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Saint Pierre Canisius
Le Grand Catéchisme
Tome 5
Table des Matières
ou Précis de la Doctrine Chrétienne appuyée de témoignages nombreux de l'Ecriture et des Pères
traduction par l'abbé A.-C. Peltier, Besançon et Paris, 1856-1857, 6 volumes, in-8.
édition numérique par JESUSMARIE.com, mai 2008
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DEUXIEME PARTIE.

PRINCIPES DE LA JUSTICE CHRETIENNE.
 
 

SECTION II.

DU BIEN QU’IL S’AGIT DE FAIRE.

CHAPITRE I.

DES TROISPRINCIPALES ESPECES DE BONNES ŒUVRES.

Article IV. - DE L’AUMONE & DES ŒUVRES DE MISERICORDE.


Question I

Qu’est-ce que l’aumône ?

L'aumône est un bienfait par lequel, touchés de compassion, nous soulageons la misère d'autrui. Elle nous est recommandée par ces paroles de l'ange Raphaël adressée à Tobie : La prière, accompagnée du jeûne, et de l'aumône, vaut mieux que tous les trésors qu'on peut amasser ; paroles qui doivent nous convaincre que nos prière et nos jeûnes seraient sans vertu, s'ils n'étaient accompagnés de l’aumône. " Telle est l'excellence de la miséricorde, " a dit saint Ambroise, " que c'est cette vertu qui nous rend parfaits, puisqu'elle fait de nous autant d'imitateurs de notre Père céleste, qui est le modèle achevé de toute perfection. Rien ne rend un chrétien plus recommandable que l'exercice de la miséricorde. " Voici ce qu'en a dit Jésus-Christ lui-même : Soyez donc miséricordieux, comme votre Père, tout le premier, est miséricordieux, afin de vous montrer les enfants de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Ainsi parlait notre Sauveur, ce

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divin Samaritain, plein de bonté et de miséricorde, qui a passé en faisant le bien, et en guérissant tous ceux qui étaient tourmentés par le démon.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Tobie, XII, 8 : " La prière accompagné du jeûne et de l'aumône vaut mieux que tous les trésors et tout l'or qu'on peut amasser. "

2. OSEE, VI, 6 : " C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice, et j'aime mieux la connaissance de Dieu que les holocaustes. "

3. MATTHIEU, IX, 12-13 : " Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins, mais ceux qui sont malades. - Allez donc, et sachez ce que signifient ces mots : Je veux la miséricorde, et non le sacrifice. "

4. Id., XII, 7 : " Si vous saviez bien ce que veulent dire ces paroles : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n'auriez jamais condamné les innocents. "

5. Proverbes, XXI, 3 : " La miséricorde et l’équité valent mieux aux yeux du Seigneur que tons les sacrifices. "

6. Philippiens, IV, 18 : " Maintenant j'ai tout et en abondance : je suis comblé de biens, depuis que j'ai reçu d'Epaphrodite ce que vous m'avez envoyé comme une oblation d'agréable odeur, comme une hostie que Dieu accepte volontiers, et qui lui est agréable. "

7. Hébreux, XIII, 16 : " Souvenez-vous d'exercer la charité et de faire part de vos biens aux autres ; car c'est par de tels sacrifices qu'on se rend Dieu favorable. "

8. LUC, VI, 27-38 : " Mais je vous dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis ; faites du bien ceux qui vous haïssent. - Bénissez ceux qui vous maudissent, et priez pour ceux qui vous

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calomnient. - Et si quelqu'un vous frappe à une joue, présentez-lui encore l'autre ; et si quelqu'un vous enlève votre manteau, laissez-lui emporter aussi votre tunique. - Donnez à tous ceux qui vous demandent, et ne redemandez point votre bien à celui qui vous le ravit. - Et ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux. -Que si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on, puisque les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment ? - Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on, puisque les pécheurs font la même chose ? Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on, puisque les pécheurs eux-mêmes prêtent aux pécheurs afin d'en recevoir autant à leur tour ? - Mais aimez vos ennemis, faites-leur du bien, et prêtez sans rien espérer ; et votre récompense sera très-grande, et vous serez les enfants du Très-Haut ; car il est bienfaisant même à l'égard des ingrats et des méchants. - Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. - Ne jugez point, et vous ne serez point jugé ; ne condamnez point, et vous ne serez point condamné, remettez, et on vous remettra ; - donnez, et on vous donnera ; on versera dans votre sein une mesure pleine et pressée, et qui débordera car on se servira pour vous de la même mesure dont vous vous serez servis pour les autres. "

9. Psaume XXXII, 5 ; " Le Seigneur aime la miséricorde et la justice ; toute la terre est remplie des bienfaits du Seigneur. "

10. Id., CXVIII, 64 : " La terre est remplie des miséricordes du Seigneur. "

11. Id., CXLIV, 8-9, 15-17 : " Le Seigneur est plein de tendresse et de bonté ; il est patient et riche en miséricorde. - Le Seigneur est bon envers toutes ses créatures, et sa miséricorde s'étend sur tous ses ouvrages. - Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent, et il relève tous ceux qui sont renversés. - Toutes les créatures ont les yeux tournés vers vous, Seigneur, et vous leur donnez leur nourriture au temps convenable. -Vous ouvrez votre main, et vous rassasiez de vos bienfaits tout ce qui respire. "

12. LUC, X, 33 : " Un Samaritain passant par-là vint près de lui, et le voyant, il fut ému de compassion à son sujet, etc. "

13. Actes, X, 37-38 : " Pierre leur dit : Vous savez ce qui est arrivé dans la Judée, à commencer par la Galilée, après le baptême que Jean a prêché ; - comment Dieu a oint de l'Esprit-Saint et de force Jésus de Nazareth, qui allait de lieu en lieu faisant

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le bien et guérissant tous ceux qui étaient sous la puissance du démon, parce que Dieu était avec lui. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. CHRYSOSTOME, Hom. XIII in Epistolam II ad Corinthios : " L’aumône consiste non pas simplement à donner aux pauvres, mais à leur donner avec commisération pour eux. "

2. S. AUGUSTIN, Serm. XXX de verbis Domini : " Que signifient ces paroles, Faites l’aumône ? Elles signifient : Faites miséricorde. Que veut-on dire maintenant par ces paroles, Faites miséricorde ? Si vous en avez l'intelligence, commencez par vous la faire à vous-même. Comment en effet, si vous étiez cruel pour vous-même, pourriez-vous être miséricordieux pour les autres ? Faites l'aumône, et toutes choses seront pures pour vous. Mais que ce soit une véritable aumône. Qu'est-ce que l'aumône ? C'est un acte de miséricorde. "

3. S. CYPRIEN, de opere et eleemosynis : " L'ange Raphaël, dans Tobie, confirme aussi la même chose ; il exhorte à faire l’aumône gaiement et libéralement. Il dit : La prière est bonne avec le jeûne, et l'aumône vaut mieux que d'amasser des trésors parce que l’aumône délivre de la mort et que c'est elle qui lave les péchés. Il témoigne par-là que nos oraisons sont moins puissantes, lorsqu'elles ne sont pas secondées par des aumônes. Il nous apprend que ce sont les aumônes qui rendent nos prières efficaces, qui nous garantissent des dangers, qui délivrent nos âmes de la mort (Cf. Les Pères de l’Eglise, trad. Genoude, t. V). "

4. S. PIERRE CHRYSOLOGUE, Serm. XLIII ; ce passage a été rapporté plus haut, tom. IV, quest. III, témoignage 1, page 309.

5. S. LEON-LE-GRAND, Serm. III de jejunio Pentecostes : " L'abstinence est un remède salutaire pour les maux de l'âme, lorsque celui qui jeûne pourvoit aux besoins de ceux qui ont faim. Nous ne pouvons ignorer que l'aumône soit d'un plus grand mérite que le jeûne devant Dieu, après que le Sauveur a dit : Donnez l’aumône de ce que vous avez, et toutes choses seront pures pour vous (LUC, XI, 41). Si nous voulons effacer les taches que nos péchés ont imprimées à nos âmes, ne refusons pas l'aumône aux pauvres, afin que nos bonnes œuvres nous aident à méritent la miséricorde de Dieu au jour du jugement par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Cf. Sermons de saint Léon, p. 525-526). "

6. S. AMBROISE, des Devoirs des ministres sacrés, liv. I, c. 11 :

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" La miséricorde engendre, elle aussi, la perfection, puisqu'elle nous fait ressembler à notre Père céleste qui est la perfection même et qu’il n'y a point de vertus qui rehaussent d’avantage l’âme d'un chrétien. La compassion envers les pauvres est surtout ce qu'il doit commencer par exercer ; c'est imiter la nature, qui donne libéralement ses fruits à tout le monde. Eh! que pouvez-vous faire de mieux que de secourir les pauvres par vos largesses, que de prendre en pitié vos semblables et de leur prêter assistance ? Dans votre argent, ils reçoivent la vie ; pour vous, ce n'est qu'une pièce de monnaie qui sort de vos mains ; eux, ils l'apprécient comme leur subsistance ; le denier de vos aumônes est toute leur fortune. "

" Vous recevrez en retour plus que vous ne leur aurez donné, puisque vous leur serez redevable de votre salut. En donnant un habit à un misérable réduit à l'état de nudité, vous vous revêtez de la justice ; si vous recevez un pèlerin sous votre toit, vous vous attirez la faveur des saints, et vous méritez une place dans les tabernacles éternels. Ce n'est certes pas une grâce de peu de prix, puisqu'en semant des biens périssables, vous en recueillez d'immortels. Vous ne pouvez comprendre les secrets jugements de Dieu dans la conduite qu’il tint à l’égard de Job ? Admirez seulement la vertu de ce saint homme, qui pouvait dire avec raison (XXIX, 15-16) : J’étais l'œil des aveugles et le pied des boiteux ; j’étais le père des affligés et leurs épaules ont été réchauffées par la toison de mes agneaux ; les voyageurs ont toujours eu un asile dans ma maison ; ma porte est restée ouverte à tout venant. Bienheureux est celui qui n'a jamais repoussé le pauvre, et qui ne l’a jamais laissé sortir de sa demeure sans le charger de bienfaits ! Nul ne peut être plus heureux que celui qui a su comprendre les nécessités du pauvre, les infirmités du malade et les douleurs de la misère. Au jour du jugement, tel qui aura fait miséricorde au nom de Dieu, aura fait son débiteur de Dieu lui-même et recevra de lui le salut éternel pour récompense (Cf. Chefs-d'œuvre des Pères de l’Eglise, etc., t. VI, p. 140-143). "

7. S. CHRYSOSTOME, Serm. XXXVI ad populum Antiochenum (al. Hom. VI in Epist. II ad Timotheum cap. 2) : " Jésus-Christ n'a pas dit : Si vous jeûnez vous serez semblable à votre Père : Il n'a pas dit : Vous serez semblable à votre Père, si vous gardez la virginité. Il n'a pas dit : Vous lui serez semblable, si vous priez. Aucune de ces choses ne peut convenir à Dieu, et ces

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sorte de pratiques n'ont rien de commun avec sa nature. Mais qu'est-ce qu'il a dit ? Soyez miséricordieux comme l'est lui-même votre Père céleste (LUC, VI, 36). Voilà l'office de Dieu. Si vous ne lui ressemblez pas en cela, en quoi lui ressemblez-vous donc ? Je veux, nous a-t-il dit, la miséricorde et non le sacrifice (OSEE, VI, 6). Dieu a fait le ciel, la terre, la mer : tous ces ouvrages sont grands, et portent le cachet de sa sagesse ; néanmoins aucun de ces ouvrages ne lui a gagné le cœur de l'homme, comme la miséricorde et l'humanité qu'il a déployée envers nous. C'est là aussi une œuvre de sagesse, de puissance et de bonté ; mais c'est bien plus encore, qu'il se soit fait notre esclave. Cela ne doit-il pas exciter bien davantage notre admiration ? Cela ne doit-il pas bien davantage nous jeter dans le ravissement ? Rien n'attire Dieu comme la miséricorde. Tous les prophètes sont pleins de semblables témoignages (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, tom. XI, pag. 696, édit de Montfaucon ; pag. 751, édit. de Gaume). "

8. S. AUGUSTIN, Serm. LXXVI (Ce sermon ne parait pas être de saint Augustin. Voy. NOEL- ALEX., Hist. eccl., t. V, p. 106, édit. de Mansi) : " Celui qui subvient aux nécessités des pauvres obtiendra facilement la guérison des plaies que lui auront faites ses péchés, et il sera fait miséricorde à celui qui ne refuse pas à son prochain les services qu'il peut lui rendre. Enfin, que celui à qui il est commandé de donner se réjouisse de n'être pas dans une condition où il ait lui-même besoin de recourir à la libéralité des autres. C'est un assez grand sujet de gloire pour celui qui donne, que de trouver dans la misère d'autrui l’occasion de s'enrichir par ses libéralités même envers les pauvres, de faire de Dieu lui-même son débiteur par la miséricorde qu'il exerce à leur égard de nourrir Jésus-Christ dans leur personne, et de mettre à profit leur indigence pour obtenir le pardon de ses propres péchés. C'est Dieu même qui nous invite à consulter en cela nos propres intérêts par ces paroles incisives : Si vous n'avez pas été fidèle dans l'emploi des richesses injustes, qui voudra vous confier les véritables ? Et si vous n'avez pas été fidèle dans l'administration d'un bien étranger, qui vous en donnera pour vous appartenir en propre (LUC, XVI, 11-12) ? Chacun doit en effet se montrer tel pour les pauvres, qu'il voudrait qu'on se montrât pour lui s'il était pauvre lui-même. Vous seriez d’ailleurs bien ennemi de vos propres intérêts si vous refusiez de vous concilier Dieu lui-même en faisant de ses dons l'usage qu'il demande de

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vous, et de lui obéir en distribuant à vos semblables des biens qu'il ne vous a confiés que dans ce but. Car Dieu, en vous chargeant de leur dispensation, ne s'en est pas pour cela dessaisi ; ce n'est que de ses propres biens qu'il vous commande de faire des dons aux pauvres. Pourquoi faites-vous si peu de cas des ordres de votre bienfaiteur ? Pourquoi ne remplissez-vous pas les conditions du pacte qu'il a fait avec vous ? Pourquoi fermez-vous l'oreille au commandement qu'il vous fait d'être charitable ? On s'expose à perdre l'argent qu'on a reçu quand on met de la négligence à en tirer profit. Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux lui-même envers vous. Montrez par vos actes votre ressemblance avec votre père. Montrez l'affinité de votre race par celle de vos œuvres. Que votre conduite soit la justification du nom que vous portez, et que le nom que vous portez soit l'expression abrégée de votre conduite. Que le fils conserve fidèlement les dons qu'il a reçus de son père pour que le père remette un jour à son fils la récompense qu'il lui a promise. Le patrimoine mis en votre possession vous appartient, si vous le faites valoir ; il cesse d'être à vous, si vous le laissez inactif. L'argent gardé dans les coffres est exposé à tous les hasards ; celui que la miséricorde met à profit procure les biens éternels. Que craignez-vous de confier à Jésus-Christ ce que vous aurez tant de peine à soustraire aux voleurs ? Celui qui donne aux pauvres, nous dit le Sage, n'aura besoin de rien (Prov., XXVIII, 27). Vous partagez votre patrimoine entre vos héritiers ; et Jésus-Christ est-il donc indigne d'avoir part à votre bien, et de vous aider à l’emporter avec vous dans l'éternité ? Pourquoi garder pour un héritier ce dont vous ne savez pas si cela devra lui servir ? Pourquoi entasser des biens que vous laisserez peut-être à des ingrats ? Qui sait si ce que vous détacherez pour faire quelque aumône, de la part que cet héritier attend de vous, ne tournera pas à son propre avantage ? Commencez donc par faire ce que Dieu vous ordonne, pour recevoir plus tard ce qu'il vous a promis. Celui qui ne veut pas prête à intérêt à Dieu même ne peut pas recevoir d'intérêts qui lui profitent. Celui qui a pitié du pauvre prête au Seigneur à intérêt, nous dit l'auteur des Proverbes (Prov., XIX, 17). Eh ! comment pourrait prétendre à recevoir l'effet des divines promesses, celui qui refuserait d'observer les préceptes divins ? "

9. Le même, in Libro L homiliarum, hom. XXXIX (Cette homélie semble à Noël- Alexandre n'être pas de saint Augustin. V. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. V, p. 103, édit. de Mansi), ayant

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à expliquer ces mots du psaume XL, Beatus qui intelligit super egenum et pauperem, dit ces paroles : " Heureux celui qui fait l'aumône avec largesse, parce que son argent lui sert à gagner le ciel, et qu'en nourrissant ceux qui ont faim, il éteint l'incendie qu'allumeraient ses péchés. C'est le témoignage que lui rend le Prophète, et il éprouvera les effets de la protection de l'Esprit-Saint. Ses bonnes œuvres lui procurent la paix pour le temps de cette vie, et la sécurité pour le moment de sa mort ; son patrimoine le suivra dans le ciel et entrera dans les greniers éternels ; en nourrissant le pauvre, il aura rendu Dieu lui-même son débiteur. En se contentant de peu pour la vie présente, il s'assure les biens de la vie future, et un riche héritage pour le jour du jugement. Il n'aura à redouter aucune perte, du moment où ses aumônes lui auront assuré le trésor de la piété. . . "

" La miséricorde dont vous userez, mes frères, envers le pauvre, sera parfaite, si vous n'attendez pas pour lui donner le nécessaire qu'il vous en ait fait la demande. Car c'est une aumône bien défectueuse que celle que les supplications extorquent en quelque façon. Quand même un mendiant garderait le silence, la pâleur répandue sur son visage, son air exténué, défait, ne parle-t-il pas assez haut ? Hâtez-vous de venir à son secours, pour ne pas l'entendre vous prier de ne pas garder pour vous ce que vous devez au Seigneur. Imitez votre Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. La pluie vient arroser vos terres avant même que vous la demandiez ; elle répand la fertilité sur votre terrain tandis que, reposant dans votre lit, vous êtes plongé dans le sommeil ; Dieu commande de même au jour de vous illuminer de ses clartés, aux éléments de se mettre à votre service, à la terre de vous prodiguer ses fruits même à votre insu. Le ciel féconde la terre qui enfante pour nous tous ces biens, que nous recevons ensuite comme ils nous viennent et sans les avoir demandés. Et vous, ô homme, vous vous montrerez chiche d'un morceau de pain, ou bien vous ne vous en dessaisissez qu'autant qu'on vous l'achète ? Les quatre mille personnes qui suivirent Jésus dans le désert ne lui demandèrent pas les sept pains et les quelques petits poissons qui suffirent pour nourrir abondamment une si grande multitude ; rien que l'intérêt que Jésus aurait pu en tirer aurait dépassé le capital lui-même Recueillez les restes, de peur qu'ils ne se perdent, dit-il après avoir nourri tout ce peuple (MATTH., XV, 56 et suiv.), parce que toute cette provision avait

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été sanctifiée ; qu'on remplisse de ces restes sept corbeilles : tous ces milliers de personnes ont été rassasié : ce peu a suffi pour tout le monde. A mesure qu'ils mangeaient, la nourriture se multipliait sous leurs mains : ainsi en sera-t-il de l'aumône mes frères, et en cela l'homme participera à la puissance de Dieu, qui a laissé à dessein des pauvres sur la terre, lui qui nourrit de rien le ciel entier, pour nous donner l'occasion de faire l’aumône. Mais si tous étaient dans l’abondance, c'en serait fait de l'aumône ; Dieu nous a donc offert comme un second baptême en nous offrant le moyen de pratiquer cette vertu. Car qui est-ce qui est sans péché ? Or, de même que l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône éteint-elle les péchés. Que l'abondance de nos provisions nous serve, par la part que nous en ferons aux pauvres, à éteindre les flammes que nos péchés auraient allumées : la miséricorde que nous aurons exercée nous fermera les portes de l'enfer, et empêchera que nous ne soyons jetés dans ses abîmes. Dieu fera miséricorde à celui qui aura lui-même fait miséricorde ; il sera sans pitié pour celui qui aura été sans pitié. Donnez de votre pain, tandis que vous avez le moyen de le faire : c'est une chose dont on n'a pas besoin dans l'autre vie ; après la mort, vous n'aurez plus de froment à récolter ou à distribuer ; personne ne vous demandera plus l'aumône ; ce ne sera plus le temps de faire miséricorde. Les bons et les méchants seront à jamais séparés les uns des autres d'après la différence et l'opposition de leurs actes ; Jésus-Christ, notre roi et notre juge, fera ce discernement entre les agneaux et les boucs, qu'il placera, les uns à sa droite, et les autres à sa gauche ; il dira que c'est lui-même qui a eu faim, qui a eu soif, qui a enduré toutes les autres sortes de privations et de souffrances dans la personne de ses serviteurs. Donnez donc, mes chers frères, à tous ceux que vous voyez dans le besoin, mais principalement à ceux qu'une même foi a rendus comme vous enfants de Dieu ; donnez à tous, de peur que celui à qui vous n'auriez pas donné ne soit Jésus-Christ lui-même ; ou plutôt, croyez-moi, c'est à Jésus-Christ lui-même que vous serez assuré de donner. "

10. S. LEON-LE-GRAND, Serm. V de Quadragesimâ : " Les personnes qui ont de la douceur et de la clémence sont naturellement libérales ; rien n'est plus digne de l'homme que d'imiter son créateur et de mesurer les largesses que l'on doit faire sur l'étendue de ses moyens ; car lorsqu'on donne à manger à ceux qui ont faim, qu'on a soin de vêtir ceux qui sont nus, qu'on soulage les

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infirmes, n'est-ce pas en quelque manière tenir la place de Dieu ? La bonté du serviteur n'est-elle pas un effet de la bonté du maître ? Quoiqu'il n'ait pas besoin de secours pour répandre sur nous les dons de sa miséricorde, il a tellement tempérés sa toute-puissance, qu'il subvient aux nécessités des hommes par le ministère des hommes mêmes, et c'est avec justice qu'on le remercie des œuvres de charité qu'il exerce par les mains de ses créatures. Voilà pourquoi le Sauveur du monde disait à ses disciples : Que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père, qui est dans le ciel (MATTHIEU, V, 16), et qui vit et règne avec le Verbe et le Saint-Esprit (Cf. Sermons de saint Léon-le-Grand, p. 299-300). "

10. Ibidem, Serm. X de Quadragesimâ : " Il faut aussi, pendant le carême, avoir plus de zèle que jamais pour soulager les misères des pauvres et toutes les autres espèces d'infirmités, afin que plus de gens puissent rendre à Dieu des actions de grâces, et que le pain que nous donnons aux pauvres relève le mérite de notre jeûne. Les secours que les fidèles rendent aux pauvres honorent Dieu plus que tout autre acte de vertu ; et dans le zèle que nous apportons à exercer la miséricorde, il se plait à reconnaître l'image de la sienne. Que la crainte de manquer de ressources n'empêche jamais de faire de tels sacrifices : car une âme bienfaisante et libérale est toute seule une grande richesse. Puisque Jésus-Christ est l'objet et le principe de nos charités, pouvons-nous jamais manquer de moyens pour faire des largesses ? Cette main qui, en rompant le pain et en le distribuant le multiplie, préside aux bonnes œuvres ; que celui donc qui donne l'aumône la fasse avec joie et sans inquiétude. Moins il se réservera pour soi-même, plus seront grands les avantages qu'il retirera de ses aumônes, puisque saint Paul a dit en termes exprès : Dieu, qui donne la semence à celui qui sème, vous donnera le pain dont vous avez besoin pour vivre, et il multipliera la semence de vos charités, et il fera croître de plus en plus les fruits de votre justice (II Cor., IX, 10) ; par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles (Cf. Ibidem, p. 265-266).

12. S. GREGOIRE de Nysse, Lib. de beatitudinibus, explique de la manière suivante ces paroles de Notre-Seigneur, Beati misericordes (MATTH., V, 7) : " Je sais qu'en beaucoup d'endroits des divines Ecritures, les écrivains inspirés appellent du nom de miséricordieux la Divinité elle-même ; ainsi David dans ses psaumes ;

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ainsi Jonas dans ses prophéties ainsi le grand Moïse dans une multitude de passages. Si donc ce nom de miséricordieux convient à Dieu lui-même, que fait Jésus-Christ en vous exhortant à la miséricorde, autre chose que de vous exhorter à devenir des dieux en quelque sorte, en revêtant ce qui fait le propre caractère de la Divinité. Car si Dieu est appelé miséricordieux par les écrivains sacrés ; si d’ailleurs, c'est Dieu qui possède la vraie béatitude, il est évident, par une conséquence logique et rigoureuse, que qui que ce soit, fût-il un simple mortel, qui pratique la miséricorde, participe par-là même à la suprême béatitude, puisqu’il possède l'attribut qui donne son nom à la Divinité. Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu est compatissant (Ps. CXIV, 5). Comment donc ne serait-il pas heureux, l'homme qui est appelé, et qui est effectivement, ce qui fait la propre dénomination de Dieu, comme le fond de sa nature même ? . . . . "

" Le genre humain semble partagé tout entier en deux classes opposées, celle des maîtres et celle des esclaves, celle des riches et celle des pauvres, celle de la noblesse et celle de la roture, celle des faibles et celle des forts, et cette antinomie se retrouve partout. Afin donc que celui qui a plus et celui qui a moins soient remis au même niveau, et que ce qui manque aux uns soit suppléé par ce qui abonde chez les autres, le divin Maître nous recommande à tous la miséricorde à l'égard de ceux qui souffrent ; car on ne peut être porté à soulager le prochain dans son malheur, qu'autant que la miséricorde en inspire le sentiment, puisque la miséricorde se conçoit comme l'opposé de l'inhumanité. De même donc qu'un caractère inhumain se montre inaccessible à ceux qui voudraient l'aborder, de même l'homme compatissant et miséricordieux s'identifie pour ainsi dire avec celui qu'il voit dans le besoin, et s'accommode à tout ce que demande de lui cette âme plongée dans l'amertume. "
 
 

Question II

En quels termes la sainte Ecriture nous recommande-t-elle l’aumône ?

L'Ecriture nous recommande l'aumône par une foule d'instructions, d'exhortations et d'exemples. Saint Cyprien va jusqu’à dire qu'aucun précepte ne nous est plus fréquemment intimé dans l’Evangile que celui de faire l’aumône, et de placer notre trésor dans le ciel, au lieu de mettre notre dernière fin dans les biens

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de la terre. De là ces maximes de Jésus-Christ : Donnez l’aumône de ce que vous avez, et toutes choses seront pures pour vous. - Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumônes. - Faites-vous des bourses qui ne s'usent point avec le temps, amassez-vous dans le ciel un trésor qui ne puisse jamais se perdre. . . . . Employez les richesses injustes à vous faire des amis, afin que, lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. En deux mots : Donnez, et on vous donnera. C'est pourquoi le prophète Daniel donne le conseil suivant à un roi impie : Rachetez vos péchés par des aumônes et vos iniquités par les œuvres de miséricorde pratiquées envers les pauvres. Ailleurs nous lisons : L'eau éteint le feu même le plus ardent, et l'aumône résiste aux péchés. Ces autres paroles que nous allons citer ne sont pas d'un homme, mais d'un ange : L'aumône délivre de la mort ; c'est elle qui efface les péchés et qui fait trouver la miséricorde et la vie éternelle. Voici enfin les paroles de Jésus-Christ lui-même : Quiconque aura donné seulement à boire un verre d'eau froide à l'un de ces plus petits, en considération de ce qu'il est un de mes disciples, je vous dis en vérité qu'il ne perdra point sa récompense. - Heureux donc les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. - Par la raison contraire, et ce sont les paroles de l’apôtre saint Jacques, celui qui n'aura pas fait miséricorde sera jugé sans miséricorde.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Deutéronome, XV, 7, 8, 11 : " Si, dans le pays que le Seigneur doit vous donner, un de vos frères de la même ville

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que vous tombe dans la pauvreté, vous n'endurcirez point votre cœur et vous ne fermerez point votre main ; - mais vous l'ouvrirez au pauvre, et vous lui prêterez ce dont vous verrez qu'il aura besoin. - Il y aura toujours des pauvres dans le pays où vous habiterez. C'est pourquoi je vous ordonne d'ouvrir votre main à votre frère pauvre et sans secours, et qui demeurera avec vous dans le même pays. "

2. NEHEMIE, VIII, 8-10 : " Et ils lurent distinctement et intelligiblement dans le livre de la loi de Dieu, et le peuple entendit ce qu'on lui lisait. - Or, Néhémie, qui avait la dignité d’Athersatha, Esdras, prêtre et docteur de la loi, et les lévites qui interprétaient la loi à tout le peuple, leur dirent : Ce jour est un jour saint et consacré au Seigneur notre Dieu : ne vous attristez point et ne pleurez point. Car tout le peuple, entendant les paroles de la loi, fondait en pleurs. - Et il leur dit : Allez, et mangez des viandes succulentes, et buvez du vin mêlé de miel ; et faites-en part à ceux qui n'ont rien apprêté pour manger, parce que ce jour est le jour saint du Seigneur. Et ne vous attristez point ; car la joie du Seigneur est notre force. "

3. Tobie, IV, 7-12 : " Fais l'aumône de ton bien, et ne détourne ton visage d'aucun pauvre : car en ce cas le Seigneur ne détournera pas non plus son visage de toi. - Sois charitable autant que tu le pourras. Si tu as beaucoup, donne beaucoup; et si tu as peu, aie soin de donner de ce peu même de bon cœur. - Car tu amasseras ainsi un grand trésor et une grande récompense pour le jour de la nécessité. - L'aumône, en effet, délivre de tout péché et de la mort, et elle ne laissera point l'âme tomber dans les ténèbres. - L'aumône sera le sujet d'une grande confiance devant le Dieu suprême pour tous ceux qui l'auront faite. "

4. Psaume XL, 1-3 : " Heureux l'homme attentif et sensible aux souffrances du pauvre et de l'indigent : le Seigneur le délivrera au jour de l'affliction. - Le Seigneur veillera sur lui et conservera ses jours ; il le fera prospérer sur la terre, et ne l'abandonnera point à la merci de ses ennemis. - Le Seigneur l'assistera sur son lit de douleur ; sa main retournera sa couche pour le soulager dans ses maux. "

5. Proverbes, XI, 17, 18, 24, 26 : " L'homme charitable fait du bien à son âme ; l'homme dur rejette ses proches même (ou, suivant les Septante, laisse dépérir son propre corps). - L'ouvrage du méchant ne sera point stable ; mais la moisson est assurée à celui qui sème la justice. - Les uns donnent ce qui

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est à eux, et sont toujours riches ; les autres ravissent le bien d'autrui, et sont toujours pauvres. - Celui qui cache le blé sera maudit des peuples, et la bénédiction viendra sur la tête de ceux qui le vendent. "

6. Ibid., XIV, 21,31 : " Celui qui méprise son prochain pèche, mais celui qui est miséricordieux envers le pauvre sera heureux ; celui qui croit au Seigneur aime la miséricorde. - Celui qui opprime le pauvre, fait injure à celui qui l'a créé ; celui, au contraire, qui en a compassion, honore son créateur. "

7. Ibid., XIX, 47 : " Celui qui a pitié du pauvre prête au Seigneur à intérêt et le Seigneur lui rendra son bienfait. "

8. Ibid., XXII, 9 : " Celui qui est enclin à la miséricorde sera béni, parce qu'il a donné de son pain au pauvre. "

9. Ibid., XXV, 21, 22 : " Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s'il a soif, donne-lui à boire ; - car tu amasseras ainsi sur sa tête des charbons de feu, et le Seigneur te le rendra. "

10. Ibid., XXVIII, 27 : " Celui qui donne au pauvre ne manquera de rien ; mais celui qui méprise la prière du malheureux tombera lui-même dans la pauvreté. "

11. Ecclésiastique, IV, 1-11, 36 : " Mon fils, ne prive point le pauvre de son aumône, et ne détourne point les yeux de lui. - Ne méprise point celui qui a faim, et n'aigris pas le pauvre dans son indigence. - N'attriste point le cœur du pauvre, et ne diffère point de donner à celui qui souffre. - Ne rejette point la prière de l'affligé - et ne détourne point tes regards du pauvre. - Ne détourne point tes yeux du pauvre, de peur qu'il ne s'irrite contre toi, et ne donne point sujet à ceux qui t'implorent de te maudire par derrière. - Car l'imprécation de celui qui te maudira dans l'amertume de son âme sera exaucée ; il sera exaucé par celui qui l'a créé. - Rends-toi propice à l'assemblée des pauvres ; humilie ton âme devant les anciens, et baisse la tête devant les grands. - Prête sans peine l'oreille au pauvre, acquitte-toi envers lui de ce que tu lui dois, et réponds-lui favorablement et avec douceur. - Délivre de la main du superbe celui qui souffre quelque injure, et ne garde pas d'amertume dans ton cœur. - Dans tes jugements, sois miséricordieux pour l'orphelin, comme si tu en étais le père, et sois comme un époux pour sa mère. - Et tu seras pour le Très-Haut comme, un fils obéissant et il aura compassion de toi plus qu'une mère n'en a de son fils. - Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour donner. "

12. Ibid., VII, 10, 36-39 : " Ne néglige point de prier et de

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faire l'aumône. - Ouvre ta main au pauvre, afin que ton sacrifice d'expiation et ton offrande soient accomplis. - La libéralité est agréable à tous ceux qui vivent ; ne la refuse pas même aux morts. - Ne manque pas de consoler ceux qui sont dans la tristesse, et de pleurer avec ceux qui pleurent. - Ne sois point paresseux à visiter les malades ; car c'est ainsi que tu t'affermiras dans la charité. "

13. Ibid., XII, 4-6 : " Si tu fais du bien, sache à qui tu le fais, et le bien que tu feras plaira beaucoup. - Fais du bien au juste, et tu recevras une grande récompense, sinon de lui, au moins du Seigneur. - Car il n'y a point de bien à espérer pour celui qui est habitué à commettre le mal, et qui ne fait point l'aumône, parce que le Très-Haut a les pécheurs en haine, et qu'il fait miséricorde à ceux qui se repentent. - Donne à celui qui est pieux, et refuse ta protection au pécheur, car Dieu rendra aux méchants et aux pécheurs ce qu'ils méritent, et il les réserve pour le jour de sa vengeance. - Donne à celui qui est bon, et n'assiste point le pécheur. - Fais du bien à celui qui est humble, et ne donne point au méchant. Empêche qu'on ne lui donne du pain, de peur qu'il ne devienne ainsi plus puissant que toi. "

14. Ibid., XVII, 18-19 : " L'aumône de l'homme est devant Dieu comme un sceau, et il gardera le souvenir du bienfait de l'homme comme la prunelle de son œil. - Dieu s'élèvera enfin, et il rendra à chacun son salaire ; chacun répondra devant lui de ce qu'il aura fait, et il précipitera les pervers au fond de l'abîme. "

15. Ibid., XXIX, 15-17 : " Renferme l'aumône dans le sein du pauvre, et elle t'obtiendra d'être délivré de tout mal. - L'aumône de l'homme est comme un trésor qui l'accompagne toujours, et elle lui conservera la faveur de Dieu comme la prunelle de l'œil. - Elle revivra dans la suite, et Dieu rendra à chacun la récompense qu'il aura méritée (Les versets 16 et 17, rapportés ici, manquent dans notre Vulgate. En voici le texte latin, tel qu'on le trouve dans quelques vieux exemplaires : Eleemosyna viri quasi sacculus cum ipso, et gratiam hominis quasi pupillam conservabit : et posteà resurget, et retribuet illis retributionem unicuique in caput illorum. Ces deux versets manquent également dans le texte des Septante, à moins qu'on n'aime mieux dire que c'est ici un double emploi de versets semblables du chapitre XVII tout-à-l'heure cité, témoignage 14). "

16. EZECHIEL, XVIII, 5, 7, 9, 14, 16-17 : " Si un homme est

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juste ; s'il agit selon l'équité et la justice, etc. ; - s'il ne contriste personne ; s'il rend à son débiteur le gage qu'il a reçu de lui ; s'il ne prend rien du bien d'autrui par violence ; s'il donne de son pain à celui qui a faim ; s'il couvre de vêtements ceux qui étaient nus ; - s'il marche dans mes préceptes et garde mes ordonnances pour agir selon la vérité : celui-là est juste, et il vivra très-certainement, dit le Seigneur Dieu. . . . . - Que si cet homme a un fils qui, voyant tous les crimes que son père avait commis, en soit saisi de crainte, et se garde bien de l'imiter, etc. ; - qui ne contriste personne ; qui ne retienne point à son débiteur le gage reçu de lui ; qui ne prenne point par violence le bien d'autrui ; qui donne de son pain au pauvre ; qui habille celui qui était nu ; - qui détourne sa main de toute injustice à l'égard du pauvre ; qui ne donne point à usure, et ne reçoive rien au-delà de ce qu'il a prêté ; qui observe mes ordonnances et marche dans la voie de mes préceptes : celui-là ne mourra point, quelle qu'ait été l'iniquité de son père, mais il vivra très-certainement. "

17. MATTHIEU, XXV, 34-46 : " Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. - J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais en pays étranger et vous m'avez recueilli ; - j'étais nu, et vous m'avez revêtu ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi. - Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger, ou avoir soif, et que nous vous avons donné à boire ? - Quand est-ce que nous vous avons vu comme étranger, et que nous vous avons recueilli ; ou sans habits, et que nous vous avons revêtu ? - Et quand est-ce que nous vous avons vu malade ou en prison, et que nous sommes allés vous visiter ? - Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous avez fait ces choses au moindre de mes frère que voici, c'est à moi-même que vous les avez faites. - Il dira ensuite à ceux qui seront à sa gauche : Allez loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. - Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donne à manger ; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire. - J'étais en pays étranger et vous ne m'avez pas recueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas revêtu ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez point visité. - Alors ils lui répondront aussi : Seigneur, quand est-ce

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que nous avons vu avoir faim ou avoir soif, ou être comme étranger ou sans habits, ou malade, ou en prison, et que nous avons omis de vous assister ? - Mais il leur répondra : Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous avez omis de faire quelqu'une de ces choses à un de ces plus petits, c'est à moi que vous avez omis de la faire. - Et ceux-ci iront au supplice éternel et les justes à la vie éternelle. "

18. LUC, XIV, 12-14 : " Il dit aussi à celui qui l’avait invité : Lorsque vous faites un dîner ou un souper, n'y invitez pas vos amis, ni vos frères ni vos proches, ni ceux de vos voisins qui sont riches, de peur qu'ils ne vous invitent ensuite à leur tour, et qu'ainsi ils ne vous rendent ce qu'ils auraient reçu de vous. - Mais lorsque vous faites un festin, invitez-y les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles ; - et vous serez heureux de ce qu'ils n'auront pas le moyen de vous le rendre : car cela vous sera rétribué au jour de la résurrection des justes. "

19. Id., XI, 39-41 : " Vous autres pharisiens, vous avez grand soin de nettoyer le dehors de la coupe et du plat ; mais au dedans vous êtes pleins de rapines et d'iniquités. - Insensés que vous êtes, celui qui a fait le dehors n'a-t-il pas fait aussi le dedans ? - Au surplus, donnez l'aumône de ce que vous avez, et tout sera pur pour vous. "

20. Id., XII, 33-34 : " Vendez ce que vous avez, et donnez-le en aumônes ; faites-vous des bourses qui ne s'usent point par le temps ; amassez dans le ciel un trésor qui ne s'épuise jamais, d'où les voleurs ne puissent approcher, et que les vers ne puissent gâter. - Car où est votre trésor, là est-aussi votre cœur0 "

21. Id., III, 10-11 : " Et la multitude interrogeait Jean en ces termes : Que devons-nous faire ? - Que celui qui a deux habits en donne un à celui qui n'en a point, et que celui qui a une double portion de nourriture fasse de même. "

22. MATTHIEU, VI, 1-4, 19-21 : " Prenez garde de faire vos bonnes œuvre devant les hommes pour en être remarqués ; autrement vous n'en aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux. - Lorsque vous faites l'aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues et les places publiques, pour être honorés des hommes ; je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense - Mais lorsque vous faites l'aumône que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite, afin que votre

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aumône se fasse en secret, et votre Père, qui voit ce qui se passe dans le secret, vous en rendra la récompense. - Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la rouille et les vers les consument, et où les voleurs les déterrent et les dérobent. - Mais faites-vous des trésors dans le ciel, où ni la rouille ni les vers ne les consument, et où il n'y a point de voleurs qui les déterrent et les dérobent. - Car où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. "

23. Id., XIX, 21 -25 : " Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous possédez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez, et suivez-moi. - Quiconque abandonnera pour moi sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses terres, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. "

24. MARC, X, 21, 29-30 : " Jésus l'ayant regardé (un jeune homme qui lui avait demandé la permission de se mettre à sa suite) se prit d'affection pour lui et lui dit : Une seule chose vous manque : allez, vendez ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, et vous posséderez un trésor dans le ciel ; puis venez, et suivez-moi. . . - Jésus répondant, dit : Je vous le dis en vérité, personne ne quittera pour moi et pour 1'Evangile sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses terres, - que présentement, dans ce siècle même, il n'en reçoive cent fois autant, des maisons, des frères des sœurs, des mères, des enfants, des terres, au milieu même des persécutions et dans le siècle à venir, la vie éternelle. "

25. I Timothée, VI, 17-19 : " Ordonnez aux riches de ce monde de n'être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance tout ce qui est nécessaire à la vie ; - d'être bienfaisants, de se rendre riches en bonnes œuvres, de donner l'aumône de bon cœur, de faire part de leurs biens, - de s'acquérir un trésor et un fonds solide pour l'avenir, afin d'arriver à la véritable vie. "

26. LUC, XVI, 9-12 : " Employez les richesses d'iniquité à vous faire des amis, afin que, lorsque vous viendrez à défaillir, ils vous reçoivent dans les demeures éternelles. - Celui qui est fidèle dans les petites choses, sera fidèle aussi dans les grandes ; et celui qui est injuste dans les petites choses, sera aussi injuste dans les grandes. - Si donc vous n'avez pas été fidèle dans les richesses injustes, qui voudra vous confier les biens véritables ?

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- Et si vous n'avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera le votre propre ? "

27. Id., VI., 38 : " Donnez, et on vous donnera ; on versera dans votre sein une mesure pleine et pressé, et qui débordera ; car on se servira pour vous de la même mesure dont vous vous serez servis pour les autres. "

28. II Corinthiens, VIII, 10-14 : " C'est donc ici un conseil que je vous donne, parce qu'en effet il vous est utile, à vous qui non-seulement avez commencé les premiers à faire cette charité, mais en avez de vous-même formé le dessein dès l'année passée. - Achevez donc maintenant ce que vous avez commencé dès-lors, afin que, comme vous avez une volonté résolu d'assister vos frères, vous les assistiez aussi effectivement de ce que vous avez. - Car lorsqu'un homme a une ferme volonté de donner, Dieu l'accepte de sa part, en ne demandant de lui que ce qu'il peut, et non ce qu'il ne peut pas. - Et ainsi, je n'entends pas que les autres soient soulagés de manière à ce que vous soyez vous-même surchargés ; mais que, pour ôter l'inégalité, - votre abondance suppléé maintenant à leur pauvreté, afin que votre pauvreté à vous-mêmes, le cas échéant, soit soulagée réciproquement par leur abondance, et qu'ainsi tout soit réduit à l'égalité. "

29. Ibid., IX, 5-12 : " J'ai jugé nécessaire de prier mes frères, de prévenir mon arrivée près de vous ; afin qu'ils aient soin que l'aumône que vous avez promis de faire soit prête, mais de telle sorte que ce soit un don offert par la charité, et non arraché à l'avarice. - Or, je vous avertis que celui qui sème peu, moissonnera peu ; et que celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance. - Que chacun donne ce qu'il aura résolu en lui-même de donner, non avec tristesse, ni comme par force ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. - Et Dieu est assez puissant pour vous combler de toutes sortes de grâces, afin qu'ayant en tous temps et en toutes choses tout ce qui suffit pour votre subsistance, vous ayez abondamment de quoi vous employer à toutes les bonnes œuvres - selon qu'il est écrit : Il a distribué ses aumônes, il a donné aux pauvres, sa justice demeure éternellement. - Dieu donc, qui donne la semence à celui qui sème vous donnera le pain dont vous avez besoin pour vivre, et il multipliera ce que vous avez semé et fera croître de plus en plus les fruits de votre justice, afin qu'étant riches en tout, vous vous prêtiez avec simplicité à tout

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ce que la charité demande de vous : ce qui nous donnera sujet de rendre à Dieu de nombreuses actions de grâces. - Car cette oblation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints, mais elle est abondante envers Dieu, par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle lui fait rendre. "

30. I Timothée, IV, 7-8 : " Fuyez les fables impertinentes et puériles et exercez-vous à la piété. - Car les exercices corporels servent à peu de chose ; mais la piété est utile à tout, et c'est à elle que sont promis les biens de la vie présente et ceux de la vie future. "

31. Romains, XII, 13-20 : " Soyez charitables pour soulager les nécessités des saints ; prompts à exercer l'hospitalité. - Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger ; s'il a soif, donnez-lui à boire ; car c'est en agissant ainsi que vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. "

32. JACQUES, I, 27 : " La religion, la piété pure et sans tache aux yeux de Dieu notre Père consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se préserver de la corruption du siècle présent. "

33. DANIEL, IV, 24 : " C'est pourquoi, suivez, ô roi, le conseil que je vous donne, rachetez vos péchés par les aumônes, et vos iniquités par les œuvres de miséricorde envers les pauvres. Peut-être que le Seigneur vous pardonnera vos offenses. "

34. Proverbes, XIII, 8 : " L'homme riche rachète sa vie par son bien, mais celui qui est pauvre ne peut résister aux menaces. "

35. Ecclésiastique, III, 33-34 : " L'eau éteint le feu le plus ardent, et l'aumône résiste au péché. - Et Dieu qui doit récompenser les bonnes œuvres la considère, et il s'en souvient dans la suite ; et celui qui l'a faite trouvera un appui au jour de sa chute. "

36. Tobie, XII (comme dans le corps de la réponse).

37. Ibid., IV (comme ci-dessus, témoignage 3).

38. ISAIE, I, 16-18 : " Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la malignité de vos pensées ; cessez de faire le mal ; - apprenez à faire le bien, examinez tout avant de juger, assistez l'opprimé, faites justice à l'orphelin, défendez la veuve ; - et après cela, soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige ; et quand ils seraient rouges comme du vermillon, ils deviendront comme la neige la plus blanche. "

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39. Proverbes, XV, 27-28 : " Celui qui cherche à satisfaire son avarice jette le trouble dans sa maison ; mais celui qui déteste les présents vivra. - Les pécheurs se purifient par la miséricorde et par la foi ; et tout homme évitera les maux par la crainte qu'il aura du Seigneur. "

40. Ibid., XVI, 6 : " L'iniquité se rachète par la miséricorde et la vérité ; mais on évite le mal par la crainte du Seigneur. "

41. Ibid., X, 12 : " La haine excite les querelles ; la charité couvre toutes les fautes. "

42. I PIERRE, IV, 8 : " Avant tout ayez une charité persévérante les uns pour les autres ; car la charité couvre beaucoup de péchés. "

43. JACQUES, V, 19-20 : " Mes frères, si quelqu'un d'entre vous vient à s'égarer de la voie de la vérité et que quelqu'un l'y fasse rentrer ; - il doit savoir que celui qui convertira un pécheur et le retirera de son égarement sauvera son âme de la mort, et couvrira la multitude de ses péchés. "

44. MATTHIEU, X ; comme dans le corps de la réponse.

45. Id., V ; JACQUES, II ; comme dans le corps de la réponse.

46. Proverbes, XXI, 13 : " Celui qui endurcit son oreille aux cris du pauvre, criera lui-même et ne sera pas exaucé. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. CYPRIEN, de opere et eleemosynis : " Lorsque Notre-Seigneur venant en ce monde eut guéri les blessures causées par le péché d'Adam et dissipé le venin de l'antique dragon, il donna une loi à l'homme, rétabli de cette manière en son premier état, lui recommandant de ne plus pécher, de peur qu'il ne lui arrivât quelque chose de plus funeste. Nous imposer ainsi l'obligation de l'innocence, c'était nous tracer un cercle étroit de vie. Plus de ressources pour la fragilité humaine, du moment où elle aurait succombée de nouveau, si la divine miséricorde, lui venant une seconde fois en aide, ne nous avait montré dans les œuvres de justice et de miséricorde un moyen de plus d'assurer notre salut, et comme un autre baptême propre à purifier nos âmes de toutes leurs souillures. C'est ce que le Saint-Esprit témoigne dans l’Ecriture, en disant (Prov., XV, 28) : Les péchés sont expiés par la foi et par les aumônes. Sans doute que cela ne doit pas s'entendre des péchés contractés avant le baptême ; car, quant à ceux-ci, ils ont été effacés par le sang de Jésus-Christ. L'Ecriture dit encore (Ecclé., III, 33) : L'eau

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éteint le feu le plus ardent, et l’aumône résiste au péché, c'est-à-dire que, comme l'eau du baptême éteint le feu de l'enfer, les aumônes et les bonnes œuvre arrêtent l'incendie de nos crimes ; et que, comme nous en avons une fois obtenu le pardon par le baptême, la pratique continuelle des œuvre de miséricorde renouvelle en quelque sorte la vertu de ce sacrement, et nous fait encore obtenir la même grâce. C'est ce que Notre-Seigneur nous enseigne dans l’Evangile. En effet, comme on reprochait à ses disciples de manger sans laver auparavant leurs mains, il répondit (LUC, XI, 40) : Insensés, celui qui a fait le dedans du vase n'en a-t-il pas fait aussi le dehors ? Donnez l’aumône de ce que vous devez, et tout sera pur pour vous. C'est ainsi qu'il fait voir que ce ne sont pas les mains qu'il faut purifier, mais le cœur et qu'on doit avoir bien plus de soin d'effacer les souillures du dedans que celles du dehors, parce qu'avec la pureté de l'âme s'obtient naturellement la pureté du corps. Mais d'où nous viendra ce merveilleux secours ? Je vous le répète avec le Rédempteur : Faites l'aumône. L'auteur de la miséricorde nous enseigne à pratiquer la miséricorde, et comme il est jaloux de conserver ceux qu'il a rachetés à un si grand prix, aux pécheurs qui ont souillés la robe blanche du baptême, il montre un moyen facile de se purifier de nouveau. Reconnaissons donc, mes frères, la grandeur de ce bienfait, et puisque, par une fragilité trop réelle, notre âme ne peut se soutenir sans recevoir quelques blessures, recourons du moins au remède spirituel qui les guérit. Mais ici n'allons pas, flatteurs de nous-mêmes, nous rassurer sur notre innocence, pour nous dispenser de ce remède sous prétexte qu'il n'y a pas en nous de plaies à guérir. Il est écrit (Prov., XX, 9) : Qui peut dire : Mon cœur est pur, je suis exempt de péché ? Saint Jean tient le même langage dans son épître (S. JEAN, I, 8) : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. Mais si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre, et pour nous purifier de toute iniquité. Si donc personne n'est exempt de péché ; s'il y a tout la fois orgueil et démence à prétendre le contraire, qu'elle est sage, qu'elle est bienfaisante cette miséricorde, qui trop certaine que le malade, rendu à la santé essuiera quelques rechutes, lui met d'avance sous la main de salutaires remèdes ! Dieu n'a jamais cessé, dans les saintes Ecritures, tant de l'Ancien que du Nouveau-Testament, d'exciter son peuple aux œuvre de miséricorde ; partout l'Esprit-Saint recommande l’aumône à ceux qui

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aspirent au royaume du ciel. C'est ainsi qu'il dit à Isaïe (ISAIE, LVIII, 1) : Crie avec force, ne te lasse point, fais retentir ta voix comme les éclats bruyants de la trompette, annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses prévarications. Et après leur avoir reproché leurs péchés et leurs abominations, après avoir déclaré qu'ils avaient beau prier, jeûner, se coucher sur la cendre et sous le cilice, qu'aucun de ces moyens. n'apaiserait la colère de Dieu, il leur fait entendre cependant à la fin qu'ils pourraient le fléchir par leurs aumônes. Il ajoute (ibid., 7-9) : Partagez votre pain avec celui qui a faim, et recevez sous votre toit ceux qui n'ont point d'asile ; lorsque vous voyez un homme nu, couvrez-le, et ne méprisez point la chair dont vous êtes formé. Alors votre lumière brillera comme l'aurore, je vous rendrai la santé, votre justice marchera devant vous, vous serez environné de la gloire du Seigneur. Alors vous invoquerez le Seigneur, et il vous exaucera ; à votre premier cri, le Seigneur répondra : Me voici ! C'est donc Dieu lui-même qui, enseignant aux coupables le secret de l'apaiser, place le remède et tout à la fois l'expiation du péché dans les œuvres de miséricorde. C'est ce qui a fait dire à Salomon (Ecclé., XXIX, 15) : Mets ton aumône en dépôt dans le cœur du pauvre, et elle éloignera le mal de toi. Et encore (Prov., XXI, 13) : Celui qui ferme l'oreille au cri du pauvre criera lui-même et ne sera point écouté. Car celui-là se rend indigne de la miséricorde divine, qui ne fait pas lui-même miséricorde ; et on se ferme tout accès aux dons de Dieu, quand on reste insensible aux prières des indigents. Le Saint- Esprit témoigne encore la même vérité dans les Psaumes par ces paroles (Ps. XL, 1) : Heureux celui qui veille sur le pauvre ! Au jour mauvais le Seigneur le délivrera. "

" Daniel se souvenait de ces préceptes lorsque, pressé par le roi Nabuchodonosor, que troublait un songe sinistre, de détourner de dessus lui les calamités qui le menaçaient et de l'aider à obtenir son pardon, il lui suggère le remède suivant (DAN., IV, 24) : O roi, que mon conseil te soit agréable, rachète tes péchés par l'aumône et tes iniquités par la miséricorde envers les pauvres ; peut-être Dieu te pardonnera-t-il tes péchés. Le monarque indocile résista. L'aumône pouvait le sauver ; en répudiant le préservatif, il courut au-devant des calamités que la vision lui avait annoncées et auxquelles il aurait échappé sans doute, s'il avait racheté ses péchés par des aumônes. - L'ange Raphaël nous confirme la même vérité lorsqu'il exhorte à faire l'aumône de bon cœur

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et sans parcimonie par ces paroles (Tob., XII, 8-9) : La prière est bonne, jointe avec le jeûne, et l'aumône vaut mieux que des trésors qu'on amasse, parce que l'aumône délivre de la mort, et que c'est elle qui efface les péchés. Il témoigne par-là que nos prières ainsi que nos jeûnes sont moins puissantes, lorsqu'elles ne sont pas secondées par des aumônes. Il nous apprend que ce sont les aumônes qui rendent nos supplications efficaces, qui nous garantissent des dangers, qui délivrent nos âmes de la mort. Ce que vous ne devez pas considérer, mes frères, comme une explication que je donne de moi-même des paroles de l'ange, puisque les Actes des Apôtres rapportent (IX, 36-41) un fait qui prouve à lui seul que l’aumône délivre non-seulement de la seconde mort de l'âme, mais aussi de la première. Car une femme nommée Tabithe, qui faisait beaucoup d'aumônes avec d'autres bonnes œuvres étant venue à mourir, on alla chercher saint Pierre, qui, rempli d'une charité apostolique, se rendit sans différer. Les veuves l’environnèrent en pleurant ; elles lui montrèrent les robes et les habits que la défunte leur avait donnés, en sorte que ses actions priaient plus encore pour elle que leurs paroles. L'apôtre sentit qu'une demande de cette nature pouvait être exaucée, et que Jésus-Christ ne refuserait pas de consoler des veuves dans la personne desquelles lui-même avait été vêtu. S'étant donc mis à genoux, ce puissant intercesseur offrit au Seigneur les prières des veuves et des pauvres ; puis se tournant vers le cadavre, qu'on venait de laver et d'étendre sur son lit funèbre : Au nom de Jésus-Christ, dit-il, Tabithe, levez-vous. Celui qui avait dit dans l’Evangile qu'on obtiendrait tout ce qui serait demandé à Dieu en son nom, ne trompa pas en cette occasion l'espoir de saint Pierre, et l'exauça sur-le-champ. Ainsi la mort fut repoussée et la vie rentra dans ce corps glacé, au grand étonnement de tout le monde, tant les œuvres de charité sont puissantes ! Et celle qui avait fait vivre ces pauvres veuves par ses libéralités recouvra la vie par le moyen de leurs prières. Aussi voyons-nous que Notre-Seigneur, qui vivifie ceux qui croient en lui, et qui, les ayant vivifiés, leur ménage les moyens de vivre éternellement, ne nous recommande rien tant dans l'Evangile que de faire l’aumône, et de nous amasser plutôt des trésors dans le ciel, que d'étendre nos possessions sur la terre. Il dit (LUC, XII, 53) : Vendez ce que vous avez, et faites-en l'aumône. Et ailleurs (MATTH., VI, 19) : N'amassez pas de trésors sur la terre, où la rouille et les vers dévorent, et où les voleurs fouillent et dérobent, mais amassez des trésors dans le ciel, où ni la

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rouille ni les vers ne dévorent et où les voleurs ne fouillent ni ne dérobent ; car où est votre trésor, là est aussi votre cœur. Et voulant montrer quelle perfection on peut acquérir encore après qu'on a accompli tous les préceptes de la loi, il dit (MATTH., XIX, 21) : Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous posséder et donnez-le aux pauvres ; et vous aurez un trésor dans le ciel ; venez, suivez-moi. Il dit encore en un autre endroit (MATTH., XIII, 45-46), que celui qui veut acquérir la grâce et le salut doit acheter de tout son bien la vie éternelle, cette pierre précieuse que son sang nous prouve être d'un si haut prix. Voici ses expressions : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui cherche de belles perles : or, ayant trouvé une perle de grand prix, il s'en va, et il vend tout ce qu'il a, et il l'achète. Enfin il appelle enfants d’Abraham ceux qui s'emploient à aider et à nourrir les pauvres. Car, comme Zachée lui eut dit : Seigneur, je donne la moitié de mes biens aux pauvres ; et si j’ai fait tort a quelqu'un en quoi que ce soit, je lui rends quatre fois autant ; Jésus lui répondit : Cette maison a reçu aujourd'hui le salut, parce que celui-ci aussi est enfant d'Abraham (LUC, XIX, 8-9). En effet, si la foi d'Abraham lui a été imputé à justice, celui qui fait l'aumône pour accomplir le commandement de Dieu prouve aussi qu'il croit à Dieu, comme c'est Dieu qu'il craint et qu'il a en vue dans l'assistance qu'il donne aux pauvres. Car il ne les assiste que parce qu'il croit, parce qu'il sait que l'Ecriture sainte ne peut mentir lorsqu'elle dit (MATTH., III, 10) que les arbres stériles, c'est-à-dire les hommes qui ne font point de bonnes œuvres, seront jetés au feu, et (ibid., XXV, 34) que les personnes charitables au contraire seront mises en possession du royaume céleste. Aussi Notre-Seigneur, qui appelle fidèles ceux qui font de bonnes œuvres taxe en même temps d'infidélité ceux qui n'en font point : Si vous n'avez pas été fidèles dans les richesses injustes, dit-il (LUC, XVI, 11), qui vous confiera les véritables ? et si vous n'avez pas été fidèles dans ce qui n'est point à vous, qui vous donnera des biens en propre ? Mais vous craignez peut-être qu'en assistant ainsi les pauvres, votre bien ne s'épuise, et que vous ne tombiez vous-même ensuite dans la pauvreté. N'ayez point cette crainte, et mettez-vous en repos de ce côté. Les richesses ne s'épuisent point lorsqu'on s'en sert pour Jésus-Christ, lorsqu'on les emploie pour le ciel. Et ce n'est pas moi qui vous le promets et vous en assure ; c'est 1'Ecriture sainte, c'est Dieu même. Le Saint- Esprit dit, par la bouche de Salomon (Prov., XXVIII, 27) : " Celui qui donne au

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pauvre ne connaîtra pas l'indigence ; celui qui méprise la prière du malheureux sera réduit à une extrême pauvreté. " C'est dans le même sens que le bienheureux apôtre Paul, plein de la grâce du Saint- Esprit, a dit à son tour : Dieu, qui donne la semence à celui qui sème, vous donnera le pain dont vous avez besoin pour vivre ; il multipliera ce que vous aurez semé, et fera croître de plus en plus les fruits de votre justice, afin que vous soyez riches en tout (II Cor., IX, 10-12). Et encore : Ces aumônes n'aident pas seulement aux besoins des saints, mais encore elles contribuent beaucoup à la gloire du Seigneur, par le grand nombre d’actions de grâces qu'elles lui font rendre. Car les actions de grâces que les pauvres lui rendent pour les aumônes que nous leur faisons attirent sa bénédiction sur nos biens, et les font croître de plus en plus. C'est pour ces sortes de personnes que Notre-Seigneur, condamnant d'avance leur défiance et leur incrédulité a dit dans l’Evangile (MATTH., VI, 31) : Ne vous inquiétez donc point, en disant : Que mangerons-nous, ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? car les gentils aussi s'occupent de toutes ces choses ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. Il dit que toutes ces choses seront données par surcroît à ceux qui cherchent le royaume et la justice de Dieu ; car ce royaume même est assuré pour le jour du jugement, comme il le dit ailleurs (MATTH., XXV, 34), à ceux qui se seront occupés de bonnes œuvres dans son Eglise. Vous craignez que votre revenu ne vienne à manquer, si vous en assistez libéralement les pauvres ; et vous ne savez pas, misérable que vous êtes, qu'au lieu de votre bien dont vous redoutez la perte, c'est la vie et le salut qui s'éloigne de vous. Vous prenez bien garde que vos richesses ne diminuent, et vous ne considérez pas que vous vous appauvrissez vous-même, puisque vous sacrifiez votre âme à votre argent. Vous avez peur de perdre votre patrimoine, et vous vous perdez vous-même sous prétexte de le sauver. C'est donc avec raison que l'apôtre saint Paul a dit (I Tim, VI, 7-10) : Nous n'avons rien apporté en ce monde, et il est certain que nous ne pouvons non plus rien en emporter. Ayant donc de quoi nous nourrir et de quoi nous vêtir, nous devons être contents. Mais ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège du diable, et en plusieurs désirs inutiles et pernicieux qui précipitent les hommes dans l'abîme de la perdition et de la damnation. Car le désir des richesses est la racine

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de tous les maux ; et quelques-uns en étant possédés, se sont égarés hors des sentiers de la foi et se sont embarrassés en une infinité d'afflictions et de peines. Vous craignez que votre bien ne vous manque, si vous en faites beaucoup d'aumônes ; mais quand est-ce qu'un homme de bien a jamais manqué de quoi vivre, puisqu'il est écrit (Prov., X, 3) : Le Seigneur ne laissera point le juste mourir de faim ? Elie est nourri par les corbeaux dans le désert et Daniel, enfermé par l'ordre du roi dans la fosse aux lions, y subsiste miraculeusement ; et vous craignez, en faisant de bonnes œuvres, en vous rendant Dieu favorable, de manquer du nécessaire ! Notre-Seigneur ne condamne-t-il pas, par ces autres paroles de l’Evangile, ces soucis injurieux d'une foi douteuse et vacillante ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit ; n'êtes-vous pas beaucoup plus qu'eux (MATTH., VI, 26) ? Dieu nourrit les oiseaux ; il donne aux passereaux leur picorée de chaque jour ; ces êtres qui n'ont aucun sentiment de la Divinité ne manquent de rien ; et vous qui êtes chrétien, serviteur de Dieu, qui êtes voué aux bonnes œuvres, qui êtes cher à Notre-Seigneur, vous avez peur de manquer de quelque chose ! Croyez-vous que Jésus-Christ ne nourrisse pas ceux qui le nourrissent, ou que les choses de la terre puissent manquer à ceux à qui sont promises celles même du ciel ? N'est-ce pas là une pensée infidèle un pareil sentiment n'est-il pas impie et sacrilège ? Que fait un cœur incrédule dans la maison de la foi ? Pourquoi vous appelle-t-on chrétiens, si vous n'avez aucune confiance en Jésus-Christ ? Le nom de pharisien vous conviendrait mieux. En effet, lorsque Notre-Seigneur, parlant dans l'Evangile du précepte de l'aumône, nous donnait le sage conseil de nous faire avec les biens d'ici-bas des amis qui puissent un jour nous recevoir dans les demeures éternelles, l'Evangéliste ajoute : Les pharisiens, qui étaient avares, écoutaient tout cela et se moquaient de lui (LUC, XVI, 14). "

" Pourquoi veillez-vous auprès de votre bien sans vous donner aucun repos ? Pourquoi, en l'augmentant, augmentez-vous vos peines ? Pourquoi voulez-vous devenir si riche pour n'en être que plus pauvre devant Dieu ? Partagez votre revenu avec Notre-Seigneur. Associez Jésus-Christ à vos biens, afin qu'il vous associe à son royaume. . . "

" Un peu plus loin, le saint docteur, parlant de la veuve qui avait nourri le prophète Elie, dit ces paroles : " Elle ne connais-

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sait point encore Jésus-Christ, ni elle n'avait entendu parler de ses préceptes. Elle n'avait point été rachetée par sa croix et par sa passion, pour lui donner, en reconnaissance de ce qu'il aurait souffert pour elle, à boire et à manger. Combien donc n'est pas coupable un chrétien qui, se préférant lui-même et ses enfants à Jésus-Christ, garde pour lui-même ses richesses, et refuse d'en faire part à ceux qui languissent dans la pauvreté ? - Mais vous

avez, dites-vous, plusieurs enfants, et c'est là ce qui ralentit votre zèle et arrête vos aumônes. - Au contraire, c'est ce qui doit vous rendre plus miséricordieux ; car plus vous avez d'enfants, plus il y a de personnes pour qui vous devez prier Dieu, dont vous devez racheter les péchés, dont il vous faut sauver les âmes. Et comme à mesure que leur nombre augmente, vous êtes obligé de travailler davantage pour les nourrir selon le corps, vous des obligé de même de faire plus de bonnes œuvres à proportion pour leur conserver la vie de l'âme. C'est ainsi que Job, ayant beaucoup d'enfants, offrait pour eux à Dieu beaucoup de sacrifices ; et il immolait tous les jours une victime pour chacun d'eux. Et parce qu'il est impossible à la faiblesse humaine de ne pas pécher tous les jours devant le Seigneur, tous les jours aussi un sang expiatoire coulait pour effacer les souillures journalières. "

" Mais vous qui avez plus de soin d'acquérir les biens de la terre que ceux du ciel, et qui donnez vos enfants plutôt au démon qu'à Jésus-Christ vous commettez en cela un double crime, puisque en même temps que vous les frustrez de la protection de Dieu, vous leur apprenez à aimer moins Jésus-Christ que les biens de la terre. Ah ! soyez plutôt père à la manière de Tobie. . . "

" Qu'est-ce que Jésus-Christ pouvait nous dire de plus fort, comment pouvait-il mieux nous exciter aux œuvres de miséricorde, qu'en déclarant (MATTH., XXV, 40) que tout ce qu'on donne aux pauvres, c'est à lui-même qu'on le donne, et que c'est l'offenser lui-même que de ne pas les secourir, afin que si nous ne sommes pas touchés de compassion pour nos frères, nous le soyons au moins pour lui ; et que si nous méprisons notre semblable dans l'état de misère où nous le voyons réduit, nous respections au moins la majesté d'un Dieu qui souffre en cet homme même qui nous parait si méprisable ?. . . "

" Celui donc qui partage ses revenus avec ses frères imite Dieu en quelque sorte. . . "

" Quelle sera la gloire et la joie des personnes charitables,

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lorsque Notre-Seigneur, faisant le dénombrement de son peuple, et récompensant selon ses promesses les mérites et les bonnes œuvres de chacun, leur donnera des biens célestes pour ces biens terrestres, des richesses éternelles pour ces richesses passagères, d'immenses avantages pour d'aussi léger sacrifices ; lorsqu'il les présentera à son Père, après les avoir sanctifiés et rendues dignes de lui ; lorsqu'il leur communiquera l'immortalité qu'il nous a acquise par son sang ; lorsqu'il les fera rentrer dans le paradis et leur ouvrira le royaume des cieux ? Imprimons fortement ces vérités dans nos âmes ; que la foi nous en donne l’intelligence, et que la charité nous les fasse aimer ; achetons la réalisation de ces promesses par la générosité de nos œuvres. "

" L'aumône, mes frères, est quelque chose d'excellent et de divin ; c'est la consolation des fidèles, le gage de notre salut, le fondement de notre espérance, le bouclier de notre foi, le remède qui nous guérira de nos péchés c'est une chose grande et aisée tout ensemble ; c'est une couronne qu'on remporte au sein de la paix, et qui n'est point exposée aux périls de la persécution ; c'est un des plus grands dons de Dieu, nécessaire aux faibles, glorieux aux forts, et utile à tous les chrétiens pour obtenir les grâces du ciel, pour se rendre Jésus-Christ favorable au jour du jugement, et pour constituer débiteur à notre égard Dieu lui-même. "

2. S. AUGUSTIN, Serm. L de tempore : " Que sont les pauvres à qui nous faisons l'aumône, sinon l'escorte qui nous aidera à nous élever de la terre au ciel ? Leur donner, c'est donner à vos conducteurs, qui porteront au ciel les dons même que vous leur ferez. Comment, me demanderez-vous, les porteront-ils au ciel, tandis que nous les voyons s'en nourrir, et ainsi les consumer ? Eh ! c'est précisément en les consumant, plutôt qu'en s'abstenant de s'en servir, qu'ils les portent au ciel. Avez-vous oublié ces paroles : Venez, les bénis de mon Père entrez en possession de mon royaume ? J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ? . . . Et ces autres : Lorsque vous avez fait cela au moindre de mes frères, c'est a moi que vous l'avez fait ?. . . "

" Que n'aurait pas à répondre Jésus-Christ aux réprouvés s'ils lui faisaient cette demande : " Pourquoi sommes-nous jetés au feu éternel ? " Ne pourrait-il pas leur répondre : " Parce que vous avez été adultères, homicides, voleurs, sacrilèges, blasphémateurs, infidèles ? " Au lieu de tout cela, il se contentera de leur répondre : C'est parce que j'ai eu faim, et que vous ne m'avez pas donné à manger. Je vois que vous êtes étonnés, comme je le

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suis moi-même. Et c'est aussi, vraiment, une chose étonnante. Mais en voici la raison, que je vais m'attacher à vous faire comprendre de mon mieux. Il est écrit : Comme l'eau éteint le feu, ainsi l’aumône éteint les péchés (Ecclé., III, 33). Il est écrit de plus : Renfermez votre aumône dans le sein du pauvre, et elle priera le Seigneur pour vous, afin qu'il vous délivre de tout mal (Ecclé., XXIX, 13). Nous lisons encore ces paroles : Ecoutez, ô roi, le conseil que je vous donne ; rachetez vos péchés par l’aumône (DAN., IV, 24). L'Ecriture sainte renferme mille instructions semblables, qui toutes servent nous convaincre que l'aumône a beaucoup de vertu pour éteindre et effacer les péchés. C'est pourquoi il ne rappellera, tant à ceux à qui il décernera la couronne de justice, qu'à ceux qu'il condamnera au jour de son jugement, que les aumônes qu'ils auront faites ou qu'ils auront négligées de faire, comme s'il voulait leur dire : Si j'examinais la rigueur vos actions, il serait bien difficile que je n'y trouvasse pas matière à vous condamner ; mais entrez néanmoins dans mon royaume, en considération de ce que j'ai eu faim, et que vous m'avez donné à manger ; ce n'est donc pas pour n'avoir pas péché que vous entrez dans ce royaume, mais c'est pour avoir racheté vos péchés par vos aumônes. Il dira aux autres : Allez au feu éternel, qui est préparé pour le démon et pour ses anges. Et eux, se sentant coupables, se voyant criminels, se remettant, quoique trop tard, leurs péchés devant les yeux, comment oseraient-ils dire qu'ils sont damnés injustement, que c'est injustement que le souverain juge prononce contre eux cette sentence ? En jetant un regard sur leur conscience, sur toutes les plaies de leurs âmes, comment oseraient-ils dire que c'est injustement qu'ils sont condamnés ? C'est d'eux que l'auteur de la Sagesse a dit ces paroles : Leurs iniquités se soulèveront contre eux pour les accuser (Sag., IV, 20). Ils verront sans aucun doute qu'ils seront condamnés justement pour tous leurs crimes ; mais ce sera alors comme s'il leur disait : Ce n'est pas pour ce que vous vous imaginez que je vous condamne ; mais c'est parce que j'ai eu faim, et que vous ne m'avez pas donné à manger. Car si, détestant toutes ces actions criminelles et revenant à moi, vous aviez racheté vos péchés par vos aumônes, ces aumônes toutes seules vous sauveraient maintenant, et vous vous trouveriez absous de tous vos crimes. Car heureux les miséricordieux, parce qu'il leur sera fait miséricorde (MATTH., V, 7). Au lieu que je n'ai plus qu’à vous dire : Allez au feu éternel. On jugera sans miséricorde

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celui qui n'aura pas fait miséricorde (JAC., II, 45). Que personne ne se rende donc sourd à cette leçon et que chacun considère attentivement combien il y a de mérite à nourrir Jésus-Christ quand il a faim, et combien on se rend coupable en refusant de le soulager. Il est vrai que la pénitence que fait un homme de ses péchés améliore l'état de son âme ; mais elle ne servira encore à rien, si elle n'est accompagnée des œuvres de miséricorde. C'est ce que nous témoigne la Vérité même par la bouche de Jean, qui disait au peuple accouru pour l'entendre : Race de vipères qui vous a avertis de fuir la colère qui doit tomber sur vous ? Faites donc de dignes fruits de pénitence, etc. Tout arbre donc qui ne portera pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu (LUC, III, 7-9). C'est de ces fruits qu'il a été dit plus haut : Faites donc de dignes fruits de pénitence. Quiconque donc ne porte pas de ces fruits, se flatte vainement d'obtenir le pardon de ses péchés par une pénitence stérile. Quels sont ces fruits ? C'est ce qu'il va expliquer ensuite. Car, après qu'il eut dit ces paroles, la foule du peuple lui adressait la demande que voici : Que devons-nous donc faire ? C'est-à-dire quels sont ces fruits que vous nous dites de porter, en mêlant les menaces aux exhortations ? El il leur répondait : Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n'en a pas, et que celui qui a une double portion de nourriture fusse de même. Quoi de plus clair que ces paroles ? quoi de plus positif ? quoi de plus formel ? A quoi reviennent donc les paroles dites plus haut, Tout arbre qui ne portera pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu, sinon à celles que le souverain juge adressera aux réprouvés placés à sa gauche : Allez au feu éternel ; car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ? C'est peu par conséquent de quitter le péché si l'on néglige de réparer le passé par de bonnes œuvres. "

3. Le même, Hom. CCXXVII de tempore (Ce sermon ne paraît pas être de saint Augustin. V. NOEL- ALEXANDRE, Hist. eccles. sæc. V, t. V, pag. 110, édit. de Mansi) : " Quelqu'un dira peut-être : Je suis pauvre, et ainsi je ne puis pas donner l'aumône. Pour que personne ne pût apporter cette excuse, notre divin Sauveur a promis une récompense pour celui-là même qui donnerait un verre d'eau froide. Vous dites donc : Je suis pauvre. Si vous n'avez pour tout bien que ce qui vous est strictement nécessaire pour la nourriture et le vêtement, Dieu se contentera de votre bonne volonté. Mais examinez votre conscience, je vous

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prie, et voyez si vous ne perdez pas à des débauches ce que vous pourriez employer à des aumônes, si vous ne consumez pas sur la terre par des excès de bouche ce que vous pourriez, en le distribuant aux pauvres, thésauriser pour le ciel ; si ce n'est pas en vous faisant servir des mets délicats, en parant votre personne de frivoles ornements, que vous vous ôtez le moyen de faire la charité aux pauvre pour le salut de votre âme ; enfin, si tandis que vous offrez aux teignes pour pâture vos vêtements précieux vous ne refusez pas aux pauvres des vêtements de bure. Si donc vous n'avez à vous faire à vous-même aucun de ces reproches, et que vous n'ayez que ce qui suffit à vos besoins ou aux besoins de ceux qui dépendent de vous, vous ne serez pas coupables alors de ne pas faire l'aumône aux pauvres. Mais si, comme je le disais tout-à-l'heure, c'est le luxe qui dévore chez vous ce que la miséricorde aurait pu thésauriser pour le ciel, corrigeons-nous tandis qu'il en est encore temps, et accomplissons avec ardeur un devoir que nous avons jusqu'ici ou omis tout-à-fait, ou du moins négligé de remplir. . . Tout ce que vous avez fait au moindre de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait. Les biens que j'ai reçus de vous n'étaient-il pas des biens terrestres ? Eh bien, j'en ferai des biens célestes : je vous donnerai la récompense éternelle ; je vous placerai à ma droite et je ferai de vous tous autant de rois. Ce n'est pas que vous n'ayez pas péchés ; mais c'est que vous avez racheté vos péchés par des aumônes. "

4. Le même, Hom. XVIII, lib. L homiliarum : " Personne ne vous dira dans le royaume de Dieu, après la résurrection des morts : Partagez votre pain avec celui qui a faim, etc. (Is., LVIII, 7). Mais dans la vie présente, pour nous faire voir combien il nous recommande les œuvres de miséricorde, Dieu a permis que ses saints eux-mêmes fussent dans le besoin, afin que devenus amis de ceux qui leur feraient part de leurs richesses injustes, ils pussent en retour les recevoir dans les tabernacles éternels, c'est-à-dire qu'il a voulu que ses serviteurs les plus fidèles manquassent quelquefois des choses nécessaires à la vie, pour que ceux qui posséderaient dans le même temps les richesses de ce monde, eussent une occasion de faire l'aumône. En leur faisant part des biens du temps, ils mériteront d'avoir part à leur tour avec eux aux biens de l’éternité. Vous voyez, comme la chose est d'ailleurs évidente, que s'il y a des serviteurs de Dieu qui manquent du nécessaire, c'est souvent pour servir à éprouver ceux qui ont du

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superflu. Nous semons ici-bas dans les larmes la semence des bonnes œuvres pour en recueillir avec joie là-haut les fruits abondants, selon ce qui est écrit : Ils allaient à pas lent, pleurant et jetant leur semence sur la terre ; mais ils reviendront en triomphe, portant leurs gerbes dans leurs bras (Ps. CXXV, 6-7). Car la récolte marquée ici est moins la récompense qu'a en vue le Prophète que le signe de cette récompense. Si la veuve dont il est parlé dans les livres des Rois (I Rois, XVII, 10 et suiv.) n'a reçu qu'ici-bas la récompense de l'hospitalité qu'elle a donnée au prophète, elle a semé peu de chose, puisque c'est peu de chose qu'elle a recueilli. Car ce qu'elle a obtenu ici-bas n'était qu'un bien temporel, savoir, de la farine et de l'huile qui se multipliaient pour elle jusqu'au moment où Dieu fit pleuvoir sur la terre : de sorte qu'elle se trouva moins dans l'abondance, quand une fois il eut semblé bon au Seigneur d'envoyer de la pluie. Car, la pluie une fois venue, il lui fallut se mettre au travail, en attendant le produit de ses récoltes ; au lieu que, tant que la sécheresse avait duré, sa subsistance lui était venue sans travail de sa part. Ce bienfait donc, que Dieu lui accorda pendant la durée de quelques jours, était un signe de l'autre vie, dans laquelle notre récompense ne viendra jamais à manquer, et où l'aliment qui nous soutiendra sera Dieu lui-même. De même que la farine de la veuve ne lui manqua point pendant tous ces jours de sécheresse, ainsi le jour de l'éternité ne fera jamais défaut à ceux qui en seront une fois entrés en possession. C'est cette récompense-là que vous devez avoir en vue lorsque vous faites quelque bonne œuvre, pour que personne de vous ne soit tenté de dire en soi-même : Je nourrirai les serviteurs de Dieu que je verrai dans le besoin, afin que mes vaisseaux soient toujours pleins, et que je trouve toujours du vin dans ma coupe. Ne cherchez point ainsi votre récompense ici-bas ; semez sans inquiétude : votre récolte tardera ; mais quand une fois elle sera venue, vous n'aurez point à craindre de la voir jamais s'épuiser. "

5. Le même, Hom. XIX : " Jésus-Christ a gardé le silence sur tous les autres méfaits des réprouvés, et il ne leur a reproché que l'omission du devoir de l'aumône, sans doute pour nous instruire. Et de quoi ? De cette vérité que tous nos crimes peuvent être rachetés par l'aumône C'est dans ce dessein qu'il a loué la libéralité des uns, et qu'il a condamné la dureté des autres. Toutefois quand je viens de vous dire que tous les péchés peuvent être rachetés par des aumônes, ne prêtez pas à ces paroles un sens

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qu'y attachent quelques-uns, en les entendant à rebours. Car, si vos aumônes peuvent servir à effacer vos péchés, c'est à condition que vous changiez de vie. Mais si vous continuez à pécher, vous ne réussirez point par vos aumônes à corrompre votre souverain juge. Je vous fais cette observation, pour vous inspirer plus d'horreur des crimes que doivent éviter avec le plus grand soin tous ceux qui reçoivent le corps et le sang de Jésus-Christ. "

6. Le même, Hom. XXIX : " Le sacrifice du chrétien, c'est l'aumône qu'il fait aux pauvres. C'est par-là qu'il engage Dieu à lui pardonner ses péchés. Car si Dieu ne nous pardonnait nos péchés, il ne resterait sur la terre que des coupables. Mais si notre vie actuelle n'est jamais exempte de péchés, c'est par l'aumône que nous pourrons en obtenir le pardon devant Dieu. Il y a deux sortes d'aumônes : l'une qui consiste à donner ; l'autre qui consiste à pardonner ; l'une à donner le bien que vous avez, et l'autre à pardonner le mal que vous souffrez. Admirez comme notre bon maître, qui abrège ses préceptes, pour qu'ils nous profitent sans nous être à charge, a compris en peu de mots ces deux sortes d'aumônes lorsqu'il a dit : Remettez, et il vous sera remis : voilà pour le devoir de pardonner ; Donnez, et il vous sera donné (LUC, VI, 37-38) : voilà pour l’aumône proprement dite. L'aumône que vous faites à quelqu'un en lui pardonnant ne vous appauvrit en rien. Il vous demande son pardon ; vous le lui accordez : vous n'en êtes pas plus pauvre. Au contraire, vous rentrez dans votre maison plus riche de la charité même que vous venez de montrer pour votre ennemi. Quant à l'aumône proprement dite, et qui consiste à donner aux indigents, le précepte ne paraît pénible puisqu'en donnant, on se dépouille par-là même de ce qu'on donne. Mais l’Apôtre nous rassure de ce côté, quand il nous dit : Je n'entends pas que les uns soient soulagés et que les autres soient surchargés (II Cor., VIII, 13). Que chacun mesure donc ses forces, sans s'occuper de thésauriser sur la terre ; qu'il donne, ce qu'il donnera ne sera pas perdu pour lui. Je ne dis pas simplement que cela ne sera pas perdu pour lui ; j'ajoute qu'il n'y a que cela qui ne sera pas perdu pour lui. Quant aux choses que vous n'aurez pas données et qu'au contraire vous aurez entassées dans vos coffres, ou bien vous les perdrez dès votre vivant, ou bien vous les quitterez à la mort. Et puis, mes frères, qui ne serait électrisé par la perspective d'une si grande récompense ? Pardonnez, nous est-il dit, et il vous sera pardonné donnez, et il vous sera donné. Remarquez bien à

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qui sont adressées ces paroles : c'est Dieu qui les adresse aux hommes, l'immortel qui parle ainsi à des mortels, le père de famille par excellence qui dit cela à des mendiants. Il ne reniera pas ce que nous aurons donné ; mais il s'en fera lui-même le débiteur et nous le rendra avec usure. Prêtons à usure, je le veux ; mais que ce soit à Dieu, et non pas à nos semblables. En donnant, nous donnons à celui à qui tout abonde, à celui de qui nous tenons la matière même de nos dons, et qui pour ces choses de peu de prix, de peu de durée, pour ces choses sujettes à la corruption, nous en conférera d'éternelles et d'incorruptibles. Que dirai-je de plus ? Il nous promet de se donner lui-même à nous en récompense. Si vous l'aimez, achetez-le en le demandant lui-même à lui-même. Et pour que vous ne doutiez pas que ce ne soit à lui que vous donniez, écoutez-le vous dire : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez reçu, etc. Les élus lui diront : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir toutes ces sortes de besoins, et que nous vous avons soulagé ? Et il leur répondra : Toutes les fois que vous l'avez fait au moindre de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait. C'est ici-bas qu'il reçoit mais ce sera là-haut qu'il donnera. Il reçoit de vous ici, et il vous donne là : c'est comme une banque entre lui et vous. Vous donnez ici-bas des biens périssables, vous recevez en retour là-haut des biens qui ne vous seront jamais enlevés. "

7. Ibidem, Hom. XLVII (Cette homélie ne paraît pas être de saint Augustin. V. NAT. ALEX., Hist. eccles., t. V, p. 105) : " Les remèdes à nos péchés, ce sont les aumônes. Car l'aumône délivre de la mort, et empêche l’homme d'être précipité dans les ténèbres (Tob., IV, 11). Elle se fera notre avocate au jour du jugement, et nous n'aurons point à craindre les flammes éternelles de l'enfer. C'est ce que saint Jacques dit aussi dans son épître : La miséricorde s'élèvera au-dessus de la rigueur du jugement ; comme il a dit encore : On jugera sans miséricorde celui qui n'aura pas fait miséricorde (JAC., II, 13). Mais cette miséricorde doit être exercée de manière à pouvoir être agréé et non pas de manière à devoir être repoussée ; de manière à ce qu'elle efface les péchés et non pas à ce qu'elle les augmente. On doit la faire avec son propre bien, avec le produit de son propre travail, avec son propre superflu, et non pas avec le nécessaire du pauvre. Mes frères,

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Dieu ne veut pas que l'on cesse jamais de faire miséricorde, mais en même temps il ne peut approuver que quelqu'un donne de ce qu'il aurait enlevé à autrui ; et c'est ce que fait entendre le prophète Salomon par ces paroles (Honora Dominum Deum tuum de tuâ substantiâ, ac de justis laboribus tuis) : Faites hommage au Seigneur de vos biens, et de ce que vous aurez justement acquis par votre travail (Prov., III, 9, d'après la version italique). Il veut que nous donnions de ce que nous aurons justement acquis, et non pas de ce que nous aurons injustement usurpé. Au jour du jugement, ceux qui vivent de rapine, et qui font l'aumône avec les dépouilles des malheureux, diront au Seigneur : Seigneur, nous avons gardé vos préceptes ; nous avons exercé la miséricorde en votre nom, nous avons nourri les pauvres, nous avons habillé ceux qui étaient nus, nous avons donné l'hospitalité aux étrangers. Mais Dieu leur répondra : Vous dites bien ce que vous avez donné ; mais vous ne dites pas ce que vous avez enlevé. Vous parlez de ceux que vous avez nourris ; pourquoi ne parlez-vous pas de ceux dont vous avez causé la mort ? Vous avez fait la joie de ceux que vous avez habillés ; mais vous avez fait aussi la désolation de ceux que vous avez dépouillés. Vous me rappelez bien ceux à qui vous avez donné l'hospitalité ; mais vous oubliez ceux que vous avez chassés de leurs asiles. Je vous ai commandé de faire miséricorde, et non de commettre des fraudes et des rapines. Vous avez nourri l'un, mais en dépouillant l'autre ; ce n'est pas vous que Dieu bénira, il bénira celui à qui vos injustices ont donné la mort. Il a gémi au moment où il rendait son dernier soupir, et Dieu a entendu son gémissement, comme il a vu ce que vous lui avez fait. Vous faites des acquêts injustes, et vous vous en applaudissez ; vos rapines sont pour vous un sujet de triomphe : le pauvre vous supplie, et ses supplications vous sont à charge ; vous dressez un festin, mais vous n'y invitez que ceux qui vous paieront de retour. Vous avez grand soin qu'il ne manque rien à l'ordonnance de votre diner ; vous vous régalez somptueusement avec vos amis, et vous refusez d'entendre le pauvre qui vous supplie à votre porte. Vous abondez de biens, et vous êtes sans pitié pour l'indigent. Vous regorgez de vin et de viandes, et vous dédaignez le pauvre qui vous fatigue de ses prières. Vous oubliez ce qu'a dit le Prophète, que celui qui ferme l'oreille au cri du pauvre, criera lui-même, et

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ne sera point écouté (Prov., XXI, 13). Inclinez votre oreille ; écoutez la voix du pauvre et de celui qui se meurt de faim, si vous voulez que Dieu vous écoute vous-même dans vos tribulations. Donnez, pour que Dieu vous donne à son tour. Il vous a donné des richesses ; rendez-lui ce qui lui appartient. Il vous déclare qu'il tiendra pour donné à lui-même ce que vous aurez donné aux pauvres ; qu'il fera fructifier pour vous ce que vous aurez semé dans le cœur du pauvre, comme vous le font entendre ces paroles de l'Evangile : Employez vos richesses injustes à vous faire des amis, pour qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (LUC, XVI, 9). Les tabernacles éternels, voilà ce qui vous est assuré, si vous donnez à manger aux pauvres. Ce que vous leur donnez, c'est là que vous le faites passer ; vous le mettez comme en réserve pour l'éternité, et si vous n'y gagnez pas un surcroît de plaisirs grossiers, vous y gagnez une gloire impérissable ; vous ne vous remplissez pas en cela le corps, mais vous l'empêchez de brûler selon qu'il est écrit : L'aumône délivre de la mort, et empêche d'être jeté dans les ténèbres (Tob., IV, 11). C'est l'exercice de la miséricorde, mes frères, qui détourne de dessus nous la colère de Dieu, qui nous obtient le pardon de nos péchés qui éteint les feux à venir, ainsi que le dit Salomon (Ce n'est pas Salomon, mais Jésus, fils de Sirach, qui est l'auteur de l'Ecclésiastique. Saint Augustin ne l'ignorait pas, et c'est là une des considérations qui ont fait croire à Noël- Alexandre que ce sermon n'était pas de saint Augustin. J'avoue que cette critique me semble bien sévère) : Comme l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône résiste aux péchés (Ecclé., III, 33). Faites donc l’aumône au pauvre ; donnez à celui qui n'a rien ; empressez-vous de secourir celui qui meurt de faim. C'est une cruauté que de ne pas faire part de ce que vous avez à celui que vous savez être dans le besoin. C'est un crime, que de ne pas employer votre superflu à soulager celui qui manque du nécessaire. Si nos campagnes sont frappées de stérilité, c'est en punition de notre dureté pour les malheureux. Les malheurs qui vous surviennent, ô homme, les disgrâces, les injustices mêmes dont vous êtes victimes, imputez-les, croyez-moi, à la stérilité dont vous êtes atteint vous-même en fait d'œuvres charitables. Vous ne donnez pas à l'indigent ce que vous pourriez lui donner sans vous mettre vous-même dans le besoin ; un revers viendra vous accabler, et vous perdrez jusqu'à votre nécessaire. Vous marchez fièrement l'estomac surchargé de mets, et vous ne considérez pas à côté de vous un

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pauvre qui périt d'inanition. Vous vous engraissez des biens qu'il a plu à Dieu de vous donner, vous êtes dans l'abondance et richement vêtu et vous n'habillez pas ce pauvre nu et tremblant de froid. "

8. S. GREGOIRE de Nazianze, Orat. de pauperum amore (Cf. Sermons de saint Grégoire de Nazianze, pag. 349-350, 372, 377-384) : " S'il faut avouer, après que Jésus-Christ et saint Paul nous l'ont assuré, que la charité est la première de toutes les vertus, je crois qu'un de ses principaux effets est la tendresse et l'amour qu'on a pour les pauvres, et la compassion qu'on témoigne envers ceux qui souffrent, et que l'on regarde comme ses frères. Il n'y a aucune sorte de culte qui soit plus agréable à Dieu ; car rien ne lui convient mieux que la miséricorde, puisque la miséricorde et la vérité l'accompagnent toujours, et qu'elles précèdent ses jugements ; il rend amour pour amour, il a de l'indulgence pour ceux qui en ont, il mesure et il pèse sa miséricorde et il récompense avec une équité parfaite. . . "

" Faites voir que vous valez mieux que les autres, parce que vous êtes plus doux et plus humain ; soyez comme le dieu des malheureux, en imitant la miséricorde de Dieu ; il n'y a rien de plus divin dans l'homme que l'empressement de faire du bien à tout le monde ; si les bienfaits de Dieu sont plus considérables, c'est que son pouvoir est plus grand et plus étendu. . . . . . Que les malheurs d'autrui vous attendrissent ; ne leur refusez pas de petits secours dans leurs nécessité ; le moindre soulagement fait plaisir à un homme qui manque de tout ; Dieu vous en tiendra compte ; il se contente, pourvu que l'on fasse ce que l'on peut ; que votre empressement et votre promptitude supplée à la petitesse de votre présent si vous n'avez rien à donner, plaignez du moins les malheureux ; la compassion sincère qu'on leur témoigne adoucit l'amertume de leurs maux. Ne faites pas moins d'estime d'un homme que d'un animal privé de raison ; la loi vous ordonne de remettre dans le chemin un cheval qui s'égare, ou de le retirer d'une fosse s'il y tombe. Je n'examine point si ce prétexte renferme quelque sens mystérieux et profond ; car les paroles de l'Ecriture ont quelquefois un double sens : cette connaissance n'appartient qu'au Saint- Esprit, qui pénètre tout. Autant que je puis le comprendre, Dieu a voulu nous disposer par ces petites choses à exercer la charité dans des sujets d'une

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plus grande conséquence. . . . Cédons aux commandements et à l'exemple de Dieu : voyez combien ce commandement est positif. Les saints que l'Esprit divin a inspirés ne se sont pas contentés de parler des pauvres une fois ou deux ; ce ne sont pas seulement quelques-uns d'entre eux qui en ont parlé, et comme de leur autorité privée ; ils ne l'ont pas fait d'une manière froide et négligée comme s'il s'agissait d'une affaire peu importante : tous ont traité de concert cette matière avec beaucoup d'exactitude, ils n'ont rien négligé pour nous persuader leurs maximes ; ils nous exhortent, ils nous menacent, ils nous font des reproches, ils louent ceux qui se sont signalés par cette vertu, afin de nous engager par la force de leurs remontrances à pratiquer ce précepte. "

" Je me lèverai maintenant, dit le Seigneur (Ps. XI, 6), à cause de la misère et des gémissements des pauvres. Qui pourra soutenir sans trembler ce mouvement de Dieu ? On lit dans un autre endroit de l’Ecriture : Levez-vous, Seigneur, levez votre bras, et n'oubliez pas les pauvres (Ps. IX, 12). Prions Dieu de détourner sa colère, afin que nous ne voyions pas son bras se lever contre des révoltés et contre des gens opiniâtres et endurcis. Il n'a point mis en oubli les cris des pauvres ; il ne les oubliera jamais ; ses yeux sont toujours attachés sur eux (Ps. IX, 13, 19, 9). Ces passages, dites-vous peut-être, ne regardent que les pauvres qu'on opprime. Quand cela serait vrai, car je ne veux pas chicaner mal à propos, en faudrait-il davantage pour vous engager à être charitable ? Si l'on récompense si bien ceux qui empêchent qu'on ne les outrage, on aura encore de plus grands égards pour ceux qui les soulageront effectivement par des libéralités réelles. Si celui qui méprise les pauvres allume contre lui le courroux du Créateur, il ne faut nullement douter qu'on l'honore en honorant son ouvrage. Lorsque vous lisez dans l’Ecriture que le pauvre et le riche se sont rencontrés, et que Dieu a créé l'un et l'autre, ne vous persuadez pas qu'il ait laissé l'un dans la pauvreté afin que vous lui insultiez : car il n'est pas absolument sûr que cette distinction de richesses et de pauvreté vienne de Dieu lui-même. Le pauvre et le riche sont également l'ouvrage du Seigneur, quoiqu’à l'extérieur leur position soit si différente. "

" Ces réflexions doivent vous inspirer de la compassion pour ces malheureux : si vos richesses vous donnent de la vanité, les misères des autres devraient modérer votre fierté. Celui qui a compassion des pauvres prête à usure ; qui peut refuser un débi-

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teur de cette nature, qui paiera ses dettes au centuple, quand le temps en sera venu ? La foi et les aumônes purifient les péchés (Prov., XV, 27) ; servons-nous donc de ce remède pour effacer les taches de notre âme, et pour la rendre aussi blanche que la laine ou la neige, selon la mesure de notre charité. "

" Pour dire encore quelque chose de plus fort, si vous n'êtes point estropié, si vous n'avez reçu ni plaie ni blessure, si la lèpre n'a point infecté votre âme, si vous n'avez aucune trace de ces autres maux que la loi guérissait superficiellement, et qui ont besoin pour être parfaitement guéris de la main de Jésus-Christ, vous devez lui en rendre grâces, puisqu'il s'est exposé à tant de maux, et qu'il a été couvert de blessures pour notre salut. Le moyen sûr de lui en témoigner votre reconnaissance et votre respect, c'est d'avoir de l'humanité pour ses frères. Si le tyran de nos âmes vous a surpris sans défense lorsque vous descendiez de Jérusalem à Jéricho (LUC, X, 30 et suiv.), et s'il vous a mis dans un état si déplorable que vous pourriez dire avec le Prophète : La corruption a gagné mes plaies invétérées, à cause de mes égarements (Ps. XXXVII, 6) ; si vous êtes en cet état et que vous ne vous mettiez point en peine de chercher des remèdes à vos maux, parce que vous ne connaissez pas tout le danger où vous êtes que votre situation est déplorable et que votre malheur est grand ! Si votre guérison n'est pas encore entièrement désespérée, et si l'on peut encore apporter quelque remède à vos maux, approchez-vous du médecin, priez-le d'avoir pitié de vous, guérissez vos propres maux en soulageant ceux des autres, appliquez des remèdes faciles pour fermer des plaies envenimées. Ce médecin charitable vous dira d'une manière engageante : Je suis votre salut (Ps. XXXIV, 3) ; votre foi vous a sauvé (LUC, VII, 80) ; vous êtes guéri (JEAN, V, 14) ; soyez humain envers ceux qui souffrent. "

" Bienheureux sont les miséricordieux, parce qu'on leur fera miséricorde (MATTH., V, 7) ; cette béatitude n'est pas des dernières. Heureux celui qui s'attendrit sur le pauvre et l'indigent (Ps. XL, 2). Heureux et aimable l'homme qui exerce la miséricorde et qui prête volontiers (Ps. CXI, 5). Le juste donne et prête tout le jour (Ps. XXXVI, 26) : faisons en sorte de nous attirer cette béatitude, de savoir nous attendrir sur le pauvre et l'indigent, de nous montrer aimables à leur égard. Que la nuit même ne suspende pas les effets de notre charité. Ne dites point aux pauvres : Revenez une autre fois, je vous donnerai demain (Prov., III, 28) ; qu'il n'y ait point d'intervalle entre vos bonnes résolutions et leur

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effet ; la charité ne sait ce que c'est que de différer. Faites part de votre pain au pauvre ; conduisez à votre maison ceux qui n'ont point de retraite (ISAIE, LVIII, 7) ; mais faites-le de bon cœur et avec joie : la promptitude augmente le bienfait. Ce qu'on donne à contrecœur et avec chagrin dégoûte et n'est nullement méritoire. Il faut être dans la joie plutôt que de pleurer, lorsque nous donnons quelque chose et que nous faisons du bien aux autres. Si vous ne donnez qu'en murmurant et après avoir longtemps délibéré, que méritez-vous par de tels présents ? quelle sera la récompense de ces dons ? Votre lumière brillera dès le matin, et vous obtiendrez incontinent la santé (ibid., 8) : est-il quelqu'un qui n'aime la santé et la lumière ? L'exemple de Jésus-Christ (JEAN, XII, 6) m'invite à faire l'aumône aussi bien que la convention que firent entre eux Pierre et Paul (Gal., II, 9), qui, tout en se partageant la prédication de l’Evangile, mirent en commun le soin qu'ils voulaient avoir des pauvres. Enfin je m'y trouve exhorté par ce qui fut dit à ce jeune homme (MATTH., XIX, 21), que sa perfection était attachée au sacrifice qu'il ferait en leur faveur de tout son bien. "

" Croirez-vous que la charité ne soit que de conseil, et qu'elle ne nous soit pas commandée par une loi expresse ? Je le voudrais, mais les menaces de l’Evangile m'épouvantent. Ces boucs qui seront à gauche, les durs reproches qu'on leur fera, ce n'est pas pour avoir dérobé le bien d'autrui, pour avoir profané les temples, commis des adultères ou avoir fait des actions défendues ; mais uniquement pour avoir négligé Jésus-Christ en négligeant les pauvres. Si vous voulez croire mes conseils, vous qui êtes les serviteurs, les frères, les cohéritiers de Jésus-Christ, autant que nous le pouvons, visitons-le, nourrissons-le, donnons-lui de quoi se vêtir et se loger, rendons-lui tous les honneurs qui dépendent de nous, non-seulement en le faisant asseoir à notre table, comme ont fait quelques-uns ; en répandant sur lui des parfums, à l'exemple de Madeleine ; en le mettant dans un sépulcre, comme fit Joseph d'Arimathie ; en lui fournissant le nécessaire pour ses funérailles, comme Nicodème ; en lui présentant de l'or, de l'encens et de la myrrhe, à l'exemple des Mages. Mais, puisqu'il veut que nous soyons charitables, qu'il ne nous demande point de sacrifices, et qu'il préfère les aumônes à une multitude de victimes immolées sur ses autels, présentons-lui aujourd'hui nos offrandes par les mains de ces malheureux que vous voyez prosternés à terre, afin qu'au sortir de ce monde nous soyons introduits dans les tabernacles éternels. "

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9. S. CHRYSOSTOME, Hom. XXXII ad populum Antiochenum : " Quelle est la cause de cet amour que Dieu a eu pour le monde ? aucune autre que la charité. Sachons donc la reconnaître ; rougissons de cet excès de miséricorde que Dieu a eue pour nous. Pour nous sauver, il n'a pas même épargné son fils unique ; et nous, nous épargnons notre argent pour nous perdre nous-mêmes. Pour notre salut, il a livré à la mort son propre fils ; et nous, nous ne consentons à nous détacher des richesses, ni par amour pour lui, ni par intérêt pour nous-mêmes. Et pourquoi ne parler que de richesses ? Quand nous aurions mille vies, ne devrions-nous pas les sacrifier toutes pour lui ? Nous couvrons de dorures nos esclaves, nos mulets, nos chevaux, et nous daignons à peine regarder Jésus-Christ qui se présente à nous manquant de vêtements, mendiant de porte en porte, tendant la main à tous les carrefours ; ou bien nous jetons sur lui le regard d'un orgueilleux dédain, quoique ce soit pour nous qu'il se réduisit à cet état d'humiliations et de souffrances. Car c'est volontiers qu'il souffre la faim, pourvu que vous consentiez à vous nourrir du céleste aliment qu'il vous offre ; c'est volontiers qu'il se réduit au dénuement, pourvu qu'il vous procure par-là le vêtement de l’immortalité ; et rien de tout cela ne peut vous engager à lui faire le sacrifice de la moindre partie de vos biens. Pendant ce temps-là vos vêtements deviennent le père des teignes, ou bien ils surchargent vos coffres, ou en tous cas ils vous causent des embarras superflus. Et celui qui vous les a donnés comme il vous a donné tout le reste, vous l'abandonnez à la nudité ! Je veux qu'au lieu de les conserver dans vos coffres vous les portiez sur vous et en fassiez l'ornement de votre personne ; quel avantage vous en revient-il ? Celui d'attirer sur vous les regards ? Mais à quoi se réduit cet avantage ? Si les hommes sont sensés, ils admirent non celui qui porte ces superbes habits, mais celui qui partage ses vêtement avec les indigents. Si donc vous voulez qu'on vous admire, habillez ceux qui sont nus, et tout le monde vous applaudira ; et non-seulement les hommes, mais Dieu vous louera lui-même : au lieu que maintenant personne ne vous loue, que tous au contraire vous détestent, en voyant ce soin minutieux avec lequel vous ornez votre corps, tandis que vous ne vous occupez nullement de votre âme. Les femmes sont encore plus que les hommes occupées à se procurer ces habits de prix, ces frivoles ornements. Mais l'ornement de l’âme ne consiste que dans la pratique de la vertu. Si je reviens sans cesse sur ce sujet,

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c'est que je m’intéresse au bien-être des pauvres, et bien plus encore à celui de vos âmes. "

10. Le même, Hom. XXXIII ad populum Antiochenum, ou hom. LIII (al. 52) in Matthæum : " Puisque nous sommes tombés sur le sujet de l'aumône, trouvez bon que nous reprenions aujourd'hui le discours que nous avons laissé imparfait il n'y a pas fort longtemps. Vous avez vu que je commençai par vous représenter que la charité était comme un art divin ; que l'école où on l'apprenait était le ciel, et que le maître qui nous en instruisait était, non un homme, mais Dieu lui-même. Nous nous étendîmes ensuite pour faire voir ce que c'était proprement qu'un art, ou ce qui ne méritait pas ce nom. Enfin nous fîmes une longue digression sur la vanité des arts d'aujourd'hui, et nous avons censuré surtout le luxe que l'on met à se procurer des chaussures brillantes. Reprenons encore aujourd'hui ce sujet, et montrons que la charité est l'art le plus estimable et le plus divin de tous. Car, si le propre d'un art est d'avoir pour objet quelque chose d'utile, et s'il n'y a rien de plus utile que la charité que nous exerçons envers les pauvres, n'est-il pas évident que la charité est le plus estimable et le plus avantageux de tous les arts ? "

" Cet art céleste ne nous apprend pas à faire un vêtement qui aille bien, à tisser des étoffes bien fines ou à bâtir des maisons de boue, mais il consiste à mériter la vie éternelle, à nous délivrer de la mort, à nous rendre illustres dans cette vie et dans l'autre. Cet art divin nous apprend à nous bâtir une demeure dans le ciel, à nous préparer des tentes célestes et à nous construire des tabernacles éternels. Il ne nous laisse point éteindre nos lampes, ne souffre point qu'on se présent aux noces célestes de l'époux avec des vêtements malpropres ; mais il les lave, et les rend plus blancs que la neige. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, ils deviendront blancs comme la neige (ISAIE, I, 18). C'est la charité qui nous empêche de tomber dans l'abîme où se trouve enseveli le mauvais riche, qui nous épargne des reproches semblables à ceux qui lui furent adressés, et qui nous conduit dans le bienheureux sein d'Abraham. "

" De plus, chaque art ici-bas a un but et une fin particulière. L'agriculteur, par exemple, fournit par son travail la nourriture à tous les membres de la cité ; le manufacturier leur procure de même le vêtement mais rien de plus, et même chacun de ces arts ne saurait atteindre sa fin propre, ni faire ses fonctions, s'il ne s'aide du concours des autres. Comment, par exemple, pour

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rait subsister l'agriculture, si les forgerons ne préparaient les instruments dont elle a besoin, si les charrons ne lui faisaient des charrues, et si les bourreliers ne lui préparaient le cuir nécessaires à l'architecture n'élevait quelques toits, ou pour les bœufs qui remuent la terre, ou pour les hommes qui les conduisent ; si d'autres n'allaient abattre et couper le bois dans les forêts ; enfin, si les boulangers ne savaient faire l'emploi du blé que le laboureur recueille par ses travaux ? - Combien de choses aussi sont préalablement nécessaire aux manufacturiers, et combien d'autres arts leur sont indispensables, tellement que sans eux ils ne pourraient exercer le leur ! Ainsi chaque art a besoin des autres arts, et tomberait sans leur appui. Mais l'art divin de la charité n'a besoin que de lui-même. Lorsque nous voulons l'exercer, nous sommes indépendants des hommes, la seule volonté suffit. Si vous dites que, pour l'exercer, il faut avoir de grands biens, souvenez-vous de ce que dit Jésus-Christ (LUC, XXI, 3) de cette veuve de l’Evangile, et détrompez-vous de cette fausse pensée. Si vous êtes pauvre jusqu'à mendier votre pain, ne donnassiez-vous que deux oboles, vous pratiquerez en cela même excellemment la charité. Quand vous ne donneriez qu'un morceau de pain, si vous ne pouvez faire davantage, vous exercez suffisamment cet art céleste. "

" Appliquons-nous donc à cet art divin, adonnons-nous-y avec amour. Il vaut mieux y être habile, que d'être roi et de porter une couronne. L'avantage que cet art a sur les autres ne consiste pas seulement en ce qu'il en est indépendant, mais encore en ce qu'il est pour nous une source féconde de mille biens. Il nous élève dans le ciel des édifices qui dureront éternellement. Il apprend à ceux qui le pratiquent à échapper à la mort éternelle ; il nous enrichit et nous fait trouver des trésors inépuisables, qui ne redoutent ni les voleurs, ni la rouille, ni la loi du temps qui consume tout ici-bas. Si l'on vous promettait de vous enseigner un moyen de garder votre blé pendant plusieurs années sans qu'il se corrompe, que ne donneriez-vous pas pour l’apprendre ? Or, cet art admirable dont nous parlons vous apprend à garder en assurance, non votre blé seulement, mais et vos biens, et votre corps et votre âme purs et incorruptibles ; et vous ne vous mettez pas en peine d'en faire l'expérience ? "

" Mais pourquoi m'arrêter à détailler les avantages de cet art divin ? Qu'il me suffise de dire en général qu'il nous rend semblables à Dieu même, ce qui est le plus grand de tous les biens.

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Ainsi vous voyez que cet art ne se borne pas à un seul objet, et que sans avoir d'autre appui que lui-même, il bâtit des édifices admirables, confectionne des vêtements d'une très-grande beauté, amasse des trésors impérissables, nous fait surmonter la mort et le démon, et nous rend semblables à Dieu. "

" Quel autre art peut donc être aussi utile que celui-ci ? Les autres, outre ce que nous avons dit, se perdent avec la vie, et s'évanouissent à la première maladie qui survient. Leurs ouvrages ne peuvent subsister toujours, et il faut pour les acquérir beaucoup de peine et de temps. Mais quand la fin du monde sera venue, c'est alors, plus que jamais, que la charité dont nous parlons fera paraître son éclat ; c'est alors qu'elle fera briller ses ouvrages merveilleux, et leur imprimera une solidité capable de résister à tout. Elle n'a besoin pour agir, ni de temps, ni de peine, ni de travail. La maladie n'interrompt point son action, la vieillesse ne l'affaiblit pas ; elle nous accompagne jusque dans l'autre vie, ne nous quitte point à notre mort, et ne nous abandonne en aucune de nos épreuves. "

" Elle nous met au-dessus des plus grands philosophes et des orateurs du siècle et au lieu que ceux-ci, lorsqu'ils sont habiles, ont mille envieux qui les décrient, ceux au contraire qui excellent en cet art divin sont estimés de tous sans exception. 'Les orateurs ne peuvent défendre leurs clients que devant les tribunaux de la terre ; c'est là seulement qu'ils peuvent soutenir la cause de ceux qui ont souffert de quelque injustice, et souvent aussi de ceux mêmes qui en ont fait essuyer ; mais cet art céleste dont je parle nous rend puissants au tribunal de Jésus-Christ même, et non-seulement il plaide pour nous devant ce juge redoutable, mais il oblige ce juge lui-même à prendre en main la cause du coupable, à le protéger et à prononcer sur lui une sentence d'absolution. Quand nous aurions commis mille crimes, si nous avons fait nos efforts pour les laver par les actes d'une charité sincère, Dieu est comme forcé de nous pardonner, et non-seulement de nous pardonner, mais de nous couronner et de nous combler de gloire. Donnez l'aumône, dit-il, et toutes choses seront pures pour vous (LUC, XI, 40). "

" Mais pourquoi parler de l'autre monde ? Si dans celui-ci même on donnait le choix aux hommes, et qu'on leur demandât ce qu'ils aimeraient le mieux, ou qu'il y en eût beaucoup qui se signalassent par la subtilité de leur esprit ou par les ornements de leurs discours, ou qu'il y en eût d'autres qui se rendissent re-

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commandables par leur charité et leurs aumônes, qui doute qu'ils ne préférassent les hommes charitables aux hommes éloquents ? Et n'aurait-on pas raison de faire cette préférence, puisque quand même tous ces discours étudiés seraient bannis de toute la terre, elle n'en serait pas moins heureuse, et qu'elle a subsisté sans cela durant tant de siècles au lieu que, si vous en ôtiez la charité, le monde entier entrerait aussitôt dans une confusion et un bouleversement général. Car personne n'oserait s'aventurer sur la mer, si l'on en supprimait les ports et les autres lieux de retraite pour les vaisseaux ; de même il serait impossible que le monde subsistât sans la charité et la miséricorde. "

" C'est pourquoi Dieu n'a pas voulu que les hommes ne fussent charitables que par étude et à force de raisonnements ; il a greffé pour ainsi dire cette vertu dans notre nature même, et il a voulu qu'un instinct naturel rendit les hommes doux et compatissants les uns envers les autres. C'est cette loi intérieure qui inspire aux pères et aux mères la tendresse pour leurs enfants, et qui donne réciproquement aux enfants de l'amour et du respect pour les auteurs de leurs jours : et ce sentiment existe même dans les animaux. C'est la charité qui lie tous les hommes par une amitié mutuelle : car nous avons tous une pente naturelle qui nous porte à la miséricorde. Et c'est ce secret instinct de la nature qui fait que nous éprouvons de l'indignation lorsqu'une injustice est faite à quelqu'un, et que nous pleurons lorsque nous voyons les autres pleurer. Comme Dieu veut que nous ayons cette sympathie, et que nous ressentions cette compassion pour tous les hommes, il l'a lui-même imprimée et comme gravée dans notre nature. Il semble avoir voulu lui commander de contribuer de sa part à produire en nous ces sentiments, afin que nous reconnussions dans cet instinct naturel combien la miséricorde lui est agréable et combien il désire que nous l'exercions envers tout le monde. "

" Occupons-nous donc d'être charitables. Allons à cette école céleste, et conduisons-y nos enfants, nos parents et nos proches. Que l'homme avant tout apprenne à être charitable, puisque c'est la charité qui nous rend proprement hommes. C'est une grande chose que d'être homme ; mais un homme charitable est quelque chose de bien plus grand. Celui qui n'a pas cette charité cesse d'être homme, puisque c'est elle qui fait qu'il est homme. Et vous étonnez-vous que ce soit le propre de l'homme d'être charitable, puisque c'est là le propre de Dieu même ? Soyez miséri-

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cordieux, nous a dit le Christ, comme votre Père céleste est miséricordieux (LUC, VI, 36). - Apprenons donc à devenir charitables, non-seulement pour les raisons que nous avons dites, et pour l'utilité des autres, mais encore pour notre avantage particulier, puisque nous avons aussi besoin nous-même d'une grande miséricorde. Tenons pour perdu le temps où nous ne pratiquons point la charité. J'appelle ici charité celle qui est exempte de toute avarice. Car si celui qui se contente de posséder paisiblement ce qu'il a, sans en faire part aux autres, est bien éloigné d'être charitable, que sera-ce de celui qui ravit le bien de ses frères quand même il ferait d'ailleurs des aumônes sans nombre ? Si c'est être cruel et inhumain que de jouir seul de ses richesses, que sera-ce d'usurper le bien d'autrui ? Si ceux qui ne font aucune injustice doivent être punis pour n'avoir pas fait l'aumône, quel sera le sort de ceux qui commettent tant d'actions injustes ? "

11. Le même, in eâdem Hom. XXXIII ad populum Antiochenum : " Ce n'est pas ici-bas qu'on vous rendra ce que vous aurez donné, mais on vous le rendra là-haut avec beaucoup d'usure ; et pour les biens temporels dont vous aurez fait le sacrifice, vous serez comblé de biens et d'avantages spirituels. Ce que vous donnez maintenant aux pauvres, est un véritable prêt dont on vous paiera l'intérêt dans l'autre vie. C'est Dieu lui-même qui s'en est fait garant. C'est lui-même qui a dit : Celui qui a pitié du pauvre prête au Seigneur à intérêt (Prov., XIX, 17). Il vous a donné des arrhes et des gages de cet intérêt qu'il vous comptera, et il est votre Dieu. Quelles arrhes vous a-t-il donnés ? Les biens de la vie présente, comme pour vous initier à ceux de la vie future. Pourquoi donc ces délais et cette indifférence lorsque vous avez déjà reçu tant de biens et que vous en attendez de plus grands encore ? Voici en effet quels sont les biens que vous avez déjà reçu de lui : il vous a formé un corps, il vous a donné une âme, il vous a doué de raison de préférence à tous les animaux, il a mis à votre usage toutes les choses visibles, il vous a donné la connaissance de lui-même, il a livré son Fils pour votre rachat, il vous a conféré le baptême, source pour vous de tant de biens, il vous a admis à sa table sainte, il vous a promis le royaume du ciel et les biens invisibles qui s'y trouvent renfermés. Vous donc qui avez reçu tant de biens et qui en avez tant d'autres à attendre (car je ne me lasse pas de revenir sur ce même sujet), vous vous arrêteriez à des biens périssables ? Et quelle serait donc votre excuse ? "

12. Le même, Hom. XXXIV ad populum Antiochenum, sive

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LXXIV (al. 73) in Matthæum : " Vous n'êtes pas plus maître de votre argent que celui qui dispense les biens de l'église ; vous n'en êtes que le dispensateur. Et comme il n'est pas permis à l'économe et au dispensateur de ces biens sacrés de prodiguer ce que vous avez donné pour les pauvres, ou de le détourner à d'autres usages qu'à ceux auxquels il a été destiné, il ne vous est pas permis non plus d'abuser indiscrètement de vos richesses. Car, quoique vous ayez reçu votre bien de la succession de votre père ; quoique vous soyez entré légitimement dans l'héritage de vos aïeux et que pour cette raison tout ce que vous avez soit à vous, cependant tout ce que vous possédez est à Dieu. Si donc vous voulez vous-même que l'argent que vous donnez soit dispensé avec tant de soin, croyez-vous que Dieu n'exige pas de vous autant de fidélité que vous en exigez des hommes, et qu'il ne veuille pas au contraire que vous soyez encore plus fidèles ? Croyez-vous qu'il permette que vous dissipiez ces biens qu'il vous a donnés ? Il a voulu vous rendre dépositaire de grandes richesses, afin que vous en fassiez part charitablement aux pauvres selon leurs besoins. Comme donc vous donnez de l'argent à un autre homme pour qu'il le dispense avec sagesse, de même Dieu vous en a donné pour que vous le distribuiez avec discrétion. Quoiqu'il pût vous l'ôter, il a mieux aimé vous le laisser, afin que vous eussiez toujours des occasions de pratiquer cette vertu, et que lui-même, en rendant ainsi tous les hommes dépendant les uns des autres, il les liât ensemble par une charité plus étroite. . . "

" Considérez, mes frères, combien Jésus-Christ, dans toutes ses paraboles, s'attache à nous convaincre que ceux qui n'auront pas usé légitimement de leurs biens, seront punis rigoureusement. Car on ne voit pas que les vierges folles dont il parle ensuite (MATTH., XXV, 5) aient ravi le bien d'autrui, mais seulement on voit qu'elles ne donnèrent point du leur (Saint Jean Chrysostôme entend de la charité l'huile qui, d'après la parabole de l'Evangile, manquait aux vierges folles. Je serais donc tenté de croire qu'il a eu ici une distraction ; car ce ne sont pas les vierges folles, mais bien les vierges sages qui refusèrent aux autres de partager leur huile avec elles) à ceux qui en avaient besoin. Celui dont il parle plus loin (Ibid., XXIV), qui cacha le talent de son maître, ne déroba le bien de personne. Il est cependant condamné ; toute sa faute fut de n'avoir pas fait profiter le bien de son maître. Ainsi, ceux qui verront le pauvre sans le soulager, seront punis de Dieu, non comme des voleurs,

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mais comme des personnes dures et impitoyables, qui auront laissé périr leurs frères, sans leur faire part du bien qu'ils avaient. "

" Ecoutez bien cela, vous tous qui aimez les festins, et qui consumez dans ces malheureuses dépenses l'argent qui appartient plus aux pauvres qu’à vous. Ne croyez pas que ces biens vous appartiennent en propre, quoique Dieu soit si bon, qu'il se contente de vous exhorter à les donner, comme s'ils étaient effectivement à vous. Il vous les a prêtés pour vous donner un moyen de mieux pratiquer la vertu et de devenir plus justes. Ne regardez donc plus comme étant à vous ces biens que vous possédez ; donnez à Dieu ce qui est à Dieu. Si vous aviez prêté à quelqu'un une forte somme d'argent, afin qu'il s'en servît pour gagner quelque chose, dirait-on que cet argent serait à lui ? C'est ainsi que Dieu vous a donné le bien que vous possédez afin que vous vous en serviez pour gagner le ciel. N'employez donc pas à vous perdre ce que vous avez reçu pour vous sauver, et ne ruinez pas les desseins de la bonté de Dieu sur vous, par un comble de malice et d'ingratitude. Considérez combien il est avantageux à l'homme, après la grâce du baptême qu'il a perdue, de trouver dans l'aumône un autre moyen pour obtenir de Dieu le pardon de ses fautes. Si Dieu ne nous avait donné ce moyen pour effacer nos péchés, combien de gens ne diraient-ils pas : Oh ! que nous serions heureux, si par nos richesses nous pouvions nous délivrer des maux à venir ! Que nous donnerions de bon cœur tout notre bien, pour nous garantir de la peine que nos offenses ont si justement mérité ! Mais parce que Dieu a accordé de lui-même ce que nous aurions si fort désiré de sa bonté, si elle ne nous avait prévenus, nous n'apportons que lâcheté à user de cet avantage, et à tirer profit d'un aussi puissant remède. . . "

" Nous reconnaîtrons, par exemple, que les jeûnes, les austérités corporelles, le célibat, la vie réglée, sobre et tempérante sont des vertus qui certainement servent à celui qui les possède ; mais il faut reconnaître aussi que ces autres qui consistent à se rendre utile au prochain, sont beaucoup plus relevées comme l'aumône, l'instruction et la charité, dont parle saint Paul : Quand je distribuerais tout mon bien aux pauvres, et que j’abandonnerais mon corps aux flammes, si je n’avais pas la charité, tout cela ne me servirait de rien (I Cor., XIII, 3). . . "

" Appliquons-nous toujours à ces vertus qui nous sont si salutaires à nous-mêmes, et qui sont en même temps si avanta-

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geuses à nos frères. Pratiquons l'aumône, et ensuite la prière. Nous voyons dans l’Ecriture que la prière tire sa force de l'aumône, et lui donne comme des ailes. Vos aumônes, dit l'Ange, et vos prières sont montées devant le trône de Dieu (Actes, X, 4). L'aumône ne donne pas seulement de la force à la prière ; elle en donne aussi au jeûne. Si vous jeûnez sans faire l'aumône, Dieu n'aura point votre jeûne pour agréable. Il le regardera avec plus d'horreur que les excès de ceux qui s'enivrent et se remplissent de viandes, et il en aura d'autant plus d'aversion, que la cruauté est encore plus détestable à ses yeux que les débauches. Mais qu'ai-je besoin de dire que le jeûne emprunte son mérite de l'aumône, puisque la virginité même en tire tout son éclat et que sans elle les vierges les plus vertueuses sont exclues de la chambre nuptiale du céleste époux ? Considérez bien ce que je vous dis : Bien que la virginité soit si excellente, que Jésus-Christ dans le Nouveau-Testament n'a pas voulu en faire un précepte obligatoire pour les chrétiens, elle n'est rien cependant sans l'aumône ; et si une vierge n'est pas charitable, elle sera rejetée de son époux. Que si cela est, comme on n'en peut douter, qui peut espérer de se sauver en négligeant de faire l'aumône ? Ne faut-il pas que celui qui ne la fait point en cette vie, périsse nécessairement dans l'autre ? Nous voyons jusque dans la vie civile, que nul ne vit pour soi-même. Les artisans, les laboureurs, les marchands et les gens de guerre contribuent tous généralement au bien et à l'avantage des autres. A combien plus forte raison devons-nous faire de même dans ce qui regarde le salut des âmes et le bien spirituel du prochain ! Celui-là vit à proprement parler, qui vit pour les autres. Celui qui ne vit que pour soi sans se mettre en peine des autres, est un homme inutile au monde, ou plutôt ce n'est pas un homme, puisqu'il ne prend aucune part au bien général de l'humanité. "

13. Le même, Hom. XXXIV ad populum Antiochenum (al. 55) in Genesim : " N'ayons pas l'imprudence de négliger un moyen si profitable pour nos âmes, un remède si efficace à tous nos maux spirituels. Car il nous procurera une telle guérison, il effacera si puissamment la trace de nos péchés, qu'il ne nous en restera pas même de cicatrices : ce qui n'a jamais lieu par rapport aux blessures qui peuvent être infligées à nos corps. Car, quels que soient les palliatifs que puissent employer les médecins pour guérir une plaie corporelle, il en reste toujours une cicatrice qui en marque la place : et cela doit être, parce qu'il

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s'agit d'un corps il guérir. Mais pour nos âmes, il suffit que nous apportions de la bonne volonté, et sur-le-champ notre état se trouve amélioré, et toutes les traces de nos plaies dissipées comme la poussière qu'emporte un vent impétueux. Les saintes Ecritures sont pleines de ces exemples. . . "

" Voyons aussi quelle est la vertu de ce précepte, quels avantages résultent pour nous d'abondantes aumônes, afin qu'envisageant tous les profits que nous en retirerons, nous nous portions avec zèle à l'accomplissement de ce devoir. Peut-être même trouverons-nous que non-seulement l'aumône nous purifie de nos péchés, mais que de plus elle nous délivre de la mort. Je vais vous en dire la manière. Mais je vois que vous m'interrompez pour me dire, que jamais, en faisant l'aumône, on s'est élevé au-dessus de la nécessité de mourir. Ne vous troublez pas, mon cher frère, mais apprenez par les faits eux-mêmes comment la vertu de l’aumône triomphe de l'empire de la mort. Il y avait une femme nommé Tabithe, nom qui en grec pourrait se traduire par Dorcas, etc. (Act., IX, 36). Avez-vous fait attention à ce miracle de l’Apôtre, ou plutôt de Notre-Seigneur qui se servait de son ministère ? Avez-vous considéré combien, pour le temps même présent, cette sainte femme a été récompensée de sa bienfaisance à l'égard des veuves ? Que leur avait-elle donné, dites-moi, qui puisse égaler ce qu'elles lui ont procuré en retour ? Elle leur avait donné des vêtements et des aliments ; elles, en retour, l'ont ramenée à la vie, l'ont retirée d'entre les liens de la mort ; ou pour mieux dire, ce ne sont pas elles, mais c'est le Seigneur lui-même qui l'a récompensée ainsi du soin qu'elle prenait de ses veuves. Avez-vous admiré la vertu de ce remède ? Tâchons donc de nous le procurer, tous tant que nous sommes ; car, quelque grande que soit sa vertu, nous pouvons l'acheter à bas prix, et sans grande dépense. En effet, la grandeur de l'aumône ne consiste pas dans la quantité de ce qu'on donne, mais elle dépend du zèle avec lequel on se porte à la faire. C'est ainsi que Dieu a pour agréable ce don qu'on lui fait d'un simple verre d'eau froide, et qu'il a de même agréé l'obole de la veuve, pour nous apprendre par-là que tout ce que demande de nous le maître de toutes choses, c'est une volonté droite et sincère. Il arrive souvent que celui qui donne peu prouve, en donnant ce peu qu'il a, la grandeur de sa charité, et qu'un autre qui donne beaucoup a moins de mérite que ceux qui ont donné moins que lui, parce que, proportion gardée, sa bonne volonté n'est pas

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égale à la leur. Souffrez donc que je vous exhorte à répandre de bon cœur vos richesses dans le sein des indigents, et à rendre ainsi au maître de toutes choses ces biens qu'il vous a donnés, pour qu'ils vous soient plus tard remboursés avec usure. Car telle est la bonté de Dieu, qu'en recevant de nous l'offrande de biens qui ne nous viennent que de lui, il semble oublier que la propriété lui en appartient, et qu'il nous fait la promesse de nous les rendre libéralement, pourvu que nous consentions à faire de notre côté ce qui dépend de nous, en distribuant aux pauvres les biens que nous possédons, comme si nous les remettions entre les mains de Dieu, sachant bien que tout ce que de telles mains reçoivent s'y multiplie, pour retourner ainsi multiplié au donateur. Que dis-je, multiplié ? non-seulement cette divine main nous le multiplie, mais elle nous donne outre cela le royaume des cieux ; elle met sur nos têtes la couronne de gloire, et nous comble de ses faveurs, pour peu que nous consentions à lui céder de nos richesses. Est-ce là une condition dure qu'elle nous impose ? Elle ne nous demande pour son nécessaire que le superflu de nos biens, que la distribution de ce qui se perd dans nos greniers, pour prendre de là occasion d'orner d'une brillante couronne la tête de chacun de nous. Rien n'égale son empressement, son zèle, ses efforts, pour nous faire mériter les biens qu'elle nous a promis. "

" Prenons donc bien garde, je vous prie, de nous priver de si grands biens. Car, si de pauvres cultivateurs ne craignent pas de vider leurs greniers, et de jeter en terre leurs semences récoltées par eux avec tant de soin ; s'ils se portent même avec plaisir à ce sacrifice, dans l'espérance d'une plus abondante moisson, quoiqu'ils sachent bien que souvent l'intempérie de l'air, la stérilité de la terre, les armées de sauterelles, la nielle et mille autres causes déjoueront peut-être leurs espérances ; à combien plus forte raison ne devons-nous pas tirer de nos greniers où ils restent inutiles ces grains qui serviront à nourrir les pauvres, assurés que nous sommes d'atteindre notre but, sans avoir rien à craindre ni de la stérilité de la terre ni de l'inconstance des saisons ? Sa justice subsiste dans tous les siècles ; il a répandu ses biens dans le sein des pauvres, dit le Psalmiste (Ps. CXI, 9). Mais écoutez la suite : O profusion admirable ! Elle n'a duré qu'un instant, et elle est récompensée d'une éternité de gloire. Que peut-il y avoir de plus heureux ? Je vous exhorte en conséquence à vous procurer à vous-mêmes cette justice à jamais durable que

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nous assure l’aumône, afin qu'il soit dit aussi de chacun de vous : Il a répandu ses biens dans le sein des pauvres ; sa justice subsiste dans tous les siècles. Car, après avoir dit, Il a répandu, il a donné, de peur que vous ne pensiez que ce qu'il a répandu se trouve perdu, le Psalmiste se hâte d'ajouter : Sa justice subsiste dans tous les siècles. De ces biens répandus, dit-il, surgit une justice impérissable, qui durera autant que les siècles ou plutôt, qui n'aura point de fin. Avec l'aumône aussi, pratiquons soigneusement les autres vertus, et réprimons les passions grossières (Cf. Sancti Joannis Chrysostomi opera, t. IV, p. 535-535, édit. de Montfaucon ; p. 619-622, édit. Gaume). "

14. Le même, Hom. XXXV ad populum Antiochenum, et Serm. de misericordiâ (al. Hom. XIV in epist. ad Rom.) : " Revêtez-vous donc comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés, de tendresse et d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité (Col., III, 12). Admirez la propriété de cette expression de l'Apôtre, et comme il demande que nous nous montrions toujours miséricordieux. Car il ne dit pas seulement, Ayez compassion de ceux qui souffrent, mais : Revêtez-vous de tendresse pour eux, en sorte que, comme nos vêtements ne nous quittent point, l'esprit d'aumône ne nous quitte pas non plus. Et il ne dit pas simplement, Revêtez-vous de miséricorde, mais : Revêtez-vous d'entrailles de miséricorde, pour nous porter à imiter en cela les mouvements que produisent en nous les sentiments les plus vifs de la 'nature. Mais nous, nous faisons le contraire : Si quelqu'un s'approche de nous pour solliciter de notre charité une simple obole, nous l'accablons d'injures et de reproches, nous l'appelons un imposteur. Vous n'avez pas horreur, ô homme, de votre inhumanité ? Vous ne rougissez pas d'appeler imposteur un de vos semblables pour un peu de pain qu'il vous supplie de lui donner ? Eh ! s'il vous en impose en cela, il n'en devient que plus juste que vous ayez pitié de lui, puisque la faim le réduit à la nécessité de descendre à jouer un pareil rôle devant vous. Voilà ce qui rend encore plus criminelle notre dureté pour les pauvres. Ceux-ci nous voyant si difficiles à nous laisser persuader, si chiches de libéralités à leur égard, sont comme forcés de recourir à mille moyens artificieux pour mettre notre insensibilité en défaut et nous attendrir en leur faveur (Cf. Ibidem, t. IX, p. 588, édit. de Montfaucon ; p. 649-650, édit. Gaume).

15. Le même, Hom. XXXVI ad populum Antiochenum :

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" L'aumône est un grand bien, un bien de toute beauté, un bien du plus haut prix ; c'est un moyen puissant d'acquérir des richesses, et de très-grandes richesses. Si nous savons mépriser l'argent, nous saurons bien d'autres choses. Considérez en effet combien sont nombreux les avantages de l'aumône. Celui qui la fait comme il doit la faire, apprend par là à mépriser les richesses ; celui qui a une fois appris à mépriser les richesses, a coupé la racine à tous maux ; ainsi est-il vrai qu'il ne reçoit pas moins qu'il ne donne, non-seulement à cause de la récompense qui lui est tenue en réserve dans le ciel, mais encore à cause de la sagesse et de la noblesse de sentiments dont il enrichit son âme. Celui qui donne l'aumône apprend à ne plus tant admirer l'or et l'argent. Or, ce point obtenu, il se sent une force admirable pour s'élever vers le ciel, en même temps qu'il se délivre d'occasions sans nombre d'engager des procès, de rencontrer des envieux et de se voir abreuvé de chagrins. Car vous savez, vous aussi, que l'argent est le point de mire de toutes les rivalités, le motif véritable d'une infinité de guerres, tandis que celui, au contraire, qui sait le mépriser, se conserve lui-même dans le calme, ne craint plus d'avoir des pertes à subir (l'aumône l'a délivré d'une pareille crainte), et n'est plus tenté de convoiter le bien de son prochain. Comment en effet convoiterait-il le bien des autres, celui qui donne aux autres son propre bien ? Il ne porte plus envie aux riches ; comment le pourrait-il, lui qui n'a d'autre ambition que de devenir pauvre ? . . . Voilà pour la vie présente ; quant à la vie future, on ne saurait dire tous les biens qu'il y obtiendra un jour. Il ne sera point laissé dehors avec les vierges folles ; mais il entrera avec les vierges sages dans la chambre nuptiale, en tenant à la main sa lampe allumée, et, sans même avoir parcouru la pénible carrière de la virginité, il sera préféré à ceux qui en auront dévoré les ennuis. Telle est la vertu de l'aumône : elle introduit avec confiance dans le ciel ceux qui se font ses partisans ; car elle est connue des portiers du ciel, préposé à la garde de la chambre nuptiale ; elle est même l'objet de leur vénération, et elle introduira en toute liberté ceux qu'elle reconnaît pour être de sa suite ; et personne ne s'opposera à son entrée, mais tous lui laisseront le passage libre. Car ; si elle a pu attirer Dieu parmi les hommes, et l'engager à se rendre semblable à nous, elle pourra bien mieux encore faire remonter l'homme dans le ciel : sa puissance doit aller jusque là. Si Dieu s'est fait homme par un effet de sa clémence et de sa

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miséricorde, s'il a consenti à se faire esclave, l'aumône à plus forte raison pourra introduire des esclaves dans son palais. Aimons, pratiquons cette vertu, non pas un jour, non pas deux seulement, mais dans tous les temps de notre vie, pour qu'elle nous reconnaisse elle-même à la fin. Si elle nous reconnaît, Dieu nous reconnaîtra lui-même ; si elle ne nous reconnaît pas, Dieu ne nous reconnaîtra pas non plus, et il nous dira : Je ne vous connais pas pour les miens (MATTH., XXV, 12). L'homme miséricordieux est quelque chose de grand et d'un haut prix. C'est même quelque chose de plus grand que de ressusciter des morts. Oui, nourrir Jésus-Christ qui a faim, c'est quelque chose de bien plus grand que de ressusciter des morts au nom de Jésus-Christ. Car dans ce dernier cas vous devez rendre grâces à Jésus-Christ, au lieu qu'il vous rend grâces lui-même dans le premier. En faisant un miracle, vous devenez débiteur de Dieu ; en faisant l'aumône vous faites de Dieu votre débiteur. L'aumône n'est véritable qu'autant qu'elle se fait avec empressement et libéralité, et lorsqu'en la faisant on a l'air de recevoir, et non de donner soi-même ; de recevoir, dis-je, un bienfait, et de faire un profit, et non une perte. . . "

" Isolé de l'aumône, la prière est stérile ; sans elle tout est impur, tout est inutile, la vertu est en grande partie détruite. Celui qui n'aime pas son frère ne connaît pas Dieu, nous dit l'apôtre bien-aimé (I JEAN, IV, 8) ; et vous, comment pouvez-vous dire que vous l'aimez, lorsque vous refusez de lui faire part de la plus petite partie de vos biens ? Si vous usez de rapines pour pouvoir faire l'aumône, votre aumône est abominable. Car ce n'est pas faire l'aumône, que de donner de ce qui est à autrui ; c'est plutôt une cruauté, en même temps qu'un outrage fait à Dieu. Si Caïn l'a offensé en lui offrant ce qu'il y avait de moins bon dans les fruits de ses récoltes, comment celui qui lui offre ce qui appartient à un autre pourrait-il ne pas l'irriter ? Une offrande est un sacrifice, et non quelque chose d'abominable. . . "

" La force de l'habitude est grande dans le bien comme dans le mal ; quand elle nous conduit, nous faisons tout sans peine. Un signe de croix ne nous coûte rien à faire, parce que nous y sommes habitués ; souvent même nous le faisons en pensant à autre chose, comme si un maître invisible conduisait notre main. Quelques-uns qui ont pris l'habitude de ne pas jurer, ne sauraient le faire, ni quand on voudrait les y forcer, ni quand ils le voudraient eux-mêmes. Tâchons de contracter de même l’habitude

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de l’aumône. Que de travaux n'aurions-nous pas dû entreprendre pour trouver un remède de cette efficacité ? Dites-moi, si nous n'avions pas l'aumône pour ressource, lorsque nous nous trouvons coupables de beaucoup de crimes, quel serait notre désespoir ! Ne nous dirions-nous pas : Plût à Dieu qu'il me fût permis d'acheter mon pardon pour de l'argent ! Aucun sacrifice ne me coûterait à ce prix. Si c'est la ce que nous faisons dans la maladie, si nous disons d'un mourant : Oh ! si la mort pouvait se racheter, cet homme aurait donné tout son bien pour s'en affranchir, nous devons, à plus forte raison, quand il s'agit de nos péchés, tenir ce langage. Admirez ici la miséricorde de Dieu : il ne vous a pas donné la faculté de vous racheter de la mort temporelle, mais il vous donne celle de le faire par rapport à la mort éternelle. Ne vous occupez pas, vous dit-il, de faire l'acquisition de quelques jours de plus à vivre ici-bas, mais travaillez pour acquérir la vie éternelle. Je vous vends celle-ci, non celle-là ; je ne cherche point à vous tromper. "

16. Le même, Hom. XXXVII ad populum Antiochenum (al. 21 in Epist. 1 ad Corinthios) : " C'est une extravagance, une folie manifeste, de remplir ses coffres de vêtements et de voir, sans s'en montrer ému, un homme fait à l'image de Dieu, réduit à un état de nudité, être tremblant de froid et pouvant à peine se tenir debout. Il fait semblant, dites-vous, de trembler et de tomber de défaillance. Quoi ! vous ne craignez pas qu'un tel langage attire sur vous toutes les foudres du ciel ! L'indignation m'emporte, pardonnez-le-moi. Le ventre plein et replet, vous passez des soirées entières à boire jusque bien avant dans la nuit ; vous vous enveloppez dans de molles couvertures, sans penser au jugement que vous aurez à subir un jour pour avoir abusé si criminellement des dons de Dieu (car le vin ne nous a pas été donné pour que nous nous plongions dans l'ivresse, ni la nourriture pour que nous en surchargions notre estomac) ; et ce pauvre, ce malheureux, qui semble un cadavre ambulant, vous lui demandez qu'il vous rende un compte rigoureux de sa misère, et vous ne tremblez pas de frayeur à la pensée du redoutable tribunal de Jésus-Christ ! Je suppose qu'il feigne cet excès de détresse ; mais, s'il a recours à cette supercherie, c'est vous qui l'y forcez par votre dureté, votre inhumanité qui a besoin d'être ainsi trompée, et que rien ne peut fléchir a la compassion. Car quel est le misérable qui, s'il n'y était réduit par la nécessité, aurait recours à ces bassesses, à ces cris lamentables,

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à tant de pénibles démarches pour un morceau de pain ? Les stratagèmes dont il se sert accusent hautement votre inhumanité. . . "

" Si vous donnez quelque peu d'argent, vous le regrettez aussitôt, comme si vous veniez de perdre votre bien tout entier, ignorant apparemment que ce qui constitue l'aumône, ce n'est pas le don lui-même, mais la libéralité avec laquelle on l'accorde. C'est pourquoi le prophète ne loue pas précisément ceux qui donnent, mais ceux qui donnent avec largesse. Car il n'a pas dit simplement, Il a donné, mais : Il a répandu ses biens dans le sein des pauvres. Eh ! à quoi vous sert-il de ne donner de vos richesses que comme un verre d'eau puisé dans un fleuve immense, et de vous laisser surpasser en noblesse de sentiments par une pauvre veuve ? Comment osez-vous dire : Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre clémence ; effacez mon iniquité dans l'excès de vos miséricordes (Ps. IV, 1-2) ; vous qui n'avez pas pitié de vos semblables dans les proportions d'une grande miséricorde, mais qui peut-être même n'avez ni miséricorde ni pitié ? . . . "

" Mais voici ce qu'on allègue : Il a pour ressource les biens dont l'Eglise est dépositaire. Eh ! qu'est-ce que cela vous fait ? Si je donne, vous n'êtes pas exempté par là de donner vous-même ; et de ce que l’Eglise exerce la charité avec les biens qui sont à elle, il ne s'ensuit nullement que vos péchés soient effacés. Car, si vous vous abstenez de donner par la raison que l'Eglise donne à ceux qui sont dans le besoin, vous vous dispenserez donc aussi de prier parce que les prêtres prient ? Et parce qu'il y en a qui jeûnent vous vous gorgerez de vin du matin au soir ? Ne savez-vous pas que si Dieu a imposé aux riches le devoir de l'aumône, c'est moins dans l'intérêt de ceux qui la reçoivent que dans celui de ceux qui la font (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, tome X, p. 186-189, édit. de Montfaucon ; pag. 218-222, édit. de Gaume) ? "

17. S. JEROME, Epist. CL ad Hedibiam, q. 1 : " Voulez-vous être parfaite et vous élever au comble de la vertu ? Imitez les apôtres, vendez tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez le Seigneur. Séparée de toutes les créatures et dépouillée de tout ce que vous possédiez au monde, suivez la croix toute nue, et n'ayez qu'elle en partage. Ne voulez-vous point être parfaite, et vous contentez-vous de demeurer au second degré de la vertu ? Abandonnez tout ce que vous avez, donnez-le à vos enfants et à vos parents : on ne vous fait point un crime de vous borner à ce qu'il y a de moins parfait, pourvu que d'ailleurs vous tom-

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biez d'accord que ce sera alors avec justice qu'on vous préférera celle qui aura tendu plus que vous à la perfection. "

" Vous ne manquerez pas de me dire qu'une vertu si sublime n'appartient qu'aux hommes et aux apôtres mais qu'il est impossible qu'une femme de qualité qui a besoin de mille choses pour se soutenir dans son état, vende tout ce qu'elle possède. Ecoutez donc ce que dit l’apôtre saint Paul : Je n'entends pas que les autres soient soulagés, et que vous soyez vous-même surchargés ; mais que pour ôter l'inégalité, votre abondance supplée à leur pauvreté, afin que votre pauvreté soit aussi soulagée par leur abondance (II Cor., VIII, 43). C'est pour cela que Jésus-Christ nous dit dans l’Evangile : Que celui qui a deux robes en donne une à celui qui n'en a point (LUC, III, 11). Mais si l'on vivait parmi les glaces de la Scythie et les neiges des Alpes, où non-seulement deux et trois robes, mais les peaux mêmes des bêtes suffisent à peine pour se garantir du froid de ces rigoureux climats, serait-on obligé de se dépouiller pour revêtir les autres ? Par une robe on doit entendre tout ce qui est nécessaire pour nous vêtir et pour subvenir aux nécessités de la nature, qui nous a fait naître tout nus ; et par les provisions d'un jour, on doit entendre tout ce qui est nécessaire pour nous nourrir. C'est dans ce sens qu'on doit expliquer ce commandement de l’Evangile : N'ayez point d'inquiétude pour le lendemain, c'est-à-dire pour l'avenir (MATTH., VI, 34) ; et ce que dit l'Apôtre : Pourvu que nous ayons de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir ; nous devons être contents (I Tim., VI, 8). Si vous avez du superflu en cela, donnez-le aux pauvres : c'est pour vous une obligation indispensable (Voir là-dessus la Somme de saint Thomas, 2. 2æ, q. 32, art. 5 et 6). "

18. S. AUGUSTIN, Enchirid. ad Laurentium, c. 75 (al. 24, 20) : " Revenons maintenant à parler de ceux qui vivent dans le désordre, sans s'embarrasser de changer de vie et de corriger leurs mœurs perverses ; et qui, parce qu'au milieu de leurs crimes ils ne cessent pas de faire assidument des aumônes, se flattent du pardon de leurs dérèglements sous prétexte que Notre-Seigneur a dit : Faites l'aumône, et tout sera pur pour vous (LUC, XI, 41). Il est visible qu'ils prennent mal cette parole du Sauveur, et qu'ils n'en sentent pas l'étendue. Pour la bien comprendre, qu'ils fassent attention à qui elle est adressée. Voici ce que rapporte à ce sujet le saint Evangile : Pendant que Jésus parlait, un pharisien lui pria de venir dîner chez lui : Jésus entra donc

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dans sa maison et se mit à table. Alors le pharisien commença à penser et à dire en lui-même : Pourquoi ne s'est-il pas lavé avant le dîner ? Mais le Seigneur lui dit : Vous autres pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat ; mais quant au dedans, vous êtes pleins de rapines et d'iniquités. Insensés, celui qui a fait le dehors n'a-t-il pas fait aussi le dedans ? Au reste, donnez l'aumône, et tout sera pur pour vous (ibid., 37 et s.). Les pharisiens, à qui Jésus-Christ adressait ces paroles, ne croyaient point en lui. Or, penserons-nous que le Sauveur, en parlant à de tels hommes, ait voulu leur dire que, sans croire en lui, et sans être régénéré par l'eau et par l'esprit, tout serait pur pour eux, pourvu seulement qu'ils fissent des aumônes selon la pensée de ceux que je combats ici ? Une pareille interprétation renverserait les principes les plus constants de la religion : car elle nous apprend, cette sainte religion, que tous les hommes sont impurs, s'ils ne sont purifiés par la foi en Jésus-Christ, selon cette parole de l’Ecriture : C'est par la foi que Dieu purifie les cœurs (Act., XV, 9), et cet oracle de l'apôtre saint Paul : Rien n'est pur pour ceux qui sont impurs, ni pour les infidèles ; mais leur âme et leur conscience sont toutes souillées (Tit., I, 15). Comment donc serait-il vrai que tout aurait été pur pour les pharisiens, s'ils eussent fait des aumônes, quoiqu'ils n'eussent pas eu la foi ? Où comment auraient-ils eu la foi en refusant de croire en Jésus-Christ et de renaître par sa grâce ? Cependant nous ne pouvons douter de la vérité de ce que Jésus-Christ leur a dit : Donnez l'aumône et tout sera pur pour vous. "

19. Ibidem, c. 76 : " Pour prendre donc le vrai sens de cette parole, observons que quiconque veut faire l'aumône d'une manière réglée et bien ordonnée, doit commencer par soi-même, et se la faire avant tous les autres. Car l'aumône est une œuvre de miséricorde et notre miséricorde doit se proposer nous-même pour objet, selon cette parole très-véritable de l'Ecriture : Ayez compassion de votre âme, en vous appliquant à plaire à Dieu. Or, pour plaire à Dieu, il faut nécessairement renaître en Jésus-Christ, puisque l'état que nous avons contracté en naissant ne peut que lui déplaire. Voilà la première aumône que nous nous sommes faite à nous-mêmes. "

20. Ibidem, c. 77 : " Qu'on ne se trompe donc pas en s'imaginant que, par des aumônes qu'on fait de ses fruits ou de son argent, quelques abondantes qu'elles puissent être on achète l’impunité de ses crimes et la liberté de persévérer dans ses

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désordres. Une pareille conduite annonce des hommes qui non-seulement font le mal, mais qui aiment à le faire, et qui souhaitent d'y persévérer toujours, pourvu qu'ils puissent se promettre l’impunité. Or, celui qui aime l'iniquité hait son âme à lui-même (Ps. X, 6) ; et celui qui hait son âme est bien éloigné d'en avoir compassion. Il est au contraire cruel envers lui-même ; car en s'aimant selon le siècle, il se hait selon Dieu. Si donc il voulait exercer la miséricorde envers son âme, et lui faire cette charitable aumône qui rendrait toutes choses pures pour lui, il faudrait qu'il se haït selon le siècle, et qu'il s'aimât selon Dieu (Cf. Le Manuel de saint Augustin, dans les Traités choisis, t. II, pag. 407-412). "

21. Le même, Serm. XXX de verbis Domini, c. 2 : " En quel sens leur dit-il, Faites l'aumône et toutes choses seront pures pour vous (LUC, XI, 41) ? Si les pharisiens l'entendaient leur dire ces paroles, et qu'eux-mêmes fissent l'aumône, ils auraient pu d'après cela se croire purs, et n'avoir par conséquent aucun besoin de croire en lui. Que si au contraire il leur était impossible d'être purs à moins de croire en celui qui purifie nos cœurs par la foi qu'il nous inspire, que veulent donc dire ces paroles, Faites l'aumônes, et toutes choses seront pures pour vous ? Que veut dire Faites l'aumône ? Cela veut dire : Faites miséricorde. Qu'est-ce que faire miséricorde ? Si vous savez bien ce que c'est, commencez par vous la faire à vous-même. Car comment pourrez-vous être miséricordieux pour les autres, si vous êtes cruel pour vous-même ? Faites l’aumône, et tout sera pur pour vous. Faites une véritable aumône. Qu'est-ce que l'aumône ? C'est la miséricorde. Ecoutez ce que dit l’Ecriture : Ayez pitié de votre âme, en vous rendant agréable à Dieu (Ecclé., XXX, 24). Faites l'aumône ; ayez pitié de votre âme, en vous rendant agréable à Dieu : votre âme vous demande à vous-même de lui faire cette charité ; rentrez dans votre conscience. Vous qui menez une mauvaise vie, qui vivez dans l’infidélité, rentrez dans votre conscience, et vous trouverez là votre âme plongée dans la dernière indigence, et qui vous prie, comme le ferait un mendiant, d'avoir pitié d'elle, ou si elle se tait, c'est que son indigence n'en est que plus grande. Car si elle mendie, c'est qu'elle a faim et soif de la justice. Quand vous trouverez votre âme dans ces conditions de mendicité, soyez sûr qu'il y a vraiment en elle faim et soif de la justice. Faites-lui donc l'aumône, donnez-lui donc ce pain qu'elle vous demande. Quel pain ? Si

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c'était un pharisien qui ferait cette demande, Jésus-Christ lui répondrait : Faites l’aumône à votre âme. C'est bien là aussi ce qu'il voulait leur dire ; mais c'est ce que les pharisiens ne comprirent pas, quand leur parlant des aumônes qu'ils faisaient, et qu'ils croyaient être ignorées de lui, il leur dit : Je sais ce que vous faites ; vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth, du cumin et de la rue ; mais c'est d'autres aumônes que je veux vous parler. Vous ne faites nul cas de la justice et de la charité ; faites l'aumône à votre âme, en pratiquant la justice et la charité. Qu'est-ce que la justice ? Regardez, et vous trouverez ; déplaisez-vous à vous-même, condamnez-vous vous-même. Et qu'est-ce que la charité ? Aimez le Seigneur de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit ; aimez de plus votre prochain comme vous-même, et vous avez par-là exercé avant tout la miséricorde envers vous-même. Si vous négligez de faire cette aumône, quand même vous feriez d'ailleurs le sacrifice de telle partie que ce soit de vos biens et de vos revenus, quand au lieu de la dîme vous donneriez la moitié de tous vos produits, quand même vous en donneriez les neuf dixièmes, en ne vous réservant à vous-même que la dixième partie, vous n'avez rien fait, tant que vous ne vous faites pas la charité à vous-même, et que vous restez dans votre indigence. "

22. Le même, Serm. XXV de verbis Domini : " Le pauvre et le riche semblent contraires l'un à l'autre, et pourtant ils sont nécessaires l'un à l'autre. Ils ne seraient dans l'indigence ni l'un ni l'autre, s'ils se soutenaient mutuellement ; et personne ne serait en peine, s'ils s'aidaient tous les deux. Le riche a été fait pour le pauvre, et le pauvre pour le riche. L'office du pauvre est de demander, et celui du riche est de soulager sa misère. Celui de Dieu enfin, c'est de récompenser des œuvres de peu de prix par des biens d'une valeur infinie. Une faible aumône produit une grande abondance de grâces. Le pauvre est comme un champ fertile, qui procure à celui qui l'ensemence une ample moisson. Le pauvre est la voie qui conduit au ciel, et qu'il faut pratiquer pour entrer dans le royaume de notre Père céleste. Soyez donc charitable envers le pauvre, si vous ne voulez pas vous écarter de cette voie. Votre patrimoine est une entrave qui vous empêche de vous avancer vers le ciel ; défaites-vous de cette entrave, et vous serez plus libre pour y parvenir. Déposez le fardeau des richesses ; délivrez-vous de ces liens qui ne vous retiennent que parce que vous le voulez ; affranchissez-vous de

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toutes ces inquiétudes, de tous ces dégoûts, de tous ces ennuis qu'amène à sa suite l'attachement aux biens de la terre. Donnez à celui qui vous demande, si vous voulez recevoir à votre tour ; donnez au pauvre, si vous ne voulez pas brûler dans l'enfer. Donnez ici-bas à Jésus-Christ pour qu'il vous le rende là-haut. Oubliez ce que vous êtes et pensez à ce que vous serez un jour. La vie présente est un bien fragile ; d'elle-même elle tend à la mort. C'est un chemin sur lequel personne ne peut faire halte ; il faut nécessairement passer outre. Malgré nous nous avançons ; malgré nous nous arrivons au terme de notre carrière, parce que nous sommes mauvais. Si nous prenions la précaution d'envoyer quelque chose devant nous, nous ne nous trouverions pas au dépourvu quand enfin nous arriverions au terme de ce voyage. Ce que nous donnerons au pauvre, voilà ce que nous enverrons devant nous ; pour les choses au contraire que nous aurons injustement possédées, il faudra les quitter un jour. "

23. Le même, Serm. XXXV de verbis Domini : " L'Evangile dont vous venez d'entendre la lecture vous avertit d'employer les richesses injustes à vous faire des amis, pour que ceux-ci vous reçoivent à leur tour dans les tabernacles éternels (LUC, XVI, 9). Qui sont ceux qui pourront ainsi disposer des tabernacles éternels, sinon les saints de Dieu ? Et qui sont ceux qu'ils recevront dans les tabernacles éternels, sinon ceux qui les soulagent dans leur besoin, et qui leur fournissent de bon cœur ce qui leur est nécessaire ? Autant de fois que vous l'aurez fait au plus petit de mes frères c'est à moi que vous l'aurez fait (MATTH., XXV, 40). Quels sont ces petits frères de Jésus-Christ ? Ce sont ceux qui ont tout quitté pour le suivre ; qui ont distribué aux pauvres tout ce qu'ils avaient, pour servir Dieu sans être retenus par les embarras du siècle, et pour pouvoir, libres une fois de l'esclavage du monde, s'envoler pour ainsi dire vers les cieux. Ce que les Hébreux appellent mammon, nous l'appelons divitiæ. C'est donc pour rendre en latin toutes les paroles de Jésus-Christ (LUC, XVI, 9), que nous lui faisons dire : Facite vobis amicos de divitiis iniquitatis (au lieu de iniquo mammonâ). Il y en a qui, entendant mal ces paroles, usurpent le bien d'autrui pour faire d'une partie de ce bien l'aumône aux pauvres, et qui croient satisfaire par-là au précepte divin. Car voici ce qu'ils disent : Les richesses injustes, c'est de prendre le bien d'autrui ; donc en faire l'aumône aux indigents, surtout si ces indigents sont de la société des saints, c'est se faire des amis avec les richesses injustes qu'on a acquises. Une

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pareille interprétation mérité d'être réformée, ou plutôt doit être effacée des tablettes de votre cœur. Gardez-vous bien de l'adopter. Faites des aumônes avec les fruits légitimes de vos travaux ; donnez ce que vous avez justement acquis. Car Jésus-Christ est un juge incorruptible, que vos présents n'empêcheront point d'écouter les cris de ceux à qui vous aurez enlevé leur bien. Ne faites point l’aumône avec le produit de vos usures. . . . . "

