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Sermons de Saint Pierre Chrysologue
docteur de l'église catholique
406 - 450

Première traduction française des 176 Sermons de saint Pierre Chrysologue par JesusMarie.com, 19 août 2014
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Sermons 1 à 35

Sermon N°1
1er Sermon de saint Pierre Chrysologue sur la Parabole du Fils Prodigue (Luc 15, 11-32)

Aujourd’hui, le Seigneur a convoqué devant nous et a mis sur la scène un père avec ses deux fils, pour présenter dans une belle figure un exemplaire de son immense miséricorde, la jalousie furieuse du peuple juif, le retour repentant du peuple chrétien. Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : mon Père, donne-moi ma part d’héritage. Et le père répartit entre eux deux ses biens.

Autant le père est pieux, autant le fils est impatient, lui qui voit d’un mauvais œil la longévité de son père. Le père qui n’a pas le pouvoir de supprimer le temps, sent le besoin de se départir de ses biens. Le jeune homme n’a pas mérité le titre de fils, lui qui a dédaigné de posséder en commun avec son père ce qui appartenait au père.

Mais nous nous demandons quelle est la chose qui a entraîné le fils à ces actes , à ce genre de demande que la confiance a suggérée. Quelle chose ? Cette chose qui lui faisait connaître que le Père céleste n’était borné par aucune frontière, limité par aucune époque, ne pouvait être dissous par aucune puissance de la mort. Et c’est pourquoi il désire jouir de la liberté de ce qui doit être vu, lui qui ne voulait pas s’enrichir des biens d’un homme mort. La faute qu’il y avait dans la demande a donc été rachetée par la générosité du père.

Et il a partagé ses biens entre eux. A la demande d’un seul, il répartit ses biens entre ses deux fils. Pour que les fils comprennent que ces biens, il les retenait non par avarice mais par amour. Ce n’était pas par envie mais par une juste prévoyance qu’il ne les leur avait pas encore distribués. Le père était tenu de conserver ses biens pour ses fils ; il ne cherchait pas à les en frustrer. Il désirait l’augmentation de ses biens, non leur perte.
Bienheureux les fils dont tous les biens reposent dans la charité du père !
Bienheureux ceux dont la possession des biens repose tout entière dans la sollicitude paternelle, dans l’industrie du père ! Malheureusement, les héritages rompent l’unité, séparent les frères, dissolvent les liens familiaux, violent la charité, comme la suite nous le montrera.

Mon père, donne-moi ma part d’héritage ! Et il répartit ses biens entre ses deux fils, et quelques jours plus tard, après avoir fait ses bagages, le plus jeune fils part en voyage en direction d’un pays lointain où il dissipa son argent …..et il cherchait à remplir son ventre de la nourriture des pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Voilà ce que produit la convoitise de l’argent roi. Voilà comment, sans le père, l’argent appauvrit le fils, au lien de l’enrichir. L’argent a arraché le fils du sein du père, l’a éjecté de sa maison, l’a exilé de sa patrie, lui a fait perdre sa réputation, l’a dépouillé de sa chasteté. L’argent n’a rien laissé de ce qui a trait à la vie, aux mœurs, à la piété, à la liberté, à la gloire. L’argent a transformé le citoyen en un va-nu-pieds, le fils en un mercenaire, le riche en un indigent, l’homme libre en un esclave; il a associé aux porcs celui qu’il avait séparé d’un père très pieux, pour que se mette au service d’un vil bétail celui qui avait trouvé contraire à sa dignité d’obéir à la sainte piété.

Après avoir fait ses bagages, le plus jeune Plus jeune, à la vérité, non par l’âge, mais par l’entendement, celui qui empocha l’héritage du père, et qui s’éloigna plus par la pensée qu’en changeant de lieu, pour que, le prix étant donné mais non accepté, il aille se vendre misérablement à la servitude. Le négociant parvint ainsi à un contrat tel qu’il ne put rembourser ce qu’il devait au père, qu’il ne put rien redonner en retour à son père.
Près du père se trouve la douceur de vivre, la liberté dans le service, la sécurité de la sauvegarde, la joie respectueuse, le jugement condescendant, la richesse dans la pauvreté, la sureté de la possession. Car le labeur concerne le père, mais ses fruits retombent sur les fils.

Il a dissipé ses biens. Ce que la prudente modération du père conservait a été dissipé par la prodigalité du fils. Pour que le fils comprenne sur le tard que le père était un gardien des biens familiaux, non un geôlier. Il vivait dans le luxe. Cette vie est mortelle, parce qu’il meurt aux vertus celui qui vit des vices. C’est le sépulcre de la réputation, la ruine de la gloire. Celui qui demeure dans la honte voit croître l’infamie. Et après qu’il eut tout dépensé, il y eut une grande disette dans la région. A la luxure, au ventre, à la gourmandise est accordée en compensation la faim atroce, afin que sévisse la peine vengeresse, là où la faute a pris feu.
Une grande disette éclata. La voracité tend toujours vers cette fin, Le déchaînement de la volupté que l’on doit fuir aboutit toujours à ce terme.
Et il commença à manquer de tout. Le don des richesses engendra le dénuement.
Le refus de les lui donner l’aurait conservé riche. Ces richesses lui firent défaut quand il les eut en sa possession, alors qu’il les avait en abondance en compagnie de son père quand il ne les possédait pas.

Et il l’envoya garder les porcs. C’est ainsi qu’il arriva que celui qui s’est refusé à son père s’en est remis à un étranger, pour que fasse la connaissance d’un juge sévère celui qui a fui le plus indulgent des pourvoyeurs. Déserteur de l’affection qui est le refuge de la piété, il est affecté à la garde des porcs, il crée un lien de dépendance envers les porcs, il est livré à l’esclavage des porcs, il patauge dans les saouls à cochon pestilentielles, il est mis à mal par la méchanceté des bêtes, et est souillé par leurs excréments, pour qu’il éprouve la misère et goûte l’amertume d’avoir perdu la béatitude du repos paternel.
Et il désirait se nourrir des….mais personne ne lui en donnait. Quel travail ingrat, car celui qui vivait avec les porcs n’a pas pu être leur convive. Malheureux homme à qui fait défaut la pitance des porcs, et qui meurt de faim en face de l’abondance.. Malheureux celui qui convoite ce que mangent les porcs, se contentant de ce qui est sans saveur. !

Enseignés et instruits par de tels exemples, demeurons dans la maison du Père, maintenons-nous dans le sein de notre mère, resserrons les liens fraternels, et que le cœur de notre père nous retienne, pour que la misérable liberté de l’adolescence ne nous entraîne pas vers les maux ci-haut signalés.
Que le respect envers notre père nous modère,
que l’affection maternelle nous donne la maîtrise de nous-mêmes,
que l’affection fraternelle nous retienne.
Au milieu des lumières de la famille, les fautes ne peuvent pas se nicher. Les yeux des parents sont autant de lanternes. Le jour est le regard de la mère, le soleil brille dans le visage du père. Ainsi donc, les ténèbres des crimes ne peuvent approcher de celui qui vit au milieu des lumières de tant de vertus. Mais la maison du père nous nourrit de l’aliment de la vertu, du festin du salut, des délices de l’honnêteté et de la gloire.

Et parce que nous sommes forcé de nous étendre plus longuement sur cette parabole, nous nous demanderons dans le prochain sermon pourquoi le père a été si prompt à donner, le fils si prompt à recevoir, pourquoi le frère s’est-il attristé du salut de son frère, et pourquoi l’adolescent a-t-il été fou en partant et sage en retournant.
 
 

Sermon N°2
2ème Sermon de saint Pierre Chrysologue sur la Parabole du Fils Prodigue (Luc 15, 11-32)
[pourquoi le père a-t-il été si prompt à donner et le fils si prompt à recevoir ?]
[pourquoi le frère s’est-il attristé du salut de son frère ?]
[pourquoi l’adolescent a-t-il été fou en partant et sage en retournant ?]
 

Les maux qui ont frappé le fils luxurieux, déserteur d’un père si pieux, lequel, dévoré par la faim, s’est livré à la servitude des pourceaux, nous les avons racontés, autant qu’il nous a été possible, dans le sermon précédent. Nous décrirons maintenant son retour et sa pénitence d’un cœur plus léger et avec des paroles plus joyeuses. Revenu à lui, il dit : combien de serviteurs de mon père ont du pain en abondance. Il est revenu à lui-même. Il est retourné chez lui pour pouvoir retourner chez son père , celui qui s’était quitté lui-même quand il a quitté son père. Il émigre vers lui-même, s’il s’est transformé totalement en bête, après avoir oublié la piété du père et avoir perdu le souvenir de sa grâce. Combien de serviteurs de mon père ont du pain en abondance. Et moi, ici, je meurs de faim. La faim rappelle ce que la satiété avait expulsé. La faim donne le goût de son père à celui dont l’opulence avait enlevé le sentiment du père. Et si, malgré elle, la faim a tant pu procurer, que ne fera pas le jeûne volontaire ? Un ventre surchargé dispose le cœur aux vices, pressure l’esprit, afin qu’ils ne puissent ressentir la piété surnaturelle. Le corps qui se corrompt agresse l’âme, et la demeure terrestre des sens déprime la pensée.(Sagesse) Voilà pourquoi le Seigneur a dit : Veillez à ce que vos cœurs ne soient pas appesantis par l’ivresse. Il faut donc dégager l’estomac par la modération du jeûne, pour que, soulagée d’un lourd fardeau, l’âme puisse tendre vers les choses d’en haut, aspirer aux vertus et s’envoler, légère, vers l’Auteur même de la piété. Elie en apporte la démonstration, lui qui, délesté du poids du corps par la continuité du jeune dominical, s’est envolé vers le ciel, vainqueur de la mort.

Je me lèverai, et j’irai vers mon père. Il gisait par terre celui qui a dit : je me lèverai. Il a compris sa chute, il a pris conscience de sa ruine : être étendu par terre est chez le débauché , l’œuvre de la luxure honteuse. C’est pourquoi il s’exclame : je me lèverai, et j’irai vers mon père. Dans l’espérance de quoi ? En vertu de quelle confiance ? Celle qui vient de la paternité. J’ai perdu, moi, ce qui appartenait au fils. Lui n’a pas perdu ce qui appartient au père. Ce n’est pas un étranger qui intercède auprès du père. Il est dans le cœur du père le survenant qui avait expulsé l’affection de son cœur. Les entrailles paternelles ressentent un urgent besoin d’engendrer à nouveau le fils par le pardon. J’irai vers mon père. Mais le père, à la vue de son fils, ne songe qu’à couvrir sa faute. Il renonce à juger, celui qui préfère agir en père, et il tourne vite la condamnation en pardon, celui qui désire le retour de son fils, non sa perte.

Je me lèverai et j’irai vers mon père, et je lui dirai : j’ai péché contre le ciel et contre toi. La confession ouvre la porte de la maison du père, la pénitence parle éloquemment au cœur du père. J’ai péché contre le ciel et contre toi. Celui contre lequel il a péché n’est pas le père de la terre, mais le père du ciel. C’est pourquoi il ajoute : contre toi. Contre le père terrestre et le père céleste dont les yeux voient tout ce qui arrive. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Il est parti en voyage le jeune, et s’est enfui vers un pays lointain, mais ses accusateurs et ses témoins n’ont pas échappé aux yeux de son père divin. David a exposé cela plus clairement quand il a dit : Où irai-je loin de ton esprit, et où pourrais-je fuir ta face ? etc…Sur toute l’étendue de la planète, sa vue met à nu les crimes. Ni le ciel, ni la terre, ni la mer, ni l’abyme, ni même la nuit ne peuvent voiler à Dieu les péchés. David réalise tout ce qu’il y a de criminel et de pervers à pécher sous le regard de Dieu, et c’est pour cela qu’il s’écrie : c’est contre Toi seul que j’ai péché, et j’ai fait le mal devant Toi. C’est pour cette raison que cet adolescent vocifère lui aussi et s’exclame : j’ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Il ne dit pas : je ne suis pas digne d’être ton fils, mais je ne suis pas digne d’être appelé ton fils, car l’appel relève de la grâce, l’être de la nature. Ecoute la parole de l’Apôtre : A Celui qui m’a appelé dans sa grâce. Cet adolescent estime ne pas mériter ce qui est de l’ordre de la grâce, parce qu’il avait perdu ce qui vient de la nature. Traite-moi comme un de tes serviteurs. Qui a dépouillé le fils de sa puissance ? Voilà où ont promu le fils la volupté de la luxure et la liberté de l’adolescence ! Traite-moi comme un de tes serviteurs. Pour qu’il signe le contrat d’un travail servile annuel, pour qu’il soit astreint à la condition d’un porte-faix , pour que, travaillant tout le jour, il aspire à un maigre salaire, pour qu’il demeure toujours le vendeur de lui-même, et ne puisse jamais renier sa servitude. Et il demande cela parce que celui qui, auprès d’un étranger, avait vu sa liberté asservie, s’attend à trouver auprès d’un père la liberté dans le service.

Maintenant, mes frères, je voudrais vous révéler le mystère de cette leçon, même si un motif d’utilité ne m’y convierait, moi qui ne vous vois pas m’écouter avec les sentiments de componction convenables, mais comme si je me hâtais de dérouler devant vous des considérations hors de votre portée. Le Christ nous parle toujours des choses qui nous concernent et des choses à venir. Dans le but de nous corriger, Il multiplie les exemples, Lui qui veut être le père de ses serviteurs, qui préfère être aimé plutôt que craint, qui s’est donné Lui-même comme pain de vie, qui a répandu son sang dans la coupe du salut. Par des comparaisons passées, il corrige ceux du présent et du futur, de peur qu’abandonnant le bon père, le pieux Créateur, nous ne tendions vers les confins du monde et les expéditions sans fin, et que, vivant là dans la luxure, nous ne dissipions toute la substance du salut et de la vie; et qu’après avoir tout dépensé, nous n’ayons à supporter la faim terrible de l’espoir, et qu’ainsi nous ne soyons livrés au maître de cette région, qui n’est nul autre que le démon, l’auteur du désespoir, et qu’il ne nous envoie dans sa villa, i.e., aux vallons séduisants de ce siècle, qu’il ne nous envoie paître les pourceaux, comme les vents qui sont toujours prêts à voyager sur la terre, et tempèrent l’ardeur des passions de la chair par la vase du bourbier, les enfoncent dans le fumier, et les refroidissent dans les gouffres des vices. Qu’il envoie ses mercenaires aux pourceaux, c’est la cruauté insatiable qui fait cela, qui ne se contente pas de transformer les hommes en criminels tant qu’elle n’en a pas fait des princes du vice et des maîtres du crime. Quand elle les a réduits à ce point, elle ne leur permet pas de se rassasier de la nourriture et du breuvage des pourceaux, pour que la faim les rende encore plus délinquants, plus vicieux, car la luxure est insatiable, et la volupté est un puits sans fond. Nous donc, qui demeurons avec un bon Père, cohabitons avec un si pieux Créateur, pour que nous puissions éviter les pièges du démon, et jouir toujours de la compagnie d’un bon Père.

Nous écrirons par après des choses profondes, car nous devons faire davantage pour la communion et les mœurs.
 
 
 
 

Sermon N°3
3ème Sermon de saint Pierre Chrysologue sur la Parabole du Fils Prodigue (Luc 15, 11-32)

Nous avons décrit jusqu’à présent, dans deux sermons, l’éloignement, le retour, la faute, la pénitence du fils luxurieux, la bonté du père, la miséricorde ineffable du père. Se levant, il alla vers son père. Alors qu’il était encore loin, le père l’aperçut. Il fut ému de compassion, accourut vers lui, lui sauta au cou, et l’embrassa. Le jeune homme se releva de la ruine du corps et de l’âme. Il se releva des profondeurs de l’enfer jusqu’à atteindre les hauteurs du ciel. Auprès du Père céleste, le pardon a plus redressé le fils que la faute ne l’avait abattu. Se levant, il alla vers son Père. Il vint non par le mouvement des pieds mais par l’élan impétueux de l’esprit. En dépit de la distance, il n’eut pas besoin d’itinéraire, parce qu’il avait trouvé le raccourci de la voie du salut. Il n’a pas à chercher le Père céleste en parcourant les routes celui qui le cherche dans la foi, car il découvre bientôt qu’Il lui est présent. Se levant, il alla vers son père. Alors qu’il était encore loin…. Comment est-il éloigné celui qui s’en vient ? C’est qu’il n’est pas encore arrivé. Celui qui vient, vient à la pénitence, mais il n’est pas encore arrivé à la grâce. Il vient à la maison du père, mais il n’est pas encore arrivé à la gloire d’auparavant, ou de la vertu ou de l’honneur d’antan. Lorsqu’il était encore éloigné, son père le vit. Le Père l’a vu, Celui qui habite dans les hauteurs, pour que le fils puisse l’atteindre. Les yeux du père éclairèrent le regard du fils qui s’en venait, pour que fuie toute l’obscurité que la faute avait répandue autour de lui. Les ténèbres de la nuit ne ressemblent pas à ces ténèbres qui naissent du désordre des péchés. Ecoute le Prophète qui dit : Mes iniquités se sont emparées de moi, et je ne pouvais plus voir. Et ailleurs : Mes iniquités se sont appesanties sur moi. Et, un peu plus loin : Et j’ai perdu la lumière de mes yeux. La nuit ensevelit la lumière du jour, le péché celle des sens. Les membres apportent de la confusion dans l’âme. Si donc le Père céleste n’avait pas jeté ses rayons dans le visage du fils qui s’en retournait à la maison, et n’avait enlevé toute l’obscurité de la confusion par la luminosité de son regard, ce fils n’aurait jamais vu l’éclat du visage du père.

Il l’a vu de loin. Et il fut touché de compassion. Il est mu par la miséricorde Celui qui ne peut être mu d’un lieu à un autre. Il accourt, non en avançant avec les pieds, mais par le sentiment de pitié. Il lui sauta au cou. Non dans un élan purement physique, mais pressé par la compassion. Il s’est jeté à son cou pour redresser celui qui gisait par terre. Il s’est jeté à son cou pour qu’avec le fardeau de l’amour, Il lui enlève le fardeau des péchés. Venez à moi, dit-Il, vous tous qui peinez sous le poids de vos fardeaux. Prenez sur vous mon joug, car mon fardeau est léger. Prenez sur vous mon joug, car il est léger. Vous constatez que ce fardeau du père soulage le fils et ne l’écrase pas. Il s’est jeté à son cou, et il l’a embrassé. Voilà comment le père juge, corrige, comment il donne des baisers et non le fouet au fils pécheur. L’amour ardent ne voit pas les fautes, et le père rachète donc par un baiser les péchés du fils; il les met sous clé par une étreinte, pour ne pas mettre à nu les crimes du fils, pour ne pas l’en souiller. Le père panse les plaies du fils de façon à ne plus lui laisser ni cicatrice ni marque quelconque. Bienheureux sont ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont recouverts. Si cette action du fils nous déplaît, si nous horrifie son éloignement du père, pour notre part, nous ne nous éloignerons jamais d’un tel Père. Le regard du Père met en fuite les crimes, chasse tout ce qui fait du tort, repousse la débauche et les tentations. Mes frères, je vous en conjure, si nous nous éloignons, si nous dissipons les biens du Père en vivant dans la luxure, si jamais il nous arrivait de commettre un crime ou un délit, de nous précipiter dans l’impiété ou de nous ruiner totalement dans le mal, retournons vers un tel Père, à l’exemple d’un tel invité. Il accourut, se jeta à son cou, et l’embrassa. Je vous le demande, y a-t-il lieu de désespérer ? Est-ce là une incitation à se dérober ? Est-ce peut-être une invitation à la peur ? A moins que par hasard ne nous trouble le fait que le père se soit porté au devant de son fils, que nous inspire la peur le baiser donné au fils, que nous alarme l’étreinte paternelle, comme si le père l’avait reçu pour en tirer vengeance au lieu de lui pardonner. Ce fils, il l’écroue en le tenant par la main , il l’emprisonne dans ses bras, il le ligote avec ses muscles. Mais ce qui suit condamne suffisamment une conception vindicative de la vie, grandement ennemie du salut. Le père dit à ses serviteurs : …..car ce fils qui est mien était mort, et il est rendu à la vie; il était perdu et il a été retrouvé.Après avoir entendu ces choses, hésitons-nous encore ? Ne retournons-nous pas encore à notre Père ? Vite, apportez une robe de fête, et revêtez l’en. Il a supporté les crimes du fils, lui qui n’en a pas supporté la nudité. C’est pour cela qu’il lui impose ce vêtement. Pour que le fils ne soit pas accablé de ce poids, il a voulu que le fils soit vêtu par les serviteurs avant d’être vu, pour éviter que le père soit le seul à en connaître la nudité, car seul le Père ne pouvait voir la nudité du fils. Vite, apportez la robe de fête, Le Père qui, en des jours festifs, ne supporta pas que son fils soit pécheur, voulut que la joie procède plus du pardon que de la justice. Vite, apportez la robe de fête. Il ne lui dit pas : D’où viens-tu ? Où es-tu allé ? Où est l’argent que tu as emporté ? Comment as-tu pu transformer tant de gloire en tant de turpitude ? Mais : Vite, , apportez la robe de fête, et revêtez l’en. Vous voyez que l’amour ardent ne voit pas les fautes. Le Père ne connaît pas de miséricorde tardive. Celui qui dissèque les fautes, les étale au grand jour. Et il lui met une bague au doigt. La piété paternelle ne se contente pas de l’avoir innocenté. Elle veut lui restituer l’honneur et l’innocence d’antan.. Et mettez-lui des sandales aux pieds. Pour que pas même dans le pied ne demeure la difformité de la nudité; pour que, chaussé, il revienne au parcours de la vie antérieure. Et tuez le veau gras. Un veau ordinaire ne suffit pas s’il n’est pas gras, s’il n’a pas été engraissé. Le veau gras témoigne de l’abondance la charité du père. ….Parce que ce fils qui est mien était mort et est revenu à la vie. Il était perdu et a été retrouvé.

Nous parlerons encore de cette histoire et nous nous proposons d’élucider un mystère abscond. Le fils mort est rendu à la vie par la mort du veau., et, pour toute la famille, un seul veau a été gavé en vu de l’engraissement. Mais restons-en là, et nous poursuivrons plus tard avec la douleur vétuste du plus âgé, et sa jalousie plus vétuste encore.
 
 
 
 

Sermon N°4 et
4ème Sermon de saint Pierre Chrysologue sur la Parabole du Fils Prodigue (Luc 15, 11-32)
 

Tout en nous réjouissant du retour et du salut du plus jeune fils, nous répandons des larmes sur le plus âgé, et nous déplorons sa jalousie, lui qui a perdu le bien suprême de la sagesse par le mal extrême de la jalousie et de l’envie. Son fils ainé était dans un champ, et quand il revint et s’approcha de la maison, il entendit de la musique et des chants, et il appela un des serviteurs et lui demanda ce qui se passait. Celui-ci lui répondit : Ton frère est revenu, et ton père a fait tuer le veau gras, parce qu’il était retourné sain et sauf . Il fut alors. rempli d’indignation et refusa d’entrer. Le fils plus âgé était dans un champ à cultiver la terre, tout en se négligeant lui-même. Il écrasait les dures mottes de gazon, mais il maintenait intacts ses sentiments. Il éradiquait les chardons et les mauvaises herbes, mais il n’arrachait pas de son cœur le chiendent de la jalousie. Ayant semé la cupidité, il a récolté la jalousie et l’envie. Et comme il revenait et s’approchait de la maison, il entendit de la musique et des chants. La musique se dérobe à celui que la piété rend jaloux, les chants de la charité le fuient. Et celui que la voix de la nature appelle à venir à l’encontre de son frère et à s’approcher de la maison, la jalousie l’empêche de le rejoindre, l’envie ne lui permet pas d’entrer. L’envie est un mal atavique, la première faute, un virus ancien, un poison séculaire, la cause des meurtres. C’est elle qui au début éjecta l’ange, et l’expulsa du ciel. C’est elle qui exclut du paradis l’homme qui est à l’origine de notre génération. C’est elle qui ferma la maison paternelle au fils aîné. C’est elle qui arma la descendance d’Abraham, le peuple saint, jusqu’à lui faire tuer son Créateur, mettre à mort son Sauveur. L’envie est un ennemi interne. Elle ne secoue pas des murs de chair, elle n’abat pas l’enceinte des membres, mais, armée d’une tête de bélier, elle fait le siège du moi intérieur. Et avant que les organes s’en rendent compte, elle s’empare de l’âme, la maîtresse du corps, et l’amène prisonnière. Si nous voulons hériter de la gloire céleste, si nous voulons posséder la béatitude du paradis, si nous voulons habiter la maison du Père éternel, si nous ne voulons pas être coupables du meurtre du père céleste, avec une foi vigilante, et une lumière spirituelle, repoussons la hideuse jalousie, et éventons ses pièges. C’est avec toutes les forces des armées célestes que nous réprimerons la jalousie. Car comme la charité nous unit à Dieu, la jalousie nous en sépare. Le père sortit et se mit à le supplier. Le cœur du père est angoissé par les agissements divergents de ses fils, et devant les différents choix qui s’offrent à elle, la piété paternelle, stupéfaite, se met à se troubler : parce qu’elle voit que le frère va lui échapper par le retour du frère, et que le salut de l’un entraînera la perte de l’autre. Et qu’à cause de l’envie, une joie brève entraînerait une douleur durable. O redoutable jalousie ! La maison n’est pas assez vaste pour contenir deux frères ! Qu’il y a-t-il là d’étonnant, mes frères ? La jalousie a fait en sorte que la terre entière serait trop étroite pour ces deux frères, car c’est elle qui a poussé Caïn au meurtre de son frère, pour qu’à elle seule, la jalousie défasse ce qu’avait fait la loi de la nature.

Et celui-ci répondant, dit à son père : mon Père, depuis tant d’années que je te sers. C’est ainsi que pense celui qui ose juger la piété du père. Depuis tant d’années que je te sers. C’est par la servitude que le fils rembourse au Père le don de la naissance. Je n’ai jamais enfreint tes ordres. Cela, ce n’est pas ton innocence qui te l’a donné, mais la grâce du Père, parce qu’il a préféré, avec une grande charité, couvrir les défauts du fils plutôt que les révéler. Et tu ne m’as jamais donné un bouc pour que je festoie avec mes amis. .L’humeur jalouse du frère ne peut être agréable au Père. Il ne se souvient pas de la générosité du père celui qui a oublié la charité fraternelle. Il dit qu’on ne lui a pas donné de bouc, lui qui, au moment de la répartition des biens, en a reçu la moitié. Car, quand son jeune frère demanda sa part des biens, le père divisa la totalité de sa fortune entre les deux, au témoignage même de l’Evangéliste : et il divisa ses biens entre eux. Mais l’envieux est dissimulé, sournois, toujours. L’envie ment toujours. Et tu ne m’as jamais donné de bouc pour que je festoie avec mes amis. Il ne compte pas au rang de ses amis les amis de son père. Il estime être des étrangers et non des amis ceux qu’il voit être aimés gratuitement par le père. Mais après que ton fils que voilà ait dilapidé ses richesses avec des prostituées, tu as tué le veau gras. Le retour du frère le chagrine, non la perte des biens. Il ne se plaint pas à cause du dommage encouru, mais à cause de la jalousie. Celui qui devait de son propre mouvement honorer le retour du frère ne devait pas se tant scandaliser de la perte des biens. Tout le bien du père est dans le fils. Le père n’a donc rien perdu quand il a récupéré son fils. Il voyait le retour du cohéritier comme un tort à lui infligé. Et quand donc l’envieux n’est-il pas aussi avare ? Et ce que possède un autre, n’estime-t-il pas l’avoir perdu ? Mais le père lui dit : toi, tu es toujours avec moi. Tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait fêter et se réjouir parce que ton frère était mort et il est revenu à la vie. Il était perdu et il est retrouvé. Oh! Que ne fait pas la puissance de l’amour ! Même s’il ne sait pas si le fils peut exister sans le mal, il ne peut pas, lui, ne pas être père. Il voit que son fils a dégénéré spirituellement. Il voit qu’il n’a rien en commun avec la piété paternelle et les liens de la parenté, et pourtant, il l’appelle fils. L’affection le persuade, elle invite à la grâce et à l’espoir de la générosité , par ces paroles : toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Ce qui signifie : ouvre la porte au fils qui revient à son père. Permets au père d’accueillir son fils. Il n’a pas demandé autre chose que son père, lui qui, à son arrivée, n’a pas voulu être mis au rang de fils mais de serviteur, disant : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes serviteurs. Comme ce sont les biens qui te suffisent à toi, lui, c’est son père. Et pour que tu ne te croies privé ni des biens du passé ni de ceux du présent, je lui en procurerai de nouveaux dans le futur. Si tu acceptes mon conseil et ma recommandation, mets en commun les biens présents avec ton frère, pour que dans le futur, tout vous soit commun. Réjouis-toi, réjouis-toi de ce que ton frère a été retrouvé, pour qu’à son tour il se réjouisse que tu ne sois pas mort.

Mais mettons un terme à cette leçon historique. Avec l’approbation et sous l’inspiration de Dieu , nous continuerons à dévoiler d’autres mystères.
 
 
 
 

5ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 
 

C’est le propre d’un débiteur madré et impudent de ne pas respecter les ententes, et de faire attendre longtemps le plus patient des créditeurs par des subtilités astucieuses. Voici le cinquième sermon sur le départ et le retour du fils luxurieux, au cours duquel, tel qu’annoncé, nous nous efforcerons d’élever le sens historique jusqu’à la compréhension mystique unique qu’en a la divinité. Priez mes frères, pour que moi qui, en tant que débiteur, ne suis propre qu’à acheter à crédit, je devienne par la grâce de Dieu celui qui paie.

Un homme avait deux fils. Depuis que le Christ a assumé le fardeau de notre chair, et a revêtu les dépouilles de l’humanité, Dieu s’appelle en toute vérité homme. Dieu prend vraiment le nom de père des deux fils, parce que la déité mélangée à l’humanité, la piété associée à la déité ont mêlé l’homme et Dieu, ce que le Seigneur unit dans le Père. Cet homme, donc, ce père eut deux fils, qui n’obtinrent pas l’existence par leur mérite, mais par le commandement de Dieu. Car le Christ a été vu par nous comme un homme sans cesser d’être Dieu dans les arcanes de sa majesté. Il eut deux fils, i.e. deux peuples, le peuple des juifs et celui des Gentils. Le peuple juif, Il le rendit plus âgé par la modération de la loi. La stupidité du paganisme garda le peuple des gentils plus jeune. Car comme la sagesse donne de la mesure, la sottise enlève tout ce qui est viril . Ce n’est pas l’âge qui l’emporte chez le jeune, mais les mœurs. Ce ne sont pas les années qui ont fait le vieux mais les pensées.

Et le plus jeune dit à son père : donne-moi ma part d’héritage. Il ne demanda pas cela de vive voix à celui qui connaît les pensées, mais par le désir. Car la volonté propre de Dieu nous apporte le bien et le mal. Donc, celui-ci, maître de toutes les destinées comme son Père, a obtenu sa part par sa propre volonté , en disant : donne –moi ma part d’héritage. Et quelle est cette part? Que peut-elle bien être ? La vertu, la parole, la science, la raison, le jugement, toutes ces choses qui appartiennent sur cette terre à l’homme de préférence aux animaux, c’est-à-dire, selon l’Apôtre, la loi naturelle. Il répartit donc ses biens, donnant au plus jeune ces cinq biens de la nature que nous avons énumérés. Au plus âgé, il a donné cinq livres divinement inspirés, d’après une répartition inégale selon le mérite, mais égale par le chiffre. La part du plus jeune corromprait l’ordre humain; la part du plus âgée subsisterait , ayant été instituée par Dieu. L’une et l’autre loi conduiraient les fils à la connaissance du Père, promouvraient la révérence envers son auteur. Et quelques jours plus tard, après avoir fait ses bagages, il part en voyage en direction d’une terre lointaine , et là, il dissipe tous ses biens en vivant dans le luxe. Nous avons dit que ce n’étaient pas les années qui avaient fait le jeune mais les mœurs. Peu de temps après, parce que depuis le début du monde, la gentilité s’est précipitée vers le pays de l’idolâtrie. L’âme a voyagé vers la région éloignée du démon, non localement; elle a vagabondé à travers les éléments par de vaines cogitations. Elle ne s’est pas déplacée d’une terre à l’autre par les mouvements du corps, car elle était devant le Père sans le Père, et quand elle était en elle-même, elle n’était pas avec elle-même. . De là vient que le luxurieux, par le désir de l’éloquence séculière, et des lupanars scolaires, par les trivialités des écoles philosophiques, dissipa les biens du Père, dans une discussion démentielle. Et comme il a consumé dans de pures hypothèses le don de la parole, de la science, de la raison, du jugement, le malheureux éprouva une grand disette, une grande faim de connaître la vérité. Parce que la philosophie avait incité à la recherche laborieuse de la vérité, mais n’avait nullement produit le résultat de la découverte de la vérité. C’est pourquoi l’immigrant était lié au propriétaire qui l’a envoyé dans ce siècle, i.e., dans la villa aux multiples superstitions, pour qu’il paisse des porcs, qui ont dit au Seigneur : Si tu nous chasses, envoie-nous dans ces porcs. Pour qu’il paisse les démons avec de l’encens, des victimes, du sang, pour que, pour un tel travail, ils obtiennent la récompense de donner de fausses réponses. Une bête était immolée pour qu’elle devine, après avoir été tuée, ce qu’elle ignorait vivante; pour que les lobes du foie des hosties expriment ce que leur bouche n’aurait jamais proclamée. Comme le gentil ne trouvait rien de divin, rien de salutaire dans ces choses, désespérant de Dieu, de la providence, du jugement, de l’avenir, il opéra le passage de l’école à la gloutonnerie, cherchant à se rassasier des siliques que mangeaient les porcs. Les épicuriens ont expérimenté cela. Après avoir parcouru le cycle des études aristotéliciennes et platoniciennes, ne trouvant aucune discipline scientifique divine, ils se livrèrent à Epicure, le maître suprême du désespoir et de la volupté. Et ils mangèrent des siliques, i.e. qu’ils convoitèrent honteusement les voluptés et les plaisirs du corps, et se mirent à paître les démons qui toujours s’engraissent des vices du corps et de tout ce qu’il y a de plus sordide. Comme celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec Lui, ainsi celui qui se joint au démon est une seule chose avec lui. Même si ce jeune homme convoitait les siliques, il ne pouvait s’en rassasier. Parce que personne ne lui en donnait. Le démon voulait par la faim de la science, par l’âpreté des voluptés, rendre le Gentil encore plus avide de poursuivre les choses illicites, et de commettre des crimes. Mais le Père céleste a permis que le Gentil souffre de la faim, pour que la cause de l’erreur devienne un moyen de salut. Car Il soutint le Juif pour qu’il ne se perde pas, et Il toléra que le Gentil souffre de la faim, pour qu’il retourne. Il retourne en effet à son Père et il s’écrie : Père, j’ai péché contre le Ciel et devant toi. Que le plus jeune soit retourné à la maison du Père et qu’il ait appelé Dieu son père, la voix de l’Eglise le témoigne à chaque jour : Notre Père qui es aux cieux. J’ai péché contre le ciel et devant toi. Il a péché contre le Ciel quand il a dit en blasphémant que le soleil, la lune, et les étoiles étaient des dieux, et quand il les profanait en les adorant. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes serviteurs. Ce qui signifie que je ne suis pas digne d’obtenir la gloire du fils, ou du pardon comme salaire d’un travail mercenaire. Et celui à qui disparaît l’honneur de la postérité, se maintient quand même en vie par le pain quotidien. Mais le père sort à sa rencontre Quand nous étions encore des impies, le Christ est mort pour nous . (Saint Paul) Le père est accouru et est allé à la rencontre du fils quand Il est descendu ciel, et a touché terre. Le Père qui m’a envoyé est avec moi (Jean)

Il lui saute au cou. Il s’est jeté lorsque toute la divinité se coucha à table avec nous, et se pencha sur notre chair. Et il l’embrassa. Quand ? Quand la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont embrassées. Il donna une robe de fête. Celle qu’Adam perdit, la gloire sempiternelle de l’immortalité. Il lui mit une bague au doigt. Un anneau d’honneur, un gage insigne de l’esprit, le sceau de la foi, les arrhes des noces célestes . Ecoute l’Apôtre : je vous ai fiancé à un seul homme, comme une vierge qui présente au Christ sa chasteté. Et des sandales à ses pieds. Pour que les pieds soient chaussés en vue de la prédication de l’Evangile, pour que soient bienheureux les pieds de ceux qui prêchent la paix de l’évangile. Et il tua le veau gras. Celui dont David chantait : " Et Dieu se complut dans un veau nouvelet , cornu et gras. " Le veau est ainsi tué à la demande du père, parce que Dieu le Christ Fils de Dieu ne pouvait être tué sans la permission du Père. Ecoute l’Apôtre : Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais L’a livré pour nous tous. Voilà ce veau qui dans notre coupe, à chaque jour, est toujours immolé.

