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Origène

Père de l'Eglise
Contre Celse
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Traduction publiée par l'abbé J.-P. Migne en 1843
Source : http://remacle.org/bloodwolf/eglise/origene/table.htm
Oeuvre numérisée et mise en page par Marc Szwajcer et PhIlippe Remacle

l VIE D'ORIGÈNE.

Origène, docteur de l'Église, naquit à Alexandrie l'an 185 de Jésus-Christ, et fut surnommé Adamantius, à cause de son assiduité infatigable au travail. Son père, Léonide, l’éleva avec soin dans la religion chrétienne et dans les sciences, et lui apprit de bonne heure l'Écriture sainte Origène donna des preuves de la grandeur de son génie dès sa plus tendre jeunesse. Clément Alexandrin fut son maître. Son père ayant été dénoncé comme chrétien et détenu dans les prisons, il l'exhorta à souffrir le martyre plutôt que de renoncer au christianisme. A dix-huit ans il se trouva chargé du soin d'instruire les fidèles à Alexandrie. Les hommes et les femmes accouraient en foule à son école. La calomnie pouvait l'attaquer : il crut lui fermer la bouche en se faisant eunuque, s'imaginant être autorisé à cette barbarie par un passage de l'Evangile pris selon la lettre, qui tue, comme s'exprime S. Paul, au lieu de le saisir selon l’esprit, qui vivifie. Après la mort de Septime-Sévère, un des plus ardents persécuteurs du christianisme, arrivée en 211, Origène alla à Rome et s'y fit des admirateurs et des amis. De retour à Alexandrie, il y reprit ses leçons, à la prière de Démétrius, qui en était évêque. Une sédition, qui arriva ans cette ville, le fit retirer en secret dans la Palestine. Cette retraite l'exposa au ressentiment de son évêque. Les prélats de la province l'engagèrent à force d'instances d'expliquer en public les divines Ecritures. Démétrius trouva si mauvais que cette fonction importante eût été confiée à un homme qui n'était pas prêtre, qu'il ne put s'empêcher d'en écrire aux évêques de Palestine comme d'une nouveauté inouïe. Alexandre, évêque de Jérusalem, et Théoctiste de Césarée justifièrent hautement leur conduite : ils alléguèrent que c'était une coutume ancienne et générale de voir des évêques se servir indifféremment de ceux qui avaient du talent et de la piété, et que c'était une espèce d'injustice de fermer la bouche à des gens à qui Dieu avait accordé le don de la parole. Démétrius, insensible à leurs raisons, rappela Origène, qui continua d'étonner les fidèles par ses lumières, par ses vertus, par ses veilles, ses jeûnes et son zèle. L'Achaïe se trouvant affligée de diverses hérésies, il y fut appelé peu de temps après, et s'y rendit avec des lettres de recommandation de son évêque. En passant à Césarée de Palestine, il fut ordonné prêtre par Théoctiste, évêque de cette ville, avec l'approbation de S. Alexandre de Jérusalem et de plusieurs autres prélats de la province. Cette ordination occasionna de grands troubles. Démétrius déposa Origène dans deux conciles, et l'excommunia. Il alléguait : 1° qu'Origène s'était fait eunuque ; 2° qu'il avait été ordonné sans le consentement de son propre évêque; 3° qu'il avait enseigné plusieurs erreurs, entre autres choses que le démon serait enfin sauvé et délivré des peines de l'enfer, etc. Origène se plaignit a ses amis des accusations qu'on formait contre lui, désavoua les erreurs qu'on lui imputait, et se retira en 231 à Césarée en Palestine. Théoctiste l'y reçut comme son maître, et lui confia le soin d'interpréter les Ecritures. Démétrius étant mort en 231, Origène jouit du repos. Grégoire Thaumaturge et Athénodore, son frère, se rendirent auprès de lui et en apprirent les sciences humaines et les vérités sacrées. Une sanglante persécution s'étant allumée sous Maximin contre les chrétiens, et particulièrement contre les prélats et les docteurs de l'Eglise, Origène demeura caché pendant deux ans. La paix fut rendue à l’Église par Gordien, l'an 237; Origène en profita pour faire un voyage en Grèce. Il demeura quelque temps a Athènes, et, après être retourné Césarée, il alla en Arabie, à la prière des évêques de cette province. Leur motif était de retirer de l'erreur l'évêque de Bostre, nommé Bérylle, qui niait que « Jésus-Christ eût eu aucune existence avant l'incarnation, voulant qu'il n'eût commencé à être Dieu qu'en naissant de la Vierge. » Origène parla si éloquemment A Bérylle, qu'il rétracta son erreur et remercia depuis Origène. Les évêques d'Arabie l'appelèrent à un concile qu'ils tenaient contre certains hérétiques qui assuraient que « la mort était commune au corps et à l'âme. » Origène y assista et traita la question avec tant de force, qu'il ramena au chemin de la vérité ceux qui s'en étaient écartés. Cette déférence des évêques pour Origène, sur un point qu'on croit être fa principale de ses erreurs, semble l'en justifier pleinement. Dèce ayant succédé, l'an 249, à l'empereur Philippe, alluma une nouvelle persécution. Origène fut mis en prison. On le chargea de chaînes; on lui mit au cou un carcan de fer et des entraves aux pieds ; on lui fit souffrir plusieurs autres tourments et on le menaça souvent du feu; mais on ne le fil pas mourir, dans l'espérance d'en abattre plusieurs par sa chute, et à la fin il fut élargi. Il mourut à Tyr, peu de temps après, l'an 234, dans sa soixante-neuvième année. Peu d'auteurs ont autant travaillé que lui ; peu d'hommes ont été autant admirés et aussi universellement estimés qu'il le fut pendant longtemps; personne n'a été plus vivement attaqué et poursuivi avec plus de chaleur qu'il l'a été pendant sa vie et après sa mort, ta ne s'est pas contenté d'attaquer sa doctrine, on a attaqué sa conduite : on a prétendu que, pour sortir de sa prison, il fit semblant d'offrir de l'encens à l'idole Sérapis à Alexandrie; mais on peut croire que c'est une imposture forgée par ses ennemis et rapportée trop légèrement par S. Epiphane. Ses ouvrages sont: une Exhortation au martyre; qu'il composa pour animer ceux qui étaient dans les fers avec lui; des Commentaires sur l'Ecriture sainte. Il est peut-être le premier qui l'ait expliquée tout entière. Il semble cependant qu'on peut douter si l’Exposition sur l'Epître aux Romains est de lui, puisqu'elle parait d'un auteur latin, comme on voit dans ce passage : Sciendum primo est, ubi nos habemus, omnibus qui sunt inter vos, in Graeco habetur omni qui est inter vos. Les explications étaient de trois sortes : des Notes abrégées sur les endroits difficiles, des Commentaires étendus où il donnait l'essor à son génie, et des Homélies au peuple, où il se bornait aux explications morales, pour s'accommoder à la portée de ses auditeurs. Il nous reste une grande partie des Commentaires d'Origène, mais la plupart ne sont que des traductions fort libres. On y voit partout un grand fonds de doctrine et de piété. Il travailla à une édition de l'Ecriture à six colonnes. Il l'intitula Hexaples. La première contenait le texte hébreu en lettres hébraïques; la deuxième, le même texte en lettres grecques, en faveur de ceux qui entendaient l’hébreu sans le savoir lire; la troisième renfermait la version d'Aquila; la quatrième colonne, celle de Symmaque; la cinquième, celle des Septante, et la sixième, celle de Théodotion. Il regardait la version des Septante comme la plus authentique et celle sur laquelle les autres drivaient être corrigées. Les Octaples contenaient de plus deux versions grecques qui avaient été trouvées depuis peu, sans qu'on en connût les auteurs. Origène travailla i rendre l'édition des Septante suffisante pour ceux qui n'étaient point en état de se procurer l'édition à plusieurs colonnes. — On avait recueilli de lui plus de mille Sermons, dont il nous reste une grande partie : ce sont des discours familiers qu'il prononçait sur le champ, et des notaires écrivaient pendant qu'il parlait, par l'art des notes, qui s est perdu. Il avait ordinairement sept secrétaires, uniquement occupés à écrire ce qu'il dictait. — Son livre des Principes. Il l'intitula ainsi parce qu'il prétendait y établir des principes auxquels il faut s'en tenir sur les matières de la religion, et qui doivent servir d'introduction à la théologie. Nous ne l'avons que de la version de Ruffin, qui déclare lui-même y avoir ajouté ce qu'il lui a plu, et en avoir ôté tout ce qui lui paraissait contraire à la doctrine de l'Eglise, principalement touchant la Trinité. On.ne laisse pas d'y trouver encore des principes pernicieux. On croit y découvrir un système tout fondé sur la philosophie de Platon, et dont le principe fondamental est que toutes les peines sont médicinales. Où l'a accusé d'avoir fait Dieu matériel; mais il réfute si bien cette erreur, qu'il est raisonnable de donner un sens orthodoxe à quelques expressions peu exactes. — Le Traité contre Celse. Cet ennemi de la religion chrétienne avait publié contre elle son Discours de vérité, qui était rempli d'injures et de calomnies. Origène n'a fait paraître dans aucun de ses écrits autant de science chrétienne et profane que dans celui-ci, ni employé tant de preuves fortes et solides ; on le regarde comme l'apologie du christianisme la plus achevée et la mieux écrite que nous ayons dans l'antiquité. Le style en est beau, vif et pressant; les raisonnements, bien suivis et convaincants ; et s'il y répète plusieurs fois les mêmes choses, c'est que les objections de Celse l'y obligeaient. et qu'il n'en voulait laisser aucune sans les avoir entièrement détruites. Il est remarquable que ces objections sont presque toutes les mêmes que les prétendus philosophes de ce siècle ont ressassées : pauvres copistes qui n'ont pas même le funeste mérite d'imaginer des erreurs et des blasphèmes, et qui, se parant de cette triste gloire, sont obliges de recourir à des sophistes oubliés depuis quinze siècles. On a actuellement une édition complète des ?uvres d'Origène, en 4 vol. in-fol. Cette édition a été commencée par le père Charles de la Rue, bénédictin, mort en 1739, et continuée par dom Charles-Vincent de la Rue, son neveu, qui a donné le quatrième et dernier volume à Paris, en 1759, avec des notes sur plusieurs endroits des Origeniana de Huet. On trouve aussi les ?uvres d'Origène publiées dans notre Cours de Patrologie en 200 volumes.

l PRÉFACE

Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Sauveur, demeura dans le silence lorsqu'on le chargea par de faux témoignages, et il ne répondit rien quand on l'accusa. Il s'assurait que tout le cours de sa vie et les actions qu'il avait faites au milieu des Juifs le justifiaient plus hautement que tous les discours et toutes les apologies qu'il aurait pu employer pour détruire ces faux témoignages et pour repousser ces accusations. Cependant, pieux Ambroise, vous avez voulu, je ne sais pour quelle raison, que j’entreprisse de défendre les chrétiens et de soutenir la foi de leurs églises contre les fausses accusations de l’écrit injurieux de Celse comme s’il n'y avait pas, dans les choses mêmes, plu de force et plus d'évidence que dans toutes les paroles du monde pour confondre la calomnie et pour la mettre tellement hors de vraisemblance, qu'il ne lui reste pas le moindre crédit. S. Matthieu récite comment Jésus garda le silence quand ses faux témoins déposèrent contre lui, et il suffira de le rapporter ici ; car ce qu'en dit S. Marc est exprimé à peu près dans les mêmes termes. Le grand sacrificateur, dit S. Matthieu, et tout le conseil cherchaient de faux témoignages contre Jésus, afin de le faire mourir; et ils n'en trouvaient point, quoique plusieurs faux témoins se fussent présentés. Enfin il s'en présenta deux qui dirent. Celui-ci a dit: Je puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir en trois jours. Alors le grand sacrificateur se levant, lui dit : Ne réponds-tu rien à ce que ceux-ci déposent contre toi? Mais Jésus demeura dans le silence (Matth., XXVI, 59). Il nous marque dans la suite comment Jésus ne répondit rien lorsqu'on l'accusa. Jésus, dit-il, fut mené devant le gouverneur qui l'interrogea, disant : Es-tu le roi des Juifs ? et Jésus lui répondit, la chose est comme tu le dis. Et quoique les principaux sacrificateurs et les sénateurs l’accusassent, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit : N'entends-tu pas combien de choses ils déposent contre toi? Mais il ne répondit pas un seul mot ; de sorte que le gouverneur en était tout étonné (Matth. XXVII, 11). En effet, il y avait à s'étonner, pour les personnes même les moins capables de réflexion, qu'un homme accusé et calomnié, qui pouvait faire voir clairement son innocence et qui, par le récit de sa vie digne de tant d'éloges, et par celui de ses miracles pleins de caractères tout divins. aurait pu donner lieu à son juge de prononcer en sa faveur, n'en daignât pourtant rien faire et regardât ses accusateurs avec un si généreux mépris. Que Jésus n'eût qu'à se défendre pour être sur le champ mis en liberté, c'est ce qui parait évidemment par la proposition que le juge et lui-même aux Juifs : Lequel voulez-vous que je vous délivre, de Barrabas ou de Jésus qu’on appelle Christ ? Et parce que l'Ecriture ajoute : Car il savait bien que c'était par envie qu’ils le lui avaient livré (Matth., XXVII, 17, 18). La calomnie continue encore à vouloir attaquer Jésus, et comme la malice des hommes est toujours la même, ils le chargent toujours par leurs fausses accusations ; mais Jésus continue aussi à se taire et à ne se défendre que par la pureté des m?urs de ses vrais disciples, qui confond toutes les accusations de leurs ennemis, et dont la voix est plus forte que celle de la calomnie. J'ose même dire que l'apologie que vous m'avez demandée fait tort à celle que leur vie et leurs actions font pour eux, et qu'elle obscurcit l'éclat de la puissance de Jésus, qui frappe les yeux de tous ceux qui ne sont pas aveugles. Néanmoins, pour ne pas donner lieu de croire que je refuse d'exécuter vos ordres, j'ai tâché, autant qu'il m'a été possible, d'appliquer à chacune des objections de Celse les réponses qui m'ont semblé les plus propres à les renverser, bien que je sache qu'il n'y a point de fidèles qui puissent être ébranlés par ses paroles. Et à Dieu ne plaise qu'il se trouve quelqu'un qui, ayant reçu dans son c?ur le sentiment de l'amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ, soit encore assez faible pour l'en laisser arracher par les discours de Celse ou de ses pareils ! S. Paul, ramassant ensemble un grand nombre de choses qui ont accoutumé de séparer quelquefois les hommes de l'amour de Jésus-Christ et de l'amour que Dieu nous a témoigne en Jésus-Christ, mais qui toutes ne pouvaient rien sur l'amour dont il sentait l'impression en lui-même, ne met point dans ce nombre les paroles ni les discours. Voyez comme il dit d'abord : Qui nous séparera de l'amour (de Jésus-Christ) de Dieu ? Sera-ce l'affliction, ou les misères, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou l'épée (Rom., VIII, 34, 35)? (selon qu’il est écrit ; on nous fait mourir tous 1es jours pour l'amour de toi, on nous traite comme des brebis destinées à la boucherie) (Ps. XLIII ou XLIV, 23). Mais en toutes ces choses, nous sommes plus que victorieux par celui qui nous a aimés (Rom., VIII, 37 ou 38). Il fait ensuite un autre ordre de choses capables de causer la séparation de ceux qui ne sont pas assez fermes dans la piété. Je suis assuré, dit-il, que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni aucune hauteur; ni aucune profondeur, ni quelque autre créature que ce soit, ne nous pourra séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ Notre-Seigneur. Pour nous, nous avons, à la verité, un juste sujet de nous glorifier de ce que, ni l'affliction, ni les autres choses qui suivent dans le même rang, n'ont aucun pouvoir sur nous; mais à l'égard de S. Paul, des apôtres, et de tous ceux qui approchent du degré de perfection où ils étaient, ils les regardent comme beaucoup au dessous d'eux ; ce qui leur fait dire : En toutes ces choses, nous sommes plus que victorieux par celui qui nous a aimés, ne trouvant pas que ce fût assez de dire : Nous remportons la victoire. S'il faut que les apôtres se glorifient de n'être point séparés de l'amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, ils se glorifieront de ce que, ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les autres choses de cet ordre, ne les en peuvent séparer. Je ne serais donc pas fort satisfait d'un chrétien dont la foi serait si chancelante qu'elle pût être ébranlée, soit par Celse, qui non seulement n'a plus de part à la vie, mais qui est même depuis longtemps au nombre des morts, soit par la vaine apparence de quelques discours. Je ne sais, dis-je, en quel rang il faut mettre ceux qui, pour ne pas succomber, ont besoin qu'on soutienne et qu'on raffermisse leur foi par des écrits opposés aux accusations de celui que Celse a fait contre les chrétiens.
Mais, après tout, puisque dans le grand nombre de ceux qui font profession de croire, il s'en peut trouver qui, s'étant laissé entraîner aux raisonnements de Celse, seront aisément ramenés, si on leur en montre la faiblesse et qu'on leur fasse connaître la force de la vérité, j’ai pris la résolution de vous satisfaire et de réfuter cet écrit que vous m'avez envoyé. Celse lui donne le titre de Discours véritable; mais je serais bien trompé s'il passait pour tel dans l'esprit de quelqu'un qui eût (ait le moindre progrès dans la philosophie. S. Paul, qui savait que dans celle des Grecs il y a des raisons apparentes qui ont assez de couleur pour faire recevoir à plusieurs le mensonge sous la forme de la vérité, nous avertit bien de prendre garde que personne ne nous surprenne par ta philosophie et par une vaine tromperie, en suivant les traditions des hommes, selon les principes de la science mondaine, et non selon Jésus-Christ (Coloss., II, 8). El c'est parce qu’il remarquait dans les raisons dont se sert la sagesse humaine une certaine grandeur capable de donner dans la vue, qu'il dit que les raisonnements des philosophes sont selon les principes de la science mondaine. Mais pour ceux de Celse, personne de raisonnable ne peut dire qu'ils soient selon les principes de cette science. C'est encore parce que les premiers ont en eux quelque chose qui peut tromper, que S. Paul les appelle une vaine tromperie, pour les distinguer peut-être d'une autre espèce de tromperie qu'on ne doit pas nommer vaine, et que Jérémie avait en vue lorsqu'il ose dire à Dieu : Tu as usé de tromperie. Seigneur, et j'ai été trompé; tu as été le plus fort, et tu m'as vaincu (Jérém., XX, 7). Mais je ne pense pas qu'on puisse appeler vaine tromperie, les raisonnements de Celse, puisqu'ils n'ont pas même de quoi tromper, comme pourraient avoir les raisons de ceux qui ont fondé les diverses sectes des philosophes, et qui ont donné en cela même des preuves d'un esprit peu commun. Dans la géométrie, il ne suffit pas qu'une démonstration soit fausse, si elle n'a d'ailleurs quelque chose d'apparent, pour être appelée captieuse et pour mériter d'être proposée à ceux qui veulent s exercer en cette science : ainsi, il n'y a que des raisonnements semblables à ceux de ces philosophes dont je viens de parler, qui doivent porter comme eux le nom de vaine tromperie et de traditions des hommes selon les principes de la science mondaine.
J'avais avancé ma réponse jusqu'à l'endroit où Celse introduit un Juif disputant contre Jésus, lorsque j'ai formé le dessein de mettre cette préface à la tête de mon ouvrage, afin d'avertir les lecteurs, dès l'entrée, que je ne l'ai pas composé pour les vrais fidèles, mais, ou pour ceux qui n'ont aucun goût de la religion chrétienne, ou pour ceux qui sont encore faibles en la foi, comme les appelle l'Apôtre, qui nous ordonne de les recevoir (Rom., XIV, 1) et d'avoir pour eux de la condescendance. Cette même préface me servira d'apologie, si, l'on remarque de la différence entre le commencement et la suite de mon écrit. Car lorsque j'ai commencé à y travailler, je ne me proposais que d'en faire une simple esquisse, marquant sommairement les chefs d'accusation de Celse et les réponses qu'on y pouvait faire, pour donner ensuite une forme plus achevée à tout mon discours. Mais après quelques réflexions, j'ai cru que, pour ménager mon temps, je devais me contenter de cette ébauche à l'égard du commencement, et m'attacher à répondre au reste avec toute l'exactitude dont je serais capable. Je vous demande donc un peu d'indulgence pour ce qui va suivre immédiatement ma préface; et si ce que j'aurai plus travaillé dans la suite ne vous satisfait pas non plus, après vous avoir encore demandé la même grâce, je vous renverrai à ceux qui ont plus de lumières que je n'en ai, de qui vous pourrez avoir une réponse pleine et solide à toutes les objections que Celse nous fait, s'il vous en demeure encore quelque désir. Les plus louables au reste sont ceux qui, après avoir lu son livre, n'ont aucun besoin qu'on se mette en devoir de le réfuter, mais qui méprisent tout ce qu'il contient comme font avec justice les plus simples d'entre les fidèles éclairés par l'esprit que Jésus-Christ fait habiter dans leurs Amen.


 CONTRE CELSE (8 livres)

LIVRE PREMIER.
 

Celse commence par l'accusation qu'il forme contre le christianisme, sur ce que les chrétiens font des assemblées secrètes et contraires aux lois. Il dit qu'il y a de deux sortes d'assemblées ; les unes qui se font ouvertement, qui sont celles que les lois approuvent; les autres qui se font en cachette, qui sont celles que les lois défendent. Il veut par là décrier ce que les chrétiens appellent leurs Agapes; comme si ce n'était qu’un moyen dont ils se servent pour s'unir entre eux contre le danger commua qui les menace, et qu'un engagement mutuel plus fort que tous les serments. Puis donc qu'il parle si haut des lois publiques, et qu'il prétend que les chrétiens les violent par leurs assemblées, il lui faut répondre à cela : Que comme s'il arrivait à quelqu'un d'être engagé parmi les Scythes sans en pouvoir sortir, se trouvant séduit à vivre au milieu de ces peuples dont les lois sont abominables, il serait en droit, pour maintenir la vérité et ses lois, qui passent pour criminelles parmi eux, de faire ses assemblées avec ceux qui seraient de même sentiment que lui, bien qu'il ne le pût faire sans choquer les lois du pays. Ainsi, lorsqu'il s'agit de ces lois qui établissent parmi les nations le culte des simulacres et l'adoration de plusieurs dieux, qui est un vrai athéisme, l'on ne doit pas trouver étrange que ceux qui connaissent la vérité fassent des assemblées pour ses intérêts, malgré des lois qui, devant son tribunal, sont jugées aussi impies et plus impies même, s'il se peut, que celles des Scythes. Si un tyran s'était rendu maître de quelque république, ceux qui s'assembleraient en cachette pour conspirer contre lui mériteraient de la louange. Les chrétiens en méritent donc aussi, puisqu'ils ne s'assemblent que pour secouer le joug d'un cruel tyran qu’ils nomment le diable, avec qui règne le mensonge, et dont ils ne craignent point de violer les lois pour travailler au salut de ceux à qui fis peuvent persuader de se délivrer d'une loi dont on voit une image dans celles des Scythes et des tyrans.
Celse dit après cela de notre doctrine, qu'elle vient d'une source barbare, voulant parler du judaïsme, où la religion chrétienne est comme attachée. En quoi au moins il garde cette équité, de ne lui pas faire un sujet de reproche de son origine; car il demeure d'accord que les barbares ont cela de bon, qu'ils sont assez capables d'inventer des dogmes. Mais il ajoute que, pour en bien juger, pour les appuyer de raisons solides et pour les appliquer a la pratique des vertus, les Grecs y sont beaucoup plus propres, et que c'est à eux à perfectionner ce que les barbares inventent. Nous pouvons donc, sur ce qu'il pose lui-même, conclure en faveur des vérités fondamentales du christianisme, que si un homme élevé sous la discipline des Grecs et instruit dans leurs sciences, vient parmi nous, non seulement il jugera que notre doctrine est véritable, mais il la confirmera même par ses arguments et donnera aux preuves qui en établissent la vérité, tout ce qui semble leur manquer pour être une démonstration selon les règles de l'école grecque. Mais nous avons de plus une chose à dire, c'est que la religion chrétienne prouve ses principes par une espèce de démonstration qui lui est particulière et où il y a un caractère divin qui ne permet pas qu’on lui compare celle que la dialectique enseigne aux Grecs à former. C'est cette démonstration que l'Apôtre appelle la démonstration de l'esprit et de la puissante (I Cor., II, 4). De l'esprit, à ravie des prophéties et particulièrement de celles qui regardent la personne du Christ, dont l'évidence suffit pour convaincre ceux qui les lisent. De la puissance, à cause des miracles étonnants qui ont été faits pour la confirmation de cette doctrine, comme on le peut justifier par un grand nombre de preuves, et entre les autres par les vestiges qui restent encore de ces miracles, parmi ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de l'Evangile.
Après avoir parlé, comme il vient de faire, des assemblées secrètes que les chrétiens font pour pratiquer et pour enseigner leurs maximes, et après avoir dit qu'ils ont raison d'en user ainsi pour se mettre à couvert des supplices qui leur seraient autrement inévitables, il fait ensuite comparaison du péril où ils s'exposent avec ceux où la philosophie exposa Socrate. A Socrate il pouvait joindre Pythagore et les autres philosophes. Mais nous répondons à cela que les Athéniens se repentirent aussitôt de tous les outrages qu'ils avaient faits à Socrate, et qu'ils ne conservèrent aucune aigreur contre lui, non plus que les autres contre Pythagore, dont les disciples ont longtemps continué leurs exercices dans cette partie de l'Italie qu'on nomme la Grande Grèce. Au lieu qu'à l'égard des chrétiens, et les arrêts du sénat de Rome, et les persécutions des empereurs en divers temps, et la fureur des soldats, et la haine des peuples, et les embûches de leurs proches mêmes les auraient assurément accablés, s'ils n'avaient été soutenus contre tant d'assauts par une puissance divine dont le secours leur a fait tout surmonter, et leur a donné la victoire sur le monde entier, qui avait conspiré leur perte.
Voyons maintenant de quelle manière il se prend à chicaner notre morale, soutenant que les préceptes qu'elle donne n'ont rien de singulier ni de nouveau, et qui ne leur soit commun avec ceux des autres philosophes. Mais nous lui répondons que ceux qui attirent sur leurs têtes le juste jugement de Dieu, seraient exempts de la punition de leurs péchés, s'il n'y avait, dans l'esprit de tous les hommes, des notions communes du vice et de la vertu. Il ne faut donc pas s'étonner si le même Dieu qui a donné aux uns, par ses prophètes et par Jésus-Christ, les règles de bien vivre, a mis dans l'âme de tous les autres des lumières naturelles qui leur font connaître leur devoir, afin qu'il n'y ail aucun d'eux qui puisse trouver d'excuse quand Dieu le jugera, puisqu'il n'y en a aucun qui n'ait ce que la loi ordonne écrit dans son c?ur (Rom., II, 15). C'est ce que l'Ecriture nous a voulu représenter par cet événement que les Grecs prennent pour une fable, lorsqu'elle nous raconte que Dieu ayant écrit de son doigt (Exode, XXXI, 18) ses commandements el les ayant donnés à Moïse, ils furent brisés par l'impiété de ceux qui s'étaient fait un veau d'or (Ibid., XXXII, 19), comme pour dire que l'inondation du vice les a emportés de l'âme des hommes ; après quoi Dieu les ayant une seconde fois écrits sur des tables de pierre que Moïse avait taillées (Exode, XXXIV, 1), il les lui redonna pour signifier que ce qui a été effacé du c?ur des hommes par leur première corruption, y est retracé par la prédication des prophètes, comme si Dieu l’y écrivait de nouveau.
De là il passe au point de l'idolâtrie, et rapportant ce qu'en disent en particulier ceux qui font profession du christianisme, il établit lui-même les preuves de leur sentiment, lors qu'il dit qu'ils ne peuvent croire ces divinités, fabriquées par les mains des hommes, parce qu'il n'y a point d'apparence que des ouvrages faits le plus souvent par des hommes méchants et injustes et remplis de toutes sortes d'impuretés puissent être de véritables dieux. Mais voulant montrer ensuite que cette doctrine des chrétiens leur est commune avec d'autres et que ce ne sont pas leurs livres qui l'ont enseignée les premiers, il cite un passage d'Héraclite qui dit de ceux qui s'adressent à des choses inanimées, comme si c'étaient des dieux, qu'ils font tout de même que s'ils parlaient aux parois. Il faut donc encore lui répondre qu'il en est de cet article comme des autres de la morale, dont il y a des semences dans l'âme des hommes, d'où sont nées les réflexions d'Héraclite et des autres qui ont parlé comme lui, soit grecs, soit barbares. Car il nous allègue aussi le témoignage d'Hérodote, pour prouver que les Perses sont dans le même sentiment. A quoi l'on peut ajouter ce que dit Zénon Citien, dans sa République : Il ne faudra point s'amuser à bâtir des temples ; car on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait rien de saint ou de sacré, ni qui mérite qu'on en fasse une haute estime dans tout ce qui passe par les mains des architectes et des autres ouvriers. Il est donc évident que c'est ici une de ces vérités que Dieu a imprimées dans le c?ur des hommes pour les instruire de leur devoir.
Je ne sais par quel mouvement Celse est poussé à dire, comme il fait après cela, que tout le pouvoir qu'il semble que les chrétiens aient leur vient des noms et de l'invocation de certains démons, désignant par là sans doute ce qu'on dit de ceux qui conjurent et qui chassent les esprits malins ; mais c'est une calomnie manifeste contre le christianisme ; car si les chrétiens ont du pouvoir, ce n'est pas par le moyen de ces sortes d'invocations, mais par la prononciation du nom de Jésus jointe au récit des histoires de sa vie. C'est par là qu'on a vu souvent les démons contraints de sortir du corps de ceux qui en étaient possédés, surtout lorsque cette prononciation et ce récit se font avec une conscience pure et une foi ferme. Et ce nom de Jésus a tant de force contre les démons, qu'il est même quelquefois arrivé qu'étant prononcé par des méchants, il n'a pas laissé de produire son effet. Ce que Jésus-Christ nous a voulu enseigner lorsqu'il a dit : Plusieurs me diront en ce jour-là : Nous avons chassé le» démons et fait des miracles par ton nom (Matth. VII, S2). Et je ne sais si c'est par une négligence affectée et malicieuse que Celse a passé cela sous silence, ou si c'est qu'effectivement il ne le sut pas ; mais dans ce qui suit, il étend ses calomnies jusque sur la personnes de notre Sauveur, l’accusant d'avoir fait par art magique tout ce qui a paru de plus surprenant dans ses actions, et d'avoir ensuite banni de la société de ses disciples, par un effet de sa prévoyance, ceux qui, ayant appris les mêmes secrets, pourraient se vanter comme lui de faire leurs miracles par la vertu de Dieu. Voici donc comme il forme son accusation : Si c'est justement, qu'il rejette ces gens-là comme des méchants, il est un méchant lui-même puisqu'il a fait les mêmes choses ; et s'il n'est pas un méchant de les avoir faites, les autres ne sont pas plus à condamner que lui. Mais quand il serait vrai que nous n'aurions pas de quoi faire voir, sur le fait de Jésus, par quelle vertu il faisait ses miracles, il est assez clair que les chrétiens n'emploient ni charmes ni conjurations, et qu'ils ne se servent que du nom de Jésus, y ajoutant seulement quelques autres choses que l'Ecriture sainte leur apprend à croire.
Il faut maintenant repousser l'injure qu'il fait à notre doctrine, l'appelant par diverses fois une doctrine cachée; bien que presque tout le monde ait plus de connaissance de ce que prêchent les chrétiens que de ce qu'enseignent les philosophes. Qui est-ce, en effet, qui n'a point entendu parler de Jésus, né d'une vierge et mort sur une croix, de sa résurrection, qui est l'objet de la foi de tant de personnes, du jugement à venir, où les. méchants doivent recevoir la punition de leurs crimes, et où les justes doivent être récompensés? Et le mystère de la résurrection des morts, n'est-il pas tous les jours dans la bouche des incrédules, qui en font le sujet continuel de leurs railleries? Dire après cela que notre doctrine est une doctrine cachée, c'est dire la chose du monde la plus, absurde; car d'avoir quelques points qui ne viennent pas à la connaissance de tout le monde, et qui ne se présentent, pour ainsi dire, qu'après qu'on a passé les dehors, cela n'est pas particulier au christianisme, et l'on peut remarquer la même chose dans toutes les sectes des philosophes où il y a certains dogmes qui en sont l'extérieur, et d'autres qui ne sont pas si exposés à la vue de chacun. Parmi les disciples de Pythagore il y en avait qui s'en tenaient à leur C'est lui qui l’a dit, sans pénétrer plus avant ; mais il y en avait d'autres à qui il enseignait en particulier les choses qu’il ne fallait pas confier à des oreilles profanes et non encore purifiées. Et généralement dans tous les mystères, soit des Grecs, soit des Barbares, on n’a jamais trouvé à redire que le secret y fût observé C'est donc sans fondement aussi bien que sans connaissance que Celse déclame contre ce qu'il y a de caché dans la religion chrétienne.
L'on dirait ensuite qu'il a presque dessein de prendre hautement le parti de ceux qui ne refusent point de souffrir la mort pour rendre témoignage à la vérité du christianisme, lorsqu’il parle de cette sorte : Ce n'est pat que je veuille dire qu'un homme qui se voit exposé à quelques dangers dans le monde pour une bonne doctrine dont il est persuadé, doive l’abandonner pour cette raison ou feindre en l’abjurant de l'avoir abandonnée. Par où il condamne le déguisement de ceux qui, approuvant dans leur c?ur la religion chrétienne, la rejettent en apparence ou en abandonnent la profession, puisqu'il ne veut pas que l'on feigne d'abandonner sa créance ou de l'abjurer. Il faut donc le convaincre de se contredire lui-même ; car, par ses autres écrits, il paraît manifestement qu'il est épicurien ; mais dans celui-ci. afin que ses accusations aient plus de couleur et plus de poids contre les chrétiens, il déguise les sentiments de sa secte, et feint de reconnaître en l'homme quelque chose de plus noble que le corps, et d'une nature qui approche de la divine. Ceux, dit-il, qui ont l'âme bien faite, portent tout leurs désirs vers celui à qui ils ressemblent par cette partie de leur être, je veux dire vers Dieu, et n'ont jamais plus de joie que quand on les en entretient. Remarquez la mauvaise foi de cet esprit double. Après avoir dit qu'un homme qui se voit exposé à quelques dangers dans le monde, pour une bonne doctrine dont il est persuadé, ne doit pas l'abandonner pour cette raison, ni feindre, en l'abjurant, de l'avoir abandonnée, il fait lui-même ce qu'il vient de condamner ; car il ne cache sa véritable créance que parce qu'il prévoyait qu'autrement ses objections seraient mal reçues, venant de la part d'un épicurien, contre des personnes qui, de quelque manière que ce soit, admettent la Providence et confessent que Dieu gouverne le monde. J'apprends au reste qu'il y a eu deux épicuriens qui ont porté le nom de Celse; l'un, sous l'empire de Néron ; l'autre, du temps d'Adrien et après, qui est celui à qui j'ai affaire.
Il nous exhorte à ne recevoir aucun dogme qu'après avoir pris conseil de la raison, et que suivant ce qu'elle nous dicte, parce qu'autrement on est sujet à se tromper dans les opinions qu'on embrasse. Et il compare ceux qui croient sans examen ce qu'on leur propose, à ceux qui se laissent séduire par les illusions de ces charlatans qui courent le monde sous le nom de prêtres de Mithras, ou (Gr. Sabbadiens) de Bacchus, de Cybèle, ou d'Hécate, ou de quelque autre divinité semblable ; car comme ces fourbes, abusant de la crédulité des simples qui s'arrêtent à eux, en font pour l'ordinaire tout ce qu'ils veulent: Ainsi, dit-il, en arrive-t-il parmi les chrétiens, entre lesquels il y en a qui, ne voulant ni écouter vos raisons, ni vous en donner de ce qu'ils croient, se contentent de vous dire : N'examinez point, croyez seulement; ou bien, votre foi vous sauvera: et qui tiennent pour maxime que la sagesse (de la vie) du monde est un mal, et que la folie est un bien. Il lui faut répondre que s'il était possible que tous les. hommes, négligeant les affaires de la vie, s'attachassent à l'étude et à la méditation, il ne faudrait point chercher d'autre voie pour leur faire recevoir la religion chrétienne ; car pour ne rien dire qui offense personne, on n'y trouvera pas moins d'exactitude qu'ailleurs, soit dans la discussion de ses dogmes, soit dans l'éclaircissement des expressions énigmatiques de ses prophètes, soit dans l'expression des paraboles de Ses Evangiles et d'une infinité d'autres choses arrivées ou ordonnées symboliquement. Mais puisque ni les nécessites de la vie, ni l'infirmité des hommes ne permettent qu'à un fort petit nombre de personnes de s'appliquer à l'étude, quel moyen pouvait-on trouver plus capable de profiter à tout le reste du monde, que celui que Jésus-Christ a voulu qu'on employât pour la conversion des peuples? et je voudrais bien que l'on me dit, sur le sujet du grand nombre de ceux qui croient et qui par là se sont retirés du bourbier des vices où ils étaient auparavant enfoncés, lequel leur vaut le mieux, d'avoir de la sorte changé leurs m?urs et corrigé leur vie, en croyant, sans examen qu'il y a des peines pour les péchés et des récompenses pour les bonnes actions, ou d'avoir attendu à se convertir qu'on les y reçût, lorsqu'ils ne croiraient pas. seulement, mais qu'ils auraient examiné avec soin les fondements de ces dogmes. Il est certain qu'à suivra cette méthode, il y en aurait bien peu qui en vinssent jusqu'où leur foi toute simple et toute nue les conduit; mais que la plupart demeureraient dans leur corruption : ce qui me fait dire qu'entre les plus illustres preuves qui font voir qu'une doctrine si avantageuse aux hommes ne peut leur être venue que du ciel, il faut mettre celle que cette considération nous fournit ; car une personne pieuse ne croira pas même qu'un médecin qui aura guéri une grande quantité de malades dans une ville ou dans tout un pays, y soit venu autrement que par une conduite particulière de la Providence, puisqu'il n'arrive rien de bon dans le monde dont Dieu ne soit l'auteur. S'il faut donc rapporter à Dieu ces guérisons corporelles, à combien plus forte raison lui faut-il attribuer la guérison de tant d'âmes, et reconnaître que c'est sa main qui leur a donné celui qui les convertit, qui les purifie, qui leur enseigne à dépendre uniquement du souverain. Maître du monde, à régler tout ce qu'elles font sur sa volonté et à éviter tout ce qui lui peut déplaire, jusque dans les moindres de leurs actions, de leurs paroles ou de leurs désirs? mais puisqu'ils font tant de bruit de cette manière de croire sans examiner, il leur faut encore dire que pour nous, qui remarquons l'utilité qui en revient aux personnes qui font le plus grand nombre, nous avouons franchement que nous la recommandons à ceux qui ne sont pas en état de tout abandonner, pour s'appliquer entièrement à la recherche de la vérité, au lieu que pour eux, ils ne veulent pas avouer qu'ils le font ; mais ils ne laissent pas de le faire effectivement; car lorsque quelqu'un embrasse l'étude de la philosophie, et qu'entre les diverses sectes des philosophes, ou le hasard, ou l'occasion d'un maître, lui fait choisir celle-ci plutôt que celle-là, ne s'y arrête-t-il pas, parce que sans autre examen il la croit la meilleure? Ce n'est pas après s'être donné la patience d'écouter tous les raisonnements des uns et des autres, leurs preuves et leurs objections, leurs réfutations et leurs réponses, qu'il se détermine à être platonicien ou péripatéticien, disciple de Zénon ou disciple d'Epicure ou de telle autre secte qu'il vous plaira. C'est, quand on ne voudrait pas l'avouer, c'est par un mouvement où la raison n'a point de part, qu'il est porté à se faire, par exemple, stoïcien et à rejeter les autres sectes : celle de Platon, parce qu'il ne lui semblera pas qu'elle ait assez de sublimité; celle d'Aristote, parce qu'elle a trop de complaisance pour les faiblesses des hommes, et qu'elle demeure trop facilement d'accord que ce qu'ils nomment des biens, en sont en effet ; et il y en a qui se laissent si fort troubler à la première vue de ce qui arrive sur la terre aux gens de bien et aux méchants, qu'ils prennent de là légèrement occasion de nier la Providence et de se ranger au sentiment d'Epicure et de Celse. Si l'on est donc obligé, comme je viens de le faire voir, d'ajouter foi à quelqu'un de ceux qui ont été fondateurs de sectes, soit parmi les Grecs, soit parmi les Barbares, combien est-il plus juste d'avoir la même déférence pour le grand Dieu et pour celui qui nous enseigne à le prendre lui seul pour l’objet de notre culte, et à laisser là toutes les autres choses qui ne sont point ou qui, si elles sont, peuvent être dignes qu'on les estime et qu'on les honore, mais ne sauraient mériter qu'on les adore ni qu'on ait de la vénération pour elles ? ce qui n'empêche nullement que ceux qui ne se contentent pas de croire, mais qui se servent aussi des lumières de leur raison, n'établissent solidement leur créance par les preuves convaincantes qui se présentent à eux d'elles-mêmes, ou qu'une recherche exacte leur fournit. Et puisque, dans toutes les affaires humaines, il y a une nécessité de croire, de laquelle elles dépendent, n'est-il pas beaucoup plus raisonnable que nous croyions à Dieu qu'à tout autre? car qui est l'homme qui monte sur mer, ou qui se marie, ou qui mette des enfants au monde, ou qui sème ses terres, qu'il ne le fasse parce qu'il croit que sa condition en sera meilleure, bien que le contraire puisse arriver et qu'il arrive souvent en effet? cependant cette créance qu'on a que les choses réussiront comme on le souhaite, fait faire à tout le monde des entreprises dont le succès est fort incertain. S'il est donc vrai que dans toutes les actions de la vie on ne s'expose à tant d'événements douteux, que parce qu'on croit et qu'on espère qu'ils seront favorables, n'y a-t-il pas infiniment plus de sujet de croire et d'espérer pour ceux qui n arrêtent pas leur pensée à courir les mers, à labourer la terre, à prendre une femme on à quelque autre objet de cette nature; mais qui la portent jusqu'à Dieu, le créateur de toutes ces choses, et jusqu'à celui qui, pour confirmera tous les nommes la vérité de ce qu'il enseignait, a bien voulu souffrir pour eux de cruelles persécutions et une mort même qui passe pour ignominieuse : laissant ce bel exemple de fermeté et de grandeur d'âme, à ceux à qui il commit le premier soin de publier sa doctrine, afin qu'il leur apprit que ni le nombre des dangers, ni la rigueur des supplices, ne les devaient détourner d'aller courageusement la répandre par toute la terre pour le salut de ses habitants ?
Celse exprime ainsi ce qu'il ajoute : S'ils veulent répondre aux questions que je leur ferai, non pour m'instruire de leurs sentiments, car je sais tout et qui se dit parmi eux, mais pour leur montrer que mes soins s'étendent également à tous les hommes ; s'ils le veulent, dis-je, à la bonne heure ; mais s'ils le refusent et qu'ils se renferment, à l'ordinaire, dans leur : N'examinez point, croyez feulement, il faut, du moins, qu'ils me disent quelles sont ces choses qu'ils veulent que je croie et d'où ils les ont tirées, etc. Je dis à cela que ce je sais tout est avancé avec une étrange présomption. En effet, si Celse avait lu, entre autres, les livres des prophètes qui, comme on ne le peut nier, sont pleins d'expressions énigmatiques et de discours que la plupart de ceux qui les lisent ne sont pas capables d'entendre; s'il avait pris garde aux paraboles des évangiles ou à a loi et à l'histoire des Juifs; si lisant les écrits des apôtres avec un esprit d'équité, il s'était mis en état de bien pénétrer le sens de leurs paroles, il ne se serait pas si légèrement donné la vanité de savoir tout ; puisque nous-mêmes, qui avons fait toute notre occupation de cette étude, n'oserions parler de la sorte : car il faut avouer la vérité. Beaucoup moins aurions-nous la hardiesse de nous vanter de savoir toute la doctrine d'Epicure ou de Platon, sur laquelle ceux-là mêmes qui l'expliquent aux autres ont tant de peine à s'accorder ; et où est l'homme assez téméraire pour prétendre savoir toute la philosophie stoïque ou tout ce qu'enseignent les péripatéticiens ? Mais peut-être que le je sais tout de Celse n'est fondé que sur ce qu'il peut avoir appris de quelques pauvres gens sans lettres, si ignorants qu'ils se connaissaient pas même leur ignorance, et que ce sont là les docteurs, dont il a épuisé tout le savoir. A peu près comme si quelqu'un étant allé voyager en Egypte, où les sages du pays font des spéculations profondes, selon les principes de leur philosophie, sur les cérémonies de leur religion, mais où le peuple, se repaissant de je ne sais quelles fables qu'il n'entend point, croit cependant être bien savant, s'imaginait savoir toute la doctrine des Egyptiens, sous prétexte qu'il aurait été instruit par quelque personne du commun, bien qu'il n'eût conféré avec aucun des sages ou des prêtres qui lui eût explique les mystères. Ce que je dis des Egyptiens, il le faut étendre aux Syriens, aux Indiens, aux Perses et à toutes les autres nations qui cachent leur religion sous des fables et qui pratiquent des cérémonies, dont l'écorce arrête les yeux et l'esprit du menu peuple, mais dont la signification mystique n’est que pour les personnes éclairées.
Puisque Celse a posé comme une maxime tenue par plusieurs chrétiens, que la sagesse de la vie est un mal, et que la folie est un bien. il lui faut répondre, qu'il falsifie le passage de saint Paul, au lieu de rapporter ses propres paroles, qui sont : Si quelqu'un d'entre nous pense être sage, qu'il devienne fou en ce siècle pour devenir sage; car la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu (I Cor. III, 18, 19). L'Apôtre ne dit donc pas simplement que la sagesse est une folie devant Dieu; mais il dit que c'est la sagesse de ce monde. Et il ne dit pas non plus: Si quelqu'un d'entre nous pense être sage, qu’il devienne fou absolument, mais qu'il devienne fou en ce siècle, pour devenir sage. Par la sagesse de ce siècle nous entendons toute cette vaine philosophie qui doit être détruite, selon le témoignage de l'Ecriture (I. Cor., II, 6). Et lorsque nous disons que la folie est un bien, nous ne le prenons pas dans un sens précis; mais en tant que l'on passe pour fou dans le monde. Comme qui dirait que les platoniciens, qui croient l'immortalité de l'âme et ce qu'on dit de sa transmigration d'un corps dans un autre, sont des fous, au jugement des stoïciens, qui se moquent de leur crédulité ; des épicuriens qui nomment superstition tout ce qui suppose la Providence et l'empire de Dieu sur le monde (Platon, à la fin du Xe livre de la Républ.). Il est d'ailleurs fort aisé de faire voir qu'il est beaucoup plus conforme à l'esprit du christianisme d appuyer sa persuasion sur les fondements de la raison et de la sagesse que sur ceux d'une simple foi, et que si Jésus veut bien que l'on reçoive aussi sa doctrine par cette dernière voie, ce n'est qu'en des circonstances où sans cela elle demeurera entièrement inutile aux hommes.
Il n'en faut pas d'antre témoin que saint Paul, le fidèle interprète de l'intention de son maître. Puisque le monde, dit-il, n'a pas su se servir de la sagesse pour connaître Dieu dans sa sagesse divine, il a plu à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui (I Cor., I. 21). Il est clair, par là, que le devoir des nommes était de connaître Dieu dans sa sagesse divine, et que ce n'est que parce qu'ils ne l'ont pas fait qu'il a plu à Dieu de se servir d'un autre moyen pour sauver ceux qui croiraient en lui, savoir, non pas absolument de la folie, mais de la folie de la prédication de Jésus-Christ crucifié, comme le témoigne encore saint Paul qui savait si parfaitement ce qui en était. Nous prêchons, dit-il, Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié, qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu à ceux qui sont appelés, soit d'entre les Juifs, soit d'entre les Grecs (I Cor. I, 23).
Celse ayant cette pensée que la nature a mis une certaine conformité de sentiments entre la plupart des nations, il fait un grand dénombrement de tous les peuples qui conviennent, selon lui, des mêmes principes. Il n'y a que la seule nation des Juifs, à qui il fasse injure de ne vouloir pas lui donner rang parmi les autres, ni reconnaître qu'elle agit et qu'elle raisonne sur des notions ou toutes pareilles ou du moins à peu près semblables. Je ne sais d'où cela vient ; mais je voudrais bien lui demander par quelle raison il reçoit comme des vérités ce que les histoires des Grecs et des Barbares racontent de l'antiquité des autres peuples, pendant qu'il rejette, comme des fables, les histoires de cette seule nation ? Car si tous les autres font un fidèle récit de ce qui s'est passé parmi eux, pourquoi les seuls prophètes des Juifs seront-ils suspects de mauvaise foi ? Et si l'on soupçonne Moïse et les prophètes d'avoir déguisé les choses pour favoriser leur nation, pourquoi le même soupçon ne tombera-t-il pas sur les écrivains des autres pays? Les Egyptiens, qui disent beaucoup de mal des Juifs dans leurs histoires, sont-ils plus croyables que les Juifs qui en disent autant des Egyptiens, et qui se plaignent d'en avoir été maltraités avec tant d'injustice, que Dieu en fit une terrible vengeance ? On doit dire la même chose des Assyriens, dont les histoires font foi qu'ils ont eu de longues guerres avec les Juifs, comme les auteurs juifs (car on pourrait m'accuser de préjugé, si je leur donnais ici le nom de prophètes) le témoignent aussi de leur côté. Voyez, dès là, s'il n y a pas de la préoccupation à Celse, de recevoir le témoignage des uns comme de gens sages et éclairés, et de rejeter celui des autres comme de personnes qui n'ont pas le sens commun : car voici de quelle manière il parle : C'est un sentiment, dit-il, reçu de toute ancienneté et dont les nations les plus sages, les peuples entiers et les personnes éclairées sont toujours demeurées d'accord. Mais parmi ces nations sages, il se donne bien de garde de compter les Juifs qui, à l'en croire, n'ont rien qui approche es Egyptiens et des Assyriens, des Indiens, des Odrysiens et des Perses, de ceux d'Eleusine ou de ceux de Samothrace. Combien est préférable à Celse le philosophe pythagoricien Numénius, qui s'est rendu si célèbre par son éloquence, qui a cherché la vérité avec tant de soin, et qui a ramassé tant d'autorités pour la confirmer, lorsqu'il a cru l'avoir trouvée? Ce savant homme nommant dans son premier livre du Souverain Bien, toutes les nations qui ne conçoivent rien de corporel dans la divinité, n'oublie pas de mettre les Juifs de ce nombre. Il se sert même, dans son ouvrage, de passages tirés des prophètes, et il prend plaisir à en donner des explications allégoriques. L'on dit aussi qu’Hermippe, en son premier livre des Législateurs, assure que Pythagore avait appris des Juifs la philosophie qu'il a enseignée aux Grecs. Et l'on voit encore un écrit de l'historien Hécatée, touchant les Juifs, où il s'attache aux sentiments de cette nation avec tant de marques d'estime pour la sagesse, que cela a donné lieu à Berennius Philon, dans le Traité qu'il a fait de ce même peuple, premièrement de douter si cet écrit était d'Hécatée, et de dire ensuite que s'il en était véritablement, il fallait qu’Hécatée se fût laissé persuader aux raisons des Juifs, et qu'il eût embrassé leur doctrine. Je m'étonne, au reste, que Celse, mettant les Odrysiens et les Hyperborées, ceux d’Eleusine et ceux de Samothrace au rang des nations les plus sages et les plus anciennes du monde, il ait absolument exclu les Juifs du nombre de celles qui pouvaient prétendre au moins à quelque degré d'antiquité et de sagesse; car les propres écrits des Egyptiens, des Phéniciens et des Grecs sont remplis d'un grand nombre de témoignages sur l'antiquité de ce peuple : et je ne me dispense de les rapporter que parce que ceux qui les voudront voir n'ont qu'à lire les deux livres où Joseph les a soigneusement ramassés. Tatien, qui a écrit depuis, a fait aussi un savant discours contre les gentils (contre Apion), où il produit les passages de divers auteurs qui déposent en faveur de l'antiquité du peuple juif et de celle de Moïse. Il semble donc que quand Celse a parlé de la sorte, il a moins eu dessein de dire la vérité que de contenter sa haine et de décrier jusque dans la nation des Juifs l'origine du christianisme qui y est comme attachée. Aussi voit-on que les Galactophages même d'Homère, les druides des Gaulois et des Gèles, qui ont eu quelques sentiments assez conformes à ceux des Hébreux, mais dont je ne sais s'il reste aucun écrit, sont selon lui des peuples très sages et très anciens : il n'y a que cette seule nation à qui il s'efforce d'ôter ces qualités. Il fait la même injure à Moïse en particulier, ne lui donnant aucun rang parmi les anciens sages dont il parle, qui ont travaillé pendant leur vie pour le bien des autres hommes, et qui les instruisent encore par leurs écrits après leur mort. Linus est celui qu'il met à la tête de tous les autres, mais de qui nous n'avons ni lois, ni livres pour le règlement de la société ou pour la correction des m?urs ; au lieu que les lois de Moïse sont encore observées par un grand peuple, qui les a répandues par toute la terre. Jugez donc si ce n'est pas l'effet d'une malignité toute visible de refuser à Moïse le litre de sage, et de l'accorder à Linus, à Musée, à Orphée, à Phérécyde, au persan Zoroastre et à Pythagore, sur ce qu'ils se sont appliqués a donner des préceptes aux hommes, et qu'ils ont eu soin de les laisser à la postérité, dans leurs écrits, où ils se sont conservés jusqu'à présent. Il affecte aussi de passer sous silence tous les contes que l'on fait et que fait Orphée, entre les autres, de ces prétendues divinités, à qui on attribue toutes les passions et toutes les faiblesses des hommes; et il déclame ensuite contre l'histoire de Moïse, sans vouloir souffrir qu'on l'explique allégoriquement, ni qu'on y cherche un autre sens que le littéral. Mais on pourrait demander à cet habile homme qui a donné à son livre le titre de Discours véritable : dites-nous, de grâce, vous qui trouvez de si beaux mystères dans les aventures étranges que vos sages poètes et vos philosophes éclairés nous racontent de leurs dieux, qui se sont souillés d'adultères et d'incestes, qui se sont soulevés contre leurs pères, qui en ont fait des eunuques et qui ont osé entreprendre ou qui ont été contraints de souffrir tant d'autres choses de cette nature; d'où vient que Moïse, qui ne dit rien de pareil de Dieu, ni même des saints anges, et qui ne rapporte rien d'aucun homme qui approche de ce que Saturne entreprit contre le ciel (ou Célus), son père, et Jupiter ensuite contre Saturne, ni de l'inceste que le père des dieux et des hommes commit avec sa propre fille; d'où vient, dis-je, qu'il passe en votre esprit pour un imposteur qui a séduit ceux qui se sont soumis à ses lois ? Quand je considère ce procédé de Celse, je trouve qu’il ne ressemble pas mal à celui du Thrasymaque de Platon, qui ne voulait pas permettre à Socrate de répondre comme il lui plairait sur l'essence de la justice. Ne n'allez pas dire, lui disait-il, que la justice soit Futilité, ni la bienséance, ni rien de semblable (Plat., liv. I de la Républ.). Celse, tout de même, ayant à son avis fait le procès aux histoires de Moïse, et trouvant mauvais ensuite qu'on leur donne un sens allégorique, bien qu'il avoue que ceux qui le font méritent au moins la louange d'être les plus équitables, il fait en cela comme si, après avoir formé son accusation à sa fantaisie, il voulait ôter à ceux qui sont capables de la repousser la liberté de le faire selon que la nature du sujet le leur conseille. Mais nous lui pouvons dire hardiment en le défiant d'opposer livre à livre: Produisez, si bon vous semble, les vers de Linus, de Musée et d'Orphée, et les écrits de Phérécyde ; faites comparaison de leurs ouvrages avec ceux de Moïse, de leurs histoires avec les siennes, de leurs préceptes avec ses lois et avec ses enseignements ; essayez lesquels seront les plus propres à gagner d'abord les c?urs, et à faire changer de sentiments au premier qui les entendra ; considérez combien ces auteurs, dont vous nous faites le dénombrement, se sont peu mis en peine du commun de ceux qui pourraient lire leurs écrits, où il n'ont renfermé leur philosophie particulière, comme vous la nommez, que pour ceux qui la sauraient démêler des figures et des allégories qui la couvrent; au lieu que Moïse a fait, dans ses cinq livres, à peu près comme un habile orateur qui se serait étudié à renfermer une double idée dans tout son discours, et qui aurait pris garde à ne se servir d'aucune expression qui ne se pût appliquer à l'une et à l'autre ; de sorte que ni le simple peuple d'entre les Juifs qui ont vécu sous ses lois, n'y trouvant rien qui blessât les bonnes m?urs, n'en a pu prendre occasion de se corrompre, ni les autres en plus petit nombre, qui ont eu l'esprit plus éclairé et qui ont pu pénétrer toute son intention, n'ont pas manqué de matière pour une méditation sublime. Et je ne vois pas que toute la sagesse de vos poètes ait empêché la perte de leurs ouvrages qui assurément se seraient mieux conservés, si leur utilité s'était fait sentir à ceux entre les mains de qui ils tombaient. Mais les écrits de Moïse ont eu la force sur l'esprit même de plusieurs personnes éloignées des sentiments et des coutumes des Juifs, de se faire reconnaître à eux pour être effectivement, comme ils se l'attribuent, l'ouvrage de Dieu, le créateur du monde, et de leur persuader que c'était lui qui les avait d'abord dictés à Moïse : car il était bien juste que celui qui avait formé l'univers, voulant aussi lui donner des lois, imprimât à ses paroles une vertu capable de se faire ressentir partout. Ce que je dis sans entrer encore dans l'examen
 de ce qui regarde Jésus : mais me contentant de faire voir, pour cette heure, que Moïse qui est si fort au-dessous de Notre-Seigneur, l'emporte manifestement de beaucoup sur vos sages, soit poètes, soit philosophes.
Celse qui veut après cela donner indirectement atteinte à l'histoire de la création, qui est dans Moïse, selon laquelle il s'en faut beaucoup que le monde ne soit encore vieux de dix mille ans, se range, en déguisant sa pensée, au sentiment de ceux qui disent que le monde n'a point eu de commencement ; car ce qu'il avance de ces divers embrasements et de ces diverses inondations, qui sont arrivées de tout temps, la dernière desquelles a été le déluge de Deucalion, dont la mémoire est encore fraîche, cela, dis-je, fait assez connaître à ceux qui sont capables de l'entendre que, selon lui, le monde est de toute éternité. Qu'il nous dise donc un peu, lui qui blâme tant la foi des chrétiens, par quelles raisons démonstratives il a été convaincu qu'il y a eu plusieurs embrasements et plusieurs inondations différentes, et que de ces embrasements le plus récent est celui qui arriva du temps de Phaéton, comme le déluge de Deucalion est la dernière des inondations. S'il nous allègue le témoignage de Platon dans ses Dialogues, nous lui dirons qu'il ne nous est pas moins permis de croire que la pure et sainte âme de Moïse, qui s'est élevée au-dessus de toutes les créatures pour s'attacher uniquement à leur créateur, a été toute remplie d'un esprit divin qui l'a fait parler de la Divinité avec beaucoup plus de clarté et d'évidence, que n'en ont parlé ni Platon, ni tous les sages, soit d'entre les Grecs, soit d'entre les Barbares. S'il nous demande des raisons de cette créance, qu'il nous en donne auparavant de ce qu'il a avancé lui-même sans preuve, et nous lui ferons voir ensuite que ce que nous croyons est bien fondé. Il lui est arrivé, au reste, de rendre malgré lui témoignage à la nouveauté du monde, et de reconnaître qu'il n'a pas encore dix mille ans lorsqu'il a dit que les Grecs mêmes regardent ces choses comme de vieux événements, parce que les embrasements et les inondations ont empêché qu'ils en aient vu de plus anciennes, et que la mémoire s'en soit conservée parmi eux. Que Celse appuie donc, tant qu'il lui plaira, la fable de ses embrasements et de ses inondations, sur l'autorité des docteurs égyptiens, les plus sages, selon lui, de tous les hommes : comme, en effet, on peut voir de beaux vestiges de leur sagesse dans l'adoration des animaux privés de raison et dans ce qu'ils allèguent pour prouver que le culte qu'ils rendent ainsi à Dieu est très raisonnable et tout rempli de profonds mystères. Pour ce qui est des Egyptiens, lorsqu'ils font des spéculations idéologiques pour donner du poids à ce qu'ils enseignent touchant les animaux, ils passent pour sages dans son esprit; mais si quelqu’un, conformément à la loi des Juifs et à l’intention de leur législateur, rapporte toutes choses à Dieu seul comme au créateur de l'univers, Celse et ses pareils le mettent infiniment au-dessous de ceux qui rabaissent la divinité non seulement jusqu'à la condition des animaux raisonnables et mortels, mais jusqu'à celle des bêtes mêmes, sous l'ombre de je ne sais quelle imaginaire transmigration de l'âme, qui tombe et qui descend du plus haut des cieux pour passer jusque dans le corps des animaux sans raison, aussi bien dans celui des plus farouches que dans celui des autres qui sont domestiques et privés. Quand les Égyptiens débitent leurs fables, l'on s'imagine que c'est qu'ils cachent leur philosophie sous des figures et sous des énigmes ; mais quand Moïse, après avoir écrit des histoires pour instruire toute une nation, lui donne aussi des lois pour la gouverner, l'on veut que ce ne soient que des contes sans fondement, qui ne puissent même recevoir de sens allégorique ; car c'est ainsi qu'en jugent Celse et les Epicuriens. Moïse, continue-t-il, ayant pris les sentiments de ces nations sages et de ces grands hommes, s'est acquis par là le nom d'homme divin. Pour lui répondre, je veux qu'il soit vrai que Moïse ait pris les sentiments de ceux qui avaient été avant lui, et qu'il les ait introduits parmi les Hébreux, il faut toujours dire que si ces sentiments sont contraires à la vérité et à la sagesse, il est à blâmer de les avoir reçus et de les avoir donnés-aux autres ; mais si, comme vous le posez vous-mêmes, il n'y a rien que de sage et de véritable dans les dogmes qu'il a embrassés et qu'il a enseignes à son peuple, qu'a-t-il fait en cela qu’on doive lui reprocher? Plut à Dieu qu'Epicure, et qu'Aristote, qui est un peu moins impie qu'Epicure sur le sujet de la Providence, et que les stoïciens, qui veulent que Dieu soit un corps, eussent embrassé ces mêmes dogmes ! nous ne verrions pas le monde aussi rempli que nous le voyons de sentiments qui abolissent la Providence ou qui lui donnent des bornes, ou qui établissent un principe corruptible en rétablissant corporel; d'où il suit que Dieu lui-même est un corps, comme le soutiennent les stoïciens qui n'ont point honte de dire qu'il est de sa nature sujet à tous les changements, à toutes les altérations et à toutes les vicissitudes par ou passent les autres choses : en un mol, qu'il ne se pourrait défendre de la corruption, s'il se trouvait exposé aux causes qui la produisent; et que s'il a le bonheur d'être incorruptible, cela ne vient que de ce qu'il n'y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui conserve à Dieu son immutabilité, passe pour une doctrine impie, parce qu'elle ne consent pas à l'impiété de ceux qui ont des sentiments injurieux à la majesté divine, et qu'elle nous enseigne à dire dans nos prières à Dieu : Mais toi, tu es toujours le même (Ps. CI ou CII, 28), comme elle l'introduit ailleurs, qui dit, Je ne change point (Mat. III, 6).
Dans ce qui suit Celse ne condamne point la circoncision qui est en usage parmi les Juifs ; il dit seulement qu'ils l'ont tirée d'Egypte (Gen., XVII. 23) ; et il aime mieux s'en rapporter aux Egyptiens que d'en croire Moïse, qui nous assure qu'Abraham est le premier de tous les hommes qui ait pratiqué a circoncision. Ce nom d'Abraham, au reste, et la familiarité que celui qui le portait a eue avec Dieu, ne sont pas des choses renfermées dans les seuls livres de Moïse. La plupart de ceux qui conjurent les démons, mettent ces mots, Le Dieu d'Abraham, dans le Formulaire dont ils se servent; marquant assez par là l'étroite union qui a été entre Dieu et ce saint homme; car c'est pour celle raison qu'ils font leur conjuration au nom du Dieu d'Abraham, bien qu'ils ne sachent pas qui a été cet Abraham. J'en dis autant des noms d'Isaac, de Jacob et d’Israël qui, étant Hébreux, comme on ne le peut nier, sont très souvent employés par les Egyptiens dans ces sciences secrètes, par lesquelles ils prétendent faire quelque chose d'extraordinaire. Pour ce qui est de la circoncision, dont l’usage, établi en la personne d'Abraham, a été aboli par Jésus, qui n'a pas voulu que ses disciples pratiquassent cette cérémonie, ce n'est pas ici le lieu d'en examiner la signification. Il s'agit non d'expliquer ces mystères, mais de combattre et de repousser les accusations que Celse avance contre la doctrine des Juifs, s’imaginant qu'il lui sera beaucoup plus aisé de faire voir que la religion chrétienne est fausse, si attaquant d'abord ce qu'elle a pour son fondement, je veux dire la religion judaïque, il en montre aussi la fausseté.
Celse dit, après cela, qu'une troupe de gardeurs de chèvres et de brebis s'étant mis à la suite de Moïse, ils furent tellement éblouis de ses illusions grossières, qu'ils se laissèrent persuader qu'il n'y a qu'un Dieu. Qu'il nous fasse donc voir, puisqu'il croit que ces gardeurs de chèvres et de brebis n'ont pas eu raison d'abandonner le culte des dieux, qu'il nous fasse, dis-je, voir comment il pourra prouver lui-même celle multitude de divinités adorées par les Grecs et par les autres peuples qu'on nomme Barbares. Qu'il nous montre l'essence et la subsistance réelle, et de celle Mnémosyne, la Mémoire, et de cette Thémis, la Justice, qui ont eu de Jupiter l'une les Muses, et l'autre les Heures. Qu'il nous montre encore comment les Grâces, qui sont toujours nues, sont aussi des êtres qui subsistent réellement. Il ne saurait jamais nous prouver que ces fantaisies des Grecs, auxquelles on attribue des corps soient des divinités réelles. Car pourquoi les fables des Grecs touchant les dieux seront-elles plus véritables que celles des Egyptiens, par exemple, qui ne connaissent point en leur langue de Mnémosyne, mère des neuf Muses, ni de Thémis, mère des Heures, ni d'Eurynome, mère des Grâces, et qui n'ont aucun de tous ces autres noms d'origine grecque? Qu'y a-t-il donc, dans toutes ces vaines actions, de comparable à la force et à l'évidence des raisons qui nous persuadent, par tout ce que nous voyons, de nous rendre à la parfaite symétrie de l'univers pour adorer celui qui la fait, et pour reconnaître que l'unité de l'un est une preuve de l'unité de l'autre? En effet, il est impossible qu'un ouvrage, dont les parties ont un si juste rapport avec leur tout, doive sa naissance à plusieurs ouvriers, comme il n'est pas croyable que les mouvements des cieux soient réglés par plusieurs âmes, puisqu'il suffit d'une qui, faisant rouler le firmament d'Orient en Occident, renferme et gouverne toutes les choses inférieures qui, bien qu'imparfaites elles-mêmes, sont pourtant nécessaires à la perfection de l'univers; car toutes les choses que le monde contient en sont des parties. Mais Dieu n'est partie d'aucun tout : autrement il ne serait pas parfait comme- il doit être, puisque qui dit partie, dit quelque chose d'imparfait; et peut-être qu'à pousser plus loin le raisonnement, on prouverait que comme Dieu n'est point partie, il n'est pas non plus proprement tout : car un tout est composé de parties; or la raison ne saurait admettre qu'il y ait des parties dans la grand Dieu, dont chacune en particulier n'aurait pas le même pouvoir que les autres. Il dit ensuite que ces gardeurs de chèvres et de brebis se laissèrent ainsi persuader qu'il n'y a qu'un Dieu, soit qu'ils le nommassent le très Haut, ou Adonaï, ou le Céleste, ou Sabaoth; soit qu'il leur plût de désigner cet univers par tel autre nom que bon leur semblait, et que c'était là que se bornait leur connaissance. Il ajoute qu'il n'importe quel nom l'on donne au grand Dieu; soit qu'on l'appelle Jupiter, comme font les Grecs; soit qu’on le nomme de telle ou de telle manière, conformément à l'usage des Egyptiens, par exemple, ou à celui des Indiens. Je réponds que ce discours nous conduit à une question difficile et épineuse, touchant la nature des noms; savoir, s'ils dépendent de l'institution et du choix, comme le croit Aristote, ou s'ils ont leur fondement dans la nature, selon le sentiment des stoïciens, les premières voix s'étant formées sur le modèle des choses mêmes et les représentant par leur son, d'où ensuite les noms entiers ont été tirés, comme on peut encore le remarquer dans les traces de diverses étymologies; ou enfin s'ils ont à la vérité quelque chose de naturel, mais, selon l'opinion d'Epicure, qui est différente de celle des stoïciens, les premiers hommes ayant fortuitement poussé de certaines voix à la rencontre des objets. Je dis donc que si nous pouvons établir comme une chose constante qu'il y a des noms qui ont naturellement de la vertu, tels que sont ceux dont se servent les sages des Egyptiens ou les plus éclairés d'entre les mages des Tarses, ou ceux qu'on appelle Samanées et Brachmanes parmi les philosophes indiens, et ainsi de toutes les autres nations : et si nous pouvons encore prouver que ce qu'on nomme la magie n'est pas un art purement vain et chimérique, comme l'estiment les sectateurs d'Aristote et d'Epicure, mais qu'il a des règles certaines, bien qu'elles soient connues de peu de personnes, comme le font, voir ceux qui l'entendent ; si nous pouvons établir cela, nous dirons alors que ni le nom de Sabaoth, ni celui d'Adonaï, ni tous ces autres noms que les Juifs conservent parmi eux avec tant de vénération, n'ont pas été faits pour des êtres créés et méprisables, mais qu'ils appartiennent à une théologie mystérieuse qui a son rapport au Créateur de l'univers. C'est de là que vient la vertu qu'ont ces noms, lorsqu'on les arrange et qu'on les prononce de la manière qui leur est propre Ainsi, encore il y en a qui, étant prononcés en égyptien, opèrent sur certains démons dont le pouvoir est borné à telle ou telle chose; d'autres qui, étant prononcés en la langue des Perses, opèrent sur d'autres démons; et tout de même parmi les autres nations où l'on employé d'autres noms pour d'autres usages; de sorte qu'il se trouvera, selon les divers endroits assignés aux démons qui font leur séjour sur la terre, que leurs noms aussi ont de la conformité avec le langage dont se sert le peuple du pays. Pour peu donc qu'un homme de bon sens fasse de réflexion sur ces choses, il fera scrupule d'appliquer indifféremment toutes sortes de noms à toutes sortes de sujets, de peur qu'il ne lui arrive de faire la même faute que font ceux qui attribuent grossièrement le nom de Dieu à une matière inanimée, ou ceux qui, au préjudice de la première cause ou de l'honnêteté et de la vertu, ravalent tellement le nom de souverain bien, qu'ils le donnent à des richesses aveugles ou à une prétendue noblesse, ou à je ne sais quelle proportion de la chair, du sang et des os, qui fait la santé et le bon tempérament. Et je ne sais s'il n'est point aussi dangereux de donner le nom de Dieu ou celui de souverain bien à des choses qui ne le méritent pas, que de se méprendre dans l'application des noms qui ont des vertus secrètes, et de donner ceux des puissances supérieures à des êtres inférieurs, ou ceux des êtres inférieurs à des puissances supérieures. Pour ne point dire ici que l'on ne saurait ouïr prononcer le nom de Jupiter sans se mettre aussitôt dans l'esprit le fils de Saturne et de Rhée, le frère de Neptune, le mari de Junon, le père de Minerve, de Diane et de Proserpine, souillé d'inceste avec la dernière; ni celui d'Apollon, sans concevoir que pour le porter il faut être fils de Jupiter et de Latone, et frère de Diane ; avoir le même père que Mercure et répondre, dans tout le reste, au caractère qu'y ont joint les anciens théologiens des Grecs, que Celse reconnaît pour les sages inventeurs de ses dogmes. Car sur quel fondement avoir en partage le nom de Jupiter pour nom propre, sans avoir en même temps Saturne pour père, et Rhée pour mère? ce qu'il faut aussi appliquer à toutes ces autres prétendues divinités. Mais on ne peut faire la même objection à ceux qui soutiennent que le nom de Sabaoth, on celui d'Adonaï, ou les autres noms semblables appartiennent à Dieu par des raisons secrètes et mystérieuses. Qui serait capable d'approfondir cette matière, trouverait aussi divers mystères dans les noms des saints anges, dont l'un se nomma Michel, l'autre Gabriel, l'autre Raphaël, conformément à la nature des emplois qu'ils ont dans l'univers par la volonté du Grand Dieu. Et c'est pareillement à cette philosophie des noms qu'il faut rapporter le nom de notre Jésus qu'on a déjà vu une infinité de fois déployer sa vertu sur les démons, les chassant, aux yeux de tout le monde, des corps et des âmes de ceux qui en étaient possédés. Ajoutez encore à tout ce que nous venons de dire sur le sujet des noms, qu'au rapport de ceux qui entendent l'art de conjurer, tant que Ion récitera la conjuration en la langue qui lui est propre, elle ne manquera pas de produire l'effet qu'elle promet; mais si l’on en change les termes en ceux de quelque autre langue que ce puisse être, on la verra demeurer sans force et sans vertu : pour montrer que ce n'est pas dans le sens des choses, mais dans les qualités et dans les propriétés des mots, que réside le pouvoir de faire telle ou telle opération. C'est par ces raisons que nous défendrons la résistance avec laquelle les chrétiens refusent jusqu'à la mort de donner à Dieu le nom de Jupiter ou quelqu'un de ceux qui sont en usage dans les autres langues ; car pour eux, ou ils le désignent indéterminément par le nom commun de Dieu, ou ils le caractérisent par ces épithètes : Celui qui a formé l'univers, celui qui a créé le ciel et la terre, celui qui a envoyé au monde tels sages dont les noms, étant joints à celui de Dieu, opèrent certaines vertus parmi les hommes. Il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire sur les noms contre l'opinion de ceux qui soutiennent que l'usage et l'application en doit être indifférente; car si l'on admire tant Platon pour avoir fait dire à Socrate (dans le Philèbe), sur ce que Philèbe, s'entretenant avec lui, avait donné à la Volupté le nom de déesse, pour moi, Protarque, j’ai un respect extrême pour les noms des dieux, combien plus devons-nous estimer la retenue des chrétiens qui font scrupule d'appliquer au créateur de l'univers aucun de ces noms tirés des fables? Mais en voilà assez pour cette heure.
Voyons maintenant combien les calomnies de Celse contre les Juifs répondent mal à la vanité qu'il se donne de savoir tout. Ils s'adonnent, dit-il, au culte des anges et à la magie, suivant, en cela, les préceptes de leur Moïse. Qu'il nous marque donc un peu, lui qui est si savant dans la doctrine des Juifs et des chrétiens, l'endroit des écrits de ce législateur, où le culte des anges est établi, et qu'il nous dise comment la magie peut être en vogue parmi des personnes qui reçoivent les lois de Moïse, où ils lisent tous les jours : N’ayez nul commerce avec les magiciens pour vous souiller avec eux. (Lévitiq., XIX, 31). Il promet de faire voir dans la suite que c'est par simplicité et par ignorance que les Juifs, s'étant laissé surprendre, sont tombés dans l'erreur. Et j'avoue que s'il appliquait cela à l'aveuglement des Juifs sur le sujet de Jésus-Christ, qu'ils n'ont pas voulu reconnaître dans les oracles des prophètes, il aurait raison de dire qu'ils sont tombés dans l'erreur : mais sans vouloir seulement faire réflexion sur ces choses, il appelle erreur ce qui n'est nullement erreur. Remettant donc à une autre fois ce qu'il a à dire touchant les Juifs, il entre en matière par notre Sauveur, comme par le fondateur de la société qui fait que nous portons le nom de chrétiens. Il dit qu'il a passé parmi les chrétiens pour le Fils de Dieu. Mais sur cela même qu'il dit que Jésus a paru au monde depuis qu'ayant paru au monde depuis fort peu d'années, il y a été le premier auteur de cette doctrine, et fort peu d'années, nous avons lieu de lui demander si c'est ici on événement ou Dieu puisse n'avoir point de part, que Jésus, ayant depuis si peu d'années formé le dessein de répandre sa doctrine dans le monde, l'ait exécuté avec un si merveilleux succès, que presque dans toutes les parties de la terre que nous connaissons, un très grand nombre de Grecs et de Barbares, de savants et d'ignorants, aient embrassé le christianisme, et en retiennent la profession avec tant de fermeté, qu'ils aiment mieux mourir que d'y renoncer ; ce qu'on ne lit pas que personne ait jamais fait pour aucune autre doctrine. Pour moi, je puis dire, sans rien donner à la faveur de la cause, mais tâchant seulement d'examiner avec soin ce que sont les choses en elles-mêmes, que quand il arrive que ceux qui ne se proposent pour but que la santé du corps réussissent en la guérison de plusieurs malades, ils ne le font que par la bénédiction de Dieu. Et s'il se trouve quelqu'un capable de guérir les âmes des vices qui les possèdent, de leur intempérance, de leur injustice, de leur mépris pour la divinité, et qui, pour preuve de ce qu'il sait faire, vous fasse voir une centaine de personnes (car posons qu'il y en ait autant) dont il ait changé les m?urs, vous ne direz pas non plus que ce soit sans une grâce particulière du ciel qu'il leur ait donné les préceptes qui les ont retirés d'une telle corruption. Si ceux donc qui jugent équitablement des choses sont obligés d'avouer qu'il n'arrive rien de bon au monde que par les soins de la Providence, à combien plus forte raison doit-on dire hardiment la même chose de Jésus-Christ, si l'on fait comparaison de la première vie de ceux qui ont cru en lui avec celle qu'ils ont menée ensuite, et si l'on considère comment, de tout ce grand nombre de personnes, il n'y en avait aucun qui ne fût abandonné à plusieurs sortes de débordements, de violences et de fraudes, avant qu'ils se fussent laissé séduire, ainsi qu'en parlent Celse et ceux qui jugent comme lui, et qu'ils eussent reçu cette doctrine, qui est, disent-ils, la peste du genre humain; au lieu que depuis qu'ils l'ont reçue, ils n'ont fait paraître en leur conduite que des exemples de retenue, de douceur et d'équité, jusque là même qu'il s'en trouve que l'amour d'une pureté au-dessus de l'ordinaire, et le désir de se consacrer plus parfaitement au service de Dieu, ont portés à se priver volontairement des plaisirs qu'il est permis de prendre dans un mariage légitime. Il ne faut au reste qu'un peu d’application d'esprit, pour reconnaître que Jésus a fait une entreprise qui passe les forces humaines, et que l'ayant faite, il l'a exécutée. Car toutes choses s'opposant d'abord à l'établissement de sa doctrine dans le monde, les princes qui ont régné successivement, les gouverneurs et les généraux d'armée qui commandaient sous eux, les magistrats particuliers des villes, les peuples et les soldats, tous ceux, en un mot, qui avaient quelque autorité ou quelque crédit, ayant déclaré la guerre à cette doctrine, elle est demeurée victorieuse, et elle a fait voir qu'étant la doctrine de Dieu, il n'y avait rien qui fut capable de lui résister. De sorte que, malgré les efforts de tant d'ennemis, elle s'est répandue dans toute la Grèce et parmi la plupart des peuples barbares, ou elle a changé en mieux un nombre inouï d'âmes, les ayant instruites a servir Dieu, suivant ce qu'elle prescrit. Or comme il y a toujours plus de gens simples et grossiers qu'il n'y en a d'éclairés et de savants, il était inévitable que dans la foule de ceux qui se rendaient à la doctrine chrétienne, le nombre de ces grossiers et de ces simples ne fût beaucoup plus grand que celui des autres. Mais Celse, ne voulant pas considérer cela, parle avec mépris de ce divin soleil qui ne dédaigne point de se lever pour tout le monde, et il prend cette condescendance pour une marque de faiblesse, comme si la doctrine de Jésus n'avait rien de noble ni de relevé, et que sa simplicité la rendit incapable de gagner d'autres esprits que ceux des simples ; quoiqu'il ne puisse dire pourtant qu'il n'y ait que des gens simples et grossiers qui aient embrassé la doctrine et la religion de Jésus, puisqu'il avoue lui-même qu'il s'en trouve parmi eux dont les m?urs sont douces et bien réglées, et d'autres qui ont assez de lumière et de savoir pour se démêler heureusement des allégories.
Mais puisqu'il use de prosopopées, imitant en quelque sorte l'exemple d un jeune écolier que son maître ferait déclamer pour l'exercer dans la rhétorique, et qu'il introduit un Juif qui tient à Jésus certains discours puériles, où il n'y a rien de digne des cheveux blancs d'un philosophe, examinons aussi avec soin ce qu'il lui fait dire, et faisons voir qu'il n'a pas su même bien garder le caractère qui convenait à son Juif. Il l'introduit donc s'adressant à Jésus, et prétendant le convaincre de plusieurs choses, et premièrement, d'avoir supposé qu'il rfcv.nl sa naissance à une vierge. Il lui reproche ensuite d'être originaire d'un petit hameau de la Judée, et d'avoir eu pour mère une pauvre villageoise qui ne vivait que de son travail. Il dit qu'ayant été convaincue d'adultère, elle fut chassée par son fiancé qui était charpentier de profession ; qu'après cet affront, errant misérablement de lieu en lieu, elle accoucha secrètement de Jésus; que lui, se trouvant dans la nécessité, fut contraint de s'aller louer en Egypte, où, ayant appris quelques-uns de ces secrets que les Egyptiens font tant valoir, il retourna en son pays, et que, tout fier des miracles qu'il savait faire, il se proclama lui-même Dieu. A bien considérer toutes ces choses, selon ma coutume de ne pouvoir rien laisser passer de ce qu'avancent les incrédules, que je ne l'examine à fond, je trouve qu'elles concourent à faire voir que Jésus a parfaitement répondu aux prophéties qui avaient prédit qu'il devait être Fils de Dieu. Car, pour ce qui est des hommes, il est certain que la noblesse de leur race et la gloire de leur patrie, les emplois et les richesses de leurs pères, le soin qu'on a pris de leur éducation et les dépenses qu'on y a faites contribuent beaucoup à leur donner de l'éclat, à leur acquérir de la réputation et à rendre leur nom célèbre. Mais lorsqu'une personne, qui se trouve dans une condition toute contraire, ne laisse pas de se faire connaître par toute la terre, malgré les obstacles qui s'y opposent, attirant sur soi les yeux de tous les hommes, faisant une forte impression sur l'esprit de ceux qui entendent parler de ses merveilles, et les portant à les publier eux-mêmes comme des choses hors de toute comparaison, qui n'admirera, dès la première vue, l'élévation et la fermeté d'une âme si capable de former de grands desseins, et si propre à les exécuter ? Si l'on descend ensuite à un examen plus particulier, ne se demandera-t-on pas à soi-même comment il s'est pu faire qu'un homme né dans la pauvreté et nourri dans la bassesse, qui n'a été instruit dans aucune des sciences inventées pour former l'esprit et pour le cultiver, qui n'a pris leçon ni des orateurs, ni des philosophes, pour se rendre propre au moins à s'intriguer dans le monde, à s'attirer nombre d'auditeurs, et à gagner le c?ur de la multitude; qu'un tel homme ait entrepris de répandre par toute la terre une nouvelle doctrine, enseignant des dogmes qui abolissaient les coutumes des Juifs, sans déroger pourtant à l'autorité de leurs prophètes, et qui renversaient les lois des Grecs, celles particulièrement qui regardaient le culte de divinité? Comment encore il s'est pu faire qu'un homme élevé, comme nous venons de le dire, et qui, par la propre confession de ceux qui médisent de lui, n'a rien appris d'aucun autre homme qui dût le faire écouter, ait si bien parlé du jugement de Dieu, des peines destinées aux méchants et des récompenses préparées pour les gens de bien, que non seulement les simples et les ignorants aient embrassé sa doctrine, mais qu'elle ait même été suivie par plusieurs d'entre les plus éclairés, qui sont capables de faire un juste discernement des choses, et de reconnaître que sous l'écorce des enseignements les plus vils en apparence il y a, pour ainsi dire, des mystères cachés qui en rehaussent infiniment le prix? Un certain Sériphien (liv. 1, de la Républ.), dont Platon nous raconte l'histoire, reprochant un jour à Thémistocle, qui s'était rendu fameux par ses exploits, que sa grande réputation venait moins du mérite de sa personne que du bonheur qu'il avait eu de naître dans une ville célèbre par toute la Grèce; Thémistocle, qui voyait bien que la gloire de sa patrie avait en quelque sorte contribué à la sienne, répondit sagement au Sériphien : Si j'étais né à Sériphe, je n'aurais jamais acquis tant d’honneur que j’ai fait, mais quand vous auriez eu l'avantage de naitre à Athènes, vous n'auriez jamais été Thémistocle. Au lieu que notre Jésus, à qui l'on reproche d'être né dans un hameau, et encore dans un hameau qui n'est ni de Grèce, ni d'aucun autre pays pour lequel on ait communément de l'estime, d'avoir eu pour mère une pauvre femme qui travaillait pour gagner sa vie, et d'avoir été contraint lui-même d'aller en Egypte chercher à gagner la sienne, chez des étrangers ; notre Jésus qui, pour nous servir de notre exemple, non seulement est né à Sériphe, la plus petite et la moins connue de toutes les îles, mais qui est même, pour le dire ainsi, le dernier des Sériphiens, a eu pourtant pouvoir de faire sur l'esprit de tous les hommes du monde une impression plus vive et plus forte que n'a jamais fait, je ne dirai pas l'Athénien Thémistocle, mais ni Pythagore, ni Platon, ni quelque autre que ce puisse être, soit sage, soit prince, soit conquérant. Qui ne sera donc surpris, s'il n'est d'humeur à réfléchir sur les choses bien légèrement, de voir surmonter à Jésus de si grands obstacles, de lui voir faire éclater sa gloire au travers de tout ce qui semblait le devoir ensevelir dans l'obscurité, de lui voir laisser infiniment au-dessous de soi tout ce qu'il y a jamais eu d'illustre parmi les hommes ? En effet, de ceux que l'on nomme illustres dans le monde, il y en a bien peu qui le soient par plusieurs endroits à la fois. L’un se rend célèbre par sa sagesse, l'autre par ses emplois militaires, quelques-uns d'entre les barbares se font admirer par les effets surprenants de leurs charmes et de leurs conjurations, et quelques autres par d'autres qualités, toutes en petit nombre. Mais Jésus, outre tant d'autres vertus, s'est rendu admirable, et par sa sagesse, et par ses miracles, et par son autorité. Car s il s'est fait des sectateurs, il ne les a fait ni comme un tyran qui gagne des gens pour l'aider à renverser les lois de son pays, ni comme un voleur qui arme contre les autres hommes ceux qui le suivent, ni comme un homme puissant qui prend à gages et qui entretient ceux qui s'attachent ses intérêts, ni comme aucun de ceux dont le procédé est manifestement condamnable ; mais il l'a fait comme un docteur qui enseigne aux hommes ce qu'ils doivent penser du grand Dieu, quel culte ils lui doivent rendre et quelle morale ils doivent suivre pour se mettre en état d'approcher de lui familièrement. Pour ce qui est de Thémistocle et des autres qui se sont acquis de la réputation, il n'y a rien eu qui en ait traversé l'établissement; mais à l'égard de Jésus, outre tout ce que nous avons déjà dit, et qui n'était que trop suffisant, pour couvrir de ténèbres la vie d'un homme, quelque heureusement né qu'il pût être, la mort et la croix, qu'il a soufferte et qui passe pour si ignominieuse, était bien capable de ternir toute sa gloire précédente, de détromper ceux qui, comme en parlent les ennemis de sa doctrine, s'étaient laissé surprendre à ses impostures, et de les obliger à détester l'imposteur. Il y a encore de quoi s'étonner que les disciples de Jésus qui, si l'on en croit ses adversaires, ne l'avaient point vu ressusciter et n'étaient nullement persuadés qu'il y eût en lui rien de surnaturel, se soient mis dans l'esprit d'affronter et de mépriser tous les périls qui les menaçaient d'une fin pareille à celle de leur maître, et d'abandonner leur patrie pour aller prêcher par le monde la doctrine que Jésus leur avait enseignée. Je m'assure que qui en voudra juger et parler sans passion, ne dira jamais que des gens aient bien voulu se réduire à mener une vie si agitée pour l'amour de la doctrine de Jésus, sans être fortement persuadés qu'ils étaient obligés non seulement de vivre eux-mêmes selon ses préceptes, mais aussi d'y faire vivre les autres. Car il était aisé de comprendre, de la manière que les affaires du monde étaient disposées, que c'était travailler soi-même à sa perte et s'attirer la haine de tous ceux qui avaient de l'attachement pour leurs anciens sentiments et pour leurs anciennes coutumes, que d'oser établir en tous lieux de nouveaux dogmes et exhorter tous les hommes à les recevoir. Les disciples de Jésus ne voyaient-ils pas où allait ce qu'ils avaient la hardiesse d entreprendre, c'est-à-dire non seulement de prouver aux Juifs, par les écrits des prophètes, que Jésus était celui que les anciens oracles avaient prédit, mais de persuader même aux autres peuples qu'un homme, crucifié depuis trois jours, s'était volontairement abandonné à ce supplice pour le salut du genre humain, conformément à ce qu'avaient rail autrefois ceux qui avaient bien voulu mourir pour délivrer leur patrie de quelque peste qui la ravageait, de quelque stérilité qui la menaçait de famine, ou de quelque tempête qui empêchait la navigation? Car il faut que dans la nature des choses il y ait de certaines causes secrètes dont les ressorts ne sont pas aisés à comprendre à tout le monde, par lesquelles cet ordre soit établi, que quand un homme de bien s'expose volontairement à la mort pour le public, il détourne l'effort des mauvais démons qui produisent les pestes, les stérilités, les tempêtes et les autres désordres semblables, et je voudrais bien demander à ceux qui refusent de croire que Jésus ait été crucifié pour les hommes, s ils ont la même incrédulité pour toutes ces autres histoires des Grecs et de Barbares, qu'on dit qui sont morts pour délivrer ou une ville ou tout un pays, des maux qui les affligeaient; ou si, recevant ces histoires, ils ne rejettent, comme entièrement
 éloignée de la vraisemblance, que celle de la mort de Jésus, revêtu de la forme humaine, a soufferte sur la croix, pour détruire l'empire que le grand démon, le prince des autres démons, s'était acquis sur les âmes de tous les hommes qui venaient au monde. Les disciples de Jésus donc voyant toutes ces choses et plusieurs autres encore, qu'il y a apparence que leur maître leur avait découvertes en particulier, étant d'ailleurs soutenus par une vertu plus qu'humaine qu'ils avaient reçue, non de je ne sais quelle vierge de l'invention des poètes, mais de la vraie sagesse de Dieu, ils se hâtèrent
D'aller dire admirer l'ardeur de leur courage,
non seulement parmi les Grecs, mais encore, parmi les Barbares.
Il faut maintenant retourner à notre prosopopée, et écouter ce que le Juif dit de la mère de Jésus : qu'elle fut chassée par le charpentier, son fiancé, ayant été convaincue d'avoir commis adultère avec un soldat, nommé Panthère. Voyons donc un peu si ceux qui ont inventé cette fable n'ont point été aveugles dans ces circonstances, et si celles de l’adultère commis avec le soldat, et de l'emportement du charpentier, sont fort propres diminuer la créance de l'opération miraculeuse du Saint-Esprit dans la conception de Jésus. Car une histoire aussi surprenante que celle-là se pouvait aisément falsifier d'une autre manière, sans qu'on fût obligé de confirmer, comme malgré soi, que Jésus n'est pas né par les voies ordinaires du mariage. Il fallait bien que ceux qui ne voulaient pas avouer le miracle inventassent quelque fausseté; mais d'en avoir inventé une qui est contre l'apparence et qui laisse subsister, comme un fait constant, que Jésus n'est pas né de Joseph et de la Vierge, c'est découvrir l'imposture à ceux qui ont du discernement et qui savent pénétrer les suppositions. Est-il vraisemblable, en effet, que celui qui a fait de si grandes choses en faveur du genre humain, n'oubliant rien pour obliger tous les hommes, tant grecs que barbares, à renoncer au vice, dans l'attente du jugement de Dieu, et à régler toutes leurs actions sur la volonté du Créateur de l'univers, ait eu la plus sale et la plus honteuse de toutes les naissances, bien loin d'avoir eu en cela quelque chose d'extraordinaire? C'est aux Grecs, et particulièrement à Celse qui, soit qu'il approuve les sentiments de Platon ou qu'il ne les approuve pas, fait au moins fort valoir son autorité, c'est à eux à nous dire s'il est croyable que celui qui prend le soin de distribuer à chaque corps l'âme qui le doit animer, ait voulu qu'un homme qui devait en instruire tant d'autres, corriger tous les dérèglements de leur vie et rendre la sienne illustre en tant de façons, soit né de la manière du monde la plus infâme et n'ait pas même eu l'honneur de sortir d'un mariage légitime ; ou, pour parler selon l'opinion de Pythagore, de Platon et d'Empédocle, allégués assez souvent par Celse, s'il est vrai qu'il y ait de certaines causes occultes qui fassent que chaque âme soit appropriée à un corps digne d'elle par rapport aux m?urs et aux qualités qu'elle a eues auparavant, n'est-il pas vrai aussi qu'une âme qui venait au monde pour y faire plus de bien que ne font la plupart des autres (je ne veux pas dire toutes, de peur que cela sente le préjugé), a dû être jointe à un corps non seulement plus parfait que ceux du commun, mais excellent même entre tous ? Car s'il se trouve des âmes qui, par la secrète disposition de ces causes, ne méritent pas d'être renfermées dans le corps d'une brute, mais qui, n'étant pas dignes aussi d'animer un corps parfaitement bien formé pour la raison, ont pour partage un corps contrefait, dont la tête mal proportionnée au reste, et petite outre mesure, ne permet pas à la raison de se déployer; s'il s'en trouve d'autres qui sont jointes à un corps où elles ont un peu plus de moyens de se perfectionner, et ainsi des autres par degrés selon que la nature du corps s'oppose plus ou moins à cette dernière perfection : pourquoi n'y aura-t-il pas quelque âme, qui anime un corps si avantageusement disposé, qu'ayant quelque chose de commun avec les hommes, il la mette en état de converser avec eux; et qu'ayant aussi quelque chose au-dessus de la condition des hommes, il ne l'infecte point de la contagion de leurs vices? Enfin, si l'on veut suivre la pensée des physionomistes, comme de Zopyre, de Loxe, de Polémon, ou des autres, quels qu'ils soient, qui ont écrit sur cette matière, et qui, par les règles de leur science, desquelles ils parlent fort magnifiquement, prétendent que chaque corps ait de la conformité avec les inclinations de son âme : y a-t-il de l'apparence qu'une âme, qui devait paraître au monde avec tant d'éclat, et y faire des choses si extraordinaires, ait été jointe à un corps formé, comme le pose Celse, par l'adultère d'un soldat impur, et d'une fille débauchée? Ces amours déréglées ne devaient-elles pas plutôt produire un esprit mal fait, une peste publique, un docteur d'injustice, d'impureté, et de toutes sortes d'ordures, qu'un exemple d'équité et de tempérance, et qu'un prédicateur de la vertu? Mais c'est d'une vierge, selon la prédiction des prophètes et conformément au signe promu, que devait naître celui dont le nom et la personne devaient avoir ensemble un rapport si juste, et faire véritablement voir Dieu avec les hommes. Et je crois qu'à l'occasion de la prosopopée du juif, il est à propos de rapporter ici l'oracle du prophète Isaïe, où il prédit qu'une vierge devait mettre au mande un fils nommé Emmanuel; d'autant plus que Celse n'en a rien dit, soit qu'il ne le sût pas, lui qui se vante de savoir tout, soit qu'encore qu'il l'eût bien lu, il ait affecté de le passer sous silence, pour ne sembler pas confirmer, malgré soi, une opinion qu'il a entrepris de combattre. Voici le passage entier : Le Seigneur continuant de parler à Achaz, lui dit : Demande au Seigneur ton Dieu un signe pour toi, soit du plus bas lieu, soit du plus haut. Achaz répondit : Je n'en demanderai point, et je ne tenterai point le Seigneur. Alors Isaïe dit : Ecoutez donc, maison de David : N'est-ce pas assez pour vous, de vous en prendre aux hommes, que vous vous en preniez aussi, au Seigneur? C'est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. C'est qu'une vierge concevra, et qu'elle mettra au monde un fils, que l'on nommera Emmanuel, qui signifie, Dieu avec nous (Is. VII, 10). Ce qui me fait, au reste, clairement connaître que c'est à mauvaise intention que Celse a tu cette prophétie, c'est qu'il rapporte plusieurs autres endroits de l'Evangile selon saint Matthieu, comme l'apparition de l'étoile, à la naissance de Jésus (Matth., II, 2) et divers événements mémorables ; et que cependant il ne dit pas un mot de cet oracle qui s'y trouve. Si quelque Juif, accoutumé pointiller sur les mots, nous vient dire que, dans le texte du prophète, il n'y a pas : C'est qu'une vierge, mais, C’est qu'une jeune fille (Matth., I, 23), nous lui répondrons que le mot Alma, que les Septante ont traduit par celui de vierge, et que d'autres traduisent par celui de jeune fille, se trouve aussi, à ce qu'on dit, employé pour signifier une vierge, dans le livre du Deutéronome, où il est dit : Si une fille vierge, étant fiancée à un homme, est trouvée dans la ville par quelqu'un qui la déshonore, vous les ferez sortir tous deux à la porte de leur ville, où vous les lapiderez, et ils mourront ; la fille, parce qu'étant dans la ville, elle n'a pas crié, et l'homme, parce qu'il a abusé de la femme de son prochain. (Deut., XXII, 23). Et dans la suite : Si quelqu'un trouve aux champs une fille fiancée, et que, lui faisant violence, il la déshonore, vous ferez mourir l’homme tout seul, et vous ne ferez rien à la fille, il n'y a point en elle de crime digne de mort (Deut., XXII, 26). Mais de peur qu'il ne semble que nous tâchions de nous prévaloir d'un mot hébreu, pour faire croire à ceux qui ne sont pas capables d'en juger par là que, selon l'oracle du prophète, celui par la naissance duquel Dieu serait avec nous, devait naître d'une vierge, allons au-devant de ce scrupule, en faisant voir, par toute la suite du discours, dans le passage même, quel en est le véritable sens, Le Seigneur, dit le texte, parla à Achaz, disant : Demande au Seigneur ton Dieu un signe pour toi, soit du plus bas lieu, soit du plus haut. Et le signe qui est promis ensuite, c'est qu'une vierge concevra, et qu'elle mettra au monde un fils. Or quel signe et quelle merveille serait-ce qu'une jeune fille qui ne serait point vierge mit un fils au monde? Et à qui convenait-il plutôt de mettre au monde Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous, à une fille qui l'aurait conçu à la manière ordinaire des femmes, ou à une vierge pure et chaste qui l'aurait conçu sans perdre sa virginité? C'est à celle-ci, sans doute, qu'il appartenait d'être mère d'un enfant, à la naissance duquel on pût dire Dieu est avec nous. Si l'on chicane encore, et qu'on nous objecte qu'il a été dit à Achaz, Demande au Seigneur ton Dieu un signe pour toi, nous demanderons, à notre tour, qui, du temps d'Achaz, a eu un enfant auquel on ait pu donner le nom d'Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous ; et s'il ne s'en trouve point, il faudra reconnaître que ce qui a été dit à Achaz a été dit à la maison de David, parce que c'est de la postérité de David que les Ecritures disent que le Sauveur est sorti, selon la chair (Jean, VII, 42). Et ce qu'il est encore ajouté, que ce signe devait être soit du plus bas lieu, soit du plus haut, c'est parce que celui qui est descendu, est le même qui est monté au-dessus de tous les deux. afin de remplir toutes choses (Ephés., IV, 10). Je parle, au reste, comme ayant affaire à un juif qui reçoit l'autorité des prophéties. Mais que Celse, ou ceux de son parti, nous disent eux-mêmes par quel esprit le prophète a fait toutes les prédictions que nous lisons dans ses écrits, et sur ce sujet et sur plusieurs autres. Est-ce avec connaissance ou sans connaissance de l'avenir? Si c'est avec connaissance, les prophètes ont donc été inspirés de Dieu ; si c'est sans connaissance, qu'on nous marque donc quel a pu être l'esprit de ces gens qui ont parlé si hardiment des choses futures, et dont les écrits ont toujours été admirés par les Juifs comme de vrais oracles.
Mais puisque nous sommes tombés sur le sujet des prophètes, ce que je vais établir pourra être utile, non seulement aux Juifs, qui croient que c'est par l'esprit de Dieu que les prophètes ont parlé ; mais encore aux plus équitables d'entre les Grecs. Je dis donc, et je le dis particulièrement pour ceux-ci, qu'il faut de toute nécessité reconnaître que les Juifs ont eu leurs prophètes, si l'on ne veut que leur loi leur ait elle-même donné occasion de violer ses ordonnances et d'abandonner le service du Créateur pour se ranger au culte de toutes ces divinités que les autres nations adoraient. Et voici comment je prouve cette nécessité. Les autres nations, comme il est dit dans la loi même des Juifs, observent les présages et consultent les devins. Mais pour vous, est-il dit à ce peuple, c'est ce que le Seigneur votre Dieu ne vous permet point. A quoi cette promesse est incontinent ajoutée : Le Seigneur votre Dieu vous fera naître un prophète d'entre vos frères (Deut. XVIII, 14 et 15). Si donc les autres nations avaient des gens qui leur prédisaient l'avenir, soit par le moyen de leurs présages, soit par la considération du vol ou du chant des oiseaux, soit par l'inspection des entrailles d'une victime, soit par les voix qui se formaient dans l'estomac de certaines personnes., soit par les horoscopes des Chaldéens; et que les Juifs, à qui toutes ces choses étaient défendues, n'eussent rien eu qui leur en tint lieu : l'esprit de l'homme est naturellement si rempli de curiosité pour l’avenir, qu'il n'en eut pas fallu davantage pour leur faire mépriser leur propre religion, comme n'ayant rien de divin ; et pour les porter à courir aux chapelles et aux oracles des païens, ou à tâcher d'en établir de semblables parmi eux : de sorte qu'ils n'auraient eu garde d'écouter aucun des autres prophètes qui sont venus après Moïse, ni d'en rédiger les discours par écrit. Ainsi, l'on ne doit pas trouver étrange que parmi les prédictions de leurs prophètes, qui voulaient satisfaire le désir de ceux qui les consultaient, il y en ait quelques-unes sur des choses de peu d'importance; comme sur la perte des ânesses, pour lesquelles on s'adressa à Samuel; et sur la maladie du fils du roi (I Rois. IX, 20), dont il est parlé au troisième livre des Rois (XIV, 12). Autrement quelle raison auraient eue les personnes zélées pour la loi des Juifs de reprendre ceux qui allaient consulter les oracles des idoles ; comme nous lisons qu'Elie reprit Ochozias, disant : Est-ce donc qu'il n'y a pas de Dieu en Israël, que vous allez à l'idole de Baal, consulter le roi des mouches, le Dieu d'Accaron (IV Rois, I, 3)?
Je crois a cette heure avoir suffisamment prouvé, et que notre Sauveur devait naître d'une vierge, et que les Juifs ont eu des prophètes qui, non seulement leur prédisaient es révolutions des empires de la terre, les changements de l'état des Juifs, la conversion des Gentils à notre Sauveur, et plusieurs autres choses touchant sa personne; mais qui les éclaircissaient aussi de quelques faits particuliers, comme du moyen de recouvrer es ânesses que Kis avait perdues, du succès de la maladie du fils du roi d'Israël, et de telles autres choses, s'il s'en trouve de rapportées dans l'Ecriture. L'on peut encore dire aux Grecs, qui refusent de croire que Jésus soit né d'une vierge, que le Créateur, qui préside aux diverses manières dont les animaux se forment, fait assez voir par ce qu'il fait dans une espèce, que s'il veut, il peut faire la même chose dans toutes les autres, et même dans celle des hommes ; car il y a des animaux dont les femelles font leurs petits et conservent ainsi l'espèce sans l'opération du mâle, comme les naturalistes l'assurent des vautours. Qu'y a-t-il donc de si incroyable à dire que Dieu ayant dessein d'envoyer aux hommes un docteur tout divin et tout extraordinaire, ait voulu qu'au lieu que les autres doivent leur naissance à un homme et à une femme, il ait eu dans la sienne quelque chose de singulier ? Outre que selon les Grecs mêmes, tous les hommes n'ont pas eu un père et une mère ; car s'il est vrai que le monde ait commencé d'être, comme plusieurs d'entre les Grecs mêmes l'ont reconnu, il faut nécessairement que les premiers hommes ne soient pas nés par la voie de la génération, mais qu'ils soient sortis de la terre, par la vertu des semences qui s'y étaient ramassées. Ce qui, à mon avis, est beaucoup moins vraisemblable que ce que nous disons de la naissance de Jésus, qui, si elle diffère de celle des autres hommes, a au moins la moitié de ressemblance. Et puisque nous avons affaire à des Grecs, il ne sera pas hors de propos de nous servir des histoires grecques, afin qu'on ne dise pas que nous sommes les seuls qui rapportions un événement si peu commun. Car il y a des auteurs qui, parlant non des vieux contes du temps héroïque, mais de choses arrivées depuis trois jours, n'ont point fait de difficulté d'écrire, comme une chose possible, que Platon était né d'Amphictione, sans qu'Ariston y eût en rien contribué; lui ayant été défendu de toucher à sa femme, qu'elle n'eût mis au monde l'enfant qu'elle avait conçu du fait d'Apollon. Quoique dans le fond ce ne soit là qu'une fable inventée en faveur d'un homme dont l'esprit et la sagesse extraordinaire faisaient croire que, comme il avait quelque chose de plus qu'humain, il fallait que les principes de son corps fussent plus excellents et plus divins que ceux du corps des autres hommes. Mais pour revenir au Juif de Celse qui, continuant son discours, et se moquant de la fiction, comme il parle, par laquelle on prétend que Jésus soit né d'une vierge, la met au rang des fables grecques de Danaé, de Melanippe, d'Augé et d'Antiope ; il lui faut dire que ses railleries seraient bonnes pour un bouffon, et non pour un homme qui s'attache à traiter sérieusement une matière importante.
Prenant aussi dans l'Evangile selon saint Matthieu ce qui nous y est raconte (Matth., II, 13) touchant la fuite de Jésus en Egypte, il rejette tout ce qu'il y a de surnaturel dans cette histoire, comme l'avertissement de l'ange à Joseph ; et il n'examine pas même s'il n'y a point eu quelque chose de mystérieux dans cette retraite de Jésus hors de la Judée et dans son séjour en Egypte ; mais il en invente je ne sais quelle autre occasion ; et reconnaissant, en quelque sorte, la vérité des miracles de Jésus, qui l'ont fait suivre par tant de peuple comme le Messie, il tâche seulement de leur ôter leur caractère divin pour les attribuer à une vertu magique; car il dit qu'ayant été élevé obscurément, il s'alla louer en Egypte, où ayant appris à faire quelques miracles, il s'en retourna en Judée, et s'y proclama lui-même Dieu. Mais pour moi, je ne vois pas comment un magicien aurait mis toute son étude à persuader aux hommes qu’ils ne doivent rien faire que dans la pensée que Dieu les jugera tous un jour selon ce qu'ils auront fait, et à imprimer cette même créance dans l'esprit de ses disciples, dont il voulait faire les prédicateurs de sa doctrine. Il faut en effet, ou qu'il leur eût appris ses secrets, afin qu'ils se fissent des sectateurs par le moyen de leurs miracles, ou qu'il ne leur eût rien appris de pareil. Si l'on dit le dernier, et qu'on veuille que sans faire aucun miracle, et sans nul secours de l'art de raisonner, tel que l'enseigne la dialectique dans les écoles des Grecs, ils aient entrepris d'aller par tout le monde publier la doctrine de leur maître, l'on dira une chose fort absurde; car sur quel fondement auraient-ils eu la hardiesse d'aller ainsi répandre partout ces nouveaux dogmes? Si l'on dit qu'ils faisaient aussi des miracles, quelle apparence que des magiciens eussent voulu s'exposer à tant de dangers pour établir une doctrine qui condamne la magie comme un art illicite ?
S'arrêter ici à réfuter un discours où le bon sens a moins de part que la froide raillerie, ce serait, à mon avis, mal employer son temps. Si la mère de Jésus était belle, dit-il, et que ce soit à cause de sa beauté que Dieu l'ait voulu honorer de ses embrassements, lui qui n'est pas d'une nature à se laisser prendre par les beautés mortelles, toujours semble-t-il qu'il se soit fait tort de s'abaisser à aimer une personne qui n'était ni d'une naissance royale, ni dans une haute fortune, puisqu'elle n'était pas même connue de ses voisins. Il continue ses railleries en disant que quand le charpentier vint à la haïr et à la chasser, ni la foi qu'il devait avoir pour ce qu'elle lui disait, ni toute la puissance de Dieu ne furent d'aucun secours pour elle. Il n'y a rien là, ajoute-t-il, qui sente le royaume de Dieu. Quelle différence y a-t-il entre ces paroles et celles de ces gens qui se disent des injures dans les carrefours, sans garder aucune sorte de bienséance ?
Après cela il tire de S. Matthieu et peut-être aussi des autres évangélistes ce qu'ils nous racontent de la colombe (Matth., III, 16) qui descendit sur notre Sauveur lorsque Jean le baptisait : et il en veut faire passer l'histoire pour une fable. Mais après s'être, ce lui semble, assez diverti sur ce qu'ils disent de la virginité de la mère de Jésus, il ne suit pas l'ordre que la disposition même des choses lui marquait. Aussi la haine et la colère n'ont-elles rien de réglé. On voit ceux qui sont possédés de ces passions dire à ceux contre qui ils s'emportent tous les outrages qui leur viennent à la bouche, leur émotion ne leur permettant pas d'exposer distinctement et avec ordre les sujets de plainte qu'ils prétendent avoir. Pour agir régulièrement, il fallait prendre en main l'Evangile et s'attacher à le combattre pied à pied, passer de la première histoire à la seconde, et de celle-là successivement aux autres; mais, au lieu d'en user ainsi, Celse, qui se vante de savoir tous nos mystères, passe de la naissance de Jésus à l'histoire de son baptême et à l'apparition du Saint-Esprit en forme de colombe. Après quoi il attaque la prédiction de la venue de notre Sauveur sur la terre, d'où il retourne encore à ce qui suit immédiatement la naissance, à la nouvelle étoile qui parut au ciel, .et aux mages qui vinrent d'Orient adorer l'enfant. Si vous y voulez prendre garde, vous remarquerez vous-même quantité de choses que Celse rapporte dans tout son livre avec beaucoup de désordre et de confusion.
Et cela seul le doit convaincre d'une étrange vanité devant tous ceux qui aiment l'ordre et qui savent l'observer, d'avoir osé donner à son livre le titre de Discours véritable; ce qu'aucun des philosophes les plus éclairés n'a jamais fait. Platon dit qu'il n'est pas d'un homme sage de rien affirmer positivement sur une matière obscure; et Chrysippe, après avoir expliqué son sentiment et les raisons qui le lui font suivre, nous renvoie presque toujours à ceux en qui nous trouverons plus de lumières qu'en lui. Mais celui-ci plus habile que ni Platon, ni Chrysippe, ni tous les autres philosophes de la Grèce, pour ne pas démentir la louange qu'il s'est donnée de savoir tout, a intitulé son livre Discours véritable. Cependant, de peur qu'on ne dise que c'est parce que nous ne savons que lui répliquer que nous passons à dessein par-dessus quelques-uns de ses chapitres, nous avons résolu d'examiner avec soin chacun des articles de son écrit, non dans l'ordre que la suite et la liaison naturelle des choses nous pourrait prescrire ; mais dans celui qu'il lui a plu de donner lui-même à ses matières. Voyons donc un peu ce qu'il avance pour combattre l'apparition du Saint-Esprit à notre Sauveur, sous la forme corporelle d'une colombe. C'est encore son Juif qui adresse la parole à ce Jésus que nous reconnaissons pour notre Seigneur : Vous prétendez, lui dit-il, qu'un fantôme d'oiseau vint fondre d'en haut sur vous au bord du fleuve où Jean vous avait plongé. Mais, ajoute-t-il, quel témoin digne de foi nous pouvez-vous produire de cette vision? Et qui hors vous seul, et si l'on vous en veut croire, un misérable supplicié comme vous, a entendu cette voix céleste par laquelle Dieu a déclaré qu'il vous recevait pour son fils ?
Avant de lui répondre, il faut remarquer qu'en matière d'histoire, quelque véritable qu'elle soit, il serait le plus souvent très difficile et même quelquefois impossible d'en établir la vérité par des preuves convaincantes. Si quelqu'un niait, par exemple, qu'il y eût jamais eu de guerre de Troie, se fondant principalement sur l'impossibilité de certains faits particuliers, comme sur ce qu'il est incroyable qu'il y ait eu un Achille, fils de la déesse de la mer et d'un homme nommé Pelée, un Sarpédon, fils de Jupiter, un Ascalaphe et un Jalmène, fils de Mars, et un Enée, fils de Vénus ; comment pourrions-nous le convaincre et nous démêler de tout cet embarras de fables qui se trouvent, je ne sais comment, enchâssées dans une histoire aussi universellement reçue qu'est celle de la guerre des Grecs avec les Troyens? Si quelque autre révoquait en doute les aventures d'?dipe et de Jocaste et celles d'Etéocle et de Polynice, leurs enfants, à cause du conte qu'on y mêle de je ne sais quel monstre demi-femme qu'on nomme sphinx, comment lui en prouverions-nous la vérité? J'en dis autant de la seconde guerre de Thèbes qu'entreprirent les enfants de ceux qui étaient morts à la première ; bien qu'il n'y ait point de telles fictions dans le récit qu'on nous en fait ; du retour des Héraclides dans le Péloponnèse et d'une infinité d'autres vieux événements. Ainsi donc, ceux qui lisent les histoires sans avoir pour but de contredire, mais qui veulent aussi se garder d'être trompés, doivent faire un juste discernement des choses pour connaître celles auxquelles on doit ajouter foi, celles qu'il faut expliquer allégoriquement, suivant l'intention de celui qui les a inventées, et celles qu'il faut rejeter comme écrites par complaisance on par flatterie. J'ai pris occasion de dire cela par avance sur toute l'histoire de la vie de Jésus, non pour demander aux personnes éclairées qu'elles croient aveuglément et sans examen; mais pour faire voir que quand on lit les Evangiles, il est nécessaire d'y apporter une grande application, avec une âme vide de préjugés et d'entrer, pour le dire ainsi, dans l'esprit de nos auteurs, afin de juger dans quelle vue ils ont écrit chaque chose. Je réponds maintenant, en premier lieu, que si celui qui refuse de croire l'apparition du Saint-Esprit en forme de colombe, était quelque disciple d'Epicure, de Démocrite ou d'Aristote, cette incrédulité serait plausible à son égard, puisqu'elle serait conforme au caractère de la personne. Mais Celse, avec toutes ses lumières, n'a pas même pris garde qu'il fait faire son objection par un Juif, à qui les écrits des prophètes ont persuadé une infinité de choses beaucoup plus surprenantes que n'est l'apparition de la colombe; car l'on pourrait dire à ce Juif, qui fait ici l'incrédule, et qui prétend faire passer la vision de Jésus pour un conte fait à plaisir ; mais dites-nous de grâce, vous-même, comment nous prouveriez-vous que Dieu ait dit à Adam, ou à Eve, ou à Caïn, ou à Noé, ou à Abraham, ou à Isaac, ou à Jacob, toutes les choses que vos Ecritures rapportent qu'il leur a dites ? Et pour opposer histoire à histoire, je lui demanderais : votre Ezéchiel n'écrit-il pas aussi que les cieux furent ouverts et qu'il eut une vision de Dieu? Et après l'avoir racontée, n'ajoute-t-il pas, c’est là la vision dans laquelle me fut représentée la gloire du Seigneur: et il me dit, etc., (Ezéch., I, 28 ; II, 1 ] ? Si l'histoire de l'apparition du Saint-Esprit et de la voix venue du ciel doit passer pour fausse, parce que nous n'avons pas, à votre avis, de quoi en prouver clairement la vérité qui n'est attestée que par Jésus seul, et par un misérable supplicié, comme porte votre remarque ; n'y a-t-il pas encore plus de sujet de dire que ce n'est aussi que pour étonner les simples par un miracle supposé, qu'Ezéchiel écrit que les cieux furent ouverts, etc. ? Et lorsqu'Isaïe dit, qu’il vit le dieu des armées assis sur un trône haut élevé, autour duquel se tenaient les séraphins, ayant chacun six ailes, etc. (Is., VI, 1), comment êtes-vous assuré de la vérité de celle vision? Car vous qui êtes Juif, vous ne doutez pas qu'elle ne soit véritable et que ce ne soit l'esprit de Dieu qui, non seulement l'a fait voir au prophète, mais qui a aussi conduit sa langue et sa plume dans le récit qu'il en a fait. A qui est-il plus juste d'ajouter foi, quand ils nous disent que les cieux leur ont été ouverts, qu'ils ont entendu une voix, qu'ils ont vu le Dieu des armées assis sur un trône haut élevé, qui, dis-je, faut-il plutôt croire d'Isaïe et d'Ezéchiel, qui n'ont rien fait de fort extraordinaire, ou de Jésus dont la vertu et la puissance ont non seulement éclaté pendant qu'il a paru sur la terre, revêtu de notre chair, mais se déploient magnifiquement jusqu'à cette heure dans la conversion et dans la correction de ceux qui croient en Dieu par lui ? Car que ce soit encore à Jésus que soit due toute la gloire de ces conversions, cela paraît manifestement de ce que, comme il l’avait prédit et comme l'expérience le justifie, y ayant si peu d'ouvriers pour travailler à la moisson des âmes (Matth. X, 37), elle est néanmoins si riche et si abondante dans toutes les aires de Dieu qui sont ses églises. Au reste, lorsque je parle ainsi au juif, ce n'est pas qu'étant chrétien comme je le sais, je veuille révoquer en doute le témoignage d’Isaïe ou d'Ezéchiel ; mais c'est pour le convaincre par des principes qui lui sont communs avec nous ; et pour lui faire comprendre que Jésus est beaucoup plus digne de foi que les prophètes, dans sa déposition et dans le récit qu'on doit supposer qu'il fit à ses disciples de la vision qu'il avait eue et de la voix qu'il avait ouïe. On pourrait peut-être encore dire, que tous ceux qui nous ont rapporté cet événement dans leurs écrits, ne l'avaient pas appris de Jésus : mais que le même esprit, qui a donné à Moïse la connaissance d'une histoire beaucoup plus ancienne que le temps auquel il vivait, et qui l'a instruit de ce qui s'était passé depuis la création du monde jusqu'à Abraham, l'auteur de sa race, a aussi révélé aux évangélistes le miracle qui arriva au baptême de Jésus. Pour ce qui regarde la cause de l'ouverture des cieux, de l'apparition de la colombe et du choix que fit le Saint-Esprit de la figure de cet oiseau plutôt que d'un autre ; on pourra l'apprendre de ceux qui ont reçu de Dieu cette grâce, qui est nommée le don de sagesse (I Cor., XII, 8). Notre dessein ne demande pas que nous nous y arrêtions à présent. Il ne s'agit que de faire voir que Celse a fort mal pris ses mesures, d'avoir mis de telles raisons en la bouche d'un juif, pour lui faire rejeter une histoire qui a beaucoup plus de vraisemblance que celles qu'il reçoit lui-même. Et il me souvient là-dessus, que disputant un jour en présence de plusieurs témoins, contre de certains docteurs juifs du nombre de ceux qu'on nomme sages, je leur fis ce raisonnement : Dites-moi un peu, je vous prie ; deux personnes de qui on raconte des choses fort extraordinaires et fort au-dessus de la nature humaine, ayant paru dans le monde ; savoir, Moïse votre législateur qui a lui-même écrit son histoire, et Jésus notre maître qui n'a rien écrit de ce qu'il a fait, mais à qui ses disciples rendent témoignage dans leurs évangiles ; sur quelle raison fondez-vous la distinction que vous mettez entre eux, de vouloir qu'on tienne Moïse pour sincère, sans s'arrêter à ce que les Egyptiens lui reprochent, qu'il était un imposteur, qui n'a rien fait de surprenant que par le moyen de ses illusions, et qu'on regarde Jésus comme un fourbe sur les accusations dont vous le chargez. Car on voit qu’ils sont soutenus chacun par un grand peuple ; Moïse par les Juifs, et Jésus par les Chrétiens qui font profession de croire tout ce que ses disciples nous disent de ses miracles; mais qui laissent, d'ailleurs, à Moïse son caractère de prophète, se servant même de son autorité pour appuyer leur sentiment. Si vous voulez que nous vous rendions raison de notre foi sur le sujet de Jésus, rendez-nous auparavant, raison de la vôtre sur le sujet de Moïse, qui l’a précédé; et nous vous satisferons ensuite. Mais si vous reculez et que vous n'osiez entreprendre de nous donner des preuves démonstratives de votre créance, trouvez bon que nous vous imitions pour le présent, et que nous ne vous en donnions point non plus de la nôtre. Ou, afin que nous n'usions pas de tout notre droit, avouez que vous n'avez point de démonstrations pour Moïse, et écoutez celles que nous tirons pour Jésus de votre loi et de vos prophètes. Ce qu'il y a de merveilleux, c'est qu'en prouvant par la loi et par les prophètes, que Jésus est le Christ, nous prouverons en même temps que Moïse et les prophètes ont été véritablement inspirés de Dieu. Leurs écrits, au reste, sont pleins d'événements extraordinaires, de même nature que celui de la colombe qui parut, et de la voix qui fut entendue au baptême de Jésus. Mais une preuve convaincante que ce fut le Saint-Esprit qui se fit voir alors sous la forme d'une colombe, ce sont sans doute les miracles que Jésus a faits, que Celse veut faire passer pour des secrets appris en Egypte. Et non seulement les miracles de Jésus, mais encore ceux de ses apôtres nous peuvent ici, à bon droit, servir de preuves ; car si la prédication des apôtres, n'eût pas été accompagnée d'actions miraculeuses, elle n'eût jamais porté ceux qui l'entendaient à renoncer aux opinions de leurs pères, pour embrasser une nouvelle doctrine, dont la profession ne les exposait pas à moins qu'à la mort. Il reste même encore parmi les chrétiens, des traces de cet Esprit, qui parut en forme de colombe. Car ils chassent es démons, ils guérissent diverses maladies, et par les lumières qui leur viennent d'en haut, quand il plaît à Dieu, ils voient quelquefois clair dans l'avenir. Et quand Celse ou son juif se devraient moquer de ce que je vais dire, je dirai pourtant
 qu'il y en a plusieurs qui se sont faits chrétiens comme malgré eux ; un esprit secret faisant tout à coup sur le leur une impression si vive et si puissante, soit en songe, soit en vision, et produisant en eux un tel changement, que d'ennemis du christianisme, ils en devenaient les défenseurs et les martyrs : nous en avons vu divers exemples, et si nous voulions les rapporter, nous à qui la vérité en est connue par le témoignage de nos propres yeux, nous donnerions beau champ aux railleries, des infidèles, qui ne manqueraient pas de nous traiter comme ils traitent nos auteurs, et de dire que nous prenons plaisir comme eux, à conter des fables. Dieu qui voit notre conscience sait pourtant que notre dessein, n'est pas d'établir la doctrine de Jésus par des narrations fabuleuses; mais d'en prouver la divinité par l'évidence de plusieurs raisons différentes. Après tout, puisque c'est un juif qui doute de la vérité de ce que les évangélistes nous disent de la descente du Saint-Esprit sur Jésus, en forme de colombe, on lui pourrait demander qui est celui qui dit dans Isaïe : .Maintenant le Seigneur m'a envoyé, et son esprit aussi (Is., XLVIII, 16); car ces paroles pouvant avoir un double sens, savoir, ou que le Père et le Saint-Esprit ont envoyé Jésus, ou que le Père a envoyé et le Christ et le Saint-Esprit ; c'est au denier qu'il s'en faut tenir. Et comme notre Sauveur a été envoyé le premier, et le Saint-Esprit ensuite, pour l'accomplissement de la prophétie, et qu'il fallait que les siècles à venir eussent connaissance de cet accomplissement, c'est pour cela que les disciples de Jésus nous en ont fait le récit.
Je voudrais encore avertir Celse qui, au sujet du baptême de Jésus, fait en quelque sorte reconnaître à son juif la mission de Jean pour baptiser, qu'un auteur qui vivait peu de temps après Jésus et après Jean, reconnaît expressément la même chose. C'est Josèphe qui, au xviiie livre de son Histoire des Juifs, témoigne que Jean était revêtu de l'autorité de baptiser, et qu'il promettait la rémission des péchés à ceux qui recevaient son baptême. Le même auteur, bien qu'il ne reconnaisse pas Jésus pour le Christ, recherchant la cause de la prise de Jérusalem et de la destruction du temple, ne dit pas véritablement comme il eût dû faire, que ce fut l'attentat des Juifs contre la personne de Jésus qui attira sur eux ce malheur, pour punition d'avoir fait mourir le Christ qui leur avait été promis : mais il approche pourtant de la vérité, et lui rendant témoignage comme malgré soi, il attribue la ruine de ce peuple à la vengeance que Dieu voulut faire de la mort qu'ils avaient fait souffrir à Jacques le Juste, pomme de grande vertu, frère de Jésus, nommé Christ. C’est ce Jacques que Paul, le vrai disciple de Jésus, alla visiter, ainsi qu'il le dit lui-même, le considérant comme frère du Seigneur (Gal., I. 19) : qualité qui lui était moins due pour la liaison du sang ou pour la société de l'éducation, que pour la conformité des m?urs et de la doctrine. Si donc cet auteur dit que ce fut à cause de Jacques que la ville de Jérusalem fut détruite, ne peut-on pas dire avec beaucoup plus de raison, que ce fut à cause de Jésus, le Christ, dont la divinité est attestée par tant d'églises, composées de personnes qui ont renoncé à la corruption générale, pour s'attacher au service du Créateur et pour dépendre uniquement de sa volonté?
Mais quand le juif abandonnerait Ezéchiel et Isaïe, dont nous faisons voir que la cause est la nôtre, puisque nous trouvons dans leurs écrits et dans ceux de quelques autres prophètes, des choses semblables aux. cieux qui furent ouverts en faveur de Jésus, et à la voix qu'il en entendit sortir; nous ne laisserions pas de nous défendre nous-mêmes de notre mieux, et nous dirions alors, que comme tous ceux qui admettent la providence reconnaissent qu'il y a souvent des songes qui, frappant l'imagination d'un homme endormi, y impriment ou des idées distinctes ou des images énigmatiques, tantôt de choses surnaturelles, tantôt d'événements à venir qui regardent les affaires de la vie ; il n'est pas difficile de concevoir que cette vertu qui agit sur l'esprit pendant que l'on dort, peut aussi pendant que l'on veille y agir tout de même, soit pour l'avantage particulier de celui sur qui elle se déploie, soit pour l'utilité de ceux à qui il doit faire part de sa révélation. Et comme, durant le sommeil, nous nous imaginons voir et entendre effectivement, quoique rien ne frappe ni nos yeux ni nos oreilles, et que le tout se passe dans notre esprit : ainsi rien n'empêche de croire que la même chose est arrivée aux prophètes, lorsqu'il est dit qu'ils ont eu quelque vision surprenante, qu'ils ont ouï la voix du Seigneur ou qu'ils ont vu les cieux ouverts; car je ne pense pas qu'il faille poser que les cieux se soient réellement fendus, ni qu'il se soit fait une ouverture dans leur substance pour donner lieu à Ezéchiel de l'écrire. Et je m'assure que ceux qui lisent les Evangiles avec discernement, avoueront que c'est aussi de la sorte qu'il faut entendre la vision de notre Sauveur. Je sais bien que cela peut choquer les simples qui, prenant tout à la lettre, ne craignent point de faire un si étrange remuement dans le monde, ni de fendre un corps aussi vaste et aussi solide qu'est celui des cieux. Mais ils pourront apprendre de ceux qui approfondissent la chose, que selon l'Ecriture, il y a en général un certain sentiment divin qui n'est que pour les seuls bienheureux, et duquel parle Salomon, lorsqu'il dit : Vous trouverez moyen d'acquérir le sentiment divin (Prov., II, 5); et que les espèces de ce sentiment sont : une vue capable de voir des objets d'une nature plus excellente que la corporelle, tels que sont les chérubins et les séraphins ; une ouïe propre pour d'autres voix que pour celles qui se forment dans l'air ; un goût qui savoure le pain vivant, le pain qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde (Jean. VI, 33) ; un odorat qui flaire cette bonne odeur de Jésus-Christ à Dieu dont parle S. Paul (II Cor., II, 15), et un toucher tel que celui qui a fait dire à S. Jean, Nous avons touché de nos mains la parole de vie (I Jean, I, 1). Les bienheureux prophètes ayant donc acquis ce sentiment divin, voyant, entendant et goûtant, flairant même, pour parler ainsi d'une manière divine, où il n'y avait rien de corporel ; touchant aussi la parole par leur foi et recevant en eux-mêmes son impression, qui les purifiait; c'est ainsi qu'ils voyaient et qu'ils entendaient ce qu'ils nous disent avoir vu et entendu, et qu'ils avaient les autres sentiments semblables dont ils nous parlent ; comme quand ils disent qu'ils ont mangé un livre qui leur avait été donné (Ezéch., III, 2). C'est de cette manière qu'Isaïe sentit la bonne odeur des vêtements divins de son fils, et qu'il en prit occasion de lui donner une bénédiction spirituelle : Voici, dit-il, l’odeur de mon fils, telle que l'odeur d'un champ fertile que le Seigneur a béni (Gal., I, 19). C'est encore à peu près de la même sorte, et plus à l'égard de l'esprit qu'à regard du corps, que Jésus toucha le lépreux (Matth.,VIII, 3) pour lui faire, à mon avis, une double grâce et pour le nettoyer non seulement comme la plupart l'entendent, de sa lèpre corporelle par un attouchement sensible, mais principalement de sa lèpre intérieure par un attouchement vraiment divin. C'est donc aussi dans le même sens que Jean témoigne, qu'il vit le Saint-Esprit descendre du ciel, comme une colombe, et demeurer sur Jésus. Pour moi, dit-il, je ne le connaissais point : mais celui qui m'a envoyé pour baptiser d'eau, m'avait dit: Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise du Saint-Esprit. Je l'ai vu et j’ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu. Lorsque les cieux furent ouverts à Jésus, l'Ecriture ne dit pas que ce fut en présence d'autre que de Jean : mais notre Sauveur prédit à ses disciples, qu'eux aussi les verraient ouverts : En vérité, je vous dis que vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme (Jean, I, 32). C'est ainsi que S. Paul fut ravi au troisième ciel ; l'ayant auparavant vu ouvert puisqu'il était du nombre des disciples de Jésus. A l'égard de ce qu'il dit, si ce ne fut en corps, ou sans corps, je ne sais, Dieu le sait (II Cor., XII, 2) ; ce n'est pas ici le lieu de l'examiner.
J'ajouterai seulement que Celse, posant comme il fait, sans y être autorisé par l'Ecriture, que ce fut Jésus qui raconta lui-même le miracle arrivé en sa faveur sur les bords du Jourdain, ne prend pas garde, tout habile homme qu'il est, que celui qui disait à ses disciples au sujet de sa transfiguration : Ne parlez à personne de cette vision jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts (Matth. XVII, 9), n'a pas dû être d'humeur à leur réciter ce que Jean avait vu et entendu en le baptisant. Il n y a rien de plus ordinaire dans l'histoire de l'Evangile que devoir Jésus éviter avec soin de parler avantageusement de lui-même jusqu'à dire: Si je parle de moi-même, mon témoignage n'est, pas véritable (Jean, V, 31). Et c'est parce qu'il en usait ainsi et qu'il aimait mieux se déclarer le Christ par ses actions que par ses paroles, que les Juifs lui disaient : Si tu es le Christ, dis-le-nous clairement (Jean, X, 24.). Il faut encore faire voir à Celse que rien ne convient, moins à son juif que la manière dont il lui fait faire son objection contre la vérité de la descente du Saint-Esprit sur Jésus en forme de colombe. Elle n'est attestée, lui fait-il dire, que par vous seul ; et, si l'on vous en veut croire, par un misérable supplicié comme vous. Car les Juifs n'associent pas Jean avec Jésus, et ils ne regardent pas le supplice de l'un de la même manière que celui de l'autre. Ce qui est une nouvelle preuve que cet homme qui sait tout, n'a pas su comment il devait faire parler un juif à Jésus.
Après cela il nous présente lui-même, et il nous abandonne je ne sais comment l'argument le plus fort que nous ayons poux Jésus, savoir, qu'il a été prédit par les prophètes des Juifs, par Moïse et par ceux qui sont venus après Moïse, et par ceux mêmes qui l'ont précédé. Je crois que Celse en use ainsi parce qu'il ne savait que nous répondre sur ce consentement général, tant des Juifs que de tous les hérétiques dont aucun ne nie que le Christ n'ait été prédit par les anciens prophètes ; peut-être aussi ne savait-il pas ces prophéties. En effet, s'il avait su que les chrétiens disent qu'il y a eu plusieurs prophètes qui ont prédit la venue de notre Sauveur, il n'aurait pas mis en la bouche de son juif des paroles qui auraient meilleure grâce en celle d'un Samaritain ou d'un Saducéen ; et il ne lui aurait pas fait dire : Mon prophète disait autrefois dans Jérusalem que le Fils de Dieu devait venir pour faire justice aux gens de bien et pour punir les méchants : car il y a bien plus d'un prophète qui parle du Christ. Ce n'est pas que quand ce seraient des Samaritains ou des Sadducéens qui parleraient de ce qui se trouve touchant le Christ dans les livres de Moïse qui sont les seuls livres qu'ils reçoivent, ils pussent dire que la prophétie aurait été prononcée à Jérusalem dont le nom n'était pas encore connu du temps du Moïse. Plût à Dieu que tous les ennemis de notre doctrine fussent aussi ignorants dans l'Ecriture, non seulement à l'égard des choses, mais à l'égard même de la lettre et des simples faits ! Leurs objections contre le christianisme n'ayant aucune couleur, elles ne seraient pas capables de faire impression sur les esprits les moins fermes ni d'ébranler, je ne dirai pas la foi, mais la légère persuasion de ceux qui ne croient que pour un temps. Un juif, au reste, n'avouera jamais que quelque prophète ait dit que le Fils de Dieu devait venir. Ce que les Juifs disent, c'est que le Christ de Dieu doit venir. Et ils ne disputent presque jamais contre nous, qu'ils ne nous demandent d'abord qui est ce Fils de Dieu : comme s'il n'y en avait point, et que les prophètes n'en dissent rien. Pour moi, je n'ai garde de dire que les prophètes n'en ont pas parlé : mais je dis qu'un juif qui le nie n'eût pas dû être introduit tenant ce discours : Mon prophète disait autrefois dans Jérusalem que le Fils de Dieu devait venir. Il ajoute : Pour faire justice aux gens de bien et pour punir les méchants : comme si c'était la seule chose qui en fût prédite, et qu'il ne fût rien dit ni du lieu de sa naissance, ni du supplice que les Juifs devaient lui faire souffrir, ni de sa résurrection, ni des grands miracles qu'il devait faire. Et c'est là-dessus qu'il lui demande : Pourquoi vouloir que ce soit de vous qu'il faille entendre cette prophétie plutôt que d'un million d'autres qui sont venus depuis la prédiction? Et que voulant montrer ensuite qu'il y en a bien d'autres à qui l'on pourrait avec autant de vraisemblance rapporter la prophétie, il avance je ne sais sur quel fondement, qu'il y a des fanatiques et des imposteurs qui s’attribuent aussi le nom du Fils de Dieu descendu du ciel, car nous ne voyons pas que l'on demeure d'accord qu'il soit rien arrivé de pareil parmi les Juifs. Il faut donc lui répondre premièrement qu'il y a plusieurs prophètes qui ont fait diverses prédictions touchant le Christ, les uns en énigmes, les autres en allégories ou autrement, et quelques-uns en termes formels. Et puisque ci-après dans le discours que le juif adresse à ceux de sa nation qui ont embrassé la foi chrétienne, Celse lui fait dire que les prophéties qu'on rapporte aux aventures de Jésus peuvent être également appliquées à d'autres sujets : témoignant en cela sa passion et sa malignité : il sera bon d'en produire quelques-unes que vous choisirons entre plusieurs autres. S'il y a quelqu'un qui les veuille combattre, qu'il emploie ici tous ses efforts pour voir s'ils seront capables de triompher de la foi de ceux qui n'ont pas cru sans connaissance de cause.
Touchant le lieu de la naissance du Christ, il est dit que le prince devait sortir de Bethléem. Voici les paroles du prophète : Et toi, Bethléem, ville d'Ephrata, tu n'es pas trop petite pour tenir rang entre les communautés de Juda ; puisque c'est de toi que nous verrons sortir celui qui doit être prince en Israël, et qui a aussi une issue d'où il sort de tout temps dis l'éternité (Mich. V, 2). Cette prophétie ne saurait être appliquée à aucun de ces fanatiques ou de ces imposteurs qui, si nous en croyons le juif de Celse, disent qu'ils sont descendus du ciel; à moins qu'on ne fasse voir clairement qu'il soit né à Bethléem, ou si l'on veut, qu'il soit sorti de Bethléem pour être le chef du peuple. A l'égard de Jésus, que Bethléem soit le lieu de sa naissance, si quelqu'un en veut encore d'autres preuves après la prophétie de Michée et le rapport des évangélistes, il n'a qu'à considérer que conformément à l'histoire de l'Evangile, l'on montre encore aujourd'hui dans Bethléem la grotte où Jésus naquit, et dans la grotte, la crèche où il fut emmailloté (Luc, VII, 2). Et cette vérité est tellement reconnue sur les lieux que les ennemis mêmes du nom chrétien disent tous les jours : C'est ici la grotte où naquit ce Jésus qui est l'objet de l'admiration et de l'adoration des Chrétiens. Et je ne doute pas qu'avant la venue du Christ les sacrificateurs et les docteurs, voyant cette prophétie si claire et si formelle, n'enseignassent au peuple que le Christ devait naître à Bethléem, ni que la plupart des Juifs n'en eussent connaissance. De là vient que quand Hérode interrogea là-dessus les principaux sacrificateurs et les docteurs du peuple, il nous est dit qu'ils lui répondirent que le Christ devait naître à Bethléem ville de la tribu de Juda, d'où était David (Matth. II, 5) : et que dans l'Evangile selon S. Jean il nous est aussi rapporté que les Juifs disaient que le Christ devait naître à Bethléem, d'où était David (Jean, VII, 43). Mais depuis sa venue, ceux qui n'ont rien oublié pour ôter de l'esprit des hommes que sa naissance ait été prédite par les prophètes de Dieu, ont banni cet enseignement du nombre de ceux qu'ils donnent leur peuple : se montrant par là dignes frères de ceux dont il nous est dit qu'ils gagnèrent les soldats qui, étant à la garde de son sépulcre, l'avaient vu ressusciter d'entre les morts, et qu'ils leur donnèrent cette instruction « Dites que ses disciples sont venus la nuit pendant que vous dormiez, et l'ont dérobé. Et si le gouverneur vient à le savoir, nous l'apaiserons et nous vous tirerons de peine (Matth. XXVIII, 13). Car, les préjugés et l'envie de contredire ont un étrange pouvoir pour faire qu'on résiste aux vérités les plus claires plutôt que d'abandonner des sentiments qui sont comme nés avec nous, et dont notre âme est pour ainsi dire toute pénétrée. Il est même beaucoup plus aisé de se défaire de toutes les autres habitudes, quelque enracinées qu'elles soient, que de renoncer à une opinion dont notre esprit est revenu : quoiqu’en général il n'y ait point d'habitudes qui ne nous donnent de la peine à vaincre. C'est ainsi que nous ne pouvons nous résoudre à quitter les pays ni les villes, les maisons ni les personnes auxquelles nous sommes accoutumés. Et c'est aussi pour cette raison que Jésus trouva la plupart des Juifs si obstinés à ne se rendre ni à l'évidence des prophéties qui parlaient de lui, ni à l'éclat des miracles qu'ils lui virent faire, ni à tout ce qui nous est dit des circonstances extraordinaires soit de sa vie, soit de sa mort. Pour reconnaître, au reste, que c'est là une des faiblesses de la nature humaine, il ne faut que considérer avec combien de difficulté on arrache les sentiments les plus honteux de l'esprit de ceux qui y ont été nourris par leurs pères, ou qui les ont pris de la tradition de leur pays. Il est rare, par exemple, qu'un Egyptien, se laissant désabuser de la croyance dans laquelle il a été élevé, cesse de regarder quelques brutes comme des dieux, et d'avoir une telle répugnance pour la chair de certains animaux, qu'il mourra plutôt que d'en manger. Je me suis un peu étendu sur ce sujet à l'occasion de Bethléem et de son oracle ; et j'ai cru que cela était nécessaire pour répondre à ceux qui nous pourraient demander pourquoi, si les prophéties des Juifs désignent si clairement Jésus, les Juifs n'ont pas reçu sa doctrine lorsqu'il s'est présenté à eux, et pourquoi ils n'ont pas pris la bonne voie qu'il leur montrait. Pour nous, qui croyons en lui, que l'on ne nous reproche pas que ce soit par un aveuglement semblable, puisque notre foi trouve des défenseurs qui font voir qu'elle est appuyée sur des raisons très solides.
S'il faut produire encore quelque prophétie, du nombre de celles qui me paraissent les plus formelles pour Jésus, j'en produirai une, écrite plusieurs centaines d'années avant sa naissance. C'est celle qui nous est rapportée par Moïse, lorsqu'il dit que Jacob, étant au lit de la mort, prophétisa à chacun de ses enfants quelle serait leur condition, et qu'entre les autres choses, il dit à Juda : Le prince ne cessera point d'être pris de Juda, ni le chef du peuple de sortir de sa postérité, qu'on no voie venir celui à qui il est réservé de l’être (Gen. XLIX, 10). Cette prophétie qui, dans la vérité, est beaucoup plus ancienne que Moïse, mais dont un incrédule peut soupçonner que Moïse soit l'auteur, doit donner à tous ceux qui la lisent un juste sujet d'admirer comment, y ayant douze tribus parmi les Juifs, Moïse a pu prédire que les rois que devaient gouverner tout le corps de la nation seraient de la tribu de Juda : comme en effet ils en ont été; à cause de quoi, le peuple entier a été nommé le peuple des Juifs, du nom de la tribu dominante. Ce qu'on y doit encore admirer, si l'on n'a pas l'esprit prévenu, c'est que Moïse, après avoir dit que les princes et les chefs du peuple seraient de la tribu de Juda, ait de plus marqué le terme de la durée de leur autorité, disant que le prince ne cesserait point d'être pris de Juda, ni le chef du peuple de sortir de sa postérité, qu'on ne vit venir celui à qui il était réservé de l'être; qui serait aussi l'attente des nations. Car celui à qui l'empire était réservé, le Christ de Dieu, le prince que Dieu avait promis, est effectivement venu; et c'est lui seul, à l'exclusion de tous ceux qui ont été avant lui et de tous ceux mêmes je ne craindrai point de le dire, qui viendront après lui, qu'on peut véritablement appeler l’attente des nations, puisqu'il n'y a point de nation où il n'ait fait à Dieu des fidèles ; et que toutes les nations espèrent en son nom, selon qu'Isaïe l'avait prédit. Toutes les nations, avait-il dit, espéreront en son nom (Is., XLII, 4). C'est lui encore qui a publié la liberté aux captifs, qui étaient dans les liens de leurs péchés, comme le sont tous les hommes; et qui a dit à ceux qui étaient dans les ténèbres de l'ignorance, qu'ils vinssent a la lumière de la vérité. Ce qui avait aussi été prédit en ces termes : Je t'ai établi pour chef de mon alliance avec les nations, afin que tu répares la terre, et que tu possèdes l'héritage du désert ; que tu dises à ceux qui sont dans les chaînes, Sortez de prison ; et à ceux qui sont dans les ténèbres. Venez à la lumière (Is., XLIX, 8). Le grand nombre de ceux qui crurent en lui à sa venue, et qui reçurent sa doctrine avec docilité, par toutes les parties de la terre, fit encore voir l'accomplissement de la suite de cet oracle : Ils paîtront dans tous les chemins, et leurs pâturages seront le long de tous les sentiers (Is., XLIX, 9).
Mais puisque Celse, qui prétend ne rien ignorer de ce que nous enseignons, insulte à notre Sauveur sur sa passion, comme si le Père n'avait pas voulu le secourir, ou que lui-même n'eût pu se défendre ; il le faut faire souvenir que cette passion du Sauveur avait été prédite, et que la cause en avait été marquée; savoir, que ce serait une chose avantageuse aux hommes qu'il mourût pour eux, étant traité comme un criminel condamné au supplice. Il avait encore été prédit que les Gentils, à qui les prophètes ne s'étaient point adressés, ne laisseraient pas de le connaître, et qu'il se ferait voir aux hommes sous une forme qui leur paraîtrait méprisable. La prophétie est exprimée en ces termes : Sachez que mon serviteur sera rempli d'intelligence, de majesté et de gloire: qu'il sera extrêmement élevé. Tu seras un sujet d'étonnement à plusieurs par l'excès au mépris où ta beauté et ta gloire seront parmi les hommes. Mais aussi divers peuplée seront dans l'admiration à cause de lui, à cause, dis-je, de mon serviteur; et les rois se tiendront devant lui dans le silence, parce que ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront, et que ceux gui n'avaient point entendu parler de lui le connaîtront (Is., LII, 13, etc.). O Dieu ! qui a cru à notre prédication, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? Nous avons publié qu'il est devant le Seigneur comme un enfant, comme une racine dans une terre aride ; il n'y a en lui aucun éclat ni aucune gloire. Nous l'avons vu, il n'avait au dehors ni beauté, mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d'aucun autre d'entre les hommes. C'est un homme tout noirci de coups, et qui sait ce que c'est que de souffrir, car il s'est vu réduit à n'oser lever les yeux; on lui a fait les plus grands outrages, on l'a traité avec le dernier mépris. C’est lui qui porte nos péchés et qui est dans les tourments à cause de nous. Nous n'avions de lui d'autre pensée, sinon qu'il était dans le travail, dans la peine et dans la souffrance ; mais c'était à cause de nos péchés qu.il était frappé, et à cause de nos iniquités qu'il était accablé de douleurs. Le châtiment qui nous procure la paix est tombé sur lui, et c’est par sa blessure que nous avons été guéris. Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes, et chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie; mais le Seigneur l'a donné pour porter la peine des péchés, sans qu'il ait jamais ouvert la bouche pour les maux qu'on lui a faits. Il a été mené à la mort comme une brebis que l'on va égorger, et il s'est tenu dans le silence comme un agneau qui demeure muet devant celui qui le tond. Au plus fort de son abaissement l'arrêt de sa condamnation a été cassé. Mais qui pourra faire le récit, et suivre le fil de sa durée, puisque sa vie a été bannie de la terre, qu'il a été mené à la mort à cause des iniquités de mon peuple (Is., LIII, 1, etc.) ? Il me souvient qu'en une dispute que j’eue un jour avec ceux qui portent le nom de sages parmi les Juifs, je me servis de ces prophéties. Le juif me disait que ces choses devaient s'entendre de toute la nation, qui ne fait qu'un corps, et, comme les Juifs ont été dispersés parmi diverses nations, il prétendait que le peuple ainsi répandu avait été frappé, afin d'amener par là plusieurs prosélytes à la connaissance de Dieu. C'est de la sorte qu'il expliquait ces paroles : Ta beauté sera en mépris parmi les hommes ; et celles-ci : Ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront; et celles-ci encore : C’est un homme tout noirci de coups. J'alléguai alors plusieurs raisons, pour faire voir à ceux contre qui je disputais, que c'était à tort qu'ils appliquaient à tout le peuple une prophétie qui se rapportait manifestement à une seule personne. Je leur demandais de qui étaient ces paroles : C’est lui qui porte nos péchés, et qui est dans les tourments à cause de nous; et ces autres : C'était à cause de nos péchés qu'il était frappé, et à cause de nos iniquités qu'il était accablé de douleur; et de qui encore étaient celles-ci : C’est par sa blessure que nous avons été guéris; car ceux qui parlent ainsi dans ce passage sont évidemment tous ceux, soit d'entre les Juifs, soit d'entre les Gentils, qui étant travaillés de leurs péchés en ont été guéris par la passion du Sauveur. C'est en la personne tant des uns que des autres que le prophète, éclairé par le Saint-Esprit, s'exprime dès lors comme nous voyons qu'il fait ; mais je ne leur alléguai rien qui, à mon avis, les pressât tant que ces dernières paroles : Il a été mené à la mort à cause des iniquités de mon peuple; car si c'est au peuple juif qu'il faut rapporter toute la prophétie, comme ils le prétendent, comment peut-on expliquer ce qui est dit, qu'il a été mené à la mort à cause des iniquités du peuple de Dieu, si l'on ne l'entend de quelque personne différente de ce peuple ? Et de quelle personne peut-on l'entendre, sinon de Jésus-Christ, parla blessure duquel nous avons été guéris, nous qui croyons en lui, et qui savons qu'il a désarmé les principautés et les puissances qui nous tyrannisaient, et qu'il a publiquement triomphé d'elles sur la croix (Col., Il, 15)? Expliquer maintenant cette prophétie en détail, et n'y rien laisser sans examen, le dessein n'en serait pas de saison. Je m'y suis même beaucoup étendu, mais j'ai cru le devoir faire pour repousser les attaques du juif de Celse.
Au reste, ce qui trompe et Celse et son juif, et tous ceux qui ne croient pas en Jésus, c'est qu'ils ne savent pas que les prophètes nous parlent de deux venues du Christ. La première, où il devait paraître dans la bassesse et s'assujettir à toutes les infirmités des hommes; afin que vivant avec eux, il leur enseignât la voie qui conduit à Dieu, et ne laissât a qui que ce soit aucun lieu de s'excuser sur l'ignorance du jugement à venir. La seconde qui serait seule glorieuse et divine, sans aucun mélange des faiblesses humaines. Il serait trop long de rapporter les prophéties : il suffira, pour celle heure, d'alléguer celle du psaume 44, qui est un cantique pour le Bien-Aimé, comme porte le titre entre autres choses, et où notre Sauveur est expressément nommé Dieu. La grâce (Ps. XL1V ou XLV, 3, 7), dit le texte sacré, est répandue sur tes lèvres, à cause de quoi Dieu t’a béni pour jamais. Mets ton épée à ton côté, vaillant prince, pour rehausser ton éclat et ta beauté. Pousse tes desseins, fais-les réussir, et règne à cause de ta fidélité, de ta douceur et de ta justice : ta main t'ouvrira le chemin à de merveilleux exploits. Tes dards sont aigus, vaillant prince, ils feront tomber les peuples sous toi : et le c?ur des ennemis du roi en sera percé. Prenez garde soigneusement à ce qui suit, où le nom de Dieu lui est donné : Ton trône, ô Dieu, est ferme éternellement : le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité. Tu as aimé la justice, et tu as haï l'iniquité ; c'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a oint d'une huile de joie, au-dessus de tes compagnons. Remarquez comme le prophète qui adressant la parole à Dieu, dit que son trône est ferme éternellement, et que le sceptre de son règne est un sceptre d'équité, ajoute ensuite que ce Dieu, à qui il s'adresse, a été oint par Dieu qui est son Dieu, et qu'il a été oint parce qu'il a aimé la justice, et qu'il a haï l'iniquité plus que l’ont fait ses compagnons. Il me souvient que citant un jour cet oracle à un de ces juifs qu’on nomme sages, je l'embarrassai extrêmement. Ne sachant qu'y répondre, il eut recours à une défaite, conforme aux principes de sa créance. Il me dit que c'était au grand Dieu que s'adressaient ces paroles : Ton trône, ô Dieu, est ferme éternellement, le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité; et que celles-ci s'adressaient au Messie : Tu as aimé la justice, et tu as haï l'iniquité : pour cette cause Dieu, ton Dieu, t'a oint ; et ce qui suit.
Le juif de Celse objecte encore ceci à notre Sauveur : Si, comme vous dites, tous ceux qui naissent par les ordres de la Providence, sont enfants de Dieu, quel avantage avez-vous au-dessus des autres ? Nous répondons, qu'à la vérité tous ceux qui ne sont plus menés par la crainte, comme parle saint Paul, mais qui aiment la vertu à cause d'elle-même, sont enfants de Dieu. Mais qu'il y a bien de la différence et bien de la disproportion, entre ceux qui ne sont nommés enfants de Dieu, qu'à cause qu'ils aiment la vertu, et celui qui est comme la source et le principe de tout le bien qui est en eux. Voici le passage de saint Paul : Car vous n'avez point reçu l'esprit de servitude pour vivre encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants de Dieu, par lequel nous crions Abba, c'est-à-dire mon Père (Rom., VIII, 15).
Le juif ajoute : Qu'il y a une infinité de gens qui accuseront Jésus de témérité, et qui soutiendront que c'est à eux que se doivent rapporter toutes les prophéties qu'il s'applique. Je ne sais si Celse a entendu parler de ceux qui ont voulu faire dans le monde quelque chose d'approchant de ce que Jésus y a fait, et s'y faire appeler le Fils ou la vertu de Dieu. Mais comme en lui répondant nous n'avons que la vérité en vue, nous ne ferons point de difficulté de dire, qu'avant la naissance de Jésus, il parut parmi les Juifs un certain Theudas, qui prétendait être quelque chose de grand; mais qui ne fut pas plus tôt mort, que ceux qu'il avait séduits se dissipèrent (Act. V, 36). Quelque temps après, lorsque l’on fit le dénombrement du peuple, celui-là même, si je ne me trompe, pendant lequel naquit Jésus, il s'éleva un certain Galiléen, nommé Judas, qui attira à sa suite grand nombre de Juifs, par la sagesse qu'il affectait et par l'amour qu'on a pour la nouveauté (Act. V, 37) ; mais ayant aussi été puni comme il méritait, sa doctrine fut éteinte ou renfermée parmi quelque peu de personnes sans nom. Depuis Jésus, Dosithée de Samarie voulut tout de même faire croire aux Samaritains qu'il était le Messie prédit par Moïse, et il sembla le persuader à quelques-uns. Mais on peut fort justement appliquer ici la sage maxime de ce Gamaliel, dont il est parlé dans le livre des Actes des apôtres, pour faire voir que tous ces gens-là n'avaient rien de commua avec la promesse de Dieu, el qu'ils n'étaient ni ses enfants ni, sa vertu, au lieu que Jésus-Christ est véritablement son fils. Si cette entreprise et cette doctrine vient des hommes, disait-il, elle se détruira, comme en effet tous les desseins de ceux-là se sont évanouis arec eux; mais si elle vient de Dieu vous ne sauriez la détruire, et vous vous mettriez même en danger de combattre contre Dieu (Act. V, 38). Simon, magicien de Samarie, voulut pareillement se faire des sectateurs par ses arts magiques, et il y réussit pour un temps; mais à présent je crois qu'à peine trouverait-on dans le monde trente de ses disciples, encore en dis-je peut-être plus qu'il y en a, et ce petit nombre demeure caché aux environs de la Palestine, pendant que son nom n'est presque pas connu dans tout le reste de la terre, où il prétendait de le rendre célèbre à jamais. Car ceux qui le connaissent ne le connaissent que par l'histoire des Actes des apôtres (Act., VIII, 9). Ainsi, sans les chrétiens, on ne parlerait plus de lui, et l'expérience a bien fait voir qu'il n'y avait rien de divin en sa personne.
Après cela, le juif de Celse, au lieu des mages dont il est parlé dans l'Evangile, dit que des Chaldéens, à ce que prétend Jésus, vinrent, par un sentiment secret de sa naissance, pour l’adorer comme Dieu, qu'il n'était encore qu'un enfant : et qu'en ayant dit la nouvelle à Hérode le Tétrarque, il envoya massacrer tous les enfants de ce même âge, dans le dessein de faire périr Jésus avec eux, de peur que si on le laissait vivre, il ne s'emparât du royaume. Remarquez donc ici, d'abord, la méprise de notre homme, qui confond les mages avec les Chaldéens, ne prenant pas garde à la différence de leur profession, et qui falsifie ainsi le texte de l'Evangile. Je ne sais, au reste, d'où vient qu'il a passé sous silence la cause de ce sentiment secret des mages, et qu'il n'a pas dit que ce fut, comme il nous est rapporté, la vue de l'étoile qui leur apparut en Orient (Matth., II, 2). Voyons néanmoins ce qu'il y a à dire sur ce sujet. Je crois que l'étoile qui parut en Orient était d'une nouvelle espèce, et qu'elle n'avait rien de semblable à celles que nous voyons, soit dans le firmament, soit dans les orbes inférieurs : mais qu'elle était à peu près de même nature que les comètes, et les autres feux qui paraissent de temps en temps, tantôt sous la figure d'une poutre, tantôt sous celle d'un tonneau ; tantôt avec une longue chevelure, et tantôt sous d'autres formes, que les Grecs, marquent par les noms qu'ils jugent à propos de leur donner. Voici les preuves de mon opinion. On a observé que dans les grands événements et dans les changements les plus remarquables qui arrivent sur la terre, il paraît de ces sortes d'astres, qui présagent ou des révolutions d'empires, ou des guerres, ou d'autres tels accidents capables de causer du remuement dans le monde. J'ai même lu dans le Traité des comètes, composé par le stoïcien Chérémon, qu'il en a quelquefois paru à la veille de quelque événement favorable ; et il en rapporte des exemples. S'il est donc vrai qu'à l'établissement de quelque nouvelle monarchie, ou à l'occasion de quelque autre telle vicissitude des affaires humaines, on voit paraître des comètes ou quelque autre astre de même nature, faut-il s'étonner qu'il ait paru une nouvelle étoile à la naissance d'une personne qui devait causer un si grand changement parmi les hommes, et répandre sa doctrine non seulement parmi les Juifs et parmi les Grecs, mais au milieu même de plusieurs nations barbares? A l'égard des comètes, je puis bien dire qu'on n'a jamais vu qu'aucun oracle ait marqué qu'il en paraîtrait une certaine en tel temps, ou à l'établissement de tel empire : mais pour celle qui parut à la naissance de Jésus, Balaam l'avait prédite en ces termes, selon que Moïse nous le rapporte : Une étoile se lèvera de Jacob, et un homme sortira d'Israël (Nomb., XXIV, 17). S'il faut maintenant examiner ce qui nous, est dit touchant les mages et touchant l'apparition de cette étoile, j'en raisonnerai avec les Grecs sur un principe, et avec les Juifs sur un autre. Je dirai aux Grecs que les mages, qui ont commerce avec les démons, et qui s en servent pour faire ce qu'il leur plaît, selon que les règles de leur art le leur apprennent, ont le succès qu'ils désirent, pendant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons qu'ils évoquent, ou que les paroles qu'ils emploient pour les évoquer, n'empêche l'effet de leur conjuration. Mais si quelque puissance plus divine vient à se montrer, ou s'il arrive que quelques paroles plus fortes soient prononcées, alors les démons demeurent sans aucun pouvoir, et sont contraints de se cacher devant la lumière de la Divinité, dont ils ne peuvent soutenir l'éclat. Il est donc croyable que, puisqu'à la naissance de Jésus une grande troupe de l'armée céleste (comme S. Luc le raconte, et comme j'en suis persuadé) loua Dieu en disant, Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, et grâce aux hommes (Luc, II, 13), tout l'art et tout le pouvoir des démons en fut déconcerté, leurs prestiges rendus vains, et leurs forces détruites. Ce qui ne fut pas seulement l'effet de la présence de ces anges que la naissance de Jésus avait fait descendre vers la terre ; mais qui doit aussi être attribué à l'âme de Jésus même, et à la Divinité qui était en lui. Les mages donc voulant faire leurs opérations accoutumées, et n'y pouvant réussir ni par leurs conjurations, ni par leurs autres sortilèges, en cherchèrent la cause, qu'ils jugèrent devoir être extraordinaire. Voyant aussi, au même temps, un signe divin dans le ciel, ils en voulurent examiner la signification ; et ayant sans doute les prophéties de Balaam, qui avait été fort expert en leur profession, ces mêmes prophéties, dis-je, que Moïse nous a laissées, ils y trouvèrent l’oracle de l'étoile, avec ces autres paroles : Je le lui ferai voir, mais non pas si tôt, j'en célèbre le bonheur, mais il n'est pas proche (Nomb., XXIV, 17). D'où ils conjecturèrent que cet homme, dont la naissance était prédite avec l'apparition de l'étoile, devait être venu au monde: et le jugeant dès lors plus puissant que les démons et que tous ces esprits qui avaient accoutumé de leur apparaître et de les servir, ils voulurent l'adorer. A ce dessein ils vinrent dans la Judée, tout persuadés qu'un grand roi y était né ; mais ne sachant pas quelle devait être la nature de son royaume, ni le lieu de sa naissance. Après qu'on leur eut appris où il devait naître, ils allèrent lui offrir les présents qu'ils avaient apportés, et qui paraissaient destinés pour un sujet composé, s'il faut ainsi parler, d'un Dieu et d'un homme mortel : savoir, de l'or, comme à un roi ; de la myrrhe, comme à une personne qui devait mourir; et de l'encens, comme à un Dieu (Matth., II, 11). Comme donc en la personne de ce Sauveur du genre humain, il y avait un Dieu maître des anges qui s'emploient pour le secours des hommes, la piété des mages, qui étaient venus adorer Jésus, fut récompensée par l'avertissement divin qu'un ange leur donna, de n'aller point trouver Hérode, mais de s'en retourner en leur pays par un autre chemin (Matth., II, 12). Pour ce qui est des embûches par lesquelles Hérode voulut faire périr l'enfant, on ne doit pas s'en étonner, bien que le juif de Celse révoque en doute la vérité de l'histoire. La malice des hommes est si aveugle, que, comme si elle était plus forte que le destin, elle entreprend de le vaincre. C'est ce qui arriva à Hérode, qui persuadé que le roi des Juifs était né, se mit dans l'esprit un dessein tout opposé a cette persuasion : ne considérant pas, ou que c'était effectivement ce roi qui était né, et qu'ainsi il régnerait quoi qu'où pût faire, ou que celui qui était né ne règnerait point, et que par conséquent il ne fallait pas se mettre en peine d'avancer sa mort. Il entreprit donc de le faire mourir, formant par sa passion des pensées contradictoires, et suivant la suggestion du diable aveugle et malin, qui, dès le commencement, dressa lui-même des embûches à notre Sauveur, prévoyant qu'il serait un jour, comme il était déjà, quelque chose de grand et d'illustre. Mais un ange avertit Joseph de se retirer en Egypte avec l'enfant et sa mère (Matth., II, 13) : et l'ange ne fit en cela rien qui ne soit dans l'ordre, quoi que Celse en veuille dire. Cependant Hérode fit tuer tous les enfants qui étaient dans Bethléem et dans tout le pays d'alentour, espérant de faire périr avec eux le roi des Juifs qui était né (Matth., II, 16). Car il ne voyait pas celle puissance qui veille continuellement pour la défense de ceux qui sont dignes de sa protection et de ceux dont la conservation est importante pour le salut des hommes entre lesquels Jésus tient le premier rang, puisqu'il surpasse infiniment tous les autres en honneur et en dignité. Il devait être roi, non d'un royaume tel qu'Hérode se l'imaginait; mais tel qu'il était juste que Dieu le formât lui-même, pour celui qui, au lieu d'un bonheur de la nature des choses indifférentes, comme on parle, devait procurer à ses sujets une félicité parfaite, les gouvernant et les conduisant par des lois vraiment divines. C'est i quoi Jésus avait égard, lorsque niant qu'il fût roi au sens qu'on l'entend d'ordinaire, et montrant en même temps l'excellence de ton royaume, il disait : Si mon royaume était de ce monde, mes gens combattraient pour empêcher que je ne fusse livré aux Juifs : mais mon royaume n'est point de ce monde (Jean. XVIII, 36). Celse ne parlerait pas comme il fait, s'il avait considéré cela. Si Hérode a eu peur, dit-il, que venant en âge de régner vous ne régnassiez en sa place, pourquoi, y étant venu, ne régnez-vous pas ? Il fait beau voir le fils de Dieu faire le coureur et le vagabond, se cachant honteusement comme un criminel que l'on poursuit, et ne sachant presque où donner de la tête. Mais il n'y a point de honte à user de prudence pour éviter les périls ; et si Jésus ne les a pas affrontés, ce n'est pas qu'il craignit la mort; c'est qu'étant venu au monde dans la vue de s'y rendre utile, il voulait y demeurer, pour cela, jusqu'à ce que le temps fût arrivé, ou il fallait que, puisqu'il avait pris la nature humaine, il mourût aussi comme un homme, pour le bien et pour l'avantage des hommes. C'est ce que reconnaîtront aisément ceux qui savent que Jésus n'est mort que pour le salut du genre humain; comme je l'ai montré ci-dessus, autant que j'en ai été capable.
Celse fait voir ensuite, qu'il ne sait pas même le nombre des apôtres : s'étant accompagné, dit-il, de dix ou onze scélérats, de publicains et de mariniers, les plus perdus de tous les hommes, il se mit avec eux à courir le monde, quêtant sa vie comme un misérable et comme un infâme. Examinons pourtant avec soin ce qu'il en dit; et ne laissons pas cet article sans réponse. Il semble que Celse n'ait jamais lu l'histoire de l'évangile ; car pour peu qu'on ait de connaissance, on sait que les apôtres, que Jésus choisit, étaient au nombre de douze (Matth. X, 1); et qu'entre ces douze il n'y avait que Matthieu de publicain (Marc, III, 14; et Luc, VI, 13). Par les mariniers, qu'il renferme dans son expression générale, il peut entendre Jacques et Jean (Matth.. X, 3), puisque pour suivre Jésus ils quittèrent leur barque, et Zébédée leur père (Marc, I, 20). Car pour les deux frères Pierre et André (Matth.. IV, 18), qui se servaient de leurs filets comme d'un moyen de se nourrir, on ne doit pas les compter entre les mariniers, mais entre les pécheurs (Marc, II, 14), qui est aussi le nom que l'Ecriture leur donne. Si l'on veut encore mettre Lévi le publicain au nombre de ceux qui suivaient Jésus, à la bonne heure : mais du moins n'était-il pas du nombre de ses apôtres; si ce n'est que l'on veuille suivre quelques exemplaires de l'évangile selon saint Marc (Marc, III, 18). Pour ce qui est d'autres, nous ne savons pas quelle était la profession à laquelle ils vaguaient leur vie avant que de s'attacher à Jésus. Mais nous pouvons bien dire que qui considérera d'un esprit tranquille et sincère quels étaient les apôtres de Jésus, sera contraint d'avouer que le succès avec lequel ils prêchaient le christianisme et soumettaient es hommes à la parole de Dieu ne pouvait être que l'effet d'une vertu divine. Ce n'était ni par la force de leur éloquence, ni par la netteté de leur méthode, ni par les autres artifices de la rhétorique ni de la dialectique, qu'on apprend dans les écoles des Grecs, qu'ils se rendaient maîtres de l'esprit de leurs auditeurs. Si Jésus avait choisi pour prédicateurs de sa doctrine des personnes qui eussent eu dans le monde une grande réputation de sagesse, et dont les pensées et les discours eussent été capables de plaire au peuple, on aurait eu raison, à mon avis, de soupçonner sa conduite d'être conforme à celle de ces philosophes, qui ont voulu être fondateurs de quelque secte. Ainsi sa doctrine n'aurait plus eu ce caractère de divinité qu'il lui attribuait; étant alors soutenue par tout ce que l'art d'arranger les mots et de chatouiller l'oreille a de plus propre, à persuader : et la foi qu'on y aurait ajoutée, comme celle que les philosophes du monde ont pour leurs dogmes, aurait été fondée sur la sagesse des hommes, et non sur la puissance de Dieu. Mais quand on voit des publicains et des pécheurs, qui n'avaient pas la moindre teinture des lettres (car c’est ainsi que l'évangile nous les décrit, et qu'ils se représentent eux-mêmes : et Celse ne fait pas difficulté de recevoir leur témoignage sur ce point) : quand on les voit, dis-je, disputer hardiment contre les Juifs, de la foi que l'on doit à Jésus; et porter même, avec succès, leur prédication au milieu des autres peuples; peut-on s'empêcher de demander d'où leur venait cette vertu de gagner l'esprit? Car elle n'était pas de même nature, que celle qu'on voit ordinairement dans les autres. Et n'est-on pas forcé de la regarder comme un effet de cette promesse : Suivez-moi, et je vous ferai pécheurs d'hommes (Matth. IV, 19) ; de laquelle Jésus faisait voit l'accomplissement dans ses apôtres avec une puissance divine? C'est à cette occasion que saint Paul disait, comme nous l'avons rapporté ci-dessus : Je n'ai pas employé, en vous parlant et en vous prêchant, les discours dont la sagesse humaine se sert pour persuader, mais la démonstration de l’esprit et de la puissance : afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (I Cor. II, 4 et 5). Car comme en parlent les prophètes, qui prédisaient dès leur temps, la prédication de l'Evangile : Le Seigneur a donné la parole aux messagers des bonnes nouvelles, qui les publient avec une grande force. C'est le roi des armées : il conduit celles de son bien-aimé (Ps. LXVII ou LXVIII, 12). Afin que celle autre prophétie fût aussi vérifiée : Sa parole court avec vitesse (Ps. CXLVII, 4, ou 15). Nous voyons en effet que la prédication des apôtres de Jésus s'est répandue par toute la terre, et que le bruit de leur voix est parvenu jusqu'au bout du monde (Ps. XVIII, ou XIX, 5). Aussi les auditeurs de cette doctrine sont-ils eux-mêmes remplis de la vertu qui en accompagne la prédication ; d'une vertu qu'ils font paraître et dans les dispositions de leur âme, et dans toutes les actions de leur vie, et dans la constance avec laquelle ils soutiennent la vérité jusqu'à la mort. Mais il y en a quelques-uns qui, quelque attachement qu'ils témoignent pour la parole de Dieu, et quelque profession qu'ils fassent de croire en Dieu par Jésus-Christ, sont pourtant tout vides de cette vertu divine et n'en ont jamais senti l'impression dans leur c?ur. J'ai déjà allégué ce que disait notre Sauveur dans l'Evangile; mais il y a lieu de le répéter ici, pour faire voir comment il avait divinement prévu quelle devait être la prédication de sa doctrine ; et pour montrer encore combien est puissante la divine vertu de cette parole, qui sans l'aide des docteurs persuade invinciblement ceux qui croient. ; moisson est grande, disait-il, mais il y a peu d'ouvriers ; priez donc le Seigneur de la moisson, qu'il envoie des ouvriers en sa moisson (Matth. IX, 37).
Mais puisque Celse parle des apôtres comme de scélérats, disant que Jésus s'accompagna de publicains et de mariniers, les plus perdus de tous les hommes, nous lui répondons à cela, qu'on dirait que pour trouver quelque prétexte de décrier notre profession, il ajoute foi, quand il lui plaît, aux écrits des évangélistes ; mais qu'il rejette aussi, quand il veut, l'autorité de ces mêmes livres, pour n'être pas obligé de recevoir le témoignage qu'ils rendent à la divinité de ce qu'ils enseignent. Au lieu que, voyant avec quelle sincérité nos auteurs rapportent les choses qui leur sont les moins avantageuses, cette considération devait l'obliger à les croire sur le reste, et à prendre pour divin ce qu'ils nous représentent comme tel. Nous lisons dans l'épître catholique de Barnabé (et c'est de là, peut-être, que Celse a pris ce qu'il nous dit des apôtres, lorsqu'il les traite de scélérats, et de gens perdus) : Que Jésus choisit pour ses apôtres des hommes injustes au delà de toute injustice. Et dans l'Evangile selon saint Luc, Pierre disait à Jésus : Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un pécheur (Luc, V, 8). Paul qui dans la suite, fut aussi l'un des apôtres de Jésus, disait tout de même, écrivant à Timothée : C'est une vérité certaine que Jésus-Christ Dieu est venu au monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (I Tim. I, 15). Et je ne sais comment Celse a oublié, ou a négligé de dire quelque chose de ce Paul, qui après Jésus est celui qui a fondé les églises chrétiennes. Il a vu apparentent que ce n était pas un sujet favorable pour sa cause; et qu'il aurait à rendre raison comment cet homme, après avoir persécuté l'Eglise de Dieu (Act. XIX, 1), et fait une cruelle guerre aux fidèles, jusqu'à vouloir faire traîner au supplice les disciples de Jésus, comment, dis-je, il a pu tellement changer (Rom. XV, 19), qu'il ait porté et établi l'évangile de Jésus-Christ, depuis Jérusalem jusqu'en Illyrie, prenant à tâche, lorsqu'il le prêchait, de ne point bâtir sur le fondement d'autrui, mais de choisir les lieux où l'évangile de Dieu n'avait en aucune manière été encore annoncé au nom de Jésus-Christ. Faut-il donc s'étonner, que Jésus voulant montrer à tout les hommes, combien sont puissants les remèdes qu'il leur offre pour la guérison de leurs âmes, ait pris des scélérats et des gens perdus, et les ait fait devenir des exemples de toutes sortes de vertus à ceux qui embrassaient son évangile par leur ministère?
Si l'on voulait que des personnes, qui se sont corrigées de leurs vices, fussent encore responsables des désordres de leur vie passée, il faudrait faire le procès à Phédon, dans le temps même qu'il vivait en philosophe ; puisque l'histoire nous apprend que Socrate le retira d'un lieu infâme, pour lui faire embrasser l'étude de la sagesse. Il faudrait, encore, reprocher à la philosophie les débauches de Polémon, successeur de Xénocrate : au lieu qu'il faut avouer, qu'à cet égard même, elle mérite des louanges, d'avoir eu assez de force, en la bouche de deux de ses sectateurs, pour persuader des esprits si mal disposés et pour les porter au bien, malgré la profonde impression que le vice avait faite en eux. Dans les écoles des Grecs, au reste, nous ne voyons qu'un Phédon et un Polémon et quelque autre encore, tout au plus, qui aient renoncé à la débauche pour suivre la philosophie : mais dans l'école de Jésus, outre ces douze premiers, de qui nous venons de parler, nous en voyons toujours, depuis, un beaucoup plus grand nombre, qui étant devenus une troupe de personnes sages et vertueuses, parlent ainsi de leur condition passée : Nous étions aussi nous-mêmes autre fois, insensés, désobéissants, égarés du chemin de la vérité, asservis à une infinité de passions et de voluptés, menant une vie toute pleine de malignité et d'envie, dignes d'être haïs et nous haïssant les uns les autres : Mais depuis que la bonté de Dieu notre sauveur et son amour pour les hommes a paru dans le monde, nous sommes devenus tels que nous sommes maintenant, ayant été lavés pour renaître et renouvelés par l'esprit qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion (Tit., III, 3). Car comme dit le prophète, dans le livre des psaumes ; Dieu a envoyé sa parole et les a guéris ; il les a tirés de la corruption où ils étaient (Ps. CVI ou CVII, 20). Je pourrais encore ajouter à ce que je viens de dire, que Chrysippe, dans son art de guérir les passions, voulant essayer de vaincre celles qui troublent notre repos, les combat par les différents principes de chaque secte ; sans se mettre en peine quels principes sont les plus conformes à la vérité, pourvu qu'il réussisse dans son dessein. Si l'on veut, dit-il, que la volupté soit le souverain bien, il faut combattre les passions par ce principe : Si l'on veut qu'il y ait trois genres de biens, il faut, en le supposant, tâcher de bannir le désordre de nos âmes. Mais les accusateurs du christianisme ne voient-ils pas combien de passions sont calmées, combien de vices sont corrigés et combien d'esprits féroces sont adoucis, à l'occasion de celle doctrine ? Certainement, elle devrait être pour eux un sujet d'admiration et de reconnaissance, par la considération des divers avantages qu'elle procure et du grand nombre de ceux qui profitent de la nouvelle méthode dont elle se sert pour la correction de nos m?urs. S'ils ne veulent pas reconnaître qu'elle est véritable, du moins faudrait-il qu'ils demeurassent d'accord de l'utilité que tout le genre humain en retire.
Jésus, qui ne roulait pas que ses disciples fussent des factieux ni des téméraires, leur faisait cette leçon : Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre, et si la persécution continue dans celle-ci, fuyez encore ailleurs (Matth., X, 23) Et pour leur servir de modèle, il joignit à ce précepte, l'exemple d'une vie égale et ennemie du trouble; ne s'exposant pas imprudemment aux dangers, mais prenant soin de les éviter, lorsque le temps et la raison le lui permettaient. Celse prend de là occasion de calomnier encore Jésus, qu'il accuse, par la bouche de son juif, d'avoir couru le monde avec ses disciples. Mais sur cette accusation, dont il charge Jésus et ses disciples, nous lui dirons qu'on peut trouver un fait tout semblable dans l'histoire d'Aristote, qui se voyant près d'être condamné comme impie, à cause de quelques-uns de ses dogmes, qui, au jugement des Athéniens, sentaient le libertinage, sortit d'Athènes et transporta ses exercices à Chalcis; disant à ses amis, pour raison de sa retraite : Quittons Athènes, de peur que nous ne donnions lieu aux Athéniens de se rendre coupables d'un crime pareil à celui qu'ils ont déjà commis en la personne de Socrate, et de commettre une nouvelle impiété contre la philosophie. Celse ajoute que Jésus, courant le monde avec ses disciples, quêtait sa vie, comme un misérable et comme un infâme (Luc, VIII, 3). Mais qu'il nous dise qui lui a donné sujet d'en parler ainsi. L'Evangile nous apprend bien que quelques femmes qui avaient été guéries de leurs maladies et du nombre desquelles était Susanne, fournissaient, de leurs biens à ses disciples ce qui leur était nécessaire pour vivre. Mais qui, d'entre les philosophes et d'entre ceux qui donnaient leur temps à instruire les personnes de leur connaissance, n'a pas reçu d'elles ce dont il pouvait avoir besoin? Est-ce que quand ceux-ci l'ont fait, ils n'ont rien fait que de bienséant et d'honnête : mais quand les disciples de Jésus font la même chose, ils méritent d'être traités de misérables et d'infâmes ?
Le juif continuant à jouer son personnage, dit encore à Jésus : Pourquoi fallut-il que, pour vous sauver de l’épée, on vous emportât en Egypte peu de temps après votre naissance ? Un Dieu devait-il craindre la mort? Un ange vint du ciel, vous ordonner, à vous et aux vôtres, de prendre la fuite, de peur qu'étant surpris, vous ne périssiez. Mais le grand Dieu ne pouvait-il pas garantir son propre fils dans le lieu même, lui qui avait déjà envoyé deux anges pour l'amour de vous? Celse s'imagine que nous croyons, non qu'il y avait quelque chose de divin dans le corps et dans l'âme de Jésus, mais que son corps même était à peu près semblable à ceux qu'Homère attribue à ses divinités fabuleuses. C'est ce qui donne lieu à la raillerie qu'il fait du sang que Jésus versa sur la croix, dont il dit, Que n'était pas une liqueur pareille à celle
Qui roule doucement dans les veines des dieux.
Mais ce que nous croyons, c'est ce que Jésus témoigne lui-même, disant de la divinité qui était en lui, Je suis la voie, la vérité, et la vie (Jean, XIV, 6) ; et d'autres telles choses; et montrant aussi, par ces paroles, qu'il avait un corps humain, mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité (Jean,, VIII, 40). Nous disons donc que Jésus était quelque chose de composé, et qu'ainsi étant venu au monde à dessein d'y vivre comme un homme, il fallait qu'il ne se mît pas lui-même hors de saison, en danger de mort; il fallait encore qu'il se laissât conduire à ceux qui avaient le soin de son éducation et aux ordres qu'un ange leur apporta de la part de Dieu. Joseph, fils de David, dit d'abord l'ange, ne crains point de prendre avec toi Marie, ta femme, car ce qui -est engendré en elle a été formé par le Saint-Esprit (Matth. I, 20) : et ensuite, Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et t'enfuis en Egypte, et n'en pars point que je ne te le dise, car Hérode cherchera l'enfant pour le faire périr (Matth. II, 13). Je ne vois pas même ce qu'il y a là-dedans de si incroyable; car ce qui est dit dans l'un de ces endroits de l'Écriture, que ce fut en songe que Joseph reçut de l'ange ces avertissements, est une chose qui arrive à plusieurs autres à qui, soit un ange, soit une autre puissance, apprend ce qu'ils doivent faire, le leur découvrant par le moyen des idées qu'il imprime dans leur esprit. Est-il donc étrange que Jésus, ayant une fois pris la nature humaine, se soit gouverné en homme pour éviter le danger? Non qu'il ne le pût éviter d'une autre façon, mais parce qu'il fallait que son salut lût ménagé avec la conduite et l'ordre convenable. En effet, il valait beaucoup mieux que, pour garantir l'enfant des embûches qu'on lui dressait, ceux qui le nourrissaient se retirassent avec lui en Egypte, jusqu'à la mort de son ennemi, que si la Providence, qui veillait en sa faveur, eût arrêté la fureur d'Hérode, qu'elle eût couvert Jésus de ce que les poètes appellent le casque de Pluton (Hom. Iliad. V, v. 845), ou de quelque autre chose semblable, ou qu'elle eût frappé ceux qui seraient venus pour le perdre, d'un aveuglement pareil a celui dont les habitants de Sodome furent frappés. Car un secours si peu ordinaire et si éclatant, n'eût pas été propre pour le dessein qu'il avait d'enseigner au monde, comme un homme autorisé par le témoignage de Dieu ; que dans cet homme que l'on voyait, il y avait quelque chose de divin; savoir, le propre Fils de Dieu, Dieu le Verbe, la puissance et la sagesse de Dieu, celui qui est appelé le Christ. Mais ce n'est pas ici le lieu de parler de ce composé, ni d'examiner ce qu'il y eut de joint ensemble dans la personne de Jésus, après qu'il se fut fait homme, y ayant entre les fidèles une question particulière, et, s'il faut ainsi parler, une dispute domestique sur ce sujet.
Après cela, le juif de Celse, parlant comme s'il avait étudié parmi les Grecs, et qu'il eût l'esprit rempli de leurs idées, Les anciennes fables, dit-il, qui attribuent une naissance divine à Persée, à Amphion, à Eaque et à Minos, bien qu'en cela même elles ne disent rien à quoi nous ajoutions foi, y gardent du moins la vraisemblance, en nous représentant les actions de ces gens-là comme grandes, merveilleuses et véritablement plus qu'humaines. Mais vous, ajoute-t-il, vous ne nous sauriez rien produire de remarquable ni d'extraordinaire, soit dans vos actions, soit dans vos discours, quoique l'on vous ait assez sollicité, dans le temple, de faire voir, par quelque preuve convaincante, que vous étiez fils de Dieu. Pour lui répondre, il ne faut que demander aux Grecs que parmi les actions de quelqu'un de ceux dont il s'agit, ils nous en montrent qui, par leur éclat, par l'étendue et par la durée de leur utilité, et par leurs autres caractères, ayant été capables de persuader aux générations suivantes que la naissance de ces hommes ait été telle que les fables la décrivent. Ils n'y sauraient rien marquer qui ne soit beaucoup au-dessous de ce qu'a fait Jésus, si ce n'est que nous renvoyant à ces contes fabuleux qu'ils débitent, ils nous veuillent obliger à les croire sans raisonner, et à rejeter nos histoires, nonobstant toute leur évidence. Nous disons donc que la vertu et la force de Jésus s'est assez fait connaître par toute la terre où sont répandues les églises de Dieu qu'il a formées, après avoir retiré ceux qui les composent d un nombre infini de vices et de désordres. Le nom de Jésus soulage même encore ceux qui ont l'esprit troublé, il chasse les démons, et il guérit les maladies. Il n'y a rien enfin de si admirable que la modération, la retenue, la douceur, la bonté, l'humanité, que sa doctrine produit en ceux qui ne se contentent pas d'en faire une feinte profession, pour quelques considérations humaines, ou pour quelques avantages temporels mais qui croient sincèrement ce qu'elle enseigne touchant Dieu et le Christ, et le jugement à venir.
Celse prévoyant ensuite qu'on ne manquerait pas d’alléguer en faveur de Jésus les grands miracles qu'il a faits, dont nous n'avons rapporté qu'une très petite partie, nous accorde, par supposition, qu’il n'y ait rien que de véritable dans ce qu'on lit des malades que Jésus a guéris, des morts qu'il a ressuscités, du peu de pain dont il a nourri de grosses troupes qui en laissaient même plus de reste qu'il n'y en avait d'abord, et dans toutes les autres choses semblables qui dans le fond ne sont, à ce qu'il prétend, que des fictions des disciples de Jésus. Supposons, si vous voulez, dit-il, que vous ayez fait toutes ces choses. Mais au même temps qu'il nous l'accorde, il met ces actions de Jésus au rang de celles des magiciens qui se vantent d'en faire encore de plus admirables. Il les compare avec ce que font au milieu des places publiques ceux qui ont étudié en Egypte, qui, pour quelques oboles, vous étalent toutes les merveilles de leur science, chassant les démons hors du corps des hommes, guérissant les malades en soufflant dessus, évoquant les âmes des héros, dressant des tables qui semblent toutes couvertes de mets exquis, quoique en effet il n'y ait rien, et faisant mouvoir, comme si c'était des animaux de certaines figures qui n'en ont pas l'apparence. Après quoi il demande si lorsqu’on leur voit faire cela, on doit conclure qu'ils sont les enfants de Dieu, ou s'il ne faut pas plutôt les prendre pour des misérables et pour des méchants. Vous voyez qu'en parlant ainsi, il avoue, en quelque façon, le pouvoir de la magie ; je ne sais cependant si ce n'est point lui qui a écrit plusieurs livres pour prouver qu'il n'y en a point. Quoi qu'il en soit, il a cru qu'il lui était avantageux, dans la dispute présente, de soutenir que les actions de Jésus sont semblables aux effets de la magie; ce qu'on pourrait dire, si Jésus s'était contenté de faire une vaine parade de ses miracles, comme les magiciens; car ceux-ci quelque chose qu'ils fassent, n'ont jamais pour but d'obliger ceux qui le voient et qui l'admirent, à changer leurs mauvaises habitudes et à craindre Dieu, ni de leur persuader que, devant l'avoir pour juge, il faut qu'ils règlent leur vie sur ses lois. Ils ne veulent point se mettre en peine de la correction des hommes, et ils ne sont pas capables d'y travailler, étant eux-mêmes tout remplis de vices honteux et abominables. Mais pour Jésus, qui n'a rien fait d'extraordinaire qu'en vue de corriger les m?urs de ceux qui étaient les témoins de ses miracles, oserait-on nier qu'il n'ait donné en sa personne l'exemple d'une vie toute parfaite, tant à ses premiers disciples qui ont porté proprement ce nom, qu'à tous les autres, afin que ceux-là se missent en état d'enseigner aux hommes la volonté de Dieu; et que ceux-ci, apprenant d'eux à bien vivre, plus par l'excellence de la doctrine et par la beauté des exemples, que par l'éclat des miracles, ne se proposassent, dans toute leur conduite, que de plaire au Dieu souverain ? Si donc la vie de Jésus a été telle, comment peut-on le comparer avec des magiciens, et ne pas reconnaître qu'étant Dieu, comme il l'assurait, il se montrait aux hommes dans un corps humain, pour leur bien et pour leur salut? Celse confond ensuite les choses : et pour former une nouvelle accusation contre la doctrine céleste que nous professons, il attribue à tous les chrétiens, des sentiments qui sont particuliers à une certaine secte. Le corps d'un Dieu, dit-il, ne serait pas fait comme le vôtre. Mais mous lui répondons, que Jésus venant au monde, a pris un corps humain, tel qu'une femme le lui pouvait donner, et sujet à la mort, comme celui des autres hommes. C'est ainsi que nous parlons : et c'est à l'égard de ce corps humain que nous disons, entre autres choses, que Jésus a soutenu de grands combats, ayant été tenté en toutes choses (Héb., IV, 15), de la même manière que tous les hommes, non pourtant avec péché, comme eux mais entièrement sans péché (I Pierre, II, 22). Car nous voyons clairement qu'il n'a point commis de péché, et que jamais aucune parole trompeuse n'est sortie de sa bouche (Is., LIII, 9; Pierre, II, 22); et c'est à cause qu'il n'a point connu le péché, que Dieu l'a livré à la mort pour tous les pécheurs, comme une victime pure et sainte.
Le corps d'un Dieu, continue-t-il, n'aurait pas été formé comme le vôtre l'a été (II Cor., V, 21). Mais il ne peut nier que si la naissance de Jésus a été telle qu'elle nous est décrite, son corps n'ait quelque chose de plus divin que les autres, et ne puisse même, en un sens, être appelé le corps d'un Dieu aussi ne veut-il pas avouer ce que l'Ecriture nous dit de la conception de Jésus par la vertu du Saint-Esprit (Matth., I, 20); et il prétend qu'il soit né de l'adultère d'un certain Panthère avec la Vierge. C'est ce qui lui fait dire : Le corps d'un Dieu n'aurait pas été formé comme le vôtre l'a été. Mais nous en avons amplement parlé ci-dessus.
Il ajoute, comme s'il pouvait montrer, par l'histoire de l'Evangile, que Jésus se nourrissait, et de quoi il se nourrissait: Le corps d'un Dieu ne se nourrit pas de la manière dont le vôtre s'est nourri ? Mais soit : je veux, comme on le dira sans doute, que Jésus faisant la pâque avec ses disciples, ne se soit pas contenté de dire : J’ai eu un désir extrême de manger cette vaque avec vous (Luc, XXII, 15) ; mais qu'il l'ait mangée en effet: je veux qu'étant pressé de la soif, il ait bu à la fontaine de Jacob (Jean, IV, 6) ; que fait cela à ce que nous disons de son corps. Nous savons qu'il est dit expressément, qu'après être ressuscité, il mangea du poisson (Luc, XXIV, 43). Aussi disons-nous qu'il avait pris un corps, tel qu'il le devait avoir, ayant été formé d'une femme (Gal., IV, 4).
Le corps d'un Dieu, dit-il encore, ne se sert pas d'une voix pareille à la vôtre, et il n'emploie pas de tels moyens pour persuader. Mais il n'y a rien de plus faible, ni de plus digne de mépris, que cette objection ; car on lui dira qu’Apollon, qui passe pour Dieu parmi les Grecs, sous les noms de Pythien, et de Didymée, se sert bien d'une voix pareille toutes les fois qu'il fait parler la Pythie ou la prêtresse de Milet : et que cependant les Grecs n'en prennent point occasion de lui disputer sa divinité, et n'en adorent pas moins, ni lui ni les autres dieux du pays, qui comme lui, sont attachés à de certains lieux, où ils rendent leurs oracles. N'était-il pas incomparablement plus digne de Dieu (Matth, VII, 29) de se servir d'une voix, qui étant accompagnée d'autorité et de vertu (Jean, VII, 46), portait avec foi une secrète persuasion dans le c?ur de ceux qui l'entendaient?
Il en vient ensuite aux injures contre la personne de Jésus; et il dit, lui qui pour son impiété et pour ses dogmes détestables, est s'il faut ainsi parler, haï de Dieu ; que ce sont là les actions d'un homme haï de Dieu, et d'un détestable imposteur. Quoiqu'à bien examiner la nature des choses et la signification des mots, il soit impossible qu'il y ait proprement aucun homme haï de Dieu ; car Dieu aime tous les êtres : il ne hait rien de ce qu'il a fait ; et il ne l’aurait pas fait, s'il l’avait haï. (Gen., I, 31; Sag., XI, 25]. S'il y a quelques expressions semblables dans les écrits des prophètes, il les faut expliquer par cette règle générale, Que l’Ecriture, parlant de Dieu, se sert d'expressions prises des mouvements et de la coutume des hommes (Gen., VI, 6; I Sam., XV, 11, etc.). Je ne lui réponds point, au reste sur cet article : car quelle réponse pourrait-on faire à un homme qui, dans un discours où il ne nous promettait que des raisons solides et des preuves convaincantes, a cru qu'il lui était permis d'user d'injures et d'invectives, et de traiter Jésus de détestable imposteur? C'est là agir, non en philosophe, qui cherche la vérité ; mais en homme de la lie du peuple, qui se laisse emporter à ses passions. Ce qu'il fallait faire, c'était d'établir nettement la question de l'examiner, ensuite d'un esprit tranquille et d'alléguer, sans s'éloigner du sujet, les meilleures raisons dont on aurait pu s'aviser, en faveur du parti que l'on aurait pris. Mais puisque Celse finit ici le discours de son juif à notre Sauveur, nous y finirons aussi notre premier livre : et si Dieu nous accorde les lumières de sa vérité, qui détruit tous les artifices du mensonge, selon cette parole, détruis-les par la vérité (Ps. LIII ou LIV.7) ; nous commencerons dans le livre suivant, l'examen de la seconde prosopopée, où Celse introduit le Juif disputant contre ceux qui croient en Jésus.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