" Zachée dit à Jésus-Christ : Je donne aux pauvres la moitié de mes biens (LUC, XIX, 8). Voilà comment se conduit celui qui veut employer des richesses injustes à se faire des amis. Et de peur de se trouver coupable par un autre endroit, il ajouta : Si j'ai pris quelque chose a quelqu'un, je lui en rendrai quatre fois autant. Ainsi se condamna-t-il lui-même pour n'être pas condamné par le souverain juge. Vous donc qui auriez quelque bien mal acquis, tâchez d'en faire un bon usage. Vous au contraire qui ne posséderiez rien de cette espèce, gardez-vous bien de vous mettre en tête d'en avoir. Soyez bon, vous qui faites le bien avec ce que vous auriez de bien mal acquis, et gardez-vous de rester mauvais en changeant comme vous le faites le mal en bien. Quoi ? tandis que vous changeriez le mal en bien par rapport à ce que vous possédez vous resteriez mauvais vous-même ? Il est encore une autre manière d'entendre ces paroles, que je ne dois pas passer sous silence. Les richesses injustes, ce sont tous les biens temporels, de quelque part qu'ils viennent. Oui, de quelque part qu'ils viennent, les biens temporels sont des richesses injustes. Que veut-on dire en appelant ces biens des richesses injustes ? On veut dire que c'est injustement qu'on les appelle du nom de richesses. Car si vous cherchez des richesses véritables vous les trouverez ailleurs. Les richesses véritables sont celles qui ne manquaient point à Job dans sa nudité même, lorsqu'on le voyait, le cœur tourné vers Dieu, chanter ses louanges au milieu de son dépouillement universel, et faire comme autant de pierres précieuses de toutes les paroles qu'il laissait couler de sa bouche. Avez-vous de cette sorte de richesses ? Ce ne sont pas celles-là que j'appellerai injustes. Un héritage vous est acquis ; votre père était riche, et il vous a laissé toutes ses richesses. Vous n'avez acquis que par d'honnêtes moyens le bien que vous possédez ; c'est le produit légitimé de vos travaux, qui ont suffi pour vous procurer l'abondance : je ne vous en blâme pas non plus. Cependant ce n'est point là ce que vous devrez appeler richesses. Car si vous appelez richesses ces sortes de biens, vous les aimerez ;

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et si vous les aimez, vous vous perdrez avec eux. Consentez à les perdre, plutôt que de vous perdre vous-même ; donnez-les, pour en devenir plus riche ; semez, pour récolter un jour. N'appelez point cela des richesses, car ce ne sont point de véritables richesses. Ces richesses, si c'en est, sentent la pauvreté ; elles sont exposées à une infinité d'accidents. Qu'est-ce que des richesses pour lesquelles vous craignez le voleur, pour lesquelles vous craignez votre domestique même, qui pourrait vous tuer pour s'en emparer, et puis prendre la fuite ? Si c'étaient de vraies richesses, elles vous donneraient la sécurité. Il n'y a donc de véritables richesses, que celles que nous ne pouvons pas perdre, quand une fois nous en sommes en possession. Et pour que vous n'ayez pas à craindre que quelque voleur vous les enlève, elles seront transportées là où aucun voleur ne pourra venir les prendre. Ecoutez le Seigneur lui-même vous dire : Amassez des trésors dans le ciel, et où aucun voleur ne viendra les prendre (MATTH., VI, 20). Vos biens ne seront de vraies richesses, que lorsque vous les aurez transportés au ciel. Tant qu'ils vous restent ici-bas, ce ne sont pas de vraies richesses. Mais le monde les appelle des richesses ; le dieu de l'iniquité les appelle ainsi. Eh ! voilà pourquoi ce sont des richesses injustes, c'est que l'iniquité leur donne le nom de richesses. "

24. S. AMBROISE, Serm. XXX, ou saint Maxime de Turin, Serm. I de eleemosynis : " L'Ecriture dit : Comme l’eau éteint le feu, ainsi l'aumône éteint le péché (Ecclé., III, 33). Belle sentence, qui doit éveiller l'émulation de tous, en nous promettant, lorsque nous sommes pour ainsi dire morts, et que nos péchés nous ont consumés comme le ferait un incendie, le bienfait d'une sorte de résurrection, pourvu que nous retrempions dans l'aumône, comme on retrempe dans l'eau les racines d'un arbre, notre âme desséchée et devenue stérile, c'est-à-dire, pourvu que l'aumône nous rende la vie, après que nos péchés nous auront donné la mort, et qu'elle devienne ainsi pour ceux que l'avarice, comme un feu consumant, avait frappés de stérilité, une source de salut, en éteignant par de pieuses libéralités les flammes que le péché avait allumées ; que les hommes enfin, entendant mieux leurs intérêts répandent leur argent pour cesser leurs adultères, comme ils l'avaient répandu autrefois pour le commettre, et qu'ils achètent l'innocence de vie, comme ils avaient auparavant acheté le péché. Car le Seigneur dit à ses disciples : Faites l'aumône et tout sera pur pour vous (LUC, XI, 41). Quelque coupable donc,

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quelque couvert de crimes que vous soyez, si vous faites l'aumône, vous commencez dès-lors à recouvrer l'innocence. Car l'aumône purifie ce que l'avarice avait souillé, elle ôte par ses largesses les taches que l'usurpation du bien d'autrui avait faites à l'âme. Admirez donc quelle est la vertu de l'aumône, qui suffit elle seule pour racheter tous les péchés. "

25. Le même S. AMBROISE, Serm. XXXI, ou saint Maxime, Serm. II de eleemosynis : " La miséricorde bien mieux que l'eau, lave les taches qu'on peut avoir contractées : car l'eau ne purifie que la peau, au lieu que la pratique de la miséricorde purifie le fond le plus intime de l'âme. . . "

" L'aumône éteint donc les péchés comme l'eau du baptême éteint l'incendie allumé par l'enfer. Ainsi l'aumône est en quelque façon un baptême spirituel ; et si quelqu'un, après son baptême, vient à tomber par un effet de sa fragilité, il peut encore recouvrer par l'aumône la pureté de son âme, ainsi que s'en est expliqué Jésus-Christ lui-même : Faites l'aumône et tout sera pur pour vous (LUC, XI, 41). A moins de dire encore, pourvu que la foi n'en souffre pas d'atteinte, que l'aumône est plus abondante en grâce que le baptême lui-même. Car le baptême ne peut-être donné qu'une fois, et n'assure qu'une fois le pardon des péchés ; au lieu que l'aumône procure ce pardon autant de fois qu'elle est répétée. Ce sont donc là comme deux sources de miséricorde qui nous lavent de nos péchés et nous confèrent la vie. Celui qui a recours aux deux, s'assurera la possession du royaume céleste. Celui qui, après avoir terni la pureté de son baptême, recourra, pour se laver de nouveau, au bain salutaire de l'aumône, obtiendra à son tour l'aumône de son pardon. "

26. S. AMBROISE, Lib. de Eliâ et jejunio, c. 20 : " Plusieurs moyens nous sont offerts pour racheter nos péchés. Vous avez de l'argent ? donnez-le, pour racheter vos péchés. Ce n'est pas Dieu qui est vénal ; c'est vous-même qui l'êtes. Vous vous êtes vendu au péché : rachetez-vous par vos bonnes œuvres, rachetez-vous par votre argent. L'argent est une chose de peu de prix ; mais il en est autrement de la miséricorde que vous exercerez. L'aumône, nous dit l'Esprit-Saint, délivre du péché (Tob., XII, 9). L'Ecriture dit encore ailleurs : Les richesses de l'homme sont la rançon de son âme (Prov., XIII, 8). Et Notre-Seigneur dit dans l'Evangile : Employez les richesses injustes à vous faire des amis (LUC, XVI, 9). Souvent on emploie un poison pour servir d'antidote à un autre, et ainsi le poison peut préserver de la mort et

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entretenir la vie en nous. Faites-vous de même comme un sage dispensateur, un moyen de miséricorde à ce qui trop souvent sert d'instrument à l'avarice ; servez-vous, pour maintenir l'intégrité de votre âme, de ce qui autrement tendrait à la corrompre. "

27. LEON-LE-GRAND, Serm. I de collectis : " Nous apprenons par plusieurs témoignages des saintes Ecritures de quelle vertu et de quel mérite sont les aumônes. Il est certain que nous procurons un avantage considérable à notre âme, toutes les fois que la charité nous porte à soulager les misères d'autrui : si nous sommes bien persuadés que tout ce que nous donnons aux pauvres tourne à notre utilité, nous ne devons point avoir de répugnance à leur faire part de nos biens ; il faut les soulager avec promptitude et avec joie. C'est amasser un trésor dans le ciel, que de nourrir Jésus-Christ en nourrissant le pauvre. Reconnaissez dans le partage inégal des biens les sages dispositions de la bonté de Dieu et de sa providence. Il a voulu que vous soyez dans l'abondance, pour être en état d'assister les autres, et pour subvenir à leurs besoins ; vous empêchez par vos charités qu'ils ne souffrent les incommodités de la disette, et vous vous délivrez de la multitude de vos péchés. Que la bonté et la providence du Créateur est admirable ! Une seule action remédie aux besoins de deux personnes. "

28. Ibidem, Serm. II : " Vous n'ignorez pas qu'outre ce baptême général dans lequel toutes les taches des péchés ont été effacées, l'aumône a été divinement institué comme un remède à l’infirmité humaine, pour racheter tous les crimes que nous pouvons commettre pendant que nous sommes sur la terre. Les aumônes sont des œuvres de charité, et nous savons que la charité couvre beaucoup de péchés (PIERRE, IV, 8). "

29. Ibidem, Serm. III : " Si les facultés de tous ne sont pas égales et que vous ne soyez pas tous en état de faire les mêmes largesses, vous devez au moins avoir tous une égale charité et la même intention. La libéralité des fidèles ne se mesure point au poids de l’or, ni d'après la grandeur des présents ; elle se mesure sur l’intention et la bienveillance. Les pauvres peuvent aussi avoir quelque mérite dans le commerce de l'aumône, s'ils - prennent sur le peu qu'ils ont de quoi soulager de plus nécessiteux qu'eux-mêmes. Les riches pourront faire de plus grandes largesses ; mais les pauvres ne leur céderont pas en bonne volonté. Quoiqu'on espère une plus grande récolte quand on a semé plus de grain, on peut en matière de charité recueillir les

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plus grands fruits de l'aumône la plus légère. Notre juge est juste et équitable, ses promesses ne sont point trompeuses ; il ne frustre personne des récompenses qui ont pu être méritées. "

30 Ibidem, Serm. IV : " Que les pécheurs repentants aient compassion des pauvres, s'ils veulent que Jésus-Christ leur fasse miséricorde ; qu'ils aient de l'empressement à fournir aux malheureux les aliments nécessaires, s'ils veulent participer au bonheur des vrais fidèles. Que l'homme ne méprise point son semblable, quelque méprisable qu'il paraisse ; qu'on ne dédaigne dans qui que ce soit une nature que le Créateur de l'univers a unie à sa divinité. Peut-on refuser à un malheureux ce que Jésus-Christ accepte comme si on le lui donnait à lui-même ? On soulage le serviteur, et le maître s'en tient obligé. La nourriture qu'on donne à un pauvre, est le prix du royaume céleste ; en distribuant un bien temporel, on acquiert des biens éternels. D'où vient que des dépenses si légères ont été mises à si haut prix, si ce n'est que ces bonnes œuvres ont été pesées dans la balance de la charité ? L'homme, en aimant ce que Dieu aime, mérite d'entrer dans le royaume de celui dont il s'approprie les sentiments. "

" Les sages règlements des apôtres nous invitent, mes frères, à la pratique de ces sortes de bonnes œuvres. Les saints Pères ont très-prudemment marqué des jours pour ces pieuses collectes. Dans des temps où la superstition païenne redoublait son faux zèle pour le culte des démons, les aumônes que les fidèles distribuaient aux pauvres combattaient en quelque manière ces sacrifices profanes, que des impies offraient à leurs faux dieux. Cette sainte pratique a été très-utile à l'augmentation de l'Eglise ; voilà pourquoi l'on a jugé à propos de la continuer toujours. Nous vous exhortons à porter dans les églises auxquelles vous appartenez toutes les aumônes que vous pourrez faire dans la mesure de votre piété et de votre pouvoir ; faites-le, si vous voulez entendre au jour du jugement cette parole consolante qui vous remplira d'une joie éternelle : Heureux l'homme attentif et sensible aux souffrances des malheureux ; au jour de l'infortune, le Seigneur le délivrera (Ps. XL, 1). Il faut user, mes frères, selon votre louable coutume d'une charité ingénieuse, pour découvrir celui qui se cache sous le voile de sa timidité, et que la honte retient. Il y en a plusieurs qui n'osent demander publiquement les choses dont ils ont le plus grand besoin ; ils aiment mieux souffrir les incommodités d'une misère secrète et cachée, que de souffrir la

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confusion qui leur reviendrait de demander ouvertement l'aumône. Il faut donc user d'adresse pour les découvrir et pour soulager des besoins qu'ils rougissent de faire connaître, afin qu'ils aient une double consolation, en voyant qu'on les soulage dans leurs nécessités, de manière à ménager leur honte. Nous devons voir dans la personne du pauvre et de l'indigent la personne même de notre Sauveur Jésus-Christ, qui étant riche, s'est rendu pauvre pour l'amour de nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté (II Corinthiens, VIII, 9). Et, pour que nous ne soyons jamais privés de sa présence, il a tellement tempéré le mystère de son humilité et celui de sa gloire, que nous pouvons nourrir dans ses pauvres celui que nous adorons comme notre roi et Notre-Seigneur dans la majesté de son Père. C'est par ces bonnes œuvres qu'au jour du jugement nous obtiendrons d'être délivrés de la damnation éternelle ; le soin intelligent que nous aurons eu des pauvres sera récompensé par l'honneur d'être admis au royaume céleste. . . "

31. Le même, Serm. V de Quadragesimâ : " Dieu n'est pas seulement l'auteur et le principe des richesses spirituelles et des dons célestes, nous tenons aussi de sa bonté libérale les biens temporels, de sorte qu'il nous demandera compte de l'usage que nous en aurons fait, parce qu'il nous les donne autant pour que nous en fassions part aux autres, que pour les faire servir à nos propres besoins. Il faut donc dispenser avec justice et sagesse les dons que Dieu nous a faits, de peur que ce qui nous est donné pour servir de matière à de bonnes œuvres ne devienne pour nous une occasion de péché. Les richesses considérés en elles-mêmes sont bonnes, et d'un grand secours pour le commerce de la vie humaine, lorsqu'elles sont possédées par des personnes qui aient l'âme grande et bienfaisante ; qu'elles ne sont point consumées en de folles dépenses par des débauchés ou enfouies inutilement par des avares ; elles ne sont pas moins perdues, soit qu'on les garde par avarice, ou qu'on les dépense follement. "

" Quoique ce soit une chose fort louable en elle-même de fuir l'intempérance, et de se garantir des maux qu'amènent à leur suite les plaisirs honteux ; quoique d'autres affectent de faire parade de leurs richesses, dans l'abondance où ils se voient de toutes choses, par l'aversion qu'ils ont pour une épargne sordide ; cependant, ni ceux-ci ne sont heureux ; au milieu de leur abondance, ni ceux-là ne sont louables pour leur frugalité, s'ils n'épargnent leur bien que pour leur usage particulier, si les pauvres

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n'en sont pas davantage soulagés, les malades secourus, et si cette quantité d'argent ne sert à racheter quelque esclave, subvenir aux besoins des étrangers et des exilés. Les riches sont plus pauvres que les pauvres mêmes ; ils se privent par leur faute de ces revenus, qui subsisteraient pour eux éternellement : pour un avantage court et passager qu'ils retirent de leurs richesses, ils ne savourent point les douceurs de la miséricorde et se refusent le doux aliment de la justice. Chez eux tout brille au-dehors, mais le dedans est rempli de ténèbres ; ils vivent dans l'abondance des biens temporels, et dans une indigence effroyable par rapport aux biens éternels ; ils laissent mourir de faim leur âme, ils l'abandonnent à une nudité honteuse, pour ne vouloir pas mettre en réserve dans les trésors célestes une partie de ces biens temporels qu'ils accumulent avec tant d'avidité. "

" Il y a certains riches qui sans faire l'aumône aux pauvres, observent exactement les autres commandements de Dieu, et qui croient que le mérite de leur foi et des autres bonnes œuvres qu'ils pratiquent, les rend excusables de n'avoir pas cette autre vertu. Mais la charité envers les pauvres nous est tellement recommandée que toutes les vertus sans celle-là ne peuvent servir de rien. Soyez fidèles, soyez chastes, soyez sobres tant qu'il vous plaira ; portez même à un degré éminent la pratique des autres vertus : si vous n'êtes point miséricordieux pour les pauvres, Dieu ne vous fera point miséricorde ; car le Seigneur a dit : Heureux les miséricordieux parce qu'ils seront traités avec miséricorde (MATTH., V, 7). Lorsque le Fils de l'homme viendra dans toute sa majesté et qu'il s'assiéra sur le trône de sa gloire, que toutes les nations de l'univers étant assemblées devant lui, on séparera les élus d'avec les réprouvés, de quoi louera-t-il ceux qui seront à sa droite, si ce n'est des œuvres de miséricorde qu'ils auront pratiquées et que Jésus-Christ voudra bien accepter, comme faites à lui-même ? Celui qui a uni la nature humaine à la nature divine, a épousé toutes les infirmités de cette nature qu'il s'est appropriée. Que sera-t-il reproché au contraire à ceux qui seront à la gauche du juge, si ce n'est leur manque de charité, leur dureté, leur inhumanité, les secours qu'ils auront refusés aux pauvres ? Il semble qu'on ne comptera aux prédestinés que leur zèle pour le soulagement des pauvres, et qu'on ne condamnera dans les réprouvés que leur négligence à l'égard de ces mêmes pauvres, comme si Dieu regardait comme

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n'étant rien en comparaison les autres vices et les autres vertus. On attachera un si haut prix, au jour du jugement, à cette charitable libéralité, on traitera avec une telle rigueur cette impitoyable avarice, que l'une tiendra la place de toutes les autres vertus, et l'autre sera réputée l'assemblage de tous les vices. La première ouvrira aux élus la porte du ciel ; l'autre précipitera les réprouvés dans le feu éternel. "

" Que personne ne se fasse illusion sur le mérite de ses vertus, si elles ne sont accompagnées des œuvres de miséricorde ; qu'on ne se rassure point sur l'état de sa conscience, si elle n'a été purifiée par les aumônes Ce sont elles qui effacent l'ordure du péché, qui garantissent de la mort éternelle et qui éteignent les flammes du feu de l'enfer. Celui qui ne pourra faire valoir le mérite de ses aumônes, n'aura point de part aux récompenses accordées alors aux personnes charitables. Salomon dit (Prov., XXI, 13), que celui qui bouche ses oreilles pour ne point entendre les cris du pauvre, ne sera point écouté quand il invoquera le nom du Seigneur. Tobie, traçant à son fils les règles de la piété, lui disait (Tob., IV, 7) : Faites l'aumône de votre bien, ne détournez votre visage d'aucun pauvre, et le Seigneur ne détournera pas non plus son visage de vous. Cette seule vertu donne le prix et le mérite à toutes les autres ; elle vivifie la foi, qui est languissante sans le secours des bonnes œuvres ; comme les bonnes œuvres soutiennent la foi, ainsi la foi soutient les bonnes œuvres. Pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout à ceux qu'une même foi a rendus comme nous serviteurs du Seigneur. Ne nous lassons point de faire le bien, puisque, si nous ne nous relâchons pas de le faire, nous en recueillerons le fruit en son temps (Gal., VI, 10). Il faut semer durant la vie présente ; la moisson se fera au temps de la rétribution ; chacun recueillera des fruits à proportion de ce qu'il aura semé. Personne ne sera frustré des fruits qu'il aura droit de recueillir ; on aura alors plus d'égard à l'intention qu’à la grandeur des libéralités qui auront été faites ; et une modique aumône prélevée sur de modiques revenus, rapportera autant à celui qui en aura fait le sacrifice, qu'une autre plus considérable prise dans la même proportion sur des revenus plus considérables. "

32. S. CHRYSOSTHOME, Hom. XXV in Acta Apostolorum : " Maintenant nous, aussi bien que les pauvres, nous sommes dans la disette : eux, du pain qui leur est nécessaire pour vivre ; nous, de la miséricorde de Dieu dont nous avons un égal besoin. Car

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elle n'est pas moins indispensable pour l'âme, que le pain ne l'est pour le soutien du corps. Ici il n'y a point à craindre un excès de réplétion ; point de parties superflues non plus ou grossière à jeter parmi les immondices. Rien de plus beau, rien de plus fort de santé qu'une âme ainsi nourrie ; elle n'a rien à redouter ni de la maladie, ni de la faim, ni de l'intempérie des saisons, ni du dérangement des humeurs ; aucune puissance ennemie ne saurait prévaloir sur elle ; mais comme un diamant ne peut être entamé ni par le fer, ni par quelque autre chose que ce soit, ainsi rien ne saurait triompher d'une âme qui puise sa force dans la pratique habituelle de l'aumône. En effet, qu'est-ce qui pourrait la vaincre ? La pauvreté ? Cela n'est pas possible, puisque cette âme a toujours à sa disposition les trésors du Roi des rois. Les voleurs et les brigands ? Mais ce ne sont pas eux qui pourront escalader les murs ou sont renfermés les trésors que je viens de dire. Les vers ? Mais ces trésors sont incorruptibles. L'envie, la jalousie ? Mais ils sont également à l'abri de telles atteintes. Les trahisons, les embûches de toutes sortes ? rien de tout cela : le trésor est en sûreté. Mais il ne conviendrait pas que je me bornasse à vous montrer que le mérite de l'aumône n'est exposé à aucun de ces accidents ; je dois de plus vous faire voir les avantages qu'elle rapporte à celui qui la fait. Car non-seulement elle est à l'abri de l'envie ; mais encore elle nous attire des bénédictions de la part de ceux-là même qui seraient mal disposés à notre égard. De même en effet, que les hommes inhumains ont pour ennemis non-seulement les victimes de leur inhumanité, mais encore tous ceux qui, sans avoir reçu d'eux aucun mal, compatissent au malheur de leurs victimes, ainsi ceux qui se montrent au contraire bienfaisants, obtiennent les éloges non-seulement de ceux à qui ils ont fait du bien, mais encore des autres qui n'ont point participé à leurs bienfaits. Ce que je viens de dire par rapport à l'envie, je dois le dire aussi par rapport aux voleurs et à leurs tentatives de toutes sortes, soit qu'ils usent d'adresse, soit qu'ils aient recours a la violence. Non-seulement l'aumône vous met à couvert de toutes ces pertes comme de tous ces dangers, mais encore elle vous procure de très-grandes richesses. Quel homme a jamais été plus coupable et plus digne d'exécration que Nabuchodonosor ? C'était un monstre d'impiété ; il avait été témoin de mille prodiges, et cependant il n'était point rentré en lui-même ; il avait jeté dans une fournaise ardente les fidèles serviteurs de Dieu, quoiqu’ensuite le miracle que Dieu fit à cette occasion ait

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forcé ce roi infidèle de rendre hommage à sa puissance. Que lui dit donc le Prophète : Suivez, ô roi, le conseil que je vous donne : rachetez vos péchés par les aumônes, et vos iniquités par les œuvres de miséricorde envers les pauvres : peut-être que le Seigneur vous pardonnera vos offenses (DAN., IV, 24). Si le prophète employait ce langage, ce n'était pas qu'il doutât de cet effet de l’aumône, dont il était au contraire très-convaincu ; mais c'est qu'il voulait pénétrer le roi d'une plus vive crainte, ainsi que de la nécessité de mettre tout en œuvre pour racheter ses péchés. Car s'il lui avait dit la chose en termes affirmatifs, cela aurait pu lui inspirer une sécurité intempestive. C'est ainsi que nous-mêmes nous disons à quelqu'un : Engagez un tel, sans ajouter : Soyez sûr qu'il vous écoutera, mais en ajoutant simplement : Peut-être vous écoutera t-il, pour que l'incertitude même où nous le laissons le rende plus attentif à tout, plus vigilant, plus précautionné. C'est par le même motif que le Prophète n'a pas dit la chose en d'autres termes plus formels. Quoi donc ? tant d'impiété obtiendront le pardon ? Oui vraiment. Il n'y a pas de péchés que l'aumône ne puisse réparer et effacer entièrement, il n'en est aucun dont elle ne triomphe ; elle est un remède suffisant pour toutes les plaies de l'âme. Quoi de plus vil qu'un publicain ! Un publicain est le symbole même de l'injustice ; eh bien ! toutes ces injustices ont été réparées par l'aumône dans la personne de Zachée. Voyez encore pourquoi Notre-Seigneur a voulu avoir une bourse, et faire porter avec lui les dons qu'il recevait. Saint Paul a dit aussi : (Les apôtres) nous recommandèrent seulement de nous ressouvenir des pauvres (Gal., XI, 10), et les Ecritures sont pleines de pareils témoignages. Les richesses de l'homme, nous dit l'auteur des Proverbes, sont la rançon de son âme (Prov., XIII, 8). Jésus-Christ nous dit à son tour (MATTHX., IX, 21) : Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres ; venez ensuite, et suivez-moi. La perfection est donc attachée à la pratique de l'aumône (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. IX, pag. 204-205, édit. de Montfaucon ; pag. 221-222, édit. de Gaume). "

33. S. AMBROISE, Serm. XV (Nous avons observé que c'est sans preuve que la plupart de ces sermons sont attribués saint Ambroise) : " Si les femmes, lorsqu'elles sont pour recevoir quelques visites, ont coutume d'ôter les taches qu'elles aperçoivent à leurs vêtements, avec combien plus de soin ne devons-nous pas effacer par nos larmes les taches faites par le péché à nos âmes, pour recevoir la visite du Sauveur ? Si

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l'eau ne suffit pas pour emporter les taches d'un vêtement, on emploie en outre l'huile, le savon ; et nous aussi, si nos péchés sont tellement grands que nos larmes ne suffisent pas pour les effacer, joignons à nos larmes l'huile de la miséricorde et l'austérité du jeûne. Car il n'est pas de péchés, quelques énormes qu'ils soient, qui ne puissent être réparés par l'abstinence, effacés par l'aumône. Voici, en effet, ce que dit le Prophète : Comme l’eau éteint le feu, ainsi l'aumône éteint les péchés (Ecclé. III, 33). Elle est donc grande, la vertu de l'aumône, puisque, par l'abondance de ses eaux, elle suffit pour éteindre l'incendie que le péché aurait allumé dans nos âmes, et qu'elle force un Dieu irrité à pardonner à ceux qu'il avait résolu de punir. Elle lui fait en effet une sorte de violence, en l'obligeant à révoquer des sentences de condamnation déjà portées contre nous, et à échanger à l'égard du même homme la sévérité du juge contre la bonté d'un père. Car Dieu est pour nous un père lorsque nous faisons bien, comme il est un juge pour nous lorsque nous faisons mal. Les bonnes œuvres que nous faisons obligent donc Dieu à nous faire miséricorde, et c'est à cause de cela qu'il a dit dans son saint Evangile : Depuis les jours de Jean-Baptiste, le royaume de Dieu souffre violence (MATTH., XI, 12). "

34. S. CHRYSOSTOME, Hom. XXXIV in Genesim : " Apprenons ici à ne pas épargner les aumônes ; pour les choses de peu de prix dont nous aurons fait le sacrifice, Dieu nous en donnera d'un prix inestimable. Car quelle comparaison, dites-moi, pouvez-vous faire entre le sacrifice d'une petite pièce de monnaie et le pardon entier de nos péchés ; entre nourrir un pauvre, et paraître avec confiance au jugement redoutable qui aura lieu à la fin du monde, pour nous entendre adresser ces paroles qui vaudront mieux pour nous qu'un empire : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger (MATTH., XXV, 35) ? Mais celui qui vous promet cette abondance de biens, n'aurait-il donc pu remédier à l'indigence du pauvre ? Il l'aurait pu sans doute ; mais il aime mieux laisser le pauvre dans l'indigence, pour que la patience dont il doit faire preuve puisse être récompensée un jour, et que les aumônes que vous lui ferez vous donnent à vous-même la confiance de paraître devant votre souverain juge. "

" Voyez combien Dieu est bon, et comme il dispose tout pour noire salut. Pénétré donc de cette pensée que c'est en vue de votre propre intérêt qu'il permet que ce pauvre éprouve le tourment de la faim, ne passez jamais devant un indigent sans faire

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acte de miséricorde, et montrez-vous en cela le fidèle dispensateur des biens que le maître de toutes choses vous a confiés, afin de vous attirer les faveurs d'en-haut pour cette charité exercée envers votre semblable. Remerciez en conséquence votre divin maître de ce qu'il permet, à cause de vous et pour votre salut, que cet homme passe sa vie dans la pauvreté afin que vous puissiez trouver le moyen d'effacer vos péchés et de mériter par le bon emploi que vous ferez de ces biens dont il vous a constitué le dispensateur, une gloire dont l'éclat est au-dessus de toute expression comme de toute pensée ; de vous entendre adresser cet éloge : Courage, bon et fidèle serviteur ; parce que vous avez été fidèle en de petites choses, je vous établirai sur de plus grandes : entrez dans la joie de votre maître (MATTH., XXV, 23). "

" Considérons donc les pauvres comme nos bienfaiteurs, en ce qu'ils nous offrent dans leurs personnes de puissants moyens de salut, et donnons-leur avec autant de joie que de libéralité, ne leur faisant point attendre nos aumônes, ne les leur faisant point acheter par des paroles dures, mais leur parlant toujours avec modération et douceur. Prêtez l’oreille au pauvre, nous dit, l'Ecclésiastique et répondez-lui favorablement et avec douceur (Ecclé., IV, 8), en sorte qu'avant de lui verser votre aumône, vous releviez par des paroles bienveillantes son courage abattu par la détresse ; car la douceur des paroles, ajoute l'écrivain sacré, vaut mieux que le don même (Ecclé., XVIII, 16). Tant il est vrai que nous pouvons par nos paroles fortifier le pauvre, et remplir son âme de consolation. Ainsi donc, en faisant l'aumône, n'arrêtons pas notre attention à celui qui la reçoit de nous, mais considérons aussi quel est celui qui a permis qu'il soit dans cet état d'indigence, et qui nous a promis de se faire notre rémunérateur pour le bien que nous lui aurons fait ; et si nous sommes dans ces dispositions, nous nous empresserons de soulager le besoin du pauvre, et nous sèmerons avec abondance, tandis qu'il en est temps encore, pour faire, nous aussi, une abondante récolte. Celui, au contraire, comme nous le dit l'Apôtre, qui sème peu, recueillera peu (II Cor., IX, 6). Jetons donc cette bonne semence d'une main qui ne soit pas du tout avare, pour faire dans le temps une moisson proportionnée à ce que nous aurons semé. Car c'est ici le temps de semer, et je vous exhorte à le mettre à profit, afin qu'au jour de la rétribution, cette semence nous rapporte au centuple, et que nous obtenions miséricorde du Seigneur. Aucune autre bonne œuvre, croyez-moi, ne peut aussi

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parfaitement éteindre l'incendie que nos péchés auraient allumé contre nous, que le fait l'aumône donnée avec abondance : car elle efface nos péchés, nous inspire la confiance en Dieu, et nous assure la jouissance des biens ineffables qu'il nous à promis (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. IV, pag. 342-343, édit. de Montfaucon ; p. 397-398, édit. de Gaume). "

35. PROSPER, Lib. de promissionibus et prædictionibus Dei, part. 2, c. 7 (Cet ouvrage n'est pas de saint Prosper d'Aquitaine, mais d'un certain Prosper d'Afrique. V. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. V, p. 130) : " Notre-Seigneur recommande aux scribes et aux pharisiens un sacrifice d'une espèce nouvelle, quand il leur dit : Faites l'aumône, et tout sera pur pour vous (LUC, XI, 41). Oh ! qu'il est expéditif ce sacrifice, qui en un moment purifie tout l'homme, tant l'homme intérieur que l'homme extérieur ! L'aumône délivre de la mort, et purifie du péché (Tob., IV, 11). L'aumône est une offrande qui rend agréable à Dieu tous ceux qui la font en vue de lui. Elle éteint les feux éternels, et elle arrête les péchés dans leur cours. Elle nourrit Jésus-Christ qui a faim dans la personne des pauvres (MATTH., XXV, 40). Elle le revêt lorsqu'il est nu ; elle le visite lorsqu'il est malade ; elle le reçoit lorsqu'il est en voyage ; elle l'élargit lorsqu'il est en prison ; elle le sauve du besoin ; elle est le remède des riches ; elle est le moyen d'acquisition de la vie éternelle, elle est comme un placement d'argent qui rapporte pour intérêt la jouissance de Dieu ; elle est le prix auquel on achète le royaume des cieux ; elle est la marque qui distingue les agneaux d'avec les boucs ; elle assure aux justes leur place à la droite de Dieu, leur société avec les anges, et leur prérogative d'enfants de Dieu. Accourez, pécheurs, qui que vous soyez ; accourez, vous tous qui vous trouvez couverts de la lèpre du vice ou de l'erreur ; accourez, vous tous que le péché a souillés et rendus impurs ; venez tous offrir ce grand, ce prompt, cet utile sacrifice, et offrez-le avec joie ; car Dieu aime celui qui donne de bon cœur (II Cor., IX, 7). Que chacun lui offre le don que ses moyens lui permettent de lui offrir. C'est le prince des prêtres qui a institué ce sacrifice, dont il a tellement élevé les avantages, qu'il les étend au don même qu'on ferait d'un verre d'eau froide ; et pour le cas où cela même vous manquerait, il promet encore sa paix aux hommes de bonne volonté. "

36. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Hom. V in Evangelia : " En fait de biens extérieurs, Dieu se contente du peu que nous pouvons lui offrir : c'est moins la quantité de nos dons, que l'affection de notre

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cœur qu'il considère. Il n'examine pas la valeur matérielle de nos sacrifices, mais leur proportion avec nos facultés. Car, si nous ne faisons attention qu’à ce qu'il y a d'extérieur dans le sacrifice, nous trouverons que c'est simplement avec une barque et quelques filets que ceux qui nous ont initiés dans ce saint négoce ont gagné les trônes qu'ils occupent aujourd'hui dans le ciel. Le prix auquel on peut acheter ce royaume n'est pas le même pour tous, mais il est toujours égal à la valeur du bien que l'on possède. Zachée l'a acheté avec la moitié de ses biens, il est vrai ; mais c'est qu'il avait réservé l'autre moitié pour restituer au quadruple ce qu'il avait pris injustement. Pierre et André l'ont acheté de même au prix de leurs filets et de leur barque. La veuve de l’Evangile l'a acheté au moyen de deux petites pièces de monnaie ; un autre, pour un verre d'eau froide. Le royaume de Dieu, comme nous venons de le dire, est donc toujours d'un prix égal à la valeur du bien que vous possédez. Trouvez, si vous le pouvez, mes frères, quelque chose qui soit en même temps, et d'un plus bas prix, s'il s'agit du prix vénal, et d'un plus haut prix, s'il s'agit du prix réel. N'auriez- vous pas même un verre d'eau froide à offrir à un indigent, Dieu vous assurerait encore l'acquisition de son royaume, puisque, à la naissance du Sauveur, les habitants du ciel ont crié à ceux de la terre : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux âmes de bonne volonté (LUC, II, 14). Car, aux yeux de Dieu, jamais nos mains ne peuvent être vides d'offrandes qu'il puisse accepter, pourvu que le trésor de notre cœur lui apparaisse rempli de bonne volonté. C'est là aussi ce qui a fait dire au Psalmiste : En moi, ô mon Dieu, sont les vœux que je vous ai faits, et que j'acquitterai à votre louange (Ps. LV, 12). Comme s'il disait : Bien que je n'aie aucun bien extérieur à vous offrir en ce moment, je trouve cependant en moi-même de quoi mettre sur l'autel de vos louanges ; car ce n'est pas de nos dons que vous avez besoin : l'offrande de nos cœurs vous est bien plus agréable. Point d'offrandes, en effet, plus riches aux yeux de Dieu que la bonne volonté (Cf. Les quarante homélies de saint Grégoire, trad. par le duc de Luynes, p. 43-44). "

37. S. AMBROISE, Lib. de viduis : " Ce n'est pas la profession de veuve, mais le mérite de la veuve qui fait son excellence, et Dieu ne laisse jamais sans récompense l'hospitalité donnée, lui

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qui, comme le rapporte l'Evangile, accorde la vie éternelle pour prix d'un verre d'eau froide, et qui, d'une simple mesure d'huile et de farine donnée à son prophète, en fait pour celle qui la donne une source intarissable de biens. . . "

" La valeur de l'aumône s'estime, non au prix du bien qu'on donne, mais au prix de la bonne volonté qu'on y met. La preuve péremptoire de cette vérité, c'est que Notre-Seigneur préfère à toute autre offrande celle de la veuve, dont il a dit : Cette pauvre veuve a donné plus que tous les autres (LUC, XXI, 3). Dans la personne de cette veuve, il nous a appris à tous à ne point nous laisser détourner de ce pieux office, si nous sommes pauvres, par la honte que nous ressentirions d'avoir peu à offrir, et à ne pas nous flatter, si nous sommes riches, de donner plus que les pauvres. Car une simple pièce de monnaie demandée à une petite bourse, est quelque chose de plus à proportion qu'un trésor sollicité d'une grande, et Dieu ne considère pas combien on donne, mais combien on peut donner. Personne ne donne plus, que celui qui ne se réserve rien. Quelle serait votre témérité, riche veuve à qui je parle, de vous préférer à une personne pauvre, parce que toute chargée de dorures, et pouvant à peine porter cette robe ample et de grand prix que vous laissez traîner à terre, comme si vous succombiez sous le poids de vos richesses, vous auriez fait une offrande plus forte que la sienne ? Les fleuves aussi débordent quand ils sont trop pleins ; ce qui n'empêche pas de boire avec plus de plaisir de l'eau d'un petit ruisseau. Le vin nouveau ne manque pas non plus de jeter de l'écume sans que le cultivateur puisse en regretter la perte. Lorsqu'on bat le blé dans une aire, le grain abandonne la paille qui s'en détache mais que la récolte vienne à manquer, la farine du pot de la veuve ne manquera point pour cela, pas plus que l'huile de son petit vase ne viendra à diminuer (I Rois, XVII, 46) ; et tandis que les tonneaux des riches s'épuiseront sans ressource à cause de la grande sécheresse qui régnera sur la terre, le petit vase d'huile de la veuve ne se désemplira point. Ne comptons donc pas ce que vous jetez aux pauvres comme autant de pièces de rebut ; comptons seulement les sacrifices que la charité vous fait faire. Disons, pour dernier trait, que celle-là a donné le plus, qui a pris, pour nourrir le Prophète sur la nourriture de ses propres enfants, et que, comme elle a donné plus que les autres, elle surpasse aussi tous les autres en mérite. "

38. S. LEON-LE-GRAND, Serm. IV de Quadragesimâ : " Que

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personne ne craigne de diminuer ses richesses, ou de se rendre pauvre, en faisant de nombreuses aumônes ; la pauvreté chrétienne est toujours riche, et ce qu'elle possède est plus précieux que ce qui lui manque. Pourquoi redouter la pauvreté en ce monde, puisqu'on possède tout en Dieu ? Ceux qui aiment faire de bonnes œuvres, ne doivent jamais craindre d'en perdre les moyens, puisqu'une pauvre veuve est louée dans l’Evangile pour avoir donne deux oboles, et que Dieu récompense ceux qui donnent un verre d'eau froide en son nom. Le mérite d'une bonne action se mesure par l'intention ; celui dont le cœur est plein de miséricorde trouve toujours l'occasion de l'exercer. La veuve de Sarepta nous en fournit un exemple. "

39. Le même, Serm. VI de Quadragesimâ : " Il n'y a point de bonnes œuvres qui s'accordent mieux avec le jeûne que les aumônes. Sous ce nom sont comprises plusieurs actions de piété ; en sorte que tous les fidèles peuvent également pratiquer les mêmes bonnes œuvres, et avoir le même mérite, quoique leurs facultés soient fort inégales. Il n'y a point d'obstacle qui puisse empêcher l'amour que nous devons avoir pour Dieu et pour les hommes, de se produire au moins par le témoignage de notre bonne volonté. Lorsque les anges disent : Gloire à Dieu au plus haut des deux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (LUC, II, 14), ils nous apprennent que les douceurs de la paix, aussi bien que le mérite de la bienveillance, assurent le bonheur de l'homme qui compatit par un principe de charité à ceux qui sont dans l'affliction, de quelque espèce que soit le malheur où ils sont tombés. Les œuvres de charité s'étendent à bien des choses ; cette variété de moyens fait que, parmi les chrétiens, non-seulement les riches et les personnes aisées, mais les pauvres même et ceux qui n'ont qu'une fortune médiocre peuvent acquérir le mérite de l'aumône. S'ils n'ont pas tous également le moyen de faire des largesses, ils peuvent au moins devenir égaux par la bonté de l'intention. Plusieurs riches faisaient de grands présents au temple sous les yeux de Jésus-Christ ; une pauvre veuve donna seulement deux oboles, et, quelque médiocre que fût son offrande, elle fût préférée à celles de tous les autres suivant le témoignage de Jésus-Christ même. Les pharisiens ne donnaient que leur superflu, et il leur restait encore beaucoup d'argent après leur offrande accomplie ; au lieu que tout le bien de la veuve se réduisait à ce peu dont elle faisait le sacrifice. Si quelqu'un est réduit à une si grande pauvreté qu'il

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n'ait pas le moyen de donner deux oboles à un pauvre, il peut du moins avoir le mérite d'une bonne volonté et les préceptes du Seigneur lui facilitent les moyens de faire l'aumône à peu de frais, puisque, s'il donne seulement à un pauvre un verre d'eau froide, il recevra la récompense de cette action même. Tant il est vrai que Dieu a facilité aux hommes les moyens d'acquérir son royaume, puisque l'aumône qu'on fait en donnant un verre d'eau, dont l'usage est gratuit et commun, ne sera pas sans récompense. Afin d'ôter tout prétexte pour qu'on ne prétende point s'excuser sur la difficulté de faire l'aumône, Dieu a proposé l'exemple d'un verre d'eau froide ; et ainsi, ceux qui manqueraient de bois et ne pourraient donner de l'eau chaude, n'ont point à désespérer pour cela d'obtenir également leur récompense. Mais le Sauveur nous avertit de donner ce verre d'eau froide en son nom, parce que la foi rend précieuse les choses qui ont en elles-mêmes le moins de prix. Les offrandes que font les infidèles, quelque riches et magnifiques qu'elles soient, sont cependant vides de mérites (Cf. Sermons de saint Léon, p. 269-271). . . . . "

40. Le même, Serm. VI de jejunio decimi mensis : " La prière soutenue des œuvres de miséricorde est très-efficace pour obtenir de Dieu tout ce que nous demandons ; celui qui ne ferme point son cœur à la misère des pauvres se rend facilement Dieu propice, selon ces paroles du Sauveur : Remettez, et il vous sera remis ; soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux (LUC, VI, 36). Peut-on imaginer une justice plus remplie de clémence que celle qui abandonne à celui qui doit être jugé la faculté de dresser lui-même sa sentence ? Donnez, et il vous sera donné (LUC, VI, 38). Quel soin Dieu ne prend-il pas de guérir nos défiances et d'ôter tout prétexte à notre avarice, afin que nous donnions avec confiance, puisque la vérité même nous promet de nous en tenir compte, et de nous le rendre avec usure ? "

" Donnez aux pauvres avec assurance, si vous voulez que Dieu vous donne ; semez, si vous voulez recueillir ; répandez, afin de ramasser. Ne craignez pas de faire des dépenses inutiles ; ne vous affligez pas comme si votre récolté était incertaine ; vos biens se multiplient à mesure que vous en faites part avec prudence aux nécessiteux. Dans ce commerce que vous faites avec Dieu, il vous donne des biens éternels pour l'usufruit des biens temporels que vous distribuez dans vos charités ; Dieu souhaite que

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vous soyez libéral et magnifique ; c'est lui qui vous donne les biens que vous possédez, mais il vous ordonne en même temps d'en faire part aux autres, en vous disant : Donnez, et il vous sera, donné. Acceptez avec joie cette condition et cette promesse. Quoique vos biens soient des effets de la libéralité de Dieu à votre égard, il vous tient compte de tout ce que vous donnez en son nom, et rien n'en est perdu pour vous. Que celui qui aime l'argent, et qui cherche un moyen infaillible d'augmenter son bien, ait recours à celle pieuse et sainte usure dont nous parlons ; qu'il apprenne l'art de la pratiquer, afin de s'enrichir en peu de temps ; qu'il ne profite point du malheur et de la nécessité des autres ; qu'il ne fasse point semblant de leur rendre des services trompeurs et intéressés, de peur qu'il ne contracte lui-même des dettes dont il ne pourrait jamais se libérer. Qu'il se fasse le créancier de celui qui a dit : Donnez, et il vous sera donné, on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servi envers les autres. . . . . "

" Vous, mes frères qui croyez avec tant de certitude toutes les promesses de Dieu, tâchez d'éviter celle lèpre infâme de l'avarice, et faites un bon usage des bienfaits de Dieu. Si sa libéralité vous a comblés de biens, cherchez des gens avec qui vous puissiez partager votre bonheur ; plusieurs manquent de ce que vous avez en abondance ; leur indigence et la nécessité où ils se trouvent vous fournit une belle occasion d'imiter la bonté de Dieu ; vous serez comme les canaux de ses bienfaits, et vous les communiquerez aux autres. En dispensant avec cette prudente économie les biens temporels, vous en acquerrez d'éternels. Jeûnons la quatrième férie et la sixième ; employons le samedi en prière dans l'église du bienheureux apôtre saint Pierre, afin que ses prières nous obtiennent les secours et la protection de Dieu, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Cf. Sermons de saint Léon, p. 69-73). "
 
 

Question III

Quels exemples pourrait-on citer de la vertu et des heureux effets de l’aumône ?

L'Ecriture nous propose les exemples d'Abraham et de Lot, qui plurent à Dieu par leur hospitalité, et furent honorés pour cela de la visite des anges ; les exemples de Tobie et du centenier Corneille, dont les aumônes furent assez puissantes pour monter

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jusqu’à Dieu et rester dans son souvenir, en même temps qu'elles eurent non-seulement pour témoins, mais aussi pour approbateurs et panégyristes les anges eux-mêmes ; l'exemple de Zachée qui, touché des leçons de Jésus-Christ et, de chef de publicains qu'il était auparavant, devenu un modèle de miséricorde, donna aux pauvres la moitié de ses biens, et mérite bientôt d'être proclamé enfant d'Abraham par Jésus-Christ lui-même l'exemple de Tabithe, dont saint Luc nous fait l'éloge comme d'une personne remplie de bonnes œuvres et recommandable par les aumônes qu'elle faisait surtout aux veuves ; enfin l'exemple des saintes femmes, si honorablement mentionnées dans l’Evangile, qui avec Marthe et Madeleine assistaient généreusement de leurs biens Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses disciples, compagnons de son indigence.

L'histoire ecclésiastique nous présente en particulier l'exemple de saint Laurent, diacre et martyr, à qui l'Eglise, dans l'office de ce saint, applique si justement ces paroles du Psalmiste : Il a répandu ses biens dans le sein des pauvres, sa justice subsistera dans les siècles des siècles.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Genèse, XVIII, 4-6 : " Le Seigneur apparut à Abraham en la vallée de Mambré, lorsqu'il était assis à la porte de sa tente par la plus grande chaleur du jour. - Comme il levait les yeux, trois hommes lui apparurent près de lui ; dés qu'il les eut aperçus, il courut de la porte de sa tente au-devant d'eux, et se prosternant en terre, - il dit : Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, ne passez pas devant la maison de votre serviteur sans vous y arrêter : - je vous apporterai un peu d'eau pour laver vos pieds, et en attendant vous vous reposerez sous cet arbre,-jusqu'à ce que je vous serve un peu de pain pour réparer vos forces,

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et vous continuerez ensuite votre chemin ; car c'est pour cela que vous êtes venu vers votre serviteur. Ils lui répondirent : Faites ce que vous avez dit. - Abraham courut à sa tente, et dit à Sara : Pétrissez vite trois mesures de farine, et faites cuire des pains sous la cendre, etc. "

2. Ibid., XIX, 1- 3 : " Sur le soir, deux anges vinrent à Sodome, lorsque Lot était assis à la porte de la ville. Les ayant donc vus, il se leva, alla au-devant d'eux et se baissa jusqu'à terre. - Puis il leur dit : Venez, je vous prie, mes seigneurs, dans la maison de votre serviteur, et demeurez-y ; vous y laverez vos pieds, et demain vous continuerez votre chemin. Ils lui répondirent : Nous n'irons point chez vous, mais nous demeurerons dans la rue. - II les pressa de nouveau avec grande instance, et les força de venir chez lui. Après qu'ils furent entrés dans sa maison, il leur fit un festin ; il fit cuire des pains sans levain, et ils mangèrent, etc. "

3. Hébreux, XIII, 1-2 : " Gardez toujours la charité envers vos frères, - et ne négligez pas d'exercer l'hospitalité : car c'est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges à leur propre insu. "

4. Tobie, XII, 12 : " Lorsque vous priiez avec larmes, et que vous ensevelissiez les morts, que vous quittiez pour cela votre diner, et que vous cachiez les morts dans votre maison durant le jour, pour les ensevelir durant la nuit, je présentais vos prières au Seigneur. "

5. Ibid., I, 19-20 : " Tobie allait tous les jours visiter tous ceux de sa parente, les consolait, et distribuait de son bien à chacun d'eux, selon son pouvoir. - Il nourrissait ceux qui avaient faim, revêtait ceux qui étaient nus, et avait grand soin d'ensevelir ceux qui étaient morts ou qui avaient été tués. "

6. Actes, X, 1-4 : " Il y avait à Césarée un homme nommé Corneille, qui était centenier dans une cohorte de la légion appelée l'italienne. - Il était religieux et craignant Dieu avec toute sa famille ; il faisait beaucoup d'aumônes au peuple, et priait Dieu incessamment. - Cet homme, vers la neuvième heure du jour, vit clairement dans une vision un ange de Dieu, qui se présentât devant lui, et lui dit : Corneille. - Lui, regardant l’ange, et saisi de frayeur, répondit : Qu'y a-t-il, Seigneur ? Vos prières, lui dit l’ange, et vos aumônes sont montées devant Dieu, et l’ont engagé à se souvenir de vous, etc. "

7. LUC, XIX, 1-2, 8-9 : " Jésus étant entré dans Jéricho, passait par la ville. - Et il y avait un homme nomme Zachée

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chef des publicains et fort riche. . . - Mais Zachée se tenant devant le Seigneur, lui dit : Seigneur, je vais donner la moitié de mon bien aux pauvres ; et si j'ai fait tort à quelqu'un en quoi que ce soit, je lui en rendrai quatre fois autant. - Sur quoi Jésus dit : Cette maison a trouvé aujourd'hui le salut, parce que celui-ci est aussi enfant d'Abraham. "

8. Actes, IX, 36-41 : " Il y avait aussi à Joppé dans le nombre des disciples, une femme nommé Tabithe, en grec, Dorcas. Elle était remplie de bonnes œuvres et faisait des aumônes abondantes. - Or, il arriva en ce temps-la, qu'étant tombée malade, elle mourut ; et après qu'on eut lavé son corps, on le mit dans une chambre haute. - Mais comme Lydde était prés de Joppé, les disciples ayant appris que Pierre y était, envoyèrent vers lui deux hommes, pour le prier de venir promptement chez eux. - Pierre se levant, s'en alla avec eux. Lorsqu'il fut arrivé, ils le menèrent dans la chambre haute ; et toutes les veuves s'empressèrent autour de lui en pleurant, et en lui montrant les robes et les habits que Dorcas leur avait faits. - Pierre ayant fait sortir tout le monde, se mit à genoux, et pria ; puis se tournant vers le corps, il dit : Tabithe, levez-vous. Elle ouvrit les yeux, et ayant regardé Pierre, elle se mit sur son séant. - Alors Pierre, lui donnant la main, l'aida à se lever ; et ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante. "

9. LUC, VIII, 1-3 : " Et il arriva que Jésus allait de ville en ville, et de village en village, prêchant l’Evangile, et annonçant le royaume de Dieu ; et les douze étaient avec lui. - Il y avait aussi quelques femmes, qui avaient été délivrées des malins esprits et guéries de leurs maladies : Marie, surnommée Madeleine, de laquelle sept démons étaient sortis ; - Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d'Hérode, Suzanne, et plusieurs autres qui l'assistaient de leurs biens. "

10. Id., X, 38 : " Or, comme ils continuaient leur route, Jésus entra dans un bourg, et une femme, nommé Marthe, le reçut dans sa maison, etc. "

11. JEAN, XII, 1-2 : " Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare qu'il avait tout récemment ressuscité. - On lui donna à souper, et Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui étaient à table avec lui. "

42. I Rois, XVII, 8-16, 22-23 : " Le Seigneur parla à Elie en ces termes : - Allez à Sarepta, qui est une ville du pays des Sidoniens, et demeurez-y ; car j'ai commandé à une femme veuve

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de vous y nourrir. - Elie s'en alla aussitôt à Sarepta. Lorsqu'il fut arrivé à la porte de la ville, il aperçut une femme veuve qui ramassait du bois ; il l'appela, et lui dit : Donnez-moi un peu d'eau dans un vase, afin que je boive. - Lorsqu'elle s'en allait lui en quérir, il lui cria derrière elle : Apportez-moi aussi, je vous prie, en votre main une bouchée de pain. - Elle lui répondit : Vive le Seigneur votre Dieu ! je n'ai point de pain ; j'ai seulement dans un pot autant de farine qu'il peut en tenir dans le creux de la main, et un peu d'huile dans un petit vase. Je viens de ramasser ici deux morceaux de bois pour aller apprêter à manger à moi et à mon fils, afin que nous mangions et que nous mourions ensuite. - Elie lui dit : Ne craignez point ; faites comme vous avez dit ; mais faites pour moi auparavant de ce petit reste de farine un petit pain cuit sous la cendre, et apportez-le-moi, et vous en ferez après cela pour vous et pour votre fils. - Car voici ce que dit le Seigneur Dieu d'Israël : La farine qui est dans ce pot ne manquera point, et l'huile qui est dans ce petit vase ne diminuera point, jusqu'au jour où le Seigneur doit faire tomber de la pluie sur la terre. - Cette femme s'en alla donc, et fit ce qu'Elie lui avait dit ; Elie mangea, et elle aussi avec toute sa maison. Et depuis ce jour-là, - la farine du pot ne manqua point, et l'huile du petit vase ne diminua point, selon que le Seigneur l'avait prédit par Elie, etc. "

" Et le Seigneur exauça la voix d'Elie ; l'âme de l'enfant rentra en lui, et il recouvra la vie. - Elie, ayant pris l'enfant, descendit de sa chambre au bas de la maison, le mit entre les mains de sa mère, et lui dit : Voilà votre fils en vie. "

13. II Rois, IV, 8-10, 17-22-33,36 : " Un jour Elisée passait par Sunam, et une femme fort considérable du pays le retint pour manger ; et passant par là, il allait loger chez elle pour y manger. - Alors cette femme dit à son mari : Je vois que cet homme qui passe souvent chez nous est un homme de Dieu et un saint. - Faisons-lui faire une petite chambre, et mettons-y un petit lit, une table, un siège et un chandelier, afin que, lorsqu'il viendra nous voir, il demeure là, etc. "

" Cette femme conçut ensuite, et elle enfanta un fils au même temps et à la même heure qu'Elisée le lui avait annoncé. - L'enfant grandit. Et étant un jour allé trouver son père qui était avec ses moissonneurs, - il lui dit : La tête me fait mal, la tête me fait mal. Le père dit à un de ses serviteurs : Prenez cet enfant, et menez-le à sa mère. - Il le prit et le porta à sa mère et après

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que celle-ci l'eut tenu sur ses genoux jusqu'à midi, il mourut. - Elle monta ensuite à la chambre de l'homme de Dieu, et elle mit l'enfant sur son lit ; puis ayant fermé la porte, elle vint trouver son mari, - et lui dit : Envoyez avec moi, je vous prie, un de vos serviteurs, et je prendrai l'ânesse pour courir après l'homme de Dieu, et m'en revenir, etc. "

" Il ferma aussitôt la porte sur lui et sur l'enfant, et pria le Seigneur. - Après cela il monta sur le lit, et se coucha sur l'enfant ; il mit sa bouche sur sa bouche, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, et se courba sur l'enfant. Et la chair de l'enfant fut réchauffée. - Et étant descendu, il se promena, et fit deux tours dans la chambre. Il remonta encore et se coucha sur l'enfant. Alors l'enfant bâilla sept fois, et ouvrit les yeux. - Elisée appela ensuite Giézi, et lui dit : Faites venir cette Sunamite. Elle vint aussitôt et elle entra dans la chambre. Elisée lui dit : Emmenez votre fils. "

14. Psaume CXI (comme dans le corps de la réponse).
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. LEONCE (Ce Léonce a été cité avec éloge par les Pères du deuxième concile de Nicée, action IV. V. LABB., Conc., t. VII, col. 737), évêque de Néapolis en Chypre, dans la vie qu'il nous a laissée de saint Jean-l'Aumônier patriarche d'Alexandrie : " Humble Zacharie, disait le patriarche à son ministre, soyez miséricordieux, et soyez assuré, je vous le dis de la part de Dieu lui-même, que Dieu ne vous délaissera ni pendant ma vie, ni après ma mort. " Et c'est ce que Zacharie a observé jusqu'ici. Dieu en effet le combla de ses bénédictions et il ne reçoit jamais rien qu'il n'en donne aussitôt une partie aux pauvres, se mettant pour cela à la gêne et réduisant presque à rien sa fortune. Souvent on l'a trouvé disant à Dieu dans l'ivresse de sa joie : " Oui, oui, voyons qui de nous l'emportera, de vous par votre empressement à m'envoyer des secours, ou de moi par le mien à les répandre. Car il faudrait être aveugle pour ne pas voir, ô mon Dieu, que vous êtes riche, et que vous avez compassion des hommes. " Quelquefois, quand il n'a pas à donner sur le moment, il dit d'un air contristé à un marchand ou à un vendeur quelconque : " Donnez-moi un trimessis (le tiers d'un sou d'or), et je vous servirai un mois ou deux, où vous voudrez et de la manière que vous voudrez, parce que les gens de ma maison se meurent de faim. " Et il n'a pas plus tôt reçu ce qu'il

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a demandé, qu'il le donne à un pauvre, en lui recommandant de n'en rien dire à personne. "

Ibidem : " Il n'est pas juste, mes frères (disait Jean lui-même, le jour de son élection au patriarcat), de ne s'occuper de Jésus-Christ qu'après l'avoir fait des autres. " Toute l'assemblée témoignant alors sa stupéfaction par son silence, il ajouta : " Allez par toute la ville, et inscrivez-moi tous mes seigneurs jusqu'au dernier. " Les économes de l'Eglise lui demandèrent avec étonnement quels étaient ses seigneurs et ses maîtres : " Ce sont, leur répondit-il, ceux que vous appelez les pauvres. Car ce sont eux qui pourront nous être véritablement utiles et nous ouvrir le royaume des cieux. " Et cet excellent imitateur de Jésus-Christ, voyant son ordre promptement exécuté, ordonna aux économes de donner tous les jours à chacun des pauvres portés sur le registre les choses nécessaires pour sa subsistance : or ils étaient plus de sept mille cinq cents. Alors, comme un vrai pasteur, et non comme un mercenaire, entouré de tout son troupeau et des saints personnages rassemblés, il consentit, pour obéir à l'ordre divin, à recevoir la consécration épiscopale. "

Ibidem : " Comme j’étais encore en Chypre, disait le saint patriarche, jeune et âgé d'une quinzaine d'années, je vis en songe pendant une nuit une jeune fille dont la beauté surpassait l'éclat du soleil, ornée plus magnifiquement qu'on ne saurait même l'imaginer, qui se présenta et s'arrêta devant mon lit, en me frappant doucement le côté. M’étant réveillé, je la vis réellement debout, et je crus que c'était une femme. Après avoir donc fait le signe de la croix, je lui demandai : " Qui êtes-vous ? et comment avez-vous osé entrer chez moi pendant mon sommeil ? " Or elle avait la tête ceinte d'une couronne d'olivier. Alors, d'un air gai et le sourire sur les lèvres, elle me dit : " Je suis l'aînée des filles du roi. " A ces mots, je m'inclinai aussitôt devant elle. Elle me dit : " Si vous gagnez mon amitié, je vous introduirai chez le roi. Car personne plus que moi n'a de crédit auprès de lui. C'est moi qui l'ai déterminé à se faire homme parmi vous, et à sauver les hommes. " Et ayant dit ces mots, elle disparut. Rendu à moi-même je compris que c'était une vision, et je me dis : Je pense que c'est la Compassion ou l'Aumône, puisqu'elle a sur la tête une couronne d'olivier (Il faut se rappeler que suivant l'interprétation commune des Pères, et en particulier de saint Jean Chrysostôme, l'huile est le symbole de l'aumône ou de la charité). Et en

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effet c'est la compassion et la bonté que Dieu a pour les hommes qui l'a engagé à se revêtir d'un corps mortel. Je m'habillai donc sur-le-champ, et, sans réveiller personne de ma maison, je me rendis à l'église. C'était le moment de l'aurore. Et ayant rencontré un frère qui grelotait de froid, je me dépouillai de mon manteau de chèvre que je lui donnai, en disant en moi-même : Je verrai par-là si c'est une véritable vision que j'ai eue, ou si ce n'est point une illusion du démon. Et je n'avais pas encore atteint le seuil de l'église, que la Vérité elle-même se portant pour garant de cette interprétation donné à ma vision, je vis à ma rencontre un homme vêtu de blanc, qui me mit entre les mains une bourse remplie de cent pièces de monnaie, en me disant ces paroles : " Recevez ceci, mon frère, et disposez-en comme vous l'entendrez. " J'acceptai sur-le-champ, comblé de joie ; puis je me retournai, voulant lui rendre cette bourse dont je ne me trouvais pas avoir besoin ; mais je ne vis plus personne. Je compris bien alors que ce n'était pas une illusion de mon esprit. A partir de ce moment, je ne laissais passer aucune occasion de donner à quelqu'un de mes frères en me disant à moi-même : Je verrai si Dieu me rendra le centuple, comme il l'a promis. Et après avoir commis cette faute de tenter Dieu, et avoir éprouvé à diverses manières la vérité de sa promesse, je me dis : Cesse, misérable de tenter celui à l'égard de qui c'est un crime de le faire. . . . . "

" A Adrion, ville également peuplée, un étranger témoin de sa compassion pour les malheureux, voulut le tenter à son tour, et s'étant couvert de haillons, il s'approcha de lui comme il se rendait à l'hôpital pour visiter les malades qui s'y trouvaient, ce qu'il avait coutume de faire deux ou trois fois chaque semaine. Cet homme donc lui dit : Ayez pitié de moi, car je suis un pauvre prisonnier. Jean dit au domestique chargé de ses aumônes : Donnez à cet homme six pièces de monnaie. L'étranger se retira après avoir reçu ces pièces ; puis, ayant changé de vêtements, il revint par un autre côté, et se jetant aux pieds du patriarche, il lui dit : Ayez pitié de moi, car je suis dans la gêne. Le patriarche dit encore cette fois à celui qui le suivait : Donnez à cet homme sept pièces d'or. Après que l'étranger se fut éloigné, le domestique du patriarche. dit à l'oreille de son maître : La demande que vous m'en avez faite, mon seigneur, est cause que cet homme a reçu deux fois pour une. Mais le patriarche fit semblant de ne pas entendre. Le même homme vint donc une troisième fois pour recevoir comme aux deux premières et le distributeur

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toucha doucement le patriarche, comme pour lui faire signe que c'était toujours le même homme. Alors cet ami de Dieu, cet homme vraiment miséricordieux, lui répondit : " Donnez-lui douze pièces dans la crainte que ce ne soit Jésus-Christ lui-même qui veuille me tenter. "

" Le saint racontait une fois à tous ceux qui se trouvaient rassemblés autour de lui le fait suivant : " J'avais en Chypre un domestique fidèle et qui garda la virginité jusqu'à la fin de ses jours. Celui-ci me disait que, comme j'étais en Afrique, il était arrivé la chose suivante. . . . . Je demeurais, disait-il, avec un receveur d'impôts très-riche et en même temps très-dur pour les pauvres. Un certain jour d'hiver, les pauvres se tenant assis pour se chauffer au soleil, se mirent à faire chacun l'éloge des maisons où on leur donnait l'aumône, et à prier en même temps pour chacun de leurs bienfaiteurs ; puis ils faisaient la critique des maisons où on ne leur donnait rien. En ce moment le nom de mon vieux receveur leur vint à la mémoire et ils se demandèrent les uns aux autres : Et vous, mon frère avez-vous reçu une seule fois quelque bienfait de cette maison ? La même interrogation se répéta de bouche en bouche, et il ne se trouva personne qui pût répondre qu'il en eût jamais rien reçu. L'un d'entre eux dit alors : Que me donnerez-vous, si je parie que je recevrai aujourd'hui même quelque chose de lui ? Le pari fait, il s'en va, et s'arrêta à la porte de cette maison, attendant le moment ou notre homme devait rentrer chez lui. Dieu voulut qu'ils arrivassent tous les deux dans le même moment, et le receveur ouvrit sa porte, en introduisant avec lui un animal chargé de froment mondé pour son diner, et que conduisait un esclave. Ayant donc aperçu le pauvre, il prit de fureur dans l'un des paniers, à défaut de pierre, de ce froment mondé qu'il lui lança à la figure. Lui, il ramassa ce froment, et s'en retourna trouver ses confrères bien content de pouvoir leur dire qu'il avait gagné son pari, puisqu'en effet il avait reçu quelque chose des mains du receveur. Celui-ci donc, deux jours après, ayant été atteint d'une maladie mortelle, se vit lui-même en songe condamné à rendre compte de sa vie, et toutes ses actions pesées dans une balance (On trouvera une pensée semblable dans le discours de saint Jean

Damascène sur les défunts). A l'un des plateaux était rassemblée une multitude de nègres

qui faisaient peur à voir ; à l'autre, quelques hommes habillés de blanc dont le visage respirait l'indignation. Ceux-ci ne trouvant

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point de bonnes œuvres qu'ils pussent mettre dans leur plateau pour contrebalancer les mauvaises qu'entassaient les maures dans le leur, étaient dans le trouble et la tristesse, et se disaient les uns aux autres d'un air consterné : Est-ce que nous n'avons rien ici ? L'un d'eux dit alors : Nous n'avons en vérité rien, si ce n'est un peu de froment mondé qu'il a donné à Jésus-Christ il y a deux jours ; encore ne l'a-t-il fait qu'à son corps défendant. Ils mirent dans leur plateau ce peu de froment, qui ne suffit pas, comme de raison, pour établir l'équilibre. Alors ces hommes habilles de blanc dirent au receveur : Allez, et tâchez de grossir la quantité de ce froment, parce qu'autrement les maures que voilà vont vous emporter. Le receveur, s'étant réveillé en ce moment, reconnut que ce n'était pas là un vain songe, mais une réalité. Il voyait ces éthiopiens ramasser tous les péchés qu'il avait commis depuis sa première jeunesse, et ceux mêmes qu'il avait oubliés, et les porter à la balance, et il disait dans son étonnement : Ah ! si quelques grains de froment que j'ai jetés en fureur m'ont si bien servi, de combien de maux ne se délivre pas celui qui dans sa simplicité donne tous ses biens aux indigents ? Et à partir de ce moment, il devint si humble, si modeste et en même temps si libéral qu'il allait jusqu’à prendre pour donner aux pauvres sur les choses nécessaires à sa propre subsistance. " Voilà les récits que faisait le patriarche Jean de vénérée mémoire. Car il ne se contentait pas d'édifier par ses propres exemples ceux qui voulaient avancer dans la perfection ; mais encore il se servait dans ce but des histoires qu'il savait d'autrui ou que Dieu lui avait fait connaître, et il ne se lassait pas de dire à ceux qui l'entouraient : " Si des hommes ont donné jusqu'à leur sang pour le soutien de leurs frères ou pour mieux dire, pour Jésus-Christ, avec quel empressement comme avec quelle humilité ne devons-nous pas faire part de nos biens à Jésus-Christ dans la personne des pauvres et des indigents, pour en recevoir la récompense du juste juge en ce jour redoutable où chacun recevra selon ses œuvres ? Celui qui sème peu ici-bas recueillera peu ; celui au contraire qui sèmera en abondance, recueillera en abondance, c'est-à-dire qu'il héritera de ces biens dont la grandeur surpasse toute idée. "

L'auteur, parlant ensuite de Troïle qui, averti par le saint patriarche de faire l’aumône, ne l'avait faite que malgré lui, et pour cela était tombé malade, ajoute ces paroles : " Le patriarche ayant appris sa maladie, en devina bientôt la cause,

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c'est-à-dire que c'était pour avoir laissé échapper de sa bourse malgré lui ces vingt livres donnée en aumônes, qu'il était tombé malade. Car, comme je l'ai déjà dit, cet homme était très-dur pour les pauvres et très-attaché à l'argent. Le saint ne pouvant donc pas se souffrir lui-même assis à table pour prendre sa nourriture, tandis qu'un de ses confrères était au lit tourmenté par la douleur, se hâta d'aller le voir sans faste, et lui dit d'un air gai : Faites la charité, mon cher fils Troïle. Vous pensiez que c'était sérieusement que je vous avais dit de donner à nos frères qui se sont présentés à nous ; mais, croyez-moi, je vous prie, c'est pour rire que je vous le disais. Car c'est moi-même qui voulais leur donner à chacun une pièce de monnaie à cause de la fête ; mais comme mon distributeur n'avait pas assez sur lui dans le moment, c'est pour cela que je vous ai prié de me prêter cet argent, et voici trente livres que je vous rapporte. " Quand cet évêque trop ami de l'argent, eut aperçu cette quantité de pièces de monnaie dans les mains de son patriarche, aussi habile médecin qu'excellent pasteur, la fièvre aussitôt le quitta ; il n'en sentit plus même le frisson, la force lui revint, et il guérissait à vue d'œil, preuve non équivoque de la véritable cause du changement survenu à son état de santé. Après qu'il eut donc, sans opposer de difficultés, pris l'argent des mains du saint patriarche, celui-ci attendit à son tour que l'évêque déclarât par écrit qu'il renonçait à l'intérêt de cette somme de trente livres. Troïle le fit avec joie, en écrivant de ses propres mains un billet conçu en ces termes : " Mon Dieu, donnez à mon seigneur le bienheureux Jean, patriarche de cette grande ville d'Alexandrie, l'intérêt des trente livres qui vous ont été données à vous-même, attendu qu'il m'a remboursé ce qui m'en appartenait. " Le saint prit ce billet, et en même temps il emmena l’évêque pour dîner avec lui. Car, comme nous venons de le dire, il avait aussitôt été guéri. Dieu donc, ce juste rémunérateur, voulant corriger l’évêque, et lui inspirer désormais plus de compassion pour les pauvres, lui montra en songe le même jour, après qu'il eut été chez le patriarche, de quelle récompense il s'était privé. L'évêque, comme il le rapporta lui-même dans la suite, vit alors une maison dont les hommes, avec toute leur habileté, ne pourraient jamais imiter la beauté pas plus que la grandeur ; elle avait une porte toute d'or, et sur cette porte l'inscription suivante : Demeure et félicité éternelles de l'évêque Troïle. " Je fus ravi de joie en lisant ces mots, " disait l'évêque en rapportant cette histoire, " car je voyais

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que tout le service de cette maison allait m'être abandonné par le souverain roi. Mais je n'avais pas encore entièrement achevé de lire toute cette inscription, qu'un officier du roi, ayant avec lui d'autres serviteurs, leur dit, dès qu'il fut arrivé à la porte de cette brillante maison : " Enlevez ce titre. " Et quand ils l'eurent enlevé, il ajouta : " Changez-le, et mettez à la place celui dont nous a chargés le roi de l'univers. " Ils l'apportèrent aussitôt et le clouèrent à ma vue, et j'y lus ces paroles : Demeure et félicité éternelles de l'archevêque d'Alexandrie, achetée pour le prix de trente livres. " Après avoir eu cette vision, l'évêque se réveilla, et alla en faire le récit à l'illustre patriarche, devenu qu'il était désormais lui-même fort aumônier, grâce à la leçon qu'il venait d'en recevoir. "

" Un de ses domestiques se trouvant réduit à une extrême pauvreté, il lui donna deux livres d'or de sa propre main, pour que ce fût à l'insu de tout le monde ; et celui-ci lui ayant répondu, en acceptant le présent : " Mon seigneur, je n'oserai plus désormais lever les yeux pour contempler votre figure angélique, " il lui répliqua par cette belle parole : " Mon frère je n'ai pas encore versé mon sang pour vous, comme mon Seigneur Jésus-Christ m'en a fait le commandement. "

" S'il entendait parler de quelqu'un qui fût libéral envers les pauvres, il ordonnait qu'on le fit venir à lui, et, plein de joie, il lui disait en particulier : " Comment êtes-vous devenu libéral pour les pauvres ? est-ce naturellement ou bien en faisant violence à votre nature ? " Les uns se cachaient de honte, n'osant répondre à cette question ; les autres essayaient d'y répondre. L'un de ces derniers fit donc au saint la réponse suivante : " Croyez-moi, mon seigneur, ce que je donne et ce que je fais n'est rien ; mais, si peu que je fasse ou que je donne, je le dois à vos prières. J'étais auparavant dur et cruel pour les pauvres ; mais ayant éprouvé des pertes, j'ai recouru aux expédients pour les réparer, et je me suis dit à moi-même : Si tu étais bon pour les pauvres, Dieu ne t'abandonnerait pas. J'ai résolu en conséquence de donner chaque jour aux pauvres cinq pièces de monnaie de cuivre. Mais, comme je me mettais en devoir de le faire, Satan m'en empêchait en me disant : Vraiment, ces cinq pièces de monnaie suffiront pour pourvoir à ta maison des légumes nécessaires ou pour prendre un bain ; et dès-lors je ne donnais rien, comme si le sacrifice de ce peu d'argent eût dû ôter le pain de la bouche de mes enfants. Voyant à la suite de cela que le vice prenait le dessus sur moi.

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j'ai dit à mon serviteur : " Volez-moi chaque jour cinq pièces à mon insu, et faites-en l'aumône. " Car mon état, c'est l'état de banquier. Mon serviteur m'a obéi, et s'est mis à me voler d'un jour à l'autre. Un jour, j'avais une pièce d'or (Je hasarde cette manière de traduire le mot siliqua, quoique, d’après le dictionnaire de Calepin, que je consulte en ce moment, la pièce dite siliqua ne fût qu'une très-petite pièce de monnaie, et seulement la dixième partie d'une dragme) ; mon serviteur donc, ayant vu que Dieu nous bénissait, et que nous étions devenus riches, se mit à voler des tremisses (dont chacun ne valait que le tiers d'un as), et à en faire la charité aux pauvres. Admirablement surpris de toutes ces bénédictions que Dieu répandait sur moi, j'ai dit à mon serviteur : " Mon fils, ces cinq pièces de cuivre données chaque jour aux pauvres nous ont vraiment profité ; je veux en conséquence que désormais vous leur en donniez dix. " Alors il m'a répondu en souriant : " Allez, priez pour l'heureux succès de tous mes larcins. Car, sans cette ressource, nous n'aurions aujourd'hui pas même de pain à manger, et s'il y a un voleur qui soit juste, c'est moi qui le suis. Puis il m'a avoué qu'il donnait et des tiers de sous et des pièces d'or, et sur la foi de ses paroles, j'ai pris l'habitude de donner largement. " Le saint, merveilleusement édifié de ce récit, dit au généreux banquier : " Croyez-moi, j'ai lu bien des vies des Pères, mais nulle part je n'ai rencontré rien d'aussi enchanteur. "

2. SULPICE-SEVERE, dans la vie qu'il a donnée de saint Martin : " Un jour d'hiver, et par un grand froid dont la violence allait jusqu’à causer la mort à quelques-uns, Martin, qui n'avait sur lui que ses armes et ses habits militaires, rencontra un pauvre nu aux portes de la ville d'Amiens. Comme ce pauvre priait les passants d'avoir pitié de lui, sans qu'aucun daignât s'arrêter seulement à le regarder, l'homme de Dieu comprit que, puisque les autres ne faisaient pas la charité à cet homme, c'était à lui à la lui faire. Mais avec quoi ? Il n'avait rien de plus que son manteau : car il s'était déjà dépouillé de tout le reste pour d'autres bonnes œuvres semblables. Dégainant donc son épée, il partage son manteau en doux, et donnant au pauvre l'une de ces deux moitiés, il se recouvre avec l'autre. Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là ne faisaient qu'en rire, attendu que le vêtement de Martin, tronqué de cette façon, était devenu difforme. Mais beaucoup d'autres, jugeant plus sainement de la chose, pousseront de profonds soupirs, pour n'avoir pas eu le courage de

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faire quelque action semblable, d'autant mieux que, comme ils possédaient davantage, ils auraient pu couvrir le pauvre sans se dépouiller eux-mêmes. La nuit suivante, Martin s'étant livré au sommeil, vit Jésus-Christ vêtu de cette moitié de son manteau qu'il avait donné au pauvre. En même temps le Seigneur oblige Martin de le regarder attentivement, et de reconnaître le vêtement qu'il avait donné. Bientôt il entendit Jésus disant à voix haute à la troupe d'anges qui l'entourait : Martin encore catéchumène m'a revêtu de ce manteau. C'est que Notre-Seigneur n'avait point oublié ce qu'il a dit dans son Evangile : Tout ce que vous avez fait au moindre de mes disciples, c'est à moi que vous l'avez fait (MATTH., XXV, 40), et qu'il reconnaissait avoir été vêtu par Martin dans la personne de ce pauvre. Et c'est en confirmation de son témoignage, qu'il voulut paraître aux yeux de Martin sous ce même vêtement que le pauvre avait reçu de lui. "

3. S. JEROME, ad Eustochium, epitaph. Paulæ, epist. XXII, c. 7 : " Si elle (Paule) voyait un pauvre, elle le soulageait ; si elle voyait un riche, elle l'exhortait à la bienfaisance. Sa libéralité était la seule chose en elle qui dépassait les bornes de la modération. Elle prenait de l'argent à intérêt pour être en état de ne refuser l'aumône à personne, et faisait de nouveaux emprunts pour payer les dettes anciennes. Je confesse ma faute ; comme je lui voyais faire la charité avec tant de profusion, je l'en reprenais par ces paroles de l’Apôtre : Je veux, non pas que les autres soient soulagés et que vous soyez surchargés ; mais, pour qu'il y ait quelque égalité entre vous, que votre abondance pourvoie maintenant à leurs nécessités, afin que votre pauvreté soit un jour soulagée par leur abondance (II Cor., VIII, 13). Je lui opposais encore ce que le Sauveur dit dans l'Evangile : Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n'en a point (Luc, III, 11). Je lui disais qu'elle devait prendre garde de se mettre dans l'impuissance de faire le bien qu'elle aimait tant à faire ; je lui représentais beaucoup de raisons semblables qu'elle détruisait avec une modestie admirable, et en très-peu de mots, prenant Dieu à témoin qu'elle faisait tout pour son nom, qu'elle souhaitait de mourir en mendiant elle-même, de ne pas laisser à sa fille la moindre pièce de monnaie, et d'être ensevelie après sa mort dans un suaire fourni par la charité d'autrui. Elle disait enfin : Moi, si je demande, je trouverai beaucoup de gens qui me donneront ; mais ce mendiant, si je ne lui donne pas, moi qui puis emprunter pour lui donner, et qu'il vienne à mourir, a qui Dieu demandera-t-il compte de

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sa mort ? - Je souhaitais qu'elle prit un peu plus de soin de ses affaires domestiques ; mais, dans l'ardeur de sa foi, elle s'unissait de toute son âme au Sauveur, et pauvre d'esprit, suivait Jésus pauvre, lui rendant tout ce qu'elle avait reçu de lui, et se réduisant pour l'amour de lui à l'indigence. Enfin, elle a vu ses désirs accomplis, puisqu'elle a laissé sa fille chargée de dettes considérables, qu'elle n'a pu encore payer, et qu'elle espère acquitter un jour, se confiant pour cela, non point en ses propres forces, mais dans la miséricorde du Christ. "

" La plupart des matrones ont coutume de combler de bienfaits ceux qui publient leurs louanges, et, prodigues envers quelques personnes, de détourner leurs mains de toutes les autres. Paula n'eut rien de ce défaut. Elle distribuait ses gratifications suivant les besoins de chacun, n'entretenant point une honteuse mollesse, et pourvoyant à des nécessités réelles. Jamais un pauvre ne revint d'auprès d'elle les mains vides ; elle trouvait, non pas dans de grandes richesses, mais dans sa prudence, dans la manière de distribuer ses aumônes, le moyen de donner toujours, ayant sans cesse à la bouche ces paroles : Bienheureuses les âmes miséricordieuses, parce qu'elles obtiendront miséricorde (MATTH., V, 7). Et ces autres : De même que l'eau éteint le feu, de même l'aumône éteint le péché (Ecclé., III, 33). Et encore : Faites-vous avec l'argent d'iniquité des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels (LUC, XVI, 9). Et ces autres paroles : Donnez l'aumône, et tout sera pur pour vous (LUC, XII, 41). Elle se rappelait aussi les paroles de Daniel au roi Nabuchodonosor, à qui le prophète conseillait de racheter ses péchés par des aumônes (DAN., IV) (Cf. Lettres choisies de saint Jérôme, trad. par Collombet, t. IV, pag. 390-395). "

4. S. GREGOIRE de Tours, Lib. de gloriâ confessorum, c. 107 : " Il y eut un personnage vénérable pour la sainteté de sa vie, appelé Paulin, issu d'une race noble de la ville de Nole, qui avait épousé une femme de pareille vertu, appelée Tarasie, fort opulente en biens meubles et immeubles. Mais quand il eut ouï cette leçon de l’Evangile, en laquelle le Seigneur dit à ce jeune homme qu'il reprenait pour ses richesses : Va, vends ce que tu as, et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel ; puis viens et suis-moi, car il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu’à un riche d'entrer dans le royaume des cieux ; ces paroles lui touchèrent le cœur ; et tout aussitôt ayant vendu ses biens, il les donna aux pauvres. S’étant donc déchargé de

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toutes sortes de convoitises, il se sentit libre et dégagé pour suivre partout son maître, se persuadant bien qu'il s'enrichirait par ce moyen des trésors du ciel, s'il se voyait dépouillé de tous les biens de la terre qui ne font que passer. Celui-ci fait connaître par son action qu'il est possible d'accomplir ce qui avait donné sujet à la Majesté divine de dire d'un autre dans l'Evangile, qu'il était comme impossible aux riches d'arriver au ciel avec des richesses. Un jour, quelqu'un lui demandant l'aumône, il dit à sa femme : " Allez et donnez-lui ce dont il a besoin. " Sa femme répondit : " Nous n'avons plus qu'un pain. " - " Eh bien, lui dit-il, donnez-lui ce pain, le Seigneur nous donnera de quoi vivre. " Mais elle, comme bien avisée, souhaitant de se réserver quelque chose en cas de nécessité, ne voulut point le donner. Cependant quelques-uns arrivèrent qui dirent, qu'ils étaient envoyés de leurs maîtres pour les avertir d'envoyer du pain et du vin en espèce, et qu'ils ne faisaient là quelque séjour que parce que la tempête avait fait périr un vaisseau qui leur venait chargé de blé. Alors l'homme de Dieu, se tournant vers sa femme, lui dit : " Apprenez maintenant que ce navire a péri en punition de ce qu'on a volé un pain à un pauvre. " Il s'en alla donc avec sa femme, comme s'il eut voulu passer dans un autre pays, n'ayant rien du tout que sa propre personne (Cf. Œuvres de saint Grégoire de Tours, traduction ancienne). "

5. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Lib. III dialogorum, c.1 : " L'Italie, la Campanie en particulier, se trouvant désolée par les incursions des Vandales, et beaucoup d'habitants de ce pays ayant été emmenés en Afrique, Paulin, cet homme de Dieu, fit généreusement le sacrifice de tous les biens de son église dont il pouvait disposer pour aider les captifs dans leur besoin. Et comme il ne lui restait plus rien pour satisfaire aux demandes qu'on lui adressait de tous côtés, une veuve, dont le fils avait été emmené en captivité par le gendre du roi des Vandales, se présenta un jour à lui pour lui exposer son malheur, le priant de lui donner de quoi racheter son fils et le rappeler auprès d'elle, si toutefois le prince barbare daignait en accepter la rançon L'homme de Dieu, après avoir cherché avec sollicitude ce qu'il pourrait accorder à la prière de cette mère désolée ne trouva rien à lui offrir dans toute sa maison que sa personne même, et en conséquence il lui répondit en ces termes : " Femme, je n'ai rien à vous donner ; mais prenez-moi, déclarez que je suis un esclave qui vous appartient, et, pour ravoir votre fils, livrez-moi en servitude en sa

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place à son maître. " La femme, entendant ces paroles, crut que c'était une plaisanterie, plutôt qu'un témoignage de pitié. Mais cet homme éloquent, dont les connaissances même profanes relevaient si hautement le mérite, eut bientôt dissipé tous les doutes de cette veuve, en lui persuadant de le prendre au mot, et de le livrer en servitude, tout évêque qu'il était pour pouvoir par ce moyen recouvrer son fils. Ils se rendirent donc tous les deux de compagnie en Afrique. Le gendre du roi, à qui appartenait le prisonnier, s'étant avancé, la veuve commença par lui représenter, tout en le suppliant, qu'il devrait lui rendre son fils. Ce que le prince barbare, dont l'orgueil habituel était encore enflé par ses succès du jour, ne daignant ni faire, ni même écouter la veuve dit enfin : " Voici quelqu'un que je vous offre en remplacement de mon fils ; seulement soyez bon pour moi, et rendez un fils unique à la prière de sa mère. " Le prince, considérant alors la belle physionomie de l'évêque lui demanda quel art il savait exercer. L'homme de Dieu lui répondit : " Je ne sais aucun métier, mais je pourrai pourtant cultiver votre jardin. " Le prince gentil fut enchanté de cette réponse, et l'acceptant aussitôt pour esclave, il rendit à la veuve le fils qu'elle lui redemandait. La veuve, contente d'avoir recouvré son fils, quitta avec lui sans délai le sol d'Afrique, tandis que Paulin resta pour soigner le jardin du prince barbare. Et comme ce prince faisait souvent la visite de son jardin, et qu'il s'amusait à questionner son nouveau jardinier, charmé de la sagesse de toutes ses réponses, il se prit à déserter la société de ses amis les plus intimes ; pour jouir de préférence de la conversation de son esclave. Chaque jour Paulin lui apportait des légumes et des herbes vertes pour le service de sa table, et après avoir reçu pour salaire un morceau de pain, il retournait au jardin reprendre son travail. Après avoir longtemps mené ce genre de vie, il dit un jour secrètement à son maître : " Voyez ce que vous avez à faire, et songez à la manière dont pourra être gouverné le royaume des Vandales ; car, dans très-peu de temps, le roi va mourir. " Le prince ayant entendu ces mots, ne sut pas les garder pour lui-même et comme il savait être aimé du roi par-dessus tous les autres de sa famille, il ne craignit pas de lui rapporter ce que lui avait dit son jardinier, de la sagesse duquel il lui fit en même temps l'éloge. Le roi ne l'eut pas plus tôt entendu, qu'il lui répondit : " Je voudrais bien voir cet homme dont vous me parlez. " Son gendre lui dit alors : " Il a coutume

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de m'apporter tous les jours des herbes vertes pour le service de mon dîner. Je vais donc lui ordonner de vous les apporter pour votre table à vous-même, afin que vous puissiez connaître celui qui m'a dit ces choses. " Et c'est ce qui fut fait. Tandis que le roi était à son dîner, Paulin arriva à son palais, chargé des légumes et des herbes vertes de sa culture qu'il avait à lui présenter. A son aspect, le roi fut saisi de terreur, et ayant fait venir son maître, qui était son gendre à lui-même il lui révéla le secret qu'il avait gardé jusque-là, et lui dit : " Ce que cet homme vous a dit est vrai. Car, cette nuit dernière même, j'ai vu en songe des juges assis sur leurs tribunaux et prêts à me condamner, et parmi eux était l’homme que voici, et par suite de leur jugement porté sur moi, on m'enlevait des mains le fouet que je tenais auparavant pour châtier les autres. Mais demandez-lui à lui-même ce qu'il est : car je ne doute pas qu'un homme d'un aussi grand mérite ne soit un personnage distingué. " Alors le gendre du roi prit Paulin à part, et lui demanda ce qu'il était. L'homme de Dieu lui répondit : " Je suis votre serviteur, accepté de vous pour captif en remplacement d'un fils de veuve. " L'autre faisant instance, et le pressant à plusieurs reprises de lui déclarer non pas précisément ce qu'il était, mais ce qu'il avait été dans le monde, l'homme de Dieu, se rendant enfin à tant de prières, et ne pouvant plus nier ce qu'il était véritablement lui déclara qu'il était évêque. A ce mot, son maître fut saisi de crainte, et lui dit alors avec beaucoup de respect : " Demandez-moi ce que vous voudrez, pour que je vous renvoie chargé de présent dans votre pays. " L'homme de Dieu lui répliqua : " Je ne vous demande qu'une grâce, que vous pouvez m'accorder : c'est la mise en liberté de tous mes concitoyens. " On s'empressa alors de chercher par toute l'Afrique tout ce qu'il pouvait y avoir de prisonniers du pays de Paulin, et à sa recommandation, on les remit en liberté, et on les embarqua avec lui sur des navires chargé de froment. Peu de jours après le roi des Vandales mourut, et laissa par-là même tomber de ses mains le fouet dont Dieu avait permis qu'il fit usage pour châtier les fidèles. Et c'est ainsi que fut vérifiée la prédiction de l'illustre serviteur de Dieu, et que, pour s'être livré tout seul en esclavage, il obtint l'avantage pour beaucoup de captifs d'être mis en liberté avec lui, imitant de cette manière celui qui a pris la forme d'esclave, afin que nous cessions nous-mêmes d'être esclaves du péché. Paulin, se mettant à la suite de ce grand maître, a bien voulu se dévouer

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seul subir quelque temps l'esclavage, pour obtenir bientôt avec sa liberté celle d'une multitude d'autres captifs. "

9. S. GREGOIRE de Tours, Histor. Francorum, lib. V, c. 19 (al. 20) : " Quand l'empereur Justin eut perdu l'esprit, comme l'empire n'était plus gouverné que par l'impératrice Sophie sa femme, les peuples élurent Tibère en qualité de César, prince rempli de mérites, brave, prudent, charitable pour les pauvres, et toujours prêt à prendre leur défense. Comme il leur avait distribué une bonne partie des trésors amassés par Justin, l'impératrice l'en reprenait fort souvent, sous prétexte qu'il réduirait enfin la république à une extrême pauvreté et elle lui disait : " Ce que j'ai amassé en beaucoup d'années, vous le dissipez en peu de temps avec une profusion étrange. " - Non, non, lui répondait-il, il n'y en aura pas moins pour cela dans nos coffres, tant que nous ferons l'aumône aux pauvres, et que nous rachèterons les captifs ; car certainement il se trouve en ceci un grand trésor, comme le dit Notre-Seigneur (MATTH., VI, 20) : Amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni la teigne, ni la rouille ne les puissent corrompre, et où les larrons ne puissent pénétrer pour les dérober. En donnant donc aux pauvres de ce que Dieu nous a donné, amassons des trésors au ciel, afin que le Seigneur veuille bien nous les grossir en ce siècle. " Et parce que, comme je l'ai déjà dit, ce prince était véritablement chrétien tandis que d'une main il secourait les pauvres non sans en ressentir dans son cœur une joie secrète, Dieu lui donnait de plus en plus les moyens d'exercer sa charité. "

" En effet, comme il se promenait un jour dans son palais, il vit par terre une pierre de marbre sur laquelle était empreinte une croix de Notre-Seigneur, et il dit il cette vue : " Quoi, Seigneur, nous munissons notre front et notre poitrine du signe de votre croix, et nous la foulons ici sous nos pieds ! " Et aussitôt il commanda de la relever de terre. Mais alors on trouva dessous une autre pierre de marbre, sur laquelle était aussi cette même figure de la croix. Cela lui ayant été rapporté, il commanda que cette autre pierre fut pareillement enlevée ; puis il s'en trouva encore une troisième qu'il fit ôter de même et au-dessous de cette pierre on trouva un grand trésor pesant plus de cent mille livres d'or, lequel étant ôté de là, l'empereur fit encore plus abondamment des aumônes qu'il n'avait fait auparavant ; et à cause de sa bonne volonté, Notre- Seigneur ne permit pas qu'il manquât jamais de rien.

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" Je ne passerai point ici sous silence ce que Notre-Seigneur lui envoya ensuite. Comme Narsès, ce grand capitaine des armées d'Italie, possédait une maison dans une certaine ville, il y transporta de l'Italie beaucoup de trésors ; puis il y fit creuser une grande citerne, où il entassa plusieurs millions de pièces d'or et d'argent, et il fit mettre à mort tous ceux qui pouvaient en avoir eu connaissance, excepté un seul vieillard qui le savait aussi, et à qui il recommanda le secret. Puis, quand Narsès fut mort, le vieillard voyant les aumônes que faisait l'empereur, vint le trouver exprès pour lui dire : " César, je vous déclarerais volontiers une chose d'importance, si je pouvais en espérer quelque utilité. " L'empereur lui répliqua : " Dites ce que vous voudrez ; car si c'est quelque chose qui me soit utile, vous en aurez votre part. " - " J'ai, lui dit-il alors, un trésor caché qui appartenait à Narsès, chose que je ne puis plus dissimuler, maintenant que je me vois sur la fin de ma vie. " Alors Tibère César, ravi de savoir la chose, envoya ses gens à la découverte de ce trésor. Se mettant donc à la suite du vieillard qui marchait devant eux, ils arrivèrent à la citerne qu'ils ouvrirent, entrèrent dedans, et y trouvèrent une si grande quantité d'or et d'argent, qu'à grand’ peine put-elle être vidée par eux en plusieurs jours. Ils portèrent tout cet argent à l'empereur, qui en fit alors de grandes largesses et le distribua joyeusement à tous les indigents. "

10. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Dialog. lib. II, in vitâ S. Benedicti, c. 28 : " Comme la Campanie était affligée d'une grande disette, l’homme de Dieu (S. Benoît) avait distribué aux indigents toutes les provisions que son monastère pouvait posséder, de sorte qu'il ne restait plus dans le cellier qu'un peu d'huile renfermé dans un vase de verre. Alors survint un sous-diacre nommé Agapit, qui pressa le saint de lui donner quelque peu d'huile. L'homme de Dieu, qui avait pris son parti de tout quitter sur la terre pour tout gagner dans le ciel, ordonna qu'on remît à cet homme ce peu d'huile qui lui restait. Mais le moine chargé du soin du cellier, quoiqu'il eût bien entendu les paroles de son abbé, différa d'exécuter un ordre de cette nature. Bientôt interrogé et pressé de dire s'il avait obéit, le moine répondit qu'il n'avait rien donné, parce que, s'il l’eût fait, il ne serait rien resté pour la communauté. Alors l'homme de Dieu tout en colère ordonna à d'autres moines de jeter par la fenêtre ce vase de verre, où il y avait encore quelque peu d'huile, afin qu'il ne restât rien dans le cellier qui fût le fruit de la désobéissance ; et cet ordre fut exécuté.

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Or, au bas de cette fenêtre était un grand précipice hérissé de rochers. Le vase de verre une fois jeté arriva donc jusqu'aux rochers, mais sans en recevoir de mal, et aussi entier que s'il y eut été déposé à la main, de sorte que non-seulement il ne fut pas brisé, mais qu'il ne perdit même rien de l'huile qu'il contenait. L'homme de Dieu ordonna en conséquence de le retirer, et de le remettre à celui qui en avait fait la demande. Puis ayant rassemblé tous les frères, il reprit en présence d'eux tous le moine rebelle de son orgueil et son infidélité. "

11. Ibidem, c. 29 : " Celle réprimande faite, il se mit en prière avec les mêmes frères assemblés. Or, dans ce même lieu où ils priaient ensemble, était un tonneau vide et couvert ; et comme le saint demeurait en prières, le couvercle de ce tonneau vint à être soulevé par l'huile qui montait. Bientôt il sauta de dessus le tonneau, et l'huile qui ne cessait de monter, dépassant bientôt les bords du tonneau, inonda le plancher sur lequel il portait. Benoit s'en étant aperçu mit fin aussitôt à sa prière, et à l'instant même l’huile cessa de se répandre. Alors le serviteur de Dieu avertit avec encore plus d'autorité le frère pusillanime et désobéissant, d’avoir à l'avenir plus d'humilité et de confiance en la Providence. Cet avertissement salutaire fit rougir de lui-même le frère qui l'avait reçu : car les miracles qui venaient de s'opérer lui rendaient visible la puissance de Dieu : et comment douter après cela des promesses da Celui qui en un moment avait rempli d'huile un tonneau tout entier, en récompense du sacrifice que le saint venait de faire d'un vase de verre, presque vide ? "

12. Le même, Hom. XXXIX. in Evangelia : " Mais comme ordinairement ceux qui nous écoutent sont plus fortement excités à l'amour de Dieu et du prochain par les exemples que par les paroles, j'ai hâte de vous rappeler, mes frères, un miracle que mon fils ici présent, le diacre Epiphane, natif de la province d'Isaurie, aime à nous raconter, comme s'étant passé en Lycaonie, pays voisin du sien. Il dit qu'il y avait dans cette contrée un très saint moine nomme Martyrius, qui sortait de fois à autre de son monastère pour aller en visiter un autre gouverné par un Père fort avancé dans les voies de la spiritualité. Dans sa route, il rencontra un lépreux couvert d'une lèpre fort épaisse, qui voulant se rendre à son gîte ne le pouvait par excès de lassitude. Cet homme lui ayant dit que son gîte était situé au même lieu où le saint se hâtait de se rendre, celui-ci, ému de compassion, étendit aussitôt à terre le manteau qui le couvrait, y plaça le lépreux,

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et l'y ayant lié le prit sur ses épaules, et l'emporta ainsi avec lui. Comme il approchait de la porte du monastère, le père spirituel du lieu se mit à crier de toutes ses forces : " Accourez, ouvrez vite tous les battants, parce que le frère Martyrius nous arrive portant Notre-Seigneur sur ses épaules. Quand Martyrius fut sur le seuil, celui qu'il croyait être un lépreux se détachant de son cou, et reprenant la forme sous laquelle il a coutume de se faire reconnaître à nos yeux pour le rédempteur du genre humain l’homme Dieu Jésus-Christ, remonta au ciel à la vue de Martyrius, en lui disant en même temps ces paroles : Martyrius, tu n'as pas rougi de moi sur la terre ; je ne rougirai pas non plus de toi au plus haut des cieux. . . . . Quand le saint homme fut ensuite entré dans le monastère, le supérieur lui dit : " Frère Martyrius, où est celui que vous portiez ? " Martyrius lui répliqua : " Si j'avais su qui il était, j'aurais embrassé ses pieds. " Puis il raconta que, tandis qu'il le portait, il n'en sentait nullement le poids. Cela

n'est pas étonnant ; comment pouvait-il sentir le poids de celui qu'il portait, pendant que celui-ci le portait lui-même (Cf. Les quarante homélies de saint Grégoire sur les Evangiles, trad. par le duc de Luynes, p. 512-513) ? "

13. JEAN DIACRE, in vitâ divi Gregorii papæ, lib. I, c. 10 : " L'ange de Dieu trouvant Grégoire occupé à écrire suivant sa coutume, prit les apparences d'un homme qui sortait de faire naufrage, et qui implorait sa pitié. Grégoire fortement ému de compassion lui donna par deux fois trois pièces de monnaie, et puis le congédia. Peu de temps après et le même jour, le prétendu naufragé revint pour lui exposer qu'il avait perdu beaucoup et reçu peu en indemnité ; le saint, prenant un air gai, lui donna six pièces de monnaie, et le congédia de nouveau. Mais trois jours après, notre homme revint encore, et ne se lassait pas de réclamer des secours. Le saint, tant était grande sa générosité, manda le domestique chargé de son vestiaire, et lui ordonna de remettre encore au mendiant six pièces de monnaie ; mais le domestique lui rapporta qu'il n'avait rien trouvé dans le vestiaire qu'il pût remettre au naufragé. Le saint ne savait comment se tirer de cet embarras. Son cœur brûlant de l'amour de son Dieu ne pouvait se faire à l'idée de ne point venir en aide à son prochain malheureux. Ayant donc demandé de nouveau à son domestique s'il n'avait pas quelque vase ou quelque vêtement qu'il pût donner, celui-ci lui répondit qu'il ne lui restait pas autre chose qu'un petit plat d'argent, dans lequel sa mère avait cou-

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tume de lui envoyer des légumes. " Eh bien ! " dit aussitôt le saint remis en gaieté, " apportez-moi ce plat, pour que le pauvre qui demande à être soulagé ne se retire pas mécontent. " Ce plat lui ayant donc été apporté, Grégoire le remit d'un air assez gai au prétendu pauvre, qui l'embrassa satisfait, et qui ne devait plus revenir que pour lui donner son tour. Et en effet, à partir de cette visite de l'ange, le saint fit tant de miracles éclatants tant d'œuvres extraordinaires, qu'il inspirait à tout le monde le respect avec le désir de l'imiter ; car on croyait, d'après des signes évidents qu'il n'était pas seul, mais que l'apôtre saint André était avec lui pour gouverner de concert son monastère. "

14. Ibidem, lib. II, c. 22 : " Monté sur le siège patriarcal, Grégoire montra toujours une telle hospitalité que, sans compter ceux qu'il aidait charitablement de ses revenus ecclésiastiques, tant dans les diverses provinces qu’à Rome même, où se trouvait une multitude de réfugiés échappés au glaive des Lombards, il invitait tous les jours à sa table tous les étrangers qui se présentaient. Parmi ces derniers, il en vint un à qui le saint, par humilité, voulant verser l'eau dont il devait se laver les mains, se détourna un instant pour prendre le vase qui la contenait ; mais s'étant retourné, il ne put retrouver celui à qui il avait voulu rendre cet office. Tandis qu'il cherchait en lui-même à s'expliquer ce prodige, le Seigneur lui apparut la nuit même de ce jour-là, et lui fit entendre ces paroles : Les autres jours tu m'avais nourri dans mes membres, mais hier tu m'as nourri dans ma personne même. "

15. Ibidem, c. 23 : " Une autre fois Grégoire, selon sa coutume, donna l'ordre à son sacriste d'inviter douze étrangers. Celui-ci exécuta l'ordre de son maître et rangea à table ces nouveaux convives. Au milieu du repas, le pape levant les yeux, en compta treize au lieu de douze, et mandant aussitôt le sacriste, il lui demanda pourquoi, contre l'ordre qu'il lui avait donné, il s'était permis d'en inviter un treizième. Le sacriste stupéfait compta avec une nouvelle attention les convives réunis et n'en trouvant que douze, il répondait avec assurance : " Croyez-moi, très-Saint-Père ils ne sont que douze, ainsi que vous me l'aviez recommandé. " Puis, sans rien perdre de sa conviction, il revenait à compter les convives, qu'il trouvait toujours être au nombre de douze, parce qu'il ne pouvait voir le treizième, que Grégoire seul pouvait voir. Le saint remarqua bientôt que le convive assis le plus près de lui changeait fréquemment de visage, et prenait la physionomie tantôt d'un jeune homme, tantôt d'un vénérable

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vieillard à cheveux blancs. Le repas fini, il permit aux douze autres de s'en aller ; mais il retint ce treizième et le prenant par la main, l'introduisit dans sa chambre, en lui faisant de vives instances pour qu'il consentit à lui dire franchement quels étaient son nom et sa qualité. " Pourquoi, " lui répondit l'inconnu, " me demandez-vous mon nom, qui est ineffable ? Apprenez cependant, en recueillant vos souvenirs, que je suis ce naufragé qui se présenta autrefois à vous, pendant que vous écriviez dans la cellule de votre monastère du coteau de Scaurus, et à qui vous donnâtes douze pièces de monnaie, et ensuite un petit plat d'argent que votre bienheureuse mère Sylvie vous avait envoyé rempli de légumes. Soyez donc assuré qu'à partir du jour où vous m'avez fait ce présent d'un si bon cœur, Dieu vous a destiné à devenir le chef de sa sainte Eglise, pour laquelle il a répandu son sang, et à être le vicaire et le successeur de Pierre, prince des apôtres, dont vous avez imité la vertu, et qui, lui aussi, distribuait aux autres les dons qu'on lui faisait, selon que chacun en avait besoin (Act., IV, 33). " - " Eh ! comment, " reprit Grégoire, " savez-vous que le Seigneur m'ait destiné dès-lors à gouverner sa sainte Eglise ? " - " C'est, " lui répondit l'inconnu, " que je suis son ange, et que c'est lui qui m'avait chargé à cette époque d'éprouver vos dispositions. " Grégoire, à qui l'ange ne s'était pas découvert jusque-là fut saisi de crainte à ces paroles ; mais l'ange lui fit en même temps entendre les suivantes : " Ne craignez pas, soyez sans alarme. Car le Seigneur m'a renvoyé à vous pour que je sois votre gardien tant que vous serez dans ce monde, et pour vous donner l'assurance d'obtenir par mon entremise tout ce que vous pourrez demander. " A ces mots, Grégoire se jeta la face contre terre en disant : " Si le Seigneur tout-puissant, pour récompense d'un si faible présent, m'a fait l'insigne honneur de me choisir pour pontife de sa sainte Eglise, en me donnant son ange pour gardien, quelle ne sera donc pas la récompense qu'il me destine, si, faisant tous mes efforts pour accomplir ses préceptes, je m'attache, maintenant que j'ai davantage, à faire des aumônes plus abondantes ? "

On peut également consulter dans le même auteur les chapitres qui font suite à celui-ci.

16. Le V. BEDE, Anglic. histor. lib. III, c. 6 : " Le roi Oswald (roi des Northumbriens), et toute sa nation avec lui, furent initiés par l'évêque Aïda à la connaissance des vérités chrétiennes ; et ce prince non-seulement apprit de lui à espérer

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le royaume des cieux qu'avaient ignoré ses maîtres, mais de plus il étendit son royaume sur cette terre même plus que ne l'avait fait aucun de ses prédécesseurs, grâce à la protection de ce grand et unique Dieu qui a fait le ciel et la terre. Pour tout dire en quelques mots, il soumit à son pouvoir toutes les nations et toutes les provinces de la Bretagne, divisées en quatre langues, savoir : celle des Bretons, celle des Pictes, celle des Scots et celle des Angles. Maigre toute l’élévation et toute la gloire de son trône, il n'en demeura pas moins, ce qui est vraiment admirable, toujours humble, toujours bon et libéral pour les pauvres et les étrangers. Enfin, voici ce qu'on rapporte à son sujet : un jour de Pâques qu'il s'était mis à table pour diner avec l’évêque nommé plus haut, comme on avait servi devant lui un plat d'argent rempli de mets délicats, et que l'évêque et lui allaient élever leurs mains pour bénir le pain, il vit tout d'un coup entrer celui de ses officiers à qui il s'en remettait du soin des pauvres, et qui vint lui dire qu'il était accouru de tous côtés une multitude de pauvres, répandus le long du chemin et demandant à grands cris quelque aumône du roi. A cette nouvelle, le roi fit porter à tous ces pauvres les mets préparés pour lui-même ; puis il fit mettre en pièce le plat d'argent, et ordonna qu'on leur en partageât les morceaux. L'évêque témoin de ce prodige de charité en fit compliment au prince, en lui prenant la main droite et lui disant ces paroles : " Fasse le ciel que jamais cette main ne vieillisse ! " Le souhait du saint évoque fut accompli. Car le roi Oswald ayant été tué dans une bataille, on sépara du reste de son corps ses deux bras avec les mains, qui sont restées incorruptibles jusqu'à ce jour. Enfin, on les conserve renfermée dans une châsse d'argent, dans l'église de Saint-Pierre de la ville royale de Debba, ainsi nommé du nom d'une reine, où elles sont l'objet du culte universel. "

17. S. SOPHRONE, archevêque de Jérusalem, dans l'ouvrage intitulé le Pré spirituel, c. 175 (Cet écrit de saint Sophrone se trouve mentionné par saint Jean Damascène, lib. I de imaginibus ; par les Pères du deuxième concile de Nicée, act. IV, etc) : " Voici ce que nous a rapporté un grave personnage au sujet de l'empereur Zénon. Ce prince avait outragé une femme dans la personne de sa fille. La mère désolée, étant entrée dans le temple de notre dame la sainte mère de Dieu, y fit toute en larmes cette ardente prière : " Vengez-moi de l'empereur Zénon. " Après qu'elle eut continué plu-

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sieurs jours à faire la même chose, la sainte mère de Dieu lui apparut et lui dit : " Femme, croyez-moi, j'ai plusieurs fois essayé de vous venger, mais la main du prince m'a empêché de le faire. Car il est très-miséricordieux et il fait beaucoup d'aumônes. "

18. Ibidem, c. 185 : " Comme nous étions dans l'île de Samos, la vénérable mère de l'immortel Paul, Marie, cette femme si dévouée aux intérêts des pauvres, nous racontait le trait suivant : " Comme j’étais dans la ville de Nisibe, il s'y trouvait une femme chrétienne mariée avec un gentil. Or, quoiqu'ils fussent pauvres, ils avaient entre les mains cinquante pièces d'argent. Un jour le mari dit à sa femme : " Donnons ces pièces à un usurier pour en retirer quelque intérêt, car nous les dépensons insensiblement, et nous finirons par n'avoir plus rien. " La femme avisée répondit à son mari : " Si vous voulez en retirer de l'intérêt, prêtons-les de même au Dieu des chrétiens. " Son mari lui répliqua : " Eh ! où est le Dieu des chrétiens, pour que nous lui prêtions notre argent ? " - " Je vous le ferai voir, lui répondit-elle, car si vous lui donnez cet argent, non-seulement vous ne le perdrez pas, mais il vous en comptera l'intérêt et doublera notre capital. " - " Allons, " lui dit son mari, " faites-moi voir le Dieu des chrétiens et remettons-lui notre argent entre les mains. " Elle prit donc son mari avec elle, et le mena à l'église. Or cette église a cinq grandes portes. Après qu'elle l'eut emmené sous la galerie de cette église, elle lui montra les pauvres, et lui dit en même temps : " Si vous donnez à ces pauvres, le Dieu des chrétiens le recevra ; car ils sont tous de sa famille. " Sur cette assurance, le mari s'empressa de distribuer ses pièces aux pauvres, puis ils rentrèrent tous les deux dans leur maison. Trois mois plus tard, se trouvant à l'étroit et à bout de ressources, le mari dit à sa femme : " Ma chère moitié, je vois bien que le Dieu des chrétiens ne nous rendra rien de ce qu'il nous doit, et voilà que nous sommes dans le besoin. " Sa femme lui répondit : " Soyez assuré qu'il nous le rendra. Rendez-vous au même lieu où vous lui avez donné ces pièces et il n'aura rien de plus pressé que de vous les rendre. " A ces mots, le mari prit sa course pour se rendre à l'église, et parvenu au lieu même où il avait distribué son argent aux pauvres, il fit le tour de l'église mais sans voir personne qui pût lui rendre ses pièces d'argent, si ce n'est les pauvres qui se tenaient encore cette fois à la porte. Comme il cherchait en lui-même à qui il devait s'adresser et comment s'adresser pour réclamer son argent, il aperçut à ses

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pieds, reposant sur le marbre, une de ces mêmes pièces qu'il avait donnée aux pauvres ; il se baissa donc, ramassa cette pièce et rentra dans sa maison, où il dit à sa femme : " Je me suis rendu à l'église, et, croyez-moi sur parole, je n'y ai point vu le Dieu des chrétiens, comme vous m'aviez promis que je le verrais ; personne non plus ne m'a remis d'argent, si ce n'est que j'y ai retrouvé cette pièce, que j'avais donnée la première fois. " Cette femme admirable lui répondit alors : " Eh ! c'est lui-même qui vous a invisiblement envoyé ce secours. Car il gouverne ainsi le monde entier : en tenant toujours sa main cachée. Mais allez, cher époux, achetez-nous quelque chose avec cet argent, pour que nous puissions manger aujourd'hui, et Dieu pourvoira à nos besoins pour les jours suivants. " Il s'en alla donc acheter du pain, du vin et un poisson, et de retour à sa maison, il remit tout cela entre les mains de sa femme. Celle-ci, ayant pris le poisson, commença par le vider, et elle trouva dans ses entrailles une pierre précieuse, dont elle ne pouvait se lasser d'admirer la beauté, mais sans pouvoir deviner ce que c'était. Elle la tint donc en réserve, et quand son mari fut revenu, elle la lui montra en lui disant : " Voici une pierre que j'ai trouvée dans le ventre du poisson. " Le mari, après l'avoir contemplée, en admira de même la beauté, mais sans pouvoir dire non plus ce que cela pouvait être. Après qu'il eut pris son repas, il dit à sa femme : " Donnez-moi cette pierre pour que j'aille la vendre, si je puis en retirer quelque prix. " Car, ainsi que je l'ai dit, il ne savait pas ce que c'était que cette pierre, n'ayant jamais eu l'expérience de ces sortes de choses. Il prit donc cette pierre, et la porta à un banquier, qui faisait commerce d’acheter des objets de cette espèce pour les revendre avec profit, et le trouvant prêt a sortir et sur le point de fermer sa boutique, car c'était le soir, il lui dit : " Voulez-vous acheter cette pierre ? " Le banquier lui répondit après l'avoir considéré : " Que voulez-vous que je vous donne pour son prix ? " L'autre lui répliqua : " Tout ce que vous voudrez. " Le banquier lui dit alors : " Prenez ces cinq pièces que je vous offre. " Le vendeur s'imagina que le banquier se moquait de lui, et lui dit à son tour : " Quoi ! tant d'argent pour si peu ! " Le banquier, trompé lui-même, prit ce mot pour une ironie, et lui dit cette fois : " Eh bien, recevez dix pièces d'argent pour le prix de votre pierre précieuse. " Le vendeur, croyant de nouveau que son acheteur se moquait de lui, garda le silence. Le banquier ajouta : " Consentez au moins pour vingt

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pièces. " L'autre ne répondait toujours rien, et se tenait dans le silence. L'acheteur passa de vingt à trente, puis quarante, à cinquante enfin, et comme il faisait serment de lui compter tout cet argent, l'acheteur vint à penser que la pierre pouvait valoir davantage ; insensiblement l'acheteur fit monter ses offres, et s'arrêta enfin au chiffre de trois cents pièces d'argent, qu'il mit entre les mains du vendeur. Celui-ci remit en échange sa pierre précieuse et rentra chez lui transporté de joie. Sa femme, le voyant si gai, lui demanda : " Combien avez-vous vendu la pierre en question ? " Elle pensait elle-même qu'il avait pu la vendre pour cinq pièces, ou tout au plus dix pièces de monnaie. Mais son mari, tirant de sa poche ses trois cents pièces les mit entre les mains de sa femme, en lui disant que c'était là le prix auquel il avait vendu l'objet. Sa femme alors, admirant l'extrême bonté de Dieu : " Apprenez-donc, " dit-elle à son mari, " à connaître le Dieu des chrétiens ; admirez comme il est bon, comme il est officieux, comme il est riche. Vous voyez qu'il ne s'est pas contenté de vous rendre les cinquante pièces que vous lui aviez confiées, mais qu'en peu de jours il vous en a sextuplé la valeur. Reconnaissez donc, je vous prie, qu'il n'y a point d'autre Dieu que lui, ni sur la terre, ni dans le ciel. " Instruit par ce miracle, et assuré par sa propre expérience de la vérité de ce que lui disait son épouse, cet homme sur-le-champ se fit chrétien, et rendit gloire à Dieu et à notre Sauveur Jésus-Christ, dans l'unité du Père et du Saint-Esprit, remerciant en même temps sa sage épouse de lui avoir procuré la connaissance du vrai Dieu. "

19. Ibidem, c. 195 : " Comme nous étions à Alexandrie, Léonce d'Apamée, homme rempli de foi et de piété, arriva de la Pentapole, où il avait passé à Cyrène un certain nombre d'années. Euloge était alors patriarche d'Alexandrie, et lui-même devait être bientôt évêque de Cyrène. Tandis que nous causions ensemble, il entra avec nous dans le récit suivant : " Du temps que le bienheureux Théophile était patriarche d'Alexandrie, le philosophe Synésius fut élu évêque de Cyrène. Celui-ci, une fois arrivé dans cette ville, y trouva un philosophe nommé Evagre, qui avait été autrefois son compagnon d'étude et lui était resté fort attaché, mais gentil de religion et passionné pour le culte des idoles. L'évêque Synésius cherchait à l'amener à la religion de Jésus-Christ et l'amitié qu'il lui portait depuis longues années était pour lui un motif de plus d'y travailler avec ardeur. Mais l'autre résistait à toutes ses instances, et se refusait obstinément

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à embrasser cette doctrine. L'évêque cependant, bien loin de se rebuter de ses refus, revenait tous les jours à la charge, variant sous toutes les formes ses exhortations, ses prières et s'appliquant à le convaincre, par les preuves les plus solides, de la nécessité de croire en Jésus-Christ et de recevoir les sacrements dont il est l'auteur. Comme il ne se passait pas de jours qu'il ne revint sur ce chapitre, le philosophe lui dit enfin : " En vérité, seigneur évêque, entre bien d'autres choses qui me déplaisent dans les dogmes chrétiens, c'est en particulier ce qu'ils appellent la consommation des siècles, et après cette consommation des siècles, la future résurrection de tous ceux qui ont jamais vécu sur la terre, et qui aura pour effet, disent-ils, de rendre les corps de tous les hommes incorruptibles et immortels, pour recevoir avec leurs amis la rétribution qu'ils auront méritée ; c 'est, avec cela, ce qu'ils ont coutume de dire, que celui qui a pitié des pauvres prête à Dieu à intérêt, et que celui qui répand ses richesses dans le sein des indigents, s'amasse des trésors pour le ciel, et que, outre la vie éternelle qu'il s'assurera par ce moyen, Jésus-Christ, à la fin des siècles et au jour de la résurrection, lui rendra au centuple ce qu'il leur aura donné. Quand on me parle de toutes ces choses, " ajouta- t-il, " je crois qu'on plaisante ou qu'on me conte des fables. " L'évêque Synésius lui assurait, au contraire, que tout était vrai dans la doctrine chrétienne, qu'il ne s'y trouvait rien de faux, et il s'appliquait le lui prouver par un grand nombre de raisons qu'il avait l'art de lui faire valoir. Enfin, au bout d'un long espace de temps, il sut le déterminer à se faire chrétien, et le baptisa, et avec lui, ses enfants et toutes les personnes de sa maison. Pou de temps après son baptême, le philosophe converti remit à l'évêque trois cents pièces d'or pour les pauvres, en lui disant : " Recevez cet argent, je vous prie, et distribuez-le aux pauvres, après m'avoir garanti, par un billet de votre main, que Jésus-Christ me le rendra dans le siècle à venir. " L'évêque prit l'or, et s'empressa de lui faire le billet qu'il lui demandait. Le philosophe vécut encore quelques années depuis son baptême, mais enfin il tomba mortellement malade. Etant près de sa fin, il dit à ses enfants : " Quand vous ferez mes funérailles, mettez- moi à la main ce billet, et enterrez-moi de même. " Après qu'il eut rendu son dernier soupir, ses fils exécutèrent fidèlement ce qu'il leur avait recommandé et l'enterrèrent avec son billet. Mais trois jours seulement après sa sépulture, il apparut en songe à l'évêque Synésius, et lui dit

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ces paroles : " Rendez-vous au sépulcre où je repose, et reprenez-y votre billet. Car j'en ai reçu le montant, et je suis satisfait ; et pour que vous soyez assuré de la vérité de mes paroles, vous trouverez ce billet signé aussi de ma propre main. " Or l'évêque ignorait qu'on eût enterré son billet avec lui. Quand il fut jour, il manda les fils du défunt et leur adressa cette demande : " Avez-vous mis avec le corps de votre père quelque chose dans son tombeau ? " Ceux-ci, croyant qu'il voulait leur parler d'argent, lui répondirent : " Non, seigneur, pas autre chose que des vêtements usés. " - " Quoi donc ? Est-ce que vous n'avez pas enterré avec lui quelque papier ? " A ce mot, ils se rappelèrent le billet, et répondirent : " Oui, seigneur. Car au moment de mourir, il nous a remis un papier entre les mains, en nous disant : Quand vous m'ensevelirez, vous me mettrez, sans que personne le sache, ce papier entre les mains. " L’évêque leur raconta alors le songe qu'il avait eu pendant la nuit, et les prenant avec lui, en se faisant aussi accompagner de ses clercs et des principaux habitants, il se rendit au tombeau du philosophe. L'ayant ouvert, ils trouvèrent entre les mains du cadavre le billet écrit de la main de l'évêque. Ils l’ouvrirent, et le trouvèrent souscrit tout nouvellement par le philosophe lui-même avec cette apostille : " Moi, Evagre, philosophe, à toi, seigneur Synésius, très-saint évêque, salut : J'ai reçu le montant de la dette dont ce billet signé de ta main est une reconnaissance ; on m'a satisfait, et je n'ai plus aucun droit contre toi au sujet de cet or que je t'ai confié a toi-même, et par ton intermédiaire à Jésus-Christ notre Dieu et notre Sauveur. " A cette vue, toute l'assemblée fut stupéfaite et on ne cessa pendant plusieurs heures de crier Kyrie eleison, en glorifiant Dieu, qui seul a la puissance de faire de tels miracles, et qui sait donnerait à ses serviteurs des preuves si évidentes de la vérité de ses promesses. Le vénérable Léonce nous assura aussi qu'on gardait encore aujourd'hui ce billet souscrit par le philosophe, et qu'il était déposé dans la sacristie (sacrarium) de la sainte église de Cyrène où on en recommandait spécialement la garde à ceux qui étaient chargés du soin des vases sacrés, à leur entrée en fonctions, en leur faisant promettre de le remettre dans le même état à leurs successeurs. "

20. Ibidem, c. 201 : " Voici ce que nous tenons d'un saint religieux : " Je me vis obligé, " nous dit-il, " d'aller à Constantinople pour une affaire qui m'y appelait. Comme j'étais assis dans l'église de cette ville, il y entra aussi un laïque de distinction et

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recommandable surtout par sa piété. M'ayant aperçu, il s'approcha de moi et me salua avec beaucoup de civilité. Puis il s'assit auprès de moi, et se mit à me questionner sur les choses qui intéressent le salut de l'âme. Et comme je lui disais que ceux qui font un bon usage des biens de la terre reçoivent en récompense ceux du ciel : " Vous dites bien, mon père, me répondit-il ; car celui-là est vraiment heureux qui met son espérance en Dieu, et s'abandonne entièrement à lui. " Il ajoutait : " J’ai eu pour père un homme très-considéré dans le monde. Il se distinguait surtout par son zèle à faire l'aumône, et distribuait une grande partie de son bien aux pauvres. Il m'appela un jour, et me dit en me montrant tout l'argent qu'il possédait : " Mon fils, qu'aimez-vous le mieux, ou que je vous laisse tout cet argent, ou que j'établisse Jésus-Christ votre curateur ? " Moi, qui trouvais bien tout ce qu'il faisait, je lui répondis que je m’arrêtais à ce dernier parti, parce que tous ces biens-là sont passagers ; on les possède aujourd'hui, et demain on ne les a plus ; au lieu que Jésus-Christ demeure éternellement. Après qu'il eut obtenu de moi cette réponse, il se mit à répandre en toute liberté ses biens dans le sein des pauvres, de sorte qu’à sa mort il ne put presque rien me laisser. Devenu pauvre de cette manière, je menais une vie retirée, mettant mon espérance en Jésus-Christ, aux soins duquel mon père m'avait abandonné. Or, il y avait un homme très-riche et des principaux du pays, dont l'épouse était remplie de piété pour Jésus-Christ et de crainte de Dieu ; et ils avaient une fille unique. La mère de cette jeune personne dit donc à son mari : " Nous n'avons point d'autres enfants que cette jeune fille, et Dieu nous a donné tant de biens qui lui reviendront en héritage ! de quoi peut-elle donc avoir besoin ? Si nous lui cherchons pour époux quelque homme riche et puissant qui ne soit pas de bonnes mœurs, il la rendra malheureuse. Cherchons-lui donc plutôt un époux qui soit humble et craignant Dieu, qui l'aime elle-même en Dieu et fasse son bonheur. " Son époux lui fit cette réponse : " Vous avez raison. Rendez-vous donc à l'église, et priez-y avec ferveur ; arrêtez-vous-y quelque temps, et le premier jeune homme qui y entrera, ce sera lui que Dieu nous aura envoyé pour gendre. " Elle fit exactement ce que son mari venait de lui indiquer. Et quand elle se fut assise après avoir fait sa prière, ce fut moi qu'elle vit entrer le premier. Elle me fit appeler en conséquence par son valet, et quand je fus près d'elle, elle m'adressa cette demande : " D'ou êtes-vous ? " Je lui répondis : " Je suis

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de cette ville même, et le fils d'un tel. " - " Quoi ! se récria-t-elle, de cet homme si charitable ? " - " Oui, lui répondis-je, de celui-là même. " Alors elle me fit cette question : " Etes-vous marié ? " " Non, " lui répartis-je ; et en même temps je lui rapportai les paroles de mon père et la réponse que je lui avais faite. A ce récit, elle rendit gloire à Dieu, et me dit avec une vive émotion : " Voici que votre excellent curateur vous envoie une épouse et des richesses, pour que vous usiez de l'un de ces biens comme de l'autre dans la crainte de Dieu. " Et c'est ainsi qu'elle m'a donné et sa fille, et toutes ses richesses. Ce que je demande à Dieu, c'est d'imiter mon père jusqu'à la fin de mes jours. "

21. S. AMBROISE, Lib. II officiorum, c. 28 : " Le plus grand mobile de la charité, c'est la joie qu'on éprouve à compatir aux peines d'autrui, à le secourir autant que possible et même souvent plus que nous ne le pouvons. Il vaut mieux chercher des prétextes à notre charité ou nous exposer aux reproches de la jalousie, que de nous montrer inhumains. C'est ainsi que nous-mêmes nous avons encouru des reproches en brisant nos vases sacrés pour racheter des captifs, ce qui pouvait déplaire aux ariens, quoique ce fût pour eux encore moins un sujet de déplaisir, qu'une occasion qu'ils saisirent de nous soumettre à leur critique. . . Le meilleur emploi que nous puissions faire de l'or offert en don à notre Rédempteur, c'était certainement d'en user pour le rachat des malheureux. Je reconnais que le sang du Christ a coulé sur cet or, et que non-seulement il a ajouté à son éclat, mais que de plus, par le bienfait de la rédemption, il lui a imprimé une vertu toute divine. De ce genre était l'or que Laurent, ce saint martyr, réservait au Seigneur, quand il promettait à ceux qui lui demandaient les trésors de l’Eglise de les leur montrer. Le lendemain, il leur amena les pauvres ; et quand on lui demanda où étaient ces trésors qu'il avait promis, il montra les pauvres en disant : " Voilà les trésors de l’Eglise. " Et ce sont là en effet de vrais trésors que ces pauvres en qui Jésus-Christ, en qui la foi réside. Au surplus, l’Apôtre a dit : Nous portons ce trésor dans des vases d'argile (II Cor., IV, 7). Quels sont, en effet, les trésors que le Christ puisse préférer à des hommes en qui il vit ? Car il est écrit : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais sans asile, et vous m'avez recueilli. Et ensuite : Ce que vous avez fait à l'un d'eux, c'est a moi que vous l'avez fait. Quels trésors Jésus peut-il préférer à des hommes en la personne de qui

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il demande qu'on le considère lui-même ? Laurent montra ces trésors et triompha ainsi de son persécuteur qui se vit dans l'impuissance de les lui enlever. Joachim (II Rois, XXV) au contraire, qui, pendant le siège de Jérusalem gardait son or avec sollicitude et ne le répandait pas en aumônes, se le vit enlever et lui-même être emmené en captivité. Laurent, qui aima mieux distribuer son or aux pauvres que de le garder pour ses persécuteurs, reçut en récompense de sa juste intelligence des paroles de son divin maître la sainte couronne de martyre. "

22. S. CHRYSOSTOME, Hom. LV in Genesim, passage rapporté plus haut, témoignage 13 de la question précédente, page 50.
 
 

Question IV

Qu’est-ce que la miséricorde ?

C'est, comme l'enseigne saint Augustin, une certaine compassion qu'on éprouve pour la misère d'autrui, qu'on se sent par-là même porté à soulager selon son pouvoir. Ce mot de miséricorde (misericordia) s'emploie souvent pour signifier l'aumône. Toute action de miséricorde, dit l’Ecriture, fera placer chacun en son rang selon le mérite de ses œuvres.

C'est une vertu que recommande souvent saint Chrysostôme dans ces éloquentes homélies. Ce grand docteur ne craint pas de dire quelque part que la miséricorde est le rempart du salut, l'ornement de la foi, l’expiation des péchés ; qu'elle éprouve les justes, affermit les saints, et marque de leur propre caractère les serviteurs de Dieu. Bien plus, si nous devons en croire saint Ambroise, tout le christianisme se résume dans ces deux mots : la piété et la miséricorde.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

Ecclésiastique, XVI, 15 : Omnis misericordia faciet locum unicuique secundùm meritum operum suorum. La traduction de ce passage se trouve plus haut dans le corps de la réponse.

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TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, livre IX de la Cité de Dieu, c. 5 : " La miséricorde n'est-elle pas cette sympathie du cœur, qui nous porte à soulager la misère d'autrui autant que nous en avons la faculté ? Or, ce mouvement intérieur obéit à la raison, quand la bienfaisance qu'il inspire ne déroge point à la justice, soit qu'il s'agisse de secourir l'indigence ou de pardonner au repentir (Cf. La Cité de Dieu, de saint Augustin, etc., trad. par L. Moreau, tome II, page 10). "

2. S. ISIDORE, Lib. III de summo bono, c. 64 : " Ceux-là pèchent grièvement contre Dieu, qui emploient les richesses qu'il leur a données, non à des choses utiles pour leur salut, mais à des actions mauvaises. Ces gens-là ne savent point faire l'aumône aux pauvres ; ils dédaignent d'aller au secours des opprimés ; et c'est ainsi qu'ils augmentent le nombre de leurs péchés par la chose même dont ils devraient se servir pour les racheter. Il ne nous est avantageux de posséder les biens de la terre, qu'autant qu'ils nous servent de moyen pour soulager les malheureux. D'ailleurs les succès temporels sont une tentation, et plus ils auront été grands dans la vie présente, plus sera rigoureuse leur expiation à venir. Les hommes puissants seront puissamment tourmentés (Sag., VI, 7). Le moyen de nous rendre inutiles les biens de la terre, c'est de les conserver ; celui de nous les rendre utiles, c'est d'en faire le sacrifice. Un patrimoine auquel on ne touche pas est un patrimoine perdu ; celui qu'on dissipe en aumônes, c'est celui-là qui nous reste. Car nous ne pouvons pas être longtemps sur la terre avec ces sortes de biens : il faudra, ou que nous les quittions à la mort, ou qu'ils nous quittent eux-mêmes durant la vie. Selon que les hommes en font un bon ou un mauvais usage, les uns se perdent par l'avidité qu'ils mettent à les acquérir, les autres peuvent se sauver en prenant occasion ou de leur éclat pour s'élever à admirer bien plus encore la divine Providence, ou de leur valeur matérielle pour gagner le ciel par des œuvres de miséricorde. Le mot de miséricorde a pour étymologie celui de misère, parce que la miséricorde consiste à compatir à la misère d'autrui. Or, on ne peut pas être miséricordieux envers les autres, quand par la mauvaise vie que l'on mène on manque à l'être envers soi-même. Car celui qui est mauvais pour lui-même, pour qui sera-t-il bon

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(Ecclé., XIV, 5) ? L'aumône ne saurait racheter nos péchés si nous y persévérons volontairement ; au lieu qu'elle nous obtient le pardon, lorsqu'en même temps nous mettons fin à nos désordres. Il est vrai que tous les péchés peuvent être effacés par les œuvres de miséricorde, mais pourvu qu'en même temps on prenne garde d'en commettre de nouveaux ; car il n'y a point de pardon pour les fautes passées quand les œuvres de miséricorde doivent amener à leur suite des fautes à venir. "

" Ce n'est pas une aumône, que celle qui a pour principe l'amour de la gloire plutôt qu'un sentiment de compassion. La nature de l'intention que nous y apporterons déterminera celle de la rétribution que nous en recevrons de Dieu. Celui donc qui cherche la louange humaine dans le bien qu'il fait, ne recevra point la gloire que Dieu promet en récompense à ses élus pour le siècle à venir. Lorsque c'est la vanité qui nous porte à nourrir les pauvres, cette œuvre même de miséricorde devient un péché pour nous. "

" L'aumône a une telle vertu pour effacer les péchés et pour assurer un trône dans le siècle à venir à celui qui la pratique, que lorsque le souverain juge viendra à la fin du monde, il dira à ceux qui seront à sa droite : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger, etc.; en même temps qu'il leur dira : Venez, les bénis de mon père, entrez en possession du royaume qui vous a été préparé (MATTH., XXV, 34) ; tandis qu'il dira au contraire à ceux qui n'auront pour recommandation aucune aumône qu'ils aient distribuée : J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger, etc., et qu'il prononcera sur eux cette sentence : Retirez-vous de moi, maudits, allez : au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses anges. Celui qui ne fait pas miséricorde ici-bas, ne recueillera pas là-haut les fruits de la piété : nous avons pour nous le prouver l'exemple du mauvais riche, qui se trouva réduit en enfer à mendier sans succès une goutte d'eau, pour avoir refusé à un pauvre les miettes de sa table tandis qu'il était sur la terre. Aurait-on pu lui donner moins, et lui-même pouvait-il demander moins à sa place ? Mais il était trop tard pour lui d'ouvrir les yeux sur son triste état, quand il vit dans le repos éternel ce pauvre Lazare, qu'il n'avait pas daigné regarder prosterné devant sa porte. "

" Il y a aumône, non-seulement lorsqu'on vient au secours de celui qui a faim ou soif, ou qui manque de vêtements ou de quelque autre chose que ce soit, mais encore quand on pardonne à un ennemi, quand on console un affligé, quand on ramène dans le droit chemin son frère égaré, ou quand on lui donne un conseil

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qui pourra lui être utile. Car c'est pratiquer l'aumône, et une aumône supérieure à l'aumône corporelle, que de lui faire part d'un bien spirituel, tel que la vertu ou la science. Compatissons du fond du cœur à tous ceux qui nous demandent de les secourir dans leur besoin, quand même leur indigence serait simulée. Quand même celui que nous soulageons aurait réussi à nous tromper en feignant d'être dans le besoin, nous n'en aurions pas moins le mérite d'avoir fait miséricorde. Quelque pauvre que soit un homme, il ne peut pas alléguer sa pauvreté pour se dispenser de faire l'aumône puisque le précepte du Sauveur nous oblige à donner toujours quelque chose, ne fût-ce qu'un verre d'eau froide. Car si nous n'avons rien que cela, donnons-le du moins de bon cœur et nous n'en perdrons pas la récompense. Mais si nous avons davantage, et que, sous prétexté d'un état de gêne quelconque, nous donnions moins que ne nous permettent nos facultés, ce n'est pas le pauvre que nous trompons alors, mais c'est Dieu même à qui nous ne saurions dérober les secrets de notre conscience. "

" Il y a deux sortes d'aumônes : l'une corporelle, qui consiste à donner ce qu'on peut aux indigents ; l'autre spirituelle, qui est de pardonner à celui qui nous a offensé. La première est de mise à l'égard des malheureux ; la seconde l'est plutôt à l'égard des méchants. Ainsi vous aurez toujours de quoi donner, sinon en argent, au moins par la bonne volonté dont vous ferez preuve. Ce n'est pas en témoignant de l'humeur qu'on doit faire l'aumône, de peur d'en perdre la récompense par la mauvaise grâce avec laquelle on s'en acquitterait. Pour que l'aumône soit bien faite, il faut la faire de bon cœur. De là ces paroles de l'Apôtre : Dieu aime celui qui donne avec joie (II Cor., IX, 7). Prenons donc bien garde à ce que le pauvre, ni ne soit mécontent de ce que nous lui donnons, ni ne murmure contre nous de ce que nous ne lui donnons pas. "

" Faire l'aumône avec le bien d'autrui, ce n'est pas faire acte de miséricorde, mais s'attirer à soi-même des châtiments sévères. De là cette sentence de Salomon (Ce n'est pas Salomon qui est l'auteur du livre de l'Ecclésiastique, mais c'est Jésus, fils de Sirach) : Celui qui offre un sacrifice de la subsistance des pauvres est comme celui qui égorge le fils aux yeux du père (Ecclé., XXXIV, 24). Car on ne peut pas donner justement ce qu'on a injustement enlevé : on ne peut pas faire don à l'un de ce qu'on a coupablement soustrait à l'autre. C'est un crime

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énorme que de reporter aux riches le peu qui appartient aux pauvres, ou de se servir des épargnes de ces derniers pour acheter la faveur des hommes puissants ; que de dessécher une terre déjà trop aride, pour grossir des fleuves qui débordaient d'avance. "

" Quelquefois les profusions des riches ont pour fin l'ostentation plutôt que l'utilité ; comme ces hypocrites qui font de beaux discours, non pour édifier le prochain, mais pour s'attirer de la gloire. Une prodigalité superflue mérité d'être blâmée. Celui, en effet, qui garde en tout une juste mesure n'est avare à l'égard de personne, mais plutôt libéral envers tout le monde. Celui qui donne doit user de discrétion et non de prodigalité : car s'il doit donner autant qu'il est nécessaire, il doit par-là même ne pas trop donner à l'un, pour pouvoir aussi donner à l'autre. "

3. S. GREGOIRE de Nysse, Lib. de beatitudinibus : " La miséricorde, si l'on veut en avoir une définition abrégée, est une peine qu'on se fait à soi-même du mal qu'on voit à d'autres. Ou si ce n'en est pas là encore la définition exacte, recourons à d'autres termes pour en expliquer plus clairement la nature. Nous dirons donc de plus, que la miséricorde est une disposition bienveillante qu'on éprouve pour ceux qu'afflige quelque malheur. Car de même que l'inhumanité et la férocité ont leur source dans la haine, ainsi la miséricorde a la sienne dans l'affection, au point qu'elle n'existerait pas, s'il n'y avait en même temps ce sentiment d'affection dans le cœur : et si l'on veut en approfondir encore davantage la nature intime, on trouvera qu'elle n'est autre chose qu'une disposition bienveillante fortement caractérisée, mêlée de tristesse à l'occasion du malheur de celui qui en est l'objet. Car, pour ce qui est de partager le bonheur d'autrui, c'est ce qu'amis et ennemis désirent également mais de vouloir aussi partager le malheur qu'un autre éprouve, c'est ce qui ne peut aller qu’à ceux qui aiment la personne affligée. Or, tout le monde convient que l'amitié est le plus grand des biens de la vie présente. Eh bien ! la miséricorde est cette amitié ou cette affection même, développée à un haut degré. . . "

" Donc la miséricorde est, comme nous venons de le voir, la mère de la bienveillance, le gage de l'amitié, le lien de tous les sentiments affectueux. Que peut-on donc imaginer de plus sûr ou de plus fort pour la vie présente, que les garanties que nous offre cette vertu (Cf. S. Gregorii Nysseni opera, Paris, 1615, t. Ier, p. 802-804) ? "

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4. S. CHRYSOSTOME, Hom. XXXII in epistolam ad Hebrosos : " Sacrifions toutes nos richesses, pour nous construire un édifice dans le ciel : pour bâtir cet édifice, nous n'avons besoin ni d'entrepreneurs ni de maçons ; les mains des pauvres, n'importe qu'ils soient boiteux, aveugles ou estropiés, nous suffiront pour cet ouvrage : ce sont eux qui en seront les constructeurs. Et n'en soyez point étonnés, puisque ce sont les pauvres qui nous ouvrent le royaume des cieux, et qui nous donnent la confiance de paraître devant Dieu. "

" L'aumône est le plus utile de tous les arts, la meilleure de toutes les recommandations pour ceux qui l'exercent ; car elle est l'amie de Dieu, nous rapproche de lui, concilie sans peine ses bonnes grâces à ceux dont elle épouse les intérêts. Tout ce qu'elle demande de nous, c'est que nous ne lui fassions pas injure. Or, nous lui ferions injure, si pour l'exercer nous nous permettions d'user du fruit de nos rapines. Mais si elle est pure d'injustices, elle donne beaucoup de confiance à ceux qui la courtisent. Telle est sa puissance, qu'elle intercède même pour ceux qui se sont rendus coupables et prévaricateurs. Elle a la force de briser les chaînes, de dissiper les ténèbres, d'éteindre le feu de l'enfer, de faire mourir le ver rongeur, de faire cesser le grincement de dents, et de se faire ouvrir sans difficulté les portes du royaume des cieux. Et de même que, partout où une reine veut entrer, aucun de ceux qui sont préposés à la garde des portes n'a l'audace de lui demander qui elle est et d'où elle vient, mais que tous au contraire s'empressent de la recevoir ; ainsi en est-il de l'aumône : car elle est vraiment reine, en même temps qu'elle rend les hommes semblables à Dieu. Voici en effet ce que nous dit Notre-Seigneur : Soyez miséricordieux comme l'est lui-même votre Père céleste (LUC, VI, 36). Elle est si légère dans sa marche, qu'elle semble avoir des ailes ; mais des ailes dorées dont le battement fait la joie des anges. Vous deviendrez, nous dit le Psalmiste, comme la colombe, dont les ailes sont argentées, et dont la queue brillante reproduit l'éclat de l'or (Ps. LXVII, 14). Et c'est l'aumône qui est cette colombe au plumage doré, aux yeux pleins de douceur, au regard pacifique et serein. Rien d'enchanteur comme ce regard. Le paon est un oiseau magnifique, mais il le cède autant à la colombe que le geai le lui cède à lui-même : tant la colombe est un oiseau charmant et d'une ravissante beauté ! Sans cesse son regard s'élève vers le ciel ; elle est comme entourée de la gloire de Dieu ; c'est une vierge qui a des ailes

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d'or, dont la démarche est pleine de grâce, et dont tous les traits respirent la bonté. A l'aide de ses ailes elle s'élève, pousse son vol jusqu'au trône du Roi. Quand nous sommes pour être jugés, elle vole près de nous, nous couvre de ses ailes, et se faisant connaître pour ce qu'elle est, elle obtient pour nous la grâce d'échapper au supplice. Dieu la préfère à tous les sacrifices, et il l'aime tellement, qu'il a continuellement son nom à la bouche. Il prendra, dit-il, la défense de la veuve, de l'orphelin et de l'indigent (Ps. CXLV, 9). Il aime à être appelé de son nom. Le Seigneur est compatissant et miséricordieux, nous dit David ; il est patient, rempli de miséricorde et véridique dans ses promesses (Ps. CII, 8). Et encore : La miséricorde de Dieu s'étend sur toute la terre (Ps. LVI, 12). C'est elle qui a sauvé le genre humain : si Dieu n'avait pas eu compassion de nous, nous serions tous perdus ; c'est elle qui nous a réconciliés à Dieu tandis que nous étions ses ennemis, qui nous a procuré mille avantages, qui a persuadé au Fils de Dieu de se faire esclave et de s'anéantir lui-même. Empressons-nous donc d'acquérir une vertu à laquelle nous devons notre salut ; aimons-la, préférons-la aux richesses ; ou si les richesses nous manquent, ayons donc du moins une âme compatissante. Rien ne caractérise mieux le chrétien que la pratique de l'aumône ; rien n'excite plus l'admiration des infidèles, de tout le monde enfin, que de nous voir compatir aux maux de nos frères Souvent nous avons besoin tout les premiers qu'on use de miséricorde envers nous, et tous les jours nous disons à Dieu : Ayez pitié de nous selon votre grande miséricorde (Ps. XXIV, 7). Commençons nous-mêmes par l'exercer ; ou plutôt, ce ne sera jamais nous qui commencerons, car il sera toujours vrai de dire que Dieu nous a prévenus de sa miséricorde. Mais si nous ne sommes pas les premiers, au moins, mes frères, marchons en second à la suite de Dieu. Car si des hommes pardonnent à un autre homme toutes les fautes dont il peut s'être rendu coupable, dès là qu'ils le savent miséricordieux, à plus forte raison Dieu nous pardonnera-t-il, s'il a pour le faire le même motif. Ecoutez le Prophète nous dire : Je suis comme l'olivier qui portait du fruit dans la maison de Dieu (Ps. LI, 10). Soyons de même des oliviers fertiles, qui plient sous le poids des fruits dont toutes leurs branches sont chargées : car ce n'est pas tout d'être entés sur l'olivier, il fait de plus être des oliviers fertiles. Il y en a qui font la charité, mais qui ne donnent presque rien, ou seulement une fois l'année, ou une fois chaque semaine, ou s'ils donnent plusieurs fois, ce ne

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sont que des secours insignifiants : ce sont là des oliviers, je le veux bien ; mais des oliviers stériles, des oliviers desséchés. Ce sont des oliviers, puisqu'ils donnent ; mais des oliviers stériles, puisqu'ils donnent sans générosité. Pour nous, mes frères, soyons des oliviers fertiles. Souffrez que je vous répète aujourd'hui ce que je vous ai dit tant de fois : ce n'est pas sur la quantité des secours que se mesure la grandeur de l'aumône, mais sur la bonne volonté de celui qui donne. Vous savez ce que fit la veuve : j'aime à revenir souvent sur cet exemple, pour qu'à la vue de cette pauvre femme, qui n'avait à donner que deux petites pièces, le pauvre lui-même ne désespère pas de pouvoir pratiquer cette vertu. Lorsqu'il s'agissait de bâtir le temple, quelques-uns n'avaient à apporter que du crin pour tous matériaux ; et leur offrande, quelque vile qu'elle fût, ne fut pas dédaignée. Dieu les eût frappés de malédictions, si au lieu de cette mesquine offrande ils eussent pu donner de l'or ; mais il agréait volontiers ce peu qu'ils lui offraient, si c'était là tout ce qu'ils pouvaient lui offrir. Ainsi les offrandes de Caïn ont été réprouvées, non parce qu'elles n'étaient pas bonnes en elles-mêmes, mais parce qu'elles l'étaient moins que ce qu'il se réservait. Malheur, dit l'Ecriture, à l’homme trompeur qui, ayant dans son troupeau une bête saine, en sacrifie au Seigneur une autre qui est malade (MALACH., I, 14). Ce n'est pas sans dessein que l’Ecriture insiste sur cette circonstance, que cet homme a dans son troupeau une bête qui est saine, et qu'il sacrifie de préférence celle qui est malade. Si donc quelqu'un n'a rien de plus que ce qu'il offre, bien loin d'encourir le blâme, il mérite au contraire une récompense. Car quoi de plus modique que deux oboles, de plus vil que quelques crins ? Que dirai-je encore d'une petite mesure de farine ? Et cependant Dieu avait tous ces dons pour aussi agréable que si c'eussent été de riches offrandes, ou des veaux qui lui auraient été offerts en sacrifice. Dieu ne demande de l'homme que ce qu'il peut, et non ce qu’il ne peut pas (II Cor., VIII, 12). L'Ecriture dit encore : Faites le bien que vous avez les moyens de faire (Saint Chrysostôme fait-il ici allusion à ces paroles de Tobie : Quomodò potueris esto misericors ? ou bien à celles-ci de l'Ecclésiastique : Quæ in manu hubes, ciba cæteros ? ou enfin n'est-ce qu'une paraphrase des paroles de saint Paul ? On adoptera là-dessus telle opinion qui plaira le mieux). Je vous en conjure donc, mes frères, empressons-nous de répandre ce que nous avons dans le sein des pauvres ; quand même nous n'au-

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rions que peu de chose à donner, nous recevrons la même récompense que ceux qui donnent davantage, ou même que ceux qui donneraient jusqu’à dix mille talents. Si c'est là ce que nous voulons faire ; si, non contents d'écouter ces instructions qui nous sont adressées, nous les mettons en pratique ; si au lieu de louer l'orateur qui nous parle, nous observons les choses qu'il nous prêche Dieu nous comblera un jour de ses trésors les plus précieux (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. XII, p. 298-301 (al. 425-428)). "

5. Le même, Hom. IX (al. 3) de pænitentiâ : " Parlons maintenant du quatrième moyen qui nous est recommandé de faire pénitence (Les trois premiers, d'après le saint docteur, sont 1° de confesser ses péchés, 2° de les pleurer, et 3°, de s'en humilier). Ce moyen, quel est-il ? C'est l'aumône, la reine des vertus, qui peut en un moment élever les hommes jusqu'au plus haut des cieux ; l'aumône, l'avocat le plus éloquent que nous puissions nous procurer. C'est une grande chose que l'aumône, et c'est ce qui faisait dire à Salomon : C'est une grande chose que l'homme, et quelque chose de précieux qu'un homme miséricordieux (Prov., XX, 6, d'après la version des Septante). L'aumône a des ailes puissantes : elle fend l'air d'un vol rapide, s'élève au-dessus de la lune, pénètre là où les rayons du soleil ne peuvent pénétrer, et parvient au plus haut des cieux ; encore ne s'arrête-t-elle pas là, mais elle franchit le ciel même, dépasse la troupe des anges ; les chœurs des archanges, toutes les vertus les plus élevées, et s'en va aborder le trône du Roi des rois. C'est ce que vous pouvez apprendre de l'Ecriture même, où vous lirez : Corneille, tes prières et tes aumônes sont montées jusqu'à Dieu (Act., X, 4). Ces mots, jusqu’à Dieu, signifient que, quand même vous auriez beaucoup de péchés, que l'aumône soit seulement votre avocate, vous n'aurez rien à craindre ; car elle ne trouve rien dans les vertus d'en-haut qui lui résiste, et elle réclame ce qui lui est dû en tenant à la main le billet qui constate ses droits. Voici, en effet, les paroles du Seigneur lui-même : Tout ce que vous aurez fait au plus petit de ceux qui croient en moi, c'est à moi que vous l'aurez fait (MATTH., XXV, 40). Quelque nombreux donc que soient les péchés que vous ayez commis, l’aumône pèse plus qu'eux tous dans la balance. "

" N'avez-vous pas lu dans l’Evangile la parabole des dix vierges, parmi lesquelles celles qui n'avaient pas l'huile de l'aumône, toutes vierges qu'elles étaient, ont été exclues de la

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chambre nuptiale ? . . . (Voir dans saint Matthieu, c. XXV, la parabole des dix vierges) Allez aux vendeurs acheter l'huile qui vous manque. Quels sont ces vendeurs ? Ce sont les pauvres qui stationnent devant l'église pour demander l'aumône. Et à quel prix vous la vendront-ils ? Au prix que vous voudrez ; je ne vous marque point de prix, de peur que vous ne prétextiez votre pauvreté. Achetez pour le prix, quel qu'il soit, que vous aurez entre les mains. Avez-vous une obole ? achetez-en le ciel : non que le ciel soit une chose de peu de prix, mais c'est que Dieu est d'une infinie bonté. N'avez-vous pas même une obole ? Donnez un verre d'eau froide : Quiconque donnera un verre d'eau froide à un de ces petits à cause de moi, ne perdra point sa récompense (MATTH., X, 42). Le ciel est ce qui nous est proposé à acquérir et nous négligeons de le faire. Donnez un morceau de pain, et recevez en échange le pardon de tous vos péchés ; donnez peu, et recevez beaucoup en retour ; donnez ce qui est périssable, et recevez ce qui est éternel. Si vous connaissiez une enchère où pour presque rien vous pourriez acquérir une immense quantité de blé et d'autres provisions, est-ce que vous ne vendriez pas toutes vos possessions, plutôt que de manquer l'occasion de faire une si riche acquisition proposée à un si bas prix ? C'est pour des objets périssables que vous montrez cet empressement ; et maintenant qu'il s'agit d'acquérir des biens éternels, vous êtes sans énergie, sans aucun courage ! Donnez au pauvre, afin que, lors même que vous garderiez le silence, dix mille bouches parlent en votre faveur, et que l'aumône se fasse votre avocate : l'aumône est la rançon de l'âme. C'est pour cela que, de même qu'on a placé près de la porte de l’église des bassins pleins d'eau pour que vous puissiez vous y laver les mains, ainsi vous y trouvez aussi les pauvres pour pouvoir laver votre âme de ses souillures. Avez-vous lavé dans l'eau les mains de votre corps, lavez dans l'aumône celles de votre âme. Ne cherchez point dans votre pauvreté un prétexte d'excuse : la veuve qui reçut Elie était réduite à la dernière indigence ; mais sa pauvreté ne l'arrêta pas, et elle accueillit le prophète avec beaucoup de joie ; aussi en fut-elle bien récompensée, et l'aumône qu'elle fit en cette occasion lui valut toute une récolte, et des plus abondantes. Mais peut-être que l'auditeur m'interrompt pour me dire : Donnez-moi pour hôte un Elie. Eh ! pourquoi me demander Elie ? Je vous donne celui qui est son maître et vous refusez de le nourrir. Si Elie se présentait à vous, quel accueil recevrait-il de votre part ? Jésus-Christ, le maître de toutes choses, a fait cette

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déclaration solennelle : Tout ce qu'on fera en mon nom à l'un de ces plus petits, c'est à moi qu'on l'aura fait (MATTH., XXV, 40). Si un roi appelait à lui quelqu'un parmi la foule de ses serviteurs, en disant à ces derniers : " Rendez de ma part à cet homme que voici mille actions de grâces : j'étais plongé dans l'indigence, et il m'a nourri, il m'a logé, il m'a rendu une multitude de bons offices dans le temps de ma détresse ; " avec quel empressement chacun de ces serviteurs ne mettrait-il pas tout ce qu'il aurait à la disposition de celui à qui le roi aurait donné un pareil témoignage de sa reconnaissance ? Ne feraient-ils pas à leur tour son éloge ? ne s'étudieraient-ils pas à se recommander eux-mêmes à lui, et gagner son amitié ? "

" Voyez-vous à quoi tend ce discours ? Si des rois mortels sont disposés à reconnaitre si magnifiquement des services rendus, représentez-vous maintenant Jésus-Christ appelant en ce jour redoutable chacun de ses élus et disant en présence des anges et de tous les esprits célestes : " Celui-ci m'a donné l'hospitalité, celui-là m'a comblé de bienfaits ; tel autre m'a reçu dans sa maison lorsque j'étais sans asile. . . " Quelle confiance de telles paroles n'inspireront-elles pas auprès des anges à ceux qui en seront l'objet ? Quel sujet de gloire pour ces derniers aux yeux de toute la troupe céleste ? Comment ne seraient-ils pas pleins d'assurance au milieu de toute cette glorieuse assemblée, ceux à qui Jésus-Christ rendra ce témoignage solennel ? C'est donc quelque chose de grand que l'aumône, mes frères : aimons-la ; rien n'égale sa beauté et sa vertu ; elle suffira pour effacer tous nos péchés, et pour nous garantir du jugement à venir ; vous n'aurez pas besoin de parler vous-mêmes, elle parlera et plaidera pour vous ; ou plutôt, elle n'aura pas besoin de parler, tous les pauvres que vous aurez soulagés étant là pour répéter vos louanges. Nous, cependant, nous négligeons de si grands avantages, nous ne prenons aucune peine pour nous les procurer. Donnez du pain, si vous en avez, à ce pauvre qui vous en demande. N'en avez-vous point, donnez-lui une obole. N'avez-vous pas même d'oboles, donnez- lui un verre d'eau froide. N'avez-vous pas même ce verre d'eau, compatissez à son affliction, et vous en recevrez la récompense (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. II, p. 293-297, édit. de Montfaucon ; p. 347-350, édit. Gaume). "

6. Le même, Hom. LIII in Matthæum ; ce passage a été rapporté plus haut, question II, témoignage 10, pag. 43 et suiv.

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7. Le même, Hom. XXXVI ad populum Antiochenum ; ibidem, témoignage 15, pag. 53 et suiv.

