'est une mer d'abondance - la sagesse de Dieu - qui lui est communiquée par cette connaissance obscure, simple, générale et universelle.
La résignation est également plus parfaite dans les âmes recueillies, parce qu'elle naît de la force intérieure et infuse, laquelle croît au fur et à mesure que continue l'exercice intérieur de la foi pure, dans le silence et la résignation. C'est de cette même manière que croissent les dons de l'Esprit divin chez les âmes méditatives, car, ces dons divins ont beau se trouver aussi chez tous ceux qui sont en état de grâce, ils y sont comme morts et sans force, et ils présentent une différence presque infinie, quant à leur éclat, leur vivacité et leur efficacité, avec ceux qui règnent chez les méditatifs. Ainsi tu comprendras que l'âme intérieure qui a l'habitude d'aller en prière chaque jour, à des heures déterminées, avec la foi et la résignation que je t'ai dites, est continuellement en la présence de Dieu. Cet enseignement important et véridique est donné par tous les saints, tous les maîtres expérimentés et les mystiques, parce que tous ont eu un même Maître, qui est le Saint-Esprit.
Chapitre XVI
Comment on peut entrer dans le recueillement intérieur par la très sainte humanité du Christ Notre-Seigneur
Les maîtres spirituels forment deux catégories qui sont radicalement opposées. Les uns disent effectivement qu'il faut toujours considérer les mystères de la passion du Christ et méditer là dessus. Les autres, donnant à l'extrême opposé, enseignent que la méditation des mystères de la vie, de la passion et de la mort du Sauveur n'est pas la prière, non plus leur commémoration ; mais l'exaltation élevé en Dieu, la Divinité contemplée par l'âme dans la quiétude et le silence devrait s'appeler la prière.

Il est certain que le Christ Notre-Seigneur est le guide, le chemin, selon ce que lui-même a dit de ses lèvres : « Je suis le chemin la vérité et la vie » (Jn 14). Et avant que l'âme soit en mesure de paraître en présence de la divinité, et pour s'unir à Celle-ci, elle doit se laver avec le précieux sang du Rédempteur et doit se parer des riches robes de Sa passion.
Par Son enseignement et Son exemple, Jésus-Christ Notre-Seigneur est la lumière, le miroir, le guide de l'âme, le chemin et l'unique porte pour entrer dans les pâturages de la vie éternelle et du vaste océan de la Divinité. De là, il découle qu'on ne doit pas effacer complètement le souvenir de la passion et de la mort du Sauveur. Et il est également certain que, quelle que soit l'élévation de l'esprit à laquelle on parvienne, l'âme ne doit pas se détacher complètement de la très sainte humanité de Jésus-Christ. Mais de là il ne découle pas que l'âme, formée au recueillement intérieur et devenue incapable de raisonner, doive toujours être en train de songer et de « considérer» (comme disent les autres maîtres spirituels) les très saints mystères du Sauveur. Il est bon et saint de contempler; et plût à Dieu que tout le monde s'y exerçât! En outre, si une âme se recueille avec facilité, raisonne et considère », on doit la laisser en cet état et ne pas la faire accéder à un état supérieur, tant qu'elle trouve dans la méditation nourriture et profit.
Il revient à Dieu seul - non au directeur spirituel- de faire passer l'âme de la méditation à la contemplation, parce que si le Seigneur ne l'appelle pas par une grâce spéciale à cet état de prière, le directeur spirituel, avec toute sa sagesse et ses conseils, n'y fera rien
Pour choisir une façon sécure pour fuir ces deux extrêmes qui sont tellement opposés - car on ne doit ni effacer ou écarter complètement l'humanité du Christ, ni l'avoir continuellement devant les yeux - nous devons donc supposer qu'il y ait deux manières de prêter attention à cette humanité pour entrer par la divine porte qui est le Christ, notre bien. La première serait de considérer les mystères et de contempler les actions de la vie du Sauveur, de sa passion et de sa mort. La seconde, de penser à lui par l'application de l'entendement, par la foi pure ou par l'intermédiaire de la mémoire.
Quand l'âme se perfectionne et entre en elle-même par le recueillement interne, après avoir médité sur les Mystères auxquels elle a déjà été informée, elle conserve une foi et un amour tels pour la Parole Incarné, qu'elle est pleine d'obéissance aux préceptes divins, même si elle n'a pas ces mystères toujours présents devant les yeux. C'est comme si l'on disait à un fils qu'il ne doit jamais abandonner son père : on ne voudrait pas pour autant l'obliger à avoir toujours les yeux fixés sur lui, mais à garder toujours son souvenir, pour s'acquitter en temps opportun de ses devoirs à son égard.
Par conséquent, l'âme qui, de l'avis du directeur expérimenté, est entrée dans le recueillement intérieur, n'a pas besoin d'entrer par la première porte de la méditation des mystères, étant donné qu'elle est continuellement en méditation: elle ne pourrait le faire sans une grande fatigue de l'entendement; et elle n'a pas besoin de ces méditations qui ne sont qu'un moyen pour arriver à croire ce que déjà elle a saisi.
La seconde manière d'entrer dans le recueillement intérieur au moyen de l'humanité de Jésus-Christ est plus noble, plus spirituelle, destinée aux âmes plus avancées. Elle consiste à regarder l'humanité et la Passion du Christ par un acte simple de foi ; en L'aimant, en se pénétrant de la pensée qu'Il est le tabernacle de la Divinité, qu'Il est le principe et la fin de notre salut, qu'Il est né, qu'Il a souffert une mort ignominieuse pour l'amour de nous. [Penser seulement à Son Nom ,ou penser à Christ à l'intérieur de nous est suffisant , pour soit rappeler Sa mort, Sa résurrection, la croix, l'espoir,ses enseignements, ses priorités, etc.]
Ceci est la méthode qui fait progresser les âmes intérieures, sans que le souvenir saint, pieux, rapide ou instantané de l'humanité du Christ puisse faire obstacle lors du recueillement. Sauf si, à l'heure d'entrer en prière, l'âme se trouvait à reculer: il serait mieux alors d'entretenir le recueillement et l'exercice mentale. Mais, si tel n'est pas le cas, l'âme la plus élevée et la plus noble, la plus détachée et la mieux transformée n'est pas gênée par le simple et rapide souvenir de l'humanité de la Parole Divine.
C'est aussi la méthode que recommande sainte Thérèse pour les méditatifs, et qui rejette les avis tapageurs de certains scolastiques. Tel est donc le chemin droit, sûr et sans péril, celui qu'a enseigné le Seigneur à beaucoup d'âmes, pour qu'elles accèdent au repos et à la sainte tranquilité de la méditation
Que l'âme, qui entre dans la voie du recueillement, se tienne elle-même à la porte de la Miséricorde divine, en se rappelant avec amour et douceur la Croix et la Passion de la Parole faite chair, mort pour nous. Qu'elle demeure ainsi, humblement résignée à faire la volonté de Dieu , dans tous ce qu'il plaît à Sa Majesté Divine. Si de ce saint et doux souvenir, elle tombe aussitôt dans l'oubli de ces pensées, qu'elle ne s'efforce pas de les renouveler, mais qu'elle se tienne en toute quiétude dans le silence en présence du Seigneur.
Saint Paul appuit merveilleusement ces considérations dans la lettre qu'il écrivit aux Colossiens, lettre où il les exhorte (eux et nous-mêmes) : «Et quoi que vous fassiez, en parole ou en oeuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant par lui des actions de grâces à Dieu le Père» (Col 3, 17). Dieu veuille que nous commencions tous par Jésus-Christ, et que seulement en lui et par lui seulement nous puissions arriver à la perfection.
Chapitre XVII
Du silence intérieur et mystique
Il y a trois sortes de silence: le premier est de paroles, le deuxième de désirs, et le troisième de pensées. Le premier est parfait, le deuxième l'est davantage, et le troisième est le plus parfait. Dans le premier, le silence de paroles, on acquiert la vertu; par le deuxième, le silence des désirs, on obtient la quiétude; par le troisième, on gagne le recueillement intérieur. En ne parlant pas, en ne désirant pas et en ne pensant pas, on arrive au véritable et parfait silence mystique, dans lequel Dieu parle à l'âme, se communique Lui-même à elle, et dans l'abyss de Ses enseignements les plus profonds, la sagesse la plus parfaite et la plus exaltante.
À cette solitude intérieure et ce silence mystique Dieu appelle l'âme, et il la conduit, quand il lui dit qu'il veut lui parler seul à seule, au plus secret et intime de son cœur. Il te faut entrer dans ce silence mystique, si tu veux entendre la suave et Divine voix intérieure. Il ne te suffit pas de fuir le monde pour atteindre ce trésor, ni de renoncer à ses vanités et te déprendre de toutes les créatures, tu dois encore te détacher de toute vanité et de toute pensée. Repose en ce silence mystique, et la porte te sera ouverte pour que Dieu se communique à toi, qu'il t'unisse à lui et te transforme.

La perfection de l'âme ne consiste pas à parler beaucoup à Dieu, ni à penser beaucoup à lui, mais à l'aimer beaucoup. On atteint cet amour par la voie de la résignation parfaite et du silence intérieur. L'amour de Dieu est tout entier en actes, peu en paroles. C'est ce que saint Jean l'évangéliste confirme quand il recommande:« Mes enfants, n'aimons pas par nos paroles et notre langue, aimons par nos actes et en vérité. (1 Jean 3:18) »
Tu comprendras désormais que l'amour parfait n'est pas dans les élans de dévotion, ni dans les tendres prières jaculatoires, ni même dans ces actes intérieurs par lesquels tu dis à Dieu que tu as pour lui un amour infini et que tu l'aimes plus que toi-même. Il se pourrait en effet que par là tu te cherches, toi et ton amour, plus que l'amour vrai et celui de Dieu : Ce sont les œuvres, et non les réflexions, qui témoignent de l'amour. Pour qu'une créature raisonnable comprenne tes désirs, tes intentions et ce que tu as de caché dans le cœur, il est nécessaire que tu le lui dises avec des mots. Mais Dieu, qui pénètre les cœurs, n'a pas besoin de tes affirmations et de tes protestations; il ne se paie pas, comme dit l'Évangile, d'amour en paroles et de bouche, mais d'amour véritable et en actes. A quoi bon lui dire avec grande insistance et ferveur que tu l'aimes avec ten-dresse et plus que tout, si, devant une parole blessante ou un léger outrage, tu ne te résignes pas et n'acceptes pas cette mortification par amour pour lui? Preuve manifeste que ton amour était en paroles, non en vérité.
 

Efforce-toi d'être résigner en toute chose dans le silence, car c'est de cette manière, sans dire que tu aimes Dieu, que tu atteindras l'amour parfait, le plus paisible, le plus efficace et le plus vrai. Saint Pierre déclara au Seigneur avec une vive affection que pour son amour il eût offert volontiers sa vie; et aux termes d'une jeune demoiselle, il renia son maître, et sa ferveur disparut (Mt 26). Madeleine ne dit pas un mot, et le Seigneur lui-même, touché de son amour parfait, se fit son chroniqueur, en disant qu'elle avait beaucoup aimé. C'est au dedans de toi dans le silence, que s'exercent les plus parfaites vertus de foi, d'espérance et de charité, sans qu'il y ait nécessité d'aller à Dieu en lui disant que tu l'aimes, que tu espères et que tu crois en lui, parce que ce Seigneur sait mieux que toi ce que tu fais intérieurement. Le profond et grand mystique que fut le vénérable Grégoire Lôpez a fort bien compris et pratiqué ce pur acte d'amour, lui dont la vie fut tout entière un acte de méditation et d'amour de Dieu, acte si pur et si spirituel que jamais il ne fit place aux émotions et aux mouvements de sa sensibilité. Après qu'il eut pratiqué pendant un laps de trois ans ce court énoncé: « Que ta volonté soit faite dans le temps et l'éternité », la répétant autant de fois qu'il respirait, Dieu lui montra le trésor infini de l'acte pur et continu de foi et d'amour, dans le silence et la résignation. Il en vint à dire lui-même que durant les trente-six années qu'il vécut ensuite, il continua toujours en son for intérieur cet acte pur d'amour, sans jamais pousser un soupir ni un seul énoncé, ni rien qui. fût sensible ou relevât de la nature. 0 séraphin incarné! 0 homme de Dieu! Comme tu as bien su pénétrer ce silence intérieur et mystique, et distinguer l'homme intérieur de l'homme extérieur!


Livre 2
Du père spirituel,
de l'obéissance qu'on lui doit,
du zèle indiscret,
de la pénitence intérieure et extérieure

CHAPITRE 1
Que le meilleur moyen de vaincre les embûches de l'ennemi est de s'assujettir à  un Père spirituel.

1.Il faut sur tout choisir un Directeur expert dans la voie intérieure. Dieu ne voulant pas faire pour tous ce qu'il fit en faveur de Sainte Catherine de Sienne, qu'il prit par la main, pour la mener immédiatement dans le chemin Mystique. Si dans les voies de la Nature on a besoin de guide, que sera-ce dans celles de la Grâce ? Si dans les sciences extérieures & sensibles, on ne peut se passer de Maître, comment s'en passerait-on dans l'intérieure & la secrète? S'il faut des Docteurs, pour apprendre la Théologie Morale , la Scolastique & la positive, qui peuvent être expliquées clairement, comment n'en faudrait-il pas pour la mystique qui est obscure et cachée ? Si l'on a besoin d'instructions, pour se conduire avec les hommes, comment n'en faudrait-il point pour converser avec Dieu.
2. Un directeur n'est pas moins nécessaire, pour éviter les embûches de Satan. Saint Augustin rapporte plusieurs raisons pour lesquelles Dieu a donné à son Eglise des Docteurs et des Maîtres, qui sont des hommes de la même nature que nous. La principale est pour nous garantir des embûches de l'ennemi ; étant sûr que s'il nous eut abadonné à nos lumières et à nos mouvements naturels, nous aurions bronché à chaque pas, et nous nous serions précipités dans les abîmes, comme il arrive aux Hérétiques et aux superbes. S'il nous eut donné des Anges pour Maîtres, les Démons, qui se transforment en Anges de lumière auraient pu nous faire illusion. Il était donc concevable qu'il nous donnât des hommes comme nous, comme guides et comme conseillers. Si ce guide est expert, il connaîtra d'abord les subtilités et les finesses du Diable ; qui s'évanouissent presqu'aussitôt qu'elles sont connues, à cause de leur peu de solidité.
3. On doit regarder un père spirituel comme un don de la Main de Dieu. C'est pourquoi avant de le choisir, il faut bien y penser et le demander au Ciel par la prière : mais ce choix étant fait, il ne faut point point le changer, sans des raisons bien précises , telles que seraient celles de son ignorance dans les chemins et les états par lesquels Dieu veut conduire l'âme , personne ne pouvant enseigner ce qu'il ne sait pas.
4. S'il ne comprend pas les choses qui regardent l'esprit de Dieu,  selon la parole de Saint Paul, parce qu'elles s'examinent spirituelle ment, et qu il manque d'expérience pour faire cet examen, c'est une marque de son ignorance : Mais celui qui est spirituel et expert les voit clairement et en juge.L'iniexpérience d'un Directeur est donc  la principale raison pour laquelle on peut l'abandonner, et en élire un autre plus consommé : l'âme ne pouvant avancer sans cela.
5. Pour passer d'un méchant état à un bon, on n'a pas besoin de conseil, mais, pout en changer un bon en un meilleur,  il faut.du temps,des prières et des avis ; parce que tout ce qui est meilleur en soi ne l'est pas à l'égard de chaque particulier, et que même tout ce qui est bon ne l'est pas pour tous, Non omnibus omnia expediunt. Il y en a d'appelés au chemin extérieur et ordinaire, d'autres à l'intérieur et à l'extraordinaire ; tous ne sont pas dans le même état et la voie Mystique a elle-même tant de diverses routes qu'il est impossible de faire un pas dans ces sentiers intérieurs et secrets, sans un guide expérimenté, parce qu'au lieu de marcher droit on tomberait dans le précipice.
6.Quand l'âme marche en tremblant,  qu'elle doute si elle est dans la bonne voie, et qu'elle souhaite de s'en éclaircir le plus sûrement et de le soumettre à un Père spirituel, sa lumière intérieure connaîtra clairement ce qui est tentation et ce qui est inspiration ; elle distinguera les mouvements qui procèdent de la Nature, du Démon, ou de l'âme même, qui doit s'assujettir entièrement à celui qui a plus d'expérience qu'elle, et qui peut découvrir les amusements et les mauvaises habitudes, qui arrêtent son vol. De cette manière l'âme évitera non seulement les embûches du Diable, mais encore elle avancera plus en un an qu'elle n'aurait fait en mille, avec d'autres guides sans expérience.
7. On lit dans la vie du Père spirituel Jean Taulère, que le Séculier, qui l'avait amené à l'état de perfection, étant désabué du monde, et voulant s'adonner sincèrement à la Sainteté, fit de si grandes abstinences que sa santé en fût grandement altérée. Un jour qu'il était dans son lit accablé de faiblesse et de sommeil, il entendit en songe une voix qui lui dit : ô homme, si de ton propre mouvement tu te fais mourir avant que ton terme soit venu, je t'infiltrerai de grandes peines. Effrayé par cet avertissement, il s'en alla dans le désert trouver un Saint Ermite, auquel il déclara la route qu'il suivait, et les abstinences, et qui par l'ordre du Ciel lui fit connaître que ces abstinences excessives étaient une tromperie du Démon. Mais, dit le Séculier, je les fais pour plaire à Dieu. Et quand par le conseil de qui, lui demanda l'ermite, de personne, répondit-il : c'était donc une tentation évidente du Démon, répliqua l'ermite. Cette conversation ayant ouvert les yeux à ce dévôt, et lui ayant fait connaître le danger où il était, il ne se gouverna plus que par le conseil d'un Père spirituel, qui en sept années de temps lui fit faire plus de progrès, que dans tous les livres du monde.

CHAPITRE 2
Continuation de la même manière.

8. Il est beaucoup plus avantageux dans le chemin mystique d'avoir un bon Directeur que des livres spirituels. Un  Directeur sait accomoder les conseils aux occasions, au lieu qu'on ne trouve ordinairement dans les livres, que de choses qui n'ont que fort peu de rapports à nos besoins, et l'on manque ainsi des instructions nécessaires. Ajoutez à cela que les livres mystiques font naître plusieurs idées fausses ; l'âme s'imaginant d'avoir des choses qu'elle ne possède point réellement, et d'être plus avancée qu'elle n'est dans l'état spirituel ; ce qui lui fait faire plusieurs faux pas.
9. Il est sûr que la fréquente lecture des livres mystiques, qui consistent en de pures spéculations, et ne donnent point de lumière pour la conduite de la vie, fait plutôt du mal que du bien ; qu'elle brouille l'esprit au lieu de l'éclairer, et le remplit de connaissances raisonnées, qui ne lui servent que d'obstacle, parce qu'en entrant par les sens, elles rendent ses facultés obtuses et pleines d'images, au lieu qu'il faudrait les vider, afin que Dieu les remplit de lui-même. Beaucoup de personnes lisent perpétuellement des Livres spéculatifs, parce qu'elles ne veulent pas croire ceux qui pourraient leur faire voir que cette lecture ne leur est pas propre, et il est indubitable que si elles se soumettaient à eux, un Directeur qui a de l'expérience les leur défendrait, et alors elles ne se souciraient plus de les lire ; ce qui arrive aux âmes qui sont soumises, qui ont de la lumière, et qui font des progrès. Il s'ensuit de là qu'il n'est rien qui donne plus de tranquillités et qui garantit plus sûrement des tromperies du Démon et des illusions des sens, que de se laisser gouverner par un Directeur expérimenté, qui enseigne par une lumière réelle. Cependant, on ne prétend pas de condamner généralement la lecture des Livres spirituels, puisqu'on parle ici en particulier des âmes, qui sont purement intérieures et mystiques, pour lesquelles seules ce Livre est écrit.
10. Tous les Saints et les Théologiens Mystiques tombent d'accord qu'afin qu'une âme soit en sûreté, il faut qu'elle se soumette à un Père spirituel, et qu'elle lui communique tout ce qui se passe dans son intérieur. C'est pourquoi celui, qui ne suit point d'autre régle que ses propres sentiments, et qui ne se met pas en peine de chercher un Directeur, a beau s'imaginer être spirituel et passer pour tel dans l'esprit des autres, puisqu'il s'oppose à la Doctrine des Saints et des âmes éclairées. Plus une âme est illuminée et unie à dieu, plus elle doit être humble, soumise et obéissante à son Directeur. Pour prouver cette vérité, je rapporterai ici ce que Dieu dit à la bien-heureuse Marine d'Escobar. On lit dans la vie de cette Sainte, qu'étant malade, elle demanda à Dieu si pour ne pas se fatiguer davantage, et n'occuper pas trop son Père spirituel, elle pouvait se taire, et cesser de l'avertir des choses surprenantes, qui se passaient dans son âme. Sur cela le Seigneur lui répondit qu'elle ferait mal de ne pas n'en rendre compte à son Père spirituel, pour trois raisons. La première est que comme l'or se purifie dans le creuset, et qu'on connaît à la touche la valeur des pierres précieuses, ainsi l'âme devient plus pure, et l'on en connaît mieux le prix, lorsqu'un serviteur de Dieu la met à l'épreuve. La seconde est que pour ne pas tomber dans l'ereur, il faut toujours se conformer aux régies que Dieu nous prescrit, par son Eglise, dans l'Ecriture et dans les Saints Pères. La troisième est qu'il est bon de publier les grâces que Dieu accorde à ses serviteurs et aux âmes pures, afin que cette connaissance anime les autres fidèles à le servir, et qu'il soit glorifié en eux.
11. On trouve dasn le même endroit les paroles suivantes, qui confirment cette vérité : "Mon confesseur étant tombé malade, m'ayant ordonné de ne pas dire, à celui qui tenait sa place pour ce temps-là, toutes les choses qui m'arriveraient, mais seulement quelques-unes, selon que je le jugerais à propos, je me plaignais à Dieu de ce que je n'avais personne à qui communiquer mes pensées ; sur quoi il me répondit "tu as celui qui supplée à ton confesseur, dis-lui tout ce qui t'arrive", "non Seigneur, répliquais-je, ce n'est pas celui-là" ; "Pourquoi,?"me demandât-il encore, "Parce que, dis-je, mon Confesseur m'a recommandé de ne pas lui rendre compte de tout, et que je dois obéir à celui qui est mon Directeur. Cette réponse me plaît, répartit là-dessus, sa Majesté Divine, et c'est parce que je t'ai vu en cet état, que je t'ai dit ce que tu viens d'entendre. Fais donc ainsi, cependant, tu peux lui faire le récit de certaines choses, par le consentement même de ton Directeur."
12. Ce que Sainte Thérèse rapporte d'elle-même vient ici fort à propos. "Lorsque, dit-elle, le Seigneur me commandait une chose, et mon Confesseur une autre, le Seigneur revenait à moi pour m'ordonner d'obéir à mon Confesseur. Ensuite, il s'adressait à lui, afin qu'il me le commandât de nouveau." C'est cette doctrine véritable et pure qui met les âmes en assurance, et qui dissipe les illusions du Démon.
 

CHAPITRE 3
Que le zèle indiscret et un amour déréglé envers le prochain
troublent la paix intérieure.