Mais le frère plus âgé , mais l’aîné des fils revenant des champs, le peuple de la loi, (la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux)entend de la musique et du chant choral dans la maison du père , et ne veut pas entrer. Nous voyons cela aujourd’hui de nos propres yeux. Car il vient le Juif à la maison du Père, i.e., l’église, il entend de l’extérieur, avec envie, résonner la cithare de David, il entend la symphonie du consentement des prophètes, il entend les chœurs du concours universel des peuples, mais ne veut pas entrer, demeurant à l’extérieur par jalousie. Pendant qu’il juge son frère gentil par ses frasques d’antan, et se scandalise de ses mœurs dépravées, il s’exile des biens paternels, et s’interdit les joies maternelles. Il a dit : depuis tant d’années que je te sers, sans jamais te désobéir, et tu ne m’a jamais donné un bouc pour que…Il est préférable de passer ces paroles sous silence, comme nous l’avons déjà dit, car c’est un Juif qui parle. Ce sont des paroles de grand parleur mais de petit faiseur. Le père sort et dit à son fils : Fils, tu es toujours avec moi. Comment ? Par Abel, par Hénoch, par Sem, par Noé, par Abraham, Isaac et Jacob, par Moïse, et par tous les saints d’où émane le peuple juif, comme l’Evangile le raconte. Et tout ce qui est à moi est à toi. Comment ? Parce qu’à toi est la loi, la prophétie, le temple, le sacerdoce, les sacrifices, le règne, les charges, et ce qui est au-dessus de tout, le Christ. Mais parce que, par jalousie, tu veux perdre ton frère, le festin paternel, les joies familiales, tu mérites de ne pas les posséder. Dans un sermon trop court nous n’avons pas pu élucider comme nous l’aurions aimé les mystères les plus secrets. Ce qui dans notre exposé peut paraître avoir été traité trop succintement, je le laisse à compléter par la sagesse de votre intelligence. Que votre collaboration ne soit ni ingrate, ni simple, ni occulte, pour que nous ne soyons pas obligé de révéler et d’expliquer les choses mystiques et relevées, au lieu de simplement les raconter ou les proclamer.
 
 
 

6ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

Parce qu’au retour du fils plus jeune, toute la famille chante en chœur, joue une symphonie céleste, il nous convient à nous aussi aujourd’hui de psalmodier, de jouer du tambourin , de faire vibrer les orgues, de toucher la cithare, et pour la joie d’un tel Père, de faire retentir une mélodie davidique. Jubilez pour votre Dieu, toute la terre. Quoi donc ? Que nous faut-il pour comprendre la signification de cette exultation ? Pourquoi, mais pourquoi donc, après tant de commandements de Dieu si terribles et si mirifiques, la terre est maintenant appelée, invitée à la jubilation ? Réjouissez-vous, est-il dit, terre entière. Pour quelle autre raison , si ce n’est que le Dieu terrible a choisi la houlette d’un pasteur très doux, est devenu personnellement un pasteur, pour que la miséricorde du pasteur réunisse en un seul troupeau les peuples qui vont à l’aventure, les hordes vagabondes, les nations dispersées sur toute la longueur et la largeur de la terre, comme des brebis errantes. Bien plus, pour que des nations sauvages qui sont la proie de la mort, qui, enfiévrées d’une fureur bestiale, ont pour nourriture la chair, pour brevage le sang, soient amenées à l’usage du lait, à la manducation du blé, à la douceur des brebis. Cette miséricorde demande et impose la discipline pastorale à toute la terre, en disant : Réjouissez-vous, terre entière. Comme la trompette invite le soldat à la guerre, la douceur de la jubilation invite les brebis aux alpages. Il convient donc de mitiger l’ardeur belliqueuse par la douceur pastorale, pour que la suavité d’une telle grâce sauve les peuples, où sévit depuis longtemps la férocité naturelle. Qu’il s’agissait bien du retour du bon pasteur quand le Christ est venu sur la terre, Lui-même l’indique aujourd’hui : Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses amis. C’est pourquoi le Maître Lui-même pourvut à s’adjoindre des auxiliaires, des aides pour prendre soin de toute la terre, en disant : Réjouissez-vous, terre entière. C’est pourquoi, retournant au ciel, Il confia à Pierre la garde de ses brebis, pour qu’en retour, Pierre les fasse paître en tant que siennes. Pierre, lui dit-il, m’aimes-tu ? Pais mes brebis. Mais pour que l’exercice de cette charge ne nourrisse pas la soif du pouvoir mais pousse à la piété , Il répète : Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis. Quand Il recommande les brebis, Il recommande aussi leur progéniture, parce que le Pasteur connaissait à l’avance la fécondité de son troupeau. Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis. Paul, le collègue du pasteur Pierre, présentait à ces brebis, en guise de pieuse pâture, des mamelles gonflées de lait, en disant : Je vous ai donné du lait comme aliment, non de la nourriture solide. Le saint Roi comprend cela, c’est pourquoi, comme exhalant une odeur de parfum, il s’exclame : Le Seigneur me pait. Rien ne manquera. Il me conduit dans un lieu de verdure. Il me mène vers des eaux rafraîchissantes. Après donc le gémissement continuel des guerres, après la triste vie sanguinaire, un verset de paix évangélique succédant, marquant le retour aux pâturages, annonce la joie à la servitude. L’homme était esclave du péché, captif de la mort, il était la propriété du démon, né dans la maison des idoles, il était fouetté par les vices, il était un produit du crime. A cause de tels et de si grands maux causés par son maître, l’homme faisait montre d’une servitude mauvaise et misérable. Quand le pécheur n’éprouve-t-il pas de la tristesse ? Quand ne se sent-il pas démuni devant la mort ? Quand donc les démons ne le font-ils pas souffrir ? Quand donc ne tremble-t-il pas de peur devant les idoles ? Quand donc n’est-il pas considéré comme suspect, quand il est dominé par les vices ? Quand donc les crimes ne le portent-ils pas au désespoir ? L’homme poussait de profonds soupirs quand il avait continuellement à supporter des maîtres si cruels. Nous voyant donc libérés de ces sortes de choses, et rappelés au service du Créateur, à la grâce du Père, à la liberté de la servitude du seul bon Seigneur, le prophète s’exclame à bon droit : Servez le Seigneur dans la joie. Car ceux que la faute avait rejetés, ceux que le remords avait expulsés, la grâce les ramène, l’innocence les introduit. Entrez en sa présence dans l’exultation. Celui qui entre en sa présence dans l’exultation est libéré de la faute, il est tout à fait assuré de la récompense. Mais cependant, à quoi exhorte ce prophète ? Qu’est-ce qu’il s’efforce de persuader? Entrez en sa présence dans l’exultation. Qui est libre en face de Dieu ? Qui peut mentir entre ses deux yeux ? Comment exulter devant la terreur de la majesté suprême ? Les archanges tremblent, les anges sont interdits, les puissances ont peur, les vieillards redoutent la face du Ciel, les éléments fuient, les rochers éclatent, les montagnes s’écroulent, la terre tremble, et, dans son intrépidité, l’homme pétri de terre, entrera jusque là pour s’y asseoir dans l’exultation ? D’où vient donc que le prophète présume que nous devions agir ainsi ? D’où cela vient-il? De ce qui suit : Sachez, est-il dit, que le Seigneur lui-même est Dieu. Que ce Seigneur qui est Dieu s’est fait enfant dans notre chair, lui qui dans le berceau était puissant, doux sur le sein de sa mère, calme dans son comportement, caressant en notre compagnie. Entrez donc en sa présence dans l’exultation. Parce qu’il a éloigné toute la peur qu’inspire la divinité, toute crainte du juge à notre endroit, il les a déplacées ces choses d’un regard qui pourvoit à tout. Pour que l’entrée ne redoute pas la condamnation du juge, mais s’attende à recevoir l’étreinte d’un parent. Et comment n’exulterait-il pas celui qui reconnaît son Père dans celui qu’il craindrait comme enquêteur ? Entrez en sa présence dans l’exultation. Sachez que le Seigneur est Dieu, que c’est Lui qui nous a faits, et non pas nous Lui. Vain est le travail du père et de la mère si dans le germe n’ont pas été présentes l’action et l’opération du Créateur. Tes mains , est-il écrit, m’ont fait et m’ont façonné. Et ailleurs ; tu m’as formé et tu as posé sur moi ta main. Notre naissance, notre existence nous ne les devons pas à nous-mêmes, mais entièrement à notre Auteur. Nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage. Il a été démontré plusieurs fois dans les proverbes qu’un pasteur céleste viendrait, avec une joie angélique, pour rappeler aux pâturages vivifiants les brebis débilitées par de la moulée délétère. Entrez, est-il dit, par les portes en confessant. La seule confession qui nous ouvre la porte du ciel est celle de notre foi. Il y a des hymnes dans la salle d’entrée Confessez-le, louez son nom. Nous avons déjà dit qu’une fois placés là, une symphonie spirituelle de cantiques célestes serait ajoutée pour que nous puissions confesser notre foi en entrant, pour qu’il y ait des hymnes dans le portique, que la louange soit présente jusqu’au fond du sanctuaire, là où la plénitude de la divinité habite toute entière. Confessez-le, louez son nom. Confessez-le car il est Dieu, louez son nom. Nom par lequel nous sommes sauvés, nom devant lequel tout genou fléchit, au ciel, sur la terre et dans les enfers . Parce que Dieu est suave? Mais comment donc ? Parce que sa miséricorde est éternelle. Il est vraiment suave par sa miséricorde, par laquelle seule Il a daigné annuler la sentence très amère de la condamnation de tout le genre humain. Voici l’agneau de Dieu, voici Celui qui enlève les péchés du monde. Sans fausser la vérité, Dieu prend pitié, Lui qui pardonne les péchés en enfermant la justice dans sa miséricorde et dans son intelligence, Lui qui est béni dans les siècles des siècles.
 
 
 

7ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 
 

Quand Dieu s’est muté en Père, Il a préféré régner plutôt par l’amour que par la puissance, être aimé plutôt qu’être craint. Son affection paternelle nous met en garde pour qu’un effort pénible, très saint par lui-même, n’entraîne pas notre perte, selon les mots de l’Evangéliste : quand vous jeunez, ne prenez pas un visage triste comme font les hypocrites. Ils prennent une mine défaite pour que les hommes voient bien qu’ils jeûnent. En vérité, en vérité, je vous le dis, ils ont reçu leurs récompenses.

L’hypocrisie est un mal subtil, un ver solitaire, un venin latent, une contrefaçon des vertus, la teigne de la sainteté. Tous les ennemis font usage de leurs forces, combattent avec leurs propres armes, font la lutte ouvertement, On se protège contre eux d’autant plus facilement qu’on les voit. Mais l’hypocrisie feint en toute sécurité, prospère en trompant, ment par curiosité, et avec une adresse cruelle, elle émousse la pointe des vertus. Elle anéantit le jeûne par le jeûne, elle évacue la prière par la prière, elle terrasse la miséricorde par la miséricorde. La jalousie , apparentée à la fièvre, met du feu dans la coupe froide. Ce que l’hydropisie est pour les corps, l’hypocrisie l’est pour les âmes. L’hydropisie assoiffe quelqu’un, l’hypocrisie l’enivre. Ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu’ils jeûnent. L’hypocrisie, en cherchant à captiver les yeux, devient elle-même captive des yeux. Ils prennent une mine défaite. Et s’ils assombrissent leurs faces, quel ornement du corps demeurera ? Il en est vraiment comme le dit le Seigneur : Si la lumière qui est en toi est ténèbres, que ne seront pas ces ténèbres ? Hypocrisie, s’il te plaît de rendre terne le visage, d’avoir la peau négligée, l’air triste, un visage d’enterrement, tu n’as même pas recueilli de louanges auprès des hommes, et, auprès de Dieu, tu as perdu le fruit du jeûne. Hypocrisie, tu as peiné par le jeûne de façon à ce que la peine du jeûne ne te soit d’aucun profit. Hypocrisie, tu es entrée dans les eaux de l’abstinence, tu as été ballotée par les vagues , tu t’es aventurée en haute mer, mais tu as fait naufrage dans le port du jeûne. Tu n’as remporté aucun profit, mais tu as fait l’acquisition de la vanité, toi qui as voulu t’enrichir sur le compte de Dieu. Tu devras donc Lui rendre des comptes, toi qui as perçu les intérêts de la misérable louange humaine. Frères, il faut fuir ce virus, il faut se protéger contre cette peste, qui crée les maladies à partir des remèdes, qui produit la fièvre à partir des médicaments, qui transforme la sainteté en crime, la tentative d’apaisement en faute, qui d’un sacrifice propitiatoire fait un instrument de rejet. Celui qui fuit l’hypocrisie remporte la victoire. Celui qui donne de la tête sur l’hypocrisie, croule. Fuyons l’hypocrisie, mes frères. Fuyons-la. Que notre jeûne soit sanctifié par la simplicité, par l’innocence. Que la pureté le rende pur, la sincérité sincère. Qu’il soit caché aux hommes , ignoré du démon, mais connu de Dieu. Celui qui ne cache pas un trésor l’exhibe au grand jour. Les vertus dont on fait parade ne dureront pas. Comme les vertus abandonnent ceux qui en font étalage, elles gardent ceux qui les tiennent sous surveillance. Donc, le jeûne qui est pour nous la première ressource contre les vices, doit être placé dans l’arène du cœur. Parce que, si le jeûne préside à l’intérieur, les vices n’auront pas la force de nous ébranler à l’extérieur. Pour que le chrétien puisse avoir cette sorte de jeûne, le Christ l’exhorte en disant : Toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête, lave-toi le visage, pour que ton jeûne soit connu non des hommes mais de ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. Dieu ne se complait pas dans les minois voluptueux, mais Il rejette les visages qui présentent une fausse apparence. Le visage défait, abattu par la douleur recherche la vaine gloire. Il n’est d’aucun profit au jeûne volontaire. Si quelqu’un veut jeûner, quel besoin a-t-il de la tristesse ? S’il ne veut pas jeûner, pourquoi jeûner ? C’est en toute justice qu’il porte le poids de la tristesse celui qui fait de la vertu un vice, de la vérité un mensonge, de la récompense une dépense, de la remise des peines un péché. Le cultivateur, s’il ne herse pas, s’il ne laboure pas, s’il ne creuse pas de profonds sillons, s’il n’arrache pas les mauvaises herbes, s’il ne dépose pas la semence en sécurité, c’est à lui-même qu’il ment, non à la terre, A la terre il ne fait pas de tort, mais il se prive de la récolte. Et c’est ainsi qu’il s’appauvrit, se frustre et se nuit celui qui ment à la terre d’une main trompeuse. Que fera-t-il, qu’aura-t-il, que trouvera-t-il celui qui ment à Dieu, pour apaiser sa faim, quand surabondera l’hypocrisie ? Parce que nous avons fait mention du cultivateur, qu’il sache devoir soutenir un labeur incessant, qu’il n’aura rien si, saisissant la charrue du jeûne et avalant les mauvaises herbes de la gourmandise et éradiquant l’ivraie de la luxure, il ne jette pas la semence de la miséricorde. C’est ce que le Seigneur a voulu nous faire comprendre lui qui, en nous prêchant sur le jeûne, ajoute ensuite : Ne vous amassez point de trésors sur la terre où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel. Là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. Qu’y a-t-il de plus paternel ? Qu’est-ce qui provient plus directement de l’amour ? Quel conseil plus convoyeur de charité ! Il veut que rien de ce qui est à toi ne périsse, lui qui veut déposer tes trésors dans les voûtes célestes. En quelle sécurité il dort celui qui a mérité d’avoir Dieu comme gardien de ses biens ! Comme il ignore l’inquiétude, comme il a surmonté les angoisses, comme il est sans anxiété, comme il est éloigné du faste, celui qui a confié ses biens à la garde de son Père ! Ce que la crainte servile ne pouvait pas surveiller, comme l’affection paternelle le fait ! Quand le Père donne quelque chose à ses fils, Il ne le prélève pas sur les choses qui avaient été par eux remises à sa garde . Il ne sait pas ce qu’est le Père, il ne sait pas qu’il est fils celui qui ne croit pas au Père. Les choses mises sons clé n’éliminent pas les mites, mais elles les emprisonnent. S’il elles les engendrent, elles ne les repoussent pas. Les choses conservées nourrissent la rouillent, elles ne peuvent l’éviter, car ce qui nait d’une chose ne peut être évité. Où il y a des trésors, les voleurs ne peuvent manquer. Celui donc qui remet ses biens à la garde des mites, de la rouille et des voleurs, ne les met pas en sécurité. Les mites naissent nécessairement des vêtements, la rouille du métal, les voleurs de l’argent. De la même façon, l’avarice naît des richesses, la cupidité du luxe, le désir d’acquérir, de l’avoir. Celui donc qui veut vaincre l’avarice, qu’il se dépouille des richesses, qu’il ne mette pas sa confiance en elles. Déposons d’avance, mes frères, notre trésor dans le ciel. Que les porteurs en soient les pauvres, eux qui peuvent apporter nos biens au ciel, dans leurs cœurs. Personne ne croit sérieusement au messager qui porte les morts. C’est toi qui es responsable de ce transfert, au cours duquel nos biens sont apportés à Dieu sous la sauvegarde de Dieu. A Lui honneur et gloire, vertu et règne, et actions de grâces dans les siècles des siècles. Amen.
 
 
 

8ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue 
Sermon sur le jeûne et la miséricorde envers les pauvres
 

Quand un navire appareille, quand il fait voile dans le but de traverser la mer, le prudent capitaine met de côté les soucis domestiques, nationaux, conjugaux, financiers, et ainsi, tout entier, il se livre corps et âme aux travaux nautiques, pour qu’il puisse résister aux intempéries, et pour que, vainqueur des obstacles, il puisse entrer dans le havre d’un port lucratif.

De la même façon, nous, mes frères, après être entrés dans le chemin de l’abstinence, nous être avancés dans la haute mer du jeûne, sur la route du carême, détachons le navire de notre corps du littoral mondain. Renonçons aux soucis de la patrie séculière. Sur le mât de la croix, larguons toutes les voiles de notre esprit. Maintenons notre vitesse de croisière avec les câbles des vertus, les rames de la sagesse et le gouvernail de la discipline. Et si nous dérivons ou si nous échouons, contemplons le ciel, pour que sous la conduite des signes célestes, nous puissions voguer en toute sécurité dans la houle et le tangage de la vie. Quand le Christ saisira le gouvernail, quand soufflera le Saint-Esprit, quand nous aurons triomphé des écumes des voluptés, vaincu les vagues des vices, détourné les tempêtes des crimes, évité les écueils des péchés, et échappé aux naufrages de tous les délits, nous entrerons dans le port de Pâques, dans les joies de la résurrection. Comme nous devrons cheminer par des champs dénudés, au milieu de tourbillons capables de nous égarer, dans des déserts aux pistes incertaines, il faut apporter avec nous notre viatique.
Exerçons abondamment la miséricorde en puisant dans notre besace.
Mes frères, le jeûne affame , le jeûne assoiffe celui qui ne se sustente pas avec le pain de la piété, que l’aumône ne protège pas, que ne recouvre pas le vêtement de la miséricorde.
Ce que le printemps est à la terre, la miséricorde l’est est au jeûne. Comme les vents printaniers font germer les fleurs des champs, ainsi, ce que le jeûne a semé, la miséricorde le fait fleurir; elle fait fructifier la vertu du jeûne en une moisson céleste. Ce que l’huile est à la lampe, la piété l’est au jeûne. Comme c’est le gras de l’huile qui produit de la lumière dans la lampe, et qu’une consommation modérée d’huile donne de la clarté pendant toute la nuit, de la même manière, c’est la piété qui fait resplendir le jeûne, et le fait rayonner pendant toute la durée de la continence.
Ce que le soleil est au jour, l’aumône apprend à l’être au jeûne. Comme le soleil dans toute sa splendeur rend plus éclatante la lumière du jour, et disperse complètement l’obscurité apportée par les nuages, ainsi l’aumône sanctifie la sainteté du jeûne, dissipe complètement la nuit de la cupidité par la lumière de la piété. Et pour que je ne me perde pas dans une infinité d’exemples, ce que l’âme est au corps, la libéralité l’est au jeûne. Comme le corps est mortifié quand l’âme se sépare de lui, ainsi l’éloignement de la libéralité est la mort du jeûne. Le jeûne est la mort des vices, la vie des vertus. Le jeûne apaise le corps, il est l’honneur des membres, l’ornement de la vie. Le jeûne donne la force mentale, la vigueur de l’âme. Le jeûne est le mur de protection de la chasteté, le rempart de la pudeur, la forteresse de la sainteté. Le jeûne est l’école où l’on gradue, le magistère du magistère, la discipline des disciplines. Le jeûne est le viatique de la voie ecclésiastique, détient la primauté de la milice chrétienne. Mais dans ces vertus, le jeûne déploie de la force, remporte la victoire, triomphe, quand il lutte en compagnie de la miséricorde. La miséricorde et la piété sont les ailes du jeûne, à l’aide desquelles il prend son envol et se rend jusqu’au ciel, et sans lesquelles il reste sur place on tourne en rond. Le jeûne sans la miséricorde n’est qu’un simulacre de la faim; il n’est nullement l’image de la sainteté. Le jeûne sans piété est une occasion d’avarice, ce n’est pas un vœu d’économie. Car autant cette parcimonie dessèche le corps, autant elle gonfle la bourse. Le jeûne sans miséricorde n’est pas un jeûne véritable mais imaginaire. Là où est la miséricorde, là se trouve la vérité. Le prophète en donne la preuve quand il dit : La miséricorde et la vérité sont venues à ta rencontre. Le jeûne sans la miséricorde n’est pas une vertu mais un vice, au dire même du Seigneur : quand vous jeûnez etc…Celui qui ne jeûne pas pour le pauvre, fuit Dieu. Celui qui en jeûnant ne sacrifie pas son repas, mais le met en réserve, donne la preuve qu’il jeûne par cupidité non par imitation du Christ. Quand nous jeûnons, mes frères, notre repas replaçons-le dans la main du pauvre, pour que la main du pauvre nous conserve ce que le ventre aurait éventuellement perdu. La main du pauvre est le sein d’Abraham, où le pauvre s’empresse de déposer ce qu’il a reçu. Le trésor du ciel est la main du pauvre. Ce qu’elle reçoit, pour qu’il ne se perde pas sur la terre, elle le redépose au ciel. Ramassez des trésors dans le ciel. La main du pauvre est la salle du trésor du ciel, parce que le Christ accepte tout ce que le pauvre reçoit. Donne donc, ô homme, la terre pour que tu reçoives le ciel ! Donne de l’argent pour acquérir le royaume ! Donne une parcelle pour entrer en possession du tout ! Donne au pauvre pour qu’il te donne, parce que tout ce que tu donneras au pauvre demeurera ta propriété. Ce que tu n’auras pas donné au pauvre appartiendra à un autre. Dieu réclame la miséricorde. Celui qui refuse à Dieu ce que Dieu veut, il veut que Dieu lui refuse ce qu’il désire. Je veux la miséricorde. Homme, c’est Dieu qui demande, mais pour toi, non pour Lui. Je veux la miséricorde. Il demande la miséricorde humaine pour faire don de la divine miséricorde. La miséricorde est dans le ciel où elle parvient par les miséricordes terrestres. Seigneur, est-il dit, dans le ciel est ta miséricorde. Quand tu plaideras ta cause devant le tribunal de Dieu, prends pour avocate la miséricorde . C’est par elle que tu seras innocenté. Celui qui est assuré du patronage de la miséricorde , qu’il se sente sûr du pardon, qu’il ne doute pas d’être exonéré. Seule la miséricorde prévient la condamnation, précède la mise en accusation, et révoque l’arrêt de mort, elle libère ceux qui ont été adjugés. Les Ninivites en sont la preuve. Des gens qui avaient déjà subi leurs sentences, qui étaient déjà livrés aux supplices, en position de victimes, qui étaient condamnés à mort, la miséricorde s’en est emparé, les a saisis, les a protégés de telle façon que Dieu a préféré reconduire sa sentence plutôt que de manquer en quelque chose à la miséricorde. Le jeûne, alors comme aujourd’hui, plaidait en faveur de l’accusé, mouillait de ses larmes les cendres, s’étendait sur une pièce d’étoffe en poil de chèvre, gémissait, fondait en larmes. Et ce que les mots ne pouvaient pas excuser, la douleur le régularisait. Mais elle n’aurait pas pu modifier le verdict, si la miséricorde n’était pas intervenue en suppliante. La miséricorde libère les pécheurs et rétablit les saints. Car si la miséricorde n’avait pas été présente, même un David, après son adultère, aurait perdu le don de prophétie. Et le blasphémateur Paul serait demeuré persécuteur. Il le reconnaît, cela, Paul quand il dit : Moi qui fus d’abord, un blasphémateur, un persécuteur et un enragé. Mais j’ai obtenu miséricorde. Frères, par la miséricorde envers les pauvres, faisons l’acquisition de la miséricorde, pour que nous puissions nous soustraire à la condamnation et être assurés de notre salut. Bienheureux les miséricordieux, est-il dit, parce qu’ils obtiendront miséricorde. C’est en vain qu’espère la miséricorde là-bas celui qui ne l’a pas exercée ici-bas. Celui qui fait la miséricorde court vers la victoire, celui qui ne pratique par la miséricorde se précipite vers les supplices [de l'enfer].
 
 
 
 
 
 

9ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 
 

Dieu agit avec nous, Dieu agit en ce siècle pour que rien ne soit perdu des mérites futurs, comme il ressort clairement du début de cette lecture : Veillez à ce que vous ne pratiquiez pas la justice devant les hommes pour être vus par eux. Autrement, vous ne recevrez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Et comment ce qui se fait devant les hommes est comme n’ayant pas été fait ? La patience et la justice se cachent pour ne pas être aperçues. Comment parler de secret dans le cas d’une œuvre faite sur la place publique ? Celui qui peut éclipser les rayons du soleil de justice pourra faire disparaître la foudre. La justice est la lumière de choses qui ne sont pas voilées par des conseils obscurs. Quand la justice brille, par une action qui lui est propre, elle éclaire tout par son exemple. Et pourquoi Dieu ne veut-il pas que la justice soit pratiquée devant les hommes, elle qui donne aux choses humaines leur statut ? Et comment comprendre ceci  : Que votre lumière luise devant les hommes pour qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Comment peut-Il vouloir cacher la justice dont Il veut faire ainsi reluire les œuvres ? Mes frères, cette recommandation céleste veut enlever la jactance, écarter la pompe, éloigner la vanité, proscrire la vaine gloire. C’est de cette façon qu’Il veut cacher la justice. La justice, qui a par elle-même de quoi déboucher sur la gloire, n’a pas besoin de se donner en spectacle à la foule, d’être louée par le peuple, de courtiser les faveurs des hommes, de rechercher la gloire du monde. Engendrée par Dieu, elle a les yeux tournés vers le Ciel. Elle agit sous l’œil de Dieu. Imprégnée des vertus célestes, elle n’attend la gloire que de Dieu seul. Voilà quelle est la justice qui vient de Dieu. Cette justice qu’est l’hypocrisie n’est pas la justice. Elle trompe les yeux, abuse le regard, se joue de ceux qui l’observent, prend au piège les auditeurs, séduit les foules, trahit les peuples, prostitue la réputation, achète les applaudissements, existe pour le siècle, non pour Dieu, dilapide la récompense terrestre, n’attend pas de rétribution dans le monde futur. Elle condamne les yeux à ne pas voir. Aveugle elle-même, elle ne voit pas et veut être vue. C’est à cause de cette cécité que Jésus commence par ce précepte : Veillez à, gardez-vous de… C’est-â-dire, surveillez-vous pour ne pas faire. Veillez à ne pas pratiquer votre justice devant les hommes. Pourquoi ? Pour ne pas être vus par eux. Et qu’arrivera-t-il si l’on vous voit ? Vous ne recevrez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Mes frères, ici, le Seigneur ne juge pas mais Il expose , Il dévoile la fourberie des pensées, Il met à nu les secrets des cœurs, Il indique le mode de la juste rétribution à ceux qui pratiquent injustement la justice. La justice qui se loge dans les yeux humains ne peut pas espérer la récompense du Père céleste. Elle a voulu être vue, et elle a été vue. Elle a voulu plaire aux hommes et elle a plu. Elle a obtenu la récompense qu’elle désirait. Pour quelle raison ces paroles ont-elles été dites d’abord, nous l’entendrons pas ce qui suit : Quand tu fais l’aumône, ne te fais pas précéder par le son de la trompette, comme le font les hypocrites. Le mot trompette est bien choisi car une telle aumône a un aspect plus militaire que civil. Elle n’a pas pour but la miséricorde, mais les ovations. C’est un jeune esclave séditieux, non un enfant pieux., un trafic ostentatoire, non le commerce de la charité. Celui qui fait parade de l’aumône l’insulte. Toi, est-il dit, quand tu fais l’aumône, ne te fais pas précéder du son de la trompette comme le font les hypocrites dans les synagogues et sur les places publiques pour être glorifiés par les hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Vous avez entendu comment Il note que l’aumône faite dans les assemblées, sur les places publiques, dans les carrefours, ne sert pas au soulagement des pauvres, mais est destinée à capter la faveur des hommes, pour bien démontrer qu’ils font de la miséricorde une vente, non un don. Il faut fuir l’hypocrisie, mes frères, il faut la fuir, elle qui est captive de la gloire, et ne relève pas l’abjection des miséreux , mais plutôt la harasse ; qui, dans le gémissement du démuni, recherche la pompe de sa glorification, qui dilate sa gloire par la douleur du pauvre, qui contraste l’ostentation de sa réputation par la misère du mendiant. Mais dira quelqu’un : il n’est donc pas permis d’ exercer la miséricorde dans les assemblées, dans les places publiques, dans les carrefours ? Elle ne peut pas être exposée aux regards ? Cela est permis. En tout lieu, en tout temps , il faut pratiquer la miséricorde, nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus. Mais de la façon que l’a enseignée l’Auteur de la miséricorde : qu’elle soit connue du Ciel et non de la terre. Elle n’a pas été instituée par les hommes, mais par Dieu. Sur les places publiques et dans les carrefours, la piété peut demeurer secrète. Au contraire, il agit sur les places publiques et dans les carrefours l’hypocrite quand il ne garde pas secret ce qu’il fait en secret. Frères, Dieu, par sa mise en garde, n’incrimine pas le lieu mais l’intention, la motivation de l’action, non l’action elle-même, la passion non le donateur. Il critique celui qui pratique la charité pour son bon renom, non pour l’apaisement de la faim du pauvre. Son jugement ne porte pas sur le lieu ni sur le temps, mais sur la façon dont l’action a été faite. Il veut que la miséricorde soit faite pour Lui seul, Lui qui est le seul témoin et le seul rémunérateur de la miséricorde , Lui qui a dit : J’ai eu faim et tu m’as nourri. Il veut qu’on Lui fasse l’aumône dans le pauvre, et Celui qui veut qu’on Lui fasse l’aumône, veut se devoir à Lui-même ce qui est donné. Il veut qu’aux généreux, rien ne disparaisse de ce qu’ils ont donné. Dieu demande de petites choses pour en restituer de grandes. Si l’homme prête à Dieu dans le pauvre , il n’a pas besoin de témoins humains. La foi n’a pas besoin d’arbitres. Celui qui ne donne rien sans médiateurs, se défie de la foi du bénéficiaire. Celui qui divulgue les dettes couvre de honte le débiteur. Toi, ô homme qui te proposes de donner à Dieu, donne en secret ! Pour que ce que tu désires ne te soit pas à charge mais à honneur. Celui qui t’enrichit vient vers toi dans le pauvre, pour que tu n’hésites pas à rendre ce que tu as reçu à Celui qui t’a donné gratuitement d’avoir de quoi donner. A quel point elle est pudique la pauvreté qui exige le secret de tes largesses, le Seigneur lui-même nous le fait comprendre quand il dit : Toi, quand tu fais l’aumône, que ta gauche ignore ce que fait ta droite! Penses-tu qu’elle veut ignorer l’autre main, celle qui cherche à te plonger dans l’ignorance par une partie de toi-même ? Que ta gauche ne sache pas ce que fait ta droite. Comme les vertus sont situées du côté droit, les vices le sont du côté gauche. Comme c’est l’œuvre de la droite ce qu’elle fait, elle le fait en silence. Ce que fait le donateur à la langue bien pendue, c’est l’œuvre de la gauche hypocrite. L’hypocrisie, la ruse, la simulation, la fraude , le mensonge, l’arrogance, l’enflure, la vanité et la jactance se posent sur nous et avoisinent la gauche. Toutes les fois qu’il est question de bonté, de piété, de miséricorde, la gauche ne sait rien de tout cela. La gauche est celle qui déclare la guerre dans nos âmes, et manigance pour que les vertus ne se développent pas. L’impiété s’agite pour que la piété ne soit pas. La cupidité guerroie pour que la bienfaisance ne vainque pas. L’avarice fait délirer pour que la miséricorde ne récupère pas. A elle seule, l’hypocrisie complote pour empêcher que règnent l’innocence, la pureté, la simplicité et la sainteté . C’est ce dont nous prévient Jésus par cette prédication : Toi, quand tu fais l’aumône, que ta gauche ignore ce que fait ta droite ! Mes frères, en ce siècle, fuyons les choses qui sont de la gauche, si, dans le futur, nous voulons nous ternir debout à droite. Venez ,les bénis de mon Père, prenez part au royaume qui a été préparé pour vous depuis le début du monde. Homme, milite en compagnie du pauvre pour le pauvre, si tu veux là-haut régner avec Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est béni dans les siècles des siècles.
 