8. Le même, Homélie sur la miséricorde et sur les deux veuves : "Trois choses sont à désirer pour le chrétien en fait d'œuvres de charité : la première c'est qu'il en ait le pouvoir ; la seconde, qu'il en ait la volonté ; la troisième, qu'il en vienne à l'exécution. Qu'il en ait le pouvoir, c'est-à-dire, qu'il ait de quoi donner ; qu'il en ait la volonté, c'est-à-dire, qu'ayant de quoi donner, il soit disposé à le faire ; qu'il en vienne à l'exécution, c'est-à-dire, qu'il accomplisse sans délai la bonne œuvre qu'il est en état et en disposition d'accomplir. Ces trois conditions réunies font la perfection de l'aumône. Car il y en a qui ont le pouvoir de la faire, mais n'en ont pas la volonté ; d'autres qui en ont la volonté, mais n'en ont pas le pouvoir ; d'autres qui en ont la volonté comme le pouvoir, mais qui remettent à la faire et en attendant ne la font pas. Que celui donc qui peut faire l'aumône demande la grâce d'en avoir la volonté ; et que celui qui en a la volonté demande à Dieu qu'il lui en donne les moyens ; enfin, que celui qui en a les moyens comme la volonté demande la grâce d'en venir promptement à l'exécution, pour ne pas manquer par ses délais l'occasion de faire ce qu'il a et le pouvoir et le dessein d'accomplir. Car la miséricorde est le rempart du salut, l'ornement de la foi, la propitiation pour les péchés, c'est elle qui éprouve les justes, qui affermit les saints, qui distingue les serviteurs de Dieu. C'est en la pratiquant qu'on réussit à plaire à Dieu, qu'on se rend favorable le souverain juge, qui voit avec contentement le pauvre nourri, l'indigent soulagé dans sa misère. Si tout le monde est obligé de remplir ce devoir, il est surtout obligatoire pour les chrétiens qui, ayant reçu plus de bienfaits de Dieu, sont tenus à plus de reconnaissance. "

9. S. AMBROISE (On a déjà fait observer que les commentaires dits de saint Ambroise sur les épîtres de saint Paul, ne sont pas du saint archevêque de Milan, mais plutôt d'Hilaire de Sardaigne, diacre de l’Eglise romaine. V. NAT. ALEX., Hist. eccles., t. IV, p. 327), in caput IV epistolæ I ad Timotheum, sur ces paroles de saint Paul, Pietas ad omnia utilis est : " Si quelqu'un donc succombe aux tentations de la chair tout en exerçant les œuvres de miséricorde, quel jugement subira-t-il ? Sans aucun doute il sera puni, parce qu'il ne devait pas omettre un devoir, en s'acquittant d'un autre devoir. Mais s'il n'a pour se recommander que ses mortifications corporelles, il sera condamné au

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supplice éternel de l'enfer, ainsi que le Seigneur le déclare dans l’Evangile. Toute notre religion, en effet, se résumé ans la piété et la miséricorde. "

10. S. AMBROISE, in Lucæ caput III : " Saint Jean-Baptiste donne à chacun de ceux qui s'adressent à lui la réponse qui convient à sa position particulière ; mais toutes ces réponses reviennent à la même : car s'il dit aux publicains de ne rien exiger au-dessus de la taxe fixée par les lois, il dit aux soldats de n'opprimer personne, de n'enlever le bien de personne, en leur enseignant que, si on leur donne une solde fixe, c'est pour les détourner du brigandage. Mais toutes ces diverses obligations, assorties à la condition particulière de chacun, se conviennent cependant en ce que toutes se résument dans le devoir de la miséricorde. Ainsi l'obligation de cette vertu embrasse toutes les professions, s'adresse à tous les âges, se recommande à tout le monde sans exception. Ni le publicain, ni le militaire, ni les gens de la campagne, ni ceux de la ville, ni les riches, ni les pauvres, ne sont exempts de ce devoir : tous ensemble sont avertis, s'ils ont quelque chose, de donner à celui qui n'a rien. Car la miséricorde est le complément de toutes les vertus. Et c'est pour la montrer à tous sous sa forme la plus générale que le saint précurseur nous a dit de ne refuser au prochain ni la nourriture ni le vêtement. Toutefois l'exercice de la miséricorde doit être mesuré sur les moyens de chacun, et sans se dépouiller de tout ce qu'on peut avoir, on doit du moins partager ce qu'on a avec le pauvre qui n'a rien. "
 
 

Observation.

Quand l’Ecriture sainte ou les saints Pères, dont nous venons de citer les paroles, attribuent aux aumônes, aux jeûnes et aux autres œuvres de piété la vertu d'effacer ou de racheter les péchés, particulièrement les mortels (car il n'y a pas de difficulté par rapport aux véniels), cela, comme toute autre chose semblable, doit s'entendre en ce sens que ces diverses sortes d'œuvres préparent et disposent le pécheur à obtenir le pardon de ses péchés et à recouvrer la grâce de la justification dans le sacrement de pénitence. Car ce sacrement, ainsi que l'enseigne le saint concile de Trente, est aussi nécessaire pour le salut à ceux qui sont tombés dans le péché depuis leur baptême, que le baptême lui-même l'est à ceux qui ne sont pas encore baptisés. Cette même manière de parler de l'Ecriture et des Pères doit s'entendre encore

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dans cet autre sens, qu'en pratiquant ces œuvres lorsque nous sommes déjà réconcilié, nous satisfaisons pour nos péché quant à la peine temporelle, qui pour l'ordinaire reste à acquitter après que la coulpe elle-même a été remise. C'est ce qu'exprime saint Thomas de la manière suivante (1. 2æ, q. 113, art. 4, ad 1um) : " Quant à l'acte de miséricorde, ou bien on l'accomplit par manière de satisfaction pour le péché pardonné, et alors il est une conséquence de la justification ; ou bien on s'en acquitte par manière de préparation, et c'est particulièrement en ce dernier sens que les miséricordieux obtiendront miséricorde. En ce second sens que nous venons de dire, l'acte de miséricorde peut précéder la justification ou concourir à la produire simultanément avec les autres vertus requises, en tant que la miséricorde est comprise dans l'amour du prochain. " Ou, comme le même saint docteur dit ailleurs (2. 2æ, q. 154, art. 2, ad 5um) : " Celui qui éprouve les tentations de la chair se délivre de la damnation éternelle au moyen des œuvres de piété en tant que par ces œuvres il se dispose à obtenir la grâce du repentir, et en tant qu'il satisfait par ces mêmes œuvres pour les péchés de la chair qu'il a commis ; mais non en tant que ces œuvres de piété puissent suffire pour le délivrer, quand même il persisterait dans ses habitudes criminelles et demeurerait impénitent jusqu'à la mort. " Cette doctrine revient à celle qu'a enseigné saint Augustin dans son Enchiridion ou Manuel, c. 75, 76 et 77, et dans son sermon 50 de verbis Domini, passages rapportés plus haut, question XI (ou II), témoignages 18, 19, 20 et 21, pag. 38 et suiv.
 
 

Question V

Les œuvres de miséricorde sont-elles toutes d’une même espèce ?

Les œuvres de miséricorde se divisent en deux espèces différentes, puisqu'elles ont pour objet, les unes les besoins corporels, et les autres les besoins spirituels ou le salut du prochain.

Nous trouvons un beau modèle de ces deux espèce de miséricorde à la fois dans ce que Job, ce saint patriarche, rapporte de lui-même : La compassion a crû avec moi dès mon enfance, et elle est sortie avec moi du sein de ma mère. . . J'étais l'œil de l'aveugle et le pied du boiteux ; j’étais le père des pauvres, et j'instruisais avec un soin extrême les causes qu'ils portaient à ma connaissance. Je brisais

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les dents de l'homme injuste, et je lui arrachais sa proie de la bouche. . . - L'étranger n'est point demeuré dehors ; ma porte a toujours été ouverte au voyageur.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Job, XXXI, 16-22, 32 : " Si j'ai repoussé la prière du pauvre, et que j'aie fait languir les yeux de la veuve ; - si j'ai mangé tout seul mon pain, et si je n'en ai pas fait part à l'orphelin ; - car la compassion a crû avec moi dès l'enfance, et elle est sortie avec moi du sein de ma mère ; - si j'ai négligé celui qui manquant d'habits mourait de froid, et le pauvre qui était sans vêtement ; - si les membres de son corps ne m'ont pas béni, réchauffés qu'ils étaient par la toison de mes béliers ; - si j'ai levé la main pour faire condamner le pupille, lors même que je me voyais le plus fort dans l'assemblée des juges ; - que mon épaule tombe détachée de sa jointure, et que mon bras se brise avec tous ses os. . . - L'étranger pendant la nuit, n'est point resté sans refuge ; ma porte a toujours été ouverte au voyageur. "

2. Ibid., XXIX, 11-17, 25 : " L'oreille qui m'entendait célébrait mon bonheur ; l'œil qui me voyait me rendait témoignage ; - parce que j'avais sauvé le pauvre de l'oppression, et protégé l'orphelin laissé sans défense. - Je recevais les bénédictions de celui qui sans moi allait périr, et je remplissais de consolations le cœur de la veuve. - La justice était mon vêtement et l'équité mon manteau et mon diadème. - J'étais l'œil de l'aveugle et le pied du boiteux ; - j’étais le père des pauvres, et j'instruisais avec un soin extrême les causes qu'ils portaient à ma connaissance. - Je brisais les dents de l'homme injuste, et je lui arrachais sa proie de la bouche. . . - Si je voulais aller parmi eux (ceux au milieu desquels je vivais), je marchais à leur tête, et

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j’étais comme un roi au milieu des gardes qui l'entourent, comme un consolateur au milieu des affligés. "

3. Ibid., XXXI (comme ci-dessus, témoignage).
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Lib. de moribus Ecclesiæ catholicæ, c. 27 : " L'homme donc, ainsi qu'il nous apparaît est une âme raisonnable qui a pour organe un corps mortel et terrestre. En conséquence, quiconque aime l'homme, cherche à lui faire du bien, soit en son corps, soit en son âme. L'art de procurer le bien du corps s'appelle médecin ; on appelle discipline ou morale celui de procurer le bien de l’âme. "

" Mais ici j'appelle médecine, tant l'art de conserver la santé que celui de la rétablir (C'est-à-dire, en style moderne, tant l'hygiène que la thérapeutique). Je comprends donc sous ce mot non-seulement la science dont s'occupent en particulier les médecins de profession, mais encore tout ce qui se rapporte à la nourriture et à la boisson, tout ce qui a pour objet de couvrir le corps, de l'abriter et de le défendre ou de le protéger contre les injures de l'air, ou contre tout autre mal extérieur ; car la faim, la soif, le froid et le chaud, et tous les autres maux qui viennent du dehors, compromettent nécessairement la santé ou le bien-être corporel. "

" C'est pourquoi ceux qui fournissent charitablement aux autres les moyens d'éloigner d'eux ces diverses misères, sont appelés miséricordieux, quand même, par une sagesse stoïque (Saint Augustin explique cet endroit dans ses Rétractations (lib. I Retr., c. 7), où il dit qu'il n'a pas entendu qu'il y eût sur la terre des sages de cette espèce, exempts de toutes passions, comme le voulaient les stoïciens, mais seulement que, quand même il y en aurait, on ne laisserait pas de les appeler miséricordieux), ils en seraient venus au point de voir sans douleur la misère d'autrui. Car qui ne sait que ce nom de miséricorde vient de ce qu'elle rend en quelque sorte misérable le cœur que contriste la misère dont on est témoin. Et qui oserait nier que le sage doive être exempt de misère, lorsqu'il prête secours à un malheureux, lorsqu'il apaise sa faim, lorsqu'il étanche sa soif, lorsqu'il couvre sa nudité, lorsqu'il lui donne asile, lorsqu'il le délivre de l'oppression, lorsqu'il étend sa charité jusqu’à ensevelir les morts ? Quand même il s'acquitterait de tous ces devoirs sans en ressentir d'émotion, pas plus que de douleur, mais uniquement par motif de bonté, il n'en mériterait pas moins le nom de miséricor-

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dieux. Qu'importe en effet que la misère soit dans le nom, si elle n'est pas dans la chose (Cf. Traduction du livre de saint Augustin, des Mœurs, p. 87-88) ? "

2. Le même, ibidem, c. 28 : " Pour ce qui est de la discipline ou de la morale, qui a pour objet de rétablir la santé de l'âme, sans laquelle celle du corps n'empêcherait pas d'être malheureux, c'est un point de fort difficile exécution. Et comme nous disions pour ce qui concerne le corps, qu'autre chose est de guérir les maladies et les plaies,- ce dont peu de personnes sont capables, autre chose d'apaiser la faim ou la soif, et d'exercer les autres actions de charité que peut faire tout le monde indifféremment ; ainsi, pour ce qui concerne l'âme, il y a des points sur lesquels on peut exercer la miséricorde à son égard sans avoir besoin d'une instruction rare ou élevée comme lorsqu'on exhorte quelqu'un à rendre aux indigents les services dont nous avons parlé en traitant de la miséricorde corporelle. Car si c'est subvenir au corps que de rendre ces sortes de services, exhorter à les rendre c'est subvenir à l'âme. Mais il y a d'autres sujets où la multitude et la variété des maladies spirituelles requièrent pour leur guérison une science extraordinaire et consommée. . . Or, cette discipline, dont nous traitons maintenant, et qui est à proprement parler la médecine de l'âme, peut être divisée en deux branches, autant que nous pouvons l'inférer des divines Ecritures. La première de ces branches, c'est la correction, comme on peut l'appeler ; la seconde, c'est l'instruction. La correction a la crainte pour mobile, tandis que celui de l'instruction, c'est l'amour ; je veux dire dans le sujet qui reçoit l'une ou l'autre : car, quant à celui même qui instruit ou qui corrige, l'amour est toujours son mobile. "

" Celui donc qui aime son prochain, travaille autant qu'il le peut à lui procurer la santé tant de l'âme que du corps ; mais les soins qu'il donne au corps doivent encore se rapporter au bien de l'âme. Et ainsi il conduit l'âme par ces deux degrés dont le premier est de craindre, et le second d'aimer Dieu. En cela consiste la perfection des meurs, perfection qui nous mène à la connaissance de la vérité, à laquelle tendent tous nos désirs et tous nos efforts (Cf. Ibidem, p.90-93). "

3. Le même, Enchirid. ad Laurentium, c. 72 (al. 24, n. 19) : " C'est faire l'aumône, non-seulement que de donner à manger

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à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont à soif, des habits à ceux qui sont nus, l'hospitalité aux étrangers une retraite ou un asile à ceux qui fuient leurs ennemis ; de visiter les malades ou les prisonniers, de racheter les captifs, de voiturer les faibles, de conduire les aveugles, de consoler les affligés, de procurer des remèdes à ceux dont la santé est dérangé, de remettre dans le chemin ceux qui sont égarés, d'aider de ses conseils ceux qui ne savent quel parti prendre ; en un mot, de donner à chacun le secours dont il a besoin ; mais c'est encore une véritable aumône que de pardonner au prochain les fautes dont il est coupable. C'est encore une œuvre de miséricorde, et par conséquent une aumône, que de châtier ou de retenir dans le devoir, par quelque moyen sévère celui sur qui on a de l'autorité, si cette correction n'empêche pas de lui pardonner sincèrement l'offense qu'on en a reçue et de prier Dieu de la lui pardonner lui-même. On pratique même en cela une double aumône : car c'en est une de pardonner au prochain et de prier pour lui, et c'en est une aussi de le corriger et de le punir pour son amendement. Il y a en effet beaucoup de bien à faire aux hommes en dépit d'eux-mêmes, si l'on consulte moins leur volonté que leur avantage, puisque souvent les hommes sont ennemis de leur propre bonheur, et que ceux qu'ils regardent comme leurs ennemis sont plutôt leurs véritables amis ; et cet aveuglement fait qu'au lieu qu'un chrétien ne doit jamais rendre le mal même pour le mal, ces hommes injustes rendent quelquefois le mal pour le bien à ceux qui ne cherchent qu’à leur être utiles. Il y a donc bien des sortes d'aumônes dont la pratique nous aide à obtenir la rémission de nos péchés (Cf. Le Manuel de saint Augustin, dans les Traités choisis, t. II, p. 403-404). "

4. Le même, (Ou plutôt Alcuin, si, comme le soutient Noël- Alexandre, ce sermon n'est qu'un extrait des chapitres VII et VIII de l'ouvrage de Virtutibus et vitiis de ce célèbre auteur), Sem. CCIII de tempore : " Il y a plusieurs sortes d'aumônes dont la pratique nous aide à obtenir la rémission de nos péché ; mais il n'y en a pas de plus grande que celle qu'on exerce en pardonnant les fautes du prochain. Car on ne fait pas l'aumône seulement en donnant à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif, des habits à ceux qui sont nus, l'hospitalité aux étrangers, en donnant en un mot à chacun les secours matériels qui lui sont nécessaires ; mais on la fait

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encore on pardonnant au prochain l'offense dont il a pu se rendre coupable. C'est même faire l'aumône, que de châtier avec la verge, ou de corriger de toute autre manière celui sur qui on a quelque autorité, pourvu qu'en même temps on lui pardonne son péché du fond du cœur, ou qu'on prie Dieu de le lui pardonner, si l'on en a souffert soi-même quelque injure ou qu'on en ait essuyé quelque tort ; et alors l'aumône consiste, et en ce qu'on pardonne au prochain et qu'on prie pour lui, et même en ce qu'on le réprimande et qu'on le punit, puisque, sous un rapport comme sous un autre, on subvient son besoin et on remédie à sa misère. "

5. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Lib. XXI Moralium, c. 12 (al. 7), écrivant sur le chapitre XXXI du livre de Job : " Si j'ai repoussé la prière du pauvre. Ces paroles nous font connaître que cet homme admirable n'a pas seulement assisté les pauvres selon leurs besoins, mais qu'il l'a fait même jusqu'à satisfaire leurs désirs. Mais, me dira-t-on, si les pauvres souhaitaient des choses qui leur seraient nuisibles ? A cela on peut répondre que, comme l'Ecriture appelle d'ordinaire les humbles du nom de pauvres, on doit supposer que les pauvres ne demandent à recevoir que ce que les humbles peuvent désirer. Or, il est indubitable que nous ne devons faire aucune difficulté de donner tout ce qu'on nous demande avec une véritable humilité, c'est-à-dire pour soulager la nécessité, et non pour satisfaire de vains désirs. . . "

" Et si j'ai fait languir les yeux de la veuve. Il voulait que la veuve n'attendît pas longtemps de lui l'effet de sa demande, pour ajouter au mérite de sa bonne œuvre, en ne donnant pas seulement avec libéralité, mais encore avec promptitude. Ce qui a fait dire à un autre écrivain sacré : Ne dites pas à votre ami qui vous demande : Allez, revenez demain, et je vous donnerai, lorsque vous pouvez lui donner a l'heure même (Prov., III, 28). "

" Il y en a d'autres qui, à la vérité, donnent facilement l'aumône, mais qui, ne pouvant s'abaisser à traiter avec les pauvres comme avec des frères, évitent de les admettre à converser avec eux. Job, au contraire, pour nous faire entendre qu'il ne donnait pas seulement de grandes aumônes, mais qu'il recevait encore souvent des pauvres dans sa société et dans sa maison, dit ensuite : Si j'ai mangé mon pain tout seul, et si je n'en ai pas fait part à l'orphelin (ibid., 12). Ce saint homme eût cru déroger à sa piété, s'il eut mangé seul ce que le Créateur de toutes choses a fait pour être commun à tous. Et en effet, cette communauté de vie et cette familiarité de conversation doit bien s'étendre à

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ceux qui nous servent à mériter la récompense éternelle. C'est pourquoi ce saint homme témoigne qu'il a eu l'orphelin pour compagnon à sa table. "

" Job fait connaître en même temps si c'est de lui-même, ou par un don du Créateur qu'il a acquis ces vertus, lorsqu'il ajoute : Car la compassion a crû avec moi dès mon enfance, et elle est sortie avec moi du ventre de ma mère (ibid., 13). Car quand même on voudrait rapporter au libre arbitre le progrès de cette vertu de compassion pratiquée des l'enfance, il est impossible de lui en rapporter de même la première origine, ou l'avantage de l'avoir eue en sortant, pour ainsi dire, du sein maternel. Ainsi n'attribue-t-il rien à ses propres forces, puisqu'il marque si clairement qu'il tient cet avantage de la libéralité de son Créateur. Et cette déclaration qu'il fait est tout entière à la louange de la bonté divine, dont il reconnaît avoir reçu avec l'existence cette vertu même dont il est doué. Comme il n'a pas pu, en effet, se former lui-même dans le sein de sa mère, il n'a pas pu davantage se donner à lui-même cette vertu. "

6. Ibidem, c. 13 (al. 8) : " En ne méprisant pas le pauvre, il a fait paraître son humilité, en lui donnant de quoi se couvrir, il fait éclater sa miséricorde. Car ces deux vertus doivent être tellement unies ensemble, qu'elles s'entraident et se soutiennent mutuellement ; en sorte que l'humilité qui nous inspire des égards pour le prochain, n'abandonne jamais la miséricorde et que la miséricorde elle-même ne s'enfle pas d'orgueil en faisant l'aumône. Il faut que la miséricorde soutienne l'humilité et l'humilité la miséricorde, afin que toutes les fois que nous voyons un pauvre, qui à coup sûr est de même nature que nous, manquer des choses nécessaires à la vie, ni la dureté de notre cœur, ne nous le fasse délaisser, ni l'orgueil ne nous le fasse traiter avec mépris. Car il y en a qui, pressés par les pauvres, qui sont leurs frères, de leur prêter assistance, les chargent d'injures avant de leur accorder leur demande. Et ainsi, tout en pratiquant la charité par le secours dont ils les assistent, ils perdent par leurs paroles outrageuses le mérite de l'humilité, de sorte que souvent, en leur donnant l'aumône après leur avoir dit ces injures, ils semblent ne faire autre chose que de réparer à leur égard l'offense qu'ils leur ont faite. C'est donc peu de chose à eux, après cela, que de donner la charité qu'on leur demande, puisqu'elle suffit à peine pour couvrir et effacer l’excès de paroles dont ils sont coupables. Et c'est proprement à eux que l'Ecriture dit : Lorsque

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vous donnez, ne causez point de tristesse par quelque mauvaise parole (Ecclé., XVIII, 15) ; et encore : Joignez de bonnes paroles a l’aumône (ibid., 17), c'est-à-dire : Donnez l'aumône par esprit de charité, et à cette aumône même joignez de bonnes paroles par humilité. "

" Il y en a d'autres qui ne veulent pas assister leurs frères de leurs biens quand ils le peuvent, mais qui se contentent de les consoler par de douces paroles. Saint Jacques reprend fortement cette autre sorte de personnes, lorsqu'il dit : Si un de vos frères ou quelqu’une de vos sœurs n'a pas de quoi se vêtir et qu'ils manquent de ce qui leur est nécessaire chaque jour pour vivre ; si en ce cas quelqu'un d’entre vous leur dit : Allez en paix, je vous souhaite de quoi vous couvrir et de quoi manger, sans leur donner néanmoins ce qui leur est nécessaire pour couvrir et nourrir leur corps, à quoi cela vous servira-t-il (JAC., II, 15-16) ? L'apôtre saint Jean donne aussi l'avertissement suivant à ses disciples : Mes petits enfants, n'aimons pas en paroles ni du bout des lèvres seulement, mais par les œuvre et en vérité (I JEAN, III, 18). Car notre charité doit se témoigner toujours, et par la douceur de nos paroles, et par l'effet de nos libéralités. "

7. Ibidem, c. 14 (al. 8) : " Ceux qui donnent seront moins tentés de concevoir de la vanité de ce qu'ils donnent, s'ils ont soin de bien peser ces paroles que leur divin Maître dit dans l'Evangile : Employez les richesses injustes à vous faire des amis, afin que, lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les demeures éternelles (LUC, XVI, 9). Car si c'est l'amitié des pauvres qui nous obtient cette habitation céleste, ceux qui donnent doivent se représenter qu'ils offrent plutôt des présents à des protecteurs que des aumônes à des indigents. C'est ce qui a fait dire à saint Paul : Il faut que votre abondance supplée maintenant à leur pauvreté afin que votre pauvreté soit un jour soulagée par leur abondance (II Cor., VIII, 14). Car ces paroles nous donnent à entendre que ceux que nous considérons maintenant comme pauvres et nécessiteux nous paraîtront un jour très-riche et très-opulents et que nous, qui paraissons maintenant si riches, nous serons un jour très-pauvres si nous négligeons de donner à ceux qui sont dans le besoin. Ainsi, on peut dire de celui qui donne maintenant aux pauvres un secours temporel, qu'il cultive une bonne terre, qui lui rendra un jour avec abondance plus qu'il ne lui aura confié. Il ne faut donc pas s'enfler de vanité pour les aumônes que l'on donne, puisque, en donnant au

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pauvre, le riche prévient pour lui-même le malheur d'être pauvre dans l'éternité. "

" C'est pourquoi le bienheureux Job, voulant nous montrer quelles ont été en lui tout à la fois et la miséricorde et l'humilité a dit ici : Si j'ai méprisé le passant parce qu'il était mal habillé et le pauvre parce qu'il était nu ; si les membres de son corps ne m'ont pas béni, lorsqu'ils ont été réchauffé par les toisons de mes béliers (ibid., 20) ; comme s'il disait : J'ai réprimé tout à la fois en moi-même par l'effet de mon amour pour le prochain, et le vice de l'orgueil, et celui de l'inhumanité en regardant le pauvre sans dédain, et en lui donnant charitablement de quoi se couvrir. Et en effet, quiconque se préfère par un sentiment de vanité à celui à qui il donne, fait plus de mal en s'enflant d'orgueil dans son cœur qu'il ne fait de bien et n'acquiert de mérite en donnant l'aumône. Il se dépouille des biens intérieurs et véritables, tout en revêtant un pauvre, s'il méprise celui-ci, et il se trouve par-là déchoir d'autant plus en lui-même, qu'il surpasse à ses propres yeux celui dont il soulage la misère. Car celui qui manque de vêtements est moins pauvre que celui qui manque d'humilité. C'est pourquoi, quand nous voyons quelqu'un de nos semblables avoir besoin de certains biens extérieurs, nous devons penser en nous-mêmes combien il y a de biens intérieurs qui nous manquent, afin de ne pas nous élever dans notre pensée au-dessus des pauvres, puisque nous devons reconnaître que nous sommes nous-même d'autant plus véritablement pauvres, que notre pauvreté est plus intime et plus cachée. "

" Il y a aussi des riches qui n'étendent pas leur charité aux indigents qui leur sont inconnus, mais qui la restreignent à ceux qu'ils connaissent, par l'habitude qu'ils ont de les voir ; sur qui par conséquent les droits de l'amitié ont plus de pouvoir que ceux de la nature, puisque ceux qu'ils soulagent, ils les soulagent moins parce qu'ils sont hommes, que parce qu'ils sont connus d'eux. C'est à cette sorte de riches à s'appliquer à eux-mêmes ce que Job dit ici : Si j'ai méprisé le passant parce qu'il était mal habillé. Car, en appelant du nom de passants les pauvres qu'il assistait, Job fait bien voir qu'il étendait son assistance même à ceux, qui lui étaient inconnus, et qu'ainsi le sentiment de la nature agissait plus en lui à leur égard que le sentiment d'amitié. Quoique, vrai dire, quiconque est dans l'indigence, par cela même qu'il est homme, ne doive être considéré par aucun de nous comme un inconnu. "

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Ibidem, c. 9 : " Job dit ensuite (XXXI, 21) : Si j'ai levé la main pour faire condamner le pupille, lors même que je me voyais le plus fort à la porte de la ville, c'est-à-dire dans l'assemblée des juges. C'était autrefois la coutume, que les anciens se tinssent à la porte des villes pour instruire les causes de ceux qui étaient en procès, afin que ceux-ci se missent d'accord, s'ils voulaient entrer dans un lieu tel que les villes, où la concorde doit régner particulièrement. C'est pour cela que le Seigneur dit par la bouche d'un prophète : Constituite in portâ judicium, faites régner la justice à la porte de la ville (AMOS, V, 15). Il faut donc entendre ici par la porte de la ville ce qui avait coutume de s'y faire. Car de même qu'on appelle campagne le service militaire, parce qu'il se fait d'ordinaire sur la campagne, ainsi les écrivains appellent porte de la ville les jugements qu'on avait coutume d'y rendre. Celui-là donc se voit le plus fort et la porte de la ville, qui sait que sa cause sera trouvée la meilleure devant des juges équitables. Et ainsi, en témoignant qu'il n'a pas levé la main sur le pupille lors même qu'il avait l'avantage sur lui par la justice de sa cause, Job nous donne un beau motif de crainte et d'humilité comme s'il disait en termes exprès : Je n'ai pas voulu user avec rigueur de mes avantages contre le pupille, lors même que j'avais le dessus en justice (Cf. Les Morales de saint Grégoire, t. III, p. 363-374). "
 
 

Question VI

Combien compte-t-on de sorte d’œuvres de miséricorde, tant corporelles que spirituelles ?

On en compte sept de chacune de ces deux espèces (Il est bon de se rappeler ici ces deux vers techniques : Consule, carpe, doce, solare, remitte, fer, ora. Visito, poto, cibo, redimo, tego, colligo, condo.). Les œuvres corporelles sont celles-ci : nourrir ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, racheter les captifs, visiter les malades, donner l'hospitalité aux étrangers et ensevelir les morts.

Les œuvre spirituelles sont les suivantes : corriger ceux qui pèchent, instruire les ignorants, donner de bons conseils à ceux qui en ont besoin, prier Dieu pour le salut du prochain, consoler les affligés, supporter patiemment les injures, pardonner les

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offenses. Ces devoirs de charité sont si connus des chrétiens et même en partie des peuples les plus barbares, qu'il serait superflu de s'arrêter à les expliquer.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. MATTHIEU, XXV, 34-36 : " Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume que je vous ai préparé dès le commencement du monde. J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m'avez recueilli ; j'étais nu, et vous m'avez revêtu ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus me trouver, etc. "

2. Tobie, I, 19-20 : " Tobie allait tous les jours visiter ceux de sa parente, les consolait, et distribuait de son bien à chacun d'eux, selon qu'il le pouvait. - Il nourrissait ceux qui avaient faim, donnait des vêtements à ceux qui étaient nus, et ensevelissait avec soin ceux qui étaient morts ou qui avaient été tués. "

3. Ibid., II, 1-9 : " Après ce temps-là, un jour de fête du Seigneur étant arrivé, Tobie fit apprêter un grand repas dans sa maison, - et dit à son fils : Va, et amène ici quelques-uns de ceux de notre tribu qui craignent Dieu, afin qu'ils mangent avec nous. - Son fils sortit donc, et étant rentré, il lui annonça qu'un des enfants d'Israël avait été tué, et que son cadavre restait étendu dans la rue. Aussitôt il se leva de table, et, laissant là le diner, il vint à jeun trouver le cadavre ; - et l'enlevant dans ses bras, il l'emporta secrètement chez lui, pour l'ensevelir plus sûrement après le coucher du soleil. - Et ce ne fut qu'après qu'il eut caché le corps, qu'il se mit à manger avec chagrin et tremblement, - repassant en lui-même cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète Amos : Vos jours de fêtes se changeront en gémissement et en larmes. - Et lorsque le soleil fut

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couché, il alla ensevelir le cadavre. - Or, tous ses proches le blâmaient, et disaient : On a déjà commandé qu'on vous fît mourir pour un tel sujet, et vous avez eu bien de la peine à sauver votre vie, et après cela vous ensevelissez encore les morts. - Mais Tobie, qui craignait plus Dieu que le roi, n’en continuait pas moins à emporter les corps de ceux qui avaient été tués, à les cacher dans sa maison, et à les ensevelir au milieu de la nuit. "

4. Ibid., XII, 42 : " Quand tu priais avec larmes, et que tu ensevelissais les morts (dit Raphaël) que tu quittais ton dîner et que tu cachais les morts dans ta maison pendant le jour, pour les ensevelir pendant la nuit, je présentais ta prière au Seigneur.) "

5. II Samuel, II, 4-6 : " Alors ceux de la tribu de Juda étant venus à Hébron, y sacrèrent David, afin qu'il régnât sur la maison de Juda. En même temps, on rapporta à David que ceux de Jabès, en Galaad, avaient enseveli Saül. Il envoya aussitôt ses gens pour leur dire : Soyez béni du Seigneur, pour avoir usé de cette humanité envers Saül votre seigneur, et l'avoir enseveli. - Le Seigneur vous le rendra bientôt selon sa miséricorde et sa vérité, et moi-même je vous récompenserai de ce que vous avez fait ainsi. "

6. MATTHIEU, XVIII, 15-16 : " Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa faute entre vous et lui seul ; s'il vous écoute, vous aurez gagné votre frère. - Mais s'il ne vous écoute pas, prenez avec vous une ou deux personnes, afin que tout soit confirmé par l'autorité de deux ou trois témoins. "

7. I Timothée, V, 20 : " Reprenez les pécheurs devant tout le monde, afin d'inspirer de la crainte aux autres. "

8. Ecclésiastique, XVIII, 13-14 : " Dans sa miséricorde, il enseigne et châtie les hommes, comme un pasteur fait a l'égard de ses brebis. - Il prend pitié de celui qui reçoit ses instructions pleines de bonté, et qui se hâte de se soumettre à ses jugements. "

9. II Timothée, IV, 2-3 : " Annoncez la parole, pressez les hommes à temps et à contretemps, reprenez, suppliez, menacez, sans vous lasser jamais de les tolérer et de les instruire. - Car il viendra un temps où les hommes ne pourront plus supporter la saine doctrine, et dans l'extrême démangeaison qu'ils éprouveront d'entendre ce qui flatte, ils auront recours à une foule de docteurs empressés de satisfaire leurs désirs. "

10. ISAIE, LII, 7 : " Qu'é sont beaux les pieds de celui qui

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annonce et prêche la paix sur les montagnes, qui annonce la bonne nouvelle, qui prêche le salut, qui dit à Sion : Ton Dieu va régner ! "

11. JEREMIE, XV, 19 : " C'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur : Si vous vous tournez vers moi, je ferai que vous vous tourniez de même et que vous demeuriez fermes devant ma face ; et si vous savez distinguer ce qui est précieux d'avec ce qui est vil, vous serez alors comme la bouche de Dieu. Ce ne sera pas toi qui te tourneras vers le peuple, mais ce sera ce peuple qui se tournera vers toi. "

12. DANIEL, XII, 2-3 : " Et toute cette multitude qui dort dans la poussière de la terre se réveillera les uns pour la vie éternelle, les autres pour un opprobre qu'ils auront toujours devant les yeux. - Or, ceux qui posséderont la science du salut brilleront comme les feux du firmament, et ceux qui auront enseigné à plusieurs la voie de la justice, luiront comme des étoiles dans toute l'éternité. "

13. JACQUES, V, 19-20 : " Mes frères, si l'un d'entre vous s'égare hors des sentiers de la vérité, et que quelqu'un l'y fasse rentrer, - qu'il sache que celui qui aura converti un pécheur et l’aura retiré de son égarement sauvera son âme de la mort, et couvrira la multitude de ses péchés. "

14. Galates, VI, 4 : " Mes frères, si quelqu'un tombe par surprise en quelque péché, vous y qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion sur soi-même et se maintenant dans la crainte d'être tenté aussi bien que lui. "

15. Proverbes, XXVII, 9 : " Le parfum et la variété des odeurs réjouit le cœur et les bons conseils d'un ami sont les délices de l'âme. "

16. Ecclésiastique, V, 14 : " Si vous savez quelles sont les choses à dire, répondez à votre prochain ; sinon, que votre main soit sur votre bouche, de peur qu'il ne vous échappe quelque parole indiscrète, et qu'il ne vous en revienne de la confusion. "

17. MATTHIEU, V, 44-45 : " Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, - afin que vous soyez les enfants de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et sur les impies. "

18. JACQUES, V, 16 : " Confessez donc vos fautes les uns aux

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autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés ; car la prière persévérante du juste a beaucoup de pouvoir. "

19. Ecclésiastique, VII, 38-40 : " Ne manquez pas de consoler ceux qui sont dans la tristesse, et pleurez avec ceux qui pleurent. - Ne soyez point paresseux à visiter les malades : car c'est ainsi que vous vous affermirez dans la charité. - Dans toutes vos actions, souvenez-vous de votre fin dernière et vous ne pécherez jamais. "

20. II Corinthiens, I, 3-4 : " Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, - qui nous console dans tous nos maux, afin que nous puissions aussi consoler les autres dans tous leurs maux, en leur faisant part de la même consolation que nous recevons nous-mêmes de Dieu. "

21. Tite, III, 1-2 : " Avertissez-les d'être soumis aux princes et aux magistrats, de leur rendre obéissance, d'être prêts à faire toutes sortes de bonnes œuvres - de ne médire de personne, de fuir les procès et les querelles, d'être retenus et modérés et de témoigner toute la douceur possible à l'égard de tout le monde. "

22. I Thessaloniciens, V, 14-15 : " Je vous en prie encore, mes frères, reprenez ceux qui ne se tiennent pas tranquilles, consolez ceux qui ont l'esprit abattu, supportez les faibles, soyez patients envers tous. - Prenez garde que personne ne rende à un autre le mal pour le mal ; mais soyez toujours prêt à faire du bien, et à vos frères, et à tout le monde. "

23. Romains, XV, 1-3 : " Nous devons donc, nous qui sommes plus forts, supporter les faiblesses des infirmes, et non chercher notre propre satisfaction. - Que chacun de vous ait de la complaisance pour son prochain en ce qui est bon et qui peut édifier. - Car Jésus-Christ n'a pas cherché sa propre satisfaction, selon ces paroles de l'Ecriture : Les outrages de ceux qui vous insultaient sont tombés sur moi. "

24. MATTHIEU, V, 23-24 : " Si donc vous offrez votre présent à l'autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez-là votre présent devant l'autel, et allez auparavant vous réconcilier avec votre frère ; puis vous viendrez offrir votre présent. "

25. Ibid., VI, 14-15 : " Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres ;

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et si vous ne leur pardonnez pas, votre Père céleste ne vous pardonnera pas non plus. "

26. Ibid., XVIII, 35 : " C'est ainsi que vous traitera votre Père céleste si vous ne pardonnez pas chacun à votre frère du fond de votre cœur. "

27. MARC, XI, 25-26 : " Lorsque vous vous présenterez pour prier, et que vous aurez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est dans le ciel vous pardonne aussi vos offenses. - Que si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans le ciel ne vous pardonnera pas non plus vos offenses "

28. Ecclésiastique, XXVIII, 1-5 : " Celui qui veut se venger encourra la vengeance du Seigneur, et Dieu tiendra en réserva ses péchés pour jamais. - Pardonnez à votre prochain le mal qu'il vous a fait, et vos péchés vous seront remis quand vous en demanderez pardon. - Un homme garde sa colère contre un homme, et il ose demander à Dieu sa guérison ? - Il n'a pas pitié de son semblable, et il demande à obtenir le pardon de ses péchés ? - Lui qui n'est que chair garde sa colère et il prétend recevoir miséricorde de Dieu ? Qui pourra lui obtenir le pardon de ses péchés ? "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, livre I de la Cité de Dieu, c. 13 : " Toutefois il ne faut pas négliger et abandonner les corps des morts, surtout ceux des fidèles et des gens de bien, dont le Saint- Esprit s'est servi comme d'autant d'organes pour toute sorte de bonnes œuvres. Si l'habit d'un père, son anneau, ou tel autre semblable objet est d'autant plus précieux aux yeux de ses enfants, qu'ils ont plus d'affection pour sa mémoire, à plus forte raison devons-nous prendre soin de leurs corps, qui ont avec nous des rapports tout autrement intimes que les vêtements de ceux mêmes qui nous seraient les plus chers, puisqu'ils ne servent pas seulement à l’homme de parure ou de défense, mais qu'ils font partie de sa nature même. Aussi voyons-nous qu'on rendait aux justes des premiers temps ces derniers devoirs de piété, qu'on célébrait leurs obsèques, qu'on pourvoyait à leur sépulture, et qu'eux-mêmes, pendant qu'ils vivaient encore, ordonnaient à leurs enfants d'ensevelir, ou même quelquefois de transporter leurs restes. Le soin des morts, au témoignage de l'Ange, attira sur Tobie les grâces de Dieu. Et Notre-Seigneur lui-même, qui devait

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ressusciter le troisième jour, ne laisse pas d'exalter par ses louanges et de vouloir qu'on publie la bonne action de cette pieuse femme, qui répande sur lui un parfum précieux comme pour l'ensevelir d'avance. L'Evangile parle aussi avec éloge de ceux qui prirent soin de recevoir son corps à la descente de la croix, de le couvrir d'un linceul, et de le déposer avec respect dans un sépulcre. Ces exemples vénérables ne prouvent pas sans doute que les corps des morts conservent quelque sentiment ; mais ils sont du moins un témoignage du soin que Dieu en prend lui-même, et de la faveur avec laquelle il voit qu'on leur rend ces devoirs de piété, parce que cela sert à établir la foi en la résurrection. Et puis, nous apprenons par-là quelle sera la récompense des aumônes faites à des pauvres, doués qu'ils sont de sentiment et de vie, si rien n'est perdu devant Dieu de ces charitables tributs que nous payons à des corps qui en sont privés. Il y a encore d'autres mystères cachés sous ces recommandations que les saints patriarches remplis d'un esprit prophétique, faisaient à leurs enfants d'inhumer leurs corps ou de les transporter dans le sépulcre de leurs pères (Cf. La Cité de Dieu de saint Augustin, etc., trad. par L. Moreau, tome Ier, p. 27-28). "

2. S. CHRYSOSTOME, Hom. III in Genesim : " Dieu n'a rien tant à cœur que le salut des âmes. C'est ce que nous prêche saint Paul, lorsqu'il nous dit que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils parviennent à la connaissance de la vérité (I Tim., II, 4). C'est encore ce que Dieu nous fait entendre par ces paroles : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive (EZECH., XVIII, 25). Car c'est dans ce but qu'il a tiré toutes choses du néant : il nous a créés, non pour nous perdre, non pour faire de nous les objets de sa colère mais pour nous sauver, et, après nous avoir délivrés de l'erreur, nous faire entrer en jouissance de son royaume. . . Heureux donc d'avoir un maître plein de bonté pour nous, si généreux, si clément, occupons-nous de notre salut, et aussi de celui de nos frères. Car ce qui assurera notre salut à nous-mêmes, ce sera de ne pas travailler pour nous seuls mais d'aider aussi notre prochain, et de combiner nos efforts à son sujet, pour qu'il marche comme nous dans la voie de la vérité. Et pour vous convaincre de tous les avantages qu'il y aura pour vous à procurer avec votre propre salut celui des autres, écoutez le Prophète s'expri-

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mant ainsi, comme tenant la place de Dieu : Celui qui sait distinguer ce qui est précieux de ce qui est vil, sera comme ma bouche à moi-même (JEREM., XV, 19). Que signifient ces paroles ? Elles signifient que celui qui ramène son prochain des sentiers de l'erreur dans le chemin de la vérité, et du bourbier du vice dans la voie de la vertu, imite Dieu, autant qu'il est donné à l'homme de l'imiter. Et en effet, si, tout Dieu qu'il est, il s'est revêtu de notre chair et s'est fait homme, il ne l'a fait qu'en vue de nous sauver tous. Que dis- je, s'il s'est revêtu de notre chair et s'il s'est fait homme ? Ajoutons : S'il s'est soumis à toutes les humiliations qui ont été la conséquence de ce grand acte de bonté pour le genre humain ; s'il a consenti à endurer le supplice même de la croix, ce n'a été que pour nous sauver de la malédiction, en nous délivrant de la tyrannie du péché. Et c'est ce que saint Paul nous prêche encore par ces autres paroles : Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi en se rendant lui-même malédiction pour nous (Gal., III, 13). Si donc étant Dieu, de cette nature infiniment élevée au-dessus de la nôtre, il a, par une ineffable bonté, accepté toutes ces humiliations dans le seul but de nous sauver, que ne devons-nous pas faire nous-mêmes pour nos semblables, pour nos propres membres, afin de les arracher de la gueule du démon, et de les faire entrer dans la voie de la vertu ? Car autant l'âme est d'une nature supérieure à celle du corps, autant notre récompense surpassera-t-elle celle que peuvent mériter ceux qui aident de leurs biens leurs frères indigents, si, par nos exhortations et nos instructions continuelles, nous poussons dans le droit chemin ceux qui tendent à s'en éloigner par lâcheté ou découragement en leur représentant sans cesse la laideur du vice et la beauté de la vertu. "

" Bien convaincus de toutes ces vérités, rappelons à notre prochain la nécessité de s'occuper du salut de l'âme avant toute autre affaire de la vie présente, et tachons en même temps de lui en inspirer la volonté (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. IV, p. 19, édit. Montfaucon ; pag. 24-25, édit. Gaume). "

3. Le même, Hom. X in Genesim : " Celui qui s'occupe d'instruire son prochain, ne fait pas du bien seulement au prochain qu'il instruit, mais il s'assure à soi-même une plus grande récompense, et il recueille de sa bonne action un double fruit, l'un d'obtenir un jour de Dieu une rétribution plus abondante,

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l'autre de cultiver utilement sa mémoire, par la nécessité où il se trouve de se rappeler à lui-même ce qu'il a entendu, pour le répéter et l'enseigner à son frère. Etant donc assuré de ce profit qui vous reviendra à vous-mêmes, gardez-vous d'envier à vos frères l'instruction dont ils ont besoin aussi bien que vous, mais ayez soin qu'ils apprennent de vous ce que vous nous aurez entendu vous dire dans cette église (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. IV, p. 81, édit. Montfaucon ; pag. 97, édit. Gaume). "

4. CLEMENT d’Alexandrie, Stromatum, lib. I : " Nous voyons le Sauveur lui-même, après avoir distribué des talents aux serviteurs, en les proportionnant à leurs facultés et leur recommandant de les faire valoir ; nous le voyons, dis-je, à son retour, entrer en compte avec eux, louer ceux qui avaient fait profiter le talent mis entre leurs mains, leur promettre pour récompense de ce qu'ils s'étaient montrés fidèle en de petites choses, de les établir sur de plus grandes, et leur dire d'entrer dans la joie de leur maître, pour s'adresser en ces termes au serviteur qui avait enfoui l'argent qu'on lui avait confié pour qu'il le prêtât à intérêt, et qui le rendait tel qu'il l'avait reçu sans en avoir tiré de profit : Serviteur méchant et paresseux, il fallait mettre non argent entre les mains des changeurs, et à mon retour, j'aurais retiré ce qui est à moi (MATTH., XXV, 27). C'est pourquoi le serviteur inutile sera jeté dans les ténèbres extérieures. Fortifiez-vous donc, dit Paul (II Tim., II, 1-2), par la grâce qui est en Jésus-Christ ; et ce que vous m'avez entendu vous recommander devant plusieurs témoins, confiez-le en dépôt à des hommes fidèles qui soient eux-mêmes capables d'en instruire d'autres. L'Apôtre dit encore (ibid., 15) : Mettez-vous en état de paraître devant Dieu, comme un ministre digne de son approbation, qui ne fait rien dont il ait à rougir, et qui sait bien dispenser la parole de vérité. Si donc il se trouve deux fidèles qui prêchent la parole, l'un par écrit, l'autre de vive voix, comment tous les deux ne sont-ils pas dignes d'être admis dans le royaume des cieux, puisqu'ils font l'un et l'autre ce qui dépend d'eux pour que la foi opère par la charité ? Dieu n'est pas cause de la faute que commet celui qui ne sait pas choisir la meilleure part. Aux uns il appartient de faire valoir le talent de la parole qu'ils ont reçu ; aux autres, d'éprouver ce talent et de l'accueillir ou de le rejeter. Le parti qu'ils prendront aura pour juge leur propre conscience. Il y a

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deux manières de propager l’Evangile : l'une est la prédication, l'autre est une vie en quelque sorte angélique. Toutes les deux sont utiles, que ce soit la main qui serve d'instrument, ou que ce soit la langue. Ainsi, celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l’esprit la vie éternelle (Gal., VI, 8). "

" De quelque manière que l'ouvrier du Seigneur sème le divin froment, de quelque manière qu'il fasse croître et qu'il moissonne les épis, on reconnaitra toujours en lui un ouvrier vraiment divin, s'il travaille, dit le Seigneur (JEAN, VI, 27), non pour la nourriture qui se corrompt bientôt, mais pour celle qui subsiste et fait vivre éternellement. La nourriture de l'homme se compose et d'aliments et de paroles. Bienheureux sont les pacifiques, dont la saine doctrine remet dans le droit chemin les voyageurs égarés, nous dégage des ténèbres de l'ignorance, nous conduit à cette paix que donne le Verbe et une vie conforme à la loi de Dieu, et rassasie les âmes affamées de la justice, en leur distribuant le pain céleste (Cf. Les Pères de l’Eglise, t. VI, trad. Genoude). "

5. S. BERNARD, Serm. XXXVI in Cantica canticorum : " Peut-être paraîtrai-je outré dans la critique que je fais des savants ; peut-être semblerai-je blâmer la science elle-même ainsi que le goût des lettres. Mais loin de moi cette pensée. Je n'ignore pas combien ont été utiles à l'Eglise, et combien le lui sont encore aujourd'hui les travaux de ses docteurs, soit pour réfuter ses ennemis, soit pour instruire les simples. Il suffit que j'aie lu dans l’Ecriture ; Comme vous avez rejeté la science, je vous rejetterai aussi, et je ne souffrirai pas que vous remplissiez les fonctions de mon sacerdoce (OSEE, IV, 67) ; et ces autres paroles : Ceux qui auront été savants brilleront comme les feux du firmament, et ceux qui en auront instruit plusieurs dans les voies de la justice luiront comme des étoiles dans toute l'éternité (DAN., XII, 3). . . . . "

" Toute science est bonne en elle-même, j'entends la science qui a la vérité pour fondement ; mais vous qui n'avez rien de plus pressé, vu la brièveté de la vie, que d'opérer votre salut avec crainte et tremblement, attachez-vous a savoir de préférence et avant tout le reste ce que vous savez être le plus propre à vous le procurer. Est-ce que les médecins des corps ne regardent pas comme une partie de leur art celui de déterminer quels aliments doivent être pris les premiers, quels autres les derniers, et de quelle manière on doit les prendre ? Car, bien que tous les aliments

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soient bons en eux-mêmes comme ayant été créés de Dieu, ils ne le seront pas pour vous, si vous les prenez sans ordre ni mesure. Or, ce que je vous dis des aliments, vous devez le penser de la science. Mais j'aime mieux vous renvoyer à notre maître commun. Car le sentiment que je vous exprime ici n'est pas le nôtre, mais bien plutôt le sien ; ou pour mieux dire, c'est aussi le nôtre, puisque c'est celui de la vérité. Si quelqu'un se flatte de savoir quelque chose, nous dit le grand apôtre, il ne sait pas même encore de quelle manière il doit savoir (I Cor., VIII, 2). Voyez-vous que celui qui sait beaucoup n'obtient grâce à ses yeux qu'autant qu'il n'ignore pas de quelle manière il doit savoir ? Voyez-vous, dis-je, comment l'Apôtre fait consister dans la manière de savoir tout le fruit et tous les avantages de la science ? Or, qu'entend-il par cette manière de savoir ? Qu'entend-il par ce mot, sinon l'ordre qu'on doit y mettre, l'ardeur avec laquelle on doit s'y porter, la fin qu'on doit s'y proposer ? L'ordre, qui consiste à mettre les premières les choses que l'intérêt du salut réclame de préférence. L'ardeur, dont le feu ne doit pas s'allumer à un autre foyer qu'à celui de l'amour. La fin, qui ne doit pas être la vaine gloire, la curiosité ou tout autre motif semblable, mais qui doit être votre édification ou celle du prochain. Car il en est qui veulent être savants uniquement pour l'être, et ce n'est là qu'une honteuse curiosité. D'autres veulent être savants pour qu'on sache qu'ils le sont, et c'est là une honteuse vanité. Ces derniers n'échapperont pas à la dent mordante du poète satyrique, qui, dans le vers que je vais rapporter, tourne si bien en ridicule les gens de ce caractère :

Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter.

PERSE, satyre I : . . . . . Ton savoir n'est-il rien, Si quelque autre ne sait que tu sais quelque chose !

D'autres veulent être savants pour vendre leur science, soit à prix d'argent, soit pour quelques dignités et c'est là une honteuse avarice. Mais d'autres aussi veulent être savants pour édifier leur prochain au moyen de ce qu'ils savent, et c'est là de la charité. D'autres enfin veulent être savants pour s'aider de ce qu'ils savent à s'édifier eux-mêmes et c'est là de la prudence. De toutes ces classes de savants, il n'y a que les deux dernières qui n'abusent pas de la science, puisqu'il n'y a que ces deux dernières sortes de savants qui recherchent la science dans l'intérêt du bien.

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Enfin, croyons-en le Psalmiste, l'intelligence de la vérité n'est salutaire qu'à ceux qui la traduisent dans leurs actions (Ps. CX, 10) : Intellectus bonus omnibus facientibus eum (Saint Bernard semble rapporter ici le pronom eum au sujet intellectus, au lieu de le rapporter à timorem Domini du verset précédent comme le font la plupart des traducteurs). Que les autres qui ne le font pas sachent au moins s'appliquer à eux-mêmes ces paroles : Celui-là est coupable de péché, qui sachant le bien qu'il doit faire ne le fait pas (JAC., IV, 17). Ce qui revient à dire que la nourriture est pernicieuse à celui qui la prend sans la digérer. Car une nourriture qui n'est pas bien digérée engendre de mauvaises humeurs, et porte la corruption dans le corps au lieu d'entretenir ses forces. Ainsi la science entassée sans discernement dans la mémoire qui est comme l'estomac de l'âme, si elle n'est décomposée en nous par le feu intérieur de la charité pour être ensuite distribuée suivant la nature de ses éléments dans les divers organes par lesquels notre âme agit, soit en elle-même, soit au-dehors, en sorte que la bonté de la science que l'on possède se manifeste ou s'exprime, pour ainsi dire, par la bonté de la conduite que l'on montre ; une science de cette espèce n'est-elle pas aussi nuisible au salut de l'âme, qu'une nourriture qui se change en humeurs vicieuses l'est à la santé du corps ? "

Le même, Serm. XXXVII : " Je ne veux pas dire pourtant qu'on doive dédaigner ou négliger la connaissance des lettres, qui est si propre à orner la mémoire, à former l'intelligence et à nous mettre en état d'instruire les autres. Mais il faut que la connaissance de Dieu et de nous-même précède en nous toute autre connaissance, puisque c'est de la double connaissance que je viens de dire que dépend notre salut tout entier. "

6. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Hom. XVII in Evangelia : " Cherchons donc à compter quels sont ceux que l'onction de nos discours et la vigueur de nos réprimandes ont pu à déterminer à changer de vie et à faire pénitence. Où sont ceux à qui nos leçons ont fait quitter leurs habitudes d'impuretés d'avarice ou d'orgueil ? Voyons comment nous avons fait valoir le talent que Dieu nous a confié. Car il nous a dit : Faites profiter ce talent jusqu’à ce que je vienne (LUC, XIX, 17). Le voici qui vient ; le voici qui nous demande compte du profit que nous avons pu faire. Quelles âmes gagnées à lui par le travail de notre zèle avons-nous à lui présenter ? Où est le fruit de nos prédications ? Combien d'âmes qui composent notre moisson spirituelle pouvons-nous offrir au maître du champ

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où nous avons travaillé, pour qu'il les reçoive dans ses greniers ? Représentons-nous vivement ce jour si redoutable pour chacun de nous, où le juge viendra et entrera en compte avec ses serviteurs pour les talents qu'il leur aura données à faire valoir. Le voici dans l'état effrayant de sa majesté, entouré des chœurs des anges et des archanges. A ce jugement sévère auront à comparaître tous les élus, tous les réprouvés, et la vie de chacun, dans ses détail les plus minutieux, sera produite au grand jour. Là on verra s'avancer Pierre, amenant à sa suite, et comme en triomphe, la Judée convertie. On verra de même s'avancer Paul, entraînant après lui, pour ainsi dire, le monde entier. Là on verra André faisant de l'Achaïe instruite par ses prédications, le fondement de sa gloire. On verra Jean, on verra Thomas, offrant à la vue du souverain juge, celui-là l'Asie convertie par ses soins, celui-ci les Indes. Là paraîtront glorieux tous ces chefs du troupeau de Jésus-Christ, qui par leurs saintes prédication sont fait entrer dans le bercail tant d'âmes fortunées. Lors donc que tous ces pasteurs, chacun avec le troupeau qu'il aura conquis, auront défilé sous les yeux du pasteur éternel, nous, misérables, qu'aurons-nous à dire pour nous justifier de paraître devant le Seigneur sans profit que nous ayons fait, nous qui avons bien le nom de pasteurs, mais qui ne pouvons montrer de brebis que nous ayons nourries ? Quoi ! nous portons ici-bas le nom de pasteurs, et au jugement final nous n'aurons pas une seule brebis à notre suite ! "
 
 

Question VII

Quelles preuves l’Ecriture nous fournit-elle à ce sujet ?

L’Ecriture nous fournit à ce sujet de très-belles preuves, telles que sont en particulier ces paroles d'Isaïe ou plutôt de Dieu même, dont ce prophète était l'organe : Faites part de votre pain à celui qui a faim, et recevez sous votre toit ceux qui n'ont pas d'asile : lorsque vous voyez un homme nu, donnez-lui des vêtements, et ne méprisez point la chair dont vous êtes formé. Des magnifiques fruits qu'on recueille de l'accomplissement de ce devoir nous sont marqués par les paroles qui suivent immédiatement dans ce même chapitre d'Isaïe : Alors votre lumière brillera comme l'aurore ; vous recouvrerez bientôt votre santé ; votre justice marchera devant vous, et la gloire du Seigneur vous protégera. Et Jean, cet apôtre de la charité, qui n'ouvre la bouche, pour ainsi dire, que pour nous recommander la miséricorde nous dit entre autres

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enseignements : Si quelqu'un a des biens de ce monde, et que ayant son frère en nécessité, il lui ferme son cœur et ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Mes petits enfants, n'aimons pas de paroles ni du bout des lèvres mais par des œuvres et des effets. Car c'est par là que nous pourrons connaître si nous sommes enfants de la vérité.

Ce sont ces œuvres des fidèles et des véritables justes que Jésus-Christ reconnaîtra et louera solennellement en ce grand jour du jugement dernier ; c'est pour les avoir accomplies qu'ils recevront de lui la récompense promise, et cette couronne de justice qui leur sera due, parce qu'ils auront été miséricordieux. Ce n'est même qu’à condition qu'ils aient été miséricordieux, qu'il leur donnera ce nom de justes.

Or, ces sortes d'œuvre assureront d'autant plus les droits du chrétien à la véritable gloire et à la récompense éternelle qu'on s'y sera conduit avec plus de sincérité, d'empressement et de générosité, en y donnant le moins de place possible à la vanité et à la cupidité humaines, et en les rapportant sans détour à la gloire de Dieu et à l'intérêt du prochain. On doit donc bien faire attention aux avertissements suivants de nos livres saints : Que celui qui fait l'aumône la fasse avec simplicité. - Que celui qui exerce les œuvres de miséricorde le fasse avec joie. - Ne détournez votre visage d'aucun pauvre. - Soyez charitable en la manière que vous pourrez. - Dieu aime celui qui donne de bon cœur. - Faites tous vos dons avec un visage gai. - Heureux et aimable l'homme qui exerce la miséricorde et qui prête volontiers. C'est bien sous de pareils traits que Jésus-Christ, dans saint Luc, nous dépeint le Samaritain, en nous présentant dans sa conduite un admirable modèle de l'humanité et de la charité franche avec laquelle nous devons secourir ceux mêmes qui n'adoreraient pas le même Dieu que nous, ou qui nous seraient inconnus, ou qui seraient indignes de nos secours. Celui au contraire qui sèmera peu recueillera peu, comme dit l'Apôtre. Mais c'est assez nous être étendu sur les œuvres corporelles de miséricorde.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. ISAIE, LVIII, 1-12 : " Crie avec force, ne te lasse point ; fais retentir ta voix comme les éclats de la trompette ; annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses prévarications. - Chaque jour ils m'interrogent, ils veulent savoir mes voies, et comme un peuple ami de l’innocence et qui n'aurait point violé ma loi, ils invoquent la justice, ils veulent défendre leur cause devant moi. - Nous avons jeûné, disent-ils ; pourquoi n'avez-vous pas daigné regarder nos jeûnes ? Nous avons affligé nos âmes ; pourquoi ne vous en êtes-vous pas mis en peine ? Parce que vous suivez vos caprices en vos jours de jeûnes, et que vous exigez durement le prix de vos services. - Ne jeûnez-vous que pour susciter des procès et des querelles, et pour frapper impitoyablement vos frères ? Cessez de pareils jeûnes, si vous voulez que le ciel entende vos cris. - Le jeûne que je demande consiste-t-il en ce qu'un homme, tout le jour dans la douleur, courbe sa tête comme un jonc, et dorme dans un cilice et sur la cendre ? Est-ce là ce que vous appelez un jeûne et un jeûne agréable au Seigneur ? - Le jeûne que j'approuve n'est-il pas plutôt celui-ci ? Rompez les chaines de l'impiété, déchargez de leurs fardeaux ceux qui en sont accablés, rendez la liberté à ceux qui sont opprimés et brisez tout joug injuste. - Partagez votre pain avec celui qui a faim, et recevez sous votre toit ceux qui n'ont pas d'asile. Lorsque vous voyez un homme nu, donnez-lui des vêtements, et ne méprisez point la chair dont vous êtes formé.

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- Alors votre lumière brillera comme l'aurore, et je vous rendrai la santé ; et votre justice marchera devant vous, et la gloire du Seigneur vous protégera. - Alors vous invoquerez le Seigneur, et il vous exaucera ; à votre premier cri le Seigneur répondra : Me voici. Si vous détruisez l'oppression parmi vous ; - si vous cessez vos menaces et vos paroles outrageantes ; - si votre cœur s'attendrit à la vue du pauvre, et si vous versez la consolation dans l'âme affligée, votre lumière luira dans les ténèbres et les ténèbres seront pour vous comme le soleil en plein midi. - Le Seigneur vous donnera un repos que rien ne pourra troubler ; il remplira votre âme de ses splendeurs et donnera à vos os une jeunesse nouvelle ; vous deviendrez comme un jardin toujours arrosé, et comme une fontaine dont les eaux ne tarissent jamais. - Les lieux laissés déserts pendant des siècles deviendront pour vous des villes remplies d'édifices, vous relèverez vos murs laissés en ruine depuis de longues années, et on vous glorifiera de ce que les campagnes auront été repeuplées et les chemins fréquentés de nouveau. "

2. I JEAN, III, 17-18 ; comme dans le corps de la réponse.

3. JACQUES, II, 13-17 : " Celui qui n'aura point fait miséricorde sera jugé sans miséricorde ; mais la miséricorde s'élèvera au-dessus de la rigueur du jugement. - Mes frères, que servirait-il à quelqu'un de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas les œuvres ? La foi pourrait-elle le sauver ? - Si votre frère ou votre sœur n'a ni de quoi se vêtir ni ce qui lui est nécessaire chaque jour pour vivre, - et que l'un d'entre vous lui dise : Allez en paix, je vous souhaite de quoi vous couvrir et de quoi manger, sans lui donner ce dont il a besoin pour le soutien de son corps, à quoi lui serviront vos souhaits ? Ainsi la foi qui n'est pas accompagnée des bonnes œuvres est morte en elle-même. "

4. MATTHIEU, XXV, 34-35, 37, 46 : " Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père posséder le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. J’ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m'avez recueilli, etc. - Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim et que nous vous avons donné à manger, et avoir soif et que nous vous avons donné à boire, etc. . . ? Et ceux-ci iront au supplice éternel et les justes à la vie éternelle. "

5. LUC, XIV, 12-U : " Il dit aussi à celui qui l'avait invité :

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Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n'y conviez ni vos amis, ni vos frères ni vos amis, ni ceux de vos voisins qui seront riches, de peur qu'ils ne. vous invitent ensuite à leur tour, et qu'ainsi ils ne vous rendent ce qu'ils auront reçu de vous. - Mais lorsque vous faites un festin, conviez-y les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles ; - et vous serez heureux de ce qu'ils n'auront pas le moyen de vous le rendre ; car cela vous sera rendu dans la résurrection des justes. "

6. Romains, XII, 8 ; 7. Tobie, IV, 7; 8. II Corinthiens, IX, 7 ; 9. Ecclésiastique, XXXV, 11 ; 10. Psaume CXI, 5 ; comme dans le corps de la réponse.

11. LUC, X, 33-35 : " Un Samaritain passant par-là vint à lui, et le voyant il fut touché de son état. - Puis s'approchant de lui, il lui banda ses blessures, après y avoir versé de l'huile et du vin ; et le mettant sur son cheval, il le conduisit dans une hôtellerie et en prit soin. - Le lendemain, il tira deux deniers de sa poche, et les donna à l'hôte en lui disant : Ayez soin de cet homme, et tout ce que vous dépenserez de plus pour lui, je vous le remettrai à mon retour. "

12. II Corinthiens, IX, 6 ; comme dans le corps de la réponse.
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. BASILE, Homélie sur les riches avares, qui est la septième des homélies de ce saint sur divers sujets ; voir plus haut, article des péchés capitaux, question IV, témoignage 2, tome III, page 427 et suiv.

2. S. AMBROISE, Sermon 81 (c'est le même que la sixième homélie de saint Basile contre les riches avares) : " Si vous trouvez difficile, ô homme, d'imiter la magnificence de la libéralité divine, imitez au moins la terre qui vous porte ; si vous ne pouvez élever vos regards vers le ciel, abaissez-les du moins à vos pieds. Fructifiez, comme le fait la terre ; prenez garde de vous montrer inférieur à un élément insensible. La terre ne réserve pas à son propre usage les fruits qu'elle produit, mais elle les met à votre service. Et vous, vous en accaparez la possession ; vous les ramassez dans vos greniers pour être seul à en jouir. Si c'est là votre maladie de vouloir que tout soit à vous, voici le remède salutaire que j'ai à vous proposer : Le bienfait de celui qui donne profite plus à celui qui le donne qu'à celui qui le reçoit. Car, si le don de l'aumône reste à l'indigent, le mérite de l'aumône, avec la récompense qui lui est due, reste au bienfaiteur. C'est, par

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exemple, un pauvre affamé que vous avez nourri ; sa faim en est apaisée, c'est vrai, mais ce que vous lui avez donné vous sera rendu à vous-même avec usure. Si vous criez à l'impossible, considérez le froment qu'on sème en terre ; ne profite-t-il pas plus encore à celui qui le sème qu'à la terre qui le reçoit ? Ainsi en est-il de ce que vous donnerez aux pauvres ; la bonté divine le fera fructifier et vous en rapportera les fruits. En cultivant le champ de l’aumône, proposez-vous donc de semer pour le ciel. Jetez en vous, vous crie le Prophète, les semences de la justice (OSEE, X, 12). Pourquoi donc vous donner tant de peine, pourquoi tant vous tourmenter à renfermer dans des murs de bouc et de briques ce que vous appelez vos richesses ? N'avez-vous pas lu dans l'Ecriture qu'un nom honorable vaut mieux que beaucoup de richesses (Prov., XXII, 1) ? Si donc c'est la gloire que vous cherchez à retirer comme fruit de vos richesses, sachez qu'il vaut mieux être appelé le père des milliers de fils qui vous seront nés de vos aumônes, que le possesseur de mille écus d'or. Car il nous faudra quitter, même malgré nous, tous ces biens terrestres ; au lieu que la conscience de vos bonnes œuvres vous accompagnera jusque devant le tribunal de Dieu. Et considérez quelle gloire ce sera pour vous en ce moment-là de vous voir entouré de tout ce peuple que vous aurez nourri des fruits de vos récoltes et qui, en présence de votre souverain juge, vous appellera avec l'accent de la reconnaissance son pasteur, son tuteur, son père compatissant et miséricordieux. Que si l'on voit des magistrats dépenser presque tout leur patrimoine à l'entretien d'acteurs de théâtres, d'athlètes, de gladiateurs et d'autres hommes de néant pour pouvoir se procurer pendant une heure seulement, et sans autre profit, les applaudissements de la multitude, hésiterez-vous à répandre avec profusion ces largesses dont je vous parle, qui auront Dieu pour juge, et pour acclamateurs toute la troupe des anges, pour approbateurs enfin tout ce qui a jamais existé de saints personnages ; applaudissements, panégyriques qui ne finiront pas avec le jour, mais qui retentiront dans toute l'éternité en même temps que vous sera décernée non une couronne d'or, mais la couronne de justice, et que vous jouirez de la considération non des habitants d'une seule ville, mais de tout l'empire céleste. Et tous ces avantages, vous vous les assurerez soulageant les pauvres, en subvenant aux besoins des indigents ; et ce sera au prix de quelque peu d'aliments corruptibles, que vous vous procurerez dans le ciel une gloire incorruptible et qui durera toute l’éternité. "

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" De même que ceux dont le cerveau est dérangé voient, à la place des objets qu'ils ont sous les yeux, les fantômes qu'ils se forment dans leur imagination ; ainsi l'esprit de l'avare, obsédé par sa passion, ne se représente autre chose que de l'or, de l'argent et des revenus. Il contemple l'or bien plus volontiers qu'il ne fait le soleil lui-même. Les prières mêmes qu'il adresse à Dieu ont l'or pour objet ; si tout allait au gré de ses désirs, il n'y aurait plus que de l'or dans le monde. Pour vous, mes frères si vous voulez m'en croire, ouvrez vos greniers, donnez un écoulement à vos richesses ; qu'elles se répandent en aumônes qui soient pour la multitude des pauvres ce que sont pour les terres altérées les eaux d'un fleuve distribuées avec intelligence entre mille et mille canaux. Ignorez-vous donc que l'eau des puits est d'autant meilleure pour la santé et d'autant plus abondante, qu'on la tire plus souvent, et qu'au contraire, si elle reste stagnante, elle devient inutile et se corrompt, tandis que si elle était remuée et utilisée, elle suffirait aux besoins de tout un peuple ? Faites donc une ample moisson des fruits que devront vous rapporter vos richesses, je veux dire des prières des pauvres et de l'intercession des saints, qui, se souvenant de tous vos bons offices, les représenteront à votre juste juge, et en solliciteront pour vous auprès de lui la digne récompense. Gardons-nous bien d'imiter ce malheureux riche qui, dans le moment même où il s'occupait de construire des greniers pour y ramasser ses récoltes et s'inquiétait des moyens de faire face aux dépenses à venir, enlevé tout-à-coup par la mort à ses immenses possessions, se voit traîné devant le tribunal terrible, où il a pour accusatrice l'avarice même dont il s'était fait toute sa vie sa compagne la plus fidèle sans que personne soit là pour le défendre ou pour intercéder en sa faveur. Il regarde tout autour de lui cette multitude de saints qui sont comme autant d'assesseurs au tribunal de Dieu ; il cherche d'un œil inquiet s'il n'en trouvera pas quelqu'un dont il ait gagné les bonnes grâces par quelque service rendu ici-bas, et nulle part il n'en trouve, pas même un seul. Pas un seul qui dise de lui au juge suprême : Seigneur, il mérite que vous lui fassiez grâce ; car il a aimé notre peuple (LUC, VII, 2), et il vous a bâti une église. Point de veuves qui s'avancent vers Pierre les larmes aux yeux pour le prier en sa faveur, en lui représentant les vêtements qu'elles auraient reçus de sa libéralité (Act., IX, 39). Personne donc qui ait pitié de lui, parce qu'il n'aura eu lui-même pitié de personne. Car, s'il est écrit : Heureux les miséricordieux

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parce qu’ils obtiendront eux-mêmes miséricorde (MATTH., V, 7), et encore : Donnez, et il vous sera donné (LUC, VI, 58) ; il est écrit aussi : On vous mesurera à la même mesure à laquelle vous aurez mesuré les autres (ibidem). . . . . "

" Ne devriez-vous pas rendre grâces à Dieu, en même temps que vous réjouir de ce qu'au lieu d'être réduit vous-même à la mendicité et d'aller de porte en porte solliciter les secours d'autrui, vous voyez les autres assiéger toutes les portes de votre maison et implorer votre pitié ? Mais loin de là, vous ne donnez qu'à contrecœur et d'un air chagrin ; vous fuyez devant ces solliciteurs importuns que le besoin attache à vos trousses, comme si vous ne méritiez pas peut-être d'être plutôt du nombre de ces mendiants que la faim dévore et que vous laissez périr d'inanition à votre porte. Au fond, si je considère l'immense étendue de vos désirs et tout ce qui vous manque, vous êtes pauvre et dénué de tout bien. Car, puisque vous n'avez ni humanité, ni charité, ni foi, ni espérance en Dieu, ni compassion pour les indigents, qu'y a-t-il de plus pauvre que vous ? et quelle mendicité peut égaler la misère de votre état ? Votre partage sera avec les teignes et les rats qui rongent vos provisions. Sans les ravages que font ces animaux dans vos greniers, sans la certitude qui vous en revient de la perte immanquable et imminente de vos provisions, qui pourrait réussir à vous persuader d'en faire la moindre largesse ? Mais vous allez me dire : Quelle injustice puis-je commettre en gardant ce qui est à moi, si je n'usurpe en rien les possessions d'autrui ? Ce qui est à moi ! quelle expression insolente ! Eh ! qu'avez-vous donc apporté en ce monde de tout ce que vous ramassez avec tant de soin ? Quand vous avez vu pour la première fois la lumière du jour, quand vous êtes sorti du ventre de votre mère quels biens aviez-vous en votre propriété ? Apprenez de l'apôtre saint Paul l'état où vous étiez quand vous êtes venu au monde. Il vous dira : Nous n'avons rien apporté à ce monde, et nous n'en remporterons rien non plus (I Tim., VI, 7). Ayant donc la nourriture et le vêtement, ne demandons rien de plus. La terre a été donnée à tous les hommes pour qu'ils la possèdent en commun. Que personne n'ait l'audace d'appeler sa propriété ce qu'il prend au-delà de son besoin, ou ce qu'il a usurpé par violence sur la propriété commune de tous. Quoi qu'il en soit, vous êtes sorti nu du sein de votre mère et vous rentrerez nu dans le sein de la terre (Job, I, 21). Si vous pensez que la terre soit l'ouvrage du hasard, vous êtes un impie en même temps qu'un ignorant,

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qui ne savez pas même qu'il existe un Dieu ; mais si au contraire vous reconnaissez que la terre doit son existence et sa fertilité au bienfait de la création, soyez donc reconnaissant envers le Créateur, et demandez-vous à vous-même pourquoi il vous a donné plus qu'il n'a donné aux autres. Est-ce que Dieu est injuste, pour faire des partages aussi inégaux des biens nécessaires au soutien de la vie, pour faire que vous regorgiez de biens, tandis que les autres périssent de misère ? N'a-t-il pas eu plutôt pour but en cela de vous faire, vous, le représentant de sa bonté, et de faire mériter aux autres une couronne en éprouvant leur patience ? Et vous, mettant sous clef tous ces biens reçus de la main libérale de Dieu, vous pensez ne commettre aucune injustice en gardant pour vous seul ce qui servirait à nourrir des familles entières ? Y a-t-il homme plus injuste, plus rapace, plus avare que celui qui fait des moyens d'alimentation de tout un peuple la matière, je ne dis pas de son bien-être, mais de son luxe et de ses voluptés ? R fuser aux indigents ce qu'on peut leur donner quand on a tout en abondance, ce n'est pas un moindre crime que celui d'usurper le bien d'autrui. Le pain que vous gardez appartient à ceux que la faim dévore ; les vêtements que vous tenez renfermés appartiennent à ceux qui sont nus ; l'argent que vous enfouissez dans la terre appartient aux malheureux débiteurs détenus dans les prisons. Sachez donc que vous êtes autant de fois envahisseur du bien d'autrui, que vous refusez de secours à ceux que votre fortune vous permet de soulager. "

3. Le même, cité par Gratien, dist. 86 : " Donnez à manger au malheureux qui meurt de faim. Qui que vous soyez qui, tandis que vous pourriez en nourrissant un homme lui sauver la vie, lui refusez la nourriture, vous vous rendez coupable de sa mort. "

4. Le même, liv. III des Devoirs des ministres sacrés, c. 6 : " L'intérêt ne doit pas l'emporter sur la vertu, mais la vertu sur l'intérêt ; j'entends ici par intérêt ce qu'entend le vulgaire. Il faut mortifier l'avarice, détruire la concupiscence. L'homme ami de la sainteté s'abstient de toute espèce de trafic, parce que chercher à augmenter son gain, c'est le propre de l'intrigue, et non de la droiture. Un autre a dit (Prov., XI, 16) : Celui qui spécule sur le blé est maudit du peuple. "

" Pourquoi joindre la fraude à une honnête industrie ? Pourquoi envier aux besoins des hommes les productions qui naissent pour tous ? Pourquoi créer une disette factice, forcer les malheureux de souhaiter des années de stérilité ? En effet, privés des

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bienfaits de l’abondance, grâce à vous qui faites enchérir le blé, qui le cachez, ils aimeraient mieux que la terre ne produisît rien, que de vous voir trafiquer de la détresse publique. Vous faites des vœux pour la disette de blé, pour le manque d'aliments ; vous gémissez quand la moisson est riche : vous déplorez la fécondité de la terre ; c'est un malheur pour vous que les greniers des autres soient remplis ; vous cherchez à deviner quand l'année sera bonne, quand elle sera mauvaise. Vous vous félicitez que le malheur ait répondu à vos veux, et que personne n'ait fait de récolte. Alors vous vous réjouissez que votre moisson soit venue à bien ; la misère publique fait votre richesse, et c'est là ce que vous appelez de l'industrie, du soin, quand ce n'est que ruse et fourberie ; vous appelez remède le plus triste et le plus honteux des maux. Appellerai-je cela un vol ou un commerce ? . . . Vous choisissez, comme un voleur habile, le moment où vous pourrez ronger plus avant les entrailles des malheureux. Vous augmentez vos prix de tous les intérêts cumulés, des dangers devenus plus pressants ; vous cachez le blé comme un avare, vous le mettez à l'enchère et l'usure décuple vos provisions. Pourquoi, dans vos vœux criminels, appeler la disette et la famine ? Ne reste-t-il plus de blé ? L'année qui viendra à la suite en sera-t-elle plus mauvaise ? Votre bonheur, c'est la misère publique. "

" Joseph, loin de fermer ses greniers, les ouvrit à tout le monde ; il ne chercha pas à profiter de ses provisions, mais il assura des ressources pour l'avenir. Il ne demanda rien pour lui, mais, par de prudentes mesures, il prévint à jamais les suites terribles d'un semblable malheur. "

" Vous avez vu comment, dans l'Evangile, Notre-Seigneur Jésus-Christ fait parler un riche dont les terres avaient extraordinairement rapporté. Que ferai-je ? dit-il (LUC, XII, 48) ; je ne sais où placer mes récoltes, j'abattrai mes greniers pour en construire de plus grands ; et il ignorait si, la nuit suivante, Dieu ne rappellerait pas son âme. Il ne savait que faire, il délibérait comme si les aliments lui avaient manqué ; ses greniers étaient trop petits pour contenir ses récoltes et il se croyait dans le besoin. "

" Salomon a donc eu raison de dire : Que celui qui possède du froment le laisse aux nations, et non à des héritiers parce que les fruits de l'avarice ne font pas partie de l'héritage. Le bien mal acquis est vite dissipé par les dilapidations étrangères. Et il

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ajoute (Prov., XI, 26) : Celui qui entasse les récoltes est maudit du peuple ; béni soit celui qui les partage. Vous voyez que votre devoir est de faire largesse de votre blé, et non amas d'argent. Ce n'est pas là une chose utile, puisqu'elle offense plus l'honnêteté qu'elle n'offre d'avantages. "

5. Ibidem, c: 7 : " Peut-on ne pas blâmer sévèrement ceux qui, refusant un asile aux étrangers, les expulsent au moment où ceux-ci ont le plus besoin de secours, les excluent des largesses de notre commune mère, leur dénient une part dans les biens qui sont la propriété de tous, rompent ainsi les nœuds de la fraternité et rejettent, au temps de la disette, ceux qui ont vécu avec eux sous l'empire des indues lois ? Les bêtes ne se proscrivent pas entre elles, et l'homme chasse l'homme ! La nourriture que la terre fournit, les bêtes se la partagent ; elles viennent au secours des animaux de leur espèce : et l'homme combat son semblable, quand il devrait ne rester étranger à rien de ce qui tient à l'humanité. "

" Combien il était plus sage ce vieillard qui, au milieu d'une famine cruelle, alors que toute la cite, pressée par la faim, demandait à grands cris que les étrangers fussent immédiatement renvoyés, se chargeait seul de l'administration de la ville, dont aucun autre ne se reconnaissait capable, et, rassemblant ceux d'entre les citoyens que leur fortune plaçait au premier rang, leur tint ce langage : " Il y aurait autant de barbarie pour nous à renvoyer des étranger qu'à dépouiller un homme, qu’à refuser de la nourriture à celui qui meurt de faim. Quoi ! nous accordons des aliments aux chiens qui approchent de nos tables, et nous en refusons à des hommes ! N'est-ce pas une dureté gratuite que de laisser périr tant de gens qui déjà sont en proie aux horreurs d'un cruel fléau ? de priver la ville de cette foule nombreuse qui nous rendait de si grands services, soit en nous procurant des provisions, soit en se livrant aux soins d'un utile commerce ? La faim qu'endurent les autres ne soulage personne. On peut faire durer plus longtemps les vivres, mais non éteindre la famine ; en laissant mourir tant de cultivateurs, tant de bras nécessaires à l'agriculture, on se prive de blé pour toujours. Ainsi nous bannirons ceux qui se dévouaient aux plus dures fatigues, afin de pourvoir à notre entretien ! et nous refuserons des vivres, dans un moment de disette, à ceux qui nous en ont fourni dans tous les temps ! Que de services ne nous rendent-ils pas aujourd'hui même ? L'homme ne vit pas seulement de pain

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(Deut., VIII, 3 ; MATTH., IV, 4). Ce sont des membres de notre famille ; plusieurs d'entre eux nous sont alliés. Rendons-leur ce que nous en avons reçu. Mais, dira-t-on peut-être, nous craignons d'augmenter la rareté des subsides. Loin d'appauvrir, la bienfaisance enrichit toujours ceux qui l'exercent. Et puis il est facile de remplacer, en les rachetant avec l'argent de nos collectes, les provisions qu'il aura fallu leur distribuer. Si ceux-ci viennent à nous manquer, ne faudra-t-il pas plus tard nous procurer à prix d'or de nouveaux cultivateurs ? Il nous en coûtera bien moins de pourvoir à l'entretien de ceux que nous avons, que de nous en procurer de nouveaux. Où aller chercher, où trouver des hommes que nous puissions leur substituer ? Ajoutez que s'il s'en présente qui soient étrangers à l'agriculture, qui se soient occupés d'autres soins, nous pourrons grossir le nombre de .nos colons, mais sans profit pour la culture. "

" Que dirai-je de plus ? La collecte fut faite, le froment acheté et sans diminuer les ressources de la ville, le saint vieillard procura des vivres aux étrangers. Que cet acte dut avoir de mérite aux yeux de Dieu ! Qu'il dut paraître honorable aux yeux des hommes ! A quels éloges ne dut pas prétendre ce grand citoyen, lorsqu'en montrant à l'empereur la population entière d'une province, il put lui dire avec vérité : C'est moi qui vous ai conservé tous ces sujets ; cette foule d'hommes doit la vie à la munificence du sénat c'est par lui qu'ils ont été arrachés à une mort certaine (Cf. Chefs-d’œuvre des Pères de l'Eglise, etc., t. VI, p. 392-401). "

6. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Pastoral, 3e partie, admonit. 22 : " Il y a des gens qui, sans convoiter le bien d'autrui, ne font point part aux pauvres de celui qu'ils possèdent ; il faut les instruire autrement que ceux qui, tout en donnant leur bien, ne laissent pas d'usurper celui des autres. Il faut dire aux premiers que tous les hommes ont été formés de la même terre, que cette terre appartient également à tous, et qu'ainsi ses productions doivent servir aux besoins de tous. Ils ont tort de se croire innocents, ceux qui s'approprient ce que Dieu a créé pour l'usage commun. Ils deviennent en quelque sorte homicides, en ne partageant point avec les autres ce qu'ils ont reçu ; ils tuent, pour ainsi dire, chaque jour autant de malheureux qu'ils en laissent mourir de faim, en se réservant ce que Dieu avait destiné à l'usage commun. En effet, lorsque nous donnons aux indigents ce qui leur

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est nécessaire, nous ne faisons que leur rendre ce qui leur appartient ; nous ne nous dépouillons point en leur faveur, et nous accomplissons plutôt un juste devoir qu'une œuvre de miséricorde. C'est ce qui a fait dire à la vérité elle-même, nous expliquant la manière de remplir avec prudence le devoir de la charité : Prenez garde de faire vos bonnes œuvres devant les hommes (MATTH., VI, 4). Le Psalmiste exprimait la même pensée, lorsqu'il disait : Il a répandu avec profusion ses liens dans le sein des pauvres, sa justice subsistera dans les siècles des siècles (Ps. CXI, 9) ; puisque après avoir averti qu'il parlait de la miséricorde exercée envers les pauvres, il appelait justice l’accomplissement de ce devoir (Les actes de charité exercés envers nos semblables, sont en même temps des actes de justice, considérés par rapport à Dieu ; c'est-à-dire, que bien que nos semblables n'aient aucun droit rigoureux de les exiger de nous, Dieu a rigoureusement le droit d'exiger que nous remplissions envers nos semblables ces sortes de devoirs. C'est en ce sens seulement qu'on doit entendre les paroles du psaume, et l'explication qu'en donne saint Grégoire. - Voir là-dessus la Somme de saint Thomas ; 2a 2æ, q. 33, art. 8). C'est qu'en effet il est juste d'user en commun avec ses semblables des biens qu'on a reçu de Dieu, qui est notre maître commun. De là aussi cette maxime de Salomon : Celui qui est juste donne, et ne cesse point d'agir (Prov., XXI, 26). "

" On doit les avertir aussi de bien considérer que le cultivateur s'irrite contre le figuier stérile et qu'il se plaint de le voir occuper inutilement la terre. Car ce figuier qui occupe inutilement la terre, c'est l'avare qui tient inutile ce qui pourrait servir à en soulager d'autres dans leurs besoins, et qui couvre ainsi de l'ombre mortelle de sa stérilité le terrain qu'une âme miséricordieuse aurait rendu fertile en bonnes œuvres en y faisant pénétrer la chaleur vivifiante de sa charité. Ces hommes ont coutume de dire pour excuse : Nous n'usons que de nos droits ; nous n'empiétons point sur le bien d'autrui ; et si nous ne faisons rien qui mérite récompense nous ne commettons d'un autre côté aucun crime qui mérite châtiment. Ces gens-là ne pensent ainsi, que parce qu'ils ferment l'oreille de leur cœur aux instructions célestes. Car l'Evangile ne dit pas de ce riche qui était revêtu de pourpre et de lin, et se traitait tous les jours magnifiquement, qu'il ait usurpé le bien d'autrui, mais seulement qu'il rendait infructueux, faute de bonnes œuvres, les biens dont il avait la propriété ; et cependant, à la fin de ses jours, il eut l'enfer pour

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partage, non qu'il eût fait des actions criminelles en elles-mêmes, mais parce que, par un usage immodéré de ses propres biens, il s'était livré tout entier à des plaisirs d'ailleurs permis. "

" Dites à ces hommes égoïstes que leur conduite est, avant tout, offensante pour le Seigneur, parce qu'ils ne lui offrent aucun sacrifice de miséricorde, à lui à qui ils doivent tout ce qu'ils possèdent. C'est pourquoi le Psalmiste disait (Ps. XLVIII, 8-9) : Personne ne pourra compter à Dieu sa rançon ; personne n'aura de quoi racheter son âme. Donner à Dieu sa propre rançon, c'est reconnaître par de bonnes œuvres les grâces dont il nous prévient. De là vient que saint Jean s'écrit (LUC, III, 9) : La cognée est déjà à la racine de l’arbre ; tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. Que ceux qui se flattent d'être innocents parce qu'ils ne dépouillent point leur prochain, redoutent les coups de cette cognée qui les menace, et qu'ils sortent de l'assoupissement ou les plonge une imprudente Sécurité, de peur qu'ils ne soient enlevés du champ de la vie présente comme des arbres stériles, eux qui négligent de porter le fruit des bonnes œuvres. "

7. S. GREGOIRE de Tours, Lib. de gloriâ confessorum, c. 108 : " Ce que racontent plusieurs nous confirme la vérité du fait suivant : Un pauvre vieillard, couvert de haillons, vint à un port de mer demander l'aumône aux nochers d'un navire ; et s'adressant avec une sorte d'importunité à celui qui était le plus considérable de l'équipage, il lui disait : Donnez-moi quelque chose. Celui-ci lui répondit en colère : Laisse-moi, je te prie, en repos, vieillard décrépi, et ne me demande quoi que ce soit, car nous n'avons rien ici que des pierres. Le pauvre lui dit : Si vous appelez des pierres toutes les choses qui sont dans ce navire, qu'elles se convertissent toutes en pierres. Et à la même heure, tout ce qu'il y avait dans le navire de ce qu'on peut manger fut converti en pierre. Moi-même j'ai vu des dattes et des olives des provisions de ce navire ainsi converties en pierres plus dures que le marbre ; car, bien qu'elles eussent pris la dureté des cailloux, elles ne changèrent pas pour cela de couleur, mais elles conservèrent leur forme et leur apparence. Quant au maître du navire, qui eut regret en son âme de la parole qu'il avait dite au vieillard, il le fit chercher partout, mais on ne put jamais le trouver. On dit aussi qu'il envoya dans beaucoup de villes de ces fruits changés en cailloux, afin que cela pût servir d'exemple à tout le monde, et engager à ne rien faire à l'avenir de semblable. "

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" Impudente avarice, voilà quels sont tes effets : tu as appauvri cet homme qui pensait s'enrichir en refusant à un pauvre ce que celui-ci lui demandait (Cf. Œuvres de saint Grégoire de Tours, ancienne traduction). "

8. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Pastoral, 3e partie, admonit. 21 : " Dites donc à ceux qui ont l'habitude de distribuer charitablement leurs biens aux pauvres de se considérer en ce monde comme les économes du Père céleste, et de remplir cette fonction avec d'autant plus d'humilité, qu'ils savent que les biens qu'ils distribuent ne leur appartiennent pas. Dites-leur de ne point s'enorgueillir, mais de rester saisis d'une crainte salutaire en accomplissant ce devoir. Car ils doivent veiller avec soin à ne point distribuer d'une manière indigne les richesses qui leur sont confiées, soit en donnant à ceux qui ne doivent rien recevoir, et en ne donnant rien à ceux qui méritent quelque chose, soit en accordant beaucoup à ceux à qui il faudrait peu, et en accordant peu à ceux qui auraient dû recevoir beaucoup. Qu'ils prennent garde, en agissant avec précipitation de faire des aumônes inutiles, ou en agissant avec lenteur, de faire cruellement attendre ceux qui ont réellement besoin. Qu'ils ne donnent point pour qu'on leur en ait de la reconnaissance ; que l'amour des vaines louanges ne ralentisse pas le zèle de leur charité. Qu'ils ne donnent point avec chagrin ; qu'ils n'aient point trop de joie des aumône qu'ils font, et qu'après avoir rempli leur devoir, ils ne s'en applaudissent pas, de crainte de perdre par cette vanité tout le mérite de leurs bonnes œuvres. Pour qu'ils ne s'attribuent point à eux-mêmes leurs aumônes, ils n'ont qu'à méditer ces paroles de saint Pierre (I PIERRE, IV, 11) : Si quelqu'un exerce quelque ministère, qu'il l'exerce comme n'agissant que par la vertu que Dieu lui donne. Pour qu'ils ne s'applaudissent point immodérément de leurs bonnes actions, redites-leur ces paroles du Christ (LUC, XVII, 10) : Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous n'avons fait que ce que nous étions obligé de faire. Pour qu'ils ne gâtent point leurs libéralités par une humeur chagrine, faites-leur entendre ce qu'a dit saint Paul (II Cor., IX, 7) : Dieu aime celui qui donne avec joie. Pour qu'ils ne se montrent point charitables par amour pour les vaines louanges, répétez-leur ces paroles (MATTH., VI, 5) : Lorsque vous faites l'aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite ; c'est-à-dire, que

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la gloire de ce monde ne soit pour rien dans vos actes de charité et que l'envie de mérite l'estime des hommes ne vous guide point dans vos bonnes œuvres. Pour les empêcher de donner avec l’intention de recevoir une récompense, rappelez-leur ce qui est écrit (LUC, XIV, 12) : Lorsque vous invitez à dîner ou à souper, n'invitez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni ceux de vos voisins qui sont riches, de peur qu'ils ne vous invitent ensuite à leur tour, et qu'ainsi ils ne vous rendent ce qu'ils auraient reçu de vous ; mais quand vous faites un festin, invitez les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles, et vous serez heureux de ce qu'ils n'auront pas le moyen de vous le rendre. Pour qu'ils ne fassent point attendre des secours qui doivent être accordés tout de suite, dites-leur ce qui est écrit (Prov., III, 28) : Ne renvoyez pas votre ami au lendemain, quand vous pouvez lui donner à l'heure même ce qu'il vous demande. Pour qu'ils ne dissipent point leurs biens en aumônes inutiles, en vue de se faire une réputation de libéralité, rappelez-leur ce qui est écrit : Que votre aumône sue dans votre main (Sudet eleemosyna tua in manu tuâ. Ce texte ne se trouve pas dans la Vulgate. On lit dans l'Ecclésiastique (XXIX, 18) : Conclude eleemosynam in sinu pauperis (in cellis tuis, selon les Septante)). Pour qu'ils ne se bornent pas à donner peu de chose lorsqu'il est nécessaire qu'ils donnent beaucoup, faites-leur entendre ce que dit l'Apôtre (II Cor., IX, 6) : Celui qui sème peu recueillera peu. Pour les empêcher de donner beaucoup quand ils ne doivent donner que peu, et de s'exposer eux-mêmes à des privations qu'ils ne supporteraient ensuite qu'en murmurant, rappelez-leur ce qui est écrit : Je n'entends pas que les autres soient soulagés de manière à ce que vous soyez surchargés ; mais que, pour ôter l'inégalité, votre abondance supplée maintenant à leur pauvreté, afin que votre pauvreté soit soulagée un jour par leur abondance (II Cor., VIII, 13-1 4). Si celui qui donne ne sait point supporter la pauvreté, il s'expose à tomber dans le murmure, quand il se sera épuisé en largesses. Il faut donc, avant tout, préparer son âme à la patience, avant de se porter à donner tout ou presque tout ce qu'on possède, de peur que ne pouvant ensuite se faire aux privations qui seraient la suite de ce sacrifice, on ne se prive ainsi de la récompense qu'on aurait à attendre de sa bonne œuvre, et ce qui serait encore pire, qu'on ne se perde soi-même par ses murmures. Pour qu'il ne leur arrive pas de ne rien donner à ceux à qui ils devraient au moins quelques légers secours, rappelez-leur ce qui est écrit (LUC, VI, 30) : Donnez à tous ceux qui vous demandent. Pour qu'ils n'ac-

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cordent rien à ceux qui ils ne doivent rien accorder, rappelez-leur ce qui est écrit (Ecclé., XII, 4) : Donnez à celui qui est bon, et n'assistez point le pécheur ; faites du bien à celui qui est humble, et ne donnez point au méchant ; et aussi (Tob., IV, 18) : Mettez votre pain et votre vin sur le tombeau du juste, en y invitant les pauvres, et gardez-vous d'en manger et d'en boire avec les pécheurs. Celui-là donne son pain et son vin aux pécheurs, qui secourt les méchants parce qu'ils sont méchants. Trop souvent les riches de ce monde voient d'un œil indifférent les pauvres de Jésus-Christ tourmentés par la faim, et font de grandes dépenses pour nourrir des histrions. Quant à celui qui partage son pain avec le pécheur indigent, non parce qu'il est pécheur, mais parce qu'il est homme, ce n'est pas un pécheur qu'il nourrit dans sa personne, mais un pauvre, et un très-bon pauvre ; car ce n'est point le désordre dans lequel cet homme vit, mais sa nature semblable à la sienne qui lui inspire pour lui cette affection. Recommandez encore à ces hommes miséricordieux de ne point commettre des fautes nouvelles, qu'ils auraient à racheter après avoir effacé par leurs aumônes leurs fautes déjà commises. Qu'ils ne s'imaginent pas que la justice de Dieu soit vénale, et qu'ils puissent l'offenser impunément pourvu seulement qu'ils aient soin de donner de leur bien aux pauvres pour les péchés qu'ils commettent. La vie n'est- elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement (MATTH., VI, 25) ? Ainsi, celui qui donne de la nourriture et des vêtements aux pauvres, et qui néanmoins s'abandonne à toutes sortes de vices, accorde à la vertu ce qu'il y a de moins précieux, et au libertinage ce qui l'est le plus ; il donne son bien à Dieu, et son âme au démon. "

9. S. AMBROISE, lib. I Officiorum, c. 30 : " Venons à la bienfaisance, qui se subdivise en bienveillance et en libéralité, et qui par suite, pour être parfaite, doit remplir deux conditions. En effet, la volonté de bien faire ne suffit pas, il faut encore que l'action s'y joigne ; il y a plus, une bonne action n'a de mérite qu'autant que l'intention, c'est-à-dire la source qui l'a produite, est bonne : Dieu aime celui qui donne de bon cœur (II Cor., IX, 7). Quelle récompense pouvez-vous attendre, si c'est à regret que vous donniez ? Ce qui faisait dire à l’Apôtre (I Cor., IX, 17) : Si c'est de bonne volonté que j'agisse, mon action est méritoire ; si c'est malgré moi, il ne m'est dû aucune reconnaissance. L'Evangile nous donne plus d'un exemple d'une libéralité bien entendue. - Ainsi la bonne volonté est louable lorsqu'elle s'exerce pour faire du

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bien, et non pour nuire. Car si vous donnez au débauché de quoi continuer sa débauche, à l'adultère de quoi récompenser son crime, ce n'est plus là de la bienfaisance, puisqu'il n'y a en cela aucune bienveillance véritable. C'est encore nuire à son semblable, et non lui être utile, que de gratifier un traître qui conspire contre sa patrie, ou un séditieux qui se servira de vos largesses pour assembler une troupe de gens perdus et les armer contre l'Eglise. Votre libéralité sera encore blâmable, si elle s’exerce envers celui qui plaide injustement contre la veuve et l'orphelin, ou qui cherche à les dépouiller violemment de leurs biens. "

" La libéralité sera encore vicieuse si, pour donner à l'un, vous enlevez à un autre. Croyez-vous, en effet qu'un don soit légitime lorsque l'objet donné a été illégitimement acquis ? A moins qu'à l'exemple de Zachée vous n'indemnisiez d'abord au quadruple celui que vous auriez volé, et que comme cet heureux publicain vous ne répariez les désordres de votre infidélité passée par une foi pleine de zèle et une charité généreuse. Ainsi, dans tous les cas, votre libéralité doit avoir un fondement qui la justifie. "

" Ce qu'il faut avant tout, c'est d'agir de bonne foi, c'est-à-dire ne pas tromper sur l'objet donné, ne pas dire que vous donnez beaucoup lorsque vous donnez peu. Qu'est-il en effet besoin de le dire ? C'est vous rendre gratuitement coupable de la violation d'une promesse, tandis que rien ne vous oblige de donner plus que vous ne voulez. La duplicité dont vous usez alors anéanti votre don et vous en fait perdre tout le mérite. L'indignation que montra Pierre en une semblable circonstance le poussa-t-elle à vouloir la mort d’Ananie ou de son épouse ? Non, mais c'est qu'il ne voulait pas que d'autres se perdissent à leur exemple. "

" Ce n'est point encore une libéralité parfaite que celle qui s'exerce plutôt par ostentation que par commisération ; le sentiment qui vous guide qualifie ici votre œuvre et elle ne peut être que ce que vous la faites vous-même. Admirez ici toute l'équité de votre juge : pour apprécier votre action, c'est vous-même qu'il consulte, c'est votre conscience qu'il interroge avant tout. Que votre main gauche, dit-il (MATTH., VI, 3), ignore ce que fait votre droite. Ce n'est pas de ces membres mêmes de votre corps qu'il veut que vous entendiez ces paroles ; mais ce qu'il veut vous faire entendre, c'est que votre plus intime ami, votre frère lui-même, doit ignorer vos bonnes actions, si vous ne voulez pas, en demandant la gloire d'ici-bas pour salaire, perdre dans le ciel votre

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récompense la plus solide. Votre libéralité sera réellement ce qu'elle doit être si le silence voile vos œuvres si vous soulagez en secret les maux de vos frères ; si c'est le pauvre secouru qui vous loue, et non votre propre bouche. "

" Ensuite votre libéralité, pour être parfaite, doit tenir compte de la foi que professe celui que vous soulagez, de la cause pour laquelle il est dans le besoin, et des circonstances de lieu et de temps où il se trouve. C'est avant tout envers ceux qui professent avec vous une même foi que vous devez exercer votre charité. On devient bien coupable, si on laisse sciemment un fidèle dans le besoin lorsqu'on sait qu'il manque d'argent, qu'il souffre de la faim, qu'il est dans la détresse, surtout s'il rougit de sa pauvreté ; lorsqu'il a à craindre la captivité pour quelqu'un de ses proches, ou qu'il se voit poursuivi par la calomnie, et qu'on ne lui vient pas en aide ; lorsqu'une dette dont il n'a pu se libérer le fait condamner à la prison, aux tortures et aux supplices malgré sa probité connue (car si nous devons être charitables envers tout homme quel qu'il soit, nous devons l'être bien davantage envers les gens vertueux) ; enfin si, dans le temps de son affliction, il n'obtient rien de nous ; si, dans le moment où on va le conduire à la mort, nous préférons notre argent à la vie de ce frère malheureux. C'est pour des occasions semblables que Job put s'appliquer ce bel éloge (Job, XXIX, 43) : Les vœux du malheureux menacé de périr parlaient en ma faveur. "

" Dieu n'a point égard à la qualité des personnes, parce qu'il connaît toutes choses. Pour nous, nous devons témoigner notre compassion à tous les malheureux : cependant, comme beaucoup de gens pourraient chercher à se l'attirer par des mensonges et feindre une détresse imaginaire, lorsqu'une personne nous est connue, que son besoin est évident et demande d'être promptement soulagé, il est juste que nous l'aidions plus efficacement que d'autres qui nous seraient inconnus. Car le Seigneur n'est pas avare, pour qu'on puisse supposer qu'il demande beaucoup de nous. Heureux sans doute celui qui quitte tout pour le suivre ; mais heureux aussi celui qui garde ce qu'il possède pour en faire part de bon cœur à ses semblables. Enfin les deux deniers de la veuve ont en plus de prix aux yeux de Jésus-Christ que les offrandes des riches, parce qu'elle donna tout ce qu'elle possédait, tandis que les riches n'avaient donné qu'une faible partie de leur superflu. La bonne ou la mauvaise volonté fait donc la richesse ou la pauvreté des dons et en détermine la valeur. Du

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reste, le Seigneur ne demande pas que nous fassions à la fois le sacrifice de tout notre avoir, mais seulement que nous sachions en faire emploi, à moins que nous ne soyons dans la même disposition qu'Elisée, lorsqu'il tua ses bœufs et en nourrit les pauvres de la contrée (I Rois, XIX, 21), pour n'être plus retenu par aucun soin domestique et pouvoir se mettre sans distraction à l'école d'Elie. "

" Il faut aussi recommander la libéralité qui consiste à secourir ses proches lorsqu'ils sont dans le besoin. En effet, il est plus convenable que vous secouriez vous-même des parents qui auraient honte d'implorer la pitié des étrangers et de faire à d'autres qu’à vous le récit de leurs malheurs ; mais n'allez pas jusqu'à les enrichir avec des biens qui pourraient vous servir à soulager d'autres personnes dans le besoin : car c'est la raison, et non la partialité, qui doit vous guider dans vos largesses. Vous ne vous êtes pas voué à Dieu pour enrichir votre famille, mais pour vous assurer la vie éternelle par vos bonnes œuvres et pour racheter vos péchés par des actes de miséricorde. Vos parents croient-ils par hasard vous demander peu de chose ? C'est votre récompense qu'ils tendent à vous enlever, c'est le fruit de votre vie tout entière ; et ils s'imagineraient pouvoir le faire sans injustice ? Votre famille vous accuse de refuser de l'enrichir, et elle voudrait vous frustrer elle-même de la vie éternelle ?. . . . . "

" Il faut encore, dans vos aumônes, avoir égard à l'âge, à la faiblesse, souvent même à la timidité qui empêche d'exposer son besoin ; il faut tenir compte de l’âge, et donner plus à des vieillards qui ne peuvent plus gagner de quoi se nourrir par leur travail ; de la faiblesse du corps, qui exige de plus prompts secours. Il faut examiner si un homme est tombé de l'opulence dans le besoin ; si c'est non par sa faute, mais par des vols, ou par une injuste proscription, ou par quelque calomnie dont il serait victime, qu'il a perdu ce qu'il possédait. "

" On vous dira encore : Un aveugle est assis à un coin de rue, et on passe devant lui sans lui donner de secours, tandis qu'un jeune homme dans toute la force de son âge reçoit de fréquentes aumônes. Cela est vrai, mais c'est qu'il les obtient à force d'importunités. L'aumône en ce cas n'est pas l'effet du choix, mais du mal de tête. Ce qui revient à ce que le Seigneur a dit dans l'Evangile, que si quelqu'un avait d'abord fermé sa porte, et qu'un autre persistât à frapper pour se la faire ouvrir, il finirait par se lever, et par lui donner ce qu'il lui demanderait pour se débarrasser de son importunité. "

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10. Le même, lib. II Officiorum, c. 21 : " C'est encore une chose fort louable que d'arracher le faible d'entre les mains du puissant, le condamné à la mort qui le menace, si toutefois on peut le faire sans jeter le trouble dans la société : car ce serait agir dans ce dernier cas par ostentation plutôt que par charité et causer un mal plus grand en voulant porter remède à un autre moindre. Qu'on délivre l'homme opprimé par la tyrannie des grands, et dont la condamnation est plutôt l'effet des intrigues d'un parti que le châtiment dû à ses crimes, et on méritera alors les suffrages de l'opinion publique. "

" L'hospitalité honore beaucoup aussi ceux qui la pratiquent. C'est en effet un acte d'humanité en quelque sorte universelle que d'accueillir avec bienveillance un étranger, de lui ouvrir sa porte et de lui assurer un asile. . . . . "

" Dans l'accomplissement du devoir de l'hospitalité, on doit, il est vrai, se montrer humain à l'égard de tout le monde ; mais il faut honorer plus spécialement les hommes justes. Car quiconque reçoit un juste en qualité de juste, recevra la récompense due à un juste, comme l'a dit le Seigneur (MATTH, X, 41). L'hospitalité est d'un si grand prix aux yeux de Dieu, que même un verre d'eau trouve auprès de lui sa récompense. Vous voyez qu'Abraham reçoit Dieu pour hôte en croyant ne recevoir que des voyageurs ; que Loth reçoit de même des anges. Qui vous dit, quand vous recevez un homme, que ce n'est pas Jésus-Christ même ? Jésus peut être au nombre de ces hôtes qui se présentent à vous, puisqu'il est au nombre des pauvres, comme il le dit lui-même : J'étais en prison, et vous m'avez visité, j'étais nu, et vous m'avez revêtu (MATTH., XXV, 36). Il est doux pour le cœur de n'avoir point l'argent en vue, et de ne se proposer que la bienfaisance. . . C'est une belle générosité que de tenir une certaine balance dans ses bienfaits envers les pauvres mêmes, et de ne pas s'abandonner sans mesure à une prodigalité d'ostentation. Tout ce qui naît d'un motif pur et sincère est honorable. On ne doit ni s'épuiser en constructions superflues, ni en omettre qui seraient indispensables. "

" Il est avant tout du devoir d'un évêque de décorer le temple de Dieu d'ornements convenables, pour que la maison du Seigneur ait l'éclat qui lui convient ; de multiplier les aumônes en proportion des besoins ; de se montrer généreux envers les étrangers, non pas plus qu'il ne faut, mais autant que le réclame leur besoin ; non par une prodigalité folle, mais par principe d'humanité, ;de ne pas chercher la faveur des riches aux dépens des pauvres ; de ne

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se montrer ni trop dur ni trop indulgent pour les clercs. Car ce serait être inhumain, que de laisser dans le besoin des hommes à qui il est interdit de recourir pour s'en tirer à un commerce sordide ; et d'un autre côté, ce serait être dissipateur, que de mettre le bien de l'Eglise et des pauvres au service de leurs passions. "

11. Ibidem, c. 23 : " Mais que vous servirait de faire des largesses aux riches ? Est-ce parce qu'ils pourraient mieux récompenser votre amitié ? Car nous servons plus volontiers ceux dont nous espérons qu'ils nous rendront bientôt la pareille. Mais cela même est un motif de plus d'aider de préférence le faible et le pauvre, parce que nous pouvons compter que Jésus-Christ lui-même nous paiera pour l'indigent. Pour nous rendre plus sensible à la pratique de ce devoir de faire surtout du bien ceux qui ne peuvent nous payer de retour, Jésus nous présente le tableau d'un festin auquel il vaut mieux inviter les pauvres que les riches. Car, en invitant les riches, on ne semble les prier que dans l'espoir qu'ils paieront de retour ; au lieu que comme les pauvres n'ont pas de quoi rendre la pareille, le soin d'acquitter leur dette est laissé à Dieu, qui offre de le faire lui-même à la place du pauvre. Même pour notre intérêt temporel, il vaut mieux être bienfaisant envers un pauvre qu'envers un riche, parce que le riche dédaigne le bienfait et rougit de la dette de la reconnaissance. Bien plus, ce qu'on lui donne, il en fait honneur à son mérite personnel ; il le reçoit comme une dette ; on ne l'oblige, pense-t-il, que parce qu'en retour on attend de lui-même un bienfait plus considérable. Ainsi, en acceptant un service, les riches croient faire, plutôt que recevoir un don ; tandis que, si le pauvre n'a pas assez d'argent pour le rendre, il le paie en reconnaissance : et en cela il rend plus qu'il n'a reçu ; car avec de l'argent on a bientôt acquitté une dette pécuniaire, au lieu que rien n'acquitte la dette de la reconnaissance. En rendant de l'argent, on s'appauvrit ; quant à la reconnaissance, il suffit d'en avoir pour s'acquitter, et de s'acquitter pour en avoir encore. Enfin, tandis que le riche rougit de reconnaître un service reçu, le pauvre le reconnaît sans aucune peine, et il regarde ce service comme un bienfait véritable, et non comme une redevance dont on lui serait tributaire : il vous dira sans craindre de trop s'abaisser que vous lui avez fait retrouver ses fils, que vous lui avez sauvé la vie, que vous avez empêché sa famille de s'éteindre. Combien donc ne vaut-il pas mieux obliger un bon cœur que des ingrats ! Aussi le Seigneur dit-il à ses disciples (MATTH., X, 9) : Ne recherchez ni l’or, ni

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l’argent, ni aucunes richesses ; paroles qui, comme le tranchant d'un glaive, abattent dans le cœur de l'homme toutes les fibres de l'avarice. Ainsi Pierre dit-il à un boiteux qui n'avait jamais su marcher depuis qu'il était au monde : Je n'ai ni or ni argent ; mais ce que j'ai, je te le donne. Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche (Act, III, 2). Il ne lui donna pas d'argent, mais il lui donna la santé. Ne vaut-il pas mieux avoir l'usage de ses membres sans argent, que de l'argent sans l'usage de ses membres ? Le boiteux se leva, obtenant ainsi une guérison qu'il n'avait pas espérée ; et l'argent au contraire qu'il avait espéré il n'en reçut rien. Mais il est rare de trouver, même parmi les saints, des hommes qui méprisent véritablement les richesses. "

12. S. CHRYSOSTOME, Hom. de misericordiâ et duobus vidius : passage cité plus haut, question IV (ou XIII), témoignage 8, page 123 ; à quoi nous pouvons ajouter ce nouvel extrait de la même homélie : " Il n'y a de vraiment misérables que ceux qui refusent d'exercer la miséricorde : car quiconque désire exercer la miséricorde trouve toujours le moyen de la faire ; et ceux-là seuls laissent sans secours les pauvres qui leur demandent, qui refusent de les aider en quoi que ce soit. Car l'aumône n'a point de tarif fixe, et la quantité du don n'est point une condition prescrite pour que l'aumône soit acceptée de Dieu ; les pauvres eux-mêmes n'ont point coutume de demander aux riches plus que ceux-ci ne peuvent leur donner. Personne d'ailleurs n'est forcé de donner beaucoup, si c'est peu que l'on possède ; car la bonté divine accepte volontiers une modique offrande, quand le fonds sur lequel on le prête est modique lui-même. Lorsque Notre-Seigneur compare les aumônes des riches avec celle de la veuve, il ne considère pas la quantité des offrandes faites de part et d'autre ; mais il n'a égard pour les apprécier qu‘à ce que chacun avait pu faire, et, d'après ce principe, il fit l'éloge de l'action de la veuve à cause de l'intention qui l'avait dirigée. Car toute pauvre qu'elle était, elle montra dans le peu qu'elle put donner un cœur non moins généreux que celui de qui que ce fût des plus riches ; sa pauvreté lutta avec succès contre leur opulence ; sa foi rivalisa avantageusement avec leur foi, son zèle avec leur zèle ou plutôt elle l'emporta sur eux par la générosité de ses dispositions, par l'ardeur de sa piété, et sa supériorité en ce point obtint le suffrage du souverain juge. Je vous le dis en vérité, nous a déclaré Jésus-Christ, cette veuve a fait plus que tous les autres. Voilà donc, Chrétiens, une pauvre veuve qui vous défie, qui vous

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provoque à rivaliser avec elle, et qui ne craint pas d'entrer en combat avec vous. "

13. Le même, Hom. XXX in Epist. I ad Corinthios : " Y a-t-il rien de plus vil que les mendiants ? Et cependant ils remplissent dans l’Eglise une fonction très-élevée ; cloués pour ainsi dire aux portes du temple, ils en font un des plus beaux ornements, et sans eux il manquerait quelque chose à la constitution de l'Eglise. C'est ce que comprirent les apôtres lorsque, dès les premiers temps de son établissement, ils réglèrent entre autres choses ce qui concernait l'ordre des veuves ; et telle était l'importance qu'ils attachaient à ce soin, qu'ils établirent sept diacres pour les en charger. . . "

" Un médecin qui s'aide à la fois de ses mains et de ses ciseaux, n'est pas plus habile à retrancher du corps humain les chairs corrompues, que le pauvre ne l'est à faire disparaître les plaies de nos âmes en nous tendant la main et recevant l'aumône de nous. Et ce qu'il y a d'admirable, c'est qu'ils opèrent en nous cette belle cure, sans nous faire de mal ni nous causer de douleur. Les prédications même que nous vous faisons en qualité de vos pasteurs, ne sont ni plus éloquentes ni plus efficaces pour votre bien spirituel, que ne l'est le silence et la simple vue de ces pauvres assis à la porte de l'église. Car pour nous autres, ce n'est que l'espace d'une heure par jour que nous vous faisons retentir cet avertissement : ô homme, gardez-vous bien de vous élever en vous-même ; la vie de l'homme est quelque chose de bien passager et de bien fragile ; la jeunesse se précipite vers l'âge avancé, la beauté vers les rides de la vieillesse, la force de l'âge vers la décrépitude, la santé vers la maladie, la gloire vers le mépris, la richesse vers la pauvreté. Tout ce qui concerne l'homme ressemble à un torrent que rien n'arrête, et qui tend continuellement vers un abîme. Au lieu que les pauvres vous prêchent les même vérités et bien d'autres encore, par le seul spectacle de leur misère, et par l'expérience même qu'ils vous en étalent sous les yeux : ce qui est de toutes les prédications la plus éloquente (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. X, pag. 274-275, édit de Montfaucon ; pag. 320-321, édit. de Gaume). "

14. S. GREGOIRE de Nazianze, in Orat. de funere patris : " Qui a jamais eu plus de compassion pour les pauvres (que Grégoire, évêque de Nazianze, père du saint docteur) ? Qui a secouru plus

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efficacement cette partie méprisée du genre humain, quoiqu'elle mérite les mêmes honneurs et qu'elle soit de même nature que l'autre ? Il se regardait comme l'économe d'un bien étranger et persuadé que ses biens étaient le patrimoine des pauvres, il les secourait de tout son pouvoir dans leurs besoins : il ne se contentait pas de donner le superflu, il donnait même le nécessaire, marque évidente de son zèle et de sa charité : il ne donnait pas seulement à sept, comme le prescrit Salomon (Eccles., XI, 2) ; le huitième qui survenait était partagé comme les autres : il n'avait point les défauts d'une âme avare et sordide, plus content de donner lui-même que les autres n'ont de joie d'amasser. Pour n'être pas retenu dans ses libéralités, il ne regardait pas sur qui elles tombaient ; il ne faisait pas de longs raisonnements pour examiner s'ils étaient dignes de recevoir l’aumône ; il ne l'accordait point de mauvaise grâce et en murmurant. "

" Plusieurs font part de leurs biens aux pauvres, mais sans le faire de bon cœur ni avec empressement, ce qui serait plus noble et plus parfait que de donner simplement ; il vaut bien mieux faire l'aumône à ceux qui ne la méritent point, à cause des autres qui en sont dignes, que de frustrer ceux-ci, dans l'appréhension de donner à des gens qui ne méritent pas qu'on les soulage. C'est ce que signifie ce passage de l’Ecriture (Ecclé., XI, 1), qu'il nous faut mettre notre pain dans l’eau (Répandez votre pain sur les eaux qui passent (traduction de Sacy). L'Ecriture, disent là-dessus les interprètes, entend souvent par les eaux les tribulations ; dans un sens qui revient à celui-là, les eaux signifient ici l'affligé, le pauvre, c'est-à-dire : Donnez l'aumône aux pauvres. Salomon ajoute : Sur les eaux qui passent, c'est-à-dire qu'il faut donner même à ceux de qui on n'attend aucune récompense temporelle. Mald. Grot. Menoch). Dieu, qui juge si sainement du mérite de nos actions, nous en tiendra compte ; le temps viendra où il nous en récompensera au centuple, quoique plusieurs en jugent peut-être autrement (Cf. Sermons de saint Grégoire de Nazianze, pag. 433-434). "

15. S. CHRYSOSTOME, Hom. XXI in Epist. ad Romanos, et in sermone : Ne scruterum pauperes curiosè : " Combien n'y avait-il pas de riches dans les jours du prophète Elisée ? Et cependant il n'y eut que la femme sunamite à goûter le fruit de l'hospitalité exercée par elle-même à l'égard de ce prophète, de même qu'Abraham l'avait fait autrefois avec tant d'empressement et de libéralité, d'autant plus admirable en ce point, qu'il le faisait sans savoir

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quelle pouvait être la qualité de ces hôtes qui lui étaient arrivés. Vous donc aussi, ne vous embarrassez pas de tant de questions à faire, pensez-vous peut-être à ce mendiant ; contentez-vous de le recevoir pour l'amour de Jésus-Christ : car s'il fallait toujours vous enquérir des qualités de ceux qui vous demandent, vous vous exposeriez à négliger souvent ceux qui mériteraient le mieux d'être secourus, et à perdre ainsi la récompense qui vous reviendrait d'une telle action. Tandis que celui qui reçoit celui-là même qui est indigne de ce bienfait, bien loin d'en essuyer des reproches de son souverain juge, en recevra au contraire une récompense. Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense d'un prophète (MATTH., X, 41). Celui au contraire qui aura, par son indiscrète curiosité, perdu l'occasion de recevoir peut-être une personne recommandable, en sera rigoureusement puni au dernier jour. Sachez donc vous interdire ces investigations inopportunes sur la vie et les actions de chacun ; car, quelle maladresse ne serait-ce pas de parcourir la vie entière d'un individu, pour savoir s'il mérite un morceau de pain ! Eh ! quand même ce serait un meurtrier, un brigand, ou tout ce que vous voudrez, est-ce que vous ne le trouverez pas digne de recevoir de vous un morceau de pain et quelques pièces de monnaie ? Et pourtant le maître de toutes choses fait lever son soleil sur lui comme sur vous ; et vous, vous lui refusez une mince aumône ?. . . "

" Votre Dieu a embrassé, couvert de ses baisers celui qui allait bientôt verser son sang précieux ; et vous, vous refusez de lui donner, dans la personne de ce pauvre, un morceau de pain ? Et vous restez sans égard pour la loi établie par un Dieu ? Ne vous a-t-il pas enseigné assez clairement par son propre exemple, que non-seulement nous ne devons pas repousser les pauvres, mais que nous devons accueillir avec charité ceux mêmes qui poursuivraient notre mort ? Ne m'alléguez donc plus qu'un tel vous a fait un tel mal, mais rappelez-vous ce qu'a fait Jésus-Christ, sur le point d'être livré au supplice de la croix, invitant au repentir son perfide disciple par le baiser dont ce traitre allait abuser pour le trahir. . . "

" Vous ne portez pas secours à l'indigence ; soit, mais pourquoi de plus l'opprimer ? vous ne relevez pas celui qui est tombé à terre ; mais pourquoi en outre le fouler aux pieds ? Vous ne le délivrez pas de son affliction ; mais pourquoi la lui rendre encore plus vive ? Vous lui épargnez l'humiliation de recevoir de votre

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argent ; mais pourquoi ne lui épargnez-vous pas aussi les injures ? N'avez-vous jamais entendu lire quels sont les supplices réservés à ceux qui n'auront pas nourri les pauvres ? Que leurs tourments seront affreux ! Allez, leur dira le souverain juge, dans ce feu qui a été préparé pour le démon et pour ses anges (MATTH., XXV, 41). Si donc ceux qui ne nourrissent pas les pauvres encourent un jugement aussi sévère, que dire donc de ceux qui à l’inhumanité de ne pas les nourrir ajoutent celle de les insulter ? Quel ne devra pas être leur châtiment ! quels feux dévorants ne leur seront-ils pas réservés ! Ainsi donc, pour ne pas allumer contre nous-même ces flammes vengeresses, hâtons-nous, tandis que nous en sommes les maîtres, de nous guérir de cette funeste maladie ; mettons un frein à notre langue ; bien loin d'insulter le pauvre, appliquons-nous à le consoler et de paroles et d'effets ; et en nous assurant ainsi à nous -mêmes la miséricorde de notre souverain juge, nous mériterons d'obtenir un jour les biens que nous a promis sa bonté (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. IX, pag. 677-679, édit. de Montfaucon ; p. 741-744, édit. de Gaume). "
 
 

Question VIII

Quels sont les enseignements de l’Ecriture au sujet de l’aumône spirituelle ?

Voici ce qu'a dit l'Apôtre : Nous devons, nous qui sommes plus forts, supporter l'infirmité des faibles, et ne pas chercher notre propre satisfaction, exclusivement à la leur, puisque Jésus-Christ lui-même n'a pas cherché la sienne. Il a dit encore : Soyez bons les uns envers les autres, pleins de compassion et de tendresse, vous entrepardonnant mutuellement, comme Dieu aussi vous a pardonné en Jésus-Christ. Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme étant ses enfants bien-aimés ; et marchez dans la pratique de l'amour et de la charité, comme Jésus-Christ nous a aimés. Il a dit de plus : Revêtez vous donc comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés, de tendresse et d’entrailles de miséricorde, de bonté d'humilité, de modestie, de patience, vous supportant les uns les autres, chacun de vous remettant à son frère tous les sujets de plainte qu'il pourrait avoir contre lui, et vous entrepardonnant, comme le Seigneur vous a pardonné. Il a dit enfin : Reprenez ceux qui sont déréglés, consolez ceux qui sont abattus, supportez lm faibles, soyez patients envers tout le

monde.

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Voilà quels sont à ce sujet les enseignements de saint Paul, comme beaucoup d'autres de ce genre qu'il s'efforçait d'inculquer aux fidèles de son temps ; lui qui se faisait tout à tous pour les sauver tous, au point qu'il pouvait se rendre à lui-même ce témoignage : Qui est faible, sans que je me fasse faible avec lui ? Qui est scandalisé sans que j'en sois consumé de zèle ? Lui qui disait encore : Je suis saisi d'une tristesse profonde, et mon cœur est pressé sans cesse d'une vive douleur, jusque-là que j’eusse désiré de devenir moi-même anathème et d'être séparé de Jésus-Christ pour mes frères. Il disait encore ailleurs : Je donnerai très-volontiers tout ce que j'ai et ma personne même pour le salut de vos âmes, quand même, en dépit de toute l'affection que j'ai pour vous, vous en n'auriez peu pour moi.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Romains, XV, 1 et 3 ; Ephésiens, IV, 32, et V, 4 ; Colossiens, III, 12 et 13 ; comme dans le corps de la réponse.

2. I Thessaloniciens, V, 14 ; comme dans le corps de la réponse.

3. I Corinthiens, IX, 22 ; II Corinthiens, XI, 29 ; Romains, IX, 2 et 3 ; II Corinthiens, XII, 15 ; comme dans le corps de la réponse.
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Enchirid. ad Laurentium, c. 7 à (al. 24, 21), après avoir dit à la fin du chapitre précédent qu'il y a plusieurs espèce d'aumônes, à l'aide desquelles nous pouvons obtenir le pardon de nos péchés, le saint docteur ajoute ici : " Mais de toutes les aumônes il n'y en a pas de plus grande que celle qui consiste à

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pardonner du fond du cœur au prochain les offenses reçues de lui. Car c'est une vertu assez médiocre que de vouloir du bien ou même d'en faire à ceux qui ne nous ont fait aucun mal ; mais c'est une vertu sublime et le caractère d'une éminente bonté que d'aimer même ses ennemis, de vouloir du bien, et d'en faire quand on le peut, à ceux qui veulent nous faire du mal, et nous en font autant qu'ils le peuvent. C'est se rendre fidèle disciple d'un Dieu qui nous a donné lui-même ces importantes leçons sur l’amour des ennemis : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent (MATTH., V, 44). Mais cette disposition ne se trouve que dans les parfaits enfants de Dieu, quoique tous les fidèles doivent y tendre, et tâcher d'y parvenir par la prière, par de pieux efforts sur eux-mêmes et par un combat continuel contre les sentiments de la nature corrompue. On ne peut pas se flatter qu'un si haut degré de charité se trouve dans le commun des chrétiens, qui récitent l'oraison dominicale, et dont nous avons la confiance que la prière est exaucée, quand ils disent à Dieu : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (MATTH., VI, 12). C'est pourquoi nous pouvons assurer que la condition exprimée par ces paroles est suffisamment remplie, lorsque le fidèle qui fait cette prière, quoiqu'il n'ait pas encore fait assez de progrès dans la charité pour aimer ses ennemis, est néanmoins dans la disposition sincère de pardonner à celui qui l'a offensé, supposé que celui-ci lui demande pardon, de même qu'il désire que Dieu lui pardonne à lui-même quand il l'en prie. Ainsi ces paroles de l'oraison dominicale : Pardonnez-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, signifient proprement : Pardonnez-nous les péchés dont nous vous demandons le pardon, comme nous pardonnons nous-même à ceux qui nous ont offensés, et qui nous demandent pardon. "

2. Ibidem, c. 74 : " Au reste, quiconque demande pardon à un homme contre qui il a péché, et qui le fait par un sincère regret de sa faute, ne doit plus être considéré comme un ennemi. Ainsi, il n'y a plus la même difficulté à l'aimer, qu'il y avait quand ce même homme se conduisait en ennemi. Or, en pareil cas, quiconque ne pardonne pas du fond de son cœur à celui qui se repent de l'avoir offensé et lui en demande pardon, ne doit pas se flatter d'obtenir du Seigneur le pardon de ses propres péchés, autrement la vérité même serait convaincue de mensonge. Tout chrétien qui a lu, ou entendu lire l'Evangile, sait que Jésus-

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Christ a dit : Je suis la Vérité (JEAN., XIV, 6). Et c'est ce docteur par excellence, celui qui est la vérité même qui après avoir enseigné à ses disciples la divine prière que nous expliquons, a ensuite insisté sur la demande dont il s'agit, en ajoutant : Car si vous remettez aux hommes les péchés qu'ils ont commis contre mis, votre Père céleste vous remettra à vous-même vos péchés ; si au contraire vous ne remettez pas aux hommes leurs offenses, votre Père céleste ne vous remettra pas non plus vos péchés (MATTH., VI, 14-15). Quiconque ne s'éveille pas au bruit effrayant d'un pareil tonnerre, est non pas endormi, mais mort. Et cependant il reste encore pour lui une ressource, puisque le divin maître qui fait ici entendre sa voix, est tout-puissant jusqu’à pouvoir ressusciter les morts (Cf. Le Manuel de saint Augustin, dans les Traités choisis, t. II, pag. 404-407). "

3. Le même, Lib. L homiliarum, Hom. 6 : " Vous pouvez me dire : Je n'ai rien à donner aux pauvres ; je ne saurais jeûner souvent ; je ne saurais me passer de vin et de viande. Mais pouvez-vous me dire de même que vous ne sauriez avoir de charité. La charité est un bien qui s'augmente d'autant plus qu'on le dépense davantage. Remettez donc à votre prochain ce que vous auriez à faire valoir contre lui, de peur que celui à qui vous n'avez rien à remettre n'ait lui-même quelque chose à faire valoir contre vous. Pardonnez, et il vous sera pardonné, donnez, et il vous sera donné (LUC, VI, 57-58). Sachez, mes très-chers frères, qu'il y a deux sortes d'aumônes, celle du cœur et celle de la bourse. L'aumône du cœur consiste à pardonner à celui qui nous a offensés. Car, quant à celle qui consiste à donner à un indigent, il peut arriver que vous ne puissiez rien lui donner malgré tout votre désir, mais quelque abondance de pardon que vous répandiez sur celui qui vous aura offensé, il vous en restera toujours à répandre. Il peut fort bien arriver que vous n'ayez ni or ni argent, ni vêtement, ni froment, ni vin, ni huile à distribuer aux pauvres ; mais vous ne pourrez jamais trouver d'excuse qui vous dispense d'aimer votre prochain, de pardonner à vos ennemis, et de faire aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fît à vous-même. Si dans tout votre cellier comme dans tout votre grenier vous n'avez rien que vous puissiez donner, vous pouvez toujours tirer du trésor de votre cœur l'affection que vous devez à vos frères. Et puisque cette bonne volonté, quand même vous

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n'auriez pas d'autre bien que celui-là, suffirait à elle seule pour vous acquitter envers tous les hommes, et que l'aumône du cœur est beaucoup plus grande que celle de la bourse, quelle ombre d'excuse pourriez-vous faire valoir pour vous dispenser de la faire ? Remarquez de plus, mes frères que cette sorte d'aumône se suffit à elle-même indépendamment de tous les biens terrestres. Celle au contraire qui s'exerce au moyen de tels ou tels secours matériels ne saurait suffire toute seule sans celle du cœur. Et puisque, comme vous le voyez vous-mêmes la charité et l'amour des ennemis suffit abondamment, sans qu'il soit besoin des richesses de ce monde, pour obtenir la rémission des péchés commis, nous n'aurons sur ce sujet aucune excuse à alléguer au jour du jugement, et aucun de nous ne pourra prétexter qu'il n'avait pas de quoi racheter ses fautes. Efforçons-nous donc d'aimer tout le monde de tout notre cœur en demandant à Dieu que ceux de nos semblables qui sont bons deviennent encore meilleurs et persévèrent dans le bien, et que ceux qui sont méchants se corrigent au plus tôt, dans la crainte d'encourir les effets de cette menace que Dieu nous a faite à tous : Si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père ne vous pardonnera pas non plus les vôtres (MATTH., VI, 15). Mais travaillons plutôt avec l'aide de sa grâce de mériter que s'accomplisse en nous cette autre parole : Donnez, et il vous sera donné ; pardonnez, et il vous sera pardonné (LUC, VI, 37-38). Puis donc que, en vertu de cette divine promesse, que si vous pardonnez aux autres hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera les vôtres, il est en notre pouvoir de dicter à notre juge notre sentence d'acquittement, pardonnons, mes frères, à tous nos ennemis, pour que nous puissions dire à Dieu avec une conscience assurée : Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. "

4. Le même, Hom. XXIX, c. 1 : " Il ne résulte pour vous aucune perte de cette aumône que vous faites en pardonnant à votre ennemi. Qu'il vous demande pardon, et que vous lui pardonniez, vous n'en êtes pas plus pauvre ; au contraire, vous rentrez chez vous plus riche de charité. Tandis que cette autre sorte d'aumône, qui consiste à secourir les indigents, est un devoir qui peut nous être onéreux, ce qu'on leur donne exigeant qu'on en subisse la perte pour soi-même. "

5. Ibidem, Hom. XL, c. 3 : " Si le souvenir de vos péchés vous inquiète, car partout en ce monde on voit abonder l'iniquité, dites à Dieu : Pardonnez-nous nos offenses. Mais n'oubliez pas ce

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qui suit. Vous avez refusé de pardonner à votre frère, et vous allez dire : Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. N'est-ce pas là ce que vous allez dire ? Si vous ne le dites pas, vous n'obtiendrez rien ; si vous le dites, vous direz un mensonge. Dites-le donc, mais que ce soit en même temps une vérité. Comment sera-ce une vérité si vous ne pardonnez pas à votre frère ? "

Ibidem, c. 4 : " Je vous en ai déjà avertis ; je vous le représente de nouveau dans votre intérêt. Qui que vous soyez qui ayez dit à votre frère : Pardonnez-moi l'offense que j'ai commise contre vous ; si vous l'avez dit du fond de votre cœur avec une vraie humilité et non avec une charité feinte (et Dieu voit dans votre cœur avec quels sentiments vous avez pu le dire) ; si, malgré cela, votre frère refuse de vous pardonner, tenez-vous en paix. Vous êtes tous les deux serviteurs d'un même maître ; vous deviez à votre compagnon, et il a refusé de vous remettre votre dette : portez votre affaire à votre maître commun. Si votre maitre vous acquitte lui-même que votre compagnon exige ensuite de vous, s'il le peut, l'acquittement de votre dette. "

" J'ai encore autre chose à vous dire : J'ai averti celui qui aurait déjà refusé de pardonner à son frère, malgré la demande que lui en aurait faite celui-ci, de se décider enfin à revenir sur un pareil refus, de peur que, lorsqu'il adressera à Dieu quelque prière, il ne puisse en obtenir l'effet de ses propres demandes. J'ai averti de même celui qui aurait demandé pardon à son frère sans avoir pu l'obtenir, de se tenir tranquille devant Dieu sur ce point. Il me reste à vous donner cet autre avertissement : Votre frère a péché contre vous, et il n'a pas voulu vous dire : Pardonnez-moi l'offense qui vous a indisposé contre moi. Ces paroles sont de trop ; que Dieu ne les arrache-t-il de son champ, je veux dire de vos cœurs Combien, hélas, ne s'en trouve-t-il pas qui savent qu'ils ont péché contre leurs frères et qui refusent de leur dire : Pardonnez-moi ! Ils n'ont pas rougi de pécher et ils rougissent d'en demander pardon. Ils n'ont pas rougi de s'élever contre Dieu, et ils rougissent de s'humilier devant lui. "

Ibidem, c. 5 : " Voici donc en particulier l'avis que je leur donne. Vous tous qui seriez en discorde avec vos frères et qui rentrant en vous-mêmes vous considérant vous-mêmes, vous jugeant vous-mêmes avec une juste sévérité, trouvez que vous n'auriez pas dû faire ce que vous avez fait, ou dire ce que vous avez dit, demandez-en pardon à vos frères, faites à l'égard de

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vos frères ce que recommande l'Apôtre, de vous entrepardonner mutuellement, comme Dieu aussi vous a pardonné en Jésus-Christ (Ephés., IV, 32). Oui, faites-le, ne rougissez pas de demander pardon à vos frères. Je vous le dis donc à tous, hommes ou femmes, petits ou grands, laïcs ou clercs, comme je me le dis à moi-même. Soyons tous dociles ; soyons tous dans la crainte, si nous avons péché contre nos frères. . . "

" Il est des personnes de basse condition selon le monde, qui, si on leur demande pardon, en conçoivent de l'orgueil ; ce que je veux dire, c'est qu'il peut arriver qu'un maître pèche contre son serviteur : car s'il est maître et que l'autre soit serviteur, tous les deux néanmoins sont serviteurs d'un maître commun, puisque, étant chrétiens tous les deux, tous les deux également ont été rachetés au prix du sang de Jésus-Christ. Toutefois il peut paraître dur que je prescrive aussi à ce maître qui aura péché contre son serviteur, soit en l'injuriant, soit en le maltraitant injustement, de lui dire : Pardonnez-moi, accordez-moi le pardon de ma faute. Ce n'est pas qu'il ne se sente obligé de le faire au fond ; mais c'est qu'il est à craindre que, s'il témoigne ainsi à son serviteur son repentir de sa faute, son serviteur son tour ne vienne à s'en élever contre lui. Que faire donc ? En témoigner son repentir devant Dieu, s'en punir soi-même devant Dieu ; et s'il ne peut dire à son serviteur, Pardonnez-moi, à cause de l'inconvénient qu'il y aurait à le lui dire, qu'il lui parle du moins avec bonté. Car des paroles affables sont en ce cas une demande implicite de pardon. "

Ibidem, c. 6 : " Peut-être pensez-vous et dites-vous en vous-même : Je voudrais bien me remettre d'accord ; mais c'est lui qui m'a blessé, c'est lui qui a péché contre moi, et il ne veut pas me demander pardon. - Quoi donc ? faut-il que je vous dise : Allez vous-même lui demander pardon ? Loin de moi cette pensée. Je ne prétends pas vous obliger à mentir ; je ne prétends pas que vous disiez, Pardonnez-moi, tandis que vous vous rendez à vous-même témoignage de n'avoir pas péché contre votre frère. Eh ! que vous servirait-il d'être votre propre accusateur ? Pourquoi demanderiez-vous à votre frère de vous pardonner, tandis que vous ne l'auriez blessé en rien, que vous n'auriez nullement péché contre lui ? Cela ne vous servirait à rien ; ne le faites donc pas ; vous savez, et vous vous en êtes assuré après vous être examiné avec soin, vous savez que votre fière a péché contre vous, et non vous-même contre lui. " Je le sais, " voilà ce que vous me dites.

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Je m'en rapporte à votre conscience. Gardez-vous bien de demander pardon à celui qui vous a offensé. Mais qu'entre vous deux il y ait des entremetteurs qui lui fassent la correction, et l'engagent à vous demander pardon comme il y est obligé ; et vous, soyez tout simplement prêt à lui pardonner, et à le faire de tout votre cœur Si vous êtes dans cette disposition de lui pardonner, c'est comme si vous l'aviez fait déjà, et il vous reste de prier pour lui. Faites-le donc, et demandez à Dieu qu'il lui accorde la grâce de vous demander pardon ; car vous savez que, s'il ne s'humilie ainsi devant vous, il ne lui en arrivera que du mal. Tâchez donc par vos prières d'obtenir pour lui cette grâce ; dites à Dieu : Seigneur, vous savez que je n'ai pas péché contre un tel d'entre mes frères mais que c'est bien plutôt lui qui a péché contre moi ; vous savez que s'il ne me demande pas pardon après s'être rendu coupable de cette offense, il n'en sera que plus sévèrement puni un jour ; je vous prie de tout mon cœur de le lui pardonner vous-même. "

Ibidem, c. 7 : " Je vous l'ai dit : dans ces jours de jeûne et de mortification, vous ne devez avoir rien de plus à cœur que de vous réconcilier avec vos frères. Que je goûte la joie de voir la paix parmi vous, moi qu'affligent si vivement vos contestations ; et puissions-nous tous, nous pardonnant les uns aux autres ce que nous pourrions avoir mutuellement à nous reprocher, célébrer avec une conscience tranquille la pâque et la passion de celui qui, ne devant rien à personne, n'en a pas moins payé pour tous ; lui qui n'a jamais péché contre personne, mais contre qui tout le monde a péché, et qui, bien loin de provoquer contre nous les supplices, nous propose ses récompenses. Vous l'avez pour témoin au fond de vos cœurs, que si nous avons péché contre quelqu'un d'entre vous, nous lui demandons pardon avec sincérité, et que si quelqu'un de vous a péché contre nous-même, nous sommes tout disposés à lui pardonner, et que nous prions pour nos ennemis, sans attendre que nous ayons tiré d'eux aucune vengeance. Qu'est-ce que se venger, sinon se repaître du mal d'autrui ? Sachez qu'il en est de tels, qui tous les jours se prosternant à genoux, frappant la terre de leur front, et souvent même montrant un visage baigné de larmes, font avec tous ces signes d'humilité et de componction la prière que voici : Seigneur, vengez-moi, frappez de mort mon ennemi. Oui, demandez à Dieu qu'il frappe votre ennemi de mort, mais en même temps demandez-lui qu'il sauve votre frère ; qu'il tue les inimitiés, mais

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qu'il sauve l'homme lui-même. C'est de cette manière que vous devez demander à Dieu qu'il vous venge, en faisant mourir ce qui dans votre ennemi vous persécute, et en laissant la vie à ce qui en lui pourra encore vous aimer. "

6. Le même, Serm. CCIII de tempore (ou Alcuin, de virtutibus et vitiis) : " Un pécheur ne peut espérer d'obtenir miséricorde de Dieu, qu'autant qu'il fait lui-même miséricorde à ceux qui pèchent contre lui. Qu'on ne refuse donc pas de faire remise à son prochain d'une dette temporelle, pour mériter ainsi de recevoir des biens éternels. Si nous voulons purifier nos âmes des souillures dont le péché les a couvertes, empressons-nous de faire miséricorde à ceux qui pèchent contre nous, afin qu'au grand jour de la rétribution, nos œuvres de miséricorde nous concilient à nous-mêmes la miséricorde de Dieu. Comment pourrait-on attendre ou espérer la miséricorde de Dieu, si on la refusait soi-même à ceux qui sont ses serviteurs au même titre que nous tous ? Si vous voulez que Dieu soit indulgent pour vous, soyez-le pour ceux qui vous doivent. Vous aurez certes bon droit à l'indulgence, si vous êtes indulgent pour les autres. Dans l'Evangile, Notre-Seigneur nous propose un bien encourageant exemple de miséricorde, lorsqu'il nous dit : Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux (LUC, VI, 36) ; lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les hommes injustes comme sur les justes (MATTH., V, 45). Toute action de miséricorde fera placer chacun en son rang selon le mérite de ses œuvres. . . . . (Ecclé., XVI, 15) "

" Ainsi Dieu nous jugera d'après le jugement que nous aurons porté nous-mêmes. Nous sommes en quelque sorte les maîtres du jugement que prononcera sur nous notre juge. Si nous jugeons avec indulgence ceux qui nous auront manqué en quelque point, Dieu nous jugera aussi avec indulgence sur les manquements de notre vie entière. Ayons donc les yeux fixés sur le modèle qu'il nous présente lui-même, suivant l'avertissement que nous en donne le Docteur des nations lorsqu'il nous dit : Que chacun de vous remette à son frère tous les sujets de plainte qu'il pourrait avoir contre lui, et pardonnez-vous les uns aux autres comme le Seigneur vous a pardonné (Col., III, 13). C'est-à-dire : De même que Dieu nous a pardonné en Jésus-Christ nos propres péchés, ainsi devons- nous pardonner a ceux qui pèchent contre nous. Le même apôtre nous dit ailleurs : Ne rendez à personne le mal pour le mal. Et encore : Ne vous laissez point vaincre par le mal,

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mais travaillez à vaincre le mal par le bien (Rom., XII, 17 et 21). Soyons bien assurés que nous obtiendrons de Dieu la même indulgence que nous aurons accordée nous-mêmes à notre prochain. La prière que nous ferons à Dieu pour qu'il nous pardonne nos fautes parviendra bientôt à ses oreilles, si nous prêtons nous-mêmes une oreille favorable à la prière de ceux qui auront péché contre nous. Celui qui sait user de clémence envers autrui, obtiendra certainement de Dieu d'en être lui-même traité avec clémence. De là ces paroles de l’Ecriture : Celui qui est porté à faire miséricorde sera béni (Prov., XXII, 9) du Seigneur. Dieu nous pardonnera donc de la même manière que nous aurons pardonné à ceux qui nous auront offensés de quelque manière que ce soit. Concluons qu'il y a plusieurs sortes de miséricorde dont la pratique nous aide à obtenir le pardon de nos fautes. Mais il n'en est point de plus grande, que celle qui consiste pardonner du fond du cœur l'offense dont on se serait rendu coupable contre nous. "

7. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Lib. IV Dialogorum, chapitre 60 et dernier : " Sachons bien cependant que pour avoir droit de demander pardon de nos péchés, il faut pardonner nous-même les premiers les offenses dont on se serait rendu coupable contre nous. Car Dieu ne consent à accepter l'offrande de nos prières qu'après que nous avons banni de nos cœurs tout esprit de discorde, comme s'en est expliqué la Vérité elle-même : Si, lorsque vous présentez votre offrande a l'autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez-là votre don devant l'autel, et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère et puis vous reviendrez offrir votre don (MATTH., V, 23-24). Remarquons surtout ici que, quoique toutes les fautes se rachètent d'ordinaire par des dons, tel est cependant le mal de la discorde, que les dons sont impuissants à le faire pardonner. Nous devons donc nous rapprocher en esprit de notre prochain, quelque éloigné qu'il puisse être de nous par la distance des lieux, nous abaisser devant lui, l'apaiser à force de témoignages d'humilité et de bienveillance, afin que notre Dieu, voyant nos dispositions pacifiques, nous pardonne lui-même nos péchés en acceptant pour expiation cette offrande de notre cœur Nous savons par le témoignage de la Vérité même que le serviteur qui devait dix mille talents à son maître obtint de lui la remise entière de sa dette pour prix de son repentir. Mais comme ensuite il refusa de faire remise à son compagnon de cent deniers seulement que celui-ci lui devait à lui-même son maître vint exiger de lui ce dont il lui avait

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d'abord fait la remise entière. Il est clair par ce que nous venons de dire, que si nous ne pardonnons pas du fond du cœur les offenses commises contre nous, Dieu reviendra aussi à exiger ce que notre repentir l'avait d'abord engagé à nous remettre. Ainsi donc, tandis qu'il en est temps encore, tandis que le juge qui pèse nos péchés dans une juste balance veut bien nous supporter en attendant notre conversion, amollissons à force de larmes la dureté de nos cœurs ; amenons notre prochain lui-même à devenir bienveillant à notre égard. Et je ne crains pas de dire que nous n'aurons pas besoin qu'on offre pour nous après notre mort la victime du salut, si, avant de mourir, nous nous offrons ainsi nous-mêmes comme victimes. "
 
 

Question IX

A quoi se réduit en dernière analyse toute cette doctrine sur les œuvres de miséricorde qu’il nous est recommandé de faire ?

L'Apôtre a renfermé en quelque sorte, dans un seul mot toute cette doctrine : Portez, nous a-t-il dit, les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ qui est une loi de charité. Il a dit de cette même loi : Tous les commandements sont compris en abrégé dans cette parole : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. L'apôtre saint Pierre a dit aussi : Ayez surtout une charité persévérante les uns pour les autres ; car la charité couvre beaucoup de péchés. Ce précepte et ce devoir, si conformé à la nature et à la raison, d'aimer le prochain et de faire miséricorde, regarde tout le monde, en sorte que nous pouvons appliquer ici ces paroles de l’Ecriture : Dieu a ordonné à chacun de nous d’avoir soin de notre prochain. Or, cet ordre qu'il nous a fait, Jésus-Christ nous l'a traduit de cette manière : Faites aux autres hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent. Dans ces paroles sont renfermés la loi et les prophètes.

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CHAPITRE II.

DES VERTUS CARDINALES.


Question I

Qu’entend-on par vertus cardinales, et en quoi consistent-elles ?

Certaines vertus sont appelée cardinales, de ce mot cardo, qui veut dire gond, parce qu'elles sont comme les gonds sur lesquels tournent les autres vertus qui en dérivent ; que de leur solidité dépend toute notre vie morale, comme la solidité d'une porte dépend de celle de ses gonds, et que tout l'édifice de nos bonnes œuvres porte sur elles comme sur son pivot. Ces vertus cardinales sont au nombre de quatre, savoir : la prudence, la justice, la tempérance et la force. L'Ecriture fait mention de ces quatre vertus en ces termes : Sobrietatem et prudentiam docet, et justitiam, et virtutem ; quibus utilius nihil est in vitâ hominibus. C'est la sagesse qui enseigne la tempérance, la prudence, la justice et la force, qui sont les choses du monde les plus utiles à l'homme dans cette vie. On voit que la tempérance est exprimée ici par le mot sobrietatem, et la force par le mot virtutem ; et toutes les quatre nous sont tellement recommandées, que l’Ecriture nous les représente comme ne pouvant nous venir que de l'éternelle sagesse, qui est Dieu, et comme produisant en nous, pour peu que nous les recevions en nous-mêmes et que nous les mettions en pratique, les fruits les plus salutaires. Ces vertus sont encore appelées en latin officiales, parce que, comme l'a observé saint Ambroise, c'est d'elles que naissent nos divers devoirs, en latin officia, je veux dire tous les devoirs de la vie commune, particuliers à chacun suivant le poste qu'il est appelé à occuper.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Sagesse, VIII, 5-7 : " Si ce sont les richesses qu'on désire en cette vie, qu'y a-t-il de plus riche que la sagesse qui fait toutes choses ? - Si c'est à quelque ouvrage que s'applique l'esprit de l'homme, qui plus que la sagesse est habile dans ses œuvres ? - Et si c'est la justice que l'on aime, les grandes vertus sont encore son ouvrage ; car c'est elle qui enseigne la tempérance, la prudence, la justice et la force, qui sont les choses du monde les plus utiles aux hommes dans cette vie. "

2. Proverbes, VIII, 12-16, 22-30 : " Moi, la sagesse, j'habite dans le conseil, et je me trouve présente dans les pensées judicieuses. - Celui qui craint le Seigneur hait le mal ; je déteste l'insolence et l'orgueil, la voie oblique et la duplicité du langage. - C'est de moi que viennent le conseil et l'équité ; c'est de moi que viennent la prudence et la force. - Par moi les rois règnent ; par moi les législateurs décrètent ce qui est juste. - Par moi les princes commandent ; par moi les maîtres de la terre rendent la justice. - Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies ; avant qu'il créât aucune chose, j'étais dés-lors. - J'ai été établie dés l'éternité et dès le commencement, avant que la terre fût créé. - Les abîmes n'étaient point encore, et déjà j'étais conçue. - Les fontaines n'étaient point sorties de la terre ; - les pesantes masses des montagnes n'étaient pas encore assises ; avant qu'il y eût des collines, j'étais enfantée. - (Le Seigneur) n'avait point encore fait la terre ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles ; il s'occupait de l'ordre à établir dans les cieux, que déjà j'assistais à ses conseils. Lorsqu'il traçait aux abimes leurs limites comme un cercle infranchissable, - lorsqu'il mettait les nuées en équilibre dans les régions intérieures de l'air, et qu'il condensait les eaux de l'Océan, etc., - j'étais avec lui, et je réglais toutes choses. "

3. Ecclésiastique, XXIV, 5-10, 14, 24-25 : " Je suis sortie de la bouche du Très-Haut ; je suis née avant toute créature. -

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C'est moi qui ai fait naître dans le ciel une lumière qui ne s'éteindra jamais, et qui ai couvert toute la terre comme d'un nuage. - J'ai fixé ma tente au plus haut des cieux, et mon trône est dans une colonne de nuée. - Seule j'ai parcouru le cercle des cieux, j'ai pénétré la profondeur des abîmes, j'ai marché sur les flots de la mer, - et j'ai parcouru toute la terre, - j'ai eu 'empire sur tous les peuples et sur toutes les nations. - J'ai été créée dès le commencement et avant les siècles ; je ne cesserai point d'être dans la suite de tous les âges, et j'ai exercé devant lui mon ministère dans la maison sainte. - Je suis la mère du pur amour, de la crainte, de la science et de l'espérance même - En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité ; en moi toute l'espérance de la vie et de la vertu. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AMBROISE, in caput VI Lucæ : " Saint Luc n'a exprimé que quatre des béatitudes célébrées par Notre-Seigneur ; saint Matthieu en a compté huit ; mais dans ces huit sont renfermées les quatre mentionnées par l'autre évangéliste, et ces quatre elles-mêmes renferment les huit entières. Le premier semble avoir fait allusion aux quatre vertus cardinales ; le second a pu attacher au nombre de huit quelque sens mystérieux. Car beaucoup de psaumes ont pour titre ces mots, pro octavâ, et l'Esprit-Saint vous avertit de faire part de ce que vous avez à huit (Ecclé., XI, 2) : n'est-ce point ces huit bénédictions ? Car, de même que ce nombre huit figures l'accomplissement de nos espérances ainsi est-il l'expression abrégé de toutes les vertus. . . . . "

" Essayons maintenant de dire comment saint Luc a compris dans ses quatre béatitudes les huit de l'autre évangéliste. Nous savons qu'il y a quatre vertus cardinales, savoir : la tempérance, la justice, la prudence et la force. Celui qui est pauvre d'esprit ne saurait être avare. Celui qui est dans les larmes ne s'enorgueillit pas, mais il est doux et paisible. Celui qui pleure est humilié. Celui qui est juste ne refuse à personne ce qui a été donné pour servir à tout le monde. Celui qui fait miséricorde donne de son propre bien. Celui qui donne ce qu'il a ne cherche point à usurper le bien d'autrui, ni à tromper en quoi que ce soit son prochain. Toutes ces vertus ont donc comme des liens qui les rattachent les unes aux autres, en sorte qu'il suffit d'en

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posséder une pour paraître en posséder plusieurs : et ainsi c'est une seule et même vertu qui fait les saints, quoique, parmi eux ; celui-là ait droit à une récompense plus abondante, dont la vertu est elle-même plus abondante en mérites. Quelles habitudes d'hospitalité dans Abraham! quelle humilité, quelle sainteté, pour sauver d'entre les mains de l'ennemi le fils de son frère ! Quel désintéressement, pour ne vouloir rien garder du butin qu'il s'était acquis ! Mais comme il a excellé par sa foi, c'est sa foi aussi qui est le plus célébrée. Chacun pourra donc avoir droit à plusieurs récompenses, comme ayant donné l'exemple de plusieurs vertus. Mais ce qui sera récompense le plus, ce sera la vertu dans laquelle on aura excellé. Heureux donc les pauvres d'esprit. Sous ces paroles vous est recommandée la tempérance, qui s'abstient du péché, foule aux pieds le monde, et dédaigne les plaisirs séducteurs. Heureux ceux qui ont faim et soif. Car celui qui a faim compatit à celui qui a faim ; s'il compatit à son besoin, il s'applique à le soulager ; en le soulageant, il accomplit le devoir de la justice, puisque le Prophète vous assure que sa justice demeure dans tous les siècles (Ps. CXI, 9). De là vient que dans saint Matthieu il est question d'une faim et d'une soif spirituelle, qui nous font désirer l'aliment et l'eau désaltérante de la justice : vertu qui est comme la matière des autres, puisqu'elle porte celui qui la possède à ne point dominer sur ses inférieurs, à s'interdire toute duplicité, à rechercher la vérité en tout. Heureux vous qui pleurez maintenant, parce que vous rirez un jour. Par ces paroles nous est signifiée la prudence, dont le propre est de gémir sur tout ce qui est périssable, de rechercher les biens éternels, de déplorer les vanités du siècle, qui sont à elles-mêmes leur tourment, de chercher le Dieu de paix, qui a fait choix de ce qu'il y a d'insensé aux yeux du monde pour confondre les sages, et de ce qui n'est pas pour détruire ce qui est (Il y a dans le texte : Qui ea quæ non sunt destruat, ut quæ sunt posit adipisci. Ce texte me semble altéré, car il ne paraît présenter aucun sens raisonnable). Vous serez heureux, lorsque les hommes vous haïront. Ces paroles nous désignent la force, non celle qui s'attire par ses excès une haine justement méritée, mais celle qui brave la persécution pour rester fidèle. Car c'est en dédaignant la faveur des hommes pour se conserver dans la grâce de Dieu, qu'on parvient à la couronne du martyre. Enfin, pour vous convaincre

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que le martyre est la vertu même de force à son plus haut degré, l’Evangile ajoute : C'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes (LUC, VI, 23) ; car on sait que les Juifs ont persécuté les prophètes jusqu'au point de les faire mourir. C'est aussi un des caractères de la force de réprimer sa colère et de retenir son indignation ; et ainsi cette vertu affecte l’âme aussi bien que le corps. De plus, elle nous empêche de nous laisser troubler par la crainte ou par la douleur, qui ont coutume d'ébranler notre courage en nous portant à la défiance. Ainsi donc la tempérance nous est désignée par la pureté du cœur, la justice par la miséricorde, la prudence par l'esprit de paix, et la force par la douceur. "

2. Le même, Lib. I officiorum, c. 24 : " Quelle vertu importante manqua à aucun de ces grands hommes (Abraham, Jacob, Joseph, David) ? Ils mettaient à la tête de toutes les autres la prudence, qui s'attache à la recherche de la vérité et nous inspire le désir d'en acquérir une connaissance de plus en plus parfaite ; après elle venait la justice, qui donne à chacun ce qui lui est dût et néglige ses propres intérêts plutôt que de nuire à ceux des autres ; puis la force, qui, dans la paix comme dans la guerre, se signale par la grandeur d'âme et par la vigueur dans l'action ; enfin la tempérance, qui met l'ordre et la mesure dans toutes nos actions, dans tous nos discours (Cf. Chefs-d’œuvre des Pères de l’Eglise, t. VI, p.192-193). "

3. S. PROSPER, De vitâ contemplativâ, c. 18 : " Voyons maintenant si les philosophes sont fondés à compter quatre vertus comme sources de toutes les autres, et quatre vices principaux dont tous les autres tirent également leur origine. Les quatre principales vertus ne sont pas admises par les philosophes seuls ; elles sont en outre reconnues par nos propres docteurs. Mais pourquoi ce nombre de quatre, et quelles sont les fonctions propres à chacune ? C'est ce que nous allons éclaircir en peu de mots avec l'aide de Dieu. Le nombre quatre est, comme tout le monde le sait, le symbole de la perfection. Car le monde entier est partagé entre quatre points principaux, qui sont l'orient, l'occident, le nord et le midi ; et le nom même d'Adam, père du genre humain, nom qui signifie aussi l'homme considéré dans sa généralité, ce nom se compose de quatre lettres. Notre corps même résulte de la combinaison des quatre éléments et exprime ainsi à sa manière ce même nombre de quatre. Les anciens ont

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de même trouvé qu'il y a quatre principales affections de l’âme, que nous pouvons tourner soit au mal, soit au bien, et cette observation qu'ils ont faite a été admise par ceux qui sont venus après eux. Les quatre fleuves du paradis, les quatre évangiles, les quatre roues du char que voyait le Prophète, les quatre animaux, leurs quatre ailes, leurs quatre faces, recommandent pareillement le nombre quatre à notre attention ; et ainsi nous devons considérer attentivement quelle sainteté doivent donner au chrétien, de combien de vertus doivent être la source, ces vertus dont leur nombre même indique la perfection. Car si la tempérance fait l'homme tempérant, la prudence l'homme prudent, la justice l'homme juste, et la force l'homme fort, je ne sais ce qu'il peut y avoir de plus parfait qu'un homme qui réunirait en lui ces quatre vertus à la fois. Il nous est certes difficile d'indiquer toués les vertus qui découlent de ces quatre principales ; on verra plutôt quelles sont ces vertus secondaires, d'après le tableau que nous aurons fait des propriétés et des actes particuliers de celles dont elles dérivent. Sachons cependant ; et retenons avant tout, que ces quatre vertus, avec toutes les autres qui en naissent, sont des dons de Dieu, et que personne n'en possède ou n'en a possédé, ou n'en possèdera jamais aucune, qu'il n'ait reçu de Dieu, qui en est la source en même temps que l'essence (Il y a dans le texte : Qui est omnium virtutum proprietas et origo. Ces expressions pourraient prêter aujourd'hui à un sens panthéiste qui n'était pas sans doute celui de l'auteur) ; car tous ceux qui, en tout temps, dans quelque peuple que ce soit, ont cru en Dieu et vécu de la vie de la foi, n'ont pu être que par un don de Dieu tempérants et prudents, justes et forts. Quant aux autres qui, ignorant Dieu ou le blasphémant, ont vécu dans l’infidélité, nous devons croire qu'ils n'ont pu recevoir de Dieu, ni posséder par conséquent aucune de ces vertus (Ceci ne doit pas s'entendre en ce sens que toutes leurs actions aient été des péchés, proposition condamnée dans Baïus, prop, 25. Et puis, la question est de savoir si leur ignorance a été complète). "

4. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Moralium in Job, lib. II, c. 36 (al. 28), dit en parlant du calme de la conscience : " La solidité de cette maison (la maison de notre âme représentée par celle du fils aîné de Job) repose sur ses quatre angles, qui sont les quatre vertus de prudence, de tempérance, de force et de justice. Cette maison repose, dis-je, sur quatre coins, parce que

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bonnes œuvres quelles qu'elles soient, s'appuient sur ces quatre vertus. Il y avait de même autrefois quatre grands fleuves qui arrosaient le paradis terrestre (Gen., II, 10), parce que l’âme ; qui est comme rafraîchie par ces quatre vertus, n'est plus brûlée des ardeurs des désirs charnels. "

" Mais il arrive quelquefois que la paresse venant à occuper notre esprit, la prudence devienne languissante ; car du moment où l'esprit s'endort dans la négligence, il est incapable de prédire ce qui peut arriver. D'autres fois, le plaisir ou la volupté venant à s'y insinuer, la tempérance s'affaiblit : car plus nous nous laissons séduire par les charmes des biens présents, plus il nous est difficile de nous abstenir des choses défendues. Quelquefois la crainte s'empare tellement du cœur qu'elle en paralyse tous les mouvements ; et nous nous trouvons d'autant plus faibles contre l'adversité, que nous sommes davantage dominés par la crainte de perdre ce que nous aimons. D'autres fois enfin un amour immodéré de nous-mêmes dominant en nous tout autre sentiment, nous porte à nous écarter des droites voies de la justice, puisque c'est être injuste envers l'auteur de notre être, que de ne pas nous donner tout entiers à lui. Ainsi est-il vrai qu'un vent furieux ébranle les quatre coins de la maison, lorsqu'une forte tentation fait crouler, pour ainsi dire, ces quatre vertus en les ébranlant en secret ; et les angles une fois ébranlés, sa maison tombe en ruines, parce que nos vertus étant affaiblies, notre conscience se trouve aussitôt en désordre. "

" Or, les enfants de Job font leur festin entre les quatre angles de la maison, parce que, quand l'édifice de la sainteté est élevé en nous par ces quatre vertus principales, les autres vertus, qui sont comme nos enfants spirituels, trouvent en nous leur aliment, ou pour mieux dire, s’alimentent réciproquement elles-mêmes. Car la grâce du Saint- Esprit, qui forme premièrement notre âme par la prudence, la tempérance, la force et la justice, la fortifie ensuite par sept autres vertus contre autant de tentations qui lui font la guerre. Ainsi l'Esprit-Saint lui donne la sagesse pour la prémunir contre la folie ; l'intelligence contre la stupidité ; le conseil contre l'irréflexion ; le courage contre la timidité ; la science contre l'ignorance ; la piété contre la dureté de cœur, et la crainte de Dieu contre l’orgueil (Cf. Les Morales de saint Grégoire, t. Ier, p. 193-195). "

5. S. AMBROISE, Lib. III de virginibus : " Suivant les sages de

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la Grèce, quatre qualités se trouvent réunies dans tout homme doué de sagesse, savoir : ?? ??????????, ?? ???????, ?? ?????????, ?? ?????????? ; ce qui revient à la prudence, à la force, à la tempérance et à la justice des Latins. La prudence est proprement la vertu de la raison. La force renferme l'intrépidité et le mépris de la mort. La tempérance dédaigne les voluptés dont le corps est l'instrument, par le saint motif de la charité, ou pour se mettre en état de contempler sans distraction les mystères de la foi. La justice, placée pour ainsi dire sur un tribunal élevé, voit et observe tout : destinée à vivre pour les autres plutôt que pour elle-même, elle cherche moins ses propres intérêts que le bien général de la société. "

6. Le même, Des devoirs des ministres sacrés, liv. II, c. 9 : " La sagesse et la justice ne font donc qu'une même vertu ; mais on leur donne communément différents noms, suivant leurs différents emplois. La tempérance consiste dans le mépris des plaisirs ; le courage, dans la force que l'on montre à supporter les dangers et les fatigues ; la prudence, dans le choix de ce qui est bon, et dans le discernement à faire entre ce qui est utile et ce qui est nuisible ; la justice, respecter les droits des autres, comme à défendre les nôtres propres, à maintenir chacun en possession de ce qui lui appartient. Pour nous conformer donc à cet usage, nous diviserons, nous aussi, toutes les vertus en ces quatre principales (Cf. Chefs-d'œuvre des Pères de l’Eglise, etc., t. VI, p. 310-311). "

7. S. AUGUSTIN, Lib. I retractationum, c. 7 : " Les textes les plus corrects portent : Sobrietatem enim et sapientiam docet, et justitiam et virtutem (Sag., VIII, 7). Car c'est par ces quatre mots que l’interprète latin a rendu les noms des quatre vertus si souvent mentionnées dans les écrits des philosophes, savoir la vertu de tempérance par le mot sobrietatem ; la prudence par sapientiam ; la force par virtutem ; et la justice enfin pas son nom identique justitiam. Or nous trouvons dans le texte grec ces quatre vertus exprimées précisément par les noms sous lesquels on a coutume de les désigner dans cette langue. "

8. S. AMBROISE, Lib. I officiorum, c. 25 : " De ces quatre vertus naissent tous les différents devoirs. "

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Question II

Comment peut-on définir les quatre vertus cardinales ?