13. Il n'est point de sacrifice plus agréable à Dieu que le zèle ardent des âmes. C'est l'effet que Dieu s'est proposé dans l'envoi de son Fils au monde, et depuis ce temps-là, le zèle a été conté parmi les devoirs les plus nobles et les plus sublimes, mais lorsqu'il est indiscret, c'est un des plus grands obstacles que l'on puisse rencontrer.
14. A peine vous sentirez-vous éclairée d'une nouvelle lumière, que vous voudrez vous consacrer entièrement au bien des âmes, et que vous courrez risque de prendre pour un pur zèle, ce qui n'est qu'un effet de l'amour propre. Cet amour est d'ordinaire accompagné d'un désir excessif, d'une vaine complaisance, d'une affection indiscrète, d'une grande estime de soi-même, et toutes ces passions sont ennemies de la paix de l'âme.
15. Il ne faut jamais aimer votre prochain au détriment de votre bien spirituel. Plaire à Dieu avec pureté doit être l'unique but de vos actions, de vos désirs et de vos pensées, et vous devez tâcher de modérer cette ferveur déréglée, afin que la paix et la tranquilité règnent dans votre âme. Le vrai zèle consiste à faire ses efforts, pour demeurer toujours dans un amour pur de Dieu. C'est celui là, qui est le fertile, l'efficace, et qui produit des miracles dans les âmes, quoi qu'il ne fait aucun bruit.
16. Saint Paul recommande de se considérer attentivement soi-même, avant que de penser à son prochain. Ne vous tourmentez point. Quand le temps sera venu, que vous pourrez être utile à votre prochain, Dieu saura bien vous tirer de l'état dans lequel vous êtes, et vous donner un emploi qui vous soit propre. Laissez lui ce soin, et demeurez tranquille, détaché de tout et résigné entièrement à son bon plaisir. Ne vous imaginez pas d'être oisif en cet état, celui-là est assez actif, qui tâche en toutes choses à exécuter la volonté divine, et qui a toujours les yeux sur soi-même, dans la vue de plaire à Dieu fait tout (ce qu'il commande :) un seul acte pur de résignation intérieure, étant de plus grand prix devant lui, que mille et mille exercices, qu'on se donne de son propre mouvement.
17. Une citerne a beau être profonde, elle ne se remplit point que le Ciel n'y répande la pluie. Demeurez tranquille, Âme chrétienne, soyez humble et résignée à tout ce que Dieu voudra faire de vous. Remettez-lui vos soins, comme à un Père plein d'amour, qui ferait ce qui vous est le plus propre. Conformez-vous entièrement à ses ordres puisque c'est là-dessus que la perfection est fondée, et que celui qui fait la volonté du Seigneur, est la mère, l'enfant et le frère du fils de Dieu.
18. Ne croyez pas que Dieu estime le plus celui qui travaille plus que les autres. Celui là est le plus aimé, qui est le plus humble, le plus fidèle, le plus soumis, et qui correspond le mieux aux inspirations intérieures et aux ordres divins.
 
 
 

CHAPITRE 4
Continuation du même sujet

19. Que tous vos désirs tendent à vous conformer à la volonté du Seigneur, qui sait tirer des sources d'eau des roches arides, et n'aime pas les âmes, qui voulant aider les autres avant le temps, se trompent elles-mêmes, et se laissent transporter à un zèle indiscret et à une fausse complaisance.
20. Elles ressemblent au serviteur d'Elizée, qui ayant reçu l'ordre de ce Prophète de mettre son bâton sur un enfant mort, pour le ressusciter ne put en venir à bout, (apparemment) à cause de la complaisance qu'il eut pour soi-même en cette rencontre. Le sacrifice de Caïn, le premier, qui ait été offert, ne fut réprouvé, qu'à cause de la vanité qu'il tira de ce privilège, (s'imaginant sans doute) qu'il était plus qu'Adam son père, parce qu'il était le premier, qui présentât à Dieu des offrandes.
21. Les Disciples de Jésus-Christ n'étaient pas exempts de cette contagion, lorsqu'ils se réjouissaient de ce qu'ils chassaient les Démons ; aussi leur Divin maître les en reprit-il âprement. Il fallut que Saint Paul, avant que d'annoncer l'Evangile aux païens, il fallut, dis-je, que lui qui était un vase d'élection destiné à ce Grand Ouvrage, fut éprouvé, humilié et renfermé dans une étroite prison. Et vous voudriez devenir prédicateur, sans essuyer les assauts des hommes et des Démons ? Et vous osez espérer de faire du bruit dans ce ministère, avant que d'avoir passé par le feu de la tentation, de la tribulation et de la purification passive ?
22. Il vaut beaucoup mieux pour vous demeurer tranquille et résigné dans une sainte inaction, que de faire de grandes choses en grand nombre, de votre propre mouvement. Ne croyez pas que les actions héroïques qu'ont faites, ou que font encore dans l'Eglise les grands serviteurs, soient des effets de leur force ou de leur adresse, puique tout ce qu'il y a de spirituel et de temporel, jusqu'au mouvement de la moindre feuille, a été ordonné par la Providence divine. Celui qui fait la volonté de Dieu fait tout, et c'est ou l'âme doit viser uniquement en demeurant tranquille et dans une parfaite résignation aux ordres de Dieu. Reconnaissez-vous indigne du haut ministère de la conduite des âmes, de peur de troubler votre repos et votre paix intérieure.

CHAPITRE 5
Que la lumière, l'expérience, et la vocation divine
à ceux qui veulent servir de Guide aux âmes
dans le chemin intérieur.

23. Le dessein, que vous avez formé de conduire les âmes à la vie de l'esprit, vous donnera beaucoup de satisfaction ; et ce ne sera peut-être qu'un orgueil, une ambition spirituelle et un aveuglement sensible. La raison en est qu'outre qu'un emploi si relevé demande des lumières sublimes, un entier détachement et d'autres qualités, que nous marquerons dans les chapitres suivants ; la grâce de la vocation y est aussi nécessaire, et que sans elle toutes ces belles résolutions ne sont qu'amour propre et vanité. Gouverner les âmes et les conduire à la contemplation et à la perfection est à la vérité quelque chose de fort bon et de fort sain. Mais qui vous a dit que Dieu veut vous donner cet emploi ? Et puis que vous savez qu'il est difficile à ceux-là même, qui ont beaucoup de lumière et d'expérience, comment pouvez-vous assurer que le Seigneur vous y appelle.
24. Ce ministère est si grand, qu'il ne faut jamais s'y ingérer soi-même, mais attendre que Dieu nous y engage par le moyen de nos Supérieurs et de nos Conducteurs spirituels. Cette entreprise nous serait toujours préjudiciable, quand même elle serait unie à notre prochain, et que nous importe de gagner tout le monde, si nous causons par là la perte de notre âme ?
25. Quand même vous seriez convaincu évidemment de votre expérience et de vos lumières intérieures, vous devez pourtant demeurer dans votre néant tranquille et résigné, jusqu'à ce que Dieu vous appelle au secours des âmes. C'est à lui qui connaît votre suffisance et votre détachement d'en juger. Ne vous ingérez donc pas dans ce Ministère ; parce que l'amour propre vous trompera, vous aveuglera et vous perdra, si vous vous abandonnez à vos propres sentiments, dans une affaire de si grande conséquence.
26. Si l'expérience, la lumière et la capacité ne suffisent pas pour entrer dans cet emploi, lorsqu'on n'a pas la grâce de la vocation, que sera-ce si cette capacité, cette lumière et cette expérience vous manquent ? Dons que Dieu ne communique pas à toutes les âmes, mais seulement à celles qui sont détachées et résignées, qui ont passé au travers d'un anéantissement parfait, d'horribles tribulations, et de la purification passive. Persuadez-vous une bonne fois que toutes les actions qu'on fait dans ce ministère, qui ne procèdent pas d'un vrai zèle, d'un amour pur, et d'un esprit purifié, ne sont que des effets de l'amour propre, de la vanité et d'une ambition spirituelle.
27. Qu'il y a de gens, qui n'embrassent ce Ministère, que pour le satisfaire eux-mêmes ; et qui au lieu de nettoyer leur âme et de la détacher du monde, pour se rendre agréables à Dieu, la remplissent  de la terre et de la boue de l'amour propre. Demeurez calme et résigné, renoncez à vos propres sentiments et à vos désirs ; enfoncez-vous dans l'abîme de votre insuffisance et de votre néant. C'est là que vous trouverez Dieu, la véritable lumière, le souverain bonheur et le comble de la perfection.

CHAPITRE 6
Avis aux Confesseurs et aux Directeurs spirituels

28. C'est le plus haut et le plus important de tous les Ministères que celui de Confesseur et de Directeur spirituel ; et les maux que causent ceux qui s'en acquittent mal sont irréparables.
29. Il est bon de choisir un patron qu'on se propose à imiter dans ce grand emploi de qui peut être le Saint auquel on aura plus de dévotion.
30. Le premier et le plus sûr de tous les préceptes est de recommander le recueillement intérieur et continuel ; parce qu'avec ces secours, on s'acquitte toujours de tous les devoirs de sa condition ; Il faut le faire particulièrement dans le confessionnal. Parce que, lorsqu'ensuite une âme intérieurement recueillie va s'occuper à des exercices extérieurs et nécessaires, Dieu l'illumine et opère en elle.
31. Pour guider les âmes intérieures, on ne doit pas leur donner des préceptes ; mais lever doucement les obstacles, qui suspendent les influences divines. C'est pourquoi il faudra leur donner ce saint conseil, mon secret est à moi.
32. On s'imagine d'ordinaire que tous les Confesseurs entendent les matières spirituelles et contemplatives ; mais on se trompe. Aussi se trouve-t-on souvent fort mal de leur communiquer les pensées qu'on a là-dessus. Ceux qui n'ont point d'expérience dans ces sortes de choses ne sachant pas quand Dieu a mis une âme dans la voie intérieure, empêchent les progrès vers la contemplation en lui ordonnant de faire des efforts pour méditer, quoi qu'elle se trouve dans dans l'impuissance d'y réussir. Ainsi au lieu de la soutenir et de l'encourager, ils l'abattent et l'étourdissent ; et pendant que Dieu l'appelle à la contemplation, ils la retirent vers la méditation ; parce qu'ils ne savent point d'autre chemin.
33. Si un Directeur veut faire du fruit, qu'il ne recherche point la conduite des âmes. Il faut qu'elles viennent d'elles-mêmes ; encore ne doit-on pas les admettre toutes, particulièrement si ce sont des femmes, qui n'ont pas ordinairement les dispositions nécessaires. C'est le vrai moyen d'être utile, que de ne faire point le maître, et de n'affecter point de le paraître.
34. Qu'un Confesseur se serve du nom de fille le moins qu'il pourra, parce qu'il est dangereux de se servir d'un nom si tendre et si plein d'amour, et que Dieu est jaloux de sa gloire.
35. Un Directeur, étant hors du tribunal de sa Confession, ne doit point se charger d'un grand nombre d'occupations, en faveur de ses pénitences, Dieu ne veut pas qu'il se mêlede leurs affaires temporelles, et il faudrait, s'il était possible, qu'on ne le vit que lorsqu'il est dans son Confessionnal.
36. Il ne doit jamais accepter d'être Compère ou Exécuteur testamentaire ; parce que ces emplois causent beaucoup d'inquiétude et d'embarras à l'âme qui conviennent mal avec un Ministère si parfait, et si élevé.
37. Un Confesseur ne doit jamais visiter ses filles spirituelles, non pas même lorsqu'elles sont malades, si ce n'est qu'elles le demandassent.
38. Lorsqu'un Confesseur tâchera de faire entrer les âmes dans le recueillement extérieur et intérieur, ses paroles seront comme des charbons ardents, qui les embraseront, sans qu'il n'en cache rien.
39. Un Confesseur doit se revêtir dans le Confessionnal de la douceur d'un agneau, et rugir en chair comme un lion furieux. Les réprimandes douces sont efficaces envers les pénitents ; parce qu'alors ils se trouvent déjà émus ; mais il faut épouvanter en chair les pécheurs aveugles et endurcis. On doit aussi être sévère à l'égard de ceux qui viennent mal disposés à la Confession, et qui veulent arracher l'Absolution par force.
40. Lorsqu'on a fait tout ce qu'on a pu pour le bien des âmes, on ne doit point regarder aux fruits de ces travaux ; ce regard étant une tentation subtile du Démon qui veut nous faire prendre pour notre ouvrage ce qui est celui de Dieu, et qui attaque un Confesseur par l'amour propre et la fausse complaisance, les ennemis capitaux de l'anéantissement, pour l'empêcher de mourir et de renoncer à lui-même.
41. Lorsqu'un Directeur voit que les âmes qu'il a sous sa conduite n'avancent point, ou que celles qui étaient avancées perdent la grâce, qu'il ne s'inquiète point et qu'il demeure dans le calme spirituel, Dieu permet souvent ces mauvais succès, afin qu'ils s'humilient, qu'ils se désabusent et s'animent intérieurement.
42. Un Confesseur doit éviter et faire fuir aux âmes dont il a la Direction, toute sorte d'hypocrisie ; parce que son Dieu en a de l'horreur.
43. Comme on ne doit pas ordonner la communion ni la défendre non plus, par forme d'épreuve ou de mortification, et ayant une infinité d'autres manières d'éprouver et de mortifier les âmes, sans leur faire un si grand tort ; on ne doit pas aussi la refuser à celles qui la souhaitent sincèrement, parce que Jésus Christ n'est pas demeuré avec nous pour être renfermé.
44. L'expérience apprend que plus les pénitences sont grandes, plus il est difficile de s'en acquitter. Ainsi le meilleur est de n'en imposer que de modérées, et qui renferment quelque chose d'utile.
45. Qu'un Père spirituel ne fasse jamais paraître trop d'affection à une de ses filles, et trop de chagrin à l'autre. Il lui est important d'être prudent, circonspect, et de ne parler à aucune trop particulièrement : parce que le Démon qui cherche à les démunir se servira de qu'il dit à l'une pour donner de l'inquiétude à l'autre.
46. Le principal et le continuel exercice des âmes purement mystiques doit être de demeurer toujours renfermées en elles-mêmes, de détruire l'amour propre en ne prenant pas garde à lui, et de s'encourager à souffrir patiemment les mortifications intérieures que le Seigneur leur envoie, pour les purifier, les anéantir et les perfectionner.
47. Comme le désir des révélations est un des plus grands et plus fréquents obstacles, que les âmes intérieures rencontrent, particulièrement les femmes, et qu'il n'est point de songe qu'elles ne baptisent du nom de vision, il faut leur inspirer de l'horreur pour ces rêveries.
48. Quoi qu'il soit fort difficile aux femmes de garder le silence, un Directeur doit néanmoins leur recommander expréssement ; n'étant pas bien séant d'exposer les choses spirituelles à la raillerie des profanes.

CHAPITRE 7
Continuation de ces avis, des attachements de quelques Confesseurs,
des qualités nécessaires à cet emploi,
et à guider les âmes dans le chemin mystique.

49. Un Confesseur doit porter les pénitents à l'oraison, lorsqu'il les voit se venir mettre souvent à ses pieds, et qu'ils font paraître un désir ardent de leur salut.
50. Une des principales maximes d'un Confesseur doit être de n'accepter jamais de présent, quand même il deviendrait Directeur de tout le monde.
51. Quoique le nombre des Confesseurs soit fort grand, celui des bons ne l'est pas, les uns sont ignorants, qui plus, qui moins ; les autres tâchent de s'introduire dans l'esprit des grands. Ceux-ci s'efforcent de gagner l'amitié de leurs pénitents et d'en tirer des présents, ceux-là plein d'une ambition spirituelle ne veulent que faire du bruit, acquérir de la réputation et avoir grand nombre de personnes sous leur direction.
52. Il y a des Confesseurs faciles ou téméraires, qui croient, approuvent et louent tous les esprits, il y en a d'autres qui donnant dans l'extrémité opposée, condamnent tout ce qui s'appelle vision ou révélation ; au lieu qu'il ne faut ni les croire ni les condamner toutes. Quelques-uns sont si prévenus des dons spirituels de leurs filles, que tout ce qu'elles songent ou qu'elles rêvent passe chez eux pour des Mystères sacrés. Quelques autres portent l'air mondain et séculier jusque dans les Confessionnaux, s'amusent à entretenir leurs pénintents de bagatelles, peu conformes à la dignité de ce Sacrement, et à la grâce qu'on y vient chercher, et raisonnent avec eux d'affaires, avant que d'entendre leur confession et de leur parler de pénitence ; ce qui achève de refroidir leur dévotion et d'éteindre leur zèle. Quelques fois les Confesseurs font attendre les pénitents, qui ayant la tête pleine de leurs occupations domestiques, s'ennuient, se chagrinent et s'abandonnent à l'impatience, et perdent ainsi la disposition actuelle qu'ils avaient à recevoir ce Sacrement. De là viennent tant de distractions, et de discours superflus, qui font perdre le temps, déshonorent les Saints lieux et les Sacrements, et nuisent à la préparation de ceux qui se confessent, et de ceux qui attendent que ceux-là aient fait pour se confesser. Tous ces inconvénients sont considérables, et mériterait bien qu'on y apportât du remède.
53. Encore trouve-t-on quelques bons Confesseurs ; mais pour des Directeurs dans le chemin Mystique, à peine en trouve-t-on, un entre mille, selon le Père Jean d'Avila ; à peine encore dix mille, selon encore Saint François de Sales, à peine entre entre cent mille, selon l'illuminé Taulere. La raison en est que le nombre de ceux qui se disposent à recevoir la science Mystique est très petit, selon Henriquez, Arpio, Pauci ad eam recipiendam se disponunt. Plût à Dieu que cela ne fut pas si vrai, il y aurait moins de gens entêtés du monde, moins de pécheurs et plus de saints.
54. Lorsqu'un Directeur spirituel souhaite sincèrement que toutes ses brebis aiment la vertu , et que leur amour pour Dieu soit pur et parfait, avec peu de paroles et de raisonnements, il produit des fruits infinis.
55. Lorsqu'une âme intérieure est dans la purification passive et dans l'abstraction, si elle n'a pas un Guide expérimenté, qui modère l'ardeur qu'elle a pour le recueillement et la solitude, elle deviendra incapable de la confession, de la prédication, de l'étude, et des autres devoirs où sa condition l'engage.
56. Il faut donc qu'un Directeur expert ait grand soin, lorsque les facultés de l'âme commencent à être occupées en Dieu, de ne pas donner trop d'entrée à la solitude et de recommander à ceux qu'il voit en cet état, qu'ils n'abandonnent point leurs emplois ordinaires, parce qu'encore qu'ils semblent causer de la distraction, ils ne sont pas néanmoins pas opposés à la vocation divine. Au contraire, il arrive quelquefois que l'âme se retire si fort dans la solitude, et s'éloigne si bien des objets sensibles, que lorsqu'elle veut s'y appliquer de nouveau, elle ne peut le faire qu'avec beaucoup de peine et de répugnance, et cela cause même du trouble d'esprit et la perte de la santé. Inconvénients assez considérables pour mériter toute l'attention d'un Directeur.
57. Que s'il n'a pas de l'expérience, et qu'il ne sache pas quand c'est que l'abstraction le forme, il croira que le meilleur conseil, qu'il puisse donner à une âme en ce temps-là, c'est de l'exciter au recueillement, où elle trouvera la perte. On voit par là combien un Guide expérimenté est nécessaire dans la voie mystique et spirituelle.
 
 

CHAPITRE 8
Continuation du même sujet

58. Ceux qui, sans expérience, se mêlent de conduire les âmes, marchent comme des aveugles, qui n'arrivent jamais à la connaissance des différents états de l'âme ni de ses opérations intérieures et surnaturelles. Ils savent seulement que quelquefois l'âme se trouve bien et a de la lumière, que d'autre fois elle est dans les ténèbres ; mais pour ce qui regarde la différence de ces deux états, leur source et les causes de ces changements, c'est où ils ne connaissent et ne comprennent rien, et qu'ils ne sauraient apprendre dans les livres, n'en ayant pas fait l'épreuve ni été mis dans cette forme où se forme la véritable lumière.
59. En effet, comment est-ce qu'un guide qui n'a jamais passé dans les sentiers écartés et raboteux de la route intérieure pourrait les connaître. C'est une grâce qui n'est pas peu considérable, qu'une âme trouve un Directeur capable de la fortifier contre les difficultés insurmontables continuelles, qu'elle rencontre dans ce voyage ; sans quoi elle ne peut arriver à la montagne sainte de la perfection, à moins d'une grâce extraordinaire.
60. Un Directeur, qui vit dans le détachement, a plus d'amour pour la solitude intérieure que d'ardeur pour son Ministère ; de sorte que quand un Père spirituel a du chagrin de ce qu'on le quitte, et qu'on va vers un autre, c'est une marque évidente, qu'il n'est pas dans un détachement parfait, qu'il a de grands reflets d'amour propre, et qu'il ne recherche pas uniquement la gloire de Dieu.
61. Ce n'est pas un moindre mal, que celui que commet un Directeur, lorsqu'il tâche de soustraire par des pratiques secrètes les âmes, qui sont sous la direction d'un autre. De quelque côté qu'on se tourne, on ne saurait nier que ce soit un grand crime : car si l'on se croit meilleur Directeur qu'un autre, c'est l'orgueil ; et si l'on se sent moindre, on se rend coupable de perfidie envers Dieu, envers ces âmes et envers soi-même, puisqu'on retarde l'avancement spirituel du prochain.
62. Les Directeurs tombent aussi dans une faute considérable, lorsqu'ils ne permettent pas que les âmes qu'ils guident aient communication avec d'autres, qui sont plus saintes, plus savantes et plus expertes qu'elles. Tout cela n'est qu'attachement, amour propre et vanité, et ils n'interdisent cette petite satisfaction à leurs disciples que dans la crainte où ils sont de les perdre, et qu'on ne dise que leurs enfants spirituels cherchent ailleurs la satisfaction qu'ils ne trouvent pas chez eux. Le mal est que le plus souvent ces mauvaises fins empêchent l'avancement des âmes.
63. Un Directeur, qui ayant passé par la tribulation, la tentation et la purification passive, est parvenu jusqu'à ouïr la voix intérieure de Dieu, est délivré de ces attachements et d'une infinité d'autres ; parce que cette voix divine produit dans l'âme qui l'écoute et qui lui obéit, des effets miraculeux et sans nombre.
64. Elle est de si grande efficacité qu'elle foule aux pieds l'honneur mondain, la fausse estime, l'ambition spirituelle, le désir de réputation et de grandeur ; l'orgueil et la présomption, qui font croire qu'on excelle en tout, et qu'on fait tout. Elle bannit les amis, les amitiés, les lettres de compliment, le commerce du monde, l'attachement aux enfants spirituels, l'envie de faire le Maître, et de se mêler d'affaires. Elle étouffe là trop grande inclination qu'on a à paraître dans le Confessionnal, la passion déréglée de se mêler de la conduite des âmes, fondée sur une prétendue habileté qu'on s'attribue. Elle éteint l'amour propre, la présomption, l'envie de commander, de parler des fruits que l'on fait, de montrer les lettres qu'on écrit, ou celles de ses enfants spirituels, pour en faire conclure qu'on est un Ouvrier de grand mérite. Elle lui fait oublier l'envie qu'ont les autres Directeurs contre lui, et la passion qu'il avait d'attirer tout le monde à son Confessionnal.
65. Enfin la voix intérieure de Dieu produira dans l'âme du Directeur la solitude et le silence, le mépris et l'oubli des amis, des parents et des enfants spirituels, en sorte qu'il ne s'en souvient que lorsqu'ils lui parlent. Ce sont là les marques auxquelles on peut connaître le détachement d'un Directeur, qui fait plus de fruit en se taisant, qu'un million d'autres par une infinité de préceptes.

CHAPITRE 9
Que l'obéissance simple et prompte,
est l'unique moyen pour marcher sûrement dans la voie spirituelle,
et obtenir la paix intérieure.