 
 
 
 
 

10ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 
 

Tous ceux qui sont stimulés par les difficultés d’une entreprise et que les angoisses soulagent peuvent témoigner qu’en consolation de notre labeur, nous est naturellement donnée une chanson. Ces gens-là franchissent les détroits au son du chant du matelot. Ils transportent des fardeaux gigantesques avec l’allègement des cantiques, la voix sonore fait gravir aux voyageurs des montagnes abruptes, le chant qui précède les guerriers les stimule à supporter l’amertume des combats. Et pour ne pas être prolixe, la douceur de la sérénade vient à bout de tout travail difficile et en triomphe. Qu’il en soit ainsi pour nous, mes frères. Joignons au jeûne de quarante jours des cantiques divins, pour qu’une musique céleste allège le poids de l’abstinence, et qu’une symphonie nous provoque à élever nos esprits. Le bienheureux David qui, au moyen d’une flûte de Pan, adoucissait les bêtes rétives et les récréait dans les pâturages, a appris à supporter par le chant les atrocités de la guerre. C’est par le chant qu’il a pu appeler les Gentils, ramener les Juifs, mettre le démon en fuite, inviter les fils de Dieu à porter du respect au Père céleste , le son de sa mélodie étant une magnifique invitation. Apportez au Seigneur, fils de Dieu, est-il dit. Penses-tu qu’Il appelle d’un autre nom les anges ? Ou qu’Il rend les hommes capables d’être des fils de Dieu ? Et qu’Il élève la chair terrestre à la nature céleste ? Apportez au Seigneur, fils de Dieu. Le prophète parle ici des hommes, qu’il ne cesse d’appeler ailleurs fils de Dieu. J’ai dit : vous êtes des dieux, et tous des fils du Très-Haut. Nous avons entendu, frères, jusqu’où la condescendance divine nous a élevés, jusqu’où nous a fait monter la paternité céleste. Croyons que nous sommes des fils de Dieu ! Montrons-nous dignes de notre origine ! Vivons le regard tourné vers le ciel ! Référons-nous à Lui en L’imitant, pour que les vices ne nous fassent pas perdre ce que la grâce nous a obtenu. Apportez au Seigneur, fils de dieu. Vous voyez que le Père reconnaît l’amour dans les dons, l’affection dans les présents, il voit la sincérité de la charité dans les devoirs qu’on Lui rend. Il vieillit prématurément, il manque de cœur, il renie la nature , il est ingrat envers son père celui qui ne cherche pas à plaire à l’Auteur de ses jours en l’adorant , qui ne se sent pas lié par l’obligation de lui rendre un culte, ne l’honore pas dans ses actions. . Apportez au Seigneur, fils de Dieu. Voyons en quoi consiste cette chose que le prophète ici nous invite et nous exhorte à apporter à un tel Père. Apportez au Seigneur, fils de Dieu, apportez tout ce qui a trait aux béliers. C’est-a-dire tout ce dont a besoin et ce que requiert le fœtus des brebis, le vil germe de l’animal terrestre, une couche pour les enfantements en cours de route, les semences éparpillées dans les champs, il invite la race divine à les offrir au divin Père. Est-ce que le Créateur de toutes choses requiert maintenant de nous les victimes judaïques, les sacrifices sanglants, des hosties de brebis égorgées au couteau ? Et où a-t-Il donc dit : Je n’accepterai pas les veaux de ta maison ni les boucs de tes champs, parce que toutes les bêtes sauvages m’appartiennent…. … Et s’Il rejette ceux-ci, pourquoi demande-t-Il à ses fils de Lui apporter des fils de béliers . ? Il a dit à Abraham : Prends ton fils bien-aimé et offre-le-Moi en holocauste. Le bélier Abraham, d’une innocence parvenue à maturité, vieilli dans la foi, l’hostie parfaite, prêt pour l’holocauste, apportait son fils, le fils du bélier. Bien plus, il s’immolait lui-même dans le fils, il sanctifiait son esprit, il réjouissait sa foi, pour qu’il soit en même temps victime et pontife, le sacerdoce et le sacrifice. La passion du père était ici toute entière là où le fils était immolé Le fils était là debout, ignorant de tout; il était ligoté sans comprendre, pour qu’il enlève le martyr de la passion, récompense de la peine du père, pour qu’il dérobe la couronne à la torture du père. Ensuite, la main droite du père est arrêtée, le glaive du père est enlevé, parce que ce n’était pas la mort du fils qui était recherchée, mais la charité du père était mise à l’épreuve. Ce n’est pas non plus le sang du fils qu’on attendait, là où la victime consistait totalement dans l’amour du père, comme le dit l’Ecriture : Maintenant, je sais que tu aimes Dieu parce que, à cause de moi, tu n’as pas épargné ton fils unique. Nous avons donné le nom de bélier à Abraham, comme nous prouverons que Isaac est fils de bélier, comme s’il s’avérait que le prophète veut que nous offrions au Seigneur des fils de béliers. Apportez au Seigneur des fils de béliers. Le chrétien est averti d’offrir à Dieu les fils des pères, des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des confesseurs. Le troupeau du Seigneur est lâché dans les pâturages de la foi, quand le pasteur céleste veut que les agneaux soient amenés dans le bercail du Seigneur, de peur que, dispersés dans les lieux incultes des Gentils, ils soient dévorés par les meutes de loups. Mais ce dont nous avertit la voix divine, nous le dirons bientôt. Apportez au Seigneur les fils des béliers. Apportez au Seigneur ceux qui ont à recevoir le baptême, ceux que la foi a conçus, apportez ceux que la grâce de Dieu régénère, non la nature mondaine. Apportez ceux que l’innocence met au rang des agneaux, elle qui n’a rien à voir avec l’hébétude des bêtes. Recevez ceux que l’âge empêche de venir spontanément ou que la nécessité paralyse, ou que retarde l’ignorance, ou que tiennent captifs les vices, ou que retardent les fautes, ou que l’attente a déçus, ou que la pauvreté induit dans la confusion de l’erreur. Amenez ceux qui le veulent, attirez ceux qui ne veulent pas, faites de nécessité vertu. Si le maître a un esclave catéchumène, qu’il le fasse venir, pour avoir un esclave fidèle. Que le père offre son fils sans tarder, pour qu’à celui qu’il a accordé la vie présente, il fasse don de la future. Que le mari amène son épouse à la foi, pour que ce qui est une seule et même chose dans la chair ne soit pas divisé dans l’esprit. Que l’ami attire au salut son ami, pour qu’il sanctionne la charité humaine par la grâce divine. Que le citoyen amène le voyageur à la table de Dieu, l’hôte son commensal, pour qu’il soit propriétaire des richesses abondantes de Dieu sans avoir rien dépensé. Attirez ceux qui ne veulent pas. Que personne ne dise : il ne veut pas, car même Abraham a ligoté son fils sans lui demander son autorisation. Et les anges, pour arracher Loth aux flammes, l’ont saisi par le bras pour le faire sortir. Pour envoyer Pierre au martyre qu’il ne voulait pas, le Seigneur l’a ceint de la force de son secours, en lui disant : Un autre te ceindra et t’amènera où tu ne voudras pas. Et le Père du ciel ne reçoit pas seulement ceux qui veulent, mais Il attire même ceux qui ne veulent pas, au témoignage du Fils : Personne ne peut venir à moi si mon Père qui m’a envoyé ne l’attire. Comment quelqu’un peut-il se croire chrétien s’il n’amène pas au Père les récoltes de l’année et celles des autres années ? Ou comment considère-t-il sa maison comme un bercail de Dieu s’il ne donne pas le germe pascal divin au bêlement du troupeau ? Je vous prie et je vous conjure, mes frères, par notre Seigneur, de veiller attentivement à cela : que personne ne soit banni de la grâce divine, que personne ne soit exclu de la régénération, pour que ce que Dieu, par sa grâce, déposera dans l’âme d’autrui fasse croître votre charité et déborde en joie. Nous sommes des hommes vivant dans l’incertitude et nous ne savons pas ce que nous prépare demain. Agissons, donc, mes bien-aimés, de façon à ce que les esclaves, les fils, les époux, les parents, prévenus de la mort, ne soient pas privés de la vie présente, et parviennent à la vie éternelle.
 

11ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

Ce que n’ont pu découvrir la curiosité humaine, les explorations maritimes, ce que cherchait la sagesse mondaine, qu’elle a longtemps cherché et n’a pu trouver, cela, la loi divine a fixé d’avance de le savoir et de ne pas le savoir facilement. D’où viennent le mal, le péché , le pouvoir que possèdent les vices, la fièvre des crimes, les luttes corps à corps, les conflits moraux, les orages de la vie et le naufrage si cruel de la mort ? L’homme ne le saurait pas, si la loi de Dieu ne l’avait pas révélé au démon. Le diable est l’auteur du mal. Il est l’origine de l’iniquité. Hostile aux choses, toujours ennemi du bonheur de l’homme , il lui tend des pièges, prépare sa chute, lui creuse des fosses, dispose tout pour sa ruine. Il excite les corps, tourmente les âmes, suggère des pensées, injecte des colères, donne la haine de la vertu, fait aimer les vices, sème des erreurs, nourrit les dissensions, trouble la paix, attiédit les affections, rompt l’unité. Lui qui est un grand connaisseur du mal mais un ignorant du bien, il viole les choses divines et paralyse les humaines,

On rapporte que le tentateur, dans sa témérité, s’en est pris au Christ Lui-même : Après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur, s’approchant, lui dit : si tu es le Fils de Dieu, dis à ces pierres de devenir du pain. Que ceux qui entendent de pareilles choses dites de Dieu ne passent pas à l’ennemi, qu’ils n’accusent pas la nature, qu’ils ne méprisent pas leur Auteur, qu’ils n’incriminent pas la chair, qu’ils ne se plaignent pas de l’âme, qu’ils n’en rendent pas l’époque responsable, qu’ils n’imputent pas cela aux astres, qu’ils cessent de diffamer l’innocence de la créature, qu’ils comprennent que le mal est arrivé fortuitement mais qu’il n’a pas été créé, que le créateur du bien est Dieu, que le diable est l’inventeur du mal. Qu’ils rejettent le mal et qu’ils fassent le bien. Sachant que, dans tout ce qui est bien, ils recevront l’aide de Dieu qui donne de pouvoir faire ce qu’Il commande, et qui fait Lui-même ce qu’Il ordonne. Car comme le diable entraîne au mal, Dieu attire vers le bien. Que personne donc ne se complaise dans les vices, comme s’ils avaient été créés avec lui. Que personne ne pense non plus que le crime procède de la nature, mais que chacun prenne comme le Christ les armes du jeûne, qu’il repousse les assauts des crimes, qu’il abatte les forteresses des vices, et qu’ayant pour combattant le Christ, il remporte la victoire contre l’auteur même du mal. Une fois le diable vaincu, les vices perdront leur vigueur. Parce qu’après la mort du tyran, ses armées sont dissoutes. Ecoute ce que nous dit l’Apôtre : Nous n’avons pas à livrer combat contre la chair et le sang, mais contre les esprits de méchanceté qui sont dans les airs.

Alors, est-il dit, le Christ a été conduit dans le désert par l’Esprit. Non pas le démon, pour que ce soit un trajet divin, non une aventure humaine, pour que soit présent l’esprit de prescience, que soit absente l’ignorance humaine; pour que soit présente la puissante divine, et absent le pouvoir de l’ennemi. Le démon inspecte toujours le bien en son commencement, teste les premières ébauches des vertus, il essaie d’étouffer les saints élans à leur naissance, sachant très bien qu’il ne pourra pas les renverser une fois confirmés. N’ignorant rien de la stratégie diabolique, le Christ répond avec bienveillance aux demandes du démon, pour que l’ennemi se prenne lui-même à son piège, et qu’il soit attrapé là où il pensait attraper; pour qu’après avoir été vaincu par le Christ, le démon recule devant les chrétiens. Et après avoir jeûné est-il dit, quarante jours et quarante nuits. Vous voyez, mes frères, que le jeûne du carême n’est pas une invention humaine. Son auteur est Dieu Lui-même. C’est une chose mystérieuse, mais non présomptueuse. Elle ne provient pas d’un savoir-faire humain, mais des secrets célestes. Quatre décades contiennent la discipline de la foi en forme de carré, parce que la perfection est toujours carrée. Le nombre quatre et le nombre dix contiennent au ciel et sur la terre les sacrements. Parce que tu n’es pas de loisir pour pénétrer à fond ces choses, expliquons le jeûne entrepris par le Seigneur. Et après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits. Homme, Dieu jeûne en toi, c’est en toi qu’Il ressent la faim. Bien plus, Il jeûne pour toi quand Il ressent la faim, car Il ne peut ressentir la faim Celui qui n’a pas besoin de se nourrir. Donc, quand le Christ jeûne pour toi, Il te fait sentir la faim. Et après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits. Cela, ce n’est pas le signe d’une infirmité, mais d’une vertu insigne. Car, quand l’Evangéliste dit : Après cela, il eût faim, après quarante jours et quarante nuits, il montre clairement que le Seigneur n’a pas eu faim. Il appartient à la vertu humaine de ressentir la faim et de la vaincre. Le propre de la vertu divine est de ne pas ressentir la faim. Le Christ n’a donc pas été épuisé par le jeûne, n’a pas ressenti la faim, mais Il a eu faim pour donner au démon matière à tentation. Car le démon n’avait pas osé se présenter au Christ pendant son jeûne, parce que, dans une personne capable de jeûner ainsi, il voyait Dieu, non un homme. Quand il découvrit qu’Il était un homme, alors il crut qu’Il était mortel. L’investigateur matois s’imagina que le Christ pouvait être mis à l’épreuve, quand il découvrit que le Christ avait faim. Et s’avançant, il dit : Il avance par l’astuce du tentateur non par l’affection du dévot. En avançant, l’impudent s’est rendu pire qu’il était quand il se tenait en retrait. Mais qu’à-t-il offert à celui qui avait faim ? Ecoutons plutôt : Dis à ces pierres de se changer en pains. Ce sont des pierres qu’il offre à Celui qui est affamé. Ce type de bienveillance vient toujours d’un cœur ennemi. C’est de cette façon qu’il nourrit son troupeau, l’auteur de la mort. C’est ainsi qu’il est envieux de la vie. Dis à ces pierres de se changer en pains. Diable, ta prévoyance t’induit en erreur. Celui qui peut changer les pierres en pains peut aussi changer la faim en satiété. De quelle utilité est toute ta sagacité envers quelqu’un à qui la vertu suffit ? Dis aux pierres de se changer en pains Diable, tu t’es avancé et tu n’as pas eu peur de ton Seigneur ? Dis à ces pierres de se changer en pains. Malheureux ! Tu veux être mauvais, mais tu ne le peux pas. Tu veux tenter, mais tu ne sais comment. A l’affamé, tu aurais du offrir des choses molles non des dures. Ne pas approcher la faim avec ce qui est rugueux, mais avec des caresses. Tu ne devais pas assaillir le manque de nourriture par ce qui est déplaisant au goût, mais par la gloutonnerie. Avec ces choses, ce n’est pas seulement le Fils de Dieu que tu ne peux pas prendre dans tes filets, mais aussi le fils de l’homme. Comprends qu’en présence du Christ, ton art, tentateur, péréclite. Dis à ces pierres de se changer en pains. A partir de pierres, Il peut faire des pains, Celui qui a changé l’eau en vin . Mais les miracles doivent être présentés à la foi non à la duplicité. Ils doivent être donnés au croyant, non au tentateur, et ils sont faits pour le salut de celui qui les demande, non pour commettre une injuste envers Celui qui les fait. A quoi te servirait à toi, démon, des miracles, toi à qui rien ne suffit au salut, à qui tout ne sert qu’à augmenter ta peine, toi dont les miracles eux-mêmes précipitent ta ruine ! Mais reçois la réponse pour que tu comprennes qui tu es, et que tu te soumettes à ton Auteur : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Comprends que le Verbe de Dieu n’a pas faim de pain, mais des paroles de notre salut, et qu’Il agit comme un homme qui a toujours faim du pain céleste, mais pas toujours du pain de la terre. Et Il vit pour Dieu de telle sorte qu’il est inconscient du labeur, car Il est vraiment Celui qui ne connaît pas la sueur, qui n’a pas de souffrance, et qui n’a pas de fin.
 
 
 

12ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Nous percevons le jeûne du printemps comme un temps de guerres spirituelles. Après avoir secoué la torpeur du corps et de l’âme, dirigeons-nous, comme des soldats du Christ, vers le camp des vertus, pour que nos membres, amollis par le loisir hivernal, soient ragaillardis par les exercices militaires célestes. Nous avons donné une année au corps, donnons un jour à l’âme. Nous avons employé le temps pour nous, consacrons du temps à notre Auteur Vivons un peu pour Dieu, nous qui avons vécu exclusivement pour le siècle. Déposons les soucis domestiques et demeurons dans les camps fortifiés de l’église. Veillons dans l’armée du Christ. Ne recherchons pas le lit nuptial, mais joignons-nous à ceux qui sont forts. Eloignons-nous de la mollesse des étreintes. Que l’amour des triomphes nous soit à cœur, que les caresses des enfants ne nous détournent pas de notre route. Que la voix divine résonne à nos oreilles ! Que le vacarme qui nous est familier ne nous assourdisse pas ! Que de la récolte annuelle que nous donne le ciel nous nous nourrissions sobrement Que nous ne recherchions pas l’abondance et le luxe ! Dans le boire, que la modération de la sobriété soit pour nous de règle. Que l’ébriété n’énerve pas nos forces ! Que le pauvre, notre compagnon d’armes, bénéficie de notre superflu ! Que le gaspillage éhonté ne nous jette pas à la rue ! Quand tu éprouveras des difficultés, tu recevras le secours de celui que tu auras nourri. Ainsi armés, ainsi instruits, engageons, mes frères, le combat contre les péchés. Tenons ferme contre l’assaut des crimes ! Déclarons la guerre aux vices, sûrs de la victoire. Les ennemis terrestres ne pourront pas l’emporter sur les armes célestes, les forces mondaines adverses ne pourront pas s’opposer au Roi divin. La subversion ennemie ne pourra pas renverser ceux qui sont enracinés dans la victoire déjà remportée par la foi. Les prudents, les vigilants, les sobres, le diable n’aura pas le pouvoir de les surprendre dans une embuscade. Nous voyant ainsi armés, il n’osera certainement pas nous provoquer en terrain découvert. Qu’il ne cherche pas à s’approcher par la ruse. Que l’âme continue à utiliser le miroir céleste. Qu’elle évente les pièges les mieux dissimulés, qu’elle déjoue les embûches. Le diable est méchant par lui-même. Il est encore pire quand il est provoqué. Ecoute l’Apôtre qui dit : Le diable tourne en rond comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un à dévorer. Quand nous jeûnons, nous affamons le diable, qui ne se repaît que de nos fautes. C’est lui qui nous incite à manger jusqu’à l’indigestion, qui nous pousse à boire jusqu’à l’ébriété, pour rendre insensé le sensé, pour avilir la chair, pour que notre corps qui est le domicile de la raison, le vase de l’âme, le rempart de l’esprit, l’école des vertus, le temple de Dieu soit transformé en un théâtre de voluptés, en une kermesse de vices, en une scène de crimes, C’est lui qui ressent la satiété, qui jouit de la volupté, qui s’empiffre dans les banquets quand la débauche nous déchaîne, quand le plaisir nous sollicite, quand la mégalomanie nous ravit au septième ciel, quand l’ambition nous emballe , quand la colère nous met hors de nous-mêmes, quand la fureur s’empare de nous, quand l’envie nous mord, quand la cupidité nous enflamme, quand les soucis nous accaparent, quand les conflits nous déchirent , quand les profits financiers nous exaltent , quand l’usure nous enchaîne, quand les engagements signés nous ligotent , quand les petits sacs nous oppriment, quand l’or nous disqualifie..

Quand les vertus meurent, les vices reprennent vie, la volupté afflue , l’honnêteté périt, la miséricorde tarit, l’avarice abonde, la confusion règne en maître, l’ordre s’avoue vaincu, la discipline est foulée aux pieds . Voilà les choses qu’aucun mortel n’avait pu affronter par ses propres forces. Et c’est pour cette raison que, pour en venir à bout, Dieu est venu Lui-même , le Roi du ciel lui-même est descendu , le vainqueur par excellence est arrivé lui-même, établissant le jeûne du carême dans une victoire anticipée, pour que quatre décades de jeûne s’unissent à la quadrature totale du monde, en une muraille inexpugnable. Le jeûne, mes frères, sachons-le, est la citadelle de Dieu, le camp du Christ, le rempart de l’esprit, le drapeau de la foi, le symbole de la chasteté, le trophée de la sainteté. Si Adam l’avait pratiqué quand il était dans le paradis, la gourmandise ne l’aurait pas terrassé. Noé l’a conservé dans l’arche, quand l’ébriété inonda le monde. C’est par le jeûne que Loth éteignit t l’incendie sodomitique que l’ébriété de l’inceste avait allumé. C’est ce qui, dans la lumière d’un feu divin, permit à Moïse de comprendre, quand l’orgie de l’ivresse des Israélites enténébra le peuple dans l’erreur des statues des faux dieux. C’est le jeûne qui conduisit Elie au ciel quand l’ébriété propulsa l’impie Achab aux enfers. C’est le jeûne qui fit Jean le baptiste le plus grand des hommes quand, sur l’ordre des femmes, la luxure rendit le roi Hérode homicide.

Le jeûne du carême, mes frères, nous livre et nous révèle les vieilles ruses du démon. Car le diable qui avait méprisé Jésus en le voyant manger et qui, en le voyant boire, l’avait pris comme un humain comme les autres, quand il le vit en train de jeûner, il a eu un soupçon de sa divinité, il l’a reconnu comme fils de Dieu. Si tu es le fils de Dieu, est-il dit, dis à ces pierres de devenir des pains. En parlant ainsi, le démon s’adresse à un homme, non à Dieu. Il ne cherche pas à l’approvisionner de pain ; il veut rompre son jeûne. Si tu es le fils de Dieu, dis à ces pierres de devenir des pains. Après le jeûne, ce n’est pas la vertu divine qui se met en quête de pain mais l’infirmité humaine. Mais si Dieu est tourmenté par la faim, Il ne renonce pas au pouvoir qui est sien de se procurer de la nourriture. Par la suite, le diable dresse une autre embûche : Si tu es le fils de Dieu, jette-toi en bas. Tu te trompes, diable. Tu ne sais pas non plus comment tenter : Dieu ne peut pas tomber. Il lui montre alors tous les royaumes du monde et leur gloire, et Lui dit : je te donnerai tout cela si tu te prosternes pour m’adorer. O audace diabolique ! Il dit à Dieu : adore-moi ! Mais il réalisa très tôt que Celui qu’il imaginait prosterné à ses pieds le suppliant de lui accorder des honneurs, était Dieu à cause de ses vertus , qu’Il était juge, par les peines que lui, démon, a subies, car au nom du Jeûneur, il commença à être chassé des corps des possédés, et en tremblant, il rendit gloire à Celui que dans son orgueil il s’était cru habile d’injurier. Jésus a vaincu par les jeûnes pour qu’Il nous donne les forces de vaincre, une capacité semblable de vaincre. Cette sorte de démon, est-il dit, ne se chasse que par le jeûne et la prière. Jeûnons donc, mes frères, si nous voulons imiter le Christ, si nous voulons triompher du diable.
 
 
 
 
 
 

13ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 
 

Voici le temps où le soldat retourne au camp et a recours aux jeûnes de Dieu. Voici le temps où le désoeuvrement de la chair, l’apathie de l’esprit, les soucis du ventre, et tout l’engourdissement du farniente militaire doivent être mis de côté. Voici le temps où il faut exercer les forces de l’âme et du corps dans la méditation des armes célestes. Voici le temps où en présence du Christ, sous la protection des anges, il faut éprouver notre force dans la lutte. Maintenant est le temps où, en vue de la récompense accordée par le Christ, la gourmandise est crucifiée avec le jeûne, l’abstinence avec les nausées de l’ivresse, la chasteté avec la luxure, la perfidie avec la foi, la piété avec l’impiété, la patience avec la frénésie, la cupidité avec la libéralité, la miséricorde avec l’avarice, l’humilité avec l’orgueil, la sainteté avec la culpabilité. Si quelqu’un donc, sous le regard de Dieu, à l’appel de la trompette céleste qui déjà retentit, alors que les anges se pressent à sa rencontre, abêti par les charmes de la couche nuptiale, énervé par la douceur des dattes, amolli par les caresses conjugales, néglige de venir aux exercices de la vertu, il perd la récompense de la lutte, la gloire de la vertu, la palme du combat, la couronne de la justice, et il sera marqué au fer rouge du crime de déserteur.

Aujourd’hui, mes frères, le Christ notre Roi, de sa tribune évangélique, a harangué ses soldats qui militent avec Lui, Il a déclaré la guerre aux ennemis, a promis des récompenses aux combattants, a réfuté les motifs de guerre allégués, a mis à découvert les ruses et les artifices de l’ennemi. Il a fixé le lieu, le temps et la façon d’une stratégie victorieuse qui transpercerait l’ennemi. Et bien qu’à Lui seul, Il puisse obtenir la victoire, à cause de nous et de notre pusillanimité , Il a ordonné que soient à notre disposition tous les secours des forces célestes. Celui donc qui n’a pas voulu écouter cela, qui a refusé avec mépris de connaître les statuts si grands et si nombreux de notre Roi, jugez par vous-mêmes s’il ne s’est pas exclu des sacrements de notre milice, et s’il ne s’est pas soustrait à la camaraderie céleste, et n’est pas devenu un banni.

Mais vous, mes frères, qui voulez , en ce jeûne du carême, reproduire le jeûne du Seigneur, vous aurez à lutter , comme nous l’avons déjà dit, contre les escadrons des vices, contre le fer tranchant des crimes, contre le charme nébuleux des concupiscences, contre les légions innombrables des démons qui sont dans les airs et qui sont partout répandus. Vous aurez même à triompher des tentations qui suivent le jeûne du Seigneur, comme pour le mettre à l’épreuve. . Car quand le Seigneur est sorti du jeûne de quarante jours qu’il avait donné comme un témoignage irrécusable de sa puissance, le démon s’est empressé d’accourir avec ses ruses, car il ne se sentait pas de taille d’affronter un athlète en train de jeûner. Autant il l’emporte sur ceux qui s’adonnent aux orgies et aux beuveries, autant il redoute ceux qui prient et qui jeûnent, au dire même du Seigneur : Ce genre de démon ne se chasse que par la prière et le jeûne. Mais par quelle fourberie il a osé tenter le Christ , écoutons : Si tu es le Fils de Dieu, dis à ces pierres de se changer en pains. Vous avez entendu ce que lui-même pense des jeûnes, et quel jugement il porte sur eux. Si tu es le Fils de Dieu. Vous voyez qu’il ne le considère pas comme un homme mais comme un fils de Dieu celui qui est affranchi de l’esclavage du ventre. Il a compris, il a très bien compris qu’il devait attaquer le jeûne de toutes ses forces en priorité. Il avait vu Jean Baptiste échanger les délices des villes pour un ermitage dans une caverne repoussante, fouler aux pieds la mollesse de la chair par l’âpreté d’une mélote, mâter la luxure avec des aliments frustres, et, ce qui n’appartient qu’à Dieu seul, remettre les péchés aux hommes. Et pourtant, il ne lui dit pas : si tu es le Fils de Dieu. Mais quand il vit le Seigneur jeûner sans interruption, il proclama : si tu es le Fils de Dieu. Il se fourvoie, le démon, quand il lance contre le Seigneur le javelot de ses malices et de ses astuces. Si tu es le Fils de Dieu, dis à ces pierres de se changer en pains. Pourquoi cherche-t-il des signes de la divinité du Christ jeûneur dans la seule transformation de la pierre en pain ? Et celui qu’il avait pressenti être Fils de Dieu à la vue de la durée ininterrompue de son jeûne, chercherait à le tenter par le désir de posséder du pain, pas le désir de faire bombance ? Si tu es Fils de Dieu, dis à ces pierres de se changer en pains. Pourquoi ne dit-Il pas : si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des hommes, des anges, ou quelque chose du genre, mais dis que ces pierres deviennent des pains ? Il demande le signe du pain celui qui redoute le signe du jeûne. Il demande le signe du pain pour déguerpir devant le signe du jeûne, pour lui si redoutable. Le mauvais conseiller ingère le pain pour faire décamper la vertu, pour rompre la décision de jeûner.

Mais voyons donc ce que répond au sujet du pain le Pain qui descend du ciel : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Comme elle vit vraiment de la parole de Dieu la Parole de Dieu ! Comme il est vrai que le Pain n’a pas besoin de pain ! Avec quelle grandeur divine Il change les pains en hommes, Lui qui peut tirer des pierres des fils d’Abraham, selon le bon plaisir de sa Majesté .

Et parce que l’ennemi impudent ne se contente pas d’être une fois vaincu, il est destiné aux nombreuses marches triomphales du vainqueur. Il transporta le Seigneur sur le pinacle du temple, et lui dit : si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ! O signe, o miracle ! Se jeter en bas ! Il aurait dit avec plus de vraisemblance : si tu es le Fils de Dieu, envole-toi vers le ciel, puisque c’est le propre de l’homme de descendre dans l’abîme, mais celui de Dieu de s’élever dans les hauteurs. Si tu es fils de Dieu, jette-toi en bas ! C’est de cette façon qu’il persuade les siens, c’est ainsi qu’il se comporte toujours envers eux. C’est ainsi qu’il élève les siens, pour, des hauteurs, les précipiter plus vigoureusement dans les décombres. Si tu es le fils de Dieu, jette-toi par terre. Le diable se trahit par ses conseils. Jette-toi par terre. C’est la chute qui demande, le précipice qui commande, et, avec une telle stratégie, il fait des martyrs sans cri de guerre , en disant : si tu veux être un martyr, jette-toi en bas, pour les pousser vers la mort de haut en bas, non pour prendre l’humble par terre et l’élever jusqu’à la couronne. Et comme le diable se trahit dans ses conseils, de la même façon, le Seigneur se révèle dans sa réponse, en disant : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. Il a certainement voulu qu’on comprenne qu’ Il est le Seigneur, qu’Il est Dieu, en disant cela, Lui qui ne s’est pas seulement donné à la terre depuis le pinacle du temple, mais qui s’est jeté des cieux jusqu’aux enfers, pour ne pas être la figure de ceux qui tombent, mais la résurrection des morts. Pensez donc, mes frères, s’il pourrait l’ennemi cruel, même s’il a été plusieurs fois vaincu, céder à l’homme, lui qui entend et reconnaît le Seigneur Dieu et qui, malgré tout, ne cesse pas de tenter. Il le posa sur une montagne élevée et lui montra tous les royaumes du monde, et leur gloire, et il lui dit : tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. Celui qui parle ce n’est pas un mécène, mais un fumiste, quelqu’un qui est incapable d’accorder ce qu’il a promis, qui n’est bon qu’à retirer les promesses déjà faites. Je te donnerai tout cela. Il offre à Dieu ce qui appartient à Dieu. Il promet à son Auteur ce qui relève de son Auteur. Il persuade de l’adorer Celui à qui est due l’adoration de tous, et, aveuglé qu’il est par ses audaces, il confesse avant le jour du jugement, comment il s’y prenait pour duper les simples. A qui le Seigneur a répondu non tant par une citation biblique que par l’autorité de sa divinité : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, toi, le Seigneur Dieu devant qui fléchissent les genoux non seulement ceux qui sont sur la terre et dans le ciel, mais même dans les enfers. Tu adoreras donc dans les enfers, en grinçant des dents et en hurlant, celui que, en tant que téméraire déserteur, tu viens tout juste d’ inviter à t’adorer.

Ainsi donc, après avoir été repoussé dans de fois et si magnifiquement par le Seigneur, le démon vient sur nous, les serviteurs du Christ, décharger sas rage. Comme le Christ s’est comporté envers ses soldats, le démon les harangue lui aussi, du haut de sa tribune, et arme ses ministres. Le diable leur dit : les temps chrétiens, par l’observation du jeûne, nous livrent une terrible guerre. Par la gourmandise, par les orgies, par l’ivresse, par la luxure , nous ne pouvons plus porter atteinte aux hommes. Provoquez des conflits, semez des discordes, suscitez des haines, soulevez les colères, induisez-les à mentir, extorquez des parjures, suggérez des blasphèmes, donnez le goût des vanités, inspirez des fourberies, réduisez-les à l’avarice, fournissez-leur des profits déshonnêtes, pour que ce que le ventre n’aura pas dépensé pour la débauche, le petit sac l’enferme ou soit employé pour leur condamnation. Veillez surtout à ce que la miséricorde, l’aumône, la bienveillance ne sabotent pas nos efforts passés, n’annulent pas ceux d’aujourd’hui, ni ne compromettent ceux de demain. Mais nous, mes frères, prenant au sérieux les avertissements de notre Roi, et ceux qu’Il a fait entendre aux démons, poursuivons notre jeûne sans disputes , sans récrimination , sans colère, sans feinte, sans dissimulation, en toute charité, miséricorde et piété, pour que le Seigneur Christ, après avoir dispersé à tout vent les victimes sanglantes des animaux, et avoir exigé le sacrifice d’un cœur contrit et repentant, accueille, une fois apaisé et rendu à nous propice, les hosties de notre jeûne, dans le silence de la paix.
 
 
 
 

14ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 
 

Pour les vétérans aguerris , la trompette évoque la discipline, pour les nouvelles recrues , elle ne fait qu’émettre un bruit qui sème la terreur, de sorte que la maîtresse des guerres donne du courage aux siens, et répand la peur aux ennemis. Celui qui guerroie sans trompette n’est pas un soldat. Il est emporté par la rage, non par l’ardeur militaire; c’est la vue du péril qui le met en branle, non la vertu militaire. Il cherche le trépas plutôt que la victoire. Nous disons cela pour que le soldat du Christ comprenne pourquoi on nous fait don de chants célestes. Etablis dans le camp du monde, nous menons la lutte avec le démon et avec nos vices. Donc, à chaque fois que retentit le son d’un psaume d’un prophète, il nous met sur nos gardes en temps de paix, nous donne du courage au milieu de l’armée, et nous rend invincibles dans le combat.