LIVRE SECOND.
Comme notre premier livre contre l'écrit de Celse, qui a pour titre Discours véritable, s'est trouvé d'une juste longueur, nous l'avons fini où finit la prosopopée du juif disputant contre Jésus. Nous allons maintenant dans celui-ci entreprendre la réfutation de ce que le même juif objecte à ceux de sa nation qui ont cru en notre Sauveur. Et il y a d'abord lieu d'être surpris que si Celse voulait faire des prosopopées, il n'ait pas plus tôt fait disputer son Juif contre les Gentils qui ont cru, que de lui faire attaquer des Juifs. Car un discours de cette sorte pourrait être dans la vraisemblance, si c'était à nous, Gentils, qu'il fût adressé, au lieu que de la manière dont s'y prend cet homme, qui se vante de savoir tout, on dirait qu'il ne sait pas les règles de la prosopopée. Voyons pourtant ce qu'il dit des Juifs qui ont cru. Il dit que, s'étant ridiculement laissé surprendre par les tromperies de Jésus, ils ont abandonné la loi de leurs pères et ont changé de nom et de manière de vivre. Mais il ne prend pas seulement garde que les Juifs qui croient en Jésus n'ont pas abandonné la loi de leurs pères, et qu'ils l'observent toujours; ce qui leur a fait donner un nom pris de la pauvreté du sens littéral de la loi. Car Ebion, en hébreu, signifie pauvre (Gal. IV, 9), et ceux des Juifs qui reçoivent Jésus pour le Christ sont nommés Ebionites. Il paraît même que saint Pierre a longtemps observé les coutumes judaïques prescrites par la loi de Moïse, n'ayant pas encore appris de Jésus à s'élever du sens littéral au sens spirituel. Car nous lisons  dans le livre des Actes des apôtres {Act. X, 9), que le lendemain de la vision qu'eut Corneille, dans laquelle l'ange de Dieu lui ordonna d'envoyer à Joppé pour faire venir Simon, surnommé Pierre, Pierre monta au haut du logis, vers la sixième heure, pour prier, et qu'ayant faim, il voulut manger. Mais pendant qu'on lui en apprêtait, il lui survint un ravissement d'esprit, et il vit le ciel ouvert, et comme une grande nappe liée par ¡et quatre coins, qui descendait du ciel en terre, où il y avait de toutes sortes d'animaux à quatre pieds, de reptiles et d'oiseaux. Et il ouït une voix qui lui dit: Lève-toi, Pierre, tue et mange. Mais il répondit : J'en ai garde. Seigneur: car je n'ai jamais rien mangé qui fut impur et souillé. Et la voix lui parlant encore une seconde fois, lui dit : N'appelle pas impur ce que Dieu a purifié. Vous voyez comme Pierre nous est là représenté observant encore la distinction judaïque des viandes, en pures et en impures (Act. X, 34); et  il paraît, par la suite, qu'il ne lui avait pas moins fallu qu'une vision pour l'obliger à expliquer les matières de la foi devant Corneille, qui n'était pas de la race d'Israël, et devant ceux qu'il avait assemblés chez lui; car Pierre étant encore juif, et vivant encore selon les traditions des Juifs, il méprisait ceux qui n'étaient pas dans le judaïsme. Saint Paul nous apprend aussi, dans l'Épître aux Galates (Gai., II, 12], que Pierre craignait encore tellement d'offenser les Juifs, qu'après l'arrivée de Jacques, il cessa de manger avec les Gentils, et se sépara d'avec eux; ce que firent pareillement les autres Juifs et Barnabé même. El il y avait quelque raison que ceux qui étaient destinés à prêcher l'Évangile parmi les Juifs, retinssent les coutumes judaïques. Car lorsque ceux qui paraissaient comme les colonnes de l'Église donnèrent à Paul et à Barnabé la main de société et d'union, afin que ceux-ci allassent prêcher l'Évangile aux Gentils, ils prirent eux-mêmes le parti de l'aller prêcher aux Juifs (Gal. II,9). Mais, que dis-je, que ceux qui prêchaient aux Juifs se retiraient et se séparaient d'avec les Gentils ? Paul lui-même vivait avec les Juifs comme Juif (I Cor. IX, 20), pour gagner les Juifs : et ce fut pour leur persuader qu'il n'avait pas renoncé à l'observation de la loi, qu'il fil une offrande sur l'autel, comme il nous est raconté dans le livre des Actes des apôtres (Act. XXVII, 26). Si Celse avait su toutes ces choses, son faux juif n'aurait pas dit aux Juifs convertis : D'où vient, enfants de nos patriarches, que vous avez ainsi abandonné la loi de vos pères, et que vous laissant ridiculement
surprendre par les tromperies de celui à qui nous parlions tout à l'heure, vous nous avez quittés pour changer de nom et de manière de vivre ?
Mais puisque nous sommes tombés sur le sujet de Pierre et des autres qui ont prêché l'Evangile aux Juifs, je crois qu'il ne sera pas hors de propos de rapporter et d'expliquer  en ce lieu quelques paroles de Jésus, qui se lisent dans l'Évangile selon saint Jean ( Jean, XVI, 12) : J'ai encore, disait-il, beaucoup de choses à vous dire que vous ne sauriez porter maintenant : mais quand l'Esprit de vérité sera venu, il vous fera entrer dans toute la vérité; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu'il aura entendu. L'on demande quelles sont toutes ces choses que Jésus avait à dire à ses disciples, et qu'ils ne pouvaient porter alors. N'est-ce point que, comme ils étaient Juifs et qu'ils avaient été nourris dans l'intelligence littérale de la loi de Moïse, Jésus avait à leur apprendre quelle était la véritable loi, à quelles vérités du ciel répondaient les ombres et les figures des cérémonies judaïques (Héb., VIII,, et de quels biens à venir l'économie ancienne avait l'esquisse dans la distinction de ses viandes et dans l'observation de ses fêtes, de ses nouvelles lunes et de ses sabbats (Hébr. X, 1)? C'étaient là, sans doute, toutes ces choses qu'il avait à leur dire. Mais voyant combien il est difficile d'arracher d'une âme des opinions qui sont comme nées avec elle et qui se sont de plus en plus enracinées avec l'âge, surtout quand on est persuadé qu'elles sont fondées sur la révélation divine, et qu'il y aurait de l'impiété à y toucher : voyant, dis-je, combien il était difficile de convaincre des gens prévenus de telles opinions, et de leur faire sentir qu'au prix de la haute connaissance de Jésus-Christ, c'est-à-dire delà vérité, elles ne sont qu'une perte et que des ordures ( Philipp., Ill, 8 ) ; il voulut attendre un temps plus propre et différer jusqu'après sa mort et sa résurrection.  En effet, une vérité comme celle-là, enseignée hors de saison, et avant qu'ils eussent  l'esprit disposé à la recevoir, eut été capable de leur faire perdre l'impression qu'ils avaient déjà touchant Jésus, qu'ils regardaient comme le Christ  et comme le Fils du Dieu vivant  (Matth. XVI, 16). Voyez si le sens n'est pas juste, lorsqu'on explique ainsi ces paroles : J'ai encore beaucoup de choses à vous dire que vous ne sauriez porter maintenant. Car il est certain que l'intelligence spirituelle de la loi renferme beaucoup de le choses, et que les disciples étaient alors en quelque sorte incapables de les porter, étant nés et ayant jusque là été nourris parmi les Juifs. Et, si je ne me trompe, c'est parce que ces choses n'étaient que des types et que des figures, dont la vérité se devait trouver dans ce que le Saint-Esprit leur révélerait qu'il est ajouté : Quand l'Esprit de vérité sera venu, il vous fera entrer dans toute la vérité; comme pour dire, dans toute la vérité des choses, dont, n'ayant eu jusqu'ici que les figures, vous croyiez pourtant rendre à Dieu le véritable service qui lui est dû. Saint Pierre vit l'effet de cette promesse de Jésus, quand l'Esprit de vérité loi présenta en vision toutes sortes d'animaux à quatre pieds, de reptiles et d'oiseaux, el qu'il lui dit : Lève-toi, Pierre, tue a mange. Il avait encore alors l'esprit si rempli de superstition, qu'il répondit à la voix céleste: Je n'ai garde, Seigneur ; car je n'ai jamais rien mangé qui fut impur ou souillé. Mais elle lui apprit à juger des viandes selon la vérité et selon l'esprit, quand elle ajouta : N'appelle pas impur ce que Dieu a purifié. Et ensuite de la vision, l'Esprit de vérité faisant entrer Pierre dans toute la vérité, il lui enseigna toutes les choses qu'il ne pouvait encore porter, pendant que Jésus était avec lui selon la chair. Mais nous aurons occasion de parler ailleurs de ceux qui s'attachent au sens littéral de la loi de Moïse : il s'agit maintenant de justifier que Celse est fort mal instruit des sentiments des Israélites qui croient en Jésus, d'introduire un juif qui dit à ceux de sa nation : D'où vient que vous avez ainsi abandonné la loi de vos pères ? Ca? comment auraient-ils abandonné la loi de leurs pères, eux qui font ce reproche à ceux qui l'étudient pas avec assez de soin : Dites-moi, je vous prie, vous qui lisez la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi? Car il est écrit qu'Abraham a eu deux fils (Gai., IV, 21) ; et ce qui suit, jusqu'à ces paroles : C'est une allégorie, etc. (Gai. IV, 24) ? Comment auraient-ils abandonné la loi de leurs pères, eux qui l'allèguent dans tous leurs discours, et qui raisonnent ainsi : La loi même ne confirme-t-elle pas ce que je dis? Car il est écrit dans la loi de Moïse : Vous ne lierez point ¡a bouche au b?uf qui foule les grains ( I Cor., IX, 8). Est-ce donc que Dieu se met en peine de ce qui regarde les b?ufs? Et n'est-ce pas plutôt pour nous-mêmes qu'il a fait cette ordonnance ? C'est pour nous, sans doute, que cela a été écrit, etc. (Deut., XXV, 4) ? Mais le juif de Celse aime mieux confondre tout que de garder la vraisemblance, comme il aurait pu faire, en disant : Il y en a d'entre nous qui ont renoncé à nos coutumes, sous prétexte de sens figuré et d'allégories. Il y en a d'autres qui recevant le sens spirituel, dont vous parlez tant, ne laissent pas d'observer les cérémonies de la loi. Et il y a enfin qui sans chercher d'autres sens que le littéral, et y renfermant toute l'intelligence spirituelle, font profession de reconnaître Jésus pour celui que les prophètes ont prédit, et veulent aussi en même temps pratiquer, comme leurs pères, les ordonnances de Moïse. Mais comment Celse se serait-il donné la peine d'examiner les choses avec tant de soin, lui qui, dans la suite, fait mention de diverses hérésies pleines d'impiété, qui s'éloignent entièrement de Jésus, dont quelques-unes mêmes rejettent le Créateur du monde, et qui cependant ne connaît point d'Israélites qui croient en Jésus, sans avoir abandonné la loi de leurs pères? Cela ne peut venir que de ce qu'il n'a pas eu pour but de chercher sincèrement la vérité, el de l'embrasser où il la trouverait ; mais qu'il ne s'est propose  que d'agir avec nous en ennemi, prêt à combattre sans autre examen tout ce qui se présenterait  à lui sous l'idée de quelqu'un de  nos dogmes.
Son juif dit ensuite aux autres Juifs devenus chrétiens : Il n'y a que trois jours que nous avons puni l'imposteur qui nous abusait : et ce n'est que de ce temps-là que vous avez abandonné la loi de vos pères. En quoi il n'y a rien d'exact ni de juste, comme nous venons de le faire voir; mais ce qu'il ajoute est d'un caractère un peu plus fort : Votre doctrine, dit-il, n'est fondée que sur notre loi : et pouvez-vous bien, après avoir commencé par nos cérémonies, vous porter maintenant à les décrier? Car il est certain que les cérémonies de la loi, et les écrits des prophètes sont la première introduction au christianisme, et que quand on y est une fois entré par leur moyen on s'y avance de plus en plus, en les approfondissant, pour les bien entendre, et en étudiant la révélation de ce mystère qui, ayant été caché de tout temps, dans les oracles des prophètes, a été découvert par la manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Rom. XVI, 25). Mais il n'est pas vrai qu'en s'avançant, les chrétiens se portent, comme vous dites, à décrier les ordonnances de la loi : au contraire, il les élèvent à un plus haut degré d'honneur, faisant voir quelle profondeur de sagesse et quelle sublimité de sens est renfermée dans ces écrits, où les Juifs ne la peuvent découvrir, parce qu'en les lisant, ils s'arrêtent grossièrement à l'écorce. On ne doit pas s'étonner, au reste, que notre doctrine, c'est-à-dire l'Évangile, soit fondée sur la loi ; puisque Jésus-Christ Notre-Seigneur, disait lui-même à ceux qui le rejetaient : Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car il a écrit de moi : mais si vous ne croyez pas ce qu'il a écrit, comment croirez-vous ce que je vous dis (Jean, V, 46) ? Et saint Marc, l'un des évangélistes, commence ainsi son Évangile : Le commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, comme il est écrit dans le prophète Isaïe : Voici, j'envoie mon messager devant toi, pour te préparer le chemin (Marc, I, 1), montrant par là que les Écritures des Juifs sont le commencement de l'Évangile. Que veut donc dire le juif de Celse, avec cette objection qu'il nous fait : Car si quelqu'un vous a prédit que le Fils de Dieu devait venir au monde, ç'a été l'un de nos prophètes, inspiré par notre Dieu? Et que peut-il inférer contre le christianisme, de ce que Jean, qui baptisa Jésus-Christ, était juif. Car de ce qu'il était Juif, il ne s'ensuit pas que tous ceux qui embrassent l'Evangile, tant Juifs que Gentils, doivent observer la loi de Moïse à la lettre.
Ce qu'il ajoute, Que Jésus fut puni par les Juifs, comme ses crimes l'avaient mérité, n'est qu'une vaine répétition : et nous ne nous y arrêterons pas maintenant, y ayant déjà suffisamment répondu. Mais pour ce qu'il fait dire à son juif, d'une manière pleine de mépris touchant la résurrection des morts, et le jugement de Dieu, la récompense destinée aux bons, et le feu préparé pour les méchants, que ce ne sont que de vieux contes ; par où il prétend que puisque les chrétiens ne disent la rien de nouveau, il n'en faut pas davantage pour renverser le christianisme : nous lui répondons à cela, que notre Jésus, voyant que les actions des Juifs n'étaient nullement conformes aux enseignements de leurs prophètes, les avertit, en paraboles, que le royaume de Dieu leur serait ôté. et qu'il serait donné aux Gentils ( Matth. XXI, 43). Aussi voyons-nous que, suivant cette prédiction, les Juifs d'aujourd'hui n'ayant pas la lumière nécessaire pour l'intelligence des Écritures, ne se repaissent plus que de fables et de rêveries : pendant que les chrétiens possèdent la vérité, seule capable d'éclairer l'esprit, et d'élever l'âme, et vivent, non comme membres de quelque république de la terre, pareille à celle des Juifs charnels; mais plutôt comme citoyens du ciel (Philipp. Ill, 20). Ce qui paraît en ceux qui s'appliquent à pénétrer les profonds mystères de la loi et des prophètes, et à les découvrir aux autres.
Que Jésus ait pratiqué, si l'on veut, toutes les cérémonies des Juifs, jusqu'à celles d« leurs sacrifices que fait cela pour empêcher qu'on ne le reçoive comme le Fils de Dieu ? Jésus est le Fils de ce même Dieu qui a donné la loi et envoyé les prophètes : et nous, qui composons son Église, nous ne violons point la loi ; nous rejetons les fables des Juifs, et nous travaillons à nous instruire et à nous perfectionner, en cherchant le sens mystique de la loi et des prophètes. Les prophètes eux-mêmes nous apprennent que le dehors de leurs histoires el de leurs préceptes n'est pas tout ce qu'il y faut considérer; qu'ayant a raconter des histoires, ils se servent de cette préface : J'ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles, je publierai les secrets des siècles passés ( PS. LXXVII, ou LXXVIII, 2) : et que parlant des préceptes de la loi comme d'une chose obscure qu'ils n'étaient pas capables d'entendre sans l'assistance divine, ils font cette prière à Dieu : Dévoile mes yeux, et je contemplerai les merveilles de ta loi (Ps. CXVI11, ou CXIX, 18).
Qu'on nous montre, au reste, la moindre trace de vanité dans aucune des paroles de Jésus. Mais comment l'accuser de vanité, lui qui disait : Apprenez de moi que je suis doux et humble de c?ur, et vous trouverez le repos de vos âmes ( Matth. XI, 29 ) : Lui qui après le souper, quitta ses vêtements devant ses disciples, et ayant pris un linge, s'en ceignit, puis ayant mis de l'eau dans un bassin, leur lava à tous les pieds (Jean, XIII, 4), et reprit  ainsi l'un d'eux, qui ne voulait pas souffrir qu'il les lui lavât : Si je ne te lave, tu n'auras point de part avec moi (Ibid. 8) ? Lui qui disait à ses disciples : Je suis parmi vous, comme celui qui sert, et non comme celui qui est à table ( Luc, XXII, 27 )? Qu'on nous montre encore quelles faussetés Jésus a avancées; et qu'on nous explique ce que c'est qu'une grande et une petite fausseté, pour le convaincre ensuite d'en avoir avancé de grandes. Mais, à parler exactement, et c'est  une autre réponse à ce reproche, les faussetés ne sont ni plus faussetés ni plus grandes faussetés les unes que les autres : comme à l'opposite, une vérité n'est ni plus vérité, ni plus grande vérité que l'autre. Qu'on nous montre enfin quelles sont les impiétés de Jésus ; et que le juif de Celse, en particulier, nous les fasse voir. Est-ce une impiété d'avoir aboli la circoncision corporelle, le choix cérémonie! des viandes, l'observation charnelle des fêtes, des nouvelles lunes et des sabbats, pour élever l'âme au sens spirituel et véritable de la loi, qui est le seul digne de la majesté de Dieu? Ce qui n'empêche pas, an reste, que ceux qui font la charge d'ambassadeurs pour Jésus-Christ, ne vivent avec les Juifs, comme Juifs pour gagner les Juifs ( II Cor. V, 20 ); et avec ceux qui sont sous la loi, comme s'ils étaient eux-mêmes sous la loi, pour gagner ceux qui sont sous la loi (I Cor. IX, 20).
Le juif ajoute qu'il y en a plusieurs autres qui auraient pu paraître tels que Jésus à ceux qui auraient voulu se laisser séduire. Qu'il nous en montre donc, non plusieurs, non quelques-uns, mais un seul qui, comme Jésus, ait été capable de donner aux hommes des préceptes si utiles, et de leur enseigner une doctrine qui eût la vertu de les détourner des péchés où ils s'abandonnaient. Il dit encore, que ceux qui se sont faits chrétiens, reprochent aux Juifs de n'avoir pas voulu recevoir Jésus comme un dieu. Mais nous avons déjà dit ce qu'il y avait à dire là-dessus, faisant voir à quel égard nous considérons Jésus comme Dieu, et à quel égard nous en parlons comme d'un homme. Comment se pourrait-il faire, continue-t-il, que nous, qui avons appris à tous les hommes qu'il devait venir un juge au monde de la part de Dieu, pour punir les méchants, l'eussions traité si indignement à sa venue? Mais je ne pense pas qu'il soit raisonnable de s'arrêter à une objection qui l'est si peu. Car c'est comme qui dirait : Comment serait-il possible que nous, qui avons prêché la tempérance, nous nous fussions laissés aller à quel-que action de débauche? ou que nous, qui avons soutenu les intérêts de la justice, nous eussions fait quelque chose d'injuste ? Si l'on voit tous les jours arriver cela dans le monde, il n'est pas plus surprenant, que les Juifs, qui se vantent d'ajouter foi aux oracles des prophètes, où la venue du Christ est prédite, n'aient pas cru en lui lorsqu'il est venu, conformément à ces oracles. C'est une faiblesse humaine, ou, s'il faut chercher quelque autre cause de cet aveuglement, nous pouvons dire que les prophètes l'avaient aussi prédit; car Isaïe dit expressément: Vous entendrez, et en entendant vous ne comprendrez point; vous verrez, et en voyant vous ne connaîtrez point : car le c?ur de ce peuple s'est appesanti, etc. (Is. VI, 9). Qu'on nous dise ce que c'est que les prophètes prédisent aux Juifs qu'ils entendraient sans le comprendre, et qu'ils verraient sans le bien connaître. Certainement, il  est clair que c'est Jésus qu'ils ont vu, sans connaître ce qu'il était; et qu'ils ont entendu, sans comprendre que les choses qu'il leur disait leur devaient être des preuves de la divinité qui était en lui, et qui les allait priver de la grâce céleste . pour la transporter aux fidèles d'entre les Gentils. L'on voit, en effet, que depuis la venue de Jésus, les Juifs ont été entièrement abandonnés de Dieu, et qu'il ne leur est rien resté de ce qu'il y avait autrefois d'auguste dans leur religion : de sorte qu'ils n'ont pas même, à présent, de quoi faire voir qu'il y ait aucune divinité parmi eux. Ils n'ont plus ni prophètes, ni miracles. Au lieu que, parmi les chrétiens, les miracles n'ont pas encore tout à fait cessé. Il s'y en fuit même qui l'emportent sur ceux du premier temps : et si nous sommes fidèles, nous pouvons dire que nous en avons vu de plus grands nous-mêmes (Jean, XIV, 12).
Pourquoi donc, dit encore le juif de Celse, aurions-nous rejeté et maltraité celui que nous prédisions ? Est-ce afin que nous fussions punis plus sévèrement que les autres? L'on peut dire à cela qu'au jour du dernier jugement, que nous attendons, les Juifs seront sans doute punis plus sévèrement que les autres, et pour avoir rejeté le Christ, et pour lui avoir fait un grand nombre d'autres outrages. L'on peut dire même, qu'ils le sont dès maintenant. Car y a-t-il quelque autre peuple qui soit banni comme celui-là de sa ville capitale, et qui n'ait pas la liberté d'y aller rendre à son Dieu le culte qui est particulièrement attaché ? C'est là leur condition, digne des plus misérables de tous les hommes : et ce sont moins leurs autres péchés qui les y ont réduits, bien qu'ils e aient commis divers, que ceux dont ils se sont rendus coupables à l'égard de notre Jésus.
Le juif ajoute : Comment aurions-nous pris pour Dieu un homme qui, d'un côté, comme on le lui reprochait souvent, n'a rien fait de ce qu'il se vantait de faire ; et qui, de l'autre lorsque nous l'eûmes convaincu et condamné au supplice, fut réduit à se cacher honteusement, courant de lieu en lieu, pour s'empêcher d'être pris : ce qu'il ne put pourtant éviter :ceux qu'il appelait ses disciples . l'ayant eux-mêmes trahi ? Fallait-il qu'un Dieu s'enfuit, qu'il se laissât prendre et lier; qu'il se vît même abandonné et trahi par ceux avec qui il avait toujours vécu, pour qui il n'avait eu rien de caché, qui le regardaient comme leur maître et leur Sauveur, comme le fils et l'envoyé du grand Dieu (Matth. XVI, i; Jean VI, 30, etc.) ? Aussi ne croyons-nous pas que ce corps de Jésus, qu'on voyait et qu'on touchait alors, fût Dieu. Mais, que dis-je, que nous ne le croyons pas de son corps ? Nous ne le croyons pas même de son âme de laquelle il est dit qu'elle fut saisie d'une tristesse mortelle (Matth. XXVI, 38). Quand on lit dans les écrits des prophètes, Je suis le Seigneur, le Dieu de toute chair (Jérémie,  XXXII, 27); ou Il n'y a point de Dieu avant moi, et il n'y en aura point après moi. ( Is. XLIII, 10) : les Juifs croient bien que c'est Dieu qui parle ainsi et qui se sert du corps et de l'âme du prophète, comme d'un organe, pour se faire entendre aux hommes.  Les Grecs croient pareillement que c'est un Dieu, qui dit par la bouche de la Pythie,
Je sais compter le sable et mesurer la mer,
D'un muet j'entends le langage
(Hérodot. liv. I).
Nous aussi nous croyons tout de même que c'était Dieu le Verbe (la parole), fils du grand Dieu qui disait dans Jésus : Je suis la voie, la vérité et la vie; je suis la porte: je suis le pain vivant descendu du ciel (Jean, XlV, 6; X, 7 ; VI, 51 ); et s'il y a d'autres expressions semblables. C'est donc celui-là que nous reprochons aux Juifs de n'avoir pas reconnu pour Dieu, après tant de témoignages des prophètes qui le déclarent tel, au-dessous du Dieu souverain qui est son père, et dont il est la grande vertu. Car nous disons que c'est à lui que s'adresse ce commandement du Père dans l'histoire que Moïse fait de la création : Que la lumière soit faite; que le firmament soit fait; et ainsi du reste où la même expression est employée. Que c'est encore à lui que le Père dit : Faisons l'homme selon notre image et selon notre ressemblance (Gen., I, 3, 6 et 26). Et que ce fut lui aussi qui, pour obéir à ces commandements, fit toutes les choses que son Père lui ordonnait. Et ce que nous disons là, nous ne le disons pas sur de vaines conjectures que nous ayons formées nous-mêmes, mais sur le témoignage des prophéties reçues parmi les Juifs, où se trouvent ces propres paroles, sur le sujet de Dieu et de ses ouvrages : Il a parlé, et ils ont été faits (Ps. XXXII ou XXXVIII, 9, etc.}; il a commandé, et ils ont été créés (Ps. CXLVIII, 5). Car si Dieu a commandé et que ses ouvrages aient été créés, qui est-ce, dans l'intention de l'Esprit prophétique, qui a pu être capable d'exécuter ce commandement du Père, sinon celui qui est, pour parler ainsi, une parole animée, et qui est aussi la vérité? On peut faire voir au reste par divers passages que, selon les Évangiles mêmes, celui qui disait : Je suis la voie, la vérité et la vie (Jean, XIV, 6), n'était pas renfermé dans le corps et dans l'âme de Jésus, comme dans ses bornes ; mais ce que nous allons produire suffira pour le prouver. Jean-Baptiste prédisant que le Fils de Dieu était sur le point de paraître non dans l'enceinte de ce corps et de cette âme, mais comme présent partout, disait de lui : Il y en a un au milieu de vous, que vous ne connaissez pas, et c'est celui qui doit venir après moi (Jean, I, 26).  S'il avait cru que le Fils de Dieu fût seulement où était le corps visible de Jésus, comment  aurait-il dit : Il y en a un au milieu de vous, que vous ne connaissez pas? Jésus lui-même, voulant donner une plus haute idée du Fils de Dieu, leur disait : En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m'y trouve au milieu d'elles (Matth., XVIII, 20). Et c'est encore en ce  même sens qu'il promettait à ses disciples  d'être toujours avec eux jusqu'à la fin du monde (Matth., XXVIII, 20). Ce que nous ne disons pas pour séparer le Fils de Dieu d'avec Jésus; car depuis le mystère de l'incarnation, le corps et l'âme de Jésus ont élu très étroitement unis avec le Verbe, pour ne faire qu'un tout avec lui. Et si, comme l'enseigne saint Paul, tous ceux qui savent ce que c'est que de s'attacher au Seigneur et qui demeurent attachés à lui, sont un même esprit avec le Seigneur (I Cor., VI, 17), à plus forte raison ce qui fut alors uni avec le Verbe ne doit-il pas cesser d'être un avec lui, mais d'une manière plus sublime et plus divine? Aussi les miracles dont les Juifs furent les témoins justifièrent-ils hautement que celui qui les faisait, était véritablement la vertu de Dieu, bien que Celse prenne ces miracles pour des illusions, et que les Juifs d'alors les attribuassent à Béelzébut, qu'ils connaissaient je ne sais pas d'où. Il chasse les démons, disaient-ils, par la vertu de Béelzébut, prince des démons (Matth. XII, 24). Mais notre Sauveur fit voir l'absurdité de cette pensée, en montrant que le règne de l'iniquité n'était pas encore fini. C'est ce que reconnaîtront ceux qui voudront lire avec soin cet endroit de l'Évangile, que ce n'est pas ici le lieu d'expliquer.
Que Celse nous dise donc maintenant en quoi Jésus a manqué de faire ce dont il se vantait, et qu'il nous donne quelque preuve de ce qu'il avance. Cela lui serait impossible, d'autant plus que tout ce qu'il s'imagine pouvoir alléguer contre Jésus et contre nous est tiré ou de quelques faits mal pris, ou de quelques passages de l'Évangile mal appliqués, ou de quelque histoire fabuleuse inventée par les Juifs. Mais puisque le juif ajoute encore que, Jésus fut convaincu avant d'être condamné, qu'on nous fasse voir comment il fut convaincu par des gens qui cherchaient de faux témoignages centre lui (Matth., XXVI, 59). Si ce n'est peut-être qu'on veuille faire passer pour une forte conviction ce que ses accusateurs rapportèrent qu'il avait dit : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours (Matth. XXVI, 61). Il est vrai qu'il avait parlé en ces termes du temple de son corps (Jean, II, 21 ) : mais eux qui ne savaient pas prendre la chose selon l'intention de celui qui la disait, l'avaient entendu de leur temple de pierres, pour lequel ils avaient plus de vénération qu'ils n'en avaient, quelque obligés qu'ils y fussent, pour le véritable temple de Dieu, de Dieu le Verbe, la Sagesse et la Vérité. Qu'on nous dise encore comment Jésus fut réduit à se cacher honteusement. Que lui vit-on faire dont il dût avoir honte? Il fut pris, ajoute-t-on. Mais il ne l'a jamais été, si par être pris on entend une chose involontaire. Car quand le temps en fut venu, il ne se voulut pas empêcher de tomber entre les mains des hommes, étant comme il était, l'Agneau de Dieu, qui devait ôter le péché du monde ( Jean. I, 29 ). En effet sachant tout ce qui lui devait arriver, il sortit au-devant de ceux qui venaient pour le prendre, et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit: C'est moi. Judas qui le trahissait était aussi présent avec eux. Lors donc que Jésus  leur eut dit. C'est moi. ils furent tout renversés et tombèrent par terre. Il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai déjà dit que c'est moi ; si c'est donc moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci (Jean.XVIII, 4). Il dit même à un de ses disciples qui l'ayant voulu secourir avait frappé un des gens du grand sacrificateur, et lui avait coupé l'oreille : Remets ton épée en son lieu, car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée. Crois-tu donc que je ne puisse prier mon Père qui m'enverrait incontinent plus de douze légions d'anges? Comment donc s'accompliraient les Écritures, qui disent qu'il faut qu'il en arrive ainsi (Matth., XXVI, 52)? Si quelqu'un s'imagine que ce soient là des fictions de ceux qui ont écrit l'histoire de l'Évangile, combien y a-t-il plus de raison de prendre pour des fictions ce que l'on ne dit que par un motif de passion et de haine contre Jésus et les chrétiens, et de prendre au contraire pour des vérités ce qui a été écrit par des personnes qui, pour justifier leur sincérité ont mieux aimé souffrir toutes choses, que de renoncer à la doctrine de Jésus? Car il ne serait pas possible que les disciples de Jésus eussent témoigné jusqu'à la mort tant de fermeté et de constance s'ils avaient eux-mêmes inventé ce qu'ils nous disent de leur maître; et pour peu qu'on ait de bonne foi, on avouera comme une chose tout évidente, qu'il fallait qu'ils fussent bien persuadés de la vérité de ce qu'ils écrivaient, pour s'exposer à de si fréquentes et de si cruelles persécutions, par la profession qu'ils faisaient do reconnaître ce Jésus pour le Fils de Dieu.
Ce qui suit, Que Jésus fut trahi par ceux qu'il appelait ses disciples, le Juif l'a tiré des Évangiles : mais ce qu'ils ne disent que de Judas, il le dit en pluriel des disciples, pour rendre son objection plus considérable. Il ne fait point, au reste, les réflexions qu'il devrait faire sur toutes les circonstances qu'ils nous rapportent de l'action de Judas: comment il avait l'esprit agité et combattu par des pensées contraires les unes aux autres, ne s'étant pas tout à fait abandonné à persécuter son Maître, et n'ayant pas aussi conservé pour lui tout le respect qu'il lui devait, comme son disciple. Le traître, dit l'histoire de l'Évangile, avait donné ce signal à la troupe qui était venue pour prendre Jésus: Celui que je baiserai, c'est celui qu'on demande, saisissez-vous-en (Matth., XXVI, 48); ce qui fait voir qu'il avait encore quelque respect pour lui : car à moins que de cela, il l'eût trahi ouvertement, sans se mettre en peine de cacher son mauvais dessein sous la feinte douceur d'un baiser. Il n'y a donc personne qui ne doive inférer de là, que dans l'âme de Judas, parmi les mouvements d'avarice qui le portaient à trahir méchamment son Maître, il y avait encore des traces de l'impression que les discours de Jésus y avaient faite, ce qui y laissait, pour ainsi dire, l'apparence de quelque reste de bonté. En effet, l'Évangile nous apprend que Judas le voyant condamné, se repentit de l'avoir trahi, et que reportant les trente pièces d'argent aux principaux sacrificateurs et aux sénateur», il leur dit : J'ai péché d'avoir trahi le sang innocent : mais ils lui répondirent : Que nous importe, c'est ton affaire ( Matth. XXVII, 3). Alors, il jeta cet argent dans le temple ; et s'étant retiré, il se pendit (Jean, XII, 6). Si malgré l'avarice de Judas, qui lui faisait dérober aux pauvres ce qu'on mettait pour eux dans la bourse, son repentir eut la force de l'obliger à reporter aux principaux sacrificateurs et aux sénateurs leurs trente pièces d'argent ; on en doit conclure que les enseignements de Jésus étaient encore capables de toucher en quelque sorte le c?ur du traître qui n'avait pu les bannir entièrement de sa mémoire, ni perdre tout le respect qu'il leur avait porté. Mais ces paroles, J'ai péché d'avoir trahi le sang innocent, ne sont-elles pas une assez ouverte confession de son crime? Et jugez combien vif et pressant dut être le sentiment qu'il en eut, puisqu'il ne put même supporter la vie ; mais qu'après avoir jeté l'argent dans le temple, il se retira et se pendit, se faisant lui-même son procès, et montrant assez par là que ni ses larcins, ni sa trahison, ni tous ses autres péchés, n'avaient pu effacer de son âme le souvenir des leçons que Jésus lui avait faites. Celse dira-t-il que s'il paraît que l'apostasie de Judas, quelque loin qu'il eût poussé les effets contre son Maître, n'était pas pourtant pleine et entière, c'est par des preuves qui sont de l'invention des évangélistes ; et ne recevant pour vrai que ce qu'ils nous disent de sa trahison, ajoutera-t-il à leur témoignage qu'elle ne fut suivie d'aucun remords? Ce serait un procédé fort injuste de consulter toujours sa passion, pour recevoir ou pour rejeter la déposition des mêmes témoins. Mais il suffit, pour confondre ceux qui nous objectent la trahison de Judas, de leur alléguer le psaume CVIII, qui n'est tout entier qu'une prophétie qui le regarde. Il commence de cette sorte : Ô Dieu, ne retiens pas ma gloire dans le silence, car le méchant et le perfide a ouvert la bouche contre moi (Ps. CVIII ou CIX, 1) : El il y est prédit, que Judas, s'étant par son crime retranché lui- même du nombre des apôtres, un autre devait être mis à sa place. Ce qui est ainsi exprimé : Que sa charge soit donner à un autre ( Vers. 8). Après tout, quand nous supposerions que Jésus aurait été trahi par quelqu'un de ses disciples encore plus mal disposé que Judas, et tellement endurci qu'il ne se sentit plus du tout des instructions de son Maître ; que ferait cela contre Jésus, et qu'en pourrait-on inférer contre la vérité du christianisme? Nous avons déjà répondu à ce qu'il ajoute de la prise de Jésus, lorsque nous avons fait voir qu'il ne fut pas pris en fuyant, mais qu'il se livra volontairement lui-même pour nous tous. D'où il suit encore, que s'il fut lié, il le fut parce qu'il le voulut bien être, afin de nous enseigner à souffrir de bon c?ur la même chose, pour les intérêts de la piété. Il n'y a rien, à mon avis, de plus puéril que ce qu'il dit ensuite : Qu'un bon général qui commande une nombreuse armée, n'est jamais trahi par ses soldats ; que l'on ne voit pas même qu'un chef de voleurs, quelque méchant qu'il soit et quelque perdus que soient les gens qui le suivent, ait rien à craindre de leur part tant qu'ils trouvent leur compte à lui obéir ; mais que pour Jésus. que ses propres disciples ont trahi, il n'a pu ni s'en faire considérer, comme un bon général est considéré de son armée, ni trouver le secret et l'artifice de s'en faire aimer, pour ainsi dire, à la manière d'un chef de voleurs. On lui pourrait alléguer l'exemple de plusieurs généraux d'armée et de plusieurs chefs de voleurs qui ont été trahis, les uns et les autres par ceux qui leur avaient prêté serment de fidélité. Mais quand il serait vrai que jamais aucun général d'armée, ni aucun chef de voleurs, n'aurait été trahi par ses gens, serait-ce une chose qu'on dût reprocher à Jésus, de l'avoir été par un de ses disciples ? Celse fait profession de philosophie. On peut donc lui demander si l'on doit former une accusation contre Platon, sur ce qu'Aristote l'abandonnant, après vingt ans d'assiduité, se déclara contre l'immortalité de l'âme, qui était le sentiment de son maître, et ne traita ses idées que de rêveries. On peut encore lui demander si, après la désertion d'Aristote; la doctrine de Platon dut passer pour fausse, et lui pour un mauvais dialecticien qui ne savait pas défendre ses sentiments ; ou s'il se peut, au contraire, que l'honneur de Platon et de sa doctrine demeurant en son entier, ainsi que le prétendent ses sectateurs, Aristote doive être regardé comme un ingrat et comme un malin. Chrysippe, tout de même en plusieurs endroits de ses écrits, reprend l'opinion de Cléanthe, et établit de nouveaux dogmes, bien qu'en sa jeunesse, il eût appris de lui les principes de la philosophie. Cependant Aristote avait, à ce que l'on dit, étudié vingt ans entiers sous Platon ; et Chrysippe aussi avait été longtemps dans l'école de Cléanthe, au lieu que Judas n'avait pas été trois ans avec Jésus. Qui voudrait parcourir les Vies de philosophes, on y trouverait plusieurs choses semblables à celle que Celse reproche à Jésus, sur le sujet de Judas, et l'on y verrait comment les pythagoriciens bâtissaient des cénotaphes à ceux qui après s'être adonnés quelque temps à la philosophie, recommençaient à vivre comme le reste des hommes. On ne dira pas pourtant que la retraite de ces déserteurs doive rien faire conclure contre la solidité de la doctrine de Pythagore, ni contre la force des raisons de ses disciples.
Le juif de Celse ajoute qu'ayant plusieurs choses à dire, touchant Jésus, qui sont toutes très véritables, mais bien éloignées du récit de ses disciples, il les passe à dessein sous silence. Quelles sont donc ces vérités qu'il passe ainsi sous silence, et qui ne sont pas conformes aux écrits des évangélistes? Ne serait-ce point une figure de rhétorique, pour faire croire qu'il aurait grand nombre de faits constants et de preuves convaincantes à produire contre la personne et contre la doctrine de Jésus, quoiqu'en effet il ne puisse rien alléguer de véritable et de bien fondé, qui ne soit tiré des évangiles?
Il accuse les disciples de Jésus d'avoir avancé faussement que leur maître avait prévit et prédit toutes les choses qui lui arrivèrent.  Mais nous lui soutenons qu'ils n'ont rien dit en cela que de véritable : et nous le prouverons, malgré qu'il en ait, par plusieurs autres événements que notre Sauveur a prédits, comme sont les choses dont il avertit les chrétiens, des siècles entiers avant qu'elles leur dussent arriver. Qui n'admirera, par exemple, cet avertissement qu'il leur donne, Qu'ils seraient conduits à cause de lui devant les gouverneurs et devant les rois, pour servir de conviction à eux et aux peuples (Matth., X, 18) : et les autres prophéties semblables, où il déclare que ses disciples devaient être persécutés? car, y a-t-il dans le monde quelque autre doctrine dont on punisse les sectateurs ? Y en a-t-il jamais eu, pour donner lieu aux ennemis de Jésus de pouvoir dire que, voyant combien les dogmes faux et impies étaient mal reçus, il s'est fait honneur de cela même, en prédisant ce qu'il était aisé de juger qui arriverait aux siens? S'il fallait tirer les hommes devant les gouverneurs et devant les rois à l'occasion de quelques dogmes, il n'y en a point qu'on y dût plutôt tirer que les épicuriens, qui nient absolument la Providence, et que les péripatéticiens mêmes qui se moquent des prières et des sacrifices que l'on prétend faire à la Divinité. On me dira peut-être que les Samaritains aussi sont persécutés pour leur religion ; mais je réponds que les lois, ne permettant l'usage de la circoncision qu'aux Juifs seulement, et ceux de la secte dont nous parlons ne laissant pas de la pratiquer, ils sont condamnés à la mort, pour la marque qu'ils se font au corps, contre la défense des lois. Et l'on ne verra point qu'un juge, lorsqu'il interroge quelqu'un de ces prétendus dévots, lui donne le choix, ou d'être conduit au supplice en persévérant dans sa religion, ou de se faire absoudre en l'abandonnant. Dès là qu'on les voit circoncis, il n'en faut pas davantage pour leur faire leur procès sur-le-champ. Il n'y a que les chrétiens qui, suivant cette prédiction de leur Sauveur, Vous serez conduits à cause de moi devant les gouverneurs et devant les rois (Matth., X, 18), soient pressés jusqu'au dernier soupir par leurs propres juges de renoncer au christianisme et de se procurer la liberté et le repos en faisant les sacrifices et les serments que les autres font. Voyez encore avec quelle autorité Jésus disait: Quiconque me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi devant mon père qui est dans le ciel; et quiconque me renoncera devant les hommes, etc. (Matth., X, 32). Remontez un peu par la pensée jusqu'au temps auquel Jésus parlait ainsi ; et considérez que ce qu'il prédisait n'était pas encore arrivé. Il vous peut venir dans l'esprit qu'il ne mérite aucune créance; que
ses discours ne sont que des paroles en l'air, et que sa prédiction demeurera sans effet. Mais si, suspendant votre jugement, vous différez à recevoir sa doctrine, que vous voyiez l'accomplissement de sa prophétie, vous direz sans doute en vous-même: Si les discours de Jésus se trouvent véritables, et que, suivant sa prédiction, les gouverneurs et les rois entreprennent la ruine de ceux qui feront profession d'être ses disciples, nous croirons alors qu'il avait reçu de Dieu un pouvoir aussi grand qu'il le fallait pour répandre sa doctrine dans le monde, et qu'il n'a parlé comme il a fait, qu'étant assuré qu'il n'y aurait point d'obstacles qu'elle ne surmontât. Qui pourrait, sans les mêmes mouvements d'admiration, se remettre devant les yeux Jésus prédisant alors,  Que son Évangile serait prêché dans tout le monde pour servir de conviction aux rois et aux peuples (Matth., XXIV, 14 ), et voir ensuite cet Évangile effectivement prêché par toute la terre, aux Grecs et aux Barbares,  aux savants et aux ignorants? Car il n'y a point de sortes de personnes à qui cette prédication n'ait fait sentir sa vertu ; il n'y a point de condition dans le monde, qui ait pu exempter les hommes de se soumettre à sa doctrine de Jésus. Que le juif de Celse, qui refuse de croire que Jésus eut prévu toutes les choses qui lui arrivèrent, considère comment la ville de Jérusalem subsistant encore, et les Juifs y faisant toutes les cérémonies de leur religion, Jésus prédit ce qu'elle devait éprouver par les armes des Romains. On ne dira pas que ceux avec qui il avait vécu et qui avaient été ses plus familiers auditeurs, se soient contentés d'enseigner de vive voix les choses qui font la matière des évangiles, sans laisser par écrit à leurs disciples ce qu'ils avaient à leur apprendre sur le sujet de Jésus. C'est dans ces écrits, qui nous ont été laissés par eux, qu'on lit ces paroles : Quand vous verres les armées environner Jérusalem, sachez que sa désolation est proche (Luc., XXI, 20). Il n'y avait alors autour de Jérusalem aucune armée qui l'assiégeât ou qui la bloquât. Ce fut sous l'empereur Néron que les Romains commencèrent à l'attaquer, et ils ne la prirent que sous l'empire de Vespasien, dont le fils, Titus, la ruina de fond en comble, à cause de la mort de Jacques le juste, frère de Jésus, nommé Christ selon la pensée de Josèphe ; mais selon la vérité, à cause de la mort de Jésus, le Christ de Dieu.
Celse pouvait au reste en user sur le sujet des prédictions de Jésus, comme il en a usé sur le sujet de ses miracles. Il pouvait avouer ou du moins nous accorder que Jésus avait prévu les choses qui lui arrivèrent, et faire semblant ensuite de traiter cela de bagatelle, comme il a voulu faire passer les miracles pour des illusions. Il n'avait qu'à dire que l'art de connaître l'avenir par des présages n'est pas un si grand secret, qu'il n'y ait eu plusieurs personnes à qui la science des augures ou celle des auspices, les entrailles d'une victime ou les figures d'un horoscope, aient appris ce qui leur devait arriver. Mais il n'a pas voulu faire cet aveu, comme le jugeant d'une plus grande importance que l'autre, par lequel il reconnaît en quelque sorte, que Jésus a fait des miracles; quoiqu'il tâche en même temps de les rabaisser de la manière que nous avons dit. Cependant Phlégon, dans le treizième ou quatorzième livre de ses Chroniques, si je ne me trompe, attribue à Jésus-Christ la connaissance de quelques événements à venir ; et bien que par méprise il mette Pierre au lieu de Jésus, il rend pourtant témoignage à celui qui avait fait la prédiction que les choses étaient arrivées comme il les avait prédites. En quoi il demeure d'accord, comme malgré lui, que les premiers auteurs de la doctrine que nous professons, ayant ainsi prévu des événements éloignés, ont dû être remplis d'une vertu divine.
Celse dit encore, Que les disciples de Jésus ne pouvant déguiser une chose trop publique, se sont du moins avisés de dire que leur maître avait tout prévu. Mais il faut ou connaître fort mal nos auteurs, on ne leur vouloir pas rendre justice, pour douter de leur sincérité, qui paraît en ce qu'ils rapportent de si bonne foi ; cette prédiction de Jésus à ses disciples : Je vous serai à tous cette nuit une occasion de scandale (Matth., XXVI, 31); ce qui arriva effectivement : et cette autre encore qu'il fit à Pierre et qui ne se trouva pas moins véritable : Avant que le coq chante, tu me renonceras trois fois (Vers. 34). Car s'ils n'eussent pas été sincères et qu'ils eussent été d'humeur à nous déguiser la vérité, comme Celse les en soupçonne, ils n'eussent jamais parlé ni du renoncement de Pierre, ni du scandale des autres disciples. Qui aurait pu alors nous le reprocher ? Ce sont des aventures qui ne sont connues que par le récit qu'ils en font : et il semble que la prudence les devait obliger à de le point faire, puisqu'ils voulaient que leurs écrits apprissent aux hommes à mépriser la mort pour la profession du christianisme. Mais comme ils savaient avec quelle force la doctrine de l'Évangile agirait sur les c?urs, ils savaient aussi que ces exemples perdraient, je ne sais comment, ce qu'ils avaient de contagieux ; et ils n'ont par craint qu'on s'en fit un prétexte de révolte.
Il n'y a rien de plus ridicule que ce qu'il ajoute, que les disciples de Jésus n'ont écrit cela que pour mettre son honneur à couvert. C'est, dit-il, comme si . pour prouver qu'un homme est juste, on faisait voir qu'il commet des injustices; que, pour prouver qu'il est modéré, on fit voir qu'il est coupable d'un meurtre; que, pour prouver qu'il est immortel, on fit voir qu'il est mort: et qu'on nous voulût payer de cette raison, qu'il avait prédit toutes ces choses. On voit d'abord combien ses exemples sont mal appliqués; car il n'y a aucun inconvénient à dire que Jésus, ayant entrepris de se proposer lui-même aux hommes pour un modèle qui leur apprit comment il faut vivre, il ait aussi voulu leur montrer comment il faut mourir, quand c'est un devoir de piété. Ajoutez à cela que la mort qu'il a soufferte pour les hommes a été une chose utile à tout l'univers, comme nous l'avons fait voir dans notre premier livre. Celse s'imagine que c'est lui donner gain de cause, bien loin de répondre à ses objections, que d'avouer, de quelque manière que ce soit, la passion de Jésus; mais il ne se l'imagine que faute de savoir les profonds mystères que S. Paul nous y découvre, et les diverses prédictions que les prophètes nous en ont laissées dans leurs écrits. Il ne sait pas non plus qu'il y a quelque hérétique qui a soutenu que Jésus n'a pas souffert réellement, mais qu'il n'a souffert qu'en apparence. S'il le savait, il ne dirait pas : Vous ne prétendez point que sa passion n'ait été qu'une vaine apparence, qui ait trompé les yeux des impies ; mais vous confessez sans détour qu'il a effectivement souffert. Pour nous, nous n'avons garde de dire que Jésus-Christ n'a souffert qu'en apparence, de peur qu'il ne suive de là qu'il n'est ressuscité qu'en apparence non plus. Car qui est mort véritablement, il faut que, s'il est ressuscité, il soit ressuscité véritablement aussi ; mais qui n'est mort qu'en apparence, il ne peut être ressuscité véritablement. Je sais que les incrédules se moquent de cette résurrection de Jésus-Christ; et c'est pour cela que je leur veux alléguer ici ce que Platon écrit (Plat., liv. X, de la Républ.) touchant Er, fils d'Arménius, qui, au boni de douze jours, se releva de son bûcher, et raconta ce qu'il avait vu parmi les morts. L'histoire qu'Héraclide fait de cette femme, qui demeura si longtemps sans aucun signe de respiration, peut aussi avoir son usage en cet endroit, puisque c'est à des incrédules que nous avons affaire; et nous y pouvons encore joindre ce qu'on dit de plusieurs autres personnes qui sont sorties que Jésus disait lui- même dans l'Évangile selon S. Jean : Nul ne m'ôte mon âme. mais c'est de moi-même que je la quitte : j'ai le pouvoir de la quitter, et j'ai le pouvoir de la reprendre (Jean, X, 18j. Il se peut faire que ce que l'âme se hâta de sortir du corps, ce fut pour le conserver et pour empêcher qu'on ne lui rompit les jambes, comme on les rompit aux deux voleurs qui étaient crucifiés avec Jésus. Car les soldats rompirent les jambes du premier et de l'autre qui était aussi crucifié avec lui; mais étant tenus à Jésus et voyant qu'il était mort, ils ne lui rompirent point les jambes (Jean, XIX, 32). Ainsi, nous avons répondu à cette partie de l'objection de Celse : Comment nous persuaderez-vous qu'il l'ait prédit? A l'égard de cette autre : Comment nous ferez-vous croire qu'un mort soit immortel ? nous disons à qui le voudra entendre, que ce n'est pas celui qui est mort qui est immortel, mais celui qui est ressuscité d'entre les morts. Et non seulement ce n'est pas le mort qui est immortel ; ce n'est pas même ce Jésus non encore mort, composé de deux natures, et qui devait mourir ; car un homme qui doit mourir n'est pas immortel; pour être immortel, il faut n'être plus sujet à la mort. Et nous savons que Jésus-Christ, étant ressuscité d'entre les morts, ne mourra plus, et que la mort n'a plus désormais d'empire sur lui : quoi qu'en puissent dire ceux qui ne sont pas capables de le comprendre (Rom., VI, 9).
C'est avec aussi peu de raison que Celse dit : Quel dieu, quel démon, quel homme sage, sachant que de telles choses lui devaient arriver, n'aurait pas fait ce qu'il aurait pu pour s'en garantir, au lieu de se laisser surprendre par des malheurs qu'il aurait prévus? Socrate savait bien qu'il mourrait en buvant la ciguë ; et s'il eut voulu croire Criton, il se fût sauvé des prisons pour éviter la mort. Mais il ne jugea pas le devoir faire, et il aima mieux mourir en philosophe que de se conserver la vie par des moyens indignes d'un philosophe. Léonidas, chef des Lacédémoniens, savait bien aussi qu'il allait mourir aux Thermopyles avec ceux qui le suivaient; mais bien loin de préférer sa vie à son honneur, Dînons, leur dit-il, comme des gens qui doivent souper dans les enfers. On trouverait plusieurs autres histoires semblables, si l'on voulait se donner la peine de les ramasser. El faut-il s'étonner que Jésus n'ait pas évité des maux qu'il avait prévus, puisque S. Paul, son disciple, ayant été averti de ce qui lui devait arriver à Jérusalem, alla bien affronter le danger qui l'y menaçait, et blâma les larmes de ceux qui le voulurent détourner de son dessein (Act., XXI, 12)? Combien même y en a-t-il eu parmi nous qui, se voyant près de mourir pour la profession du christianisme, et sachant que, s'ils y renonçaient, on les remettrait en liberté et en la jouissance de leurs biens, ont méprisé leur vie et se sont volontairement abandonnés à la mort pour la piété?
La pensée de Celse n'est pas plus juste quand il fait dire à son Juif : S'il avait prédit et la trahison de l'un et le renoncement de l'autre, comment celui-ci a-t-il osé le renoncer et celui-là le trahir? Ne devaient-ils pas, tous deux, le craindre comme un Dieu, et ne lui point faire ces injures ? Mais cet homme si éclairé ne voit pas qu'il y a de la contradiction en ce qu'il pose : car si Jésus, étant Dieu, avait prévu ces événements et que sa prévision ne pût être fausse, il était impossible que celui dont il avait prévu la trahison ne le trahit, et que celui dont il avait prévu le renoncement ne le renonçât. S'il en avait pu arriver autrement et qu'il eût pu se faire qu'après en avoir été avertis, l'un ne l'eût pas trahi, et l'autre ne l'eût pas renoncé, il n'aurait pas dit la vérité lorsqu'il déclara que l'un le trahirait et que l'autre le renoncerait. Mais s'il prévit que Judas le trahirait,  il prévit aussi la méchanceté qui l'y devait obliger, dont cette prévision ne pouvait pas entièrement changer la nature; s'il connut de même que Pierre le renoncerait, c'est qu'il connaissait la faiblesse qui en serait la cause, sans qu'une telle connaissance y pût remédier si promptement. Que veut dire le juif quand il ajoute qu'ils le trahirent pourtant et le renoncèrent, sans se soucier de lui? Nous avons déjà fait voir combien il s'en faut que cela ne soit vrai à l'égard de Judas, qui le trahit; et il n'est pas moins aisé d'en faire voir la fausseté à l'égard de Pierre, qui, après l'avoir renoncé, sortit dehors et pleura amèrement (Matth., XXVI, 75).
Ce qui suit est de même force que le reste: Si un homme découvre les embûches qu'on lui dresse et le fait connaître à ceux qui les lui dressaient, il les en détourne et les fait changer de pensée. Car on a vu souvent qu'on ne s'est point rebuté de dresser des embûches à des personnes qui s'en étaient aperçues. Enfin, pour conclusion, il raisonne de cette sorte : Il ne faut donc pas s'imaginer que ces choses soient arrivées parce qu'il les avait prédites ; cela ne se peut. De ce qu'elles sont arrivées, on doit conclure au contraire qu'il est faux qu'il les eût prédites : car il est impossible que des gens qui auraient été avertis, fussent encore capables de trahir et de renoncer. Mais ayant détruit ses principes, nous avons, par même moyen, détruit sa conséquence : Qu'il ne faut pas croire que ces choses soient arrivées parce qu'il les avait prédites. Nous disons qu'elles sont arrivées comme étant possibles, et que, puisqu'elles sont arrivées, il paraît que la prédiction était véritable; car c'est par l'événement qu'on juge de la vérité des choses à venir. C'est donc sans nul fondement que Celse conclut qu'il est faux qu'elles eussent été prédites, et qu'il est impossible que des gens qui auraient été avertis, fussent encore capables de trahir et de renoncer.

Voyons maintenant ce qu'il ajoute : Puisqu'il était Dieu, dit-il, et qu'il avait prédit ces choses, il fallait nécessairement qu'elles arrivassent. Un Dieu donc aura fait des impies et des scélérats, de ses disciples et de ses prophètes, avec qui il vivait dans la plus étroite familiarité, lui qui devait faire du bien à tout le monde, mais particulièrement à ceux qui mangeaient à sa table. A-t-on jamais ouï dire que des hommes, qui eussent ensemble une pareille liaison, se soient mutuellement dressé des embûches ? Mais voici un Dieu, que les droits de l'hospitalité ne peuvent mettre à couvert de celles des hommes ; et, ce qui est de plus étrange, un Dieu qui vient en dresser lui-même à ses plus intimes amis, dont il fait des traîtres et des lâches. Comme vous voulez que je suive Celse pied à pied, et que vous ne me permettez pas même de passer par-dessus ce qui me semble le plus digne de mépris dans ses objections, il faut bien que je réponde encore à celle-ci. Je dis donc que Celse s'imagine que quand une chose a été divinement prédite, elle n'arrive qu'en vertu de la prédiction. Mais nous, qui sommes d'un autre sentiment, nous ne croyons pas que celui qui prédit la chose, soit cause qu'elle arrive, parce qu'il a prédit qu'elle arriverait : nous croyons au contraire que la chose devant arriver, soit qu'on la prédise, ou qu'on ne la prédise pas, c'est elle qui donne occasion de la prédire à celui qui connaît l'avenir. Et il faut que celui qui prédit quelque événement, ait tout ceci dans la pensée : Telle chose pouvant arriver, ce sera telle autre qui arrivera; car nous ne S retendons nullement que les prophètes ôtent, ce qu'ils prédisent, la possibilité d'arriver ou de n'arriver pas; comme s'ils disaient: telle chose arrivera nécessairement et il est impossible qu'elle arrive d'une autre manière. Ce n'est que sous cet égard de possibilité qu'on a pu prévoir des choses du nombre de celles qui dépendent de la volonté de l'homme, telles qu'il s'en trouve des exemples, et dans l'Écriture sainte, et dans les histoires des Grecs. Selon les principes de Celse, ce raisonnement que les logiciens appellent vaine subtilité, ne serait pas un sophisme, bien que c'en soit un, dans les règles de la droite raison. Pour faire mieux entendre ce que je dis, je vais produire, de l'écriture, l'exemple des prophéties qui s'y trouvent, touchant Judas, conformes à la prédiction de notre Sauveur; et tirer, des histoires grecques, l'exemple de l'oracle rendu à Laïus ; car je yeux bien supposer ici que cet oracle soit véritable, cela ne pouvant faire aucun tort à mon sujet. Voyez le psaume CVIII où il est dit d'abord, en la personne de notre Sauveur, parlant de Judas : Ô Dieu, ne retiens pas ma gloire dans le silence, car le méchant et le perfide ont ouvert la bouche contre moi (Ps. CVIIl ou CIX, 1) : et considérez, dans toute la suite, que si la trahison de Judas y est marquée, il y est marqué aussi qu'elle aurait sa cause en lui- même, et qu'il se rendrait digne de toutes les malédictions qui lui sont dénoncées pour ses crimes. Qu'elles tombent sur lui, dit le prophète, parce qu'il a négligé les ?uvres de miséricorde, et qu'il a persécuté l'homme pauvre et accablé de misère (Vers. 16). Il pouvait donc ne pas négliger les ?uvres de miséricorde, et ne pas persécuter celui qu'il a persécuté. C'est parce qu'il l'a fait, quoiqu'il put ne le pas faire, c'est par la trahison dont il s'est rendu coupable, qu'il a mérité toutes les imprécations de ce psaume. L'oracle de Laïus, que j'allègue en faveur des Grecs, se trouve dans les tragédies d'un ancien poète, soit qu'il en rapporte les propres termes, ou qu'il en substitue d'équivalents :
 Ne cherche point malgré la destinée,
A voir chez lui les doux fruits d'hyménée
Ils te seront un funeste poison.
Par les mains de celui qui te devra la vie,
La tienne le sera ravie,
Et l'on verra de sang regorger la maison.
(EURIP. dans les Phéniciennes).
 Nous supposons que celui qui parle, avait la connaissance de l'avenir : et ce qu'il dit fait voir clairement qu'il ne tenait qu'a Laïus de s'empêcher d'avoir un fils; mais qu'à moins qu'il ne s'en empêchât, sa famille allait devenir le théâtre des aventures tragiques d'?dipe, de Jocaste, et de leurs enfants. Pour ce qui est de ce que l'on nomme vaine subtilité, c'est cette espèce de sophisme qui se voit dans l'exemple du malade à qui l'on fait ce raisonnement captieux, pour le détourner d'appeler le médecin : si vous êtes destiné à relever de cette maladie, vous en relèverez, soit que vous appeliez le médecin, ou que vous ne l'appeliez pas; mais si vous êtes destiné à n'en pas relever, vous n'en relèverez point, soit que vous appeliez le médecin, ou que vous ne l'appeliez pas; soit donc que vous soyez destiné à relever de cette maladie, ou que vous soyez destiné à n'en pas relever, ce sera inutilement que vous appellerez le médecin. A cette manière de raisonner, on en oppose assez plaisamment une autre toute pareille : Si vous êtes destiné à avoir des enfants, vous en aurez, soit que vous preniez une femme, ou que vous n'en preniez pas; mais si vous êtes destiné à n'avoir point d'enfants, vous n'en aurez point, soit que vous preniez une femme ou que vous n'en preniez pas ; soit donc que vous soyez destiné à avoir des enfants, ou que vous soyez destiné à n'en point avoir, ce sera inutilement que vous prendrez une femme. Car comme, dans ce dernier exemple, il est absurde de conclure que c'est inutilement qu'on prend une femme, puisqu'à moins que d'en prendre il est impossible d'avoir des enfants : dans l'autre, tout de même, si c'est par le secours du médecin qu'on doit relever de la maladie, il est faux qu'il soit inutile d'appeler le médecin ; bien loin d'être inutile, il est absolument nécessaire de l'appeler. Voilà ce que j'ai été obligé de dire pour répondre à cette subtile objection de Celse ; Puisqu'il était Dieu, et qu'il avait prédit ces choses, il fallait nécessairement qu'elles arrivassent. Si par son nécessairement, il entend une nécessité de contrainte, nous lui nions ce qu'il avance ; car il était possible que la chose n'arrivât pas : mais s'il n'entend que la certitude de l'événement, laquelle n'ôte point à la chose cette possibilité de ne pas arriver, cela ne fait rien contre nous ; et l'on n'en saurait inférer que Jésus soit la cause de la lâcheté de l'un, et de la perfidie de l'autre, pour avoir prédit à celui-ci qu'il le trahirait, et à celui-là qu'il le renoncerait : car si Jésus, parlant de Judas, dit entre autres choses : Celui qui met avec moi la main dans le plat, me doit trahir (Matth. XXVI, 23), c'est que connaissant cette méchante âme, lui qui, selon nous, connaissait ce qui était dans l'homme, il vit bien que le respect qu'un disciple doit à son maître n'y était pas assez solidement établi, pour résister aux suggestions de l'avarice (Jean, II, 25).
Voyez encore s'il y a rien de plus vain, ni de plus manifestement faux, que ce que Celse dit : Que c'est une chose inouïe que des hommes qui mangent à même table se dressent mutuellement des embûches, et que si les hommes ne t'en dressent point, en de pareilles circonstances, il était encore moins vraisemblable qu'un Dieu en dût craindre de la part de ceux avec qui il vivait dans une si étroite société. Car qui ne sait qu'il y a une infinité de personnes qui, ayant entre elles ces sortes de liaisons, n'ont pas laissé pour cela de se dresser des embûches les unes aux autres ? Les histoires des Grecs et des Barbares sont pleines de pareils exemples ; et c'est le reproche que ce poète de Paros, si connu par ses vers ïambiques, faisait autrefois à Lycambe :
Les droits sacrés de la table et du sel
Devraient te faire abhorrer ton parjure.
(Archiloque.)
Si l'on veut avoir une plus ample confirmation de cette vérité, il ne faut que s'adresser à ceux qui s'appliquent à la science de l'histoire, et qui, pour s'y donner tout entiers, négligent une étude plus nécessaire, par laquelle ils apprendraient à bien vivre. Après cela, comme si tout ce qu'il dit était des démonstrations auxquelles il n'y eût rien à répliquer, il ajoute : Et ce qui est de plus étrange, voici un Dieu qui dresse lui-même des embûches à ses plus intimes amis, dont il fait des traîtres et des lâches. Mais si vous lui demandez d'où il paraît que Jésus ait dressé des embûches à ses disciples, ou qu'il en ait fait des traîtres et des lâches, il ne vous en saurait donner d'autres preuves que sa prétendue conséquence, dont les moins éclairés peuvent aisément montrer la nullité.
Il dit ensuite : S'il n'a souffert que parce qu'il l'avait ainsi résolu, pour obéir à son Père, il est évident qu'étant Dieu, exempt de contrainte, rien de tout ce qu'on lui a fait par sa propre volonté n'a dû lui causer ni peine ni douleur. Mais il ne voit pas que ce qu'il pose, se contredit manifestement : car si, comme il l'avoue, Jésus a souffert, parce qu'il l'avait ainsi résolu, pour obéir à son Père, nous n'en demandons pas davantage; Jésus a souffert : et s'il a souffert, il est impossible que ceux qui l'on fait souffrir ne lui aient causé de la douleur, la souffrance n'étant pas une chose agréable. Si rien de tout ce qu'on lui a fait par sa propre volonté n'a du lui causer ni peine ni douleur, comment Celse avoue-t-il qu'il a souffert? Ce qui le trompe, c'est qu'il ne considère pas que Jésus ayant voulu naître de la même manière que nous naissons, le corps qu'il a pris en naissant a dû nécessairement être susceptible des mêmes peines et de la même douleur que les nôtres : si par les peines et par la douleur on entend des choses fâcheuses à la nature. Comme donc il a voulu prendre une chair qui n'eût pas de différence essentielle d'avec celle des autres hommes, il l'a voulu prendre aussi avec toutes les faiblesses et tontes les incommodités auxquelles elle est sujette, de sorte que l'ayant une fois prise, il n'a plus été en son pouvoir de s'exempter de douleur, et ses ennemis ont eu celui de lui en causer. Il aurait bien pu s'empêcher de tomber entre leurs mains, comme nous l'avons fait voir ci-dessus, mais sachant combien la mort qu'il devait souffrir pour les hommes serait utile à tout l'univers, comme nous l'avons aussi prouvé, il se présenta volontairement à ceux qui venaient pour le prendre.
Celse continue : et pour montrer que ce que Jésus souffrait lui causait une douleur qu'il ne pouvait faire qui ne fût pas douleur, il ajoute : Pourquoi donc fait-il de telles plaintes et de telles lamentations, et pourquoi souhaite-t-il d'être délivré de cette mort qui faisait le sujet de sa crainte, s'exprimant ainsi, à peu près : Ô mon Père, s'il se pouvait que ce calice s'éloignât de moi ? C'est encore ici un trait de la malignité de Celse. Au lieu de reconnaître la sincérité des évangélistes, qui pouvaient passer sous silence tout ce qui sert de prétexte à ses reproches, mais qui ne l'ont pas voulu faire pour une infinité de raisons qu'on en donnerait, s'il était question d'expliquer les Évangiles, il abuse de ce qu'ils disent; et, pour avoir lieu de déclamer, il y mêle des choses qu'ils ne disent point. Car ils n'ont jamais parlé des lamentations qu'il veut que Jésus ait faites. Il rapporte bien, quoiqu'en des termes un peu différents, la prière que Jésus faisait à son Père : Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible (Matth., XXVI, 39); mais il ne rapporte point ce qui suit, où l'obéissance de Jésus et sa fermeté paraissent si visiblement: Qu'il en soit pourtant, non selon ma volonté, mais selon la tienne. Et il ne fait pas semblant non plus d'avoir lu ces autres paroles, où notre Sauveur achève défaire voir que, sur l'arrêt de sa passion, il était pleinement résigné à la volonté de son Père : Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite (Matth., XXVI, 42). Celse imite en cela ces malheureux qui, faisant une ouverte profession d'impiété, tournent en un mauvais sens les passages de l'Écriture. Ils ont bien remarqué qu'elle dit, Je ferai mourir (Deut. XXXII, 39), et ils nous le reprochent souvent; mais ils ne se souviennent nullement qu'elle ajoute :Je ferai vivre, pour montrer, par ces deux expressions jointes ensemble, que si Dieu fait mourir ceux qui vivent dans l'iniquité et qui ne sont au monde que pour la ruine publique, il leur rend une vie beaucoup meilleure, et telle qu'il la donne à ceux qui meurent au péché. Ils ont bien encore pris garde qu'elle dit : Je frapperai (Is., LVII, 17. et 18): mais ils ne voient pas qu'elle ajoute : Je guérirai ; nous représentant Dieu comme un médecin qui fait de grandes et de douloureuses incisions à son malade, non dans le dessein de le défigurer ou de lui faire du mal, mais pour lui arracher du corps ce qui empêche sa guérison, et pour rétablir sa santé, qui est ce qu'il a en vue. Ils ne lisent pas non plus tout d'une suite : C'est lui qui fait la plaie, et c'est lui qui la consolide (Job, V, 18) ; mais ils s'arrêtent à ces premières paroles : C'est lui qui fait la plaie. Celse, ou son juif, tout de même, se contentant de faire dire à Jésus : Ô mon Père, s'il se pouvait que ce calice s'éloignât de moi; il supprime ce qui suit, où Jésus témoigne sa résignation et sa constance. Il y aurait ici beaucoup de choses à dire, qu'on puiserait dans la sagesse de Dieu, et qui seraient propres pour ceux que saint Paul nomme parfaits : Nous prêchons, dit-il, la sagesse aux parfaits (1 Cor., II, 6). Mais il faut réserver cela pour une autre occasion, et se contenter maintenant de toucher en deux mots ce qui fait notre sujet.
Nous avons déjà remarqué ci-dessus que Jésus disait quelquefois des choses qu'il fallait rapporter à ce premier-né de toutes les créatures, qui était en lui, (Col., I, 15), comme par exemple :Je suis la voie, la vérité et la vie (Jean, XIV, 6), et les autres semblables; et qu'il en disait aussi quelquefois qui se devaient rapporter à l'homme qui paraissait au dehors, comme : Mais maintenant, vous cherches à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité, telle que je l'ai apprise de mon Père (Jean, VIII, 40). Dans cette rencontre, où il parle en tant qu'homme, il fait voir et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l'esprit. La faiblesse de la chair, lorsqu'il dit : Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible; la promptitude de l'esprit, quand il ajoute : Qu'il en soit pourtant non selon ma volonté, mais selon la tienne. Et s'il faut faire considération de l'ordre de ses paroles, voyez de quelle sorte il commence par ce qui était, pour ainsi dire, un effet de la faiblesse de la chair, et comment il finit par les mouvements de l'esprit, qui sont même en plus grand nombre; car au lieu qu'il ne dit qu'une fois, Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible, il ne se contente pas de dire, Qu'il en soit pourtant, non selon ma volonté, mais selon la tienne ; il ajoute encore, Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite. Il faut remarquer de plus qu'il ne dit pas absolument. Que ce calice s'éloigne de moi, mais qu'il s'exprime ainsi, d'une manière pleine de piété et de retenue : Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible. Je pourrais encore expliquer ce passage comme je sais qu'il y en a qui l'expliquent : c'est que notre Sauveur voyant quels malheurs allaient fondre sur la ville de Jérusalem et sur toute la nation des Juifs, pour punition des outrages qu'ils lui feraient, a tant de bonté pour ce misérable peuple, que le désir de le conserver est le seul motif qui lui fait dire, Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible ; comme s'il disait : Puisqu'on buvant ce calice de souffrances, je dois être cause que tout un peuple perdra ta faveur, je te prie que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible, afin que les mauvais traitements qu'on me fera ne te donnent pas lieu d'abandonner tout à fait ton héritage. S'il était vrai, au reste, comme Celse le voudrait, que ce qu'on fit alors à Jésus n'eût dû lui causer ni peine ni douleur, comment ceux qui sont venus après lui auraient- ils pu le proposer en exemple aux autres hommes, pour les obliger à souffrit les maux qui accompagnent la piété, puisqu'il n'aurait point souffert comme eux, et que toute sa passion n'aurait été qu'une apparence trompeuse.
Le juif accusant toujours d'imposture les disciples de Jésus : Vous nous débitez des fables, leur dit-il, mais vous ne savez pas seulement leur donner de la vraisemblance. Je réponds à cela que si les disciples de Jésus eussent voulu user de déguisement, le plus court eût été de ne rien dire du tout de ce qu'on lui reproche. Car qui aurait pu nous objecter le discours qu'il tint dans le temps de son abaissement, si les évangiles ne nous les avaient conservés ? Celse ne prend pas garde qu'on ne peut attribuer aux mêmes personnes de s'être laissé séduire sur le fait de Jésus en le prenant pour un Dieu et pour celui qui avait été promis par les prophètes, et d'avoir été convaincues en leur conscience que ce qu'elles disaient de lui n'était autre chose que des fables dont elles étaient elles-mêmes les inventeurs. Il faut ou qu'elles n'aient point inventé ce qu'elles ont écrit, mais qu'elles aient dit sincèrement ce qu'elles crevaient véritable, ou que, si ce qu'elles ont écrit sont des fables de leur invention, elles ne se soient point laissé séduire sur le fait de Jésus et ne l'aient point pris pour un Dieu.
Il dit après cela qu'il y en a parmi nos fidèles qui, comme des gens à qui le vin fait faire des violences contre eux-mêmes, se portent à changer le premier texte de l'Évangile en trois ou quatre façons différentes, et autant de fois qu'ils le jugent à propos, afin qu'à la faveur de ces changements ils puissent nier les choses qu'on leur objecte. Pour moi, je n'en connais point d'autres qui entreprennent de changer le texte de l'Évangile que les disciples de Marcion et de Valentin, et ceux de Lucien aussi, à ce que je crois. Mais cette entreprise ne doit pas être imputée à la religion chrétienne : c'est le crime particulier de ceux qui ont l'audace d'altérer ainsi les Écritures. Et comme ce serait blesser l'équité que de reprocher à la philosophie les fraudes des sophistes elles faux dogmes, soit des épicuriens, soit des péripatéticiens, soit de telle ou telle autre secte où il s'en rencontre, il ne serait pas juste non plus de vouloir que le vrai christianisme fut responsable de la témérité de ceux qui corrompent les évangiles et qui donnent la naissance à des hérésies contraires à la doctrine de Jésus-Christ.
Mais puisque Celse fait encore faire par son juif un nouveau procès aux chrétiens sur l'usage qu'ils font des prédictions qui se trouvent pour Jésus dans les prophètes, il faut ajouter ici à ce que nous en avons déjà dit, que lui, qui veut qu'on le croie si soigneux d'instruire les hommes, devait se donner la peine de rapporter ces prophéties, avec l'explication des chrétiens, pour montrer ensuite par ce qu'il aurait jugé le plus convaincant que, quelque vraisemblable qu'elle paraisse, elle n'a pourtant rien de solide. Du moins n'aurait-il pas semblé qu'avec trois ou quatre petits mots il eût cru pouvoir décider en sa faveur une question de cette importance. Et comme il dit qu'il y a une infinité de personnes à qui l'on peut appliquer les prophéties avec beaucoup plus de vraisemblance qu'à Jésus, il était d'autant plus obligé de faire ferme sur cet article, qui étant un article capital et la plus forte démonstration des chrétiens, méritait bien qu'il s'y arrêtât, et qu'il fit voir sur chacune de ces prophéties en particulier, comment on peut l'appliquer à d'autres personnes avec beaucoup plus de vraisemblance qu'à Jésus. Mais Celse ne s'est pas même aperçu que ce qui aurait peut-être quelque couleur, étant dit contre les chrétiens par un homme qui rejetterait les écrits des prophètes, n'en avait aucune dans la bouche de son juif : car un juif ne demeurera jamais d'accord qu'il y ait une infinité de personnes à qui l'on puisse appliquer les prophéties avec beaucoup plus de vraisemblance qu'à Jésus. Il expliquera les passages à sa manière, s'efforçant de réfuter sur chacun l'explication des chrétiens, et s'il n'établit solidement ce qu'il avance, il tâchera du moins de le faire.
C'est une remarque que nous avons déjà faite ailleurs, que les prophètes parlent de deux venues du Christ : ainsi nous pouvons maintenant nous dispenser de répondre à ce que le juif dit ici : Que les prophètes parlent de celui qui devait venir comme d'un grand prince et d'un redoutable conquérant, qui devait être le maître de toute la terre et le roi de tous les peuples. Ce qu'il ajoute : Mais qu'ils n'ont point parlé d'une telle peste, est sans doute un effet de la bile judaïque ; et le juif ne pouvait jamais mieux jouer son personnage qu'en disant ainsi des injures à Jésus sans les appuyer ou du moins les colorer d'aucune preuve. Je défie et les Juifs, et Celse, et le monde tout entier avec eux, d'en alléguer qui justifient qu'on puisse donner le nom de peste à un homme qui relire tant de personnes de l'abîme des vices, pour les faire vivre conformément à la nature, dans la pratique de la tempérance et de toutes les autres vertus.
C'est avec la même témérité que Celse dit que ce n'est point là le caractère d'un Dieu ni d'un Fils de Dieu; qu'il n'y a personne qui le put reconnaître à des marques si dignes de mépris, et qu'on ne le prendra jamais pour tel sur la foi de quelques interprétations forcées. Il devait donc rapporter ces interprétations forcées et ces marques si dignes de mépris avec ce qu'il avait à dire contre les unes et contre les autres, afin que si ses objections méritaient qu'on y répondît, les chrétiens se missent en devoir de le faire. Ce qu'il voulait, au reste, qu'il arrivât à Jésus pour faire paraître sa grandeur lui est effectivement arrivé, et c'est un fait d'une vérité évidente, quoi que Celse ne la veuille pas voir. Il fallait, dit-il, qu'il en fût du Fils de Dieu comme du soleil qui faisant découvrir toutes choses par sa lumière, fait qu'on le découvre lui-même le premier. Aussi pouvons-nous dire que ?'est ce qu'a fait Jésus. On a vu de son temps fleurir la justice et abonder la paix (Ps. LXXI ou LXXÏI, 7). Témoin cette paix profonde qui accompagna et qui suivit sa naissance ; Dieu qui roulait préparer les nations à recevoir la doctrine de son Fils, les ayant toutes assujetties à l'empire romain, de peur que le peu de liaison qu'ont entre eux des peuples qui vivent sous divers princes ne fût un obstacle aux apôtres de Jésus dans l'exécution de l'ordre qu'il leur avait donné d'aller instruire toutes les nations (Matth., XXVIII, 19). Tout le monde sait qu'il naquit sous l'empereur Auguste qui, ayant soumis à sa domination la plus grande partie des hommes, les avait comme ramassés en un seul corps. Il y avait encore un autre inconvénient à craindre pour les apôtres, si la terre, qu'ils devaient remplir de la doctrine de Jésus, avait été partagée en plusieurs états différents : c'est que les hommes ne fussent obligés de prendre les armes et de se faire la guerre les uns aux autres pour les intérêts de leur patrie; car il en était ainsi arrivé dans tous les siècles qui avaient précédé celui d'Auguste, et les démêlés des Athéniens avec les peuples du Péloponnèse doivent servir d'exemple de ce qui se passait ailleurs. Comment donc cette doctrine paisible, qui ne permet pas même aux hommes de repousser les injures de leurs ennemis, aurait-elle pu s'établir dans le monde si la venue de Jésus n'avait fait partout succéder le calme à l'orage?
Celse accuse ensuite les chrétiens d'user île surprise, lorsqu'en parlant du Fils de Dieu, ils l'appellent la propre parole de Dieu ; et il croit que son accusation est sans réplique, Parce, dit-il, qu'au lieu de cette parole pure et sainte qu'ils nous promettaient, ils nous présentent un misérable homme qui a fini sa vie sur une croix, le plus honteux de tous les supplices. Mais c'est une objection à laquelle nous avons déjà répondu en passant, lorsque, répondant aux précédentes, nous avons fait voir que le premier-né de toutes les créatures a pris le corps et l'âme d'un homme ; que Dieu, pour créer toutes les choses que nous voyons dans le monde, ne fît que commander qu'elles fussent; et que ce fut Dieu le Verbe (la Parole) qui reçut ce commandement. Puisque c'est un juif que Celse nous donne à combattre, nous pouvons bien encore lui alléguer ce passage dont nous nous sommes servis ci-dessus : Dieu a envoyé sa Parole et les a guéris ; il les a tirés de la corruption où ils étaient (Ps. CVI ou CVII, 20). Mais ce qu'il ajoute en la personne du même Juif : Que si c'était véritablement cette Parole qui, selon nous, fût le Fils de Dieu, ils approuveraient notre pensée, est une chose que je n'ai jamais entendu dire à aucun juif, quoique j'aie assez souvent disputé contre des plus savants de leurs sages.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que nous nous arrêtions ici à montrer que Jésus ne peut être un fourbe rempli de vanité et qui ne se soutenait que par des prestiges. Nous l'avons suffisamment montre en un autre endroit; et ce ne serait jamais fait, si nous voulions imiter les vaines répétitions de Celse. Voyons plutôt ce qu'il dit contre la généalogie de notre Sauveur. Il ne l'attaque pas, comme font d'autres, par la différence qui s'y trouve, ni par les disputes qui sont entre les chrétiens mêmes sur ce sujet; car la vanité dont il est lui-même rempli et qui lui fait dire qu'il sait tous nos mystères, est si bien fondée, qu'il ne sait pas même former ses doutes avec jugement sur l'Écriture. Il dit donc que cette généalogie qui remonte jusqu'au premier homme, pour en faire descendre Jésus, par les rois des Juifs, n'est qu'un beau songe de ceux qui ont cru avoir intérêt à la dresser; et il s'imagine être bien fort, quand il ajoute que si la femme du charpentier avait été d'un sang si illustre, elle ne l'aurait pas ignoré. Mais que fait cela à la question? Posé qu'elle ne l'ait pas ignoré, qu'en peut-il conclure? Posé qu'elle l'ait ignoré, s'ensuit-il, de ce qu'elle l'ignorait, qu'elle ne fût pas descendue du premier homme, on qu'elle ne fût pas de la famille des anciens rois de Judée? Celse prétend-il que tous les ancêtres des pauvres aient nécessairement porté la besace, et tous ceux des rois, la couronne? Ce serait, je crois, mal employer son temps que de s'arrêter à faire voir l'absurdité d'une pareille prétention, puisqu'on sait que, dans notre propre siècle. il se trouve des personnes sorties d'une famille puissante et illustre qui sont encore plus pauvres que n'était Marie, pendant que d'autres dont la race n'a rien que d'abject, sont assis sur le trône et disposent de la fortune des peuples.
Qu'est-ce donc, dit-il, que ce Jésus a fait de grand et de noble pour témoigner qu'il fût Dieu Y A-t-il méprisé ses ennemis? s'est-il fait un jeu de leurs desseins, et s'est-il moqué de leurs embûches ? Mais comment répondrons-nous à cela, si nous ne lirons notre réponse des Évangiles? Et quand on nous demande, dans les aventures de Jésus, quelque chose de grand et de merveilleux, que pouvons-nous dire, si ce n'est que la terre a tremble, que les pierres se sont fendues, que les sépulcre se sont ouverts, que le voile du temple s'est déchiré depuis le haut jusqu'au bas, que le soleil s'est éclipsé et que les ténèbres ont couvert la terre en plein jour (Math, XXVll, 51 ; Luc, XXIII, 45 )? Si Celse ne veut admettre l'autorité des Évangiles que quand il croit qu'elle lui fournit quelqu'accusation contre les chrétiens, et s'il la rejette quand elle confirme la divinité de Jésus, il me semble qu'on peut le prier, ou de ne la recevoir en rien et de cesser de s'en servir contre nous, ou de la recevoir en tout et d'admirer avec nous ce Verbe de Dieu qui s'est fait homme pour le bien du genre humain. Ce n'est pas, au reste, une chose peu glorieuse à Jésus que son nom ait encore présentement la vertu de guérir ceux qu'il plait à Dieu. A l'égard de l'Église et des grands tremblements de terre qui arrivèrent sous l'empire de Tibère, dans le temps qu'on tient que Jésus fut crucifié, Phlégon en parle aussi dans le treizième livre du ses Chroniques, si je ne me trompe.
Après cela, Celse met son juif en belle humeur, et il lui fait citer, comme pour railler Jésus, ce que dit Bacchus dans Euripide :
Dès le moment qu'il me plaira,
Dieu même me délivrera.
(EURIP. dans les Bacchantes.)
Il est pourtant assez rare de voir des Juifs qui lisent les poètes grecs; mais posé que celui-ci soit plus curieux que les autres ; de ce que Jésus ne se délivra pas lui-même, conclura-t-il qu'il ne put se délivrer? Il devrait plutôt croire ce que nos Écritures récitent, que Pierre fut tiré hors de prison par un ange qui fil tomber ses chaînes (Act., XII, 7), et que Paul et Silas ayant été mis aux ceps à Philippes, ville de Macédoine, leurs liens aussi furent rompus par une vertu divine qui fit au même temps que les portes de la prison s'ouvrirent (Act., XVI, 24). Mais il y a de l'apparence que Celse se moque de ces histoires ou même qu'il ne les a jamais lues ; car s'il les avait lues, il n'aurait pas manqué de dire, pour les mettre au rang des effets de la magie, qu'on voit des magiciens qui, par le moyen de leurs charmes, savent rompre les liens et ouvrir les portes. Celui qui le condamna, dit-il ensuite, n'en fut point puni comme Penthée qui devint furieux et fut mis en pièces. Il ignore donc que la condamnation de Jésus ne doit pas tant être attribuée à Pilate qui voyait bien qu'on le lui avait livré par envie (Matth.,  XXVlI, 18), qu'à toute la nation des Juifs que Dieu a condamnée pour ce sujet à être dispersée par toute la terre, la mettant ainsi en pièces d'une manière plus terrible que Pentbée n'y ait jamais été mis. Mais pourquoi affecte-t-il de ne point parler de ce songe dont la femme de Pilate fut si troublée qu'elle envoya dire à son mari : Qu'il ne s'embarrassât point dans l'affaire de ce juste-là ; et qu'elle venait d'être étrangement tourmentée dans un songe, à cause de lui ( Ibid., 19) ? Il supprime encore toutes les preuves de la divinité de Jésus ; et ne cherchant qu'à lui faire de nouveaux reproches, il tire de l'histoire de l'Évangile ce qu'elle raconte des insultes à quoi notre Sauveur fut exposé, du manteau d'écarlate dont on le couvrit, de la couronne d'épines qu'on lui mit sur la tête et du roseau qu'on lui donna à la main ( Ibid., XXVII, 28, 29). Mais dites-nous, de grâce, d'où vous avez appris cela, si ce n'est des Évangiles. Et si c'est de là que vous l'avez appris, est- il croyable que vous y trouviez ainsi des sujets de reproche, et que ceux qui l'ont écrit n'aient pas su prévoir que vous et vos pareils y en trouveriez ; mais qu'à d'autres ce seraient des leçons qui les instruiraient à mépriser ceux qui font des railleries de la piété, en se moquant de celui qui n'a pas refusé de mourir pour en soutenir les intérêts ? Admirez donc plutôt la sincérité de nos auteurs et la constance de Jésus qui s'est volontairement abandonné à souffrir tontes ces choses pour les hommes, sans se plaindre de sa condamnation, sans qu'on lui ait vu rien faire ni rien dire d'indigne d'un grand courage.
Celse ajoute : Que ne fait-il du moins à présent reluire sa divinité aux yeux de tout le monde . et que n'efface-t-il la honte de son supplice, en vengeant les injures que l'on fait encore et à lui et à son Père? Mais on peut dire tout de même, aux Grecs qui admettent la Providence et qui la reconnaissent pour la cause des prodiges qui arrivent dans la nature : Pourquoi Dieu ne punit-il pas ceux qui l'outragent et qui nient sa Providence? Ce que les Grecs répondront à cette objection, nous le répondrons, et en plus forts termes encore, à celle de Celse. Et si l'on veut des prodiges, l'éclipsé du soleil et les autres grands événements dont elle fut accompagnée (Luc, XXIII, 45), en sont d'assez éclatants, pour faire voir que, dans ce crucifié, il y avait quelque chose d'extraordinaire et de plus qu'humain.
Et le sang de notre crucifié, poursuit-il, dirons-nous qu'il ressemblât à cette liqueur
Qui roule doucement dans les veines des dieux ?
(HOM. Iliad., V, v. 340.) Il veut faire le railleur : mais pour nous, nous serons plus sérieux, en proposant la vérité contenue dans les Évangiles, quelque obstiné qu'il soit à ne vouloir pas l'y reconnaître. Nous y apprenons que ce qui sortit du corps de notre Sauveur ne fut pas sans doute une liqueur fabuleuse, pareille à celle dont Homère parle ; mais que peu après sa mort, un soldat lui ayant percé le coté d'un coup de lance, il en sortit du sang et de l'eau. Celui qui l'a vu en rend témoignage. Son témoignage est véritable; et il sait qu'il dit vrai ( Jean, XIX, 34 et 35 ). Le sang des autres morts a accoutumé de se figer; et l'on ne voit point d'eau pure sortir de leurs veines: mais Jésus étant mort, il arriva par miracle qu'il coula de son côté et du sang et de l'eau. Si, au lieu de chercher dans quelques passages de l'Évangile pris à contresens, des prétextes de reproches pour Jésus et pour les chrétiens et de passer par-dessus tout ce qui peut prouver la divinité de notre Sauveur, l'on voulait prendre garde aux événements surnaturels qui y sont marqués, l'on verrait que le centenier et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant été les témoins du tremblement de terre et de tous ces autres prodiges, furent saisis d'une extrême crainte et dirent : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu (Matth., XXVII. 54). Mais cet accusateur passionné, qui ne lit nos saints livres, qu'à dessein d'y ramasser ce qu'il croit qui peut lui donner prise, reproche encore à Jésus le fiel et le vinaigre qu'on lui présenta; l'ardeur de sa soif étant telle, dit-il, qu'elle lui faisait tout recevoir la bouche béante (Ibid., 34). Nous pourrions lui répondre que cela a son sens mystique ; mais il vaut mieux pour cette heure, s'en tenir à une réponse plus commune, que c'est une chose qui avait aussi été prédite par les prophètes ; car dans le psaume LXVIII, le Messie est introduit disant : ils m'ont donné du fiel à manger, et lorsque j'ai eu soif, ils m'ont donné du vinaigre à boire (Ps. LXVI1I, ou LXIX, 22). Que les Juifs nous apprennent en la personne de qui le prophète parle de la sorte, et qu'ils nous marquent quelqu'un dans l'histoire à qui l'on ait fait manger du fiel et boire du vinaigre, ou qu'ils prennent le parti de dire que ce sont des choses qui doivent arriver au messie qu'ils attendent. Et de notre côté, nous leur dirons : Pourquoi donc ne pouvez-vous souffrir que l'oracle soit déjà accompli? Si l'on voulait considérer, d'un esprit rassis, et cette prédiction et toutes les autres, qui ont percé si avant dans l'avenir, il n'en faudrait pas davantage pour être persuadé que Jésus est le Fils de Dieu et le Messie promis par les prophètes.
Le juif s'adresse encore à nous en ces termes : Vous qui croyez de si bonne foi, vous trouvez mauvais que nous ne reconnaissions pas Jésus pour Dieu, et que nous ne nous laissions pas persuader comme vous, qu'il a souffert pour le bien des hommes afin que nous apprissions à mépriser aussi les supplices. Nous trouvons mauvais en effet que les Juifs qui refusent, malgré nos preuves, de croire que Jésus est le Messie, promis dans la loi et dans les prophètes, où ils sont instruits dès leur enfance, n'opposent rien à ces preuves pour justifier leur refus, ou que n'y pouvant rien opposer, ils persistent dans leur incrédulité. Nous trouvons mauvais qu'ils ne veuillent pas voir que, depuis qu'il a pris notre chair, les avantages qu'il a procurés à ceux qui se sont faits ses disciples, prouvent évidemment que tout ce qu'il a souffert, il l'a souffert pour le bien des hommes, se proposant dans cette première venue, non de juger les hommes, mais de les instruire auparavant et de les convaincre de leur devoir ; non de punir les méchants et de mettre les bons dans la jouissance du salut; mais de répandre sa doctrine par tout le monde, comme les prophètes l'avaient aussi prédit, el de l'accompagner pour cela d'une vertu miraculeuse et toute divine. Nous trouvons mauvais encore, que cette puissance admirable qu'il faisait paraître n'ait pu les obliger à le croire ce qu'il se dirait; mais qu'ils aient prétendu que les démons, qu'il chassait de l'âme des hommes, ne lui obéissaient que par l'ordre de Béelzébut, prince des démons (Matth., XII, 24). Enfin nous trouvons mauvais que, pour reconnaître la bonté qu'il avait de ne laisser dans leur pays ni ville ni village, où il n'allât annoncer le royaume de Dieu, ils lui en fassent un reproche, le traitant de vagabond, qui virait d'une manière basse el honteuse. Car il n'y a rien de bas ni de honteux à essuyer les fatigues qu'il essuya, pour donner de boni préceptes à tous ceux qui seraient capables d'en profiter.
Mais que peut-on imaginer de plus visiblement faux, que ce que le juif de Celse ajoute :  Que n'ayant pu durant sa vie gagner l'esprit de personne, non pas même celui de ses disciples, il fut enfin puni de la manière que l'on sait ? D'où venait donc l'envie que les sacrificateurs des Juifs, leurs docteurs et leurs sénateurs lui portaient, sinon do ce qu'ils voyaient que le peuple le suivait en foule jusque dans les déserts, les uns attirés par la douceur de ses discours qu'il accommodait toujours à la portée et au besoin de ses auditeurs ; les autres par l'éclat des miracles dont il étonnait ceux qui refusaient de se rendre à sa doctrine? il ne put même gagner l'esprit de ses disciples. Quelle fausseté ! sous ombre que la faiblesse humaine les fit succomber à la crainte, avant qu'ils eussent le c?ur bien muni contre de pareils assauts : quoiqu'ils ne cessassent point pourtant de croire qu'il était le Messie ; car Pierre ne l'eut pas plutôt renoncé, que sentant la grandeur de son crime, il sortit dehors, et pleura amèrement (Matth., XXVI, 75). Et les autres qui avaient encore l'âme pleine de vénération pour lui, mais qui étaient étonnés et abattus de ce qui lui était arrivé, reprirent courage lorsqu'ils le virent ressuscité; et le regardèrent comme le Fils de Dieu, avec une persuasion plus ferme et plus vive qu'auparavant (Jean, XX, 20).
C'est une chose indigne d'un philosophe, de s'imaginer, comme fait Celse, que l'excellence de la doctrine et la pureté de la vie ne suffisaient pas à Jésus pour le mettre au- dessus des autres hommes : mais que démentant le caractère qu'il avait pris, il fallait. ou qu'il ne mourût point, quoiqu'il se fût revêtu d'un corps mortel, ou que s'il mourait, il n'y eût rien dans sa mort, d'où l'on pût apprendre à mourir pour la piété. Au lieu que de la manière qu'il est mort, il nous enseigne, par son propre exemple, à soutenir hardiment la cause de la vraie religion, contre les faux préjugés des hommes qui, appliquant à tout autre objet, plutôt qu'à Dieu, l'idée qu'ils ont de lui, et qu'il n'est pas possible qu'ils n'aient, donnent le nom d'impies à ceux qui le méritent le moins, et celui de pieux à ceux qui en sont les plus indignes ; car la plus grande marque de leur piété, c'est de se porter aux derniers excès de la fureur contre dus personnes que l'évidence de la vérité oblige à s'attacher de tout leur c?ur el jusqu'à la mort au culte d'un seul Dieu, maître de tout l'univers.
Celse, pour continuer ses accusations, fait dire à son juif, que Jésus ne se put conserver exempt de tout mal. Mais de quelle espèce de mal veut dire ce raisonneur que Jésus n'ait pu se conserver exempt? S'il entend ce qui mérite proprement le nom de mal, qu'il nous fasse voir en Jésus quelque action vicieuse, et qu'il la mette hardiment dans tout son jour; mais si par le mal dont il parle, il entend la pauvreté, les embûches des méchants, les persécutions et la croix, Socrate qui a été sujet à plusieurs choses de cette nature, n'aura pu, à ce compte, se conserver exempt de mal. Et combien y a-t-il eu d'autres philosophes en Grèce qui ont été réduits à la pauvreté ou qui l'ont embrasée volontairement? Demandez-le aux Grecs les moins instruits, ils vous feront l'histoire de Démocrite qui laissa ses terres en pâturage aux brebis, de Cratès qui  ne crut pas pouvoir autrement se procurer la liberté, qu'en donnant aux Thébains l'argent qu'il avait tiré de la vente de tout son bien, et de Diogène même, qui a porté son détachement jusqu'à l'excès, mais à qui nul homme de bon sens ne jugera que c'ait été un mal tant soit peu digne de ce nom, de n'avoir d'autre maison qu'un tonneau.
Celse ajoute encore que Jésus n'a pas paru irrépréhensible. Qu'il nous cite donc quelqu'un de ses disciples qui ait marqué en lui quelque chose qui méritât véritablement d'être repris : ou si ce n'est pas sur leur témoignage qu'il se fonde, qu'il nous apprenne d'où il a puisé ce qu'il avance. On ne saurait au moins douter de la fidélité de Jésus dans ses promesses, après ce qu'il a fait eu faveur de ceux qui su sont attachés à lui. Et nous qui voyons que ce qu'il avait prédit comme une chose encore éloignée, s'accomplit exactement tous les jours, que son Évangile est prêché dans tout le monde (Matth., XXIV,14), que ses disciples sont allés répandre sa doctrine parmi tous les peuples (Id., XXVIII, 10) et que ceux qui l'ont reçue, sont conduits pour cette seule raison devant les gouverneurs et devant les rois (Id. X, 18); nous sommes remplis d'admiration, et la loi que nous avons en lui en est de plus en plus confirmée. Queues preuves plus claires et plus fortes Celse voulait-il qu'il donnât de la vérité de ce qu'il avait dit? Il voulait peut-être que Jésus, qu'il ne connaît pas pour le Verbe qui s'est fait homme, ne s'exposât à aucun accident humain, et qu'il ne nous apprit point par son exemple à supporter courageusement les traverses qui nous arrivent. C'est que Celse regarde ces sortes de choses, comme ce qu'il y a dans le monde de plus rude et de plus fâcheux : car il ne connaît point de plus grand mal que la douleur, ni de plus grand bien que la volupté. En quoi il est condamné par tous les philosophes qui admettent la Providence, et qui reconnaissent que le courage, la constance et la grandeur d'âme sont du nombre des vertus. Jésus n'a donc point affaibli la foi de ses disciples, en souffrant ce qu'il a souffert, au contraire il l'a fortifiée par là dans le c?ur de ceux qui sont capables de fermeté, puisqu'il leur a fait comprendre que nous ne jouissons pas ici proprement ni véritablement d'une vie heureuse ; mais que nous en jouirons dans le siècle à venir, dont sa doctrine nous parle, et que la vie de ce qu'elle nomme le siècle présent, n'est qu'une suite de misères et d'afflictions, qu'une guerre sans paix ni trêve pour l'âme.
Vous ne voudriez pas dire, poursuit Celse, que n'ayant pu se faire de sectateurs dans ce monde, il est allé dans l'autre tâcher d'en gagner les habitants. Nous dirons malgré qu'il en ait, que pendant que Jésus fut sur la terre revêtu de son corps, il se fit non quelques sectateurs seulement, mais tant de sectateurs que ce fut la cause des embûches qu'on lui dressa. Et nous dirons aussi que son âme étant dépouillée de son corps, alla vers les âmes qui étaient dans le même état ( I Pierre, III, 19) ; elle y alla, dis-je, afin de convertir celles qui voudraient recevoir ses enseignements ou celles qu'elle-même par les raisons dont elle avait connaissance, verrait les plus propres à ce qu'elle se proposait.
Je ne sais où il a le jugement lorsqu'il dit ensuite : Si après vous être ridiculement laissé séduire, vous vous imaginez avoir bien fait votre apologie, quand vous nous avez payé de quelques méchantes raisons, qui empêche que tous ceux qui, comme Jésus, ont fini leur vie dans les supplices, ne passent aussi pour d'augustes ministres de Dieu, revêtus tout singulièrement de son caractère? Car il est plus clair que le jour qu'il n'y a rien de commun entre Jésus qui a souffert de la manière que nous avons vue et ces misérables qui ont été punis pour leurs impostures ou pour quelques autres crimes : et je voudrais bien que l'on me dit si aucun d'eux a jamais rien fait pour s'opposer au torrent qui entraîne tant d'âmes dans les désordres du péché. Mais puisque le juif fait encore comparaison de Jésus avec des voleurs, disant : Qu'il ne faudrait qu'autant d'impudence pour soutenir qu'un voleur qui aurait été exécuté pour ses meurtres, serait non un voleur, mais un dieu, parce qu'il aurait prédit à ses compagnons qu'il mourrait comme il est mort ; il lui faut répondre premièrement : que ce que Jésus a prédit ses souffrances n'est pas ce qui nous oblige à le regarder comme venu du ciel pour nous de la part de Dieu, et à faire une haute et ouverte profession de le reconnaître pour tel ; secondement, que ce que le juif de Celse fait ici a été en quelque manière marqué dans les Évangiles; car on y voit comment Jésus, bien, qu'il fut Dieu fut mis au rang des méchants par des méchants qui lui préférèrent un voleur, coupable de sédition et de meurtre, auquel ils procurèrent la liberté ; au lieu que pour Jésus, ils le firent condamner à être mis en croix, et ils l'y attachèrent entre deux voleurs ( Marc, XV, 7, 15, 27, et 20). C'est le traitement qu'on lui fait encore tous les jours parmi les hommes où il est condamné et crucifié avec les voleurs, en la personne de ses chers disciples et des fidèles témoins de sa vérité. Nous disons donc que si la condition des disciples a quelque chose d'approchant de celle des voleurs et s'ils s'exposent à toutes sortes d'opprobres et de supplices, afin de conserver dans un c?ur pur et sincère les sentiments de piété que les préceptes de Jésus y ont fait naître pour le Créateur de l'univers, ce n'est pas sans raison que Jésus lui-même qui leur a donné ces préceptes, est comparé par Celse avec un chef de voleurs ; mais et Jésus qui est mort pour le bien public, et ses disciples qui souffrent pour la piété, les seuls d'entre tous les hommes qui soient traités en criminels pour le culte qu'ils croient devoir rendre à Dieu, ne peuvent manquer de convaincre leurs persécuteurs d'impiété et d'injustice.
Voyez maintenant s'il y a rien de plus vain que ce qu'il dit des premiers disciples de Jésus. Pendant sa vie, dit-il, ils s'étaient attachés d lui, ils l'avaient reconnu pour leur maître ; mais quand ils le virent condamné à mort, ils ne voulurent ni mourir pour lui, ni mourir avec lui. Ils oublièrent que les supplices fussent dignes de mépris, et ils abjurèrent même la qualité de ses disciples. C'est à vous qu'ils ont laissé la gloire de mourir avec Jésus. Il admet encore ici le témoignage des Évangiles pour avoir lieu de nous reprocher les fautes que les disciples de Jésus firent par infirmité en un temps où ils ne faisaient que d'entrer dans son école : mais il ne parle point de la manière dont ils réparèrent tes fautes, lorsqu'ils se présentèrent hardiment devant les Juifs ( Act., IV, 13), et qu'ils en reçurent toutes sortes de mauvais traitements pour la doctrine de leur maître, jusqu'à ce qu'enfin ils la scellèrent de leur sang. Il ne veut pas entendre Jésus faisant cette prédiction à S. Pierre : Quand tu seras vieux, tu étendras tes mains (Jean, XXI, 18, et 19) ; et ce qui suit : Ce qu'il disait, ajoute incontinent l'Écriture, pour marquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu. Il ne dit rien de S. Jacques, frère de l'apôtre S. Jean et apôtre lui-même qu'Hérode fit mourir par l'épée pour la parole de Jésus-Christ (Act., Xll, 2). 11 ne dit rien de S. Pierre ni des autres apôtres que les menaces des Juifs n'empêchèrent point de prêcher hautement l'Evangile, et qui ayant été fouettés, sortirent du conseil tout remplis de joie de ce qu'ils avaient eu l'honneur de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Act., IV, 13, et V, 41 ) ; ce qui surpasse de bien loin tout ce que les Grecs racontent de la fermeté et de la constance de leurs philosophes. Aussi voit-on que, dès le commencement, ceux qui reçurent la doctrine de Jésus, y apprirent surtout à mépriser cette vie pour laquelle on a ordinairement tant d'amour, et à porter leurs désirs vers une autre vie qui ressemble à
celle de Dieu
Mais comment Celse sauvera-t-il d'imposture ce qu'il fait avancer à son juif: Que tout ce que Je sus put faire, agissant lui-même, ce fut d'attirer à soi dix scélérats de mariniers ou de publicains ; et qu'encore ne les persuada-t-il pas tous? Car les Juifs mêmes ne feront aucune difficulté d'avouer que Jésus attirait à soi, non dix, non cent,. non mille personnes, mais tantôt quatre mille, et tantôt cinq mille tout à la fois (Matth., XV, 38, et XIV, 21) : et qu'il les attirait avec tant de force qu'il s'en faisait suivre jusque dans les déserts, seuls capables de contenir le grand nombre de ceux qu'il gagnait à Dieu, et par ses discours, et par ses actions. Les redites de Celse nous obligent à répéter souvent comme lui les mêmes choses, de peur que l'on ne s'imagine que nous voulions passer sous silence quelqu'une de ses objections. Voici celle qu'il nous fait dans la suite de son écrit : N'est-ce pas la chose du monde la plus absurde qu'il n ait pu persuader qui que ce soit durant sa vie, et qu'après sa mort ceux qui l'entreprennent persuadent tant de personnes ? Pour raisonner juste il devait dire : si après sa mort, non ceux qui l'entreprennent simplement, mais ceux qui l'entreprennent avec les qualités nécessaires, persuadent tant de personnes, peut-on douter que durant sa vie sur la terre il n'en ait persuadé incomparablement davantage, par des discours plus puissants, et par des actions toutes merveilleuses ?
Après cela il nous interroge et se répond lui-même pour nous. Quelle raison, nous dit- il, vous a porté à le prendre pour le fils de Dieu ? C'est, nous fait-il répondre, que nom savons qu'il a souffert pour la destruction du père des vices. Nous en avons eu une infinité d'autres raisons, dont celles que j'ai rapportées jusqu'ici ne sont pas la moindre partie. J'aurai encore lieu d'y en ajouter do nouvelles dans ce qui me reste à dire contre le prétendu discours véritable de Celse : et si Dieu me fait la grâce de m'assister, ce ne sera pas ici la seule occasion où je traiterai cette matière: mais comme si nous lui avions effectivement répondu que nous prenons Jésus pour le fils de Dieu parce qu'il a souffert, il ajoute : Quoi donc ? est-ce qu'il n'y en a pas plusieurs autres qui n'ont pas souffert avec moins de bassesse ni moins d'infamie que lui? Celse imite en cela les plus perdus de nos ennemis qui, de ce que notre Jésus a été crucifié, croient pouvoir tirer cette conséquence que nous adorons tous les crucifiés.
L'éclat des miracles de Jésus, que Celse n'a pas la force de soutenir, l'a déjà obligé plusieurs fois à les traiter d'illusions; et nous avons déjà plusieurs fois fait ce qui a dépendu de nous pour repousser cette calomnie. Maintenant, dans la réponse qu'il nous prête, il nous fait dire que nous prenons Jésus pour le fils de Dieu, parce qu'il a guéri des boiteux et des aveugles : et parce, ajoute-t-il, qu'à ce que vous dites, il a ressuscité des morts. Qu'il ait guéri des boiteux et des aveugles, se faisant ainsi reconnaître pour le Christ et pour le fils de Dieu, c'est ce que les oracles mêmes des prophètes nous assurent qu'il devait faire, puisqu'ils disent : Alors les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes : alors le boiteux sautera comme le cerf (Isaïe, XXXV, 5). Et pour ce qui est des morts qu'il a ressuscités, si les évangélistes avaient inventé ce qu'ils en disent, ils lui auraient sans doute fait ressusciter bien plus de personnes, et des personnes mortes depuis plus longtemps. Mais de ce qu'ils en marquent si peu, c'est une preuve certaine qu'ils n'ajoutent rien à la vérité. Ils ne nous parlent que de la fille du chef de la Synagogue (dont l'histoire a je ne sais quoi de singulier ; car on ne saurait dire des autres morts ce que Jésus dit de cette fille : Qu'elle n'était peu morte, mais endormie) (Luc, Vlll, 52) : du fils unique qu'il rendit par compassion à une femme veuve, ayant fait arrêter ceux qui portaient le cercueil (Luc. VII. 1), et enfin du Lazare qui était dans le tombeau depuis quatre jours (Jean, XI, 30). Sur quoi je dirai à ceux qui sont les plus capables entendre raison et particulièrement à notre Juif, que comme il y avait plusieurs lépreux au temps du prophète Elizée (Luc, IV, 25 et 27), et que néanmoins aucun d'eux ne fut guéri, sinon Naaman, syrien (IV Rois, V, 14) ; et comme il y avait plusieurs veuves au temps du prophète Élie, et que néanmoins il ne fut envoyé chez aucune d'elles, sinon chez une femme veuve de Sarepte, dans Ie pays des Sidoniens (III Rois, XVII, 9), laquelle Dieu avait jugée digne du miracle que le prophète devait faire sur les pains, ainsi il y avait plusieurs morts au temps de Jésus; mais il ne ressuscita que ceux qui lui parurent propres pour le dessein qu'il avait, tant de représenter d'autres choses par ces figures que de donner aussi en cela des preuves de sa puissance, capables de convaincre plusieurs esprits de la divinité de son Évangile. Je dirai encore que, selon la promesse de Jésus, ses disciples font des miracles qui sont plus grands que ceux qu'il faisait sur des sujets exposés aux sens (Jean, XIV, 12) ; car ils ouvrent tous les jours les yeux des aveugles spirituels, et les oreilles des sourds qui étaient hors d'état d'écouter la voix de la vertu, mais qui n'ont plus de plaisir qu'à entendre parler de Dieu et des félicités de la vie qu'il nous prépare. On voit
de même que plusieurs boiteux, en qui l'homme intérieur (Rom., VII, 22 ), comme l'Écriture l'appelle, était sans mouvements, ne sont pas plus tôt guéris par la parole de l'Evangile que, non seulement ils sautent, mais qu'ils sautent comme le cerf qui est ennemi des serpents et qui chasse leur venin. Et ces boiteux, guéris de la sorte, reçoivent de Jésus le pouvoir de fouler aux pieds qui étaient ce qu'il y avait auparavant de plus faible en eux, les serpents et les scorpions du vice (Luc, X, 19), et généralement toute la puissance de l'ennemi sans courir aucun danger : car ils repoussent aussi le venin du péché et des démons.
Lorsque Jésus avertissait ses disciples de se donner de garde, non absolument des imposteurs ou de ceux qui se vanteraient de faire des miracles de quelque manière que ce fût (un tel avertissement ne leur était pas nécessaire) ; mais de ceux qui, voulant passer pour le Christ, tâcheraient d'attirer à eux les disciples de Jésus par des prodiges qui auraient quelque chose d'apparent ; il leur parlait ainsi quelquefois : Alors si quelqu'un vous dit : Le Christ est ici, ou il est là, ne le croyez point : car il s'élèvera de faux prophètes qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu'à séduire les élus mêmes s'il était possible. Qu'il vous souvienne que je vous l'ai prédit. Si l'on vous dit donc, le voici dans le désert ; ne sortez point pour y aller : Le voici dans les cabinets; ne le croyez point. Car comme un éclair qui sort de l'Orient, paraît tout d'un coup jusqu'à l'Occident; ainsi sera l' avènement du Fils de l'homme (Matth. XXIV, 23). D'autres fois il leur disait : Plusieurs me diront, en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas mangé et bu en ton nom; n'avons-nous pas chassé les démons, et n'avons-nous pas fait plusieurs miracles en ton nom ? Mais je leur dirai, retirez-vous de moi; car vous ne prenez plaisir qu'à vivre dans l'iniquité (Luc, XIII, 20; Matth.. VII, 22, 23).Celse,qui voudrait mettre dans le même rang les miracles de Jésus et les illusions des imposteurs, prend de là occasion de s'écrier : Que la force de la vérité est grande! Il déclare nettement lui-même, comme nous l'apprenons de vos propres livres, qu'il en viendrait d'autres se présenter à vous qui feraient les mêmes miracles que lui, et qui ne seraient pourtant que des méchants et des imposteurs. Il nous parle d'un certain Satan par qui ses actions seraient imitées. C'est avouer qu'elles n'ont rien de divin et que ce sont les productions d'une cause impure. En portant sur les autres la lumière de la vérité, il n'a pu éviter de se découvrir lui-même. Quelle folie n'est-ce donc pas de le prendre pour un dieu, pendant qu'on regarde comme des imposteurs ceux qui font les mêmes choses que lui ? Si c'est, par là qu'il en faut juger, quelle raison y a-t-il de les condamner, et de ne le condamner pas lui-même sur son propre témoignage ? Car c'est lui qui prononce que tous ces prodiges sont des marques certaines, non de la vertu d'un Dieu, mais de la fraude et de la méchanceté des hommes.
Voyez, je vous prie, si ce n'est pas encore ici une preuve manifeste d« la mauvaise foi de Celse. Jésus dit une chose, el il lui en fait dire une autre. L'objection de son juif aurait peut-être quelque fondement si Jésus avait ordonné absolument à ses disciples de se donner de garde de ceux qui se vanteraient de faire des miracles ; el qu'il n'y eût ajouté rien autre chose. Mais puisque ceux dont il nous ordonne de nous donner de garde devaient affecter de passer pour le Christ, ce que ne font pas les imposteurs, qui usent de ces arts ordinaires ; el qu'il dit même que ce sérail en son nom que des personnes qui mèneraient d'ailleurs une vie déréglée, chasseraient les démons, el feraient d'autres miracles : tant s'en faut que cela marque les charmes el les illusions de l'imposture, qu'il en bannit plutôt tout soupçon, s'il faut ainsi dire, à l'égard des personnes de qui il s'agit ; et établit puissamment la divine vertu de Jésus-Christ et de ses disciples. Car quelle ne doit-elle point être, s'il est possible qu'elle se répande, je ne sais comment, jusque sur ceux qui se servent du nom de Jésus pour contrefaire ses actions ou celles de ces vrais disciples; et que, par ce moyen, elle donne lieu à quelques-uns de faire croire qu'ils sont eux-mêmes le Christ? S. Paul, prédisant aux Thessaloniciens, dans la seconde épître qu'il leur écrit, de quelle manière doit paraître, quelque jour, cet homme de péché, ce fils de la perdition qui, s'opposant à Dieu, s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu. ou qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu (2 Thess., II, 3); Vous savez, leur dit-il, ce qui le retient maintenant, afin qu'il paraisse quand son temps sera venu.  Car le mystère d'iniquité se forme dès à présent : il faut seulement qu'il demeure caché jusqu'à ce celui qui le retient présentement soit détruit. Et alors se découvrira l'impie que le Seigneur consumera par le souffle de sa bouche et qu'il perdra par l'éclat de son avènement. Cet impie, dis-je, qui doit venir accompagné de la puissance de Satan, avec tous les miracles, les signes et les prodiges du mensonge, avec toutes les tromperies de l'iniquité pour séduire ceux qui périssent (II Thes., II,6).Voulant ensuite expliquer pourquoi Dieu permettait que cet impie vint au monde, il ajoute :  Parce qu'ils n'ont pas reçu el aimé la vérité pour être sauvés; à cause de cela même, Dieu leur enverra une efficace d'erreur pour croire le mensonge, afin que tous ceux qui n'ont point cru la vérité, mais qui ont pris plaisir à l'iniquité soient condamnés (Ibid., 10). Qu'on nous dise donc s'il y a rien dans le texte de l'Évangile ou dans celui de l'apôtre qui puisse faire soupçonner qu'il s'agisse de l'art des imposteurs ordinaires dans ces prédictions; et qu'on lise encore là-dessus, si l'on veut, les prophéties de Daniel, où l'on trouvera aussi la description de l'Antéchrist (Dan., VII, 25). Mais Celse falsifie les paroles de Jésus, qui n'a jamais dit comme il le lui fait dire, Qu'il en viendrait d'autres qui feraient les mêmes miracles que lui et qui ne seraient pourtant que des méchants et des imposteurs. Car comme le pouvoir des magiciens de l'Égypte était bien différent de la grâce surnaturelle qui opérait en Moïse (Exod., VII, 11 ) ; la fin ayant fait voir que les prodiges des uns n'étaient que des productions de leur art magique, au lieu que les miracles de l'autre étaient des effets de la vertu de Dieu : il est dit tout de même des antéchrists et de ceux qui veulent contrefaire les actions miraculeuses des disciples de Jésus, que ce qu'ils font sont des signes et des prodiges de mensonge, qui déploient leur efficace avec toutes les tromperies de l'iniquité pour séduire ceux qui périssent ; au lieu que le fruit des miracles de Jésus-Christ et de ses disciples est le salut des âmes, et non leur séduction. Je ne pense pas, au moins, que l'on puisse raisonnablement dire que ce soit être séduit que d'apprendre à mener une vie honnête, et à réduire de jour en jour l'empire du vice dans des bornes plus étroites.
Celse témoigne avoir quelque légère connaissance de l'Écriture, lorsqu'il fait dire à Jésus, que ses actions seraient imitées par un certain Satan ; mais il se hâte un peu trop d'en tirer cette conséquence; qu'il avoue, par là, qu'elles n'ont rien de divin, et que ce sont les productions d'une cause impure. C'est mettre sous un même genre des choses d'un genre fort différent. Car comme un loup et un chien, pour avoir quelque chose de semblable dans la figure el dans la voix, ne sont pas pour cela d'une même espèce; non plus qu'un pigeon et un ramier : ainsi la vertu de Dieu n'a, dans ses effets, rien de commun avec ceux de la magie. Nous pouvons encore repousser de cette sorte la maligne objection de Celse Quoi ! dirons-nous, les prestiges des mauvais démons feront des prodiges étonnants, et la vertu d'une nature aussi excellente que la divine ne produira aucun miracle? Tout ce qu'il y a de mal se trouvera parmi les hommes ; et ce qu'il peut y avoir de bien en sera absolument banni ! Je crois que l'on doit plutôt établir cette maxime générale ; que partout où se rencontre le mal, déguisé sous l'apparence du bien, il faut, de nécessité, que le bien qui lui est opposé s'y rencontre pareillement. Ainsi les prestiges supposent nécessairement la vertu divine. L'un est une conséquence de l'autre : principalement celui-ci qui est le bien, de celui-là qui est le mal. Il faut ou les admettre ensemble ou les rejeter conjointement : et qui voudrait poser le premier sans poser en même temps le second, les prestiges sans la vertu divine, ferait, à mon avis, comme s'il reconnaissait qu'il y a des sophismes et de faux raisonnements qui ont quelque apparence de vérité, quoiqu'ils soient bien éloignés d'être véritables ; et qu'il niât cependant qu'il v eût aucune vérité, ni aucune règle pour la discerner du mensonge. Si l'on avoue donc une fois que, posé qu'il y ait une magie dont les charmes aient tant de pouvoir sur les mauvais démons, qu'ils les contraignent d'obéir et de prêter leurs illusions aux personnes qui professent ces arts illicites, il s'ensuive que la vertu de Dieu agisse agisse dans le monde pour y opérer des miracles : que reste-t-il désormais, sinon que nous examinions soigneusement la vie et les m?urs de tous ceux qui se vantent de faire quelque chose d'extraordinaire; et que nous jugions de la qualité de leurs miracles, selon qu'ils sont capables ou de nuire aux hommes ou de les porter à la vertu? que nous distinguions, dis-je, par là ceux qui se servent de conjurations el de sortilèges pour avoir l'assistance des démons; d'avec ceux qui, remplis d'un esprit divin, dont ils ressentent les purs et saints mouvements et dans leur âme, et dans leur esprit, et même, à mon avis, dans leur corps, ne font rien que pour l'avantage des autres hommes et pour les obliger à croire au vrai Dieu? Maintenant si l'on demeure d'accord que, sans se laisser préoccuper sur le sujet des miracles, il soit nécessaire d'examiner s'ils viennent d'une bonne ou d'une mauvaise cause pour ne pas les recevoir tous avec admiration, comme des effets d'une vertu divine, ou pour ne pas les rejeter tous avec mépris, comme des illusions, ne sera- t-il pas aisé de reconnaître que ceux de Moïse et de Jésus sont du premier ordre, puisqu'ils ont servi de fondement à deux grandes sociétés? Car comment des lois, qui détachent tout un peuple, non seulement des simulacres et de tout ce qui y a relation, mais même de tous les êtres créés, pour l'élever jusqu'à Dieu, le principe éternel de toutes choses, devraient-elles leur établissement aux prestiges et à la méchanceté d'un magicien?
Mais puisque c'est à un juif que nous avons affaire, je lui demanderais volontiers d'où vient que vous, qui regardez les miracles que vos Écritures attribuent à Moïse comme des effets de la puissance de Dieu, et qui tâchez de les défendre contre ceux qui ne leur défèrent pas plus qu'aux illusions des sages d'Égypte ; vous soutenez que dans les actions de Jésus dont vous ne contestez pas la vérité à l'égard du fait, il n'y a rien eu de divin ; imitant, en cela, les Égyptiens vos ennemis. S'il en faut juger par le succès, et que la fondation de l'État des Juifs prouve en faveur de Moïse que Dieu agissait et en lui et par lui; que devons-nous penser de Jésus qui a beaucoup plus fait que Moïse ? Car pour ce qui est de Moïse, il trouva, dans les descendants d'Abraham, religieux observateurs de la circoncision et des autres cérémonies qu'on pratiquait parmi eux, de père en fils, des personnes toutes disposées à le suivre lorsqu'il les voulut tirer d'Égypte, et à recevoir de lui ces lois que vous tenez pour des lois divines : au lieu que Jésus, pour établir dans le monde celles de l'Évangile, a eu à combattre des coutumes soutenues par l'usage de plusieurs siècles, et à vaincre ce que la naissance et l'éducation ont de plus fort. Si donc Moïse a eu besoin de miracles pour faire reconnaître sa vocation, non seulement aux principaux, mais généralement à tout le peuple ; pourquoi n'aura-t-il pas été nécessaire que Jésus en ait fuit aussi, pour la même raison, devant des gens accoutumés à demander des signes et des miracles ? Il a été nécessaire qu'il en fît de plus grands et de plus divins même que ceux de Moïse, afin d'ôter tout crédit aux vaines fables et aux traditions humaines qui régnaient alors parmi les Juifs et de prouver invinciblement que, puisqu'il disait et faisait des choses si merveilleuses, il était au-dessus de tous les prophètes. Et comment ne serait-il pas au-dessus d'eux, puisque leurs prophéties étaient destinées à le faire connaître pour le Christ et pour le Sauveur des hommes ? A le bien prendre, il se trouvera que, dans ce que le juif de Celse objecte aux chrétiens, il ne dit rien de Jésus qu'on ne puisse appliquer à Moïse, et que les accusations qu'il forme contre l'un retombent sur l'autre. Ainsi, leur cause est toute pareille, et il n'y a point de différence entre eux sur le fait de l'imposture. Par exemple, quand le juif dit de Jésus-Christ ; que la force de la vérité est grande . il déclare nettement, lui-même, comme nous l'apprenons de vos propres livres, qu'il en viendrait d'autres se présenter à vous, qui feraient les mêmes miracles que lui, et qui ne seraient pourtant que des méchants et des imposteurs : quelque incrédule de Grec ou d'Égyptien, ou tel autre qui se pourra rencontrer, ne peut-il pas dire tout de même à ce juif, sur le sujet de Moïse, que la force de la vérité est grande ! Moïse déclare nettement lui-même, comme nous l'apprenons de vos propres livres, qu'il en viendrait d'autres se présenter à vous, qui feraient les mêmes miracles que lui, et qui ne seraient pourtant que des méchants et des imposteurs ; car il est écrit dans votre loi : S'il s'élève parmi vous quelque prophète, ou quelque personne qui ait des visions en songe, qui vous proposent un signe ou un prodige, et que vous voyiez arriver ce signe ou ce prodige qu'ils vous auront proposé, en vous disant : Allons, suivons d'autres dieux que vous ne connaisses point, et servons-les ; vous n'écouterez point ce prophète ni cette personne-là (Deuter., XIII,1) : et ce qui suit? On fait dire à Jésus, pour avoir lieu de lui insulter : que ses actions seraient imitées par un certain Satan ; et l'on peut, dans le même dessein, faire dire aussi à Moïse, que ces prophètes, qui auraient des visions en songe, imiteraient les siennes. Comme le juif prétend que Jésus ait avoué par là qu'il n'y avait rien de divin dans ses actions, et que c'étaient les productions d'une cause impure : ceux à qui les miracles de Moïse paraissent suspects, n'auront pas moins de raison de soutenir qu'il a avoué la même chose ; et ils pourront encore lui faire l'application des paroles suivantes : En portant sur les autres la lumière de la vérité, il n'a pu éviter de se découvrir lui-même. J'en dis autant de celle-ci : Quelle folie n'est-ce donc pas de prendre Jésus pour un Dieu, pendant qu'on regarde comme des imposteurs ceux qui font les mêmes choses que lui ? Car après le passage qui vient d'être rapporté, il n'y a qu'à les tourner de cette sorte: quelle folie n'est-ce donc pas de prendre Moïse pour un prophète de Dieu, et pour son serviteur et son ministre, pendant qu'on regarde comme des imposteurs ceux qui font les mêmes choses qu'il a faites? Jusqu'ici nous trouvons tout égal entre Moïse et Jésus. Passons au reste ; car Celse ne s'arrête pas là. Comme il dit donc, si c'est par là qu'il en faut juger, quelle raison y a-t-il de condamner ceux-ci, et de ne condamner pas Jésus sur son propre témoignage ? Nous dirons de notre côté, s'il faut juger des personnes, par ce qu'on leur voit faire, quelle raison y a-t-il de condamner ceux que Moïse défend d'écouter nonobstant leurs signes et leurs prodiges, et de ne le condamner pas lui- même, qui décrit ainsi leurs miracles ? Il ajoute encore, pour grossir son objection; Car c'est lui qui prononce que tous ses prodiges sont des marques certaines, non de la vertu d'un Dieu, mais de la fraude et de la méchanceté des hommes. De qui cela se doit-il entendre? De Jésus, dit le juif. Et moi, je soutiens que c'est de Moïse, dira celui qui entreprendra de faire voir que les Juifs ont à se défendre contre les mêmes attaques.
Après cela, le juif de Celse nous fait cette question (car c'est toujours à nous que s'adresse ce qu'il dit à ceux de sa nation qui ont embrassé le christianisme ) : Qu'est-ce donc qui vous a persuadés ? Est-ce parce qu'il a prédit qu'étant mort il ressusciterait? Cela regarde encore Moïse aussi bien que Jésus ; et l'on peut dire tout de même aux Juifs: Qu'est-ce donc qui vous a persuadés? Est-ce parce que Moïse a parlé de sa mort en ces termes : Ainsi Moïse, serviteur de Dieu, mourut là, au pays de Moab, suivant la parole du Seigneur ; et il fut enseveli au pays de Moab, proche de Phagor, sons que personne ait eu connaissance de son sépulcre, jusqu'à maintenant? Car si le juif chicane Jésus, sur ce qu'il avait prédit qu'étant mort il ressusciterait, on lui dira pareillement que Moïse, pour donner plus d'éclat, et pour attirer plus de respect aux circonstances, même de sa sépulture, a écrit dans le livre du Deutéronome, dont il est l'auteur, que personne n'a eu connaissance de son sépulcre jusqu'à maintenant.
Voici comme il continue à parler aux Juifs convertis : Je veux croire avec vous que Jésus ait fuit cette prédiction ; combien y a-t-il eu d autres imposteurs qui se sont servis de pareils artifices pour se faire valoir dans le monde, et pour profiter de la crédulité des simples? Comme on dit qu'a fait parmi les Scythes Zamolxis, esclave de Pythagore, et Pythagore lui-même en Italie. Rampsinite qui, ayant joué aux dés avec ?érès dans les enfers, en rapporta un mouchoir de toile d'or, qu'il l'avait forcée de lui donner, n'en a pas moins fuit en Égypte; Orphée, parmi les Odrysiens ; Prolésilas, dans la Thessalie ; Hercule et Thésée, à Ténare. Mais il faut voir s'il y a jamais eu personne qui, étant véritablement mort, soit ressuscité dans son même corps. Vous qui prétendez que tout ce que les autres disent ne sont que des fables auxquelles il ne faut pas ajouter foi. vous imaginez-vous que le dénouement de votre pièce soit beaucoup plus juste et plus vraisemblable pour les belles inventions dont vous l'avez enrichi ; pour le cri que votre crucifié jeta en mourant, pour votre tremblement de terre et pour vos ténèbres? Vous dites qu'il ressuscita après sa mort, lui qui n'avait pu se garantir durant sa vie ; qu'il montra sur son corps les marques de non supplice, et dans ses mains les traces des clous. Mais qui les a vues? C'est, si l'on vous en croit, une femme fanatique; je ne sais qui encore ; quelque autre de la même cabale ; soit qu'il ait pris ses songes pour des vérités, soit qu'ayant l'imagination prévenue, il ait formé lui-même l'objet de son illusion sur le plan de ses désirs, comme il est arrivé à une infini é de personnes, soit enfin, ce qui est le plus probable qu'il ait voulu étonner les hommes par ce miracle supposé, et faire ainsi la planche à d'autres fourbes comme lui. Puisque c'est un Juif qui parle, nous lui répondrons comme un juif, rejetant encore sur Moïse ce qu'il objecte à notre Jésus, et nous lui dirons : Combien y a-t-il eu d'autres imposteurs qui se sont servis des mêmes artifices que Moïse pour se faire valoir dans le monde et pour profiter de la crédulité des simples? Mais il conviendrait mieux à quelqu'un qui serait élevé dans une autre école que celle de Moïse, d'alléguer les tours d'adresse de Zamolxis et de Pythagore, que cela ne convient à un Juif qui ne doit pas être si savant dans les histoires des Grecs. Celle que l'on fait de Rampsinite, ne serait pas mal dans la bouche d'un Égyptien, qui pour rabaisser les miracles de Moïse pourrait dire, qu'être descendu dans les enfers, y avoir joué aux dés avec Cérès, en être revenu ensuite, et pour preuve de cela, montrer un mouchoir de toile d'or, arraché par force à la déesse, sont des choses bien plus croyables que ce que Moïse écrit, parlant de lui-même, qu'il entra dans l'obscurité où Dieu était et qu'il n'y eut que lui seul qui s'en approcha (Exod., XX, 21) ; car ce sont ici ses paroles : Moïse s'approchera seul de Dieu, et les autres se tiendront éloignés (Ibid., X\XIV, 2). Nous pouvons donc, comme disciples de Jésus, dire au juif qui nous insulte : Vous, qui vous moquez de notre foi qui nous fait recevoir tout ce que Jésus nous enseigne, répondez aux Égyptiens et aux Grecs, qui vous font les mêmes objections sur le sujet de Moïse, que vous nous faites sur le sujet de Jésus : et quand vous aurez ramassé ce qu'il y a de plus fort pour la défense de votre prophète ; comme en effet, on le peut défendre d'une manière solide et convaincante, il se trouvera que malgré vous et sans y penser, vous aurez prouvé qu'il y a en Jésus quelque chose de plus divin qu'en Moïse. Cependant puisque le juif de Celse nous allègue les histoires de ces anciens héros, qui, après être descendus dans les enfers, sont encore retournés sur la terre, et qu'il témoigne assez que, selon sou sentiment, l'opinion qui s'en est établie en divers lieux (parmi les Odrysiens touchant Orphée, dans la Thessalie touchant Protésilas, à Ténare touchant Hercule et Thésée), n'a été qu'un effet de l'adresse, avec laquelle ils se sont pendant quelque temps dérobés aux yeux de tout le monde; et se sont ensuite montrés publiquement, comme s'ils fussent venus des enfers, il lui faut faire voir qu'on ne saurait soupçonner rien de semblable à l'égard de la résurrection de Jésus. Il a été aisé à tous ces héros de se cacher tant qu'ils ont voulu et de se laisser revoir quand ils l'ont jugé à propos. Mais Jésus ayant été crucifié aux yeux de toute la Judée, et son corps ayant été ôté de la croix en présence de tant de témoins, quel lieu y a-t-il de lui attribuer une fiction pareille à celle de ces héros qui passent pour être descendus dans les enfers et pour en être remontés? Et je ne sais si dans ce qu'on dit de ces héros du vieux temps, et de leur descente aux enfers, nous ne trouverions point une raison pour diminuer le scandale qu'on prend de la croix. Car supposons que Jésus eût fini sa vie dans le particulier, sans convaincre de sa mort toute la nation des Juifs, et qu'ensuite il fût véritablement ressuscité, on aurait eu quelque sujet de parler de lui, de la même manière qu'on parle décès héros. Il n'est donc pas sans apparence qu'outre les autres causes pour lesquelles Jésus a été crucifié, il ait eu dessein, en mourant sur une croix à la vue de tout le monde, d'empêcher que personne ne pût dire qu'il s'était volontairement retiré du commerce et de la fréquentation des hommes, et qu'il avait feint de mourir, quoique pourtant il ne fût point mort, afin que, prenant son temps pour recommencer à paraître, il put établir la créance de sa résurrection. Mais il ne faut d'ailleurs que considérer à quels dangers ses disciples s'exposèrent, lorsqu'ils entreprirent de répandre sa doctrine dans le monde, malgré le peu de disposition que les hommes avaient à la recevoir, et l'on sera contraint d'avouer qu'ils ne l'eussent jamais prêchée avec une résolution si ferme et si constante, s'ils eussent été les inventeurs de la résurrection de Jésus. Car ils ne portaient pas seulement les autres à mépriser la mort, ils s'y exposaient eux-mêmes les premiers.
N'est-ce pas, au reste, un étrange aveuglement au juif de Celse de dire, comme si la résurrection du corps était une chose impossible: Il faut voir s'il y a jamais eu personne qui, étant véritablement mort, soit ressuscité dans son même corps? Un vrai juif ne parlerait pas de la sorte, et il ne douterait pointue ce qui est écrit au troisième et au quatrième livre des Rois ( III Rois, XVII, 22), touchant ces deux enfants, dont l'un fut ressuscité par Élie et l'autre par Élisée ( IV Rois. IV, 34 ). Je crois même que c'est parce que les Juifs avaient été accoutumés aux choses extraordinaires, que Jésus a voulu naître et vivre dans leur pays plutôt qu'ailleurs, afin que, quand ils feraient comparaison de ce qu'ils faisaient profession de croire, avec ce qu'ils voyaient eux-mêmes, ils pussent reconnaître qu'ils n'avaient rien de si élevé qui ne fût au-dessous de Jésus, par qui et pour qui il se faisait tous les jours quelque chose de beaucoup plus grand que tous leurs anciens miracles.
Après avoir tiré de l'histoire grecque ces aventures étranges, qui ne sont que des tours d'adresse, et ces exemples d'une résurrection feinte, le juif parle ainsi aux chrétiens de sa nation : Vous qui prétendez que tout ce que les autres disent ne sont que des fables auxquelles il ne faut pas ajouter foi, vous imaginez-vous que le dénouement de votre pièce soit beaucoup plus juste et plus vraisemblable, pour les belles inventions dont vous l'avez enrichi, pour le cri que, votre crucifié jeta en mourant? Nous prétendons sans doute, lui répondrons-nous, que tout ce que vous avez allégué ne sont que des fables : mais il s'en faut beaucoup que nous n'ayons la même pensée de ce qui est contenu dans ces Écritures qui nous sont communes avec vous et qui ne font pas moins notre gloire que la vôtre. Nous croyons qu'il n'y a rien de supposé dans les résurrections dont elles nous parlent; et nous croyons aussi que notre Jésus est véritablement ressuscité comme les prophètes l'avaient prédit, et comme il l'avait prédit lui-même. Mais nous croyons que la résurrection de Jésus a été d'autant plus éclatante que celle des autres, que ceux-ci n'ont été ressuscites que par de simples prophètes, tels qu'étaient Élie et Élisée ; au lieu que pour lui il a été ressuscité, non par quelque prophète, mais par le Père même qui est dans les cieux. Aussi la résurrection de Jésus a-t-elle eu des suites bien plus admirables que la leur (Act., II, 24). Car qu'y a-t-il eu dans la résurrection de ces deux enfants, de si avantageux dans le monde, au prix des salutaires effets que celle de Jésus a produits, lorsqu'elle a été annoncée aux hommes, et que la vertu de Dieu leur en a imprime une vive persuasion dans le c?ur?
Il se moque aussi de notre tremblement  de terre et de nos ténèbres: mais nous avons déjà dit ce que nous avions à dire là-dessus, lorsque nous avons cité le témoignage de Phlégon qui marque ces mêmes événements au temps de la passion de notre Sauveur. Celse ajoute : Vous dites qu'il ressuscita après sa mort, lui qui n'avait pu se garantir durant sa vie ; qu'il montra sur son corps les marques de son supplice et dans ses mains les traces des clous. Qu'entend-il donc par se garantir? S'il entend se garantir du péché, nous lui soutenons que Jésus se garantit parfaitement, car il ne fil ni ne dit rien de mal à propos. Il fut mené à la mort comme une vraie brebis (Is., LIIi, 7), et l'Évangile témoigne, qu'il se tint toujours dans le silence comme un agneau qui demeure muet devant celui qui le tond (Matth.. XXVII, 12). Mais s'il entend se garantir des accidents corporels et des autres choses qui d'elles-mêmes ne sont ni bonnes ni mauvaises, nous avons déjà fait voir par les évangiles qu'il ne souffrit rien de pareil que de son bon gré. Il montra sur ton corps les marques de son supplice, et dans ses mains les traces des clous (Jean, XX, 14). Le juif tire cela de nos saints auteurs, et il nous demande ensuite, Mais qui les a vues? C'est, si l'on vous en croit, une femme fanatique. Par ce titre offensant, il désigne Marie Madeleine de qui les évangélistes disent, qu'elle vit Jésus ressuscité. Mais comme elle n'est pas la seule de qui ils le disent, il ajoute avec un nouveau trait de passion: Je ne sais qui encore, quelque autre de la même cabale; après quoi il lâche de faire concevoir, selon les principes de son Épicure, comment il est possible que l'imagination reçoive l'idée d'un mort comme s'il était encore vivant : soit, dit-il, que celui qui en a fait le récit ait pris ses songes pour des vérités, soit, qu'ayant l'imagination prévenue, il ait formé lui-même l'objet de son illusion sur le plan de ses désirs, comme il est arrive à une infinité de personnes. Il croit dire là des merveilles, cependant il nous fournit une preuve solide pour l'existence des âmes après la mort, et ceux qui sont du sentiment qu'il propose doivent aussi, par une suite nécessaire, soutenir que l'âme est immortelle, ou du moins, qu'elle ne meurt point avec le corps. En effet si, comme le dit Platon dans son Dialogue de l'Ame (le Phédon), il y a des images et des ombres de personnes mortes qui paraissent quelquefois auprès de leurs tombeaux, il faut que ces ombres et ces images aient un sujet qui les produise, et ce sujet ne peut être que l'âme des morts, qui, dans l'état où elle subsiste alors, est revêtue d'un corps subtil que l'on compare à celui de la lumière. Mais Celse, qui avance cette opinion, veut en même temps que l'on songe quelquefois sans dormir, et que les hommes ayant l'imagination prévenue forment eux-mêmes l'objet de leurs illusions sur le plan de leurs désirs. Que cela se puisse faire en dormant on ne le nie pas, mais on ne le saurait croire d'un homme éveillé, à moins qu'il soit du nombre des fous, des frénétiques ou des hypocondriaques. Et Celse l'a bien vu lui-même lorsqu'il traite Marie Madeleine de fanatique, ce qu'il fait sans en avoir de preuves dans l'histoire où il prend le fondement de ses calomnies. A l'en croire donc ces apparitions de Jésus avec les marques des blessures qu'il avait reçues sur la croix n'étaient autre chose que les images qu'il en répandait après sa mort, et sous lesquelles il n'y avait point réellement de sujet blessé, mais suivant le témoignage de l'Évangile, que Celse se donne toujours la liberté de recevoir ou de rejeter selon l'intérêt de sa cause, voici la vérité du fait. Parmi les disciples de Jésus il s'en trouva un dont l'incrédulité lui fil juger impossible chose si extraordinaire; ce n'est pas qu'il n'ajoutât point foi au rapport de celle qui disait avoir vu Jésus, car il ne doutait pas qu'on ne pût bien voir l'âme d'un mort, mais il ne pouvait se persuader que Jésus fût véritablement ressuscité avec un corps tout pareil à celui qu'il avait auparavant. C'est pourquoi il ne dit pas simplement : Si je ne le vois je ne le croirai point, mais il ajoute, Si je ne porte ma main dans la trace des clous et si je ne touche son côté, je ne le croirai point (Jean, XX, 20). Et Thomas parlait ainsi, parce qu'à son avis il se pouvait faire que le corps subtil d'une âme se présentât à notre vue corporelle, non seulement
Avec les mêmes yeux, avec la même voix,
Avec le même port, avec la même grâce;
(???., Iliad., liv. XXIII. v. 66 et 67.)
mais souvent encore
Sous les mêmes habits.
Jésus donc l'ayant appelé, lui dit : Porte ici ton doigt, et vois mes mains ; approche aussi la main, et mets-la dans mon côté, et ne sois pas incrédule mais fidèle (Jean, XX, 27 ). Il fallait bien aussi que, conformément aux anciennes prophéties parmi lesquelles il y en avait qui parlaient de sa résurrection, et qu'après tout ce qu'il avait fait et tout ce qui lui était arrivé de grand et d'extraordinaire, ses aventures fussent couronnées par celle-ci, la plus illustre de toutes. Car le prophète avait dit en la personne de Jésus : Ma chair reposera en espérance, parce que tu ne laisseras point mon âme dans le sépulcre et ne permettras point que ton saint éprouve la corruption (Ps. XV ou XVI, 9 ). Il ressuscita au reste dans un état qui tenait comme le milieu entre la première opacité de son corps et la subtilité de ceux sous lesquels les âmes se font voir après s'être dépouillées de cette matière terrestre. De là vient qu'un jour que les disciples étaient ensemble et Thomas avec eux, Jésus entra dans la maison, les portes étant fermées, et se tint au milieu d'eux, et leur dit ; La paix soit avec vous. Il dit ensuite à Thomas, porte ici ton doigt (Jean, XX, 26], et ce qui suit. Et dans l'évangile selon S. Luc, comme Simon et Cléopas s'entretenaient des choses qui lui étaient arrivées, il les alla joindre, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient retenus de sorte qu'ils ne le reconnaissaient point. Et il leur dit: De quoi vous entretenez-vous ainsi dans votre chemin? Enfin quand leurs yeux s'ouvrirent et qu'ils le reconnurent. l'Écriture dit en propres termes, qu'alors il disparut de devant eux ( Luc, XXIV, 14, 31). Celse a donc beau vouloir mettre les apparitions de Jésus au rang des visions, et ceux qui l'ont vu ressuscité au rang des visionnaires, il n'y a point de personne équitable et intelligente, qui ne reconnaisse aisément que dans cette histoire iI y a quelque chose de plus merveilleux que dans toutes les autres.
Il nous fait ensuite une objection qui n'est pas à mépriser, lorsqu'il dit : Si Jésus voulait faire paraître évidemment sa vertu divine, il fallait donc qu'il se montrât à ses propres ennemis, au juge qui l'avait condamné, et généralement à tout le monde. Les livres sacrés nous apprennent en effet que depuis sa résurrection il ne se montra pas en public ni indifféremment à tous comme auparavant. Il est dit, dans le livre des Actes, qu'il se fit voir à ses disciples pendant quarante jours. leur parlant du royaume de Dieu (Act.,I. 3 ). Et nous voyons dans l'Évangile qu'il n'était pas continuellement avec eux, mais qu'il leur apparaissait tantôt après huit jours d'intervalle, se trouvant au milieu d'eux, quoique les portes fussent fermées, tantôt de quelque autre manière (Jean. XX, 26). Saint Paul aussi vers la fin de la dernière épître aux Corinthiens, témoigne assez que Jésus ne se laissait plus voir comme il avait fait avant sa passion. Je vous ai premièrement enseigné, dit-il, et comme donné en dépôt ce que j'avais moi-même reçu, savoir que Jésus-Christ a souffert la mort pour nos péchés, selon les Écritures ; qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les mêmes Écritures ; qu'il s'est fait voir à Cephas, puis aux douze; qu'après il a été vu de plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore, et quelques-uns sont morts ; qu'ensuite il s'est fait voir à Jacques, puis d tous les apôtres ; et qu'enfin après tous les autres il s'est fait voir à moi-même, comme à un avorton ( Cor., XV, 3 ). Il y a donc ici, sans doute, quelque chose de grand et de merveilleux que Jésus ne se soit pas fait voir de même manière devant et après sa résurrection; et l'on n'en saurait approfondir les raisons que l'on n'y découvre des mystères surprenants, non seulement pour le commun des fidèles, mais même pour les plus avancés. Dans un écrit comme celui-ci qui est destiné, non à l'éclaircissement des matières, mais à la défense des chrétiens et de leur foi, il n'y a pas moyen de tout dire : voyons pourtant si le peu que nous dirons ne suffira point pour donner une satisfaction raisonnable à ceux qui liront cette dispute. Quoique Jésus ne fût qu'un en soi, il était néanmoins plusieurs choses par rapport aux divers égards sous lesquels on le considérait, et il ne paraissait pas le même à tous ceux qui le voyaient.  Qu'il fût plusieurs choses, considéré sous divers égards, cela est clair par ces passages : Je suis la voie, la vérité et la vie; je suis le pain; je suis la porte (Jean, XIV, 6; VI, 35; X, 9), et par une infinité d'autres.
Il ne sera pas moins clair qu'il ne paraissait  pas le même à tous ceux qui le voyaient, mais à chacun selon sa portée, si l'on se souvient que de tous les apôtres il ne prit que Pierre, Jacques et Jean pour l'accompagner sur la haute montagne où il fut transfiguré (Matth., XVII, 1). Car il en usa de la sorte parce qu'il n'y avait que ces trois qui fussent capables de le voir dans cette gloire, de considérer celle de Moïse et d'Élie, d'écouter l'entretien que ces prophètes devaient avoir avec lui, et d'entendre la voix céleste qui devait sortir de In nuée. Je crois aussi qu'avant qu'il montât sur la montagne où ses disciples seuls le suivirent, et il leur fit le discours des béatitudes ( Matth., V, 1 ) ; il ne parut pas à ceux qu'on lui apporta sur le soir, au pied de cette montagne, et qu'il guérit de toutes leurs maladies et de toutes leurs langueurs ( Ibid., IV, 24 ), il ne parut pas, dis-je, à ces personnes infirmes qui avaient besoin de son secours, le même qu'à ceux que leur santé rendait assez forts pour pouvoir monter avec lui. Et lorsqu'il expliquait, en particulier, à ses disciples les paraboles dont il s'était servi, en parlant à ceux de dehors, il faut croire que comme ceux à qui il donnait cette explication, avaient l'ouïe plus exquise que les autres à qui il n'expliquait rien : ils avaient pareillement la vue plus nette (Ibid., XIII, 16, 18 ). On ne peut le nier des yeux de l'âme; et selon mon sentiment, on le doit aussi avouer de ceux du corps. Tout de même, quand Judas, conduisant la troupe de ceux à qui il devait livrer son maître, leur disait, comme s'ils n'avaient pas connu celui qu'ils cherchaient: C'est celui que je baiserai ( Jbid., XXVI, 48) ; il fait bien voir par là que Jésus ne paraissait pas le même en tout temps. Et c'est encore là que je rapporte ces paroles de notre Sauveur : J'étais tous les jours avec vous dans le temple, et vous ne m'avez point pris (Ibid.,55). Ayant donc une telle opinion de Jésus, non seulement à l'égard de la divinité qui était cachée au dedans de lui, et qui ne se manifestait qu'à peu de personnes, mais aussi à l'égard de son corps dont il changeait la forme quand il lui plaisait, et pour qui il lui plaisait ; nous disons qu'avant qu'il eût désarmé les principautés et les puissances ( Col., II, 15 ), et qu'il fut mort au péché ( Rom., VI, 10 ), tout le monde était capable de le voir ; mais depuis qu'il les eut désarmés, et qu'il eut laissé ce qu'il avait de proportionné aux yeux des hommes du commun, et il ne put plus être vu de tous ceux qui le voyaient auparavant; d'où il paraît que ce fut pour épargner les faibles, qu'il ne se montra pas à tout le monde, après qu'il fut ressuscité. Mais que dis-je qu'il ne se montra pas à tout le monde ? il ne fut pas même toujours avec ses apôtres et avec ses disciples, et il ne se fit pas voir à eux sans interruption. Il les aurait éblouis par une présence continuelle ; car après le temps de son .séjour sur la terre, sa divinité avait pris un nouvel éclat. Cephas, ou Pierre, qui était comme les prémices des apôtres, fut le premier qui le put voir en cet état glorieux ( I Cor., XV, 5 ). Les douze le virent après lui, Matthias ayant été mis en la place de Judas ( Act.. I, 26 ). Il fut vu ensuite de cinq cents de nos frères à la fois, puis de Jacques, puis encore de tous ceux qui, outre les douze, portaient le nom d'apôtres, ce qui se doit peut-être entendre des soixante-dix disciples. Enfin, après tous les autres, il se fit voir aussi à Paul, comme à un avorton ( Luc. X, 1 ), qui savait bien pourquoi il disait: J'ai reçu cette grâce, moi qui suis le plus petit d'entre tous les saints (Ephés., III, 3 ). Et je croirais aisément que ce plus petit et cet avorton ne signifient qu'une même chose. Comme il y aurait donc de l'injustice de trouver mauvais que Jésus n'ait pas pris tous ses apôtres pour témoins de sa transfiguration, et qu'il n'ait fait monter avec lui sur la montagne, pour l'y voir sous des habits brillants de lumière, et s'entretenant avec Moïse et Élie tout couverts de gloire, que les trois que nous avons nommés ; ce serait aussi être peu équitable que de former des difficultés sur ce que les apôtres nous disent que Jésus après sa résurrection, ne se montra pas à tout le monde, mais seulement à ceux dont il savait que les yeux auraient la force de le voir ressuscité. L'on peut encore, si je ne me trompe, appuyer de cet autre passage les choses que nous venons d'établir : C'est afin d'avoir la domination sur les morts et sur les vivants, que Jésus-Christ est mort et qu'il est ressuscité (Rom., XIV, 9). Vous voyez qu'il est dit là que Jésus est mort pour avoir la domination sur les morts, et qu'il est ressuscité afin que sa domination s'étendit non sur les morts seuls, mais sur les vivants aussi. Par ces morts sur qui Jésus doit avoir la domination, l'apôtre entend sans doute les mêmes que ceux dont il parle ainsi dans la première épître aux Corinthiens : La trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible ( I Cor., XV, 52 ). Et par les vivants, il entend, outre les morts qui auront été ressuscites, quelque autres personnes différentes, savoir celles qui seront changées; car après avoir dit que les morts ressusciteraient les premiers, il ajoute: Et alors nous serons changés. Dans la première épître aux Thessaloniciens, il exprime en d'autres termes la même différence qui se doit trouver entre les morts et les vivants ( I Thess., IV, 13 ). Je ne veux pas, dit-il, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment du. sommeil de la mort, afin que vous ne vous en attristiez pas, comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance ; car si nous croyons que Jésus est mort et qu'il est ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se seront endormis en lui du sommeil de la mort. Et je vous dis, au nom du Seigneur, que nous qui vivons et qui serons réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort ( Jean, XIX, 34 ). On trouvera ces passages expliqués comme nous estimons qu'ils le doivent être, dans nos commentaires sur la première épître aux Thessaloniciens. Ne vous étonnez pas au reste si toutes les troupes qui avaient cru en Jésus ne le virent pas après sa résurrection, puisque saint Paul dit même aux Corinthiens Qu'il n'a point fait profession de savoir autre chose, parmi eux, que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ( I Cor., II, 2 ), comme jugeant le reste au-dessus de leur portée. C'est où l'on peut rapporter aussi ce qu'il leur écrit dans la suite : Vous n'en étiez pas alors capables, et vous ne l'êtes pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels ( I Cor., III . 2 ). L'Écriture donc où toutes choses sont dispensées avec une sagesse divine, nous apprend que Jésus se laissait voir indifféremment à tout le monde, avant sa passion, quoiqu'il ne le fît pourtant pas toujours ; mais qu'après qu'il eut souffert, il en usa d'une autre manière, et ne se montra qu'avec réserve, traitant chacun selon la mesure de ses forces ( Gen., XII, 7 ). Car comme lorsqu'il est dit que Dieu apparut à Abraham, ou à quelque autre des anciens pères, on conçoit que ces apparitions ne sont faites que par intervalles, et qu'elles n'ont pas été communes à tous; il faut concevoir que Jésus, le fils de Dieu, s'est fait voir à peu près de la même sorte, et avec les mêmes égards que Dieu se présentait autrefois à ces saints hommes.
Ainsi, nous avons répondu, autant que la faiblesse de nos lumières et le dessein de cet écrit nous ont permis de le faire, à cette objection de Celse : Si Jésus voulait faire paraître évidemment sa vertu divine, il fallait donc qu'il se montrât à ses propres ennemis, au juge, qui l'avait condamné, et généralement à tout te monde. Je dis, au contraire, qu'il ne devait se montrer ni à ses ennemis ni à son juge, parce qu'il voulait épargner et son juge et ses ennemis ; de peur qu'ils ne fussent frappés d'un aveuglement pareil à celui dont furent frappés les habitants de Sodome, lorsqu'ils dressaient des embûches à la beauté des anges que Lot avait reçus pour hôtes dans sa maison. En voici l'histoire : Alors, ces hommes avançant la main, firent rentrer Lot auprès d'eux dans la maison; et ayant fermé la porte, ils frappèrent d'aveuglement ceux qui étaient au dehors, depuis le plus petit jusqu'au plus grand ; de sorte qu'ils se lassèrent à chercher la porte (Gen., XIX, 10). En un mot, l'intention de Jésus était de découvrir sa vertu divine à tous ceux qui la pourraient voir, selon que chacun s'en trouverait capable : s'il s'est tenu caché, c'a été uniquement à cause de ceux qui n'étaient pas disposés comme ils devaient l'être, pour pouvoir soutenir sa vue. Il n'y a donc rien de plus vain que cette raison de Celse : Car il n'avait plus rien à craindre de la part des hommes, puisqu'il avait passé par la mort ; et ( que d'ailleurs il était Dieu, à ce que vous dites : et quand il fut envoyé au monde, ce ne fut pas pour y demeurer caché. Il y vint, et pour être connu, et pour demeurer caché : car ceux-là mêmes qui le connaissaient, ne connaissaient pas pourtant tout ce qu'il était. Il y avait toujours en lui quelque chose de caché pour eux ; et il n'avait rien qui ne le fût pour quelques autres : mais à ceux qui étant nés dans la nuit et dans les ténèbres, s'étudiaient à devenir les enfants du jour et de la lumière, il leur ouvrait les portes de la lumière. Notre-Seigneur est semblable à un bun médecin : il est venu pour nous sauver, nous qui sommes couverts de péchés, plutôt que pour sauver les justes (Matth., IX, 12, 13).
Voyons maintenant ce qu'ajouté le juif de Celse. S'il avait dessein, dit-il, de donner des preuves de sa divinité, il aurait mieux fait de disparaître tout d'un coup de dessus la croix. Il me semble que j'entends parler les ennemis de la Providence, qui se bâtissent un monde différent du nôtre, et qui disent : Si le monde était tel que nous le représentons, il serait beaucoup mieux qu'il n'est. Mais il se trouve toujours que si la description qu'ils nous font est dans les termes de la possibilité, ils augmentent autant qu'il dépend d'eux les désordres qu'ils prétendent corriger; ou que, s'il semble qu'ils n'en introduisent pas de plus grands, ils supposent des choses qui répugnent à la nature. Ainsi, ils se rendent ridicules de façon ou d'autre. Pour ce qui regarde Jésus, s'il devait passer à une condition plus divine, on m'avouera qu'il n'était pas impossible qu'il ne se vît en état de disparaître quand il lui plairait. Cela est clair de soi-même. Et l'histoire de l'Évangile n'en laisse douter que ceux qui la reçoivent pour véritable, lorsqu'ils y peuvent trouver l'occasion de faire quelque reproche aux chrétiens, mais qui, autrement, la rejettent comme fabuleuse; car S. Luc nous apprend que Jésus, après sa résurrection, étant à table avec Simon et Cléopas, il prit le pain et le bénit, et l'ayant rompu, il le leur donna: qu'en même temps leurs yeux s'ouvrirent, et qu'ils le reconnurent ; mais qu'il disparut de devant eux (Luc, XXIV, 30). Il ne reste donc qu'à montrer, que par rapport à tout le dessein qu'il avait eu en venant au monde, il n'aurait pas mieux fait de disparaître tout d'un coup de dessus la croix, où son corps était attaché. C'est aussi ce que nous vouloir faire. Dans les choses qui sont arrivées à Jésus, il ne faut pas, quand nous les lisons, s'arrêter au sens simple et littéral de l'histoire, comme si toute la vérité y était renfermée. Ceux qui les considèrent avec un esprit éclairé, reconnaissent aisément qu'il n'y en a point qui ne soit le symbole et la figure quelque autre. Par exemple, lorsque Jésus a été crucifié, il nous a laissé un symbole, dont la vérité se trouve dans ces paroles : Je suis crucifié avec Jésus-Christ (Gal., II, 20, 6, 14) : et dans ces autres encore : A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par laquelle le monde est crucifié pour moi comme je le suis pour le monde (Rom., VI, 10). Il a été nécessaire qu'il mourût, afin qu'on pût dire : Quant à ce qu'il est mort, il est mort une seule fois au péché (Philipp., Ill, 10); et que les justes étant faits conformes à sa mort, s'assurassent que s'ils meurent avec lui, ils vivront aussi avec lui (II, Tim., II, 11). On doit faire une pareille application de sa sépulture à ceux qui ont été faits conformes à sa mort, on ce qu'ils ont été crucifiés et qu'ils sont morts avec lui. S. Paul nous l'enseigne quand il dit : Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême, et nous sommes ressuscites avec lui (Rom., VI, 4). Mais nous parlerons plus particulièrement ailleurs, et de sa sépulture, et de son tombeau, et de celui qui prit le soin de l'ensevelir, lorsque nous expliquerons toutes ces choses, de dessein formé. Il suffit, pour cette heure, de remarquer ce qui nous est dit du linceul net, dans lequel il fallait qu'un corps aussi pur que celui de Jésus fût enveloppé, et du sépulcre neuf que Joseph avait fait tailler dans le roc, où l'on n'avait encore enterré personne, et comme S. Jean s'exprime, où personne n'avait encore été mis (Matth., XXVII, 59; Luc, XXIII, 53 ; Jean, XIX, 41). Considérez donc, je vous prie, si le consentement unanime arec lequel trois évangélistes, en parlant de ce sépulcre, marquent expressément qu'il était taillé ou creusé dans le roc (Matth., XXVII, 60; Marc, XV, 46; Luc, XXIII, 53), ne mérite pas qu'on y fasse réflexion, et si ceux qui s'appliquent à pénétrer tout le sens des Écritures, ne doivent pas chercher là-dedans quelque chose de mystérieux, aussi bien que dans l'observation que font S. Matthieu et S. Jean, que c'était un sépulcre neuf, et dans celle de S. Luc et de S. Jean, que personne n'y avait encore été mis (Matth., XXVII, 60 ; Jean. XIX, 41). C'est qu'il fallait sans doute qu'un mort qui n'était pas semblable aux autres, mais qui dans sa mort même avait donné des signes de vie par le sang et par l'eau qui étaient sortis de son côté (Luc, XXIII, 53; Jean, XIX, 41); qu'un mort qui, pour ainsi dire, était d'une nouvelle espèce, fût mis dans un sépulcre neuf: et aussi dans un sépulcre pur, afin que sa sépulture eut de la conformité avec sa naissance. Sa naissance avait été si pure, qu'il ne la devait qu'à une vierge ; au lieu que les deux sexes contribuent a celle des autres hommes. Il fallait donc aussi qu'il y eût de la pureté dans sa sépulture : et cette pureté fut représentée symboliquement par les qualités du sépulcre neuf; et composé non de pierres ramassées qui n'eussent ensemble aucune liaison naturelle, mais d'une seule et même pierre qu'on avait creusée ou taillée pour cet usage. Il y aurait ici plusieurs considérations à faire ; et l'on pourrait de ces figures, monter jusqu'aux choses mêmes qu'elles figuraient : mais c'est une matière et trop riche et trop sublime pour être traitée en passant ; il lui faut un traité exprès et une occasion plus favorable. Tout ce qu'on peut dire maintenant sur ce sujet, c'est que Jésus était obligé de soutenir jusqu'au bout le caractère qu'il avait pris. Il avait bien voulu être attaché à une croix et mourir là comme un homme; la suite des choses demandait donc qu'il fût aussi enseveli comme un homme. Mais supposons qu'on lise dans les Évangiles qu'il ait tout d'un coup disparu de dessus la croix : Celse et les autres incrédules n'y trouveraient pas moins à redire, et ils nous demanderaient sans doute : Pourquoi a-t-il attendu à disparaître qu'il eût été crucifié ? que n'a-t-il prévenu son supplice ? Si l'Évangile leur donne donc occasion de nous insulter, en ce qu'il rapporte fidèlement les choses comme elles se sont passées ; au lieu de feindre que Jésus ait disparu tout d'un coup de dessus la croix, comme ils jugent qu'il aurait été mieux, quelle raison peuvent-ils avoir de ne pas croire pareillement sur le rapport du même Évangile, que Jésus soit ressuscité; et qu'après sa résurrection il se soit fait voir, tantôt à tous ses disciples, se présentant au milieu d'eux quoique les portes fussent fermées (Jean, XX, 19), tantôt, selon que bon lui semblait, à deux seulement leur donnant le pain, el disparaissant aussitôt après s'être entretenu quelque temps avec eux (Luc, XXIV, 30) ?
Mais sur quoi se fonde le juif de Celse, pour prétendre que Jésus se soit caché? Quel ambassadeur s'est jamais caché, dit-il, au lieu d'exposer sa commission? Jésus témoigne bien qu'il ne s'était pas caché, lorsqu'il dit à ceux qui étaient venus pour le prendre : J'enseignais tous les jours publiquement dans le temple et vous ne m'avez point pris (Marc., XIV, 49) . Ce que Celse ajoute n'est qu'une vaine répétition : et pour nous, sans répéter nos réponses, nous nous contenterons d'avoir réfuté par avance ce qu'il dit ici : Est-ce parce qu'on ne pouvait se persuader qu'il eût un corps et qu'on était suffisamment convaincu de sa résurrection, que, pendant sa vie, il prêchait sans ménagement à tout le monde, et qu'après sa mort il ne s'est fait voir qu'en cachette à une misérable femme et à quelques autres de ses plus affidés ? Encore n'est-il pas vrai que Jésus ne se soit fait voir qu'à une seule femme, puisque S. Matthieu écrit dans son Évangile : Cette semaine étant passée et le premier jour de la suivante commençant à luire, Marie Madeleine et l'autre Marie vinrent pour voir le sépulcre (Matth., XXVIII, 1)? Alors il se fit, tout d'un coup un grand tremblement de terre : car un ange du Seigneur descendit du ciel et vint renverser la pierre (Ibid., 9). Et un peu après : En même temps Jésus se présenta devant elles (savoir, devant ces deux Maries) et leur dit; Le salut vous soit donné: et elles, s'approchant, lui embrassèrent les pieds et l'adorèrent. Nous avons aussi répondu à ce qui suit ; que son supplice a eu une infinité de témoins et sa résurrection n'en a eu qu'un seul ; lorsque nous avons expliqué pourquoi il ne s'était pas fait voir à tout le monde. J'ajouterai seulement ici, que tout le monde était capable de voir ce qu'il y avait d'humain en sa personne ; mais que ce qu'il y avait de plus divin, était au-dessus de la portée de plusieurs. Quand je parle d'humain el de divin, je regarde les choses par opposition et non par le rapport que les unes ont avec les autres. Mais remarquez, je vous prie, la contradiction manifeste où Celse est tombé. Après avoir dit que Jésus ne s'était fait voir qu'en cachette à une misérable femme et à quelques autres de ses plus affidés, il ajoute incontinent : son supplice a eu une infinité de témoins et. sa résurrection n'en a eu qu'un seul. Il fallait, poursuit-il, que ce fût tout le contraire. Qu'est-ce donc qu'il fallait à son avis ? Que les choses arrivassent tout au contraire de ce qu'elles sont arrivées, c'est-à-dire qu'au lieu que son supplice a eu une infinité de témoins et sa résurrection n'en a eu qu'un seul, son supplice n'eût qu'un seul témoin et sa résurrection en eût une infinité. On ne saurait donner d'autre sens à ces paroles, Il fallait que ce fût tout le contraire : et chacun voit qu'avec celui-là, elles demandent une chose tout ensemble absurde et impossible.
Jésus, au reste, nous apprend qui c'est qui l'a envoyé lorsqu'il dit: Nul autre que le Fils, ne connaît le Père (Matth., XI, 27). Et, Nul homme n'a jamais vu Dieu ; c'est le Fils unique qui est dans le sein du Père et qui est Dieu lui-même, qui l'? fait connaître (Jean, I, 18). C'est ce Fils, en effet, qui a révélé à ses véritables disciples ce qu'ils devaient croire de Dieu : et c'est sur le modèle d'une si parfaite théologie, que nous prenons à tâche de former la nôtre, trouvant dans l'Écriture : Dieu est la lumière même et il n'y a point en lui de ténèbres (I Jean, I, 5) : Et ailleurs : Dieu est esprit et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 24). Si l'on veut savoir ensuite pour quel dessein le Père l'a envoyé, l'on aura de quoi se satisfaire pleinement soit que l'on s'adresse aux prophètes qui ont prédit les choses qui lui devaient arriver ou que l'on consulte les écrits des évangélistes et des apôtres ; particulièrement les épîtres de S. Paul. L'on y apprendra que Jésus est venu au monde pour répandre la lumière du salut sur ceux, qui s'étudient à la piété et pour punir ceux qui vivent dans le désordre et non pas comme Celse veut le faire croire mal à propos, pour éclairer les premiers dans leur conduite et pour faire grâce aux autres, soit qu'ils se repentent de leurs péchés ou qu'ils y persévèrent.
Le juif prétendant que nos auteurs s'accordent mal avec eux-mêmes en ce qu'ils nous disent de Jésus, nous demande encore : S'il voulait demeurer caché, pourquoi une voix venant du ciel . déclara-t-elle hautement qu'il était le Fils de Dieu ? et s'il voulait être connu, pourquoi s'est-il laissé conduire au supplice; pourquoi est-il mort? Mais il ne prend pas garde que l'intention de Jésus n'était, ni de se faire connaître à tout le inonde sans distinction, ni de demeurer absolument caché. Aussi ne lisons-nous pas que la voix céleste, qui déclara qu'il était le Fils de Dieu, en disant ; C'est ici mon Fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection (Matth., III, 17), fut formée en sorte que les troupes la pussent entendre, comme se l'imagine le juif de Celse (Matth., XVII, 5). Et l'autre voix, qui sortit d'une nuée sur une fort haute montagne, ne put être entendue que de ceux qui étaient montés avec Jésus : les voix divines avant même celte propriété de ne se faire entendre qu'à ceux de qui celui qui parle veut être entendu. Pour ne point dire que les voix dont il s'agit ne peuvent être ni un air agité, ni une secousse de l'air, ni rien de tout ce que les philosophes veulent que soit la voix : ce qui fait que le sens qu'elles frappent doit être un sens plus exquis et plus divin que celui l'ouïe ordinaire, et que quand Dieu, qui  les forme, ne veut pas être entendu de tout le monde, il l'est seulement de ceux qui ont ce sens exquis et divin, pendant que les autres, qui ont l'ouïe de leurs âmes mal disposée, demeurent sourds pour ce qu'il dit. Voilà pour ce qui regarde ces paroles : Pourquoi une voix venant du ciel déclara-t-elle hautement qu'il était le Fils de Dieu ? A l'égard de ces autres : S'il voulait être connu, pourquoi s'est-ill laissé conduire au supplice? pourquoi est-il mort? Nous y avons suffisamment répondu ci-dessus, lorsque nous avons traité de sa passion avec une assez grande étendue.
Le juif continue ses attaques par une conséquence mal tirée : car, de ce que Jésus a voulu par ses souffrances nous apprendre à mépriser la mort, il ne s'ensuit pas qu'après sa résurrection il ait dû appeler tout les hommes à la lumière et leur enseigner publiquement pour quel dessein il était descendu du ciel (Matth. XI, 28). Il avait déjà auparavant appelé tous les hommes à la lumière lorsqu'il avait dit : Vous tous qui êtes travaillés et chargés, venez à moi et je vous soulagerai (Matth., V, 3). Il avait aussi expliqué le dessein de sa descente sur la terre dans ce long sermon qu'il avait fait touchant les béatitudes et touchant les autres sujets qu'il y a joints, et dans ses paraboles et dans les disputes contre les docteurs de la loi et contre les pharisiens. L'évangile selon S. Jean, d'un bout à l'autre, nous fournit des preuves que les discours de Jésus étaient tout remplis de grandeur, mais d'une grandeur qui se faisait bien plus remarquer dans les choses que dans les paroles : et les autres évangiles témoignent que ce qu'il disait était accompagné d'une autorité qui donnait de l'admiration à tout le monde (Matlh., VII, 29, etc.).
Pour conclusion, le juif de Celse ajoute : Il n'y a rien là qui ne soit tiré de vos propres auteurs : nous n'avons que faire d'autres témoins ; vous vous réfutez assez vous-mêmes. Mais nous avons fait voir qu'outre ce qu'il tire des écrits de nos évangélistes, ce juif mêle et dans ce qu'il dit à Jésus et dans ce qu'il nous dit, beaucoup de choses indignes une dispute sérieuse : et je ne pense pas qu'il ait prouvé jusqu'ici que nous nous réfutions nous-mêmes; ce n'est qu'une vaine imagination. Grand Dieu du ciel! s'écrie-t-il aussitôt après, quel Dieu, se présentant aux hommes, a jamais trouvé de l'incrédulité en eux ? Je réponds, que selon le récit de Moïse même, Dieu s'était fort clairement présenté aux Juifs non seulement par les signes et par les prodiges qu'il avait faits en Égypte, par le passage au travers de la mer Rouge, par la colonne de feu et par la nuée lumineuse, mais encore par la publication du décalogue, faite en la présence de tout le peuple (Exod.,Vll, 10, etc. XIV, 22, XIII, XX, 20, 1 ) : et cependant il trouva de l'incrédulité en ceux qui avaient vu toutes ces merveilles ; car s'ils n'eussent pas été incrédules pour ce Dieu qu'ils avaient vu et entendu, ils ne se fussent pas fait un veau d'or (Ibid., ???II, 4), et ils n'eussent pas changé leur gloire en la figure d'un b?uf qui broute l'herbe (Ps. CV ou CVI, 20). Ils ne se fussent pas dit les uns aux autres, parlant de ce veau : Ce sont ici tes dieux, Israël, qui t'ont retiré d'Egypte. Sur quoi je vous prie de remarquer si ce n'est pas l'effet du même génie de résister à tant de miracles et à des révélations si expresses comme la loi des Juifs nous apprend que fil autrefois ce peuple dans tout le voyage du désert ; et de ne se rendre ni aux discours pleins d'autorité, ni aux actions merveilleuses que Jésus faisait tous les jours devant eux après être venu au monde d'une manière si surprenante. Je crois qu'il n'en faut pas davantage pour montrer que si les Juifs rejettent Jésus, ils ne font rien en cela qui ne soit conforme à ce que nous lisons de leur ancienne conduite. En effet, sur ce que le juif de Celse nous demande : Quel Dieu, se présentant aux hommes, a jamais trouvé de l'incrédulité en eux . surtout si ces hommes étaient avertis de sa venue ? Pouvaient-ils ne le pas connaître s'ils l'attendaient depuis si longtemps? Je voudrais à mon tour demander aux autres Juifs : Comment désirez-vous que nous répondions? Quels sont, selon votre sentiment, les plus grands miracles, ou ceux d'Égypte et du désert, ou ceux que nous disons que Jésus, a faits parmi vous? Si vous vous déclarez pour ceux-là, ne s'ensuit-il pas évidemment que des personnes qui ont résisté aux plus grands ont bien pu mépriser les plus petits, tel que nous supposons ici qu'ont été ceux de Jésus ? Si vous dites que les miracles de Jésus et ceux de Moïse sont égaux, faut-il s'étonner qu'un même peuple ait témoigné la même incrédulité en des occasions toutes pareilles? Car quand vous péchâtes contre Dieu en refusant de croire Moïse, il s'agissait du premier établissement de votre loi : et il s'agit ici, tout de même, du premier établissement de la loi nouvelle, de l'alliance dont nous disons que Jésus est le médiateur. Lors donc que vous rejetez Jésus, vous faites bien voir que vous êtes les enfants de ces incrédules du désert; et, comme disait notre Sauveur, vous témoignez assez que vous consentez à ce qu'ont fait vos pères (Luc, XI, 48). Ainsi cette prophétie trouve en vous son accomplissement : Votre vie sera en suspens devant vous, et vous ne saurez ce que vous en devrez croire (Deut., XXVIII, 66j. En effet, quand la vraie vie des hommes est venue se présenter à vous, vous n'avez pas su en croire ce que vous deviez.
Celse, introduisant un juif dans cette dispute, n'a rien pu lui faire dire contre nous qui ne retombe sur la loi et sur les prophètes. Il accuse Jésus de s'emporter légèrement aux menaces et aux imprécations, témoin ses : Malheur à vous, et ses :Je vous dénonce. Par où il confesse ouvertement, dit-il, qu'il n'avait pas la force de persuader ; et  qu'il ne mérite de porter ni le nom de Dieu ni même celui d'homme sage (Matth., XI, 21, XXXIII, 13). Mais il est évident que cela ne nous regarde pas plus que le juif : car Dieu use aussi de menaces et d'imprécations dans les anciennes Écritures ; et il ne s'y trouve pas moins de malheur à vous que dans l'Évangile. Malheur à vous ! dit le prophète Isaïe, qui joignez maison à maison et champ à champ. Malheur à vous ! qui vous levez dés le jour pour chercher à vous enivrer. Malheur à vous ! qui tirez l'iniquité comme avec une longue corde. Malheur à vous ! qui appelez le mal bien et le bien mal. Malheur à vous ! qui êtes vaillants à boire (Is., V, 8, 11, 18, 20, 22). Il y a une infinité d'autres imprécations semblables. En voici encore une qui vaut toutes celles que l'on peul alléguer: Malheur à vous! peuple pécheur, nation chargée d'iniquités, génération dépravée, enfants débauchés (Ib. I ), ; et ce qui suit. Et le prophète y ajoute des menaces qui ne sont pas moins fortes que celles qu'on reproche à Jésus. Celle-ci n'est-elle pas terrible : Vos campagnes seront désolées, et vos villes seront réduites en cendres? Votre pays sera dévoré et ravagé à vos yeux par des étrangers qui en feront un désert (lb., I, 7).Il faut encore mettre au même rang que les expressions précédentes celle de Dieu dans Ézéchiel où parlant du peuple il dit au prophète : Tu demeures avec des scorpions (Ezech.,Il 6). Est-ce donc sérieusement, Celse, que vous faites dire à votre juif : Que Jésus s'emporte légèrement aux imprécations et aux menaces, témoin ses Malheur à vous, et ses Je vous dénonce? Ne voyez-vous point qu'il ne dit rien de Jésus qu on ne lui puisse dire de Dieu ; et que si ses reproches sont bien fondés, celui qui parle dans les prophètes n'a pas la force de persuader, non plus que celui qui parle dans les Évangiles ? Les malédictions qui se lisent en si grand nombre dans le Lévitique et dans le Deutéronome, sont aussi très propres à montrer que le juif n'a nulle raison d'accuser Jésus d'emportement : car il est obligé de les soutenir, à moins qu'il n'abandonne la cause de l'Écriture ; et il ne peut rien dire pour elles que nous ne disions comme lui, et en plus forts termes, pour justifier Jésus des menaces et des imprécations qu'il lui objecte. Mais il pourrait bien avoir besoin que nous lui aidions à défendre la loi de Moïse, nous qui avons appris de Jésus quel en est le véritable sens. S'il voulait pourtant étudier un peu l'esprit des prophètes, il ne lui serait pas difficile de faire voir que Dieu ne s'emporte point légèrement aux imprécations et aux menaces lorsqu'il dit, Malheur â vous! ou Je vous dénonce ; et que Celse a tort de prétendre que ce que Dieu fait pour convertir les pécheurs soient des choses qu'un homme sage ne voudrait pas faire. Au défaut du juif, les chrétiens qui reconnaissent que c'est un seul et même Dieu qui a autrefois parlé par les prophètes et depuis par Notre-Seigneur, sauront bien prouver qu'il n'y a rien de plus raisonnable ce que Celse appelle des menaces et des imprécations. Pour en toucher ici quelque chose, quoi ! pourrais-je dire à Celse, qui veut qu'on le croie si bien instruit et dans les sciences du siècle et dans les noires; quoi ! lorsque Mercure parle ainsi à Ulysse dans Homère,
Que fais-tu, malheureux, dans cette solitude ?
(ODYSS., liv. X, v. 281.)
vous vous payez de cette raison, qu'il lui parle rudement pour le faire penser à son devoir; parce que c'est aux sirènes,
Autour de qui s'élève un grand tas d'ossements.
(ODYSS., liv. XII, v. 45)
à user de ces paroles douces et flatteuses :
Viens, honneur du nom grec, sage et vaillant Ulysse :
(vers 184.)
et s'il arrive que quelqu'un de nos prophètes, ou Jésus lui-même, travaillant à la conversion des hommes, se servent d'un Malheur à vous! ou de quelque autre de ces expressions, que vous nommez emportées, vous ne pouvez croire qu'ils aient pour but le bien de leurs auditeurs, ni que celte sévérité renferme un remède souverain pour la guérison de l'âme? Vous voudriez peut-être que quand Dieu, ou notre Sauveur, qui participe à la nature divine, traite avec les hommes, il considérât simplement ce qu'il est et ce qu'il se doit, sans avoir nul égard à ceux avec qui il traite, quelque besoin qu'ils aient que l'on ménage leur esprit, et que l'on s'accommode à leur génie si l'on veut pénétrer dans leur c?ur. N'est-ce pas encore une chose bien ridicule de reprocher à Jésus qu'il n'a pas eu la force de persuader? On dirait que cela ne regarde que lui seul: cependant le Juif ne peut nier que les écrits de ses prophètes ne soient remplis de pareils exemples ; et les Grecs savent aussi que leurs sages les plus célèbres n'ont pu persuader à leurs envieux, à leurs accusateurs, ni à leurs juges, de se corriger de leurs vices, et de se porter à la vertu par l'étude de la philosophie.
 Il faut croire que c'est pour s'accommoder aux principes du judaïsme que Celse fait ensuite dire à son juif: Nous avons bien cette espérance, que nous ressusciterons un jour avec nos corps pour jouir de I'immortalité et que celui que nous attendons sera le modèle et le premier exemple de cette résurrection, faisant voir en sa personne quelle n'est pas impossible à Dieu. Je ne sais pourtant si un juif voudrait dire que le messie qu'ils attendent doit donner, en sa personne, un modèle de la résurrection : mais soit; je veux qu'il en juge ri qu'il en parle de la sorte; nous n'avons pour lui répondre qu'à lui demander . Est-il possible que vous, qui dites que vous disputez contre nous sur le témoignage de nos auteurs, ayez lu, dans leurs écrits, tout ce dont vous croyez pouvoir tirer avantage. et que vous n'ayez point pris garde qu'ils disent que Jésus est ressuscité et qu'il est le premier né d'entre les morts (Col., I, 18)? ou, s'ensuit-il qu'ils ne l'aient pas dit, de ce que vous refusez de le reconnaître? Je ne croîs pas, au reste, qu'il soit à propos de s'arrêter à prouver la résurrection des corps . puisque le juif de Celse, qui est celui à qui nous avons affaire, en parle comme d'un dogme qu'il avoue, soit qu'il l'avoue de bonne foi et qu'il en possède bien les preuves, ou qu'il feigne seulement de l'avouer. Nous nous contenterons donc de lui avoir ainsi répondu. Mais puisqu'il ajoute : Où est-il donc, afin que nous le voyions et que nous croyions? nous lui dirons aussi : Où est donc présentement celui qui parlait autrefois par les prophètes, el qui a fait ces anciens miracles? ou est-il, afin que nous le voyions et que nous croyions que vous êtes l'héritage de Dieu? Vous sera-t-il permis de nous alléguer vos raisons, sur ce que Dieu ne se montre pas continuellement au peuple juif? el il nous sera défendu d'en alléguer de toutes pareilles touchant Jésus, qui, étant une fois ressuscité, a convaincu ses disciples de la vérité de sa résurrection! Qui les en a, dis-je, tellement convaincus, que par les souffrances où ils s'exposent, en vue de la vie éternelle, el de cette résurrection qui se fait sentir à leur c?ur au même temps qu'elle se persuade à leur esprit, ils témoignent hautement qu'ils y trouvent des sujets de joie au milieu des plus cruels supplices.
Le juif dit après cela : N'est-il venu au monde que pour nous rendre incrédules? Je réponds que Jésus n'est pas venu pour produire l'incrédulité dans le c?ur des Juifs, mais que, l'ayant prévue, il l'a prédite et l'a fait servir à la vocation des Gentils (Rom., XI, 11). Car la chute des premiers est devenue une occasion de salut aux autres; et c'est de ceux-ci que le Messie dit dans les prophètes: Le peuple que je ne connaissais point m'a été assujetti; il m'a rendu obéissance dès qu'il a entendu parler de moi (Ps. XVII ou XVIII, 44 et 45) ; et, j'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas ; je me suis fait voir à ceux qui ne demandaient point à me connaître (Is., LXV, 1). D'ailleurs, il est clair que les Juifs ont même été punis d'une punition temporelle, ensuite du traitement qu'ils ont fait à Jésus. Si nous leur faisions donc, ce reproche : Certes, la providence et l'amour de Dieu sont merveilleux envers vous, de vous avoir ainsi châtiés en vous privant de votre Jérusalem, de son superbe temple et de tout le culte de voire sainte religion : ils ne sauraient rien nous y répondre en faveur de la providence, que nous ne leur en disions autant et d'une manière incomparablement plus forte, pour leur montrer que la Providence a été merveilleuse en effet d'avoir fait servir le péché de ce peuple à la vocation des Gentils, pour les introduire, par le moyen de Jésus-Christ, dans le royaume de Dieu (Ephés., II, 12 ), eux qui auparavant étaient étrangers à l'égard des alliances divines, el qui n'avaient aucune part aux promesses du salut. C'est aussi ce que les prophètes avaient prédit : qu'à cause des péchés des Juifs, Dieu prendrait ses fidèles,non d'une certaine nation particulière des nations en général, quelles qu'elles pussent être; et que choisissant ce qu'il y a de moins sage dans le monde, il ferait qu'un peuple privé d'intelligence deviendrait intelligent dans les choses célestes; que le royaume de Dieu serait ôté aux autres. Mais, sans rapporter tous les passages qui conviennent à ce sujet, il suffira d'alléguer ici la prédiction que Dieu, parlant lui-même, fait de celte vocation des Gentils dans le Cantique du Deutéronome : Ils m'ont donné de la jalousie, dit-il, par des dieux qui ne sont pas dieux ; ils ont excité mon indignation par leurs idoles : je leur donnerai aussi de la jalousie pour un peuple qui n'est pas peuple ; j'exciterai leur indignation par un peuple qui n'a point d'intelligence (Deut., XXXII, 21).
Le juif termine enfin son discours par ces paroles : On voit donc que Jésus était un homme; un homme, dis-je, tel que la raison et l'expérience nous l'ont montré. Mais je ne sais si un homme qui entreprenait de répandre sa doctrine et sa religion par toute la terre, y aurait pu réussir sans le secours de Dieu, ayant à vaincre l'opposition des rois et des princes, du sénat et du peuple romain, et de toutes les puissances du monde généralement. Un homme, simplement homme, comment aurait-il pu convertir toute cette grande multitude? Encore pour les personnes sages, il ne s'en faudrait pus tant étonner; mais que dirons-nous de ceux qui ne connaissaient ni la raison ni la vertu, et qui, s'abandonnant à la violence de leurs passions, étaient si difficiles à ramener? C'est sans doute à cause que Jésus-Christ est la force de Dieu et la sagesse du Père (I Cor., I,  24), qu'il a fait de si grandes choses et qu'il  en fait encore aujourd'hui, malgré les Juifs, et malgré les Grecs, qui résistent à son Évangile. Pour nous, nous ne cesserons jamais de croire en Dieu selon les enseignements du Jésus-Christ, ni de faire nos efforts pour la con version de ces incrédules, bien qu'ils nous traitent d'aveugles, eux qui sont de véritables aveugles en matière de religion, et qu'ils nous appellent séducteurs, eux qui, soit Juifs, soit Grecs, ne sont propres qu'à séduire ceux qui les écoutent. Si nous séduisons les hommes, c'est d'une heureuse séduction qui, d'intempérants qu'ils étaient, les fait tempérants, ou leur donne du moins de l'amour pour la tempérance; qui, d'injustes, les rend justes, ou les dispose du moins à la justice: qui, d'imprudents, les fait devenir prudents, ou les met du moins dans le chemin de la prudence; qui, de faibles, de lâches et de timides, les rend fermes et constants ; comme ils le font paraître surtout lorsqu'il est question de maintenir leur piété envers Dieu, le créateur de l'univers. Jésus-Christ est donc venu au monde après que son avènement a été prédit, non par un prophète, mais par tous les prophètes. C'est faute de connaissance que Celse fait raisonner son juif comme s'il n'y avait qu'un prophète qui eût parlé du Messie. Voilà comme ce juif achève dis faire voir combien il est savant dans sa propre loi. Mais puisqu'il s'arrête en cet endroit sans rien ajouter qui soit digne de la moindre considération, nous nous arrêterons avec lui, mettant fin à notre second livre. Si Dieu nous favorise de son assistance et que la vertu de Jésus-Christ descende en notre âme, nous tâcherons de répondre, dans le troisième, à la suite des objections de Celse.
 