66. Si vous êtes entièrement résolu de renoncer à votre volonté, et de ne suivre en toutes choses que celle de Dieu, il faut le faire paraître par l'obéissance ; soit par les voeux que vous ferez entre les mains d'un supérieur, en vous mettant dans quelque Ordre, soit en vous soumettant librement à un Directeur expert, et qui ait les qualités marquées dans les chapitres précédents.
67. Vous ne sauriez arriver à la montagne de la perfection, ni monter sur le trône de la paix intérieure, en suivant votre volonté pour règle. Il faut vaincre cette cruelle ennemie de Dieu et de votre âme, et consumer dans le feu de l'obéissance toutes vos vues et tous vos sentiments. C'est la pierre de souche, à laquelle on connaît si c'est l'amour divin ou l'amour propre dont vous êtes remplie.
68. Un train de vie ordinaire, réglé par l'obéissance, vaut plus que toutes les pénitences que l'on fait par son propre mouvement, parce qu'outre que la soumission met à couvert les illusions de Satan, elle est un sacrifice et un holocauste de nous-mêmes, que nous présentons à Dieu sur l'Autel de notre coeur. De là vient qu'un grand serviteur de Dieu disait qu'il aimerait mieux ramasser de la fiente par obéissance, que d'être ravi au Troisième Ciel par ses propres efforts.
69. L'obéissance est le chemin le plus court de la perfection, et l'âme ne peut jouir de la paix véritable, qu'en se renonçant elle-même, et domptant les passions révoltées. Le moyen de remporter cette victoire est de montrer partout une ferme résolution d'obéir à celui qui tient pour nous la place de Dieu ; le coeur demeurant libre et déchargé de tout ce qu'il répand avec humilité dans le sein d'un Père Spirituel. Ainsi pour faire des progrès sûrs et infaillibles dans la voie spirituelle, on n'a qu'à se mettre bien dans l'esprit que notre Directeur nous tient la place de Dieu, et que tout ce qu'il dit ou ordonne sont autant d'Oracles divins.
70. Dieu a souvent révélé à la vénérable Mère soeur Anne Marie de Saint Joseph qu'elle devait plutôt obéir à son Directeur qu'à lui-même. Il dit aussi un jour à la soeur Catherine Paulucci, "vous devez vous présenter devant votre Père spirituel avec autant de confiance et de sincérité que si vous veniez vers moi, sans vous mettre en peine s'il observe ou enfreint mes ordres, et penser seulement qu'il est conduit par le Saint-Esprit  et qu'il tient ma place ; parce que je ne permettrai point qu'on trompe une âme qui fuit cette règle". Paroles dignes d'être imprimées dans le coeur de tous ceux qui soupirent vers la perfection.
71. Dieu révéla aussi à Marie d'Escobar que quand même il lui semblerait que Dieu l'appelât à communier, si son Directeur le lui défendait, elle était obligée d'obéir à ce dernier ; et un Saint descendit du Ciel pour lui en dire la raison, qui est qu'elle pouvait se tromper dans le premier, et non pas dans le second.
72. Le Saint-Esprit nous exhorte dans les Proverbes à prendre conseil des autres, et à ne pas nous confier sur notre prudence. Et à ne pas nous conduire selon nos lumières, mais à prendre toujours conseil des sages. Quoiqu'un Directeur se trompe en nous donnant un conseil, on ne peut néanmoins errer en le suivant, parce qu'on fait sagement en cela. Mais Dieu ne permet point que les Directeurs se trompent, quand même il lui faudrait faire des miracles pour conserver exempts d'erreurs le tribunal visible du Père spirituel. On n'a donc qu'à le consulter sans rien craindre, pour savoir la volonté divine.
73. C'est la doctrine de tous les Saints, de tous les Docteurs, et de tous les Mystiques que Jésus-Christ a confirmé, lorsqu'il ordonna d'obéir à nos Pères spirituels comme à lui-même, même à ceux dont les actions ne s'accordent pas avec leurs paroles.

CHAPITRE 10
Continuation du même sujet

74. Une âme obéissante, dit Saint Grégoire, possède toutes les vertus. Dieu récompense son humilité et sa soumission, en l'éclairant et l'instruisant par le moyen d'un Guide qui tient sa place, entre les mains duquel elle doit entièrement se remettre, et lui découvrir librement, clairement, fidèlement et simplement toutes ses pensées et ses actions, tous ses mouvements, toutes ses inspirations et ses tentations. De cette manière le Démon ne saurait la tromper, et elle n'a point à craindre de rendre compte à Dieu de ce qu'elle fait ou de ce qu'elle omet. Mais pour ceux qui veulent marcher sans guide, s'ils ne se trompent pas, ils seront au moins en état de l'être, et de prendre des tentations pour des inspirations.
75. Au reste, pour atteindre à la perfection, il ne suffit pas d'honorer les supérieurs et de leur obéir, il faut faire la même chose à l'égard de ses inférieurs.
76. De plus, l'obéissance pour être parfaite doit être volontaire, pure, prompte, joyeuse, intérieure, aveugle et persévérante. Volontaire sans contrainte et sans apréhension ; pure, sans intérêt, considération mondaine ou amour propre, et uniquement pour plaire à Dieu ; prompte, sans réplique, excuse ni renvoi ; joyeuse, sans chagrin intérieur et avec exactitude ; intérieure parce qu'elle ne s'étend pas seulement sur l'extérieur et le dehors ; mais sur l'esprit et sur le coeur ; Aveugle, parce qu'on doit renoncer à ses propres sentiments, pour les soumettre à celui qui nous guide, sans examiner l'intention, la fin ni les raisons de cette obéissance ; persévérante, parce qu'elle doit continuer constamment jusqu'à la mort.
77. L'obéissance, dit Saint Bonaventure, doit être prompte, sans renvoi ; fervente, sans tiédeur ; volontaire, sans contradiction ; simple, sans examen ; persévérante, sans interruption, réglée sans désordre, tranquille et agréable sans inquiétude ; courageuse, sans abattement ; universelle sans exception. Mettez-vous dans l'esprit, Âme chrétienne, qu'avec tous vos efforts vous ne sauriez sans cette obéissance accomplir la Volonté Divine ; que celui qui se conduit soi-même s'égare et se perd ; et qu'encore qu'on ait de grandes marques que c'est un bon Ange qui nous inspire, il le faut regarder comme un Démon, s'il ne veut pas se soumettre à un Directeur. C'est la doctrine de Gerfon et de plusieurs théologiens mystiques.
78. Ce qui arriva à Sainte Thérèse sert de confirmation à cette doctrine. Cette sainte, voyant que Catherine de Cardone menait une vie fort austère dans le désert, résolut de l'imiter, contre l'avis de son Père spirituel, qui voulait l'en détourner. Sur cela, le Seigneur lui dit, "Ecoute ma fille, toute bonne voie n'est pas sûre. J'estime plus dans la vie ton obéissance, que toutes les pénitences de Catherine." Ce qui lui fit faire voeu d'obéir à son Directeur. On lit aussi dans la vie de cette religieuse que Dieu lui ordonna souvent de communiquer toutes ses pensées, et toutes les grâces qu'il lui faisait, à son Directeur, et de lui obéir en toutes choses.
79. Remarquez comme Dieu a voulu que cette céleste et importante Doctrine fut appuyée sur l'Ecriture, sur les Livres des Saints et des Théologiens, et sur des raisons et des exemples, afin de confondre toutes les finesses de l'ennemi.

CHAPITRE 11
En quel temps et en quelles choses
l'obéissance est plus nécessaire à une âme intérieure.

80. Le temps auquel l'obéissance vous est le plus nécessaire, est celui auquel les tentations sont plus véhémentes, et les mauvaises suggestions plus importunes ; quand vous êtes dans les ténèbres, l'angoisse, la sécheresse et l'abandonnement ; quand vous vous sentez attaqué de tous côtés, par des tentations de colère, de fureur, de luxure ; d'ennui, d'impatience, de murmure, de blasphème et de désespoir. C'est alors que vous avez le plus besoin de vous confier à un Directeur expert, de lui obéir, de suivre ses conseils, pour ne pas vous laisser persuader au Démon, qui vous voyant, dans cette affliction et cet abandonnement, voudrait vous faire croire que Dieu n'a que de la haine pour vous, que vous êtes hors de l'état de grâce, et que votre obéissance ne vous sert à rien.
81. Vous vous trouverez plongé dans un abîme de scrupules, de douleurs, d'angoisse, de défiance, d'abandonnement des créatures ; en un mot, de tourments si cruels, qu'ils vous paraîtront insupportables. Que vous serez heureuse, Âme Chrétienne, si dans cet état vous vous remettez entièrement à la conduite de votre Directeur, et que vous lui obéissez en toutes choses ; vous marcherez alors avec d'autant plus de sûreté dans la voie secrète et intérieure, que vous vous croirez plus enfoncé dans l'égarement et dans les ténèbres, plus méchant, plus détestable et plus digne que jamais de la colère Divine.
82. Vous vous imaginerez fortement que vous êtes hors du temps et possédé du Démon ; parce que les marques de ce tourment intérieur et de cet angoisse terrible peuvent être facilement confondues avec les signes de la possession des Démoniaques. Mais ayez une ferme confiance dans votre Directeur, et vous trouverez dans cette obéissance la véritable félicité.
83. Il faut vous avertir que dès que le Démon voit une âme se renonce parfaitement, et se soumettre sans réserve à son Directeur, il soulève tout l'enfer pour empêcher ce saint Sacrifice. Plein de fureur et d'envie, il tâche d'inspirer à l'âme, de l'ennui, du dédain, de l'aversion et de la haine pour son Guide, et la pousse souvent à lui dire des injures. Mais un savant Directeur se rit de ces subtilités du Démon. Cet esprit malin tâche en vain de leur persuader qu'elles ne croient point à leur Directeur, parce qu'elles ne lui obéissent pas et n'avancent point ; puisque malgré toutes ces faiblesses elles peuvent croire, et croient même assez pour obéir, quoi qu'elles se fassent sans y trouver du plaisir.
84. Si ayant demandé permission de quelque chose à votre Directeur, ou lui ayant communiqué quelque grâce que vous croyez avoir reçu du Ciel, il vous refuse cette permission, ou que pour vous humilier, il fait semblant de ne pas tenir compte de cette grâce, et que là-dessus vous l'abandonniez, c'est une marque que cette grâce était fausse, et que vous êtes dans un danger évident. Mais si vous demeurez attaché à lui et que vous lui obéissiez, quoi qu'à regret : c'est une preuve que vous vivez, et que vous n'êtes pas assez mortifié. C'est pourquoi cette Médecine amère et violente vous sera très utile, la partie supérieure de votre âme embrassant le trouble que sent l'intérieur, avec humilité et comme une mortification que la Providence divine lui envoie. Ainsi, croît peu à peu le plaisir, la satisfaction et la confiance qu'elle a en son Guide, sans qu'elle le sache.
85. Pour renoncer à l'amour propre et  à son propre jugement, il faut se remettre entièrement et avec une soumission véritable entre les mains du Médecin spirituel. Si lorsqu'il ne s'accomode pas à votre goût et qu'il vous ordonne des choses que vous n'aimez pas, il vous vient dans l'esprit une infinité de raisons probables, mais fausses, pour vous opposer à ses conseils, c'est une preuve que votre esprit n'est pas bien mortifié, ni votre jugement assez captif. Ce qui est un grand obstacle à l'obéissance aveugle et à la paix de l'âme.
86. C'est alors qu'il faut se vaincre soi-même, résister à ses sentiments, mépriser ces fausses raisons, obéir, se taire et exécuter les saints conseils qu'on nous donnera, afin de déraciner la convoitise et les désirs déréglés.
87. Les Pères des premiers Moines, grands Maîtres dans cette science, exerçaient la patience de leurs Disciples, en leur donnant des ordres qui paraissaient extravagants. Ils commandaient aux uns de planter des laitues, les feuilles en bas, aux autres d'arroser des troncs d'arbres secs, et à d'autres de coudre et de découdre plusieurs fois un même habit ; stratagèmes surprenants mais efficaces, pour éprouver leur simplicité et leur obéissance ; et arracher de leur coeur jusqu'aux moindres racines de la concupiscence et du jugement propre.

CHAPITRE 12
Suite de la même matière

88. Vous ne sauriez faire un pas dans la vie spirituelle, si vous ne travaillez à captiver votre propre jugement, et si vous ne connaissez pas la nécessité de ce travail, vous êtes perdu sans ressources. Un malade, qui connaît son mal, sait qu'il ne lui est pas bon de boire toutes les fois qu'il a soif, et qu'une Médecine, toute amère et désagréable qu'elle est, lui est pourtant fort utile et il le sait ; parce qu'il ne s'abandonne pas à ses sentiments et à ses désirs déréglés, mais qu'il s'en rapporte à un habile médecin et lui obéit en toutes choses. Ainsi, la connaissance de la maladie le porte à se défier de soi-même ; et à suivre l'avis d'une personne qui a plus de prudence et plus d'expérience que lui.

89. Nous sommes tous malades d'amour propre et de concupiscence. Nous sommes tous pleins de nous-mêmes et ne souhaitons que des choses qui nous nuisent, qui nous déplaient ou nous ennuient, dès que nous les possédons. Il nous faut donc faire comme les malades qui veulent guérir, ne pas suivre nos appétits et nos caprices, mais nous en tenir à un Médecin spirituel, qui soit expert, et lui obéir sans réplique, sans excuse, et sans écouter les raisons plausibles de l'amour propre. Alors, notre guérison est certaine, et la défaite de la concupiscence, l'ennemie de la paix et de la perfection de l'esprit de Dieu, n'est pas moins assurée.
90. Combien de fois vos jugements se sont-ils trouvés faux, et avez-vous changé d'avis, ayant honte de n'avoir consulté que vos lumières ? Si un homme vous avait trompé deux ou trois fois, vous fierez-vous encore à lui ? Et comment vous fiez-vous encore à votre propre jugement, qui vous a tant de fois trompé. Ne vous en croyez plus, Âme chrétienne, ne vous en croyez plus, soumettez-vous et obéissez aveuglément.
91. Vous êtes peut-être fort satisfait d'avoir trouvé un Directeur expert et vous le regardez comme un trésor : mais cela vous sert de peu, si vous faîtes plus de cas de vos lumières que de ses conseils, et si vous ne vous soumettez pas à lui sincèrement et avec sincérité.
92. Un grand Seigneur étant tombé malade, appelle un célèbre Médecin, qui connaît aussitôt la nature de sa maladie, découvre les causes et ses effets, et juge qu'il faut des remèdes violents pour la guérir, cependant il ordonne des lénitifs. Voilà, direz-vous, une grande extravagance, puisqu'il sait que les lénitifs ne sont pas d'un grand secours, et que les purgatifs violents seraient efficaces, pourquoi ne lui en fait-il pas prendre ? C'est parcequ'encore que le malade ait grande envie de guérir, il n'a pas néanmoins la force de supporter des remèdes si violents. C'est pourquoi le Médecin fait fort prudemment de lui ordonner des lénitifs, qui à la vérité ne sont pas capables de le guérir, mais qui empêchent au moins pour quelques temps que la maladie ne devienne mortelle.
93. Il ne sert de rien d'avoir le plus habile Directeur du monde, lorsqu'on n'a pas une vraie soumission. Que le vôtre ait beaucoup d'expérience, qu'il connaisse votre mal, et qu'il sache que le remède le plus efficace qu'on peut y apporter serait de vous faire renoncer à votre volonté, si vous n'avez pas le courage de souffrir cette opération rigoureuse, et qu'il ne la fasse pas, ce sera un miracle si vous guérissez, et si cette redoutable ennemie ne vous fait pas déchoir de la grâce.
94. Si votre Directeur est expert, il méprisera toutes les grâces que vous recevez ; or, comme votre esprit n'est pas encore assez ferme, il faut l'en croire et suivre ses conseils, parce que si cet esprit est faux, il le fera connaître par l'orgueil, secret avec lequel ces sortes d'esprits regardent d'ordinaire ceux qui s'opposent à eux ; mais si vous êtes animés d'un bon esprit, cette humiliation, bien que chagrinante, vous sera néanmoins très avantageuse.
95. Une âme, qui se plaît à s'attirer l'estime des hommes, en publiant les faveurs qu'elle reçoit de Dieu, et qui n'obéit pas à son Directeur, lorsqu'il lui ordonne de s'en taire, est dans l'illusion, et se laisse éblouir à Satan, transformé en Ange de lumière. Une âme mal disposée, qui est tombée entre les mains d'un si sage Directeur, perd bientôt l'affection qu'elle avait conçue pour lui, tâche insensiblement de s'en éloigner, et d'en trouver un autre qu'elle puisse tromper : les superbes n'aimant pas la compagnie de ceux qui leur donnent des sujets d'humilité. Mais lorsque l'Esprit qui nous anime est véritablement de Dieu, ces humiliations redoublent l'amour, la confiance, et le mépris qu'on a pour soi-même. Ce sont là des marques sûres et infaillibles de la solidité des esprits.
 

CHAPITRE 13
Que la fréquente communion est un moyen efficace
pour acquérir toutes les vertus,
et particulièrement la paix intérieure.

96. Il y a quatre choses très nécessaires pour acquérir la perfection et la paix spirituelle ; à savoir l'oraison, l'obéissance, la fréquente communion et la mortification intérieure. Ayant déjà traité des deux premières, nous passerons présentement à la troisième.
97. Plusieurs personnes s'abstiennent de la communion, s'imaginant qu'elles ne sont pas assez bien préparées à recevoir cette nourriture céleste, et qu'il faudrait pour cela une pureté Angélique. Mais sachez que pourvu que vous ayez une intention pure, et un désir sincère de vous soumettre à la volonté de Dieu, sans aucun égard à la dévotion sensible, ni à votre propre satisfaction, vous êtes bien disposé, et que vous pouvez vous en approcher sans crainte.
98. Ce désir sincère est un écueil contre lequel vous devez briser tous les scrupules et les doutes, toutes les tentations, les répugnances et les frayeurs que vous sentez. La meilleure préparation qu'on puisse apporter à la communion, c'est de communier souvent, celle qui précède étant une disposition pour celle qui suit. Cependant, il faut que je vous dise qu'il y a deux formes de préparation. La première est pour les âmes extérieures, qui ont l'intention bonne, et la seconde est pour les spirituels, qui vivent intérieurement, et qui ont plus de lumière et de connaissance de Dieu, de ses Mystères, de ses opérations et de ses Sacrements.
99. La préparation des âmes extérieures est de se confesser, de se séparer des créatures, et de demeurer dans le silence, en considérant qui est celui qu'elles vont recevoir, l'état de celui qui le doit loger, en pensant que c'est la chose la plus importante du monde que de bien recevoir Dieu. Et que c'est une faveur sans exemple que la pureté même veuille habiter au milieu de l'impureté, la Majesté dans la bassesse, et le Créateur dans la créature.
100. La seconde préparation, qui regarde les âmes intérieures et spirituelles, consiste à vivre avec plus de pureté et de renoncement à soi-même, dans un entier détachement, une mortification intérieure, un recueillement continuel. Les âmes qui sont en cet état n'ont pas besoin de se préparer actuellement ; toute leur vie étant une préparation perpétuelle et parfaite.
101. Si vous ne sentez pas cette vertu dans votre âme, il faut pour l'acquérir, vous approcher souvent de cette Table sacrée. Ne vous en abstenez pas, parce que vous êtes fébrile, froid et plein d'imperfections ; la fréquente communion étant une médecine qui guérit les défauts et qui augmente les vertus. C'est parce que vous êtes malade qu'il faut aller au Médecin, parce que vous êtes froid qu'il faut vous mettre auprès du feu.
102. Pourvu que vous y veniez avec humilité, avec un désir sincère d'obéir à Dieu, et avec la permission de votre Confesseur, vous pouvez le faire tous les jours et vous en recevrez tous les jours de nouveaux fruits. Ne vous effrayez point de ce que vous vous voyez dénué de cet amour effectif et sensible, que quelques-uns croient si nécessaire ; ce n'est qu'un mouvement naturel, qui n'est pas parfait, et que Dieu donne d'ordinaire aux personnes faibles et délicates.
103. Mais direz vous, je me sens mal disposé, sans dévotion, sans ferveur, et sans faim pour cette viande divine, comment oserais-je m'en approcher ? Je réponds qu'aucune de ces choses ne saurait vous êtres un obstacle, pourvu que vous ayez une ferme résolution de ne plus pécher, d'éviter avec soin tout ce qui peut porter au crime ; et que vous vous confessiez de tous ceux que vous pourriez vous souvenir. Après cela, ne doutez point que vous ne soyez en état d'approcher de cette Table sacrée.

CHAPITRE 14
Continuation du même sujet

104. Dans ce Sacrement auguste, Jésus-Christ s'unit à l'âme, et devient une même chose avec elle ; ce qui est un excès d'amour, si grand et si admirable, qu'il mérite toute notre attention et notre reconnaissance. L'amour qu'il fait paraître pour le genre humain, en le faisant homme, était grand, celui qu'il témoigna en souffrant pour nous la mort honteuse de la Croix l'était encore plus ; mais celui qu'il montre en se donnant tout entier à nous dans ce Sacrement, est incomparable. C'est une faveur sans égale, un amour infini, et après cela il n'a plus rien à donner ni  nous recevoir, plût à Dieu que nous en puissions approfondir et connaître l'immensité !
105. Quel miracle d'amour que Dieu, étant ce qu'il est, veuille se communiquer à mon âme, et s'unir à la misère même ! Que n'allons-nous rassasier à cette Table céleste, nous consumer dans ce bûcher ardent, et devenir un même esprit avec le Seigneur ! Qui nous arrête ? Qui nous détourne ? Qui nous empêche de nous aller jeter comme des Salamandres dans ce feu de l'amour Divin ?
106. Il est vrai, Seigneur, que vous entrez en moi tout misérable que je suis ; mais il est vrai aussi que vous demeurez dans votre gloire, dans votre splendeur, et dans vous-même. Recevez-moi donc en vous, mon doux Jésus, dans votre Majesté et dans votre beauté, puisqu'aussi bien la bassesse de mon âme ne saurait obscurcir l'éclat de votre grandeur. Vivez au milieu de votre lumière et de votre magnificence, quoique vous soyez dans mon obsurité et dans ma misère.
107. Ô mon âme, que vous êtes vile et misérable ! Ah Seigneur ! Qu'est-ce que l'homme, pour vous souvenir ainsi de lui ; et pour l'honorer de vos visites ? Qu'est-ce que l'homme, que vous l'estimiez assez pour en faire vos délices, et pour venir habiter en lui avec toute votre grandeur ? Comment une créature abjecte pourrait-elle recevoir la Majesté infinie ? Plongez-vous, mon âme, jusque dans le fond du néant, confessez votre indignité, considérez votre misère, reconnaissez le miracle de l'amour Divin, dans ce Mystère incompréhensible où Dieu s'abaisse jusqu'à se communiquer et s'unir à vous.
108. Quel excès d'amour que le Divin Jésus se trouve dans une petite Hostie ! Qu'il se soumette à l'homme en quelque manière, en se donnant tout entier à lui, et se sacrifiant pour lui au Père Eternel ! Ô Souverain Seigneur, enchaînez mon coeur par des liens si forts, qu'il ne retourne plus dans les dérèglements, qu'il s'anéantisse, qu'il meurt au monde, et demeure uni avec vous pour jamais.
109. Voulez-vous acquérir toutes les vertus dans le plus haut degré, venez, Âme chrétienne, venez souvent à cette Table sacrée où elles font leur demeure. Mangez de cette viande Céleste, mangez-en avec persévérance, venez-y avec foi et avec humilité, et vous en remporterez la pureté, la charité, la chasteté, la lumière, la force, la perfection et la paix.

CHAPITRE 15
En quel temps on doit se servir des pénitences spirituelles,
et des corporelles,
combien elles sont nuisibles lorsqu'elles sont indiscrètes,
et qu'elles n'ont pour principe que nos propres lumières.