Car, aujourd’hui, le bienheureux psalmiste nous convoque à une compréhension surnaturelle par le chant : Bienheureux celui qui comprend ce qu’est l’indigent, ce qu’est le pauvre . De quelle compréhension s’agit-il ? Et où est la pauvreté dont on parle ? La compréhension est plutôt de la violence si elle perfore pour fouiller les viscères, si elle s’empare de ce qui est caché, si elle dénude ce qui est recouvert. Etaler ces choses au grand jour, les exposer au public, les divulguer ce n’est pas de la compréhension mais de la curiosité malsaine, du sensationalisme. Glacé par la nudité, réduit en putréfaction par la faim, asséché par la soif, fiévreux à force d’épuisement, rendu livide par le manque de tout, comment comprendre l’indigent ? Quel labeur ? Et s’il n’y a pas d’effort pénible à faire pour comprendre, où est le mérite de la compréhension ? Prions, mes frères, pour que Dieu Lui-même nous accorde la grâce de comprendre ce qu’il y a à comprendre, Lui qui démontre par là devoir être compris dans le pauvre. Que Celui qui a recouvert le ciel est nu dans le pauvre, que la Satiété a faim dans l’affamé, que la Fontaine des fontaines a soif dans l’assoiffé, comprendre cela n’est-ce pas une grande chose ? Comment ne serait-il pas beau de comprendre que la pauvreté la plus extrême est le lot de Celui qui est à l’étroit dans le ciel, que Celui qui enrichit le monde manque de tout dans celui qui est privé de tout, que Celui qui donne à tous mendie une croute de pain et un verre d’eau, que par amour pour le pauvre, Dieu se dépossède au point de non seulement aller vers le pauvre, mais de devenir le pauvre. Celui-là voit à qui Dieu a donné des yeux pour voir cela . Mais comment a-t-Il bien pu se métamorphoser en pauvre, ou comment s’est-Il fusionné dans le pauvre ? Qu’Il nous le dise Lui-même : J’avais faim, et tu m’as donné à manger. Il ne dit pas : le pauvre a eu faim, et tu lui as donné à manger, mais J’ai eu faim, moi, et tu m’as donné à manger. Il proclame que le pauvre a reçu ce qui a été donné à Lui, qu’Il a mangé ce qu’à consommé le pauvre. Il témoigne que Lui a été infusé ce que le pauvre a bu. O, que ne fait pas l’amour du pauvre ! Ce qui fait rougir de honte le pauvre sur la terre est un sujet de gloire pour Dieu au ciel, et Il compte comme des marques d’honneur les injures adressées au pauvre. De telles paroles nous coupent le souffle . Vous m’avez donné à manger, vous m’avez donné à boire. Mais il dit d’abord : j’ai eu faim, j’ai eu soif. Car il aurait été bien petit son amour du pauvre, qui lui faisait accueillir le pauvre, s’il n’avait accueilli aussi les souffrances du pauvre. Le véritable amour est d’avoir fait siennes les angoisses de l’angoissé. Que la pitance du pauvre ait de la saveur pour Dieu, c’est déjà inouï , Lui qui n’a aucune envie de goûter aux meilleurs mets de toute la terre. Qu’il ait été engraissé comme un veau gras pour devenir une nourriture pour le pauvre, Lui-même le prophétise dans le royaume du ciel, devant tous les anges, en présence de tous les ressuscités. Qu’Abel ait souffert , que Noé ait sauvé le monde, qu’Abraham ait grandi par la foi, que Moïse ait donné la loi, que Pierre ait été crucifié la tête en bas, Dieu passe tout cela sous silence. Il n’insiste que sur une seule chose : avoir nourri le pauvre. Au ciel, la première place est occupée par l’aumône faite à l’affamé. Dieu règle d’abord au ciel la question de l’impôt à payer aux pauvres. La distribution des richesses aux pauvres est première à l’ordre du jour. On lit qu’à chaque fois qu’est proclamé bienheureux quelqu’un dans le ciel, c’est en considération de ce qu’il a fait au pauvre.

Mais écoutons aussi le fruit de cette béatitude : Dieu le libérera au jour mauvais. Celui qui s’est engagé à vivre au milieu des périls du monde, qu’il apporte toujours avec lui l’aumône, pour qu’elle vienne à sa rescousse; qu’il appelle à son aide les escadrons des pauvres; que le généreux donateur multiplie la nourriture des pauvres; qu’il fréquente les taudis des pauvres, qu’il n’hésite pas à prodiguer ses biens. Celui qui accepte en se contentant de peu ne saurait faire défaut à celui à qui il a tendu la main. Il ne peut pas voir épuiser ses trésors celui qui a de l’argent à satiété. Dieu le libérera au jour mauvais. Aux jours mauvais, Dieu assistera en libérateur celui qui a libéré le pauvre de ses maux. Il entendra quand il criera dans l’angoisse, celui qui a entendu le pauvre quand il criait. Il ne verra pas le jour mauvais celui qui a fait connaître au pauvre des jours heureux. Il verra le jour mauvais celui qui est entré au jour du jugement sans dévotion à la pauvreté. Les péchés accusent sans raison celui que le pauvre excuse. On ne pourra pas trouver d’excuse à celui que la faim du pauvre accusera.

Que le Seigneur le conserve et le vivifie. Il ne dit pas : Il le conserve et le vivifie, mais Il dit : qu’Il le conserve et le vivifie. Il n’emploie pas l’indicatif, qui est le mode du réel, mais le subjonctif qui est celui des désirs, des souhaits et des demandes. Celui qui a entendu la supplication d’un indigent a entendu par le fait même l’Eglise adresser des supplications pour elle-même par toute la terre : Que le Seigneur le conserve et le vivifie. Qu’Il le conserve pour qu’il ne soit pas traîné au supplice. Qu’Il le vivifie pour qu’Il le ressuscite des morts et le reçoive à la vie. Et qu’Il ne le livre pas entre les mains de l’ennemi. De quel ennemi s’agit-il ? De nul autre que du démon. Il est le prince des inimitiés. Il n’a que du mépris pour les ennemis celui qui a foulé aux pieds l’auteur lui-même des inimitiés. Que le Seigneur lui vienne en aide sur son lit de douleurs ! Le prophète passe en revue toutes les misères de la fragilité humaine. Que le Seigneur lui vienne en aide sur son lit de douleurs. Quel est le lit de notre douleur si ce n’est notre propre corps, là où, dolente, l’âme gît et se désole, elle qui, désirant retourner au ciel, est oppressée par la glaise du corps. Tu as tourné et retourné sa couche en tous sens dans son infirmité. Dieu ne vient border, le soir, ni le juste ni l’injuste. Mais Dieu change les couvertures du lit de l’infirme. C’est donc la chair qui modifie et qui est modifiée. C’est donc le corps qui est roulé par terre par les adversités. Dieu retourne notre couche quand il change pour nous l’adversité en prospérité. Et parce que dans le lit de la douleur, i.e. dans le lit du corps, l’âme malade roule par terre, c’est celle-là même qui roule par terre qui s’exclame : Moi j’ai dit : Seigneur, aie pitié de moi. Guéris mon âme, car j’ai péché contre toi. Celui qui, par le consentement donné à la chair, sent avoir contracté une langueur spirituelle qu’il supplie pour que son âme soit assainie. C’est en toute confiance qu’il demande la miséricorde celui qui a été miséricordieux envers le pauvre. Bienheureux est-il celui qui prête à intérêt aux pauvres, car il se prépare ainsi un juge qui sera son débiteur.
 
 
 
 

15ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Vous allez entendre aujourd’hui , mes frères, comment un centurion de la cohorte romaine est devenu un chef de la milice chrétienne. Il l’a bien mérité, car il a commencé à enseigner avant de croire. Jésus, est-il dit, vint à Capharnaüm, et un centurion s’approcha de Lui en Le suppliant : Seigneur, dit-il, mon enfant gît dans ma maison, atteint de paralysie et souffrant atrocement. Et Jésus lui dit : Je viendrai le guérir. Seigneur, répondit le centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole, , et mon enfant sera guéri. Car moi qui ne suis qu’un subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un : va, et il va, et à un autre : viens et il vient, et à mon serviteur, fais cela et il le fait. Vous voyez que le centurion a rempli le rôle du maître avant d’être astreint aux devoirs du disciple. Il montre la façon de demander, il donne la norme de la foi. Il expose les raisons de croire, il présente un exemple des vertus, lui qui n’est pas encore inscrit à la discipline de l’école chrétienne. Un centurion s’approcha de Lui en Le suppliant. Il s’approche pour savourer plus que pour demander. Mon enfant gît dans ma maison. Il prend les intérêts de l’enfant, comme s’adressant à un maître.. Vraiment, le centurion a échangé le capital des richesses terrestres pour des intérêts de cent pour cent au ciel, et il a élevé le service de la milice séculière à une divine dignité. Seigneur, mon enfant gît dans ma maison. En l’appelant maître, il confesse loyalement sa servitude. Et comment ce centurion qui reconnaît le Seigneur, ose-t-il proclamer que l’enfant malade est son fils, comme s’il ne savait pas que le pécule de l’esclave est la propriété du maître ? Ignore-t-il les choses les plus élémentaires celui qui connaît des choses si secrètes et si profondes ? Mon enfant. Il dit qu’il est sien parce qu’il gît paralysé. S’il était ton enfant, Seigneur, il ne serait pas ainsi. Le Prophète nous en apporte la preuve quand il dit : Maintenant, bénissez le Seigneur, tous les serviteurs du Seigneur, qui demeurez dans la maison du Seigneur. Vous qui demeurez, dit-il, non vous qui gisez. Tes serviteurs se tiennent debout, les serviteurs des hommes gisent sur un grabat. Que mon fils qui gît paralysé se redresse pour devenir ton serviteur. Il est à moi parce qu’il est paralysé, qu’il soit guéri pour être à toi. Il est mien parce que la maladie le torture, qu’il devienne tien pour qu’il ne souffre plus. Seigneur, à tes serviteurs, il ne convient pas d’être assujetti aux maux. La peine de tes serviteurs est une injustice commise envers Toi-même. La voie des maux ne doit pas posséder tes serviteurs. Quand tes serviteurs éprouvent des souffrances, ils ne les subissent pas comme une punition, mais ils les supportent comme une couronne. Les adversités qu’ils rencontrent ne sont pas le résultat d’une accusation, mais sont la cause d’une victoire. Ce sont des esclaves les hommes qui subissent des maux malgré eux, car ils ne peuvent subvenir à la situation désespérée de leur maître. Mais toi, Seigneur, qui as les vertus à ton service, à qui obéissent les guérisons, à qui obtempèrent les santés, comment réputeras-tu ton serviteur celui que tu aperçois être l’esclave de tant de maladies ? Ta bonté est louée par les maux; même les impies confessent ta piété. Ceux du dehors proclament ta miséricorde. Dirais-je qu’il est tien le paralytique que ta bénignité ne réclame pas ?

Il gît dans ma maison, et souffre atrocement. D’où vient que la grandeur de sa souffrance ne permet pas de l’offrir, de Te l’offrir, de peur que, étalée au grand jour, l’infirmité, qui n’est connue que par la famille soit une cause de peine et de honte. Le centurion, en discourant, agite d’aussi vastes et d’aussi nombreuses questions. Et il plaide au point d’obtenir que le Seigneur du ciel Lui-même veuille bien se diriger vers son fils. Je viendrai le guérir, dit-Il. Frères, ce n’est pas le centurion qui a amené l’Auteur de la piété à la piété. Il n’a pas non plus contraint le Christ à aller à ce pourquoi Il était venu. Mais le centurion apprend mieux à sentir, à goûter pourquoi le Christ est venu en serviteur vers le serviteur. Bien entendu, il est venu pour relever ceux qui gisent par terre, pour rappeler ceux qui avaient été expulsés par la force, pour libérer ceux qui portent des entraves. Lui, qui est chargé du transport, portera lui-même sur son dos, dans sa grande clémence, ceux que personne ne pourrait ni mettre en vente ni acheter. Mais écoutons la réponse que va faire le centurion : Seigneur, dit-il, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. La réponse a indiqué ce à quoi était tenue l’humilité. Et que Jésus soit le Seigneur Lui-même, il en scelle la confession par une peur révérencielle, en craignant de L’amener à la maison de son âme, au plus intime de son cœur, sous le toit de sa conscience, au sanctuaire de son âme, là où la maisonnée de ses pensées concocte des choses obscures et informes. La cour du cœur humain ne permet pas de se maintenir dans le silence de la sincérité, loin du vacarme des vices. . La crainte répondit donc au Maître : Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Pierre, également, quand il reconnut le Christ pour l’Auteur du monde, s’exclama, en disant : Eloigne-toi de moi, car je suis un pécheur. Si Pierre Lui demande de se retirer de lui, comment le centurion ne Le supplierait-il pas de ne pas venir chez lui ? L’un et l’autre agissent de façon à ce que l’indignité de l’hospitalité n’injurie pas l’hôte en permanence. Je ne suis pas digne que viennes sous mon toit. Ce toit avait été béni avant que Dieu n’entre dans le toit hospitalier de notre chair. Et maintenant, pourquoi donc le centurion interdit-il au Christ d’entrer sous son toit, Lui qu’il voit demeurer en entier sous le toit de son corps ? Frères, le centurion voyait déjà dans le Christ l’image de son corps, mais il ne voyait pas en Lui les passions de son corps. Il est né dans la chair du Christ, mais il est né du Saint-Esprit. Il médite sur l’hospitalité de la chair, mais dans le sein d’une Vierge, pour que ce soit un vrai corps humain, et qu’il ne soit entaché de la pollution d’aucun corps humain. Le centurion fait donc bien de juger son toit indigne du Christ, parce que le Christ demeurait sous un toit de notre corps tout à fait singulier, d’après ce texte du prophète : Et je suis devenu comme un pasteur solitaire sous un toit.

Mais dis seulement une parole, et mon enfant sera guéri. Ce centurion qui était sans la loi n’a rien fait sans la loi. Il dit : Dis seulement une parole. Parce qu’il a été dit : Il dit, et les choses ont été faites. Et si toutes les choses parviennent à la perfection par la parole, comment par une seule parole l’infirmité d’un seul ne serait-elle pas guérie ? Dis une seule parole. Qu’est-ce qui peut se dire sans parole ? Mais lui demande non une parole fournie par le langage humain, mais qui possède la vertu de faire ce qui doit être fait. Parole dont il a été dit : Il a envoyé sa parole et les a guéris. Dis seulement une parole. Parce qu’il crut que dans le Verbe toutes les vertus demeuraient. Ton Verbe, Seigneur, est la santé. Là où ton Verbe se présente, la douleur s’enfuit incontinent, l’infirmité recule bientôt. Verbe de qui Pierre, quand il tendait ses filets, a reçu une multitude de poissons, sans lequel il traversa la nuit de l’ignorance, et sans lequel la pêche nocturne n’apporta aucun fruit. Seigneur, Lui dit-il, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je jetterai le filet. Et comme s’il ne suffisait pas que Celui qui agissait par un mot puisse par un mot accorder ce qu’il demandait, il se réfère aux choses, il a recours à un exemple : Et moi qui suis un homme constitué en autorité etc… Car je suis un homme. Ce qui veut dire : tu es Dieu. Constitué en autorité. Ce qui veut dire : tu es la puissance des puissances. J’ai sous moi des soldats. Cela veut dire : Toi, ce sont les vertus que tu as sous tes ordres. Et je dis à celui-ci : va, et il va. Ce qui veut dire : dis à l’infirmité : va, et elle s’en ira. A un autre : viens, et il vient. Ce qui veut dire : dis à la santé : viens, et elle viendra. Et à mon serviteur : fais cela, et il le fait. Mon enfant sera lui aussi ton serviteur quand il recevra de Toi la santé. Qu’il écoute. Qu’écoutera-t-il ? Te voilà guéri. Ne pèche plus! Qu’il pratique la justice pour qu’il soit libéré de la paralysie de tous les pécheurs, et qu’il puisse chanter avec le Prophète : Mon âme, plonge-toi dans le repos, parce que le Seigneur t’a fait du bien, parce qu’Il a arraché mon âme à la mort, détourné mes yeux des larmes, a gardé mes pieds de la chute. Je plairai au Seigneur dans la région des vivants.

Mes frères, imitons le centurion qui veut que ce que Jésus a semé rapporte du cent pour un. N’écartons pas avec légèreté la prudence de ce centurion . Que ce qui a été dit sur lui suffise pour aujourd’hui. Car il s’agit d’un très grand mystère qui nous présente le Gentil en figure.
 
 
 
 
 

16ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Quand Jésus traversait la mer de Galilée, quand Il parcourait les routes de la Palestine, Il n’était pas poussé par le désir de voir du pays, mais par celui de nous sauver. Jésus marche non comme un touriste, mais pour aller à la recherche des hommes qui sont en danger de mort pour toutes sortes de raisons. Celui qui a fait les paysages, qu’a-t-Il à découvrir dans les paysages ? Ou qu’est-ce qui est éloigné à Celui qui est partout ? Il était vu dans des endroits comme homme, mais, comme Dieu, Il voyait tout partout. Il voyait, pour sûr, et ce sont des désespérés qu’Il voyait, à qui Il allait prodiguer des remèdes divins. Il allait pour soigner ceux dont les soins humains s’étaient avérés impuissants, comme la lecture d’aujourd’hui nous le montre.

Quand Il fut arrivé par l’autre rive, au pays des Gadaréniens, deux démoniaques, sortant des tombeaux, vinrent à sa rencontre, des êtres si sauvages que nul ne se sentait de force à passer par ce chemin. Il nous plaît de penser que le Seigneur a su et vu quel danger il y avait pour les hommes dans certains lieux , afin d’y aller le plus rapidement possible pour venir en aide aux désespérés, aux affligés, au miséreux. Deux démoniaques sortant des tombeaux, vinrent à sa rencontre. Il s’étaient établis dans des monuments funéraires les auteurs de la mort. Quelle cruauté, quelle fureur, quelle rage des démons envers le genre humain ! Notez-le bien ! Ne pouvant supporter la brièveté du temps accordée aux hommes, ils ne se contentent pas d’avoir apporté la mort aux hommes, ils sont transportés du désir de les ensevelir vivants. Dans les cimetières, ils se donnent pour mission d’entomber les être humains. Ils se repaissent des cadavres, s’engraissent de la putréfaction, ils se délectent de la puanteur, ces êtres pour qui la volupté suprême consiste à exterminer les êtres humains. Mais essayons d’imaginer la fourberie de leurs machinations, comment ils ourdissent les malheurs, ces êtres dont la cruauté se porte aux excès dans un lieu découvert. Que font ces esprits quand ils montrent des richesses, si ce n’est semer l’avarice? Ils exhibent le faste du trône pour semer l’orgueil. Ils vantent la singularité pour exclure ce qui appartient à la communauté. Comme ils nourrissent la colère, ils en édulcorent les causes. Pour violer la piété, ils s’apitoient faussement sur ceux qui sont affectés de différentes misères; ils fuient la philosophie, pour maintenir dans l’ignorance ceux qui cherchent à en savoir davantage. Ils enseignent le polythéisme pour que ne soit pas connu le seul et vrai Dieu. Deux démoniaques vinrent à sa rencontre. Quand plusieurs démons se réunissent dans deux hommes, cela signifie que dans un seul homme, c’est toute une légion qui se regroupe. Cette chose s’est produite pour nous enseigner non à craindre les démons mais à nous en défier. Ca montre en même temps de quelle nature est la puissance singulière du Christ, dont le seul nom suffit à mettre en fuite la multitude entière des démons. Deux démoniaques vinrent à sa rencontre. Ils vinrent non dans l’intention de s’exhiber, mais sur l’ordre de celui qui l’ordonnait, non sur l’aile de leur téméraire audace. Ils sont entraînés malgré eux, ils n’accourent pas de leur propre mouvement. Ensuite, les gens quittent le cimetière pour se diriger vers Jésus et, renversant la situation, ils apportent captifs ceux par qui ils avaient été capturés. Ils infligent des sévices à ceux qui les avaient cruellement tourmentés. Ils prononcent une sentence sur ceux qui les avaient confinés aux tombeaux. Deux démoniaques vinrent à sa rencontre, des êtres si sauvages que nul ne se trouvait la force de passer par ce chemin. Vous voyez que les démons avaient bloqué le passage à ceux qui venaient au Christ, ils leur en avaient refusé l’accès. Ce sont des stratagèmes des démons pour que les hommes ne puissent pas trouver le chemin du retour. Ils ne peuvent pas posséder les hommes autrement qu’en les soustrayant à la compagnie de leur Auteur. De telle sorte que personne ne pouvait passer par ce chemin. Je suis, dit Jésus, la voie. Pour que la puissance démoniaque ne puisse pas mettre d’obstacles sur le chemin de ceux qui vont vers la voie par la voie, vers Dieu par Dieu. On ne parvient à Dieu que par Dieu.

Mais écoutons ce que les démons ont déclaré : Qu’y a-t-il entre nous et toi, fils de Dieu ? Ce qui revient à dire : Auteur de la vie, qu’as-tu de commun avec les morts ? Habitant du ciel, qu’as-tu de commun avec les tombeaux ? Odeur du paradis qu’as-tu de commun avec la puanteur des cadavres ? Ceux que tu as expulsés du ciel, ceux que tu as exclus du Paradis, à qui tu enlèves maintenant les villes, à qui tu interdis les régions habitées, permets-leur d’habiter dans les sépulcres. Et si nous sommes dignes d’une si grande persécution, tu n’es pas digne d’une telle injustice. Qu’y a-t-il entre nous et toi, fils de Dieu ? Quoi ? Ce qu’il y a de commun entre le juge et le coupable, entre la vengeance et le châtiment, entre le roi et le déserteur. Qu’y a-t-il entre nous, fils de Dieu ? Voilà ce que disent les voleurs au propriétaire, les pirates au seigneur; ils conservent les dépouilles, ils recèlent le butin de guerre, et ils lui demandent ce qu’il y a de commun entre eux et Lui, Lui qui réclame ce qui Lui appartient. Qu’y a-t-il entre nous et Toi ? Quoi ? Que vous rendiez les hommes à leur Auteur, que vous restituiez le monde à son Auteur. Et qu’à l’arrivée du Créateur, vous compreniez que rien ne vous est plus permis dans les créatures. Qu’y a-t-il entre nous et Toi, fils de Dieu ? Es-tu venu nous tourmenter avant le temps ? Qu’y a-t-il entre nous et Toi ? Mais qu’y a-t-il de commun entre vous et les hommes ? Qu’y a-t-il de commun entre nous et Toi, fils de Dieu? Ils reconnaissent, ils reconnaissent Dieu, ils confessent le Juge, ils proclament que la condamnation leur est due, mai ils invoquent le droit de prescription. . Qu’y a-t-il entre nous et Toi, fils de Dieu ? Viens-tu nous tourmenter avant le temps ? Ils veulent gagner du temps, pour faire ce qu’ils auraient fait s’ils en avaient eu le temps, pour enterrer les vivants dans les sépulcres. Es-tu venu nous torturer avant le temps? Elle abrège le temps, elle prévient la mort, elle inhume les vivants la cruauté non parvenue à maturité. Et elle se plaint du temps, comme si elle avait le droit d’avoir avant le temps ce qu’elle désire injustement, et comme si la malice ne devait pas être punie dès son apparition. C’est le temps qui est responsable de l’endurcissement de la méchanceté du siècle La patience est courte aux méchants, pour les bons, la vengeance se fait attendre. Ce qui est long aux victimes est court aux bourreaux. . Et non loin d’eux, était un troupeau de porcs qui paissaient. Les démons lui demandaient en disant : Si tu nous chasses, envoie-nous dans ce troupeau de porcs. Digne demande digne de l’esclavage. Envoie-nous dans le troupeau de porcs. Des tombeaux, la malice supplie d’être envoyée dans les porcs, car elle ne sait que changer de puanteur, non la perdre. Envoie-nous dans le troupeau de porcs. Sous la voûte des cieux, ils demandent de la fange. Après les demeures éthérées, ils briguent les immondices des porcs. Envoie-nous dans le troupeau de porcs. Le troupeau de démons est envoyé dans le troupeau de porcs , pour rendre évidente la multitude des démons, pour manifester que deux hommes portaient ce que la multitudes des cochons n’a pas pu supporter. Et il leur dit : allez. Et eux, sortant, se dirigèrent vers les porcs, et voici que d’un seul élan, tout le troupeau alla se jeter tête première dans le lac, et ils moururent dans l’eau. Ce vil troupeau est livré non de par la volonté des démons, mais pour qu’un tel prodige fasse connaître comment ils sévissent dans les hommes, comment ils recherchent la mort des hommes, eux qui en ont fait la demande comme ils l’ont fait pour les porcs. Tout ce qui agit, qui bouge, qui vit, les démons désirent le perdre, non le posséder. Que personne donc ne présume devenir un tel homme, n’aille imaginer que la guerre vouée au genre humain est une chose du passé, que la colère s’est figée dans le temps, qua la méchanceté a atteint son but. A moins d’être vaincus, les démons ne s’effondrent pas d’eux-mêmes. Mais ils ne peuvent pas blesser à moins qu’on ne leur donne l’ordre de le faire. Le vil troupeau est donc livré, pour faire comprendre qu’aux démons qui n’ont pur agir dans les porcs que sur ordre, il ne leur est rien permis dans l’homme. Quant à nous, ou ce sont nos vices qui leur donnent la puissance de nuire, ou, dans le Christ triomphant, nous foulons aux pieds la meute des démons assujettis aux vertus.
 
 
 
 
 
 

17ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Que le Seigneur soit venu de l’autre côté du lac dans la région des Gadaréniens , et qu’aussi tôt débarqué, soit accouru à lui d’un cimetière voisin, un homme ayant un esprit immonde, lié et enchaîné, le récit évangélique nous l’apprend aujourd’hui. L’auteur de la mort, qui avait élu domicile dans les tombeaux, séjournait dans les maisons de la mort , et avide de morts d’hommes, il jubilait, dans sa sauvagerie, à la pensée d’inhumer vivants ceux que sa cruauté ne pouvait pas tuer. L’avare exécuteur de notre supplice mortel est en furie, lui pour qui la naissance d’un être humain est une souffrance, une torture le prolongement de notre vie. Il s’ingénie à allonger la brève vie humaine par l’horreur des sépulcres. Dans sa confusion et son trouble, il pervertit la vie et la mort, car il engouffre les vivants dans les sépulcres et apporte de la nourriture aux morts. Il inocule le poison pour faire vieillir prématurément, et trouble le repos des morts. L’homme était lié et enchaîné, vaincu par le crime d’un autre, par le forfait de celui qui habite en lui. Innocent, il était torturé chez lui. Le trop plein de la faute du démon débordait dans le châtiment de l’homme , et le prédateur, pénétré à l’intérieur de la proie, s’engraissait de ses misères. L’envie exécrable le réduit à subir plutôt qu’à agir.

Voulant venir en aide à cette maladie, le Seigneur traverse le lac, i.e. que par la navigation de notre corps, navigation saturée de naufrages dans la ténébreuse région de l’ignorance aveugle, Il nous transporte aux extrémités de ce monde changeant, et parvient aux rivages de notre salut. Il inonde le monde de la splendeur de sa lumière, et Il est sur le point de saisir par surprise les pièges de l’astucieux ennemi, et de mettre en fuite, avec une puissance royale, le prince de l’iniquité spirituelle lui-même avec ses légions, pour libérer enfin ceux que le pouvoir ennemi tenait jusque là captifs.

Voyant Jésus de loin, il accourut à Lui et l’adora, et poussant de grands cris, il dit : qu’y a-t-il entre toi et moi, Jésus fils du Dieu puissant ? Je t’adjure, par Dieu, de ne pas me tourmenter. L’ordre des punitions a été inversé d’un geste de Jésus. Auparavant, l’homme innocent était affligé par les actes de piraterie du démon . Maintenant, l’homme court, mais c’est le démon qui encourt la peine. La chair ploie, mais l’immonde gît par terre et le démon est prosterné. Il accourut et il adora. Pourquoi, diable, maintenant, tremblant et pitoyable, te prosternes-tu pour adorer Celui que tu as provoqué à la chute par une triple tentation, que tu as supplié de t’adorer par la promesse fallacieuse d’un règne universel ? Celui qui promettait tous les honneurs du règne et de la gloire, voici maintenant qu’on découvre qu’il habite dans la putréfaction cadavérique des tombeaux. C’est ainsi qu’il trompe pour attirer avec lui dans les enfers, quand par de fausses promesses, il égare ceux qui le consultent dans les sanctuaires des faux dieux. Qu’y a-t-il entre toi et moi, Fils du Dieu puissant ? Car maintenant, c’est comme un adulateur, non comme un dévot et un suppliant qu’il adore, voulant échapper à la punition, et redoutant de perdre sa proie. Il pense, le malheureux ,que Celui qu’il ne peut pas vaincre par la tentation, qu’Il n’a pas pu fléchir par la promesse d’honneurs, il pourra l’ébranler par une adulation . Mais Lui, Il avait l’habitude de libérer les vaincus, de rappeler les captifs, tous ceux qu’Il avait acquis en les créant, et qui Lui étaient restitués. Pour culbuter l’ennemi, sa propre force suffit, et pout le terrasser, Il ne requiert pas le renfort de sa troupe. . Et, poussant de grands cris, il dit : qu’y a-t-il entre toi et moi, Jésus, fils du Dieu puissant ? Je t’adjure par Dieu de ne pas me torturer. Que ne fait pas, que ne supporte pas la fragilité humaine sujette à de si grandes et de si nombreuses misères ? Voici que le diable, par la voix d’un homme qui lui sert de truchement, va supplier un autre homme en poussant de grands cris. Et tous les membres de cet homme militent pour leur propre perte en militant pour leur ennemi. Qu’y a-t-il entre moi et toi, Jésus, fils du Dieu puissant ? Si tu reconnais le Fils, tu n’ignores certainement pas l’héritier. Si tu as connu l’héritier, pourquoi présumes-tu ravir l’héritage ? Je t’adjure par Dieu, ne me torture-pas. Il craint, celui qui use de faux fuyants, et il louvoie. Il reconnaît le Fils, mais il fait tout pour qu’Il ne soit pas reconnu comme Dieu. Il adjure Dieu par Dieu, pour faire en sorte qu’Il apparaisse être un autre, pour surprendre la bonne foi des assistants.

Jésus l’interrogea : quel est ton nom ? Il interroge. Il n’ignore pas, mais Il remplit le rôle de juge, Il conserve la forme normale de l’interrogatoire. Il lui demande son nom, pour enquêter sur sa condition, juger la faute, et le convaincre de crime. Il répond : légion, car nous sommes nombreux. L’interrogatoire repousse notre ignorance, nous révèle ce qui était caché : une légion de démons pour un seul homme. Le désenchantement du soldat apparaît avec évidence s’il déserte l’armée, s’il revient sur ses pas, s’il redoute l’affrontement, quand il prévoit, par exemple, qu’en raison du nombre, l’adversaire l’emportera et qu’il sera fait prisonnier. En présence de ce Roi, que valent ceux qui, avant même d’avoir désarçonné une simple recrue, se regroupent en une armée complète ? Où seraient-ils s’ils voyaient déjà ici l’étendard de la croix , s’ils voyaient les signes du Christ ? Va, chrétien, avance en sécurité ! Une troupe si grande et si nombreuse qui a tremblé devant le désarmé, prendra la fuite si elle voit, si elle pressent, si elle a la certitude qu’Il est armé. Les esprits le suppliaient de les envoyer dans les porcs. Vois quel est l’endroit où Satan veut établir son siège. Il va des sépulcres aux pourceaux. Après avoir été infecté par la putréfaction, il recherche des habitations fétides et immondes. Il se délecte de la crasse et de la boue, lui qui se repaît toujours de la puanteur des crimes et de la saleté des vices. Mais son odeur pestilentielle et infernale est telle que le groin des porcs ne pouvait pas la supporter. Ils ont donc préféré périr dans les flots du lac plutôt que d’avoir à endurer plus longtemps leur crasse et tolérer leur pourriture. Que peuvent présumer accomplir des démons qui ne parviennent même pas à s’emparer des pourceaux, à moins qu’une puissance divine ne leur en donne la permission. Malheureux est celui qui, après avoir rejeté le juge, recherche inutilement la sympathie du bourreau, qui ne peut par lui-même ni maltraiter ni épargner, qui ne peut ni diminuer ni augmenter les tourments, mais fait tout ce qu’il fait, lui qui est affecté au fouet, sur l’ordre et sur l’avis du juge.
 
 

18ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

La leçon d’aujourd’hui apprend à l’auditeur attentif pourquoi le Seigneur du Ciel, restaurateur des univers, est entré dans des maisons terrestres et serviles. Il n’y a pas à s’étonner qu’Il pourvoie à tout avec dignité, Lui dont la clémence prend soin de ceux qui Le vénèrent. Quand Jésus vint dans la maison de Pierre, est-il dit, Il vit la belle-mère de Pierre clouée au lit par une fièvre. Vous voyez quelle est la chose qui a invité Jésus dans la maison de Pierre. Non le désir de faire bonne chair, mais l’infirmité de la malade. Non le besoin de s’alimenter, mais une occasion d’apporter le salut. Une œuvre de vertu divine, non le faste d’un banquet. Dans la maison de Pierre, ce sont des larmes que l’on versait, non du vin. Ce qui troublait cette famille ce n’était pas le souci de bien recevoir, mais les soins à apporter à celle qui languissait. Ce n’était pas un appétit dévorant qui consumait les entrailles, mais la fièvre. Le Christ n’était donc pas entré là pour festoyer, mais pour rendre la vie. Dieu est à la recherche de l’homme, non de ce qui appartient à l’homme. Il désire communiquer les biens célestes, Il ne convoite pas les terrestres. Jésus n’est pas venu pour quémander nos biens, mais pour nous recevoir dans son ciel.

Quand Jésus vint dans la maison de Pierre, Il vit la belle-mère de Pierre clouée au lit pas une fièvre. Entré dans la maison de Pierre, Jésus vit ce pourquoi Il était venu. Il ne prêta pas attention à la beauté de la maison, au nombre des convives, aux courbettes de ceux qui le saluaient, ni aux membres de cette famille. Il n’eut pas d’yeux pour apercevoir les décorations et les branches de rameaux , mais il perçut le gémissement de celle qui souffrait. Il détecta l’incendie qui ravageait la fiévreuse. Il vit le péril de celle qui désespérait de son salut, et, immédiatement, Il étendit la main pour accomplir l’œuvre de sa divinité. Jésus ne s’est pas mis à table pour satisfaire des besoins humains avant que celle que dévorait la fièvre ne se lève à la recherche des choses divines. Il lui tint la main, et la fièvre la quitta. Vous voyez comment disparaît la fièvre que le Christ avait tenue. Il n’y a pas d’infirmité là où est présent l’Auteur de la vie. La mort n’entre pas là où le Vivificateur a son entrée. Il lui tint la main. Quelle nécessité y avait-il de toucher là où se trouvait le droit de commander ? Mais le Christ a tenu la main de la femme pour lui donner la vie, parce que Adam avait reçu la mort de la main de la femme. Il lui tint la main. Pour que ce qu’elle avait perdu par la main du présomptueux, la main de l’Auteur le restaure. Il tint sa main. Pour que la main, qui avait provoqué la sentence de mort, reçoive le pardon.