La prudence est la vertu qui prescrit à l'homme ce qu'il doit rechercher comme honnête, ou ce qu'il doit éviter comme ne l'étant pas. La justice est celle qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient. La tempérance est la vertu modératrice des plaisirs charnels, dont les moyens les plus habituels sont le goût et le toucher. La force est la vertu qui fait entreprendre avec courage et supporter avec constance les travaux les plus pénibles au mépris même de la mort.

Ce sont là les quatre roues du char mystique qui doit nous porter au ciel, ce sont là les quatre fleuves du paradis, comme les appelle saint Augustin, qui a dit encore ces paroles mémorables : " La science des choses humaines embrasse, et les moyens industrieux de la prudence, et les chastes précautions de la tempérance et les résolutions magnanimes de la force, et les saintes lois de la justice. Car ce sont là les choses que nous pouvons vraiment appeler des choses à nous, et qui n'ont rien à craindre des vicissitudes de la fortune. "
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Genèse, II, 10-14 : " Dans ce lieu de délices coulait un fleuve qui arrosait le jardin et se divisait en quatre canaux. - L'un s'appelle Phison, et c'est celui qui coule autour du pays d'Hévilath, où l'on trouve de l'or. - Et l'or de cette terre est de la meilleure qualité ; c'est là aussi que se trouvent le bdellion et la pierre d'onyx. - Le second fleuve s'appelle Géhon, et c'est celui qui coule tout autour du pays de Chus. - Le troisième fleuve s'appelle le Tygre, qui a son cours du côté de l'Assyrie ; et le quatrième fleuve est l'Euphrate. "

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TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Lib. I de libro arbitrio, c. 13 : " Etudions maintenant ce que c'est que la prudence : ne vous semble-t-elle pas être la science de ce qu'on doit rechercher et de ce qu'on doit éviter ? - Evode. Cela me semble ainsi. - Augustin. Qu'est-ce que la force ? N'est-ce pas un sentiment de l'âme qui nous fait mépriser tous les maux et toutes les pertes qu'il n'est pas en notre pouvoir d'éviter ? - Evode. C'est bien là ce que je pense. - Augustin. La tempérance n'est-elle pas un sentiment qui arrête et réprime en nous le désir des choses qu'il est honteux de désirer ? Ne le pensez-vous pas de même ? - Evode. Je le pense comme vous. - Augustin. Et que dirons-nous de la justice ? N'est-elle pas cette vertu qui fait qu'on attribue à chacun ce qui lui appartient ? - Evode. Je n'en ai point d'autre idée (Cf. Deux traités de saint Augustin, les livres de l'ordre et les livres du libre arbitre, p. 48-49). "

2. Le même, Lib. de moribus Ecclesiæ catholicæ, c. 13 : " Que si la vertu nous conduit à la vie heureuse, je ne puis la définir autrement qu'en rappelant l'amour de Dieu par-dessus tout. Car la distinction que l'on fait de quatre principales vertus différentes a pour fondement, à mon avis, quatre principaux mouvements de cet amour. Si donc on me demande la définition de ces quatre vertus, que je voudrais voir aussi bien dans les cœur que les noms en sont dans toutes les bouches, je ne craindrai point de dire par manière de définition que la tempérance est l'amour qui s'applique à se conserver pur pour ce qu'on aime ; que la force est l'amour qui souffre tout volontiers pour l'objet aimé, que la justice est l'amour qui s'attache uniquement au service de l'objet aimé et qui par-là même exerce un équitable empire ; que la prudence enfin est l'amour qui discerne avec sagacité ce qui peut aider ou empêcher son action. Mais par cet amour, comme nous l'avons déjà dit, nous entendons non celui des choses créées quelles qu'elles soient, mais l'amour de Dieu, c'est-à-dire du souverain bien, de la souveraine sagesse et de la souveraine paix. Nous pouvons donc définir encore ces quatre vertus en disant que la tempérance est l'amour qui se conserve pur et incorruptible pour son Dieu ; la force, l'amour qui souffre tout sans peine pour Dieu ; la justice, l'amour qui ne sert que Dieu, et qui par-là même règne équitablement sur les choses soumises au pouvoir

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de l'homme ; la prudence enfin, l'amour qui discerne comme il faut ce qui le porte à Dieu de ce qui pourrait l'en éloigner.’

3. S. PROSPER, comme plus haut, q. 1, témoignage 3, pag. 187.

4. S. BERNARD, in parvis sermonibus, serm. XXXV : " On entre de quatre manières dans le conseil des impies (composé du démon qui suggère le mal, de la chair qui procure la délectation, et de l'esprit qui donne son consentement). Car les uns sont entraînés malgré eux ; d'autres le sont par séduction ; d'autres par ignorance ; d'autres enfin le sont parce qu'ils le veulent bien. Aux uns comme aux autres, quatre vertus sont indispensables, afin qu'ils aient toutes les armes nécessaires pour se défendre et ne pas être entraînés dans ce conseil. A ceux qui auraient à craindre de l’être malgré eux il faut la force, qui les fera résister jusqu'à la mort aux menaces, aux supplices et à toutes les disgrâces. A ceux qui se laisseraient séduire, il faut la tempérance qui réprime les désirs illicites, et ne se laisse gagner ni par promesses ni par caresses. A ceux qui se laisseraient tromper par ignorance il faut la prudence, qui sait discerner ce qui est utile d'avec ce qui ne l'est pas, et qui enseigne ce qu'on doit admettre ou rejeter. Quant à ceux qui se laissent entraîner de leur plein gré, c'est la justice qui leur est nécessaire. La justice est une rectitude de volonté qui n'entend ni pécher ni consentir au péché. La justice et la force ont leur siège dans la volonté car une volonté juste doit être forte en même temps. Or, la justice n'est réglée qu'autant qu'elle repousse le mal et lui préfère le bien. Adam ne l'avait pas, du moins semble-t-il, lorsqu'il consentit au mal en renonçant à ce qui lui eût été si avantageux. La prudence et la tempérance ont leur siège dans la raison ; car la raison doit être prudente et modérée. La prudence, en effet, n'est qu'une raison éclairée, je veux dire, éclairée par la grâce, et qui conséquemment sait éviter tout contact avec l'injustice, pour s'attacher uniquement à ce qui est juste. Car elle se garde non-seulement de toute injustice évidente, mais encore de tout ce qui de près ou de loin peut blesser la justice, et elle aime à se proposer moins encore ce qui est permis, que ce qui est à propos ; redoutant les richesses et autres choses semblables, non parce qu’elles seraient criminelles en elles-mêmes mais parce qu'elles sont des obstacles à l'accomplissement de l'exacte justice. J'ai ajouté ces mots, pour s'attacher uniquement à ce qui est juste, parce que ce n'est pas par hypocrisie, mais par amour pour la justice elle-même qu'on doit éviter tout contact avec l'injustice. La justice constitue

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la perfection de l'âme raisonnable. Les autres vertus ont pour objet, soit de l'acquérir, soit de la conserver ; je veux dire que la force, la tempérance et la prudence conservent en nous la vertu de justice, en empêchant qu'elle ne se perde, ou qu'elle ne souffre quelque fâcheuse atteinte. Mais quand la justice est arrivée à sa perfection et devenue l'état habituel de l'âme, elle s'identifie avec ces trois vertus que nous venons de nommer, c'est-à-dire qu'elle est à la fois forte, prudente et tempérée. "

8. Le même, Serm. XXII in Cantica canticorum : " C'est en vain que les sages du siècle ont écrit tant de choses des quatre vertus cardinales, puisqu'il était impossible qu'ils les comprissent, ne connaissant pas celui que Dieu a fait pour nous sagesse, en enseignant la PRUDENCE ; justice, en remettant les péchés ; sanctification, en nous donnant l'exemple de la TEMPERANCE par la pureté de sa vie, et rédemption en nous proposant un modèle parfait de patience et de FORCE par sa mort si généreusement endurée (I Cor., I, 30). Peut-être que quelqu'un me dira que les autres expressions dont s'est servi ici l'Apôtre conviennent assez bien à trois de ces quatre que nous venons de nommer ; mais que, quant à la sanctification, elle ne paraît pas avoir grand rapport à la tempérance. Je réponds que la tempérance est la même vertu, dans le langage des Ecritures, que la continence ou la pureté. En effet, qu'est-ce que ces satisfactions qui reviennent si souvent dans les livres de Moïse, sinon certaines purifications qui consistaient à s'abstenir du manger, du boire, du commerce avec les femmes, et en d'autres pratiques semblables ? Mais écoutez surtout l'Apôtre et voyez combien il lui est ordinaire d'employer le mot de sanctification en ce même sens : Dieu, dit-il aux Thessaloniciens (I Thess., IV, 57), désire votre sanctification, c'est-à-dire que chacun conserve son corps chaste et exempt des désirs déréglés de la concupiscence. . . . . car, ajoute-t-il, Dieu ne nous a pas appelés pour vivre dans la corruption de la chair, mais pour nous procurer notre sanctification. Il est clair que, dans ces passages, il prend la sanctification pour la tempérance. Après avoir donc éclairci ce qui semblait un peu obscur, je reviens aux sages du siècle. Que pouvez-vous avoir de commun avec les vertus, vous qui ignorez la vertu de Dieu, qui n'est autre que Jésus-Christ ? D'où vient la vraie justice, sinon de la miséricorde de Jésus-Christ ? Où se trouve la vraie prudence, sinon dans la doctrine de Jésus-Christ ? Où est la vraie tempérance, si non dans la vie de Jésus-Christ ? Où est la vraie force, sinon dans la passion de Jésus-Christ ? Ceux-là donc

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seulement doivent être appelés sages, qui sont imbus de sa doctrine ; ceux-là seuls doivent être appelés justes, qui ont obtenu de sa miséricorde le pardon de leurs péchés ; ceux-là seuls sont tempérants qui s'occupent à imiter sa vie ; ceux-là seuls sont vraiment forts, qui suivent constamment dans les adversités, les exemples de sa patience. C'est pourquoi c'est en vain que celui-là travaille à acquérir les vertus, qui croit avoir à les attendre d'ailleurs que du Seigneur des vertus, c'est-à-dire de celui dont la doctrine est une source de prudence, la miséricorde une œuvre de justice, la vie un miroir de tempérance et la mort un modèle de force et de courage (Cf. Sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques, trad. par D. Antoine de Saint-Gabriel, p. 245-246). "

6. S. AUGUSTIN, lib. II de Genesi contra Manichæos, c. 40 : " Le fleuve qui avait sa source dans l'Eden, c'est-à-dire dans l'abondance des délices et des plaisirs, fleuve qui nous est signifié par ces paroles du Prophète : Vous les abreuverez d'un torrent de délices (Ps. XXXV, 9) ; car ce mot Eden peut se traduire en latin par voluptas ; ce fleuve, dis-je, se divise en quatre branches, qui nous représentent les quatre vertus, savoir : la prudence, la force, la tempérance et la justice. La prudence donc, qui signifie ici la contemplation de la vérité en elle-même, qu'aucune bouche humaine ne peut nommer, parce qu'elle est vraiment ineffable, et que, si l'on voulait l'exprimer dans le langage humain, on ne pourrait tout au plus encore qu'en bégayer le nom, semblable à ces paroles ineffables que l'Apôtre a entendues, et qu'il n'est pas donné à l'homme de redire ; cette prudence véritable fait le tour de la terre, où se trouvent l'or et l'escarboucle et l'émeraude c'est-à-dire les règles de bien vivre, pures, pour ainsi parler, de toute scorie, comme l'or passé au creuset et pur de tout alliage qui lui ferait perdre sa vérité, ou comme l'escarboucle, dont l'éclat n'est point obscurci par les ténèbres de la nuit ; et la vie éternelle, que représente le vert parfait de l'émeraude, vrai symbole de cette verdeur que rien ne flétrit. Cet autre fleuve ensuite qui parcourt le pays d'Ethiopie, terre brûlant et aride, signifie la force dont l'action est sans relâche et que rien ne peut abattre. Le troisième fleuve, c'est le Tygre, qui coule à l'opposé du pays d'Assyrie, et représente la tempérance qui résiste à la passion, dont les mouvements sont souvent si contraires aux conseils de la prudence. Aussi, dans l'Ecriture, le nom d'Assyriens est d'ordinaire synonyme de celui d'adversaires.

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Quant au quatrième fleuve, on ne dit pas à l’opposée de quel pays il coule, ou quel pays particulier il traverse ; car la justice embrasse toutes les facultés de l'âme, puisqu'elle est l'ordre même ou le juste équilibre établi dans l'âme, en sorte que c'est la justice qui est comme le lion des trois autres vertus, c'est-à-dire de la prudence la première, puis de la force, et enfin de la tempérance, et que sa perfection résulte de l'heureux concert qui règne entre ces trois autres. "

7. S. AMBROISE, lib. de Paradiso, c. 3 : " Comme la sagesse est la source de la vie, la source de la grâce spirituelle, ainsi est-elle la source des autres vertus qui nous font tendre à la vie éternelle. C'est dans une âme cultivée et non dans une âme inculte que cette source réside ; et c'est de là qu'elle répand ses eaux, dont elle arrose le paradis ; c'est-à-dire qu'elle fait germer et fructifier dans cette âme toute espèce de vertus, parmi lesquelles on en compte quatre principales, qui sont comme les quatre fleuves dont elle est la source. Or, quelles sont ces quatre principales vertus, sinon la prudence, la tempérance la force et la justice ? vertus dont les sages de ce siècle ont emprunté la connaissance de nos écrivains sacrés, pour la transporter dans leurs propres écrits. De même donc que la source qui coulait dans le paradis nous représente la sagesse, ainsi les quatre fleuves qui sortaient de cette source nous figurent ces quatre vertus qui découlent de la sagesse. Le Phison, par exemple, c'est la prudence, etc. " Saint Ambroise dit de même ici que le Géhon c'est la tempérance, le Tygre la force, et l’Euphrate la justice. Il continue de cette manière : " Ainsi donc ces quatre fleuves nous représentent les quatre principales vertus, qui embrassent aussi les quatre principaux âges du monde. Le premier âge, qui s'est étendu depuis la création du monde jusqu'au déluge, était spécialement l'âge de la prudence, et on y compte des justes, tels qu'Abel, etc. "

8. S. AUGUSTIN, lib. I contra Academicos, c. 7, dit en parlant de cette définition qu'on donne ordinairement de la sagesse, qu'elle est la science des choses divines et humaines : " Quand je vous accorderais que les choses humaines sont les choses qui appartiennent aux hommes, pourriez-vous regarder comme nous appartenant ce qu'un hasard peut nous donner, ce qu'un hasard peut nous ravir ? Ou bien entend-on par la science des choses humaines la connaissance de ce que nous avons de terres et de ce qu'elles peuvent nous rapporter, de ce que les autres peuvent

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posséder comme nous d’or et d'argent ? La science des choses humaines est celle qui embrasse, et les moyens industrieux de la prudence, et les chastes précautions de la tempérance et les résolutions magnanimes de la force, et les saintes lois de la justice. Car ce sont là les choses que nous pouvons vraiment appeler des choses à nous, et qui n'ont rien à craindre des vicissitudes de la fortune. "
 
 

Question III

En quels termes la prudence nous est-elle recommandée dans les livres saints ?

Voici le prudent avis que nous donne en particulier l'Ecclésiastique : Mon fils, ne faites rien sans conseil, et vous ne vous repentirez point de ce que vous avez fait. Comme cet autre encore : Le cœur sage et intelligent s'abstiendra du péché et il réussira dans les œuvres de justice. Voici maintenant l'enseignement que nous donne sur ce point Jésus-Christ lui-même, ce vrai Salomon, la source véritable de toute prudence comme de toute sagesse : Soyez prudent comme des serpents et simples comme des colombes ; c'est-à-dire que la prudence, pour être parfaite, doit réunir ces deux conditions : la simplicité de la colombe, dont l'effet est de nous rendre doux et inoffensifs, et la prudence du serpent, qui consiste à être avisé et précautionné, en sorte que, sans chercher à tromper les autres, nous ne nous laissions pas non plus tromper nous-mêmes. C'est à quoi nous réussirons, si nous savons nous conformer à la doctrine suivante de saint Paul : Ayez soin, mes frères, de vous conduire avec une grande circonspection, non comme des personnes imprudentes, mais comme des hommes sages ; rachetant le temps, parce que les jours sont mauvais. Ne soyez donc pas imprudents, mais sachez discerner quelle est la volonté du Seigneur, c'est-à-dire, ce qui est bon, ce qui est agréable a ses yeux, ce qui est parfait. A cela revient cette maxime de Salomon : Celui qui marche avec les sages deviendra sage ; l'ami des insensés leur ressemblera. Et cette autre aussi : La sagesse se montre dans les traits de l’homme prudent. Il en est de même de la sentence suivante : Le cœur de l'homme prudent acquiert la science ; l'oreille des sages cherche la doctrine.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Ecclésiastique, XXXII, 24 (comme dans le corps de la réponse).

2. Id., XXXVII, 20 : " Que la parole de vérité précède toutes vos œuvres et qu'un conseil stable règle d'avance tout ce que vous ferez. "

3. Proverbes, XII, 18 : " La voie de l'insensé est droite à ses yeux ; mais celui qui est sage écoute les conseils. "

4. Ibid., XIII, 10 : " Il y a toujours des querelles entre les orgueilleux ; au lieu que la modération conduit ceux qui font tout avec conseil. "

5. Ecclésiastique, III, 32 (comme dans le corps de la réponse).

6. Ibid., XVIII, 27 : " L'homme sage est toujours dans la crainte, et, dans les jours du péché, il se gardera de la négligence. "

7. Ibid., XXXIII, 2-3 : " Le sage ne hait ni les commandements ni la justice ; aussi ne sera-t-il point brisé comme un vaisseau dans la tempêtes. L'homme sensé croit à la loi de Dieu, et la loi lui est fidèle. "

8. Proverbes, XIV, 16 : " Le sage craint et se détourne du mal ; l'insensé passe outre malgré le danger, et se croit en sûreté. "

9. Job, XXVIII, 28 : " Et il dit à l'homme : La souveraine sagesse est de craindre le Seigneur, et la vraie intelligence est de fuir le mal. "

10. Deutéronome, IV, 5-6 : " Vous savez, dit Moise, que je vous ai enseigné les lois et les ordonnances, selon que le Seigneur mon Dieu me l'a commandé ; vous les pratiquerez donc dans le pays que vous devez posséder. - Vous les observerez et les accomplirez effectivement : car c'est en cela que vous ferez paraître votre sagesse et votre intelligence devant les peuples, afin

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qu'entendant parler de toutes ces lois, ils disent : Voilà un peuple vraiment sage et intelligent, voilà une nation grande. "

11. Ibid., XXXII, 28-29 : " Ce peuple n'a point de sens, il n'a aucune sagesse. - Que n'ouvrent-ils les yeux ! que ne comprennent-ils ! que ne prévoient-ils la fin ! "

12. Proverbes, III, 13-17 : " Heureux l'homme qui a trouvé la sagesse, et qui est riche en prudence ! - Sa possession vaut mieux que tous les trésors et le fruit qu'on en retire est préférable à l'or le plus pur. - Son prix passe toutes les richesses, et tout ce qu'on désire plus ne mérite pas de lui être comparé. - D'une main elle présente la longueur des jours ; de l'autre, les richesses et la gloire. - Ses voies sont des voies de toute beauté et tous ses sentiers conduisent au bonheur. "

13. Ibid., VIII, 11-12, 14-19 : " La sagesse est plus estimable que tout ce qu'il y a de plus-précieux et tout ce qu'on désire plus ne peut lui être comparé. - Moi, la sagesse, j'habite dans le conseil, et je me trouve présente parmi les pensées judicieuses. C'est de moi que vient le conseil et l'équité, c'est de moi que vient la prudence et la force. - Par moi les rois règnent ; par moi les législateurs font des lois équitables. - Par moi les princes commandent. - Par moi rendent la justice ceux qui sont à la tête des peuples. - J'aime ceux qui m'aiment, et ceux qui veillent dés le matin pour me chercher me trouveront. - Les richesses et la gloire m'accompagnent, ainsi que la puissance et la justice. - Ainsi les fruits que je porte sont plus estimables que l'or et que les pierres précieuses, et ce que j'amène à ma suite vaut mieux que l'argent le plus pur. "

14. Sagesse, VI, 1, 13-16, 22-23, 26 : " La sagesse est plus estimable que la force, et l'homme prudent vaut mieux que l'homme courageux. - La sagesse jette un vif éclat et sa beauté ne se flétrit point : ceux qui l'aiment la découvrent aisément et ceux qui la cherchent la trouvent sans peine. - Elle prévient ceux qui la désirent et se montre à eux la première. - Celui qui veille dès le matin pour la posséder n'aura pas de peine à la trouver ; car il la trouvera assise à sa porte. - Ainsi occuper sa pensée de la sagesse, c'est la perfection de la prudence ; et celui qui veillera pour l'acquérir sera bientôt en repos. - Si donc vous prenez plaisir à siéger sur des trônes et à manier des sceptres, ô rois des peuples, aimez la sagesse, afin de régner éternellement. - Aimez le brillant éclat de la sagesse, vous tous qui commandez aux peuples de la terre. - Or, la multitude des sages est

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le salut du monde, et un roi prudent assure le bonheur de son peuple. "

15. Ibid., VII, 7-12, 24-30 : " C'est pourquoi j'ai désiré l'intelligence, et elle m'a été donné ; j'ai invoqué le Seigneur ; et l’esprit de sagesse est venu en moi. - Je l'ai préférée aux royaumes et aux trônes, et j'ai cru que les richesses n'étaient rien auprès de la sagesse. - Je n'ai point fait entrer en comparaison avec elle les pierres précieuses, parce que tout l'or auprès d'elle n'est qu'un peu de sable, et que l'argent devant elle est comme de la boue. - Je l'ai aimé par-dessus la santé et la beauté, j'ai résolu de la prendre pour ma lumière, parce que sa clarté ne peut jamais être éteinte. - Tous les biens me sont venus avec elle, et j'ai reçu de ses mains des richesses innombrables. - Je me suis réjoui en toutes choses, parce que la sagesse était mon guide, et j'ignorais encore qu'elle fût la mère de tous ces biens. - La sagesse est plus active que toutes les choses les plus agissantes, et elle atteint partout à cause de sa pureté. - Elle est la vapeur de la vertu de Dieu, et l'effusion toute pure de la clarté du Tout-Puissant ; c'est pourquoi elle ne peut être susceptible de la moindre impureté. - Car elle est la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu, et l'image de sa bonté. - Quoique unique, elle peut tout ; et toujours immuable en elle-même, elle renouvelle toutes choses ; elle se répand parmi les nations dans les âmes saintes, et c'est elle qui forme les amis de Dieu et les prophètes. Dieu n'aime que celui qui habite avec la sagesse. - Elle est plus belle que le soleil, et plus élevée que les étoiles ; comparée à la lumière, elle l'emporte sur elle : - car si la lumière succède à la nuit ; au lieu que la malignité ne peut prévaloir contre la sagesse. "

16. Ecclésiastique, I, 1, 5-5, 7-10 : " Toute sagesse vient de Dieu le souverain Seigneur ; elle a toujours été avec lui, et elle est avant tous les siècles. - Qui a pénétré la sagesse de Dieu, cette sagesse qui précède toutes choses ? - La source de la sagesse est le Verbe de Dieu au plus haut des cieux ; ses voies sont les commandements éternels. - Qui a compris la multiplicité de ses démarches ? - Le Très-Haut seul, le créateur tout-puissant, le roi fort et infiniment redoutable qui est assis sur son trône, le Dieu souverain dominateur. - C'est lui qui l'a crée dans l'Esprit-Saint, qui l'a nombrée et qui l'a mesurée. - Il l'a répandue sur tous ses ouvrages et sur toute chair, selon le partage qu'il en a fait, et il l'a donnée a ceux qui l'aiment. "

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17. MATTHIEU, XII, 52 : " La reine du midi s'élèvera au jour du jugement contre cette race et la condamnera, parce qu'elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et qu'il y a ici plus que Salomon. "

18. LUC, XI, 31 : " La reine du midi s'élèvera au jour du jugement contre les hommes de cette nation, et les condamnera, etc. (comme dans saint Matthieu). "

19. MATTHIEU, X, 16 : " Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes. "

20. Ephésiens, V, 15-17 (comme dans le corps de la réponse).

21. Colossiens, IV, 5-6 : " Conduisez-vous avec sagesse envers ceux qui sont étrangers à notre foi, et ménager le temps avec soin. - Que toutes vos paroles soient accompagnées de grâce et assaisonnées du sel de la discrétion, en sorte que vous sachiez répondre à chacun comme il convient. "

22. I PIERRE, IV, 7 : " Soyez donc prudents et vigilants dans la prière. "

23 Proverbes, IV, 23 : " Que vos yeux regardent droit, et que la direction de vos paupières indique l'équité de vos démarches. "

24. Ecclésiaste, II, 12-14 : " J'ai passé à la contemplation de la sagesse, des erreurs et de l'imprudence. Qu'est-ce que l'homme, ai-je dit, pour pouvoir se comparer au roi qui l'a créé ? - Et j'ai reconnu que la sagesse a autant d'avantages sur l'imprudence, que la lumière en a sur les ténèbres. - Les yeux du sage le conduisent ; l'insensé marche dans les ténèbres. "

25. Romains, XII, 2 : " Et ne vous conformez point au siècle présent ; mais transformez-vous en des hommes nouveaux par le renouvellement de votre esprit, afin que vous reconnaissiez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui est agréable à ses yeux et ce qui est parfait. "

26. I Thessaloniciens, IV, 3 : " La volonté de Dieu est que vous soyez saints, et que vous vous absteniez de la fornication. "

27. Proverbes, XIII, 20 (comme dans le corps de la réponse).

28. Ecclésiastique, VI, 33-37 : " Mon fils, si vous m'écoutez avec attention, vous vous instruirez ; et si vous appliquez votre esprit à mes paroles, vous acquerrez la sagesse. - Si vous prêtez l'oreille, vous recevrez l'instruction ; et si vous aimez à écouter, vous deviendrez sage. - Trouvez-vous dans l'assemblé des vieillards, et unissez-vous de cœur à leur sagesse, afin que

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vous puissiez écouter tout ce qu'ils vous diront de Dieu, et que vous ne puissiez perdre aucune de leurs excellentes paroles. - Si vous voyez un homme sensé, allez le trouver dès le point du jour, et que votre pied presse souvent le seuil de sa porte. - Appliquez toute votre pensé à ce que Dieu vous ordonne, et médite sans cesse ses commandements ; et il vous donnera lui-même un cœur docile ; et la sagesse que vous désirez vous sera donnée. "

29. Proverbes, XVII, 24 : " La sagesse se décèle sur le visage de l'homme prudent ; les yeux de l'insensé errent çà et là. "

30. Ecclésiaste, VIII, 1 : " La sagesse de l'homme éclate sur son visage, et le Tout-Puissant le lui change comme il lui plaît (ou selon l’hébreu, et donne à son regard plus d'assurance). "

31. Proverbes, XVIII, 18 (comme dans le corps de la réponse).
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. BASILE-LE-GRAND, Constitutions monastiques, c. 15 (al. 44) : " La prudence doit être la directrice de toutes nos actions, puisque sans elle tout ce qui est bon d'ailleurs devient un vice, quand on le fait à contretemps et sans modération. Mais lorsque la raison et la prudence règlent le temps et la manière à observer dans la pratique des bonnes œuvres c'est merveille de voir combien le bon usage qu'on en fait est utile à ceux qui s'y exercent et à ceux qui en ressentent les effets (Cf. Les ascétiques ou Traités spirituels de saint Basile, trad. par God. Hermant, p. 534). "

2. Le même, Hom. in principium proverborum, quæ est duodecima inter homilias variorum argumentorum : " Il est évident qu'il faut compter parmi les plus belles vertus la prudence, qui nous fait faire la juste distinction des actions bonnes, mauvaises ou indifférentes. Mais, comme Notre-Seigneur lui-même nous fait entendre que le serpent est le plus prudent des animaux, lorsqu'il nous dit : Soyez prudents comme des serpents (MATTH., X, 16), et qu'ailleurs l'économe injuste est loué pour sa prudence (LUC, XVI, 8), il est évident qu'il y a deux sortes de prudence : l'une, qui veille à ses propres intérêts en employant la ruse pour nuire à ceux d'autrui, et c'est celle du serpent, qui met avant tout sa tête en sûreté, dès qu'il s'aperçoit qu'il y a pour lui quelque péril. Telle est aussi cette habileté qu'on apporte à soigner ses intérêts individuels, en trompant plus simple que

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soi. Et c'était là la prudence de l'économe infidèle, prudent selon le siècle, comme le dit Notre-Seigneur. Mais la prudence véritable, c'est celle qui sait discerner ce qu'il faut faire d'avec ce qu'on doit omettre ; et celui qui la pratique exactement, ne manquera jamais à son devoir ou à la vertu, ne se laissera jamais infecter par le vice. "

3. S. BERNARD, Serm. XLIX in Cantica : " Le zèle qui n'est pas selon la science est insupportable. Là donc où il y a beaucoup de zèle, il est nécessaire qu'il y ait aussi beaucoup de discrétion (ou de prudence), parce que c'est elle qui règle et ordonne la charité. Le zèle sans la science non-seulement est toujours moins efficace et moins utile, mais il est même souvent très-dangereux. Donc, plus le zèle est fervent, le caractère véhément, la charité abondante, plus il est besoin d'une science qui veille sans cesse à modérer le zèle, à tempérer la vivacité du caractère, et à régler la charité. . . . Car c'est la discrétion qui met l'ordre dans toutes les vertus, et l'ordre produit la grâce et la beauté, et même la durée de chaque chose. C'est ce qui a fait dire au Prophète : Le jour persévère par votre ordre, en donnant à la vertu ce nom de jour. La discrétion 'est donc pas tant une vertu particulière, que la directrice et la modératrice de toutes les vertus, celle qui met l'ordre dans les affections, et qui règle toute la conduite de la vie. Sans elle la vertu dégénère en vice, et l'amour même naturel se change en des passions qui outragent, bouleversent et détruisent la nature (Cf. Sermons de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques). "

4. THEOPHYLACTE, in caput X Matthæi : " Je veux que vous soyez doux comme des brebis, et que ce soit par-là, plus que par tout autre moyen, que vous remportiez vos victoires. Soyez donc prudents comme des serpents, et simples comme des colombes. " Il veut aussi que ses disciples soient prudents. Lors donc que vous entendrez appeler les chrétien de ce nom de brebis, n'entendez pas par-là que ce soit la stupidité qui leur soit commandée. Car la prudence leur est en même temps prescrite, pour qu'ils puissent se garder des pièges dont ils sont entourés De même en effet, qu'un serpent met sa tête à couvert, en exposant le reste de son corps aux coups de ceux qui pourraient le surprendre, ainsi le chrétien doit-il, pour obéir au commandement du divin maître, abandonner à ses persécuteurs tout ce qu'il a, et jusqu'à sa personne même, pourvu qu'il sauve

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sa tête, qui est Jésus-Christ, et qu'il conserve la foi qu'il a en lui. De même aussi que le serpent se pelotonne dans un trou étroit pour s'y dépouiller de sa vieille peau, ainsi devons-nous marcher dans la voie étroite pour nous dépouille du vieil homme. Mais en même temps, comme le serpent est malfaisant de sa nature, Jésus-Christ nous ordonne par contre d'être simples, c'est-à-dire sincères et sans malice, et inoffensifs comme des colombes. Car ces oiseaux, lorsqu'on leur enlève leurs petits et qu'on se met à les poursuivre, retournent toujours à leurs maîtres. Soyez donc prudent comme un serpent, ne vous exposant point imprudemment à la dérision, mais faisant toutes vos actions de manière à ce qu'on ne puisse rien y reprendre. Et soyez en même temps pour les autres comme une colombe, ne faisant de mal à personne, n'ayant même jamais la pensée d'en faire. "

5. S. JEROME, in caput X Matthæi, sur ces paroles : Estote ergò prudentes, etc. : " Jésus-Christ demande ici de ses disciples, qu'ils sachent par leur prudence éviter les pièges, et par leur simplicité s'abstenir du mal. La prudence du serpent nous est proposée pour modèle à suivre, parce que cet animal sait couvrir de tout son corps sa tête même où est le siège de la vie. C'est ainsi que nous devons exposer aux persécutions notre corps tout entier, pour conserver notre foi en Jésus-Christ qui est notre chef. La nécessité d'être simples comme des colombes, nous est démontrée par la forme sous laquelle l'Esprit-Saint a voulu nous apparaître. C'est ce qui a fait dire à l'Apôtre : Soyez enfants, c'est-à-dire sans expérience, par rapport au mal (I Cor., XIV, 20). "

6. S. AUGUSTIN, Lib. quæstionum ex Matthæo, q. 8 : " Soyez donc prudents comme des serpents, en sachant vous garantir de tout mal par votre attention à mettre en sûreté votre propre chef, qui est votre foi en Jésus-Christ. Car le serpent expose tout le reste de son corps, pour soustraire sa tête aux coups de ceux qui l'attaquent. Ou bien encore, comme le serpent se ramasse dans des trous étroits pour se dépouiller de sa vieille peau et se revêtir d'une nouvelle, nous devons l'imiter en nous dépouillant du vieil homme (Ephés., IV, 22), après être entré par la porte étroite suivant le commandement que nous en a fait notre divin maître (MATTH., VII, 13). Car si son intention eût été de nous dire de nous garantir du mal en résistant aux méchants par des moyens violents, il n'aurait pas dit plus haut : Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups (MATTH., X, 16). Mais il a

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voulu que nous fassions simples comme des colombes, par le caractère inoffensif de nos actions. Car les oiseaux de cette espèce ne font la guerre à aucun animal, et pas plus à ces insectes dont jusqu'aux moineaux font leur pâture, qu'à de plus grands animaux auxquels ils n'auraient pas la force de résister. Or tous les animaux, même privés de raison, forment entre eux comme une société, de même que les animaux raisonnables, c'est-à-dire les hommes, font société non-seulement entre eux, mais aussi avec les anges. Cette comparaison tirée des colombes est donc une leçon qui a pour but de nous apprendre à ne faire de mal à aucun de ceux qui, comme nous, sont doué de raison, et comme nous font partie de la société humaine. "

7. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Moralium in Job, lib. I, c. 2 (al. 1) : " Il y en a qu'on appelle simples, parce qu'ils ignorent ce qui est juste ; mais ils sont d'autant plus éloignés de l'innocence de la vraie simplicité qu'ils sont plus incapables de pratiquer la vertu de justice ; car, n'ayant pas la prudence nécessaire pour se maintenir dans le droit chemin, leur simplicité ne saurait garantir leur innocence. C'est pourquoi saint Paul dit aux Romains : Je désire que vous soyez prudents pour le bien, et simples pour le mal (Rom., XVI, 19) ; et aux Corinthiens : Ne soyez point enfants quant à l'esprit, mais soyez-le quant à faire le mal (I Cor., XIV, 20). C'est encore pour cela que la Vérité même, en ordonnant à ses disciples d'être prudents comme des serpents, et simples comme des colombes (MATTH., X, 16), joint ensemble ces deux vertus comme également nécessaires, afin qu'en même temps que la prudence du serpent éclaire la simplicité de la colombe, la simplicité de la colombe rectifie la prudence du serpent. "

" De là vient que le Saint- Esprit n'a pas voulu paraître aux yeux des hommes sous la forme de la colombe seulement, mais aussi sous celle du feu. Car, comme la colombe marque la simplicité, le feu représente l'ardeur du zèle. Ainsi l'Esprit-Saint s'est montré aux hommes sous la figure de l'un comme de l'autre, parce que tous ceux qui en sont remplis, en conservant la douceur et la simplicité de la colombe, ne laissent pas de s'embraser du zèle de la justice contre les pécheurs (Cf. Les morales de saint Grégoire, t. Ier, p. 48). "

8. Le même, Hom. XXX in Evangelia : " Le Saint- Esprit n'a pas paru seulement sous forme de feu, mais aussi sous forme de

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colombe, pour faire entendre qu'il rend tout à la fois simples et ardents tous ceux qu'il remplit : simples, par leur sincérité et leur pureté, et ardents par leur ferveur et leur zèle. Car la simplicité n'est pas plus agréable à Dieu sans le zèle que le zèle ne l'est sans la vertu de simplicité. C'est pourquoi la Vérité elle-même a dit dans l’Evangile : Soyez prudents comme des serpents, et simples comme des colombes (MATTH., X, 16). Sur quoi il faut remarquer que Notre-Seigneur n'a pas voulu que ses disciples imitassent la colombe, s'ils n'imitaient en même temps le serpent, ni qu'ils imitassent le serpent sans imiter en même temps la colombe, parce qu'il veut au contraire que la prudence et l'activité du serpent animent la simplicité de la colombe, et que la candeur et la simplicité de la colombe règle et tempère l'ardente activité du serpent. C'est ce qui a fait dire à saint Paul : Ne soyez pas enfants quant à l'esprit (I Cor., XIV, 20). Voila comment il parle de cette prudence du serpent, et voici maintenant comment, immédiatement après, il nous exhorte à imiter la simplicité de la colombe : Mais soyez enfants quant à faire le mal. C'est pour cela que l’Ecriture dit du bienheureux Job : C'était un homme simple et droit de cœur (Job, I, 1). Et en effet, qu'est-ce que la prudence et la droiture de cœur sans la simplicité et la bonté, et qu'est-ce que la simplicité sans la droiture ? Puis donc que l'Esprit-Saint recommande tout à la fois et la droiture et la simplicité, c'est avec beaucoup de raison qu'il a apparu sous la forme de feu et sous celle d'une colombe, afin que tous les cœurs qui se rendent accessibles aux mouvements de sa grâce, sachent réunit le calme de la douceur avec l'ardeur ou le zèle de la justice (Cf. Les quarante homélies de saint Grégoire sur les évangiles, traduites par le duc de Luynes). "

9. S. PROSPER (Ou plutôt Julien Pomère véritable auteur de cet ouvrage. V. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. V, p. 130), Lib. III de vitâ contemplativâ, c. 29 : " La plupart font consister la prudence et la sagesse dans la recherche et la possession de la vérité. Je crois en conséquence qu'on ne peut pas être vraiment sage sans prudence, pas plus qu'on ne peut être prudent sans sagesse. Si donc la prudence et la sagesse ne signifient pas autre chose que la recherche et la possession de la vérité, celui qui saura par sa prudence chercher la vérité et la trouver par sa sagesse, c'est celui-là qui méritera véritablement d'être appelé prudent et sage. J'ai mis en avant cette obser-

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vation, afin qu'on regarde comme dit de la sagesse tout ce que je dirai de la prudence, attendu que ces deux vertus sont tellement unies et entrelacées l'une dans l'autre, que l'une sans l'autre ne saurait exister, la sagesse ne pouvant pas être imprudente, ni la prudence manquer de sagesse. Si donc toute la perfection de la vie humaine consiste dans la connaissance et dans l'action, prouvons maintenant que c'est la prudence qui nous procurera la connaissance des choses, comme nous avons déjà prouvé que le mérite de nos actions résulte de la perfection en nous des vertus de tempérance, de force et de justice. La connaissance des choses, telle que nous pouvons la puiser aux sources de la prudence, nous purifiera des vices de la chair, nous rendra de plus en plus spirituels, nous fera mépriser le vain plaisir que nous offrirait une curiosité nuisible à notre âme, nous enflammera du désir de contempler la vérité, et par la science que nous obtiendrons des choses divines et humaines, nous rendra vraiment sages et prudents, sages pour prévoir les maux qui nous menacent, et prudents pour les éviter ne nous faisant tenir pour de véritables maux, que ceux dont l'effet serait de nous rendre mauvais, et ne permettant pas que nous perdions jamais rien de notre sérénité et de notre paix intérieure, parce qu'elle nous a d'avance mis en garde contre tout ce qui pourrait nous troubler ; nous faisant faire entre les biens trompeurs et les biens solides un juste discernement, et recevoir tout ce qui peut nous arriver dans ce monde, non comme l'effet du hasard ou de l'injustice, mais comme celui de la volonté ou de la permission de Dieu ; instruire ou reprendre sagement ceux qui pensent autrement que nous ; comprendre que les maladies, les afflictions et tous les autres maux de cette vie mortelle, ne sont pas toujours la punition de péchés que nous aurions commis, mais souvent aussi le simple effet de notre mortalité et de la corruption qui a présidé à notre origine ; tirer parti des adversités pour l'acquisition des vertus de force et de patience, sachant bien que, loin d'être pour nous un signe de réprobation, elles ne sont qu'un moyen d'épreuve ; ne faire enfin aucun mal aux autres, et ne pas nous en laisser faire à nous-mêmes. Voilà ce que Notre-Seigneur a voulu que nous fassions, quand il a dit : Soyez prudents comme des serpents, et simples comme des colombes : car les hommes d'un caractère simple ne savent pas circonvenir leur prochain, et les hommes prudents ne se laissent pas non plus circonvenir eux-mêmes. Que celui donc qui dans les contrats qu'il fait, ou dans les discours qu'il

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tient, ou enfin dans toute autre chose, ne souffre pas qu'on le trompe, mais qui se permet en même temps à lui-même de tromper les autres, sache qu'il n'a point la prudence, mais qu'il en a tout au plus le masque, la vraie prudence ne consistant pas à perdre, mais consistant plutôt à sauver. Car la vertu diffère du vice en ce que le vice corrompt ce qui était sain auparavant, et que la vertu guérit au contraire ce qui était auparavant corrompu ; et par conséquent, celui qui a véritablement la vertu de prudence s'empresse de se rendre utile à tous ceux à qui il peut l'être, pour avoir le mérite de les gagner à Dieu par ce moyen ; ou, s'il succombe à la pensée d'en perdre quelques-uns ou de se réjouir de leur malheur et de leur perte, c'est qu'avant de perdre les autres, il s'est perdu lui-même, une semblable volonté étant plus pernicieuse encore pour celui qui la conçoit que pour ceux dont il voudrait faire ses victimes. "

10. Ibidem, c. 50 : " Ceux donc qui ont une fois acquis la vertu de prudence, se trouvent rapprochés de Dieu, non sans doute par un déplacement matériel, mais bien par la sainteté de leur vie ; et tant qu'ils conserveront ce don tel qu'il leur est venu de Dieu, ils ne pourront se perdre, ni par l'effet de leur propre malice, ni par la malice des autres. Mais comme la prudence de l'homme ici-bas n'a pas encore la perfection qu'elle atteindra certainement dans la vie future, ou nous ne pourrons plus être sujets à aucune erreur, les hommes les plus prudents se laissent prendre quelquefois aux attraits séduisants du vice : non que leur volonté soit dépravée par cela seul, mais par l'effet d'une de ces erreurs ou il est si facile il l'homme de tomber, et parce qu'ils n'ont pas encore acquis la prudence et la sagesse dans la même perfection que lorsqu'ils seront dans le ciel, où l'ignorance, et par-là même le péché ne leur sera plus possible. "
 
 

Question IV

Que nous enseigne l’Ecriture au sujet de la vertu de justice ?

C'est la justice qui élève les nations, qui affermit les trônes. Peu de biens, mais avec la justice, vaut mieux que de grands biens avec l'iniquité. Les devoirs que la justice peut nous imposer nous sont marqués par ces paroles de l’Apôtre : Rendez à chacun ce qui lui est dû ; le tribut, à qui vous devez le tribut ; les impôts à qui vous devez les impôts ; la crainte, à qui vous devez la crainte ; l'honneur, à qui vous devez l’honneur. Ils nous sont indiqués encore par

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l'éloge que fait le Psalmiste de cet homme pratiquant la justice et par-là même bienheureux, qui ne s'est point servi de sa langue pour tromper ; qui n'a point fait de mal à son prochain ; qui n'a point écouté les calomnies intentées à ses frères ; qui ne trompe point son prochain dans les serments qu'il lui fait ; qui ne donne point son argent a usure, et n'accepte point les présents qui lui seraient offerts pour opprimer l'innocence. On voit sans peine par le peu que nous venons de dire, que nous prenons ici ce mot de justice dans un sens plus restreint que celui où nous le prenions plus haut, lorsqu'il ne s'agissait encore que d'établir les principes généraux de la justice chrétienne.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Proverbes, XIV, 34 (comme dans le corps de la réponse).

2. Ibid., XV, 9 : " La voie de l'impie est abominable aux yeux du Seigneur ; celui qui suit la justice sera aimé de lui. "

3. Ibid., XXI, 15, 21 : " La joie du juste est de se conformer aux jugements de Dieu ; et c'est ce que redoutent ceux qui commettent l'iniquité. - Celui qui exerce la justice et la miséricorde trouvera la vie, la justice et la gloire. "

4. Ecclésiastique, IV, 33 : " Prenez la défense de la justice pour sauver votre âme ; combattez jusqu’à la mort pour la justice, et Dieu combattra pour vous et renversera vos ennemis. "

5. Proverbes, XVI, 8, 12-13 : " Peu de biens, avec la justice, vaut mieux que de grands biens avec l'iniquité. - Ceux qui agissent injustement sont abominables au roi, parce que la justice est l'affermissement du trône. - Les lèvres du juste sont les délices des rois ; celui qui parle avec équité sera aimé. "

6. Id., XXV, 8 : " Otez l'impiété de devant la face du roi, et son trône s'affermira par la justice. "

7. Romains, XIII, 7 (comme dans le corps de la réponse).

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8. MATTHIEU, XXII, 24 : " Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. "

9. Id., XVII, 23-26 : " Quand ils furent entrés à Capharnaüm, ceux qui reçoivent le tribut des deux drachmes vinrent à Pierre, et lui dirent : Votre maître ne paie-t-il pas le tribut ? - Il leur répondit : Oui. Et comme il entrait dans le logis, Jésus le prévint et lui dit : Simon, que vous en semble ? De qui les rois de la terre reçoivent-il les tributs et les impôts ? Est-ce de leurs propres enfants ou des étrangers ? - Des étrangers, répondit Pierre. Jésus lui dit : Les enfants en sont donc exempts. - Mais pour que nous évitions de les scandaliser, allez à la mer, et jetez-y votre ligne, et le premier poisson que vous tirerez de l'eau, prenez-le, ouvrez-lui la bouche ; vous y trouverez un statère que vous prendrez, et vous le leur donnerez pour moi et pour vous. "

10. LUC, II, 1-5 : " Or, il arriva en ces jours qu'il parut un édit de César-Auguste, pour qu'on fit le dénombrement des habitants de toute la terre. - Ce premier dénombrement se fit par Cyrinus, gouverneur de la Syrie. - Et tous allaient se faire enregistrer chacun dans la ville d'où il était. - Alors Joseph partit aussi de la ville de Nazareth, qui est en Galilée, et vint en Judée à la ville de David, appelée Bethléem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David, - pour se faire enregistrer avec Marie son épouse qui était enceinte. "

11. Id., III, 12-14 : " Or, les publicains vinrent aussi à lui pour se faire baptiser, et lui dirent : Maître, que nous faut-il faire ? - Il leur dit : N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné. - Les soldats aussi lui demandaient : Et nous, que devons-nous faire ? Il leur répondit : N'usez ni de violence ni de fraude envers qui que ce soit, et contentez-vous de votre paye. "

12. I Timothée, V, 17-18 : " Que les prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l'instruction. - Car l’Ecriture dit : Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain. Et celui qui travaille est digne du prix de son travail. "

13. Psaume, XIV, 1-3 (comme dans le corps de la réponse).

14. MATTHIEU, V, 6 : " Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ; car ils seront rassasiés. "

15. Exode, XXII, 25 : " Si vous prêtez de l'argent à ceux de mon peuple qui sont pauvres parmi vous, vous ne les presserez point comme un exacteur impitoyable, et vous ne les accablerez point par des usures. "

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16. Lévitique, XXV, 35-38 : " Si votre frère est devenu fort pauvre, et qu'il ne puisse plus travailler de ses mains, et si vous l'avez reçu comme un étranger venu d'ailleurs qui ait vécu avec vous, - ne prenez point d'intérêt de ce que vous lui avez prêté et ne tirez point de lui plus que vous ne lui avez donné. Craignez votre Dieu, afin que votre frère puisse vivre chez vous. - Vous ne lui donnerez point votre argent à usure, et vous n'exigerez point de lui plus de fruits qu'il n'en aura reçu de vous. - Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ait tiré de l'Egypte, pour vous donner la terre de Chanaan, et pour être votre Dieu. "

17. Deutéronome, XXIII, 19-20 : " Vous ne prêterez à usure à votre frère ni argent, ni grain, ni autre chose que ce soit ; - mais seulement aux étrangers. - Vous prêterez à votre frère ce dont il aura besoin, sans en tirer aucun intérêt, afin que le Seigneur votre Dieu vous bénisse en tout ce que vous ferez dans le pays dont vous devez prendre possession. "

18. EZECHIEL, XVIII, 5, 8-10, 13-14, 17 : " Si un homme est juste, s'il agit selon l'équité et la justice, etc.; - s'il ne prête point à usure, et ne reçoit pas plus qu'il n'a donné, s'il détourne sa main de l'iniquité et s'il rend un jugement équitable entre deux hommes qui plaident ensemble ; - s'il marche dans mes préceptes et garde mes ordonnances pour agir selon la vérité, celui-là est juste, et il vivra très-certainement, dit le Seigneur Dieu. - Que si cet homme a un fils qui soit un voleur et qui répande le sang, et qui commette quelqu'une de ces fautes, etc. ; - qui prête à usure, et qui reçoive plus qu'il n'a prêté, vivra-t-il après cela? Non certes, il ne vivra point ; il mourra très-certainement, puisqu'il a fait toutes ces actions détestables et son sang sera sur sa tête. - Que si cet homme a un fils qui, voyant tous les crimes que son père avait commis, en soit saisi de crainte, et se garde bien de l'imiter, etc.; - qui détourne sa main de toute injustice à l'égard du pauvre, qui ne donne point à usure, et ne reçoive rien au-delà de ce qu'i la prêté, qui observe mes ordonnances et marche dans mes préceptes, celui-là ne mourra point à cause de l'iniquité de son père mais il vivra très-certainement. "

19. Id., XXII, 9, 12-15 : " Il y a eu parmi vous des calomniateurs pour répandre le sang ; ils ont mangé sur les montagnes au milieu de vous, ils ont commis l'iniquité au milieu de vous. - Ils ont reçu des présents au milieu de vous, afin de répandre le sang, Vous avez reçu un profit et un intérêt illégitimes ; vous

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avez calomnié vos frères pour satisfaire votre avarice, et vous m'avez mis en oubli, dit le Seigneur Dieu. - C'est pourquoi j'ai frappé des mains en me déclarant contre votre avarice, et contre le sang qui a été répandu au milieu de vous. - Votre cœur soutiendra-t-il ma colère ou vos mains prévaudront-elles contre moi dans le temps des maux que je ferai fondre sur vous ? C'est moi qui suis le Seigneur ; j'ai parlé, et je ferai ce que j'ai dit. - Je vous disperserai parmi les nations, je vous jetterai en divers pays, et je ferai cesser en vous votre impureté. "

20. LUC, VI, 35 : " Cependant aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer ; et alors votre récompense sera très-grande, et vous serez les enfants du Très-Haut car il est bon lui-même envers les ingrats et les méchants. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

§ 1. - Des obligations de justice des hommes entre eux.

1. S. AUGUSTIN, de civitate Dei, lib. IV, c. 4 : " Que sont les empires quand la justice en est bannie, sinon de grandes bandes de brigands ? Et une troupe de brigands elle-même qu'est-elle autre chose qu'un petit empire ? Car c'est une réunion d'hommes où un chef commande, où un pacte social est reconnu, et où certaines conventions règlent le partage du butin. Si cette troupe funeste, en se recrutant de malfaiteurs, grossit au point d'occuper un pays, d'établir des postes importants, d'emporter des villes, de subjuguer des peuples ; alors elle s'arroge ouvertement le titre de royaume, titre que lui assure non pas le renoncement à la cupidité, mais l'impunité de la conquête. Ce fut la spirituelle et juste réponse que fit à Alexandre-le-Grand, ce pirate laineux tombé en son pouvoir (V. CICERON, de republ., cité par Nonius Marcellus, de genere vavigiorum). A quoi penses-tu, lui dit le roi, d'infester la mer ? - A quoi penses-tu d'infester la terre ? répond le pirate avec une audacieuse liberté. Mais parce que je n'ai qu'un frêle navire, on m'appelle corsaire ; et parce que tu as une grande flotte, on te nomme, toi, conquérant. "

2. Ibidem, liv. XIX, c. 21 : " C'est donc ici le lieu de m'acquitter avec toute la brièveté et toute la clarté possible de mon ancienne promesse, en démontrant qu'aux termes des définitions que Scipion emploie dans les livres de la République de Cicéron il n'y a jamais eu de république parmi les Romains. Il définit la république la chose du peuple. . ., et il dit que le peuple est une

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multitude de personnes associées pour vivre ensemble sous l'empire du même droit et en communauté d'intérêts. Or, il explique ensuite ce qu'il entend par ce même droit, lorsqu'il dit qu'une république ne peut être gouvernés ans justice. Donc, là ou il n'y a point de justice, il n'y a pas de droit. Comme on fait justement ce qu'on a droit de faire, il est impossible qu'on ne soit pas injuste quand on agit sans droit. En effet, il ne faut pas appeler droits (ou lois) les règlements injustes établis par les hommes, puisqu'eux-mêmes ne nomment droit que ce qui vient de la justice comme de sa source, et qu'ils rejettent comme fausse cette opinion qui place le droit dans l'intérêt du plus fort. Ainsi donc, où il n'y a point de vraie justice, il ne peut y avoir d'association d'hommes sous un droit convenu entre eux, et par conséquent il ne peut y avoir de peuple. S'il n'y a point de peuple, il n'y a pas non plus de chose du peuple, mais il y a chose d'une multitude telle qu'elle, qui ne mérite pas le nom de peuple. Si donc la république est la chose du peuple, et qu'il n'y ait pas de peuple sans droit généralement reconnu, si d'ailleurs il n'y a point de droit là où il n'y a point de justice, il s'ensuit nécessairement que là où il n'y a pas de justice, il n'y a pas non plus de république. La justice est une vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient. Quelle est donc cette justice de l'homme qui soustrait l'homme lui-même au vrai Dieu, pour l’asservir à d'impurs démons ? Est-ce là rendre à chacun ce qui lui appartient ? Un homme qui ravit un fonds à celui qui l'a acheté, pour le livrer à un autre qui n'y a aucun droit, est injuste ; et l'homme qui se soustrait lui-même à la puissance de son souverain maître pour se faire l'esclave des esprits de malice, sera juste ? "

3. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Lib. VII, epist. 120 (al. 121) ad Theodoricum et Theodebertum reges Franciæ : " Ce qu'on désire plus dans les rois, c'est qu'ils pratiquent la justice et qu'ils sauvegardent les droits de chacun ; qu'ils ne se permettent pas à l'égard de leurs sujets tout ce que leur puissance les met à même de faire, mais qu'ils gardent en tout une stricte équité. "

4. S. BERNARD, Serm. III de adventu Domini : " Heureux celui en qui la sagesse se bâtit une demeure, en y taillant ses sept colonnes ; heureuse l'âme qui est le siège de la sagesse. Quelle est cette âme ? C'est celle du juste. Eh ! quoi de plus mérité puisque la justice et l’équité sont l’appui du trône de Dieu (Ps. LXXXVIII, 15) ? Qui est celui d'entre vous, mes frères, qui désire préparer dans son âme une demeure à Jésus-Christ ?

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Voici quelles sont les soieries, les tapis, les coussins, que pour cela il devra se procurer. La justice et l'équité, dit le Psalmiste à notre Dieu, sont l'appui de votre trône. La justice est la vertu qui attribue à chacun ce qui lui appartient. Rendez donc ce que vous devez à chacune de ces trois classes de personnes que je vais vous nommer. Rendez à votre supérieur ce que vous lui devez ; à votre inférieur, ce que vous lui devez ; à votre égal, ce que vous lui devez ; et de cette manière, vous célébrerez dignement la venue de Jésus-Christ, en lui préparant dans la justice le trône qui lui convient. Rendez, vous dis-je, à votre supérieur le respect dans vos sentiments, et l'obéissance dans vos actes. Car ce n'est pas assez de donner des marques extérieures de respect à ceux qui sont plus élevés que nous, si nous ne concevons en même temps au fond de notre cœur une haute estime de leurs personnes. Et quand même l'indignité de leur conduite serait tellement manifeste, qu'elle ne fût susceptible ni de dissimulation ni d'excuse, nous n'en devrions pas moins, à cause de celui de qui vient toute puissance (Rom., XIII, 2), nous former d'eux une haute opinion, en songeant, non à leurs mérite personnels, mais à l'ordre de Dieu, qui veut que nous respections en eux l'autorité dont ils sont revêtus. C'est ainsi que nous devons également à ceux de nos frères avec lesquels nous vivons, en vertu des droits mêmes de la fraternité et de la société humaine, les conseils et les secours que peuvent réclamer leurs besoins. Car ce sont là les devoirs que nous souhaitons qu'ils nous rendent à nous-mêmes : des conseils qui éclairent notre ignorance, et des secours qui soutiennent notre faiblesse. Mais ici quelqu'un de vous m'objectera peut-être en lui-même : Eh ! quel conseil pourrai-je donner à un frère à qui je ne puis pas même parler sans une permission spéciale ? Quel secours puis-je lui offrir, moi qui ne puis rien faire qu'en vertu de l'obéissance ? Je réponds à cela : L'occasion d'exercer la charité fraternelle ne vous manquera pas ; tâchez seulement de ne pas manquer à l'occasion. Je ne vois pas de conseil plus avantageux, que celui qu'on donne par son exemple même, indiquant par ce moyen ce qu'il est à propos de faire, ce qu'il est il propos d'omettre, visant toujours à ce qu'il y a de plus parfait, et conseillant ainsi non de bouche et de paroles, mais par les actes et les effets. Et y a-t-il secours plus utile et plus puissant, que celui que vous prêterez à votre frère en priant pour lui, en relevant ses fautes avec franchise et charité, en ne vous gardant pas seulement de le scandaliser en quoi que ce puisse être, mais

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en vous efforçant de plus, comme un ange de paix, d'enlever les scandales du royaume de Dieu, et d'en écarter tout ce qui pourrait y donner occasion ? Si ce sont là les secours, si ce sont là les conseils que vous donnez à votre frère, vous lui aurez rendu ce que vous lui deviez, et il n'aura point à se plaindre de vous. Enfin, si vous avez quelqu'un sous votre direction, vous devez sans aucun doute exercer à son égard une sollicitude toute particulière. Ses besoins réclament surtout de vous la vigilance et la correction : la vigilance, pour qu'il se garantisse du péché, la correction, pour que vous ne laissiez pas impunie la négligence qui l'aurait empêché de s'en garantir. Mais quand même il semblerait que vous n'auriez personne sous vous, vous auriez toujours envers qui exercer cette vigilance et cette correction. Car vous avez votre corps, que votre esprit a reçu sans aucun doute la charge de gouverner. Vous lui devez la vigilance, pour que le péché ne règne pas en lui, et que vos membres ne servent pas d'instruments à l'iniquité. Vous lui devez aussi la correction, pour que, rudement châtié et réduit en servitude, il se porte enfin faire de dignes fruits de pénitence. Toutefois, ceux qui auront à rendre compte pour un grand nombre d’âmes, ont à acquitter une dette bien plus forte et plus terrible. . . "

" Voulez-vous voir encore plus clairement que la justice même que vous aurez accomplie ne vous dispensera pas du jugement à subir un jour ? Ecoutez ces paroles : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous aura été ordonné, dites encore : nous sommes des serviteurs inutiles (LUC, XVII, 10). Telle est certainement la vraie manière pour chacun de nous de préparer un trône au Dieu de majesté : observer exactement les devoirs de justice, et après même qu'on les a observés, se considérer toujours comme un serviteur indigne et inutile. "

5. S. AUGUSTIN, Serm. XIX de verbis Domini (ou saint Ambroise, serm. 7, si ce sermon n'est pas plutôt (C'est le sentiment de Noël-Alexandre. V. Hist. eccles., t. V, p. 103) un de ceux de saint Maxime de Turin) : " Ne pas faire le service militaire, c'est prévarication, mais le faire en vue du butin, c'est encore péché. De même il y a crime non-seulement à ne pas remplir les fonctions publiques dont on est chargé, mais les remplir en vue de grossir son patrimoine, ne me semble une chose nullement innocente. Car si la Providence a voulu qu'il y eût une paye assigné chaque jour aux militaires, c'est pour leur épargner la tentation du pillage, qui viendrait certainement les solliciter,

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s'ils étaient réduits à pourvoir par eux-mêmes à leurs besoins. Mais que signifie le langage qu'ils tiennent, lorsque repris par leurs anciens de quelque faute, comme de s'être enivrés, d'avoir ravagé le bien d'autrui, d'avoir commis un meurtre dans leur emportement, ils répondent aussitôt : Qu'avais-je à faire, moi séculier ou engagé au service militaire ? Est-ce que j'ai embrassé la vie monastique ou l'état ecclésiastique ? Comme si quiconque n'est ni ecclésiastique ni moine pouvait impunément faire ce qui n'est jamais permis. Disons donc que les saintes lettres tracent à toutes les professions la règle qu'elles ont suivre : tout sexe, tout âge, tout rang de dignité est également invité à vivre selon les lois de la justice. Que personne donc ne cherche un motif d'excuse dans les fonctions publiques dont il est chargé ou dans l'état militaire qu'i la embrassé. Tout chrétien doit être avant tout le soldat de la probité et de la vertu. Car, pour justifier ce que nous disons par l'autorité de la parole évangélique, revenons sur la lecture qui vient d'en être faite : l’Evangile nous disait que des publicains vinrent aussi à Jean pour recevoir de lui le baptême et que, comme ils lui eurent dit : Maître, que faut-il que nous fassions ? Il leur répondit : N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné (LUC, III, 12-13). Autant était convenable la question adressée par les publicains, autant fut juste la réponse du saint prophète. Les premiers interrogent avec anxiété, craignant ou de pécher par ignorance en exigeant trop, ou de frustrer le trésor public en n'exigeant pas assez. Le second modère tellement la réponse qu'il leur fait, que s'ils savent s'y conformer, ils ne se montreront ni injustes à l'égard des particuliers, ni infidèle à l'égard de l’Etat. Car il ne leur dit pas : N'exigez rien, mais il leur dit : N'exigez rien au-delà. Par où nous voyons que ce que Dieu défend, ce n'est pas précisément d'exiger certaines choses, mais de les exiger sans droit, puisque le Seigneur a dit lui-même : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César (MATTH., XXII, 24). Donc c'est une obligation pour nous de nous soumettre à ce que César ordonne, et de supporter les exigences du gouvernement ; mais ces exigences deviennent intolérables, si elles dégénèrent en spoliation et en pillage. . . "

" Les soldais aussi lui demandaient : Et nous, que devons-nous faire ? Il leur répondit : N'usez point de violence ni de fraude envers personne, et contentez-vous de votre paye (LUC, III, 14), Qu'ici tout militaire s'examine soi-même. Et l’Ecriture ne dit pas ces paroles seulement de ceux qui combattent à main armée ;

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mais il n'y a personne de nous qui n'ait sa milice à exercer, son service à faire, et par conséquent ces paroles peuvent s'appliquer non-seulement aux soldats, mais aussi à tous ceux, quels qu'ils soient, qui ont une fonction à remplir. Oui, quiconque reçoit une paye de l’Etat est condamné par Jean comme oppresseur et concussionnaire, s'il demande au-delà de ce qui lui est assigné. Or, cette sentence vraiment divine adressée aux soldats, peut également s'appliquer aux ecclésiastiques ; car, quoique ceux-ci ne soient pas attachés au service du siècle, ils le sont au service de Dieu, suivant ces paroles de l'Apôtre : Celui qui est enrôlé au service de Dieu ne s'embarrasse point dans les affaires séculières (II Th., II, 4). Nous ne ressemblons guère à des militaires, sans doute, avec nos tuniques larges et flottantes ; mais pourtant nous avons notre ceinture militaire, qui serre étroitement nos reins des liens de la chasteté ; ceinture dont Notre-Seigneur a dit à ses apôtres : Ceignez constamment vos reins, et tenez dans vos mains des lampes allumées (LUC, XII, 38). Nous sommes donc les soldats de Jésus-Christ, et nous avons reçu de lui la paye qui nous oblige à son service ; car, comme nous le dit l'Apôtre, il nous a donné le Saint-Esprit pour arrhes et pour gage (II Cor., I, 22), c'est-à-dire qu'il nous a enrichis des dons de l'Esprit-Saint. Si donc quelque chrétien ne se contentait pas d'une telle solde et demandait davantage, il perdrait par-là même ce qu'il aurait déjà reçu. . . "

" Il n'importe pas, aux yeux de Dieu, que ce soit par ruse ou par violence qu'on s'empare du bien d'autrui, dès-là que c'est le bien d'autrui qu'on a usurpé de quelque manière que ce puisse être. "

6. S. AUGUSTIN, Lib. XXII contra Faustum manichæum, c. 74 : " Qu'y a-t-il de blâmable dans la guerre ? Est-ce la mort qu'elle cause à des hommes destinés à mourir tôt ou tard, ou l'asservissement de peuples qui du moins trouveront la paix dans la servitude ? Blâmer la guerre pour de tels motifs, c'est faiblesse d'esprit, plutôt que piété. Mais ce qu'on blâme à bon droit dans la guerre, c'est l'envie de nuire, l'ardeur de la vengeance, les haines implacables, les révoltes injustes, la passion de dominer, et autres semblables, qu'ont droit de réprimer par la résistance à l'oppression, les bons eux-mêmes, soit que Dieu en personne, soit que quelque autorité légitime leur en fasse un devoir, et pour la répression desquelles ils ont droit, à leur tour, de faire la guerre, s'ils se trouvent dans des circonstances qui les obligent,

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ou d'en prendre l'initiative par sentiment de la justice, ou de s'y engager par devoir d'obéissance. Autrement, lorsque les soldats venaient à Jean pour recevoir le baptême et lui demandaient : Que devons-nous faire ? il aurait dé leur répondre : Jetez vos armes, abandonnez le service militaire, gardez-vous de frapper, de blesser, de mettre à mort qui que ce soit. Mais comme il savait bien qu'en faisant de semblables choses dans la guerre, ils ne se rendaient pas coupables du crime d'homicide, mais ne faisaient qu'obéir à la loi, et qu'ils ne vengeaient pas en cela des injures personnelles, mais se portaient à la défense des intérêts publics, il leur répondit : N'usez de violence ni de fraude envers personne, et contentez-vous de votre paye. Mais puisque les Manichéens ont pour habitude de condamner ouvertement et sans aucune pudeur la conduite de Jean, qu'ils écoutent Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, ordonnant de payer à César cette même solde, que Jean déclare devoir suffire au soldat. Rendez à César dit-il, ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Car les tributs ont pour objet de fournir la solde au moyen de laquelle l'Etat pourra subvenir aux besoins du soldat. Et ce centenier qui disait : Quoique je ne sois qu'un homme soumis à d'autres, ayant néanmoins des soldats, je dis a l'un : Allez là, et il y va ; venez ici, et il vient ; faites ceci, et il le fait (LUC, VII, 8) ; Jésus-Christ a loué sa foi, si digne en effet de louanges, mais il ne lui a point commandé d'abandonner sa profession. Mais il serait trop long, et il n'est nullement nécessaire pour le moment, de discuter la question des guerres justes ou injustes. "

7. Ibidem, c. 75 : " Car il importe de savoir pour quelles causes et d'après quelle impulsion on s'engage dans une guerre. Toutefois l'ordre naturel, dans l'intérêt même de la paix, demande que ce soit le prince qui juge de la nécessité ou de l’à-propos de la guerre qu'il entreprend, et que les soldats, en vue de la tranquillité et du salut de tous, n'aient d'autre office à remplir que celui de l'exécution. Mais il n'est pas permis de douter qu'une guerre soit légitime, du moment où c'est Dieu qui autorise à l'entreprendre, soit pour imprimer la terreur, soit pour écraser ou humilier l'orgueil d'un ennemi superbe, puisque celles mêmes que fomentent les passions humaines, ne peuvent nuire en rien, soit à Dieu, soit à ses saints, mais qu'elles servent plutôt, comme le prouve l'expérience, à exercer la patience, entretenir l'humilité et à corriger les imperfections de ces derniers. Car personne à une puissance quelconque sur

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eux, que ceux à qui elle est donnée d'en haut (JEAN, XIX, 11) ; et il n'est pas de puissance qui ne vienne de Dieu (Rom., XIII, 1), soit qu'il en veuille l’établissement soit qu'il le permette. Puis donc que les justes, s'ils ont à servir un prince même sacrilège, peuvent légitimement combattre sous ses ordres pour le bien de l'union qui doit régner entre les citoyens, lorsqu'ils sont assurés que la guerre pour laquelle ils ont à donner leur concours n'est point entreprise contre la volonté de Dieu, ou que du moins le contraire ne leur est pas évident, de sorte que si, dans ce dernier cas, le roi est coupable de l'avoir ordonné, les soldats peuvent sans reproche lui faire même en cela acte d'obéissance, à combien plus forte raison n'est-il pas permis de prendre une part active à des guerres qu'on n'entreprend que parce que c'est la volonté de Dieu, volonté qui ne saurait jamais être injuste, comme ne l'ignorent pas ceux qui lui obéissent. "

8. THEOPHYLACTE, in caput XIII Epistolæ ad Romanos : " Les magistrats sont d'une grande utilité pour les Etats ; car c'est à eux qu'est due la conservation de nos vies. Sans eux, tout serait bientôt bouleversé, les plus faibles se trouvant en proie aux plus forts. Que votre conscience donc vous fasse goûte l'obligation de rendre l'honneur qui appartient à ceux de qui vous tenez d'aussi grands avantages. Car c'est pour cela que vous leur payez des tributs. Vous-mêmes, vous dit l'Apôtre, vous êtes la preuve des bienfaits que vous recevez du magistrat, lorsque, en lui payant le tribut, vous lui portez la récompense de la peine qu'il prend de soigner vos intérêts. Car les peuples ne se seraient pas assujettis à de pareilles charges envers les puissances, si dès le principe ils n'avaient reconnu qu'il était de leur avantage et de leur intérêt de s'y soumettre. Et en effet, tandis que nous passons nos jours exempts d'inquiétude, les princes, ministres de Dieu pour le bien, veillent pour nous par le devoir de leur charge, afin que cette tranquillité ne soit pas troublée. C'est donc aussi la volonté de Dieu que nous payions le tribut à ses ministres ; car il veut que la paix soit maintenue dans l'Etat, que la vertu y soit respectée et le vice réprimé. Et les princes secondent en ce point la volonté de Dieu, puisque les peines qu'ils se donnent ont pour fin le maintien de l'ordre et le salut de tous, et que tous leurs efforts tendent à nous procurer la paix et la tranquillité dans la condition qui convient à chacun. Que s'ils abusent quelquefois de leur pouvoir et de leur autorité, l'abus qu'ils en font ne porte aucune atteinte à l'excellence de la chose elle- même. Rendez

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donc a chacun ce qui lui est dû : le tribut, à qui vous devez le tribut ; les impôts, à qui vous devez les impôts ; la crainte, à qui vous devez la crainte ; l'honneur à qui vous devez l'honneur (Rom., XIII, 7). Sans contredit, vous dit l'Apôtre, vous devez au magistrat la gratitude et la bonne volonté. Rendez donc ce que vous devez à chacun selon son droit : le tribut, ou les redevances personnelles, à qui elles sont dues ; l'impôt c'est-à-dire l'impôt foncier, à qui il est dû également. Mais vous ne leur devez pas seulement des contributions pécuniaires ; vous leur devez aussi la crainte, c'est-à-dire le respect, et un honneur ou une vénération toute spéciale. C'est pourquoi l'apôtre a soin d'ajouter : L'honneur à qui l'honneur. Car on peut distinguer deux sortes de craintes : celle qui saisit les coupables, et qui naît de la conscience qu'ils ont de leur culpabilité ; c'est cette sorte de crainte que l’Apôtre a stigmatisée dans les versets précédent ; l'autre est celle qu'on a de déplaire à ceux qu'on affectionne, et qui s'identifie avec l'honneur qu'on leur rend ; telle était celle que célébrait le Psalmiste, lorsqu'il disait : Rien ne manque à ceux qui craignent le Seigneur (Ps. XXXIII, 10) ; et encore : La crainte du Seigneur subsiste dans tous les siècles (Ps. XVIII, 10). Car c'est de la piété ou du respect dû à Dieu qu'il entend parler ici. "

9. S. CHRYSOSTOME, Hom. XV in Matthæum : " Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Quelle est cette justice dont il parle ? C'est, ou cette vertu même en général, ou seulement celle de ses parties qui est particulièrement opposée à l'avarice. Car comme il va recommander l'aumône et la miséricorde, il montre par avance comment on doit la faire, c'est-à-dire, non de ses butins ou de ses rapines, en appelant heureux ceux qui aiment la justice. Mais remarquez comment il exprime cet amour que nous devons en avoir. Car il ne dit pas simplement : Heureux ceux qui gardent la justice ; mais : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, pour nous apprendre à ne pas l'aimer froidement, mais il l'aimer avec toute l'ardeur dont nous sommes capables. Comme c'est le propre de l'avarice d'être ardente à amasser du bien, et qu'on a d'ordinaire moins de passion pour le boire et le manger que les avares n'en ont pour amasser des richesses, Jésus-Christ veut que nous reportions cette ardeur déréglée à l'amour de la justice. Il nous propose encore ici une récompense sensible : Parce qu'ils seront rassasiés. Comme on croit d'ordinaire que l'avarice enrichit les hommes, il montre au contraire que c'est la justice qui nous enrichit. Ne craignez donc plus de tomber dans

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la pauvreté ou dans le besoin, tant que vous pratiquerez la justice. Ce sont principalement ceux qui ravissent le bien d'autrui qui perdent eux-mêmes ce qu'ils ont, tandis qu'au contraire le bien de celui qui aime la justice est en pleine sûreté. Que si ceux qui s'abstiennent d'usurper le bien d'autrui doivent jouir un jour d'une si grande abondance, quel sera le bonheur de ceux qui renonceront à tout ce qu'ils possèdent sur la terre ? "

10. S. AMBROISE, De officiis, lib. I : " Oh ! qu'il brille d'un pur éclat, l’homme juste qui, se croyant né pour les autres et non pour lui-même, se sacrifie tout entier au bien de la société ! Il s'élève au-dessus de la foule, domine tout par sagesse, soutient les uns, aide les autres, partage les peines et les périls de tous ! Qui pourrait ne pas ambitionner ce haut degré de vertu, si l'avarice n'était là pour affaiblir et énerver nos élans ? Car dès l'instant où nous cherchons à augmenter nos richesses, à entasser de l'or, à agrandir nos terres, à être plus riches que les autres, nous renonçons à la justice, nous cessons de rapporter nos vues au bien général. Peut-il être juste en effet, celui qui ne travaille qu’à dépouiller son voisin de son bien pour se l'approprier à lui-même ? - L'amour du pouvoir énerve encore la force native de la justice. Comment peut-il faire quelque chose pour ses semblables, celui qui ne cherche qu'à les soumettre à sa volonté ? Peut-il protéger le faible contre le puissant, celui qui veut enchaîner la liberté en abusant de sa puissance ? "

11. Le même, ibidem, c. 29 : " Ce qui peut donner une idée de l'excellence de la justice, c'est qu'elle ne fait acception ni de lieux, ni de temps, ni de personnes, puisqu'elle s'exerce même à l’égard d'un ennemi ; au point qu'après avoir fixé avec lui un lieu et un jour pour le combat, c'est être injuste que de changer ou de devancer le rendez-vous. Il y a en effet une grande différence entre succomber dans un combat après une lutte vigoureuse, et ne devoir sa défaite qu’à un avantage de circonstance ou à un cas fortuit. Par suite encore, l'ennemi qui aura été plus acharné contre vous, celui qui vous aura été plus infidèle ou qui vous aura nui davantage, devra s'attendre à une vengeance plus éclatante. Ainsi les Madianites (Nombres, XXXI), qui s'étaient servis des femmes de leur nation pour faire tomber dans le péché une multitude de Juifs, attirèrent la colère de Dieu sur tout le peuple, sans que Moïse dans sa victoire (Il y a dans le texte latin Moyses victor. Victor ne serait-il point ici pour ultor, par suite de l'erreur de quelque copiste ?), fit grâce à un seul

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des coupables. Les Gabaonites (Josué, IX), au contraire, qui n'avaient pas déclaré la guerre au peuple de Dieu, mais l'avaient simplement trompé, ne furent pas aussi sévèrement punis par Josué mais seulement soumis à la honte de l'esclavage. Il en fut de même pour les Syriens, qui, occupés au siège d'une ville, avaient été frappés d'aveuglement par Elisée, et ne sachant plus où ils allaient, étaient tombés au pouvoir du roi d'Israël ; celui-ci voulait les mettre tous à mort, mais le prophète s'y opposa en disant (II Rois, VI, 22) : Vous ne frapperez point de mort ceux que vous n'avez pas vaincus par la lance ou par l'épée. Donnez-leur du pain et de l'eau, qu'ils mangent et boivent, qu'ils soient remis en liberté et qu'ils retournent vers leur maître. C'était par un acte d'humanité les amener à la reconnaissance. Dès ce jour aussi, les Syriens ne vinrent plus par troupes piller les terres d'Israël. - Si tel est l'empire de la justice pendant la guerre, à combien plus forte raison ne doit-on pas la pratiquer durant la paix! "

" Concluons qu'il faut pratiquer la justice même dans la guerre, et que cette vertu ne peut avoir de mérite qu'autant qu'elle est unie à la bonne foi. "

12. Le même, in Psalmum 118, Serm. XVI : " Voici donc le sens de ces mots, Feci judicium et justitiam (mot à mot, J'ai fait le jugement et la justice) : Dans mes jugements, je n'ai point méprisé le pauvre, je n'ai point opprimé la veuve, je n'ai point fait acception de la personne du riche ; dans toutes mes œuvres, enfin, j'ai observé la justice. Le but qu'on doit se proposer dans les jugements qu'on porte, c'est de rendre justice à chacun. L'un a pour objet le maintien de la vérité, l'autre l'observation d'une exacte équité : toutefois l'une de ces vertus, pas plus que l'autre, n'est une vertu privée, mais ce sont deux vertus publiques. Car, quant aux autres vertus, telles que l'est pour une vierge celle de conserver son corps intact en le mettant à l'abri de tout commerce impur, et de remporter ainsi la palme de la chasteté dans un corps de boue en menant une vie semblable à celle des anges ; de telles vertus, quoique dignes des hommages publics, ont spécialement une utilité privée. De même être modeste et frugal, et garder la mesure d'une sobre économie, c'est mériter les éloges de tous, mais ce n'est encore se rendre utile qu'à soi-même. La force brille dans les combats, mais elle est comme éteinte au sein de la paix : nécessaire à l'occasion, l'objet des vœux de tous c'est qu'elle ne le soit jamais. Car on aime mieux en général n'être pas réduit à la nécessité de combattre, que de remporter

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l'avantage de vaincre. Il n'y a que la justice qui, dans tous les temps, paraisse née pour les autres plutôt que pour elle-même, et dont l'objet journalier soit l'utilité publique et non son utilité privée, puisqu'elle sert les intérêts d'autrui aux dépens des siens propres, inutile à elle-même, objet des louanges de tous. "

13. Le même, Lib. de Paradiso, c. 3 : " Le quatrième fleuve est celui de l'Euphrate, mot qu'on pourrait rendre en langue d'origine latine par fécondité et abondance de fruits : caractère distinctif de la vertu de justice, qui, plus que toute autre, alimente la vie de l'âme. Car aucune vertu ne produit, à ce qu'il semble, de fruits plus abondants que l'équité ou la justice, qui, utile aux autres plus qu’à elle-même, néglige ses intérêts privés et les sacrifie à l'utilité commune. Plusieurs font venir ce nom d'Euphrate du verbe grec ???????????, qui veut dire se réjouir, parce qu'aucune vertu ne fait plus que la justice ou l'équité la joie de la société humaine. Quant à la raison pour laquelle, tandis que l'écrivain sacré fait la description des pays que traversent les autres fleuves, il omet de décrier ceux que traverse l'Euphrate ; nous pensons que cela vient de ce que l'eau de ce dernier est, dit-on, une eau vivifiante, ou dont la propriété est d'entretenir et d'augmenter les forces vitales, ce qui fait que les sages hébreux et assyriens ont appelé ce fleuve Auxen. Or, l'eau des autres fleuves a, dit-on encore, une qualité toute différente. Une autre raison, c'est que, tandis que la prudence a pour compagne inséparable une certaine malice, la force la passion de la colère, et que la tempérance ne saurait guère se passer de l'intempérance (Saint Ambroise veut dire sans doute que quelque tempérance et quelque sobre qu'on soit, il faut bien pourtant manger et boire pour qu’on puisse vivre) même ou de quelque autre imperfection, la justice est la vertu qui établit la concorde entre toutes les autres ; et c'est pour cela qu'on ne nomme pas les lieux particuliers que traverse le fleuve qui la représente, parce qu'elle embrasse tous les lieux à la fois, c'est-à-dire toutes les vertus, dont elle est la mère plutôt que la sœur, et qu'elle enfante plus encore qu'elle ne s'adjoint à elles. "

14. S. AUGUSTIN, De doctrinâ christianâ, lib. IV, c. 18 : " Dans ce que nous avons à traiter et à dire au peuple, surtout quand nous le disons du haut de la tribune sacrée, comme nous devons le rapporter non à la vie du temps, mais il celle de l'éternité, ainsi qu'aux moyens d'éviter la mort éternelle, il n'y a rien qui ne soit important et grave. Il n'y a pas jusqu'aux questions

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relatives l’acquisition ou à la perte de biens temporels, considérables ou non, qui n'aient leur importance et leur gravité dans la bouche de l'orateur ecclésiastique. Car dans l'administration des biens les plus modiques, il y a une justice à observer qui n'est pas de peu de prix, suivant ce qu'a dit le Sauveur : Celui qui est fidèle dans les petites choses le sera aussi dans les grandes (LUC, XVI, 10). Ainsi ce qui est petit est toujours petit ; mais être fidèle dans les petites choses, c'est quelque chose de grand. La rondeur, qui consiste en ce que toutes les lignes qui vont du centre à la circonférence soient égales, est toujours la même dans un petit cercle comme dans un grand ; de même la justice dans ses moindres œuvres ne perd rien de sa grandeur. "

" Voici comme l'Apôtre parle des jugements séculiers qui ne regardaient assurément que les biens et les richesses du siècle : Comment se trouve-t-il quelqu'un parmi vous qui, ayant un différent avec son frère ose l'appeler en jugement devant les méchants et les infidèles, et non pas devant les saints ? Ne savez-vous pas que les saints doivent un jour juger le monde, etc. (I Cor., VI, 1, 9) ? Pourquoi l’Apôtre est-il donc tant indigné ? Pourquoi tant de réprimandes, tant de reproches, tant de véhémence, tant de menaces ? Pourquoi montre-t-il par le ton impétueux et brusque de son langage les mouvements dont son cœur est transporté ? Pourquoi enfin parle-t-il d'aussi petites choses en des termes si sévères ? Est-ce donc que les affaires séculières l'intéressent si fort ? A Dieu ne plaise ; mais il en use ainsi pour les intérêts de la justice, de la charité, de la piété, qui, aux yeux d'une raison éclairée, ne perdent rien de leur importance et de leur grandeur dans les affaires les plus petites et les plus frivoles (Cf. Les livres de la doctrine chrétienne de saint Augustin, pag. 295-296). "

§ 2. - De l’usure.

15. S. LEON-LE-GRAND, Serm. VI de jejunio decimi mensis : " C'est une avarice injuste et outrée de tromper sous prétexte de faire plaisir ; mais il y a de l'imprudence à se confier plus à la parole d'un homme qui ne promet qu'en tremblant, qu'aux promesses de Dieu qui ne peut jamais tromper. Un homme qui croit les biens présents plus solides et plus assurés que ceux de l'avenir, en voulant faire des gains injustes, fait souvent des pertes qu'il n'a que trop méritées. "

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" De quelque manière donc que les choses tournent, un usurier a toujours tort : soit que son fonds croisse, soit qu'il diminue, il ne peut être exempt de péché ; ou il devient malheureux en perdant ce qu'il a prêté ou il est coupable en recevant ce qu'il n'a pas donné. Il faut se précautionner avec soin contre l'iniquité de l'usure, et ne pas chercher à faire des profits qui blessent l'humanité. C'est augmenter son bien par des voies injustes et funestes ; mais l'âme en souffre et dépérit : une usure criminelle est la mort de l'âme (Il y a dans le texte : Fœnus pecuniæ funus est animæ ; jeu de mot impossible à imiter dans notre langue). Le Prophète nous fait connaître quels sont les sentiments de Dieu à l'égard de ces personnes. Après avoir interrogé le Seigneur en ces termes : Qui est-ce qui sera assez heureux pour demeurer dans votre tabernacle, ou pour se reposer sur votre sainte montagne (Ps. XIV, 1) ? Il entendit cette réponse de la bouche de la vérité éternelle : C'est celui qui ne prête point à usure. Au contraire, celui qui fait des gains injustes, et qui exige des usures excessives pour l'argent qu'il a prêté, sera exclu du tabernacle de Dieu et n'approchera point de la sainte montagne : s'il veut s'enrichir aux dépens d'autrui et par l'appauvrissement des autres, il mérite d'être condamné à une indigence éternelle (Cf. Sermons de saint Léon, p. 71-72). "

16. S. BERNARD, Epist. CCCXXII ad episcopum, clerum et populum Spirensem : " Nous gémissons de voir en certains pays, à défaut de juifs, des chrétiens judaïser, et d'une manière plus criminelle encore que les juifs, par les usures qu'ils exercent, et qui font d'eux bien moins des chrétiens que des juifs baptisés. "

17. S. AMBROISE, lib de Tobiâ, c. 14 : " Ce n'est pas un mal nouveau, ni un mal passager, que celui que défend ici l'ancienne loi de Dieu. Le peuple qui avait dépouillé l'Egypte, qui avait traversé toute une mer à pied sec, est averti d'éviter les naufrages que lui ferait essuyer la pratique de l'usure. Et tandis qu'il est prémuni contre les autres péchés par un simple avertissement, ou seulement par quelques-uns, le grand législateur s'applique à lui inculquer à plusieurs reprises l'interdiction de l'usure. Voici ce que nous lisons dans l'Exode (Saint Ambroise s'est servi d'une version latine qui sans aucun doute différait beaucoup ici de la Vulgate. Voici le texte qu'il rapporte, et qu'on pourra confronter avec celui que tout le monde a entre les mains : Quòd si pecuniam fæneraveris pupille, orphano, pauperi apud te non suffocabis eum, non impones ei usuram) : " Si vous prêtez de l'argent au

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pupille, à l’orphelin, au, pauvre qui est chez vous, vous ne l’étranglerez pas, et vous ne lui imposerez point d'usures à vous payer (Exod., XXII, 22,25). L'écrivain sacré explique aussitôt ce qu'il faut entendre ici par étrangler : c'est imposer des usures, dit-il. Car un usurier étrangle son débiteur (Je rends par débiteur le mot creditoris que je lis ici. C'est que le sens le veut, à moins que saint Ambroise n'appelle à dessein celui qui paie l'intérêt de créancier de celui qui l'a exigé de lui, et qui l'ayant fait sans droit de le faire, est devenu dès-lors le débiteur de son débiteur même), ou, ce qu'il y a de pire, son âme. Terme expressif, qui marque bien, et la violence dont use le créancier, et la triste façon dont il fait mourir sa victime. Si votre prochain vous a donné son habit pour gage, poursuit le texte sacré, vous le lui rendrez avant que le soleil soit couché. Car c'est le seul habit qu'il ait pour se vêtir, c'est celui dont il se sert pour couvrir son corps ; il n'en a point d'autre pour mettre sur lui quand il dort : s'il crie vers moi, je l'exaucerai, parce que je suis bon et compatissant (Exod., XXII, 26-27). Usuriers, avez-vous entendu ce que dit la loi, cette loi dont Notre-Seigneur a déclaré qu'il n’était pas venu la détruire, mais l'accomplir (MATTH., V, 17) ? Et cette loi que Noire-Seigneur n'a pas voulu détruire c'est vous qui la détruisez. Demander l'usure de ce qu'on a prêté, c'est, vous dit cette loi, étrangler son débiteur. Cette vérité a été reconnue, quoique tard, par quelques sages de la gentilité même. " Qu'est-ce que prêter à usure, a dit l'un d'eux ? C'est donner la mort à son semblable. " Mais à coup sûr Caton n'est pas plus ancien que Moïse qui a écrit la loi : au contraire, il lui est postérieur de bien des siècles. Nous lisons aussi dans le Deutéronome : Vous n'exigerez de votre frère ni intérêt d'argent, ni intérêt d'aliments, ou de quelque autre chose que ce soit. Si vous prêtez à un étranger, vous exigerez de lui qu'il vous en paie l'usure, mais vous ne l'exigerez point de votre frère (Deut., XXIII, 19-20, traduit d'après la version italique ou celle dont se servait saint Ambroise). Voyez, pesez attentivement toute la force de ces paroles. N'exigez point d'usure de votre frère, vous dit le texte sacré, c'est-à-dire, de celui avec qui tout doit vous être commun ; et c'est de celui-là même que vous retirez des usures ? Votre frère, c'est quiconque a la même nature que vous et est héritier de la même grâce (de la rédemption) que vous. N'exigez pas plus que le remboursement du capital de celui qui c'est déjà une dureté que de redemander le capital même, à moins qu'il n'ait de quoi vous l'acquitter. "

" Plusieurs, éludant les prescriptions de la loi, quand ils prêtent

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de l’argent à des commerçants en exigent non de l'argent pour intérêt, mais des marchandises qui leur en tiennent lieu. Que ceux-là fassent donc bien attention à cette clause de la loi : Vous ne recevrez d'intérêt ni d’aliments, ni de quelque autre chose que ce soit que vous ayez prêté à votre frère. C'est là frauder la loi, ou la circonvenir, mais non l'observer. Et vous croyez faire une bonne action, parce que c'est d'un commerçant que vous recevez cette usure comme à titre de prêt ? Mais quoi ? Vous l'obligez à surfaire le prix de ses marchandises, pour qu'il puisse vous acquitter cette usure. C'est donc vous qui êtes l'auteur de cette fraude ; vous en devenez le complice ; vous faites votre profit de ce qu'il a extorqué par fraude. C'est une usure que d'exiger plus que ce qu'on a prêté, n'importe que ce surplus consiste dans des aliments ou dans des vêtements. Quelque nom que vous lui donniez, c'est une usure. Si la chose est permise, que ne lui donnez-vous son nom ? Si elle est défendue, pourquoi cherchez-vous un prétexte ? Pourquoi demandez-vous à retirer un profit qui vous est interdit par la loi ? "

18. Ibidem, c. 15 : " Vous direz peut-être qu'il est écrit aussi : Vous prêterez à usure aux étrangers ; et vous ne considérez pas ce que dit l'Evangile, qui doit servir à compléter la loi ancienne. Mais pour le moment, faisons abstraction de l’Evangile. Examinez les termes même de la loi : Vous ne prêterez point, dit-elle, à usure à votre frère, mais vous l'exigerez de l’étranger. Quels étaient ces étrangers à l'égard du peuple de Dieu, sinon l’Amalécite, l’Amorrhéen et d'autres ennemis semblables ? Par rapport à ceux-là, dit la loi, exigez l'usure. Celui à qui vous avez raison de vouloir nuire, à qui vous déclarez justement la guerre, c'est à son égard que l'usure est permise ; c'est à son égard qu'elle devient légitime. Vous pouvez exiger l'usure de celui que vous pourriez même tuer sans crime. Là où l'on a droit de porter la guerre, on a droit aussi d'exercer l'usure. Mais ceux que vous devez comprendre sous le nom de frères sont premièrement tous ceux qui vous sont unis par la foi, et ensuite tous ceux qui sont membres du même Etat que vous. Je ferai connaître votre nom à mes frères, je publierai vos louanges au milieu de l’assemblée (Ps. XXI, 23). Enfin, dans le Lévitique, la loi défend aussi de rien exiger de son frère à titre d'usure. Car en voici le texte : Votre frère vivra avec vous ; vous ne lui donnerez point votre argent à usure ; vous ne lui donnerez pas non plus de vos aliments pour en recevoir davantage (Lévit., XXV, 35-36, suivant la version parti

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culière que suivait saint Ambroise). Cette loi de Dieu exclut donc généralement tout surplus ajouté au capital. De là vient que David appelle béni de Dieu, et digne de la demeure céleste, celui qui ne donne point son argent à usure. Pourquoi donc à une telle bénédiction préférez-vous la malédiction de Dieu ? Car il ne dépend que de vous d'être béni de Dieu, comme il ne dépend que de vous d'être justes. L'homme juste, selon le prophète Ezéchiel, c'est celui qui rend à son débiteur le gage que celui-ci lui avait donné qui ne prend rien par violence du bien d'autrui ; qui ne prête point à usure, et ne reçoit rien de plus que ce qu'i la donné ; qui détourne sa main de l'iniquité (EZECH., XVIII, 7 et suiv.), etc. : Celui-là est juste, continue le Prophète, et il vivra très-certainement dit le Seigneur. Mais celui qui ne rend pas le gage qu'on lui a donné, qui lève ses yeux vers les idoles ; qui commet l'iniquité, qui donne à usure et reçoit plus qu'il n'a prêté, celui-là ne vivra pas, mais il mourra pour toutes les iniquités qu'il aura commises, et son sang demeurera sur sa tête. "

" Voyez comment il associe l'usurier avec l'idolâtre, comme s'il voulait égaler le crime de l'un à celui de l'autre. "

19. S. JEREMIE, in caput XVIII Ezechielis : " Le Prophète compte pour la douzième des vertus d'un père (qui ne seront imputés au fils qu'autant qu'il s'en fera l'imitateur) celle de ne pas prêter à usure : Et qui n'aura point prêté à usure ; ou, comme les Septante ont traduit ce passage, Qui n'aura point donné son argent à usure. Dans l'hébreux se trouve ainsi toute espèce d'usure ; et dans les Septante, l'usure de l'argent seulement. C'est de la même manière que nous lisons au psaume XIV : Qui n'a point donné son argent à usure. Eh ! comment est-il dit dans la loi : Vous ne prêterez point à usure à votre frère mais vous le ferez aux étrangers ? Mais remarquez ici le progrès de la loi divine. Dans le principe de la loi donnée, l'usure est interdite seulement entre frères ; plus tard, dans les écrits du prophète elle l'est à l'égard de tous : Celui, dit Ezéchiel, qui n'a point prêté son argent à usure. Dans l'Evangile enfin, Notre-Seigneur nous explique ce même devoir dans toute sa perfection, lorsqu'il dit : Prêtez à ceux de qui vous n'espérer rien recevoir (LUC, VI, 38). "

" Le Prophète compte ensuite pour treizième vertu celle de ne rien recevoir au-delà du capital : Et qui n’aura pas reçu plus qu'il n'aura prêté. Quelques-uns s'imaginent qu'il n'y a usure que dans l'argent qu'on reçoit. Pour les guérir de cette erreur, la sainte Ecriture interdit généralement tout ce qui dépasse le ca-

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pital, obligeant à ne recevoir rien de plus que ce qu'on a donné. Il est assez commun parmi les gens de campagne d'exiger l'intérêt du froment, du mil, du vin et de l'huile, ou de tout autre fruit de la terre qu'ils ont prêté, et c'est cet intérêt que l’Ecriture appelle du nom de surabondance, superabundantiam. Par exemple, on prêtera en hiver dix mesures de grain, et au temps de la moisson on en recevra quinze, c'est-à-dire la moitié de plus. Ceux qui se croient les plus raisonnables se contentent d'un quart en sus, et voici comment ils raisonnent : J'ai donné une mesure qui, ayant été semée en a rapporté dix. N'est-il pas juste que je reçoive une demi-mesure en plus de ce que j'ai donné puisque, grâce au service que je lui ai rendu, il lui restera encore neuf fois et demie autant que ce qu'il avait reçu de moi ? Ne vous abusez pas, vous crie l’Apôtre, on ne se moque pas de Dieu (Gal., VI, 7). Car, que ce miséricordieux prêteur veuille bien nous répondre, et nous dire s'il a prêté à celui qui avait, ou s'il l'a fait à celui qui n'avait pas. Si c'est à celui qui avait déjà, il ne le devait pas faire certainement ; s'il lui a prêté c'est donc qu'il l'a considéré comme n'ayant pas. Pourquoi donc exige-t-il de lui davantage, comme de celui qui aurait eu d'avance ? D'autres, en retour de ce qu'ils ont prêté ont coutume de recevoir divers cadeaux, et ils ne veulent pas comprendre qu'il y a intérêt usuraire, quelle que soit la chose qu'ils reçoivent au-delà de ce qu'ils ont prêté. "

20. Le concile de Latran (troisième œcuménique de ce nom) tenu (l'an 1179) sous Alexandre III, part. I, c. 25 : " Comme le crime de l'usure s'est tellement répandu presque partout, que bien des gens, abandonnant tout autre commerce, se croient permis d'exercer l'usure, sans faire attention à la condamnation qui en est faite dans les deux Testaments, nous ordonnons en conséquence que les usuriers notoires ne seront admis ni à la communion de leur vivant, ni à la sépulture chrétienne après leur mort, s'ils meurent dans cet état de péché. On ne devra pas non plus accepter leurs oblations. Celui qui en aura reçu ou qui leur aura donné la sépulture chrétienne, sera condamné à rendre ce qu'il aura reçu et de plus sera suspendu des fonctions de sa charge, jusqu’à ce qu'il ait satisfait au gré de son évêque (On peut voir d'autres condamnations portées contre l'usure dans le Sexte et dans les Clémentines). "

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Question V

En quels termes l’Eglise nous recommande-t-elle la tempérance ?

L'Eglise, pour nous fournir les moyens d'éviter l'intempérance, nous prescrit de ne point chercher à contenter notre sensualité en satisfaisant à ses désirs et de ne point laisser nos cœurs s'appesantir par l'excès des viandes et du vin. Elle nous exhorte d'ailleurs à la pratique de la tempérance, lorsqu'elle demande de nous que nous soyons sobres et vigilants, c'est-à-dire que nous nous adonnions aux veilles et à la prière pour ne point donner entrée à Satan dans nos cœurs. L'Ecclésiastique nous donne en conséquence cet avis : Usez comme un homme tempérant de ce qui vous est servi, de peur que vous ne vous rendiez odieux en mangeant beaucoup. Le même écrivain n'omet pas non plus de nous détourner de l'ivresse : Le vin bu avec excès, dit-il, produit la colère et l'emportement, et attire de grandes ruines. Bien plus, comme il le dit encore : Le vin et les femmes font tomber les sages mêmes. C'est pourquoi il nous recommande aussi en ces termes la modération dans l'usage du vin : Le vin pris modérément est la joie de l'âme et du cœur. La tempérance dans le boire est la santé de l'âme et du corps. C'est pour cela encore que nous lisons ailleurs : Heureuse la terre dont les princes ne mangent qu'à l'heure qu'il faut, en vue de se nourrir, et non pour satisfaire la sensualité. L'homme sobre prolonge ses jours. "

Mais cette vertu de tempérance s'étend à d'autres choses encore qu’à l'usage modéré du boire et du manger. Saint Jean-Baptiste, entre tous les autres saints, s'est montré sous tous rapports un modèle de tempérance, d'abstinence et de continence enfin, en prenant ces mots dans leur sens le plus général, lorsqu'il s'est retranché toute superfluité dans la nourriture et le vêtement, se condamnant lui-même à passer sa vie dans les déserts et donnant l'exemple de la frugalité la plus rigoureuse.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Romains, XIII, 13-14 : " Conduisons-nous avec bienséance et honnêteté en faisant toutes nos actions comme au grand jour. Ne vous permettez ni excès de viandes, ni excès de vin, ni impudicité, ni dissolutions, ni querelles, ni envieuses rivalités ; - Mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ et ne cherchez point à contenter les désirs déréglés de la chair. "

2. I PIERRE, II, 11 : " Je vous exhorte, mes bien-aimés, à vous abstenir, comme étant étrangers et voyageurs en ce monde, des désirs charnels qui combattent contre l'esprit. "

3. Galates, V, 16-17 : " Or, je vous dis : Conduisez-vous selon l'esprit de Dieu, et vous n'accomplirez point les désirs de la chair : - Car la chair a des désirs contraires à ceux de l'esprit, et l'esprit en a de contraires à ceux de la chair ; ils sont opposés l'un à l'autre, de sorte que vous ne faites pas toujours les choses que vous voudriez. "

4. I Corinthiens, IX, 25-27 : " Or, tous les athlètes gardent en toutes choses une exacte tempérance : et cependant ce n'est que pour gagner une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible. - Moi donc, je cours, et je ne cours pas au hasard ; je combats, et les coups que je porte, je ne les porte pas en l'air ; mais je traite rudement mon corps, et le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. "

5. LUC, XXI, 34-36 : " Prenez donc garde à vous, de peur que vos cœurs ne s'appesantissent par l'excès des viandes et du vin, et par les soins trop occupants de cette vie, et que ce jour ne vienne tout d'un coup vous surprendre ; - car il enveloppera, comme un filet, tous ceux qui habitent sur la face de la terre. - Veillez donc, et priez en tout temps, afin que vous soyez trouvés dignes d'éviter tous ces maux qui doivent arriver, et de paraître avec confiance devant le Fils de l'homme. "

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6. I PIERRE, V, 8-9 : " Soyez sobres et veillez, parce que le démon votre ennemi tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un qu'il puisse dévorer. Résistez-lui donc, en demeurant fermes dans la foi. "

7. I Thessaloniciens, V, 5-8 : " Vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour ; nous ne sommes point enfants de la nuit ni des ténèbres. - Ne nous laissons donc point aller au sommeil comme les autres, mais veillons et gardons-nous de tout excès. - Car ceux qui dorment, c'est durant la nuit qu'ils dorment ; et ceux qui s'enivrent, c'est durant la nuit qu'ils s'enivrent. - Mais nous qui sommes enfants du jour, gardons nous de cet assoupissement et de cette ivresse, et armons-nous en prenant pour cuirasse la foi et la charité et pour casque l'espérance du salut. "

8. I Timothée, III, 2, 8, 1 : " Il faut que l'évêque soit irrépréhensible, qu'il n'ait été marié qu'une fois ; qu'il soit sobre, etc. - Que les diacres de même soient chastes ; qu'ils ne soient point doubles dans leurs paroles, ni adonnés au vin, ni avides d'un gain sordide. - Que les femmes de même soient chastes ; qu'elles ne soient point médisantes, qu'elles soient sobres, fidèles en toutes choses. "

9. II Timothée, IV, 5: " Pour vous, veillez continuellement. Souffrez constamment tous les travaux ; remplissez les devoirs d'un prédicateur de l'Evangile ; satisfaites à toutes les charges de votre ministère. Soyez sobres. "

10. Tite, I, 7-8 : " Il faut que l'évêque soit irréprochable, comme étant l'économe de Dieu ; qu'il ne soit ni altier, ni colère, ni adonné au vin, etc. - Mais qu'il exerce l'hospitalité, qu'il soit doux, sobre, juste, saint et tempérant. "

11. Id., II, 1-6 : " Mais, pour vous, n'enseignez rien qui ne soit digne de la saine doctrine. - Recommandez aux vieillards d'être sobres, chastes, prudents ; de se conserver purs dans la foi, dans la charité, dans la patience. - Apprenez de même aux femmes avancées en âge à faire voir dans tout leur extérieur une sainte modestie, et à n’être point médisantes ni sujettes au vin ; mais à donner de bonnes instructions, - de manière à inspirer la sagesse aux femmes plus jeunes qu'elles, leur apprenant à aimer leurs maris et leurs enfants ; - à être bien réglées, chastes et sobres, etc. - Engagez de même les jeunes gens à être sobres. "

12. Lévitique, X, 8-11 : " Le Seigneur dit aussi à Aaron : -

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Vous ne boirez, toi et tes enfants, ni vin, ni rien qui puisse enivrer, quand vous entrerez dans le tabernacle du témoignage, de peur que vous ne soyez punts de mort ; car c'est une ordonnance établie pour toute votre postérité ; - afin que vous sachiez discerner ce qui est saint ou profane, ce qui est pur ou impur, - et que vous appreniez aux enfants d'Israël toutes les lois et les ordonnances que je leur ai prescrites par le ministère de Moïse. "

13. Ephésiens, IV, 27 : " Ne donnez point entrée au démon. "

44. Ecclésiastique, XXXI, 12-13, 16-17, 19-22, 30-42 : " Etes-vous assis à une grande table, ne vous jetez point le premier sur les mets. - Ne dites pas : Qu'ils sont nombreux les mets servis sur cette table ! - N'y portez point le premier la main, de peur que l'envie ne vous déshonore et ne vous fasse rougir. - Ne vous empressez point étant au festin. - Usez comme un homme tempérant de ce qui vous est servi, de peur que vous ne vous exposiez au mépris en mangeant beaucoup. - Cessez le premier par modestie, et ne vous abandonnez à aucun excès, de peur de tomber dans le péché. - Si vous êtes assis au milieu d'un grand nombre de personnes, ne portez point le premier la main sur la table et ne demandez pas le premier à boire. - Un peu de vin n'est-il pas plus que suffisant à un homme réglé ? Vous n'éprouverez point ainsi d'agitations pendant votre sommeil, et vous ne sentirez point de douleur. - N'excitez point à boire ceux qui aiment le vin ; car le vin en a perdu plusieurs. - Le feu éprouve la dureté du fer, et le vin bu avec excès fait découvrir ce qu'il y a dans le cœur des orgueilleux. - Le vin bu avec sobriété est une seconde vie. Si vous en prenez modérément, vous serez calme. - Quelle est la vie d'un homme qui se laisse affaiblir par le vin ? - Qu'est-ce qui nous prive de la vie ? C'est la mort. - Le vin a été créé dès le commencement pour être la joie de l'homme, et non pour l'enivrer. - Le vin pris modérément est la joie de l'âme et du cœur. - La tempérance dans le boire est la santé de l'âme et du corps. - Le vin bu avec excès produit la colère et l'emportement, et attire de grandes ruines. - Le vin bu avec excès est l'amertume de l'âme. - L'ivresse inspire l'audace ; elle fait tomber l'insensé, elle ôte la force et cause des blessures à plusieurs. - Ne reprenez point votre prochain lorsqu'il boit à un festin, et ne le méprisez pas lorsqu'il s'abandonne à la gaieté. - Ne lui faites point de reproches, et ne le pressez point en lui redemandant ce qu'il vous doit. "

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15. Id., XIX, 1-2 : " L'ouvrier adonné au vin ne s’enrichira jamais ; celui qui néglige les petites choses se perdra peu à peu. - Le vin et les femmes font tomber les sages mêmes, et jettent dans l'opprobre les hommes sensés. "

16. Id., XXXI (comme ci-dessus, témoignage 14).

17. Ecclésiaste, X, 16-17 : " Malheur à toi, terre, dont le roi est un enfant, et dont les princes mangent dès le matin. - Heureuse est la terre dont le roi n'a que des habitudes nobles, et dont les princes ne mangent qu'au temps marqué, pour se nourrir, et non pour le plaisir du festin. "

18. Ecclésiastique, XXXVII, 32-34 : " Ne soyez jamais avide dans un festin, et ne vous jetez point sur tous les mets qui s'y trouvent : - car l'excès des viandes cause des maladies, et le trop manger donne la colique. - L'intempérance en a tué plusieurs ; l'homme sobre, au contraire, prolonge ses jours. "

19. MATTHIEU, III, 4 : " Or, Jean portait un vêtement fait de poils de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins ; sa nourriture consistait en des sauterelles et du miel sauvage. "

20. Id., XI, 8, 18-19 : " Mais qu'êtes-vous allé voir ? Un homme vêtu mollement ? Ceux qui sont ainsi vêtus habitent les palais des rois. - Jean s'est montré ne mangeant ni ne buvant, et ils disent de lui qu'il est possédé du démon - Le Fils de l'homme a paru mangeant et buvant, et ils disent : C'est un homme de bonne chère adonné au vin, ami des publicains et des pécheurs. Et la sagesse a été justifiée par ses enfants. "

21. MARC, I, 6 : " Jean portait un vêtement fait de poils de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins : sa nourriture consistait en des sauterelles et du miel sauvage. "

22. LUC, I, 15-17, 80 : " Il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin, ni rien qui puisse enivrer, et il sera rempli du Saint-Esprit des le sein de sa mère - Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu. - Et il ira devant lui dans l'esprit et la vertu d'Elie, pour réconcilier les pères avec leurs enfants, pour rappeler les incrédules à la prudence des justes, et pour préparer au Seigneur un peuple parfait. - Cependant l'enfant croissait, et se fortifiait en esprit ; et il demeurait dans le désert, jusqu'au jour où il devait paraître devant le peuple d'Israël. "

23. Id., VII, 25, 33-34 : " Mais qu'êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu mollement ? Vous savez que c'est dans les palais des rois que se trouvent ceux qui s'habillent magnifiquement, et qui

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vivent dans les délices. - Jean s'est montré ne buvant ni ne mangeant, et vous dites qu'il est possédé du démon. - Le Fils de l'homme a paru mangeant et buvant, et vous dites, etc. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. PROSPER, Lib. III de vitâ contemplativâ (Il est douteux que cet ouvrage soit de saint Prosper. V. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. V), c. 19 : " La tempérance rend celui qui la possède enclin à l'abstinence, à l'économie, à la sobriété, à la modération, à la pudicité, à la pratique du silence, aux habitudes sérieuses et modestes. Cette vertu, dans l'âme dont elle est maîtresse, réprime les passions, modère les affections, multiplie les saints désirs, corrige les penchants vicieux, met l'ordre dans toutes les facultés, l'y entretient si déjà il s'y trouve, éloigne les mauvaises pensées, en fait naître de saintes, éteint le feu des voluptés criminelles, dissipe la tiédeur et allume le désir des récompenses à venir, vous met dans une assiette tranquille, et à l'abri des tempête violentes que soulèvent les vices. La tempérance met à l'ordre l'intempérance de nos appétits par rapport au boire et au manger, et fait que nous sommes contents de ce qu'on nous sert, au lieu de demander impudemment ce que peut-être on ne saurait nous trouver, ou du moins ce dont la demande offenserait celui à qui nous l'aurions adressé ; demande qui, en tout cas, aurait pour effet de trahir la gourmandise qui nous dominerait. La tempérance fait de plus que nous nous gardions bien de condamner ceux qui s'abstiennent des mets que nous prenons nous-mêmes aussi bien que de faire de la honte à ceux qui usent, peut-être avec action de grâces des mets dont nous nous abstenons nous-mêmes, bien assurés qu'il serait malheureux pour nous de condamner notre prochain pour la nourriture ou la boisson qu'il juge à propos de prendre, ou de nous croire nous-mêmes saints pour l'abstinence qu'il nous convient de mettre en pratique. C'est encore un des effets de la tempérance, que de révérer les anciens, de prévenir d'honneur ceux de notre âge, de témoigner une affection paternelle à ceux qui sont plus jeunes que nous, de garder le silence devant les anciens quand ils parlent, d'attendre leurs ordres pour parler à notre tour, de ne pas trop élever la voix dans la conversation, de nous interdire les éclats de rire, de ne nous permettre jamais la médisance, non

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plus que de la souffrir dans les autres ; sachant bien que ceux qui médisent ceux qui approuvent la médisance sont également atteints du mal de la vanité. Car s'ils déprécient leur prochain, c'est pour se faire valoir eux-mêmes à ses dépens et pour donner à croire qu'ils sont exempts des défauts qu'ils reprennent dans les autres. Or la tempérance nous guérit de ce mal ; et celui qui en observera les règles, cherchera dans ses frères non quelque objet à critiquer, mais plutôt des sujets de louer Dieu. Et ainsi c'est à la tempérance qu'il appartient, non-seulement de nous rendre modérés dans tous nos actes, mais encore de nous rendre attentifs à tout ce qui pourra nous faire acquérir cette vertu. "

2. S. AMBROISE, Lib. I de Jacob et vitâ beatâ, c. 2 : " A la tête de nos passions sont le plaisir naturel et la douleur, et toutes les autres dérivent de ces deux premières qui les embrassent toutes ; car elles ne sont pas seulement des passions ou des affections corporelles, mais aussi des passions de l'âme. Et puisque, comme nous venons de le dire, toutes les autres passions sont subordonnées à ces deux-ci, disons donc que ce qui précède le plaisir c'est le désir et que ce qui vient à la suite du plaisir c'est le contentement ; et que de même ce qui précède la douleur c'est la crainte, et que ce qui vient à la suite de la douleur c'est la tristesse. Quant à l'émotion que l'âme peut éprouver, c'est une passion qui se rapporte également au plaisir et à la douleur. Je pourrais parcourir de même les autres passions, telles que l'orgueil, l'avarice, l'ambition, l'obstination, l'envie, qui sont autant de passions spirituelles ; et la gourmandise, l'impureté et l'impudicité, qui sont des passions charnelles. C'est à la tempérance surtout qu'il appartient d'éteindre l'ardeur de toutes ces passions diverses, comme c'est elle particulièrement qui met avant tout le calme dans l'âme et l'ordre dans ses facultés. L'abstinence par rapport aux mets délicats vient ensuite réfréner l'ardeur des sens rebelles. Si la loi interdit la licence des repas, l'abondance superflue des aliments, ce n'est pas seulement pour couper court aux désordres de la luxure ; c'est aussi pour nous indiquer, par cette interdiction même, les moyens de faire mourir en nous, et la gourmandise, et les autres passions corporelles, avec leurs mouvements tumultueux. La tempérance est donc l'avant-courrière de l'amendement des mœurs, la maitresse de la morale. C'est cette vertu qui fit. obtenir à Jacob de son frère lui-même le privilège du droit d'aînesse qu'il n'avait pas

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jusque-là ; et Esaü condamné par sa propre bouche, est un exemple fait pour apprendre aux intempérants de tous les siècles à venir, qu'ils s'avilissent de leur propre aveu. . . "

" Quel meilleur maître pouvons-nous désirer pour apprendre à éteindre ou à modérer nos ressentiments, que le patriarche Jacob, qui reprit ses propres fils Lévi et Siméon de ce qu'ils avaient fait, en leur disant : Vous m'avez rendu odieux aux peuples de ce pays, qui ne croiront plus pouvoir me tolérer (Gen., XXXIV, 30) ? Et pourtant ils avaient vengé l'outrage fait à leur sœur, qui avait été criminellement violée au mépris des mœurs traditionnelles. Jacob, ce grand maître de morale, ce fidèle gardien de la pudeur, ne pouvait pas sans doute approuver un attentat si criminel ; mais il eût mieux aimé faire rentrer les coupables en eux-mêmes, sachant bien que la raison pouvait contenir l'indignation dans de justes bornes. C'est donc la tempérance qui réprime les passions. C'est Dieu même qui enseigna cette vertu aux premiers hommes, lorsqu'il leur dit : Vous ne mangerez point du fruit de l'arbre qui est au milieu du paradis, et vous n'y toucherez point, de crainte que vous ne soyez frappés de mort (Gen., II, 17). Et pour n'avoir pas suivi cet avertissement de leur Dieu, devenus coupables contre cette belle vertu de la tempérance, nos premiers parents ont été bannis du paradis et dépouillés du privilège de l'immortalité. La loi nous l'enseigne de même et elle en grave le sentiment dans le cœur de tous les hommes. "

3. S. JEROME, in caput XLIV Ezechielis, sur ces paroles : Sufficiant vobis omnia scelera vestra, etc. (v.6 et 7) : " Contentez-vous, maison d'Israël, d'avoir commis tant de crimes ; d'avoir introduit dans mon sanctuaire des incirconcis de cœur et de chair, qui souillent et profanent ma maison. Que si les Juifs, et les Ebionites en particulier, consentent aujourd'hui à entendre, par la circoncision des oreilles, ne vouloir prêter l'oreille à rien de honteux ou de déshonnête et par la circoncision des lèvres, ne se permettre aucun propos indécent, disons-leur à notre tour : vous devez suivre la même interprétation par rapport à la circoncision du cœur et à la circoncision de la chair. Nous circoncisons notre cœur avec le couteau de Dieu, et nous enlevons le prépuce de notre chair, lorsque nous ne laissons sortir de notre cœur aucune pensée honteuse, en sorte qu'on ne puisse pas dire de nous : Le cœur de ce peuple s'est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes (Act., XXVIII, 27). De même,

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notre chair sera circoncise, si nous faisons le moins possible de ces actions grossières, que le besoin de soutenir notre corps nous met dans la nécessité de faire, comme de manger, de boire, de dormir, de nous couvrir de vêtement ; nous portons sur tout cela le couteau de la circoncision, lorsque nous remplissons ces fonctions, non par motif de luxure, ou de mollesse, ou de vain amusement, mais à cause du besoin de la nature et pour l'entretien de nos forces. Celui qui boit un peu de vin pour calmer ses maux d'estomac et remédier à ses fréquentes indispositions (I Tim., V, 23), et qui n'en déteste pas moins l'ivresse, celui-là circoncit vraiment sa chair. Celui qui prend la quantité de sommeil que réclame impérieusement la nature, pourra s'appliquer lui-même ces paroles de Salomon : Si vous dormez, vous craindrez point ; vous reposerez, et votre sommeil sera tranquille ; vous ne serez point saisi d'une frayeur soudaine, et vous ne craindrez point que la puissance des impies vienne vous accabler (Prov., III, 24-25). Pareillement, celui qui évite la fornication, et qui use du mariage avec son épouse en faisant attention à sa faiblesse, de peur de se laisser tenter par Satan, celui-là aussi pourra s'appliquer avec le peuple d'Israël les paroles suivantes : Aujourd'hui j’ai enlevé de dessus vous l'opprobre de l'Egypte (Jos., V, 9). Il se servira de même de vêtement pour écarter le froid, et non pour montrer, à travers la finesse de leur tissu, les formes nues de son corps. Celui qui affaiblit sa chair par les jeûnes, qui la circoncit par la continence, aura par-là même détourné de dessus lui l'opprobre des Egyptiens, qui sont des hommes gras et replets, et il pourra répéter comme on le lit dans les Septante : Combien ma chair n'est-elle pas desséchée ! Dans cette terre déserte, sans route et sans eau, je me suis présenté devant vous (ô mon Dieu) comme dans votre sanctuaire (Ps. LXII, 2-3). Si donc nous pensons quelquefois à introduire des étrangers dans le temple de Dieu, commençons par leur circoncire les oreilles, les lèvres, le cœur, le corps entier, la vue, le goût et l'odorat, pour nous conduire en tout avec la raison pour guide et d'après le principe de la crainte de Dieu. "

4. S. BERNARD, Serm. de nativitate S. Joannis Baptistæ : " Considérez cet homme qui a été promis par l'oracle de l'ange, conçu par miracle, sanctifié dans le sein de sa mère, et admirez la ferveur de pénitence toute nouvelle dans ce nouvel homme. Ayant la nourriture et le vêtement, nous dit l'Apôtre, nous savons nous en contenter (I Th., VI, 8). C'était là la perfection des

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apôtres, mais pour Jean c'était encore trop peu. Ecoutez en effet Notre-Seigneur vous dire dans l’Evangile : Jean-Baptiste est venu mangeant ni ne buvant (MATTH., XI, 18), et même n'étant pas vêtu. Et en effet, de même que les sauterelles ne sont pas une nourriture, si ce n'est peut-être pour quelques animaux sans raison, ainsi le poil de chameau n'est point un vêtement qui convienne à l'homme. Mais d'où vient que le chameau a quitté son poil ? Il vaudrait bien mieux qu'il se fût défait de sa bosse. Et vous, animaux sans raison et reptiles du désert, pourquoi cherchez-vous avec tant de soin des viandes délicates ? Jean, ce saint homme envoyé de Dieu, ou plutôt l'ange de Dieu, comme le déclare le Père éternel ; Jean, le plus grand des enfants des femmes, châtie son corps, tout innocent qu'il est, avec tant de rigueur ; il l'abat, il l'afflige ; et vous, vous ne travaillez qu'à revêtir le vôtre de pourpre et de fin lin, et à faire bonne chère. Hélas ! voilà en quoi consiste tout l'honneur qu'on rend à cette fête, et toute la vénération qu'on a pour le grand Jean-Baptiste. Voila toute la joie qui a été prédite à sa naissance ? Car, ô délicats observateurs de cette fête, de qui est-ce que vous célébrez la mémoire ? De qui solennisez-vous la naissance ? N'est-ce pas de celui qui n'était couvert que de poil de chameau, et qui s’était réduit à la dernière pauvreté ? O enfants de Babylone, qu'êtes-vous venus voir dans le désert ? Quoi ? un roseau battu des vents ? un homme vêtu délicieusement ? nourri de viandes délicates ? Car c'est en cela que vous faites consister toute la solennité de cette fête, à vous faire estimer du monde par la magnificence de vos habits, et par les délices de vos festins. Mais que revient-il à saint Jean de tout cet étalage, puisqu'il n'a rien pratiqué de semblable, et qu'il n'a jamais pris aucun plaisir de cette nature ? "

" Plusieurs, dit l’ange, se réjouiront à sa naissance (LUC, I, 14). Cela est vrai, plusieurs se réjouissent à sa naissance, et nous avons appris que les païens mêmes en font une fête. Mais ils solennisent ce qu'ils ignorent, et les chrétiens devraient le faire autrement. Les chrétiens se réjouissent aussi à la naissance de saint Jean-Baptiste, mais il serait à souhaiter que ce fût de cette nativité sainte, plutôt que de la vanité du siècle (Cf. Sermons de saint Bernard, trad. par le R. P. dom Antoine de Saint-Gabriel, feuillant, p. 150- 152). "

5. S. GREGOIRE, Hom. VI in Evangelia : " Vous n'ignorez pas

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que Jean avait un habit fait de poil de chameau ; et pourquoi Jésus dit-il que ceux qui sont vêtus avec luxe et mollesse sont dans les maisons des rois, sinon pour nous marquer clairement que ceux-là sont au service des rois de la terre, et non à celui du roi du ciel, qui ne veulent pas souffrir les adversités pour l'amour de Dieu, et qui, se donnant tout entiers aux choses extérieures, ne recherchent dans cette vie que les délices et les plaisirs ? "

" Que personne donc ne s'imagine qu'il n'y ait point de péché dans le luxe et dans la recherche des habits somptueux et magnifiques, puisque, s'il n'y avait point de mal à cela, le Seigneur n'aurait jamais loué saint Jean de la grossièreté et de la simplicité de ses vêtements. S'il n'y avait point, dis-je, de mal à cela, l'apôtre saint Paul ne se fût pas mis en peine pour retirer les femmes chrétiennes de la passion de s'habiller somptueusement, de leur écrire, de ne point porter de vêtement de trop de prix (I Tim., II, 9). Considérez donc quel mal c'est aux hommes de rechercher une vaine superfluité, que ce grand pasteur de l'Eglise aurait voulu faire disparaître ans les femmes mêmes (Cf. Les quarante homélies ou sermons de saint Grégoire-le-Grand, trad. par le duc de Luynes, p. 52). "
 
 

Question VI

Que nous enseigne l’Ecriture touchant la vertu de force ?

L'Ecriture nous exhorte suffisamment à la pratique de cette vertu, par-là même qu'elle s'attache à nous corriger d'une funeste pusillanimité et qu'elle nous recommande la confiance chrétienne, l'ardeur, la constance et la magnanimité. L'impie prend la fuite, dit Salomon, quoique personne ne le poursuive ; le juste au contraire n’éprouvera pas plus de terreur qu'un lion qui se confie dans sa force. Saint Pierre, de son côté nous donne l'avertissement suivant au sujet des ennemis que pourrait rencontrer la foi ou la piété : Ne les craignez point, et ne vous laissez point déconcerter par leurs menaces. Qui est-ce qui pourra vous nuire, si vous ne recherchez que le bien ? Eh ! quand même vous souffririez quelque mal pour la justice, vous seriez encore bienheureux en cela. Saint Paul aussi, cet invincible soldat de Jésus-Christ, exhorte souvent les fidèles à se revêtir de la vraie force, qui est la force chrétienne : Mes chers frères, nous dit-il, soyez fermes et inébranlables,

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sans cesse occupés à l'œuvre du Seigneur, assurés que vous êtes que Dieu ne laissera point votre travail sans récompense. Il disait encore : Mes frères, affermissez-vous en Dieu, et dans la puissance de sa vertu. Revêtez-vous de l'armure que Dieu vous offre, pour pouvoir résister toutes les embûches du démon, demeurer fermes dans les jours mauvais, et accomplir votre devoir en tout point. "

Il n'y a qu'un homme rempli de force qui puisse tenir un langage comme celui que nous allons copier tout-à-l'heure des Livres saints : J’ai mis mon espérance en Dieu ; je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire. - Le Seigneur est le protecteur de ma vie ; qui pourrait me faire trembler ? Quand des armées entières seraient levées contre moi, mon cœur serait sans crainte. Quand je marcherais au milieu des ombres de la mort, je n'aurais point de maux à craindre, parce que vous êtes avec moi. - Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? - Je puis tout en celui qui me fortifie. - Et David, cet intrépide roi, semble emboucher la trompette du combat, lorsqu'il adresse à tous les enfants de Dieu, compagnons de ses armes, les exhortations suivantes : Prenez courage, et que vos cœurs se rassurent, vous tous qui espérez dans le Seigneur. Soutenus par notre Dieu, nous ferons des prodiges, et c'est lui qui foulera nos persécuteurs sous ses pieds.

Enfin, la vie que doit mener un chrétien, c'est celle qui se conforme à toutes les lois de la prudence, de la justice, de la tempérance et de la force. C'est un juste tempérament de ces quatre vertus qui constitue ce sage milieu également à l'abri de tout excès comme de tout défaut. Et c'est ce que nous signifie l’Ecriture, quand elle dit : Ne vous détournez ni à droite, ni à gauche.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. MATTHIEU, X, 28 : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme, mais craignez plutôt celui qui peut précipiter dans l'enfer le corps et l'âme à la fois. "

2. Id., VIII, 23-26 : à Alors ses disciples s'approchèrent de lui, et le réveillèrent disant : Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons. - Jésus leur répondit : Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu de foi ? Puis se levant, il commanda aux vents et à la tempête, et aussitôt il se fit un grand calme. "

3. LUC, XII, 4-5 : " Je vous le dis donc à vous, qui êtes mes amis : Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent rien de plus. - Mais je vais vous apprendre qui vous devez craindre : Craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a encore le pouvoir de jeter dans l'enfer. "

4. ISAIE, VIII, 11-13 : " Le Seigneur, me tenant de sa main puissante, m'a instruit à ne point marcher dans la voie de ce peuple, et m'a dit : - Ne dites point : Faisons ensemble une conspiration ; car tout ce que dit ce peuple n'est qu'une conspiration. Ne craignez donc point leurs menaces, et ne vous laissez pas vaincre par leur terreur. - Mais rendez gloire à la sainteté du Dieu des armées ; ne craignez, ne redoutez que lui. "

5. Id., XXXV, 3-4 : " Fortifiez les mains languissantes, et affermissez les genoux tremblants. - Dites ceux qui ont le cœur abattu : Prenez courage ; ne craignez point : voici votre Dieu qui vient vous venger, et rendre aux hommes ce qu'ils méritent. Dieu viendra lui-même, et il vous sauvera. "

6. Id., XLI, 8-10, 13-14 : " Mais vous, Israël, mon serviteur ; vous, Jacob, que j'ai élu ; vous, race d'Abraham, qui a été mon ami ; - vous que j'ai tiré des extrémités du monde, que j'ai appelé à moi d'un pays lointain, - vous à qui j'ai dit : Vous êtes mon serviteur, je vous ai choisi pour moi, et je ne vous ai point rejeté. - N'ayez aucune crainte, je suis avec vous ; ne p.242 fin

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vous laissez pas abattre, je suis votre Dieu, votre force ; je vous ai secouru, et le juste que je vous envoie vous soutiendra de sa droite. C'est moi, le Seigneur votre Dieu, qui vous prends par la main, et qui vous dis : Ne craignez point, c'est moi qui suis votre soutien. - Ne craignez point, ô Jacob, quoique devenu comme un ver qu'on écrase ; ni vous, ô Israël quoique réduit jusqu'au néant : c'est moi qui viens vous secourir, dit le Seigneur, moi, le saint d'Israël votre rédempteur. . . "

7. Id., XLIII, 1-2, 4-5 : " Et maintenant voici ce que dit le Seigneur qui vous a créé, ô Jacob, et qui vous a formé, ô Israël : Ne craignez point ; je vous ai racheté, je vous ai appelé par votre nom : vous êtes à moi. - Lorsque vous marcherez à travers les eaux, je serai avec vous, et les fleuves ne vous submergeront point : lorsque vous marcherez dans le feu, vous n'en serez point atteint, et la flamme sera sans ardeur pour vous. - Depuis que vous êtes devenu précieux à mes propres yeux, et que je vous ai élevé en gloire, je vous ai aimé ; je sacrifierais les hommes et les nations pour vous sauver. - Ne craignez point ; je suis avec vous ; je vous amènerai une postérité de l'orient, et je rappellerai vos enfants de l'Occident. "

8. Id., XLIV, 2, 8 : " Voici ce que dit le Seigneur qui vous a créé, qui vous a formé, et qui vous a soutenu dés le sein de votre mère : Ne craignez point, à Jacob, mon serviteur, qui marchez dans la droiture du cœur et que j'ai choisi. - Ne craignez point, ne soyez point ébranlé. "

9. Id, LI, 7-8 : " Ecoutez-moi, vous qui aimez la justice, vous, mon peuple, qui avez ma loi gravé dans vos cœurs ; ne craignez point l'opprobre des hommes ; n'appréhendez point leurs blasphèmes : - car les vers les dévoreront comme un vêtement, la pourriture les consumera comme la laine. Mais le salut que je donnerai sera éternel, et ma justice subsistera dans la suite de tous les siècles. "

10. JEREM., X, 2-3 : " Voici ce que dit la Seigneur : Ne vous rendez point disciples des erreurs des nations, et ne craignez point les signes du ciel, comme ces nations les craignent ; car les lois des peuples de la terre ne sont que vanité. "

11. Ecclésiastique, VII, 9 : " Que votre cœur ne se laisse point aller à l’abattement. "

12. Id., XXXIV, 16 : " Celui qui craint le Seigneur ne tremblera point ; il n'aura point peur, parce que Dieu même est son espérance. "

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13. Proverbes, III, 25-26 : " Ne soyez point saisi d'une frayeur soudaine, et ne craignez point que la puissance des impies vienne vous accabler ; - car le Seigneur sera à vos côtés, et il gardera vos pieds, afin que vous ne soyez point pris dans le piège. "

14. Psaume III, 7-8 : " Je ne craindrai point le peuple innombrable qui m'environne ; levez-vous, Seigneur ; sauvez-moi, ô mon Dieu ! - Car c'est vous qui jusqu'ici avez frappé tous ceux qui me persécutent injustement ; c'est vous qui avez brisé les dents des impies. "

15. Id., XXII, 4 : " Quand même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai aucun mal, car vous êtes avec moi. "

16. Id., XXVI, 1-2, 5-6 : " Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que craindrais-je ? - Le Seigneur est le protecteur de ma vie, devant qui pourrais-je trembler ? - Quand une armée viendrait camper contre moi, mon cœur serait sans alarme. - Quand j'entendrais le signal du combat, je serais encore plein de confiance. "

17. Id., LV, 12 : " J'espère en Dieu, je suis sans crainte ; que peut l'homme contre moi ? "

18. Id., CXVII, 6-7 : " Le Seigneur est mon soutien ; qu'ai-je à craindre de la part des hommes ? - Le Seigneur est mon soutien ; je regarderai avec dédain ceux qui me haïssent. "

19. ISAIE, XII, 2 : " Je sais que Dieu est mon sauveur ; j'agirai sans crainte et avec confiance ; le Seigneur est ma force ; il est ma gloire, il s'est fait mon salut. "

20. Hébreux, XII, 1-5, 11-13 : " Puisque nous sommes entourés d'une si grande nuée de témoins, dégageons-nous de tout ce qui nous appesantit, et des liens du péché dont nous sommes environnés, et courons par la patience dans cette carrière qui nous est ouverte ;- en jetant les yeux sur Jésus comme sur l'auteur et le consommateur de la foi, qui, au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, a souffert la croix, en méprisant la honte et l'ignominie, et qui maintenant est assis à la droite du trône de Dieu. - Pensez donc en vous-mêmes à celui qui a souffert une si grande contradiction de la part des pécheurs afin que vous ne vous découragiez point, et que vous ne tombiez point dans l'abattement. - Car vous n'avez pas encore résisté jusqu’à répandre votre sang, en combattant contre le péché. - Et avez-vous oublié cette exhortation qui s'adresse à vous comme à des enfants de Dieu : Mon fils, ne laissez point se perdre pour

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vous la correction que le Seigneur vous inflige, et ne vous laissez pas abattre lorsqu'il vous reprend. - Or, tout châtiment, au moment où on le reçoit semble être un sujet de tristesse et non de joie ; mais ensuite il fait recueillir dans une profonde paix les fruits de la justice à ceux qui ont été ainsi exercés. - Relevez donc vos mains languissantes, et, fortifiez vos genoux affaiblis. - Marchez d'un pas ferme dans la voie droite ; et si quelqu'un vient chanceler, qu'il prenne garde à ne point s'égarer du chemin, mais plutôt qu'il se relève "

21. Proverbes, XXVIII (comme dans le corps de la réponse).

22. Job, XV, 20-22, 24 : " L'impie est le jouet de son orgueil tous les jours de sa vie, et le nombre des années de sa tyrannie est incertain. - Son oreille est toujours frappée de bruits effrayants, et durant la paix il croit qu'on forme contre lui de mauvais desseins. - Quand il est dans la nuit, il n'espère plus le retour de la lumière il ne voit de tous côtés que des épées nues. - L'adversité l'épouvante et les malheurs l'assiègent comme un roi qui se prépare à donner une bataille. "

23. Id., VI, 16 : " Ceux qui craignent la gelée sont accablés par la neige. "

24. Proverbes, XXIX, 25 : " Celui qui craint les hommes tombera bientôt dans un abîme ; et celui qui espère dans le Seigneur sera comme une citadelle élevée. "

25. Ecclésiastique, XXII, 20-23 : " La résolution d'un homme sensé ne se laissera affaiblir en aucun temps par la crainte. - Comme une palissade en un lieu élevé, et une muraille de pierre sans ciment ne peuvent résister à la violence du vent, - ainsi le cœur timide de l'insensé dans l'incertitude de ses pensées, ne résistera point à l'impression de la crainte. - Comme le cœur timide de l'insensé demeure toujours enfoncé dans sa pensée, ainsi est immuable celui qui se tient toujours attaché au commandement de Dieu. "

26. Psaume XIII, 9 : " Ils n'ont point invoqué le Seigneur ; ils ont tremblé et ont été effrayés là où il n'y avait aucun lieu de craindre. "

27. JEAN, XII, 42-43 : " Plusieurs néanmoins, et même des principaux des Juifs crurent en lui ; mais à cause des pharisiens, ils n'osaient le reconnaître publiquement, de crainte d'être chassés de la synagogue ; - Car ils aimaient plus la gloire des hommes que celle de Dieu. "

28. Apocalypse, XXI, 7-8 : " Celui qui sera victorieux possé-

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dera ces choses, et je serai son Dieu, et il sera mon fils. - Mais pour ce qui est des timides et des incrédules, des exécrables et des homicides, des fornicateurs et des idolâtres, des empoisonneurs et des menteurs, ils auront leur partage dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort. "

29. II Corinthiens, I, 17-19 : " Ayant donc formé ce dessein, est-ce par inconstance que je ne l'ai point exécuté ? Ou, quand je prends une résolution, cette résolution n'est-elle qu'humaine, et trouve-t-on ainsi en moi le oui et le non ? - Mais Dieu qui est véritable m'est témoin qu'il n'y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée. - Car Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui vous a été prêché par nous, c'est-à-dire, par moi, par Sylvain et par Timothée, n'est pas tel, que le oui et le non se trouvent en lui ; mais tout ce qui est en lui est une immuable vérité. "

30. MATTHIEU, XI, 7 : " Lorsqu'ils s'en furent allés, Jésus s'adressant au peuple, leur parla de Jean en ces termes : Qu'êtes vous allés voir dans le désert ? un roseau agité par le vent ? "

31. Galates, III, 3 : " Etes-vous si insensés qu'après avoir commencé par l'esprit, vous finissiez maintenant par la chair ? "

32. Proverbes, XV, 6 : " Il y a une grande force dans la maison du juste ; et il n'y a que trouble dans les fruits des œuvres de l'impie. "

33. Id., XXVII, 8 : " Un homme qui abandonne son propre lieu est comme un oiseau qui quitte son nid. "

34. Ecclésiastique, XXVII, 42 : " L'homme saint demeure dans la sagesse comme le soleil dans la lumière mais l'insensé est changeant comme la lune. "

35. I PIERRIE, II, 14 (comme dans le corps de la réponse).

36. Id., II, 19-21 : " Car ce qui est agréable à Dieu, c'est qu'en vue de lui plaire, nous endurions les maux et les peines qu'on nous fait souffrir injustement. - En effet, quel sujet de gloire aurez-vous, si c'est pour vos fautes que vous souffriez des outrages ? Mais si, en faisant le bien, vous les souffrez avec la patience, c'est là ce qui est agréable à Dieu. - Car c'est à quoi vous avez été appelés, puisque Jésus-Christ même a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous marchiez sur ses traces. "

37. Id., IV, 14-16 : " Vous êtes bienheureux, si vous souffrez des injures, des diffamations pour le nom de Jésus-Christ ; parce que l'honneur, la gloire, la vertu de Dieu et son esprit reposent

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sur vous. - Mais qu'aucun de vous ne souffre comme meurtrier, ou comme voleur, ou comme calomniateur, ou comme un homme coupable de convoiter le bien d'autrui. - S'il souffre comme chrétien, qu'il n'en ait point de honte ; mais qu'il en glorifie Dieu. "

38. MATTHIEU, V, 10-12 : " Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume du ciel est à eux. - Vous serez bienheureux, lorsque les hommes vous maudiront, qu'ils vous persécuteront et qu'à cause de moi ils diront faussement toute sorte de mal de vous. - Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est grande dans le ciel ; car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui vous ont précédés. "

39. LUC, VI, 22-23 : " Vous serez bienheureux lorsque les hommes vous haïront, qu'ils vous rejetteront, qu'ils vous diront des injures, et qu'ils auront votre nom en abomination, à cause du Fils de l'homme. - Réjouissez-vous en ce jour-là, et tressaillez de joie ; car voici qu'une grande récompense vous est réservée dans le ciel ; parce que c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. "

40. I Corinthiens, IV, 9 - 13 : " Car il semble que Dieu nous traite, nous autres apôtres, comme les derniers des hommes, comme ceux qui sont condamnés à mort, nous faisant servir de spectacle au monde, aux anges et aux hommes. - Nous sommes fous pour l'amour de Jésus-Christ, mais vous autres, vous êtes sages en Jésus-Christ ; nous sommes faibles, et vous êtes forts ; vous êtes honorés et nous sommes méprisés. - Jusqu'à cette heure, nous endurons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements ; nous n'avons point de demeure stable ; - nous travaillons avec beaucoup de peine de nos propres mains ; on nous maudit, et nous bénissons ; on nous persécute et nous le souffrons ; - on nous dit des injures, et nous répondons par des prières ; nous sommes regardés jusqu'à présent comme les ordures du monde, comme les balayures que tout le monde rejette. "

41. II Corinthiens, IV, 8 - 11 : " Nous subissons toutes sortes d'afflictions, mais nous n'en sommes point accablés ; nous nous trouvons dans des difficultés insurmontables, mais nous n'y succombons pas. - Nous sommes persécutés mais non pas abandonnés ; nous sommes renversés mais non pas perdus ; - portant toujours en notre corps la mort de Jésus, afin que lu vie

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de Jésus paraisse ainsi dans notre corps. - Car nous, qui vivons, nous sommes à toute heure livrés à la mort pour Jésus afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans notre chair mortelle. "

42. Id., VI, 1, 3-10 : " Etant donc les coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons à ne pas recevoir sa grâce en vain. - Nous prenons garde aussi de ne donner personne aucun sujet de scandale, afin que notre ministère ne soit point déshonoré. - Mais nous nous montrons en toutes choses tels que doivent être des ministres de Dieu, nous rendant recommandables par une grande patience dans les maux, dans les nécessités, dans les afflictions, - sous les coups, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes ; - par la pureté, par la science, par une douceur persévérante, par la bonté, par les fruits du Saint- Esprit, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la force de Dieu, par les armes de la justice, pour combattre à droite et à gauche ; - parmi l'honneur et l'ignominie, parmi la mauvaise et la bonne réputation ; comme des séducteurs, quoique sincères et véritables ; comme inconnus, quoique très-connus ; - comme toujours mourants, et vivants néanmoins comme châtiés, mais non jusqu’à la mort ; - comme tristes, et toujours dans la joie ; comme pauvres, et enrichissant bien des personnes ; comme n'ayant rien, et possédant tout. "

43. Ibid., XI, 23-28 : " Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? Quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis plus qu'eux. J'ai essuyé plus de travaux, reçu plus de coups, enduré plus de prisons ; je me suis vu souvent près de la mort. - J'ai reçu des Juifs jusqu'à cinq fois trente-neuf coups de fouet. - J'ai été battu de verges par trois fois ; j'ai été lapidé une fois ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer ; - j'ai été souvent en péril dans les voyages, en péril sur les fleuves, en péril de la part des voleurs, en péril parmi ceux de ma nation, en péril parmi les gentils, en péril au milieu des villes, en péril au milieu des déserts ; en péril sur la mer, en péril de la part des faux frères. - J'ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, des veilles fréquentes, la faim, la soif, des jeûnes réitérés, le froid et la nudité. - Outre ces maux extérieurs, le soin que j'ai des églises attire sur moi une foule d'affaires qui m'assiègent tous les jours. "

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44. Ibid., XII, 9-10 : " Je prendrai plaisir à me glorifier dans mes faiblesses, afin que la-vertu de Jésus-Christ habite en moi. - C'est pourquoi je me complais dans mes faiblesses, dans les outrages, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les, angoisses que je souffre pour Jésus-Christ car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort. "

45. Actes, XX, 22-24 : " Et maintenant, dit Paul, voici que, lié par le Saint- Esprit, je m'en vais à Jérusalem, sans savoir ce qui doit m'y arriver ; - si ce n'est que dans toutes les villes par où je passe, le Saint- Esprit me fait connaître que des chaînes et des tribulations m'y sont préparées. - Mais je ne crains rien de tout cela ; et je n'estime pas ma vie plus précieuse que moi-même, pourvu que j'achève ma course, et que j'accomplisse le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus qui est de prêcher l’Evangile de la grâce de Dieu. "

46. Ibid., XXI, 13 : " Alors Paul répondit en disant : Que faites-vous de pleurer ainsi et de m'attendrir le cœur ? Je suis tout prêt à souffrir à Jérusalem, non-seulement la prison, mais la mort même pour le nom du Seigneur Jésus. "

47. II Timothée, IV, 6-8 : " Car pour moi, je suis comme une victime qui a déjà reçu l'aspersion du sel pour être sacrifiée, et le temps de ma mort approche. - J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. - Il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée, que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce jour, et non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui désirent son avènement. "

48. Romains, VIII, 31, 38-39 : " Après cela, que devons nous dire ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? - Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction, ou les angoisses, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou la persécution, ou le glaive ? - Selon qu'il est écrit : On nous livre tous les jours à la mort à cause de vous, Seigneur ; on nous regarde comme des brebis destinées au sacrifice. - Mais parmi tous ces maux, nous demeurons victorieux par la vertu de celui qui nous a aimés. - Car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni la violence, - ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur . "

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49. I Corinthiens, XV, 58 (comme dans le corps de la réponse).