110. Il y a des âmes, qui, pour vouloir trop se hâter dans le chemin de la sainteté, reculent au lieu d'avancer, en faisant des pénitences indiscrètes, à peu près comme ceux qui en forçant leur voix la chauffent, et chantent d'une manière qui choque extrêmement l'oreille.
111. Plusieurs personnes sont tombées dans ce précipice, faute de vouloir le soumettre à leur Père spirituel, s'imaginant qu'on ne peut devenir Saint, qu'en se livrant en proie aux pénitences les plus austères ; comme si la sainteté ne consistait qu'en cela. Ils disent d'ordinaire que celui qui ne sème que peu de grains n'en saurait recueillir beaucoup ; mais s'ils ne jettent point d'autres semences dans le champ céleste, que celles de leurs pénitences mal réglées, ils n'y ferment que l'ivraie de l'amour propre, au lieu de le déraciner.
112. Le pire est que l'usage de ces pénitences et de ces austérités infructueuses, produit dans le coeur une amertume qui se répand sur nous et sur nos prochains. Comme on ne goûte la douceur du joug de Jésus-Christ ni celle de la charité, la nature s'aigrit et s'enflamme. Aussi voit-on que ces sortes de gens s'emportent facilement contre leurs prochains, qu'ils les reprennent aigrement de leurs défauts, et qu'ils les regardent comme des personnages imparfaits et peu avancés, parce qu'ils les voient marcher dans une voie moins pénible que la leur. Il n'est pas rare non plus qu'ils tirent vanité de leurs exercices austères ; et que comme ils voient peu de gens qui les imitent, ils s'estiment meilleurs que les autres : ce qui les empêche de faire des progrès dans la vertu. Il leur arrive aussi souvent de porter envie à ceux qui font moins de pénitences qu'eux, et à qui Dieu fait quelquefois plus de grâces : ce qui fait voir clairement qu'ils mettaient leur confiance sur leurs oeuvres.
113. L'aliment de l'âme est l'oraison, et l'âme de l'oraison est la mortification intérieure. Et quoique les pénitences corporelles et les autres exercices qui domptent la chair soient bons et saints, pourvu qu'ils soient réglés par la direction conforme à l'état où l'on se trouve, et aux avis du Directeur : cependant, elles ne produisent aucune vertu, et ne font qu'enfler du vent de la gloire, lorsqu'elles ne procèdent pas de l'intérieur. C'est pourquoi il est bon de savoir en quel temps les pénitences extérieures sont le plus d'usage.
114. Quand l'âme commence à se retirer du monde et du vice, il faut qu'elle dompte son corps par des austérités, afin qu'il se soumette plus facilement à l'esprit et qu'il ne soit point rebelle aux ordres de Dieu. C'est alors qu'il faut s'armer du silice, du jeûne, de la discipline, pour couper les racines du péché. Mais quand l'âme entre par la voie de l'esprit, et qu'elle embrasse la mortification intérieure, il faut modérer les pénitences du corps ; parce que l'esprit est assez fatigué, que le coeur s'affaiblit, que la poitrine se charge, que le cerveau se détraque, et que tout le corps devient pesant et incapable de servir aux actions de l'âme.
115. Un Directeur prudent ne doit jamais permettre ces excès de pénitence corporelle extérieure, auxquels une âme est portée, par la haute idée qu'elle a conçue de Dieu, dans le recueillement intérieur, ténébreux et purgatif. La raison en est qu'il ne faut pas fatiguer le corps et l'esprit en même temps, ni diminuer les forces par des pénitences rigoureuses et excessives, lorsque les mortifications intérieures les minent. Aussi Saint Ignace de Loyola dit-il fort bien que dans la vie purgative, les pénitences corporelles sont nécessaires, que dans l'illuminative elles doivent être modérées ; mais encore plus dans l'Unitive.
116. Mais les Saints, direz-vous, ont fait des pénitences horribles : je réponds qu'ils ne les ont pas faite de leur tête, mais de l'avis de leurs Supérieurs et de leurs Directeurs, qui les leur permettaient ; connaissant que le Seigneur les y portait intérieurement, soit pour confondre par leur exemple la lâcheté des pécheurs, soit pour tempérer la ferveur d'esprit, que leurs ravissements leur causaient, ou pour d'autres fins particulières, qui ne donnent jamais lieu à une règle générale.

CHAPITRE 16
Différence entre les pénitences
intérieurs et extérieures.

117. Les pénitences qu'on s'impose soi-même, pour rigoureuses qu'elles soient, sont douces en comparaison de celles que les autres nous font faire. L'amour propre, et le plaisir qu'il y a à faire un choix libre et volontaire, contrepèsent la douleur des premières : au lieu que tout est pénible dans les secondes, et les mortifications elles-mêmes, et la cause d'où elles procèdent, qui est la volonté, et le bon plaisir d'un autre, auquel il faut le soumettre.
118. C'est ce que Jésus-Christ voulait marquer à Saint Pierre, lorsqu'il lui disait et à toute l'Eglise en la personne de son chef. Quand vous étiez jeune, vous vous mortifiiez vous-même ; mais quand vous serez passé à une discipline plus sublime, et que vous serez plus avancé dans la vertu, un autre vous ceindra et vous mortifiera. Alors, si vous voulez me suivre parfaitement, il faut vous renoncer à vous-même, et quitter votre croix pour prendre la mienne, c'est à dire, souffrir sans murmures qu'un autre vous crucifie.
119. Ne prétendez pas qu'il y ait sur ce sujet de la différence entre les hommes. Votre père, vos enfants, vos amis et vos frères seront les premiers à vous mortifier, et à se soulever contre vous, soit par de fausses raisons ou par fantaisie. Ils vous feront passer pour un insensé, ou pour un hypocrite ; ils tâcheront de vous détourner de vos saints exercices ; et cela vous arrivera fort souvent, si vous voulez servir sincèrement le Seigneur, et vous laisser purifier à lui.
120. Soyez persuadé qu'encore que les mortifications et les pénitences extérieures, qu'on s'impose soi-même soient bonnes, elles ne sauraient toutes seules vous mener à la perfection, parce qu'elles ne domptent que le corps, et ne purifient pas l'âme des passions intérieures, qui empêchent la contemplation parfaite et l'union divine.
121. Il est très facile de mortifier le corps par l'esprit ; mais non pas l'esprit par le corps. Ainsi, la mortification de l'esprit, qui consiste à vaincre les passions, à déraciner l'amour propre, à se défaire de son choix et de son jugement, doit nous occuper sans relâche, jusqu'à la mort, pour élevé que soit l'état où nous nous trouverons ; les pénitences extérieures et corporelles ne suffisent pas pour nous rendre parfaits.
122. Qu'un homme s'accable s'il veut de tous les tourments, que tous les hommes ensemble ont jamais soufferts, et de toutes les pénitences, qui ont été faites jusqu'ici dans l'Eglise, s'il ne se renonce, s'il ne se mortifie intérieurement, il demeurera toujours fort éloigné de la perfection.
123. Ce qui arriva au bienheureux Henri Sufo est une preuve de cette vérité. Après vingt ans de cilices, de disciplines et d'austérités si grandes que leur seule lecture fait frémir, Dieu versa sur lui, durant une extase, une lumière, qui lui fit connaître, qu'il n'avait pas encore commencé le chemin de la perfection, et que si le Seigneur ne le mortifiait par des tentations et des mortifications violentes, il n'arriverait jamais au terme. Cela peut vous faire comprendre combien les mortifications intimes et spirituelles diffèrent des corporelles et des extérieures.

CHAPITRE 17
Qu'on ne doit point s'inquiéter,
lorsque tombe dans quelque faute,
mais en faire profit.

124. Quand vous tomberez dans quelque faute, au lieu de vous chagriner et de vous troubler, considérez que ce sont des infirmités de la Nature corrompue par le péché originel, qui est si enclin au mal, que sans un privilège aussi singulier que celui de la Sainte Vierge, il n'est pas possible d'être exempt de péché viénel.
125. Si lorsque vous avez commis quelque faute par inadvertance, vous vous inquiétez, c'est une marque d'orgueil secret. Croyez-vous donc de n'avoir plus de défauts et de n'être plus fragile ? Quoique Dieu laisse aux plus saints et aux plus parfaits quelques restes de leur faiblesse naturelle, pour les tenir dans l'humilité, les rendre plus circonspects, et leur faire penser qu'ils ne sont pas encore sortis de l'état d'imperfection, puisqu'ils retombent à tout moment dans les défauts de ceux qui commencent.
126. Y a-t-il de quoi s'étonner que vous fassiez quelque légère chute ? Humiliez-vous, reconnaissez votre misère, et rendez grâces à Dieu, qui vous a préservé d'une infinité de crimes, où votre inclination naturelle vous aurait indubitablement porté. Que peut-on attendre d'une terre aussi infertile que notre nature l'est, que des épines et des chardons. C'est un miracle de la grâce que nous ne tombions pas à tout moment dans une infinité de péchés, et si Dieu ne nous soutenait continuellement, nous remplirions le monde de scandale et d'horreur.
127. Dès que vous aurez fait quelque chute, l'ennemi du genre humain tâchera de vous persuader que vous ne marchez point d'un pas ferme dans la vie spirituelle, que vous vous trompez, que jamais vous ne fîtes une bonne confession générale, que vous n'eûtes jamais une vive douleur de vos fautes, ni ne vous en corrigeâtes jamais bien, et qu'ainsi vous êtes hors de Dieu et de la grâce. Que si vous retombez par malheur dans ce péché véniel, quels troubles, quelles craintes, quelles frayeurs, quelles réflexions accablantes ne vous mettra-t-il point dans l'esprit ? Il vous représentera que vous consumez le temps en vain, que nous ne faîtes rien, que votre oraison est infructueuse, que vous ne vous préparez pas à recevoir la communion, que vous ne vous mortifiez pas, comme vous le promettez à Dieu tous les jours ; que l'oraison et la communion ne sont qu'une vanité toute pure, sans la pénitence. C'est ainsi que le Démon s'efforcera de vous faire désespérer de la grâce de Dieu, et de vous persuader que vous reculez au lieu d'avancer, puisque vous faites tous les jours de nouvelles chutes.
128. Ouvrez les yeux, Âme chrétienne, et ne vous laissez pas prendre aux amorces trompreuses de Satan, qui ne cherche qu'à vous séduire par des raisons plausibles, mais fausses, arrêtez le cours de ses réflexions, et fermez la porte à ces vaines pensées et à ces suggestions du Diable. Défaîtes vous de cette crainte et de cette lâcheté, et que la connaissance de votre miséricorde ne fasse qu'exciter en vous une forte confiance sur la miséricorde divine. Si vous tombez demain, comme vous avez fait aujourd'hui, reposez-vous de nouveau sur cette bonté souveraine et plus qu'infinie, qui est si prompte à oublier nos fautes, et à nous recevoir entre ses bras comme ses enfants.

CHAPITRE 18
Suite de la même matière.

129. Aussitôt donc que vous serez tombé en quelque faute, sans perdre le temps à faire des réflexions sur votre chute, dissipez votre crainte, votre inquiétude et vos troubles, en reconnaissant humblement votre misère, tournez-vous vers le Seigneur, avec une confiance amoureuse ; mettez-vous en sa présence, demandez-lui pardon de tout votre coeur, sans parler, ni faire de bruit ; et vous reposant là-dessus, sans faire réflexion, si Dieu vous a pardonné où s'il vous tient encore pour coupable, reprenez vos exercices, et rentrez dans le recueillement, comme si vous n'étiez point tombé.
130. Ne traiteriez-vous pas de ridicule un homme, qui disputant du prix de la course, et venant à broncher au milieu de la carrière, demeurerait couché par terre, à faire des lamentations sur sa chute? Levez-vous mon ami, lui diriez-vous, et sans perdre de temps, remettez-vous à courir ; car qui se relève promptement et poursuit sa carrière, est comme celui qui n'est point tombé.
131. Si vous souhaitez d'atteindre à la perfection et à la paix intérieure, il faut être ceint, jour et nuit, de l'épée de la confiance, et faire usage de cette humble et amoureuse conversation, et de cette assurance entière sur la miséricorde Divine, dans tous les défauts et toutes les imperfections, où vous aurez succombé, soit de propos délibéré, ou par inadvertance.
132. Que si vous tombez souvent et que vous vous sentiez découragé, tâchez de vous animer et de ne vous laisser abbatre à l'affliction. Ce que Dieu ne fait pas en quarante ans, il le fait quelquefois en un moment, par une grâce particulière, afin que nous soyons humbles, et que nous reconnaissions que c'est la main toute puissante qui nous délivre de nos défauts.
133. C'est un effet de la sagesse impénétrable de Dieu, qu'il se serve non seulement des vertus, mais encore des vices et des passions, par lesquelles le Démon prétend nous précipiter dans l'abîme, pour nous faire monter au Ciel. Alcendamus etiam pervisia & passiones nostras, dit Saint Augustin. De peur que nous ne fassions de la Médecine un venin, et que nous ne transformions les vertus en vice, Dieu change les vices en vertus, et nous guérit par le même poison, qui devait nous ôter la vie. Quia ergo nos de medicamentes vulnus facimus, dit Saint Grégoire, facit ille de vulnare medicamentum, ut qui virtute percusimur visio cutemur.
134. C'est par les petites chûtes que le Seigneur nous convainct que c'est la bonté toute seule qui nous préserve des grandes. C'est par là qu'il nous rend humbles et vigilants, de quoi notre nature fière et paresseuse a extrêmement besoin. Ainsi, quoi que vous deviez être toujours sur vos gardes, du côté de vos imperfections ; cependant, quand vous y succomberiez mille fois, il faut vous servir du remède que j'ai marqué, qui est une confiance amoureuse sur la miséricorde Divine. Ce sont les armes avec quoi vous devez combattre la paresse spirituelle et les vaines pensées. C'est le moyen qu'il faut mettre en usage pour ne pas perdre de temps en regrets inutiles, et pour faire des progrès dans la vertu. Ce sont les riches ornements dont il faut parer votre âme ; pour la mener sur la haute montagne de la perfection, de la tranquillité et de la paix intérieure.



(Première Partie = livre 1 et livre 2)
Livre 3 ( =Deuxième Partie), p.208 pdf
Des martyres spirituels, avec lesquels Dieu purifie l'âme, de la contemplation infuse ou passive, de la résignation parfaite, de l'humilité du coeur, de la sagesse, du vrai anéantissement et de la paix intérieure.
 

Chapitre premier
Les différences qu'il y a entre l' homme intérieur et l' homme extérieur.

Il y a deux genres de personnes spirituelles : les unes sont intérieures, les autres extérieures. Celles-ci cherchent Dieu à partir du dehors, par le raisonnement, l'imagination, et la réflexion. Afin d'acquérir les vertus, elles pratiquent non sans grand effort, l'abstinences, la mutilation du corps ainsi que la mortification des sens. Se livrant ainsi à une pénitence rigoureuse, portant le cilice, châtiant leur chair avec discipline, observant le silence et portant en elles la présence de Dieu, présence qu’elles forment dans leur pensée ou leur imagination, que ce soit sous les traits d'un pasteur, ou d'un médecin, ou bien d'un père et seigneur aimant. Elles se délectent à parler sans relâche de Dieu, en accomplissant souventefois des actes d'amour fervent. Et tous ceci est art et méditation. Par cette voie, elles désirent la grandeur, et, à travers des mortifications volontaires et extérieures, elles vont à la recherche d'affections sensibles et de sentiments de ferveur, croyant que Dieu ne réside qu'en elles. Tel est la voie extérieur, celle des débutants. Et bien que cette voie soit bonne, ce n'est pas par elle que l'on parvient à la perfection, ou que l'on avancera d'un pas vers elle, comme le montre l'expérience démontré par plusieurs. Après cinquante ans de cet exercice extérieur, celles-ci se trouvent vides de Dieu et imbues d'elles-mêmes, et n'ont de spirituel que le nom.

II y a les autres spirituels, vrais, qui ont débutés en suivant les principes du chemin intérieur, de celui qui conduit à la perfection et à l'union avec Dieu, chemin auquel le Seigneur, dans sa miséricorde infinie, les a appelés, alors qu'ils empruntaient le chemin extérieur là où ils s'étaient d'abord exercés. Ceux-là, recueillis en l'intérieur de leur âme, pratiquant un véritable abandon entre les mains de Dieu, un oubli et un dépouillement total, y compris de soi, ont toujours leur esprit porté en la présence du Seigneur, par le moyen de la foi pure, sans image, sans forme ni figure, mais avec une grande sécurité basée sur la tranquillité et la paix intérieur. Et, dans son recueillement infus, l'esprit se manifeste avec une telle force qu'il engendre un recueillement intérieur de l'âme, du cœur, du corps et de toutes les forces corporelles.
Ces âmes-là [les méditatifs intérieurs]comme elles sont déjà passées par la mortification intérieure et que Dieu les a purgées par le feu de la tribulation, avec d'infinis et d'horribles tourments, qu'elles ont été ordonnées de Sa main à Sa manière, elles sont maîtresses d'elles-mêmes car elles sont dominées et ont renoncé à elles-mêmes ; aussi vivent-elles en sérénité et dans la paix intérieure. Et, bien qu'en de nombreuses occasions elles éprouvent résistance et tentations, elles sont tout de même victorieuses. Parce que ce sont des âmes déjà éprouvées et remplies de la force Divine, les mouvements des passions ne peuvent pas durer longtemps sur eux. Et les tentations véhémentes ou les mauvaises suggestions de l'ennemi s'allongeraient, qu'elles en triompheraient tout de même avec un bénéfice infini, parce que c'est Dieu qui combat à l'intérieur d'elles.
Ces âmes [les méditatifs intérieurs]qui se sont procuré une grande lumière et une véritable connaissance du Christ Notre-Seigneur, aussi bien de sa divinité que de son humanité. Elles cultivent cette connaissance infuse avec calme et silence au sein de leur retraite intérieure, dans la partie supérieure de leur âme, leur esprit étant libéré des images et représentations extérieures, et leur amour purifié et détaché de toute créature. Elles s'élèvent, même de leurs actions extérieures, à l'amour de l'humanité du Christ et de sa divinité. Plus grande est leur connaissance, plus elles aiment. Plus elles jouissent, plus elles s'oublient; et en toute chose elles font l'expérience d'aimer leur Dieu avec tout leur cœur et leur esprit.
Ces âmes [les méditatifs intérieurs] heureuses et de grande élévation ne se réjouissent de rien au monde, si ce n'est qu'on les méprise, qu'elles se voient seules et que le monde les abandonne et les oublie. Elles vivent tellement détachées que, bien qu'elles reçoivent continuellement beaucoup de grâces surnaturelles, elles ne changent pas et ne sont pas plus portées vers ces grâces que si elles ne les avaient pas reçues. Gardant toujours, dans l'intimité de leur cœur, une grande humilité et un grand mépris pour elles-mêmes, puisqu'elles sont toujours plongées dans l'abîme de leur indignité et de leur infamie. De la même manière, elles restent calmes, sereines et constantes, aussi bien dans les victoires et les faveurs extraordinaires que dans les tourments les plus rigoureux et les plus cruels. Il n'est de nouvelle qui les réjouisse, ni d’évènements qui les attriste. Elles ne s'émeuvent pas des tribulations, ni ne tirent vanité du commerce intérieur et continuel avec Dieu, car elles sont toujours pleines de la sainte crainte filiale, dans une paix, une confiance et une sérénité merveilleuses.

Chapitre II
La Suite du même sujet

Dans le chemin extérieur, les âmes, afin de devenir vertueuses, s'appliquent continuellement à des actes de toutes les vertus prises les unes après les autres (le dessein étant de se purger des imperfections avec des moyens appropriés à leur ruine), Elles essaient de briser leurs attachements aveugles avec des activités différents et même opposés ;  mais elles ont beau s'y épuiser, elles ne parviennent à aucun résultat, parce que nous ne pouvons, par nous-mêmes, rien faire qui ne soit imperfection et misère.
Mais, dans la voie intérieur et le recueillement amoureux dans la présence Divine, comme c'est le Seigneur qui est à l'œuvre, la vertu s'établit, les attachements sont rompus, les imperfections détruites, les passions éradiquées, et l'âme se trouve libre et détachée, quand les occasions divines se présentent, sans avoir jamais pensé au bienfait que le Seigneur, dans son infinie miséricorde a préparé pour elles.
Vous devez savoir que ces âmes bien qu'elles se perfectionnent , alors qu'elles reçoivent la véritable Lumière de Dieu, ont par cette Lumière une connaissance profonde de leurs misères, faiblesses et imperfections. Elles savent combien elles sont éloignées de la perfection vers laquelle elles cheminent. Elles se répugnent et se réprouvent elles-mêmes, et elles s'exercent à la crainte amoureuse de Dieu et au mépris de soi, mais avec une véritable espérance en Dieu et méfiance à leur propre égard. Plus elles s'humilient avec un vrai mépris et une vraie connaissance de soi, plus elles plaisent à Dieu et parviennent à demeurer en sa présence avec respect et profonde adoration. Toutes les bonnes œuvres qu'elles font et ce qu'elles souffrent continuellement, tant à l'intérieur d'elles-mêmes qu'à l'extérieur, elles le tiennent pour rien devant cette divine présence.
Elles s'appliquent continuellement à pénétrer en Dieu à l'intérieur d'elles-mêmes, dans la quiétude du silence, parce que là se trouvent leur centre, leur demeure et leurs délices. Elles ont plus d'estime pour cette retraite intérieure que pour un discours sur Dieu. Elles se retirent dans ce centre intérieur et secret de leur âme, pour connaître Dieu et recevoir son influence divin avec crainte et révérence amoureuse. Si elles vont à l'extérieur, elles y vont seulement pour se connaître et se mépriser soi-même.
Mais tu sauras que peu nombreuses sont les âmes qui arrivent à cet heureuse condition, car il en est peu qui veulent embrasser le mépris et souffrir pour se raffiner et se purifier.Pour cette raison, qu'elles sont nombreuses celles qui s'engagent dans ce chemin, mais choses rares celles qui vont de l'avant et qui n'en restent pas collées aux commencements. Le Seigneur a dit à une âme : «Ce chemin intérieur est emprunté par un petit nombre, c'est une grâce si grande que personne n'en est digne , très peu y marche, car il n'est pas autre chose qu'une mort pour les sens; et il n'en est guère qui veulent ainsi mourir et être anéantis, disposition sur laquelle est fondé ce don souverain. »
Ainsi donc tu seras détourné de l'erreur. Tu connaîtras parfaitement la grande différence qu'il y a entre la voie extérieure et celle de l'intérieur et sauras combien la présence de Dieu issue de la méditation est différente de celle qui est infuse et surnaturelle qui est issue du recueillement intérieur infus et de la méditation passive. Et finalement tu connaitra la grande différence qu'il y a entre l'homme extérieur et l'homme intérieur.