Et elle se leva, et elle Le servit. Le Christ avait-Il besoin d’être servi par une femme, et, par une femme avancée en âge, octogénaire ou nonagénaire, affaiblie de surcroît par de nombreuses maternités ? Dans la maison de Pierre, il n’y avait donc pas de jeune esclave née dans la maison, pas de servante, pas de domestique, pas de parente, même pas sa femme, pour décharger la belle-mère du soin de servir à table ? Et pour tout dire, Pierre lui-même ne rougissait-il pas de voir une grand-mère, sa belle-mère, rendre au Maître ce que le disciple Lui devait? Mes frères, le Christ n’exigeait pas de cette femme des marques de déférence, Lui qui était chargé du service divin. Mais Il a permis qu’elle serve à table comme preuve de la guérison. Le Christ met en fuite les maladies de façon à redonner sur-le-champ les forces perdues, telles qu’elles étaient autrefois. Là où l’art opère des cures, là demeure l’épuisement causé par la maladie. Là où c’est la vertu qui guérit, il ne reste plus trace de langueur.

Mais si nous voulons savoir quelle signification spirituelle se cache dans cette leçon, nous nous tournerons vers les fleurs. Celui qui cherche en tout le rassasiement, méprise ce qui est gracieux. Les violettes, les roses, les lys, les narcisses sont plus agréables, mais le pain est plus recherché. Ce que l’odeur est aux narines, les ornements d’un sermon le sont pour les oreilles. Ce que le pain donne à la vie, la science le donne au salut. Il faut savoir mettre de côté les joies de l’éloquence quand la science l’exige de force. Quand Jésus vint dans la maison de Pierre. Jésus vint dans la maison de Pierre pour que la maison de Pierre vînt au Christ. Le moment où le Christ est venu dans la maison de Pierre c’est quand Il est entré dans l’habitacle de notre chair. Quand Jésus vint dans la maison de Pierre. Qu’est-ce que la maison de Pierre ? C’est celle de qui dit le Seigneur : Et toi, Bethléem, maison de Juda, tu n’es pas la plus petite parmi les principautés de Juda. C’est de toi que sortira le Chef, qui régira ton peuple. D’où l’apôtre : De qui le Christ est né selon la chair, qui est le Dieu béni dans les siècles.

Quand Il vint dans la maison de Pierre, Il vit etc…Il vit la synagogue gisant dans les ténèbres de sa perfidie, étendue sur les hardes de ses péchés. Il la vit enfiévrée jusqu’à la pleurésie à causes de ses vices. Et c’est pourquoi Il lui tint la main, car Il opérait le salut du peuple juif non seulement par la parole, mais avec ses mains. Ecoute le Prophète : Dieu, notre Roi, a opéré le salut au milieu de la terre avant les siècles. Il lui a tenu la main. Pour que sa main soit purifiée par le sang des prophètes, avant de recevoir le sacrement du ministère ecclésiastique. Et elle se leva, et elle le servait. Elle s’est redressée celle qui était entre la vie et la mort, et elle sert Jésus, sanctifiant ainsi par de bonnes actions les mains qu’elle avait autrefois polluées par de mauvaises .

Le soir venu, ils lui présentèrent un grand nombre de possédés du démon, et d’une seule parole, Il expulsait les mauvais esprits. Comment peut-on comprendre humainement parlant qu’à la tombée du jour, au crépuscule, ceux qui étaient avides des remèdes du salut aient apporté sur leurs dos des infirmes ? Mais c’est le soir, quand finit le jour du siècle, le moment où le monde voit le déclin de la lumière des temps. Celui qui ramène la lumière vient le soir, pour restituer le jour éternel à nous, les Gentils, qui venons de la nuit des siècles. Le soir venu, ils lui apportèrent des possédés du démon. Le soir, i.e., dans les derniers temps, la dévotion pieuse et sacerdotale des Apôtres nous offre à Dieu, nous les Gentils. Et nos démons sont expulsés, qui nous avaient imposé le culte des idoles. Ecoute le Prophète : Tous les dieux des Gentils sont des démons. Ignorant le Dieu unique, nous les servions dans des dieux innombrables, en une servitude sacrilège des plus sordides. Et par une parole, Il chassait les démons. Parce qu’à nous, le Christ n’est pas venu corporellement, mais par la parole. La où la foi est venue de l’audition, et l’audition de la parole, cette foi nous a libérés de la servitude démoniaque; de dominateurs impies, elle a fait des démons des captifs. Voilà la raison pour laquelle les démons nous sont soumis, et subissent la torture à notre commandement, eux qui nous assujettissaient par des morceaux de bois, qui nous asservissaient à des pierres, et qui, à chaque jour, par des statues inanimées, nous remplissaient d’une peur insensée. Soyons prudents, mes frères, pour que l’infidélité ne nous ramène pas à leur servitude. Ne nous laissons pas prendre aux filets des augures, ne nous laissons pas tromper par l’art de prédire, ne soyons pas victimes des tablettes du sort, ne consultons pas les âmes des morts, ne nous détournons pas des cadavres, ne redoutons pas les vapeurs pestilentielles, mais recommandons-nous au Seigneur, nous et nos actes, abandonnons-nous au Père, croyons en Dieu. Car le temps des hommes dépend de la façon dont Dieu agit, et comme Il dirige les actions de ses fils en tant que Père, en tant que Seigneur, Il ne néglige pas le soin de sa famille.
 
 
 
 
 

19ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Aujourd’hui, l’Evangéliste commence ainsi : Jésus voyant les foules nombreuses qui l’entouraient, donna l’ordre de traverser le lac. Toutes les fois que la foule indisciplinée fait irruption et se précipite en bourrasque, elle trouble le repos de la conscience. Alors Jésus cherche à aller sur l’eau. Il quitte le port, s’expose au naufrage, prend le large, les yeux fixés en haut. Le Christ ordonne de traverser cette mer troublée par de telles foules. Jésus, voyant les foules nombreuses qui l’entouraient, donne l’ordre de traverser le lac. Non pour fuir les hommes, Lui qui était venu apporter le salut aux hommes, non la perte. Il accorde un délai pour croire, s’attendant au retour des fugitifs. . Il use de patience et d’indulgence Celui qui ne veut pas proférer la sentence de condamnation. Il supporte les rebelles, Lui qui ne veut pas perdre, mais sauver ce qu’Il a fait.

Un scribe s’approchant, Lui dit : Maître, je te suivrai partout où tu iras. Au lieu de s’approcher, il s’est éloigné celui qui étourdiment promet de suivre le Seigneur partout. Qui peut promettre de pouvoir tout faire ? Il aurait parlé plus prudemment s’il avait dit : Je te suivrai partout où tu m’ordonneras d’aller. Comme un homme bien élevé, à tout le moins. Je te suivrai partout où tu iras, partout où tu voudras m’envoyer. C’est ainsi que parle celui qui ignore ce qu’il y a de commun entre lui et le Seigneur. Ainsi parle celui qui ne comprend pas que le Christ est Dieu, mais un maître quelconque. Je te suivrai partout où tu iras. Pierre l’a suivi sur la mer, mais s’est enfoncé dans l’eau. Il le suit jusqu’à Sa passion, mais le renie. Et si Pierre chute ainsi, il succombe dans quelques cas seulement. Mais celui-là, qu’est-il donc pour promettre de suivre Jésus en tout ? Je te suivrai partout où tu iras. Il parle celui-là comme come s’il pouvait subir les épreuves avec le Christ, se rendre à la gloire par l’ignominie de la croix, entrer dans la citadelle de la mort, mortifier la mort par la mort, pénétrer dans les entrailles du tartare inconnues à tous, rompre les chaînes de l’enfer, rappeler à leurs corps les âmes qui y sont plongées depuis des siècles, privées de la lumière du jour, ébranler la terre, fendre les rochers, ouvrir les sépulcres, ramener des enfers ceux qui y ont été ensevelis, les rendre témoins de leur propre résurrection. A celui qui veut suivre le Christ partout où Il ira, il lui reste encore à ajouter d’être porté sur les épaules des anges, de s’asseoir à la droite du Père, d’atteindre le sommet de toutes les dignités célestes. C’est dans toutes ces choses que l’esclave orgueilleux, le scribe stupide promet de suivre le Christ son Seigneur. Mais une telle présomption a reçu du Christ la réponse qu’elle méritait : Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids. Mais le Fils de l’homme n’a pas où poser se tête. Qu’est-ce à dire ? Le renard, faible physiquement mais fort par la ruse, inventeur de la fourberie, auteur de la fraude, maître dans l’art de la dissimulation, dénué de simplicité mais rempli d’artifices, prédateur des oiseaux domestiques, ennemi des poulaillers et des lapinières, lui que le Christ a représenté avec raison sous les traits d’Hérode, roi des juifs de Galilée, qui, ayant fait fi de la liberté d’antan, détenait son autorité de la puissance romaine, dominait par les faux-fuyants, régnait par la ruse, s’imposait en feignant l’amour du peuple. Et parce qu’il n’avait pas la vaillance voulue pour extorquer aux peuples voisins un butin de guerre, il dévorait comme s’ils n’étaient que des oiseaux domestiques, les gens de sa race, les peuples qui parlaient sa langue. C’est ce que démontre Jésus quand Il envoie dire à Hérode : Dites à ce renard. Un vrai renard celui qui s’est emparé du trône par les intrigues, que la naissance ne lui a pas mérité, mais sa servilité envers le conquérant. Cet Hérode avait déposé dans les cœurs des scribes ses propres crimes, pour qu’ils y fermentent jusqu’au meurtre du Christ. Et il n’a pas laissé d’endroit où le Christ puisse poser la tête de sa divinité.

Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux leurs nids. Il appelle ici oiseaux les démons qui circulent dans les airs, qui, eux aussi, avaient fait les nids de leurs malices dans les cœurs des scribes, où proliféraient tous les germes de leurs méchancetés. C’est pourquoi, là où le diable s’est insinué dans l’âme des juifs, il conçut le fruit de la ruse et enfanta le crime de la trahison. Vous constatez que Jésus n’a pas repoussé un homme de bonne foi, mais Il a révélé l’hypocrite, et rejeté le présomptueux. Et pourquoi le Christ, pourquoi l’Auteur de la piété, le donateur du salut, l’empêcherait de venir s’il était bien disposé, Lui qui, un peu après, a empêché un autre disciple de retourner où il voulait. Un autre disciple dit : Seigneur, permets-moi d’abord d’aller ensevelir mon père. Jésus lui dit : Suis-moi, et laisse les morts ensevelir les morts ! En parlant ainsi, Le Christ rejette-t-il le dernier devoir de piété à rendre aux morts ? Est-ce qu’il interdit les derniers honneurs qui doivent être rendus aux défunts ? Ce ne sont pas les obsèques de la piété qu’Il nie, mais Il met le service divin avant les affections humaines. Ecoutez ce que le disciple avait dit : Permets-moi d’abord d’aller ensevelir mon père. Si cela ne vient pas en premier lieu, mais en second lieu, le père terrestre doit venir après le père céleste. Suis-moi, et laisse les morts ensevelir les morts! Ce qui veut dire : suis-moi jusqu’à l’ignominie de la passion, pour que tu puisses parvenir avec Moi à la gloire de la résurrection. Laisse les morts ensevelir les morts. Le fils de la foi pourquoi retournerait-il à la maison de la perfidie ? La progéniture du salut pourquoi deviendrait-elle dépravée avec les dépravés ? Rechercher le gage de la résurrection auprès des tombeaux paternels ? Suis-moi, et laisse les morts ensevelir les morts. Comment les morts ensevelissent-ils leurs morts ? Frères, Il a dit Lui-même : Je suis la Vie. Ce que l’âme est au corps, le Christ l’est à l’âme. Sans l’âme, le corps ne vit pas. Sans le Christ , l’âme ne vit pas. Quand l’âme se retire, bientôt apparaissent une odeur pestilentielle, la corruption, la putréfaction, les vers, la cendre, l’horreur , et toutes sortes de choses dégoutantes . Quand Dieu se retire, aussitôt germe dans l’âme l’odeur pestilentielle des péchés, la corruption des crimes, la putréfaction des vices, les vers du remords, la cendre des vanités, l’horreur de l’infidélité, et dans le sépulcre vivant du corps, sont célébrées les funérailles de l’âme déjà ensevelie. On en arrivait donc à la situation où les perfides rendaient les honneurs funèbres au cadavre de la perfidie, où le ministère de l’impiété prenait soin de la piété. Entré dans la maison du riche, Jésus vit la symphonie. De telles gens ne font-ils pas de la piété une calamité, ceux qui, à leurs funérailles, joignent à leur chansons tristes , à leurs rites funéraires les lamentations d’étrangers ? Là où il n’y a pas de vraies pleurs , la musique est une musique de commande, vide de sens. Ce n’est pas à la flute de Pan d’un professionnel de pleurer les morts, mais à la simplicité de l’affection. Le Christ n’a donc pas voulu que son disciple refuse de rendre les honneurs funèbres à son père, mais Il n’a pas voulu qu’il y mêle des pleurs profanes.

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20ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Les leçons ecclésiastiques dévoilent les secrets divins, de façon à ce qu’elles apportent aux savants une connaissance encore plus sublime, et qu’elles prodiguent aux simples la grâce de comprendre ce qui est nécessaire au salut. Après que Jésus fût monté dans un bateau de pêche, une tempête éclata subitement, provoquant d’énormes vagues. Jésus étant monté dans un bateau, les disciples le suivirent, et voici que d’énormes vagues se formèrent dans la mer et pénétraient dans le navire. Jésus, Lui, dormait. La mer ,aux pieds du Christ à la robe gonflée de vent, frappe sournoisement , étend ses tourbillons sur une surface lisse, imprime des secousses aux flots déchaînés, contracte et dilate les eaux, et trace une voie liquide qui a la solidité de la pierre, Comment se fait-il qu’elle se déchaîne et rugisse jusqu’à mettre en péril la vie de son Auteur ? Pourquoi le Christ qui connaissait l’avenir, semble si ignorant du présent qu’il ne perçoit pas l’imminence de l’orage, l’heure de la tempête , le moment du péril ? Mais parmi tous ceux qui veillaient , Lui seul aurait sombré dans le sommeil, quand menaçait un si grand péril pour lui et les siens ? Frères, ce n’est pas une mer paisible qui représente un défi pour l’habileté du pilote, mais une mer orageuse. Quand la brise est douce, un mousse peut conduire un bateau. Quand les vents soufflent en tout sens, est requis l’art du pilote le plus expérimenté. . Voilà pourquoi, après que les apôtres eurent réalisé que leur savoir-faire nautique était dépassé par les évènements, que la mer fonçait sur eux, que les vagues les envahissaient, qu’ils étaient soumis aux bouraques de vents contraires, ils se réfugièrent, en tremblotant, auprès du Gouverneur de l’univers, du Recteur du monde, du Maître des éléments, Lui demandant de calmer la fureur des vagues, d’écarter le péril, et d’apporter le salut aux désespérés. Et quand une seule parole subjugua la mer , apaisa les vents, fit disparaître les tourbillons, apporta le calme, les marins sentirent, crurent, professèrent qu’Il est l’Auteur de toutes choses.

Mais essayons de dégager un sens plus secret. Quand le Christ fut monté dans le navire de son église pour effectuer la traversée de la mer du monde , les tempêtes des persécutions, les orages de la foule, les brouillards des démons se ruèrent avec une telle violence sur elle qu’ils déchaînèrent une tempête sur la totalité du globe. Les vagues des rois écumaient, les flots des puissants grondaient , les esclaves se révoltaient , les tourbillons d’eau bondissaient , les écueils de la perfidie abondaient, les marées mugissaient sur les littoraux chrétiens, les naufrages des renégats éclataient ici et là, et dans toute l’étendue du monde, il n’y avait qu’un seul péril, qu’un seul naufrage. Alors les disciples s’approchent du Christ pour Le réveiller, lui disant : Seigneur, sauve-nous, nous périssons. Et Jésus leur dit : Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? Réveillé par les disciples, le Christ se saisit de la mer, i.e. du monde, apaise l’univers, adoucit les rois, calme les puissants, rassemble les peuples à la façon dont il avait aplani les flots, fait des romains des chrétiens. Parmi ceux qui avaient été des persécuteurs du nom chrétien, il en choisit quelques-uns pour être des interprètes de la parole de la foi chrétienne. Cette tranquillité les princes chrétiens la conservent, l’Eglise la maintient, la Chrétienté la possède, elle fait l’admiration des Gentils. Alors, se levant, Il commanda à la mer et au vent, et un grand calme survint. Or, ces hommes furent étonnés et dirent : Quel est Celui-ci à qui la mer et le vent obéissent ? Les disciples dont on parle sont ceux qui se sont approchés du Seigneur, qui L’ont réveillé, qui L’ont prié de les sauver par une humble supplication. On dit que ce sont des hommes eux qui s’étonnent de ce que les éléments obéissent ainsi au Christ. Oui, ce sont vraiment des hommes et des hommes du monde pour s’étonner que par obéissance à la parole du Christ, le monde se soit converti, que les toits des temples aient été pris de stupeur à la pensée d’avoir été ainsi renversés comme les tourbillons d’eau. Ces hommes ont vu les païens fuir les écumes des idoles, les trombes des démons. La tranquillité profonde qui est diffusée dans tour le monde chrétien les rend abasourdis. Frères pendant que dormait le Christ du sommeil de la mort, une grande tempête s’est élevée dans l’église. Mais quand le Christ est ressuscité des morts, une grande tranquillité a été rendue à l’église, comme il est écrit. Bientôt nous réveillerons le Christ dormant en nous, par un gémissement venant du cœur, par une parole de foi, avec des larmes chrétiennes, et de grandes lamentations, avec des clameurs apostoliques, nous le réveillerons et nous lui dirons : Seigneur, sauve-nous, nous périssons !

Et parce que la leçon convient parfaitement au temps, et comme il est écrit : un vent pénible pour l’aigle. Le vent du nord, c’est lui qui souffle sur nous les peuplades barbares et sauvages Donc cet Aquilon, ce vent cinglant , par les quatre points cardinaux, se répand en bourrasques, se mêle aux eaux de la mer, détruit des objets d’airain, abat les montagnes, avale les villes, inonde les provinces, réduit tout l’univers à n’être plus qu’un naufrage. Voilà pourquoi le petit bateau du Christ est tantôt emporté jusqu’au ciel, tantôt descend dans les gouffres des anxiétés , tantôt il est régi par le pouvoir du Christ, tantôt il est rabattu par la crainte, tantôt il est balloté par le flot des passions, tantôt il vogue par les rames de ses confesseurs. Et nous, mes frères, ne nous lassons jamais de nous écrier : Seigneur, sauve-nous, nous périssons. Et nous nous efforcerons de subvenir aux besoins de nos frères. Et quand le glaive sera en délire, nous verrons sur nos terres la mer de notre sang, nous verrons les naufrages de tants de corps et de tant d’âmes, et humblement nous demanderons d’une voix suppliante : Seigneur, sauve-nous, nous périssons ! Et cependant, aucune compassion, aucune pitié, aucune terreur, aucune honte, aucune componction n’éveillera en nous la douleur. Cela vient de Dieu que nous soyons pressés par les maux, que toujours nous soyons fustigés, que les Gentils l’emportent, que la grêle ruine la récolte, que la rouille nous afflige, que l’impiété ait du pouvoir, que la maladie pullule, que la mort sévisse, que la terre tremble. Nous, nous ne tremblerons pas, nous ne craindrons pas, nous ne chercherons pas à nous soustraire aux maux, et nous ne convoiterons pas les biens . L’avarice fait rage, le faste s’étale , l’iniquité est à la mode , les biens d’autrui sont alléchants, mais les nôtres périssent. Les fléaux de Dieu s’en viennent, mais ce sont nos fautes qui les provoquent. Si Dieu est juste, Il est aussi miséricordieux. Frères, revenons à Dieu, pour que Dieu revienne à nous. Renonçons aux maux pour que les biens répondent à notre appel.. Servons Dieu, le Bon, pour que nous ne devenions pas les esclaves des nations perverses ni des potentats iniques. Avec l’aide du Christ Seigneur et Gouverneur de l’univers, souhaitons que l’honneur et la majesté de Dieu demeurent sans fin, pendant les siècles des siècles.
 
 
 
 
 

21ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Quand le Christ dort dans notre navire, quand Il s’assoupit dans notre corps du sommeil de notre paresse, la tempête fait rage avec des vents venant de tous les sens ; les vagues menaçantes sont en furie, et pendant que des flots écumants soulèvent et rabattent le navire, l’imminence de naufrages engendre la nausée chez les matelots, comme la leçon présente de l’Evangéliste nous le fait connaître : Et Jésus leur dit à la brunante : passons de l’autre côté. Et, après avoir congédié la foule, ils Le rejoignent comme Il était dans le navire. Et Jésus leur dit ce jour-là. Quel jour ? Le jour où, selon Isaïe, Il s’est levé pour fracasser la terre. Le jour où toute la clarté de la lumière menteuse s’est enténébrée. Le jour où, par la nuit imminente des tentations, se répandaient de plus en plus les images redoutables des vanités A la brunante. C’est donc le soir que le temps de la fin et la dernière heure annoncent aux sens de l’homme le trouble et le désordre des choses qui en proviennent. Passons de l’autre côté. Des choses terrestres aux choses célestes, des choses présentes aux choses futures. Et c’est avec raison qu’Il va de l’autre côté, car les choses divines sont toujours à l’opposé des choses humaines. Pendant que les biens terrestres attirent leurs sujets vers la fragilité, ceux qui poursuivent les biens célestes sont élevés jusqu’à la solidité de la vertu. Et après avoir congédié la foule. Ils congédient la foule ceux qui méprisent la popularité et la gloire décernées par le peuple sans cervelle. Et étant délestés du fardeau de la quête de la renommée, ils ne s’enfargent pas dans le chemin de la vertu. Mais affermis et sécurisés par le bien de la conscience, ils traversent les flots trompeurs des louanges et des honneurs, en compagnie de Jésus. Et ils le rejoignent dans le navire comme Il était. Qu’est-ce à dire ? Jésus est différent dans le ciel, Il se comporte de façon différente dans un navire et autrement devant la majesté de son Père . Il est perçu autrement à cause de l’humilité humaine, autrement en tant que coéternel du Père, et Il est considéré différemment d’après les années temporelles qui s’ajoutaient aux années. Il dort autrement dans notre corps, et autrement le Saint-Esprit veille sur la sainteté de son corps. C’est une louange rendue à la foi de recevoir le Christ comme Il est et comme Il se comporte dans un navire, c’est-à-dire dans l’Eglise. Tel qu’Il était quand Il est né, quand Il a grandi, souffert, a été crucifié et enseveli, quand Il est monté au ciel et s’est assis à la droite du Père, d’où Il viendra juger les vivants et les morts, le salut de chacun demande de Le croire. Celui qui aura le courage de confesser le même Christ dans notre navire, même s’Il est balloté par les flots des scandales, ne sera pas submergé par les périls, ni englouti.

Et il y eut une forte tempête avec bourrasques, et l’eau entrait dans la barque, et la barque s’emplissait. . Et il y eut une forte tempête . Elle n’a pas osé s’approcher du Christ dormant, pour montrer quel respect elle devait à son Auteur, mais elle a mis à l’épreuve la foi des disciples, en leur insufflant la panique. Et il était à la poupe, en train de dormir. Ceux qui veillaient se sont réfugiés auprès de Celui qui dormait, croyant qu’Il peut subjuguer les éléments déchaînés Celui qu’ils ont vu manifester le maximum de sa puissance face aux situations les plus désespérées. Ils ont constaté qu’une grande fatigue l’avait réduit à une grande apathie, si grande que ni le mugissement de la mer, ni le grondement des flots, ni l’imminence du naufrage ne pouvaient le réveiller. Et où est-il écrit : Il ne somnolera pas ni ne dormira Celui qui garde Israël ?   De par sa nature, Elle ne somnole ni ne dort la Majesté dénuée d’étendue, étrangère au sommeil. Mais Il fait tout pour moi et par moi : à chaque fois qu’Il modifie la forme de son action et de son visage, Il plaide pour nos voltes-faces et nos fautes. Ecoute le Prophète qui dit : Ses paupières interrogent les fils des hommes. Vous voyez comment les yeux du Seigneur se ferment pour ne pas voir ceux qui pèchent au point d’attirer sur eux la vengeance. Détourne ta face de mes péchés , est-il dit. Et Il ouvre les yeux de nouveau, pout stimuler ceux qui courent, pour relever ceux qui tombent, pour tendre la main aux suppliants. Ici, le sommeil du Seigneur scrute la foi des disciples, fait apparaître au grand jour leurs doutes, et démontre que faible est à la foi de ceux qui pensent que la sauvagerie des éléments peut prévaloir non seulement sur eux mais sur leur Auteur. La tempête envoyait des vagues dans le navire. Parce que les vagues de fond des Gentils secouent et envahissent extérieurement le navire du Seigneur, tandis que les flots déchaînés des hérétiques font irruption à l’intérieur et sévissent avec violence. Le bienheureux Paul déclare avoir subi cette tempête, quand il dit : Des combats à l’extérieur, des craintes à l’intérieur. De telle sorte que le navire se remplissait. C’est en toute vérité que l’Evangéliste rapporte que le bateau était rempli d’eau, lui qui a supporté autant d’hérésies ecclésiales qu’il y a d’articles de foi. Et il était à la poupe en train de dormir, la tête appuyée sur le rebord. Et ils le réveillent et lui disent : Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? Et se levant, Il commanda au vent, et il dit à la mer : tais-toi et calme-toi. Et le vent tomba, et il se fit un grand calme. Que craignez-vous, vous n’avez donc pas encore la foi ?

Pendant que la leçon raconte le fait, le temps la commente par un exemple. Si une tempête tropicale est imminente, un peu partout des orages, des tornades et des trombes nous fustigent, les mers mugissent, les fondements des iles sont grugés, et les rivages hurlent d’un bruit sinistre . Mais parce que, comme nous avons déjà dit, le Christ dort dans notre navire, approchons-nous de Lui plus par la foi plus que physiquement, et implorons-Le plus par nos œuvres de miséricorde que par le toucher de gens désespérés. Réveillons-Le non par un vacarme insolent, mais par le son des cantiques spirituels; non par des reproches inconvenants, mais par des supplications nocturnes. Donnons à Dieu un peu du temps de notre vie, pour que la vanité misérable et l’ensorcellement de la bagatelle ne consument pas nos jours. Pour que le sommeil pernicieux et la stérile apathie n’occupent pas toute la nuit, et qu’alternativement, une partie de la journée et une partie de la nuit soient consacrées à l’Auteur. Veille, homme, veille ! Tu as un exemple dans le coq Le service qu’il rend généreusement à son hôte, tu dois le gratifier à ton Créateur, surtout lorsqu’il te fait la faveur de sonner le réveil, lorsqu’il t’incite au travail, quand il t’ annonce l’aurore. Ecoute le Prophète qui dit : Pendant la nuit, mon esprit veille en pensant à Toi, mon Dieu. Et le Psalmiste : Je tends mes mains vers Lui pendant la nuit, et je ne suis pas déçu. Le même psalmiste conseille de consacrer à Dieu trois parties du jour, quand il dit : Le soir, le matin et le midi, je raconterai et j’annoncerai, et Il exaucera ma voix. Quand Daniel suppliait Dieu fidèlement pendant ces trois parties du jour, il n’a pas demandé que la connaissance anticipée des choses futures, mais il mérita déjà la libération de son peuple captif. Disons donc comme le Prophète : Lève-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ! Et ne rejette pas pour toujours ! Disons avec les Apôtres : Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? Et très certainement, le Maître, parce qu’Il n’est pas seulement le Créateur de tous les éléments, mais leur Modérateur et leur Recteur, s’Il nous entend, s’Il daigne veiller, les vagues s’aplaniront, et les flots écumeux se calmeront, ainsi que les collines. Les vents se disperseront, la tempête tropicale se changera en ondée, et cet ouragan annoncé ainsi que le tsunami prévu seront métamorphosés en un grand calme.
 
 
 
 
 
 

22ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Des prix sont toujours attribués à ceux à qui de durs défis sont proposés, et la grandeur de la récompense répond à la grandeur du défi. C’est pourquoi le Christ met le règne dans le cœur de ses disciples, afin que dans le combat, ils ne cèdent ni aux périls ni à la peur. Il méprise les périls celui qui tend vers le royaume. Etant avide de victoires, il ne saurait craindre. Ne craignez pas, est-il dit, petit troupeau, parce qu’il a plu à votre Père de vous donner le royaume. Troupeau petit selon le monde, grand aux yeux de Dieu. Petit parce qu’Il appelle glorieux ceux qu’Il établit dans l’innocence des brebis et dans la douceur chrétienne. Petit parce qu’il n’est pas diminué par ce qui est grand, mais croît par ce qui est petit. Le petit troupeau de l’Eglise naissante désigne l’enfance à laquelle Il a promis de venir bientôt poser les larges bandes de laine de son règne, au ciel où s’accroit le troupeau. Ne craignez pas, petit troupeau, parce qu’il a plu à votre Père de vous donner le royaume. Puis Il ajoute ce que devra faire celui qui veut participer au règne. Vendez ce que vous possédez, et faites l’aumône, faites-vous des sacs qui ns vieillissent point, et des trésors qui ne périssent pas dans le ciel.

Vendez ce que vous possédez. Nul ne peut dominer celui qui n’est pas prisonnier de ses biens. Il est un sous doué celui qui se souvient des biens familiaux quand il est appelé au royaume. Un être abject et vulgaire fait passer son malheur avant les trésors du Roi. Le pauvre âgé qui n’a qu’un grabat pour couche perd beaucoup. Mais s’il convoite les choses temporelles, il perd les éternelles. Vendez, dit-il ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvres. Faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas, des trésors qui ne périssent pas dans le ciel. Par de tels avertissements, le Seigneur a voulu t’enrichir, non t’appauvrir. Il a voulu que tes biens demeurent, non qu’ils périssent. Il a ordonné de garder à perpétuer les sacs, non de les vider. Il a commandé de les transférer, non de les perdre. Un trésor qui ne fera pas défaut dans le ciel, que le voleur n’approche pas et que les mites ne peuvent par détruire. Celui qui agit sur le conseil du Père plutôt que sur l’ordre de celui qui domine, sera averti où cacher ses trésors, entre les pièges des voleurs et les morsures des mites. Pour que tu ne t’imposes pas des nuits de veille, des jours anxieux, des temps d’inquiétude, pour que tu en perdes même le souvenir. Celui qui conserve de l’or, qui garde de l’argent, n’a pas de sécurité, ne connaît pas de repos, et le repos périt pour celui qui n’a pas de sécurité. Ce sont ces tracas qui font connaître le riche non le recensement . Donnez-le aux pauvres. Ce qui veut dire : déposez là où Je suis. C’est moi qui conserve les choses qui ont été données. Homme, donne au Père, crois en Dieu, parce que le Père ne refusera pas à l’héritier ce qui lui a été confié, ni Dieu à l’homme. Il ne peut pas retenir tes biens parce qu’Il a donné les siens. A-t-il besoin des choses humaines Celui qui prodigue les divines ? Est-il avide de nos biens Celui qui nous fait héritier des siens ? Mais que refusera-t-Il à ceux à qui Il a remis le royaume ? O homme, si tu es pour moi ici un prêteur d’argent, dépose ici ce qui est à toi. Si tu veux aller là-bas, pourquoi ne laisses-tu pas ici tes biens ? Celui qui conserve ce qui doit être laissé, est le gardien des biens d’autrui non des siens. Si cette vie où nous vivons en pèlerins, le pauvre la juge de peu de valeur, triste et déshonorante, que seront donc dans la patrie perpétuelle des citoyens éternels, la douleur du mépris, la peine de l’ignominie, l’opprobre de la nudité, quand les uns seront conduits au supplice, pendant que d’autres seront promus au règne ? Quand le pauvre sera conduit à l’assemblée divine, et le riche traîné en la compagnie des damnés ? Quel concert de lamentations quand ceux qui étaient désespérés aux yeux des hommes entreront en possession de l’espérance divine, et que ceux qui regorgeaient de biens humains seront exclus des biens célestes ! Et c’est ce que fait le trésor qu’est notre cœur quand il élève l’esprit de l’homme jusqu’au ciel par l’aumône, ou l’enfouit dans la terre par l’avarice. Et c’est pourquoi Il dit : Où est votre trésor, là sera votre cœur. Homme, envoie, envoie d’avance ton trésor dans le ciel, pour ne pas enfoncer une âme céleste dans la terre. L’or vient des entrailles de la terre, l’âme du plus haut des cieux. Il est donc préférable que l’or soit apporté au siège de l’âme, plutôt que l’âme engouffrée dans le sépulcre de l’or. Il vous ordonne donc d’être déchargés de tous les soucis des richesses, et d’être disponibles à toute sorte d’assignation en ce siècle militaire, vous à qui Il a donné de régner dans le ciel.

Que vos reins soient ceints. La vertu doit être ceinturée là où la volupté doit être comprimée. Ne sait pas vaincre les vices du corps celui qui dépose la ceinture de la vertu. Tous ceints du baudrier de la chasteté, qui est l’insigne de la milice chrétienne, détroussons la négligence et la mollesse de la chair, et dans l’attente de notre Roi, ignorons, en veillant, le sommeil sans sommeil du siècle. Ils ne dorment pas, est-il dit dans les Proverbes, à moins d’avoir mal agi. Et des cierges allumés dans vos mains. Bienheureux ceux dans les mains desquels luit la lumière des bonnes œuvres. Dans le même sens : Que votre lumière luise parmi les homme . L’œuvre bonne brille dans les mains comme une lampe devant les yeux. La lampe ne brille pas seulement pour celui qui la porte, mais pour un grand nombre; et l’œuvre bonne en éclairant un seul fait, par sa valeur d’exemple, en instruit plusieurs. La lampe repousse l’obscurité des nuits, l’œuvre bonne met en fuite la malice des ténèbres. Allumons donc, dans notre main, la lampe de nos bonnes œuvres, si nous voulons que notre lumière brille devant Dieu et devant les hommes.