50. Id., XVI, 13-14 : " Soyez vigilants, demeurez fermes dans la foi, soyez pleins de courage et de force. - Faites avec amour tout ce que vous faites. "

51. Ibid., IX, 24 : " Ne savez-vous pas que, quand on court dans la lice, tous courent, mais un seul remporte le prix ? Courez donc de telle sorte que vous remportiez le prix. "

52. Romains, XI, 22 : " Considérez donc la bonté et la sévérité de Dieu ; sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers vous, si toutefois vous demeurez fermes dans l’état où sa bonté vous a mis ; autrement vous serez aussi retranchés. "

53. Galates, VI, 9 : " Ne nous lassons donc point de faire le bien, puisque, si nous ne perdons point courage, nous en recueillerons le fruit en son temps. "

54. II Thessaloniciens, III, 13 : " Et pour vous, mes frères, ne vous lassez point de faire le bien. "

55. Tobie, II, 18 : " Nous sommes les enfants des saints, et nous attendons la vie que Dieu doit donner à ceux qui ne violent jamais la fidélité qu'ils lui ont promise. "

56. Ecclésiaste, X, 4 : " Si la colère de celui qui a la puissance s'élève contre vous, ne sortez pas de votre calme ; car la douceur peut arrêter la plus grande violence. "

57. Ecclésiastique, IV, 33 : " Combattez pour la justice, en vue de sauver votre âme ; combattez pour elle jusqu'à la mort, et Dieu combattra pour vous et renversera vos ennemis. "

58. Ecclésiastique, V, 11-12 : " Ne tournez point à tout vent, et n'allez point par toutes sortes de roules ; car c'est ainsi que le pécheur se fait connaître par la duplicité de sa langue. - Soyez fermes dans la voie du Seigneur, dans la vérité de vos sentiments et dans votre science, et que la parole de paix et de justice vous accompagne toujours. "

59. Ibid., XI, 21-22 : " Demeurez ferme dans l'alliance que vous avez faite, entretenez-vous-en, et vieillissez dans la pratique de ce qui vous a été commandé. - Ne vous arrêtez point à ce que font les pécheurs ; mettez votre confiance en Dieu, et demeurez ferme dans votre place. "

60. II Chroniques, XV, 1-2, 7 : " Alors Azarias, fils d'Obed, fut rempli de l'Esprit de Dieu. - Il alla au-devant d'Asa, et lui dit : Ecoutez-moi, Asa, et vous tous, peuples de Juda et de Benjamin ; le Seigneur vous a assistés, parce que

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vous vous êtes tenus attachés à lui. Si vous le cherchez, vous le trouverez ; mais si vous le quittez, il vous abandonnera, etc. - Prenez donc courage, que vos mains ne s'affaiblissent point, et votre persévérance sera récompensée. "

61. JACQUES, V, 7-11 : " Vous autres, mes frères, persévérez dans la patience jusqu’à l'avènement du Seigneur. Vous voyez que le laboureur, dans l'espérance de recueillir le fruit précieux de la terre, attend patiemment les pluies de la première et de l'arrière-saison. - Soyez de même patients, et affermissez vos cœurs car l'avènement du Seigneur est proche. - Mes frères, n'ayez point d'aigreur les uns contre les autres, afin que vous ne soyez point condamnés. Voilà le juge qui est à la porte. - Prenez, mes frères, pour exemple de cette patience dans les maux et les afflictions, les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. - Vous voyez que nous les appelons bienheureux de ce qu'ils ont tant souffert ; vous avez appris aussi quelle a été la patience de Job, et comme le Seigneur l'a récompensé à la fin ; car il est plein de compassion et de miséricorde. "

62. Hébreux, X, 35-36 : " Ne perdez donc pas la confiance que vous avez, et qui doit recevoir une grande récompense. - Car la patience vous est nécessaire, afin qu'en faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir l'effet de ses promesses. "

63. MATTHIEU, X, 22 : " Et vous serez haï de tous à cause de mon nom ; mais celui qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé. "

64. Ibid., XXIV, 13 : " Celui qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé. "

65. Ephésiens, VI, 10-13 (comme dans le corps de la réponse).

66. ISAIE, XL, 28-31 : " Ne savez-vous point, n'avez-vous point appris que Dieu est le Seigneur éternel qui a créé toute la terre, qu'il ne se lasse point, qu'il ne se fatigue point, et que sa sagesse est impénétrable ? - Il rend la vigueur aux bras affaiblis, et il remplit de force les faibles. - L'adolescence se consume dans les travaux, et la force de la jeunesse a ses affaiblissements. - Mais ceux qui espèrent au Seigneur trouveront des forces toujours nouvelles ; ils s'élèveront sur des ailes comme l'aigle ; ils courront sans se fatiguer, et ne tomberont jamais en défaillance. "

67. Proverbes, XIV, 26 : " Celui qui craint le Seigneur est dans une confiance pleine de force, et ses enfants auront sujet de bien espérer. "

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68. II Chroniques, XVI, 9 : " Les yeux du Seigneur contemplent toute la terre (dit le prophète Hananie à Asa, roi de Juda), et donnent du courage à ceux qui croient en lui de tout leur cœur. Vous avez donc agi follement, et c'est pour cela que des guerres vont s'allumer contre vous. "

69. JACQUES, IV, 7 : " Soyez soumis à Dieu, résistez au démon, et il fuira loin de vous. "

70. I PIERREV, 8-10 : " Soyez sobres, et veillez ; car le démon notre ennemi tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer : Résistez-lui donc en demeurant fermes dans la foi, sachant que vos frères qui sont répandus dans le monde souffrent les même afflictions que vous. - Mais je prie le Dieu de toute grâce, qui nous a appelés en Jésus-Christ à son éternelle gloire, qu'après que vous aurez souffert un peu de temps, il vous affermisse, et vous établisse sur un solide fondement. "

71. Psaumes LV, 5 ; XXVI, 2-3 ; XXII, 4 ; Romains, VIII, 35 ; Philippiens, IV, 13 (comme dans le corps de la réponse).

72. I Samuel, XVII, 31-37 : " Or, ces paroles de David ayant été entendues de diverses personnes, elles furent rapportées à Saül. - Et Saül l'ayant fait venir devant lui, David lui parla de cette manière : Que personne ne s'épouvante de ce Philistin ; votre serviteur est prêt à aller le combattre. - Saül lui dit : Vous ne pourriez résister à ce Philistin, ni combattre contre lui, parce que vous êtes tout jeune, et que celui-ci a toujours été à la guerre depuis sa jeunesse. - Et David lui répondit : Lorsque votre serviteur menait paître le troupeau de son père, il venait quelquefois un lion, ou un ours qui emportait un bélier du troupeau : - alors je courais après eux, je les attaquais, et je leur arrachais leur proie d'entre les dents ; et lorsqu'ils se jetaient sur moi, je les prenais à la gorge, je les étranglais et je les tuais. - C'est ainsi que votre serviteur a tué un lion et un ours, et il en fera autant de ce Philistin. J'irai de ce pas contre lui, et je ferai cesser l'opprobre du peuple. - Car qui est ce Philistin incirconcis, pour oser maudire l'armée du Dieu vivant ? - Et David ajouta : Le Seigneur, qui m'a délivré des griffes du lion et de la gueule de l'ours, me délivrera encore de la main de ce Philistin. Saül dit donc à David : Allez, et que le Seigneur soit avec vous, etc. "

73. II Samuel, XIV, 17 : " Permettez donc à votre servante (dit la femme de Thécua à David) de vous supplier encore que la chose que le roi mon seigneur a ordonnée s'exécute. Car le roi mon

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seigneur est comme un ange de Dieu, qui n'est touché ni des bénédictions, ni des malédictions, c'est pourquoi le Seigneur est avec vous. "

74. Id., XVI, 5-13 : " Le roi David étant venu jusqu'auprès de Bahurim, il en sortit un homme de la maison de Saül, appelé Séméï, fils de Géra, qui, s'avançant dans son chemin, maudissait David, - lui jetait des pierres comme à tous ses gens, pendant que tout le peuple et tous les hommes de guerre marchaient à droite et à gauche à côté du roi. - Et il maudissait le roi en ces termes : Va-t'en, va-t'en, homme de sang, homme de Bélial. - Le Seigneur a fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül parce que tu as usurpé le royaume pour te mettre en sa place. Et maintenant le Seigneur fait passer le royaume entre les mains d'Absalon ton fils, et tu te vois accablé des maux que tu as faits, parce que tu es un homme de sang. - Alors Abisaï, fils de Sarvia, dit au roi : Faut-il que ce chien mort maudisse le roi mon seigneur ? Je m'en vais lui couper la tête. - Le roi dit à Abisaï : Qu'y a-t-il de commun entre toi et moi, enfant de Sarvia? Laisse-le faire ; car le Seigneur lui a ordonné de maudire David. Et qui osera lui demander pourquoi il l'a fait ? - Le roi dit encore à Abisaï et à tous ses serviteurs : Vous voyez que mon fils, qui est sorti de mon sang, cherche à m’ôter la vie ; à combien plus forte raison dois-je m'attendre à ce qu'un fils de Gémini me traite de cette manière ! Laissez-le faire, laissez-le me maudire selon l'ordre qu'i la reçu du Seigneur. - Et peut-être que le Seigneur regardera mon affliction, et me fera quelque bien pour ces malédictions que je reçois aujourd'hui. - David continuait donc son chemin, accompagné de ses gens, et Séméï qui le suivait, marchant à côté sur le haut de la montagne, le maudissait, lui jetait des pierres et faisait voler la poussière. "

78. Id., XVII, 7-8 : " Le conseil qu'a donné Archipotel ne me paraît pas bon pour cette fois. -Vous n'ignorez pas, ajouta-t-il, que votre père et les gens qui sont avec lui sont très-vaillants, et que maintenant ils ont le cœur outré, comme une ourse furieuse à qui on a ravi ses petits ; et votre père qui est un homme de guerre, ne s'arrêtera point avec ses gens. "

76. Id., XIII, 8-9 : " Voici les noms des plus vaillants hommes de David. Celui qui s'assit dans la chaire de la sagesse (Hadino Hesnite), le premier des trois, tua huit cents hommes sans se reposer. - Eléazar Ahohite, fils de Dodi, était le second entre les trois les plus vaillants qui se trouvaient avec David,

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lorsque les Philistins insultèrent Israël, et s'assemblèrent pour donner bataille, etc. "

77. Psaume XVII, 30 : " Par vous, Seigneur, je volerai à travers les rangs ; soutenu par mon Dieu, je franchirai les murailles. "

78. Id., XXX, 25 ; CVII, 14 (comme dans le corps de la réponse).

79. Hébreux, XI, 32-38 : " Que dirai-je de plus ? Le temps me manquerait, si je voulais parler de Gédéon, de Barac, de Samson, de Jephté, de David, de Samuel et des prophètes, - qui par la foi ont conquis des royaumes, ont accompli les devoirs de la justice, ont obtenu l'effet des promesses, ont fermé la gueule des lions, - ont arrêté la violence du feu, ont échappé au tranchant du glaive, ont été guéri de leurs maladies, ont déployé leur force dans les combats, ont mis en fuite les armées des étrangers - et ont rendu aux femmes leurs enfants, les ayant ressuscité après leur mort. Les uns ont été cruellement tourmentés, ne voulant point racheter leur vie présente, afin d'en trouver une meilleure dans la résurrection. - Les autres ont souffert les outrages, les fouets, les chaînes et les prisons ; - ils ont été lapidés ; ils ont été sciés ; ils ont été mis aux plus rudes épreuves ; ils sont morts par le tranchant du glaive ; ils ont mené une vie errante, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, - eux dont le monde n'était pas digne ; errant dans les déserts et sur les montagnes, se réfugiant dans les antres et dans les cavernes de la terre. "

80. DANIEL, III, 16-18 : " Sidrach, Misach et Abdénago répondirent au roi Nabuchodonosor : Il n'est pas nécessaire, ô roi, que nous vous répondions sur ce sujet ; - car notre Dieu, que nous adorons, peut certainement nous retirer du milieu des flammes de la fournaise, et nous délivrer ô roi ! d'entre vos mains. - Et quand il ne le voudrait pas, nous déclarons, ô roi ! que nous n'honorons point vos dieux, et que nous n'adorons point la statue d'or que vous avez fait élever. "

84. I Machabées, II, 19-22, 49-64 : " Mathathias lui répondit en élevant la voix : Quand toutes les nations obéiraient au roi Antiochus, et que tous ceux d'Israël abandonneraient la loi de leurs pères pour se soumettre à ses ordonnances, - nous obéirons néanmoins, mes enfants, mes frères et moi, à la loi de nos pères. - A Dieu ne plaise que nous en usions autrement ; il ne nous est pas utile d'abandonner la loi et les justes ordonnances

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de Dieu. - Nous n'obéirons point au commandement du roi Antiochus, et nous ne prendrons point une autre voie que celle que nous avons suivie, comme d'offrir des sacrifices, en violant les ordonnances de notre loi. - Après cela, le jour de la mort de Mathathias approchant, il dit à ses fils : Le règne de l'orgueil s'est affermi, voici un temps de châtiment et de ruine, d'indignation et de colère. - Soyez donc maintenant, mes enfants, de vrais zélateurs de la loi, et donnez votre vie pour le maintien de l'alliance de vos pères - Souvenez-vous des exploits qu'ont accomplis vos ancêtres, chacun dans leur temps, et vous acquerrez une grande gloire et un nom éternel. Abraham n'a-t-il pas été trouvé fidèle dans la tentation, et cela ne lui a-t-il pas été imputé à justice ? - Joseph a gardé les commandements de Dieu pendant tout le temps de son affliction, et il est devenu le seigneur de toute l'Egypte. - Phinées, notre père, en brûlant de zèle pour la loi de Dieu, a reçu la promesse d'un sacerdoce éternel. - Josué, en accomplissant la parole du Seigneur, est devenu le chef d'Israël. - Caleb, en rendant témoignage dans l'assemblée du peuple, a reçu un héritage dans la terre promise. - David, par sa douceur, s'est acquis un trône à jamais. - Elie, en récompense du zèle dont il était embrasé pour la loi, a enlevé dans le ciel. - Ananias, Azarias et Mizaël, pour prix de leur foi, ont été sauvés des flammes. - Daniel, dans la simplicité de son cœur, a été délivré de la gueule des lions. - Ainsi, considérez tout ce qui s'est passé de race en race, et vous trouverez que ceux qui mettent leur confiance en Dieu ne succomberont point sous la puissance de leurs ennemis. - Ne craignez donc point les paroles de l'homme pécheur, parce que toute sa gloire deviendra la proie des vers. - Il s'élève aujourd'hui, et il disparaîtra demain, lorsqu'il sera retourné dans la terre d'où il est venu, et que toutes ses pensées se seront évanouies. -Vous donc, mes enfants, armez- vous de courage, et agissez vaillamment pour la défense de la loi, parce que c'est elle qui vous comblera de gloire. "

82. II Machabées, VII, 1-3, 28-32 : " Or, il arriva que l'on prit aussi sept frères avec leur mère et que le roi voulut les contraindre à manger, contre la défense de la loi, de la chair de pourceau, en les faisant déchirer avec des fouets et des lanières de cuir de taureau. - Mais l'un d'eux, qui était l'aîné, lui dit : Que demandes-tu, et que veux-tu apprendre de nous ? Nous sommes prêts à mourir, plutôt que de violer les lois de Dieu et

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de notre pays. - Le roi, entrant dans une grande colère, commanda qu'on fit rougir sur le feu des poêles et des chaudières d'airain, et lorsqu'elles furent toutes brûlantes etc. - Mais la mère dit au plus jeune de ses fils : Je te conjure, mon fils, de regarder le ciel et la terre, et toutes les choses qu'ils renferment, et de bien comprendre que Dieu a fait toutes ces choses de rien, ainsi que la race humaine. - Tu ne craindras donc pas ce cruel bourreau ; mais te montrant digne de partager le sort de tes frères tu recevras la mort de bon cœur, afin que je te retrouve avec eux dans le sein de cette miséricorde qui nous attend. - Et comme elle parlait encore, ce jeune homme se mit à crier : Qu'attendez-vous de moi ? Je n'obéis point aux commandements du roi, mais au précepte de la loi qui nous a été donné par Moïse. - Quant à toi, qui es l'auteur de tous les maux dont on accable les hébreux, tu n'échapperas point de la main de Dieu ; car pour nous, c'est à cause de nos péchés que nous souffrons tous ces maux, etc. "

83. Actes, IV, 15-14, 18-19-20 : " Or, voyant la constance de Pierre et de Jean, et sachant d'ailleurs que c'étaient des hommes sans lettres et du commun du peuple, ils en furent tout étonnés ; ils savaient d'eux aussi qu'ils avaient été disciples de Jésus. - Et comme ils voyaient avec eux celui qui avait été guéri, ils n'avaient rien à leur opposer. - Et les ayant fait appeler, ils leur défendirent de parler et d'enseigner au nom de Jésus. - Mais Pierre et Jean leur répondirent en ces termes : Jugez vous-mêmes s'il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu’à Dieu ; - car pour nous, nous ne pouvons nous dispenser de rendre témoignage des choses que nous avons vues et entendues. "

84. Id., V, 27-29 : " Quand ils les eurent amenés, ils les présentèrent au conseil ; et le grand-prêtre leur parla en ces termes : - N e vous avions-nous pas expressément défendu d'enseigner en ce nom-là ? Et cependant vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine ; et vous voulez faire tomber sur nous le sang de cet homme. - Pierre et les apôtres répondirent en disant : Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes, etc. "

85. Id., V, 40-41 : " Et ayant fait venir les apôtres, ils leur défendirent, après les avoir fait battre de verges, de parler à l'avenir au nom de Jésus ; et ils les laissèrent aller. - Alors les apôtres sortirent du conseil, étant tous remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus. "

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86. Apocalypse, II, 7-11, 26-28 : " Que ce lui qui a des oreilles écoute ce que l'Esprit dit aux Eglises : Je donnerai au vainqueur à manger du fruit de l’arbre de vie, qui est au milieu du paradis de mon Dieu. - Ecris aussi à l'ange de l'Eglise de Smyrne : Voici ce que dit celui qui est le premier et le dernier, qui était mort, et qui est vivant : - Je sais votre affliction et votre pauvreté ; mais vous êtes riche, et vous êtes calomnié par ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas, mais qui sont la synagogue de Satan. - Ne craignez rien de ce qu'on vous fera souffrir. Le démon fera mettre quelques-uns de vous en prison, afin que vous soyez éprouvés ; et vous aurez à souffrir pendant dix jours. -Soyez fidèles jusqu'à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie. - Que celui qui a des oreilles écoute ce que l'Esprit dit aux Eglises : Celui qui sera vainqueur ne recevra point d'atteinte de la seconde mort. - Et quiconque sera victorieux, et aura persévéré jusqu’à la fin dans mes œuvres, je lui donnerai puissance sur les nations ; - il les gouvernera avec un sceptre de fer, et elles seront brisés comme un vase d'argile, - selon que j'en ai reçu le pouvoir de mon père et je lui donnerai l'étoile du matin. "

87. Id., III, 5, 11-12, 21 : " Celui qui sera victorieux sera ainsi vêtu de blanc ; et je n'effacerai point son nom du livre de vie, et je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges. - Je viendrai bientôt ; conserve ce que tu as, de peur que quelque autre ne remporte ta couronne. - Quiconque sera victorieux, je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu ; il n'en sortira plus, et je graverai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la ville de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, venant de mon Dieu, et je graverai sur lui mon nom nouveau. - Celui qui sera victorieux, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi, qui ai vaincu, je me suis assis moi-même avec mon Père sur son trône. "

88. Proverbes, IV, 27 (comme dans le corps de la réponse).
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

l. S. BERNARD, epist. CXXIX ad Januenses : " Que nous reste-t-il maintenant à faire, mes bien-aimés, que de vous exhorter à la persévérance, qui seule mérite aux hommes la vraie gloire, et la couronne à leurs vertus ? Car sans la persévérance, celui qui combat ne peut être vainqueur, et le vainqueur lui-même ne reçoit point le prix de la victoire. Elle entretient les forces, elle

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perfectionne les vertus, elle nourrit le mérite, elle obtient la récompense ; elle est la sœur de la constance, la fille de la patience, l'amie de la paix, le nœud des amitiés, l'union des cœurs, le rempart de la sainteté. Otez la persévérance, les services ne méritent plus de salaire, ni les bienfaits de reconnaissance, ni la valeur de louanges. En un mot, ce ne sera pas celui qui aura commencé mais celui qui aura persévéré jusqu'à la fin qui sera sauvé. Tant que Saül est petit à ses propres yeux, il règne sur Israël ; mais aussitôt qu'il se désiste de son humilité, il perd le royaume et la vie. Si la prudence de Samson et la piété de Salomon eussent été accompagnées de persévérance, l'un n'aurait pas perdu ses forces, ni l'autre sa sagesse. Je vous recommande et vous conjure de conserver inviolablement ce témoignage de l'honneur véritable, ce dépositaire unique et fidèle de toute la probité (Cf. Les Lettres de saint Bernard, traduites par Villefore, t. Ier, pag. 459-460). "

2. S. PROSPER, lib III de Vitâ contemplativâ, c. 20 : " On doit entendre par la force d'âme dont nous parlons, celle non-seulement qui demeure inébranlable au milieu de toutes les traverses, mais encore qui résiste à tous les attraits des voluptés. Car autrement, si après avoir conjuré tous les orages, bravé toutes les tempêtes, surmonté tous les écueils face à tous les malheurs, supporté toutes les injures, triomphé de toutes les haines, résisté à toutes les persécutions, elle s'attribue à elle-même le mérite de sa constance, au lieu d'en rapporter à Dieu la gloire ; si elle prend un vain plaisir à se voir applaudie du peuple ; si elle se réjouie plutôt des éloges qu'elle reçoit que de ce qui les lui a mérités, et qu'ainsi elle préfère la louange des hommes aux dons de Dieu lui-même, qui peut douter qu'une telle disposition d'esprit ne mérite pas le nom de vertu ? Car si c'en était une véritable, elle résisterait fortement aussi a de telles séductions et après être sortie heureusement, avec la grâce de Dieu, des épreuves les plus pénibles, elle ne se laisserait pas vaincre par de perfides louanges. Il est des hommes, en effet, que leur cupidité même rend invincibles à toutes les disgrâces, et dont la patience mérite moins notre éloge que leur ténacité notre étonnement. Mais ceux au contraire que l'amour de Dieu rend forts contre les souffrances, ne se laissent corrompre ni par les attraits de la chair, ni par les séductions de l'esprit : car si le mérite de

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la patience consiste bien moins dans ce que l'on souffre que dans le motif pour lequel on le fait, la patience n'est véritable que dans ceux qui, non contents de souffrir sans se laisser abattre, le font avec courage par amour pour la justice. Enfin Notre-Seigneur n'a pas dit simplement, Bienheureux ceux qui souffrent, mais il a dit : Bienheureux ceux qui souffrent pour la justice, pour nous faire voir à tous que ce qui constitue la vertu de patience, ce n'est pas ce qu'on souffre mais le sujet pour lequel on souffre ; et c'est pour cela que la béatitude est promise, non pas précisément à ceux qui endurent la persécution mais à ceux qui l'endurent pour la justice. S'il en est ainsi, la résistance à l'adversité n'est patience, à proprement parler, que lorsqu'elle est juste ; et la patience n'est juste que dans ceux dont la constance invincible triomphe également des chagrins et des douceurs de la vie. Mais cette force d'âme ne peut nous venir que de celui à qui nous disons avec le Prophète : Le Seigneur est ma force et ma gloire, et il est devenu mon salut (ISAIE, XII, 2). Il est notre force, parce qu'il nous rend invincibles à tous les vices, en sorte que nous ne nous laissions ni corrompre par la prospérité, ni abattre par l'adversité et il est notre gloire, si nous désirons qu'il soit glorifié au sujet des dons que nous recevons de lui, au lieu de nous servir de ses dons pour nous faire valoir nous-mêmes. Enfin, si nous reconnaissons que le Seigneur est notre salut, ce n'est pas à notre vertu que nous pourrons en attribuer le mérite. Que celui donc qui met sa force dans le Seigneur ne se laisse vaincre ni par les désirs charnels, ni par les voluptés, et qu'il se montre supérieur à l'ambition et à la gloire humaine. Qu'il ne se fasse pas l'esclave de la passion de l'argent, qu'il ne se laisse pas abattre par les pertes et les souffrances. Que Dieu soit toute sa gloire, toute sa joie, toute son espérance, toute sa sécurité, toute sa ressource, toute sa force en un mot ; qu'au contraire tout lui déplaise en ce monde de ce qui flatte les âmes charnelles ; que tout lui paraisse vil de ce que le monde estime comme de prix ; que les choses de ce monde les plus éclatantes ne lui paraissent que boue en comparaison des biens à venir, et que les obstacles dont il a déjà triomphe avec la grâce de Dieu ne finissent pas par triompher de lui à leur tour : car il serait trop honteux d'être vaincu soi-même à la fin par des vices qu'on aurait vaincus dès on début dans la carrière, et il ne nous servirait de rien d'avoir remporté la victoire d'un côté, si par suite de notre négligence nous nous laissions vaincre d'un autre. Pour être

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vraiment fort en effet, il ne suffit pas d'avoir fait briller son courage dans les périls et les dangers, d'avoir réprimé et dompté les voluptés ; mais pour mériter ce nom dans toute son étendue, pour être vraiment grand en ce point, il faut avoir su résister à tous les vices, ne s'être laissé dominer par aucun, et ne pas succomber à des tentations de lâcheté qui nous représenteraient comme impossible ce dont nous pourrions cependant venir à bout ; ne pas succomber non plus à une vaine présomption qui nous porterait à nous attribuer à nous-mêmes ce que nous ne pouvons qu'avec la grâce de Dieu ; parce que, soit que nous désespérions de la grâce de Dieu qui nous rendrait capables, soit que nous présumions de nous-mêmes et de notre pouvoir, dans un cas comme dans l'autre nous ne pourrons être forts contre le vice. Et assurément, la force d'âme exclut aussi bien le découragement de la lâcheté que la jactance de la présomption. "

3. S. AMBROISE, Lib. 1 officiorum, c. 33 : " Nous parlerons maintenant de la force, qui, plus noble que toutes les autres vertus, se rapporte ou à la vie militaire ou à la vie domestique. Mais l'étude de la vie militaire semble sortir de notre sujet, parce que nous nous occupons moins des fonctions du corps que de celles de l'esprit ; notre travail a pour but la paix plutôt que la guerre. Nos pères, comme Josué, Jérobaal, Samson, David, ont cependant cueilli des lauriers sur les champs de bataille. Ainsi la force est la plus noble des vertus ; mais jamais cette vertu ne marche seule. . . . . Le courage militaire n'est pas le seul qui mérite nos éloges ; nous devons aussi honorer le courage de ceux qui, animés de la foi, surent, par leur grande âme, fermer la gueule des lions, arrêter la violence du feu, échapper au tranchant du glaive, et sortir plus forts de l'état d’infirmité (Hébr., XI, 34) ; qui ne se faisaient pas entourer de légions ni ne remportaient de ces victoires dont la gloire se partage entre le général et ses soldats, mais qui, seuls avec leur vertu, ont triomphé de l'infidélité. Quelle gloire peut égaler celle de Daniel, qui, entouré de lions rugissants, ne pâlit même pas ? Les bêtes féroces frémissaient ; et lui, il mangeait sans se troubler. "

4. Ibidem, c. 36 : " Ainsi le courage tire tout son mérite moins de la force et de la vigueur corporelles que de la vertu, qui nous fait une loi, non de faire le mal, mais de le réprimer. En effet, celui qui, pouvant écarter un mal de son prochain, néglige de le faire, est aussi criminel que celui qui le lui fait endurer. . . "

" C'est avec raison qu'on donne le nom de courage ou de

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force à la vertu par laquelle l'homme se vainc lui-même, maîtrise sa colère, ne se laisse émouvoir et séduire par aucun attrait, ne se laisse point abattre par l'adversité, ni enfler par la prospérité, ni entraîner par le courant des vicissitudes humaines. Qu'y a-t-il de plus grand, comme de plus noble, que de cultiver son esprit, de dompter et de maîtriser son corps, de le forcer d'obéir aux ordres, et de céder aux conseils de l'âme qui le gouverne, en sorte que, dans les travaux qu'il exécute, il ne fasse que remplir les desseins que celle-ci s'est proposés ? - C'est donc là le premier emploi de la vertu de force ; car la force d'âme peut se montrer en deux espèces de choses différente : 1° dans le mépris qu'on fait des biens extérieurs et corporels, les regardant comme superflus et comme plus dignes de dédain que d'ambition ; 2° dans la constance avec laquelle on recherche tout ce qui est vraiment grand, tout ce qui porte un caractère d'honnêteté et de convenance (??????). Est-il rien d'aussi beau que d'habituer notre cœur à n'estimer plus qu'il ne faut ni les richesses, ni les plaisirs, ni les honneurs, et à ne jamais nous y attacher exclusivement ? Quand votre cœur sera ainsi disposé, vous regarderez nécessairement le devoir et la vertu comme préférables à tout le reste ; vous vous y appliquerez assez fortement pour que tous les événements qui pourraient briser votre courage, comme la perte de votre patrimoine, une disgrâce de la fortune, ou les calomnies des infidèles, ne puissent vous affecter d'ma manière sensible. Ensuite, les dangers même auxquels serait exposée votre vie, ne vous feront point reculer devant l'accomplissement d'un devoir. Telle est la force d'âme d'un véritable athlète de Jésus-Christ qui ne recevra de couronnes qu'autant qu'il aura légitimement combattu (II Tim., II, 5). "

5. Ibidem, c. 37 : " Comme dans toutes nos entreprises nous devons chercher non-seulement ce qui est bien, mais aussi ce qui est praticable, pour ne pas nous exposer à entreprendre des choses que nous ne pourrions accomplir ; ainsi, dans le temps des persécutions, Dieu veut que nous nous retirions de ville en ville, et, pour dire le mot, que nous prenions la fuite ; il n'approuve pas que, par un désir même louable de la gloire du martyre, on s'expose témérairement à des dangers, auxquels la faiblesse de la chair ou la pusillanimité de l'esprit nous mettrait hors d'état de résister. "

6. Ibidem, c. 38 : " D'un autre côté, il ne faut pas que la

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lâcheté porte personne à quitter son poste et à violer ses engagements par la crainte des maux dont on peut être menacé. Mais on doit s'armer de force, et opposer à tous les dangers une constance invincible, en sorte que l'âme ne puisse être ni troublée par aucune crainte, ni brisée par aucune infortune, ni vaincue par aucune souffrance. C'est là, je l'avoue, une perfection difficile à atteindre ; mais comme on consent à affronter tous les supplices pour éloigner le danger d'autres supplices encore plus grands, vous pourrez vous former à cette longanimité si c'est pour vous un plan arrêté de toujours écouter la voix de la raison, et de ne jamais vous écarter de votre devoir, en rappelant à votre esprit le jugement de Dieu et les supplices éternels que sa justice réserve aux réprouvés. "

7. Ibidem, c. 39 : " La force d'âme n'est donc pas une vertu médiocre ou tellement distincte des autres, qu'elle leur fasse la guerre ; mais c'est elle seule, au contraire, qui protège et défend les autres vertus, qui soutient les causes justes, qui lutte à outrance contre tous les vices, sans se laisser vaincre par la fatigue, ni effrayer par le danger, ni corrompre par le plaisir, ni séduire par la flatterie, a laquelle, bien loin d'y prêter l'oreille, elle ne daigne pas même attirer son attention ; n'ayant que du mépris pour l'argent, et fuyant l'avarice comme une peste mortelle à la vertu ; car rien n'est plus opposé à la force d'âme, que de se laisser vaincre par l'amour du gain. . . La force d'âme doit donc écarter et détruire ce détestable vice, et se montrer inaccessible à la cupidité comme à la crainte ; car le devoir de la vertu est de poursuivre avec force et courage la destruction de tous les vices qui pourraient l'empoisonner. Elle doit aussi, avec les armes qui lui sont propres, réprimer la colère qui nous ferait perdre la réflexion, et s'en garder comme d'une maladie. Elle doit également se mettre en garde contre l'amour de la gloire, qui souvent est funeste quand on la désire avec trop d'aideur, et l'est même toujours quand elle est usurpée. - Laquelle est-ce de ces vertus qui ait manqué au saint homme Job, ou lequel est-ce de ces vices qui ait souillé son cœur ? Avec quelle patience ne supporta-t-il pas les épreuves de la maladie, du froid et de la faim ? Quel mépris n'avait-il pas de la vie ? Etait-ce par rapine qu'il avait amassé ces richesses dont il aimait à secourir les indigents ? A-t-il jamais nourri dans son cœur l'avarice, l'amour du plaisir, ou toute autre passion ? Les injustes reproches que lui firent les trois rois, les insultes de ses propres serviteurs le

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firent-ils entrer en colère ? Se laissait-il emporter par la vaine gloire, comme une bulle de savon que le vent emporte, lui qui appelait sur lui toute sorte de maux (Job, XXXI, 53), si jamais il avait caché ses fautes même involontaires, ou si jamais le respect humain l'avait empêché d'en faire la confession devant tout le monde ? Car les vertus n'ont point de sympathie avec les vices ; mais elles se soutiennent mutuellement elles-mêmes. Qui donc eut jamais autant de force d'âme que le saint homme Job ? Trouvera-t-on quelqu'un qui l'ait surpassé, tandis qu'il serait si difficile de trouver même son égal ? "

8. Ibidem, c. 40 et 41. Saint Ambroise rapporte ici plusieurs exemples, tiré des Livres saints, de la force à déployer, soit dans les combats, soit dans les adversités.

9. S. BERNARD, De consideratione, l. II, c. 40 : " Tenez-vous au milieu, si vous ne voulez pas sortir de la modération. Le milieu est en tout le plus sûr parti. C'est le siège de la modération ; et la modération, c'est la vertu même. Tout ce qui sort des bornes de la modération est étranger au sage ; aussi ce dernier ne veut-il ni aller plus loin que la modération ne le lui commande, ni s'écarter à droite ou à gauche de ce qu'elle exige de lui, ni s'élever plus haut, ni s'arrêter plus bas qu'elle ne lui prescrit ; car aller plus loin, c'est de l'excès se tenir côté, c'est travers ; s'élever au-dessus, c'est orgueil ; rester en-dessous, c'est pusillanimité. Je m'explique ainsi, pour que vous n'ayez pas à m'opposer l'exhortation que nous fait l'Apôtre (Ephés., III, 18), d'essayer de comprendre avec tous les saints une tout autre espèce de longueur, de largeur, de hauteur et de profondeur, que celle dont je parle ici ; quant à cette autre espèce, je me réserve d'en parler ailleurs. Mais en ce moment, et pour la chose dont je parle, j'appelle excès de longueur, relativement au juste milieu ou se tient le sage, l'imprudence qu'on commettrait, par exemple, en se promettant une longue vie ; largeur, les soins superflus auxquels l'esprit pourrait se livrer ; hauteur, la sotte vanité qu'on aurait de présumer de soi-même ; et profondeur, le découragement auquel on s'abandonne quelquefois. Celui-là donc qui se promet une longue vie n'excède-t-il pas-dans sa route, en poussant ses soins inquiets au-delà du terme que comporte son existence ? De là vient que, s'oubliant soi-même et s'exilant, pour ainsi dire, du présent, on se donne des soins inutiles pour un avenir qui ne viendra jamais, et dont, par conséquent, on ne pourra jamais disposer. De même celui

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qui s'occupe de trop de choses à la fois, s'engage immanquablement dans mille sujets d'inquiétude ; ce trop d'occupations l'épuise et cet épuisement qu'il éprouve lui cause un déchirement intérieur. Quant à la présomption, que de ruines n'amène-t-elle pas à sa suite ! Vous avez lu sans doute cette sentence du Sage (Prov., XVI, 16), que l'orgueil précède la ruine de l'âme, et que l'esprit s'élève avant la chute. Que, d'un autre côté, on se laisse abattre par le découragement, cette pusillanimité ne jette-t-elle, pas bientôt dans l'abîme du désespoir ? "

" Une âme forte saura éviter ce dernier défaut. L'homme prudent ne se laissera point séduire par l'espoir incertain d'une longue vie. L'homme tempérant restreindra ses occupations, et s'abstiendra de tous soins superflus, ce qui ne l'empêchera pas de déployer son zèle toutes les fois qu'il sera à propos. L'homme juste enfin ne présumera point de lui-même, mais il dira avec ce juste des anciens temps (Job, X, 15) : Si je suis juste, je ne lèverai point la tête. "

" Il faut donc vous conduire avec précaution dans cette considération de vous-même, tenir en tout la balance égale, ne vous rien attribuer de ce qui ne vous appartient pas, ne rien abandonner de ce doit vous appartenir. "



CHAPITRE III.

DES DONS ET DES FRUITS DE L’ESPRIT-SAINT.


Question I

Combien y a-t-il de dons du Saint-Esprit ?

Nous en trouvons sept nommés dans le prophète Isaïe et dans les Pères de l'Eglise, savoir : l'esprit de sagesse, l'esprit d'intelligence, l'esprit de conseil, l'esprit de force, l'esprit de science, l'esprit de piété, et enfin l'esprit de la crainte du Seigneur.

Ces sept dons ou ces sept esprits, si l'on peut ainsi parler, ont paru en Notre-Seigneur Jésus-Christ plus parfaitement qu'en aucune créature. Car c'est lui véritablement qui est plein de grâce et de vérité ; en lui réside substantiellement la divinité dans sa plénitude. C'est de sa plénitude que nous avons reçu, tous tant que nous

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sommes, et c'est lui qui nous a donné part aux dons à l'Esprit-Saint. Enfin, comme nous le dit l’Apôtre, si quelqu'un n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, il n'est point du nombre des siens.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. ISAIE, XI, 1-3 : " Il naîtra un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur sortira de sa racine. - L'Esprit du Seigneur se reposera sur lui, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété ; - et il sera rempli de l'Esprit de la crainte du Seigneur. "

2. JEAN, I, 14 : " Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous ; et nous avons vu sa gloire, sa gloire, dis-je, telle qu'elle convient au Fils unique du Père plein de grâce et de Vérité. "

3. Colossiens, II, 8-9 : " Prenez garde que personne ne vous ravisse votre foi par la philosophie et par des raisonnements vains et trompeurs, qui ne sont fondés que sur les traditions des hommes, et sur les principes d'une science mondaine, et non sur la doctrine de Jésus-Christ. - Car c'est en lui que la plénitude de la divinité habite corporellement. "

4. JEAN, I, 16-17 : " Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce. - Car la loi a été donnée par Moïse mais la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ. "

5. I JEAN, IV, 43 : " Ce qui nous fait connaître que nous demeurons en lui, et lui en nous, c'est qu'il nous a rendus participants de son esprit. "

6. Romains, VIII (comme dans le corps de la réponse).
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. JEROME, in caput XI Isaiæ prophetæ : " C'est sur cette fleur (Jésus-Christ) sortie tout-à-coup du tronc et de la racine de Jessé par la vierge Marie, que l'esprit du Seigneur reposera, parce qu'il a plu au Père que toute la plénitude de la divinité

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résidât substantiellement en lui, non partiellement, comme dans les autres saints, mais, comme le porte l’Evangile hébreu suivi par les Nazaréens. Toute la plénitude de l’Esprit-Saint (" Omnis fons Spiritus Sancti. " Il ne nous a pas été possible de rendre plus littéralement ces mots de la traduction de saint Jérôme, à moins qu'on n'aime mieux traduire de cette autre manière : Toute l'eau spirituelle dont l'Esprit-Saint est la source ; ce qui nous servirait à expliquer le témoignage de saint Ambroise, qui va être rapporte plus bas, à la suite de celui-ci) descendra sur lui. Or cet esprit, c'est le Seigneur ; et là où est l'esprit du Seigneur, là est aussi la liberté. Nous lisons dans le même Evangile de saint Matthieu, à la suite de ces première paroles : Voici mon serviteur que j'ai élu, mon bien-aimé dans lequel j'ai mis toute mon affection : je ferai reposer mon esprit sur lui, et il annoncera la justice aux nations (MATTH., XII, 18) ; nous lisons, dis-je, ces paroles appliquées au Sauveur, à celui sur qui l'esprit du Seigneur s'est reposé, c'est-à-dire, en qui il a fixé sa demeure pour toujours ; non pour s'envoler et puis redescendre, mais pour demeurer perpétuellement, suivant le témoignage de Jean-Baptiste, qui a dit : J’ai vu le Saint- Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas ; mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint- Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit (JEAN, I, 32-34). Or, dans l’Evangile déjà cité, nous trouvons ces mots : " Il arriva qu'après que Jésus fut sorti de l'eau, toute la plénitude de l'Esprit-Saint descendit et se reposa sur lui, et lui dit : Mon fils, j'attendais dans tous les prophètes que tu vinsses, pour que je reposasse sur toi. Car tu es mon repos ; tu es mon fils premier-né qui règne éternellement. " Le même qui est appelé l'Esprit du Seigneur est appelé aussi l'Esprit de sagesse : car toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. Nous lisons aussi dans les Psaumes : Que vos œuvres sont grandes et excellentes, Seigneur ! Vous avez fait toutes choses avec une souveraine sagesse (Ps. CIII, 24). L'Apôtre de son côté appelle Jésus-Christ la vertu et la sagesse de Dieu (I Cor., I, 50). Et on lit dans les Proverbes : Le Seigneur a fondé la terre par sa sagesse, il a établi les cieux par son intelligence (Prov., III, 19). Et de même que c'est un même Verbe de Dieu qui est appelé lumière, vie et résurrection, ainsi c'est un même Esprit qui est appelé esprit de sagesse, d'intelligence, de conseil, de force, de science, de piété et de crainte de Dieu : non

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que ce soient autant d'esprits différents qu'il y a ici de noms énumérés, mais c'est que le même Esprit est la source et le principe de toutes les vertus. Sans Jésus-Christ par conséquent, personne ne peut être ni sage, ni intelligent, ni habile à donner conseil, ni doué de force ou de science, ni pieux, ni craignant Dieu. Observons aussi que tous ces noms énumérés forme le nombre sept ; ce qui rappelle les sept yeux gravés sur la pierre que voyait Zacharie (ZACH., III, 9) ; et que ces sept yeux ou ces sept dons reposent sur le rejeton et sur la fleur sortie de la tige de Jessé la même que celle de David ; ensuite, que c'est particulièrement l'esprit de la crainte du Seigneur qui a dû remplir ce rejeton ou cette fleur, à cause de ceux qui, étant encore enfants, ont besoin d'être conduits par la crainte ; mais plus tard, cette crainte sera chassé par la charité parfaite. Car la crainte est accompagnée de peine, et celui qui craint n'est point parfait dans la charité (I JEAN, IV, 48). De là vient que l'Apôtre dit aux fidèles : vous n'avez point reçu l'esprit de servitude pour vous conduire encore par la crainte, mais vous avez reçu l'esprit d'adoption par lequel nous crions : Mon père, mon père (Rom., VIII, 15). Et nous lisons dans Malachie : Si je suis votre père, où est l'honneur que vous me rendez ? et si je suis votre Seigneur, où est la crainte respectueuse que vous me devez (MALACH., I, 6) ? C'est encore de cette crainte qu'il est dit dans un psaume : Venez, mes enfants, écoutez-moi je vous enseignerai la crainte du Seigneur (Ps. XXXIII, 12). "

2. S. AMBROISE, lib. I de Spiritu sancto, c. 20 : " Qu'on sache que l'Esprit-Saint est appelé du nom d'eau, et même de celui de fleuve, selon ce qui est écrit : Des fleuves d'eau vive sortiront de son cœur. Or, il disait cela de l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui (JEAN, VII, 38). Donc l'Esprit-Saint est un fleuve, et un très-grand fleuve qui, comme le dit l’Evangile des Hébreux, a coulé de Jésus sur la terre, ainsi qu'il est d'ailleurs annoncé dans plusieurs endroits des prophéties d'Isaïe : fleuve immense qui coule toujours et ne tarit jamais. Et ce n'est pas seulement un fleuve, mais c'est de plus toute une mer débordée selon ce qu'a dit David, qu'un fleuve réjouit la cité de Dieu par l'abondance de ses eaux rapides (Ps. XLV, 5). Car cette cité de Dieu ou cette Jérusalem dont parle le Prophète n'a pas pour l'arroser un fleuve de la nature de ceux que nous connaissons ; mais elle a pour désaltérer ses habitants l'Esprit-Saint, cette source de vie, qui coule par ses sept canaux, ou par ses sept

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dons, parmi les chœurs des esprits célestes, des trônes, des dominations, des puissances, des anges et des archanges, et dont ici-bas quelques faibles ruisseaux suffisent pour étancher notre soif spirituelle. Car si un fleuve déborde quand ses eaux s'élèvent plus haut que ses rives, à combien plus forte raison l'Esprit-Saint, qui surpasse toute créature, doit-il, je ne dis pas seulement se répandre avec abondance dans nos âmes comme un fleuve qui couvre son lit de ses eaux, mais encore s'élever au-dessus de toutes les créatures même célestes et les réjouir par l'abondance de ses eaux. Et qu'on ne se fasse pas une difficulté de ce que l’Ecriture semble parier ici de plusieurs fleuves, flumina, comme ailleurs de sept esprits ; car ce sont là des expressions mystérieuses pour signifier la plénitude des sept vertus spirituelles, qui sont, comme le dit Isaïe, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété et l'esprit de la crainte de Dieu. Ce n'est donc qu'un même fleuve, mais qui coule par plusieurs canaux dont chacun répand son espèce particulière de dons spirituels. "

3. S. AUGUSTIN, Serm. CCIX de tempore, c. 4 (Ce prétendu sermon de saint Augustin (CCIX de tempore) n'est pas de lui, puisqu'il est dirigé contre l'hérésie d'Eutychès, qui n'a paru que depuis la mort du saint docteur. V. NAT. ALEX., Hist. eccl. sæc V, pag. 111, édit. de Venise) : Dans la circonstance rapportée par saint Jean (JEAN, VI, 9), il y avait cinq pains, ce qui nous signifie les cinq livres de Moïse dans celle que rapporte ici saint Matthieu (MATTH., XV, 34), il se trouve sept pains, qui nous représenter les dons de l'esprit septiforme, que nous a fait connaître le saint prophète Isaïe (ISAIE, XI, 2) : L'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété, et l’esprit de la crainte du Seigneur le remplira. Là étaient douze corbeilles remplies, comme les apôtres l'ont été de l'Esprit-Saint ; ici je vois les sept Eglises, ou les sept chandeliers d'or. Là deux poissons, qui sont les deux Testaments, ou bien encore, si l'on veut, le livre renfermant tous les prophètes d'une part, et la prédication de saint Jean de l'autre : ici le nombre des poissons reste indéfini, pour marquer mieux les dons spirituels dont parle l'Apôtre en ces termes : L'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler dans une haute sagesse ; un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ; un autre reçoit la foi par le même Esprit ; un autre reçoit du même Esprit la grâce de guérir les maladies ; un autre le don

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de faire des miracles ; un autre le don de prophétie, un autre le discernement des esprits ; un autre le don de parler diverses langues ; un autre l’interprétation des langues : or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (I Cor., VIII, 11). La c'est sur l'herbe que le peuple s'étend ; ici c'est sur la terre. Des deux côtés même conduite, même grâce, même vertu, même divinité. Là on s'assied sur l'herbe, c'est-à-dire qu'on mortifie les œuvres de la chair : car toute chair n'est que de l'herbe, comme dit le prophète (ISAIE, XL, 6). Ici on s'assied à terre, c'est-à-dire qu'on foule aux pieds toutes les choses de la terre. Là se trouvent nourries cinq mille personnes, nombre qui représente le peuple juif. Car, après l'ascension du Sauveur, comme saint Pierre parlait encore, cinq mille Juifs ont été baptisés (Act., IV, 4). Ici quatre mille, qui représentent tous les peuples de la terre qui, des quatre points du ciel, ont été remplis des sept dons de l'Esprit-Saint. C'est pourquoi, mes chers frères, nous qui croyons, non par le bienfait de la loi, mais par celui de la foi, en Notre-Seigneur Jésus-Christ ; nous qui avons été rachetés, non à cause de nos œuvres, mais par l'effet de la grâce ; nous qui avons été rassasiés, non avec cinq pains ou par la lecture des livres de Moïse, mais avec les sept dons du Saint-Esprit annoncés en ces termes par Isaïe : L'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété et l'esprit de la crainte du Seigneur le remplira : demeurons fidèles à la grâce de cet esprit multiforme, à laquelle nous avons été appelés, remplis que nous avons été de l'Esprit-Saint. "

4. Le même, Serm. XVII de Sanctis, qui est printus de Annuntiatione dominicâ, c. 2 : " Le prophète Isaïe nous recommandant les sept dons de l'Esprit-Saint que connaissent tous les fidèles, a commencé par celui de sagesse pour finir par celui de la crainte de Dieu, en descendant pour ainsi dire du plus haut des cieux jusqu’à nous, pour nous apprendre à nous-mêmes à nous élever au plus haut des cieux. Car il a commencé par ce qui doit être le terme de nos vœux, et il a fini par ou nous devons commencer. L'Esprit de Dieu, nous dit-il, reposera sur lui : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, esprit de la crainte du Seigneur (ISAIE, XI, 2). De même donc que ce n'est pas par défaillance, mais pour notre enseignement qu'il est descendu du degré de perfection le plus élevé, qui est la sagesse, jusqu'au moins élevé de tous, qui est la crainte ; ainsi ce n'est point par orgueil, mais par un véritable progrès

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que nous devons nous élever de la crainte à la sagesse. Car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse (Ecclé., I, 46). C'est là en effet cette vallée de larmes dont le Psalmiste a dit : Heureux l’homme qui, dans cette vallée de larmes, a résolu dans son cœur de monter et de s’élever toujours jusqu'au lieu que le Seigneur a établi (Ps. LXXXIII, 6-7). Cette vallée signifie l'humilité ; or, qui est humble, sinon celui qui craint Dieu, et qui pénètre son cœur de cette crainte en y mêlant les larmes de la confession et de la pénitence. Car Dieu ne rejette point un cœur contrit et humilié. Après avoir donc nommé la sagesse la première la sagesse, dis-je, qui est la lumière inextinguible de nos esprits, il a nommé ensuite l'intelligence, comme pour répondre à ceux qui demanderaient le chemin pour arriver à la sagesse, que ce chemin est l'intelligence ; à ceux qui demanderaient ensuite le chemin pour arriver à l'intelligence, que ce chemin c'est le conseil ; et pour arriver au conseil, la force ; et pour arriver à la force, la science ; et pour arriver à la science, la piété et pour arriver à la piété, la crainte de Dieu. Donc, pour arriver à la sagesse, le chemin c'est avant, tout la crainte, puisque le commencement de la sagesse c'est la crainte du Seigneur. "

5. Le même, lib. I de sermone Domini in monte, c. 3, faisant la comparaison des béatitudes avec les dons du Saint- Esprit : " De ces huit béatitudes, sept nous font avancer dans la perfection ; car pour la huitième elle nous glorifie, pour parler plus juste, en faisant voir que nous avons atteint la perfection, à laquelle les autres, à commencer par la première sont comme autant de degrés pour parvenir. . . . . "

Ibidem, c. 4 : " Il me semble que les sept vertus de l'Esprit-Saint dont parle le prophète Isaïe se rapportent aussi à ces degrés. Mais il est curieux d'examiner dans quel ordre. Dans le Prophète, l’énumération commence par ce qu'il y a de plus élevé dans l’Evangile, c'est tout le contraire. En effet, le Prophète commence par nommer la sagesse, et finit par la crainte de Dieu ; mais la crainte du Seigneur n'est que le commencement de la sagesse. Si donc nous comptons en remontant de degrés en degrés, nous trouvons pour premier degré la crainte de Dieu, pour deuxième la piété, pour troisième la science, pour quatrième la force, pour cinquième le conseil, pour sixième l'intelligence, et pour septième la sagesse. Or, la crainte de Dieu convient aux humbles, de qui il est dit ici : Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux, les pauvres d'esprit,

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c’est-à-dire ceux qui ne s'enflent point d'orgueil, ce qui a fait dire à l’Apôtre : Prenez garde de vous élever et tenez-vous dans la crainte (Rom., XI, 20). La piété convient à ceux qui sont doux. Car celui qui cherche (Dieu) avec piété révère la sainte Ecriture, et se garde bien de critiquer ce qu'il ne saurait comprendre ; en conséquence, il ne résiste point, et c'est là le propre de ceux qui sont doux. C'est pour cela qu'il est dit ici : Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre en héritage. La science convient à ceux qui pleurent, parce que l’Ecriture leur fait connaître combien est misérable et funeste ce que dans leur ignorance ils avaient désiré comme bon et utile, et c'est d'eux qu'il est dit ainsi : Bienheureux ceux qui pleurent présentement. La force convient à ceux qui ont faim et soif. Car leurs désirs les portent à travailler pour acquérir les vrais biens, et à faire leurs efforts pour détacher leurs cœurs des choses terrestres comme de toutes les choses visibles. C'est donc de ces derniers qu'il est dit ici : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Le conseil convient aux miséricordieux ; car l'unique remède pour échapper à de si grands maux, c'est de pardonner, comme nous voulons qu'il nous soit pardonné, et d'aider les autres en ce que nous pouvons, comme nous désirons que les autres nous aident en ce que nous ne pouvons pas nous-mêmes. Et c'est d'eux qu'il est dit ici : Bienheureux les miséricordieux parce que Dieu leur fera miséricorde, et le reste. L'intelligence convient à ceux qui ont le cœur pur, et par-là même la vue de l'esprit assez nette pour discerner ce que les yeux du corps ne sauraient voir, ce que les oreilles de l'homme n'ont point entendu, et ce que le cœur de l'homme n'a point compris ; et c'est d'eux qu'il est dit ici : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, et le reste. La sagesse convient aux pacifiques, en qui tout est dans l'ordre, sans un seul mouvement de révolte contre la raison, mais en qui tout obéit à l'esprit, comme l'esprit lui-même de l'homme obéit à Dieu ; et c'est d'eux qu'il est dit ici : Bienheureux les pacifiques. Mais pour tous ces différents genres de vertus il n'y a qu'une même récompense, qui est le royaume des cieux, assigné de même à chacun de ces degrés. Il est nommé ainsi qu'il devait l'être dès le premier degré ; car il doit être le partage de ceux qui auront atteint le plus haut degré ou la perfection de la sagesse. Ainsi, dire que bienheureux sont les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux, c'est rappeler que le commencement de la sagesse c'est la crainte du Seigneur. "

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6. Le même, De doctrinâ christianâ, lib. II, c. 7 : " Il faut d'abord que la crainte de Dieu nous tourne entièrement vers lui, pour nous mettre en état de connaître sa volonté, ou ce qu'il nous commande de chercher ou de fuir. Il est nécessaire que cette crainte imprime fortement dans notre âme la pensée de notre condition mortelle et de notre mort prochaine, et que, réprimant les désirs de la chair, elle cloue, pour ainsi dire, à la croix toutes les saillies de l'orgueil. Il faut ensuite que le don de piété nous rende dociles et disposés à ne point nous révolter contre l’Ecriture, soit quand nous l'entendons et que nous remarquons qu'elle attaque quelqu'un de nos défauts, ou quand nous ne l'entendons pas, comme si nous pouvions mieux juger et mieux ordonner qu'elle-même : mais nous devons plutôt croire à nous bien convaincre que ce qui est écrit dans ces endroits est plus juste et plus vrai, tout obscur qu'il soit, que tout ce que nous pouvons discerner par nous-mêmes. Après ces deux degrés de la crainte et de la piété, on vient au troisième qui est la science, et c’est de celui-là particulièrement que je me suis propose de parler. C'est à ce degré que tâchent d'arriver tous ceux qui se plaisent à étudier les divines Ecritures, ou ils savent bien qu'ils ne trouveront autre chose, sinon qu'il faut aimer Dieu pour l'amour de lui-même, et le prochain pour l'amour de Dieu ; aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et le prochain comme soi-même ; c'est-à-dire, que tout l'amour que nous avons pour le prochain et pour nous-mêmes, doit se rapporter à Dieu. . . Il faut donc d'abord que chacun, en ouvrant les Ecritures, se reconnaisse enveloppé dans l'amour du siècle et de toutes les choses de la terre, et très-éloigné de cet amour de Dieu et du prochain que l’Ecriture lui prescrit. Alors la crainte qui rappelle en lui le jugement de Dieu, et la piété qui le soumet avec une pleine conviction à l'autorité des livres saints, le contraignent de verser des larmes sur sa misère. Car cette science qui produit dans l'homme l'espérance de la béatitude, ne lui apprend pas à présumer, mais à gémir. C'est par ces gémissements et par des prières ferventes, qu'il obtient la consolation du secours divin qui l’empêche de tomber dans le découragement et de là il arrive au quatrième degré, qui est la force, où il commence à être affamé et altéré de la justice. Ce sentiment le détache de la funeste joie qu'il trouvait dans les choses passagères, et, par ce détachement, lui tourne entièrement le cœur vers les biens

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éternels, c'est-à-dire vers l'unité de la Trinité immuable. Du plus loin qu'il la voit briller, ébloui d'une si grande lumière, dont il ne peut soutenir les rayons, il s'élève au cinquième degré, qui est le conseil. Là, il considère combien il doit purifier, au moyen des œuvres de miséricorde, son âme agitée et irritée contre elle-même de toutes les souillures qu'elle a contractée dans l'amour des biens périssables. C'est alors qu'il s'exerce avec ardeur et se perfectionne dans l'amour du prochain, et que rempli d'espérance et de force quand une fois il est parvenu jusqu'é l'amour de ses ennemis, il monte au sixième degré, où il se purifie l'œil dont Dieu peut être vu, autant qu'il peut l'être par ceux dont tous les efforts et tous les soins ne tendent qu'à mourir au monde. Car plus on meurt aux créatures, plus on voit Dieu ; et plus on vit pour elles, plus Dieu se cache. Ainsi, quoique cette lumière infinie commence à paraître non-seulement plus aisée à soutenir et plus certaine, mais encore plus agréable à la vue de notre esprit, l’Apôtre dit néanmoins qu'on ne la voit qu'en énigme et dans un miroir (I Cor., XIII, 12), parce que, tant que nous sommes voyageurs ici-bas, quoique par nos désirs nous habitions déjà dans le ciel, nous marchons vers Dieu par la foi, plutôt que nous n'en jouissons par une claire vue (II Cor., V, 7). Ce sixième degré purifie tellement l'œil du cœur que celui qui y est élevé n'établit plus d'injustes comparaisons entre lui-même ou son prochain, et la vérité souveraine. Ce juste aura donc le cœur si simple et si purifié, que ni l'envie de plaire aux hommes, ni l'attention à éviter tout ce qui s'oppose à sa joie et à ses commodités dans cette vie, ne pourront lui arracher l'amour de la vérité. C'est ainsi que cet enfant de Dieu s'élève jusqu'à la sagesse, qui est le septième degré où il se repose dans une paix parfaite. Le commencement de la sagesse est la crainte (Ps. CX), et c'est de cette crainte, qu'en passant par les autres degrés on tend à la sagesse et qu'on y arrive (Cf. Les livres de la doctrine chrétienne de saint Augustin, pag. 78-80). "

7. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Hom. XIX sur Ezéchiel : " On monte à la porte par sept degrés (ISAIE, XI, 1-2), parce que c'est au moyen des sept dons du Saint-Esprit que peut s'ouvrir pour nous le royaume des cieux. C'est de ces sept dons, et comme se trouvant réunis dans notre divin chef, ou dans nous-mêmes qui sommes son corps, qu'Isaïe fait l'énumération lorsqu'il dit : Sur

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lui reposera l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété et il sera rempli de l'esprit de la crainte de Dieu. Pour compter ces degrés, le Prophète s'est pour ainsi dire placé dans le ciel, et il les a comptés en descendant de là, plutôt qu'en remontant, comme il eût pu le faire, savoir, dans l'ordre que voici : la sagesse, l'intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte. Et puisqu'il est écrit que le commencement de la sagesse c'est la crainte du Seigneur (Prov., IX, 10), il s'ensuit évidemment que c'est en partant de la crainte qu'on peut s'élever à la sagesse ; mais, la sagesse atteinte une fois, on ne retourne pas à la crainte, parce que la sagesse renferme la perfection de la charité et qu'il est écrit : La charité parfaite chasse la crainte (I JEAN, IV, 18). Le Prophète donc, nous parlant comme d'en haut, commence de préférence par la sagesse, et descend par degré jusqu’à la crainte. Mais nous, qui tendons de la terre au ciel, nous comptons ces mêmes degrés en remontant, et de manière que, partant pour ainsi dire de la crainte, nous puissions parvenir jusqu’à la charité. Et en effet, dans cette échelle spirituelle que nous nous formons, le premier degré d'ascension, c'est la crainte du Seigneur ; le second, c'est la piété ; le troisième c'est la science ; le quatrième c'est la force ; le cinquième, c'est le conseil ; le sixième, c'est l'intelligence, et le septième, c'est la sagesse. Je veux que la crainte du Seigneur soit en nous ; mais à quoi nous servira-t-elle, si elle n'est escortée de la piété ? Car si quelqu'un ne sait pas avoir pitié (On voit ici que le saint docteur entend par la piété comptée pour le sixième des dons du Saint-Esprit, non la piété envers Dieu, mais la piété, c'est-à-dire la tendresse à l'égard du prochain, dans le même sens qu'il est d'usage de dire la piété filiale) de son prochain et compatir à ses tribulations, la crainte de Dieu qu'il peut avoir n'est rien aux yeux de Dieu lui-même, parce qu'elle ne s'élève pas jusqu’à la piété. Mais souvent la piété s'égare par une compassion mal réglée, en ménageant par exemple, des désordres qui ne doivent pas être ménagés. Car on doit reprendre avec sévérité les péchés qui pourraient attirer à ceux qui s'en rendent coupables les feux éternels de l'enfer. Au lieu qu'une piété mal réglée, en épargnant une correction temporelle, ménage pour l'avenir des supplices éternels. Pour que la piété soit réglée pour que ce soit une véritable piété, elle doit donc s'élever jusqu’à la science, c'est-à-dire qu'il faut qu'elle sache ce qu'elle

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doit punir avec une rigueur miséricordieuse, ou ce qu'elle doit pardonner avec indulgence. Mais à quoi servirait-il de savoir ce qu'on doit faire, si l'on n'a pas la force de le faire ? Notre science doit donc s'élever jusqu'à la force, pour qu'en même temps qu'elle voit ce qui est à faire, elle ait la force de l'exécuter sans être ébranlé par la crainte, sans se laisser dérouter par la peur, et qu'elle puisse s'assurer les biens dont elle apprécie l'excellence. Mais souvent la force, si elle est imprévoyante ou trop peu sur ses gardes, s'engage imprudemment dans le vice. Qu'elle s'élève donc jusqu'au conseil, pour se prémunir contre les excès dans ce qu'elle se porte à entreprendre. Mais le conseil sans l'intelligence, que serait-il ? Comment s'assurer un appui pour faire le bien qu'on a en vue, si l'on n'a pas en même temps l'intelligence du mal à éviter ? Du conseil donc, élevons-nous jusqu’à l’intelligence. Mais encore, quel bien en résultera-t-il si, doué d'une intelligence à laquelle rien n'échappe nous ne savons sagement nous modérer ? De l'intelligence donc, élevons nous jusqu'à la sagesse, et qu'en nous la sagesse dispose avec maturité ce que l'intelligence a trouvé à l'aide de son regard pénétrant. Puis donc que nous nous élevons à la piété par la crainte, à la science par la piété, à la force par la science, au conseil par la force, à l'intelligence par le conseil, à la sagesse enfin par l'intelligence, c'est par sept degrés que nous montons jusqu’à la porte qu'il nous reste à ouvrir pour entrer dans la vie de l'esprit. "

8. S. GREGOIRE- LE-GRAND, Moralium in Job, lib. I, c. 28, (al. 11) : " Il eut sept fils et trois filles (Job, I, 12). Nous avons sept fils, lorsque notre cœur concevant de bonnes pensées, enfante, pour ainsi parler, les sept vertus du Saint- Esprit. Le dénombrement de ces productions intérieures dont la fécondité de l'Esprit de Dieu remplit notre âme, nous est marquée par ces paroles d'un prophète : L'Esprit du Seigneur se reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété et l'esprit de la crainte du Seigneur le remplira (ISAIE, II, 2). Lors donc que, par la venue du Saint-Esprit dans notre cœur, s'engendrent en nous la sagesse, l'intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte du Seigneur, c'est comme une postérité durable qui naît dans notre âme, et qui y perpétue la noblesse de notre divine extraction, pour la faire vivre d'autant plus longtemps, qu'elle la joint et la lie à l'amour de l'éternité. "

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" Or, ces sept fils ont trois sœurs en nous, parce que ces vertus joignent à la foi, à l'espérance à la charité, tout ce qu'elles produisent de mâle et de généreux. Car ces sept fils ne peuvent parvenir à la perfection du nombre de dix, si tout le bien qu'ils font n'est uni à ces trois filles du ciel, la foi, l'espérance et la charité (Cf. Les Morales de saint Grégoire, t. Ier, p. 80). "

9. Ibidem, lib. XXXV, c. 7 (al. 8) : " L'Eglise universelle nous est désignée par ce nombre mystérieux de sept. De là vient que saint Jean écrit dans son Apocalypse aux sept Eglises, sous le nom desquelles il entend sans doute l'Eglise universelle. C'est aussi pour signifier que cette même Eglise universelle est pleine de la grâce des sept dons du Saint- Esprit, qu'Elisée souffla sept fois sur l'enfant qu'il ressuscita. Car le Seigneur, venant en ce monde, souffle, pour ainsi parler, sept fois sur les hommes morts, lorsqu'il répand sur eux, par sa miséricorde, les sept dons de la grâce de l'Esprit-Saint. "

" Puis donc que l’Eglise universelle est souvent figurée par le nombre de sept, il faut que les amis de Job viennent à lui, et qu'ils offrent par son entremise le sacrifice que Dieu leur a ordonné ; mais il faut aussi qu'ils aient bien soin d'observer tous les mystères du nombre de sept, c'est-à-dire, que ceux qui sont hors de l’Eglise universelle s'y réunissent et rentrent dans son sein, pour y trouver le pardon de leur révolte. Ils doivent offrir sept sacrifices pour l'expiation de leur péché, parce qu'ils n'en peuvent obtenir la rémission s'ils ne sont réincorporés, par l'effusion en eux des sept dons de la grâce de l'Esprit-Saint, à l'unité catholique dont ils se sont séparés (Cf. Les Morales de saint Grégoire, t. IV, p. 767-768). "

10. S. BERNARD, Serm. seu Tract. de donis Spiritûs sancti, c. 1 : " La première grâce que donne l'Esprit-Saint, c'est la crainte du Seigneur. Celui qui la possède n'a que de l'aversion pour l'iniquité, quelle qu'en soit l'espèce, suivant ce mot du Psalmiste : J'ai haï l'iniquité, et je l'ai eue en abomination ; et autre encore : J'ai haï toute voie injuste (Ps. CXVIII, 128 et 163). Car il est écrit : La crainte du Seigneur a pour compagne la haine du mal (Prov., VIII, 13). On lit de plus : Craignez Dieu, et éloignez-vous du mal (Prov., III, 7). Et il est dit du Job, qu'il craignait Dieu, et fuyait le mal (Job, I, 1). Sans cette grâce, la première de toutes et le commencement de toute piété, aucune

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vertu ne peut naître ou se développer. Car, de même que la fausse sécurité ou la paresse est la cause et la mère de tous les désordres, ainsi la crainte du Seigneur est la racine et la gardienne de toutes les vertus. De là vient qu'il est écrit : Si vous ne vous tenez fortement attaché à la crante du Seigneur, votre maison en sera bientôt renversée (Ecclé., XXVII, 4). Car tout l’édifice des vertus penche à sa ruine, du moment où il cesse d'avoir cet appui. C'est ce qui a fait dire à Salomon : Demeurez ferme dans la crainte du Seigneur pendant tout le jour ; car vous aurez ainsi de la confiance en votre dernière heure, et ce que vous attendez ne vous sera point ravi (Prov., XXIII, 17-18) ; et à l'Apôtre : Opérez votre salut avec crainte et tremblement (Philip., II, 12). Que dirai-je de plus ? La crainte et la piété sont tellement unies ensemble, que l'une ne saurait subsister sans l'autre. Aussi l'éloge que les livres saints nous font de Corneille et de Siméon, c'est qu'ils étaient, l'un un homme religieux et craignant Dieu (Act., X, 2), l'autre également un homme juste et craignant Dieu (LUC, II, 25). De là cette sentence de Salomon : Craignez Dieu, et gardez ses commandements (Ecclé., XII, 13). Si nous devons tous avoir cette crainte, voyez aussi comme Job en était pénétré ! Toujours il craignait Dieu comme des flots suspendus au-dessus de lui (Job, XXXI, 23). Grâce à cette crainte de Dieu, nous faisons le sacrifice de tout, nous renonçons au monde, et, comme nous l'a recommandé Notre-Seigneur, nous renonçons à nous-mêmes. Si quelqu'un veut me suivre, nous a-t-il dit, qu'il renonce à soi-même (MATTH., XVI, 24 ; LUC, IX, 23). Cette crainte de Dieu, qui fait embrasser la pauvreté celui qui s'en pénètre fortement, qui met une barrière infranchissable entre lui et le mal, est la première dans l'ordre des grâces, comme la pauvreté est la première dans l'ordre des béatitudes ; la pauvreté, dont Notre-Seigneur a dit, en la posant pour fondement de toutes les autres vertus : Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux (MATTH., V, 5). "

Ibidem, c. 2 : " La deuxième grâce est l'esprit de piété, qui répond à la seconde béatitude marquée dans l’Evangile par ces paroles : Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre (MATTH., V, 4). C'est de ces derniers que le Seigneur dit dans Isaïe : L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi. . . . .; il a envoyé annoncer sa parole à ceux qui sont doux (ISAIE, LXI, 1) : Moïse était aussi le plus doux de tous les hommes qui vivaient sur la terre (Nom., XII, 5). C'est d'eux que Job a dit : Dieu

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élève ceux qui étaient abaissés ; il console et guérit ceux qui étaient dans les larmes (Job., V, 11). De là aussi ces paroles du Psalmiste : Dieu sauvera les humbles d'esprit (Ps. XXXIII, 19). Il est dit au contraire des orgueilleux : Dieu résiste aux orgueilleux (JAC., IV, 6) ; lorsque l'esprit s'élève, c'est qu'il est à la veille de sa chute (Prov., XVI, 18). L'orgueil précipite de l'élévation la plus haute dans l'abjection la plus profonde ; l'humilité au contraire élève du degré le plus bas au degré le plus éminent. L'ange, pour s'être enorgueilli, est tombé du ciel dans les enfers ; l'homme, en s'humiliant ici-bas, s'élève jusqu'aux cieux. Or, chacun doit être d'autant plus humble, qu'il est plus élevé. De là ces autres paroles de l’Ecriture : Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses, et vous trouverez grand devant Dieu (Ecclé., III, 20). De là aussi ces paroles que Notre-Seigneur adressait à ses disciples : Que celui d'entre vous qui voudra être le premier se fasse le serviteur des autres (MATTH., XX, 27). Et encore : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles (LUC, XVII, 10). Il a dit de plus : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (MATTH., XI, 29). Sans cette vertu d'humilité, toutes les autres ne pourraient servir de rien. C'est ce qui a fait dire à saint Grégoire (Hom. VII in Evangelia) : " Celui qui sans la vertu d'humilité veut avoir les autres, est semblable à un homme qui porte de la poussière au vent. Car comme le vent emporte et disperse la poussière ainsi toutes les vertus qui ne sont pas fondées sur l'humilité sont dissipées par le vent de la vaine gloire. Il vaut même beaucoup mieux être pécheur mais humble, que d'être juste mais orgueilleux. C'est ce que Notre-Seigneur a clairement montré dans la parabole du pharisien et du publicain, et c'est à quoi revient aussi cette parole d'un sage : Vaut mieux un humble aveu des fautes qu'on a commises, qu'une orgueilleuse ostentation qu'on ferait de ses bonnes œuvres. "

Ibidem, c. 3 : " Le troisième don est l'esprit de science, au sujet duquel Salomon a dit : Plus on a de science, plus on a de peine (Ecclé., I, 18). Car la vraie science consiste à bien nous convaincre que nous sommes mortels, d'une existence caduque et fragile, et que nous n'avons qu'à gémir et à pleurer dans ce lieu d'exil, de pèlerinage et de captivité, et pour tout dire, dans cette vallée de larmes. De là ces paroles de la troisième béatitude, qui correspond à ce troisième don : Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés (MATTH., V, 5) ; et ces autres

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au contraire : Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous pleurerez (LUC, VI, 25). De là aussi ce qu'a dit Salomon : Le rire sera mêlé de douleur, et la tristesse vient à la fin prendre la place de la joie (Prov., XIV, 13). "

Ibidem, c. 4 : " La quatrième grâce est l'esprit de force, qui répond à cette quatrième béatitude exprimée dans l'Evangile : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (MATTH., V, 6).Car celui qui a faim et soif de la justice se montre fort, invincible et imperturbable à toutes les adversités. De là ces paroles de Salomon : Le juste est hardi comme un lion et ne craint rien (Prov., XXVIII, 1). Comme ces autres aussi : Le juste, quoi qu'il lui arrive, ne s'attristera point (Prov., XII, 21). C'est de cet esprit qu'étaient remplis tous ceux dont l'Apôtre a fait l'éloge en ces termes : Ils ont souffert les moqueries et les fouets, les chaînes et les prisons ; ils ont été lapidés ; ils ont été sciés ; ils ont été éprouvés en toute manière ; ils sont morts par le tranchant de l'épée, ils ont mené une vie errante, couverts de peaux de brebis et de chèvres abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne, et ils ont passé leur vie errant dans les déserts et sur les montagnes, et cherchant une retraite dans les antres et les cavernes de la terre (Hébr., XI, 36-38). C'est ce même apôtre qui disait encore : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? sera-ce l'affliction, etc. (Rom., VIII, 35) ? Cet esprit de force a pour effet de nous rendre invincibles à toute la malice d'autrui, et de nous faire déjouer tous les pièges que nos ennemis peuvent nous tendre. De là cet éloge que l'époux fait de l'épouse dans le Cantique des cantiques : Vous êtes belle, ô mon, amie, et pleine de douceur ; vous êtes belle comme Jérusalem et terrible comme une armée rangée en bataille (Cant., VI, 3). "

Ibidem, c. 5 : " Le cinquième don est l'esprit de conseil, qui fait que l'on compatit et que l'on porte secours aux autres, et il répond par conséquent à cette cinquième béatitude : Bienheureux ceux qui sont miséricordieux parce qu'ils obtiendront miséricorde (MATTH., V, 7). De là ces paroles de Salomon : Celui qui est porté à faire miséricorde sera béni (Prov., XXII, 9). Nous pouvons exercer la miséricorde en trois principales manières, savoir : ou en faisant quelqu'une de ces six œuvres exprimées dans l'Evangile (MATTH., XXV, 35-36), ou en corrigeant et ramenant au bien ceux qui s'en écartent, ou en pardonnant volontiers les injures reçues. La seconde de ces trois manières d'exercer la miséricorde qui n'est autre que l'esprit de conseil, est ce qui a

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inspiré à notre Dieu de s'anéantir lui-même et de prendre la forme d'esclave, puisqu'il ne l'a fait que pour remettre dans le droit chemin la brebis égarée et la ramener à son bercail. De là ces paroles de l'Apôtre : Il s'est livré lui-même pour nos péchés et pour nous retirer de la corruption du siècle présent (Gal., I, 4). On doit mettre en œuvre cet esprit de conseil de la manière que l’Apôtre nous a indiquée lorsqu'il a dit. : Pressez à temps et à contretemps (II Tim., IV, 2). Il est une autre manière de le faire valoir, qui est de savoir discerner les véritables vertus de ce qui n'en a que les apparences, et de reconnaître dans ces dernières l’œuvre du démon, auteur de l'hypocrisie. Car Satan lui-même, comme le dit l’Apôtre, se transforme en ange de lumière (II Cor., XI, 14) ; et suivant ce que dit aussi saint Cyprien, il suborne des ministres d'injustice, qui affirment impudemment de la nuit que c'est le jour, et de la mort que c'est la vie (Lib. de unitate Ecclesiæ). Cette vertu de discernement est la reine et la régulatrice des autres vertus ; elle les tempère et les gouverne, et empêche sagement qu'elles ne s'écartent de la ligne à suivre, ou qu'elles ne restent en deçà du but, ou qu'elles ne le dépassent. De là ce mot de Boëce : Les vertus tiennent le milieu entre les extrêmes. On s'écarte de la vertu, du moment où l'on se trouve soit en-deçà, soit au-delà du juste point. "

Ibidem, c. 6: " La sixième grâce, c’est l'esprit d'intelligence, qui répond à la sixième béatitude : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu (MATTH., V, 8). Car à moins que l'œil de notre entendement ne soit purifié avec soin, il ne pourra rien apercevoir de distinct et de net dans les choses mystiques ou divines. Voici en effet ce que dit l'Ecriture : L'Esprit-Saint, qui est le maître de la science, fuit le déguisement, il se retire des pensées qui sont sans intelligence (Sag., I, 5). De là ces paroles de Salomon : Les pensées mauvaises sont en abomination au Seigneur (Prov., XV, 20). Les pensées perverses séparent de Dieu (Sag., I, 3). Que celui donc qui veut avoir une vue nette des vérités spirituelles, mette son étude à écarter de son esprit les nuages qu'y formeraient les pensées mauvaises ou frivoles, et à en garder son cœur avec toute l'exactitude qui dépendra de lui. De la ces paroles de Salomon : Appliquez-vous avec tout le soin possible à garder votre cœur, parce qu'il est la source de la vie (Prov., IV, 23).

Ibidem, c. 7 : " Le septième don est l'esprit de sagesse, qui est un certain goût intérieur et rempli de suavité. De là ce que

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dit le Psalmiste : Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (Ps. XXXIII, 9). Et encore : Soyez dans un saint repos, et considérez (Ps. XLV, 11). Et encore : Approchez-vous de lui, afin que vous soyez éclairés (Ps. XXXIII, 6). Ce goût intérieur de la divine sagesse est comme l'avant-goût des choses du ciel, en ce qu'il nous invite à considérer quel bonheur ce sera pour nous d'être admis à la société des anges, où il ne se trouvera rien qui puisse nous déplaire, où il ne manquera rien qui puisse nous plaire. Cette septième grâce répond à la septième béatitude exprimée en ces termes : Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu (MATTH., V, 9). Car ceux dont l'âme est câline et sereine goûtent avec plus de douceur les choses du ciel, et en pénètrent mieux la nature. Plus en effet on est patient, plus on est sage. De là cette maxime de Salomon : La science d'un homme se connaît par sa patience (Prov., XIX, 11). C'est d'eux qu'il est dit ailleurs : Ceux qui aiment votre loi jouissent d'une paix profonde, et ils ne trouvent rien qui puisse les faire tomber (Ps. CXVIII, 165). "

" Ces sept grâces ou dons sont les sept femmes que le Prophète nous représente s'attachant à un même homme (ISAIE, IV, 1), les sept esprits qui reposent sur la fleur (ISAIE, XI, 2), les sept lampes allumées sur un même chandelier (Exod., XXXVII, 25), les sept yeux gravés sur une même pierre (Apoc., V, 6), les sept anges placés devant le trône de Dieu (Apoc., I, 4). "

11. ORIGENE, Serm. III in Isaiam : " Sept femmes se voient dans l'opprobre, et cherchent de tous côtés un homme qui puisse les en tirer. Ces sept femmes n'en font qu'une : car elles sont l'Esprit de Dieu. Et cette unique femme est comme si elle en faisait sept : car l'Esprit de Dieu est en même temps esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, et esprit de crainte de Dieu. Cette sagesse souffre l'opprobre de la part de plusieurs prétendues sagesses qui s'élèvent contre elle. Cette intelligence, la seule véritable, souffre l'opprobre de la part de bien des fausses intelligences. Ce conseil d'un prix inestimable est de même jeté dans l'opprobre par une foule de conseils pervers. Cette force est dépréciée par je ne sais quel manque de vertu, qui se donne pour être de la force, mais qui n'est rien moins que cela. Cette science est réduite à l'opprobre par une prétendue science qui usurpe son nom. Cette piété est tournée en dérision par ce qui prend le nom de piété mais qui n'est qu'impiété au fond, et qui ne peut former que des impies. Cette crainte souffre l'opprobre de la part de ce qui n'est qu'une

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crainte prétendue. Car il en est beaucoup qui se flattent d'avoir la crainte de Dieu, mais dont la crainte n'est pas selon la science. Il sortira un rejeton de la tige de Jessé et une fleur naîtra de sa racine, et sur cette fleur reposeront les sept femmes, qui sont l'esprit du Seigneur, l'esprit de sagesse et d'intelligence reposera sur elle. Car l'esprit de sagesse ne s'est pas reposé sur Moïse ; l'esprit de sagesse ne s'est pas reposé sur Jésus fils de Navé ; l'esprit de sagesse ne s'est pas reposé sur qui que ce soit des prophètes ni sur Isaïe ni sur Jérémie. Et n'allez pas me lapider comme un blasphémateur, si je m'attache à glorifier mon Seigneur Jésus ; mais ayez la patience de peser toutes mes paroles, et vous verrez que l'esprit divin ne s'est reposé sur aucun de ces illustres personnages : non qu'il ne soit venu en eux ; mais ce que je soutiens, c'est qu'il n'y a pas fixé sa demeure. Il est venu sur Moïse ; mais Moïse a manqué de foi au moment où cet esprit de sagesse était descendu sur lui. Rappelez-vous en effet les paroles que Moïse laissa échapper en cette circonstance : Ecoutez, rebelles et incrédules : Pourrons-nous vous faire sortir de l'eau de cette pierre (Nom., XX, 10) ? Il est venu sur tous les justes ; il est venu sur Isaïe ; mais que dit ce prophète ? Mes lèvres sont impures, et j’habite au milieu d'un peuple qui a aussi les lèvres souillées (ISAIE, VI, 8). L'esprit de sagesse est venu sous ces pincettes et sous ce charbon de feu, il est venu à celui qui avait les lèvres souillées, mais il ne s'est pas reposé sur lui. Il s'est servi de son ministère, mais il ne l'a pas choisi pour sa demeure. Il souffre tribulation, quel que soit l'homme à qui il vienne. Car tout homme est pécheur (Job, XV, 14), et il n’y a personne sur la terre qui fasse le bien sans mélange de mal (Ecclé., VII, 21). Personne n'est exempt de souillures, quand même sa vie ne serait que d'un jour, et ses mois sont comptés (Job, XIV, 4-5, d'après la version des Septante). Il n'y a donc pas un seul homme sur qui l'esprit de sagesse se repose. Nous pouvons prouver également par l'Evangile, que l'Esprit de sagesse est venu sur plusieurs, et ne s'est reposé sur aucun. On vous a lu, il n'y a pas longtemps, ces paroles : Mon esprit ne demeurera pas pour toujours avec ces hommes (Gen., VI, 3). Dieu ne dit pas : Mon esprit ne se trouvera pas, mais : Mon esprit ne demeurera pas. Il n'y a que Jean qui ait vu celui sur qui l'Esprit du Seigneur est demeuré, et ce fut même le signe qui lui fut donné pour le connaître : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint- Esprit, c'est celui-là qui est le Fils de Dieu (JEAN., I, 55). "

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" Jésus a véritablement enlevé l'opprobre de dessus les sept femmes. Hâtons-nous donc de prier Dieu, qui a envoyé cet homme pour que l'esprit des sept femmes reposât sur lui ; que cet homme nous permette d'entrer aussi en communication avec ces mêmes femmes, afin que leur commerce nous rende sages, intelligents par rapport à toutes les choses divines et humaines, ornés enfin de toutes les vertus qui découlent de Jésus comme de leur source. "

12. Le même, Hom. VI in librum Numerorum : " N'attachez pas à ces paroles de Dieu, qu'il prendra de l'esprit de Moïse pour en donner aux soixante-dix anciens, un sens matériel comme si cet esprit était un corps qu'il aurait partagé en soixante-dix petites portions, pour en donner une à chacun de ces vieillards. Ce serait une impiété que de se former une pareille idée de la nature de l'Esprit-Saint. Mais vous devez entendre ce langage figuré en ce sens, que Moïse ou l'esprit qui était en lui, était comme une lampe éclatante de lumière à laquelle il a plu à Dieu d'en allumer soixante-dix autres, de façon que la lumière de la première se soit communiquée à ces soixante-dix, sans rien perdre de l'éclat qui lui était propre. C'est en ce sens pieux qu'il est permis d'entendre ces paroles : Le Seigneur prit de l'esprit qui était en Moise, et en donna à ces soixante-dix hommes (Nom., XI, 25). Mais voyons ce que peuvent signifier les paroles qui suivent : L'esprit s'étant donc reposé sur eux, ils se mirent tous à prophétiser. Nous ne lisons nulle part que l'esprit de Dieu repose sur d'autres que sur les saints et les bienheureux. Car l'esprit de Dieu repose sur ceux qui ont le cœur pur, ou qui purifient leurs âmes de tout péché ; tandis qu'il n'habite point en ceux qui sont esclaves du péché, quand même il aurait habité auparavant en eux. Car l'Esprit-Saint ne peut pas avoir de commerce ou de société avec l'esprit malin ; et il est certain d'ailleurs que lorsqu'un homme pèche, l'esprit malin entre et prend possession dans son cœur. Or, quand une fois nous avons donné entrée à ce méchant esprit, et que nous l'avons accueilli en nous par notre consentement donné à des pensées criminelles ou à des désirs abominables, l'Esprit-Saint qui pouvait être en nous jusque-là prend la fuite accablé de tristesse, et désolé de ne plus pouvoir trouver place dans notre cœur. L'Apôtre savait bien que les choses se passaient ainsi, lorsqu'il disait : N'attristez point l'Esprit de Dieu, dont vous avez été marqués comme d'un sceau pour le jour de la rédemption (Ephés., IV, 30). Ainsi donc, quand nous péchons, nous attris-

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tons l'Esprit-Saint ; et au contraire, lorsque nous nous conduisons selon les règles de la justice et de la sainteté, nous l'invitons à reposer sur nous. Ce que dit donc ici l'Ecriture, que l'Esprit reposa sur ces soixante-dix anciens, n'est autre chose qu'un éloge qu'elle fait de la sagesse de leur vie, et des vertus dont ils étaient ornés. Enfin, puisque l'Esprit-Saint reposait sur eux, et par la pureté qu'il mettait dans leurs cœurs et par la sincérité de sentiments qu'il inspirait à leurs âmes, et par les lumières dont il éclairait leur intelligence, il ne pouvait faire autrement que d'agir en eux : car il ne saurait demeurer oisif, des qu'il trouve la matière préparée pour y exercer son action. Et c'est là ce que dit l’Ecriture : L'esprit se reposa sur eux, et ils prophétisèrent. Ainsi donc l'Esprit-Saint s'est reposé sur tous ceux qui ont prophétisé ; mais cependant il ne s'est reposé sur aucun comme il l'a fait sur le Sauveur. Et c'est pour cela qu'il a été écrit de lui, qu'un rejeton sortira de la racine de Jessé, et qu'une fleur s'élèvera de sa racine, et que sur lui reposera l’Esprit de Dieu, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété et que l'esprit de crainte du Seigneur le remplira. Mais quelqu'un dira peut-être : Vous ne nous avez pas montre que l'Ecriture dise rien de plus de Jésus-Christ que des autres hommes. Car de même qu'il est dit des autres, que l'Esprit de Dieu s'est reposé sur eux, de même il est dit du Sauveur qu'il s'est également reposé sur lui. Mais considérez que l’Ecriture n'a dit d'aucun autre ce qu'elle dit ici avec tant de pompe de ce rejeton sorti de la tige de Jessé sur qui l'Esprit de Dieu s'est reposé avec ces sept vertus, voulant signifier par ces expressions la nature divine elle-même, qu'elle ne pouvait nous définir d'un seul mot, et qu'elle a dû pour cela nous décrire par toute cette accumulation d'épithètes. Je puis d’ailleurs produire un autre témoignage qui prouvera que l'Esprit-Saint s'est reposé sur le Sauveur d'une manière tout autrement excellente que sur les autres. Car voici ce que Jean-Baptiste a dit de lui : Celui qui m'a envoyé baptiser dans l’eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint- Esprit, c'est celui-là (JEAN, I, 33). . . S'il avait dit : Sur qui vous verrez descendre, sans ajouter : Et demeurer, il n'aurait rien dit de lui de plus particulier que des autres. Mais il a ajouté ces mots : Et demeurer sur lui, comme signe distinctif du Sauveur, et qui ne pouvait se rencontrer qu'en lui. Car il n'est écrit d'aucun prophète, que l'Esprit-Saint soit demeuré en lui. Et que personne

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ne m'accuse de déprécier en cela les prophètes ; ils savent bien eux-mêmes que je ne les déprécie en aucune manière en leur préférant mon Seigneur Jésus. Car ces saints prophètes n'ont pas de peine à se rappeler leurs propres paroles, et ils savent qu'il n'est dit d'aucun autre que de Jésus-Christ qu'il n'a point commis de péché, et que le mensonge n'a point été trouvé dans sa bouche (I PIERRE, II, 22 ; Is., LIII, 9). "

" Mais c'est trop nous étendre pour prouver que l'Esprit de Dieu est toujours demeuré sur Jésus mon Seigneur et mon Sauveur, et qu'il n'est demeuré de cette même manière sur aucun autre ; que sur ces derniers, tels que les soixante-dix anciens, qui nous ont donné occasion d'entrer dans ce détail, il s'est reposé seulement pour agir en eux suivant le besoin du moment, soit pour leur propre bien, soit pour le bien de ceux dont la direction était confiée à leurs soins. "
 
 

Question II

Combien distingue-t-on de fruits de l’Esprit-Saint ?

L'apôtre saint Paul en compte douze, dont le premier est la charité, le fruit généreux qui est en même temps la racine de tous les biens ; la charité, sans laquelle tous les autres biens seraient inutiles, et qu'on ne peut posséder sans posséder-là même les autres biens dont l'effet est de rendre l'homme bon, comme le dit saint Augustin. Le second fruit de l'Esprit-Saint, c'est la joie, qui fait que l'homme spirituel sert Dieu avec empressement et de bon cœur. Le troisième, c'est la paix, qui procure le calme de l'âme au milieu de toutes les tempêtes de la vie. Le quatrième, c'est la patience, qui donne la force de supporter les épreuves les plus pénibles. Le cinquième, c'est la longanimité, qui soutient et élève l'âme par l'espérance des biens futurs. Le sixième, c'est la bonté, qui ne se permet contre personne rien de nuisible, mais qui veut au contraire le bien de tous. Le septième, c'est la bénignité qui se montre affable, douce, complaisante. Le huitième, c'est la mansuétude, qui calme et réprime tous les mouvements de colère. Le neuvième, c'est la fidélité envers le prochain, a l'égard duquel elle nous rend exacts observateurs de nos conventions et de nos promesses. Le dixième, c'est la modestie, qui exclut tout faste et tout air d'arrogance. Le onzième, c'est la retenue, observé par rapport non-seulement aux aliments, mais encore à toutes les choses illicites. Le douzième,

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enfin, c'est la chasteté qui maintient à la fois le corps et l'âme dans la pureté.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Galates, V, 22- 23 : " Les fruits de l'esprit, au contraire, sont la charité, la joie, la paix, la patience, la longanimité, la bonté la bénignité, la mansuétude, la fidélité, la modestie, la retenue, la chasteté. Il n'y a point de loi contre ceux qui vivent dans la pratique de ces vertus. "

2. Colossiens, III, 14 : " Par-dessus tout, ayez la charité qui est le lien de la perfection. "

3. I JEAN, IV, 16 : " Et nous avons connu et embrassé par la foi l'amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour, et quiconque demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu en lui. "

4. I Corinthiens, XIII, 1-3 : " Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges mêmes, si je n'ai point la charité je ne suis que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. - Et quand j'aurais le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères, et que j'aurais une parfaite science de toutes choses ; et quand j'aurais toute la foi possible, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien. - Et quand je distribuerais toutes mes richesses pour nourrir les pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai point la charité, tout cela ne me servira de rien. "

5. Philippiens, IV, 4 : " Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je vous le dis encore une fois, réjouissez-vous. "

6. LUC, II, 14 : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (suivant le grec bon accord parmi les hommes). "

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7. Philippiens, IV, 7 : " Et que la paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment, garde vos cœur et vos esprits en Jésus-Christ. "

8. Psaume CXVIII, 165 : " Une paix profonde accompagne ceux qui aiment votre loi, et ils ne sont point renverses dans leur marche. "

9. LUC, XXI, 19 : " C'est par votre patience que vous posséderez (c'est-à-dire, sauverez) vos âmes. "

10. JACQUES, I, 2-4 : " Mes frères, regardez comme le sujet d'une extrême joie les diverses afflictions qui vous arrivent, - sachant que l'épreuve de votre foi produit la patience. - Or, la patience doit être parfaite dans ses œuvres, afin que vous soyez parfaits et accomplis en toute manière et qu'il ne vous manque rien. "

11. HABACUC, II, 2-4 : " Alors le Seigneur me répondit et me dit : Ecris ce que tu vois, et marque-le distinctement sur des tablettes, afin qu'on puisse le lire couramment. - Car ce qui t'a été révélé paraîtra en son jour, et ne trompera point ton espérance ; s'il tarde à paraître, attends-le, car il arrivera très-certainement, et il ne sera pas différé à jamais. - Celui qui est incrédule n'a point l'âme droite ; mais le juste vivra de la foi. "

12. II Corinthiens, VII, 4-6 : " Mais nous nous montrons en toutes choses tels que doivent être des ministres de Dieu, par une grande patience dans les maux, dans les nécessités, dans les afflictions, - sous les coups, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes ; - par la pureté par la science, par une douceur persévérante, par la bonté par les fruits du Saint-Esprit, par une charité sincère. "

13. MATTHIEU, X, 22 : " Vous serez haïs de tous à cause de mon nom ; mais celui qui persévéra jusqu'à la fin sera sauvé. "

14. Ephésiens, V, 8-10 : " Vous n'étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en Notre-Seigneur ; marchez donc comme des enfants de lumière. - Or, le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté de justice et de vérité. - Recherchez avec soin ce qui est agréable à Dieu. "

15. Colossiens, III, 12 : " Revêtez-vous donc, comme élus de Dieu, saints et bien-aimés, d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité, de modestie, de patience. "

16. MATTHIEU, V, 4 : " Heureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre. "

17. Ibid., XI, 29 : " Prenez mon joug sur vous, et apprenez

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de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes. "

18. Proverbes, III, 34 : " Il se moquera des moqueurs, et il donnera sa paix à ceux qui sont doux. "

19. I Timothée, III, 11 : " Que les femmes, de même, soient chastes ; qu'elles ne soient pas médisantes ; qu'elles soient sobres, fidèles en toutes choses. "

20. Proverbes, XII, 22 : " Les lèvres menteuses sont en abomination au Seigneur ; mais ceux qui agissent sincèrement lui sont agréables. "

21. Philippiens, IV, 5: " Que votre modestie soit connue de tout le monde ; le Seigneur est proche. "

22. Ecclésiastique, XXXVII, 34 : " L'intempérance en a tué plusieurs, au lieu que l'homme sobre prolonge ses jours. "

23. Tobie, I, 9-10 : " Lorsque Tobie fut devenu homme, il épousa une femme de sa tribu, nommée Anne, et il en eut un fils auquel il donna son nom. - Et il lui apprit, dès son enfance, à craindre Dieu et à s'abstenir de tout péché. "

24. I Thessaloniciens, V, 22 : " Abstenez-vous de toute espèce de péchés. "

25. Sagesse, IV, 1-2 : " Combien est belle la race chaste, lorsqu'elle est jointe avec l'éclat de la vertu (suivant les Septante, il vaut mieux être sans enfants et avoir de la vertu) ! Sa mémoire est immortelle ; elle est en honneur devant Dieu et devant les hommes. - Lorsqu'on l'a sous les yeux, on se porte à l'imiter. "

26. I Corinthiens, VII, 34 : " Une femme qui n'est pas mariée et une vierge s'occupent du soin des choses du Seigneur, afin d'être saillies de corps et d'esprit. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Tract. LXXXVII in Evangelium Joannis : " C'est Jésus-Christ qui nous a établis afin que nous portions du fruit (JEAN, XV, 2), c'est-à-dire, afin que nous nous aimions les uns les autres. Ce que nous ne pouvions pas plus faire sans lui, qu'une branche de sarment ne peut porter de fruit, si elle ne tient au cep. Notre fruit n'est donc autre que la charité, que l’Apôtre définit (I Tim., I, 5) un amour qui vient d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère. C'est par elle que nous nous aimons les uns les autres. C'est aussi par elle que nous aidons Dieu. Car nous ne nous aimerions pas véritable-

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ment les uns les autres, si nous n'aimions Dieu, puisque, pour aimer le prochain comme soi-même, il faut commencer par s'aimer soi-même. Or, on ne s'aime pas véritablement soi-même, à moins que l'on n'aime Dieu. Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux préceptes de la charité (MATTH., XXII, 40). Voilà quel doit être notre fruit. C'est celui que le Seigneur nous ordonne de porter, quand il dit (JEAN., XV, 17) : Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres. Et quand l'Apôtre veut nous faire voir combien les fruits de l'esprit sont désirables par opposition aux œuvres de la chair, c'est par-là qu'il commence. Les fruits de l'esprit, dit-il, c'est la charité (Gal., V, 22). Et il rapporte ensuite les autres vertus, dont la charité est comme la source, et qui s'y rattachent, savoir, la joie, la paix, la longanimité, la bénignité, la bonté, la foi, la douceur, la continence. Or, qui est-ce qui peut avoir une joie raisonnable, s'il n'aime le bien dont la possession lui cause de la joie ? Qui peut avoir une véritable paix avec un homme qu'il n'aime pas véritablement ? Qui a la longanimité nécessaire pour persévérer dans le bien, s'il ne l'aime avec ferveur ? Qui a de la bénignité s'il n'a de l'affection pour celui qu'il assiste ? Qui peut être bon, s'il ne le devient en aimant le bien ? Qui a une foi qui serve à le sauver, si elle n'est pas animé et agissante par la charité ? Qui est doux utilement pour soi-même, si la charité n'est le principe de sa douceur ? Et qui peut s'abstenir par la continence de ce qui le déshonore s'il n'aime ce qui le rend digne d'être honoré ? C'est donc avec raison que notre bon maître nous recommande si souvent la charité comme la seule vertu qu'il soit besoin de commander, puisque sans elle les autres avantages ne peuvent servir de rien, et qu'on ne peut l'avoir sans avoir en même temps les autres avantages qui rendent l'homme véritablement bon (Cf. Les Traités de saint Augustin sur l'évangile de saint Jean, tome III, p. 426-428). "

2. S. JEROME, in V caput ad Galatas : " Quelle est la vertu qui doit tenir la première place parmi les fruits de l'esprit, si ce n'est la charité, sans laquelle les autres vertus ne comptent pas pour de vraies vertus, et qui est la source de tous les biens ? Aussi est-elle mise en tête de tout le reste dans la loi comme dans l'Evangile : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. "

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3. S. AUGUSTIN, Tract. V in epistolam I Joannis : " C'est en cela que l'on connaît ceux qui sont enfants de Dieu, et ceux qui sont enfants du diable. Tout homme qui ne fait pas les œuvres de justice, n'est point de Dieu, non plus que celui qui n'aime pas son frère (I JEAN, III, 10). La chose s'éclaircit extrêmement par ces dernières paroles : Celui qui n'aime point son frère. C'est donc l'amour du prochain qui est le seul caractère auquel on puisse sûrement reconnaître les enfants de Dieu, et les distinguer de ceux du diable. Ils ont beau se marquer les uns comme les autres du signe de la croix, répondre Amen aux prières qui se font dans l'église, chanter Alleluia également, avoir tous reçu le même baptême se trouver pêle-mêle dans toutes les églises, en faire même bâtir à leurs propres frais ; la charité est l'unique caractère qui distingue les enfants de Dieu des enfants du diable. Ceux qui l'ont sont nés de Dieu, et ceux qui ne l'ont pas ne sont pas nés de lui. C'est là la grande règle, et la seule qui soit sûr pour en juger. Qu'on ait tout ce qu'on voudra, si la charité manque, le reste ne sert rien. Et quand on manquerait de tout le reste, pourvu qu'on ait la charité, on a accompli la loi (Cf. Les Traités de saint Augustin sur l'évangile de saint Jean et son épître aux Parthes, t. IV, p. 157-158). "
 
 

Question III

Quel profit devons-nous tirer de la doctrine qui concerne les dons et les fruits de l’Esprit Saint ?

Cette doctrine nous sera profitable, si nous reconnaissons avec gratitude la source d'où ces dons nous viennent, si, par le bon usage que nous pouvons en faire, nous savons nous en approprier la vertu, l'exprimer en nous et l'entretenir fidèlement Or, ces dons nous viennent sans aucun doute du Père des lumières, qui est la source de toutes grâces, et qui par leur moyen nous rend sensible sa bonté et sa charité infinie, en répandant en nous avec tant d'abondance son Esprit-Saint en vertu des mérites de Jésus-Christ. Car l'amour de Dieu, comme nous le déclare l’Apôtre, a été répandu dans nos cœurs par le Saint- Esprit qui nous a été donné, sans doute au moyen de ces sept dons desquels nous sommes redevables aux mérites de Jésus-Christ. Si quelqu'un croit en moi, nous a assuré ce divin Sauveur, il sortira de son cœur des fleuves d'eau vive, comme dit l’Ecriture. Ce qu'il entendait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, ainsi

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que l'explique l’Evangéliste lui-même. Autrement, comme le dit saint Jérôme sans Jésus-Christ personne ne peut être sage, personne ne peut être intelligent, ni avoir en partage le conseil, la force, la science, la piété ou la crainte de Dieu.

Quant aux effets que doivent produire en nous ces dons spirituels, ils consistent à nous rendre possible et facile en même temps la pratique des vertus théologales, comme aussi celle des, vertus cardinales dont nous avons parlé. Ces dons ont encore pour effet de nous porter à suivre sans peine et même avec plaisir tous les mouvements de l'Esprit-Saint, et à marcher sans relâche, avec un tel secours et un tel soutien, dans la voie des commandements de Dieu, de nous rendre enfin vraiment spirituels, en notre qualité d'enfants adoptifs de Dieu. Car, comme dit l’Apôtre, tous ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu.

Il serait trop long de parler en détail de chacun de ces dons en particulier. Qu'il suffise de savoir que c'est d'eux que dé coulent ces fruits délicieux de l'Esprit-Saint, qui prouveront à tout le monde que nous sommes des arbres fertiles dans le champ de l’Eglise, pourvu toutefois que nous les produisions en nous, conformément à ces paroles de Notre-Seigneur : Tout arbre qui est bon produit de bons fruits ; un mauvais arbre au contraire produit de mauvais fruits : vous les reconnaîtrez donc à leurs fruits. Ces fruits de l'Esprit-Saint ont de plus cet autre avantage, de couvrir le chrétien comme d'une armure spirituelle, qui le protège contre les œuvres de la chair, et le rend invincible à ses attaques. Car l'assurance que nous donne à ce sujet l’apôtre saint Paul ne sera jamais démentie : Conduisez-vous selon l'Esprit, et vous n'accomplirez point les œuvres de la chair. Pas plus que ce qu'il a dit ailleurs : Si vous faites mourir par l'Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. JACQUES, I, 17 : " Toute grâce excellente et tout don parfait vient d'en-haut, et descend du Père de toute lumière, en qui il n'y a ni changement ni obscurcissement que puisse causer aucune vicissitude. "

2. Tite, III, 5-7 : " Il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous prétendrions avoir faites, mais à cause de sa miséricorde, en nous faisant renaître par le baptême, et en nous renouvelant par le Saint-Esprit, - qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion par Jésus-Christ notre Sauveur ; - afin qu'étant justifié par sa grâce, nous devinssions héritiers de la vie éternelle selon l'espérance que nous en avons. "

3. Romains, V, 5 ; JEAN, VII, 38 ; comme dans le corps de la réponse.

4. Psaume CXLII, 10 : " Que votre esprit souverainement bon me guide dans les routes de la droiture. "

5. Id., L, 12-14 : " Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, et renouvelez en moi l'esprit de droiture. - Ne me rejetez pas de devant votre face, et ne relirez pas de moi votre Esprit-Saint. Rendez-moi la joie qu'inspire votre assistance, et fortifiez-moi en m'animant d'un esprit porté aux grands sacrifices. "

6. Sagesse, I, 4-8 : " La sagesse n'entre point dans l'âme qui se porte au mal, et elle n'habite point dans un corps assujetti au péché. - L'Esprit-Saint, qui enseigne toute science, fuit le déguisement ; il s'éloigne des pensées qui sont sans intelligence, et il se retire devant l'iniquité. - L'Esprit de sagesse est plein de bénignité, et il ne permettra pas que les lèvres du médisant

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restent impunies, parce que Dieu sonde ses reins, scrute son cœur et entend ses paroles. - Car l'Esprit du Seigneur remplit l'univers ; et comme il contient tout, il entend tout. - C'est pourquoi l'homme qui profère des paroles d'iniquité ne peut se cacher, et il n'échappera point au jugement qui le menace. "

7. Psaume CXVIII, 32 : " Je volerai dans la carrière de vos préceptes, lorsque vous aurez dilaté mon cœur. "

8. Romains, VIII, 14 ; comme dans le corps de la réponse.

9. Psaume LI, 9 : " Pour moi, tel qu'un olivier verdoyant, je fleurirai dans la maison du Seigneur, et je me confierai à jamais dans sa miséricorde. "

10. MATTHIEU, VII, 16 ; comme dans le corps de la réponse.

11. Galates, V, 16 ; Romains, VIII, 13 ; comme dans le corps de la réponse.
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. JEROME, in caput XI Isaiæ, cité dans le corps de la réponse, et de plus question I, témoignage 1, page 265.

2. Le même, in caput V epistolæ ad Galatas : " Ce qu'a dit le Sauveur, qu'un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits : ni un mauvais arbre en porter de bons, doit s'entendre à mon avis, non des hommes précisément, mais des œuvres tant de la chair que de l'esprit : car ni l'esprit ne peut tomber dans les vices appelée communément œuvres de la chair, ni la chair ne peut produire les fruits qui ont l'esprit pour principe. Mais il peut arriver, par suite de notre négligence, que l'esprit qui est en nous ne produise point les fruits qui lui sont propres, comme il peut arriver, dans le sens inverse, que la chair cesse de pécher ; ce qui a lieu en effet, lorsqu'on a soin de mortifier ou de faire mourir en soi les œuvres de la chair. Mais jamais il n'arrivera, quelle que soit notre négligence, que l'esprit lui-même fasse les œuvres de la chair, pas plus qu'il n'arrivera jamais, quelle que, soit notre application sur ce point, que la chair produise les fruits propres de l'esprit. "
 
 

Question IV

Quelles sont les œuvres de la chair ?

Ce sont les œuvres que saint Paul énumère de la manière suivante : Il est aisé de connaître les œuvres de la chair, qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, l'idolâtrie, les

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empoisonnements, les inimitiés les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, les haines, les meurtres, les excès de l'ivrognerie et de l'intempérance et autres énormités semblables, au sujet desquelles je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit, que ceux qui les commettent n'entreront point en possession du royaume de Dieu. L'Apôtre a soin d'ajouter : Mais ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses désirs déréglés, et dit ailleurs : Ceux qui vivent selon la chair, c'est-à-dire en suivant les désirs de la chair, ne sauraient être agréables à Dieu. Le même apôtre nous donne en conséquence cet avis : Ne vous abusez pas ; on ne se moque point de Dieu. L'homme ne recueillera que ce qu'il aura semé : car celui qui sème dans sa chair, recueillera de la chair la corruption et la mort ; et celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l'esprit la vie éternelle.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. Epître aux Galates, V, 19-21, 24 ; comme dans le corps de la réponse.

2. Epître aux Romains, VIII, 8 ; comme dans le corps de la réponse.

3. Epître aux Galates, VI, 7-8 ; comme dans le corps de la réponse.
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Lib. IV de Civitate Dei, c. 2 : " L'Ecriture attache donc à ce mot de chair plusieurs acceptions qu'il serait trop long d'étudier et de recueillir ; mais qu'entend-elle par vivre selon la chair (ce qui certainement est un mal, quoique la chair elle-même, par sa nature, ne soit pas un mal) ? Pour résoudre cette question, méditons ce passage de l'épître de saint Paul aux Galates : Les œuvres de la chair sont aisées à connaître, comme l'adultère, la fornication, l'iniquité, l’impudicité, l'ido-

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lâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les contentions, les jalousies, les animosités, les dissensions, les hérésies, les haines, les excès de l'ivrognerie et de l'intempérance et autres énormités semblables au sujet desquelles je vous ai dit et vous redis encore, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu. Ce passage de l’Apôtre, étudié autant que mon sujet l'exige, pourra résoudre ce problème : Qu'est-ce que vivre selon la chair ? Car, parmi ces œuvres de la chair qu'il dit être aisées à connaître et qu'il condamne, nous ne trouvons pas seulement celles qui se rattachent à la volupté sensuelle, comme la fornication, l'impureté, l'impudicité, l'ivrognerie, la gourmandise, mais d'autres encore qui appartiennent à des vices étrangers à cette volupté. Qui ne voit, en effet, que l’idolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les dissensions, les hérésies, les haines, sont des vices de l'âme plutôt que du corps ? Il peut se faire qu'on s'abstienne des plaisirs du corps pour se livrer à l'idolâtrie, ou pour suivre quelque hérésie, et cependant l’idolâtre et l'hérétique sont condamnés par l'Apôtre comme vivant selon la chair, et par conséquent comme faisant les œuvres damnables de la chair, en cela même qu'ils s'abstiennent de ses voluptés. Les inimitiés ne sont-elles pas dans l'âme ? Et qui s'aviserait de dire à son ennemi, ou à celui qu'il prendrait pour tel : Vous avez contre moi une mauvaise chair, pour dire qu'il aurait contre lui une mauvaise volonté ? Pourquoi le Docteur des gentils appelle-t-il donc tout cela œuvres de la chair, sinon parce qu'il use ici de cette façon de parler qui consiste à dire la partie pour le tout ; la chair, par exemple, pour l'homme lui-même. "

2. Ibid., c. 3 : " Saint Paul impute à la chair des vices (tels que l'envie et l'orgueil) qu'on trouve aussi dans le démon, et même d'une manière en quelque sorte dominante, quoique certainement le démon n'ait point de chair. Car il dit que les inimitiés, les querelles, les rivalités, les animosités et les haines sont les œuvres de la chair ; or, c'est l'orgueil qui est la source de tous ces vices, et l’orgueil domine dans le démon, sans que la chair puisse y être pour rien. En effet, qui est plus ennemi des saints que le démon ? Qui a plus d'animosité contre eux ? Qui est plus jaloux de leur gloire ? Puisqu'il a tous ces vices et qu'il est privé de chair, comment ces vices sont-ils donc les œuvres de la chair, sinon parce que ce sont les œuvres de l'homme, que saint Paul, comme je l'ai dit, comprend tout entier sous le nom

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de chair ? Ce n'est pas, au fond, parce que la chair est dans sa nature, puisqu'elle n'est pas dans celle du démon mais c'est parce qu'il a voulu vivre selon lui-même, c'est-à-dire selon l'homme, que l'homme est devenu semblable au démon. Le démon aussi a voulu vivre selon lui-même quand il n'est pas demeuré dans la vérité ; et quand il mentait, cela ne venait pas de Dieu, mais de lui-même, de lui qui n'est pas seulement menteur, mais aussi le père du mensonge ; de lui qui a menti le premier, et qui n'est l'auteur du péché que parce qu'il est l'auteur du mensonge. "

3. Le même, Serm. VI de verbis apostoli, c. 9 : " Qu'est-ce que se conduire selon la chair ? C'est donner son consentement aux désirs charnels. Qu'est-ce que se conduire selon l'esprit ? C'est se mettre sous la protection de l'Esprit-Saint, et résister aux passions charnelles. Car c'est de cette manière que s'accomplit en nous la loi, que s'accomplit en nous la justice de Dieu. En attendant, du moins, on se conforme ainsi à cette maxime du Sage : Ne vous laissez point aller à vos désirs (Ecclés., XIX, 30). Par ces désirs auxquels vous êtes avertis de ne pas vous laisser aller, il faut entendre les désirs illicites. Or, c'est par notre propre volonté, mais par notre volonté aidé de la grâce, que nous devons nous porter à résister à ces sortes de désirs. Car tous les péchés que la concupiscence nous a fait commettre, soit d’actions, soit de paroles, soit de pensées, ont été effacés par le baptême ; un même pardon a été accordé d'un seul coup à toutes nos fautes. Il n'y a donc plus pour vous qu’à soutenir le combat contre la chair, puisque, quoique la faute ait été effacée, il vous reste toujours une certaine infirmité. C'est un désir criminel qui vous tente ; résistez à ce désir, combattez-le vaillamment, n'y consentez en rien, et vous aurez accompli la maxime : Ne vous laissez pas aller à vos désirs. Et quand même ces désirs s'insinueraient dans votre âme, et s'empareraient de vos yeux, de vos oreilles, de votre langue, de vos pensées volages, vous ne devriez pas pour cela désespérer de votre salut. "

4. Ibidem, c. 11 : " Ceux qui sont dans la chair, c'est-à-dire ceux qui se confient dans la chair, qui suivent leurs mauvais désirs, qui en font leur occupation habituelle, qui recherchent le plaisir que ces désirs leur procurent, qui placent leur bonheur dans de semblables voluptés, ceux-là sont dans la chair, et ne sauraient plaire à Dieu. Car ces paroles : Ceux qui sont dans la

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chair ne sauraient plaire à Dieu, ne signifient pas que tous ceux qui sont dans cette vie ne sauraient plaire à Dieu. Est-ce donc que les saints patriarches ne lui ont pas été agréables ? Et les saints prophètes et les saints apôtres, et les saints martyrs, qui, en confessant Jésus-Christ et dévouant leur corps aux souffrances, non-seulement foulaient aux pieds la volupté, mais encore enduraient les supplices avec joie ; est-ce que tous ces saints n'ont pas plu à Dieu ? Sans doute ils lui ont plu ; mais ils n'étaient pas dans la chair. Ils portaient bien leur chair, mais ils ne se laissaient pas emporter par elle. Car dès-lors il avait été dit au paralytique : Emportez votre grabat (JEAN., V, 8). Ceux donc qui sont dans la chair, de la manière que je l'ai dit et expliqué, non pas précisément parce qu'ils vivent dans ce monde, mais parce qu'ils s'abandonnent à leurs désirs charnels, ceux-là, dis-je, ne sauraient plaire à Dieu. "



CHAPITRE IV.

DES HUIT BEATITUDES.


Question I

Quelles sont les béatitudes que nous promet la loi évangélique ?

C'est ce que saint Ambroise appelle indifféremment béatitude ou bénédiction du Seigneur, et dont l'évangéliste saint Matthieu a fait l’énumération au nombre de huit, et dans l'ordre suivant :

1. Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux.

2. Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre.

3. Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés.

4. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés.

5. Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.

6. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu.

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7. Bienheureux ceux qui sont pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu.

8. Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. MATTHIEU, V, 1-3 : " Jésus voyant la foule monta sur une montagne, et quand il fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui ; - et ouvrant la bouche, il les enseignait en disant : - Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume du ciel est eux, etc. " Comme dans le corps de la réponse.

2. LUC, VI, 20 : " Alors Jésus levant les yeux vers ses disciples, leur dit : Vous êtes bienheureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous. "

3. ISAIE, LXVI, 2 : " C'est ma main qui a créé toutes ces choses, et elles sont toutes parce que je les ai faites, dit le Seigneur. Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur le pauvre qui a le cœur brisé et qui écoute mes paroles avec tremblement ? "

4. JACQUES, II, 5 : " Ecoutez, mes chers frères : Dieu n'a-t-il pas choisi ceux qui étaient pauvres en ce monde, pour les rendre riches dans la foi, et héritiers du royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment ? "

5. MATTHIEU, XVIII, 4 : " Celui qui se rendra humble comme ce petit enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux. "

6. Psaume XXXVI, 4 : " Les hommes humbles et doux posséderont la terre en héritage ; ils goûteront les délices d'une paix profonde. "

7. MATTHIEU, XI, 29 : " Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos pour vos âmes. "

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8. Psaume XXVI, 13 : " Je suis assuré de goûter les biens du Seigneur dans la terre des vivants. "

9. LUC, VI, 21 : " Vous êtes bienheureux, vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés. Vous êtes bienheureux, vous qui pleurez maintenant, parce que vous rirez. "

10. Ibid., XVI, 28 : " Et Abraham lui dit : Mon fils, souvenez-vous que vous avez reçu les biens dans votre vie, et Lazare les maux dans la sienne. C'est pourquoi il est maintenant consolé et vous tourmenté. "

11. I Samuel, XV, 35 : " Depuis ce jour-là, Samuel ne vit plus Saül jusqu'au jour de sa mort ; mais il le pleurait sans cesse, parce que le Seigneur se repentait de l'avoir établi roi sur Israël. "

12. JEAN, XVI, 20-22 : " En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez, et vous gémirez vous autres, et le monde sera dans la joie ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie. - Une femme, lorsqu'elle enfante, est dans la douleur, parce que son heure est venue ; mais quand une fois elle a enfanté, elle ne se souvient plus de ses maux, dans la joie qu'elle a d'avoir mis un homme au monde. Vous donc aussi, vous êtes maintenant dans la tristesse ; mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie. "

13. ISAIE, LXI, 1-3,7 : " L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi ; le Seigneur m'a donné son onction divine ; il m'a envoyé pour porter son Evangile à ceux qui sont doux, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer aux captifs leur grâce, et à ceux qui sont dans les chaînes leur liberté ; - pour publier l'année de la réconciliation du Seigneur et le jour de la vengeance de notre Dieu ; pour consoler ceux qui gémissent ; - pour tarir les larmes de ceux qui pleurent en Sion ; pour leur mettre sur la tête une couronne au lieu de la cendre qui les couvre ; pour faire succéder en eux l'onction de la joie à l'amertume des larmes, et changer leurs vêtements lugubres en des vêtements de gloire. Et on les appellera des arbres fertiles en fruits de justice, planté par le Seigneur pour procurer sa gloire. - Au lieu des opprobres qui leur causaient une double honte, ils s'applaudiront du partage qui leur sera échu ; ils posséderont dans leur terre un héritage accru du double, et ils goûteront une joie qui ne finira jamais. "

14. MATTHIEU, XXVI, 75 : " Et étant sorti dehors, il pleura amèrement. "

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15. Sagesse, I, 1 : " Aimez la justice, vous qui êtes les juges de la terre ; ayez du Soigneur des sentiments dignes de lui, cherchez-le avec un cœur simple. "

16. Psaume XV, 11 : " Vous découvrirez à mes regards les routes de la vie ; votre présence me rassasiera de joie ; je goûterai éternellement à votre droite d'ineffables délices. "

17. Id., XVI, 15 : " Pour moi, conduit par la justice, je verrai votre face ; mes désirs seront comblé par l'éclat de votre aspect à mon réveil. "

18. ISAIE, LXV, 13-14 : " C'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur Dieu : Mes serviteurs seront dans l'abondance, et vous serez dans la disette ; mes serviteurs boiront à leur volonté, et vous serez tourmentés de la soif. - Mes serviteurs seront dans la joie, et vous dans la confusion ; ils feront entendre dans le ravissement de leurs cœurs des cantiques de louanges, et vous, dans l’amertume de vos âmes, vous ferez éclater vos cris ; le déchirement que vous éprouverez en vous-mêmes vous fera pousser des hurlements. "

19. Psaume XL, 1-2 : " Heureux l'homme attentif et sensible aux souffrances du malheureux ; le Seigneur le délivrer lui-même dans les jours mauvais. - Le Seigneur veillera sur lui et conservera ses jours ; il le fera prospérer sur la terre et ne l'abandonnera point à la merci de ses ennemis. "

20. Proverbes, XI, 17-19 : " L'homme qui exerce la miséricorde fait du bien à son âme ; l'homme dur repousse ses proches mêmes. - L'ouvrage du méchant n'aura point de stabilité ; au lieu que la moisson est assurée à celui qui sème la justice. - La clémence ouvre le chemin qui conduit à la vie ; au lieu que celui qui cherche à nuire court à la mort. "

21. Ecclésiastique, XXIX, 15 : " Renfermez l'aumône dans le sein du pauvre, et elle priera pour vous, afin que vous soyez délivré de tout mal. "

22. Id., XVII, 18-19 : " L'aumône de l'homme est devant Dieu comme un sceau, et il gardera le souvenir du bienfait de l'homme comme la prunelle de son œil. - Dieu s'élèvera enfin, il rendra à chacun la récompense qu'il aura méritée. "

23. LUC, VI, 36-38 : " Soyez miséricordieux, comme mon Père est rempli de miséricorde. Donnez, et on vous donnera ; on versera dans votre sein une mesure pleine, bien pressée et entassée et qui débordera ; car on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres. "

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24. Psaume XXIII, 3-5 : " Qui pourra donc monter au lieu qu'habite le Seigneur ? Qui sera digne de s'arrêter sur la montagne sainte ? - Ce sera celui dont les mains sont innocentes et dont le cœur est pur, qui ne jure pas en vain par sa vie, et qui ne profère point un serment trompeur. - Celui-là sera comblé de biens par le Seigneur ; il éprouvera la miséricorde tutélaire de Dieu son sauveur. "

25. Psaume L, 12 : " Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, et renouvelez en moi l'esprit de droiture. "

26. Id., XXXVI, 41-42 : " Gardez l'innocence, et n'avez en vue que l'équité ; car une récompense est réservée à l'homme pacifique. - Mais les méchants au contraire seront exterminés, et ce qu'espéraient les impies périra comme eux. "

27. JEAN, XIV, 27 : " Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que voire cœur ne se trouble point et ne s'épouvante point. "

28. LUC, VI, 22 : " Vous serez bienheureux, lorsque les hommes vous haïront qu'ils vous repousseront, qu'ils vous diront des injures, et qu'ils rejetteront votre nom comme mauvais à cause du Fils de l'homme. "

29. I PIERRE, III, 13-14 : " Qui sera capable de vous nuire, si vous ne songez qu’à faire du bien ? - Si vous souffrez pour la justice, vous serez heureux. "

30. II Timothée, III, 12 : " Car tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffriront persécution. "

31. Actes, XIV, 21 : " C'est à travers beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AMBROISE, in caput VI Lucæ : " Saint Luc n'a compté que quatre béatitude, etc.; c'est le passage rapporté plus haut, chapitre des vertus cardinales, question I, témoignage 4, page 185 ; à quoi il faut ajouter : " Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. Les deux évangélistes donnent cette béatitude pour la première car elle est aussi la première dans l'ordre de génération, puisqu'elle est la mère de toutes les vertus. Il faut en effet mépriser les biens du temps, pour pouvoir mériter ceux de l’éternité ; et on ne peut obtenir le royaume céleste, si, esclave de la cupidité par rapport aux biens de ce monde, on s'ôte à soi-même les moyens de se délivrer de pareilles chaînes. La seconde béatitude est celle-ci : Bien-

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heureux ceux qui sont doux. La troisième : Bienheureux ceux qui pleurent. La quatrième : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. La cinquième : Bienheureux ceux qui sont miséricordieux. La sixième : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur. La septième : Bienheureux les pacifiques. Et c'est à bon droit que cette béatitude est comptée pour la septième, puisque c'est le septième jour que Dieu s'est reposé de tous ses ouvrages, et qu'en conséquence le septième jour est un jour de repos et de paix. La huitième : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. "

2. S. AUGUSTIN, de serm. Domini in monte, lib. I, c. 5 : " Ce ne sont pas les souffrances elles-mêmes qui constituent notre avantage ; mais ce sont les souffrances endurées au nom de Jésus-Christ, et endurée non-seulement sans murmure, mais encore avec joie. Car il y a bien des hérétiques qui savent endurer de pareils maux, en trompant les simples par l'usurpation qu'ils font du nom de chrétiens ; et néanmoins ils n'ont point à prétendre à cette récompense, parce qu'il n'a pas été dit simplement, Bienheureux ceux qui souffrent, mais : Bienheureux ceux qui souffrent pour la justice. Or, ce n'est pas souffrir pour la justice, que de souffrir pour une foi différente de la vraie : car le juste vit de la foi (HABAC., II, 4 ; Rom, I, 17). Les schismatiques n'ont rien non plus à espérer de cette récompense parce que, sans charité, il ne saurait non plus y avoir de justice : car l'amour qu'on a pour le prochain ne souffre point qu'on lui fasse du mal (Rom., XIII, 10). Or, si les schismatiques avaient la charité, ils ne déchireraient pas le corps de Jésus-Christ qui est son Eglise. . . . . "

" Pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas dit simplement : Lorsque les hommes diront toute sorte de mal contre vous (MATTH., VII) ; mais a-t-il ajouté : Lorsqu'ils diront FAUSSEMENT toute sorte de mal contre vous A CAUSE DE MOI ? Je pense qu'il a ajouté ces mots pour réfuter d'avance ceux qui voudraient se glorifier des persécutions et des ignominies qu'ils s'attirent à eux-mêmes et qui prétendent appartenir à Jésus-Christ par cela seul qu'on dit d'eux beaucoup de mal, tandis que le mal qu'on en dit est vrai, puisqu'il est vrai qu'ils sont dans l'erreur ; et quand même on ajouterait à cette juste accusation quelque autre inculpation qu'ils ne mériteraient pas, comme c'est assez ordinaire par l'effet de la témérité des hommes, il ne s'ensuivrait pas encore qu'ils souffriraient ces calomnies pour l'amour de Jésus-Christ, car ce n'est pas suivre

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Jésus-Christ que de ne pas être attaché à sa vraie doctrine, et d'usurper le nom de chrétien hors de la foi catholique. "
 
 

Question II

En quoi consiste l’importance de cette doctrine touchant les béatitudes ?

L'importance de cette doctrine consiste en ce qu'elle contient les premiers et les principaux points de la loi évangélique que Jésus-Christ, notre divin législateur, nous a enseignée de sa propre bouche sur la montagne où il prêchait le peuple, pour que personne ne pût ignorer ce que la justice chrétienne renferme de devoirs dont elle exige l'accomplissement, outre la foi que nous devons professer ; et ensuite, pour que tout le monde pût savoir par quels travaux on peut mérite d'obtenir dans l'éternité la couronne de justice, comme saint Paul l'appelle, ou, comme le dit un autre apôtre, une pleine récompense. C'est aussi en conséquence de cette doctrine que saint Jacques a prononcé ces belles paroles : Heureux celui qui souffre patiemment les tentations et les maux, parce que, lorsque sa vertu aura été éprouvée, il recevra la couronne de vie.
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. ISAIE, XXXIII, 22 : " Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, le Seigneur est notre roi ; c'est lui qui nous sauvera. "

2. JACQUES, IV, 12 : " Il n'y a qu'un législateur et qu'un juge, qui peut sauver et qui peut perdre. "

3. MATTHIEU, V, 1 : " Jésus voyant la foule monta sur une montagne, et lorsqu'il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui, etc. "

4. II Timothée, IV, 8 : " Il me reste à recevoir la couronne de justice qui m'est réservé, et que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce grand jour, et non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement. "

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5. II JEAN, 8 : "Veillez sur vous-mêmes, afin que vous ne perdiez pas les bonnes œuvres que vous avez faites, mais que vous en receviez une pleine récompense. "

6. LUC, VI, 58 : " Donnez, et on vous donnera ; on versera dans votre sein une mesure pleine, bien pressée et entassée, qui débordera ; car on se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servis envers les autres. "

7. I Corinthiens, III, 8 : " Et chacun recevra son salaire à proportion de son travail. "

8. MATTHIEU, XI, 12 : " Or, depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume du ciel se prend par violence, et ce sont les violents qui l'emportent. "

9. LUC, XVI, 46 : " La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean ; depuis ce temps-là le royaume de Dieu est annoncé, et chacun peut faire violence pour y entrer. "

10. JACQUES, I, 12 ; comme dans le corps de la réponse.
 
 

Question III

Qu’y a-t-il principalement à observer sur cette doctrine des béatitudes ?

On doit observer, premièrement, qu'il y a entre elles des degrés distincts, comme l'indiquent, et leur nombre, et l'ordre même dans lequel elles sont énoncées.

Il est bon de remarquer ensuite que chacun de ces degrés renferme deux parties corrélatives dont l'une est l'acte ou le mérite de la vertu qui fait l'objet de cette béatitude, ou, pour mieux dire, la béatitude même de la vie présente ; l'autre est la récompense éternelle que mérite pour le ciel la pratique de cette vertu, et qu'on peut appeler par conséquent la béatitude de la vie future. Or, si la première de ces deux parties présente aux fidèles quelque chose de pénible et de difficile à pratiquer, la seconde, qui consiste dans la récompense offerte, et qui, à chacun de ces degrés, est donnée pour pendant à la première, leur offre de bien grandes consolations, et est bien propre à adoucir les peines, les travaux et les sueurs auxquels doivent s'attendre tous ceux qui veulent combattre au service de Jésus-Christ ; car il n'y aura de couronnés que ceux qui auront combattu selon la loi des combats ; chacun recevra son salaire à proportion de son travail, et ne recueillera que ce qu'il aura semé, comme l'enseigne dans tous ses écrits le Docteur des nations. C'est pourquoi Notre-Seigneur

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Jésus-Christ, avant de se présenter comme un juge terrible à la vue de l'univers entier, nous invite, tous tant que nous sommes, à nous préparer à sa venue par cette puissante exhortation : Bientôt je viendrai, et j'ai ma récompense avec moi pour rendre à chacun selon ses œuvres. Quiconque sera victorieux, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône. Béatitude souveraine et absolue, et qui durera toute l'éternité.

Combien est fausse au contraire l'opinion que le monde se forme de la béatitude ou du bonheur ! et combien d'hommes sont dupes et victimes tout la fois de cette fausse opinion qu'ils s'en sont formés ! Car ceux que le monde considère comme heureux, ce sont les riches, les puissants du siècle, les hommes qui sont partout prônés, vantés, qui regorgent des biens de la fortune, qui vivent dans la mollesse et au sein des plaisirs. Mais Jésus-Christ dit au contraire : Malheur à tous ces heureux du monde ! Et Isaïe leur crie de sa voix libre et fière : O mon peuple, ceux qui vous disent heureux vous séduisent, et ils rompent le chemin par où vous devez marcher. Heureux donc est le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu, c'est-à-dire, dont la vie vertueuse et sainte est un perpétuel hommage rendu à son souverain maître.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.
 
 

1. II Timothée, II, 5 ; I Corinthiens, III, 8 ; Galates, VI, 7; comme dans le corps de la réponse.

2. Hébreux, X, 23 -27, 30-31, 33-37 : " Demeurons fermes et inébranlables dans la profession que nous avons faite d'espérer ce qui nous a été promis, puisque celui qui nous en a fait la promesse est fidèle ; - et regardons-nous les uns les autres pour nous animer à la charité et aux bonnes œuvres, - ne nous éloignons point de nos assemblées comme quelques-uns ont accoutumé de faire, mais nous exhortant les uns les autres, d'autant plus que vous voyez que le jour approche. - Car, si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n'y aura plus désormais de victime nouvelle à immoler pour nos péchés ; mais il ne nous restera plus qu'une attente terrible du jugement, et le feu vengeur destiné à dévorer les ennemis de Dieu. - La vengeance m'est réservée, et je saurai l'exercer, dit le Seigneur. Et ailleurs : Le Seigneur jugera son peuple. - C'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant. - Ne perdez donc pas la confiance que vous avez, et qui doit être suivie d'une grande récompense. - Car la patience vous est nécessaire, afin que, faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir l'effet de ses promesses. - Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et il ne tardera point. "

3. Actes, XVII, 30-31 : " Mais Dieu, voulant en finir avec ces temps d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes, et en tous lieux, qu'ils fassent pénitence ; - parce qu'il a arrêté un jour ou il doit juger le monde selon la justice, par celui qu'il a destiné à en être le juge ; volonté dont il a donnée à tous les hommes une preuve certaine en le ressuscitant d'entre les morts. "

4. Apoc., XXII, 12, et III, 21 ; comme dans le corps de la réponse.

5. MATTHIEU, XIX, 28-29 : " Jésus leur répondit : Je vous dis en vérité, que pour vous qui m'avez suivi, lorsqu'au temps de la régénération le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez assis aussi sur douze trônes, et que vous jugerez les douze tribus d'Israël. - Et quiconque aura quitté pour moi sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle. "

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6. LUC, XXII, 28-30 : " Vous êtes toujours demeurés fermes avec moi dans mes tentations ; - et moi, en retour, je vous prépare une royauté comme mon Père m'a préparé la mienne ; - afin que vous mangiez et que vous buviez ma table dans mon royaume, et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d'Israël. "

7. Ecclésiaste, II, 1-11 : " J'ai dit en mon cœur : Allons, goûtons toutes sortes de délices, et jouissons des biens ; et j'ai reconnu que tout cela même n'était que vanité. - J'ai convaincu le rire de folie, et j'ai dit à la joie : Pourquoi me séduis-tu si vainement ? - J'ai pensé en moi-même que je ferais bien de retirer ma chair des plaisirs du vin, pour porter mon esprit à la sagesse et me garantir de la folie, jusqu’à ce que j'eusse reconnu ce qui est utile aux enfants, des hommes, et ce qu'ils doivent faire sous le soleil pendant les jours de leur vie. - J'ai élevé des ouvrages magnifiques ; j'ai bâti pour moi des maisons, et j'ai planté des vignes ; - j'ai fait des jardins et des vergers, et je les ai remplis d'arbres de toute espèce. - J'ai creusé des réservoirs, pour arroser les plants des jeunes arbres. - J'ai eu des serviteurs et des servantes, et un grand nombre d'esclaves nés dans ma maison, et de grands troupeaux de bœuf et de brebis, plus que n'en ont jamais eu tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem. - J'ai entassé l'argent et l'or, les richesses des rois vaincus et des provinces ; je me suis procuré des musiciens et des musiciennes, tout ce qui fait les délices des enfants des hommes ; j'ai amassé des coupes et des vases pour verser le vin ; - et j'ai surpassé en richesses tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem, et la sagesse est toujours demeurée avec moi. - Je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont désiré ; j'ai permis à mon cœur de jouir de toutes sortes de plaisirs, et de prendre ses délices dans tout ce que j'avais préparé, et j'ai cru que mon partage était de jouir ainsi de mes travaux. - Mais tournant ensuite les yeux vers tous les ouvrages que mes mains avaient faits et tous les travaux auxquels j'avais pris une peine si inutile, j'ai reconnu qu'il n'y avait en tout cela que vanité et affliction d'esprit, et que rien n'est stable sous le soleil. "

8. Ibid., V, 9-10 : " L'avare n'aura jamais assez d'argent, et celui qui aime les richesses n'en recueillera point de fruits. Cela donc est encore vanité. - Là où sont de grandes richesses, là se portent beaucoup de personnes qui les dévorent. Et que

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revient-il de plus à leur possesseur, que de voir des trésors devant ses yeux ? "

9. Id., XI, 8-10 : " Si un homme vit beaucoup d’années, et que pendant tout ce temps-là il soit dans la joie, il doit se souvenir de ce temps de ténèbres et de cette multitude de jours qui, une fois venus, convaincront de vanité tout le passé. - Réjouis-toi donc, jeune homme, en ta jeunesse ; que ton cœur soit dans l'allégresse tant que dure ton premier âge ; marche dans les voies que ton cœur préfère et où se complaisent tes yeux ; mais sache que pour toutes ces choses Dieu t'appellera en jugement. - Bannis la colère de ton cœur et le mal de ta chair ; car la jeunesse et le plaisir ne sont que vanités. "

10. Psaume CXLIII, 11, 17 : " Délivrez-moi et retirez-moi d'entre les mains des enfants de l'étrangers, dont la bouche profère le mensonge, et dont la droite est un instrument d'iniquité - Nos fils, disent-ils, sont comme de jeunes plantes dans la vigueur de leur jeunesse. - Nos filles égalent en beauté les sculptures qui ornent les angles d'un palais. - Nos greniers sont pleins, et regorgent de provisions. - Nos brebis multiplient par milliers, et leur multitude couvre nos places. - Nos bœufs sont gras et forts. - Nous n'avons ni à réparer les brèches de nos cœurs, ni à quitter nos foyers ; jamais nos places ne retentissent de cris d'alarme. - Heureux, dit-on, le peuple qui jouit de tous ces biens. Mais plus heureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur de toutes choses ! "

11. Sagesse, II, 1-9 : " Les impies ont dit dans l'égarement de leurs pensées : Le temps de notre vie est court et plein d'ennuis ; l'homme après sa mort n'a plus de biens à attendre, et on ne connaît personne qui soit revenu des enfers. - Car nous sommes nos de rien, et après la mort nous serons comme si nous n'avions jamais été. Le souffle de nos narines est une fumée et notre âme est comme une étincelle qui agite notre cœur. - Qu'elle vienne à s'éteindre, notre corps ne sera plus que poussière et notre esprit se dissipera comme un air léger, notre vie disparaîtra comme un nuage qui passe ; elle s'évanouira comme la nuée qui fuit aux rayons du soleil, et que sa chaleur fait tomber. - Notre nom s'oubliera avec le temps, sans qu'il reste aucun souvenir de nos actions parmi les hommes. - Car le temps de notre vie n'est qu'une ombre qui passe, et après la mort il n'y a plus de retour, le sceau est posé, et personne n'en revient. - Venez donc, jouissons des biens présents hâtons-

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nous d'user des créatures pendant que nous sommes jeunes. - Enivrons-nous des vins les plus généreux ; parfumons-nous d'huile de senteur, et ne laissons point passer la fleur de l'âge. - Couronnons-nous de roses avant qu'elles se flétrissent, qu'il n'y ait point de prés où notre intempérance ne se signale. - Que nul d'entre nous ne soit étranger à nos plaisirs ; laissons partout des traces de nos voluptés, puisque c'est là notre sort et notre partage. "

12. LUC, VI, 24-26 : " Malheur à vous, riches, parce que vous avez votre consolation. - Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. - Malheur à vous qui riez maintenant, parce que vous serez réduits aux pleurs et aux larmes. - Malheur à vous lorsque les hommes vous applaudiront ; car c'est ainsi qu'en usaient leurs pères à l'égard des faux prophètes. "

13. ISAIE, V, 8-13, 18-24 : " Malheur à vous qui joignez maison à maison, et qui étendez vos champs sans mesure ! Voulez-vous donc être les seuls qui habitiez la terre ? - Mes oreilles ont tout entendu, dit le Seigneur des armées ; oui, je le jure, ces vastes palais seront laissés sans habitants. - Dix arpents de vigne ne rapporteront qu'une mesure ; la terre ne rendra plus que la dixième partie de la semence qu'on lui aura confiée. - Malheur à vous qui dès le matin vous plongez dans les excès de la table, et ne cherchez jusqu'au soir qu’à vous gorger de liqueurs qui mettent le feu dans vos entrailles ! - Le luth et la harpe, les flûtes et les tambours, et les vins de tous pays font l'ornement de vos festins ; vous ne considérez pas ce que le Seigneur peut faire, vous êtes sans souci par rapport aux œuvres de ses mains. - Mon peuple est sans intelligence, et c'est pourquoi il sera emmené captif : la faim consumera les plus grands d'Israël et tout le peuple périra dans les ardeurs d'une soif brûlante. - Malheur à vous qui traînez comme une chaîne une longue suite d'iniquités et comme les traits d'un char des péchés sans fin ; - vous qui dites : Qu'il se hâte, que ce qu'il doit faire arrive bientôt, afin que nous le voyions ; que les desseins du Saint d'Israël s'accomplissent au plus tôt, afin que nous, en reconnaissions la vérité. - Malheur à vous qui appelez le mal un bien, et le bien un mal ; qui donnez aux ténèbres le nom de lumière et à la lumière le nom de ténèbres, qui faites passer pour doux ce qui est amer, et pour amer ce qui est doux! - Malheur à vous qui êtes sages vos propres yeux, et qui vous confiez dans votre prudence ! - Malheur à vous qui êtes

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puissants à boire du vin, et vaillants à vous enivrer. - Qui pour des présents justifiez l'impie, et qui ravissez à l'innocent la justice de sa cause ! - C'est pourquoi, comme le chaume est dévoré par la flamme, ainsi ce peuple sera séché jusque dans ses racines, et ses rejetons seront réduits en poussière parce qu'il a foulé aux pieds la loi du Seigneur des armées et qu'il a blasphémé la parole du saint d'Israël, etc. "

14. Id., LXV, 12-14 : " Je vous ferai passer tous l'un après l'autre au fil de l'épée, parce que je vous ai appelés, et que vous n'avez point répondu ; j'ai parlé, et vous n'avez point entendu ; vous avez fait le mal devant mes yeux, et vous avez voulu tout ce que je ne voulais point. - C'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur Dieu : Mes serviteurs mangeront, et vous souffrirez la faim ; mes serviteurs boiront, et vous souffrirez la soif. - Mes serviteurs se réjouiront, et vous serez couverts de confusion ; mes serviteurs feront entendre dans le ravissement de leurs cœurs des cantiques de louanges, et vous éclaterez en cris dans l'amertume de vos âmes, et en de tristes hurlements dans le déchirement de vos esprits. "

15. AMOS, VI, 1, 3-6 : " Malheur à vous qui vivez en Sion dans l'abondance de toutes choses ; qui mettez votre confiance dans la montagne de Samarie, grands qui êtes les chefs des peuples, qui entrez avec une pompe fastueuse dans les assemblées d'Israël ; vous qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, et qui êtes à la veille d'être asservis à un roi barbare ; - qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche ; qui mangez les agneaux les plus délicats et les génisses les plus grasses ; - qui accordez vos voix avec le son de la harpe, et qui croyez imiter David en vous servant comme lui d'instruments de musique ; - qui buvez le vin à pleines coupes, et vous parfumez des huiles de senteur les plus précieuses, et qui êtes insensibles à l'affliction de Joseph ! C'est pourquoi, etc. "

16. ISAIE, III, 12, et Psaume CXLIII, 15 ; comme dans le corps de la réponse.

17. Psaume XXXII, 12 : " Heureuse la nation dont le Seigneur est le Dieu ; heureux le peuple qu'i la choisi pour son héritage. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AMBROISE, in caput VI Lucæ : " Venez, Seigneur Jésus, enseignez-nous l'ordre et la suite de vos béatitudes. Car ce n'est pas au hasard que vous avez placé au premier rang des heureux

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les pauvres d'esprit, au second ceux qui sont doux, au troisième ceux qui pleurent. . . "

" Votre divin maître vous mène jusqu'au bout, qui est le martyre ; c'est là qu'il vous montre la palme de ses béatitudes. Remarquez donc bien cet ordre qu'il suit. Il faut avant tout que vous soyez pauvres d'esprit : car l'humilité de l'esprit constitue les richesses de la vertu. Si vous n'êtes pas pauvre, vous ne pourrez être doux. Celui qui est doux est apte à pleurer sur les maux de la vie présente. Celui qui pleure sur les maux d'ici-bas est tout disposé à désirer un meilleur avenir. Celui qui recherche les biens d'en-haut, se défait sans peine de ceux d'ici-bas, pour trouver dans les premiers une juste indemnité. Celui qui fait miséricorde purifie son cœur en la faisant. Car qu'est-ce que purifier son âme, sinon la laver de ses souillures ? Et c'est l'aumône, comme nous l'enseignent les livres saints, qui délivre de la mort et qui efface les péchés (Tob., XII, 9). Vient ensuite la patience, qui perfectionne la charité. Enfin, celui qui souffre persécution, présente dans les adversités qu'il trouve au bout de sa carrière l'épreuve la plus sûr de sa vertu, et n'a plus qu'à attendre la couronne promise à tout athlète qui aura combattu avec constance. Quelques-uns veulent que ce soient là autant de degrés de vertus, par lesquels nous pouvons nous élever des moindres d'entre elles à celles dont le mérite est supérieur. "

" Enfin, de même qu'il y a gradation dans les vertus, il y en a aussi dans les récompenses. Car c'est bien plus grand d'être fils de Dieu, par exemple, que de posséder la terre ou que d'être consolé. Mais comme nous trouvons ici le royaume des cieux assigné pour récompense, et à la première béatitude, et à la dernière également, est-ce que la récompense doit être égale pour les commençants et pour les parfaits ? Ou n'y a-t-il pas là plutôt une instruction mystique, pour nous apprendre que le royaume des cieux promis comme le premier est celui auquel l'Apôtre fait allusion par ces paroles, Je désire d'être délivré des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ (Philip., I, 23) ? Voilà en effet le premier royaume qu'obtiendront les saints, lorsqu'ils seront emportés dans les nuées pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, (I Thess., IV, 16). Car la multitude de ceux qui sont morts ressuscitera un jour, les uns pour la vie éternelle, les autres pour un opprobre éternelle (DAN., XII, 2). Le premier royaume des cieux offert aux saints consistera donc pour eux à être délivrés des liens de leurs corps, et le second, à être avec Jésus-Christ

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après leur résurrection. Dans ce royaume des cieux même, vous trouverez diverses demeures, plus élevées les unes que les autres ; car quoique ce soit le même royaume pour tous, tous cependant n'y apporteront pas des mérites égaux Après la résurrection, vous trouvant délivrés des liens de la mort, vous commencerez par entrer en possession de votre propre terre. Redevable de votre délivrance à la croix du Sauveur, si toutefois vous avez su vous soumettre à son joug, vous trouverez de la consolation dans cette mise en possession de la terre ; cette consolation vous donnera de la joie, et cette joie vous attirera le regard bienveillant de la divine miséricorde. Or, Dieu appelle celui à qui il fait miséricorde ; et celui qui est appelé tourne ses regards vers celui qui l'appelle ; celui qui est admis au bonheur de voir Dieu devient par-là même son fils d'adoption ; enfin, celui qui est enfant de Dieu doit entrer en héritage de tous les biens de son céleste royaume. C'est ainsi que le royaume de Dieu est à la fois pour ceux qui commencent, mais à un degré inférieur, et pour ceux qui ont atteint la perfection, mais au degré le plus élevé. Dans ce monde même, je vois beaucoup de gens qui appartiennent à l'empire romain ; mais n'est-il pas vrai que ceux-là ont une part plus abondante aux avantages de l'empire, qui approchent le plus près de la personne de l'empereur ? "

2. S. AUGUSTIN, in Ps. XXXII, conc. II : " Tous les hommes veulent être heureux, et leur dérèglement consiste en ce qu'ils veulent être méchants et en même temps n'être pas malheureux : et quoique la misère soit inséparable du désordre, leur perversité les porte non-seulement à vouloir être méchants sans pour cela être malheureux, ce qui n'est pas possible, mais de plus à vouloir être méchants pour ne pas devenir malheureux. Que veux-je dire par ces paroles : les hommes veulent être méchants pour ne pas devenir malheureux ? "

" Voici ce que je vous prie de considérer dans tous ceux qui font le mal, et qui veulent toujours être heureux. Un homme fait un larcin : vous en demandez la cause ? c'est la faim, c'est la nécessité, il se fait donc méchant pour ne pas devenir malheureux ; et c'est parce qu'il se fait méchant qu'il n'en devient que plus misérable. C'est donc pour éviter la misère et se procurer le bonheur, que les hommes se portent à tout ce qu'ils font, soit en bien, soit en mal : ce qui fait voir que toujours ils cherchent à être heureux. Qu'ils vivent bien ou qu'ils vivent mal, c'est toujours le bonheur qu'ils cherchent ; mais ce qu'ils

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cherchent tous, tous ne l'obtiennent pas également. Car tous veulent être heureux ; mais il n'y aura à l'être que ceux qui auront voulu être justes. Et voila qu'on veut être heureux pour se voir en état de faire le mal. D'où veut-on alors tirer son bonheur ? Des richesses, de l'argent, de l'or, de grandes possessions, de maisons magnifiques, du nombre des valets, d'une pompe toute séculière, des honneurs futiles et éphémères ; c'est en possédant quelque chose qu'on espère être heureux. Cherchez donc ce qu'il faut posséder pour l'être : car une fois heureux, vous voudrez mieux sans doute que tant que vous restez misérable ; et il est impossible que ce qui est moins que vous vous rende plus heureux que vous n'êtes. Vous êtes homme ; tous ces biens que vous souhaitez pour être heureux, sont au-dessous de vous. L'or, l'argent, et tous ces biens matériels dont vous ambitionnez l'acquisition, la possession, la jouissance, sont moins que ce que vous êtes. Vous êtes plus que tout cela, vous valez mieux que tout cela. Et en voulant être heureux, vous voulez devenir quelque chose de mieux que vous n'êtes, puisque vous vous trouvez malheureux. Car il vaut mieux certainement être heureux, que d’être malheureux. Vous voulez valoir mieux que vous ne valez maintenant, et vous allez pour y réussir à la recherche d'objets qui valent beaucoup moins que vous. Tout ce que vous rechercherez ici-bas est au-dessous de vous. Quels sont les souhaits ordinaires que les hommes font à leurs amis ? Quels sont les vœux qu'ils forment en leur faveur ? Puissiez-vous, leur disent-ils, aller toujours de mieux en mieux ; puisse l'amélioration de votre état mettre le comble à notre joie. En parlant de la sorte, on souhaite à son ami ce qu'on se souhaite à soi-même. "

" Recevez donc ce conseil d'ami. Vous voulez améliorer votre sort, je le sais ; c'est ce que nous savons et voulons tous. Cherchez donc à acquérir ce qui est meilleur que vous, pour devenir par sa possession meilleur que vous n'êtes. "

" Maintenant jetez vos regards sur le ciel et sur la terre : que toutes ces beautés corporelles ne captivent pas tellement votre admiration, que vous cherchiez à y trouver votre bonheur. Ce bonheur que vous cherchez est en vous-même. Vous voulez être heureux : cherchez en vous-même ce qu'il y a de meilleur, du plus capable de vous rendre heureux. Vous êtes composé de deux substances, qui sont l'âme et le corps ; mais votre âme valant mieux que votre corps, c'est elle aussi qui pourra l'améliorer le rendre meilleur ; et c'est le corps qui doit dépendre de l'âme.

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C'est donc par votre âme que votre corps pourra devenir meilleur ; c'est parce que votre âme aura pratiqué la justice, que votre corps pourra devenir immortel. Car ce n'est que par la glorification de l'âme que le corps peut obtenir l'incorruptibilité, c'est par ce qu'il y a de plus noble en nous, que ce qui l'est moins peut être élevé en gloire. Si donc le bien de votre corps dépend de votre âme, parce qu'elle-même a plus de valeur que lui, lorsque vous cherchez votre véritable bien, cherchez ce qui a plus de valeur que votre âme. "

" Qu'est-ce que votre âme ? Prenez garde qu'en méprisant votre âme, en la prenant pour quelque chose de vil et d'abject, vous ne vous attachiez à des choses plus viles qu'elle, comme si ces choses pouvaient la rendre heureuse. Dans votre âme est l'image de Dieu : l'esprit de l'homme est capable de cette divine image. Il l'a reçue mais en se dégradant à commettre le péché, il l'a toute défigurée. Pour la remettre en état, celui-là même est venu qui l'avait d'abord formée : car c'est par le Verbe que tout a été fait (JEAN, I, 3), et c'est par le Verbe aussi que cette divine image a été imprimée en nous. Le Verbe lui-même est venu, pour nous dire par son apôtre (Rom., XII, 2) : Qu'il se fasse en vous une transformation par le renouvellement de l'esprit. Il ne nous reste donc maintenant qu’à chercher quelle est la chose dont la valeur surpasse celle de votre âme. Mais cette chose que peut-elle être, si ce n'est Dieu ? Vous ne trouvez rien dans toutes les choses créées qui surpasse en valeur celle de votre âme, puisque, lorsqu'elle aura sa dernière perfection, elle sera égale aux anges. Mais au-dessus des anges il n'y a que le Créateur. Elevez-vous vers lui. N'allez pas vous décourager ; gardez-vous de dire : C'est beaucoup pour moi. Il est peut-être plus difficile pour vous d'obtenir cet or que vous convoitez. Quelque désir que vous ayez de l'obtenir, vous pourrez n'y parvenir jamais ; au lieu que pour posséder Dieu, il vous suffira de le vouloir. Vous ne pensiez pas encore à lui, et il est venu à vous ; votre volonté vous éloignait de lui, et il vous a appelé, vous vous êtes alors tourné vers lui, et il a fait entrer la crainte dans votre âme ; frappé de terreur, vous lui avez confessé vos offenses, et il vous a consolé. Celui qui vous a donné tout jusqu'à l'existence, qui fait luire le soleil, tomber la pluie, mûrir les moissons, sourdir l'eau des fontaines pour votre bien et celui de vos semblables, quelque méchants même qu'ils puissent être, qui leur donne comme à vous la vie, la santé, tant d'autres

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biens, vous en réserve un autre qu'il ne veut donner qu'à vous. Et quel est ce bien qu'il vous réserve, sinon lui-même ? Demandez, si vous le pouvez, quelque chose de plus grand. Dieu se réserve lui-même à vous. Avare, pourquoi cherchez-vous dans le ciel ou sur la terre de quoi satisfaire votre avarice ? Celui qui a lait le ciel et la terre vaut mieux que tout ce qu'il a fait ; et c'est lui que vous êtes appelé à voir, que vous êtes destiné à posséder. Vous voyez une propriété, et vous aspirez aussitôt à en devenir le possesseur ; vous dites : Qu'il est heureux celui à qui appartient cette propriété. Combien d'autres tiennent le même langage en voyant cette même propriété. Ils peuvent soupirer pour l'avoir, s'agiter pour l'avoir ; en deviennent-ils pour cela les possesseurs ? C'est la cupidité en eux qui parle, l'iniquité qui rie ; mais vous ne devez pas désirer le bien de votre prochain (Deut., V, 21). Vous dites : Heureux celui à qui est cette propriété, cette maison, ce champ. Faites taire l'iniquité et écoutez la vérité. "

" Heureuse est la nation dont. . . Vous savez déjà ce que je veux dire. Désirez-le donc afin de le posséder, et c'est alors seulement vous serez heureux. Il n'y aura que cela qui puisse vous rendre contents ; cela seul qui est plus que vous pourra vous élever au-dessus de vous-mêmes. Ce qui est plus que vous, c'est Dieu, c'est celui qui vous a fait. Heureuse est la nation dont le Seigneur est le Dieu. C'est là ce qu'il vous faut aimer, ce qu'il vous faut posséder ; et vous n'avez qu'à le vouloir, et vous le posséderez par-là même sans qu'il vous en coûte d'argent pour en acquérir la possession (Cf. Sermons de saint Augustin, etc., t. Ier, p. 553-557). "

5. Le même, in Ps. CXVIII : " Ce psaume, dès le premier mot, nous invite au bonheur, qui est ce que tout le monde désire. Car peut-il se trouver, et y a-t-il jamais eu, ou y aura-t-il jamais quelqu'un qui ne désire pas d'être heureux ? Pourquoi donc exhorter ici à une chose à laquelle chacun est assez porté de soi-même ? On n'exhorte que pour exciter la volonté. Pourquoi donc se mettre en peine de nous faire vouloir ce que nous ne pouvons pas nous empêcher de vouloir, sinon parce que, encore bien qu'il soit vrai que tous soupirent après le bonheur, il y en a beaucoup néanmoins qui ne savent pas le moyen d'y parvenir ? C'est ce que veut nous enseigner le Psalmiste, quand il dit : Heureux ceux qui sont purs et sans tache dans la voie (Ps. CXVIII, 1) qu'ils ont

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à suivre. C'est comme s'il vous disait : Je sais ce que vous voulez ; vous désirez d'être heureux. Si donc vous voulez l'être, conservez-vous sans tache. Tous veulent être heureux ; mais il en est peu qui veuillent cette pureté de vie sans laquelle cependant on n'arrive point au bonheur. On ne peut être pur et sans tache que dans la voie : et cette voie, c'est la loi du Seigneur. Aussi n'est-ce pas sans sujet que l'on vous dit : Heureux ceux qui sont purs et sans tache dans la voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Cette exhortation nous était nécessaire. On nous fait voir ainsi, malgré l'indifférence que montrent à cet égard tant de gens, quel bonheur c'est que de marcher pur et sans tache dans la voie, qui est la loi du Seigneur. Qu'on fasse donc pour être heureux, comme tout le monde le désire, ce que beaucoup pourtant refusent de faire. C'est un si grand bien que d'être heureux, que tous, bons et méchants, le désirent et le veulent. Et ce n'est pas merveille que les bons fassent le bien en vue d'être heureux ; mais ce qui doit donner, c'est que les méchants fassent le mal également en vue de l'être. Un voluptueux, un homme perdu de débauche, ne s'abandonne à ses infâmes plaisirs que pour y trouver une espèce de félicité, et il se croit malheureux lorsqu'il ne peut posséder ce plaisir brutal ; au lieu qu'il ne craint pas de se dire le plus heureux des mortels, s'il peut en obtenir la jouissance. Un avare n'amasse du bien, et souvent par les voies les plus criminelles, que pour être heureux. Un vindicatif, qui veut à quelque prix que ce soit répandre le sang de ses ennemis ; un ambitieux, qui aspire avec tant d'ardeur à dominer sur les autres ; un envieux, qui aime à se repaître de la misère d'autrui ; un homme de sang, qui ne songe qu'été assouvir sa cruauté, tous ceux-là cherchent dans leurs crimes, quels qu'ils soient, une sorte de bonheur. Ce sont donc ces esprits égarés, ce sont ces aveugles qui prétendent trouver le bonheur dans ce qui n'est que misère, qui sont invités à rentrer dans la voie par ce divin avertissement : Heureux ceux qui sont purs et sans tache dans la voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Comme si le Prophète leur disait : Ou allez-vous insensés, vous courez sans le savoir a là mort. Ce n'est pas par le chemin que vous suivez, que vous parviendrez là où vous voulez parvenir. Car sans doute vous désirez d'être heureux ; mais le chemin où vous vous précipitez avec tant d'ardeur est plein de misère, et conduit à une misère plus grande encore. Ce n'est pas par le chemin du mal que vous parviendrez été obtenir un si grand bien. Si vous désirez vraiment

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d'être heureux, venez de ce côté, entrez dans cette voie. Renoncez à toutes ces voies perverses, à vous qui ne pouvez faire autrement que de vouloir votre bonheur. C'est en vain que vous vous fatiguez pour atteindre un but où vous ne trouveriez que corruption. On ne vous dit pas : Heureux ceux qui s'égarent dans les sentiers du vice, qui marchent dans les voies corrompues du siècle ; mais on vous dit : Heureux ceux qui sont purs et sans tache dans la voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. "

Le même, sur le verset 3 du même psaume : " Comment donc sont heureux ceux qui examinent avec soin les ordonnances de Dieu, puisque les impies eux-mêmes peuvent aussi les examiner ? Quel est l'homme, si impie qu'on le suppose, qui ose dire que les impies sont heureux ? Ils ne sont donc heureux qu'en espérance comme l’Evangile appelle heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, non à cause des maux présents qu'ils souffrent, mais à cause du royaume du ciel qui en sera la suite, Parce que le royaume des cieux est à eux. On appelle de même heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, non à cause de cette faim et de cette soif qu'ils endurent présentement mais à cause de ce qui en sera la suite : Parce qu'ils seront rassasiés ; comme on appelle encore heureux ceux qui pleurent, non parce qu'ils pleurent, mais à cause de ce qui viendra après : Parce qu'ils seront dans les ris. C'est de la même manière que l'on dit ici : Heureux ceux qui examinent avec soin ses ordonnances et qui le cherchent de tout leur cœur, non parce qu'ils sont actuellement occupés de cette recherche, mais parce qu'ils trouveront plus tard ce qui en est l'objet. Car ils ne le cherchent pas avec froideur et négligence, mais de tout leur cœur (Cf. Sermons de saint Augustin, etc., t. VI, p. 137-142 "

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CHAPITRE V.

DES CONSEILS EVANGELIQUES.


Question I

Qu’appelle-t-on conseils évangéliques ?

On appelle conseils évangéliques les pratiques qui, sans être précisément nécessaire à notre salut, nous sont cependant suggérés et conseillés par Jésus-Christ comme autant de moyens de nous sauver plus sûrement et avec moins de peine.

Il faut donc retenir avec soin la distinction que l'Ecriture établit entre les préceptes et les conseils, et entendre par ceux-là les choses dont l'observation est rigoureusement nécessaires et par ceux-ci les choses qu'on est libre d'omettre, quoiqu'on soit invité à les observer comme favorables à la parfaite observation des préceptes mêmes. C'est ce qui faisait dire à l’Apôtre, proposant aux fidèles la pratique du célibat : Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je donné comme étant fidèle ministre du Seigneur, par la miséricorde qu'il m'en a faite.

A cela revient ce que dit saint Augustin avec tant de précision : " Autre chose est le conseil, autre chose le précepte. Il y a conseil de garder la virginité, de s'abstenir de vin et de viandes, de vendre tous ses biens et d'en donner le prix aux pauvres ; mais il y a précepte pour chacun d'observer la justice, de se détourner du mal et de faire le bien. " Saint Augustin a dit encore : " Celui qui, se rendant à l'invitation de la grâce, aura fait volontiers ce qui n'est que de conseil, n'en aura que plus de gloire ; mais celui qui n'aura pas accompli ce qui est de précepte ne pourra échapper au châtiment, s'il ne le prévient par le repentir. "

Saint Ambroise n'enseigne pas autre chose que saint Augustin, lorsqu'il dit : " On ne fait pas un précepte de ce qui est au-dessus de la loi ; mais on se contente d'en donner le conseil, en faisant voir la sûreté qui se trouve dans sa pratique. " Saint Ambroise dit encore : " Le conseil invite, mais laisse libre ; le précepte commande, et s'impose à la volonté. " p.318 fin

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Saint Jérôme n'avait pas non plus une autre doctrine, comme le font bien voir les paroles suivantes de ce saint : " Le conseil laisse maître de le suivre ou de ne le suivre pas celui à qui il est donné ; le précepte ôte cette liberté et fait à celui à qui il s'impose une nécessité d'obéir. Mais, ajoute dans un autre endroit le saint docteur, il y a plus de mérite à faire ce qu'on fait de son plein gré et sans y être obligé. "
 
 

TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. I Corinthiens, VII, 25-40 : " Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur ; mais voici le conseil que je donne, etc. - Cependant elle sera plus heureuse si elle demeure veuve, comme je le lui conseille. "

2. MATTHIEU, XIX, 21 : " Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez, etc. "

3. Id., ibid., 24 : " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même. "

4. LUC, X, 38 : " Le lendemain, il tira deux deniers, qu'il donna à l'hôte et lui dit : Ayez soin de cet homme ; et tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour. "

5. I Corinthiens, IX, 11-19 : " Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce trop que nous recueillions un peu de vos biens temporels ? - Si d'autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi n'en userions-nous pas plutôt qu'eux ? Cependant

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nous n'avons point usé de ce pouvoir, et nous souffrons au contraire toutes sortes d'incommodités pour n'apporter aucun obstacle à l'Evangile de Jésus-Christ. - Ne savez-vous pas que les ministres du temple mangent ce qui est offert dans le temple, et que ceux qui servent à l'autel ont part aux oblations de l'autel ? - Ainsi le Seigneur a ordonné que ceux qui annoncent l’Evangile vivent de l’Evangile. Pour moi, néanmoins, je n'ai usé d'aucun de ces droits ; et, maintenant encore, je ne vous écris point ceci afin qu'on en use ainsi envers moi, puisque j'aimerais mieux mourir que de souffrir que quelqu'un me fit perdre cette gloire.