 
 
 
 
 

LIVRE TROISIÈME.

Notre premier livre vous a fait voir, sage et pieux Ambroise, ce que nous pouvions faire, pour vous obéir, dans la réfutation que nous y avons commencée du Traité que Celse a mis au jour contre nous, sous l'orgueilleux litre de Discours véritable; et nous y avons examiné tout ce qu'il dit, et dans sa préface, et dans la suite, jusqu'à l'endroit où finit le juif, qu'il fait déclamer contre Jésus. Nous avons tâché, dans le second, de répondre à toutes les objections qu'il nous fait faire par ce même juif, à nous qui croyons en Dieu par Jésus-Christ. Dans celui-ci, nous allons nous mettre eu devoir de nous défendre contre celles qu'il nous fait de son chef. Il dit d'abord : Que la dispute que les Juifs et les chrétiens ont ensemble sur le sujet du Christ, est la plus impertinente du monde; et que c'est justement ce que l'on dit en commun proverbe, se quereller pour l'ombre d'un âne; que toutes leurs contestations n'aboutissent à rien, les uns et les autres faisant profession de croire que l'Esprit de Dieu a prédit qu'il tiendrait un certain Sauveur pour les hommes, mais ne pouvant convenir si ce Sauveur prédit qu'il viendrait un certain Sauveur pour les hommes mais ne pouvant convenir si ce Sauveur prédit est venu ou non. Il est certain que nous, qui sommes chrétiens, croyons que Jésus est celui dont la venue avait été prédite par les prophètes; et il est certain aussi que la plupart des Juifs sont extrêmement éloignés de cette créance : jusque-là, que ceux qui vivaient du temps de Jésus se portèrent à lui dresser des embûches; et que ceux qui vivent aujourd'hui, approuvant les mauvais traitements que lui firent leurs ancêtres, en parlent comme d'un imposteur qui, par ses artifices, voulut faire croire qu'il était ce messie, comme ils l'appellent, que les prophètes leur avaient promis. Mais que Celse et ceux qui le trouvent bien fondé nous disent un peu si l'application de son proverbe peut passer pour juste, quand on considère ce que les prophètes des Juifs avaient prédit touchant le lieu où devait naître ce chef de ceux qui, menant une vie sainte, sont nommés l'héritage de Dieu (Mich., V, 2); touchant la Vierge, qui devait concevoir Emmanuel (Is., VII, 14, XXXV, 5) ; touchant les signes et les miracles particuliers que celui dont ils parlaient devait faire (Ps.. CXLVII, 4 ou 15); touchant la promptitude avec laquelle sa doctrine devait s'établir, et la prédication de ses apôtres se répandre par toute la terre (Ps. XVIII ou XIX, 5) ; touchant les souffrances où la fureur des Juifs devait l'exposer (Ps., XVIII, 7) ; et touchant sa résurrection (Ps. XV ou XVI, 10). Les prophètes avaient-ils dit cela au hasard, et sans qu'aucune apparence de raison les obligeât, non à le dire seulement, mais à le laisser même, après eux, dans leurs écrits? ou est-il vraisemblable qu'une nation telle que celle des Juifs, qui avait depuis plusieurs siècles son établissement fixe, se portât, sans cause, à recevoir les uns comme de véritables prophètes, et à rejeter les autres comme des séducteurs? Qui croira qu'un peuple qui avait toujours regardé les livres de Moïse comme des livres divins, se soit résolu dans la suite à y en joindre d'autres, et à mettre leurs auteurs au rang des prophètes, sans que rien l'y déterminât? Ceux qui accusent les Juifs et les chrétiens d'impertinence, comment nous persuaderont-ils que la nation des Juifs ait pu subsister sans avoir rien qui lui donnât espérance de pouvoir connaître l'avenir? Les autres peuples dont ils étaient environnés auront eu cette persuasion que, s'adressant chacun, selon la coutume de son pays, aux divinités que l'on y adorait, ils en recevaient des prédictions et des oracles; et ceux-ci, qui méprisaient toutes ces divinités et qui les regardaient, non comme des dieux, mais comme des démons, ayant appris de leurs prophètes que tous les dieux des nations sont des démons (Ps. XCV ou XCVI, 5), ceux-ci auront été les seuls parmi lesquels il n'y aura eu personne qui fit profession de prédire l'avenir, et qui par ce moyen les empêchât de courir eux-mêmes après ces démons, pour satisfaire une curiosité si naturelle à tous les hommes? Jugez s'il n'y avait pas de la nécessité qu'un peuple, à qui l'on avait inspiré un tel mépris pour les dieux des autres, ne manquât pas chez soi de prophètes qui le convainquissent, par des preuves sensibles, qu'il y avait en eux quelque chose de plus grand et de plus admirable que dans tous les oracles étrangers. D'ailleurs, il se faisait partout quelque espèce de miracles, ou il s'en faisait du moins en divers lieux; et Celse rapporte lui-même ci-dessous l'exemple d'Esculape, qui guérissait des maladies et qui donnait des réponses sur l'avenir, dans les villes qui lui étaient consacrées, comme à Trique, à Épidaure, à Cos et à Pergame. Il y joint Arislée, de Praconnèse; un certain Clazoménien; et Cléomède, de l'île d'Astypalée. Il n'y aurait donc eu que les Juifs qui, tout consacrés au grand Dieu qu'ils se disaient, n'auraient eu ni miracles ni prodiges pour nourrir et pour fortifier la foi qu'ils avaient en ce Dieu, le créateur et le maître de l'univers, et pour s'affermir dans l'espérance d'une meilleure vie! Mais cela est-il croyable? N'auraient-ils pas incontinent préféré le culte de ces démons, qui prédisaient l'avenir et qui guérissaient les malades, à celui d'un Dieu qui, quelque foi qu'ils eussent en ses promesses, ne leur faisait du bien qu'en paroles et ne leur donnait aucune marque sensible de sa présence? Que si, bien loin d'en user ainsi, ils se sont exposés à toutes sortes de misères, plutôt que de renoncer au judaïsme et que d'en violer les lois, témoin ce qu'ils ont souffert et dans l'Assyrie, et dans la Perse, et sous le règne d'Antiochus ; comment ceux qui ne veulent pas se rendre aux histoires et aux prophéties surprenantes qu'on leur produit, ne se laissent-ils point, à tout le moins, persuader par la vraisemblance qu'il n'y a ici rien d'inventé, mais qu'un esprit divin, remplissant les saintes âmes de ces personnes qui donnaient tous leurs soins à l'étude et à la pratique de la vertu, les poussait à prophétiser, tantôt pour ceux de leur temps et tantôt pour la postérité, mais principalement pour désigner un Sauveur qui devait être envoyé aux hommes? Et cela étant, peut-on dire que les Juifs et les chrétiens se querellent pour l'ombre d'un âne, lorsqu'ils discutent par les prophéties, qu'ils reçoivent également, si ce Sauveur qu'elles désignent est venu ou non, s'il a déjà paru dans le monde ou s'il le faut encore attendre? On ne le pourrait pas dire, quand on accorderait à Celse, par supposition, que Jésus n'est pas celui que les prophètes avaient désigné; car il y aurait toujours de l'utilité à chercher le vrai sens des prophéties, afin de se faire une idée bien distincte du Sauveur qu'elles promettent, de savoir quelles sont les qualités et les actions qu'elles lui attribuent, et de connaître, s'il était possible, en quel temps il devrait venir. Nous avons déjà fait voir, au reste, par quelques-unes de ces prophéties . auxquelles on en pourrait joindre plusieurs autres, que Jésus est ce messie que l'on attendait. Ainsi donc les Juifs ni les chrétiens ne se trompent en croyant que les prophètes ont été divinement inspirés; mais ceux-là se trompent, qui attendent un messie tout différent de celui qui a été prédit, jugeant mal des particularités que les prophètes ont écrites de lui dans leurs livres, qui peuvent à juste titre être appelés discours véritables.

Celse s'imaginait que les Juifs étaient Égyptiens d'origine, et que s'ils quittèrent l'Égypte, ce ne fut qu'un effet de leur révolte contre leur patrie et de leur mépris pour les cérémonies de leur religion; il ajoute : Maintenant que ceux qui se sont attachés à Jésus et qui l'ont reçu pour le Messie, les ont traités de la même sorte qu'ils avaient eux-mêmes traité les Égyptiens; et qu'ils ne se sont portés à ces nouveautés, les uns et ¡es autres, que par un esprit de sédition. Mais il faut voir sur quoi est fondé ce qu'il avance. Les anciens Égyptiens, ayant fait une infinité d'outrages au peuple hébreu que la famine avait poussé de la Judée en leur pays, reçurent de Dieu le châtiment que toute leur nation méritait pour avoir ainsi, d'un commun accord, violé le droit de l'hospitalité à l'égard d'un peuple qui était venu implorer leur assistance, et qui ne leur avait jamais fait de tort (Gen., XLVI, 6). La Providence divine les ayant donc frappés de diverses plaies, ils furent bientôt contraints de donner malgré eux, à ceux qu'ils traitaient injustement en esclaves, la liberté de se retirer où ils voudraient (Exode, XII, 31). Mais, selon les maximes de l'amour-propre, les Égyptiens ont mieux aimé soutenir une mauvaise cause, parce que c'est la cause de leur nation, que de rendre justice à des étrangers; et il n'y a point de calomnies dont ils n'aient tâché de noircir Moïse et les Juifs, attribuant les miracles de Moïse, qu'ils n'osent absolument nier, non à la vertu de Dieu, mais à celle de la magie. Ce ne fut pas cependant comme un magicien, mais comme un homme plein de piété et dévoué au service du grand Dieu, que Moïse donna des lois aux Juifs, telles que l'esprit divin dont il était rempli les lui inspira, et qu'il prit soin d'écrire ces événements conformément à la vérité. Celse, au lieu d'examiner soigneusement, comme un bon juge doit faire, ce qui est rapporte d'une façon par les Égyptiens et d'une autre par les Juifs, se jette d'abord dans le parti des Égyptiens, comme s'il y était attiré par quelque charme, recevant pour véritable tout ce que disent ceux qui ont injustement maltraité de pauvres étrangers, et condamnant les maltraités comme des séditieux qui ont abandonné leur patrie, après s'être soulevés contre elle. Mais il ne considère pas s'il est bien possible qu'une troupe de séditieux ait formé un corps d'état malgré toute la puissance où l'Égypte se voyait alors élevée, et que dans cette sédition il soit arrivé un tel changement de langage, que des gens qui parlaient auparavant égyptien soient venus tout d'un coup à parler hébreu. Car supposons qu'en quittant l'Égypte ils aient conçu de l'aversion pour la langue qu'ils y avaient apprise dès leur enfance, comment ne se sont-ils pas plutôt servis de la syriaque ou de la phénicienne, que d'en aller composer une toute nouvelle, différente de l'une et de l'autre, savoir, l'hébraïque? ce que je ne dis que pour montrer qu'il est faux que quelques Égyptiens, s'étant soulevés contre les autres, aient quitté leur pays pour aller habiter dans la Palestine, ou, comme on la nomme présentement, dans la Judée. Car dans le fond les Hébreux, avant mène que de descendre en Égypte, avaient leur langue particulière et des caractères différents de ceux des Égyptiens; c'est de cette langue et de ces caractères dont Moïse se servit, écrivant les cinq livres que les Juifs regardent comme des livres divins.

Mais s'il est faux que les Hébreux soient originairement des Égyptiens, unis ensemble par la révolte, il n'est pas plus vrai que ce soit l'esprit de sédition qui, du temps des Juifs, ait porté une partie des Juifs à se séparer des autres pour le suivre ; car ni Celse, ni ses partisans, ne sauraient rien faire voir parmi les chrétiens qui sente la sédition. Et si pour société devait leur naissance à un soulèvement, s'étant ainsi formée au milieu du peuple juif, qui ne se fait pas scrupule de prendre les armes pour repousser ses ennemis, il n'est nullement croyable que leur législateur leur eût absolument défendu d'ôter la vie à qui que ce soit (Matth. XXVI, 52). Cependant il a déclaré que ses disciples, quelque injuste qu'un homme pût être, ne pouvaient jamais avec justice rien entreprendre contre lui : et il n'a pas cru que des lois divines comme les siennes dussent en aucune façon permettre le meurtre. Il n'y a pas plus d'apparence que les chrétiens, s'étant établis par la sédition, eussent voulu recevoir des lois si ennemies de la violence, qu'elles les obligent à se laisser égorger comme des brebis, sans leur donner la liberté de se défendre le moins du monde contre ceux qui les persécutent (Rom. VIII, 35 ou 36). Qui voudrait au reste approfondir les choses, pourrait dire, sur le sujet de ceux qui sortirent hors d'Égypte, qu'il y eut du miracle dans la manière dont tout ce peuple reprit en un instant l'usage de la langue hébraïque, comme si elle lui eût été inspirée de Dieu : et c'est ce que veut signifier un de leurs prophètes, lorsqu'il dit, que quand ils sortirent d'Égypte, ils ouïrent un langage qu'ils n'entendaient point (Ps. LXXX ou LXXXI, 6). L'on peut encore faire ce raisonnement pour prouver que ceux qui sortirent d'Égypte avec Moïse n'étaient pas Égyptiens; c'est que s'ils avaient été Égyptiens, leurs noms l'auraient aussi clé, comme on voit que ceux de chaque peuple sont lires de la langue de son pays. Mais les noms d'origine hébraïque qu'ils donnaient à leurs enfants dans l'Égypte même, comme il y en a une infinité d'exemples dans l'Écriture, font bien voir qu'ils y demeuraient en qualité d'étrangers, et par conséquent qu'il est faux, qu'étant originaires d'Égypte, ils en aient été chassés avec Moïse, comme les Égyptiens le soutiennent. On connaît par-là évidemment, au contraire, la vérité de ce que Moïse écrit dans son histoire, qu'ils étaient descendus d'ancêtres hébreux, puisqu'ils en conservaient la langue jusque dans les noms de leurs enfants. Pour ce qui est des chrétiens, parce qu'ils n'ont point refusé de se soumettre à ces lois de douceur el de patience, qui leur défendent de résister à leurs ennemis (Matth. V, 39), Dieu a fait pour eux ce qu'ils n'eussent pu faire eux-mêmes, quand, avec la permission de prendre les armes, ils eussent eu toute la puissance qui peut en faire espérer d'heureux succès. Car il a toujours combattu en leur faveur; et quand il en a été besoin, il a arrêté les desseins de ceux qui avaient conspiré leur ruine. Il est vrai que, pour l'exemple, il a permis de temps en temps que quelques uns d'eux, en petit nombre, soient morts pour la profession du christianisme, afin que la vue de leur foi et de leur constance affermît les autres dans la piété et dans le mépris de la mort; mais il n'a jamais souffert que toute leur société fût détruite, et il a voulu qu'elle subsistât pour répandre par toute la terre cette sainte el salutaire doctrine. L'on peut dire aussi que Dieu a eu égard à la faiblesse de ceux qui ne se peuvent mettre au-dessus de la mort, et que ç'a été pour leur donner le temps de se rassurer qu'il a souvent dissipé par sa volonté seule tous les complots formés contre ses fidèles empêchant et les rois, et les magistrats, et les peuples de se porter contre eux aux derniers excès de la fureur.

Voilà pour ce qui regarde ce que dit Celse, que ç'a été la sédition qui a fait le premier établissement tant des anciens Juifs que des chrétiens qui les ont ensuite abandonnés : mais comme ce qu'il ajoute est encore une fausseté manifeste, produisons ses propres paroles pour l'en mieux convaincre : Si tous les hommes se voulaient faire chrétiens, dit-il, il ne faut pas douter que ceux-ci n'en eussent du chagrin. Tant s'en faut que cela soit vrai, que les chrétiens ne négligent rien pour faire embrasser leur religion à tout le monde, si cela dépendait d'eux : et de là vient qu'il y en a qui s'occupent tout entiers à aller dans les villes, dans les bourgs et dans les villages, enseigner aux autres hommes la manière de bien servir Dieu. L'on ne saurait, au reste, les soupçonner de chercher par là à s'enrichir, puisqu'on voit que bien souvent ils ne veulent pas même qu'on leur donne ce qu'il faut pour vivre, ou que, si la nécessité les contraint quelquefois à le recevoir, ils se bornent à ce qu'elle demande ; quoiqu'il y ait assez de personnes qui soient prêtes à leur fournir beaucoup au delà. Peut-être donc qu'à présent que dans les progrès du christianisme il se trouve des nommes considérables par leurs richesses ou par leurs dignités, et même des femmes nées dans la grandeur et nourries dans les délices, qui favorisent les chrétiens, quelqu'un se pourrait imaginer qu'il y en a qui prêchent la doctrine de l'Évangile par un principe de vanité; mais au commencement qu'on ne pouvait l'embrasser el encore moins la prêcher sans un danger manifeste, il n'y avait pas lieu d'avoir ce soupçon. Et présentement même on peut dire que les prédicateurs de cette doctrine ont beaucoup plus de déshonneur parmi ceux de dehors, qu'ils n'ont parmi ceux de dedans, de ce qu'on appelle honneur, qui encore n'est pas toujours général. Il n'en faut pas davantage pour montrer combien il est faux de dire que si tous les hommes se voulaient faire chrétiens, les chrétiens eux-mêmes en auraient du chagrin. Mais voyons quelle preuve Celse en apporte. Lorsqu ils commencèrent à s'établir, dit-il, ils étaient en petit nombre et tous d'un même sentiment ; mais depuis qu'ils se sont multipliés on les a vus se diviser en diverses sectes ; chacun voulant former son parti : car ç'a toujours été là leur but. On ne peut nier que les premiers chrétiens
ne fussent en petit nombre, si on les compare à ceux qui les ont suivis, quoiqu'à parler absolument on ne doive pas dire que le nombre en fût petit. En effet, ce qui émut l'envie des Juifs contre Jésus, et qui les porta à lui dresser des embûches, ce fui la multitude de ceux qui le suivaient dans les déserts, au nombre de quatre et de cinq mille personnes, sans compter les femmes et les enfants (Matth. XV. 38 et XIV, 21). Car la douceur de ses discours était telle, qu'elle y attirait non seulement les hommes, mais aussi les femmes, malgré la faiblesse et la retenue de leur sexe. Il n'y avait pas jusqu'aux enfants, tout indifférents qu'ils sont, qui ne s'y laissassent conduire avec joie, soit par ceux à qui ils devaient la naissance ou même par la force de sa divinité, dont leur âme désirait se remplir. Mais quand les chrétiens auraient été en petit nombre, au commencement, que fait cela pour prouver qu'ils seraient fâchés que leur créance devint celle de tous les hommes? Celse dit qu'ils étaient d'abord tous unis dans un même sentiment. Mais il ne sait donc pas que dès le commencement il y eut diversité d'opinions entre les fidèles sur le sens de leurs livres sacrés. Dans le temps même que les apôtres prêchaient et que ceux qui avaient vu Jésus enseignaient ce qu'ils avaient appris de sa bouche, il s'éleva un différend considérable parmi les Juifs convertis, sur le sujet de ceux d'entre les Gentils qui renonçaient aux superstitions païennes pour embrasser le christianisme (Act., XV, 2); savoir s'il les fallait obliger à l'observation des cérémonies judaïques, ou si l'on devait les décharger de la distinction des viandes en pures et en impures comme d'un joug non nécessaire. Et dans les Épîtres de S. Paul, qui était contemporain de ceux qui avaient vu Jésus-Christ (I Cor. XV, 12), n'y a-t-il pas des choses qui font juger que quelques-uns avaient des erreurs sur la résurrection, comme s'il ne devait point y en avoir, ou qu'elle fût déjà arrivée (II Tim. II, 18) ; et sur le jour du Seigneur, doutant s'il était proche on éloigné ( II Thess., II, 2)? Ce que S. Paul dit ailleurs ; Évite les disputes vaines et profanes, et tout ce qu'opposé une doctrine qui porte faussement le nom de science dont quelques-uns faisant profusion ont fait naufrage en la foi (I Tim. VI, 20). fait bien voir encore que de ce temps où, selon Celse, le nombre des chrétiens était si petit, il y en avait pourtant qui prenaient mal les mystères de la religion.

Mais écoutons ce qu'il nous objecte sur les sectes qui partagent les chrétiens : Depuis qu'ils se sont multipliés, dit-il, ils se font divisés en diverses sectes, chacun voulant former son parti; et ils se condamnent les uns les autres, ne se pouvant souffrir mutuellement. De sorte qu'ils n'ont presque plus rien de commun que le nom, si l'on peut même dire qu'ils l'aient. C'est au moins la seule chose qu'ils aient eu honte d'abandonner ; pour c? qui est du reste, ils ont tous leurs maximes différentes. Puisqu'il fait de cela un reproche à la religion chrétienne, il lui faut répondre : Que l'on ne se partage en diverses sectes que pour des choses dont l'institution est louable el avantageuse à la société. Ainsi, parce que la médecine est utile et nécessaire aux hommes, et que cependant ils ne conviennent pas de quelle manière il la faut pratiquer, il s'est formé plusieurs sectes différentes de médecins. Tout le monde sait combien il y en a parmi les Grecs ; et je crois qu'il ne t'en trouve guère moins parmi les barbares, à qui cet art n'est pas inconnu. La philosophie aussi, qui promet de nous apprendre à bien vivre, en nous enseignant la vérité et en nous faisant connaître la nature de chaque chose, mais qui nous propose des moyens de nous rendre heureux, sur lesquels il y a de grandes contestations, a fait naître par là une inimité de sectes dont quelques-unes sont fort célèbres et les autres ne le sont pas tant. Le judaïsme pareillement en a produit quantité par les différentes explications qu'on a données aux écrits de Moïse et des prophètes. Également donc, le christianisme ayant paru tout plein de merveilles, non à quelques vils esclaves seulement, comme Celse le voudrait persuader, mais même à divers savants de Grèce, il a fallu nécessairement qu'il s'y soit élevé des sectes plutôt par le désir qu'ont eu ces savants d'en approfondir les mystères, que par aucune suite de querelles et de séditions. Et comme les uns ont trouvé de la vraisemblance en une chose et les autres en une autre, quand il a été question d'expliquer les livres qu'ils reconnaissaient unanimement pour divins, de là est venu que ces sectes ont pris des noms différents, selon qu'elles ont suivi les opinions de celui-ci ou de celui-là, bien que tous généralement soient remplis d'une égale admiration pour la religion chrétienne considérée en elle-même. Mais il n'y a personne d'assez peu raisonnable pour vouloir abolir l'usage de la médecine, parce qu'il y a plusieurs sectes de médecins. Et un homme sage ne se portera jamais à haïr la philosophie, sous ombre que tous les philosophes ne sont pas d'accord. On ne doit pas condamner non plus les livres sacrés de Moïse et des prophètes, à cause de la diversité de sentiments qui se trouve parmi les Juifs. Et si cela est conforme à la raison, pourquoi ne pourrons- nous pas dire la même chose des diverses sectes qui divisent les chrétiens? S. Paul en parle divinement, à mon avis, lorsqu'il dit : Il faut qu'il y ait même des sectes et des hérésies parmi vous, afin que l'on découvre par là ceux qui sont solides dans la piété (I Cor. XI, 19) . Car comme pour être solide dans la médecine, il faut en avoir soigneusement examiné la plupart des sectes avant que d'en préférer une à toutes les autres, et que pour être savant en philosophie il ne suffit pas d'avoir embrassé le bon parti, si l'on ne l'a fait après avoir bien pesé les raisons pour et contre; je puis dire semblablement que pour être bien instruit dans le christianisme, il faut avoir une exacte connaissance des diverses sectes qui se sont élevées et parmi les Juifs et parmi les chrétiens. L'on ne saurait, après tout, faire aucun reproche à la religion chrétienne pour cette diversité de sectes, qu'il ne retombe sur la doctrine de Socrate, qui s'est divisée en tant de branches différentes; et sur celle de Platon, laquelle Aristote abandonna pour établir de nouveaux principes, comme nous l'avons remarqué ci-dessus.

Il semble, au reste, que Celse ait connaissance de certaines sectes avec qui nous n'avons rien de commun, non pas même le nom de Jésus : et il se peut faire qu'il ait entendu parler de celles des Ophites cl dos Caïnites. ou s'il s'en trouve quelqu'autre semblable qui ait entièrement renoncé à Jésus-Christ; mais cela ne fait rien contre le christianisme. Il ajoute : Ce qu'il y a de plus merveilleux dans leur établissement, c'est qu'on les peut convaincre de ne s'être unis ensemble par aucune raison valable, si ce ne sont des raisons valables d'union, que l'amour du désordre, l'avantage qu'on y trouve et la crainte d'être opprimé; car ce sont là les fondements de leur société. Je réponds que notre société est tellement établie sur la raison ou plutôt sur la vertu et sur la puissance divine, que c'est Dieu lui-même qui en a jeté les fondements, par l'espérance que ses prophètes ont donnée aux hommes, du Messie qui devait venir les sauver. Car plus les infidèles font de vains efforts pour nous convaincre d'être mal fondés en cela, plus ils confirment la divinité de cette parole qu'ils combattent si vainement, et la nécessité qu'il y a de reconnaître Jésus pour le Fils de Dieu, avant et après son incarnation. Je dis après son incarnation; car ce voile n'empêche pas ceux oui ont les yeux de l'âme assez perçants de voir toujours avec évidence que la parole dont il s'agit est vraiment une parole divine ; qu'elle vient immédiatement du ciel, que l'esprit des hommes n'y a rien contribué, ni dans les commencements ni dans la suite; mais que c'est Dieu lui-même qui, s'étant, révélé à eux par les effets d'une admirable sagesse et par l'éclat d'une infinité de miracles, a premièrement établi le judaïsme et puis le christianisme. Ce que Celse dit, que c'est l'amour du désordre et l'avantage qu'on y trouvait qui ont donné la naissance à une doctrine qui a converti et purifié tant d'âmes, est une chose que nous avons déjà réfutée. Et pour ce qui est de la crainte d'être opprimé, il est clair que notre union ne saurait être l'effet d'une telle cause, qui, par la grâce de Dieu, a cessé il y a longtemps. Bien qu'au fond les fidèles n'aient pas lieu de se promettre la continuation du repos dont ils jouissent maintenant à l'égard des choses de cette vie ; car leurs perpétuels calomniateurs ne manqueront pas sans doute de publier encore que les grands désordres qui troublent à présent l'empire ne viennent que de ce que ceux qui le gouvernent ont laissé multiplier les chrétiens, au lieu de s'attacher à les détruire, ainsi qu'autrefois. Mais comme la religion que nous professons nous apprend à ne nous point endormir et à ne nous point relâcher pendant la paix, elle nous enseigne aussi à ne pas perdre courage lorsque le monde nous fait la guerre, et à ne renoncer jamais à l'amour que nous devons au grand Dieu en Jésus-Christ. Celse dit que nous cachons nos principes; mais bien loin de cela, nous tâchons d'en mettre les beautés dans tout leur jour, comme I'on voit en ceux qui se rangent parmi nous. Car la première chose que nous faisons, c'est de leur inspirer du mépris pour les idoles et en général pour tous les simulacres.  Après, nous élevons leur esprit jusqu'au vrai Dieu, en les détournant de rendre à des créatures le service qui n'est dû qu'au Créateur. Enfin, nous leur faisons reconnaître le Messie, le leur montrant clairement prédit dans ce grand nombre d'oracles des anciens prophètes, et leur expliquant à fond, s'ils sont assez forts pour cela, les écrits des évangélistes et des apôtres.

Il dit ensuite, que nous avons ramassé je ne sais combien de vieux contes pour épouvanter les simples ; mais il laisse à d'autres le soin de le prouver : si ce n'est que la doctrine du jugement, où Dieu doit faire comparaître tous les hommes pour leur faire rendre compte de leurs actions; une doctrine solidement établie, et sur l'autorité de l'Écriture, et sur les lumières de la raison, soit ce qu'il appelle des contes propres à épouvanter les simples. Mais il faut lui rendre ce témoignage que nous devons à la vérité, c'est que, vers la fin de son écrit, il reconnaît qu'il faudrait être bien impie pour nier le dogme de la punition que doivent attendre les méchants, et de la récompense destinée aux justes ; et que ni lui, ni nous, ni qui que ce soit, ne devons jamais le mettre en doute. Quelles peuvent donc être ces frayeurs que nous donnons aux hommes pour les attirer à nous, si par là il faut entendre autre chose que le dogme de la punition des méchants ?  Il ajoute : Qu'ayant ramassé tous ces vieux contes que nous avons altérés en mille manières, nous en remplissons d'abord l'esprit de nos disciples, pour les étonner ; et que nous imitons en cela tes prêtres de Cybèle, qui étourdissent du bruit de leurs tambours ceux qu'ils initient à ses mystères. Mais d'où avons-nous pris ces vieux contes, pour les avoir ainsi altérés ? Est-ce des Grecs qui enseignent qu'il y a sous terre un tribunal où les hommes sont jugés après leur mort : ou si c'est des Juifs, dont les livres prophétiques parlent, entre autres choses, de la vie qui doit suivre celle-ci ? Quelque parti qu'il prenne, on le défie de prouver qu'en réglant notre conduite sur la persuasion de ce jugement à venir, nous nous éloignions de la vérité, nous qui tâchons de ne pas croire sans savoir rendre raison de ce que nous croyons.

Après cela, il compare notre créance avec la religion des Égyptiens. Il dit que, quand on s'approche de leurs temples, on n'y découvre rien qui ne donne de l'admiration ; de grands et de somptueux bâtiments, de superbes portiques, de belles et riches balustrades, des bois »acres qui impriment le respect dans l'âme, des cérémonies pleines de dévotion et de mystère : mais que quand on est entré jusqu'au fond on y trouve pour objet d'adoration, un chat, un singe, un crocodile, un bouc ou un chien. Qu'y a-t-il donc parmi nous qui réponde à cette pompe extérieure des Égyptiens? Et qu'y a-t-il aussi qui ait du rapport avec les vils animaux que l'on adore dans ces temples magnifiques ? Celse dira-t-il bien de nos prophéties, du grand Dieu que nous servons et de notre sentiment sur les simulacres, que c'est ce que nous avons de spécieux : mais que pour notre Jésus-Christ crucifié. il mérite d'être comparé aux animaux qu'on sert en Égypte? S'il dit cela, car je ne pense pas qu'il puisse dire autre chose, nous lui répondrons que nous avons déjà amplement prouvé sur le sujet de Jésus, que ce qui semble lui être arrivé de plus honteux à l'égard de sa nature humaine, ne lui est arrivé que pour le salut des hommes et pour le bien de tout l'univers. Celse fait encore davantage; car sur ce que ceux qui portent le nom de prophètes parmi les Égyptiens, tâchent de donner de la couleur au culte qu'ils rendent à des bêtes, en disant qu'elles sont des symboles de la divinité ou tout ce qu'il vous plaira, il veut qu'il y ait là-dedans je ne sais quoi de majestueux qui fait sentir à ceux qui y sont instruits, que ce ne sont pas de vains amusements ; mais pour ce qui est des choses admirables que les plus éclairés découvrent dans la doctrine chrétienne, par ces lumières de l'esprit, que S. Paul appelle don de sagesse et don de science (I Cor. XII, 8), il paraît de la manière qu'il parle qu'il n'en a jamais eu la moindre idée, puisqu'outre ce qu'il dit en cet endroit, il accuse ailleurs les chrétiens de bannir du nombre de leurs fidèles toutes les personnes sages, et de n'y recevoir que des misérables sans esprit et sans vertu. Nous lui répondrons sur cela en temps et lieu. Il ajoute maintenant : que nous nous moquons des Égyptiens, encore qu'ils nous proposent plusieurs beaux emblèmes sous lesquels ils nous veulent faire adorer des intelligences éternelles, et non des animaux périssables, comme la plupart se l'imaginent ; mais que nous sommes des extravagants, puisque les choses que nous disons de Jésus n'ont rien de plus noble ni de de plus relevé que les chiens et que les boucs des Égyptiens. Je veux qu'il ait raison, de louer les beaux emblèmes des Égyptiens et les symboles ingénieux qu'ils nous présentent dans leurs animaux; mais en a-t-il de prétendre que nous ne disions rien qui mérite qu'on y ait égard quand nous mettons au jour la sagesse de notre doctrine en expliquant tout ce qui regarde Jésus à ceux qui sont avancés dans la connaissance de nos mystères? Ce sont ces chrétiens avancés et capables de pénétrer dans cette sagesse que S. Paul appelle parfaits lorsqu'il dit : Nous prêchons la sagesse entre les parfaits, non la sagesse de ce monde, ni des princes de ce monde qui se détruisent ; mais nous prêchons la sagesse de Dieu renfermée dans son mystère ; cette sagesse cachée qu'il avait préparée avant tous les siècles pour notre gloire, et que nul des princes de ce monde n'a connue (Cor., II, 6). Je voudrais donc bien que quelqu'un de ceux qui sont dans les sentiments de Celse, nous dit si quand S. Paul se vante de prêcher la sagesse entre les parfaits, il le fait sans savoir même ce que c'est qu'une profonde sagesse. Il ne manquera pas de le dire avec une hardiesse digne de telles gens; mais il le dit, nous aurons deux choses à lui demander : la première, qu'il étudie un peu les Épîtres de celui qui parle de la sorte, l'Épître aux Éphésiens par exemple, aux Colossiens, aux Thessaloniciens, aux Philippiens ou aux Romains : la seconde, qu'après les avoir étudiées, il nous fasse voir, et qu'il entend tout ce qu'il y aura lu, et qu'il y a trouvé des choses indignes d'un homme sage. Je suis assuré que s'il lit les Épîtres de S. Paul avec attention, ou il admirera des écrits qui renferment de si grandes choses sous des paroles communes; ou s'il ne les admire pas, il passera lui-même pour ridicule, soit qu'il se contente d'en proposer simplement le sens comme l'ayant bien compris, soit qu'il entreprenne de combattre et de détruire ce qu'il se sera imaginé de comprendre. Je ne parle point encore de tout ce qui se présente à notre méditation dans les Évangiles, où il y a de quoi exercer les personnes les plus éclairées aussi bien que les plus simples : témoins les beautés secrètes des paraboles sous lesquelles Jésus cachait à ceux de dehors ce qu'il expliquait en particulier à ceux qui, ne s'arrêtant pas à ce son extérieur de ses paroles, s'approchaient de lui à la maison pour s'instruire dans les choses mêmes (Marc, IV, 34). Et qui n'admirera ce qu'il faut entendre lorsque les uns sont nommés ceux de dehors, et les autres ceux de la maison? Ou qui pourra pénétrer sans étonnement ce qu'emporte la différence des lieux que Jésus choisissait selon la diversité des rencontres, montant sur une montagne pour de certains discours et pour de certaines actions, comme quand il fut transfiguré, et guérissant au bas les malades qui ne le pouvaient suivre avec ses disciples? Mais ce n'est pas ici le lieu de s'étendre sur les merveilles véritablement divines des Évangiles ni sur celles que S. Paul nous fait remarquer en Jésus-Christ, qui est la sagesse et la parole de Dieu. Ce que nous avons dit peut suffire pour repousser les railleries indignes d'un philosophe, que Celse a voulu faire des mystères de l'Église, en les comparant aux chats, aux singes, aux crocodiles, aux chiens et aux boucs des Égyptiens. Il ne croit pas pourtant avoir encore assez fait connaître le noble caractère de son esprit; et pour n'oublier aucune des ingénieuses comparaisons dont il se peut aviser, pour se divertir à nos dépens, il nous allègue ensuite Castor et Pollux, Hercule, Bacchus et Esculape, qui d'hommes sont devenus dieux, si l'on s'en rapporte aux Grecs. Il dit que bien qu'ils aient fait plusieurs actions d'un grand éclat, à l'avantage du genre humain, nous ne pouvons nous résoudre à les regarder comme des dieux, parce que d'abord c'étaient des hommes; mais que pour notre Jésus, nous soutenons qu'après sa mort . il est apparu à ses disciples les plus affidés. Et afin que son accusation soit plus pressante, il ajoute: Que quand nous disons qu'il est apparu à ses disciples, c'est d'une ombre que cela se doit entendre. Je réponds, que Celse fait voir ici son adresse, en ce qu'il ne veut ni déclarer positivement qu'il n'adore point ces dieux dont il nous parle, de peur qu'en disant son sentiment avec liberté, il ne passât pour athée dans l'esprit de ceux entre les mains de qui son livre pourrait tomber, ni feindre aussi qu'il les reconnaît pour de véritables dieux. Pour nous, il ne nous serait pas plus difficile de le satisfaire sur l'une de ces suppositions, que sur l'autre. Supposant donc que nous disputons contre quelqu'un, qui ne les tienne pas pour des dieux, nous lui demanderons s'il croit qu'ils ne soient rien du tout, mais que leur âme soit tout à fait éteinte, comme il y en a qui disent que l'âme de tous les hommes s'éteint par la mort : ou s'il croit qu'ils subsistent toujours, non à la vérité comme des dieux ; mais soit comme des héros, soit comme de simples âmes, quoi qu'il en soit, comme des êtres immortels, selon la pensée de ceux qui disent que l'âme, séparée du corps, subsiste dans un état d'immortalité. S'il dit qu'ils ne sont rien du tout, ce sera à nous à lui prouver l'immortalité de l'âme, qui est le point fondamental de noire créance. S'il dit qu'ils subsistent, nous ne laisserons pas d'établir notre sentiment touchant l'autre vie, non seulement par rapport à ce que les Grecs en ont enseigné de raisonnable, mais conformément aussi à ce que la révélation divine nous en a appris ; et nous ferons voir par les histoires de ces prétendus héros, qui pendant leur vie ont adoré je ne sais combien de fausses divinités, qu'il est impossible qu'après leur mort, ils aient été reçus au nombre des bienheureux. Car quel jugement pouvons-nous faire d'Hercule, après ce que les auteurs païens nous racontent eux-mêmes de ses débauches et de la vile condition où il se mit chez Omphale déguisé en fille ? Que pouvons-nous penser d'Esculape foudroyé par leur Jupiter et de (Castor et Pollux) ces deux frères,

Qui partageant entre eux el la vie et la mort,
Ne passent point de jours qu'ils ne changent de sort,
Et qui, tels que des dieux, sont adorés des hommes?

(ODYSS., liv. II. v. 502.)

Comment veut-on que ceux-ci qui meurent tant de fois, el ces autres dont nous venons de parler, puissent soutenir le nom de dieux ou même celui de héros? mais il n'en est pas ainsi de notre Jésus. Ce que nous croyons de lui, nous le prouvons par les écrits des prophètes, et nous refusons pas ensuite de comparer son histoire avec celle de ces héros fabuleux, pour faire voir que sa vie a été irrépréhensible; car ses propres ennemis, qui cherchaient de faux témoignages contre lui, ne purent rien trouver qui leur donnât le moindre prétexte de l'accuser de quelque dérèglement. Sa mort aussi ne fut qu'un effet des embûches qu'ils lui dressèrent, ce qui n'a rien de commun avec la foudre dont Esculape fut frappé. A l'égard de Bacchus, qu'y a t-il ou dans sa fureur, ou dans ses habits de femme, qui mérite les honneurs divins? Si, pour défendre leur cause, on a recours aux allégories, il faudra examiner d'un côté si ces allégories sont justes et bien fondées, et de l'autre, si l'on peut croire que des dieux, détrônés et mis en pièces par les Titans, aient une subsistance réelle et soient dignes de nos adorations cl de notre culte. Pour ce qui psi de notre Jésus, lorsqu'il est apparu à ses disciples les plus affidés (afin de parler comme Celse), il leur est apparu réellement; et il faut une impudence extrême, pour oser avancer que cela se doit entendre d'une ombre. S'il en faut venir à la comparaison des histoires, Celse prétend-il que celles de ses héros soient véritables, et que celle de Jésus soit fausse, bien que ceux qui ont écrit cette dernière aient été eux-mêmes les témoins des choses qu'ils ont écrites ; qu'ils aient donné des preuves sensibles de la certitude qu'ils ont eue de ne s'être point trompés en ce qu'ils ont vu, et qu'ils aient assez justifié que leur déposition est sincère, par les souffrances où ils n'ont fait aucune difficulté de s'exposer pour la soutenir? Un homme qui voudra ne rien faire que par raison, sera-t-il jamais capable de se rendre témérairement à l'autorité des uns, et de rejeter sans examen le témoignage îles autres? On dit d'Esculape qu'il y a un fort grand nombre de Grecs et de Barbares qui assurent qu'ils l'ont vu et qu'ils le voient encore souvent prédire l'avenir, guérir des malades et faire d'autres miracles qu'un fantôme ne saurait faire. Celse voudrait que nous le crussions, et il ne nous en blâmerait point. Mais si nous croyons en Jésus sur ce qu'en ont écrit ses disciples, qui ont vu eux-mêmes les merveilles de ses actions, et qui nous ont donné les marques les plus certaines de candeur et de bonne conscience que des hommes en puissent donner dans leurs écrits, nous ne sommes, selon lui, que des extravagants. Où prendra-t-il cependant ce nombre innombrable de Grecs et de Barbares, qu'il dit qui reconnaissent la puissance d'Esculape? mais s'il juge que cela soit de si grand poids, il ne nous sera pas difficile à nous de lui montrer un nombre innombrable de Grecs et de Barbares qui reconnaissent celle de Jésus, dont quelques-uns, pour faire voir que leur foi produit en eux quelque chose d'extraordinaire, guérissent des malades sans y employer d'autres moyens que l'invocation du grand Dieu, au nom de Jésus, avec le récit de l'histoire de l'Évangile. Car nous en avons vu nous-même plusieurs qui ont été ainsi délivrés d'accidents fâcheux, comme d'égarements d'esprit, de manie et d'une infinité d'autres dont ni les hommes, ni les démons, n'avaient pu les soulager. Mais quand j'accorderais qu'un certain démon nommé Écuslape eût le pouvoir de guérir les corps, je pourrais dire à ceux qui admireraient soit les guérisons d'Esculape, soit les prédictions d'Apollon, que la vertu de guérir des maladies corporelles, et celle de prédire l'avenir, sont de l'ordre des choses indifférentes ; car de ce qu'elles se trouvent dans un sujet, il ne s'ensuit pas que les qualités morales de ce sujet soient bonnes ; il est également possible qu'elles soient mauvaises. Ce serait donc à eux à prouver que ceux qui ont la faculté de guérir ou de prédire ne peuvent avoir de mauvaises qualités ; qu'ils en ont nécessairement do bonnes, et que peu s'en faut qu'ils ne méritent de passer pour dieux; mais c'est ce que l'on ne prouvera jamais à l'égard de ceux qui font, soit les guérisons, soit les prédictions dont il s'agit. On voit en effet plusieurs personnes qu'on dit avoir été guéries par eux, qui sont entièrement indignes de vivre, étant si corrompues que même un sage médecin ferait scrupule de les guérir. Il se trouvera aussi que les oracles d'Apollon ne sont pas toujours fort raisonnables. Je n'en veux, pour cette heure, alléguer que deux exemples. Le premier, d'un lutteur nommé, je crois, Cléomède, à qui l'oracle veut que l'on rende les honneurs divins, trouvant dans sa lutte quelque chose de plus digne d'estime, que dans la sagesse de Pythagore et de Socrate, pour qui il n'ordonne rien de pareil. L'autre, du poète Archiloque à qui il donne l'éloge de favori des Muses, quoique ses vers n'aient rien que de sale el de déshonnête, et qu'il ait vécu d'une manière bien impure el bien déréglée pour un favori des Muses qui devait avoir de la piété, si les Muses sont des déesses. Je ne crois pas, en effet, qu'il y ait personne qui n'avoue que si la piété est inséparable de toutes les vertus, elle l'est eu particulier de la modestie et de la pudeur : el je doute fort qu'un homme, qui connaîtrait un peu celles-ci, voulût rien dire d'approchant des saletés qu'Archiloque a mises dans ses vers ïambiques. Si donc, ni le pouvoir de guérir des maladies, ni celui de prédire l'avenir, ne sont pas nécessairement des qualités divines, par quelle raison les veut-on faire passer pour telles dans un Esculape et dans Apollon, quand il serait vrai qu'ils les eussent? Peut-on conclure de là que ce soient des dieux d'une sainteté parfaite, surtout après ce que l'on dit de l'endroit par où l'esprit prophétique d'Apollon, cet esprit qui n'a rien de grossier ni de terrestre, entre dans le corps de la Pythie, comme elle est assise au-dessus du trou sacré? Pour nous, nous ne disons rien de pareil de Jésus, ni de sa puissance : car nous savons que le corps qu'il prit dans le sein de la Vierge, était un corps matériel sujet aux blessures et à la mort comme celui des autres hommes.

Voyons maintenant les aventures étranges que Celse tire de l'histoire et auxquelles il veut bien ajouter foi, du moins dans son écrit, tout incroyables qu'elles paraissent d'elles-mêmes. Il commence par celle d'Aristée,et il la raconte en ces termes : Aristée de Proconnèse, après avoir miraculeusement disparu d'entre les hommes, s'était depuis clairement fait voir en divers temps et en divers lieux, où il avait dit des choses surprenantes. Apollon avait même expressément commandé aux habitants de Métaponte, de le mettre au rang des dieux : et cependant personne ne l'y met plus. Il y a de l'apparence qu'il a pris cela de Pindare et d'Hérodote, mais il suffira de rapporter ici ce que le dernier en dit dans le quatrième livre de son histoire : J'ai déjà marqué, dit-il, d'où était Aristée ; mais ce que j'ai entendu dire de lui dans Proconnèse et à Cyzique, mérite bien d'être su. Aristée, qui était d'une des meilleures maisons de Proconnèse, étant entré un jour dans la boutique d'un foulon, il y mourut. Le foulon ayant bien fermé sa porte, alla incontinent avertir les parents du mort. Mais comme le bruit s'en fut répandu par la ville, un homme de Cyzique, qui venait de celle d'Artace, assura que cela ne pouvait être, qu'il avait rencontré Aristée sur le chemin de Cyzique et lui avait parlé, ce qu'il soutenait hautement. Là-dessus, les parents arrivent chez le foulon avec tout l'appareil nécessaire pour enlever le corps ; mais étant entrés dans la maison, ils n'y trouvent Aristée,ni  mort, ni vivant. Sept ans après il se fit voir  dans Proconnèse; il y fit ces vers que les Grecs  appellent Arimaspées, et il disparut ensuite  pour la seconde fois. C'est ce que l'on en dit dans ces villes-là ; mais il faut y ajouter ce que j'ai appris qui arriva aux habitants de Metaponte, en Italie, trois cent quarante ans après le dernier de ces deux événements, comme je le recueille, en comparant ce qu'on dit dans Proconnèse avec ce qu'on dit dans Métaponte. Les Métapontins disent donc qu'Aristée se présenta à eux dans leur pays ; qu'il leur ordonna de bâtir un autel à Apollon, et d'élever tout auprès une statue en l'honneur d'Aristée, de Proconnèse, ajoutant qu'ils étaient ¡es seuls des peuples d'Italie qu'Apollon eût honorés de sa présence; que pour lui, qui se faisait connaître pour Aristée, il avait alors accompagné ce dieu sous la figure d'un corbeau, et que leur ayant ainsi parlé, il disparut ; qu'ils envoyèrent consulter l'oracle de Delphes sur cette vision; et que la Pythie leur répondit qu'ils suivissent le conseil qui leur avait été donné, et qu'ils s'en trouveraient bien ; qu'ainsi ils obéirent aux ordres qu'ils avaient reçus. En effet, la statue qu'ils élevèrent à Aristée, se voit encore joignant celle d'Apollon, dans un petit bois de lauriers qui est au milieu de la place publique. Voilà ce que je sais d'Aristée. Si Celse s'était contenté de faire ce récit sans l'approuver comme véritable, nous lui répondrions autrement; mais puisqu'il veut paraître persuadé qu' Aristée disparut par miracle; que depuis, il s'est clairement fait voir en divers lieux, et qu'il y a dit des choses surprenantes : puisqu'il nous allègue même, comme de son chef, l'exprès commandement qu'Apollon fit aux Métapontins de mettre Aristée au rang des dieux, nous lui pouvons demander: Quoi ! vous prenez pour de pares fables toutes les merveilles que les disciples de Jésus nous disent de lui, vous ne pouvez souffrir qu'on les croie, et vous ne trouvez rien de fabuleux ni d'incroyable dans cette autre histoire? Vous, qui accusez les autres d'une trop grande crédulité, comment ne songez-vous point à justifier celle que vous témoignez pour un fait qui mériterait bien que vous ne le laissassiez pas comme vous faites, sans aucune preuve? Est-ce que la sincérité d'Hérodote et de Pindare passe pour indubitable en voire esprit, pendant que vous refusez toute créance à des personnes qui n'ont point refusé de sceller de tout leur sang la vérité des choses dont leurs écrits ont éternisé la mémoire? C'est donc à votre avis, pour des contes, pour des fables et pour des rêveries qu'ils ont pris une si ferme résolution de vivre dans la misère et de mourir dans les tourments? Mais soyez vous-même l'arbitre du différend que vous faites naître entre Aristée et Jésus, et considérant ce que chacun d'eux a fait pour la correction des m?urs et pour l'établissement des devoirs auxquels la piété nous oblige envers le grand Dieu, jugez par l'événement ce qu'il faut croire des aventures de l'un et de l'autre; si celles de Jésus ne portent pas un caractère divin qui ne paraît nullement dans celles d'Aristée. Car quoi aurait été le dessein de la Providence, en faisant pour ce proconnésien, les miracles dont vous nous parlez ? Quel fruit aurait-elle voulu que les hommes en tirassent? Vous auriez de la peine à le dire. Mais pour nous, après avoir raconté l'histoire de Jésus, nous rendons une raison très solide des choses merveilleuses qu'elle contient; c'est que Dieu a voulu par là confirmer la doctrine salutaire que Jésus a apportée au monde (Ephés., II, 20) : cette doctrine, dont les apôtres ont été comme les fondements, sur la fermeté desquels tout l'édifice du christianisme s'est élevé, dans les temps qui ont suivi, où la main de Dieu parait encore, par un assez grand nombre de guérisons qui se font au nom de Jésus, et par d'autres opérations surprenantes. D'ailleurs, quelle est l'autorité de cet Apollon qui commanda si expressément aux habitants de Métaponte de mettre Aristée au rang des dieux? Quel était son but en cela : et quel avantage prétendait-il que les Métapontins trouvassent à lui obéir, en adorant un dieu qui un peu auparavant n'était qu'un homme? Apollon, selon nous, n'est qu'un démon qui se laisse prendre par la fumée de quelque sacrifice ou par l'effusion de quelque liqueur. Cependant, il vous suffit qu'il ait parlé : sa recommandation rend Aristée digne d'avoir des autels ; mais celle du grand Dieu et de ses saints anges, en faveur de Jésus, apportée aux hommes par les prophètes, non depuis qu'il est venu au monde, mais avant qu'il y parût, a si peu de force sur vous, que vous n'admirez ni les prophètes, remplis de l'esprit divin, ni celui qui était le sujet de toutes leurs prophéties. Il y a pourtant assez de quoi admirer ce grand nombre de prédictions qui, depuis tant d'années, avaient tellement attaché les espérances de toute la nation des Juifs à l'attente de cet avènement du Messie, que dès que Jésus parut, elle se divisa en deux partis, plusieurs le reconnaissant pour celui qui avait été promis par les prophètes, et les autres rejetant avec mépris l'auteur d'une doctrine qui ne permettait pas à ses sectateurs de violer le moins du monde les règles de douceur et de patience qu'elle leur prescrivait. Ce fut même ce qui donna à ces incrédules la hardiesse d'entreprendre contre lui toutes les choses que ses disciples nous racontent avec tant d'ingénuité et de bonne foi, qu'ils n'ont point voulu retrancher de sa merveilleuse histoire ce que plusieurs regardent comme l'opprobre de la religion chrétienne. Aussi, tant le maître que les disciples voulaient-ils que les fidèles ne s'arrêtassent pas uniquement aux miracles
et à la divinité de Jésus comme s'il n'eût point eu de part à la nature humaine et qu'il ne se fût point revêtu de cette chair infirme, dont les mouvements sont contraires à ceux de l'esprit (Gal., V, 17). Ils savaient que cet Être si élevé au-dessus des hommes, qui s'était abaissé jusqu'à leur condition et à leurs faiblesses, jusqu'à prendre un corps et une âme semblables aux leurs, ne contribuait pas moins par cet abaissement que par ce qu'il avait de plus divin, au salut de ceux qui s'attachaient à lui par leur foi. Nous voyons en effet que c'est en lui qu'a commencé l'union de la nature divine avec l'humaine, afin que la nature humaine, unie étroitement avec la divine, devint ainsi divine elle-même, non seulement en Jésus, mais en tous ceux, généralement qui, après avoir cru, conforment leur vie aux préceptes de Jésus; car tous ceux qui les suivent ont part à l'amour de Dieu et entrent dans sa communion. L'Apollon de Celse voulait que les Métapontins missent Aristée au rang des dieux; mais les Métaponlius voyant qu'Aristée n'était qu'un homme et peut-être des moins vertueux préférèrent l'évidence de ces raisons à l'autorité de l'oracle qui leur ordonnait de le reconnaître pour Dieu ou de lui rendre les honneurs divins. Ainsi, ils ne voulurent point obéir à Apollon, et cet ordre de mettre Aristée au rang des dieux n'a été exécuté de personne. Pour ce qui est de Jésus, nous pouvons dire que, comme il était d'une souveraine utilité pour les hommes de le reconnaître pour le Fils de Dieu, pour un Dieu venu sur la terre avec un corps humain et une âme humaine, et qu'au contraire ces démons charnels et terrestres, pour qui les voluptés corporelles ont tant d'appas et qui se l'ont adorer comme des dieux à ceux qui sont mal instruits de la nature des démons, ne trouvaient pas leur compte à le laisser reconnaître pour ce qu'il était, ils firent avec leurs dévots tout ce qu'ils purent pour empêcher que sa doctrine ne s'établît dans le inonde; car ils voyaient bien que si elle s'y établissait, elle en bannirait ces sacrifices et ces libations qui les chatouillaient si agréablement. Mais Dieu, qui avait envoyé Jésus, dissipa toutes les embûches des démons, fit triompher par toute la terre l'Évangile de son Fils, pour la conversion cl pour la correction des hommes, et forma partout des assemblées de fidèles opposées aux autres assemblées de superstitieux, d'intempérants et d'injustes. Car ce sont de ces sortes de personnes que les villes voient ordinairement dans leurs assemblées politiques; mais si l'on compare les assemblées qui servent Dieu selon les enseignements de Jésus-Christ, à celles des peuples dont elles se sont séparées, elles sont parmi ces autres comme des astres dans le monde (Philip.. Il, 15). Et qui n'avouera que ceux de nos assemblées ecclésiastiques qui ont fait le moins de progrès dans la vertu et qui sont dans un degré très bas au prix des plus avancés, valent beaucoup mieux que la plupart de ceux dont les assemblées civiles sont composées? Considérez, par exemple, l'église d'Athènes, vous y verrez régner la douceur et le bon ordre dans le dessein qu'elle a de plaire au grand Dieu, pendant que l'assemblée politique des Athéniens, dans une disposition bien différente, est pleine de confusion et de trouble. J'en dis autant de l'église de Corinthe, comparée à l'assemblée des autres habitants de la même ville, de sorte qu'une personne sincère et équitable, qui voudra y faire réflexion, ne pourra s'empêcher d'admirer celui qui a su et concevoir et exécuter le dessein de former à Dieu des églises au milieu de ces corps politiques, où se font autant de corps à part. Et qui mettrait en parallèle ceux qui gouvernent les unes, et ceux qui gouvernent les autres, trouverait que parmi les conducteurs de nos églises, il y en a qui mériteraient de commander dans une ville habitée par des citoyens divins. s'il y en avait une telle dans le monde, au lieu que ceux qui tiennent le premier rang dans les sociétés civiles, n'ont rien dans leurs moeurs qui les rende dignes de la prééminence qu'il semble que leur dignité leur donne sur les autres hommes. Si l'on veut même prendre en chaque ville le principal magistrat du peuple et le pasteur de l'église, la comparaison qu'on en fera sera toujours à l'avantage du dernier, pour vous faire voir que, bien que ceux qui ont part au gouvernement de nos églises ne soient pas tous égaux, et qu'il y en ait qui ne suivent les autres que de loin dans la voie de la vertu, il est certain pourtant que les moeurs des moins avancés en sainteté sont en général plus pures et mieux réglées que celles des magistrats politiques. Cela étant n'y a-t-il pas toute sorte de raisons de conclure que Jésus, qui a réussi dans une telle entreprise, était accompagné d'une puissance vraiment divine, mais qu'il n'y a rien eu de divin, ni dans Aristée, quelque commandement qu'Apollon ait fait de le mettre nu rang des dieux, ni dans ces autres. dont Celse nous parle? il dit que personne ne prend pour Dieu l'Hyperborée Abaris, quoi qu'il eût le privilège de fendre les airs avec !a même vitesse que sa flèche. Mais il ne faut pas s'en étonner; car à quel dessein la Divinité aurait-elle donné à cet Abaris un pareil privilégie? Quel usage en pouvait-il faire pour le bien des autres hommes ou pour le sien propre, quand j'accorderais que ce n'est point là une fable, mais que c'est l'effet de quelque cause surnaturelle? Au lieu que quand on me dit que mon Jésus a été élevé dans la gloire (I Tim., Ill 16), j'en vois la raison dans la sagesse de Dieu qui, par ce miracle qu'il a fait pour le maître, en la présence des disciples, a voulu les attacher à lui afin qu'étant convaincus que sa doctrine était non des hommes, mais du ciel, ils la soutinssent avec un courage inébranlable, ils se consacrassent au service du grand Dieu, et se le proposassent pour la fin de toutes leurs actions, comme ayant à lui en rendre compte dans ce jugement où chacun doit recevoir la récompense du bien ou du mal qu'il aura fait en cette vie.

Celse rapporte aussi l'histoire de ce Clazoménien (nomme Hérmotime), dont l'âme, à ce  qu'on dit . sortait souvent de son corps, pour aller faire des courses en divers lieux. Et cependant, ajoute-t-il, il ne passe point non plus pour dieu parmi les hommes. Mais il lui faut répondre que ce sont peut-être quelques mauvais démons qui ont trouvé le moyen de faire publier ces choses (car je ne crois pas qu'ils aient trouvé celui de les faire effectivement arriver), afin que ce que les prophètes ont écrit de Jésus et ce qu'il a dit lui-même, ou fût rejeté, comme des fables pareilles à celle-là, ru ne fût pas plus admiré comme n'ayan» rien de plus extraordinaire. Notre Jésus disait de son âme, pour montrer qu'elle ne devait pas être séparée de son corps par une nécessité naturelle (Jean, X, 18), mais par un effet du pouvoir surnaturel qui lui avait été donné d'en disposera sa volonté : Nul ne m'ôte mon âme, mais c'est de moi-même que je la quitte : j'ai te pouvoir de la quitter, et j'ai le pouvoir de la reprendre (Matth., XXVII, 46, et 50). Il la quitta donc, pour user de ce pouvoir, lorsqu'après avoir dit : Mon Père, pourquoi m'as-tu abandonné? Il jeta un grand cri et rendit l'esprit (Jean, XIX, 33) : prévenant les bourreaux, qui avaient ordre de rompre les jambes aux crucifiés, pour abréger leur supplice. Il la reprit ensuite, lorsqu'il se fit voir à ses disciples, comme il l'avait prédit devant eux aux Juifs incrédules. Abattez ce temple, avait-il d'il, et je le relèverai en trois jours (Jean, II, 19). Par où il entendait parler du temple de son corps, touchant lequel les prophètes avaient fait la même prédiction en divers endroits et entre autres dans cet oracle: Ma chair reposera en espérance; parce que tu ne laisseras point mon âme dans le sépulcre et ne permettras point que ton Saint éprouve la corruption (Ps. XV ou XVI, 9).

Voici encore un nouvel exemple que Celse tire des histoires grecques, pour faire voir qu'il les a bien lues. C'est celui de Cléomède, d'Astypalée, qui étant entré dans un coffre et le tenant de force fermé sur lui, s'évada miraculeusement, de sorte, dit-il, que ceux qui le poursuivaient, ayant rompu le coffre, ils ne l'y trouvèrent plus. Mais si c'est là encore une fable, comme nous n'en doutons point, et si la divinité qu'on y mêle, ne s'y fait sentir par aucun bien procuré aux hommes, on ne doit pas en faire comparaison avec l'histoire de Jésus autorisée, et par la conversion de tant de personnes qui composent nos églises, et par tontes les prophéties qui ont parlé de lui, et par les diverses guérisons qui se font en son nom, et par la profondeur des mystères qu'on découvre en sa doctrine, quand on ne se contente pas d'une simple foi, mais qu'on examine avec soin les saintes écritures, pour tâcher d'en pénétrer le sens. C'est ce qu'il nous ordonne lui-même par ces paroles : Examinez avec soin les Écritures (Jean, V, 39). C'est aussi ce que saint Paul nous recommande, lorsqu'il dit qu'il faut que nous sachions comment nous devons répondre à chaque personne (Coloss., IV, 6): et un autre apôtre, qui veut que nous soyons toujours prêts à rendre raison de notre foi à tous ceux qui le souhaiteront (I. Pier. Ill, 15). Si Celse veut qu'on lui accorde que ce qu'il rapporte ici n'est point une fable, qu'il nous apprenne donc dans quelle vue l'auteur du miracle, dont il s'agit, l'aurait voulu faire pour Cléomède; car s'il nous en marque quelqu'une qui ail de l'apparence et qui soit digne de Dieu, nous verrons ce qui nous aurons à lui dire : mais s'il ne trouve pas seulement des raisons probables à nous alléguer là-dessus, cela même qu'il n'en trouvera point nous mettra en droit, ou de décrier son histoire comme fausse et de nous moquer de ceux qui la reçoivent, ou de soutenir que ce ne fut qu'une illusion pareille à celle des magiciens, par laquelle quelque démon trompa les yeux du peuple d'Astypalée: quoique Celse nous dise comme s'il prononçait un oracle, que Cléomède s'évada miraculeusement du coffre où il était entré. Je ne pense pas qu'il ait d'autres exemples à nous produire : mais pour faire croire qu'il en omet plusieurs à dessein, on pourrait, ajoute-t-il, rapporter encore un fort grand nombre d'histoires semblables. Soit donc: je veux qu'il en ait plusieurs autres semblables à rapporter de personnes qui n'ont fait nul bien au monde, y pourrait-on rien trouver de ce que l'on trouve en Jésus, quand on considère la nature de ses miracles, dont nous avons déjà tant parlé ? Celse prétend ensuite, qu'en adorant un prisonnier, comme il dit, exécuté à mort, nous soyons dans les mêmes termes que les Gètes qui adorent Zamolxis ; que les Ciliciens qui adorent  Mopse; que les Acarnaniens qui adorent Amphiloque, que les Thébains qui adorent Amphiarée, et que les Lébadiens qui adorent Trophonius. Mais il ne sera pas difficile de faire voir que sa prétention est mal fondée; car les peuples dont il parle ont bâti des temples et dressé des simulacres à ceux qu'ils adorent, au lieu que nous condamnons tout ce culte, jugeant qu'il convient bien moins à la divinité qu'à des démons, qui sont, je ne sais comment, attachés à de certains lieux, soit qu'ils les aient choisis eux-mêmes pour y faire, s'il faut ainsi dire, leur demeure, ou qu'ils y aient été attirés par des cérémonies superstitieuses et par le pouvoir de la magie. Ce que nous admirons donc en Jésus, c'est qu'il ait détaché nos esprits de toutes les choses qui tombent sous les sens, c'est-à-dire qui non seulement sont corruptibles, mais qui doivent même nécessairement se corrompre, et qu'il les ait élevés jusqu'au grand Dieu qui ne demande qu'on l'honore que par une vie pure et par des prières. Nous lui présentons les nôtres par ce même Jésus qui, comme il tient le milieu entre les natures créées et la nature incréée, nous apporte les grâces de son Père, et porte aussi nos prières à ce grand Dieu en qualité de notre Pontife (Hebr. III, 1). Je ne sais pas, au reste, pourquoi Celse parle comme il fait; mais il me donne envie de lui faire une petite question qui ne sera pas hors de propos : savoir, s'il n'y a rien de réel sous tous ces noms qu il a ramassés, et que ce que l'on dit des prodiges de Trophonius à Lébadie, d'Amphiarée dans son temple de Thèbes, d'Amphiloque dans l'Acarnanie, et de Mopse dans la Cilicie, ne soient que des fables; ou si, dans tous ces lieux-là, il y a quelque démon, quelque héros ou même quelque dieu qui y fasse des choses plus qu'humaines. S'il dit qu'il n'y reconnaît rien d'extraordinaire, soit de la part de Dieu, soit de la part des démons, qu'il se découvre donc une bonne fois pour ce qu'il est, pour un Épicurien, qui est dans d'autres principes que les Grecs, qui n'adore pas leurs dieux, et qui croit qu'il n'y a point de démons. Qu'il avoue encore que c'est en vain qu'il a posé jusqu'ici et qu'il posera ci-après pour véritables des choses qu'il ne croit pas telles. S'il dit au contraire que ceux dont il s'agit sont ou des démons, ou des héros, ou des dieux, qu'il prenne garde que cela ne donne lieu de conclure malgré lui, qu'on en peut dire autant de Jésus qui, par conséquent, aura bien pu persuader à plusieurs personnes que sa venue dans le monde avait quelque chose de divin, ce que Celse ne saurait accorder qu'on ne le contraigne de confesser en même temps que le pouvoir de Jésus est supérieur à celui de tous ces autres, au rang desquels il l'aura mis ; car, pour eux, ils ne s'opposent point au culte les uns des autres, mais notre Jésus, qui se sent assez fort de lui-même et qui les regarde tous comme beaucoup au-dessous de lui, défend d'avoir pour eux d'autre estime que pour de mauvais démons qui habitent dans quelque coin de ce bas monde, parce qu'il ne leur est pas permis de s'élever jusqu'à cette région toute pure et toute divine ou il n'entre rien de ce qu'il y a de grossier sur la terre, le centre de toutes les impuretés.

Ce qu'il dit aussi du jeune Antinoüs, le mignon de l'empereur Adrien, et des honneurs qu'on lui rend à Antinople, ville d'Égypte, soutenant que ceux que nous rendons à Jésus sont de même genre, n'est encore qu'un effet de sa passion, comme il est aisé à l'en convaincre; car cet efféminé, qui oublia même son sexe, qu'a-t-il de commun avec la conduite grave et honnête de notre Jésus, à qui ses ennemis, quoiqu'ils l'aient chargé de mille fausses accusations, n'ont jamais pu reprocher d'avoir eu la moindre tache d'intempérance? il ne faut qu'un peu de lumière et d'équité pour juger que ce sont les charmes et les prestiges des Égyptiens, qui ont donné à Antinoüs la réputation de faire je ne sais quels miracles après sa mort, dans la ville qui porte son nom, comme on voit que, par des secrets semblables, ceux qui se mêlent des mêmes sciences, soit en Égypte, soit ailleurs, attachent à d'autres temples quelques démons qui prédisent l'avenir, qui guérissent
des maladies, et qui sou vent même, pour donner de la frayeur à lu populace simple et grossière, tourmentent les personnes qui ont mangé de certaines viandes défendues, ou qui ont touché le corps d'un mort. C'est de cet ordre qu'est le dieu que l'on sert à Antinople. Il y a des fourbes assez hardie classez adroits pour servir de faux témoins à sa puissance, pendant que quelques misérables s'imaginent l'éprouver effectivement, les uns trompés par le démon qui habile là, les autres pressés par les remords d'une conscience faible, qui leur fait croire que la vengeance divine d'Antinoüs les poursuit. Il faut faire le même jugement de leurs vains mystères, et de leurs prétendus oracles qui sont bien éloignés de ce qui fait que nous adorons Jésus ; car ce n'est pas une troupe d'imposteurs qui, par déférence pour les ordres d'un empereur ou par complaisance pour les désirs de quelque autre prince, aient entrepris de faire passer Jésus pour Dieu : c'est le Créateur même de l'univers qui, par un effet de cette vertu admirable qu'a sa voix de se faire obéir, dès qu'elle se fait entendre, l'a déclaré digne de recevoir les hommages, non seulement des hommes qui voudraient se convertir, mais aussi des démons et des autres puissances invisibles, de sorte qu'on voit qu'elles lui sont soumises jusqu'à présent, soit par la crainte de son nom plein d'autorité, soit par le respect qu'elles lui portent, comme à leur prince légitime. Sans une telle déclaration de la part de Dieu, les démons ne sortiraient pas, comme ils font, du corps des possédés, à la simple prononciation du nom de Jésus. Les Égyptiens au reste, trouveront que c'est faire honneur à cet Antinoüs qu'ils adorent, de le mettre au rang d'Apollon et de Jupiter, et ils souffriront volontiers qu'on les lui compare : car c'est une fausseté tout évidente que ce qu'avance Celse : Qu'ils ne sauraient souffrir qu'on lui compare Jupiter ou Apollon. Mais les chrétiens savent que la vie éternelle qui leur est promise, consiste à connaître le seul Dieu véritable et tout-puissant et Jésus-Christ qu'il a envoyé (Jean, XVII, 3 ). Ils ont appris aussi que tous les dieux des nations sont des démons carnassiers,(Ps. XCXV ou XCXVI, 5) qui courent après les victimes, et le sang, et les autres dépendances des sacrifices, cherchant à séduire ceux qui ne mettent pas leur espérance dans le grand Dieu ; mais que les saints anges de Dieu, les anges célestes ont une nature et des inclinations bien différentes de celles de tous les démens dont la terre est le séjour, et qu'ils ne sont connus que d'un petit nombre de personnes éclairées et studieuses. Si l'on fait donc de pareilles comparaisons aux chrétiens, et qu'on leur parle d'Apollon ou de Jupiter ou de quelque autre de ceux qu'on cherche à se rendre favorables par la fumée et par le sang des victimes, ce sont eux qui ne le pourront souffrir. Les uns en seront choqués dans leur simplicité, qui fait qu'encore qu'ils ne puissent rendre raison de la créance qu'ils ont reçue, ils ne laissent pas de la retenir fidèlement ; mais les autres repousseront cette injure par des considérations solides et profondes, tirées (comme on parle dans les écoles) de l'essence intérieure des choses. Ils s'étendront à parler de Dieu et de ceux à qui Dieu, pour l'amour de son Fils unique, Dieu le Verbe, fait I'honneur de communiquer et sa divinité et son nom. Ils parleront amplement aussi tant des anges divins que de ceux qui sont les ennemis de la vérité et qui, étant tombés dans l'erreur, en poussent les suites jusqu'à vouloir passer ou pour des dieux, ou pour des anges de Dieu, ou pour de bons génies, ou pour des héros, c'est-à-dire des âmes humaines qui, à cause de leur vertu, ont été changées en une nature plus excellente. Ces chrétiens éclairés feront voir que comme, dans la philosophie, plusieurs ne s'imaginent avoir trouvé la vérité que sur ce qu ils se sont éblouis eux-mêmes par quelques raisonnements probables, ou qu'ils se sont rendus trop légèrement à ceux dont d'autres se sont servis avant eux, ainsi parmi les âmes dépouillées de leurs corps, parmi les anges et parmi les démons, il y en a qui se laissent entraîner par quelques probabilités à prendre le nom de dieux. Et parce que les raisons qui les frappent ne sont pas assez de la portée des hommes, pour nous permettre d'en faire un juste et parfait examen, le plus sûr, pour quelque homme que ce soit, c'est sans doute de ne se fier à aucun d'eux, comme si c'était un dieu ; mais uniquement à Jésus-Christ qui, étant l'arbitre et le directeur de toutes choses, connaît parfaitement ce qu'ils sont et l'a découvert à quelque peu de personnes. Pour ce qui est donc d'Antinoüs et de ces autres qu'on adore ou en Égypte ou en Grèce, la foi que l'on a pour eux est, s'il faut ainsi dire, malheureuse ; mais celle que l'on a pour Jésus doit passer et pour heureuse et pour bien fondée, pour heureuse, à l'égard du commun de ceux qui l'embrassent ; pour bien fondée à l'égard du petit nombre de ceux qui l'examinent avec soin; car je ne crains pas de dire qu'à parler comme on parle ordinairement, il y a une sorte de foi que l'on peut nommer heureuse, de laquelle Dieu a les raisons par devers lui, puisque ce n'est point sans cause qu'il partage si diversement ses faveurs à tous les hommes qui viennent au monde. Et les Grecs eux-mêmes avoueront que le bonheur a beaucoup de part à ce qui forme ceux qu'on estime les plus sages ; qu'il lui faut attribuer, par exemple, l'occasion de se faire instruire par un tel ou par un tel docteur ; la rencontre d'un maître qui suive de bons principes, y en ayant d'autres qui en suivent de tout contraires ; et l'éducation avec des personnes vertueuses. En effet on en voit plusieurs qui sont nourris de telle manière, qu'il ne leur est pas même permis de se faire aucune idée des véritables biens, et qui, dès leur enfance servent aux passions brutales de quelques infâmes débauchés, ou se trouvent réduits à être esclaves, ou tombent dans quelque pareille infortune qui empêche l'âme île s'élever. Il ne faut pas douter que la Providence n'ait de bonnes raisons de ce qu'elle fait en tout cela ; mais il est difficile que les hommes les découvrent. J'ai cru devoir faire cette espèce de digression pour répondre à ce reproche : Que peut-on attendre d'une foi qui embrasse le premier objet qui se présente ? Il fallait bien par la différence de l'éducation des hommes, montrer la différence d« leur foi à l'égard de laquelle les uns sont plus heureux ou plus malheureux que les autres, et passer de là à faire voir qu'il semble que ce qu'on nomme bonheur ou malheur contribue, dans les plus habiles même, à produire ce qui leur donne tant de réputation, et à les mettre dans les sentiments qu'on dirait pour l'ordinaire que la raison seule leur inspire.

Mais en voilà assez sur cette matière. Suivons Celse qui ajoute que c'est la foi dont nos âmes sont préoccupées qui nous attache ainsi à Jésus. J'avoue que c'est notre foi qui nous attache à lui ; mais voyez si l'on peut s'empêcher de reconnaître pour légitime une foi qui a le grand Dieu pour objet, si celui qui l'a fait naître dans nos c?urs ne mérite pas que nous lui en sachions gré, et si nous ne devons pas croire qu'il ne l'a ni entrepris ni exécuté sans l'assistance divine. Nous croyons aussi que ceux qui ont écrit l'histoire de l'Évangile étaient des personnes sincères; mais c'est que nous voyons clairement dans leurs écrits des marques de leur piété et de leur candeur, n'y découvrant rien qui sente le déguisement, l'artifice, la fourbe ou l'imposture. Nous sommes persuadés que des esprits qui n'avaient pas été formés dans les écoles es Grecs, pour y apprendre les subtilités et les tours insinuants des sophistes ou les finesses de la rhétorique du barreau, n'auraient pas été capables d'inventer des choses si propres d'elles-mêmes à nous inspirer, avec la foi qu'ils nous demandaient, la résolution d'y conformer notre vie. El je ne doute pas que ce ne soit pour cette raison que Jésus voulut employer de tels hérauts à publier sa doctrine, afin qu'on n'eût aucun lieu de soupçonner que ce fût par l'illusion de quelques sophismes qu'elle se soutint ; mais qu'au contraire les personnes intelligentes connussent évidemment que Dieu, favorisant la bonne foi de nos auteurs, jointe, s'il le faut dire, à une grande simplicité, l'avait accompagnée d'une vertu et d'une efficace qui avait beaucoup plus fait qu'on ne saurait jamais espérer de l'éloquence grecque avec ses discours les plus étudiés et les mieux suivis, avec toutes ses figures et tous ses ornements. D'ailleurs n'est-il pas vrai que les principes de notre foi s'accordent si parfaitement avec les premières et les plus communes idées que la nature nous donne, qu'ils s'insinuent d'eux-mêmes dans un esprit bien disposé? Car quoique la corruption, fortifiée par les préceptes et par les exemples soit assez générale et assez puissante dans le monde, sur le fait des simulacres, pour en faire les dieux d'une infinité de gens, comme si des ouvrages d'or, d'argent, d'ivoire ou de pierre méritaient d'être adorés : il est certain pourtant que si l'on veut suivre ces idées naturelles, l'on doit penser que Dieu n'est rien moins qu'une matière corruptible, et qu'il ne saurait être honoré dans ces choses inanimées où les hommes prétendent le représenter, soit par de véritables images, soit par des symboles. Ainsi l'on conclut bientôt que ces simulacres ne peuvent être des dieux, et que ces ouvrages n'ont aucune proportion avec l'Ouvrier de toutes choses, étant si petits en comparaison de ce grand Dieu qui a créé, qui soutient et qui gouverne l'univers (Act., XVII, 29). L'âme raisonnable faisant aussi réflexion sur ce qu'elle est elle-même, et reconnaissant l'affinité qu'elle a avec la nature divine, rejette tout d'un coup ceux qu'elle avait jusque-là pris pour des dieux, et se sent naturellement portée à l'amour du Créateur : et par une suite de cet amour, elle s'attache fortement à celui qui a le premier appris à tous les peuples ce qu'ils devaient croire de Dieu et de son royaume, le leur ayant fait enseigner par ses disciples choisis, qu'il revêtit pour cela d'une vertu et d'une puissance surnaturelles.

Celse ajoute encore que bien que Jésus ait eu un corps mortel, nous ne laissons pas d'en parler comme d'un Dieu; et que nous croyons même que la piété nous y oblige. Mais c'est un reproche qu il nous a déjà fait je ne sais combien de fois : et il serait inutile de s'y arrêter après l'avoir repoussé aussi souvent que nous avons fait. Que nos accusateurs sachent néanmoins que celui que nous disons et que nous sommes persuades qui est Dieu et le Fils de Dieu de tout temps, c'est la propre parole (Jean, I, 1 ), la propre sagesse et la propre vérité de Dieu ; mais que, selon nous, son corps mortel, animé d'une âme humaine a reçu de très grands avantages d'avoir été non seulement joint, mais uni et mêlé avec lui, et qu'ayant été fait participant de sa divinité, il a été changé en Dieu. Après cela si quelqu'un s'offense encore de ce que nous oisons, comme si nous l'entendions précisément du corps de Jésus, je le renvoie à ce que les Grecs enseignent touchant la matière première qui d'elle-même n'a aucune qualité, mais qui reçoit toutes celles que le souverain Être lui veut imprimer, et qui d'une moins noble passe souvent à d'autres plus excellentes ; car si ce qu'ils enseignent est vrai, faut-il s'étonner que les qualités mortelles du corps de Jésus aient été changées par la volonté de Dieu et par la conduite de sa Providence en des qualités célestes et divines? Celse ne s'exprime donc pas en logicien lorsque, comparant la chair humaine de Jésus à de l'or, à de l'argent et à des pierres, il dit qu'elle est plus corruptible que ces matières : car, à parler exactement, comme de deux choses incorruptibles, l'une n'est pas plus incorruptible que l'autre; ainsi de deux choses corruptibles celle-ci n'est pas plus corruptible que celle-là. Mais quand la corruptibilité ne serait pas égale dans toutes les choses corruptibles, nous dirions toujours que, si cette matière, indéterminée à toutes les formes, peut changer de qualité, on ne doit pas juger impossible que la chair de Jésus en ait changé, et qu'afin de pouvoir demeurer dans la région éthérée et même au-dessus, elle se soit dépouillée de toutes ses infirmités et de ce que Celse appelle le plus impur. En quoi il s'éloigne encore de l'exactitude d'un philosophe ; car il n'y a proprement d'impur que ce qui est tel par le vice : et par conséquent la nature des corps n'est point impure ; puisqu'un tant que corporelle elle n'a rien de vicieux qui puisse produire l'impureté; mais comme il prévoyait notre réponse, il parle en ces termes du changement que nous venons d'expliquer : Peut-être qu'en laissant ces qualités il sera devenu Dieu. N'est-ce pas ce que l'on peut dire beaucoup plutôt d'Esculape, de Bacchus et d'Hercule ?  Il lui faut donc demander ce qu'Esculape, Hercule et Bacchus ont fait de si admirable, et à quelles personnes ils ont inspiré des sentiments de sagesse et de vertu par leurs discours ou par leur exemple, pour mériter de devenir dieux. Lisons toutes leurs histoires, et voyons s'ils ont été exempts d'injustice, d'intempérance, d'emportement et de lâcheté. Sil se trouve qu'ils en aient été exempts, à la bonne heure ; que Celse ait raison de les égaler à Jésus ; mais s'il se trouve au contraire que pour une action digne de quelque louange, on leur en attribue manifestement un nombre infini de blâmables, sur quel fondement est-ce qu'on doit dire d'eux qu'ayant quitté leur corps mortel ils sont devenus dieux beaucoup plus tôt qu'on ne le doit dire de Jésus.

Il dit ensuite que quand nous voyons qu'on adore Jupiter, dont on montre le tombeau en Crète, nous nous en moquons sans savoir ni pourquoi ni comment ce tombeau se montre ; et que cependant nous adorons nous-mêmes un homme mis dans le tombeau. Voyez de quelle manière il fait l'apologie des Crétois, et celle de Jupiter et de son sépulcre, insinuant que c'est pour quelques raisons allégoriques qu'on a inventé cette fable touchant Jupiter, pendant qu'il nous condamne, nous qui avouons bien que notre Jésus a été mis dans le sépulcre, mais qui soutenons qu'il en est sorti vivant, ce que les Crétois ne disent pas de leur Jupiter. Puisqu'il croit, au reste, que pour nous fermer la bouche sur le sujet de ce tombeau de Jupiter, que l'on montre en Crète, il suffit de nous dire que nous ne savons ni pourquoi ni comment cela se fait ; il sera bon de remarquer que Callimaque, Cyrénien, qui avait lu tant de poèmes et qui avait fait des recueils de presque toute l'histoire grecque, ne reconnaît point d'allégorie dans ce que l'on dit de Jupiter et de son tombeau : ce qui fait qu'il s'emporte ainsi contre les Crétois dans son hymne pour Jupiter:

Les Crétois sont toujours menteurs ;
Et sur la foi de tels auteurs
Ton histoire est un peu suspecte :
Ils t'ont mis sous un monument,
Toi, grand Dieu, que la mort respecte,
Et qui vis éternellement;

mais lui qui nie par là que Jupiter soit mort et que son tombeau se voie en Crète, nous apprend, toutefois qu'il a commencé à mourir ; car la naissance telle qu'on la reçoit sur terre est le commencement de la mort : et voici ce qu'il dit :

Parrhase en ses forêts te vit naître de Rhée.

Comme il nie donc que Jupiter soit né en Crète, parce qu'on prétend qu'il y soit mort. il devait voir que s'il est né en Arcadie. il s'ensuit nécessairement qu'il a dû mourir. Il en parle de cette manière :

Des peuples d'Arcadie et des peuples de Crète
La dispute n'est pas secrète ;
Mais leur droit est litigieux.
Les uns et les autres se vantent
De l'avoir vu naître chez eux ;
Jupiter, dis-nous ceux qui mentent.
Les Crétois sont toujours menteurs ;

et ce qui suit. L'injustice de Celse nous a engagés dans ces recherches ; car il veut bien croire, sur le témoignage de nos historiens, que Jésus est mort et qu'il a été mis au sépulcre ; mais il prend sa résurrection pour une fable, bien qu'elle eût été prédite par tant de prophètes et qu'il y ait tant de preuves des apparitions de Jésus ressuscité.

Après cela il allègue contre nous ce que disent quelques personnes, en fort petit nombre, qui portent le nom de chrétiens, mais qui s'éloignent de la doctrine de Jésus, et qui, bien loin d'être les plus éclairés, comme il le pose, sont tout au contraire les plus grossiers. Voici, dit-il, leurs maximes : loin d'ici tous ceux qui ont quelque savoir, quelque sagesse ou quelque prudence; ce sont là, selon nous, de mauvaises qualités ; mais que les ignorants, les fous et les étourdis approchent hardiment. En reconnaissant, ajoute-t-il, que de telles gens sont dignes de leur Dieu, ils confessent, par même moyen, qu'ils ne veulent et qu'ils ne peuvent gagner que des personnes sans esprit, sans jugement et sans vertu, des femmes, des enfants et des esclaves. Je réponds par un exemple. Jésus a recommandé la continence lorsqu'il a dit : Quiconque regarde une femme avec un mauvais désir, a déjà commis t'adultère dans son coeur (Matth., V, 28). Si quelqu'un voyait donc que dans cette multitude infinie de chrétiens il y en eût quelque petit nombre qui, voulant passer pour tels, ne laissassent pas de s'abandonner à la débauche, il aurait raison de condamner leur vie comme peu conforme aux préceptes de Jésus, mais il aurait tort de s'en prendre aux préceptes mêmes. Ainsi, s'il se trouve que la doctrine chrétienne nous appelle à la sagesse autant qu'aucune autre, il faudra seulement blâmer ceux qui, pour défendre leur stupidité disent non ce que Celse leur fait dire (car il n'y a point de gens assez grossiers ni assez brutaux pour parler si crûment), mais quelques autres choses beaucoup moins fortes, par où ils témoignent n'approuver pas l'étude de la sagesse. Or que notre doctrine nous appelle à être sages, c'est ce que nous pouvons prouver, et par les anciennes Écritures, que nous recevons comme les Juifs, et par celles qu'on y a jointes depuis le temps de Jésus, que nos églises reconnaissent pour divines. David dit à Dieu dans la prière qu'il lui fait au psaume L. Tu m'as révélé les secrets et les mystères de ta sagesse (Ps. L ou Ll, 8). Et qui lira ce livre des Psaumes, trouvera qu'il est tout rempli de sages enseignements. Salomon est loué d'avoir demandé la sagesse (III Rois, III, 10 ) : et l'on peut voir dans ses écrits des traces de celle qui lui fut donnée. Car ils sont composés de sentences qui renferment un grand sens en peu de mots ; et il y fait en plusieurs endroits l'éloge de la sagesse avec des exhortations à la chercher. Il fut si sage, qu'au bruit de son nom et de celui du Seigneur, la reine de Saba le vint éprouver par des questions obscures. Elle lui parla de tout ce qu'elle avait dans le c?ur, et il répondit à toutes ses questions. Il n'y eut aucune chose que le roi n'entendit et qu'il ne lui expliquât. Alors la reine de Saba voyant toute la sagesse de Salomon et l'ordre admirable de sa cour. elle en fut toute ravie,, et elle dit au roi: Ce qu'on m'avait dit en mon pays de toi et de ta sagesse était très véritable. Je ne croyais pas néanmoins ce qu'on m'en disait jusqu'à ce que je sois venue moi-même et que je l'aie vu de mes propres yeux. Mais on ne m avait pas dit la moitié de ce qui en est. Ta sagesse et tes autres avantages passent de beaucoup tout ce que la renommée m'en avait appris (III Rois, X, 1 ). Nous lisons ailleurs : que Dieu donna à Salomon une abondance de sagesse, de prudence et de lumières égale au sable de la mer; de sorte que sa sagesse surpassa celle de tous les anciens, de tous les sages d'Égypte et de tous les hommes. Il fut plus sage que Géthan Ezarite, qu'Einad. Calcad et Aradab. enfants de Madi: et sa réputation se répandit de tous côtés dans les pays étrangers. Salomon mit aussi au jour mille paraboles, et composa cinq mille cantiques. Il traita de toutes les plantes, depuis le cèdre, qui croît sur le Liban, jusqu'à l'hyssope qui sort des murailles; il parla de tous les animaux tant aquatiques que terrestres. Enfin tous les peuples venaient entendre la sagesse de Salomon: et tous les rois de la terre envoyaient vers lui, sur le rapport qu'on leur en faisait (Ibid. IV, 29). Notre doctrine est si éloignée de ne vouloir pas de sages parmi ses fidèles, que pour exercer l'esprit de ceux qui l'embrassent, elle se cache tantôt sous des expressions obscures et énigmatiques, tantôt sons des paraboles et sous des emblèmes. Osée, l'un de nos prophètes, parle ainsi à la fin de son livre : Qui est sage ? et il comprendra ceci : qui est prudent ? et il l'entendra (Osée, XIV, 9). Daniel et ses compagnons ayant été emmenés captifs à Babylone, firent de si grands progrès dans les sciences mêmes qu'on y cultivait, qu'ils se rendirent dix fois plus savants que tous les sages qui approchaient de la personne du roi (Dan., I, 20). De là vient qu'Ézéchiel s'adressant au prince de Tyr, qui était tout fier de sa sagesse, lui demande, Es-tu plus sage que Daniel ? Tout ce qui est caché ne t'a point été découvert (Ezéc., XXVIII, 3 ; Marc. . IV, 2, 34). Si l'on veut maintenant passer aux nouvelles Écritures, on verra que Jésus propose des paraboles à la foule de ses auditeurs, ne jugeant pas ceux de dehors dignes d'autre chose que de ces instructions extérieures : mais qu'étant en particulier, il explique tout à ses disciples, qu'il préfère à ces troupes comme les légitimes héritiers de sa sagesse. Il fait cette promesse à ceux qui croiraient en lui : Je vous enverrai des sages et des docteurs; mais ils tueront les uns, et ils crucifieront les autres (Matth. XXIII, 34). Et S. Paul faisant l'énumération des grâces de Dieu, met au premier rang le don de la sagesse (I Cor., Xll, 8, 9) : il nomme ensuite le don de la science comme inférieur, et puis le don de la foi comme au dessous encore. Après quoi il passe au don de faire des miracles el à celui de guérir les maladies; pour montrer, en les plaçant ainsi, que les grâces spirituelles sont bien plus considérables, selon lui, que les dons corporels les plus éclatants. S. Etienne, dans les Actes des Apôtres, rend témoignage au grand savoir de Moïse, lorsqu'il dit de lui, qu'il fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens (Act., VII, 22) : ce qu'il tire sans doute de quelques anciens écrits qui n'étaient pas entre les mains de tout le monde. Aussi Moïse fut-il soupçonné de ne faire pas ses miracles par l'ordre et par la vertu de Dieu, comme il s'en vantait, mais par les secrets de la science qu'il avait apprise eu Égypte ( Exode, VII, 11 ). Dans cette pensée, le roi fit venir ses sages, ses magiciens et ceux, qui étaient les plus célèbres par leurs enchantements ; mais on connut bientôt que tout leur savoir n'était rien en comparaison du savoir de Moïse, et que celui-ci était d'une espèce bien plus sublime. Ce qui fait croire à quelques-uns que notre religion rejette les sages, c'est peut-être ce que S. Paul dit dans sa première Épître aux Corinthiens, parlant à des Grecs qui avaient une haute opinion de la sagesse grecque (I Cor., I. 18, etc.). Mais qu'ils sachent que, comme notre sainte doctrine se moque des hommes vains qui, négligeant la connaissance des choses spirituelles, invisibles et éternelles, s'attachent uniquement aux choses sensibles dont ils font leur tout, et qu'à cause de cela, elle les appelle les sages de ce monde : elle met aussi une grande différence entre les dogmes. Il y en a qui rapportent tout aux corps et à  la matière, suivant lesquels on pose que tous les êtres, proprement dits, sont corporels et qu'il ne faut point admettre ces autres substances qu'on nomme invisibles ou immatérielles. Ce sont ces dogmes que S. Paul appelle, la sagesse de ce monde, qui se détruit et qui périt ; ou, la sagesse de ce siècle. Mais il y en a d'autres qui détachent nos âmes de la terre, pour les élever dans la félicité de Dieu, ou, selon le style des chrétiens, dans la gloire de son royaume; et qui, nous inspirant du mépris pour ce qui frappe la vue ou les autres sens, comme pour des choses périssables, nous font porter nos désirs et nos espérances vers des objets qui ne se peuvent ni voir ni toucher. Ce sont ceux-là que S. Paul appelle, la sagesse de Dieu. Et comme il est sincère, il dit à l'égard des vérités que quelques sages d'entre les Grecs avaient découvertes, qu'ayant connu Dieu . ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces (Rom., I, 21). Il témoigne par là, qu'ils connaissaient Dieu ; et pour montrer que ce n'était pas sans le secours de Dieu même, il assure que c'est Dieu qui leur avait donné cette connaissance, (Rom., I, 19), voulant parler, si je ne me trompe, de ceux qui, des choses visibles montent aux choses spirituelles. En effet il ajoute : Ce qui est invisible en Dieu, tant sa puissance éternelle que sa divinité, est visible en ses ouvrages, et s'y fait connaître depuis la création du monde : ainsi ces personnes sont inexcusables, parce qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces ( Rom. 1, 20, et 21). Peut-être aussi que ce qui fait croire que notre doctrine est ennemie du savoir, de la sagesse et de la prudence, ce sont ces autres paroles de S. Paul : Considérez, mes frères, ceux d'entre vous que Dieu a appelés à la foi ; il y en a peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu de nobles. Mais Dieu a choisi les moins sages selon le monde, pour confondre les sages ; il a choisi les plus faibles selon le monde, pour confondre les puissants ; il a choisi les plus vils et les plus méprisables selon le monde, et ce qui n'était rien, pour détruire ce qui était le plus grand, afin que nul homme ne se glorifie devant lui (I Cor., 1, 26, etc). On peut répondre à ceux qui auraient cette pensée, que l'apôtre ne dit pas, Qu'il n'y a point de sages selon la chair, mais, qu'il y a peu de sages selon la chair ( Tit., I,9, etc.). Et on sait que S. Paul, décrivant les qualités que doivent avoir ceux qu'on appelle évêques, y met celle de docteur, lorsqu'il dit : qu'il faut
 que l'évêque soit capable de convaincre ceux qui s'opposent à la saine doctrine et de fermer la bouche, par sa sagesse, à ces personnes qui s'occupent à conter des fables, et qui séduire les âmes (I Tim., Ill, 2). Comme il préfère pour l'episcopal, celui qui n'a épousé qu'une seule femme, à celui qui en a épousé deux, celui qui est irrépréhensible, à celui qui est digne de répréhension, celui qui est vigilant, à celui qui ne l'est pas, celui qui a de la tempérance, à celui qui n'en a point, celui qui est grave et honnête, à celui qui fait la moindre chose contre la bienséance ; il veut aussi qu'une personne qui aspire à cette charge soit propre à instruire les fidèles et à confondre les ennemis de la vérité. Quelle raison Celse a-t-il donc de nous insulter, comme si nous disions : Loin d'ici tous ceux qui ont quelque savoir, quelque sagesse ou quelque prudence ? Nous disons plutôt : Que les savants, les sages et les prudents approchent, s'ils veulent; mais que les ignorants, les fous, les étourdis et les simples ne laissent pas d'approcher hardiment aussi ; car noire doctrine promet de guérir ceux qui sont dans ce mauvais état, et de les rendre tous dignes de Dieu. C'est encore une fausseté de dire que les prédicateurs de celle sainte doctrine ne veulent gagner que des personnes sans esprit, sans jugement et sans vertu. des femmes, des enfants et des esclaves. Il est vrai qu'elle invite toutes ces personnes à la suivre, afin de les corriger de leurs défauts mais elle y invite aussi ceux qui ont d'autres qualités meilleures; car Jésus-Christ est le Sauveur de tous les hommes et principalement des fidèles (l Tim., IV, 10), sans avoir égard soit à leur sagesse, soit à leur simplicité. Il est la victime de propitiation offerte au Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde (I Jean, II, 2). Il serait donc superflu, après cela, de vouloir répondre à Celse qui nous demande: Mais encore, quel mal y a-t-il se rendre savant, à se remplir l'esprit d'excellentes méditations. à être prudent et à passer pour tel?  Quel obstacle y trouve-t-on à la connaissance de Dieu? Ne sont-ce pas plutôt des aides et des lumières à ceux qui cherchent la vérité?  Il  n'y a point de mal sans doute à se rendre véritablement savant, puisque le savoir est le chemin de la vertu. Mais les sages, même d'entre les Grecs, ne voudraient pas mettre au nombre des savants ceux qui suivent de faux principes. Qui peut nier aussi qu'on ne fasse bien de se remplir l'esprit d'excellentes méditations? Mais quelles sont les méditations qu'on doit nommer excellentes, sinon relies qui ont la vérité et la vertu pour objet ? C'est certainement une bonne chose d'être prudent; mais de passer pour tel, cela est assez indifférent, quoi qu'en veuille dire Celse. Et ce ne sont point là des obstacles à la connaissance de Dieu; au contraire, et le savoir, et les excellentes méditations, et la prudence, servent à l'acquérir. C'est à nous à le dire, plutôt qu'à Celse, s'il se trouve surtout qu'il soit épicurien.

Mais passons à ce qu'il ajoute : Il en est, dit-il, comme de ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques, et qui n'oseraient jamais entrer dans une assemblée d'hommes prudents, pour y faire leurs tours de souplesse; mais s' ils aperçoivent quelque troupe d'enfants, d'esclaves ou de gens simples, c'est là qu'ils s'adressent et qu'ils se font admirer. C'est encore une nouvelle injure qu'il nous fait, de nous comparer à ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques. Car en quoi témoignons-nous que nous soyons des scélérats? ou que faisons-nous de semblable à ceux dont il parle, nous qui, par la lecture et par l'explication des livres sacrés, détournons les hommes de mépriser la Divinité, et de rien faire contre la droite raison, pour les porter ensuite à la piété que le grand Dieu demande, et aux autres vertus dont la piété doit être accompagnée? Les philosophes voudraient bien amuser le monde de cette manière et avoir un auditoire aussi nombreux, lorsqu'ils débitent les préceptes de leur morale, comme on voit, entre autres, quelques cyniques conférer publiquement avec les premiers qui se rencontrent. Dira-t-on, sous ombre, qu'ils ne font pas leurs leçons parmi les savants, mais dans la foule de la populace, qu'ils ressemblent aussi à ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques? Je ne pense pas que Celse, ni aucun de ceux qui sont de son sentiment, les voulut blâmer de s'attacher à instruire ceux qui ont le plus besoin d'instruction, comme ils croient que l'humanité les y oblige. Mais s'ils ne sont peint blâmables en cela, il faut voir si les chrétiens ne le sont pas beaucoup moins encore, quand ils recommandent l'honnêteté à tout le monde. Car ces philosophes, qui discourent en public, ne choisissent point leurs auditeurs : quiconque veut s'arrêter à les entendre, le peut faire. Au lieu que les chrétiens examinent, autant qu'ils peuvent, le c?ur de ceux qui veulent être da nombre de leurs disciples, et qu'ils leur font en particulier diverses exhortations, pour les fortifier dans le dessein de bien vivre, avant que de les recevoir dans leurs assemblées. Enfin ils les y reçoivent, quand ils les voient dans l'état où ils les désirent; et ils en font un ordre à part : car ils en ont deux différents parmi eux, l'un, des initiés qui ne le sont que depuis peu et qui n'ont pas encore reçu le symbole de leur purification ; l'autre, des personnes qui ont donné toutes les preuves possibles de la ferme résolution où elles sont de n'abandonner jamais la profession du christianisme. ?'est d'entre ces derniers que l'on en choisit quelques-uns, pour avoir le soin d'examiner la vie et les m?urs de ceux qui souhaitent d'être admis dans l'assemblée, afin qu'ils en éloignent ceux qui refusent de renoncer à leurs vices; et qu'y recevant les autres avec joie, ils leur fassent faire tous les jours du nouveaux progrès dans la vertu. Ils en usent à peu près de la même sorte à l'égard des pécheurs et surtout de ceux qui vivent dans l'impureté. Ils les retranchent de leur communion, pour faire voir combien est juste la comparaison que Celse fait d'eux, avec ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques. La célèbre école de Pythagore avait accoutumé de bâtir un cénotaphe à ceux qui la quittaient, les regardant comme s'ils eussent été morts. Les chrétiens pleurent aussi comme morts à Dieu et comme perdus, ceux qui se laissent vaincre à la luxure ou à quelque autre péché: et s'il leur arrive de donner des marques suffisantes d'un sérieux retour, ils les regardent comme ressuscites d'entre les morts ; mais ils sont beaucoup plus longtemps à les recevoir qu'à recevoir ceux qui se présentent la première fois. Ils leur ôtent même pour l'avenir toute espérance d'avoir part au gouvernement et à la conduite de l'Église de Dieu, parce qu'une telle chute les en rend indignes. Après cela, n'est-ce pas une calomnie évidente de nous mettre, comme Celse fait, au rang de ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques? Il en est, dit-il, comme de ces scélérats qui font métier d'amuser le peuple dans les places publiques, et qui n'oseraient jamais entrer dans une assemblée d'hommes prudents, pour y faire leurs tours de souplesse ; mais s ils aperçoivent quelque troupe d'enfants, d'esclaves ou de gens simples, c'est là qu'ils s'adressent et qu'ils se font admirer. Que fait-il là autre chose que ce que font ces femmes qui se querellent dans les carrefours et qui n'ont pour but que de se dire des injures? Car nous ne négligeons rien de ce qui peut dépendre de nous, pour faire que nos assemblées soient composées de personnes prudentes : et nous ne nous hasardons à expliquer, dans les discours que nous faisons en public, ce qu'il y a de plus sublime et de plus divin dans notre doctrine, que quand nous avons des auditeurs intelligents. Nous le taisons, et nous le cachons à ceux qui nous viennent écouter avec un esprit qui a encore besoin de ces enseignements, qu'on nomme du lait, par une façon de parler figurée C'est ce que nous avons appris de notre S. Paul qui, écrivant aux Corinthiens, Grecs de naissance, mais bien éloignés encore d'être parfaitement purifiés dans leurs m?urs: Je vous ai nourris de lait, leur dit-il, et non pas de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas encore capables : et vous ne
l'êtes pas encore à présent, parce que vous êtes encore charnels. Car, puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'êtes-vous pas charnels, et n'y a-t-il pas de l'homme dans voire conduite (I Cor., III, 2)? Le même apôtre, qui savait qu'i ly a, pour l'âme des plus avancés, une nourriture plus parfaite ; mais que pour les personnes nouvellement initiées, il y en a une autre, semblable au lait qu'on donne aux enfants, dit ailleurs : Vous êtes dans un état où vous auriez besoin qu'on ne vous donnât que du lait, et non une nourriture solide; car quiconque n'est nourri que de lait, est incapable d'entendre ce qu'on lui dit de la justice, comme étant encore enfant ; mais ta nourriture solide est pour les parfaits . c'est-à-dire pour ceux dont l'esprit, par une longue habitude, s'est accoutumé à discerner le bien et le mal (Hébr. V, 11, etc). Si nous croyons que cela est sagement écrit, comme nous le croyons sans doute, peut-on penser que nous n'oserions découvrir les merveilles de notre doctrine dans une assemblée d'hommes prudents : mais que si nous apercevons quelque troupe d'enfants, d'esclaves ou de gens simples, c'est là que nous étalons ce qu'elle a de sublime et de divin, afin de nous faire admirer d'eux? Qui voudra étudier avec soin le génie de nos Écritures, reconnaîtra aisément que Celse s'éloigne et de la vérité et de la raison dans ce qu'il dit là contre nous ; et que ceux de la lie du peuple, n'ont pas une aversion plus aveugle que la sienne pour les chrétiens. Nous ne nions pas que nous ne nous proposions d'instruire tout le monde dans notre doctrine, qui est, quoi que Celse en puisse dire, la doctrine de Dieu. Nous donnons aux enfants des préceptes proportionnés à leur âge ; nous enseignons aux esclaves le moyen de devenir libres, par les nobles sentiments que notre religion leur inspire; et nos docteurs déclarent assez hautement qu'ils sont redevables aux Grecs et aux Barbares, aux sages et aux simples (Rom. I, 14) ; car ils confessent que l'âme des simples ne doit pas être négligée, et qu'il faut tâcher de les guérir de leur ignorance, afin qu'ils fassent tous leurs efforts pour acquérir la sagesse, comme Salomon les y exhorte. Que les fous, dit-il, apprennent à être sages (Prov., VIII, 5). Il introduit aussi la sagesse qui parle de cette sorte; Que les plus simples d'entre vous se retirent vers moi: et qui, s'adressant à ceux qui manquent de lumières, leur dit : Venez, mangez de mon pain et buvez du vin que je vous ai préparé : renoncez à la folie, et vous vivrez ; faites provision de bon sens et de prudence. Je puis encore demander à Celse sur ce sujet : Est-ce que les philosophes n'ont aucun soin de l'instruction des enfants; et que quand ils voient des jeunes gens qui vivent dans le désordre, ils ne les exhortent pas à s'en retirer, ou qu'ils trou vent mauvais que des esclaves embrassent l'étude de la philosophie? Faut-il donc condamner aussi tous ceux qui ont fait connaître la vertu à des esclaves: Pythagore, qui en a découvert les beautés à Zamolxis; Zénon, qui les a découvertes à Persée; et ces autres qui, depuis trois jours, les ont montrées à Épictète : ou si c'est qu'il soit permis aux Grecs d'enseigner la philosophie à des enfants, à des esclaves et à des personnes simples, et qu'il nous soit défendu de rien entreprendre de semblable? Nous pensions pourtant ne nous pas éloigner des devoirs de l'humanité, en offrant à tous les hommes, de quelque condition qu'ils soient, de les guérir de leurs vices, par les remèdes que notre doctrine nous fournit et de les mettre dans les bonnes grâces de Dieu, le créateur de l'univers.

Cela suffit pour repousser les objections ou plutôt les injures de Celse. Mais puisqu'il ne se lasse point de faire des invectives contre nous, rapportons celles qui suivent dans son écrit; et qu'on juge à qui elles font le plus de tort, aux chrétiens ou à lui-même. Nous voyons pareillement, dit-il, dans quelques maisons particulières, des cardeurs, des cordonniers et des foulons, les plus ignorants et les plus rustiques de tous les hommes, qui n'osent ouvrir la bouche devant les personnes graves et éclairées dont ils dépendent ; mais qui lorsqu'ils se peuvent trouver sans témoins, avec les enfants de leurs madrés ou sans autres témoins que des femmes aussi peu judicieuses que des enfants, leur font mille beaux petits contes pour les porter à leur obéir plutôt qu'à leur père et à leurs précepteurs. Que ce sont des extravagants et de vieux fous qui. ayant l'esprit rempli de préjugés et de rêveries, ne sauraient rien penser ni rien faire de raisonnable ; qu'eux qui leur parlent, sont les seuls qui sachent comme il faut vivre: que s'ils les veulent croire, ils seront heureux, avec toute leur maison. Pendant qu'ils leur tiennent ces discours, s'ils voient venir quelque homme de poids, quelqu'un des précepteurs ou le père même, les plus timides se taisent d'abord tout tremblants; mais les autres ont assez d'impudence pour solliciter encore ces enfants à secouer le joug, leur soufflant tout bas, qu'ils ne peuvent et qu'ils ne veulent leur rien apprendre de bon en la présence de leur père ou de leurs précepteurs; parce qu'ils craignent de s'exposer à la fureur et à la brutalité de ces gens, abandonnés au vice et entièrement perdus, qui les feraient punir. Que s'ils veulent être instruits, il faut que quittant là, et leurs précepteurs et leur père, ils aillent avec les autres enfants, leurs compagnons et avec les femmes dans l'appartement de celles-ci, dans ¡a chambre du cordonnier ou dans celle du foulon, afin de s'y perfectionner. Voilà comment ils les persuadent. Mais voyez encore, quel outrage il nous fait. Nos docteurs font tout ce qu'ils peuvent pour élever nos âmes au Créateur; ils ne nous prêchent que le mépris des choses sensibles et périssables, et que l'amour des spirituelles et des invisibles : ils nous font regarder notre union avec Dieu, et avec ceux de sa famille comme notre souverain bonheur : et Celse les veut faire passer pour des cardeurs, pour des cordonniers et pour des foulons, les plus rustiques de tous les hommes, qui abusant chez leurs maîtres du peu d'expérience des enfants, el de la simplicité des femmes, les détournent de l'obéissance qui est due aux précepteurs et aux pères, et s'en font des sectateurs qu'ils forment au mal. Qu'il produise donc l'exemple de quelque sage père, ou de quelque précepteur vertueux à qui nous ayons empêché qu'on ne rendît l'obéissance qui lui était due ; et que comparant ce que nous enseignons à ces femmes et à ces enfants qui embrassent notre doctrine avec ce qu'on leur enseignait auparavant, il fasse voir qu'au lieu des bonnes et salutaires leçons qu'on leur donnait, nous ne leur en donnons que de mauvaises et de dangereuses. Mais il ne saurait jamais prouver contre nous rien de pareil : car tout au contraire, nous exhortons les femmes à n'être ni infidèles ni fâcheuses à leurs maris ; à se défaire de la folle passion des théâtres et des danses, et à vaincre la superstition. Nous nous opposons semblablement aux débauches que les jeunes gens ont accoutumé de faire, dans un âge ou ils sentent les premières pointes de la volupté: et nous représentons aux uns et aux autres, non seulement ce que le péché a de hideux en lui-même, mais aussi les châtiments qu'il attirera sur les pécheurs, et les peines que leur âme aura à souffrir dans l'autre vie. Qui sont après tout ces précepteurs, que nous traitons de vieux fous el d'extravagants, et dont Celse soutient le parti, comme s'il n'y avait rien de comparable à leurs préceptes? Il prend peut-être pour des précepteurs fort sages et fort raisonnables, ceux qui portent les femmes à la superstition et aux spectacles impurs; ou ceux qui engagent et qui poussent la jeunesse dans tous les dérèglements, où nous voyons qu'elle s'abandonne d'ordinaire. Nous faisons au reste tous nos efforts pour obliger ceux même qui sont imbus des maximes de la philosophie, à servir Dieu comme nous, leur montrant l'excellence et la pureté de noire culte. Celse prétend, qu'au lieu de cela, nous ne nous adressons qu'aux personnes simples et grossières. Il lui faut donc répondre que, bien que son accusation fût toujours fausse, elle serait au moins vraisemblable, s'il disait que nous détournons de la philosophie ceux qui en avaient déjà embrasse l'étude. Mais, puisqu'il dit que nous ne nous adressons qu'aux personnes simples et grossières, et que cependant, nous empêchons que ceux qui ont de bons précepteurs ne leur obéissent, c'est à lui à nous apprendre s'il y a d'autres bons précepteurs que ceux qui enseignent la philosophie, ou quelque science honnête : ce qu'il ne persuadera jamais. Nous promettons à tous ceux qui nous voudront croire, qu'ils seront heureux ; et nous le leur promettons ouvertement, sans nous cacher de personne: mais nous croire, c'est vivre selon la parole de Dieu ; se le proposer pour la fin de toutes ses actions ; ne rien faire que comme sons ses yeux. Sont-ce là des enseignements de cardeurs, de cordonniers, d'ignorants, et de rustiques? On le défie encore de le prouver. Il dit que ceux à qui il donne de si beaux éloges, ne peuvent ni ne veulent rien apprendre de bon aux enfants, en la présence de leur père ou de leurs précepteurs. Mais je voudrais bien lui demander de quel père et de quels précepteurs il entend parler. S'il entend un père qui haïsse le vice et qui aime la vertu, qui sache faire la différence du bien et du mal, qu'il s'assure que nous ne craindrons jamais de nous expliquer nettement devant un tel juge, qui ne saurait que nous être favorable. Mais il ne doit pas nous condamner, si nous nous taisons devant un père qui soit dans des sentiments tout contraires et devant des personnes dont les maximes soient opposées à la droite raison. Autrement il se condamnerait lui-même. Car je ne pense pas qu'il voulût instruire de jeunes enfants dans la philosophie, devant des pères mal disposés qui en regarderaient les mystères comme des choses vaines et inutiles. S'il voulait qu'ils profitassent de ses instructions, il prendrait sans doute son temps pour les leur donner, qu'ils fussent hors de la présence de ces pères vicieux. J'en dis autant des précepteurs que des pères, si nous ne voulons pas qu'on écoute des précepteurs, de qui l'on n'apprend que les mauvais exemples de la comédie, les saletés des vers trop libres, et d'autres choses semblables, qui ne sont pas fort propres à purifier les m?urs ni des maîtres ni des disciples, nous n'avons point de honte de l'avouer. Tout le monde, en effet, n'est pas capable d'apporter un esprit de philosophe à la lecture des poètes, ni de faire sur chaque endroit les réflexions dont les enfants auraient besoin. Mais s'il est question de précepteurs qui suivent la philosophie et sous qui l'on s'y exerce, nous n'empêcherons pas qu'on ne les écoute : nous tâcherons seulement de mener plus loin les jeunes gens, qui se seront ainsi préparés, comme on se prépare aux hautes sciences, par (l'Encyclopédie) l'étude des inférieures ; et de les élever ace que la religion chrétienne a de plus grand et de plus sublime; mais que le commun des chrétiens n'aperçoit pas. Nous leur ferons voir, par des preuves et par des démonstrations évidentes, qu'il n'y a rien de plus beau, ni de plus nécessaire que ce qu'elle enseigne; et nous les convaincrons que les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus, qui sont nos philosophes, traitent ces choses d'une manière qui ne fait point tort à la dignité de leur sujet. Mais Celse, qui se sent convaincu en sa conscience, d'avoir marqué trop d'emportement et trop d'aigreur dans tout le mal qu'il a dit de nous, tâche de s'en défendre de cette sorte: Si l'on croit que j'aie parlé trop fortement, ou que je leur aie fait d'autres reproches que ceux que la vérité m'a contraint de leur faire, il sera facile de se désabuser, car quand on célèbre les mystères des autres religions, on n'y invite que ceux qui ont les mains pures et la langue discrète ; ou ceux qui sont nets de tout crime, dont l'âme n'est travaillée d'aucun remords, qui ont toujours bien et justement vécu. C'est ce que déclarent à haute voix ceux qui ont le soin de ces cérémonies qui se font pour l'expiation des péchés. Mais ceux-ci n'invitent à leurs mystères que les pécheurs, les ignorants et les simples ; en un mot, tous les malheureux. Ce sont ces personnes là, à ce qu'ils disent qui doivent entrer dans le royaume de Dieu. Qu'est-ce donc que des pécheurs, je vous prie, sinon des injustes, des larrons, des empoisonneurs, des sacrilèges, des violateurs de tous les droits divins et humains ? Quelle autre espèce de gens assemblerait-on, pour composer une troupe de voleurs ? Je réponds qu'il y a de la différence, entre présenter à des âmes infirmes les remèdes dont elles ont besoin, et appeler les esprits bien sains à la connaissance et à la méditation des choses divines. Comme nous savons distinguer l'un d'avec l'autre, nous exhortons d'abord tous les hommes à venir chercher leur guérison dans notre doctrine. Nous promettons aux pécheurs qu'elle leur apprendra à ne plus pécher ; aux ignorants, qu'elle leur donnera de la science ; aux simples, qu'elle les remplira d'une prudence consommée; et à tous les malheureux, en général, qu'elle les conduira au bonheur, ou pour parler plus proprement, à la béatitude. Mais, quand nous voyons que ceux à qui nous nous sommes adressés, on fait leur profit de nos exhortations et qu'ils tâchent sérieusement de réformer leur vie, c'est alors que nous les initions à nos mystères.
 Car nous prêchons la sagesse entre les parfaits (I Cor., II, 6). Et puisque nous enseignons, qu'elle n'entre point dans une âme maligne et qu'elle n'habite point dans un corps assujetti au péché (Sag.
I, 4); nous déclarons assez que nous demandons des personnes qui ne voulant rien toucher de sale ou d'abject et maniant, avec plaisir les choses célestes, soient en état de pouvoir dire, Qu'ils lèvent leurs mains pures à Dieu ( I Tim. . II, 8) ; et Que l'élévation de leurs mains est comme le sacrifice du soir (Ps. CXL ou CXLI, 2). Nous disons aussi, que ceux qui ont la langue discrète parce qu'ils s'appliquent à méditer jour et nuit, la loi du Seigneur (Ps., I, 2), et que leur esprit par une longue habitude, s'est accoutumé à discerner le bien et le mal (II Héb., V, 41); que ceux-là s'approchent hardiment des viandes fermes et solides, propres à nourrir spirituellement les athlètes de la piété et de toutes les autres vertus. Et comme la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d'un amour pur et inaltérable celui qui nous donne des enseignements pour l'immortalité, nous disons encore : quiconque est net non seulement de tout crime mais des péchés même qui passent pour les plus légers, qu'il se présente sans crainte pour être initié aux mystères de la religion de Jésus, où l'on ne peut raisonnablement recevoir que les personnes saintes et pures. Ceux que Celse nous allègue, disent : Que ceux-là viennent, dans l'âme n'est travaillée d'aucun remords (Ephes.. VI, 24) : mais ceux qui président aux mystères de Dieu sous la direction de Jésus, parlent ainsi aux personnes dont l'âme est déjà puri6ée; que ceux qui n'ont rien à se reprocher depuis longtemps, et surtout depuis qu'ils ont senti les salutaires effets de notre doctrine, viennent apprendre ce que Jésus enseignait en particulier à ses véritables disciples. D'où il paraît que Celse, lorsqu'il a opposé les maximes des prêtres de Grèce à celles de nos docteurs, n'a pas su mettre de différence entre les méchants qu'on invite à se guérir de leurs vices, et les personnes toutes pures à qui l'on découvre ce que la religion a de plus secret.

Ce n'est donc pas à connaître nos secrets ni à pénétrer dans la sagesse de Dieu, renfermée et cachée dans son mystère, laquelle il a préparée avant tous les siècles pour la gloire des justes (I Cor. II,7): ce n'est pas à cela que nous appelons les injustes, les larrons, les empoisonneurs, les sacrilèges, les violateurs de tous les droits divins et humains, et tous ceux que l'exagération de Celse y pourra joindre : nous les appelons uniquement à se servir des remèdes que notre doctrine leur offre de la part de Dieu ; car d'un côté, les malades spirituels y trouvent leur guérison, selon ce que dit Jésus-Christ : Que ce ne sont pas les sains, mais les malades qui ont besoin de médecin ( Matth., IX, 12) ; et de l'autre, les personnes qui sont pures d'esprit et de corps y trouvent la révélation du mystère qui, étant demeuré caché dans tous les siècles passés, a été maintenant découvert par les oracles des prophètes et par l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ (Rom.,XVl, 25); d'où les parfaits puisent des lumières qui, éclairant la partie supérieure de leur âme, les conduisent tous à la juste connaissance des choses. Mais puisque Celse, après avoir nommé ces diverses sortes de pécheurs abominables, ajoute encore pour rendre son accusation plus atroce : Quelle autre espèce de gens assemblerait-on, pour composer une troupe de voleurs ? il lui faut répondre qu'un homme qui voudrait tuer et voler, s'adresserait à de telle gens, pour faire de leur méchanceté, l'instrument de ses violences : mais que si les chrétiens s'adressent aux mêmes personnes, ils le font pour une fin bien différente; c'est pour leur bander les plaies de l'âme, et pour appliquer sur les inflammations que les vices y ont causées, les remèdes de notre doctrine qui répondent au vin, à l'huile et aux autres lénitifs que la médecine emploie pour le soulagement du corps.

Il tâche ensuite de tourner en un mauvais sens nos discours et nos écrits, lorsque nous exhortons ceux qui vivent mal, à la pénitence et à la conversion, el il nous fait dire : Que Dieu a été envoyé pour les pécheurs. Mais c'est comme s'il trouvait étrange qu'on dît, qu'un roi qui, par un mouvement de bonté, aurait envoyé des médecins dans quelque ville, les y eût envoyés pour les malades qui y étaient. Ce que nous disons donc, c'est que Dieu le Verbe, comme médecin, a été envoyé pour les pécheurs ; mais que, comme docteur des divins mystères, il a été envoyé pour ceux qui se sont déjà purifiés, et qui ne pèchent plus. Celse, qui ne sait pas faire cette distinction, parce qu'il ne veut pas s'instruire, ajoute : Pourquoi n'a-t-il pas été envoyé pour ceux qui ne pèchent point? Et quel mal y a-t-il a ne pas pécher? Je réponds à cela, que si, par ceux qui ne pèchent point, il entend ceux qui ne pèchent plus, Jésus-Christ notre Sauveur a été aussi envoyé pour eux ; mais non pas en qualité de médecin : et s'il entend ceux qui n'ont jamais péché (car il ne s'explique pas) il est impossible en ce sens, qu'il y ait quelque homme qui ne pèche point; à la réserve de celui qui a paru dans la personne de Jésus lequel n'a jamais commis aucun péché ( I Pierre, II, 22). Ce n'est que pour nous calomnier, qu'il nous fait dire encore : Que si l'injuste s'abaisse par le sentiment de ses crimes, Dieu le recevra : mais que si le juste appuyé sur sa vertu, lève d'abord les yeux vers lui, il en sera rejeté. Car premièrement nous disons qu'il n'est pas possible qu'aucun homme appuyé sur sa vertu, lève d'abord les yeux vers Dieu, puisque d'abord le vice règne nécessairement dans le c?ur de tous les hommes, selon le témoignage de S. Paul, Le commandement de la loi étant survenu, le péché est ressuscité, et moi je suis mort ( Rom., VII, 9). D'ailleurs, nous ne disons pas que ce soit assez que l'injuste pour être reçu de Dieu, s'abaisse par le sentiment de ses crimes : nous disons qu'afin que Dieu le reçoive, il faut et qu'il s'abaisse par le sentiment de ses crimes passés avec une vive douleur de les avoir commis, et qu'à l'avenir il orne son âme de toutes sortes de vertus. Après cela, n'entendant pas ce que signifient ces paroles, Quiconque s'élève sera abaissé (Luc, XVIII, 14); ne se souvenant pas même que, selon le sentiment de Platon, un honnête homme doit marcher d'un air humble et modeste, et prenant mal ce que nous disons, Humiliez-vous tous la puissante main de Dieu, afin qu'il vous élève quand le temps en sera venu (I Pierre, VI, 5), il dit, Que les juges qui veulent faire leur devoir ne souffrent pas que les criminels pleurent et gémissent devant eux, de peur qu'en les jugeant, il ne leur arrive de donner plus à la compassion qu'à la justice: mais que selon nous, Dieu est un juge qui écoute moins ta justice, que quelques plaintes vaines et flatteuses. Où paraissent donc, dans les divines écritures, ces plaintes flatteuses et ces vains gémissements ? Est-ce lorsque le pécheur y dit à Dieu, dans sa prière, je t'ai déclaré mon péché, et je ne t'ai point caché mon iniquité, j'ai dit : je confesserai, moi- ou même mon crime au Seigneur (Ps. XXI ou XXXII, 5); et ce qui suit? Celse pourrait-il prouver que ces sortes de confessions que font les pécheurs, humiliés devant Dieu ne sont pas propres à produire leur conversion?

Mais le plaisir qu'il prend à nous accuser l'emporte tellement qu'il le jette dans des contradictions manifestes; car après avoir supposé qu'il y a des hommes justes et sans péché, qui sont en état de lever d'abord les yeux vers Dieu, appuyés sur leur vertu, il approuve néanmoins ce que nous disons : Où est l'homme parfaitement juste et sans péché (Job., XV, 14) ? Il est certain, dit-il, que toute la race humaine a naturellement je ne sais quelle pente secrète au péché. Il ajoute ensuite comme si notre doctrine ne s'adressait pas à tout le monde : Il fallait donc appeler indifféremment tous les hommes, puisque tous les hommes sont pécheurs. Aussi avons-nous fait voir ci-dessus que Jésus parle en ces termes : Vous tous qui êtes travaillés et chargés, venez à moi et je vous soulagerai (Matth., XI, 28). Par où il invite tous les hommes qui sont travaillés et chargés de leur corruption naturelle, à venir au repos que la parole de Dieu leur promet. Car Dieu a envoyé sa parole et les a guéris, il les a tirés de la corruption où ils étaient (Ps. ?VI, ou CVII, 20). Mais puisque Celse nous demande sur quoi est fondée cette prérogative des pécheurs, et qu'il nous fait encore quelques autres questions semblables, nous lui répondrons qu'à parler absolument, celui qui pèche n'est point préféré à celui qui ne pèche pas ; qu'il arrive seulement quelquefois qu'un pécheur qui, par le sentiment de son péché, se porte à l'humilité et à la pénitence, est préféré à un autre, qui ne semble pas si grand pécheur, mais qui croit ne l'être point du tout, et que la bonne opinion qu'il conçoit de son propre mérite, remplit de vanité et d'orgueil.  C'est ce que nous enseigne la parabole de l'Évangile, si l'on veut en prendre bien le sens. Le pubicain disait, tout confus : Mon Dieu, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur (Luc., XVIII, 9, etc.) : mais le pharisien témoignait sa vaine présomption, en disant : Je te rends grâces, ô de ce Dieu, que je ne suis point comme le reste des hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni même comme ce publicain. Sur quoi Jésus prononce que ce fut le publicain et non l'autre, qui s'en retourna chez lui justifié, parce que quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. Nous ne faisons donc point tort à la vérité ni injure à Dieu, quand nous disons que tout le monde est convaincu de la bassesse des hommes comparés à la majesté divine, et qu'il n'y a personne que les besoins de notre nature ne contraignent d'avoir sans cesse recours à Dieu, comme à celui qui seul est capable de nous fournir ce qui nous manque. Celse s'imagine au reste que nous ne tâchons d'attirer ainsi les pécheurs que parce que nous ne pouvons rien gagner sur les personnes véritablement saintes et justes ; et que c'est ce qui nous oblige d'ouvrir la porte aux hommes les plus abandonnés et les plus perdus. Mais si l'on veut regarder nos assemblées avec des yeux que l'excès de la passion ne trouble point, l'on y verra bien plus de personnes, dont la vie n'était pas tout à fait déréglée avant leur conversion, qu'on n'y en verra qui vécussent dans le dernier désordre.

Car comme ceux dont la conscience est au meilleur état, souhaitent que ce qu'on leur dit de la récompense que les bons doivent espérer de Dieu, soit véritable, ils ont plus de disposition à le croire. Au lieu que ceux qui se sont entièrement plongés dans le vice, se sentant eux-mêmes coupables, ne veulent pas se laisser persuader que le souverain juge leur fera souffrir des peines proportionnées à tant de crimes, telles que la droite raison nous enseigne qu'on les doit attendre du juge de l'univers. Il arrive même quelquefois que ces grands pécheurs, étant près de se rendre au dogme de la punition des méchants, par l'espérance du pardon qui est promis à la pénitence, ils en sont empêchés par leurs mauvaises habitudes qui les tiennent abîmés et comme noyés dans la corruption, de sorte qu'il leur est impossible d'en sortir sans beaucoup de peines pour mener une vie sage et honnête. C'est une vérité que Celse a, je ne sais comment, aperçue, puisqu'il dit dans la suite de son traité : Chacun sait que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont formé l'habitude, ne s'en sauraient parfaitement corriger, ni par la crainte du châtiment, ni par l'espérance du pardon ; car c'est la chose du monde la plus difficile, que de changer absolument de nature : mais ce sont ceux qui ne pèchent point, qui doivent jouir de la vie bienheureuse. J'estime pourtant que c'est fort mal à propos qu'il nie que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont formé l'habitude, s'en puissent parfaitement corriger, non pas même par la crainte du châtiment : car il est constant que nous sommes naturellement tous enclins à pécher, et qu'il y en a qui non seulement y sont enclins, mais qui de plus en ont formé l'habitude. Cependant on ne peut pas dire que tous les hommes soient incapables de se corriger parfaitement : car dans toutes les sectes des philosophes aussi bien que parmi nos saints, il se trouve des personnes en qui l'on prétend qu'il se soit fait un tel changement de m?urs, qu'on propose leur vie comme un modèle de toutes sortes de vertus. Témoin Hercule et Ulysse, du temps des héros ; Socrate, dans les siècles suivants; et Musonius, depuis trois jours. Nous ne sommes donc pas les seuls qui soutenons que Celse se trompe, lorsqu'il dit que, Chacun sait que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont formé l'habitude, ne s'en sauraient parfaitement corriger, non pas même par la crainte du châtiment : Tous les véritables philosophes le soutiennent avec nous, puisqu'ils ne regardent pas le retour du vice à la vertu comme une chose impossible aux hommes. Mais quand ce serait là une de ces expressions peu exactes, qu'il ne
faut pas presser; elle ne saurait se défendre, quelque favorablement qu'on l'explique. Il dit : Que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont formé l'habitude, ne s'en sauraient parfaitement corriger, non pas même par la crainte du châtiment. Nous venons de faire voir, selon l'étendue de nos lumières, la fausseté du sens que ces paroles présentent d'abord à l'esprit. Mais peut-être qu'il a voulu dire simplement que ceux qui sont naturellement enclins à ces grands péchés, où s'abandonnent les hommes les plus perdus et qui ont ajouté l'habitude à l'inclination, ne s'en sauraient parfaitement corriger, non pas même par la crainte du châtiment. Il faut donc lui montrer par l'histoire de quelques philosophes que cela est encore faux ; car qui n'avouera qu'on doit mettre au rang des plus perdus, un homme qui peut se résoudre a souffrir que son maître le prostitue publiquement ? C'est pourtant ce que l'on dit qu'a souffert Phédon. Qui ne l'avouera aussi de cet autre qui, pour faire insulte à Xénocrate, entra avec une joueuse de flûte et une troupe de débauchés dans l'auditoire de ce grave philosophe, que le reste de la jeunesse écoulait avec admiration ? Cependant, la raison les sut tellement changer tous deux, qu'ils firent de très grands progrès dans la philosophie, jusque là que Platon a jugé que le premier était digne de rapporter les beaux discours que Socrate fit dans la prison, sur l'immortalité de l'âme, lorsqu'avec une fermeté de c?ur inébranlable à la crainte et avec une tranquillité d'esprit que la ciguë ne troublait point, il dit là-dessus des choses si grandes et si sublimes que toute l'application des personnes qui n'ont pas le moindre sujet d'inquiétude suffit à peine pour y atteindre. Polémon, tout de même corrigea si bien ses débauches par sa tempérance, qu'il succéda au célèbre Xénocrate, dont il ne démentit point la gravité. De sorte qu'il n'y a rien de moins véritable que ce que Celse dit: Que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont formé l'habitude ne s'en sauraient parfaitement corriger, non pas même par la crainte du châtiment. Il n'y a pas tant, au reste, de quoi s'étonner que des raisonnements bien suivis et des discours tout pleins de grâce et d'adresse, tels que sont ceux des philosophes, aient pu faire impression sur ces esprits quelque dépravés qu'ils fussent. Mais quand nous voyons la parole de ces gens que Celse traite de grossiers, produire des effets aussi surprenants que si elle était accompagnée de quelque charme secret : quand nous lui voyons convertir en foule les pécheurs et faire que les déréglés deviennent des exemples de modestie, que les injustes deviennent si hardis et si courageux qu'ils méprisent même la mort, pour les intérêts de la religion qu'il professent : quand dis-je, nous voyons toutes ces choses, comment pourrions-nous nous empêcher d'admirer la vertu de cette parole? Car il est bien vrai que ceux qui, au commencement du christianisme, employèrent leurs soins el leur peine à fonder les églises de Dieu, par leur parole et par leur prédication, mirent la persuasion en usage (I Cor., Il, 4) : mais ce ne fut pas une persuasion pareille à celle dont se servent les sectateurs de Platon, ou des autres philosophes qui, n'étant que de simples hommes, ne peuvent rien faire au-dessus des forces de la nature humaine. Dieu lui-même donna aux apôtres de Jésus le pouvoir de gagner les c?urs, par les démonstrations de l'esprit et de la puissance. C'est pour cette raison que leur parole ou plutôt celle de Dieu, qui se servait de leur ministère, courut et se répandit avec tant de vitesse (Ps. CXLVII, 4 ou 15) ; et qu'elle convertit tant d'hommes, qui étaient naturellement enclins à pécher et qui en avaient fait habitude. La crainte du châtiment n'était pas capable de corriger ces pécheurs ; mais cette parole les corrigea, les réglant et les formant à sa volonté. Celse ajoute, conformément à ses principes : Que c'est la chose du monde la plus difficile de changer absolument de nature. Pour nous, qui savons que toutes les urnes raisonnables sont d'une même nature et qu'aucune d'elles n'est sortie vicieuse des mains du Créateur; mais qu'une infinité de personnes se corrompent tellement, soit par la mauvaise éducation, soit par les mauvais exemples, soit par les mauvais conseils, que le péché leur devient comme naturel : nous croyons aussi que, bien loin d'être impossible, il n'est pas même fort difficile à la parole de Dieu de vaincre cette corruption qui est ainsi devenue naturelle. Nous disons que, pour cela, elle n'a qu'à nous persuader qu'il faut s'abandonner à la conduite du grand Dieu et se proposer uniquement de lui plaire dans tout ce qu'on fait; car ce n'est pas auprès de lui que

Le vice et la venu sont dans la même estime;

ni que

Le lâche et le vaillant meurent de la même mort.

(ILIAD. IX, v. 319 et 320.)

J'avoue qu'il y en a quelques-uns à qui ce changement est très difficile ; mais la difficulté ne vient que de ce qu'ils refusent de se bien résoudre à reconnaître le grand Dieu pour le juste juge de tous les hommes, qui leur doit faire rendre compte de toutes les actions de leur vie. Car il est certain qu'une forme résolution, soutenue d'un exercice fréquent, a beaucoup de force pour nous faire réussir dans les choses les plus difficiles et qui, pour ainsi dire, paraissent presque impossibles. Quoi ! un homme qui aura entrepris de marcher avec de pesants fardeaux sur une corde tendue fort haut de part en part d'un théâtre, sera capable d'en venir à bout en s'y exerçant avec assiduité, et ceux qui voudront se tirer du bourbier des vices pour vivre vertueusement ne le pourront faire, quelque désir qu'ils en aient? Je ne sais si cette prétention ne serait point plus injurieuse au Créateur qu'à la créature, de dire qu'il eût formé la nature humaine avec les dispositions nécessaires pour exécuter des choses si surprenantes, mais si inutiles, et qu'il l'eût laissée dans l'impossibilité de rien faire pour son propre bonheur, lin voilà assez sur ce que Celse dit, Que c'est la chose du monde la plus difficile de changer absolument de nature. Il continue : Mais ce font ceux qui ne pèchent point qui doivent jouir de la vie bienheureuse. Il faudrait donc qu'il nous apprit ce qu'il entend par ceux qui ne pèchent point, si ce sont ceux qui n'ont jamais péché, ou ceux qui ont cessé de pécher. Il est impossible qu'il s'en trouve du premier ordre ; et il y en a peu du second en qui la doctrine salutaire qu'ils ont embrassée au produit cet heureux changement : car ils n'étaient pas ainsi changés lorsqu'ils sont venus l'embrasser, ne se pouvant faire qu'à moins que d'en être instruit; et de l'être parfaitement, on acquière le privilège de ne pécher point.

Il nous fait ensuite appuyer notre sentiment sur cette maxime, Que Dieu peut tout : mais il ne sait comme quoi il faut entendre ni ce tout, ni ce pouvoir. Il n'est pas besoin de l'expliquer ici; car bien que ce soit une maxime qu'on peut combattre par quelques raisons apparentes, il ne s'est pas mis en devoir de le faire; soit qu'il ne se soit pas aperçu de l'apparence de ces raisons, ou que, s'en étant aperçu, il ait vu en même temps la solidité des réponses qu'on y ferait. Selon nous, Dieu peut tout ce qui ne l'empêche point d'être Dieu, d'être bon ni d'être sage. Mais Celse fait voir combien il le prend mal, quand il dit, Que Dieu ne voudra jamais rien d'injuste : par où il donne à entendre que Dieu peut bien ce qui est injuste, mais qu'il ne le veut pas. Au lieu que pour nous nous disons, que comme les choses qui sont naturellement douces ne sauraient produire l'amertume, par cela même qu'elles ont naturellement de la douceur; et que comme ce qui est naturellement lumineux ne saurait produire les ténèbres, parce qu'il a naturellement delà lumière : ainsi, Dieu ne saurait rien faire d'injuste, parce que ce serait un pouvoir contraire à sa divinité et à sa toute- puissance. Et, s'il y a quelqu'être qui ail naturellement le pouvoir de faire ce qui est injuste, il faut qu'il l'ait, parce que dans sa nature il n'y a rien qui répugne à l'injustice.

Après cela, Celse pose pour constant ce que les plus éclairés d'entre les fidèles ne lui accorderont jamais, bien que ce puisse être la pensée de quelques-uns des plus simples, savoir : Que Dieu se laissant toucher de compassion comme les personnes pitoyables, fait grâce aux méchants qui savent bien pleurer et gémir, mais qu'il rejette les bons qui n'en savent pas faire autant, ce qui, dit-il, est une grande injustice. Aussi ne disons-nous pas que Dieu fasse grâce à aucun méchant qu'il n'ait quitté le vice pour la vertu, ni qu'il rejette aucun homme qui puisse déjà passer pour bon. Nous ne disons pas non plus que des pleurs et des gémissements puissent l'obliger d'eux-mêmes à faire grâce ou miséricorde, pour me servir du mot de miséricorde, comme on s'en sert ordinairement; mais nous disons que quand un pécheur condamne sincèrement ses propres péchés, qu'il pleure et qu'il gémit comme convaincu que toutes ses actions passées ne peuvent d'elles-mêmes que le perdre, et qu'il fait paraître ensuite un désir sérieux de changer de vie, Dieu le reçoit alors â cause de sa pénitence quelque dépravé qu'il fût auparavant ; car la vertu, qui se vient établir dans son âme, pour en chasser le vice qui y régnait, lui fait obtenir le pardon de ses fautes ; et bien que ce ne soit pas encore une vertu parfaite, pourvu seulement qu'il fasse des progrès considérables dans la sainteté, cela suffit pour le retirer de sa première corruption qui s'affaiblit dans son c?ur à mesure que la vertu s'y fortifie, et qui bientôt y sera absolument éteinte.

Celse ajoute, en la personne de nos docteurs : Les sages refusent de nous écouter, parce que leur sagesse les en détourne, en les séduisant. Je réponds que, si la sagesse est la connaissance des choses tant divines qu'humaines et de leurs causes: ou, selon la définition que les saintes Écritures en font, si c'est une exhalaison de la vertu de Dieu, une effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, une réflexion de sa lumière éternelle, un miroir très net de sa puissance, et une vive image de sa bonté (Sag.,VII. 25,26), elle ne séduira jamais personne et ne le détournera point d'écouler ce qu'un chrétien bien instruit voudra lui apprendre des mystères du christianisme ; car ce n'est pas la véritable sagesse, c'est l'ignorance qui séduit, et il n'y a rien de solide au monde que la science et la vérité, qui sont des effets de la sagesse. Mais si, au préjudice de cette définition, Celse veut nommer sages tous ceux qui se mêlent de raisonner, quelque sophistiques que soient leurs raisonnements, je lui avoue que de tels sages n'auront garde d'écouter la parole de Dieu, et que leurs fausses raisons et leur sophismes les en détourneront en les séduisant. Selon nous, la sagesse ne consiste pas à savoir de mauvaises choses. La science du mal, s'il faut la nommer de la sorte, est la science de ceux qui ont embrassé de faux dogmes, et qui se sont laissé séduire par des sophismes. Ce qui l'ait qu'à mon avis il la faut plutôt appeler ignorance que sagesse. Il pousse encore plus loin ses invectives contre les défenseurs de la religion chrétienne, et il les accuse de dire des choses ridicules ; mais comme s'il n'y avait point de différence entre les en accuser et les en convaincre, il ne se met pas en peine d'en donner des preuves, et il se contente de ses injures. Il n'y a point, dit-il, de personne de bon sens qui voulût embrasser cette doctrine; la seule multitude de ceux qui lu suivent est capable de la faire rejeter. C'est justement comme s'il disait qu'à cause de la multitude des simples qui se laissent conduire aux lois, il n'y a point de personne de bon sons qui voulût observer celles de Solon, par exemple, de Lycurgue, de Zaleuque ou de tel autre législateur quelconque, ce qui est absurde au dernier point, si, par un homme de bon sens, il entend un homme vertueux. Ces législateurs ayant dessein de faire que les plus simples reçussent leurs lois et s'y soumissent, ils ont pris la voie qui leur a semblé la plus propre pour y réussir. Dieu, tout de même, quand il a donné les siennes à tous les hommes, par le moyen de Jésus, a voulu qu'elles servissent à ceux même qui manquent le plus de bon sens, et qu'elles les portassent au bien de la manière qu'ils en sont capables : c'est ce qu'il avait déclaré par Moïse dans ces paroles que nous avons rap portées ci-dessus : Ils m'ont donné de la jalousie par des dieux qui ne sont pas dieux ; ils ont excité mon indignation par leurs idoles; je leur donnerai aussi de la jalousie par un peuple qui n'est pas peuple ; j'exciterai leur indignation par un peuple qui n'a point d'intelligence (Deut., XXXII, 21). Saint Paul avait cette même vérité en vue, lorsqu'il disait que Dieu a choisi les moins sages, selon le monde, pour confondre les sages (l Cor., 1,27), où il nomme sages, selon la signification vulgaire de ce mot, ceux qui semblent être fort versés dans les sciences, mais qui, pour avoir trop de dieux, n'en ont point du tout. Car en voulant passer pour sages, ils sont devenus si fous que de changer la gloire de Dieu en des représentations et en des images d'hommes corruptibles, i'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents (Rom., I, 22). Celse ajoute que nos docteurs ne s'adressent qu'à des insensés. Mais par ce nom d'insensés, que faut-il entendre selon lui? A parler exactement, tous les vicieux sont insensés. Si donc par des insensés il entend des vicieux, je voudrais bien lui demander à quelle sorte de gens il s'adresse lui-même pour leur enseigner la philosophie, si c'est à des vicieux ou à des vertueux. Ce ne peut être à des vertueux; car les vertueux sont déjà philosophes. C'est donc à des vicieux; et si c'est à des vicieux, il faut que ce soit à des insensés. Ainsi, il s'adresse à tout autant d'insensés qu'il tâche de faire de philosophes. Pour moi quand je m'adresserais à des insensés de cette espèce, je ne ferais que comme un charitable médecin qui chercherait des malades, afin de leur donner des remèdes et de les guérir. Mais si, par des insensés, Celse entend des hommes qui aient l'esprit pesant et mal fait, je lui dirai que je veux bien travailler aussi, autant qu'il me sera possible, à l'instruction de ces personne» : mais que je ne prétends pas en composer toute la société chrétienne. J'en cherche plutôt dont les lumières soient assez vives et assez pénétrantes pour percer l'obscurité des énigmes sous lesquelles la loi, les prophètes et les Évangiles nous cachent quelquefois leurs enseignements: car il ne faut pas s'en rapporter à Celse, qui méprise ces divins écrits, et qui n'y trouve rien de solide, parce qu'il n'a pas voulu se donner la peine d'en approfondir le sens, ni d'en étudier les mystères.

Il continue ses outrages, en disant que les prédicateurs du christianisme font comme un homme qui promettrait aux malades de les guérir, mais qui ne voudrait pas souffrir que l'on appelât d'habiles médecins, de peur qu ils ne découvrissent son ignorance. Qu'il nous dise donc un peu encore qui sont ces habiles médecins, dont nous ne voulons pas souffrir que les simples se servent : car puisqu'il soutient que nous ne nous adressons point à ceux qui suivent la philosophie, les philosophas ne peuvent pas être les médecins de qui nous détournons ceux à qui nous proposons nos remèdes comme des remèdes d'une vertu divine. Il faut, ou qu'il se taise, ne sachant où prendre ses médecins, ou qu'il les cherche dans la lie du peuple; mais il n'y trouvera que des sentiments dignes des personnes les plus grossières, et que des maximes pernicieuses, telles que celle qui établit le culte de plusieurs dieux. Ainsi, de quelque côté qu'il se tourne, il ne peut se défendre de témérité, lorsqu'il dit que nous ne voulons pas souffrir qu'on appelle d'habiles médecins. Et quand nous détournerions de la philosophie d'Epicure ceux qu'elle a séduits, n'aurions-nous pas raison de le faire, puisque ceux qui passent pour de bons médecins, selon les principes de cette secte et dans l'opinion de Celse, ne sont, en effet, que des empoisonneurs qui, niant la Providence, et faisant consister le souverain bien dans la volonté, jettent l'âme dans une maladie très fâcheuse? Je veux même que nous empêchions ceux de qui nous voulons faire des chrétiens, de prendre pour médecins les philosophes des autres sectes, comme les péripatéticiens, qui disent que la Providence ne s'étend pas jusqu'à nous, et qu'il n'y a nulle liaison entre Dieu et les hommes ; sommes- nous blâmables d'arracher un sentiment si impie du c?ur de ceux qui nous veulent croire; de leur en inspirer un tout opposé, qui les soumette à la conduite du Dieu souverain, et de consolider ainsi les profondes plaies que ces faux philosophes leur avaient faites. A l'égard des stoïciens qui se figurent un Dieu corruptible, qui disent que son essence est un corps sujet à une infinité d'altérations et de changements, une matière susceptible de toutes les formes, et qui soutiennent que toutes choses, hormis Dieu, doivent un jour périr et être détruites, avons-nous tort de vouloir que l'on rejette de tels médecins, et d'opposer à de si dangereuses erreurs les salutaires enseignements de la piété, qui apprend aux hommes à dépendre uniquement du Créateur, à le reconnaître pour l'auteur de la religion chrétienne et à admirer avec quelle bonté il a pris le soin de la répandre par tout le monde pour la conversion des âmes? Enfin si nous ne pouvons souffrir qu'on se fie, comme à de bons médecins, à ceux qui enseignent que l'âme passe d'un corps dans une autre, et qui rabaissent la nature raisonnable jusqu'à la condition des brutes et quelquefois au-dessous, se peut-il qu'un esprit qu'ils ont gâté, en le prévenant de cette extravagante opinion, ne soit pas mieux quand, pour l'en guérir, nous le disposons à croire, non que les méchants soient punis par la privation de la raison ou même de l'imagination et du sentiment, mais plutôt que les maux par lesquels Dieu les châtie, sont autant de remèdes qu'il leur applique pour leur correction? Car les chrétiens bien instruits en jugent ainsi : et ils donnent cette leçon aux moins avancés, pour qui ils ne prennent pas moins de soin, qu'un père pour ses enfants. C'est donc injustement qu'on nous accuse de nous adresser aux personnes simples, rustiques et grossières pour leur conseiller de fuir les médecins, et pour leur dire : Donnez-vous de garde qu'aucun de vous n'acquière de la science. Nous ne pensons pas que la science soit une mauvaise chose, et nous ne sommes pas assez fous pour croire que les connaissances qu'un homme peut avoir, nuisent à la santé de son âme, ou pour soutenir que la sagesse ait jamais cause la perte de personne. Lorsque nous enseignons, ce n'est pas à nous que nous voulons qu'on s'attache ; nous voulons qu'on s'attache au grand Dieu et à Jésus, qui enseigne la doctrine du grand Dieu; et il n'y a aucun de nous qui, parlant à ses disciples, ait la présomption de leur dire comme Celse le fait dire à l'un de nos docteurs : Je vous sauverai moi seul. Voyez donc combien de faussetés il avance contre nous. Il est encore faux que nous disions que les véritables médecins tuent les malades qu'ils entreprennent de guérir. Mais voici une nouvelle comparaison dont il nous honore. Ces docteurs, dit-il, ressemblent à des ivrognes qui voudraient persuader à d'autres ivrognes que des personnes sobres seraient ivres. Il faudrait donc qu'il nous fit voir, par les écrits que nous ont laissés les apôtres de Jésus, que S. Paul, par exemple, ressemblait à un ivrogne, et que ses discours ne sont pas des discours d'un homme sobre, ou que S. Jean n'était pas dans son bon sens, mais qu'on remarque dans ses pensées le désordre d'un esprit enivré de vices. Est-ce agir en philosophe que de dire ainsi des injures sans fondement, et de traiter d'ivrognes des hommes sobres, tels que sont les prédicateurs du christianisme? Qu'il nous dise encore quelles sont ces personnes sobres que nous voulons qui soient ivres. Selon nous, qui sommes instruits dans la religion de Jésus-Christ, tous ceux qui parlent à des choses inanimées, comme s'ils parlaient à Dieu, sont ivres. Mais que dis-je, qu'ils sont ivres? ils sont plutôt fous de courir, comme ils font, aux temples pour y adorer des simulacres ou de animaux, comme des dieux. Et ceux-là ne sont pas moins fous, qui s'imaginent qu'on puisse honorer de vrais dieux, par l'ouvrage de quelque vil artisan, souvent même d'un méchant homme. Il compare ensuite le docteur à un homme qui a mauvaise vue, et les disciples à des personnes qui ont le même défaut. Il dit que ce docteur ayant affaire à des disciples qui n'ont pas meilleure vue que lui, veut faire passer les clairvoyants pour aveugles. Mais qui sont ceux que nous appelons aveugles? Que les Grecs jugent eux-mêmes si nous avons tort. Ce sont eux à qui l'immense grandeur de l'univers, ni la beauté des diverses parties qui la composent, ne peuvent faire lever les yeux vers le Créateur de toutes ces choses, pour voir qu'il n'y a que lui qu'on doive admirer, servir et adorer. Ce sont ceux qui ne reconnaissent pas qu'aucun ouvrage que les hommes puissent faire, en vue de s'en servir, pour rendre de l'honneur aux dieux, ne peut jamais être un légitime objet de culte, ni sans le Créateur, ni avec le Créateur. Car il n'y a que des esprits aveuglés qui puissent mettre quelque proportion entre des êtres si bas et une majesté infiniment élevée au-dessus de toutes les créatures. Ce ne sont donc pas les clairvoyants que nous accusons d'avoir perdu la vue ou de l'avoir faible. Les aveugles spirituels de qui nous parlons, sont ceux qui, faute de connaître Dieu, ont de l'attachement pour les temples, pour les simulacres, pour les fêtes marquées à certains jours du mois ; ceux surtout qui, à l'impiété, joignent la mauvaise vie, et qui ne sachant ce que c'est que l'honnêteté ou la vertu, s'abandonnent aux passions les plus sales et les plus honteuses.

Après toutes ces accusations, il ajoute encore, pour faire croire qu'il ne lient qu'à lui qu'elles ne soient suivies de plusieurs autres : On leur pourrait faire beaucoup d'autres reproches semblables ; mais on n'aurait jamais fait de vouloir tout dire : il suffit de remarquer ici comment ils s'élèvent contre Dieu, et quelle injure ils lui font, lorsque, pour gagner les méchants, ils les flattent de vaines espérances, leur persuadant que, pour être bien heureux, il faut qu'ils quittent et qu'ils méprisent des biens qui valent beaucoup mieux que tout ce qu'on leur promet. Mais on peut lui répondre que cette efficace, qui paraît dans le christianisme pour la conversion des hommes, se déploie bien moins sur les méchants que sur les simples, et sur ceux qu'on nomme ordinairement grossiers : car c'est à ceux-ci que la crainte des peines dont on les menace fait prendre la résolution de se priver de ce qui peut les en rendre dignes, et qu'elle inspire le dessein d'embrasser la religion chrétienne. cette crainte, que l'Évangile leur donne quand il leur parle de supplices qui ne finiront jamais, a tant de pouvoir sur leur esprit, qu'elle leur fait mépriser les plus cruels tourments que les hommes puissent inventer contre eux, toutes les incommodités de la vie et toutes les horreurs de la mort; ce qu'une personne raisonnable ne prendra jamais pour l'effet d'une méchante inclination. Et comment une âme mal disposée serait-elle capable d'honnêteté, de tempérance, d'humanité et de libéralité ? Elle ne le serait pas même de cette crainte de Dieu, à laquelle l'Écriture sainte exhorte les hommes, comme à une chose utile pour ceux qui ne peuvent encore comprendre que la vertu mérite qu'on l'aime à cause d'elle-même, cl qu'étant le plus grand de tous les biens, elle est au-dessus de toutes les promesses qu'on peut nous faire pour nous y porter. Car si, dans ce grand nombre, il s'en trouve qui aient pris le parti de vivre dans le désordre, la crainte n'a pas assez de force pour faire impression sur leur esprit. L'on dira peut-être que, si les fidèles du commun ne sont pas méchants, ils sont du moins superstitieux, et l'on accusera notre doctrine d'être une source de superstitions. Mais comme ce législateur, à qui l'on demandait autrefois si les lois qu'il avait données a ses citoyens étaient parfaites, répondit qu'il ne les leur avait pas données absolument parfaites, mais les plus parfaites qu'il avait pu : l'auteur du christianisme peut ire tout de même qu'il a donné au peuple chrétien les lois les plus propres qu'il a pu, pour le corriger et pour l'instruire, menaçant les pécheurs, non de peines imaginaires, mais de châtiments réels, dont les rebelles ont nécessairement besoin, pour les ramènera leur devoir, bien que le plus souvent ils ne comprennent ni l'intention de celui qui les châtie, ni le fruit qui leur revient d'être châtiés. Cette doctrine n'est pas moins utile que véritable; et ce n'est que pour le bien des hommes, qu'elle est proposée avec quelque obscurité. Mais s'il est faux que, pour l'ordinaire, nos docteurs ne gagnent que des méchants, il n'est pas plus vrai que nous fassions injure à Dieu ; car nous ne disons rien de lui qui ne soit conforme à la vérité, et que les plus simples mêmes ne puissent entendre, quoiqu'ils ne l'entendent pas aussi distinctement que le petit nombre de ceux qui s'exercent dans l'étude de nos mystères. Mais puisque Celse dit que ceux qui embrassent noire religion se flattent de vaines espérances, je voudrais bien lui demander si, en traitant ainsi le dogme de la vie bienheureuse, où Dieu se communique à nous, il ne suppose pas par le même moyen que les disciples de Pythagore et de Platon se flattent aussi de vaincs espérances, eux qui croient que l'âme est d'une nature à s'élever au dessus du ciel, pour y jouir de la vision dont les bienheureux jouissent. Ceux encore qui se persuadent que l'âme subsiste séparée de son corps, et qui forment leur vie sur le dessein de devenir des héros, et d'aller habiter avec les dieux, se flatteront, selon lui de vaines espérances. Je ne sais même s'il ne faudra point en dire autant de ceux qui soutiennent que l'esprit ne naît pas avec le corps, mais qu'il y est infus d'ailleurs, comme ne devant pas mourir avec lui. Qu'une nous déguise donc plus sa secte, mais qu'il se découvre nettement pour épicurien, et qu'il combatte les fortes raisons par lesquelles tant les Grecs que les Barbares établissent l'immortalité de l'âme et sa substance hors du corps, ou l'existence de l'esprit après la mort. Qu'il prouve que ce ne sont là que des paroles qui flattent de vaines espérances ceux qui s'y laissent tromper, mais qu'il n'en est pas ainsi de sa philosophie qui. éloignant toutes les vaines espérances, ou n'en donne que de bien fondées, ou plutôt n'en donne point du tout, puisque, selon ses principes, l'âme périt en quittant  le corps. Car d'aspirer à la volupté comme au souverain bonheur, et de prendre, avec Épicure, la bonne constitution du corps pour un bien ferme el solide, ce n'est pas sans doute se flatter de vaines espérances, si nous nous en rapportons à Celse et aux épicuriens. Ne croyez pas, au reste, que ma méthode ne soit pas celle d'un chrétien, quand j'allègue contre Celse le sentiment des philosophes, touchant l'immortalité de l'âme ou son existence hors du corps. Nous avons, eux et nous, quelque chose de commun. Mais nous ferons voir, quand il en sera question, que la félicité de l'autre vie n'est que pour ceux qui ont embrassé la religion de Jésus, et qui servent le Créateur de l'univers avec une entière pureté, sans faire part de leur culte à aucune créature, quelle qu'elle soit. Celse dit, que ce dont nous conseillons le mépris aux hommes vaut beaucoup mieux que tout ce que nous leur promettons. S'il y a donc quelqu'un qui veuille entreprendre de le prouver, qu'il considère premièrement quelle félicité nous disons que la bonté du grand Dieu prépare en Jésus-Christ, qui est sa parole, sa sagesse et son infinie vertu, à ceux dont la vie aura été pure et sans reproche, et qui l'auront aimé d'un amour constant et fidèle ; qu'il compare ensuite cette félicité avec celle qu'on se propose, soit parmi les Grecs, soit parmi les Barbares, dans chaque secte de philosophes, ou dans tous les mystères de religion, et qu'il fasse voir que cette comparaison ne nous est pas avantageuse, mais que la félicité des autres est conforme à la vérité et à la raison, au lieu que la nôtre ne répond ni à la bonté de Dieu, ni à ce que les hommes qui ont bien vécu doivent attendre. Qu'il fasse voir encore que cette doctrine ne nous vient pas de l'esprit divin, qui remplissait les saintes âmes des prophètes qui nous l'ont apprise, ou que des pensées, reconnues pour humaines par tout le monde, méritent d'être préférées à des enseignements qui sont divins en eux-mêmes et qui procèdent de l'inspiration divine, comme nous le démontrons des nôtres. Quels sont enfin ces biens auxquels nous voulons que l'on renonce pour être heureux, quoiqu'ils vaillent mieux que tout ce que nous promettons? Car, sans en parler trop fortement, on peut dire qu'il est clair de soi-même, que l'on ne saurait rien s'imaginer de. meilleur que de s'abandonner à la conduite du grand Dieu, et que d'embrasser une doctrine qui nous détache de toutes les créatures, pour nous faire uniquement dépendre de lui, par sa parole vivante et animée, qui est aussi et sa sagesse, vivante, et son Fils. Mais notre troisième livre étant désormais assez long, nous le finirons ici pour continuer, dans le suivant, de nous défendre contre les attaques de Celse.
 
 
 
 
 
 

LIVRE QUATRIÈME.