Et vous êtes semblables à des hommes attendant leur Maître. Ce sont des hommes qui, en montant inlassablement la garde, en vertu du service dû à leur maître , attendent son arrivée . Leurs ventres Le servent ainsi pour ne pas connaître l’esclavage divin, et de peur que, troublés par le plaisir de la chair, ils ne perdent le souci de l’arrivée du maître, s’imaginant que ce sont des animaux qui sont appelés non des hommes. Et vous, soyez semblables aux hommes qui attendent leur maître, quand il viendra pour les noces. Le Christ vient pour épouser son église, la chambre nuptiale de l’épouse est ornée. Elle est ornée de l’or de la foi, de l’argent de la sagesse, des perles des vertus, des voiles de la sainteté, des roses de la pudeur, du lys de la chasteté, de la violette de la pureté. Et le temple de la pudicité ainsi que le clocher de la virginité sont élevés au plus haut des cieux. Ne font pas défaut les cithares pour les psaumes, ni les orgues pour les prophéties, ni les chœurs des apôtres, ni la symphonie des noces célestes. Il est trop esclave du sommeil celui qui n’est pas réveillé pour les noces du roi céleste par une si grande et une si puissante clameur. Et vous, vous êtes semblables à des hommes qui attendent leur maître, quand Il viendra pour les noces. Et quand Il viendra et frappera, vous lui ouvrirez aussitôt.

Quand Il arrive, Il frappe. Le cœur qui a bonne conscience Lui ouvre ; celui qui a mauvaise conscience tient la porte fermée. L’âme juste ouvrira pour recevoir la récompense; l’âme injuste s’exclut elle-même parce qu’elle n’a rien mérité. Veillez donc, mes bien aimés, pour que nous obtenions la béatitude qui vient après. Bien heureux les serviteurs que, à son arrivée, le Maître trouvera vigilants. Que ces promesses de béatitude suffisent, mais parce que le Christ nous parle de la charité de sa propre béatitude, arrêtons-nous là pour aujourd’hui, pour que nous puissions approfondir plus tard, ce qu’un tel Père promet à ses fils.
 
 
 
 
 
 

23ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Vous avez entendu, aujourd’hui, de quelle façon le Seigneur joint le son de la trompette à la jubilation pastorale, pour éveiller aux choses divines les brebis trop longtemps penchées vers les choses de la terre, pour les diriger en ligne droite vers le ciel. Ne craignez pas, est-il dit, petit troupeau, parce qu’il a plu à votre Père de vous donner le royaume. L’humilité a acquis ce que l’orgueil a perdu, et le troupeau petit et doux , par sa propre mansuétude, a dompté toutes les espèces de bêtes fauves . Le petit troupeau a vaincu et anéanti autant d’espèces de bêtes sauvages qu’il a soumis au joug du Christ de races de peuples. Le troupeau petit et doux qui pendant longtemps mettait sa joie à être tué, qui a longtemps supporté d’être dévoré, pendant que la cruauté des gentils se rassasiait de son sang et de sa chair , dégustant la suavité du fourrage évangélique, et les eaux limpides de la fontaine divine, évitait toute la contagion du siècle et ce dont il se repait.

De bête qu’il était, il redeviendrait homme, celui qui après avoir été homme s’était rétrogradé en bête. Il est évident que cela, les prophètes l’avaient pressenti, les Apôtres l’avaient réalisé, les martyrs accompli à la perfection, au témoignage de celui qui a dit : A cause de Toi, nous sommes mis à mort à longueur de jour, nous sommes considérés comme des brebis d’abattoir. Pour que ce troupeau engage une bataille d’un nouveau genre selon laquelle Celui qui a été tué vit, où remporte la victoire Celui qui s’est reposé dans la tombe . Il trouve son âme celui qui la perd. Il a imité son Roi, cette brebis, il a suivi cet Agneau qui est conduit à la mort comme un agneau, et comme un agneau devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche. Il se tait celui qui souffre volontairement; il proteste celui qui est égorgé malgré lui. Il ne peut pas être conquis par la mort celui qui l’assume non par contrainte, mais parce qu’il le veut bien. C’est le propre d’une puissance toute spéciale que quelqu’un veuille mourir pour un grand nombre. Quand quelqu’un meurt sans l’avoir voulu, cette tragique nécessité peut provenir de la condition de la nature humaine ou du mépris de la mort. Le Christ donc, comme un agneau consentant qui se tait, est tondu, pour couvrir la nudité qu’avait contractée le premier Adam. Il est tué comme un agneau, pour que son immolation absolve le péché de tout l’univers. Il dépose son âme pour les brebis, pour que sa piété remplisse la charge du pasteur . C’est donc pour toi qu’Il est Roi, pour toi qu’Il est le Grand Prêtre, pour toi qu’Il est Pasteur, pour toi qu’Il est la Victime, , pour toi qu’Il est brebis, et l’Agneau, pour toi qu’Il a été fait tout cela Lui qui a tout fait. Et celui qui en Lui-même ne connaît pas de changement, pour toi qui changes tant de fois, se manifeste sous plusieurs formes, Lui qui demeure dans la forme de sa Majesté unique. Et pourquoi plusieurs formes ? Il se donne à toi comme homme pour que tu sois capable de L’accueillir, car comme Il est en Lui-même, tu ne pourrais pas le supporter. Mais continuons à écouter ce qu’un tel Pasteur a promis au petit troupeau : Ne craignez pas, petit troupeau, parce qu’il a plus à votre Père de vous donner le royaume. Quelle prodigalité dans la bonté, quelle piété inouïe ! O amour ineffable, le Pasteur recense ses brebis pour les admettre dans sa compagnie, et le maître associe ses esclaves à l’administration du royaume. Le Roi invite le troupeau de tous les peuples à la participation à son règne. C’est ainsi que donne Celui à qui le recensement ne peut pas faire défaut, dont le royaume ne peut diminuer, ni la puissance s’évacuer par les largesses qu’Il fait. C’est sagement que le Christ a commencé par dire : Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. Il ne suffit pas d’entendre la promesse d’un royaume sans la crainte d’un statut servile, parce que celui qui est à peine digne de la liberté ne mérite pas de recevoir les galons de la suprématie. Donc le Seigneur des serviteurs confirme les esprits en parlant ainsi, de peur que nous soyons abattus par la promesse subite d’un tel règne. Pour un esclave aspirer à l’empire , c’est encourir le risque de peine capitale. C’est la témérité qui n’a pas le sens du danger. Mais quel rapport de tout cela avec le Christ ? Ou qu’y a-t-il d’étonnant qu’ll donne le règne à ses serviteurs, qu’Il fasse de ses esclaves des associés au gouvernement, Lui qui lave les pieds de ses serviteurs, pour s’asservir à ses esclaves d’une servitude extrême. Qu’il viennent, oui, qu’ils viennent ceux qui discutent de sa puissance, et qu’ils contestent son équité, quand ils auront pu saisir une si grande piété , en parler et l’apprécier à sa juste valeur. Qu’ils ne Le calomnient pas non plus si, dans notre corps, Il se dit inférieur au Père, Lui qui, non en parlant mais en agissant, s’est abaissé et s’est mis sous les pieds de ses serviteurs. Homme, épargne-toi toi-même , parce que dans le but de t’épargner, Dieu a lavé tes pieds, Il les a tenus dans ses mains, Il les a embrassés. Voilà Celui qui donne, qui dit au Père de donner. En parlant ainsi, renie-t-Il sa propre prodigalité ? Loin de nous cette pensée ! Il n’a pas diminué son pouvoir, mais Il a dilaté son affection . En parlant ainsi, Il ne prend pas ses distances, mais Il montre la volonté de son Père et la sienne, Il en confirme l’identité. Le révèle le fait qu’Il a dit : Il a "  complu " au Père, et non il a plu. Il nous enseigne le rôle que remplit la Trinité, car ce qui a plu au Fils a " complu " à la Trinité. Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plu au Père de vous donner le royaume. Le Seigneur, après une telle largesse, après le don de sa grâce à toi faite plus largement encore, ordonne à celui qui règnera bientôt de rejeter les épargnes viles et abjectes de la servitude. Vendez ce que vous possédez et faites l’aumône. Mais si tu veux conserver la valeur de tes propriétés, et si les dépôts de vivres du monde te délectent, fais-toi des petits sacs comme Lui l’a prescrit, Lui qui est le gardien et le surveillant de ta cupidité. Ensuite, comme Il s’est rendu compte que ce qu’Il avait dit était dur à entendre, Il ajoute : Faites-vous des petits sacs qui ne vieillissent pas, un trésor qui ne s’épuise pas dans le ciel. Es-tu attristé d’avoir à déposer dans le ciel ce que tu as ? Je te demande de croire en ton Dieu, toi qui crois dans un esclave, et recommande-toi plus à Dieu qu’à un homme. Mais si tu redoutes que la piété de ton donateur en prélève quelque chose ou en dissipe une partie, scelle tes sacs du sceau de la foi, pour qu’avec un tel gardien, tu dormes en sécurité, là où le vol ne peut trouver place. Il ne pourra pas te refuser ton argent Lui qui t’a remis tous ses biens, qui t’a enrichide l’honneur et de la gloire de son royaume.
 
 
 
 
 

24ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Personne n’ignore qu’en tout temps les veilles sont profitables à toutes sortes de choses, parce que, réellement, plus l’on veille, plus l’on vit. Car, qu’est-ce qui ressemble plus à la mort que le corps de celui qui dort ? Qu’est-ce qui est plein de vie comme les yeux de celui qui veille ? Il faut recourir au sommeil pour réparer les forces du corps, non pour le scléroser. Personne n’ignore que les veilles sont toujours profitables pour une foule de choses. Quel autel, quel travail, quel temps, quel pouvoir, quel office ne cherche pas à protéger la vie par le travail de nuit ? C’est ainsi qu’un roi vigilant , qui est toujours sur le qui vive, nuit et jour, contrecarre à l’avance les projets de l’ennemi, et évite ses pièges. Par une veille prudente, la sentinelle repousse loin de son camp les assauts ennemis nocturnes. De la même façon, la vigie s’aventure dans la voie incertaine d’un itinéraire mal défini, et il franchit des détroits impraticables, et avec des indications rudimentaires. parvient à la destination voulue, celle d’un port lucratif. De la même façon, le pasteur ajoute les nuits aux jours, et il s’interdit complètement de roupiller aux moments où le loup profiterait du sommeil du gardien pour s’engraisser aux dépens du troupeau. De la même façon, le voyageur a l’habitude de se prémunir contre les rayons torrides du soleil du jour par la brise fraîche de la nuit, et il consacre sagement la totalité du jour à la famille.. Le prophète sachant cela, implorait Dieu non seulement de jour, mais pendant toute la nuit. Seigneur, Dieu de mon salut, j’ai crié vers toi pendant le jour et pendant la nuit. A quoi bon d’autres exemples ! Le Seigneur Lui-même a passé la nuit en prière, pour nous libérer par la prière avant de nous racheter par la passion. Et si le Maître veille sur ses serviteurs, il n’est que juste qu’Il ordonne aux serviteurs de veiller sur eux-mêmes. Que vos reins soient ceints, avec dans vos mains des lampes allumées, et soyez semblables à des hommes qui attendent leur maître quand il viendra pour les noces.

Que vos reins soient ceints. Pour une nouvelle sorte de veille, un nouvel habit est prescrit. Que vos reins soient ceints, avec dans vos mains des lampes allumées. Pour les veilles, rien n’est prescrit au sujet du vêtement, ni des chaussures; rien sur la façon d’accueillir le Maître, mais toute l’attention est portée sur les reins qu’il faut ceindre. Le programme tracé par le commandement consiste dans la seule obligation de ceindre ses reins, avec l’ addition de la consolation des lanternes, sans lesquelles l’obscurité de la nuit n’est pas éclairée, et sans lesquelles les premières lueurs du jour ne brilleraient pas suffisamment. Que vos reins soient ceints, avec dans vos mains des lampes allumées. La ceinture est un symbole de servitude, qui rend les coureurs plus lestes, et qui les rend respectueux envers le maître. Mais il aurait suffi de dire : Ceignez-vous. . Pourquoi nommer les reins de préférence aux autres membres ? Comment expliquer chez le Législateur la grandeur de l’appréhension qui le pousse à ne faire mention que des reins ? Tu demandes pourquoi ? Parce que dans les reins se trouve le prétexte invoqué par le corps. Les œuvres de chair sont toutes suscitées par les reins; dans les reins sont toutes les chutes humaines, l’occasion de la fragilité humaine. De là vient l’ignorance de la vertu et le laisser-aller. C’est pour cette raison que le Seigneur nous ordonne de comprimer nos reins du baudrier de la chasteté, de réprimer toutes les mauvaises tendances de notre chair, tout ce qui est flasque et dépravé, avec la ceinture de la vertu , pour qu’après avoir mâté notre chair, nous accourrions rapidement, d’un pas léger et dégagé, à l’encontre du Seigneur..

En entendant ces choses, o homme, tu dois savoir que la chair ne met pas de retard à la rencontre du maître, parce que tu peux en faire le compagnon inséparable du devoir de la préparation à cette rencontre, si tu diminues ses bagages, si tu allèges ses fardeaux, si tu fixes étroitement tout ce qui pend et dépasse. Pourquoi ajouter autre chose ? Tu pourras avec profit traiter ton corps en camarade, si tu n’es pas un précepteur oisif et amolli. Tu devras réduire ses bagages, le soulager des poids excessifs , comme l’Apôtre nous avertit en disant : Mortifiez vos membres qui sont sur la terre : la fornication, l’impureté, la luxure, la concupiscence mauvaise et l’avarice, qui est un service rendu aux idoles. La chair doit donc être mortifiée par le cilice de la continence, de peur que, alourdie par les vices, et empêtrée par le lourd fardeau des péchés, elle ne puisse répondre aux inspirations célestes et surnaturelles. .

Le Seigneur a raison d’ajouter : Et des lampes allumées dans vos mains. Parce que toujours, comme témoins de l’innocence, des lampes sont portées pendant la nuit. Et comme les ténèbres sont toujours amies des vices, les lampes sont ennemies des crimes; elles sont toujours les compagnes des bonnes œuvres. Mais dans les mains des saints, ces mêmes bonnes œuvres sont des lampes, comme le dit le Seigneur : Que votre lumière brille devant les hommes pour qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. Et ils portent vraiment leurs lampes , s’ils les allument avec l’onguent de la miséricorde. Quand elles sont cachées dans un endroit secret, avec un soin jaloux, elles brillent de l’éclat de la vertu et du labeur, et rayonnent sur toute la surface de la terre. Et parce que le Seigneur savait que la durée de son attente nous rendrait tristes et anxieux, pour que personne ne soit accablé par le découragement, pour que le retard n’oppresse personne, pour que personne ne succombe à la fatigue de la longue attente, Il promet des gestes divins de déférence à ceux qui persévèrent dans la recherche de la béatitude céleste. Bienheureux ces serviteurs que le Maître quand Il viendra trouvera éveillés. Et pour que la qualité de cette béatitude ne soit pas en doute, Il ajoute tout de suite après : En vérité, en vérité je vous le dis. Il se ceindra, Il les fera prendre place à table, et allant de l’un à l’autre, Il les servira. Dieu se ceindra, et fera mettre à table les serviteurs, et les servira. Des chants à répondre soutenaient les serviteurs dans leur attente du maître, et relançaient la foi, lors de la fatigue de l’attente. C’est pour eux que, renversant la loi du talion, la divinité se dissimule dans la divinité elle-même. Il se ceignit et les fit mettre à table et, allant de l’un à l’autre, Il les servait. Dieu se tient debout devant l’homme couché, pour que l’homme soit debout dans les cieux. Le Seigneur sert l’esclave qui festoie , et se ceint d’une serviette pour servir. Ce faisant, Il institue le ministère pour ses enfants et ses ministres, et Il le fait même établi dans la gloire du Père . O homme, si tu calomnies le Christ pour cela, que présenteras-tu au Père ? Celui qui sur la terre en te lavant les pieds t’a exprimé un respect suprême te promet de nouveau au ciel une ultime servitude. Crois, hérétique, et applique-toi à lui rendre le talion. Lui, dans le ciel, Il prépare un banquet, où Il sera le serviteur, et toi, tu ne cesses sur la terre de proférer des blasphèmes. Il ira d’un convive à l’autre, parce que, est-il dit, allant de l’un à l’autre, Il les servait. Il servira au banquet de ceux qui ont conservé la foi et l’espérance. Et il te servira à toi aussi, mais ce sera une sentence digne de ton reniement. Et s’Il vient dans la seconde veille, et s’Il vient dans la troisième veille, et s’Il trouve les choses ainsi, bienheureux ces serviteurs. S’Il vient dans la deuxième ou troisième veille. Le monde a plusieurs vigiles. L’attente de la Trinité ne connaît que trois veilles.. Pourquoi a-t-Il commencé par la deuxième, et a-t-Il tait la première ? Parce que la première veillée s’est écoulée dans la nuit de la nativité. Nous en donnent la preuve les pasteurs qui, pendant qu’ils veillent sur leurs moutons, méritent de trouver dans une crèche le Pasteur lui-même du troupeau, de voir et de tenir dans leurs bras leur Auteur. Mais demandons-nous ce qu’est la seconde et la troisième veille. Comme la première veille est celle de sa naissance dans la chair, la deuxième est celle où Il est retourné et est ressuscité dans notre chair. Et pour que le monde aille au Ressuscité, l’année liturgique le rappelle et le monde veille. La troisième veille est celle où toute l’attente de Celui qui s’en vient finit par Son dernier avènement. Et comme Il est, Lui, ressuscité pour nous, nous ressusciterons nous aussi pour Lui, à une vie qui n’aura pas de fin.
 
 
 

25ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Aujourd’hui, écoutez avec quelle insinuante exhortation le Seigneur console les débuts terrestres microscopiques du troupeau évangélique. Ne craignez pas, petit troupeau, est-il dit, car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume. Il enlève l’anxiété de l’espérance, le non-sens des évènements. Il exclut et rejette toute crainte, quand au tout début de sa prédication , Il promet le règne aux nouveaux nés. . Car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. Pourquoi se torturer à la pensée de la nourriture, du vêtement, des impôts à payer, de la précarité des bourgeons printaniers, quand on est certain de régner, quand la domination nous est assurée ? Il se veut du mal à lui-même celui qui, élevé aux choses sublimes s’abaisse aux choses viles, et s’étend de tout son long devant le vide.

Mais il convient de savoir qui est ce Père, de quelle nature Il est, et quel est le royaume qu’Il a promis à ses fils. Qui est ce Père, tu l’apprends chaque jour dans la profession de foi, quand tu proclames : Notre Père qui es aux cieux. De quelle nature Il est, tu le découvres par la grandeur de ses œuvres. A partir de rien, Il a fait le ciel, et Il a solidifié la terre à partir du liquide. Il a érigé des montagnes qui ne branlent pas et Il a renfermé les mers entre leurs limites légitimes sous la seule juridiction de l’abîme. Si tu désires vraiment connaître la qualité du règne qu’Il a promis aux petits, c’est Lui qui l’explique en disant : Laissez venir à moi les petits, car le royaume des cieux est à eux. Etre dans le ciel, c’est déjà une chose extraordinaire, vivre dans le ciel est le propre de la Majesté. Ce que peut bien signifier régner dans le ciel, la raison humaine renonce à s’en faire une idée. Et cependant, que l’homme soit impuissant à l’imaginer, tu l’as compris en entendant l’Apôtre dire : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, jamais n’a pénétré dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé à ceux qui L’aiment. Et ce que tu doutes avoir mérité, avoir bien à toi, posséder, tu es déjà forcé de le confesser. Qu’a donc à voir avec la terre celui qui possède le ciel, avec les choses humaines, celui qui a acquis les divines ? A moins que par hasard on se complaise dans les lamentations, que l’on coure après ce qui est pénible, que l’on se délecte des périls, que l’on mette sa joie dans la dépravation des mœurs, que les maux imposés soient plus agréables que les biens offerts. Mais voyons donc le conseil que donne le Père à ceux qui sont sur le point de régner. Vendez ce que vous possédez, et donnez l’aumône. Si vous avez déjà la conviction que vous vaincrez, que vous régnerez, que vous serez riches dans les cieux, pour qu’existe ce qui vous fera immigrer, les biens que vous possédez doivent vous précéder là où vous régnerez. Comptez vos œuvres de miséricorde envers les miséreux. Convertissez les choses humaines en choses divines. Et, et si tu crains que fasse défaut le service de la poste impériale pour véhiculer ce que tu rejettes, réquisitionne le pauvre pour les corvées de transport. Les pauvres portent nos fardeaux, et ils le font de plein gré, parce qu’ils ne sont pas écrasés par nos poids, mais allégés. Vendez ce que vous possédez, et donnez-le en aumône. Faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas, des trésors qui ne périssent pas dans le ciel, où le voleur n’approche pas et que la mite ne dévore pas.

Faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas. Vous voyez que ce Père veut enrichir ses fils, non les appauvrir. Faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas. Celui qui entend cela achète d’une nouvelle façon, d’une façon céleste : il achète en vendant. Il met de côté en retirant son argent pour la distribuer. Il acquiert en perdant. Celui qui dit : faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas veut que l’argent perdure, que les sacs de richesse mis en réserve demeurent à perpétuité. Il enseigne que c’est l’avarice qui a commencé à persuader les riches de mépriser les pauvres. Faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas. Et Celui qui reprochait à ceux qui thésaurisaient d’attiser la cupidité, c’est Le même qui ordonne de prendre soin des sacs pendant toute l’éternité. Christ, jusqu’où t’a conduit l’amour des tiens ! Pour enrichir l’avare, tu lui fais entendre ce qu’il désire, non ce qu’il faudrait. Tu commandes des sacs. Tu veux qu’on prépare des trésors éternels qui ne périssent pas. Pour que l’avare attrape la vertu ou soit attrapé par elle, pendant qu’il court à ses profits usuraires coutumiers. Vraiment tu es Père, toi qui agis ainsi avec les tiens, quelle que soit leur petitesse. . Et nous, entre temps, à nos petits qui demandent des choses nuisibles nous leur faisons absorber des choses salutaires qui ont l’apparence de choses nuisibles, trompant le sens du goût, mais ne trahissant pas l’affection. Faites-vous des sacs qui ne vieillissent pas, des trésors qui ne périssent pas dans le ciel. Pourquoi préparer des sacs ? A quoi peuvent bien servir les coffres- forts là où l’innocence est chargée de la surveillance ? Pourquoi cadenasser là où nul n’est soupçonné de vol ? Si même dans les cieux on a besoin de sacs, la vigilance n’est pas éliminée, elle change de nature. Seigneur, tu as observé que les avares placent toute leur foi dans les sacs, toute leur espérance dans les trésors. Et c’est pour cela que tu veux que soient préparés dans le ciel des sacs incorruptibles, pour que qui ne te suis pas dans le ciel suive au moins ses sacs. Avare, fais-toi des sacs, et fais-les sur l’ordre de Dieu, parce que la divine Majesté a acquiescé à tes désirs . Mais fais-toi des sacs en dépensant, parce ce que tout ce que le pauvre reçoit le Père céleste l’encaisse. Et où les conserve-t-Il ? Dans le ciel. Et de peur que tu gémisses de crainte de les avoir perdus, ainsi que leurs dividendes, tu recevras cent pour cent d’intérêts de tout ce que tu auras transféré dans le ciel, qui aura transité sur le dos du pauvre. L’usure du monde donne du un pour cent, mais Dieu donne du cent pour un. Et pourtant les hommes ne veulent pas signer de contrat avec Dieu. Sont-ils inquiets au sujet de la garantie ? Pourquoi ? L’homme n’est-il pas étroitement lié à un homme par un engagement fixé sur un petit bout de papier ? Dieu nous met en garde par de si nombreux et de si grands volumes, et le débiteur n’est pas tenu à en tenir compte ? Mais tu dis, je concède qu’il le doit, mais à qui a-t-il l’obligation de restituer ? A lui-même. Parce qu’à celui-là, il ne peut pas mentir : il est lui-même le magistrat chargé d’exécuter les poursuites , et le débiteur. Il ne sera pas insensible, en donnant, celui qui répand ses largesses. Crois homme, que Dieu te rendra plus que ce qu’Il t’a donné . Il veut rendre encore plus, parce que le Prêteur se veut Débiteur.
 
 
 
 
 

26ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Ce qu’on lit que le Seigneur a répondu à Pierre qui L’interrogeait, la compréhension de plusieurs est à l’effet que cela a été dit en figure pour les apôtres eux-mêmes, pour les docteurs seulement ou pour les évêques et les prêtres. Pierre interroge : Cette parabole, est-ce que tu la dis pour nous ou pour tous ? A quoi répondit le Seigneur : Qui penses-tu être le dispensateur fidèle et prudent que Dieu a établi sur sa famille pour lui donner en son temps sa mesure de froment ? Bienheureux ce serviteur que, quand reviendra le maître il trouvera actif. Je vous le dis en vérité qu’Il l’établira sur tout ce qu’Il possède. Que si un serviteur dit dans son cœur : le maître tarde à venir me trouver, et se met à battre les enfants et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, le maître viendra au jour qu’il ne l’attendait pas, à l’heure qu’il ignorait, et il lui mesurera sa part , et la placera chez les infidèles.

Cette parabole s’impose d’abord à ceux qui président dans les églises, mais elle n’exclut aucun mortel, aucun homme. Bien que parlant du dispensateur, Il répond à tous après avoir été interrogé par un seul. S’il y a quelqu’un qui n’a rien reçu de Dieu, il ne redoutera pas une réflexion sur l’administration des deniers publics, ni sur le poste d’administrateur. Homme, si tu as reçu cela même que tu donnes, comment pourras-tu nier que tu as reçu ce que tu as ? Des trésors célestes confiés à sa garde, placés dans des greniers, l’homme devra rendre compte; et celui qui proroge les délais de paiement devra en donner des raisons à l’Eglise. Et plus élevé a été le crédit qu’il a reçu, moins il devra hésiter à rendre ce qu’il doit, au dire du Seigneur : On exigera plus de qui aura plus reçu. Les puissants subiront puissamment des tortures. Plus haut s’élèvera un homme, de plus haut il tombera dans sa chute. Qu’y a-t-il de plus haut que le ciel ? Celui qui pèche tombe du ciel dans le fumier. Il fonce en avant, d’une course désespérée, celui qui commet une offense sous les yeux du Maître. Et il est sans excuse celui qui commet un crime, ayant le Juge lui-même comme témoin. Et quelle défense espère celui qu’accuse le témoignage de son avocat ? Ainsi le démon, quand il était ange dans le ciel et devant Dieu, était d’une clarté fulgurante et, il brillait de tous ses feux pendant que Dieu purifiait l’or au creuset. Pendant qu’il s’enorgueillissait sous les yeux de Dieu, il tomba par terre, et fut rejeté dans le tartare : d’ange il se transforma en démon. Et celui qui était le ministre du pardon est devenu le tortionnaire suprême des coupables. C’est pourquoi l’Apôtre met en garde les hommes de notre ordre pour que nous ne tombions pas dans le filet satanique de l’orgueil. Le dispensateur de la parole divine, l’administrateur de la doctrine céleste se tient toujours en présence de Dieu , est toujours au service des autels, ne peut jamais échapper au regard de Dieu. Il prend sur lui les causes des pécheurs et les douleurs du peuple, fait des offrandes, fait monter ses prières vers Dieu, reçoit, puis rapporte, restitue ce qu’il a obtenu de Dieu. D’homme qu’il était, il a été changé en ange. Il ne peut pécher que devant la face de Dieu et dans le saint des saints, allant, s’il pèche, chercher un crime là où les autres ont coutume d’aller chercher le pardon. Les prêtres Nadab et Abiad, les fils du prêtre Aaron, ayant prétendu pouvoir contaminer les autels avec un feu profane, un incendie consuma ces autels, pour qu’ils tirent leur peine du sacrifice, eux qui ont fait de la propitiation un péché. Ce péché, c’est l’ébriété qui le leur avait insufflé. Parce que l’odeur du vin a fait fuir l’odeur de l’encens, et les braises de l’ébriété ont fait jaillir des flammes sur l’autel. Parce que, rendus étrangers à eux-mêmes par le vin, ils ont apporté un feu étranger, et le feu divin s’est bientôt éteint en eux. L’ébriété est un crime chez quiconque, mais dans un prêtre c’est un sacrilège, parce que l’un assassine son âme par le vin , tandis que l’autre, le prêtre, éteint l’Esprit de sainteté, selon l’Apôtre : N’éteignez pas l’Esprit. C’est avec raison que parmi les choses que le sermon d’aujourd’hui reproche au mauvais dispensateur est condamnée la passion maniaque du vin, par ces paroles : Que si ce serviteur dit : mon maître tarde à venir me trouver, et s’il commence à frapper les enfants et les servantes, à boire, à manger et à s’enivrer. Il a raison de dire : manger et boire, s’enivrer et frapper. L’ébriété est la mère du meurtre, le père des procès, la mère du délire, elle est l’ignoble maîtresse de l’impudence. Celui qui l’a ne se possède pas. Celui qui l’a n’est pas un homme. Celui qui l’a n’est pas quelqu’un qui a péché, il est le péché lui-même. L’ébriété est un démon séducteur, un poison envoutant , c’est une rage volontaire, un ennemi invité. Elle est la geôlière de l’honnêteté, une offense à la pudeur. Aucun chrétien digne de ce nom ne la connaît; le prêtre ne la connait que par ouï-dire. Ne pouvant être la forme des vertus, elle devient celle des vices, et leur sert d’exemple.

Puisque nous avons suffisamment parlé de nous et des ecclésiastiques, nous rechercherons comment la réponse du Sauveur concerne tout le monde, parce que personne n’est étranger à la dispensation de Dieu. Toute autorité vient de Dieu. Si c’est de Dieu que vient toute autorité, c’est de Dieu que le dispensateur du royaume tient sa dignité. De la même façon, le chef, le soldat, les procurateurs des provinces, tous ces gens devront rendre compte de leur gestion : ont-ils outrepassé les limites de la charge qui leur avait été assignées , leurs jugements ont-ils été conformes à la jurisprudence royale, ont-ils été équitables, ont-ils gouverné avec modération, ont-ils gardé la justice, ont-ils négligé la miséricorde, ont-ils maintenu égaux les plateaux de la balance pour que l’aiguille de la balance ne penche pas d’un côté plus que d’un autre ? Ont-ils eu l’œil à tout, ont-ils procuré le repos aux citoyens, en pourvoyant à ce que les soldats soient en nombre suffisant pour maintenir la paix, mais pas en nombre excédentaire de façon à encombrer et à harasser les tributaires ? Le chef aura aussi des comptes à rendre à Dieu : a-t-il présenté à ses sujets l’exemple des vertus, est-il resté éveillé au milieu des dormeurs, a-t-il été infatigable dans ses allées et venues, et a-t-il procuré la paix à tous par ses propres efforts ? Le soldat devra aussi rendre des comptes : a-t-il obéi aux ordres, a-t-il extorqué de l’argent à quelqu’un , a-t-il mérité son salaire par un travail honnête ? Avec son jugement, le juge devra corroborer le Juge suprême. Et toi qui es le maître de ta maison, je veux que tu te croies un dispensateur placé par un plus grand que toi, plutôt qu’un maître, pour que tu manifestes en toute simplicité ta charité à ton épouse. Et pour que tu communiques avec prudence la doctrine que tu as apprise dans l’Eglise à celle à qui l’Apôtre a commandé de se taire dans l’Eglise, et d’apprendre à la maison la parole de Dieu de ta propre bouche, en disant : Que les femmes se taisent dans l’église. Si elles veulent apprendre quelque chose à la maison, elles interrogeront leurs maris. Aux fils, tu exprimeras une affection sobre, des soins attentifs, et tu les élèveras fidèlement dans la discipline du Seigneur. Aux esclaves, tu leur fourniras la nourriture et le vêtement qui leur sont dus, tu leur remettras leurs manquements, tu les contiendras par des menaces, tu exigeras la discipline, et tu traiteras comme des frères d’une parenté céleste ceux que tu possèdes en tant qu’esclaves d’une mondaine servitude. Vous aussi, serviteurs, vous devez la fidélité au maître dans cette servitude qui est votre lot , car celui qui, d’un cœur pieux et pur, ne rend pas à son maître charnel l’hommage révérenciel qui lui est du, est félon envers Dieu, qui voit les cœurs avant que les hommes n’en reçoivent des dommages. C’est Lui qui t’a fait entrer dans sa parenté par la grâce, toi que ta condition, qui est d’une bassesse servile, avait fait dissemblable à Dieu. Que dois-je dire du lévite, qui a d’autant plus de dettes qu’il a plus reçu.

Il y a des choses qui manquent. En même temps qu’Il rend à l’un, Il livre à l’autre. S’il ne voulait pas les rendre, Il les confierait à des individus partie par partie. Et toi, pauvre, tu n’estimeras pas de peu de valeur la part qui t’a été dévolue, si tu le supportes patiemment, si tu n’es pas ingrat, si la mendicité a pour résultat de te garder sobre et frugal. Si tu rends grâce à celui qui donne, si tu n’injuries pas en blasphémant celui qui ne donne pas, si tu ne t’attends pas à recevoir plus que ne te donne la miséricorde, non ce que réclame une cupidité effrénée. Toi aussi, le pauvre, qui demandes volontiers, donne aussi de bon cœur à ceux qui te demandent quelque chose. Mais tu diras peut-être : je n’ai rien. Que soit en toi le besoin de donner, et l’occasion de faire l’aumône ne te manquera pas. Mets ta chaise à la disposition du visiteur, ta table, ton cierge, ta lampe. Tout comme Elie et Elisée. Quand ils logèrent dans les maisons vides et sans vivres des veuves, ils suppléèrent copieusement à ce qui leur manquait. Le Seigneur a ajouté pour compléter sa parabole, ces paroles : Le serviteur qui a connu la volonté de son maître et ne s’est pas préparé, et qui n’a pas agi selon cette volonté, sera roué de coups par le maître. Celui qui a agi sans la connaître, et a fait des choses qui mériteraient des coups, sera peu battu par le maître. Celui qui pèche en conscience est affranchi plus difficilement des remords de la conscience, en toute justice. Mais même celui qui pèche par ignorance n’évitera pas les coups de fouet et les coups de bâton que lui aura mérités son ignorance. Comme il n’est pas permis de mépriser Dieu, il n’est pas non plus permis d’ignorer.
 