Car si je prêche l'Evangile, ce n'est point pour moi un sujet de gloire, puisque je suis obligé nécessairement à ce ministère ; et malheur à moi si je ne prêche pas l'Evangile. Si je fais cette œuvre de bon cœur, j'en aurai la récompense ; mais si je ne la fais qu’à regret, je n'aurai d'autre mérite que de m'acquitter de l'emploi qui m'a été confié. - En quoi trouverai-je donc un sujet de récompense ? En prêchant de telle sorte l’Evangile, que je le prêche gratuitement, sans user du droit que j'ai dans la prédication de l’Evangile. C'est pour cela qu'étant libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, pour gagner à Dieu plus de monde. "

6. MATTHIEU, XXVI, 6-8, 10-13 : " Or, comme Jésus-Christ était à Béthanie en la maison de Simon le Lépreux, - une femme vint à lui avec un vase d'albâtre plein d'un parfum de grand prix, qu'elle lui répandit sur la tête lorsqu'il était à table. - Ce que ses disciples voyant, etc. Mais Jésus sachant ce qu'ils disaient, leur dit : Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Ce qu'elle vient de faire pour moi est une bonne œuvre. Car vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m'aurez pas toujours. Et lorsqu'elle a répandu ce parfum sur mon corps, elle l'a fait en vue de ma sépulture. - Je vous le dis en vérité : Partout ou sera prêché cet Evangile dans tout le monde, on racontera à la louange de cette femme ce qu'elle vient de faire. "

7. MARC, XIV, 6-9 : " Mais Jésus leur dit : Laissez-la faire : pourquoi lui causez-vous de la peine ? Elle vient de faire à mon égard une bonne œuvre. Je vous le dis en vérité, partout où sera prêché cet Evangile dans tout le monde, on racontera à la louange de cette femme ce qu'elle vient de faire. "

8. I Rois, VIII, 17-18 : " Mon père avait voulu bâtir une maison au nom du Seigneur Dieu d'Israël ; - mais le Seigneur

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dit à David mon père : Quand vous avez formé dans votre cœur le dessein de bâtir une maison à la gloire de mon nom, vous avez bien fait de former en vous-même cette pensée. "

9. Genèse, VIII, 20-21 : " Or, Noé dressa un autel au Seigneur ; et prenant de tous les animaux et de tous les oiseaux purs, il les lui offrit en holocauste sur cet autel. Et l'odeur en fut agréable au Seigneur, et il dit : Je ne répandrai plus ma malédiction sur la terre à cause des hommes. "

10, Nombres, VI, 1-3 : " Le Seigneur parla encore à Moïse et lui dit : Parlez aux enfants d'Israël et dites-leur : Lorsqu'un homme ou une femme auront fait vœu de se sanctifier, et qu'ils auront voulu se consacrer au Seigneur, ils s'abstiendront de vin et de tout ce qui peut enivrer ; ils ne boiront point de vinaigre fait de vin, ou de tout autre breuvage, ni rien de ce qui se tire des raisins. Ils ne mangeront point de raisins nouvellement cueillis, ni de raisins secs. "

11. I Corinthiens, VII, 25 ; comme dans le corps de la réponse.
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Serm. LXI de tempore (Le style de ce sermon fait voir qu'il n'est pas de saint Augustin. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. V, p. 105) : " Autre chose est un conseil, autre chose un précepte, c'est une chose de conseil, par exemple, que de garder la virginité, comme de s'interdire l'usage du vin et de la viande, de vendre tout ce qu'on a et d'en donner le prix aux pauvres. Ce sont des choses de préceptes au contraire que d'observer la justice, de s'éloigne de ce qui est mal et de faire ce qui est bien. Enfin, voici ce que l’Evangile nous dit de la virginité : Que celui qui peut le comprendre le comprenne (MATTH., XIX, 12). Mais pour ce qui regarde la justice, l'Evangile ne dit pas : Que celui qui peut comprendre comprenne ; l'Evangile dit : Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu (MATTH., VII, 19). Celui qui aura fait volontiers ce qui ne lui aura été que conseillé n'en aura que plus de gloire ; celui qui n'aura pas accompli ce qui est de précepte et qui n'aura pas fait pénitence de sa négligence ne pourra, échapper au châtiment. "

2. S. AUGUSTIN, Enchirid ad Laurentium, c. 121 (al. 34,32) : " Tous les commandements que Dieu fait aux hommes, celui-ci, par exemple : Vous ne commettrez point d,'adultère (Exod., XX, 14) ; tout ce qu'il propose comme conseil sans en faire une loi, p.321 fin

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comme lorsqu'il est dit qu'il est avantageux à l'homme de n'avoir point de femme (I Cor., VII, 4) ; tout cela est bien fait, quand on le rapporte à l'amour de Dieu, et à l'amour du prochain pour Dieu, et dans cette vie et dans l'autre (Cf. Traités choisis de saint Augustin, t. II, p. 477). "

3. Le même, Lib. I de adulterinis conjugiis ad Pollentium, c. 14 : " Il y a bien des choses qui doivent se faire, non par motif d'obéissance à la loi, mais par le libre mouvement de l'amour ; et ce que nous faisons ainsi sans que rien nous y oblige et de notre plein gré a beaucoup plus de mérite devant Dieu. De là vient que le Sauveur, après avoir fait voir qu'il n'était point obligé de payer le tribut, l'a payé cependant (MATTH., XVII, 26), pour ne pas scandaliser ceux pour le salut desquels il s'était revêtu de notre nature. Nous voyons de plus par la manière dont l'Apôtre nous parle de ces sortes de bonnes œuvres combien elles ont de prix à ses yeux, lorsqu'il dit : Etant libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, pour gagner à Dieu plus de monde (I Cor., IX, 19). Un peu plus haut, il avait dit : N'avons-nous pas droit d'être nourris à vos dépens ? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme qui soit notre sœur en Jésus-Christ, comme font les autres apôtres, et les frères de Notre-Seigneur, et Céphas ? Serions-nous donc seuls, Barnabé et moi, qui n'aurions pas le pouvoir d'agir de cette manière ? Qui est-ce qui va jamais à la guerre à ses propres dépenses ? Qui est-ce qui plante de la vigne et n'en mange point du fruit ? ou qui est celui qui mène paître un troupeau et qui n'en mange point du lait (I Cor., IX, 4 et suiv.), etc.? Il dit de même ailleurs, au sujet des aliments : Tout m'est permis, mais tout ne me convient pas. Tout m'est permis, mais je ne me rendrai point esclave de qui que ce soit. Les viandes sont pour le ventre, et le ventre est pour les viandes, et un jour Dieu détruira l'un et l'autre (I Cor., VI, 12-13). Il dit encore ailleurs à ce même sujet : Tout m'est permis, mais tout ne m'est pas expédient. Tout m'est permis, mais tout n'édifie pas. Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais plutôt le bien des autres (I Cor., X, 22 et s.). Et pour faire voir de quoi il voulait parler, il ajoute : Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir d’où cela vient par un scrupule de conscience. Et cependant il dit ailleurs : Je préférerai ne manger jamais de chair en toute ma vie, pour ne pas scandaliser mon frère (I Cor., VIII, 13). Et ailleurs encore : Ce n'est pas que toutes les viandes ne soient pures ;

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mais un homme fait mal d'en manger, lorsqu'on le faisant il scandalise les autres (Rom., XIV, 20). Dire, Tout m'est permis, c'est la même chose que de dire : Toutes les viandes sont pures. Et ajouter, Mais tout n'est pas expédient, c'est la même chose qu'ajouter, Mais un homme fait mal d'en manger, lorsqu'en le faisant il scandalise son frère. Il nous montre par ces paroles que les choses permises en elles-mêmes, c'est-à-dire qui ne nous sont défendues par aucun précepte divin, doivent se faire ou s'omettre suivant l'avantage qui peut s'y trouver, non en vertu d'une loi formelle qui en fasse un devoir, mais en vertu de ce que conseille la charité. C'est ce qui nous est figuré par ce surplus de dépenses que promet de rendre à son retour à l'hôte à qui il vient de remettre son homme blessé le charitable Samaritain, après que sa compassion pour cet homme le lui a fait apporter dans l'hôtellerie. C'est pour cela que nous disons que ces sortes de choses ne nous sont pas prescrites par la loi divine, quoique le Seigneur nous engage à les faire pour l'amour de lui, nous faisant comprendre par-là qu'elles lui sont d'autant plus agréables que l'offrande en est plus volontaire. "

4. Le même, Lib. de sanctâ virginitate, c. 14 : " Quant à ce qui regarde les vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur. Car ne pas obtempérer à un commandement, c'est se rendre punissable. Comme donc il n'y a point de péché à se marier, puisque s'il y avait péché à cela, il y aurait un commandement qui en ferait la défense, il n'y a pas non plus de commandement qui oblige à la virginité. Mais comme la fuite ou l'expiation du péché doit amener à sa suite la vie éternelle, dans laquelle il y aura une gloire particulière réservée, non à tous les bienheureux, mais seulement à quelques-uns, qui pour l'obtenir ne devront pas s'être contentés de s'affranchir des liens du péché, mais avoir fait de plus à leur Sauveur quelque vœu excellent, qu'ils auraient pu sans crime s'abstenir de faire, mais qu'ils n'ont pu faire ni surtout acquitter sans mérite. Voici, ajoute l'Apôtre, le conseil que je donne, comme ayant obtenu de la miséricorde du Seigneur, la grâce d'être son ministre fidèle. Car je ne dois pas envier à ces personnes un conseil fidèle que je puis leur donner, moi qui ne dois pas à mes propres mérites, mais seulement à la miséricorde de Dieu la fidélité que je lui garde maintenant. Je crois donc qu'il est avantageux, à cause des nécessités de la vie présente. . . . . C'est-à-dire, pour ces personnes au sujet desquelles je n'ai pas reçu de commandement du Seigneur, mais

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seulement un conseil à leur donner ; en un mot, pour ce qui concerne les vierges, je crois qu'il leur est avantageux à cause des nécessités de la vie présente. Car je sais la nécessité qu'engendre la vie présente pour les personnes mariées de moins s'occuper du soin des choses du Seigneur, qu'il ne leur faudrait le faire pour pouvoir prétendre à cette gloire particulière qui ne sera pas le partage de tous, ni même de tous ceux qui habiteront un jour la patrie céleste : car entre les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre (I Cor., XV, 41). Il est donc avantageux à l’homme de ne pas se marier. "

5. Le même, Lib. II quæstionum evangelicarum, c. 19 : " L'hôtellerie (LUC, X, 34), c'est l’Eglise, ou les voyageurs peuvent réparer leurs forces pour continuer leur route vers la céleste patrie. Le lendemain dont il est question, c'est le temps qui s'écoule depuis que Notre-Seigneur est ressuscité. Les deux deniers, c'est le double précepte de la charité que les apôtres ont reçu, quand le Saint- Esprit leur a été donné, pour le promulguer chez toutes les nations ; ou bien encore, ce sont les biens promis, tant pour la vie présente que pour la vie future. Car Jésus-Christ a promis ces deux sortes de biens à quiconque quittera tout pour le suivre : Il recevra, a-t-il dit, dans le siècle présent, cent fois autant ; et dans le siècle à venir, la vie éternelle. L’hôtelier enfin, ce sont les apôtres. Ce que le Samaritain promet en sus de ce qu'il donne, c'est, ou un conseil tel que celui-ci : Pour ce qui regarde les vierges, je n'ai point reçut de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je leur donne : ou bien la peine que prend l'Apôtre de travailler de ses propres mains, pour n'être pas à charge à de nouveaux convertis peu affermis encore dans la foi, quoiqu'il eût le droit de vivre de l'Evangile qu'il leur prêchait. "

6. S. PAULIN de Nole, Epist IV ad Severam Sulpitium : " Ce Samaritain, touché de compassion pour l'homme maltraité de coups à qui n'avaient pas même fait attention ceux qui avaient passé avant lui, s'approcha de lui, et le mit sur son cheval, c'est-à-dire qu'il s'unit l'humanité par son incarnation ; et l'ayant recommandé à l'hôtelier, qui représente certainement le maître des nations, pour répandre dans ses plaies l'huile de sa grâce et le vin de la passion qu'il a soufferte, il donna a l'hôtelier deux deniers, c'est-à-dire les deux testaments, pour salaire ; il guérit son malade, et promit de plus à celui qui l'avait secondé dans cette guérison des grâces abondantes et d'innombrables cou-

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ronnes pour récompense s'il voulait en outre cueillir les fruits précieux de la virginité ; car ce conseil ajouté au précepte est ce qui nous est représenté par ce que le Samaritain promit à l'hôtelier de lui donner par surcroît à son retour. "

7. S. CYPRIEN, Serm. de.civitate Christi (Il est reconnu aujourd'hui que ce sermon n'est pas de saint Cyprien. NAT. ALEX., Hist. eccl., t. IV) : " Quant à ce qui regarde les vierges, dit l’Apôtre, je n'ai pas reçu de commandement du Seigneur ; mais voici le conseil que je leur donne, comme ayant reçu de la miséricorde du Seigneur la grâce d'être son ministre fidèle. L'Apôtre demande, en vertu de l'ordre qu'en a fait le Seigneur, que les personnes mariées demeurent dans cet état ; mais quant aux vierges de Dieu, qu'elles offrent à Jésus-Christ, par surcroît de vertu, la parfaite chasteté de leur corps. Que, de cette manière, tout ce qui a été défini par l'autorité divine demeure immuable, et que, quant aux choses laissées au choix du libre arbitre, on se détermine de préférence pour ce qu'il y a de mieux. Car, quoique le mariage soit bon et qu'il ait Dieu pour auteur, la continence vaut cependant mieux que le mariage, et la virginité est un état plus parfait encore : état dont le choix n'est ni l'effet de la nécessité, ni un acte d'obéissance mais une simple déférence à un conseil de perfection. Mais si ce conseil divin rencontre un obstacle dans des tentations qui enchaînent la liberté de l'âme et l'exposent à la tyrannie des appétits charnels, Dieu est là avec la puissance de sa grâce, et l'homme n'a point à mettre son espérance dans l'homme, ni à s'appuyer sur un bras de chair, c'est-à-dire sur ses propres forces ; il suffit que celui qui a vaincu le monde promette la victoire à ceux qui combattent à son service, et qui, vainqueurs d'eux-mêmes, font violence au ciel ; car il est écrit : Le royaume du ciel souffre violence, et ce sont ceux qui lui font violence qui l'obtiennent. "

8. S. AMBROISE, Epist. LXXXII (al. 63) ad Vercellensem Ecclesiam, n. 35 : " Avec quel respect le saint apôtre n'a-t-il pas parlé de la virginité ? Je n'ai point, dit-il, de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je cous donne comme ayant obtenu miséricorde du Seigneur (I Cor., VII, 25). Il n'a point de commandement à faire ; il a un conseil à donner. Car on ne commande point ce qui est au-dessus de la loi, mais on le persuade par des conseils et des exhortations. On n'use pas ici

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d'autorité ; on se contente de montrer les avantages : et celui qui les montre n'est pas un homme ordinaire ; c'est celui qui s'est rendu digne de la miséricorde du Seigneur. Les conseils donc de ces moines apostats (Sarmation et Barbatien) sont-ils meilleurs que ceux des apôtres ? Saint Paul dit : Je vous donne un conseil ; et ils croient qu'ils peuvent dissuader toutes les filles d'embrasser la virginité. "

Ibidem, n. 38 : " . . . . . Le conseil qui nous porte à embrasser la virginité est donc bon et utile ; mais ce serait tendre un piège que d'en faire un précepte. Le conseil invite ceux qui ont une bonne volonté ; le précepte impose une obligation à ceux mêmes qui n'en ont pas le désir. Si quelque fille donc suit ce conseil, et qu'elle ne s'en repente pas, elle en éprouvera l'utilité ; mais si quelqu'une se repent de l'avoir suivi, elle ne saurait se plaindre de l’Apôtre ; car elle a dû, avant son engagement, juger elle-même de sa faiblesse, et elle ne doit accuser que sa propre volonté, qui l'a serrée d'un lien trop fort et d'un fardeau plus pesant qu'elle n'en pouvait porter. "

Ibidem, n. 39 : " Ainsi l'Apôtre, comme un excellent médecin qui désire conserver aux tempéraments robustes toute leur force, et procurer au moins la santé aux faibles, donne aux uns des conseils et présente aux autres un remède. Que celui, dit-il, qui est faible mange des légumes (Rom., XIV, 8), qu'il se marie ; que celui qui est plus fort demande un aliment plus solide, qu'il tende à une plus haute vertu. Et il ajoute avec raison : Celui qui, n'étant engagé par aucune nécessité, et se trouvant pleinement le maître de faire ce qu'il voudra, prend une ferme résolution dans son cœur et juge en lui-même qu'il doit conserver sa fille vierge, fait une bonne œuvre. Ainsi celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie pas fait encore mieux. La femme est liée par la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre. Qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur. Mais elle sera plus heureuse si elle demeura veuve, comme je le lui conseille, et je crois que j'ai en cela l’esprit de Dieu. C'est donner un conseil qui vient de l'esprit de Dieu, que de tout examiner avec soin, d'exhorter à ce qu'il y a de plus parfait, et d'indiquer ce qu'il y a de plus sûr. "

Ibidem, n. 40 : " Ce sage guide montre plusieurs chemins, en laissant à chacun la liberté de suivre celui qui lui plaira et lui conviendra le mieux, pourvu que tous aboutissent au corps de Jésus-Christ. Le chemin de la virginité est bon, mais, comme il

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est âpre et difficile, il demande des voyageurs forts et robustes. Le chemin du veuvage est bon aussi, quoiqu'il soit moins difficile à suivre que le premier ; mais, semé qu'il est de rochers et de précipices, il demande des voyageurs plus précautionnés. Le chemin du mariage est bon encore, il est droit et uni ; mais il ne conduit au camp des saints que par un long circuit : c'est le chemin où se jette le grand nombre. La virginité a donc sa récompense, le veuvage son mérite, la chasteté conjugale elle-même a droit à la couronne. Chaque vertu a ses divers degrés d'élévation ou de progrès. "

9. Le même, Lib. de viduis : " Le mariage est un état honorable (Hébr., XIII, 4), mais la virginité est plus honorable encore ; car celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux (I Cor., VII, 38). Ne réprouvons donc pas ce qui est bon, mais choisissons de préférence ce qui est meilleur. Ainsi la virginité ne nous est point imposée ; elle nous est proposée seulement comme plus avantageuse. C'est donc avec raison que l'Apôtre a dit ces paroles : Quant à ce qui regarde les vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je leur donne. . . Car un commandement s'impose à des sujets, au lieu qu'un conseil se donne à des amis. Là où il y a commandement, il y a obligation ; là où il y a conseil, il y a faveur. Le commandement a pour objet de nous rappeler à notre état naturel ; le conseil, celui de nous inviter à accepter un privilège ou une grâce. C'est pourquoi la loi a été donnée aux Juifs, et la grâce à ceux qui leur ont été substitués par prédilection ; la loi, pour rappeler à la juste observation des devoirs naturels, par la crainte des châtiments, ceux qui s'écartaient criminellement des limites fixée par la nature ; la grâce, pour inviter les élus de Dieu, tant par la considération du bien en lui-même, que par l'attrait des récompenses. Et pour mieux vous pénétrer de la différence qu'il y a entre précepte et conseil, rappelez-vous à l'esprit cet homme de l’Evangile, à qui il est d'abord ordonné de ne point commettre d'homicides, de ne point faire d'adultères de ne point porter de faux témoignages (MATTH., XIX, 18). Voilà le précepte dont la violation entraîne un châtiment. Mais à peine cet homme a-t-il eu répond qu'il avait accompli tous ces préceptes de la loi, que le conseil lui est donné de vendre tous ses biens et de se mettre à la suite du Sauveur. Car pour ceci il n'y a rien de commandé à la rigueur ; il n’y a qu'un conseil proposé à la bonne volonté. Une chose,

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en effet, peut nous être recommandé par deux voies différentes ou par voie de coaction, ou par voie de persuasion : par voie de coaction, comme dans ces paroles : Vous ne tuerez pas ; par voie de persuasion, comme dans ces autres : Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez. Ici donc aucun commandement n'est imposé puisque tout est abandonné à la volonté. C'est pourquoi ceux qui se bornent à observer les préceptes, peuvent dire d'eux-mêmes : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous n'avons fait que ce que nous étions tenus de faire (LUC, XVII, 10). Mais une vierge a le droit de dire quelque chose de plus ; et de même celui qui s'est défait de tous ses biens peut tenir un autre langage et dire, comme l'Apôtre, dans l'attente de la récompense qui lui est réservée : Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre (LUC, XVIII, 28). Quelle sera donc la récompense que nous en recevrons (MATTH., XIX, 27) ? Car il y en a qui se sont rendus eux-mêmes eunuques pour gagner le royaume des cieux (ibid., 12). Mais, quant à ceci, ce n'est pas commandé à tous ; c'est seulement proposé à tous. Car celui qui prescrit des devoirs doit garder la mesure dans ce qu'il prescrit, comme celui qui distribue des tâches doit observer dans cette distribution une juste équité, en ne donnant à faire à chacun que ce que chacun peut faire. Voilà pourquoi Notre-Seigneur ajoute : Qui peut comprendre ceci, le comprenne. Car le Créateur de toutes choses sait bien quelle est la diversité des dispositions de chacun de nous ; et c'est pour cela qu'au lieu de charger notre faiblesse d'obligations dont le poids nous affaiblirait encore, il se contente de stimuler le peu de forces que nous avons par l'appât des récompenses qu'il nous propose. C'est ce que savait aussi le Docteur des nations, cet excellent maitre de morale, ce guide expérimenté de nos affections, lui qui avait appris par sa propre expérience que la loi des membres résiste en nous à la loi de l'esprit, mais qu'elle cède pourtant à la grâce du Sauveur. C'est pourquoi il s'est gardé également, et d'exhorter tellement à la virginité, qu'il réduisît à rien les avantages du mariage, et de faire tellement valoir ces derniers, qu'il éteignît dans les fidèles tout désir de la virginité Mais, après avoir commencé par exalter la continence, il dit à l'incontinence quels sont ses remèdes. Il montre avant tout le prix proposé à ceux qui auront la force de suivre une plus haute vocation, mais il ne veut pourtant pas que personne tombe de défaillance dans la voie du salut ; et en louant le courage des premiers, il n'abandonne pas

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pour cela les autres. C'est qu'il avait appris lui-même que le Seigneur Jésus avait nourri le peuple avec des pains d'orge, pour l'empêcher de tomber en défaillance sur le chemin, en même temps qu'il avait su nourrir ses apôtres de son propre corps, pour qu'ils pussent (plus facilement) atteindre le royaume des cieux. Ni Jésus-Christ lui-même n'a imposé sur ce dernier point un précepte mais il ne s'est adressé qu'à la bonne volonté ; ni l'Apôtre n'en a fait un précepte non plus, mais il s'est contenté d'en donner le conseil. Une vierge défère aux conseils, mais elle n'a point à céder à la contrainte. Ce n'est pas un précepte non plus qui est imposé aux veuves, mais un conseil qui leur est donné et qui ne leur est pas donné une fois seulement, mais répété plusieurs fois. Car l'Apôtre commence par dire : Il est avantageux à l'homme de ne toucher aucune femme (I Cor., VII, 4). Puis il ajoute : Je voudrais que tous les hommes fussent en l'état où je suis moi-même (ibid., 7). Il dit encore : Il leur est bon de demeurer en cet état comme j'y demeure moi-même (ibid., 8). Il dit pour la quatrième fois : A cause des nécessités de la vie présente il est avantageux à l'homme de ne point se marier (ibid., 26). Il ajoute enfin que la veuve sera plus heureuse si elle demeure veuve, comme il ne le lui conseille pas seulement lui-même, mais comme il croit avoir, pour le lui conseiller, l'esprit de Dieu (ibid., 39-40). Qui pourrait donc ne pas se laisser gagner par un tel conseiller, qui, sans mettre aucune entrave à la liberté de notre choix, se borne à proposer aux autres ce dont il connaît les avantages par sa propre expérience, et qu'il sait en même temps n'être ni facile à obtenir, ni trop dur à supporter ? Quelle est la veuve ou la vierge qui refusera d'être sainte de corps et d'esprit, quand on lui propose une récompense si supérieur à tous ses mérites une grâce si supérieure aux avantages ordinaires de la vie, un salaire enfin si supérieur à tout ce qu'on aura pu faire pour le gagner ? "

10. S. JEROME, Lib. I adversùs Jovinianum, et 11. Epist. XXII ad Eustochium, de custodiâ virginitatis, comme dans le corps de la réponse.
 
 

Question II

Combien peut-on compter de conseils évangéliques ?

Ce n'est pas ici le lieu de faire l'énumération de tous. Bornons nous à dire qu'il y en a trois principaux, qui sont la pratique de la pauvreté, de la chasteté et de l'obéissance, ainsi que les saints

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Pères l'ont inféré des Livres saints. La pauvreté est l'état de ceux qui renoncent une fois pour toutes à tout ce qu'ils possèdent, afin de s'attacher parfaitement à Jésus-Christ, à l'exemple de saint Pierre et des autres apôtres. La chasteté est le conseil auquel obéissent ceux qui se font eux-mêmes eunuques, voluntarii spadones, comme dit Tertullien, en vue de gagner le royaume des cieux. L'obéissance est la perfection de ceux qui pour renoncer pleinement à eux-mêmes, font le sacrifice entier non-seulement de tout mauvais désir mais encore, comme nous y exhorte l'Ecriture, le sacrifice de leur propre volonté, en se soumettant complètement à la volonté de celui qu'ils se sont choisi pour supérieur, afin qu'il tienne à leur égard la place de Jésus-Christ.

Jésus-Christ, ce parfait modèle de la perfection évangélique ne nous a pas seulement proposé par ses paroles la pratique de ces conseils, comme nous allons tout-à-l'heure le démontrer ; mais il nous en a donné de plus l'exemple par la sainteté de sa vie, puisqu'étant infiniment riche de lui-même il s'est fait pauvre à cause de nous, sans avoir seulement une pierre où reposer sa tête ; qu'il a voulu naître d'une vierge, et demeurer lui-même vierge, pour être dans toute la suite des siècles l'époux de toutes les personnes qui voudraient lui offrir leur virginité, et qu'enfin il a témoigné une telle estime pour l'obéissance, qu'après avoir voulu être soumis à la sainte Vierge, sa mère et même à un pauvre artisan, il s'est fait obéissant jusqu'à la mort de la croix, comme il l'a témoigné lui-même par ces paroles : Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté mais pour faire la volonté de celui qui

m'a envoyé.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. MATHEUX, IX, 21 : " Si vous voulez être parfait, etc. - Voilà que nous avons abandonné tout, etc. " Comme à la question suivante, témoignage 1.

2. Actes, IV, 34 : " Tous ceux qui possédaient des terres, etc. "

3. MATTHIEU, XIX, 42 : " Car il y a des eunuques, etc. "

4. Id., XVI, 24 : " Si quelqu'un veut se mettre à ma suite, qu'il renonce à soi-même, etc. "

5. LUC, IX, 23 : " Si quelqu'un veut se mettre à ma suite, etc. "

6. Ecclésiastique XVIII, 30-31 : " Ne vous laissez point aller à vos mauvais désirs et détournez-vous de votre propre volonté. - Si vous contentez votre âme dans ses mauvais désirs, elle vous rendra la joie de vos ennemis. "

7. Galates, V, 47 : " De sorte que vous ne faites pas les choses que vous voudriez. "

8. II Corinthiens, VIII, 9 : " Car vous savez quelle a été la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté. "

9. MATTHIEU, VIII, 20 : " Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l'homme n'a pas de lieu où reposer sa tête. "

10. ISAIE, VII, 14 : " Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, qui sera appelé Emmanuel. "

11. LUC, II, 51 : " Jésus descendit avec eux et vint à Nazareth, et il leur était soumis. "

12. MATTHIEU, XVII, 23-26 : " Arrivés à Capharnaüm, ceux qui recevaient le tribut de deux drachmes vinrent à Pierre, et lui dirent : Votre maître ne paie-t-il pas le tribut ? - Il leur répondit : Oui. Et quand il fut entré dans le logis, Jésus le prévint et lui dit : Simon, que vous en semble-t-il ? De qui les rois de la terre reçoivent-il les tributs et les impôts ? Est-ce de leurs propres enfants ou des étrangers ? - Des étrangers, répondit Pierre. Jésus lui dit : Les enfants en sont donc exempts. Mais afin que nous ne les scandalisions pas, allez à la mer et jetez-y votre ligne, et le premier poisson que vous tirerez de l'eau, prenez-le, et ouvrez-lui la gueule ; vous y trouverez un statère que vous prendrez, et que vous leur donnerez pour moi et pour vous. "

13. Philippiens, II, 8 : " Il s'est humilié et s'est rendu obéissant jusqu’à la mort, et jusqu'ç la mort de la croix. "

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14. MATTHIEU, XXVI, 39-42 : " Mon Père, que ce calice, s'il est possible, s'éloigne de moi, mais néanmoins qu'il en soit non comme je veux, mais comme vous le voulez. - Il s'en alla encore prier une seconde fois, en disant : Mon Père, si ce calice peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite. "

15. Romains, V, 19 : " Car, comme plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d'un seul, ainsi plusieurs seront rendus justes par l’obéissance d'un seul. "

16. JEAN, VI, 38 ; comme dans le corps de la réponse.

17. Id., IV, 34 : " Jésus leur dit : Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son œuvre. "

18. Id., V, 30 : " Mon jugement est juste ; car je ne cherche pas ma volonté propre, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. JEROME a donné la vie de saint Marc dans son catalogue des écrivains ecclésiastiques ; voici en particulier ce qu'il dit de la sainteté de cet évangélistes : " Emportant avec lui l’Evangile qu'il avait composée, il se rendit en Egypte, où le premier il prêcha Jésus-Christ à Alexandrie, y fonda une église, et fit preuve de tant de science et d'une telle sainteté de vie, qu'il persuadait à tous les chrétiens de suivre en tout ses exemples. Que dirai-je de plus ? Philon, cet habile écrivain juif, témoin à Alexandrie de la sainteté de cette église naissante qui judaïsait encore, en fit l'éloge dans un ouvrage composé tout entier dans ce dessein, et comme pour en reporter la gloire à sa nation. Et de même que saint Luc nous rapporte des premiers fidèles de Jérusalem que tout était commun entre eux, Philon nous fait un récit tout semblable de ce qu'il voyait de ses yeux se passer à Alexandrie grâce aux leçons de Marc. "

Saint Jérôme s'étend encore davantage sur ce sujet, dans la notice qu'il consacre dans ce même catalogue à Philon lui-même, et que voici : " Philon, Juif d'origine et Alexandrin de naissance, issu d'une race sacerdotale, est rangé ici parmi les écrivains ecclésiastiques, pour avoir fait l’éloge des hommes de notre religion dans le livre qu'i la composé sur l’Eglise fondée par saint Marc à Alexandrie, et où il témoigne qu'on trouvait de ces fidèles non-seulement dans cette ville, mais encore dans beaucoup de provinces, et que leurs maisons étaient de vrais monastères. Ce qui fait voir que l’Eglise de ces premiers chrétiens était un tableau anticipé de la vie de ces moines qui, conformément au

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vœu de leur profession, ne gardent la propriété de rien, en sorte qu'il n'y a parmi eux ni riches ni pauvres, qu'ils sacrifient tous leurs patrimoines au soulagement des indigents, qu'ils font de la prière et du chant des psaumes, de l'étude et des saints exercices de la pénitence l'occupation de toute leur vie, comme saint Luc rapporte que faisaient à Jérusalem les premiers fidèles. "

2. PONCE DIACRE, dans la vie qu'il a donnée de saint Cyprien : " Dans la première ferveur de sa foi, il ne vit rien qu'il pût faire de plus digne de Dieu, que de garder la continence, convaincu que le moyen pour lui de parvenir pleinement à la connaissance de la vérité était d'éteindre la concupiscence de la chair en l'écrasant sous les laborieux exercices d'une exacte chasteté. Qui se rappelle avoir jamais été témoin d'une aussi admirable perfection de vie ? Il n'était pas encore régénéré dans l'eau du baptême, et le soleil de justice n'avait pas encore éclairé de tous ses rayons ce nouveau chrétien, que déjà l'aurore qui commençait à luire d'un jour si beau dissipait de son esprit les ténèbres de l’erreur où il avait été plongé si longtemps. Mais ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est qu'ayant appris des saints Livres (MATTH., XIX) une manière de vivre plus parfaite, et qui convient bien moins à un néophyte qu'à un chrétien depuis longtemps affermi dans la foi, il saisit sans délai ce moyen qui s'offrit à lui de s’attirer toutes les grâces de son Dieu. En vendant tous ses biens pour s'en aider à soulager les pauvres, il se procura tout à la fois deux avantages : l'un, de fouler aux pieds la vanité du siècle, qui est tout ce qu'il peut y avoir de plus funeste à l'âme ; l’autre, d'accomplir ce devoir de la miséricorde, dont Dieu préfère la pratique aux sacrifices qu’on lui offrirait à lui-même et qui est au-dessus de tous les préceptes de la loi ; et par cet empressement qu'il mit il s'avancer dans la piété, il devint parfait avant d'avoir pour ainsi dire appris à l'être. "

3. S. ATHANASE, in Vitâ S. Antonii : " Après la mort de ses parents, comme il n'était encore âgé que de dix-huit ou vingt ans, laissé seul avec sa sœur qui n'était pas sortie des premières années de l'enfance, il (Antoine) s'occupa du soin de la maison paternelle et de l'éducation de cette petite sœur qui lui restait. Mais à peine six mois s'étaient écoulés, que se rendant à l'église selon sa coutume, il rappela à son souvenir la manière dont les apôtres avaient tout sacrifié pour se mettre à la suite du Sauveur, et dont tant de fidèles, comme il est rapporté dans les Actes, avaient vendu leurs biens pour en déposer le prix aux pieds des

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apôtres et en procurer la distribution aux indigents, enfin la grandeur des biens qui nous sont préparés dans le ciel. Il entra à l'église tout occupé de ces pensées, dans le moment même qu'on lisait ce passage de l’Evangile où Notre-Seigneur dit à un riche : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres ; puis venez, suivez-moi, et vous aurez un trésor dans le ciel (MATTH., XIX, 24). En entendant ces paroles, persuadé que la pensée qu'il en avait eue d'avance ne lui était venue que d'une inspiration divine, il s'en fit aussitôt l’application, comme si c’eût été pour lui-même qu'on en eût fait la lecture ; et rentré chez lui, il mit en vente tout ce qu'il possédait. Or, il avait trois cents palmiers d'excellent rapport ; il en fit largesse à ses voisins, pour que ni lui ni sa sœur ne pussent à l'avenir s'en mettre en peine. Il vendit tout le reste de son mobilier, et donna aux indigents le prix considérable qu'il en retira, excepté une modique somme qu'il en réserva pour sa sœur, à cause de la faiblesse de son sexe comme de son âge. Etant ensuite rentré à l'église, et y ayant entendu cette exhortation que Notre-Seigneur nous adresse à tous dans l’Evangile : Ne vous inquiétez point du lendemain, il distribua au pauvres ce qui lui restait en partage, et ne pouvant plus se souffrir dans la maison paternelle, il recommanda sa sœur aux soins de pieuses vierges d'une probité reconnue, pour qu'elle se forma elle-même sur leur exemple, et, affranchi désormais de tous la liens du siècle, il embrassa ce genre de vie si dur et si pénible qu'il mena depuis avec tant de persévérance. "

4. S. JEROME, dans la Vie qu'il a donnée de saint Hilarion : " Son père et sa mère étant morts, il (Hilarion) donna une partie de ses biens à ses frères et le reste aux pauvres, sans rien se réserver pour lui-même, car il craignait ce qui est rapporté 'dans les Actes des Apôtres (Act., V, 1 et suiv.) du châtiment d'Ananie et de Saphire, et il avait devant les yeux ces paroles du Sauveur : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il a ne saurait être mon disciple (LUC, XIV, 33). "

" S'étant donc ainsi dépouillé de toutes choses et armé des leçons de Jésus-Christ, il entra à l'âge de quinze ans dans cette solitude, qui s'étendant à gauche pour qui va (de la Palestine) en Egypte le long du rivage, est à sept milles de distance de Majume, où se fait tout le trafic de Gaza (Cf. Les Lettres choisies de saint Jérôme, trad. par Petit, avocat

au parlement, p. 438-439). "

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5. S. GEORGE (Cet auteur vivait vers l'an 620 de Jésus-Christ et il paraît être le même que celui qui succéda immédiatement à saint Jean l’Aumônier. La vie de saint Chrysostôme, qu'il a composée, et dont nous donnons ici un extrait, se trouve cité aussi par saint Jean Damascène dans son ouvrage sur le culte des saintes images, livre Ier, où il a copié textuellement l’histoire que chacun peut y lire de l'image de saint Paul) patriarche d'Alexandrie, dans la Vie qu'il a donnée de saint Jean Chrysostôme : " Peu de temps après, sa bienheureuse mère vint à mourir, lui laissant en héritage beaucoup de richesses, en or, en argent, en habits précieux en terres, en esclaves, en bêtes de somme et autres biens de cette espèce. Le saint fit les funérailles de sa mère avec beaucoup de piété et avec toute la pompe convenable, et il déposa son corps dans le même tombeau où se trouvait d'avance celui de son père, conformément à la volonté qu'elle lui en avait exprimé en mourant. Puis sans perdre un moment, il fit la distribution de tout l'or aux pauvres, et en général à ceux qu'il savait dans le besoin, et partagea ce qu'il pouvait avoir de lingots entre les églises de la ville et les monastères voisins pour servir à orner les reliques des saints. Il émancipa tout ce qui lui revenait en héritage d'esclaves des deux sexes ; et enfin débarrassés de tous ces liens qui dissipaient son esprit en l'attachant au siècle, il donna à sa ville natale tout ce qui lui restait de patrimoine, pour n'avoir plus affaire avec les receveurs d'impôts. Voici la manière dont disposait de tous ses moments cet illustre défenseur de la vérité. Il passait ses jours dans un repos délicieux ; continuellement occupé de la méditation et de la lecture des saints livres, gardien vigilant de ses sens, fuyant et écartant de lui tout ce qui pouvait réveiller la sensualité en ne donnant aucun accès aux mauvaises pensées, il faisait de son corps comme un temple saint, véritable sanctuaire de la virginité et de la sainteté. Voyant bien par le témoignage que lui rendait sa conscience que malgré toute sa force d'esprit il ne pourrait, surtout à la fleur de l'âge, suffire aux embarras que donne l’administration des affaires publiques, il se mit à visiter les monastères voisins de la ville. Après s'être ainsi séparé de sa famille et de ses concitoyens, devenu comme habitant de la Jérusalem céleste, il ne brûlait plus d'autre désir que de celui d'y prendre place. C'est dans ces dispositions qu'il jeta les fondements de la vie monastique, à laquelle il se montra toujours si fidèle. "

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6. S. GREGOIRE de Tours, dans son livre de la Gloire des confesseurs, c. 107 (al. 108), raconte en ces termes la vie de saint Paulin, évêque de Nole : " Il y eut un personnage vénérable par la sainteté de sa vie, appelé Paulin, issu d'une famille noble de la ville de Nole, qui avait épousé une femme de pareille vertu, appelée Tarasie, fort opulente en biens meubles comme en fonds de terre. Mais ayant entendu cette parole de l'Evangile, adressée par Notre-Seigneur à ce jeune homme qu'il reprenait pour son attachement aux richesses : Va, vends ce que tu as, et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel ; viens ensuite et suis-moi, car il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au royaume des cieux ; ces paroles lui touchèrent le cœur, et tout aussitôt ayant vendu ses biens, il les donna aux pauvres. S'étant donc déchargé de tout ce qui pouvait éveiller en lui la convoitise, il se sentit assez libre pour suivre partout son maître, bien persuadé qu'il s'enrichirait des trésors du ciel, à proportion qu'il se dépouillerait de tous les biens périssables de la terre. Ainsi Dieu lui fit-il la grâce de rendre possible par le fait ce que lui-même avait déclaré dans son Evangile ne pouvoir, pour ainsi dire, se faire (Ce morceau a déjà été rapporté précédemment, article de l’aumône, question III, témoignage 4, page 94). "

7. S. AMBROISE, Epist. 36 ad Sabinum episcopum, s'exprime de la manière suivante au sujet de ce même saint : " J'ai appris par des gens dignes de foi, que Paulin qui, par la grandeur de sa naissance n'a point d'égal dans l'Aquitaine, ayant vendu tous ses biens et aussi ceux de sa femme, a formé le dessein de donner aux pauvres l'argent qu'il en a amassé, de sorte que se faisant pauvre de riche qu'il était, comme s'il s'était déchargé d'un pesant fardeau, il renonce à sa maison, à sa patrie, à ses proches, pour servir Dieu avec plus de perfection. On dit qu'il a choisi pour le lieu de sa retraite la ville de Nole où, loin du bruit et du monde, il passera sa vie. "

" Son épouse, dame qui approche beaucoup de sa vertu et de son zèle, consent au dessein de son mari, et ayant cédé à d'autres la possession de ses terres, elle suit son époux, et contente de partager avec lui dans ce lieu un petit domaine, elle se dédommagera en acquérant les richesses de la religion et de la charité. Ils n'ont point d'enfants, et c'est ce qui leur a fait désirer de laisser au monde de grands exemples au lieu de descendants. "

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" Du moment où les grands du monde auront appris cette nouvelle, que ne diront-ils pas ? Quoi ! un homme d'une telle famille, d'une race si illustre, d'un esprit si élevé, d'une éloquence si admirable, avoir quitté le sénat, laisser s'éteindre une maison si noble et si distinguée, cela n'est pas supportable. - Et pendant qu'ils se font raser la tête et les sourcils pour pouvoir être initiés aux mystères d'Isis, ils traitent d'indigne l'action d'un chrétien qui, plus attentif que les autres à suivre les maximes de notre sainte religion, aura changé d'habit. "

" Je suis pénétré de douleur de voir que les idoles, qui ne sont que mensonge, aient des adorateurs si exacts à observer les cérémonies de leur culte, et que Jésus-Christ, qui est la Vérité, ait des serviteurs si négligents et si peu zélés que plusieurs d'entre eux rougissent de paraître plus fidèles que les autres aux règles de la religion, ne faisant pas attention aux paroles de celui qui a dit : Celui qui rougira de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux (MARC, VIII, 38) (Cf. Lettres de saint Ambroise, p. 79-83). "

8. SULPICE-SEVERE, dans la Vie qu'il a donnée de saint Martin : " Martin ne parlait avec nous d'autres choses, que de l'obligation de renoncer aux plaisirs trompeurs de ce monde et aux occupations du siècle, pour suivre Jésus-Christ d'un pas libre et dégagé. Et il nous citait l'exemple le plus éclatant qui en ait été donné de nos jours dans la personne de Paulin, cet homme illustre qui, en se dépouillant lui-même de ses immenses richesses et se mettant ainsi à la suite de Jésus-Christ, a seul de notre temps accompli dans toute leur perfection les conseils (præcepta) évangéliques. Il ne se lassait de nous crier que c'était ce grand homme qu'il nous fallait suivre, que c'était ce grand homme qu'il nous fallait imiter, et que le siècle actuel était heureux de posséder un si beau modèle d'héroïsme de foi et de vertu, dans cet homme généreux qui, docile aux instructions de Notre-Seigneur, a, tout riche, tout opulent qu'il était, vendu tous ses biens et en a fait la distribution entière aux pauvres, rendant ainsi possible par l'exemple qu'il en donnait ce qui sans lui eût paru impossible. "

9. POSSIDIUS ou Possidonius, évêque de Calame ou Chelme, dans la Vie qu'il a donnée de saint Augustin, c. 2 : " Une fois baptisé, ne brûlant plus désormais d'amour que pour Dieu, il renonça

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à toutes les espérances qu'il avait dans le siècle, et à toute idée de mariage, aussi bien que d'honneurs et de richesses, et résolu à ne servir que Dim, ainsi que les personnes dont il avait composé sa maison, il n'aspirait plus qu’à faire partie de ce petit troupeau auquel Notre-Seigneur adresse ces consolantes paroles : Ne craignez point, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner son royaume (LUC, XII, 32-33). Vendez ce que vous avez, et donnez-le en aumônes ; faites-vous des bourses qui ne s'usent point avec le temps ; amassez dans le ciel un trésor qui ne périsse jamais, etc. Il n'avait d'autre pensée que d'exécuter ce que Notre-Seigneur nous recommande encore par ces paroles : Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; et venez, suivez-moi, etc. "

Ibidem, c. 5 : " Ordonne prêtre, il établit un monastère près de l'église, et se mit à vivre avec les serviteurs de Dieu de la manière et suivant la règle indiquée par les apôtres, de sorte qu'aucun membre de cette société ne possédait rien en propre, mais que tout était commun entre eux, et que chacun en recevait selon son besoin : manière de vivre qu'il avait menée le premier, du moment où il avait quitté l'Italie pour rentrer dans son pays natal. "

Ibidem, c. 31 : " Il ne fit point de testament, parce que, modèle vivant de la pauvreté chrétienne, il ne laissait rien qu'il pût léguer. "

10. S. AUGUSTIN, Epist. LXXXIX (al. 157) ad Hilarium : " J'ai été, moi qui vous écris, fortement touché de l'amour de cette perfection que Jésus-Christ conseillait à ce riche de l’Evangile, quand il lui disait : Allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; et venez, suivez-moi. Aussi ai-je suivi ce conseil, non par mes propres forces, mais par le secours de la grâce ; et quoique je ne fusse pas riche, Dieu ne m'en tiendra pas moins compte, puisque les apôtres qui l'ont fait avant moi n'étaient pas riches non plus, et que c'est quitter le monde entier, que de quitter, et ce qu'on a, et ce qu'on pourrait désirer d'avoir. Personne ne sait si bien que moi ce que j'ai fait de progrès dans cette voie de la perfection chrétienne ; mais Dieu le sait encore mieux que moi. J’exhorte les autres, autant que je le puis, à faire la même chose ; et, par la miséricorde de Dieu, j’ai des compagnons dans ce genre de vie, qu'il lui a plu de leur inspirer par mon ministère. Mais quand nous le prêchons, c'est sans rien avancer de

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contraire à la saine doctrine ; c'est sans condamner les autres, sans nous élever avec orgueil au-dessus d'eux (Cf. Les Lettres de saint Augustin, t. IV, p. 431-432). "

11. JEAN DIACRE, dans la Vie qu'il a donnée de saint Grégoire-le-Grand, c. 5 : " Quand il eut perdu son père, devenu tout-à-fait le maître de disposer de son bien, il éleva six monastères dans la Sicile, qu'il peupla d'un nombre de moines suffisant, et qu'il dota de ce qu'il fallait de terres pour suffire à l’honnête entretien de ces communautés. "

Ibidem, c. 6 : " Il établit un septième monastère dans son propre palais, dans l'enceinte de la ville de Rome, près de la basilique des apôtres saint Jean et saint Paul, sur le penchant de la colline de Scaurus, et qu'il dédia sous le vocable de l'apôtre saint André. Renonçant à tout vêtement de soie, aux toges chamarrées de dorures et de pierreries et à tout riche ameublement, il en distribua le prix aux pauvres, et ainsi dépouillé de tout, il ne lui fut que plus facile d'échapper au naufrage qu'il eût pu faire dans le monde. Ayant pris l'habit monastique qu'il désirait depuis longtemps, il mena la vie religieuse de compagnie avec beaucoup de moines, d'abord sous la règle du vénérable abbé Hilarion, puis sous celle de l'abbé Maximien. Plus tard, quoiqu'il préférât la vie de simple religieux, les suffrages unanimes de la communauté l'obligèrent à en prendre à son tour le gouvernement. "

12. S. GREGOIRE de Tours, Lib. X Historia Francorum, c. 4 : " Après la mort du pape Pélage, comme l’Eglise de Dieu ne pouvait exister sans chef, tout le peuple élut le diacre Grégoire, sorti de l'ordre des premiers sénateurs. Ce personnage, formé à la piété dès sa première jeunesse, bâtit six monastères en Sicile sur ses propres terres, et un septième dans l'enclos des murs de Rome, pour la fondation desquels il donna autant de biens en fonds de terre qu'il en fallait pour la nourriture des religieux, et vendit le reste avec tout ce qu'il pouvait attendre de sa famille, et le donna aux pauvres ; et lui qui auparavant avait accoutumé de marcher par la ville en vêtement de soie et tout éclatant d'or et de pierreries, désormais vêtu d'un simple habit, se consacra au service du Seigneur, et fut choisi pour assister le pape en qualité de septième lévite (C'est-à-dire de diacre, charge par l'évêque d'administrer les biens de l'Eglise et de remplir auprès du peuple les autres fondions ecclésiastiques. V. les Œuvres de saint Grégoire de Tours, ancienne traduction déjà citée). "

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13. S. JEAN DAMASCENE, dans la Vie (L’authenticité de cet ouvrage, contestée et même niée par quelques-uns, n'est pas révoquée en doute par Noël-Alexandre. V. Hist. eccles., tome VI, pag. 35, édit. de Venise) des deux soldats chrétiens Josaphat et Barlaam, c. 35, dit en parlant du roi Josaphat, fils d'Avennir, roi de l'Inde : " Le huitième jour après la mort de son père, étant rentré dans le palais, il en distribua aux pauvres toutes les richesses, de sorte qu'il ne resta plus dans le pays aucun indigent. Quelques jours seulement lui suffirent pour vider tous ses trésors ; car il n'avait qu'une crainte, celle de ne pouvoir entrer par la porte étroite à cause de tant de richesses qu'il possédait. "

Ibidem, c. 36 : " Le quarantième jour après la mort de son père, ayant à célébrer sa mémoire, il rassembla tous les magistrats, avec un grand nombre de militaires et d'hommes du peuple, et, assis sur son trône, il leur tint ce discours : " Vous le voyez, Avennir, mon père et mon roi, est mort tout comme les plus pauvres de ses sujets. Ni ses richesses, ni sa puissance, ni sa gloire, ni son fils qui est moi-même, ni ses amis, ni tous ses parents, n'ont pu le secourir et détourner de dessus lui l'exécution de cette terrible sentence ; mais il lui a fallu comparaître devant ce tribunal, sans emmener personne avec lui pour plaider sa cause, sans être accompagné d'autre chose que de ses œuvres bonnes ou mauvaises. . . . . "

" Il est donc bien temps que j'accomplisse ce que j'ai promis à Dieu. Il est bien temps, je le répète que j'entre dans la voie qu'il veut que je suive, et que je m'acquitte envers lui des vœux que je lui ai faits. Examinez donc maintenant avec moi qui vous devez choisir pour vous commander et pour être à la tête du gouvernement. "

14. JEAN, patriarche de Jérusalem, dans la Vie qu'il a composée de saint Jean Damascène : " Ayant sous les yeux ces deux maximes du Sauveur, dont la première nous recommande de vendre nos biens et d'en donner le prix aux pauvres, l'autre, de faire pour Dieu le sacrifice de tout, il ne perdit pas un moment pour se conformer soit à la première de ces maximes, de peur que le moindre retard ne lui créât un obstacle qu'il ne pût vaincre, soit à la seconde, dans la crainte que, s'il abandonnait ses biens sans aucune précaution ils ne devinssent une source de procès et de démêlés entre les gens de sa famille, chacun alléguant à sa manière les droits qu'il prétendrait y avoir. Il

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prit donc pour règle ces deux maximes à la fois, et ayant partagé sur-le-champ une partie de ses biens entre les pauvres, les prisonniers, les esclaves qu'il avait et à qui il rendit la liberté, et les personnes de sa famille, et consacré l'autre partie aux temples du Seigneur, nu désormais et dépouillé de tout, à l’exception de ses vêtements les plus nécessaires, il sortit de ce monde comme il y était entré, dans la nudité que je viens de dire. Puis il prit le chemin de Jérusalem, et après avoir visité et vénéré ces saints lieux, il se retira dans la solitude comme un cerf altéré d'une soif divine, et entra dans la laure de saint Sabas, accompagné de Côme, qui, imbu des même principes que lui et formé à la même école, avait voulu partager non-seulement les fatigues de son voyage, mais aussi l'exécution de son dessein. Vous eussiez dit deux taureaux animés d'une ardeur égale, et également empressés de se mettre sous le même joug, le joug de Jésus-Christ. "

15. EUSEBE de Césarée, Histoire ecclésiastique, livre II, c. 16, rapporte l'extrait suivant du livre du Juif Philon sur la vie contemplative ou sur la piété des chrétiens d'Alexandrie formés par saint Marc : " Après avoir jeté dans leurs âmes le fondement de la piété par la tempérance à laquelle ils se vouent, ils s'empressent d'élever sur cette pierre fondamentale l'édifice de toutes leurs autres vertus. " - " Nous sommes persuadés, ajoute Eusèbe, qu'un témoignage si clair et si fort rendu par Philon, ne peut se rapporter qu'aux chrétiens de son temps. Que si quelqu'un s'obstinait cependant à résister à de pareils témoignages, qu'il se rende au moins attentif à d'autres preuves encore plus évidentes et qu'on ne peut trouver nulle part ailleurs que dans la vie des chrétiens attachés aux maximes de l'Evangile, et que, vaincu par leur évidence irréfragable, il renonce enfin à son obstination et à son incrédulité. Car Philon rapporte de ces hommes, que les femmes aussi partageaient le genre de vie des hommes dont il parle ici, et que bon nombre d'entre elles gardaient la virginité jusqu’à une extrême vieillesse, de sorte, ajoute-t-il, que sans contrainte qui les y oblige, comme cela se pratique pour bien des prêtresses grecques et idolâtres, mais par le libre mouvement de leur volonté, elles embrassent la chasteté avec le plus grand zèle et la conservent avec tout le soin possible, par le désir incroyable qui les consume d'atteindre la perfection de la sagesse. Passant ainsi leur vie à cette sublime recherche, elles professent un généreux mépris de tous les plaisirs qui peuvent

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flatter les sens, heureuses, se croient-elles, si elles réussissent à enfanter, non de ces fruits périssables et caducs qui résultent de l'union passagère des sexes, mais des fruits immortels et qui ne périront jamais, tels enfin qu'il n'y a qu'une âme enflammée de l'amour divin qui puisse les produire. "

16. NICEPHORE, Historiæ ecclesiasticæ lib. II, c. 16, rapporte, d'après Platon, les mêmes particularités qu'Eusèbe des chrétiens d'Alexandrie. "

17. TERTULLIEN, à sa femme, liv. 1, c. 6 : " Combien qui, d'un consentement mutuel, eunuques volontaires, s'affranchissent des obligations du mariage pour mieux conquérir le ciel ! Si l'on embrasse la continence dans le mariage, à combien plus forte raison faudra-t-il se l'imposer quand la mort l'a rompu, etc. (Cf. Les Pères de l'Eglise, trad. par M. de Genoude, t. VII, p. 628) "

18. S. BASILE, in regulis brevioribum, q. 96 : " L'Apôtre ayant dit : De sorte que vous ne faites pas tout ce que vous voudriez, il n'y a rien de si dangereux en toute sorte d'affaires, que de laisser chacun se conduire par lui-même et agir par sa propre volonté ; au contraire, il faut s'en tenir de bon cœur à tout ce que le supérieur juge à propos d'ordonner, quand même ce serait une chose qui choquerait notre inclination. "

19. S. JEROME, Lettre XXII à la vierge Eustochium, c. 1 : " Si je vous écris ceci, chère Eustochium, ma souveraine (car je dois appeler ma souveraine l'épouse de mon maître) c'est afin de vous donner à comprendre, dès le début, que je ne veux point ici faire l'éloge de la virginité que vous avez jugée excellente et que vous avez embrassé, etc. " Et, c. 6 : " Je voudrais que vous n'eussiez point de liaisons avec les femmes mariées ; je voudrais que vous ne fréquentassiez pas les personnes de qualité ; je ne voudrais pas que vous vissiez souvent ce que vous avez méprisé pour vous consacrer à l'état virginal. Si une femme du commun se fait d'ordinaire un mérite d'avoir pour mari un juge ou un homme constitué en quelque dignité ; si les courtisans se hâtent d'accourir auprès d'une impératrice, pourquoi compromettez-vous la gloire de votre époux ? Pourquoi vous empressez-vous autour de la femme d'un homme mortel, vous l'épouse de Dieu ? Apprenez à montrer en ceci un saint orgueil ; sachez que vous êtes au-dessus d'elles. "

20. S. AMBROISE, Lib. I de virginibus : " C'est bon droit que la virginité a emprunté du ciel son genre de vie, puisque c'est

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dans le ciel qu'elle a trouvé son époux. S'élevant par-delà les nues et la vaste étendue de l'air, au-dessus des chœurs des anges et de toute l'armée des astres, elle va trouver le Verbe de Dieu dans le sein même du Père, et s'attache a lui de toute la tendresse de son cœur. Eh ! qui est-ce qui ayant une fois trouvé un si grand bien, pourrait jamais s'en détacher ? Votre nom est comme un parfum broyé, dit à son divin époux l'épouse des Cantiques ; c'est pourquoi les jeunes filles vous ont aimé, et vous ont attiré à elles (Cant., I, 2). Enfin c'est un autre que moi qui a dit (MATTH., XXII, 30), que celles qui ne contracteront pas de mariages seront comme des anges de Dieu dans le ciel. Que personne ne soit donc étonné de ce qu'on les compare aux anges, puisqu'elles sont les épouses du Dieu des anges. Qui pourra nier que la virginité soit venue du ciel, si l'on fait attention qu'on n'en trouve sans peine des exemples sur la terre, que depuis que Dieu y est descendu et qu'il a pris un corps terrestre ? C'est alors seulement qu'une vierge a conçu dans son sein, et que le Verbe s'est fait chair, pour que la chair à son tour s'élève jusqu'à Dieu. "

" Ce qu'une femme désire surtout quand elle pense au mariage, c'est de pouvoir se glorifier de la beauté de son époux, et par-là même les personnes mariées doivent confesser leur infériorité par rapport aux saintes vierges, qui seules ont le droit de dire à leur époux : Vous êtes le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur vos livres (Ps. XLIV, 3). Quel est cet époux ? Ce n'est point un homme attaché à quelque vile profession, ou fier de posséder quelques biens périssables, mais celui qui a son trône fondé dans les siècles des siècles et à qui font leur cour les filles des rois. La reine s'est tenue à votre droite, revêtue d'un habillement d'or, et environnée de divers ornements. Ecoutez donc, ma fille, ouvrez les yeux, et ayez l'oreille attentive ; et oubliez votre peuple et la maison de votre père. Alors le roi concevra de l'amour pour votre beauté ; car c'est lui qui est votre Dieu (Ps. XLIV, 10-12). Et remarquez combien l'Esprit-Saint vous assure d'avantages par le témoignage des saintes Ecritures : c'est un royaume, c'est de l'or, c'est toute sorte de beauté. Un royaume, ou parce que vous êtes l'épouse du roi éternel, ou parce que, douce d'un courage invincible, vous ne vous laissez point enchaîner par la volupté mais que vous régnez sur elle comme une reine. C'est de l'or, parce que comme cette matière a d'autant plus de prix, qu'elle est davantage éprouvée par le feu, ainsi la vierge sanctifiée par l'esprit divin, acquiert à son contact une beauté incomparable.

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Et quant à cette beauté même, que peut-on en dire de plus, que c'est ce qui la rend digne de l'amour de son roi, des éloges de son juge, et qui rend Dieu lui-même jaloux de se la consacrer, toujours épouse, toujours libre des liens du mariage, de sorte que ni son amour n'a de fin, ni sa pudeur ne reçoit d'atteinte ? C'est là certainement une beauté à laquelle il ne manque rien. "

21. Le même, Serm. XC (Ce sermon, attribué communément à saint Ambroise, paraît suspect à Noël-Alexandre pour une raison qui ne me semble pas d'une grande force (V. NAT. ALEX., Hist. eccles., t. IV, p. 327). Le style tout seul du passage cité ici devrait, à ce qu'il me semble, suffire pour le revendiquer au saint docteur. Voici au reste la raison alléguée par Noël- Alexandre : c'est qu'il est dit dans ce sermon que sainte Agnès fut égorgée tandis que, dans le livre Ier des berges du même saint docteur, nous lisons qu'elle eut la tête tranchée : Sermo nonagesimus, in quo describitur passio beatæ Agnetis, in dubium non immeritò vocatur, ex eo quòd narret guttur sanctæ virginis gladio fuisse perfossum, cùm Ambrosius, lib, I de Virginibus, caput ipsi gladio amputatum asserat. " Stetit, oravit, cervicem inflexit " (inquit ille). At nonagesimus secundus, etc. Le lecteur en croira-t-il ses yeux ?), parlant du martyre de la vierge sainte Agnès : " Eloignez-vous de moi, dit Agnès au fils du préfet, parce qu'un autre amant avant vous s'est rendu maître de mon cœur ; il m'a offert des bijoux plus précieux que les vôtres ; il a mis à mes doigts l’anneau qui est le gage de sa fidélité, et il vous surpasse de beaucoup en mérite et en noblesse ; il m'a orné de bracelets d'un prix inestimable. Il a suspendu à ma main droite et à mon cou des pierreries du plus grand prix. Il a attaché à mes oreilles des diamants d'une beauté ravissante ; il m'a fait toute une ceinture d'émaux des plus brillants. Il m'a marqué de son chiffre, et je ne puis admettre un autre amant que lui. Il m'a revêtu d'une robe toute chargée de broderies en or, et il a posé sur mes épaules des colliers sans nombre. Il m'a fait voir ses trésors auxquels je ne trouve rien à comparer, et il m'a promis de me les donner, si je lui suis fidèle. Je ne pourrais donc sans lui faire injure en regarder seulement un autre, en abandonnant celui à qui je me trouve lié par tous les liens de l'amour : celui dont la noblesse, la puissance, la beauté, l'amour et la grâce ne trouvent rien de comparable ; lui qui m'a déjà préparé ma couche, et dont la voix a pour mon cœur les charmes les plus doux. Le miel et le lait ont déjà découlé pour moi de ses lèvres. Déjà j'ai reçu ses chastes embrassements ; déjà mon corps s'est uni au sien, et son sang s'est infiltré jusque dans mes joues.

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Il a pour mère une vierge, et pour père celui qui ne connaît pas de femme. Les anges sont ses ministres ; le soleil et la lune admirent sa beauté ; sa seule haleine rend la vie aux morts ; son simple toucher guérit les malades ; ses richesses sont inépuisables ; sa puissance n'est sujette à aucun caprice du sort. C'est à lui seul que j'ai promis ma foi : je veux la lui garder, en me dévouant toute entière à le servir. Son amour me donne de la chasteté, son contact me purifie, et c'est mon union avec lui qui fait que je suis vierge. Son mariage avec moi ne sera pas stérile, j'aurai de lui des enfants dont l'enfantement ne me causera aucune douleur, et ma fécondité ne fera que croître de jour en jour. " A ces paroles, le jeune insensé, transporté par une passion aveugle, etc. La bienheureuse Agnès refuse de consentir à ses désirs et proteste que rien ne la déterminer à violer l'alliance contractée par elle avec son premier époux. Et comme le père du jeune homme disait à son tour que, comme il était revêtu lui-même de la charge de préfet, aucun parti ne pouvait être préférable à celui qu'il offrait à la martyre, la curiosité cependant le poussa à demander quel pouvait donc être cet époux dont Agnès vantait tant la puissance. Alors il lui fut répondu par un de ses parasites qu'Agnès était chrétienne depuis sa première enfance, et qu'elle était tellement dupe de certaines opérations magiques usitées parmi les chrétiens qu'elle se donnait le Christ pour époux. "
 
 

Question III

En quels endroits de l’Evangile Jésus-Christ nous donne-t-il le conseil de la pauvreté volontaire ?

C'est à la suite de cet endroit de l’Evangile de saint Matthieu où sont énumérés les commandements de Dieu, au sujet desquels Notre-Seigneur Jésus-Christ di ces paroles, qui s'adressent à tout le monde sans exception : Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements. Puis il donne le conseil d'embrasser la pauvreté volontaire, en s'exprimant de manière à bien faire voir qu'il laissait chacun libre de s'y conformer : Car voici les termes dont il s'est servi : Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un, trésor dans le ciel : et venez, suivez-moi.

Par ces paroles Notre-Seigneur ne conseille pas seulement d'embrasser la pauvreté mais il excite à le faire, et pour que nous nous y portions plus volontiers, il nous fait valoir la gran-

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deur de la récompense que nous aurons à recevoir en échange. Car il promet à celui qui voudra se faire pauvre en quittant tout pour lui, de lui procurer un trésor dans le ciel, le centuple en ce monde et la vie éternelle dans l'autre : avantages que les riches auront tant de peine à obtenir.

C'est ce genre de pauvreté que pratiquaient et dont faisaient profession les apôtres, dont Pierre ne faisait qu'interpréter les sentiments unanimes quand il disait à Jésus-Christ avec tant d'assurance : Vous voyez que nous avons tout quitté pour vous suivre.

A la suite des apôtres nous apparaissent les chrétiens de l’Eglise naissante, qui, comme l'atteste saint Luc, vendaient ce qu'ils avaient pour en consacrer le prix à l'utilité commune, de sorte qu'aucun d'eux ne possédait plus rien en propre, tout ce qui pouvait rester à chacun étant également devenu le bien de tous.

Tel est aussi le caractère du genre de pauvreté dont nous parlons ici : d'être un renoncement volontaire et parfait à tout ce qu'on peut posséder et à tout droit de propriété qu'on pourrait y prétendre.

Et c'est ici que trouve son application cette maxime célèbre et si fort goûtée des anciens : " On fait bien d'employer le produit de ce qu'on possède à soulager les indigents ; on fait mieux de tout abandonner à la fois pour se mettre à la suite du Sauveur, et c'est se rendre libre de toute sollicitude que de savoir être pauvre avec Jésus-Christ. "

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. MATTHIEU, XIX, 16-29 : " Et voilà qu'un jeune homme s'approchant de lui, lui dit : Bon maître, quel bien faut-il que je fasse pour gagner la vie éternelle ? - Jésus lui répondit : Pourquoi me demandez-vous ce qui est bon ? Il n'y a que Dieu qui soit bon. Au surplus, si vous voulez entrer dans la vie, garde les commandements. - Et cet homme lui dit : Quels commandements ? Jésus lui répartit : Vous ne tuerez point, vous ne commettrez point d'adultères vous ne déroberez point, vous ne porterez pas de faux témoignages. - Honorez votre père et votre mère et aimez votre prochain comme vous-même. - Le jeune homme lui dit : J'ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse ; que me reste-t-il encore à faire ? Jésus lui dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez, et suivez-moi. - Le jeune homme ayant entendu ces paroles, s'en alla tout triste : car il possédait de grands biens. - Alors Jésus dit à ses disciples : En vérité, je vous le dis, il est bien difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. - Et je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau (à un câble, suivant certains exemplaires grecs), de passer par le trou d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. - Ses disciples ayant entendu ces paroles, en furent saisis d'étonnement, et ils disaient : Qui donc pourra être sauvé ? Jésus les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu. - Pierre prenant alors la parole, lui dit : Voici que nous avons tout quitté, et que nous nous sommes mis à votre suite ; quelle sera donc notre récompense ? - Jésus leur répondit : Je vous dis en vérité, que pour vous qui m'avez suivi, lorsqu'au temps de la régénération le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous aussi vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. Et quiconque aura quitté pour moi sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle. "

2. LUC, XVIII, 17-30 : " Alors un des principaux du pays vint lui faire cette demande : Bon maître, que faut-il que je fasse pour obtenir la vie éternelle ? - Jésus lui répondit : Pourquoi m'appelez-vous bon ? Nul n'est bon que Dieu seul. - Vous savez

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les commandements : Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point d'adultères ; vous ne déroberez point ; vous ne porterez point de faux témoignages ; honorez votre père et votre mère. J'ai gardé, lui dit l'autre, ces commandements dès ma jeunesse. - Jésus l'ayant entendu, lui dit : Une chose vous manque encore ; vendez ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez, et suivez-moi. - Mais lui, ayant entendu ceci, devint tout triste, parce qu'il était fort riche. - Et Jésus le voyant triste, dit là-dessus : Qu'il est difficile à ceux qui ont de grandes richesses d'entrer dans le royaume des cieux ! - Il est plus facile à un chameau (al. à un câble) de passer par le trou d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. - Ceux qui l'écoutaient lui dirent : Qui donc peut être sauvé ? - Jésus leur répondit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. - Alors Pierre lui dit : Pour nous, vous voyez que nous avons tout quitté pour vous suivre. - Jésus leur répondit : Je vous le dis en vérité, personne ne quittera pour le royaume de Dieu, ou sa maison, ou son père, ou sa mère, ou ses frères, ou sa femme, ou ses enfants, - qu'il ne reçoive dès ce monde bien davantage, et dans le siècle à venir la vie éternelle. "

3. MARC, X, 17-30 : " Et comme il s'avançait dans la voie publique, un jeune homme accourant, fléchit les genoux devant lui, et lui dit : Bon maitre, que dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? - Jésus lui dit : Pourquoi m'appelez-vous bon ? Il n'y a que Dieu qui soit bon. - Vous savez les commandements : Ne commettez point d'adultères ; ne tuez point ; ne dérobez point ; ne portez point de faux témoignages ; n'usez point de fraude ; honorez votre père et votre mère. - Le jeune homme lui répondit : Maître, j'ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse. - Jésus l'ayant regardé, conçut de l'affection pour lui, et lui dit : Il vous manque une chose : allez, vendez ce que vous avez et donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez et suivez-moi. - Mais cet homme, attristé par ces paroles, s'en alla tout chagrin, parce qu'il avait de grandes richesses. - Alors Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples : Qu'il est difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! - Les disciples étaient étonnés de ce discours ; mais Jésus leur dit de nouveau : Mes enfants, qu'il est difficile à ceux qui se confient dans leurs richesses d'entrer dans le royaume de Dieu - Il est plus aisé à un chameau (al. à un

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câble) de passer par le trou d'une aiguille, qu’à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. - Ses disciples s'étonnaient encore plus, et se disaient les uns aux autres : Qui peut donc être sauvé ? - Mais Jésus, les regardant, leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu : car tout est possible à Dieu. - Alors Pierre prenant la parole, lui dit : Pour nous, vous voyez que nous avons tout quitté, et que nous vous avons suivi. - Jésus lui répondit : Je vous le dis en vérité, personne ne quittera pour moi et pour l’Evangile sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses terres, - que présentement dans ce siècle même, il ne reçoive au centuple des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants, des terres, au milieu même des persécutions, et dans le siècle à venir la vie éternelle. "

4. MATTHIEU, XIX; comme ci-dessus, témoignage 1.

5. LUC, VI, 20 : " Jésus levant les yeux sur ses disciples, leur dit : Bienheureux vous qui êtes pauvres, parce que le royaume de Dieu vous appartient. "

6. MATTHIEU, XIX ; comme ci-dessus, témoignage 1.

7. Actes, IV, 32-37 : " Or, toute la multitude des nouveaux fidèles n'avait qu'un cœur et qu'une âme : nul ne considérait ce qu'il possédait comme lui appartenant en particulier, mais tout était commun entre eux. - Les apôtres rendaient témoignage avec une grande force à la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la grâce était abondante dans tous les fidèles. - Et il n'y avait point de pauvres parmi eux, parce que tous ceux qui possédaient des fonds de terre ou des maisons les vendaient, et en apportaient le prix, - qu'ils déposaient aux pieds des apôtres, et on le distribuait ensuite à chacun selon son besoin. - Joseph, surnommé par les apôtres Barnabé, c'est-à-dire fils de consolation, qui était lévite originaire de l'île Chypre, -vendit aussi un champ qu'il avait, et en apporta le prix qu'il mit aux pieds des apôtres. "

8. Actes, II, 44-45 : " Tous ceux qui croyaient vivaient unis entre eux et possédaient tout en commun. - Ils vendaient leurs terres et leurs biens, et en distribuaient le prix à tous, selon que chacun en avait besoin. "

9. Ibid., V, 1-11 : " Alors un homme nommé Ananie, et Saphire sa femme, vendirent ensemble un fonds de terre ; - et cet homme ayant retenu, de concert avec sa femme, une partie du prix qu'il en avait reçu, apporta le reste et le mit aux pieds

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des apôtres : - Mais Pierre lui dit : Ananie, comment Satan vous a-t-il tenté, jusqu'à vous faire mentir au Saint-Esprit, et détourner une partie du prix de ce fonds de terre ? - Ne demeurait-il pas toujours à vous, si vous aviez voulu le garder ; et après même l'avoir vendu, le prix n'en était-il pas encore à vous ? Pourquoi donc avez-vous formé ce dessein dans votre cœur ? Ce n'est pas aux hommes que vous avez menti ; c'est à Dieu. - Ananie, en entendant ces paroles, tomba et expira sur-le-champ ; et tous ceux qui en entendirent parler furent saisis d'une grande crainte. - Alors des jeunes gens se mettant en mouvement enlevèrent le corps, et l'ensevelirent. - Environ trois heures après, sa femme entra sans rien savoir de ce qui s'était passé. - Et Pierre lui dit : Femme, dites-moi : avez-vous vendu pour un tel prix votre fonds de terre ? Elle lui répondit : Oui, nous l'avons vendu pour ce prix. - Alors Pierre lui dit : Pourquoi vous êtes-vous ainsi accordés ensemble pour tenter l'esprit du Seigneur ? Voilà près de la porte ceux qui viennent d'enterrer votre mari, et qui vont aussi vous emporter. - Au même moment, elle tomba à ses pieds, et elle expira. Et quand les jeunes gens furent entrés, ils la trouvèrent morte : et l'ayant emportée, ils l'enterrèrent auprès de son mari. - Et cet événement répandit une grande frayeur dans toute l’Eglise, et parmi tous ceux qui en entendirent parler. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. JEROME, ad Heliodorum, epist. I : " Mais quoi, me direz-vous, est-il donc impossible de demeurer dans les villes sans cesser d'être chrétien ? Vous n'êtes pas, mon frère, sur le même pied que les autres. Ecoutez ce que dit le Fils de Dieu : Si vous vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous possédez, et donnez-en le prix aux pauvres, puis venez, et suivez-moi (MATTH., XIX, 21). Vous avez fait vœu de tendre à la perfection : car lorsque vous avez abandonnés le siècle, et que vous vous êtes fait eunuque pour le royaume des cieux, vous vous êtes engagé en même temps à mener une vie parfaite. Or, un parfait serviteur de Jésus-Christ ne doit point avoir d'autres possessions que Jésus-Christ même, ou, s'il possède quelque autre chose avec lui, il cesse d'être parfait. Que s'il n'est pas dans cet état de perfection qu'il a promis à Dieu, il n'a pu faire cette promesse sans mensonge, et la bouche qui profère le mensonge donne la mort à l’âme (Sag., I, 11). De tout cela je conclus que, si vous êtes parfait, vous ne devez plus

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désirer les biens de la terre, et que, si vous ne l’êtes pas, vous avez trompé Dieu. Après que l'oracle évangélique nous a dit de sa voix divine et tonnante : Vous ne sauriez servir deux maîtres à la fois (MATTH., VI, 24), ose-t-on bien faire mentir Jésus-Christ, en prétendant servir tout à la fois et Dieu et l'argent ? Ce divin Sauveur nous a dit si souvent : Si quelqu'un veut s'attacher à moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix, et qu'il me suive (ibid., XVI, 24) ; et l'on se flatte de pouvoir le suivre avec le pesant fardeau des richesses ? Celui qui dit qu'il croit en Jésus-Christ doit imiter Jésus-Christ dans sa conduite (I JEAN, II, 6). "

" Vous ne manquerez pas de me répondre que vous ne possédez plus rien. Mais si cela est, que ne combattez-vous donc, puisque ce détachement universel vous rend si propre au combat (Cf. Les Lettres de saint Jérôme, trad. par D. Guill. Roussel, tome Ier, pag. 10-11) ? "

2. Le même, in caput XIX Matthæi, sur ces paroles, Si vis perfectus esse, etc. : " Vouloir être parfaits, c'est une chose abandonnée à notre libre arbitre. Toutefois, dès là que nous voulons l’être, c'est pour nous une nécessité de vendre ce que nous avons ; et non d'en vendre seulement une partie, comme faisaient Ananie et Saphire, mais de vendre le tout, et après qu'on l'a vendu, d'en donner tout le prix aux pauvres, et de s'amasser ainsi un trésor dans le royaume des cieux. Et ce n'est pas encore là assez pour la perfection, si après ce sacrifice absolu qu'on aura fait de toutes ses richesses, on ne s'attache à la suite du Sauveur, c'est-à-dire, si après avoir fui le mal on ne se met à la poursuite du bien. Car il est plus facile de se défaire de sa bourse que de la volupté. Il en est beaucoup qui abandonnent leurs richesses sans suivre pour cela le Sauveur. Suivre le Sauveur, c'est imiter ses exemples et marcher sur ses traces. "

Ibidem, sur ces paroles, Ecce nos reliquimus omnia, etc. : " Quelle confiance dans cet apôtre ! Pierre n'était qu'un simple pécheur ; jamais il n'avait été riche ; le travail de ses mains et les modiques ressources de sa profession étaient tous ses moyens de subsistance : et pourtant il ose dire : Nous avons tout quitté. Et comme ce n'est pas encore assez faire que de quitter tout, il ajoute ce qui met le comble à la perfection du sacrifice : Et nous nous sommes mis à votre suite. Nous savons fait ce que vous avez

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demandé de nous ; que nous donnerez-vous donc en récompense ? Jésus leur répondit : Je vous dis en vérité, que vous qui m'avez suivi, etc. Il ne leur dit pas simplement : Vous qui avez tout quitté ; car c'est là ce qu'avaient fait avant eux, et le philosophe Cratès, et tant d'autres qui ont fait un généreux mépris des richesses ; mais il leur dit : Vous qui m'avez suivi ; ce qui est en effet le propre des apôtres et des fidèles. "

Ibidem, sur ces paroles, Et omnis qui reliquerit domum, etc. : " Cet endroit de l'Evangile revient à cet autre où nous lisons ces paroles : Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu séparer l'homme d'avec son père, la mère d'avec sa fille, la belle-mère d'avec sa bru, et l'homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison (MATTH., X, 34-36). Ceux donc qui pour rester fidèle à Jésus-Christ et au devoir de prêcher l'Evangile, auront renoncé à toutes leurs attaches, à toutes les richesses et à tous les plaisirs du siècle en recevront le centuple, et posséderont la vie éternelle. "

3. Le même, à Démétriade sur la virginité, lettre VIII, c. 7 : " C'est atteindre au comble de la vertu et à la perfection des apôtres que de vendre tout, d'en répartir le prix aux pauvres, et, ainsi devenu léger et dégagé, de s'envoler vers les cieux avec le Christ. A nous, à vous plutôt, a été confiée une sage dispensation ; en ceci du reste, chaque âge, chaque individu a la liberté de faire ce qu'il lui plaît. Si vous voulez être parfait, est-il dit. Je ne force point, je ne commande point ; mais je propose la palme, je montre les récompenses ; c'est à vous de choisir, si vous voulez être couronné dans la lutte et dans le combat. Et voyez combien sagement s'exprime la Sagesse ! Vendez ce que vous possédez. A qui fait-elle ce commandement ? A celui à qui il a été dit : Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez ; vendez, non une partie, mais tout ; et après que vous aurez tout vendu, donnez-en le prix. A qui ? Non pas aux riches, non pas à vos proches pour satisfaire les caprices de leur luxe ; mais aux indigents pour soulager leur misère. Que celui à qui vous donnerez soit prêtre, qu'il soit parent ou allié, ne considérez en lui autre chose que sa pauvreté. Que les entrailles de ceux qui ont faim vous louent, et non pas les festins opulents des hommes de bonne chère. "

" Lorsque le sang du Sauveur était encore tout fumant, et que la foi naissante des premiers chrétiens n'avait encore rien perdu de sa première ferveur, tous les fidèles comme nous le lisons au

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livre des Actes, vendaient leurs héritages, et, pour faire voir combien l'on doit mépriser les richesses de la terre, ils en mettaient le prix aux pieds des apôtres ; puis on le distribuait à tous en proportion des besoins. Mais Ananie et Saphire, timides dispensateurs, ou plutôt cœurs doubles, furent condamnés pour cela même ; car, après avoir fait vœu de consacrer leur héritage au Seigneur, ils ne laissèrent pas d'en conserver quelque chose, comme leur appartenant en propre, au lieu qu'il appartenait tout entier à celui à qui ils l'avaient consacré ; se réservant ainsi une partie d'un bien qui ne leur appartenait plus, apparemment par précaution contre le besoin, comme si, avec le trésor de la foi, on pouvait craindre de manquer jamais. Aussi reçurent-ils sur l'heure le châtiment de leur prévarication, non par le prononcé d'une sentence, mais par une punition exemplaire. Car enfin, ce ne fut pas l'apôtre saint Pierre qui prononça contre eux l'arrêt de mort, comme Porphyre a l'injustice de l'avancer ; il ne fit que dénoncer aux coupables le jugement de Dieu, que l'inspiration prophétique lui avait fait voir tout prêt à fondre sur eux, afin que le châtiment de leur infidélité fût une leçon pour tous les siècles. "

" Depuis que vous vous êtes vouée à une perpétuelle virginité, ce qui était à vous n'est plus à vous ; ou plutôt c'est bien vous, puisque c'est devenu la propriété du Christ. Il est vrai que votre aïeul et votre mère tant qu'elles vivront, gouverneront ces biens comme il leur plaira ; mais si elles meurent, si elles s'endorment du sommeil des saintes (et je sais qu'elles souhaitent que vous leur surviviez), vous alors, devenue plus mûre avec l'âge, plus grave dans vos volontés, plus forte dans vos desseins, vous ferez ce qu'il vous plaira, ou plutôt ce que le Seigneur ordonne, persuadée que vous devez être, que vous ne posséderez véritablement que ce que vous aurez consacré à de bonnes œuvres (Cf. Œuvres choisies de saint Jérôme, etc., trad. par Collombet, tome V, p. 358-363). "

4. Le même, ad Hedibiam epist. CL, q. 1 : " Vous me demandez comment on peut devenir parfait, et de quelle manière doit vivre une veuve qui n'a point d'enfants. C'est la question qu'un docteur de la loi faisait à Jésus-Christ : Maître, lui disait-il, que faut-il que je fasse pour acquérir la vie éternelle ? Le Seigneur lui répondit : Savez-vous les commandements ? Quels commandements,

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lui répliqua le docteur ? Jésus lui dit : Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point d'adultères ; vous ne déroberez point ; vous ne ferez point de faux témoignages ; honorez votre père et votre mère et aimez votre prochain comme vous-même. Le docteur lui ayant répondu : J'ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse, Jésus-Christ ajouta : Une chose vous manque encore : si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres ; puis venez, et suivez-moi (LUC, XVIII, 28). "

" Pour répondre donc à la question que vous me proposez, je me servirai des propres paroles de Jésus-Christ. Si vous voulez être parfaite, portez votre croix, suivez le Sauveur, et imitez saint Pierre, qui disait : Vous voyez, Seigneur, que nous avons tout quitté pour vous suivre ; allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres, et suivez le Sauveur. Jésus-Christ ne dit pas : donnez-le à vos enfants, à vos frères à vos parents, à qui, quand bien même vous en auriez, vous seriez toujours obligée de préférer le Seigneur ; mais : donnez-le aux pauvres, ou plutôt à Jésus-Christ, que vous secourez dans la personne des pauvres ; qui, tout riche qu'il était, s'est fait pauvre pour l’amour de nous, et qui dit de lui-même dans le psaume trente-neuvième : Pour moi, je suis pauvre et dans l'indigence, et le Seigneur prend soin de moi. . . "

" Les apôtres représentent à Jésus-Christ qu'ils ont abandonné tout ce qu'ils possédaient et ils ne craignent pas de demander la récompense que mérite ce parfait détachement. Le Seigneur leur répond : Quiconque abandonnera pour mon nom sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle (MATTHX., IX, 29). Quel bonheur d'avoir Jésus-Christ lui-même pour débiteur, et de recevoir de lui un trésor infini pour le peu qu'on a quitté, des biens éternels pour des biens passagers, des biens durables et solides pour de fragiles et périssables richesses qui nous échappent malgré nous ! "

" Que si une femme veuve, surtout si elle est de qualité, a des enfants, elle ne doit pas les laisser dans l'indigence ; mais il est juste aussi qu'elle ait sa part des biens qu'elle leur laisse. Elle doit premièrement prendre soin des intérêts de son âme, et la regarder comme l'un de ses enfants. Elle doit partager avec eux le bien qu'elle leur donne, et non pas le leur abandonner tout entier ; ou plutôt elle doit le partager entre Jésus-Christ et ses enfants. Vous me direz peut-être que cela est bien difficile, et

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qu'on ne peut traiter ses enfants de cette manière sans révolter la nature, et sans combattre les sentiments les plus tendres qu'elle inspire. Mais le Seigneur vous répond : Que celui qui est capable de cette résolution la prenne (MATTH., XIX, 12) ; il vous dit : Si vous voulez être parfaits, allez, vendez tout ce que vous possédez, etc. Il ne vous fait point une loi de cette perfection ; il vous laisse la liberté de prendre là-dessus tel parti qu'il vous plaira. Voulez-vous être parfaite et vous élever au comble de la vertu ? Imitez les apôtres, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres, et suivez le Seigneur. Séparée de toutes les créatures et dépouillée de tout ce que vous possédiez au monde, suivez la croix débarrassée de tout et n'ayez qu'elle en partage. Ne voulez-vous point être parfaite, et vous contentez-vous de demeurer au second degré de la vertu ? Abandonnez tout ce que vous avez, donnez-le à vos enfants et vos parents : on ne vous fait point un crime de ce que vous vous bornez à ce qu'il y a de moins parfait, pourvu que d'ailleurs vous tombiez d'accord que c'est avec justice qu'on vous préférez celle qui tend à la perfection. "

" Vous ne manquerez pas de me dire qu'une vertu si sublime n'appartient qu'aux hommes et aux apôtres, mais qu'il est impossible qu'une femme de qualité, qui a besoin de mille choses pour se soutenir dans son état, vende tout ce qu'elle possède. Ecoutez donc ce que dit l'apôtre saint Paul : Je n'entends pas que les autres soient soulagés et que vous soyez surchargés ; mais que pour ôte l'inégalité, votre abondance supplée à leur pauvreté, afin que votre pauvreté soit aussi soulagée par leur abondance (II Cor., VIII, 13). C'est pour cela que Jésus-Christ nous dit dans l'Evangile : Que celui qui a deux robes en donne une à celui qui n'en a point (LUC, III, 6). . . . . "

" Ananie et Saphire méritèrent d'être condamnés par l'apôtre saint Pierre, parce qu'ils s'étaient réservé une partie de leur bien par une timide prévoyance. Est-ce donc un crime, me direz-vous, que de ne pas donner tout son bien ? Non, mais l'apôtre les punit de mort parce qu'ils avaient menti au Saint-Esprit, et qu'en se réservant ce qui leur était nécessaire pour vivre, en même temps qu'ils affectaient de renoncer parfaitement à toutes les choses de la terre, ils ne cherchaient que l'approbation et la vaine estime des hommes. Au reste, il nous est libre de donner ou de ne pas donner ; mais celui qui pour être parfait renonce à tous les biens de la vie présente, doit s'attendre à voir

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un jour sa pauvreté récompensée par la possession des biens éternels (Cf. Lettres de saint Jérôme, trad. par D. Roussel, t. IV, p. 4-13). "

5. Le même à Pammachius, pour le consoler de la mort de Pauline son épouse, lettre XXVI, c. 3 : " Nous avons quitté peu de chose, et nous possédons de grandes richesses. Le Christ nous acquitte au centuple ce qu'il nous a promis. Isaac avait déjà semé le premier dans ce champ, lui qui, disposé au sacrifice de sa vie, sut longtemps avant l’Evangile porter la croix évangélique. Si vous voulez être parfait, nous dit Notre-Seigneur, allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres, et suivez-moi. Si vous voulez être parfait : toujours les grandes choses sont à la libre volonté de ceux à qui elles sont proposées. De là vient que l'Apôtre ne commande point la virginité, parce que le Seigneur, parlant de ceux qui se sont faits eunuques pour gagner le royaume du ciel, ajoute aussitôt : Que celui qui peut comprendre, comprenne ; car (Rom., IX, 16) cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Si vous voulez être parfait : on ne vous impose pas de nécessité, c'est afin que vous ayez tout le mérité de la bonne volonté. Si donc vous voulez être parfait, et vous rendre semblable aux prophètes, aux apôtres au Christ, vendez, non pas une partie de votre bien, de peur que la crainte de l'indigence ne vous soit une occasion d'infidélité et que vous ne périssiez avec Ananie et Saphire ; mais vendez tout ce que vous possédez puis, quand vous aurez tout vendu, donnez-en le prix aux pauvres, et non pas aux riches, non pas aux puissants. Donnez au pauvre de quoi subvenir à ses nécessités et non pas au riche de quoi augmenter ses trésors. "

6. Ibidem, c. 4 : " C'est une sorte de sacrilège que de donner le bien des pauvres à des gens qui ne sont pas pauvres. Mais cependant, pour s'élever au comble de la perfection et acquérir une vertu consommée, il ne suffit pas de mépriser les richesses, de distribuer tout son bien, ni de rejeter ce que l'on peut et perdre et retrouver en un moment. Cratès de Thèbes a fait cela ; Antisthène a fait cela ; beaucoup d'autres en ont usé de même, que nous savons avoir été fort vicieux d'ailleurs. Un disciple du Christ doit faire quelque chose de plus que le philosophe du monde, cet animal de gloire, ce vil esclave de la faveur et des applaudissements populaires. Il ne suffit pas que vous méprisiez

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les richesses, si vous ne suivez le Christ. Or, celui-là suit le Christ, qui abandonne le péché et embrasse la vertu. Nous savons que le Christ est la sagesse même. Voilà ce trésor qui naît dans le champ des Ecritures, cette pierre précieuse pour laquelle on donne beaucoup de bijoux. Que si vous aimez une femme captive, c'est-à-dire la sagesse du siècle, et que vous soyez épris de sa beauté, coupez-lui les cheveux, et le charme de ses cheveux, l’ornement de ses paroles, aussi bien que ses ongles, désormais privée de vie ; portez le ciseau sur tout cela. Lavez-lui le corps avec ce nitre dont parle le Prophète (JEREM., II, 22), puis prenez votre repos avec elle, et dites : Sa main gauche est sous ma tête, et sa droite me serre de ses étreintes (Cant., II, 6). Alors cette captive vous donnera de nombreux enfants, et de moabite qu'elle était elle deviendra israélite. Le Christ est notre sanctification, ou le principe de la sainteté, sans laquelle personne ne verra la face de Dieu. Le Christ est notre rédemption ; il est en même temps notre rédempteur et le prix de notre rachat. Le Christ est tout, afin que ceux qui ont tout quitté pour le Christ retrouvent tout en lui, et puissent dire hautement : Le Seigneur est mon partage (Ps. LXXII, 26) (Cf. Œuvres choisies de saint Jérôme, etc., trad. par Collombet, tome III, p. 304-309). "

7. S. BASILE, in regulis fusiùs disputatis, interrog. 9 : " Notre-Seigneur ayant dit : Vendez ce que vous avez et donnez-en le prix aux pauvres, et vous vous serez acquis un trésor dans à ciel (MATTH., XIX, 20) ; et ayant dit encore : Vendez ce que vous avez

et donnez-le en aumône (LUC, XII, 33). Je conclus de là qu'un homme qui dans cette vue quitte ce qu'il a, ne doit point traiter avec mépris ou indifférence la disposition de son bien temporel, mais qu'il doit peser exactement toutes choses en emportant avec lui ce qu'il possède, pour en user à l'avenir avec beaucoup de piété comme d'un bien consacré à Dieu, et le distribuer saintement, ou par lui-même, ou par le ministère de ceux qu'il aura choisis après une longue épreuve, et qu'il aura reconnus devoir en être de bons et fidèles dispensateurs, par le témoignage sensible que lui en aura rendu leur conduite antérieure ; et il doit être convaincu que c'est une manière d'agir très-dangereuse que de laisser des richesses à ses parents, ou de les faire distribuer indifféremment par toutes sortes de personnes, sans discernement et sans choix. Car si celui qui a l'intendance des trésors du

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prince n'est pas exempt de reproche, lorsque par sa négligence il laisse perdre ce qu'il pouvait conserver, quand même il n'aurait rien retenu pour lui-même des deniers publics, quel terrible jugement ne doivent point attendre de la part de Dieu ceux qui auront été lâches et négligents à procurer le bon emploi des biens qu'ils lui auront eux-mêmes consacrés ? Ne seront-ils pas jugés comme coupables, et pourront-ils échapper à l'application de cette sentence prononcé par le Prophète : Maudit est l’homme qui fait l'œuvre de Dieu négligemment (JEREM, XLVIII, 10). "

8. S. JEAN DAMASCENE, in historiâ duorum Christi militum Barlaam et Josaphat, c. 15 : " Josaphat lui dit : Ce renoncement universel que vous me recommandez si fort, un genre de vie si austère, est-ce une pratique ancienne et qu'on puisse inférer de la doctrine des apôtres, ou bien n'est-ce pas une institution toute moderne, imaginée pour arriver à un état de vie plus parfait ? Le vieillard lui répondit : " La loi que je vous propose n'est point, à Dieu ne plaise, d'invention nouvelle, mais bien d'ancienne tradition. Car voici ce que Notre-Seigneur a dit à un riche qui lui demandait ce qu'il avait à faire pour obtenir la vie éternelle et qui se vantait en même temps d'avoir accompli tout ce qui était écrit ans la loi : Il vous reste une chose à faire, c'est de vous en aller vendre tout ce que vous avez et de le donner aux pauvres, et vous aurez un trésor amassé dans le ciel ; et venez, portez votre croix et me suivez. Ces paroles attristèrent celui à qui elles s'adressaient, car il était fort riche. Jésus le voyant donc triste et abattu dit à son sujet : Qu’il est difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le royaume des cieux ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu’à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. Instruits par cette divine leçon, tous les saints se sont particulièrement appliqués à se délivrer de cet embarras des richesses, et par le sacrifice qu'ils ont fait de tous leurs biens en faveur des pauvres, ils se sont acquis des richesses éternelles ; ils ont porté leur croix ; ils ont suivi Jésus-Christ, et tandis que les uns, comme je l'ai déjà dit, ont souffert courageusement le martyre, les autres ont embrassé la vie monastique, autre espèce de martyre qui ne le cède en rien, quant à la perfection de ce genre de vie, à la première. Soyez donc bien convaincu que cette institution a pour auteur notre Dieu ou notre souverain roi, et pour but de procurer à ceux qui l'embrassent les biens éternels. Puis donc, reprit Josaphat, que ce genre de vie est si avantageux et de date si ancienne, pourquoi y a-t-il aujourd'hui si

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peu de personnes qui songent à l’embrasser ? Le vieillard répondit : Cette institution a toujours compté, et compte encore aujourd'hui beaucoup de partisans. Mais beaucoup d'autres aussi hésitent à l’embrasser, et s'arrêtent pour ainsi dire en chemin. Car il y en a peu, comme le dit Notre-Seigneur, qui consentent à marcher par la voie étroite, et beaucoup au contraire qui suivent la voie large (MATTH., VII, 14). Car, quand on est une fois épris de l'amour des richesses, et esclave des vices dont les plaisirs sont la source, ou bien encore quand on est possédé de la passion de la gloire, il est à peine possible de se déprendre de ces sortes de liens, parce qu'on s'est mis de gaieté de cœur sous la tyrannie d'un maître étranger qui veut tout le contraire de ce que Dieu ordonne, et qui retient comme dans les chaînes ceux qu'il a asservis. L'esprit de l'homme, en effet, quand il a eu le malheur de désespérer son salut, lâche la bride à ses passions les plus brutales et se précipite dans tous les excès. "

9. S. CHRYSOSTOME, Homélie sur ces paroles de l'épître aux Romains, c. XVI, v. 3 : Salutate Priscam et Aquilam : " En disant : Si vous voulez être parfait, Notre-Seigneur fait voir que ce n'est qu'un conseil et une simple exhortation qu'il a l'intention d'adresser. Or, donner un conseil, ce n'est pas la même chose que faire une loi. Car celui qui fait une loi tient de toutes manières à ce qu'elle soit observée. Celui au contraire qui conseille ou qui exhorte laisse à celui qui l'écoute la liberté d'en faire ce qu'il voudra, et par conséquent le laisse maître de ce qu'il aura à faire. C'est pour cela que Jésus-Christ ne dit pas simplement : Allez, vendez ce que vous avez ; mais il dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez, voulant faire voir par-là que la chose est remise à la décision de notre volonté. "

10. Le vénérable BEDE, in caput XVIII Lucæ : " Nous ne devons pas croire que ce seigneur ait menti en disant (MARC, X, 47 et suiv.) qu'il avait observé tous les points de la loi, mais il n'a plutôt fait que déclarer quelle avait été jusque-là sa manière de vivre. Car s'il s'était rendu en cela coupable de mensonge, l'évangéliste saint Marc n'aurait pas ajouté ces mots : Jésus ayant jeté la vue sur lui, le prit en affection. "

" Et il lui dit : Il vous manque une chose : allez, vendez tout ce que vous avez, etc. ; car Dieu aime ceux qui observent tous les points de la loi, quelque peu relevés que puissent paraître ces points ; mais il n'en montre pas moins à ceux qui ont le désir de

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devenir parfaits ce qu'ils ont à faire, bien que la loi garde là-dessus le silence. "

" Vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; et venez, suivez-moi. Quiconque veut être parfait, doit vendre ce qu'il a ; et non pas seulement une partie de ce qu'il a, comme le faisaient Ananie et Saphire, mais tout ce qu'i la ; et quand il l'a vendu, en donner tout le prix aux pauvres, et s'amasser de cette manière un trésor dans le ciel. Et cela même ne suffit pas encore pour la perfection, si, après ce sacrifice qu'on a fait de ses richesses, on ne se met à la suite du Sauveur, c'est-à-dire si, après avoir évité le mal, on ne s'attache à la pratique du bien. Car il est plus facile de faire le sacrifice de sa bourse que celui de sa volonté (On voit que le vénérable Bède n'a guère fait ici que copier saint Jérôme. Voir plus haut, témoignage 2, page 351. Seulement, Bède dit voluntas, peut-être par suite de quelque mépris ou de quelque erreur de copiste, là ou saint Jérôme avait dit voluptas. Au reste, l'un comme l'autre est également vrai). "

11. Le même, in caput X Marci : " Nous ne devons pas croire que cet homme ait fait cette demande à Jésus-Christ pour le tenter, comme l’ont pensé quelques-uns, ou qu'il ait menti en disant qu'il avait observé tous les points de la loi ; mais il faut croire plutôt qu'il a déclaré simplement quelle avait été là-dessus sa manière de vivre. Car, s'il s'était rendu coupable de mensonge ou de dissimulation en disant ces paroles, l’Evangile n'eût pas dit que Jésus-Christ conçut pour lui de l’affection en considérant les dispositions de son cœur. Dieu aime en effet ceux qui gardent les points même les moins relevés de sa loi ; mais il n'en montre pas moins à ceux qui ont le désir de la perfection ce que la loi avait gardé sous silence : Car je ne suis pas venu, a-t-il dit lui-même, pour détruire la loi, mais pour l'accomplir. Or, cet accomplissement entier de la loi exige l'observation de ce qui est dit ensuite : Allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres ; puis venez, et suivez-moi (On voit que ce passage n'est guère autre chose encore que la répétition du précédent). "

12. THEOPHYLACTE, in caput XVIII Lucæ : " Après que le jeune homme eut dit qu'il avait observé tous ces points dès sa jeunesse, Notre-Seigneur lui indiqua la pauvreté comme ce qu'il y a de principal dans la pratique des vertus. Voyez combien

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cette loi répond à la dignité de la vie chrétienne. Vendez tout ce que vous avez. Vendez-le, dit-il ; car si vous vous en réservez quelque chose, vous en devenez l'esclave. Et distribuez le prix de cette vente, non à des parents riches d'avance, mais aux pauvres. Ce mot même de distribution indique qu'il ne faut pas la faire au hasard, mais avec discernement. Et comme n chrétien doit joindre encore d'autres vertus à cet amour de la pauvreté, Notre-Seigneur ajoute : Puis venez, suivez-moi, c'est-à-dire, soyez mon disciple aussi dans le reste, et suivez-moi toujours, et non pas aujourd'hui pour m'abandonner demain. . . "

" Après que le riche eut entendu qu'il aurait à abandonner ses richesses, il devint triste. C'est ce qui a donné occasion à Notre-Seigneur de dire, en employant une belle figure, combien il est difficile à des riches d'entrer dans le royaume des cieux. Il ne dit pas que la chose soit impossible, il dit seulement qu'elle est difficile. Car il n'est pas impossible que ces gens-là se sauvent, puisqu'ils peuvent toujours se défaire de leur argent et gagner ainsi le ciel. Mais cela est difficile. Car les richesses sont comme une glu tenace, et une fois qu'on y est pris, on a peine à s'en détacher. "

Ibidem : " Ce qui est impossible aux hommes, est possible à Dieu. Car ceux qui n'ont qu'une âme de boue, ou qui ne portent leurs désirs que sur les choses de la terre, comme nous l'avons déjà dit, ne peuvent pas se sauver. Mais cela est possible à Dieu, c'est-à-dire à celui qui suit les inspirations de Dieu, et qui s'attache, en invoquant son secours, à observer sa loi et les instructions qu'il nous a données en particulier sur la pauvreté. Alors la chose devient possible. Il suffit que nous le voulions, et Dieu nous donnera la force de l'exécuter. Ou bien encore, si nous savons surmonter cette faiblesse ordinaire aux riches, et que nous cherchions à nous faire des amis avec cet argent d'iniquité, cet argent même contribuera à nous sauver, et nous serons reçus dans les tabernacles éternels. Il vaudrait mieux. sans doute faire l'abandon de tout. Mais si nous n'en avons pas le courage, partageons du moins nos biens avec les pauvres, et ce qui auparavant nous était impossible nous deviendra possible. Il nous serait impossible à la vérité de nous sauver sans rien quitter ; mais Dieu est assez miséricordieux pour se contenter d'une portion de nos biens, et de l'usage convenable que nous ferons du reste. "

13. S. JEROME, in caput XIX Matthæi, sur ces paroles :

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Centuplum accipiet : " Quelques-uns, à l'occasion de cette sentence de Jésus-Christ, supposent un règne de mille ans après la résurrection et pendant lequel on recevrait le centuple de tout ce qu'on aura abandonné après quoi on entrerait en possession de la vie éternelle. Ces personnes-là ne voient pas apparemment que, lors même qu'une promesse de ce genre n'aurait rien que de convenable dans tout le reste, elle renfermerait du moins une clause honteuse en ce qui regarde les femmes, puisqu'il s'ensuivrait que celui qui en aurait quitté une seule pour mieux servir le Seigneur, en recevrait cent, pour cette seule qu'il aurait quittée dans le siècle à venir. Voici donc le sens de ces paroles : Celui qui aura quitté les biens sensibles pour l'amour du Sauveur, recevra en récompense les biens spirituels, qui seront tellement supérieurs à ceux qu'il aura quittés, qu'il semblera en avoir reçu le centuple même. C'est ce qui a fait dire l'Apôtre, qui n'avait quitté lui-même qu'une maison et peut-être quelques champs : Etant comme n'ayant rien, et possédant néanmoins tout (II Cor., VI, 10). "

14. EUTHYME, in caput XIX Matthæi : " Saint Marc et saint Luc, s'exprimant là-dessus en termes plus clairs, disent que ce centuple promis sera pour le siècle présent, et la vie éternelle pour le siècle à venir. Le centuple, c'est-à-dire une multiplicité indéfinie, ou beaucoup davantage, comme le dit saint Luc (XVIII, 50). Mais comment recevra-t-on ainsi multipliés dans le siècle présent, les biens qu'on aura quittés ? Comment ? de la manière que les ont reçu les apôtres, les martyrs et tous les autres justes. Considérez en effet que les portes de tous les fidèles leur étaient ouvertes ; qu'ils s'étaient acquis de nouveaux frères et de nouvelles sœurs, et tous voués à la sainteté ; des pères aussi, qui les choyaient, avaient soin d'eux et compatissaient à toutes leurs souffrances, car c'est là ce que des enfants ont droit d'attendre de leurs pères ; des mères également qui leur rendaient les mêmes devoirs ; des épouse mêmes, c'est-à-dire des femmes pieuses, qui les servaient et veillaient à leurs intérêts comme le font des épouses à l'égard de leurs époux ; des enfants enfin, dans tous leurs disciples. De plus, toutes les terres que possédaient les fidèles étaient devenues comme les leurs ; et ce qu'il y a de plus admirable, c'est qu'ils jouissaient de tous ces avantages au milieu même des persécutions, comme l'a ajouté saint Marc (X, 30), c'est-à-dire, au milieu des persécutions qu'ils avaient à endurer de la part des ennemis de la foi. On peut en

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tendre encore, par cette multiplicité de biens, le don de guérir des diverses maladies, le don de prophétie et tous les autres semblables. "

15. S. ANSELME, in, caput XIX Matthæi : " Voici comment il faut entendre ce passage : Celui qui renoncera aux biens sensibles, recevra en retour les biens spirituels. Car le nombre centenaire convient aux choses célestes, puisque pour compter ce nombre on passe de gauche à droite (Saint Anselme veut apparemment parler ici de la direction que prend la main pour tracer la lettre C, qui représente cent. Saint Anselme, et Bède avant lui, comme on le verra plus bas, témoignage 19, ont emprunté au reste cette idée saint Jérôme, dont le témoignage sera rapporté à la question IV du conseil de la chasteté, qui vient après celle-ci), et que comme la gauche se rapporte aux biens temporels, la droite a plutôt rapport aux biens éternels. Le chiffre C qui tend vers la droite est donc propre à signifier les biens célestes. Ce que Notre-Seigneur ajoute, et il possédera la vie éternelle est une explication de ce qu'il vient de dire, à moins qu'on n'aime mieux entendre par ce centuple la volonté de ne rien posséder. "

16. THEOPHYLACTE, in caput XIX Matthæi : " Qu'on ne s'imagine pas que ce qui est dit ici ne s'applique pas à d'autres qu'aux apôtres : cette promesse s'étend à tous ceux qui imiteront leur exemple. Car, à la place de leurs parents charnels, ils auront Dieu pour père et pour ami ; à la place des biens qu'ils auront quittés ils auront le paradis ; au lieu de maisons de pierres, ils posséderont la Jérusalem céleste ; au lieu de leurs pères, les prêtres du Seigneur ; au lieu d'une épouse, toutes les femmes de piété, des épouses, dis-je, non de la toutefois, comme on peut bien le penser, mais d'affection et de sollicitude. "

17. Le même, in Marci caput X : " Pierre est le seul qui interroge, et Jésus-Christ dresse à tout le monde sa réponse en disant : Quiconque aura quitté son épouse, ou son père, etc. Ce qu'il dit, non pour enlever aux parents l'appui de leurs enfants ou pour séparer les époux de leurs épouses, mais pour nous apprendre à préférer le service de Dieu à tous les biens sensibles. Car, comme la prédication de l'Evangile avait allumé une véritable guerre, et qu'on allait voir des enfants renoncer à leurs parents, pour rester fidèle à Dieu, Jésus-Christ prend soin d'avertir que quiconque aura quitté pour l’Evangile les parents que la nature lui aura donnés, et en général tout autre bien temporel, recevra tous ces mêmes biens au centuple dans le siècle présent, et la

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vie éternelle dans le siècle à venir. Est-ce qu'ils recevront aussi cent femmes pour une qu'ils auront quittée ? Sans doute, quelques railleries qu'il ait plu à l'impie Julien de faire de cette vérité. Quels sont en effet les avantages qu'une épouse procure à la maison de son époux ? Elle veille à ce qu'il ait de quoi manger, de quoi se vêtir, sans qu'il ait lui-même besoin de s'en occuper. Or, considérer ces mêmes avantages devenus le partage des apôtres. Combien de femmes qui s'empressaient de les nourrir et de les vêtir, et de leur rendre tous les autres services dont ils pouvaient avoir besoin, sans qu'ils eussent eux-mêmes à s'occuper d'autre chose que de la prédication et de l'enseignement ! De même ils trouvaient dans les fidèles convertis par eux beaucoup de véritables pères et de véritables mères, qui les aimaient et les affectionnaient tendrement. Saint Pierre, par exemple, n'avait quitté qu'une maison, et il pouvait dorénavant disposer des maisons de tous ses disciples. Et aujourd'hui encore, que de temples bâtis dans tous les pays du monde sous le vocable de cet apôtre, temples qui ne sont après tout que des maisons plus décorées ! Et ce qu'il y a de plus admirable, c'est que tous ces avantages leur sont venus au milieu même des persécutions ou des traverses qu'a essuyée la prédication de l’Evangile. "

18. Le même, in Lucæ caput XVIII : " Les apôtres n'avaient quitté que des cabanes, et maintenant ils possèdent des temples magnifiques, de riches mobiliers, des terres, des épouses même, et en grand nombre, qui leur sont attachées par les liens d'une vive foi, tout enfin. Et dans le siècle à venir, ce ne sont plus, il est vrai, des terres semblables ni d'autres biens sensibles ; mais c'est la vie éternelle. "

19. Le vénérable BEDE, in caput X Marci : " Voici le sens de ces paroles : Celui qui aura quitté les biens sensibles pour l'évangile de Jésus-Christ recevra en récompense les biens spirituels, qui seront tellement supérieurs à ceux qu'il aura quittés, qu'il semblera en avoir reçu le centuple même En effet, il trouvera dès cette vie même dans ceux qui suivront la même vocation que lui, des frères spirituels qui lui voueront une amitié bien plus sincère. Lisez les Actes des Apôtres, et vous y verrez que tous les fidèles n'avaient qu'un cœur et qu'une âme, que tout était commun entre eux, et qu'il n'y avait point de pauvres parmi tous ces hommes qui avaient quitté leurs biens pour Jésus-Christ. C'est d'eux que l'Apôtre a dit : Etant comme n'ayant rien, et possédant

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tout. On peut encore trouver un autre sens plus profond à ces paroles. Il recevra cent fois autant dans ce siècle-ci des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants et des terres avec des persécutions. Car le chiffre dépassant de gauche à droite, quoiqu'il représente sous l'inflexion des doigts la même figure que le chiffre D dans le sens inverse, exprime une quantité tout autrement considérable. C'est que tous ceux qui sacrifient les biens temporels en vue du royaume de Dieu, goûtent dès cette vie, si pleine d'ailleurs de persécutions, la joie que leur cause l'assurance de posséder un jour ce royaume, en même temps qu'ils jouissent de la sincère amitié de tous les élus, en attendant qu'ils puissent entrer dans la céleste patrie, que la droite a pour attribut de représenter "

20. Le même, in caput XVIII Lucæ : " Voici le sens de ces paroles : Celui qui pour acquérir le royaume de Dieu aura renoncé à toutes les affections de ce monde, à tous les plaisirs et toutes les vanités du siècle recevra dès à présent beaucoup plus qu'il n'aura quitté, parce qu'il trouvera dans ceux qui suivront la même vocation que lui des frères spirituels qui lui voueront une amitié bien plus sincère. Car, comme le prouve assez l'expérience, l'amitié que forme entre les parents et leurs enfants, les frères et les sœurs, les époux et autres proches de cette espèce, soit l'alliance, soit la parenté, est bien fragile et de bien courte durée. Enfin, il peut même arriver qu'on soit obligé de la rompre pour de justes motifs. La seule union toujours durable, la seule communauté de biens vraiment universelle, est celle que forment entre eux ceux qui regardent leurs propres biens comme appartenant à leurs frères et ceux de leurs frères comme leur appartenant à eux-mêmes. Lisez les Actes des apôtres, et vous y verrez que tous les fidèles n'avaient qu'un cœur et qu'une âme, que tout était commun entre eux, et qu'il n'y avait point de pauvres parmi tous ces hommes qui avaient quitté leurs biens pour Jésus-Christ. C'est d'eux que l’Apôtre a dit : Etant comme n'ayant rien, et possédant tout. La continence même que garderont des époux leur procurera de bien plus douces jouissances, que ne pouvait le faire auparavant l'usage du mariage. Cette femme, dira un époux chrétien, était pour moi un objet de désirs brutaux, et maintenant je l'honore et je l'aime comme un vase saint, comme une épouse de Jésus-Christ, c'est une femme toujours numériquement la même, mais qui vaut pour moi cent femmes par le mérite de la chasteté. Car on peut encore trouver

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un autre sens plus profond à ces paroles, il recevra cent fois autant. " Et le reste, comme à la fin du témoignage précédent. "

21. CASSIEN, Collatione XXIV abbatis Abraham, c. 26 : " Il est clair que nous devons bien plutôt expliquer cette parole de Jésus-Christ (Omnis qui reliquerit, etc. MATTH., XIX, 29), en ce sens que celui qui, pour répondre aux invitations de Jésus-Christ, aura renoncé à quelque bien ou quelque attache qu'il avait en ce monde, recevra de ses frères, liés avec lui par une même profession, et dès cette vie même, le bienfait d'une charité préférable cent fois à tout ce dont il aura fait le sacrifice. Car pour cet autre amour qu'on se porte entre parents, et que les lois de la nature ou de l'alliance ont formé entre les frères, entre les enfants et les auteurs de leurs jours, entre le mari et la femme, c'est une liaison purement humaine et de fort peu de durée. "

" Nous voyons quelquefois des pères chasser de leurs maisons et exclure de leur héritage leurs enfants déjà grands, et même irréprochables dans leur conduite. Il peut arriver aussi que, pour des motifs louables, un mari se sépare d'avec sa femme, ou que des frères se séparent d'avec leurs frères pour des différends et des procès qui naissent entre eux dans le partage de leurs biens. Il n'y a que les religieux qui se conservent toujours dans l'union sans se diviser ; qui possèdent toutes choses en commun, et qui regardent tout ce qui leur appartient comme étant leurs frères, et tout ce qui appartient a leurs frères comme étant à eux-mêmes. Si donc l'on compare cette charité si tendre que produit la grâce entre nous, avec ces amitiés humaines et charnelles que produit la nature, ne trouvera-t-on pas qu'elle est cent fois plus douce et plus relevée ? Ne retirera-t-on pas aussi de la continence volontaire et exactement gardée, un contentement cent fois préférable au plaisir qu'on pouvait goûter dans le mariage ? Celui qui connaît par sa propre expérience la joie qu'on ressent de la possession d'une terre ou d'une maison, n'en éprouvera-t-il pas une autre cent fois plus grande, lorsque, passant dans l'adoption des enfants de Dieu, il possédera comme en propre le royaume entier du Père éternel, et qu'il pourra dire avec vérité comme le Fils unique de Dieu : Tout ce qui est à mon père est à moi (JEAN, XVII, 10) ? Et ces biens si grands, il ne les possédera pas avec cette inquiétude qui fait le tourment des riches mondains, mais dans une joie et une paix continuelles. Il regardera toutes choses comme étant lui. Il entendra l’Apôtre lui dire : Tout est à vous, le monde, les choses présentes, les choses futures (I Cor., III, 21),

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et Salomon qui lui dira : Fidelis viri totus mundus divitiarum (Ces expressions ne se trouvent pas dans la Vulgate. Peut-être est-ce une version différente celle-ci : Fidelem virum quis inveniet (Prov., XX ; 6)). Vous voyez donc que ce centuple que Dieu donne est représente par le mérite même de l'action, et par l'excellence intrinsèque de l'état dont on fait le choix. Car, si pour une certaine quantité d'airain ou de fer, ou de quelque autre métal encore plus vil, on nous rendait autant pesant d'or, n'est-il pas vrai que nous recevrions plus que le centuple de ce que nous aurions cédé. De même, lorsque Dieu, par le mépris que nous aurons fait des plaisirs et des affections de ce monde, répand dans nos âmes une joie spirituelle, et le plaisir céleste de cette charité qui n'a point de prix, ne devons-nous pas avouer que, quand même ces deux amours seraient en nous au même degré, ce dernier néanmoins serait cent fois plus noble et plus précieux que l'autre ? . . . . . "

" Passons maintenant la quantité des choses que Jésus-Christ nous donne en ce siècle même en récompense de celles que nous y avons sacrifiées, et arrêtons-nous à ce passage de saint Marc : Personne ne quittera sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses terres, à cause de moi ou de l'Evangile, qu'il ne reçoive maintenant en ce monde cent fois autant de maisons, de frères de sœurs de mères d'enfants et de terres, avec des persécutions, et dans le siècle à venir la vie éternelle (MARC, X, 29). On reçoit cent fois plus de frères et de parents, lorsqu'après avoir méprisé pour l'amour de Jésus-Christ l'affection d'un père, d'une mère ou d'un fils, on passe à l'amour si tendre et si sincère de tous ceux qui servent Jésus-Christ ; trouvant pour un seul père ou pour un seul frère ce grand nombre de pères et de frères qui nous aiment avec encore plus d'ardeur que ceux que nous avons quittés. Nous trouvons de même cette riche multiplication de maisons et de terres, lorsqu'ayant renoncé pour Jésus-Christ à une seule maison, nous possédons comme en propre les monastères sans nombre répandus dans tout l'univers, où nous nous trouvons partout comme dans des lieux qui sont a nous. "

" N'est-ce pas recevoir, je ne dis pas seulement le centuple, mais s'il était permis d'ajouter quelque chose aux paroles de Jésus-Christ, bien plus encore que le centuple, que de vous voir, en compensation du sacrifice que vous avez pu faire de dix ou vingt esclaves qui ne vous servaient qu'a regret et avec peu de fidélité, entourés d'une foule de personnes libres, et quelquefois

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de haute naissance, qui de leur plein gré s'empressent à vous servir ? Vous avez pu vous prouver à vous-même la vérité de ce que je dis par votre propre expérience, vous qui, pour avoir quitté seulement un père, une mère, une maison, trouvez maintenant, en quelque endroit du monde que vous alliez, une infinité de pères, de mères, de frères, de maisons, de terres et de serviteurs très-fidèles qui vous reçoivent comme si vous étiez leur maître, et qui vous rendent avec respect et affection tous les devoirs qu'on pourrait attendre de l'amitié la plus sincère et la plus parfaite. Mais on ne mérite justement de jouir de ces offices de charité que nous rendent ces personnes consacrées à Dieu, qu'après que l'on s'est, de son côté, fait auparavant soi-même leur serviteur et comme leur esclave, et qu'on les a rendus maîtres de tout ce qu'on possédait en ce monde. Car si un religieux n'a pas commencé par se donner lui-même avec tout ce qu'il avait, et par en faire avec une sincère humilité le sacrifice à ses frères, comment pourrait-il souffrir qu'ils lui fissent ce sacrifice à lui-même, et comment ne trouverait-il pas lui être à charge les services mêmes qu'ils lui rendraient, lorsque sa conscience lui dirait qu'il aurait mieux aimé être servi d'eux que de les servir ? "

" Il est certain néanmoins qu'on ne reçoive pas ce centuple, que Jésus-Christ nous promet, dans une paix molle et lâche, mais, comme il nous l'a dit lui-même, avec des persécutions, c'est-à-dire, avec les afflictions de ce monde, avec des peines d'esprit et de corps. . . . . "

" Pour terminer enfin ce discours, n'est-ce pas encore un effet bien visible de ce centuple, que ceux qui servent fidèlement Jésus-Christ soient honorés des princes et des puissants du monde, à cause de ce grand Dieu à qui ils se sont consacrés ; et que, bien qu'ils fuient la gloire humaine, ils ne laissent pas de paraître vénérables à leurs juges et à leurs souverains jusque dans les persécutions que ceux-ci leur font endurer ; eux qui, vu l'obscurité de leur naissance et la bassesse de leur condition, n'auraient pu être que l'objet de leur mépris, s'ils étaient demeurés dans le monde (Cf. Les Conférences de Cassien, trad. par le sieur de Saligny, (ou plutôt Sacy, et. . . . sous un nom supposé) p. 615-622). "

22. S. GREGOIRE, Hom. XVIII in Ezechielem : " Le nombre dix multiplié par lui-même fait le nombre cent. Ce dernier nombre est donc propre à marquer la perfection, comme quand il est dit

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des élus : Quiconque abandonnera pour mon nom sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra le centuple, et aura pour héritage la vie éternelle (MATTH., XIX, 29). Car si les saints font l'abandon de ces biens terrestres, ce n'est pas pour qu'il leur en revienne davantage encore dans ce monde, puisque quitter les biens de la terre par un motif terrestre, ce n'est pas les quitter, mais plutôt les ambitionner. De même, celui qui quitte sa femme ne le fait pas pour s'en procurer cent autres ; mais ce nombre de cent indique seulement la perfection. Car quiconque abandonne pour Dieu des biens terrestres et périssables, reçoit ici-bas en échange la perfection de la vertu, qui lui fait mépriser désormais ce qu'il a une fois abandonné, et dans le siècle à venir il parviendra à la vie éternelle. Il reçoit donc cent fois plus qu'il n'a donné, la perfection à laquelle il est élevé l'empêchant de sentir la privation des biens dont il a fait le sacrifice. Celui-là au contraire est pauvre, qui sent le besoin de ce qu'il n'a pas. Et celui qui n'ayant rien ne désire rien avoir est seul véritablement riche. La pauvreté a en effet son siège bien plus dans le sentiment qu'on a de son indigence que dans cette indigence même. Car ce n'est pas être pauvre que de se trouver bien de sa pauvreté. "

23. S. BERNARD, in declamationibus de deserendis facultatibus, super Evangelium : Ecce nos reliquimus omnia : " Vous voyez que nous avons tout quitté. Mais, dira cet homme, qui prend de tout occasion de scandale, et qui, comme dit le proverbe, cherche un fétu dans son œil pour s'arracher la vue, j'ai entendu dire de tels et tels, qui avaient tout quitté, qu'ils sont retournés à leur vomissement. Comment avaient-ils donc reçu le centuple de ce qu'ils avaient quitté ? Levez-vous, Seigneur, jugez votre cause, et la calomnie que soutiennent contre vous ces hommes, et le murmure peut-être aussi de ceux-là mêmes qui ont semblé tout quitter, et qui n'ont reçu le centuple de rien ; ce qu'on objecte ici ne s'attaque pas à nous, mais à vous, qui avez dit : Quiconque quittera pour l'amour de moi son père, etc., recevra le centuple (MATTH., XIX, 29). Que disons-nous cependant ? Est-ce que parmi les apôtres il peut y en avoir d'autres qui soient réprouvés que celui qui gardait la bourse ? C'est qu'il n'y a pas à mettre en ligne de compte que la bourse qui contient l'argent ; il y a aussi la bourse où se trouve la propre volonté. Que celui-là donc examine ses voies et ses affections, qui allègue qu'il n'a pas reçu le

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centuple promis, et je ne doute pas qu'il ne trouve quelque coin en lui-même où ce ne sera pas le Fils de l'homme qui trouvera reposer sa tête, mais quelque renard qui y trouvera sa tanière, ou quelque oiseau son nid. Qu'il quitte tout, je l'en conjure, d'une manière plus parfaite et plus décidée, et qu'il se mette à la suite de Jésus-Christ seul, en jetant toutes ses inquiétudes dans le sein de Dieu, qui prendra soin de le nourrir, et de lui rendre sans aucun doute le centuple de tout ce qu'il aura quitté. Car l'Ecriture ne saurait être prise en défaut, elle qui fait cette promesse à tous sans exception, avec une autorité si irréfragable. Qu'il ne retienne rien, ni pour lui-même, ni pour les siens, de peur que si peu que ce soit de levain ne gâte la masse entière. Car il en est qui retiennent quelque chose pour eux-mêmes, oubliant la parole du divin Maître qui n'est pas venu en ce monde pour faire sa propre volonté ; oui, il en est, même dans les congrégations les plus saintes, qui trop attachés à leurs propres goûts, ou à leur propre jugement, se donnent un air de suffisance, et retiennent ainsi quelque chose pour eux-mêmes, au lieu de renoncer à eux-mêmes complètement, et de s'abandonner avec une pleine confiance à la Providence divine, l'autorité des supérieurs aux conseils des hommes de spiritualité chargés de leur direction. Et il y en a qui retiennent pour leurs proches et leurs amis ce qu'ils abandonnent par rapport à eux-mêmes, gardant une sollicitude frivole et toute séculière pour leur prospérité temporelle ; hommes cruels sans aucun doute, qui n'aiment point leur prochain comme eux-mêmes cruels, dis-je, soit envers eux-mêmes, soit envers leurs proches, ou plutôt envers les uns et les autres. Que personne donc, quand il verra qu'il n'a pas encore tout quitté, ne s'étonne plus de ne pas recevoir le centuple promis. Car les consolations divines sont une chose de prix, qui ne s'accorde jamais à ceux qui en recherchent d'autres avec elles. . . . . "

" C'est ainsi, mes très-cher frères, que celui qui soupire après d'autres consolations, et qui s'abaisse jusqu’à en chercher dans les biens fragiles et passagers de ce monde, se soustrait à lui-même la grâce des consolations célestes. S'il demandait, s'il cherchait, s'il frappait à la porte de cette grâce inestimable avec l'ardeur, le zèle, l'empressement qui convient, ne doutons pas qu'il ne reçût l'objet de sa demande, qu'il ne trouvât l'objet de ses recherches, et que le dispensateur des divins trésors n'ouvrit à son importunité. Ou bien si, ce qu’à Dieu ne plaise, il a la témérité de faire le saut honteux de l'apostasie, tenons pour cer-

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tain, en ayant foi au témoignage de la Vérité, que c'est, ou qu'il n'a jamais tout quitté, ou qu'après avoir reçu le centuple de ce qu'il avait quitté, il l'a lâchement abandonné : car il y en a qui, après avoir commencé par l'esprit, finissent, hélas ! par la chair (Gal., III, 3). Il recevra le centuple, dit Notre-Seigneur, et il possédera la vie éternelle : cela dans la voie de l'exil, ceci dans la patrie ; ou plutôt, ce centuple, c'est la voie elle-même, et cette vie éternelle, c'est la patrie elle-même. Ce centuple nous sert de consolation dans les ennuis de la vie présente, cette vie éternelle mettra le comble à notre future félicité. C'est de cette manière que ceux qui travaillent même pour ce siècle reçoivent la nourriture au milieu de leurs travaux, et leur salaire à la fin. C'est ainsi que les soldats reçoivent chaque jour leur ration de nourriture, et à la fin une pension de retraite proportionnée au mérite de leurs services. C'est ainsi qu'en attendant que les enfants d'Israël aient pu entrer dans la terre promise, la manne ne leur a pas manquée dans le désert. Et l'Eglise elle-même, après avoir demandé l'avènement du royaume de Dieu, demande aussi le pain quotidien dans la prière qui lui a été enseigné par le Sauveur lui- même. Vous trouverez cette double espèce de promesses clairement exprimée dans ces paroles du Prophète : (La sagesse) rendra aux justes la récompense de leurs travaux, et les conduira par une voie admirable (Sag., X, 17). Cette voie est celle des commandements du Seigneur, qui pour un autre prophète tenait lieu de toutes les richesses (Ps. CXVIII, 114). Pourquoi donc, enfants des hommes, vous laisserez-vous mourir dans l'incrédulité ? Mais peut-être que quelque séculier fera cette autre objection : Montrez-moi ce centuple que vous nous promettez, et je quitterai tout de grand cœur. Pourquoi le montrer ? La foi n'a point de mérite quand la raison humaine fait tous les frais de la conviction. Est-ce que vous aimeriez mieux ajouter foi à un homme qui vous montrerait ce centuple, qu’à la Vérité même qui vous en fait la promesse ? Vous vous épuisez inutilement dans vos recherches. Si vous ne croyez, vous n'aurez point l’intelligence (ISAIE, VII, 9, selon les Septante). C'est une manne cachée que ce que l'Apocalypse de Jean promet au vainqueur (Apoc., II, 17). C'est un nom nouveau, que celui-là seul connaît à qui il est donné. Peut-être quelques-uns penseront-ils que ce centuple désigne l'avantage que trouvent les saints, même pour le présent, à mettre en commun leurs biens et leurs volontés. Il faut avouer en effet que c'est là une consolation bien précieuse, mais elle

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n'est pas tellement générale qu'elle puisse également convenir à tous. Car combien n'y a-t-il pas de saints qui y ont renoncé volontairement, comme les anachorètes, ou qui relégués loin de tout commerce avec les hommes par la violence de la persécution ou par l'exil, comme les martyrs, se sont vus privés de toute consolation humaine ? Ce centuple est un don encore plus relevé ; il descend d'en haut et du Père des lumières. Pour tout dire en un mot, est-ce que celui-là ne possède pas tout, qui voit tout contribuer à son avantage (Rom., VIII, 28) ? Celui-là ne reçoit-il pas le centuple de tous les biens de ce monde, qui est rempli de l'Esprit-Saint, qui possède Jésus-Christ dans son cœur ? A moins qu'on n'aime mieux dire que c'est bien plus que le centuple que cette visite de l'Esprit-Saint et cette présente de Jésus-Christ. Combien est grande, Seigneur, s'écriait le Prophète, l'abondance de votre douceur, que vous avez réservée dans le secret pour ceux qui vous craignent (Ps. XXX, 20) ! Voyez-vous comment cette âme sainte savoure dans son souvenir reconnaissant cette abondance de douceur, comment pour l'exprimer elle entasse les expressions ? Combien est grande, dit-il, l'abondance de votre douceur ! Ce centuple donc, c'est l'avantage d'être mis au nombre des enfants de Dieu, c'est la liberté et les prémices de l'esprit, ce sont les délices de la pureté, la gloire du bon témoignage de la conscience, le royaume de Dieu qui est en nous, et qui ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie que donne l'Esprit-Saint. Joie que l'on goûte non-seulement dans l'espérance qu'on a de la récompense, mais jusque dans les tribulations. C'est ce feu que Jésus-Christ a désiré voir allumé sur la terre. C'est cette vertu d'en haut qui a inspiré à saint André d'embrasser la croix, à saint Laurent de se rire de son bourreau ; à saint Etienne de prier à genoux pour ceux qui le lapidaient ; c'est cette paix que Jésus-Christ a laissée à ses disciples, en leur donnant la sienne. Car le don et la paix sont pour les élus de Dieu (Sag., III, 9) : la paix pour le présent, et le don pour l'avenir. C'est cette paix qui surpasse tout sentiment, et à laquelle on ne peut comparer rien de ce qu'il y a sous le soleil de plus beau, rien de ce qu'il y a dans le monde de plus propre à enflammer les désirs. C'est cette grâce de la dévotion, cette onction qui nous ouvre l'intelligence de tout (I JEAN, II, 27), que connaît celui qui l'éprouve et qu'ignore celui qui n'en a pas fait l'expérience parce que celui-là seul la connaît qui la reçoit. "

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24. S. PIERRE DAMIEN, Serm. de S. Benedicto abbate : " Qu'est-ce que ce centuple, sinon les consolations, les visites et les prémices de l'Esprit-Saint, dont les faveurs sont plus douces que le miel ; sinon encore le témoignage de notre conscience, sinon l'attente où sont les justes, cette attente si pleine de bonheur et de charmes ; sinon le souvenir de tous les bienfaits de Dieu, et les délices sans nombre qu'il nous procure, et dont n'ont pas besoin qu'on leur parle ceux qui en ont l'expérience, comme aussi aucunes paroles ne suffiraient pour les faire comprendre à ceux qui ne les ont pas expérimentées. "

25. S. AMBROISE, in caput VI Lucæ : " Heureux, dit Notre-Seigneur, les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. Les deux évangélistes (saint Matthieu et saint Luc) ont compté cette béatitude pour la première : car elle est aussi la première dans l'ordre de génération, puisqu'elle est la mère de toutes les vertus. Il faut en effet mépriser les choses du temps, pour pouvoir mériter les biens de l'éternité et on ne peut obtenir le royaume céleste si, esclave de la cupidité par rapport aux biens de ce monde, on s'ôte à soi-même les moyens de sortir de pareilles chaînes. . . "

" Ce n'est pas que tous les pauvres soient de ces bienheureux dont parle Jésus-Christ. Car la pauvreté en elle-même est indifférente, et il peut y avoir de bons pauvres, comme il peut y en avoir de mauvais. A moins que nous ne devions n'entendre par pauvres, que ceux dont le Prophète a dit : Un pauvre qui est juste vaut mieux qu'un riche habitué au mensonge (Prov., XIX, 4, d'après la version italique). Heureux est le pauvre qui a crié, et dont le Seigneur a entendu le cri (Ps. XXXIII, 7). C'est-à-dire, heureux celui qui est pauvre en fait de crimes, pauvre en fait de vices, un de ces pauvres en qui le prince du monde ne trouve rien à revendiquer ; un pauvre qui marche sur les traces de ce premier de tous les pauvres, qui étant riche, s'est fait pauvre pour l'amour de nous. C'est pourquoi saint Matthieu a dit plus explicitement : Bienheureux les pauvres d'esprit. Car un pauvre d'esprit est celui qui ne s'enfle point d'orgueil, qui ne s'élève point en lui-même. Eh ! à quoi me servirait-il de vivre dépouillé des biens de ce monde, si je ne suis en même temps plein de patience et de douceur ? "

26. S. LEON-LE-GRAND, Serm. in festo omnium Sanctorum : " On pourrait peut-être douter de quelle espèce de pauvres le Fils de Dieu entend parler, lorsqu'il dit : Bienheureux sont les pauvres

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(MATTH., V, 3), s'il n'ajoutait rien qui en déterminât la qualité ; on pourrait soupçonner que l'indigence, et cette dure nécessité où l'on manque de tout, suffit pour mériter le royaume des cieux. Mais, en disant : Bienheureux les pauvres d'esprit, il donne à entendre que le royaume du ciel sera le partage de ceux qui se seront rendus recommandables par une parfaite humilité d'esprit, plutôt que de ceux qui manquent des choses nécessaires. Or, il est évident que les pauvres sont plus en état que les riches de parvenir à cette humilité d'esprit : la douceur est la compagne ordinaire de la pauvreté ; au lieu que l'orgueil et la fierté sont presque inséparables des richesses. . . . . Heureuse cette pauvreté qui ne se laisse point séduire par l'amour des biens temporels, qui ne souhaite point de s'agrandir par l'amas des richesses du monde, et qui borne tous ses désirs aux richesses éternelles. "

" Les apôtres après le Sauveur du monde, nous ont donné l'exemple de cette magnanime pauvreté ; ils ont abandonné sans réserve tout ce qu'ils possédaient ; ils ont obéi à la voix du maître qui les appelait ; de pécheurs de poissons qu'ils étaient, ils ont été changés en pécheurs d'hommes, et ils ont trouvé bien des semblables sous le rapport de l'imitation de leur foi, lorsque, dans ces premiers temps de l’Eglise, les fidèles se sont montrés à eux si unis par la conformité de leurs sentiments et de leurs désirs. Tous ces hommes mettaient en commun tout ce qu'ils possédaient, et la sainte pauvreté dont ils faisaient profession les comblait de richesses éternelles ; ils se réjouissaient d'être dépouillés de tout ce que le monde désire avec tant d'ardeur, et de n'en pas moins posséder tout, en possédant Jésus-Christ (Cf. Sermons de saint Léon, p. 607-609). "

27. S. CHROMACE, de Rome, évêque d'Aquilée, Dissert. super caput V Matthæi : " Les pauvres que Notre-Seigneur appelle bienheureux, ce sont ceux qui, méprisant les richesses de ce monde et dédaignant tous les avantages du siècle, ont choisi d'être pauvres aux yeux du monde, pour être riches aux yeux de Dieu. Oui, tout pauvres qu'ils paraissent au jugement du siècle, les hommes de ce caractère sont riches au jugement de Dieu ; le siècle se récrie sur leur indigence, tandis qu'ils sont comblés de biens d'après le témoignage de Jésus-Christ. Les apôtres les premiers nous ont offert dans leurs personnes l'exemple de cette bienheureuse pauvreté, eux qui foulant aux pieds tout ce qu'ils pouvaient posséder dans ce monde, dès qu'ils eurent entendu la

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leçon du divin Maître, se sont aussitôt attachés à lui et ont mérité ainsi d'être ses disciples. Les temps des apôtres nous fournissent encore d'autres exemples non moins remarquables dans ces premiers fidèles qui faisant le sacrifice de tous leurs biens, de toutes leurs possessions, achètent les riches dons du Seigneur au prix de cette généreuse pauvreté. L'Apôtre fait bien voir qu'il y a dans une pauvreté de ce genre des richesses cachées, lorsqu'il dit ces paroles : Comme n'ayant rien, et possédant tout (II Cor., VI, 10). C'est encore ce qui faisait dire à saint Pierre, répondant à un pauvre estropié qui lui demandait l'aumône à l'entrée du temple : Je n'ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je vous le donne : au nom du Seigneur Jésus-Christ, levez-vous et marchez (Act., III, 6). O pauvreté vraiment fortunée, qui n'ayant rien des biens de ce monde, est si riche de ceux du ciel ! Elle n'a point, il est vrai, d'or ou d'argent à donner, mais, ce qui est bien plus que toutes les richesses, elle peut rendre la santé du corps ; elle était dans l'impuissance de donner l'image de César gravée sur une pièce de monnaie qu'elle n'avait pas, mais elle a su réformer à l'image de Jésus-Christ l’homme lui-même. C'est de cette sorte de pauvres que parle Notre-Seigneur dans cet endroit (du chapitre V de l’Evangile de saint Matthieu) ; et c'est d'eux aussi que David a dit les paroles suivantes : Les pauvres mangeront, et ils seront rassasiés ; leurs cœurs vivront dans tous les siècles des siècles (Ps. XXI, 27) ; et ces autres encore : Il jugera les pauvres d'entre le peuple ; il sauvera les enfants des pauvres (Ps. LXXI, 4). . . Ce pauvre a crié et le Seigneur l’a exaucé (Ps. XXXIII, 6). C'est donc à de tels pauvres que Notre-Seigneur nous enseigne qu'appartient le royaume des cieux, je veux dire, à ceux qui se sont faits pauvres par motif de religion, et pour être plus sûrement enrichis des dons du Saint- Esprit ; ou du moins, par ces pauvres qu'il appelle bienheureux, il entend tous ceux d'entre les hommes qui ne s'enflent point d'un orgueil satanique, qui ne se livrent point à d'ambitieux désirs, mais qui conservent l'humilité de l'esprit en même temps que le zèle de la foi dont ils sont animés. "

28. S. BERNARD, Serm. I in festo omnium Sanctorum : " Ouvrant la bouche, il les instruisait en disant : Bienheureux les pauvres d'esprit. C'est vraiment ici qu'a été ouverte la bouche de celui en qui tous les trésors de la science et de la sagesse sont cachés ; et c'est vraiment ici la doctrine de celui qui dit dans l'Apocalypse : Voici que je fais toutes choses nouvelles (Apoc., XXI, 5) ;

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et qui auparavant avait dit par les prophètes : J’ouvrirai ma bouche, et je découvrirai les choses qui demeuraient cachée depuis le commencement du monde (Ps. LXXVII, 2). Et en effet, qu'y avait-il de plus caché que la vérité énoncée ici, que c'est la pauvreté qui fait notre bonheur ? Or c'est la vérité, la vérité qui ne peut ni tromper les autres, ni se tromper elle-même, c'est elle qui nous l'assure en ces termes : Bienheureux les pauvres d'esprit. D'où vient donc, insensés enfants d'Adam, que vous recherchez encore les richesses, et que vous les désirez toujours avec tant de passion, puisque vous voyez la pauvreté béatifiée par la bouche de Dieu même, prêchée au monde et embrassée avec foi par les hommes ? Qu'un païen recherche les richesses tant qu'il voudra, puisqu'il vit sans Dieu dans ce monde ; qu'un juif les désire puisqu'il a reçu les promesses des choses de la terre : mais comment un chrétien a-t-il la hardiesse de les demander : après que Jésus-Christ a déclaré bienheureux ceux qui sont pauvres ? Jusqu'à quand, enfants étrangers à votre père ; jusqu’à quand votre bouche ne parlera-t-elle que de vanité, en s'écriant : Heureux le peuple (Ps. CXLIII, 8) qui possède ces choses visibles et passagères puisque le Fils de Dieu, en ouvrant la bouche, vous a fait entendre cette vérité, Heureux les pauvres, Malheur aux riches ? "

" Mais remarquez qu'il ne dit pas simplement les pauvres, à cause des gens du bas peuple qui sont pauvres par une misérable nécessité et non par une volonté digne de louange. Ce n'est pas que je n’espère que cette pauvreté qu'ils souffrent dans leur affection leur sera profitable par la grâce que pourra leur en faire la bonté divine ; mais je n'en suis pas moins assuré que ce n'est pas de cette sorte de gens que Notre-Seigneur a voulu parler ici, mais de ceux-là seulement qui peuvent dire avec le roi-prophète : Je vous offrirai un sacrifice volontaire (Ps. LIII, 8). Toutefois cette pauvreté volontaire elle-même n'est pas toujours digne de louange devant Dieu, puisque nous lisons au sujet d'anciens philosophes qu'ils ont abandonné tous leurs biens, afin que, délivrés des soins de ce monde, ils pussent vaquer plus librement à l'étude de la vanité, et qu'ils ont préférer ne pas abonder en revenus, pour abonder davantage dans leur propre sens. Aussi est-ce pour distinguer de ces pauvres vaniteux les véritables pauvres, que Jésus-Christ dit ici nommément les pauvres d'esprit, c'est-à-dire qui le sont par leurs dispositions spirituelles. Bienheureux donc les pauvres d'esprit, c'est-à-dire ceux qui sont pauvres par

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une intention toute spirituelle, par un désir spirituel, en vue du bon plaisir de Dieu et du salut des âmes. "

" Parce que le royaume des cieux est à eux. . . . . Remarquez ici l'ordre tout-à-fait sage que la Sagesse a établi en opposant au premier de tous les péchés ce remède aussi le premier de tous. C'est comme s'il eût dit ouvertement : Voulez-vous gagner le ciel, qu'a perdu l'ange superbe en s'appuyant sur sa propre vertu, et sur la multitude de ses richesses ? Embrassez l'humilité de la pauvreté et ce royaume sera à vous. . . . . "

" D'où vient que la même promesse a été faite aux pauvres et aux martyrs, si ce n'est parce que la pauvreté volontaire est vraiment une sorte de martyre ? Bienheureux, dit le Prophète, celui qui n'a point couru après l'or, et qui n'a point mis son espérance dans l'argent dans les trésors ? Qui est celui-là ? Nous le louerons, parce qu'il a fait dans sa vie des choses merveilleuses (Ecclé., XXXI, 8). Quelle plus grande merveille en effet, ou quel martyre plus rigoureux, que de mourir de faim au milieu des mets, d'être gelé de froid entre une foule de vêtements de prix, et de souffrir la pauvreté au milieu des richesses que le monde nous offre, que le démon nous présente et que notre appétit déréglé convoite avec ardeur ? Ne méritera-t-il pas bien d’être couronné, celui qui aura combattu si généreusement en rejetant les promesses du monde, en se jouant des suggestions de son ennemi, et ce qui est encore bien plus glorieux, en triomphant de soi-même, et crucifiant sa concupiscence avec ses désirs incessants ? Enfin, le royaume des cieux est promis également aux pauvres et aux martyrs, parce que, de même qu'il s'achète par la pauvreté, il est donné sans délai celui qui donne sa vie pour Jésus-Christ (Cf. Sermons de saint Bernard sur les fêtes des saints, trad. par D. Ant. de Saint-Gabriel, p. 416-458). "

29. TERTULLIEN, Lib. IV adversùs Marcionem, c. 14 : " Bienheureux vous qui mendiez (car le mot grec ?????? exige cette traduction), parce que le royaume de Dieu est à vous ! Je l'entends commencer par des bénédictions. A ce trait unique je le reconnaîtrais pour le fils de ce même Créateur qui, consacrant les éléments à mesure qu'il les produisait, n'avait d'autre parole que la bénédiction. Mon cœur a produit une excellente parole (Ps. XLIV, 1), s'écrie-t-il. Telle sera la parole de bénédiction qui ouvre le Nouveau-Testament à l'exemple de l'Ancien. M'étonnerai-je que

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le fils du Créateur, qui en avait les miséricordieuse entrailles, débute par des mots semblables, toujours l’ami, le consolateur, le protecteur, le vengeur du mendiant, du pauvre, de l'opprimé, de la veuve et de l'orphelin : de sorte qu’à cette bonté si compatissante et toute particulière du Christ, on reconnaît un ruisseau qui jaillit des sources du Sauveur ? "

30. S. AUGUSTIN, de Civitate Dei, lib. XVII, c. 4 : " Ce pauvre relevé de terre est donc au-dessus de tous les riches, et ce misérable tiré de son fumier au-dessus de tous les plus opulents, pour venir tenir rang parmi les puissants du peuple, à qui il dit : Vous serez assis sur douze trônes, et à qui selon l'expression de notre sainte prophétesse (I Sam., II, 8), il donne pour héritage un trône de gloire. Car ces puissants avaient dit : Vous voyez que nous avons tout quitté pour vous suivre. Quelle puissance dans ce vœu ! Mais d'où leur venait cette puissance, sinon de celui dont il est dit ici : Il donne à qui fait un vœu de quoi le faire (I Sam., II, 9, suivant les Septante) ? Autrement ils seraient de ces puissants dont l'arc a été affaibli. Il donne à qui fait un vœu de quoi le faire ; car personne ne peut offrir au Seigneur un vœu légitime s'il ne reçoit de lui ce qu'il lui voue (Cf. La Cité de Dieu, etc., trad. par L. Moreau, t. III, p. 15-16). "

31. S. JEROME, Epist. VIII ad Demetriadem, de virginitate servandâ ; voir plus haut, même question, témoignage 3, p. 352.

32. Le même, Catalog. scriptorum ecclesiasticorum, sive lib. de viris illustribus ; voir plus haut, question II, témoignage 1, page 352.

33. S. AUGUSTIN, Epist. LXXXIX (al. 157) ad Hilarium, q. 4 (al. c. 6) : " J'ai encore à vous répondre en peu de mots sur ce qui regarde les riches y et qui fait le sujet d'une autre de vos questions. Car vous dites que ces gens là soutiennent que les riches qui ne se défont point de leurs richesses ne sauraient avoir part au royaume de Dieu ; qu'ainsi, s'ils veulent y entrer, il faut qu'ils vendent tout ce qu'ils possèdent pour le distribuer aux pauvres, et que sans cela, tout le bien qu'ils pourraient faire, en employant leurs richesses aux bonnes œuvres que la loi de Dieu prescrit, ne leur servirait de rien . . . "

" Jésus-Christ distingue nettement l'observation des préceptes de la loi d'avec cette autre perfection plus élevée, puisqu'il dit d'un côté : Si vous voulez arriver à la vie, gardez les commandements ; et de l’autre : Si vous voulez être parfait, allez, vendez

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tout ce que vous possédez, etc. Pourquoi ne veut-on donc pas que les riches, quoique au-dessous de ce degré de perfection, arrivent à la vie, s'ils observent les préceptes, s'ils donnent afin qu'il leur soit donné, s'ils pardonnent afin qu'il leur soit pardonné ? "

" C'est là le parti de tout chrétien, c'est-à-dire, non-seulement de ceux qui, ayant l'âme assez élevée pour embrasser les conseils de la perfection évangélique, vendent tout leur bien et le distribuent aux pauvres, afin que leurs épaules déchargées de ces fardeaux, n'en soient que plus propres à porter le joug doux et léger de Jésus-Christ, mais de ceux même qui ont moins de force, et qui ne sont pas capables d'une résolution si grande et si glorieuse. Car, pourvu qu'ils soient d'ailleurs véritablement chrétiens, dès qu'on leur posera pour alternative de renoncer à Jésus-Christ ou leurs biens, ils se sauveront de devant l'ennemi dans la forteresse que tout chrétien doit s’être bâtie dans sa foi. . . . . "

" Il faut donc que tout chrétien renonce à ses richesses, s'il en a, en sorte que, n'ayant pour elles aucune attache, il les distribue toutes aux pauvres, et se débarrasse de cet importun fardeau ; ou, s'il les garde, il faut au moins qu'aimant Jésus Christ, sans comparaison, plus que tout le reste, et mettant sa confiance en lui, et non pas dans ses richesses, il en fasse un saint usage ; qu'il donne et répande volontiers ; qu'il se fasse un trésor dans le ciel, et qu'il soit prêt à les abandonner dès qu'il ne pourra plus les conserver sans perdre Jésus-Christ, comme il abandonnerait en pareil cas son père, sa mère, ses enfants, ses frères et sa propre femme. Car, de n'être pas dans cette disposition, lorsqu'on déclare au baptême qu'on renonce au monde, c’est ne renoncer au monde que de bouche et non pas en effet, comme dit saint Cyprien dans l'endroit où il déplore l'infidélité de ceux que la persécution avait fait tomber. "

" Plusieurs qui n'avaient pas eu le courage de tendre à la perfection, en renonçant à tous leurs biens, y ont été élevé subitement en devenant les imitateurs de la passion de Jésus-Christ. Voilà comment, après avoir fait servir leurs richesses à contenter jusqu'à un certain point les faiblesses de la chair et du sang, ils se sont trouvés tout d'un coup en état de défendre leur foi contre le péché, jusqu'à l’effusion de leur sang. Pour ceux d'entre les riches qui ne sont ni assez heureux pour recevoir la couronne du martyre, ni assez forts pour suivre le conseil si élevé que Jésus-Christ leur donne de vendre tout leur bien, et de

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le distribuer aux pauvres, mais qui, d'une part mènent une vie exempte de ces crimes dont la damnation est le salaire, et de l'autre donnent à Jésus-Christ dans la personne des pauvres, de quoi manger, de quoi boire, de quoi se couvrir et où se retirer, s'ils ne sont pas élevés sur des trônes avec Jésus-Christ au dernier jour pour juger le reste des hommes, ils seront au moins placés à sa droite et jugés avec miséricorde, puisqu'il est écrit Bienheureux sont les miséricordieux, car ils recevront miséricorde ; et ailleurs : On jugera sans miséricorde celui qui n’aura pas fait miséricorde ; mais la miséricorde l’emportera sur la rigueur de la justice (JAC., II, 13). "

" Que ces gens-là (les pélagiens) cessent donc de tenir des discours si contraires à la parole de Dieu, et s'ils portent les fidèles par leurs exhortations, à ce qu'il y a de plus parfait, que ce ne soit pas en condamnant ce qui l'est moins. . . "

" J'ai été, moi qui vous écris, etc. " Voir plus haut, question II, témoignage 10, page 338 (Cf. Lettres de saint Augustin, t. IV, p. 409-431).

34. POSSIDONIUS, in Vitâ D. Augustini, c. 5, cité plus haut, question II, témoignage 9, page 338.

35. CASSIEN, Lib. VIII de institutis cœnobiorum, c. 14 : " Cette maladie (de la propriété dans les religieux) se présente sous trois formes différentes, mais également détestée et condamnée par tous les Pères. La première consiste à s'éprendre du désir de se procurer des choses qu'on ne possédait pas même lorsqu'on vivait dans le siècle. La seconde, c'est de reprendre ou de convoiter de nouveau des biens dont on avait fait le sacrifice au commencement de sa conversion. La troisième est celle qui accompagne la conversion même, par suite de l'imperfection de cette dernière et elle se remarque dans les religieux qui, se défiant de la Providence et craignant la pauvreté, n'ont pu prendre sur eux de se dépouiller de tout ce qu'ils possédaient et, se réservant à eux-mêmes une partie de leur argent ou de leurs autres biens, auxquels ils auraient dû renoncer en totalité, se réduisent à l'impuissance de parvenir jamais à la perfection évangélique. Or les Ecritures nous fournissent des exemples éclatants de châtiments infligés à chacune de ces trois espèces de prévarications, dont l'esprit de propriété est la source commune. Car, pour commencer par la première, Giézi en cherchant à acquérir ce qu'il ne possédait pas avant de se mettre à la suite

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d'Elie, non-seulement se rendit indigne de recevoir le don de prophétie que son maître lui aurait communiqué par une succession pour ainsi dire héréditaire, mais encore s'attira la malédiction du prophète et une lèpre affreuse dont il ne put jamais se délivrer. Pour passer à la seconde, Judas, en se passionnant de nouveau pour l'argent, à l'amour duquel il avait renoncé en se mettant à la suite de Jésus-Christ, non-seulement perdit sa dignité d'apôtre en trahissant, comme il le fit, son divin maître, mais de plus finit ses jours par une mort violente, châtiment bien dû à son énorme crime. Enfin, pour citer un exemple de la troisième espèce, Ananie et Saphire, pour s'être réservé à eux-mêmes une partie du prix de leur bien, furent frappés de mort à la voix de l'apôtre leur mettant sous les yeux leur infidélité. "

36. Ibidem, c. 17 : " Est-ce que cet apôtre (saint Paul) n'aurait pas pu vivre des biens qu'il possédait avant sa conversion, lui qui nous atteste (Act., XXII, 3 et 27) et l'honnête condition de sa famille et sa dignité de citoyen romain, s'il avait pensé que cela eût été plus avantageux pour sa perfection ? Est-ce que ces fidèles de Jérusalem, qui vendaient tout ce qu'ils pouvaient posséder de terres et de maisons pour en déposer le prix aux pieds des apôtres, n'auraient pas pu s'en réserver la quantité nécessaire pour subvenir à leurs propres besoins, si les apôtres l'avaient jugé plus parfait, ou qu'eux-mêmes l'eussent trouvé plus à propos ? Oui, sans doute ; mais en faisant le sacrifice de tous leurs biens à la fois, ils ont mieux aimé ne devoir désormais leur subsistance qu'au travail de leurs mains ou aux largesses des gentils convertis à la foi. C'est à cela que l'Apôtre faisait allusion dans son épître aux Romains, lorsque faisant valoir à ces derniers le ministère de charité qu'il exerçait à l'égard des fidèles de Jérusalem, et les invitant adroitement à l'aider dans cette bonne œuvre, il leur écrivait en ces termes : Maintenant je m'en vais à Jérusalem porter aux saints quelques aumônes (Rom., XV, 25-27). Car les Eglises de Macédoine et d'Achaïe ont résolu avec beaucoup d'affection de faire part de leurs biens à ceux d'entre les fidèles de Jérusalem qui sont pauvres : ils s'y sont portés d'eux-mêmes, et en effet ils leur sont redevables ; car puisque les gentils ont participé aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent à leur tour leur faire part de leurs biens temporels. C'est encore par ce motif d'intérêt pour les fidèles de Jérusalem, qu'écrivant aux Corinthiens, ce même apôtre leur recommandait de préparer avant son arrivée le produit de leur cotisation, destiné à cette bonne

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œuvre. Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, leur écrivait-il, faites la même chose que ce que j'ai ordonné aux Eglises de Galatie : que chacun, de vous mette à part chez soi, le premier jour de chaque semaine, ce qu'il voudra, ramassant peu à peu selon sa bonne volonté, afin qu'on n'attende pas à mon arrivée de recueillir les aumônes ; et lorsque je serai arrivé, j’enverrai ceux que vous m'aurez désigné par vos lettres, porter vos charités à Jérusalem (I Cor., XVI, 1-3). Et pour les engager à faire cette aumône plus abondante, il ajoutait : Que si la chose mérite que j'y aille moi-même, ils viendront avec moi (ibid., 4) ; c'est-à-dire, si votre offrande est assez considérable pour que je doive me charger de la présenter moi-même. De même, dans son épître aux Galates, leur rappelant qu'il était convenu avec les apôtres de la part qu'il aurait à prendre dans le ministère de la prédication, il leur assurait que Jacques, Pierre et Jean, en se remettant sur lui de prêcher les gentils, lui avaient en même temps donné pour mission de s'occuper des besoins des pauvres de Jérusalem qui, par le renoncement qu'ils avaient fait de tous leurs biens pour l'amour de Jésus-Christ, s'étaient volontairement réduits à cet état d'indigence. Ceux, leur écrit-il, qui paraissaient comme les colonnes de l’Eglise, Jacques, Céphas et Jean, ayant reconnu la grâce que j'avais reçue, nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, pour marque de la société et de l'union qui était entre eux et nous, afin que nous prêchassions l'Evangile aux gentils, et eux aux circoncis ; ils nous recommandèrent seulement de nous ressouvenir des pauvres (Gal., II, 9-10). Et pour faire connaître avec quel zèle il s'était acquitté de cette commission, il ajoute : Ce que j’ai eu aussi grand soin de faire (ibid.). Quels seront donc les plus heureux devant Dieu, de ceux qui nouvellement convertis d'entre les gentils, mais ne pouvant s'élever à cette perfection évangélique, restaient attaché à leurs biens, et à l'égard desquels tout ce que l’Apôtre pouvait obtenir, c'était qu'au moins ils s'abstinssent de tout acte d'idolâtrie, de la fornication, du sang et de la chair des animaux suffoqués, tout en gardant leurs biens en même temps qu'ils embrassaient la foi de Jésus-Christ ; ou de ceux qui, se conformant en tout point aux maximes évangéliques, et portant tous les jours la croix de Jésus-Christ, ne voulaient rien se réserver de ce qui auparavant leur avait appartenu ? Et comme le saint apôtre lui-même qui, empêché par la rigueur de ses liens et de sa prison, ou dérangé par ses voyages, n'avait pu se procurer par le seul travail de ses mains les choses néces-

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-saires à son entretien, assure qu'il avait accepté de quelques frères venus de la Macédoine ce qu'il lui avait fallu pour y suppléer ; car, écrivait-il encore aux Corinthiens, nos frères qui étaient venus de Macédoine ont suppléé aux besoins que je pouvais avoir (II Cor., XI, 9) ; ce qu'il reconnaît aussi dans son épître aux Philippiens par ces paroles : Or vous savez, vous mes frères de Philippes, qu'après avoir commencé à vous prêcher l’Evangile, ayant depuis quitté la Macédoine nulle autre Eglise ne m'a fait part de ses biens, et que je n'ai rien reçu d'autres que de vous, qui m'avez envoyé deux fois à Thessalonique de quoi satisfaire à mes besoins (Philipp., IV, 15-16). Ces derniers donc, au dire de quelques-uns, à qui la tiédeur seule a inspiré leur opinion à ce sujet, se trouveront plus heureux devant Dieu que l'Apôtre lui-même, pour avoir gardé cette portion de leurs biens avec laquelle ils ont pu à l'occasion lui procurer des secours ? C'est là, je pense, ce que n'oseraient pas dire même les plus insensés. "

37. Le même, Collat. III, quæ est abbatis Paphnutii, c. 6 : " Il faut que je vous parle maintenant des choses auxquelles on doit renoncer. La tradition de nos pères et l'autorité de l'Ecriture nous apprennent qu'il y a trois sortes de renoncements que chacun de nous doit travailler à opérer en soi de toutes ses forces. Le premier est de rejeter tous les biens et toutes les richesses de ce monde. Le second, de renoncer à nous-mêmes, à nos vices, à nos mauvaises habitudes, et à toutes les affections déréglés à l'esprit et de la chair. Le troisième, de détourner notre cœur de toutes les choses présentes et visibles, pour ne l’appliquer qu'aux éternelles et aux invisibles. Dieu nous apprend à faire à la fois ces trois renoncements, par ces paroles qu'il adressa à Abraham : Sortez, lui dit-il, de votre terre, de votre parenté et de la maison de votre père (Gen., XII, 1). De votre terre, c'est-à-dire, quittez tous les biens de ce monde et toutes les richesses de la terre. De votre parenté, c'est-à-dire, sortez de votre vie ordinaire et de ces inclinations mauvaises et vicieuses qui, s'attachant à nous dès notre naissance et par la corruption de la chair et du sang, se sont comme naturalisées et sont devenues pour ainsi dire une même chose avec nous-mêmes. Sortez de la maison de votre père, c'est-à-dire, perdez le souvenir de toutes les choses de ce monde, et de tout ce qui se présente à vos yeux (Cf. Conférences de Cassien, trad. par l'abbé de Saligny, (Sacy), p. 109-110)

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38. S. JEROME, Epist. VIII ad Demetriadem, de servandâ virgtnitate, passage déjà rapporté plus haut sur cette même question, témoignage 3, page 352.