Vous avez vu, sage Ambroise, de quelle manière nous avons repoussé les efforts de Celse, dans nos trois livres précédents. Nous allons maintenant commencer le quatrième. Mais auparavant, nous nous adressons à Dieu, par Jésus-Christ, pour le prier qu'il nous donne ces paroles, dont il dit lui-même au prophète Jérémie: Je mets mes paroles en ta bouche, comme un feu. Je t'établis aujourd'hui sur les peuples et sur les royaumes, pour arracher et pour abattre, pour perdre et pour détruire, pour bâtir et pour planter (Jér., I, 9). Car nous avons ici besoin de paroles qui arrachent des âmes les impressions contraires à la vérité, que peuvent y avoir faites les faux raisonnements de Celse ou de ceux qui lui ressemblent. Nous avons besoin de pensées qui détruisent tous les édifices de l'erreur, tels que ceux de cet écrit, où il semble que Celse veuille imiter ces audacieux qui se disaient l'un à l'autre : Venez, bâtissons-nous une ville avec une tour qui soit élevée jusqu'au ciel (Gen., XI, 4). Nous avons encore besoin d'une sagesse qui abatte toutes les hauteurs qui s'élèvent contre la connaissance de Dieu (II Cor., X, 5), et qui confonde l'orgueil avec lequel Celse nous insulte. Enfin, comme nous ne devons pas nous contenter d'arracher et de détruire; mais qu'en la place de ce que nous aurons arraché et de ce que nous aurons détruit, il faut que nous plantions les plantes de Dieu, et que nous bâtissions un temple à sa gloire(I Cor.,III, 9, etc.): nous avons aussi à demander au Seigneur, qu'il nous donne ce qu'il promettait à Jérémie, afin que nous bâtissions pour Jésus-Christ, et que nous plantions dans les c?urs la loi spirituelle qu'il nous a apportée, conformément aux oracles des prophètes. C'est l'évidence de ces oracles qui parlent du Christ, que nous avons surtout à défendre présentement contre Celse; car il combat également, et les Juifs qui nient que le Christ soit venu, mais qui espèrent qu'il viendra, et les chrétiens qui soutiennent que Jésus est ce Christ, dont les prophètes avaient parlé. Il y a, dit-il, une dispute entre les Juifs et quelques chrétiens, les uns disent qu'un Dieu ou un Fils de Dieu descendra sur la terre pour justifier les hommes ; les autres, qu'il y est déjà descendu, ce qui marque une incertitude si honteuse, qu'il n'est presque pas nécessaire de les réfuter. Mais il me semble qu'il ne parle pas exactement, lorsqu'il dit des Juifs en général qu'ils espèrent que le Christ descendra sur la terre ; et des chrétiens, que quelques-uns seulement croient qu'il y est déjà descendu. Car il entend sans doute par les chrétiens, ceux qui prouvent par les oracles des Juifs, que le Messie est déjà venu au monde : et cependant il insinue qu'il y a des siècles parmi eux qui ne reconnaissent pas Jésus pour celui que les prophètes avaient promis. Nous avons fait voir ci-dessus, autant que nous en avons été capables, que l'avènement du Messie avait été prédit. Ainsi, pour ne point répéter les mêmes choses, nous ne dirons pas ici tout ce qu'il y aurait à dire sur ce sujet. Je vous prie seulement de remarquer que, si Celse voulait qu'il y eût ou qu'il parût au moins quelque chose de suivi dans ce qu'il allègue pour renverser la foi de ceux qui se persuadent, sur le témoignage des prophéties, que le Christ est venu ou qu'il viendra, il fallait qu'il rapportât ces prophéties, par l'autorité desquelles les Juifs et les chrétiens disputent les uns contre les autres. Car alors il aurait pu, avec quelque couleur apparente, combattre le sentiment de ceux qui, sur des probabilités, comme il parle, ajoutent foi à des prophéties, et prennent Jésus pour le Christ. Mais, soit qu'il n'ait pu trouver de réponses, pour éluder ces prédictions, ou que même il n'ait eu nulle connaissance de ce qu'elles contiennent, il ne cite aucun passage des prophètes, quoiqu'il y en ait tant où ils parlent du Messie, et il croit pouvoir décrier leurs oracles, sans examiner le moins du monde la probabilité qu'il y reconnaît. Il ne sait pas non plus que les Juifs ne demeurent pas d'accord, comme nous l'avons montré ailleurs, que le Messie qu'ils attendent devait être un Dieu ou un Fils de Dieu. Il dit que, selon eux, il viendra justifier les hommes; mais que, selon nous, il est déjà venu : il prétend qu'il n'en faut pas davantage pour nous convaincre; et que c'est-là une incertitude si honteuse, qu'il n'est presque pas nécessaire de nous réfuter. Il demande simplement quel aurait été le dessein de ce Dieu en descendant sur la terre. Mais il ne voit pas que, selon nos principes, il y a eu deux raisons de ce dessein : la première et la principale, de ramener au troupeau les brebis perdues de la maison d'Israël (Matth., XV, 24), comme il est dit dans l'Évangile ; la seconde, d'ôter aux Juifs, à cause de leur incrédulité, ce que l'Écriture nomme le royaume de Dieu (Matth., XXI, 41 et 43 ), et de mettre dans la vigne du Seigneur d'autres vignerons, c'est-à-dire les chrétiens qui lui en rendissent les fruits, qui sont leurs ?uvres, chacun en sa saison. Nous pourrions nous étendre sur celle matière : mais cela suffit pour répondre à la demande de Celse : Quel aurait été le dessein de ce Dieu, en descendant sur la terre? Il suppose une autre réponse, mais qui n'est pas conforme à la pensée ni des Juifs, ni des chrétiens ; serait-ce pour apprendre ce qui se passe parmi les hommes? Car aucun de nous n'a jamais dit cela du Messie. Cependant il continue comme s'il y en avait qui le disent : Est-ce qu'il ne sait pas toutes choses ? Et puis, supposant que nous l'avouerons, il demande encore : Où sait-il toutes choses, sans remédier aux désordres ? Sa puissance divine n'était-elle pas capable de les corriger? Mais en tout cela, il n'y a pas la moindre étincelle de raison ; car toujours, et de siècle en siècle, Dieu a fait descendre sa parole dans les saintes âmes de ses amis et de ses prophètes, pour la correction de ceux qui s'y soumettraient : et depuis l'avènement du Messie il se sert de la doctrine chrétienne pour corriger, non ceux qui ne veulent pas qu'on les corrige, mais ceux qui, de leur bon gré, embrassent une vie honnête et agréable à Dieu. Je ne sais au fond de quelle espèce de correction Celse entend parler, lorsqu'il dit : Sa puissance divine n était-elle pas capable de corriger les désordres, sans qu'il fut besoin d'envoyer exprès quelqu'un au monde? Voudrait-il que Dieu, faisant une soudaine impression sur l'esprit des hommes, pour en chasser le vice et pour y introduire la vertu, les corrigeât en un instant? Quelqu'autre demandera si dans l'ordre de la nature cela serait possible. Mais, posé qu'il le fût, que deviendrait notre liberté ; et qu'y aurait-il de louable dans l'acquiescement que nous donnons à la vérité, et que nous refusons au mensonge? Je veux même passer par dessus ces difficultés, ne sera-t-on pas toujours autant en droit que Celse de demander si Dieu ne pouvait pas faire d'abord par sa puissance divine que les hommes fussent d'eux-mêmes parfaitement vertueux, et que n'ayant jamais eu de vices ils n'eussent besoin d'aucune correction? Ces pensées peuvent faire de la peine aux simples et aux ignorants : mais ceux qui pénètrent dans la nature des choses, savent que, si l'on ôte à la vertu la liberté du choix, on lui ôte son essence, comme on le prouverait si cela pouvait se faire en passant. Les Grecs mêmes en font un des principaux articles de leurs traités de la Providence, où ils se donnent bien de garde de dire, comme Celse : Dieu sait-il toutes choses sans remédier aux désordres ? Sa puissance divine n'est-elle pas capable de les corriger ? Nous en avons aussi parlé en plusieurs rencontres, selon notre portée : et la sainte Écriture instruit assez là-dessus ceux qui la savent bien entendre. Mais on peut se servir, contre Celse, de ses propres armes, et lui demander comme il demande aux Juifs et à nous : Le grand Dieu sait-il ce qui se passe parmi les hommes ou s'il ne le sait pas ? Si vous reconnaissez un Dieu et une Providence, comme vous en faites profession dans votre livre, il faut qu'il sache tout ce qui se passe : et s'il le sait, pourquoi ne corrige-t-il pas les désordres? Sommes-nous nécessairement obligés de vous dire pourquoi il ne les corrige pas, bien qu'il les connaisse : et vous, qui ne voulez pas vous découvrir ici nettement pour épicurien, mais qui feignez d'admettre la Providence, vous dispenserez-vous de nous répondre si nous vous demandons tout de même, pourquoi Dieu qui sait tout ce qui se passe dans le monde, ne corrige-t-il pas les désordres qu'il y voit ; pourquoi sa puissance divine ne guérit-elle pas tous les hommes de leurs vices? Pour nous, nous ne craignons point de dire que Dieu ne laisse jamais les pécheurs sans leur envoyer quelqu'un pour les corriger; et que par ses soins ils ont devant les yeux de continuelles leçons de vertu. Cependant, les personnes dont il se sert pour cela, ne s'y emploient pas toutes de môme manière. Il y en a bien peu qui proposent la vérité toute simple et toute pure, et qui travaillent à une parfaite correction des pécheurs, comme ont fait Moïse et les prophètes. Mais entre tous ceux-là, il n'y en a point de comparable à Jésus, qui ne s'arrête pas à corriger quelque petit nombre de vicieux dans un coin du monde, et à qui il ne tient pas que sa vertu ne se fasse sentir partout. Car il est venu pour être le Sauveur de tout ls hommes (I Tim. IV, 10).

A celle objection digne de l'esprit de Celse il en ajoute une autre de la même force. Il suppose, je ne sais sur quel fondement, que, selon nous, Dieu doit descendre lui-même parmi les hommes : d'où il infère qu'il faut donc qu'il quitte son trône. Mais il ne connaît pas le pouvoir de Dieu. Il ne sait pas, que l'esprit du Seigneur remplit l'univers ; et qui comme il contient tout, il entend tout ce qui se dit ( Sag., I, 7 ). Il ne peut comprendre ce que Dieu dit de soi-même ; Ne remplis-je pas le ciel et la terre (Jér.. XXIII, 24)? et il ne voit pas que, suivant les principes de la religion chrétienne, c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ( Act., XVII, 28), comme saint Paul le prêchait aux Athéniens. Ainsi, bien qu'on puisse dire que le grand Dieu, par sa puissance infinie, soit descendu sur la terre avec Jésus ; bien que le Verbe, qui était au commencement avec Dieu, et qui était Dieu lui-même (Jean, I,1), soit venu vers nous, Dieu n'a pas pour cela quitté ni abandonné son trône, vidant un lieu et en remplissant un autre, où il ne fût pas auparavant. Car il étend sa puissance et sa divinité partout où il veut, et partout où il trouve quelqu'espace, sans changer pourtant de lieu, et sans que celui-ci demeure vide, ou que cet autre devienne plein. Si nous disons quelquefois qu'il quitte un endroit et qu'il en remplit un autre, cela ne se doit pas entendre du lieu, mais de notre âme. Nous disons que Dieu quitte celle des méchants qui se plongent dans les vices, mais que celle des bons, qui veulent suivre la vertu, qui tendent à la perfection, ou qui y sont déjà arrivés, est remplie ou faite participante de l'esprit divin. Il n'y a donc aucune nécessité, en posant que le Christ est descendu sur la terre, ou que Dieu s'est présenté aux hommes, de poser que Dieu ait quitté son auguste trône, ou qu'il se soit fait un changement tel que Celse se l'imagine, lorsqu'il dit : Si vous faites ici le moindre petit changement, vous ferez tomber l'univers dans une entière ruine. Mais si l'on veut qu'il se soit fait quelque changement par la manifestation de là puissance de Dieu, et par l'avènement du Verbe, nous ne ferons pas difficulté de dire que la malice s'est changée en bonté, la débauche en tempérance et la superstition en piété dans l'âme de ceux qui ont reçu ce Verbe de Dieu, lorsqu'il est venu au monde.

Si vous voulez maintenant que je réponde à ce que Celse pouvait jamais avancer de plus ridicule, écoutez ce qu'il ajoute : N'est-ce point que Dieu n'étant pas connu des hommes, et trouvant qu'il manquait en cela quelque chose à ton bonheur, a voulu se faire connaître à eux, et discerner ainsi les fidèles d'avec les incrédules ? Ce serait rendre un beau témoignage à Dieu, que de l'accuser d'une si basse et si indigne ambition ; comme si c'était quelqu'un de ces nouveaux riches qui prennent plaisir à faire montre de leurs richesses. Nous disons que Dieu n'étant pas connu des méchants, il veut se faire connaître à eux, non parce qu'il manque quelque chose à son bonheur, mais au contraire parce qu'on cesse d'être malheureux dès qu'on a sa connaissance. Nous disons encore qu'il se présente lui-même à quelques uns, par sa puissance divine et ineffable, ou qu'il leur envoie son Christ, non pour discerner les fidèles d'avec les incrédules, mais pour délivrer de tout mal les fidèles qui reconnaissent sa divinité, et pour ne laisser aux autres aucun prétexte de s'excuser, comme si leur incrédulité ne venait que de ce qu'on ne leur a pas enseigné les choses qu'ils devaient croire. Par quel espèce de conséquence peut-on donc inférer de notre doctrine que, selon nous, Dieu ressemble à ces nouveaux riches qui prennent plaisir à faire montre de leurs richesses ? Car ce n'est pas pour nous faire montre de sa majesté et de sa gloire, que Dieu nous la découvre et nous ordonne de la contempler. S'il veut que nous nous unissions avec lui, comme il nous y invite par son Christ, et comme il y a de tout temps invité les hommes par son Verbe, qui a toujours été présent parmi eux, il ne le veut qu'afin de procurer à nos âmes cette félicité qui se trouve à le connaître. Où est donc, encore une fois, cette basse et cette indigne ambition, dont les chrétiens l'accusent par leur créance ? Mais après toutes ces vaines et froides déclamations, Celse conclut enfin, je ne sais comment, que si Dieu veut se faire connaître à nous, c'est pour notre propre bien, et non qu'il en ait besoin lui-même ; ?'est pour sauver ceux qui, ayant embrassé cette connaissance, seront devenus vertueux, et pour punir ceux qui, l'ayant rejetée, auront découvert leur malice. Sur quoi il fait cette objection : Est-ce donc qu'après tant de siècles, Dieu s'est enfin souvenu de justifier les hommes, ce qu'il négligeait auparavant ? Je réponds à cela que le dessein de justifier les hommes n'a jamais été négligé de Dieu, qui leur a toujours présenté des occasions de s'adonner à la vertu et de renoncer aux vices. Car il n'y a point eu de siècle où la sagesse ne lui ait fait des amis et des prophètes, descendant dans les âmes qu'elle trouvait saintes : et les livres sacrés nous fournissent, dans tous les âges, des exemples de ces saints qui recevaient l'esprit de Dieu, et qui ensuite travaillaient de tout leur pouvoir à la conversion des autres hommes. Il n'est pas surprenant au reste qu'en quelqu'un de ces âges, il y ait eu des prophètes qui, par la fermeté et par la constance d'une vie toujours égale, aient surpassé les autres prophètes de leur temps ou même ceux du temps passé et de l'avenir, dans la réception de l'esprit divin. Et il ne se faut pas étonner non plus qu'il y ait quelque chose de singulier dans un certain siècle, par l'avènement d'une personne qui n'avait jamais eu, et qui ne devait Jamais avoir rien de pareil. Mais cette matière est trop mystérieuse et trop sublime pour être à la portée de tout le monde, et si nous voulions répondre parfaitement à l'objection qu'on nous fait sur l'avènement du Christ : Est-ce donc qu'après tant de siècles Dieu s'est enfin souvenu de justifier les hommes, ce qu'il négligeait auparavant ? il faudrait traiter de la division des peuples et faire voir pourquoi, Quand le Dieu Très-Haut partagea les nations, et qu'il sépara les enfants d'Adam les uns d'avec les autres, il établit les bornes des peuples
selon le nombre des anges de Dieu, mais que la portion du Seigneur, ce fut Jacob et son peuple, et le lot de ton partage ce fut Israël. Il faudrait expliquer pour quelle cause ceux-ci ou ceux-là naissent dans l'enceinte de telles ou telles bornes, et sous la direction de celui à qui elles sont échues. Pour quelle raison la portion du Seigneur ce fut Jacob, son peuple, et le lot de ton partage ce fut Israël. Enfin pourquoi, au commencement, la portion du Seigneur c'était Jacob, son peuple, et le lot de son partage c'était Israël ; mais que dans la suite des temps, il est dit à notre Sauveur, par son Père : Demande-moi, et je le donnerai les nations pour ton héritage et toute l'étendue de la terre pour ta possession. Car il y a de certains enchaînements, de certains ressorts secrets et inexplicables dans celle diverse conduite de la Providence à l'égard des âmes humaines. Après donc tous ces prophètes qui avaient travaillé à corriger l'ancien Israël, le Christ est enfin venu pour la correction de tout le monde, quoi que Celse en puisse dire. El étant venu, il n'a pas eu besoin de châtiments, de peines et de supplices pour ranger les hommes à leur devoir, comme sous la première dispensation. Lorsque celui qui sème est allé semer son grain, la seule prédication lui a suffi pour répandre partout cette semence, qui est sa parole. S'il doit venir un temps qui, réglant la juste durée du monde, lui fera prendre fin du monde comme il a eu commencement, et si cette fin doit être suivie d'un jugement où chacun sera traité selon ses ?uvres, il faut que les plus avancés dans la connaissance de nos mystères établissent celle vérité, par toutes sortes de preuves tirées tant des Écritures divines que des lumières de la raison, mais que les plus simples, qui font toujours le plus grand nombre, et qui sont incapables d'atteindre à toutes ces hautes spéculations de la sagesse de Dieu, s'en reposent sur l'autorité de ce grand Dieu et sur celle du Sauveur des hommes, se contentant de cette raison: C'est lui qui l'a dit, par une déférence qui lui est due plus qu'à tout autre.

Celse ajoute, pour ne pas perdre la bonne coutume qu'il a de nous accuser sans fondement et sans preuves : Il est clair que ce qu'ils nous débitent là de Dieu est indigne de personnes sages et pieuses. Il s'imagine que, quand nous disons que les pécheurs doivent nécessairement s'attendre à être punis après leur mort, ce n'est que pour faire peur aux ignorants, et non que nous regardions cela comme véritable : ce qui fait qu'il nous compare à ceux qui, dans les mystères de Bacchus, font paraître des spectres et des fantômes. A l'égard des mystères de Bacchus, qu'il y ait de l'illusion ou qu'il n'y en ait pas, c'est aux Grecs à en répondre. Celse et ceux de sa secte peuvent les interroger là-dessus. Pour nous, nous ne rendons raison que de notre fait, et nous disons que, dans le dessein où nous sommes de réformer tout le genre humain, nous nous servons et de menaces et de promesses, faisant craindre aux uns les peines de l'autre vie, que nous croyons de la félicité qu'il prépare à ceux qui seront dignes de l'avoir pour roi.

Il entreprend de montrer ensuite que nous ne disons rien de nouveau ni d'extraordinaire touchant le déluge et touchant l'embrasement du monde ; mais que ce que nous en croyons sur le témoignage de nos Écritures n'est qu'une idée confuse que nous avons du sentiment tant des Grecs que des barbares. Ils ont ouï dire confusément, dit-il, qu'après la révolution de plusieurs siècles et au bout d'un certain période qui remet les astres au même point de conjonction où ils ont été autrefois, il arrive au monde des embrasements et des déluges : et comme c'est un déluge qui est arrivé le dernier, du temps de Deucalion, et que l'ordre des choses qui doivent ainsi changer de face, demande que ce déluge soit suivi d'un embrasement, ils se sont faussement imaginé là-dessus que Dieu doit descendre armé de feu, comme s'il voulait donner la gène. Mais je m'étonne que Celse, qui fait paraître tant de lecture et qui se pique de savoir si bien l'histoire, ne soit pas mieux instruit de Moïse que quelques historiens grecs font contemporain d'Inaque, père de Phoronée. Les Égyptiens même, aussi bien que les auteurs de l'histoire phénicienne, reconnaissent qu'il est très ancien : et si l'on veut des preuves qu'il l'est beaucoup plus que ceux qui disent qu'après la révolution de plusieurs siècles il arrive au monde des embrasements el des déluges, l'on n'a qu'à lire les deux livres que Josèphe a écrits (contre Appion), pour justifier l'antiquité de la nation judaïque. L'on verra si Celse a raison de prétendre que les Juifs et les chrétiens n'ont qu'une idée confuse du sentiment de ces gens-là, et que c'est faute d'entendre leur pensée sur cet embrasement qu'ils se sont imaginé que Dieu doit descendre armé de feu, comme s'il voulait donner la gène. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner s'il y a de telles révolutions qui causent des embrasements et des déluges, ou s'il n'y en a pas; ni si c'est une doctrine enseignée par nos Écritures, soit dans ces paroles de Salomon, Qu'est-ce qui a été ? C'est ce qui doit être à l'avenir ; qu'est-ce qui s'est fait ? c'est ce qui doit se faire encore (Ecclés. I, 9), et ce qui suit, soit ailleurs. Il suffit d'avoir montré que Moïse et quelques-uns des prophètes étant des écrivains très anciens, ils n'ont emprunté de personne ce qu'ils disent de l'embrasement du monde : mais que plutôt (s'il en faut juger par le temps) ce sont les autres qui, ayant ouï confusément parler de ce que Moïse et les prophètes enseignent, et ne l'ayant pas bien compris, se sont imaginé que les révolutions des cieux ramenaient au monde des événements tout semblables à ceux des siècles passés, sans qu'il pût y avoir de différence des uns aux autres, ni dans les propriétés essentielles, ni même dans ce qu'on nomine les accidents. Pour nous, nous n'attribuons le déluge et l'embrasement du monde ni aux révolutions des siècles, ni aux périodes des astres. Nous disons qu'il en faut chercher la cause dans la corruption des hommes qui, lorsqu'elle est venue à son comble, ne peut plus trouver de remède que dans un embrasement ou dans un déluge. Si les prophètes parlent quelquefois de Dieu, comme s'il descendait, bien qu'il dise de soi-même : Ne remplis-je pas le ciel et la terre (Jér., XX1II, 24}? nous prenons cette descente en un sens figuré; car Dieu descend de sa majesté et de sa grandeur quand il abaisse ses soins jusqu'aux hommes et surtout jusqu'aux méchants, à peu près comme on dit que les précepteurs doivent descendre et s'abaisser pour instruire leurs disciples, ou que les hommes sages et savants doivent faire la même chose en faveur de ceux qui ne font que d'embrasser l'étude de la philosophie. Lorsque l'on parle ainsi, l'on ne veut signifier rien de corporel. Il faut prendre en un sens conforme a celui que l'usage autorise dans ces rencontres, les mots de descendre et de monter, quand la sainte Écriture s'en sert en parlant de Dieu. Mais puisque Celse, voulant faire le railleur, dit que, selon nous, Dieu doit descendre armé de feu, comme s'il voulait donner la gêne (Gen. Il, 5, et 17, 22, etc. ), ce qui nous engage hors de saison, dans des considérations très profondes, nous n'en dirons que ce qui est nécessaire pour faire sentir au lecteur que nous savons repousser ses railleries. Après quoi nous passerons au reste. Les Écritures divines disent que Dieu est un feu dévorant et qu'il fait rouler devant soi des fleuves de feu  ; qu'il est même comme un feu de fonte et comme l'herbe aux foulons, lorsqu'il vient purifier son peuple (Deut., IV, 24). Quand elles disent donc que Dieu est un feu dévorant (Dan., VII, 10), nous demandons ce que l'on doit croire qu'il dévore. Pour nous, nous disons que c'est la corruption des hommes et ses fruits, nommés figurément, du bois, du foin et de la paille (Mal., III, 2) que Dieu dévore comme un feu. Car l'Apôtre dit que les méchants bâtissent avec du bois, du foin et de la paille, sur le fondement de la doctrine évangélique (1 Cor., III, 12) qui a été une fois posé. Si l'on peut donc nous prouver qu'il ne l'entend pas comme nous l'avons expliqué et nous faire voir que les méchants bâtissent matériellement avec du bois, du foin et de la paille, il faudra avouer qu'il s'agit aussi d'un feu matériel et sensible : mais si, au contraire, ce bois, ce foin et cette paille se doivent prendre figurément pour les ?uvres des méchants, en faut-il davantage pour faire comprendre quelle espèce de feu peut être propre à dévorer de telles matières ? Le feu, dit S. Paul, fera paraître quel est l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage et l'édifice de quelqu'un demeure sans être brûlé, il en recevra la récompense : mais celui dont l'ouvrage sera brûlé, en souffrira de la perte (I Cor., Ill, 13, etc.). Peut-on entendre autre chose par cet ouvrage qui se brûle, que tous les effets de notre corruption? Notre Dieu est donc un feu dévorant, au sens que nous l'avons expliqué. Il est comme un feu de fonte, lorsqu'il vient pour ainsi dire raffiner notre âme, en séparant le plomb et les autres impuretés des vices d'avec l'or et d'avec l'argent de la droite raison dont ils altéraient la nature par leur mélange. Enfin, il fait rouler devant soi des fleuves de feu pour consumer la, méchanceté dont notre c?ur est tout rempli.

Cela suffit sur ces paroles de Celse : Ils se sont faussement imaginé que Dieu doit descendre armé de feu, comme s'il voulait donner la gêne, Voyons maintenant ce qu'il ajoute avec tant de faste. Il faut, dit-il, que nous reprenions la chose de plus haut par plusieurs autres démonstrations. Je ne dirai rien de nouveau, et je n'avancerai que des vérités reconnues de tout temps. Dieu est bon, beau, et heureux ; il possède toutes sortes de perfections. S'il descend donc parmi les hommes, ce qu'il ne peut faire sans changer, sa bonté se changera en méchanceté, sa beauté en laideur, sa félicité en misère, ses perfections en toutes sortes de défauts. Qui est-ce qui vaudrait éprouver un tel changement ? La nature des choses périssables, c'est de changer et de s'altérer; mais celle des choses éternelles, c'est du demeurer toujours les mêmes. Ce changement ne saurait donc convenir à Dieu. Je crois avoir suffisamment répondu à cela en faisant voir ce qu'il faut entendre dans l'Écriture par la descente de Dieu vers les hommes. Cette descente ne marque en lui aucun changement, elle n'emporte pas, comme Celse nous le fait dire, que sa bonté se change en méchanceté, sa beauté en laideur, sa félicité en misère, ses perfections en toutes sortes du défauts. Car demeurant immuable en son essence, il s'abaisse par sa Providence et par ses soins jusqu'aux choses humaines. Nous trouvons celle immutabilité de Dieu établie dans les saintes Écritures, lorsqu'elles disent de lui : Tu es toujours le même (Psal. CI ou CII, 18); ou qu'elles l'introduisent, disant : Je ne change point (Mal. III, 6).Mais les dieux d'Épicure qui sont composés d'atome, seraient par cela même sujets à périr, s'ils n'avaient soin d'éloigner d'eux les autres atomes qui les pourraient détruire. Le Dieu même des stoïciens étant corporel, n'existe quelquefois que par son entendement, lorsqu'il arrive des embrasements au monde; après quoi il se reproduit en partie quand le inonde se renouvelle. Car ces Philosophes n'ont pu concevoir nettement l'idée que la nature nous donne de Dieu, comme d'un être entièrement simple et exempt de toutr composition, d'un être indivisible et incorruptible. Pour celui qui est descendu parmi les hommes, il avait la forme et la nature de Dieu (Philipp., II, 6 et 7) ; mais son amour pour nous l'a obligé à s'anéantir lui-même, afin que nous le pussions comprendre. Ce n'est pas que sa bonté se soit changée en méchanceté ; car il ne pécha jamais (I Pierre, II, 22) : ni que sa beauté se soit changée en laideur ; car il n'a point connu le péché (II Cor., II, 21 ) : ni que sa félicité se soit changée en misère; car il s'est bien rabaissé (Philipp. II, 8) volontairement en faveur du genre humain mais il n'a pas pour cela laissé d'être heureux dans son abaissement même : ni enfin que ses perfections se soient changées en toutes sortes de défauts ; car sont-ce des défauts que la douceur et l'humanité? Quand un médecin voit de tristes objets, ou qu'il touche des choses désagréables, en travaillant à rétablir la santé de ceux qu'il traite, voudriez-vous dire que sa bonté se change en méchanceté, sa beauté en laideur, et sa félicité en misère? Je ne le pense pas. Cependant le médecin qui voit ces tristes objets et qui touche ces choses désagréables, n est pas trop assuré de ne point tomber à son tour dans les mêmes accidents ; mais celui qui guérit les plaie de nos âmes par la vertu divine du Verbe qui est en lui, est incapable de toute souillure. Si Celse prétend que ce Dieu immortel que nous appelons le Verbe, n'ait pu prendre un corps mortel e et et un âme humaine sans subir quelque changement et quelque altération, qu'il sache que, demeurant toujours Verbe en son essence, il ne souffre rien de ce que souffrent celle âme et ce corps ; mais que voulant s'accommoder pour un temps à la faiblesse de ceux qui ne peuvent soutenir l'éclat et la gloire de sa divinité, use présente à eux comme ayant été fait chair (Jean. I, 14), et se sert d'une voix corporelle, jusqu'à ce qu'après qu'ils l'ont reçu en ce vil état, il les élève dans peu lui-même au point de pouvoir contempler, s'il m'est permis de le dire, sa première et sa plus noble forme. Car il y a, pour parler encore ainsi, de différentes formes du Verbe sous lesquelles il se fait connaître à ceux qui veulent être du nombre de ses disciples, et qu'il accommode aux qualités et à la portée de chacun, selon ce qu'ils sent plus ou moins avancés, qu'ils ont quelques semences de vertu ou que la vertu a déjà jeté de profondes racines dans leur âme. C'est donc d'une toute autre manière que Celse et ses pareils ne l'entendent, que notre Dieu a changé de forme. S'il monta sur une haute montagne où il parut sous une forme beaucoup plus auguste que celle sous laquelle il se faisait voir à ceux qu'il avait laissés au bas, et qui ne l'avaient pu suivre, c'est que leurs faibles yeux n'étaient pas capables de supporter la splendeur de cette glorieuse et divine transfiguration du Verbe. Il s'en fallait peu qu'il ne les éblouît même tel qu'il se présentait au monde : de là vient que ceux qui ne le pouvaient regarder assez attentivement, pour découvrir ce qu'il avait de plus admirable, auraient pu dire de lui : Nous l'avons vu, il n'avait tu dehors, ni beauté ; mais son extérieur était méprisable et objet plus que celui d'aucun autre d'entre les hommes.

Voilà ce que j'ai cru devoir dire, sur les vaines imaginations de Celse, qui ne peut comprendre le récit historique qui nous est fait des changements et des transfigurations de Jésus ni distinguer ce qu'il y avait  de mortel, ; d'avec ce qu'il d'immortel en sa personne. N'y a-t-il pas beaucoup plus de gravité dans ces histoires, si on les entend comme il faut, que dans ce qu'on nous dit de Bacchus qui, ayant été trompé par les Titans, tomba du trône de Jupiter en terre, où ils le mirent en pièces; et qui ensuite ayant été, comme ranimé par la réunion de ses membres monta derechef au ciel? Ou sera-t-il permis aux Grecs d'expliquer cela allégoriquement, le rapportant à notre âme, et il nous sera défendu de proposer des interprétations bien suivies, qui s'accordent et qui s'ajustent toujours parfaitement avec les écrits des saints hommes, qui avaient l'esprit de Dieu ? Celse entend donc mal nos Écritures : ainsi, c'est proprement son sens et non le leur qu'il combat. S'il comprenait quel sera l'état de notre âme, dans la vie bien heureuse dont elle doit jouir éternellement; s'il savait ce qu'il faut croire de l'essence et des principes de l'âme, il ne trouverait pas si absurde qu'un être immortel se fût revêtu d'un corps mortel, non comme Platon explique la transmigration des âmes, mais d'une manière bien plus sublime : il verrait qu'entre les diverses espèces de condescendance dont la bonté divine use envers les hommes, c'en est ici une des plus considérables qui a pour but de ramener au troupeau les brebis perdues de la maison d'Israël, comme parle mystiquement l'Écriture sainte, ces brebis qui sont descendues des montagnes, et que le berger de la parabole va chercher, laissant sur les montagnes celles qui ne se sont point égarées.

Celse est cause que nous usons de redites, car il insiste longtemps sur les mêmes choses faute de les entendre ; et nous ne voulons laisser aucun endroit de son écrit qu'on puisse croire avec la moindre apparence que nous n'ayons pas examiné. Voici donc ce qu'il ajoute. Ou c'est véritablement que Dieu se change, comme ils parlent, en un corps mortel, ce que nous venons de voir qui est impossible ; ou. quoiqu'il ne change pas effectivement, il fait qu'il parait changé, trompant les yeux de ceux qui le voient, ce qui serait mentir. Or la tromperie et le mensonges sont toujours blâmables, à moins que l'on ne s'en serve comme d'un remède pour soulager sa amis, quand la maladie a troublé leur esprit et affaibli leur raison ; ou comme d'un moyen pour se délivrer des mains de set ennemis. Mais Dieu n'a point pour amis des gens dont l'esprit soit troublé, ou la raison affaiblie; et il ne craint personne pour être contraint d'avoir recours à la tromperie dans le danger. (Matth. XV, 24. et XVIII, 12). La réponse peut regarder, ou la nature du Verbe divin. qui est Dieu lui-même, ou l'âme de Jésus. A l'égard de la nature du Verbe, je dis que, comme les aliments se changent en lait dans une nourrice, pour être propres à l'enfant qu'elle nourrit, et qu'un médecin les prépare de sorte qu'ils puissent servir à la guérison de ses malades ; mais qu'on les apprête autrement pour les personnes saines el vigoureuses : Dieu tout de même change la vertu de son Verbe [ou de sa Parole], selon le besoin particulier de ceux à qui il l'adresse, et conformément à la disposition de leur âme. Ainsi, celle Parole est aux uns, un lait spirituel et tout pur (I Pierre, II, 2), comme l'Ecriture le nomme; aux autres, qui sont infirmes, elle leur lient lieu de légumes ; mais à ceux qui sont parfaits, elle leur sert de viande solide (Rom., XIV, 2). Cependant, elle ne déguise point sa nature ; mais, quand les hommes la reçoivent, elle les nourrit chacun selon sa portée : en quoi il n'y a ni tromperie ni mensonge. A l'égard de l'âme de Jésus, si c'est elle qu'on prétend qui ait changé en s'unissant à un corps, je demanderai de quel changement on veut parler : car si l'on entend un changement d'essence, il ne s'en fait point de tel, ni dans cette âme, ni dans aucune autre âme raisonnable ; mais si l'on veut dire que s'étant revêtue d'un corps, elle n'a pu éviter qu'il n'agit sur elle, et ne la fit souffrir à cause de l'union qu'ils ont eue ensemble et du lieu où il a fallu qu'elle vint, pour s'unir à lui; qu'y a-t-il en cela d'indigne du Verbe, que son ardent amour pour les hommes a porté à venir nous présenter un Sauveur qui fit pour nous ce qu'aucun de ceux qui avaient par le passé entrepris notre guérison, n'avait pu faire? C'est ce qu'a fait celle sainte âme, lorsqu'elle s'est volontairement abaissée en notre faveur jusqu'à la condition des hommes mortels ; et c'est ce que le Verbe divin a dessein de nous apprendre, parce qu'il nous dit en divers endroits des Écritures : mais il suffira de rapporter ici ce passage de S. Paul : Soyons dans la même disposition et dans le même sentiment, où a été Jésus-Christ qui, ayant la forme et la nature de Dieu, n'a point fait trophée d'être égal à Dieu : mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors. Il s'est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé à une souveraine grandeur et lui a donné un nom qui est au-dessus de tous les noms (Philip., Il, 5, etc.). Que d'autres donc accordent à Celse, s'ils le veulent, que Dieu, sans changer effectivement, fait seulement qu'il parait changé aux yeux de ceux qui le voient : pour nous qui sommes persuadés que ce qui a paru dans Jésus pendant qu'il était sur la terre, n'était pas une apparence trompeuse, mais une vérité très évidente, l'objection de Celse ne nous touche point. Nous ne laisserons pourtant pas de lui répondre: Ne dites-vous pas vous-même que, quand on se sert de la tromperie et du mensonge comme d'un remède, il est permis de tromper et de mentir? Que trouvez-vous donc d'étrange si dans une telle occasion où il ne s'agissait pas de moins que du salut des hommes, il s'est fait quelque chose de semblable ? Car de la manière que les esprits sont faits, il est souvent plus aisé de les gagner par l'adresse du mensonge que par la force de la vérité, comme les médecins le pratiquent quelquefois envers leurs malades. Ce qui soit dit néanmoins pour défendre la cause des autres. S'il est permis, en effet, d'en user ainsi pour soulager ses amis malades, il n'y a nul inconvénient que celui qui aimait si ardemment le genre humain, l'ait guéri par de telles remèdes, dont on ne se sert pas de dessein formé, mais par accident : et si les hommes avaient perdu leur raison, il fallait que ce sage médecin les traitât avec la méthode qu'il jugeait la plus propre pour les remettre en leur bon sens. Celse dit qu'il est encore permis de mentir pour se délivrer des mains de ses ennemis ; mais que Dieu ne craint personne pour être contraint d'avoir recours à la tromperie dans le danger. Il serait entièrement inutile et déraisonnable de nous justifier d'une chose qu'aucun de nous n'a jamais dite de notre Sauveur. A l'égard de cet article, Dieu n'a point pour amis des gens où l'esprit soit troublé ou la raison affaiblie; nous y avons déjà répondu en faisant l'apologie d'autrui. Car après ce que nous avons dit, il est clair que cette conduite de Jésus n'a point regardé des personnes qui fussent dès lors au nombre de ses amis, pendant que leur esprit était troublé et leur raison affaiblie, mais des personnes qui, par le désordre où la maladie de leur âme avait mis tout ce qu'ils avaient naturellement de mieux réglé, étaient encore au rang de ses ennemis, el qu'il voulait pourtant rendre amis de Dieu. C'est ce que l'Écriture nous enseigne nettement, lorsqu'elle dit que tout ce qu'il a souffert, il l'a souffert pour les pécheurs ( I Tim., I, 15), afin de les délivrer de leurs péchés (Matth., I, 21 ), et de les rendre justes (Rom., V, 19, etc.).

Maintenant, puisque Celse représente d'un côté les Juifs, qui raisonnent sur les causes pour lesquelles le Messie doit venir au monde, comme s'il n'y était pas encore venu, et de l'autre, les chrétiens qui parlent de l'avènement du Fils de Dieu comme d'une chose déjà arrivée, examinons encore cela le plus brièvement qu'il sera possible. Il faut dire aux Juifs, que le monde étant rempli de toutes sortes de méchancetés, il est nécessaire que Dieu y envoie quelqu'un pour punir les méchants et pour nettoyer toutes choses, comme du temps de l'ancien déluge ; et il suppose que les chrétiens le disent aussi, puisqu'ils y ajoutent, selon lui, d'autres considérations. Qu'y a-t-il donc d'absurde à dire que Dieu, à cause du débordement des vices, envoie quelqu'un au monde pour le nettoyer et pour traiter chacun selon son mérite? Car il ne serait pas digne de Dieu de souffrir que le mal fit des progrès qu'il peut arrêter par le moyen de ce renouvellement. Les Grecs mêmes savent qu'après certains périodes, la terre est nettoyée par des embrasements ou par des déluges, comme Platon le reconnaît quelque part (dans le Timée); quand les Dieux inondent la terre, dit-il, la nettoyant par les eaux, alors ceux qui habitent sur les montagnes, etc. Faut-il donc dire que, quand ils parlent ainsi, leurs raisonnements sont justes el solides ; mais que, quand nous établissons quelque chose de semblable, ce ne sont plus ces dogmes, que les Grecs louaient et admiraient? Ceux qui se piquent d'une vaste littérature, et d'une lecture exacte, tâcheront pourtant de faire voir non seulement l'antiquité des auteurs qui ont écrit ces choses, niais aussi la beauté et la vérité des choses mêmes. Je ne sais, au reste, pourquoi il veut que le déluge qui nettoya la terre, selon le sentiment tant des Juifs que des chrétiens, et la destruction de la tour dont il est parlé dans la Genèse, soient des choses du même genre ( Gen., XI, 5). Car, posé que l'histoire de celle tour n'ait aucune signification cachée, mais qu'il la faille prendre à la lettre, comme Celse se l'imagine, je ne vois pas avec tout cela qu'elle dût passer pour un événement destiné à nettoyer la terre, si ce n'est qu'il veuille nommer ainsi ce que nous nommons la confusion des langues. Mais c'est une matière que ceux qui l'entendent traiteront plus convenablement, lorsqu'ils se proposeront d'expliquer et le sens littéral, et le sens mystique de cette histoire. Cependant comme Celse prétend que Moïse, qui est celui qui nous parle de celle tour et de celle confusion des langues, a formé l'histoire de sa tour sur celle des Aloïdes un peu altérée, j'ai à lui dire que je ne crois pas qu'avant Homère (Odyss., liv. II, v. 300 ), personne ait parlé des enfants d'Aloée, mais que l'histoire de la tour a été écrite par Moïse, qu'on suit avec certitude avoir vécu longtemps et avant Homère, et avant même que les caractères grecs fussent inventés. Laquelle est-ce donc que l'on doit plutôt croire être copiée sur l'autre : l'histoire des Aloïdes, sur celle de la tour, ou l'histoire de la tour et de la confusion des langues, sur celle des Aloïdes ? Il n'y a point de juge équitable qui ne reconnaisse que Moïse est plus ancien qu'Homère. Celse veut aussi que ce que Moïse raconte dans la Genèse, touchant les villes de Sodome et de Gomorrhe qui périrent parle feu du ciel, à cause de leur péché (Gen., XIX, 24), soit tiré de l'histoire de Phaéton: ce qui, comme le reste, est une suite de la faute qu'il a faite de n'avoir pas pris garde à l'antiquité de Moïse ; car il semble que ceux qui nous ont laissé celle histoire de Phaéton, ne soient pas même si anciens qu'Homère, qui l'est beaucoup moins que Moïse. Nous ne nions donc pas qu'un feu qui aura la vertu de nettoyer, ne doive détruire le monde pour en bannir les vices el pour renouveler l'univers. Nous savons ce que les prophètes enseignent là-dessus dans les saints livres. Car puisque les prophètes, comme nous l'avons fait voir ci-devant, ont justifié, par l'accomplissement de plusieurs de leurs prédictions, qu'ils étaient divinement inspirés, l'expérience du passé nous engage à les croire pour l'avenir ou, pour mieux dire, à croire l'Esprit divin qui était en eux. Selon Celse, les chrétiens, ajoutant d'autres considérations à celles des Juifs: disent qu'a cause des péchés des Juifs, le F ils de Dieu est déjà venu au
monde, et que les Juifs, ayant condamné Jésus au supplice et l'ayant abreuvé de fiel, ont obligé Dieu d répandre sur eux–mêmes le fiel de sa colère (Matth. XXVII 34). Que quelqu'un entreprenne donc, s'il veut, de montrer qu'il soit taux que toute la république  des Juifs ait été renversée avant qu'il se fût passé une génération entière, depuis qu'ils eurent ainsi traité Jésus. Car Jérusalem fut détruite, si je ne me trompe, quarante-deux ans après qu'ils l'eurent crucifié ; et nous ne lisons point que, depuis que celle nation subsiste, elle ait jamais été si longtemps assujettie à ses ennemis, éloignée des lieux où son culte est attaché, et hors d'état d'en pratiquer les plus augustes cérémonies. Si ses péchés ont fait quelquefois que Dieu a semblé l'abandonner, il l'a pourtant visitée ensuite, la faisant retourner chez elle, avec une entière liberté de le servir comme auparavant. C'est là une des preuves qui font voir qu'il y avait en Jésus quelque chose de di\m et de sacré, qu'à cause de lui les Juifs soient dans une telle désolation, il y a déjà tant d'années. Je ne craindrais pas même de dire qu'ils ne seront jamais rétablis ; car ils ont commis le plus détestable de tous les crimes, en conspirant contre le Sauveur du monde, dans une ville où ils rendaient à Dieu le service qu'il leur avait prescrit pour être le symbole de ses grands mystères. Il fallait donc que la ville où Jésus souffrit ce traitement fût ruinée de fond en comble, que la nation des Juifs fût entièrement dispersée, et que Dieu en appelât d'autres à la jouissance de la béatitude. Ces autres, ce sont les chrétiens, à qui est parvenue la doctrine de la pure et sincère piété, et qui ont reçu de nouvelles lois, convenables à un état répandu par tout le monde, au lieu que les premières, n'ayant été établies que pour un peuple particulier gouverné par des princes dont les m?urs et les inclinations étaient conformes aux siennes, ne sauraient être maintenant toutes observées.

Après cela, continuant à se moquer tant des Juifs que des chrétiens, il les compare tous à une troupe de chauves souris, ou à des fourmis qui sortent de leur trou, ou à du grenouilles campées autour d'un marais, ou à des vers qui tiennent leur assemblée au coin d'un bourbier, où ils disputent ensemble qui d'entre eux sont les plus grandi pécheur?, et disent, qu'il n'arrive rien que Dieu ne leur découvre auparavant : qu'il néglige le monde entier, qu'il laisse rouler les cieux à l'aventure, et qu'il abandonne tout le reste de la terre, pour ne prendre soin que d'eux ; qu'ils sont les seuls à qui il adresse ses hérauts ; et qu'il ne cesse de leur en envoyer, à dessein de lier avec eux une société indissoluble. Dans sa fiction, nous ressemblons à des vers, qui disent, Que Dieu est le souverain être ; mais qu'ils tiennent le premier rang après Dieu, qui les a faits entièrement semblables à lui,  et que toutes choses, la terre, l'eau, l'air, et les astres leur sont assujetties; n'ayant été faites que pour eux et destinées qu'a les servir. Il fait dire encore à ces vers qui nous représentent; Puisqu'il y en a d'entre nous qui ont péché, Dieu viendra lui-même où il enverra son fils, afin de consumer les méchants : et que nous, qui resterons, possédions avec lui la vie éternelle. Il ajouta tout cela, Que cette dispute serait plus supportable entre des vers ou des grenouilles qu'elle n'est entre les Juifs et les chrétiens. Sur quoi je voudrais demander à ceux qui approuvent ce qu'il dit là contre nous, si ce sont tous les hommes en général qu'ils font ressembler à une troupe de chauve-souris, à des fourmis, à des vers ou à des grenouilles, à cause de l'éminence de Dieu, ou si laissant aux autres hommes leur nature humaine, parce qu'ils ont l'usage de la raison et qu'ils se gouvernent par des lois, ils croient que cette image ne convient qu'aux chrétiens et aux Juifs dont ils rejettent les dogmes avec un mépris qui leur donne d'eux cette idée. Quelque parti qu'ils prennent, nous tâcherons de leur faire voir qu'ils ont tort de parler ainsi, soit de tous les hommes, soit de nous ; car posons qu'ils disent le premier : savoir, que tous les hommes à l'égard de Dieu sont semblables à ces vils animaux, parce que leur bassesse n'a aucune proportion avec un être si élevé : de quelle bassesse entendez-vous parler, leur dirai-je ? Si vous entendez celle du corps, apprenez que la véritable grandeur et la véritable petitesse ne se mesurent pas par le corps. Autrement, les vautours et les éléphants l'emporteraient sur les hommes qui ne sont ni si grands ni si forts et qui vivent beaucoup moins longtemps. Cependant une personne sage ne dira jamais que l'avantage du corps doive faire préférer ces animaux privés de raison à l'homme qui, par cela même qu'il est raisonnable, a de bien loin la prééminence sur tout ce qui ne l'est pas. C'est ce qu'on ne dira jamais non plus de l'aveu de ces intelligences pures et bienheureuses que vous appeliez bons génies et que nous nommons anges de Dieu, ni d'aucun de ces êtres, quels qu'ils soient, qui sont d'une nature plus excellente que l'humaine, puisque leur raison est parfaite et accompagnée de toutes sortes de vertus. Que si l'on méprise la petitesse des hommes, non pas à cause de leur corps, mais à cause de leur âme qui est au-dessous des autres natures intelligentes, et principalement de celles qui sont ornées de sainteté, au lieu qu'elle est corrompue et vicieuse, ce qui la rabaisse extrêmement : pourquoi les chrétiens qui vivent mal ou les Juifs de m?urs dépravées seront-ils plutôt une troupe de chauve-souris, de fourmis, de vers ou de grenouilles, que les débauchés des autres peuples? Car à ce compte-là, il faut que tout vicieux, quel qu'il puisse être, surtout s'il s'abandonne entièrement à ses vices, soit une chauve-souris, un ver, une grenouille et une fourmi, en comparaison des autres hommes. Quand vous seriez donc un Démosthène, si vous aviez ses défauts et que vous fissiez d'aussi sales actions, son éloquence, ni celle de cet autre fameux orateur, nommé Antiphon qui combat la Providence dans l'écrit qu'il a intitulé de la Vérité, d'un titre peu différent de celui que Celse donne au sien ; tout cela, dis-je, n'empocherait pas qu'eux et vous, ne fussiez des vers qui se roulent dans l'ordure d'un infect bourbier, du bourbier de l'erreur et de l'ignorance. Ce n'est pas au fond qu'une nature intelligente, quelle qu'elle soit, étant capable de vertu, puisse jamais raisonnablement être comparée à un ver, car, par cela même qu'elle a des dispositions à la vertu, elle n'en peut entièrement oerdre les semences ; el dès lors sa vertu en puissance, comme on parle, empêche que la comparaison ne soit juste. Ainsi, nous avons fait voir d'un côté que tous les hommes eut général ne peuvent être des vers à l'égard de Dieu (Jean, I, 1) ; puisque leur intelligence étant un rayon de celle intelligence souveraine, de ce Verbe divin, qui est avec Dieu, il ne se peut faire qu'ils lui soient absolument étrangers : et de l'autre que les méchants d'entre les chrétiens et d'entre les Juifs, qui dans la vérité ne sont ni Juifs ni chrétiens, ne doivent pas être comparés plutôt que les autres vicieux à des vers qui se roulent dans l'ordure au coin d'un bourbier; que même l'intelligence qui est en eux s'oppose encore à celle comparaison. Nous ne ferons donc pas celle injure à la nature humaine, qui est capable de vertu, dans quelques péchés qu'elle tombe par ignorance, de la comparer à de si vils animaux. Maintenant si c'est à cause de ce qui ne plait pas à Celse dans les dogmes des chrétiens el des Juifs, dont il semble même n'avoir aucune! connaissance ; si c°est, dis-je, à cause de cela qu'il les veut faire passer pour des vers et pour des fourmis par opposition aux autres hommes, comparons un peu les dogmes dont tput le monde sait que les Juifs et les chrétiens font profession avec ceux que le» autres hommes soutiennent, et voyons à qui le nom de fourmis et de vers conviendra la mieux, posé qu'il y ait des hommes à qui il convienne. Les vers, les fourmis et les grenouilles seront sans doute ceux qui ont laissé perdre la vraie connaissance de Dieu, et qui sous de fausses apparences de piété adorent ou des brutes, ou des simulacres, ou même quelqu'un des grands corps de l'univers, au lieu que la perfection de l'ouvrage les devait porter à l'admiration et au culte de l'ouvrier (Rom., I, 20).

Mais il faudra prendre pour des hommes et pour quelque chose de plus noble, s'il se peut, ceux qui se laissant conduire aux lumières de la révélation divine, ont pu se détacher du bois et des pierres, de l'argent même et de l'or, qui passent pour des matières bien plus précieuses, et s'élever jusqu'au Créateur de toutes choses par la considération de la beauté des créatures ; ceux qui s'abandonnent entièrement à ses soins, qui lui adressent leurs prières, qui agissent toujours comme sous ses yeux, qui se gardent de rien dire qui lui puisse déplaire ; persuadés que ce grand Dieu est le seul qui puisse pourvoir aux besoins de tout le monde, qu'il connaît toutes les pensées des hommes, qu'il voit toutes leurs actions, et qu'il entend toutes leurs paroles. Une telle piété qui ne se laisse vaincre ni par calamités de la vie ni par la crainte de la mort, ni par toute la subtilité des raisons humaines, ne servira-t-elle de rien pour faire que ceux qui en ont le c?ur rempli ne soient plus après cela comparés à des vers quand même il l'auraient dû être auparavant? Et ceux qui se défendent des attaques de l'amour, dont les doux et puissants efforts ont ramolli et efféminé tant d'âmes, et qui s'en défendent dans la persuasion où ils sont que, pour s'unir avec Dieu, il faut nécessairement qu'ils s'approchent de lui par la continence ; dirons-nous qu'ils soient de l'ordre et de la nature des vers des fourmis et des grenouilles? La justice encore qui est une vertu si éclatante, qui renferme tous les devoirs de la vie civile, et qui présuppose l'équité, l'humanité, la douceur, ne pourra-t-elle empêcher que celui en qui elle se trouve ne soit une chauve-souris? Ne sont-ce pas plutôt ceux qui se plongent dans les ordures de l'intempérance, comme font la plupart des hommes, ceux qui fréquentent sans scrupule les lieux infâmes et qui soutiennent même qu'il n'y a rien en cela qui soit contre la bienséance ; ne sont-ce pas eux plutôt qu'on doit regarder comme des vers qui se roulent dans un bourbier? Si on les compare surtout avec ceux qui ont appris qu'il ne faut pas prendre les membres de Jésus-Christ (I Cor., VI, 15) ni le corps où le Verbe habite, qu'il ne les faut pas prendre pour les faire devenir les membres d'une prostituée ( Cor., III, 16) : avec ceux qui savent qu'un corps animé d'une âme raisonnable et consacrée au grand Dieu est le temple du Dieu que nous adorons, et qu'il acquiert cette qualité lorsqu'on a du Créateur les sentiments qu'on en doit avoir : avec ceux qui se donnent de garde de profaner le temple de Dieu par les souillures d'un amour illégitime, mais qui font de leur continence une partie essentielle de leur piété. Je ne parle point ici des autres vices qui règnent parmi les hommes et dont on n'est pas exempt pour porter le nom de philosophe : car la philosophie même a souvent de faux disciples. Je ne dis point non plus qu'on voit plusieurs désordres semblables parmi ceux qui ne sont ni juifs ni chrétiens ; mais que parmi les chrétiens où l'on n'y voit rien de pareil, si l'on considère ce que c'est proprement qu'être chrétien ou si l'on y en voit quelque exemple, ce n'est pas en ceux qui entrent dans l'assemblée et qui n'en ayant pas été exclus, ont la liberté d'assister aux prières publiques. On n'y voit, dis-je, rien de tel, à moins que quelqu'un dont on no connaisse pas la mauvaise vie se trouve par hasard mêlé dans la foule. Nous ne sommes donc point une assemblée de vers, nous qui soutenons et qui faisons voir aux Juifs, par le témoignage des Écritures qu'ils reconnaissent pour divines, que celui dont elles avaient prédit la venue est venu en effet, mais qu'il les a abandonnés à cause de leurs péchés énormes, et que c'est â nous qui avons reçu sa parole que Dieu réserve ces biens excellents, dont nous attendons la jouissance car le moyen de la foi qui nous unit â lui, et par le moyen de celui qui nous rend cette union possible en nous purifiant de tous nos vices et en nous corrigeant de tous nos défauts (Tite, II, 14]. Ainsi il ne suffit pas de juif ou chrétien pour pouvoir se varier que c'est particulièrement à cause de nous que Dieu a fait le monde et qu'il a donné le mouvement aux cieux. Mais si l'on a le c?ur pur, comme Dieu l'ordonne, si l'on est doux et pacifique, si l'on souffre courageusement  les persécutions qui accompagnent la  piété, c'est alors qu'on peut avec raison s'assurer en Dieu et qu'on peut dire, quand on a l'intelligence des prophéties, Dieu n'a ici rien fait qu'il ne nous eût découvert et révélé auparavant, à nous qui croyons en lui (Matth., V, 8, etc.). Mais puisque Celse fait ajouter encore à ses vers, c'est-à-dire aux chrétiens, que Dieu néglige le monde entier, qu'il laisse rouler les cieux à l'aventure et qu'il abandonne tout le reste de la terre pour ne prendre soin que d'eux, qu'ils sont les seuls à qui il adresse ses hérauts, et qu'il ne cesse de leur en envoyer, à dessein de lier avec eux une société indissoluble, il lui faut répondre qu'il nous fait dire des choses à quoi nous n'avons jamais pensé, nous qui avons lu et qui reconnaissons que Dieu aime tous les êtres, qu'il ne hait rien de ce qu'il a fait et qu'il ne l'aurait pas fait s'il l'avait haï ( Sag., XXII, 25). Nous avons lu aussi : Tu es indulgent envers tous, parce que toutes choses t'appartiennent, ô Dieu qui aimes les âmes. Car ton esprit incorruptible est répandu partout : c'est pourquoi tu corriges peu à peu ceux qui tombent en quelque faute, et par les remontrances tu leur fais comprendre en quoi ils ont péché (Ibid., XI, 27, et XII, 1,2). Comment pouvons-nous dire que Dieu néglige le monde entier, qu'il laisse rouler les cieux à l'aventure, et qu'il abandonne tout le reste de la terre pour ne prendre soin que de nous, nous qui savons que dans nos prières nous nous devons toujours souvenir que toute la terre est remplie de la bonté du Seigneur (Ps. XXXII ou XXXIII, 5), et que sa miséricorde s'étend sur toute chair (Ecclés., XVI II, 12 ou 13); que Dieu, qui est doux, fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Matth., V, 45) ; nous qui savons encore que si nous voulons être ses enfants il faut que nous l'imitions et que nous fassions du bien à tous les hommes, autant qu'il nous sera possible, comme il nous l'enseigne et nous y exhorte? Car il est le Sauveur de tous les hommes et principalement des fidèles ( Luc. VI, 35); et son Christ est la victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde (Tim., IV, 10; I Jean, II, 2). C'est là ce que je réponds à tout ce que Celse avance ici contre nous. Il y a des juifs qui défendaient peut-être autrement leur cause particulière; mais ils ne seraient pas suivis des chrétiens qui ont appris que Dieu fait éclater la grandeur de son amour envers nous, en ce que Jésus-Christ est mort pour nous lorsque nous étions encore pécheurs (Rom., V, 8) Et certes, à peine  quelqu'un voudrait-il mourir pour un homme juste : peut-être néanmoins qu'il se pourrait trouver quelqu'un qui ne refuserait pas de donner sa vie pour un homme  de bien (Rom. VII). Mais Jésus à qui nous donnons aussi le nom de Christ de Dieu, selon le langage ordinaire de nos Écritures, Jésus est venu au monde pour tous les pécheurs qui y sont, leur Taisant déclarer que ce sont leurs grands péchés qui l'y ont fait venir, pour leur apprendre à ne plus pécher et à se consacrer tout entiers à Dieu. Il se peut faire qu'il soit échappé à quelqu'un de ceux que Celse traite de vers, de dire devant lui que Dieu est le souverain Être, mais qu'ils tiennent le premier rang après Dieu. Là-dessus il fait comme ceux qui imputent à toute une secte de philosophes la sotie vanité d'un jeune écolier qui, sous ombre qu'il va depuis trois jours à l'auditoire, regarde tous les autres hommes avec mépris, comme des ignorants et des misérables. Pour nous, nous savons qu'il y a plusieurs êtres plus excellents que les nommes; et l'Écriture nous enseigne que Dieu assiste en l'assemblée des dieux (Ps. LXXXI ou LXXXII, 1), non des dieux qu'on adore dans le monde, car tous les dieux des nations sont des démons (Ps. XCV ou XCVI, 5), mais des dieux au milieu desquels Dieu préside comme juge (I Cor., VIII, 5). Nous savons qu'encore qu'il y en ait qui soient appelés dieux, soit dans le ciel, soit dans la terre, et qu'ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, il n'y a néanmoins pour nous qu'un seul Dieu qui est le Père, duquel toutes choses tirent leur être, et qui nous a faits pour lui; et il n'y a qu'un seul Seigneur qui est Jésus-Christ, par lequel toutes choses ont été faites, comme c'est aussi par lui que nous sommes tout ce que nous sommes (Matth., XXII, 30; et Luc, XX, 36). Nous savons que les anges sont si fort au-dessus des hommes, que la perfection des hommes consistera à devenir égaux aux anges. Car après la résurrection, les hommes n 'auront point de femmes ni les femmes de maris ; mais les justes seront comme les anges de Dieu dans le ciel : ils deviendront égaux aux anges (Col., I, 16). Nous savons encore que, selon la différence du rang et de l'ordre de chacun, les uns sont nommés les trônes, les autres les dominations, les autres les puissances, les autres les principautés, et nous voyons que, comme les hommes sont beaucoup au-dessous d'eux, nos plus hautes espérances sont de leur être faits semblables à tous, après avoir bien vécu et avoir réglé toutes nos actions sur ce que Dieu nous ordonne dans sa parole. Enfin, puisque ce que nous ferons un jour ne paraît pas encore, nous savons que lorsqu'il paraîtra nous serons semblables à Dieu, et nous le verrons tel qu'il est (I Jean, III, 2). Si l'on veut dire pourtant, comme font quelques-uns, que Dieu est le souverain Être, mais que nous tenons le premier rang après lui, soit qu'ils entendent ce qu'ils disent ou que, ne l'entendant pas, ils
 prennent de bonnes choses en un mauvais sens, je puis expliquer ce nous des plus avancés en connaissance ou plutôt encore, des plus avancés en connaissance et en vertu; car la vertu est la même, selon nous, dans toutes les natures bienheureuses : de sorte que la vertu des hommes est la même que celle de Dieu. Et de là vient que nous sommes exhortés à être parfaits, comme notre Père céleste est parfait (Matth., V, 48). Un homme de bien ne saurait donc jamais passer pour un ver qui nage dans un bourbier, un homme pieux pour une fourmi, un homme juste pour une grenouille, un homme dont l'âme est éclairée des brillants rayons de la vérité pour une chauve-souris. Lorsque Celse fait dire à ses vers que Dieu les a faits entièrement semblables à lui, il semble qu'il ait ces paroles en vue : faisons l'homme selon notre image et selon notre ressemblance (Gen., I, 26). Il se peut en effet qu'il en ait ouï parler. Mais s'il savait quelle différence il y a entre ces expressions : fait selon l'image de Dieu, et fait selon la ressemblance de Dieu; et s'il considérait que l'Écriture nous apprend bien que Dieu dit : Faisons l'homme selon notre image et selon notre ressemblance; mais qu'elle ajoute que Dieu fit l'homme selon son image, simplement, et non pas selon sa ressemblance, il ne nous ferait pas dire comme il fait, que nous sommes entièrement semblables à Dieu. Nous ne prétendons pas au reste que les astres mêmes nous soient assujettis ; car les justes, dans l'état de leur résurrection (es personnes éclairées savent ce que c'est que nous entendons par là), sont comparés au soleil, à la lune et aux étoiles, lorsqu'il est dit : Le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur, et entre les étoiles, l'une est plus éclatante que l'autre : il en arrivera de même dans la résurrection des morts (l Cor., XV, 41 ; Dan.. XII, 3). Et c'est aussi de la sorte que Daniel en avait parlé longtemps auparavant dans ses prophéties. Celse nous fait dire encore que toutes choses sont destinées à nous servir. Mais peut-être qu'il ne l'a jamais entendu dire à aucun de nos savants, et que d'ailleurs il n'a jamais fait réflexion sur ces paroles : Que celui qui est le plus grand parmi vous soit le serviteur et l'esclave de tous les autres (Matth., XX, 27). Quand les Grecs disent,

Le soleil et la nuit sont faits pour servir l'homme.

(EURIPIDE, v. 549 des Phéniciennes.)

on trouve cela fort beau et on y fait des commentaires. Mais que nous disions rien d'approchant ou que nous disions la même chose en d'autres termes, il faut toujours que Celse nous en fasse un crime : Puisqu'il y en a entre nous qui ont péché, disent ensuite ces insectes qu'il fait parler pour nous, Dieu viendra lui-même ou il enverra son Fils, afin de consumer les méchants, et que nous autres grenouilles, qui resterons, possédions avec lui la vie éternelle. Voyez comme quoi ce grave philosophe prend le personnage de bouffon, tournant en jeu, en risée et en raillerie la doctrine du jugement divin, où les injustes doivent être punis et les justes récompensés. Enfin, pour conclusion, il ajoute : Que cette dispute serait plus supportable entre des vers ou des grenouilles, qu'elle n'est entre les Juifs et les chrétiens. Pour nous, nous ne voulons  pas l'imiter ni rien dire de semblable des philosophes qui se vantent de connaître tous les secrets de la nature, et qui disputent pourtant entre eux de quelle manière l'univers a été produit, comment le ciel et la terre ont été faits, avec toutes les choses qui y sont; si nos âmes sont éternelles et incréées, mais que Dieu, qui les gouverne, les fasse seulement passer d'un corps dans un autre, ou si elles naissent avec le corps; et si encore, naissant avec lui, elles sont immortelles ou non. Car, au lieu d'approuver comme digne de louange la bonne intention de ceux qui s'appliquent ainsi à la recherche de la vérité, on pourrait leur insulter par des railleries et dire : Que ce sont des vers qui, vivant dans le coin d'un bourbier, tel qu'est ce bas monde, se. connaissent si peu, qu'ils entreprennent de prononcer hardiment sur des matières si relevées, comme s'ils les entendaient; et qu'ils prétendent avoir pénétré dans ces grandes vérités qui ne se peuvent découvrir qu'avec des lumières toutes pures et toutes célestes. En effet, comme il n'y a personne qui connaisse ce qui est en l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui, ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu que l'Esprit de Dieu (I Cor., II, 11). Mais nous ne sommes pas si extravagants que de comparer l'intelligence humaine (je me sers de ce mot comme on s'en sert ordinairement), cette noble intelligence qui s'attache à l'élude de la vérité sans s'arrêter aux choses vulgaires, que de la comparer, dis-je, aux mouvements de quelques vils animaux, comme des vers ou d'autres semblables. Nous rendons de bonne foi ce témoignage à quelques philosophes grecs, qu'ils ont connu Dieu, Dieu s'étant fait connaître lui-même à eux, bien qu'au reste
ils ne l'aient point glorifié comme Dieu et ne lui aient point rendu grâces ; car ils se sont laissé aller à leurs vains raisonnements, et,  en voulant passer pour sages, ils sont devenus si  fous, que de changer la gloire du Dieu incorruptible en des représentations et en des images d'hommes corruptibles, d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents (Rom.,I, 19, etc.).

Pour montrer ensuite que les Juifs et les chrétiens ne sont point différents de ces animaux dont il vient de parler, il dit que les Juifs sont des esclaves fugitifs sortis d'Égypte, qui n'ont jamais fait quoi que ce soit de grand ni de mémorable, et qui ont toujours été comptés pour rien. Nous- avons fait voir ci-dessus que les Juifs ne sont point des esclaves fugitifs et qu'ils ne sont point Égyptiens d'origine, mais que c'étaient des Hébreux venus en Égypte et qui y demeuraient comme étrangers. A l'égard de ce qu'il ajoute, qu'on les a toujours comptés pour rien, s'il se fonde sur ce qu'il se trouve peu de chose de leur histoire dans les auteurs grecs, nous lui dirons que, si l'on veut réfléchir sur le premier établissement de la république des Juifs et sur les dispositions de leurs lois, on demeurera convaincu que ce sont des hommes oui nous ont fait voir sur la terre une ombre de la vie céleste, ne reconnaissant d'autre Dieu que le souverain, et ne souffrant parmi eux nul faiseur d'images; car il n'y avait ni peintre ni sculpteur dans leur pays ; leur loi en bannissait toutes ces sortes de gens, afin qu'on n'y eût aucune occasion de se faire des simulacres, qui sont des choses qui donnent dans la vue des simples, et qui font que leur âme s'attache à la terre au lieu de s'élever à Dieu. Voici donc une des clauses de leur loi: Ne péchez point en vous faisant quelque ouvrage de sculpture ou quelque image que ce soit, quelque représentation d'homme ou de femme, la figure de quelqu'une des bêtes qui sont sur la terre, ou des oiseaux qui volent dans l'air, ou des animaux qui rampent sur la terre, ou des poissons qui sont sous les eaux (Deut., IV, 16, etc.}. L'intention de la loi était qu'ils s'en tinssent à la vérité de chaque être, sans la déguiser par ces fausses apparences d'homme ou de femme, de bêtes, d'oiseaux, de reptiles, ou de poissons. Voici encore qui est grand et sublime au dernier point : Gardez-vous que, levant les yeux en haut, et voyant le. soleil, et la lune, et les étoiles, et toutes les beautés du ciel, vous ne tous partiez par erreur à adorer ces choses et à les servir (Ibid., 19). Quelle devait être d'ailleurs la police d'un État où il n'était pas manie possible de voir un efféminé (Deut., XXIII, 17); et ou, pour comble de merveille, les femmes prostituées, dont les amorces sont si dangereuses aux jeunes gens, n'étaient point souffertes (Exode, XVIII, 21, etc. )? La justice ne s'y exerçait que par les personnes les plus justes, qui avaient donné pendant longtemps des preuves de leur bonne vie (Deut.,I, 15). C'étaient là les juges qu'on choisissait; et, à cause de la pureté de leurs m?urs, qui les élevait au-dessus de la condition des hommes, on leur donnait le nom de dieux, par une façon de parler hébraïque (Ps. LXXXI ou LXXXII, 1). Toute la nation était comme un peuple de philosophes (Exode, XXXI, 13), l'institution de leurs sabbats et de leurs autres fêtes n'étant que pour leur donner le loisir de s'instruire dans la loi de Dieu (Deut., XVI, 1C). Et que dirai-je de l'ordre de leurs sacrifices, où tant les sacrificateurs que les victimes contenaient une infinité de mystères qu'entendent ceux qui les ont étudiés ( Lévit., I, etc.)? Mais comme il n'y a rien de ferme parmi les hommes, il fallait bien que ce bel établissement se corrompît et s'abâtardit peu à peu. Ainsi, la Providence, l'ayant changé de la même sorte qu'elle change tout ce qui a besoin de changement, elle lui a fait succéder la religion de Jésus, qui n'est pas moins belle; et, au lieu de la donner aux Juifs, elle l'a donnée aux fidèles d'entre tous les peuples. Jésus donc, qui non seulement est orné d'une sagesse admirable, mais qui participe même à la divinité, Jésus, ayant ôté tout crédit à ces démons terrestres qui se plaisent au sang et à la graisse des victimes, et à la fumée de l'encens, et qui, comme les Titans ou les géants de la fable. arrachaient à Dieu le c?ur des hommes, nous a donné des lois où nous trouverons noire bonheur, si nous les observons, et ne s'est point mis en peine des embûches que les démons dressent surtout aux personnes vertueuses. Nous n'avons plus besoin de les flatter par nos sacrifices : la parole de Dieu (le Verbe), qui soutient ceux qui élèvent leurs pensées en haut vers lui, nous donne le courage de les mépriser ouvertement. Et comme Dieu a voulu que celle doctrine de Jésus s'établit puissamment dans le monde, les démons ne l'ont pu empêcher, quoiqu'ils n'aient rien oublié pour exterminer entièrement les chrétiens. Car ils ont animé contre leur créance et contre leurs personnes, les empereurs et le sénat, toutes les puissances de la terre, et les peuples mêmes, qui ne s'apercevaient pas du mauvais et de l'injuste dessein de ceux qui les poussaient. Mais la parole de Dieu, à laquelle rien ne peut résister, a fait des progrès malgré toutes ces oppositions; et, comme si les obstacles lui eussent ouvert le chemin, elle s'est rendue la maîtresse d'un grand nombre d'âmes ; car Dieu le voulait ainsi. Je crois que celle digression était nécessaire pour réfuter ce que Celse dit des Juifs, que ce sont des esclaves fugitifs sortis d'Égypte et que ce peuple, si chéri de Dieu, n'a jamais fuit quoi que ce soit de grand ni de mémorable. Il dit encore qu'on les a toujours comptés pour rien; mais je lui réponds qu'étant une race choisie et un ordre de sacrificateurs rois (Exode, XIX, 6), ils refusaient et ils évitaient d'avoir communication avec tout le monde, de peur que leurs m?urs se corrompissent. Ils vivaient sous la protection de Dieu, sans désirer, comme la plupart des hommes,de conquérir d'autres royaumes, et sans craindre aussi que leur faiblesse les exposât aux insultes de leurs ennemis, ni que leur petit nombre fût cause de leur ruine. Et cela durait tant qu'ils ne se rendaient point indignes de celle divine protection. Mais quand, toute la nation ayant péché, il fallait les châtier pour les ramener à leur Dieu, il les abandonnait alors, tantôt pour plus et tantôt pour moins de temps, jusqu'à ce qu'enfin, sous l'empire des Romains, s'étant rendus coupables du plus grand de tous  les crimes, quand ils ont fait mourir Jésus, ils ont été tout à fait abandonnés de Dieu.

Celse ayant en vue le premier livre de Moïse, nommé la Genèse, nous dit après cela que les Juifs voulant faire remonter leur généalogie jusqu'aux plus anciens des fourbes et des coureurs, ils allèguent, pour y réussir, de certains mots obscurs et de signification douteuse, cachés je ne sais où, dans les ténèbres, et ils les expliquent faussement aux ignorants et aux simples, quoiqu'il n'y ait jamais eu la moindre question là-dessus dans tous les siècles qui ont précédé. Mais c'est lui, ce me semble,  qui parle ici bien obscurément, et c'est apparemment une obscurité affectée; car d'un côté on a vu combien sont fortes les raisons qui prouvent que les Juifs sont descendus des ancêtres qu'ils se donnent; et de l'autre, il n'a pas voulu que l'on crût qu'il ignorât des choses qui méritent assez d'être sues  touchant les Juifs et leur origine. Il est clair en effet qu'ils sont descendus des trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, dont les noms ont tant de vertu, étant joints avec celui de Dieu, que non seulement les personnes de la nation, lorsqu'elles le prient ou qu'elles conjurent les démons, usent de ce formulaire, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, mais que presque tous ceux qui se mêlent de magie en usent aussi dans leurs enchantements. Car dans les livres magiques on trouve souvent de ces invocations du nom de Dieu employées contre les démons d'une manière qui marque l'étroite liaison qu'il y avait entre Dieu et ces saints hommes. Je crois donc que Celse n'a pas entièrement ignoré les preuves dont se servent les Juifs et les chrétiens pour justifier qu'Abraham, Isaac, et Jacob, les ancêtres des Juifs, ont été des hommes distingués par leur sainteté, mais qu'il ne les a pas proposées nettement, parce qu'il n'y aurait pu répondre.. Car je voudrais bien prier tous ceux qui usent .de ces invocations, de me dire qui sont cet Abraham, cet Isaac, et ce Jacob, et quelle vertu ils avaient pour¡ faire que leur nom, étant joint avec celui de Dieu, opère de si grandes choses. Je voudrais bien aussi qu'ils me disent qui leur a appris ou qui leur a pu apprendre ce qu'ils savent de ces hommes-là. Qui c'est qui a pris le soin d'écrire leur histoire et d'y raconter des merveilles, par où on connut qu'ils avaient une vertu secrète de produire de certains effets surprenants et admirables, ou qui l'a seulement laissé deviner par conjecture à ceux qui ont l'esprit pénétrant. Après qu'on aura été contraint de reconnaître qu'on ne saurait nous montrer ni histoire, ni écrit mystique où il soit parlé d'eux, nous produirons le livre de la Genèse qui contient le récit de leurs actions et les oracles que Dieu leur a adressés, et nous demanderons à ces gens si cela même qu'ils emploient dans leurs invocations, les noms de ces trois patriarches de la nation judaïque, dont ils ont remarqué la grande vertu par expérience, et qui ne sont connus que par les livres sacrés des Juifs, n'est pas une preuve que c'étaient des hommes divins. Mais de plus on se sert fort souvent contre les démons et contre d'autres puissances malfaisantes, de ces épithètes de Dieu, le Dieu d'Israël, le Dieu des Hébreux, le Dieu qui a abîmé les Égyptiens et leur roi dans la mer Rouge (Exode, V, 1, et III, 18, et XVI, 27 ). Or, c'est des Juifs que nous apprenons l'histoire qui sert de fondement à cela ; ils nous l'ont laissée en leur langue et en leurs caractères, et ils nous donnent par le même moyen l'explication de ces noms, nous disant là-dessus mille belles choses. Comment se peut-il donc que les Juifs, voulant faire remonter leur généalogie jusqu'à ces anciens hommes que Celse traite de fourbes et de coureurs, n'aient d'autres titres que leur impudence ? Car les noms de ces hommes étant hébreux, et les saints livres, qui nous en conservent la mémoire et qui sont entre les mains des Juifs, étant écrits en langue et en caractères hébraïques, c'est un grand témoignage de l'affinité du peuple hébreu avec eux. Et, jusqu'à présent, les noms juifs suivent le génie de l'hébraïsme, étant tirés de l'hébreu même ou du moins répondant à la signification d'un mot hébreu.  Que chacun juge maintenant si ce n'est pas cela que Celse a en vue, quand il dit que les Juif», voulant faire remonter leur généalogie jusqu'aux plus anciens des fourbes et des coureurs, ils allèguent, pour y réussir, de certains mots obscurs et de signification douteuse, cachés je ne sais où, dans les ténèbres. J'avoue que ces noms sont obscurs et qu'ils ne sont pas dans la lumière à l'égard de tout le monde, étant connus et entendus de peu de personnes; mais, selon nous, la signification n'en est point douteuse, lors même qu'ils sont employés par ceux qui ne sont pas de notre créance en matière de religion. Celse, qui ne sait point voir ce qu'il y a de douteux, en parle ainsi je ne sais comment et au hasard. S'il voulait combattre de bonne foi cette généalogie, que les Juifs s'attribuent si impudemment, à son avis, lorsqu'ils se vantent d'être descendus d'Abraham et des autres patriarches, il fallait qu'après avoir mis la question dans tout son jour, il établit avant toutes choses le sentiment qu'il trouve le plus probable, et qu'ensuite il renversât courageusement leurs prétentions par la force de la vérité qu'il croit posséder, et par tout ce qu'un raisonnement solide a de plus pressant. Mais ni Celse, ni qui que soit qui entreprenne d'examiner la nature de ces noms énergiques, ne pourra jamais rendre de bonnes raisons de leur vertu, et prouver en même temps que l'on doit juger dignes de mépris des hommes qu'il ne faut que nommer, pour faire des choses étonnantes, non seulement si l'on est de leur nation, mais quand on serait même d'une autre. Il eût été bon qu'il eût fait voir encore en quoi c'est que nous expliquons faussement ces noms pour séduire, comme il se l'imagine, les ignorants et les simples qui nous écoutent; au lieu que lui qui, comme il s'en vante, n'est du nombre ni des uns ni des autres, en donne la véritable explication. Mais il se contente d'avancer, en parlant toujours des noms sur lesquels les Juifs fondent leur généalogie, qu'il n'y a jamais eu là-dessus la moindre question dans tous les siècles qui ont précédé, et que les Juifs en disputent à présent avec d'autres qu'il ne nomme point. Que quelqu'un nous apprenne donc qui sont ceux qui ont cette dispute avec les Juifs, et qui soutiennent contre eux, avec quelque couleur, qu'ils ne disent rien à propos, non plus que les chrétiens, sur les propriétés de ces noms, mais qu'il y en a d'autres qui en parlent entièrement selon la raison et selon la vérité. Nous sommes assurés que personne ne saurait rien faire de pareil, ces noms étant manifestement tirés de la langue hébraïque, qui n'est en usage qu'entre les Juifs.

Celse ensuite ayant tiré des auteurs profanes l'histoire de ces peuples qui se disputent l'antiquité, tels que sont les Athéniens, les Égyptiens, les Arcadiens, les Phrygiens, qui disent tous qu'il y a eu parmi eux des hommes nés de la terre, et qui en allèguent des preuves, il dit que les Juifs ramassés dans un coin de la Palestine, où ils vivaient dans une profonde ignorance, n'ayant jamais ouï dire que c'étaient là des choses qui avaient été chantées, il y avait longtemps par Hésiode, et par une infinité d'autres hommes divinement inspirés, ont feint grossièrement et contre toute vraisemblance que Dieu avait de ses mains formé un homme, et lui avait soufflé dans le corps ; qu'il avait fait une femme d'une des côtes de cet homme, et qu'il leur avait donné des lois; mais que le serpent, à qui elles ne plaisaient pas, ayant entrepris de les renverser, en était venu à bout. Ce qui est une fable bonne pour des vieilles et pleine d'impiété, qui fait Dieu si faible, des le commencement, qu'il ne peut se faire obéir par un seul homme qu'il avait formé lui-même. Le docte, et le curieux Celse, qui reproche aux Juifs et aux chrétiens leur peu de lecture et leur profonde ignorance, fait bien voir ici avec quelle exactitude il sait le temps où a vécu chaque auteur grec et barbare, lorsqu'il fait Hésiode et une infinité d'autres hommes divinement inspirés, comme il les appelle, plus anciens que Moïse, que l'on prouve avoir écrit longtemps avant la guerre de Troie. Ainsi donc ce ne sont pas les Juifs, qui ont feint grossièrement et contre toute vraisemblance qu'un homme soit né de la terre. Ce sont ces hommes divinement inspirés, selon Celse ; c'est Hésiode, ce sont tous ces autres qui, ne connaissant point ces admirables écrits publiés si longtemps auparavant dans la Palestine, et n'en ayant même jamais ouï parler, nous débitent ces beaux contes touchant les premiers hommes ; en quoi ils sont aussi raisonnables qu'en leur généalogie des dieux. Car, si on les en croit, les dieux, ne sont que par la naissance, et ils sont sujets à mille autres accidents. Aussi Platon bannit-il fort sagement de sa république, comme des corrupteurs de la jeunesse, Homère et tous les poètes de cette sorte. D'où il parait visiblement qu'il ne les a point pris pour des hommes divinement inspirés. Mais l'épicurien Celse (si celui-ci au moins est le même qui a fait deux autres livres contre les chrétiens), l'épicurien Celse, qui en sait mieux juger que Platon, ou qui ne cherche peut-être qu'à nous contredire, les nomme divinement inspirés, bien que ce ne soit pas sa pensée. Il nous accuse de dire que Dieu a de ses mains formé un homme. Cependant le livre de la Genèse n'attribue des mains de Dieu, ni quand il fit l'homme, ni quand il le forma. celle expression, Tes mains m'ont fait et formé, est de Job (Job. X, 8) et de David (Ps. CXVIII ou CXIX. 73), ce qui demanderait de longs discours non seulement pour marquer la différence qu'il y a entre faire et former, mais aussi pour expliquer ce que signifient les mains de Dieu. Car ceux qui n'entendent pas cette façon de parler, ni quelques autres toutes pareilles dont se sert l'Écriture sainte, s'imaginent que nous concevons le grand Dieu sous une forme semblable à l'humaine  Il faudrait donc aussi, selon eux, que nous crussions tout de même que Dieu a des ailes, puisqu'à la lettre l'Écriture lui en donne (Ps. XVI ou XVII, 8, etc.). Mais notre sujet ne demande pas que nous nous engagions maintenant dans celle matière. Nous l'avons traitée à dessein et le mieux qu'il nous a été possible dans nos Commentaires sur la Genèse. Voyons plutôt dans les paroles de Celse un nouveau trait de malignité. Nos Écritures disent, en parlant de la formation de l'homme, que Dieu par son souffle lui mit le souffle de la vie dans le visage, et qu'ainsi l'homme reçut une âme vivante (Gen., II, 7). Mais Celse, qui ne sait pas seulement quel est le sens de ces paroles, que Dieu par son souffle mit dans le visage de l'homme le souffle de la vie, les déguise malicieusement pour leur en donner un ridicule, et nous fait dire que Dieu forma l'homme de ses mains et lui souffla dans le corps, afin de faire naître cette pensée, que Dieu souffla dans le corps de l'homme, à peu près comme on souffle dans un ballon. Ce sont des paroles figurées et qui ont besoin qu'on les explique. Elles signifient que Dieu fit part à l'homme de l'esprit incorruptible et immortel dont il est dit ailleurs : Ton esprit incorruptible est répandu partout (Sag., XII, 7). Celse, qui a résolu de ne rien laisser sans atteinte, se moque encore de ce qui est dit, que Dieu envoya un profond sommeil à Adam; que, comme il dormait, Dieu lui prit une côte et mit de la chair à la place, et que de la côte qu'il avait prise à Adam il forma une femme (Gen., II, 21), et ce qui suit. Mais il ne rapporte point le passage que l'on ne saurait lire sans reconnaître qu'il ne se doit pas prendre à la lettre ; et il fait semblant d'ignorer que ces sortes de choses s'expliquent allégoriquement, quoiqu'il dise dans la suite que les Juifs et les chrétiens les plus raisonnables ayant honte de cela, tâchent de se sauver dans l'allégorie. On lui peut donc demander s'il veut que l'on donne un sens allégorique à ce que son Hésiode, cet homme divinement inspiré, dit de la femme en style de fables, savoir, que Jupiter l'a donnée aux hommes comme un mal, pour venger le larcin du feu; mais que, quand on trouve dans nos livres que Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise à l'homme, après l'avoir endormi d'un profond sommeil, on n'y cherche rien au delà de l'écorce. Ce serait mettre une différence bien injuste entre ces deux narrations, de faire des railleries de celle-ci, comme s'il s'en fallait tenir au sens littéral et qu'il n'y eût rien de caché là-dessous, pendant qu'on admire l'autre comme un emblème philosophique, bien loin de s'en moquer comme d'une fable. Car si la première idée que les termes présentent à l'esprit doit faire passer pour absurdes des choses qui se disent dans une vue plus éloignées, jugez s'il y eut jamais d'absurdités pareilles à celles de ces vers d'Hésiode, qui est, dit-on, un homme divinement inspiré :

De Jupiter alors s'allume la colère;
Il parle à Prométhée, et d'une voix sévère.
Fils de Japet, dit-il, esprit double et rusé,
Tu triomphes en vain de m'avoir abusé.
Tu m'as volé le feu : mais, et la race humaine,
Et toi-même avec elle en porterez la peine.
Qu'aux hommes ton présent va coûter de travaux
Mais pour se consoler ils aimeront leurs maux.
Par un amer souris il finit la parole :
Et, pour n'en pas laisser la menace frivole,
Il ordonne à Vulcain que d'un art tout nouveau,
Il prenne de la terre, il la détrempe d'eau,
Il lui donne d'un homme et la force et l'adresse,
Jointe avec la beauté d'une jeune déesse.
A Pallas il enjoint de lui former les doigts
Pour manier l'aiguille et l'ivoire ä la fois :
A Vénus de verser tous ses charmes sur elle ;
Et de mettre à sa suite une troupe fidèle.
Les craintes, les soupçons, les chagrins violents.
Les véhéments désirs et les soucis brûlants.
Il veut que, de Mercure épuisant la science,
Elle ait la fraude au c?ur, sur le front l'impudence.
Tous ensemble aussitôt suivent sa volonté.
Vulcain forme de terre une jeune beauté.
Sous la soie et sous l'or Pallas fait qu'elle brille.
Les Grâces et les Ris, pendant qu'elle l'habille,
Y joignent à l'envi cent petits agréments,
Qui n'ont pas tant d'éclat, mais qui sont plus charmants
Les Heures à leur tour lui couronnent la tête
D'un riche émail de fleurs que le printemps leur prête
Mercure achève enfin : il lui donne la voix,
Pour flatter, pour mentir, pour tromper à son choix.
Ainsi chacun des dieux travaille au mal de l'homme ;
Et c'est de tous leurs dons que Pandore on la nomme.

Ce qu'il dit du vase ne paraît pas moins ridicule :

Dans les siècles passés, l'homme avait le bonheur
De vivre sans travail, sans peine, sans douleur :
Sur l'aile du chagrin la vieillesse ennemie
Ne venait point troubler la douceur de la vie.
Mais par la cruauté d'un destin qui nous perd,
Quand le vase fatal fut par la femme ouvert,
Un noir essaim de maux en sortit sur la terre,
Qui vinrent aux mortels faire une triste guerre.
Seule, au bord du vaisseau, l'espérance resta,
Et prête à s'envoler la femme l'arrêta.

(HÉSIODE, liv. I, v. 53, etc.)

Si l'on veut faire valoir cela par des explications allégoriques, que l'allégorie soit juste ou non, nous dirons toujours : Quoi ! les grecs auront le privilège de pouvoir expliquer leur philosophie en termes couverts; les Égyptiens et les autres peuples barbares, qui donnent à leurs mystères le nom spécieux de vérités voilées, auront la même liberté; mais les Juifs, avec leur législateur et tout ce qu'ils ont d'écrivains, passeront en votre esprit pour les plus grossiers de tous les hommes! Cette nation sera la seule sur qui Dieu ne versera aucun rayon de sa lumière; cette nation instruite à s'élever si noblement jusqu'à lui comme à une nature incréée, à ne regarder que lui, à ne fonder que sur lui toutes ses espérances!

Celse prend aussi pour objet de ses railleries l'histoire du serpent, qui entreprit de renverser, comme il parle, les lois que Dieu avait données à l'homme (Gen., Il, 8); et il dit que c'est là une fable qui n'est bonne qu'il amuser les vieilles : mais il affecte de ne dire pas un mot du paradis, que Dieu planta en Eden, vers l'Orient, où la terre produisit ensuite toutes sortes d'arbres agréables à la vue et dont les fruits étaient de bon goût, avec l'arbre de vie au milieu, et celui qui donnait la connaissance du bien et du mal : ce qui est assez capable, aussi bien que les autres choses qui nous sont, racontées au même, endroit, de faire juger à un homme sans passion que c'est là un très beau champ pour l'allégorie. Faisons-en donc comparaison avec ce que Platon dit de l'amour dans son Festin, et qu'il attribue à Socrate, comme ce qu'il y a de plus beau dans tout le dialogue. A la naissance de Vénus, dit-il, les dieux célébrèrent une fête où se trouva, avec les autres, Porus, dieu de l'abondance, fils de Métis, déesse de la bonne conduite. Comme ils furent hors de table, la Pauvreté se présenta à la porte pour mendier, ayant appris qu'il s'était fait là un festin. Cependant Porus, enivré de nectar (car le vin n'était pas encore en usage), entra dans le jardin de Jupiter et s'y endormit. La Pauvreté, qui crut sa fortune faite si elle pouvait avoir un enfant de lui, alla adroitement se coucher à ses côtés ; et quelque temps après elle mit l'Amour au monde. Delà vient que l'Amour s'est attaché à la suite et au service de Vénus, ayant été formé le jour de sa fête. D'ailleurs Vénus est belle, et il aime naturellement ce qui est beau. Comme donc le dieu de l'abondance est son père, et la Pauvreté sa mère; aussi tient-il de l'un et de l'autre. Il est toujours indigent et bien loin d'avoir le teint frais et délicat, comme la plupart se l'imaginent; il est hâlé et malpropre ; il marche nu-pieds ; il est sans retraite ; il ne couche que sur la dure et à découvert, à quelque porte ou dans les rues, en un mot il manque de tout, comme sa mère. Mais il ressemble à son père, en ce qu'il est toujours au guet pour surprendre les personnes bien faites; qu'il est courageux, entreprenant et infatigable, ardent et rusé chasseur, soigneux d'agir, tant qu'il peut, avec prudence, et ingénieux au besoin; philosophe tans relâche, grand fourbe, grand charlatan et grand sophiste. Il n'est proprement ni mortel ni immortel. Souvent, dans un même jour, il est plein de vie et de force, quand il a tout à souhait ; ensuite on le voit mourir, et puis revivre, à cause de l'immortalité de son père. Ce qu'il ramasse, au reste, il le dissipe aussitôt. Ainsi il n'est jamais ni pauvre ni riche, et il tient comme le milieu entre la sagesse et l'ignorance. Si ceux qui lisent cela voulaient imiter la malignité de Celse (mais à Dieu ne plaise que des chrétiens en aient la pensée ! ) ils se moqueraient de la fable et de son auteur, tout grand homme qu'il est. Si au contraire ils cherchent en philosophes ce que Platon a voulu cacher sous cet emblème, et qu'ils en puissent pénétrer le sens, ils admireront qu'il ait su si ingénieusement couvrir, sous l'écorce d'une fable, des dogmes qu'il a jugés trop relevés pour ses lecteurs du commun, et que néanmoins il les ait proposés nettement à ceux qui ont d'assez bons yeux pour connaître la vérité au travers de ce voile. J'ai choisi tout exprès celle fable dans Platon, à cause de ce qu'il y dit du jardin de Jupiter, qui répond en quelque sorte, ce semble, au paradis de Dieu ; de la Pauvreté, qui répond au serpent, et de Porus. que la Pauvreté surprit, qui répond à l'homme, surpris par le serpent. Il y a sujet de douter si c'est par un effet du hasard que Platon s'est ainsi rencontré avec Moïse, ou si, comme quelques-uns croient, ayant connu, dans son voyage d'Égypte, des personnes instruites dans les mystères des Juifs, et en ayant pris quelque teinture avec elles, il en a retenu de certaines choses et il a déguisé les autres; de peur de choquer les Grecs, s'il se fût entièrement attaché à la philosophie d'un peuple si décrié dans le monde par la singularité de ses lois et par la forme particulière de son gouvernement. Mais ce n'est pas ici le lieu d'expliquer ni la fable de Platon, ni ce qui nous est dit, soit du serpent, soit du paradis de Dieu, et de toutes les choses qui s'y passèrent. J'ai traité ces matières le plus exactement que j'ai pu, dans mes Commentaires sur la Genèse.

Lorsque Celse dit que le récit de Moïse est plein d'impiété, faisant Dieu si faible, dès le commencement, qu'il ne peut se faire obéir par un seul homme qu'il avait formé lui- même : c'est comme qui attaquerait Dieu sur la corruption universelle des hommes : l'accusant de n'en pouvoir garantir personne, en sorte qu'il se trouvât du moins quelqu'un qui naquit entièrement exempt de péché. Car comme ceux qui entreprennent de soutenir la cause de la Providence, ne manquent pas d'un grand nombre de bonnes raisons à alléguer là-dessus, on n'en manquera pas non plus sur le sujet d'Adam et de son péché, quand on saura que, dans la langue hébraïque, Adam signifie un homme; et qu'en ce qu'il semble que Moïse dise d'Adam : Il décrit la nature humaine. En effet, l'Écriture nous enseigne qu'en Adam tous les hommes meurent et sont condamnés,  ayant péché de même manière que lui (I Cor., XV. 22; Rom., V, 14.) : pour faire voir que cela ne doit pas tant s'entendre d'un certain homme en particulier, que de tout le genre humain; car bien que la malédiction ne s'adresse qu'à un seul, il paraît assez par la suite même du discours qu'elle regarde tous les hommes (Gen., III, 17, etc.): et celle qui est prononcée contre la femme est commune à tout le sexe (Ibid., 16). Ce que l'homme est chassé hors du paradis avec sa femme, couvert de peaux de bêtes (Ibid., 23), dont Dieu leur avait fait des habits à cause de leur péché (Ibid., 21), cela aussi cache un sens mystique bien plus excellent que celui de Platon qui nous représente l'âme comme perdant ses ailes et tombant en bas, jusqu'à ce qu'elle rencontre quelque chose de ferme où elle s'arrête.

Ils nous parlent ensuite, ajoute Celse, d'un déluge, et d'une certaine arche ridicule qui renfermait toutes choses ; d'un pigeon et d'une corneille, qui servaient de messagers : en quoi ils ne font que falsifier et que corrompre l'histoire de Deucalion. Ils ne s'attendaient pas, je m'assure, que cela dût paraître au jour; et des fables si grossières n'étaient destinées que pour des enfants. Voyez encore la passion indigne d'un philosophe, qu'il témoigne ici contre les écrits des Juifs, les plus anciens qui soient au monde. Il n'a rien à dire contre l'histoire du déluge : il ne s'attache pas même, comme il le pouvait, à critiquer l'arche et ses mesures, soutenant, comme font plusieurs, qu'avec trois cents coudées de long, cinquante de large, et trente de haut (Gen., VI, 15), de la manière qu'ils les prennent, elle n'était pas capable de contenir tous les animaux de la terre (Ibid., VII, 2 ) : sept couples de chaque espèce pour les purs, et deux couples pour les impurs; mais il se contente de la traiter de ridicule, pour cette seule raison qu'elle renfermait toutes choses. Qu'y a-t-il donc de ridicule, en ce qui nous est dit de cette arche que l'on fut cent ans à bâtir et qui s'élevait à la hauteur de trente coudées, en diminuant toujours jusqu'à ce que les trois cents coudées de long, et les cinquante coudées de large qu'elle avait par le bas fussent réduites à une coudée, tant en longueur qu'en largeur? Ne faut-il pas plutôt admirer ce bâtiment qui semblait une grande ville? Car la mesure qui lui est attribuée se doit entendre en puissance : de sorte que la base en était de quatre-vingt dix mille coudées de long, et de deux mille cinq cents coudées de large. Ne faut-il pas admirer encore, avec quelle adresse l'architecte le sut rendre assez fort pour résister à la violence des tempêtes qui produisirent le déluge ? Car il ne l'enduisit ni de poix, ni d'aucune autre matière bitumineuse, capable de l'en défendre. Enfin ne faut-il pas admirer que la Providence de Dieu eût mis là-dedans la pépinière de toutes les espèces des animaux, afin d'en repeupler la terre, se servant pour cela du plus juste de tous les hommes, qui devait être la tige de tout le genre humain après le déluge ( Ibid., VIII, 8 )? Celse touche aussi en passant l'envoi du pigeon, pour faire croire qu'il a lu le livre de la Genèse : mais il n'a pu alléguer aucune preuve pour montrer que ce soit une fiction. Il change ensuite le corbeau en une corneille (Ibid., VIII, 7 ), selon sa méthode de tourner nos histoires en ridicule, et il s'imagine que Moïse n'a fait ici que corrompre celle du Deucalion des Grecs. Encore ne sais-je s'il croit bien que ce livre soit de Moïse : car il semble l'attribuer à plusieurs auteurs. C'est ce que marquent ces paroles : En quoi ils ne font que falsifier et que corrompre l'histoire de Deucalion: et celles-ci : Ils ne s'attendaient pas, je m'assure, que cela dût paraître au jour. Mais comment ne s'y seraient-ils pas attendus, eux qui donnaient leurs écrits à une nation tout entière, et qui prédisaient même, que la religion qu'ils enseignaient serait prêchée parmi tous les peuples ? Et lorsque Jésus disait aux Juifs que le royaume de Dieu leur serait ôté' pour être donné à un peuple qui en produirait les fruits (Matth., XXI, 43); que voulait-il signifier autre chose, sinon que, par sa puissance divine, il exposerait au jour toute l'écriture judaïque, qui contenait
les mystères du royaume de Dieu? Quand on lit dans les auteurs grecs, la généalogie de leurs dieux, et l'histoire de leurs douze principales divinités, on veut y donner du poids par de belles allégories ; mais quand il s'agit de décrier ce que nous disons, ce ne sont que des fables grossières, destinées pour des enfants.

Celse compte pour une autre absurdité : Des enfants nés à des personnes qui étaient hors d'âge d'en avoir (Gen., XVII, 17 ) : et bien qu'il ne nomme pas ces personnes, il est évident qu'il veut parler d'Abraham et de Sara ( Ibid., IV, 8 ). Il y ajoute encore : Des frères qui se dressent des embûches (Ibid., XXVII, 41) : soit qu'il l'entende de Caïn, oui en dressa à Abel; soit qu'il l'entende d'Ésaü, qui en dressa aussi à Jacob. Un père qui s'afflige (Ibid., XXVIII, 5) : ce qui se doit rapporter apparemment à la tristesse d'Isaac (Ibid., XXXVII, 34) sur l'éloignement de Jacob, ou peut-être à celle de Jacob, sur ce que Joseph fut vendu pour aller être esclave en Égypte. Et des mères qui usent de tromperie (Ibid., XXVII, 6): par où il désigne sans doute les moyens dont Rebecca se servit pour faire tomber sur Jacob la bénédiction qu'Isaac destinait à Ésaü. Choquons-nous donc si fort la raison, quand nous disons que Dieu a particulièrement présidé sur tous ces événements, étant persuadés, comme nous le sommes, que sa divine Providence n'abandonne jamais ceux qui s'attachent constamment à lui par une vie pure et bien réglée? Celse se moque tout de même de la manière dont Jacob s'enrichit chez Laban, et il dit que Dieu donne à ses enfants des ânes, des brebis et des chameaux. Mais il ne comprend pas ce qu'emporte que les brebis les moins bonnes, étaient pour Laban, et les meilleures pour Jacob (Ibid., XXX, 43. v. 42) . Il ne sait pas que toutes ces choses leur arrivaient figurément et qu'elles ont été écrites pour nous, qui nous trouvons à la fin des siècles ( I Cor., X, 11 ), où des hommes aussi différents dans leurs m?urs et dans leurs coutumes que ces brebis étaient variées dans leur couleur, sont donnés en possession à celui qui était représenté par Jacob; et, devenant meilleurs que les autres, se laissent gouverner et conduire par la parole de Dieu ( Gen., XXX, 39); car la vocation des Gentils était figurée par cette histoire de Laban et de Jacob. Il ne pénètre pas mieux dans le sens de nos Écritures, quand il dit que Dieu donne aussi des puits aux justes (Ibid., XXVI, 18). Il ne prend pas garde que les justes ne se font pas des mares, mais qu'ils se creusent des puits, cherchant bien avant dans la terre des veines et des sources vives d'eau bonne à boire, afin d'obéir à ce commandement typique : Bois de l'eau de tes vaisseaux et de la source de ton puits; que tes eaux ne regorgent point hors de ta fontaine, et qu'elles ne se répandent que sur ton fonds ; quelles ne soient que pour toi, et que nul étranger n'en boive (Prov., V, 15). Il y a ainsi plusieurs histoires dans l'Écriture qu'elle fait servir de fondement et d'emblème à de plus hautes vérités. Il faut mettre en ce rang les puits dont nous venons de parler, les mariages des saints hommes, et les diverses femmes qu'ils ont eues, outre celles qu'il avaient prises légitimement (Gen., XVI, 3); ce que l'on tâcherait d'expliquer, si cela n'était proprement le fait d'un commentaire. Que les saints hommes, aient creusé des puits dans Ie pays des Philistins, comme la Genèse nous l'assure (Gen., XX,4, etc.),c'est ce qui se justifie par les puits merveilleux que l'on montre encore dans la ville d'Ascalon, et qui méritent bien d'être vus à cause de la singularité de leur structure, différente de celle de tous les autres. Pour ce qui est de l'allégorie des femmes légitimes et des servantes, ce n'est pas nous qui en sommes les auteurs ; nous l'avons apprise dans les écrits que nous ont laissés nos sages, dont l'un parle ainsi, pour exciter ses lecteurs à la méditation de ces sens cachés : Dites-moi, je vous prie, vous qui lisez la loi, n'entendez-vous point ce que dit la loi ? Car il est écrit qu'Abraham a eu deux fils, l'un de la servante, et l'autre de la femme libre. Mais celui qui naquit de la servante, naquit selon la chair; et celui qui naquit de la femme libre, naquit par la vertu de la promesse de Dieu Ce qui est une allégorie ; car ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, qui a été établie sur le mont de Sina, et qui n'engendre que des esclaves, est figurée par Agar ( Gal., IV, 21 ). Et quelques lignes plus bas : Mais la Jérusalem d'en haut est libre, et c'est elle qui est notre mère (Ibid., v. 26). Si l'on veut lire l'Épître aux Galates, l'on y apprendra quel sens allégorique il faut donner à tout ce qui nous est dit de ces femmes légitimes et de ces servantes, l'Écriture ne nous appelant pas à imiter ce qui peut paraître charnel dans les actions de ceux dont elle nous raconte l'histoire, mais ce qu'il y a de spirituel, comme ont accoutumé de parler les apôtres de Jésus. Au lieu que la sincérité de nos saints auteurs, qui ne dissimulent point ce qui est le plus capable de choquer, doit disposer un esprit à croire que ce qu'ils nous disent ailleurs de plus surprenant, ne sont point des contes faits à plaisir. Celse est dans une disposition toute contraire. A l'égard de Lot et de ses filles ( Gen., XIX, 32), il ne s'attache ni au sens littéral, ni au sens mystique. Il dit seulement que les aventures de Thyeste n'ont rien de si atroce. Il n'y a point de nécessité, au reste, de faire maintenant l'allégorie de ces choses, ni d'expliquer ce que Sodome figure; ce que veux dire cet ordre que les anges donnèrent à celui qu'ils en retiraient : Ne regarde point derrière toi, et ne t'arrête en aucun endroit de la campagne voisine ; sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne sois enveloppé dans la ruine des autres (Gen., XIX, 17; v. 26); ce que signifient Lot et sa femme, qui fut changée en une colonne de sel, pour avoir regardé derrière elle; et ce que représentent les filles de Lot, qui l'enivrèrent, pour avoir des enfants de lui. Mais voyons si nous ne pourrions point excuser en peu de mots ce qu'il semble qu'il y ait de plus choquant dans cette histoire. Les Grecs mènes ont examiné la nature des choses bonnes des mauvaises et des indifférentes, et ceux qui l'ont fait avec succès disent que ce qui fait les choses bonnes ou mauvaises, c'est la seule détermination de la volonté, et que les choses indifférentes sont proprement toutes celles dont la volonté n'a fait encore aucun choix, mais qui lui acquièrent de la louange ou du blâme, selon qu'elle en use bien ou mal ; qu'ainsi c'est de soi- même une chose indifférente de coucher avec sa fille, bien qu'il ne le faille pas faire, dans l'ordre de la société établie parmi les hommes. Et pour faire voir que cela est du nombre des choses indifférentes, ils supposent que le sage soit demeuré seul dans le monde, avec sa fille, tout le reste des hommes étant péri. Dans cette supposition, ils demandent si le sage pourra légitimement coucher avec sa fille, pour empêcher l'entière destruction du genre humain, et la secte des stoïciens, qui n'est pas une des moins considérables, soutient l'affirmative. Les Grecs raisonneront-ils donc de la sorte, sans qu'on le trouve mauvais, et si de jeunes filles qui, ayant entendu parler de l'embrasement de l'univers, mais n'en ayant pas une connaissance assez distincte, s'imaginent, après avoir vu leur ville et tout le pays d'alentour périr par  le feu, qu'il n'est demeuré sur la terre que leur père et elles, ne veulent pas, dans celle pensée, laisser éteindre le genre humain, elles ne seront pas dans les mêmes termes que le sage des stoïciens qui, selon leur supposition, peut, dans un cas pareil, coucher légitimement avec sa fille? Je sais bien qu'il y en a qui, ne jugeant pas si favorablement de l'intention des filles de Lot, regardent leur action comme un crime énorme, dont l'horreur a été cause qu'il est sorti de là deux peuples maudits, les Moabites et les Ammonites, et j'avoue qu'on ne trouve point, ni que l'Écriture sainte approuve ouvertement celle action comme légitime, ni qu'elle la condamne comme criminelle. Mais quelle. qu'elle soit dans le fond, on peut d'un rôle lui donner un sens allégorique, et de l'autre y trouver même quelque excuse.
 

Il touche, après cela, l'animosité d'Esaü contre Jacob (Gen., XXVII, 41) ; car c'est elle, sans doute, qu'il a en vue; d'Ésaü, dont l'Écriture même nous parle comme d'un méchant : el il blâme Siméon et Lévi de ce qu ils vengèrent l'injure et la violence faite à leur s?ur, par le fils du roi de Sichern, bien qu'il n'expose pas nettement le fait. Par ceux qui vendent leur frère (Ibid., XXXIV, 25), il entend les enfants de Jacob. Le frère vendu (Ibid., XXXVII, 28, 31, etc.), c'est Joseph et le père trompé, c'est Jacob lui-même qui, ne soupçonnant point l'artifice de ses enfants, lorsqu'ils lui présentèrent l'habit de diverses couleurs que portait Joseph, se laissa persuader qu'il était mort, et le pleurait comme tel, bien qu'il fût esclave en Égypte. Remarquez au reste comme quoi Celse ramasse toutes ces histoires avec plus de haine contre nous que d'amour pour la vérité. S'il s'en trouve qu'il croie lui pouvoir fournir quelque sujet d'accusation, il ne manque pas de les produire; mais il passe sous silence celles où il y a quelque rare exemple de vertu, comme celle de la continence de Joseph, qui ne se rendit ni pour prières, ni pour menaces à l'amour de la maîtresse que l'injustice des hommes lui avait donnée ( Ibid., XXXIV, 8). C'est bien là autre chose que tout ce qu'on nous dit de Bellérophon (Iliad., livr. VIII, v. 160 ). Car Joseph aima mieux cire enfermé dans une prison, que de violer les lois de la chasteté : et bien qu'il pût se défendre et se justifier, quand celle femme l'accusa, il aima mieux généreusement se taire, remettant sa cause à Dieu.

Celse parle ensuite par manière d'acquit et avec une obscurité affectée, des songes du grand échanson et du grand panetier de Pharaon ( Gen., XL, 5); de ceux de Pharaon même, et de l'explication qu'y donna Joseph (Ibid., XLI, 1, 5, 25 et 40); ce qui fut cause que le roi le délivra de prison, pour l'élever à la première charge de son royaume. Qu'y a-t-il donc d'absurde, dans celle histoire, à ne la regarder, si l'on veut, qu'en elle-même? Et qui peut obliger Celse à la mettre au rang de ses accusations, lui qui appelle Discours véritable un traité où il ne s'occupe qu'à combattre les chrétiens et les Juifs, sans y établir aucun dogme? Il ajoute que les frères de Joseph qui l'avaient vendu, ayant été contraints par la faim d'aller en Égypte avec leurs ânes pour y faire emplette, il les traita doucement (Ibid., XLII, 1, etc.): mais il ne rapporte pas ce qui se passa. Il dit encore qu'ils se reconnurent (Ibid., XLV, 1) : mais je ne vois pas à quel dessein il le dit, ni ce qu'il veut qu'il y ait là contre le bon sens; car je ne pense pas que Momus lui-même, pour ainsi dire, pût trouver à critiquer cet événement, qui nous fournit quantité de belles leçons, quand on n'irait pas jusqu'à l'allégorie. Il raconte comment Joseph, après qu'on lui eut rendu la liberté qu'il avait perdue, reconduisit en grande pompe le corps de son père à son sépulcre (Gen., L, 1), et croyant que cela aussi le met en droit de nous insulter, il continue de la sorte : Par le moyen duquel (savoir, de Joseph ) l'illustre et divine race des Juifs ayant pris racine en Égypte, et s'y étant accrue, on leur assigna je ne sais quel endroit écarté, le plus vil du pays, pour y vivre comme étrangers, en gardant leurs troupeaux. Mais ce qu'il dit que l'endroit qu'on leur assigna pour garder leurs troupeaux, était le plus vil endroit du pays (Ibid., XLVII, 6) n'est qu'un effet de sa passion ; car il ne fait point voir que la province de Gessen fut plus vile que les autres provinces d'Égypte. Il appelle la sortie des Hébreux hors d'Égypte une fuite, ne faisant aucune mention de ce que le livre de l'Exode nous en apprend. Mais nous avons montré ailleurs, en expliquant ces matières, que ce que Celse prend ici pour sujet de ses reproches et de ses vaines déclamations, sont des choses où il n'y aurait rien à reprendre, quand on s'arrêterait à la lettre. Aussi ne donne-t-il aucune preuve solide de ce qu'il avance pour décrier nos Écritures.

Il ajoute, comme s'il n'avait pour but que de témoigner de la haine et de la passion contre la doctrine des Juifs et des chrétiens, que les plus raisonnables d'entre eux, expliquent ces choses allégoriquement, ou plutôt  qu'ayant honte de cela, ils ont recours à l'allégorie. Mais si les fables et les fictions, pour me servir de ces termes, sont capables de faire honte par leur sens littéral, soit qu'on les emploie pour cacher quelque vérité, ou pour quelque autre usage que ce puisse être, l'on peut demander à Celse qui c'est qui doit avoir plus de honte que les Grecs; car nous voyons dans leurs histoires, que des dieux font leurs pères eunuques et dévorent leurs enfants ; qu'une déesse donne une pierre, au lieu de son fils, au père des dieux et des hommes ; qu'un père couche avec sa fille, qu'une femme met son mari dans les chaînes, avec l'aide du frère et de la fille du mari. Il n'est pas nécessaire de rapporter toutes les autres absurdités que les Grecs nous débitent touchant leurs dieux, et qui devraient les faire mourir de honte, quelque allégorie qu'ils y cherchent. Je n'en veux pour témoin que Chrysippe, Solien, à qui le Portique est redevable de tant de livres si estimés. Dans l'explication que ce grave philosophe entreprend de donner d'un tableau qui se voyait à Samos, où Junon était représentée servant aux plaisirs infâmes de Jupiter, d'une manière que la pudeur défend qu'on exprime, il nous dit que la matière ayant reçu de Dieu les idées séminales, elle les conserve en elle-même pour entretenir la beauté de l'univers. Car il veut qu'en ce tableau la matière fût figurée par Junon et Dieu par Jupiter. C'est à cause de cela el d'une infinité d'autres fables de même nature, que nous ne voulons pas donner le nom de Jupiter au grand Dieu, celui d'Apollon au soleil, ni celui de Diane à la lune; et que, de peur de profaner les choses divines, nous sommes scrupuleux jusqu'aux noms mêmes, lorsque nous parlons du Créateur et de ses excellents ouvrages, ne craignant rien tant que de manquer en quelque chose à la piété et au respect que nous lui devons. En quoi nous sommes du sentiment de Platon qui, dans son Philèbe, ne veut pas que l'on donne à la volupté le nom de déesse. Pour moi, Protarque, dit-il, j'ai un respect extrême pour les noms des dieux. C'est donc véritablement par respect pour le nom de Dieu et pour ceux de ses ouvrages, que nous refusons de recevoir aucune fable qui, sous prétexte d'allégorie, corrompe le c?ur des jeunes gens.

Si Celse avait lu nos Écritures avec un esprit d'équité, il ne dirait pas, comme il fait, qu'elles sont incapables d'admettre l'allégorie. Car de ce que, dans les prophéties, nous trouvons des histoires qui nous y sont rapportées, mais non pas en qualité d'histoires, nous avons lieu de conclure que les histoires mêmes ont été écrites pour le sens allégorique, ayant été dispensées avec une sagesse admirable; de sorte que la multitude des fidèles du commun y trouvent de quoi se satisfaire, aussi bien que le petit nombre de ceux qui veulent ou qui peuvent pénétrer plus avant dans l'intelligence des choses. Peut- être qu'il y aurait quelque vraisemblance dans ce que Celse dit, si c'étaient les Juifs el les chrétiens d'aujourd'hui, ceux qu'il appelle les plus raisonnables, qui eussent inventé ces allégories. Mais puisque les auteurs de notre doctrine nous les ont laissées dans leurs propres écrits, que peut-on croire, sinon que l'allégorie est la première et la principale vue dans laquelle les choses mêmes ont été écrites? Et pour faire voir combien la calomnie de Celse est mal fondée, lorsqu'il dit que nos Écritures sont incapables d'allégorie, je ne veux que ce peu d'exemples d'entre un fort grand nombre que je pourrais alléguer. Saint Paul, apôtre de Jésus, parle ainsi : Il est écrit dans la loi, vous ne lierez point la bouche au b?uf qui foule les grains (I Cor., IX, 9). Est-ce donc que Dieu se met en peine de ce qui regarde les b?ufs? Et n'est-ce pas plutôt pour nous-mêmes qu'il a fuit cette ordonnance ? C'est pour nous, sans doute, que cela a été écrit pour nous apprendre que celui qui laboure doit labourer avec espérance de participer au fruit de son travail, et que celui qui foule le grain doit le faire avec espérance d'y avoir part. Le même apôtre dit encore ailleurs : Car il est écrit . C'est pourquoi l'homme abandonnera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et de deux qu'ils étaient, ils deviendront une même chair ( Ephés., V, 31). Ce mystère est grand, je dis, par rapport à Jésus-Christ et à l'Église. Et dans un autre lieu : Or nous savons que nos pères ont tous été tous la nuée, qu'ils ont tous passé par la mer Rouge, qu'ils ont tous été baptisés, sous le ministère de Moïse, dans la nuée et dans la mer (l Cor., X, 1). Expliquant ensuite l'histoire de la manne et celle de l'eau qui sortit miraculeusement du rocher, il ajoute qu'ils ont tous mangé d'une même viande spirituelle, et tous bu d'un même breuvage spirituel ; car ils buvaient de l'eau de la pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre était Jésus-Christ (Ibid., 3). Et Asaph, voulant rapporter dans le livre des Psaumes, les histoires contenues dans ceux de l'Exode et des Nombres, use de celle préface pour montrer que dans ces événements il y avait quelque chose de secret, que c'était une espèce d'emblèmes ou de paraboles: Mon peuple, écoutez ma loi, prêtez l'oreille aux paroles de ma bouche; j'ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles ; je publierai les secrets des siècles passés, toutes tes choses que nous avons entendues, que nous avons apprises et que nos pères nous ont racontées (Ps. LXXVII ou LXXVIII, 1). Si la loi de Moïse n'avait point un sens intérieur et caché, le prophète ne dirait pas non plus dans la prière qu'il adresse à Dieu: Dévoile mes yeux, et je contemplerai les merveilles de la loi (Ps. CXVIIII ou CXlX, 18). Mais il savait qu'il y a un voile d'ignorance sur le c?ur de ceux qui lisent sans pénétrer dans le sens mystique, et que ce voile se lève lorsqu'on se renferme eu soi-même, afin d'écouler la voix de Dieu qui nous instruit (II Cor., 3, 14); qu'on s'exerce l'esprit pour s'accoutumer par une longue habitude à discerner le bien et le mal, et qu'on dit sans cesse dans ses prières : Seigneur, dévoile mes yeux, et je contemplerai les merveilles de ta loi (Hébr., V, 14.) Qui est-ce qui peut lire la description de ce grand dragon, qui vit dans le fleuve d'Égypte et dont les écailles servent  de retraite aux poissons, avec ce qui est ajouté, touchant Pharaon, qu'il remplit de ses excréments les montagnes du pays ? Qui est-ce qui peut lire cela, qu'il n'ait incontinent la pensée de chercher qui c'est qui remplit les montagnes d'Égypte de tant de sales excréments, ce que c'est que ces montagnes, ce qu'il faut entendre par ces fleuves, dont Pharaon dit avec tant de vanité : Les fleuves sont à moi, et je les ai faits ( Ezéch., XXIX, 3, et 4.) ; par ce dragon qu'il faudra prendre dans un sens qui réponde à celui qu'on aura donné aux fleuves, et par ces poissons qui se retirent sous ses écailles? Mais pourquoi produire davantage de preuves pour des choses qui n'en ont pas besoin et dont il a été dit: Qui est sage? et il comprendra ceci: qui est prudent? et il l'entendra ? J'ai cru pourtant me devoir un peu étendre sur ce sujet, pour montrer que Celse n'a eu aucune raison de dire que les Juifs et les chrétiens les plus raisonnables tâchent de se sauver dans l'allégorie ; mais que les choses sont absolument Incapables de l'admettre, n'étant tout visiblement que des fables impertinentes. Ce sont plutôt les Grecs qui ont inventé des fables, non seulement impertinentes, mais même impies ; car, pour nous, nous avons aussi, eu égard à la simplicité du commun peuple, ce que n'ont point fait les auteurs de ces fictions grecques. C'est pourquoi Platon n'a point tort de bannir de sa république ces sortes de fables et de poèmes.

Je crois bien que Celse a ouï dire qu'il y a des écrits qui expliquent les allégories de la loi, mais, s'il les avait lus, il ne dirait pas comme il fait, que les allégories qu'on prétend faire sont beaucoup plus honteuses et plus ridicules que les fables mêmes, puisque, par une folie étonnante et une stupidité sans exemple, on y cherche du rapport entre des chose, où l'on n'en saurait trouver la moindre trace. Il veut sans doute parler des écrits de Philon ou de quelques autres écrits encore plus anciens, tels que sont ceux d'Aristobule;  mais je suis fort trompé s'il a jamais lu ces livres qui, pour l'ordinaire, me semblent rencontrer si heureusement, qu'ils pourraient donner de l'admiration aux philosophes mêmes de la Grèce. Car non seulement l'expression en est pure et nette, mais il y a aussi une justesse merveilleuse, et dans les pensées, et dans les dogmes et dans l'application de ces endroits de l'Écriture que Celse prend pour des fables. On sait que le philosophe Numénius, qui a mieux éclairci que personne ce qu'il y a de plus obscur dans Platon, et qui avait embrassé la secte pythagoricienne, cite fort souvent, dans ses écrits, des passages de Moïse et des prophètes, et en fait des allégories assez vraisemblables, comme dans le Traité, auquel il donne le titre d'Epops, dans ses livres des Nombre et dans ceux du Lieu. Il rapporte même, dans le troisième livre de son traité du Souverain Bien, une histoire de Jésus, sans le nommer, et il la prend en un sens allégorique. Si ce sens est juste ou non, ce n'est pas de quoi il s'agit maintenant. Il rapporte pareillement celle de Moïse, de Jannés et de Jambrés, ce que je n'allègue pas à dessein de nous en faire honneur; mais parce que ce philosophe
me paraît plus équitable que Celse et que les autres Grecs, en ce que le désir d'apprendre l'ayant porté à lire nos livres, il a reconnu qu'il fallait y chercher dos allégories, au lieu de les accuser d'extravagance.

Entre tant d'excellents écrits qui contiennent ces explications allégoriques, Celse choisit justement ce qu'il y a de plus méprisable et qui peut bien contribuer pour quelque chose à la foi du peuple le plus simple, mais oui ne saurait faire d'impression sur l'esprit des personnes intelligentes. Telle qu'est, dit-il, la dispute d'un certain Papisque et d'un certain Jason, qui est plutôt digne, à mon avis, de pitié et d'indignation, qu'elle n'est capable de faire rire. Mon dessein n'est pas d'en relever les absurdités. Tout le monde les peut facilement reconnaître, surtout si l'on a le courage et la patience de lire les livres mêmes. Il vaut mieux que nous apprenions, dans l'école même de la nature, que Dieu n'a rien fait de mortel, qu'il n'y a que les êtres immortels, qui soient ses ouvrages, et que c'est par eux ensuite que les êtres mortels ont été faits : qu'ainsi l'âme est l'ouvrage de Dieu, mais  que le corps est d'un autre ordre, et qu'à cet égard, il n'y a point de différence entre le corps d'une chauve-souris, d'un ver ou d'une grenouille et celui d'un homme : car la matière de l'un est la même que celle des autres, et ils sont tous également incorruptibles, Je souhaiterais pourtant que quelqu'un, après avoir ouï dire à Celse, avec tant de fierté que l'écrit qui porte pour titre, Dispute de Jason et de Papisque, touchant le Messie, est plus capable de donner de l'indignation que de faire rire, prît en main ce petit livre et eût le courage et la patience d'en faire la lecture. Il  ne lui en faudrait pas davantage pour condamner Celse ; car il n'y trouverait nul sujet d'indignation. L'on ne trouvera pas même qu'il serait fort capable de faire rire, pourvu qu'on le lise sans préjugé. L'on y voit un chrétien qui dispute contre un Juif, par les écritures judaïques, et qui lui montre que les oracles, où il est parlé du Messie, conviennent à Jésus, bien que le Juif lui résiste assez vivement et ne soutienne pas mal son caractère. Je ne comprends pas, au reste, d'où vient que Celse mêle ainsi des choses incompatibles et qui ne sauraient se rencontrer ensemble dans notre c?ur, lorsqu'il dit de ce livre, qu'il est digne de pitié et d'indignation. Car il n'y a personne qui ne m'avoue que ce qui fait pitié ne donne pas d'indignation, dans le temps qu'il fait pitié, et que ce qui donne de l'indignation ne fait pas pitié dans le temps qu'il donne de l'indignation. Mon dessein n'est pas, ajoute-t-il, d'en relever les absurdités. Il croit que tout le monde les peut facilement reconnaître, avant même qu'on ait fait voir, par raison, que ce sont des choses mal digérées, dignes de pitié et d'indignation. Je supplie ceux entre les mains de qui tombera cette apologie que  s'oppose aux accusations de Celse, et d'avoir la patience de lire nos livres, et de faire tout ce qu'ils pourront, en les lisant, pour pénétrer dans l'intention des auteurs, pour découvrir le fond de leur conscience, pour connaître l'assiette de leur esprit. On trouvera que ce sont des hommes qui soutiennent, avec une ardeur toute de feu, ce dont ils sont persuadés ; qu'il paraît même que quelques-uns d'eux ont vu et soigneusement observé ce qu'ils nous racontent comme des choses extraordinaires, qui méritaient d'être écrites pour le bien de ceux qui les liraient. Oserait-on dire que la source et le principe de toute la sagesse ne soient pas de croire au grand Dieu ; de ne rien faire absolument qu'en vue de lui être agréable ; de n'avoir pas le moindre désir pour ce qui peut lui déplaire, persuadés qu'il sera le juge non seulement de nos paroles et de nos actions, mais de nos pensées mêmes? Y a-t-il doctrine qui puisse plus efficacement porter les hommes à bien vivre, que celle qui leur enseigne à croire que le grand Dieu voit tout ce qu'ils disent, tout ce qu'ils font et tout ce qu'ils pensent? On nous fera plaisir de nous en montrer quelque, autre qui change en même temps l'esprit et le c?ur, non d'une personne ou de deux, mais d'une multitude presque innombrable. Il sera aisé de connaître, en la comparant avec la nôtre, laquelle est la plus capable d'inspirer des sentiments de vertu. Mais puisque Celse nous fait cette paraphrase d'un passage qu'il a tiré du [Dialogue de Platon] Timée : Que Dieu n'a rien fait de mortel ; qu'il n'y a que les êtres immortels qui soient ses ouvrages; et que pour les êtres mortels ils ont été faits par d'autres que par lui : qu'ainsi l'âme est l'ouvrage de Dieu, mais que le corps est d'un autre ordre et qu'il n'y a point de différence entre le corps d'un homme et celui d une chauve-souris, d'un ver ou d'une grenouille, parce que la matière de l'un est la même que celle des autres, et qu'ils sont tous également corruptibles. Arrêtons-nous un peu à réfuter ce qu'il dit ici. Il y déguisé son attachement pour la secte d'Épicure ou comme on le peut croire, il a enfin embrassé de meilleurs sentiments, si ce n'est aussi que l'on dise qu'il n'a rien de commun que le nom avec cet autre Celse, épicurien. Quoi qu'il en soit, puisqu'il voulait avancer de telles choses, contraires non seulement à notre créance, mais à celle même des disciples de Zénon, Citien, qui ne tiennent pas un rang peu considérable parmi les philosophes, ne fallait-il pas qu'il se mît en devoir de prouver que les corps des animaux ne sont point l'ouvrage de Dieu, et que cet art admirable qu'on y remarque n'est point une production de la souveraine intelligence ? Ce principe interne, privé d'imagination, qui est renfermé dans chaque espèce de ce nombre presque infini de plantes, et qui les diversifie si régulièrement dans tout l'univers pour l'usage et pour le besoin tant de l'homme que des animaux qui, quels qu'ils soient d'ailleurs, rendent du service à l'homme ; tout cela ne devait-il pas l'obliger encore à nous donner des raisons solides au lieu de s'en tenir à la simple affirmation, pour montrer que ce n'est pas non plus une intelligence parfaite qui a mis tant de différentes qualités dans la matière des plantes? Ayant une fois posé que ce sont les dieux inférieurs qui font tous les corps, et qu'il n'y a que l'âme qui soit l'ouvrage du grand Dieu, pouvait-il, après un partage de celle importance, où il assigne à chacun sa tâche et son emploi, se dispenser de nous alléguer quelques bonnes preuves de cette différence des dieux, dont les uns bâtissent les corps des hommes, les autres ceux des animaux domestiques, par exemple, et les autres, ceux des botes sauvages ? Il fallait sans doute que, puisqu'il voyait les dieux ainsi occupés, les uns à fabriquer les corps des dragons, des aspics ou des basilics, les autres à bâtir ceux de chaque plante et de chaque herbe, selon les différentes espèces d'atomes, il nous rendît raison de ces diverses occupations. Peut-être qu'en s'appliquant soigneusement à examiner ce point, ou il aurait reconnu qu'il n'y a qu'un seul Dieu qui a créé tous les êtres et qui les a destinés chacun à sa fin ou à sou usage ; ou, s'il ne l'avait pas reconnu, il aurait songé à se défendre contre ceux qui soutiennent que la corruptibilité des êtres matériels est de sa nature une chose indifférente, el qu'il n'y a point d'absurdité que le monde, qui est composé de parties si dissemblables, soit l'ouvrage d'un seul ouvrier, qui fait que toutes ces diverses espèces concourent au bien commun de l'univers. Enfin s'il ne voulait pas prouver ce qu'il se vantait de nous apprendre, il eût mieux fait de ne toucher point du tout à un dogme si important. Si ce n'est que lui, qui se moque de la simple foi des autres, veuille que nous le croyions sur sa parole ; bien qu'au reste il ne nous eût pas promis des paroles, mais des raisons. Je puis dire que s'il avait eu le courage et la patience, comme il parle, de lire les livres de Moïse et des prophètes, il aurait fait ces réflexions : D'où vient que ces mots : Dieu fit ou Dieu créa (Gen.,1, 1,7; XVI, 21, 25), sont employés à l'égard du ciel et de la terre ; à l'égard de ce qui est nommé le firmament ; à l'égard des deux grands astres et des étoiles ; à l'égard des grands poissons et de tous les animaux qui nagent, que les eaux produisirent chacun selon son espèce ; à l'égard de tous les oiseaux qui volent dans l'air selon leurs espèces ; à l'égard de toutes les bêtes sauvages, de tous les animaux domestiques et de tous les reptiles de la terre, selon leurs espèces ; enfin aussi à l'égard de l'homme : mais que ces mots ne sont employés qu'en ces occasions; l'Écriture se contentant, à l'égard de la lumière, de dire: la lumière fut faite (Ibid., I, 3, 9, 11); et sur ce que toutes les eaux qui étaient sous le ciel furent rassemblées en un même lieu, de dire : Cela se fit ainsi ; qui est encore la manière dont elle en use à l'égard de ce qui germa de la terre, lorsque l? terre poussa toutes sortes d'herbes, portant leur graine, conforme à leur espèce, et toutes sortes d'arbres fruitiers portant du fruit, chacun selon ion espèce, et ayant leur semence en eux-mêmes, pour se reproduire sur la terre. Il aurait ensuite examiné à qui s'adressaient ces commandements dont l'Écriture nous marque que Dieu se servit pour produire chaque partie du monde; si c'est à un seul sujet ou à plusieurs : et il n'aurait pas légèrement traité ces écrits de ridicules, comme s'ils ne contenaient aucun sens caché; ces écrits qui, selon nous, ne doivent pas tant être attribués à Moïse qu'à l'Esprit divin qui était en lui et qui le remplissait des lumières prophétiques ; car c'est de Moïse plutôt que de tous ces devins dont parlent les poètes, que l'on peut dire,

Qu'il savait le passé, le présent, l'avenir.

(ILIADE, liv., I, v. 70.)

Puis donc que Celse nous dit que l'âme doit être regardée comme l'ouvrage de Dieu; mais que le corps est d'un autre ordre, et qu'à cet égard il n'y a point de différence entre le corps d'une chauve-souris, d'un ver ou d'une grenouille et celui d'un homme, parce que la matière de l'un est la même que celle des autres, et qu'ils sont tous également corruptibles, nous lui dirons aussi que si l'on conclut qu'il n'y a point de différence entre le corps d'une chauve-souris, d'un ver ou d'une grenouille et celui d'un homme, de ce que la matière en est la même, il faudra conclure pareillement qu'il n'y a point de différence entre ces mêmes corps et celui du soleil, de la lune, des étoiles, du ciel, et en général de tous ces êtres qui passent parmi les Grecs pour des divinités sensibles, car la matière de tous les corps est la Ibérie. C'est un sujet qui de sa nature n'a aucune qualité ni aucune modification: et je ne sais d'où il en reçoit, dans le sentiment de Celse, qui prétend que rien de corruptible n'ait Dieu pour auteur. En effet, il est nécessaire, selon lui, que tout ce qui est formé de la même matière soit de soi-même également corruptible. Si ce n'est que Celse se sentant trop pressé, abandonne ici le parti de Platon, qui fait sortir les âmes de je ne sais quelle grande cuve, et qu'il se jette dans celui d'Aristote et des péripatéticiens, qui veulent que les corps célestes ne participent point à la matière des autres, et qu'ils soient d'une nature différente des quatre éléments. Mais cette pensée est vivement combattue par les sectateurs de Platon et par les stoïciens, et nous la combattrons aussi, nous, pour qui Celse a tant de mépris, quand on voudra que nous expliquions et que nous appuyions ces paroles du prophète : Les cieux périront mais tu demeureras (Ps. CI ou ?II, 27 ). Ils vieilliront tous comme un vêtement. Tu Ies plieras comme un manteau ; et ils seront changés : mais toi tu es toujours le même. En voilà assez pour renverser ce que dit Celse, que l'âme doit être regardée comme l'outrage de Dieu, mais que le corps est d'un autre ordre: d'où il suit qu'il n'y a point de différence entre les corps célestes el le corps d'une chauve-souris, d'un ver ou d'une grenouille. Voyez donc si un homme, qui ne peut accuser les chrétiens sans établir de tels dogmes, mérite que l'on abandonne pour lui des principes qui nous apprennent à rendre raison de la différence des corps par les différentes propriétés qui leur sont attachées et par les diverses qualités dont ils sont revêtus. Car pour ce qui est de nous, nous savons qu'il y a des corps célestes et des corps terrestres (I Cor., XV, 40) ; que l'éclat des corps célestes est autre que celui des corps terrestres; et qu'entre les corps célestes mêmes, il y a de l'inégalité : que le soleil a son éclat et les étoiles le leur (v. 41) ; et qu'entre les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre. Ainsi, dans la résurrection que nous attendons, nous disons que les corps doivent changer de qualités ; que quand on les met en terre, ils sont dans un état de corruption (v. 42), mais que quelques-uns d'eux ressusciteront incorruptibles ; qu'ils sont dans un état d'ignominie (v 43), mais qu'ils ressusciteront glorieux ; qu'ils sont dans un état d'infirmité (v. 44), mais qu'ils ressusciteront pleins de vigueur; qu'ils ont les qualités d'un corps animal, mais qu'ils ressusciteront avec celles d'un corps spirituel. A l'égard de la matière, qu'elle soit susceptible de toutes les qualités que le Créateur lui veut imprimer, c'est ce qu'établissent tous ceux qui, comme nous, reconnaissent une Providence; de sorte que quand Dieu veut, une certaine portion de la matière reçoit certaines qualités ; et quand il veut, elle en reçoit d'autres : de plus nobles, par exemple, et de plus exquises que les premières.

Et je ne sais s'il n'y a pas sujet d'admirer qu'y ayant un ordre établi pour les changements des corps, depuis que le monde dure et tant qu'il durera, et ne devant y avoir de nouvelles lois et de nouvelles manières qu'après la destruction du monde ou, comme parlent nos Écritures, après la consommation des siècles (Matth., XIII, 39), je ne sais, dis-je, s'il n'y a pas sujet d'admirer que dès maintenant des corps morts se changent en des corps pleins de vie, que de la moelle qui est dans l'épine du dos d'un cadavre humain il se forme un serpent, comme presque tout, le monde l'assure ; que d'un b?uf il se forme des abeilles, que d'un cheval il naisse des guêpes, que d'un âne il se forme des escarbots, et en un mot, que de la plupart des corps il naisse des vers. Mais Celse s'imagine qu'il n'en faut pas davantage pour prouver qu'il n'y a rien là qui soit l'ouvrage de Dieu; il croit que la matière quitte, je ne sais comment, certaines qualités, pour en recevoir d'autres, je ne sais où, sans qu'une intelligence divine contribue à y introduire ces changements. Nous avons encore une chose à dire à Celse, qui veut que l'âme soit l'ouvrage de Dieu, mais que le corps soit d'un autre ordre, et qui avance un tel dogme, non seulement sans aucune preuve, mais même avec ambiguïté ; car il ne dit point nettement si toutes les âmes en général sont l'ouvrage de Dieu, ou s'il n'y a que la raisonnable. Nous avons donc ceci à lui dire : Si toutes les âmes en général sont l'ouvrage de Dieu, il faut que l'âme des bêtes et celle des plus vils animaux le soit aussi, afin que tous les soient d'un autre ordre que l'âme.  Et c'est effectivement ce qu'il semble poser dans la suite, lorsqu'il dit qu'il y a des animaux sans raison qui sont plus chers à Dieu que nous, et qui ont de lui une idée plus pure que nous n'avons. Car si des animaux sans raison sont plus chers à Dieu que nous, il s'ensuit que ce n'est pas seulement l'âme humaine qui est l'ouvrage de Dieu, mais que la leur doit l'être beaucoup plutôt. S'il n'y a que l'âme raisonnable qui soit l'ouvrage de Dieu, premièrement Celse ne s'est pas assez expliqué, secondement, si ce qu'il dit sans distinction, que l'âme est l'ouvrage de Dieu, ne se doit pas entendre de toutes les âmes, mais seulement de la raisonnable, il s'ensuit qu'il ne faut pas entendre non plus de tous les corps qu'ils soient d'un autre ordre qui les rende égaux entre eux. Or, si cela ne doit pas s'entendre de tous les corps en général, mais que chaque animal ait un corps proportionné à son âme, il est évident qu'un corps dont l'âme est l'ouvrage de Dieu devra être plus excellent qu'un autre corps où habite une âme qui n'est pas l'ouvrage de Dieu. Ainsi, il sera faux qu'il n'y ait point de différence entre le corps d'une chauve-souris, d'un ver ou d'une grenouille et celui d'un homme. En effet, il serait absurde que des pierres fussent estimées plus pures ou plus impures les unes que les autres, et des bâtiments tout de même, selon qu'on les emploie à l'honneur de la Divinité, ou qu'on les destine à recevoir des corps sales, des objets d'horreur, et qu'on ne mît point de différence entre des corps dont les uns logent des âmes raisonnables, les autres des âmes sans raison, les uns des âmes raisonnables où la vertu règne, les autres des âmes d'hommes plongées dans le vice. C'est ce qui a fait que quelques-uns, considérant l'avantage qu'avaient eu ces corps de loger des âmes vertueuses, n'ont point craint de les déifier, pendant qu'ils jetaient dehors et qu'ils traitaient avec toute sorte d'ignominie les corps de ceux qui n'avaient pas bien vécu. Je ne dis pas que cette pratique mérite d'être entièrement approuvée ; mais quoi qu'il en soit, elle avait pour fondement une pensée extrêmement juste. Un homme sage voudrait-il, après la mort d'Anytus el de Socrate, prendre le même soin d'e leur sépulture ou mettre leurs corps dans des tombeaux tout pareils? Voilà pour ce que dit Celse, qu'il n'y a rien là qui soit l'ouvrage de Dieu, entendant par ces mots :Il n'y a rien là, le corps d'un homme ou les serpents qui s'en forment, le corps d'un b?uf, ou les abeilles qui en naissent, le corps d'un cheval et d'un âne, ou les guêpes et les escarbots qui en sortent ; ce qui nous a contraints de retoucher à ce qu'il avait posé, que l'âme doit être regardée comme l'ouvrage de Dieu, mais que le corps est d'un autre ordre.

Il ajoute que la nature de tous ces corps dont il a parlé est semblable, et que leur matière est la même, passant et repassant par toutes les altérations et par tous les changements qui se voient successivement dans le monde. Mais par ce que nous avons établi, il est clair que ce n'est pas seulement de ces corps dont il a parlé, que la nature est semblable et que la matière est la même, que c'est des corps célestes comme des autres. Et cela étant, il s'ensuit que, selon lui ( je ne sais si c'est bien aussi selon la vérité), la matière de tous les corps en général est la même, passant et repassant par toutes les altérations et par tous les changements qui se voient successivement dans le monde. Il est certain que c'est là le sentiment de ceux qui veulent que le monde soit corruptible. Et ceux qui veulent qu'il ne le soit pas, bien qu'ils ne reconnaissent point une cinquième nature de corps, ceux-là aussi lâcheront de faire voir que, selon eux, la matière de tous les corps est la même, passant et repassant par toutes les altérations el par tous les changements qui se voient successivement dans le monde; car ce qui semble périr, se conserve dans le changement: la matière qui, sert de sujet à toutes ces altérations, ne faisant que changer de qualités, et demeurant toujours la même, selon la pensée de ceux qui la croient incréée. Mais si l'on peut prouver qu'elle n'est pas incréée, et qu'elle a été faite pour une certaine fin ; il est constant que la nature n'en sera pas la même à l'égard de l'état où la laissent les altérations et les changements par où elle passe, qu'en la supposant incréée. Ce sont là, au reste, des questions de physique, dont il ne s'agit pas ici. Il s'agit uniquement de répondre aux accusations de Celse.

Il dit ensuite que de tout ce qui est formé de matière, il n'y a rien d'immortel. A quoi je réponds que s'il est vrai que de tout ce qui est formé de matière, il n'y ait rien d'immortel, il faut ou que le monde, l'univers, soit immortel, et qu'ainsi il ne soit pas formé de matière, ou que le monde même ne soit pas un être immortel. Si le monde est immortel, comme c'est la créance de ceux-là mêmes qui disent qu'il n'y a que l'âme qui soit l'ouvrage de Dieu, et qu'elle sort d'une grande cuve; que Celse se tenant à son principe, que de tout ce qui est formé de matière, il n'y a rien d'immortel, nous prouve que le monde n'est pas formé d'une matière qui auparavant n'avait aucune qualité. Mais si le monde étant formé de matière n'est pas un être immortel, c'est nécessairement un être mortel. Sera-t-il donc sujet à la corruption, ou s'il ne le sera pas ? S'il est sujet à la corruption, il y sera sujet comme n'étant pas l'ouvrage de Dieu. Mais l'âme, qui est l'ouvrage de Dieu, que deviendra-t-elle dans cette corruption du monde? Je voudrais que Celse nous le dît. Si, détournant la signification du mot d'immortel, il dit que le monde est immortel, en ce qu'encore qu'il soit corruptible, il n'est pas pourtant sujet à une réelle corruption, en ce qu'il est bien capable de mort, mais qu'il ne meurt pas pourtant, il est évident que, selon lui, une chose sera en même temps mortelle et immortelle, en ce qu'elle sera capable des deux contraires : ce sera un être mortel qui ne mourra point; un être qui, bien qu'il ne soit pas immortel de sa nature, porte néanmoins le nom d'immortel dans une signification qui lui est propre, parce qu'il ne meurt pas en effet. En quel sens donc voudra-t-il que l'on entende, après celle distinction, que de tout ce qui est formé de matière, il n'y a rien d'immortel? Vous voyez qu'à examiner de près et qu'à discuter avec soin les termes de la proposition de Celse, on trouve qu'il s'en faut beaucoup qu'elle ne mérite de passer pour incontestable.

Après cela, il ajoute : En voilà assez sur ce sujet. Qui en voudra savoir davantage, qu'il se donne le loisir de nous écouter jusqu'au bout, et de chercher la vérité avec nous. On a vu ce qui en est déjà arrivé, lorsque nous, qu'il traite d'ignorants et de grossiers, nous sommes donné le loisir de l'écouler tant soit peu, et de chercher la vérité avec lui. Il continue donc el il s'imagine nous pouvoir apprendre, en deux ou trois petites paroles, quelle est la nature des maux, quoique ce soit une question qui a souvent exercé toute la subtilité des philosophes, el sur laquelle il y a plusieurs différentes opinions. Il n'y a jamais eu, dit-il, et il n'y aura jamais dans le monde plus ni moins de maux qu'il n'y en a maintenant. La nature de l'univers est toujours la même ; et il se produit toujours également des maux. Il semble qu'il ait encore puisé cela dans le Théétète, où Platon fait dire à Socrate : Il est impossible que les maux soient bannis d'entre les hommes, et qu'ils passent parmi les dieux, et ce qui suit. Mais je ne pense pas qu'il ait même bien entendu le sens de Platon, lui qui prétend avoir renfermé toute la vérité dans un seul volume, el qui a donné le titre de Discours véritable à l'écrit qu'il a publié contre nous. Car ces paroles du Timée : Quand les dieux inondent la terre, la nettoyant par les eaux, emportent qu'il n'y a pas tant de maux sur la terre, après qu'elle a été ainsi nettoyée, qu'il y en avait auparavant. Je dis qu'il n'y en  a pas tant, selon le sentiment de Platon; car de ce passage du Théétète, il paraît qu'il ne croyait pas que les maux pussent être tout à fait bannis d'entre les hommes. Je ne comprends pas au reste comment Celse, qui reconnaît la Providence, ou dont le livre du moins la reconnaît, veut qu'il n'y ait jamais plus ni moins de maux dans un temps que dans un autre, comme s'il y en avait toujours une certaine quantité déterminée : car c'est là renverser celle belle et grande vérité, que le mal, c'est-à-dire le vice, est de soi-même indéfini ou, si l'on veut, que les maux sont infinis de leur nature. Ce n'est pas qu'en supposant qu'il n'y ail jamais eu et qu'il n'y aura jamais plus ni moins de maux que maintenant. il ne s'ensuive, ce semble, que comme pour faire le monde incorruptible, il faut dire que la Providence conserve les éléments en équilibre, de peur que quelqu'un venant à prévaloir ne cause la ruine du monde ; il faut dire tout de même que c'est par les soins de la Providence que les maux, qui sont en si grand nombre, n'augmentent ni ne diminuent jamais. Mais pour réfuter autrement la pensée de Celse, il ne faut que le renvoyer aux philosophes qui ont examiné la nature des biens et des maux, et qui ont fait voir, par les histoires mêmes, que d'abord les femmes abandonnées ne se prostituent que hors des villes et sous le masque; qu'ensuite, perdant toute pudeur, elles quittèrent le masque, bien que les lois leur défendissent encore l'entrée des villes, mais qu'enfin, la corruption croissant de jour en jour, elles osèrent bien y entrer. C'est la remarque de Chrysippe, dans son traité des biens et des maux. Ainsi, comme les maux vont tantôt en augmentant et tantôt en diminuant, nous trouvons qu'il y avait autrefois des gens, nommés Ambigus, qui servaient indifféremment à la volupté, soit active, soit passive, de tous ceux qui se présentaient, mais qu'ils furent à la fin chassés par le magistrat. Et il est certain qu'il y a une infinité de vices qui s'établissent dans le monde par l'horrible dépravation des m?urs, desquels on peut dire qu'ils n'y étaient pas auparavant. Aussi les plus anciennes histoires qui reprochent tant d'autres péchés aux hommes, ne connaissent-elles point ces abominables, qui se font les ministres d'un plaisir infâme que la pudeur défend d'exprimer. Après toutes ces choses, auxquelles on en pourrait ajouter plusieurs an très semblables, Celse n'est-il pas ridicule de prétendre qu'il n'y ait jamais plus ni moins de maux dans un temps que dans un autre? Car quand la nature de l'univers serait toujours la même, il ne s'ensuivrait pourtant pas qu'il se produisit toujours également des maux, Comme à l'égard d'un homme, de ce que la nature est toujours la même en lui, il ne s'ensuit pas qu'il soit toujours dans le même état, quant a son entendement, quant à sa raison, ou quant à ses actions. Dans un temps il n'a pas encore l'usage de la raison ; dans un autre, avec la raison, il a des vices, et de ces vices il en a tantôt plus et tantôt moins. Quelquefois il se porte à la vertu, et il y fait tantôt de grands, tantôt de petits progrès; quelquefois aussi il l'acquiert dans son plus haut degré, et cela avec plus ou moins d'étude. Il faut dire pareillement, et à plus forte raison encore, que la nature de l'univers est bien la même dans ce qui constitue son être, mais que les mêmes choses, ni des choses toutes semblables n'y arrivent pi ni riant pas toujours. Par exemple, la fertilité, les pluies ou la sécheresse n'y sont pas toujours égales. Tout de même, il n'y a pas toujours non plus une égale disette ou une égale abondance d'âmes vertueuses, et les âmes vicieuses ne s'abandonnent pas toujours au mal avec une égale fureur. Il faut nécessairement que ceux qui veulent approfondir toutes choses le plus qu'il leur est possible, étudient celle question avec soin, pour comprendre que les maux ne demeurent pas toujours au même état; mais qu'il y arrive du changement, selon que la Providence, ou conserve l'ordre établi sur la terre, ou la nettoie, soit par des déluges, soit par des embrasements. Peut-être même qu'elle ne se contente pas de nettoyer ainsi la terre; mais qu'elle nettoie le monde entier, lorsque le mal s'y étant accru lui rend ce remède nécessaire.

Il n'est pas aisé, poursuit Celse, de connaître l'origine des maux, quand on n'est pas philosophe; mais il suffit d'apprendre au commun des hommes que les maux ne viennent point de Dieu, qu'ils sont attachés à la matière et que c'est le partage des êtres mortels et corruptibles. Or les êtres mortels et corruptibles roulent toujours dans le même cercle, depuis le commencement jusqu'à la fin. Il faut nécessairement que, selon l'ordre immuable des révolutions, ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera, soit toujours la même chose. En disant qu'il n'est pas aisé de connaître l'origine des maux quand on n'est pas philosophe, Celse nous insinue qu'un philosophe la peut connaître aisément, et que, bien que ceux qui ne sont pas philosophes n'y aient pas la même facilité, néanmoins, avec un peu de peine, ils en peuvent venir à bout. Pour nous, ce que nous avons à dire là-dessus, c'est qu'il n'est pas aisé, même aux philosophes, de connaître l'origine des maux. Je ne sais même s'il ne leur est point impossible de la connaître parfaitement, à moins que Dieu, par quelque rayon de sa lumière, ne leur découvre quelle est la nature des maux, comment ils se sont formés et comment ils se détruiront. En effet, il n'y a point de doute que ce ne soit un mal de ne pas connaître Dieu ; et le plus grand de tous les maux, de ne savoir pas comment il le faut servir dans les règles de la véritable piété. Cependant il faut que, selon Celse même, il y ait quelques philosophes qui ne connaissent pas Dieu ; car c'est ce qui suit évidemment de la diversité de leurs sectes : et, selon nous, il n'est pas possible qu'aucun de ceux qui ne savent pas que c'est un mal de croire que la piété puisse subsister avec les lois établies dans la plupart des sociétés civiles; qu'aucun de ceux-là, dis-je, connaisse l'origine des maux. Nul ne la saurait connaître, qu'il ne soit instruit louchant le diable et ses anges; qu'il ne sache quel était, avant que d'être diable, celui qu'on nomme à présent ainsi ; comment il est devenu diable ; et pour quelle cause, ceux qu'on nomme ses anges, le suivirent dans sa révolte. Pour connaître l'origine des maux, il faut savoir exactement ce que c'est que les démons; il faut savoir qu'ils ne sont pas l'ouvrage de Dieu, en tant que démons, mais qu'ils le sont seulement, en tant que créatures intelligentes; il faut savoir comment ils en sont venus à ce point, que leur intelligence même soit ce qui constitue l'être de démons. S'il y a donc quelque question dans le monde qui mérite un sérieux examen et qui soit difficile à l'esprit de l'homme, c'est sans doute celle qui regarde l'origine des maux. Mais Celse, comme s'il y avait découvert quelques secrets qu'il voulût faire, pour s'accommoder à la portée du commun des hommes ; il suffit de leur apprendre, dit-il, que les maux ne viennent point de Dieu, qu'ils sont attachés à la matière, et que c'est le partage des êtres mortels et corruptibles. Il est certain que les maux ne viennent point de Dieu : et Jérémie même, l'un de nos prophètes, nous enseigne, Que de la bouche du Seigneur il ne tort point du bien et du mal (Lam., III, 38). Mais il n'est pas vrai, selon nous, à l'égard des êtres mortels et  corruptibles, que ce soit le commerce qu'ils ont avec la matière qui soit la cause des maux qui les environnent. C'est en son entendement que chacun de nous doit chercher la cause de ses vices, qui, avec les actions dont ils sont la source, sont nos véritables maux : el nous ne croyons pas qu'il y ait, à proprement parler, aucune autre chose qui mérite le nom de mal. J'avoue, au reste, que c'est un sujet qui demande une grande application et de très profonds raisonnements, dont ceux-là seuls sont capables, que Dieu juge dignes de celle connaissance et à qui il éclaire l'esprit par sa grâce.

Mais je ne sais pas quel avantage Celse se propose, en écrivant contre nous, d'avancer un dogme qui a besoin qu'on l'appuie de beaucoup de preuves à tout le moins apparentes, pour établir, autant que cela se peut, Que les êtres mortels et corruptibles roulent toujours dans le même cercle, depuis le commencement jusqu'à la fin; et qu'il faut nécessairement que, selon l'ordre immuable des révolutions, ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera, soit toujours la même chose. Si cela était, il n'y aurait plus de liberté dans nos actions. Car s'il faut nécessairement que, dans ce cercle où roulent les êtres mortels et corruptibles, ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera, soit toujours la même chose, selon les révolutions, dont l'ordre est immuable ; il est clair qu'il faudra nécessairement que Socrate soit toujours philosophe; qu'il soit toujours accusé d'introduire des dieux étrangers et de corrompre la jeunesse; qu'Anytus et Mélitus soient toujours délateurs contre lui, et que les juges de l'aréopage le condamnent toujours à finir sa vie en buvant la ciguë. Il faudra nécessairement tout de même, selon l'ordre immuable des révolutions, que Phalaris règne toujours en tyran, et qu'il fasse toujours mugir des hommes dans son taureau ; qu'Alexandre soit toujours aussi tyran de Phères, el qu'il y exerce toujours ses mêmes cruautés. Après quoi, je ne vois pas comment noire liberté subsistera, ni comment nous pourrons raisonnablement mériter soit du blâme, soit de la louange L'on
peut dire encore que s'il est vrai, comme Celse le suppose, Que les êtres mortels et corruptibles roulent toujours dans le même cercle, depuis le commencement jusqu'à la fin ; et qu'il faille nécessairement que, selon l'ordre immuable des révolutions, ce qui a été, ce qui est et ce qui sera, soit toujours la même chose ; il faut nécessairement aussi, selon l'ordre immuable des révolutions, que Moïse sorte toujours d'Égypte avec le peuple juif ; que Jésus vienne encore au monde faire ce qu'il y a déjà fait, non une fois, mais une infinité de fois, dans les révolutions précédentes ; que les chrétiens pareillement y reviennent à leur tour, et que Celse écrive encore le même livre qu'il a déjà écrit une infinité de fois. Pour ce qui est de Celse, il dit simplement, Que, dans le cercle où roulent les êtres mortels et corruptibles, il faut nécessairement que ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera, soit toujours la même chose, selon l'ordre immuable des révolutions : au lieu que presque tous les stoïciens disent cela, non seulement des pires mortels el corruptibles, mais aussi des êtres immortels et de leurs dieux mêmes. Car après que l'univers a passé par quelque embrasement, comme il est déjà arrivé et comme il arrivera encore une infinité de fois, toutes choses, depuis le commencement jusqu'à la fin, gardent le même ordre qu'elles ont fait et qu'elles feront. Il est vrai que les stoïciens tâchent, je ne sais comment, d'adoucir les absurdités de ce dogme, en disant que les personnes qui viennent au monde dans le cours d'une révolution, sont toutes semblables, mais semblables seulement, à celles des révolutions précédentes. De sorte que ce ne sera pas Socrate lui-même qui viendra encore au monde, mais un homme tout semblable à Socrate, qui aura une femme toute semblable à Xantippe el des délateurs tout semblables à Anytus et à Mélitus. Je ne comprends pas pourtant comment le monde, en passant par ces révolutions, demeure toujours, non tout semblable, mais le même; et que les choses qui y sont reviennent, non les mêmes, mais toutes semblables. C'est ce qui se pourra examiner plus commodément ailleurs, par rapport tant à ce que dit Celse, qu'à ce que disent les stoïciens. Car pour cette heure, ni le temps, ni noire dessein, ne permettent pas que nous nous y arrêtions davantage.

A l'égard de ce que Celse ajoute, que l'empire du monde n'a point été donné à l'homme, mais que toutes choses et se forment et se détruisent pour le bien commun de l'univers, se changeant les unes dans les autres, selon les révolutions dont il a été parlé : il serait inutile que nous nous arrêtassions aussi à le réfuter sur cela; l'ayant déjà fait, autant que nous en avons été capables. Nous l'avons réfuté encore, sur ce qu'il dit des maux auxquels les êtres mortels et corruptibles sont sujets, qu'il n'y en a jamais ni plus ni moins et sur ce qu'il dit de Dieu qu'il n'a pas besoin de corriger tout de nouveau ses ouvrages. Il ne faut pas sans doute s'imaginer que quand Dieu corrige le monde, le nettoyant par quelque déluge ou par quelque embrasement, ce soit comme un ouvrier qui aurait fait quelque ouvrage défectueux, ou mal travaillé ; mais c'est qu'il empêche que les vices qui se débordent, ne gagnent plus avant. L'on peut même dire à mon avis qu'il les abolit tout à fait, en de certains temps marqués pour cela, et quand il y va du bien de tout l'univers. Si après qu'ils ont été ainsi abolis, il y a lieu de croire qu'ils se reproduisent ou non; c'est une question qui mérite d'être traitée ailleurs, de dessein formé. Lors donc que Dieu corrige tout de nouveau ses ouvrages, il se propose d'en ôter les défauts ; car bien qu'en créant toutes choses, il n'ait rien créé que de très beau et que de très achevé, il est obligé néanmoins de se servir de quelques remèdes, pour ce qui tombe dans la maladie des vices, et même pour le monde entier qui en est comme souillé. En effet, Dieu n'a jamais négligé et il ne négligera jamais aucun de ses ouvrages. Il fait en chaque rencontre ce qu'il doit faire dans un monde changeant et variable ; et comme un laboureur se donne des occupations différentes pour la terre et pour ses fruits, selon les différentes saisons de l'année ; Dieu de même disposant, pour ainsi dire, tous les siècles comme autant d'années, fuit en chacun ce que demandent les besoins de l'univers ; car il n'y a que lui seul qui les connaisse véritablement et distinctement, comme il n'y a que lui seul aussi, qui puisse y pourvoir.

Voici encore une autre pensée de Celse, touchant les maux: il n'est pas certain que tout ce que vous prenez pour un mal, soit effectivement un mal ; car vous ne savez pas si ce n'est point une chose qui soit utile, soit pour vous, soit pour quelque autre, soit pour l'univers. Il semble que ce soit là le sentiment d'un esprit modeste et retenu : cependant, c'est supposer que le mal n'est pas une chose absolument condamnable de sa nature, puisqu'il se peut faire que ce qui passe pour mal dans quelque sujet particulier, soit utile à tout l'univers. De peur donc qu'il n'y ait quelqu'un à qui ces paroles, prises dans un mauvais sens, donnent lieu de s'abandonner  au péché, comme si les vices mêmes étaient utiles à l'univers, ou du moins qu'ils pussent l'être : nous dirons qu'encore que Dieu, laissant notre liberté en son entier, se serve des vices des méchants pour le bien et pour l'avantage de l'univers; néanmoins, les méchants sont toujours coupables. L'usage auquel Dieu les destine en celle qualité de coupables, est bien utile à tout l'univers ; mais ils n'en sont pas moins dignes d'horreur en eux-mêmes. A peu près comme si dans une ville, un criminel était condamné à faire quelque travail utile au public, l'on pourrait dire qu'il travaillerait pour le bien de la communauté, quoiqu'il fût convaincu d'un crime énorme, qu'un homme qui aurait la moindre étincelle de raison, ne voudrait pas avoir commis. Aussi apprenons-nous de S. Paul, apôtre de Jésus-Christ, que les plus grands pécheurs seront de quelque utilité à l'univers, bien que pour eux ils doivent être rejetés comme des abominables ; mais que les hommes vertueux lui seront encore plus utiles, à proportion de leur vertu, qui leur fera tenir un rang glorieux. Dans une grande maison, dit-il, on n'a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre ; et les uns sont pour des usages honnêtes, les autres pour des usages honteux : si quelqu'un donc se garde de tout ce qui est impur, il sera un vase d'honneur, sanctifié et propre au service du Seigneur, préparé pour toutes sortes de bonnes ?uvres (II Tim., 11, 20). J'ai cru qu'il était nécessaire de faire ces considérations sur ce que dit Celse : Il n'est pas certain que tout ce que vous prenez pour un mal, soit effectivement un mal; car vous ne savez pas si ce n'est point une chose qui soit utile, soit pour vous, soit pour quelque autre, soit pour l'univers : de peur que quelqu'un ne prit de là occasion de pécher, sous prétexte d'être utile à l'univers, par ses péchés mêmes.

Maintenant, puisque faute d'entendre l'Écriture, il fait des railleries de ce qu'elle parle de Dieu comme d'un homme, lui attribuant de la colère contre les impies, et des menaces contre les pécheurs, il faut dire que comme nous ne déployons pas toutes les forces de notre esprit, pour parler à de petits enfants, mais que nous nous accommodons à leur faiblesse, disant et faisant ce que nous jugeons le plus propre pour leur instruction et pour leur correction, selon la capacité de leur âge; ainsi, nous voyons que la parole (ou le Verbe) de Dieu dispense tellement tout ce qu'elle dit, qu'elle mesure l'excellence de ses leçons à la portée el à l'utilité de ceux à qui elle les adresse. C'est de celle conduite perpétuelle de Dieu, dans les voies de sa révélation, qu'il est dit dans le livre du Deutéronome : Le Seigneur votre Dieu vous a supportés dans vos m?urs et dans vos manières, comme un père supporterait son fils dans les siennes ( Deut., I, 3l). L'Écriture nous parle donc de Dieu comme s'il prenait lui-même les m?urs et les manières d'un homme pour le bien des hommes, parce qu'il ne serait pas avantageux, pour la plupart, qu'elle nous le représentât traitant avec eux selon que sa grandeur le demanderait. Mais ceux qui donnent tous leurs soins à l'intelligence des saintes Écritures y trouveront des choses qu'elles nomment spirituelles, propres pour ceux qu'elles nomment spirituels (I Cor., II, 13) ; et s'ils savent distinguer le sens qui est pour les plus simples, d'avec celui qui est pour les plus habiles, ils verront que souvent l'un et l'autre est renfermé dans un même endroit, et s'y découvre aux personnes éclairées. Lors donc que nous parlons de la colère de Dieu, nous ne voulons pas dire qu'elle soit en lui une passion, nous entendons par là une certaine conduite dont il use pour châtier plus rudement ceux qui ont commis de grands péchés. Que le propre de ce que nous nommons la colère ou la fureur de Dieu, soit de châtier d'un châtiment d'instruction, et que ce soit ainsi que l'entende l'Écriture, c'est ce qui paraît par ces paroles du psaume sixième : Seigneur, ne me reprends pas dans ta fureur et ne me châtie pas dans ta colère (Ps. VI, 1) ; et par celles- ci de Jérémie : Châtie-nous, Seigneur, mais châtie-nous avec mesure et non point en ta fureur, de peur que tu ne nous réduises à un petit nombre (Jérém., X, 24).

Il ne faut que lire ce qui est dit au second livre des Rois, que la colère de Dieu porta David à faire le dénombrement du peuple (II Rois ou II Sam., XXIV, 1), et le comparer avec ce qui est dit au premier livre des Chroniques ou Paralipomènes, que ce fut le diable qui l'y porta : il ne faut que cela, dis-je, pour connaître en quel sens on doit prendre celle colère, de laquelle S. Paul nous montre aussi que tous les hommes sont les enfants, lorsqu'il dit : Que par nature nous   étions des enfants de colère, aussi bien que les autres (Ephés., II, 3). Le même S. Paul nous apprend que la colère n'est point une passion en Dieu, mais que les hommes en attirent les effets sur eux parleurs péchés, quand il dit encore : Méprisez-vous les richesses de sa bonté, de sa tolérance et de sa longue patience : sans considérer que la bonté de Dieu vous invite à vous repentir ? Mais par votre dureté el par l'impénitence de votre c?ur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour delà colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu  (Rom., Il, 4). Car si la colère était une passion en Dieu, comment les hommes s'amasseraient-ils un trésor de colère pour le jour de la colère, et comment celle colère pourrait-elle être un châtiment d'instruction? D'ailleurs, puisque l'Écriture nous défend de nous mettre en colère, disant au psaume XXXVI : Apaisez votre colère, quittez les mouvements de fureur (Ps. XXXVI, ou XXXVII, 8) : et dans S. Paul, vous aussi, quittez maintenant tous ces péchés, la colère, l'aigreur, la malice, la médisance, les paroles déshonnêtes (Col., III,8). y a-t-il la moindre apparence qu'elle attribuât à Dieu une passion qu'elle nous interdit absolument ? Il paraît encore que la colère de Dieu n'est qu'une colère métaphorique, de ce que l'Écriture lui attribue aussi un sommeil. D'où vient que le prophète lui dit, comme pour le réveiller: Lève-toi Seigneur, pourquoi dors-tu (Ps. MXLIII ou XLIV, 24) et qu'il est dit en un autre lieu, alors le Seigneur se réveilla comme d'un long sommeil, comme un homme fort, qui s'éveille après son ivresse (Ps. LXXVII ou LXXVIII, 65). S'il faut donc entendre le sommeil dans un autre sens que celui que la lettre présente d'abord, pourquoi n'entendre pas la colère de la même sorte ? Pour ce qui est des menaces, ce sont de simples déclarations de ce qui doit arriver aux méchants ; comme qui nommerait des menaces, ces paroles d'un médecin à son malade : j'emploierai le fer el le feu si vous ne me voulez croire, si vous n'observez ce régime, si vous ne vous gouvernez de telle ou de telle façon. Ainsi, nous n'attribuons point à Dieu des passions humaines, et nous n'avons point de lui des sentiments impies. Nous n'errons point lorsque nous prenons ces choses en un sens que nous lirons de divers passages de l'Écriture même, comparés ensemble : el tout ce que se proposent parmi nous ceux qui enseignent publiquement avec les lumières nécessaires pour cela, c'est de dissiper autant qu'ils peuvent, l'ignorance de leurs auditeurs et de les rendre sages et prudents.

Celse ajoute, par une suite de sa même erreur, sur le sujet de la colère que nos Écritures attribuent à Dieu ; N'est-il pas ridicule qu'un homme irrité contre let Juifs . les ait tout détruits, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, qu'il ait prit leur ville, les ait réduits à rien, et que tout l'effet de la colère, de la fureur et des menaces au grand Dieu, comme ils parlent, soit qu'il envoie son Fils au monde ou il souffre toutes sortes d'indignités? Mats si les Juifs, après avoir eu l'audace de traiter Jésus comme ils ont fait, ont été détruits depuis le plus petit jusqu'au plus grand, et si leur ville a été prise, ce n'est point par l'effet d'une autre colère que de celle qu'ils s'étaient amassée comme on s'amasse un trésor. Les jugements de Dieu qu'il a fait tomber sur eux, par la conduite de sa Providence, étant nommés sa colère, par une façon de parler hébraïque, ce qu'a souffert le Fils du grand Dieu, il l'a souffert volontairement pour le salut des hommes, comme nous l'avons montré ci-dessus autant que nous en avons été capables. Laissons là les Juifs, poursuit-il, car ce n'est pas d'eux seulement que je veux parler, c'est de toute la nature comme je l'ai promis ; je vais donc mettre cette matière dans un plus grand jour. Où est l'homme un peu raisonnable et justement convaincu de la faiblesse humaine, qui disant cela ne soit choqué de la vanité de Celse qui, avec la même témérité qu'il a fait paraître dans l'inscription de son livre, promet de nous rendre raison de ce qui se passe dans toute la nature? Voyons donc quelles sont ces choses qu'il a dessein de nous dire de toute la nature, el quel est ce grand jour où il se vante de les mettre. Il s'étend en de longues accusations contre nous, sur ce que nous disons que Dieu a fait tout pour l'homme, et il prétend prouver par l'histoire des animaux el par les divers traits de subtilité et d'adresse que nous remarquons en eux, que toutes choses n'ont pas plus été faites pour l'homme que pour les animaux sans raison. En quoi il me semble qu'il fait quelque chose d'approchant de ce que font ceux qui, dans leur emportement, accusent une personne qu'ils haïssent de ce que l'on loue dans leurs meilleurs amis; car comme la haine qui aveugle ces gens-là, les empêche de voir qu'en pensant faire des reproches à leur» ennemis, ils outragent les plus chers amis qu'ils aient, tout de même Celse dans le désordre de son raisonnement, ne prend pas garde que ce qu'il dit contre nous, retombe sur les stoïciens qui soutiennent avec beaucoup de force que l'homme, et en général tout ce qui a de l'intelligence, est au-dessus de tout ce qui n'en a point; que c'est pour ces natures intelligentes que la Providence, dans son premier dessein, a fait toutes choses, et qu'ainsi dans ses vues, elles sont comme l'enfant formé dans le sein de sa mère; mais que les êtres privés de raison, et les inanimés sont comme les enveloppes qui se forment avec l'enfant et en faveur de l'enfant. Je puis dire encore
que, comme dans une ville, ceux qui ont  inspection sur ce qui se vend au marché, ne songent en cela qu'à ce qui regarde les hommes, mais que cependant les chiens et d'autres animaux sans raison ne laissent pas de se sentir de l'abondance publique; ainsi les premiers et les principaux soins de la Providence sont pour les êtres intelligents ; mais que par une suite nécessaire, les êtres d'un autre ordre jouissent aussi de ce qui avait été fait pour l'homme. Et s'il faut avouer que l'on aurait tort de dire que les magistrats ne songent pas moins aux chiens qu'aux hommes, sous ombre que les chiens profitent de la prévoyance des magistrats, Celse et ceux qui sont dans son sentiment doivent à bien plus forte raison passer pour des impies qui reconnaissent mal les soins que Dieu prend des créatures raisonnables, lorsqu'ils disent : Pourquoi veut-on que ces choses soient plutôt destinées pour préparer la nourriture des hommes, que pour préparer celle des plantes, des arbres, des herbes et des épines ? Premièrement Celse ne croit pas que Dieu soit l'auteur du tonnerre, des éclairs et de la pluie, en quoi il se déclare déjà plus ouvertement pour la doctrine d'Epicure ; secondement il dit : Que quand on accorderait que Dieu en soit l'auteur, ces choses ne seraient pas plutôt destinées pour préparer la nourriture des hommes, que pour préparer celle des plantes, des arbres, des herbes et des épines. Il veut donc comme un véritable épicurien, que ces choses arrivent fortuitement, et non par la conduite de la Providence ; car si elles ne sont pas plus pour noire bien que pour celui des plantes, des arbres, des herbes et des épines, il est clair que la Providence ne s'en mêle point, ou que c'est une Providence qui ne prend pas plus de soin de nous que des arbres, des herbes et des épines. Or l'un et l'autre est manifestement impie; et ce serait folie de nous défendre contre un homme qui ne nous accuse d'impiété qu'en posant de telles maximes : chacun voit assez par ce qui a été dit, de quel côté est l'impiété. Il ajoute encore : Si l'on dit que tout cela pousse pour les hommes (savoir les plantes, les arbres, les herbes et les épines), pourquoi veut-on qu'il pousse plutôt pour les hommes que pour les plus sauvages de tous les animaux sans raison? Que Celse dise donc nettement que cette merveilleuse diversité qui se voit dans ce qui germe de la terre, n'est point l'ouvrage de la Providence, mais que la rencontre fortuite des atomes a produit toutes ces différentes qualités ; que c'est, dis-je, par un effet du hasard que tant d'espèces de plantes, d'arbres et d'herbes se ressemblent, mais ne se confondent point; et non qu'ayant une intelligence pour principe de leur être, elles en aient été ainsi disposées avec un art qui passe toute admiration. Pour nous, qui en qualité de chrétiens sommes consacrés à Dieu le seul créateur de ces choses, nous lui en rendons grâces de ce qu'en les créant, il a enrichi de tant de biens le lieu où il nous a mis, et qu'à cause de nous, il a voulu étendre ses soins jusque sur les animaux qui nous servent. Il produit le foin pour les bêtes, et l'herbe pour le service de l'homme, afin de tirer le pain de ta terre, et que le vin ne jouisse le c?ur de l'homme, que l'huile lui embellisse le visage, et que le pain lui fortifie le c?ur ( Ps. CIII, 14, 15 ). S'il apprête aussi de quoi nourrir les animaux les plus sauvages, il ne s'en faut pas étonner ; car il y a eu même des philosophes qui n'étaient pas d'entre nous, qui ont dit que ces animaux ont été faits pour servir d'exercice à l'homme, et l'un de nos sages parle ainsi quelque part : Ne dites point. Pourquoi ceci . car tout ce qui a été créé, à son usage : ou, A quoi bon cela? car chaque chose trouvera son temps ( Ecclésiastiq., XXXIX, 22, 26 ).

Celse voulant montrer ensuite, touchant ce qui germe de la terre, que la Providence ne l'a pas fait plutôt pour nous, que pour les animaux les plus sauvages ; avec tout notre travail et toutes nos sueurs, dit-il, nous avons bien de la peine à nous nourrir : mais eux, ils n'ont que faire de semer, ni de labourer; toutes choses leur naissent d'elles-mêmes. Il ne voit pas qu'afin que l'homme exerçât continuellement son esprit, qui autrement serait demeuré oisif et sans aucune connaissance des arts, Dieu a voulu le faire indigent; car c'est cette indigence, qui l'a contraint de les inventer, les uns pour se nourrir, les autres pour se couvrir. Et il valait mieux en effet, pour ceux qui ne s'appliqueraient ni à l'étude des mystères divins, ni à celle de la philosophie, qu'ils fussent dans l'indigence, afin qu'ils s'exerçassent l'esprit à inventer les arts ; que si, ayant abondance de toutes choses, ils eussent entièrement négligé de le cultiver. Ainsi, la disette des choses nécessaires pour la vie a produit, non seulement des laboureurs, des vignerons et des jardiniers; mais de plus encore, des charpentiers et des forgerons dont l'industrie fournit des instruments aux arts qui nous donnent de quoi vivre. D'un autre côté, le besoin de se couvrir a fait les tisserands, les cardeurs et ceux qui filent : il a fait pareillement les maçons qui ont trouvé par degré les règles de l'architecture. Enfin on a aussi inventé l'art de la navigation, pour porter d'un pays dans un autre les choses dont on manqué en de certains lieux. De sorte qu'en cela même, il y a de quoi admirer la Providence; el on peut compter pour un avantage de l'homme sur les autres animaux, de ce qu'elle l'a fait indigent ; car c'est parce que les autres animaux ne sont pas propres aux arts, qu'ils trouvent leur nourriture toute prête et qu'ils ont d'ailleurs une couverture naturelle ; les uns de poil, les autres de plumes, et les autres d'écaillés ou de coquilles. Ce qui servira de réponse à ce que dit Celse : Avec tout notre Irai ail et toutes nos sueurs, nous avons bien de la peine à nous nourrir ; mais eux ils n'ont que faire de semer ni de labourer, toutes choses leur naissent d'elles-mêmes.

Après cela comme s'il avait oublié que son dessein est de combattre les Juifs et les chrétiens, il s'objecte un vers d'Euripide qui est contraire à son sentiment, et il en attaque la pensée de toute sa force, la voulant faire passer pour une pensée peu raisonnable. Voici ses paroles. Si l'on m'allègue ce vers d'Euripide:

Le soleil et la nuit sont faits pour servir l'homme :

(Phéniciennes v. 549)

pourquoi sont-ils plutôt faits pour nous, que pour les fourmis et pour let mouches? Car la nuit leur sert comme à nous pour se reposer, et la lumière du soleil pour voir et pour travailler. Il est donc clair que ce ne sont pas seulement quelques Juifs et quelques chrétiens qui ont dit que le soleil el les autres corps célestes sont faits pour le service de l'homme ; mais que le Philosophe du théâtre, comme il y en a qui l'appellent, l'a dit aussi bien qu'eux, lui qui avait étudié la physique sous Anaxagore. Par l'homme pour le service duquel il dit que ces choses ont été faites, il entend tous les êtres intelligents ; comme par le soleil et par la nuit, il entend tout ce que l'univers renferme. C'est (Grec : par synecdoche) une figure qui met la partie pour le tout. Peut être aussi que par le soleil qui est la cause du jour, ce poète entend le jour même : pour nous montrer que les choses sublunaires sont celles qui ont le plus de besoin du jour et de la nuit; et que les autres s'en peuvent plus aisément passer que celles qui sont sur la terre. Ainsi,

Et le jour et la nuit sont dits pour servir l'homme;

parce que l'homme est une créature raisonnable. Si les fourmis et les mouches, travaillant le jour, et se reposant la nuit, jouissent avec l'homme de ce qui a été fait pour lui, il ne faut pas dire pour cela que le jour et la nuit aient été faits pour les fourmis et pour les mouches, ni que la Providence en les faisant, ait eu en vue quelque autre que l'homme. Celse continue en ces termes, comme pour répondre à la prétention des hommes, qui disent que c'est pour eux que les animaux sans raison ont été créés : Si l'on dit que nous sommes les rois des animaux, parce que nous les prenons à la chasse, et que nous en faisons nos repas ; pourquoi ne sera-ce pas plutôt nous qui serions faits pour eux, puisqu'ils nous prennent aussi et qu'ils nous mangent et surtout si l'on considère que pour les prendre nous avons besoin d'armes et de filets, de l'aide de plusieurs hommes et du secours des chiens : au lieu que pour eux ils sont armés par les mains de la nature, qui fait qu'ils sont toujours en état de nous surmonter facilement, sans qu'il faille qu'ils en cherchent les moyens hors d'eux-mêmes. Vous voyez par là comment l'intelligence et la raison nous ont été données, pour nous être des armes beaucoup meilleures que toutes celles que les bêtes semblent avoir. En effet, parmi les animaux il n'y en a point dont nous ne nous rendions les maîtres par notre intelligence ; quoiqu'à l'égard du corps il y en ait de beaucoup plus forts que nous, et que nous soyons infiniment plus petits que d'autres : comme cela paraît par les éléphants, que leur immense grandeur ne nous empêche pas de prendre. Nous nous assujettissons par la douceur ceux qui se trouvent capables d'être apprivoisés : et pour les autres qui ne se peuvent apprivoiser, ou que nous ne voyons pas qui nous pussent être d'aucun usage, quelque apprivoisés qu'ils fussent; nous nous précautionnons tellement contre eux, que nous les tenons sûrement renfermes tant qu'il nous plaît; et que quand nous voulons les faire servir à notre nourriture, nous les tuons avec la même facilité que les animaux domestiques. Le Créateur a donc fait que l'homme par une suite naturelle de sa raison, est le roi de tous les animaux. Les uns nous servent à une chose, et les autres à une autre. Les chiens nous servent, par exemple pour garder nos troupeaux ou nos maisons : les b?ufs, pour labourer nos terres : les bêtes de charge, pour porter nos fardeaux. Il faut dire aussi que les lions, les ours, les léopards, les sangliers et les autres bêtes farouches nous ont été donnés pour exciter les semences de courage qui sont en nous.

Celse s'adresse ensuite aux hommes en général, qui sentent bien eux-mêmes combien ils sont élevés au-dessus des animaux sans raison. Vous voulez, dit-il, que Dieu vous ait donné le pouvoir de prendre et de tuer les bêtes farouches. Mais avant que les hommes eussent fait société entr'eux, qu'ils eussent bâti des villes et inventé les arts, qu'ils eussent appris à se servir d'armes et de rets, il y a beaucoup d'apparence que c'étaient les hommes que les bêtes ravissaient et dévoraient, mais qu'eux ne prenaient guère de bêtes. Voyez encore que quoique les hommes prennent les bêtes et que les bêtes ravissent les hommes, il y a pourtant bien de la différence entre les hommes, à qui leur intelligence et leur raison donnent le dessus, et les bêtes à qui leur férocité et leur rage le donnent, quand on ne se sert pas de sa raison pour se garantir de leur fureur. Lorsqu'il dit : Avant que les hommes eussent fait société entre eux, qu'ils eussent bâti des villes et inventé les arts ; il ne se souvient pas sans doute de ce qu'il a déjà dit ailleurs : Que le monde est incréé et incorruptible, qu'il n'y a que les choses qui sont sur la terre qui soient sujettes aux déluges et aux embrasements, et qu'elles n'y sont pas même sujettes toutes à la fois. Comme donc ceux qui font le monde incréé ne sauraient marquer le temps de son origine, ils ne sauraient marquer aucun temps non plus où il n'y eût point de villes, et où les arts ne fussent pas encore inventés. Mais je veux qu'il parle de la sorte par concession, par rapport à nos sentiments plutôt qu'aux siens, tels qu'il les a posés ci-dessus : comment en conclura-t- il, qu'au commencement les hommes étaient ravis et dévorés par les bêtes, et que les bêtes n'étaient point prises par les hommes? Car si Dieu a créé le monde et qu'il le conduise par sa providence, il faut nécessairement que les premiers hommes en qui tout le genre humain était encore comme dans sa source, fussent sous la garde et sons la protection de quelques êtres plus puissants; qu'en ce temps-la, dis-je, les hommes eussent une étroite communication avec la Divinité. Et c'est ce qui a fait dire à Hésiode;

Alors, hommes et dieux, assis à la même table.
Confondaient leurs plaisirs el partageaient leurs soins.

Les divins écrits de Moïse nous apprennent aussi que les premiers hommes recevaient des avertissements par des voix célestes et par des oracles, et qu'ils voyaient quelquefois des anges de Dieu, qui les vouaient trouver de sa part; car il fallait bien que, dans ces commencements du monde, la nature humaine fût puissamment secourue, jusqu'à ce que les hommes, ayant fortifié leur intelligence et ayant fait des progrès dans les sciences et dans les arts, ils fussent en état de se conserver eux-mêmes, et de se passer de la direction et de l'assistance de ces ministres de Dieu qui se présentaient à eux, par son ordre, d'une façon extraordinaire. D'où il paraît qu'il est faux qu'on doive croire qu'au commencement c'étaient les hommes que les bêtes ravissaient et dévoraient, mais qu'eux ne prenaient guère de bêtes, et qu'il est faux encore de dire, comme fait Celse, de sorte qu'à en juger par là, ce sont plutôt les bêtes à qui Dieu a assujetti les hommes. Dieu n'a point assujetti les hommes aux bêtes; au contraire, il a fait que les hommes s'en pussent rendre les maîtres, par leur intelligence et par les arts qu'elle a inventés. Car ce n'est point sans une conduite particulière de. Dieu que les hommes ont trouvé le moyen de se défendre des bêtes farouches et même de se les soumettre.