Chapitre III

On n'arrive pas à la paix intérieure par les douceurs sensibles ni par les consolations spirituelles, mais par le renoncement à son amour-propre
Aux dires de Saint Bernard, servir Dieu n'est rien d'autre que de faire le bien et de supporter le mal. Qui veut arriver à la perfection par la douceur et la consolation vit dans l'illusion. Tu ne doit pas attendre de Dieu d'autre consolation que de Lui donner ta vie, mû par l'obéissance vraie et la soumission. Le chemin du Christ ne fut pas celui de douceur et de tendresse , et tel n'est pas celui auquel il nous a conviés quand il a dit: « Celui qui veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive» (Mt 24, 26). Si une âme veut s'unir avec le Christ, il lui convient de se modeler sur lui, en le suivant dans sa souffrance.
Vous commencerez à jouir de la douceur de l'amour divin dans la prière, mais l'ennemi, avec ses jongleries mensongères, vous inspirera des désirs de désert et de solitude, afin que vous puissiez, sans être gêné par personne, tendre vos voiles à la prière continue et savoureuse. Ouvrez les yeux et considèrez que ce conseil et ce désir ne se conforment pas au vrai conseil du Christ Notre Seigneur, lequel ne nous a pas invités à rechercher l'agrément et la consolation de notre volonté propre, mais le renoncement à soi, quand il a dit: « Qu'il renonce à lui-même », comme s'il avait dit: « Celui qui veut me suivre et atteindre la perfection, qu'il aliène son propre jugement, et, abandonnant toutes choses, qu'il se plie en toutes choses au joug de l'obéissance et de la sujétion, par le renoncement à soi-même, ce qui est la croix la plus véritable. »
Il y a beaucoups d'âmes vouées à Dieu, qui reçoivent de Sa main de grande pensées, des visions et des élévations mentales. Et que malgré tout cela, le Seigneur ne leur aura pas donné la grâce de faire des miracles, de pénétrer les secrets cachés et de prédire les événements futurs, comme Il communique ces choses à d'autres âmes qui sont passées avec constance par la tribulation, la tentation et la véritable croix, dans un état assujettie de parfaite humilité et de confiance.
Oh! Quel grand bonheur pour une âme d'être soumis et assujetti! Quelle grande richesse que d'être pauvre! Quel puissant honneur que d'être méprisé! Quelle élévation que d'être abaissé! Quelle consolation que d'être affligé! Qu'il est profitable au savoir que d'être tenu pour ignorant! Et finalement quelle bonheur incomparable que d'être crucifié avec le Christ! C'est dans ce bonheur que se glorifiait l'apôtre: «Glorifions-nous, par la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ» (Ga 6, 14). Que les autres se glorifient dans leurs richesses, leurs dignités, leurs délices et leurs honneurs! Pour nous, il n'est point d'autre honneur que d'être reniés, méprisés et crucifiés avec Christ.
Mais, quelle douleur! à peine y a-t-il une âme qui méprise les plaisirs spirituelles et qui veuille renoncer à lui-même pour Christ, embrassant sa croix avec amour. «Il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus. » (Mt 22), dit l'Esprit-Saint. Nombreux sont ceux qui sont appelés à la perfection, mais peu sont ceux qui y parvienne, parce que rares sont ceux qui embrassent la croix avec patience, constance, paix et résignation.
Renoncer à soi-même en toute chose, se soumettre au jugement d'un autre, mortifier continuellement toutes les passions intérieures, s'anéantir soi-même en tout et pour tout, suivre toujours ce qui est contraire à sa volonté propre, à son jugement et à ses appétits personnels : tout cela est le fait d'un petit nombre. Beaucoup l'enseignent, mais peu le pratiquent.
Beaucoup d'âmes ont emprunté et empruntent chaque jour ce chemin ; et elles y persévèrent tant qu'elles goûtent la douceur savoureuse du miel de la première ferveur. Mais à peine cette suavité et cette douceur se perdent-elles sous l'effet de la tempête née de la tribulation, de la tentation et de la sécheresse (autant de choses nécessaires utiles à l'homme pour gravir la haute montagne de la perfection), qu'elles déclinent et rebroussent chemin. C'est le signe manifeste qu'elles se cherchaient elles-mêmes au lieu de chercher Dieu et la perfection.
Il est des âmes qui ont reçu la lumière, ont été appelées à la paix intérieure, et qui par manque de constance dans la sécheresse, la tribulation et la tentation, ont rebroussé chemin. Plaise à Dieu qu'elles ne soient pas jetées dans les ténèbres extérieures, comme celui qui fut découvert sans la robe de noce et qui n'avait pas fait ses dispositions, se laissant emporter par son amour-propre.
Il faut vaincre ce monstre de l'amour-propre. Il faut égorger cette bête à sept têtes, pour atteindre le sommet de la haute montagne de la paix. Il n'est rien dont ce monstre ne se nourrit  : ou bien il s'insinue parmi nos proches, qui, par leur affection à notre endroit disent des choses étranges et empêchent que notre nature ne se laisse facilement convaincre. Ou bien il se mêle, sous les nobles traits de la gratitude, soit à un attachement fervent et sans bornes pour le confesseur, soit à un attachement pour quelque vaine gloire fort subtile, d'ordre spirituel ou temporel, ou pour un sentiment très pointilleux de l'honneur : autant de réalités qui se prennent à notre chair, Ou bien il se plaît aux douceurs spirituelles et va jusqu'à s'établir sur les dons mêmes de Dieu et les grâces gratifiés. Ou bien il désire avec outrance la conservation de la santé et, tout en dissimulant, recherche les égards et son intérêt personnel. Ou bien il veut se donner bel air avec des subtilités fort ingénieuses. Et finalement, en toute chose, Il se plaît, avec une inclination marquée, à son jugement et ses vues personnelles, dont les racines plongent dans la volonté propre : si on n'y renonce pas, il est impossible d'accéder à la cime de la contemplation parfaite, à la félicité suprême et au trône sublime de la paix intérieure.
L'amour de soi-même est comme un monstre, il faut le vaincre, et ce n'est que par cette victoire qu'on arrive au sommet de la montagne de Paix. C'est une hydre aux têtes sans nombre qui se glisse partout. Tantôt ce sont nos parents, qui, par leurs paroles, l'indulgence naturelle qu'ils ont pour nous, nous sont un puissant obstacle, tantôt c'est le respect et la reconnaissance que nous avons pour notre directeur qui se changent en affection démesurée. Quelquefois l'amour-propre se métamorphose en ambition et en vanité dangereuses, en attachement pour ce qui passe, en recherche des égards qu'on nous témoigne, en soif des douceurs de la dévotion, des dons divins ou des grâces du Seigneur. Parfois nous souhaitons sans mesure la conservation de notre santé, et sous ce prétexte nous nous enchaînons au désir de la bonne chère et au confort de la vie! Enfin l'amour de nous-mêmes nous attache en toutes choses à nos sentiments et à nos désirs, et nous pousse à souhaiter de les voir triompher autour de nous comme en nous. Si nous voulons un jour en arriver à la contemplation parfaite, à la Sainte union et à la paix intérieure, il nous faut renoncer à cet amour de nous-mêmes.

Chapitre IV
Des martyrs spirituels avec lesquels Dieu assaini l'âme qu'Il veut unir à Lui

Il te sera maintenant indiqué quels sont les deux moyens dont Dieu a coutume de se servir pour purger les âmes qu'il entend perfectionner et illuminer, en vue de les unir à Lui. Le premier, dont il sera question dans ce chapitre et le suivant, ce sont les eaux amères de l'affliction, de la tentation, de l'angoisse, des contrariétés et tourments intérieurs. Le second, c'est le feu ardent d'un amour enflammé, impatient et dévorant. Peut-être Dieu se sert-il de l'un et l'autre dans les âmes qu'il veut combler de grâces, d'amour, de lumière et de paix intérieure. Ou bien il les plonge dans le bain décapant des tribulations et amertumes intérieures et extérieures, les embrasant au feu de l'âpre tentation; ou bien il les introduit dans le creuset de l'amour ardent et jaloux, pour les mettre à très rude épreuve, car plus le Seigneur veut que l'illumination de l'âme et son union avec lui soient exemplaires, plus douloureuses sont la torture et la purgation. Toute connaissance de Dieu et toute union avec lui naissent en effet de la souffrance, qui est la preuve véritable de l'amour.
Ah! si vous pouviez connaitre les grands avantages de la tribulation! C'est elle qui efface les péchés, qui purifie l'âme, et produit en elle la patience. C'est elle qui enflamme la prière pendant qu'on s'y adonne, qui la dilate et lui fait accomplir l'acte de charité le plus élevé. C'est elle qui réjouit l'âme, la rapproche de Dieu, la fait crier vers lui et entrer au Ciel. C'est elle qui met à l'épreuve les vrais serviteurs du Seigneur, et les rend sages, forts et constants. C'est elle qui fait que Dieu nous entend rapidement. Dans ma détresse, j'ai crié à l'Éternel et Il m'a délivré. (ps 119). C'est elle qui anéantit, affine et perfectionne. C'est elle qui finalement rend célestes les âmes terrestres, et divines les âmes humaines, en les transformant et en les unissant de manière merveilleuse à son humanité et sa divinité. Saint Augustin eut bien raison de dire que la vie de l'âme sur la terre est la tentation. Bienheureuse l'âme qui est toujours combattue, si elle résiste avec constance à la tentation! Tel est le moyen que prend le Seigneur pour l'humilier, l'anéantir, l'affermir, la mortifier, la désavouer, la perfectionner et la remplir de ses dons divins. Oui, par ce moyen de la tribulation et de la tentation, Dieu arrive à la transformer. Soyez persuadé que, pour que l'âme devienne parfaite, tentations et combats lui sont nécessaires.
Ô âme bénie, si tu savais garder constance et quié-tude dans le feu de la tribulation, et si tu te laissais laver dans les eaux amères de l'affliction, avec quelle rapidité tu te trouverais enrichie de dons célestes! Avec quelle promptitude la bonté divine établirait dans ton âme un trône somptueux, une gracieuse et récomfortante demeure pour t'y  rafraichir!
Sache que le Seigneur ne trouve son repos que dans les âmes en quiétude, dans celles où le feu de la tribulation et de la tentation a consumé les résidus des passions, et dans celles où l'eau amère des afflictions a dévoré les taches immondes des appétits déréglés. Et finalement ce Seigneur ne prend de repos que dans l'âme où règne la quiétude et d'où a été banni l'amour-propre.
Mais votre âme ne parviendra pas à ce bienheureux état ni ne palpera ce joyau précieux de la paix intérieure - dût-elle, avec la grâce de Dieu, avoir remporté la victoire sur ses sens extérieurs - tant qu'elle ne sera pas purifiée des folles passions de la concupiscence, de l'estime de soi-même, des désirs et préoccupations, même d'ordre spirituel ; tant qu'elle ne sera pas purifiée de beaucoup d'autres attaches et vices cachés, qui sont à l'intérieure d'elle-même et empêchent misérablement l'entrée pacifique de ce grand Seigneur, qui veut s'unir à vous et vous transformer.
À ce grand don de la paix de l'âme, les vertus acquises font elles-mêmes obstacle, si elles ne sont pas purifiées. L'âme est également entravée par son aspiration désordonnée aux dons sublimes, par son appétit de consolations spirituelles sensibles, par son attachement aux grâces divines infuses. Elle y met sa complaisance et en désire beaucoup d'autres encore afin d'en jouir. Finalement, elle est entravée par son aspiration à la grandeur.
Oh! Que de choses sont à purifier dans une âme qui doit gravir la sainte montagne de la perfection et de la transformation en Dieu ! Oh! Que l'âme doit être bien disposée, dépouillée, éprise de renoncement et d'anéantissement, pour ne pas empêcher l'entrée de ce divin Seigneur, ni sa communication continuelle!
Préparer l'âme dans ses profondeurs à l'entrée de Dieu en elle est une œuvre qui, de nécessité, doit être accomplie par la divine Sagesse. Si un séraphin n'est pas en mesure de purifier l'âme, comment cette âme elle-même, qui est fragile, misérable et sans expérience, se purifiera-t-elle?
C'est pourquoi le Seigneur même vous disposera et vous préparera passivement, sans que vous le compreniez, avec le feu de la tribulation et du tourment intérieur, sans autre disposition de votre part que le consentement à la croix intérieure et extérieure.
Vous ferez l'expérience en vous-mêmes de la sécheresse passive, des ténèbres, des angoisses, des contradictions, du dégoût continuel, du délaissement intérieur, des horribles solitudes, de fortes suggestions continuelles et des tentations véhémentes de l'ennemi. Et finalement vous vous retrouverez dans une telle agitation, que vous serez incapable d'élever votre cœur étant rempli d'amertume, pas même pour accomplir le moindre geste de foi, d'espérance ou d'amour.
Alors vous vous verrez délaissé et sujet à vos passions : impatience, colère, rage, blasphème et appétits désordonnés. Vous vous verrez comme la plus misérable des créatures, la plus pécheresse, la plus abhorrée de Dieu et la plus dénuée de toute vertu, souffrant pour ainsi dire peines d'enfer, vous voyant dans l'affliction et la désolation, parce que vous penserez avoir complètement perdu Dieu. Ainsi sera pour vous le fer le plus cruel, le tourment le plus affreux.
Supposons que vous vous voyez opprimés de la sorte et que votre âme semblerait à l'évidence être orgueilleuse , impatiente et agitée. Même alors, ces tentations ne trouveront en votre âme ni efficacité, ni collusion, grâce à la vertu cachée et au don de cette force intérieure qui règne en sa plus profonde intimité, et qui surmontera la peine la plus terrible et la tentation la plus véhémente.
Sois constante, ô âme bénie, sois constante, car tu n'aimeras jamais Dieu davantage ni te trouveras plus près de lui que dans de semblables délaissements. En effet, si le soleil est caché par les nuages, il ne change pas de place pour autant, ni ne perd sa merveilleuse splendeur. Le Seigneur permet en ton âme ce pénible délaissement afin que tu te purifie, que tu te laves, que tu te renonces et te dépouilles de toi-même, et pour que de cette manière tu sois tout à lui et que tu te livres à lui entièrement, de même que son infinie bonté se donne entièrement à toi pour que tu sois ses délices. En effet, bien que tu frémisses, que tu te lamentes et que tu pleures, lui se réjouit et prend son plaisir au plus secret et au plus intime de ton âme.
Ce chapitre est spécifiquement lié et fait référence à des discussions de Tribulation pour apaiser la crainte que la recherche de Dieu et la rencontre de l'opposition surnaturelle soit trops étrange et soit évité, au lieu d'être accepté comme souffrance que Dieu permet dans le cadre de Son processus de purification( un mini-Enfer, communément appelé tribulation) sur Terre. Le reste du livre y est consacré aussi. H.W.

Chapitre V
Combien il est important et nécessaire à l'âme intérieure de supporter aveuglément ce premier martyr spirituel
Pour que l'âme devienne céleste, de terrestre qu'elle était, et qu'elle arrive à ce bien suprême de l'union avec Dieu, il est nécessaire qu'elle se purifie dans le feu de la tribulation et de la tentation. Et bien que ce soit une vérité et une maxime vérifiée, que tous ceux qui servent le Seigneur doivent souffrir peines, persécutions et tribulations, les âmes heureuses qui sont guidées par Dieu sur la voie secrète du chemin intérieur et de la méditation purgative doivent endurer surtout de fortes et horribles tentations, et des tourments plus atroces que ceux qui ont valu leur couronne aux martyrs de l'Église primitive.
Les martyrs, sans compter que leur tourment était bref (quelques jours à peine), se réjouissaient, par l'effet d'une claire lumière et d'une grâce spéciale, dans l'espoir de récompenses prochaines et assurées. Mais quand l'âme désolée doit mourir à soi-même, dépouiller et purifier son cœur, et qu'elle se voit abandonnée de Dieu, environnée de tentations, de ténèbres, d'angoisses, de transes, de désirs ardents et de sécheresses rigoureuses, elle fait l'épreuve de la mort à chaque instant, au sein d'un pénible tourment et d'une redoutable désolation. Elle ne ressent pas la moindre consolation, et son affliction est si profonde que ce n'est pas, dirait-on, une peine passagère, mais une mort prolongée et un martyre continuel. Mais, hélas! comme elles sont peu nombreuses les âmes qui suivent le Christ Notre-Seigneur avec paix et résignation dans de pareils tourments!
Pour ce qui est des martyrs d'autrefois, ce sont les hommes qui les suppliciaient, et Dieu consolait leur âme. Là, c'est Dieu même qui fait souffrir, qui se cache, et ce sont les démons qui, comme de cruels bourreaux, tour-mentent de mille manières le corps et l'âme; et l'homme tout entier reste crucifié au-dedans comme au-dehors.
Tes angoisses te paraîtront insurmontables, et irrémédiables tes afflictions; et tu penseras que la pluie du ciel sur toi ne descend plus. Tu te verras investi de douleurs, assiégé de tourments intérieurs ; tes facultés se feront ténébreuses, et stérile ton raisonnement. Tu seras assailli de tentations véhémentes, de méfiance et de scrupules accablants. La lumière de l'esprit et la raison même te délaisseront.
Toutes les créatures te donneront l'occasion de déplaisir ; les conseils spirituels te feront souffrir; la lecture des livres - même des livres saints - ne te consolera plus comme de coutume; si on te parle de patience, tu en ressentiras une affliction extrême ; la crainte de perdre Dieu par tes ingratitudes ou ta reconnaissance trop tiède te mettra au supplice jusqu'au plus intime de tes entrailles. Si tu gémis et demandes secours à Dieu, tu trouveras au lieu d'un soulagement, la réprimande intérieure et la disgrâce, comme cette Cananéenne a qui d'abord le Christ ne répondit pas, et qu'il compara ensuite à une chienne avec ses petits. Matt 15:22-28
Et certes à cette heure le Seigneur t'abandonnera pas, puisqu'il te serait impossible de passer un seul instant sans son aide. Néanmoins, si discrète sera son assistance, que ton âme ne la connaîtra pas, ni ne s'ouvrira à l'espérance et à la consolation. Il lui semblera au contraire se trouver sans remède, souffrant comme les damnés souffrent les peines de l'enfer. Elle changerait volontiers ses propres peines contre une mort violente, ce qui lui serait d'un grand soulagement. Mais, à elle comme aux damnés, la fin de l'affliction et de la désolation lui paraîtra impossible
Mais, âme bénie, si tu savais comme tu es aimée et défendue par ce divin Seigneur au milieu de tes vifs  tourments, tu trouverais ceux-ci tellement doux, que Dieu serait obligé de faire un miracle pour que tu continues à vivre. Sois constante, âme heureuse, sois constante d’une grande fermeté, car, même si tu es intolérable à tes propres yeux, tu seras bien protégé, enrichie et aimée par ce Grand Souverain, comme s’Il n'avait pas autre chose à faire que de t'acheminer vers la perfection par les degrés les plus hauts de l'amour. Et si tu ne détournes pas ton visage, et si tu persévères avec courage sans abandonner ton dessein, sache que tu fais à Dieu le plus agréable sacrifice, de telle sorte que, si ce Seigneur était capable de souffrance, il ne trouverait jamais de quiétude, tant qu'il ne réaliserait pas l'union amoureuse avec ton âme. Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Rom 12:1
Puisque du chaos du néant sa toute-puissance a tiré tant de merveilles, que ne fera-t-il pas en ton âme créée à son image et à sa ressemblance, si tu persévères avec constance, quiétude et résignation, dans la connaissance véritable de ton néant! Heureuse l'âme qui, même quand elle est troublée, affligée et désolée, reste constante au fond de soi, sans aller chercher des consolations extérieures au-dehors.
Ne t'afflige pas à l'excès, ne sois pas trop inquiet, de peur que ces supplices atroces ne se prolongent. Persévère dans l'humilité et ne va pas au-dehors chercher de l'aide. Tout ton bien est dans le silence, la souffrance la patience déployée avec quiétude et résignation. C'est là que tu trouveras la force divine pour en finir avec une guerre aussi cruelle. C'est à l'intérieur de toi que se trouve celui qui combat pour toi, celui qui est la force même.
Quand tu arriveras à cet état douloureux de l'horrible désolation, les plaintes et les lamentations ne te seront pas interdites, pourvu que tu sois résigné dans la partie supérieure de ton âme. Qui pourrait supporter la main pesante du Seigneur sans plaintes et lamentations? Le grand champion que fut Job a gémi, et aussi le Christ Notre-Seigneur lui-même, au milieu de sa déréliction, mais leurs plaintes étaient accompagnées de résignation.
Ne t'afflige pas du fait que Dieu te crucifie et qu'Il éprouve ta fidélité; imite la Cananéenne, qui, se trouvant rebutée, s'humilia et suivit le Christ, bien qu'il l'eût comparée à la chienne avec ses petits. Il faut boire le calice et ne pas revenir en arrière. Si, comme à saint Paul, on ôtait les écailles de tes yeux, tu verrais l'importance de la souffrance et tu te glorifierais comme lui, préférant être crucifié plutôt que te livrer à l'apostolat.
Le bonheur n'est pas dans la jouissance, mais dans la souffrance endurée avec quiétude et résignation. Après sa mort, sainte Thérèse apparut à une âme et lui dit qu'elle n'avait été récompensée que pour ses tourments, et qu'elle n'avait pas obtenu une once de récompense pour toutes les extases, révélations et consolations dont elle avait joui ici-bas.
Ce douloureux martyr de l'horrible désolation et de la purgation passive est si redoutable que les mystiques lui donnent le nom d'enfer. (Il paraît en effet impossible de vivre un seul instant avec un tourment aussi atroce, de sorte qu'on peut dire en toute vérité que celui qui le subit vit en mourant, et qu'en mourant il vit une mort interminable.) Quoi qu'il en soit, le patient sait qu'il faut le supporter pour atteindre aux doux et suaves et féconds trésors de la haute contemplation et de l'union d'amour. Et il n'est pas d'âme sainte qui soit arrivée à semblable hauteur sans être passée par ce martyre spirituel et ce tourment douloureux. Saint Grégoire subit cette épreuve durant les deux derniers mois de sa vie; saint François d'Assise, durant deux ans et demi; sainte Madeleine de Pazzi, durant cinq ans ; sainte Rose de Lima, durant quinze ans. Et saint Dominique, après ses prodiges si nombreux qui stupéfièrent le monde, en souffrit jusqu'à une demi-heure avant sa bienheureuse mort. Ainsi donc, si tu veux devenir ce que furent les saints, il faut que tu souffres ce qu'ils ont souffert.

Chapitre VI
Le second martyr spirituel avec lequel Dieu purifie l'âme qu'il veut unir à lui