39. S. BASILE, Serm. I de institutione monachorum : " Si nous avons dessein de rafraîchir dans notre âme les traits de la divine ressemblance par une vie exempte de vices et de passions déréglées, afin de parvenir par ce moyen à la jouissance de la vie éternelle, ayons soin de ne rien faire qui soit indigne de cette profession sainte, et qui puisse nous exposer à la damnation. Car Ananie avait d'abord la liberté de ne point promettre à Dieu l'universalité de ses biens, et de ne point s'engager par un vœu à lui en faire le sacrifice. Mais quand une fois il les lui eut consacrés par le motif d'une gloire humaine, et pour s'attirer l'estime et l'admiration des hommes par une action si extraordinaire et si éclatante et qu'ensuite il retint une partie du prix de la vente qu'il en avait faite, il alluma contre lui une telle indignation dans le cœur de Dieu, ou dans celui de saint Pierre, son ministre, qu'il ne lui fut plus possible de trouver un refuge dans la pénitence. Ainsi donc, tant qu'on n'a pas fait profession de la vie religieuse, on est libre de mener une vie commune et de s'établir dans le mariage, selon les lois que Dieu a prescrites et la permission qu'il en a donnée mais après qu'on a embrassés par son propre choix ce genre de vie extraordinaire, et qu'on en a fait profession, on doit se conserver à Dieu dans la pureté, comme on lui conserve exempts de souillure les vases qui lui sont consacrés, de peur de se rendre coupable d'un horrible sacrilège en souillant tout de nouveau, par une vie molle et relâchée, un corps consacré à Dieu par la profession religieuse (Cf. Les Ascétiques de saint Basile, p. 42-43). "

40. Le même, Constitutions monastiques, c. 19 (al. 18) : " J'appelle vivre dans une société parfaite, bannir toute propriété de biens, retrancher toute contrariété de sentiments, abolir toute sorte de troubles, de contentions et de disputes ; posséder toutes choses en commun, âme s, sentiments, corps, et tout ce qui concourt à notre nourriture et à notre subsistance ; avoir Dieu même en commun ; entretenir en commun le commerce de la piété, travailler en commun à son salut, s'unir en commun dans les travaux, dans les combats à soutenir et dans les couronnes à gagner ; enfin, j'appelle société parfaite celle où plusieurs

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n'en font qu'un, et où ce seul homme n'est pas un seul individu, mais subsiste en plusieurs personnes. "

" Qu'y a-t-il de comparable à une telle société ? Qu'y a-t-il de plus heureux ? Qu'y a-t-il de plus achevé que cette, alliance et cette union si intime ? Qu'y a-t-il de plus agréable et de plus doux que ce concert et cette conspiration mutuelle de corps et d'âmes ? Des hommes venus de plusieurs pays et de plusieurs nations différentes se trouvent dans un même lieu si parfaitement unis, qu'on dirait une seule âme en plusieurs corps, et plusieurs corps n'être que différents organes du même esprit qui les anime tous. . . . . "

" Ces hommes sont de parfaits imitateurs de notre divin Sauveur, et de la vie qu'il a menée sur la terre dans sa chair mortelle. Car de même qu'i la voulu que toutes choses fussent communes entre tous ses disciples réunis en une même société, qu'il s'est donné lui-même en commun à tous ses apôtres, ainsi ces personnes, gardant exactement la règle de leur institut, et par conséquent la soumission à leur supérieur commun, imitent la conduite des apôtres et de Jésus-Christ lui-même. Et ce soin si exact qu'ils prennent d'avoir toutes choses communes entre eux les rend dès ici-bas les dignes émulateurs de la vie même des anges. Il n'y a en effet parmi les anges, ni dispute, ni contestation, ni querelle ; mais chacun d'eux participe aux biens et aux avantages de tous les autres, et tous ensemble ne laissent pas de posséder tous leurs avantages personnels dans toute leur étendue. . . Ainsi donnent-ils le parfait exemple de la pauvreté la plus absolue, puisqu'ils ne possèdent rien du tout en propre, et que tout est commun entre eux (Cf. Les Ascétiques de saint Basile, trad. par Hermant, pag. 540, 541, 543). "

41. Ibidem, c. 35 : " Un religieux qui a fait profession de vivre en communauté doit être exempt de toute propriété de biens temporels ; autrement il détruit la discipline commune de tout le monastère par cette prétention qu'il a de posséder quelque chose en propre. Il donne de plus la preuve visible de son manque de confiance en Dieu, en paraissant croire que Dieu ne prendra pas soin de nourrir ceux qui sont réunis en son nom, et n'avoir pas entendu ce que dit le saint prophète David : J'ai été jeune, et me voici arrivé à un âge avancé, et je n'ai point vu encore de justes abandonnés, ni de leurs enfants mendier leur pain

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(Ps., XXXVI, 28), c'est-à-dire, ou manquer du pain de la sagesse, qui est la nourriture de l'âme, ou avoir besoin de ce pain sensible et matériel qui est l'aliment du corps. Car si Jésus-Christ est au milieu de deux ou trois personnes qu'il voit assemblées en son nom, à combien plus forte raison devons-nous croire qu'il se trouve présent dans une communauté composée d'un si grand nombre de personnes ? Ou bien donc rien ne nous manquera des choses nécessaires à la vie, lorsque Jésus-Christ sera ainsi avec nous, puisque les Israélites n'ont eux-mêmes manqué de rien pendant tout le temps qu'ils ont erré dans le désert ou, si Dieu permet pour nous éprouve que nous manquions de quelque chose, il nous sera plus avantageux d'éprouver ce besoin dans la compagnie de Jésus-Christ que de posséder hors de sa société tous les biens temporels. "

" Et le mal que nous causerait cette propriété de biens ne s'arrêterait pas là ; il irait encore plus avant. En effet, tout homme qui a la prétention de posséder quelque chose en propre ne cherche qu’à se séparer et à s'isoler de ses frères. Car si telles n'étaient pas ses vues, pourquoi voudrait-il posséder quelque chose en particulier, puisqu'il doit être persuadé que les serviteurs de Jésus-Christ possèdent toujours avec abondance les choses nécessaires à la vie ? Il est donc visible qu'un homme de ce caractère n'a pour but que de se mettre à part et des s’étioler dans l'isolement, disposé comme il l'est à renoncer à son salut pour quelques oboles, et, permettez-moi de le dire, à être un second Judas, qui commence par le larcin (puisque ce n'est que par larcin qu'il peut posséder quelque chose en propre), pour finir par la trahison, en trahissant la parole de vérité, comme Judas a trahi Notre-Seigneur. Car, comme la règle que nous faisons profession de suivre nous défende nous séparer de la société à laquelle nous sommes unis, et d'acquérir aucun bien en particulier, ou de négocier en cachette quoi que ce puisse être ou de rien faire enfin qui puisse être de mauvais exemple pour le reste de nos frères ; si après cela quelqu'un, mettant de côté la crainte de Dieu et les lois de l'Esprit-Saint, commence par piller la communauté puisque ce qu'on possède en son particulier n'est plus alors qu'un pillage, quelle que soit d’ailleurs la chose qu'on possède, et quel que soit le moyen qu'on ait pris pour s'en mettre en possession ; et si cet homme outre cela pense encore à abandonner la communauté, et à se séparer de ses frères, n'est-il pas visible qu'il a trahi la parole de vérité et qu'il est

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devenu un autre Judas, en trahissant la vérité autant qu'il lui a été possible de le faire ? "

" Il faut donc bien nous garder de posséder quoi que ce soit en particulier outre ce que nous possédons tous en commun, et non-seulement conserver sur ce point la pureté et l'innocence de notre âme, mais veiller en même temps a ce que l'homme intérieur qui est en nous ne contracte aucune souillure. Nous nous mettrons en état d'acquérir cette pureté en éloignant de nous toutes les mauvaises pensées qui mettraient le trouble et l'agitation dans notre esprit, et en nous abstenant de toute duplicité de tout déguisement, de toute envie, de toute contention, vices qui ruineraient dans notre âme la racine même de la charité comme ils bannissent Dieu du cœur de tous ceux qu'ils tyrannisent (Cf. Les Ascétiques de saint Basile, p. 584-587). "

42. Le même, question 85, in regulis Brevioribus : " Est-il permis d'avoir quelque chose en particulier dans la société des frères (c'est-à-dire des religieux vivant en communauté) ? "

" . . . Cela serait contraire à ce que nous lisons dans les Actes des Apôtres touchant les premiers chrétiens, dont il est écrit, que nul homme ne considérait ce qu'il possédait comme étant à soi en particulier (Act., IV, 31). En conséquence, quiconque s'approprie quelque chose s'éloigne de l’Eglise de Dieu, et de la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, par ses discours et ses exemples, nous enseigne à donner non-seulement nos biens temporels, mais notre âme même et notre vie pour nos amis (Cf. Ibidem, p. 303). "

43. S. AUGUSTIN, ad sanctimoniales Epist. CIX (al. 211) : " Voici ce que nous ordonnons qu'on observe dans le monastère. "

" Ayez soin en premier lieu, que ce soit dans une parfaite union d'esprit que vous habitiez dans la maison du Seigneur ; car c'est pour cela que vous avez entrepris de vivre en société et qu'il n'y ait entre vous qu'un cœur et qu'une âme, personne n'ayant rien en propre, et tout étant commun entre vous. "

" Que celle qui vous gouverne distribue à chacune le vivre et le vêtement, non également à toutes, puisque les forces de toutes ne sont pas égales, mais chacune selon son besoin : car nous apprenons des Actes des Apôtres (Act., IV, 35), que tout était commun parmi les premiers chrétiens et qu'on distribuait à chacun selon son besoin. "

" Que celles qui possédaient quelque chose dans le monde au

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moment où elles sont entrées dans le monastère soient bien aises que leur bien soit devenu commun ; et que celles qui n'avaient rien se gardent bien d'y chercher ce qu'elles n'auraient pu avoir ailleurs ; qu'on accorde néanmoins à leur infirmité les choses dont elles ont besoin, quoique auparavant le nécessaire même leur manquât ; mais qu'elles prennent bien garde il ne pas mettre leur bonheur dans l'assurance où elles se trouvent d'une subsistance qui leur manquait auparavant (Cf. Lettres de saint Augustin, t. VI, p. 38-39). "

44. Le même, Serm. XLIX ex diversis (On retrouve ce sermon tout entier dans les notes du concile d'Aix-la- Chapelle de l'an 816), c. 1 : " Vous savez tous, ou du moins la plupart, que nous vivons dans cette maison qu'on appelle la maison de l’évêque, de manière à imiter selon notre pouvoir les saints dont il est dit au livre des Actes : Nul ne considérait ce qu'il possédai comme étant à soi en particulier, mais toutes choses étaient communes entre eux (Act., IV, 52). Comme quelques-uns peut-être d'entre vous ne sont pas tellement exacts observateurs de notre manière de vivre, qu'ils la connaissent autant que je désire que vous la connaissiez, je vais revenir là-dessus en peu de mots. Moi que vous voyez devenu votre évêque par la grâce que Dieu m'en a faite, je suis entré dans cette ville étant jeune encore, comme le savent grand nombre d'entre vous. Je cherchais où je pourrais bâtir un monastère pour y vivre avec mes frères, car j'avais renoncé à toutes les espérances du siècle, et je n'ai pas voulu être ce que j'aurais pu devenir, sans pourtant chercher à devenir ce que je suis. . . Et comme je pensais à m'établir ici dans un monastère avec mes frères, l'évêque Valère, ce vieillard de bienheureuse mémoire qui fut instruit de mon dessein, me donna ce jardin dont le terrain est maintenant occupé par le monastère. Je commençai par réunir des frères de bonne volonté disposés comme moi, n'ayant rien comme je n'avais rien moi-même, et déterminés à m'imiter, c'est-à-dire, à vendre le peu qu'ils pouvaient avoir comme je m'étais défait moi-même de mon petit bien, pour mettre tout en commun. Mais nous avions d'avance en commun le plus grandet le plus fertile de tous les biens, supposé que nous eussions Dieu avec nous. Je parvins à l’épiscopat ; je vis qu'un évêque était obligé de se montrer constamment affable à tous ses diocésains comme à tous les étrangers Si je n'avais pris ce parti, j'aurais passé pour un évêque avec qui on ne pouvait vivre. Mais d'un autre côté

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je n'eusse pu convenablement prendre ces manières dans un monastère. C'est ce qui m'a déterminé à placer le monastère dans la maison de l'évêque ".

Ibidem, c. 2 : " Voici la manière dont nous vivons. Il n'est permis à aucun de notre communauté d'avoir quoi que ce soit en propre. Mais, dira-t-on peut-être il y en a quelques-uns qui gardent certaines choses en leur propriété. Ce que j'ai à répondre, c'est que nous ne le permettons à aucun. S'il y en a qui le font, ils font ce qui ne leur est pas permis. "

Un peu plus loin, déplorant le malheur de Janvier, prêtre qui avait légué à l'église au moment de sa mort une somme d'argent qu'il s'était réservée, il dit à ce sujet : " Ce prêtre, notre confrère, notre commensal, qui vivait des revenus de l'église, qui avait fait profession de la vie commune, a laissé un testament, a institué un héritier. O douleur pour toute la communauté ! O malheureux fruit, né sur un autre arbre que celui qu'a planté le Seigneur ! Mais c'est l’Eglise qu'il a instituée son héritier. Je repousse de tels présents, je n'aime pas de ces fruits d’amertume. Je voulais le gagner à Dieu ; il avait fait profession de vivre en communauté avec nous ; il devait donc être fidèle à son vœu ; il devait donner la preuve de sa fidélité en ne gardant rien à lui, en ne faisant point de testament. Du moment où il gardait quelque chose à lui, il ne devait plus se donner pour être des nôtres, ou pour un pauvre de Dieu. Voilé mes frères, le sujet de ma grande douleur. "

Ibidem, c. 4 : " Celui qui abandonne la vie commune, cette vie si fortement louée dans les Actes des Apôtres, se montre par-là même infidèle à son vœu comme à sa profession. Qu'il redoute le jugement de Dieu, et non pas simplement le mien. Je sais combien c'est un grand mal que d'embrasser une profession sainte pour ne pas en remplir les obligations. Faites des vœux au Seigneur et accomplissez-les (Ps. LXXV, 12). Il vaut mieux, nous dit encore l'Esprit-Saint, ne point faire de vœu ; que d'en faire et de ne pas les accomplir (Ecclés., V, 4). Une vierge qui a été consacré en cette qualité, quand même elle n'aurait jamais été dans un monastère, ne peut pas se marier sans crime, quoiqu'elle ne soit pas obligée d'entrer dans un monastère. Si elle est entrée dans un monastère et qu'elle le déserte tout en gardant encore sa virginité, elle est à moitié tombée. C'est ainsi qu'un clerc fait profession de deux choses à la fois, de mener une vie sainte, et de vivre dans la cléricature : une vie sainte, pour sou propre bien spirituel ;

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et la cléricature, pour l'édification du peuple : car c'est encore plus une charge qu'un honneur pour celui qui l'a une fois acceptée. Mais quel est le sage qui comprendra ces choses (OSEE, XIV, 10) ? Ce clerc a donc fait profession de mener une vie sainte ; il a fait profession de mener la vie commune ; il a fait profession de chanter avec le Psalmiste : Oh ! qu'elle est douce, qu'elle est délicieuse, l'union qui règne au sein d'une société de frère (Ps. CXXXII, 1) ! S'il quitte la vie commune et qu'il reste néanmoins clerc, il est à moitié tombé. Que m'importe ? je ne le juge pas. S'il conserve la sainteté même hors de la communauté, il n'en est pas moins à moitié tombé ; mais si ce n'est plus en lui qu'une sainteté simulée, il est tombé tout-à-fait. Je ne veux pas le réduire à la nécessité d'user d'hypocrisie. Je sais le prix qu'on attache à être dans la cléricature ; je ne veux pas en dépouiller ceux-là mêmes qui refuseraient de vivre en communauté avec nous ; mais celui qui veut vivre avec moi aura Dieu avec lui. S'il veut que Dieu le nourrisse par le ministère de son Eglise, il ne doit rien avoir en propre, mais ou donner aux pauvres ce qu'il a, ou le mettre en commun : qu'il demeure donc avec moi. Quant à celui qui s'y refuse, je le laisse libre : c'est à lui de voir s'il pourra par ce moyen parvenir au bonheur de l'éternité. "

45. Le même, Lib. de moribus Ecclesiæ catholicæ, c. 31 : " Qui ne doit admirer et louer ces cénobites qui, après avoir dit adieu aux plaisirs du monde qu'ils méprisent, mènent en commun une vie toute chaste et toute sainte. . . , sans qu'aucun d'eux possède aucun bien en propre (Cf. Traduction du livre de saint Augustin des Mœurs de l'Eglise catholique). "

46. S. JEROME, ad Eustochium de custodiâ virginitatis, epist. XXII, c. 14 : " Je vais rapporter ce qui s'est passé il y a peu d'années, dans le monastère de Nitrie. Un solitaire économe plutôt qu'avare, avait laissé en mourant cent écus qu'il avait amassés à faire des filets. On tint conseil sur l'usage faire de cet argent. Parmi les solitaires, les uns opinaient pour qu'il fût distribué aux pauvres ; d'autres, pour qu'on le donnât à l’Eglise ; quelques- uns étaient d'avis qu'il fût envoyé à la famille du défunt. Macaire, Pambo, Isidore, les autres Pères inspirés du Saint-Esprit, prononcèrent qu'il fallait enterrer cet argent avec le mort, en disant : Que ton argent périsse avec toi. Cette sentence, où il

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n'y avait rien que d'équitable fit une telle impression dans l'âme des solitaires de l’Egypte, que tous auraient regardé comme un crime de laisser seulement un écu en mourant. "

47. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Lib. IV dialogorum, c. 55 : " Je ne crois pas non plus devoir passer sous silence ce que je me rappelle être arrivé il y a trois ans, dans mon monastère. Un moine nommé Justus avait été instruit dans la médecine, de sorte qu'il m'était d'un grand secours auprès de mes moines, en même temps qu'il faisait tout pour me soulager moi-même dans mes continuelles infirmités. Atteint à son tour d'une grave maladie, il se vit bientôt à l'extrémité. Il avait pour le soigner dans sa maladie son propre frère nommé Copiosus, qui aujourd'hui encore trouve ses moyens d'existence dans la profession de médecin qu'il exerce lui-même dans cette ville. Or, ce Justus dont je parlais tout-à-l'heure, voyant bien que sa fin approchait, révéla à son frère qu'il tenait cachés trois écus d'or. Ce fait ne put rester caché aux moines ses confrères qui, après avoir cherché exactement dans ses drogues, trouvèrent les trois écus d'or qui y avaient été recélés. Quand on m'eut appris un si grand mal commis par un moine qui avait fait profession de vivre en communauté avec nous, je fus saisi d'indignation ; car c'avait toujours été une règle dans mon monastère, que tous pratiquassent tellement la vie commune, qu'aucun des moines ne pût rien garder en propre. Pénétré donc de douleur, je me mis à chercher en moi-même comment je pourrais, ou amener le mourant à la pénitence, ou en faire un exemple pour la communauté. Dans ce dessein je mandai Préciosus, prévôt du monastère et je lui dis : " Prenez garde à ce qu'aucun des moines n'approche du mourant, ou ne lui adresse des paroles de consolation ; mais quand il demandera à les voir dans ses derniers instants, que son frère charnel soit chargé de lui dire que toute la communauté l'a en horreur à cause des écus d'or qu'il a tenus cachés ; qu'avant donc de mourir il conçoive enfin du regret de sa faute, et qu'il songe à s'en purifier. Et lorsqu'il sera mort, que son corps ne soit pas inhumé avec ceux des autres moines, mais faites-lui une fosse dans un fumier où vous le jetterez ; et sur son cadavre vous jetterez les trois écus d'or qu'il a laissés en criant tous ensemble : Que ton argent périsse avec toi (Act., VIII, 20) ; après quoi vous le couvrirez de terre. " Par ce double moyen, j'ai cru pourvoir, tant au salut du mourant, qu’à l'édification de tous les autres, la désolation où je laissais le

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premier à ses derniers moments devant lui servir d'expiation, et cette peine infligée à son avarice effrayer ses confrères et les détourner pour l'avenir de tomber dans la même faute : et c'est aussi ce qui est arrivé. Car le moine en question se trouvant sur le point de mourir, et demandant avec inquiétude à être recommandé ti ses confrères, comme il vit qu'aucun d'eux ne semblait faire attention à lui ni ne daignait lui parler, son frère charnel lui indiqua la cause de cette répulsion qu'éprouvait de leur part. Alors il s'empressa de témoigner par ses gémissements son vif repentir de la faute qu'il avait commise, et mourut dans ces mêmes sentiments ; puis on l'enterra de la manière que j'avais prescrit de le faire. Tous les membres de la communauté, épouvantés de cet arrêt sévère, se hâtèrent d'apporter tout ce qu'ils pouvaient avoir d'objets même du plus vil prix, et qu'on leur avait toujours permis de garder, dans la crainte qu'on ne leur trouvât quelque chose qui les rendît passibles d'une semblable peine. "

48. Le même, lib. X, epist. 22 ad Joannem subdiaconum Ravennæ : " J’ai appris que Constantius se permettait d'avoir de l'argent en propre, preuve évidente qu'il n'a pas l'esprit de la vie monastique. . . . . Ne manquez donc point de dire à notre frère (Marinianus), qui est aussi notre collègue dans l'épiscopat, de donner tous ses soins à ce que ce désordre cesse dans ce monastère, où il est fomenté par quatre ou cinq moines incorrigibles jusqu'ici : car si les moines se réservent quelque chose en propre, il ne pourra y avoir parmi eux ni paix ni charité. Eh ! qu'est-ce que l'état de moine, sinon la profession du renoncement au monde ? Comment donc montrent-ils qu'ils renoncent au monde ou qu'ils le méprisent, ceux qui, jusque dans le monastère où ils ont été reçus font voir en eux la passion de l'or ? "

49. GENNADE, Lib. de ecclesiasticis dogmatibus, c. 71 : " On fait bien de distribuer aux pauvres, etc. ; " comme dans le corps de la réponse.

50. S. AMBROISE, Lib. I officiorum, c. 30 : " Dieu n'est pas avare, pour qu'on puisse supposer qu'il demande beaucoup de nous. Heureux sans doute celui qui quitte tout pour le suivre ; mais heureux aussi celui qui garde ce qu'il possède pour en faire part de bon cœur à ses semblables. Enfin les deux deniers de la veuve ont eu plus de prix aux yeux de Jésus-Christ que les somptueuses offrandes des riches, parce qu'elle donna tout ce qu'elle possédait, tandis que les riches n'avaient donné là qu'une

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faible partie de leur superflu. La bonne ou la mauvaise volonté fait donc la richesse ou la pauvreté des dons, et en fixe la valeur. Du reste, le Seigneur ne demande pas que nous fassions à la fois le sacrifice de tout notre avoir, mais seulement que nous sachions en faire l'emploi ; à moins que nous ne soyons dans la même disposition qu'Elisée, lorsqu'il tua ses bœuf et en nourrit les pauvres de la contrée (I Rois, XIX, 21), pour n'être plus retenu par aucun soin domestique et pouvoir se mettre sans distraction à l'école d'Elie. "

" Il faut aussi recommander la libéralité qui consiste à secourir ses proches lorsqu'ils sont dans le besoin. En effet, il est plus convenable que vous secouriez vous-même des parents qui auraient honte d'implorer la pitié étrangère et de faire à d'autres le récit de leurs malheurs. Mais n'allez pas jusqu'a les enrichir avec des biens qui peuvent vous servir à soulager ceux dont le besoin est réel : car c'est la raison, et non la partialité qui doit vous guider dans vos largesses. Vous ne vous êtes pas voué à Dieu pour enrichir votre famille, mais pour vous assurer la vie éternelle par vos bonnes œuvres, et pour racheter vos péchés par des actes de miséricorde. Vos parents croient-ils par hasard vous demander peu de chose ? C'est votre récompense qu'ils tendent à vous enlever ; c'est le fruit de votre vie tout entière. Et ils penseraient pouvoir le faire sans injustice ? Votre famille vous accuse de lui refuser de l'enrichir, et elle voudrait vous frustrer de la vie éternelle (Ce passage a déjà été rapporté précédemment, chapitre I des bonnes œuvres, question VII, témoignage 9, pages 164-165) ? "

51. S. JEROME, contre Vigilance, c. 5 : " Lorsque Vigilance prétend que ceux qui usent de leurs biens, et qui peu à peu partagent aux pauvres les fruits de leurs possessions, font mieux que ceux qui, vendant leurs possessions, répartissent tout en une seule fois, ce n'est pas moi qui répondrait, c'est le Seigneur qui lui dira : Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes et donnes-en le prix aux pauvres ; viens ensuite et suis-moi. Il parle à qui veut être parfait, à qui abandonne avec les apôtres son père, sa barque et ses filets. Le degré de perfection que tu nous vantes n'est que le second ou le troisième ; nous l’admettons aussi, mais en sachant bien que le premier est préférable à celui-là. "

52. Ibidem, c. 6 : " Il ne faut pas que ta langue de vipère ni

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ta morsure cruelle aillent détourner de leur genre de vie les moines, eux que tu attaques, et dont tu dis : Si tous s'enferment et vivent dans la solitude, qui donc fréquentera les églises ? qui donc gagnera les hommes du siècle ? qui donc pourra exhorter les pécheurs à la vertu ? De cette manière en effet, si tous, d'après toi, sont insensés, qui donc pourra être sage ? La virginité alors ne saurait être approuvé : car si tout le monde est vierge, il n'y aura pas de mariages ; le genre humain périra, les vagissements d'enfants au berceau ne se feront plus entendre ; les accoucheuses mendieront faute de salaires, et seul et tout transi de froid, Vigilance dormira dans sa couchette. La vertu est rare, et peu de gens la convoitent. Plût à Dieu que tous fussent au contraire ce qu'est le petit nombre, dont il est dit : Beaucoup d'appelés et peu d'élus. Les prisons seraient vides (Œuvres choisies de saint Jérôme, etc., trad. par Collombet, tome VIII, p. 192-195). "

53. S. PROSPER, Lib. II de vitâ contemplativâ, c. 9 : " Celui qui a fait le sacrifice de ses propres biens, en quittant ou vendant tout ce qu'il a pour en donner le prix aux pauvres, s'il vient être préposé au gouvernement de l’Eglise, devient le dispensateur de tout ce que l'Eglise possède. Enfin, comme vous le savez mieux que moi, saint Paulin vendit les biens immenses qu'il possédait et en donna le prix aux pauvres ; mais, devenu évêque, il ne dissipa pas de même les biens de l'Eglise : il se contenta d'en être le fidèle dispensateur. Par-là, il a montré suffisamment, et qu'on doit, si l'on veut être parfait, sacrifier ses propres biens, et qu'on peut, sans en être moins parfait, maintenir pour l'avantage commun des fidèles la possession des biens de l'Eglise. Qu'est-ce qu'a fait saint Hilaire ? Ne s'est-il pas défait de tous ses biens, dont il a laissé une partie à ses parents et a donné le prix de l'autre partie aux pauvres ? Et cependant, une fois devenu évêque de l'église d'Arles, grâce à l'excellence de ses mérites, non-seulement il a maintenu la possession des biens qui dès-lors appartenaient à cette église, mais il les a grossis encore de beaucoup d'autres dont il a accepté les legs de la libéralité des fidèles. "

54. S. AUGUSTIN, Lib. de bono conjugali, c. 8 : " Ceux-là faisaient bien, qui employaient leurs richesses à nourrir Jésus-Christ et ses disciples ; mais ces autres firent encore mieux, qui abandonnèrent tout ce qu'ils avaient pour s'attacher sans embarras à tous les pas du divin Maître. "

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Question IV

Quels passages de l’Ecriture contiennent en particulier le conseil de la chasteté ?

La chasteté se trouve conseillée en particulier tant dans l’Evangile que dans les écrits des apôtres. Par exemple, nous voyons dans l'Evangile Jésus-Christ faire l'éloge de ces eunuques d'un genre nouveau, qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue de gagner le royaume des cieux. Et afin que nous ne prissions pas pour un précepte ce qui n'était au fond qu'un conseil, Notre-Seigneur s'est empressé d'ajouter : Qui peut comprendre ceci, le comprenne. Parole qui, comme l'explique très-bien saint Jérôme, renferme une exhortation de notre divin chef, engageant ceux qui combattent sous ses étendards à remporter le prix de la chasteté, car c'est comme s'il eût dit : Que celui qui se sent la force de combattre, combatte en effet, remporte la victoire et obtienne le triomphe. Or, celui-là en a la force, à qui elle est donnée d'en-haut, et elle l'est, comme l'enseigne le même Jérôme, à tous ceux qui la demandent, qui en ont la volonté et qui travaillent à l'acquérir. Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et on ouvrira a celui qui frappe.

Si les saintes Ecritures promettent une récompense à la chasteté en général, elles en assignent une toute particulière à la virginité. Car ceux, nous disent-elles, qui ne se sont pas souillés avec les femmes, mais qui sont demeurés vierges, pour prix de leur pureté sans tache sont admis près du trône de Dieu, et chantent un cantique nouveau en présence de Dieu et de l'Agneau divin, qu'ils suivent partout où il va.

L'Apôtre a dit aussi dans les termes les plus clairs : Il est avantageux à l'homme de ne toucher aucune femme ; comme il a dit encore : Quant à ce qui regarde les vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur ; mais voici le conseil que je donne comme étant le fidèle ministre du Seigneur, par la miséricorde qu'il m'en a faite : Je crois donc qu'il est avantageux, à cause des fâcheuses nécessités de la vie présente, qu'il est, dis-je, avantageux à l'homme de ne point se marier. Voici de plus le conseil qu'il donne au sujet des personnes réduites à l'état de veuvage : Que la veuve se marie à qui elle voudra ; mais elle sera plus heureuse, si elle demeure veuve comme je le lui conseille : et je crois que j'ai aussi l'esprit de Dieu.

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Saint Ambroise fait un beau commentaire de ces paroles et d'autres semblables de l’Apôtre : " On loue avec justice, dit-il, une femme vertueuse ; mais on lui préfère sans hésiter de saintes vierges, selon ce qu'a dit l’Apôtre : Celui qui marie sa fille fait bien ; celui qui ne la marie pas fait encore mieux. Celle-ci pense aux choses de Dieu ; celle-là aux choses du monde. L'une est gênée par les liens du mariage ; l'autre est dans une pleine liberté. L'une est sous la loi, l'autre sous la grâce. Le mariage est bon : par lui on a trouvé le moyen de se donner des successeurs et de multiplier le genre humain ; mais la virginité est de beaucoup meilleure : par elle on acquiert l'héritage du royaume du ciel, et l'on trouve une riche succession de mérites. La femme mariée a fait passer dans le monde les soins et les inquiétudes ; la vierge nous a apporté la paix et le salut. " Tel est sur ce sujet le langage de saint Ambroise.

Or, cette vertu de chasteté demande de celui qui s'adonne à sa pratique, qu'il veille avec soin et persévère à se conserver pur de toute souillure ou de toute volupté charnelle, et qu'il passe toute sa vie dans le célibat, pour être vraiment saint de corps et d'esprit, en vue de plaire à Jésus-Christ, son divin modèle. C'était la pensée de l’Apôtre, lorsqu'il disait : Celui qui n'étant engagé par aucune nécessité, et se trouvant dans un plein pouvoir de faire ce qu'il voudra, prend une ferme résolution dans sou cœur, et juge en lui-même qu'il doit conserver sa fille vierge, fait une bonne œuvre.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. MATTHIEU, XIX, 9-12 : " Or, je vous déclare que quiconque renvoie sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, et en épouse une autre, commet un adultère et que celui qui épouse une femme renvoyée par son mari commet aussi un adultère. - Ses disciples lui dirent : Si telle est la condition de l'homme par rapport à la femme, il n'est pas avantageux de se marier. - Il leur dit : Tous ne sont capables de cette résolution mais ceux-là seulement qui en ont reçu le don. - Car il y a des eunuques sortis tels du sein de leur mère ; il y en a qui ont été faits tels par les hommes, - et il y en a qui se sont eux-mêmes faits eunuques en vue du royaume des cieux. Qui peut comprendre ceci le comprenne. "

2. ISAIE, LVI, 3-5 : " Que quiconque ne dise point : Je ne suis qu'un tronc desséché. - Car voici ce que le Seigneur dit aux eunuques : Ceux qui gardent mes jours de sabbat, qui embrassent ce qui me plaît et qui demeurent fermes dans mon alliance, - je leur donnerai dans ma maison et dans l'enceinte de mes murailles une place avantageuse, et un nom qui leur sera meilleur que des fils et des filles ; je leur donnerai un nom éternel qui ne périra jamais. "

3. Sagesse, VIII, 24 : " Et comme je savais que je ne pouvais avoir la continence si Dieu ne me la donnait, et c'était déjà un effet de la sagesse de savoir de qui je devais recevoir ce don, je m'adressai au Seigneur, je lui fis ma prière et je lui dis de tout mon cœur, etc. "

4. MATTIEU, XVII, 7-8 : " Demandez, et on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et on vous ouvrira. -

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Car quiconque demande reçoit ; et celui qui cherche trouve ; et l'on ouvrira à celui qui frappe. "

5. LUC, XI, 9 : " Je vous dis de même : Demandez, et on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. "

6. Sagesse, III, 13-15 : " Heureuse la femme stérile qui n'a rien qui la souille, et qui a conservé sa couche pure et sans tache : elle en recevra la récompense, lorsque Dieu visitera les âmes saintes. - Heureux l'eunuque dont la main n'a point commis l’iniquité, et qui n'a point nourri en lui-même de pensée criminelle contre la loi de Dieu, parce que sa fidélité recevra un don précieux et une part très-brillante dans la maison du Seigneur. - Car le fruit des œuvres de justice est plein de gloire, et la racine de la sagesse n'est point sujette à périr. "

7. Sagesse, IV, 1-2 : " Combien est belle la race chaste, lorsqu'elle est jointe avec l'éclat de la vertu ! Sa mémoire est immortelle ; elle est en honneur devant Dieu et devant les hommes. - Lorsqu'on l'a sous les yeux, on se porte à l'imiter, et on la regrette lorsqu'elle s'est retirée. Elle triomphe et est couronnée pour jamais comme victorieuse, après avoir remporté le prix dans les combats pour la chasteté. "

8. Ecclésiastique, XXVI, 20 : " Tout le prix de l'or n'est rien auprès d'une âme chaste. "

9. MATTHIEU, XIII, 8, 23 : " Une autre (partie de la semence), tomba dans une bonne terre, et elle porta du fruit, quelques grains rendant cent pour un, d'autres soixante, et d'autres trente. - Enfin, celui qui reçoit la semence dans une bonne terre est celui qui écoute la parole, la retient et porte du fruit, en rendant cent, soixante, ou trente pour un. "

10. Id., XXII, 30 : " Après la résurrection, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. "

11. LUC, XX, 34-36 : " Jésus leur répondit : Les enfants de ce siècle épousent des femmes, et les femmes des maris. - Mais pour ceux qui seront jugés dignes d'avoir part à la gloire de ce siècle futur et de la résurrection des morts, ils ne se marieront plus et n'épouseront plus de femmes. - Car alors ils ne pourront plus mourir, parce qu'ils seront semblables aux anges, et qu'étant enfants de la résurrection, ils seront enfants de Dieu. "

12. Apocalypse, XIV, 1-4 : " Je regardai encore : et je vis l’Agneau debout sur la montagne de Sion, et avec lui cent qua-

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rante-quatre mille personnes qui avaient son nom et le nom de mon père écrits sur le front. - J’entendis alors une voix qui venait du ciel, semblable au bruit que font de grandes eaux et de grands éclats de tonnerre, et cette voix que j'entendis était comme le son de plusieurs joueurs de harpes qui touchent leurs harpes. Ils chantaient comme un cantique nouveau devant le trône, et devant les quatre animaux et les vieillards ; et nul ne pouvait chanter ce cantique, que ces cent quarante-quatre mille qui ont été achetés de la terre. - Ce sont ceux qui ne se sont point souillés avec les femmes, parce qu'ils sont vierges ; ceux-là suivent l'Agneau partout où il va. "

13. Psaume, XLIV, 11-16 : " Ecoutez, ma fille, ouvrez les yeux, et ayez l'oreille attentive ; oubliez votre peuple et la maison de votre père - Et le roi sera épris de vos charmes ; c'est lui qui est le Seigneur votre Dieu, et il sera adoré de tous (autrement suivant l'hébreu, il est votre maître, prosternez-vous devant lui). - Et les filles de Tyr vous offriront des présents : tous les riches d'entre le peuple vous offriront leurs humbles prières (autrement suivant l'hébreu, brigueront la faveur de vos regards). - Elle est cette auguste princesse, toute resplendissante dans son intérieur, sa robe est brochée d'or, et orné de broderies. - Les vierges seront présentées au roi après elle ; ses compagnes seront amenées devant lui. "

14. I Corinthiens, VII, 1-40 : " Quant aux choses au sujet desquelles vous m'avez écrit, je vous dirai qu'il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme. - Néanmoins, pour évite la fornication, que chaque homme vive avec sa femme, et chaque femme avec son mari. - Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme à son mari ce qu'elle lui doit elle-même. - Le corps de la femme n'est point en sa puissance, mais en celle du mari : de même le corps du mari n'est point en sa puissance, mais en celle de la femme. Ne vous refusez point l'un à l’autre ce devoir,' si ce n'est du consentement de l'un et de l'autre pour un temps, afin de vous exercer à l'oraison ; et ensuite vivez ensemble comme auparavant, de peur que le démon ne prenne sujet de votre incontinence pour vous tenter. - Au reste, ce que je vous dis, c'est par condescendance, et non par commandement. - Car je voudrais que tous fussent en l'état où je suis moi-même ; mais chacun a son don particulier selon qu'il le reçoit de Dieu, l’un d'une manière et l'autre d'une autre. - Quant aux personnes qui ne sont point mariées ou qui sont

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veuves, je leur déclare qu'il leur est bon de demeurer en cet état, comme j'y demeure moi-même. - Que s'ils sont trop faibles pour garder la continence, qu'ils se marient : car il vaut mieux se marier, que de brûler. - Quant à ceux qui sont déjà mariés, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commandement : Que la femme ne se sépare point de son mari. - Que si elle s'en sépare, qu'elle demeure sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari ; et que de même le mari ne quitte point sa femme. - Pour ce qui est des autres, ce n'est pas le Seigneur, mais moi qui leur dis, que si un fidèle a pour femme une infidèle, et qu'elle consente à demeurer avec lui, il ne doit point se séparer d'avec elle ; et que si une femme fidèle a un mari qui soit infidèle, et qu'il consente à demeurer avec elle, elle ne doit point se séparer d'avec lui. Car le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle et la femme infidèle est sanctifiée par le mari fidèle ; autrement vos enfants seraient impurs, au lieu que maintenant ils sont saints, etc., etc. - Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandements du Seigneur ; mais voici le conseil que je donne comme étant fidèle ministre du Seigneur, par la miséricorde qu'il m'en a faite. - Je crois donc qu'il est avantageux, à cause des fâcheuses nécessités de la vie présente, qu'il est, dis-je, avantageux à l'homme de ne point se marier. - Etes-vous lié avec une femme ? Ne cherchez point à vous délier. N'êtes-vous point lié avec une femme ? Ne cherchez point de femme. Que si vous épousez une femme, vous ne péchez pas ; et si une fille se marie, elle ne pèche pas non plus. Mais ces personnes souffriront dans leur cœur des afflictions et des peines. Or, je voudrais vous les épargner. Voici donc, mes frères, ce que j'ai à vous dire : Le temps est court ; et ainsi, que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant point ; - et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point ; ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant point ; ceux qui achètent comme ne possédant point ; - enfin, ceux qui usent de ce monde, comme n'en usant point : car la figure de ce monde passe. - Pour moi, je désire de vous voir dégagé de soins et d'inquiétudes. Celui qui n'est point marié s'occupe du soin des choses du Seigneur, et de ce qu'il doit faire pour plaire à Dieu. - Mais celui qui est marié s'occupe du soin des choses du monde, et de ce qu'il doit faire pour plaire à sa femme ; et ainsi il se trouve partagé. - De même une femme qui n'est point mariée, aussi bien qu'une vierge, s'occupe du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte

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de corps et d'esprit ; mais celle qui est mariée s'occupe du soin des choses du monde, et de ce qu'elle doit faire pour plaire à son mari. - Or, je vous dis ceci pour votre avantage : non pour vous tendre un piège, mais uniquement pour vous porter à ce qu'il y a de plus saint, et qui vous donnera un moyen plus facile de prier Dieu sans empêchement. Que si quelqu'un croit qu'il y ait pour lui du déshonneur à ce que sa fille passe la fleur de son âge sans être mariée, et qu'il juge à propos de la marier, qu'il fasse ce qu'il voudra ; il ne pèchera point si elle se marie. - Mais celui qui, n'étant engagé par aucune nécessité et se trouvant dans un plein pouvoir de faire ce qu'il voudra, prend une ferme résolution dans son cœur et juge en lui-même qu'il doit conserver sa fille vierge, fait une bonne œuvre - Ainsi, celui qui marie sa fille, fait bien ; et celui qui ne marie pas la sienne fait encore mieux. - La femme est liée à la loi du mariage, tant que son mari est vivant ; mais si son mari vient mourir, elle redevient libre : qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur. - Mais elle sera plus heureuse, si elle demeure veuve comme je le lui conseille, et je crois que j'ai aussi en cela l'esprit de Dieu. "

15. Judith, VIII, 4-6 : " Il y avait déjà trois ans et demi que Judith était demeurée veuve. - Elle s'était fait au haut de sa maison une chambre secrète où elle demeurait enfermée avec les filles qui la servaient. - Et ayant un cilice sur les reins, elle jeûnait tous les jours de sa vie hors les jours de sabbat, les premiers jours du mois et les fêtes de la maison d'Israël. "

16. Ibidem, XV, 9-11 : " Joacim, grand pontife, vint en même temps de Jérusalem à Béthulie avec tous les anciens pour voir Judith, - qui sortit elle-même au-devant de lui ; et ils la bénirent tous d'une voix en lui disant : Vous êtes la gloire de Jérusalem ; vous êtes la joie d'Israël ; vous êtes l'honneur de notre peuple. - Car vous avez agi avec un courage mâle, et votre cœur s'est affermi, parce que vous avez aimé la chasteté, et qu'après avoir perdu votre mari, vous n'avez point voulu en épouser d'autres. C'est pour cela que la main du Seigneur vous a fortifiée et que vous serez bénie éternellement. "

17. LUC, II, 36-37 : " Il y avait aussi une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser, qui était fort avancée en âge, et qui n'avait vécu que sept ans avec son mari après l'avoir épousé étant vierge. - Elle était alors veuve, âgée de quatre-vingt-quatre ans, et elle demeurait sans cesse dans le

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temple, servant Dieu jour et nuit dans les jeûnes et dans les prières. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. JEROME, in caput LVI Isaiæ ; ce passage a été rapporté plus haut, article du sacrement de mariage, question V, témoignage 22, tome III, page 339.

2. Le même, Lib. I adversùs Jovinianum, c. 7, réfute ainsi l'hérétique Jovinien, qui disait que les vierges, les personnes mariées et les veuves, du moment où elles étaient baptisées, avaient toutes le même mérite devant Dieu, supposées qu'elles fussent égales quant au reste : " Notre-Seigneur, interrogé par les pharisiens, qui lui demandaient pour le tenter s'il était permis à un homme de renvoyer sa femme, comme semblait le permettre la loi de Moïse leur répondit que la chose n'était pas permise. Là-dessus ses disciples lui dirent : Si la condition d'un homme est telle avec sa femme, il n'est pas avantageux de se marier (MATTH., XIX, 10 et suiv.). Et il leur répondit : Tous ne sont pas capables de cette résolution, mais ceux-là seulement à qui il a été donné d'en-haut. Car il y a des eunuques qui sont nés tels dès le ventre de leur mère, il y en a que les hommes ont faits eunuques, et il y en a qui se sont rendus eunuques eux-mêmes pour gagner le royaume des cieux. Qui peut comprendre ceci le comprenne. Il est aisé de voir pourquoi l'Apôtre a dit : Pour ce qui concerne les vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur (I Cor., VII, 28). C'est que Notre-Seigneur avait dit avant lui : Tous ne sont pas capables de cette résolution, mais ceux-là seulement à qui il a été donné d'en-haut. Qui peut comprendre ceci, le comprenne. Il propose le prix de la lutte ; il invite à entrer dans la carrière ; il tient en sa main la couronne de la virginité ; il nous montre une fontaine d'eau pure, et il nous crie : Que celui qui a soif vienne et boive (JEAN, VII, 37) ; que celui qui peut comprendre comprenne. Il ne nous dit pas, Buvez bon gré mal gré ; courez, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas ; mais : Celui qui voudra et qui pourra courir et boire, c'est celui-là qui vaincra et qui sera rassasié. C'est pourquoi Jésus-Christ affectionne d'autant plus les vierges, que ce qu'elles donnent elles le donnent de leur plein gré et sans que la chose leur ait été commandée. Et il y a plus de mérite à offrir ce qu'on n'est pas tenu de donner, qu'à payer une dette exigée de nous. Les apôtres, envisageant les obligations du mariage, s'écrient : Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n'est pas avan-

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tageux de se marier. Notre-Seigneur goûtant leur réflexion : Vous avez raison, leur dit-il, de croire qu'il n'est pas à propos pour celui qui a en vue le royaume des cieux, de s'unir à une épouse ; mais l'entreprise est difficile, et tous ne sont pas capables de cette résolution : ceux-là seulement le sont, à qui il a été donné. Il y a des eunuques dont la difformité n'est qu'un jeu de la nature, d'autres en qui elle est l'effet de la brutalité des hommes ; pour moi, les eunuques que j'aime, ce sont ceux que la nécessité n'a pas faits tels, mais leur volonté seule. Ceux-là, je les reçois avec tendresse dans mon sein, pour s'être faits eunuques uniquement en vue de gagner le royaume du ciel, et n'avoir pas voulu rester ce que la nature les avait faits, afin de mieux me servir. Méditons aussi ces expressions : Qui se sont faits eunuques pour gagner le royaume des cieux. Si ceux qui se sont faits eunuques doivent avoir pour récompense le royaume des cieux, ceux au contraire qui ne se sont pas faits eunuques ne peuvent pas usurper la place de ceux qui se sont résignés à ce sacrifice. Que celui, ajoute-t-il, qui peut le comprendre, le comprenne. C'est le privilège d'une puissante foi et d'une grande vertu, que d'être pour Dieu un temple saint, que de s'offrir à lui tout entier en holocauste, que d'être enfin, comme le dit l’Apôtre, saint de corps et d'esprit. Ce sont ces eunuques qui, se regardant eux-mêmes comme des bois arides à cause de leur stérilité, s'entendent dire par la bouche d'Isaïe qu'ils ont dans le ciel une place toute préparée qui leur vaudra mieux que des enfants sans nombre. Ils ont leur type dans l'eunuque Abdmelech dont il est parlé dans Jérémie, et dans cet eunuque de la reine Candace dont il est parlé dans les Actes des Apôtres, et qui a prouvé la virilité de son âme par l'énergie de sa foi. C'est à eux qu'adressent ses lettres de Clément, successeur de l'apôtre Pierre, et dont fait mention saint Paul dans ses épîtres, et presque toutes ses paroles ont pour objet l'éloge de la virginité ; et il a été imité par beaucoup d'hommes apostoliques, de martyrs, et d'autres hommes aussi célèbres par leur sainteté que par leur éloquence, ainsi que le témoigne leurs écrits. "

3. S. BASILE, Lib. de verâ virginitate ; le passage dont il s'agit a été rapporté plus haut, article du Mariage, question V, témoignage 23, tome III, pages 340 et suiv.

4. S. EPIPHANE, contre les Valésiens, hérésie 58 : " Et il y en a, a dit Jésus-Christ, qui se sont faits eunuques pour gagner le royaume des cieux. Quels sont donc ces eunuques, sinon les généreux

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apôtres, les saints moines, et à leur suite les vierges ; Jean et Jacques, fils de Zébédée, qui sont restés vierges toute leur vie, et qui cependant ne se sont pas faits eunuques par une violence qu'ils auraient exercé contre eux-mêmes ; qui n'ont pas non plus contracté de mariages, mais qui ont servi dans cette armée en qualité de volontaires, et ont admirablement mérite la couronne promise à la victoire dans ce combat ? Après ces derniers, que de milliers de personnes ont embrassé la vie solitaire, et ont fait éclater la gloire de la virginité dans tant de communauté d'hommes et de femmes ? Ils se sont interdit le commerce des femmes, et ont parcouru avec honneur la carrière d'une parfaite pureté. Nous trouvons de même Elie dans l'Ancien-Testament. Et lorsque Paul écrit les paroles suivantes : Je le dis à ceux qui ne sont pas mariés, il est avantageux pour eux de demeurer comme moi dans cet état ; mais s'ils ne peuvent se contenir, qu'ils se marient ; comment donc est-il resté lui-même dans le célibat ? C'est qu'il s'était fait lui-même eunuque, et beaucoup depuis l'ont imité, et ont suivi ce conseil dans toute son étendue. Mais comment un eunuque peut-il contracter un mariage, s'il ne saurait se contenir suffisamment ? N'importe ; qu'ils contractent mariage, pour qu'ils ne brûlent pas d'un feu impur. Voyez-vous qu'il ne parle pas d'une mutilation de membres, mais de la continence volontaire ? "

5. S. AUGUSTIN, Lib. de sanctâ virginitate, c. 24 et 28 ; ces passages ont été rapportés plus haut, article du Mariage, question V, témoignage 24 et 25, tome III, pages 341-342.

6. S. JEROME, in caput XIX Matthæi ; voir ibidem, témoignage 33, page 344.

7. Le même, Lib. I adversùs Jovinianum ; c'est le passage qui vient d'être rapporté, témoignage 1.

8. S. CYPRIEN, Tract. de disciplinâ et habitu virginum : " La première loi donnée à l'homme lui enjoignait de croître et de multiplier ; la seconde est venue ensuite lui conseiller la continence. Quand le monde, à sa première formation, était encore vide et désert, il fallait que la fécondité lui donnât des habitants, et que l'homme naquît de l'homme pour peupler l'univers. Aujourd'hui que ce but est rempli, ceux qui peuvent garder la continence, eunuques volontaires, mutilent spirituellement leurs corps, pour arriver au royaume céleste. Notre-Seigneur ne le commande pas, mais y exhorte ; et ce n'est pas une nécessité qu'il nous impose, c'est un choix qu'il laisse à notre liberté. Mais

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comme il y a ; ainsi qu'il le dit, plusieurs demeures dans la maison de son Père, il nous signale les meilleures et les plus désirables, et c'est à celles-là que vous voulez parvenir, vous qui ne retranchez les désirs de la chair qu'afin d'obtenir dans le ciel une plus belle récompense. "

9. ORIGENE, Tract. VII in caput XIX Matthæi, passage rapporté précédemment, article du mariage, question V, tome III, témoignage 32, page 343.

10. S. AUGUSTIN, lib. VI Confessionum, c. 11 ; voir ibidem, témoignage 30, page 343.

11. S. CHRYSOSTOME, homélie LXIII sur saint Matthieu ; voir ibidem, témoignage 34, page 345.

12. S. GREGOIRE de Nazianze, in dictum illud Evangelii, Cùm consummasset Jesus hos sermones : " Tous ne sont pas capables de cette résolution, mais il n'y a que ceux à qui cette grâce a été accordée d'en-haut. Ne donnez point à ces paroles un sens hérétique, n'introduisez point des natures différentes, les unes terrestres, d'autres spirituelles, et d'autres tenant le milieu entre les deux premières On voit des gens qui ont le cœur et les sentiments si gâtés, qu'ils croient que les uns sont absolument désespérés, que les autres seront absolument sauvés, que d'autres enfin seront ce que le voudra le penchant qui les porte soit au vice, soit à la vertu. J'avoue que parmi les hommes les uns ont de meilleures dispositions que les autres ; mais ces dispositions naturelles ne suffisent pas pour acquérir la perfection. La raison se sert de ces dispositions pour agir, comme on se sert d'un caillou pour faire du feu, en le frappant avec l'acier. "

" Lorsque vous lisez dans l'Ecriture : Il n'y a que ceux à qui cette grâce a été accordée d'en-haut, ajoutez qu'elle a été accordée à ceux qui ont bonne volonté et de bonnes dispositions ; il faut attacher le même sens à ces paroles de saint Paul : Cela ne dépend donc point de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (Romains, IX, 16). Il y en a d'assez présomptueux pour s'attribuer à eux-mêmes tout le mérite de leurs bonnes œuvres sans reconnaissance pour la grâce du Créateur, de qui leur vient ce qu'ils ont de bon ; l'Apôtre leur apprend par ce passage qu'on ne peut avoir une bonne volonté sans le secours de Dieu, ou, pour parler plus juste, qu'on ne peut pas même avoir la volonté de s'acquitter de son devoir, sans une grâce toute particulière de la bonté de Dieu ; la vertu ne dépend donc pas seulement de celui qui veut, ni de celui qui court ; il faut

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aussi que la miséricorde de Dieu les soutienne. De sorte que, comme la volonté même dépend de Dieu, c'est à bon droit qu'on lui attribue tout ce que nous faisons de bien. . . . . "

" A ces paroles : Il n'y a que ceux à qui cette grâce a été accordé d’en-haut, ajoutez : Qui en sont dignes ; que mon Père a rendus tels, et qui y ont contribué de leur côté. . . . "

" Le mariage est bon et honnêtes mais je n'ai garde de le mettre au-dessus de la virginité, qui ne serait pas quelque chose de grand, si elle ne l’emportait sur d'autres déjà bonnes elles-mêmes. Vous qui êtes engagé dans les liens du mariage, ne vous chagrinez pas de ce que je vous dis ; il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. . . . . "

" Que les femmes mariées soient aussi à Jésus-Christ, je le veux ; mais les vierges lui appartiennent entièrement. Que les premières ne s'attachent pas au monde sans réserve mais que les autres n'y tiennent par aucun côté. Les vierges ont choisi un état qui les rapproche des anges ; qu'elles n'aient plus de commerce avec la chair et la matière, comme il pourrait leur arriver de le faire, même en continuant d'ailleurs à vivre dans le célibat. . . . "

" Que peut-on trouver de plus grand que de se mettre au-dessus des faiblesses de la chair, tout en vivant dans la chair (Cf. Sermons de saint Grégoire de Nazianze, p. 86-87). . . . . ? "

13. Le concile de Trente, session XXIV, c. 9 : " Si quelqu'un ose dire que les clercs engagés dans les ordres sacrés, ou les réguliers qui ont fait profession solennelle de garder la chasteté peuvent contracter mariage, et qu'une fois contracté, ce mariage est valide, malgré la loi ecclésiastique ou le vœu qui les lie ; et que de soutenir le contraire, ce n'est autre chose que condamner le mariage ; que tous ceux enfin qui, quand même ils auraient déjà fait vœu de chasteté, ne se sentent pas en avoir le don, peuvent se marier à leur gré, qu'il soit anathème, puisque Dieu ne refuse point ce don à ceux qui le lui demandent comme il faut, et qu'il ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. "

14. S. CYRILLE de Jérusalem, Catechesi IV illuminatorum : " Ecoutez en particulier ce que j'ai à dire de la continence de ceux qui font profession de passer leur vie dans la solitude, ou des vierges qui mènent une vie semblable à celle des anges. O

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mes frères, quelle belle couronne vous est réservée ! Gardez-vous bien de vous dessaisir de cette haute prérogative pour un plaisir de rien. Ecoutez ce que dit l’Apôtre : Y aurait-il parmi vous quelque impur fornicateur, qui, comme Esaü, voulût vendre pour un repas son droit d'aînesse (Hébr., XII, 16) ? Mais vous, dont les noms se trouvent inscrits dans nos registres saints, comme de gens qui font profession de continence, prenez garde de vous en faire effacer par quelque fornication qu'il vous arriverait de commettre. Mais d'un autre côté, si vous vous adonnez avec ardeur à la pratique de la continence, ne vous enflez pas pour cela d'orgueil contre ceux qui sont engagés dans le mariage ; car eux aussi sont purs. Que le mariage soit traité de tous avec honnêteté, a dit l'Apôtre à ce sujet, et que le la nuptial soit sans tache (Hébr., XIII, 4). Eh quoi ! Ignorez-vous que c'est à un mariage que vous devez votre naissance ? Si c'est de l'or que vous possédez, vous ne devez pas pour cela déprécier l'argent. "

15. Le même, Catechesi XII illuminatorum : " Adorons Jésus-Christ né d'une vierge, et que les vierges reconnaissent les avantages de leur état. Que les solitaires aussi sachent bien comprendre toute la gloire qui est attachée à la pratique de la chasteté, car c'est là un mérite que nous pouvons aussi revendiquer. Le Sauveur a demeuré neuf mois dans les entrailles d'une vierge. Si cette vierge est si vénérée des fidèles pour neuf mois qu'elle a possédé le Sauveur dans son sein, nous le mériterons bien davantage en le possédant toute notre vie. Nous tous, jeunes gens et jeunes filles, vieillards et enfants, avançons avec la grâce de Dieu dans la carrière de la chasteté, ne nous livrant point à l’intempérance, mais ne nous occupant que de louer le nom du Seigneur. Gardons-nous bien de méconnaître la gloire de la chasteté : c'est une couronne digne des anges, c'est une perfection au-dessus de l'humanité : respectons des corps qui brilleront un jour comme le soleil. Ne portons pas atteinte, pour un vil plaisir, à la pureté d'un corps appelé à une si haute destinée. Le péché que nous commettrions en cela ne nous causerait qu'un plaisir d'un moment, et nous attirerait une honte éternelle. Ceux qui pratiquent la chasteté sont des anges vivant sur la terre. Les vierges seront associées à la vierge Marie. "

16. Le même, Catechesi XV illuminatorum : " Dans le livre de vie sont inscrites toutes vos prières comme tous les psaumes que vous chantez, comme toutes vos aumônes, comme tous vos jeûnes, comme tout mariage fidèlement gardé, comme tout en-

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gagement de continence contracté en vue de Dieu. Car les Ecritures assignent une couronne toute particulière à la virginité et à la chasteté, dont le mérite vous donnera un éclat semblable à celui dont brillent les anges. "

17. S. MARTIAL apôtre, epist. ad Tolosanos, c. 8 (C'est à tort que cette épée est attribuée à saint Martial, apôtre de Limoges, quoiqu'elle ne contienne rien de répréhensible dans la doctrine. V. NAT. ALEX., Hist. eccles., t. III, p. 56, 168) : " La vierge Valérie, épouse d'un roi de ce monde, mais bien plus heureusement encore épouse du roi des cieux, puisqu'elle avait vouée à Dieu sa virginité, tant de l’âme que du corps, à la suite de mes prédications qu'elle avait entendues, a eu la tête tranchée, et pour cette vie temporelle dont elle a fait le sacrifice, elle a fait l'acquisition de la vie éternelle, comme elle a triomphé de la mort éternelle en subissant avec joie une mort temporelle pour l'amour de Jésus-Christ. . . . . "

" L'époux de cette vierge, témoin de son martyre, est devenu tellement amoureux des souffrances de Jésus-Christ, qu'il ne donne plus à ses sujets que l'exemple d'une vie toute céleste, crucifiant les désirs de sa chair, faisant tous les jours de nouvelles conquêtes sur l'empire du démon : non-seulement en ce qu'il met son bonheur à orner et à bâtir des églises dans tout son royaume à la gloire de Jésus-Christ, ainsi qu'il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous, mais encore en ce qu'il applique son être à détruire les anciens temples des démons et tous les repaires d'impures idoles qu'il peut découvrir. Aussi devez-vous lui obéir en tout, parce que c'est Dieu qui vous l'a donné pour maître, Dieu la source et le soutien de toute puissance comme de toute paternité qu'il peut y avoir dans le ciel et sur la terre. C'est Dieu en effet qui a bien voulu amener ce bon prince à la vraie foi, dont la grâce a fait de lui un homme nouveau, uni au nouvel homme qui est Jésus-Christ ; et c'est l'attrait des récompenses promises pour la vie future qui a eu la puissance de lui faire répudier les liens du mariage, par suite de mes prédications, pour pouvoir servir Dieu plus librement, et s'occuper tout entier de procurer à des peuples entiers le bienfait de leur régénération spirituelle. "

18. Ibidem, c. 9 : " Nous ne défendons pas pour cela de contracter de légitimes mariages, puisque c'est un état honorable et institué par Dieu même dès le commencement du monde pour la multiplication du genre humain. Mais, quoiqu'il soit permis à l'homme de vivre dans cet état, il est plus parfait de demeurer

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dans l'état de veuvage. Notre-Seigneur nous a montré de plus un autre degré de perfection plus élevé que les deux premiers dans l'état de virginité qu'il assimile à celui des anges. C'est à embrasser cet état qu'il nous invitait en disant : Tous ne comprennent pas comment la chose est possible : que celui qui peut le comprendre ; le comprenne (MATTH., XIX, 12). "

19. Ibidem, c. 10 : " Je vous le prédis donc avec assurance : tous ceux d'entre vous qui auront préféré l'état de veuvage en vue de la récompense promise, ne seront point frustrés du bonheur de voir Dieu. Ceux qui auront fait choix d'un état encore plus parfait, qui est la virginité, obtiendront dans la bienheureuse éternité une gloire cent fois plus grande. Car celui qui a voulu avoir pour mère une vierge, qui a vécu lui-même dans l'état de virginité, qui est mort et ressuscité vierge comme premier-né d'entre les morts, décernera dans le royaume de son Père une gloire toute spéciale à ceux qui, de leur plein gré, auront imité son exemple. "

20. S. CYPRIEN, Tract. de disciplinâ et habitu virginum : " Maintenant c'est aux vierges particulièrement que je m'adresse ; plus leur état est sublime, plus il impose de vigilance. Les vierges ! fleurs de l'Eglise, chefs-d'œuvre de la grâce, témoignage d'une nature excellente, ouvrages parfaits et incorruptibles, images de Dieu où se réfléchi la sainteté du Seigneur, portion la plus noble du troupeau de Jésus-Christ. . . . . Non, elle n'est pas vaine la vigilance avec laquelle ces femmes, qui ont renoncé aux convoitises de la chair et se sont consacrées à Jésus-Christ non moins d'esprit que de corps, rejettent le luxe des vêtements, sans chercher à plaire à d'autres yeux qu’à ceux de Jésus Christ, dont elles attendent le prix de leur virginité. Car c'est lui-même qui a dit : Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux-là seulement à qui il a été donné de la comprendre ; il y en a qui sont eunuques dès le ventre de leur mère et qui sont nés tels ; il y en a que les hommes ont faits eunuques de force, et il y en a qui se sont rendus eux-mêmes eunuques en vue du royaume des cieux. Nous voyons aussi, dans l'Apocalypse, le don de la continence indiqué, et la virginité exaltée par la bouche de l'ange, lorsqu'il dit : Ce sont ceux qui ne se sont pas souillés avec les femmes, parce qu'ils sont demeurés vierges, et ils suivent l'Agneau partout où il va. "

" La fatigue disparaît devant l'éclat de la couronne placée au terme de la carrière. L'immortalité, un royaume, Dieu lui-même, voilà le prix de la persévérance, conservez-vous donc

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telles que vous avez été jusqu'ici, telles que vous serez éternellement. . . . . Notre-Seigneur dit dans l’Evangile : Les enfants de ce siècle engendrent et sont engendrés ; mais ceux qui mériteront d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts, ne se marieront point ; car ils ne pourront pas mourir, et ils deviendront semblables aux anges, comme étant les enfants de la résurrection. Vous avez déjà commencé d'être ce que nous serons un jour. Vous possédez dès ce monde la gloire de la résurrection et vous traversez le siècle sans vous laisser atteindre par la contagion du siècle. Lorsque vous demeurez chastes et vierges, vous vous rendez semblables aux anges de Dieu ; tâchez seulement de conserver entière votre virginité, et d'achever avec constance ce que vous avez commencé avec courage. "

21. S. JEROME, Commentar. super Epistolam ad Philemonem, sur ces paroles : Sciens quoniam super id quod dico facies : " Si Philémon consent à faire ce que lui demande saint Paul, par déférence pour cet apôtre, à combien plus forte raison ne le fera-t-il pas par amour pour Dieu ? De là cet éloge que lui décerne l'Apôtre, pour avoir été au-devant de ses vœux, en sorte que ce fortuné disciple pouvait dire avec le Psalmiste : Agréez, Seigneur, l’hommage volontaire de mes lèvres (Ps. CXVIII, 108), et comme je fais plus qu'il ne m'a été commandé, faites que je l'emporte sur ceux qui, se bornant à faire les choses strictement nécessaires doivent dire en conséquence : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous n'avons fait que ce que nous étions obligés de faire (LUC, XVII, 10). La virginité obtiendra de même une récompense et une gloire toute spéciale, par la raison même qu'elle n'est point commandée, et qu'elle fait au-delà de ce qui est rigoureusement exigé. "

22. S. AUGUSTIN, Lib. de sanctâ virginitate, c. 14 : " Mais comme dans la vie éternelle elle-même, promise à tous ceux qui auront évité le péché ou en auront obtenu le pardon, il y aura une gloire spéciale réservée seulement à quelques-uns ; ce serait trop peu d'obtenir la gloire d'être exempt de péchés si l'on ne faisait en même temps au divin libérateur quelque sacrifice volontaire, sacrifice dont on pourrait se dispenser sans crime, et qu'il n'y a par-là même que plus de mérite à accomplir. Je donne un conseil, nous dit l'Apôtre (I Cor., VII, 25) ; car je sais ce qu'exige le besoin du temps présent qui demande qu'il y ait des mariages, état où c'est une nécessité de penser moins à Dieu qu'il ne faudrait pour obtenir cette gloire, qui ne sera pas le

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partage de tous ceux-là mêmes qui auront part à la vie éternelle. Car une étoile diffère en clarté d'avec une autre étoile, et ainsi en sera-t-il par rapport aux morts ressuscités. Il est donc bon et avantageux pour un homme de rester dans cet état. "

23. Ibidem, c. 27 : " Courage donc, vous tous, saints de Dieu, jeunes gens et jeunes filles, hommes et femmes vivant dans le célibat et hors du mariage ; continuez et persévérez jusqu’à la fin. Vous apporterez avec vous, aux noces de l'Agneau, un cantique nouveau, que vous chanterez sur vos harpes ; non pas le même cantique que toute la terre est invitée à chanter par ces paroles : Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; chantez au Seigneur, vous tous habitants de la terre (Ps. XCV, 1) ; mais un cantique tel, qu'il n'y aura que vous qui puissiez le chanter. . . . . "

" Où pouvons-nous penser qu'aille cet Agneau ? Où il n'y a que vous qui osiez ou puissiez le suivre. Où pensons-nous qu'il aille ? Dans quels bois, dans quelles prairies ? Dans des lieux sans doute où il y a de grandes joies ; non de ces vaines joies du siècle, de ces séduisantes folies, ni de ces joies non plus qui, jusque dans le royaume de Dieu, seront partagées par ceux-là mêmes qui ne seront pas restés vierges, mais des joies auxquelles toutes les autres n'auront rien d'égal. La joie des vierges de Jésus-Christ leur viendra de lui, l'aura pour objet, sera une participation et un effet de la sienne ; il en sera le motif, le principe et la fin. Les joies des vierges de Jésus-Christ ne sont pas les mêmes que les joies des autres personnes qui ne sont pas vierges, quand même ces dernières appartiendraient aussi à Jésus-Christ, car si les autres ont aussi des joies, ces joies ne sont pas à comparer à celles des vierges. "

24. Ibidem, c. 28 : " Que les autres qui ont perdu leur virginité s'attachent donc néanmoins à suivre l'Agneau, non pas qu'ils le puissent partout où l'Agneau ira, mais qu'ils le fassent autant qu'ils le pourront. Or, c'est ce qu'ils peuvent faire partout, excepté dans les brillants sentiers de la virginité. "

25. Ibidem, c. 29 : " Vous donc (vierges), suivez-le, en restant fidèles au vœu que vous avez fait ; portez-vous-y avec ardeur tandis que vous le pouvez, de peur de perdre cet avantage de la virginité dont il vous serait impossible ensuite de réparer la perte. Les autres fidèles qui ne pourront suivre l'Agneau jusque-là, vous verront et vous admireront sans vous

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porter envie ; et vous félicitant de votre bonheur, sans pouvoir en jouir dans leurs propres personnes, ils en jouiront dans les vôtres. Courage donc et confiance ; soyez forts et persévérant, vous qui vouez à Dieu, et gardez fidèlement une continence de toute la vie, non en vue des intérêts de ce monde, mais en vue du royaume des cieux. "

26. Ibidem, c. 30 : " Vous aussi qui n'avez pas encore fait ce vœu, mais qui pouvez le faire, faites-le promptement, et persévérez ensuite, pour obtenir un jour le prix. Apportez chacun votre victime au sacrifice, et entrez dans le temple du Seigneur, non pour obéit à la nécessité, mais par le mouvement spontané de votre volonté. Car on ne vous dit pas : Ne contractez pas mariage, de la même manière qu'on vous a dit : Vous ne commettrez point d'adultères, vous ne tuerez point. L'obéissance à ces derniers précepte est obligée, et leur violement entraînerait votre damnation ; au lieu que la déférence au conseil que je vous donne est volontaire, et son observation vous méritera des éloges. Là c'est une dette que le Seigneur exige de vous ; ici c'est une surérogation dont vous reviendra tout le profit. Songez à la place distinguée qui vous sera assignée dans la sainte cité, et qui vous vaudra mieux qu'une postérité nombreuse. Pensez à ce beau nom que vous porterez éternellement. Qui pourrait en expliquer toutes les merveilles ? Si grand qu'il soit déjà en lui-même, il sera éternel dans sa durée C'est en faisant de cette gloire l'objet de votre foi, de votre espérance et de votre amour, que vous avez pu renoncer à des mariages qui vous étaient, je ne dis pas, défendus mais permis au contraire, et c'est ce qui fait la gloire de votre sacrifice. "

27. S. GREGOIRE- LE-GRAND, Pastoral, troisième partie, admonit. 29 : " Dites-leur de se rappeler sans cesse les récompenses qui les attendent ; ce souvenir les aidera à triompher de la tentation. L'âme bien pénétrée de la grandeur de la félicité éternelle, qui sera la récompense de la vertu, trouve bien légères les peines de cette vie passagère. Qu'ils fassent attention à ces paroles du prophète Isaïe : Voici ce que le Seigneur dit aux eunuques : Ceux qui observeront mes fêtes, qui s'attacheront à faire ma volonté et qui auront gardé mon alliance, je les rendrai plus considérables (C'est là en effet le sens que saint Grégoire paraît attacher ici à ce passage, comme on le voit par ce qu'il va dire immédiatement après l'avoir cité. Il semble plus naturel de l'expliquer comme l'a fait Sacy, qui a traduit : Je leur donnerai dans ma maison et dans l'enceinte de mes murailles une place avantageuse, et un nom qui leur sera meilleur que des fils et des filles) dans ma maison et dans l'enceinte de mes murailles, que mes fils et mes filles (ISAIE, LVI, 4).

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" Les eunuques représentent en effet ceux qui, domptant les mouvements déréglés de la chair et les désirs de la concupiscence, combattent le penchant qu'ils pourraient avoir à faire de mauvaises actions. Le Prophète fait assez voir en quelle estime ces sortes de personnes sont auprès de Dieu, puisqu'il les préfère à ses autres enfants par rapport au rang qu'il leur destine dans son royaume. C'est à eux que sont adressées ces paroles de l'Apocalypse : Ce sont eux qui ne se sont point souillés avec les femmes, parce qu'ils sont vierges ; ils suivent l'Agneau partout où il va, et chantent un cantique que personne ne peut chanter que les cent quarante-quatre mille. "

" Chanter à la louange de l'Agneau ce cantique que d'autres ne peuvent chanter, à la réserve des cent quarante-quatre mille, cela veut dire, se réjouir éternellement avec lui plus que le reste des hommes, parce qu'on est vierge. Les autres élus peuvent écouter ce cantique, quoiqu'ils ne puissent le chanter ; car s'ils ne sont pas élevés au même degré de béatitude, leur charité cependant fait qu'ils se réjouissent d'y voir les autres élevés et récompensés plus richement qu'eux-mêmes (Cf. Le pastoral de saint Grégoire, trad. par Ant. de Marsilly, pag. 299-300). "

28. S. JEROME, Lib. I adversùs Jovinianum, c. 4, explique de la manière suivante ce qu'avait dit saint Paul dans sa première Epître aux Corinthiens, c. 7 : " Les Corinthiens avaient écrit à l'Apôtre, pour savoir de lui si ceux d'entre eux qui se trouvaient mariés devaient mener une vie célibataire et renvoyer leurs épouse par motif de continence, depuis qu'ils s'étaient convertis à la foi chrétiennes à ceux qui étaient vierges au moment de leur conversion pouvaient actuellement contracter mariage ; si, de deux époux mariés dans le paganisme, l'un des deux qui se convertirait la vraie foi pouvait abandonner l'autre resté infidèle ; enfin si, en cas de mariage à contracter, un homme était obligé de prendre une épouse chrétienne ou s'il pouvait en prendre une qui ne le fût pas. "

Ibidem, c. 7 : " Ne soyez donc point étonnés, si continuellement en butte aux tentations de la chair, sollicité par les attraits des vices, nous ne sommes pas obligés, mais simplement

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exhortés à mener la vie des anges. Car un conseil donné laisse toujours la liberté de ne pas le suivre à celui à qui il s'adresse ; au lieu qu'un précepte impose à celui qui en est le sujet la nécessité de s'y conformer. Je n'ai pas, dit l’Apôtre, de préceptes du Seigneur à intimer aux vierges, mais j'ai un conseil à leur donner, Dieu m'ayant fait la miséricorde de me rendre son ministre fidèle (I Cor., VII, 25). Mais, ô Apôtre, si vous n'avez pas de préceptes du Seigneur à faire valoir, pourquoi osez-vous donner un conseil, sans avoir reçu l'ordre de donner ce conseil même ? L'Apôtre me répondra : Eh quoi ! vous voulez que je fasse un précepte de ce que le Seigneur veut bien nous proposer, mais sans nous le commander ? Cet auteur de notre nature, connaissant la fragilité du vase qu'il a formé, nous a laissé la liberté d'embrasser la virginité, tout en nous en faisant connaître l'excellence ; et moi, docteur des gentils, qui me suis fait tout à tous, pour les gagner tous, j'imposerais à de nouveaux convertis, à peine initiés le fardeau si lourd pour leur faiblesse d'une chasteté perpétuelle ?. . . "

" De quoi peut donc s'occuper une vierge ou une femme non mariée ? Elle s'occupe du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'âme (I Cor., VII, 34). Quand il n'y aurait rien autre chose que cela, quand les vierges n'auraient point à attendre d'autre récompense, ce seul avantage de s'occuper du soin des choses du Seigneur devrait sans doute leur suffire. En même temps, l'Apôtre nous enseigne quel devra être pour elles le fruit d'une telle occupation ; ce sera, ajoute-t-il, de sanctifier leur corps et leur âme. Car il y en a qui sont vierges de corps, sans que leur âme le soit ; dont le corps est intact, mais dont l'âme est corrompue. Au lieu que la virginité que Jésus-Christ accepte en sacrifice, est celle qui n'est souillée pas plus par les affections de l'âme, que par les dérèglements du corps. . . Et pour qu'on ne pût pas croire qu'il voulût imposer le joug pesant de la chasteté à ceux mêmes qui s'y refuseraient, il se hâte d'ajouter pour quelle raison il donne ce conseil : C'est, dit-il, pour votre avantage ; non pour vous tendre un piège, mais pour vous porter seulement à ce qu'il y a de plus saint, et qui vous donnera un moyen plus facile de servir Dieu sans empêchement (I Cor., VII, 35). . . . . "

" Et celui qui ne marie point sa fille fait encore mieux (I Cor., VII, 38). S'il n'avait pas eu l'intention d'ajouter ces mots, Fait encore mieux, l'Apôtre n'aurait jamais écrit les premiers, Fait

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bien. Or, là où se trouve un choix à faire entre ce qui est bien et ce qui est mieux, l'avantage de l'un et de l'autre ne peut pas être le même ; et quand les avantages ne sont pas les mêmes, c'est. que les dons sont inégaux. Il y a donc, entre le mariage et la virginité, la même différence qu'entre ne pas faire le mal et faire le bien, ou, pour me servir d'une expression plus radoucie, la même différence qu'entre le bien et le mieux. "

Ibidem, c. 8 : " Après avoir terminé la question qui lui était proposée à débattre entre le mariage et la virginité, et établi entre les deux un juste équilibre de devoirs, pour que personne ne s'en écarte ni à droite ni à gauche, mais que tous suivissent la voie royale et s'en tinssent à la recommandation que nous fait l'Ecclésiaste de ne pas être justes à l’excès (Ecclés., VII, 17), l'Apôtre en vient à comparer la monogamie avec la bigamie successive ; et de même qu'il avait préféré la virginité au mariage, ainsi préfère-t-il les premières noces à de secondes. Il dit en conséquence : La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre ; qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur : mais elle sera plus heureuse si elle demeure veuve, comme je le lui conseille ; et je crois que j’ai aussi l'esprit de Dieu (I Cor., VII, 39-40). Il permet les secondes noces, mais à qui ? A celles qui veulent absolument se remarier, à celles qui ne sauraient vivre dans la continence, de peur que la mollesse de leur vie les portant à secouer le joug de Jésus-Christ, elles ne s'engagent, en voulant se remarier, dans une juste condamnation par le violement de la foi qu'elles lui avaient donnée auparavant (I Tim., V, 41-42) : et il leur accorde cette permission, parce que plusieurs avaient donné dans les pièges de Satan. Du reste, dit l'Apôtre, elles seront plus heureuses si elles demeurent vierges ; et il fait valoir en même temps l'autorité de son apostolat : Comme je le leur conseille, ajoute-t-il. Enfin, pour qu'on ne fût pas tenté de mépriser son autorité même apostolique, sous prétexte que ce n'était encore que l'autorité d'un homme, il ajoute de plus : Et je crois que j'ai l'esprit de Dieu. Quand il invite à garder la continence, il donne le conseil, non d'un homme, mais de l'esprit de Dieu ; mais quand il permet de se marier, il ne fait plus mention de l'esprit de Dieu, il propose seulement le conseil de la prudence, qui est de ne se charger que du fardeau que les épaules peuvent porter. Il fait bien voir ce qu'il pense de la sainteté de la bigamie, lorsqu'il défend d'admettre des bigames dans le clergé et qu'il dit à Timothée :

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Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves n'ait pas moins de soixante ans, et qu'elle n'ait eu qu'un mari (I Tim., III, 2 ; V, 9). Toute cette instruction regarde les veuves que l’Eglise nourrit de ses aumônes. Je ne condamne pas les bigames, ni même les trigames, les polygames enfin à tel degré qu'on voudra ; je dirai même plus, je recevrai tout libertin qui voudra faire pénitence. Tout ce qui est permis de la même manière doit être pesé à la même balance. "

Ibidem, c. 9 : " Disons au sujet d'Adam et d'Eve, qu'ils étaient vierges dans le paradis jusqu’à ce qu'ils eussent péché et qu'ils se marièrent aussitôt qu'ils en eurent été mis à la porte. Le mariage, voilà ce qui peuple la terre ; la virginité, voilà ce qui forme la population du paradis. "

Ibidem, c. 12 : " De même que nous lisons que Moïse avait une épouse parce qu'au fond il représentait l'ancienne loi, faites-moi voir que Jésus, fils de Navé, avait une épouse ou des enfants, et si vous pouvez y réussir, je m'avouerai vaincu. "

Ibidem, c. 13 : " Je vous prie, lecteur, et c'est un avis que je dois souvent répéter, d'être bien convaincu que ce que je dis, je le dis parce que j'y suis forcé, et que je ne cherche point à rabaisser ceux qui, vivant sous la loi, ont précédé les temps évangéliques, mais qu'ils ont vécu selon leur temps et leur condition, en accomplissant simplement cet ordre du Créateur : Croissez, et multipliez-vous, et remplissez la terre (Gen., I, 22). Je dirai bien plus : c'est qu'ils figuraient ce qui dans la suite des temps devait arriver. Mais nous, à qui il a été dit : Le temps est court, et ainsi, que ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant point (I Cor., VII, 29)' une autre loi nous est faite, après surtout que le Sauveur a inauguré la virginité dans sa personne. Il est assez clair, sans que j'aie besoin de le dire, que c'est bien sottement que Jovinien a inscrit Elie et Elisée dans le catalogue des gens mariée, car, si Jean-Baptiste a marché dans l'esprit et dans la vertu d'Elie (LUC, I, 17), et s'il est toujours resté vierge, c'est qu'il n'a pas marché seulement dans son esprit, mais aussi dans l'imitation de sa chasteté. Il serait superflu de parler aussi de Daniel, puisque les Hébreux ont toujours cru jusqu’à nos jours, que lui et les trois jeunes hommes étaient eunuques, conformément à la prédiction que Dieu en avait faite à Ezéchias par la bouche d'Isaïe en ces termes : Ils prendront de vos enfants, de ceux qui seront sortis de vous, et que vous aurez engendrés pour servir d'eunuques dans le palais du roi de Babylone (ISAIE, XXXIX, 7). "

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Ibidem, c. 14 : " Jovinien passe à l’Evangile, et nous oppose Zacharie et Elisabeth, Pierre et sa belle-mère, et ses hallucinations habituelles l'empêchent de s'apercevoir que de tels exemples, il les prend parmi des personnes qui vivaient encore sous la loi. Car l’Evangile ne date à proprement parler que du Calvaire, où Jésus-Christ l'a inauguré par ses souffrances et par l'effusion de son sang. D’après cette règle, Pierre et les autres apôtres, pour faire à notre adversaire toutes les concessions possibles, ont bien eu des épouses, mais ils les avaient épousées dans un temps où l'Evangile leur était inconnu. Appelés dans la suite à l'apostolat, ils renoncent aussitôt aux embarras du mariage. Et en effet, lorsque Pierre, représentant tous les apôtres dans sa personne, dit à Notre-Seigneur : Voilà que nous avons abandonné tout pour vous suivre (MATTH., XIX, 27 ; MARC, X, 28 ; Luc, XVIII, 28-30), le Seigneur lui répond : Je vous dis en vérité que personne ne quittera pour le royaume de Dieu, ou sa maison, ou son père, ou sa mère, ou ses frères, ou sa femme, ou ses enfants, sans recevoir dès ce monde beaucoup plus qu'il n'aura quitté, et dans le siècle à venir la vie éternelle. Que si, pour nous prouver que tous les apôtres avaient leurs femmes avec eux, il nous oppose les paroles suivantes de saint Paul (I Cor., IX, 5) : N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme (ou une épouse, le mot grec ???? voulant dire les deux indifféremment), comme font les autres apôtres, et les frères de Notre-Seigneur, et Céphas ? Qu'il n'omette pas d'y joindre cet autre mot qui s'y trouve dans les exemplaires grecs : une femme qui soit notre sœur. Ce qui fait voir que l'Apôtre ne veut parler que de ces saintes femmes qui, d'après l'usage reçu dans la nation juive, pourvoyaient aux besoins de ceux dont elles suivaient les leçons, comme nous le lisons de Notre-Seigneur lui-même (LUC, VIII, 3). D'ailleurs, la suite du contexte n'admet pas d'autre sens que celui-là : N'avons-nous pas, dit en même temps l'Apôtre, le droit d'être nourris à vos dépenses et de mener partout avec nous une femme qui soit notre sœur ? Puisqu'il a soin d'avertir qu'il parle des dépenses de l'entretien, il est évident que par ce mot de femmes qu'il emploie, il ne faut pas entendre une épouse, mais de ces femmes qui aidaient les apôtres de leurs biens : chose dont nous trouvons un exemple sous l'ancienne loi elle-même dans cette femme sunamite qui avait coutume de recevoir Elie, et de mettre à sa disposition une table, du pain, un chandelier, etc. Ou bien, si nous voulons entendre par ???????? des épouses, et non de simples femmes, le mot de sœur qui se

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trouve ajouté en lève l'équivoque, et nous oblige à entendre par-là des sœurs spirituelles, et non des épouses. D'ailleurs, si nous en exceptons Pierre, rien ne prouve dans l’Evangile que les apôtres aient été mariés, et puisque l’Evangile ne le dit que d'un seul, sans rien dire des autres sous ce rapport, nous devrions plutôt penser qu'ils n'étaient pas mariés puisque l'Ecriture garde là-dessus le silence (Ce même sujet a été traité par saint Augustin, Lib. de opere monach., c. 4). Lui cependant, qui nous a objecté les exemples de Zacharie et d'Elisabeth, de Pierre et de sa belle-mère, qu'il sache que le fils de Zacharie et d'Elisabeth a été Jean, et qu'il comprenne par-là que le mariage a donné naissance à la virginité, la loi à l’Evangile, la licence du lit nuptial à la chasteté, afin que ce fût un prophète vierge qui annonça la venue du Sauveur vierge lui-même, et qui le baptisât. Jean, disciple de Notre-Seigneur, et, à ce qu'on croit, le plus jeune de ses apôtres, est demeuré vierge, comme il s'était trouvé vierge au moment où il avait été appelé à la foi ; et c'est pour cela qu'il était l'objet des prédilections de son divin Maître et qu'il reposa sur sa poitrine. Et ce que Pierre n'avait pas osé demander lui-même, parce qu'il était marié, il prie cet autre apôtre de le demander pour lui. . . . . "

" Le Seigneur dit à Pierre : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ? . . . Il courut sur cela un bruit parmi les frères que ce disciple ne mourrait point (JEAN, XXI, 22-23). Tout cela nous dit suffisamment que la virginité ne meurt point, et qu'elle n'a pas besoin de se laver des souillures du mariage dans le baptême sanglant du martyre, mais qu'elle demeure avec Jésus-Christ, ou que si elle ferme les yeux à la lumière, c'est pour aller se réunir à lui, et non pour s'endormir dans la mort. Mais si Jovinien s'obstine à dire que Jean n'était pas vierge, quoique nous ayons dit que sa virginité avait été la cause de la prédilection de Notre-Seigneur pour cet apôtre, qu'il nous explique donc pourquoi, s'il n'était pas vierge, il était plus aimé que les autres apôtres. "

Ibidem, c. 18 : " Je ne nie pas la sainteté des veuves, qui restent dans cet état après le baptême, je ne veux non plus rien diminuer du mérite de celles qui vivent dans la chasteté tout en restant avec leurs époux ; mais, de même que ces dernières recevront de Dieu une plus belle récompense que celles qui usent

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dans le mariage de leurs droits d'épouses, ainsi elles ne doivent pas elles-mêmes se fâcher de ce que je leur préfère la virginité. Car si leur pudicité venant si tard, après qu'elles ont jeté, pour ainsi dire, l'écume des plaisirs sensuels, les rend si fières à l'endroit de celles de leurs pareilles qui usent encore du mariage, pourquoi ne reconnaîtraient-elles pas de même leur infériorité en se comparant à celles dont la vie entière n'est qu'une perpétuelle chasteté. "

Ibidem, c. 19 : " En vain, dit Jovinien, vous alléguez cela ; car l'Apôtre veut des évêques, des prêtres et des diacres, qui soient époux d'une seule femme et qui aient des enfants. De même que l'Apôtre dit qu'il n'a pas de préceptes à donner au sujet des vierges, et que cependant il donne un conseil, comme ayant obtenu miséricorde du Seigneur, qu'il agit dans toute cette affaire de manière à préférer la virginité au mariage, et qu'il conseille ce qu'il n'ose commander, de peur de paraître jeter un filet, et d'imposer un fardeau plus lourd que ne peut en porter la nature humaine ; de même, dans l'institution de l'ordre ecclésiastique, et parce que l'Eglise encore neuve était formée de gentils, il donne à ceux qui n'ont que depuis peu embrassé la foi, des conseils plus léger pour leur faiblesse, de crainte qu'épouvantés ils ne puissent pas en supporter de plus sévères. Mais ce que dit l'Apôtre des évêques qu'on doit élire, est encore en ma faveur ; car l'Apôtre ne dit pas, etc. " Le reste comme plus haut, article du Mariage, paragraphe du Célibat ecclésiastique, question IV, témoignage 39, tome III, page 316. Ajouter ce qui suit : " Autrement si, dans la pensée de l'Apôtre, il ne devait y avoir pour évêque que des hommes mariés, cet apôtre lui-même n'aurait pas dû être évêque, puisqu'il a dit : Je voudrais que vous fussiez tous comme moi (I Cor., VII, 7). Jean aussi aurait été indigne d'occuper cette place, et il en serait de même de tant de vierges et d'autres personnes vivant dans la continence, qui font cependant le plus bel ornement de l’Eglise. "

Ibidem, c. 21 : " N'ayez point cette crainte pusillanime, que tous ne préfèrent la virginité au mariage. La virginité est une chose qui n'est pas si facile à garder ; et si elle est rare aujourd'hui, c'est à cause de cette difficulté même. Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. Commencer, c'est ce que font un grand nombre de gens ; persévérer, c'est à quoi il y en a peu qui sachent parvenir. Si tout le monde pouvait garder la virginité, Notre-Seigneur n'aurait pas dit : Comprenne ceci qui pourra

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le comprendre ; et l'Apôtre n'aurait pas comme tremblé en donnant un tel conseil : Pour ce qui concerne les vierges, dit-il, je n'ai pas reçu de commandements du Seigneur. " Ici se trouvent rapporté de nouveau plusieurs passages des épîtres de saint Paul, que nous nous abstenons de répéter. Saint Jérôme poursuit ainsi :

Ibidem, c. 24 : " Je n'en finirais pas, si je voulais rapporter toutes les instructions que donne cet apôtre au sujet de la chasteté. Ce sont là de ces choses dont Notre-Seigneur disait à ses disciples : J'ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant (JEAN, XVI, 12). Mais quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. "

" Passons à saint Jacques, appelé frère du Seigneur, et qui était d'une telle sainteté, d'une justice si reconnue, d'une virginité si constamment exacte, que Josèphe, cet historien juif, rapporte à son sujet, que ce fut à cause de sa mort que la ville de Jérusalem fut ruinée de fond en comble. "

Ibidem, c. 25, après avoir cité un passage de l’Apocalypse (XIV, 4), saint Jérôme ajoute : " Si les vierges sont les prémices de Dieu, donc les veuves et les personnes qui gardent la continence dans le mariage ne viendront qu'après ces prémices, c'est-à-dire qu'elles seront au second et au troisième rang ; et le peuple ne pourra être garanti de sa complète ruine, qu'autant qu'il aura de ces victimes de la chasteté à offrir au Seigneur, pour se réconcilier l'Agneau sans tache par un sacrifice également pur. Ce serait ne vouloir pas en finir, que d'expliquer ensuite la parabole mystérieuse que nous présente l’Evangile, de dix vierges, dont cinq folles, et les cinq autres sages (MATTH., XXV, 2). Ce que je me contenterai d'en inférer ici, c'est que, de même que la virginité ne nous sauve pas toute seule et sans les autres vertus, ainsi toutes les bonnes œuvres resteront imparfaites sans la virginité, la continence, la pureté, la chasteté. "

Ibidem, c. 26, saint Jérôme conclut de cette manière : Nous avons montré plus qu'il ne fallait d'exemples de pureté chrétienne et de virginité angélique tirés des livres saints ; mais comme j'ai vu, dans les écrits de notre adversaire, qu'il nous oppose aussi les philosophes profanes, en s'attachant à prouver que notre religion a inventé là un dogme contre nature, et qui n'a jamais pu obtenir l'approbation du siècle, je vais parcourir rapidement l'histoire de la philosophie grecque, latine et barbare, et montrer que la virginité a toujours occupé le premier rang parmi les vertus qui se rattachent à la pudeur, etc. "

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28. S. AMBROISE (Nous avons observé que les commentaires dont il s'agit ici ne sont pas de saint Ambroise, mais plutôt d'Eusèbe d’Emèse), in caput VII Epistolæ I ad Corinthios : " L'Apôtre n'eût pas dit : Il est avantageux à ceux qui ne sont pas mariés de rester dans cet état comme j'y suis moi-même, si lui-même avait été marié. Il n'eût pas dit non plus : Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi. Car s'il avait été marié et

qu'il eût dit cela, c'est qu'il eût voulu que personne ne fût vierge ; mais c'était bien loin de la pensée de cet apôtre. Car telle était sa piété dès l'enfance, que le mariage n'avait pour lui nul attrait ; dès-lors la grâce de Dieu l'avait prévenu. . . "

" L'Apôtre dit qu'il est avantageux de demeurer dans l'état de virginité. Et pour expliquer davantage sa pensée, il ajoute : Propter instantem necessitatem, " à cause des fâcheuses nécessités de la vie présente, " pour faire voir que le plus grand et le plus utile de tous les biens, c'est la virginité, puisque, d'après cette doctrine de l'Apôtre, non-seulement elle est plus recommandable devant Dieu, mais qu'elle est encore plus avantageuse pour la vie présente, en ce qu'elle est exempte des embarras que produit le mariage avec les peines de l'enfantement et les pertes d'enfants auxquelles sont exposées les personnes mariées. C'est pourquoi, voulant engager les fidèles à embrasser de préférence la virginité, il leur fait valoir l'exemption qu'ils y trouveraient des fâcheuses nécessités de la vie présente. . . "

" L'Apôtre s'adresse à ceux qui n'ont pas de plus ardent désir que d'obéir aux commandements de Dieu, et il leur montre le chemin le plus court à suivre pour arriver à lui ; car celui qui, par amour pour Dieu, veut rester dans l'état de virginité, sachant quelle récompense est réservée à celui qui s'abstient par vertu des choses même permises, fait le sacrifice de tous les plaisirs de la chair, dont la jouissance ne ferait que le retarder dans sa course, et l'exposerait à perdre le prix qui lui est proposé. "

29. THEODORE, in caput VII Epist. I ad Corinthios : " Pour ce qui concerne les vierges, je n'ai pas reçu de commandement du Seigneur. Car, comme les apôtres avaient dit à Jésus-Christ : Si la condition de l'homme est telle avec sa femme, il est avantageux de ne pas se marier, Notre-Seigneur leur avait répondu : Tous ne sont pas capables de cette résolution ; et encore : Comprenne ceci qui pourra le comprendre. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre inspiré de Dieu : Je n'ai pas reçu à ce sujet de commandements du Seigneur.

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Mais, ô Apôtre, si vous n'avez pas de loi à nous intimer là-dessus, que signifient ces paroles que vous dites ensuite : Voici le conseil que je leur donne ? Elles signifient : Si je n'ai pas de loi à leur imposer, j'ai du moins un conseil à leur donner. Car, en même temps que Dieu fait une loi de ce qui est une conséquence de notre nature, il nous exhorte de plus à faire ce qui surpasse la nature. Mais, comme l'Apôtre présumait que sa proposition paraîtra étrange à plusieurs et trouverait des contradicteurs, il justifie ce qu'il a dit en ajoutant : Comme ayant obtenu du Seigneur la grâce d'être son fidèle ministre. C'est ainsi qu'il rappelle ses droits d'apôtre avec sa modestie accoutumée. Je puis en être cru, dit-il, pour le conseil que je donne, puisque Dieu m'a fait la grâce de m'appeler et de me confier la prédication de son Evangile. Mais quel est ce conseil que vous donnez ? Je crois qu'il est avantageux, à cause des fâcheuses nécessités de la vie présente ; oui, je crois qu'il est avantageux à l'homme de ne pas se marier. Etes-vous là avec une femme ? Ne cherchez point à vous délier. N'êtes-vous point lié avec une femme ? Ne cherchez point de femme. Il dit ce mot : Je crois, non qu'il doute que la virginité soit un bien, et le plus précieux de tous les biens, mais pour ne pas paraître faire une loi d'une simple exhortation. Car toute loi exige qu'elle soit observée, ou, si elle ne l'est pas, que les transgresseurs soient punis ; c'est pourquoi il se garde de commander ce qui est d'une pratique si difficile, mais au moins il y exhorte. "

Ibidem, sur ces paroles : Qui sine uxore est, etc. : " Il montre en peu de mois la différence d'embarras qui existe entre celui qui se soumet au joug du mariage, et celui qui embrasse le célibat. Or, quiconque le voudra, pourra savoir sans peine quels sont les chagrins et les sollicitudes de ceux qui vivent dans le monde. C'est ce que, nous aussi, nous avons fait voir en détail dans ce que nous avons écrit sur la virginité, en exhortant ceux qui ont à cœur leur salut à en recueillir les avantages. "

Ibidem, sur ces paroles : Volo autem omnes esse sicut meipsum : " L'Apôtre montre dans la continence ce qu'il y a de plus parfait, et puis il accorde à la faiblesse ce qui l'est moins, pour pouvoir y remédier par ce moyen, mais il ne néglige pas pour cela d'exciter à choisir de préférence ce qu'il y a de plus parfait, en proposant pour motif d'émulation son propre exemple, forcé ainsi de nous révéler le trésor de sa chasteté. Je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves : Il leur est bon de demeurer dans cet état, comme j'y demeure moi-même. Il fait voir de nouveau

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qu'il est du nombre des célibataires et des personnes qui n'ont jamais été mariées. Car on ne saurait le compter parmi les hommes veufs, puisqu'il était encore tout jeune quand il fut appelé à l'apostolat. "

30. Le même, Epitome divinorun decretorum, c. de virginitate : " Dieu n'a pas, il est vrai, imposé la virginité comme une loi ; car il voyait bien que cet état surpassait en lui-même les forces de la nature ; mais en faisant l'éloge de la virginité, il a engagé ceux qui en auraient le courage à en tenter l'entreprise. Car les apôtres ayant dit : Si la condition de l'homme est telle avec sa femme, il n'est pas avantageux à l'homme de se marier, le Seigneur leur répondit : Tous ne sont pas capables de cette résolution, mais ceux-là seulement à qui il a été donné d'en-haut. . . Et il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour gagner le royaume de Dieu. Ce qu'il faut entendre, non d'une castration physique, mais du retranchement des mauvaises pensées. Puis il ajoute : Qui pourra le comprendre, le comprenne. C'est aussi ce qui a fait dire à l'Apôtre, en parlant de la virginité : Je n'ai point reçu de commandements du Seigneur. Car Dieu n'a pas fait aux hommes une obligation de la virginité. Mais voici le conseil que je leur donne, etc. Je crois, se contente de dire l'Apôtre, qu'il est avantageux de demeurer dans cet état. S'il se sert de cette expression : Je crois, ce n'est pas qu'il doute qu'il en soit ainsi, mais par réserve de langage, et pour éviter d'en faire une loi. Car une loi peut occasionner des transgressions, et la transgression amener une peine après elle. Il prend donc ce langage pour faire voir qu'il ne s'agit pas ici d'une loi, mais d'un conseil. Ce qu'il dit ensuite, qu'on ne pèche pas si l'on se marie, doit s'entendre des personnes qui n'ont pas encore fait vœu ou profession de virginité. "

31. S. CHRYSOSTOME, Lib. de virginitate, c. 10 : " Je sens combien cet état (de mariage) est inférieur à la virginité ; cependant je suis loin de repousser le mariage comme une institution mauvaise ; j'en fais, au contraire, un très-grand cas. "

Ibidem, c. 11 : " La virginité est une bonne chose, une chose préférable au mariage : c'est encore mon avis ; et je puis vous dire, si vous voulez le savoir, combien elle est au-dessus de lui : autant que le ciel est au-dessus de la terre, autant que les anges sont au-dessus des hommes, et plus encore, si j'ose le dire. Car, bien que la virginité soit un attribut des anges, cette vertu est, plus facile et moins méritoire gour eux ; ils ne sont pas formés

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de chair et de sang comme nous ; ils n'habitent pas sur une terre où règne le péché ; ils n'éprouvent point les dévorantes ardeurs des passions ; ils ne sont point exposés à ressentir, au milieu de l'ivresse des festins, ces molles langueurs où nous jettent une musique voluptueuse et l'aspect séduisant de la beauté. Pure comme la lumière qui se joue dans l'azur d'un ciel sans nuage, leur essence immortelle, que ne ternit jamais le souffle des passions, brille paisiblement d'un éclat virginal. "

32. Ibidem, c. 11 : " L'homme, sans doute, ne doit pas à sa nature les même avantages ; mais une noble émulation augmente ses forces, et grâce à cette glorieuse rivalité, il s'est rendu leur égal. Si, dans le ciel, les anges ne connaissent point les titres d'époux et d'épouses, les vierges, sur la terre, ne les connaissent pas non plus. Si les anges se tiennent continuellement en présence de Dieu pour exécuter ses volontés, les vierges sont aussi les servantes du Seigneur, et c'est afin que rien n’arrête l'assiduité de leur zèle, que Paul veut les mettre à l'abri des soins temporels. Si elles ne peuvent monter jusqu'au séjour des anges, parce que la chair les attache à la terre, elles ont du moins ici-bas la consolation de recevoir le Seigneur, qui vient récompenser par sa présence la pureté sans tache qu'elles ont su garder et dans leur âme et dans leur corps. Concevez-vous la sublimité de cet état ? Il assimile ceux qui vivent sur la terre aux habitants du séjour céleste, il rend les mortels semblables aux pures intelligences ; il fait des hommes les émules des anges. Mais cet état divin n'a rien de commun avec vous, qui dépréciez la vertu angélique de la virginité, qui accusez le Seigneur, et faites de lui un Dieu méchant. Vous êtes réservés au supplice du serviteur infidèle, tandis que les vierges, filles de l’Eglise, jouiront d'une béatitude ineffable. "

33. Ibidem, c. 21 : " Qu'y a-t-il en effet de plus doux, de meilleur et de plus brillant que la virginité ? La splendeur dont elle est environnée a plus d'éclat que les rayons les plus éblouissants de l'astre du jour, et c'est elle qui, épurant nos regards et les élevant au-dessus des choses de la terre, nous permet de les tenir constamment fixés sur l'éternel soleil de justice. "

34. Ibidem, c. 28 : " La femme n'est point maîtresse de sa personne, c'est le mari qui en est le maître ; et pareillement le mari n'est point maître de sa personne, c'est la femme qui en est la maîtresse. Ces paroles semblent aussi, au premier abord, n'avoir d'autre but que d'exposer les lois du mariage ; mais au fond elles

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ne sont qu'une exhortation à la virginité. Car, dire que le mariage rend l'homme esclave de la femme, n'est-ce point engager ceux qui sont mariés à se révolter contre une tyrannie odieuse ? ou plutôt n'est-ce pas conseiller à ceux qui sont libres encore, de ne jamais perdre leur liberté ? Car une fois que l'homme a subi le joug du mariage, il ne s'appartient plus ; il faut qu'il obéisse à la femme aussi longtemps qu'elle ne veut point faire le sacrifice de ses droits. "

35. Ibidem, c. 34 : " Et vous osez encore comparer le mariage à la virginité ? Mais saint Paul ne vous laisse pas moyen de faire cette injuste comparaison ; il a établi une grande distinction entre ces deux états ; il a parlé du mariage comme d'une chose humaine, et de la virginité comme d'une vertu divine. . . "

" Plus cette vertu est difficile, plus elle est glorieuse ; au contraire, moins le mariage impose de privations, moins il mérite d'estime et de louanges. En effet, l’Apôtre n'a-t-il pas dit, en nous permettant d'embrasser ce dernier état : Je permets le mariage par indulgence, je n'en fais pas un précepte. Or, où est le mérite d'une chose qui n'est qu'un objet d'indulgence ? Mais, direz-vous, l'Apôtre a dit aussi, en parlant des vierges : Pour ce qui les regarde, je n'ai point de précepte du Seigneur. Ne met-il donc aucune différence entre le mariage et la virginité ? Sans doute il en met une. Il ne fait, il est vrai, un précepte ni de l'un ni de l'autre de ces états ; mais ce n'est point pour le même motif. Il n'ordonne pas le mariage, pour que ceux qui veulent vivre dans la continence soient libres d'accomplir cette résolution ; il n'oblige pas à la virginité, de peur que ceux qui n'ont pas assez de force pour atteindre à un si haut degré de perfection ne soient exposés à se voir condamner comme rebelles à la loi du Seigneur. Je ne fais pas, dit-il, un devoir de la virginité, car je redoute pour vous les difficultés d'une telle entreprise. Je ne fais pas non plus un devoir du mariage, car je ne veux pas porter une loi d'incontinence. J'ai dit : Vous êtes libre de prendre une femme, pour vous empêcher de tomber dans le gouffre du vice, et non pour vous défendre d'aspirer à un état plus sublime. Ainsi donc la volonté de saint Paul n'est pas que nous cherchions dans le mariage des jouissances immodérées ; c'est la lâche incontinence des voluptueux qui a rendu nécessaire la permission qu'il accorde. "

" Voulez-vous savoir quelle est la volonté de l'Apôtre ? écoutez ce qu'il dit lui-même : Je voudrais que tous les hommes fussent

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chastes et purs ainsi que moi. O grand Apôtre, vous ne voulez donc pas du mariage, puisque vous voudriez que tous les hommes fussent chastes et purs ? - Il est vrai ; cependant je ne fais pas un crime aux hommes de désirer le mariage ; le plus ardent de mes vœux serait que tous fussent comme moi ; mais j'ai permis le mariage pour garantir l'homme du dérèglement des mœurs, après avoir commencé par dire quelle est la chose que j'aimerais le mieux : Il est avantageux à l'homme de ne pas s'approcher de la femme. "

36. Ibidem, c. 36 : " Si je me suis étendu sur celle matière, c'est pour qu'en entendant l'Apôtre nous dire que Dieu distribue à chacun des dons différents, vous n'alliez pas vous décourager à raisonner ainsi en vous-même : Qu'ai-je besoin de me consumer en vains efforts pour pratiquer une vertu que saint Paul appelle un don du ciel ? En effet, ce n'est que par modestie qu'il appelle ainsi la continence. - Aurait-il voulu se mettre en opposition avec le Christ et avec lui-même ? Avec le Christ, quand celui-ci dit : Il y a des eunuques qui se sont rendus tels pour le royaume des cieux, et qu'il ajoute : Que celui qui peut comprendre ma parole la comprenne ; avec lui-même, quand il condamne les veuves qui, après s'être vouées à un veuvage perpétuel, ont manqué de force pour accomplir celle résolution ; si la continence était un simple don du ciel, pourquoi l'Apôtre menacerait-il de la colère de Dieu ces veuves impatientes ? Pourquoi dirait-il : Elles sont coupables, parce qu'elles ont violé leurs premiers serments ? "

" Jamais le Christ n'a fait un crime de leur malheur à ceux qui n'avaient point les dons du ciel : ce qu'il condamne, c'est une vie impure ; ce qu'il demande principalement de nous, c'est une vie sans tache et des actions irréprochables. Quant aux faveurs, elles dépendent, non de celui qui les reçoit, mais de celui qui les accorde. . . . . Le mérite et le démérite sont des attributs attachés, non aux miracles dans lesquels éclate la puissance divine, mais bien aux actions qui manifestent l'énergie de la volonté humaine. - Pourquoi nous exhorte-t-il sans cesse à vivre chastes, si la chasteté ne dépend pas de nous, et si, pour qu'elle nous soit accordée, la grâce divine suffit, sans que nous ayons besoin d'y ajouter notre coopération ? Apres avoir dit : Je voudrais que tous les hommes fussent chastes et purs ainsi que moi, saint Paul ajoute encore : Je le déclare aux personnes qui ne sont point mariées ou qui sont veuves : elles feront bien de persévérer ainsi que moi dans la continence. "

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37. Ibidem, c. 39 : " Quand il dit qu'une vierge peut se marier sans pécher, il ne parle pas de celle qui a renoncé au mariage, car la violation de ce vœu serait un crime, et un très-grand crime ; il n'a en vue que celle qui n'a pas encore choisi entre le mariage et la virginité, et qui balance incertaine entre ces deux états. . . . Il permet le mariage à celles qui viennent de perdre leur époux et qui n'ont point encore fait vœu de rester veuves ; mais il blâme sévèrement celles qui, ayant promis à Dieu de vivre dans un veuvage perpétuel, manquent à leur promesse et foulent aux pieds le traité qu'elles ont fait avec Dieu. C'est donc à celles-là, et non à celles-ci, qu'il faut appliquer les paroles de l'Apôtre : Si elles ne savent point se contenir, qu'elles se marient ; car il vaut mieux se marier que de se consumer en vains désirs. . . Il ne dit pas, Qu'elles se marient si elles sont tyrannisées par les passions, si elles sont poussées malgré elles au mariage, si elles ne peuvent résister aux tentations ; car en parlant ainsi il ne ferait qu'indiquer une faute digne de pardon. Que dit-il donc ? Qu'elles se marient, si elles ne savent se contenir ; ce qui indique de leur part une lâcheté coupable et un vice de volonté. "

38. Ibidem, c. 40 : " Les vierges qui ont un époux immortel ne peuvent contracter d'autres liens que ceux qui les unissent à cet époux céleste ; mais les femmes mariées redeviennent libres la mort de leur mari, et certes elles ne peuvent demander davantage. "

39. Ibidem, c. 41 : " Ces expressions : Que celui qui peut comprendre ma parole la comprenne, ne prouvent-elles point que Dieu abandonne la pratique de la virginité à la libre volonté de l'homme ? "

40. Ibidem, c. 49 : " La vierge qui se marie ne fait point de mal en cela ; mais elle se prive elle-même de la couronne glorieuse et des récompenses divines qui sont réservées à la virginité. Pourquoi n'a-t-il pas rappelé le triomphe éclatant qui attend les vierges dans les cieux, après les combats qu'elles auront soutenus ici-bas ? Pourquoi ne leur a-t-il pas donné l'espoir d'aller un jour au-devant de l'époux céleste, de porter leurs lampes allumées dans cette pompe sacrée, d'accompagner, pleines de confiance et entourées d'honneurs, le monarque des cieux à son lit nuptial, et de s'asseoir au premier rang près du trône de l'Eternel ? Au lieu de faire mention de ces avantages immortels et divins, il ne parle que des choses humaines et des vanités du monde. . . . . C'est aux Corinthiens qu'il parlait de la

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virginité, c'est-à-dire à des hommes qui ne savaient de la religion chrétienne que le nom de Jésus et sa passion : il ne pouvait donc leur parler comme des chrétiens d'une science consommée ; c'étaient des enfants qu'il fallait nourrir encore du lait des faibles. Aussi lui-même leur dit-il dans sa lettre : " Vous n'êtes pas encore assez forts pour marcher dans la voie de l'éternelle vérité, la chair aveugle votre esprit ; vous n'avez pas entièrement dépouillé le vieil homme. " Voilà pourquoi, en les exhortant à la virginité et en les détournant du mariage, il n'empruntait ses arguments qu'aux objets sensibles et aux choses de la terre. . . . . Notre-Seigneur Jésus-Christ a suivi une marche toute opposée : soit qu'il parle de la virginité, soit qu'il nous entretienne de l'oubli des injures, les motifs d'encouragement qu'il nous donne sont toujours empruntés à l'ordre spirituel. Quand il veut nous engager à vivre dans la continence : Il y a, dit-il, des eunuques qui se sont rendus tels pour le royaume des cieux. "

41. Ibidem, c. 78 : " Ecoutez encore Jésus-Christ : " Ils ne se donnent point à une épouse, ils n'en prennent point, ils sont comme les anges dans le ciel. " Voilà la différence, voilà à quelle hauteur la virginité élève une faible créature ; toutefois il faut que ce soit une véritable virginité. "

42. Ibidem, c. 79 : " Et voyons en quoi différaient des anges les Elie, les Elisée, les Jean-Baptiste, tous ces héros de la virginité. En rien, si ce n'est qu'ils étaient esclaves de la mort. Quant au reste, l'examen le plus minutieux, ne fera rien découvrir dans ces derniers qui doive les mettre au-dessous des anges ; la seule chose en quoi ils n'égalent pas cette noble nature augmente encore leur mérite. Quel courage en effet, quelle force de volonté n'a-t-il pas fallu pour s'élever à ce comble de vertu, malgré les liens terrestres, malgré les entraves d'une nature mortelle ! Or, il est de toute évidence qu'ils n'ont dû leur perfection qu’à la virginité : comment, avec une épouse et des enfants, auraient-ils pu se retirer dans les déserts, n'avoir nul souci de leur demeure, ni de tout ce qui regarde la vie du corps ? Ces chaînes une fois brisées, au contraire, ils vivaient sur la terre comme habitant le ciel, ne demandant ni palais, ni abri, ni couche, ni table, ni rien de ce genre : n'avaient-ils pas pour abri le ciel, pour couche le sol, pour table la vaste solitude ? Et ce qui ferait craindre aux hommes de mourir de faim, la stérilité même du désert, était pour ces saints une abondance intarissable. "

43. Ibidem, c. 83 : " Permettez-moi, du reste, de revenir à

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ce que je vous disais tout-à-l'heure : Dieu exige de nous un degré de vertu bien différent de celui qui faisait le mérite des temps anciens. Personne aujourd'hui ne peut se croire parfait, s'il n'a pas vendu tous ses biens, s'il n'a dit un éternel adieu non-seulement aux richesses, aux palais somptueux, mais aussi à son âme. Il fallait à l'époque d'Abraham moins de sacrifices. Qu'est-ce à dire ? me répondra-t-on ; nous vivons donc plus saintement qu'Abraham ? Il devrait certainement en être ainsi ; Dieu nous l'ordonne, et nous ne le faisons pas (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, tome Ier, p. 275-334, édit. de Montfaucon, p. 335-409, édit. de Gaume. Voyez aussi ce qu'a dit de cet ouvrage de saint Chrysostôme Nicéphore, dans son Histoire ecclésiastique, liv. XIII, c. 9). "

44. S. AMBROISE, epist. LXXXI (al. 42) ad Syricium Papam ; n. 2 : " Le caractère de ces hommes agrestes est de ne pas honorer la grâce de la virginité, de ne pas conserver son rang à la chasteté, de vouloir tout confondre, de ne pas discerner les divers mérites de chaque état et d'introduire une espèce de pauvreté et d'indigence dans les récompenses célestes, comme si Jésus-Christ n'avait qu'une couronne à donner, et qu'il n'eût pas plusieurs sortes de prix à distribuer. "

Ibidem, n. 3 : " Ils font semblant de respecter le mariage. Mais quelle louange peut-on lui donner, si la virginité est sans aucune gloire ? Nous ne nions pas que le mariage ait été sanctifié par Jésus-Christ lorsqu'il a dit : Ils seront deux dans une seule chair (MATTH., XIX, 8). Mais notre naissance est avant l'état que nous embrassons, et l'ouvrage mystérieux que Dieu opère en nous est infiniment préférable à ce qui sert de remède à la fragilité humaine. On loue avec justice une femme vertueuse ; mais on lui préfère sans hésiter de saintes vierges, selon ce qu'a dit l'Apôtre : Celui qui marie sa fille fait bien ; celui qui ne la marie pas fait encore mieux. Celle-ci pense aux choses de Dieu, celle-là aux choses du monde (I Cor., VII, 38). L'une est gênée par les liens du mariage ; l'autre est dans une pleine liberté. L'une est sous la loi, l'autre sous la grâce. Le mariage est bon : par lui on a trouvé le moyen de se donner des successeurs et de multiplier le genre humain ; mais la virginité est beaucoup meilleure. Par elle on acquiert l'héritage du royaume du ciel, et l'on trouve une riche succession de mérites. La femme mariée a fait passer dans le monde les soins et les inquiétudes, la vierge nous a apporté la paix et le salut. . . "

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Ibidem, n. 14 : " Sachez donc que, selon le jugement que votre sainteté a prononcé, nous avons condamné Jovinien, Auxence, Germinator, Félix, Plotin, Genial, Martien, Janvier et Ingeniosus que vous avez condamnés. "

45. Le même, epist. LXXXII (al. 65) ad Vercellensem Ecclesiam, n. 7 : " J'apprends que vous avez dans votre ville, etc.; " comme plus haut, question I de ce chapitre, témoignage 8, pages 325 et suiv. "

46. Le même, Lib. de viduis, comme plus haut, question I, témoignage 9, pages 327 et suiv.

47. Le même, Lib. I de virginibus : " L'amour de la pureté nous invite, et vous, ma sœur en Jésus-Christ, vous m'invitez plus encore, par la sainteté de vos mœurs, sans avoir besoin de rien me dire, à vous dire quelques mots de la virginité, pour ne pas paraître passer légèrement sur une vertu qui devrait plutôt être mise à la tête de toutes. Car si la virginité mérite des éloges, ce n'est pas parce qu'elle se rencontre dans les martyrs, mais c'est parce qu'elle fait elle-même les martyrs. Mais quel langage humain pourrait atteindre à la hauteur d'une vertu que la nature elle-même n'a pu soumettre à ses lois ? Ou quelles expressions tirées des objets de la nature pourraient nous faire comprendre ce qui est en dehors du cours ordinaire de la nature ? C'est dans le ciel que la virginité a été prendre son modèle pour pouvoir le reproduire sur la terre. Et c'est à bon droit, etc.; " comme plus haut, question II, témoignage 20, pages 342 et suiv.

Le saint docteur continue ainsi : " On ne trouve pas non plus qu'Elie ait éprouvé le besoin de ces sortes de jouissances. Et c'est pour cela sans doute qu'il a été enlevé au ciel dans un char de feu, qu'il a apparu à côté du Seigneur dans sa glorieuse transfiguration, et qu'il sera à la fin des siècle le précurseur de son dernier avènement. . . . . "

" Quoique je n'aie pas entrepris l'éloge, mais seulement le tableau de la virginité, je crois à propos de dire quelle en est la patrie et quel en est l'auteur. Commençons par en chercher la patrie. Si la patrie est là où se trouve le domicile paternel, le ciel est à coup sûr la patrie de la chasteté. Elle n'est donc ici que comme étrangère, citoyenne qu'elle est du ciel. Mais qu'est-ce que la chasteté virginale, sinon une chasteté qui n'a jamais été mêlée d'aucune souillure ? Et quant à son auteur, quel autre pouvons nous lui trouver, que le très-saint Fils de Dieu, dont la chair n'a jamais éprouver la corruption, dont la divinité est étrangère à

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toute souillure ? Voyez donc combien est grande l'excellence de la virginité. Comparons, si vous le voulez, les plus grands de tous les avantages des femmes mariées avec les moindres de ceux des vierges. Qu'une femme vante tant qu'elle voudra sa fécondité, plus elle aura enfanté ou mis au monde d'enfants, plus elle se sera occasionnée de douleurs. Elle fait bien de compter les consolations qui lui reviennent de son mariage, mais qu'elle en compte aussi les chagrins. Elle se couvre du voile nuptial, et elle pleure. De quelle nature est donc cet engagement, qu'elle ne peut prendre sans pleurer ?. . . "

" Parents, vous avez entendu quelles sont les vertus dont vous devez inspirer la pratique à vos filles, quels sont les principes d'éducation que vous devez leur donner, pour que les mérites qu'elles pourront amasser plaident auprès de Dieu le pardon de vos fautes à vous-mêmes. Une vierge est un don du ciel ; elle fait la gloire et la joie de ses parents ; elle exerce dans la maison paternelle le sacerdoce de la chasteté. Une vierge est une victime qui s'immole chaque jour, afin d'apaiser la colère de Dieu par son sacrifice. Je ne cherche point à détourner du mariage ; mais on me permettra d'énumérer les fruits de la virginité chrétienne. Elle est le privilège du petit nombre ; le mariage est le droit de tous. La virginité même serait impossible, si le mariage ne lui donnait naissance. Je fais la comparaison entre deux biens différents, pour mettre plus à même de voir lequel des deux l'emporte. Et ce n'est point mon propre sentiment que je vise à faire prévaloir ; mais je répète seulement l'oracle que l'Esprit-Saint a proclamé dans les termes suivants par la bouche du Prophète : La stérilité est préférable avec la vertu (Sag., IV, 1, d'après la version des Septante). Vous avez, vierges saintes, dans la protection des anges un appui tout particulier, vous dont l'inviolable pudeur conserve exempt de souillure le lit du divin époux. Et je ne m'étonne pas si les anges combattent pour vous, puisque leurs vertus sont vos armes. La chasteté virginale mérite bien l'appui de ceux dont elle mérite de partager la condition. Eh ! pourquoi tant m'étendre sur l'éloge de la chasteté ? C'est la chasteté qui a fait les anges. Celui qui a conservé la chasteté est un ange ; celui qui l'a perdue est un démon. Que n'aurais-je pas à dire de l'état de résurrection, dont vous possédez déjà les avantages ? Car, après la résurrection, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel (MATTH., XXII, 30).

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Ce qui nous est promis, vous en jouissez déjà, et l'objet de nos vœux est pour vous une réalité. Quelqu'un dira : Vous ne faites que nous répéter tous les jours les louanges de la virginité. Mais puis-je faire autrement, quoique tout le bien que j'en dis ne persuade à personne de l'embrasser ? Mais ce n'est pas ma faute. Pour tout dire, il nous vient des vierges du pays de Plaisance, de celui de Bologne, de la Mauritanie même pour recevoir ici le voile ; c'est quelque chose qui tient du prodige : je parle ici, et je persuade ailleurs. S'il continue d'en être ainsi, pour réussir à vous persuader, nous irons prêcher chez d'autres peuples. D'où vient ce fait singulier, que ceux qui ne m'entendent pas me suivent, et que ceux qui m'entendent ne me suivent pas ? Je sais que plusieurs jeunes personnes voudraient faire profession de virginité, mais qu'elles en sont empêchées par leurs mères, et ce qui est plus grave, par leurs mères veuves, de ces veuves dont il est question ici. Quoi ! si vos filles s'éprenaient d'amour pour un homme, la loi leur donnerait toute liberté de se marier avec lui, elles seraient libres d'épouse un homme ; et elles ne le seraient pas d'épouser un Dieu (Voir sur ce sujet le concile de Trente, session 25, de regularibus et monialibus, c. 18) ? Considère combien sont doux les fruits de la pudicité : ils ont adouci jusqu'aux peuples barbares. Nous voyons ici des vierges venues des extrémités de la Mauritanie, et de plus loin même comme aussi de plus près s'empresser de se consacrer au Seigneur. Heureuse la vierge dont la pudeur est encouragée par la conformité des vues de ses parents sur elle ! mais plus glorieuse encore celle dont l'ardeur, des sa première jeunesse, n'a pas besoin de cet aliment maternel pour s'embraser du feu le plus pur de la chasteté. Vos parents vous refuseront-ils votre dot ? mais vous avez pour époux celui qui possède toutes les richesses : ses trésors vous suffiront, et vous pouvez renoncer sans vous appauvrir aux avantages de la succession paternelle. Oh ! combien une pauvreté chaste n'est-elle pas préférable à une dot toujours plus ou moins restreinte ! Commencez, et vierge, par remporter une victoire sur l'affection si légitime d'ailleurs que vous portez à votre famille. Victorieuse de ces sentiments naturels, vous aurez vaincu le siècle. Une vierge de notre temps, autrefois illustre dans le siècle, plus illustre encore aujourd'hui devant Dieu, étant pressée de se marier par ses parents et ses proches, se réfugie au pied du saint

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autel : Où pouvait-elle en effet trouver un meilleur asile ; que là où peut s'offrir le sacrifice de la chasteté ? Mais sa hardiesse alla plus loin. La voilà près de l'autel de Dieu, cette sainte victime de la pudeur et de la chasteté : tantôt elle saisit la main du prêtre et se la met elle-même sur la tête en le suppliant de prononcer sur elle la prière usitée ; tantôt, impatiente du délai que requiert la coutume, elle abaisse sa tête sous l'autel. " O ma mère, s'écriait-elle, pourriez-vous mieux me voiler que ne le fait cet autel, qui sanctifie les voiles eux-mêmes ? Quel linge plus convenable pour cet office que celui sur lequel Jésus-Christ, notre chef à tous, est consacré tous les jours ? Que faites-vous, disait-elle encore à toute sa parenté qui la pressait, et pourquoi perdre vos soins à me chercher un parti dans le monde ? Je suis déjà pourvue : vous m'offrez un époux et j'en ai choisi un autre. Donnez-m'en un aussi riche, aussi puissant et aussi grand que le mien, et alors je verrai quelle réponse j'aurai à vous faire. Mais vous ne me présenter rien de semblable. Car, si celui dont vous me parlez est un homme, et si celui dont j'ai fait choix est un Dieu, vouloir me l'enlever, ou m'enlever à lui, ce n'est pas établir ma fortune, c'est envier mon bonheur. " Comme quelqu'un se fut avancé à lui dire, au milieu du silence que gardaient les autres, que si son père eût vécu, il n'eût jamais consenti à la résolution qu'elle avait formé : " Ah ! répliqua-t-elle, enflammée qu'elle était de l'amour divin, qui l'emportait en elle sur le sentiment de la piété filiale, c'est pour cela peut-être que le Seigneur l'a retiré ; c'est afin qu'il ne pût être un obstacle aux ordres du ciel, et aux desseins de la Providence sur moi. " Cette répons relative à son père devint un véritable oracle par rapport à elle-même et que justifia sa mort, arrivé seulement dans un âge avancé. Tous les autres, craignant chacun le même sort, commencèrent à approuver une résolution à laquelle ils s'étaient opposés jusque-là ; et la sainte victime ne perdit rien de ses biens même temporels, mais elle ne fit encore qu'y gagner sous ce rapport. Voilà, ô vierges à qui je m'adresse, un prix proposé à votre chasteté ; mettez-vous en garde contre des parents qui pourraient être pour vous une pierre d'achoppement. "

48. Le même, Lib. II de virginibus : " Dans le premier livre, nous avons déroulé à vos yeux, plutôt qu'expliqué les avantages de la virginité, pour que la grâce du bienfait divin invite par elle-même celles d'entre vous qui prendront la peine de me lire.

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Il convient maintenant de dire de quelle manière une vierge doit être formée aux vertus de son état et c'est ce qui va faire le sujet de ce deuxième livre. "

49. Le même, Lib. III de virginibus : " Les gentils eux-mêmes, dans leurs temples comme dans leurs foyers, ont en vénération la virginité ; et quelque corrompus qu'ils soient en eux-mêmes, quelque étrangers qu'ils soient à la véritable piété, ils n'ont que des éloges à décerner à cette vertu. Ainsi donc personne n'écartera une vierge des autels profanes, et on oserait interdire à la virginité l'église de Dieu ? Chez les gentils, on impose aux vierges par contrainte un joug dont elles ignorent la douceur ; chez nous, on leur défendrait ce dont nous ne pouvons nous dispenser de leur enseigner les avantages ? Là on leur propose des prix pour qu'elles renoncent au mariage ; ici, on les contraindrait à se marier à force de mauvais traitements ? Là, on leur fait violence pour les enchaîner à une chasteté perpétuelle ; ici, on leur ferait violence pour les empêcher d'en faire profession ? Et des prêtres pourraient-ils consentir à ne pas prendre en main la défense, au prix même de leur vie, s'il le fallait, du sacrifice que la virginité vient offrir aux pieds des autels ? On nous accuse, et si je ne me trompe, nos accusateurs se trouvent la plupart dans vos rangs. J'aime mieux reprendre leur manière d'agir que de vous dénoncer leurs personnes. Le sujet de cette accusation est donc que je vous engage à garder la chasteté. Celui qui en témoigne de l'humeur se dénonce lui-même. Vous enseignez la virginité, me reproche-t-on, et vous persuadez à un grand nombre de l'embrasser. Plût à Dieu qu'on réussit à me convaincre de ce dont on m'accuse ; plût à Dieu qu'on nous fit voir les résultats d'un tel crime ! Si je pouvais être assuré de ces effets de mon enseignement, je ne n'effraierais point de la haine qu'ils m'auraient attirée. Plût à Dieu que vous pussiez me confondre en ce point par des exemples, plutôt que de me maltraiter par vos discours ! Mais je crains bien de passer pour m'être donné à moi-même de prétendus accusateurs, dont les délations simulée ne soient autre chose qu'un éloge déguisé, mais non mérité, de ma conduite. Vous empêchez de se marier, me dit-on, des vierges initiées aux saints mystères, et déjà consacrées pour garder la chasteté toute leur vie. Eh ! que n'eussé-je pu les rappeler au pied des autels, si elles avaient eu la pensée de se marier ! Plût à Dieu que je pusse alors changer pour elles le poêle nuptial dans le voile sacré de la pudeur virginale ! Est-ce

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qu'on peut trouver mauvais que nous n'enlevions pas aux saints autels pour les marier des vierges consacrées à Dieu ? Quoi ! on veut bien leur permettre de prendre un époux mortel, et on ne leur permettra pas de préférer Dieu à cet époux ? Pour moi donc tout seul la nature des choses sera changée, et on me fera un sujet d'opprobre de ce qui a toujours été pour des prêtres un sujet de gloire, savoir, de jeter dans les âmes les semences de la pureté d'encourager la jeunesse à la pratique de la virginité ! Car, je le demande, à quel titre m'en fait-on un reproche ? Est-ce comme d'une chose mauvaise, ou comme de quelque chose de nouveau, ou comme d'une chose inutile ? Si c'est comme d'une chose mauvaise, il faudra donc regarder comme mauvais ce qui devrait être plutôt l'objet de tous les vœux ce qui fait la vie des anges, ce qui fait l'honneur de notre résurrection future. Car les hommes qui ne prendront pas de femmes, et les femmes qui ne prendront pas de maris, seront comme des anges dans le ciel (MATTH., XXII, 30). Blâmer cela, c'est donc condamner le vœu de la résurrection. Concluons qu'on ne peut pas considérer comme mauvais ce qui est proposé aux hommes pour récompense, ni se faire de la peine de voir représenté en figure ce dont la réalité doit être l'objet de nos vœux comme le fruit de nos travaux. Mais si ce n'est pas quelque chose de mauvais, n'est-ce pas du moins quelque chose de nouveau et d'étrange. Car nos principes à nous sont de condamner toute nouveauté qui n'a pas Jésus-Christ pour auteur, parce que Jésus-Christ est la voie que doivent suivre tous les fidèles. Si donc on peut nous prouver que Jésus-Christ n'a pas enseigné ce que nous enseignons, nous serons les premiers à détester notre enseignement. Examinons en conséquence si Jésus-Christ a enseigné aux hommes la chasteté ou s'il l'a répudiée par sa doctrine. Voici ses paroles : Et il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour gagner le royaume des cieux. C'est assurément une belle milice que celle qui combat pour obtenir le royaume des cieux. Il est donc vrai que dès-lors Notre-Seigneur a enseigné que la profession de la chasteté n'avait rien que de digne d'éloges. C'est aussi ce qui a fait dire aux apôtres, qui virent bien la prédilection que Notre-Seigneur avait pour cette vertu : Si la condition de l'homme est telle avec sa femme, il est avantageux de ne pas se marier. Ces paroles montrent bien, et la pensée qu'eurent aussitôt les apôtres des incommodités du mariage, et la préférence qu'ils donnèrent sur lui à la pratique exacte de la chasteté. Mais Notre-Seigneur,

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qui savait que si la chasteté devait être prêchée à tous, elle ne pouvait être le partage que de quelques-uns, répliqua à ses apôtres : Tous ne sont pas capables de cette résolution mais ceux-là seulement à qui il a été donné. Ce qui veut dire : La chasteté n'est pas chose vulgaire ni commune ; ce n'est pas une concession faite à la faiblesse de la nature, mais un privilège attribué à la vertu. Enfin, après avoir dit, Et il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes tels en vue du royaume des cieux, pour montrer que cela supposait une vertu non médiocre, il ajoute : Que celui-là comprenne, qui a le don de comprendre. C'est pour cela aussi qu'aussitôt après cette parole, on lui présenta à bénir des enfants qui, grâce à la faiblesse de leur âge, conservaient encore toute leur innocence. Car le royaume des deux est pour ceux qui leur ressemblent, ou qui remontent pour ainsi dire à la pureté de leur première enfance, dont l'innocence est comme l'attribut, par l'ignorance où ils savent se maintenir de tout ce qui pourrait les corrompre. La virginité a donc aussi l'approbation du ciel ; sa pratique nous est recommande par le divin Maitre. . . . . "

" Si l'on pensait que la consécration des vierges pourrait faire brèche à la multiplication du genre humain, qu'on veuille bien considérer que si dans certains pays il y a moins de vierges, c'est que la population y est aussi moins forte, et que là au contraire où la virginité est le plus en honneur, la population y est aussi plus considérable. Informez-vous, par exemple, du nombre de vierges que les Eglises d'Alexandrie, de tout l'Orient et de l'Afrique envoient tous les ans au pied des autels ; vous compterez ici moins d'habitants que là de vierges qui prennent le voile. Beaucoup disent aussi qu'on ne doit donner le voile aux vierges que lorsqu'elles sont parvenues à un âge avancé. J'avouerai sans peine que les évêques doivent veiller à ce qu'une vierge ne soit pas admise à prendre le voile sans une épreuve suffisante. Oui, que l'évêque fasse attention à l'âge, mais à l’âge qu'une vierge peut avoir de sagesse et de piété. Qu'il fasse attention à la maturité de sa foi ; qu'il observe bien ses habitudes de modestie, ses mœurs séniles, sa pudeur circonspecte, sa chasteté éprouvée. Si avec cela une vierge présente pour plus de garantie la vigilance que sa mère a exercée autour d'elle, les modèles de vertu qu'elle puisait tous les jours dans les exemples de ses compagnes, cette vierge, n'en doutez pas, a toute la vieillesse qu'il faut pour recevoir le voile. S'il lui manque ces garanties, qu'elle soit remise à un autre temps comme trop jeune, non pas d'années, mais de

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conduite. Nous ne saurions donc refuser de prime abord une vierge à cause de sa jeunesse ; mais nous examinons avant tout ses dispositions. Et certes, ce ne fut pas la vieillesse, mais bien la vertu qui fit de Thècle une vierge suffisamment éprouvée. Qu'ai-je besoin de rien dire de plus, puisque tout âge est appelé à posséder Dieu, tout âge est mûr pour Jésus-Christ ? En un mot, ce n'est pas la vertu qui doit être l'accessoire de l’âge, mais c'est l'âge qui n'est à nos yeux que l'accessoire de la vertu (Sur l'âge requis pour faire vœu de chasteté, voyez le concile de Trente, session XXV, de Regularibus et Monialibus, c. 17). Et qu'on ne s'étonne pas de voir de jeunes personnes se consacrer à Jésus-Christ, puisqu'on a vu jusqu’à des enfants souffrir pour lui le martyre, etc. "

50. Le même, Exhortat. ad virgines, après avoir cité saint Paul dans ce que cet apôtre dit de la virginité (I Cor., VII), Isaïe (LVI, 3), saint Matthieu (XIX) : " Mes filles, continue-t-il, vous venez d'entendre quels avantages sont promis à la chasteté. Elle vous procurera un royaume, et le royaume céleste ; elle vous fera vivre de la vie des anges. La chose que je vous conseille, c'est le parti le plus beau qu'on puisse vous proposer, d'être parmi les hommes comme des anges, qui n'ont point à pratiquer entre eux la société conjugale. Car les femmes qui ne prennent point de maris, et les hommes qui ne prennent point d'épouses sont comme des anges sur terre, n'ayant point à éprouver les tribulations de la chair, ne sachant ce que c'est que l'esclavage domestique, purs de toute pensé mondaine, continuellement occupés des choses divines, élevant jusqu’à Dieu toutes leurs pensées, comme s'ils n'étaient plus retenus par des liens terrestres. Qui pourrait mieux vous servir de conseiller que Paul, ce vase d'élection ? Recueillez donc avec soin ce qu'il dit : Je voudrais que tous les hommes fussent dans l'état où je suis. Il dit encore des personnes non mariées et des veuves : Il leur est avantageux de demeurer dans cet état comme j'y suis moi-même. Je voudrais donc vous voir les imitatrices de ce grand apôtre ; je voudrais vous voir imiter celui qui a repoussé les liens du mariage, pour mieux s'engager dans ceux de Jésus-Christ. Il n'aurait pas pu atteindre cet éminent degré de vertus apostoliques, s'il s'était vu enchaîné par la foi qu'il aurait jurée à une femme. Que si cet incomparable docteur, cet apôtre privilégié de Jésus-Christ a jugé si important de s'abstenir du mariage et

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de rester dans le célibat, pour être tout à son ministère, attendu que celui à qui son mariage fait une nécessité de chercher i plaire à son épouse, ne saurait ni toujours vaquer à la prière, ni toujours s'occuper des instructions du Seigneur ; de quel état devez-vous donc faire choix, vous à qui la virginité peut seule procurer la liberté de vos personnes ? Car une femme mariée est une femme vendue à la servitude avec l'argent de sa propre dot. "

51. Le même, De institutione virginis, c. 6 : " L'Ecriture nous enseigne que Dieu ne fait aucun à état plus de grâces qu'à celui de virginité. Car voici comment le Seigneur s'en est expliqué par la bouche d'Isaïe : Que l'eunuque ne dise point : Je ne suis qu’un tronc desséché, etc. (ISAIE, LVI, 3 et suiv.). "

52. Ibidem, c. 15 : " Les lis de Jésus-Christ, ce sont particulièrement les vierges qui lui sont consacrées, et qui ont su conserver toute la pureté et tout l'éclat de leur virginité. "

53. Ibidem, c. 17 : " Les vierges consacrées à Dieu nous représentent sur la terre la vie des anges, cette vie dont nous avons, dès les premiers temps, perdu le bonheur dans le paradis. . . Ici une de vos servantes (Ambrosia, petite-fille d'Eusèbe de Bologne, à qui saint Ambroise adressait cet opuscule), invitée à partager aussi cette grâce, est aux pieds de vos autels, vous offrant ses blonds cheveux, parée non du voile nuptial, mais dans l’état où Marie, cette femme si hautement célébrée dans l’Evangile, présenta les siens pour essuyer les pieds de Jésus-Christ (LUC, VII, 38 ; JEAN, XII, 3), en remplissant toute la maison de l'odeur des parfums qui s'en exhalaient ; elle vous les offre, ces cheveux, pour être consacré par le voile saint qui doit les couvrir. "

54. S. JEAN DAMASE, Lib. IV orthodoxæ dei, c. 25 : " Les hommes charnels en veulent à la virginité, et les voluptueux sont bien aises de faire valoir ce témoignage de nos livres saints : Maudit quiconque ne se suscite pas des enfants dans Israël (Deut., XXV, 5, traduction libre). Pour nous, comptant sur le secours comme sur la protection du Verbe de Dieu incarné dans le sein d'une vierge, nous ne craignons point de dire que la virginité a été dès les temps anciens et même dés le commencement, implantée dans la nature de l'homme. Car l'homme a été formé d'une terre vierge. Eve, à son tour, a été tirée du corps du seul Adam. La virginité était de même l'état de vie de nos premiers parents dans le paradis. Noé, quand il reçut l'ordre d'entrer dans l'arche, et tout à la fois la commission d'y mettre en réserve les

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semences du monde à venir, recueillit ces paroles qui lui étaient adressées : Entrez, vous et vos fils, et votre femme, et les femmes de vos fils (Gen., VII, 2). Par-là même Dieu leur défendait la pluralité des femmes, voulant que ce fût la chasteté qui les fît échapper aux abîmes de la mer et au naufrage de l'univers entier. Puis, quand le déluge fut fini, Dieu dit Noé : Sortez, vous et votre femme, et votre fils, et les femmes de vos fils. Voilà de quelle manière le mariage fut de nouveau permis pour la propagation du genre humain. Puis est venu Elie, cet écuyer du ciel, où il a été enlevé dans un char de feu, symbole de l'ardeur de son zèle ; eh bien, n'a-t-il pas embrassé le célibat et sa vertu n'a-t-elle pas été suffisamment justifiée par le miracle de son enlèvement (II Rois, II, 14) ? Qui a eu le pouvoir de fermer le ciel, de ressusciter des morts, d'ouvrir les eaux du Jourdain ? N'est-ce pas Elie le célibataire ? Et que dirai-je de son disciple Elisée ? N'a-t-il pas, en donnant l'exemple de la même vertu, obtenu, sur la demande qu'il en fît, le double esprit de son maître ? Que dirai-je des trois jeunes hommes ? Pour avoir, eux aussi, pratiqué la virginité, n'ont-ils pas subjugué l'impétuosité des flammes, et n'est-ce pas leur virginité qui rendît leurs corps ainsi impénétrables aux ardeurs du feu ? Et que dirai-je de Daniel, dont le corps avait acquis une telle force par les saints exercices de la virginité, qu'il pouvait l'exposer sans crainte aux dents des bêtes féroces ? Quoi de plus encore ? Lorsque Dieu voulut apparaître aux yeux des Israélites, ne commença-t-il pas par leur prescrire de se conserver purs de tout commerce avec les femmes (Exod., XIX, 15) ? Les prêtres ne devaient-ils pas aussi s'abstenir de toute fréquentation de ce genre, quand ils étaient pour entrer dans l'intérieur du temple, et y offrir des victimes ? Enfin la loi même de Moïse n'a-t-elle pas appelée la chasteté le plus grand de tous les vœux ? C'est que la virginité est l'état des anges, le caractère particulier des êtres spirituels. Nous ne disons pas cela dans la vue de déprécier le mariage, à Dieu ne plaise ; car nous n'ignorons pas que Dieu a sanctifié les noces par sa présence, et qu'un de ses disciples a prononcé cette sentence : Que le mariage soit traité de tous avec honnêteté, et que le lit nuptial soit sans tache (Hébr., XIII, 4) ; mais c'est que nous savons aussi que, malgré la bonté intrinsèque du mariage, la virginité l'emporte encore sur lui. Car nous devons reconnaître différents degrés dans les vertus comme dans. les vices. Nous savons bien que tout ce qu'il y a jamais eu d'hommes sur la terre,

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sont provenus du mariage, et qu'on ne peut en excepter que nos deux seuls premiers parents. Car pour ceux-ci, ils n'ont pas été le fruit du mariage, mais celui de la virginité. Au reste, le célibat imite, comme nous l'avons dit, la vie des anges. De là vient qu'autant l'ange est élevé au-dessus de l'homme, autant la virginité l'est au-dessus de l'état de mariage. "

55. S. ATHANASE, De virginitate sive de meditatione : " Si ceux qui servent le monde quittent leur père et leur mère pour s'attacher à des créatures mortelles comme eux, à combien plus forte raison une vierge chaste ne doit-elle pas quitter tous les soins de la terre pour s'attacher à Dieu seul ? Du moment où vous avez consacré à Dieu votre chasteté, votre corps est devenu le temple et comme le sanctuaire de Dieu. . . "

" La vie spirituelle est pénible, je l'avoue, la continence est difficile ; mais rien de plus doux que l'époux céleste Pour quelques peines que nous aurons eu à essuyer ici-bas, nous savourerons là-haut tout le bonheur d'une éternelle vie. . . C'est une grande vertu que la continence ; c'est un grand sujet de gloire que de garder la pureté ; c'est une chose bien digne de louanges que de conserver sa virginité. O virginité, trésor ineffable ! O virginité, couronne que rien ne flétrit ! O virginité, temple de Dieu et sanctuaire de l'Esprit-Saint ! O virginité, perle des plus précieuses, dont bien des gens ignorent le prix, et que peu de personnes savent trouver ! O continence, chérie de Dieu, exaltée par les saints ! O continence, que le grand nombre déteste, mais que les saints apprécient ! O continence, qui ne crains ni la mort, ni l'enfer, et qui es le partage des immortels ! O continence, joie des prophètes, gloire des apôtres ! O continence, vie des anges et couronne des saints ! Heureux celui qui te possède ; heureux celui qui persévèrera dans ta pratique, puisque, après de légères peines, il trouvera en toi des joies dont rien ne tarira la source (Cf. S. Athanasii opera, t. II, p. 111, 123-124). "

56. S. BASILE, Lib. de verâ virginitate, n. 2 : " La virginité est vraiment une grande chose, puisque, pour tout dire en un mot, elle nous fait participer à l'incorruptibilité de Dieu. Ce n'est pas du corps qu'elle se communique à l'âme ; mais étant plutôt une qualité de l'âme, dont la nature est d'être incorporelle, elle conserve le corps exempt de corruption, en lui communiquant la pureté de l’âme elle-même (Cf. S. Basilii opera, t. III, p. 589, édit. des Bénédictins). . . . . "

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" Les vierges préludent par leur vertu au nouvel état de choses que Dieu établira entre ses élus après la résurrection. Car, dès maintenant, semblables aux anges, elles ne connaissent ni épouses ni époux ; et leurs âmes par leur vertu, et leurs corps par leur inviolable pureté, les élève au rang des esprits célestes (Cf. S. Basilii opera, t. III, p. 638, édit. des Bénédictins). . . . . "

" Le souverain maître de la nature n'a imposé la virginité aux hommes par un précepte rigoureux, ni sous la loi, ni sous l’Evangile. . . "

" Car il a voulu que de pareils actes d'héroïques fussent l'effet, non de la loi qui commande et qui menace, mais de la vertu qui s'exalte et qui se porte d'elle-même, par son propre choix, à ce qui est au-dessus des prescriptions de la loi et des forces mêmes de la nature. Car la nature sollicite au mariage, et la loi règle ses prescriptions sur les besoins de la nature. Mais la virginité se portant au-delà du cercle tracé par la nature à tous les hommes, s'affranchit par-là même des prescriptions de la loi, et fait hommage à son auteur, auteur tout à la fois de la loi elle-même, et de la supériorité que sa vertu lui a donnée sur la loi (Cf. Ibid.). . . "

" Puis donc que la virginité est un si grand bien, et qu'elle doit procurer à ceux qui la pratiquent une si glorieuse récompense, laissons-nous gagner par les exhortations du Sauveur, que ce discours tout entier a eu pour but de faire pénétrer dans les esprits, et que notre vie entière, réglée d'après d'aussi parfaites maximes, devienne dès ici-bas un sabbat perpétuel, sans qu'aucune tache vienne souiller en nous ou ternir la beauté de l'image divine (Cf. Ibid., p639). . . "

" Au lieu d'un nom parmi les hommes, nous a dit Dieu lui-même par son prophète (ISAIE, LVI, 4), je leur donnerai (aux eunuques spirituels), parmi les anges immortels, un nom que rien ne pourra éteindre ; et ils auront pour habitation les cieux, et dans les cieux même la place la plus brillante. Et dans cette place la plus brillante du ciel, c'est-à-dire dans ma propre demeure, dans mon propre sanctuaire qui les recevra, ils n'auront pas seulement la même dignité que les anges, en ce qu'ils ne seront plus sujets à la tentation de se chercher des descendants (car, pour tous successeurs, ils se suffiront à eux-mêmes dans l'éternelle vie) ; mais ils auront une place des plus distinguées

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même entre les anges, et un nom immortel que leur aura acquis l'héroïsme de leur vertu (Cf. S. Basilii opera, t. III, p. 644, édit. des Bénédictins). "

57. S. GREGOIRE de Nazianze, poème sur la virginité : " Salut, virginité, don divin, mère de la pureté, source de dons célestes, partage de Jésus-Christ et qui associes les hommes aux anges, affranchis qu'ils sont comme eux de toute société conjugale ; car Dieu tout le premier n'a point besoin d'une société semblable, et le chœur des anges ne fait en cela que suivre l'exemple de l'Eternel. "

" La virginité a jeté en tous lieux un vif éclat, s'élevant au-dessus des besoins de l’humanité et affranchissant l'humanité elle-même de ses besoins, surpassant en excellence l’état du mariage et les plus doux liens de la vie, autant que l'âme est supérieure au corps, le ciel à la terre, l'immuable félicité des saints à l'inconstance de la vie présente, et Dieu lui-même à notre mortalité. "

58. S. AUGUSTIN, Lib. de sanctâ virginitate, c. 2 : " Puisque l'église elle-même considérée dans son ensemble, est une vierge fiancée à un époux qui est Jésus-Christ, comme le dit l'Apôtre (II Cor., XI, 2) ; quel honneur ne méritent pas ceux de ses membres qui gardent la virginité même dans leur chair, comme l'Eglise tout entière la garde dans sa foi, en imitant la mère de son divin époux et maître ? Puis donc que l’Eglise est sainte d'esprit et de corps, quoiqu'elle ne soit pas tout entière vierge de corps, mais seulement d'esprit ; à combien plus forte raison ne doit-elle pas être sainte dans ceux de ses membres en qui elle est vierge tout à la fois de corps et d'esprit ? "

Ibidem, c. 4 : " Comment, dit Marie, cela pourra-t-il se faire, puisque je ne connais point d'homme (LUC, I, 34) ? Elle ne parlerait pas ainsi, si elle n'avait pas auparavant vouée à Dieu sa virginité. Et elle la lui a vouée lorsqu'elle ne savait pas encore quel serait le fruit qu'elle concevrait un jour, afin que l'exemple qu'elle donnait d'une vie toute céleste dans un corps terrestre et mortel lui fût inspiré par le pur vœu de son âme, et non par un précepte qui lui en fit une obligation, par l'amour qui la décidât pour l'objet de sa prédilection, et non par la nécessité d'obéir qui lui eût été imposée. Ainsi Jésus-Christ, en naissant d'une vierge, qui avait résolu de garder sa virginité avant qu'elle pût savoir quel fruit elle porterait un jour dans son sein, a mieux aimé

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montrer le cas qu'il fait de la virginité, que de l'exiger par un commandement formel. Et c'est ainsi qu'il a voulu que la virginité fût toute spontanée dans la femme même, dans le sein de laquelle il a pris la forme d'un esclave. "

Ibidem, c. 8 : " Les avantages de la fécondité même la plus heureuse, ne sauraient être comparés à ceux de la virginité même corporelle. Car ce qui rend la virginité honorable, c'est bien moins d'être ce qu'elle est en elle-même que d’être vouée à Dieu, en sorte que, quoique ce soit le corps qui la garde, l'esprit néanmoins doit la garder aussi par l'ardeur de ses sentiments. Par conséquent, la virginité même corporelle est spirituelle aussi, entretenue qu'elle est par les saintes précautions de la piété. "

Ibidem, c. 11. : " Ce qui fait dans les vierges le sujet de nos éloges, ce n'est pas le simple mérite qu'elles ont d'être vierges, mais celui d'être consacrées à Dieu par les habitudes de leur vie de retraite. "

Ibidem, c. 13 : " La pureté virginale et l'éloignement de tout commerce charnel par l'observation d'une exacte continence est le partage des anges, et dans une chair corruptible la méditation pratique de la vie future. Que la fécondité même la plus heureuse, que la chasteté même conjugale lui cède la palme ; car celle-ci, à la différence de celle-là, n'est ni libre, ni immortelle. La fécondité charnelle ne dépend point de la volonté ; la chasteté conjugale est inconnue dans le ciel. Sans doute une gloire particulière sera réservée dans l'autre vie, entre tous les autres bienheureux, à ceux qui dans celle-ci auront pratiqué une vertu qui tient moins de la terre que du ciel. C'est donc s'abuser étrangement que de penser que les avantages de cette continence absolue soient moins pour la vie future que pour le siècle présent, en ce que le mariage engendre bien des embarras et des soins journaliers dont sont exemptes les personnes qui vivent dans l'état de virginité ou de continence ; comme s'il n'était plus avantageux de ne pas se marier, que parce qu'on s'exempte par-là des peines de la vie présente, et non pas plutôt parce que c'est ménager les intérêts de la vie future. Pour qu'on ne les accuse pas d'avoir pris une aussi vaine opinion dans la vanité de leurs pensées, ses partisans invoquent en sa faveur le témoignage de l'Apôtre, etc. "

Saint Augustin prend à tâche de réfuter cette opinion dans le chapitre 22 et les suivants, où il lui oppose ces paroles de l'Apôtre, Quomodò placeat Deo (que celui qui n'est point marié s'occupe de ce qu'il doit faire pour plaire à Dieu), et celles-ci de

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Jésus-Christ, qu'il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes tels en vue d'obtenir le royaume des cieux. Puis il ajoute, c. 21 : " Conformément au témoignage de nos livres saints et à la doctrine orthodoxe, nous disons d'un caté que le mariage n'est point une chose mauvaise, et de l'autre que les avantages en sont cependant inférieurs à ceux, non-seulement de la virginité, mais même de la continence gardée dans le veuvage, et que les nécessités de la vie présente, si nombreuses pour les personnes mariées, les empêchent, non pas il est vrai d'obtenir la vie éternelle, mais d'atteindre à ce haut degré de gloire qui est réservé à la continence constamment gardée ; que le mariage n'est à conseiller qu’à ceux qui sans cela tomberaient dans l'incontinence ; enfin que, quant aux peines sensibles qui sont inséparables des affections charnelles dans des époux portés à l'incontinence, l’Apôtre n'a voulu ni les passer sous silence à cause de son amour pour la vérité, ni les expliquer trop en détail par égard pour la faiblesse humaine. "

Ibidem, c. 24 : " Quelqu'un peut-il avoir perdu le sens commun au point de croire que ceux que les hommes ont faits eunuques sont plus élevés dans le ciel que les personnes mariées, et que cependant celles-ci égalent en mérite ceux qui pratiquent la continence par motif de piété, qui mortifient leur corps jusqu'au point de renoncer au mariage, qui opèrent un retranchement non dans leur chair, mais dans la racine même de la concupiscence, qui mènent enfin dans un corps mortel une vie angélique et toute céleste ? "

Ibidem, c. 36 : " Voyez, Seigneur, ces troupes de vierges, d'enfants des deux sexes élevés dans la sainteté : c'est votre Eglise qui les a formés tous ; c'est dans son sein qu'ils ont grandi après avoir quitté les bras maternels ; c'est votre nom qui a délié leurs langues ; votre nom a été comme le lait qu'ils ont sucé dans leur enfance. Aucun de ceux-là ne peut dire : J’ai été auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un outrageux ennemi de son église ; et néanmoins j'ai obtenu miséricorde parce que j’ai fait tous ces maux dans l'ignorance, n'ayant point la foi ; mais ils diront plutôt : " Nous avons fait ce que vous vous des abstenu de nous commander, et que vous vous êtes contenté de proposer à notre bonne volonté en disant : Que celui qui peut le comprendre, le comprenne. Ils l'ont compris, ils ont fait vœu de l'exécuter, et ils se sont faits eux-mêmes eunuques en vue du royaume du ciel ; non pour céder à vos menaces, mais pour se conformer vos exhortations. "

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Ibidem, c. 44 : " Qui ne sait qu'on doive préférer une femme qui obéit à une vierge qui n'obéit pas ? Mais en supposant au contraire que toutes deux obéissent aux commandements de Dieu, craindra-t-on de mettre une sainte vierge au-dessus d'une chaste épouse, la continence au-dessus du mariage, cent pour un au-dessus de trente pour un ? Non, non, qu'on ne craigne pas d'établir cette préférence. Toutefois, que telle ou telle vierge en particulier, quelque remplie qu'elle soit de l'esprit d'obéissance et de la crainte de Dieu, se garde bien de se préférer elle-même à telle ou telle femme qu'elle voit pénétrée des mêmes sentiments ; car ce serait manquer d'humilité, et Dieu résiste aux orgueilleux (JAC., IV, 6). "

Ibidem, c. 56, ou conclusion de l'ouvrage : " Nous nous sommes suffisamment étendus, autant du moins qu'il nous a été donné de le faire, et sur la sainteté qui fait qu'on vous donne (ô vierges) le nom de sanctimoniales, et sur l'humilité qui conserve en vous ce qui fait votre grandeur. "

59. S. FULGENCE, évêque de Ruspe, Epist. III ad Probam : " Cependant, après avoir calculé avec toute l'exactitude possible ce que l'un et l'autre de ces états présente d'avantages et d'inconvénients, nous disons qu'une sainte vierge l'emporte autant sur une sainte femme engagée dans le mariage, état où entrent ceux qui ne peuvent autrement pratiquer la continence, que ce qui est meilleur l'emporte sur ce qui est bon, ce qui est élevé sur ce qui rampe à terre, les choses célestes sur les terrestres, un plus haut degré de béatitude, de pureté ou de sainteté, sur un degré inférieur de béatitude, de pureté et de sainteté, un mariage divin sur un mariage humain, l'esprit sur la chair, la force sur la faiblesse, des fruits toujours durables sur des fruits corruptibles, la prospérité sur l'affliction, la tranquillité sur l'agitation, un mieux qu'accompagnent des ravissements éternels de joie, sur un bien momentané et entremêle de chagrins. "

60. Ibidem, c. 10 : " Nous ne craignons pas de dire que l'état d'époux chrétiens, quoique permis de Dieu, est autant au-dessous de la virginité qu'accompagne la sainteté tant du corps que de l'esprit, que l'état d'animaux sans raison est au-dessous de celui des anges. "

61. S. CYPRIEN, Lib. de disciplinâ et bono pudicitæ (Il n'est pas sûr, dit Noël- Alexandre que cet ouvrage soit de saint Cyprien. Noël-Alexandre reconnaît cependant que cet ouvrage n'est pas indigne de lui, et Pamelius, évêque de Saint-Omer, ce savant éditeur des œuvres du saint martyr, ne doutait pas de son authenticité. Ici comme ailleurs, Noël-Alexandre n'aurait-il pas accordé trop d’autorité aux jugements contraires d’Erasme ? V. Hist. eccles., t. IV, p. 52) : " La

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pudicité est l'honneur du corps de l'homme, l'ornement de ses autres vertus, la sanctification de chacun des deux sexes, la sauvegarde de la pudeur, la source de la chasteté, la tranquillité des familles, le principe de la concorde. Elle nous rend agréable à Dieu, nous unit à Jésus-Christ, fait cesser les combats que soulèvent dans nos membres les désirs illicites, pacifie nos sens ; heureuse elle-même, elle rend heureux tous ceux en qui elle daigne habiter. Or, elle fait son séjour de prédilection dans les vierges ; après les vierges, dans ceux qui, sans l'être savent garder la continence ; après ces derniers, dans les personnes mariées. . . . "

" La virginité rivalise avec les anges, ou même, si nous emmenons la chose avec attention, elle les surpasse, puisque, ayant à lutter contre la chair, elle triomphe de la nature, ce qui n'est pas donné aux anges. Qu'est-ce que la virginité, sinon l'apprentissage glorieux de la vie à venir ? La virginité n'a point de sexe ; c'est l'innocence du premier âge continuée toute la vie ; c'est un continuel triomphe remporté sur les voluptés. La virginité n'a point d'enfants à sa charge ; mais ce qui vaut beaucoup mieux, elle s'élève au-dessus de ce soin ; elle n'a pas en partage la fécondité mais aussi n'a-t-elle pas les chagrins du veuvage. . . . . "

" Rien ne réjouit une âme fidèle comme le témoignage qu'elle se rend d'avoir conservé intacte sa pudeur. Avoir vaincu la volupté, c'est la plus douce de toutes les voluptés, et il n'y a pas de victoire plus grande que celle qu'on remporte sur ses passions. Quand on a vaincu un ennemi, on en devient plus fort ; mais quand cet ennemi qu'on a terrassé n'est autre que ses propres passions, on devient alors plus fort que soi-même. Vaincre un ennemi ordinaire, c'est remporter la victoire au dehors ; vaincre sa passion, c'est se défaire d'un ennemi domestique. Le mal le plus difficile à guérir, c'est la volupté parce qu'il nous séduit par ses charmes, tandis que les autres maux ne nous inspirent que de l'horreur. "

62. S. JEROME, à Eustochium, sur la virginité, lettre XXII, c. 8 : " Quelqu'un dira : Quoi ! vous osez calomnier le mariage qui a été béni de Dieu ? - Ce n'est pas mal parler du mariage que de lui préférer la virginité. On n'établit point de comparaison entre ce qui est mal et ce qui est bien. Les femmes mariées peuvent se faire honneur de l'être, mais en cédant toutefois le

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pas aux vierges. Dieu a dit (Gen., III, 16) : Croissez et multipliez, et peuplez la terre. Que ceux-là donc croissent et multiplient, qui doivent peupler la terre. Les personnes qui, comme vous, ont embrassé le parti de la virginité appartiennent au ciel . . . . . "

" Je loue les noces, je loue le mariage ; mais c'est parce qu'il produit des vierges, comme un buisson épineux porte des roses, comme une terre métallique produit l'or, comme dans la nacre se forment les perles. Quant aux vierges, dit l'apôtre saint Paul, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur. Pourquoi ? parce que ce n'était point par un commandement formel du Seigneur, mais par son propre choix que cet apôtre avait embrassé la virginité. On a prétendu que saint Paul avait été marié ; cette opinion est démentie par son propre témoignage : Je voudrais, dit-il (I Cor., VII, 25), que tous les hommes fussent en l’état où je suis. Et plus bas (I Cor., VIII, 7-8) : Quant aux personnes qui ne sont point mariées ou qui sont veuves, je vous déclare qu'il leur est avantageux de demeurer en cet état comme j'y demeure moi-même. Et ailleurs (I Cor., IX, 5) : N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous des femmes, comme font les autres apôtres ? Et pourquoi donc n'a-t-il pas reçu de commandement du Seigneur par rapport à la virginité. Parce qu'il y a plus de mérite à faire librement ce à quoi on n'est pas obligé. Faire de la virginité un commandement précis et rigoureux, c'eût été attenter au mariage, aller contre le vœu de la nature, vouloir que les hommes fussent des anges sur la terre, et condamner en quelque sorte l'ouvrage du Créateur. "

Ibidem, c. 9 : " Autre fut la béatitude sous l'ancienne loi : Heureux, disait-on, celui qui a des enfants dans Sion et une famille dans Jérusalem et : Maudite soit la femme stérile qui n'enfante point ; et (Ps. CXXVII, 4) : Vos enfants, comme de jeunes oliviers, environneront votre table. . . . . Aujourd'hui, on dit aux eunuques (ISAIE, LVI, 3) : N'allez pas croire que vous soyez un tronc desséché ; car, au lieu de fils et de filles, vous avez dans les cieux une place pour l'éternité. . . . "

" Elie et Elisée ont vécu vierges ainsi que plusieurs autres prophètes. . . . . Le Fils de Dieu, venu dans le monde, a voulu s'y faire une famille nouvelle, et se donner des anges pour le servir sur la terre, comme il y en a qui l'adorent dans le ciel (Cf. Biblioth. des PP. de l'Eglise, par N.S. Guillon, t. XXI, p. 203-208 ; Œuvres choisies de saint Jérôme, trad. par Collombet, t. Ier, p. 172-183)

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63. Le même, contre Vigilance, liv. 1, c. 1 : " Quant à nous, qui ne suivons pas les dogmes de Marcion, pas plus que ceux de Manichée, nous ne rabaissons point le mariage ; nous n'allons pas non plus, séduits par les sophismes de Tatien, chef des encratites, qui réprouve et condamne non-seulement le mariage, mais encore les mets que Dieu a créés pour qu'on en use, regarder comme impur tout commerce charnel. Nous savons que, dans une grande maison, il y a non-seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi des vases de bois et de terre (II Tim., II, 20), et que sur les fondements du Christ, fondements que l'architecte Paul a posés, les uns édifient de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, les autres, au contraire, du foin, du bois, de la paille (I Cor., III, 11-12). Nous n'ignorons pas que le mariage est honorable, et que la couche nuptiale est exempte de tache (Hébr., XIII, 4). Nous savons quelle a été la première sentence que Dieu a porté (Gen., I, 28) : Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre ; mais, en reconnaissant le mariage pour ce qu'il est, nous savons lui préférer la virginité qui en est le fruit. Est-ce que l'argent n'est plus de l'argent, pour être moins précieux que l'or ? Ou bien, est-ce une injure pour l'arbre et pour le blé si, à la racine et aux feuilles, au chaume et à la paille, on préfère les fruits et le froment ? De même que les fruits viennent de l'arbre, et le froment de la tige, de même la virginité est le fruit du mariage. Le centième, le soixantième, le trentième fruit, quoique sortis d'une même terre et d'une même semence, diffèrent cependant beaucoup par rapport au nombre (MATTH., X, 3). Le nombre XXX se rapporte au mariage, car la conjonction même des doigts qui s'embrassent et s'allient comme en un doux baiser, représente le mari et l'épouse (Les anciens représentaient le nombre trente en faisant se toucher l'un l'autre l'ongle du pouce et celui de l'index. MARIANUS VICTORIANUS, Schol. 7 in lib. I adv. Jovinianum). Le nombre LX se rapporte aux veuves, en ce qu'elles sont placées dans l'angoisse et la tribulation. De là vient qu'elles sont représentées par le pouce que presse le doigt supérieur (Les anciens représentaient le nombre soixante en abaissant l'index sur le pouce, courbé lui-même sur la paume de la main de manière à former la lettre ?. Ibid.), et que plus est grande la difficulté qu'il y a à s'abstenir des charmes d'un plaisir autrefois éprouvés, plus grande aussi est la récompense. Or (et je vous prie, lecteur, d'y faire bien attention), le nombre

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cent (C) passe de la gauche à la droite (Les anciens représentaient le nombre cent en posant l’extrémité de l'index droit sur le milieu du pouce de la même main. Ibid.), et de là avec les mêmes doigts qui sur la gauche désignent les femmes mariées et les veuves, mais non pas avec la même main, il fait un cercle qui exprime la couronne de la virginité (Cf. Œuvres choisies de saint Jérôme, traduites par Collombet, tome VIII, p. 6-11). "

64. Le même, à Pammachius, Apologie de ses livres contre Jovinien (Cf. Ibidem, t. III, p. 38-45, et p. 108-115) : " Quelques-uns me blâment d'avoir, dans les livres contre Jovinien, trop élevé la virginité et trop rabaissé le mariage. Ils disent que c'est condamner le mariage en quelque façon que de louer la chasteté de manière à mettre une si énorme distance entre une vierge et une femme mariée. S'il m'en souvient bien, le sujet de mes débats avec Jovinien consistait en ce que, tandis qu'il égalait le mariage à la virginité, je mettais la virginité au-dessus du mariage ; et qu'au lieu qu'il trouvait peu de différence ou même qu'il n'en trouvait aucune entre ces deux états, j'en trouvais, moi, une très-grande. Enfin, et c'est de quoi nous vous sommes redevable, à vous après le Seigneur, il n'a été condamné que pour avoir osé égaler le mariage à la virginité perpétuelle. . . "

" Nous avons comparé la virginité à l'or, le mariage à l'argent. Nous avons dit que les grains, dont les uns rendent cent pour un, les autres soixante, et les autres trente, sont produits de la même terre et de la même semence, bien qu'ils diffèrent beaucoup par le nombre. Eh ! quel lecteur sera donc assez peu équitable pour me condamner, non point d'après mes paroles, mais d'après sa propre pensée ? Assurément nous avons été, à l'égard du mariage, beaucoup plus indulgents que la plupart des docteurs grecs et latins, qui appliquent aux martyrs le nombre cent, aux vierges le nombre soixante, aux veuves le nombre trente, et qui, par-là, excluent le mariage de la bonne terre et du champ que le père de famille a ensemencé. . . . "

" Je finis donc en protestant que je n'ai pas condamné le mariage, pas plus que je ne le condamne aujourd'hui, mais que j'ai voulu répondre à un adversaire de la saine doctrine, sans m'inquiéter des embûches que pourraient me tendre mes ennemis personnels. . . . . . . Lorsque vous trouvez dans mon ouvrage, quelque chose de trop sévère, prenez-vous-en, non point à mes

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paroles, mais à l’Ecriture d'où elles sont tirées. Le Christ est vierge ; la mère de ce Dieu vierge, vierge et mère tout à la fois, est toujours restée vierge (virgo perpetua, mater et virgo). . . . . Le Christ vierge, et Marie vierge, ont ainsi consacré la virginité dans l'un et l'autre sexe. Les apôtres furent vierges, ou gardèrent la continence dans le mariage. Les évêques, les prêtres, les diacres, doivent être, lors de leur élection, ou vierges ou veufs ; du moins faut-il qu'après leur ordination ils se vouent à une perpétuelle chasteté. "

65. S. IGNACE, Epist. ad Philadelph. (Le passage cité ici de la lettre de saint Ignace aux Philadelphiens se trouve pas dans la lettre authentique, telle qu'elle nous est rapportée et traduite par Sacy. Bible, t. IV, in-fol., p. 234 et suiv) : " Vierges, n'ayez que Jésus-Christ devant les yeux, etc. Ah ! puissè-je jouir du bonheur de vous voir pratiquer la sainteté comme Elie, comme Jésus fils de Navé, comme Melchisédech, comme Elisée, comme Jérémie, comme Jean-Baptiste, comme le disciple bien-aimé, comme Timothée, Tite, Evode et Clément, qui ont tous conservé leur chasteté jusqu’à la fin de leur vie. "

66. S. ISIDORE de Séville, Lib. II de summo bono, c, 40 : " C'est Dieu qui donne la continence ; mais il a dit : Demandez, et vous recevrez. Il donne donc, quand on frappe par les gémissements du cœur à la porte de ses grâces. La virginité a été mise au-dessus du mariage ; car si le mariage est un bien, la virginité en est un autre meilleur que le premier. Le mariage est une permission accordée à l'homme ; la virginité leur a été recommandée mais non prescrite. Elle n'a été que recommandée, parce qu'elle exige trop de vertu. Elle renferme un double avantage : l'avantage, pour ce monde, de nous délivrer des inquiétudes du siècle, et celui, pour la vie à venir, de nous valoir la récompense de la chasteté. Les vierges sont plus heureuses que les autres dans le ciel, et c'est ce que nous atteste en ces termes le prophète Isaïe : Voici ce que le Seigneur dit aux eunuques : Je leur donnerai dans ma maison et dans l'enceinte de mes murailles une place avantageuse et un nom qui leur sera meilleur que des fils et des filles ; je leur donnerai un nom éternel qui ne périra jamais (ISAIE, LVI, 4-5). Et il n'est pas douteux que ceux qui conservent leur chasteté ou qui persévèrent dans l'état de virginité, deviennent égaux aux anges. Aimons la chasteté, cette belle vertu : nous goûterons à la pratiquer plus de douceur que dans

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tous les plaisirs de la chair. Car la chasteté est un fruit plein de suavité, et sa beauté est impérissable. La chasteté donne à l'âme la sécurité, au corps la santé ; aussi lisons-nous que même chez les gentils, certains athlètes pratiquaient constamment la continence, pour ne pas s'affaiblir par les voluptés. En effet, une vie voluptueuse a bientôt énervé le corps, et amené une vieillesse prématurée. Tout péché trouve son remède dans la pénitence ; mais la virginité une fois perdue, sa perte est irréparable. On peut bien, par la pénitence, obtenir le pardon de la faute qui nous l'a fait perdre ; mais on ne peut plus recouvrer cette intégrité de la chair dont on jouissait auparavant. "

67. S. BASILE- LE-GRAND, Ascétiques, préface : " Soyez libre en sachant vous dégager de toutes les inquiétudes de ce monde. Ne vous embarrassez point du soin d'avoir une femme ou des enfants ; car cela est impossible dans cette discipline toute divine que vous avez embrassée, saint Paul nous ayant dit : Les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu (II Cor., X, 4). "

" Votre corps ne vous vaincra point par lui-même, et il ne vous fera aucune violence : il ne vous rend point captif, de libre que vous étiez auparavant. Votre ambition n'est pas de laisser après vous des enfants sur la terre, mais d'en faire monter au ciel ; ni de vous engager dans un mariage physique, mais de contracter avec les âmes une union toute pure, de vous en faire le chef et le conducteur, et d'engendrer des enfants spirituels. Imitez l'époux céleste ; mettez en fuite les ennemis invisibles qui s'élèvent contre vous ; combattez contre les puissances et les principautés de l'enfer ; bannissez-les premièrement de votre âme, et ensuite de l'âme de ceux qui ont recours à vous, et qui vous choisissent pour conducteur et pour protecteur dans cette guerre spirituelle (Cf. Ascétiques de saint Basile, p. 3-4). "

68. Le même, Constitutions monastiques, c. 1 ou préface : " Quiconque veut se dégager des liens du monde et conserver sa liberté, doit éviter le mariage comme il ferait des entraves et des fers ; et après qu'il y a eu renoncé, consacrer à Dieu sa vie entière en faisant une profession publique de la chasteté, afin que, n'étant plus libre de s'établir dans le mariage, il soutienne, pour la conservation de sa pureté, les plus rudes combats que la nature est capable de lui livrer, et qu'il réprime la violence de

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ses mouvements les plus impétueux. Car un homme qui s'est proposé d'aimer Dieu d'un amour pur ; qui tache d'imiter, autant qu'il lui est possible selon sa faiblesse, son parfait éloignement de toute passion et de tout mouvement déréglé ; qui aspire et goûte la sainteté spirituelle, le calme, la tranquillité et la douceur d'esprit, ainsi que la consolation et la joie qui en est la suite, s'applique avec ardeur à détourner ses pensées de toutes les passions grossières et charnelles qui peuvent troubler son âme, pour pouvoir contempler les choses de Dieu d'un œil serein, et qui ne soit couvert d'aucun nuage. Après s'être ainsi longtemps exercé à acquérir cette habitude et cette perfection, il entre dans une sainte familiarité avec Dieu, dont il prend la ressemblance autant qu'en est capable un homme mortel, et lui devient de plus en plus cher, comme ayant remporté la victoire dans un combat aussi laborieux ; heureux de pouvoir converser avec Dieu après avoir préservé son esprit de toute contagion des sens, et s'être établi dans une parfaite pureté en dégageant ses pensées de toutes les passions grossières et corporelles. Il n'est donc ni juste ni raisonnable qu'un homme qui est une fois parvenu à une si haute perfection par les exercices dont je viens de parler, se laisse engager de nouveau dans les même passions par les attraits séducteurs de la chair, et qu'il laisse d'obscures vapeurs s'élever dans son corps et former comme des nuages épais capables d'aveugler l'œil de son âme, et de le priver de cette contemplation spirituelle et toute divine, en offusquant par des passions basses et grossières la vue intérieure dont il jouissait (Cf. Ascétiques de saint Basile, p. 477-478). "

69. CASSIEN, Conférence XII ou de l'abbé Chérémon, c. 4 : " Nous devons être très-persuadé que, quand même nous pratiquerions l'abstinence la plus sévère ; que nous souffririons la faim, la soif, les veilles, le travail continuel ; que nous serions toujours dans les méditations et dans les lectures, tous ces exercices ne pourraient par eux seuls nous établir dans une pureté constante, si, dans la pratique de ces choses si laborieuses et si pénibles, nous n'étions convaincus par notre propre expérience, qu'il n'y a que la grâce de Dieu qui puisse nous donner cette chasteté incorruptible et inaltérable. Il faut que chacun reconnaisse qu'il doit persévérer dans ces exercices avec une patience infatigable, sans en attendre autre chose, sinon que Dieu, ayant

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pitié de son affliction, le délivrera par sa grâce et sa miséricorde des révoltes de la chair et de la tyrannie des vices, bien loin de s'imaginer qu'il puisse acquérir par ces seuls moyens cette parfaite chasteté de corps, après laquelle il soupire, avec tant d'ardeur. "

" Animons-nous à la recherche et à la pratique de cette vertu, et ayons pour elle la même passion que les plus avares ont pour les richesses, que les plus ambitieux ont pour les honneurs, que les plus voluptueux ont pour les objets de leurs désirs (Cf. Conférences de Cassien, p. 470-471). "

70. Ibidem, c. 7 : " Le premier degré de la chasteté consiste en ce qu'un solitaire ne succombe pas pendant le jour aux mouvements de la concupiscence. Le second, c'est que son esprit lui-même ne s'arrête point à des pensées déshonnêtes. Le troisième, c'est que la vue d'une femme ne lui fasse pas la moindre impression. Le quatrième, c'est que durant le jour il ne sente pas même les moindres mouvements de la chair. Le cinquième, c'est que, si la nécessité l'oblige d'entendre lire ou de dire lui-même des choses qui aient trait au mariage et à la génération des enfants, la pureté de son cœur bannisse tellement de son esprit toutes les pensées qui pourraient lui causer du tourment, qu'il n'en soit pas plus touché que de choses ordinaires et indifférentes. Le sixième degré de la chasteté, c'est que la nuit même, il ne soit point sujet à ces fantômes et à ces illusions, dont nous prions Dieu qu'il nous délivre (Cf. Ibidem, p.480). "

71. S. BASILE- LE-GRAND, Homélie sur le psaume XLIV : " Que les personnes qui ont voué à Dieu leur virginité recueillent bien ces paroles, que les vierges seront amenées devant le roi (Ps. XLIV, 15), mais les vierges sans doute qui sont attachées à l’Eglise, qui suivent ses instructions, qui observent en tout sa discipline. Ce sont là les vierges qui seront présentées avec des transports de joie, et conduites jusque dans le temple du roi. Mais il en sera tout autrement de celles qui n'auront fait que malgré elles le vœu de virginité, ou qui n'auront embrassé ce saint état que par chagrin ou pour subvenir aux nécessités de la vie. Quant à celles qui remplissent avec joie les obligations de leur état, elles seront présentées au roi, et conduites non dans une demeure vulgaire, mais dans le temple même du roi. Car c'est dans le saint des saints que doivent être placés les vases employés au sacrifice et

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étrangers aux usages profanes ; c'est dans le sanctuaire qu'ils peuvent être admis, là où rien de souillé ne doit avoir accès. "
 
 

Question V

En quels termes nous est proposé le conseil évangélique de l’obéissance ?