Mais notre brave adversaire ne voit pas combien de philosophes qui admettent la Providence, et qui disent qu'elle a fait toutes choses pour les êtres intelligents, peuvent se plaindre qu'il renverse (autant qu'il le peut) des dogmes de grande utilité, en voulant renverser la doctrine des chrétiens, qui s'accorde en cela avec la philosophie, ni combien c'est une pensée nuisible à la piété que Dieu ne mette point de différence entre l'homme et les fourmis ou les abeilles ; il ne voit pas tout cela lorsqu'il ajoute : Si l'on prétend que les hommes aient de l'avantage sur les autres animaux, en ce qu'ils bâtissent des villes, qu'ils font des lois, qu'ils ont des magistrats et des commandants, cela n'y fait rien; car il en est de même des fourmis et des abeilles. Les abeilles ont leur roi, et il y en a parmi elles qui commandent et d'autres qui obéissent; elles font la guerre, elles gagnent des batailles, elles usent du droit des vainqueurs, elles ont des villes et des faubourgs, elles travaillent et et se reposent tour à tour, elles exercent la justice contre les lâches et les fainéants elles chassent et elles maltraitent les frelons.. .. Il ne verra donc jamais la différence qu'il y a entre ce qui se fait par les lumières de la raison, et ce qui se fait par un mouvement aveugle de la nature et par la simple disposition des organes. A l'égard de ces actions des animaux, il n'en faut point chercher la cause dans quelque raison qui soit en eux ; car ils n'en ont point: le Fils de Dieu, qui est la raison originelle, et qui est aussi le roi de l'univers, a fait que ces mouvements de la nature, tout aveugles qu'ils sont, guident et dirigent les animaux à qui la raison n'a pas été accordée. Mais à l'égard des hommes, ils bâtissent des villes par leur industrie, et ils font divers règlements pour les maintenir. Les noms qui marquent entre eux de l'ordre, de la supériorité et de la prééminence, ces noms ne conviennent, à proprement parler, qu'aux facultés et aux habitudes vertueuses qui agissent conformément à leur nature ; mais, par abus, on les donne à ce qui s'est fait dans la société, sur cet exemple, qu'on y a imité autant qu'on a pu. Car c'est ce qu'avaient devant les yeux les premiers fondateurs des républiques bien ordonnées, lorsqu'ils ont sagement établi les lois, des magistrats et des commandants. On ne voit rien de pareil parmi les animaux sans raison, quoique Celse applique aux fourmis et aux abeilles ces noms de villes, de lois, de magistrats et de commandants, qui marquent de la raison et qui n'appartiennent qu'aux choses qui en dépendent. Il ne faut donc pas louer ce que font les fourmis el les abeilles,, puisqu'elles le font sans raisonnement ; mais il faut admirer la Divinité qui a mis des rayons et des images de raison jusque dans les animaux qui n'en ont point. Ce qu'elle a peut-être fait à dessein de faire honte aux nommes, afin que, considérant les fourmis, ils devinssent plus laborieux et plus ménagers, où ils le doivent être, et que les abeilles leur apprissent à obéir aux puissances supérieures et à porter leur part des travaux qui sont nécessaires pour le bien et pour la conservation de la communauté. Peut-être encore que ces images de guerres, qui se voient parmi les abeilles sont pour montrer aux hommes comment il faut qu'ils en fassent do justes et de bien réglées, si la nécessité les contraint d'en faire. Elles n'ont ni villes ni faubourgs; mais les compartiments ( Gr. Hexagones) si réguliers de leurs ruches, l'assiduité de leur travail, et le repos qu'elles prennent tour à tour, toutes ces choses n'ont d'autre but que le bien de l'homme qui se sert diversement du miel, tantôt comme d'un remède très utile, tantôt comme d'un aliment très pur. Il ne faut point comparer non plus le traitement que les abeilles font aux frelons avec la justice qu'on exerce dans les villes, contre les lâches et les mauvais citoyens, ni avec la punition qu'on en fait; mais il faut admirer en cela la Divinité, comme je l'ai déjà dit, et il faut aussi donner à l'homme la louange qu'il mérite, pour avoir pu embrasser la connaissance de tant de choses, et même les gouverner toutes comme ministre delà Providence, en telle sorte qu'aux ?uvres de la Providence divine il joint les soins de la prévoyance humaine.

Celse, après avoir ainsi parlé des abeilles, pour abaisser non seulement les chrétiens, mais même tous les hommes, en rabaissant de tout son pouvoir nos villes, nos lois, notre police, nos magistratures et nos guerres pour la patrie, fait ensuite l'éloge des fourmis, afin de montrer, par les belles paroles qu'il y emploie, que les hommes, dans tout ce que l'économie leur fait faire pour leur subsistance, ne font rien que les fourmis ne fassent comme eux, et que nous ne devons point nous glorifier de notre prévoyance contre l'hiver, puisqu'elle n'a aucun avantage sur ce qu'il nomme aussi prévoyance dans ces animaux sans raison. Y a-t-il d'homme simple et incapable de pénétrer la nature de chaque chose, que Celse ne détourne, autant qu'il lui est possible, de tendre la main à ceux qui sont trop chargés, et de leur aider à porter leurs fardeaux, lorsqu'il dit des fourmis, qu'elles soulagent leurs compagnes, quand elles les voient qui succombent sous le faix? Car un homme grossier et mal instruit ne manquera pas de dire: Puisqu'il n'y a point de différence entre nous et des fourmis, lorsque nous protons notre secours à ceux qui sont accablés sous quelque fardeau trop pesant, à quoi bon nous fatiguer en vain? Pour ce qui est des fourmis, comme elles n'ont point de connaissance, elles ne peuvent tirer vanité de ce qu'on les compare aux hommes en ce qu'elles font ; mais pour les hommes, il ne tient pas à Celse, ni à ses raisonnements, qu'ils n'en souffrent du préjudice : car, ayant de la raison, ils sont capables de sentir le mépris qu'il fait des devoirs mutuels qu'ils se rendent. Ainsi, en voulant détourner du christianisme ceux qui liront son écrit, il détourne, sans y penser, ceux mêmes qui ne sont pas chrétiens, d'avoir pitié d'une personne trop chargée. Mais un philosophe comme lui, qui devait connaître les devoirs de l'humanité, était obligé, pour ne les pas détruire avec le christianisme, de contribuer lui-même, autant qu'il pourrait, à établir ce que les maximes des chrétiens ont d'utile et d'avantageux pour les autres hommes. Si les fourmis, quand elles serrent des grains, en rongent le germe, afin que, n'étant plus sujets à pousser, ils se puissent conserver toute une année, pour leur servir de nourriture, il ne se faut pas imaginer qu'elles le fassent par raisonnement. C'est que la nature, comme une bonne mère, a pris un tel soin de tout, jusqu'aux êtres mêmes qui n'ont point d'intelligence, qu'elle n'en a pas laissé le moindre où elle n'ait mis quelque trace de la sienne. Mais peut-être que Celse, qui prend souvent plaisir à faire le platonicien, veut nous insinuer par là que toutes les âmes sont semblables, et que celle de l'homme ne diffère en rien de celles des abeilles et des fourmis ; ce qui est le sentiment de ceux qui font descendre l'âme du plus haut du ciel dans le corps non seulement de l'homme, mais aussi des autres animaux. Les chrétiens sont bien éloignés d'agir une pareille pensée, eux qui ont appris que l'âme humaine a été formée à l'image de Dieu, et qui voient qu'il est impossible qu'une nature formée à l'image de Dieu perde entièrement tous ses traits pour en prendre d'autres, dans les bêtes, formés à je ne sais quelle autre image.

Sur ce qu'il ajoute, Que quand les fourmis meurent, elles sont portées par les autres dans un lieu destiné pour cela, et mises ainsi dans les tombeaux de leurs pères : il lui faut répondre que plus il donne d'éloges aux animaux privés de raison, plus il élève malgré qu'il en ait, les ouvrages de cette première Intelligence, de cette raison originelle qui a tout su si bien disposer ; et plus encore, il fait de quoi l'esprit humain est capable, puisqu'il peut par ses pensées donner un nouveau lustre aux avantages dont la nature a pourvu ces animaux. Car Celse ne veut pas que ce qui passe pour n'avoir point de raison dans l'esprit et dans le langage de tous les hommes, en soit effectivement privé. Il croit que les fourmis raisonnent, lui qui s'était engagé à mettre toute la nature dans son jour ; et qui ne nous promettait pas moins que la vérité, par le titre de son livre. En effet, il parle des fourmis comme si elles entraient en conversation les unes avec les autres. Lorsqu'elles se rencontrent, dit-il, elles s'entretiennent ensemble; ce qui fait quelles ne s'égarent point dans leur chemin. Elles ont donc la raison dans tous ses degrés ; elles ont naturellement les idées de certaines vérités universelles ; elles ont l'usage de la voix ; elles ont la connaissance des choses fortuites, et elles se savent exprimer. Car quand on s'entretient avec un autre, c'est par le moyen de la voix, et avec des paroles de la signification desquelles on est convenu : et souvent on parle de ces choses que l'on nomme fortuites. Or, vouloir attribuer cela aux fourmis, n'est-ce pas la chose du monde la plus ridicule? Mais il n'a point de honte dédire encore, afin que l'absurdité de ses dogmes soit connue de toute la postérité : Si quelqu'un regardait du ciel en terre, quelle différence trouverait-il, je vous prie, entre ce que nous faisons et ce que font les fourmis ou les abeilles ? Je voudrais bien lui demander si celui qui, dans sa supposition regarderait du ciel ce que font les hommes et les fourmis, verrait seulement les corps des uns et des autres, sans connaître que d'un côté il y aurait un entendement qui agirait par raison: et que de l'autre il n'y aurait qu'un principe aveugle, une imagination conduite par ; seul instinct de la nature et par la disposition des organes. Il serait contre le bon sens de vouloir que celui qui regarderait du ciel en terre, vît de si loin les corps des hommes et ceux des fourmis, et qu'il ne soupçonnât pas quelle est la nature du principe de leurs actions, et si ce principe est accompagné de raison ou s'il ne l'est pas. Mais voyant une fois la nature du ces principes, il verrait aussi la différence qui se trouve entre eux : et combien l'homme est plus excellent, non seulement que les fourmis, mais que les éléphants mêmes. Car celui qui regarderait du ciel les animaux sans raison, ne verrait en eux, quelque grands que fussent leurs corps d'autre principe de leurs actions qu'une nature irraisonnable, s'il m'est permis de parler ainsi : mais, dans les hommes, il verrait l'intelligence qui leur est commune avec les êtres divins et célestes ; et peut-être avec !e grand Dieu lui-même, d'où vient qu'il est dit, Que l'homme a été fait selon l'image de Dieu (Gen.. I, 27; Hébr.. I,3; Col.. I, 15). En effet l'image du grand Dieu, c'est l'intelligente, le Verbe qui est en Dieu.

Ensuite, comme si Celse s'efforçait de à baisser l'homme de plus en plus en lui égalant les bêtes, et qu'il ne voulût rien oublier de ce qu'on raconte d'elles de plus admirable, il dit qu'il y en a aussi qui savent les secrets de la magie : de sorte que les hommes ne s'en sauraient prévaloir comme d'un avantage qu'ils aient sur les botes. Voici de quelle manière il en parle : Si l'homme fait vanité de savoir les secrets de la magie, les serpents et les aigles en savent encore plus que lui; car ils ont plusieurs préservatifs contre les poisons et contre les maladies : et ils connaissent la vertu de certaines pierres pour la guérison de leurs petits ; desquelles les hommes font tant d'estime, que quand ils en trouvent, ils s'imaginent avoir trouvé un trésor. Premièrement, je ne sais pourquoi il donne le nom de magie à cette expérience ou à cet instinct, qui enseigne aux animaux l'usage de ces préservatifs naturels; car c'est un mot qu'on a coutume de prendre en un autre sens. Peut-être que, comme il est épicurien, il a eu dessein de donner indirectement atteinte à toutes ces sortes de secrets que débitent les magiciens, dont le nom veut dire aussi des fourbes et des imposteurs. Mais accordons-lui que les hommes, soit qu'on les appelle magiciens ou imposteurs, ou comme on voudra, fassent vanité de savoir ces secrets, comment les serpents en savent-ils encore plus qu'eux? Lorsque les serpents se servent de fenouil pour se rendre la vue plus perçante, et le corps plus souple et plus agile, ils ne le font pas par les lumières de la raison, mais par la simple disposition que la nature a mise, à cet égard seulement, dans leurs organes : au lieu que quand les hommes font la même chose, ce n'est pas comme les serpents par un mouvement aveugle de la nature, mais en partie par expérience, en partie par raisonnement, et par un raisonnement qui est quelquefois une suite de conséquences tirées selon les préceptes de l'art. Tout de même quand les aigles, ayant trouvé la pierre qu'on nomme Aétite (Pierre d'aigle), la portent dans leur nid pour la guérison de leurs petits, comment peut-on dire qu'ils en savent plus que l'homme qui joint le raisonnement à l'expérience, et la prudence au raisonnement dans la connaissance et dans l'usage d'un remède que les aigles ne doivent qu'à la nature? Je veux qu'il y ait encore d'autres préservatifs que les animaux connaissent; s'ensuit-il que ce ne soit pas la nature, mais la raison qui les leur enseigne? Si c'était la raison il n'y aurait pas dans les serpents une seule sorte de choses toujours la même, un autre dans les aigles et ainsi des autres animaux; il n'y en aurait pas même pour deux ni pour trois, dans chaque espèce : mais il y en aurait autant que dans l'homme. Puis donc que parmi les animaux, chaque espèce en particulier se porte constamment à un seul et même remède, il est évident que ce n'est point le savoir ni la raison qui les y conduit ; mais la disposition naturelle de leurs organes, qui est un effet du soin que cette première intelligence que nous avons nommée la raison originelle, a pris de leur conservation. Ce n'est pas que si je me proposais seulement de faire tête à Celse, et d'arrêter ses efforts, je ne pusse alléguer ce passage des Proverbes de Salomon : Il y a sur la terre quatre choses qui, quoique très petites, sont plus sages que les sages mêmes. Les fourmis qui n'ont point de force, et qui font leurs provisions pendant l'été ; les hérissons qui ne sont qu'un peuple faible, et qui font leurs maisons parmi les rochers; les sauterelles qui n'ont point de roi, et qui marchent comme de concert en ordre de bataille; les lézards qui se servent de leurs mains pour marcher non pour se défendre d'être pris, et qui demeurent dans les forteresses bâties pour les rois (Prov., XXX, 24, etc. ). Mais je ne veux pas me servir de ces paroles, comme s'il les fallait entendre à la lettre : au contraire j'y cherche un sens caché, comme en des énigmes, conformément au nom de Proverbes que le livre porte. Car les auteurs sacrés ont accoutumé de diviser en plusieurs espèces, les choses qui renferment un autre sens que celui qu'elles présentent d'abord : et les proverbes sont de ce nombre. De là vient que Notre-Seigneur disait, comme il nous est rapporté dans les Évangiles : Je vous ai dit cela en proverbes (il y a proprement ainsi); mais le temps vient que je ne vous parlerai plus en proverbes (Jean, XVI, 25). Ce ne sont donc pas les fourmis corporelles et sensibles qui sont plus sages que les sages mêmes, ce sont ceux que cet emblème désigne : et il faut juger des autres animaux sur le même pied. Pour Celse qui s'imagine que, dans les écrits des Juifs et des chrétiens, il n'y a qu'une simplicité grossière, et que ceux qui les expliquent allégoriquement leur font violence, il doit demeurer convaincu par ce passage, que son objection est très mal fondée et que ce qu'il dit que les serpents et les aigles en savent plus que l'homme, ne fait rien contre nous.

Après cela, voulant montrer bien au long que les hommes, sous ombre qu'ils connaissent la Divinité, ne doivent point prétendre l'emporter par là sur tous les êtres mortels, puisqu'il y a des animaux sans raison qui en ont une idée pure et distincte, pendant que les plus subtils, soit d'entre les Grecs, soit d'entre les Barbares, ont partout tant de disputes à son occasion, il ajoute : Si l'on prétend élever l'homme au-dessus des autres animaux, parce qu'il est capable de connaître la Divinité et d'en recevoir l'idée et l'impression, qu'on sache qu'il y en a plusieurs parmi eux qui se peuvent attribuer le même avantage, et non sans fondement : car qu'y a t-il de plus divin que de prévoir et de prédire l'avenir? Or les autres animaux, et les oiseaux surtout, sont en cela les maîtres des hommes, et l'art de nos devins ne consiste qu'à entendre ce que ces animaux leur enseignent. Les oiseaux donc et les autres animaux propres à la divination auxquels Dieu découvre l'avenir, nous le montrent par des signes et par des symboles, ce qui est une preuve qu'ils ont naturellement plus de commerce et un commerce plus étroit avec la Divinité que nous n'en avons ; qu'ils nous passent en savoir et qu'ils sont plus chers à Dieu que nous. Les hommes les plus éclairés disent aussi que ces animaux communiquent ensemble d'une manière bien plus sainte et plus noble que nous ne faisons, et que, pour eux, ils entendent leur langage, comme ils le justifient, lorsqu'après nous avoir avertis que les oiseaux disent qu'ils iront en tel lieu et qu'ils y feront telle chose, ils nous les montrent qui y vont, et qui la font en effet. A l'égard des éléphants encore, il n'y a rien qui paraisse plus religieux pour les serments, ni qui garde à Dieu une fidélité plus inviolable : ce qui ne saurait venir d'ailleurs, sans doute, que de ce qu'ils le connaissent. Voyez, je vous prie, combien de choses il avance là hardiment, comme si elles étaient d'une vérité reconnue, sur lesquelles, néanmoins, les philosophes ne s'accordent pas. Car elles sont en question, tant parmi les Grecs que parmi les Barbares : les uns et les autres ayant, soit inventé, soit appris de quelques démons l'art de deviner par le moyen des oiseaux, et de ces autres animaux qu'on dit qui peuvent donner la connaissance de l'avenir. Premièrement, on dispute s'il y a ou s'il n'y pas un tel art. Secondement, ceux qui avouent qu'il y en a un, ne sont pas d'accord sur la cause d'où procèdent les effets qui lui servent de fondement : les uns voulant que ce soient de certains démons, ou de certains dieux savants dans l'avenir qui produisent toute celle différence que l'on remarque dans le vol ou dans le chant des oiseaux, et dans le mouvement des animaux d'autre espèce : les autres voulant que les âmes de ces animaux soient d'un ordre plus divin, et qu'ainsi elles soient plus capables de ces lumières; ce qui est tout à fait contre l'apparence. Il fallait donc que Celse, qui se proposait de nous montrer qu'il y a dans les animaux sans raison quelque chose de plus divin que dans l'homme, et qu'ils le passent en savoir, insistât à prouver que l'art de prédire l'avenir est une chose réelle; qu'ensuite il en fît clairement voir l'innocence; qu'il réfutât solidement les raisons, tant de ceux qui soutiennent que cet art est nul, que de ceux qui prétendent que ce soient des dieux ou des démons qui impriment dans les animaux ces divers mouvements que les devins y étudient; et qu'enfin il établit sa pensée, touchant les qualités divines de l'âme des bêtes. Alors, voyant qu'il aurait traité en philosophe cette importante matière, nous aurions tâché de répondre à ses arguments. Nous aurions renversé ce qu'il dit, que les animaux sans raison passent l'homme en savoir; et nous aurions montré qu'il est faux que les idées qu'ils ont de la Divinité soient plus pures que les nôtres, et qu'ils communiquent ensemble d'une manière bien plus sainte et plus noble que nous ne faisons. Mais lui qui nous fait un crime de ce que nous croyons au grand Dieu, il voudrait que nous crussions que l'âme des oiseaux a des idées de la Divinité plus pures et plus distinctes que n'ont les hommes. Ce qui ne saurait être vrai, que les oiseaux n'aient des idées de Dieu plus distinctes que Celse n'en a. Pour Celse encore, qu'il en fût ainsi à son égard, on n'en serait pas surpris, puisqu'il juge de l'homme si désavantageusement. Mais à l'en croire, les oiseaux ont des idées plus sublimes, plus pures et plus divines non seulement que nous, je veux dire les chrétiens, ou que les Juifs qui reçoivent comme nous l'autorité des Écritures, mais que les théologiens mêmes des Grecs ; car ces théologiens étaient des hommes. Selon Celse donc, la race des oiseaux, avec ses prétendues lumières de divination, connaît beaucoup mieux la nature de la Divinité, que n'ont fait ni Phérécyde, ni Pythagore, ni Socrate. ni Platon. Ainsi, il faudrait que nous allassions à l'école des oiseaux afin que comme, dans le sentiment de Celse, ils nous enseignent l'avenir par leurs présages et par leurs augures, ils nous délivrassent aussi de tous nos doutes touchant la Divinité, en nous faisant part de ces idées si pures et si distinctes qu'ils en ont : il faudrait qu'il y allât, lui surtout qui croit qu'ils ont plus de savoir que les hommes, et qu'il se fit plutôt le disciple des oiseaux que d'aucun des philosophes de Grèce. Mais entre plusieurs raisons, nous en choisirons quelques-unes pour le convaincre et de fausseté dans son dogme, el d'ingratitude envers son Créateur. Car Celse étant dans l'honneur, puisqu'il est homme, il l'a si peu compris qu'il ne s'est pas même égalé aux oiseaux et aux autres animaux qu'il estime propres à la divination (Ps. XLVIII ou XLIX, 13, 21). Il leur a cédé le premier rang ; il s'est abaissé au-dessous d'eux plus que les Égyptiens mêmes, qui adorent les bêtes comme si c'étaient des dieux ; et il a fait tout ce qu'il a pu pour leur rendre inférieur tout le genre humain, en soutenant que les hommes ont des idées de la Divinité moins nettes et moins distinctes que celles des animaux sans raison. Il faut donc examiner avant toutes choses s'il y a ou s'il n'y a pas un art de pénétrer dans l'avenir par le moyen des oiseaux, et de ces autres animaux qu'on dit qui en peuvent donner la connaissance ; car on allègue de part et d'autre des raisons qui ne sont pas à mépriser. D'un côté, le danger qu'il y a qu'en admettant un tel art, on ne quitte les oracles divins pour consulter les oiseaux, à la honte de l'intelligence humaine ; de l'autre, la déposition claire et formelle de plusieurs témoins qui assurent que diverses personnes ont évité de grands périls en suivant les avis que les oiseaux leur avaient donnés. Mais supposons ici la réalité de cet art, afin de montrer aux plus préoccupés qu'avec tout cela l'homme est beaucoup au-dessus des animaux privés de raison, et que ceux mêmes qui servent à la divination n'ont rien qu'on lui puisse comparer. En effet, s'il y avait on eux quelque chose de divin qui leur donnât une si pleine et si abondante connaissance de l'avenir, que, par manière déparier, ils en eussent de teste pour les hommes qui voudraient en profiler, il est clair qu'ils connaîtraient beaucoup mieux ce qui les regarderait eux-mêmes, et qu'ainsi ils se donneraient bien de garde de voler dans les lieux où les hommes leur ont tendu des pièges et des filets, et où les flèches d'un chasseur les peuvent atteindre. L'aigle prévoyant les embûches des serpents qui montent dévorer ses petits ou celles des hommes qui les vont quelquefois enlever, soit pour s'en divertir, soit pour en tirer quelque usage dans la médecine, ne ferait jamais son nid en des endroits où elle y fût exposée. En un mot, aucun de ces animaux ne se laisserait prendre aux hommes, étant plus divin et plus habile qu'eux. Mais de plus encore, ces animaux de présage, les oiseaux, dis-je, et les autres animaux, se font mutuellement la guerre. S'ils avaient donc une nature et des qualités divines, comme se l'imagine Celse, qu'ils reçussent l'idée et l'impression de la Divinité, et qu'ils connussent eux-mêmes l'avenir en le faisant connaître aux autres, l'oiseau que décrit Homère ne se serait pas mis avec sa nichée, en lieu où ils pussent être mangés par le dragon; et le serpent dont il parle ailleurs, aurait bien su éviter les serres de l'aigle. Voici ce que cet incomparable poète dit du premier :

Pendant qu'au sacrifice à l'envi l'on s'apprête,
Un prodige étonnant en vient troubler la fête.
Un horrible dragon de pourpre et d'or semé,
Que Jupiter lui-même avait exprès formé.
Sortant du creux autel, au platane s'élance
Dont les épais rameaux ombrageaient l'assistance.
Au haut d'un arbre un nid renfermait huit petits,
De l'?uf à la clarté nouvellement sortis.
D'un saut il les atteint, d'un coup il les dévore :
Et vifs entre ses dents ils criaient tous encore
La mère qui le voit voltige tout autour,
Dans ses tristes regrets exprimant son amour.
Par l'aile il la saisit, replié sur lui-même.
Et sourd à tous ses cris l'engloutit la neuvième,
Enfin le même dieu qui le faisait mouvoir,
Le transforme en rocher pour marquer son pouvoir.
Des mystères divins s'augmente alors le trouble ;
Et dans nos c?urs glacés l'étonnement redouble.

(ILIADE, liv. II  vr. 50S, erc.)

Et voici ce qu'il dit de l'autre :

Les Troyens orgueilleux de se voir les plus forts,
Pour gagner le rempart redoublaient leurs efforts .
Ils y montaient déjà, quand un aigle à leur vue,
Prend l'essor sur la gauche et vu percer la nue.
Un serpent dont le dos d'un beau rouge éclatait,
Dans les serres de l'aigle encor se débattait.
Son corps à longs replis s'entortille et s'agite ;
Il se tourne, il la frappe : en vain elle s'irrite ;
D'un coup au droit du c?ur vivement il l'atteint .;
De lâcher prise alors la douleur la contraint.
Au milieu des Troyens elle jette sa proie ;
Et poussant un grand cri, son aile au vent déploie.
Tous, à l'aspect du monstre, ils frémissent d'horreur;
Et  tous de Jupiter, ils craignent la fureur.

(ILIADE, liv. XII, v. 200, etc.)

Dira-t-on que l'aigle avait la connaissance de l'avenir; et que le serpent, qui est, un des animaux que les devins observent, ne l'avait pas? Il serait aisé de faire voir; que l'on aurait tort de mettre entre eux cette différence : et il ne sera plus difficile de convaincre ceux qui voudraient dire qu'ils connaissaient tous deux l'avenir; car si le serpent l'avait connu, il se serait bien gardé de l'aigle. L'on pourrait encore produire une infinité d'autres exemples, pour prouver que ce ne sont point les animaux, qui aient en eux-mêmes une âme capable de connaître l'avenir; mais que, selon Homère, et selon la plupart des hommes, c'est Jupiter lui-même, qui les envoie; ou quelquefois Apollon qui, en de certaines rencontres,

Dépêche l'Épervier, son message fidèle.

(ODVSS., liv. XV, b. 523).

Pour nous, nous croyons que ce sont de mauvais démons qui, pour ainsi dire, sont de l'ordre des Titans et des géants, el qui, par leur impiété envers le vrai Dieu, et en vers les anges célestes, sont tombés du ciel en terre, où ils se roulent dans les ordures des corps les plus grossiers, et les plus impurs. De sorte que, n'étant pas revêtus d'un corps terrestre, ils peuvent voir quelque chose dans l'avenir: et ils en font toute leur élude pour détourner les hommes du service du vrai Dieu. Ces démons se glissant dans le corps des animaux les plus carnassiers, les plus farouches et les plus rusés, ils les poussent où il leur plaît, et comme il leur plaît; ou, agissant sur leur imagination, ils les portent à voler et à se mouvoir de telle ou telle manière, afin que les hommes, éblouis par cet art de pénétrer l'avenir, avec l'aide des animaux sans raison, ne cherchent point le grand Dieu, qui conduit et qui gouverne toutes choses, et ne se mettent point en peine du culte légitime qui lui doit être rendu; mais qu'ils tombent eux aussi, du ciel en terre, attachant leur esprit à des oiseaux et à des serpents, à des renards même et à des loups. Car ceux qui s'y entendent, ont remarqué, que c'est par ces sortes d'animaux que l'avenir se prévoit le plus clairement : les démons n'ayant pas le même pouvoir sur les animaux privés et domestiques, qu'ils ont sur d'autres, à cause de l'affinité de leurs communs vices, qui dans les bêtes ne sont pas proprement des vices, mais quelque chose qui y ressemble. Ce qui fait que je ne trouve guère rien de plus admirable, dans Moïse, que ses considérations sur la différente nature des animaux ; soit que Dieu lui eût révélé quel rapport il y a entre chacune du leurs espèces et les démons ou que sa propre méditation le lui eût appris. Car dans la distinction qu'il en fait, il met au rang des impurs tous ceux dont les égyptiens, ou les autres peuples se servent pour leurs prédictions (Lévit., XI); el il reconnaît pour purs la plupart des autres. Ainsi, le loup, le renard, le serpent, l'aigle, l'épervier el les autres semblables sont impurs selon Moïse: et pour l'ordinaire l'on voit tant dans la loi, que dans les prophètes, que les animaux de celle sorte sont mis pour représenter ce qu'il y a de plus méchant dans le monde; sans que jamais il y soit parlé de loup ou de renard en bons termes. Je crois donc que chaque espèce de démons a une certaine liaison avec chaque espèce d'animaux : et que comme entre les hommes, les uns sont plus forts que les autres, sans que cela vienne de la bonté ou de la dépravation de leurs m?urs ; tout de même il y a des démons qui ont plus de puissance que d'autres, dans les choses indifférentes ; ceux disposant d'une espèce d'animaux, et ceux-là d'une autre pour tromper les hommes par leurs présages, sous les ordres de celui que nos Écritures appellent le Prince de ce siècle (Jean, XII, 19; et II, Cor., IV, 4 }. Voyez jusqu'où va l'impureté des démons, de se servir de belettes, comme ils font quelquefois, pour prédire l'a venir: et jugez vous-même ce qu'il faut plutôt croire, ou que ce soit le grand Dieu avec son Fils, qui donne aux oiseaux, et aux autres animaux, ces mouvements significatifs ; ou que ceux qui les leur impriment, au lieu de les imprimer aux hommes mêmes, qui sont là présents, soient des mauvais démons, et comme nos saints écrits les appellent, des esprits impurs (Matth., X, 1). D'ailleurs, si l'âme des oiseaux est divine, parce que les oiseaux servent à marquer l'avenir, à plus forte raison, lorsque le présage vient d'une personne humaine, l'âme de cette personne doit passer pour divine. Ainsi, selon nos gens, la meunière qui disait dans Homère des amants de Pénélope,

Que pour eux ce repas puisse être le dernier.

(OODYSS., liv. XX, v. 116 et 19.)

avait en soi quelque chose de divin : mais le grand Ulysse, qu'Homère nous représente comme le favori de Minerve, n'avait rien de tel, puisqu'il ne fit qu'écouter, et que recevoir avec joie le présage de celle divine meunière,

Ulysse, plein de joie, accepta le présage

(Ibid., v 130)

dit le poète. Remarquez, encore, que si les oiseaux ont une âme divine et s'ils sentent l'impression de Dieu, ou des dieux, comme parle Celse, il faut aussi que les hommes, quand ils éternuent, le fassent par je ne sais quoi de divin, qui soit dans leur âme, et qui leur donne un pressentiment de l'avenir. Car il y en a plusieurs qui mettent l'éternuement au nombre des présages : témoin ce vers,

Pour seconder ces voeux, soudain il éternue,

et ce que dit Pénélope

Vois-tu pas que mon fils, qui vient d'éternuer,
Nous promet que nos maux doivent diminuer.

(Ibid. liv. 1, v. 545.)
 

Mais la véritable Divinité, pour faire connaître l'avenir, ne se sert ni des animaux sans raison, ni des hommes du commun : elle inspire des mouvements surnaturels aux âmes des hommes dont elle veut faire ses prophètes choisissant pour cela les plus saintes et les plus pures. C'est ce qui fait que, dans la loi de Moïse, j'admire, entre autres choses, cette défense : N'usez point d'augures ni d'auspices (Lévit., XIX, 26) : avec ce qui est dit ailleurs : Les nations, que le Seigneur votre Dieu va détruire de devant vous, observent les présages, et consultent les devins; mais pour vous, c'est ce que le. Seigneur votre Dieu ne  vous permet point (Deuter.. XVIII,  14.), après quoi il est ajouté : Le Seigneur votre Dieu  vous fera naître un prophète d'entre vos frères (Ibid.. 15.) Dieu voulut même qu'un de ces devins décriât son propre art, en disant par l'inspiration du Saint-Esprit : Il ne se voit point d'augures en Jacob, l'art de prédire ne s'exerce point en Israël : mais dans le temps qu'il sera besoin, ce que Dieu devra faire sera révélé à Jacob et à Israël (Nombr., XXlII, 23). Sachant donc ces choses et plusieurs autres semblables, nous voulons obéir à ce précepte mystique : Gardez votre coeur avec grand soin (Prov., IV, 23). de peur que quelque démon ne s'empare de notre entendement, ou que quelque esprit ennemi ne se rende le maître de notre imagination, pour nous la tourner à son plaisir. Nous souhaitons plutôt que Dieu fasse luire dans nos c?urs, la clarté de sa connaissance glorieuse (II Cor. IV, 6), et que son Esprit vienne imprimer les idées des choses divines, dans notre imagination. Car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu (Rom., VIII, 14). Il faut savoir au reste, que la connaissance de l'avenir n'est pas, nécessairement, une chose divine. C'est de soi-même une chose indifférente, qui peut convenir aux bons et aux méchants. Un médecin, par exemple, quoique vicieux qu'il puisse être, prévoit de certains événements, par les règles de son art. Tout de même, encore, les pilotes, quelles que soient leurs m?urs ont des signes, par l'expérience de ceux qui les ont précédés, et par leurs propres observations., pour prévoir les tempêtes el les divers changements qui arrivent en l'air. Cependant on ne dira pas, pour cela, et malgré les dérèglements de leur vie, qu'il y ait en eux quelque chose de divin. Il est donc faux de dire, comme fait Celse : Qu'y a-t-il de plus divin, que de prévoir et de prédire l'avenir? Il est faux aussi, Qu'il y ait plusieurs animaux qui se puissent attribuer l'avantage de connaître la Divinité, et d'en recevoir l'idée et l'impression. Tous ceux qui sont privés de raison ne le sauraient faire. Et il n'est pas plus vrai. Que les animaux sans raison aient un commerce étroit avec la Divinité ; car les plus habiles mêmes d'entre les hommes, s'ils demeurent dans leurs péchés, sont bien éloignés de ce commerce. Il n'est que pour ceux qui ont la véritable sagesse el la véritable piété, tels que nous croyons qu'ont été les prophètes et Moïse en particulier ; auquel. à cause de sa grande pureté, l'Écriture rend ce témoignage ; Moïse s'approchera seul de Dieu: et les autres se tiendront éloignés (Exod.. XXIV, 2).

Peut-on rien s'imaginer de plus impie que ce, que dit Celse, lui qui accuse les autres d'impiété : Que non seulement les animaux sans raison passent les hommes en savoir, mais qu'ils sont même plus chers à Dieu? Qui ne serait choqué d'entendre dire à un homme que les serpents, les renards, les loups, les aigles et les éperviers sont plus chers à Dieu que les hommes? S'ils sont plus chers à Dieu que les hommes, il s'ensuit qu'ils lui sont plus chers et que Socrate, et que Platon, et que Pythagore, et que Phérécyde et que tous ces théologiens qu'il a tant vantés il n'y a qu'un moment; de sorte qu'il y aurait lieu de faire là-dessus ce souhait pour lui : Puisque ces animaux sont plus chers à Dieu que l'homme, puissiez-vous être cher à Dieu avec eux; puissiez-vous ressembler à ceux qui, dans votre sentiment sont plus chers à Dieu que les hommes! Et il ne devrait pas le prendre en mauvaise part: car qui ne souhaiterait d'être parfaitement semblable à ce qu'il croit de plus cher à Dieu, pour être cher à Dieu lui-même? Voulant nous persuader, après cela, que les animaux sans raison communiquent ensemble d'une manière bien plus sainte et plus noble que nous ne faisons, il se couvre de l'autorité, non de quelques personnes du commun, mais des hommes les plus éclairés, c'est-à-dire, à parler proprement, les plus vertueux : car il n'y a point de méchant qui doive passer pour éclairé. Les hommes les plus éclairés disent aussi, dit-il, que ces animaux communiquent ensemble d'une manière bien plus sainte et plus noble que nous ne faisons, et que pour eux ils entendent leur langage comme ils le justifient, lorsqu'après nous avoir avertis que les oiseaux disent qu'ils iront en tel lieu et qu'ils y feront telle chose, ils nous les montrent qui y vont et qui la font en effet. Dans la vérité il n'y a jamais eu d'homme éclairé qui ail dit cela : et il n'y a point d'homme sage qui puisse croire que les animaux sans raison communiquent ensemble d'une manière bien plus sainte et plus noble que ne font les hommes. Mais, si pour bien connaître la solidité de la pensée de Celse nous voulons en examiner les conséquences, il se trouvera que. selon lui, les entretiens des animaux sans raison sont plus saints et plus nobles que les graves entretiens de Phérécyde, de Pythagore, de Socrate, de Platon et de tous les philosophes : ce qui est une chose non seulement peu vraisemblable, mais même visiblement absurde. Quand nous accorderions, au reste, qu'il y a des gens qui, entendant le confus langage des oiseaux, nous avertissent qu'ils vont en tel lieu et qu'ils y feront telle chose, nous pourrions dire que ce sont des démons qui marquent cela aux hommes par de certains signes, à dessein de les séduire et d'arracher leur c?ur à Dieu, faisant qu'ils se précipitent du ciel en terre et plus bas encore.

Je ne sais pas où il a appris que les éléphants soient religieux pour les serments, qu'ils connaissent Dieu et qu'ils lui gardent mieux la fidélité que nous. J'ai lu plusieurs choses admirables de la nature et de la docilité de ces animaux : mais je ne sache pas qu'aucun auteur ait jamais parlé de cette religion. Si ce n'est que Celse nomme ainsi  l'attachement qu'ils ont pour leur maître lorsqu'on les a une fois apprivoisés; comme si c'était un traité dont ils voulussent observer tes conditions, ce qui encore n'est pas véritable. Car il y a des exemples dans les histoires, bien qu'ils soient rares, qui font voir que des éléphants que l'on avait cru apprivoisés ont repris leur férocité contre les hommes, et qu'à cause de cela on. les a fait mourir comme n'étant plus bons à rien. Puisqu'il allègue ensuite, pour prouver à ce qu'il prétend que les cigognes ont plus de piété que les hommes, ce que l'on raconte de cet oiseau (Grec: Animal), qu'il nourrit ceux qui lui ont donné la vie, leur rendant ainsi ce qu'il en a reçu : il lui faut dire, que les cigognes ne font pas cela par la considération de leur devoir ni par les lumières de la raison, mais par la conduite de la nature qui a voulu, en disposant leurs organes de cette sorte, proposer aux hommes, dans ces animaux sans raison, un exemple de reconnaissance qui fût capable de leur faire honte s'ils étaient ingrats à leurs pères et à leurs mères. Si Celse savait quelle différence il y a entre faire ces choses par raison et les faire par un mouvement aveugle de la nature, il ne dirait pas que les cigognes ont plus de piété que les hommes. Après cela, comme s'il avait dessein de combattre pour la piété des bêles, il nous parle aussi du phénix, cet oiseau d'Arabie qui, au bout de plusieurs années, va porter en Égypte le corps de son père, renfermé dans une boule de myrrhe comme dans un tombeau, et le pose dans le lieu où est le temple du soleil. J'avoue que les histoires en parlent ainsi : mais quand ce qu'elles en disent serait vrai, ce pourrait être encore une chose purement naturelle; la Providence divine ayant voulu par cette riche abondance qu'elle déploie aux yeux des hommes, dans tant d'animaux différents et jusque dans les oiseaux, leur faire remarquer l'admirable diversité des parties dont elle a composé l'univers : elle aura donc fait cet oiseau, unique en son espèce, pour faire admirer non pas l'oiseau mais celui qui l'a créé.

Celse ajoute enfin, par forme de conclusion : il ne faut donc pas croire que ces choses-là aient été faites pour l'homme, comme elles n'ont pas été faites pour le lion, pour l'aigle ou pour le dauphin ; afin que ce monde, qui est l'ouvrage de Dieu, fût un tout par fait, dont les parties eussent ensemble une juste proportion, elles n'ont pas dû se rapporter les unes aux autres, si ce n'est dans une seconde vue, mais toutes à l'univers. C'est de l'univers que Dieu prend soin; jamais la Providence ne l'abandonne, et il ne tombe jamais dans le désordre. Dieu ne vient point se le réconcilier après un certain temps* ; les hommes n'allument point sa colère, non plus que les singes ou les rats ; et il ne leur fait point de menaces, chaque chose gardant le rang où il l'a placée. Voyons en peu de mots ce que nous avons à lui répondre là-dessus. Je crois avoir déjà démontré suffisamment que c'est pour l'homme et pour tous les êtres intelligents que toutes choses ont été faites. Si elles ont donc été faites principalement pour les êtres intelligents et raisonnables, que Celse dise, tant qu'il lui plaira, qu'elles ne l'ont pas été pour l'homme, non plus que pour le lion et pour ces autres animaux qu'il a nommés, nous lui soutiendrons toujours que ce n'est point pour le lion, pour l'aigle ou pour le dauphin que Dieu a créé toutes choses, mais qu'il lésa créées pour l'homme, qui est un animal raisonnable, afin que ce monde, qui est l'ouvrage de Dieu, fut un tout parfait, dont les parties eussent ensemble une juste proportion. Car cette pensée est belle et mérite d'être approuvée. Ce n'est pas de l'univers seulement que Dieu prend soin, comme Celse se l'imagine; il prend soin des êtres intelligents, par préférence à tout l'univers, mais il est bien vrai que jamais la Providence ne l'abandonne. Car bien qu'il y ait de ses parties qui tombent dans le désordre, à cause du péché des êtres intelligents et raisonnables, Dieu vient pourtant le rétablir et se le réconcilier après un certain temps. Les singes et les rats n'allument  point sa colère: mais il fait sentir sa justice et ses châtiments aux hommes qui ne se tiennent pas dans les bornes de la nature, et il les fait menacer de ses jugements par ses prophètes et  par le Sauveur qu'il a envoyé pour tout le genre humain. Il leur fait, dis-je, des menaces, afin que ceux qu'elles loucheront se convertissent, et que ceux qui refuseront de se rendre à ces motifs de conversion souffrent les justes supplices dont sa sagesse trouvera à propos de punir, pour le bien de l'univers, des personnes qui auront besoin d'un remède si violent et d'une correction si sévère. Mais il est temps de  finir ce quatrième livre. Dieu, par son Fils, qui est Dieu le Verbe, la sagesse, la vérité, la justice (Jean, I, 1, et XIV, 6; et I Cor., I, 30à, et tout ce que nous apprend de lui la théologie des saintes Écritures, nous veuille faire la grâce, en éclairant notre âme des lumières de sa parole, de commencer aussi le cinquième, et de l'achever heureusement pour l'utilité de ceux qui le liront.
 

& Livre 5
I. Voici déjà le cinquième livre que j'écris contre Celse. Ce n'est pas, sage Ambroise, que j'aime à parler beaucoup. Cela nous est défendu ; et il n'est pas possible de parler beaucoup sans pécher (Prov., X, 19). Mais je voudrais bien s'il se pouvait ne rien laisser sans examen, de ce que Celse dit contre les Juifs, et contre nous surtout quand il peut sembler qu'il y ait quelque couleur à ses accusations (Ephes., VI, 11). Il ne tiendrait pas à nous que nous ne fissions pénétrer nos paroles jusque dans le c?ur de chacun de ses lecteurs, pour en arracher tous les traits qui blessent ceux qui ne sont pas assez bien munis de toutes les armes de Dieu, et pour appliquer des remèdes spirituels sur les plaies que Celse y a faites par ses discours qui sont cause que ceux qui les écoutent, ne sont pas sains en la foi (Tit., II, 2). Mais il n'y a que Dieu qui puisse ainsi pénétrer invisiblement par son esprit, et par celui de Jésus-Christ dans les c?urs où il juge devoir habiter. Pour nous qui tâchons par notre voix et par nos écrits, de porter les hommes à la foi, ce que nous nous proposons, c'est de faire tous nos efforts pour acquérir le nom de ministres sans reproche qui savent bien dispenser ta parole de vérité ( II Tim., II, 15). Comme donc une des choses où nous croyons être le plus engagés, c'est de réfuter, autant qu'il nous sera possible, les raisons apparentes de Celse, en nous acquittant fidèlement de ce que vous nous avez ordonné, passons à la réfutation de ce qu'il ajoute, après ce que nous avons combattu jusqu'à celle heure. Si nous y avons bien réussi, c'est au lecteur à en juger. Dieu veille que nous n'y apportions pas nos simples pensées et nos simples paroles, dépourvues de son feu divin, sans lequel la foi de ceux, pour le bien de qui nous désirons travailler ne serait établie que sur la sagesse des hommes (I Cor., II, 5); mais qu'ayant reçu l'Esprit de Jésus-Christ, par la grâce de son Père qui seul le peut donner, et nous trouvant fortifiés parce secours dans l'intelligence de la parole divine (II Cor., X, 5), nous abattions toutes les hauteurs qui s'élèvent contre la connaissance de Dieu ( Ps. LXVII ou LXVIII, 12), et nous confondions l'orgueil de Celse, qui s'en prend à notre Jésus et à nous, à Moïse el aux prophètes. Qu'ainsi celui qui donne à ses messagers des paroles accompagnées d'une grande force pour annoncer l'Évangile (Act., IV, 33), communique la même force à notre discours, afin que ceux qui le liront en puissent remporter une foi, fondée sur la parole et sur la vertu de Dieu.

II. Voici donc ce que Celse nous donne maintenant à combattre. Vous ne devez pas croire, dit-il, s'adressant aux Juifs et aux chrétiens, que ni un Dieu, ni un Fils de Dieu soit descendu sur la terre, ni qu'il y descende jamais. Si c'est des anges que vous entendez parler, prétendez-vous que ce soient des dieux, ou quelque autre chose ? Vous dires sans doute, que c'est quelque autre chose, savoir des démons. Comme ce n'est là qu'une répétition de ce que Celse a déjà dit plusieurs fois, il n'est pas nécessaire de nous y arrêter beaucoup, y ayant suffisamment répondu. De tout ce que nous pourrions dire sur ce sujet, nous choisirons seulement quelques pensées, qui conviennent bien avec les précédentes, mais qui, à notre avis, ne sont pas absolument les mêmes : et nous ferons voir que niant en général comme il fait qu'un Dieu ou un fils de Dieu soit jamais descendu sur la terre, il renverse ce que l'on affirme communément des apparitions de Dieu, et ce qu'il a lui-même posé ci-dessus. Car s'il a raison de dire généralement, Qu'il ne faut pas croire que ni un Dieu, ni un Fils de Dieu, soit descendu sur la terre ni qu'il y descende jamais, il est certain qu'il ne faut pas croire non plus qu'il ait des dieux qui descendent du ciel en terre, pour rendre des oracles aux hommes touchant l'avenir, ou touchant les remèdes des maladies. De sorte qu'Apollon, Esculape et tous ces autres, que l'on va consulter, ne sont pas des dieux descendus du ciel : mais si ce sont des dieux, ce sont des dieux condamnés à demeurer toujours sur la terre, comme bannis du domicile des autres et privés de la liberté d'aller communiquer avec eux. Ou plutôt, ni Apollon, ni Esculape, ni aucun de ceux qu'on croit qui font de pareilles choses sur la terre, ne sont des dieux. Ce sont des démons, beaucoup inférieurs aux hommes illustres par leur vertu, puisque ceux-ci montent au plus haut du ciel après leur mort.

III. Voyez comme à mesure que Celse veut nous attaquer nous le surprenons qui se jette dans le parti d'Épicure, quoiqu'en tout son écrit il ait affecté de cacher qu'il fût épicurien. Qui que vous soyez donc qui lisez l'écrit de Celse, et qui en approuvez les maximes, il faut ou que vous niiez que Dieu vienne visiter la terre pour prendre soin de chaque homme en particulier, ou que vous reconnaissiez, si vous ne voulez pas nier cela que ce que vous aviez approuvé est faux. Si pour faire trouver véritable ce que Celse pose ici, vous niez absolument la Providence ; vous accusez de fausseté ce qu'il dit ailleurs, Qu'il y a des dieux qui ont soin des affaires du monde. Mais si vous reconnaissez la Providence sans vous arrêter à ce qu'il dit, Qu'il ne faut pas croire que ni un Dieu, ni un Fils de Dieu soit descendu sur la terre ni qu'il y descende jamais; pourquoi n'examinerez-vous pas ce que nous disons de Jésus, et ce que les prophètes en ont prédit ? Pourquoi ne l'examinerez-vous pas avec soin, pour juger qui doit plutôt passer pour un Dieu et pour un Fils de Dieu, descendu en terre ou celui qui a fait et établi de si grandes choses, ou ceux qui, avec les réponses de leurs prétendus oracles, bien loin de porter à la vertu les personnes qu'ils guérissent de quelque maladie, les détournent de ce culte religieux, tout simple et tout pur, qui est dû au Créateur de l'univers; et arrachent ainsi au seul vrai Dieu, qui se fait clairement connaître pour tel l'âme de leurs adhérents sous prétexte d'étendre la dévotion à un plus grand nombre de divinités?

IV. Après cela comme si les Juifs ou les chrétiens lui expliquant leur pensée, touchant ceux qui descendent en terre, lui avaient dit que ce sont des anges, il ajoute : Si c'est des anges que vous entendez parler ; et là-dessus, il leur demande : Prétendez-vous que ce soient des dieux ou quelque autre chose ? Ensuite, comme s'il savait leur réponse, il continue de la sorte : Vous direz sans doute que c'est quelque autre chose, savoir, des démons. Arrêtons-nous donc encore un peu ici. Nous reconnaissons que les anges sont des esprits, dont l'emploi est d'être envoyés pour servir ceux qui doivent être les héritiers du salut (Hébr., I, 14 ) : et que tantôt ils montent, pour porter les prières des hommes dans le ciel, la partie du monde la plus pure, ou même dans des lieux encore plus purs au-dessus du ciel ; tantôt ils descendent pour apporter de là, à chacun, ce que Dieu leur ordonne, selon qu'il le juge digne de ses bienfaits. Et comme nous savons que ce nom d'anges leur est donné à cause de leur emploi, nous voyons aussi, que parce que ce sont des anges divins, ils sont quelquefois nommés dieux ( Ps. I.XXXI ou LXXII,  1, etc.), dans les saintes écritures ; mais sans qu'elles disent jamais rien pour nous obliger à servir religieusement et à adorer, au lieu de Dieu, ceux qui nous servent de sa part, et qui nous apportent ses faveurs. Car toutes nos supplications, nos prières, nos demandes et nos actions de grâces, doivent s'adresser au grand Dieu, par le souverain sacrificateur, qui est au-dessus de tous les anges, le Verbe vivant et animé qui est Dieu lui-même. Nous adresserons aussi des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces au Verbe, si nous pouvons comprendre le vrai usage et l'abus de la prière.

V. Mais d'invoquer les anges, sans savoir d'eux autre chose que ce que les hommes sont capables d'en savoir, ce serait manquer de raison. Posé même que l'on eût acquis une science si admirable et si cachée, cette propre connaissance que nous aurions de leur nature et de leurs différents emplois ne nous permettrait pas d'oser adresser nos prières à d'autre qu'à ce grand Dieu, le maître et l'arbitre absolu de toutes choses par son Fils notre Sauveur qui est le Verbe, la sagesse, la vérité (Jean, I, 1 et XIV, 6 ; I Cor., I, 24), et tout ce que disent de lui les écrits, tant des prophètes de Dieu, que des apôtres de Jésus-Christ. Pour nous rendre favorables les saints anges de Dieu et pour les porter à faire tout ce que nous en pouvons attendre, il suffît que nous ayons à l'égard de Dieu une disposition pareille à la leur, selon la portée de la nature humaine, nous proposant de les imiter comme ils se proposent d'imiter Dieu, et que nous tâchions, autant qu'il nous sera possible, de nous former de son Fils, le Verbe, une idée qui ne soit point contraire à l'idée plus nette et plus distincte qu'eu ont les saints anges, mais qui en approche de jour en jour, par quelque nouveau degré de perfection et de lumière. Il faut n'avoir pas lu nos écrits sacrés, pour nous faire dire, comme si nous répondions à sa question, Que les anges qui descendent pour faire du bien aux hommes, sont quelque autre chose que des dieux, et que nous voulons sans doute, que ce soient des démons. Celse ne voit pas que ce nom de démons n'est pas un nom indifférent, comme celui d'hommes, qui est donné et aux bons et aux méchants ; ni un nom qui marque de bonnes qualités, comme celui de dieux, qui ne convient pas à de mauvais démons, à des simulacres ou à des animaux ; mais qui n'est attribué, par ceux qui sont savants dans la science de Dieu, qu'à des êtres véritablement divins et heureux. Le nom de démons est toujours appliqué à ces puissances malfaisantes et dégagées des corps grossiers, lesquelles s'occupent à séduire et à enlacer les hommes les détournant de Dieu et de ce qui est au-dessus du ciel, pour les attacher ici à des choses basses et terrestres.

VI. Voici ce qu'il ajoute, touchant les Juifs :  Il y a d'abord sujet de s'étonner que les Juifs qui servent religieusement le ciel et les anges qui y habitent, jugent indignes du même honneur le soleil, la lune et les autres astres, tant les étoiles fixes que les planètes; ce qu'il y a de plus vénérable et de plus puissant dans le ciel : comme s'il était possible que le Tout fût Dieu, et qu'il n'y eût rien de divin dans les parties ; ou qu'il fût raisonnable d'adorer avec le plus profond respect ceux qu'on prétend qui se montrent, je ne sais où, dans les ténèbres, et par les illusions de la magie, à de pauvres aveugles, à des rêveurs qui se repaissent de visions creuses; et de ne compter pour rien ces hérauts du monde supérieur qui portent des caractères si visibles de ce qu'ils sont, ces anges véritablement célestes qui font à tous les hommes des prédictions si claires et si certaines ; qui président sur la pluie et sur la chaleur; sur les nuées, sur le tonnerre adoré par les Juifs, et sur les éclairs ; sur la production des fruits et sur la naissance de toutes choses; qui leur ont fait connaître Dieu à eux-mêmes. Celse, à mon avis, tombe ici dans la confusion et dans le désordre, pour avoir écrit des choses qu'il ne savait pas ou dont il avait été mal informé; car ceux qui ont pris connaissance de la doctrine des Juifs et de la conformité qu'elle a avec celle des chrétiens, savent que les Juifs ont une loi où Dieu est introduit, disant : N'ayez point d'autres dieux que moi : Ne vous faites point d'image, ni de représentation d'aucune chose qui soit en haut dans le ciel, ni en bas sur la terre, ni dans les eaux sous la terre : Ne les adorez et ne les servez point (Exod., III, 4 et 5 ). Et que suivant celle loi ils ne servent religieusement que le grand Dieu qui a fait le ciel, comme il a fait tout le reste. Or il est clair que ceux que servent religieusement de la manière que la loi l'ordonne celui qui a fait le ciel, ne servent pas religieusement le ciel avec Dieu. Il n'y a non plus aucun de ceux qui observent la loi de Moïse qui adore les anges du ciel. Ils ne s'abstiennent pas moins d'adorer le ciel et ses anges, que d'adorer le soleil, la lune et les étoiles, qui sont l'ornement du ciel; et ils se souviennent de ce précepte : Gardez-vous que levant les yeux en haut, et voyant le soleil, et la lune, et les étoiles, et toutes les beautés du ciel, vous ne vous portiez par erreur à adorer ces choses et à les servir : c'est ce que le Seigneur votre Dieu a donné à toutes les nations pour leur partage (Deut., IV, 19).

VII. Mais Celse, supposant, comme il lui plaît, que les Juifs prennent le ciel pour Dieu, il en infère contre eux qu'il est absurde d'adorer le ciel, et de ne pas adorer le soleil, la lune et les étoiles; ce qu'ils font, dit-il, comme s'il était possible que le Tout fut Dieu, et qu'il n'y eût rien de divin dans les parties. Je crois que par le tout il entend le ciel, et par les parties, le soleil, la lune et les étoiles Il est assez évident que le ciel ne passe pas pour Dieu, ni parmi les Juifs, ni parmi les chrétiens ; mais accordons lui, puisqu'il le veut, que les Juifs prennent le ciel pour Dieu. Accordons-lui encore que le soleil, la lune et les étoiles soient des parties du ciel : bien que cela ne soit pas nécessairement véritable, puisque les animaux et les plantes qui sont sur la terre ne sont pas des parties de la terre. Comment nous prouvera-il que, selon les Grecs mêmes, si un tout est Dieu, il faut qu'il y ait aussi de la divinité dans ses parties? Chacun sait que, parmi les stoïciens, tout l'univers passe pour Dieu, et pour le premier des dieux ; parmi quelques platoniciens pour le second ; et parmi d'autres pour le troisième Dirons-nous que, selon eux, puisque tout l'univers est Dieu, ses parties ont aussi de la divinité ; de sorte que, non seulement les hommes, mais encore les animaux sans raison qui sont des parties de l'univers, et les plantes mêmes soient des êtres divins? Et comme les fleuves, les mers el les montagnes sont pareillement des parties de l'univers, faudra-t-il croire que, si tout l'univers est Dieu, les fleuves et les mers soient aussi des dieux? Les Grecs n'en demeureront pas d'accord ; ils diront que, soit ces démons, soit ces divinités, comme ils parlent, qui président sur les fleuves et sur les mers, que ce sont ceux-là qui sont des dieux. Ainsi, la proposition universelle de Celse: Que si un Toul est Dieu, il faut qu'il y ait aussi de la divinité dans ses parties, se trouve fausse, selon les Grecs mêmes qui admettent la Providence. Il s'ensuivrait encore, de là, que si l'univers est Dieu, il n'y aurait rien dans l'univers qui ne fût divin, étant du nombre de ses parties. De sorte que tous les animaux, les mouches, les moucherons, les vers, les serpents, de quelque espèce qu'ils puissent être, seraient des êtres divins, aussi bien que les oiseaux et les poissons. Ce que ne voudraient pas dire ceux mêmes qui disent que l'univers est Dieu. Pour les Juifs qui se conforment aux préceptes de la loi de Moïse, quand ils ne sauraient trouver l'explication d'aucune des choses qui y sont dites obscurément et qui renferment quelque sens caché, ils n'attribueraient pas pour cela la divinité, ni au ciel, ni aux anges.

VIII. Mais puisque nous avons dit que Celse tombe dans la confusion et dans le désordre pour avoir été mal informé, lâchons d'éclaircir les choses autant que nous pourrons, et faisons voir que tant s'en faut que ce soit une pratique autorisée par les lois des Juifs d'adorer le ciel et ses anges, comme il se l'imagine ; qu'au contraire, c'en est une qui ne les viole pas moins, que d'adorer le soleil, la lune, les étoiles et les simulacres (Jér.. VII, 18, et XIX, 13). On trouve entre autres dans le prophète Jérémie, que Dieu se plaint, par lui, du peuple juif, qu'il adorait ces choses, et qu'il offrait des sacrifices à la reine des cieux et à toute leur armée. Cela paraît encore par les écrits des chrétiens, qui reprochent aux Juifs leurs péchés, des péchés, dis-je, de celle espère ; et qui disent que, à cause de ceux qui étaient coupables, Dieu privait de sa faveur cette nation; car voici comme il en parle dans les actes des apôtres (Act., VII, 42) : Alors Dieu se détourna d'eux et les abandonna à servir l'armée du ciel, comme il est écrit au livre des prophètes; maison d'Israël, m'avez-vous offert des sacrifices  et des victimes dans le désert durant quarante ans? Mais vous avez porté le tabernacle de Moloch, et l'astre de votre Dieu Remphan, et les figures que vous avez faites pour les adorer (Amos. V, 25). S. Paul, tout de même, qui était parfaitement instruit dans les coutumes des Juifs, et qui fut ensuite converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus-Christ, parle ainsi dans son Épître aux Colossiens : Que nul ne prenne d'empire sur vous sous prétexte d'humilité et de servir les anges, entreprenant de pénétrer dans ce qu'il n'a point vu, étant enflé par les vaines imaginations d'un esprit charnel, et ne demeurant pas attaché à celui qui est la tête et le chef, duquel tout le corps de l'Église, recevant l'influence par les vaisseaux qui en joignent et lient les parties, s'entretient et s'augmente par l'accroissement que Dieu lui donne (Col.,II, 18,19). Celse, qui n avait pas lu cela et qui n'en avait pas même ouï parler, pose je ne sais sur quel fondement, que les Juifs, sans violer leur loi, adorent le ciel et ses anges.

IX. C'est par une erreur toute pareille et pour ne savoir pas bien ce dont il parle, qu'il se met dans l'esprit que les Juifs se portent à adorer les anges du ciel, sur les illusions et sur les prestiges de quelques magiciens qui, par les charmes qu'ils emploient, font paraître de certains fantômes. Il ne voit pas que s'il y en a qui en usent ainsi, ils pèchent encore contre la loi qui dit : N'allez point chercher ceux qui devinent, n'ayez nul commerce avec les magiciens pour vous souiller avec eux. Je suis le Seigneur votre Dieu (Levit., XIX, 31). Il ne fallait donc point absolument attribuer cela aux Juifs, s'il voulait parler des Juifs qui observent la loi et qui se conforment à ses préceptes : ou le leur attribuant, il fallait dire que ceux qui le font sont des Juifs qui violent leur loi. D'un autre côté, comme c'est violer la loi que de servir et d'adorer ceux qu'on prétend qui se montrent je ne sais où dans les ténèbres et par le moyen des arts magiques, à de pauvres aveuglés, à des rêveurs qui se repaissent de visions creuses, et à quelques misérables de la sorte ; c'est la violer ouvertement aussi que de sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles : et il y a lieu de s'étonner qu'un même homme puisse également nommer Juifs, tant ceux qui refusent d'adorer le soleil, et la lune, elles étoiles, que ceux qui ne se font point scrupule d'adorer le ciel et les anges.

X. S'il faut maintenant que nous, qui faisons même profession que les Juifs de n'adorer ni les anges, ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles, rendions raison pour eux et pour nous de ce que nous n'adorons point ceux que les Grecs appellent des dieux visibles et sensibles, nous dirons qu'il est expressément remarqué, dans la loi de Moïse, que Dieu a donné ces choses en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel, et non à ceux qu'il a pris, à l'exclusion de tous les peuples de la terre, pour sa portion choisie; car il est écrit dans le Deutéronome : Gardez-vous que levant les yeux en haut, et voyant le soleil, et la lune, et les étoiles, et toutes les beautés du ciel, vous ne vous portiez par erreur à adorer ces choses et à les servir : c'est ce que le Seigneur votre Dieu a donné en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel ; mais pour nous, le Seigneur, notre Dieu, nous a pris et nous a fait sortir d'Égypte, du milieu de la fournaise de fer, afin que nous soyons le peuple qu'il a pour héritage, comme il se voit aujourd'hui (Deut., IV, 19, 20). Dieu donc ayant destiné les Juifs à être une race choisie, un ordre de sacrificateurs rois, une nation sainte, un peuple d'acquisition (Exod., XIX, 6), et ayant dit d'eux à Abraham : Regarde le ciel et compte les étoiles, s'il t'est possible, ainsi sera la postérité (Gen., XV, 5), il ne se pouvait pas que ce peuple, qui espérait devenir comme les étoiles du ciel, adorât des choses auxquelles il devait être fait semblable en méditant et en observant la loi de Dieu. Car il leur a été dit : Le Seigneur votre Dieu vous a fait multiplier ; et l'on voit maintenant que vous (les en aussi grand nombre que les étoiles du ciel (Deut., I, 10). Et dans le prophète Daniel, il est ainsi parlé de l'état des hommes lorsqu'ils ressusciteront : En ce temps-là tous ceux de ton peuple qui seront écrits dans le livre seront sauvés, et plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour le déshonneur et pour l'opprobre éternel. Ceux qui auront été bien instruits reluiront comme la splendeur du firmament, et les justes du commun brilleront comme les étoiles, a jamais et dans l'éternité (Dan., XII, 1, 2, 3). C'est de là que saint Paul a pris ce qu'il dit aussi delà résurrection. Il y a, dit-il, des corps célestes et des corps terrestres : l'éclat des corps célestes est autre que celui des corps terrestres. Le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur, et entre les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre : il en arrivera de même dans la résurrection des morts (I Cor., XV, 40, 41, 42).

 Il n'y a donc pas d'apparence que des personnes, qui ont appris à s'élever généreusement au-dessus de toutes les créatures, et à attendre de Dieu un bonheur parfait, après avoir mené une vie honnête, qui savent que c'est à eux qu'il a été dit : Vous êtes la lumière du monde, et  que votre lumière luise devant tes hommes, afin que voyant vos bonnes ?uvres, ils glorifient votre Père qui est dans le ciel (Matth., V, 14 et 16), qui s'efforcent d'acquérir, ou qui ont même déjà acquis une sagesse toute lumineuse, une sagesse qui ne peut rien perdre de son éclat, cette sagesse qui est une réflexion de la lumière éternelle (Sag.. VII, 26), il n'y a pas d'apparence que de telles personnes se laissent si fort éblouir à la lumière sensible du soleil, de la lune et des étoiles; que, pour une lumière de celte, espèce, elles s'imaginent être au-dessous de ces créatures el les devoir adorer, eux qui ont dans un si haut degré la lumière spirituelle de la connaissance, la vraie lumière, la lumière du monde, la lumière qui éclaire les hommes (Jean, I, 9, 8, 12, et I, 4). S'il fallait adorer ces corps célestes, ce ne serait pas à cause de leur lumière sensible, quelque admiration qu'elle excite ordinairement, mais plutôt à cause d'une lumière spirituelle et véritable, s'il est vrai que les astres soient des animaux qui aient de la raison et de la vertu, et qu'ils aient été éclairés des lumières de la connaissance par celle sagesse qui est une réflexion delà lumière éternelle (Sag. . VII, 26). Car pour leur lumière sensible, c'est l'ouvrage du créateur de l'univers, au lieu que la spirituelle est peut-être un fruit de leur étude, et vient du libre mouvement de leur volonté.
 
 

XI. Cette lumière spirituelle ne doit pas être pourtant un sujet d'adoration à ceux qui voient et qui comprennent la véritable lumière dont celle des astres ne peut être qu'un rayon, ni à ceux qui connaissent Dieu, le père de celle véritable lumière, duquel il a été très bien dit, que Dieu est la lumière même, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres (I Jean, 1, 5). Et comme ceux qui adorent le soleil, la lune et les étoiles à cause que leur lumière sensible est en même temps une lumière céleste, n'adoreraient pas une étincelle de feu ou une lampe qui éclaire sur la terre, voyant qu'il n'y a nulle proportion entre l'admirable beauté de ces objets, qu'ils estiment dignes d'être adorés, et la faible lumière d'une étincelle ou d'une lampe : ainsi ceux qui savent et qui comprennent comment Dieu est la lumière même (I Jean, I, 5), comment son Fils est la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde (Jean,I,9), et comment ce Fils dit de lui- même : Je suis la lumière du monde (I bid.. Vlll, 12), ceux-là ne sauraient raisonnablement adorer ce qu'il peut y avoir de véritable lumière dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, qui n'est que comme une petite étincelle en comparaison de Dieu, la lumière même. Au reste, nous ne parlons pas ainsi du soleil, de la lune el des étoiles, pour déshonorer ces merveilleux ouvrages de Dieu, ni pour marquer que ce ne soient que des masses embrasées, selon la pensée d'Anaxagore, mais par le sentiment que nous avons tant de la majesté de Dieu qui est élevé au-dessus d'eux d'une distance infinie, que de la divinité de son Fils unique qui voit tout au-dessous de soi. Et parce que nous croyons que le soleil, la lune et les étoiles adressent aussi des prières au grand Dieu par son Fils unique, nous estimons que l'on ne doit pas prier ceux qui prient eux-mêmes, et qui aiment mieux nous renvoyer à ce Dieu qu'ils prient, que de nous attacher à eux ou de partager avec lui nos v?ux et nos prières. Sur quoi je me servirai de cet exemple. Lorsque notre Sauveur et Notre-Seigneur fut appelé bon Maître, il renvoya à son Père celui qui avait ainsi parlé : Pourquoi m'appelles- tu bon ? lui dit-il, il n'y a que Dieu seul, que le Père qui soit bon (Matth., XIX, 16, 17). Si le Fils bien-aimé du Père a eu raison de dire cela, lui qui est l'image de la bonté de Dieu ( Sag., VII, 26), avec combien plus de raison le soleil dirait-il à ceux qui l'adorent: Pourquoi m'adorez- vous ? Adorez le Seigneur, votre Dieu, et ne servez que lui seul (Matth., IV, 10). C'est lui que j'adore et que je sers moi-même, et que les autres astres, comme moi, adorent et servent aussi. Encore que vous ne soyez pas d'un ordre si excellent, vous ne devez pas laisser d'adresser vos prières à la parole de Dieu, (Ou au Verbe) laquelle vous peut guérir, ou beaucoup plutôt à son Père qui a envoyé sa parole aux fidèles des siècles passés, et les a guéris, les tirant de la corruption où ils étaient ( Ps. CVI ou CVII, 20).

XII. Dieu donc, par un effet de sa bonté et de sa condescendance, se rend présent aux hommes, non d'une présence locale, mais d'une présence de soin et de direction, et le Fils de Dieu, qui n'est plus avec ses disciples de la manière qu'il y était sur la terre, est pourtant toujours avec eux pour accomplir la promesse qu'il leur a faite : Assurez-vous que je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde (Matth., XXVIII, 20). En effet, comme la branche de la vigne ne peut porter de fruit, si elle ne demeure attachée au cep, ainsi les branches mystique de la vraie vigne, les disciples du Verbe ne peuvent porter les fruits de la vertu, s'ils ne demeurent attachés à ce vrai cep, le Christ de Dieu, qui est avec nous, bien que nous soyons localement sur la terre, et qui est  de telle sorte partout avec ceux qui lui sont unis, qu'il est aussi partout avec ceux qui ne le connaissent point (Jean, XV, 4, 5). Car c'est ce que signifient, dans l'Évangile selon saint Jean, ces paroles de Jean Baptiste:  Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas : c'est lui qui doit venir après moi (Jean, I, 26, 27). De manière qu'ayant avec nous celui qui remplit et le ciel et la terre, comme il le déclare lui-même, Ne remplis-je pas le ciel et la terre, dit le Seigneur (Jér., XXIII, 24) ? l'ayant, dis-je, proche de nous, selon ces autres paroles auxquelles nous ajoutons une entière foi : Je suis un Dieu de près, et nos pas un Dieu de loin, dit le Seigneur (Ibid., I. 23) : il serait absurde que nous nous arrêtassions à prier te soleil qui ne se répand pas partout, ou la lune, ou quelque étoile. Je veux que le soleil et la lune et les étoiles, pour me servir des propres parole; de Celse, fassent des prédictions sur la pluie, sur la chaleur, sur les nuées, et sur le tonnerre. Quand cela serait vrai, ne faudrait-il pas plutôt rendre notre culte et nos hommages à Dieu sous les ordres duquel ils feraient de telles prédictions, que d'adorer ses prophètes Qu'ils en fassent encore, si l'on veut, et sur les éclairs, et sur les fruits, et sur  la naissance de toutes choses, et qu'ils président sur tout cela : nous ne les adorerons pas pourtant, puisqu'ils adorent Dieu eux-mêmes, comme nous n'avons jamais adoré ni Moïse, ni les prophètes qui l'ont suivi, quoiqu'ils nous aient prédit, de la part de Dieu des choses bien plus excellentes que ni la pluie, ni la chaleur, les nuées ni le tonnerre ni les éclairs, ni les fruits. ni la naissance de toutes les choses sensibles. Quand même le soleil et la lune et les étoiles auraient à pouvoir de prédire des choses plus excellentes que la luis nous ne les adorerions pas pour cela ; nous adorerions Dieu l'auteur de leurs prédictions et le Verbe de Dieu, ce Verbe qui en est le ministre. Je veux aussi que ce soient des hérauts de Dieu, des anges véritablement célestes ; comment, dans cette supposition même, ne serait-il pas plus juste d'adorer Dieu seul, dont ils seraient ou les hérauts, ou les anges, que d'adorer ces anges et ces hérauts ?

XIII. Celse veut faire croire que nous ne comptons pour rien le soleil, la lune et les étoiles; cependant nous sommes persuadés qu'eux aussi attendent la manifestation des enfants de Dieu, étant présentement assujettis à la vanité des corps matériels, à cause de celui qui les y a assujettis avec espérance (Rom.. VIII, 19, 20, 21). Si, outre une infinité d'autres choses que nous disons du soleil et de la lune et des étoiles, Celse avait lu ce passage : Soleil et lune, loues le Seigneur; étoiles et lumière, louez-le toutes; et celui-ci : Cieux des Cieux, louez-le (Ps. CXLVIII 3 et 4 ), il ne nous attribuerait pas de compter pour rien ces nobles êtres qui louent hautement le Seigneur. Il n'avait jamais vu non plus cet autre passage : Les Créatures attendent avec grand désir la manifestation des enfants de Dieu, parce qu'elles sont assujetties à la vanité, et elles ne le sont pas volontairement, mais à cause de celui qui les y a assujetties avec espérance: car les créatures mêmes seront délivrées de cette servitude de corruption, pour participer à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu (Rom., VIII, 19). Nous finirons ici l'apologie que nous avions entrepris de faire sur ce que nous ne servons pas religieusement le soleil, ni la lune, ni les étoiles. Proposons maintenant la suite des objections de Celse, pour y appliquer, sous la faveur de Dieu, les réponses que la lumière de la vérité nous fournira.

XIV. C'est encore, dit-il, une de leurs folles imaginations, qu'après que Dieu aura allumé le feu, comme un cuisinier, tout le reste sera grillé, mais qu'eux seuls demeureront ; et non seulement ceux qui se trouveront alors en vie, mais ceux même qui seront morts depuis longtempe, que l'on verra sortir de dessous la terre avec cette même chair qu'ils avaient eue. Ce qui, à vrai dire, est une espérance digne de vers. Car où est l'âme humaine qui désirât de rentrer dans un corps pourri ? Il y a même des chrétiens qui ne sont pas de ce sentiment et qui soutiennent qu'il est également impie, abominable et impossible. En effet, comment un corps entièrement corrompu pourrait-il reprendre sa première nature et recouvrer celle même disposition de parties qui a été détruite ?  Ne sachant que répondre, ils ont recours à la plus absurde de toutes les évasions; que tout est possible à Dieu ; mais Dieu ne peut faire les choses déshonnêtes, et il ne veut rien de contraire à la nature. Dès que vos désirs déréglés vous auront mis dans l'esprit une chose digne d'horreur, ce n'est pas à dire que Dieu la puisse faire, ni qu'il faille incontinent croire qu'elle sera. Dieu n'est pas l'exécuteur de nos fantaisies criminelles, ni l'auteur de l'impureté et du désordre ; il est le directeur de la nature, où il n'y a rien que de droit et de juste. Il peut bien donner une vie immortelle à l'âme, mais, comme dit Héraclite, on doit faire moins d'état d'un corps mort, que si c'était du fumier. Immortaliser, contre toute raison, une chair pleine de choses qu'il est même mal séant de nommer, c'est ce que Dieu ne saurait ni faire, ni vouloir faire; car comme il est la souveraine raison de tous les êtres, il ne saurait rien faire contre la raison, qu'il ne le fit contre lui-même.

XV. Voyez d'abord comment il tourne en risée la doctrine de l'embrasement du monde, une doctrine qui a même été enseignée par des philosophes qui ne sont pas sans réputation parmi les Grecs. Nous voulons, à l'en croire, que Dieu allume le feu, comme un cuisinier; mais il ne prend pas garde que ce feu est un feu purgatif, qui doit nettoyer le monde, comme quelques Grecs l'ont reconnu, le tenant peut-être des Juifs, l'un des plus anciens de tous les peuples, ou un feu qui doit servir tout ensemble, et de châtiment et de remède à chacun de ceux qui en auront besoin ; un feu qui brûlera et ne consumera pas ceux qui auront une matière qu'il ne sera pas nécessaire qui soit détruite ; mais qui brûlera et consumera ceux qui auront composé de bois, de foin et de paille (I Cor., Ill, 12) le bâtiment mystique de leurs actions, de leurs paroles et de leurs pensées. Les divins oracles nous disent que le Seigneur doit se présenter comme un feu de fonte et comme l'herbe aux foulons (Mal., III. 2) à chacun de ceux qui en auront besoin, à cause des mauvaises matières dont ils sont comme mêlés par la contagion des vices, et qui n'en peuvent être séparées que par la vertu d'un feu qui fonde, pour ainsi dire, ce mélange où il était entré de l'airain, de l'étain et du plomb. C'est ce qu'on pourra apprendre, si l'on veut, du prophète Ézéchiel (Ezéch., XXII. 18, 19, 20). Le prophète Isaïe peut aussi servir de témoin, que nous ne disons pas que Dieu allume le feu comme un cuisinier, mais comme le bienfaiteur de ceux à qui celle correction par le feu est nécessaire, puisqu'on trouve dans son livre, qu'il est dit à un certain peuple pécheur : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus, et lu y trouveras du secours (Is., XLVII, 14, 15). L'Écriture, pour l'accommoder à l'esprit du commun de ses lecteurs, use de celle sage dispensation de cacher son sens sous des paroles terribles, pour effrayer ceux qui autrement ne sortiraient pas du bourbier de leurs péchés; mais cependant, ceux qui lisent avec attention peuvent bien remarquer quel est le but de ces terribles menaces qui sont faites aux pécheurs, et de ces rudes châtiments qu'ils doivent souffrir. Il suffit maintenant de rapporter ce passage d'Isaïe : A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et je te ferai sentir les effets de ma puissance glorieuse, afin que je ne le détruise point (Is., LVIII, 9). Nous avons été contraints de découvrir des choses qui ne conviennent pas aux simples d'entre les fidèles. à qui il ne faut pas d'autre sens que le littéral; et nous l'avons fait, de peur qu'il ne semblât que nous laissassions sans réponse, ces paroles injurieuses de Celse : Après que Dieu aura allumé le feu, comme un cuisinier.

XVI. Ce que nous venons de dire peut faire comprendre aux personnes intelligentes, comment il faut répondre à ce qu'il ajoute, que tout le reste sera grillé, mais qu'eux seuls demeureront. Pour ceux que nos Écritures appellent, Ce qu'il y a de moins sage, selon le monde, ce qu'il y a de plus vil et de plus méprisable, ce qui n'est rien (I Cor., 1, 27, 28), il ne faut pas s'étonner s'ils ont de semblables pensées. Car puisque le monde n'a pas su se servir de la sagesse pour connaître Dieu dans sa sagesse divine, il a plu à Dieu de sauver, par la folie de la prédication, ceux qui croiraient en lui ( Ibid., v. 21 ). Ce sont des esprits qui ne peuvent pénétrer dans le sens des passages et qui ne veulent pas même se donner la peine de les examiner, quoique Jésus-Christ ait dit : Examines avec soin les Écritures (Jean. V, 39). De là vient qu'ils se forment de telles idées du feu que Dieu fera allumer et de ce qui arrivera aux pécheurs. Il se peut faire, au reste, que comme on est obligé de dire aux enfants des choses proportionnées à leur faiblesse, pour les porter à la vertu par des motifs qu'ils puissent comprendre : ainsi, le sens que ces menaces de peines et de supplices présentent le premier à l'esprit, est propre pour ces personnes que l'Écriture nomme les moins sages, les plus viles et les plus méprisables, selon le monde (I Cor.., I, 27, 28), qui ne sont pas capables de se convertir autrement que par crainte, et qui ne renonceraient jamais aux vices qui les possèdent, sans cette terreur dont la dénonciation du châtiment leur remplit l'âme. La parole de Dieu nous apprend donc que le feu n'épargnera que ceux qui seront parfaitement purifiés, et dans leur doctrine, et dans leurs m?urs, et dans leur entendement ; qu'il n'y aura, dis-je, que ceux-là qui demeureront exempts de punition : mais que pour ceux qui ne se trouveront pas tels et qui auront besoin d'être châtiés par un feu dispensé selon leurs mérites, Dieu leur fera souffrir, dans une vue digne de sa sagesse, ce qu'il est juste qu'il fasse souffrir à des personnes qui, ayant été formées à son image, n'ont pas vécu d'une manière conforme à ce qu'exigeait d'eux une nature formée à l'image un Dieu. Voilà pour ce qu'il dit, que tout le reste sera grillé, mais qu'eux seuls demeureront.

XVII. Il faut, ou qu'il ait mal entendu les saintes Écritures, ou qu'il s'en soit rapporté à des personnes qui les entendaient mal, lorsqu'il nous fait dire ensuite, que quand le monde sera nettoyé par le feu, nous seuls demeurerons ; et non seulement ceux d'entre nous qui te trouveront alors en vie, mais ceux même qui seront morts depuis longtemps. Il ne s'est pas aperçu qu'il y a quelque chose qui n'est pas exprimé clairement dans ces paroles de l'apôtre de Jésus : Nous ne dormirons pas tous du sommeil de la mort, mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d'?il, au son de la dernière trompette ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront en un état incorruptible, et pour nous, nous serons changés ( I Cor., XV, 51, 52). Il fallait qu'il s'attachât à découvrir quelle a été la pensée de celui qui parle ainsi de soi et de ceux qui lui ressemblent, pour se distinguer des morts, comme n'étant pas mort lui-même; et qui, après avoir dit: Les morts ressusciteront en un état incorruptible, ajoute :Et pour nous, nous serons changés. Pour faire voir que S. Pau!, dans ce passage de sa première Épître aux Corinthiens, a eu dans la pensée quelque chose qu'il ne fait qu'insinuer, je rapporterai encore ici ce que le même apôtre dit dans sa première Épître aux Thessaloniciens, où il parle aussi comme vivant et veillant, par opposition à ceux qui dorment du sommeil de la mort. Nous vous disons au nom du Seigneur, dit-il, que nous qui vivons et qui serons réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort ; car au signal qui sera donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel (I Thess., IV, 1 16, 17). Ensuite sachant bien qu'outre lui et ceux qui seront dans le même état, il y en aura d'autres qui seront morts en Jésus-Christ, il ajoute : Ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers; puis nous autres, qui sommes vivants et qui serons demeurés en vie jusqu'alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur, au milieu de l'air.

XVIII. Puisque nous avons déjà produit les longues railleries que fait Celse sur la résurrection de la chair, qui est précitée dans nos églises, mais qui est entendue par les personnes éclairées plus nettement que par le commun, il serait inutile de les mettre encore ici. Voyons donc maintenant et en peu de mots, et ayant égard à la portée de tous les lecteurs, ce que nous sommes capables d'établir sur cette question, que nous voulons bien regarder comme problématique, dans une apologie que nous écrivons contre un ennemi de la fol, en faveur de ceux qui étant encore enfants et comme des personnes flottantes, se laissent emporter à tous les reste des opinions, par la tromperie des hommes et par l'adresse qu'ils ont d'engager artificieusement dans l'erreur (Ephés. IV, 14). Ni l"Écriture sainte, ni nous, n'avons jamais dit que ceux qui sont morts depuis longtemps doivent retourner en vie, en sortant de dessous la terre, avec leur même chair, sans qu'elle ait reçu aucun changement en mieux. C'est une calomnie de Celse. Il y a dans les saints écrits plusieurs passages qui parlent de la résurrection d'une manière digne de Dieu : nous nous contenterons d'alléguer celui de S. Paul dans sa première Épître aux Corinthiens : Mais, dit-il quelqu'un me dira : En quelle manière les morts ressuscitent-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront ? Insensés que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez dans la terre ne reprend point de vie, s'il ne meurt auparavant ? Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps de la plante, même qui doit naître, mais la graine seulement, soit du blé, soit de quelqu'autre plante : Dieu lui donne ensuite un corps tel qu'il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui lui est propre (I Cor., XV, 3 36, 37, 38). Vous voyez qu'il dit que ce qu'on sème n'est pas le corps de la plante même qui doit naître; mais qu'après qu'on a semé la graine, sans jeter rien autre chose en terre, il se fait une espèce de résurrection, par la volonté de Dieu, qui donne à chaque semence le corps qui lui est propre; tellement que de ces graines jetées en terre il sort, des unes un épi on une tige, comme de la graine de sénevé; des autres un grand arbre, comme du noyau de l'olive et de ceux des fruits semblables.

XIX. Dieu donc, qui donne un corps à chaque semence et qui le donne tel qu'il lui plaît, fait aussi la même chose à l'égard des morts, qui sont comme semés dans la terre et qui doivent y reprendre, quand il en sera temps, le corps dont il les voudra revêtir, selon leurs mérites. L'Écriture nous enseigne assez au long la différence qu'il y a de ce corps, qui est comme semé, à celui qui en est comme reproduit par la résurrection : et nous n'avons qu'à l'écouter qui nous dit, que quand on met notre corps en terre, il est dans un état de corruption, mais qu'il ressuscitera incorruptible; qu'il est dans un état d'ignominie, mais qu'il ressuscitera plein de vigueur; qu'il a les qualités d'un corps animal, mais qu'il ressuscitera avec celles d'un corps spirituel (I Cor., XV, 42, 43, 44). Que ceux qui sont capables de comprendre ce qui suit le comprennent : Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants aussi sont terrestres ; et comme le second homme est céleste, ses enfants aussi sont célestes : comme donc nous avons porté l'image de l'homme terrestre, nous porterons aussi l'image de l'homme céleste (Ibid., 48, 49). Ce n'est pas que l'Apôtre, qui avait dessein de cacher ce qu'il y a là de plus mystérieux et de moins propre pour les esprits grossiers de ceux que l'on tâche de porter à la vertu par une simple foi, n'ait été contraint, pour empêcher que nous ne prissions mal ses paroles, qu'il n'ait, dis-je, été contrait, après avoir dit: Nous porterons l'image de l'homme céleste (v. 50), d'ajouter : Je veux dire, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent point posséder le royaume de Dieu, et que la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible. Ensuite, sachant bien que cela n'était ni de la connaissance ni de la portée de tout le monde, et que ses écrits devaient être pour la postérité un trésor de profonds enseignements, il ajoute encore : Voici un secret et un mystère que je vous dis (v. 51), comme on a accoutumé de parler des choses mystérieuses et sublimes qu'il n'est pas à propos de découvrir indifféremment à tous. Car. comme il est dit dans le livre de Tobie : Il est bon de cacher le secret du roi; mais il est glorieux et utile de révéler sincèrement les oeuvres de Dieu, pourvu qu'on le fasse avec prudence, pour sa gloire et pour le bien des hommes (Tobie, XII, 6, 7). Notre espérance n'est donc pas une espérance digne de vers, et notre âme ne désire point de rentrer dans un corps pourri. Mais encore qu'elle ait besoin d'un corps pour aller d'un lieu en un autre, clic sait bien néanmoins, ayant médité la sagesse, selon cette parole : La bouche du juste méditera la sagesse (Ps. XXXVI ou XXXVII, 30); elle sait bien la différence qu'il y a entre cette maison de terre qui doit être détruite (II Cor., V, 1, 2, 4), et la tente qui est dans celle maison ; la tente, dans laquelle les justes qui y sont soupirent comme sous un pesant fardeau, ne désirant point d'en être dépouillés, mais d'être revêtus par-dessus, afin que, par ce moyen, ce qu'il y a en eux de mortel soit absorbé par la vie ( I Cor., XV, 53, 54 ). Car, comme tous les corps sont d'une nature corruptible il faut que cette tente corruptible soit revêtue de l'incorruptibilité, et que ce qu'il y a d'ailleurs de mortel et d'effectivement sujet à la mort, que le péché tire après lui, soit revêtu de l'immortalité; afin que, quand ce qu'il y a de corruptible aura été revêtu de l'incorruptibilité, et que ce qu'il y a de mortel aura été revêtu de l'immortalité (Os., XIII, 14), alors l'ancien oracle des prophètes soit accompli : Que la mort, qui nous avait vaincus et assujettis, perde sa victoire et son empire, et que l'aiguillon dont elle blesse les âmes qui ne sont pas munies de toutes parts contre le péché, n'ait plus aucune force.

XX. Il suffit pour celle heure d'avoir ainsi expliqué en peu de mots notre créance touchant la résurrection; car c'est une matière que nous avons traitée à fond dans d'autres écrits. Mais il est juste de faire voir le peu de raison de Celse qui, n'entendant pas nos auteurs, ne peut comprendre que l'on ne doit pas juger des sentiments de ces grands hommes par ce qu'en disent ceux qui n'apportent à la doctrine chrétienne qu'une foi toute simple et toute nue. Nous allons montrer qu'il y a eu (Gr., des Hommes) des philosophes célèbres pour leurs belles connaissances et pour la subtilité de leurs spéculations dialectiques, qui ont eu des opinions fort éloignées de la vraisemblance, de sorte que s'il y en a quelques-unes qui méritent de passer pour absurdes et pour des contes de vieilles, ce sont les leurs beaucoup plutôt que les nôtres. Les stoïciens disent qu'après un certain nombre d'années l'univers s'embrase el se renouvelle ensuite, reprenant une face pareille en tout à la précédente ; et ceux qui en ont parlé avec le plus de retenue disent que d'une révolution à l'autre il se fait un petit changement, un changement très léger : qu'ainsi, après que la présente sera achevée, il y aura encore, dans la suivante un Socrate Athénien, fils de Sophronisque et de Phénarète. Ils ne se servent donc pas à la vérité du nom de résurrection, mais ils expriment la chose même, que du mariage de Sophronisque avec Phénarète il sortira un nouveau Socrate, un Socrate ressuscité, qui fera dans Athènes la profession de philosophe; que la philosophie ressuscitera avec lui pour ainsi dire, et se verra dans un état tout pareil au précédent; qu'Anytus et Mélitus ressusciteront pareillement pour accuser derechef Socrate, et que le conseil de l'aréopage le condamnera à la mort; et, ce qui est encore de plus ridicule, que Socrate sera vêtu d'habits tout pareils à ceux de la révolution précédente; qu'il vivra dans une pauvreté et dans une ville pareilles à celles où il a vécu ; que d'un autre côté, Phalaris renouvellera sa tyrannie et fera mugir dans son taureau d'airain des hommes où l'on verra toutes les choses qu'on a vues en ceux des siècles passés; qu'Alexandre, tyran de Phères, reviendra exercer ses cruautés avec des circonstances toutes semblables, et condamner au supplice dos hommes pareils à ceux d'autrefois. Qu'est -il besoin de particulariser davantage ce dogme de la philosophie stoïque, duquel Celse ne se moque point et qu'il regarde même peut-être comme quelque chose de fort beau, puisqu'il préfère Zénon à Jésus?
 
 

XXI. Quoique les disciples de Pythagore  et de Platon semblent faire le monde incorruptible, ils tombent pourtant dans des pensées peu différentes : ils disent que quand les astres, après de certains périodes, se retrouvent dans la même disposition et avec les mêmes aspects, toutes choses reviennent aussi sur la terre au même état où elles étaient, sous une autre configuration semblable. Il faut donc, dans cette supposition, que, quand les astres après un long cours se trouveront disposés comme ils l'étaient au temps de Socrate, Socrate naisse encore des mêmes personnes, qu'il ait les mêmes aventures, qu'il soit accusé par Anytus et par Mélitus, et condamné par les juges de l'Aréopage. Lorsque les savants d'entre les Égyptiens enseignent aussi à peu près la même doctrine, on les loue, et Celse ni ceux de son parti n'en font point de railleries. Mais quand nous disons que Dieu conduit toutes choses sans gêner en aucune sorte la liberté de nos actions, et qu'il dirige toujours tout à une bonne fin, sans ôter la contingence des événements; quand, dis-je, nous expliquons la nature de noire liberté qui, n'étant pas coupable de cette absolue immutabilité de Dieu, admet la contingence où elle se doit admettre, ou trouve que ce que nous disons ne mérite pas qu'on s'y arrête ni qu'on l'examine.

XXII. Qu'on ne s'imagine pas, au reste, lorsque nous parlons ainsi, que nous soyons de ceux qui, bien qu'ils portent le nom de chrétiens, nient le dogme de la résurrection établi dans les Écritures; car ces gens-là, se tenant à leurs principes, ne sauraient faire l'application de ce qui est dit de l'épi ou de l'arbre qui sort du grain de blé ou de quelque autre semence, par une espèce de résurrection. Mais pour nous, qui croyons que ce que l'on sème ne reprend point de vie s'il ne meurt auparavant, et qui savons que ce que l'on sème n'est pas le corps même qui doit renaître, puisque Dieu donne ce corps tel qu'il lui plaît, faisant que ce qui est mis en terre dans un état de corruption ressuscite incorruptible; que ce qui y est mis dans un état d'ignominie ressuscite glorieux ; que ce qui y est mis dans un état d'infirmité ressuscite plein de vigueur; que ce qui y est mis avec les qualités d'un corps animal ressuscite avec celles d'un corps spirituel (I Cor., XV, 30-38, 42-44) : nous qui croyons et qui savons tout cela, nous retenons la doctrine de l'Église de Jésus-Christ, nous conservons à la promesse de Dieu toute sa grandeur, et nous faisons voir, non par de simples paroles, mais par de solides raisons, la possibilité de la chose. Nous sommes persuadés que quand le ciel el la terre passeraient avec toutes les choses qui y sont. les paroles du Verbe de Dieu, qui était au commencement avec Dieu, et qui est lui-même Dieu le Verbe (Jean, I,1). ne passeront point; les paroles qu'il a proférées sur des sujets particuliers étant à son égard comme les parties sont au tout ou les espèces au genre. Car il l'a dit, et nous ne voulons pas en douter : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point (Matth., XXIV, 35 ).

XXIII. Nous ne disons donc pas que le corps s'étant corrompu reprenne sa première nature; comme nous ne disons pas non plus que le grain de blé, s'étant corrompu, devienne encore grain de blé; mais nous disons que, comme du grain de blé il sort un épi, il faut aussi que, dans le corps, il y ait un certain germe qui, ne se corrompant point, fasse que le corps ressuscite incorruptible. Ce sont les stoïciens qui, supposant que d'une révolution à l'autre les choses reviennent dans un état tout pareil, disent qu'un corps entièrement corrompu reprend sa première nature, et recouvre cette même disposition de parties qui a été détruite, et ils prétendent même le prouver par des démonstrations dialectiques. Il est faux encore que nous ayons recours à la plus absurde de toutes les évasions, en disant que tout est possible à Dieu: nous savons que ce tout ne comprend pas ce qui implique contradiction et qui est contre le bon sens; et nous disons aussi que Dieu ne peut faire les choses déshonnêtes, autrement Dieu pourrait cesser d'être Dieu; car si Dieu faisait quelque chose de déshonnête il ne serait pas Dieu. Quant à ce que Celse ajoute, que Dieu ne veut rien de contraire à la nature, nous estimons qu'il faut distinguer; car si, par ce qui est contre la nature, on entend le vice, nous tombons d'accord avec lui qui; Dieu ne veut rien de contraire à la nature, puisqu'il ne veut rien de vicieux ni de déraisonnable; mais s'il faut nécessairement reconnaître que ce qui arrive conformément au conseil et à la volonté de Dieu n'est point contraire à la nature, il s'ensuit que tout ce que Dieu fait n'est point contraire à la nature, quelque incroyable qu'il soit ou qu'il paraisse à quelques-uns. Si l'on veut prendre les mots à la rigueur, nous dirons qu'à considérer la nature comme on la considère ordinairement, il y a certaines choses au-dessus de la nature que Dieu peut faire quelquefois, comme quand il élève l'homme au-dessus de la condition humaine pour le rendre participant d'une nature plus excellente et plus divine (II Pier., l, 4), dans la jouissance de laquelle il le conserve tant que l'homme témoigne par ses actions qu'il veut bien y être conservé.

XXIV. Ayant une fois posé que Dieu ne veut rien qui lui soit mal convenable, ni d'où il suive qu'il ne serait plus Dieu, nous sommes prêts à avouer aussi que s'il y a quelqu'un à qui ses désirs déréglés aient mis dans l'esprit une chose digne d'horreur, ce n'est pas à dire que Dieu la puisse faire, car ce n'est point par un esprit de dispute, mais pour le seul intérêt de la vérité, que nous examinons l'écrit de Celse, et nous reconnaissons avec lui que Dieu, qui est le principe de tout bien, n'est point l'exécuteur de not fantaisies criminelles, ni l'auteur de l'impureté et du désordre, mais qu'il est le directeur de la nature où il n'y a rien que de droit et de juste. Nous confessons encore, comme l'on sait, que Dieu peut donner une vie immortelle à l'âme, et que non seulement il le peut, mais qu'il le fait même. Après ce que nous avons dit, il n'y a rien qui doive nous faire de la peine dans le mot d'Héraclite que Celse rapporte, qu'il faut faire moins d'état d'un corps mort que si c'était du fumier. Cependant on pourrait bien dire que le fumier n'est bon qu'à être jeté dehors, mais que, pour le corps mort d'un homme, on ne le doit pas traiter de même, à cause de l'âme qu'il a logée, principalement si elle a été vertueuse. Aussi les nations les mieux policées le font-elles ensevelir avec l'honneur qui est convenable en de telles occasions, de peur que, le jetant là comme les corps des bêtes, nous ne fassions, autant qu'il dépend de nous, injure à l'âme qui en est sortie. Qu'il soit donc contre toute raison d'immortaliser le grain de blé ou ce qui est mis en terre dans un état de corruption, nous y consentons volontiers; mais nous disons que c'est, par manière de parler, l'épi qui doit sortir de ce grain, que c'est ce qui doit ressusciter incorruptible, que Dieu veut rendre immortel. Selon Celse, c'est Dieu lui-même qui est la souveraine raison de tous les êtres ; mais, selon nous, c'est son Fils de qui nos philosophes disent : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Ce qui dans le fond n'empêche pas que nous n'avouions avec Celse que Dieu ne saurait rien faire contre la raison qu'il ne le fît contre lui-même.

XXV. Voyons ce qu'il ajoute. Les Juifs, dit-il, ayant fait un corps particulier de nation et s'étant établi des lois conformes à leur génie, qu'ils retiennent et observent encore à présent avec une religion qui, quoi qu'il en soit, est la religion de leurs pères, ils ne font rien en cela que les autres hommes ne fassent ; car chacun veut suivre, à quelque prix que ce soit, les coutumes de son pays, Et il semble même que cela soit utile, non seulement parce que tes uns se sont fait des lois d'une façon, les autres d'une autre, comme il leur est venu dans l'esprit, et que l'on doit se tenir à ce qui a été une fois publiquement établi ; mais aussi parce que, seIon l'apparence, les parties de la terre ayant, dès le commencement, été commises aux soins de diverses puissances et distribuées sous leur conduite en certains départements, elles doivent suivre la même disposition dans leur manière de se gouverner, et toutes choses vont bien, lorsqu'en chaque endroit on se gouverne comme il plaît à ces puissances. De sorte qu'il y aurait de l'impiété à enfreindre les lois qui ont d'abord été établies de lieu en lieu. Celse donne à entendre par là que les anciens Juifs, qui étaient Égyptiens d'origine, ayant dans la suite fait un corps particulier de nation et s'étant établi des lois, ils les retiennent et les observent encore. Et, pour ne pas répéter toutes ses paroles, il dit qu'il est utile aux Juifs de garder la religion de leurs pères, comme les autres peuples suivent les coutumes de leur pays. Il rend même une raison mystérieuse de ce qu'il est utile aux Juifs d'en user ainsi, nous insinuant que les puissances à qui il est échu d'avoir le soin des diverses parties de la terre ont elles-mêmes travaillé avec les législateurs à l'établissement des lois qui y sont reçues. Par où il semble poser que le pays et la nation des Juifs ont aussi été commis aux soins d'une ou de plusieurs puissances, sous la direction de qui Moïse a dressé des lois par lesquelles ce peuple se gouverne.

XXVI.  Il faut, dit-il, observer les lois, non seulement parce que, les uns s'en sont fait d'une façon, les autres d'une autre, comme il leur est venu dans l'esprit, et que l'on doit se tenir à ce qui a été une fois publiquement établi ; mais aussi parce que, selon l'apparence, les parties de la terre ayant dès le commencement été commises aux soins de diverses puissances, et distribuées sous leur conduite en certains départements, elles doivent suivre la même disposition dans leur manière de se gouverner. Ensuite, comme il avait oublié tout ce qu'il a dit contre les Juifs, il les comprend dans la louange générale qu'il donne ici à tous ceux qui gardent les coutumes de leur pays. Toutes choses vont bien, dit-il, lorsqu'en chaque endroit on se gouverne comme il plait à ces puissances. Et n'est-ce pas évidemment faire ce qu'il peut pour obliger les Juifs à demeurer fermes dans l'observation de leurs lois, de peur de pécher en les abandonnant, que de dire, comme il fait, qu'i' y aurait de l'impiété à enfreindre les lois qui ont d'abord été établies de lieu en lieu?

Je voudrais bien lui demander là-dessus, à lui ou à ceux qui sont dans la même pensée, qui est-ce qui dès le commencement a ainsi commis les parties de la terre aux soins de diverses puissances, qui est-ce en particulier qui a mis la Judée et les Juifs sous la conduite de celle ou de celles à qui ils sont échus. Est-ce Jupiter, comme on parie dans le langage de Celse, est-ce Jupiter qui a chargé soit une ou plusieurs de ces puissances du soin de ce pays et de ce peuple, et qui a voulu que celle à qui écherrait celle partie de la terre y établit ces mêmes lois que les Juifs observent; ou si elles y ont été établies sans l'ordre de Jupiter?

Quelque parti qu'il prenne, vous voyez qu'il se jettera dans l'embarras, si cette distribution ne s'est pas faite sans l'autorité d'un seul, il faut qu'elle se soit faite par hasard et que chacun se soit saisi de l'endroit qui s'est le premier rencontré : ce qui est absurde au dernier point et directement contraire à la Providence d'un Dieu qui gouverne tout.

XXVII. Comment au reste et en quels départements les diverses parties de la terre ont été distribuées sous la conduite des puissances qui en ont le soin, entreprenne qui voudra de l'expliquer et de nous montrer que toutes choses vont bien, lorsqu'on chaque endroit on se gouverne comme il plait à ces puissances.  Qu'on nous dise, par exemple, si tout va bien parmi les Scythes dont les lois veulent que l'on fasse mourir son père ; et parmi les Perses, qui permettent à un homme d'épouser sa mère ou sa fille. Il n'est pas besoin que je copie les recueils qui ont été faits des lois de différentes nations, pour demander sur chacune de ces lois comment toutes choses vont bien lorsqu'on se gouverne en chaque endroit comme il plaît aux puissances qui y président.  Que Celse nous fasse voir seulement qu'il y ait de l'impiété en ceux qui ne se conforment pas aux lois de leur pays, lorsqu'elles consentent qu'on épouse sa mère ou sa fille ; qu'elles déclarent ceux-là bienheureux qui finissent volontairement leur vie par la corde, et qu'elles assurent que ceux qui se jettent dans le feu et qui s'y laissent consumer sont parfaitement purifiés ; qu'il y ait de l'impiété à enfreindre des lois telles que celles des habitants de la Chersonèse Taurique, qui sacrifiaient les étrangers à Diane; ou de quelques peuples de Libye, qui sacrifiaient leurs enfants à Saturne. Il suit, au reste, de la maxime de Celse, que les Juifs seraient aussi des impies d'enfreindre les lois de leur pays, qui leur défendent de servir religieusement d'autre Dieu que le Créateur de l'univers : et que la piété est une vertu divine, non de sa nature, mais par le simple consentement et la simple opinion des hommes. Car les uns croient faire un acte de piété de servir religieusement un crocodile, pendant qu'ils mangent ce que les autres adorent; ceux-ci de rendre leur culte à un veau; et ceux-là, de prendre un bouc pour dieu. De sorte qu'une même personne fera des actes de piété, selon certaines lois, et d'impiété, selon d'autres, ce qui est la chose du monde la plus absurde.

XXVIII. L'on dira peut-être que la piété consiste à garder chacun les lois de son pays, sans qu'on doive passer pour impie, quand on n'observe pas des lois étrangères : et qu'un homme que certains autres jugent impie, ne l'est pourtant point lorsque, vivant selon les coutumes et la religion de son pays, il détruit et mange ce qui est en vénération parmi ceux qui ont des lois contraires. Mais voyez si ce n'est pas là confondre toutes les idées que les hommes ont de la justice de la sainteté et de la piété. En effet, si la piété, la sainteté et la justice sont de cet ordre de choses, qui ne sont ce qu'on les dit être que par rapport à d'autres, et qu'une même action puisse être juste ou injuste, selon qu'on la compare à diverses lois  ou à diverses coutumes, ne s'ensuit-il pas qu'il en faudra dire autant de la tempérance ou de la vaillance, de la générosité, de la prudence, de la science et de toutes les autres vertus? Ce qui serait une absurdité qui n'aurait point sa pareille. Cette réponse à l'objection de Celse pourrait suffire pour les personnes qui se contentent de ce qu'il y a de plus commun et de plus simple ; mais comme il se peut faire que cet écrit tombe entre les mains de gens plus exacts et plus curieux, hasardons-nous d'approfondir un peu la matière, et de dire quelque chose sur un sujet aussi mystérieux et aussi obscur qu'est la distribution par laquelle les diverses parties de la terre ont été commises, dès le commencement, aux soins et à la conduite de diverses puissances. Faisons voir surtout, autant que nous en serons capables, que notre doctrine est exempte des absurdités que Celse a ramassées.

XXIX. Il semble qu'il ait entendu parler confusément de cette division de la terre, qui est un mystère peu connu, bien que les Grecs ne l'aient pas entièrement ignoré, puisque leur histoire nous représente quelques-uns de leurs dieux qui disputant pour la possession de l'Attique ; et que dans leurs poètes, il y a de ces fausses divinités qui témoignent une affection particulière pour certains lieux. L'histoire barbare même, et entre autres celle d'Égypte, marque quelque chose de pareil sur la distribution des provinces de ce pays-là, disant que la province de Saïs est échue à Minerve aussi bien que le pays d'Attique. Les savants d'entre les Égyptiens disent une infinité de choses semblables touchant celle division ; et je ne sais s'ils n'y comprennent pas même les Juifs et leur pays. Mais pour cette heure, c'est assez parlé de ce qui n'est pas fondé sur la révélation divine. Voyons ce que Moïse, qui a été, selon nous, un prophète de Dieu et un de ses vrais serviteurs, dit là-dessus dans le cantique du Deutéronome ; car nous croyons que c'est du partage de la terre qu'il faut entendre ces paroles : Quand le Dieu Très-Haut partagea les nations et qu'il sépara les enfants d'Adam les uns d'avec les autres, il établit les bornes des peuples selon le nombre des anges de Dieu; mais la portion du Seigneur, ce fut Jacob, son peuple, et le lot de son partage, ce fut Israël (Deuter., XXXII, 8, 9). Le même Moïse nous représente sous le voile d'une narration historique, dans son livre appelé la Genèse, de quelle manière les peuples furent divisés. Alors, dit-il, toute la terre avait une même langue et les hommes s'entendaient tous; mais quand ils partirent d'Orient ils trouvèrent une campagne au pays de Sennaar où ils s'arrêtèrent ( Gen., II, 1,2 ). Et un peu après: Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants des hommes : et le Seigneur dit : Ce n'est ici qu'un même peuple, ils parlent tous une même langue ; voici le commencement de leurs entreprises, et désormais tout ce qu'ils entreprendront ils en viendront à bout.  Venez, descendons et confondons ici leur langue, afin qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres.   Ainsi le Seigneur les dispersa de là sur toute la terre ; et ils commencèrent à bâtir la ville et la tour.  C'est pourquoi elle fut nommée Confusion ; parce que le Seigneur confondit là la langue de tous les hommes et qu'il les dispersa de là sur toute la terre (Ibid. 5 etc.).   Et dans le livre appelé la Sagesse de Salomon, voici comment il parle de la sagesse et de cette confusion des langues, qui fut suivie du partage de la terre : Quand les nations furent confuses dans leur méchante conspiration, la sagesse connut le juste, elle le consacra irrépréhensible devant Dieu, et l'aimant tendrement comme son fils, elle fit qu'il demeura plein de force (Sag., X, 5). Il y aurait ici à faire beaucoup de considérations trèsprofondes; maison y peut appliquer ce mot : Qu'il est bon de cacher le secret du roi ; de peur que, versant dans les oreilles profanes la doctrine qui nous enseigne de quelle manière différente de la transmigration les âmes viennent animer les corps, l'on ne donne les choses saintes aux chiens, et l'on ne jette les perles devant les pourceaux (Tob., XII, 7; Matth., VII, 6 ). Car ce serait être impie que de trahir ainsi les secrets de la sagesse de Dieu, et d'en divulguer mal à propos les mystères, puisqu'il a été fort bien dit que la sagesse n'entre point dans une âme maligne, et qu elle n'habite point dans un corps assujetti au péché (Sag., l, 4). Il suffit de proposer, en forme d'histoire, ce qui a été caché sous le voile des expressions historiques : les personnes intelligentes sauront bien pénétrer plus avant.

XXX. Représentez-vous donc que tous les hommes de la terre se servent d'une même langue divine, et que l'usage leur en est laissé tant qu'ils demeurent bien unis ensemble : qu'ils se tiennent du côté de l'Orient sans en partir, tant qu'ils aiment la lumière éternelle et sa splendeur : qu'après cela quittant l'Orient et ayant de l'amour pour d'autres choses, ils trouvent une campagne au pays de Sennaar (qui signifie brisement de dents, pour marquer qu'ils avaient perdu ce qui les devait nourrir); et qu'ils s arrêtent en ce lieu là : qu'ensuite voulant faire un amas de choses matérielles et porter jusque dans le ciel ce qui lui est le plus opposé, afin d'entreprendre par le moyen de cos choses matérielles, sur celles qui ne le sont pas, ils disent : Venez, faisions des briques et mettons-les cuire au feu ( Gen., XI. 3 ) ; que croyant de la sorte rendre leurs matières de boue fermes et solides, et prétendant changer les briques en pierres et la boue en bitume, pour en bâtir une ville avec une tour qui s'élève jusqu'au ciel, ils sont punis de leur audace à proportion de ce que chacun a mérité, en s'éloignant plus ou moins de l'Orient, en travaillant à changer les briques en pierres, et la boue en bitume, et en bâtissant avec de telles matières ; que, jusqu'à ce qu'ils en .aient porté la peine, ils sont livrés à divers anges qui les traitent plus ou moins rudement et qui, leur apprenant chacun sa langue, les conduisent en diverses parties de la terre, selon qu'ils en sont dignes, les uns par  exemple, dans un endroit que le soleil brûle, les autres dans un climat où l'on est tourmenté par le froid ; ceux-ci dans un pays difficile à cultiver ou rempli de bêtes féroces, et ceux-là sous un ciel plus bénin.
 
 
 
 

XXXI. Que les personnes éclairées conçoivent encore sous l'emblème d'une histoire, qui a quelque chose de véritable à la lettre, mais qui renferme aussi d'autres sens cachés, que ceux qui ne changèrent point de pays et qui gardèrent leur première langue, demeurèrent en Orient et retinrent la langue orientale; qu'eux seuls furent la portion du Seigneur, qui les nomme Jacob, son peuple; qu'Israël seul fut le lot de son partage (Deut., XXXII, 9), et qu'eux seuls tombèrent sous la conduite d'une puissance qui ne les prit point pour les punir, comme les autres puissances prirent les autres peuples. Qu'on remarque de plus autant que des hommes le peuvent faire, que dans celle société affectée au Seigneur, comme la meilleure portion, il se commet des péchés, d'abord des péchés tolérables et qui ne méritent pas que Dieu abandonne entièrement ceux qui les commettent; puis de plus grands, mais qui se peuvent encore tolérer : que cela arrive par plusieurs fois et que Dieu y apportant toujours du remède, ces pécheurs se convertissent de temps en temps : qu'à proportion de leur péchés, Dieu les abandonne aux puissances à qui les autres nations sont échues : qu'au commencement leur peine est modérée ; qu'en ayant profité et ayant comme expié leur crime en la subissant, ils retournent en leur pays; qu'ensuite ils sont livrés à des puissances dont la domination est plus rude, savoir, aux Assyriens et puis aux Babyloniens, comme l'Écriture les appelle ; qu'enfin péchant de plus en plus malgré les remèdes, ils sont à cause de cela dispersés et chassés de toutes parts par les puissances qui président sur les autres nations : que la puissance de qui ils dépendent, les laisse à dessein disperser par ces autres, afin qu'à son tour et comme pour se venger sans rien faire en cela contre la raison, elle retire ceux des autres peuples qu'elle pourra, selon le pouvoir qu'elle en aura reçu, elle leur donne des lois, et leur montre de quelle manière il faut vivre ; qu'ainsi elle les conduise à la même béatitude où elle a conduit ceux de la première nation qui n'ont pas péché.

XXXII. Les personnes qui sont capables de ces connaissances doivent aussi apprendre de là que la puissance qui a eu sous sa conduite ces premiers qui n'ont pas péché, est incomparablement la plus forte, puisqu'elle a pu choisir partout ceux qu'il lui a plu, et les ravir aux autres puissances qui les avaient pris pour les punir ; qu'elle a pu leur donner de nouvelles lois et leur enseigner à vivre d'une manière qui servit à faire oublier leurs péchés précédents. Mais comme nous en avons delà averti, nous ne parlons pas ouvertement de ces choses ; et notre dessein n'est que de faire voir où les auteurs que Celse copie ont confusément appris que les parties de la terre ayant dès le commencement été commises aux soins de diverses puissances et distribuées sous leur conduite en de certains départements elles doivent suive la même disposition dans leur manière de se  gouverner. Au reste comme ceux qui quittèrent l'Orient furent, à cause de leurs péchés, livrés à un esprit réprouvé, à des passions honteuses et aux désirs impurs de leur c?ur (Rom., I, 28 26, 24) afin qu'à force de se remplir du péché, ils s'en dégoûtassent et le haïssent, nous ne saurions être du sentiment de Celse, qui dit que toutes choses vont bien, lorsqu'en chaque endroit, on se laisse conduire aux puissances qui y président. Pour nous, ce n'est pas ce qu'il leur plaît, quo nous voulons faire. Nous voyons qu'il y a de la piété à enfreindre les lois qui ont d'abord été établies de lieu en lieu : à les enfreindre, dis-je, pour d'autres lois plus excellentes et plus divines, pour les lois que Jésus, comme plus puissant, a établies au lieu des premières ; nous retirant du présent tiède qui est corrompu, et nous délivrant des princes de ce monde qui se détruisent (Gal,, I, 4). Nous voyons au contraire qu'il y a de l'impiété à ne pas se soumettre et à ne pas s'abandonner à celui qui a, si manifestement paru plus fort que tous ces prince «  (I Cor., II, 6 ) et que toutes ces puissances ; à celui à qui Dieu avait dit par ses prophètes tant de siècles auparavant: Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage, et toute l'étendue de la terre pour ta possession. (Ps. II,8). En effet, il est devenu notre attente (Gen.. IV, 9, 10), de nous Gentils qui d'entre les nations, avons cru en lui et au grand Dieu, son Père.

XXXIII. Par les choses que nous venons de dire, nous avons seulement répondu à ce que Celse pose touchant les puissances qui président sur les peuples; mais aussi nous avons en quelque sorte réfuté par avance ce qu'il dit plus bas en ces termes : Que la seconde troupe se présente maintenant, je leur demanderai d'où ils viennent, qui ils suivent et sur quelle loi ils se fondent, qu'ils puissent m'alléguer comme la loi de leur pays. Ils n'en ont aucune à me produire; car ceux-ci tirent leur origine des premiers, et c'est de là qu'ils ont pris celui qu'ils reconnaissent pour leur maître et pour leur chef; cependant ils se sont séparés des Juifs pour faire bande à part. Nous venons dans ces derniers temps auxquels notre Jésus a paru, nous venons chacun de nous à la sainte et glorieuse montagne du Seigneur, qui est sa parole, que nulle autre parole ne peut égaler ; à la maison de Dieu, qui est l'église du Dieu vivant, la colonne et la base de la vérité (I Tim., Ill, 15). Nous voyons cette maison bâtie sur le sommet des montagnes (Is., Il, 2) ; c'est-à-dire sur toutes les anciennes prophéties qui en sont le fondement (Ephés.,II, 20). Nous la voyons qui s'élève par-dessus toutes les collines, c'est-à-dire par-dessus tout ce qu'il y a de plus apparent entre les hommes pour l'étude de la sagesse et pour la connaissance de la vérité. Et nous y entrons, nous Gentils, nous y accourons en foule du milieu de plusieurs nations, nous disant les uns aux autres pour nous exhorter à embrasser la religion que Jésus-Christ dans ces derniers temps a établie avec tant d'éclat : Venez, et montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob : il nous enseignera ses voies et nous y marcherons (Is., II, 3 et 4). Car la loi est sortie d'entre les habitants de Sion, et elle est venue s'établir parmi nous toute spirituelle : la parole du Seigneur est sortie de celle Jérusalem pour se répandre de toutes parts, et pour juger chacun entre les nations, arrêtant son choix sur ceux qui lui témoignent une prompte obéissance, et reprenant sévèrement les rebelles qui sont un grand peuple. Nous disons à ceux qui nom demandent d'où nous venons et qui nous suivons, que nous venons sous les ordres de Jésus, briser les épées de nos guerres spirituelles el de nos animosités pour en faire des charrues, que nous venons changer en faucilles les lances dont nous nous servions autrefois dans nos emportements. Car nous ne prenons plus l'épée contre aucun peuple, et nous ne nous exerçons plus pour la guerre, étant devenus les enfants de la paix ( Luc, X, 6) par Jésus-Christ. C'est lui que nous suivons comme notre chef, au lieu de ceux que nos pères ont suivis sous qui nous étions étrangers à l'égard des alliances divines (Ephés., Il, 12) : et c'est lui qui nous a donné une loi, au sujet de laquelle nous disons dans nos actions de grâces à celui qui nous a tirés de l'erreur : Certainement nos pères en possédant leurs idoles, n'ont possédé qu'une chose vaine et trompeuse : car il n'y a aucune d'elles qui fasse pleuvoir (Jér., XVI, 19 et XIV, 22). Notre chef donc et notre maître, étant sorti du milieu des Juifs, a répandu par toute la terre les enseignements de sa doctrine. Et voilà ce que nous avons cru devoir dire dès à présent pour renverser de toutes nos forces ce que Celse nous objectera ci- dessous, après beaucoup d'autres choses : car il nous a semblé que celle matière était liée avec celle que nous traitions ici.

XXXIV. Mais pour ne pas laisser sans réponse ce qu'il dit entre deux, nous allons aussi le rapporter. On peut, dit-il, confîrmer cela par le témoignage d'Hérodote qui parle en ces termes (Livr. II): Les habitants de la ville de Marée et de celle d'Apis, situées aux extrémités de l'Égypte sur les frontières de la Libye, prétendant être Libyens et ne pouvant s'accommoder d'une religion qui leur défendait la chair de vache, ils envoyèrent à l'oracle de Jupiter Ammon déclarer qu'ils n'avaient rien de commun avec les Égyptiens; qu'ils demeuraient hors du Delta, et qu'étant d'un sentiment contraire au leur, ils voulaient avoir la liberté de manger de tout. Mais le dieu ne leur permit pas d'en user ainsi, assurant que tout ce que le Nil arrose dans son déborde ment était de l'Égypte, et que tous ceux-là étaient Égyptiens  qui buvaient des eaux de ce fleuve au-dessous de la ville d'Éléphantine, C'est ce que raconte Hérodote, et Ammon ne mérite pas moins qu'on lui défère sur le sujet des choses divines que les anges des Juifs; de sorte qu'il n'y a point d'injustice, que chacun observe ses propres cérémonies. On en trouve de lieu en lieu un nombre infini de différentes, cependant il n'y a aucun qui ne croie que les siennes sont les plus saintes et les plus légitimes. Les Éthiopiens de Méroé n'adorent que Jupiter et Bacchus ; les Arabes, que Bacchus et Uranie : tous les Égyptiens en général servent Osiris et Isis ; les Saïtes en particulier, Minerve; les Naucratites, depuis quelque temps, reconnaissent Sérapis pour leur Dieu et dans chacune des autres provinces on se sert d'autres. Les uns ne mangent point de brebis, leur rendant un culte religieux ; les autres, de chèvres; ceux-ci, de crocodiles et ceux-là, de vaches : mais tous s'abstiennent de chair de pourceau comme d'une chose abominable. Les Scythes croient qu'il n'y a rien moins que du mal à manger des hommes : et parmi les Indiens, il y en a même qui se font un devoir de piété de manger leurs pères (Livr. III). C'est le même Hérodote qui nous l'apprend: et pour en faire foi, je rapporterai encore ses propres paroles : les voici : Si l'on donnait le choix aux hommes, leur ordonnant de prendre de toutes les lois celles qu'ils jugeraient les meilleures, chacun, après avoir bien choisi, se tiendrait à celles de son pays : car nous croyons tous que nos coutumes valent incomparablement mieux que celles des autres. Il faut donc être fou pour se moquer de ce qui se pratique ailleurs. Il serait aisé de faire voir que tous les hommes ont cette pensée de leurs lois et de leurs coutumes ; mais je n'en veux pas d'autre preuve que celle-ci. Darius étant roi des Perses, fit venir devant lui quelques Grecs qui se trouvèrent à ta cour, et leur demanda pour combien ils voudraient manger leurs pères, les voyant morts. Ils répondirent qu'ils ne le feraient pour rien au monde. Il fit ensuite venir certains Indiens, nommés Callaties, qui mangent leurs pères; et il leur demanda devant les Grecs, à qui un trucheman expliquait ce qui se disait, pour combien ils voudraient brûler les corps de leurs pères ; sur quoi ils se récrièrent, le priant de ne leur point faire une telle proposition. Voilà comme chacun est disposé à cet égard : et je trouve que Pindare a eu raison de représenter la loi comme une reine dont l'empire s'étend partout.

XXXV. Il semble que Celse, dans ces paroles, ait dessein de prouver que tous les hommes doivent vivre selon les coutumes de leur pays, sans qu'on puisse les en blâmer; mais que les chrétiens qui ne font point, comme les Juifs, un corps de nation, ont eu tort d'abandonner les leurs, pour suivre la doctrine de Jésus. Je voudrais donc lui demander si les philosophes, qui ont appris à se défaire des scrupules delà superstition, font bien ou mal de s'éloigner des coutumes de leur pays, et de manger des choses qu'elles défendent. Si la philosophie, par les préceptes qu'elle leur donne contre la superstition, les met en droit de manger de tout, sans s'arrêter à l'usage qui les défend, pourquoi les chrétiens dont les lois veulent qu'au lieu de s'attacher aux simulacres et aux statues ou même aux ouvrages de Dieu, ils élèvent leur âme jusqu'au Créateur, ne le feront-ils pas, sans être plus criminels que les philosophes, dans une cause à peu près pareille ? Mais si Celse ou ceux qui sont de son sentiment nous disent. pour ne pas renoncer à leurs principes, qu'il faut qu'un philosophe se tienne aux coutumes de son pays, il se trouvera des philosophes qui, vivant, par exemple, en Égypte, seront obligés de s'abstenir puérilement de manger des ognons ou de certaines parties du corps des bêles, comme de la tète ou de l'épaule, de peur de violer la tradition de leurs pères. Je ne parle point de ceux des Égyptiens qui ont de la vénération pour cesbruits déshonnêtes qui sortent du corps, de sorte que s'il y avait parmi eux quelque philosophe, et qu'il voulût garder les coutumes de son pays, ce serait un philosophe ridicule, qui ferait des choses indignes de sa profession. Je dis donc que celui qui étant instruit par la doctrine chrétienne à servir religieusement le grand Dieu, s'abaisse et s'arrête à cause des coutumes de son pays, aux simulacres et aux statues faites par les hommes, sans vouloir élever son esprit jusqu'au Créateur, est à peu près semblable à ceux qui ont étudié la philosophie, mais qui craignent cependant ce qui n'est point à craindre, et croiraient faire une impiété s'ils mangeaient certaines choses.

XXXVI. C'est où nous conduit ce Jupiter Ammon dont parle Hérodote, dans les paroles que Celse a citées, comme pour prouver démonstrativement que chacun doit suivre les coutumes de son pays; car leur Ammon ne souffre pas que les habitants de la ville de Marée, et de celle d'Apis, situées sur les frontières de la Libye, tiennent l'usage de la chair de vache pour une chose indifférente, ce qui néanmoins est si indifférent de soi-même, qu'il n'empêche point qu'un homme ne soit vertueux. Encore si Ammon avait défendu de manger de ces animaux parce qu'ils sont utiles pour l'agriculture, et que d'ailleurs, ce sont les femelles qui contribuent le plus à la multiplication de l'espèce, cela aurait peut-être quelque couleur : mais il veut uniquement qu'à cause que les habitants de ces villes boivent des eaux du Nil, ils soient obligés d'observer les coutumes des Égyptiens touchant les vaches. Celse prend même de là occasion d'insulter aux anges des Juifs, aux ministres de Dieu, en disant qu'Ammon ne mérite pas moins qu'on lui défère sur le sujet des choses divines que ces anges (I Cor., IX, 9 ). Mais s'il avait bien examiné le but de leurs apparitions, et le sens de leurs discours, il aurait compris que Dieu se met peu en peine de ce qui regarde les boeufs, lors même qu'il semble faire des lois pour eux ou pour les autres animaux sans raison ; et il aurait vu que cela est écrit pour les hommes, à qui des certaines vérités naturelles sont représentées sous l'image de ces animaux. Il prétend qu'il n'y ait point d'injustice que chacun observe ses propres cérémonies. D'où il suit que, selon lui, les Scythes ne font rien d'injuste, lorsqu'ils mangent des hommes, suivant la coutume de leur pays ; et que ces peuples des Indes, qui se font un devoir de piété de manger leurs pères, sont bien fondés aussi, ou que du moins ils ne font point d'injustice. En effet, il rapporte un passage d'Hérodote pour faire voir que chacun fait bien de suivre les lois de son pays, et il donne lieu de croire qu'il approuve le sentiment de ces Indiens Callaties qui mangent leurs pères, et qui, lorsque Darius leur demanda pour combien ils voudraient renoncer à cette coutume, se récrièrent, le priant de ne leur point faire une telle proposition.

XXXVII. Au reste, comme à parler en général, il y a deux lois, la loi de la nature, dont Dieu est l'auteur, et la loi écrite, par laquelle les sociétés politiques se gouvernent, il est juste que, tant que la loi écrite n'est point contraire à la loi de Dieu, elle soit observée par ceux qui composent la société, et qu'ils ne s'en éloignent pas, sous prétexte de quelques lois étrangères. Mais lorsque la loi de la nature, c'est-à-dire la loi de Dieu, ordonne des choses contraires à la loi écrite, voyez si la raison ne veut pas que l'on méprise les lois écrites et leurs auteurs, pour ne reconnaître de législateur que Dieu, et pour vivre conformément à sa volonté, quelques peines, quelques dangers, quelques opprobres et quelques morts qu'il y ait à craindre. Car les ordres de Dieu étant différents de quelques-unes des lois de la société, et n'y ayant pas moyen de plaire en même temps à Dieu et à ceux qui veulent qu'on observe ces lois, il serait absurde de négliger des actions par lesquelles on peut plaire au Créateur de l'univers, et d'en faire qui déplairaient à Dieu, en plaisant aux protecteurs de ces lois impies. Or s'il est raisonnable de préférer, sur les autres points, la loi de la nature, qui a Dieu pour auteur, à la loi écrite, que des hommes ont établie directement contraire à la loi de Dieu, ne le sera- t-il pas, sans comparaison davantage, sur le sujet de Dieu même ? Nous ne ferons donc point comme les Éthiopiens d'autour de Méroé, à qui il a plu de n'adorer que Jupiter et Bacchus, et nous n'imiterons aucun des autres Éthiopiens dans le culte de leurs dieux. Nous n'aurons point, comme les Arabes, pour nos seules divinités, Bacchus et Uranie ; nous rejetterons même tous ces dieux en qui l'on prétend qu'il y ait différence de sexe : car ies Arabes veulent que leur Uranie soit d'un sexe et leur Bacchus de l'autre. Nous n'imiterons point non plus tous les Égyptiens dans le culte d'Osiris et d'Isis ; et nous n'y joindrons point Minerve comme font les Saïtes. Si les anciens Naucratiles avaient aussi leurs dieux, et que les modernes en adorent un autre, depuis trois jours, savoir, Sérapis, qui n'avait jamais été dieu, cela ne nous obligera point à reconnaître une nouvelle divinité qui n'était point auparavant et qui jusque-là avait clé inconnue aux hommes. Car bien que le Fils de Dieu, le premier-né de toutes les créatures (Col.,l, 15 ) semble ne s'être fait homme que depuis peu, il n'est pas nouveau pour cela : les saintes Écritures nous le représentent comme plus ancien que tous les ouvrages de Dieu, puisque ce fut à lui que Dieu dit, au sujet de la création de l'homme : faisons l'homme selon notre image et selon notre ressemblance (Gen., I, 26 ).

XXXVIII. Mais je veux faire voir le peu de raison qu'a Celse de dire qu'il faut que chacun suive, dans son culte, les lois et les coutumes de son pays. Il dit que les Éthiopiens de Méroé ne reconnaissent et n'adorent d'autres dieux que Jupiter et Bacchus, et que les Arabes n'en reconnaissent et n'en adorent aussi que deux ; Bacchus, qui leur est commun avec les Éthiopiens, et Uranie qui leur est particulière. Selon lui, les Éthiopiens n'adorent point Uranie, ni les Arabes Jupiter. S'il arrive donc qu'un Éthiopien, conduit par quelque accident parmi les Arabes, y soit accusé d'impiété, et prêt d'être condamné à la mort, parce qu'il n'adore pas Uranie, faudra-t-il qu'il se laisse mener au supplice ou qu'il adore Uranie, en violant les coutumes de son pays ? S'il viole ces coutumes, il sera un impie, selon les principes de Celse; et s'use laisse mener au supplice, qu'on nous montre quelle raison l'y doit obliger : car je ne sais si les Éthiopiens ont une philosophie qui leur enseigne l'immortalité de l'âme et qui promette des récompenses à la piété de ceux qui servent les dieux de leur pays selon les lois qui y sont reçues. On en peut dire autant des Arabes qui se trouveraient par hasard parmi les Éthiopiens de Méroé. Car étant instruits à n'adorer que Bacchus et Uranie, ils n'adoreraient pas Jupiter avec les Éthiopiens. Que Celse nous dise donc ce que la raison voudrait qu'ils fissent, si là-dessus on les traînait au supplice comme des impies. Il n'est ni nécessaire, ni à propos de nous arrêter aux fables d'Osiris et d'Isis. Je dirai seulement que quand on leur donnerait un sens allégorique, elles nous porteraient à adorer l'eau, qui est un sujet inanimé, et la terre, que les hommes et les autres animaux foulent aux pieds. Car c'est ce qu'on prétend, si je ne me trompe, de nous donner Osiris pour l'eau, et Isis pour la terre. A l'égard de Sérapis, de qui on nous dit tant de choses si peu conformes les unes aux autres, il n'a paru que depuis trois jours, et par l'adresse de Ptolomée, qui voulut en faire comme un dieu visible aux habitants d'Alexandrie : et nous lisons dans les écrits du pythagoricien Numénius, qui nous en fait la description, qu'il participait à l'essence de tout ce que la nature produit, tant à celle des animaux, qu'à celle des plantes; les magiciens, ceux qui usent de sortilèges, et ceux qui évoquent les démons, contribuant avec les sculpteurs à le faire passer pour dieu par leurs cérémonies abominables et par leurs prestiges.

XXXIX. Il faut donc examiner de quelles choses il est à propos que l'homme, qui est une créature raisonnable ( Gr., un animal ), qui se gouverne par des lois et qui n'agit qu'avec connaissance, s'abstienne ou ne s'abstienne pas dans son manger; et non se laisse aller, comme si c'était par un effet du sort, à regarder avec un respect religieux, des brebis, des chèvres, ou des vaches. Encore n'y aurait-il rien de mauvais à s'abstenir de ces animaux, de qui il revient beaucoup d'utilité aux hommes. Mais d'épargner les crocodiles et de les estimer consacrés à je ne sais quel dieu fabuleux, n'est-ce pas la dernière folie ? Car quelle extravagance d'épargner ce qui ne nous épargne point, et de respecter des animaux qui mangent les hommes.

Pour ce qui est de Celse, il approuve la pratique de ceux qui ont du respect et de la vénération pour les crocodiles, selon l'usage de leur pays; et il n'écrit point contre eux : mais il blâme la conduite des chrétiens qui enseignent à fuir et à abhorrer le vice, avec toutes les actions vicieuses ; et à faire de la vertu l'objet de notre vénération et de notre amour, puisqu'elle est engendrée de Dieu, comme étant son fils. Car sous prétexte que le nom de la sagesse et de la justice est féminin, il ne faut pas croire que ce soit pour en marquer le sexe. Selon nous, ces noms conviennent au Fils de Dieu qui, comme nous l'apprenons de son vrai disciple, a été fait de Dieu pour nous, sagesse, justice, sanctification, et rédemption (I Cor., I, 30). Si nous le nommons Un second Dieu, qu'on sache que, par ce second Dieu, nous n'entendons autre chose que la vertu qui comprend et qui renferme toutes les vertus; la raison qui comprend et qui renferme tout ce qu'il y a de raison dans les choses conformes à la nature, et faites avec prévoyance pour le bien de l'univers. C'est elle que nous disons qui a été particulièrement jointe et unie avec l'âme de Jésus, à l'exclusion de toute autre âme; n'y ayant que lui qui pût être parfaitement capable de cette étroite union avec la raison même, la sagesse même et la justice même.

XL. Ce que Celse ajoute, après tout ce qu'il a dit de la diversité des lois : Qu'il trouve que Pindare a eu raison de représenter la loi comme une reine, dont l'empire s'étend partout, nous oblige à dire encore un mot là-dessus, et à lui demander quelle est cette loi dont il nous parle comme d'une reine dont l'empire s'étend partout. S'il entend les lois par lesquelles les sociétés civiles se gouvernent, cela se trouvera faux; car ces sociétés ne sont pas toutes régies par la même loi, et il aurait du moins fallu dire que les lois sont des reines, chaque nation ayant la sienne particulière, dont elle reconnaît l'empire. Mais s'il entend la loi proprement ainsi nommée, c'est cette loi qui est une reine, dont l'empire s'étend naturellement partout, bien que, comme il y a des voleurs qui méprisent les lois civiles, il se trouve aussi des gens qui se rebellent contre celle-ci, menant une vie aussi pleine d'injustice que celle des voleurs. Nous donc, qui sommes chrétiens, et qui savons que celle loi, dont l'empire s'étend naturellement partout, est la même que la loi de Dieu, nous tâchons d'y conformer notre vie, renonçant pour jamais à toutes ces autres lois impies.
 
 

XLI. Voyons ce qu'il dit ensuite, quoique cela regarde principalement les Juifs et qu'il n'y ait que fort peu de chose touchant les chrétiens. Si dans ses vues, dit-il, les Juifs veulent demeurer attachés à leurs lois, on ne saurait les en blâmer: il faut plutôt blâmer ceux qui abandonnent leurs propres coutumes pour prendre celles des Juifs. Mais s'ils font les vains, prétendant être bien plus éclairés que les autres, et s'ils réfutent d'avoir commerce avec le reste des hommes comme avec des personnes moins pures, nous leur avons déjà fait voir que leur opinion touchant le ciel, pour ne parler que de celle-là, ne leur est pas particulière, et que les Perses l'ont eue, il y a longtemps, selon le témoignage d'Hérodote (Liv. I); car il nous assure qu'ils ont accoutumé d'aller offrir leurs sacrifices à Jupiter sur les plus hautes montagnes, donnant le nom de Jupiter à toute cette étendue du ciel qui nous environne. Je crois donc qu'il est fort indifférent, pour désigner Jupiter, de le nommer ou le Très-Haut, ou Zen, ou Adonée, ou Sabaoth, ou Ammon, comme font les Égyptiens, ou Papée, comme font les Scythes. Ils ne doivent pas non plu » s'imaginer être plus saints que les autres, sous prétexte qu'ils se font circoncirs, car les Égyptiens et les habitants de la Colchide le font avant eux; ou parce qu'ils s'abstiennent de chair de pourceau, car les Égyptiens s'en abstiennent également, et ils s'abstiennent de plus de celle de chèvre et de brebis, et de vache et de poisson. Pythagore aussi et ses disciples ne mangent ni fèves ni rien qui ait été animé. Enfin il ne faut pas croire qu'ils soient plut agréables ni plus chers à Dieu que le reste des hommes, ou qu'il n'envoie ses anges et ses messagers qu'à eux seuls, comme s'ils habitaient. quelque région fortunée : car nous voyons bien quels privilèges ont été accordés à eux et à leur pays. Donnons donc congé à cette troupe, et laissons-lui porter la peine de sa vanité. Ils ne connaissent point le grand Dieu: mais s'étant laissé prendre et tromper aux illusions de Moïse, ils se sont faits ses disciples pour leur malheur.

XLII. Il est clair que Celse veut là reprocher aux Juifs qu'ils s'attribuent faussement d'être la portion que le grand Dieu s'est choisie, au préjudice de tous les autres peuples, et qu'il les accuse de vanité, comme des gens qui se glorifient d'être au grand Dieu, et qui cependant ne le connaissent point, mais qui s'étant laissé prendre et tromper aux illusions de Moïse, se sont faits ses disciples pour leur malheur. Nous avons déjà ci-dessus dit quelque chose de la manière excellente et admirable dont les Juifs se gouvernaient quand la ville et le temple de Dieu, avec toutes les cérémonies sacrées qui se faisaient dans ce temple et sur l'autel, subsistaient au milieu d'eux comme autant de symboles divins. Et si quelqu'un voulait s'attacher à pénétrer l'intention du législateur, et que se formant là-dessus l'idée de lu république judaïque, il la comparât avec toutes celles d'aujourd'hui, il n'y en a point parmi les hommes qui lui parût plus digne d'admiration. En effet, c'était un peuple qui avait banni de chez soi tout ce qui est inutile à la vie humaine, el qui n'y avait reçu que ce dont elle peut tirer de l'utilité.  Il n'avait ni jeux publics, ni spectacles, ni courses de chevaux. Il ne souffrait point de ces femmes qui vendent leur beauté au premier venu, à des gens qui ne cherchent qu'un vain plaisir, sans respect de l'ordre que la nature a établi pour la conservation du genre humain. Et quel avantage n'était-ce point pour les Juifs d'être instruits dès leur plus tendre enfance à s'élever au-dessus de toutes les choses sensibles, et à ne pas croire que Dieu fût renfermé dans aucune d'elles, mais à le chercher en haut, au delà des êtres corporels ? Quel avantage encore  pour eux de  sucer avec le lait, pour ainsi dire, et d'apprendre, en apprenant à parler, la doctrine de l'immortalité de l'âme, des supplices souterrains et des récompenses destinées aux personnes vertueuses? Il est vrai que ces dogmes n'étaient proposés aux enfants et aux esprits de même trempe que sous des images proportionnées à leur portée : mais pour les personnes qui cherchaient la raison en elle-même et qui désiraient s'y avancer, ce qui jusque-là n'avait été que des fables, s'il m'est permis de parler ainsi, était transformé à leur égard dans les vérités mêmes que ces fables renfermaient. Je crois au reste qu'afin de se rendre dignes du nom qu'ils portaient de portion et de partage de Dieu (Deut., XXXII, 9), ils regardaient avec mépris tout l'art des devins comme une chose qui flatte vainement les hommes et qui doit être attribuée aux mauvais démons plutôt qu'à quelque sainte et bienheureuse intelligence, ne cherchant pour eux la connaissance de l'avenir que dans ces âmes qui, à cause de leur exquise pureté, recevaient l'esprit du grand Dieu.

XLIII. Que dirons-nous aussi de cet ordre, si sagement et si équitablement établi, tant pour les maîtres que pour les esclaves, qui ne permettait pas qu'un homme de religion judaïque servît plus de six ans? Ce n'est donc pas dans les mêmes vues que les autres nations, que les Juifs doivent demeurer attachés à leurs lois (Exode, XXI, 2). Ils seraient très blâmables, et l'on ne pourrait excuser leur insensibilité pour l'excellence de ces lois, s'ils pensaient qu'elles eussent été écrites de la même manière que celles des autres peuples. Ainsi, quelque chose que Celse en puisse dire, les Juifs sont plus éclairés non seulement que le commun, mais même que ceux qui passent pour philosophes. Car ces philosophes, après toutes leurs belles spéculations philosophiques, se laissent aller au culte des idoles et des démons ; au lieu que le moindre d'entre les Juifs s'attache uniquement au grand Dieu. A cet égard ils ont raison de faire les vains, et de refuser d'avoir commerce avec le reste des hommes comme avec des profanes et des impies (Matth., XXIII, 37; Jean, V, 16). Et plût à Dieu qu'ils n'eussent point violé leur loi par leurs péchés, en conspirant premièrement contre la vie de leurs prophètes et enfin contre celle de Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de cette république céleste dont Platon a bien tâché de donner l'idée, mais dans la description de laquelle je ne sais s'il a rien fait d'égal à ce que Moïse et ceux qui sont venus après lui, ont exécuté, ayant imbu d'une doctrine exemple de toute superstition une race d'hommes choisis et une nation sainte vouée et consacrée à Dieu (Exode, XIX,  6).

XLIV. Mais puisque Celse prétend que ce que les Juifs ont de plus auguste dans leurs lois, leur est commun avec d'autres peuples, voyons un peu ce qu'il en dit. Il s'imagine que croire qu'il faut servir le ciel et croire qu'il faut servir Dieu, n'est qu'un même dogme; et il veut que les Perses, qui vont offrir leurs sacrifices à Jupiter sur les plus hautes montagnes (Is., LVI. 7), fassent en cela la même chose que les Juifs. Ce qu'il ne dirait pas, s'il prenait garde que comme les Juifs ne reconnaissent qu'un seul Dieu, ils ne reconnaissent non plus qu'un seul endroit qui soit la sainte maison de prière, qu'un seul autel des holocaustes, qu'un seul autel des parfums et qu'un seul pontife de Dieu. Les Juifs donc n'ont rien de commun avec les Perses qui montent sur les plus hautes montagnes qu'ils trouvent en plusieurs lieux différents, et qui offrent des sacrifices où il n'y a rien de semblable à ceux que la loi de Moïse prescrit. Selon cette loi, les sacrificateurs juifs rendaient à Dieu un culte qui consistait dans les figures et dans l'ombre des choses célestes(Hébr., VIII, 5) : mais ils expliquaient en secret quel était le but et le dessein de la loi dans l'oblation de ces sacrifices, et ce qu'ils représentaient. Toute cette étendue du ciel qui nous environne, peut être nommée Jupiter par les Perses. Pour nous, nous ne donnons au ciel ni le nom de Jupiter, ni celui de Dieu; sachant que des êtres inférieurs à Dieu sont élevés au-dessus des deux et de toutes les créatures sensibles, et c'est ainsi que nous entendons ce qui est dit : Cieux des cieux, louez Dieu; et que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur (Ps. CXLVIII 4).

XLV. Voyons encore en peu de mots, quel sujet Celse a de croire qu'il soit indifférent, pour désigner Jupiter, de le nommer ou le Très-haut, ou Zen, ou Adonée, ou Subaoth, ou Ammon, comme font les Égyptiens, ou Papée, comme font les Scythes. Le lecteur se souviendra de ce que nous avons déjà dit sur cette question, lorsque Celse nous a obligés à lui démontrer le ridicule de cette prétention. Nous dirons seulement ici que la nature des noms ne dépend pas, comme Aristote l'a cru, de l'institution de quelqu'un qui les ait imposés selon son plaisir. Car les diverses langues qui sont en usage dans le monde ne doivent pas leur origine à des hommes, comme on le reconnaîtra aisément, si l'on peut comprendre la nature des conjurations qui sont appropriées aux auteurs de chaque langue selon la différence de la prononciation et des dialectes. Nous en avons touché quelque chose ci-dessus, quand nous avons dit que des conjurations qui ont de la vertu dans une certaine langue, n'en ont plus, dès qu'on les change en une autre, et cessent de produire les effets qu'elles produisaient, étant exprimées dans leurs termes naturels. C'est ce qui se remarque, même à l'égard des hommes.

Car si un homme a dès sa naissance un nom tiré de la langue grecque, et que vous lui en imposiez un autre de même signification, pris de la langue égyptienne, ou de la romaine, ou de quelque autre, vous n'agirez plus sur lui de la même manière que vous auriez fait en retenant son premier nom. Et il en faut dire autant d'un homme dont on changerait le nom romain en un grec. La conjuration ne produirait plus l'effet qu'elle eût dû produire. Mais si cela est vrai à l'égard des noms des hommes, que devons-nous penser des noms qui, de quelque cause que cela vienne, sont attribués à la Divinité? Car les noms d'Abraham, par exemple, et d'Isaac et de Jacob, signifient quelque chose qu'on peut exprimer en langue grecque : et si invoquant Dieu, ou jurant par lui, on le nomme, le Dieu d'Abraham, le Dieu d' Isaac et le Dieu de Jacob, on fera certaines choses par ces noms ; dont soit la nature, soit la vertu, sont telles que les démons mêmes cèdent et se soumettent aux personnes qui les prononcent. Mais si on le nomme, le Dieu du Père élu de la mer bruyante, le Dieu du ris et le Dieu du supplantateur, ces noms ne feront pas plus d'effet que ceux qui n'ont aucune vertu. Si l'on traduit pareillement le nom d'Israël, en grec ou en quelque autre langue, l'on ne pourra rien opérer : mais si on le retient, le joignant aux autres mots, auxquels ceux qui entendent cet art, ont accoutumé de le joindre, la conjuration réussira par ce moyen. Je dis encore la même chose du nom de Sabaoth, qui est fort commun dans les conjurations. Si on le change et que l'on dise : Le Seigneur des vertus, ou le Seigneur des armées, ou le Tout-Puissant, (car les interprètes l'expliquent en diverses manières), cela demeurera sans effet; mais en retenant ce nom tel qu'il se prononce dans sa langue, on en verra l'opération, comme l'assurent ceux qui sont experts là-dedans, et ainsi du nom d'Adonaï. Si donc les noms de Sabaoth et d'Adonaï n'ont plus de force quand on les change en d'autres termes qui semblent équivalents dans la langue grecque; combien moins auront-ils de vertu et d'efficacité par rapport à ceux qui croient qu'il est indifférent pour désigner Jupiter de le nommer ou le Très-Haut, ou Zen, ou Adonée, ou Sabaoth (Exod. XXIII, 13)?

XLVI. C'est pour ces raisons et pour d'autres raisons mystérieuses comme celles-là que Moïse et les prophètes ne veulent pas que les noms des dieux étrangers soient prononcés par une bouche qui fait profession de n'adresser des prières qu'au grand Dieu, ni que la mémoire en demeure dans un c?ur instruit à se conserver pur de toute pensée et de toute parole vaine (Ps. XV ou XVI, 4). C'est aussi ce qui fait que nous aimons mieux souffrir toutes sortes de mauvais traitements que de confesser que Jupiter soit Dieu ; car nous sommes bien éloignés de penser que Jupiter soit le même que Sabaoth. Nous ne croyons pas même qu'il y ait rien de divin en Jupiter : nous croyons que celui qui prend plaisir à se faire ainsi nommer est un démon, ennemi des hommes et du vrai Dieu. Quand les Égyptiens donc nous proposeraient leur Ammon d'un côté, et la mort de l'autre, nous choisirions plutôt la mort que de reconnaître Ammon pour Dieu, lui qui n'est sans doute qu'un démon que les Égyptiens invoquent sous ce nom-là dans quelques-unes de leurs cérémonies magiques. Que les Scythes disent aussi, tant qu'il leur plaira, que leur Papée est le grand Dieu, nous ne le leur accorderons point, nous qui reconnaissons bien un grand Dieu, mais qui ne voulons pas que Papée soit son nom propre; nom qu'affecté en cette qualité la puissance à laquelle il est échu de présider sur la nation des Scythes, sur leur langue et sur leurs déserts. Car pour ce qui est du nom appellatif, qui répond à celui de dieu, dans la langue des Scythes; dans celle des Égyptiens et dans toutes les autres, que chacun apprend en son pays, il n'y a point de péché à donner ce nom-là au grand Dieu.

XLVII. A l'égard de la circoncision, les Juifs ne la pratiquent pas pour la même cause que les Égyptiens et les habitants de la Colchide, de sorte que leur circoncision ne doit pas passer pour la même. En effet, comme tous ceux qui sacrifient ne sacrifient pas à la même divinité, quoiqu'ils semblent sacrifier de même manière, et que tous ceux qui prient, n'adressent pas leurs prières au même objet, quoiqu'ils demandent les mêmes choses, ainsi, de ce qu'un homme se fait circoncire, on ne doit pas conclure que sa circoncision ne soit en rien différente de celle d'un autre ; car la différence du dessein et de la loi, et celle du but de celui qui circoncit, en mettent aussi dans la chose. Mais pour mieux éclaircir encore tout ce sujet, je dis que le nom de la justice est le même parmi tous les Grecs. Cependant on sait que la justice est autre, selon Épicure, autre, selon les stoïciens, qui nient que l'âme ait trois parties, et autre, selon les platoniciens, qui veulent que la justice consiste eu ce que chaque partie de l'âme fasse son devoir. Le courage tout de même est autre, selon Épicure, qui ne se résout à quelques peines que pour en éviter de plus grandes; autre, selon les stoïciens, qui veulent que toutes les vertus soient dignes de notre amour par elles-mêmes; et autre, selon les disciples de Platon, qui disent que le courage est une vertu de la partie irascible de l'âme, et qui le placent autour du c?ur. Ainsi donc la circoncision sera différente selon les différents sentiments de ceux qui la pratiquent. Mais il n'est pas nécessaire que nous en parlions davantage dans un écrit tel que celui-ci. Ceux qui voudront savoir plus au long notre pensée sur celle matière, peuvent consulter nos Commentaires sur l'Épître de saint Paul aux Romains.

XLVIII. Après cela, quand les Juifs se glorifieraient de leur circoncision, ils pourraient fort bien montrer qu'elle diffère non seulement de celle des habitants de la Colchide et des Égyptiens, mais même de celle des Arabes ismaélites (Gen., XVII, 26); quoiqu'Ismaël soit fils de leur patriarche Abraham, et qu'il ait été circoncis avec lui. Les Juifs disent que la circoncision qui se fait le huitième jour, est la vraie et légitime circoncision; et qu'il n'y en a d'autre que par accident. Peut-être que celle dernière se pratiquait parmi eux au défaut de l'autre, à cause de quelqu'ange ennemi de leur nation, et qui pouvait leur faire du mal lorsqu'ils n'étaient pas circoncis ; mais qui n'avait plus aucun pouvoir dès qu'ils l'étaient. Pour preuve de cela, quelqu'un pourrait alléguer ce qui est écrit dans l'Exode, où il paraît que Moïse fut exposé à la poursuite de l'ange, avant la circoncision d'EIiazar, mais qu'après il ne le fut plus (Exode. IV, 24, 25). Séphora, qui le savait, prit une pierre aiguë et en circoncit son fils, disant, selon les exemplaires communs : Le sang de la circoncision de mon fils est arrêté; mais, selon le texte Hébreu, Tu es pour moi un époux de sang. Car elle était instruite touchant cet ange, qui avait du pouvoir jusqu'à l'effusion de de sang; mais qui ne pouvait plus rien aussitôt qu'on l'avait répandu par la circoncision. C'est ce qui lui fit dire à Moïse : Tu es pour moi un époux de sang.

Mais il suffit de ce que nous nous sommes hasardés de dire sur une question qui semble n'être que curieuse et qui est au-dessus de la portée du commun. J'y ajouterai seulement une chose comme chrétien; après quoi je passerai au reste. C'est qu'à mon avis, le pouvoir de cet ange s'étendait sur les incirconcis, soit d'entre le peuple juif, soit en général, d'entre tous ceux qui n'adoraient que le Créateur de l'univers ; qu'il s'étendait, dis-je, sur eux pendant que Jésus-Christ n'avait pas encore pris notre chair ; mais que depuis qu'il l'a prise et qu'il a été circoncis, ceux qui embrassent le culte du même Dieu n'ont plus à craindre ce pouvoir, bien qu'ils ne se lassent point circoncire, Jésus l'ayant détruit par son ineffable divinité. C'est pourquoi l'usage de la circoncision est défendu à ses disciples ; et ils sont avertis que s'ils se font circoncire, Jésus-Christ ne leur servira de rien (Gal., V, 2).

XLIX. Les Juifs ne se glorifient point non plus de ce qu'ils ne mangent pas de pourceau, comme si c'était quelque chose de fort considérable ; mais ils se glorifiant de ce qu'ils connaissent la nature des animaux purs et des impurs, et de ce qu'ils savent la cause de cette différence, par où ils ont appris que le pourceau est du nombre des derniers. Au reste, cette distinction a servi à représenter quelque autre chose, jusqu'à la venue de Jésus ; mais depuis, comme son disciple n'en comprenait pas encore le mystère, et qu'il disait : Je n'ai jamais rien mange d'impur ou de souillé (Act., X, 14, 15) il lui fut ainsi répondu : N'appelle pas impur ce que Dieu a purifié. Ni les Juifs, ni nous, n'avons donc nul intérêt à la pratique des prêtres égyptiens qui s'abstiennent, non seulement de chair de pourceau, mais, de plus de celle de chèvre, et de brebis, et de vache, et de poisson. Comme ce n'est pas ce qui entre dans la bouche de l'homme qui le rend impur (Matth., XV, 11), et que les viandes ne nous rendront pas agréables à Dieu (I Cor.. VlII, 8),nous ne faisons pas vanité de ne point manger, et quand nous mangeons, ce n'est pas par gourmandise. Ainsi, il ne tiendra pas a nous qu'on ne renvoie bien loin les disciples de Pythagore, qui ne mangent de rien qui ait été animé. Vous voyez assez la différence qu'il y a entre la raison qui oblige les pythagoriciens à cette abstinence, et celle qui y oblige ceux qu'on nomme ascètes parmi nous. Ceux-là s'abstiennent de manger de rien qui ait été animé, à cause de la fausse opinion où ils sont touchant la transmigration de l'âme d'un corps dans un autre.

Malheureux ! c'est ton fils que tu mets sur l'autel :

C'est lui qui de ta main reçoit le coup mortel.

Mais nous, si nous faisons quelque chose de semblable, c'est pour dompter notre corps et pour le réduire en servitude (I Cor., IX, 27), c'est pour faire mourir les membres de l'homme terrestre qui est en nous, la fornication, l'impureté, l'impudicité, les abominations, les mauvais désirs (Col., Ill, 5), c'est enfin pour ne rien négliger de ce qui peut mortifier les actes du corps (Rom., VIII, 13).

L.Voici ce que Celse ajoute encore, parlant toujours des Juifs : Il ne faut pas croire qu'ils soient plus agréables ni plus chers à Dieu que le reste des hommes, ou qu'il n'envoie ses anges et ses messagers qu'à eux seuls, comme s'ils habitaient quelque région fortunée ; car nous voyons bien quels privilèges ont été accordés et à eux et à leur pays. C'est ce que nous pouvons convaincre de fausseté, en faisant voir que ce peuple a été agréable à Dieu d'une façon particulière, comme il paraît de ce que ceux mêmes qui ne sont pas de notre créance appellent le grand Dieu le Dieu desHébreux. Et ce qui montre encore combien ils étaient agréables à Dieu, c'est que leur nation ayant été réduite à un petit nombre, les restes ont vécu en sûreté sous la protection divine, de sorte même qu'Alexandre de Macédoine ne les maltraita point, bien qu'à cause de certaines alliances, qu' ils avaient jurées, ils refusassent de prendre les armes contre Darius. L'on dit qu'alors le grand sacrificateur des Juifs, revêtu de ses habits pontificaux fut adoré par Alexandre (Josèphe, Hist. des Juifs. liv. XI. ch. 8), qui assura qu'un homme vêtu de même manière lui était apparu en songe, et lui avait promis la conquête de toute l'Asie. Nous donc qui sommes chrétiens, disons qu'il est constant que les Juifs ont été plus agréables et plus chers à Dieu que le resta des hommes, mais que sa protection et sa faveur ont passé d'eux à nous Jésus ayant transporté sur ses fidèles d'entre les Gentils cette vertu dont les Juifs sentaient auparavant les effets. Aussi, quelques voies que les Romains aient tentées pour détruire le christianisme, ils n'en ont pu venir à bout ; car Dieu faisait sentir aux chrétiens le secours de sa main, voulant que d'un coin de la Judée sa parole se répandit par toute la terre.
 

LI. Mais puisque nous avons répondu, selon notre pouvoir, à ce que Celse avait avancé contre les Juifs et contre leurs dogmes, faisons voir maintenant, par l'examen de ce qui suit, que l'on ne doit point nous accuser de vanité, si nous nous attribuons la connaissance du grand Dieu, et que nous ne nous sommes point laissés prendre, comme Celse se le persuade, aux Illusions, soit de Moïse, soit de notre propre Sauveur Jésus, mais que pour notre bonheur que nous écoutons le Dieu qui parle par Moïse, et que, sur le témoignage de ce Dieu même, nous recevons Jésus comme Dieu, le Fils de Dieu, avec espérance qu'il nous accordera les plus grands biens, si nous vivons comme il nous l'ordonne. Je passe à dessein par-dessus ce qu'il nous demande ici : D'où nous venons, quel est le chef que nous suivons, et quelle loi il nous a donnée? à quoi j'ai satisfait ailleurs par avance. Si Celse prétend que nous ne différions pas des Égyptiens qui adorent un bouc, un bélier, un crocodile, un b?uf, un hippopotame ou cynocéphale, ou un chat, c'est à lui et à ceux qui suivent en cela son sentiment, à voir sur quoi ils se fondent. Pour nous, nous avons amplement justifié ci-dessus, autant que nous en avons été capables, l'honneur que nous rendons à notre Jésus, et nous avons fait voir que le parti que nous avons pris est le meilleur qui se pouvait prendre; qu'au reste, quand nous nous vantons d'être les seuls qui ayons la pure vérité, sans aucun mélange d'erreur, dans la doctrine de Jésus-Christ, et n'est pas pour notre gloire que nous parlons, mais pour celle de notre maître, d'un maître autorisé hautement par le témoignage du grand Dieu, par les oracles des Juifs et par l'évidence des choses mêmes. Car il est aisé de prouver qu'il n'a pu faire tant de merveilles, sans que la Divinité y ait eu part.

LII. Les paroles de Celse, que nous avons à présent à examiner, sont celles-ci : Nous ne nous arrêterons point, dit-il, à tout ce dont on les peut convaincre sur le sujet de leur maître. A lu bonne heure, qu'on le prenne pour un vrai ange. Mais est-il le premier et le seul qui soit venu ? ou s'il en était venu d'autres avant lui ? S'ils disent qu'il soit le seul, ils tomberont dans une contradiction manifeste ; car ils disent d'ailleurs qu'il en est souvent venu d'autres, jusqu'à soixante ou soixante-dix à la fois, qui se sont pervertis et qui, pour punition de leur crime, sont enchaînés sous terre: d'où vient que de leurs larmes se forment les fontaines chaudes. Ils nous content qu'au tombeau même de celui-ci, il en vint, les uns disent un, les autres disent deux, qui apprirent aux femmes qu'il était ressuscité. Car il faut croire que le Fils de Dieu n'eut pas la force d'ouvrir son tombeau, et qu'il eut besoin que quelqu'un vint ôter la pierre qui le fermait. Il vint encore un ange vers le charpentier, au sujet de la grossesse de Marie. Il en vint un autre leur donner ordre de s'enfuir avec l'enfant. Et qu'est-il besoin de faire une recherche et une énumération exacte de tous  ceux que l'on dit avoir été envoyés à Moïse et à d'autres? Si d'autres que lui ont été envoyés, il s'ensuit qu'il a aussi été envoyé par le même Dieu. Et l'on peut dire qu'il l'a été pour quelque sujet plus important, comme a cause des péchés des Juifs ou des fausses gloses par lesquelles ils corrompaient la religion, ou de la dépravation de leurs m?urs, car c'est ce qui est insinué.

LIII. Nous pourrions donc nous contenter, pour réponse, de renvoyer Celse à ce que nous avons dit ci-devant, lorsque nous avons examiné ce qui regarde, en particulier Jésus-Christ, notre Sauveur. Mais de peur qu'on ne s'imagine que nous soyons bien-aise de ne pas toucher à quelque endroit de son écrit, comme si nous n y pouvions répondre, usons de redites, puisque Celse nous y oblige, et abrégeons pourtant le plus qu'il sera possible. Peut- être qu'en repassant les mêmes sujets, il nous viendra dans l'esprit quelque chose de plus évident ou de plus nouveau.

Il dit des chrétiens : Qu'il ne s'arrête point à tout ce dont on les peut convaincre sur le sujet de leur maître: quoiqu'il n'ait rien omis de tout ce qu'il pouvait dire, comme cela paraît assez par les choses qui ont précédé. Mais c'est une figure de rhétorique. Quoi qu'il en soit et de quelques accusations qu'on nous charge, on a beau se flatter, on ne nous saurait convaincre de rien sur le sujet d'un tel Sauveur, comme le reconnaîtront aisément ceux qui voudront examiner avec soin et de bonne foi  tout ce que les oracles des prophètes en avaient prédit.

Il prétend ensuite parler par concession, lorsqu'il dit de notre Sauveur : A la bonne heure, qu'on le prenne pour un vrai ange. Mais nous ne recevons pas cela comme une concession de Celse. La chose même nous fait comprendre que Jésus s'étant présenté à tous les hommes par sa parole et sa doctrine, selon que chacun de ceux qui le recevaient en était capable, ce ne peut être là que l'?uvre d'un ange, non d'un simple ange, mais comme la prophétie le nomme, de l'Ange du grand conseil (Is., IX, 5 ou 6) ; car il a déclaré aux hommes le grand conseil du Dieu et du Père de toutes choses, touchant eux, savoir : que ceux qui se laisseraient persuader de vivre dans l'exercice d'une piété pure et sincère, s'élèveraient à Dieu par la grandeur de leurs actions; mais que ceux qui refuseraient de se rendre, s'éloigneraient de Dieu et courraient à leur perdition, par leur incrédulité. Il dit après cela : Posé que Jésus soit un ange venu vers les hommes, est-il le premier et le seul qui soit venu, ou s'il en était venu d'autres avant lui? Et il croit avoir prouvé par plusieurs raisons qu'il y a de l'absurdité dans l'un et dans l'autre. Mais aucun vrai chrétien n'a jamais dit qu'il n'y ait que Jésus- Christ seul qui soit venu vers les hommes ; car, comme Celse le remarque, contre ceux qui voudraient dire que Jésus soit le seul, il y en a beaucoup d autres qui se sont fait voir.

LIV. Il ajoute, supposant pour avoué tout ce qu'il lui plaît : Que d'autres que lui soient venus vers les hommes, c'est une chose tellement reçue parmi eux, que ceux mêmes qui, sous prétexte du nom et de la doctrine de Jésus, ont abandonné le Créateur comme plus faible, et ont pris le parti du Père de ce nouvel envoyé, comme celui d'un dieu plus puissant, disent qu'avant cela, le Créateur en avait envoyé d'autres aux hommes. Comme nous agissons de bonne foi dans cette dispute, nous dirons qu'Apelle, disciple de Marcion, s'étant fait auteur d'une certaine hérésie, et prenant pour des fables les livres des Juifs, soutient qu'il n'y a que Jésus qui soit venu de la part de Dieu vers les hommes. Lors donc qu'il le pose ainsi, ce serait mal à propos que Celse, pour lui prouver le contraire, ni alléguerait les histoires anciennes à lui qui, comme nous l'avons dit, rejette le témoignage des Écritures judaïques sur ces événements miraculeux. Il admettrait beaucoup moins encore ce que Celse, sur un rapport peu exact, semble produire du livre d'Énoch. De sorte qu'il n'y a rien là qui nous puisse convaincre de mensonge et de contradiction, comme si nous disions que notre Sauveur est le seul qui soit venu, et que néanmoins il en est souvent venu d'autres en grand nombre. C'est au reste d'une manière fort embrouillée, que sur le sujet de ces anges envoyés aux hommes, Celse allègue ce qu'on lit dans le livre d'Énoch, et dont il n'a ouï parler que confusément. Il fait bien voir qu'il n'a jamais lu ce livre et qu'il ignore que nos églises ne le tiennent pas pour divin. Car c'est apparemment de là qu est pris ce qu'il avance au hasard : Qu'il en est descendu jusqu'à soixante ou soixante-dix à la fois qui se sont pervertis.

LV. Mais bien loin de le traiter à la rigueur, fournissons-lui ce qu'il n'a pas vu dans le livre de la Genèse : Que les enfants de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, en prirent pour leurs femmes qu'ils avaient choisies entre toutes (Gen., VI, 2). Avec tout cela nous ferons avouer à ceux qui voudront entrer dans le sens du prophète, que, selon la pensée que quelqu'un a eue (Philon) avant nous sur ce passage, on le peut entendre des âmes qui se laissent emporter à l'amour de la vie corporelle et animale, désignée figurément par les filles des hommes. Quoi qu'il en soit, au fond, des enfants de Dieu qui aimèrent les filles des hommes, Celse n'en saurait rien inférer pour montrer que Jésus ne soit pas le seul qui ait été envoyé aux hommes avec une commission expresse et avec une pleine évidence, pour être le sauveur et le bienfaiteur de tous ceux qui voudraient sortir de l'abîme des vices. Mêlant ensuite et confondant les diverses choses qu'il peut avoir entendu dire, sans se soucier d'où elles viennent, ni que les livres d'où elles sont prises soient ou ne soient pas d'une autorité divine parmi les chrétiens, il nous dit que ces anges qui sont descendus jusqu'à soixante ou soixante-dix à la fois, sont enchaînés sous terre pour punition de leur crime. A quoi il ajoute, comme sur le témoignage d'Énoch, qu'il ne nomme pourtant pas : D'où vient que de leurs larmes se forment les fontaines chaudes : ce qui est une chose qui n'a jamais été dite, et dont on n'a jamais entendu parler dans les églises de Dieu; car il n'y a point d'homme assez insensé pour s'imaginer que des anges descendus du ciel versent des larmes corporelles telles qu'en versent les hommes. Et, s'il est permis de répondre par une raillerie à ce que Celse nous objecte sérieusement, on peut dire qu'il n'y a pas d'apparence que les fontaines chaudes, qui sont douces pour la plupart, soient des larmes de ces anges, les larmes étant salées de leur nature, si ce n'est que les larmes des anges dont parle Celse, soient des larmes douces.

LVI. Il continue encore à mêler et à confondre ensemble des choses tontes différentes et toutes opposées ; et, après avoir parlé de ces anges qui, selon lui, sont descendus jusqu'à soixante ou soixante-dix à la fois, et dont les larmes forment les fontaines chaudes, il ajoute qu'on raconte qu'au tombeau même de Jésus il en vint, les uns disent deux, les autres un. C'est qu'il a remarqué sans doute que S. Matthieu et S. Marc ne parlent que d'un ange (Matth., XXVIII, 2; Marc. XVI, 5), au lieu que S. Luc et S. Jean parlent de deux (Luc. XXIV, 4; Jean, XX, 12). Mais cela n'est nullement contraire; car ceux qui ne parlent que d'un, parlent de celui qui renversa la pierre dont l'entrée du sépulcre était fermée ; et les autres qui parlent de deux, parlent de ceux qui se présentèrent aux femmes, proche du sépulcre, avec des robes brillantes, ou de ceux qui se firent voir assis dans le sépulcre, et vêtus de blanc. Du montrer sur chacune de ces choses en particulier, et qu'elle est possible, et qu'elle est effectivement arrivée, et qu'elle renferme des enseignements allégoriques pour ceux qui se mettent en devoir de méditer les merveilles dont la résurrection du Verbe fut accompagnée, cela n'est pas du dessein que nous nous sommes proposé. Ce serait plutôt fait d'un commentaire sur l'Évangile.

LVII. Au reste, les Grecs mêmes nous rapportent qu'il arrive quelquefois aux hommes d'avoir des visions fort surprenantes. Je ne dis pas ceux d'entre les Grecs dont les écrits sont soupçonnés d'être fabuleux ; mais ceux mêmes qui ont fait une particulière profession du parler en vrais philosophes, et de raconter fidèlement ce dont ils avaient connaissance. On en peut voir des exemples, et dans Chrysippe Solien, et dans Pythagore. On peut en voir aussi dans quelques auteurs modernes qui n'ont écrit que depuis trois jours ; comme dans Plutarque de Chéronée, au traité de l'Âme et dans le pythagoricien Numénius, au second livre de l'Immortalité de l'âme. Est-ce que quand les Grecs, surtout ceux qui portent le nom de philosophes, nous font de pareils récits, on n'y trouve rien qui soit digne de mépris ou de risée, rien qui doive passer pour suspect ou pour fabuleux? mais lorsque ceux qui sont consacrés au grand Dieu, jusqu'à s'exposer à toutes sortes du mauvais traitements et à la mort même, plutôt que de laisser sortir de leur bouche une parole fausse en parlant de lui, racontent comme témoins oculaires que des anges leur sont apparus, on ne juge pas qu'ils méritent aucune créance, ni que leurs discours puissent être tenus pour véritables? Ce serait juger bien peu raisonnablement de ceux qui disent la vérité ou qui la déguisent; car les personnes qui se veulent donner de garde d'être séduites, ne se hâtent pas de prononcer sur les auteurs qui racontent quelques événements extraordinaires, ceux-ci disent vrai, et ceux-là mentent. Pour le pouvoir faire sûrement, ils examinent chaque chose avec une longue et sérieuse attention, tons ces auteurs ne portant pas des caractères de leur bonne foi, ou des marques visibles du dessein qu'ils ont de débiter des fables aux hommes Sur le sujet de la résurrection de Jésus, il faut dire encore qu'il n'y a pas lieu de s'étonner qu'un ange ou deux se soient fait voir pour en porter la nouvelle, et qu'ils aient ainsi pris soin de ceux oui, pour leur propre avantage, ajoutaient foi à ce grand miracle. Il est même fort vraisemblable, à mon avis, que ceux qui croient que Jésus est ressuscité, et qui donnent des preuves sincères de leur foi par l'intégrité de leur rie et par leur dégagement des vices qui règnent au monde, ne sont jamais sans quelques anges qui se tiennent autour d'eux et qui les assistent dans leur conversion à Dieu.

LVIII. Celse attaque aussi ce qui est dit, que l'ange roula la pierre de devant le sépulcre où était le corps de Jésus ; et, comme un écolier à qui on aurait donné à faire une déclamation oratoire contre quelqu'un, il s'imagine faire merveille avec cette pensée : Car il faut croire que le Fils de Dieu n'eut pas la force d'ouvrir son tombeau, et qu'il eut besoin que quelqu'un vint ôter la pierre qui le fermait. Je ne m'arrêterai point ici à faire des spéculations curieuses ni à chercher des allégories, de peur qu'il ne semble que je veuille subtiliser hors de saison, et je m'attacherai au sens historique. On voit assez qu'Il était de la dignité de celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, que ce ne fût pas lui-même qui renversât la pierre, mais que ce fût quelque ministre inférieur qui lui rendit ce service. Pour ne point dire que ceux qui par leurs mauvaises pratiques avaient este à la vin du Verbe, ayant dessein quo lest le monde le regardât comme mort et réduit à rien, ils ne voulaient pas que son tombeau fût ouvert, de peur qu'après leurs embûches on ne le vit encore vivant : mais bien que lui comme l'Ange de Dieu (Matth., XXVII, 64) qui était venu au monde pour le salut des hommes, fut plus fort que ses ennemis, et aida à l'autre ange à renverser cette grosse pierre afin que ceux qui croyaient que le Verbe fût mort cessassent de le chercher parmi les morts (Luc, XXIV, 5), et qu'ils fussent persuadés qu'étant plein de vie, il allait devant eux en un lieu où il enseignerait à ceux qui l'y voudraient suivre le reste des choses qu'il leur avait enseignées au commencement (Marc, XV I, 7 ), que ne faisant que d'entrer dans son école, ils n'étaient pas encore capables de rien de plus élevé.

Je ne sais quel avantage Celse espère tirer pour son dessein, de ce qu'il ajoute sans autre réflexion, qu'il vint un ange vers Joseph, au sujet de la grossesse de Marie : et encore, qu'après la naissance de l'enfant, il vint un autre ange leur donner ordre de s'enfuir avec lui en Égypte, pour le sauver des embûches qu'on lui dressait. Il avait déjà allégué la même chose, et nous en avons aussi parlé ci-dessus. Mais que veut-il dire ensuite, que les Écritures racontent qu'il a été envoyé des anges et  à Moïse, et à d'autres ? Car je ne vois pas que cela fasse rien pour lui, surtout aucun de ces anges ne s'étant proposé de faire tous ses efforts pour retirer les hommes de leur péchés.  Que Dieu donc en ait envoyé d'autres, nous le voulons bien: mais que celui-ci ait été envoyé pour nous déclarer des choses plus importantes. et que voyant les Juifs abandonnés au péché, corrompus dans la religion et dépravés dans leurs moeurs. il leur ait ôté le royaume de Dieu (Matth., XXI, 41, 43), pour mettre en cette vigne mystique d'autres vignerons, ceux qui dans toutes les églises travaillent à leur propre salut, et qui ne négligent rien pour amener à la connaissance du grand Dieu, par l'exemple d'une bonne vie et par des discours qui y répondent, les personnes éloignées de la doctrine de Jésus.

LIX. Celse dit après cela : Les Juifs et eux (savoir les chrétiens) ont donc le même Dieu. Et, comme s'il voulait appuyer un point qui ne fût pas avoué, Au moins, ajoute-t-il, c'est une chose manifestement reconnue par ceux de la grande Église, qui reçoivent pour véritable ce que les Juifs disent des six jours dans lesquels fut créé le monde, et du septième auquel Dieu se reposa. Car c'est ainsi que Celse, qui n'entend pas le texte sacré, en rapporte les paroles en les altérant; au lieu de dire que Dieu cessa de travailler à ses ?uvres (Gen., Il, 3), pour rentrer en la contemplation de lui-même. Au reste, cette matière de la création du monde et du repos qui est réservé ensuite pour le peuple de Dieu, est une matière fort vaste et fort difficile, toute remplie de profonds mystères (Hébr., IV, 9).

Je crois qu'il un se propose que de grossir son livre, el de le faire valoir par là, lorsqu'il ajoute encore des choses si inutiles, comme : que nous comptons pour le premier homme le même que les Juifs, et que nous faisons la généalogie de ses descendants de, la même manière qu'eux. (Gen., IV. 8). Pour ce qui est des embûches mutuelles que des frères se sont dressées, nous ne savons ce que c'est. Caïn en dressa bien à Abel, et Ésaü à Jacob ; mais Abel n'en dressa point à  Caïn, ni Jacob à Ésaü (Gen.. XXVII, 41.); ce qu'il faudrait qu'ils eussent fait pour donner lieu à Celse de dire, que nous parlons comme les Juifs des embûches mutuelles que des frères se sont dressées. Je veux que nous racontions comme eux aussi l'entrée des Israélites en Égypte, et leur sortie hors de ce pays, laquelle Celse nomme mal à propos une fuite : quel sujet d'accusation en peut-il tirer, soit contre nous, soit contre les Juifs? Lors donc qu'il croit que l'occasion de nous railler se présente, il parle de la sortie des Hébreux comme d'une fuite : mais quand il serait question d'examiner ce qui nous est dit des plaies dont Dieu frappa l'Égypte, il prend le parti d'un silence affecté (Exode, VII, 20, etc.).

LX. Après tout, s'il faut répondre précisément à Celse, qui croit que nous sommes dans les mêmes sentiments que les Juifs sur ces articles, nous dirons que nous confessons également, les uns et les autres, que les livres qu'on nomme sacrés sont l'ouvrage de l'Esprit de Dieu; mais que nous différons avec eux dans l'explication que nous donnons à ces livres. En effet, nous ne vivons pas même comme les Juifs, ne croyant pas que l'intention du législateur soit renfermée dans le sens littéral de la loi. Et nous disons que, lorsqu'on leur lit Moïse, ils ont un voile sur le coeur, parce que le sens de la loi de Moïse est caché pour ceux qui refusent de suivre la voie marquée par Jésus-Christ. Mais quand quelqu'un se convertit au Seigneur qui est l'Esprit, nous savons qu'alors le voile qu'il avait sur le c?ur en étant ôté, il contemple à découvert la gloire du Seigneur dans ces sens cachés de l'Écriture ; et devenant lui-même comme un miroir qui la reçoit, il participe, pour sa propre gloire, à cette gloire divine. De sorte qu'il n'y a rien de plus lumineux que son visage, c'est-à-dire son entendement, pour parler nûment et sans figure. Car ie visage de l'homme intérieur, c'est l'entendement qui, par la connaissance du véritable sens de la loi, est rempli de lumière et de gloire.
 