Le second martyr, plus utile et méritoire pour les âmes déjà avancées dans la perfection et la profonde méditation, est un feu d'amour divin qui embrase l'âme et fait qu'elle souffre avec le même amour. Ou bien elle est affligée par l'absence du Bien-Aimé; ou bien elle est oppressée par le fardeau suave, brûlant et délectable de la divine présence amoureuse. Ce martyr délectable la fait soupirer continuellement; que ce soit, quand elle jouit de son Bien-Aimé et le possède, en raison de la jouissance qu'elle éprouve à le posséder, jouissance qu'elle ne contient pas en elle; que ce soit, quand l'Aimé ne se manifeste pas, en raison de l'angoisse ardente qu'elle éprouve à le chercher, pour le trouver et en jouir. Tout est soupir, souffrance et mort par amour.
Oh! Si on arrivait à comprendre la contrariété des sentiments qui affectent une âme livrée à l'amour! La guerre qui l'éprouve est, d'un côté, si terrible, si violente, et d'un autre, si douce, si délectable et si tendre! Le martyr que l'amour inflige à l'âme est si déchirant, si cuisant! C'est une croix si douloureuse et en même temps si délectable ! croix dont l'âme ne désire pas se voir libérée en cette vie.
À mesure que croissent la lumière et l'amour, croît aussi la douleur, du fait que l'âme voit l'absence du bien qu'elle aime tant. Sentir le bien près de soi est jouissance ; et n'en pas finir de le connaître et de le posséder parfaitement consume la vie. L'âme a nourriture et breuvage à sa portée, alors qu'elle est grandement affamée et assoiffée, et qu'elle ne peut pas se satisfaire. Elle se voit abîmée et engloutie dans un océan d'amour, et elle voit la main puissante auprès d'elle, qui la peut secourir et cependant ne le fait pas, et elle ne sait pas quand elle verra ce qu'elle désire tant.
Parfois elle entend la voix intérieure de son Bien-Aimé qui la courtise et l'appelle, ainsi qu'un murmure très discret qui vient du plus intime de l'âme où le Bien-Aimé demeure: appel qui la pénètre profondément jusqu'à la dissoudre et la briser, car elle voit combien proche et en même temps loin d'elle-même elle tient son hôte, puisqu'il est en elle et qu'elle n'en finit pas de le posséder. Cela l'enivre, la décourage, l'abat et la rend totalement insatiable.
Chapitre VII
La mortification intérieure et la résignation parfaite
sont nécessaires afin de parvenir à la paix intérieure.
La flèche la plus subtile que nous décoche notre nature est de nous inciter aux choses illicites, sous prétexte qu'elles sont nécessaires et profitables. Oh! Combien d'âmes se sont laissé emporter et ont perdu la grâce à cause de ce leurre doré. Tu ne goûteras jamais de la manne délicieuse si tu ne te domines parfaitement jusqu'à mourir à toi-même. Car celui qui ne tâche pas de mourir à ses passions n'est pas bien disposé à recevoir le don d'intelligence, sans l'infusion duquel il est impossible qu'il entre en soi et se convertisse à la grâce. Aussi ceux qui se tiennent au-dehors vivent-ils sans ce don.
Un des traits les plus subtils et les plus pénétrants de la nature inférieure est son attachement aux choses basses sous prétexte qu'elles sont utiles et nécessaires. Beaucoup d'âmes se sont laissé transpercer par ce dard empoisonné et ont perdu la vie de la grâce. Jamais vous ne goûterez à la manne divine que personne ne connaît, sinon celui qui la reçoit, à moins que vous ne renonciez entièrement à vous-mêmes. Celui qui n'est pas mort à ses passions est dans l'impossibilité de recevoir les dons divins sans lesquels nul ne peut rentrer en soi-même et devenir une créature spirituelle. Les hommes qui marchent dans la voie intérieure sont privés de ces grâces.
Ne vous inquiétez de rien! Le souci est une des portes par lesquelles l'ennemi entre, pour nous ravir notre paix.
Renoncez entièrement à vous-mêmes, remettant tout à Dieu. Cette abnégation, pénible au début, vous deviendra facile, puis douce.
Celui qui ne trouve pas Dieu partout est encore fort éloigné de la perfection.
L'amour, pur dans son essence et dans sa perfection, consiste à porter sa croix, à se sacrifier soi-même, à être pénétré d'humilité, de résignation, de pauvreté d'esprit et du mépris de soi-même.
A l'heure de la tentation, de l'abandon et du désespoir, renfermez-vous en vous-mêmes au coeur de votre être, et là, contemplez Dieu, qui seul y règne et y domine dans la paix.
Si votre cœur est plein d'amertume et d'impatience, c'est là une marque d'amour sensible, mais d'un amour vide et mortifié.
On reconnaît l'amour véritable à ses fruits qui sont une humilité profonde et un désir sincère d'être méprisé et mortifié.
 Il en est beaucoup qui, bien qu'ils se soient adonnés à la prière, ne goûtent pas Dieu, parce qu’après leur prière, ils ne se mortifient pas, ni ne prêtent plus grande attention à Dieu. Pour parvenir à une attention  paisible et continuelle, il faut avoir une  grande pureté de cœur et de pensée, une grande paix dans l’âme, ainsi qu'une résignation totale.
Les êtres sincères et mortifiés considèrent le délassement des sens comme une mort; jamais ils n'y consentent sauf par contrainte, par nécessité et pour l'édification du prochain.
Tu sauras que le fond de notre âme est l'assise de notre félicité. C'est là que le divin Seigneur nous manifeste ses merveilles. C'est là que nous nous engageons et nous perdons dans l'océan immense de sa bonté infinie, où nous demeurons stables et fermes. C'est là que s'accomplissent la délectation ineffable de notre âme et son éminente quiétude d'amour. L'âme humble et résignée qui est arrivée à cette profondeur ne cheche rien d'autre que le pur plaisir de Dieu; et le divin esprit d'amour lui enseigne toutes choses avec son onction suave et vivifiante.
Parmi les saints, il est quelques géants qui souffrent continuellement avec patience les infirmités de leur corps: Dieu les traite avec un soin particulier. Mais ceux qui, par la force du Saint-Esprit, supportent avec résignation et patience les croix intérieures et extérieures ont reçu un don éminent et souverain. Au yeux de Dieu, c'est un genre de sainteté aussi rare que précieux. Rares sont les spirituels qui empruntent ce chemin, parce que peu nombreux au monde sont ceux qui renoncent totalement à eux-mêmes pour suivre le Christ crucifié, avec simplicité et dépouillement de l'esprit, par les déserts et les chemins épineux de la croix, sans faire référence à eux-mêmes.
Nous considérons comme des géants les saints, qui, avec l'aide de Dieu, ont supporté de continuelles souffrances physiques, mais ceux qui endurent patiemment les croix intérieures sont plus admirables encore. Cette sainteté est aussi rare qu'elle est précieuse aux yeux du Seigneur. Petit est le nombre de ceux qui marchent dans cette voie spirituelle, car ceux qui renoncent complètement à eux-mêmes pour suivre Jésus-Christ, marchent dans les sentiers épineux et déserts de la croix, pleins de simplicité et de pauvreté d'esprit, sans penser à eux-mêmes, ne sont pas nombreux.
Une vie de renoncement surpasse tous les miracles des saints. Elle ne sait même pas si elle est vivante ou morte si elle est perdue ou sauvée, si elle consent ou résiste, car elle ne peut faire référence à rien. Telle est la vie résignée, la véritable vie. Cependant, même si tu n'arrives pas d'ici longtemps à cet état et s'il te semble que tu n'as fait aucun pas, ne te décourage point pour autant, car ce qui a été refusé à une âme durant de nombreuses années Dieu peu le donne en un instant.
Celui qui désire souffrir aveuglément, sans consolation ni de Dieu, ni des créatures, a déjà parcouru un long chemin pour résister aux accusations injustes que portent contre lui ses ennemis, même dans la désolation intérieure la plus redoutable
Le spirituel qui vit pour Dieu et en Dieu, au milieu des adversités du corps et de l'âme, est intérieurement satisfait, parce que la croix et les afflictions sont sa vie et ses délices.
La tribulation est un grand trésor dont Dieu honore les siens en cette vie. C'est pourquoi les hommes mauvais sont nécessaires pour les bons; les démons qui nous affligent le sont aussi, en cherchant notre ruine et au lieu de nous faire du mal, nous font le plus grand bien qu'on puisse imaginer.
Si une vie humaine veut être agréable à Dieu, elle ne peut se passer de la tribulation, comme le corps ne peut se passer de l'âme, l'âme de la grâce, et la terre du soleil.
Avec le vent de la tribulation, Dieu sépare la paille du grain sur l'aire de notre âme.
Nulle créature ne peut consoler une âme que Dieu crucifie au profond d'elle-même. Bien au contraire, les consolations ne lui sont que des croix pesantes et amères. Et si l'âme est bien instruite des lois et règles des chemins du pur amour, elle ne devra ni ne pourra, au temps des grandes désolations et épreuves intérieures, chercher au-dehors la consolation dans les créatures, ni se lamenter avec elles; et elle ne pourra pas lire de livres spirituels, car ce serait un moyen caché de s'écarter de la souffrance.
Aie de la compassion pour les âmes à qui on ne peut faire admettre que la tribulation et la souffrance soient le plus grand bien. Les parfaits désireront toujours mourir et souffrir mort et souffrance perpétuelle. Qui ne souffre pas est un être insignifiant, parce que l'homme est né pour travailler et souffrir, et encore plus encore s'il est l'ami et l'élu de Dieu.
Détrompe-toi : pour que ton âme arrive à la transformation totale en Dieu, il est nécessaire qu'elle se perde, qu'elle renonce à sa vie, à sa sensibilité, à son savoir, à son pouvoir et à sa mort, soit qu'elle vive ou ne vive pas, qu'elle meure ou ne meure pas, qu'elle souffre ou ne souffre pas, qu'elle se résigne ou ne se résigne pas, sans faire référence à quoi que ce soit.
Dans ses fidèles, la perfection ne reçoit ses splendeurs que par le feu, le martyr, les souffrances, les tourments, les peines et mépris supportés de bonne grâce. Et celui qui désire toujours voir où se retirer pour prendre du repos, et qui ne dépasse pas le territoire de la raison et du sentiment, n'entrera jamais dans le cabinet secret de la science mystique, même s'il apprécie cette science par la lecture et que son intelligence la savoure de l'extérieur.
Chapitre VIII
La Suite du précédent chapitre
Tu sauras que le Seigneur ne se manifestera pas dans ton âme, tant que celle-ci n'aura pas renoncé à elle-même et qu'elle ne sera pas morte à ses sens et ses puissances. Et elle n' arrivera jamais à cet état, tant qu'elle ne se résoudra pas, avec une parfaite résignation, à être seule à seul avec Dieu, estimant autant les faveurs que les disgrâces, la lumière que les ténèbres, la paix que la guerre. Finalement, pour que l'âme arrive à la quiétude parfaite et la suprême paix intérieure, elle doit d'abord mourir à soi-même et vivre seulement en Dieu et pour Dieu. Sache que ton âme connaîtra Dieu d'autant plus qu'elle sera morte à elle-même. Mais si elle n'a cure du renoncement à soi et de la mortification intérieure, elle n'arrivera jamais à cet état ni ne conservera Dieu en elle. Elle sera en effet toujours sensible aux mouvements et passions de la volonté que sont par exemple le fait de juger, le fait de médire, d'éprouver du ressentiment, de se disculper, de se défendre pour garder son honneur et l'estime de soi : autant d'ennemis de la quiétude, de la perfection, de la paix et de la grâce.
La diversité des états entre les spirituels consiste seulement dans le fait qu'ils ne meurent pas tous de manière égale. Mais, chez ceux qui sont heureux, qui sont en état de mort continuel, Dieu a son paradis, son honneur, ses biens et ses délices sur cette terre.
Grande est la différence qui existe entre agir, souffrir et mourir. Agir est délectable et propre aux débutants, souffrir en le désirant est propre à ceux qui progressent; mourir sans cesse à soi-même est propre à ceux qui sont avancés et parfaits. Le nombre de ces derniers, dans le monde, est bien réduit.
Comme tu seras heureux si tu n'as d'autre souci que de mourir à toi-même! Alors tu seras vainqueur non seulement de tes ennemis, mais de toi-même. Et, dans cette victoire, tu trouveras assurément le pur amour, la quiétude parfaite et la divine sagesse
Il est impossible que quelqu'un puisse sentir et vivre comme mystique, dans une compréhension simple de la divine sagesse infuse, s'il ne meurt pas d'abord à soi, par le renoncement total aux sens et à l'appétit rationnel
La véritable leçon du spirituel, leçon que tu dois apprendre, c'est de laisser toutes choses en leur place et ne pas t'en mêler ni t'immiscer en aucune, à moins que ce ne soit par obligation d'état; parce que l'âme qui se mortifie en abandonnant tout pour Dieu commence alors à tout posséder pour l'éternité.
Il y a des âmes qui cherchent à se libérer des pressions. D'autres, sans le chercher, prennent plaisir; d'autres prennent plaisir dans la souffrance, et d'autres la recherchent. Ces âmes, respectivement, ou bien n'avancent pas du tout, ou bien marchent, ou bien courent, ou bien volent.
Se sentir malheureux dans les délices et les tenir pour un tourment, c'est caractéristique de celui qui est vraiment mortifié.
L'allégresse et la paix intérieure sont fruits de l'esprit divin, et aucun homme ne peut les posséder si au fond de son âme il n'est pas résigné.
Considère que les déplaisirs des gens de vertu passent rapidement, mais essaie de ne pas en avoir ou de ne pas t'y arrêter, parce qu'ils ruinent ta santé, dérange ta raison et inquiètent l'esprit.
Parmi les saints conseils que tu dois observer, prête attention aux suivants : ne regarde pas les fautes des hommes, mais les tiens ; garde le silence, dans une conversation intérieure continue ; mortifie-toi en toutes choses et à toute heure. De cette façon tu te libéreras de beaucoup d'imperfections et deviendras commandant de grandes vertus.

Mortifie-toi en ne jugeant jamais mal de personne, parce que le soupçon grave à l'égard du prochain trouble la pureté et la sérénité du cœur, attire l'âme vers l'extérieur et lui ravit sa quiétude.
Tu n'atteindras jamais à la résignation parfaite si tu gardes du respect humain et si tu vénères la petite idole du qu'en-dira-t-on. Si, pour traiter avec les créatures, l'âme qui chemine par la voie intérieure tient compte de sa raison, elle se perdra. Rien n'est plus raisonnable que de ne pas tenir compte de la raison, et de penser que Dieu permet que des torts nous soient infligés pour nous humilier et nous anéantir, et qu'en toutes choses nous soyons résignés.
 Considère que Dieu a plus d'estime pour une âme qui vit intérieurement résignée que pour une autre qui fait des miracles, même si celle-ci ressuscite des morts
II est de certaines âmes qui, bien qu'elles exercent la prière, restent toujours imparfaites et pleines d'amour-propre, parce qu'elles ne se mortifient pas.
Garde cette vraie maxime que si une âme se méprise elle-même et qu'elle reconnaisse qu'elle est néant, personne ne peut lui faire offense ni injure.
Finalement, soit dans l'espérance, souffre, garde le silence et aie de la patience. Que rien ne te trouble, que rien ne t'épouvante, car tout a une fin. Seul Dieu ne change pas. Et la patience obtient tout. Qui a Dieu a tout. À celui qui n'a pas Dieu, n'a rien.
Chapitre IX
Pour obtenir la paix intérieure l'âme doit connaître la misère.
Si l'âme ne tombe pas dans certaines fautes, jamais elle n'arrivera à comprendre sa propre misère, même si elle entend des paroles stimulantes et lit des livres spirituels. Et jamais elle ne pourra non plus obtenir la précieuse paix, si elle ne connaît d'abord sa misérable faiblesse. II est en effet difficile de porter remède là où il n'y a pas une connaissance claire du mal. Dieu permettra que tu aies tel ou tel défaut pour que, grâce à cette connaissance de toi-même, en te voyant tant de fois à terre, tu te persuades que tu n'es rien. En cela, se tient le fondement de l'humilité parfaite et de la paix véritable. Et pour que tu connaisses plus profondément ta misère et ce que tu es, je veux te faire saisir quelques-unes de tes nombreuses imperfections.
Tu es tellement inconsidéré que si par hasard, alors que tu chemines, quelqu'un retient tes pas ou entrave ta marche, tu pressens l'enfer. Si l'on te refuse ce qui t'est dû ou si l'on contrarie tes goûts, tu t'emportes avec indignation. Si tu vois quelque défaut dans ton prochain, au lieu de lui être compatissant et de penser que tu es exposé à la même chute, tu le reprends sans discernement. Si tu désires quelque chose pour ton confort personnel et que tu ne puisses pas l'acquérir, tu sombres dans la mélancolie et te remplis d'amertume. Si tu reçois de ton prochain la moindre offense, tu t'émeus et te lamentes. De sorte que, pour une quelconque futilité, tu t'emporte à l'intérieur et à l'extérieur, et tu te perds toi-même. [Tu n'as aucun contrôle de tes émotions]
Tu voudrais bien t'exercer à la patience, mais avec la patience d'autrui. Et si ton impatience dure toute ta vie, tu en rejettes la faute avec beaucoup d'ingéniosité sur ton compagnon, sans prendre garde que tu es insupportable à toi-même. Une fois dissipée la rancœur, tu te remets, non sans artifice, à donner dans la vertu, en prodiguant des conseils et en prononçant des sentences spirituelles avec une ingéniosité subtile, sans t'amender de tes vieux défauts. Certes, tu t'accuses volontiers en réprouvant tes fautes en présence d'autres personnes; mais cet aveu est une justification devant qui connaît tes défauts - justification destinée à recouvrer l'estime perdue plutôt que l'effet d'une humilité parfaite.
D'autres fois, tu prétends avec subtilité que, si tu gémis de ton prochain, ce n'est pas par imperfection, mais par zèle pour la justice. Tu te persuades, le plus souvent, que tu es vertueux, constant, courageux, jusqu'à abandonner ta vie entre les mains d'un tyran par pur amour de Dieu. Et à peine t'arrive-t-il quelque parole blessante et douloureuse, que tu t'aftliges, te troubles et t'inquiètes. Tout cela n'est que ruse ingénieuse de l'amour-propre et orgueil secret de l'âme. Sache donc que règne en toi l'amour-propre et que pour atteindre à cette paix précieuse, il n'est point de plus grand obstacle.

Chapitre X
Montrant laquelle est la fausse et la vraie humilité, et où sont exposés leurs effets

Tu sauras qu'il y a deux sortes d'humilité: l'une est fausse et feinte, l'autre est vraie. Il y a humilité simulé chez ceux qui revêtent une attitude de soumission apparente et artificieuse, pour s'élever ensuite, comme une eau qui roule vers le bas avant de jaillir. Ils fuient l'estime et les honneurs afin de passer pour humbles. Ils se disent eux-mêmes très mauvais afin qu'on les tienne pour bons. Certes, ils connaissent leurs misères, mais ils ne veulent pas que celles-ci soient connues des autres. Leur humilité est fausse et feinte. Elle est un orgueil secret.

Il est une autre humilité, la vraie, l'humilité de ceux qui ont atteint un parfait habitus d'humilité. Ceux-là jamais n'y pensent, mais ils jugent humblement d'eux-mêmes; ils œuvrent avec force et tolérance ; ils vivent et meurent en Dieu. Ils ne prêtent attention ni à eux-mêmes, ni aux créatures. En tout, ils demeurent dans la constance et la quiétude. Ils supportent avec joie les contrariétés, en désirant toujours de plus grandes pour imiter leur sauveur Jésus aimé et méprisé. Ils désirent être pris par le vulgaire pour objet de dérision et de raillerie. Ils se contentent de ce que Dieu leur donne et considèrent leurs défauts avec une confusion paisible ; ils s'humilient non pas à l'instigation de leur raison, mais sous l'élan de leur volonté. Ils ne recherchent aucun honneur ; aucune offense ne les trouble. Il n'est point d'épreuve qui les inquiète, ni de succès qui les enorgueillisse. Ils restent en effet toujours immuables en leur néant et en eux-mêmes, dans une paix parfaite.

Et pour que tu sois bien éclairé sur l'humilité intérieure et véritable, sache qu'elle ne consiste pas en des attitudes extérieures, comme de prendre la dernière place, s'habiller avec modestie, parler bas, fermer les yeux, pousser des soupirs ardents; qu'elle ne consiste pas non plus à s'accuser de défauts en se déclarant misérable, pour donner à entendre qu'on est humble. L'humilité intérieure et véritable n'est que dans le mépris de soi et dans le désir d'être méprisé, joints à une connaissance si profonde de sa propre bassesse que l'âme ne croirait pas à son humilité, dût un ange la lui révéler.

Le flot de lumière dont le Seigneur, dans sa libéralité, illumine l'âme, opère deux effets:
1) Il révèle la grandeur de Dieu et,
2) en même temps, il fait connaître à l'âme dans quelle infection et misère elle se trouve, de sorte qu'aucune langue ne puisse dire l'abîme où elle demeure plongée, son désir étant que tout le monde connaisse son infumie. Et elle est d'autant plus loin de la vaine gloire et de la complaisance envers soi-même, qu'elle sait que cette grâce libératrice n'est que bonté et pure miséricorde de la part de Dieu.
Tu n'éprouveras jamais de dommage venant des hommes ou des démons, mais seulement de toi, de ton propre orgueil et de la violence de tes passions. Garde-toi de toi-même, car tu es pour toi le plus grand démon de l'enfer.
Ne cherche pas à être estimé, alors que Dieu fait homme est tenu pour un insensé, un ivrogne et un possédé. Oh ! Stupidité des chrétiens ! Vouloir jouir de la béatitude sans vouloir imiter le Seigneur sur la croix, dans les opprobres, dans l'humilité, dans sa pauvreté et les autres vertus !
Celui qui est véritablement humble habite la sérénité, dans la quiétude de son cœur. C'est là qu'il supporte les épreuves venues de Dieu, des hommes et du démon, au-delà de toute raison et sagesse humaine, maître de lui dans la paix et la quiétude, attendant en toute humilité le bon plaisir de Dieu, aussi bien dans la vie que dans la mort. Les choses de l'extérieur ne l'inquiètent pas plus que si elles n'existaient pas. Pour lui, la croix et la mort sont des délices, même s'il n'extériorise pas ce sentiment. Mais, hélas! de qui parlons-nous? II est si peu de ces humbles par le monde !
Espère, désire, souffre et meurs dans le secret. C'est en cela que consiste l'amour humble, l'amour parfait. Oh! quelle paix n'éprouveras-tu pas dans ton âme si avec une humilité profonde, tu acceptes d'être méprisé !
Tu ne seras pas parfaitement humble, même en connaissant ta misère si tu ne désires pas que cette misère soit connue de tous. Tu fuiras donc les éloges, tu accepteras les offenses tu mépriseras toutes prétentions provenant de créatures, y compris de toi-même et s'il t'arrive quelque tribulation, tu n'incrimineras personne, mais tu penseras que celle-ci vient de la main du Créateur, en tant que dispensateur de tout bien.
Si tu veux supporter allégrement les défauts des autres, pose ton regard sur les tiens. Et si tu penses avoir fait par toi-même quelque progrès vers la perfection, sache que tu n'es pas humble et que tu n'as pas fait un seul pas sur le chemin spirituel.
Les degrés de l'humilité sont comme les états successifs du corps mis en terre : être enseveli en un lieu exigu, devenir fétide et putride pour soi-même, se considérer personnellement comme poussière et néant. Finalement, si tu veux être heureux, apprends à te mépriser et à être méprisé.

Chapitre XI
Maximes pour reconnaître un cœur simple, humble et sincère

Incite-toi à l'humilité, en accueillant les tribulations comme instruments de ton bien. Réjouis-toi quand tu es méprisé, et désire que Dieu seul soit ton unique refuge, ton unique protection et consolation.
Aucun, si grand soit-il en ce monde, n'est rien de plus que ce qu'il est aux yeux de Dieu ; aussi, l'humble véritable ne se souci guère de tout ce qui existe, y compris soi-même, et c'est en Dieu seul qu'il met sa tranquillité et son repos.
L'humble véritable souffre avec quiétude et patience les épreuves intérieures, et en peu de temps il parcourt un long chemin, comme celui qui navigue avec le vent en poupe.
L'humble véritable trouve Dieu en toutes choses. Et c'est ainsi que tout ce qui lui arrive de la part des créatures en fait d'outrage, d'injure et d'affront, il le reçoit avec une grande paix et sérénité intérieure, comme une libéralité de la main de Dieu; et il aime au plus haut degré l'instrument avec lequel le Seigneur l'éprouve.
Il n'a pas encore acquis une humilité profonde, celui qui se complaît dans les éloges, même s'il ne les désire pas ni ne les cherche, ou quoiqu'il les fuie, parce que le cœur humble voit les éloges comme des croix amères, bien qu'en toute chose il demeure paisible et indifférent.
Il n'a pas d'humilité intérieure, celui qui ne se hait pas lui-même d'une haine mortelle, certes, mais pacifique et paisible. Il ne réussira jamais à atteindre ce trésor, celui qui n'a pas une connaissance humble et très profonde de son infamie, de sa fétidité et de sa misère.
Celui qui se disculpe et réplique n'a pas le cœur simple et humble, spécialement s'il le fait avec ses supérieurs, parce que les répliques procèdent de l'orgueil secret qui règne dans l'âme, et de celui-ci vient la ruine totale.
L'obstination suppose une soumission défectueuse, et celle-ci une humilité encore plus imparfaite. De ce double défaut naissent l'inquiétude, la discorde et le trouble.
Le cœur humble n'est pas inquiété par ses imperfections, même si celles-ci lui transpercent l'âme de douleur, du seul fait qu'elles contrarient son Seigneur très aimant. Qu'il ne puisse réaliser de grandes choses ne le trouble pas non plus, parce qu'il se garde toujours dans son néant et sa misère. Bien au contraire, il est pour lui-même un sujet d'étonnement quand il accomplit quelque action vertueuse; puis il en rend grâce au Seigneur, reconnaissant avec sincérité que c'est seulement la majesté de Dieu qui accomplit toute chose; et il n'éprouve que mécontentement pour tout ce qu'il fait de lui-même.
L'humble véritable, bien qu'il voie tout, ne regarde rien pour en juger car il ne méjuge que sa personne.
L'humble véritable trouve toujours une excuse pour défendre celui qui le mortifie, du moins en raison de sa bonne intention. Qui, en effet, s'emporterait contre l'homme de bonne intention?
La fausse humilité déplaît à Dieu tout autant et même plus que le véritable orgueil, parce que c'est de l'hypocrisie déguisé.
L'humble véritable, même si toute chose lui tombe dessus, ne s'inquiète pas des pensées importunes par lesquelles le monde le tourmente, ni des tentations, tribulations et afflictions, Bien au contraire, Il s'en reconnaït indigne, et il tient pour un grand récomfort lorsque le Seigneur le tourmente par le démon, si mauvais que puisse être cet instrument. Et tout ce qu'il souffre ne lui semble rien, et rien de ce qu'il fait ne mérite jamais, à son avis, qu'on en fusse cas.
Celui qui est arrivé à l'humilité intérieure parfaite ne perd pas sa quiétude pour rien. Toutefois, comme la connaissance qu'il a de son imperfection en toute chose, de son ingratitude et de sa misère qui lui inspire un profond dégoût de soi, lourde est la croix qu'il porte en se supportant soi-même. Mais cette âme heureuse , qui est arrivée à cette sainte haine de soi, vit perdue, abîmée et submergée en son néant, d'où le Seigneur l'élève : pour lui communiquer sa divine sagesse et la rendre riche de lumière, de paix, de tranquillité et d'amour.