C'est avant tout par les exemples de sa vie, comme nous l'avons déjà fait entendre, et ensuite par ses instructions que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a proposé et recommandé en même temps la pratique exacte de cette vertu d'obéissance. Car il est venu en ce monde non pour faire sa propre volonté, mais pour accomplir celle de son Père et même la volonté de ceux à qui l'Evangile nous fait voir qu'il a été soumis ; il est venu pour servir, et non pour être servi, tellement qu'il s'est humilié lui-même, en se rendant obéissant jusqu'a la mort, et jusqu'à la mort de la croix.

En second lieu, il nous a engagé par ses paroles à l'imiter en particulier sur ce point, quand il a dit : Si quelqu’un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. Ces paroles sans doute peuvent très-bien se prendre dans un sens général et comme adressée à tout le monde ; mais elles regardent cependant d'une manière plus spéciale et plus parfaite ceux qui, autant que le leur permet leur faiblesse, se conforment tellement à Jésus-Christ qu'ils ne veulent être en rien les maîtres de leurs actions, et qu'ils aiment mieux se diriger d'après autrui que d'après eux-mêmes, en se conformant volontiers aux ordres et à la volonté de celui qu'ils ont choisi pour leur tenir la place de Jésus-Christ.

Car, comme l’enseigne saint Basile, " le supérieur de ceux qui lui ont fait vœu d'obéissance représente à leur égard la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, faisant l'office de médiateur entre Dieu et les hommes, et offrant a Dieu en sacrifice les volontés de ceux qui font profession de lui obéir. Comme donc les brebis obéissent à leur pasteur, et marchent dans le chemin par lequel il les conduit, ainsi est-il juste que ceux qui font une profession particulière de piété obéissent à leurs supérieurs sans rechercher avec trop d'empressement les motifs des commandements qu'ils en reçoivent lorsqu'il n'y a point de péché à les exécuter ; et c'est ce qu'ils doivent faire avec beaucoup d'ardeur et de zèle. " Saint Bernard vient après saint Basile nous enseigner

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aussi la même doctrine, quand il dit que " nous devons écouter comme Dieu même celui qui tient sa place parmi nous, dans toutes les choses qui ne sont pas manifestement contraires aux ordonnances divines. "

L'Eglise, comme le prouvent ses annales les plus anciennes, a toujours eu de ces fidèles et excellents imitateurs de Jésus-Christ, qui prennent un soin sérieux d'observer les trois genres de conseils que nous venons de dire. Elle se glorifie en particulier de ces hommes d'élite réunis dans des congrégations religieuses et approuvés par elle, qui, après avoir renoncé à tous leurs biens comme à tous les plaisirs de la chair, avec un courage au-dessus des forces du vulgaire, font une profession toute particulière de la sainte obéissance, en se proposant pour but de se conformer en tout aux exemples d'obéissance que nous a laissé notre divin Maître, ainsi qu'aux règles de perfection que nous trace l’Evangile, par le sacrifice complet de leur propre volonté.

Saint Basile, saint Augustin, saint Jérôme, saint Benoît, saint Grégoire, Cassien, saint Bernard, et tant d'autres excellents maîtres de la perfection évangélique, tant d'autres illustres défenseurs en même temps que rigides observateurs des institutions religieuses, nous fournissent la preuve incontestable de cette vérité.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. JEAN, VI, 38 : " Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté mais la volonté de celui qui m'a envoyé. "

2. MATTHIEU, XX, 28 : " Comme le Fils de l'homme n'est venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. "

3. LUC, XXII, 27 : " Car qui est le plus grand, de celui qui est à table, ou de celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, cependant, je suis parmi vous comme celui qui sert. "

4. Philippiens, II, 8 : " Il s'est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. "

5. MATTHIEU, XVI, 24 : " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. "

6. LUC, IX, 23 : " Il disait aussi à tout le monde : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix tous les jours et qu'il me suive. "

7. I Samuel, XVI, 22-23 : " Samuel lui répondit : Sont-ce des holocaustes et des victimes que le Seigneur demande ? Ne demande-t-il pas plutôt qu'on obéisse à sa voix ? L'obéissance est meilleure que les victimes, et il vaut mieux lui obéir que de lui offrir la graisse des béliers. - Car c'est une espèce de magie que de ne vouloir pas se soumettre et de ne se rendre pas à la volonté du Seigneur. C'est le crime de l'idolâtrie. "

8. Ecclésiaste, IV, 47 : " L'obéissance est bien meilleure que les sacrifices des insensés qui ne savent pas le mal qu'ils font. "

9. LUC, X, 16 : " Celui qui vous écoute m'écoute ; celui qui vous méprise me méprise. Et celui qui me méprise méprise celui qui m'a envoyé. "

10. Ephésiens, VI, 5-8 : " Vous, serviteurs, obéissez avec crainte et respect, et dans la simplicité de votre cœur, à ceux qui sont vos maîtres selon la chair, comme à Jésus-Christ même. - Ne les servez pas seulement lorsqu'ils ont l'œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes, mais en vous considérant comme étant en cela serviteurs de Jésus-Christ, et

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faisant de bon cœur la volonté de Dieu. Servez-les avec affection, regardant en eux le Seigneur, et non les hommes. Sachant que chacun recevra du Seigneur la récompense du bien qu'il aura fait, n'importe qu'il soit esclave ou qu'il soit libre. "

11. Colossiens, III, 20-22-24 : " Enfants, obéissez en tout à vos pères et mères ; car cela est agréable au Seigneur. - Serviteurs, obéissent tout à ceux qui sont vos maîtres selon la chair, ne les servant pas seulement lorsqu'ils ont l'œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes, mais avec simplicité de cœur et crainte de Dieu. - Faites de bon cœur ce que vous faites, comme le faisant pour le Seigneur et non pour les hommes, - sachant que vous recevrez du Seigneur l'héritage du ciel pour récompense. C'est le Seigneur Jésus-Christ que vous devez servir. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. AUGUSTIN, Cité de Dieu, liv. XIV, c. 42 : " Dieu, dans le commandement qu'il fit à l'homme, n'avait en vue que son obéissance, vertu qui est, dans une créature douée de raison, la mère et la gardienne de toutes les autres. "

2. S. JEROME, à la vierge Démétriade, sur la virginité, Epist. VIII, c. 10 : " C'est un bien d'obéir aux anciens, de se soumettre aux supérieurs d'apprendre des autres la science des Ecritures et les règles d'une sage conduite, et de ne pas écouter un fort mauvais maître qui est la présomption (Cf. Œuvres choisies de saint Jérôme, trad. par Collombet, t, V, pag. 372-373). "

3. S. GREGOIRE- LE-GRAND, Moralium in Job, lib. XXXV, c. 12 (al. 8) : " L'obéissance est la seule vertu qui donne entrée dans l'âme à toutes les autres, et qui puisse les conserver. . . . . L'obéissance est préférée avec raison à l'immolation des victimes (I Samuel, XV, 22), parce qu'au lieu que dans ces sortes de sacrifices on n'immolait qu'une chair étrangère, c'est sa propre volonté qu'on immole par le sacrifice de l'obéissance (Cf. Les Morales de saint Grégoire, t. IV, p. 778-779). "

4. Le même, in lib. I Regum, lib. II, c. 4 : " La vraie obéissance n'a la prétention ni de pénétrer l'intention des supérieurs, ni de faire un discernement entre les préceptes qui lui sont imposés : car celui qui abandonne sa conduite entière à celui qui est chargé de la diriger, ne met son contentement qu’à bien

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faire ce qui lui est prescrit. Celui-là s'interdit tout jugement, qui sait parfaitement obéir. "

5. Ibidem, lib. IV, c. 5 : " Les victimes à offrir, ce sont les actes d'obéissance auxquels sont tenus les inférieurs ; car en nous soumettant aux hommes pour l'amour de Dieu, nous immolons l'esprit d'orgueil. Les autres vertus tiennent tête aux démons ; mais l'obéissance est la seule qui en triomphe. Il faut donc obéir pour remporter la victoire : en soumettant parfaitement sa propre volonté à celle des autres, on s'élève au-dessus des anges tombés par l’effet de leur désobéissance. "

6. Ibidem, lib. VI, c. 2 : " Ceux qui, possédés d'un esprit de désobéissance refusent orgueilleusement d'exécuter les ordres de leurs supérieurs en croyant, faire mieux que ce qui leur est commandé, voudraient sans doute offrir à Dieu ce qu'ils font ; mais c'est en lui refusant le sacrifice d'eux-mêmes. Car si par la pratique des autres vertus nous offrons à Dieu ce qui est à nous, par l’obéissance nous lui offrons nos propres personnes. Toutes les autres bonnes œuvres que nous pouvons avoir la pensée de faire doivent être subordonnées à celles qui nous sont commandées. L'obéissance vaut mieux que les sacrifices. Car il y a bien plus de mérite à soumettre sa propre volonté à celle d'autrui, que de mater notre corps par des jeûne rigoureux, ou même que d'offrir à Dieu le sacrifice d'un cœur contrit : car celui qui sait accomplir parfaitement la volonté de son supérieur sera élevé dans le ciel au-dessus de ceux qui auront jeûné comme de ceux qui auront pleuré. "

7. CASSIEN, Lib. IV de institutis cœnobiorum, c. 10, loue de la manière suivante l'obéissance pratiquée parmi les moines de Tabennes dans la Thébaïde : " L'obéissance s’observe pari eux dans une telle perfection, que les jeunes non-seulement n'osent pas sortir du monastère sans la permission du supérieur, mais ne se permettent pas même sans son ordre de satisfaire leurs besoins naturels. Et c'est ainsi qu'ils s'empressent de faire sans raisonner tout ce qui leur est prescrit, comme si c'était Dieu même qui leur en imposerait le devoir, au point que lors même qu'on leur ordonnerait des choses impossibles, comme cela arrive quelquefois, ils ne s'en porteraient pas moins à les entreprendre, et à les pousser jusqu'où elles pourraient aller, avec une ardeur et un dévouement qu'ils mesurent, non sur leurs forces, mais sur le respect qu'ils doivent à leur supérieur. J'omets de parler ici plus en détail de leur obéissance. Plus tard, je le prouverai par les

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exemples mêmes. " Voir ibidem, c. 24 et les suivants de ce 4e livre.

8. Le même, Collat. II quæ est abbatis Moysis, c. 11 : " Le moyen donc le plus sûr pour acquérir une véritable discrétion est de suivre les traces des anciens, de n'avoir jamais la présomption de rien faire de nouveau par nous-mêmes, ni d'user de notre discernement pour juger d'aucune chose, mais de régler toutes nos actions d'après la tradition qu'ils nous ont laissée et sur l'exemple de leurs vertus. Celui qui sera bien affermi dans cette manière de vie possédera la discrétion en un degré éminent, et sera à couvert de toutes les embûches et de tous les artifices du démon. Car il n'y a point de vice dont le diable se serve si avantageusement pour jeter un solitaire dans le précipice, et pour l'entraîner dans la mort, que lorsqu'il lui persuade de négliger le conseil de plus anciens que lui, et de s'appuyer sur son propre jugement (Cf. Conférences de Cassien, p. 74-75). "

9. Le même, in Collatione IV quæ est Danielis abbatis, c. 20 : " Il est également dangereux de blesser la règle d'un monastère, ou pour trop veiller, ou pour trop dormir. Ce n'est pas un moindre mal de désobéir à son abbé en lisant quand il faudrait se reposer, qu'en donnant lorsqu'il faudrait lire (Cf. Ibidem, p. 155). "

10. S. BERNARD, Serm. de tribus ordinibus Ecclesiæ, ad Patres in capitulo facto : " Quiconque cherche par des moyens ouverts ou cachés à ne se faire enjoindre par son père spirituel que ce qui s'accorde avec ses propres penchants, se séduit lui-même s'il se flatte d'être dans la voie de l'obéissance. Car alors c'est moins lui qui obéit à son supérieur, que son supérieur qui lui obéit à lui-même. "

11. Le même, in Sermone ad milites templi, c. 13 : " Je ne dois pas passer sous silence ni sans observation ce nom de Béthanie, qui signifie maison d'obéissance. Ce bourg de Marthe et de Marie, où fut ressuscité Lazare, et où nous trouvons par conséquent les deux types de la vie active et contemplative, une admirable figure de la clémence de Dieu envers les pécheurs, et un emblème de la vertu d'obéissance qui doit accompagner les œuvres de pénitence. Qu'il suffise de faire remarquer à cette occasion, que hors de Béthanie les bonnes œuvres non plus que le saint repos de la contemplation, ou que les larmes de la pénitence, ne sauraient plaire à celui qui a montré une telle estime

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pour l’obéissance, que plutôt que de la sacrifier, il a mieux aimé sacrifier sa vie, en se rendant obéissant jusqu’à la mort à la volonté de son père. "

12. Le même, Serm. de virtute obedientiæ et ejus gradibus : " Entre ce qui est absolument mauvais et ce qui est absolument bon, il y a certaines choses indifférentes en elles-mêmes, et qui peuvent être tantôt bonnes et tantôt mauvaises, selon qu'elles se rapportent par circonstance à l'une ou à l'autre de ces deux premières catégories. Ces choses indifférentes sont, par exemple, de marcher ou d'être assis, de parler ou de se taire, de manger ou de jeûner, de veiller ou de dormir, et autres actions semblables, qui peuvent mériter même une très-grande récompense si elles se font avec l'agrément du supérieur. Nous devons donc quant à ces choses indifférentes être soumis et obéissant à ceux qui ont à nous gouverner, et le faire sans raisonner, pour ne pas charger notre conscience, parce que dans ces sortes de choses Dieu n'a rien voulu prescrire, mais a tout abandonné à la volonté des supérieurs. Que ceux-ci soient dépourvus d'instruction, qu'ils usent sans discrétion de leur autorité, cela ne vous regarde pas ; souvenez-vous seulement que tout pouvoir vient de Dieu, et que celui qui résiste au pouvoir, résiste à l'ordre de Dieu (Rom., XIII, 2). C'est en ces points que nous obéissons plus particulièrement aux hommes ; soumis à un homme, c'est à cet homme aussi que nous devons là-dessus l'obéissance. Ce n'est pas que nous n'obéissions en même temps à Dieu, puisque l'obéissance que nous rendons à nos supérieurs se rapporte par-là même à celui qui a dit : Qui vous écoute m'écoute (LUC, X, 16). Marchons donc dans cette voie avec beaucoup de précaution ; car il s'y trouve beaucoup de degrés qui ne s'aperçoivent pas tout d'abord, et dont il suffit de passer un seul, pour rendre infructueuse son obéissance sur le reste. Le premier degré de l'obéissance, c'est d'obéir volontiers. Obéir volontiers, c'est accomplir de son plein gré la volonté du supérieur. Le second degré de l'obéissance, c'est d'obéir avec simplicité. Celui qui agit avec simplicité, agit avec confiance (Prov., X, 9). Nous en voyons beaucoup qui accablent leur supérieur de questions, quand celui-ci leur commande quelque chose ; pourquoi ? par quel motif ? dans quel but ? ont-ils coutume de demander toujours ; ils se plaignent, ils murmurent ; ils se tourmentent pour savoir à quoi bon cet ordre, quelle en est la cause, qui est-ce qui a pu le conseiller. De là des murmures, des paroles

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d'humeur, et souvent pleines d'amertume. De là mille prétextes d'excuses, des allégations d'impossibilités imaginaires, des intrigues pour en entraîner d’autres dans son parti. Bien différente était l'obéissance d'Abraham. Ecoutez l'éloge que Dieu fait lui-même de son peuple fidèle : Il m'a obéi, dit-il, dès qu'il a entendu ma voix (Ps. XVII, 45), faisant entendre par-là que l'obéissance avait été simultanée avec l'ordre donné. Le troisième degré de l'obéissance est d'obéir avec plaisir. Car Dieu aime celui qui donne avec plaisir (II Cor., IX, 7). N'obéissez pas avec chagrin, vous dit l'Apôtre, ni parce que vous y seriez contraints par la nécessité. Un visage serein, des paroles douces, honorent beaucoup l'obéissance du subordonné Le quatrième degré de l'obéissance, c'est d'obéir promptement. Le vrai obéissant ne sait ce que c'est que de se mettre en retard ; il n'attend point au lendemain ; la lenteur lui est inconnue ; il prévient les ordres qui lui sont donnés ; ses yeux sont alertes, ses oreilles attentives ; sa langue ne fait point attendre ses réponses ; ses mains et ses pieds sont toujours prêts pour ce qu'il doit faire ; il n'a d'autre pensée que d'accomplir la volonté du supérieur. Le cinquième degré, c'est d'obéir avec courage. Agissez avec grand courage et que vos cœurs s'affermissent, vous tous qui espérez dans le Seigneur (Ps. XXX, 28). Le sixième degré, c'est d'obéir avec humilité. Le septième, c'est d'obéir sans relâche. Ce n'est pas celui qui aura commencé mais bien celui qui aura persévéré qui sera sauvé (MATTH., X, 22 ; XXIV, 13). Beaucoup commencent, mais peu persévèrent. La persévérance est la fille privilégiée du grand roi, le fruit et la consommation des vertus, la sauvegarde de tout le bien qui peut se faire, la vertu sans laquelle personne ne verra Dieu ni ne sera vu de lui. C'est elle seule qui introduit le zèle observateur de l'obéissance jusque dans l'intérieur du palais du roi, pour voir dans toute sa beauté celui dont la vue fait tressaillir les anges. "

13. Le même, Serm. III de Circumcisione Domini : " Quand un homme se décide à entrer dans une congrégation, est-ce qu'il demande à être maître avant d'avoir été disciple, à enseigner les autres avant d'avoir appris lui-même ? Il choisit plutôt d'être des derniers dans la maison de son Dieu, et de se soumettre à un maître qui lui apprendra à rompre sa volonté et à contenir ses penchants avec le frein de l'obéissance, pour pouvoir chanter avec le Psalmiste : Vous avez mis des hommes sur nos têtes (Ps. LXIII, 12). Le serviteur ne doit pas dédaigner de faire ce

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dont le souverain maître lui a donné à l'exemple : car un serviteur n'est pas plus grand que son maître (JEAN, XIII, 16). Après avoir crû déjà en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes, comme il avait déjà douze ans, après avoir été trouvé à Jérusalem au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant, il ne s'en retourna pas moins avec ses parents, avec la sainte Vierge et avec Joseph dont il passait pour être le fils, et il leur était soumis (LUC, II, 51). Vous donc aussi, soyez soumis pour son amour. Mais une fois entré dans la voie de l'obéissance, peut-être que vous rencontrerez des aspérités, des difficultés à vaincre ; peut-être que vous recevrez des ordres qui, si salutaires qu'ils vous soient, seront loin de vous être agréables. Si vous les supportez à regret, si vous jugez celui qui vous les donne, si vous murmurez en vous-même contre lui, vous aurez beau obéir au-dehors, vous n'aurez pas le mérite de la patience, et votre action ne fera que couvrir votre méchanceté. Il est donc nécessaire d'appeler alors la patience à votre secours, pour qu'elle vous fasse accepter avec résignation tout ce qu'il y aura de rude et de difficile. . . "

" Afin donc que celui qui court ne fasse pas quelque chute, il doit s'éclairer du flambeau de la discrétion, qui est la mère des vertus et le sommet de la perfection. C'est cette vertu qui apprend à éviter tout excès. Mais comme elle est presque aussi difficile à trouver que le phénix sur la terre, ayez soin de vous munir, pour la remplacer au besoin, de la vertu d'obéissance, pour ne faire rien de plus, rien de moins, rien autrement que ce qui vous est commandé. "

14. S. JEROME, ad Rusticum monachum, epist. IV, c. 6 : " Nul art ne s'apprend sans maître. Les animaux mêmes et les troupeaux, ont des chefs qui les conduisent. Les abeilles ont leurs reines, les grues s'attachent à la suite de l'une d'entre elles dans un ordre qui forme une lettre. Il n'y a qu'un empereur dans un empire, qu'un juge dans une province. Rome, aussitôt après sa fondation, ne put souffrir deux frères sur le même trône, et ses commencements furent inaugurés par un parricide. Esaü et Jacob se firent la guerre dans le sein de Rébecca (Gen., XXV, 22). Nous ne voyons dans une église qu'un évêque, qu'un archiprêtre, qu'un archidiacre, et chaque ordre du clergé a son chef spécial. Dans un navire il n'y a qu'un pilote, dans une maison qu'un maître ; dans une armée, si grande qu'elle soit, on ne reçoit d'ordres que d'un seul. "

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" Je ne veux point vous ennuyer par de plus longs détails ; tout ce que je dis ici tend seulement à vous prouver que vous devez non point rester maître de vos actions, mais vivre dans un monastère sous la discipline d'un père, et dans la compagnie de plusieurs religieux, pour apprendre auprès de l'un l'humilité, auprès des autres la patience ; de l'un, à garder le silence ; des autres, à pratiquer la douceur ; pour apprendre à ne pas faire ce qu’il vous plaira, à ne manger que ce qu'on vous dira de manger, ne porter de vêtements que ceux qu'on vous donnera, à ne faire que le travail qui vous sera prescrit, à vous soumettre à des personnes qui ne vous plairont pas, à ne vous coucher qu'accablé de lassitude, à dormir en marchant, et à vous lever avant d'avoir pris tout votre sommeil. "

Ibidem, c. 7 : " Vous ne chanterez des psaumes qu’à votre rang, et vous chercherez dans cet exercice non point la douceur de la voix, mais l’affection du cœur, suivant ce que dit l'Apôtre (I Cor., XIV, 15) ; Je chanterai de cœur, je chanterai aussi d'esprit ; et encore (Col., III, 16) : Chantez dans vos cœurs les louanges du Seigneur ; car il avait lu ce précepte (Ps. XLVI, 8) : Chantez sagement. Il vous faudra servir vos frères, laver les pieds des bêtes, souffrir en silence une injure, er ; craindre le supérieur du monastère comme votre maître, et l'aimer comme un père ; croire que tout ce qu'il vous ordonnera vous sera avantageux, ne point raisonner sur les ordres des anciens, vous à qui c'est un devoir d'obéir et de faire ce qu'on vous ordonne, selon ce qu'a dit Moïse (Deut., XXVII, 9) : Ecoute, Israël, et tais-toi (Cf. Œuvres choisies de saint Jérôme, trad. par Collombet, t. V. p. 261-267). "

15. S. BASILE, in Oratione de abdicatione rertim, sive renuntiatione sæculi istius et spirituali perfectione, qui aliis est Serm. II exercitamentorum pietatatis : " Si donc Dieu vous fait la grâce de trouver un homme tel que je vous le représente, et qui soit votre maître dans la pratique des bonnes œuvres, comme vous en trouverez quelqu'un assurément si vous voulez bien le chercher, formez en vous-même la résolution de ne rien faire sans lui demander son avis. Car tout ce çà vous feriez à son insu serait une espèce de larcin et de sacrilège, qui vous conduirait à la mort au lieu de vous être utile, quelque bonne que cette action vous puisse paraître à vous-même. "

" Le royaume de Dieu se prend par violence, et ce sont les violents

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qui l’emportent (MATTH., XI, 12). Ce sont là des paroles de l’Evangile, qui appelle violence les travaux et les austérités du corps que les disciples de Jésus-Christ embrassent avec ardeur et de leur propre mouvement, en renonçant à leur propre volonté et à tout ce qui peut flatter le corps, et en gardant tous les commandements du divin Sauveur. Si donc vous voulez conquérir le royaume du ciel, employez la force et la violence ; abaissez votre cou sous le joug du Seigneur ; serrez-vous de ses liens ; chargez volontiers vos épaules d'un tel fardeau (Cf. Ascétiques de saint Basile, p. 18, 33-34). "

16. Le même, Serm. de institutione monachorum, qui aliis est Serm. V exercitamentorum pietatis : " Cette véritable et parfaite obéissance que tous les inférieurs doivent à leur supérieur se fait particulièrement remarquer, en ce qu'on s'abstient sur son avis, non-seulement de tout ce qui est injuste et déraisonnable mais encore des actions les meilleures en elles-mêmes et les plus dignes de louange. Car, quoique l'abstinence et les autres mortifications du corps soient d'une grande utilité, cependant, si un solitaire s'attachant à ses inclinations particulières ne fait en cela que ce qui lui plaît au lieu de se soumettre simplement à l'avis et à l'autorité de son supérieur, il y a plus de péché que de mérite dans cette manière d'agir, saint Paul ayant dit que celui qui résiste aux puissances résiste à l'ordre établi de Dieu (Rom., XIII, 2), et la récompense de l'obéissance et de la soumission étant plus grande que celle de l'abstinence et de la sobriété (Cf. Ibidem, p. 56). "

17. Le même, in regulis brevioribus, interrogat. 96 : " L'Apôtre ayant dit : De sorte que vous ne faites pas tout ce que vous voudriez (Gal., V, 17), il n'y a rien de si dangereux en toute sorte de choses que de permettre à chacun de se conduire par soi-même, et d'agir par sa propre volonté. Au contraire, il faut recevoir de bon cœur tout ce que le supérieur ordonnera, quand même ce serait une chose qui choquerait notre inclination (Cf. Ibidem, p. 310). "

18. Le même, Constitutions monastiques, c. 23 (al. 22) : " Considérez ce que Jésus-Christ a dit dans les évangiles pour établir l'obéissance qu'on doit à ses supérieurs. Celui, dit-il, qui vous reçoit me reçoit (MATTH., X, 40) ; et dans un autre endroit : Celui qui vous écoute m'écoute celui qui vous méprise me méprise (LUC, X, 16). Et il est aisé de montrer par plusieurs témoignages

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indubitables des divines Ecritures, et par plusieurs très-fortes preuves, que ce qu'il a dit au sujet de ses apôtres, il l'a établi comme une loi qui doit être également observée envers ceux qui devaient après eux être les conducteurs et les supérieurs des autres, de sorte que nous n'avons rien dit qui ne soit conforme aux lois divines, en disant que l'obéissance que les saints ont rendue à Dieu est le modèle de la soumission que nous devons à nos supérieurs. . . . "

" Qu'est-ce que Jésus-Christ dit à ses apôtres, lorsqu'ils ne faisaient encore que de commencer à être du nombre de ses disciples, qu'ils étaient presque dans l'attente de le voir bientôt entrer en possession d'une royauté temporelle, et qu'ils espéraient régner glorieusement avec lui, en participant à sa dignité royale, et au culte et à l'honneur qu'on lui rendrait, sans qu'il leur en coûtât ni travail, ni fatigue, ni péril. . . . . ; que leur dit-il donc dans le temps qu'ils attendaient ainsi de lui des grandeurs humaines ? Voici tout ce qu'il leur promis : Je vous envoie, leur dit-il, comme des brebis au milieu des loups (MATTH., XX, 16). Or, après avoir entendu des choses si contraires à leurs prétention, ses apôtres ne dirent point à Jésus-Christ : " Nous espérions de vous tout autre chose quand nous nous sommes mis à votre suite, et les commandements que vous nous faites sont tout-à-fait contraires à ce que nous attendions de vous. Nous nous promettions le repos, et vous nous engagez dans les périls. Nous espérions des honneurs, et vous ne nous parlez que d'opprobres ou d'affronts. Nous attendions un royaume, et vous nous ordonnez de souffrir des persécutions et d'être les serviteurs de tout le monde. Les apôtres ne dirent rien de tout cela, quoiqu'ils entendissent de la bouche de Jésus-Christ plusieurs autres choses encore plus fâcheuses que celles que nous venons de rapporter, telles entre autres que celles-ci : On vous livrera aux magistrats pour être tourmentés, et on vous fera mourir, et vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom (MATTH., XXIV, 9). Les apôtres, après avoir entendu tout cela de la bouche de Jésus-Christ sans s'y être aucunement attendus, ne laissèrent pas de se soumettre de bon cœur au joug de l'obéissance, et de s'exposer avec joie aux périls, aux tribunaux des magistrats, aux affronts, à la lapidation, à l'infamie, aux croix et à mille morts différentes, et ils témoignèrent à souffrir toutes ces choses tant de zèle et d'ardeur, qu'ils allaient jusqu'à en ressentir une satisfaction indicible, joyeux de voir que Dieu leur avait fait la grâce de participer aux souffrances de

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Jésus-Christ. Car ils sortirent du conseil, dit saint Luc, tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus-Christ (Act., V, 41). "

" Il faut qu'un véritable solitaire rende cette obéissance à son supérieur. Car Jésus-Christ n'a pas eu d'autre but dans le choix de ses disciples, que d'enseigner aux hommes à avoir de l'émulation pour ce genre de vie dont ils étaient les modèles, comme nous l'avons déjà dit. Le supérieur d'un monastère n'est en effet autre chose qu'un homme qui représente la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ faisant l'office de médiateur entre Dieu et les hommes, et offrant à Dieu en sacrifice les volontés de ceux qui font profession de lui obéir. . . . "

" Comme donc les brebis obéissent à leur pasteur, et marchent dans le chemin par lequel il les conduit, ainsi est-il juste que ceux qui font une profession particulière de piété obéissent à leurs supérieurs, sans rechercher avec trop d'empressement les motifs des commandements qu'ils en reçoivent lorsqu'il n'y a point de péché à les exécuter ; et c'est ce qu'ils doivent faire avec beaucoup d'ardeur et de zèle. Car de même qu'un charpentier ou un maçon se sert comme il l'entend des instruments de son métier, dont il n'y a aucun qui ne se ploie à faire les choses que cet artisan lui demande, et qui ne suive tous les mouvements de la main qui le conduit ; ainsi un solitaire, qui est entre les mains de son supérieur comme un instrument utile à un artisan comme celui-ci qui veut donner toute la perfection possible à l'édifice spirituel dont il est chargé, doit lui obéir dans toutes les choses où ce dernier jugera à propos d'employer son ministère, de peur que, s'il s'y refusait, l'ouvrage n'atteignît pas la perfection voulue. Et comme un instrument ne se choisit pas i lui-même ce qu'il doit faire pour l'utilité de l'art auquel il est destiné, de même il n'est nullement à propos qu'un solitaire fasse par lui-même le choix des ouvrages pour lesquels il peut être utile, mais il doit s'abandonner à la sagesse et à la conduite de l'artisan qui l'emploie, pour que ce dernier use de lui comme il lui plaira. (Cf. Ascétiques de saint Basile, p. 562-568). "

19. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Moralium in Job, lib. XXXII, o. 21 (al. 11), dit en parlant des suggestions perfides et des tentations artificieuses du démon : " Un autre aura résolu, non-seulement de ne plus rechercher de nouveaux, biens sur la terre,

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tuais même de renoncer à tous ceux qu'il possède, afin de remplir avec d'autant plus de liberté l'office de disciple du Maître céleste, qu'il se sera affranchi de toute espèce d'obstacles extérieurs, en foulant aux pieds tout ce bagage dont la pesanteur pouvait l'accabler. Alors l'ennemi qui tend sans cesse des embûches au cœur de l'homme lui parle par ses suggestions secrètes à peu près de cette manière : D'où vous vient une si téméraire hardiesse, que de vous figurer pouvoir subsister en ce monde après avoir abandonné toutes choses ? Vous vous mettez en un autre état que celui où le Créateur vous a fait naître ; et il vous aurait fait beaucoup plus fort, s'il avait voulu que vous suivissiez ses traces en vous dévouant à tous les inconvénients de la pauvreté. N'en voyez-vous pas une infinité qui gardent leurs biens temporels, et qui s'en servent pour acquérir par un saint commerce l'héritage de l’éternité en pratiquant les œuvre de la miséricorde ? Voilà ce que le démon lui suggère d'une manière douce et flatteuse, pendant qu'il cache dans ces biens mêmes qu'il lui conseille de retenir des plaisirs empoisonnés pour le tromper, afin d'attirer son cœur par ces voies décevantes, à des divertissements extérieures et lui faire abandonner les projets de perfection qu'il avait formés. De sorte qu'il est vrai de dire que ses os sont comme des flûtes d'airain (Job, XL, 17), puisque ses desseins trompeurs, en portant agréablement aux oreilles du cœur le bruit enchanteur des plaisirs terrestres, lui causent une perte irréparable par rapport aux biens spirituels. "

" Un autre ayant abandonné tous les biens extérieurs qu'il possédait pour s'élever à un plus haut degré de perfection, se propose de détruire aussi en lui-même sa propre volonté, afin que, soumis à celle d'un autre qui soit plus réglée que la sienne, il ne renonce pas seulement à ses désirs dépravés, mais qu'encore, pour arriver au plus haut degré de la perfection, il renonce à soi-même jusque dans ses bonnes œuvres et n'agisse plus en toutes choses que par la volonté d'autrui. Alors, l'ennemi fin et adroit s'adresse à lui d'une manière d'autant plus artificieuse, qu'il cherche à le faire tomber dans un état plus éminent ; et le flattant de ses paroles empoisonnées, il lui dit : O que vous pourriez faire de choses admirables, si vous ne vous assujettissiez pas servilement à la volonté d'autrui ! Pourquoi arrêtez-vous ainsi, sous prétexte d'une plus grande perfection, votre avancement dans la vertu ? Pourquoi ralentissez-vous votre progrès spirituel, en voulant le hâter davantage ? Pourquoi affaiblissez-vous vos

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bons desseins, en vous efforçant de les porter plus loin qu'ils ne doivent aller ? Où est le mal que vous avez fait tandis que vous avez agi par votre volonté propre ? Puis donc que, pour mener une bonne vie, il vous suffit de vous conduire par vous-même, pourquoi vous mettez-vous en peine de vous mettre sous la direction d'un étranger ? Voilà de quelles flatteries l'amuse le démon, pendant qu'il lui tend des pièges dans l'exercice de sa propre volonté pour le faire tomber dans l'orgueil, et en même temps qu'il lui fait goûter la louange que mérite la pureté avec laquelle il vit, il cherche adroitement les moyens d'insinuer dans son cœur le dérèglement de la perversité (Cf. Les Morales de saint Grégoire, t. IV, p. 544-546). "

20. NICEPHORE, Eccles. histor., lib. XI, c. 37 : " Pior était encore tout jeune lorsqu'il embrassa la vie monastique. En quittant la maison paternelle, il promit à Dieu de ne plus reparaître devant qui que ce fût de sa famille. Au bout de cinquante ans, sa sœur ayant appris qu'il était toujours de ce monde, d'après un indice tout extraordinaire qui lui en avait été donné, ne put contenir sa joie et voulut absolument le voir. Elle pria donc l’évêque du lieu, en versant des larmes et en poussant des cris, d'écrire à Scété pour qu'on lui renvoyât son frère. L'évêque, ayant égard l'âge avancé de cette femme, écrivit au supérieur du monastère de lui envoyer Pior. Après qu'il eut reçu cet ordre, le saint religieux, ne pouvant opposer aucune résistance (car les moines de l'Egypte, comme au reste ceux de tous les autres pays, ne sauraient sans crime désobéir à ce qui leur est ordonné), s'en revint dans sa patrie, accompagné d'un autre religieux. Quand il fut près de la porte de la maison paternelle, il fit avertir sa sœur de son arrivée. Et comme il entendit le bruit de ses pieds, ainsi que celui de la porte qui s'ouvrait, il appela sa sœur par son nom, et lui dit en détournant les yeux : Je suis Pior, votre frère, vous avez voulu me voir, voyez-moi à votre aise. Sa sœur le considéra assez longtemps, en rendant grâces à Dieu d'avoir satisfait à son désir ; pour lui, après avoir fait une prière devant la porte, il se retira et reprit le chemin de son monastère. "

21. S. BASILE, Constitutions monastiques, c. 23, passage rapporté déjà dans le corps de la réponse et de plus p. 464, témoignage 18.

22. S. BERNARD, Tract. de præcepto et dispensatione, c. 12 : " Que ce soit Dieu qui commande, ou que ce soit celui qui est établi pour tenir sa place, nous devons obéir toujours avec la

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même exactitude et le même respect, pourvu que l'homme ne commande rien de contraire à Dieu. Que si cela arrivait, je conseillerais de suivre sans crainte la maxime de saint Pierre, qui dit : Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes (Act., V, 29). "

23. Ibidem, 15 : " A moins d'être entièrement assuré que ce que commande l'homme qui est à la place de Dieu déplaît à Dieu, on doit l'exécuter comme si Dieu même l'avait commandé. Car qu'importe que Dieu nous fasse connaître sa volonté, ou par lui-même ou par ses ministres, que ceux-ci soient des hommes, ou qu'ils soient des anges ? "

" Vous me direz peut-être qu'il arrive aisément que les hommes se trompent en cherchant à reconnaître la volonté de Dieu dans les choses douteuses, et qu'ainsi ils peuvent à leur tour tromper les autres en ce qu'ils leur commandent dans ces rencontres. Mais qu'est-ce que cela vous fait, puisque vous ne savez pas qu'ils se trompent, et qu'au contraire l’Ecriture vous avertit que les lèvres du prêtre gardent la science, et que tout le monde doit aller apprendre de sa bouche la loi de Dieu, parce qu'il est l'ange du Dieu des armées (MALACH., II, 7) ? Ce qu'il faut entendre, à ce qu'il me semble, de cette manière, qu'on va apprendre de la bouche du prêtre non la loi qui est marquée particulièrement dans les livres authentiques de l'Ecriture, ou qui est évident par les lumières de la raison, puisque nous ne devons pas attendre qu'on nous commande pour agir dans ces circonstances, ni écouter ceux qui voudraient nous empêcher de le faire ; mais nous devons avoir recours à lui dans les matières qui nous sont tellement cachées, ou qui sont elles-mêmes si obscures, qu'il nous est permis de douter de ce que Dieu demande de nous, jusqu'à ce que nous soyons assurés de sa volonté par les lèvres dépositaires de la science, et par la bouche de l'ange du Seigneur des armées. Et enfin, à qui doit-on plutôt avoir recours pour connaître la volonté de Dieu, qu’à celui à qui a été commise la dispensation de ses mystères ? Nous devons donc écouter comme Dieu même celui qui tient sa place parmi nous, dans toutes les choses qui ne sont pas manifestement contraires à ses ordonnances. "

24. Ibidem, c. 16 : " C'est une marque de l'imperfection de l'esprit et de la faiblesse de la volonté, que d'examiner trop exactement les ordonnances des supérieurs, d'hésiter à chaque commandement qu'on nous fait, de demander raison de tout, d'avoir mauvaise opinion de tous les commandements dont on ne connaît

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pas la cause, et de n'obéir de bon cœur que lorsque la chose commandée est conforme à notre inclination et à notre humeur, ou lorsque nous reconnaissons par une raison évidente ou par une autorité indubitable, qu'il ne serait ni utile ni permis de faire le contraire. Cette obéissance est trop délicate, ou plutôt elle est trop morose. Ce n'est pas là cette obéissance prompte et active que la règle nous prescrit. "

25. Ibidem, c. 30 : " Vous désirez aussi que je vous dise pourquoi, entre les autres états de pénitence, celui de religion a obtenu le privilège d'être appelé un second baptême ? Je crois que c'est à cause qu'on y renonce parfaitement au monde, et qu'on y pratique la vie spirituelle d'une manière toute particulière. Ce qui fait que cet état étant élevé au-dessus de tous les autres qui sont dans le monde, il rend ceux qui l'aiment et qui l'embrassent semblables aux anges et différents du reste des hommes, ou plutôt retrace dans leurs personnes l'image de Dieu, en nous donnant, comme le fait le baptême lui-même, la forme et l'image de Jésus-Christ. Et non, nous y sommes baptisés pour ainsi dire une seconde fois, parce que, mortifiant nos membres terrestres, nous sommes de nouveau revêtus de Jésus-Christ comme entés sur lui dans la ressemblance de sa mort. Mais de même que dans le baptême nous sommes tirés de la puissance des ténèbres et transférés dans le royaume de l'éternelle lumière, ainsi dans cette sainte vie, qui est comme une seconde renaissance, nous sortons des ténèbres, non du seul péché originel, mais d'une foule de péchés actuels, pour entrer dans la lumière des vertus, en vérifiant encore en nous cette parole de l'Apôtre (Rom., XIII, 12) : La nuit a précédé, et le jour est venu (Cf. Traduction de trois excellents ouvrages de saint Bernard, pag. 334-423). "

26. Le même, Epist. VII ad Adam monachum, n. 3 : " Faire le mal, qui que ce puisse être qui le commande, c'est assurément désobéir plutôt qu'obéir. "

Ibidem, n. 4 : " Il faut remarquer qu'il y a des actions purement bonnes, et d'autres purement mauvaises, et que dans les unes comme dans les autres on ne doit nullement obéir aux hommes : car il ne faut ni s'abstenir des bonnes, quel que soit celui qui les défende, ni faire les mauvaises, quel que soit celui qui les ordonne. Or, entre ces actions, les unes purement bonnes et les autres purement mauvaises, il y en a d'autres comme

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intermédiaires qui peuvent être bonnes ou mauvaises selon les lieux, les temps, les personnes, ou la manière dont on les fait, et c'est en celles-là que trouve son application la loi de l'obéissance. C'est là proprement l'arbre de la science du bien et du mal, placé au milieu du paradis terrestre pour être la pierre de touche de notre obéissance. Il est certain que sur de pareilles matières on ne doit point préférer son propre jugement à celui de ses supérieurs, mais qu'on doit tenir compte de leurs commandements comme de leurs défenses. Voyons donc si la chose qui fait l'objet de ma remontrance est de cette nature, et si je n'ai pas eu raison de vous en reprendre. Pour nous en éclairer plus aisément, suivons la division que je viens de faire et donnons-en des exemples. La foi, l'espérance et la charité sont trois choses purement bonnes ; et comme on ne peut faire de mal en les commandant et les pratiquant, il ne peut jamais y avoir de bien à en omettre ou à en défendre la pratique. Les choses purement mauvaises sont le larcin, le sacrilège, l'adultère et les autres actions semblables : comme il ne peut y avoir de bien à les commander ou à les faire, il ne peut y avoir de mal à les défendre ou à les omettre. Il n'y a donc point de loi contre ces sortes de lois : car nulle défense n'a de force contre ces commandements, nul commandement ne peut prévaloir contre ces défenses. Enfin, il y a des actions qui d'elles-mêmes sont indifférentes, et qui ne paraissent ni bonnes ni mauvaises de leur nature ; qu'on peut indifféremment défendre ou commander, et tantôt bien, tantôt mal, mais sans que les subalternes eux-mêmes fassent alors mal d'obéir comme de jeûner, de veiller, de lire, et toute autre action de ce genre. Or, on doit savoir que ces actions, d'elles-mêmes indifférentes, deviennent souvent, ou purement bonnes, ou purement mauvaises. Il est permis, par exemple, de se marier ou de ne pas se marier ; mais il n'est plus permis de rompre le mariage lorsqu'il est une fois contracté. Ainsi, ce qui pouvait être indifféremment bon ou mauvais avant le mariage, devient, à l'égard des personnes mariés une chose purement bonne. C'est une action indifférente pour un séculier de posséder des biens : car il est le maître de ne pas les posséder ; mais comme cela n'est pas permis aux religieux, le faire serait une chose purement mauvaise (Cf. Lettres de saint Bernard, trad. par M. de Villefore, t. Ier, p. 58-60). "

27. PHILON, Juif, Lib. de vidâ contemplativâ, sive de supplicum virtuitibus : " Après avoir parlé des Essénien(ou Esséens) qui

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mènent la vie active avec plus de perfection que toute autre société, ou du moins plus parfaitement que ne le font la plupart, pour ne rien dire qui puisse offenser personne, l'ordre demande que nous parlions de ceux qui pratiquent la vie contemplative, ce que nous ferons simplement et sans chercher, comme font les poètes, à embellir notre récit par des ornements étrangers, etc. " Eusèbe et les autres ont fait mention de ce passage, tout en l'abrégeant, et l'ont appliqué aux chrétiens d'Alexandrie, disciples de saint Marc. Eusèbe de Césarée parle de saint Marc dans les termes suivants, au livre II de son Histoire ecclésiastique, c. 15 : " On dit que ce fut Marc qui le premier de tous les disciples de Notre-Seigneur passa en Egypte, où il prêcha l’Evangile qu'il avait lui-même composé, et fonda la première église à Alexandrie. La multitude d'hommes et de femmes qui se convertirent à la foi en Jésus-Christ à la voix de sa prédication, entraînés surtout par l'exemple de sa vie sainte et austère, fut si grande, que Philon lui-même a cru à propos de s'étendre dans ses écrits sur les mœurs de ces premiers chrétiens, sur leurs exercices de piété, sur leurs fréquentes assemblées, sur la vie commune qu'ils menaient, enfin sur tout l'ensemble de leur conduite. Or, on dit que Philon vint à Rome sous l'empire de Claude, et qu'il y eut un entretien avec Pierre, qui y prêchait dans ce même temps la parole de Dieu. Ce fait est très-vraisemblable à mes yeux ; car l'ouvrage qu'on prétend avoir été composé par cet écrivain quelque temps après fait le tableau exact des canons ecclésiastiques, tels qu'ils s'observent jusqu’à nos jours. "

28. EUSEBE de Césarée, Histoire ecclésiastique, livre II, c. 16, dit en parlant de Philon : " Comme cet auteur rapporte avec beaucoup d'exactitude la manière de vivre de ceux des nôtres que nous appelons ascètes, c'est-à-dire appliqués à certains exercices de vertu et de piété ; et comme il fait beaucoup d'éloges de ces hommes, qui de son temps menaient une vie si édifiante, si apostolique, et d'ailleurs assez rapprochés de la manière de vivre des Juifs, dont il semble qu'ils tiraient leur origine ; nous pouvons croire, sans craindre beaucoup de nous tromper, qu'il ne s'est pas contenté d'en être le témoin mais qu'il s'en est fait aussi le chaud partisan. Premièrement donc, dans ce livre qu'il a intitulé de la Vie contemplative ou de ceux qui s'adonnent à la prière, après avoir déclaré qu'il ne dira rien que de vrai, rien qu'il puisse être soupçonné d'avoir imaginé de lui-même, il rapporte qu'on les appelait thérapeutes, et les femmes qui menaient avec eux le

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même genre de vie, thérapeutides, soit parce qu'ils faisaient l'office de médecins à l'égard de ceux qui se joignaient à eux, en les guérissant de la maladie du vice et procurant à leurs âmes une parfaite santé, soit parce qu'ils rendaient à la Divinité un culte sincère et exempt de superstition (le mot grec ????????? exprimant indifféremment toutes sortes de services). Soit donc que Philon leur ait lui-même imposé ce nom pour mieux caractériser leur genre de vie, soit que, le nom de chrétiens étant encore assez peu répandu, on ait donné ce nom dès le commencement aux auteurs même de cette religion, c'est là une question que nous jugeons inutile d'approfondir. Mais, pour revenir à notre sujet, ces hommes, du moment où ils embrassent ce divin genre de vie, commencent par faire le sacrifice de tous leurs biens sans rien se réserver en propriété ; puis, libres de tous soins, ils s'éloignent des villes, et vont s'établir dans des lieux solitaires, ou dans des enclos hors de la vue du peuple. Après avoir décrit leurs habitations, Philon en vient à parler de la manière suivante des églises qu'ils avaient élevées en plusieurs lieux : Presque dans toutes leurs demeures se trouve un asile sacré qu'ils appellent ???????? c'est-à-dire temple auguste, ou ??????????, c'est-à-dire lieu solitaire : là, séparés du reste des hommes, ils s'appliquent aux exercices d'une vie pieuse et vraiment vénérable par les actes de vertus qui en forment le cours : ils n'y apportent avec eux ni aliments, ni boisson, ni rien de propre à soutenir ou réparer les forces du corps ; mais ils n'y ont d'autre occupation que de rappeler à leur souvenir la loi de Dieu, les oracles des prophètes, les hymnes sacrés, et les autres moyens d'entretenir et d'augmenter en eux la science de la religion et la piété envers Dieu. A ces détails il ajoute les suivants : " Ils emploient à de pieux exercices tout le temps qui s'écoule entre l'aurore et la chute du jour. Car toutes leurs journées sont occupées à la lecture des saints livres et à l'étude de l'antique sagesse. Après avoir bien établi en eux l'habitude de la tempérance, ils élèvent sur ce fondement l'édifice de toutes les autres vertus. Aucun d'eux ne mange ni ne boit avant le coucher du soleil. Ils pensent en effet que l'étude de la divine sagesse doit être l'occupation du jour, et qu'ils doivent attendre, pour subvenir aux besoins de leurs corps, les ténèbres de la nuit. Encore n'y emploient-ils qu'une très-petit partie de la nuit, au lieu que le jour tout entier est consacré chez eux à l'étude e la sagesse. Quelques-uns mêmes, dominés par la passion

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de la science, passent jusqu’à trois jours entiers sans songer à prendre aucune nourriture. D'autres, invités en quelque manière par les attraits que leur présente la sagesse, qui fournit si abondamment les principes salutaires de la vertu et de la science, y prennent un tel goût un tel plaisir, qu'ils restent aisément deux fois plus de temps encore sans manger, et que ces six jours écoulés, ils ne prennent encore que bien juste ce qu'il leur faut pour se nourrir. Si quelqu'un cependant s'obstinait à résister à de pareils témoignages, etc.; " comme à la quest. II, témoignage 15, page 341.

29. NICEPHORE, Hist. eccl. lib. II, c. 16, rapporte d'après Philon les mêmes faits que vient de rapporter Eusèbe.

30. JOSEPHE, Lib. XVIII Antiquitatum Juidaicarum, c. 2 : " Leur vertu (des Esséniens) est si admirable, qu'elle surpasse de beaucoup celle de tous les Grecs et des autres nations, parce qu'ils en font toute leur étude et s'y appliquent continuellement. Ils possèdent tous leurs biens en commun, sans que les riches y aient plus de part que les pauvres ; et leur nombre est de plus de quatre mille. Ils n'ont ni femmes ni serviteurs, parce qu'ils sont persuadés que les femmes ne contribuent pas au repos de la vie, et que, pour ce qui regarde les serviteurs, c'est offenser la nature, qui a fait tous les hommes égaux que de vouloir se les assujettir. Ainsi, ils se servent les uns les autres, et choisissent des gens de bien de l'ordre des sacrificateurs pour recevoir tout le produit de leur travail, et prendre le soin de les nourrir tous (Cf. Histoire des Juifs, p. 416, trad. d'Arnauld d'Andilly). "

31. Le même, Livre II de la Guerre des Juifs, c. 7 (al. 12) : " Judas (le Galiléen) fut l’auteur d'une nouvelle secte entièrement différente des trois autres, dont la première était celle des Pharisiens, la seconde celle des Saducéens, et la troisième celle des Esséniens, qui est la plus parfaite de toutes. "

" Ils sont Juifs de nation, vivent dans une union très-étroite et considèrent les voluptés comme des vices que l'on doit fuir, et la continence et la victoire de ses passions comme des vertus que l'on ne saurait trop estimer. Ils rejettent le mariage, non qu'ils croient qu'il faille détruire la race des hommes, mais pour éviter l'intempérance des femmes, qu'ils ne croient pas capables de garder la foi à leurs maris. Ils ne laissent pas néanmoins de recevoir les jeunes enfants qu'on leur donne pour les instruire,

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et de les élever dans la vertu avec autant de soin et de charité que s'ils en étaient les pères, et ils les nourrissent et les habillent tous d'une même façon. "

" Ils méprisent les richesses : toutes choses sont communes entre eux avec une égalité si admirable, que, lorsque quelqu'un embrasse leur secte, il se dépouille de la propriété de ce qu'il possède, pour éviter par ce moyen la vanité des richesses, épargner aux autres la honte de la pauvreté, et par un si heureux mélange vivre tous ensemble comme frères. . . "

" Ils ne reçoivent pas à l'heure même dans leur communauté ceux qui veulent embrasser leur manière de vivre ; mais ils les font demeurer pendant une année en dehors de leur propre demeure, leur donnant à chacun, avec une portion, une pioche, le linge dont nous avons parlé et un habit blanc. Ils leur donnent ensuite une nourriture plus conforme à la leur, et leur permettent de se laver comme eux dans de l'eau froide afin de se purifier ; mais ils ne les font point manger au réfectoire jusqu'à ce qu'ils aient encore éprouvé leurs mœurs l'espace de deux années, comme ils avaient auparavant éprouvé leur continence. Alors on les reçoit parce qu'on les en juge dignes ; mais avant de s'asseoir à table avec les autres, ils promettent solennellement d'honorer et de servir Dieu de tout leur cœur, d'observer la justice envers les hommes ; de ne faire jamais volontairement de mal à personne, quand même on le leur commanderait ; d'avoir de l'aversion pour les méchants ; d'assister de tout leur pouvoir les gens de bien ; de garder la foi à tout le monde, et particulièrement aux souverains, parce que ceux-ci tiennent leur puissance de Dieu. . . "

" Ils vivent si longtemps, que plusieurs vont jusqu’à cent ans : ce que j'attribue à la simplicité de leur manière de vivre, et à ce qu'ils sont si réglés en toutes choses. Ils méprisent les maux de la terre, etc. (Cf. Guerre des Juifs contre les Romains, traduction d'Arnauld d'Andilly, p. 103-106). "

32. S. EPIPHANE, Hæres. XXIX Nazaræorum : " Les Chrétiens dans les commencements n'avaient pas pris leur nom de celui de Christ, ni même de celui de Jésus, mais ils avaient pris le nom de Nazaréens, de façon qu'à cette époque tous les chrétiens également s'appelaient Nazaréens. Pendant quelque peu de temps ils s'appelèrent aussi Jesséens, jusqu’à ce qu'ils prissent à

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Antioche l'usage de s'appeler Chrétiens. On les appelait Jesséens à cause, me semble-t-il, du nom de Jessé. Car David était fils de Jessé, et Marie descendait de la famille de David, afin que s'accomplît l'oracle des divines Ecritures, ou cette promesse que Dieu avait faite à David dans l'Ancien-Testament : Je placerai sur votre trône le fruit de vos entrailles (Ps. CXXXI, 11). . . "

" Soit donc qu'ils aient été surnommés Jesséens du nom de Jessé, soit qu'ils aient emprunté ce nom de celui de Jésus Notre-Seigneur, dont ils étaient les disciples, et à cause de l'étymologie de ce nom même de Jésus qui signifie en hébreu guérisseur, sauveur ou médecin (Le verbe grec ??????, guérir, présente ici une analogie remarquable avec l’hébreu) ; il est certain qu'ils étaient appelés de ce nom avant qu'ils prissent celui de Chrétiens, c'est à Antioche, comme je l'ai dit plus haut, et comme le témoigne la plus véridique de toutes les histoires, que les disciples et toute l'Eglise de Jésus-Christ commencèrent à prendre le nom de chrétiens. "

" Vous trouverez, lecteur, une preuve de cette vérité dans les mémoires de Philon, et dans le livre qu'i la écrit sur les Jesséens, où il décrit leurs mœurs, fait l'éloge de leurs vertus, comme de leurs monastères bâtis aux environs du lac Mœris : car ce qu'en dit cet écrivain ne peut s'appliquer qu'aux chrétiens, etc. Ils furent donc appelés Jesséens quelque temps après l'ascension de Notre-Seigneur, et lorsque saint Marc vint prêcher l'Evangile en Egypte (Cf. S. Epiphanii opera, t. Ier, p. 117-120). "

51. S. JEROME, à la vierge Eustochium, lettre XII, c. 15 : " Il y a dans l’Egypte trois sortes de solitaires : les cénobites, appelés dans la langue du pays sauses, ce que nous pourrions rendre par vivant en communauté ; en second lieu, les anachorètes, qui vivent isolément dans le désert, sans aucun commerce avec les hommes. La troisième espèce est de ceux que l'on nomme remoboth, gens fort déréglés et méprisés ; ce sont les seuls que nous ayons dans notre province, ou du moins y tiennent-ils le premier rang. Ils habitent ensemble deux à deux, ou trois à trois, rarement en plus grand nombre, vivant dans l'indépendance et au gré de leurs désirs. Ils mettent en commun le produit de leur travail, pour fournir à leur subsistance, et ne s'éloignent pas des villes et des bourgs. Comme si c'était leur industrie qui fût sainte, et non pas leur vie, ce qu'ils vendent, ils le vendent un prix plus élevé que les autres. Ils ont souvent des querelles entre eux,

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parce que, vivant à leurs propres dépens, ils ne veulent relever de personne. Ils ont coutume de se disputer la gloire du jeûne et ce qui devrait être une chose secrète devient un sujet d'ostentation. Tout est chez eux affectation : de grandes manches, de larges sandales, des robes d'une étoffe grossière ; visiter les vierges, médire des ecclésiastiques, s'enivrer les jours de fêtes : voilà leur vie. "

" Laissant donc à part ces prétendus moines, que j'appellerai plutôt les fléaux de l'état religieux, venons à ces cénobites, en bien plus grand nombre, qui vivent en communauté. Le premier devoir à quoi ils s'engagent, et qui fait le lien de leur société, est d'obéir à leurs supérieurs, et d'exécute fidèlement tout ce qu'ils ordonnent. Ils se distribuent par décuries et par centuries, toutes sous la présidence de l'un d'entre eux. Chacun d'eux a sa cellule particulière. Il ne leur est point permis de se joindre ensemble avant l'heure de none. Le décurion a seul la liberté de faire des visites chez les frères pour calmer les inquiétudes de conscience qu'ils peuvent avoir. A l'heure de none, ils se réunissent tous ensemble pour la psalmodie et la lecture des livres saints. Après quoi, tous étant assis, celui qu'ils appellent père commence l'exhortation. Tandis qu'il parle, c'est un recueillement tel, que vous n'entendez pas le plus léger bruit, pas le moindre mouvement ; tous ont les yeux baissés à terre ; on ne se permettrait pas même de cracher. On n'applaudit à celui qui parle que par les larmes dont tous les yeux sont mouillés et qui coulent sur les visages en silence, car ils étouffent jusqu'aux soupirs que la componction leur fait naître. Que l'exhortation porte sur le royaume de Jésus-Christ, sur la béatitude et la gloire à venir, vous les verrez alors, les yeux levés vers le ciel, et, laissant échapper quelques soupirs, dire en eux-mêmes (Ps. LIV, 6) : Qui me donnera des ailes comme à la colombe, afin que je puisse m'envoler, et me reposer ? A la suite de cet exercice, chaque décurie à part se rend au réfectoire, où chacun sert sa semaine. Durant le repas, règne le plus profond silence. Toute la nourriture consiste dans du pain, des légumes et des herbes dont un peu de sel fait tout l'assaisonnement. Le vin n'est permis qu'aux vieillards et aux plus jeunes, comme soutien pour les uns, comme remède pour les autres. Le repas fini, on rend grâces et l'on se rend dans les cellules, où, jusqu’à vêpres, ils s'entretiennent chacun avec les leurs, et disent : Avez-vous remarqué de combien de faveurs le Ciel a prévenu celui-ci ? quel

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parfait silence observe celui-là ? combien est grave la démarche de cet autre ? S'ils voient un religieux faible, ils le consolent ; et celui qui est fervent dans l'amour de Dieu, ils l'exhortent à la perfection. Et comme la nuit, lorsqu'on ne prie pas en public, chacun veille en particulier dans sa chambre, il en est qui parcourent les cellules, et qui, prêtant l'oreille, examinent soigneusement ce que font les autres. Celui qu'ils ont surpris dans la tiédeur, ils ne le réprimandent pas ; mais, dissimulant ce qu'ils savent, ils le visitent plus souvent ; et, commençant les premiers, ils l’engagent plutôt qu'ils ne le forcent à la prière. Tous les jours, chacun reçoit sa tâche ; le travail fait est porté par le décurion à l'économe qui en rend compte tous les mois au supérieur. C'est l'économe encore qui goûte les mets quand ils sont apprêtés. Et comme il n'est permis à personne de dire : Je n'ai pas de tunique, pas de saie, pas de natte, l'économe règle toutes choses de manière à ce qu'on ne demande rien, à ce que l'on ne manque de rien. Si l'un d'eux vient à tomber malade, il est transporté dans une chambre plus spacieuse, ou il est servi par les anciens, avec des soins qui ne lui laissent désirer ni les délices des villes, ni les tendres empressements d'une mère. Le dimanche est consacré tout entier à la prière et à de saintes lectures : ce que l'on ne manque pas de faire aussi tous les autres jours de la semaine, mais lorsque l'ouvrage est fini. On apprend chaque jour par cœur des versets de l'Ecriture. Le jeûne est le même pour toute l'année, excepté le carême, où l'on peut redoubler de mortifications et d'austérités. Depuis la Pentecôte, on change le souper en dîner, soit pour se conformer à la tradition de l’Eglise, soit pour ne pas trop se charger l'estomac, en faisant deux repas. Tels étaient ces esséniens dont parle Philon, cet imitateur du langage de Platon, et que Josèphe, le Tite-Live des Grecs, nous dépeint dans son second livre de la Captivité des Juifs. "

" Mais puisque, en vous parlant des vierges, je ne vous ai déjà que trop entretenu des moines, je passe à la troisième espèce de solitaires, qu'on appelle anachorètes et qui, sortant des monastères, n'emportent avec eux au désert que du pain et du sel. Paul est le fondateur de cet ordre, Antoine en est la gloire ; et, si l'on remonte à la source, Jean-Baptiste en est le chef. C'est un personnage de ce genre que le prophète Jérémie nous dépeint lorsqu'il dit (Lament., III, 27-31) : Heureux l'homme qui porte le joug dès sa jeunesse. Il s'assiéra solitaire, et il

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se taira, parce que Dieu, l'a posé sur lui. Il tendra la joue à celui qui voudra le frapper ; il sera rassasié d’opprobres. Le Seigneur ne s'éloigne pas à jamais (Cf. Œuvres choisies de saint Jérôme, trad. par Collombet, t. Ier, pag. 220-229). "

32. Le même, dans son Catalogue des écrivains ecclésiastiques, parle ainsi de Philon : " Philon, Juif, etc. " Voir ce passage rapporté déjà plus haut, question II, témoignage 15.

33. S. JEROME, ibidem, donne sur saint Mare la notice qui suit : " Emportant avec lui l’Evangile, etc. " Ce passage a été de même rapporté à la question II, témoignage 1, page 332.

34. S. DENIS l'Aréopagite, de la Hiérarchie ecclésiastique, c. 6 : " Parmi tous les initiés se placent au rang le plus élevé les moines, cohorte bénie qui, s'appliquant avec courage à se purifier entièrement et faire ses actions avec une sainteté parfaite, est admise ensuite, selon les forces de chacun, à la participation et à la contemplation spirituelle des choses sacrées. Aussi la sanctification de cette classe est-elle confiée à la sollicitude des évêques et c'est dans la grâce de leurs illuminations et dans la sublimité de leurs enseignements qu'elle saisit l'esprit des mystères qu'il lui est donné de méditer et c'est par la science qui lui en vient, qu'elle essaie de s'élever à la plus haute perfection. C'est pourquoi nos pieux maîtres, donnant à ces hommes de saintes qualifications, les ont nommés tantôt thérapeutes, à cause du culte sincère par lequel ils honorent la Divinité, et tantôt moines, à raison de cette vie d'unité sans partage par laquelle, ramenant leur esprit de la distraction des choses multiples, ils le tournent tout entier vers l'unité divine et vers la perfection du saint amour. . . . . "

" Le prêtre, se tenant debout devant l'autel, prononce la formule de la consécration monacale. L'initié, placé derrière le prêtre, ne fléchit ni les deux genoux, ni même un seul, et sans avoir non plus sur sa tête le livre qui contient les oracles divins ; mais il se tient debout devant le prêtre qui prononce sur lui l'invocation mystique. L'ayant achevée, le consécrateur s'avance vers l'initié et lui demande avant tout s'il renonce à toutes les distractions du siècle, c'est-à-dire, non-seulement aux divers genres de la vie commune, mais encore aux vaines idées des mondains. Puis il lui expose les devoirs de la vie parfaite qu'il veut embrasser, en l'avertissant qu'il doit s'élever au-dessus

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d'une sainteté médiocre. Après que l'initié lui en a fait la promesse, il fait sur lui le signe de la croix, lui coupe les cheveux, en invoquant les trois personnes de l'éternelle béatitude, le dépouille de son premier vêtement, le revêt d'un nouveau, lui donne, aussi bien que tous les prêtres qui l'entourent, le saint baiser, et l'admet à la participation des saints mystères (Cf. Œuvres de saint Denis l'Aréopagite, etc., trad. par M. l'abbé Darboy, pag. 315-317 ; idem, trad. par frère Jean-de-Saint-François pag. 112-1 13 ; ??? ???????? ????????? ??? ??????????? ?? ??????????? ; Paris, 1562 p. 204-206). "

38. EUSEBE de Césarée, Démonstration évangélique, livre 1, c. 8 : " Les disciples de Jésus-Christ, guidés par l'esprit de leur maître, proportionnant leurs enseignements aux forces de leurs auditeurs, ne confièrent ce qu'ils avaient appris de leur parfait docteur, lorsqu'ils furent plus affermis, qu'à ceux qui pouvaient le comprendre ; ce qu'ils jugèrent convenable à des cœurs encore charnels, et qui avaient besoin de soins multipliés, ils le rabaissèrent au niveau de leur faiblesse, le leur offrant tantôt dans leurs écrits, tantôt comme par simple tradition, de sorte que dans l'Eglise du Christ il y eut deux règles de vie. L'une spirituelle et élevée bien au-dessus de la vie ordinaire, dédaigne le mariage, le soin de perpétuer sa propre race, les biens et les richesses, et elle s'éloigne de la vie ordinaire et commune, pour ne s'attacher qu'au culte de Dieu par un transport d'amour pour les choses célestes. Ceux qui l'ont embrassée, morts à la vie des hommes, ne tenant à la terre que par leurs corps, mais élevés par leurs affections jusque dans le ciel comme des dieux, méprisent cette vie mortelle, consacrés qu'ils sont, entre les autres hommes, au Dieu de l'univers, non par des sacrifices ou l'effusion du sang, par des libations ou l'odeur des victimes, par la fumée, le feu ou l'immolation des animaux, mais par les droites croyances du culte de vérité, par les affections d'un cœur pur, par des actions et des discours qu'inspire la vertu. Ils présentent ces offrandes à la divinité, et exercent ainsi le sacerdoce pour eux et pour ceux qui partagent leur foi. Telle est la perfection du christianisme. L'autre règle, moins élevée et plus appropriée à la faiblesse humaine, permet un mariage honnête, la génération des enfants, le soin de son propre bien ; elle indique la voie de la justice à ceux qui sont engagés licitement dans la milice du monde ; elle fait qu'on porte ses sentiments religieux

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au milieu des travaux des champs, des affaires du commerce et des autres nécessités de la vie (Cf. Démonstrations évangéliques, t. II, col. 36, édit. Migne). "

36. S. AUGUSTIN, in Ps. CXXXII : " Oh ! qu'elle est douce, qu'elle est délicieuse l'union qui règne au sein d'une société de frères ! Ce sont ces paroles de notre psaume, c'est la douceur qu'on y a trouvée, c'est cette divine mélodie renfermée et dans ce cantique, et dans le sens de ses paroles, qui, on peut le dire, a peuplé les monastères. Leur son a été comme le bruit éclatant d'une trompette, qui a éveillé dans les chrétiens le désir de vivre ensemble. . . Les premiers qui en vinrent à l'exécution, ce sont ceux dont il est parlé dans les Actes (IV, 44), qui vendirent tout ce qu'ils avaient, et qui en mirent l'argent aux pieds des apôtres. . . . . C'est d'un mot de ce psaume (in unum) qu'est venu le nom de moines : ce que je veux bien vous faire remarquer, afin que personne n'insulte sur ce sujet à des catholiques. . . (Nos ennemis) font souvent cette demande : Que nous veut dire ce nom de moines ? Et avec combien plus de raison leur disons-nous nous autres : Que nous veut dire ce nom de circellions ? On ne doit pas nous nommer circellions, disent-ils ; ce n'est point là notre nom. Cela peut être : Peut-être avons-nous corrompu leur nom, et n'en disons-nous qu'une partie. C'est peut-être circoncellions qu'ils doivent se nommer, et non pas circellions. Eh bien ! si c'est là leur nom, qu'ils nous disent ce qu'il signifie. Car ce nom de circoncellions ne peut leur venir que de ce qu'ils vont en vagabonds autour des cellules. On les voit errer de tous côtés sans avoir aucun lieu fixe et arrêté, et faire ainsi ce que vous savez, et qu'eux-mêmes malgré qu'ils en aient, ne peuvent pas ignorer. "

" Je sais, mes frères qu'il y a aussi des moines dont la vie dément ce nom ; je sais qu'il y en a, et j'en connais ; mais on ne doit pas dire qu'il cause de quelques-uns qui font profession à l'âme ce qu'ils ne sont pas en effet, ces saintes associations n'aient plus de raison d'être. Il y a de faux moines, comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. . . . . "

" Que disent donc ceux qui nous objectent ce nom de moines, et qui en prennent prétexte pour nous faire des insultes ? Ils diront peut-être : Nous n'appelons point les nôtres circoncellions ; c'est vous autres qui leur donnez ce nom odieux : pour nous, nous ne les nommons point ainsi. Qu'ils disent donc comment

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ils les nomment. Ecoutez-le, mes frères. Ils les appellent agonistiques. Nous avouons que c'est un beau nom, qu'il est honnête, et qu'il serait à souhaiter qu'il leur convînt mieux. Mais cependant voyez ceci avec moi, mes frères. Que ceux qui nous disent : Montrez-nous où est écrit ce nom de moines, nous montrent eux-mêmes où est écrit ce nom d'agonistiques. Nous les appelons ainsi, disent-ils, à cause de leurs combats ; car ils combattent, et saint Paul dit de lui-même qu'i la bien combattu. Parce qu'il y en a qui combattent contre le démon et qui le font avec succès, les soldats de Jésus-Christ s'appellent agonistiques, c'est-à-dire combattants. Hélas ! plût à Dieu qu'ils fussent les soldats de Jésus-Christ et non les soldats du démon que ces deux mots, Deo laudes, font plus trembler que ne feraient les rugissements du lion ! Et ils osent nous insulter parce que, lorsque nos frères abordent quelqu'un des leurs, ils lui disent : Deo gratias, rendons grâces à Dieu. Que veut dire ce Deo gratias ? disent-ils. Mais êtes-vous si novice, que vous ignoriez ce que veut dire Deo gratias ? Celui qui dit cette parole rend grâces à Dieu : et jugez vous-mêmes si un frère ne doit pas rendre grâces à Dieu lorsqu'il voit son frère. Car n'y a-t-il pas sujet de se réjouir ensemble, quand se voient réunies deux personnes qui sont à Jésus-Christ ? Cependant notre Deo gratias vous apprête à rire, et votre Deo laudes fait pleurer le monde. "

" Mais enfin vous nous avez rendu raison de ce nom d'agonistiques ou de combattants, que vous donnez aux vôtres. Je souhaite de tout mon cœur que ce nom convienne à la chose : oui, je le souhaite de tout mon cœur, nous y contribuerions de tous nos moyens. Que Dieu leur fasse la grâce de combattre le démon et non Jésus-Christ même dont ils persécutent l’Eglise. Mais parce qu'ils combattent, vous les appelez agonistiques, c'est-à-dire combattants ; et vous trouvez une raison de ce nom dans ce qu'a dit saint Paul : J’ai bien combattu (II Th., IV, 7). Pourquoi donc ne pourrions-nous pas de même nous servir du nom de moines, puisque le psaume (CXXXII, 1) dit ici : Oh qu'il est bon et agréable pour des frères de demeurer ensemble ? Car ce mot moine vient du mot grec, ?????, qui veut dire seul ; non pas seul toutefois comme on pourrait le dire indifféremment d'un homme du monde qui se trouverait seul, mais comme faisant une seule société avec plusieurs, qui n'ont vraiment, selon ce qui est écrit qu'un cœur et qu'une âme. . . Voilà ce qu'on peut appeler du nom de moines : c'est là être véritablement seul.

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" Aussi voyons-nous dans l’Evangile qu'un seul se trouvait guéri dans le miracle de la piscine. Que ceux qui prennent prétexte de ce nom de moines pour nous insulter nous répondent donc, et qu'ils nous expliquent pourquoi ce paralytique qui était malade depuis trente-huit ans répondit au Fils de Dieu (JEAN, V, 7) : Au moment où l’eau est troublée, je n'ai personne pour m'y jeter ; quand je me mets en mesure d'y descendre, un autre me prévient et s'y jette avant moi. Quand un d'entre eux s'y trouvait descendu, un autre n'y descendait pas ; un seul était guéri et offrait ainsi l'image de l'unité de l’Eglise. J'avoue que c'est avec raison que ceux qui se sont séparés de l'unité nous insultent au sujet de ce nom, qui nous marque l'unité elle-même. C'est à bon droit que ce nom de moines leur déplaît, puisqu'ils ne veulent pas demeurer ensemble avec leurs frères et qu'en suivant Donat, ils abandonnent Jésus-Christ (Cf. Sermons de saint Augustin, t. VII, p. 35-44). "

37. Le même, liv. VIII de ses Confessions, c. 6 : " Ses paroles (de Potitien) roulèrent de là sur ces saints troupeaux de moines, et sur les parfums de vertus qui s'en exhalent vers vous (ô mon Dieu), sur ces fécondes aridités du désert, dont nous ne savions rien ! Et à Milan même, hors des murs, était un cloître rempli de leurs frères élevés sous l'aile d'Ambroise, et nous l'ignorions (Cf. Les Confessions de saint Augustin, trad. nouv. par L. Moreau, page 256) ! "

38. S. AUGUSTIN, Lib. de moribus Ecclesiæ calholicæ, c. 31 : " Reconnaissez, manichéens, l'éminence de la vertu et de la pureté de ces parfaits chrétiens, qui ne se contentent pas de louer la chasteté la plus absolue, mais qui la pratiquent ; et si vous avez quelque pudeur, ayez honte de cette impertinente vanité avec laquelle vous relevez devant les ignorants votre continence comme la chose du monde la plus héroïque. Je ne dirai point des choses que vous ignoriez, mais des choses seulement que vous faites semblant de ne pas savoir. Car qui ne sait que le nombre des chrétiens qui gardent une continence absolue se multiplie de plus en plus dans tout l'univers, mais particulièrement en Orient et en Egypte, comme vous ne pouvez l'ignorer ? "

" Je ne veux pas parler de ceux que j'ai nommés les premiers, et qui, disparus du milieu du monde, ne vivent que du pain qu'on leur apporte à des intervalles marqués, et ne buvant

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que de l'eau, habitent les déserts les plus retirés, où ils jouissent de la société de Dieu, à qui ils se sont unis par la pureté de leurs pensées, et goûtent dans la contemplation de sa beauté un bonheur que les saints seuls peuvent comprendre. Je ne parlerai point, dis-je, de ces solitaires, parce qu'ils paraissent aux yeux de quelques-uns s'être trop séparés du monde, sans qu'on veuille considérer combien ils nous sont utiles par leurs prières et par l'exemple de leurs vertus, bien que leurs personnes même soient soustraites à nos regards. Mais si ces prodiges de sainteté ne peuvent trouver grâce à nos yeux, qui n'admirera et ne louera en même temps ceux qui, après avoir renoncé à tous les plaisirs du monde qu'ils méprisent, mènent en commun une vie toute chaste et toute sainte, employant tout leur temps à prier, à lire et à conférer ensemble, ne se laissant jamais ni enfler d'orgueil, ni troubler par les factions, ni dominer par l'envie ; mais toujours modestes, toujours humbles, toujours calmes, vivent dans une parfaite concorde et dans une perpétuelle contemplation des choses divines, et offrent à Dieu, comme un hommage qui ne peut que lui plaire, ces vertus même qu'ils

doivent à sa grâce ? "

" Aucun d'eux ne possède le moindre bien en propre ; aucun n'est à charge à personne. Ils travaillent de leurs mains de manière à subvenir aux besoins de leurs corps, sans que leurs âmes en soient détournées de penser à Dieu. Ils mettent tous de concert leurs ouvrages entre les mains de ceux qu'ils appellent leurs doyens, parce qu'ils se rangent par troupes de dix sous leur conduite, afin d'être tout entiers déchargés du soin de leur nourriture, de leur vêtement et de toutes les nécessités corporelles, soit en santé soit en maladie. Ce sont les doyens qui prennent ce soin ; ils règlent tout avec une tendre sollicitude, pourvoient tous les besoins que la faiblesse de la nature rend inévitables, et rendent eux-mêmes compte de tout à celui qu'ils appellent leur père (Père ou abbé : c'est le même nom en langues différentes ; ?????? ou abbas ont également pour étymologie le mot hébreu, ??, ab, qui signifie père). "

" Ceux-ci à leur tour, aussi expérimentés dans la science divine qu'irréprochable dans leurs meurs, modèles de toutes les vertus, gouvernent sans orgueil leurs subordonnés qu'ils appellent leurs fils, et qui leur obéissent sans réserve, de même que l'autorité qu'ils exercent sur eux est sans bornes. "

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" Tous ces solitaires se réunissent en quittant leurs cellules sur la fin du jour, et avant de rompre le jeûne qu'ils ont gardé toute la journée, prêtent l'oreille à l'instruction que leur fait leur père. Chaque père n'a pas moins de trois mille moines sous sa conduite, et quelquefois beaucoup davantage. Ils écoutent ses paroles avec une incroyable avidité et dans le plus profond recueillement, et, selon l'impression qu'ils en reçoivent ils manifestent leurs sentiments soit par des soupirs soit par des larmes, mais toujours avec modestie et sans bruit. "

" Après l'exhortation finie, ils vont prendre leur repas, où ils ne mangent qu'autant qu'il est nécessaire pour la vie et la santé, chacun réprimant son appétit pour ne pas commettre d'excès dans la nourriture, quelque maigre, quelque grossière qu'elle leur soit présentée. C'est ainsi qu'ils s'abstiennent non-seulement de vin et de viande afin de parvenir plus sûrement à dompter leurs passions, mais encore de ces autres sortes de mets qui excitent d'autant plus la friandise, qu'ils paraissent à quelques-uns être plus simples. . . "

" C'est avoir assez parlé de ce que personne n'ignore. Le même genre de vie est pratiqué par des femmes, qui servent Dieu avec autant de ferveur que de chasteté. Elles ont leurs habitations séparées et distantes de celles des hommes autant que le commande la bienséance, ne leur étant unies que par la charité et par l'imitation de leur vertu. Jamais aucun jeune religieux n'approche de leurs cellules, et les anciens eux-mêmes les plus graves et les plus éprouvés ne dépassent jamais l'entré du vestibule, et encore ne le font-ils que pour pourvoir à leurs plus pressants besoins. Elles vivent du produit de la laine qu'elles filent, et dont elles font des vêtements pour les religieux, dont elles reçoivent à leur tour les choses nécessaires à la vie. "

" Quand je voudrais faire l'éloge de ces mœurs, de ce genre de vie, de cette discipline, de cet institut, je ne pourrais rien dire qui pût répondre au mérite du sujet ; et je craindrais, en ajoutant la magnificence des louanges à la simplicité de cette relation, de paraître croire que la chose toute seule ne parle pas assez d'elle-même C'est là, manichéens, ce que vous avez à reprendre si vous le pouvez, au lieu de montrer à des aveugles, et qui ne savent rien discerner, l'ivraie qui se trouve parmi nous (Cf. Traduction de saint Augustin des Mœurs de l’Eglise catholique, p. 106-113). "

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39. Ibidem, c. 33 : " On ne doit pas pourtant mépriser un autre ordre de pieux chrétiens qui mènent dans les villes mêmes un genre de vie très-différent de la vie ordinaire. J'ai vu à Milan des communautés de religieux réunies en grand nombre, et qui, avaient à leur tête un prêtre recommandable par sa science et sa piété. J'en ai vu aussi plusieurs à Rome, où des hommes distingués par la gravité de leurs mœurs, l'expérience et la science des choses divines, en gouvernent d'autres avec qui ils vivent en commun, dans la pratique de la charité, de la sainteté et de la liberté chrétiennes. Eux-mêmes ne sont à charge à personne, mais vivent du travail de leurs mains, suivant la coutume des Orientaux et l'exemple de saint Paul. "

" Je me suis convaincu que plusieurs d'entre eux observent des jeûnes d'une sévérité vraiment incroyable, restant sans boire et sans manger non-seulement des jours entiers, ce qui se voit très-fréquemment aussi ailleurs, mais souvent jusqu’à trois jours de suite et davantage encore. "

" Et ces austérités se pratiquent non-seulement chez les hommes, mais chez les femmes mêmes qui, réunies en communauté, tant veuves que vierges, vivent de la laine qu'elles filent et de la toile qu'elles font, et sont sous l'autorité de celles d'entre elles qui se distinguent le plus par leur sagesse et leur vertu éprouvées et qui se trouvent les plus capables de régler les mœurs de leurs compagnes, et tout à la fois de leur former l'esprit (Cf. Traduction de saint Augustin des Mœurs de l'Eglise catholique, p. 115-116). "

40. S. AMBROISE, Epist. LXXXII (al. 62) ad Vercellensem Ecclesiam, n. 66 : " Si dans les autres Eglises on use de tant de circonspection pour l'ordination d'un évêque, combien cette attention ne doit-elle pas redoubler pour celle de Verceil, où l'on exige d'un évêque deux choses difficiles, la régularité du monastère et les fondions ecclésiastiques. Car Eusèbe, de sainte mémoire, a le premier uni dans l’Occident deux vies qui semblaient opposées, qu'un homme vivant dans une ville garde la règle des moines, et que pratiquant le jeûne et l'abstinence il gouverne une église. En effet, c'est contribuer puissamment à accroître la grâce du sacerdoce, que d'obliger les jeunes gens à se soumettre à la mortification et à la loi de la continence, et de leur interdire, dans le séjour des villes, le commerce et la conversation de ceux qui y habitent. "

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Ibidem, n. 67 : " C'est cette austérité de vie qui a formé ces hommes admirables, un Elie, un Elisée, un Jean fils d'Elisabeth, etc. "

41. CASSIEN, Collat. XVIII quæ est abbatis Piamonis, c. 4 : " Il y a dans l'Egypte trois états de religieux, dont les deux premiers sont excellents, et le troisième lâche et tiède et entièrement à rejeter. Le premier est celui des cénobites, qui vivent en communauté et sous la conduite d'un supérieur : il y a un grand nombre de ces sortes de religieux dans toute l'étendue de l’Egypte. Le second est celui des anachorètes, qui après avoir d'abord été formés dans les monastères et s'être perfectionnés dans tous les exercices extérieurs de piété ont fini par se retirer dans le désert : c'est la profession que nous avons embrassée nous autres, et que nous tâchons d'accomplir. Le troisième état est celui des sarabaïtes, que nous vous ferons connaître plus pleinement lorsque nous vous en entretiendrons à leur tour (Cf. Conférences de Cassien, p. 640). "

42. Ibidem, c. 5 : " La vie cénobitique a commencé dès le temps des apôtres ; car c'était l'état où vivaient autrefois les premiers fidèles dont il est parlé dans les Actes de la manière suivante : Toute la multitude de ceux qui croyaient n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Personne ne désignait comme appartenant à soi aucune des choses qu'il pouvait posséder, mais tout était commun entre eux. Ils vendaient leurs possessions et leurs biens, et en partageaient l'argent à chacun selon son besoin. Et ailleurs : Il n'y avait point de pauvres parmi eux, etc. (Act., IV, 32 ; II, 6). Toute l'Eglise était donc alors composée de personnes qui vivaient tellement en commun, que les monastères d'aujourd'hui en offrent peu qui leur ressemblent. "

" Mais après la mort des apôtres, les fidèles commençant à se relâcher, particulièrement ceux qui, sortis de la gentilité, étaient venus de diverses nations se convertir à la foi de Jésus-Christ, et à qui les apôtres, pour ménager ces peuples habitués aux usages du paganisme, ne demandaient rien autre chose que de s'abstenir des viandes offertes aux idoles, de la fornication, de la chair, des bêtes suffoquées et du sang ; et cette condescendance dont on avait usé envers les gentils, en leur laissant une si grande liberté à cause de leur faiblesse et de l'imperfection de leur foi, éteignit peu à peu la ferveur dans l'église de Jérusalem, où le nombre des fidèles qui croissait chaque jour, tant parmi les

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habitants que parmi les étrangers contribuait encore à refroidir l'ardeur de la foi naissante : on vit bientôt non-seulement les simples fidèles, mais les chefs mêmes de l’Eglise se relâcher de leur première perfection. Car ces derniers se persuadèrent aisément que ce qu'on avait permis par condescendance aux gentils leur était licite à eux-mêmes, et ils crurent qu'il n'y avait point de mal à conserver la possession de leurs biens, tout en suivant la foi et la religion de Jésus-Christ. "

" Mais ceux qui étaient encore dans la ferveur que les apôtres avaient allumée et qui se souvenaient de ce qu'ils leur avaient vu pratiquer de leur vivant, s'éloignèrent des villes et de la compagnie de ceux qui croyaient que tous les chrétiens pouvaient mener une vie moins austère et ils s'enfuirent dans des lieux déserts et reculés pour y pratiquer en particulier les règles qu'ils se souvenaient d'avoir vu établir dans toute l’Eglise par les apôtres. Ce fut là ce qui donna le premier commencement à ce genre de vie de personnes séparées de la vie commune et ordinaire des autres chrétiens. Ainsi, comme ils se mettaient de plus en plus à l'écart du commun des fidèles, on leur donna le nom de moines, parce qu'ils s'abstenaient du mariage et s'éloignaient de leurs parents et des sociétés du monde, ou celui de solitaires à cause de leur vie si solitaire et si rude, comme leur union entre eux fit que plus tard on les appela cénobites. Ce fut là le plus ancien de tous les états de religieux, et il tient le premier rang dans l'ordre du temps comme dans celui de la grâce. Il n'y fut porté aucune atteinte durant bien des années, c'est-à-dire jusqu'au temps de l'abbé Paul et du grand Antoine, et nous en voyons encore quelques traces dans les monastères bien réglés. "

43. Ibidem, c. 6, de anachoretis ; c. 7, de surabaitis, et c. 8, de quarto quodam genere monachorum : pour tout cela, nous renvoyons à l'ouvrage même.

44. S. GREGOIRE de Nazianze, orat. XX funebri in laudem Basilii magni : " Nous nous retirâmes ensemble dans le Pont, où Basile prit la direction des monastères qui y étaient. Il se sauva dans la solitude, suivant l'exemple d'Elie et de Jean-Baptiste. . . . . Est-il rien de plus grand que le célibat et la virginité, qui élève l'homme au rang des anges. . . . . Qui a jamais eu une plus haute estime de la virginité que Basile, et plus gourmande la chair, non-seulement en sa personne, mais aussi par les règlements admirables qu'il a faits ? N'est-ce pas lui qui a bâti tant de monastère pour les vierges, et inventé de si belles règles pour mor-

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tifier tous les sens, pour tenir tous les membres dans la dépendance (Voir l'écrit de saint Basile intitulé de la Vraie virginité, et les Ascétiques du même saint docteur) ? N'est-ce pas lui qui a tant recommandé la virginité, qui a inspiré tant de mépris pour les beautés sensibles, afin que l'on n’envisageât que les beautés célestes qui se dérobent à nos yeux ; qui a tant inventé de moyens pour affaiblir la concupiscence, en étant la matière qui en entretient le feu, et pour conserver la beauté intérieure de l'âme, afin qu'elle soit digne de l'alliance de Dieu, qui ne choisit que les vierges qui veillent, qui ont leurs lampes allumées et bien fournies d'huile, quand il faut qu'elles viennent au-devant de l'époux ? "

" Les esprits ne sont pas bien d'accord, et ne conviennent nullement sur les avantages de la vie solitaire et ceux de la vie commune ; l'une est plus unie et plus tranquille, et conduit plus directement à Dieu ; mais elle est exposée à la présomption et à l'orgueil, parce que dans la solitude la vertu n'est pas éprouvée ni stimulé par la comparaison : la vie des communautés est plus agissante et plus utile ; mais aussi elle est plus tumultueuse et plus mêlée d'embarras. Basile trouva le secret d'accorder ces deux états différents en plaçant ses monastères dans des lieux voisins de ceux où les solitaires se retiraient, afin que la contemplation que pratiquaient ses religieux ne fût pas purement oisive, et que leur action fût soutenue à son tour par la contemplation ; comme la terre et la mer se font part réciproquement de leurs richesses, il voulut que la vie active et la contemplation s'aidassent l'une l'autre pour la plus grande gloire de Dieu (Cf. Sermons de saint Grégoire de Nazianze, t. Ier, p. 491-522). "

45. S. ATHANASE, dans la Vie qu'il a donnée de saint Antoine : " Les monastères bâtis sur les montagnes étaient comme des tentes dressées pour des troupes religieuses, qui n'avaient d'autre occupation que de chanter des psaumes, de faire des lectures, de s'exercer à la pratique du jeûne, d'adresser à Dieu des prières, de se repaître de l'espérance des biens à venir, de travailler de leurs mains pour se donner les moyens de faire l'aumône et de vivre ensemble dans l'union et la charité. Il semblait voir là comme un pays à part, consacré à la pratique de la religion et de la justice. L'injustice y était inconnue ; point de levée d'impôts, ni de concussions par conséquent : tous n'y avaient point d'autre étude que l'étude de la vertu. A la vue de ces monastères et de la vie régulière qu'y menaient les religieux, qui

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n'aurait jeté ce cri d'admiration : Que vos pavillons sont beaux, ô Jacob! Que vos tentes sont belles, ô Israël ! Elles sont comme des vallées couvertes de grands arbres ; comme des jardins le long des fleuves, toujours arrosés d'eau ; comme des tentes que le Seigneur même a affermies ; comme des cidres plantés sur le bord des eaux (Nom., XXIV, 5-6.) "

" Forcé un jour de descendre de sa montagne, pour se rendre à la prière de ceux qui imploraient ses conseils et aux demandes réitérées du prince de la contrée, Antoine, après avoir satisfait en peu de mots aux consultations qui lui étaient adressées, et accompagné sa réponse quelques paroles d'édifications, se mettait en devoir de s'en retourner à son monastère. Le prince voulut l'arrêter et le retenir encore quelque temps ; mais il répondit qu'il ne pouvait demeurer plus longtemps parmi eux, et pour rendre sa réponse plus plausible, il se servit de l'ingénieuse comparaison suivante : " De même dit-il, que les poissons expirent bientôt quand on les laisse trop longtemps sur terre, ainsi les moines qui s'arrêteraient parmi vous et y passeraient leur temps perdraient bientôt l'esprit de leur vocation. Il faut donc que comme le poisson se rejette le plus tôt possible dans la mer, nous nous en retournions nous-mêmes au plus tôt sur la montagne, de peur qu'en faisant ici un plus long séjour, nous ne venions oublier le soin de notre âme. " Le prince lui ayant entendu faire cette réflexion et plusieurs autres semblables, s'écria frappé d'admiration : " Voilà un vrai serviteur de Dieu ; eh ! d'où lui viendrait cette intelligence, étranger comme il l'est aux lettres humaines, s'il n'était le favori de Dieu (Cf. Sancti Athanasi opera, t. Ier, p. 829-830-859) ? "

46. SULPICE-SEVERE, dans la vie qu'il a donnée de saint Martin : " Ayant appris que le départ d'Hilaire, forcé à l'exil par la violence des hérétiques, avait jeté le trouble dans les églises des Gaules, il (Martin) se bâtit un monastère à Milan. Mais Auxence, chef des ariens et ardent propagateur de leur parti, ne l'y laissa pas non plus tranquille, et après bien des mauvais traitements qu'il lui fit essuyer, il réussit à le chasser de la ville. A cette époque, Hilaire était de retour à Poitiers : Marlin alla donc l'y trouver et en fut accueilli avec beaucoup de joie, et il établit son monastère assez près de la ville de ce grand évêque (A Ligugé, devenu aujourd'hui une abbaye de bénédictins de Solesmes). Une fois élevé sur le siège de Tours, nous ne saurions dire quelles

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vertus et quelle habileté il y déploya comme évêque. Car il continua de s'y montrer tel qu'il avait toujours été jusque-là. C'était toujours la même humilité dans les sentiments de son cœur, la même pauvreté dans ses habillements. Et l'autorité comme la grâce avec laquelle il remplissait les fonctions de l'évêque ne lui faisait point abandonner la manière de vivre non plus que les vertus du moine. Il n'eut donc pour demeure pendant quelque temps qu'une cellule attenante à l’Eglise. Plus tard, ne pouvant supporter plus longtemps l'importunité des visiteurs qu'il y recevait, il se bâtit un monastère à deux milles de distance de la ville. C'était un endroit si retiré, si à l'écart de toute habitation, qu'il n'y manquait rien pour en faire une solitude. Car en même temps que d'un côté il était cerné par un coteau escarpé, il était borné de l'autre par une sinuosité de la Loire. On ne pouvait y arriver que par un seul chemin fort étroit. La cellule de Martin lui-même était construite en bois, et celles de beaucoup des moines n'étaient pas différentes. La plupart d'entre eux cependant s'étaient pratiqué des retraites dans les creux du coteau. Il avait jusqu'à quatre-vingts disciples, qui se formaient sur les exemples de leur bienheureux maître. Personne n'y possédât rien en propriété, tout y était mis en commun. Personne d'entre eux ne pouvait ni vendre ni acheter, comme c'est la coutume de la plupart des moines. On n'y exerçait aucune profession, excepté celle d'écrivain, encore n'y employait-on que les plus jeunes ; les plus anciens vaquaient à la prière. Rarement chacun sortait-il de sa cellule, si ce n'était pour se rendre au lieu de la prière commune. Ils prenaient tous ensemble leur repas, quand le moment était venu de rompre le jeûne. Chez eux l'usage du vin était inconnu, à moins qu'on ne fût forcé d'en prendre pour cause de maladie. La plupart n'étaient vêtu que de poils de chameau ; une manière plus délicate de se vêtit eût passé pour un crime : ce qui était d'autant plus admirable que beaucoup d'entre eux étant d'extraction noble, avaient été élevés d'une manière bien différente, et que ce n'était que de leur plein gré qu'ils s'étaient réduits à ce nouveau genre de vie. Nous avons vu depuis lors plusieurs d'entre eux élevés à l'épiscopat. En effet, quelle ville ou quelle église n'aurait pas désiré pour évêque quelqu'un des moines de Martin ? "

47. S. ISIDORE de Séville, De ecclesiasticis officiis, lib. II, c. 15 : " La première espèce de moines, ce sont les cénobites, c'est-à-dire ceux qui vivent en commun, l'exemple de ces pieux

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fidèles de Jérusalem, qui du temps des apôtres vendaient tout leurs biens et en distribuaient le prix aux indigents, ou vivaient en commun avec eux, sans plus rien regarder comme leur appartenant en propre, et n'ayant tous ensemble qu'un cœur et qu'une âme. C'est le genre de vie de ces premiers fidèle qui a été la première origine des communautés religieuses. La seconde espèce de religieux est celle des ermites qui ; retirés loin des hommes, habitent, des lieux désert et de vastes solitudes, à l'imitation d'Elie et de Jean-Baptiste, qui habitaient de même des retraites solitaires. Ceux-ci, pleins de mépris pour le monde et n'aimant que la solitude, se contentent pour toute nourriture d'herbes sèches ou de pain qu'on leur porte à des temps réglés et d'eau pure ; et ainsi, éloignés de la vue des hommes et inconnus au monde, ils n'ont de goût que pour Dieu, avec qui ils s'entretiennent dans le secret de leurs âmes, à qui ils se sont inviolablement attachés et pour l'amour de qui ils ont quitté non-seulement le monde, mais jusqu'à la société des hommes. La troisième espèce est celle des anachorètes, qui, après s'être formés à la vie cénobitique, se renferment dans des cellules éloignées de la vue des hommes, sans permettre à personne de les approcher, et passent ainsi leur vie dans la contemplation des choses divines. Mais quant à ces derniers, il faut qu'auparavant ils suivent pendant trente années tous les exercices de la vie cénobitique, et ce n'est qu'après les avoir éprouvés de même, que leurs supérieurs font choix d'eux pour qu'ils s'adonnent ainsi par obéissance à la pratique de la contemplation. "

48. SOZOMENE, Hist. eccles. lib. I, c. 12, après avoir loué en termes magnifiques le genre de vie des moines, ajoute ce qui suit : " Cet admirable genre de vie a eu pour auteur, selon quelques-uns, le prophète Elie et saint Jean-Baptiste. Or, Philon le Pythagoricien rapporte au sujet des Hébreux, que les plus distingués de leur nation, s'étant réunis dans un lieu situé sur une colline près du lac Maria, s'y étaient voués par un mouvement de piété à cette vie austère ; et ce qu'il dit de leur manière de se loger, de se nourrir et de vivre ensemble, se rapporte parfaitement à celle que nous voyons s'observer encore aujourd'hui parmi les moines d'Egypte. Car il dit que, dès qu'ils ont arrêté la résolution d'embrasser ce saint état, ils abandonnent leurs biens à leurs proches, et que, pour éviter le commerce ou la société des hommes, ils s'en vont passer le reste de leur vie hors de l'enceinte des villes dans des champs ou des jardins solitaires ;

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qu'ils y ont des édifices religieux, appelés monastères, où, séparés du reste des hommes, ils passent dans la retraite une vie sainte et mortifiée ; qu'ils s'y occupent continuellement du chant des psaumes et des cantiques, et qu'ils ne commencent à manger chaque jour qu'après le coucher du soleil ; que plusieurs d'entre eux passent trois jours entiers ou même plus de temps encore sans rien prendre ; qu’à des jours marqués ils prennent leur sommeil sur la terre nue, et qu'ils s'abstiennent complètement de l'usage du vin et des aliments gras, c'est-à-dire de la chair des animaux qui ont du sang ; que leur nourriture ordinaire se compose de pain, de sel et d'hysope, et qu'ils n'ont que de l'eau pour toute boisson ; qu'il y a avec eux des femmes qui gardent leur virginité jusqu’à une extrême vieillesse, et qui ont adopté la vie célibataire pour satisfaire plus librement leur amour pour la piété et la sagesse. Par tout ce détail Philon semble désigner ceux des Hébreux qui de son temps avaient embrassé la religion chrétienne, tout en gardant encore quelques-uns des usages des Juifs, et des pratiques de leur loi. Car on ne trouve pas que d'autres aient adopté ce genre de vie. Et c'est ce qui me porte à conjecturer que telle était en effet, dans ces temps, la manière de vivre des chrétiens de l’Egypte. "

49. S. GREGOIRE- LE-GRAND, Lib. II dialogorum, s'attache à décrire la vie de saint Benoît, abbé, c. 1 ; il rapporte que ce fut un moine de Rome qui lui donna l'habit religieux. Il dit plus loin, c. 28 : " Un moine était d'un caractère fort remuant, et ne pouvait demeurer au monastère. Et comme l'homme de Dieu ne cessait de l'en reprendre, et de lui donner à ce sujet des avertissements, sans pouvoir le faire consentir à se fixer dans la communauté, mais qu'au contraire celui-ci le fatiguait de ses prières à l'effet d'obtenir sa liberté, il arriva un jour que le vénérable père, ennuyé de ses importunités lui dit en colère qu'il n'avait qu’à s'en aller. Le moine, à peine sorti du monastère, trouva sur son chemin un dragon qui, la gueule ouverte, s'opposait à son passage. Et comme ce dragon voulait le dévorer, le moine, tout tremblant, tout palpitant, se mit à crier de toutes ses forces : Au secours, au secours, voilà un dragon qui veut me dévorer. Les moines accourant à ses cris ne virent point de dragons, mais ramenèrent dans le monastère le moine effrayé et transporté hors de lui-même. Celui-ci promit aussitôt de ne plus en sortir, et depuis il se montra fidèle à sa promesse. C'est que le saint homme avait obtenu par ses prières que ce moine pût voir le

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dragon, dont jusque-là il avait suivi les suggestions sans le voir de ses yeux. "

Ibidem, c. 36 : " Je ne veux pas non plus vous laisser ignorer qu'en même temps qu'il étonnait le monde par ses miracles, l'homme de Dieu jetait le plus grand éclat autour de lui par sa doctrine. Car c'est lui qui a composé pour les religieux cette règle si bien écrite et si recommandable par l'esprit de discrétion qui s'y fait remarquer. Pour connaitre plus à fond la vie et les mœurs de Benoît, il n'y a qu’à étudier cette règle et on y trouvera tous les principes d'après lesquels il se guidait : car un aussi saint homme ne pouvait pas avoir pour lui-même une manière de vivre différente de celle qu'il enseignait aux autres. "

50. Le même, Lib. I, epist. 33 ad Venantium Italiæ Cancellarium (ce Venantius, à qui écrit ici saint Grégoire, avait quitté l'habit monastique) : " Bien des gens ont eu la sottise de penser que si j'étais élevé à l'épiscopat, je refuserais de vous parler ou de vous écrire. Mais, bien loin qu'il en soit ainsi, le poste même que j'occupe m'interdit de vous garder le silence ; car il est écrit : Crie avec force, ne te lasse point, etc. (Is., LVIII, 1). Cette considération me fait une nécessité de vous parler, n'importe que vous y consentiez ou que vous refusiez de m'écouter, car je désire de toute l'ardeur de mon âme, ou d'obtenir votre salut, ou du moins de n'être pas entraîné moi-même dans votre perte. Et vous-même vous n'avez pas oublié l'habit que vous avez porté autrefois ; mais, vous remettant sous les yeux la sévérité des jugements de Dieu, vous reconnaissez en quel état vous êtes tombé. Pesez donc, tandis qu'il en est temps, la grièveté de votre faute ; efforcez-vous, tandis que cela vous est permis, de vous soustraire à la rigueur de votre condamnation, de peur d'être forcé un jour de vous entendre adresser une aussi terrible sentence, sans pouvoir la détourner de dessus vous à force de larmes. Pesez bien ces paroles de l'Evangile : Priez pour que vous ne soyez pas obligé de fuir en hiver ou un jour de sabbat (MATTH., XXIV, 20). Car l'engourdissement que cause le froid gêne pour marcher en hiver, et la loi fait défend de voyager dans les jours de sabbat. En conséquence, chercher prendre la fuite en hiver ou un jour de sabbat, c'est vouloir échappe à la colère du souverain juge, lorsqu'on ne peut plus faire un pas pour s'en défendre. Fuyez donc, tandis qu'il en est temps et que cela vous est permis, la sévérité d'un jugement si redoutable. Pesez encore ces autres paroles : Faites promptement tout ce que votre main pourra faire, parce que

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n’y aura plus ni œuvre ni raison, ni sagesse, ni science dans les enfers où vous courez (Eccles., IX, 10). L'Evangile vous a appris que nous aurons à rendre un compte exact à la justice de Dieu de toutes nos paroles oiseuses, de tous nos propos inutiles. Inférez de là quel châtiment sévère elle tirera des œuvres mauvaises que nous aurons commises, puisqu'il y en aura de condamnés pour de simples paroles. Ananie avait fait vœu de consacrer à Dieu l'argent de son bien ; puis, vaincu par le démon, il se laissa persuader d'en soustraire une partie (Act., V, 2) : mais vous savez comment il fut puni de son avarice. Si donc il se rendit digne de mort, pour avoir soustrait à Dieu cet argent qu'il lui avait donné d'avance, voyez ce que vous mériterez au jour du jugement, vous qui avez soustrait à votre Dieu, non pas votre argent, mais votre personne même que vous lui aviez consacrée en prenant l'habit monastique. Voyez ce que méritez auprès de la justice divine celui qui s'est consacré à Dieu, et puis lui a retiré sa parole, en se laissant séduire par des pensées mondaines. Si vous voulez m'en croire, et vous rendre docile aux paroles sévères que je vous adresse en ce moment, vous reconnaître à la fin combien ces mêmes paroles renferment de bienveillance et de douceur. Ce n'est qu'à regret, je vous l'avoue, que je vous tiens ce langage ; accablé de tristesse pour le mal que vous avez fait, c'est à peine si j'ai la force de vous parler ; et vous, à qui votre conscience en fait le reproche, vous avez peine à souffrir que je vous en parle : cela vous fait rougir, cela vous confond, cela vous donne de l'aversion pour ma personne. Si donc vous ne pouvez soutenir les reproches d'un homme qui n'est après tout que poussière, que ferez-vous lorsque vous serez pour entendre ceux que vous fera votre créateur ? J'avoue cependant que je ne désespère pas pour vous de la miséricorde divine, et que, quoiqu'il vous voie fuir votre éternelle félicité, Dieu vous attend encore pour vous la faire obtenir, et malgré cet orgueil qui vous fait repousser ses grâces, il vous supporte toujours et vous ménage de salutaires avertissements par l'intermédiaire de ses indignes ministres. Tout ce que je demande de vous, c'est que vous méditiez avec attention ces paroles de l'Apôtre : Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu, car il dit lui-même : Je vous ai exaucé au temps favorable, et je vous ai aidé au jour du salut. Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut (II Cor., VI, 1-2). Mais je prévois que lorsque vous recevrez ma lettre, vous

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appellerez autour de vous vos amis actuels, et qu'au sujet de ce qui est pour vous une question de vie, vous demanderez conseil aux auteurs de votre mort, qui, vous aimant bien moins qu'ils n'aiment vos richesses, ne vous diront que ce qui pourra vous flatter dans le moment. Tels étaient en effet, si vous vous en souvenez bien, vos anciens conseillers qui vous ont entraîné dans ce mauvais parti. Pour vous rappeler un mot d'un auteur profane, traitons avec nos amis de toutes sortes d'affaires, mais avant toutes les autres, de celles qui concernent leur personne même. Or, si vous voulez avoir un conseiller qui s'intéresse à votre personne, je vous invite à me prendre. Vous n'en trouverez point de plus fidèle ni de plus sûrs que celui qui aime, non pas votre bien, mais vous-même. Dieu dira à votre cœur combien le mien a d'amour et de tendresse pour vous, sauf toutefois à s'arrêter là où la majesté divine serait offensée. Car c'est mon amour pour vous qui m'oblige à vous poursuivre ainsi de mes reproches. C'est parce que j'aime votre personne que je ne puis approuver ce que vous avez fait. Si donc vous voulez bien croire que je vous aime, venez vous présentez au pied du tombeau des apôtres, et prenez-moi pour votre conseiller. Mais si vous doutez de mon pouvoir auprès de Dieu, et que l'ardeur même de mon zèle m'ait rendu suspect à vos yeux, je prendrai pour mon propre conseil l'Eglise entière et je souscrirai de grand cœur à la décision que tous ensemble auront donnée, bien convaincu qu'elle ne pourra vous être que très-avantageuse. Suivez, je vous en conjure, l'avis que je vous donne, et que la grâce divine vous ait en sa garde. "

51. S. CHRYSOSTOME a publié trois livres contre les ennemis de la vie monastique. Il dit dans le second : " Ce que je trouve de moins pardonnable, c'est que non-seulement des gens qui ne sont nullement intéressés, qui ne sont ni amis, ni parents, ni alliés de ceux qui veulent se faire religieux, fassent tant de bruit, mais que des parents mêmes qui devraient avoir d'autres sentiments, se mettent en pareil cas dans des colères qu'il est impossible d'apaiser : quoique j'en voie d'autres qui les excusent à cause de la tendresse naturelle que des parents ont pour leurs enfants, et qui n'excusent nullement des étrangers et des inconnus qui font tant les empressés et qui témoignent plus de chagrin et plus de dépit contre nous de nous voir renoncer au monde, que ceux même qui devraient y prendre plus d'intérêt à cause des liens du sang ou de l'amitié. "

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" Pour moi, je raisonne tout autrement ; car ce n'est pas une chose nouvelle de voir des gens qui n'ont nulle liaison avec d'autres s'affliger du bien qui leur arrive, puisqu'ils peuvent le faire par des motifs d'envie ou de jalousie, ou parce qu'ils croient que les désordres des autres excusent leurs propres vices, et qu'ainsi ils peuvent avoir de l'humeur de les voir se déclarer pour le parti de la vertu : sentiments misérables sans doute, mais qu'enfin on conçoit que des étrangers puissent éprouver. Mais que les pères de ces jeunes gens, que ceux qui ont pris soin de les élever, qui tous les jours demandent à Dieu de les voir plus heureux qu'eux-mêmes qui font tout, qui souffrent tout pour arriver à ce but ; que ces même hommes, saisis tout-à-coup comme d'une espèce d'ivresse, s'affligent et se désespèrent lorsque leurs enfants les quittent pour embrasser une vie plus parfaite, c'est une des choses que j'ai le plus de peine à comprendre, et qui me fait croire que tout aujourd'hui est perverti et corrompu. Les siècles passés n'ont rien vu de semblable, etc. (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, t. Ier, p. 57, édit. de Montfaucon ; les Opuscules de saint Chrysostôme, p. 462-463). "

52. Le même, ibidem, lib. III : " Le premier degré de malice et de cruauté est de négliger les intérêts de ses amis ; ou plutôt (descendons plus bas, car je ne sais comment j'allais en faire l'oubli), la loi autrefois donnée aux Juifs ne leur permettait pas même de laisser se perdre les bêtes de charge de leurs ennemis, mais leur faisait un devoir, soit de les relever si elles venaient à tomber, soit de les ramener si elles s'étaient égarées. Le premier degré de malice et de cruauté, pour descendre jusque-là, est donc de ne pas empêcher de se perdre les animaux et autres semblables propriétés des ennemis qu'on peut avoir. Le second, plus élevé dans l'échelle des crimes que le premier, c'est de négliger le soin de ses ennemis eux-mêmes ; car autant les hommes sont au-dessus des bêtes, autant cet autre degré l'emporte en malice sur le premier. Le troisième degré de méchanceté, c'est de dédaigner ses frères, quand même ceux-ci seraient inconnus ; le quatrième ; d'avoir de l'indifférence pour ses proches ; le cinquième, de n'avoir aucun souci de les voir se perdre, non pas seulement quant au corps, mais même quant à l'âme ; le sixième, de ne pas se mettre en peine de voir se perdre, non pas simplement ses proches, mais ses propres enfants ; le septième, de ne pas cher-

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cher du moins quelqu'un qui se donne la peine de les sauver : le huitième, d’empêcher même et d'écarter ceux qui le voudraient de leur propre mouvement ; le neuvième de ne pas se contenter de les en empêcher, mais de s'y opposer de vive force et jusqu'à leur faire la guerre. Que si les trois premiers degrés de malice que je viens d’énumérer sont déjà punissables, quel supplice mérite donc le neuvième de ces degrés, celui-là même où vous êtes parvenus ? Et quand je dirais, non pas le neuvième seulement, mais le dixième et même le onzième, je ne dirais peut-être rien de trop. Pourquoi ? parce que ce péché est plus grave que les premiers énumérés, non pas seulement à raison de sa nature, mais encore à raison du temps. Que faut-il entendre par ceci, à raison du temps ? C'est que, si nous commettons les mêmes fautes que ceux qui vivaient sous la loi, nous ne serons pas punis de la même manière qu'ils l’eussent été eux-mêmes mais nous le serons avec d'autant plus de rigueur, que nous avons reçu plus de grâces, que nous faisons profession d'une doctrine plus parfaite, et que nous sommes appelés à de plus hautes destinées. Si donc un pareil crime emprunte un plus haut degré de malice, non-seulement à sa nature particulière mais encore à la différence des temps, quel incendie n'allume donc pas contre soi-même celui qui ne craint pas de s'en rendre coupable ? Et pour qu'on ne s'imagine pas que je parle en l'air, je vais citer des faits à l’appui de mes raisonnements ; des faits, dis-je, qui prouveront que, lors même qu'on n'aurait pas négligé son propre salut, on n'en serait pas moins condamné par un arrêté irrévocable si l'on négligeait le salut de ses enfants. " Ici le saint docteur cite l’exemple du grand-prêtre Héli (I Samuel, II, 16), etc.

" Les religieux jouissent d'un parfait repos ; ils voient le naufrage des autres, sans le craindre pour eux-mêmes comme s'ils étaient dans le ciel ; ils vivent sur la terre comme des anges. Car, comme l'état des anges est toujours le même, qu'on ne voit pas les uns dans la prospérité, les autres dans la détresse, mais que tous goûtent également le même calme, les même joies, la même communauté de gloire ; ainsi en est-il parmi les religieux. Aucun d’eux ne reproche à l’autre sa pauvreté, aucun d’eux ne se targue de ses richesses. La distinction du tien et du mien, cette source de toutes les discordes et de toutes les guerres, est bannie de leurs cellules. Tout chez eux est en commun, la table, la maison, les habits ; et faut-il s'en étonner, puisque tous n'ont

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qu'une même âme ? Ils sont tous également nobles et serviteurs, et tous également libres ; ils possèdent tous les même richesses, qui sont les vraies richesses ; tous la même gloire, qui est la seule véritable gloire ; car ils ne prennent pas pour des biens ce qui n'en a que le nom, mais ce qui l'est en réalité. Ils ont les mêmes plaisirs, etc. (Cf. S. Joannis Chrysostomi opera, etc. t. Ier, p. 78-79, 93-94 ; Opuscules de saint Jean Chrysostôme, p. 498-499, 523). "

53. Le même, Hom. XIV in I ad Timotheum, et Hom. LVI, LVII et LVIII ad populum Antiochenum (ancienne édition) continue à faire l'éloge de la vie monastique.

54. S. BERNARD, apologiâ ad Guilhelmum abbatem : " Pauvre moine que je suis ! Pourquoi est-ce que je vis encore ? Est-ce pour voir tomber dans cet état de mépris une profession comme la nôtre, la première qui ait existé dans l’Eglise, ou plutôt celle par laquelle l’Eglise a commencé, celle qui se rapproche le plus de l'état des anges, qui ressemble le plus à la Jérusalem céleste, notre mère, soit par la chasteté qui en fait l'ornement, soit par la charité, qui y brûle de ses flammes les plus ardentes ; cette profession instituée par les apôtres, embrassée pour la première fois par ceux que saint Paul appelle si souvent du nom de saints ? Et en effet, ces derniers ne retenaient rien de ce qui pouvait être à eux, mais tout était partagé entre tous, ainsi qu'il est écrit, suivant les besoins de chacun (Act., IV, 35). "

55. Le même, Homélie sur ces paroles de l’Evangile : Simile est regnum cœlorum homini negotiatori quærené bonas margaritas : " Qu'est-ce, je vous prie, que cette pierre précieuse pour laquelle nous devons tout donner, c’est-à-dire, nous donner nous-mêmes pour l’avoir, puisque c'est tout donner que de se donner soi-même à Dieu ? N'est-ce pas cette religion sainte, pure et sans tache, qui procure à l'homme l’avantage multiplié en tant de manière de vivre plus saintement, de faire moins de chutes, de se relever plus vite, de marcher avec plus de précaution, de recevoir plus de grâces et de consolations, de prendre un repos moins troublé d'inquiétudes, de faire une mort plus tranquille et plus douce, de faire une plus prompte pénitence de ses fautes, et d'obtenir une plus ample récompense. "

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Question VI

Que faut-il penser en résumé des conseils évangéliques ?

Nous devons penser de ces conseils, que ce sont des secours très-utiles et des stimulants très-énergiques, propres à soutenir notre faiblesse contre les amorces de la chair et les séductions du monde, à seconder nos efforts pour le bien et nos progrès dans la vraie piété, nous rendre plus libres dans l'accomplissement des devoirs de religion et du service divin, et de plus, comme nous l'avons fait voir, à nous faire obtenir dans le ciel une plus grande récompense et une gloire plus éclatante.

Et en effet, toute la perfection évangélique consiste, pour le dire en deux mots, à nous pénétrer le plus que nous pouvons des sentiments de la véritable charité, et à imiter de tout notre pouvoir notre divin maître. Or, nous imiterons Jésus-Christ si nous nous conformons à lui, aussi parfaitement que possible y dans la pauvreté qu'il a embrassée, dans la virginité qu'il a gardée, et dans la soumission et l'obéissance qu'il a pratiquées jusqu’à endurer, par amour pour cette vertu, la mort de la croix ; si, à l'exemple de l'apôtre saint Paul, laissant derrière nous ce qui se trouve déjà fait, nous poussons toujours en avant sans nous lasser jamais, en approchant de plus en plus de la céleste couronne proposée pour prix à nos efforts ; si en même temps nous faisons tout ce qui dépend de nous pour renoncer à notre propre volonté en nous soumettant à celle de Dieu dans la personne de nos supérieurs, si enfin nous aspirons toujours aux dons de Dieu les plus excellents, et si, après avoir choisi la meilleure part, nous prenons de bonne foi les moyens les plus sûr de la conserver jusqu'à la fin.

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TEMOIGNAGES DE L’ECRITURE.

1. I JEAN, II, 15-17 : " N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui. Car tout ce qui est dans le monde est, ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ; ce qui ne vient point du Père mais du monde. Or, le monde passe, et la concupiscence du monde passe avec lui ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. "

2. LUC, XV, 18-20, 26-27, 33 : " Mais tous, comme de concert, commencèrent à s'excuser. Le premier lui dit : J'ai acheté une maison à la campagne, et il faut nécessairement que j'aille la voir ; je vous prie de m'excuser. - Le second lui dit : J'ai acheté cinq couples de bœufs et je m'en vais les éprouver, je vous prie de m'excuser. - Enfin un autre lui dit : J'ai épousé une femme ; ainsi je ne puis y aller. . . . . - Si quelqu'un vient à moi, et ne hait pas son père et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. - Et quiconque ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. - Ainsi quiconque d'entre vous ne renonce pas à tout ce qu'il possède, ne peut être mon disciple. "

3. Id., VIII, 14 : " Ce qui tombe parmi les épines marque ceux qui ont écouté la parole, mais en qui elle est étouffée par les sollicitudes, par les richesses et par les plaisirs de la vie, de sorte qu'ils ne portent point de fruit. "

4. MATTHIEU, XIX, 10-14, 23-24 : " Ses disciples lui dirent : Si la condition d'un homme est telle à l'égard de sa femme, il n'est pas avantageux de se marier. - Il leur dit : Tous n'entendent pas cette parole, mais ceux à qui il a été donné. - Alors Jésus dit à ses disciples : Je vous dis en vérité qu'il est bien difficile qu'un riche entre dans le royaume des cieux. - Je vous le dis encore une fois : " Il est plus aisé qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille, qu'il ne l’est qu'un riche entre dans le royaume des cieux. "

5. Id., XIII, 22 : " Celui qui reçoit la semence parmi les épines est celui qui entend la parole ; mais ensuite les sollicitudes du siècle et l'illusion des richesses étouffent en lui cette parole, et la rendent infructueuse. "

6. I Corinthiens, VII, 32-34 : " Pour moi, je désire vous voir dégagés de soins. Celui qui n'est point marié s'occupe du soin des choses du Seigneur et de ce qu'il doit faire pour plaire

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au Seigneur. - Mais celui qui est marié s'occupe du soin des choses du monde, et de ce qu'il doit faire pour plaire à sa femme, et ainsi il se trouve partagé. De même une femme qui n'est point mariée et une vierge s'occupent du soin des choses du Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'esprit ; mais celle qui est marié s'occupe du soin des choses du monde, et de ce qu'elle doit faire pour plaire à son mari. "

7. Ecclésiastique, XXXI, 8-9 : " Heureux le riche qui a été trouvé sans tache, qui n'a point couru après l'or, et n'a point mis son espérance dans l’argent ni dans les trésors. - Qui est celui-là ? et nous le louerons, parce qu'il a fait des choses merveilleuses dans sa vie. "

8. Proverbes, XXIX, 15 : " La verge et la correction donnent la sagesse ; mais l'enfant qui est abandonné à sa volonté couvrira sa mère de confusion. "

9. Juges, XVII, 6 : " En ce temps-là il n'y avait point de roi dans Israël mais chacun faisait tout ce qui lui semblait bon. "

10. Galates, V, 13 : " Car vous êtes appelés, mes frères, à un état de liberté ; prenez garde seulement que cette liberté ne vous serve d'occasion pour vivre selon la chair, mais assujettissez-vous les uns aux autres par le mouvement d'une charité spirituelle. "

11. MATTHIEU, XIX ; comme ci-dessus, questions III et IV.

12. I Corinthiens, XIII, 1 : " Quand même je parlerais le langage des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis que comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante, etc. "

13. I JEAN, II, 5-6, 15 : " Mais si quelqu'un garde sa parole (la parole de Dieu), l'amour de Dieu est vraiment parfait en lui ; c'est par-là que nous connaissons que nous sommes en lui. - Celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ doit se conduire lui-même comme Jésus-Christ s'est conduit en toutes choses. - N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui. "

14. Id., IV, 47 : " Or, c'est en cela que consiste la perfection de notre amour pour Dieu, si nous sommes tels que Jésus-Christ en ce monde, afin que nous puissions avoir confiance au jour du jugement. "

15. Colossiens, III, 13-14 : " Revêtez-vous donc, comme élu de Dieu, saints et bien-aimés, de tendresse et d'entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de modestie et de patience. -

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Mais surtout revêtez-vous de la charité qui est le lien de la perfection. "

16. LUC, IX, 23 : " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix tous les jours et qu'il me suive. "

17. II Corinthiens, VIII ; MATTHIEU, VIII ; LUC, II ; Philippiens, II ; comme ci-dessus, question II, page 331.

18. I PIERRE, I, 18-19 : " Sachant que ce n'a point été par des choses corruptibles, comme de l'or ou de l'argent, que vous avez été rachetés de la vaine superstition où vous avait fait vivre la tradition de vos pères ; - mais par le précieux sang de Jésus-Christ, comme de l'Agneau sans tache et sans défaut. "

19. Id., II, 21 : " Car c'est à quoi vous avez été appelé, puisque Jésus-Christ même a souffert pour vous, vous laissant son exemple, afin que vous marchiez sur ses traces. "

20. Philippiens, III, 13-14 : " Non, mes frères, je ne pense point être encore arrivé au but que je me propose ; mais tout ce que je prétends, c'est qu'oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, - je m'efforce d'atteindre le terme de la carrière pour remporter le prix de la félicité du ciel, à laquelle Dieu nous a appelés en Jésus-Christ. "

21. Psaume LXXXIII, 8 : " Ils seront comblés de bénédictions par le législateur suprême ; ils avanceront de vertus en vertus, et ils contempleront le Dieu souverain dans Sion. "

22. I Corinthiens, XII, v. dern. : " Entre ces dons, ayez plus d'empressement pour les meilleurs ; mais je vais encore vous montrer une voie beaucoup plus parfaite. "

23. LUC, X, 41-42 : " Et le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, et vous vous embarrassez du soin de beaucoup de choses. Cependant une seule chose est nécessaire ; Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée. "

24. Apocalypse, II, 11 : " Soyez fidèle jusqu’à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie. "
 
 

TEMOIGNAGES DE LA TRADITION.

1. S. GREGOIRE-LE-GRAND, Moralium in Job lib. XXVI, c. 25 (al. 17) : " Les autres règneront, et ne seront point jugés : ce sont ceux qui, s'élevant par l'excellence de leur vertu au-dessus même des préceptes de la loi, ne se sont pas contentés d'accomplir ce qu'elle ordonne à tout le monde, mais ont voulu,

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par le désir d'une plus grande perfection, faire beaucoup plus que ce que les commandements généraux de Dieu leur prescrivaient. Et c'est à eux que Notre-Seigneur adresse ces autres paroles dans son Evangile : Pour vous autres qui m'avez suivi, lorsqu'au temps du renouvellement de toutes choses le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez aussi assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël (MATTH., XIX, 28). Un prophète les désigne encore, lorsqu'il dit : Le Seigneur viendra pour juger avec les anciens de son peuple. Et ce sont eux que Salomon, parlant de l'époux de la sainte Eglise, désigne par ces paroles : Son époux paraîtra avec éclat dans l’assemblée des juges, lorsqu'il sera assis avec les sénateurs de la terre (Prov., XXXI, 23). Ceux-là donc règneront dans le dernier jugement sans être jugés, puisqu'ils viendront eux-mêmes avec leur Créateur pour être juges des autres. En abandonnant toutes choses, ils ont fait plus par un zèle ardent et empressé qu'il ne leur était généralement ordonné. Car ce n'est pas généralement tout le monde, mais à un petit nombre de parfaits que le Seigneur a ordonné en particulier ce qu'il a dit ce jeune homme riche de l'Evangile (MATTH., XIX, 21; MARC, X, 21 ; LUC, XVIII, 22) : Allez, vendez ce que vous avez, et donnez-en le prix aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, venez donc, et suivez-moi. Et en effet, si tous les fidèles étaient obligés par ce précepte, nous ne pourrions sans péché posséder quoi que ce soit en ce monde. Mais il y a bien de la différence entre ce que l'Ecriture commande généralement à tout le monde, et ce qu'elle ordonne en particulier à ceux qui aspirent à une plus haute perfection. "

" Ceux-là donc ne seront pas compris dans le jugement général qui se seront élevés par l'excellence d'une vertu plus parfaite au-dessus de tous les commandements généraux qui ont été donnés à tous les fidèles. Et comme ceux-là périront sans être jugés, qui vivant dans l'infidélité auront négligé la loi, de même ceux-là régneront sans être jugés qui, poussés par l'ardeur d'une piété plus parfaite, s'élève par la pureté de leur vie au-dessus des préceptes généraux de la loi divine. C'est pour cela que saint Paul, voulant aller plus loin que les préceptes qui avaient été particulièrement donnés aux apôtres, en usa d'une manière plus parfaite que Jésus-Christ l'avait ordonné. Car quoiqu'il pût vivre de l'évangile en retour du soin qu'il prenait d'annoncer la parole de Dieu, il le prêcha, sans vouloir vivre aux dépenses de ceux qu'il avait pour auditeurs. De sorte qu'il ne serait pas

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juste que celui-là fût jugé pour pouvoir être admis à régner, qui aurait vécu encore plus parfaitement qu'il ne lui aurait été commandé. Disons donc ici avec l'Ecriture : Il rend justice aux pauvres (JOB, XXXVI, 6), puisqu'étant assis avec Dieu à son tribunal, ils seront élevés à une puissance d'autant plus grande, qu'ils auront été plus profondément humiliés dans cette vie par le mépris et l'abjection. "

2. S. AUGUSTIN, Lib. de moribus Ecclesiæ catholicæ, c. 33, parlant des cénobites de Milan, de Rome et d'autres endroits (Voir plus haut, question précédente, témoignage 39, page 486), fait de leur charité l'éloge suivant : " C'est la charité surtout qui est observée parmi eux : la charité règle la manière dont ils se nourrissent ; la charité règle leurs paroles ; la charité règle leur maintien ; la charité règle tous les mouvements de leur visage ; la charité est le lien qui les unit, comme elle est le mobile qui les conduit en tout (Voir sur ce même sujet l'opuscule de saint Thomas, intitulé : De perfectione vitæ spiritualis, et sa Somme théologique, 2a 2ae, q. 184 et 186). Ils croient qu'il n'y aurait pas moins de crime à la violer, qu’à violer la majesté de Dieu même. Si quelqu'un rejette les lois de cette divine vertu, on le rejette lui-même et on le chasse ; s'il la blesse, on ne souffre pas l'espace même d'un jour qu'il demeure en cet état. Ils savent que Jésus-Christ et ses apôtres l'ont si particulièrement recommandée, que sans elle rien n'est fait, et qu'avec elle tout est accompli (Cf. Traduction du livre de saint Augustin, des Mœurs de l'Eglise catholique, pag. 121-122). "

3. S. BERNARD, Epist. CCLIII ad abbatem Garinum Alpensem (à Guérin abbé du monastère des Alpes) : " Un désir constant de profiter, un continuel effort pour devenir parfait, est regardé comme la perfection. Que si c'est être parfait que de travailler à le devenir, ne pas vouloir y travailler, c'est assurément déchoir. Où sont donc ceux qui disent : Cela nous suffit, et nous ne voulons pas être meilleurs que nos pères. Lâche religieux, quoi ! vous ne voulez pas avancer ? Non. Vous voulez donc reculer ? Nullement. Que voulez-vous donc ? Je veux, dites-vous, vivre et demeurer comme je suis ; je ne veux devenir, ni pire, ni meilleur. Mais vous voulez l'impossible. Car quel est l'homme en ce monde qui demeure toujours à la même place ? N'est-il pas dit de lui qu'il fuit comme l'ombre, et qu'il ne demeure jamais dans

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un même état (JOB, XIV, 2) ? Enfin, le Créateur de l'homme et du monde, tant qu'il a été vu sur la terre et qu'il a conversé avec les hommes, ne s'est jamais arrêté mais, comme le dit l'Ecriture, il a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui lui demandaient leur guérison (Act., X, 38). Ses courses n'étaient donc pas inutiles ; elles n'étaient pas non plus ni faibles, ni lentes, ni paresseuses ; mais, selon la parole du Prophète, il s'élève tout d'abord plein d'ardeur, pour courir comme un géant dans sa carrière (Ps. XVIII, 6). Or, on ne parviendra jamais à atteindre celui qui court, si l'on ne court comme lui. Car, que sert de suivre Jésus-Christ si on ne l'atteint ? C'est pour cela que saint Paul a dit : Courez de telle sorte, que vous arriviez jusqu'au terme (I Cor., IX, 24). Vous donc, fidèle disciple du Sauveur, marquez le terme de votre course et de votre progrès au point où Jésus-Christ a marqué le sien. Il a été obéissant jusqu'à la mort (Philip., II, 8). Par conséquent, quelque temps qu'il y ait que vous couriez, si vous ne continuez jusqu’à la mort, vous n'arriverez point au terme. Jésus-Christ est le terme de la course. Que si vous vous arrêtez pendant qu'il court, loin de vous approcher de lui, vous vous en éloignez et vous devez craindre ce que dit David : Ceux qui s'éloignent de vous, Seigneur, périront (Ps. LXXII, 27). Si donc avancer c'est courir, vous cessez de courir dès que vous cessez d'avancer, et dès que vous commencez à ne plus courir, vous commencez reculer. De là il faut conclure, que ne vouloir pas avancer, c'est reculer. "

" Jacob vit une échelle, et des anges qui étaient dessus ; mais il n'en remarqua pas un seul qui s'y arrêtât et qui demeurât à la même place : tous lui parurent ou monter ou descendre, pour donner à entendre à tout le monde que, dans cette vie mortelle, il n'y a point de milieu entre progresser et déchoir. Mais, de même qu'avec le temps les corps ou se fortifient ou s'affaiblissent, de même il est inévitable que les esprits soient toujours, en voie de décadence ou en voie de progrès (Cf. Lettres de saint Bernard, trad. de Villefore, t. II, p. 224-226). "

4. Le même, Epist. CCCXLI, aux religieux de saint Bertin : " Le disciple qui profite est la gloire de son maître. Quiconque ne profite pas dans l'école de Jésus-Christ est indigne de l'avoir pour maître, surtout dans la vie présente, où rien ne demeure dans le même état ; car n'y point avancer, c'est inévitablement reculer. Que personne ne dise donc : C'est assez, je veux en

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rester là ; il me suffit d'être comme hier et avant-hier. Un homme de cette espèce reste en chemin ; il s'arrête sur cette échelle où le saint patriarche ne vit personne qui ne montât ou ne descendît. Je dis donc : Que quiconque croit être debout prenne garde de tomber (I Cor., X, 12) ; la voie est étroite et difficile, et ce n'est pas ici, mais dans la maison du Père céleste qu'il y a plusieurs demeures (JEAN, XIV, 2). Ainsi, celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ, doit marcher comme Jésus-Christ a marché (I JEAN, II, 6) ; car Jésus, dit l'Evangéliste, croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes (LUC, II, 40) : il ne s'est donc point arrêté, mais il est sorti plein d'ardeur pour courir comme un géant dans sa carrière. Et nous, si nous sommes sages, nous courrons après lui, attirés comme nous devons l'être par l'odeur de ses parfums. Que s'il arrive qu'on s'éloigne, le chemin n'en deviendra que plus dangereux et plus pénible pour l'âme paresseuse ; et elle ne pourra, ni sentir l'odeur qui la réjouirait, ni reconnaître comme il faut les traces certaines du Sauveur, dont elle se trouvera trop éloigné. "

" Ainsi, mes frères courez en sorte que vous puissiez l'atteindre (I Cor., IX, 24) : vous y réussirez si vous êtes bien persuadés que vous ne l'avez pas encore atteint ; si, oubliant ce qui est derrière vous, vous vous avancez vers ce qui est devant (Philip., III, 15), et si vous vous occupez continuellement de vous améliorer, de peur qu'enfin le Seigneur ne s'irrite, et que vous ne périssiez hors de la voie de la justice (Ps. II, 12). Celui qui me mange, dit la Sagesse, aura encore faim (Ecclé., XXIV, 29), et celui qui me boit aura encore soif. Que le paresseux, à qui le fumier paraît aussi dur que la pierre (Ecclé., XXII, 2), comprenne donc que le dégoût qu'il témoigne éprouver ne lui vient pas de rassasiement, mais d'inanition. "

" Enfin, comme tout contribue au bien de ceux qui selon le décret de Dieu sont appelés à la sainteté, que l'exemple que nous offre le monde dans la cupidité qui l'agite nous touche et nous ébranle. Quel ambitieux n'avons-nous vu se contenter des honneurs déjà acquis, et ne pas aspirer à de nouveaux ? Et la curiosité n'est pas moins insatiable. L'œil ne se rassasie point à force de voir, ni l'oreille à force d'entendre. Les désirs toujours nouveaux des hommes livrés à l'avarice, à la volupté, à la vanité, ne nous reprochent-ils pas notre négligence et notre tiédeur ? Ayons honte du moins de nous voir convaincus d'être moins empressés à l'égard des biens spirituels. Que l’âme con-

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vertie au Seigneur rougisse d'aimer la justice avec moins d'ardeur, qu'elle n'aimait auparavant l'iniquité. Car quelle comparaison établir entre les deux ? La récompense du péché, c'est la mort ; et le fruit de la justice, c'est une éternité de vie (Rom., VI, 23). Soyons donc tout confus d'aller maintenant avec moins d'empressement à la vie, que nous n'allions auparavant à la mort, et de travailler avec moins d'amour à notre salut, que nous n'avons fait à notre perte. Car, ce qui nous ôte toute excuse, sachons bien que, plus on se hâte, plus il est aisé de courir dans la voie de la vie. Plus le joug du Seigneur nous charge, plus il est aisé à porter. Les oiseaux ne sont-ils pas plus soulagés que chargés par la grandeur de leurs ailes, et par le nombre de leurs plumes ? Retranchez-leur ce soutien, et ils tomberont de leur propre poids. Il en est de même de la loi de Jésus-Christ, de la douceur de son joug, de la légèreté de son fardeau ; plus nous cherchons à nous en décharger, plus nous nous affaissons nous-mêmes, puisque, en le portant au contraire, nous le portons bien moins qu'il ne nous porte (Cf. Lettres de saint Bernard, trad. par Villefore, t. II, p. 521-523). "

5. Le même, Serm. II in Purificatione B. Mariæ : " Que si quelqu'un néglige de profiter de tous ces moyens et de s'avancer de vertus en vertus, qu'il sache que c'est demeurer dans un état stationnaire, ou pour mieux dire, que c'est revenir sur ses pas, puisque ne point avancer dans la vie spirituelle c'est la même chose que reculer, rien ici-bas ne demeurant dans le même état. Or, notre avancement consiste, comme je me souviens de l'avoir dit plusieurs fois, en ce que nous ne pensions jamais être arrivé au terme de la perfection, mais que nous nous appliquions toujours à ce que nous voyons en avant de nous, et que nous travaillions sans relâche à faire des œuvres plus parfaites, en exposant continuellement nos défauts aux yeux de la divine miséricorde (Cf. Sermons de saint Bernard sur les fêtes des saints, p. 33). "

6. S. AUGUSTIN, Epist. CXXXVII (al. 78) ad Hipponenses : " Je vous avoue ingénument devant Notre-Seigneur et notre Dieu qui voit le fond de mon cœur, et qui est témoin de la vérité de ce que je vous dis, que depuis que je me suis consacré à son service, comme je n'ai guère trouvé de meilleurs sujets que ceux qui menaient une vie régulière dans les monastères, je n'en ai point trouvé non plus de plus mauvais que ceux qui s'y sont pervertis,

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en sorte qu'on pourrait appliquer particulièrement à ces saintes maisons ces paroles de l'Apocalypse : Que celui qui est juste le devienne de plus en plus, et que celui qui est souillé se souille aussi de plus en plus (Apoc., XXII, 11). Mais si nous y avons trouvé des pierres de rebut qui nous contristent, nous y en avons trouvé aussi de précieuses et en plus grand nombre, qui nous consolent. Que le marc qui blesse vos yeux ne vous donne donc point de dégoût pour ces pressoirs d'où découle l'huile sainte qui se garde dans les réservoirs du Seigneur, et qui fait briller les lampes dont son Eglise est éclairée. Que la miséricorde de Notre-Seigneur et de notre Dieu vous conserve dans la paix, mes très chers frères, malgré toutes les embûches de l'ennemi (Cf. Lettres de saint Augustin, t. II, p. 135-136). "
 
 

FIN DU TOME CINQUIEME.
 
 
 

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