LXI. Qu'on ne pense pas, dit-il ensuite, que j'ignore qu'il y en a entre eux qui avoueront que leur Dieu est le même que celui des Juifs; mais que d'autres le nieront, voulant que le Dieu qui a envoyé son fils soit un Dieu opposé au premier. S'il croit qu'il faille condamner le christianisme sur ce qu'il y a diverses hérésies parmi les chrétiens, pourquoi ne condamnera-t-on pas la philosophie par la même raison, puisque les différentes sectes philosophes s'accordent si peu, je ne dis pas sur des bagatelles et sur des choses non nécessaires, mais sur ce qu'il y a de plus important et de plus essentiel ?  Les sectes qui partagent la médecine la devront tout de même faire condamner.
Je veux donc qu'il y en ait parmi nous qui nient que notre Dieu soit le même que celui des Juifs, cela ne doit point faire que le Dieu des Juifs et le Dieu des Gentils est le même Dieu. Voyez si saint Paul, qui de juif s'était fait chrétien, pouvait parler plus clairement que de de dire : Je rends grâces à mon Dieu que je sers avec une pure conscience, comme mes ancêtres l'ont servi (II Tim., I, 3).
Je veux qu'il y ait des gens d'un troisième ordre qui nomment les uns charnels, et les autres spirituels, si je ne me trompe, les disciples de Valentin qu'il entend par là : qu'en peul-il conclure contre nous, qui nous tenant au sentiment de l'Église, condamnons ceux qui soutiennent que les uns sont sauvés, les autres damnés par la nécessite naturelle de leur constitution?
Je veux encore qu'il y en ait qui, par une haute opinion de leur savoir, s'attribuent le nom de gnostiques, à peu près comme les épicuriens prennent celui de philosophes : il ne se peut, ni que ceux qui nient la Providence soient de vrais philosophes, ni que ceux qui inventent des fables absurdes, désavouées par les disciples de Jésus, soient de vrais chrétiens. Je veux qu'il y en ait d'autres qui, parce qu'ils reçoivent Jésus-Christ, se vantent d'être chrétiens, mais qui cependant veulent encore observer la loi de Moïse comme le commun des Juifs: tels que sont les ébionites; tant ceux qui confessent avec nous que Jésus est né d'une Vierge, que ceux qui nient qu'il est autrement que les autres hommes : que fait cela contre ceux qui composent l'Église, lesquels Celse appelle la multitude? Il dit qu il y en a aussi de certains nommés sibyllites ; fondé peut-être sur ce qu'il s'est rencontré avec quelqu'un qui, n'approuvant pas le sentiment de ceux qui tiennent que la sibylle a été une prophétesse, les désignait par ce nom.
LXII. Il ramasse ensuite une foule d'autres noms comme pour nous en accabler,  et il  parle d'abord des simoniens, nommés aussi héléniens parce qu'ils révèrent une Héléné ou un Hélénus qu'ils reconnaissent pour maître. Mais Celse ne sait pas que parmi les simoniens, on ne donne pas la qualité de fils de Dieu Jésus et qu'ils nomment Simon la vertu de Dieu. On nous conte divers prodiges de ce Simon, qui s'imaginait qu'en se servant d'illusions, comme il croyait qu'avait fait Jésus, il acquerrait parmi les hommes le même crédit que Jésus y avait acquis.  Mais il a été impossible, et à Celse, et à Simon, de comprendre comment  Jésus, chargé de cultiver le champ du Seigneur, a pu si heureusement semer la parole de Dieu par toute la terre, que presque tout ce qui est habité, soit par les Grecs, soit par les Barbares, ait été rempli d'une doctrine qui guérit l'âme de tous ses vices, et qui la conduit au Créateur de l'univers. Après ceux-là. Celse nous parle des marcellianites qui doivent leur nom  à Marcelline; et des harpocratiens, dont les uns tirent leur origine de Salomé, les autres de Mariane, et les autres de Marthe. Mais ce sont des sectes dont nous n'avons nulle connaissance,  quoique le désir d'apprendre nous ait porté, non seulement à étudier avec soin la doctrine chrétienne et les différence opinions de ceux qui la suivent, mais à examiner, même sérieusement et de bonne foi, les sentiments des philosophes. Il nomme ensuite les marcionites dont Marcion a été le chef,
LXIII. et pour faire croire qu'il en connaît bien davantage, il ajoute, selon sa coutume : Il y en a encore d'autres qui, se forgeant malheureusement pour maître quelqu'autre démon, se plongent dans d'épaisses ténèbres où Ils commettent plus d'excès et d'abominations que ne font, en Égypte les dévots d'Antinoüs. Je trouve qu'il y a quelque chose de véritable, dans ce qui touche là, lorsqu'il dit qu'Il y en a d'autres qui se forgent malheureusement pour maître quelqu'autre démon, et qui, par ce moyen, se plongent dans les épaisses ténèbres de l'ignorance. Quant à la comparaison qu'il fait d'Antinoüs avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, nous ne répéterons point ce que nous en avons dit ci-dessus. Voyons ce qui suit : Ils se disent mutuellement les injures les plus indignes et les plus atroces. et ils seraient bien fâchés de céder la moindre chose pour le bien de la paix, ayant les uns pour les autres une haine mortelle. Nous avons encore répondu à cela, quand nous avons dit que, dans la philosophie et dans la médecine. il y a des sectes qui se font une guerre mutuelle. Mais. au reste, nous qui suivons la doctrine de Jésus et qui tâchons de faire que nos pensées, nos paroles et nos actions soient conformes à ses préceptes, quand on nous maudit, nous bénissons quand on nous persécute nous le souffrons, quand on nous dit des injures, nous répondons par des prières (I Cor., IV, 12). Et bien loin de traiter indignement ceux qui ont des sentiments contraires aux nôtres, il n'y a rien que nous ne fissions pour les ramener à leur devoir, s'il était possible: c'est-à-dire pour les obliger à s'attacher uniquement au Créateur et à vivre toujours comme devant être un jour jugés. S'ils s'obstinent dans leur erreur, nous observons l'ordre qui nous a été donné à leur égard : Rejetez celui qui est hérétique, après l'avoir averti une et deux fois; sachant que quiconque est en cet état, est perverti et pèche, étant condamné par son propre jugement (Tit., III, 10). Ceux qui ont compris que bienheureux sont les pacifiques, et bienheureux ceux qui sont doux (Matth., V, 9, 5), n'ont garde de donner des marques de haine à ceux qui corrompent et qui falsifient la doctrine chrétienne, ni de les comparer à cette Circé qui empoisonnait les hommes par de doux breuvages.
LXIV. Il semble, à mon avis, qu'il ait quelque idée de ces paroles de l'Apôtre : Dans les derniers temps quelques-uns abandonneront la foi s'arrêtant à des esprits d'erreur et à des doctrines de démons enseigné es par des imposteurs pleins d'hypocrisie et cautérisés en leur propre conscience, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes que Dieu a crées pour être reçues avec actions de grâces par les fidèles ( I Tim., IV, 1 ). Il semble aussi qu'il ait ouï dire qu'on se sert de ce passage contre les corrupteurs du christianisme; et que ce soit ce qu'il a en vue quand il dit qu'il y en a parmi les chrétiens qu'on nomme les cautères des oreilles. Il ajoute qu'il y en a d'autres qu'on nomme énigmes (Matth., XVIII, 6, etc): mais je ne sais pas où il l'a pris. A l'égard du mot scandale il est certain qu'il se trouve fréquemment dans nos Écritures, et nous avons coutume de l'appliquer à l'action de cela qui détournent de la saine doctrine les personnes simples et faciles à séduire. Mais pour ces trompeuses sirènes avec leurs danses et avec la cire qu'elles mettent dans les oreilles, changeant en pourceaux ceux qu'elles peuvent attirer, nous ne savons ce que c'est, et nous se connaissons point de gens à qui l'on donne ce nom. Je ne pense pas que parmi les vrais chrétiens ni parmi les hérétiques il y ait personne qui en connaisse non plus.
Celse qui se vante de savoir tout, ajoute encore : Quoiqu'ils aient de telles disputes entr'eux, et qu'ils se déchirent les uns les autres par de si sanglants outrages, vous les entendrez dire tous: Le monde est crucifié pour moi, et je le suis pour le monde (Gal., VI, 14). C'est là sans doute tout ce qu'il a retenu des écrits de saint Paul ; car pourquoi ne disons que cela, y ayant une infinité d'autres passages pareils, comme par exemple : Encore que nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair; car les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu pour renverser les remparts qu'on leur oppose ; et c'est par ces armes que nous détruisons les raisonnements humains et toutes les hauteurs qui s'élèvent contre la connaissance de Dieu (II Cor., X, 3) ?
LXV.Mais puisqu'il dit des chrétiens en général, que quoiqu'ils aient de telles disputes entr'eux, on les entend dire tous : Le monde est crucifié pour moi, et je le suis pour le monde ; il faut lui montrer que cela même est faux. En effet, il y a des hérétiques qui ne reçoivent pas les Épîtres de saint Paul, tels que sont les ébionites tant de l'une que de l'autre espèce, et ceux qu'on appelle encratites. Des personnes qui ne reconnaissent pas l'Apôtre pour un homme saint et bienheureux n'ont gardé de dire avec lui : Le monde est crucifié pour moi,. et je le suis pour le monde. Celse se trompe donc en cela ; il insiste fort longtemps sur l'accusation qu'il tire de cette diversité de sectes, mais il me paraît peu exact à débrouiller et à éclaircir les choses. Il n'a pas assez soigneusement considéré, ni assez nettement compris comment les chrétiens avancés en connaissance se vantent d'en savoir plus que les Juifs; si c'est en recevant les mêmes livres que les Juifs reçoivent., mais en leur donnant un autre sens, ou si c'est en rejetant ces livres ; car de ces deux partis, il y a des sectes qui prennent l'un, et d'autres qui prennent l'autre. Il dit ensuite : Voyons donc et quoique leurs dogmes n'aient rien dans leur origine qui puisse les autoriser,. examinons la doctrine en elle-même. Il faut premièrement faire voir combien ils prennent mal les choses, gâtant par leur ignorance tout ce qui leur passe par les mains, et parlant avec une fierté mal fondée de ce dont ils ne savent pas même les premiers principes. Voici que c'est. Après quoi, il oppose a quelques maximes que les chrétiens ont continuellement à la bouche, d'autres maximes des philosophes, voulant que ce qu'il y a de plus beau dans ce qu'il attribue aux chrétiens, soit dit par les philosophes avec plus de force et de clarté, et tâchant ainsi d'entraîner vers la philosophie ceux qui s'étaient rendus aux beautés du christianisme, où la piété paraît dès le premier abord dans tout son éclat ; mas finissons ce cinquième livre, et passons au sixième.
 

livre Sixième
 
 

I. Dans ce sixième livre que nous commençons, pieux Ambroise, nous nous proposons de combattre les calomnies de Celse contre les chrétiens, et non, comme on pourrait se l'imaginer, ce qu'il emprunte de la philosophie. Car il produit plusieurs choses, surtout des écrits de Platon, pour faire voir que ce que nos saintes Écritures ont de plus capable de faire impression, même sur un esprit éclairé,  nous est commun avec d'autres, voulant que cela ait été beaucoup mieux dit par les Grecs et sans tout cet appareil de promesses et de menaces de la part de Dieu ou de son Fils. Je dis donc que si les ministres de la vérité, par  un effet de l'amour qu'ils ont pour tous les hommes, n'ont rien tant à c?ur que de se rendre utiles au plus grand nombre qu'ils peuvent, et de faire connaître cette vérité à toutes sortes de personnes, s'il était possible, sans distinction de savants et d'ignorants, de Grecs  et de Barbares ; si, dis-je, leur humanité n'éclate jamais mieux que quand ils se mettent en état de convertir les plus simples et les plus grossiers, il est clair que, pour réussir dans ce dessein, ils doivent s'étudier à parler populairement et d'une manière proportionnée à l'intelligence de tout le monde. Ceux qui, traitant de misérables, indignes que l'on s'arrête à eux, ces personnes simples dont la capacité ne va pas jusqu'à sentir les beautés d'un discours bien suivi et d'une période bien tournée, ne considèrent que les hommes nourris dans les lettres et dans les sciences, ceux-là donnent des bornes bien étroites au désir de se communiquer.

II. Ce que je dis pour défendre, contre les accusations de Celse et de quelques autres, la simplicité du style de nos Écritures qui semblent n'avoir aucun lustre auprès de ces compositions si brillantes, où tous les préceptes de l'art sont observés. Mais c'est que nos prophètes, notre Jésus et ses apôtres, dans les enseignements qu'il nous ont laissés, n'ont pas eu simplement en vue de dire des choses véritables, ils ont voulu aussi les dire d'une manière qui pût s'insinuer dans l'esprit des peuples jusqu'à ce qu'étant ainsi tous gagnés et attirés, chacun s'élevât selon ses forces, aux mystères cachés sous  celle  simplicité apparente. Et, pour dire librement ce que j'en pense, si le style étudié et fleuri de Platon et de ceux qui lui ressemblent, a fuit quelque fruit, il n'en a fait qu'à l'égard d'un petit nombre de personnes, au prix de ceux qui ont profité de la manière simple, mais vive des auteurs qui ont accommodé leurs préceptes et leurs écrits à la portée du commun des hommes. Aussi voit-on que Platon n'est qu'entre les mains des gens de lettres : au lieu qu'Épictète se fait admirer des plus simples, qui sentent en eux-mêmes l'utilité de ses leçons, pour peu qu'ils aient de disposition à en profiter.

Je n'ai pas dessein, au reste, quand je parle ainsi, de me déclarer contre Platon ; car les diverses beautés qu'il a empruntées de l'art ont aussi leur usage : mais je veux faire voir quelle est la pensée de ceux qui disent : Je n'ai pas employé en vous parlant et en vaut prêchant, les discours persuasifs de la sagesse humaine, mais la démonstration de l'esprit et de la puissance ; afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes,  mais sur la puissance de Dieu (I Cor., Il, 4), D'ailleurs, la sainte Écriture nous enseigne que pour toucher le coeur des hommes, il ne suffit pas que les choses qu'on leur dit soient véritables et  très dignes de foi en elles-mêmes : mais qu'il faut de plus, que celui qui leur parle soit assisté d'une vertu particulière de Dieu, et qu'une grâce, qui ne peut venir que du ciel, soit répandue sur ses paroles, afin qu'il parle avec fruit. C'est ce oui fait dire an prophète dans le psaume LXVII : Le Seigneur donnera la parole aux sessagers de bonnes nouvelles, qui les publieront arec une grande force (Ps. LXVII ou LXVIII, 12) . Ainsi, quand nous accorderions sur quelques points que les dogmes de la religion chrétienne sont les mêmes que ceux des Grecs, toujours ceux-ci n'auraient-ils pas autant de vertu pour gagner l'âme et pour la bien disposer. De là vient que les disciples de Jésus qui, n'ayant nulle teinture de la philosophie grecque, ne pouvaient passer à cet égard que pour des personnes mal instruites allèrent répandre leur doctrine dans une partie de la terre, disposant leurs auditeurs à suivre, chacun à proportion de ses lumières, les règles qu'elle leur prescrivait : de sorte que, selon qu'on avait plus de penchant et plus d'inclination à recevoir de bons principes, on en devenait beaucoup meilleur.

III. Que les anciens sages parlent donc pour ceux qui sont capables de les entendre, et qu'ils disent avec Platon dans quelqu'une de ses lettres, pour expliquer la nature du souverain bien, que le souverain bien n'est pas une chose qui se puisse exprimer par des paroles, mais qu'il ne s'acquiert que par une longue habitude et qu'il s'allume tout d'un coup dans l'âme comme une lumière qu'on voit sortir d'un feu qui s'éprend (Lettre VII). Lorsque nous lisons cela, nous le trouvons fort beau, et nous y acquiesçons (car nous prenons à tâche de ne combattre jamais ce qui est bien dit : et quoique ceux qui le disent ne soient pas de notre créance, nous ne voulons pas les contredire, ni chercher à détruire ce qu'ils avancent de conforme à la raison). En effet, c'est Dieu qui leur a révélé tout ce qu'ils ont dit de bon, et en  celle  rencontre et en d'autre; Ce qui nous donne lieu de dire que ceux qui connaissent les vérités dont Dieu est l'objet. et qui cependant ne lui rendent pas un culte tel que celle connaissance exigerait d'eux sont sujets à la peine duc aux pécheur Voici comme S. Paul parle d'eux en propres termes : La colère de Dieu éclate du ciel contre toute l'impiété et l'iniquité des hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice, puisque ce qui peut faire connaître Dieu est évident parmi eux, Dieu le leur ayant clairement découvert. Car ce qui est invisible en Dieu. tant sa puissance éternelle que sa divinité, est visible en ses ouvrages, et s'y fait connaître depuis la création du monde : ainsi ces personnes sont inexcusables, parce qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu,et ne lui ont point rendu grâces. Mais ils se sont laissés aller à leurs vains raisonnements et leur c?ur privé d'intelligence a été rempli de ténèbres. Voulant passer pour sages, ils sont devenus fous au point de changer la gloire de Dieu incorruptible en des représentations et  en des images d'hommes corruptibles, d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents (Rom.. I,18, 19, 20, 21, 22, 23). Ceux-là  donc, selon le témoignage de nos Écritures, retiennent la vérité dans l'injustice qui croient et qui disent que le souverain bien n'est pas une chose qui se puisse exprimer par des paroles ; mais qu'il ne s'acquiert que par une longue habitude et une grande assiduité, qui fait enfin qu'il s'allume tout d'un coup dans l'âme, comme une lumière qu'on voit sortir d'un feu qui s'éprend; après quoi, il s'y nourrit et s'y entretient de lui-même :

IV. Ceux, dis-je, qui ayant ainsi parlé du souverain bien descendent au Pirée (Port d'Athènes), pour adresser des prières à Diane comme à une divinité, et pour assister aux cérémonies qui se célèbrent dans l'assemblée solennelle d'un peuple ignorant, on les entend qui disent mille belles choses sur la nature de l'âme et sur l'état où sa vertu la doit mettre après  celle  vie : mais, publiant aussitôt ces choses sublimes que Dieu leur a révélées, ils n'ont que des sentiments vils et bas, et ils veulent que l'on sacrifie à Esculape le coq qu'ils lui ont voué (Plat. dans le Phédon). Ils s'étaient formé des idées de ce qui est invisible en Dieu ; et par la contemplation des choses sensibles que la création du monde leur avait découvertes, ils étaient montés jusqu'aux choses intellectuelles ; de sorte qu'ils avaient des pensées assez nobles de la puissance éternelle de Dieu et de sa divinité ; mais ils se laissent aller néanmoins à leurs vains raisonnements ; et comme leur c?ur est sans intelligence, il se plonge dans les ténèbres d'une ignorance grossière sur le sujet du culte de Dieu. On voit ces gens qui font tant les fiers de leur sagesse, et de leur théologie, se jeter aux pieds d'une image qui est la représentation d'un homme corruptible pour honorer, disent-ils, la Divinité : on les voit même quelquefois s'abaisser avec les Égyptiens, jusqu'aux oiseaux, aux bêtes à quatre pieds et aux serpents.

Mais quand il y en aurait quelques-uns dont l'âme semblerait plus élevée que cela, il se trouvera toujours qu'ils changent la vérité de Dieu en mensonge; et qu'au lieu de servir et d'adorer le Créateur, ils servent et ils adorent la créature ( Rom., 1, 25). Ainsi, les sages et les savants d'entre les Grecs, faisant à l'égard de la Divinité des actions qui ne pouvaient venir que d'un principe d'erreur, Dieu a choisi les moins sages selon le monde pour confondre les sages ; il a choisi les plus vils, les plus faibles et les plus méprisables, ce qui n'était rie», pour détruire ce qui était de plus grand (I Cor., I, 27, 28, 29), afin que véritablement nul homme ne te glorifie devant lui.

Aussi nos premiers sages, Moïse, le plus ancien de tous, et les prophètes qui l'ont suivi, sachant que le souverain bien n'est pas une chose qui se puisse exprimer par des paroles, disent bien dans leurs écrits, lorsqu'ils parlent des apparitions par lesquelles Dieu s'est montré a ceux qui en étaient dignes et capables, que Dieu s'est fait voir à Abraham, à Isaac ou à Jacob (Gen., XII,7; XXVI, 2; XXXV, 9): mais quel il s'est fait voir, en quel état, de quelle manière ou sous quelle forme approchant de ce que nous connaissons, c'est ce qu'ils ne disent point. Ils le laissent à la méditation des personnes qui peuvent se mettre à peu près dans la même disposition que ceux a qui Dieu se faisait voir, non des yeux du corps, mais des yeux d'un c?ur pur. Car Notre-Seigneur Jésus déclare que ceux qui ont le c?ur pur sont bienheureux, parce qu'ils verront Dieu.

V. Quant à cette lumière qui s'allume tout d'un coup dans l'âme, comme si elle sortait d'un feu qui s'éprend (Matth., V, 8); nos Écritures en ont parlé les premières, lorsqu'elles nous ont exhortés par le prophète, à nous éclairer de la lumière de la connaissance (Os., X, 12 j. S. Jean, qui est venu depuis, dit aussi, parlant du Verbe, que rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui ; qu'en lui était la vie, et que cette vie était la lumière des hommes ; la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde (Jean. I, 3, 4 et 9), véritable et intelligible, et qui le fait devenir la lumière du monde (Matth.,V, 14). C'est cette même lumière qui luit dans nos c?urs, afin de nous éclairer par l'Évangile, qui fait éclater la gloire de Dieu en Jésus-Christ (II Cor., IV, 6; Matth., I, 17) : et c'est encore ce qui a fait dire à l'un des plus anciens prophètes qui a prophétisé plusieurs siècles avant que Cyrus eût fondé son empire ; car il l'a précédé de plus de quatorze générations : Le Seigneur est ma lumière et mon sauveur ; qui dois-je craindre ? La loi est la lampe qui éclaire mes pas, et la lumière qui luit dans les sentiers par ou je marche : Seigneur, la lumière de ton vissage est empreinte sur nous: nous verrons la lumière dans ta lumière (Ps.XXVI ou XXVII, 1; CXVIII ou CXIX, CV, 4, 7; XXXV ou XXXVI, 10). Isaïe, divinement inspiré, nous exhorte ainsi à recevoir cette lumière; sois illuminée, Jérusalem, sois illuminée: car ta lumière est venue; et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi (Is., LX, 1 ). Le même prophète prédisant l'avènement de Jésus, qui devait détourner les hommes du culte des idoles, des simulacres et des démons : La lumière s'est levée, dit-il, pour ceux qui demeuraient dans la région de l'ombre de la mort ; et, le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière (Is., IX, 2).

Voyez donc la différence qu'il y a entre ce que Platon a dit de beau touchant le souverain bien, et ce que les prophètes ont dit de la lumière des bienheureux. La vérité qu'il a proposée n'a servi de rien pour la sincère piété, ni à ceux qui ont lu ses écrits, ni à lui-même, qui a fait tant de spéculations philosophiques sur le sujet du souverain bien, au lieu que le style simple des saintes Écritures produit un divin transport en ceux qui les lisent avec toute l'application nécessaire; et, pour nourrir celle lumière en leur âme, il leur fournit l'huile dont les cinq vierges sages de la parabole entretenaient la lumière de leurs lampes (Matth., XXV, 5)

VI. Mais puisque Celse allègue cet autre endroit de la lettre de Platon : Si j'estimais que ces choses pussent tellement s'exprimer qu'on les dût écrire pour le peuple, que pourrais-je faire en ma vie de plus glorieux que de publier des écrits si utiles aux hommes, et de mettre la nature dans son jour, l'exposant aux yeux de tout le monde (Lettre VII)? Disons aussi un mot là-dessus. Je ne dispute point si Platon a eu  ou n'a pas eu des connaissances plus hautes et plus divines que ce qu'il fait paraître dans écrits : je le laisse examiner à chacun selon sa capacité. Mais je puis montrer qu'outre les choses que nos prophètes écriraient, ils en avaient encore de plus sublimes qu'ils n'écrivaient pas (Ezéch.. II, 9 et 10 et 3, 1).

En effet, Ézéchiel ayant reçu un livre en rouleau, écrit dedans et dehors où il y avait des lamentations, des plaintes et malédictions, et la voix céleste lui ayant ordonné de le manger, il le mangea, du peur de l'exposera des personnes indignes, en le publiant (Apoc., X, 9). Nous lisons que S. Jean fit aussi la même chose en vision : et S. Paul entendit pareillement des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter (II, Cor., XII, 4). Jésus lui-même qui est au-dessus d'eux tous, nous est représenté enseignant en particulier à ses disciples la parole de Dieu, surtout quand il était avec eux dans la retraite : mais il ne nous est point dit quelles étaient les choses qu'il leur enseignait (Marc., IV, 34). Car ses disciples n'ont pas estimé que ces choses pussent tellement s'exprimer, qu'on les dût écrire pour le peuple.  Et, si l'on peut dire librement la vérité sans blesser le respect qui est dû à de si grands hommes, je dis que ceux-ci, éclaires des lumières que la grâce de Dieu leur donnait, voyaient bien mieux que Platon ce qui devait être écrit et comment il le devait être, et ce qui ne devait pas être écrit pour le peuple, ce qu'il fallait publier et ce qu'il fallait taire. C'est cette différence des choses qui doivent être écrites et de celles qui ne le doivent pas être, que S. Jean nous marque, lorsqu'il parle de ces sept tonnerres qui lui firent entendre leur voix, mais avec défense d'écrire ce qu'ils lui apprenaient (Apoc., X, 4).

VII. Au reste, dans ce qu'ont écrit Moïse et les prophètes qui ont vécu, et avant Platon, et avant Homère, et avant même que les caractères grecs fussent inventés, l'on peut trouver diverses choses dignes de la grâce divine qui les animait, et pleines de noble élévation. L'on ne peut pas dire comme Celse le prétend, qu'ils les eussent empruntés de ce philosophe : car comment eussent -ils pu emprunter d'un homme qui n'était pas encore né ?  Mais comme les apôtres de Jésus ne sont pas si anciens que Platon, et qu'il se pourrait faire que quelqu'un leur appliquât ce que Celse dit, voyez si ce n'est pas une chose qui choque d'elle-même la vraisemblance, que Paul dont le métier était de faire des tentes, Pierre qui était pécheur, et Jean qui quitta les filets de son père, aient eu assez de connaissance des lettres de Platon pour y prendre ce qu'ils ont dit de Dieu (Act., XII, 3). Celse, qui nous a déjà si souvent objecté que nous demandons une foi sans examen, nous le reproche encore ici comme quelque chose de nouveau : mais nous nous contenterons d'y avoir rependu ci-dessus (Matth., IV, 18 et 32).

Seulement, parce qu'il nous cite encore Platon, prétendant que, par les interrogation et les réponses dont il se sert, il donne de grandes lumières à ceux qui suivent sa philosophie, faisons voir, par des passages de l'Écriture sainte, que Dieu aussi dans sa parole nous recommande l'art de raisonner (Gr. la dialectique) Salomon dit : Que la science sans est examen est trompeuse (Prov.., X, 17) ; et Jésus fils de Sirac, auteur du livre de la Sagesse, que les connaissances de l'insensé ne sont que des pensées mal digérées (Sir., XXI, 18, et. 19). C'est donc nous, proprement, qui avons de doux moyens de persuader et de convaincre, sachant que celui qui a la charge d'enseigner doit être capable de convaincre ceux qui s'opposent à la saine doctrine (Tit., 1, 9). S'il s'en trouve de lâches et de négligents, qui n'aient pas soin de s'appliquer à la lecture des livres sacrés, d'examiner les Écritures (I Tim. Vl, 13) et, comme Jésus l'ordonne, d'en chercher le sens, de demander à Dieu qu'il les assiste, et de frapper à la porte (Jean, V, 39) quand quelqu'endroit est fermé pour eux, il ne suit pas de là que notre doctrine soit vide de sagesse (Matth., VII, 7).

VIII. Après quelques autres paroles le Platon, qui font voir que le vrai bien est connu de très peu de personnes; parce que la plupart des hommes prévenus d'un injuste mépris pour les autres et tout pleins d'une haute, mais vaine opinion d'eux-mêmes, affirment que ceci ou cela est véritable comme s'ils avaient trouvé de grands mystère, ( Plat., Lett. VII) : Celse ajoute : Mais Platon, encore qu'il parle ainsi d'abord, ne remplit point pourtant ses discours de vains prodiges, et ne ferme point la bouche à ceux qui veulent s'éclaircir davantage de ce qu'il promet. Il n'ordonne point que l'on croie avant toutes choses et sans autre examen que telle est l'essence de Dieu, qu'il a un Fils qui a telles qualités, et que ce Fils lui-même est descendu pour le lui apprendre. Je réponds qu'ai l'égard de Platon, Aristandre, si je ne me trompe, a écrit qu'il n'était pas ale d'Ariston, mais d'un spectre qui s'approcha d'Armphictione sous la forme d'Apollon : ce que plusieurs autres disciples de Platon ont dit aussi dans sa Vie. Pour ce qui est de  Pythagore, qu'est-il besoin que nous rapportions ses divers prodiges supposés? Sa cuisse d'ivoire, qu'il fit voir dans une assemblée solennelle des Grecs, son bouclier qu'il reconnut, dit-il, pour l'avoir porté étant Euphorbe, et ce qu'on lui attribue d'avoir paru le même jour en deux villes différentes? Qui voudrait traiter de vains prodiges ce qu'on raconte de Platon et de Socrate pourrait mettre en ce rang le cygne que Socrate vit en songe, et dont on le priait de prendre soin, au sujet duquel il dit, lorsqu'on lui amena ce jeune homme pour être son disciple : Voilà le cygne que j'ai vu. On y pourrait mettre encore le troisième oeil que Platon s'imagina d'avoir. Et les esprits malins qui prennent plaisir à tourner en un mauvais sens les aventures des personnes qui ont quelque chose au-dessus du commun,  ne manqueront jamais de matière pour leurs médisances et pour leurs calomnies : ils traiteront de fiction le démon de Socrate, et ils en feront des railleries.

Ce ne sont donc point de vains prodiges que nous racontons de Jésus; et jamais ses véritables disciples n'ont rien écrit de lui qui puisse passer pour tel. Mais Celse, qui se vante de savoir tout et qui rapporte divers passages de Platon, passe sous silence, et je crois qu'il le fait à dessein, l'endroit où ce philosophe parle du Fils de Dieu. Le voici tel qu'il se lit dans la lettre, à Hermée et à Corisque : Vous en prendrez à témoin le Dieu de l'univers, l'arbitre des choses présentes et des choses futures, arec le Père et le Seigneur de cette première et souveraine cause, lequel nous connaîtrons tous clairement autant que des hommes bienheureux en peuvent être capables, si nous nous appliquons comme il faut à l'étude de la philosophie (Lettre VI).

IX. Celse allègue encore cet autre passage de Platon : Il me vient dans l'esprit de m'étendre davantage sur cette matière, car peut-être qu'en l'expliquant je dirai des choses qui la rendront en quelque sorte plus intelligible: et il y a une autre raison contraire à la première, dont ceux qui se hasardent à parler un peu de ce sujet, peuvent se servir comme d'une juste raison. Je m'en suis servi plusieurs fois ci-devant ; et j'ai dessein de m'en servir encore à cette heure. Dans tout ce qui doit nécessairement contribuer à l'acquisition de la science, il y a trois choses. La quatrième est la science elle-même:et il faut compter pour la cinquième le propre objet qui est proposé à notre connaissance, comme il est véritable en toi. La première, c'est le nom; la seconde, le verbe ou le discours, la troisième l'idole ou l'image, et la quatrième, la science (Lettre VII). Nous pouvons dire tout de même que Jean, le précurseur de Jésus, et la voix de celui qui crie dans le désert (Matth.,III,, 3), répond au nom dont Platon parle, et que Jésus, précédé et désigné par Jean, Jésus, de qui il a été dit, Le Verbe a été fait chair (Jean, I, 14), répond au Verbe de Platon. Il met l'idole pour la troisième : mais nous, qui nous servons de ce mot dans un autre sens, nous dirons plus clairement que l'empreinte qui demeure en notre âme après que Jésus-Christ, le Verbe, y a peint ses plaies par sa parole, c'est Jésus-Christ lui-même que nous avons chacun au dedans de nous (Gal., III, 1). Pour ce qui est de la quatrième, savoir la science, nous laissons décider à ceux qui en sont capables, si Jésus-Christ, la sagesse de nos parfaits, y répond aussi (I Cor., l, 30, et II, 6).

X. Celse dit après cela: Vous voyez qu'encore que Platon eût assuré que ce n'était pas une chose qui se put exprimer par des paroles, toutefois de peur qu'on ne crût qu'il refusât de parler pour ne pas s'exposer à être repris, il veut bien entrer dans l'examen d'une question si douteuse et si incertaine. En effet, peut-être que la nature du néant même se peut expliquer. Puisque le dessein de Celse est de prouver par là qu'il ne faut pas simplement croire, mais qu'il faut soutenir l'examen des choses que nous croyons, nous nous servirons aussi  de ces paroles de S. Paul, où il condamne la créance téméraire : si ce n'est que vous ayez cru témérairement (I Cor., XV 2) Il ne tient pas à Celse que par ses redites continuelles il ne nous oblige à redire avec lui ; car, après s'être vanté lui-même aussi fièrement que nous avons vu qu'il a fait, il nous dit que Platon n'est point un menteur qui se vante d'avoir trouvé quelque chose de nouveau ou d'erre descendu du ciel pour nous l'enseigner: mais qu'il reconnu« d'où il l'a pris. L'on pourrait opposer à Celse ces paroles enflées de Platon, qu'il met en la bouche de Jupiter dans son Timée : Dieux sortis des dieux dont je suis le créateur et le père, et ce qui suit. On les défendra par sens de celui que Platon fait ainsi parler. Mais si cela est, pourquoi ceux qui pénètreront le sens des paroles du Fils de Dieu ou du Créateur qui parle dans les prophètes, ne leur donneront-ils pas l'avantage sur la harangue que fait Jupiter dans le Timée? Car le propre caractère de la Divinité, c'est de prédire l'avenir, d'une manière qui passe les forces humaines et qui fait bien juger par l'événement que l'Esprit de dieu est l'auteur de la prédiction,

Nous ne disons donc pas à tous ceux qui se présentent : Croyez premièrement que celui que le vous propose est le Fils de Dieu : mais nous exposons nos mystères à chacun d'une façon convenable à ses moeurs et à sa disposition, ayant appris comment nous devons répondre à chaque personne (Col, IV, 6), Il y en a que nous nous contentons d'exhorter à croire, parce que c'est tout ce dont ils sont capables. Il y en a d'autres auprès de qui nous nous servons d'interrogations et de réponses pour les convaincre par démonstrations autant que cela nous est possible. Nous ne disons pas non plus, comme Celse nous l'attribue par raillerie : Croyez que celui que je vous propose est le Fils de Dieu, quoiqu'il ait été lié honteusement, qu'il ait souffert le plus infâme de tous les supplices, que depuis trois jours il ait été traité avec la dernière ignominie aux yeux de tout le monde : croyez-le encore plus par cela même; car nous tâchons sur chaque point d'apporter des raisons encore plus fortes que tout ce que nous avons dit ci-dessus.
 

XI. Si les uns dit-il en suite, parlant des chrétiens, si les uns proposent celui-ci, et les autres celui-là, et qu'ils disent tous en commun, comme il n'y a rien de si aisé à dire : Croyez, si vous voulez dire sauvé, ou retirez-vous : que feront ceux qui désirent effectivement de faire leur salut ? Prendront-ils des dés, pour se déterminer sur le choix qu'ils doivent faire, et pour savoir à qui ils se donneront ? Je réponds, fondé sur l'évidence de la chose même que, s'il y en avait plusieurs de qui l'on nous racontât qu'ils se fussent présentés aux hommes de la même manière que Jésus, avec la qualité de Fils de Dieu, et qui, ayant tous des sectateurs, nous laissassent dans l'incertitude, parce qu'ils se vanteraient égaiement de cette qualité et que aucun serait appuyé du témoignage de ceux qui croiraient en lui, peut-être qu'alors il y aurait lieu de parler de la sorte : si les uns proposent celui-ci, et let autres celui-là, et qu'ils disent tous en commun, comme il n'y a rien de si aisé à dire : Croyez si vous voulez être sauvé, ou retirez- vous : et ce qui suit. Mais maintenant Jésus est le seul qui ait paru au monde comme Fils de Dieu, et qui ait été prêché pour tel par toute la terre. Car pour ceux qui croyant comme Celse, que ce qu'il s'attribuait de grand n'était qu'une fourbe, ont voulu l'imiter dans l'espérance d'acquérir un semblable crédit parmi les hommes, on a reconnu qu'ils n'étaient rien : témoins Simon, ce magicien de Samarie, et Dosithée qui était du même pays. (Act.. VIII, 10) Le premier se vantait d'être la vertu de Dieu, qu'il nommait la grande; et l'autre, d'être le Fils de Dieu. Cependant il ne se trouve plus nulle part de simoniens; quoique Simon, pour se faire plus de sectateurs dispensât ses disciples de s'exposer à la mort, comme la religion chrétienne y oblige les chrétiens ; et qu'il leur fit regarder l'idolâtrie comme une chose indifférente. Lors même que cette secte parut il n'y eut point d'embûches contre elle. Le démon, ce malin esprit qui en dresse à la doctrine de Jésus, savait bien qu'il ne devait pas craindre que ses projets fussent traversés par les maximes de Simon.

. A l'égard des dosithéens, ils n'ont jamais eu beaucoup d'éclat, et ils sont entièrement éteints à présent : au moins, dit-on, qu'ils ne sont pas trente en tout. Judas de Galilée voulut aussi faire croire, comme S. Luc nous le raconte dans les Actes des apôtres, qu'il était quelque chose de grand (Act., V, 37 et 36); et Theudas en avait voulu faire autant avant lui; mais comme leur doctrine n'avait point Dieu pour auteur, ils furent détruits ; et tous ceux qui s'étaient attachés à eux se dispersèrent aussitôt. Nous ne sommes donc pas réduits à prendre des dés, pour nous déterminer sur le choix que nous devons faire, et pour savoir à qui nous nous donnerons, comme s'il se pouvait faire qu'il y en eut plusieurs qui nous tirassent chacun de son côté, en se vantant tous d'avoir été envoyés de Dieu parmi les hommes.

XII. Mais en voilà assez sur cette matière. Passons à une autre accusation de Celse. Il fait bien voir qu'il a été mal instruit des paroles dont nous nous servons, ou qu'il les a mal retenues, lorsqu'il nous fait dire que la sagesse des hommes est une folie devant Dieu : au lieu que S. Paul dit que la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu. Celse ajoute, qu'il a déjà dit ailleurs quelle est la raison qui nous fait parler de la sorte. Il croit que la raison est que nous voulons par là gagner seulement les ignorants et les simples ( I Cor., III, 19) Mais comme il le marque lui-même, c'est une chose qu'il a déjà dite ci-dessus : et de notre rôle, nous y avons répondu le mieux qu'il nous a été possible. Cependant il veut encore faire croire que nous avons formé cette idée sur celle des savants de Grèce, qui disent que la sagesse humaine est différente de la sagesse divine; et pour le prouver, il allègue deux passages d'Héraclite ; l'un qui dit que dans la conduite des hommes, il n'y a pas de règles certaines de prudence, mais qu'il y en a dans la conduite de Dieu: et l'autre, qu'un homme qui n'est pas instruit, apprend d'un démon, comme un enfant apprend d'un homme. A ces deux témoignages d'Héraclite, il joint encore celui de Platon, dans son Apologie pour Socrate : La réputation que j'ai, peuple Athénien, c'est la sagesse seule qui me l'a donnée. Mais quelle sagesse ? Une sagesse humaine sans doute. Car, en effet, il y a quelque apparence qu'on me peut nommer sage à cet égard. Voilà ce que Celse allègue : et j'y veux ajouter de ma part, ce que dit Platon dans la lettre à Hermée, à Eraste et à Corisque. Pour Eraste et Corisque. je leur dis, tout vieux que je suis, que la connaissance qu'ils ont des formes, quelque belle qu'elle soit, ne leur suffit pas. Ils ont besoin d'une autre qui leur apprenne à se garder des méchants et du injustes, et qui leur donne la force de s'en défendre. Car ils manquent encore d'expérience, ayant passé une bonne partie de leur vie avec nous, qui vivons dans une simplicité éloignée de toute malice. Ainsi je dis qu'ils ont besoin d'autres connaissances, pour n'être pas contraints de négliger la véritable sagesse, et de s'attacher plus qu'il ne faut à la sagesse humaine qu'il est nécessaire d'acquérir (Lett. VI).

XIII. Suivant cela donc, il y a une sagesse divine, et une sagesse humaine. La sagesse humaine est celle que nous appelions la sagesse de ce monde, laquelle est une folie devant Dieu. La sagesse divine, qui diffère de l'humaine, ne peut être, puisqu'elle est divine, qu'un présent de la grâce de Dieu, qui la donne à ceux qui se préparent convenablement pour la recevoir; à ceux surtout qui connaissant la différence de l'une d'avec l'autre, disent dans leurs prières à Dieu : Quand quelqu'un serait parfait entre les hommes, s'il est privé de cette sagesse qui vient de toi, il sera compté pour rien (Sag. IX) . Nous croyons que la sagesse humaine est un exercice pour l'âme ; mais que la divine est la fin que l'on se doit proposer. C'est cette sagesse divine qui est nommée la nourriture solide de l'âme, par celui qui dit que la nourriture solide est pour les parfaits, c'est-à-dire pour ceux dont l'esprit par une longue habitude s'est accoutumé à discerner le bien et le mal (Hébr. V, 14).

Il est certain que ce sentiment est fort ancien; et pour en trouver l'origine, il ne faut pas remonter seulement jusqu'à Héraclite et à Platon, comme Celse se le persuade; car longtemps auparavant les prophètes avaient parlé de cette double sagesse. Il suffira de rapporter là-dessus ce que dit David, du sage qui possède la sagesse divine. Il ne sentira point la mort, dit-il, lorsqu'il verra mourir les sages ( PS. XLVIII ou XLIX. 10 et 11). La sagesse divine donc, qui est différente de la foi, est le premier des dons de Dieu, comme on les appelle. Le second se nomme la science, selon la distinction de ceux qui entendent exactement ces matières : et le troisième, c'est la foi; car il fallait bien que les plus simples aussi se pussent sauver, étant conduits à la piété par des voies proportionnées à leurs forces. C'est ce qui fait dire à S. Paul :  L'un reçoit du Saint-Esprit le don  de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit  du même Esprit le don de la foi (I Cor., XII,  8, et 9). Aussi ne trouverez-vous pas cette  sagesse divine indifféremment en tout le monde. Vous ne la trouverez qu'en ceux qui excellent, et qui se distinguent de tous les autres entre les chrétiens. Et l'on ne va pas en exposer les mystères aux plus stupides et aux plus ignorants de tous les hommes, à de vils et de misérables esclaves.

XIV. Quoiqu'au fond par les plus stupides et les plus ignorants de tous les hommes, par ces vils et ces misérables esclaves, Celse entende ceux qui n'ont pas été instruits comme lui dans les sciences des Grecs : au lieu que les plus stupides de tons les hommes, selon nous, ce sont ceux qui n'ont point de honte d'adresser la parole, et de présenter des prières à des choses inanimées, de demander la santé à ce qui n'a aucune force, la vie à ce qui est mort, du secours à ce qui ne peut se secourir soi-même. Je sais bien qu il y en a qui disent que ces choses-là ne sont pas les véritables dieux ; et que c'en sont seulement des représentations et des symboles. Mais ceux-là mêmes sont des stupides, des ignorants, et de vils esclaves, de s'imaginer que la main des ouvriers puisse représenter et imiter la Divinité. Les derniers d'entre nous ne sont pas capables d'une telle stupidité et d'une telle ignorance. Selon nous, ce sont bien ordinairement les plus éclairés qui conçoivent et qui embrassent le mieux l'espérance des biens célestes ; mais nous ne disons pas pourtant qu'il soit impossible d'acquérir la sagesse divine, quand on n'a pas été nourri dans l'humaine ; et nous avouons que toute la sagesse humaine est une folie, en comparaison de la divine. Ensuite au lieu nous payer de raisons, il nous traite de charlatans, disant que nous fuyons de toutes nos forces les personnes polies, parce qu'elles ne se laissent pas aisément tromper, mais que nous tendons nos filets aux plus grossiers (Act., VII, 22). C'est qu'il ne sait pas que, dès les premiers temps, il y a eu parmi nous des sages très versés dans les sciences étrangères : Moïse, qui avait été instruit dans toute la sagesse des Égyptiens ; Daniel, Ananias, Azarias et Mizaël, qui avaient si bien appris tout ce qui s'enseignait en Assyrie, qu'on les trouva dix fois plus savants que tous les sages du pays (Dan., I, 4, et 20). A présent même, parmi ceux qui se rangent à la communion de nos églises, il se trouve de ces sages qui possédaient la sagesse, que nous appelons la sagesse selon la chair (I Cor., I, 26) ; quoique le nombre n'en soit pas grand, comparé à la multitude des autres, il s'en trouve, dis-je, qui s'en servent comme de degrés pour parvenir à la sagesse divine.

XV. Après cela Celse, comme ayant ouï parler confusément de l'humilité, sans savoir précisément en quoi elle consiste, tâche de décrier celle que nous enseignons, et prétend que ce que nous en disons n'est qu'une imitation imparfaite de ce que Platon en a écrit dans des lois. Voici le passage de Platon : Dieu qui, selon la doctrine des anciens mêmes, renferme en soi le commencement, le milieu et la fin de tous les êtres, marche tout droit dans te grand chemin de la nature. La justice le suit toujours, pour la punition de ceux qui violent les lois divines : et ceux qui sont destinés à être heureux, suivent constamment la justice avec un air humble et des ornements modestes (IV des Lois). Mais Celse ne voit pas que des auteurs bien plus anciens que Platon parlent ainsi dans leurs prières : Seigneur, mon c?ur ne s'est point enflé et mes yeux ne se sont point élevés : je ne me suis point porté aux choses grandes et admirables qui étaient au-dessus de moi, qu'en même temps je n'aie eu des pensées d'humilité (Ps. CXXX ou CXXXI, 1 et 2).

Par où il paraît aussi que, pour être humble, il n'est pas nécessaire de se réduire à un état indécent et malhonnête, de se traîner sur les genoux, de se jeter le visage en terre, de porter de méchants habits, de se couvrir de poussière ; car celui qui est humble, au sens du prophète, se porte bien à des choses grandes et admirables qui sont au-dessus de lui, à l'étude de ces dogmes, qui sont véritablement grands, à la méditation de ces pensées, qui sont véritablement admirables ; mais en même temps il s'humilie sous la puissante main de Dieu (I Pierre, V, 6).

S'il s'en trouve d'assez simples, pour s'arrêter à ces pratiques, n'ayant pas bien compris la nature de l'humilité, il ne faut pas s'en prendre à notre doctrine ; et l'on doit pardonner à leur ignorance qui fait, qu'encore qu'ils se proposent une bonne fin, ils ne peuvent pourtant y arriver. Mais celui-là est plus humble et mieux orné que ceux que Platon nous représente, qui cherche ses ornements dans les choses grandes et admirables qui sont au-dessus de lui, et qui témoigne son humilité en ce que, bien qu'il se porte à de telles choses, il s'humilie volontairement, non sous tout ce qui se peut présenter, mais sous la puissante main de Dieu : à quoi il est instruit par Jésus, qui est un maître propre pour de tels disciples. Car Jésus n'a point fait trophée d'être égal à Dieu, mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, et étant reconnu pour homme par tout ce qui apparu de lui au dehors : il s'est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix (Philip., II, 6, etc.). Celle doctrine de l'humilité est d'une telle importance, que pour nous l'enseigner il ne suffît pas d'un docteur ordinaire, mais qu'il faut que notre grand Sauveur nous crie lui-même : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes (Matth., XI, 29).

XVI. Celse ajoute que, cette sentence de Jésus contre les riches : Il est plus aisé qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille, que non pas qu'un riche entre dans le royaume de Dieu (Matth., XIX, 24), est manifestement prise de Platon, dont Jésus a altéré les paroles, que voici : Il est impossible d'être extrêmement riche et extrêmement honnête homme (V des Lois).

Mais qui est-ce, je ne dis pas d'entre les chrétiens, je dis même d'entre les autres hommes, pour peu qu'il ait connaissance des choses, qui puisse ne pas se moquer de Celse, lorsqu'il entend dire que Jésus avait lu Platon ; Jésus, qui était né et qui avait été élevé parmi les Juifs, qui passait pour fils du charpentier Joseph (Matth.. XXIII, 55), et qui, bien loin d'être instruite dans les lettres grecques ne l'était  pas même dans les sciences de son pays, comme les écrits de ses propres disciples le témoignent de bonne foi? Après cela, Jésus trouvant dans Platon, Qu'il est impossible d'être extrêmement riche et extrêmement honnête homme et voulant se faire honneur d'un si beau mot. l'aura altéré et en aura fait celui-ci, qu'il est plus aisé qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille, qu'il ne l'est qu'un riche entre dans le royaume de Dieu (Jean, XVII, 18).

Si Celse, tout prévenu et tout passionné qu'il est contre l'Évangile, avait au moins de la sincérité et de la candeur, il rechercherait pourquoi un animal bossu et contrefait comme le chameau a été choisi pour être comparé avec un riche; et ce que veut dire, parce trou étroit d'une aiguille, le même qui avait dit que le chemin qui mène à la vie est étroit et serré (Matth., VII, 14, Lév., XI, 4) ; pourquoi encore il se sert de la comparaison d'un animal qui était impur, selon la loi, et qui avait bien l'une des conditions requises pour être pur, je veux dire de ruminer, mais qui manquait de l'autre, d'avoir la corne du pied fendue. Il aurait observé combien de fois l'Écriture sainte, parle du chameau, et en quelles occasions elle en parle, ce qui l'aurait aidé à en pénétrer le sens sur le sujet des riches. Enfin il n'aurait pas négligé d'examiner si, lorsque Jésus déclare les pauvres bienheureux et les riches malheureux (Luc, VI, 20 et 24), il parle des pauvres et des riches seIon l'état extérieur et sensible, ou s'il a en vue une pauvreté qui est toujours digne de louange, et des richesses qui sont toujours dignes de blâme. Car il n'y a point d'homme qui voulut louer indifféremment tous les pauvres, puisqu'il y a plusieurs pauvres qui sont très vicieux. Mais c'est assez insister sur celle matière.

XVII. Voyons maintenant comme Celse s'efforce de rabaisser ce que nos auteurs ont écrit du royaume de Dieu. Il ne rapporte point leurs paroles, ne jugeant pas dignes d'être mêlées aux siennes, ou peut-être parce qu'il ne les a jamais lues : mais il produit des passages de Platon, tirés de ses Épîtres et de son Phèdre dans lesquels il veut qu'il y ait quelque de divin, au lieu que dans les nôtres il n'y a rien de pareil. Produisons donc aussi quelques endroits de nos Écritures pour en faire comparaison avec les pensées de Platon, qui ont une assez belle apparence, mais qui n'ont pas eu le pouvoir de le disposer lui-même à servir d'une manière digne d'un philosophe  le Créateur de l'univers.  Car s'il avait de la piété, il devait se donner de garde de la souiller et de la corrompre par un mélange d'idolâtrie, comme nous parlons, ou de superstition, comme d'autres parlent, se servant d'un mot qui signifie proprement la crainte que l'on a des démons. Dans le Psaume XVII il est dit de Dieu, par une façon de parler hébraïque, qu'il a mis des ténèbres autour de soi pour lui servir de cachette (Ps. XVIII, 12); ce qui signifie que les choses que l'on devrait connaître de Dieu, pour le connaître parfaitement, sont de choses cachées qu'on ne saurait découvrir, et qu'il s'est lui-même caché comme dans les ténèbres pour ceux qui ne peuvent le contempler ni contenir l'éclat d'une connaissance si sublime, en étant empêchés tant par Ies impuretés de leur esprit qui est attaché à ce corps vil et abject  (Phil., III, 21 ), que par sa faiblesse naturelle, qui fait qu'il est trop borné pour comprendre ce que c'est que Dieu. Et afin de faire voir que  cette connaissance est rare parmi les hommes, et qu'il y en a très peu à qui elle soit accordée, il est dit que Moïse entra dans l'obscurité où Dieu était.  Moïse s'approchera seul de Dieu,  est-il dit encore, si les autres s'en tiendront éloignés. (Ex. XX, XXI et XXIV, 2).Un autre prophète, pour monter qu'en la science dont Dieu est l'objet, il y a des profondeurs impénétrables à ceux qui n'ont pas reçu cet esprit, qui comme il pénètre toutes les choses, pénètre aussi ce qu'il y a en Dieu de plus profond et de plus caché (I Cor., Il, 10 . L'abîme, dit-il, lui sert comme d'un manteau (Ps. CIII ou CIV, 6).  Notre Seigneur et note Sauveur lui-même; voulant marquer la grandeur et la sublimité de la connaissance qu'il a de son Père, et qui ne convient dans toute sa perfection et dans tout son étendue qu'à lui seul, mais qui coule de lui comme de sa source dans l'esprit de ceux qu'il éclaire de ses lumières, lui qui est le Verbe de Dieu et qui est Dieu (Jean, I, 1); ce Verbe de Dieu, dis-je, nous dit que nul connaît le Fils que le Père, comme nul aussi ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le fils l'aura révélé (Matth, XI, 27) .

En effet, nul ne peut dignement connaître ce Fils incréé, le premier né de toutes les créatures (Col., IV, 15), si ce n'est le Verbe vivant et animé qui est sa vérité et sa sagesse.  C'est le Fils qui écarte des ténèbres que le Père a mises autour de soi pour lui servir de cachette, et qui le développe de cet abîme dont il se couvre comme d'un manteau : c'est par les lumières qu'il communique que tous ceux qui sont capables de reconnaître le Père le connaissent.

XVIII. D'une infinité de beaux traits par lesquels les hommes divinement inspirés nous marquent ce qu'ils pensent de Dieu, j'ai cru en devoir produire ce petit nombre, pour faire voir que dans les saints écrits des prophètes on trouve des choses plus admirables que Celse admire tant dans Platon, si l'on a  des yeux qui ne soient pas aveugles aux beautés de l'Écriture. Voici le passage de Platon rapporté par Celse : Tous les êtres sont autour du Roi de l'univers. Toutes les choses du monde sont pour lui, et il est l'auteur de tout ce qu'elles ont de bon.  Avec celles qui tiennent le second rang, il est au second rang, et avec celles qui tiennent le troisième, il est au troisième. L'âme humaine donc désire de connaître ces choses comme ayant de l'affinité avec elles, elle les contemple et elle en cherche les propriétés ;  mais il n'y en a aucune de parfaite. Il n'en est  pas de même de ce grand roi ni de ce dont j'ai parlé (Lettr. II). Je pourrais opposer à  cela la description qu'Isaïe nous fait des séraphins, comme les Hébreux les appellent, qui couvrent le visage et les pieds de Dieu, et celle qu'Ézéchiel fait des chérubins dont il nous représente les diverses formes, et par lesquels il dit que Dieu est porté ( Is.. VI, 2;  Ezéch., l, V et X. 18). Mais parce que ces choses sont exprimées fort obscurément à cause des personnes indignes et mal disposées qui ne peuvent atteindre la hauteur et  la majesté de la théologie, j'ai cru qu'il n'était pas à propos de m 'étendre là-dessus dans cet écrit.

XIX. Celse dit ensuite qu'il y a des chrétiens qui. sur des paroles de Platon dont ils n'ont qu'une connaissance confuse, font sonner haut le Dieu qui est au-dessus des cieux, et s'élèvent ainsi au-dessus du ciel des Juifs. Il ne marque point clairement s'ils s'élèvent au-dessus du Dieu même des Juifs, ou seulement au-dessus du ciel par lequel les Juifs jurent (Matth., V, 34). Nous n'avons donc rien à dire ici de ceux qui, outre le Dieu adoré par les Juifs, font profession d'en reconnaître encore un autre. Nous nous contenterons de nous défendre nous-mêmes, et de faire voir que nos prophètes, c'est-à-dire ceux des Juifs, n'ont pu rien prendre de Platon, ayant vécu avant lui. Tant s'en faut que nous ayons copié ce qu'il dit, que tous les êtres sont autour du Roi de l'univers, et que toutes les choses du monde sont pour lui ; que nous trouvons dans les écrits des prophètes des choses bien plus excellentes, dont Jésus et ses disciples nous ont donné l'intelligence en nous découvrant les secrets de l'esprit qui a parlé par les prophètes, et qui n'est pas autre que l'esprit de Jésus-Christ (I Pierre, I, 11). Ce philosophe n'a pas non plus été le premier qui ait parlé d'un lieu plus haut que les cieux. David, longtemps auparavant, voulant marquer le grand nombre et la profondeur des belles connaissances de ceux qui, pour contempler Dieu, s'élèvent au-dessus des choses sensibles, a dit dans le livre des Psaumes : Cieux des cieux, louez Dieu, et que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur (Ps. CXLVIII, 4).

Et je ne crois pas pas hors d'apparence que Platon ait eu commerce avec les Juifs, ou même, comme quelques-uns l'ont écrit, qu'il ait lu les livres des prophètes, d'où il ait appris ce qui se lit dans son Phèdre : Aucun de nos poètes n'a jusqu'ici chanté le lieu qui est au-dessus des cieux, et personne ne le chantera jamais assez dignement; et ce qui suit, comme quand il ajoute un peu plus bas : Cette essence qui existe véritablement, et qui est sans couleur, sans figure et sans aucunes qualités sensibles, je veux dire l'âme, ne se sert pour conducteur et pour guide que de l'entendement qui contemple tout: avec elle, toutes les espèces de la véritable science occupent ce lieu. C'est pour s'être instruit dans ces mêmes écrits des prophètes que notre S. Paul n'aspirait qu'à ce qui est au-dessus des cieux et au-delà des bornes du monde, et qu'il n'y avait rien qu'il ne fît, afin d'en pouvoir obtenir la jouissance. Ce qui lui fait dire dans la seconde Épître aux Corinthiens :

 Car le court moment des légères afflictions que nous souffrons nous produit le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire : ainsi, nous ne regardons point les choses visibles, mais les invisibles, parce que les choses visibles sont temporelles, mais le: invisibles sont éternelles (II Cor., IV, 17, 18).

XX. Pour peu qu'on ait d'intelligence, on comprend d'abord que ces choses visibles dont il parle sont les mêmes que les sensibles : comme les choses invisibles sont les mêmes que les spirituelles, qui ne se voient quo des yeux de l'esprit. Ces choses sensibles et visibles sont encore, selon lui, les mêmes que les temporelles; comme les spirituelles et les invisibles sont les mêmes que les éternelles. Désirant donc de contempler celles-ci, et se soutenant par l'ardeur de ce désir, il compte pour rien toutes ses afflictions ; elles lui semblent légères; et dans le temps même qu'il souffre les peines les plus rudes, bien loin de s'en trouver accablé, il soulage tous ses maux par la considération de ces biens invisibles. Aussi avons-nous pour grand pontife Jésus, Fils de Dieu, qui, par la grandeur de sa puissance et de ses lumières, a pénétré les cieux (Hébr., IV, 14), et qui a promis à ceux qui voudraient faire une étude sérieuse des choses divines, pour vivre d'une manière qui en fût digne, de leur montrer le chemin au-delà des limites de ce monde; a fin, dit-il, que vous soyez avec moi où je m'en vais (Jean, XIV, 3). C'est pour cela qu'après nos peines et nos travaux d'ici-bas, nous espérons être élevés au plus haut des cieux, afin que, comme nous aurons eu en nous, selon l'enseignement de Jésus, ces sources d'eau qui rejaillissent jusque dans la vie éternelle (Jean, IV, 14), et que nous aurons été remplis des fleuves de la connaissance; nous nous joignons aussi à ces eaux qui sont au-dessus des cieux et qui louent le nom du Seigneur (Ps. CXLVIII, 4). En le louant ainsi nous ne seront point emportés par le mouvement du ciel, mais nous demeurerons toujours occupés à la contemplation des vertus invisibles de Dieu (Rom., I, 20), lesquelles nous ne connaîtrons plus par ses ouvrages que la création du monde expose à nos yeux. Car alors, suivant ce que dit le fidèle disciple de Jésus-Christ, nous verrons Dieu face à face ; et comme nous serons dans l'état de perfection, tout ce qui est imparfait sera aboli (I Cor., XIII, 12; 1 Cor., XII, 10).
 
 
 

XXI. Pour ce qui est du nombre des cieux, les Écritures, dont les Églises de Dieu reconnaissent l'autorité, ne le déterminent ni à sept, ni à aucun autre. Elles nous parlent seulement des cieux au pluriel, soit qu'elles entendent par là ce que les Grecs appellent les cieux des planètes, ou qu'elles nous veuillent enseigner quelque autre chose de plus caché. Celse veut, selon la pensée de Platon, que pour venir du ciel en terre et pour aller de la terre au ciel, les âmes passent parles planètes. Mais Moïse, le plus ancien de tous nos prophètes, décrivant la vision du patriarche Jacob, dit qu'il eut un songe divin d'une échelle qui touchait au ciel, par laquelle les anges de Dieu montaient et descendirent, et qui avait le Seigneur appuyé sur le haut (Gen., XXVIII, 12 et 13) : soit que le prophète ait voulu signifier cela même, savoir, que les âmes descendent du ciel en terre, et remontent de la terre au ciel, soit qu'il ait eu dessein de représenter quelque chose de plus grand sous l'emblème de cette échelle. Le traité que Philon a fait là-dessus mérite d'être lu avec soin et avec attention par ceux qui aiment la vérité.

XXII. Celse voulant faire montre de son savoir, pour relever ce qu'il écrit contre nous, y mêle aussi quelques mystères des Perses. Les Perses, dit-il, représentent la même chose dans leurs cérémonies de Mithras, où ils ont une figure symbolique des deux grands mouvements du ciel, du mouvement des étoiles fixes, et de celui des planètes et du passage des âmes par là. Cette figure est une haute échelle, composée de sept portes, avec une huitième porte au-dessus. La première porte est de plomb, la seconde d'étain, la troisième de cuivre, la quatrième de fer, la cinquième d'un mélange de métaux, la sixième d'argent, ta septième d'or. Ils attribuent la première à Saturne, marquant par le plomb la lenteur de cet astre; la seconde à Venus, qui a du rapport avec l'éclat et la mollesse de l'étain ; la troisième qui, étant de cuivre, ne peut qu'être ferme et solide à Jupiter ; la quatrième a Mercure, qui est propre et endurci comme le fer, à toutes sortes d'ouvrages et de travaux d'où l'on peut tirer du profit ; la cinquième, qui à cause de ce divers mélange est variée est irrégulière, à Mars ; la sixième à la Lune, et la septième au Soleil, à cause de la ressemblance de leur couleur avec celle de l'argent et de l'or.

Il examine ensuite les raisons de l'ordre où ces astres sont ici disposés, lesquelles sont aussi marquées symboliquement par les noms de l'autre porte. A cette théologie des Perses, il joint des spéculations de musique : et non content de ces premières, il nous en propose encore d'autres par une nouvelle ostentation. De rapporter ces choses-là, ce serait à mon avis perdre son temps et imiter Celse qui, dans les accusations qu'il forme contre les chrétiens et contre les Juifs, ne croit pas que ce soit assez d'avoir allégué hors de propos, des passages de Platon, mais qui nous produit de plus et qui nous explique les  mystères de Mithras, comme il parle qu'il va chercher jusque chez les Perses. En effet, qu'il y ait quelque fondement on qu'il n'y en ait point, à ce que les Perses et les dévots de Mithras ont en vue dans leurs cérémonies ; quelle raison a-t-il d'en parler plutôt que es antres mystères et de leur signification ? Ce n'est pas, je pense, que les mystères de Mithras soient plus estimés parmi les Grecs, que ceux d'Éleusine ou ceux qu'on célèbre dans Égine, à l'honneur d'Hécate. S'il voulait s'attacher aux mystères des Barbares et à leur explication, que ne proposait-il plutôt les mystères des Égyptiens, qui ont tant d'admirateurs; ou ceux des Cappadociens, à l'honneur de Diane Comanienne; ou ceux des Thraces, ou même ceux des Romains, auxquels les principaux du sénat se font initier? Et, s'il a jugé ne se pouvoir raisonnablement servir de tous ces exemples, parce qu'ils ne faisaient rien ni contre les Juifs ni contre les chrétiens, pourquoi n'a-t-il pas fait aussi le même jugement des mystères de Mithras?

XXIII. Qui voudra s'appliquer à des recherches curieuses, sur l'entrée des âmes dans les voies de Dieu, et se fonder, non pas comme Celse fait, sur les sentiments de la plus méprisable de toutes les sectes, mais tant sur les livres qui se lisent dans les synagogues, et qui sont reçus parles chrétiens comme par les Juifs, que sur les livres des chrétiens seuls, qu'il lise la vision décrite par Ézéchiel à la un de sa prophétie (Ezéch., XLVIII), et particulièrement ce qu'il dit des diverses portes qui lui furent montrées, pour marquer la différente manière dont les âmes les plus divines entrent dans le bon chemin. Qu'il lise aussi dans l'Apocalypse de S. Jean, la description de la ville de Dieu (Apoc., XXl), la Jérusalem céleste, de ses fondements et d« ses portes. Et s'il est capable d'apprendre ce chemin qui nous est marqué par des symboles, et qui conduit aux choses divines, qu'il lise encore le livre de Moïse, nommé les Nombres (Nombr., II), cherchant quelque bon guide qui puisse l'initier aux mystères, désignés par le camp des Israélites, et lui faire remarquer quelles bandes y tenaient le premier rang et occupaient la partie Orientale, quelles autres étaient placées vers le Midi, quelles vers la mer, et quelles vers le Septentrion, comme les dernières de toutes. Il y découvrira des enseignements qui ne sont pas à mépriser, et dont on ne peut pas dire, comme fait Celse, qu'ils ne sont dignes d'être proposés qu'à des fous ou qu'à de vils esclaves. Il y trouvera surtout des choses peu communes, touchant la nature des nombres qui sont rapportés selon qu'ils convenaient chaque tribu, mais dont nous n'avons pas jugé que ce fut ici le lieu de donner l'explication.

Que Celse sache au reste tant lui que ceux qui pourront lire son livre, qu'en aucun endroit des Écritures, qui sont reconnues pour être véritablement divines, il n'est dit qu'il y ait sept cieux : et qu'il cesse de prétendre que nos prophète», les apôtres de Jésus-Christ, ou le Fils de Dieu lui-même aient jamais rien pris, soit des Perses, soit des Cabires.

XXIV. Après avoir ainsi parlé des mystères de Mithras, il déclare que si l'on veut se donner la peine d'examiner certaines cérémonies des chrétiens sur ces cérémonies des Perses, les comparant ensemble et découvrant ce que le» chrétiens tiennent caché, l'on verra la différence qu'il y a des unes aux autres. Lorsqu'il a pu dire le nom des sectes, il n'a pas manqué de faire montre de ce qu'il a cru savoir mais ici qu'il y avait bien plus de nécessité de nommer, s'il le pouvait faire, la secte qui se sert de la figure qu'il décrit sous le nom de diagramme, il ne la nomme point.

Pour moi, autant je croie qu'il a tire en partie sa description de ce qu'il peut avoir ouï dire confusément des ophites, la plus vile de toutes les sectes. Comme j'ai toujours été curieux d'apprendre, j'ai fait en sorte de voir ce diagramme, et j'y ai trouvé des visions dignes de ces gens qui, comme saint Paul en parle, s'introduisent dans les maisons, et tiennent captives de pauvres femmes chargées de péchés et possédées de diverses passions, lesquelles apprennent toujours, et ne peuvent jamais parvenir à la connaissance de la vérité (II Tim.,III, 6). Au reste, ce diagramme est tellement contre toute sorte de vraisemblance, qu'il n'y a point de femme assez simple, ni de personne assez grossière pour y ajouter foi, quelque disposé que l'on pût être, d'ailleurs, à courir après tout ce qui a la moindre ombre d'apparence. Aussi, quoique j'aie beaucoup voyagé et que j'aie cherché partout ceux qui se piquaient de savoir quelque chose, je n'ai jamais rencontré personne qui fît profession de l'approuver.

XXV. C'était une figure composée de dix cercles, séparés l'un de l'autre, mais joints ensemble par un autre cercle qu'on disait être l'âme de l'univers, et qu'on nommait léviathan, d'un nom connu des Juifs. Car les anciennes Écritures disent, quelque puisse être le sens caché là-dessous, que Dieu a fait le léviathan pour servir de jouet : Tu as tout fait avec sagesse, dit le psalmiste; la terre est pleine des biens que tu as créés. Cette mer si grande et si vaste est traversée par les navires qui s'y promènent; elle est remplie de grands et de petits animaux ; c'est là qu'est ce dragon que tu as fait pour t'en jouer (Ps. CIII ou CIV, 24, etc.). Au lieu de dragon, il y a léviathan dans l'hébreu. Il est évident que le prophète parle désavantageusement du léviathan, mais cet impie diagramme en fait l'âme universelle qui est répandue partout. J'y vis aussi ce qu'ils nomment béémoth. qui était placé comme au-dessous du plus bas cercle; et je remarquai que l'inventeur de cette pièce abominable avait écrit le nom de leviathan en deux endroits, au centre du cercle et à la circonférence.

Celse ajoute que le diagramme est partagé par une grosse ligne noire, et qu'elle se nomme la géhenne, autrement le tartare (Matth., V, 30). Dans l'Évangile il est parlé de la géhenne comme d'un lieu de supplices, ce qui m'a donné occasion de chercher si ce mot est employé quelque part dans les anciennes Écritures, voyant surtout qu'il est en usage parmi les Juifs. J'ai trouvé qu'il avait pris son origine de cette vallée que l'Écriture nomme la vallée du fils d'Ennon (Jér., Vil, 31); car j'ai découvert que, selon le texte hébreu, la vallée d'Ennon et la géhenne (Jos., XVIII, 16) sont la même chose. J'ai encore remarqué, en lisant, que la géhenne ou la vallée d'Ennon est comprise dans le lot de la tribu de Benjamin, dans lequel était aussi Jérusalem : et faisant réflexion sur ce qui résulte de ce que la Jérusalem céleste et la vallée d'Ennon sont du partage de la même tribu, j'y trouve de quoi appuyer ce qui se dit des peines préparées pour les âmes qui doivent être purifiées par des tourments, selon cette parole : Voici le Seigneur, qui vient comme un feu de fonte et comme l'herbe aux foulons. Il sera comme un homme qui s'assied pour faire fondre et pour épurer de l'argent et de l'or (Mal., III, 2 et 3).

XXVI. C'est donc proche de Jérusalem qu'est le lieu destiné pour le châtiment de ceux qui doivent être mis à cette fonte, parce qu'ils ont reçu dans leur âme les impuretés du vice, désigné figurément par le plomb dont il est parlé quelque part ; comme quand Zacharie nous représente l'iniquité assise sur une masse de plomb (Zac., 7 et 8).

Mais ce n'est pas ici le lieu de s'étendre, autant qu'on le pourrait,sur cette matière qui, d'ailleurs, n'est pas pour tout le monde. En effet, ce ne serait pas sans péril qu'on écrirait ce qu'on pense là dessus la plupart t des hommes n'ayant besoin d'autre instruction que de celle-ci, c'est que les pécheurs seront punis. Il serait dangereux d'aller plus avant, à cause de ceux que la crainte des supplices éternels retient à peine, qu'ils ne s'abandonnent entièrement au péché et à tous ces désordres.

Ni les auteurs donc du diagramme, ni Celse, ne savent ce que c'est que la géhenne : autrement ceux-là ne feraient pas tant valoir leurs peintures et leurs diagrammes, comme s'ils pouvaient par là nous enseigner la vérité; et Celse, en écrivant contre les chrétiens, ne mêlerait pas, parmi ses accusations, des choses que les chrétiens n'ont jamais dites et qui n'ont ]jamais été dites que des gens, qui ou qui peut-être ne subsistent plus du tout, la secte s'en étant tout à fait éteinte, ou qui du moins sont réduits à un très petit nombre : de sorte que, comme les platoniciens n'ont que faire d entreprendre l'apologie d'Épicure et de ses dogmes impies, nous ne devons point non plus nous mettre en peine de défendre le diagramme contre les objections de Celse. Nous lui laisserons dire là-dessus tout ce qu'il voudra, sans nous arrêter à des choses si vaines et si inutiles ; car nous parlerons toujours plus fortement que lui contre ces erreurs, pour en retirer ceux qui pourraient s'y être laissé surprendre.

XXVII. Après le diagramme, il propose je ne sais quelles autres extravagances, mêlées de demandes et de réponses, qu'il se forge à plaisir, touchant ce que les écrivains ecclésiastiques nomment le sceau; car je ne pense pas qu'il ait jamais rien entendu dire d'approchant à qui que ce soit. Il veut que celui qui applique le sceau s'appelle le père ; que celui qui en reçoit l'impression s'appelle le jeune ou le fils, et qu'il réponde : Je suis oint de l'onction blanche, prise de l'arbre de vie: ce qui ne se pratique pas même, que je sache, parmi les hérétiques. Il détermine ensuite le nombre des anges. dont parlent ceux qui se servent de ce sceau. Il en pose sept, qui se tiennent de côté et d'autre, auprès de l'âme des personnes mourantes. Les uns sont des anges de lumière, les autres sont de ceux qu'on nomme archontiques : et il dit que le chef de ceux-ci se nomme le dieu maudit.

Là-dessus, s'attachant à ces paroles, il s'emporte avec beaucoup d raison contre ceux qui ont l'audace de s'exprimer ainsi. Et il n'y a personne qui ait plus d'indignation que nous contre ces gens, s'il est vrai qu'il s'en trouve, qui nomment le Dieu des Juifs un dieu maudit; le Dieu, dis-je, qui fait pleuvoir et tonner, le Dieu qui a bâti ce monde, le Dieu de Moïse et l'auteur de la création, dont Moïse fait l'histoire. Mais il semble que Celse, au lieu de suivre l'honnêteté, n'ait ici consulté que la haine aveugle qu'il a pour nous, qui est une haine indigne d'un philosophe. Car il a eu dessein de surprendre les personnes qui ne nous connaissent pas, et de les animer contre nous par la lecture de son livre, comme si nous disions que l'admirable architecte de ce monde soit un dieu maudit. En quoi l'on dirait qu'il a voulu imiter les Juifs lui, lorsqu'on commença à prêcher le christianisme, semaient du faux bruits contre ceux qui l'avaient embrassé; que les chrétiens immolaient un petit entant et qu'ils en mangeaient la chair ensemble ; que pour faire les oeuvres des ténèbres, ils éteignaient les flambeaux, et qu'alors chacun s'abandonnait à l'impureté avec la première qu'il rencontrait.  celle  calomnie, toute grossière qu'elle est, a fait longtemps impression sur l'esprit d'une infinité de gens qui, n'ayant aucune habitude avec nous, se laissaient persuader que le portrait qu'on leur faisait des chrétiens était fidèle : et à présent encore, il y en a quelques-uns qui en sont tellement prévenus, qu'ils ne voudraient pas même entrer en conversation avec un chrétien.

XXVIII.  C'est donc, à mon avis, dans le même esprit, que Celse accuse les chrétiens de nommer le Créateur un dieu maudit. Il fait ce qu'il peut pour disposer ceux qui croiront son accusation bien fondée à se porter aux dernières extrémités contre nous, et à nous exterminer comme les plus impies de tous les hommes. Mais, par un désordre qui lui fait tout confondre, il dit, pour rendre raison de ce nom de dieu maudit, donné à l'auteur de la création, dont le récit est fait par Moïse, Qu'à la vérité il mérite bien ce nom, suivant les principes de ceux qui le lui donnent, puisqu'il a maudit le serpent, de qui les premiers hommes reçurent la connaissance du bien et du mal.

Celse devait savoir que ceux qui pour enchérir sur les titans et les géants de la fable prennent le parti du serpent, comme s'il avait donné un bon conseil aux premiers hommes, et qui, à cause de cela, sont appelés ophites, sont si éloignés d'être chrétiens, qu ils n'ont pas moins d'animosité contre Jésus que Celse lui- même, de sorte qu'ils ne reçoivent personne dans leur assemblée, que premièrement ils ne lui aient fait prononcer des imprécations contre Jésus. Voyez combien c'est être déraisonnable, en écrivant contre les chrétiens, d'alléguer, comme chrétiens, des gens qui ne peuvent souffrir qu'on leur parie même de Jésus comme d'un homme sage ou de bonnes m?urs. Qu'y a-t-il donc de plus fou et de plus furieux, non seulement que ces misérables qui ont voulu tirer leur nom du serpent, comme de l'auteur de tout ce qu'il y a de bon au monde, mais aussi que Celse qui prétend que les chrétiens s'intéressent en ce qu'il objecte aux ophites. Ce philosophe, qui a fait autrefois parmi les Grecs profession de pauvreté, et qui a voulu faire voir, par son exemple, que l'on peut être heureux sans posséder rien, se donna le nom de cynique; mais ces impies, comme s'ils étaient des serpents, el non des hommes, qui ont une horreur naturelle pour le serpent, leur plus mortel ennemi, font gloire d'être appelés ophites ; et ils parlent avec grande estime d'un certain Euphrate, l'auteur de leurs abominables maximes.

XXIX. Celse continue ses invectives contre ceux qui disent que le Dieu de Moïse, le Dieu de qui Moïse reçut ses lois, est un dieu maudit; mais il suppose toujours que ce sont les chrétiens qui le disent, et il prétend que ce soit à eux que ses reproches s'adressent : Qu'y a-t-il de plus fou, dit-il, et de plus furieux que cette sagesse insensée ? Car, dites-moi, que trouvez-vous à reprendre dans le législateur des Juifs? Et si vous n'en êtes pas satisfaits, comment vous appliquez-vous, par des allégories et par des types, comme vous parlez, la création, qui est son ouvrage, et la loi judaïque, dont il est l'auteur? Vous êtes contraint, méchant et malheureux impie, de louer malgré vous l'Ouvrier du monde, celui qui avait donné aux Juifs de si belles promesses, de les  faire multiplier jusqu'à s'étendre aux bouts de la terre, et de les ressusciter des morts avec leur même chair et leur même sang; celui qui inspirait leurs prophètes : cependant, d'un autre côté, vous lui dites des injures. Quand vous vous sentes pressé par la considération de toutes ces choses, vous faites profession de servir le même Dieu: mais quand votre maître Jésus et le Moïse des Juifs ne sont pas d'accord, alors vous cherchez un autre Dieu, différent du Père.

Ici encore ce digne philosophe outrage visiblement les chrétiens, en disant que quand ils le sentent pressés par les Juifs, ils font profession de servir le même Dieu qu'eux ; mais que, quand quand Jésus et Moïse ne sont pas d'accord, alors ils en cherchent un autre. Car, soit que nous conférions avec les Juifs, soit que nous discourions entre nous, nous ne connaissons qu'un seul et même Dieu, celui que les Juifs adoraient autrefois et qu'ils font profession d'adorer encore; et nous n'avons point de lui des sentiments impies. Nous ne disons point aussi que Dieu nous ressuscitera des morts avec notre même chair et notre même sang, comme cela a été montré ci-dessus (l Cor., XV, 42-44). Nous ne croyons pas que ce corps animal qui. quand on le met en terre, est dans un état de corruption, d'ignominie et d'infirmité, doive ressusciter dans le même état. Mais les choses que nous avons déjà dites sur ce sujet doivent suffire.

XXX. Il retourne ensuite à ses sept principaux démons que les chrétiens ne connaissent point, mais dont je crois que  les noms ont été empruntés des Ophites. En effet, dans le diagramme que j'ai voulu avoir pour connaître cette secte, j'ai trouvé le même ordre et la même disposition que Celse garde ici dans ce qu'il rapporte. Il dit que le premier de ces démons a la forme et la figure d'un lion; mais il ne dit point quel nom lui donnent ces gens, qu'on peut véritablement appeler de méchants et de malheureux impies. Dans l'abominable diagramme dont je viens de parler, ce démon, revêtu de la figure d'un lion, était nommé Michel qui, dans les livres sacrés, est le nom d'un saint auge du Créateur.

Celse ajoute que le second a la forme d'un taureau, et c'est celui que le diagramme nommait Suriel. Le troisième, selon Celse, est un amphibie qui pousse d'horribles sifflements (Dan., Xll, 1); et selon le diagramme, ce troisième, qui se nommait Raphaël, avait la figure d'un dragon. Celse dit que le quatrième a la figure d'un aigle; le diagramme le disait aussi, et il le nommait Gabriel. Celse donne au cinquième la forme d'un ours, que le diagramme donnait tout de même à son Thaultabaoth.

Le sixième, à qui Celse, après ses auteurs, attribue la forme d'un chien  était nommé Eralaoth. dans le diagramme. Et le septième, à qui Celse donne la figure d'un âne et le nom de Taphabaoth ou d'Onoèl, avait la même figure, dans le diagramme, avec le nom d'Onoèl ou de Thartharaoth.

J'ai estimé devoir faire ce détail, de peur qu'on ne crût que nous ignorions des choses que Celse faisait vanité de savoir, et pour montrer même que nous les savons plus exactement que lui, non en qualité de chrétiens, tels que nous sommes, mais comme les ayant prises chez des gens entièrement éloignés de la doctrine du salut, et qui ne reconnaissent Jésus ni pour leur Sauveur, ni pour pour Maître, ni pour Dieu, ni pour Fils de Dieu.
 
 
 
 

XXXI. Si quelqu'un veut encore connaître les artifices par où ces imposteurs, qui font semblant de cacher de grands mystères, ont tâché de se faire des disciples, quoique avec peu de succès, qu'il écoute ce qu'ils obligent à dire après qu'on a passé ce qu'ils nomment les barrières du vice, les portes de ces principaux anges, chacun desquels en a une qui relève de sa puissance. Voici donc ce qu'ils font dire : Je salue le roi uniforme, le bandeau de l'aveuglement, l'oubli sans réserve, la Première puissance gardée par l'esprit de la providence et par la Sagesse, d'auprès de qui je sors pur et net, faisant déjà partie de la lumière du père et du fils. Que la grâce soit avec moi ! oui, mon père, qu'elle soit avec moi /Et ils disent que c'est là que commence leur Ogdoade. Ensuite ils veulent qu'on dise en passant auprès  de celui qu'ils nomment Jaldabaoth : Toi qui est né pour commander avec assurance,Joldabaoth, qui es le premier et le septième, souveraine raison de la pure intelligence, qui produis une oeuvre parfaite au père et au fils, je te présente le symbole de la vie dans l'empreinte de ce caractère et, ouvrant la porte que tu as fermée au monde sons ton règne, je traverse encore ton empire avec liberté. Que la grâce soit avec moi ! oui, mon père, qu'elle soit avec moi ! Ils disent au reste que cet ange, qui est revêtu de la forme d'un lion, a de la sympathie avec l'astre de Saturne. Quand on a passé Jaldabaoth et qu'on est arrivé auprès d'Iao, ils croient qu'on doit dire : Toi qui présides aux mystères secrets du père et du fils, second Iao,  qui te fais voir la nuit, premier prince de la mort, qui es la portion de l'innocent, je viens maintenant t'offrir ma barbe pour symbole, et je traverse promptement ton empire, ayant donné de nouvelles forces à celui qui est né de toi par la parole vivante. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu'elle soit avec moi ! De là on arrive auprès de Sabaolh, à qui l'on doit dire, selon eux : Prince de la cinquième puissance, redoutable Sabaoth, premier auteur de la loi de tes créatures, que la grâce a mises en liberté par la vertu du puissant nombre de cinq, reçois-moi, voyant le symbole irrépréhensible de ton art, que je conserve dans l'empreinte de cette image, savoir, un corps délivré par ce même nombre. Que la grâce soit avec moi, mon père ! qu'elle soit avec moi! Celui qui suit, c'est Astaphée, à qui ils estiment qu'il faut dire : Prince de la troisième parle, Astaphée, directeur du premier principe de l'eau, regarde-moi comme l'un de tes dévots purifié par l'esprit de la Vierge, et reçois-moi en voyant la substance du monde. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu'elle soit avec moi! Le suivant se nomme Eloée, à qui l'on doit dire : Prince de la seconde porte, Eloée, reçois-moi, voyant que je t'apporte le symbole de ta mère, la grâce cachée dans les vertus des puissances. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu'elle soit avec moi! Ils nomment le dernier, Horée, et ils veulent qu'on lui dise : Toi qui, pour avoir franchi sans crainte les remparts du feu, as reçu l'empire de la première porte, Horée, reçois-moi, voyant le symbole de la puissance empreint dans la figure de l'arbre de vie et dons cette image faite sur le modèle de l'innocent. Que la grâce soit avec moi, mon père, qu'elle soit avec moi!

XXXII. Le grand savoir de Celse, comme on en parle, ou plutôt sa vaine curiosité et l'indiscrétion de sa plume, m'ont obligé de rapporter tout cela, pour montrer à ceux qui liront son écrit et ma réponse qu'il n'y a rien de nouveau pour moi dans les sciences dont il se pique, et où il cherche matière de calomnie contre les chrétiens, qui ne savent ce que c'est et qui n'ont que faire de le savoir. Quoique pour moi j'aie été bien aise de m'y instruire et de mettre au jour ce que j'en sais, afin que les imposteurs, qui se vantent d'avoir des connaissances que nous n'avons pas, n'aient pas lieu de séduire par là ceux qui se laissent prendre aux apparences de quelques grands mots. J'en pourrais rapporter encore beaucoup davantage, pour faire voir que la doctrine de ces séducteurs ne nous est pas inconnue, mais que nous la rejetons comme une doctrine étrangère et pleine d'impiété, qui n'a rien de commun avec la créance des véritables chrétiens, cette créance que nous confessons jusqu'à la mort.

Cependant il faut remarquer que ceux qui ont inventé ces dogmes, n'ayant pas une connaissance exacte ni de la magie ni de la sainte Écriture, ont tout mêlé et tout confondu ensemble. Ils ont emprunté de la magie leur Jaldabaoth, leur  Astaphée et leur Horée; et ils ont tire des écritures judaïques Iao ou Ia, comme on le nomme en hébreu, Sabaoth, Adonée et Eloée. Tous ces mots au reste, qui sont tirés des Écritures, ne sont que de différents noms d'un seul et d'un même dieu; mais les ennemis de la Divinité ne comprenant pas cela, comme ils en tombent eux-mêmes d'accord, se sont persuadé que Iao diffère de Sabaoth, et Sabaoth d'Adonée, qui est l'Adonai de l'Écriture, et Adonée d'Eloee, que les prophètes appellent en hébreu Eloï.

XXXIII. Celse passe ensuite à d'autres fables, comme s'il y avait des hommes qui prissent la forme de ces démons, se changeant, les uns en des lions, les autres en des taureaux, ou en des dragons, ou en des aigles, ou en des ours, ou en des chiens.  Nous avons aussi trouvé dans notre diagramme ce que Celse nomme la figure carrée et ce que ces malheureux posent au sujet des portes du paradis. L'épée de feu y était peinte comme le diamètre d'un cercle de flamme, et semblait faire la garde devant l'arbre de science et l'arbre de vie. Celse n a pas voulu ou peut-être n'a pas pu rapporter les harangues que ces impies inventeurs de fables veulent qu'on fasse en passant à chaque porte. Pour nous, nous l'avons fait, afin de montrer à Celse et à tous ceux qui liront cette dispute, que nous connaissons le fond de ces abominables cérémonies, mais que nous les regardons comme des choses très éloignées de la piété des chrétiens et des sentiments qu'ils ont de la Divinité.

XXXIV. Après ce que Celse a dit sur cette matière, où il nous a donné lieu d'entrer plus avant qu'il n'avait fait, il ajoute : Ils entassent encore l'un sur l'autre je ne sais quels discours de prophètes et je ne sais combien de cercles; des ruisseaux de l'Église qui est sur la terre, et de la circoncision, une vertu qui émane d'une certaine vierge Prunice ; une âme vivante; un ciel qui, pour vivre, souffre la mort; une terre que l'on tue avec l'épée; plusieurs à qui l'on ôte la vie pour la leur donner; la mort qui doit cesser dans le monde lorsque le péché y sera mort; une nouvelle descente par des lieux étroits; et des portes qui s'ouvrent d'elles-mêmes. Partout au reste ils mêlent le; bois (ou l'arbre) de vie, et la résurrection de la chair par le bois ; ce qui vient, à mon avis, de ce que leur maître a été cloué sur une croix, et qu'il était charpentier de profession. S'il avait été roulé dans un précipice, ou jeté dans un gouffre, ou attaché à un licou, s'il avait fait le métier de cordonnier ou de tailleur de pierres, ou de serrurier, on nous mettrait au-dessus des deux le précipice de la vie, le gouffre de la résurrection, ou la corde de l'immortalité, on ne nous parlerait que de la pierre bénite, du fer de la charité ou du cuir saint. Y a-t-il une vieille qui n'eût honte de faire des contes semblables pour endormir un enfant  Celse brouille ici et mêle ensemble dus choses dont, à mon avis, il n'a qu'une connaissance confuse ; car, sous prétexte qu'il a peut-être ouï dire quelques petits mots de certaines hérésies, desquels même il ne prend pas bien le sens, mais qu'il tourne comme il lui plaît, il veut passer, parmi ceux qui ne savent rien ni de notre créance ni de celle des hérétiques, pour un homme qui entend toute la doctrine des chrétiens. C'est ce que justifient assez les paroles que je viens de rapporter;

XXXV. car, pour les discours des prophètes, c'est nous, chrétiens, qui nous en servons quand nous prouvons que Jésus est ce Messie que les prophètes ont prédit, et quand nous montrons dans leurs écrits les choses que les Évangiles nous font voir accomplies en sa personne; mais pour ce qui est des cercles entassés les uns sur les autres, cela peut encore convenir à l'hérésie dont nous venons de parler, qui renferme les sept cercles de ses sept principaux démons, dans un autre cercle, qu'elle nomme l'âme de l'univers ou léviathan. Il se peut aussi que ce soit là une fausse explication de ce passage de l'Ecclésiaste : Le vent tourne comme dans un cercle, et ayant achevé un cercle, il en recommence un autre (Ecclés., I, 6).

Les ruisseaux de l'Église qui est sur la terre et de la circoncision, sont pris peut-être de ce qui est dit par quelques-uns : que l'Église, qui est sur la terre, est un ruisseau d'une autre Église qui est dans le ciel, sous une forme bien plus excellente, et que la circoncision légale était le symbole d'une autre circoncision par laquelle on se purifie là-haut dans un certain lieu destiné à cet usage. Les Valentiniens, dans les rêveries de leur fausse science, parlent d'une certaine Prunice à qui ils donnent le nom de Sagesse, et dont ils veulent que cette femme de l'Évangile, qui avait eu une perte de sang durant douze ans (Matth., IX, 20) ait été le symbole. Celse. qui en a entendu parler, et qui fait un mélange confus des pensées des Grecs, des Barbares et des hérétiques, change cela en la vertu qui émane d'une certaine vierge Prunice. Son âme vivante peut venir de quelque expression mystérieuse des mêmes Valentiniens, sur le sujet du créateur animal, comme ils l'appellent ; ou bien il se peut faire que par là on ait voulu élégamment exprimer la différence de l'âme du régénéré, qui est proprement vivante, d'avec l'âme morte en ses péchés, je ne sais ce que c'est qu'un ciel qui souffre la mort, ni une terre que l'on tue avec l'épée, ni plusieurs à qui l'on ôte la vie pour la leur donner, et il y a grande apparence que Celse tire cela de son propre fonds.

XXXVI. Au regard des paroles suivantes, que la mort doit cesser dans le monde lorsque le péché y sera mort, nous pourrions nous en servir pour représenter le mystère que l'Apôtre renferme dans celles-ci : Le dernier ennemi qui sera détruit, après que tous les autres ennemis de Jésus-Christ lui auront été mis sous les pieds, ce sera la mort  (I Cor., XV, 20, 26, et 54): et dans ces autres : Quand ce corps corruptible aura été revêtu de l'incorruptibilité, alors cette parole de l'Écriture sera accomplie: la mort a été abîmée pour jamais (Os, XIII, 14). La nouvelle descente par des lieux étroits pourrait être de ceux qui croient que l'âme, après être montée dans le ciel, retourne animer un autre corps ; et il est assez vraisemblable que les portes qui s'ouvrent d'elles-mêmes sont de quelqu'un qui a eu en vue et qui a voulu éclaircir ce passage : Ouvrez-moi les portes de la justice, afin que j'y entre pour rendre grâces au Seigneur; c'est la porte du Seigneur, dans laquelle les justes doivent entrer (Ps. CXVII ou CXVIII, 19). Il est dit aussi dans le psaume IX (v. 14- et 15) : Tu me retires des portes de la mort, afin que je publie toutes tes louanges aux portes de la fille de Sion. Par les portes de la mort qui conduisent à la perdition, l'Écriture entend les péchés, comme au contraire elle entend les actions saintes par les portes de Sion ou les portes de la justice qui sont les mêmes que les portes delà vertu; et ces portes sont toujours prêtes à s'ouvrir pour les personnes qui s'étudient aux actions vertueuses.

Pour ce qui est de l'arbre de vie (Gen., II, 8), ce serait mieux le lieu d'en parler, en expliquant ce qui nous est dit, dans la Genèse, du paradis planté par Dieu même. La résurrection a déjà servi plusieurs fois de matière aux railleries de Celse, parce qu'il n'entend pas bien la chose; mais n'étant pas encore content, il ajoute qu'on parle de la résurrection de la chair par le bois, ce qui n'est, à mon avis, qu'un mauvais usage qu'il fait de cette façon de parler symbolique : La mort est venue par le bois, et par le bois vient la vie, la mort en Adam, et la vie en Jésus-Christ (I Cor., XV, 22). Il se moque ensuite de ce bois, et il l'attaque de deux côtés, voulant que ce que nous en disons vienne, ou de ce que notre Maître a été cloué sur une croix, ou de ce qu'il était charpentier de profession. Mais il ne voit pas que le bois (ou l'arbre) de vie se trouve dans les livres de Moïse, et que d'ailleurs il n'est dit en aucun endroit des Évangiles reçus par les Églises que Jésus ait été charpentier.

XXXVII. Il s'imagine que c'est pour faire des allégories sur la croix, que nous avons inventé ce bois de vie, et, conformément à celle fausse imagination, il dit que si Jésus avait été roulé dans un précipice, ou jeté dans un gouffre, ou attaché a un licol, nous forgerions au-dessus des deux le précipice de la vie, ou le gouffre de la résurrection, ou la corde de l'immortalité. Il dit tout de même, sur la profession de charpentier, que, puisqu'elle a donné lieu à cette fiction du bois de vie, il faut croire que si Jésus avait été cordonnier, on parlerait aussi du cuir saint; s'il avait été tailleur de pierres, ce serait la pierre bénite qu'on vanterait; et s'il avait été serrurier, le fer de la charité. Mais qui ne voit en cela la faiblesse d'un adversaire qui s'amuse à dire des injures à des gens qu'il avait entrepris de détromper et de convertir?

Ce qu'il dit encore dans la suite ne convient pas mal à ces conteurs de fables qui mettent en leurs principaux anges la figure d'un lion, la tête d'un âne, la forme d'un dragon ou quelque autre bizarrerie pareille; mais il ne touche en aucune sorte ce qu'on fait profession de croire en l'Église, et ï'avoue qu'une vieille, quand elle serait ivre, aurait honte d'endormir un enfant en lui chantant des chansons remplies de contes semblables à ceux que débitent ces rêveurs, avec leurs têtes d'ânes et leurs nouvelles espèces de harangues à chaque porte. Dans l'Église on a bien d'autres sentiments, mais Celse les ignore, et peu de personnes les étudient. La connaissance distincte n'en est que pour ceux qui, selon le commandement de Jésus, consacrent toute leur vie à examiner les Écritures (Jean,V, 39), et qui emploient bien plus de soin à en pénétrer le sens, que les philosophes de la Grèce n'en ont jamais employé à apprendre je ne sais quelle doctrine qu'ils nomment science.

XXXVIII. Notre généreux adversaire ne croyant pas avoir assez fait de nous objecter un diagramme auquel nous ne prenons aucun intérêt, a voulu encore pour grossir ses accusations, y entremêler certaines autres choses qu'il tire de la même source, mais sous un nom différent : Ceci, dit-il, n'est pas une de leurs moindres merveilles; c'est qu'entre ces plus hauts cercles qui sont au-dessus de tous les deux, il y a je ne sais quoi d'écrit dont ils vous donnent l'explication, et entre autres choses ces deux mots : Le plus grand et le plus petit ; l'un pour le Père, l'autre pour le Fils. J'ai vu aussi dans le diagramme un grand et un petit cercle sur le diamètre desquels étaient ces mots : Le Père et le Fils. Entre ce grand cercle, dans lequel le petit était renfermé, est un autre cercle composé de deux, l'un jaune qui était le plus en dehors, l'autre bleu, qui était en dedans, était peinte une espèce de barrière en forme de hache. Au-dessus, il y avait un petit cercle qui touchait le plus grand des deux premiers, avec celle inscription : La charité; Au-dessous il y en avait un autre qui touchait encore le même cercle, avec  celle  inscription : La vie. Dans le second cercle qui était composé de lignes entrelacées, et qui renfermait deux autres cercles avec une figure en forme de rhombe, étaient écrits ces mots : La providence de la Sagesse ; et sur leur commune section étaient ceux-ci : La nature de la Sagesse. Au-dessus de cette section commune, il y avait un cercle avec ce mot : La science; et au-dessous un autre cercle avec cet autre mot : L'intelligence. Nous avons bien voulu insérer ceci dans notre réponse à Celse, pour faire connaître à ceux entre les mains de qui elle tombera, qu'encore que nous désapprouvions ces choses, nous les savons pourtant plus exactement que lui qui ne les sait que par ouï dire. Assurer si ces gens qui veulent se faire valoir par-là, font aussi profession de quelque art magique et si tout leur savoir s'y rapporte, c'est ce que nous ne faisons point, n'en ayant jamais rien vu. C'est à Celse qui a déjà souvent été convaincu de mensonge et de calomnie, à voir s'il ment encore en celle rencontre, ou si, comme il le dit dans son écrit, il a effectivement découvert quelque chose de tel en des personnes qui sont entièrement éloignées de notre créance.

XXXIX. Il dit ensuite, parlant de ces magiciens qui se servent de conjurations pleines de certains noms barbares, pour évoquer les démons, qu'ils font comme ceux qui par la seule différence des mots tâchent d'étonner le peuple qui ne sait pas qu'un même sujet s'appelle d'un nom parmi les Grecs, et d'un autre parmi les Scythes. Il cite donc Hérodote oui dit que les Scythes nomment Apollon, Etosyre; Neptune,Thamimasade; Vénus, Artimpase; et Vesta. Tabiti (Liv. IV). Ceux qui auront assez de loisir examineront si Celse ne s'éloigne point encore ici de la vérité, avec Hérodote; car entre ces différents sujets à qui l'on donne le nom de dieux, les Scythes ne connaissent pas les mêmes que les Grecs. En effet y a-t-il de l'apparence qu'Etosyre soit  le nom d'Apollon parmi les Scythes ? Je ne pense pas que si l'on traduisait en grec le mol d'Etosyre selon son étymologie, il répondît à celui d'Apollon ; ni que le mot d'Apollon traduit en la langue des Scythes répondit à celui d'Etosyre. Je n'ai pas non plus, jusqu'ici, rien entendu dire de pareil à l'égard des autres noms; car si les Grecs ont eu souvent occasion de donner telle ou telle origine aux dieux qu'ils adorent ; les Scythes, de leur côté, en ont eu aussi, lien est de même des Perses, des Indiens, des Éthiopiens, des Lybiens, qui ont tous inventé des noms à leur fantaisie, en s'éloignant de la première et de la plus simple idée qui est celle du Créateur de l'univers. Mais l'ai ci-devant parlé de  celle  matière, lorsque j'ai tâché de faire voir que Jupiter n est pas le même que Sabaoth, où j'ai fait aussi quelques réflexions tirées de l'Écriture sainte sur la diversité des langues. Je n'ai donc pas dessein de m'arrêter davantage ici, ni de m'engager en de vaines redites pour suivre Celse:  Il ajoute encore et il brouille quelques autres choses touchant les illusions de la magie, et peut-être qu'il n'a personne en vue, y ayant peu d'apparence que personne s'applique à la magie sous prétexte d'une religion du caractère de celle a qui il en veut; mais peut-être aussi qu il désigne par là quelques gens qui peuvent user de  celle  adresse pour persuader aux simples qui les voient agir, qu'ils agissent par une Vertu divine. Qu'est-il besoin, dit-il, que je fasse ici la liste de tous ceux qui ont enseigné à user d'expiations, à guérir les maladies, ou à détourner quelque malheur par des chants et par des paroles, à faire des figures et des images de démons, à se munir de divers préservatifs qu'on prétend trouver dans les habits, dans les nombres, dans les pierres, dans les plantes, dans les racines et généralement en toutes sortes de choses ? A cela nous n'avons rien à répondre, la raison ne voulant pas que nous nous défendions d'un crime dont il n'y a pas le moindre soupçon contre nous.

XL. Quand je lis ce qu'il dit ensuite, il me semble entendre de ces gens qui, par un excès de haine contre les chrétiens assurent à ceux qui n'ont aucune connaissance du christianisme, qu'ils savent, par des preuves de fait, que les chrétiens mangent de la chair de petits enfants, et qu'ils se mêlent, sans distinction et sans pudeur, avec les femmes de leur secte. Car, comme les accusations dont je parle sont maintenant démenties par la voix publique et reconnues pour des calomnies par ceux mêmes qui sont les plus contraires à notre profession, il ne serait pas difficile non plus de convaincre de faux ce que Celse avance ici. J'ai vu, dit-il, chez les prêtres de leur religion certains livres barbares qui contenaient des noms de démons et des prestiges. Il ajoute que ces prétendus prêtres chrétiens ne se vantaient pas de pouvoir faire du bien aux hommes, mais seulement du mal. Plût à Dieu que toutes les accusations de Celse fussent pareilles à celles-là, afin que la fausseté en fut reconnue des plus simples qui, vivant avec grand nombre de chrétiens, savent par leur propre expérience que c'est une pure supposition, et qu'ils n'en ont même jamais entendu parler.
 
 
 

XLI. Il dit après cela, comme s'il avait oublié qu'il dispute contre des chrétiens, qu'il a connu un certain Égyptien, nommé Denis, musicien de profession, qui disait que la magie n'avait de pouvoir que sur les ignorants et les débauchés; mais que contre les philosophes qui usent d'un bon régime de vivre, elle n'avait aucune vertu.

S'il était question de la magie, nous pourrions ajouter ici quelque chose à ce que nous en avons dit ci-dessus; mais il vaut mieux, dans cette réponse, s'arrêter au plus essentiel. Nous nous contenterons donc de dire sur le sujet de la magie, que qui voudra savoir si elle peut faire impression sur les philosophes, ou si elle ne le peut pas, n'a qu'à lire les choses mémorables d'Apollonius, magicien et philosophe, né à Tyane. Méragène, qui en est l'auteur et qui n'était pas un chrétien, mais un philosophe, rapporte que des philosophes de réputation se laissèrent surprendre à la magie d'Apollonius, et s'en firent une raison pour l'aller trouver, comme fit, entre les autres, si je ne me trompe, le célèbre Euphrate et un certain épicurien. Pour nous, nous pouvons affirmer, comme une chose dont nous avons fait nous-mêmes l'expérience,  que ceux qui rendent au grand Dieu, par Jésus, le culte que le christianisme prescrit, et qui vivent suivant les préceptes de l'Évangile, usant nuit et jour avec persévérance et avec ardeur, des prières qu'ils ont apprises, ceux-là n'ont rien à craindre ni de la magie, ni des démons. Car c'est une vérité constante, que les anges du Seigneur campent autour de ceux qui le craignent, pour les garantir de tout mal (Ps. XXXllI ou XXXIV, 8), et que les anges des petits de l'Église, c'est-à-dire les anges à qui le soin en est commis, voient sans cesse la face du Père céleste (Matth.. XVIII. 10), quelque chose qu'il faille entendre par  celle  face et par cette vue.

XLII. Voici une nouvelle accusation que Celse puise à une autre source. Ils ont aussi, dit- il, en parlant de nous, des erreurs pleines d'impiété, où ils sont tombés par une suite de leur extrême ignorance, qui leur a encore fait mal prendre les énigmes dont on couvre les choses divines; et ils veulent que Dieu ait un adversaire qu'ils nomment le diable, ou, en hébreu, Satan, ce qui est une pensée très injurieuse à la Divinité, et qui la réduit à la condition des êtres mortels. Le grand Dieu, voulant faire du bien aux hommes, trouve donc un ennemi qui lui résiste et qui l'en empêche. Le Fils de Dieu est donc vaincu par le diable, et les peines qu'il souffre sont des enseignements qu'il nous donne de mépriser celles que son vainqueur nous pourrait faire souffrir comme à lui ; car il nous avertit que Satan devait aussi, à son tour, paraître au monde et y faire de grandes et de surprenantes merveilles, s'appropriant la gloire de Dieu, mais que, sans nous y arrêter, nous devions demeurer fermes dans le dessein de rejeter ce nouveau venu, et ne croire jamais que lui seul qui nous donnait cet avis. Ne sont-ce pas là évidemment les paroles d'un imposteur, qui prend toutes ¡es précautions qu'il peut pour prévenir ceux qui voudraient introduire des dogmes contraires aux siens et s'établir à son préjudice ?

Voulant ensuite rapporter ces énigmes d'où il prétend que nous avons pris mal à propos ce que nous disons de Satan, Celse ajoute : Les anciens parlent énigmatiquement d'une certaine guerre divine. Héraclite le fait en cet termes : S'il faut dire qu'il y ait une guerre et une discorde générale, et que tout se fasse et se gouverne par cette dissension. Phérécyde, beaucoup plus ancien qu'Héraclite, représente, dans une fable mystérieuse, deux armées ennemies, dont l'une a pour chef Saturne, et l'autre Ophionée : il raconte leurs défis et leurs combats suivis de cette convention mutuelle, que celui des deux partis qui serait repoussé dans l'Océan se confesserait vaincu; et que les autres qui y auraient précipité leurs ennemis, demeureraient, comme vainqueurs, les maîtres du ciel. L'histoire des Titans et des Géants, qui firent la guerre aux dieux, renferme de semblables mystères, aussi bien que celles du Typhon, de l'Horus et de l'Osiris des Égyptiens.

Après avoir ainsi rapporté ces choses, sans se donner la peine de les expliquer, pour faire voir qu'elles ont un sens bien plus sublime, et que nous les avons mal copiées, il recommence à nous dire des injures. Ce ne sont pas là, dit-il, de ces contes que l'on fait du diable ou du démon, qui, selon la vérité, est plutôt un autre imposteur qui veut établir une doctrine contraire. Il joint encore Homère à Héraclite, à Phérécyde et à ceux qui nous parlent des Titans et des Géants, et il prétend que ces vers de Vulcain à Junon n'aient pas un sens moins mystérieux :

Il me prit mal un jour d'épouser ta querelle,

Que saisi par un pied pour tout fruit de mon zèle,

J'éprouvai ce que peut Jupiter irrité,

Et du plus haut des deux je fus précipité.
 
 

Ni ces autres de Jupiter à Junon,
 
 

il t'en doit souvenir, quand du ciel suspendue

Et par ton propre poids dans les airs étendue,

Tu me vis l'attacher deux enclumes aux pieds.

Des n?uds d'or sur tes mains étroitement liés,

A l'épreuve du temps portaient toute la masse.

Les dieux autour de loi déploraient la disgrâce ;

Mais pour le délivrer nul n'était assez fort :

Et qui pour ton secours hasardait quelque effort,

C? bras, ce même bras qui lance le tonnerre,

Le jetait demi-mort du haut des cieux en terre.

Ce qu'il explique de la sorte : Ces paroles de Jupiter à Junon, dit-il, ce sont les paroles de Dieu à la matière, et cela veut dire que Dieu, au commencement, ayant trouvé la matière toute brouillée et toute difforme, il lui avait donné de l'ordre et de l'ornement par la justesse des liens, dont il en avait joint les parties; et que pour punir les démons, qui s'occupaient à y entretenir le désordre, il les avait précipités dans ces bas lieux. Phérécyde prenait en ce sens les vers d'Homère, lorsqu'il disait : Au-dessous de cette région est la région du Tartare, dont la garde est commise aux Harpies et à la Tempête, filles de Borée; et c'est là que Jupiter jette les dieux qui veulent causer du trouble. Les mêmes choses sont encore représentées par le voile de Minerve, que l'on expose aux yeux du public, dans la pompe des jeux panathénaïques : car les figures qu'on y voit signifient qu'il y a une divinité sans mère et sans alliance, qui réprime l'audace des géants nés de la terre. Après avoir ainsi applaudi aux fictions des Grecs, il ajoute, en se moquant de nous : Mais qu'y a-t-il de plus ridicule que de dire que le Fils de Dieu, par les peines que le diable lui fait souffrir, nous enseigne à subir courageusement celles que le diable nous pourrait faire souffrir à nous-mêmes? Il y avait bien plus de justice, ce me semble, de punir ce calomniateur, que de dénoncer des peines et des supplices aux personnes qui seraient exposées à ses calomnies.

XLIII. Voyez, je vous prie, si cet homme, qui nous accuse d'erreurs impies et de peu d'intelligence sur le fait des énigmes sacrées, ne se trompe pas lui-même manifestement. Il ne considère pas que le malin esprit et sa chute du ciel en terre se trouvent dans les écrits de Moïse, beaucoup plus ancien, non seulement qu'Héraclite et que Phérécyde, mais qu'Homère même ; car le serpent (En gr. Ophis) de Moïse, d'où Phérécyde a emprunté son Ophionée, nous représente quelque chose de semblable ; le serpent, dis-je, qui fut cause que l'homme fut chassé hors du paradis de Dieu (Gen., Ill, 5), s'étant laissé tromper, après la femme, aux promesses qu'il leur fit de les élever au rang de la divinité et au comble du bonheur. El le destructeur dont le même Moïse parle dans l'Exode, qu'est-ce autre chose que cet ennemi des hommes (Exode, XII, 23) qui cause la perte de ceux qui suivent ses malheureux conseils, au lieu d'y résister de toutes leurs forces? C'est lui encore qui était représenté par le bouc de la propitiation, que le texte hébreux du Lévitique nommait Azazel (Lév., XVI, 8), qu'il fallait chasser et envoyer au désert, comme une victime dévouée à qui le sort ne donnait que ce partage : car ceux qui, à cause de leurs vices, sont à ce mauvais maître, et qui font son lot opposé à l'héritage de Dieu, sont tous comme dans un désert à l'égard de Dieu, avec qui ils n'ont nul commerce. Et ceux qui, dans le livre des Juges, sont nommés enfants de Béliar (Jug., XIX, 22), à cause de leur méchanceté, ne sont-ce pas les enfants de ce même père? Mais outre tout cela, l'histoire de Job, plus ancien que Moïse même, dit en termes formels que le diable se présenta à Dieu pour lui demander la permission de faire éprouver à ce saint homme les afflictions les  plus sensibles (Job., I ei II) : premièrement, la perte de tous ses biens et de ses enfants, et ensuite, une lèpre maligne, comme on l'appelle, dont il lui couvrit tout le corps. Je n'allègue point ici ce que les Évangiles nous disent du diable qui tenta notre Sauveur (Matth., IV, 1, etc.), de peur qu'il ne semble que, sur le fait qui est en question, je veuille me servir contre Celse du témoignage d'auteurs trop récents. Mais les derniers chapitres de ce même livre de Job, où le Seigneur est représenté lui parlant d'un tourbillon formé dans les nues, nous pourraient encore fournir diverses preuves tirées de la description du dragon (Job., XL, 20). Pour ne point citer ce que dit Ézéchiel, comme s'il parlait de Pharaon, de Nabuchodonozor et du prince de Tyr (Ezéch., XXXII et 28), ni la plainte que fait Isaïe sur la chute du roi de Babylone (Is., XIV, 4, etc.), quoiqu'il y ait là plusieurs choses remarquables touchant la nature et l'origine du mal, d'où l'on apprend qu'il doit son commencement à ceux qui, ayant perdu leurs ailes, suivirent celui qui les avait perdues le premier;

XLIV. car il n'était pas possible que le bien, qui n'était bien que par accident et par communication, fût semblable au bien qui est essentiellement tel. Ce bien communiqué ne se perd jamais tant qu'on a soin, pour parler ainsi, de manger le pain vivant (Jean, VI, 51), afin de se conserver soi-même : et qui le perd, le perd par sa propre faute, parce qu'il néglige de prendre le pain vivant et le vrai breuvage, d'où ses ailes tirent le suc qui est nécessaire pour les nourrir et pour les renouveler. C'est l'enseignement du sage Salomon, qui dit de celui qui est véritablement riche, qu'il se fait comme des ailes d'aigle pour retourner au lieu où habite son Seigneur (Prov., XXIII, 5). Car Dieu, qui sait faire un bon usage de la méchanceté de ceux qui sont assez malheureux pour l'abandonner, a dû leur marquer dans l'univers un certain endroit où ils servissent à exercer les athlètes de la vertu, qui s'efforcent de combattre comme il faut (II Tim. II, 5), pour pouvoir encore l'acquérir et la posséder. Les premiers sont comme le feu, et les autres comme l'or que l'on met au creuset. Après que ceux-ci ont été bien purifiés, et qu'ayant donné tous leurs soins à la partie raisonnable de leur être pour la conserver exempte de tout mauvais aloi, ils se sont montrés dignes d'aller jouir des biens célestes, ils sont élevés par le Verbe à la souveraine félicité ou, s'il faut que je parle ainsi, au sommet de la montagne des délices.

Le mot hébreux, Satan, veut dire adversaire: et tout partisan du vice qui, dans la conduite de sa vie, prend le chemin opposé à celui de la vertu, est un satan, c'est-à-dire un adversaire du Fils de Dieu, qui est la justice, la vérité et la sagesse (I Cor., I, 30; Jean, XIV, 6; Luc, X, 18) : mais l'adversaire par excellence, c'est celui qui, le premier de tous les êtres qui jouissaient d'une paix et d'une félicité parfaite, ayant perdu ses ailes, est déchu de cette heureuse condition. C'est celui qui, comme en parle Ézéchiel, avait été irrépréhensible dans toutes ses voies, jusqu'au jour où il se trouva de l'iniquité en lui, qui était comme l'empreinte d'un cachet bien gravé et comme une riche couronne dans le paradis de Dieu (Ezéch., XXVIII, 15, 12 et 13); mais qui, s'étant lassé des biens qu'il y possédait, est tombé dans la perdition, selon ces paroles mystérieuses : Ta perte est sans ressource, tu ne t'en relèveras jamais (Ibid., XIX).

Je me suis témérairement hasardé à écrire ici ce peu de choses, qui peut-être même ne sont rien. Mais si, après avoir bien étudié les livres sacrés, l'on voulait prendre le soin de faire un recueil, et comme un corps, de tous les passages où ils parlent du mal, de sa première origine et de la manière qu'il se détruit, l'on verrait que la pensée de Moïse et des prophètes touchant Satan n'a été aperçue, non pas même en songe, ni par Celse, ni par aucun autre de ceux qui, ayant laisse séduire et gagner leur âme à ce mauvais démon, ont perdu la véritable idée de Dieu et se sont détournés tant de lui que de son Verbe.

XLV. Il faut dire maintenant deux mots de l'antéchrist, puisque Celse en touche aussi quelque chose sans avoir lu ni ce que Daniel et saint Paul en ont écrit (Dan., VIII, 23 ; II Thess., II, 3) ni ce que notre Sauveur en a prédit dans les Évangiles (Matth., XXlV, 21). Je dis donc que comme les c?urs des hommes ne sont pas plus semblables les uns aux autres que leurs visages (Prov., XXVII, 19); il faut sans doute que ceux qui suivent la vertu soient fort différents entre eux pour le c?ur, n'étant pas tous également avancés, ni formés sur le même modèle. Tout de même à l'égard de ceux qui prennent le chemin opposé sans se mettre en peine de bien vivre, dont les uns sont bien plus abandonnés que les autres. Cela posé, est-il surprenant que les deux extrémités, s'il faut ainsi dire, se trouvent parmi les hommes, l'une pour le bien et l'autre pour le mal; la première, en la personne de Jésus considéré comme homme, de Jésus, dis-je, l'auteur d'une si admirable conversion et d'un si grand et si heureux changement dans le genre humain, l'autre en la personne de celui qui doit remplir l'idée qui nous est donnée de l'Antéchrist? Dieu qui voit clairement l'avenir et qui savait quelle devait être  celle  contrariété, a voulu en avertir les hommes par ses prophètes, afin que ceux qui liraient leurs prophéties avec intelligence apprissent à s'attacher au bien et à éviter le mal. Il était juste au reste que celui de cet deux sujets, qui tient l'extrémité du côté du bien, fût nommé le Fils de Dieu, à cause de son excellence, et que celui qui tient l'extrémité opposée fut appelé le fils du mauvais démon de Satan et du diable. Mais comme le dernier degré du mal et le caractère de son plus haut période, c'est de se déguiser sous l'apparence du bien, ce méchant, cet enfant du diable doit venir accompagné des signes, des prodiges et des miracles du mensonge, par la puissance de son père (II Thess., II, 9); car la vertu que le diable lui communique pour séduire le genre humain, surpassera de beaucoup celle que les démons prêtent ordinairement aux plus insignes imposteurs qui abusent des hommes.

XLVI. Saint Paul parle de cet antéchrist, et quoiqu'il en parle avec quelque obscurité, il nous marque pourtant de quelle manière, en quel temps et pour quelle cause il doit venir au monde. Voyez si ce qu'il en dit mérite la moindre raillerie, et s'il n'en parle pas plutôt en des termes pleins de grandeur et de majesté. Nous vous conjurons, dit-il, mes frères, par l'avènement de Notre-Seigneur Jésus Christ, et par notre réunion avec lui, que vous ne vous laissiez pas légèrement ébranler ni troubler, vous mettant dans l'esprit, sur la foi de quelque discours de quelque prophétie ou de quelque  lettre qu'on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur est près d'arriver. Que personne ne vous séduise en quelque manière que ce soit; car ce jour-là ne viendra point que l'apostasie ne soit auparavant arrivée et que l'on n'ait vu paraître cet homme de péché, ce fils de la perdition qui, s'opposant à Dieu, s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu ou qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses, lorsque j'étais encore avec vous? Et je sais ce qui le retient maintenant, afin qu'il paraisse quand son temps sera venu ; car le mystère d'iniquité se forme dès à présent: il faut seulement qu'il demeure caché jusqu'à ce que celui qui le retient présentement soit détruit; et alors se découvrira l'impie que le Seigneur Jésus consumera par le souffle de sa bouche, et qu'il perdra par l'éclat de son avènement. Cet impie, dis-je, qui doit venir accompagné de la puissance de Satan, avec tous les miracles, les signes et les prodiges du mensonge, et avec toutes les tromperies de l'iniquité pour séduire ceux qui périssent, parce qu'ils n'ont pas reçu et aimé ta vérité pour être sauvés. C'est à cause de cela même que Dieu leur enverra une efficace d'erreur pour croire le mensonge, afin que tous ceux qui n'ont pas cru la vérité et qui ont pris plaisir à l'iniquité soient condamnés ( II, Thess., II, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,10, 11, 12). Mais ce n'est pas ici le lieu d'expliquer toutes ces choses.

La prédiction de Daniel sur le même sujet est exprimée en des termes qui ont si bien le caractère de l'esprit divin et prophétique, qu'elle est capable de ravir en admiration bus ceux qui la lisent avec discernement et sans préjugé. Chacun y peut voir, s'il le souhaite la description des empires qui devaient s'établir sur la terre depuis le temps de Daniel jusqu'à la fin du monde; mais voyez si ce qui est dit de l'antéchrist en particulier n'est pas du caractère dont j'ai parlé: Sur la fin de leur règne, dit-il, lorsque leurs péchés seront au comble, il s'élèvera un roi portant l'impudence sur le front et savant en subtilité ; ses forces seront grandes et ses ravages surprenants. Il réussira, il fera des progrès, il détruira les puissants et le peuple saint; il mettra tout sous son joug et dans ses  chaînes; il aura la fraude dans la main et la fierté dans le c?ur ; il fera périr un grand nombre de personnes pour ses tromperies, et il ne subsistera que par la ruine de plusieurs; il les brisera comme on brise des ?ufs avec le poing (Dan., VIII, 23, 24, 25). Ce que j'ai allégué de S. Paul, que l'homme dont il parle doit s'asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour dieu ( II Tess., Il, 4), se lit aussi dans les prophéties de Daniel où il est exprimé en ces termes : L'abomination qui causera des désolations sera dans le temple, et la durée de la désolation s'étendra jusqu'à l'accomplissement du temps (Dan., IX, 27). J'ai cru que je ne ferais pas mal de rapporter ici ces passages choisis entre plusieurs autres, afin que par cet échantillon le lecteur pût juger de ce que les saints écrits nous enseignent touchant le diable et l'antéchrist. Mais comme cela suffit pour notre dessein, nous passerons maintenant à une autre objection de Celse et nous tâcherons d'y satisfaire autant qu'il dépendra de nous.

XLVII. Pour le nom de Fils de Dieu, ajoute-t-il, je vous dirai d'où il leur est venu dans l'esprit de le donner à leur Jésus ; c'est que les anciens ont donné le même nom au monde comme à l'ouvrage et à la production toute divine de Dieu. Il faut avouer qu'il y a grand rapport de l'un de ces fils de Dieu à l'autre ! Il s'imagine que nous avons emprunté le nom de Fils de Dieu de ce qui a été dit du monde qui est l'ouvrage et le fils de Dieu ; que même il est dieu. Mais c'est n'avoir pas fait de réflexion sur le temps de Moïse et des prophètes, pour reconnaître que beaucoup avant ces auteurs grecs qu'il nomme anciens, les prophètes des Juifs avaient positivement parlé d'un Fils île Dieu: c'est même ne se vouloir pas souvenir du passage que nous avons rapporté ci-dessus des Épîtres de Platon, où il parle de l'Ouvrier de cet univers comme du Fils de Dieu. Il a eu peur de se voir contraint par l'autorité de ce même Platon qu'il a souvent cité avec tant d'éloges, de reconnaître que celui qui a bâti cet univers est le Fils de Dieu ; que le grand Dieu, le Dieu souverain est son Père.

Si nous disons au reste que l'âme de Jésus a été unie d'une union très intime à ce grand et admirable Fils de Dieu, pour n'en être jamais séparée, il n'y a rien de surprenant en cela, car les livres sacrés nous apprennent qu'il y a d'autres choses qui, bien qu'elles soient deux de leur nature, ne laissent pas d'être censées et d'être en effet une seule et même chose. Témoin ce qu'ils disent de l'homme et de la femme : Ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair (Gen., II, 24 ); et de l'homme parfait qui s'attache au véritable Seigneur, la parole (le Verbe), la sagesse et la vérité : Celui qui demeure attaché au Seigneur est un même esprit avec lui ( I Cor., VI, 17 ). Si celui qui s'attache au Seigneur est un même esprit avec lui, qui est-ce qui peut surpasser, qui peut même égaler en aucune sorte l'union qui attache l'âme de Jésus au Seigneur qui est la parole (le Verbe); la sagesse, la vérité et la justice même ? Ainsi l'on peut dire de l'âme de Jésus et de Dieu le Verbe, Le premier né de toutes les créatures (Col., I,15), qu'ils ne sont plus deux.

XLVIII. Les stoïciens disent que la vertu étant la même en l'homme qu'en Dieu, le Dieu souverain n'est pas plus heureux que leur sage, mais que la félicité de l'un est égale à celle de l'autre, et Celse ne s'en moque point ni ne tâche point de tourner leur dogme en ridicule. Mais quand l'Ecriture sainte dit que l'homme parfait est attaché et uni par la vertu à celui qui est essentiellement le Verbe, d'où nous inférons qu'à plus forte raison l'âme de Jésus ne peut être séparée du premier-né de toutes les créatures, il s'en moque et ne peut souffrir que Jésus soit nommé le Fils de Dieu : ce qu'il n'aurait garde de faire, s'il pénétrait le sens mystique et caché de ce que les livres divins nous en disent. Mais pour les personnes qui désirent entendre des vérités bien. suivies et en profiter nous les disposerons à recevoir ce que l'Écriture sainte nous apprend là–dessus, en leur faisant remarquer que, selon les enseignements, toute l'Église de Dieu est le corps de Jésus-Christ ( Col., I, 24) animé par le Fils de Dieu, et que les particuliers qui croient sont les membres de ce corps considéré comme un tout: car comme l'âme anime le corps et lui donne le mouvement animal qu'il n'a pas de lui-même, ainsi le Verbe agissant dans tout son corps qui est l'Église, pour lui donner les mouvements convenables, fait aussi mouvoir chacun des membres qui la composent, de sorte que toutes leurs actions étant dirigées par le Verbe, elles le sont par la raison. Si donc il n'y a rien là, comme je me le persuade qui ne se suive parfaitement, est-il déraisonnable de dire que l'âme de Jésus soit unie au Verbe essentiel d'une union très étroite et d'une manière inconcevable ; que Jésus même tout entier ne puisse être séparé de ce Fils unique de Dieu, le premier-né de toutes les créatures, et qu'il ne soit plus qu'une même chose avec lui?

Mais cela suffit.

XLIX. Voyons ce qu'il ajoute, pour critiquer ce que dit Moïse de la création du monde. C'est une critique qui ne consiste qu'en paroles, et il ne l'appuie pas de la moindre preuve. Il n'y a rien d'extravagant, dit-il, comme leur création du monde. S'il s'était mis en devoir de montrer cette prétendue extravagance, et qu'il en eût allégué quelques raisons, nous tâcherions de nous en défendre. Mais il ne serait pas raisonnable, à mon avis, de nous arrêter, pour un mot dit en l'air, à prouver que son accusation est mal fondée. Si quelqu'un a la curiosité de s'instruire de ce qui nous persuade la création du monde telle que Moïse l'a décrite, et de voir les démonstrations dont nous croyons l'avoir appuyée, il peut lire ce que nous avons écrit sur la Genèse, depuis le commencement du livre jusqu'à ces mots : C'est ici la généalogie des hommes (Gen., V, 1) : où nous tachons de faire voir, par la parole de Dieu, ce que c'est que ce ciel et que cette terre, qui furent créés d'abord ; ce que c'est que cette invisibilité et que cette confusion attribuées à a terre ; ce que c'est que l'abîme, et que les ténèbres qui  le couvraient ; ce que c'est que l'eau, et que l'Esprit de Dieu qui était porté dessus; ce que c'est que la lumière créée ; ce que c'est que le firmament distingué du ciel qui fut créé le premier (Gen.. I, 1, etc.), et ainsi du reste.

Il traite aussi d'extravagante l'histoire de la création de l'homme, mais sans rapporter et sans combattre nos preuves. C'est sans doute qu'il ne pouvait opposer rien de solide à ce qui nous est enseigné, que l'homme fut fait selon l'image de Dieu (Gen., I, 27). Il ne comprend pas non plus ce que c'est que le paradis que Dieu avait planté, ni quelle y devait être, dans sa première destination, la vie de l'homme, qui a été changée par accident, lorsque l'homme ayant péché, il fut chassé de ce jardin  de délices, et logé à l'opposite.  Puisqu'à l'en croire, ce sont là autant d'extravagances, qu'il examine chaque chose en détail, et en particulier celle-ci : Dieu posa des chérubins avec une épée de feu, qu'ils tournaient de tous côtés pour garder le chemin de l'arbre de vie (Gen., Ill, 24). Si ce n'est, peut-être, que quand Moïse a écrit cela, il n'ait eu d'autre dessein que de faire un conte divertissant, à peu près comme les auteurs de l'ancienne comédie, lorsqu'ils disent que Prète fit mourir Bellérophon, et que Pégase était d'Arcadie. Mais pour eux, ils proposaient de faire rire, au lieu qu'il n'est pas vraisemblable que Moïse, qui écrivait des lois pour tout un grand peuple, el qui voulait qu'il les reçut comme de la part de Dieu, ait dit des choses vaines et sans raison ; qu'il n'ail voulu cacher aucun sens sous ces paroles : Dieu posa des chérubins avec une épée de feu, qu'ils tournaient de tous côtés pour garder le chemin de l'arbre de vie; ni sous les autres qui expliquent l'origine des hommes, el dont les mystères font l'étude des sages d'entre les Juifs.

L. Celse touche ensuite les divers sentiments que quelques anciens ont eus sur l'origine du monde et des hommes ; et sans faire autre chose que les proposer tout simplement, il ajoute, que Moïse et les prophètes, qui nous ont laissé leurs écrits, ne connaissant ni la nature du monde ni celle des hommes. Ils ont dit là-dessus de hautes impertinences. S'il marquait ce qui lui fait regarder ces saint  écrits comme de hautes impertinences, nous tâcherions encore de combattre ses raisons ; mais, pour imiter ses manières agréables, nous disons à notre tour que Celse ne connaissant point la nature de l'esprit prophétique, et n'en pouvant pénétrer le sens, il a écrit de hautes impertinences, qu'il a eu la vanité de nommer Discours véritable.

Il est vrai qu'il croit avoir nettement conçu et clairement exprimé ce qu'il nous objecte des jours de la création, dont les uns ont précède la lumière, le ciel, le soleil, la lune et les étoiles, et les autres les ont suivis. Mais je n'ai sur cela qu'une question à lui faire : savoir, si quand Moïse dit : C'est là l'histoire de l'origine des hommes, le jour que Dieu créa le ciel et la terre (Gen. II, 4) ; il ne se souvenait plus qu'il venait de dire, que Dieu avait achevé l'ouvrage de la création en six jours (Gen., II, 2).

Il n'y a nulle apparence quo Moïse, après avoir ainsi parlé des six jours, ajoute incontinent, sans vouloir signifier quelque chose de mystérieux. Le jour que Dieu créa le ciel et la terre (Ibid., I, 1). Quelqu'un pourrait s'imaginer que cela se doit entendre de ce qui est dit, qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre (Ibid., I, 3) : mais qu'il prenne garde que ces mots. An commencement Dieu créa le ciel et la terre, sont avant ceux-ci. Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite (Ibid., I, 5) : et avant ces autres, Dieu donna à la lumière le nom de jour.
 
 

LI. Aller maintenant discourir de la nature des êtres intelligibles et des êtres sensibles, et montrer comment il y a eu des jours destinés pour chacune de ces deux espèces, ce n'est pas ce dont il s'agit; et nous ne saurions ici entrer dans ce détail. Il faudrait des livres entiers, pour expliquer la création telle que Moïse la raconte : et nous l'avons fait, autant que nous en avons été capables, plusieurs années avant cette dispute contre Celse, lorsque nous avons traité, selon notre portée d'alors, des six jours que Moïse attribue à la création du monde. Mais il ne faut pas oublier que dans Isaïe, les oracles divins promettent aux justes, qu'un jour viendra où le soleil ne les éclairera plus; mais où le Seigneur lui-même sera leur lumière pour une éternité, et où Dieu, sera leur gloire (Is., LX, 19). Ce que Celse ajoute est pris des dogmes d'une pernicieuse hérésie dont il a sans doute ouï parler, qui suppose, contre le bon sens, que ce fut par forme de souhait que Dieu dit, Que la lumière soit faite. Il ne se faut pas imaginer, dit-il, que le Créateur ait emprunté d'en haut la lumière, comme quand nous allumons notre chandelle à celle de notre voisin. C'est encore la légère connaissance qu'il peut avoir des maximes impies d'une autre hérésie, qui lui fait dire : Si l'auteur de toutes ces choses est un dieu maudit qui les ait faites malgré le grand Dieu auquel il est opposé, pourquoi ce dernier prêtait-il la lumière à l'autre? Nous sommes si éloignés de vouloir soutenir ces rêveries, que nous sommes tout prêts à les condamner ouvertement comme des erreurs, et d'en entreprendre même la réfutation, non comme Celse, sans les bien savoir, mais avec la connaissance exacte que nous en avons, tant par le rapport de ceux qui y sont engagés, que par la lecture soigneuse de leurs livres.

LII. Il ajoute encore :Je n'examine point maintenant quelle est l'origine, ni quelle doit être la fin du monde ; s'il est incréé et éternel, ou s'il a eu un commencement, mais qu'il ne doive jamais finir, ou si c'est tout le contraire. Je ne suis pas d'avis de l'examiner non plus ; car le dessein que je me suis proposé ne m'y oblige pas. Nous ne disons point aussi sur ces paroles : L'Esprit de Dieu était porté sur les eaux (Gen., I, 2), que l'esprit du grand Dieu se soit mêlé en ces choses comme en des choses où il n'avait nulle part, ni qu'un autre Créateur que le grand Dieu, ayant fait des entreprises injurieuses à cet esprit, sans que le Dieu souverain s'y opposât, il ait été nécessaire de les ruiner. Nous laissons donc à et ceux qui parlent de la sorte, et Celse qui ne les réfute pas comme il devrait ; car il fallait ou qu'il n'en dit rien du tout, ou, qu'après avoir nettement rapporté leur créance, il combattit, selon les mouvements de la charité, ce qu'il y remarquait d'impie. Nous n'avons jamais entendu dire que le grand Dieu, ayant donné son esprit au Créateur, le lui ait redemandé dans la suite.

C'est pourtant cette impiété que Celse attaque lorsqu'il continue ainsi : Quel Dieu a jamais donné une chose pour la redemander ! Si l'on redemande ce que l'on a donné, c'est que l'on en a besoin; mais Dieu n'a besoin de rien. A quoi il ajoute comme un trait excellent contre ceux à qui il en veut : Comment ignorait-il, lorsqu'il le prêta, qu'il le prêtait à un mauvais être? Et encore : Comment se met-il si peu en peine de ce Créateur injuste qui s'élève contre lui?

LIII. Ensuite, mêlant et confondant, autant que j'en puis juger, hérésie avec hérésie, sans marquer qu'il prend ceci de l'une, et cela de l'autre, il produit ce que nous objectons à Marcion ; et comme ceux de qui il le lient ne l'ont pas peut-être bien instruit, il veut réfuter la réfutation même; mais il le fait d'une manière si basse et si peu digne d'un homme de lettres, qu'il n'y saurait paraître moins de lumières. Voici donc comme il rapporte nos arguments contre Marcion; mais sans avertir que c'est lui qu'il attaque: Pourquoi, dit-il, envoie-t-il secrètement pour détruire les ouvrages du Créateur? Pourquoi y fait-il des entreprises secrètes, subornant et séduisant ceux qu'il peut? Pourquoi flatte-t-il ceux que leur Créateur a condamnés et maudits, comme vous parlez l Pourquoi les enlève-t-il comme un plagiaire ? Pourquoi leur apprend-il à se dérober à leur maître comme des esclaves fugitifs ? Pourquoi leur persuade-t-il de fuir leur père? Pourquoi les adopte-t-il lui-même sans que le père y consente, affectant de prendre te nom de père pour des enfants qui sont à un autre? Sur quoi il s'écrie par forme d'admiration : Voilà, certes, un Dieu bien digne du nom qu'il porte, dont l'ambition est que des criminels, condamnés par un autre que lui, de misérables bannis qui, selon eux-mêmes, ne doivent être regardés que comme des excréments, le reconnaissent pour leur père ? Un Dieu qui n'a pas le pouvoir de prendre et de châtier son envoyé, qui se rebelle contre lui !

Continuant après cela comme s'il parlait à nous qui avouons que ce monde n'est pas l'ouvrage d'un autre dieu, d'un dieu étranger : Si c'est lui, dit-il, qui ait fait toutes ces ?uvres, comment, étant Dieu, en a-t-il fait de mauvaises ? Comment est-il incapable d'exhorter et de persuader ? Comment est-il sujet à se repentir, ne voyant que de l'ingratitude et de la méchanceté en ceux qu'il avait faits? Comment est-il réduit à se plaindre et à se vouloir mal de son art, à menacer ses propres enfants et à les détruire ? ou s'il ne les détruit pas, en quel lieu peut-il les transporter hors de ce monde qu'il a fait lui-même? Je ne rois pas qu'il se mette en peine de nous expliquer ici quelle est la nature du mal, bien que les Grecs mêmes, selon qu'ils ont été partagés en diverses sectes, aient eu des opinions différentes touchant les biens et les maux. Il se contente de supposer, comme, une suite de notre créance, de nous qui disons que ce monde est l'ouvrage du grand Dieu ;

il suppose, dis-je, que, selon nous, Dieu est l'auteur du mal ; mais que Dieu en soit l'auteur ou qu'il ne le soit pas, ce n'est toujours que par une suite et par une dépendance du principal dessein. Je suis fort trompé, au reste, si, comme de ce que nous dirons que, ce monde est l'ouvrage du grand Dieu, Celse veut qu'il s'ensuive que Dieu soit l'auteur du mal, on ne peut pas aussi tirer la même conséquence des sentiments auxquels il souscrit; car on peut lui dire tout de même : Si, selon vous, c'est Dieu qui a fait toutes ces ?uvres, comment en a-t-il fait de mauvaises ? Comment est-il incapable d'exhorter el de persuader ? Il ne se peut rien de plus inexcusable dans la dispute, que de reprocher à ses adversaires que leurs dogmes sont pernicieux, pendant que les dogmes qu'on tient sont beaucoup plus sujets aux mêmes reproches.

LIV. Mais voyons nous-mêmes, brièvement, ce que la sainte Écriture nous enseigne, touchant les biens et les maux ; et répondons ainsi à ces questions : Comment Dieu a-t-il fait de mauvaises choses? Comment est-il incapable d'exhorter et de persuader? Selon la sainte Écriture, les biens proprement dits ce sont les vertus et les actions vertueuses: comme les maux proprement dits sont les choses contraires à celles-là. Il suffit maintenant de rapporter là-dessus le passage du psaume XXXIII : Mais ceux qui cherchent le Seigneur, ne manqueront d'aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi et je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Qui est l'homme qui aime la vie et qui souhaite de voir des jours bons et heureux? Gardez votre langue du mal et tos lèvres de la tromperie : détournez-vous du mal et faites le bien (Ps. XXXIII oo XXXlV, 11, etc.) ; car ces paroles . détournez-vous du mal et faites le bien, ne doivent pas s'entendre des biens el des maux corporels, comme quelques-uns les nomment, ni des biens et des maux extérieurs, mais des biens et des maux de l'âme. Celui donc qui fuit ainsi le bien par l'amour de la vraie vie, ne saurait manquer de la posséder : celui qui souhaite de voir ces jours heureux, ces bons jours auxquels la parole de la justice sert de soleil, il les verra selon son souhait, Dieu le délivrant du présent siècle qui est mauvais (Gal., I, 4), et de ces mauvais jours dont parle S. Paul, quand il dit : Rachetons le temps, car les jours sont mauvais (Ephés., V, 16).

LV. L'on trouve aussi quelquefois, lorsque l'Écriture parle moins proprement, que des choses extérieures et corporelles, celles qui contribuent à l'entretien de la vie que nous tenons de la nature, sont nommées biens, comme celles qui y sont contraires, passent pour des maux ; car c'est en ce sens que Job disait à sa femme : Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, ne nous soumettrons- nous pas aux maux qu'il nous envoie (Job, II, 10) ?

Comme donc l'Écriture sainte introduit en quelque endroit Dieu disant de lui-même : C'est moi qui donne la paix, et c'est moi qui crée les maux (Is., XLV, 7), et que ailleurs elle dit de lui : Il est descendu des maux, de la part de Dieu, sur les portes de Jérusalem; un grand bruit de chariots et de cavalerie : ( Mich., I, 12, et XIII). plusieurs n'ont pu lire cela sans en être embarrassés, ne comprenant pas ce que l'Écriture entend quand elle parle des biens et des maux. Il y a de l'apparence que c'est de là aussi que Celse a pris occasion de se former ce doute : Comment Dieu a-t-il fait de mauvaises choses ? Peut-être même qu'il s'est rencontre quelqu'un qui, s'exprimant et se défendant sur ces matières d'une façon peu exacte, lui adonné lieu de parler de la sorte. Pour nous nous disons que Dieu n'est point l'auteur du mal, c'est-à-dire du vice et des actions vicieuses; car si Dieu était l'auteur du mal proprement ainsi nommé, comment pourrait subsister la doctrine du dernier jugement, où les méchants doivent être punis de leurs crimes à proportion que leurs crimes seront grands, et où les gens de bien, qui se seront adonnés à la vertu, doivent être mis en possession du bonheur et des récompenses que Dieu leur préparé? Je sais que ceux qui sont assez téméraires pour soutenir que Dieu est même l'auteur de ces sortes de maux, allégueront ici quelques passages de l'Écriture, ne pouvant l'accorder avec elle-même, lorsque d'un côté elle condamne les pécheurs et loue les justes, et que de l'autre elle ne laisse pas de dire des choses qui, bien qu'en petit nombre, semblent capables de donner d'autres pensées à ceux qui ne la lisent pas avec le discernement nécessaire. Le nombre de ces passages n'est pas néanmoins si petit, et l'explication ne s'en peut pas faire en si peu de paroles que je juge à propos de m'y arrêter en ce lieu.

Je me contenterai donc de dire, que s'il s'agit des maux proprement ainsi nommés, Dieu n'en est point l'auteur; quoiqu'il y en ait quelques-uns, en petite quantité, si on les compare au grand ouvrage de l'univers, qui sont une suite et une dépendance de ses véritables ?uvres : comme le charpentier par une suite du travail qu il a entrepris, fait les copeaux et la sciure de bois ; et comme l'architecte semble être l'auteur de ces éclats de pierre et de ces superfluités de mortier qui font des monceaux d'ordures dans les places où l'on bâtit.

LVI. Mais si l'on entend les maux extérieurs et corporels qui ne portent ce nom qu'improprement, on peut accorder que Dieu ait fait quelquefois de ces maux-là à dessein de convertir quelqu'un. Et je ne vois pas que l'on y puisse rien trouver à redire ; car comme quand nous donnons improprement le nom de mal à la douleur de ceux qui sont châties par leurs pères, par leurs maîtres ou par leurs gouverneurs, ou à celle que le médecin cause, à ses malades par le fer et par le feu qu'il emploie pour leur guérison, nous ne prétendons pas blâmer ni ces pères, ces gouverneurs et ces maîtres, ni le médecin, en disant qu'ils ont fait du mal à ceux qu'ils ont traités de la sorte : tout de même quand on dira que Dieu a fait cette espèce de maux pour la conversion el pour la correction de ceux qui avaient besoin de ce remède, on ne doit trouver là rien d'absurde. On ne doit point s'étonner qu'il descende des maux de la part de Dieu sur les portes de Jérusalem (Mich., I, 12), des maux qui ne sont autre chose que les peines qu'elle souffre, par les mains de ses ennemis, et dont sa conversion sera le fruit, ni que Dieu châtie avec la verge les fautes de ceux qui abandonnent sa loi, et qu'il punisse leurs iniquités par des fléaux (Ps. LXXXVIII ou LXXXIX, 31 et 33), ni qu'il dise : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus, et tu y trouveras du secours (Is., IV, 14, 15). Nous expliquerons encore dans le même sens ces autres paroles : C'est moi qui donne la paix, et c'est moi qui crée les maux (Ibid., XLV, 7). Dieu crée les maux extérieurs et corporels, pour châtier et pour corriger les personnes qui n'ont pas voulu se rendre aux enseignements de la parole et de la sainte doctrine. Voilà pour la question : Comment Dieu a-t-il fait de mauvaises choses ?

LVII. Quant à l'autre : Comment est-il incapable d'exhorter et de persuader? nous avons déjà dit que si cette objection était bien fondée, elle regarderait tous ceux qui reconnaissent la Providence. Qui voudrait y répondre pourrait dire que Dieu n'est nullement incapable d'exhorter, puisqu'il fait de continuelles exhortations, et dans toute son Écriture, et par la bouche de ceux qui sont établis par un effet de sa grâce, pour enseigner les autres hommes. Si ce n'est que l'on veuille attribuer une nouvelle signification au mot d'exhorter, comme s'il voulait dire, toucher celui que l'on exhorte et lui faire passer l'exhortation jusque dans le c?ur, ce qui est fort éloigné de l'usage commun.

Sur le, Comment est-il incapable de persuader ? où tous les défenseurs de la Providence n'ont pas moins d'intérêt, on dirait pareillement que le verbe être persuadé, étant du nombre de ceux qui marquent une double action, comme être rasé en marque deux, l'une de celui qui rase, et l'autre de celui qui se fait raser, Il est nécessaire que dans la persuasion, il y ait et l'action de celui qui persuade et la soumission, s'il faut ainsi dire, de celui qui est persuadé, ou l'acte par lequel il reçoit ce qu'on lui propose. Ainsi quand les hommes ne sont pas persuadés, on doit dire que cela vient non de ce que Dieu est incapable de persuader, mais de ce que quelque capable qu'il en soit, ils ne reçoivent pas les vérités qu'il leur présente.

On peut sans se tromper en dire autant de ces hommes qu'on appelle les artisans de la persuasion ; car il se eut faire qu'un homme sache parfaitement tous les préceptes de la rhétorique et qu'il les mette en pratique avec toutes les finesses de l'art, n'oubliant rien de ce qui est capable de persuader, sans que pourtant il persuade, à en juger par l'événement, parce qu'il ne peut vaincre l'obstination de celui à qui il a affaire. Qu'il soit vrai au reste, qu'encore que Dieu parle d'une manière très propre à persuader, la persuasion néanmoins ne vienne pas de lui, c'est ce que S. Paul enseigne évidemment lorsqu'il dit : La persuasion où vous êtes ne vient pas de celui qui vous appelle (Gal., V, 8). C'est encore ce qui se recueille de ces autres paroles : Si vous voulez m'obéir, vous serez rassasiés des biens de la terre; mais si vous ne le voulez pas et que volis me résistiez, l'épée vous dévorera (Is., I, 16, 20 ). Car afin qu'un homme défère aux exhortations qui lui sont faites et qu'ainsi il se rende digne de ce que Dieu promet à ceux qui lui obéissent, il faut qu'il acquiesce à ce qu'on lui dit et qu'il y soumette sa volonté ce qui ne pouvait être plus vivement exprimé, à mon avis, que par ces paroles du Deutéronome : Maintenant, Israël, qu'est-ce que le Seigneur votre Dieu désire de vous, si ce n'est que vous craigniez le Seigneur, votre Dieu, que vous marchiez dans toutes ses voies, que vous l'aimiez et que vous observiez ses commandements (Deut., X, 12, 13).

LVIII. Il faut présentement répondre à ceci : Comment est-il sujet à se repentir, ne voyant que de l'ingratitude et de la méchanceté en ceux qu'il avait faits? Comment est-il réduit à se plaindre et à se vouloir mal de ton art, à menacer ses propres enfants et à les détruire? C'est une altération et une falsification de ce passage de la Genèse : Le Seigneur Dieu voyant que les crimes des habitants de la terre s'étaient multipliés, et que les hommes n'avaient tous chaque jour dans le coeur d'autre soin ni d'autre pensée que de faire du mal, il fit réflexion que c'était lui qui avait fait l'homme sur la terre, et rentrant en lui-même, il dit : J'exterminerai tant les hommes que le bétail, tant les reptiles que les oiseaux du ciel. Car j'ai fait réflexion sur ce que c'est moi qui les ai faits (Gen., VI 5, VI,  6). Celse veut que ce qu'il exprime soit la même chose que ce qui est écrit ; quoique ce qui est écrit ne soit pas pourtant ce qu'il exprime ; car il n'est point là parlé du repentir de Dieu ; il n'est point dit qu'il se plaigne et qu'il se veuille mal de son art.

S'il semble qu'il use de menaces et qu'il détruise ses propres enfants par le déluge, il faut dire à cela que l'âme de l'homme étant immortelle, ce qu'on prend pour des menaces sont des moyens pour convertir ceux à qui elles s'adressent ; et que le déluge qui a détruit les hommes, a servi a nettoyer la terre conformément à ce que de grands philosophes d'entre les Grecs ont dit  : Quand les dieux viennent nettoyer la terre (Platon dans son Timée). Pour les expressions humaines dont on se sert en parlant de Dieu, nous en avons assez traité ci-devant.

LIX. Celse soupçonnant ensuite ou voyant même clairement ce qu'on lui peut répondre sur le sujet de ceux qui périrent par le déluge ajoute : Ou s'il ne détruit pas ses propres enfants, en quel lieu peut-il les transporter, hors de ce monde qu'il a fait lui-même ? Nous lui dirons donc que ce n'est pas hors de ce grand monde composé du  ciel et de la terre, que Dieu transporta ceux  qui moururent dans les eaux du déluge ;  mais qu'il les retira de cette vie charnelle, et  que leur faisant quitter leurs corps, il leur  fit aussi quitter la terre, qui dans l'Écriture porte souvent le nom de monde, principalement  dans l'Évangile selon S. Jean. Comme quand il y est dit: C'était la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde (Jean, I, 9), le monde, c'est-à-dire ces lieux terrestres, lit ailleurs, Vous aurez des afflictions dans te monde, mais avez confiance, j'ai vaincu le monde (Jean, XVI, 33). Si donc, par le monde, on entendait cette basse région, il n'y aurait rien d'absurde à dire que Dieu transporte quelqu'un hors du monde. Mais si par le monde, on entend l'univers qui renferme le ciel et la terre, ce n'est pas hors du monde pris en ce sens que ceux qui périrent par le déluge furent transportés. Quoiqu'à considérer ces paroles : Nous ne regardons point les choses visible mais les invisibles (II Cor., IV. 18) ; et ces autres : Ce qui est invisible en Dieu est visible en ses ouvrages, et s'y fait connaître depuis la création du monde (Rom., I, 20), on puisse dire que ceux qui s'attachent aux choses invisibles et immatérielles, sont sortis hors du inonde ; le Verbe (qui est la souveraine raison), les en ayant tirés et les ayant transportés au-dessus des cieux pour contempler ce qu'il y a de plus beau et de plus noble.

LX. Après cela comme si Celse ne se proposait que de grossir son livre, il répète en d'autres termes les mêmes choses à peu  près qu'il venait de dire et que nous ne faisons que d'examiner. Il n'y a rien de plus ridicule, que de partager la création du monde en plusieurs jours avant qu'il y eût des jours; car comment pouvait-il y en avoir avant que les deux fussent faits, que la terre fut bâtie, et. que le soleil eût commencé à se mouvoir ? C'est ce qu'il venait de dire. Et qu'est-ce autre chose que ce qu'il dit maintenant? Considérons encore, reprenant les choses de plus haut, combien il est absurde de faire dire au grand Dieu, au Dieu souverain par forme de commandement : Que ceci ou que cela se fasse; et de l'introduire,travaillant le premier jour à une chose le lendemain à une autre, et avançant de plus en plus, le troisième, le quatrième et le cinquième jour jusqu'au sixième.

Nous avons déjà fait ce qui dépendait de nous pour éclaircir ces commandements, Que ceci ou que cela se fasse ; en rapportant ce passage : Il a parlé, et tout a été fait ; il a commandé et tout a été créé (Ps. XXXII ou XXXIII,9, et CXLVIII, 5), et en montrant que l'Ouvrier immédiat du monde celui qui, pour ainsi dire, a mis la main à l'?uvre, c'est le Fils de Dieu nue nous nommons le Verbe; mais que le Père du Verbe en est l'ouvrier primitif, en ce qu'il a commandé à son Fils de faire le monde.

Pour ce qui est des six jours de la création (Gen., I, 3, etc.) ; comment la lumière fut faite le premier jour, et le firmament le second ; comment le troisième, les eaux qui étaient sous le ciel, furent rassemblées dans leur grand réservoir, et qu'ainsi la terre poussa ce qu'elle produit par la seule force de la nature: comment le quatrième jour, les grands astres furent créés avec les étoiles: le cinquième, les animaux aquatiques le sixième, les terrestres et l'homme, c'est ce que nous avons expliqué selon notre pouvoir dans nos Commentaires sur la Genèse Et ci-dessus même, pour montrer qu'il ne faut pas prendre les choses à la lettre, comme font ceux qui croient que l'espace de six jours a été effectivement employé à la création du monde, nous avons allégué ces paroles : C'est là l'histoire de l'origine du ciel et de la terre; c'est ainsi qu'ils furent faits, le jour que Dieu créa le ciel et la terre (Gen.. II, 4)
 
 

LXI. Celse fait bien voir dans ce qui suit qu'il n'entend pas ce passage: Dieu acheva ses ?uvres le sixième jour, et les ayant toutes faites, il cessa de travailler le septième. Dieu donc bénit le septième jour et il le sanctifia; parce que ce jour là il avait cessé de travailler à toutes les ?uvres qu'il avait entreprit de faire (Ibid., II, 2 et 3). Il s'imagine que ces deux façons de parler: Il cessa de travailler le septième jour; et il se reposa le septième jour, soient la même chose, et dans relie pensée, il ajoute : Après tout cela, l'on dirait d'un lâche ouvrier qui, tout fatigué, a besoin de ne rien faire pour rétablir ses forces par le repos. Mais il parle ainsi, parce qu'il ne sait pas ce que c'est que ce jour du sabbat, ou du repos de Dieu, qui doit succéder à la création continuelle dont la durée du morde est la mesure (Hébr., IV, 9) : ce jour qui sera un jour de fête pour ceux aussi qui. comme Dieu, auront fait toutes leurs ?uvres pendant les six jours précédents, et qui pour n'avoir négligé aucune partie de leur devoir, auront été élevés à la contemplation des biens célestes, et reçus en l'assemblée des saints et des bienheureux qui en jouissent. (Hébr. XIIl, 23) Il continue comme s'il trouvait dans l'Écriture ou que nous disions, au moins nous-mêmes que, Dieu étant fatigué, eut besoin de repos. La nature du choses ne permet pas, dit-il, que le grand Dieu se fatigue ni qu'il travaille de la main, ni même qu'il commande. Celse dit qu'il ne se peut faire que le grand Dieu se fatigue. Mais nous disons de Dieu le Verbe qu'il ne se peut fatiguer non plus ; nous le disons même de tous ces êtres d'un ordre supérieur, et voisins de la Divinité : car la fatigue n'est que pour les êtres corporels. Je vous laisse à examiner si c'est pour tous les êtres corporels, quels qu'ils soient, ou seulement pour les corps terrestres et pour ceux qui sont d'une condition peu élevée au-dessus des corps terrestres.  Il ajoute que le grand Dieu n'est pas pour travailler de la main. Si l'on prend proprement les mots de travailler à la main, ce qui est dit du grand Dieu se peut dire et d'une divinité du second rang, et de tous les êtres qui ont quelque chose de divin.

Mais posé que cela se doive entendre en un sens impropre et figuré, de la manière que nous  entendons ce passage : Le firmament publie ¡es ouvrages des mains de Dieu (Ps. XVIII ou XIX, 1 ), et celui-ci : ses mains ont  formé le ciel (Ps. CI ou CII, 20) ; et s'il y en a quelque autre de semblable, où nous expliquons allégoriquement les mains et les autres membres attribués à Dieu, qu'y a-t-il d'étrange que Dieu travaille de la main en ce sens? Et s'il n'est pas étrange que Dieu travaille de la sorte, il ne l'est pas non plus qu'il commande : car ce qui est exécuté par celui à qui le commandement s'adresse ne peut être que bon et louable, puisque c'est Dieu qui en donne l'ordre.

LXII. Je ne sais si c'est de lui-même que Celse, en poursuivant, donne un mauvais sens à ces paroles : Le Seigneur a prononcé cela de sa bouche (Is., I, 20 ), ou si elles lui ont été mal expliquées par des personnes peu intelligentes; mais quoi qu'il en soit, il ignore que c'est l'usage de l'Écriture d'exprimer les vertus de Dieu par les noms des parties de notre corps, lorsqu'il ajoute, que Dieu n'a ni bouche ni voix.

Il est très constant que Dieu n'a point de voix, si la voix est un air ébranlé, ou une secousse de l'air, ou une modification de l'air, ou telle autre chose, suivant la définition qu'en donnent ceux qui sont savants en ces matières. Mais ce que l'on nomme la voix de Dieu est de telle nature, qu'il est dit de celle voix, qu'elle a été vue du peuple, selon ce passage : Tout le peuple voyait la voix de Dieu (Exode. XX, 18) : en prenant le mot de voir, spirituellement, pour parler avec l'Écriture. Il dit ensuite qu'il n'y a même en Dieu aucune autre de ces choses qui tombent sous notre connaissance. Mais il n'explique point quelles sont ces choses qui tombent sous notre connaissance. S'il entend par là des membres corporels, nous sommes d'accord avec lui, supposant que les choses qui tombent sous notre connaissance ne sont autres que celles que nous connaissons d'une manière corporelle et par la voie la plus commune . qui est celle des sens. Mais s'il faut entendre en général toutes les choses que nous connaissons, nous connaissons beaucoup de choses, que l'on peut attribuer à Dieu : car il possède la vertu, la béatitude, la Divinité. Enfin si l'on veut prendre ces paroles en un sens plus sublime, comme rien ne tombe sous noire connaissance qui ne soit infiniment au-dessous de Dieu, nous ne croirons point nous éloigner de la raison en reconnaissant avec Celse, qu'il n'y a en Dieu aucune de ces choses qui tombent sous notre connaissance; car ce qui se trouve en lui est bien plus excellent que toutes les choses qui tombent sous la connaissance, non seulement des hommes, mais des êtres mêmes auxquels la nature humaine est inférieure. Si Celse avait lu dans les prophètes ce que dit David : Mais toi, tu es toujours le même (Ps. et ou Cil, 28), et ce que dit Malachie, si je ne me trompe : Je ne change point (Malach., III, 6 ), il saurait qu'aucun de nous ne dit qu'il y a du changement en Dieu, soit de fait, soit de pensée; car Dieu demeurant toujours le même, dispose des choses sujettes au changement, et il les gouverne conformément à leur nature par les soins que son Verbe en veut prendre.

LXIII. Ce qu'il dit ensuite fait voir qu'il ne connaît pas la différence qu'il y a entre être fait selon l'image de Dieu et être l'image de Dieu (Col., I, 15). L'image de Dieu, c'est le premier né de toutes les créatures (Sag., VII, 26; son Verbe divin, la sagesse et la vérité même, qui est l'image de sa bonté (Gen., I, 27 ) : mais pour l'homme, il a été fait selon l'image de Dieu. D'ailleurs, tout homme qui a Jésus- Christ pour chef, est l'image et la gloire de Dieu (Cor., XI, 3,7). Celse ne s'arrête point a cela, et sans examiner quel est en l'homme ce caractère de l'image de Dieu, savoir, de posséder une nature qui n'a jamais eu ou qui n'a plus le vieil homme, ni ses oeuvres, ce qui fait dire de ceux qui sont en ces termes, qu'ils sont faits à l'image de leur Créateur, Dieu n'a point fait l'homme, dit-il, pour être son image. Car Dieu n'a point la forme de l'homme, ni d'aucune autre chose sensible (Col., III, 9, 10). Que veut-il dire, de supposer comme il fait que dans un composé tel que l'homme, ce soit le corps, la partie la moins noble qui porte l'image de Dieu? S'il n'y avait que le corps qui portât cette image, l'âme, la principale partie, n'en aurait aucun trait; le seul corps, qui est périssable, serait fait à l'image de Dieu, ce qu'aucun de nous n'a jamais dit. Si l'on dit que cela regarde les deux ensemble, il faudrait que Dieu fût composé, et comme fait lui-même d'un corps et d'une âme, afin que son âme eût du rapport à ce qu'il y aurait de plus excellent dans cette image, et son corps, ce qui le serait moins : ce que nous ne disons point non plus. Il reste donc que l'avantage d'être fait à l'image de Dieu appartienne à ce que nous nommons l'homme intérieur qui se renouvelle (Ephés., III, 16 ), et qui est propre à représenter l'image de son Créateur (Col., III, 16) : ce qui se rencontre en ceux qui sont parfaits comme leur Père céleste est parfait (Matth., V, 4, 8) ; en ceux qui veulent être saints comme le Seigneur leur Dieu est saint (Lev., XIX, 2); et qui ayant appris à être les imitateurs de Dieu (Ephés., V,1), reçoivent dans une âme vertueuse les traits de son image. Le corps même de ceux qui ont une âme ainsi disposée est le temple de Dieu (I Cor., Ill, 16, VI,19) : car, étant formés à l'image de Dieu, ils ont Dieu lui-même dans leur âme, puisqu'ils y ont reçu l'empreinte de ses vertus.

LXIV. Celse fait après cela de lui-même une longue liste d'autres choses qu'il nous attribue, comme si c'était notre créance, bien qu'aucun chrétien de bon sens ne les admette. Car qui de nous a jamais dit que la figure et la couleur convinssent à Dieu? Le mouvement ne lui convient point non plus, à lui qui, ayant une nature ferme et stable, exhorte le juste à l'imiter en cela. Toi, dit-il, demeure ici avec moi (Deut., V, 31). S'il y a des passages qui semblent marquer en Dieu quelque mouvement, comme quand il est dit : ils entendirent sur le midi la voix du Seigneur Dieu, qui se promenait dans le jardin (Gen., III, 8), il ne faut entendre ce mouvement de Dieu que par rapport aux pécheurs qui se le figuraient , ou il faut l'entendre de la même manière que l'on entend le sommeil , la colère ( Ps. XLIIII ou XLIV.24. ; Ps. LXXVII ou LXXVIII, 31) et les autres choses semblables qui sont attribuées à Dieu par allégorie. Il en est de même encore de la substance.

Dieu n'y participe point: car c'est à lui que les autres êtres participent plutôt qu'une participe à quoi que ce soit. En effet ceux qui reçoivent l'esprit de Dieu sont faits participants de Dieu. Et notre Sauveur ne participe point à la justice ; mais étant la justice même, les justes sont faits participants de lui. Cette question de la substance est d'une discussion longue et difficile, surtout quand on veut examiner si la substance permanente et immatérielle est la substance proprement dite, pour savoir si Dieu est hors des bornes de la substance, et s'il n'est substance qu'en puissance et en office, la communiquant aux autres êtres par son Verbe et à son Verbe même: ou si Dieu lui-même est substance, quoique de sa nature il soit invisible; selon ce qui est dit de notre Sauveur, qu'il est l'image du Dieu invisible (Col., I, 15). Invisible, au reste, est ici la même chose qu'immatériel. Il y aurait encore à examiner si le Fils unique de Dieu, le premier-né de toutes les créatures doit être nommé l'essence des essences, l'idée des idées, et le principe de toutes choses, pendant que Dieu son Père sera considéré comme un être beaucoup au delà de tout ce que ces termes signifient.

LXV. Par ce que Celse ajoute, en parlant de Dieu, que tout est de lui, il détruit je ne sais comment, toutes ses propres maximes. Pour ce qui est de notre S. Paul, il dit, que tout est de Dieu, que tout est par Dieu, et que tout est pour Dieu (Rom.., XI. 36): De Dieu, c'est-à-dire que toutes choses lui doivent leur origine et les principes de leur être : Par Dieu, c'est-à-dire qu'il est la cause de leur subsistance et de leur conservation : Pour Dieu, c'est-à-dire qu'il est la fin à laquelle elles se rapportent. Mais c'est une vérité constante que Dieu n'est d'aucune chose. Sur ce qui suit , que le Verbe même n'y peut atteindre ; il faut user de distinction ; car s'il entend le Verbe qui est en nous, soit l'interne, qu'on nomme la raison, soit l'externe, qu'on nomme la parole, nous dirons avec lui que le Verbe même ne peut atteindre jusqu'à Dieu : mais si on l'entendait par rapport à ce passage : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu , et le Verbe était Dieu (Jean, I,1), nous soutiendrons à l'égard de ce Verbe-là, qu'il peut atteindre jusqu'à Dieu , puisque non seulement il le conçoit, mais qu'il le fait même concevoir à ceux a qui il fait connaître le Père (Matth., XI, 27); et ainsi nous regarderions comme faux ce que dit Celse, que le Verbe même ne peut atteindre jusqu'à Dieu.

Ce qu'il dit encore, qu'on ne peut l'exprimer par des noms, n'a pas moins besoin de distinction; car s'il veut dire que ni dans nos paroles , ni dans les idées qu'elles renferment , il n'y a rien qui puisse exprimer les propriétés de Dieu, ce qu'il dit est très vrai, puisque dans les autres choses mêmes il y a diverses qualités que nous ne saurions exprimer par des noms. Qui peut, par exemple, trouver des termes capables d'exprimer la différence qui se rencontre entre la douceur du fruit de palme, et celle de la figue? Et qui peut marquer distinctement par des paroles, les différentes qualités qui sont propres à tous les autres sujets en particulier? Il n'est donc pas surprenant qu'il n'y ait point de noms pour exprimer ce qu'est Dieu. Mais si par le mot exprimer, l'on entendait employer certains termes en parlant de Dieu, pour aider ceux devant qui l'on s'en sert, à concevoir quelques-unes de ses vertus, autant qu'il est permis à des hommes , il n'y aurait rien d'absurde à dire que Dieu peut de la sorte être exprimé par des noms. La même distinction peut s'appliquer à ce qu'il ajoute, que Dieu ne souffre aucun de ces accidents que nos paroles signifient : car il est certain qu'à la rigueur Dieu est incapable de rien souffrir.

Voilà qui suffit à cet égard.

LXVI. Voyons la suite, où par une espèce de prosopopée il introduit quelqu'un qui, sur ce qui vient d'être dit, s'écrie : Comment donc pourrai-je connaître Dieu ? Qui m'enseignera le chemin pour aller à lui? Comment, dis-je, me montrerez-vous Dieu? Vous me couvres les yeux de ténèbres si épaisses, que je ne vois plus rien de distinct Puis, comme pour répondre à cette difficulté et pour rendre raison des ténèbres dont celui qui la fait se plaint d'avoir les yeux couverts : Ceux , dit-il, qu'on fait passer des ténèbres à la lumière du grand jour, comme ils ne peuvent en soutenir tout l'éclat qui leur fait mal aux yeux et qui leur blesse la vue. Ils s'imaginent être aveugles. Nous disons, pour nous, que tous ceux-là sont logés et enfonces dans les ténèbres, qui, arrêtent leurs yeux sur les malheureux ouvrages des peintres, des sculpteurs et des graveurs ; sans vouloir v détacher des choses visibles et de tout ce qui frappe nos sens pour élever leur esprit jusqu'au Créateur de l'univers qui est la lumière. Nous disons que tous ceux-là sont dans la lumière qui éclairés des rayons du Verbe , et apprenant de lui avec combien d'ignorance, d'impiété et d'aveuglement sur le fait de la Divinité, l'on met ces choses en la place de Dieu pour les adorer, suivent la voie par où il conduit les âmes qui désirent faire leur salut, à cet Être incréé qui est  le Dieu souverain. Car le peuple qui habitait dans les ténèbres, savoir les Gentils, a vu une grande lumière : et la lumière, c'est-à-dire Jésus qui est Dieu, est venu éclairer ceux qui demeuraient dans la région des ombres de la mort (Matth., IV, 16). Il n'y aura donc aucun chrétien qui fasse cette demande à Celse ou à quelque autre des calomniateurs de la parole divine : Comment pourrai-je connaître Dieu? car, parmi les chrétiens chacun connaît Dieu, autant qu'il le peut connaître. Il n'y en aura aucun qui lui dise : Qui m'enseignera le chemin pour aller à lui ? puisqu'il n'y en a point qui n'ait entendu celui qui dit : Je suis la voie , la vérité et la vie , et qui marchant dans cette voie n'ait goûté les douceurs qui s'y trouvent (Jean, XIV, 6). Nul chrétien ne dira non plus à Celse : Comment me montrerez-vous Dieu ?

LXVII. Ce que Celse dit ici de véritable, c'est qu'après avoir entendu ce qu'il avance, quelqu'un voyant combien ses discours sont ténébreux lui pourrait faire cette réponse : Vous me couvrez les yeux d'épaisses ténèbres. En effet Celse et ses pareils nous veulent répandre des ténèbres devant les yeux ; mais pour nous , nous dissipons les ténèbres des dogmes impies par les lumières de la parole de Dieu. La réponse qu'un chrétien pourrait encore faire à Celse, qui ne dit rien de net ni de vif, c'est celle-ci: Je ne vois rien de distinct dans vos paroles. Bien loin donc de nous faire passer des ténèbres à la lumière du grand jour , il veut nous entraîner de la lumière dans les ténèbres, changeant les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres et s'exposant ainsi à la malédiction de ce bel oracle d'Isaïe : Malheur à ceux oui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres (Is., V. 20). Mais nous qui, des yeux de notre âme ouverts par le Verbe, voyons la différence de la lumière et des ténèbres, nous faisons tous nos efforts pour demeurer dans la lumière, et nous ne voulons avoir rien de commun avec les ténèbres. Au reste, comme la vraie lumière est une lumière animée, elle sait à qui il se faut montrer dans tout son éclat, et à qui il ne faut laisser voir que quelques-uns de ses rayons : car il y en a à qui elle ne découvre pas sa plus vive splendeur, parce que leurs yeux sont encore trop faibles.

Mais s'il faut dire de quelques-uns, que le grand jour leur fait mal aux yeux et qu'il leur blesse la vue , de qui le peut-on dire plutôt que de ceux qui ne connaissant point Dieu, croupissent dans leur ignorance, et qui étant offusqués par leurs passions, ne peuvent voir la vérité? Pour les chrétiens, ils ne s'imaginent point être aveuglés par les discours , soit de Celse, soit de quelque autre ennemi de la véritable religion. Ceux, qui se connaissent être aveugles en ce qu'ils suivent le torrent de l'erreur , imitant le peuple qui célèbre des fêtes en l'honneur des démons, ceux-là n'ont qu'à s'approcher du Verbe. Il leur fera la même grâce qu'il fit à ces aveugles qui mendiaient sur le chemin et qui ayant crié : Fils de David, ayez pitié de nous (Matth., XX, 30), furent guéris par Jésus. Ce Verbe divin aura aussi pitié d'eux : il leur rendra la vue, il leur donnera de bons yeux dignes de la main qui les aura formés.

LXVIII. Si Celse donc nous demande : Comment nous espérons connaître Dieu et obtenir de lui le salut , nous lui répondrons que le Verbe de Dieu, qui habite en ceux qui le cherchent ou qui l'ont reçu depuis qu'il s'est manifesté, est suffisant pour leur révéler et pour leur faire connaître son l'ère qui, avant celle manifestation, n'avait été vu de personne (Jean, I , 14). Et quel autre que le Verbe, qui est Dieu , peut sauver les âmes des hommes et les faire approcher du Dieu souverain ? Ce Verbe, qui étant au commencement avec Dieu, s'est fait chair (Ibid.. I, 1 et 14) pour l'amour de ceux qui sont liés à la chair et qui ne sont eux-mêmes que chair, afin que par ce moyen il fût compris d'eux , qui ne le pouvaient voir en tant qu'il était le Verbe, qu'il était avec Dieu, qu'il était Dieu; ce Verbe qui, comme couvert d'un corps et comme revêtu de chair, adresse ses discours et ses promesses à ceux qui sont chair, et qui les appelle à soi pour les rendre premièrement conformes au Verbe qui s'est fait chair, et pour les élever ensuite jusqu'à le contempler dans l'état où il était avant que de se faire chair (Ps. LXXVII ou LXXVI1I, 39). De sorte que passant de cette première condition, qui est selon la chair, à une autre condition beaucoup plus haute et beaucoup meilleure , ils s'écrient : Bien que nous ayons autrefois connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant (2 Cor.. V, 16). Il a donc été fait chair, et comme tel, il a habité au milieu de nous (Jean, I, 14) : car il ne s'est point tenu hors de nous. Habitant ainsi et se tenant au-dedans de nous, il n'y est pas demeuré sous sa première forme ; mais il nous a fait monter sur la haute montage de sa parole où il s'est fait voir à nous, sous sa forme la plus glorieuse et où il nous a montré l'éclat de ses habits (Matth.. XVII, 1, etc.). Il s'est, dis-je, fait voir à nous dans cet état glorieux non tout seul, mais accompagné de la loi spirituelle représentée par Moïse, qui parut environné de gloire, avec Jésus. Il nous a aussi montré toute la prophétie, non celle qui est morte et finie depuis qu'il est venu paraître parmi les hommes , mais celle qui a été élevée dans le ciel  et dont Élie était la figure. Après quoi les spectateurs de tant de merveilles peuvent bien dire : Nous avons vu sa gloire, telle que la gloire du Fils unique du Père plein de grâce et de vérité (Jean, 1, 14). C'est donc avec très peu de réflexion que Celse s'est figuré la réponse que nous pourrions faire à sa demande : Comment nous espérons de connaître Dieu et d'obtenir de lui le salut. Car nous n'avons pas d'autre réponse à lui faire que celle qu'on vient de voir :

LXIX. mais pour lui , voici celle qu'il nous attribue par une conjecture qui lui paraît vraisemblable : Comme Dieu est grand et difficile à connaître par la voie de la contemplation il a envoyé son Esprit dans un corps semblable au nôtre et il l'a fait descendre vers nous, afin que nous pussions l'entendre et recevoir ses instructions. Le Dieu souverain, qui est le Père, n'est pas le seul que nous reconnaissions pour grand : il s'est communiqué avec toute sa grandeur à son Fils unique, Le premier né de toutes les créatures (Col., I, 15); afin que ce Fils , qui est l'image du Dieu invisible , portât l'image de son père , à l'égard même de la grandeur; car il n'était pas possible qu'une image du Dieu invisible fût parfaite, et , s'il faut ainsi parler, qu'elle eût de la proportion avec lui , qu'elle n'eût aussi le caractère de sa grandeur. Il est certain que , selon nous, Dieu est invisible, puisqu'il n'est pas corporel; mais les personnes qui aiment la contemplation , le peuvent contempler du coeur, c'est-à-dire de l'entendement. J'entends au reste un c?ur, non quel qu'il puisse être, mais un c?ur pur. Car il est impossible que Dieu soit l'objet d'un c?ur impur. Comme il est la pureté même, il ne faut rien que de pur pour le contempler dignement (Matth., V, 8). Je veux que Dieu soit difficile à connaître par la voie de la contemplation. Il ne l'est pas seul : son Fils unique l'est aussi ; car  Dieu le Verbe est difficile à connaître de la sorte (Prov., Ill, 19). La sagesse de Dieu, par laquelle, il a crée toutes choses, l'est pareillement. Qui peut, en effet, connaître par le menu et en détail celle sagesse par laquelle Dieu a fait chaque partie de ce grand tout, considérée en particulier? Ce n'est donc pas parce que Dieu est difficile à connaître, qu'il nous a envoyé son Fils, Dieu comme lui, mais plus aisé à connaître. Celse, qui entend peu ces matières, nous fait bien dire que Dieu étant difficile à connaître par la voie de la contemplation, il a envoyé son Esprit dans un corps semblable un nôtre, et il l'a fait descendre vers nous , afin que nous pussions l'entendre et recevoir ses instructions. Mais ce que nous disons, c'est que le Fils, qui, comme nous venons de le voir, est lui-même difficile à connaître, en tant que Dieu le Verbe, par lequel toutes choses ont été faites , que ce Fils est venu habiter au milieu de nous (Jean, I, 3 et 14).

LXX. Si nos sentiments touchant l'esprit de Dieu étaient mieux connus à Celse, el s'il savait que, selon nous, Tous ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu sont enfants de Dieu, il ne se ferait pas à lui-même cette réponse, comme de notre part que Dieu ayant envoyé son Esprit dans un corps, il l'a fait descendre vers nous (Rom., VIII, 14). Dieu communique toujours de son Esprit à ceux qui sont capables d'entrer dans sa communion, quoiqu'on le communiquant à chacun de ceux qui en sont dignes, il ne le divise pas ni ne le partage pour cela. Car cet Esprit duquel nous parlons, n'est pas un corps, non plus que le feu, dont il est dit que notre Dieu est un feu dévorant. Toutes ces façons de parler sont figurées, pour faire comprendre la nature des êtres intelligibles, par des expressions tirées des êtres corporels auxquelles nous sommes accoutumés. Si l'on dit que les péchés sont du bois, du foin, de la paille (Heb., XII, 29), l'on n'en conclura pas que les péchés soient des corps; et si l'on dit que les bonnes actions sont de l'or, de l'argent et des pierres précieuses (1 Cor., III, 12), on n'en inférera pas non plus que les bonnes actions soient quelque chose de corporel. Ainsi, quand il est dit de Dieu qu'il est un feu dévorant qui consume ce bois , ce foin , celle paille et généralement tout ce qui, dans son essence, est péché, il ne le faut pas pourtant prendre pour un corps.

Comme donc Dieu n'est pas un corps , quoiqu'on lui donne le nom de feu; tout de même, bien qu'il soit dit que Dieu est esprit (Jean, IV, 24), qui est comme qui dirait qu'il est un vent, il n'est pas un corps pour cela. Car l'Écriture a accoutume de donner aux choses intellectuelles  le nom d'esprits ou de choses spirituelles, pour les distinguer des chose« sensibles. C'est en ce sens que S. Paul dit: Si nous sommes capables de quelque chose , cela vient de Dieu , qui nous a rendus capables d'être les ministres de la nouvelle alliance, non pas de la lettre , mais de l'esprit : car la lettre tue, et l'esprit donne la vie (II Cor., III, 5 et 6). Par la lettre, il entend la manière sensible et charnelle d'expliquer l'Écriture sainte, et par l'esprit il en marque l'explication intellectuelle el sublime. Il en est tout de même de ces paroles, Dieu est esprit. Et les Samaritains et les Juifs observaient les ordonnances de la loi corporellement, s'arrêtant à la figure. Notre Sauveur, ayant cela en vue, dit à la Samaritaine : Le temps vient que l'on n'adorera plus le Père, ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem : Dieu est esprit ; et il faut que ceux qui l'adorent , l'adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 21 et 24). Par où il nous enseigne que l'on ne doit pas adorer Dieu charnellement, ni lui présenter des victimes charnelles; mais qu'il faut l'adorer en esprit : car on donnera lieu de conclure qu'il est Esprit, à proportion de ce qu'on lui rendra un culte spirituel et qui consiste en des choses intellectuelles. Un esprit ne doit pas être non plus adoré avec des figures; il doit être adoré en vérité. Et la vérité a été apportée par Jésus-Christ (Jean., 1 , 17), comme la loi avait été donnée par Moïse. Car quand nous nom convertissons au Seigneur (or le Seigneur est esprit) , le voile que nous avions sur le coeur, pendant qu'on nous lisait Moïse , en est alors ôté (II Cor., III, 15, 16 et 17).
 
 
 
 
 

LXXI. Tout ce que nous venons de dire de l'esprit de Dieu sont des choses où Celse ne pénètre point; car l'homme animal et charnel n'est pas capable et ce qui regarde l'esprit de Dieu ; il prend cela pourune folie , ne pouvant comprendre les choses pour lesquelles il faut un discernement spirituel (I Cor. , II , 14). Il nous fait donc parler selon sa pensée, et il nous attribue les sentiments qu'il lui plaît : comme si, quand nous disons que Dieu est esprit, nous le disions dans le sens des stoïciens, qui soutiennent parmi les Grecs que Dieu est un esprit répandu partout et renfermant tout en soi. Les soins et la Providence de Dieu sont bien répandus partout; mais ce n'est pas  de la manière que les stoïciens l'entendent de leur esprit. Cette même Providence encore renferme bien et contient toutes les choses qu'elle gouverne ; mais ce n'est pas comme un corps en renferme un autre qui est de même nature que lui, c'est comme la vertu et la puissance de Dieu renferme et embrasse tout ce qui lui est soumis.

Ainsi, selon les stoïciens, qui croient que les principes des choses sont corporels et qui de la sorte n'exemptent rien de corruption , jusque-là qu'ils assujettiraient presque le grand Dieu lui-même sans l'absurdité trop visible qu'ils . remarquent ; selon ces philosophes, dis-je, le Verbe de Dieu, qui est descendu jusqu'aux hommes et jusqu'à ce qu'il y a de plus bas et de plus abject au monde, n'est autre chose qu'un esprit corporel. Mais selon nous , qui nous efforçons de faire voir que l'âme raisonnable elle-même est d'une nature beaucoup plus excellente que tous les êtres corporels ;  que c'est une substance invisible et immatérielle ;  on peut bien moins dire encore, que Dieu le Verbe, par qui toutes choses ont été faites, soit un corps; lui qui, afin que tout dans le monde fût fait avec sagesse, a fait sentir sa présence non seulement aux hommes, mais aux choses mêmes qui semblent les plus petites entre celles sur qui la nature étend ses soins. Que le Portique condamne donc tout à passer par le feu : pour nous , nous ne croyons pas qu'une substance immatérielle y soit sujette; nous ne saurions nous persuader que l'âme humaine , que les Anges, les Trônes, les Dominations, les Principautés , les Puissances (Col. , I , 16) , soient d'une nature à se résoudre en feu.

LXXII. C'est sur un vain fondement que Celse raisonne; et il montre qu'il n'entend rien en ce qui regarde l'esprit de Dieu , lorsqu'il dit, Que si le Fils de Dieu , qui s'est revêtu d'un corps humain , est un esprit que Dieu ait fait descendre ici- bas, ce Fils même de Dieu ne sera pas immortel. Il s'embrouille de plus en plus, quand il suppose qu'il y en a entre nous qui ne sont pas dans le sentiment que Dieu soit esprit : mais qui disent que c'est son fils : sur quoi il nous fait cette réponse, Qu'il n'y a aucun esprit qui soit de nature à durer éternellement. C'est comme si, lorsque nous disons que Dieu est un feu dévorant , il nous répondait, qu'il n'y a point de feu qui soit de nature à durer éternellement : sans vouloir comprendre en quel sens nous disons que notre Dieu est un feu, ni quelles sont les matières qu'il dévore, savoir, les vices et les péchés ; car il fallait que ce Dieu, qui est tout bon, après avoir vu comment chacun se serait acquitté de son devoir et quels efforts on y aurait faits, consumât les vices par le feu du châtiment. Il continue encore à nous faire dire des choses auxquelles nous n'avons jamais pensé, Qu'il fallut de nécessité que Jésus, en mourant, rendit l'esprit par lequel il était Dieu : d'où il suit qu'il ne put le redonner à son corps par la résurrection ; car l'esprit qu'il avait reçu de Dieu ayant été souillé par le commerce du corps. Dieu n'aurait pas voulu le reprendre (Luc, XXIII, 46). Ce serait folie à nous de nous arrêter à ces paroles, comme si nous y prenions quelqu'intérét, nous qu'elles ne regardent en aucune sorte.