Chapitre XII
La solitude intérieure est le meilleur guide pour nous guider vers la paix intérieure

Sache que, bien que la solitude extérieure aide beaucoup à parvenir à la paix intérieure, non pas celle dont a parlé le Seigneur quand il a parlé par son prophete : « Je la conduirai à la solitude et lui parlerai au cœur» (Os 2); mais c'est la solitude intérieure, la seule capable de nous procurer cette perle précieuse qu'est la paix intérieure. La solitude intérieure consiste dans l'oubli de toutes les créatures, dans le détachement et le plus parfait dénuement vis-à-vis de tous les affections, désirs, pensées, et de sa volonté propre. Telle est la véritable solitude, celle de l'âme qui repose avec une sérénité amoureuse et intime, dans les bras du Bien suprême.
Oh! Quels espaces infinis n'y a-t-il pas à l'intérieur de l'âme qui est parvenue à cette divine solitude ! Oh ! Quels domaines intimes, mystérieux, secrets, amples, immenses, n'y a-t-il pas à l'intérieur de l'âme qui est parvenue à être vraiment solitaire ! C'est là que le Seigneur parle intérieurement à l'âme et se communique à elle. C'est là qu'il la remplit de lui-même, parce qu'elle est vide, et qu'il la revêt de sa lumière et de son amour, parce qu'elle est nue. C'est là qu'il l'élève, parce qu'elle est abaissée ; qu'il s'unit à elle et la transforme en soi, parce qu'elle est seule.
Ô douce solitude, abrégé des biens éternels! Ô miroir où se contemple sans cesse le Père Éternel ! C'est avec raison que tu t'appelles solitude. Tu es si seule en effet qu'à peine est-il une âme qui te cherche, qui t'aime et te connaisse. Ô divin Seigneur! Comment les âmes ne courent-elles pas vers cette gloire d'ici-bas? Comment perdent-elles un si grand bien pour le seul goût et désir des créatures ? Oh ! Que tu seras heureux si tu abandonnes tout pour Dieu ! Ne cherche que lui seul; ne désire que lui seul; ne soupire qu'après lui seul ! N'aie envie de rien, et rien ne te causera déplaisir. Et si tu convoites quelque bien, même spirituel, que ce soit de façon telle que tu ne perdes pas ta quiétude s'il t'échappe.
Si, avec cette liberté, tu donnes à Dieu ton âme détachée, libérée, amie de la solitude, tu seras la plus heureuse des créatures de la terre, parce que, dans cette sainte solitude, le Très-Haut tient sa résidence secrète. Dans ce désert et paradis, Dieu se laisse approcher ; et c'est seulement dans cette retraite intérieure qu'on entend cette divine voix intérieure merveilleuse et agissante.
Si tu veux entrer dans ce Ciel de notre terre, oublie tout souci et toute pensée, dépouille-toi de toi-même pour que vive en ton, âme l'amour de Dieu.
Vis, autant que tu pourras, détaché des créatures ; consacre toi en toute chose à ton Créateur et offre-toi en sacrifice, dans la paix et la quiétude de ton esprit. Sache que, plus l'âme se dépouille, plus elle pénètre dans la solitude intérieure (et plus elle se revet de Dieu); et plus l'âme demeure seule et vide de soi, plus l'Esprit divin la remplit.
Il n'est pas de vie plus heureuse que la vie solitaire, parce que, dans cette vie heureuse, Dieu se donne tout entier à la créature, et la créature tout entière a Dieu par une intime et douce union d'amour. Oh! Que rares sont ceux qui arrivent à goûter cette solitude véritable!
Pour que l'âme soit une véritable solitaire, elle doit oublier toutes les créatures, y compris elle-meme; sans quoi, elle ne pourra pas s'approcher intérieurement de Dieu. Beaucoup abandonnent toutes les choses temporelles mais ils n'abandonnent pas leurs goûts et leurs volontés ni ne s'abandonnent eux-mêmes. Et c'est pourquoi les véritables solitaires sont si peu nombreux. En effet si l'âme ne se détache pas de ses goûts, de ses désirs de sa volonté, des dons spirituels et du repos, même en esprit, elle ne pourra pas arriver à cette félicité suprême de la solitude intérieure.
Avance, ô âme bénie, avance, sans t'arrêter vers cette béatitude de la solitude intérieure. Vois que Dieu te prie d'entrer en ton centre intérieur, où il veut te renouveler, te changer, te combler, te vêtir et te révéler un nouveau Royaume des Cieux, plein d'allégresse. de paix, de délectation et de sérénité.

Chapitre XIII
Exposé sur la contemplation infuse et passive, et descriptions de ses merveilleux effets

Tu doit savoir que lorsque l'âme est déjà habituée au recueillement intérieur et à la méditation acquise dont nous avons parlé, lorsqu'elle est déjà mortifiée et qu'elle désire en toute chose renoncer à ses appétits, lorsque déjà elle embrasse en toute vérité la mortification intérieure, et qu'elle veut du fond du cœur mourir à ses passions et à ses propres volontés, alors Dieu l'introduit, en l'élevant et sans qu'elle le remarque, dans un repos parfait. Et là, de manière douce et intime, il lui infuse sa lumière, son amour et sa force, en l'embrassant, en l'enflammant d'un véritable élan vers toute sorte de vertu.
C'est alors que le divin Époux, en suspendant les puissances de l'âme, l'endort d'un sommeil très suave et très doux. C'est alors que l'âme, élevée et exaltée dans cet état passif, se trouve unie au Bien suprême, sans que cette union ne lui coûte quelque fatigue. C'est alors que, dans cette region suprême et dans le temple sacré de l'âme le Bien suprême se complaît, se manifeste et se laisse goûter par la créature d'une manière qui dépasse les sens et tout entendement humain. C'est alors que le seul Esprit pur, qui est Dieu, (la pureté de l'âme n'étant pas attirée par les objets sensibles ) la domine et s'en rend maître en lui communiquant ses lumières et les sentiments nécessaires à l'union la plus pure et la plus parfaite.
Après ces divins embrassements l'âme se trouve pleine de lumière et d'amour, pleine d'un respect profond pour la grandeur de Dieu et d'un vif sentiment de sa propre misère. Elle est alors disposée à accepter, à souffrir et à accomplir tout ce que demande la vertu la plus parfaite.
La méditation simple, pure, infuse et passive est une manifestation intime, une expérience que Dieu donne de soi-même, de sa bonté, de sa paix et de sa douceur, manifestation et expérience dont l'objet est un Dieu pur, ineffable, détaché de tout sentiment particulier, dans le silence intérieur. Mais Dieu est délectable, ce Dieu qui nous attire, ce Dieu qui doucement nous élève selon un mode spirituel et très pur : don admirable que Sa Majesté accorde à qui elle veut, comme elle veut et quand elle veut, et pour le temps qu'elle veut, bien que cette vie soit plus un temps de croix, de patience, d'humilité et de souffrance que de délectation.
Jamais tu ne goûteras à ce divin nectar, si tu n'avances pas dans la vertu et la mortification intérieure, si tu n'essaies pas de tout cœur d'établir en ton âme une grande paix, le silence, l'oubli. et la solitude intérieure. Comment la voix secrète et agissante de Dieu pourrait-elle être entendue au milieu du vacarme et du tumulte des créatures? Et comment le pur Esprit divin serait-il entendu au milieu de vaines considérations et raisonnements ? Si ton âme ne veut pas mourir continuellement à elle-même en te soustrayant à toutes les réalités matérielles et aux jouissances, ta contemplation ne sera que pure vanité, vaine complaisance et présomption.

Chapitre XIV
La Suite du même sujet

Dieu ne se communique pas toujours avec la même générosité, dans cette très suave méditation infuse. Il se livre certaines fois plus que d'autres, et Il n'attend pas toujours que l'âme soit vraiment morte à elle-même et qu'elle se soit niée, car, étant donné que ce don est grâce, il l'accorde quand il veut, comme il veut, sans qu'on puisse formuler en cela de règle générale, ni mettre une borne à sa divine grandeur. Bien au contraire, par le moyen de la méditation elle-même, il la fait se renoncer s'anéantir et mourir.
Tantôt le Seigneur donne plus de lumière à l'entendement, tantôt un plus grand amour à la volonté. Dans ces conditions, l'âme n'a pas à se tourmenter. Elle doit recevoir ce que Dieu lui donne et rester unie à Dieu comme lui-même le veut. Car le Seigneur de Majesté est le maître, et en même temps qu'il la tient endormie, il la possède, la comble et œuvre en elle de manière puissante et suave, sans qu'elle y soit pour rien ni qu'elle s'en aperçoive. Ainsi, avant de se rendre compte d'une aussi grande faveur, se trouve-t-elle conquise, convaincue et divinement transformée.
L'âme qui se trouve dans ce bienheureux état doit se garder de deux choses: de l'activité de l'esprit humain et de l'attachement à cet état. Notre esprit humain ne veut pas mourir à soi, mais œuvrer et raisonner à sa manière, affectionnant ses activités propres. Une grande fidélité et un grand dépouillement de soi sont nécessaires pour arriver à s'ouvrir de façon parfaite et passive aux influx divins. L'habitude continuelle qu'à l'âme d'agir à son gré l'empêche de s'anéantir.
En second lieu, l'âme ne doit pas s'attacher à la méditation même. Tu dois donc t'efforcer d'obtenir en ton âme un parfait détachement vis-à-vis de tout ce qui est, de tous ce qui n'est pas Dieu, sans chercher, ni à l'intérieur de toi ni à l'extérieur, une autre fin ou un autre intérêt que la volonté de Dieu.
En un mot, le moyen avec lequel tu dois, de ton côté, te préparer à cette pure et parfaite prière passive, sera de te remettre d'une manière totale et absolue entre les mains de Dieu, avec une parfaite soumission à sa très sainte volonté, pour agir selon ce qu'il désirera et disposera, accueillant avec une égale et parfaite résignation tout ce qu'il ordonnera.
Tu sauras que rares sont les âmes qui arrivent à cette prière infuse et passive, parce que rares sont celles qui reçoivent ces influx divins avec un total dénuement et en acceptant la mort de leur activité propre et de leurs facultés. Et ceux qui expérimentent cette prière sont les seuls à savoir que telles en sont les exigences. Ce dénuement parfait s'acquiert avec la grâce divine, avec une mortification intérieure continue et la mort à toute inclination et tout désir propres.
En aucun temps tu n'as à regarder les effets qui s'accomplissent en ton âme, mais surtout pas à ce moment-là, parce que ce serait mettre obstacle aux divines opérations qui l'enrichissent. Tu dois aspirer seulement à la croix, au mépris et à l'anéantissement de toi-même, à tes désirs intimes et efficaces de la perfection la plus grande et de l'union la plus pure et la plus chaleureuse.

Chapitre XV
Deux moyens par lesquels l'âme monte vers la contemplation infuse. Nature et nombre des degrés de cette contemplation

Il est deux moyens par lesquels l'âme accède à la félicité de la méditation et de l'amour fervent : les satisfactions sensibles et les désirs. Au début, Dieu a coutume de remplir l'âme de satisfactions sensibles, parce que cette âme est si fragile et misérable que, sans cette consolation préalable, elle ne peut s'envoler vers la jouissance du Ciel. Elle se dispose à ce premier degré par la contrition et s'exerce par la pénitence, en méditant la passion du Sauveur, en déracinant avec une grande ardeur les désirs mondains et les coutumes vicieuses; car le Royaume des Cieux souffre violence. Les pusillanimes et les faibles ne le conquièrent pas; seuls ceux qui usent de la force et qui se font violence.
Le second moyen, ce sont les désirs. Plus on apprécie les choses du Ciel, plus on les convoite. C'est pourquoi les satisfactions spirituelles engendrent le désir de jouir des biens célestes et divins, et le mépris des biens terrestres. De ce désir naît le goût d'imiter le Christ Notre-Seigneur qui a dit: « Je suis le chemin» (Jn 14). Cette imitation a comme des échelons par lesquels on doit monter. Ce sont la charité, l'humilité, la douceur, la patience, la pauvreté, le mépris de soi, la croix, la prière et la mortification.
On distingue trois degrés dans la méditation infuse. Le premier est l'assouvissement: quand l'âme se remplit de Dieu, elle conçoit de la haine pour tout ce qui est du monde; c'est alors qu'elle trouve la paix et se rassasie du seul amour de Dieu.
Le deuxième est le transport. Ce degré-là est un dépassement de l'esprit et une élévation de l'âme, produite par l'amour divin et l'assouvissement qu'il procure.
Le troisième est la sécurité, degré qui bannit toute crainte. L'âme est tellement imprégnée d'amour divin et tellement résignée au bon plaisir de Dieu, que, si elle savait que telle serait la volonté du Très-Haut, elle irait de très bonne grâce en enfer. À ce degré, elle fait l'expérience d'un certain lien qui l'unit à Dieu, car il lui paraît impossible de se séparer de son Bien-Aimé et de son trésor infini.
Il est six autres degrés de méditation, à savoir: le feu, l'onction, l'élévation, l'illumination, la délectation et le repos. Avec le premier degré, l'âme s'enflamme; enflammée, elle reçoit une onction ; ointe, elle est élevée ; élevée, elle contemple, et, en se délectant, elle se delasse et se repose. Par ces degrés l'âme s'élève, soustraite au monde et instruite par l'expérience de la voie spirituelle et intérieure.
Dans le premier degré, qui est le feu, l'âme est illuminée grâce à l'ardeur d'un rayon divin, qui allume en elle les désirs du Ciel et consume ceux de la terre. Le deuxième degré est l'onction : liqueur suave et spirituelle, qui, en se répandant dans la totalité de l'âme, l'éduque, la fortifie et la dispose à recevoir et contempler la vérité divine. Il arrive qu'elle s'étende jusqu'au naturel même de la personne, le réconfortant pour le rendre longanime, avec un bonheur sensible qui paraît venir du Ciel.
Le troisième est une élévation de l'homme intérieur au-dessus de lui-même, qui le fait arriver avec plus d'aptitude à la fontaine limpide du pur amour.
Le quatrième, qui est l'illumination, est une connaissance infuse émanée de la vérité, de la suavité et douceur de Dieu que l'âme contemple en montant de clarté. en clarté et de lumière en lumière, conduite par l'Esprit divin.
Le cinquième est le goût savoureux de la douceur divine, émanée de la source précieuse et abondante du Saint-Esprit.
Le sixième est une tranquillité suave et admirable née de la victoire remportée dans le combat intérieur, et de la prière fréquente, tranquillité connue de très peu d'hommes; mieux, de quelques-uns seulement. SI grande alors est l'abondance de la joie et de la paix, que l'âme croit se récréer en un doux sommeil et reposer sur la sein aimant du Sauveur.
Il est bien d'autres degrés de méditation, comme l'extase les ravissements, la liquéfaction, l'abandon, la jubilation, le baiser, l'embrassement, l'exultation, l'union, la transformation, les fiançailles et les épousailles : autant de degrés que j'omets d'expliquer pour fuir la spéculation et parce que des livres entiers ont été décrits sur de pareils sujets ; bien que, pour celui qui est inexpérimenté en la matière, tous ces livres soient comme les couleurs pour l'aveugle ou les harmonies pour le sourd. Finalement, par ces échelons, on monte au refuge de quiétude et au reposoir du Roi de Paix, le véritable Salomon.

Chapitre XVI
Signes par lesquels on reconnaît l' homme intérieur et l'esprit purifié.

Il est quatre signes pour reconnaître l'homme intérieur.
Le premier est que, d'une part, son entendement ne conçoit pas d'autres pensées que celles qui excitent en lui la lumière de la foi, et que, d'autre part, sa volonté est déjà tellement résignée, que les actes d'amour dont elle est la source sont ordonnés à Dieu seul.
Le deuxième est que, une fois accomplies les œuvres externes qui l'occupaient, son entendement et sa volonté se tournent vers Dieu sur le champ et avec aisance.
Le troisième signe est que, sitôt entré en prière, il oublie toutes choses, comme s'il ne les avait jamais vues ni traitées.
Le quatrième est qu'il se comporte à l'égard des choses externes comme s'il entrait en novice dans le monde, craignant d'en affronter les intrigues, pour lesquelles il nourrit une horreur spontanée, sauf quand l'oblige la charité.

Cette âme est déjà libérée du monde extérieur et pénètre avec aisance dans la solitude intérieure, où elle voit Dieu seul et elle-même en Dieu, qu'elle aime dans la quiétude, dans la paix et un amour vrai. Là, en son centre intime, se trouve le Seigneur qui lui parle amoureusement et lui révèle un nouveau Royaume : la paix et l'allégresse véritables.

Même si elle soutient des combats extérieurs, cette âme spirituelle, détachée, recueillie, garde intacte sa paix intérieure, car les tempêtes ne parviennent jamais jusqu'à son ciel intérieur, où réside le pur et parfait amour. En effet, s'il lui arrive de se voir dépouillée, délaissée, assaillie, désolée, ce n'est que fureur de la bourrasque qui menace du dehors.

Cet amour intime produit quatre effets.
Le premier s'appelle « illumination» : c'est une connaissance savoureuse et expérimentale de la grandeur de Dieu, et de son propre néant.
Le deuxième est  "l'embrasement", qui est un amour enflammé et un désir de s'embraser, comme la salamandre, dans le feu de l'amour de Dieu.
Le troisième est la « suavité », qui est une jouissance paisible, joyeuse, douce et intime.
Le quatrième est le ravissement de nos facultés en Dieu, facultés que le Seigneur tient abîmées et absorbées en Lui au point que l'âme ne peut ni chercher, ni désirer, ni vouloir autre chose que le Bien souverain et infini.

De cette plénitude totale naissent deux effets.
Le premier est un grand courage à souffrir pour Dieu.
le second est l'espérance certaine ou la conviction que jamais l'âme ne perdra Dieu ni ne se séparera de Lui.
C'est là, dans cette retraite intérieure, que Jésus notre bien-aimé a son paradis, auquel nous pouvons accéder tout en étant vivant sur cette terre. Et désires-tu savoir qui est Irrésistiblement conduit à cette retraite intérieure en Dieu avec une simplicité toute lumineuse? Je te dirai que c'est celui qui, dans l'adversité, la désolation spirituelle et le défaut du nécessaire, demeure ferme et inébranlable.

Ces âmes constantes et intérieures sont dépouillées de toute chose extérieure et totalement livrées à Dieu, qu'elles contemplent de façon continuelle. Elles n'ont aucune tache, elles vivent en Dieu et de Dieu même ; elles resplendissent plus que mille soleils ; aimées du Fils, elles sont les filles chéries du Père, les épouses choisies de l'Esprit-Saint.
 Selon ce que dit saint Thomas dans un opuscule, on reconnaît l'esprit purifié à trois signes.
Le premier est l'application ou force de l'âme qui rejette toute négligence et paresse pour se disposer, avec sollicitude et confiance, à cultiver soigneusement les vertus.
Le deuxième est la sévérité, force de l'âme contre la concupiscence, accompagnée d'un amour ardent des choses rudes et méprisables et de la sainte pauvreté.
La troisième est la bienveillante douceur de l'âme qui chasse toute rancœur, jalousie, aversion et haine du prochain.
Tant que l'esprit ne sera pas assaini,et les affections purifiées, la mémoire dépouillée, l'entendement éclairé et la volonté reniée et embrasée, jamais l'âme n'arrivera à l'union intime et aimante avec Dieu. En effet, comme l'esprit de Dieu est par excellence pureté, lumière et quiétude, sont requises, dans l'âme où il doit demeurer, grande pureté, paix, attention et quiétude.

Finalement, le précieux don de l'esprit assaini revient seulement à ceux qui cherchent l'amour avec une application continue, et qui se tiennent et désirent être tenus pour les êtres les plus vils au monde.

On peut acquérir la Science et elle ne fait de découvertes que dans la nature; on ne peut acquérir la Sagesse divine, qui est inspirée et qui nous amène à la connaissance de la Bonté de Dieu. La Science recherche des connaissances qu'on n'obtient pas sans travail et sans effort, la Sagesse voudrait ignorer même qu'elle sait, et cependant elle comprend tout. Les savants vivent dans la connaissance des choses du monde, les Sages demeurent abîmés en Dieu.

Chapitre XVII
La Véritable Sagesse Divine.
La véritable sagesse! est une connaissance intellectuelle et infuse des perfections divines et des choses éternelles. On doit l’appeler méditation plutôt que spéculation. La science s'acquiert et permet d'avoir une connaissance de la nature. La sagesse, elle, est infuse et permet d'avoir une connaissance de la bonté divine. La science veut connaître ce qui n'est compris qu'avec peine et fatigue; la sagesse désire tout autant ignorer que connaître, bien qu'elle comprenne toute chose. En un  mot, les hommes qui sont scientifiques s'entretiennent dans la connaissance des choses de ce monde, tandis que les sages vivent immergés en Dieu Lui-même.
Chez le Sage, la raison illuminée est une élévation simple et sublime de l'esprit; et c'est avec une vision nette qu'il considère tout ce qui est au-dessous de lui, et ce qui concerne sa vie et sa manière d'être. C'est cette élévation qui rend l'âme simple, lumineuse, égale, spirituelle, toute recueillie en soi et détachée de toutes les créatures. Le cœur des êtres humbles et doux est transformé par la raison illuminée dans une paisible violence, il est alors rempli d'une paix et d'une sérénité sans mesure. Finalement le Sage dit à son sujet qu'elle lui a apporté tous les biens qui allaient de conserve avec elle.
Tu doit savoir que l'opinion d'autrui gouverne la plupart des hommes, et leur jugement se base sur leur imagination et leur sens. Le Sage, lui, n'établit son jugement que sur la vérité absolue, qui demeure en lui, et qui fait qu'il entend tout, qu'il conçoit tout, qu'il pénètre tout, puisqu'il s'élève au-dessus de tout ce qui est, au-dessus de lui-même.
Le Sage agit beaucoup et parle peu.
On apprécie la sagesse dans les œuvres et les paroles du sage. En effet, puisque le sage est parfaitement maître toutes ses passions, ses mouvements et affections, il se répand dans toutes ses œuvres comme une eau tranquille et agréable, sur laquelle brille la sagesse avec éclat.
La connaissance des vérités mystiques reste cachée et inconnue aux hommes purement scholastiques qui ne sont pas humbles, parce que c'est la science des saints. Et celle-ci ne se manifeste qu'à ceux qui aiment de tous leurs coeurs et recherchent le reniement d'eux-mêmes. Par conséquent les âmes qui, ayant adopté cette voie, en sont arrivées au pur mysticisme et à la véritable humilité, pénètrent jusqu'à la plus profonde connaissance de la divinité; et plus les hommes vivent sensuellement selon la chair et le sang, plus grande est la science qui les séparent de la science mystique.
La Sagesse divine règne rarement dans le cœur de ceux qui se plaisent aux spéculations de la science humaine; mais lorsque la sagesse et la science se trouvent réunies, c'est une rencontre merveilleuse. Les savants que la miséricorde du Seigneur a rendus mystiques sont dignes en vérité de vénération et de louanges.
C'est d'une manière passive, plutôt qu'active, que les mystiques et les Sages agissent dans le monde, et cela leur est une mort très cruelle, mais cependant toute leur vie est dirigée avec mesure et avec prudence.
Les sermons des enseignants qui veulent l’Esprit bien qu’ils sont  remplies de divers récits imaginaires, de descriptions élégantes, de discours subtils et de citations exquises, sont encore très loin d’être la parole de Dieu, mais plutôt des paroles d’hommes, plaquées de faux or. Ces prédicateurs corrompent les chrétiens, les nourrissant de vent et d'illusion ; aussi, les uns et les autres restent-ils vides de Dieu.
Ces enseignants nourrissent leurs auditeurs de subtilités venimeuses, en leurs donnant des pierres pour du pain, des feuilles pour des fruits, et en guise de véritables aliments, un peu de terre insipide mêlée de miel empoisonné. Ce sont ceux-là qui recherchent les honneurs, les applaudissements, qui se forgent eux-mêmes des réputations idoles, au lieu de rechercher la gloire de Dieu et l’édification spirituel pour l’homme.
Ceux qui prêchent avec zèle et font du bien à leurs auditeurs prêchent Dieu. Ceux qui parlent sans être animés de ce zèle ne se prêchent qu'eux-mêmes. Ceux qui enseignent la parole de Dieu, poussés par Son Esprit, l'impriment dans le fond des cœurs, tandis que la voix des autres ne parvient qu'aux oreilles.
Ce n'est pas dans le fait de donner un enseignement, mais dans la pratique de cet enseignement que consiste la perfection. Car la connaissance de beaucoup de vérités ne rend ni plus saint ni plus sage, on ne le devient qu'en les mettant en pratique.
Vous savez que la Sagesse divine engendre toujours l'humilité, et la science acquise, amène l'orgueil.
La sainteté ne consiste pas à se former de subtils et profondes conceptions des connaissances et des attributs de Dieu, mais à L'amour et au renoncement de soi-même. C'est pourquoi cette vertu se trouve plus fréquemment chez les simples et les ignorants que chez les savants. Que d'humbles femmes sont pauvres en science, mais sont riches en amour pour Dieu! Combien de théologiens, qui s'enorgueillissent de leur fausse sagesse, sont dépouillés de véritable lumière et de charité !
Souvenez-vous que, pour bien parler, il faut le faire en disciple et non en maître. Voyez donc comme un plus grand honneur d'être traités d'ignorants que de sages et d'âmes éclairées.
Les savants qui recherchent les spéculations intellectuelles ont quelques étincelles de la lumière céleste, cependant cette clarté ne vient pas du centre de la Divine Sagesse qui exècre comme la mort l'imagination et les raisonnements de la pensée. Un peu de science est un obstacle à l'invincible, à l'éternelle, à la profonde, pure, simple et véritable sagesse.