 
 

27ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Quand on redoute d’être pris à l’improviste, des sentinelles sont placées pour ne donner aucune occasion aux guet-apens, aucune facilité aux embûches. Il n’y a rien de plus redoutable qu’une attaque nocturne impromptue de l’ennemi, car ou elle surprend des gens qui n’ont pas été prévenus, où elle jette le trouble chez des gens qui ne sont pas prêts, où elle massacre les soldats dans leur sommeil. C’est pourquoi le Christ, notre Roi avant les siècles, pendant toute la nuit du monde, a mobilisé ses soldats et les a placés à différents postes de guet pour faire face à la ruse cauteleuse de notre vieil ennemi, le démon, aux impulsions de nos vices latents, aux pièges insidieux des crimes, aux scandales qui naissent chez nous de différentes causes, aux tentations de la vie présente, aux armées envahissantes des pressions séculières, nous avertissant ainsi : Veillez et priez , pour ne pas entrer en tentation. Et déterminant la façon dont on doit veiller, Il ajoute : Et s’il vient durant la deuxième vieille, et s’il vient durant la troisième vieille, et trouve tout ainsi, bienheureux sont ces serviteurs, qu’il trouvera vigilants quand il viendra. Oui, vraiment bienheureux ! Car ceux qui prévoient les ruses de l’ennemi, en veillant, seront comblés de gloire à l’arrivée de leur maître. Aujourd’hui, toutefois, le Seigneur nous a exposé sa ligne de conduite contre les scandales, et a armé des sentinelles en disant à ses disciples : Il est impossible que n’arrivent pas des scandales. Ce qui veut dire : il est impossible que ne viennent pas les ennemis. Et, en tout premier lieu, il nous convient, frères, de savoir ce que sont les scandales. Il y a plusieurs genres de scandales, et les premiers sont ceux qu’enfante la fourberie du diable. Et les seconds sont ceux qu’engendre la rouerie humaine. Les troisièmes sont ceux que produit d’elle-même notre nature soupçonneuse et insouciante. Viennent du démon ceux qui placent la tromperie sur la qualité morale des actes, en présentant comme bons ceux qui causent le mal. Comme il a agi envers Adam, il nous enlève des biens humains en nous en promettant des divins. Et celui-là qu’il a opéré par l’intermédiaire de Pierre : Que cela ne t’arrive pas, Seigneur ! Il s’efforce d’évacuer le triomphe de la croix, en prétendant faussement brûler d’un immense amour. Car quand Jésus parlait de la gloire de sa passion, Pierre a répondu : Que cela ne t’arrive pas, Seigneur ! La douceur du venin du serpent ! Il fait en sorte que le soldat rejette avant le temps la victoire de son Roi, que le serviteur renie son Seigneur. Alors, le Seigneur fait passer derrière Lui le serviteur, et Il renvoie le scandale à son auteur . Après avoir dit à Pierre : Va derrière moi, Il dit à Satan : Satan, tu es pour moi une cause de scandale ! Et Pierre va vraiment derrière le Seigneur, parce que pour suivre Jésus au ciel, il n’est pas disposé à monter sur la croix. Le scandale que le démon a produit chez les Juifs en est un semblable. Car il a strié la pierre posée avec des empreintes durables et en a exaspéré la rugosité, pour tourner en scandale la pierre de tout le fondement, et lui faire apporter la ruine aux miséreux. Voici que je pose en Sion une roche d’achoppement, une pierre de scandale. Voici ce que le psalmiste postule en une supplication anxieuse : Garde-moi du piège qu’on m’a tendu, et des scandales des artisans d’iniquité. Et parce qu’il avait franchi l’obstacle de l’offense, qu’il avait vaincu le scandale, il rend gloire ainsi : Tu m’as élevé dans la pierre, et tu m’as guidé, parce que tu es devenu mon espérance.

Après avoir parlé du premier genre de scandale, parlons maintenant du second, que nous avons dit provenir de l’astuce humaine. Le devin Ballaam proposa au peuple Israélite un scandale, quand il est venu à la rencontre des guerriers non avec des soldats bardés de fer, mais avec des jeunes filles fardées et poudrées, pour transformer la guerre en luxure, pour changer le triomphe en infamie, le faute en faute, pour susciter des vengeurs, et pour profaner, avec la turpitude, tout ce qu’il y de plus saint . Quand Moïse s’en rendit compte, il lui infligea la peine suivante : Et tuez le devin Baal, dit-il, parce qu’il a apporté le scandale aux fils d’Israël. Jéroboam, lui aussi, a machiné un scandale. Il a érigé des vaches en or pour être adorées comme dieux , en une représentation misérable de la divinité, pour que le peuple n’aille pas vers le vrai Dieu, vers le vrai temple, la loi divine, les rois légitimes, pour qu’ils ne suivent pas les rites ancestraux. C’est ainsi que le peuple s’aliène à l’erreur, et se scandalise, selon les paroles de l’Apôtre, quand quelqu’un mange des viandes immolées aux idoles comme s’il ne devait pas en recevoir aucun dommage. Un tel comportement l’amène à surseoir au mépris qu’il vouait à des pierres inintelligentes, et à des dieux faits de bois, qui ne peuvent ni sanctifier ni corrompre personne. Ce qui est présenté comme un exemple de foi, devient pour les ignorants une occasion d’erreur, car il provoque les ignares non au mépris mais au culte des idoles. E à ceux qui ne savent rien, ceux que sciemment il consume par l’ardeur de la dérision, le démon présente cette manducation de viandes consacrées aux idoles comme étant des agapes. C’est pourquoi l’Apôtre conclut ainsi en expliquant : Et ta science fera périr ton frère, pour qui le Christ est mort.

Le troisième genre de scandale, nos propres sens l’engendrent d’eux-mêmes, quand les yeux nous trompent, quand l’ouïe nous induit en erreur, quand nous sommes médusés par l’odeur, et séduits par la saveur. Ainsi Eve, à qui avait été défendue la nourriture létale, a été blessée par le gout et la vue. Et la femme vit que l’arbre était bon à manger, qu’il était agréable à voir et beau à regarder. Le Seigneur a raison d’ajouter que les sens eux-mêmes scandalisent , en disant : Si ton œil te scandalise, ou ta main, arrache-le ou coupe-le. Jette-le loin de toi. Il est préférable pour toi de parvenir à la vie sans œil ou sans main plutôt que d’entrer dans la géhenne sain et sauf. En parlant ainsi, le Seigneur nous commande de couper non nos membres mais les fautes et les vices. Si Eve, mère du genre humain avait agi ainsi, elle serait entrée en meilleure forme dans la vie, sans mains et sans yeux, au lieu d’avoir envoyé toute sa postérité dans une mort lugubre. Nous devons donc faire attention, nous, mes frères, de ne pas être un objet de scandale pour autrui, de peur d’être suppliciés pour un acte commis par un autre. Le scandale porte offense aux sens, il est ce qui a fait d’un ange un démon, d’un apôtre un traître, ce qui propage le mal dans le monde, qui mène l’homme à la mort. Ecoute le seigneur qui dit : Malheur au monde à cause des scandales ! Le scandale tente les saints, vient à bout de la résistance des vigilants, précipite du haut en bas les imprudents, confond tout, trouble tout le monde. Et il est permis à cet endroit au Seigneur de parler du scandale de sa passion, et de désigner Judas par qui est venu le scandale des scandales. Et pour que personne ne Lui demande d’empêcher le scandale d’arriver, il dit : Il est impossible que les scandales n’arrivent pas. Il serait préférable qu’une meule de moulin soit suspendue à son cou et qu’il soit jeté dans la mer, plutôt que de scandaliser un de ces petits. Pourquoi faut-il que ce soit une meule de moulin et non pas une pierre quelconque ? Pace que la meule de moulin pendant qu’elle mout le froment , pendant qu’elle en extirpe la farine, lorsqu’elle sépare les téguments de la fleur de farine, fournit pieusement du pain aux laboureurs. Celui qui pense que l’auteur du scandale est plus grand que l’auteur de la paix, il est bon qu’on lui attache au cou une meule de moulin, pour qu’il entraîne à la mort ce qu’il aurait du employer à la vie. Parce que les sens qui nous ont été donnés pour la vie, il les détourne de leur usage naturel pour en faire des agents de mort, leur persuadant de voir autre chose, d’entendre autre chose, de sentir autre chose, de goûter autre chose, que ne voyait, n’entendait, ne sentait et ne goûtait le Christ, autre chose que ce qu’Il a enseigné pour notre salut. Ainsi la pierre angulaire, la pierre qui vient à notre secours, la pierre qui s’est détachée du rocher sans l’aide de main humaine, qui est le Christ, il l’a mobilisée, exploitée en vue du scandale des petits, pour en pétrir non un pain de vie, mais de douleur et de larmes, comme l’atteste le Prophète en ces mots : Vous qui mangez le pain de la douleur. Jésus avait donc bien raison de dire ici comme ailleurs : Qu’on lui entoure une meule de moulin autour du cou. Pout qu’il reçoive la peine là où il avait reçu les sens, et qu’il soit mis sur un pied d’égalité avec les juments dénuées d’intelligence, lui qui n’a pas voulu apparier les réalités célestes aux hommes sages.
 
 
 
 
 
 

28ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Que la pauvreté soit connue par les vertus, le prouvent la discipline terrestre et la céleste. Un athlète se présente nu à la lutte. C’est nu également que le matelot se bat avec les flots. Le soldat ne se tient au garde-à-vous qu’une fois déchargé de ses bagages. Celui qui tend à la philosophie doit d’abord mépriser tout l’être des choses. La pauvreté est donc connue par les vertus. Et si la pauvreté, qui est la mère des vertus, est considérée comme leur compagne, il convient de savoir pourquoi le Christ a appelé des pauvres au devoir de la vertu. Pierre et André, Jacques et Jean, qui ont en commun d’être frère l’un de l’autre, et qui partagent entre eux quatre la pauvreté, sont choisis comme prémisses des apôtres. Pauvres pour le fisc, humbles par le lieu de leur naissance, vils par le métier qu’ils exercent, obscurs par la vie qu’ils mènent, habitués à trimer dur, entraînés à veiller, exposés aux injures, n’ayant de ressources que leur filet, tirant leur nourriture et leurs vêtements de la seule capture des poissons. Mais en eux, bien qu’abjects d’apparence, le regard de Dieu ne voyait que des âmes précieuses. Ils étaient trop pauvres pour payer l’impôt, mais riches d’innocence, humbles par le lieu, mais sublimes par la sainteté, ignobles par le métier, mais précieux par la simplicité, obscurs par leur vie, mais lumineux par le mérite de leur vie. Des métiers communs, mais singuliers par le motif. Ils étaient adonnés aux veilles, mais déjà appelés aux victoires célestes, ballotés par les flots, mais non submergés. Ignorés des hommes, mais riches d’honneurs et non inconnus. Exposés aux injures, mais non abattus par elles. Attrapeurs de poissons, mais déjà prédestinés à être pêcheurs d’hommes. Venez, est-il dit, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. Pour que par le lancer de l’appât vital, de l’hameçon de la parole céleste, ils arrachent les âmes de la gorge de la mort pour les amener à la vie éternelle. Les attrapeurs de poissons deviennent des pêcheurs d’hommes; ils passent d’un travail à l’autre, parce que le travail de la méditation ne saurait lasser. Tout ce qui procède de l’habitude ne fatigue pas. La vertu perdure en étant exercée. Voilà pourquoi le Seigneur a voulu entraîner ses apôtres par des travaux humains, pour les rendre infatigables dans les divins. Dieu a voulu ainsi que la force soit toujours portée à son paroxysme, que la vertu parvienne à l’excellence par l’effort constant. . Et parce que le fruit vient du labeur, Il n’a pas voulu qu’ils perdent leur métier , mais qu’ils changent de travail. Il a voulu d’abord leur inculquer l’habitude du travail pour leur donner ensuite l’endurance que requiert la vertu. C’est ainsi qu’ils ont vaincu les royaumes, les peuples, les prisons, les chaînes, les tourments, les morts, les hommes cruels sur tous les territoires. Nous avons déjà dit que dans les apôtres avait été élue la pauvreté, amie des vertus, et chère à Dieu.

Mathieu s’était enrichi au bureau de perception des impôts; il avait multiplié ses gains par les prêts usuraires, et regorgeait des richesses du monde. Le Maître l’a appelé comme apôtre. Qu’avons-nous à dire à cela ? Aujourd’hui, Matthieu commence ainsi : Et comme Jésus passait, Il vit un homme assis au bureau de perception d’impôts, du nom de Matthieu, et Il lui dit : Suis-moi. Le publicain Matthieu ne nous pose pas une petite question par sa richesse. Son souci d’acquérir nous donne un grand souci. Mais dira quelqu’un : quel souci ? Dieu accueille les pauvres, mais ne repousse pas les riches. Celui qui a reçoit, et Dieu attire à Lui les non possédants. Abraham était riche, Job riche, David riche. Et pourquoi Abraham est-il plus heureux, Job plus fort, David plus saint ? Mais Abraham, après les douleurs de la terre, a accueilli dans le sein de sa consolation les âmes pieuses qui retournaient au ciel en volant. Job a vaincu lui-même le diable et les pièges de la richesse qui lui avaient été tendus, et nous a légué en exemple la façon de vaincre le démon. Les richesses qu’Abraham posséda, il les posséda de façon à les mépriser souvent quand elles étaient offertes, et à les fouler aux pieds quand elles voulaient l’accaparer. Et ainsi, il aimait posséder des richesses mais ne pas être possédé par elles. En posséder pour avoir de quoi faire l’aumône, non pour enflammer la cupidité. Mais on répond à cela que les richesses n’ont pas entaché l’innocence des saints, parce qu’elles avaient été données par Dieu, et non acquises de façon malhonnête. Concédées pour l’usage de la vie, non pour l’usure mortelle. Mais les richesses proclament que Matthieu le publicain était un maître de la cupidité, qu’elles l’avaient tellement cuit dans le four de l’avarice, qu’elles le liaient tellement par les liens des reçus, l’écrasaient tellement sous les poids des choses du monde qu’il ne pouvait s’élever à l’innocence, se redresser à la recherche de la justice, progresser dans la vertu. C’est pourquoi être assis signifiait dans son cas, être accroupi, non être assis. Pourquoi Dieu a-t-il appelé un tel homme à son royaume, pourquoi l’a-t-il élu en vue de choses divines ? Il l’a fait comme s’il nous proposait une énigme, et non seulement une énigme, mais un scandale, comme le contexte semble l’indiquer. Quel casse-tête pour l’infirmité humaine de voir le Christ promouvoir ainsi l’argent, faire confiance à un escroc, s’apitoyer devant un fonctionnaire vénal, offrir le ministère au maître-renard de la cupidité, le magistère de la sainteté au docteur ès fraudes, le secret céleste à un publicain mondain ! Les témoins voyaient sans en croire leurs yeux que l’usure qui fait de la terre un désert était élevée jusqu’aux cieux, que Dieu se faisait le défenseur de ce que détestent les hommes. Que les témoins aient ressenti ce genre de choses, Matthieu le laisse entendre. Ne voulant pas faire le récit de ses misères, il n’a pas pu taire ce qui suit : Comme Jésus était à table dans sa maison, voici qu’arrivèrent plusieurs publicains et pécheurs et prirent place à table avec Lui et ses disciples. Ce que voyant les pharisiens, ils dirent aux disciples : Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs? Les Pharisiens parlaient ainsi parce que le mal qui s’étalait là pouvait déplaire même aux méchants. Et s’il était néfaste pour le Christ que les publicains prennent part à la fête et au banquet, en quoi était-il interdit de les associer aux choses divines ? Mes frères, par cette question, le génie de l’interprète serait mis à rude épreuve si le Seigneur Lui-même, à qui la question a été posée, n’en avait pas enlevé toute la difficulté.

Reprenons maintenant le récit de la leçon du jour. Ecoutons pourquoi Jésus s’est dirigé vers Matthieu. Comme Jésus passait, est-il dit. L’évangéliste ne dit pas : comme Il se tenait debout. Jésus passait et repassait là afin que Matthieu ne s’y établisse pas à demeure. Jésus passait pour que Matthieu ne demeure pas perpétuellement dans l’état où il était. Il voit un homme. Il n’a pas dit : Il a vu Matthieu. Parce qu’en Matthieu Il libérerait l’homme. C’est-à-dire : les hommes que l’argent possède, qui sont esclaves de l’argent et ne peuvent servir Dieu. Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon, est-il dit. Viens et suis-moi. Ce qui veut dire : dépose tes fardeaux, romps tes chaînes, délie tes liens. Suis-moi. Pars à la recherche de toi-même.Abandonne l’usure, pour que tu puisses te retrouver toi-même. Mais écoutons ce qu’Il a répondu aux Pharisiens . Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades et les infirmes. Voilà pourquoi Jésus était venu voir Matthieu : pour soigner les plaies de son avarice, pour le guérir de la peste de l’usure. Allez et apprenez ce que veut dire : je veux la miséricorde et non le sacrifice. Il a voulu la miséricorde pour que ce que Matthieu avait extorqué à la misère, il le rembourse en plusieurs versements par ses miséricordes, pour qu’il se rachète là où il avait commis la faute. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs. En parlant ainsi, Il ne repousse pas les justes, mais Il exclut les injustes qui s’imaginent être justes. Jésus est venu vers les pécheurs pour enlever les péchés, non pour fraterniser avec le péché. Il est aussi difficile de donner la vie à un mort que la générosité à un avare. L’explication de l’appel de Matthieu n’est pas à chercher dans l’argent, mais dans la vertu. Et, en fin de compte, Matthieu est devenu pauvre sur la terre pour être riche dans le ciel.
 
 

29ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

Quand le Seigneur appelle et élève  le publicain Matthieu au faîte de l’apostolat,  Il donne la main aux renégats,  Il rend l’espoir aux désespérés,  Il rend à la vie ceux que la mort tenait déjà dans ses mâchoires.    Comme Jésus passait,  Il vit Lévi le fils d’Alphée assis à un bureau de perception d’impôts.   Il était assis, en vérité,  celui  que le fardeau de la cupidité empêchait de se tenir debout,  et il  était  courbé par la pleine conscience de son attachement à l’argent.  L’or est lourd par nature,  mais l’avarice l’alourdit davantage.   C’est pourquoi il ploie plus le possesseur que le porteur,  et appesantit  plus les cœurs que les corps.   Il naît dans les entrailles de la terre, il fauche les bases des montagnes,  et court ca et là  au plus bas des veines du roc dans les  sinuosités aveugles.  Et bien qu’il retrouve toujours sa nature,  il dépose la nature céleste dans les enfers.   Il assombrit toujours les sens;  les pensées les plus hautes de l’esprit humain il les plonge dans la trivialité.    L’or achète le bien,  et le remplace par le mal;  il  méprise ce qui a de la valeur et  fuit ce qui est d’une certitude absolue.  Comme le propre de la vertu est de vaincre,  le propre du bonheur est d’échapper à l’or.   La fureur de l’or brûle plus dans le cœur de l’homme   que la flamme dans une fournaise,  et il dissout plus âcrement   les hommes  qu’il n’est fondu dans la chaleur des flammes.  L’or est le maître de la cruauté,  un ennemi furieux.    Il blesse en aimant,  il appauvrit en enrichissant,  il ensorcelle le regard,  rompt les engagements,  viole l’affection,  blesse la charité,  trouble le repos.    Il  enlève l’innocence,  enseigne le vol,  pousse à frauder,  commande le vol à main armée.   Et quoi encore ?    L’Apôtre l’a  bien dit :  La racine de tous les maux est l’avarice.   C’est une commutation unique en son genre  quand  l’homme prudent expédie l’or  dans le ciel avant lui,  comme  l’insensé  l’envoie dans le Tartare.  Qu’il l’envoie par la main du pauvre,  parce que tout ce qu’il a donné au pauvre à cause de Dieu,  le pauvre le transmet sans retard.   C’est avec raison que  le Seigneur a libéré Matthieu de telles chaînes,  désirant que se relève celui qui était entravé,  en lui disant : Suis-moi.  Ce qui veut dire : suis-moi vers les choses célestes  avec l’aide des choses célestes,  et ne suis pas  l’or qui émerge de l’enfer pour retourner à l’enfer.  Là où sera ton trésor, là sera ton cœur.  L’or a corrompu, au point de les rendre étrangers  à la piété, les rejetons des patriarches,  la sainte progéniture,  toute la lignée  des fils de Jacob,   pour qu’ile livrent  Joseph à des Egyptiens,  le frère à des barbares,  l’innocent à des coupables,   la candeur à la servitude.    L’or a  asséché les esprits, dépravé les cœurs  au point  que ce qu’il y avait en eux de sentiments humains,  il l’a changé en une rage sauvage.  Il ne leur a  pas permis de se souvenir  de l’offense faite au père,  de la douleur d’un saint vieillard,  des liens du sang qui les unissaient.    Pourquoi se  demander  s’il y a quelque chose de plus abrutissant que l’or ,  puisque ce qui   fait perdre aux hommes leurs mœurs,  leur fait aussi perdre leur nature.   L’or a captivé le peuple judaïque par sa beauté,   il l’a vaincu par  ses attraits,  il l’a trompé par son éclat,  au point de croire qu’il était dieu et le vrai dieu,  et au point de renier le Dieu qui s’était fait connaître par tant de bienfaits.   C’est ainsi qu’il convertit  en bêtes de somme des hommes capables de  prendre la tête  d’un veau pour celle de Dieu,  et  de faire passer la  cervelle  d’une brute avant le cerveau qui a créé toutes choses.   Essayez de comprendre jusqu’à quel point il faut fuir cette peste  qui après avoir entraîné la mort des mœurs,  de l’honnêteté, de la vie,  a voulu enlever Dieu à l’homme,  et y a mis tous ses efforts.    Cela veut dire que c’est l’or qui a fait de Judas un traître,  forçant l’homme à renier Dieu,  à vendre son semblable,   à triturer  le Créateur,  et à évaluer le prix  du sang que le Seigneur  était sur le point de verser pour notre rachat.  Mais pour qu’un excès d’exemples  ne produise le dégoût,  passons au reste.

   Suis-moi.  Et, se levant,  il le suivit.  On lit souvent que la vertu est utile même chez  l’ennemi,  qu’elle ne peut être confirmée que par l’adversaire.  On n’enlève pas à Mathieu son travail, mais on l’affecte d’un autre sens.  Il reçoit un bureau de perception d’impôts plus qu’il ne le quitte,  pour qu’il conquière pour Dieu des choses qui demeurent,  non des choses périssables pour l’homme,  pour que le triste comptable n’ait pas à calculer le treizième  des impôts  du quarantième et du cinquantième,  mais qu’il mette en réserve dans la joie  ,dans les coffres divins,  trente fois le soixante et le centième du fruit  de la joie à venir.   Et, se levant,  il le suivit.    C’est une nature généreuse  qui abandonne facilement et méprise comme si elles n’étaient rien  des choses auxquelles il avait attaché une grande valeur.  Il semble bien que c’est par ignorance  que les richesses de la terre l’avaient auparavant conquis, car dès  qu’il se vit ou se sentit  libéré,  il fut envoûté  par les choses divines.  Et il arriva que comme Jésus s’était attablé dans la maison de Matthieu,   plusieurs publicains et pécheurs se mirent à table avec Jésus et ses disciples.   Jésus était couché pour manger  plus dans l’esprit de Matthieu  que sur le lit de table demi-circulaire,  et  ce qui le mettait en fête ce n’étaient pas les mets  mais  la conversion du pécheur.   Sa conversation  amène rappelait à la convivialité, à la bonne entente et à l’estime de l’humanité ceux qui mangeaient avec Lui,  qu’Il savait pouvoir être réduits en miettes par la puissance enflammée du Juge,  par la terreur  panique  qu’inspire sa Majesté.  Ils ne pouvaient être terrassés   par la présence  nue de Celui qui s’est enveloppé  d’un corps humain pour venir au secours de l’homme.   L’homme  a caché le Seigneur,  Lui qui a daigné ne pas renier Sa fidélité envers ses esclaves.   Il a recouvert d’un manteau sa majesté,  Lui qui  a la passion d’embrasser le fragile avec un amour parental.  Mais les Juifs s’en offensent en disant :  Pourquoi votre Maître mange-t-Il et boit-Il avec les publicains et les pécheurs ?   Tu te demandes avec étonnement ,  Judée, pourquoi Il prend part au banquet avec les pécheurs,  Lui qui a voulu naître pour les pécheurs,  et qui pour eux n’a pas refusé de mourir .  Tu te déchaînes  parce qu’Il boit le vin des pécheurs  Celui qui a répandu son sang pour les pécheurs.  Et si tu veux pousser plus loin ton indignation, apprends qu’ Il a pris sur Lui le péché pour ne pas perdre les pécheurs.   Le Juge a retourné contre  Lui-même l’arrêt de mort, pour révéler qu’Il a plus   aimé les pécheurs en expiant pour eux à leur place  qu’en leur donnant simplement le pardon.  Mais qu’il suffise à ce genre de personnes ce que le Seigneur a répondu :  Ceux qui sont en santé n’ont pas besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.  Et qui n’était pas malade ,  la nature du genre humain étant si malade ?    Il est donc venu vers tous  Lui qui a découvert que tous étaient des  malades ayant besoin de guérison.  Il mérite certainement de mourir celui  qui a méprisé le médecin de peur de s’accuser lui-même,  de peur  de se reconnaître malade.   Mais le Seigneur explique peu après le sens de cette parole en disant :  Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.  Le Seigneur ne rejette pas ici les justes mais les orgueilleux.   Et Il désigne ceux  qui  se vantent d’être saints sans l’être.  Et où étaient les justes lorsque le Prophète a prononcé :   Il n’y a en avait pas qui fasse le bien,  pas même un seul.  Pour qu’ils admettent qu’ils sont malades,  pour qu’ils accueillent le médecin en vue de  leur guérison,  pour qu’ils confessent qu’ils sont des pécheurs, pour que bientôt le Christ, leur parent et leur convive,  leur accorde le pardon,  afin que plus tard le Juge  n’inflige pas à des contumaces la peine éternelle qui leur est due.
 
 
 

30ème sermon de Saint Pierre Chrysologue
 

 Aujourd’hui la lecture  évangélique  a changé le publicain Matthieu en Apôtre,  pour que celui  qui fraudait avec l’argent  devienne un distributeur de la grâce,  et pour que de l’école de l’impiété,  il parvienne à la maîtrise de la piété;  pour que devienne docteur de la miséricorde celui qui avait été  un instituteur de l’avarice.   Pendant que Jésus passait par là,  Il vit un homme assis au bureau de perception des impôts.    Quand Jésus a passé par là,  Il a passé d’un endroit à un autre.   Il a traversé à pied la Judée pour aller chez les Gentils;  Il dépassait la Synagogue pour se rendre à l’Église.  Il traversait le pays de la chair pour demeurer au siège de sa Divinité.    Dans le Christ,  mes frères,  l’injure de la chair est transitoire,  Lui en qui l’honneur de la divinité est permanent  . Pendant qu’Il passait, Il vit un homme.  Il l’a vu plus avec ses yeux divins qu’avec ses yeux humains.   Il a vu un homme,  pour ne pas voir les péchés de l’homme.  Il a regardé Son œuvre à Lui pour détourner les yeux des œuvres des hommes.  Dieu l’a vu pour que lui voie Dieu.  Le Christ l’a vu pour  ne plus apercevoir les subterfuges, les prétextes où se camouflent les péchés d’avarice.  Dieu l’a vu assis,  parce que,  affaissé par le poids de la cupidité,  il ne pouvait plus se redresser.   Mes frères,  ce publicain qui était assis dans le bureau de perception des impôts était dans un état plus grave que le paralytique  étendu sur son grabat,  dont nous avons déjà parlé.   Parce que ce dernier souffrait d’une paralysie du corps,  l’autre de l’âme.    Dans le premier c’était le corps dans tout ses  membres qui était affecté,  dans le second  c’était les sens dans leur ensemble  qui étaient détraqués.  L’un gisait prisonnier de sa chair,  l’autre était assis, captif du corps et de l’âme.  L’un succombait aux douleurs malgré lui,  l’autre  s’était fait volontairement serviteur des vices. L’un se voyait innocent du crime d’avarice,  l’autre,  au milieu de ses plaies,  se reconnaissait pécheur.   L’un continuait à accumuler les crimes des profits usuraires,  l’autre  effaçait ses péchés par les gémissements que lui arrachaient les douleurs.   C’est donc avec raison qu’il est dit au paralytique :  Aie confiance, mon fils,  tes péchés te sont remis,  parce qu’il avait expié ses fautes par les douleurs.   Mais au publicain il est dit : Viens, suis-moi.  Pour que,  en me suivant,  du payes  pour ce que tu as perdu en poursuivant l’argent.   Mais dira quelqu’un : pourquoi ?    Le publicain qui était plus grand dans le crime est plus grand dans le ministère ?   Mais bientôt après,  assigné d’avance à la dignité durable de l’apostolat,  non seulement il reçoit lui-même  le pardon des péchés,  mais il l’accorde aux autres.   Il irradie toute la terre de la splendeur de la prédication évangélique,  et le paralytique semble digne du seul pardon.   Tu veux savoir pourquoi le publicain a reçu davantage ?   Parce que d’après l’Apôtre,  là où a abondé le péché, la grâce a surabondé.

  Nous savons que le publicain présente le type du peuple Gentil,  et le paralytique la  figure du peuple Juif  qui, encore aujourd’hui, est retenu dans son lit par une maladie infectieuse, de sorte  que,   à moins d’être porté dans son lit par la foi des gentils,  offert au Christ par la pitié des saints,  sauvé par la foi du peuple chrétien, il  ne peut pas parvenir à la maison de la foi,  à la  maison de la patrie.   Après s’être mis à table, voici que vinrent beaucoup de publicains et de pécheurs,  et s’attablèrent  avec Lui et ses disciples.  Ce que voyant les Pharisiens  dirent aux disciples : pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ?   On fait des reproches à Dieu parce qu’Il se penche vers les hommes :  Pourquoi s’étend--Il  près d’un pécheur ?  Pourquoi a-t-Il faim de la pénitence ?  Pourquoi est-Il assoiffé de la conversion des pécheurs ?  Pourquoi accepte-t-Il les plats de la miséricorde ?  Pourquoi prend-il la coupe de la piété ?   Mes frères,  le Christ est venu au banquet,  La vie  est venue au festin,  pour faire vivre avec Lui ceux qui étaient sur le point de mourir.   La Résurrection  s’est couchée pour  que ceux qui dormaient du sommeil de la mort surgissent des sépulcres.  L’indulgence s’est allongée  pour élever les pécheurs  jusqu’au pardon.  La divinité vient à l’humanité  pour que l’humanité vienne à la divinité.  Le roi vient au banquet des coupables,  pour que l’humanité prévienne la sentence de la condamnation.  Le médecin vient vers ceux qui sont languissants   pour qu’en mangeant avec eux,  il refasse les forces des épuisés.  Le bon pasteur penche ses épaules  pour ramener la brebis perdue au bercail du salut.   Mais cela,  le Pharisien l’a en horreur,  et en fait un motif d’accusation, croyant que c’était le ventre du Seigneur qui festoyait et non la vertu,  non l’esprit mais la chair,  non la bonté divine mais la volupté charnelle,  la débauche de la terre non la grâce du Ciel.   Il se voit ainsi lui-même lui qui ne voit pas Dieu.   Qui reproche au Médecin  de s’étendre près de ceux qui sont étendus,  si ce n’est l’ennemi du salut humain ?   Qui reproche au pasteur de porter sur ses épaules l’agneau fatigué,  si ce n’est celui qui n’aime dans le troupeau que le profit ?   Qui fait au Juge un crime de sa  piété,  si ce n’est le désespéré ?   Qui méprise la communion de Dieu,  si ce n’est le sacrilège ?   Qui méprise son pardon si ce n’est le cruel qui l’a en horreur ?   Pourquoi votre maître mange-t-Il avec les publicains et les pécheurs ?    Et qui donc est le pécheur si ce n’est celui qui refuse de se voir tel ?   Il est un plus grand pécheur,  et pour parler plus correctement,  il est lui-même  le péché   celui qui ne comprend pas encore qu’il est un pécheur.  Et qui est le plus injuste si ce n’est celui qui  se juge juste : les Scribes,  les Pharisiens,  parce qu’aucun vivant n’est justifié en ta présence.   Tant que nous sommes dans le corps mortel,  la fragilité domine en nous.   Et si nous avons vaincu les péchés  en acte,  nous ne pouvons pas vaincre les péchés en pensée , ni fuir les jugements téméraires.  Si nous pouvons éviter les fautes provenant du corps ,  et si nous sommes capables de triompher d’une conscience mauvaise,  comment pourrons-nous éliminer les fautes de négligence,  comment pourrons-nous abolir les péchés d’ignorance ?    Pharisien, confesse ton péché,  pour que tu puisses venir  à la table du Christ,  pour que le Christ soit pour toi le Pain,  et que la fraction de ce pain soit faite  pour le pardon de tes fautes,  et que la coupe du Christ existe pour toi, elle qui est versée pour la rémission de tous tes péchés.   Pharisien,  mets-toi à table avec les pécheurs,  pour pouvoir manger avec le Christ.  Reconnais-toi pécheur,  pour que le Christ prenne son repas avec toi.   Entre avec les pécheurs au banquet de ton Maître  pour que tu puisses ne plus être un pécheur.  Entre dans la maison de la miséricorde avec le pardon du Christ  de peur que ,  à cause des jugements que tu as faits en dehors de la maison de la miséricorde, tu en sois exclus.   Reconnais le Christ, écoute le Christ,  écoute ton Seigneur,  écoute le Médecin céleste  réfuter tes calomnies de façon péremptoire :  Ce ne sont pas les gens bien portants  qui ont besoin de médecin, mais les malades et les infirmes..    Si tu veux la cure reconnais l’anémie.   Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.   Si tu désires la miséricorde,  confesse ton péché.   Allez et apprenez z ce que veut dire : je veux la miséricorde et non le sacrifice.  Le Christ veut la miséricorde et non le sacrifice. Quel sacrifice pourrait-Il chercher  Lui qui pour te chercher s’est fait Lui-même sacrifice ?    Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.  Il ne rejette pas les justes, mais c’est que, sans le Christ, personne n’est innocent sur terre. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.   En parlant ainsi, Il ne repousse pas les justes,  mais c’est que, pour Lui, tous sont pécheurs. Écoute le Psalmiste :   Du  haut du ciel, le Seigneur examine les fils d’hommes, pour découvrir s’il en est un qui soit intelligent et qui recherche Dieu.  Ils se sont  tous détournés du chemin,  tous ensemble ils sont devenus inutiles.  Il n’y en pas qui fasse le bien,  pas même un seul.   Mes frères,  mes frères,  confessons que nous sommes pécheurs,  pour qu’avec le pardon du seigneur nous ne le soyons plus .
 