LXXIII. Ce qu'il ajoute n'est qu'une répétition ennuyeuse de ce qu'il a dit ci-devant, où il s'est fort étendu et où il a fait bien des railleries sur la naissance d'un Dieu, mis au monde par une vierge; à quoi aussi nous avons tâché de satisfaire autant qu'il nous a été possible. Si Dieu voulait, dit-il, maintenant envoyer son esprit ici-bas, qu'avait-il besoin de souffler dans les flancs d'une femme? Il savait déjà l'art de faire des hommes, et il pouvait bien bâtir un corps à son esprit sans le faire passer par un lieu si plein d'ordures. S'il l'eût fait ainsi descendre immédiatement d'en haut , c'eût été le moyen d'aller au-devant de l'incrédulité des hommes. Il ne dirait pas cela, s'il savait combien pure et combien exempte de toute corruption a été la naissance de ce corps qui sortit du sein d'une vierge, pour servir a la rédemption du genre humain. Mais il veut parler en stoïcien; et cependant, il feint d'ignorer la condition des choses indifférentes : et il s'imagine que la nature divine s'est souillée, ou qu'elle s'est mêlée avec des ordures, soit en demeurant dans le sein d'une femme , jusqu'à ce que son corps y fût formé, soit en prenant ce corps même. C'est comme ceux qui croient que les rayons du soleil se salissent, en passant sur des bourbiers ou sur de mauvaises odeurs; et qu'ils n'y conservent pas toute leur pureté. Au reste, quand selon la supposition de Celse, le corps de Jésus aurait été formé par une autre voie que celle de la naissance , ceux qui auraient vu ce corps n'auraient pas d'abord reconnu pour cela qu'il n'était pas né comme les autres ; car les choses que nous voyons ne portent point de caractères évidents du principe qui les a produites. Supposons , par exemple, que du miel ait été produit par une autre cause que des abeilles, on ne jugerait jamais, soit par le goût, soit par la vue, que ce ne sont pas des abeilles qui l'ont produit; comme ce n'est pas non plus par les sens que celui que produisent les abeilles nous fait connaître son origine, c'est l'expérience qui nous enseigne que c'est à elles que nous le devons. Il en est tout de même du vin : c'est l'expérience et non le goût qui nous apprend qu'il est une production de la vigne. Ainsi donc un corps, quoique sensible, ne fait point juger quelle est la cause qui le fait être ce qu'il est. Pour en être convaincu , vous n'avez qu'à considérer les corps célestes : nos yeux qui les voient si lumineux ne nous permettent pas de douter de leur existence ; mais nous ne saurions connaître par le ministère de nos sens , s'ils ont eu commencement ou non. Aussi les hommes ne sont-ils pas tous d'un même sentiment là-dessus : et ceux-là même qui croient que les corps célestes n'ont pas toujours été, ne conviennent pas entre eux de la manière dont ces corps ont commencé d'être ; car après que la force de la raison nous a persuadés que leur existence n'est pas éternelle, les sens ne nous disent point encore de quelle sorte elle a commencé.

LXXVIV. Il répète ensuite ce qu'il a déjà dit plusieurs fois des sentiments de Marcion, qu'il rapporte, tantôt tels qu'ils sont, tantôt d'une manière qui fait voir qu'il n'en est pas bien instruit ; mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire que nous nous arrêtions à montrer que nous ne les approuvons pas , ni à relever les fautes que Celse y a faites. De là, il passe encore à ce qu'on peut dire pour et contre Marcion ; le justifiant d'une partie de ce dont on l'accuse, et le reconnaissant coupable de l'autre. Sur quoi il dit nettement, pour soutenir contre Marcion et ses disciples que Jésus-Christ a été prédit par les prophètes : Comment pourrait-on faire voir qu'un homme qui a souffert de tels  supplices soit le Fils de Dieu, si ses souffrances n'avaient pas été prédites ?

Mais après cela,  il raille et se divertit à sonin ordinaire , introduisant deux fils de dieu, l'un fils du créateur , l'autre fils  du dieu de Marcion. Il décrit les combats de l'un contre l'autre et les compare à ceux des cailles. Il parle aussi des combats de dieu à dieu, entre les deux pères. Si ce n'est , ajoute-t-il, que les pères étant déjà faibles de vieillesse et commençant à radoter, ils ne se battent plus eux-mêmes, et qu'ils laissent faire leurs enfants. Nous ne pouvons que lui appliquer ici ce qu'il a dit ailleurs : y a-t-il de vieille femme qui n'eût n'eut honte d'endormir son enfant avec des sornettes pareilles à ce qu'on nous débite dans un Discours auquel on donne le titre de véritable? Car au lieu de s'attacher sérieusement à la dispute qu'il a entreprise , il abandonne sa matière, et s'amuse à railler et à bouffonner, comme s'il écrivait quelque farce ou quelque satire , ne voyant pas que cette manière d'agir est contraire au dessein qu'il a de nous faire renoncer au christianisme pour entrer dans ses sentiments. S'il les proposait avec quelque gravité, peut-être qu'us paraîtraient plus probables ; mais puisqu'il ne fait que railler, que bouffonner et que tourner les choses en ridicule, on aura sujet de dire qu'il manque de bonnes raisons, et que comme il ne peut faire mieux, il se jette dans ces plaisanteries.

LXXV. Il ajoute : Puisque l'esprit de Dieu voulait prendre un corps, il fallait au moins qu'il s'y fît distinguer, ou par la grandeur, ou pur la force, ou par la beauté, ou par la majesté, ou par le ton de la voix, ou par l'éloquence ; car il n'est pas possible qu'une personne ait quelque chose de divin que n'ont pas les autres, et qu'il n'ait cependant aucun avantage sur eux; mais celui-ci , bien loin d'avoir aucun avantage, était, dit-on, et petit et laid, et d'une mine basse. Celse fait encore voir ici que quand il s'agit de former quelque accusation contre Jésus, il se sert des textes de l'Écriture qui semblent y donner lieu, comme s'il y ajoutait foi : mais que quand il juge que de cette même Écriture on peut inférer tout le contraire de ce qu'il avance, il ne fait pas semblant d'en avoir jamais ouï parler. Il faut demeurer d'accord que l'Écriture parle de Jésus comme d'un laid; mais pour la mine basse qu'on y veut joindre, elle n'en dit rien; et elle ne dit point non plus clairement qu'il fût petit. Voici le passage d'Isaïe, où il est prédit que Jésus devait paraître au monde, sans se faire remarquer par une beauté éclatante, ni par une bonne grâce extraordinaire : ô Dieu! qui a cru à noire prédication, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? Nous avons publié qu'il est devant le Seigneur comme un enfant, comme une racine dans une terre aride. Il n'y a en lui aucun éclat, ni aucune gloire. Nous l'avons vu ; il n'avait ni grâce, ni beauté , mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d'aucun autre entre les enfants des hommes (Is., LIII, 1, 2, 3j. Celse a donc bien retenu cela, qui favorise à son avis , le dessein qu'il a de parler mal de Jésus; mais il n'a point pris garde à ce qui est dit de lui au psaume XLIV: Mets ton épée à ton côté , vaillant prince, pour rehausser ton éclat et ta beauté ; pousse tes desseins, fais-les réussir et règne (Ps. XLIV ou XLV, 4, 5).

LXXVI. Mais quand il n'aurait jamais lu celte prophétie, ou que, l'ayant lue, il se serait rapporté du sens qu'elle renferme, aux fausses gloses de ceux qui ne veulent pas qu'elle regarde Jésus-Christ, qu'a-t-il à dire, sur ce qui est récité dans l'Évangile même (Matth., XVII, 1, etc) : Que Jésus étant monté avec ses disciples sur une haute montagne, il y fut transfiguré devant eux, et se fit voir d'eux dans sa gloire, pendant que Moïse et Élie, qu'ils y virent aussi dans un état glorieux, parlaient de sa sortie du monde, qui devait arriver dans Jérusalem (Luc, IX, 30, etc). Veut-il reconnaître que quand un prophète dit : Nous l'avons vu, il n'avait ni grâce ni beauté, et ce qui suit, cette prophétie doit être rapportée à Jésus : s'aveuglant au reste sur le fond même de la prédiction, pour ne pas voir qu'il y a une preuve illustre que ce Jésus, qui paraissait sans beauté, était le Fils de Dieu en ce que tant d'années avant sa naissance, un prophète avait prédit quel serait son extérieur. Et quand un autre prophète dit que l'éclat et la beauté devaient l'accompagner, il ne veut plus avouer que cela regarde Jésus-Christ. Si l'on pouvait évidemment recueillir de l'histoire de l'Évangile que Jésus-Christ n'eut ni grâce ni beauté, que son extérieur fut méprisable et abject pus que d'aucun autre entre les enfants des hommes, l'on pourrait dire que c'est de l'Évangile et non des prophètes que Celse a pris ce qu'il dit. Mais puisque les évangélistes ni même les apôtres ne disent point de Jésus qu'il n'eut ni grâce ni beauté, il est clair que Celse est contraint de reconnaître que ce que la prophétie avait prédit, se trouve accompli en Jésus-Christ : ce qui rompt le cours de toutes les accusations qu'il formait contre ce même Jésus.

LXXVII. Il dit que si l'esprit de Dieu voulait prendre un corps, il fallait au moins qu'il s'y fit distinguer ou par la grandeur ou par la force, ou par la beauté ou par ta majesté, ou par le ton de la voix ou par l'éloquence. Mais lui qui parle de la sorte, comment ne prend-il point garde à la prérogative qu'avait ce corps de paraître aux yeux de ceux qui le regardaient tel qu'il fallait qu'il leur parût selon la portée, et par là même selon le besoin de chacun? C'est une chose qui ne doit point sembler surprenante que la matière qui, de sa nature est sujette à l'altération et au changement, qui est capable de tontes les formes, et susceptible de toutes les qualités que l'ouvrier ou l'artisan lui veut imprimer, soit tantôt dans un état qui fait dire :I l n'avait ni grâce ni beauté (Is., LIII, 2) , tantôt dans un autre si éclatant, si glorieux et si admirable, que les trois disciples qui étaient montés avec Jésus, tombent le visage contre terre à la vue de tant de merveilles (Matlh., XVII, 6). Mais Celse dira de ceci comme de toutes les autres choses extraordinaires qui sont racontées de Jésus, que ce ne sont que des fictions et de pures fables. Sur quoi nous lui avons assez amplement répondu ci-dessus. Pour ce qui est de la doctrine que je viens d'établir, elle nous fournit aussi un sens mystique selon lequel les différentes formes de Jésus doivent être entendues par rapport à la parole divine qui a cette propriété de ne paraître pas la même au peuple grossier qu'à ceux qui, comme nous l'avons expliqué ailleurs , sont capables de la suivre sur la haute montagne. A l'égard de ceux qui demeurent au bas, n'étant pas encore disposes comme il le faut être pour monter, celle parole n'a pour eux ni grâce ni beauté; il n'y voient rien qui ne leur semble digne de mépris; ils la regardent comme beaucoup inférieure à la parole des autres hommes dont les discours sont ici désignés figurément par les enfants des hommes. En effet, l'on peut dire que les discours des philosophes, qui ne sont que des productions humaines, paraissent beaucoup plus beaux que ne l'est la parole de Dieu, qui, quand on la prêche au commun peuple, présente à l'esprit la folie de la prédication (I Cor., 1, 21) et qui, à cause de cette folie apparente, fait dire à ceux qui n'en jugent que par là : Nous l'avons vue : elle n'a ni grâce ni beauté. Mais à l'égard de ceux qui ont la force de la suivre et de monter avec elle sur la haute montagne, elle a pour eux des beautés toutes divines : des beautés que l'on découvrira pourvu que l'on soit un Pierre, c'est-à-dire que l'on ait en soi l'édifice de l'Église (Matth.,XVl, 18), bâti par la parole de Dieu; que l'on ait formé une telle habitude au bien, qu'aucune des portes de l'enfer ne puisse jamais prévaloir contre nous, que l'on ait été retiré des portes de la mort par cette parole, afin de publier toutes les louanges de Dieu aux portes de la Fille de Sion ( Ps. IX, 15) : pourvu encore que l'on ait pris une nouvelle naissance par le moyen de la parole, que l'on ait une voie pleine de vertu, et que l'on ne le cède en rien à ceux qui ont mérité le nom d'enfants du tonnerre (Marc, III, 17). Pour ce qui est de Celse et des autres ennemis de cette divine parole qui, quand ils examinent la créance des chrétiens, n'ont point pour principe l'amour de la vérité; d'où auraient-ils appris ce que veulent dire les différentes formes sous lesquelles Jésus a paru (Luc, II, 52)? Je dis ses différentes formes , et encore les divers âges par lesquels il a passé, et les diverses actions qu'il a faites, soit avant sa mort, soit après sa résurrection.

LXXVIII. Voici comme Celse continue : Si Dieu, se réveillant d'un profond sommeil comme Jupiter de la comédie, voulait délivrer le genre humain de ses maux, pourquoi en voyait-il dans un petit coin du monde l'esprit dont vous parlez ? Ne fallait-il pas qu'il le soufflât de la même manière élans plusieurs autres corps et qu'il le répandit ainsi par toute la terre? Le poète n'a eu dessein que de faire rire les spectateurs lorsqu'il a introduit sur le théâtre Jupiter qui, à son réveil, envoie Mercure aux Athéniens et aux Lacédémoniens : et vous, ne voyez-vous point que votre Fils de Dieu envoyé eaux Juifs n'est aussi qu'un sujet de risée ? Remarquez encore ici combien les manières de Celse sont basses et indignes d'un philosophe, de nous alléguer ce qu'un poète comique a inventé pour faire rire, et de comparer notre Dieu, le Créateur de tout l'univers, à ce dieu de théâtre qui se réveille pour donner ses ordres à Mercure. Nous avons fait voir ci-devant que quand Dieu a envoyé Jésus au monde, ce n'a pas été comme se réveillant d'un profond sommeil. Ce même Jésus qui, pour les sages raisons qu'il en a eues, a maintenant accompli le dessein de son incarnation, a de tout .temps répandu ses bienfaits sur le genre humain; car il n'y a jamais eu rien de bon parmi les hommes que par la grâce du Verbe divin qui agissait intérieurement en ceux qui pouvaient, ne fût-ce que pour quelques moments, recevoir dans leur âme la vertu de son opération. Et si Jésus n'a paru que dans un petit coin du monde, comme il vous le semble, ce n'a pas été non plus sans de bonnes raisons ; car c'était entre ceux qui avaient la connaissance d'un seul Dieu, qui lisaient ses prophètes et qui y voyaient la promesse d'un messie, que ce messie promis devait paraître: mais dans une circonstance de temps si favorable, que de ce petit coin il se pût faire connaître par toute la terre.

LXXIX. Ainsi, il n'était point nécessaire qu'il y eût partout divers corps et divers esprits semblables à Jésus pour éclairer toute la terre par la parole de Dieu : il suffisait ue ce seul Verbe (ou parole), comme il est le soleil de justice (Mal., IV, 2), se levât dans la Judée, pour répandre de là ses rayons sur les âmes de tous ceux qui voudraient ouvrir les yeux à sa lumière. Si quelqu'un souhaite, au reste, de voir plusieurs corps remplis de l'Esprit divin qui, comme ce seul Christ, s'emploient par toute la terre à procurer le salut des hommes, il n'a qu'à jeter les yeux de tous côtés sur ceux qui prêchent purement la doctrine de Jésus, et qui mènent, d'ailleurs , une vie sainte. Ceux-là aussi sont nommés des christs, des messies ou des oints dans ce passage de l'Écriture : Ne touchez point à mes christs, et ne faites point de mal à mes prophètes (Ps. CIV ou CV, 15).

Car comme nous avons été avertis que l'antéchrist doit venir, ce qui n'empêche pas qu'il y ait déjà plusieurs antéchrists dans le monde ( I Jean, II, 18) : nous avons appris, et nous voyons tout de même que Jésus-Christ étant venu sur la terre, a fait qu'il y a dans le monde plusieurs autres christs qui, à son exemple ont aimé la justice et ont haï l'iniquité, à cause de quoi Dieu, le Dieu du Christ les a oints, eux aussi, d'une huile de joie (Ps. XLIV ou XLV, 8). Mais comme de tous ceux qui participent a cette gloire, Jésus est celui qui a le plus aimé la justice et le plus haï l'iniquité, il a reçu les prémices de cette onction, et, s'il le faut ainsi dire, il a reçu l'onction entière de l'huile de joie : au lieu que ceux qui y ont part avec lui n'en reçoivent chacun que la portion dont ils sont capables. En effet, puisque Jésus -Christ est le chef (ou la tête) de l'Église (Col., I,18), de sorte que Jésus-Christ et l'Église ne sont qu'un seul corps ; le parfum qui est répandu sur la tête , descend de là sur la barbe le symbole d'un homme parfait, et jusque sur le bord de la robe de cet Aaron mystique (Ps. CXXXII  ou CXXXIII, 2).

C'est ce que j'avais à dire sur ces mots de Celse, si peu dignes d'un homme grave : Ne fallait-il pas qu'il soufflât ce même esprit dans plusieurs autres corps, et qu'il le répandit ainsi par toute la terre? C'est au reste pour faire rire, que le poète introduit Jupiter qui dort, et qui à son réveil envoie Mercure vers les Grecs ; mais la droite raison, qui nous enseigne que Dieu n'est point d'une nature sujette au sommeil, doit nous apprendre aussi que ce même Dieu gouverne sagement les choses du monde, selon les circonstances du temps ; quoique ses jugements soient si sublimes et si impénétrables, qu'il n'y a pas lieu de s'étonner si les âmes mal instruites et Celse avec elles tombent ici dans l'erreur (Sag , XVII, 1). Ce n'est donc point une chose digne de risée, que le Fils de Dieu ait été envoyé aux Juifs qui avaient eu chez eux les prophètes; qu'il ait, dis-je, commencé par là a paraître corporellement, afin qu'il fit ensuite lever la lumière de sa vertu et de son esprit sur la terre où seraient les âmes lasses de vivre dans les ténèbres que produit l'éloignement de Dieu.

LXXX. Après cela Celse prend plaisir à donner aux Chaldéens l'éloge d'avoir été, dès les premiers temps, une nation toute divine ; eux qui ont introduit dans le monde la trompeuse science des horoscopes. Il n'en dit pas moins des mages , à qui les autres peuples doivent et le nom et la connaissance de la magie, cet art pernicieux qui fait périr ceux qui s'y appliquent. Pour ce qui est des Égyptiens, Celse les condamnait ci-dessus comme ayant des temples magnifiques au dehors qui, sous l'apparence de lieux sacrés , ne renferment au dedans que des singes , des crocodiles , des chèvres, des aspics et d'autres animaux semblables : mais ici ces mêmes Égyptiens sont, selon lui, une nation toute divine, et divine dès les premiers temps ; parce, peut-être que, dès les premiers temps ils ont été ennemis des Juifs. Les Perses aussi, qui épousent leurs mères, et qui couchent avec leurs filles sont, à son avis , une nation divine : et les Indiens  tout de même ; bien qu'il ait dit ci-devant que, parmi eux il y en avait qui mangeaient de la chair humaine. Mais pour les Juifs, qui ne font rien de pareil, et particulièrement les anciens Juifs, bien loin de les mettre an rang des nations toutes divines , il dit que c'est un peuple qui est sur le point de périr. C'est sans doute par un esprit de prophétie qu'il en parle ainsi. Il ne pense pas cependant à tous les soins de Dieu pour les Juifs, ni aux sages lois par lesquelles ce même Dieu les a longtemps gouvernés. Il ne voit pas que c'est par leur chute que le salut a été procuré aux Gentils ; que cette chute a été l'élévation du monde, et que leur pauvreté a fait la richesse des Gentils, jusqu'à ce que la multitude des Gentils soit entrée tout entière dans l'Église (Rom., XI, 11, 12, 25, 26), afin qu'ensuite tout Israël soit sauvé, cet Israël que Celse ne connaît point.

LXXXI. Je ne sais pas comment il ajoute, que Dieu qui sait toutes choses, n'a pas su qu'en envoyant son Fils au monde, il l'envoyait vers des méchants qui ajouteraient à leurs autres péchés celui de le condamner au supplice. Il semble que ce soit oublier volontairement que les prophètes de Dieu ont prévu et prédit par l'Esprit divin tout ce que Jésus-Christ devait souffrir (Luc XXIV, 26, 27) : car il n'y a rien de plus contraire à cela que ce qu'il dit ici, que Dieu n'a pas su qu'il envoyait son Fils vers des méchants qui ajouteraient à leurs autres péchés celui de le condamner au supplice.Cependant il reconnaît aussitôt que nous nous défendons, en disant que toutes ces choses avaient été prédites longtemps avant qu'elles arrivassent.

Mais comme ce sixième livre est déjà assez long, nous le finirons ici pour commencer dans le suivant, si Dieu le permet, l'examen de ce que Celse avance contre ce que nous disons que tout ce qui est arrivé à Jésus a été prédit par les prophètes.

La matière est si ample et a besoin de tant d'éclaircissements que, si nous l'avions entamée il aurait fallu ou l'interrompre, ou faire ce livre d'une longueur entièrement disproportionnée à celle des autres ; qui sont deux inconvénients que nous voulons éviter.
 

Livre septième
LIVRE SEPTIEME.

Dans les six livres précédents, pieux Ambroise, mon très-cher frère, nous avons combattu de toutes nos forces les accusations de Celse contre les chrétiens , et nous avons tâché, autant qu'il nous a été possible, de ne rien laisser sans examen et sans réponse. Nous allons présentement commencer le septième , après avoir demandé à Dieu, par ce même Jésus-Christ que Celse attaque, que comme il est la vérité (Jean. XIV, 8) , il lui plaise d'allumer dans notre coeur une lumière capable de dissiper les ténèbres du mensonge: suivant cette parole du prophète, à laquelle nous conformons nos voeux , Détruis-les par ta vérité (Ps. LIII ou LIV, 7). Qu'est-ce qui doit dire détruit par la vérité de Dieu ? Ce sont les raisonnements contraire à la vérité : afin que tous les hommes les voyant détruits , et ne s'y laissant plus surprendre, puissent s'appliquer les paroles suivantes : Je t'offrirai volontairement des sacrifices (vers. 8 ) ; et présenter au Dieu de tout l'univers des victimes spirituelles avec un feu exempt de fumée.

Ce que Celse se propose maintenant. c'est de combattre ceux qui disent que ce qui est arrivé à Jésus-Christ, avait été prédit par la prophètes des Juifs. Nous commencerons avec lui, par la distinction qu'il fait d'abord . lorsqu'il dit que ceux qui admettent un autre Dieu que le Dieu des Juifs, ne sauraient absolument répondre à ses difficultés : mais que nous qui reconnaissons le même Dieu, nous avons recours pour nous défendre, aux prédictions qui ont été fuites du messie. Voici ses paroles: Voyons donc quelle couleur ils trouveront pour se défendre. Ceux qui admettent un autre Dieu, n en sauraient trouver : et ceux qui reconnaissent le même, auront recours à leur défaite ordinaire, savoir, à cette belle raison, qu il fallait que cela arrivât ainsi. Et pourquoi ? Parce qu'il avait été prédit longtemps auparavant. Nous disons à cela que ce qu'il vient d'objecter un peu plus haut, à Jésus et aux chrétiens, a si peu de force, que ceux qui ont l'impiété d'admettre un autre Dieu, y pourraient facilement répondre : et s'il n'était pas dangereux de donner aux faibles l'occasion d'embrasser des dogmes pernicieux, nous y répondrions nous-mêmes, pour montrer à Celse combien il est mal fondé à dire que ceux qui admettent un autre Dieu, soient hors d'état de se défendre contre lui. Mais contentons-nous de soutenir encore ici la cause des prophètes, après ce que nous avons déjà dit pour eux ci-dessus. Ils comptent pour rien, dit-il, en parlant de nous, les oracles de la Pythie, des Dodonides, d'Apollon Clarien, des Branchides, de Jupiter Hammon et une infinité d'autres, desquels on peut dire qu'ils ont servi de guides aux colonies qui ont peuplé toute la terre : mais pour les choses dites ou non dites, dans la Judée, à la manière du pays, telles que nous en voyons dire encore aujourd'hui aux habitants de la Phénicie et de la Palestine, ils regardent cela comme des merveilles et comme des vérités constantes. Sur ces oracles dont il fait le dénombrement, nous pourrions alléguer beaucoup de choses prises d'Aristote et des péripatéticiens, ses sectateurs, pour montrer que ni celui de la Pythie, ni les autres, n'ont rien de réel, ni de solide. Nous pourrions encore produire les sentiments d'Épicure et de ses disciples, pour faire voir que chez les Grecs mêmes, il s'est trouvé des gens qui se sont moqués de ces fameux oracles que toute la Grèce admirait. Mais je veux que toutes les réponses, tant de la Pythie que des autres, soient de vrais oracles et non des effets de l'adresse de quelques fourbes qui ont voulu passer pour des hommes divinement inspirés, voyons si avec tout cela, on ne saurait convaincre les personnes de bonne foi, qu'on peut reconnaître ces oracles, sans être contraint de les attribuer à quelques divinités : si au contraire on ne peut pas soutenir que ce sont de mauvais démons, des esprits ennemis du genre humain, qui veulent ainsi empêcher l'âme de s'élever vers le ciel, de suivre la voie de la vertu, et de retourner à Dieu par une sincère piété. On dit de la Pythie, dont l'oracle est le plus célèbre, si je ne me trompe, que quand elle est assise sur l'ouverture de l'antre Castalien, l'esprit prophétique d'Apollon s'insinue en elle, par un endroit que la pudeur défend de nommer; et que c'est alors qu'en étant toute remplie, elle donne ces merveilleuses réponses, qui passent pour des vérités divines. Jugez par là, des sales inclinations de cet esprit impur, qui pour pénétrer dans l'âme de la prophétesse, n'entre pas en elle par où il l'aurait pu faire d'une manière beaucoup plus honnête, comme par les pores, qui bien qu'imperceptibles, ne laissent pas d'être ouverts ; mais qui choisit expressément un endroit où un homme chaste, bien loin d'imiter le dieu, ne voudrait pas même porter la vue : et qui le fait non pour une fois, ni pour deux, ce qui peut-être semblerait plus supportable, mais autant de fois que la Pythie fait croire qu'elle reçoit l'inspiration d'Apollon. Ce n'est pas non plus le propre de l'esprit divin, de ravir en extase une personne destinée à prophétiser; ni de la mettre hors d'elle-même, en sorte qu'elle ne se connaisse plus, comme si elle était possédée. Il faut que celui qui est rempli de l'esprit de Dieu, soit le premier qui en ressente les salutaires effets : et que la principale utilité n'en soit pas pour ceux qui ne viennent consulter l'oracle, que pour les affaires de la vie civile ou naturelle; que pour être instruits de ce qui regarde leur profit, ou leur avantage temporel. Il faut qu'il ne voie jamais plus clair, que quand il est dans ce commerce étroit avec la Divinité. Conformément à cela, nous faisons voir qu'en consultant l'Écriture sainte, on trouve que les prophètes des Juifs, éclairés par l'esprit divin, autant que leur propre besoin le demandait, recueillaient les premiers fruits de la présence de la Divinité qui les inspirait. Ainsi leur âme, par l'attouchement de cet Esprit saint, s'il faut que je parle de la sorte, était toute pénétrée de lumière et avait des yeux plus perçants que de coutume. Leur corps même ne résistait plus aux mouvements de la vertu; étant mort à l'égard de ce qui se nomme parmi nous, les pensées et les sentiments de la chair; car nous croyons fermement que l'Esprit divin fait mourir les passions charnelles, et qu'il étouffe les rébellions que les pensées et les sentiments de la chair commençaient à exciter contre Dieu (Rom., VIII, 6, 7 et 13). Si donc la Pythie perd le sens et la connaissance, comme entièrement hors d'elle-même, lorsqu'elle prédit l'avenir, quel jugement doit-on faire de cet esprit qui lui remplit l'âme de ténèbres et qui lui ôte la raison, sinon qu'il est de même ordre que ces démons, dont beaucoup de chrétiens délivrent ceux qui en sont possédés? Ce qu'ils font au reste, sans aucun appareil de magie ou de recettes : mais avec des prières et des adjurations si simples, que les moindres des hommes en sont capables ; car pour l'ordinaire, ce sont des gens sans lettres qui font cette opération. Jésus-Christ voulant faire voir par cet effet de la grâce, dont il accompagne son Évangile, la faiblesse et l'impuissance des démons, qui pour être vaincus, el pour sortir sans aucune résistance du corps et de l'âme d'un homme, n'ont pas besoin du savoir ni de la force de ceux qui sont les plus puissants dans les Écritures (Act.. XVIII, 24), et les plus exercés dans les matières de la foi. D'ailleurs c'est une créance reçue, non par les chrétiens et par les Juifs seulement, mais par la plupart des Grecs mêmes et des barbares, que l'âme humaine subsiste après être séparée de son corps, et ne meurt pas avec lui. A quoi les lumières de la raison veulent que l'on ajoute, que les âmes nettes, qui ne sont point chargées du fardeau des vices, comme d'une pesante masse de plomb, élèvent au plus haut des airs, dans la région des corps les plus purs et les plus subtils ; laissant ici-bas les corps grossiers, avec leurs ordures : au lieu que les âmes souillées, que le poids de leurs péchés attache tellement à la terre, qu'elles n'ont pas la force de pousser môme leurs soupirs en haut, se tournent et se vautrent dans ces bas lieux, les unes autour des sépulcres, où l'on en voit qui paraissent quelquefois comme des ombres, les autres autour de quelques autres matières terrestres, quelles qu'elles soient. Cela étant, que doit-on penser de ces esprits qui passent des siècles entiers pour ainsi dire arrêtés en de certains endroits, et attachés à une môme demeure comme par la force de quelques charmes ou par un effet de leur propre impureté? Ils doivent avec raison être pris pour des esprits malins, puisqu'ils abusent ainsi de l'art de prédire l'avenir qui, de soi, est de l'ordre des choses indifférentes; et qu'ils l'emploient à tromper les hommes, les détournant
par là du vrai Dieu et de la pureté de son service. Ce qui fait voir encore qu'ils doivent être pris pour tels, c'est qu'ils aiment le sang des victimes, la fumée et l'odeur des sacrifices, et qu'ils en nourrissent leurs corps; se tenant autour avec plaisir comme pour y chercher leur vie : semblables à ces hommes corrompus qui, méprisant la pureté d'une vie détachée des sens, n'ont d'inclination que pour les voluptés de la chair, et pour la vie terrestre et corporelle où ils les trouvent . Si cet Apollon qu'on sert à Delphes était un Dieu  comme les Grecs se le persuadent, quel autre devait-il choisir pour rendre ses oracles, qu'un homme sage ou s'il n'en pouvait trouver de tel, qu'un homme au moins qui tâchât de le devenir? Comment ne se servait-il pas pour cela plutôt d'un homme que d'une femme? Ou s'il aimait tant ce sexe qu'il ne pût s'insinuer ni se plaire que dans le sein d'une femme, pourquoi ne prenait- il pas une vierge plutôt qu'une autre pour interprète de sa volonté? Non ce grand Apollon si célèbre parmi les Grecs sous le nom de Pythien, n'a point fait choix d'un homme sage ni même d'un homme quel qu'il fût pour l'honorer comme ils parlent de ses inspirations divines. Et entre les femmes il n'a point pris une vierge ou une personne vertueuse que l'étude de la philosophie rendit recommandable : il s'est adresse à une femme du commun. C'est peut-être que les grands hommes avaient de trop bonnes qualités pour recevoir de pareilles inspirations. Encore devait-il, s'il était Dieu, faire servir l'art de prédire l'avenir comme d'une amorce pour ainsi dire afin d'attirer les hommes et de les obliger a se convertir, à se corriger de leurs vices et à embrasser l'élude de la vertu. .Mais c'est un fait dont l'histoire ne nous dit rien; car si l'oracle déclare Socrate le plus sage de tous les hommes, il avilit la louange qu il lui donne par ce qu'il dit en même temps d'Euripide et de Sophocle :

Tout sage qu'est Sophocle. Euripide est plus sage ;

Mais Socrate en sagesse a sur tous l'avantage.

Puis donc qu'il donne le nom de sages à des poètes tragiques, ce n'est pas proprement en vue de la philosophie qu'il loue Socrate, ni à cause de son amour pour la vérité et pour la vertu. Il ne lui fait pas beaucoup d'honneur de le préférer à des hommes qui, pour une vile récompense, disputent sur le théâtre le prix des vers, et qui, par les choses qu'ils représentent sur la scène, excitent les spectateurs tantôt aux larmes et aux soupirs, tantôt à un ris déshonnête : ??? c'est à ce dernier effet que leurs pièces satiriques sont destinées. Et peut-être que la philosophie a bien moins contribué à lui faire donner cette louange d'être le plus sage de tout les hommes, que les victimes qu'il faisait fumer sur les autels de ce démon et des autres; car je ne doute pas que ceux qui servent les démons, n'éprouvent que ces sortes de choses sont plus propres pour obtenir d'eux ce qu'on souhaite, que les actions vertueuses. De là vient qu'Homère, le plus excellent des poètes, représentant ce qui a coutume d'arriver, et nous voulant faire comprendre ce qui porte le plus les démons à répondre aux v?ux de leurs dévots, introduit Chrysès, qui. pour quelques guirlandes et pour quelques cuisses de taureaux et de chèvres, obtient ce qu'il demandait contre les Grecs à l'occasion de sa fille Chryséïde que la peste les contraignit de lui rendre (Iliad.. I, v. 39, 40, il ). Et je me souviens d'avoir lu dans les écrits d'un pythagoricien qui a expliqué les sens caché d'Homère, que la prière de Chrysès à Apollon, et la peste qu'Apollon envoie ensuite dans l'armée des Grecs, sont des preuves que ce poète croyait qu'il y a de mauvais démons qui aiment la fumée des sacrifices, et qui, pour récompenser ceux qui leur en offrent, leur accordent la perte des autre« hommes s'ils la leur demandent. Celui encore (Jupiter)

Dont la puissance éclate et dont la voix résonne

Au milieu des frimas de la sombre Dodone;

Ses prophètes jamais

Ne se lavent les pieds ni ne couchent qu'à terre :

(ILIAD., xvi. v. 551., etc.)

n'a-t-il pas renoncé aux hommes pour faire rendre ses oracles par les Dodonides. comme Celse même nous l'apprend? Je veux qu'il y en ait encore d'autres semblables : un Apollon Clarien, des Branchides, un Jupiter Hammon, qui rendent des oracles, soit ici, soit la. en quelque endroit de la terre que ce puisse être : comment nous prouvera-t-on que ce sont des dieux et non pas des démons? Pour ce qui est des prophètes d'entre les Juifs, le» uns étaient déjà des hommes sages avant d'être des prophètes inspirés de Dieu ; les autres sont devenus sages par le moyen de la prophétie et de l'inspiration même qui leur a éclairé l'esprit. Ils ont été choisis par la Providence pour être les dépositaires de l'Esprit divin et de ses saints oracles, à cause de leur manière de vivre et de parler libre et noble, de leur fermeté inimitable et de leur intrépidité dans les plus grands périls et dans la mort même. En effet, les seules lumières de la raison nous montrent assez que ce sont là les dispositions que doivent avoir les prophètes du grand Dieu, en comparaison desquelles la gravité toujours constante d'Antisthène, de Crates et de Diogène ne paraît qu'un jeu. C'est aussi à cause de leur attachement à la vérité et de leur liberté à reprendre les pécheurs qu'ils ont été lapidés, qu'ils ont été sciés, qu'ils ont été éprouvés, qu'ils sont morts par le tranchant de l'épée (Heb., XI. 37, 38). C'est pour cela même qu'ils ont été vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, étant abandonnés et persécutés ; errant dans les déserts et dans les montagnes, et se retirant dans les antres et dans les cavernes de la terre (Héb., XI, 27) ; eux dont ce monde terrestre n'était pas digne : car ils regardaient toujours à Dieu et à ses biens invisibles, qui n'étant point l'objet de nos sens, ne peuvent être qu'éternels (II Cor., IV, 18). Nous avons l'histoire de la vie de chaque prophète : mais il suffît de faire considérer ici quelle a été la vie de Moïse, dont les prophéties sont insérées dans les livres de la Loi ; et celle de Jérémie, telle qu'elle nous est écrite dans le livre qui porte son nom; et celle d'Isaïe, qui, par une austérité sans exemple, marcha nu et sans souliers l'espace de trois ans (Is., 20, 3). Qu'on lise et qu'on remarque encore la surprenante résolution de ces enfants, je veux dire de Daniel et de ses compagnons, qui ne buvaient que de l'eau et ne mangeaient que des légumes, s'abstenant de la chair des animaux (Dan., I, 16). Et si l'on veut remonter plus haut, qu'on jette les yeux sur la vie de Noé, qui eut aussi les lumières de la prophétie; et d'Isaac, qui donna à son fils une bénédiction prophétique (Gen., IX, 25,26, 27) ; et de Jacob, qui parla à chacun de ses douze enfants, commençant en ces termes : Venez, que je vous déclare ce qui doit arriver dans les derniers temps (Ibid.XLIX, 1). Ceux-là et une infinité d'autres prophétisant de la part de Dieu, ont prédit ce que devait être Jésus-Christ. C'est ce qui fait que nous ne comptons pour rien les oracles et de la Pythie, et des Dodonides, et d'Apollon Clarien, et des Branchides, et de Jupiter Hammon. et de tous ces autres dont on nous parle ; mais que nous avons de la vénération pour ceux des prophètes de Judée, voyant que leur vie austère, égale et honnête les rendait dignes des inspirations de l'Esprit de Dieu, dont le caractère tout singulier les distingue des oracles rendus par les démons. Je ne sais pas, au reste, ce qui oblige Celse à dire : Mais pour les choses dites ou non dites dans la Judée à la manière du pays : ajoutant ces mots, Ou non dites, comme un incrédule qui s'imagine qu'il se peut faire que ce soient des suppositions, et qu'on ait écrit des choses qui n'aient peut-être jamais été dites.  La doctrine des temps lui est sans doute inconnue ; et il ne sait pas que ces prophètes qui ont prédit l'avènement de Jésus-Christ, ont aussi prédit une infinité d'autres choses plusieurs années avant qu'elles soient arrivées. Il ajoute, dans le dessein de donner atteinte aux anciens prophètes. Qu'ils ont prophétisé de la même manière qu'on le voit faire encore aujourd'hui, dit-il, aux habitants de la Phénicie et de la Palestine. Mais il ne déclare point s'il entend par là des personnes qui n'aient rien de commun sur le fait de la religion avec les Juifs et les chrétiens, ou des personnes dont les prophéties aient le même caractère que celles des prophètes juifs. Quoi qu'il en soit, ce qu'il dit se trouve faux, de quelque façon qu'on le prenne. Car jamais aucun de ceux qui n'ont point embrassé notre foi, n'a rien fait d'approchant de ce qu'ont fait les anciens prophètes; et depuis l'avènement de Jésus-Christ, l'on n'en a point vu de nouveaux parmi les Juifs, qui visiblement ont été abandonnés par le Saint- Esprit à cause de leur impiété envers Dieu, et envers celui dont leurs propres prophètes avaient tant parlé. Le Saint-Esprit; au reste, a donné des signes et des marques de sa présence au commencement, lorsque Jésus prêchait sur la terre. Il en donna davantage encore après l'ascension du Sauveur. Depuis, ces signes ont diminué. Il en reste pourtant des traces en quelque peu de personnes qui ont l'âme purifiée parla doctrine de l'Évangile, et dont les actions y sont conformes. Car l'Esprit saint qui nous instruit fuit la fraude, et s'éloigne des mauvaises pensées (Sag., I, 5).

Mais puisque Celse promet de nous apprendre quelle est cette manière de prophétiser dont on use dans la Phénicie et dans la Palestine, comme une chose dont il est instruit parfaitement, et qu'il sait d'original, voyons un peu ce qu'il en dit. Il pose d'abord qu'il y a plusieurs espèces de prophéties; mais il ne les explique point, et il ne lui était pas possible de le faire : car il ne dit cela que par une vaine ostentation. Quoi qu'il en soit, arrêtons-nous avec lui à la manière qu'il trouve la plus parfaite parmi ces peuples. Il en a plusieurs, dit-il, qui, bien que sans nom, font avec une extrême facilité, et pour quelque occasion que ce soit, sacrée ou profane, tous les gestes et tous les mouvements de gens inspirés; d'autres les font dans les villes et dans les armées, à dessein d'attirer et de surprendre qui ils peuvent. De tous ceux-là il n'y en a aucun qui ne puisse dire, comme ils ont accoutumé de le dire effectivement : Je suis Dieu, je suis le Fils de Dieu, ou l'Esprit de Dieu: je suis venu au monde, parce que le monde vu périr ; et vous, ô hommes ! vous périrez vous-mêmes aussi, à cause de vos iniquités ; mais je veux vous sauver, et vous me verres revenir avec une puissance divine. Bienheureux seront ceux qui me rendent maintenant hommage. Pour tous les autres, je les abîmerai dans les flammes d'un feu éternel, avec les villes et les campagnes. Ceux qui n'ont aucun soupçon îles supplices qui les attendent, gémiront alors et se repentiront en vain ; mais je conserverai éternellement ceux qui m'auront été fidèles. Ensuite il ajoute encore : Toutes ces belles et grandes paroles sont suivies de termes étranges, fanatiques et entièrement inconnus . dont une personne raisonnable ne saurait pénétrer le sens, tant ils sont obscurs, qui n'en ont même point du tout, mais qui donnent lieu aux ignorants ou au premier imposteur qui se présente, de les appliquer à toutes sortes de sujets, comme bon leur semble.  S'il voulait agir de bonne foi dans les accusations qu'il nous fait, il devait rapporter les propos repris des prophéties, soit de celles où le Dieu tout-puissant est introduit comme s'il parlait lui-même, soit de celles où c'est le Fils de Dieu, ou de celles enfin qui sont sous le nom du Saint-Esprit. Alors il eût pu travailler à les détruire et à faire voir qu'il n'y a rien de divin en des discours pleins de motifs pour la conversion des pécheurs, de censures à ceux des siècles passés et de prédictions pour l'avenir; car c'est parce qu'on voyait tout cela dans les discours des prophètes, que leurs prophéties ont été recueillies et conservées par les hommes de leur temps, afin que la postérité, en les lisant, pût les admirer comme des oracles de Dieu, et qu'on profitât non seulement des exhortations et des remontrances, mais aussi des prédictions, pour apprendre, par les événements, qu'ayant été dictées par l'Esprit divin, elles nous obligent à suivre toute notre vie les règles de la piété que la loi et les prophètes nous ont révélées et prescrites. Les prophètes donc ont proposé ouvertement et sans voile, comme Dieu le leur ordonnait, toutes les choses que leurs auditeurs avaient intérêt d'entendre sur-le-champ et qui pouvaient servir à la correction de leurs moeurs; mais pour les choses plus mystérieuses et plus sublimes, qui demandaient une intelligence au-dessus du commun, ils les ont proposées sous des énigmes et sous des allégories, en des termes couverts, avec des similitudes et des paraboles, comme on les nomme. Ce qu'ils ont fait, afin que ceux qui ne fuient point le travail, et qui prennent avec joie toute sorte de peine, en sue de la vérité et de la vertu, cherchassent pour trouver, et n'ayant trouvé ce qu'ils cherchaient, ils en fissent l'usage que la raison demanderait d'eux. Mais Celse, dont les mouvements sont toujours nobles, se met comme en colère de ce qu'il ne peut entendre le style des prophètes, et il en vient aux injures. Toutes ces belles paroles, dit-il, sont suivies de termes étranges, fanatiques et entièrement inconnus, dont une personne raisonnable ne saurait pénétrer le sens, tant ils sont obscurs, qui n'en ont mime point du tout, mais qui donnent lieu aux ignorants ou au premier imposteur qui se présente, de les appliquer à toutes sortes de sujets, comme bon leur semble. Il me paraît assez croyable qu'il ne parle ainsi que pour détourner adroitement, autant qu'il lui est possible, ceux qui lisent les prophéties, de les méditer et d'en approfondir le sens.  En quoi il fait quelque chose d'approchant de ceux qui disaient à un homme qu'un prophète était allé trouver pour lui prédire l'avenir : Qu'est allé faire chez toi cet intenté (II ou IV Rois, 9, 11)? Je suis persuadé, au reste, qu'on pourrait écrire avec beaucoup plus de lumières que moi, pour faire voir que Celse est un calomniateur et que les prophéties sont divinement inspirées : mais je l'ai fait selon ma portée dans mes commentaires sur Isaïe, sur Ézéchiel et sur quelques-uns des douze petits prophètes, où j'ai expliqué à la lettre ces termes fanatiques et entièrement inconnus, comme il les appelle. Et si Dieu me fait la grâce dans le temps qu'il l'aura ordonné de m'avancer dans la connaissance de ses mystères, j'achèverai d'expliquer ce qui me reste, ou je porterai du moins mes éclaircissements le plus loin que je pourrai. S'il y a des personnes éclairées qui veuillent étudier l'Écriture, elles pourront de leur côté se rendre capables de l'entendre : car il faut avouer qu'en divers endroits elle a de l'obscurité, mais qu'elle n'ait point du tout de sens, c'est ce que Celse a tort d'avancer. Il n'est pas vrai non plus qu'un ignorant ou un imposteur puisse la tourner et l'appliquer comme bon lui semble. Il n'y a que celui qui est véritablement sage et savant en Jésus-Christ qui, par un privilège propre à tous ceux qui sont tels, puisse mettre en tout leur jour les mystères cachés dans les prophéties, traitant spirituellement les choses spirituelles (I Cor., II, 13), et fondant toutes ses explications sur le style ordinaire des Écritures. Celse, au reste, ne doit pas être cru quand il dit qu'il a vu lui-même prophétiser de ces gens ; car de son temps il n'y avait plus aucun prophète pareil aux anciens. S'il y en avait eu, leurs auditeurs, saisis d'admiration n'auraient pas manqué de recueillir leurs discours comme autrefois, et de nous conserver aussi ces nouvelles prophéties. Et il est assez clair, ce me semble, que Celse dit une fausseté, lorsqu'il ajoute : Qu'ayant convaincu ces prétendus prophètes, qu'il a vus lui-même prophétiser, ils lui ont avoué leur faiblesse, qu'ils ne couvraient qu'en usant de paroles ambiguës pour tromper le monde. Il devait marquer les noms de ceux qu'il a ainsi vus prophétiser, si c'était une chose qu'il pût faire, afin que, par là. les personnes capables d'en juger eussent le moyen de connaître si ce qu'il dit est vrai ou faux. Il s'imagine encore que ceux qui défendent la cause de Jésus-Christ par l'autorité des prophètes, ne sauraient donner aucune réponse raisonnable sur le fait des prophéties qui semblent attribuer à la Divinité quelque chose de mauvais, de honteux, d'impur ou de sale ; et supposant ainsi qu'on ne lui saurait répondre, il tire une infinité de conséquences qu'on ne lui accordera pas : car il faut savoir que ceux qui veulent conformer leur vie aux enseignements de l'Écriture, où ils ont appris que les connaissants de l'insensé ne sont que des pensées mal digérées (Sirac, XXI, 18 ou 19) et que nous devons être toujours prêts de répondre pour notre défense à tous ceux qui nous demanderont raison de l'espérance que nous avons (I Pier., Ill, 15) ; il faut, dis-je, savoir que ceux-là ne se contentent pas d'alléguer que telles ou telles choses ont été prédites; mais qu'ils tâchent aussi de lever l'absurdité apparente de ces prédictions et de faire voir qu'elles ne renferment rien de mauvais, de honteux, d'impur, ni de sale, rien qui ne dût être comme il est, si l'on suit l'explication de ceux qui sont accoutumés au style de l'Écriture sainte. Celse devait rapporter les endroits mêmes des prophètes où il croit remarquer ces choses mauvaises, honteuses, impures et sales. Son discours en aurait eu bien plus de force, et se serait trouvé bien plus propre à soutenir son dessein. Mais au lieu de le faire, il pose en l'air, et par une calomnie à laquelle il veut que sa seule autorité serve de preuve que tout cela se trouve dans l'Écriture. Il ne serait donc pas raisonnable de se défendre contre des paroles qui ne sont autre chose qu'un vain son, ni rie se mettre en peine de justifier que dans les écrits des prophètes il n'y a rien de mauvais, de honteux, d'impur, ni de sale. Il ne faut pas croire non plus que Dieu ou fasse, ou souffre des choses infiniment honteuses, ni qu'il favorise le mal, comme Celse se le persuade ; car quoiqu'il en puisse dire, il n'a rien été prédit de tel. Pour nous en convaincre, il eût fallu produire Je témoignage formel des prophètes, au lieu de salir ainsi sans fondement l'imagination de ses lecteurs. Les prophètes ont bien prédit les choses que le Christ devait souffrir, et on même temps ils ont marqué la cause de ses souffrances. Dieu donc aussi savait quelles elles devaient être; mais d'où paraît-il que ce que le Christ de Dieu devait souffrir fussent des choses aussi sales et aussi impures que Celse le prétend? Il va montrer. dirait-on, ce qu'il y trouve de si sale et de si impur. Qu'est-ce autre chose à Dieu, dit-il, de manger de la chair de brebis et de boire du fiel ou du vinaigre, sinon se nourrir d'ordures ? Dieu, selon nous, ne mange point de chair de brebis, et Jésus en qui il semble qu'on puisse trouver une preuve du contraire, n'en a mangé qu'en tant qu'il avait un corps. Pour ce qui est du fiel et du vinaigre de la prophétie, ils m'ont donné du fiel à manger, et lorsque j'ai eu soif ils m'ont donné du vinaigre à boire ( PS. LXVIII ou LXlX, 22),
 nous en avons déjà parlé ci-dessus, et puisque Celse nous contraint d'en parler encore ici, nous dirons seulement que les ennemis des vérités de l'Évangile présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de. leurs vices et le vinaigre de leurs mauvaises inclinations, mais que dès qu'il l'a goûté il le rejette (Matth., XXVII, 34).

Voici un nouvel effort que Celse fait pour ébranler la foi de ceux qui croient en Jésus à cause des prophéties qui ont parlé pour lui. Mais je vous prie, dit-il, si les prophètes avaient prédit que Dieu, pour ne rien dire de plus fort, dût être esclave, ou malade, ou qu'il dût mourir; faudrait-il que le grand Dieu fût esclave, ou malade, parce que cela aurait été prédit ? faudrait-il qu'il mourût pour justifier sa divinité par sa mort ? Les prophètes ne doivent-ils pas plutôt ne le point prédire, puisqu'il y a en cela du mal et de impiété? Il ne faut donc point regarder si une chose a été prédite ou non ; mais si elle est bonne en elle-même et digne de Dieu, car pour les choses sales ou mauvaises, quand tous les hommes du monde sembleraient les avoir prédites dans quelque emportement de folie, il n'y faudrait pas ajouter foi. Je demande maintenant, si ce qui est arrivé à celui-ci, sont des choses que la piété permette que l'on attribue à un Dieu. Il semble, par là, sentir en quelque sorte que l'argument tiré des prédictions est très fort pour persuader ceux à qui l'on prêche Jésus-Christ ; mais il semble, en même temps, vouloir tâcher de le combattre par une probabilité opposée, lorsqu'il dit : Il ne faut donc point regarder si une chose a été prédite ou non. S'il voulait pourtant raisonner juste el n'user point de détours, il devait dire : Il faut donc faire voir que ces choses n'ont point été prédites ou, que ce qui a été prédit du Christ, n'a point eu son accomplissement en Jésus; après quoi il eût établi sa démonstration, selon ses idées. De cette manière on eût vu d'un côté ce que portent les prophéties, et comment nous les appliquons à Jésus ; de l'autre, comment Celse se fût pris à justifier que cette application est mal faite : on eût vu s'il eût hautement triomphé de tout ce que nous alléguons des prophéties en faveur de Jésus, ou s'il fût demeuré convaincu de faire impudemment violence aux vérités les plus claires pour les empêcher de paraître. Mais répondons-lui selon sa supposition, où, prenant des choses impossibles et mal séantes à Dieu, il demande : Si l'on avait prédit ces choses-là du grand Dieu, faudrait-il les croire, sous ombre qu'elles auraient été prédites? Par où il prétend prouver que quand de véritables prophètes auraient prédit de pareilles choses du Fils de Dieu, il n'est pas vrai, néanmoins, qu'il fallût croire sur ces prédictions qu'il les dût ni faire ni souffrir. Je dis donc que sa supposition est absurde, établissant pour vrais deux raisonnements dont les conclusions se contredisent l'une l'autre: ce que je démontre ainsi. Si de véritables prophètes du grand Dieu ont prédit qu'il doit être esclave, ou malade, ou qu'il doit mourir, cela arrivera à Dieu : car il ne se peut faire que les prophètes du grand Dieu ne disent pas vrai. D'un autre côté, quoique de véritables prophètes du grand Dieu aient prédit ces mêmes choses; puisque les choses impossibles de leur nature, ne peuvent être vraies, ce que ces prophètes ont prédit comme une vérité n'arrivera point à Dieu. Quand donc il se trouve que de deux raisonnements, dont l'antécédent est le même, on tire deux conséquences contradictoires, on se sert de cette manière d'argumenter, qu'on nomme, des deux propositions opposées, pour montrer la fausseté de cet antécédent commun, qui, dans cette rencontre, est celui-ci : Que les prophètes aient prédit que le grand Dieu dût être esclave, ou malade ou qu'il dût mourir. L'on conclut, dis-je, par celle voie, que jamais les prophètes n'ont prédit ces choses, et voici comme on y procède : De deux choses, si la première est vraie, l'autre l'est aussi; si la première est vraie, l'autre ne l'est pas : donc la première n'est pas vraie. Et c'est ici l'exemple que les stoïciens proposent sur ce sujet. Si vous savez que vous êtes mort, vous êtes mort ; si vous savez que vous êtes mort, vous n'êtes pas mort; d'où il conclut, donc vous ne savez pas que vous êtes mort. Voici encore comme ils prouvent la conséquence de chaque raisonnement : si vous savez que vous êtes mort, ce que vous savez est certain, et, par conséquent, il est certain que vous êtes mort. D'un autre côté, si vous savez que vous êtes mort, cela même, que vous soyez mort est une chose que vous savez ; mais comme les morts ne savent rien, si vous savez que vous êtes mort, il est évident que vous n'êtes pas mort. D'où, comme je l'ai déjà dit, il suit, en joignant ces deux raisonnements ensemble, donc vous ne savez pas que vous êtes mort. Il en est à peu près de même de cette supposition de Celse que nous avons rapportée. Ce qu'il y pose, au reste, est bien éloigné de ce que les prophètes ont prédit de Jésus; car les prophéties ne portent pas que Dieu dût être crucifié, elles qui disent de celui qui devait souffrir la mort: Nous l'avons vu ; il n'avait ni grâce ni beauté; mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d'aucun autre d'entre les hommes. C'est un homme tout noirci de coups et qui sait ce que c'est que de vivre dans le travail et dans la souffrance (Is., LIII, 2 et 3). Vous voyez qu'elles donnent expressément le nom d'homme à celui qui devait être sujet aux accidents de la condition humaine : et Jésus lui-même qui savait parfaitement que ce qui devait mourir était homme, dit à ceux qui lui dressaient des embûches : Mais maintenant vous cherchez à me. faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ait dit la vérité que j'ai apprise de Dieu (Jean, VIII, 40). Si, dans cet homme, tel que Jésus se faisait connaître, il y avait quelque chose de divin, savoir : Le fils unique de Dieu, le premier né de toutes les créatures (Jean, i, 14) ; celui qui dit de lui-même : Je suis la vérité,.je suis la vie, je suis la porte, je suis la voie, je suis le pain vivant descendu du ciel (Col., I, 15) : il faut raisonner de cet Être divin et de son essence d'une manière bien différente de ce qu'on fait à l'égard de l'homme qui se voyait en Jésus (Jean, XIV, 6; 9; VI, 51). Aussi n'y a-t-il point de chrétien, même entre les plus simples et les moins versés dans l'exacte connaissance des matières, qui dise que celui qui est mort soit précisément celui qui est la vérité, la vie, la voie, le pain vivant . descendu du ciel, la résurrection; car celui qui nous enseignait en Jésus, sous ce voile qui ne présentait aux yeux qu'un homme . se donne encore cette qualité : Je suis la résurrection, dit-il (Jean, XI, 25). Il ne se trouvera, dis-je, parmi nous personne, d'assez extravagant pour dire : la vie est morte, la résurrection est morte. Afin que la supposition de Celse eût quelque fondement, il faudrait que nous disions que les prophètes ont prédit la mort de Dieu le Verbe, la vie. la résurrection du Fils de Dieu, enfin de quelque nom qu'il se nomme. Il n'y a donc rien de vrai en tout ce qu'a dit Celse à la réserve de ceci : Les prophètes ne devraient-ils pas plutôt ne le point prédire puisqu'il y a en cela du mal et de l'impiété? Savoir que le grand Dieu dût être esclave, ou qu'il dût mourir. Mais il n'y a rien qui ne soit digne de Dieu, en ce que les prophètes ont prédit. Que celui en qui se trouve le caractère et la splendeur (Hébr., i, 3) de la nature divine, viendrait au monde avec la sainte âme qui devait animer le corps de Jésus, et qui y sèmerait une doctrine capable de rapprocher du grand Dieu ceux qui la recevraient dans leur coeur et qui l'y cultiveraient (Hébr. II, 10) une doctrine qui conduirait enfin à la gloire tous ceux qui sentiraient en eux-mêmes la vertu de ce Dieu le Verbe qui se devait unir au corps et à l'âme d'un homme.  Il s'y devait unir en effet, mais non de telle sorte qu'il y renfermât tous les rayons dont il est la source, lui qui est la vraie lumière, en qualité  de Dieu le Verbe (jean, I, 9); ou que l'on pût croire qu'il les répandît de là, comme d'un lieu où il se fût enfermé lui-même pour n'être nulle par ailleurs.  Si l'on considère donc Jésus par rapport à la divinité qui était en lui, les choses qu'il a faites à son égard n'ont rien qui puisse choquer les âmes pieuses, rien qui répugne à l'idée que nous devons avoir de Dieu ; et si on le considère en tant qu'homme, mais un homme distingué de tous les autres, par une intime  ¡communion avec le Verbe éternel, avec la souveraine sagesse, il a souffert, comme parfaitement ce que devait souffrir celui qui se soumettait à tout pour le genre humain ou même pour toutes les natures intelligentes.  Ce n'est pas une chose surprenante qu'un homme soit mort, et que sa mort nous soit, non seulement un exemple pour nous qui apprenons à sacrifier notre vie pour la piété, mais qu'elle soit aussi la seule cause qui a commencé ce qui avance la destruction du diable, de ce malin esprit qui s'était rendu le maître de toute la terre ; car, que son empire se détruise, nous en avons des preuves en ceux qui, par la vertu de l'avènement de Jésus secouent de toutes parts le joug des démons et qui se voyant délivrés de la servitude où ils vivaient sous eux. se consacrent entièrement à Dieu et s'efforcent de faire tous les jours de nouveaux progrès dans la pureté de son service.

Celse ajoute : Ne feront-ils point cette réflexion : Que si les prophètes des Juifs ont prédit que celui qui viendrait au monde serait le Fils de ce même Dieu .il n'est pas possible de comprendre que le Dieu des Juifs leur ordonne par Moïse leur législateur, de ramasser des richesses, d'étendre leur empire, de remplir la terre, de faire passer leurs ennemis avec leurs plus tendres enfants au fil de l'épée, afin d'en détruire toute la race; c? qu'il a fait lui-même sous les yeux des Juifs, comme parle Moïse, les menaçant au reste s'ils ne lui obéissaient pas, de les traiter en ennemi déclaré: qu'il en ait, dis-je, usé de la sorte, et que son Fils, cet homme que l'on appelle Nazaréen, ait établi des lois toutes opposées, déclarant que l'accès auprès de son Père est fermé aux riches et à ceux qui aiment les charges, la sagesse ou la gloire, qu'il ne faut pas avoir plus de soin de faire provision de vivres que les corbeaux, et qu'il faut mettre moins en peine de ses vêtements que le lys :.enfin que si l'on vous donne un coup, il faut se présenter pour en recevoir un autre. Qui a menti de Moise ou de Jésus ? Est-ce  que le Père . lorsqu'il a envoyé celui-ci, avait oublié les ordres qu'il avait donnés à Moïse ou que changeant de pensée, il a condamné les propres lois, et a donné à ce nouvel envoyé des instructions toutes contraires ? Celse a ici une pensée plus digne des personnes les plus grossières que d'un homme qui se vante de savoir tout, comme il fait : c'est de s'imaginer que, pour entendre les Écritures, il se faut arrêter au sens littéral de la loi et des prophètes, sans en chercher de pus sublime. Il ne considère pas qu'elles n'ont eu garde de promettre des richesses corporelles aux gens de bien avec une illusion si risible, puisque c'est une chose constante que les plus saints hommes ont vécu dans  la dernière pauvreté. En effet, les prophètes mêmes qui, à cause de la pureté de leur vie, avaient été éclairés de l'esprit divin, ont été vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, étant abandonnés,. affligés et persécutés, errant dans les déserts et dans les montagnes, et se retirant dans les antres et dans les cavernes de la terre ( Hébr., XI, 37 et 38). Car, comme dit le psalmiste, les afflictions des justes sont en grand nombre (Ps. XXXIII ou XXXIV, 20). Si Celse avait lu les livres de Moïse, il se serait sans doute mis dans l'esprit que, quand il est dit que celui qui observerait la loi prêterait à beaucoup de nations et qu'il n'emprunterait point (Deut., XXVlll, 12 ), c'est une promesse faite au juste que ses richesses temporelles seraient si abondantes, qu'il aurait de quoi prêter  non seulement aux Juifs, non seulement à quelque autre peuple étranger, non seulement à deux ou trois nations différentes, mais à beaucoup de nations. Quelles devraient être les richesses que le juste aurait reçues pour récompense de sa justice, s'il en avait assez  pour prêter à beaucoup de nations, selon la promesse de la loi? Et ne faudrait-il pas supposer, par une suite de la même explication, que le juste n'emprunterait jamais rien, puisqu'il est écrit : Mais toi tu n'emprunteras point? Y a-t-il de l'apparence que les Juifs fussent demeurés pendant si longtemps attachés à la religion enseignée par Moïse, se voyant évidemment abusés par leur législateur, si la pensée de Celse doit être suivie ? Car on n'a jamais vu d'homme assez niche pour prêter à plusieurs nations. Il n'est aucunement vraisemblable qu'ils eussent avec combattu avec tant d'ardeur pour une loi don tles promesses leur eussent paru visiblement trompeurs, si on les eût accoutumés à les prendre dans le sens de Celse. On dira peut-être que les péchés où nous lisons que tombait le peuple, sont une preuve qu'il n'avait pas beaucoup d'attachement pour la loi, dont il reconnaissait sans doute la fausseté ; mais avant que d'en juger de la sorte, Qu'on lise aussi l'histoire des temps où il est dit que tout le peuple, après avoir faite ce qui était désagréable au Seigneur, retournait ensuite à son devoir et au culte prescrit par la loi. Tout de même, si la loi promettait l'empire à ce peuple lorsqu'elle dit: Tu régneras sur beaucoup de nations, et elles ne régneront point sur toi (Deut., XV, 6) ; et que pour entendre cette promesse, il ne la faille point approfondir davantage : il est certain qu'il eût eu bien plus de lieu encore, de la regarder comme fausse. Celse allègue aussi ce qui est dit, bien qu'il en change les termes, que toute la terre devait être remplie de la race des Hébreux; ce qui, selon la vérité historique, est arrivé après la venue de Jésus, plutôt par un effet de la colère de Dieu, s'il faut que je parle de la sorte, que par une suite de ses bénédictions et de ses grâces Quant à la promesse faite aux Juifs, qu'ils feraient passer leurs ennemis au fil de l'épée, il faut dire que si l'on fait réflexion sur ces paroles et qu'on les considère attentivement, on verra qu'il est impossible de les prendre à la lettre. Je me contenterai, pour cette heure de rapporter là-dessus le passage des psaumes où le juste est introduit, disant entre autres choses : Je faisais mourir dès le matin, tous les pécheurs de la terre, pour détruire de la ville du Seigneur tous ceux qui commettent l'injustice (Ps. ? ou CI, 8). Voyez, je vous prie, si dans la suite du discours et dans l'esprit de celui qui parle, il est concevable, qu'après s'être attribué des actions dignes de louange, qu'on n'a qu'à lire dans ce qui précède, il conclue comme une chose possible à la lettre, que le malin et jamais à aucune autre heure du jour, il exterminait tous les pécheurs de la terre, sans en laisser un seul de reste; et qu'il détruisait, dans la ville de Jérusalem, tous ceux en général qui commettaient l'injustice. On trouvera dans la loi plusieurs autres choses semblables : comme par exemple, quand il est dit: Nous n'y laissâmes rien en vie. Celse dit encore qu'il fut dénoncé aux Juifs que s'ils n'observaient pas la loi, ils seraient traités de la même manière qu'ils traitaient leurs ennemis : après quoi, il tire de la doctrine de Jésus-christ quelques enseignements qu'il prétend être contraires à ceux de la loi et dont il veut se prévaloir contre nous. Mais avant d'en venir à cela, il faut parler de ce qui précède. Je dis donc que la loi est double ; la loi selon le sens littéral, et la loi selon le sens spirituel, comme on le peut déjà recueillir de quelques-unes des choses que nous avons dites. Il est dit de la première, non tant par nous que par Dieu lui-même, parlant dans un des prophètes, que ses commandements et ses préceptes ne sont ??s bons ; mais de l'autre, le même prophète fait dire à Dieu que ses commandements et se préceptes sont bons ( Ezéch., XX, 25, vers. 21). Il n'y a pas d'apparence que dans un même endroit ce prophète ait dit des choses qui se contredisent évidemment. S. Paul dit tout de même que la lettre tue et que l'esprit donne la vie (II Cor., 3,6); car la lettre et l'esprit sont la même chose que le sens littéral et le sens spirituel ; de sorte que ce qu'on pourrait prendre pour des contradictions se trouve dans S. Paul à peu près comme dans le prophète. En effet, si Ézéchiel dit d'une part : Je leur ai donné des commandements et des préceptes qui ne sont pas bons, par le moyen desquels ils ne vivront point ; et de l'autre : je leur ai donné des commandements et des préceptes qui sont bons, par le moyen desquels ils vivront, ou, quoi qu'il en soit, quelque chose d'équivalent : S. Paul aussi, lorsqu'il veut avilir le prix de la loi prise à la lettre, voici comme il parle : Si le ministère de la lettre gravée sur des pierres, qui était un ministère de mort, a été accompagné d'une telle gloire que les enfants d'Israël ne pouvaient regarder le visage de Moïse à cause de la gloire et de la lumière dont il brillait qui devait néanmoins finir, combien le ministère de l'esprit doit-il être plus glorieux ? (II Cor., 7, let 8). Mais quand il veut louer et recommander la loi, il lui donne le titre de spirituelle. Nous savons, dit-il, que la loi est spirituelle (Rom., VII, 14). Il en fait encore l'éloge, lors qu'il dit : La loi est sainte, et le commandement est saint, juste, et bon (Ibid., XII). Lors donc que le texte de la loi promet des richesses aux justes, Celse peut prendre cette promesse, selon la lettre qui lue et l'expliquer des richesses temporelles, où il n'y a qu'aveuglement. Pour nous, nous l'entendrons des richesses qui éclairent l'âme, et qui font que l'on est riche en tous les dons de la parole et de la science (I Cor., I, 5;. En conséquence, de quoi, nous exhortons ceux qui sont riches en ce monde à n'être point orgueilleux, à ne mettre point leur confiance dans les richesses incertaines et périssables, mais dans le Dieu vivant qui nous fournit avec abondance tout ce qui est nécessaire pour ¡a vie; à être charitables et bienfaisants, à se rendre riches en bonnes ?uvres, à donner gaiement, à être libéraux de leurs biens (I Timoth., VI, 17, 8). Car comme dit Salomon, les véritables biens sont des richesses par lesquelles on rachète son âme ( Prov., XIII. 8) Mais la pauvreté, opposée à ces richesses, est la voie de la perdition ; elle fait que le pauvre ne peut résister aux menaces. Ce qui vient d'être dit des richesses doit s'appliquer à l'empire, dont la puissance est représentée en ce qu'un juste devait poursuivre mille de ses ennemis, et que deux en devaient faire fuir dix mille ( Lévit., XXVI, 8). I'll, s'il est vrai que les richesses doivent être prises dans le sens que nous venons d'établir, voyez si ce n'est pas une suite de la promesse de Dieu que celui qui est riche en tous les dons de la parole et de la science, en tous les fruits de la sagesse et en toutes sortes de bonnes ?uvres, tire de ces trésors des paroles de sagesse et de science de quoi prêter à beaucoup de nations (Deut..XXXlI, 30. Jos. . XXIII, 10). C'est ainsi que saint
 Paul prêta à toutes les nations qu'il visita, en portant l'Évangile de Jésus-Christ dans cette grande étendue de pays qui est depuis Jérusalem jusqu'en Illyrie (Rom., XV, 19}. Et comme la connaissance des mystères divins lui était donnée par révélation (II Cor., XII, 1), le Verbe lui éclairant l'âme des rayons de sa divinité, cela même le mettait en état de n'emprunter à personne (Gal.,l, 12). et de n'avoir besoin du ministère d'aucun homme, pour apprendre la doctrine céleste. Afin de vérifier aussi ce qui est dit : Tu régneras sur beaucoup de nations, et elles ne régneront point sur toi (Deut.. XV, 6), il régnait sur les Gentils, qu'il avait soumis à la doctrine de Jésus-Christ par la vertu et par la puissance de la parole de Dieu, ne s'assujettissant jamais, pour lui, pas même un moment, à la domination des hommes, comme s'ils eussent été ses maîtres (Gol., II, 5). Et c'est de la sorte qu'il remplissait toute la terre. S'il faut s'appliquer encore comment le juste fait passer ses ennemis au fil de l'épée, avec une valeur dont les effets s'étendent partout, nous remarquerons que quand il dit, je faisais mourir dès le matin tous les pécheurs de la terre pour détruire de la ville du Seigneur tous ceux qui commettent l'injustice (Ps.. ? ou CI, 8), par la terre, il désigne figurément la chair, dont les pensées et les sentiments font la guerre à Dieu (Rom.. VIII,7), et par la ville du Seigneur il attend lui-même sa propre âme, où est le temple de Dieu, orné de la légitime idée et de la vraie connaissance de Dieu, ce qui la fait admirer de tous ceux qui la considèrent (Ps. XLVII. ou XLVIIIl, 6, et 10). Aussitôt donc que son âme est éclairée des premiers rayons du soleil de justice (Malach., IV, 2), il se sent par là comme animé d'un nouveau courage, qui lui donne la force d'exterminer; toutes les pensées et tous les sentiments de la chair, désignés par les pécheurs de la terre. et de détruire de cette ville du Seigneur, qui est dans son âme tous les mouvements qui portent à l'injustice et tous les raisonnement; contraires à la vérité. C'est dans le même sens que les Juifs ne laissent en vie aucun de leurs ennemis, qui sont les vices, jusqu'à n'épargner pas même les enfants, c'est-à-dire les mauvais désirs qui ne font que de naître. Et c'est encore ainsi que nous entendons ces paroles du psaume 136 : Misérable fille de ?abylone, heureux celui qui te rendra le mal que tu nous as fait ; heureux celui qui t'arrachera tes enfants, et qui les écrasera contre la pierre (Ps..CXXXVI ouCXXXVIl, 8, et 9). Car les enfants de Babyllone, qui signifie la confusion, ce sont les pensées pleines de trouble que le vice, qui en est la source, vient tout fraîchement d'exciter el de produire dans l'Âme; et celui qui les surmonte, brisant pour ainsi dire leurs têtes contre la solidité et la fermeté de la droite raison, c'est celui qui écrase les enfants de Babylone contre la pierre, en quoi ils est véritablement heureux.  Dieu donc a bien pu ordonner qu'on détruisît les vices dès leur naissance, afin qu'il n'en demeure aucun de reste, sans que ses ordres aient rien de contraire aux enseignements de Jésus : il a bien pu détruire lui-même aux yeux des Juifs qui le sont intérieurement, tous ceux qui se plaisant qu'au mal, sont leurs ennemis(Rom., II, 29). J'en dis autant de ceux qui refusent d'obéit à la loi et à la parole de Dieu, qui, prenant les livrées des ennemis, embrassant le parti du vice, méritent d'être traités comme des déserteurs de la vérité céleste. Il paraît de là que Jésus, cet homme Nazaréen, n'a point établi des lois tout opposées à ce que nous venons de dire des richesses et des autres choses qui ont été expliquées, lorsqu'il a enseigne, qu'il est difficile qu'un riche entre dans le royaume de Dieu (Matth., XIX, 23) : soit qu'on prenne le mot de riche dans son sens le plus simple pour un homme qui se laisse posséder par des richesses, dont le soins, comme autant d'épines (Ibid., XIII, 22 ), l'empêchent de porter les fruits de la piété, ou qu'on l'entende d'un homme riche en faux dogmes, tel que celui duquel il est dit dans les Proverbes : Un pauvre juste vaut mieux qu'un riche menteur (Prov.. XXVIII, 6). Ce que Celse dit après cela, que Jésus défend à ses disciples d'aimer les charges, est sans doute pris de ce qu'il leur disait : Que celui qui voudra être le premier d'entre vous, soit le serviteur de tous (Matth., X, 44) ; et ailleurs ceux qui ont l'autorité parmi les nations, les traitent avec empire ( Ibid., XX, 25 ) : et encore, ceux qui les dominent en sont appelés les bienfaiteurs (Luc, XXII, 25). Mais on ne doit pas croire que sa défense soit contraire à celle promesse: Tu régneras sur beaucoup de nations et elles ne régneront point sur toi (Deut., XV, 6); surtout après ce que nous avons dit là-dessus. Celse ensuite laisse glisser un mot touchant la sagesse, s'imaginant que Jésus ait enseigné que l'accès auprès de son Père est fermé au sage. Mais nous demanderons de quel sage il veut parler. Car s'il entend celui qui est sage de la sagesse de ce monde, laquelle est une folie devant Dieu (I Cor., III, 19), nous dirons comme lui, que l'accès auprès du Père est fermé à ce sage-là. Mais si par la sagesse dont il parle il faut entendre Jésus-Christ, qui est la force et la sagesse de Dieu ( I Cor., I, 24 ), nous disons que bien loin que l'accès auprès du Père soit fermé à un tel sage, celui dont l'âme est ornée et les discours remplis de celle sagesse (Ibid., XII, 8) qui est un don du Saint-Esprit, a beaucoup d'avantage sur celui qui n'en a pas reçu la même grâce.  Pour ce qui est de la gloire qu'on tire des hommes (Jean, V, 41), nous disons que la défense de l'affecter est faite non par la doctrine de Jésus seulement, mais aussi par l'ancienne Écriture. Témoin les imprécations qu'un prophète faisait contre lui-même, s'il se trouvait engagé dans le péché, entre lesquelles il compte la gloire mondaine pour un des plus grands maux qui lui pussent arriver. Seigneur mon Dieu, dit-il, si j'ai fait ce qu'on m'impute, s'il se trouve de l'iniquité dans mes mains, si j'ai rendu la pareille à ceux qui m'avaient fait du mal, que je succombe sans ressource sous mes ennemis, que mon ennemi poursuive mon âme, et qu'elle tombe en sa puissance, qu'il foule ma vie aux pieds sur la terre et qu'il élève ma gloire sur un lieu éminent (Ps.VII, 5, et 6).Je reconnais aussi ces paroles: Ne vous mettez point en peine où vous trouverez à manger et à boire; considérez les oiseaux du ciel: considérez les corbeaux : ils ne sèment, ni ne moissonnent et cependant votre Père céleste les nourrit ( Matth., VI, 25, 26; Luc, XII, 24).Combien êtes-vous plus excellents que des oiseaux ? Pourquoi encore vous mettez-vous en peine pour le vêtement ? considérez les lys des champs (Matth., VI, 28), et ce qui suit. Mais je dis qu'elles n'ont rien de contraire aux promesses de bénédiction, par lesquelles la loi assure le juste qu'il aura de quoi manger jusqu'à être rassasié ( Lévit., XXVI, 5), ce que Salomon confirme lorsqu'il dit : Le juste en mangeant remplit son âme; mais les âmes des méchants n'en ont jamais assez (Prov., XIII, 25). Car il faut prendre garde que ces promesses de la loi s'entendent des aliments spirituels qui sont propres à nourrir, non l'homme composé de corps et d'âme, mais l'âme seule. Au reste, les paroles de l'Évangile peuvent se prendre dans un sens mystique; mais peut-être aussi tout simplement pour dire qu'il ne se faut pas embarrasser l'esprit des soins qui regardent la nourriture et le vêlement : mais qu'on doit être persuadé que Dieu y pourvoira, pourvu qu'on se tienne dans la simplicité, se con- tentant de chercher le nécessaire. Celse allègue encore de l'Évangile, que si l'on vous donne un coup, il faut se présenter pour en recevoir un autre; mais il ne rapporte point avec ces paroles celles de la loi qu'il prétend y être contraires. Pour nous, nous savons bien qu'il a été dit aux anciens, oeil pour ?il, et dent pour dent (Exode, XXI, 24); et nous n'ignorons pas non plus ce précepte : je vous dis moi, que si quelqu'un vous frappe sur une joue vous lui présentiez encore l'autre (Matth., V, 39, et Luc, VI, 29 ). Mais comme il y a lieu de croire que Celse ne fonde les difficultés qu'il nous fait que sur ce qu'il a entendu dire à ceux qui veulent que le Dieu de l'Évangile soit différent du Dieu de la loi, il lui faut répondre que ce n'est pas un devoir inconnu aux anciennes Écritures de présenter la joue gauche à celui qui vous a déjà frappé sur la droite. En effet, nous lisons dans les Lamentations de Jérémie : il est bon d'avoir porté le joug dès sa jeunesse. Celui qui s'en est chargé saura se tenir assit à part sans rien dire. Il présentera la joue à celui qui le frappe : il sera rassasié d'opprobres. (Lament., Ill, 27, 28, 30). Le Dieu de l'Évangile n'établit donc point des maximes opposées à celles du Dieu de la loi, quand on voudrait prendre à la lettre ce qui est dit du soufflet. Jésus ni Moïse n'ont menti ni l'un ni l'autre. Le père, en envoyant Jésus, n'a point oublié les ordres qu'il avait donnés à Moïse. Il n'a point changé de pensée et il n'a point condamné ses propres lois, donnant à ce nouvel envoyé des instructions toutes ??ntraires. S'il faut pourtant dire un mot de la différence qui se trouve entre les lois civiles que Moïse donna autrefois aux Juifs, et celles sous lesquelles les chrétiens veulent maintenant vivre, suivant la réformation que Jésus y a faite nous remarquerons que dans la vocation des Gentils il n'était pas possible qu'étant assujettis aux Romains, ils se gouvernassent selon la loi de Moïse prise à la lettre; et qu'il ne se pouvait pas non plus que les Juifs conservassent leur premier état politique sans altération, supposé qu'ils dussent un jour recevoir les maximes de l'Évangile; car il ne serait pas permis aux chrétiens de tuer leurs ennemis, ni de condamner au feu ou de lapider, comme Moïse l'ordonne,
 ceux qui, ayant violé sa loi, seraient pour cela jugés dignes de ces supplices, puisque les Juifs eux-mêmes, quelqu'altachés qu'ils soient à leur loi, n'ont pas à présent la liberté de l'observer en de pareilles rencontres. Mais pour les anciens Juifs, qui avaient leur gouvernement et leur pays à part, vouloir leur ôter le droit de faire la guerre à leurs ennemis, de combattre pour leur patrie, et de punir, soit de mort, ou autrement, les adultères, les meurtriers, el tous ceux qui commettaient des crimes semblables, c'eût été les exposer sans ressource à une entière el soudaine destruction, donnant lieu à leurs ennemis de venir fondre sur eux comme sur des gens à qui leur propre loi liait les mains et qu'elle empêchait de se défendre. Aussi quand la même Providence, qui avait autrefois donné la loi, et qui depuis a établi l'Évangile de Jésus-Christ, n'a pas voulu que l'état des Juifs subsistât, elle a détruit leur ville et leur temple; elle a aboli le culte qui se rendait à Dieu dans ce temple par l'immolation des victimes et par les autres cérémonies qu'il avait prescrites. Et, comme elle a détruit ces choses, qu'elle ne voulait plus qu'ils eussent de lieu, elle avance, au contraire, et elle étend tous les jours le christianisme : jusque-là qu'on le prêche déjà partout avec hardiesse, malgré le nombre infini d'obstacles qui s'opposent à son établissement dans le monde; car comme c'est Dieu qui a voulu faire aussi part aux Gentils de la doctrine salutaire de Jésus-Christ . tous les desseins des hommes contre les chrétiens ont été confondus; de sorte que plus les rois et les grands de la .terre les ont maltraités, et plus les peuples se sont élevés contre eux de toutes parts, plus ils se sont accrus el fortifiés.

Après cela, Celse emploie beaucoup de paroles à rapporter des sentiments qu'il nous attribue, et que nous n'avons pourtant pas, touchant la Divinité, comme si nous la croyions d'une nature corporelle, lui donnant un corps semblable au nôtre. Ce qu'il entreprend de réfuter, mais qui ne nous regarde point. Il serait donc inutile de transcrire ici et le dogme et la réfutation qu'en fait Celse. En effet, si nous avions de Dieu les pensées qu'il nous attribue et qu'il combat, nous serions obligés de rapporter ses paroles, d'établir notre sentiment, et de résoudre ses objections. Mais si ce qu'il avance sont des choses inventées, qu'il n'a jamais entendu dire à qui que ce soit, ou qu'il n'a entendu dire, posé qu'on lui accorde cela, qu'à des personnes simples et grossières qui n'entrent pais dans le sens de l'Écriture, il n'est pas juste que nous nous donnions une peine non nécessaire; car l'Écriture parle manifestement de Dieu comme d'un être sans corps. A cause de quoi il est  dit que nul homme n'a jamais vu Dieu ( Jean. I, 18) ; et le premier né de toutes les créatures est nommé l'image du Dieu invisible (Col., I, 15J; comme qui dirait incorporel. Au reste, nous avons ci-dessus dit quelque chose de la nature de Dieu, lorsque nous avons examiné comment se doivent entendre ces paroles : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 24).

Ayant ainsi déguisé nos sentiments touchant la Divinité, il nous demande ensuite où nous espérons aller après notre mort: et il nous fait répondre dans une autre terre bien meilleure que celle-ci. Sur quoi il fait ces réflexions : Les hommes divins des premiers siècles ont parlé d'une félicité réservée. après cette vie, aux âmes des bienheureux. Le lieu où elles en doivent jouir a été nommé/ par les uns les îles fortunées, par les autres les champs Elysiens, ou Elysées, d'un mot grec qui marque qu'elles y devaient être délivrées de tous leurs maux. C'est ainsi qu'Homère le décrit :

Les dieux le conduiront aux champs Élyséens.

Dans ces climats heureux, où comblé de tous biens,

L'on passe au bout du monde une tranquille vie.

(ODYSS., liv. IV, v. 565.)

Platon, qui croyait l'âme immortelle, donne positivement le nom de terre à ces lieux où elle va au sortir du corps ( Dans le Phédon L'espace, dit-il, en est vaste et immense et nous n'en occupons qu'une petite parcelle depuis le Phase jusqu'aux colonnes d'Hercule. où nous habitons le long des rivages de la mer, à peu près comme des fourmis ou des grenouilles auprès d'un marais. Mais en divers autres endroits, pareils à celui-ci, il y a d'autres hommes qui y habitent. Car la terre est remplie par-ci, par-là de grandes cavités, différentes en formes et en étendue, qui sont le réceptacle de l'eau, de l'air et des brouillards. Pour la terre, qui mérite le nom de pure, elle ne se trouve que dans la région pure du ciel. Celse s'imagine donc que ce que nous disons d'une terre, bien meilleure et bien plus excellente que celle-ci, nous l'avons pris de quelques anciens, qu'il appelle des hommes divins, et particulièrement de Platon qui dans son Phédon nous fait ces beaux raisonnements sur la terre pure qui se trouve dans la région pure du ciel. Mais il ne s'aperçoit pas que Moïse, beaucoup plus ancien que les lettres mêmes des Grecs, introduit Dieu, promettant à ceux qui voudraient vivre d'une manière conforme à sa loi. une terre toute sainte, une terre bonne et spacieuse, où il coulerait des ruisseaux de lait et de miel (Exode, III. 8). Ce qui ne se doit pas entendre, comme quelques-uns se l'imaginent, du pays que nous connaissons sous le nom de Judée, qui, quoique bon qu'il puisse être, fait partie de cette terre qui, dès le commencement du monde fut maudite, à cause du péché commis par Adam. Car ces paroles : la terre sera maudite à ??us? de ce que tu as fait, tu en mangeras les fruits avec chagrin tous les jours de ta vie (Gen., III, 17), doivent être entendues de toute la terre, dont tous les hommes qui sont morts en Adam (I Cor., XV, 22), mangent les fruits arec chagrin, c'est-à-dire avec travail, tous les jours de leur vie. Et comme toute la terre a été maudite, elle produit partout des épines et des chardons (Gen.. Ill, 18), tous les jours de la vie de ceux qui, en la personne d'Adam, ont été chassés du paradis (Gen., Ill, 24), tous les hommes devant manger leur pain à la sueur de leur visage, jusqu'à ce qu ils retournent dans la terre d'où ils ont été tirés (Gen., Ill, 19). Si l'on se proposait d'éclaircir, comme on le pourrait, tout ce qui est contenu dans ce passage, il serait besoin de beaucoup de paroles : mais nous avons cru devoir nous contenter à présent de ce peu de mots, n'ayant dessein que de prévenir la pensée qui pourrait faire appliquer au pays de Judée ce qui est dit de la bonne terre que Dieu promet aux justes. Si donc toute la terre en général a été maudite à cause de ce qu'ont fait Adam et ceux qui sont morts en lui, il est évident que ses parties, du nombre desquelles est la Judée, ont toute part à cette malédiction. Ainsi la Judée ne peut être cette terre bonne et spacieuse, cette terre où il coule des ruisseaux de lait et de miel, quoiqu'on puisse dire avec raison que le pays de Judée et la ville de Jérusalem étaient l'ombre et la figure de cette terre pure, bonne cl spacieuse qui se trouve dans la région pure du ciel où est aussi la Jérusalem céleste (Col., III, 1). C'est de cette dernière Jérusalem que parlait l'Apôtre, qui étant ressuscité avec Jésus-Christ, et recherchant les choses du ciel, avait découvert des mystères qui ne tiennent rien des fables judaïques (Tit., I, 14). Vous vous êtes approchés, dit-il, de la montagne de Sion, de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, de la troupe innombrable des anges (Hébr., XII, 22). Et pour être persuadé que l'explication que nous donnons à cette terre bonne et spacieuse dont parle Moïse n'est point contraire à l'intention de l'esprit de Dieu, on n'a qu'à lire dans tous les prophètes ce qu'ils disent de ceux qui, après être sortis de Jérusalem et en avoir perdu le chemin, ne laissent pas pourtant d'y rentrer, de ceux, en un mot, qui se voient rétablis dans la demeure et dans la ville de Dieu, comme elle est nommée dans ces passages : Il a sa demeure dans une sainte paix (Ps. LXXV ou LXXVI, 3).Le Seigneur est grand et infiniment louable dans la ville de notre Dieu et sur la montagne sainte, dont toute la terre roi avec joie les fondements inébranlables (Ps. XLVII ouXLVIII, 2,3) ll suffira pour cette heure de rapporter ce qui est dit de la terre des justes, dans le psaume XXXVI. Ceux qui attendent le Seigneur recevront la terre pour héritage (Ps. XXXVI ou XXXVII, 9, 11, 22. 29) Et un peu plus bas: Les humbles auront la terre pour leur héritage, et ils jouiront avec joie d'une abondance de paix. Et dans la suite : Ceux qui le bénissent auront la terre pour héritage. Et encore : Les justes hériteront de la terre, et ils l'habiteront à jamais. Voyez aussi, je vous prie, si les personnes intelligentes ne doivent pas reconnaître qu'il nous est enseigné que, dans la région pure du ciel . il y a une terre pure, lorsqu'il est dit dans le même psaume: Attendez le Seigneur, et demeurez ferme dans sa voie, et il vous élèvera en gloire, afin que vous possédiez la terre comme votre héritage (Ibid. 34). Il me semble même que la pensée du Platon sur les pierres qui passent ici pour précieuses, dont l'éclat n'est selon lui qu'une espèce de rejaillissement de celui des pierres de cette terre, bien meilleure que la nôtre, est une pensée empruntée des paroles d'Isaïe, qui décrit de cette sorte la ville de Dieu : Je ferai tes remparts de jaspe, tes pierres seront des roches de cristal, et ton enceinte sera de pierres précieuses (Is., LIV, 12). Et encore : Je poserai des saphirs pour tes fondements (Ibid., 11). Ceux qui entendent la doctrine de Platon avec le plus de solidité, prendront figurément le discours de ce philosophe, et en expliqueront l'allégorie. Les prophéties d'où nous estimons que Platon même a tiré ce qu'il a dit, seront aussi expliquées dans leur vrai sens par ceux qui, vivant comme les prophètes d'une manière toute divine, emploient tout leur temps à l'étude des saintes lettres, lorsqu'il trouveront des personnes disposées à les écouter par la pureté de leur vie et par le désir de s'avancer dans la connaissance des vérités célestes. Pour nous, nous ne nous sommes proposés que de faire voir que ce que nous disons de cette autre terre qui est sainte, n'est point pris des Grecs ou de Platon ; mais que ce qu'ils disent eux-mêmes est pris plutôt de nos Écritures, soit qu'ils aient ouï parler confusément de ce qu'elles disent là-dessus en termes figurés, ou que peut-être nos saints livres leur étant tombés entre les mains, ils aient voulu imiter, avec quelque déguisement, ce qu'ils y avaient lu d'une autre terre, meilleure que celle-ci. Car, en effet, ils ont tous vécu, non seulement après Moïse, le plus ancien des auteurs sacrés, mais même après la plupart des autres prophètes, l'un desquels, savoir Aggée, distingue manifestement la terre d'avec le sec, donnant ce nom de sec à la terre que nous habitons. Encore une fois, dit-il, j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et le sec (Agg., II, 6 ou 7). Celse remet à un autre temps l'explication de cette fable que Platon débile dans son Phédon, et voici comme il parle : Il n'est pas aisé à tout le monde de comprendre la pensée de Platon. Il faut pouvoir entendre ce que signifie ce qu'il dit : qu'à cause de notre faiblesse et de notre pesanteur, nous ne sommes pas en état de nous élever jusqu'au plus haut de l'air, mais que, si notre nature était capable d'une contemplation si sublime, nous reconnaîtrions que c'est là que sont le vrai ciel, la vraie lumière et la vraie terre. Nous voulons l'imiter en cela, et comme nous n'estimons pas qu'il soit de notre sujet d'expliquer ici ce qui regarde cette sainte et cette bonne terre où est la ville de Dieu, nous nous réservons d'en parler dans nos commentaires sur les prophètes, après ce que nous en avons déjà dit sur le psaume XLV (ou XLVI et XLVIII) et sur le XLVII, où nous avons traité en partie et selon nos forces cette matière de la ville de Dieu. Ces écrits de Moïse et des prophètes, les plus anciens de tous les livres, reconnaissent que toutes les choses que nous voyons ici, et dont l'usage est commun à tous les hommes, en ont d'autres de même nom, qui leur répondent, mais qui sont les véritables, par exemple, ils nous parlent d'une véritable lumière (Mal., IV, 2), d'un ciel autre que le firmament, d'un soleil  de justice différent du soleil visible. En un mot. pour distinguer ces choses-la d'avec les choses sensibles, dont il n'y en a aucune de véritable, ils disent de Dieu que ses ?uvres sont véritables, mettant ainsi de la différence entre les ?uvres de Dieu et les ?uvres des mains de Dieu (Dan., IV, 34 ou 37), comme si celles-ci étaient d'un ordre inférieur. Aussi voyons-nous que se plaignant lui-même de quelques-uns dans Isaïe, il dit qu'ils ne considèrent point les oeuvres du Seigneur et qu'ils ne prennent point garde aux ?uvres de ses mains (Is., V,12).Mais en voilà assez là-dessus.

Celse attaque ensuite la résurrection qui est un dogme d'un long et difficile examen, un dogme qui, entre tous les autres, demande un esprit éclairé et une science consommée, pour pouvoir montrer qu'il ne renferme rien que de sublime, rien qui ne soit digne de Dieu ; et pour faire voir qu'il y a une vertu de semence dans ce que l'Écriture appelle le tabernacle de l'âme, sous la pesanteur duquel les justes soupirent, désirant, non pas d'en être dépouillés, mais d'être revêtus par dessus (II. Cor., V, 4). Celse, dis-je, attaque ce dogme; mais il ne l'attaque que par des railleries, parce qu'il ne le comprend pas, et qu'il n'en a entendu parler que par des personnes simples qui ne pouvaient l'appuyer d'aucune raison. Il est donc à propos, qu'outre ce que nous avons dit ci-devant sur ce sujet, nous fassions encore ici une seule remarque : c'est que nous ne parlons pas delà résurrection par rapport à ce que nom pouvons avoir ouï dire de la métempsycose, comme Celse se l'imagine, mais parce que nous savons que l'âme qui de sa nature est immatérielle et invisible, ne peut être, en aucun lieu, corporelle, que pour cela elle n'ait besoin d'un corps proportionné à la nature lieu. De sorte que tantôt elle en quitte un qui lui était nécessaire auparavant, mais qui lui est inutile pour la suite, et elle en prend un nouveau; tantôt elle se revêt d'un autre corps par-dessus le premier qui a besoin de cet habit précieux pour passer en des lieux plus purs, tels que sont les lieux célestes élevés au-dessus de notre air grossier. Lorsqu'elle vient au monde, elle se dépouille du corps qui lui avait été nécessaire dans le sein d'une femme; elle quitte, dis-je, les enveloppes qui l'y couvraient, et avant que de les quitter elle se revêt d'un autre corps propre pour la vie que nous menons sur la terre. Mais comme il y a encore un certain tabernacle, et une maison terrestre qui est en quelque sorte nécessaire à ce tabernacle, l'Écriture nous enseigne que la maison terrestre du tabernacle sera détruite (II., Cor. V, 1); mais que le tabernacle sera revêtu par-dessus ce qu'il est déjà, d'une maison qui ne sera point faite de la main des hommes et qui durera éternellement dans les cieux.  Les saints hommes de Dieu disent aussi que le corruptible sera lui-même revêtu de l'incorruptibilité, qui est une chose différente de l'incorruptible; et que le mortel sera revêtu de l'immortalité (I., Cor, XV, 53), qui est différent de l'immatériel.  En effet ce qui est la sagesse à l'égard du sujet qu'on appelle sage, la justice à l'égard du juste, la paix à l'égard du pacifique; cela même l'incorruptibilité à l'égard de l'incorruptible, et l'immortalité à l'égard de l'immortel.  Voyez donc à quelles espérances les livres divins nous élèvent lorsqu'ils nous parlent d'être revêtus de l'incorruptibilité et de l'immortalité qui sont les habits qui ne permettent pas que ceux qui en sont revêtus et couverts soient sujets à la corruption ou à la mort.  C'est là jusqu'où j'ose approfondir ces matières pour répondre à un homme qui combat la résurrection sans l'entendre, et, qui par cela même qu'il ne sait pas ce que c'est, s'en moque et en fait des railleries. Comme il croit que nous la soutenons que dans la pensée de voir et de connaître Dieu, il se forme des raisonnements tels qu'il lui plaît : Après, dit-il, qu'on les a pressés de toutes parts et entièrement confondus, ils reviennent encore, comme si l'on ne leur avait rien objecté cette question.  Comment donc pourrions-nous et voir et connaître Dieu ? Comment pourrions-nous aller à lui ? Mais que ceux qui voudront nous écouter sachent que si nous avons besoin d'un corps pour d'autres usages, comme pour être dans un lieu corporel, à la nature duquel ce corps doit être proportionné, en sorte que par-dessus notre tabernacle nous nous revêtions de ce que nous venons de dire, nous n'en avons pas au moins besoin pour connaître Dieu. Car ce qui connaît Dieu, ce n'est pas l'oeil de notre corps, c'est. l'entendement qui contemple les choses faites à l'image du créateur, et qui, par la providence de Dieu, est rendu capable de cette connaissance. Voir Dieu, c'est le propre d'un coeur pur qui n'est plus la source des mauvaises pensées, des meurtres, des adultères, des fornications, des larcins, des faux témoignages, des médisances, de l'envie, ni d'aucune autre chose blâmable (Matth., XV, 19; VI. 23; V. 8). De là vient qu'il est dit : Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. Mais comme les forces de notre volonté ne sont pas suffisantes pour nous donner ce coeur pur dans sa perfection, et que nous avons besoin que Dieu le crée au dedans de nous, celui qui sait prier comme il faut,adresse  cette prière à Dieu : Mon Dieu, crée en moi un c?ur pur (Ps. L ou Ll, 12). Nous ne demanderons jamais non plus : Comment pourrons-nous aller à Dieu? faisant cette question comme s'il était dans un lieu. Dieu est d'une nature plus excellente que quelque lieu que ce soit; il contient toutes choses, et il n'est contenu de rien. De sorte que ce n'est pas pour nous obliger d'aller à lui corporellement, qu'il nous est ordonne de suivre la voie du Seigneur, notre Dieu (Deut., XIII, 4); ce n'est pas d'une manière corporelle qu'il faut prendre ce mouvement de piété du prophète : Mon âme s'est attachée à te suivre (Ps.LXII ou LXIII. 9). Celse est donc un calomniateur de dire que nous nous attendons de voir Dieu des yeux de notre corps, à entendre sa voix de nos oreilles corporelles, et à le toucher de nos mains de chair et de sang. Nous savons que, selon l'Écriture sainte, il y a des yeux qui n'ont rien de commun que le nom avec les yeux corporels ; des oreilles et des mains tout de même, et,ce qui est encore plus surprenant, une sensation divine tout autre que ce qui est ordinairement ainsi nommé par les hommes. Quand le prophète dit : Dévoile mes yeux et je contemplerai Îles merveilles de ta loi (Ps.CXVIII ou  CXIX, 18); ou, Les commandements du Seigneur sont pleins de lumière, et ils éclairent les yeux (Ps. XVIII ou XIX, 9); ou encore, Claire mes yeux, afin que je ne m'endorme point d'un sommeil de mort (Ps. XII ou XIII, 4), il n'y point d'homme assez stupide pour croire que les merveilles de la loi de Dieu se voient des yeux du corps; que les commandements du Seigneur éclairent les yeux du corps; qu'un sommeil qui tend à la mort puisse tomber sur les yeux du corps. Lorsque notre Sauveur dit : que celui-là l'entende, qui a des oreilles pour entendre (Matth., XIII, 9); les plus simples comprennent que les oreilles dont il parle sont d'une espèce toute divine. Quand il est dit que la parole du Seigneur a été dans la main du prophète Jérémie ou de quelque autre, et que la loi a été dans la main de Moïse (Nombr., XVI, 10, etc.; Gal., III, 19), ou quand il est dit : J'ai cherché Dieu de mes mains, et je n'ai point été trompé (Ps.LXXVI ou LXXVII, 3), il n'y a personne assez grossier pour ne pas voir que ce sont des mains ainsi nommées par figure, semblables à celles dont S. Jean dit: Nous avons touché de nos mains la parole de vie (I Jean, I, 1 ) . Si vous voulez encore a pprendre des livres sacrés qu'il y a une manière de sentir, d'un ordre plus excellent que la corporelle, écoutez ce qu'en dit Salomon dans le livre des Proverbes : Vous trouverez moyen d'acquérir le sentiment divin (Prov., II, 5). Cherchant donc Dieu de la manière que nous le cherchons, nous n'avons que faire d'aller à la chapelle de Trophonius, d'Amphiarée ou de Mopse, où Celse nous renvoie pour y voir des dieux en forme humaine; des dieux, dit-il, qui se montrent clairement et sans illusion. Nous savons que ce sont là des démons qui se nourrissent du sang et de la fumée des victimes. et que l'odeur des sacrifices attache à ces lieux, où leur propre sensualité leur a bâti des prisons, que les Grecs prennent pour les temples de quelques dieux, mais qui, dans la vérité, ne sont que la demeure de quelques démons trompeurs. Ce n'est pas sans malignité qu'il ajoute, sur le sujet de ces mêmes dieux qui, selon lui, se font voir en forme humaine: Qu'ils ne se montrent pas pour une fois, ni d'une façon passagère, comme celui qui les a séduits, dit-il, en parlant de nous ; mais qu'ils ne refusent jamais de se présenter à ceux qui veulent communiquer avec eux. Par là il semble insinuer que Jésus, après sa résurrection, n'a été qu'un fantôme qui est apparu à ses disciples, et qui s'est fait voir a eux comme en passant; au lieu que ces dieux qui, à ce qu'il prétend, paraissent en forme humaine, ne manquent pas de se présenter toutes les fois qu'on veut communiquer avec eux. Mais comment un fantôme qui, à l'en croire, ne s'est fait voir qu'en passant, pour tromper ceux à qui il se présentait, aurait-il pu ensuite de cette apparition, opérer de si grandes choses et convertir tant d'âmes, persuadant aux hommes de régler toutes leurs actions sur la volonté de Dieu, de qui ils doivent être jugés ? Comment ce fantôme pourrait-il chasser les démons, et faire tant d'autres merveilles éclatantes, n'étant pas, au reste, attaché à un certain lieu comme ces prétendus dieux revêtus d'une forme humaine, mais faisant sentir la présence de sa divinité par toute la terre, pour rassembler et attirer a soi tous ceux qu'il trouve portés à bien vivre?

Après ce que nous venons de réfuter, selon nos lumières, voici comme Celse continue : Mais ils demanderont encore comment ils pourront connaître Dieu s'ils ne le connaissent par les sens; quelle autre voie il y a, que celle des sens, pour acquérir la connaissance des choses. A quoi il répond de la sorte : Cette parole n'est pas la parole d'un homme : elle est suggérée non par l'âme, mais par la chair. Apprenez pourtant, si vous êtes capables d'apprendre, faibles et charnels comme vous êtes. apprenez que, si au lieu de vos sens, qui sont trop grossiers, vous appliquez votre entendement, si détournant et fermant les yeux de la chair, vous ouvrez les yeux de l'âme, ce sera par ce seul moyen que vous verrez Dieu. Et si vous cherchez de bons guides pour cela, il faut que vous fuyiez les fourbes et les imposteurs qui vous repaissent d'idoles et de fantômes. Autrement vous serez les plus ridicules de tous les hommes de blasphémer contre les autres, qui sont reconnus pour dieux, les traitant d'idoles, pendant que vous adorez non plus une idole ni un fantôme, mais un mort, bien plus méprisable que les idoles et que les fantômes, et que vous lui cherchez un père pareil à lui. Ce que nous pouvons dire d'abord sur la prosopopée, par laquelle il nous fait parler, comme il suppose que nous devons faire, pour défendre la résurrection de la chair, c'est que cette figure est bonne, quand celui qui s'en sert entre bien dans les sentiments et dans les manières des personnes qu'il introduit; mais qu'elle est mauvaise, quand on attribue aux personnes des paroles qui ne leur conviennent pas. Si un homme, dans une prosopopée, donnait des pensées de philosophes à des barbares, à des ignorants, à des esclaves qui n'ont jamais entendu parler de philosophie, et qui sont incapables d'en parler eux-mêmes, on ne pourrait que l'en blâmer et que dire qu'il est bon philosophe, mais qu'il y a peu d'apparence que ceux qu'il représente le fussent autant. On ne blâmerait pas moins celui qui, introduisant des personnes qu'on suppose sages et bien instruites des choses du ciel, les ferait parler comme des gens du commun qui se laissent emporter à leurs passions, et qui n'ont de lumières ni naturelles ni acquises. C'est par là. entre autres choses, qu'Homère se fait admirer d'avoir su toujours garder le caractère qu'il avait d'abord donne à ses héros, comme à Nestor, à Ulysse, à Diomède, à Agamemnon, à Télémaque, à Pénélope et aux autres. C'est par là, au contraire, qu'Euripide s'est attiré les railleries comiques d'Aristophane, comme un discoureur sans jugement, qui tire de l'école d'Anaxagore ou de quelqu'autre docteur, les maximes qu'il met le plus souvent dans la bouche d'une femme barbare ou d'un misérable esclave. Si c'est donc en cela que consiste la bonté ou le défaut des prosopopées, n 'aura-t-on pas lieu de se moquer de Celse, qui fait dire aux chrétiens des choses auxquelles ils n'ont jamais pensé? Car si ceux qu'il fait parler sont des gens sans lettres, où est-ce qu'ils auraient pu apprendre à distinguer entre les sens et l'entendement, entre les choses sensibles et les choses intellectuelles? Il faudrait, comme il les représente, qu'ils eussent étudié sous les stoïciens, qui nient les substances intellectuelles, soutenant que nous ne concevons rien que par le ministère de nos sens, et que c'est de nos sens que dépendent toutes nos connaissances. Si ce sont des personnes éclairées qu'il fait parler, des chrétiens qui aient approfondi autant qu'ils ont pu les dogmes de leur religion, ce qu'il leur fait dire, ne leur convient nullement non plus; car il n'y a personne qui, sachant que Dieu est un être invisible, et que quelques-uns de ses ouvrages sont invisibles aussi, c'est-à-dire purement intellectuels, puisse dire, comme pour justifier la créance de la résurrection : Comment pourra-t-on connaître Dieu, si l'on ne le connaît pad les sens ? Quelle autre voie y a-t-il que celle des sens pour acquérir la connaissance des choses? Ce n'est pas même en quel qu'endroit écarté, qui ne soit connu que par un petit nombre de curieux, c'est dans des écrits qui sont sans cesse entre les mains de nos peuples, qu'il est dit que ce qui est invisible en Dieu est visible dans ses ouvrages, et s'y fait connaître depuis la création du monde (Rom., I, 20). D'où il paraît que bien que les hommes qui vivent sur la terre soient obligés de commencer par les sens et par les choses sensibles, pour porter ensuite leur connaissance jusqu'à la nature des choses intellectuelles, il ne faut pas pourtant qu'ils s'arrêtent à ces choses sensibles. Ainsi nous n'aurons garde de dire qu'il soit impossible de connaître les choses intellectuelles, si l'on ne les connaît par les sens : mais avouant que les sens sont la première voie pour acquérir la connaissance des choses, nous soutiendrons que Celse n'a pas raison d'en inférer que cette parole n'est pas la parole d'un homme, qu'elle est suggérée non par l'âme, mais par la chair. Puisque nous disons que le grand Dieu, qui est une essence toute simple, invisible et immatérielle, est lui-même un pur entendement, une pure intelligence ou quelque chose d'indûment élevé au-dessus des êtres qu'on désigne par ces noms, nous ne saurions avoir la pensée qu'il puisse être connu par une autre faculté que par l'entendement qui est formé à son image : cette connaissance même est telle, que nous ne le voyons maintenant que comme en un miroir et en des énigmes, pour me servir de l'expression de saint Paul, mais qu'un jour nous le verrons face à face (I Cor., XIII, 12). Si je dis au reste face à face, que personne ne me chicane sur ce mot, pour lui donner un sens contraire à mon intention ; mais qu'on sache, et qu'ici et qu'ailleurs, quand nous disons que nous contemplons à face découverte la gloire du Seigneur, et que, comme autant de miroirs, nous sommes transformés en la même image, nous avançant de gloire en gloire (II Cor., III, 12. nous n'entendons pas la face ou le visage sensible, mais une face ou un visage pris figurément de la même manière que les jeux et les oreilles, et les autres choses auxquelles nous avons fait voir ci-dessus que l'on donne les noms des membres de notre corps«. Il est bien certain qu'un homme, je veux dire une âme qui se sert des organes d'un corps, autrement l'homme intérieur (II Tim., Ill, 17), qu'on appelle quelquefois simplement l'âme, ne parlerait pas comme Celse nous fait parler, et qu'il réglerait ses discours sur les préceptes des hommes de Dieu (Rom., VIII, 13). Mais il n'est pas moins certain qu'un chrétien n'usera jamais de paroles suggérées par la chair (II Cor., IV, 10), lui qui a appris à mortifier par l'esprit les arces du corps, et à porter toujours dans son corps la mortification de Jésus (Col.,III.); lui qui sait qu'il faut faire mourir les membres de notre homme terrestre; lui qui a compris ce que veulent dire ces paroles : Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils ne sont que chair (Gen., VI, 3}; lui qui sait enfin que ceux qui vivent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu (Rom.,VlII, 8 et 9), et qui à cause de cela, fait tous ses efforts pour ne vivre plus selon la chair, mais uniquement selon l'esprit.

Voyons donc à quoi il nous appelle pour apprendre de lui à connaître Dieu ; car il nous doit dire des choses qui passent, à son avis . la portée de tous les chrétiens : Apprenez. pourtant, dit-il, si vous êtes capables d'apprendre. Est-ce ainsi qu'un philosophe se prend à nous enseigner ce qu'il veut que nous apprenions de lui?  Au lieu de nous donner des instructions, il nous dit des injures. Au lieu de témoigner, dès l'entrée, qu'il est favorablement disposé pour ceux à qui il adresse son discours, il nous traite de faibles, nous qui aimons mieux mourir que d'abjurer le christianisme, ne fût-ce que de bouche; que plutôt que de le faire, sommes prêts à souffrir toutes sortes de tourments et de supplices. Il nous appelle encore charnels, nous qui disons que si nous avons autrefois connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant (II Cor., V, 16); et qui sommes si disposés à nous dépouiller de notre corps pour la religion, qu'un philosophe aurait de la peine à quitter ses habits avec autant de facilité. Après quoi il nous parle en ces termes : Si au lieu de vos sens qui sont trop grossiers, vous appliquez votre entendement, si détournant et fermant les yeux de la chair, vous ouvrez les yeux de l'âme, ce sera par ce seul moyen que vous verrez Dieu. Il ne sait pas que cette pensée qu'il doit à la philosophie des Grecs, de faire des yeux de deux espèces différentes, est bien plus ancienne que la nôtre : mais il est certain que Moïse, dans l'histoire de la création, représente l'homme avant sa chute, et voyant, et ne voyant pas. Il le représente voyant, lorsqu'il dit de la femme, qu'elle vit que l'arbre avait du fruit bon à manger, qui était agréable à In vue et d'une belle apparence (Gen., Ill, 6). Il le représente ne voyant pas, non seulement quand il introduit le serpent, disant à la femme comme si elle et son mari eussent été aveugles, Dieu sait que dès le moment que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts (Ibid. 5):mais aussi quand il ajoute : Ils en mangèrent tous deux, et les yeux de l'un et de l'autre furent ouverts ( Ibid., 7 ) : les yeux qui furent ouverts, ce furent leurs yeux sensuels qu'il leur eût été bon de ne pouvoir pas ouvrir, pour n'être point détournés par d'autres objets qui empêchassent l'action des yeux de leur âme : et ce furent ces yeux de l'âme qui, selon ma pensée, se trouvèrent alors fermés par un effet du péché, pour ne plus s'occuper avec plaisir, comme ils avaient fait jusque-là, à la contemplation de Dieu et de son paradis. C'est encore pour marquer en nous cette double espèce d'yeux, que notre Sauveur dit : Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (Jean. IX. 39). Les yeux qui ne voyaient point sont, dans son sens, les yeux de l'âme auxquels sa doctrine rend la vue; et les yeux qui voyaient sont les sensuels que la même doctrine aveugle, afin que l'âme s'attache sans distraction à ce qu'elle doit contempler. Tous les vrais chrétiens donc ont les yeux de l'âme perçants, et les yeux sensuels obscurcis, de sorte que chacun, à proportion de la bonté de sa vue spirituelle et de la faiblesse de l'autre qui est la sensuelle, voit et connaît le grand Dieu, et avec lui son Fils, qui est le Verbe, la sagesse, etc. Après ce que nous venons de voir, Celse continue son discours comme s'il l'adressait à tous les chrétiens; bien que les choses qu'il dit, s'il avait envie de les dire, dussent s'appliquer à des personnes qui font profession d'une doctrine entièrement éloignée de celle de Jésus. Car, comme nous l'avons dit ci-dessus, ce sont les Ophites, et peut-être encore quelques autres dont les sentiments sont à peu près semblables, qui, ayant renoncé absolument à Jésus, repaissent les gens d'idoles et de fantômes comme des fourbes et des imposteurs. Ce sont ces misérables qui apprennent avec tant de soin les noms de leurs portiers. C'est donc fort mal à propos que Celse adresse ces paroles aux chrétiens : Et si vous cherches de bons guides pour cela, il faut que vous fuyiez les fourbes et les imposteurs, qui vous repaissent d'idoles et de fantômes. Il ne sait pas que ces imposteurs s'accordent comme tels avec lui, et ne disent pas moins de mal que lui-même de Jésus et de toute sa religion : de sorte que nous confondant avec eux, dans son discours, il ajoute : Autrement vous serez les plus ridicules de tous les hommes, de blasphémer contre les autres qui sont reconnus pour dieux, les traitant d'idoles ; pendant que vous adores, non plus une idole, ni un fantôme, mais un mort, bien plus méprisable une les idoles et que les fantômes; et que vous lui cherchez un père pareil à lui. Je dis qu'il confond les sentiments des chrétiens avec ceux de ces conteurs de fables ; et que s'imaginant que les reproches qui peuvent être faits à ceux-ci tombent sur nous, il nous applique des choses qui ne nous conviennent point du tout. C'est en effet ce qui paraît de ce qu'il ajoute : Entre les autres suites d'un tel abus, il faut mettre cet admirables directeurs de vos actions; ces excellentes paroles que vous adressez au lion, à l'amphibie, au démon qui a la figure d'un âne, et aux autres ; ces portiers divins, dont vous apprenez les noms avec tant de soin et de peine, pour n'en tirer au fond d'autre fruit, misérables que vous êtes, que de vous voir cruellement tourmentés et crucifiés. Mais il ne sait pas qu'aucun de ceux, dans la pensée desquels ces démons revêtus de la figure d'un lion, d'un âne ou d'un amphibie, sont les portiers du chemin qui conduit au ciel, ne s'expose à souffrir la mort pour cette créance, quelque persuadé qu'il soit qu'elle est véritable. Ce que l'excès de notre zèle, s'il faut ainsi dire, nous fait souffrir pour la piété, jusqu'à nous abandonner à toutes sortes de supplices, même à celui de la croix, Celse l'attribue à ces gens qui ne s'exposent à rien de pareil et il nous reproche, en même temps, à nous qui nous laissons crucifier pour la véritable religion, les fables du lion et de l'amphibie, et les autres fictions de ces malheureux. Si nous rejetons toutes ces fables, ce n'est point par déférence aux conseils de Celse: car il n'y a jamais rien eu d'approchant dans notre créance : c'est que la doctrine de Jésus, laquelle nous suivons, nous donne des renseignements tout opposés; et ne nous permet pas de dire, ni de penser que, soit Michel, soit les autres dont on parle, aient la figure qu'on leur donne. Mais il faut considérer qui sont ceux que Celse prétend que nous suivions, pour ne pas manquer de guides recommandables,et par leur antiquité,  et par leur sainteté. Il nous renvoie aux poètes divinement inspirés, comme il les appelle, aux sages et aux philosophes sans nous dire leurs noms. Promettant, dis-je, de nous indiquer de bons guides, il nous propose d'une manière vague, ces poètes divinement inspirés, ces sages et ces philosophes. S'il les avait nommés chacun en particulier, nous croirions être obligés de lui montrer qu'il nous veut donner des guides qui, étant eux-mêmes aveugles pour la vérité, ne peuvent que nous faire égarer ; ou qui, s'ils ne sont pas tout à fait aveugles, ont au moins très mal vu la vérité en plusieurs points. Mais soit qu'Orphée, Parménide ou Empédocle, soit qu'Homère même ou Hésiode soient ceux qu'il entend par ces poètes divinement inspirés, que quelqu'un nous fasse un peu voir comment ceux qui suivent ces guides-là marchent dans une meilleure voie et savent mieux régler leur vie que ceux qui, instruits dans l'école de Jésus-Christ, ont rejeté toutes les statues et tous les simulacres, et même toutes les superstitions judaïques, pour n'attacher leur esprit, par le Verbe de Dieu, qu'au seul Dieu le Père du Verbe. Qui sont encore ces sages et ces philosophes qui nous doivent apprendre tant de vérités célestes, et pour lesquels Celse veut que nous abandonnions Moïse, le serviteur de Dieu, les prophètes du Créateur de l'univers, qui ont dit une infinité de choses où l'inspiration divine est tout évidente; celui même qui est venu répandre sur le genre humain les rayons de sa lumière, et nous enseigner le chemin de la véritable piété? Je dis sur le genre humain : il ne tient pas à lui, en effet, qu'il ne révèle ses mystères à tout le monde. L'excès de son amour pour les hommes est si grand, que, comme il a pour les plus intelligents une théologie capable d'élever leur âme au-dessus de toutes les choses terrestres, il s'accommode d'ailleurs à la portée des plus faibles et des plus simples, des moindres femmes, des plus vils esclaves, de tous ceux en un mot qui ne sont pas en état de recevoir de tout autre que de Jésus, les instructions nécessaires pour apprendre à mieux vivre, et la connaissance que peuvent avoir de Dieu des personnes de leur capacité.

Celse ensuite nous renvoie à Platon, comme à un maître beaucoup plus capable de nous éclairer l'esprit sur les matières de théologie ; et il nous rapporte ces paroles de son Timée : Il est difficile de trouver le créateur et le père de cet univers, et, après l'avoir trouvé, il est impossible de le découvrir à tout le monde. A quoi il ajoute : Vous voyez comme les hommes divins cherchent la voie de la vérité, et comme Platon a reconnu qu'il est impossible que tout le monde la suive. Mais puisque les sages ne l'ont trouvée qu'afin de nous pouvoir donner quelque idée du premier Être, qui est ineffable, une idée qui nous le représentât par celles de quelques autres sujets, soit en joignant et rassemblant celles-ci, toit en séparant et rejetant celles-là, soit en tâchant de faire concevoir, par analogie, ce qui ne se peut autrement exprimer, je serais surpris si vous pouviez prendre ce chemin, étant tout attaches à la chair, et n'ayant d'yeux que pour des choses impures. J'avoue que ces paroles de Platon sont belles et nobles, mais voyez si l'Écriture sainte ne nous donne pas l'exemple d'un amour bien plus grand pour le genre humain, en Dieu le Verbe, qui étant au commencement avec Dieu, s'est fait chair (Jean, I, 1 et 14), afin de pouvoir révéler à tous les hommes des vérités qu'il serait impossible de découvrir à tout le monde, selon le sentiment de Platon, quand même on les aurait trouvés. Nous laissons au reste dire à Platon qu'il est difficile île trouver le créateur et le père de cet univers,  par où il insinue qu'il n'est pas entièrement impossible aux hommes de trouver Dieu d'une manière qui soit digne de lui, ou qui, si elle n'en est pas tout à fait digne, le soit au moins à peu près, et bien au delà du commun. Cependant, s'il était vrai que, soit Platon, soit quelqu'autre d'entre les Grecs, eussent véritablement trouvé Dieu, jamais ils n'eussent rendu leurs adorations et leurs hommages, ni donné le nom de Dieu à d'autres qu'à lui; ils eussent abandonné tout le reste, bien loin d'associer avec ce grand Dieu, des sujets avec lesquels il ne peut avoir aucune société. Pour ce qui est de nous, nous soutenons que la nature humaine : aucunement capable de chercher Dieu, ni de le trouver clairement, sans le secours de celui-là même qu'elle cherche. Il se fait trouver à ceux qui, après avoir fait tout ce qui dépend d'eux, confessent qu'ils ont besoin qu'il les aide; lui qui se fait connaître à ceux à qui il juge à propos, autant que Dieu peut être connu de l'homme, et que l'âme humaine, renfermée encore dans un corps, est en état de connaître Dieu. Remarquez que quand Platon dit : Qu'après avoir trouvé le Créateur et le Père de cet univers, il est impossible de le découvrir à tout le monde, il ne le suppose pas ineffable et au-dessus de toute expression. Il prétend au contraire qu'il peut être exprimé et découvert à un petit nombre de personnes choisies. Mais Celse, comme s'il avait oublié ce qu'il vient d'alléguer de Platon, donne aussitôt à Dieu le nom d'ineffable. Puisque les sages, dit-il, n'ont trouvé cette voie, qu'afin de nous pouvoir donner quelqu'idée du premier Être qui est ineffable. Pour nous, nous ne croyons pas seulement que Dieu est ineffable, nous croyons encore qu'il y a d'autres choses qui le sont, bien qu'elles lui soient inférieures. Ce sont ces choses que saint Paul s'efforce de désigner, lorsqu'il dit : J'ai entendu des paroles ineffables, qu'il n'est permis à un homme de rapporter (II Cor XII, 4), ici entendre est la même chose que comprendre; comme en cet autre passage : Que celui-là l'entende, qui a des oreilles pour entendre ( Matth., XI, 15). Nous croyons aussi qu'il est extrêmement difficile de voir le Créateur et le Père de l'univers: mais qu'il se peut voir pourtant, non seulement selon ce que nous lisons que : Bienheureux soient ceux qui ont le c?ur pur, parce qu'ils verront Dieu (Matth., V, 8); mais encore selon ce qui est dit par celui qui est l'image du Dieu invisible (Col., I, 15) : Celui qui m'a vu, a vu mon Père qui m'a envoyé (Jean, XÍV, 9). Il n'y a point d'homme de bon sens qui puisse croire que ce que Jésus dit là : Celui qui m'a vu, a vu mon Père qui m'a envoyé (Luc, XXIII, 2l), il le dise à l'égard de son corps sensible, et exposé aux yeux de chacun. Autrement, et tous ceux qui crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 11); et Pilate qui avait pouvoir sur ce qu'il y avait d'humain en Jésus, seraient du nombre de ceux qui ont vu Dieu le Père, ce qui est absurde. Que ces paroles : Celui qui m'a vu, a vu mon Père, qui m'a envoyé, ne doivent pas être prises dans un sens grossier et charnel, c'est ce qui parait encore de la réponse qui fut faite à Philippe : Il y a déjà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ( Jean, XIV, 9) ? Après qu'il eut demandé : Montre-nous ton Père, et cela nous suffit ( Ibid., 8). Celui donc qui pourra comprendre comment ces paroles, Le Verbe a été fait chair (lbid., I, 14), doivent s'expliquer du Fils unique de Dieu, qui est Dieu lui-même, le premier-né de toutes les créatures (Col., I, 15); il comprendra aussi, comment en voyant l'image du Dieu invisible, on voit le Créateur et le Père de cet univers. Celse s'imagine qu'on peut connaître Dieu, soit enjoignant et rassemblant, soit en réparant et rejetant les idées qu'on a d'ailleurs, à peu près comme font les géomètres, dans la méthode qu'ils appellent de composition, et dans celle de l'analyse; soit encore, en suivant les lois de l'analogie, comme font aussi les mêmes, et que de cette sorte on peut parvenir, pour ainsi dire, jusqu'aux premiers degrés et à l'entrée du vrai bien ; mais quand la parole de Dieu nous dit que nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l'aura révélé (Matth., XI, 27), elle nous déclare que Dieu ne peut être connu qu'avec le secours de la grâce d'en haut, qui est communiquée à l'âme par une faveur singulière de Dieu, et comme par une espèce d'inspiration. Il ne se peut, en effet, que la connaissance de Dieu ne passe de bien loin la portée de la nature humaine : et de là vient qu'il y a tant d'erreurs parmi les hommes sur le fait de la Divinité. C'est donc par un effet de la bonté et de l'amour de Dieu pour les hommes, c'est par une grâce surnaturelle et toute divine, qu'il accorde sa connaissance à ceux qu'il a prévu dans sa prescience, qui vivraient d'une manière digne de celui qui se ferait connaître à eux ; à ceux, dis-je, qu'il a su qui auraient pour lui une piété sincère, sans l'altérer ni la démentir jamais, quand ils devraient être condamnés au dernier supplice; par ceux qui ne sachant ce que c'est que la piété, veulent faire passer pour piété ce qui n'est rien moins que pitié ; et quand on les devrait estimer les plus ridicules de tous les hommes. Dieu, sans doute a vu aussi l'orgueil de ces gens qui méprisent tous les autres et qui font tant les fiers de connaître Dieu et les choses divines par l'étude qu'ils ont faite de la philosophie : mais qui courent cependant comme les plus grossiers, aux simulacres, à leurs temples et à leurs fameux mystères. C'est pour cela qu'il a choisi ce qu'il y a de moins sage selon le monde ( I Cor., I, 27 ), les plus simples d'entre les chrétiens . qui vivent pourtant avec plus de retenue et de pureté, que ne font plusieurs philosophes ; c'est pour cela, dis-je, qu'il a fait un tel choix, afin de confondre ces sages, qui n'ont point honte de s'adresser à des choses inanimées, comme si c'étaient des dieux ou des représentations de dieux. Car peut-on avoir du sens et ne se pas moquer d'un homme qui, après tous ces beaux et sublimes raisonnements que la philosophie lui a enseigné à faire sur le sujet de Dieu ou des dieux, se tourne vers une statue, soit pour lui présenter ses prières, soit pour s'élever par cet objet corporel jusqu'à l'objet de l'entendement auquel il croit qu'il faut porter son esprit, par le moyen de celle chose visible qui en est le symbole? Pour ce qui est du chrétien, même d'entre le simple peuple, il est persuadé que tous les endroits du monde sont des parties de l'univers, et que l'univers entier est le temple de Dieu. En quelque lieu donc du monde qu'il se trouve, il y prie; mais il pousse ses prières au delà du monde, fermant ses yeux sensuels, et n'ouvrant que ceux de son âme. Il ne s'arrête pas même sur la voûte du ciel ; il s'élève de la pensée au-dessus des cieux, guidé par l'esprit de Dieu : et comme s'il avait franchi les bornes du monde, il adresse ses prières à Dieu, mais non pas pour des choses de peu d'importance (Matth.,Vl, 33). Car il a appris de Jésus a ne chercher rien de bas, ni rien d'abject, c'est-à-dire, rien de ce qui regarde les sens, mais à chercher seulement les choses hautes et relevées, les choses véritablement divines, que Dieu nous accorde, pour nous mettre et pour nous conduire dans la voie de la félicité, de cette félicité qu'on trouve auprès de lui, par son Fils, le Verbe de Dieu.

Mais voyons enfin ce que Celse promet de nous enseigner, et tâchons, s'il se peut, de le comprendre, nous qu'il traite, au même endroit, de gens tout attachés à la chair, bien que, si nous vivons comme il faut et conformément aux préceptes de Jésus, nous puissions nous assurer d'être dégagés de ces liens, suivant ce qui nous est dit: Vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l'esprit, si au moins l'Esprit de Dieu habite en vous (Rom., VIII, 9) . Il nous accuse encore de n'avoir d'yeux que pour des choses impures, nous qui nous efforçons de conserver jusqu'à nos pensées, exemptes des impuretés qui naissent de la suggestion des vices; nous qui, pour pouvoir contempler Dieu avec un c?ur pur, qui seul est capable de le voir (Matth., V, 8), lui adressons celle prière : Mon Dieu, crée en moi un c?ur pur, et renouvelle l'esprit de justice au-dedans de moi (Ps. L ou LI, 12). Voici donc ce qu'il dit : Il y a des objets intelligibles qu'on nomme substances : il y en a de visibles, produits par la génération. Les premiers ont la vérité avec eux : les autres ont l'erreur. La vérité forme la science, la vérité et l'erreur forment l'opinion. L'objet intelligible se connaît par l'entendement, l'objet visible par les yeux : l'action de l'entendement se nomme intelligence, celle des yeux, vue. Comme donc, parmi les choses visibles, le soleil n'est ni l'oeil ni la vue, mais c'est lui qui est cause que l'?il aperçoit, et que la vue se fait, et que les objets visibles se voient, et que toutes les choses sensibles existent, et que lui-même peut être vu : ainsi, parmi les choses intelligibles, celui qui n'est ni l'entendement, ni l'intelligence, ni la science, est pourtant la cause qui fait que l'entendement connaît, que l'intelligence en résulte, que la science s'en forme, que tous les objets intelligibles, la vérité même et les substances ont leur être : étant lui-même intelligible d'une manière ineffable, par où il est infiniment au-dessus de tout cela. Ces réflexions sont pour If s personnes intelligentes; mais si vous pouvez, vous aussi, y comprendre quelque chose, ce n'est pas un petit avantage, et si vous avez cette pensée, que quelqu' Esprit soit descendu, de la part de Dieu, pour déclarer aux hommes les choses divines, c'est sans doute l'Esprit qui a révélé ces vérités ; c'est de ce même esprit que les anciens ont été remplis, pour publier tant de belles et de bonnes choses. Peut-être qu'elles passent votre portée; mais en ce cas, vous devez vous taire, et cacher votre ignorance, sans aller dire que ceux qui voient clair sont aveugles, et que ceux qui courent sont boiteux : pendant que vous-mêmes êtes boiteux et entièrement estropiés, à l'égard de votre âme, n'ayant de vie qu'à l'égard de votre corps, c'est-à-dire de la partie de votre être qui est morte. Nous prenons à tâche de ne combattre jamais ce qui est bien dit, et quoique ceux qui le disent ne soient pas de notre créance, nous ne voulons point les contredire ni chercher à détruire ce qu'ils avancent de conforme à la raison. Mais ici, nous devons répondre aux injures que l'on dit à des hommes qui font leurs efforts pour vivre dans la piété qu'ils doivent au Dieu de l'univers, ce Dieu qui agrée la foi que les simples ont en lui, aussi bien que la dévotion raisonnée de ceux qui ont plus de connaissance (Phil., IV, 6), puisque tant les uns que les autres adressent au Créateur du monde leurs prières et leurs actions de grâces, comme ils savent qu'il faut les lui adresser, par le grand sacrificateur qui a enseigné aux hommes la manière de servir Dieu purement. Nous disons donc que ces boiteux et ces estropiés à l'égard de l'âme, qui n'ont de vie qu'à l'égard du corps, la partie de leur être qui est morte, ne se proposent pourtant autre chose, que de pouvoir dire avec sincérité : Encore que nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair : car les armes de notre milice ne sont  point charnelles, mais elles sont accompagnées de la vertu de Dieu (II Cor., X, 3 et 4). C'est à ceux qui disent des injures à des personnes qui n'ont d'autre désir que d'être a Dieu, à prendre garde que, par cela même, ils ne se rendent boiteux a l'égard de l'âme, et n'estropient leur homme intérieur, lui arrachant, par les calomnies dont ils chargent les autres, qui s'étudient à bien vivre, celle équité et cette modération, dont le Créateur avait mis des semences naturelles dans les êtres à qui il avait donné de la raison. Pour ceux qui, parmi les autres leçons que donne la parole de Dieu, ont appris et pratiquent celle-ci : Quand on nous maudit, nous bénissons; quand on nous persécute, nous le souffrons; quand on nous dit des injures, nous répondons par des prières (I Cor., IV, 12 et 13); ceux-là peuvent dire qu'ils ont une âme qui marche droit, une âme toute pure et bien disposée. Ce n'est pas seulement en paroles, qu'ils distinguent la substance d'avec la génération, et les objets intelligibles d'avec les visibles, qu'ils attachent la vérité à la substance, et qu'ils fuient de tout leur pouvoir l'erreur jointe à la génération. Ils regardent, selon les enseignements qu'ils ont reçus, non les choses produites par la génération, qui étant visibles, ne peuvent être que pour un temps, mais de bien meilleures choses, soit qu'on veuille les appeler substance, soit qu'on les nomme spirituelles, parce que elles ne se connaissent que par l'entendement, soit qu'on leur donne le nom d'invisibles, parce qu'elles ne tombent pas sous les sens (II Cor., IV, 18]. Si les disciples de Jésus jettent les yeux sur les choses qui sont produites par la génération, ce n'est qu'afin de s'en servir comme de degrés, pour s'élever à la connaissance des objets intelligibles. Car les choses divines, qui sont invisibles dans la création du monde, c'est-à-dire, les êtres intelligibles, se connaissent par la voie de la contemplation, quand on les considère dans les ouvrages visibles (Rom.. I, 20). Lorsque les chrétiens se sont ainsi élevés, par le moyen des créatures de ce monde, à ces choses divines qui sont invisibles, ils ne s'y arrêtent pas; mais après s'y être suffisamment exercés et en avoir compris la nature, ils montent jusqu'à la puissance  éternelle de Dieu, en un mot, à sa Divinité. Ils savent que ce Dieu, plein de bonté pour les hommes, a voulu que sa vérité et ce qui peut le faire connaître (Ibid.,10) fût clairement découvert, non seulement à ceux qui se consacrent à lui, mais à quelques-uns, même de ceux qui sont éloignés de la solide piété et du pur service qu'il demande. Que cependant, plusieurs de ceux qui, par la Providence de Dieu, étaient parvenus à la connaissance de ces choses si élevées, sont des impies qui, ne faisant rien de digne de leur connaissance, retiennent la vérité dans l'injustice (Ibid., 18), et qui ne sauraient plus y trouver d'excuse (Ibid., 20) auprès de Dieu, après les sublimes connaissances qu'il leur a données. Car l'Écriture sainte témoigne de ceux qui ont acquis la science de ces choses dont Celse nous parle, de ceux, dis-je, qui font profession d'une philosophie fondée sur ces principes; qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces, mais qu'ils se sont laissé aller à leurs vains raisonnements ( Ibid., 21), et que, malgré la grande lumière des connaissances dont Dieu les avait éclairés, leur c?ur sans intelligence s'est précipite de lui-même dans les ténèbres. Aussi voit-on que des gens, qui voulaient passer pour si sages ( Rom. I, 22 ), ont donne des marques d'une extrême folie lorsqu'après avoir fait tant de beaux raisonnements dans leurs écoles, sur la Divinité et sur les êtres intelligibles, ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en des représentations et en des images d'hommes corruptibles, d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents ( Ibid., 23 ). Comme donc ils n'ont pas vécu d'une manière digne des connaissances qu'il avaient reçues de Dieu, sa Providence les abandonnant à eux-mêmes, ils se sont laissé emporter aux désirs de leur c?ur, pour se plonger dans l'impureté ( Ibid., 24 ), et ils ont déshonoré leur corps par toutes sortes d'ordures et d'infamies, après avoir changé, comme ils avalent fait, la vérité de Dieu en des faussetés, et avoir rendu leurs services et leurs hommages aux créatures, au lieu de les rendre au Créateur (Ibid., 25). Mais ceux dont ils méprisent si fort la simplicité, qu'ils les traitent de fous et de misérables, ceux-là ne se sont pas plutôt remis entre les mains de Dieu en recevant la doctrine de Jésus, que, bien loin de se souiller dans les impuretés et dans les ordures, et dans toutes les voluptés déshonnêtes de l'amour, on en voit plusieurs qui, comme des sacrificateurs parfaits, pour qui tous les plaisirs de cette nature n'ont aucune amorce, se conservent entièrement purs en eux-mêmes, non contents de s'abstenir de l'acte. Les Athéniens ont leur Hiérophante qui, n'osant se fier à lui-même, ni se promettre de pouvoir si bien modérer l'ardeur de ses désirs, qu'il en soit toujours le maître, les amortit jusque dans leur source par l'usage de la ciguë ; et qui, dans cet état, est estimé assez pur pour faire le service public de la religion établie par les lois d'Athènes. Mais il s'en voit, parmi les chrétiens, et il ne s'y en voit pas pour un, qui n'ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu, purement, et à qui il ne faut point d'autre remède que sa parole, pour bannir de leur c?ur toutes les mauvaises pensées, afin qu'ils puissent présenter leurs voeux à la Divinité. Auprès des autres dieux, qui ne le sont que de nom, il y a quelques vierges, en très petit nombre, qui étant gardées par des hommes ou ne l'étant point, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit maintenant, semblent vivre dans une pureté constante en l'honneur de la Divinité qu'elles servent. Mais ceux d'entre les chrétiens qui gardent une virginité perpétuelle, ne le font ni pour des honneurs mondains, ni pour
 des intérêts d'avarice ou de vaine gloire, ni en vue de quelque autre récompense. Et comme ils font leur plaisir d'avoir la connaissance de Dieu, Dieu les conserve aussi dans cet esprit qui lui plait, afin qu'ils fassent ce qui est conforme a la raison, étant tout remplis de justice et de bonté (Rom., I, 28, 29). Ce que je viens de dire au reste n'est pas dans le dessein de disputer sur ce que les Grecs eux-mêmes ont pensé de plus juste, ni pour condamner ce qu'il y a de bon dans leurs sentiments, j'ai seulement voulu faire voir que ces mêmes choses, ou des choses encore bien plus excellentes et plus divines, ont été dites par les hommes divinement inspirés, les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus. C'est aussi à les approfondir que s'appliquent ceux qui veulent acquérir les plus parfaites connaissances du christianisme, et qui savent que la bouche du juste méditera la sagesse, que sa langue parlera de Injustice, et que la loi de son Dieu est dans son c?ur (Ps. XXXVI ou XXXVII, 30 et 31). Pour ceux que leur basse condition, leur grande simplicité, ou le peu d'habitude qu'ils ont avec les personnes qui pourraient les conduire à une piété éclairée, empêchent d'approfondir ces choses, mais qui ne laissent pas de croire au grand Dieu et en son Fils unique, Dieu le Verbe, ceux-là font paraître dans leurs m?urs une gravité, une pureté, une intégrité, et une innocence qui est souvent dans un degré plus parfait, pendant que ces gens qui veulent passer pour sages (Rom., I, 22), sont si éloignés de ces vertus, qu'ils se souillent, contre les lois de la nature, avec des personnes de leur sexe, commettant les uns arec les autres des choses abominables (Ibid., 27). Celse n'explique point comment l'erreur accompagne la génération ; et il ne fait pas assez entendre ce qu'il veut dire, pour nous donner lieu de comparer sa pensée avec les nôtres, et d'en pouvoir bien juger. Mais les prophètes, qui ont bien voulu nous découvrir ce qui mérite d'être su, sur le sujet des choses produites par la génération, nous disent que le sacrifice expiatoire est offert, même pour les enfants nouveau-nés (Lêvitiq., XII, 6), comme n'étant pas exempts de la souillure du péché. J'ai été conçu dans le vice, disent-ils encore, et j'étais dans le péché quand ma mère me portait dans son sein (Ps. L ou LI, 7). Ils déclarent même que les méchants se sont éloignés de leur devoir, pendant qu'ils étaient encore dans les flancs de leur mère, ajoutant, par une espèce de paradoxe, qu'avant qu'elle les eût mis au monde, ils suivaient déjà des voies égarées et proféraient des mensonges (Ps.LVll ou LVIII, 4). D'ailleurs nos sages marquent tant de mépris pour toutes les choses sensibles, que tantôt ils traitent de vanité toute la nature corporelle et matérielle, disant que les créatures ont été assujetties à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de ce/m qui les y a assujetties avec espérance (Rom., VIII, 20) ; tantôt ils la traitent de vanité des vanités, comme fait l'Ecclésiaste : Vanité des vanités, s'écrie-t-il, tout n'est que vanité (Ecclésiaste, I, 2). Qui a jamais fait une peinture si peu avantageuse de la vie que l'âme de l'homme mène ici-bas, que celui qui a dit: Il n'y a que vanité au monde, tout homme vivant n'est autre chose (Ps. XXXVIII ou XXXIX, 6). Il  ne balance point sur la différence qui se trouve entre cette vie présente et une autre vie ; et il ne dit pas.

Qui sait si mourir n'est point vivre,

Et si vivre n'est point mourir ?

EURIPIDE.

Il prononce hardiment en faveur de la vérité. Notre âme, dit-il, a été abaissée jusque dans la poudre (Ps. XLIII ou XLIV, 26). Et encore : Tu m'as fait descendre dans la poussière de la mort (Ps. XXI ou XXII, 16). A quoi se rapporte aussi ce qui est dit ailleurs: Qui me délivrera de ce corps sujet à la mort (Rom., VII, 24)? Et ceci tout de même : Il transformera notre corps vil et abject (Philip., Ill, 21). C'est encore un prophète qui a dit : Tu nous as abattus dans le lieu de l'affliction (Ps. XLIII ou XLIV, 20), entendant par le lieu de l'affliction ces lieux terrestres où Adam, c'est-à-dire l'homme, se retira après avoir été chassé du paradis à cause de son péché (Gen., Ill, 23). Voyez, je vous prie, si l'on peut mieux parler de la différente vie des âmes que celui qui a dit : Nous voyons présentement dans un miroir et d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12) ; et, Tant que ce corps nous sert de demeure, nous demeurons loin du Seigneur; c'est pourquoi nous souhaitons de quitter la demeure de ce corps, pour aller demeurer avec le Seigneur (II Cor., V, 6, 8). Mais qu'est-il besoin que j'oppose un plus grand nombre de nos passages aux paroles de Celse pour faire voir qu'elles ne contiennent rien qui n'ait été dit parmi nous longtemps auparavant, puisque ceux que nous avons allégués jusqu'ici suffisent pour justifier clairement notre prétention ? Il semble que ce qu'il ajoute y ait quelque rapport. S'il est vrai que quelqu esprit soit descendu de la part de Dieu pour déclarer aux hommes les choses divines, c'est sans doute l'esprit qui a révélé ces vérités; c'est de ce même esprit que les anciens ont été remplis, pour publier tant de belles et de bonnes choses. Mais il ne sait pas combien cela est différent des excellentes pensées de ceux qui nous disent : Ton esprit incorruptible est répand partout, ô Dieu ! c'est pourquoi tu corriges peu à peu ceux qui tombent en quelque faute (Sag., XII, 1,2), de ceux qui nous apprennent encore parmi leurs autres enseignements, que ces mots, Recevez le Saint-Esprit (Jean, XX, 22), nous marquent, dans ce qui est donné, une qualité différente de celle qui est désignée par ceux-ci : Vous serez baptisés du Saint-Esprit dans peu de jours (Act., I, 5). On ne saurait, au reste, sans beaucoup de peine et d'étude, concevoir la différence qu'il y a entre ceux qui ne reçoivent la connaissance de la vérité, c'est-à-dire celle de Dieu, qu'à diverses fois, par intervalles et pour peu de temps, et ceux qui ont un perpétuel commerce avec Dieu, qui sont toujours animés de sa vertu, et toujours conduits par son esprit. Si Celse s'y était appliqué avec assez de soin pour y réussir, il ne nous accuserait pas d'ignorance. et il ne nous défendrait pas de traiter d'aveugles ceux qui croient que la piété se fait voir par les ouvrages qui sortent de la main des hommes, et par les productions d'un art mécanique, tel que la sculpture. Un homme qui a les yeux de l'âme bien disposés, ne sert jamais la Divinité par d'autres voies que par celles qui le conduisent à avoir toujours en vue le Créateur de l'univers, à n'adresser de v?ux qu'à lui seul, et à faire toutes ses actions comme sous les yeux de Dieu, qui sont si perçants, qu'ils pénètrent jusque dans nos pensées. Notre désir est donc, et de voir nous-mêmes, et d'être les guides des aveugles pour les amener à la parole de Dieu (ou au Verbe), qui leur fasse recouvrer la vue de l'âme, que l'ignorance leur avait fait perdre. Mais c'est en nous rendant dignes de celui qui disait à ses disciples : Vous êtes la lumière du monde (Matth., V, 14) ; de ce Verbe divin qui enseignait que la lumière a relui dans les ténèbres (Jean, I, 5) ; c'est par là, dis-je, que nous deviendrons la lumière de ceux qui sont couverts de ténèbres, que nous donnerons de la sagesse à ceux qui en manquent, que nous instruirons les ignorants (Rom., Il, 19, 20). Cependant, que Celse ne trouve pas mauvais si nous prenons pour des boiteux, pour des gens estropiés à l'égard de l'âme, ceux qui courent aux temples comme à des lieux qui ont quelque sainteté réelle, sans considérer que la main d'un vil artisan ne peut rien faire qui soit effectivement sacré. Ceux qui suivent la religion de Jésus courent aussi, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au but de leur course : et c'est alors qu'ils s'écrient avec toute la force et la confiance que donne la vérité: J'ai bien combattu dans la lice, j'ai fourni ma course, foi conservé la foi ; il ne me reste que de recevoir la couronne qui m'est réservée avec justice. ( II Tim., IV, 7, 8) ! Mais quand nous courons tous ainsi, ce n'est pas sans avoir de but certain ; quand nous combattons contre le vice, ce n'est pas comme donnant des coups en l'air (I Cor., IX, 26), c'est plutôt comme attaquant les sujets du prince qui a l'empire de l'air, de cet esprit qui déploie maintenant son efficace dans les incrédules (Ephés., II, 2J. Que Celse dise donc que nous ne vivons qu à l'égard de notre corps, la partie morte de notre être . nous à qui s'adressent ces paroles :Si vous vivez selon la chair, vous ne pouvez éviter la mort ; mais si vous mortifiez par l'esprit les actes du corps, vous vivrez (Rom., VIII, 13) : et qui savons encore que si nous vivons par l'esprit, nous devons aussi nous conduire par l'esprit (Gal., V, 25). Tâchons seulement de faire en sorte que nos actions convainquent de mensonge celui qui nous fait ce reproche.

Après ce que nous venons d'examiner, selon que nous en avons été capables, Celse nous parle de la sorte : Si vous aviez tant d'envie d'innover, combien auriez-vous mieux fait de choisir quelqu'un qui fut mort glorieusement, et en qui la fiction qui l'aurait fait Dieu, trouvât au moins à se soutenir? Si vous ne vous accommodiez pas d'Hercule, d'Esculape, et de ces autres héros de l'antiquité. vous aviez Orphée qui était sans contredit un homme divinement inspiré et qui est mort lui aussi, de mort violente. Mais peut-être que vous aviez été devancés par d'autres à son égard. Vous pouviez donc prendre Anaxagore que qui, comme on le pilait dans un mortier avec la dernière barbarie, témoignait un généreux mépris pour ce supplice. Broyez, broyer, disait-il, l'étui d'Anaxarque; car pour lui vous ne le touchez point. Parole vraiment digne de l'Esprit divin. Mais il y en avait encore d'autres qui faisaient déjà profession d'être ses disciples pour la  physique. que. Vous pouviez prendre Épictète qui
comme son maître lui tordait violemment la jambe : Vous me rompez la jambe, lui dit-il en souriant et sans s'émouvoir ; et comme il la lui eût rompue, ne l'avais-je pas bien dit, ajouta-t-il, que vous me la rompriez ? Qu'est-ce que votre Dieu a dit de pareil dans les tourments? Quand vous vous seriez adressés à la Sybille, dont quelques-uns de vous font valoir l'autorité, vous auriez été mieux fondés à lui donner Dieu pour père. Mais vous avez pris le vain parti de faire glisser dans ses écrits plusieurs choses pleines d'impiété, et vous nous présentez pour Dieu, celui qui a fini son infâme vie par une mort pleine de misère. N'aviez-vous pas des sujets incomparablement plus propres pour votre dessein, et en Jonas, englouti par le grand poisson, et en Daniel, échappé des griffes des lions, et en d'autres, dont les aventures tiennent encore plus du prodige? Puisqu'il nous renvoie à Hercule, qu'il nous produise quelques-uns de ses discours dont la mémoire se soit conservée, et qu'il le justifie de sa honteuse servitude chez  Omphale Qu'il nous fasse voir si les honneurs divins peuvent être dus à un homme qui enlève par force, comme un voleur de grand chemin, et qui dévore ensuite le boeuf d'un pauvre laboureur, se divertissant à s'entendre maudire par ce misérable dont il mangeait le bien : d'où vient qu'encore à présent on accompagne de malédictions, à ce que l'on dit, les sacrifices qu'on offre au démon, qui se fait adorer sous le nom d'Hercule. Il nous parle encore d'Esculape, pour nous obliger à répéter ce que nous en avons déjà dit mis nous nous en contentons. Pour Orphée, que trouve-t-il en lui de si admirable, qui lui fasse dire que c'était sans contredit un homme divinement inspiré; ce qui suppose une vie sainte? Je suis fort trompé si la chaleur de Celse à disputer contre nous, et son dessein d'abaisser Jésus, !ne sont la cause des louanges qu'il donne ici à Orphée , et si, quand il a lu des vers qui célèbrent des divinités, dont ils content des fables si impies, il ne les a rejetés lui-même avec indignation, comme des vers qui méritent mieux que ceux d'Homère, d'être bannis d'une république bien policée. En effet, ce qu'Orphée dit des dieux, les rend beaucoup plus indignes de ce nom que ce qu'en dit Homère. j'avoue qu'il a de la grandeur d'âme dans cette parole d'Anaxarque à Aristocréon , tyran de Chypre : Broyez , broyez l'étui d'Anaxarque. Mais c'est la seule chose digne d'admiration que Ies Grecs puissent rapporter de lui , et quoiqu'il ait mérité par là d'être révéré, et de Celse, et des autres, à cause de sa vertu, il ne faut pas dire pourtant qu'il doive être mis au rang des dieux. On nous propose aussi Épictète, dont on admire justement la fermeté , bien qu'au fond ce qu'il dit, quand son maître lui rompait la jambe, n'ait rien de comparable , ni avec les actions étonnantes de Jésus, que Celse refuse de croire , ni avec ses merveilleux discours : ces discours, qui ont été tellement accompagnés de la vertu divine , qu'encore à présent ils convertissent non quelques personnes simples seulement, mais plusieurs même des plus éclairées. Puisqu'il ajoute, après avoir fait l'énumération de tous ceux à qui il nous renvoie : Qu'est-ce que votre Dieu a dit de pareil dans les tourments (I Pier., II, 23) ? il lui faut répondre que le silence de Jésus , sous les coups et au milieu des supplices, a marqué plus de fermeté et de constance que tout ce que les Grecs ont pu dire dans les maux qu'ils souffraient. Celse refusera-t-il de. croire ce qu'en disent de bonne foi des auteurs sincères, qui ont écrit dans toute la vérité ce que Jésus a fait d'étonnant , et qui mettent au nombre des choses de cet ordre le silence qu'il garda pendant qu'on le déchirait à coups de fouet? Il conserva toujours cette merveilleuse douceur dans les insultes qui lui furent faites , et quand on le revêtit d'un manteau d'écarlate, et quand on lui mit sur la tête une couronne d'épines, et quand on lui mit dans la main un rseau au lieu de sceptre, il ne lui échappa jamais rien de bas, jamais une parole de ressentiment contre ceux qui lui faisaient tant d'outrages (Matth., XXVII, 26, 28, 29). Puis donc qu'il a eu la constance de se laisser fustiger sans ouvrir la bouche, et qu'il a souffert avec tant de douceur toutes les insultes de ceux qui l'outrageaient, il n'a pas été capable de dire par faiblesse comme quelques-uns se l'imaginent : Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi, s'il est possible : toutefois qu'il en soit non selon ma volonté, mais selon la tienne (Matth., XXVI, 39). La prière qui semble être renfermée dans ces paroles pour l'éloignement de ce qui est désigné par le nom de calice, cache un sens que nous avons expliqué ailleurs , où nous l'avons examiné plus particulièrement. Mais pour les prendre le plus simplement qu'il est' possible , voyez si dans cette prière, il n'y a rien qui blesse la piété que l'on doit à Dieu , et s'il n'est pas naturel à tous les hommes de regarder les adversités non comme des choses désirables d'elles-mêmes mais comme des accidents qu'il faut soutenir quand on s'y trouve exposé, quoiqu'on voulût bien ne l'être pas. Outre que ces paroles, toutefois qu'il en soit, non selon ma volonté, mais selon la tienne, ne sont pas les paroles d'un homme qui succombe sous le faix, mais d'un homme qui supporte patiemment les maux qui lui arrivent, et qui se soumet avec respect aux ordres de la Providence. Celse veut ensuite, je ne sais pas par quelle raison , qu'au lieu de donner Dieu pour Père à Jésus, nous eussions mieux fait de le donner à la Sibylle , dans les écrits de laquelle il soutient que nous avons fait glisser plusieurs choses pleines d'impiété. Mais il ne fait point voir quelles sont ces choses que nous avons fait glisser dans les écrits de la Sibylle ; ce qu'il devait faire, en produisant des vieux exemplaires non altérés, où ne se trouvât point ce qu'il croit que  nous y avons fait glisser : et il ne se met pas même en peine de justifier que ce soient des choses pleines d'impiété. Il poursuit; et parlant de la vie de Jésus, il la traite d'infâme vie. comme il a déjà fait, non deux ou trois fois, mais très souvent. Il ne s'arrête point cependant à examiner chacune des .actions que Jésus a faites pendant sa vie, ni à nous marquer ce qu'il y trouve d'infâme. Il veut avoir le privilège non seulement d'avancer des choses sans les prouver, mais aussi de dire des injures sans connaître celui à qui il les dit. Au lieu que s'il s'était attaché à faire voir quelle sortie d'infamie il trouve dans la vie et dans les actions de Jésus, nous, de notre côté, nous serions mis en devoir de défendre tous les endroits par où il les aurait attaquées. Pour ce qui est de la mort pleine de misère, qu'il reproche à Jésus, c'est un reproche que l'on pourrait faire aussi, et à Socrate et à cet Anaxarque dont il vient de nous parler, et à une infinité d'autres. Si la mort de Jésus a été pleine de misère, peut-on dire que la leur ne l'ait pas été? Et si leur mort n'a pas été pleine de misère, peut-on dire que celle de Jésus l'ait été? Vous voyez encore ici que Celse n'a pour but que de faire des outrages à Jésus : et je ne puis m'imaginer autre chose sinon qu'il y est poussé par quelque esprit du nombre de ceux dont Jésus a détruit et abattu la puissance, qui maintenant se trouvent privés de la fumée et du sang dont ils se nourrissaient, en séduisant ceux qui cherchent Dieu sur la terre, dans les simulacres, au lieu de s'élever jusqu'au vrai Dieu, le souverain Maître de toutes choses. Après cela, comme s'il ne se proposait que de grossir son livre, il assure que nous aurions eu plus de raison de prendre Jonas pour Dieu, que de faire passer Jésus pour tel : et il met ainsi Jonas, qui n'a prêché la pénitence qu'à la seule ville de Ninive ( Jon., Ill, 4 ), au-dessus de Jésus, qui l'a prêchée à tout le monde et avec bien plus de fruit. Il trouverait bon que nous fissions un dieu de celui qui, par un miracle surprenant, est demeuré trois jours et trois nuits dans le ventre d'un grand poisson (Ibid.. II, 1), et il trouve mauvais que celui qui a bien voulu souffrir la mort pour les nommes, celui à qui Dieu a rendu témoignage par les prophètes et qui a fait, et au ciel et sur la terre, des choses si admirables et si avantageuses, soit estimé à cause de cela même digne d'un honneur qui ne le cède qu'a celui que l'on rend au grand Dieu. Pour Jonas, il fut englouti par le poisson (Ibid., I, 3.}) parce qu'il refusait d'aller faire  les dénonciations dont Dieu l'avait chargé : mais Jésus a souffert la mort pour les hommes, après avoir prêché la doctrine que Dieu lui avait donné ordre d'apporter au monde. Celse ajoute que nous aurions dû plutôt adorer Daniel, échappé des griffes des lions (Dan., VI, 23) que Jésus, qui a foulé aux pieds la férocité de toutes les puissances ennemies (Col.,II, 15; Luc., X,19), et qui nous  donne le pouvoir de marcher sur les serpents, sur les scorpions sur toutes les forces de l'adversaire. Enfin n'en ayant plus d'autres à nommer, il achève en disant : Et d'autres dont les aventures tiennent encore plus du prodige : par où il veut aussi donner atteinte à Jonas et à Daniel ; car l'esprit qui est en Celse ne sait ce que c'est que de dire du bien des justes.

Voyons maintenant ce qu'il ajoute : Ils ont aussi, dit-il, ce précepte : que l'on ne doit point repousser les outrages;et voici comme ils l'expriment; Si l'on vous frappe sur une joue, présentez encore l'autre (Matth., V, 39). Mais la même chose a été dite longtemps avant eux. Tout ce qu'il y a du leur, ce n'est que l'expression grossière. En effet, Platon introduit Socrate s'entretenant de la sorte arec Criton (Dans le ?riton]) Il ne faut donc faire d'injustice à personne. Sans doute. Ni même, quoi qu'on en pense ordinairement, à ceux qui nous font injustice les premiers, puisqu'en général il ne faut faire aucune injustice. C'est ce qu'il me semble. Mais dites-moi, Criton, est-il pemis de faire du mal ou s'il ne l'est pas? Je ne crois pas qu'il le soit. Socrate. Et si l'on nous fait du mal, est-il juste que nous en rendions, comme la plupart se l'imaginent, ou s'il n'est pas juste ? Il n'est pas juste, à mon avis : car il n'y a point de différence entre faire du mal à quelqu'un et lui faire injustice. Vous avez raison : de sorte qu'il ne faut ni faire injustice à aucun homme, ni lui faire du mal de  quelque manière que vous en ayez été traité. C'est ainsi que parle Platon; et il ajoute encore: Voyez donc bien si vous êtes en ceci d'accord avec moi, et si nous pouvons bâtir sur ce fondement ; qu'il n'est jamais permis de faire injustice, quand même nous y aurions été provoques, ni de rendre le mal que l'on nous a fait; ou si vous êtes d'une autre opinion, et ne voulez pas admettre ce principe, ç'a toujours été mon sentiment et ce l'est encore. Voilà quelles sont les maximes de Platon, et les hommes divins qui l'ont précède, en avaient de toutes pareilles. Mais que cela suffise sur c? sujet ; et sur les autres matières que ces gens n'ont prises d'ailleurs que pour les gâter. Si quelqu'un en veut faire un examen plus exact, il peut se satisfaire sans beaucoup de peine. Il est aisé de répondre ici et ailleurs, où quand Celse ne peut attaquer directement la vérité des choses que nous disons, il soutient qu'elles ne nous sont pas particulières, et que les Grecs les ont dites aussi bien que nous. Car si le dogme est bon en lui-même et qu'il ne nous engage à rien que d'honnête, soit qu'il ail été proposé par les Grecs dans les écrits de Platon ou de quelque autre de leurs sages, soit qu'il ait été avancé par les Juifs dans les livres de Moïse, ou dans ceux de quelqu'un des prophètes, soit qu'il ait pris son origine parmi les chrétiens dans les enseignements qui nous restent de Jésus-Christ ou de ses apôtres, cela n'en change point la nature. Il ne faut pas s'imaginer que ce soit une objection valable contre une chose due par les Juifs ou par les chrétiens, de soutenir qu'elle a aussi été dite par les Grecs, surtout si nous faisons voir que les Juifs l'emportent sur les Grecs pour l'antiquité. Il ne faut pas croire non plus que les belles expressions des Grecs fassent nécessairement qu'une même chose soit meilleure étant dite par eux qu'étant dite par les Juifs ou par les chrétiens qui l'expriment d'une manière plus simple et moins noble ; bien qu'au reste le style des anciens Juifs, je veux dire celui des prophètes, dans les livres qu'ils nous ont laissés, ait aussi ses grâces conformes au génie de la langue hébraïque, en laquelle ces livres ont été écrits. Si même il faut montrer, quoiqu'il semble que ce soit un paradoxe, que ces dogmes, les mêmes dans le fond, sont mieux exprimés par les prophètes des Juifs ou par les auteurs des chrétiens, on le peut prouver de cette sorte par une comparaison prise des viandes et de la différente manière de les apprêter. Supposons qu'une viande saine et capable de fortifier ceux qui en usent, soit apprêtée et assaisonnée non pour des gens peu accoutumés aux ragoûts, pour des laboureurs, des paysans, et des misérables ; mais pour des personnes qui vivent à leur aise et qui aiment à se bien traiter. Supposons encore que cette même viande soit apprêtée non comme le demandent les personnes délicates, mais comme elle a coutume de l'être pour les pauvres, pour les gens de la campagne et pour les nommes du commun. Si l'on m'avoue, selon la supposition, que dans l'état où est cette viande par la première manière de l'apprêter, il n'y a que ceux qu'on appelle communément les gens de qualité qui en mangent et qui en ressentent les bons effets, pendant que tous les autres n'en goûtent pas ; au lieu que dans l'autre état, le reste des hommes en mangent à millions et en reçoivent de l'utilité, lesquels estimerons-nous le plus par rapport à l'avantage public, ceux qui apprêtent ces bonnes viandes pour n'être servies qu'à des personnes de marque, ou ceux qui les apprêtent pour le plus grand nombre? Je veux que de l'une et de l'autre manière ces viandes soient également saines et nourrissantes; toujours est-il constant que si nous sommes obligés d'aimer tous les hommes et de leur faire du bien, il suit de là que les devoirs de l'humanité sont mieux remplis par un médecin, qui prend soin de la santé de tout le monde indifféremment, que par un autre, qui se borne à conserver celle de quelques particuliers. Après avoir bien compris cette comparaison, il faut l'appliquer aux aliments spirituels dont la partie raisonnable de notre être se nourrit. Voyez donc si Platon et les premiers sages d'entre les Grecs, dans les belles choses qu'ils débitent, ne sont pas comme ces médecins qui, donnant uniquement leurs soins à la santé de ceux qui tiennent un rang considérable dans le monde, négligent celle de tout le reste des hommes. Au lieu que les prophètes des Juifs et les disciples de Jésus, qui font un grand mépris de tout cet artificieux arrangement de paroles, de cette sagesse des hommes (I Cor., II, 4), comme elle est nommée dans l'Écriture, de cette sagesse selon la chair (II Cor., I, 12), qui ne veut pas parler naturellement, ressemblent à ceux qui s'étudient à rendre d'une utilité plus générale les bonnes qualités des aliments qu'ils apprêtent. C'est pour cela que ceux dont je parle accommodent leurs expressions à la portée de l'esprit du peuple, et qu'ils n'affectent point un langage différent du sien, de peur de le rebuter par cette affectation, et d'empêcher qu'il n'écoute des discours qui seraient tout à fait étranges pour lui. En effet, si le véritable usage de l'aliment spirituel, pour continuer à m'exprimer de la sorte, est de rendre doux et patient celui qui le mange, peut-on nier qu'il ne soit mieux apprêté lorsqu'il est en état de donner de la douceur et de la patience à une infinité de personnes, ou de les faire au moins avancer dans l'acquisition de ces vertus, que lorsqu'il n'est propre qu'à faire un petit nombre d'hommes doux et patients, quand il serait vrai qu'il en pourrait faire quelques-uns ? Si un Grec avait entrepris de donner de salutaires leçons à des gens qui n'entendraient que l'égyptien ou le syriaque, la première chose qu il ferait, ce serait d'apprendre leur langue : et il aimerait mieux passer pour barbare dans la Grèce, en. parlant comme les Égyptiens ou les Syriens, pour pouvoir leur être utile, que de demeurer toujours Grec et de n'avoir pas le moyen de les instruire. Ainsi la bonté divine, qui étend ses soins non seulement sur ceux qui sont en réputation de bien entendre les sciences grecques, mais en général sur tous les hommes, proportionne ses enseignements à la capacité de cette foule de personnes simples à qui elle les adresse. Elle veut attirer l'attention des moins polis, qui font le grand nombre par des façons de parler qui leur soient familières, afin que de la sorte, étant une fois introduits, ils puissent facilement et comme à l'envi pénétrer jusqu'à ce qu'il y a de plus profond dans les mystères de l'Écriture. Car il n'y a point d'homme qui en la lisant, ne soit obligé de reconnaître qu'elle contient plusieurs choses, dont on peut dire qu'elles renferment un sens plus caché que celui qui se présente d'abord ; mais ce sens n'est que pour ceux qui s'appliquent à méditer cette divine parole, el il se laisse voir à eux à proportion des soins qu'ils y donnent et de l'ardeur qu'ils y apportent. Nous avons donc montré que, lorsque Jésus a dit grossièrement, comme le. veut Celse : si l'on vous frappe sur une joue, présentez encore l'autre, et si quelqu'un veut entrer en procès avec vous et vous ôter voire habit, laissez-lui aussi votre manteau (Matth., V, 39, 40) ; il a suivi en s'exprimant de la sorte, une idée  plus universellement utile aux hommes et plus propre à faire impression sur leur esprit, que Platon n'a fait dans son Criton, où il est si éloigné d'être intelligible aux personnes sans lettres, qu'à peine l'est il à ceux qui ont fait une étude suivie de toutes les sciences par lesquelles on s'ouvre l'entrée à cette philosophie dont les Grecs font tant d'estime. Il faut encore remarquer que le précepte de la patience n'est point gâté par la manière simple et commune de le proposer; et que c'est ici, comme partout, un esprit de calomnie contre notre profession, qui rail dire à Celse : Mais que cela suffise sur ce sujet et sur les autres matières que ces gens n'ont prises d'ailleurs que pour les gâter. Si quelqu'un en veut faire un examen plus exact, il peut se satisfaire sans beaucoup de peine. Voyons maintenant ce qu'il ajoute.

Passons à autre chose, dit-il. Ils ne peuvent souffrir les temples, ni les autels, ni les simulacres. .C'est ceq ue ne peuvent souffrir non plus, ni les Scythes, ni les Nomades, peuple de Libye, ni les Sères qui n'ont point de Dieu, ni quelques autres nations, les plus impies et les plus barbares du monde. Les Perses sont aussi dans le même sentiment, selon le témoignage d'Hérodote, dont voici les paroles. Je sais que parmi les Perses, c'est une coutume établie en forme de loi, de ne faire point de simulacres, et de ne point bâtir d'autels ni de temples, jusque là qu'ils accusent de folie ceux qui ont une pratique contraire. Ce qui tient, à mon avis, de ce qu'ils ne croient pas, comme font les Grecs, que les dieux soient d'une nature semblable à l'humaine. Héraclite encore parle en ces termes : Ceux qui adressent leurs voeux à ces simulacres, font comme s'ils parlaient aux parois, sans connaître ce que c'est ni que les dieux, ni que les héros. Que nous disent-ils là-dessus de meilleur que ce que dit Héraclite, qui fait assez entendre que c'est avoir perdu le sens que d'adresser des v?ux à des simulacres, si l'on ne connaît ce que c'est que les dieux et les héros ? C'est ainsi qu'Héraclite en parle : mais pour eux, ils condamnent absolument les simulacres, et ils les traitent avec le dernier mépris. S'ils ne prétendent autre chose, sinon que cette pierre, ce bois, ce bronze ou cet or, qu'un tel ou un tel a mis en ?uvre ne soit pas un Dieu, ils sont bien ridicules avec leur sagesse. Car qui est l'homme, s'il n'est tout à fuit abruti, qui puisse prendre cela pour des dieux et non pour des choses consacrées à l'honneur des dieux, pour des figures qui les représentent ? Mais, s'ils prétendent qu'on ne doit pas même admettre les images de la Divinité, parce que Dieu a une toute autre forme, selon le sentiment qui leur est commun avec les Perses, ils ne prennent pas garde qu'ils se combattent eux-mêmes, puisqu'ils disent que Dieu a fait de l'homme sa propre image, et qu'il lui a donné une figure pareil e à la sienne. Après tout, ils diront  qu'a la vérité ces simulacres tout faits et dédiés à l'honneur de certains êtres, soit qu'il y ait entre eux du rapport ou qu'il n'y en ait pas, à l'égard de la figure : mais que ces êtres-là sont des démons et non pus des dieux, et qu'il ne faut pas que ceux qui adorent Dieu servent les démons (Liv. I). On doit répondre à cela que si les Scythes, les Nomades de Lybie, les Sères qui, à ce que dit Celse, n'ont point de dieu, et ces autres nations, les plus impies et les plus barbares du monde, si les Perses, encore, ne peuvent souffrir les temples, les autels, ni les simulacres, il ne s'ensuit pas que, parce que nous ne les pouvons souffrir, non plus qu'eux, nous soyons pour cela les uns et les autres en mêmes termes. Il faut examiner les dogmes qui portent ceux qui ne peuvent souffrir les temples ni les simulacres à être dans cette disposition, afin de louer ceux qui s'y portent par des dogmes conformes à la raison, et de blâmer au contraire ceux qui le font sur de faux principes; car on peut faire une même chose par des principes différents. Par exemple, les philosophes, sectateurs de Zénon, Citien, se gardent de commettre adultère; les disciples d'Épicure s'en gardent aussi, et il y a des personnes qui s'en abstiennent sans avoir aucune teinture des préceptes de la philosophie : mais voyez combien il y a de différence entre les raisons qu'en ont les uns el celles qu'en ont les autres. Les premiers considèrent l'intérêt de la société civile, jugeant que la nature elle-même défend à l'homme, qui est un être raisonnable, de corrompre une femme que les lois ont déjà donnée à un autre, et de souiller la maison d'autrui. Les épicuriens ne raisonnent pas ainsi: el s'ils s'abstiennent de l'adultère, c'est parce qu'ils regardent la volupté comme le souverain bien, et qu'on se forme une infinité d'obstacles à la volupté, pour la seule volupté de l'adultère quand on s'y abandonne. On s'expose souvent à la prison, à l'exil et à la mort même. On court encore beaucoup d'autres dangers avant ceux-là, pendant qu'on épie l'heure que le mari ou ceux qui sont dans ses intérêts sortent du logis. De sorte que si l'on suppose qu'en commettant adultère on pût se dérober à la connaissance du mari et de tous ses domestiques, et de ceux dont on perdrait l'estime, un épicurien suivrait sans doute le conseil de la volupté qui le solliciterait à celle action. Un homme sans étude qui, trouvant l'occasion d'un adultère, ne veut pas s'en servir, le fait ordinairement par la crainte des peines que les lois dénoncent, et non en vue de jouir d'un plus grand nombre d'autres voluptés. Ainsi, l'un voit qu'un fait, qui paraît élire le même tant qu'on s'abstient également de l'adultère, n'est pas pourtant le même, mais est extrêmement différent, si l'on considère les motif» de ceux qui s'en abstiennent : car on s'en abstient, ou par des bons principes, ou par des principes pernicieux et détestables, comme font les épicuriens et ces particuliers de qui nous avons parlé. Comme donc cette chose, je veux dire cette retenue qui en apparence n'est qu'une, se trouve dans la vérité être plusieurs choses, par rapport aux différents dogmes et aux différents motifs de ceux qui s'y portent, il en est de même de ceux qui ne peuvent souffrir dans le culte de la Divinité, les autels, ni les temples, ni les simulacres. Les Scythes, les Nomades de Libye, les Sères sans dieu, et les Perses le font par des principes tout autres que les principes qui engagent et les chrétiens el les Juifs à ne pouvoir souffrir qu'on emploie ces mêmes choses dans le service que l'on rend à Dieu. Il n'y a aucun de tous ceux-là qui abhorre les autels et les simulacres, par la crainte d'abaisser ou d'attacher et de réduire le culte de la Divinité à ces sortes de matières, ainsi mises en oeuv??. Ils ne les abhorrent point non plus par cette persuasion, que les démons affectent certaines figures et certains lieux, soit qu'ils y soient arrêtés par la vertu de quelques charmes magiques, ou que, par quelque autre raison que ce puisse être, ils aient choisi ces endroits-là et s'y soient fixés pour y chercher une volupté criminelle dans la fumée des sacrifices de laquelle ils se repaissent avidement, et pour se rendre les maîtres des criminels eux-mêmes qui les leur offrent. Mais les chrétiens et les Juifs ont cet ordre en vue : Craignez le Seigneur votre Dieu, et ne servez que lui seul, et celui-ci : N'ayez point d'autres dieux que moi (Deut., VI, 13) : et cet autre : Ne vous faites point d'image, ni de représentation d'aucune chose qui soit en haut dans le ciel, ni en bas sur terre, ni dans les eaux sous la terre; ne les adorez et ne les servez point (Exode, XX,3 et 4) : et cet autre encore : Adorez le Seigneur, votre Dieu, et ne servez que lui seul (Matth., IV, 10). C'est en considération de ces ordres et de plusieurs autres semblables, que non seulement ils ne peuvent souffrir les temples, ni les autels, ni les simulacres, mais qu'ils vont même courageusement à la mort, quand il le faut, plutôt que de souiller par aucune action indigne, l'idée qu'ils ont du Dieu de l'univers. Pour ce qui est des Perses, nous avons déjà remarqué ci-dessus qu'à la vérité ils ne bâtissent point des temples, mais qu'ils adorent le soleil et les autres ouvrages de Dieu, ce que nous regardons comme une chose illicite, nous qui  avons appris à ne point servir les créatures au mépris du Créateur (Rom., I, 25) ; et qui savons que les créatures doivent être délivrées de la corruption à laquelle elles sont asservies, et jouir de la glorieuse liberté des enfants de Dieu (Ibid., VIII, 20). Comme nous savons donc que les créatures attendent avec impatience la manifestation des enfants de Dieu,  (Ibid., 19), et qu'elles ont été assujetties à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui les y a assujetties avec espérance (Ibid. 20) : nous ne croyons pas que des choses asservies à la corruption et assujetties à la vanité, qui demeurent dans cette condition sous l'espérance d'un meilleur état, doivent tenir, dans notre culte, la place de Dieu, à qui il ne manque aucun bien, et de son Fils, le premier-né de toutes les créatures (Col., I, îj). Il suffira d'avoir ajouté ici ce peu de mots à ce que nous avions déjà dit des Perses qui abhorrent les autels et les simulacres, mais qui servent les créatures an mépris du Créateur. Sur ce que Celse allègue aussi d'Héraclite, et sur le commentaire qu'il y joint, qui porte que c'est avoir perdu le sens que d'adresser des v?ux à des simulacres, si l'on ne connaît ce que c'est que tes dieux et les héros (PS. LXXXI ou LXXXII, 1) : il lui faut répondre qu'il est aisé de reconnaître que Dieu et le Fils unique de Dieu, et ceux que Dieu a honorés du titre de dieu, et qui sont participants de sa divinité, sont bien différents de tous les dieux des Gentils, de ces dieux qui sont des démons ( PS. XCV ou XCVI, 5) : mais qu'il n'est pas possible de connaître Dieu et d'adresser en même temps des v?ux à des simulacres. Et ce n'est pas seulement de ceux qui adressent des v?ux à des simulacres qu'on doit dire qu'ils ont perdu le sens ; on le doit dire aussi de ceux qui feignent d'y en adresser, se laissant entraîner au torrent de la multitude, comme font les philosophes péripatéticiens et les sectateurs d'Épicure ou de Démocrite. Car il ne faut pas qu'il y ait rien qui se démente dans une âme qui a une piété véritable pour la Divinité. Aussi refusons-nous d'honorer les simulacres pour éviter, autant qu'il dépend de nous, de tomber dans ce qui peut donner l'idée que les simulacres soient d'autres dieux (Exode, XX, 3). C'est ce qui fait que nous condamnons, et Celse, et tous ceux qui avouent que ce ne sont pas là des dieux. Ils passent pour sages, et cependant ils rendent eux-mêmes un honneur apparent aux simulacres, par où ils engagent dans le péché les peuples
 qui suivent leur exemple et qui non seulement regardent le culte qu'on défère à ces objets comme une coutume à laquelle ils doivent s'accommoder, mais qui se laissent même aller à cette pensée, que ce sont de véritables divinités, ne pouvant souffrir qu'on leur dise que ces choses qu'ils adorent ne sont pas des dieux. Celse dit bien qu'il ne faut pas prendre cela pour des dieux . mais pour des choses consacrées à l'honneur des dieux. Cependant il ne fait point voir que ce ne soient pas des choses consacrées à l'imagination des hommes, plutôt que des choses consacrées à l'honneur des dieux mêmes, comme il parle, bien qu'il soit constant qu'elles sont consacrées pair des hommes qui sont dans l'erreur sur le fait de la Divinité. Nous ne croyons pas non plus que ces simulacres soient des images de la Divinité; nous qui ne voulons pas qu'on limite par des figures la forme de Dieu qui est un être invisible et immatériel. Mais puisque Celse s'imagine que nous tombons en contradiction, en ce que, d'un côté, nous disons que Dieu n'a pas la forme humaine, et que, de l'autre, nous faisons profession de croire que Dieu a fait de l'homme sa propre image, l'ayant formé à sa ressemblance (Gen., I,27), il lui faut répondre, comme on a déjà fait ci-devant, que, selon nous, c'est dans l'âme raisonnable, formée à la vertu, que sont imprimés ces traits de l'image de Dieu, bien que Celse, qui ne voit pas la différence qu'il y a entre être l'image de Dieu et être fait selon l'image de Dieu, prétende que nous disions que Dieu a fait de l'homme sa propre image et qu'il lui a donné une figure pareille à la sienne. C'est aussi ce qui a été examiné ci-dessus. Après tout, ils diront, ajoute-t-il, en parlant des chrétiens, qu'à la vérité ces simulacres sont faits et dédiés à l'honneur des certains êtres, soit qu'il y ait entre eux du rapport ou qu'il n'y en ait pas, à l'égard de la figure ; mais que ces êtres-là sont des démons et non pas des dieux, et qu'il ne faut pas que ceux qui adorent Dieu servent les démons. Si Celse était instruit, touchant la nature des démons et des choses que chacun d'eux opère y étant portés, soit par la force des conjurations de ceux qui en savent l'art, soit par leur propre inclination, qui les détermine à agir selon leur penchant et leur pouvoir : s'il entendait bien, dis-je, cette matière, qui est d'une longue discussion et d'une conception difficile à l'esprit humain, il ne trouverait pas étrange que nous disions que ceux qui adorent le grand Dieu ne doivent pas servir les démons. Pour nous, nous sommes si éloignés de vouloir servir les démons, que nous les chassons même par nos prières et par les autres moyens que nous avons appris dans les saintes Écritures, hors des âmes des hommes, hors des lieux où ils s'étaient établis, et quelquefois hors des animaux; car il n'y a pas jusqu'à ceux-ci qui ne se ressentent souvent du mal que savent faire les démons.