Chapitre XVIII
La Véritable Sagesse Divine.
(La suite.)
Deux voies mènent à la connaissance de Dieu. L'une est indirecte, l'autre est courte, La premiere est appelée la spéculation, la seconde c'est la méditation. Les doctes qui s'élèvent vers Dieu suivent la première et s'efforcent de L'aimer de leur mieux par la douceur sensible de leurs raisonnements pleins de science. Nul de ceux qui marchent dans cette route, qu'on peut appeler la voie scolastique, ne pénètre par son moyen dans la voie mystique. Nul d'entre eux ne peut atteindre à l'Union excellente, à la transformation, à la simplicité, à la lumière, à la paix, au calme, et à l'amour que connaissent ceux que la grâce a conduits dans la voie intérieure de la méditation.
Ces doctes scolastiques ne connaissent pas l'Esprit, ne savent pas ce que c'est que de se perdre en Dieu; ils n'ont jamais goûté, dans le fond de leur âme où Dieu règne, la douce et délicieuse ambroisie qu'Il accorde avec une abondance incroyable. Il en est de même qui condamnent la science mystique parce qu'ils n'en comprennent rien.
Si un théologien ne goûte pas la douceur de la contemplation, c'est qu'il n'entre pas par la porte que saint Paul a désignée en disant : Si quelqu'un d'entre vous croit être sage, qu'il devienne fou afin d'être sage. C'est-à-dire qu'il doit s'humilier lui-même en s'estimant plein d'ignorance.
C'est une règle générale et même une maxime de la théologie mystique, qu'il faut connaître la pratique avant la théorie et ressentir les effets spirituels de la contemplation mystique par l’exercice, avant la recherche de la connaissance et de prétendre en acquérir la pleine intelligence.
La science mystique est d'ordinaire le propres des humbles et des simples d'esprit, mais les savants peuvent y prétendre, si, au lieu de se chercher eux-mêmes, au lieu d'élever bien haut leur fausse science, ils en tenaient aussi peu compte que s'ils ne la possédaient pas. Il devraient alors ne s'en servir que dans les occasions importantes, pour prêcher ou pour discuter, rendus ensuite attentifs à la seule méditation de Dieu, méditation parfaite toute dénuée de formes d'images et de pensées.
Toute étude qui n'a pas pour unique but la gloire de Dieu, est un chemin rapide vers l'Enfer, non à cause de l'étude elle-même, mais à cause du vent d'orgueil qui en est le motif. Hélas ! n’est-ce pas misérable que la plupart des savants du temps présent n'étudient que pour satisfaire une curiosité insatiable?
Beaucoup d'âmes cherchent Dieu et ne Le trouvent pas, parce qu'elles, Le cherchent plus par curiosité que dans une intention sincère, droite et pure; elles désirent les récomforts spirituelles plus que le Seigneur Lui-même, et c'est pourquoi elles ne trouvent ni Dieu ni récomforts.
Celui qui ne recherche pas un total renoncement de soi-même n'est pas vraiment détaché et ne saurait être ouvert aux vérités et aux lumières du Saint-Esprit. Pour tendre à la connaissance de la Science Mystique, il ne faut se mêler que des choses où notre devoir nous appelle et encore avec beaucoup de prudence ! Rares sont ceux qui préfèrent écouter plutôt que parler, mais les Sages, mais les vrais Mystiques, ne parlent que lorsqu'ils ne peuvent l'éviter et ils ne se mêlent que des choses qui relèvent de leur charge. Encore se comportent-ils avec une grande prudence.
L'esprit de Sagesse divine remplit les hommes de douceur, dirige avec force, et éclaire sans illusion celui qui Le consulte. Là où cet esprit règne, se trouve toujours la simplicité et la liberté sainte. Mais pour les hommes sages et purs, la finesse, la dissimulation, l'artifice, l'intrigue et les considérations mondaines sont un véritable enfer.
Sachez que celui qui prétend à la science mystique doit parvenir à cinq réalisation ou renoncement 1)
D'abord il faut se détacher des créatures, 2) des choses temporelles, 3) des dons de l'Esprit-Saint, 4) de vous-mêmes. 5) et vous abandonner complètement en Dieu. Alors seulement vous pourrez vous perdre en Dieu. C'est là l'ultime et parfaite période du détachement. L'âme qui sait se renoncer et se perdre ainsi, parvient à se trouver.
Dieu préfère l'affection du cœur aux désirs de la science du monde. C'est une chose excellente que de nettoyer le cœur de tout ce qui le rend impur et captif, mais c'est autre chose d'accomplir toutes sortes d'actions fussent-elles bonnes et saintes, sans prêter attention à cette pureté du cœur qui est plus important que tout pour parvenir à la sagesse divine
Vous ne sauriez acquérir cette Sagesse Suprême si vous n'avez pas la force de souffrir que Dieu vous purifie quand Il le voudra, non seulement de l'attachement aux bénédictions naturelles et temporelles, qui ne sont que passagers, mais aussi de souffrir qu'Il vous détache de ceux qui sont surnaturels et sublimes, tels que les communications intérieures, les ravissements et les extases et autres grâces gratuites que l'âme souhaite avec une si grande ardeur et auxquels elle tient tant.
Il est beaucoup de gens qui ne peuvent s'élever jusqu'à la quiétude méditative, ni jusqu'à la véritable Sagesse divine et à la véritable connaissance, bien qu'ils consacrent beaucoup de temps à la prière et qu'ils communient tous les jours, ils ne se livrent pas complètement à Dieu dans un parfait détachement et dépouillement. En un mot, tant que l'âme ne se purifie pas dans le brasiers des douleurs intérieures et extérieures elle n'arrive jamais à l'état de régénération, à sa transformation, à la méditation parfaite, à l'union affective et à la vraie sagesse.

Chapitre XIX
L'anéantissement parfait et véritable.

Tu dois savoir que toute cette oeuvre d'anéantissement est fondé sur deux seuls principes. Le premier c'est le mépris de soi-même et des choses du monde, d'où la mise en pratique du dépouillement et du renoncement à soi et à toutes choses, doit naître, et cela avec résolution et ardeur
Le second principe est une vénération profonde pour Dieu. C'est le sentiment qui nous pousse à L'aimer à L'adorer, et à Le suivre sans aucun intérêt pour soi-mêmes. De ces deux principes naît une conformité efficace et entière à la volonté divine, et c'est par elle que l'âme est conduite à l'anéantissement et à la transformation en Dieu. Cela se produit sans aucun mélange de ravissements, d'extases extérieures de sentiments d'amour exalté ; cette voie est souvent sujette à beaucoup d’illusions, à des angoisses d'esprit et à des infirmités dangereuses, et il est rare qu'on atteigne de cette manière le sommet sublime de la perfection. Le chemin qui y mène est plus sûr et plus rapide bien qu'épineux; c'est la voie royale de l'anéantissement, elle est toute resplendissante de lumière et de grâces divines. Que l'âme s'anéantisse donc, se dépouillant de tout, puisque tout peut être un obstacle dans sa voie vers la déification.
Tout en faisant de continuels progrès dans la connaissance de sa méchanceté que l'âme doit avancer dans la pratique de l'anéantissement qui consiste à abhorrer les honneurs, les distinctions et les éloges, car en effet, comment le néant pourrait-il participer aux honneurs et aux dignités ?
Pour l' âme qui est sensible à son abjection il lui apparaît tout à fait impossible mériter quoi que ce soit ; au contraire, elle se confond et se reconnaît indigne de la vertu et de louange. Elle embrasse avec un courage égal toutes les occasions de mépris, de persécution, d'infamie, de honte et d'outrage. Et, reconnaissant qu'elle mérite vraiment de pareils opprobres, elle rend grâce au Seigneur, quand elle se voit ainsi éprouvée, et traitée comme elle le mérite. Et même elle se reconnaît indigne que Dieu exerce sur elle sa justice. Mais, surtout, elle se réjouit du mépris et des outrages reçus, parce que c'est Dieu qui en retire toute la gloire.
Telle âme choisit toujours ce qui est le plus modeste, le plus vil au degré le plus méprisable, soit dans les places, soit dans les vêtements, soit dans toute autre chose, sans aucune affectation de singularité, estimant qu'il n'existe rien d'assez humble pour elle; et se se reconnaissant même indigne de cet abaissement. Ceci est la pratique qui fait accéder l'âme à un véritable anéantissement de soi-même.
L'âme qui veut atteindre à la perfection commence par mortifier ses passions, puis quand elle a réussi à faire de grands progrès dans cette tâche, elle renonce à elle-même, puis enfin, elle s'anéantit et, dans cet état, conçoit d'elle-même une horreur et un mépris infini. Elle sait qu'elle ne peut rien, et qu'elle est incapable de faire quoi que ce soit de bien. Voilà ce qui la fait mourir à ses sens et à ses facultés, à chaque instant et de toute manière, et c'est dans cette mort spirituelle que réside l'anéantissement parfait et véritable. C'est la dernière disposition de l'âme avant la transformation complète et l'union divine. Elle entre dans cet heureux état sans le savoir, car si elle s'en doutait elle ne serait pas vraiment anéantie. Quelques progrès que vous puissiez faire dans cette voie, soyez bien persuadés qu'il faut y marcher, s'y purifier et s'y anéantir sans cesse.
Vous devez savoir, que cette anéantissement, pour qu'il soit parfait dans l'âme, il faut l'étendre au jugement, aux actions, aux inclinations, aux désirs, aux pensées, à l'être tout entier en un mot. afin que l'âme se retrouve morte à ses désirs, à ses efforts et à ses compréhensions et à ses pensées, il faut qu'elle veuille comme si elle ne voulait pas, qu'elle comprenne comme si elle ne comprenait pas, qu'elle pense comme si elle ne pensait pas. Elle ne doit même pas ressentir d'attrait pour ce néant, car elle doit embrasser avec une égale ferveur le mépris et les honneurs, les bienfaits et les châtiments. Oh ! qu'heureuse est l'âme qui peut ainsi mourir, qu'heureuse est l'âme qui ne vit plus pour elle mais en qui Dieu vit! C'est de cette âme qu'on peut dire ce qu'on dit du phénix « qu'il renaît de sa cendre », car n'est-elle pas changée complètement? spiritualisée, transformée et déifiée ?

Chapitre XX
L'anéantissement est le plus court chemin pour parvenir à la pureté de l'âme,
à la méditation parfaite et à la paix intérieure.
Le chemin pour arriver à cet état sublime de l'esprit régénéré, le chemin par lequel l'homme arrive immédiatement au plus grand Bien-être, à l'origine première de notre être et à la paix suprême, c'est d'arriver à l'anéantssement. Efforce-toi ô âme de toujours demeurer enseveli dans cette misère: ce néant et cette misère reconnue sont les moyens par lesquels le Seigneur opère des merveilles en ton âme. Revêts-toi de ce néant et de cette misère, et voit à ce que cette misère et ce néant soient ton soutien continuel et ta demeure, Abîme-toi dans ce qui n'est pas et je t'assure que lorsque tu sera néant, Dieu en ton âme sera ton Tout.
Pourquoi, selon toi, d'innombrables âmes font-elles obstacle au flot abondants des dons divins? Parce qu'elles veulent réaliser quelque chose et qu'elles ont le désir de la grandeur. Ceci est un éloignement de leur humilité intérieure et de leur néant, et par conséquent elles rendent impossibles les merveilles que veut produire cette bonté infinie en elles. Recherchant seulement les dons spirituels ils sont coincés sans progrès elles sortent du milieux de leur néant, et leur échec est complet. Elles ne cherchent pas Dieu avec sincérité; aussi ne le trouvent-elles pas. Tu dois savoir en effet que Dieu ne se trouve que dans le mépris de soi et dans le néant.
Nous nous recherchons nous-mêmes chaque fois que nous sortons de notre néant, et par conséquent nous n'arrivons jamais à la quiétude et la méditation parfaite. Pénètre aussi loin qu'il t'est possible dans la vérité de ton néant et alors rien ne t'inquiéteras plus ; au contraire, tu accepteras humiliations et la honte, et tu perdras de vue ta propre réputation et l'estime de toi.
Oh! Quel puissant rempart tu rencontreras dans ce néant! Qui peut t'affliger du tourment une fois que tu es à l'abris dans cette forteresse? Car, personne ne peut causer aucun préjudice ou dommage à l'âme qui se méprise et se voit comme n'étant rien, L'âme qui est dans son néant garde le silence intérieur, se laisse transformer par le souverain Bien, ne convoite rien de tout le créé, vit immergée en Dieu, et, dans quelque épreuve que ce soit, se montre résignée, parce qu'elle pense toujours que cette épreuve est mieux que ce qu'elle mérite. Et alors que l'âme se maintient tranquille en son néant, cela la perfectionne, cela l'enrichit et il n'existe plus aucun obstacle qui puisse empêcher Dieu de graver Son image en elle.
C'est par le chemin du néant que tu doit arriver à te perdre en Dieu. Car c'est par cette voie qu'on s'élève aux plus hauts degrés de la perfection. alors heureux seras-tu! Si tu arrive à t'abandonner toi-meme, alors tu te retrouveras à nouveau très certainement. C'est dans ce même endroit du néant que s'élabore la simplicité, que se trouve le recueillement intérieur et infus, que s'acquiert la quiétude et que le cœur se purifie de tout genre d'imperfection. Que de trésors trouveras-tu si établis dans ce néant ta demeure! Et si tu pénètres au centre du néant, plus jamais tu ne te soucieras du dehors (pierre d'achoppement pour d'innombrables âmes), si ce n'est des seules choses à quoi t'obligent tes fonctions.
Le néant est un abîme si profond que les coups de l'adversité ne peuvent y atteindre, et que rien ne vient tourmenter ceux qui y sont plongés. C'est le bouclier impénétrable aux coups des plus violentes tentations et aux suggestions les plus importunes de l'Ennemi. Quand nous possédons ce rempart, nous sommes maîtres de nous-mêmes.
Lorsque vous aurez reconnu que vous n'êtes rien, que vous ne pouvez rien, vous accueillerez avec calme les sécheresses de l'âme, vous supporterez les désolations pleines d'horreur, vous souffrirez les douleurs spirituelles et les tourments intérieurs, vous mourrez à vous-mêmes à toute heure et de toute manière.
Si l'âme est endormie dans son néant, qui pourrait la réveiller de ce sommeil doux et paisible? C'est de ce néant que David tomba sans le savoir dans le parfait anéantissement : Je suis réduit au néant et je ne le sais pas. (Ps. 17.) Demeurant dans le néant, vous fermerez la porte à tout ce qui n'est pas Dieu, vous rentrerez en vous-mêmes, vous progresserez dans cette solitude intérieure où le Divin époux parle au cœur de Son épouse, et lui enseigne la sublime et divine sagesse. Abîmez-vous dans le sentiment de ce néant. C'est là que vous trouverez le port assuré, l'abri contre les vents et les tempêtes.
L'anéantissement est la voie qui mène à l'heureuse innocence que nos premiers parents [Adam & Ève] ont perdue; c'est la porte qui nous ouvre la terre fortunée de la Vie où se trouvent le plus grand bien, la plénitude de la charité, de la beauté, de la justice, de la rectitude, de l'équité, en un mot, de la perfection même. La vie, le repos et la joie de l'âme consistent à ne rien considérer, à ne rien désirer pour soi, à ne rien vouloir par soi-même, à ne faire aucun effort personnel.
Tel est le chemin qui mène à la pureté parfaite, à la méditation, à la paix intérieure; marchez dans cette voie sûre; efforcez-vous de vous y abandonner complètement, de vous y perdre, de vous y plonger profondément. En faisant ainsi vous vous anéantirez parfaitement, et vous serez unis à Dieu et transformés. [la pensée de Christ]

Chapitre XXI
La grande félicité de la paix intérieure
et ses merveilleux effets.
Lorsque l'âme est anéantie et renouvelée par un dépouillement parfait, elle goûte dans son être supérieur une paix profonde et un délicieux repos; par eux elle est conduite à une union d'amour si parfaite que la joie qu'elle éprouve l'inonde entièrement. Dans cette félicité, elle ne veut, elle ne désire que ce que veut et désire son Bien-Aimé, et c'est dans cet esprit qu'elle accepte tous les événements, travaux et angoisses, ainsi que les consolations et les plaisirs. Sa joie, quoi qu'il lui arrive, c'est de se conformer en toutes choses au bon plaisir de Dieu.
Il n'est rien qui ne la console; rien ne l'afflige. La mort est pour elle un sujet de joie; la vie une raison d'être pleine d'allégresse. Aussi heureuse sur la terre que dans le Ciel, aussi joyeuse dans les privations que lorsqu'elle est comblée de biens, égale dans la maladie et dans la santé, l'âme sait que toutes ces choses dépendent de la volonté du Seigneur, du Seigneur qui est sa vie, sa gloire, son Paradis, son repos, sa paix, sa consolation et sa souveraine béatitude.
Une âme parvenue à cette paix, si on lui en donnait le choix, préférerait la désolation à la consolation et le mépris à l'honneur. Car Jésus, son bien-aimé, avait faim et soif des peines et de l'ignominie.Ardente à la recherche des biens célestes, elle avait autrefois soif de Dieu, elle craignait de Le perdre ! Dans son cœur elle poussait des gémissements, et la lutte qu'elle soutenait contre le diable était rude! Mais sa faim s'est transformée en satisfaction, sa soif en satiété. Ses frayeurs ont été changées en confiance, sa tristesse en joies, ses plaintes en chants joyeux, ses combats en paix éternelle. Oh ! qu'heureuses sont les âmes qui jouissent sur la terre d'une si grande félicité! Elles ne sont pas nombreuses, il est vrai, mais elles sont les colonnes qui soutiennent l'Église, le bouclier qui détourne les coups de la vengeance divine.
Une âme entrée ainsi dans le ciel de la paix se sent remplie de Dieu, comblée de ses dons surnaturels, parce que le pur amour est son appui, et qu'elle se plaît dans la lumière comme dans les ténèbres, dans le jour comme dans la nuit, dans l'affliction comme dans la consolation. Cette sainte et céleste indifférence lui conserve la paix dans l'adversité et le calme dans la tribulation où elle ne cesse d'être comblée d'une joie inexprimable.
Et même si le prince des ténèbres déchaine contre elle tous les assauts de l'enfer, avec d'horribles tentations, elle tient tête dans la bataille comme une colonne ferme, car il en est de même de la haute montagne et de la vallée profonde au milieu de la tempête.
La vallée est assombrit par d'épais nuages et de féroces tempêtes de grêle, sous le tonnerre, la foudre ainsi que des grêlons de pierre telle une image de l'enfer, dirait-on. Et au même instant, la haute montagne qui resplendit par les faisceaux lumineux du soleil, dans la paix et la sérénité; demeurant clair comme le ciel, immuable et remplie de lumière.
Il en est de même pour cette âme bienheureuse. La vallée de son être inférieur, souffrant tribulations, combats, ténèbres, désolation, tourments, martyrs et suggestions malfaisantes. Et en même temps, sur la haute montagne sur le plus haut sommet de l'âme, le vrai Soleil brille, la transperse de ses rayons, l'embrase et l'illumine, et afin qu'elle devienne limpide, pacifique, resplendissante, tranquille, sereine un océan d'allégresse, un simple océan de joie
La paix de cette âme pure, le contentement de son esprit, sa sérénité et son calme intérieurs sont si intenses qu'ils brillent même au-dehors, comme un faible rayon et une étincelle de la divinité.
Dans ce trone de quiétude set manifestent les perfections des splendeurs spirituelles. La véritable lumière divine éclaire les mystères de la foi; l'humilité parfaite portée jusqu'à l'anéantissement de soi: la résignation totale, la chasteté, l'esprit de pauvreté l'innocence et la simplicité de la colombe, la modestie extérieure, le silence et la solitude intérieure, la liberté et la pureté du cœur, l'oubli des créatures y compris de soi-même, la joyeuse simplicité, la divine indiférence, la prière continue, le dépouillement total, le parfait détachement, la sublime méditation, la conversation avec les Cieux, et finalement la paix intérieure pa plus parfaite et sereine, dont cette âme heureuse pourrait dire ce que disait le Sage en parlant de la Sagesse ; “Avec elle sont venue toutes les autres grâces”
213. Voilà le riche trésor caché, la drachme perdue de l'Évangile, la vie heureuse et véritable, la félicité de la terre. 0 beauté ! o grandeur inconnue aux fils des hommes ! 0 vie surnaturelle et excellente, combien tu es admirable et ineffable, car tu es la retraite de la béatitude ! 0 divin soutien d'une âme qui ne s'appuie plus sur les vanités de ce monde ! Tu te croyais pauvre et tu étais comblée de biens! Tu te croyais humble et tu étais dans la plus haute élévation. Tu ressemblais à une mort et tu étais la Vie. O Seigneur, ô Bonté souveraine, accordez-moi une portion abondante de cette paix, de ce bonheur céleste que le monde est incapable de connaître et de recevoir.

Chapitre XXII
Une triste lamentation à Dieu pour le petit nombre d'âmes qui parviennent à la perfection,
à l'union et à la transformation divine.
O Majesté divine, devant qui les colonnes du ciel tremblent et s'écroulent ! O bonté plus qu'infinie qui embrasez d'amour les Séraphins ! Seigneur ! permettez-moi de plaindre notre aveuglement et notre ingratitude. Plongés dans un égarement déplorable, nous vous abandonnons, vous, notre Dieu, pour nous élancer à la poursuite du monde trompeur. Nous quittons les eaux cela vies, pour chercher les eaux bourbeuses et corrompues du monde.
Et nous, enfants des hommes jusques à quand, abandonnant Dieu notre Souverain Bien, poursuivrons-nous les mensonges et les vanités ? - Qui donc pourrait nous parler avec plus de vérité, qui nous aimerait davantage, qui nous défendrait avec plus de force ? qui donc serait plus fidèle comme ami, plus tendre comme époux, meilleur comme Père? Aveugles que nous sommes de ne pas reconnaître sa Bonté souveraine et infinie !
O Seigneur, qu'elles sont peu nombreuses en ce monde les âmes qui vous servent parfaitement ! Qu'elles sont peu nombreuses celles qui veulent souffrir sur les traces de Jésus-Christ crucifié ! qui embrassent la croix et renoncent à leur volonté et qui se condamnent elles-mêmes ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes détachées de tout et totalement à nue, mortes à tout ce qui les concerne, et qui ne vivent que pour Dieu et pour se conformer à Sa Volonté ! Qu'elles sont peu nombreuses celles qui sont revêtues d'une obéissance simple, d'une profonde connaissance d'elles-mêmes et d'une véritable humilité! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui s'abandonnent à Dieu, indifférentes, prêtes à tout ce qui Lui plaira! Qu'ils sont peu nombreux les cœurs simples et désintéressés, les âmes pures, qui se sont dépouillés de leur propre intelligence, de leur science, de leurs désirs, de leur volonté et qui ne soupirent qu'après le renoncement et la mort spirituelle ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui laissent Dieu agir en elles, qui souffrent de ne pas souffrir et qui meurent de ne pas mourir ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui consentent à s'oublier elles-mêmes, à dépouiller leur cœur de toutes ses affections, de toutes ses inclinations, de tous ses plaisirs, de l'amour de soi-même ! qui s'efforcent de le dépouiller de ses jugements ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui permettent qu'on les guide par la voie de l'abnégation, par le chemin intérieur du renoncement de soi-même ; qui veuillent mourir à leurs sens et à leurs facultés ! Qu'elles sont peu nombreuses les âmes qui se laissent dépouiller, purifier, appauvrir, afin que Dieu les revête, les perfectionne et les enrichisse! Enfin, Seigneur, que petit est le nombre des âmes aveugles, muettes, sourdes, et parfaitement silencieuses!
Quelle honte pour nous, fils d'Adam! nous qui sommes capables pour quelque objet vil, de mépriser la vraie félicité et de rejeter le Bien suprême, le trésor des richesses et l'infinie bonté! Avec juste raison, le Ciel se plaint que peu nombreuses sont les âmes à vouloir suivre ses inestimables voies.“Les chemins de Sion mènent deuil de ce qu'il n'y a personne qui vienne aux fêtes; toutes ses portes sont désolées; ses sacrificateurs gémissent, ses vierges sont dans la détresse; elle-même est dans l'amertume.. Lamentations 1:4”
 

FIN
source pour le livre 2 : le pdf réalisé par google.
source pour les livres 1 et 3: www.hallvworthington.com/french/fmolinos1.html (17 aout 2010).
Site anticatholique, créé par Hall et Joan Worthington, qui semblent être des Quakers de New York,
ils semblent avoir adopté un chemin spirituel refusant toute église.

Le Guide connut plusieurs éditions dans toute l'Europe entre 1675 et 1699.

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