 

31ème sermon de Saint Pierre Chrysologue 
 

La bonté est la mère des vertus, et la malice est l’origine des vices. La gloire accompagne les vertus, une confusion connaturelle est inhérente aux vices. Comme les vices sont apparentés à la fausseté, les vertus ont pour apanage la liberté. De là vient que le Christ, Lumière des vertus, agissait en toute liberté, n’énonçait que la vérité, l’emportait comme Dieu, souffrait en tant que Père, incriminait en tant que Seigneur. Les Juifs, vraie race de vipères, mort de leur mère, assassinat de leur père, ont rompu les entrailles de leur mère la synagogue en détruisant le Christ. Tout à fait comme il a été écrit : engeance de vipères. Ils inclinaient leurs têtes, adoraient avec la langue, ils blessaient avec leur hypocrisie, ils corsaient leurs poisons avec des blasphèmes. Et comme si cela n’était pas encore assez, ils étaient le mépris poussé jusqu’à la haine, le dénigrement jusqu’au déni de justice. C’est ainsi qu’ils ont persécuté Jésus par toutes sortes de traquenards, qu’ils Lui ont tendu des pièges, qu’ils L’ont accusé de crimes imaginaires, qu’ils L’ont abreuvé d’insultes, et assiégé avec toute la dissimulation de l’envie. Ils lui objectaient de guérir des malades le Sabbat . S’Il ne l’avait pas fait, leur mépris L’aurait taxé d’impuissance. S’il avait guéri, la condamnation aurait émané de la loi elle-même. Ils Lui demandaient par quel pouvoir Il opérait des prodiges à volonté. S’Il avait dit par le pouvoir divin, ils auraient été mordus par l’envie. S’il s’était tu, ils l’auraient rejeté comma magicien. Car ils disaient que c’était par Beelzebub, le prince des démons, qu’il chassait les démons. Et d’après la lecture d’aujourd’hui, ils accusaient le maître auprès des disciples pour avoir participé au festin des publicains. Et auprès du Maître, ils accusaient les disciples comme des gens qui ne voulaient rien savoir du jeûne , et qui sont aux adonnés aux plaisirs de la table. En cherchant des occasions pour susciter la suspicion entre disciples et maître et maître et disciples, ils lançaient les semences du venin de la discorde Les disciples de Jean, est-il dit, s’avancèrent et dirent : Comment expliques-tu que les Pharisiens et nous jeûnions fréquemment, alors que tes disciples ne jeûnent pas. Quelle association pouvait-il bien y avoir entre les Pharisiens et les disciples de Jean, à part le fait que l’envie réunissait ce que la discipline séparait. Il perd ses droits ici le zèle qui a réuni ce qu’il a coutume de dissocier . Les Juifs ne supportaient pas que Moïse soit placé après le Seigneur : les disciples de Jean ne voulaient pas que le Christ soit préféré à Jean en quoi que ce soit. Ils frémissaient donc contre le Christ d’une jalousie commune.. Comment se fait-il qu’alors que nous et les pharisiens nous jeûnons fréquemment, tes disciples ne jeûnent pas? Pourquoi ? Parce que votre jeûne vient de la loi, non de votre volonté. Le jeûne ne regarde pas celui qui jeûne, mais celui qui jeûne de plein gré. Et quel profit tirez-vous du jeûne, vous qui jeûnez d’un jeûne qui n’est pas volontaire ? Le jeûne est la charrue insigne de la sainteté, il laboure les cœurs, éradique les crimes, arrache les fautes, déracine les vices, sème la charité, nourrit avec abondance, dresse la table de l’innocence. Les disciples du Christ établis dans la totalité du champ ensemencé de la sainteté, et cueillant les gerbes des vertus, ayant le pain du nouveau froment, ne peuvent jeûner des jeûnes désuets et caducs. Cette jactance en paroles, cette pâleur de visage , ce trafic frauduleux plaisent aux yeux humains, non aux divins. Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas quand les pharisiens et nous nous jeûnons fréquemment ? Jésus répondit : Les fils de l’époux peuvent-ils jeûner tant que l’Epoux est avec eux ? Qu’est-ce à dire? Quand on interrogea Jean, il attesta que Jésus était l’Epoux. Celui qui a l’épouse est l’époux. Mais l’ami de l’époux qui est présent et entend, se réjouit de joie en entendant la voix de l’époux. Il est donc tout à fait normal que Jean ait répondu à ses disciples par la voix de son Maître pour qu’ils croient en Lui, pour qu’ils ne contraignent pas les temps du triste jeûne à entrer dans les temps joyeux de l’Epoux. Car celui qui cherche une épouse écarte les jeûnes, .laisse de côté l’austérité, se donne tout entier à la joie, s’adonne aux festins : il est la gentillesse et l’amabilité personnifiée. Il se met sur un pied de fête, et fait tout ce que requiert la tendre affection de l’épouse. Le Christ qui, alors, épousait son église, se permettait de participer à des festins, ne se refusait pas à la joie des convives; sa pieuse charité le rendait affable, sociable, charmeur, afin d’unir les choses humaines aux choses divines, et pour faire de la société terrestre une harmonie céleste. Notre-Seigneur ajoute à ce qu’Il avait déjà dit en disant : Personne ne rapièce un vieux linge avec une étoffe brute. Il enlève au vêtement sa rigidité, et une déchirure pire encore apparaît. Le vêtement de l’ancienne loi, altéré par le zèle judaïque, dont le sens a été corrompu, déchiré par les sectes, rendu obsolète par des actes impurs, appelle l’étoffe rude de l’évangile. Mais comprends que l’étoffe ne fissure pas une partie du vêtement, mais les fibres même de la texture. Car alors, en premier lieu, la toile du vêtement royal était tissée avec la toison du Christ, de la toison que donnait l’Agneau, l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. Le vêtement des rois était tissé, que le sang rouge de la passion teindrait en pourpre éclatant. C’est donc avec raison que le Christ interdisait de mettre cette étoffe brute sur la vétusté judaïque, pour que ne se produise pas une déchirure pire encore, si la nouveauté chrétienne fendillait la vétusté judaïque. Et il ajoute un exemple semblable en disant : On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres. Autrement les outres se fendillent et le vin s’écoule, et les outres sont perdues. Mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et les deux se conservent. Il donne aux Juifs le nom de vieilles outres. Il appelle les chrétiens des outres neuves. Car comme les outres sont purgées de toute forme de saleté, et sont enduites de drogues odorantes pour pouvoir conserver sans altération la saveur du vin, ainsi les jeûnes humains sont purifiés de la saleté de toutes les fautes charnelles, et deviennent aptes aux pressoirs divins, pour que de la presse de la croix ils reçoivent un vin nouveau, et se conservent dans une nouveauté incorruptible. Mais je parle du jeûne que les chrétiens pratiquent. Ainsi les Juifs, s’il ne deviennent chrétiens, ne l’auront pas. Corrompus par les vices et pécheurs invétérés, ils reçoivent le vin nouveau qui est la parole de l’Evangile en rompant les outres et en laissant s’échapper le vin. Il faut donc reconnaître qu’avec ces exemples, Jésus n’avait pas l’intention d’empêcher ses disciples de jeûner, mais Il ne voulait pas qu’ils mêlent le vrai jeûne au jeune frelaté.
 
 
 

32ème sermon de Saint Pierre Chrysologue 
 

Il faut croire que tous les miracles du Christ sont des œuvres d’une puissance étonnante, qui n’ont pas été produites humainement ni par hasard, mais par une procuration divine, comme la lecture de l’évangile d’aujourd’hui nous le démontre. Et Jésus entra dans une synagogue, est-il dit, et il y avait là un homme ayant une main desséchée. Le Christ entre dans la synagogue, mais le Juif ne le L’accueille pas à Son entrée, ne Le reconnaît pas quand il est mis en Sa présence, ni ne comprend, dans son aveuglement, Son activité thaumaturgique. Constatez comment se réduit à rien la présence corporelle là où les esprits sont pitoyablement séparés. On peut dire à l’inverse que l’absence corporelle n’entrave pas l’union des cœurs quand la foi les rassemble. Et il y avait là un homme ayant une main desséchée. Cet homme est une image de tous les hommes, sa cure est celle de tous les hommes, son retour à la santé est le rétablissement de la santé longtemps différé de tous les êtres humains. La main de l’homme était affligée plus par la paralysie de la foi que par le dessèchement des nerfs, et plus par le remords de la conscience que par la défaillance de l’organisme. Cette maladie était suffisamment ancienne : elle remontait au début du monde, et ne pouvait être guérie ni par la science médicale ni par la philanthropie . Elle avait été contractée par la juste indignation de Dieu quand la main avait touché ce qui était défendu, quand elle avait aspiré présomptueusement à ce qui n’était pas concédé, quand elle s’était étendue jusqu’à l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Elle avait besoin non d’un charlatan qui lui appliquerait un cataplasme, mais de son Auteur, de Celui qui pourrait révoquer la condamnation portée, délier par Son pardon ce que Son indignation avait lié. Dans cet homme, apparaît l’ombre seulement de notre santé. La perfection de notre salut était réservée à notre Christ, car la sécheresse de notre main a été guérie par la miséricorde quand elle a été versée dans le sang rouge de la passion du Seigneur, quand le Seigneur a été étendu sur le bois vivifiant de la croix, a extirpé de la douleur une vertu fertile et féconde, quand Il a embrassé tout l’arbre du salut, quand le corps du Seigneur a été supplicié aux montants et traverses de la croix, pour que l’homme ne retourne jamais à l’arbre de la concupiscence et à l’aridité de la volonté. Les pharisiens observaient pour voir s’Il le guérirait un jour de sabbat, afin d’avoir un motif d’accusation contre Lui. A l’infamie du juge, et à l’iniquité de l’enquêteur, est présentée une cure dont on fait un crime, une œuvre de miséricorde qu’on s’efforce de rendre peccamineuse, un acte vertueux que l’on veut incriminer. On demande la peine de mort pour une santé restituée. Mais il n’y a là rien d’étonnant : le bien offense toujours les mauvais, les œuvres pies les impies, les choses saintes les profanes. Quand donc celui qui est lascif n’accuse-t-il pas la discipline, le vicieux la vertu, le criminel l’innocence ? Les fauteurs de crimes passent leurs nuits à veiller; ils sont à l’affût pour mettre les vertus en accusation, comme si le Sabbat avait été institué contre le salut et non pour le salut. Les Pharisiens observaient pour voir s’Il le guérirait un jour de Sabbat. Avec un tel interprète de la loi, le malade non seulement souffre terriblement, mais son état ne peut qu’empirer, et bientôt il expire. Jésus n’a pas refusé de guérir les infirmes en homme sans cœur, mais sa grande miséricorde accorda souvent le repos à ceux qui étaient rendus à bout, et qui par un trop dur labeur touchaient à leurs derniers jours. Et Il dit à l’homme ayant la main desséchée : lève-toi et viens au centre. Celui qui professe l’incrédulité judaïque est un professeur de sa propre débilité, le superviseur de la piété céleste, un témoin qui dépose contre la vertu divine. Lève-toi, et viens au milieu. Pour que, à la vue d’une telle déchéance physique, un sentiment de compassion émeuve et adoucisse ceux que la puissance de tant de miracles n’amène pas à la componction, que les œuvres d’un tel salut n’ébranlent pas. Il leur dit alors : Est-il permis, le Sabbat, de faire du bien plutôt que du mal, de sauver une âme plutôt que de la perdre ? En parlant ainsi, Il met l’accent sur la bonté de son œuvre, et blâme leurs desseins malicieux consciemment échafaudés. Car Jésus s’était proposé de sauver cet homme dans son corps et dans son âme. Mais c’est à perdre Jésus que s’acharnait le zèle de ces accusateurs, eux qui souffraient de voir Jésus guérir un jour de sabbat. Ils voulaient quand même L’induire à opérer une guérison pour qu’au cas où Il le ferait, ils en détournent malicieusement le sens, et que, pour avoir été si patients, ils deviennent plus méchants que la malice elle-même, et soient plus furieux pour s’être contenus, que démentiels pour avoir porté un tel jugement. Mais eux se taisaient, et les regardant avec colère, contristé par l’aveuglement de leurs cœurs. Regardant tout autour, ne regardant pas seulement le visage comme homme, mais en tant que Dieu, contemplant les corps, les cœurs, les esprits, les sens, le passé, le présent et le futur. Les regardant avec colère, contristé. Il se fâche comme Seigneur, Il est contristé en tant que Père, et Il souffre comme homme, Il pénètre les secrets des cœurs en tant que Dieu. Il dit à l’homme : étends ta main. Et il l’étendit, et sa main fut guérie. Etends ta main. Par un commandement, est déplié ce qui avait été recroquevillé par un commandement. Etends ta main. La peine reconnaît le Juge, l’œuvre de miséricorde montre du doigt le Dieu Créateur. Prions mes frères pour que la Synagogue soit seule à être assombrie par une telle débilité, et pour qu’il n’y ait personne dans l’Eglise dont la main soit desséchée par la cupidité, contractée par l’avarice, affaiblie par les rapines, dont l’infirmité soit entretenue par la parcimonie. Mais si une pareille chose devait jamais arriver, que cette personne écoute le Seigneur, et immédiatement, Il lui étendra la main pour qu’elle puisse faire une œuvre de miséricorde, et la lui ouvrira toute grande pour qu’elle fasse l’aumône. Il ne saurait connaître la guérison celui qui ne sait que prêter son argent à intérêt aux pauvres. Les Pharisiens étant sortis avec les Hérodiens se réunirent pour trouver de quelle façon ils le feraient mourir. Le Juif se joint toujours aux Hérodiens pour se jeter sur les chrétiens. Jésus avec ses disciples se retira en direction de la mer. Pour que la figure des flots illustre et démontre l’erreur des Juifs qui devaient servir de guides à l’humanité. Mais aussi parce que Jésus, grâce au fidèle service que lui rend le bateau, i.e., l’Eglise, est isolé du brouhaha des foules, et parce que le pilote du peuple chrétien y habite à demeure, sans être jamais fatigué par la grande diversité des maladies qu’Il a à guérir. Et Il commanda aux vents et à la mer, pour que l’obéissance les tranquillise et les apaise, selon le Prophète : Rompons leurs chaînes, et rejetons loin de nous leurs jougs. Pour que demeurant sous le joug de la piété, nous méritions de participer à la gloire divine.
 

33ème sermon de Saint Pierre Chrysologue 
 

Vous allez entendre aujourd’hui, mes frères, et vous apprendrez avec moi dans quelle décadence était la Synagogue avant le Christ et combien impuissants étaient ses chefs quand, sous l’empire de la loi, ils confessaient et adoraient Dieu sous deux vocables : Seigneur et Dieu, comme il est écrit dans la loi : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu. La synagogue désigne ainsi Celui qui peut rendre la vie, quand elle implore le salut de la fille mourante. Un chef de synagogue vint vers lui, du nom de Jaïre. En le voyant, il se jette à ses pieds, et le suppliait avec instance en disant : ma fille est rendue à l’extrémité. Viens et étends la main sur elle, et elle recouvrera la santé et elle vivra. Avant que le sermon ouvre le sacrement du sens évangélique, j’ai le goût, en cet endroit, d’exprimer en peu de mots les tourments que les parents connaissent et éprouvent dans l’amour et l’affection qu’ils portent à leurs enfants. Entourée de sa famille, au milieu des caresses et des témoignages de tendresse , la fille est étendue dans un lit moelleux. Le père se penche, s’agenouille, et se tord de douleur. Elle agonise dans son corps, lui dépérit dans son esprit et son âme. Elle endure les affres de la maladie, lui est complètement dévasté et démoli. En titubant, il donne de la tête ici et là sur les gens qui l’entourent. Elle meurt pour trouver le repos, lui continue à vivre pour porter sa peine. Et pour sûr, nous avons omis les vœux pleins d’anxiété faits à Dieu par les parents quand ils engendrent, les présages funestes quand ils produisent des rejetons, quand ils les nourrissent, les angoisses et les tourments quand ils sont malades. Le jour de la mort est plus tragique quand les enfants meurent avant les parents. Hélas ! Pourquoi les fils ne connaissent-ils pas ces choses ? Pourquoi ne suent-ils pas sang et eau pour rendre à leur tour à leurs parents ce qu’ils ont reçu d’eux ? Et pourtant, la tendresse des parents perdure. Parce que tout ce que les parents ont dilapidé pour leurs fils, Dieu le Père de tous en répondra pour les parents.

Mais revenons à notre sujet. Vint un chef de synagogue du nom de Jaïre. Et en Le voyant il se jeta à ses pieds, et le supplia avec instance en lui disant : ma fille est rendue à l’extrémité. Viens et impose ta main sur elle, et elle retrouvera la santé. Les lamentations et les supplications baignées de larmes et la demande d’un remède pour la malade prouvent et démontrent suffisamment l’affection proche du désespoir du père. Ce père décrit lui-même la façon dont Jésus devrait procéder : Viens et impose ta main sur elle. Il ne lui impose pas la façon de guérir la malade, il implore seulement sa guérison. Mais comme il était chef de synagogue, il avait connaissance de la loi. Et il avait lu que si les autres choses avaient été créées par une parole, l’homme avait été façonné par la main de Dieu. Il a donc cru en Dieu : par la même main, -il le sentait,- qu’elle avait été crée, sa fille pouvait être recréée et rendue à la vie. Nous aussi, nous savons ces choses. Viens et impose ta main sur elle. Pour que Celui qui a posé sa main spontanément pour créer l’impose de nouveau sur demande, afin de la remettre en son état premier. Voilà ce que déclare le Prophète quand il chante dans les psaumes : Tu m’as formé, et tu as posé sur moi ta main. Car Celui qui a posé la main quand Il formait à partir de rien, la pose de nouveau pour la reformer à partir du manque. Ensuite le même Psalmiste pour faire l’expérience de cette main salutaire et en recevoir les largesses, éclate en paroles similaires : La droite du Seigneur a fait la vertu, la droite du Seigneur m’a exalté, la droite du Seigneur a fait la vertu. Et pour démontrer que le chef de synagogue avait mérité de ce qu’il demandait, il ajoute : Je ne mourrai pas, mais je vivrai. Le chef de la synagogue, lui, quand il demandait avait dit : Viens et impose ta main, et elle retrouvera la santé et elle vivra. Le prophète exulte comme quelqu’un qui a déjà obtenu ce qu’il demandait : Je ne mourrai pas mais je vivrai. La droite du Seigneur c’est le Christ, comme nous l’enseigne un oracle prophétique . Le Christ a vraiment déployé sa force quand Il a lutté contre le démon : en mettant en pièces les vases du fort, après l’avoir ligoté, comme Lui-même l’a dit; en détruisant l’enfer et en apportant la mort à la mort. Et Il nous a vraiment exaltés quand Il nous a tirés de l’abime, et élevés jusqu’au ciel.

Mais que le sermon se tourne vers la femme qui a demandé un remède pour une plaie cachée et une maladie secrète, pour couvrir sa pudeur et préserver le respect qu’elle devait au Guérisseur. Et se levant, Jésus le suivait ainsi que ses disciples. Or voici qu’une femme hémorroïsse, depuis douze années, s’approcha par derrière et toucha la frange de son manteau. Car elle se disait en elle-même : si seulement je touche son manteau, je serai sauvée. Et immédiatement se tarit le flux de sang, et elle sentit dans son corps qu’elle était guérie de sa maladie. Un bateau n’est pas plus balloté par la houle et le tangage que l’âme de cette femme n’était agitée par l’accumulation de ses pensées. Après les rencontres conflictuelles avec les médecins, après les dépenses faramineuses causées par l’achat des remèdes, après une cure pénible et inutile, tous les biens de la malade avaient été engloutis n par l’impuissance et l’inexpérience de la science. La blessure honteuse accourut à l’Auteur, non par hasard, mais par inspiration divine, pour que ce que l’expertise humaine n’a pas pu pendant tant d’années soulager soit guéri par la seule foi et la seule humilité. La femme en qui la nature avait infusé la pudeur, se tenait à distance, car la loi judaïque la nommait impure, par ces mots : Elle sera impure et n’aura pas de contact avec ce qui est saint. Elle hésite à toucher le Seigneur, de peur de subir la colère des juifs et la condamnation portée par la loi. Elle n’a pas osé parler, pour ne pas ennuyer et écoeurer par un récit lassant de ses déboires , pour ne pas devenir la fable du peuple, elle qui fut pendant tant d’années l’arène et le théâtre de tant de passions. Une douleur lancinante et de chaque instant ne lui donnait aucun répit, et la rapidité des déplacements du Christ lui ôtait le temps de la réflexion Mais elle savait qu’en se taisant, qu’en cachant son mal, la santé ne serait pas donnée à sa maladie. Au milieu de ces pensées contradictoires , la femme trouva que la voie du salut consistait à dérober la guérison, pour que le silence s’empare de ce que la parole ne pouvait pas demander, et que la pudeur et la gêne obtiennent ce qu’elles ne pouvaient pas implorer. Pour que le cœur parvienne au médecin que le corps ne méritait pas, la foi à Dieu, la main au vêtement du Christ. Sachant que cette fraude, tramée par la pudeur non par la volonté, apporterait non seulement le pardon mais la guérison. Ce qui surtout la comblait c’est qu’en recherchant le profit de la voleuse, elle ne causerait aucun tort à celui à qui elle dérobait la santé. Pieux larcin qui a la foi pour inspiratrice et pour complice. Voici un cas où la vertu est composée de contraires, où la fraude a obtenu ce qu’elle désirait avec l’assentiment de la foi. Déchirée par des pensées opposées , la femme était incapable de prendre une décision. Après de longs atermoiements, elle présuma pouvoir dérober la guérison par la foi seule, et afin de se soustraire à la vue, elle se dissimula derrière Jésus, se jugeant indigne de Le regarder en face. La foi a guéri en un clin d’œil, ce que douze ans de médecine n’avaient pas pu guérir. Après cet exemple, la Synagogue par son vice , se traîna langoureuse pendant de longs siècles, et par sa négligence, prolongea sa peine, elle ne qui ne savait pas comment obtenir la guérison par la seule foi, mais croulait sous les dépenses astronomiques des baumes et des d’onguents. Le femme a touché le vêtement et a été guérie. Et sa maladie avait été guérie de toute antiquité.

Misérables sommes-nous nous qui, à chaque jour, prenons et mangeons le corps du Seigneur, et qui ne sommes pas guéris de nos plaies. Ce n’est pas le Christ qui manque aux infirmes, mais la foi. Car à plus force raison pourra-t-Il guérir les infirmes en demeurant en nous, Celui qui a guéri, en se déplaçant, une femme qui se cachait. Il suffit aujourd’hui d’avoir raconté les larcins de la foi et la vertu du Seigneur en mouvement. Pourquoi le Seigneur a-t-Il cherché à savoir, comme s’Il l’ignorait, quelle était la personne qu’Il savait avoir été guérie par l’œuvre de sa vertu, nous l’expliquerons dans le prochain sermon, car il se fait tard.
 
 

34ème sermon de Saint Pierre Chrysologue 
 

Toutes les lectures de l’évangile, mes très chers frères, nous gratifient de grands avantages pour la vie présente et future. Mais la lecture d’aujourd’hui apporte des raisons d’espérer, et écarte tout motif de désespoir. La fragilité innée nous force à pécher, et la confusion qu’engendre la faute nous empêche de la confesser. On a honte d’avouer le péché mais pas de le commettre. Nous avons peur de dire ce que nous n’avons pas peur de faire.

Mais la femme, aujourd’hui, en cherchant un remède discret pour une plaie secrète, trouva le silence par lequel le pécheur pouvait parvenir au pardon. Le premier des bonheurs est de ne pas tomber dans la turpitude des pécheurs; le second est d’obtenir le pardon pour les péchés cachés. Cela le Prophète l’avait compris qui disait : Bienheureux sont ceux dont les iniquités sont remises et dont les péchés sont recouverts. Voici, dit l’évangéliste, qu’une femme hémorroïsse depuis douze années s’approcha par derrière et toucha la frange de son manteau. La femme se réfugie subitement dans la foi , elle qu’une longue cure avait éxténuéee. Celle qui avait honte de demander le remède voulut dérober la santé. Elle n’a pas voulu être inconnue de Celui par qui elle croyait pouvoir être sauvée. Comme par une tornade que forment des vents contraires, la femme était agitée par l’orage de ses pensées. Le besoin luttait avec l’espoir, la nécessité avec la pudeur, le froid de la crainte éteignait l’ardeur de la cruelle plaie, l’intensité de la pudeur obscurcissait la lumière de la foi, et la nécessité de la honte rompait la confiance. Ainsi la femme ballotée au milieu des vagues de la haute mer, cherchait comment rendre public ce qui doit rester caché, comment révéler à la foule un secret. Elle recherchait comment retrouver la santé sans offenser la pudeur, mais elle prenait grand soin que sa cure ne cause pas d’injustice au guérisseur. Elle voyait à ce que sa santé lui soit restituée sans porter atteinte à l’honneur du Sauveur. C’est de cette façon que la femme, de façon méritoire, est parvenue, de la frange du vêtement, à la plénitude de la divinité. Elle s’approcha par derrière. Mais où ça, par derrière? Elle toucha la frange de son vêtement. Elle s’approcha par derrière. Mais où est-ce ? Il n’y avait pas de derrière. La face qu’elle fuyait, elle la trouva. Le corps du Christ était composé de parties, mais la déité est simple. Il était tout entier œil Celui qui la voyait derrière Lui en supplications. Elle s’approcha par derrière et toucha la frange de son vêtement. Qu’est-ce que cette femme a donc vu habiter à l’intérieur du Christ, pour avoir vu habiter dans la frange d’un manteau toute la plénitude de la divinité ? O comme elle enseigne la puissance du corps du Christ, celle qui nous fait voir tant de choses dans la frange d’un manteau! Que les chrétiens qui, à chaque jour, touchent le corps du Christ comprennent en l’écoutant quel remède ils peuvent tirer de Son corps, quand cette femme s’est emparée de la santé par l’intermédiaire de la seule frange d’un manteau. Mais ce qui est pour nous un motif de verser des larmes c’est que la plaie l’a conduite au remède, tandis que pour nous, c’est le remède qui dégénère en plaie. C’est pourquoi l’Apôtre avertit et exhorte ceux qui touchent indignement le corps du Christ : il mange sa propre condamnation, car la témérité contracte l’ infirmité là où la foi devrait recevoir la santé. Il insiste : C’est pour cela que parmi vous , il y a beaucoup d’infirmes et d’imbéciles, et que plusieurs se sont endormis. Il dit qu’ils dorment ceux aux tombeaux desquels il a versé des larmes, étant demeuré, lui, encore en vie. Pierre et Paul, les princes de la foi chrétienne, ont répandu la connaissance du nom de Jésus-Christ par toute la terre. Cette femme est la première à livrer la voie d’accès au Christ. Elle a été la première à indiquer la façon dont le pécheur efface sans honte son péché par une confession silencieuse. Et elle a montré comment le délinquant, dont la faute n’est connue que de Dieu, n’est pas obligé de raconter devant tout le monde les fautes dont rougit sa conscience; comment l’homme peut prévenir la condamnation par le pardon. Et Jésus se retournant, la vit et lui dit : Aie confiance, ma fille, ta foi t’a sauvée. Et Jésus s’est retourné non par un mouvement du corps mais par le regard de Sa divinité. Le Christ s’est retourné vers la femme pour que la femme se tourne vers le Christ, pour recevoir la guérison de Celui dont elle avait reçu la vie; et pour s’approprier cette vérité que la présence de la blessure a été la cause d’un salut éternel. Et Jésus se retournant, la vit. Il la vit avec ses yeux divins, non humains. Il la vit pour lui rendre la santé , non pour lier connaissance avec celle qu’Il connaissait. Il l’a vue. Elle se voue au bien et s’éloigne du mal celle que Dieu a regardée. Que tous comprennent cela, l’usage le démontre, puisque on dit de ceux qui sont heureux : Dieu le voit. Dieu a donc vu cette femme qu’Il a rendue si heureuse en la guérissant. Que dire d’autre ? Par l’exemple de cette femme, le Christ a enseigné comment la foi seule profite à la totalité du salut.

Mais parlons du chef de synagogue qui, pendant qu’il conduit le Christ à sa fille, a donné à la femme un chemin par lequel elle pouvait parvenir au Christ. C’est ainsi que débute la leçon d’aujourd’hui. Voici qu’un chef de synagogue s’avance, se prosterne en disant : Seigneur, ma fille est aux portes du tombeau. Mais viens, impose ta main sur elle, et elle vivra. Connaissant le futur, le Christ n’ignorait pas l’arrivée de cette femme. Par elle, le chef de la synagogue apprend que Dieu ne se déplace pas d’un lieu à l’autre, qu’on ne Le rejoint pas en marchant, qu’on ne L’attire pas par la présence corporelle, mais en croyant comment Dieu est partout présent, présent tout entier partout, partout et toujours, et qu’Il peut tout faire par un ordre, non par un travail fatiguant. Il envoie les vertus, mais ne les expédie pas d’une ville à une autre. Il triomphe de la mort non en lui livrant un combat meurtrier, mais par un acte de sa volonté. . Ma fille est presque morte. Mais viens. Ce qui veut dire : la chaleur de la vie demeure encore; on voit encore les vestiges de l’âme; l’esprit est encore en chemin; le maître de maison a encore sa fille; le tartare ne connaît pas encore la morte. Dépêche-toi donc pour que tu puisses retenir l’âme sur le point de s’en aller. Sot qui croyait que le Christ ne pouvait ressusciter un mort, à moins de la garder vivante. Le Christ, quand Il parvint à la maison et vit que la fille allait être perdue, dit, pour promouvoir à la foi les âmes infidèles, , qu’elle dort, non qu’elle est morte. Pour qu’ils croient qu’il Lui est plus facile de la tirer de la mort que du sommeil . La fille n’est pas morte, elle dort. Il est vrai de dire que pour Dieu la mort est un sommeil, parce que Dieu rappelle plus rapidement un mort à la vie qu’un dormeur n’est réveillé par quelqu’un. Et Dieu communique la chaleur vivifiante aux membres glacés par la mort avant que l’homme puisse infuser de la vigueur aux corps ensevelis dans le sommeil. Ecoute l’Apôtre : En un moment, en un clin d’œil, les morts ressusciteront. L’Apôtre, ne pouvant rendre par des mots la rapidité avec laquelle s’effectuera la résurrection des corps, a recours à des exemples. Comment pourrait-il resserrer la rapidité de la parole là où la puissance divine précède la célérité elle-même ? Où comment apparaît le temps là où une chose éternelle nous est donnée sans le temps ? Comme le temps implique la temporalité, l’éternité représente l’exclusion du temps.
 
 

35ème sermon de Saint Pierre Chrysologue 
 

Ce que c’est que toucher le Christ, la femme hémorroïsse l’enseigne aujourd’hui. Lorsqu’elle toucha la frange du vêtement du Christ, elle frappa au plus secret du cœur divin; et en dérobant la foi, elle a ravi, de la cime de la frange, le sommet de la vertu. . Heureuse fraude qui apporte le fruit du salut, et qui a soustrait la pudeur aux outrages. On s’en convainc en écoutant la lecture de l’évangile. Elle s’approcha par derrière, toucha la frange de son manteau en se disant à elle-même : si seulement je touche la frange de son manteau, je serai guérie. Dans les souffrances lancinantes, l’intensité de la douleur porte souvent conseil. Dans les causes désespérées, la nécessité est souvent la maîtresse qui enseigne la voie à suivre ; la souffrance trouve d’elle-même ce qui l’apaisera. C’est ainsi que la femme découvrit comment traiter sa plaie honteuse : murmurer dans le silence de la foi ce qu’elle ne pouvait pas proclamer en public; parvenir au Médecin céleste par la voie secrète de l’esprit, puisqu’elle ne pouvait pas parvenir à ce Médecin par le chemin visible de la chair. La bonté du Médecin lui donnait une grande audace, mais la confiance requise pour demander était enlevée par l’implacabilité de la prostration. La grandeur de la douleur la forçait à s’approcher du Christ, mais l’aspect hideux de la plaie ne lui permettait pas d’aller vers Lui. Ainsi cette femme à l’esprit hésitant, sur le conseil intrépide de la foi, préféra s’en rapporter à la foi plutôt que de mourir de sa plaie immonde. Elle s’approcha par en arrière et toucha la frange du manteau. Sachant que le toucher ne pollue pas Dieu, que le regard ne l’offense pas, que l’odeur ne l’incommode pas, et que la pensée humaine ne le souille pas. Car si le soleil touche le fumier, il n’est pas contaminé par les excréments. A plus forte raison, le Créateur de toute chose peut-Il toucher toute chose sans qu’aucun contact ne Le vicie. Et si le médecin quand il ponctionne le pus des plaies, quand il soigne les parties honteuses, n’en retire aucune atteinte à sa réputation, mais plutôt de l’estime, à plus forte raison Dieu ne se croit pas offensé dans Sa dignité quand Il regarde nos plaies en les soignant, quand Il les touche pour leur administrer un remède, quand Il les visite pour leur apporter le salut. Ce sont les plaies des péchés qui offensent la vue de Dieu, non celles causées par les maladies ; les morts qu’engendrent les crimes, non les passions des corps; le pus des vices non les flux de sang. L’homme qui demeure volontairement dans le péché, les maladies le retiennent captif, à son corps défendant. On peut donc dire que le pécheur reçoit la punition pendant que le malade reçoit la guérison. La femme donc, consciente de ce qu’elle souffrait plus que de ce qu’elle voulait faire, rendue indécise par sa maladie mais non par ses crimes, s’approcha par derrière pour échapper au regard de la foule, non pour éviter le regard du Christ. Elle ne chercha pas à se cacher de Dieu mais des hommes, parce que par Dieu seul elle pouvait être vue en se dissimulant, entendue en se taisant, être guérie de maux qu’elle maintenait cachés. Elle s’approcha et toucha la frange de son vêtement. Parce qu’elle crut que dans le Christ il n’y avait ni arrière ni avant, ni proximité ni éloignement. Parce que Dieu n’était pas diminué du fait d’être homme, et, dans la frange du vêtement, la vertu de Dieu n’était pas réduite ; les mouvements des membres ne faisaient pas bouger non plus la nature céleste. C’est pour cela que la femme parvint à la face par l’arrière, au cœur par le vêtement, et par la frange au front.

Cela, non sans mystère. Ecoute le Prophète qui dit : Comme un onguent qui descend sur le liseré de son vêtement. Vous voyez, mes frères, que dans la frange de ce vêtement, est passée toute la plénitude de l’onction divine, toute la vertu de la Tête divine. C’est en sachant ce qu’elle faisait que la femme chercha à atteindre la frange sacrée du Christ, pour pouvoir recevoir un onguent dans le mystère caché de sa plaie. Mes frères, elle est grande cette femme, et tout à fait admirable, car elle a vaincu les docteurs de la loi par la science, surpassé tous les Juifs par le sacrement, et précédé l’Apôtre dans la foi. Car la Judée avec ses scribes et ses docteurs, a complètement méprise Dieu dans Son incarnation. L’apôtre Thomas, pour croire en la divinité du Christ, mit ses mains dans Ses plaies, Les toucha du doigt, Les vérifia. Pour croire dans le Christ, il Le força, pour ainsi dire, à souffrir de nouveau. Mais quelle personne cette femme représente, quel type, quelle image elle suggère, recherchons-le avec les lumières de l’Esprit. Qui est donc cette femme qu’un sang donné à la naissance, une débilité naturelle, une maladie originelle, ont conduit à des germes de mort, à des blessures mortelles, et aux angoisses d’une maladie ignominieuse ? Qu’est elle donc celle qui a été souillée par les vices, viciée par les crimes, polluée par des plaies secrètes, que l’art répugnait à soigner, l’œil à regarder, que l’honnêteté avait en dégout, que la loi elle-même ne parvenait pas à purifier, bien plus , que la loi ordonnait d’expulser du temple, d’être interdite des rites sacrés, de s’abstenir de toutes les choses saintes?Et que la loi déclarait impure au point où tout ce qu’elle touchait devenait impur. Cette femme, mes frères, cette femme c’est l’Eglise, qui, blessée par le péché du premier homme, perdait continuellement tout son sang, ne faisait, depuis son origine, que courir à la mort.
 
 

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