Après toutes les choses que nous avons dites de Jésus dans ce qui a précédé, ce serait faire une répétition inutile que de répondre à ces paroles de Celse : Il est aisé de les convaincre, et la chose parle d'elle-même, qu'ils adorent, non un Dieu, non même des démons, mais un mort. Laissant donc là cette objection sans nous y arrêter davantage, passons à ce qu'il ajoute : Premièrement, dit-il, je voudrais bien leur demander pourquoi il ne faut pas servir les démons. Cela empêche-t-il que toutes les choses du monde ne soient conduites suivant le plaisir de Dieu; et que la Providence ne soit la seule qui gouverne tout? Quelque chose qui se fasse dans l'univers, soit par un Dieu, soit par des anges, soit par d'autres démons, soit par des héros, tout n'est-il pas réglé par les lois du Dieu souverain, pendant que ces puissances inférieures sont établies pour quelques emplois particuliers, selon que chacune en est jugée digne ? N'est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu, serve aussi ceux à qui Dieu a communiqué un tel pouvoir? Mais c'est qu'il n'est pas possible qu'un même homme serve plusieurs maîtres. Voyez encore combien il ramasse ici de choses dont l'examen demande une grande application d'esprit et une profonde connaissance de ce qu'il y a de plus caché dans le gouvernement de l'univers ; car il faut examiner comment on doit entendre que toutes les choses du monde sont conduites suivant le plaisir de Dieu; cl si cette conduite s'étend ou ne s'étend pas jusque sur les péchés. Si l'on dit qu'elle s'étend jusque sur les [lèches, tant des hommes que des démons et des autres êtres immatériels qui peuvent être capables de pécher, c'est à ceux qui le disent à voir combien il y a d'inconvénients à soutenir que toutes les choses du monde sont conduites suivant le plaisir de Dieu, puisqu'il suit de ce sentiment que tous les désordres du péché et tous les effets de la corruption sont conduits selon le plaisir de Dieu, ce qui est bien différent de dire que Dieu n'empêche pas qu'ils n'arrivent. A prendre donc le mot de conduire dans sa propre signification, quand on dit que les mauvaises actions sont conduites par Dieu, c'est autant que si l'on disait que toutes choses étant conduites suivant le plaisir de Dieu, ceux qui font ces mauvaises actions ne pèchent point contre sa conduite. Il faut faire la même distinction sur le sujet de la Providence. Lorsqu'on dit que la Providence de Dieu est la seule qui gouverne tout, on dit une chose très véritable, si ce qu'on attribue à la Providence ne renferme rien que de juste. Mais, si l'on prétend attribuer à la Providence absolument tout ce qui se fait, quelqu'injuste qu'il puisse être, il n'est pas vrai que la Providence de Dieu soit la seule qui gouverne tout, si ce n'est qu'on veuille rapporter à la Providence de Dieu ce qui n'est qu'une dépendance de ses effets. Celse dit encore que quelque chose qui se fasse dans l'univers, soit par un dieu, soit par des anges, soit par d'autres démons, soit par des héros, tout est réglé par les lois du Dieu souverain. Mais ce qu'il dit n'est pas vrai ; car on ne peut pas dire que ceux qui pèchent suivent, quand ils pèchent, les lois du Dieu souverain : et nous apprenons de l'Écriture que ce ne sont pas seulement les méchants hommes qui pèchent, mais aussi les mauvais démons et les mauvais anges. Au reste nous ne sommes pas les seuls qui parlions des mauvais démons : presque tous ceux qui reconnaissent des démons, en reconnaissent avec nous de mauvais. Ainsi donc il n'est pas vrai que tout soit réglé par les lois du Dieu souverain ; car tous ceux qui s'éloignent de la loi de Dieu, soit par mégarde, soit par malice, soit par faiblesse, soit par ignorance, tous ceux-là ne se règlent pas par la loi de Dieu, mais par la loi du péché (Rom., VIII, 2j, pour me servir de ce nouveau mot avec l'Écriture. Je dis que, selon la pensée de la plupart de ceux qui reconnaissent des démons, il y en a de mauvais qui, bien loin de se régler par les lois de Dieu, s'en éloignent et les violent ; mais selon notre créance, c'est là le propre de tous les démons en général qui, n étant pas d'abord des démons, le sont devenus, s'écartant de la bonne voie, de sorte que le nom de démons marque une espèce d'êtres qui ont abandonné Dieu. Il ne faut donc pas que ceux qui adorent Dieu servent les démons. On peut s'instruire encore de ce qui regarde les démons . si l'on considère la pratique de ceux qui les font agir par des charmes, pour donner de l'amour ou de la haine, pour empêcher certaines actions, et pour une inimité d'autres choses semblables. Car c'est ce que font ceux qui s'entendent à conjurer les démons, et à les ménager, comme il leur plaît, par la force des enchantements, et par les secrets de l'art magique. Ainsi nous n'avons garde de servir aucun démon, nous qui adorons le grand Dieu : et c'est servir les démons que de servir ce que l'on veut faire passer pour des dieux; car tous les dieux des Gentils sont des démons (Ps. XCV ou XCVI. 5). Cela paraît même, en ce que la première dédicace de ce que les peuples estiment le plus sacré et à quoi ils attribuent le plus de vertu, je veux dire de leurs temples et de leurs simulacres les plus fameux, ne s'est point faite par d'autre moyen que par des conjurations fort mystérieuses ; des conjurations où ont été employés ceux qui s'appliquent à servir les démons suivant les préceptes de la magie. C'est ce qui nous a fait prendre une si ferme résolution de fuir le culte des démons comme la mort ; et nous estimons que tout le culte que l'on prétend rendre aux dieux parmi les Grecs, dans les temples, auprès des autels et devant les simulacres, se rend en effet aux démons. Ce qu'il dit ensuite, qu'il y a des puissances inférieures établies sous l'autorité du grand Dieu pour quelques emplois particuliers, selon que chacune en est jugée digne, est une question qui demande un très profond savoir. Car il faut déterminer si le Verbe de Dieu qui gouverne toutes choses, a établi les mauvais démons pour certains emplois, à peu près comme les bourreaux sont établis dans les villes, et comme dans tous les états il y a des officiers dont les fonctions ont quelque chose de cruel, bien qu'elles soient nécessaires ; ou bien s'il en est des démons comme de ces voleurs qui, s'attroupant dans les déserts, choisissent quelqu'un d'entre eux pour les commander : si, dis-je, les démons qui sont répandus comme par troupes dans divers endroits de la terre, ont pris eux-mêmes un chef qui les conduise dans les entreprises qu'ils font pour insulter et pour piller les âmes des hommes. Afin d'éclaircir tout cela parfaitement, et de bien faire l'apologie des chrétiens qui refusent d'adorer autre chose que le grand Dieu et son Verbe, le premier-né de toutes les créatures (Col., l, 15), il. faudrait expliquer aussi ce passage : Tous ceux qui sont venus avant moi sont des larrons et des voleurs; mais les brebis ne les ont point écoutés ( Jean, X, 8 ) ; et cet autre : Le larron ne nient que pour dérober, pour tuer et pour détruire (Ibid., 10); et s'il y en a encore de pareils dans l'Écriture sainte, comme quand il est dit : Voyez, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents, sur les scorpions et sur toute la puissance de l'ennemi, sans que rien vous puisse offenser (Luc., X, 19) ; et ailleurs : Tu marcheras sur l'aspic et sur le basilic, tu fouleras aux pieds le lion et le dragon ( Ps. XC ou XCI, 13). Mais Celse ne savait point ces choses; car s'il les avait sues, il n'aurait pas dit : Quelque chose qui se fasse dans l'univers, soit par un dieu, soit par des anges, soit par d'autres démons, soit par des héros, tout n'est-il pas réglé par les lois du Dieu souverain, pendant que ces puissances inférieures sont établies pour quelques emplois particuliers, selon que chacune en est jugée digne ? N'est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu, serve aussi ceux à qui Dieu a communiqué un tel pouvoir ? Il ajoute : Mais c'est qu'il n'est pas possible qu'un même homme serve plusieurs maîtres : ce que nous examinerons dans le livre suivant. Car celui-ci, qui est le septième que nous avons écrit contre Celse, est déjà d'une longueur raisonnable.
 
 

LIVRE HUITIÈME.

Voilà sept livres que nous avons achevés, et voici le huitième que nous commençons. Dieu et son Fils unique, son Verbe, veuillent tellement nous assister, que les mensonges de Celse auxquels il a donné sans raison le titre de Discours véritable, soient fortement repoussés, et que les vérités du christianisme soient mises dans une claire évidence, autant que le sujet de cette dispute le permettra. C'est le plus ardent de nos voeux, de pouvoir nous appliquer ces paroles : Nous sommes tes hérauts de Jésus-Christ (II Cor., V, 20 ); et de pouvoir dire dans une disposition pareille à celle de saint Paul : Nous exhortons les hommes comme si Dieu les exhortait lui-même par nous. Nous souhaitons, dis-je, d'être les hérauts de Jésus-Christ envers les hommes, comme le Verbe de Dieu de son côté exhorte les hommes à loi donner à lui-même des témoignages de leur amour. En quoi il ne se propose que d'inspirer l'amour de la justice, de la vérité et de toutes les vertus, à ceux qui, avant que d'avoir embrassé la doctrine de Jésus-Christ, vivaient dans d'épaisses ténèbres à regard de Dieu, et dans une profonde ignorance de celui qui les a créés : je le dirai encore une fois, Dieu veuille nous donner un discours solide, discours véritable en nous donnant le Seigneur lui-même qui fait voir sa force et sa puissance dans la guerre contre le péché (Ps. XXIII ou XXIV,8) ! Reprenons maintenant la suite des objections de Celse et de nos réponses.

Il nous demandait avec surprise, dans ce qui précède immédiatement, pourquoi nous ne servons pas les démons; mais à tout ce qu'il a dit des démons, nous avons opposé les lumières que nous avons puisées dans les saintes Écritures. Après cela, sur cette demande par laquelle il nous voulait porter à servir aussi les démons, il nous fait faire cette réponse : C'est qu'il n'est pas possible qu'un même homme serve plusieurs maîtres ; ce qui est, selon lui, une parole de sédition et qui sent les gens qui se cantonnent, comme il parle, pour rompre commerce avec les autres hommes. Il croit que ceux qui parlent ainsi, transportent autant qu'il dépend d'eux leurs propres faiblesses à Dieu. Il estime donc que quand il s'agit des hommes, il y a lieu de dire que l'on n'aurait pas raison de vouloir entreprendre d'en servir deux à la fois, parce que les services que l'on rendrait à l'un pourraient porter préjudice à l'autre, de sorte qu'un premier engagement doit empêcher que l'on n'en prenne un second; qu'ainsi encore l'on ne peut servir ensemble des héros différents ou d'autres pareils démons sans faire tort à quelqu'un d'eux. Mais à l'égard de Dieu qui est au-dessus de ce tort et de ce préjudice, il ne croit pas qu'il soit raisonnable d'en juger, comme des hommes, des héros et de ces autres démons, ni de faire difficulté de servir plusieurs dieux. Il dit que quand on sert plusieurs dieux en cela même qu'on rend ses services à ce qui appartient au grand Dieu, on fait quelque chose qui lui est agréable ; et il ajoute qu'il n'y en a aucun qui soit en droit de prétendre qu'on l'honore, s'il n'en a reçu le privilège du Dieu souverain, mais qu'aussi lorsqu'on rend de l'honneur et du respect à ceux qu'il avoue, il n'a garde de s'en offenser, lui de qui ils dépendent tous. Avant que de passer outre, voyons si c'est à tort que nous approuvons cette maxime, que nul ne peut servir deux maîtres ( Matth., VI, 24 ), avec la raison qui en est ajoutée, c'est, que ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre; et ce qui suit encore, qu'on ne peut servir Dieu et Mammon. Pour mettre la vérité dans son jour, nous sommes obligés d'entrer dans une question fort abstruse et fort difficile, touchant ceux qui portent le nom de dieux et de maîtres ou de seigneurs ; car l'Écriture sainte reconnaît un souverain Seigneur au-dessus de tous les dieux ( Ps. XCVI ou XVII, 9). Mais par ces dieux dont elle parle, nous n'entendons pas les dieux adorés parmi les nations. Elle nous a appris elle-même que tous les dieux des Gentils sont des  démons ( Ps. XCV ou XCVI, 5). Nous entendons ces dieux dont le prophète nous représente l'assemblée au milieu de laquelle le grand Dieu préside pour les juger et pour leur assignera chacun leur propre emploi. Dieu, dit-il, assiste dans l'assemblée des dieux; il préside là au milieu d'eux et il les juge. Car Dieu est le Seigneur des Dieux (Ps. LXXXI ou LXXXII,1); c'est lui qui par le moyen de son Fils a appelé la terre depuis l'Orient jusqu'à l'Occident ( Ps. XLIX ou L, 1). Aussi sommes-nous exhortés d'un côté à célébrer le Dieu des dieux (Ps., CXXXV ou CXXXVI, 2); et nous savons de l'autre que Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants ( Matth., XXII, 32 ). Ce sont là des choses qui nous sont enseignées non seulement dans les passages que nous venons de citer, mais dans une infinité d'autres. Les saints écrits nous montrent à n'avoir point d'autres sentiments et à ne former point d'autres idées du Seigneur des seigneurs. Tantôt ils nous disent : Célébrez le Dieu des dieux, parce que sa miséricorde dure à jamais; célébrez le Seigneur des seigneurs, parce que sa miséricorde dure à jamais ( Ps. CXXXV ou CXXXVI,2 et 3 ) : ailleurs ils nous apprennent que Dieu est le Roi des rois et qu'il est le Seigneur des seigneurs ( I Tim., VI, 15 ). L'Écriture nous apprend encore que comme il y a des dieux qui n'en ont que le nom et d'autres qui le sont effectivement, soit qu'ils en aient le nom ou qu'ils ne l'aient pas, il en est de même des seigneurs dont es uns le sont en effet, et les autres n'en ont que l'apparence. C'est ce qui fait dire à S. Paul: Bien qu'il y en ait  qui soient appelés dieux, soit dans le ciel, soit dans la terre, et qu'ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs ( I Cor., Vlll, 5). Mais puisque le Dieu des dieux appelle de l'Orient et de l'Occident par Jésus à se ranger dans son héritage ceux qu'il lui plaît d'y appeler, et que le Christ de Dieu, qui est aussi le Seigneur, fait voir qu'il est le plus puissant de tous les seigneurs, en ce qu'il est entré dans les états de tous les autres, et que de là il a pris pour ses sujets ceux qu'il a voulu. Saint Paul, qui savait toutes ces choses, ajoute, après ce que nous venons de rapporter : Pour nous, nous n'avons qu'un seul Dieu, qui est le Père, duquel toutes choses tirent leur être, et qui nous a faits pour lui, et nous n'avons qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par lequel toutes choses ont été faites, comme c'est aussi par lui que nous sommes tout ce que nous sommes (I, Cor., Vlll, 6). Ensuite, comme il remarquait qu'il y avait là dedans quelque chose de fort admirable et de fort mystérieux, il ajoute encore, Mais tous n'ont pas cette connaissance. Au reste, quand il dit : Pour nous, nous n'avons qu'un seul Dieu, qui est le Père, duquel toutes choses tirent leur être, et nous n'avons qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par lequel toutes choses ont été faites (I Cor., VIII, ). Ce Nous doit s'entendre tant de lui que de tous ceux qui s'élèvent jusqu'au Dieu souverain, le Dieu des dieux, et jusqu'au souverain Seigneur, le Seigneur des seigneurs (Deutér., X, 17 ). Et pour s'élever ainsi jusqu'au Dieu souverain, il faut l'adorer d une manière qui nous unisse à lui constamment et indissolublement, par son Fils, Dieu le Verbe et la Sagesse, qui s'est manifestée en Jésus. C'est en effet ce Fils tout seul qui conduit à Dieu, au Créateur de l'univers, ceux qui font tous leurs efforts pour s'en approcher, par la régularité de leurs paroles, de leurs actions, de leurs raisonnements et de leurs idées. Je ne doute pas que ce ne soit sur le modèle de ces expressions et de quelques autres semblables, que le prince de ce siècle, qui se déguise quelquefois en ange de lumière, a voulu former celle-ci : A sa suite vient l'armée des Dieux et des démons divisés en douze bandes (Il Cor., XI, 14). Après quoi, celui à qui il l'a dictée ajoute, parlant de soi et des autres philosophes ; Pour nous, nous sommes (ou étions) de la troupe de Jupiter ; et les autres de celle des autres démons (Platon dans son Phédon), Comme donc il y a plusieurs dieux, soit de nom, soit de fait, et pareillement plusieurs seigneurs, nous mettons tous nos soins à nous élever non seulement au-dessus de ce que les peuples de la terre adorent comme des dieux, mais au-dessus même de ce qui e*l ainsi nommé dans les Écritures (Ephés., Il, 12 ) ; et qui est entièrement inconnu à eux qui n'ont aucune part aux alliances que Dieu a établies par Moïse et par Jésus, notre Sauveur, ni aux promesses qu'il a publiées par eux. L'on s'élève jusqu'à ne rendre aucun service aux démons, lorsqu'on ne fait rien qui puisse leur être agréable : et l'on s'élève même au-dessus de ce qui est échu en partage à ceux qui sont appelés dieux par saint Paul, lorsqu'on regarde soit comme eux, soit de quelqu'autre manière que ce puisse être, non les choses visibles, mais les invisibles ( II Cor., IV, 18 ). C'est ce que l'on fait encore lorsque, voyant que les créatures attendent avec impatience la manifestation des enfants de Dieu, comme elles y sont obligées, non pas volontairement, mais à cause de celui qui les a assujetties à la vanité, avec espérance, on a de bons sentiments de ces créatures qui doivent être toutes délivrées de la corruption à laquelle elles sont asservies, et jouir de la glorieuse liberté des enfants de Dieu (Rom., VIII, 19 et 20} ; mais qu'on ne se laisse point aller à servir tout à la fois et Dieu et quelque autre, à servir deux maîtres en même temps. Ce n'est donc point là une parole de sédition dans la bouche de ceux qui, entendant bien ces matières, refusent de servir plusieurs maîtres et s'attachent uniquement au Seigneur Jésus-Christ qui prend soin d'instruire lui-même ceux qui le servent, afin qu'après les avoir instruits et en avoir fait un royaume digne de Dieu, il les donne à Dieu son Père. Ils se cantonnent de la sorte, rompant commerce avec ceux qui ne sont point du nombre des sujets de Dieu, et qui sont des étrangers à l'égard de ces alliances (Ephés., Il, 12), Ils veulent vivre comme des citoyens du ciel qui ont l'avantage d'approcher du Dieu vivant, de la ville de Dieu, la Jérusalem céleste, de la troupe innombrable des anges, de l'assemblée et de l'église des premiers nés, dont les noms sont écrits dans le ciel (Philipp., III, 20). Ce n'est pas, au reste, dans la crainte de porter quelque préjudice à Dieu ( Hébr., XII, 22 et 23), de la même manière qu'un homme croirait souffrir du préjudice, si celui qui le sert en servait un autre en même temps ; ce n'est pas dans cette crainte, dis-je, qu'en servant Dieu par son Verbe et par sa vérité, nous refusons d'en servir aucun autre avec lui. C'est de peur de nous porter préjudice à nous-mêmes, en nous détachant du partage du grand Dieu, où nous vivons d'une manière qui approche de sa béatitude, par le moyen de l'esprit d'adoption, cet esprit divin qui ne met pas de simples paroles dans la bouche des enfants du Père céleste, mais qui leur imprime dans le c?ur quelque chose de bien plus réel, les faisant crier d'une voix forte, bien que ce soit en secret, Abba, c'est-à-dire Mon Père ( Rom., VIII, 15). Les ambassadeurs des Lacédémoniens, craignant de violer la loi de Lycurgue, la seule dont ils reconnaissaient l'empire, refusèrent d'adorer le roi de Perse (Hérodote) quelques efforts que fissent ses gardes
 pour les y obliger. Ceux qui soutiennent, au nom de Jésus-Christ une ambassade bien plus noble et bien plus divine, n'adoreront jamais non plus ni le prince des Perses, ni celui. des Grecs, ni celui des Égyptiens, ni celui de quelque autre nation que ce puisse être, quelques efforts que les gardes de ces princes, je veux dire les démons, les anges du diable, fassent pour les y contraindre et pour leur persuader de désobéir à une loi plus excellente que toutes les lois de la terre (II Cor., V, 20 ) ; car ce Jésus-Christ, dont ils sont les ambassadeurs et qui par là même est leur Seigneur, est ce Verbe, qui était au commencement, qui était avec Dieu, et qui était Dieu lui-même ( Jean, I,1 ).

Mais puisque, sur ce chapitre des héros et de certains démons, il semble que Celse touche une matière d'une spéculation plus profonde qu'il ne s'imagine, ajoutant, après ce qu'il nous a dit des services qui se rendent aux hommes, une comme l'intérêt de ceux-ci ne peut souffrir que celui qui sert déjà un maître veuille encore en servir un autre, il en est de même à l'égard des héros et d'autres pareils démons ; il faut lui demander ce qu'il entend par ces héros, et quels sont ces autres pareils démons dont il parle. Il faut lui faire expliquer comment celui qui sert un héros, ne doit pas en servir un autre, et comment celui qui sert un de ces démons ne doit pas en servir un autre non plus, de peur de porter au premier qu'il aurait servi le même préjudice que l'on porte aux hommes, quand à un premier maître on en ajoute un second. Il faut le prier de nous dire en quoi c'est que consiste le préjudice que l'on peut porter aux héros ou à ces autres démons. Il sera contraint de se jeter dans un abîme de répétitions et de contradictions, repassant sur tout ce qu'il a dit et renversant lui-même ce qu'il a posé, ou s'il veut éviter ce précipice, il faudra qu'il avoue qu'il ne sait ce que c'est que les héros, et que la nature des démons est une chose pour lui inconnue. Mais, pour revenir aux hommes dont on dit que ceux qu'on servait seuls d'abord, souffriront du préjudice, si l'on en sert ensuite quelque autre avec eux, il faut aussi demander à Celse quelle espèce de préjudice il prétend que souffriront les premiers, par les services que l'on voudra rendre en même temps à un autre. S'il entend avec les personnes du commun, qui ne raisonnent pas en philosophes, un préjudice qui consiste dans les choses extérieures, il fera voir qu'il n'est pas même capable de goûter ces belles paroles de Socrate : Anitus et Mélitus peuvent bien me faire mourir, mais ils ne peuvent me faire de préjudice : car il n'est pas possible que celui qui est élevé par la vertu souffre du préjudice de ceux qui sont au-dessous de lui ( Platon, dans l'Apologie ). Mais si, par ce préjudice, il entend quelque acte ou habitude vicieuse, il est constant que deux sages, qui seront en des lieux différents, pourront être servis par un même homme, sans que ni Fun ni l'autre en souffre aucun préjudice. Si donc le sens en est aussi peu raisonnable de cette manière que de l'autre, c'est en vain que Celse veut tâcher, par ce qu'il nous allègue, d'affaiblir et de détourner, ailleurs la vérité de cette maxime, que nul ne peut servir deux maîtres. Il faudra reconnaître plutôt qu'elle n'est véritable qu'à l'égard du service qu'on rend au Dieu souverain, par son Fils qui nous conduit à lui. Au reste, nous ne servons pas Dieu comme s'il avait besoin de nos services ou qu'il dût s'affliger si nous ne les lui rendions pas. Nous le servons, parce que nous y trouvons notre propre avantage, et qu'en servant ce grand Dieu pat son Fils unique, son Verbe et sa Sagesse, nous nous mettons au-dessus de tout ce qui pourrait nous causer de la douleur ou du chagrin.

Voyez encore avec combien de légèreté Celse ajoute : Car quand vous rendriez aussi vos services à quelque autre être de ceux qui sont dans tout l'univers. Par où il insinue que le service que nous rendons à Dieu nous conduit directement, et sans que nous en devions rien craindre, à quelqu'un de ces êtres qui appartiennent à Dieu. Mais ensuite, comme s'il s'apercevait qu'il n'a pas eu raison de dire, car quand vous rendriez aussi vos services à quelque autre être de ceux qui sont dans tout l'univers, il se reprend aussitôt, et il continue son discours par celte espèce de correction, qu'il n'y en a aucun qui soit en droit de prétendre qu'on l'honore. s'il n'en a reçu le privilège de Dieu. Sur quoi il nous permettra de lui faire cette question : Dites-nous de grâce, Celse, d'où pouvez-vous prouver que ceux qui sont honorés comme des dieux, comme des démons ou comme des héros, en aient reçu le privilège de Dieu, et non de l'ignorance et de la simplicité des hommes qui, étant tombés dans l'erreur, ont abandonné celui à qui il appartient proprement d'être honoré? On honore Antinoüs, comme vous le disiez vous-même, il n'y a pas longtemps. Cependant vous ne voudriez pas soutenir que ce soit le grand Dieu qui ait donné à ce mignon d'Adrien le privilège d'être honoré comme un dieu. Nous en dirons autant des autres, et nous demanderons qu'on nous fasse voir comment c'est le Dieu souverain qui leur adonné ce privilège. Si pour réponse l'on nous fait la même demande sur le sujet de Jésus, nous prouverons que Dieu lui a donné le privilège d'être honoré, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père (Jean, V, 23). Car toutes les prédictions qui ont été faites de lui avant sa naissance étaient autant de motifs pour porter les hommes à l'honorer, et les miracles qu'il a faits, non par les charmes de la magie, comme Celse se le persuade, mais par une vertu divine, qui avait elle-même été prédite par les prophètes, ont aussi été autorisés par le témoignage de Dieu. De sorte qu'en honorant le Fils qui est le Verbe ou la raison (Jean. I,1), on tire cet avantage de l'honneur qu'on lui rend, qu'on ne fait rien contre la raison; en l'honorant encore, lui qui est la vérité (Jean, XIV, 6), on en profite par cela même qu'on honore la vérité, ce qui se doit dire tout de même de l'honneur qu'on lui rend, en tant qu'il est la sagesse et la justice (I Cor., I, 30), et qu'il porte tous ces autres noms que l'Écriture sainte donne au Fils de Dieu. Ainsi l'honneur que l'on rend au Fils de Dieu et celui que l'on rend à Dieu le Père consistent dans une vie pure. Voyez si ce n'est pas ce qui nous est enseigne dans ce passage : Vous qui vous glorifiez dans la loi, déshonorez-vous Dieu par la violation de la loi ( Rom., Il, 23) ? Et dans cet autre : Combien plus rude croyez-vous que sera le châtiment dont sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour une chose profane le sang de l'alliance par lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l'esprit de la grâce (Hébr., X, 29) ? En effet, puisque celui qui viole la loi déshonore Dieu par cette violation, et que celui qui foule aux pieds la parole de Dieu, foule aux pieds le Fils de Dieu même, il est clair que celui-là honore Dieu, qui garde sa loi, et que celui-là sert Dieu, qui fait gloire d écouter sa parole et de vivre comme elle l'ordonne. Si Celse savait bien qui sont cent que Dieu avoue, savoir uniquement les personnes vertueuses, et qui sont ceux que Dieu ne reconnaît point, savoir tous les méchants qui n'ont aucun esprit de retour vers la vertu, il s'entendrait peut-être mieux qu'il ne fait quand il dit : Lors donc qu'on rend de l'honneur et du respect à ceux que Dieu avoue, comment pourrait-il s'en offenser, lui de qui ils dépendent tous?

Il ajoute : Celui qui dit en parlant de Dieu, qu'il n'y en a qu'un seul qu'on doit appeler Seigneur, celui-là encore est un impie qui divise le royaume de Dieu et qui veut y introduire la sédition, comme s'il y avait divers partis, dont l'un eût un chef et l'autre un autre. Il serait bien fondé à parler ainsi, s'il pouvait faire voir par des démonstrations évidentes que ceux qui sont honorés comme des dieux, parmi les Gentils, sont effectivement des dieux, et qu'il pût nous convaincre que ceux qu'on prétend qui habitent auprès des simulacres, des temples et des autels, ne sont pas de mauvais démons. Pour ce qui est de nous, qui faisons du royaume de Dion le sujet le plus ordinaire de nos discours et de nos écrits, nous ne souhaitons rien tant que d'en bien connaître la nature, afin que nous soyons en état de n'avoir d'autre roi que Dieu et de posséder nous-mêmes son royaume. Mais pour Celse, qui veut nous porter à servir plusieurs dieux, s'il voulait parler conformément à ses principes, il devait plutôt dire le royaume des dieux que le royaume de Dieu. Il n'y a donc point divers partis qui divisent l'empire où Dieu règne, et il n'y a point d'autre Dieu qui se fasse chef de parti contre lui, bien qu'il y ait quelques hommes assez perdus pour vouloir combattre contre Dieu comme des Géants ou des Titans, et pour déclarer la guerre avec Celse, et à celui qui a rendu une infinité de témoignages en faveur de Jésus, et à Jésus qui s'est présenté lui-même à tout le monde avec des trésors de grâces, pour le salut du genre humain, se proportionnant à la portée de chacun, lui qui est le Verbe qui nous instruit.

Il pourrait sembler à quelqu'un que ce que Celse dit après cela contre nous a quelque vraisemblance. Si ces gens, dit-il, ne servaient rien qu'un seul Dieu, ils auraient peut-être contre les autres quelques raisons assez fortes. Mais ils rendent des honneurs excessifs à cet homme qui a paru au monde depuis trois jours, et cependant ils croient ne pécher en rien contre Dieu, en faisant part de leur culte à son ministre. A cela il faut répondre que si Celse savait ce que signifient ces paroles : Mon Père et moi nous ne sommes qu'un (Jean, X, 30), et ces autres prononcées par le Fils de Dieu dans sa prière: Comme toi et moine sommes qu'un (Jean, XVII, 22) il ne se persuaderait pas que nous servissions quelque autre que le grand Dieu. Car. dit encore ce même Fils, mon Père est en mot, et je suis en mon Père (Jean, XIV, 11 et XVII, 21). S'il y avait quelqu'un qui prit d'ici occasion de s'imaginer que nous entrons dans le sentiment de ceux qui nient que le Père et le Fils soient deux hypostases (ou subsistances ou personnes), qu'il pèse soigneusement ces paroles : Tous ceux qui avaient cru n'étaient qu'un coeur et qu'une âme (Act., IV, 32), et il comprendra ce que veulent dire celles-ci : Mon Père et moi nous ne sommes qu'un ( Jean. X,30). Nous servons donc un seul Dieu, le Père et le Fils, comme nous l'avons fait voir, et nos raisons demeurent dans toute leur force contre les autres. Si nous rendons des honneurs, qu'il appelle excessifs, à cet homme qui a paru au monde depuis trots jours,ce n'est pas comme aune personne qui ne fut point auparavant ; car nous lui ajoutons foi. lorsqu'il dit : Avant qu'Abraham fût, je suis; et encore, Je suis la vérité (Jean, VIII, 58 et XIV,6). Il n'y a aucun parmi nous d'un esprit assez grossier pour croire que la vérité ne fût pas un être qui subsistât avant la venue de Jésus-Christ. Ainsi nous adorons le Père de la vérité, et le Fils qui est la vérité, les considérant comme deux choses à l'égard de leur hypostase (ou subsistance), mais comme une seule et même chose à l'égard de leur accord, de la conformité de leurs sentiments et de la parfaite union de leur volonté. De sorte que qui a vu le Fils qui est le rejaillissement de la gloire et le caractère de l'hypostase (ou la subsistance) de Dieu, a vu Dieu en voyant celui qui est l'image de Dieu (II Cor.,IV, 4) .Celse veut encore que parce que nous rendons nos hommages et à Dieu et à son Fils, il suive de là que, selon nous, ce n'est pas Dieu seul qu'il faut servir, mais que l'on doit aussi servir ses ministres. S'il entendait parler de ceux qui sont les vrais ministres de Dieu, après son Fils unique, de Gabriel, de Michel et des autres anges ou archanges, et qu'il dit d'eux qu'il les faut servir, peut-être qu'après avoir purgé la signification du mot même de servir, et les actions qu'on doit faire dans ce service, nous dirions là-dessus ce que nous serions capables de penser, en traitant un sujet de cette importance; mais puisque, par ses ministres, il entend les démons adorés parmi les gentils, nous ne nous croyons pas obligés d'entrer dans la question du service qu'il veut qu'on leur rende, à eux que les enseignements de l'Écriture nous font regarder comme les ministres du Malin, du prince de ce siècle, qui détourne du service de Dieu tous ceux ou il peut. Nous refusons donc de servir et d adorer tous ceux que les autres hommes adorent, parce que nous ne reconnaissons pas en eux cette qualité de ministres : car si nous avions été instruits à les considérer comme les ministres du grand Dieu, nous n'aurions garde de les traiter de démons. Nous rendons, autant qu'il nous est possible, l'hommage de nos supplications et de nos prières à un seul Dieu et à son seul Fils, oui est son Verbe et son image. Je veux dire que nous présentons nos v?ux au Dieu de l'univers, par son Fils unique.

C'est à ce Fils que nous les offrons d'abord, le suppliant, comme la victime qui s'est faite la propitiation de nos péchés (I Jean, II, 2) et comme notre grand sacrificateur (Hébr., IV, 14 ), de présenter nos v?ux, nos oblations et nos prières au Dieu souverain. De cette sorte, notre foi se porte à Dieu par son Fils, qui la confirme en nous: et Celse ne saurait faire voir que nous fassions de ce Fils de Dieu le sujet d'aucune sédition. En un mot, c'est rendre nos hommages au Père que de marquer notre respect à son Fils, qui est le Verbe, la sagesse, la vérité, la justice  (Jean, I.1; I Cor., 1, 30; Jean, XIV, 6), et toutes ces choses dont nous savons que les noms sont attribués au Fils de Dieu comme à celui qui a été engendré par un tel Père. En voilà assez sur cet article.

Celse ajoute : Si vous vous mettez en devoir de leur apprendre que celui au ils appellent le Fils de Dieu n'est point son Fils en particulier, mais que Dieu est le Père de tous les hommes, et que c'est Dieu seul proprement ou il faut adorer, ils ne seront plus d'humeur à l'adorer lui-même, à moins qu'ils n'adorent en même temps ce chef de leur cabale séditieuse, auquel ils donnent le titre de Fils de Dieu, non pour témoigner à Dieu un plus grand respect, mais pour élever cet homme le plus qu'ils peuvent. Comme en apprenant qui est le Fils de Dieu, nous avons appris qu'il est le rejaillissement de sa gloire et le caractère de (Gr, son hypostase) sa subsistance (Hébr.,I, 3); qu'il est encore une exhalaison de la vertu de Dieu, une effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, une réflexion de sa lumière éternelle, un miroir très net de sa puissance et une vive image de sa bonté (Sag., VII, 25 et 26), nous savons aussi que, comme il porte le nom de Fils à l'égard de Dieu, Dieu porte le nom de Père à son égard. Il n'y a rien là d'indécent, et ce n'est point une chose indigne de Dieu, de reconnaître un tel Fils pour son Fils unique ( Matlh., III, 17 ). Personne ne nous saurait jamais ôter cette persuasion, qu'un tel Fils ne peut avoir qu'un Père éternel, comme est Dieu. Si Celse a ouï parler de quelques-uns oui nient que le Fils de Dieu «oit le Fils du Créateur de cet univers, c'est à lui à s'en expliquer avec ceux qui peuvent être dans ce sentiment. Jésus n'est donc point le chef d'une cabale séditieuse; il est le prince et Tunique auteur de la paix, comme il Ie disait à ses disciples : Je vous laisse la paix, et je vous donne ma paix (Jean, XIV, 27] ; après quoi il ajoute, sachant bien que les sommes du monde, qui ne sont pas du parti de Dieu, nous feraient la guerre : ce n'est pas de manière que le monde donne la paix, que je vous donne la mienne. Ainsi, à quelques afflictions que nous soyons sujets dans   le monde, nous les soutenons avec courage, assurés sur ce qu'il nous a dit : Vous aurez des afflictions dans le monde; mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde (Jean, XVI, 33) .C'est celui-là que nous tenons pour le Fils de Dieu, de Dieu, dis-je. pour qui nous avons un si grand respect, s'il faut se servir paroles de Celse, et c'est un Fils duquel nous savons qu'il a été élevé à une suprême grandeur par ce Dieu qui est son Père (Philipp., II, 9). Je veux qu'il y en ail quelques-uns, comme il n'est pas possible que dans la grande multitude de ceux qui croient, tous soient d'un sentiment uniforme, qui supposent trop légèrement que notre Sauveur soit le Dieu souverain, nous n'aurons pas la même pensée, nous qui croyons ce qu'il nous a dit : Mon Père, qui m'a envoyé, est plus grand que moi (Jean, XlV, 28); et nous n'aurons garde de soumettre au Fils de Dieu, comme Celse nous l'impute faussement, celui à qui nous donnons maintenant le nom de Père. Voici de quelle sorte il en parle dans la suite. Pour faire voir que je ne m'écarte point du but en proposant leur créance, je me servirai de leurs propres paroles, telles que je les ai tirées d'un certain dialogue qu'ils appellent le Dialogue céleste, où ils s'expriment en ces termes : « Si le Fils de Dieu est plus puissant que son Père, et que cependant il soit lui-même soumis au Fils de l'homme, quel autre que celui-ci pourra être le maître au Dieu qui gouverne le monde? D'où vient qu'il y a tant de gens sur le bord du puits et que personne n'y descend? Pourquoi, après avoir tant fait de chemin, manquez-vous ici de courage ? Vous vous trompez. répond l'autre, car j'ai du courage et une épée. " Ne parait-il pas de là que leur dessein est tel que je l'ai représenté? Ils supposent qu'il y a un autre Dieu au-dessus des deux, qui est le Pire de celui qu'ils adorent d'un commun accord; et de la sorte, sous prétexte de servir le grand Dieu, ils servent uniquement ce Fils de l'homme qu'ils ont pris pour leur patron, et qui est, disent-ils, le maître du Dieu qui gouverne le monde, étant plus puissant que lui. C'est pour cela qu'ils recommandent si soigneusement de ne point servir deux maîtres, afin que leur esprit de cabale n'ait d'autre objet que celui-là seul. Je ne sais où peut être cachée cette hérésie qu'il est allé chercher, pour en emprunter ces choses dont il veut rendre encore tous les chrétiens responsables. Je dis qu'elle est cachée, puisque nous, qui avons eu tant de disputes avec es hérétiques, n'avons jamais ouï parler de ces sentiments où Celse a pris ce qu'il pose ici; s'il l'a pris au moins quelque part et qu'il ne l'ait pas plutôt inventé lui-même, ou que ce ne soit pas une simple conséquence qu'il tire. Car pour nous, qui disons que le créateur de l'univers est le maître de tout ce monde visible, nous faisons profession de croire que le Fils n'est pas plus puissant que son Père, mais qu'il lui est inférieur. C'est ce qu'il nous a appris lui-même lorsqu'il nous a déclaré que son Père, qui l'a envoyé, est plus grand que lui (Jean, XIV, 28). Il n'y a qui que ce soit parmi nous oui ait perdu le sens jusqu'à dire que le Fils de l'homme soit le maître de Dieu. Quand nous considérons notre Sauveur comme Dieu le Verbe, la Sagesse, la Justice, la Vérité, c'est alors surtout que nous disons qu'il est le maître de tous ceux qui se soumettent à lui, à cet égard; mais nous ne disons point qu'il soit le maître de son Père, le maître du Dieu qui gouverne le monde. Au reste, comme le Verbe, qui n'est autre chose que la raison pour ceux dont il se rend le maître, ne s'en rend jamais le maître malgré eux ; que cependant il y a non seulement de méchants hommes, mais aussi de mauvais anges, et qu'il n'y a point de bons démons, nous disons qu'il n'est pas encore le maître de tous ceux-là, puisqu'ils ne se soumettent pas à lui volontairement. Il est pourtant leur maître en un autre sens, comme on dit que l'homme est le maître des animaux sans raison, bien qu'il ne le soit pas par la voie de la persuasion, mais en les domptant ou en les apprivoisant, ainsi qu'on le voit en des lions et dans les bêtes de charge. Avec tout cela, ce divin Verbe n'épargne rien pour persuader ceux-là mêmes qui ne lui sont pas soumis maintenant, et pour s en rendre le maître par cet endroit. Il n'y a donc rien déplus faux, selon nous, que ce que Celse rapporte comme si c'était un de nos dogmes: Quel autre pourra être le maître du Dieu qui gouverne le monde? Ce qu'il ajoute est pris, si je ne me trompe, de quelque autre hérésie qu'il mêle et qu'il confond avec la première, ce qui ne lui est pas nouveau. D'où vient qu il y a tant de gens sur le bord du puits, et qui personne n'y descend? Et encore : Pourquoi, après avoir tant fait de chemin, manquez-vous ici de courage? R. Vous vous trompez. Et enfin : Car j'ai du courage et une épée. En quoi nous ne reconnaissons rien de vrai, nous qui sommes dans l'Église, qui ne veut pas porter d'autre nom que celui qu'elle tire de Jésus-Christ. Celse, ayant posé ce fondement, s'imagine que ce qu'il bâtit dessus est bien établi, quoique ce soient des choses qui ne nous regardent pas; car nous ne voulons point servir un Dieu dont nous nous soyons formé l'idée sur des suppositions : notre dessein est de rendre nos hommages au Créateur de cet univers et de toutes les autres choses quelles qu'elles soient, qui, ne tombant pas sous les sens, ne sont pas des parties du monde visible. C'est à ceux qui ont d'antres principes et qui prennent d'autres routes, abandonnant le Créateur pour suivre un nouveau Dieu qu'ils croient au-dessus de lui, mais un Dieu qui n'en a que le nom et qui n'est qu'un vain songe de leur esprit; c'est à eux à se défendre, et à ceux aussi, s'il y en a, qui soutiennent que le Fils a plus de puissance que son Père, et qu'il est le maître du Dieu qui gouverne le monde. Nous avons déjà dit ce que nous avions à dire sur cette maxime, qu'il ne faut pas servir deux maîtres; nous avons fait voir encore que l'on ne peut faire aucun juste reproche de cabale sur sujet de Jésus, notre Seigneur et notre maître, à ceux qui, passant par-dessus  tout ce qui porte le nom de Seigneur, font profusion de ne reconnaître d autre Seigneur  et de ne servir d'autre maître que le Fils de Dieu.

Celse dit après cela que nous nous défendons de bâtir des temples, d'élever des autels et de dresser des simulacres, parce que c'est là, à son avis, la marque dont nous sommes convenus pour gage de l'union secrète et cachée que nous entretenons ensemble. Mais il ne voit pas que nos autels sont le c?ur de chaque homme juste, d'où s'élèvent des parfums dont l'odeur toute spirituelle est véritablement une douce odeur. Ces parfums sont les prières formées dans une conscience pure, Selon ce qui est dit dans l'Apocalypse de S. Jean : Les parfums sont les prières des saints (Apoc, V, 8); et selon cette parole du psalmiste : Que ma prière soit devant loi comme le parfum ( Ps. CLX ou CLXI, 2 ). Pour les simulacres, ceux que nous estimons qu'il faut consacrer à Dieu, ce ne sont pas ceux qui sont l'ouvrage de quelque vil artisan, mais ceux qui sont formés et façonnés au-dedans de nous par la parole de Dieu, savoir, les vertus par lesquelles nous imitons le premier né de toutes les créatures (Col., l, 15), qui nous est un modèle de justice, de tempérance, de fermeté, de sagesse, de piété el de toutes les autres saintes habitudes. Tous ceux-là donc ont des simulacres en eux-mêmes, qui y reçoivent l'empreinte de la tempérance, de la justice, de la fermeté, de la sagesse, de la piété et de toutes les autres vertus, suivant les règles de cette divine parole. C'est par des simulacres de cette nature que nous sommes persuadés qu'on doit honorer le premier et le plus parfait de tous les simulacres, l'image du Dieu invisible (Ibid.), celui qui, étant Dieu lui-même, est en même temps le Fils unique de Dieu (Jean, III, 8). Ceux aussi qui se sont dépouillés du vieil homme et de ses ?uvres, et qui se sont revêtus de t homme nouveau, lequel se renouvelle en connaissance selon l'image de celui qui l'a créé (Col, III, 9 et 10), ceux-là, logeant en eux celte image du Créateur, y font voir des simulacres tels que ce grand Dieu les demande. Mais comme, parmi les sculpteurs et parmi les peintres, il y en a qui réussissent admirablement dans leurs ouvrages, par exemple, Phidias ou Polyclète parmi les premiers, et Zeuxis ou Apelle parmi les autres; qu'il y en a qui ne tiennent que le second rang, et qu'il y en a d'autres enfin qui sont encore beaucoup au-dessous; qu'en un mol il v a une extrême différence de la beauté d'un tableau ou d'une statue à celle d'un autre, il s'en trouve cependant qui représentent le Dieu souverain d'une manière bien plus exacte et bien plus parfaite que les autres; d'une manière si finie, qu'il n'y a aucune comparaison entre le Jupiter Olympien de Phidias et l'empreinte formée dans une âme selon l'image du Créateur, qui est Dieu. La plus achevée el la plus excellente de toutes ces images, à laquelle il n'y en a point de pareille dans toutes les créatures, est en notre Sauveur, qui disait, Mon Père est en moi (Jean, XIV, 10); mais chacun de ceux qui fâchent de tout leur pouvoir de l'imiter en cela, a aussi en soi un de ces simulacres formé selon l'image du Créateur, et pour le former ainsi en eux, ce qu'ils font, c'est de contempler Dieu d'un c?ur pur (Matth., V, 8), et de se rendre ses imitateurs (Ephés., V, 1). En général, on voit que tous les chrétiens s'efforcent de dresser des autels et des simulacres de la nature de ceux dont je viens de parler ; des autels et des simulacres non morts et inanimés, propres à loger ces démons sensuels qui s'attachent à des sujets sans vie, mais propres à être le séjour de l'Esprit de Dieu (iRom., Vlll, 9), qui n'en a point où il se plaise si fort que dans ces sortes de simulacres formés selon l'image du Créateur, pour être des portraits de la vertu. L'esprit de Jésus-Christ cependant prend plaisir dans une demeure avec laquelle il a, s'il faut ainsi dire tant de conformité. C'est ce qui nous est marqué dans l'Écriture, quand Dieu fait celte promesse aux justes : J'habiterai au milieu d'eux, je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (Il Cor,, VI, 16) : et quand notre Sauveur dit : Si quelqu'un écoute ma parole et lui obéit,mon Père et moi viendrons vers lui, et nous ferons notre demeure chez lui (Jean, XIV, 23). Que l'on se donne donc la peine de comparer nos autels avec ceux de Celse, et les simulacres dont une âme est ornée par sa piété pour le Dieu de cet univers, avec les simulacres faits par Phidias, par Polyclète et par leurs semblables, l'on connaîtra clairement que ceux-ci sont inanimés et que le temps les détruit, au lieu que les autres, qui sont dans une âme immortelle, y demeurent tant que cette même âme raisonnable les veut conserver. SU faut encore comparer temples avec temples, nous ferons aisément voir aux partisans de Celse que nous ne nous défendons point de bâtir des temples convenables aux simulacres et aux autels que nous admettons; mais que nous refusons d'en bâtir de morts el d'inanimés à celui qui est le seul auteur de la vie. Chacun peut savoir là-dessus, comme il nous est enseigné, que nos corps sont les temples de Dieu; et que si quelqu'un détruit ce temple de Dieu par ses vices et par ses péchés, celui-là sera détruit (I Cor., III,16,17, et VI, 19) lui-même, comme un vrai impie qui manque de respect pour un vrai temple. De tous les temples qu'on appelle ainsi, en ce sens, le plus parfait et le plus auguste, c'est le corps pur et saint de noire Sauveur Jésus qui, sachant que l'impiété des hommes pouvait bien former des entreprises contre le temple du Dieu, qui était en lui, mais non pas jusqu'à rendre leurs mauvaises intentions plus puissantes, que la Divinité qui avait bâti ce temple, disait à ces méchants, Abattez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ; ce qu'il entendait du temple de son corps (Jean, II, 19, 21). D'ailleurs l'Écriture sainte, exprimant en des termes mystiques le dogme de la résurrection à ceux qui sont capables d'entendre, avec un discernement divin, ce qui leur est enseigné de la part de Dieu» dit que le bâtiment, qui aura été détruit, sera refait de pierres vivantes, et précieuses. Par où elle nous marque que chacun de ceux à qui la même doctrine céleste apprend à pratiquer de concert les» mêmes devoirs de piété, est une pierre précieuse engagée dans le grand édifice du temle de Dieu. C'est ce qui a fait dire à S. Pierre, Vous êtes des pierres vivantes mises en ?uvre pour être une maison spirituelle ; vous êtes un ordre de Saints sacrificateurs, pour offrir à Dieu des victimes spirituelles qui lui soient agréables, par Jésus-Christ (I Pierre, II, 5) : et à S. Paul, Vous êtes un édifice posé sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ lui-même Notre -Seigneur est la pierre angulaire (Ephés., II, 20). C'est aussi dans un sens mystique à peu près semblable qu'il faut prendre ces paroles d'Isaïe, lorsqu'il dit, comme parlant à Jérusalem : Dans peu, je vais faire que tes pierres seront des escarboucles et tes fondements des saphirs ; je te ferai des remparts de jaspe, et des portes de roches de cristal ; je ferai que ton enceinte sera de pierres précieuses, et que tes enfants seront tous instruits par Dieu : ils vivront dans une profonde paix, et tu seras fondée sur la justice (Is., LIV, 11,12, 13 et 14). Entre les justes donc, les uns sont des escarboucles, les autres des saphirs ; les uns répondent au jaspe, les autres au cristal. Et tous ensemble, ils sont un amas de toutes sortes de pierres rares et précieuses. Mais d'examiner en détail la nature et les rapports de ces pierres, pour déterminer à quelles âmes le nom de chaque pierre précieuse peut convenir, ce n'est pas de quoi il s'agit maintenant. Il suffit d'avoir remarqué en peu de mots ce que l'on entend parmi nous par nos temples et par ce grand et unique temple de Dieu tout bâti de pierres précieuses. Car comme si les hommes entraient en contestation les uns avec les autres, au sujet de ce qu'on appelle communément des temples, et que chacun voulût donner l'avantage à sa patrie, ceux qui se vanteraient d'avoir chez eux les plus magnifiques, s'efforceraient d'en étaler toutes les beautés, pour montrer que celles des autres sont beaucoup au-dessous : nous en usons à peu près de même. Lorsqu'on nous querelle sur ce que nous ne croyons pas que la Divinité doive être servie dans des temples inanimés, nous opposons à cela la considération de nos propres temples, et nous faisons voir à ceux qui ne sont pas aussi aveugles que les dieux qu'ils adorent, qu'il n'y a nulle comparaison de nos simulacres aux simulacres des gentils, ni de nos autels aux leurs, ni de nos parfums, s'il faut parler de la sorte, au sang et à la fumée de leurs victimes. Je dis donc aussi de nos temples, tels que je les ai représentés, qu'ils l'emportent infiniment sur ces temples bâtis pour des choses insensibles et admirés par des hommes insensibles comme elles; des hommes qui, ne pouvant seulement concevoir qu'il y ait des sens d'un ordre tout divin, n'ont jamais eu aucun sentiment de Dieu ni des simulacres, des temples et des autels dignes de sa majesté. Ainsi, lorsque nous nous défendons de bâtir des temples, d'élever des autels et de dresser des simulacres, ce n'est pas parce que c'est la marque dont nous sommes convenus pour gage de l'union secrète et cachée que nous entretenons ensemble (Prov., II, 5) : c'est parce qu'ayant appris dans l'école de Jésus-Christ la vraie manière de servir Dieu avec piété, nous voulons éviter tout ce qui, sous une vaine apparence de piété, fait des impies de tous ceux qui s'éloignent des règles de la piété, prescrites par Jésus ; car c'est lui seul qui est la voie de la piété, comme il disait très véritablement, Je suis la voie, la vérité et la vie (Jean, XIV, 6).

Voyons encore ce que Celse ajoute ensuite en parlant de Dieu, et comme quoi il nous exhorte à recevoir l'usage des choses qui, dans la vérité, sont immolées aux idoles, ou, si vous le voulez ainsi, aux démons; bien que lui, qui proprement ne sait ce que c'est que la Divinité, ni de quelle nature sont les victimes qu'on doit lui immoler, n'ait garde de les nommer autrement que des choses immolées à la Divinité. Dieu, dit-il, pour nous y disposer, est le Dieu commun de tous les hommes ; il est bon ; il n'a besoin de rien ; il n'est pas capable d'envie : qu est-ce donc qui empêche que ceux qui lui sont te plus particulièrement dévoués, ne prennent part aux fêtes publiques ? Je ne sais par quelle imagination il prétend qu'à cause que Dieu est bon, qu'il n'a besoin de rien, qu'il n'est pas capable d'envie, il faille que ceux qui lui sont dévoués prennent part aux fêles publiques. J'avoue que la conséquence serait bonne, si l'on nous avait fait voir que les fêtes publiques n'ont rien de mauvais, et qu'elles ont été établies sur la vraie connaissance de Dieu, comme une suite du service religieux que nous lui devons. Mais si, dans ces fêtes publiques, qui ne sont des fêtes que de nom, il n'y a rien qui puisse nous persuader qu'elles s'accordent avec les devoirs de notre piété envers Dieu; si l'on justifie, au contraire, que ceux qui les ont instituées l'ont fait selon les rencontres qui leur ont donné lieu de les inventer, soit à l'occasion des aventures de quelques particuliers, soit en vue de quelques propriétés naturelles de l'eau, de la terre ou des fruits de nos campagnes, comme il y en a qui l'expliquent, il est évident que ceux qui veulent servir la Divinité d'une manière bien réglée, feraient quelque chose de contraire à la raison, s'ils prenaient part aux fêtes publiques. En effet comme l'a fort bien dit l'un des plus sages auteurs qu'ait produits la Grèce, la fête ne consiste qu'a faire ce que l'on doit (Thucyd. liv. 1) : et c'est la célébrer véritablement que de s'acquitter de son devoir, de prier sans cesse et d'offrir continuellement à Dieu, en l'invoquant, des victimes non sanglantes. C'est ce qui fait que je trouve quelque chose de grand et de noble au dernier point, dans ces paroles de S. Paul : Vous observerez les jours, les mois, les saisons et les années: je crains bien pour vous que je n'aie travaillé en vain à votre égard ( Gal, IV, 10 et 11 ) Si l'on nous objecte là-dessus nos jours de dimanche, nos jours de préparation, notre Pâque et notre Pentecôte, qui nous engagent à de certaines pratiques de dévotion, par leur retour réglé, il faut répondre à cela que le chrétien parfait qui, par ses paroles, ses actions et ses pensées, est toujours son légitime Seigneur, Dieu le Verbe, est toujours aussi dans le jour du Seigneur ; que tous les jours sont pour lui des jours de dimanche. Tout de même, celui qui se prépare sans cesse à vivre comme il faut, pour vivre véritablement, qui renonce aux douceurs de la vie par lesquelles tant d'âmes sont séduites, qui ne flatte point les inclinations de la chair, mais qui dompte son corps et qui le réduit en servitude (Rom., VIII, 6), celui-là est sans cesse dans des jours de préparation (I Cor,, IX,27). Celui encore qui a bien compris que Jésus-Christ, notre pâque, a été sacrifié pour nous (I Cor., V, 7), et qu'il faut célébrer cette fête en mangeant la chair du Verbe, celui-là n'est jamais sans faire la pâque; et, comme le mot de pâque signifie passage, il s'étudie continuellement, par tout ce qu'il pense, tout ce qu'il dit et tout ce qu'il fait, à passer des choses du monde à Dieu, s'avançant à grands pas vers sa cité sainte. Enfin celui qui peut dire dans la vérité: Nous sommes ressuscites avec Jésus-Christ (Col., II, 12 ) ; et encore : Dieu en ressuscitant Jésus-Christ nous a ressuscites avec lui, et en le faisant asseoir dans les lieux célestes nous y a fait asseoir avec lui (Ephés., II, 6), celui-là est toujours dans des jours de Pentecôte, surtout lorsque montant dans la chambre haute avec les apôtres de Jésus, il s'applique à l'oraison et à la prière (Act., I,13,14) pour se rendre digne de ce souffle impétueux qui vient du ciel (Ibid., II, 2, 3) et qui détruit par sa force toute la corruption humaine avec ses effets, pour se rendre digne même d'avoir quelque part à ces langues de feu dont Dieu fait la distribution. Mais comme le plus grand nombre de ceux qui semblent croire ne sont pas tels qu'il serait à souhaiter, et qu'il leur manque, ou la volonté, ou le pouvoir dépasser tous les jours de la manière qui vient d'être dite, ils ont besoin de quelques objets sensibles qui rafraîchissent leurs idées, de peur qu'elles ne s'effacent entièrement. C'est a mon avis la pensée de saint Paul, lorsqu'il nomme portion de fête (Col.,II,16) les fêtes qui sont fixées à de certains jours distingués des autres. Car il veut insinuer par là que la vie, conforme à la parole de Dieu n'est pas une vie où il y ait quelque portion de fête, mais qu'elle se passe tout entière dans une fête perpétuelle et non interrompue. Voyez donc encore par ce que je viens de dire de nos fêtes si, en les comparant avec les fêtes publiques de Celse, je veux dire celles des Gentils, les nôtres ne se trouveront pas d'un ordre bien plus excellent que celles-là, puisque dans les emportements, dont la célébration de ces dernières est accompagnée, on ne consulte que les inclinations de la chair (Rom., VIII, 6) pour s'abandonner à l'ivrognerie et à la dissolution. Il faudrait faire un trop long discours pour expliquer ici pourquoi dans les fêtes indites par la loi de Dieu, il est enjoint de manger du pain d'affliction ou des azymes (c'est-à-dire des pains sans levain) avec des herbes amères (Deutér., XVI, 3) ; pourquoi il est dit : Humiliez vos âmes (Exode, XII, 8), et d'autres choses semblables. L'homme étant un être composé, dans lequel les mouvements de la chair s'élèvent contre ceux de l'esprit, et les mouvements de l'esprit contre ceux de la chair (Lévite XVI, 29), il n'est pas possible que les fêtes qu'il célèbre regardent tout ce qui est en lui; car s'il les célèbre selon l'esprit, il fait souffrir son corps qui,â cause des inclinations de la chair (Gai., V, 17), n'est pas capable d'être d'une même fête que l'esprit : et s'il les célèbre selon la chair, l'esprit de son côté ne peut être de la fête. Mais en voilà assez sur les fêtes pour cette heure.

Voyons maintenant quelles raisons Celse emploie pour nous obliger à recevoir l'usage des choses immolées aux idoles, et à prendre part aux sacrifices publics qui se font dans les fêtes publiques. Si ces idoles, dit-il, ne sont rien, quel inconvénient y a-t-il à se trouver aux festins publics? Mais s'il y a des démons, il ne faut pas douter qu'ils ne soient aussi à Dieu, et qu'il ne faille croire en eux, leur faire des offrandes, selon les lois, et les invoquer, afin qu'ils nous soient favorables. Il serait fort utile, en cette rencontre, de prendre eu main et d'éclaircir tout ce que saint Paul dit dans sa première Épître aux Corinthiens, sur le sujet des choses immolées aux idoles. Il y prouve qu'il y a du mal à user de ces choses-là; il va même au-devant de ce qu'on allègue, que l'idole n'est rien dans le monde (I Cor., VIII, 4 et 11), et il montre à ceux qui ont des yeux pour de tels objets, que celui qui, en participant à des choses immolées aux idoles, fait périr ses frères pour qui Jésus-Christ est mort, est assurément plus coupable qu'un homicide. Après quoi, posant que les choses qui sont immolées sont immolées aux démons (I Cor., X, 20 et 21), il faut voir que celui qui participe à la table des démons a communion avec les démons eux-mêmes, et il conclut qu'il n'est pas possible qu'un même homme soit participant de la table du Seigneur et de la table des démons. Mais comme il faudrait faire un traité exprès et même assez étendu pour expliquer tout ce qui est dit sur ces matières, dans l'Épître aux Corinthiens, nous nous contenterons de ce qui vient d'être rapporté en peu de mots. Si l'on y fait réflexion, il sera aisé de reconnaître qu'encore que l'idole ne soit rien, il ne laisse pas d'y avoir de l'inconvénient à se trouver aux festins publics qui se font à l'honneur des idoles. Le peu que nous avons dit peut suffire aussi pour montrer que, bien qu'il y ait des démons à qui sont immolées les choses que l'on immole, nous ne devons prendre aucune part à ces choses, nous qui savons combien il y a de différence entre la table du Seigneur et la table des démons, et qui, par cela même que nous le savons, faisons tous nos efforts pour être toujours participants de la table du Seigneur, comme nous ne négligeons rien pour éviter de l'être jamais de celle des démons. Mais puisque Celse ajoute que ces démons sont à Dieu, ce qui fait qu'il faut croire en eux, leur faire des offrandes selon les lois, et les invoquer afin qu'ils nous soient favorables, il est à propos de faire remarquer à ceux qui sont bien aises d'apprendre, que jamais l'Écriture sainte ne dit des choses mauvaises qu'elles appartiennent à Dieu. Elle ne veut pas leur donner un tel maître, parce qu'elle les en juge indignes. Aussi le nom d'hommes de Dieu (Deutér., XXXIII, 1; IV Rois, I,10; II Pierr., I, 21) n'est-il pas donné à tous les hommes. Il est donné seulement à ceux qui sont dignes de Dieu, tels qu'étaient Moïse et Élie, et s'il y en a encore quelque autre qui porte ce nom dans l'Écriture ; comme on le peut encore donner à ceux qui ont des qualités approchant des premiers qui l'ont porté. Tout de même ce ne sont pas tous les anges qui sont nommés les anges de Dieu : il n'y a que les anges bienheureux. Pour ceux qui se sont tournés au mal, ils sont nommés les anges du diable : comme les hommes méchants sont nommés des hommes dépêché, des enfants de pestilence, des fils d'iniquité (Matth., XXII, 30 et XXV, 41 ; Os., X, 9 ; I Rois, II, 12). Ainsi donc parmi les hommes il y en a de bons, et il y en a de méchants ; d'où vient qu'il est dit des uns qu'ils sont à Dieu, et des autres qu'ils sont au diable : et par la même raison, entre les anges, les uns sont les anges de Dieu, les autres les anges du Malin. Mais à l'égard des démons, il n'y a point de distinction à faire, car c'est une chose constante qu'ils sont tous méchants. De sorte que nous ne craindrons point de dire que Celse avance une fausseté lorsqu'il dit que s'il y a des démons, il ne faut pas douter qu'ils ne soient aussi à Dieu. Si quelqu'un veut prendre son parti, qu'il nous montre, ou que la différence que nous mettons, tant entre les hommes qu'entre les anges est sans fondement, ou qu'on en peut faire une pareille entre les démons. Mais si l'un et l'autre est impossible, il faut demeurer d'accord que les démons ne sont point à Dieu. En effet, ce n'est pas Dieu qui est leur prince; c'est Béelzébut (Luc, XI, 15), comme nous l'apprenons des livres sacrés. Il ne faut donc point croire aux démons, quelques sollicitations que Celse emploie pour nous y porter. Il vaudrait mieux mourir que d'en venir là ; et il n'y a rien que l'on ne doive souffrir pour demeurer fidèles à Dieu. Il ne faut pas non plus faire des offrandes aux démons. Ils sont si méchants et si enclins à faire du mal aux hommes, que ce seraient des offrandes inutiles. Mais encore selon quelles lois est-ce que Celse y eut que nous fassions des offrandes aux démons ? S'il entend parler des lois reçues dans les sociétés politiques, qu'il nous fasse voir que ces lois sont conformes à celles de Dieu, et s'il ne le peut faire, comme en effet la plupart de ces lois civiles ne sont pas même conformes entre elles, il demeurera constant que ce sont des lois qui ne méritent pas ce nom, des lois établies par des méchants auxquelles il ne faut point déférer : car il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes (Act., V, 29). Loin de nous encore cet autre conseil de Celse, d'invoquer les démons. Nous ne voulons y prêter l'oreille, en façon du monde. Il ne faut invoquer que le seul Dieu souverain, et il faut invoquer avec lui son Fils unique, le premier né de toutes les créatures, le Verbe de Dieu (Jean, I, 1 et 14), à qui il faut demander que quand nos prières sont parvenues à lui, il les présente, en qualité de notre grand sacrificateur, à son Dieu, qui est aussi notre Dieu, et à son Père, qui est aussi le Père ( Col., I, 15; Hébr., III, 1) de ceux qui vivent suivant ce que Dieu prescrit, dans sa parole (Jean, XX, 17). Enfin comme on doit croire que s'il y avait des hommes qui prétendissent que nous imitassions leur mauvaise vie, et qui ne voulussent en aucune manière être favorables à ceux qui auraient des sentiments opposés aux leurs, nous ne voudrions point de leur faveur, parce qu'elle ne pour mit que nous rendre ennemis de Dieu, qui apparemment ne serait pas favorable à des personnes qui voudraient que de tels hommes le leur fussent : ainsi ceux qui connaissent la nature, les inclinations et la malice des démons, ne souhaiteront jamais que les démons leur soient favorables; car encore qu'ils n'aient pas la faveur des démons, ils n'ont pourtant rien à craindre de leur part, étant sous la protection du grand Dieu, qui leur est favorable à cause de leur piété, et qui donne en garde à ses saints anges ceux qui en sont dignes, pour empêcher que les démons ne leur fassent aucun mal (Ps. XXXIII ou XXXIV, 8 et XC, ou XCI,11). En effet celui à qui sa piété rend le grand Dieu favorable, et qui s'étant uni au Seigneur Jésus, cet ange du grand conseil (Is.,  IX, 5 ou 6) de Dieu, se contente de la faveur de Dieu en Jésus-Christ, celui-là peut dire hardiment comme étant à couvert des insultes de toute l'armée des démons : Le Seigneur est ma lumière et mon Sauveur; qui dois-je craindre? Le Seigneur est le protecteur de ma vie ; de qui dois-je avoir peur (Ps. XXVI ou XXVII, et 3) ? Il peut dire encore : Quand un camp d'ennemis serait rangé contre moi mon c?ur ne s'en effraierait point (Ibid.,3). Voilà pour ce qui regarde ces paroles : Mais s'il y a des démons, il ne faut pas douter qu'ils ne soient aussi à Dieu, et qu'il ne faille croire en eux, leur faire des offrandes, selon les lois, et les invoquer afin qu'ils nous soient favorables. Passons a celles qui suivent, et examinons-les avec soin. Les voici : Si c'est par quelque tradition de leurs pères, qu'ils s'abstiennent de certaines victimes, telles que sont celles-ci, ils devraient aussi s'abstenir de la chair de tous les autres animaux, comme faisait Pythagore, qui croyait qu'on devait ce respect à l'âme et à ses organes. Mais si c'est, comme ils disent, pour ne point manger des choses auxquelles les démons ont part, j'admire leurs lumières, d'avoir enfin compris qu'ils ne mangent rien où les démons n'aient part ; mais de ne vouloir s'en garder que quand on leur présente la chair de quelque victime, pendant qu'ils ne se font aucune peine de ce que, et le pain, et le vin, et les fruits dont ils se nourrissent, que l'eau même qu'ils boivent, et l'air qu'ils respirent, sont autant de présents qu'ils reçoivent de certains démons qui président sur ces choses dont le soin a été partagé entre eux. Je ne sais pas sur quoi il peut fonder cette conséquence que ceux qui par quelque tradition de leurs pères, comme il parie, s'abstiennent de certaines victimes devraient aussi s'abstenir de la choir de tous les autres animaux. Ce n'est pas que la parole de Dieu ne nous insinue quelque chose de semblable, lorsque pour nous enseigner à nous conduire plus sûrement et à vivre avec plus de pureté, un saint homme nous dit: il est bon de ne point manger de chair, et de ne point boire de vin, et de ne faire aucune autre chose qui puisse blesser votre frère (Rom., XIV, 21 ). Et encore: ne faites point périr par les choses que vous mangez celui pour qui Jésus-Christ est mort (Ibid.,v.15). Et ailleurs; Si ce que je mange scandalise mon frère je ne mangerai jamais de chair pour ne lui point causer de scandale (I Cor.,VIII, 13). Mais il faut savoir que les Juifs qui croient entendre la loi de Moïse, observent de ne manger que des choses qui sont pures selon cette loi, et s'abstiennent avec soin de celles qu'elle déclare impures. Ils ne reçoivent non plus dans leurs repas,, ni le sang d'aucun animal, ni rien qui ait été déchiré par les bêtes sauvages, ni diverses autres choses, qui seraient la matière d'un long discours auquel il
 n'y a pas d'apparence de s'engager présentement (Levit., I, 1, 2, etc.; XVII, 14 et 15). Au lieu que la doctrine de Jésus, voulant amener tous les hommes au pur service de Dieu, il eût été à craindre qu'une discipline si rude sur le sujet des viandes, ne rebutât plusieurs personnes qui pouvaient profiler du christianisme pour la correction de leurs m?urs. C'est par cette raison qu'elle déclare, que ce qui souille l'homme ce n'est pas ce qui entre dans la bouche mais ce qui en sort. Car ce qui entre dans la bouche, dit-elle, descend dans le ventre et est rejeté hors du corps. Mais ce qui sort de la bouche ce sont les mauvaises pensées du c?ur, les meurtres, les adultères, les fornications, les larcins, les faux témoignages, les médisances (Matth.,XV, 11,17,18 et 19). S. Paul dit aussi, que les viandes ne nous rendent point plus agréables à Dieu : car si nous mangeons nous n'en tirons aucun avantage ; et si nous ne mangeons pas nous n'en souffrons aucun préjudice (I Cor., VIII, 8). Cependant comme il y avait en tout cela quelque obscurité qui avait besoin d'être éclaircie, les apôtres de Jésus et les prêtres, assemblés conjointement à Antioche, et le Saint-Esprit avec eux (Act., XV, 28 et 29), comme ils en parlent eux-mêmes, jugèrent à propos d'écrire une lettre aux fidèles d'entre les Gentils, pour leur défendre seulement de manger, des choses dont il était, disaient-ils, nécessaire de s'abstenir; qui sont, les choses immolées aux idoles, les choses étouffées et le sang. Car pour les choses immolées aux idoles, elles sont immolées aux démons ; et il ne faut pas qu'un homme qui est à Dieu, participe à la table des démons (I Cor., X, 20, 21). A l'égard des choses étouffées, comme le sang n'en est pas épreint, et qu'on lient que le sang est l'aliment des démons qui se nourrissent de ce qu'il exhale, notre religion nous les défend, de peur que nous n'ayons le même aliment que les démons : car il pourrait arriver dans le temps que nous mangerions des choses étouffées, que quelques-uns de ces esprits s'en nourriraient aussi arec nous. Ce que nous venons de dire des choses étouffées, se peut facilement appliquer au sang dont nous nous abstenons par même raison. Et puisque nous sommes sur ce sujet il ne sera pas hors de propos de rapporter ici ce beau mot de Sexte, qui se lit parmi ses sentences et qui est assez connu entre les chrétiens : Qu'il est indifférent de soi-même démanger de la chair des animaux; mais qu'il est plus raisonnable de s'en abstenir. Ce n'est donc pas simplement par quelque tradition de nos pères, que nous nous abstenons de la chair de ces victimes, qu'on prétend immoler à l'honneur des dieux, des héros, ou des démons, c'est par quantité d'autres raisons dont nous venons de loucher une partie. Nous ne croyons pas non plus qu'il faille s'abstenir de la chair de tous les animaux, de là même manière qu'il faut s'abstenir de tous les vices et de tout ce qui en dépend. Il faudrait s'abstenir non seulement de la chair de tous les animaux, mais même de toute autre sorte de viandes, si nous ne pouvions en user sans faire quelque action qui de soi-même, ou par conséquence dût passer pour vicieuse. En effet, il ne faut jamais manger pour remplir son ventre ou pour flatter son goût : il faut se proposer de conserver pu de rétablir la santé de son corps. Mais comme nous ne croyons pas la métempsycose, ni que l'âme soit rabaissée jusqu'à entrer dans le corps. des bêtes brutes, il ne se trouvera point que si nous nous abstenons quelquefois de la chair des animaux, nous le fassions jamais par le même principe que Pythagore. Nous ne savons respecter d'autre âme que l'âme raisonnable : et pour ses organes, nous leur rendons l'honneur de la sépulture, selon Tordre établi parmi nous ; car il ne serait pas juste que le domicile de cette âme fût jeté ignominieusement, et à l'aventure .comme le corps des animaux sans raison ; surtout quand on est persuadé que l'honneur qu'on rend à un corps où une âme raisonnable a fait sa demeure, rejaillit sur toute la personne de celui qui avait reçu du ciel l'âme qui s'est servie de cet organe, comme elle devait. Quant à cette question ; comment les morts ressusciteront, et en quel corps ils doivent revivre (I Cor., XV, 35), nous en avons dit quelque chose ci-dessus, autant que notre sujet le demandait. Ce que Celse dit ensuite, est effectivement ce qu'allèguent et les chrétiens et les Juifs, pour rendre raison de ce qu'ils ne veulent pas manger des choses immolées aux idoles ; savoir, qu'il ne faut pas que des personnes consacrées au grand Dieu, mangent, rien où les démons aient part. Il y fait la réponse que nous avons vue. Pour nous, nous avouons qu'à l'égard du manger et du boire, nous ne savons point d'autre manière d'user de choses où les démons aient part, que quand on mange de la chair des sacrifices, comme on les appelle communément, ou qu'on boit du vin qui a servi à faire des libations aux démons. Mais pour Celse, il croit qu'on ne saurait manger de pain, ni boire de vin, en quelque occasion que ce puisse être, ni goûter d'aucun fruit, qu'on ne se nourrisse, de choses où les démons ont part. Il ne veut pas même qu'on paisse boire d'eau, sans être dans les mêmes termes : et il étend cela jusqu'à l'air que nous respirons, qui nous est, dit-il, fourni par de certains démons; puisque tous les animaux ne respirent que par la faveur des démons qui président sur l'air. Si quelqu'un veut entreprendre de soutenir ce raisonnement de Celse, qu'il nous fasse voir comme quoi ce ne sont pas de saints anges de Dieu, qui sont établis pour avoir inspection sur toutes ces choses ; plutôt que des démons impurs, n'y en ayant point d'une autre espèce. Nous sommes bien nous-mêmes persuadés qu'il y a des êtres invisibles, qui non seulement donnent la fertilité à la terre, par une culture invisible comme eux, s'il faut parler de la sorte, mais qui règlent aussi tout ce qui concerne et l'eau et l'air ; sans le soin et la conduite desquels la terre ne produirait point ce qu'on dit que la nature lui fait produire, les fontaines ne couleraient point de leurs sources, les fleuves ne traverseraient point les campagnes pour les arroser, l'air ne se conserverait point dans sa pureté, et il n'aurait point la vertu d'entretenir notre vie par la respiration. Mais nous ne croyons pas que ces êtres invisibles soient des démons. Pour dire librement ma pensée, s'il y a en tout cela quelque opération qui doive être attribuée aux démons, les effets n'en sont autres que la famine, la stérilité des vignes et des arbres, la sécheresse, la corruption même de l'air, tantôt pour faire périr les fruits, tantôt pour envoyer la mortalité sur les animaux, ou la peste parmi les hommes (Prov., XVII, 11). C'est à des exécutions de cette nature, que les démons sont employés comme des bourreaux : la justice de Dieu leur donnant en de certaines rencontres le pouvoir d'agir de la sorte (Matth., VIII, 32) ; soit pour la correction des hommes qui se sont abandonnés aux vices sans aucune retenue, soit pour l'épreuve de ce que chacun est dans l'intérieur (Job, I,12, et II, 6). Car ceux qui conservent leur piété au milieu de tous ces maux et qui n'en prennent point occasion de se relâcher, ceux-là donnent des preuves manifestes de ce qu'ils sont; et bien que l'on ne puisse lire dans leur c?ur, ils font assez voir ce qui s'y passe, aux spectateurs tant visibles qu'invisibles qui les observent. Mais pour ceux qui sont dans une disposition contraire, les accidents qui leur arrivent, mettent si bien au jour les mauvaises inclinations qu'ils tenaient cachées, qu'ils apprennent à se connaître eux-mêmes, et qu'ils se découvrent clairement aux spectateurs, pour continuer à m'exprimer ainsi. Le psalmiste témoigne qu'il y a de mauvais anges, dont Dieu se sert pour mire sentir aux hommes les plus terribles coups de son juste jugement. Il fit tomber sur eux dit-il, les flammes de sa colère, sa fureur, sa vengeance, et ses châtiments, par le ministère des mauvais anges (Ps. LXXVII, ou LXXVIII, 49). Si les choses se poussent encore plus loin lorsqu'elles sont à la discrétion des démons, qui ont bien toujours la volonté, mais qui n'ont pas toujours le pouvoir de faire du mal, parce que Dieu les en empêche ; c'est ce que nous laisserons examiner à ceux qui pourront pénétrer assez avant dans les jugements de Dieu, malgré la faiblesse de la nature humaine, pour concevoir comment il arrive que tant d'âmes soient portées à quitter leur corps et à courir en foule à la mort, par les voies oui y mènent le plus droit. Car les jugements de Dieu sont si sublimes, qu'à cause de leur élévation, une âme encore attachée à un corps mortel ne peut atteindre. Il est très difficile de les pénétrer ; et un esprit mal instruit n'y saurait du tout rien comprendre (Ps. XXXV ou XXXVI  6, 7; Sag., XVII, 1). C'est ce qui fait qu'il y a des téméraires, qui comme ils ignorent ces choses, en prennent occasion de s'élever insolemment contre la Divinité, et de joindre ce nouveau renfort aux sentiments impies qui combattent la Providence. Ce n'est donc pas des démons que nous recevons tout ce dont nous avons besoin, pour soutenir notre vie; surtout si nous avons appris à en user comme nous devons. Dans l'usage que l'on fait du pain, du vin, des fruits, de l'eau, et de l'air, les démons ne sont point de la partie. Ce sont plutôt les saints anges, établis sur toutes ces choses. Ils sont pour ainsi dire invités à tous les repas du fidèle qui s'applique à pratiquer cette leçon : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu (I Cor., X, 31) : et cette autre : Faites toutes choses au nom de Dieu (Col., III, 17). Ainsi, lorsque nous mangeons, que nous buvons, que nous respirons pour la gloire de Dieu; en un mot, que nous faisons toutes chose? comme il nous l'ordonne, nous n'entrons point en société avec les démons,
 mais avec ses saints anges. En effet, toutes les créatures de Dieu sont bonnes, et il n'y en a aucune à rejeter, pourvu qu'on en use avec action de grâces : car elles sont sanctifiées par la parole de Dieu, et par la prière (I Tim., IV, 4 et 5). Mais elles ne seraient pas bonnes, ni capables d'être sanctifiées, si comme Celse le prétend, c'étaient des choses que les démons eussent sous leur charge.

Il est clair que ce qu'il ajoute est déjà réfuté par ce que nous venons d'établir. Il faut donc, dit-il, cesser absolument de vivre, il faudrait même n'être point venu au monde, ou, puisque nous y avons été mis à ces conditions, il faut bien que nous rendions aux démons qui président sur les choses de la terre, les actions de grâces qui leur sont dues, que nous leur adressions des prémices, et que nous leur adressions des v?ux tant que nous vivrons, afin que nous ressentions toujours les effets de leur bienveillance. Il ne faut point cesser de vivre, mais il faut conformer notre vie à la parole de Dieu autant que cela nous est possible : et c'est ce que nous pouvons faire, si lorsque nous mangeons ou que nous buvons, nous faisons tout pour la gloire de Dieu. Nous ne devons point faire de difficulté non plus d'user des ouvrages du Créateur en lui rendant grâces de ce qu'il les a créés pour nous, et c'est à ces conditions plutôt qu'à celles que Celse a marquées, que Dieu nous a mis au monde. Nous ne dépendons point des démons; nous dépendons du grand Dieu, par Jésus-Christ, qui nous donne à lui. Il n'y a point de démons qui président par l'ordre de Dieu sur les choses de la terre ; mais peut-être que par une suite de leur propre méchanceté, ils ont fait entre eux le partage des lieux d'où la connaissance de Dieu et la vie conforme à ses lois sont entièrement bannies, ou qui sont peuplés d'ennemis de la Divinité. Peut-être aussi que comme ils sont digues de régner sur des méchants et d'être employés à les punir, le Verbe, par qui toutes choses sont gouvernées, leur a donné de l'autorité sur ceux qui aiment mieux reconnaître l'empire du péché que celui de Dieu. Que Celse après cela aille rendre ses actions de grâces aux démons, lui qui ne connaît point Dieu. Pour nous dont le dessein est de plaire au Créateur de l'univers, nous observons, lorsque nous mangeons le pain qu'on met devant nous, d'adresser nos v?ux et de rendre nos actions de grâces à celui qui nous le donne, et ce pain devient, par le moyen de la prière, un corps qui non seulement est saint, mais qui a même la vertu de sanctifier ceux qui en usent avec un esprit bien disposé. Celse nous parle encore d'offrir des prémices aux démons ; mais pour nous, nous ne voulons en offrir qu'à celui qui a dit : Que la terre pousse des herbes de toute sorte qui portent leur graine conforme à leur espèce ; qu'elle pousse aussi toute sorte d'arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce, et qui aient leur semence en eux-mêmes, pour se reproduire sur la terre (Gen., l, 11 ). C'est à celui-là que nous offrons des prémices, et c'est au même que nous adressons nos v?ux, ayant un grand sacrificateur qui est entré jusque dans les deux, savoir Jésus, le Fils de Dieu ( Hébr., IV, 14). Nous voulons faire tant que nous vivrons une constante profession de cette doctrine pour ressentir toujours les effets de la bienveillance de Dieu et de Jésus son Fils unique, qui s'est fait connaître à nous. Si nous souhaitons, outre cela, que ceux dont nous recherchons ta bienveillance soient en grand nombre, nous apprenons qu'il y a des mille milliers et des dix mille millions de ministres des volontés de Dieu qui se tiennent devant lui attendant ses ordres (Dan., VII, 10). Et puisqu'ils ne peuvent regarder que comme leurs compagnons et leurs amis, ceux qui sont les imitateurs de leur piété pour ce grand Dieu, qui le prient et qui invoquent légitimement, ils travaillent avec eux à l'avancement de leur salut; ils se présentent même à eux, se croyant obligés de seconder leurs désirs et de venir procurer, comme de concert, le bien et les avantages spirituels de ceux qui rendent leurs hommages au même Dieu a qui ils rendent les leurs; car ce sont autant d'esprits dont l'emploi est d'être envoyés pour servir ceux qui doivent être les héritiers du salut ( Hébr., I, 14). Laissons donc dire aux sages d'entre les Grecs, que les âmes humaines dès qu'elles entrent dans le monde, sont commises aux soins de certains démons, et tenons-nous-en à la leçon que Jésus nous fait, de n'avoir point de mépris pour les moindres de ceux qui sont dans l'Église ; parce, dit-il, que leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est dans le ciel (Matth., XVIII, 10 ). Le prophète dit encore, Que les anges du Seigneur campent autour de ceux qui le craignent, et qu'ils les délivreront ( Ps. XXXIII ou XXXIV, 8). Ainsi nous ne voulons point nier qu'il n'y ait grand nombre de démons sur la terre ; nous le reconnaissons et nous disons même qu'ils ont beaucoup de pouvoir sur les méchants qui se livrent à eux par leur propre faute. Mais nous disons aussi qu'ils ne peuvent rien sur ceux qui, s'étant munis de toutes les armes de Dieu, ont acquis la force de se défendre des embûches du diable, et qui se tiennent toujours sur leurs gardes contre de tels assauts, sachant que nous n'avons pas à combattre contre la chair et contre le sang, mais contre les seigneuries et contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux et contre les esprits malins qui sont dans les lieux célestes (Ephés., VI, 11 et 12).

Passons à un autre raisonnement de Celse. Y a-t-il de l'apparence, dit-il, qu'un satrape, un lieutenant, un général ou un intendant du roi de Perse ou de l'empereur romain, que des officiers mêmes d'un rang inférieur qui aient la moindre charge ou le moindre emploi dans l'État, soient capables défaire beaucoup de mal à ceux qui manquent de respect pour eux, et que ces satrapes et ces ministres qui ont la direction des affaires de l'air et de la terre, soient si peu à craindre pour ceux qui les offensent ? Voyez, je vous prie, comme il nous représente ces satrapes, qu'il forme sur le modèle de ce qui se voit parmi les hommes pour les donner au grand Dieu, ces lieutenants, ces généraux, ces intendants et ces autres officiers qui ont des charges et des emplois moins considérables ; comme il nous les représente, dis-je, en disposition de faire beaucoup de mal a ceux qui les offensent. Il devrait considérer qu'il n'y pas même d'homme sage qui voulût faire du mal à qui que ce soit, et qui ne fût bien aise au contraire de convertir et de corriger, s'il le pouvait, ceux qui l'auraient offensé. Mais peut-être que ces satrapes, ces lieutenants et ces généraux que Celse attribue au grand Dieu, ont moins de sagesse que Lycurgue, le législateur des Lacédémoniens, ou que Zénon, Citien ; car Lycurgue ayant en son pouvoir celui qui lui avait crevé un ?il, non seulement ne s'en vengea point, mais il n'eut pas même de repos, que par ses douces sollicitations, il ne l'eût porté a se faire philosophe. Et Zénon, sur ce que quelqu'un lui dit : Que je meure, si je ne me venge de toi, ne répondit autre chose sinon : Que je meure, si je ne te fais mon ami (Plutarque). Je ne parle pas encore de ceux qui sont instruits dans l'école de Jésus et qui sont formés à ce précepte : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous maltraitent, afin que vous soyez les enfants de votre père qui est dans les deux, lequel fait lever son soleil aussi bien sur tes méchants que sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes, et  sur les injustes (Matth., V, 44, 45). C'est là l'esprit du juste, lorsqu'il parle ainsi dans les écrits des prophètes : Seigneur, mon Dieu, si j'ai fait ce qu'on m'impute, s'il se trouve de l'iniquité dans mes mains, si foi rendu la pareille à ceux qui m'avaient fait du mal, que je succombe sans ressources sous mes ennemis; que mon ennemi poursuive mon âme et qu'elle tombe en sa puissance ; qu'il foule ma vie aux pieds sur la terre (Ps. VII, 4, 5 et 6). Mais il n'en est pas comme Celse se le persuade ; les vrais satrapes de Dieu, ses lieutenants, ses généraux et ses intendants, je veux dire ses anges, ne font point de mal a ceux qui les offensent. S'il y a des démons qui fassent du mal, qui sont ceux que Celse a en vue, ils le font parce, qu'ils sont méchants, mais ils n'ont aucune commission de Dieu pour être ses satrapes, ses intendants ou ses généraux. Aussi ne font-ils de mal qu'à ceux qui leur sont assujettis et qui ont bien voulu se soumettre à eux comme à leurs maîtres. De là vient sans doute que quand on man^e de certaines viandes que les lois du pays ou l'on se trouve défendent de manger, si l'on est de ceux qui reconnaissent l'autorité des démons, on porte la peine d'avoir violé ces lois; mais si l'on n'est pas de ce nombre et qu'on ne se soit point assujetti au démon du lieu, on peut se rire de lui et de ses compagnons, sans craindre de se voir exposé à rien souffrir de leur part. Cependant, si ces mêmes personnes, par un effet de leur ignorance à l'égard de certaines autres choses, se sont soumises à d'autres démons, elles ne laisseront pas d'être sujettes à leurs insultes; au lieu qu'un chrétien qui est véritablement tel, et qui ne se soumet qu'à Dieu seul et à son Verbe, ne doit absolument rien appréhender des démons qui sont beaucoup plus faibles que lui ; et ils n'ont garde de lui faire aucun mal, puisque les anges du Seigneur campent autour de ceux oui le craignent, et ou ils tes délivreront (Ps. XXXIII ou XXXIV, 8); puisque l'ange de chacun d'eux encore, voyant sans cesse la face de notre Père qui est dans le ciel ( Matth., XVIII, 10 ), présente continuellement leurs prières au Dieu de l'univers, par notre grand et unique sacrificateur, et qu'il joint lui-même ses prières aux prières de celui qui a été commis à ses soins. Que Celse ne prétende donc pas nous faire peur, en nous menaçant du mal que les démons nous pourront faire, si nous manquons de respect pour eux ; car quoique nous en manquions, ils ne peuvent rien contre nous, puisque nous sommes sous la protection de celui qui, tout suffisant qu'il est pour défendre seul tous ceux qui en sont dignes, ne laisse pas d'envoyer encore ses anges au secours de ses fidèles, pour les garantir, eux qui se sont consacrés à Dieu, des efforts des auges ennemis et de leur chef, appelé le prince de ce siècle (Jean, XIV, 30).

 Après cela comme s'il avait oublié qu'il parle a des chrétiens qui n'invoquent que Dieu seul par Jésus-Christ, il leur attribue sans raison et en confondant tout, des choses qui ne conviennent qu'à d'autres. Ceux à qui ils s'adressent, dit-il, si on les nomme en langue barbare, auront delà vertu; mais si on les nomme en grec ou en latin ils n'en auront plus. Qu'on nous montre qui c'est que nous nommons en langue barbare, comme si nous l'appelions à notre secours au qu'on reconnaisse que c'est à tort que Celse avance cela contre nous. On le reconnaîtra sans doute, si l'on considère que tout le gros des chrétiens dans les prières mêmes qu'ils font à Dieu, n'emploient pas les propres termes dont la sainte Écriture se sert pour le désigner par son nom : mais que les Grecs le prient en grec ; ceux qui parlent latin en latin, et ainsi chacun dans sa langue, le louant tous selon qu'ils le peuvent. Pour lui, qui est le maître de toutes les langues il entend ceux qui le prient en quelque langue que ce soit, comme s'ils ne formaient pour ainsi dire qu'une seule voix, de même qu'on ne se forme l'idée que d'un seul sens, bien qu'il soit exprimé en des langues différentes Car le grand Dieu n'est pas du nombre de ceux que leur sort attache à une langue particulière, soit grecque ou barbare, et qui, comme ils n'entendent que celle-là, ne se mettent point en peine de ce qu'on leur peut dire en quelque autre.

Ce que Celse ajoute, il ne l'a jamais entendu dire à aucun chrétien, ou il faut que ce soit à quelque chrétien du dernier ordre, qui ne suive et qui ne sache pas nos maximes. Quoi qu'il err soit, il fait parler les chrétiens de celte sorte : Voyez-moi devant la statue de Jupiter, d'Apollon ou de quelque autre de ces dieux lui dire des injures et lui faire des outrages : cependant il ne s'en venge point. Mais comme je l'ai dît, c'est ne pas savoir la défense que la loi de Dieu nous fait : de dire rien d'offensant contre les dieux (Exode, XXII, 28), même de peur que notre bouche ne s'accoutume à dire du mal de qui que ce puisse être. En effet nous sommes exhortés à bénir et non à maudire (Rom., XII, 14) ; et nous savons, que ceux qui disent du mal de quelqu'un n'hériteront point le royaume de Dieu (l Cor., VI. 10). Après tout, qui de nous peut être assez simple pour parler ainsi et ne pas voir que cela ne conclut rien contre les dieux qui passent pour tels ni contre l'opinion qu'en ont les hommes? Des athées de profession qui niaient absolument la Providence et qui par leurs dogmes pernicieux et impies, ont donné la naissance à des sectes de prétendus philosophes, n'ont-ils pas vécu exempts eux et leurs sectateurs de ce que l'on prend communément pour des maux? N'en voit-on pas même encore qui ont et des richesses et de la santé? Il est vrai que si l'on considère bien ce que c'est que le mal, on trouvera qu'ils sont effectivement malheureux ; car quel plus grand malheur y a-t-il que de ne se pas servir de l'ordre admirable du monde pour connaître celui qui l'a fait? Quelle plus grande misère que d'avoir l'esprit assez aveugle pour ne pas voir le créateur et le père de tous les esprits ? Nous ayant prêté des paroles qu'on ne peut attribuer aux chrétiens que par une pure calomnie, Celse y répond d'une manière qui a plus l'air d'une insulte  que d'une réponse, et il croit que pour se défendre il lui suffit de nous dire : Mais ne croyez-vous pas, pauvre homme, qu'il y en a qui disent aussi des injures en face à votre démon et qui, non contents de cela, le bannissent encore publiquement de toute l'étendue de la terre et de la mer; qui vous prennent vous-même, que nous devons regarder comme une statue consacrée à son honneur, qui vous lient, qui vous traînent au supplice et oui vous font souffrir une mort infâme? Cependant ce démon ou ce Fils de Dieu, comme vous l'appelez, ne l'en venge point non plus. Cette défense de Celse pourrait avoir lieu s'il était vrai que nous parlassions comme il nous fait parler. Il aurait pourtant toujours tort de faire du Fils de Dieu, un démon ; car selon nous qui sommes persuadés qu'il n'y a que de mauvais démons, celui qui a converti un si grand nombre d'hommes à Dieu n'est pas un démon, mais Dieu le Verbe et le Fils de Dieu. Pour Celse, qui n'a point fait paraître qu'il reconnaisse de mauvais démons, je ne sais comment il lui est échappé de dire que Jésus est un démon. Au reste, les peines dénoncées aux impies tomberont à la fin sur ceux qui ayant refusé tous les remèdes qui leur auront été présentés, se trouveront avoir eu une méchanceté incurable, s'il faut parler de la sorte, et cette doctrine de la punition des méchants, lorsque nous la mettons dans son jour, nous sert souvent à en retirer plusieurs de leurs péchés. Mais voyons un peu aussi ce que Celse apprend là-dessus de ses prêtres d'Apollon ou de Jupiter. Voici un de leurs oracles :

Les dieux font tourner lentement
Les meules de leur châtiment ;
Mais enfin ces meules écrasent :
Les flammes de leur jugement
S'allument difficilement;
Mais enfin ces flammes embrasent.

Et en voici un autre :

Des dieux trop offensés la justice sévère
Fait passer leur colère,
Des pères aux enfants et des enfants à ceux
Qui viennent après eux.

Combien y a-t-il plus de sagesse dans ces paroles : Les pères ne mourront point pour leurs enfants, ni les enfants pour leurs pères ; mais chacun mourra pour son propre péché (Deut., XXIV, 16) ? Et dans ces autres : Celui qui aura mangé te raisin vert c'est celui qui en aura les dents agacées (Jérém., XXXI, 30) ? Et dans celles-ci encore : Le Fils ne sera point chargé de l'iniquité du père ni le père de celle du Fils : la justice du juste sera sur lui comme sur le méchant sa méchanceté (Ezéch., XVIII, 20) ? Si quelqu'un dit que ces vers :

Des pères aux enfants et des enfants  ceux
Qui viennent après eux.

Sont la même chose que ceci : Je punis les péchés des pères sur les enfants jusque la troisième et jusqu'à la quatrième génération de ceux qui me haissent (Exode, XX, 5) : qu'il apprenne d'Ézéchiel que cette dernière expression est figurée. Car après avoir censuré ceux qui disaient : Les pères ont mangé le raisin vert, et les dents des enfants en sont agacées. le prophète ajoute : Vrai comme je suis vivant, dit le Seigneur, chacun mourra seulement pour son propre péché (Ezéch., XVIII, 2, 3, 4). Mais ce n'est pas ici le lieu d'expliquer cette façon de parler figurée de la punition des péchés jusqu'à la troisième et jusqu'à la quatrième génération.

Celse en vient ensuite aux injures, comme une vieille en colère. Vous parlez mal, dit-il, et vous vous moquez des statues de nos divinités; mais si vous aviez fait ces outrages à Bacchus ou à Hercule, en leur présence, vous n'en seriez pas sortis peut-être de si bonne humeur : au lieu que ceux qui ont traité si mal votre Dieu et qui lui ont fait souffrir le dernier supplice, n'ont en aucune sorte porté la peine des insultes qu'ils lui ont faites en sa propre personne, quelque temps qui se soit écoulé depuis. Qu'est-il arrivé de nouveau dans la suite pour faire croire qu'il n'était pas un imposteur, mais le Fils de Dieu? Est-il possible que celui qui a envoyé ainsi son Fils au monde, et qui a exposé a de si cruels tourments pour l'amour de je ne sais quelles statues, dont ta destruction n'en est que plus assurée, témoigne se soucier si peu de lui, et ne se réveille point enfin après le cours de tant d'années ? A-t-on jamais vu de père si dénaturé? Mais s'il a tant souffert, c'est peut-être, comme vous le dites, parce qu'il l'a bien voulu. On peut dire tout de même de ceux contre qui vous blasphémez, qu'ils le veulent bien, et que c'est par cette raison qu'ils souffrent vos blasphèmes ; car il est bon de faire voir qu'en cela les choses sont égales, avec cette différence pourtant que ceux-ci savent bien faire sentir leur vengeance à leurs blasphémateurs qui sont contraints de s'enfuir et de se cacher, ou qui, s'ils se laissent prendre, reçoivent le châtiment qu'ils méritent. J'ai à répondre que nous ne parlons mal (I Cor., VI, 10) de qui que ce soit, étant persuadés que ceux qui disent du mal de quelqu'un n'hériteront point le royaume de Dieu (Matth., V, 44); et ayant devant les yeux cette leçon : Bénissez ceux qui vous maudissent, bénissez-les et ne les maudissez point (Rom., XII, 14), ayant encore appris celle-ci, On nous maudit, et nous bénissons (I Cor., IV, 12 ). Si donc la parole de Dieu ne nous permet pas même de dire du mal, lorsque c'est, en quelque sorte, repousser l'injure qu'il semble qu'on nous fait, combien moins faut-il en dire, quand on ne le peut faire sans une extrême folie? Car c'en est une aussi grande qu'il se puisse, de dire du mal d'une pierre et d'une masse d'or ou d'argent qui aura été façonnée pour représenter les dieux, selon la fausse idée de ceux qui ne connaissent point la Divinité. Nous ne nous moquons point non plus de ces simulacres inanimés, mais plutôt, comme il peut nous arriver quelquefois, de ceux qui les adorent. Et posé qu'il y ait de certains démons attachés à de certaines statues, dont l'un porte le nom de Bacchus et l'autre d'Hercule, nous nous abstiendrons aussi d'en dire du mal ; car cela ne servirait de rien, et serait même indigne de la douceur, de la modération et de la tranquillité dune âme qui est instruite qu'il ne faut dire de mal de qui que ce soit, homme ou démon, quelque méchant qu'il puisse être, le ne sais pas, au reste, comme quoi Celse après avoir loué autant qu'il a fait ses démons ou ses dieux, s'oublie si fort tout d'un coup, que de les dépeindre présentement dans leur manière d'agir, comme remplis de méchanceté, et bien plus portés à punir par un esprit de vengeance ceux qui les outragent, qu'à les châtier pour leur correction. En effet, voici comme il en parle : Si vous aviez outragé Bacchus ou Hercule en leur présence vous n'en seriez pas sorti peut-être de si belle humeur. Je laisse à qui voudra le soin d'expliquer comment ils peuvent entendre les choses qu'on leur dit dans le temps qu'ils n'y sont pas; pourquoi ils sont tantôt présents et tantôt absents, d'où vient enfin cet empêchement qui oblige les démons à passer d'un lieu en un autre. Dans les paroles qui suivent, Celse suppose que quand nous donnons à Jésus le nom de Dieu, nous le donnons à son corps maltraité et conduit au supplice et non à sa nature divine ; que nous le considérons comme Dieu à regard même de ces mauvais traitements et de ce supplice. Ceux, dit-il, qui ont traité si mal votre Dieu, et qui lui ont fait souffrir le dernier supplice, n'ont en aucune sorte porté la peine des insultes qu'ils lui ont faites en sa propre personne. Mais comme nous avons ci-devant assez parlé de ce que Jésus a souffert en tant qu'homme, nous voulons bien n'en rien dire maintenant de peur de tomber en de vaines redites. Quant à ce que Celse ajoute, Que ceux oui ont fait ces insultes à Jésus n'en ont porte la peine en aucune sorte, quelque temps qui se soit écoulé depuis, nous pouvons faire voir et à lui et à quiconque voudra s'en instruire, que la ville dans laquelle le peuple juif, préférant à Jésus un voleur qui avait été emprisonné pour crime de sédition et de meurtre, voulut qu'on délivrât celui-ci, et demanda par ses cris de Crucifiez-le, crucifiez-le (Luc, XXIII, 21 et 25), que Jésus, qui avait été livré par envie, fût mis en croix ; nous pouvons, dis-je, faire voir que cette ville fut attaquée peu de temps après, et qu'ayant soutenu un long siége, elle fut enfin prise, saccagée et détruite de fond en comble. Dieu jugea que les habitants de ce lieu étaient même indignes de la vie civile; ou plutôt, si je ne dois point craindre d'avancer un paradoxe, ce fut encore pour les épargner que, les voyant si incorrigibles qu'au lieu de se tourner vers le bien, ils s enfonçaient tous les jours de plus en plus dans leur corruption, il les livra entre les mains de leurs ennemis. Ce furent les suites qu'eut leur empressement à faire répandre le sang de Jésus sur leur terre, laquelle après cela ne put plus porter des gens qui s'étaient rendus coupables d'un si grand crime. On peut donc voir ce qui est arrivé de nouveau depuis le temps de la passion de Jésus : je dis tant à l'égard de la ville et de toute la nation des Juifs, qu'à l'égard de ce grand peuple de chrétiens, qui est né si soudainement et comme tout à la fois; car c'est aussi une chose fort nouvelle, que des personnes, qui étaient des étrangers pour les alliances de Dieu (Ephés., Il, 12), qui étaient exclus de ses promesses et éloignés de la vérité, aient embrassé cette vérité par l'effet d une vertu divine. Ce sont là, non les ?uvres d'un imposteur, mais les ?uvres de Dieu, qui, pour l'amour des statues ou des images qui le représentent, a bien voulu envoyer son Verbe au monde en la personne de Jésus. Les tourments qu'il y a soufferts avec une fermeté et une patience admirable sont bien des preuves de la cruauté et de l'injustice de ceux qui les lui ont fait souffrir, mais ces tourments n'ont point causé la destruction des statues et des images de Dieu ; au contraire, ils ont fait, s'il faut ainsi dire, qu'elles sont devenues capables de connaissance. C'était ce que Jésus enseignait lui-même lorsqu'il disait : Si le grain de blé tombant en terre ne meurt point, il demeure seul; mais s'il meurt; il porte beaucoup de fruit (Jean, Xll, 24). Jésus donc qui est ce grain de blé étant mort, il a porté beaucoup de fruits et son Père prendra toujours soin des fruits qui sont nés, qui naissent et qui naîtront encore de la mort de ce grain de blé. Ainsi, il n'y a rien moins que de dénaturé dans le Père de Jésus, ce Père qui n'a point épargné son propre Fils, mais qui Va livré à la mort pour nous tous (Rom.,VIII, 31 ou 32), comme un agneau qui était à lui ; afin que cet Agneau de Dieu, mourant pour tout le monde, ôtât le péché du monde (Jean, I, 29). Et pour lui ç'a été volontairement, et non par contrainte, qu'il a souffert les outrages qu'on lui a faits. Celse après cela reprend ainsi son discours, contre ceux qui parlent mal des statues. On peut dire tout de même de ceux contre qui vous blasphémez, qu'ils le veulent bien, et que c'est par cette raison qu'ils souffrent vos blasphèmes; car il est bon de faire voir qu'en cela les choses sont égales, avec cette différence pourtant que ceux-ci savent bien faire sentir leurs vengeances à leurs blasphémateurs, qui sont contraints de s'enfuir et de se cacher ; ou qui, s'ils se laissent surprendre, reçoivent le châtiment qu'ils méritent. Si c'est là ce qu'on appelle la vengeance des démons, elle tombe sur les chrétiens non comme sur des personnes qui blasphèment contre eux, mais qui leur font abandonner leurs simulacres et qui les chassent du corps et de l'âme des hommes. Car Celse, sans bien entendre la chose, n'a pas laissé de dire en ceci la vérité. Il est certain que ceux qui s'attaquent aux chrétiens, qui les défèrent, qui les condamnent ou qui y donnent leur approbation, ne le font que parce que leur âme est possédée par de mauvais démons. Mais comme les âmes de ceux qui meurent pour la religion chrétienne et pour les intérêts de la piété ne peuvent quitter leurs corps pour une occasion si glorieuse sans ébranler la puissance des démons, et sans affaiblir les embûches qu'ils dressent aux hommes ; de là vient» à mon avis, que les démons ayant appris par expérience qu'ils étaient vaincus et défaits par les martyrs (ou témoins) de la vérité! ont craint qu'il n'y eût du danger à continuer de se servir de cette voie de vengeance. Jusqu'à ce donc qu'ils aient oublié les pertes qui leur en sont arrivées, il y a apparence que le monde laissera les chrétiens en paix. Mais quand les démons auront repris de nouvelles forces, et qu'aveuglés par leur malice ils voudront encore en venir à la vengeance, en persécutant les chrétiens, ils seront abattus tout de nouveau. Alors les âmes fidèles qui aiment mieux abandonner leur corps que d'abandonner leur piété, remporteront une nouvelle victoire sur l'armée du malin esprit. Car comme les démons savent bien que leur empire est détruit par ceux qui, mourant pour la véritable religion, demeurent ainsi victorieux; et qu'au contraire, ils se font autant d'esclaves de ceux qui succombant aux souffrances, renoncent au culte du vrai Dieu, je me persuade qu'ils en viennent souvent aux mains avec les chrétiens, qui sont tirés en cause. Si la confession des premiers les navre de douleur,
 le renoncement des autres les comble de joie. C'est ce dont on voit des vestiges dans les juges mêmes, qui sont au désespoir quand un chrétien souffre avec constance les tourments et les supplices ; et qui triomphent quand il ne peut résister. Car ils n'en usent pas ainsi, par un sentiment de ce qui passe parmi eux pour humanité : ils voient assez que la langue de ceux qui se rendent aux mauvais traitements qu'on leur fait, abjure bien ; mais que

Le c?ur ne consent point aux serments de la langue.

(EURIPIDE.)

Voilà ce que nous avions à dire sur ces paroles : Avec cette différence pourtant que ceux-ci savent bien faire sentir leur vengeance à leurs blasphémateurs qui sont contraints de s'enfuir et de se cacher, ou qui, s'ils se laissent prendre, reçoivent le châtiment qu'ils méritent. Si quelque chrétien s'enfuit, ce n'est pas par timidité, c'est pour obéir aux ordres de son maître, et pour se conserver pur, afin de travailler au salut des autres à qui il pourra être utile (Matth.JL, 23).

Voyons présentement ce que Celse ajoute on ces termes : Qu'est-il nécessaire de ramasser ici toutes les prédictions faites en forme d'oracles, tant par les prophètes et par les prophétesses que par plusieurs autres personnes divinement inspirées, les voix miraculeuses sorties de l'endroit le plus secret et le plus sacré de nos temples, tes diverses choses qu'on a apprises par l'immolation des victimes et par l'inspection de leurs entrailles, celles qu'on a découvertes par quantité d'autres signes merveilleux, les claires apparitions que quelques-uns ont eues ? Le monde est plein de pareils exemples. On sait combien de villes ont été bâties ou délivrées de diverses maladies et de la famine par les avertissements des oracles; combien d'autres, ayant négligé ces avertissements, ou les ayant oubliés, ont péri misérablement ; combien de colonies ont été fondées qui, pratiquant ce qui leur avait été recommandé, sont devenues florissantes ; combien de princes, combien de particuliers ont eu de bonnes ou de mauvaises fortunes par la même voie; combien de personnes affligées de n'avoir point d'enfants ont vu remplir par là leurs désirs; combien d'autres ont évite les effets de la colère des démons, ou, étant estropiés, ont été rétablis dans la première disposition de leur corps ; combien de gens, enfin, coupables d'avoir violé le respect dû aux lieux saints, en ont été punis sur l'heure, les uns perdant l'esprit à l'instant, les autres découvrant leurs crimes cachés, les uns se tuant eux-mêmes, les autres tombant en des maladies incurables, jusque-là que l'on en a vu expirer à route d'une voix terrible qui sortait du fond du temple. Je ne sais comme quoi Celse peut nous donner toutes ces choses pour des vérités constantes, et traiter de fables les merveilles étonnantes que nous lisons dans nos Écritures, tant sur le sujet des anciens Juifs que sur le sujet de Jésus et de ses disciples. Car pourquoi ne seront-ce pas nos histoires qui seront des vérités, et celles de Celse des fables? Surtout, puisque parmi les Grecs mêmes il y a des philosophes, comme les sectateurs de Démocrite, d'Épicure et d'Aristote, qui refusent de croire les siennes, et qui peut-être ajouteraient foi aux nôtres, à cause de leur évidence, s'ils s'en étaient instruits par Moïse ou par quelqu'un des prophètes qui ont fait les miracles dont il s'agit, et si Jésus leur était moins inconnu. On lit dans les histoires que quelquefois la Pythie s'est laissée corrompre pour rendre de faux oracles ; mais nos prophètes ont toujours rendu des réponses si claires et si précises, qu'ils ont été l'admiration et de ceux de leur temps, et de ceux qui sont venus depuis. Leurs oracles ont fait bâtir des villes, cesser des maladies, finir des famines. Il est certain que ce fut encore sur des oracles que toute la nation des Juifs quitta l'Égypte pour aller fonder une grande colonie dans la Palestine : et cette nation a toujours été florissante tant qu'elle a pratiqué ce que Dieu lui avait commandé ; mais lorsqu'elle s'en est éloignée, elle a eu lieu de s'en repentir (Exode, III, 8). Qu'est-il besoin de rapporter combien de princes et combien de particuliers, dont nous avons les histoires dans nos Écritures, ont eu de bonnes et de mauvaises fortunes, selon qu'ils ont observé ou négligé les avertissements des prophéties? S'il faut encore parler, comme lui, des personnes affligées de n avoir point d'enfants, il y en a eu qui ont reçu la grâce de se voir pères ou mères, après l'avoir demandée par leurs prières au Créateur de l'univers. On n'a qu'a lire l'histoire d'Abraham et de Sara de qui naquit Isaac, et celles de quelques autres (Gen., XVII, 19, et XXX, 17, 22).On n a qu'à lire ce qui nous est raconté d'Ezéchias, qui non seulement fut guéri de sa maladie, Comme Isaïe le lui avait prédit, mais qui ne fit point même difficulté de dire avec confiance : J'aurai encore, à l'avenir, des enfants qui publieront ta justice (Is., XXXVIII, 5, 19). On peut voir aussi au quatrième livre des Rois, comment cette femme, qui avait logé Élisée et à qui il avait promis un enfant par la bénédiction de Dieu qui l'inspirait, se vit effectivement mère, selon les v?ux du prophète (IV ou II Rois, IV, 16,17). Jésus a pareillement rétabli un nombre infini d'estropiés (Matth.,XV, 30, etc). Et d'autres, qui avaient eu la hardiesse de violer le respect dû au culte que les Juifs rendaient à Dieu ans le temple de Jérusalem, eu ont été punis de la manière qui nous est rapportée dans les livres des Machabées (I Mac, IX, 55 ; II Mac, III, 24 et IX). Les Grecs diront sans doute que ce ne sont là que des fables, quoique ce soient des faits dont la vérité est attestée par deux grands peuples. Et nous, pourquoi ne dirons-nous, pas que ce sont plutôt les histoires des Grecs qui sont des fables? Mais si quelqu'un, qui craindra qu'on ne l'accuse d'admettre ses propres histoires et de rejeter celles des autres par un pur caprice, veut entrer dans une discussion particulière, et qu'il dise que les prodigesdes Grecs ont été faits par quelques démons, que ceux des Juifs sont des ouvrages de Dieu agissant par les prophètes ou des productions, soit des anges seuls, soit de Dieu, par leur ministère, et que ceux des chrétiens sont des effets de la puissance de Jésus, et de celle que ses apôtres avaient reçue de lui : à la bonne heure, comparons-les tous les uns aux autres. Voyons quel a été le but de ceux qui ont fait ces choses surprenantes, et si ceux à l'occasion de qui, ou, si l'on veut, en faveur de qui elles ont été faites, en ont reçu du profit ou du dommage, ou s'il ne leur est arrivé ni bien ni mal. Voyons, dis-je, si toute la nation des anciens Juifs ne paraîtra pas, une nation de philosophes, avant qu'ils eussent péché contre Dieu, qui les a abandonnés, à cause de l'énormité de leurs crimes, et si les chrétiens, dont la société s'est formée d'une manière si étonnante, n'ont pas été d'abord engagés par les miracles plus que par lés exhortations, à renoncer aux cérémonies de leur pays, pour embrasser une religion toute différente de celle qu'ils avaient apprise de leurs pères. En effet, s'il faut raisonner suivant la vraisemblance sur le premier établissement de l'Église chrétienne, on. verra qu'il y a peu d'apparence que les apôtres de Jésus, qui étaient des hommes sans lettres et du commun peuple (Act., IV, 13), aient osé entreprendre de prêcher le christianisme dans le monde, sur un autre fondement que sur celui de la puissance dont ils avaient été revêtus, et de la grâce qui accompagnait leur prédication, pour faire recevoir la doctrine qu'ils annonçaient, et qu'il n'est pas croyable non plus que leurs auditeurs aient abandonné des coutumes établies parmi eux depuis si longtemps, sans qu'ils aient été poirés par une vertu efficace, et par des actions miraculeuses, à croire des dogmes si nouveaux et si éloignés de ceux qu'ils avaient sucés avec le lait.

Celse passe après cela, je ne sais comment, à représenter la fermeté de ceux qui soutiennent leur créance jusqu'à la mort, comme s'il voulait mettre en balance la foi des chrétiens, avec la persuasion de ceux qui président aux cérémonies et qui initient aux mystères du paganisme. Après tout, dit-il, pauvre homme que vous êtes comme vous croyez des peines éternelles, les ministres sacrés dont je vous parle, qui président aux cérémonies di la religion, et qui initient à ses mystères. en croient aussi. Si vous les leurs dénoncez, ils ne vous les dénoncent pas moins. Il ne s'agit que de voir de quel côté il parait le plus de vérité et de raison ; car pour les paroles, chacun assure avec une égale force que ce qu'il dit est incontestable. Mais s'il faut en venir aux preuves, ceux-ci en allèguent un grand nombre d'évidentes, qu'ils tirent et des opérations de quelques puissances surnaturelles, et réponses de divers oracles. Il prétend donc par là que nous parlions également, ses prêtres et nous des peines éternelles, et qu'il raille examiner qui nous dit le plus vrai. Je soutiens que ceux-là disent vrai qui, par la doctrine qu'ils enseignent, peuvent disposer leurs auditeurs à vivre comme étant persuadés qu'elle est véritable. Les Juifs et les chrétiens paraissent ainsi disposer, par la créance de ce qu'il nomment le siècle à venir, des récompenses qui y sont destinées aux Juifs et des peines qui y attendent les pécheurs. Mais que Celse ou quelque autre nous fasse voir en qui ceux qui ont le soin de ses cérémonies et de ses mystères, ont produit un pareil effet, par leurs enseignements sur les peines de l'autre vie ; car il est évident que le dessein de celui qui a fait publier de dogmes des peines éternelles, n'a pas été seulement d apprendre aux hommes a en discourir, et de les leur faire regarder avec horreur; mais de les porter aussi à faire leurs efforts, pour se garder de commettre des actions qui les en rendent dignes. J'ajoute que, pour peu qu'on apporte d*application à lire les écrits des Prophètes et à considérer leurs prédictions il n en faut pas davantage, à mon avis, pour persuader toute personne qui aura de l'intelligence et de l'équité, que c'est l'Esprit de Dieu qui a parlé par ces hommes.  Il n'y a rien, ni dans les opérations surnaturelles qu'on voudrait alléguer, ni dans les puissances auxquelles on les attribue, ni dans les réponses de leurs oracles, qui puisse y être comparé le moins du monde.

Voyons ce qui suit, où Celse continue à nous parler en ces termes : Qu'y a-t-il encore de plus absurde que de faire, avec vous de son corps l'objet de ses désirs, jusqu'à espérer que ce corps même ressuscitera, comme si nous n'avions rien de plus cher, ni de plus précieux et l'exposer cependant aux supplices, comme une chose digne de mépris ? Mais des personnes qui sont dans ces sentiments :, et qui n'ont de pensées que pour leur corps, ne méritent pas qu'on traite de ces matières avec eux. Ce sont même, d'ailleurs, des gens grossiers et misérables, qui ont pris, sans raisonner le parti de la sédition. J'adresserai mon discours à ceux qui espèrent que leur âme, la partie supérieure de leur être, vivra éternellement avec Dieu, soit qu'il veuillent la nommer une substance spirituelle, un esprit intelligent, saint et heureux, une âme vivante, un rejeton céleste et incorruptible de la nature divine, qui est une nature immatérielle ou qu'ils l'appellent tel autre nom qu'il leur plaira. Pour ceux-ci, ce n'est pas sans fondement qu'ils se persuadent que ceux qui auront bien vécu seront heureux après cette vie au lieu que les iniques seront plongés dans un malheur éternel. C'est un dogme dont, ni eux, ni qui que ce soit, ne doivent jamais abandonner la créance. Il faut au contraire la maintenir jusqu'au bout. Ce n'est pas la première fois qu'il nous fait querelle sur le sujet de la résurrection. Mais, comme nous avons dit là-dessus ce que nous avons jugé y devoir dire selon nos lumières, nous n'avons pas dessein de répéter nos défenses autant de fois qu'il répétera ses reproches. Nous dirons seulement qu'il nous calomnie, lorsqu'il pose que nous n'estimons rien en notre être de plus cher ni de plus précieux que le corps. Nous croyons que l'âme, et surtout l'âme raisonnable, est quelque chose de bien plus précieux que quelque corps que ce soit, puisque c'est à l'âme et non au corps qu'il convient d'avoir été formée à l'image du Créateur ; car, selon nous, Dieu n'est pas corps ; ce que nous ne pourrions dire qu'il soit, sans tomber dans les mêmes absurdités que les disciples de Zénon et de Chrysippe. A l'égard de l'accusation qu'il nous fait, de faire de notre corps l'objet de nos désirs, qu'il sache que, quand le désir est mauvais, nous ne désirons rien ; mais que, quand il est indifférent, nous désirons toutes les choses que Dieu promet aux fidèles. C'est donc en cette vue que nous désirons et que nous espérons la résurrection des justes. Celse s'imagine que nous sommes en contradiction avec nous-mêmes quand, d'un côté, nous espérons la résurrection de notre corps, comme s'il était digne des faveurs de Dieu et que, de l'autre, nous l'exposons aux supplices, comme une chose digne de mépris. Mais il n'y a rien de méprisable de ce qui souffre pour la piété et qui est sujet aux misères pour la vertu, comme il n'y a rien qui ne le soit de ce qui s'abandonne aux voluptés vicieuses. De là vient ce mot de l'Écriture : Quelle race est digne d'honneur ? c'est celle des hommes. Quelle race est digne de mépris ? c'est celle des hommes (Ecclésiastiq., X, 23). Il croit ensuite qu'il ne faut pas entrer en matière avec des gens qui n'ont d'espérance que pour le corps, et qui tournent aveuglement toutes leurs pensées vers un sujet incapable de jouir des choses qu'ils espèrent. Il les traite de grossiers et de misérables qui ont pris, sans raisonner, le parti de la sédition; au lieu que l'humanité devait l'obliger à prendre soin d'instruire les plus grossiers. Car les bornes qui nous séparent des bêtes, ne nous séparent pas aussi des plus grossiers des hommes, pour nous empêcher d'entrer en communication avec eux. Celui qui nous a faits, nous a faits également propres pour nous communiquer à tous les hommes. Il est donc juste que nous conférions avec les personnes grossières, pour tâcher de leur ouvrir l'esprit; avec les misérables, pour leur donner du mérite, s'il nous est possible ; avec ceux qui suivent sans raisonner quelque sentiment que ce soit, et qui prennent le mauvais parti, pour faire qu'ils n'agissent plus sans raison, et pour remettre leur âme dans le bon chemin. Après cela il donne son approbation à ceux qui espèrent que leur âme, la partie supérieure de leur être, qu'ils appellent une substance spirituelle et raisonnable, un esprit intelligent, saint et heureux, une âme vivante; qui espèrent, dis-je, que cette âme sera immortelle, et qu'elle demeurera éternellement avec Dieu. IL reçoit ce dogme comme un dogme bien fondé : Que ceux qui auront bien vécu, seront heureux après cette vie, au lieu que les iniques seront plongés dans un malheur éternel. De toutes les choses que Celse a dites, je n'admire rien tant que ce qu'il ajoute ici : C'est un dogme dont ni eux ni qui que ce soit ne doivent jamais abandonner la créance. Puisqu'il écrit contre des chrétiens dont la foi n'a d'autre objet que Dieu et ce qui a été enseigné par Jésus-Christ du bonheur destiné aux justes et des peines préparées aux méchants, il devait considérer qu'un chrétien qu'il aurait porté par ses raisons à renoncer au christianisme, n'y renoncerait pas vraisemblablement, sans renoncer aussi à ce dogme dont ni les chrétiens, dit-il, ni qui que ce soit, ne doivent jamais abandonner la créance. Je trouve que Chrysippe, dans son Art de guérir les passions, se prend bien mieux que Celse à se rendre utile aux autres hommes, lorsque, pour les délivrer des passions qui troublent et qui agitent leurs âmes, il se sert premièrement des raisons qui lui paraissent les meilleures; mais il ne laisse pas d'y en joindre de secondes et de troisièmes, tirées des principes mêmes qu'il n'approuve pas. Quand on supposerait, dit-il, trois sortes de biens, il faut par cette supposition même, tâcher de remédier aux passions, sans se mettre en peine, dans le temps que la passion est émue, de quels dogmes est prévenu celui qu'elle possède; car il faut prendre garde que si l'on s'arrête hors de saison à combattre les dogmes dont l'esprit est prévenu, on ne perde l'occasion du remède qu'il serait nécessaire de donner. Ainsi, ajoute-t-il, quand la volupté serait le souverain bien, ou si c'est le sentiment de celui en qui la passion règne, il ne faut pas laisser de le secourir, en lui faisant voir que ceux mêmes qui mettent la volupté pour le souverain bien et pour la dernière fin, ont des principes avec lesquels toutes tes passions s'accordent mal. Il fallait tout de même que Celse, s'étant une fois déclaré pour ce dogme, Que ceux qui auront bien vécu seront heureux après cette vie, au lieu que les iniques seront plongés dans un malheur éternel, il établit les raisons par lesquelles il en est convaincu ; qu'il prouvât, dis-je, au long que c'est une vérité constante, qu'après celte vie les iniques seront plongés dans un malheur éternel, et que ceux qui auront bien vécu seront heureux. Pour ce qui est de nous, persuadés comme nous sommes par un nombre infini de raisons, que nous devons vivre suivant les lois du christianisme, nous faisons nos efforts avant toutes choses pour disposer tous les hommes à embrasser la religion chrétienne dans son entier. Mais quand nous rencontrons des esprits si prévenus contre les chrétiens par la calomnie, qui les leur a dépeints comme des gens sans aucune pitié, qu'ils refusent même d'écouter ceux qui promettent de leur enseigner les mystères de la parole de Dieu : alors, par des principes d'humanité, nous tâchons d'appuyer, autant qu'il nous est possible, la doctrine de la punition éternelle des impies, afin d'en imprimer du moins la créance à ceux mêmes qui refusent d'être chrétiens. C'est ainsi encore que nous nous efforçons d établir la persuasion du bonheur de ceux qui auront bien vécu; voyant que ceux qui n'ont pas embrassé notre foi disent eux-mêmes plusieurs choses, pour servir à bien régler la vie, pareilles à celles que nous disons ; car on ne trouve guère personne en qui les communes idées du bien et du mal, de la justice et de l'injustice soient entièrement effacées. Tous les hommes donc qui voient le monde, et qui y remarquent les constantes révolutions des cieux, le mouvement des astres, du firmament et le cours des planètes, opposé à celui du premier mobile ; qui considèrent la température des saisons, si conforme au besoin des animaux, particulièrement de l'homme, et l'abondance de toutes les choses qui ont été créées pour son usage, doivent craindre de rien faire qui déplaise au Créateur de l'univers et de leurs âmes, à qui il a donné la lumière de la raison. Ils doivent se persuader que celui qui sait rendre à chacun ce qu'il mérite, les punira de leurs péchés, ou les traitera conformément aux nonnes actions qu'ils auront faites et à la manière dont ils se seront acquittés de leur devoir. Tous les hommes, dis-je, doivent être persuadés que les bons, en mourant, passeront une condition heureuse, à cause de leur vertu ; et que les méchants seront misérablement condamnés aux peines et aux supplices, à cause de leurs injustices, de leurs intempérances, de leurs sales voluptés, de leurs lâchetés, même de leurs bassesses et de toutes leurs folies.

Après ce que nous avions à dire sur cet article, passons à un autre où Celse parle en ces termes : On tient que les hommes ont été chargés d'un corps, soit que l'ordre et l'économie de l'univers le demandât ainsi, soit que leurs péchés méritassent cette peine, soit que leur âme, ayant été souillée de passions, eût besoin d'être purifiée dans l'espace des révolutions qui lui sont marquées. Car il est nécessaire, selon Empédocle,

Que trois fois dix mille saisons
Passent et repassent sur elle;
Qu'en cent différentes prisons,
Sous une figure mortelle
Elle roule un sort ténébreux.
Loin du séjour des bienheureux.

Cela étant, il faut croire qu'elle a été mise sous la garde de certains êtres qui prennent soin de cette prison. Voyez encore ici, comme il ne parle de ces matières importantes que sur des conjectures humaines, et pleines de doute; comme il rapporte divers sentiments sur les causes de notre origine, n'osant prononcer qu'aucun soit faux : en quoi il marque quelque retenue. Puisqu'il avait donc une fois fait profession de ne pas prendre parti à la légère, et de ne pas condamner témérairement les opinions des anciens, n'était-ce pas à lui à suspendre aussi son jugement sur la doctrine des prophètes juifs et de Jésus; à douter au moins, en refusant de croire? Ne devait-il pas considérer qu'il y avait de l'apparence que des gens qui servaient le Dieu souverain, jusqu à s'exposer souvent à mille périls et à mille morts, par le respect qu'ils avaient pour lui et pour les lois dont ils le croyaient l'auteur, n'étaient entièrement négligés de Dieu ; qu'ils en avaient, eux aussi, reçu quelques lumières, pour mépriser d'un côté tous les simulacres formés par l'art des hommes, et pour tâcher de l'autre, d'élever leur entendement jusqu'à ce grand Dieu lui-même? Il devait sans doute penser que le Créateur, ce père commun de tous les hommes, qui voit tout, qui entend tout, qui juge en équité de l'intention qu'on a de le chercher et de vivre comme la piété le demande, fait recueillir à ces personnes quelques fruits de son gouvernement ; afin de fortifier en eux l'idée qu'ils ont déjà conçue de ce qu'il est. Si c'était là le raisonnement de Celse et de ceux qui ont de la haine pour Moïse et pour les prophètes des Juifs, pour Jésus et pour ses vrais disciples, à qui sa parole cause tant de travaux, ils ne parleraient pas mal, comme ils font, de Moïse et des prophètes, de Jésus et de ses apôtres. Ils n'auraient pas un si grand mépris pour la seule nation des Juifs comparée à tous les autres peuples du monde : et ils ne diraient pas qu'elle est pire que les Égyptiens mêmes, qui rabaissent, en ce qui dépend d'eux, l'honneur qui est dû à la Divinité, jusqu'aux animaux sans raison; soit qu'ils le fassent par superstition, soit par quelqu'autre cause ou quelqu'autre erreur que ce puisse être. Nous disons cela, au reste, non pour conseiller à personne de douter de la religion chrétienne, mais pour faire voir que ceux qui s'emportent si fort contre la doctrine des chrétiens feraient mieux de s'en tenir aux simples doutes, que d'avancer avec tant de hardiesse contre Jésus et ses disciples, des choses qu'ils disent sans les savoir : n'appuyant leurs décisions, ni sur ce que les stoïciens appellent une compréhension nette et ferme, ni sur aucune des espèces de raisonnement dont les autres sectes de philosophes se servent pour prouver a leur manière ce qu'ils entreprennent de soutenir. Mais puisque Celse nous dit qu'il faut croire que l'âme a été mise sous la garde de certains êtres qui ont soin de sa prison, nous lui répondrons qu'une âme vertueuse est délivrée des chaînes de l'iniquité dès cette vie même, qui, comme la nomme Jérémie, est la vie des prisonniers de la terre (Lament., III. 34). Jésus l'a déclaré longtemps avant sa tenue au monde, lorsqu'il a dit aux prisonniers par la bouche du prophète Isaïe, Sortez de prison (Is., XLIX, 9); et à ceux qui étaient dans les ténèbres. Venez à la lumière ; Jésus qui, comme le même Isaïe l'avait prédît, a été la lumière qui s'est levée pour ceux qui demeuraient dans la région de l'ombre et de la mort (Is., IX, 2). De sorte que nous pouvons dire : Rompons les chaînes, et rejetons leur joug loin de nous (Ps. II, 3). Si Celse, et ceux qui ont contre nous la même prévention, pouvait pénétrer dans le sens des Évangiles, il ne nous conseillerait pas de nous soumettre à ces êtres qui selon lui ont soin de notre prison ; car il est écrit dans l'Évangile, qu'une femme étant courbée et hors d'état de se redresser jamais, Jésus qui la vit et qui connut la cause de cette impossibilité où elle était de se redresser, dit : Ne fallait-il pas délivrer de ces liens en un jour de sabbat cette fille d'Abraham, que Satan tenait ainsi liée depuis dix-huit ans (Luc, XIII, 11 et 16)? Combien y en a-t-il d'autres que Satan tient encore présentement liés et courbés sans leur permettre jamais de se redresser, lui qui veut que nous tournions toujours les yeux vers la terre, et sans qu'aucun autre puisse les faire regarder en haut que ce Verbe qui a paru au monde en Jésus, et qui, auparavant, avait inspiré les prophètes? Jésus, en effet, est venu pour délivrer tous ceux qui étaient sous la puissance du diable  (Act., X, 38) ; duquel il a dit, avec celte profondeur et cette grâce que renfermaient tous ses discours : Maintenant, le prince de ce monde est jugé(Jean, XII, 31 et XVI, 11). Nous ne parlons donc point mal des démons d'ici-bas : mais nous condamnons les opérations qu'ils font pour la perte du genre humain; en ce que, sous prétexte d'oracles, de guérisons corporelles et d'autres telles choses, ils veulent détacher de Dieu les âmes qui sont descendues dans ce corps vil et abject (Philippe III, 21). C'est là-dessus que ceux qui y font réflexion, s'écrient : Misérable que que je suis! qui me délivrera de ce corps sujet à la mort (Rom., VII, 24) ? Mais il n'est pas vrai que nous abandonnions sans sujet nos corps aux tourments et aux supplices; car on ne le fait pas sans sujet, quand c'est pour ne pas donner le nom de dieux aux démons qui sont sur la terre, et qu'on est attaqué pour cela, par eux et par ceux qui les servent. Nous croyons, au contraire, que c'est une chose très raisonnable et très agréable à Dieu de s'abandonner aux supplices pour la vertu, de s'exposer aux tourments pour la piété et de souffrir la mort pour la sainteté : puisque la mort des saints du Seigneur est précieuse devant ses yeux ( Ps. CXV, 6, ou CXVI, 15). Nous disons encore qu'il est bon de ne pas aimer la vie. Pour Celse, lorsqu'il nous compare à ces hommes perdus qui souffrent avec justice la peine que leurs violences ont méritée, et qu'il n'a point de honte de mettre une disposition comme la nôtre en parallèle avec celle des voleurs, il se rend, en cela, le frère et le compagnon de ceux qui traitèrent Jésus comme un scélérat, et qui. de la sorte, accomplirent cet oracle : Il a été mis au nombre des scélérats (Is., LIII, 12).

Celse ajoute : Il faut choisir de deux choses l'une; car s'ils refusent de faire les cérémonies publiques et de prendre pour objet de leur culte ceux à l'honneur de qui on les fait, qu'ils renoncent donc aussi à sortir de l'enfance pour devenir hommes, à contracter des mariages, à élever des enfants, à rien faire de ce qui se fait dans la vie ; qu'ils s'en aillent bien loin d'ici tous ensemble, eux et leur race, afin qu'il n'en demeure aucun reste sur la terre. Mais s'ils veulent se marier, avoir des enfants; manger des fruits de la terre, prendre part aux douceurs de la vie et aux maux qui y sont attachés : car la nature commune de tous les hommes les assujettit à des maux, et il est nécessaire qu'il y en ait, et c'est ici leur séjour : il faut aussi qu'ils rendent à ceux qui président sur ces choses, l'honneur qui leur est dû; il faut qu'ils s'acquittent de tous les devoirs de la vie, jusqu'à ce qu'ils soient délivrés de ses liens ; afin qu'ils ne paraissent pas ingrats pour ces êtres ; car il y aurait de l'injustice à vouloir jouir de ce qui est de leur dépendance sans leur en payer aucun tribut. Nous disons à cela, que nous ne connaissons point d'autre légitime occasion de renoncer la vie, que pour la piété et pour la vertu : lorsque ceux qui sont établis pour nos justes, et à qui on attribue sur nous puissance de vie et de mort, nous proposent, ou de vivre en faisant des choses contraires aux préceptes de Jésus, ou de mourir en obéissant à ses ordres (Matlh., XIX, 11). Pour ce qui est de nous marier, Dieu nous l'a permis, tout le monde n'étant pas capable de faire ce qui serait le meilleur, savoir de garder une entière pureté. Mais il veut que ceux qui se marient nourrissent tous les enfants qui leur naissent, et, puisque la Providence les leur donne, qu'ils n'en fassent périr aucun. Ces sentiments, au reste, où nous sommes, ne sont point opposés à notre résolution de ne nous pas soumettre aux démons dont la terre est le partage. Car ayant pris toutes les armes de Dieu, nous nous tenons fermes pour résister, comme des athlètes de la piété, aux embûches qui nous sont dressées par l'armée des démons (Ephés., VI, 11, 13 et 14). Encore donc que Celse, par sa sentence, nous bannisse entièrement de la vie, afin que, comme c'est sa pensée, il ne demeure aucun reste de notre race sur la terre, nous vivrons pourtant selon les lois de Dieu, avec ceux qui adorent notre Créateur, et nous refuserons constamment de nous soumettre aux lois du péché. Nous contracterons des mariages si nous le voulons; et nous élèverons les enfants que Dieu nous y donnera. Nous prendrons part aussi, quand il le faudra, aux douceurs de la vie (Jac., I,2); et nous supporterons les maux qui y sont attachés, les regardant comme des épreuves de nos âmes(I Pierre, I, 7): car c'est ainsi que les saints Écrits ont coutume de nommer les afflictions qui arrivent aux hommes. Ce sont des moyens par où l'âme étant éprouvée, comme l'or l'est par le feu, elle est reconnue ou pour digne de mépris, ou pour digne d'admiration. A l'égard donc de ce que Celse appelle des maux, nous sommes disposés à dire : Examine-moi, Seigneur; éprouve-moi, fais au feu l'essai de mes reins et de mon c?ur {Ps. XXV ou XXVI, 2); car on ne peut être couronné que l'on n'ait combattu comme il faut ici sur la terre dans ce corps vil et abject (II Tïm. II, 5). Mais cependant nous ne rendons point à ceux que Celse dit qui président sur ces choses l'honneur qu'il prétend leur être dû (Philipp.,III,21). C'est le Seigneur notre Dieu que nous adorons; c'est lui seul que nous servons : désirant être les imitateurs de Jésus-Christ qui, quand le diable lui dit : Je te donnerai toutes ces choses si, te prosternant devant moi, tu m'adores, répondit : Adorez le Seigneur votre Dieu et ne servez que lui seul  (Matth., IV, 9,10). Nous ne rendons pas, dis-je, à ceux qui président sur ces choses, s'il en faut croire Celse, l'honneur qu'il prétend leur être dû, parce que nul ne pouvant servir deux maîtres, nous ne pouvons servir tout ensemble Dieu et Mammon (Matth., VI,24), de quelque nom que l'on nomme ce Mammon, de celui-ci ou de plusieurs autres (Rom., II, 23}. D'ailleurs, si par la violation d'une loi on déshonore celui qui l'a donnée, nous sommes persuadés qu'y ayant deux lois opposées l'une a l'autre, celle de Dieu et celle de Mammon, il vaut beaucoup mieux qu'en violant la loi de Mammon nous déshonorions Mammon pour honorer Dieu en observant la sienne, que si, en violant la loi de Dieu, nous déshonorions Dieu afin d'honorer Mammon en observant sa loi. Celse s'imagine que les hommes s'acquittent des devoirs de la vie jusque ce qu'ils soient délivrés de ses liens, lorsqu'ils offrent des sacrifices à chacun des Dieux établis de ville en ville, par les lois du pays et par l'opinion des peuples; mais c'est qu'il ne sait pas quels sont les légitimes devoirs qui nous sont prescrits par la véritable piété. Pour nous, nous disons que se bien acquitter de tous les devoirs de la vie c'est se représenter toujours quel est le Créateur, se souvenir quelles sont les choses qui lui plaisent, et se proposer pour but de toutes ses actions, de se rendre agréable à Dieu. Celse veut encore que nous ayons de la gratitude pour les démons d'ici-bas, s'imaginant que nous leur devons des témoignages de notre reconnaissance. Mais sur les justes idées que nous avons de la gratitude, nous soutenons que ceux dont on parle ne nous faisant aucun bien et même étant nos ennemis déclarés, on ne peut dire que nous soyons ingrats envers eux quand nous refusons de leur sacrifier et de les servir. Nous craignons bien plus d'être ingrats envers Dieu qui nous comble de ses bienfaits, de qui nous sommes l'ouvrage, dont la Providence a soin de nous en quelque condition qu'il ait trouvé bon de nous mettre, et de qui nous attendons, après cette vie, l'effet des espérances qu'il nous a données. Et nous avons dans le pain qu'on nomme eucharistie un symbole de cette reconnaissance que nous devons à Dieu. Au fond, il n'est pas vrai, comme nous l'avons déjà dit ci-dessus, que les démons aient la direction des choses qui ont été créées pour notre usage. Ainsi nous ne faisons rien d'injuste quand nous jouissons de ces choses sans sacrifier à ceux de qui elles ne dépendent point. Bien même que nous sachions que ce sont des anges et non pas des démons qui sont établis sur les fruits de la terre et sur la naissance des animaux, nous les louons, nous publions leur bonheur d'avoir reçu de Dieu a charge de ce qui regarde le bien et l'avantage des hommes; mais nous ne leur faisons aucune part de l'honneur qui est dû à Dieu. Il ne le veut pas, et ils ne le veulent pas eux-mêmes qui ont celte commission. Ils nous savent meilleur gré de ce que nous nous abstenons de leur sacrifier que si nous leur sacrifiions ; car ils n'ont que faire de ces exhalaisons qui s'élèvent des corps terrestres.

Celse continue de la sorte : Pour apprendre que jusqu'aux moindres choses tout est ici soumis a quelque puissance qui a ordre d'en prendre soin, il ne faut que consulter les Égyptiens. Ils partagent le corps humain en trente-six parties, à chacune desquelles ils assignent un démon ou un dieu de Voir, qui est chargé de veiller dessus. Il y en a qui comptent bien plus que trente-six de ces démons. Ils en disent même les noms en langue du pays, comme Chnumen, Chnachumen, Cnat, Sicat, Biu, Eru, Erébiu, Ramanor, Rianoor, et d'autres de même ordre. Ils les invoquent et par ce moyen ils guérissent les maux auxquels les parties que chacun a sous sa garde sont sujettes. Qui empêche donc qu'en rendant de l'honneur et à ceux-là et aux autres, si on le veut, on ne conserve sa santé et on n'évite des maladies ; on ne se procure du bonheur et on n'éloigne ce qui le pourrait troubler; on ne se garantisse, autant qu'il se peut, des insultes et des persécutions qu'on aurait à craindre ? C'est ainsi que Celse s'efforce d'assujettir notre âme aux démons, sous prétexte que le soin de nos corps leur est commis et que chacun d'eux, dit-il, en a quelque partie sous sa conduite. Il veut que par celte raison nous croyions aux démons dont il nous parle, et que nous leur rendions nos hommages : Pour nous conserver la santé et pour éviter des maladies; pour nous procurer du bonheur et pour éloigner ce qui le pourrait troubler ; pour tâcher de nous garantir, autant qu il sera possible, des insultes que nous aurions à craindre. Il est si fort prévenu contre le culte indivisible et incommunicable qui est dé au Dieu souverain, qu'il ne croit pas que Dieu, quand on n'adore que lui, et qu'on fait une haute profession de le servir seul, soit capable d'imprimer en ceux qui le servent et par cela même qu'ils le servent, une vertu ont les mette à couvert des embûches que les démons dressent aux saints. Mais c'est qu'il n'a jamais vu comment ces mots Au nom de Jésus, prononcés par ses vrais fidèles, guérissent un grand nombre de malades, de possédés et d'autres personnes infirmes. Je ne doute pas que les partisans de Celse ne se moquent de nous, lorsqu'ils nous entendent dire qu'il faut qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans le ciel, dans la terre et dans les enfers, et que toute langue soit obligée de confesser que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son père (Philipp., II, 10,11). Mais qu'ils s'en moquent s'ils renient: on leur donnera des preuves plus évidentes de cette vérité que ne sont celles qu'ils peuvent avoir, touchant ces noms qu'on nous rapporte de Chnumen, de Chnachumen, de Cnat, de Sicat et de tous les autres du registre égyptien dont on veut que la prononciation ait la vertu de guérir les maux auxquels les parties de notre corps sont sujettes. Voyez un peu comme il veut nous détourner de croire au grand Dieu par Jésus-Christ, et nous exhorte en nous promettant des guérisons corporelles à tourner notre foi du côté de trente-six démons barbares que les seuls magiciens d'Égypte invoquent de je ne sais quelle manière, pour nous procurer, disent-ils, de grands avantages. Nous ferions donc mieux, selon Celse, d'être des magiciens et des sorciers que d'être des chrétiens, de prendre pour objets de notre foi un nombre infini de démons que de la réserver au Maître du monde, qui se fait évidemment connaître par lui-même pour le Dieu vivant et véritable, et qui s'est révélé par celui qui a répandu avec tant d'efficacité dans tous les endroits de la terre où il y a des hommes, les lois pures et saintes de la piété. Je ne me tromperai pas même quand j'ajouterai qu'il en a donné la connaissance à tous les autres êtres raisonnables qui avaient besoin d'être changés, d'être corrigés, d'être guéris de leurs vices.

Celse remarquant que ces sciences auxquelles il nous invite sont le grand chemin de la magie, et reconnaissant, en quelque sorte, le danger où l'on se mettrait, si l'on suivait son conseil, il ajoute : Il faut cependant prendre garde qu'en étudiant cet art on ne s'abandonne par excès au plaisir de le mettre en pratique, et qu'on ne s'attache tellement à l'amour des choses corporelles, qu'on en néglige et qu'on en oublie d'autres plus excellentes ; car peut-être qu'on aurait grand tort de ne pas ajouter foi aux sages. qui nous avertissent que presque tous ces démons terrestres ont une passion démesurée pour les voluptés de la chair, sont avides du sang et de la fumée des sacrifices, courent après les concerts et les autres choses semblables, sans pouvoir rien faire de meilleur que de guérir le corps, de prédire aux hommes et aux villes ce qui leur doit arriver, ou quelque chose de pareil, ne sachant et ne pouvant rien que ce qui concerne les accidents de cette vie mortelle. Puis donc que le pas est si glissant, comme cet ennemi de la vérité de Dieu le témoigne lui-même, et qu'on se met par là en danger d'avoir un commerce trop engageant avec ces démons, ou de s'attacher tellement à l'amour des choses corporelles, qu'on en néglige et qu'on en oublie d'autres plus excellentes, combien fera-t-on mieux de mettre toute sa confiance au Dieu souverain, par Jésus-Christ qui nous a enseigné une doctrine si admirable, et de lui demander en toutes rencontres son secours et sa protection, dont ses anges saints et justes sont les instruments et les ministres? C'est par eux qu'il nous défendra contre ces démons terrestres qui ont une passion démesurée pour les voluptés de la chair, qui sont avides du sang et de la fumée des sacrifices, qui courent après des concerts mal réglés, et qui sont ardents pour d'autres telles choses, mais qui constamment, comme Celse lui-même en tombe d'accord, ne peuvent rien faire de meilleur que de guérir le corps. Je ne craindrai point même de dire que ce n'est pas une chose trop assurée que ces démons, quelque culte qu'on leur rende, aient le pouvoir de nous remettre en santé. Ceux qui veulent rétablir la leur par les voies ordinaires que suit le commun des hommes, doivent s'en tenir à la méthode de la médecine ; mais, si l'on veut se servir d'un moyen plus noble et moins vulgaire, on le trouve dans la piété pour le grand Dieu et dans les prières qu'on lui adresse. Considérez vous-même quelle disposition d'esprit doit être la plus agréable a ce grand Dieu de qui rien n'égale le pouvoir, soit pour faire tout ce qu'il lui plaît, soit en particulier pour faire du bien aux hommes, a l'égard de l'âme et du corps et des choses qui sont hors de nous ; quelle disposition d'esprit, dis-je, lui doit être la plus agréable celle d'un homme qui veut entièrement dépendre de lui, où celle d'un homme qui ne s'occupe qu'à savoir les noms, les vertus cl les opérations des démons, la manière de les évoquer, les herbes qu'ils affectent, les pierres qu'on leur consacre, les caractères qui y sont gravés, et qui ont du rapport aux figures soit symboliques, soit autres que l'on attribue à ces démons. Il est aisé de voir, pour peu que l'on ait de discernement, qu'un esprit droit et ennemi des vaines curiosités, qui, à cause de cela même, s'abandonne à la conduite du Dieu souverain, sera en état de plaire et à Dieu et à tous ceux qui l'approchent, mais qu'un esprit qui, pour la santé du corps, pour d'autres intérêts de même nature et pour un bonheur qui ne consiste qu'en des choses indifférentes, fait toute son étude d'apprendre le nom des démons, et de chercher par quelles conjurations il pourra se les rendre favorables, sera regardé de Dieu comme un esprit méchant et impie, qui tient plus du démon que de l'homme, et sera livré à ces démons que ceux qui parlent comme Celse préfèrent à Jésus, pour être agité et tourmenté, tant par les pensées qu'ils lui suggéreront sur chaque sujet, que par les autres maux qu'ils lui feront; car il est croyable que de si mauvais démons qui, de l'aveu même de Celse, ne se plaisent qu'au sang et à la fumée des sacrifices, aux concerts et autres choses semblables, ne garderont pas la foi, ou si vous voulez ne tiendront pas parole à ceux mêmes qui leur font ces offrandes. En effet, si quelqu'un les invoque contre ces premiers dévots, et qu'il achète leurs services par le sang et la fumée de plus de victimes, et par un plus grand nombre des autres devoirs qu'ils demandent, ils dresseront aujourd'hui des pièges à celui qui leur rendait hier ses hommages, et qui les régalait de ce qu'ils estiment tant. Celse au reste qui jusqu'ici a bien dit des choses en faveur des chapelles et de leurs oracles, où il nous renvoyait, comme pour consulter des dieux, prend maintenant un meilleur parti, lorsqu'il reconnaît que ceux qui prédisent aux hommes et aux villes ce qui leur doit arriver, et dont la portée ne passe pas les accidents de cette vie mortelle, ne sont que des démons terrestres, qui ont une passion démesurée pour les voluptés de la chair, qui sont avides du sang et de la fumée des sacrifices, qui courent après les concerts et les autres choses de cet ordre, sans pouvoir rien faire de mieux. Si c'était nous qui, en disputant contre la théologie de Celse, touchant les oracles et le culte qui se rend aux dieux à qui on les attribue, disions que ce ne sont là que des opérations de démons qui veulent attacher l'âme des hommes aux voluptés de la chair, peut-être qu'on nous prendrait pour des impies. Mais que ceux qui jugeraient ainsi de nous, se rendent maintenant à la doctrine chrétienne et en reconnaissent l'excellence, voyant cet adversaire même des chrétiens qui, sur la fin de son ouvrage, écrit de telles choses, comme vaincu par l'esprit de vérité (Jean, XIV, 17). Celse donc a beau dire qu'il faut rendre des hommages à ces êtres, parce que c'est une chose utile, la raison ne permettra jamais qu'on le fasse. Nous ne devons point en rendre à des démons qui ont tant d'attachement pour le sang et pour la fumée des sacrifices, ni salir la Divinité, autant qu'il dépend de nous, en l'abaissant ainsi jusqu'à des démons impurs. Si Celse avait bien conçu l'idée de l'utile, et qu'il eût compris que ce qui est véritablement utile n'est que la vertu même et les actions vertueuses, il n'aurait pas appliqué ces mots parce que c'est une chose utile aux hommages qu'on rend à des sujets qui, par sa confession propre, sont des démons. Pour nous, quand la santé du corps et le bonheur de la vie seraient des suites de la déférence que nous pourrions avoir pour de tels démons, nous aimerions mieux être malades et être malheureux en ce monde, avec le témoignage que nous rendrait notre conscience d'une piété sincère pour le grand Dieu, que de jouir d'une parfaite santé et d'un très grand bonheur dans les choses temporelles, en nous éloignant et en nous séparant de Dieu, pour jeter notre âme dans une maladie et dans un malheur extrême. Nous croyons qu'il faut s'attacher à celui qui n'ayant besoin de rien, n'a de désirs que pour le salut des hommes et de toutes les créatures raisonnables, plutôt qu'à ceux qui sont avides du sang et de la fumée des sacrifices.

Après tout ce que Celse vient de dire de ces démons et de leur avidité pour le sang et pour la fumée des sacrifices, maintenant, comme pour se rétracter du mal qu'il en a dit, il ajoute qu'il est plus croyable que les démons n'ont besoin de rien, et qu'ils ne sont avides de quoi que ce soit, mais qu'ils prennent plaisir à voir tes effets de la pitié qu'on a pour eux. Si c'était là ce qu'il juge véritable, il ne devait pas poser les choses comme il les a posées d abord pour venir ensuite s'en dédire. Mais l'âme humaine n'est pas entièrement abandonnée de Dieu ni tout à fait privée de sa vérité, qui est son Fils unique. C'est ce qui a fait que Celse même a parlé conformément à la vérité, en ce qu'il a dit du sang et de la fumée des sacrifices dont les démons sont avides : quoique bientôt après, sa propre corruption l'ait fait retomber dans l'erreur et dans le mensonge lorsqu'il parle des démons, comme s'ils ressemblaient a des hommes qui s'acquittent parfaitement de tous les devoirs de la justice sans se mettre en peine qu'on leur en sache gré, mais qui prennent plaisir à combler de biens ceux en qui ils voient des mouvements de reconnaissance. Il me parait bien confus et bien inégal en cet endroit. Tantôt il n'a point de lumières dans l'esprit qui ne soient offusquées par les démons ; tantôt se démêlant un peu des ténèbres dont ils couvrent sa raison il entrevoit quelques rayons de la vérité ; car voici ce qu'il ajoute encore : il ne faut jamais, en aucune manière, abandonner Dieu ni le jour, ni la nuit, ni en public, ni en particulier, ni dans nos discours, ni dans nos actions. Quoi que l'on fasse ou que l'on ne fasse pas, notre âme doit toujours s'élever à Dieu. Je rapporte ces mots : quoi que l'on fasse, à ce qu'il a dit en public, dans toutes nos actions, dans tous nos discours. Mais ensuite, comme si sa raison combattait contre les illusions des démons, et qu'elle succombât ordinairement dans ce combat, il continue de la sorte : Les choses étant ainsi, quel mal y a-t-il de rechercher la faveur des puissances de ce bas monde, soit de celles qui sont d'une nature différente de la nôtre, soit des rois et des princes de la terre? Car ce n'est point sans l autorité des démons que ceux-ci sont élevés au rang qu'ils tiennent. Ci-devant, il a fait ce qu'il a pu pour soumettre notre âme aux démons; maintenant, il veut même que nous recherchions la faveur des rois et des princes de la terre qui sont si connus, et par l'expérience et par les histoires ; si bien que je n'estime pas qu'il soit nécessaire d'entrer sur ce sujet dans aucun détail. Mais c'est uniquement du grand Dieu que nous nous proposons de rechercher la faveur ; c'est auprès de lui seul que nous souhaitons d'être en grâce, et nous y serons par le moyen de la piété et de toutes les vertus. Si Celse croit qu'après la faveur de ce grand Dieu nous devions rechercher encore celle de quelques autres, qu'il considère que comme le corps ne peut se mouvoir que son ombre ne se meuve avec lui, de même on ne peut avoir la faveur du grand Dieu que l'on n'ait en même temps celle de tous les amis de Dieu, soit anges, soit âmes, soit esprits; car ils savent bien connaître ceux qui sont dignes des faveurs célestes : et non seulement ils sont eux-mêmes disposés favorablement pour ceux qui sont déjà dignes de la faveur dû Dieu souverain, mais ils aident aussi ceux qui veulent s'appliquer à son service; ils recherchent sa faveur pour eux, ils le prient et ils implorent sa grâce avec eux De sorte que nous pouvons dire hardiment que quand un homme fortement résolu de vivre comme il le doit, prie Dieu, un nombre presque infini de saintes puissances joignent leurs prières aux siennes, sans quelles en ait sollicitées. Elles s'intéressent pour notre pauvre race mortelle, et s'il faut parler ainsi, elles prennent les armes pour nous, voyant que les troupes des démons attaquent principalement le salut des personnes qui se consacrent à Dieu et qui ne se font point de peine d'avoir les démons pour ennemis; car s'ils entrent jamais en fureur, c'est contre ceux qui leur refusent le sang et la fumée, en quoi leur culte consiste, et qui s'efforcent en toute manière, par leurs paroles et par leurs actions, de s'unir au grand Dieu et de s'approcher de lui par ce même Jésus qui a défait une infinité de démons lorsqu'il allait partout pour guérir et pour convertir ceux qui étaient sous la puissance du diable (Act.,X, 38). Pour ce qui est des hommes et des rois mêmes, nous devons aussi mépriser leur faveur non seulement si elle s'acquiert par des meurtres, par des violences et par des impuretés, mais encore si l'on ne peut en jouir sans renoncer à la piété qui est due au Dieu de l'univers, ou qu'avec des bassesses et des flatteries indignes d'un c?ur noble et généreux qui met la grandeur d'âme au rang des principales vertus, et qui ne veut pas la séparer des autres. Au reste, quand on ne nous oblige à rien qui soit contraire à la loi ou à la parole de Dieu, nous ne sommes pas des fous et des furieux qui prenions plaisir à irriter contre nous les rois et les princes, afin de nous attirer des châtiments, des supplices et la mort. C'est ici une des leçons que nous avons apprises : Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures : car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c'est lui qui a ordonné celles qui sont sur la terre. C'est pourquoi celui qui s'oppose aux puissances résiste à l'ordre de Dieu (Rom., XIII, 1, 2). Nous avons expliqué au long ces paroles et leur avons donné divers éclaircissements, autant que nous en avons été capables, dans nos commentaires sur l'épître aux Romains ; mais ici nous les appliquons au sujet dont il s'agit dans leur sens le plus simple et le plus commun, en vue de ce que dit Celse, que ce n'est point sans l'autorité des démons que les rois sont élevés au rang qu'ils tiennent. Il y aurait beaucoup de choses à dire et une grande question à vider sur l'établissement des puissances qui ont en main le gouvernement et l'empire, parce qu'il y en a qui en usent d'une manière cruelle et tyrannique, ou qui en prennent occasion de s'abandonner aux voluptés et à la débauche : ce qui fait que nous nous dispenserons d'entrer présentement dans l'examen de cette matière. Mais de jurer par la fortune du prince (gr., roi), c'est ce que nous ne faisons point, non plus que par aucune de ces autres divinités que l'on se figure; car soit que la fortune ne soit autre chose que le cours incertain des événements, comme quelques-uns en parlent, quoiqu'ils semblent n'être pas bien d'accord là-dessus, nous ne voulons pas jurer par une chose qui n'a point d'existence réelle, comme si c'était un Dieu, ou du moins un être qui subsistât et qui eût la force de produire quelqu'effet : de peur qu'en le faisant nous n'attribuions à faux le pouvoir que le serment suppose en celui par qui l'on jure. Soit que ce que l'on nomme la fortune du prince (gr., roi) soit de l'ordre des démons, selon qu'il plaît à quelques-uns de nous dire que qui jure par la fortune de l'empereur romain (gr., roi) jure par son démon, nous aimons encore mieux mourir que de jurer par un démon méchant et perfide qui pèche souvent avec celui dont il est le directeur, ou qui pèche même plus que lui.

Celse ressemble à ces possédés qui ont quelques bons intervalles, mais qui retombent peu de temps après ; car le voici maintenant qui parle comme s'il avait des sentiments très justes. Supposé pourtant. dit-il, que quelqu'un voulût obliger un homme qui sert Dieu à faire quelque action impie ou à aire quelque parole sale, il faudrait bien se garder de lui obéir. Il vaudrait mieux s'exposer à toutes sortes de supplices et souffrir toutes sortes de morts que de dire ou que de penser même quelque chose de contraire au respect que l'on doit à Dieu. Mais ensuite, tant parce qu'il ignore notre doctrine que parce qu'il confond tout, il ajoute : Il n'en est pas de même si l'on vous commande de célébrer le soleil, ou de chanter joyeusement un bel hymne à l'honneur de Minerve. Il paraîtra d'autant mieux que vous révérez le grand Dieu, si vous faites aussi part de vos louanges à celui-ci; car quand la piété se répand partout, elle en devient plus parfaite. Nous disons à cela que pour célébrer le soleil nous n'attendons pas qu'on nous le commande, nous qui sommes instruits à dire du bien non seulement de ceux qui se rangent sous les mêmes ordres que nous, mais encore de nos propres ennemis. Nous célébrons donc le soleil comme un des beaux ouvrages de Dieu, toujours soumis aux lois de son Créateur et toujours constant à suivre cette exhortation : Soleil et lune, louez le Seigneur (Ps. CXLVIII, 3); publiez de toute votre force les louanges du Père et de l'architecte de l'univers. Pour ce qui est de Minerve qu'il joint ici avec le soleil, les Grecs nous en content beaucoup de fables dans leurs livres, soit qu'ils cachent là-dessous un sens mystique ou qu'ils n'y en cachent point. Ils nous disent qu elle naquit tout armée de la tête de Jupiter, et qu'un jour Vulcain la poursuivant pour lui ravir sa virginité, elle se sauva de ses mains ; qu'elle éleva cependant avec plaisir l'enfant qui fut produit de ce qui était tombé en terre par un effet de la violente passion de Vulcain, et qu'elle le nomma Erichton, qui fut ainsi, disent-ils,

Mis au jour par la Terre et nourri par Minerve.

(ILIADE, II, vers 547 et 548.)

Nous voyons donc que l'on ne peut reconnaître celte Minerve fille de Jupiter, sans recevoir en même temps un grand nombre de contes et de fictions qu'un homme qui fuit les fables et qui cherche la vérité, ne recevra jamais. Je veux qu'on tourne cela en allégorie, et qu'on dise que Minerve n'est autre chose que la Prudence. Mais que l'on nous montre au moins l'essence et l'existence de ce sujet, qui doit subsister pour soutenir une telle allégorie. Si Minerve a été une personne de L'antiquité que les premiers auteurs des cérémonies et des mystères aient prise pour objet de leur culte en les établissant parmi les peuples de leur dépendance, et dont ils aient voulu que le nom ait été honoré par les hommes comme celui de quelque divinité, nous devons bien plus encore nous donner de garde de publier ses louanges et sa gloire comme si elle était quelque chose de divin, puisqu'il nous est même défendu d'adorer ce beau soleil, quoique nous le célébrions. Celse dit qu'il paraîtra d'autant mieux que nous révérons le grand Dieu, si nous faisons aussi part de nos louanges au soleil et à Minerve. Mais pour nous, nous savons le contraire. Nous n'adressons nos hymnes et nos louanges qu'au Dieu- souverain et à son Fils unique Dieu le Verbe. Et nous louons et Dieu et son Fils comme le font le soleil, la lune, les étoiles et toute l'armée céleste ; car ils composent tous un ch?ur divin qui se joint aux hommes saints pour chanter des hymnes à l'honneur du Dieu souverain, et de son Fils unique (Ps. CLXVIII, 3).

Nous avons déjà dit qu'il ne faut jurer par aucun roi de la terre, ni par ce qu'on nomme sa fortune. De sorte qu'il n'est pas nécessaire que nous fassions une nouvelle réponse à celte nouvelle proposition. Quand on voudrait vous obliger à jurer pas un des rois du monde, cela ne devrait pas non plus vous faire de peine. C'est au roi qu'ont été données les choses de la terre. Tout ce dont vous jouissez dans la vie, vous le tenez de lui. Pour nous, nous ne croyons pas que toutes les choses de ta terre généralement aient été données au roi, ni que nous tenions de lui tout ce dont nous jouissons dans la vie. C'est de Dieu et de sa providence que nous tenons ce dont nous jouissons justement et honnêtement : comme les fruits propres à nourrir, le pain qui fortifie le c?ur de l'homme, et l'huile même que l'olivier produit pour lui embellir le visage. (Ps. CIII ou ClV, 15). C'est, dis-je, de la providence de Dieu que nous recevons tontes ces choses.

Celse dit après cela que nous ne devons pas refuser de croira le témoignage de cet ancien qui a dit il y a si longtemps :

Il ne but qu'un seul roi,
Celui qu'il plaît au fils du frauduleux Saturne.

(ILIADE, II, v. 205.)

Et il ajoute : Si vous vouliez renverser ce dogme, vous en seriez justement puni par le prince (gr., roi). Car, si tous en faisaient autant, rien n'empêcherait qu'étant abandonné de chacun, il ne demeurât seul, et que les choses du monde ne fussent exposées aux Barbares les plus sauvages et les plus cruels, sans que ni le culte de votre religion, ni la gloire de la vraie sagesse pût se maintenir parmi les hommes. Si donc

Il ne faut qu'un seul maître, il ne faut qu'un seul roi;

ce doit être non

Celui qu'il plaît au fils du frauduleux Saturne.

mais celui qu'il plaît au Dieu qui établit et qui détrône les rois, qui donne dans le besoin un prince à la terre pour la gouverner utilement (Dan., II, 21; Eccles.,X, 4).Ce n'est pas le fils de ce Saturne relégué dans le Tartare, à ce que disent les fables des Grecs ; ce n'est pas ce Fils qui établit les rois, lui qui a ôté l'empire à son propre père : on aurait beau nous faire des allégories sur toutes ces histoires. C'est le grand Dieu qui, comme il est l'arbitre de toutes choses, sait aussi de quelle façon il dispense ce qui regarde l'établissement des rois. Nous en renversons donc bien le dogme par rapport au fils du frauduleux Saturne; étant persuadés que Dieu, ni le Père de Dieu ne veut jamais rien de frauduleux ou d'oblique: mais au reste nous ne le renversons point piar rapport à la Providence et à ce qu'elle ait, soit dans sa première vue, soit par des suites nécessaires. Un roi (ou l'empereur) ne nous saurait punir justement de dire comme nous faisons, que c'est non le Fils du frauduleux Saturne qui le fait régner, mais celui qui établit les rois et qui les détrône. Et il serait à souhaiter que tous en fissent autant que nous ; que rejetant le dogme d'Homère, ils reçussent celui dont Dieu est l'auteur, sur le sujet des royaumes de la terre, et qu'ils obéissent au commandement qu'il nous fait, d'honorer le roi (I Pierre, II, 17). Suivant les principes que nous posons, le roi ne demeurera point seul, et il ne sera point abandonné; et l'on ne verra point les choses du monde exposées aux Barbares les plus sauvages et les plus cruels ; car si tous, comme dit Celse, en faisaient autant que nous, il est évident que les Barbares mêmes, se soumettant à la parole de Dieu, deviendraient parfaitement doux et retenus ; et que toute sorte de culte serait aboli, excepté celui de la religion chrétienne, qui seule demeurerait triomphante : comme cela arrivera en effet avec le temps, l'Évangile faisant de jour en jour impression sur on plus grand nombre d'âmes.

Celse ne s'aperçoit pas qu'il se contredit lui-même en ce qu il vient de poser. Si tous en faisaient autant que vous; lorsqu'il dit ensuite: Vous ne prétendrez pas que les Romains, embrassant votre créance et renonçant à tout ce dont ils se font des devoirs envers les dieux et envers les hommes, ils adressent leurs vieux à votre Dieu le Très-Haut ou comme il tous plaira, pour lui demander que descendant du ciel, il vienne combattre pour eux, m sorts qu'us n'aient point besoin d'autres forces ; car ce même Dieu avait dès ci-devant, si l'on vous en croit, promis les mêmes choses et d'autres encore bien plus grandes à ceux qui s'attacheraient à lui. Cependant vous voyez quel bien il a fait et à ces premiers et à vous : ceux-là au lieu de devenir les maîtres du monde, n'ont pas même de reste un pouce de terre ou un coin de maison; et vous, si vous subsistez encore deux ou trois, errants et cachés, on vous cherche partout pour vous mener ou supplice. Puis donc qu'il demande ce qui arriverait, suppose que les Romains embrassassent le christianisme et que, renonçant aux lois anciennes qui règlent parmi eux ce qui concerne les dieux et les hommes, ils n'adorassent que .le Dieu Très-Haut ; voici quelle est là-dessus notre pensée. Il nous est promis que : Si deux ou trois d'entre nous s'unissent ensemble sur la terre, quelque chose qu'ils demandent, elle leur sera accordée par le Père des justes qui est dans le ciel (Matth., XVIII, 19). Car Dieu se plaît à voir l'union et le concert des êtres raisonnables ; comme il lui déplaît qu'ils ne soient pas d'accord. Cela étant, que devrait-on croire, si non seulement un très petit nombre d'hommes, comme à présent s'unissaient ensemble, mais tous ceux généralement qui reconnaissent l'empire romain ? Ils adresseraient alors leurs v?ux à celui qui fit autrefois porter cette parole aux Hébreux, poursuivis par les Égyptiens : Le Seigneur combattra pour vous vendant que vous demeurerez en repos (Exode, XIV, 14) : et les lui adressant avec un parfait accord, ils seraient capables de défaire un bien plus grand nombre d'ennemis, quelque pressés qu'ils en fussent, que n'en défit Moïse, par les v?ux que lui et ceux qu'il conduisait firent à Dieu. Si ce que Dieu avait promis à ceux qui observeraient sa loi, n'a pas eu d'effet, ce n'est pas que Dieu ait manqué à sa promesse ; mais c'est que sa promesse était faite sous celte condition, qu'on observerait sa loi, et qu'on vivrait comme elle l'ordonne. De sorte que si les Juifs qui avaient reçu les promesses, sous une telle condition, n'ont pas à présent de reste un pouce de terre, ou un coin de maison, la cause en doit être rapportée à tous leurs crimes et particulièrement à celui qu'ils ont commis contre Jésus. Mais si tous les Romains embrassaient la foi, selon la supposition de Celse, ils auraient par le moyen de leurs v?ux et de leurs prières, l'avantage sur leurs ennemis; ou plutôt, ils n'auraient aucun ennemi à combattre, étant sous la protection de ce Dieu puissant, qui promettait que, pour l'amour de cinquante justes, il sauverait cinq villes entières (Gen., XVIII, 26). En effet, les saints hommes de Dieu sont le sel qui conserve l'état du monde, tel que nous le voyons sur la terre : et les choses ne s'y maintiennent, qu'autant que ce sel ne perd point sa vertu; car si le sel devient fade, il n'est plus propre ni pour la terre, ni pour le fumier : mais on le jette dehors, et les passants le foulent aux pieds ( Luc, XIV, 34, 35 ). Que ceux qui ont des oreilles entendent ce que cela veut dire (Matth., V, 13). Pour nous, nous sommes poursuivis et maltraités quand Dieu le permet, et qu'il donne au tentateur le pouvoir de nous persécuter. Mais quand Dieu ne veut pas nous exposer aux souffrances, nous vivons en paix, d'une façon surprenante au milieu du monde même qui nous hait: et nous nous reposons avec confiance sur celui qui a dit : Ayez confiance, j'ai vaincu le monde (Jean. XVI, 33). Il a véritablement vaincu le monde; et le monde ne peut plus rien, qu'autant que le veut celui qui l'avaincu par la puissance qu'il en a reçue de son Père. Nous mettons donc notre confiance en sa victoire. Mais, s'il veut que nous rentrions dans la carrière, et que nous combattions encore pour la piété, quelques ennemis qui se présentent, nous leur dirons : Je puis tout en Jésus-Christ, Notre-Seigneur qui me fortifie ( Philipp., IV, 13 ). Car bien que, comme dit l'Écriture, deux passereaux ne se vendent qu'une obole, il n'en tombe aucun dans le filet, sans la volonté de notre Père céleste (I Tim., I, 12) : et la Providence divine embrasse tellement toutes choses, que les cheveux mêmes de notre tête n'échappent pas à ses soins, mais qu'elle les compte (Matth., X, 29, 30).

Celse continuant a brouiller selon sa coutume, nous attribue après cela ce qu'aucun de nous n'a jamais dit. C'est encore ici, ajoute-il, un de vos discours, qui ne saurait être supporté : Que si vous pouvez persuader à ceux qui règnent maintenant sur nous, de suivre vos maximes, en sorte qu'ils se laissent vaincre et prendre à leurs ennemis, vous le persuaderez de même à ceux qui leur succéderont; et après que ceux-ci auront fait comme les premiers, vous en gagnerez encore d'autres; et toujours d'autres, successivement, jusqu'à ce que tous ceux qui vous auront cru soient pris de cette manière comme il arriverait, à moins que quelque puissance, assez éclairée pour le prévoir, ne vous détruise tous de fond en comble, avant que vous la fassiez périr elle-même. La raison ne veut pas que nous nous mettions en peine de nous défendre là-dessus, puisqu'il n'y a aucun de nous qui ait jamais dit, en parlant de ceux qui régnant maintenant, que si, ayant reçu nos maximes, ils s'étaient laissé vaincre et prendre à leurs ennemis, nous en imprimerions aussi la persuasion à ceux qui leur succéderaient ; et qu'après que ceux-ci auraient fait comme les premiers, nous gagnerions, de même, encore ceux qui viendraient ensuite. Mais qui le porte à dire si légèrement que les derniers nous croyant toujours, et se laissant ainsi prendre successivement, faute de se défendre de leurs ennemis, enfin quelque puissance assez éclairée pour prévoir ce qui arriverait de là, nous détruirait tous de fond en comble ? Il semble qu'il ne fasse qu'entasser puérilités sur puérilités, et qu'il prenne plaisir à s'en épuiser.

Il fait ensuite une espèce de souhait. S'il était possible, dit-il, que tous les habitants de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique, tant les Grecs que les Barbares, jusqu'aux extrémités de la terre, s'accordassent à suivre une même loi. Mais jugeant cela impossible, il ajoute : Que qui se le mettrait dans l'esprit aurait bien peu de lumières. S'il faut encore s'arrêter ici, nous dirons deux mots sur ce sujet, qui demanderait beaucoup d'application et de recherches, pour faire voir que non seulement il est possible, mais qu'il est même certain que tous les êtres raisonnables doivent s'accorder à suivre me même loi. Les stoïciens disent que, quand l'élément le plus fort l'emportera sur les autres, comme cela doit arriver, il se fera un embrasement universel, toutes choses se convertissant en feu. Mais nous, nous disons que la raison (le Verbe), doit enfin se rendre la maîtresse de tout ce qui est d'une nature raisonnable, et changer toutes les âmes dans sa propre perfection : de sorte que chacun, n'usant que de son simple pouvoir, soit en état de choisir ce qu'il voudra, et de se maintenir dans ce qu'il aura choisi. Si dans les maladies et dans les blessures du corps il y a quelquefois des accidents qui sont au-dessus de tout l'art de la médecine, nous soutenons qu'il n'est pas croyable qu'il y ait de même dans les âmes quelques atteintes du vice, dont la guérison soit impossible à cette souveraine raison, à ce Verbe qui est Dieu; car la raison dont il s'agit est plus puissante avec ses remèdes, que tous les maux qui travaillent l'âme : et elle les applique à chacun selon que Dieu l'ordonne. La fin de toutes choses sera la destruction du vice ; mais il doit être détruit, en sorte qu'il n'y ait plus pour lui aucun retour, ou s'il en est autrement, la question n'est pas de ce lieu. Pour l'entière destruction du mal, et la correction de tontes les âmes, les prophéties nous en disent beaucoup de choses, en termes couverts : mais il suffira de rapporter ici le passage de Sophonie (Sophon., III, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13). Tenez-vous prête; levez-vous dès te malin : tous leurs fruits sont gâtés. Attendez-moi donc, dit le Seigneur, au jour que je me relèverai pour en informer ; car mon jugement s'apprête pour les assemblées des nations, afin d'y faire comparaître les rois, et de faire fondre sur eux toute la fureur de ma colère, jusque ce que toute la terre soit consumée par le feu de ma jalousie. Alors je redonnerai aux peuples une langue qlui durera autant que le monde; afin que tous invoquent le nom au Seigneur, et qu'ils le servent sous un même joug. En ce temps-là l'on m'offrira des sacrifices jusqu'aux derniers bords des fleuves de l'Éthiopie : et toi, tu n'auras plus de confusion de toutes les entreprises ou tu t'es portée pour m'offenser; car je te ferai renoncer à tous les outrages par lesquels tu m'insultais; et tu ne continueras plus te montrer fière sur ma sainte montagne. Le peuple que je laisserai dans tes murs sera doux et humble. Ceux d'Israël qui seront de reste craindront le nom du Seigneur. Ils ne feront point d'injustice. Ils ne parleront point de choses vaines. Ils n'auront point dans la bouche une langue trompeuse; mais ils paîtront et ils se reposeront, sans que personne vienne les troubler. Que ceux qui sont capables de pénétrer tout le sens de cette prophétie, le mettent dans son jour : et qu'ils insistent principalement sur cette langue, qui, après que toute la terre aura été consumée, sera redonnée aux peuples, pour durer autant que le monde; par rapport à l'état où étaient les choses avant l'ancienne confusion. Qu'ils considèrent bien ce que veut dira : Que tous invoqueront le nom du Seigneur, et qu'ils le serviront sous un même joug : que les outrages de ceux qui faisaient insulte seront bannis; qu'il n'y aura plus d'injustice, plus de vains discours, plus de langue trompeuse. Voilà ce que j'ai cru devoir dire en peu de paroles, et non avec toute l'étendue d'une exacte explication sur ce que Celse avance, qu'il n'est pas que tous les habitants de l'Asie, de l'Europe, et de l'Afrique, tant les Grecs, que les Barbares, s'accordent à suivre une même loi. Et peut-être bien, qu'en effet, la chose n'est pas possible aux hommes qui vivent dans ce corps : mais elle n'est pas impossible à ceux qui en seront délivrés.

Après cela, il nous exhorte à secourir le roi (ou l'empereur) de toutes nos forces, à partager avec lui ses justes travaux, à combattre pour lui, à porter les armes sous lui, s'il nous veut obliger à les prendre pour lui aider à conduire ses armées.  Il faut répondre que nous secourons les rois dans les occasions, et que nous leur donnons pour ainsi dire un secours divin, étant armés de toutes les armes de Dieu (Ephés., VI, 13). En quoi nous obéissons à ce commandement de l'apôtre : je vous conjure, avant toutes choses, que Ion fasse des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui se sont élevés en dignité (I Tïm., II,1,2). Plus donc on a de piété, plus on est propre à donner du secours aux princes, et ce secours est même bien plus efficace que celui des soldats qui vont à l'armée, et qui tuent autant d'ennemis qu'ils peuvent. Nous pouvons dire encore ici à ceux qui ne sont pas de notre créance et qui voudraient que nous portassions les armes pour défendre le public, en tuant des hommes : vos propres sacrificateurs qui prennent soin de vos simulacres, et qui font le service dans les temples de vos dieux, conservent leurs mains pures, à cause des victimes qu'ils doivent toucher, craignant d'offrir avec des mains souillées de sang ou de meurtres, les sacrifices institués à l'honneur des dieux qu'on adore parmi vous. Ainsi, quelque guerre qui s'élève, vous n'enrôler point les sacrificateurs. Si cela est raisonnable, combien plus l'est-il que, quand les autres hommes prennent les armes, ceux dont il s'agit ne les prennent que comme sacrificateurs et ministres de Dieu; qui conservent leurs mains pures, mais qui combattant par leurs prières pour ceux dont les armes sont justes, et pour celui dont le règne l'est aussi, demandent à Dieu qu'il détruise toutes les puissances ennemies et tout ce qui peut s'opposer à la bonne cause ? Lors encore que nous mettons en déroute par nos prières, tous les démons qui tâchent d'allumer la guerre, de faire qu'on viole la foi des traités, et de troubler ainsi la paix, nous rendons plus de service aux princes que ce qu'en appelle leurs troupes. Nous travaillons aussi pour le bien commun, quand aux prières que nous faisons justement, nous ajoutons des exercices et des méditations qui enseignent à mépriser les voluptés, et à ne s'y pas abandonner. Il n'y a personne non plus, qui combatte mieux que nous pour le roi ( ou l'empereur). Il est vrai que nous ne portons pas les armes sous lui, et que nous ne le ferions pas quand il voudrait nous y obliger; mais nous les portons pour lui dans un camp à part, formé par la piété et muni des prières que nous adressons à Dieu. Si Celse veut même que nous prenions la conduite des armées pour le service de la patrie, qu'il sache que nous le faisons aussi : mais que ce n'est pas pour être regardés des hommes, ni pour en tirer un vain honneur ; car c'est dans le secret de nos c?urs et par les mouvements de nos esprits que, comme des ministres publics, nous poussons des v?ux en faveur de nos compatriotes. Les chrétiens sont ceux de tous les hommes qui sont les plus utiles à leur patrie ; en ce qu'ils donnent de bonnes leçons aux autres citoyens et qu'ils leur apprennent à servir religieusement le Dieu protecteur : faisant ensuite passer dans une ville céleste et divine, ceux qui auront bien vécu dans les petites villes d'ici-bas ; car un jour il leur sera dit : Vous avez été fidèles dans une très petite ville : entrez dans une plus grande (Matth. XXV, 21) ; dans celle où Dieu préside à l'assemblée des dieux et où il est au milieu des dieux pour les juger (Luc, XIX, 17). Il vous mettra de leur nombre, afin que vous ne mouriez plus comme un homme, et que vous ne tombiez point comme l'un des princes (Ps. LXXXI ou LXXXII, 1 et 7).

Celse nous exhorte encore à embrasser les charges de magistrats dans la république, si cela est nécessaire pour le soutien des lois et pour les intérêts de la piété ; mais nous qui savons qu'en chaque ville il y a une autre patrie dont la société a été formée par la parole de Dieu, nous exhortons à prendre la charge de conduire les églises ceux qui, par la pureté de leur doctrine et par celle de leurs m?urs, sont capables d'un tel emploi. Nous n'admettons point aux charges ceux qui les affectent ; mais nous forçons à les accepter ceux qu'une grande modestie empêche de se donner facilement à ces soins publics pour l'Église de Dieu. Ainsi ces sages conducteurs qui nous gouvernent, le font parce qu'ils y ont été contraints, et celui qui les y a contraints, c'est le grand Roi, de qui nous avons celte persuasion qu'il est le Fils de Dieu, Dieu le Verbe. Mais pour bien gouverner l'Église, il faut que ceux qui sont élus pour cela par leur patrie, cette société dont Dieu est le fondateur et qui n'est autre que l'Église même, il faut dis-je qu'ils se règlent sur les lois de Dieu, sans les altérer en les mêlant avec d'autres. Au reste, ce n'est pas pour se dispenser des devoirs communs de la vie que les chrétiens refusent la magistrature ; c'est pour se conserver à des devoirs plus divins et plus nécessaires qui regardent le service de l'Église et le salut des hommes. Il y a de la nécessité dans les fonctions qu'ils exercent : mais il n'y a pas moins de justice dans la manière dont ils s'en acquittent. Ils y prennent soin de tous ; de ceux de dedans pour faire qu'ils vivent mieux de jour en jour, et de ceux qui semblent de dehors pour les porter à des pensées et à des actions nobles, telles que la piété les inspire. De sorte que rendant eux-mêmes à Dieu un culte légitime, et travaillant de tout leur pouvoir à le lui faire rendre par plusieurs autres, ils sont tout pénétrés de la parole de Dieu (ou du Verbe), et de sa loi, pour être ainsi unis au Dieu souverain par son Fils, Dieu le Verbe, la sagesse, la vérité et la justice qui lui unit tous ceux qui s'étudient à vivre en toutes choses comme Dieu l'ordonne.

C'est ici que nous finirons, pieux Ambroise, le traité que vous nous avez obligé de composer ; où nous avons compris, en huit livres, selon la mesure des forces qui nous ont été données, tout ce que nous avons cru nécessaire pour répondre à l'écrit que Celse a intitulé Discours véritable. C'est maintenant à ceux qui liront et son écrit et notre réponse, à juger où parait le plus l'esprit du vrai Dieu, le génie de la piété qu'on lui doit, et le caractère de la vérité qui adresse de justes enseignements aux hommes, pour leur apprendre a bien vivre. Il est bon que vous sachiez pourtant que Celse avait promis de faire un autre traité après celui-ci, pour enseigner à ceux qui voudraient ou qui pourraient suivre ses maximes, comment ils devraient régler leur vie. S'il n'a pas tenu sa promesse, touchant ce second écrit, il suffit de ce que nous avons dit contre le premier dans nos huit livres. Mais s'il a entrepris et achevé l'autre, ayez soin de le chercher et de nous l'envoyer, afin que l'examinant aussi avec l'assistance du Père de la vérité, nous renversions les faux dogmes qu'il pourra contenir; et que s'il s'y trouve quelque chose de véritable et de bien dit, nous y souscrivions avec cet esprit d'équité que l'entêtement de la dispute n'empêche point d'approuver.
 
 

DÉMONSTRATIONS ÉVANGELIQUES. TERTULLIEN, ORIGÈNE, EUSÈBE, S. AUGUSTIN,... Traduites, pour la plupart, des diverses langues dans lesquelles elles avaient été écrites REPRODUITES INTÉGRALEMENT, NON PAR EXTRAITS; ANNOTÉES ET PUBLIÉES PAR M. MIGNE, ÉDITEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE UNlVERSELLE DU CLERGÉ OU DES COURS COMPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE ECCLÉSIASTIQUE. OUVRAGE ÉGALEMENT NÉCESSAIRE A CEUX QUI NE CROIENT PAS, A CEUX QUI DOUTENT ET A CEUX QUI CROIENT. 20 volumes, PRIX : 120 fr.  TOME PREMIER,  CONTENANT LES DÉMONSTRATIONS DE TERTULLIEN, ORIGÈNE, EUSÈBE. S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P  MIGNE, ÉDITEUR. AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE DAMBOISE, AU PETIT-MONTROUGE, BARRIÈRE D'ENFER DE PARIS. 1843

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