106ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le figuier
qui ne produisait pas de fruits)
Un maître expérimenté, en variant les sujets doctrinaux, stimule, aiguillonne et enthousiasme l’esprit de disciples incultes qui ont de la difficulté à saisir, et qui sont lents à comprendre. De la même façon, le Seigneur, en variant les images et en diversifiant les comparaisons, convoque et invite à l’enseignement évangélique les indolents et les bornés. Car aujourd’hui, Il commence ainsi : Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint pour y trouver des figues, mais n’en trouva point.. Il dit au vigneron : voici trois ans que je viens chercher des figues dans ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi occupe-t-il de la terre ? Mais le vigneron lui répondant lui dit : Accorde-lui encore une année : je vais creuser tout autour, et lui mettrai du fumier. Peut-être produira-t-il des figues ! S’il n’en produit pas, tu le couperas après.
Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Je le demande : qu’y a-t-il de plus clair, de plus simple, de plus ordinaire ? Qu’y a-t-il de plus adapté aux frustres et de plus approprié aux érudits, que la façon dont cette comparaison est proposée ? Venant de la langue de tous les jours, elle les instruit tous par la parole et les convertit par l’exemple. Un arbre stérile encombre les mottes de terre, étouffe l’espace, draine à lui les sucs vitaux, cause du dommage au cultivateur, et décourage le propriétaire. Il est donc avantageux de le couper, et profitable de ne pas le conserver. Ainsi en va-t-il de l’homme qui, par des actes stériles et inopérants, renverse, immerge, paralyse le don de la nature, le présent de l’âme, le bienfait de la raison, l’excellence du sentiment, le jugement de l’esprit, le développement artistique, le bien de la culture , et refuse le fruit à l’Auteur, la reconnaissance au Cultivateur. Comme l’arbre mérite d’être retranché de la terre, ainsi cet homme mérite-t-il d’être retranché de la vie. Un arbre stérile, planté dans une vigne, répand une ombre mortelle sur les plantes voisines, et non content d’être ennemi de lui-même, il le devient aussi des sarments fertiles. De la même façon, si un homme indolent et lâche préside au destin des peuples, il ne se nuit pas seulement à lui-même mais à la multitude, en viciant et perdant par son exemple ceux qui le suivent.
Mais pourquoi le Seigneur a-t-Il choisi cette comparaison, écoutons-le. Le figuier, après le solstice d’hiver, par ses fleurs, laisse prévoir des fruits, mais produit des figues qui n’arrivent pas à maturité. Il trompe ainsi les inexpérimentés, et se joue des ignorants. Car il rejette ces figues qui n’arrivent pas à maturité, fait pousser ce qui est lent à apparaître, et le fait éclater en bourgeons, Et il produit plus tardivement que les autres arbres fruitiers celui qui semblait devancer tous les autres. C’est donc avec raison que la Synagogue est comparée par le Seigneur à un figuier, qui, réchauffée pendant la saison de la loi, eut son fruit dans sa fleur en son temps, en tant que figure de l’église. Solidement enracinée sur les patriarches, agrandie jusqu’au faîte du sacerdoce, élargie par les branches prophétiques, nourrie par l’observation de la loi judaïque, elle fleurissait en figues qui ne peuvent pas parvenir à maturité, n’ayant que l’espoir de donner des fruits par le Christ. Mais espérant surtout donner le Christ, comme fruit qui vient après, comme le dit le Psalmiste : Je mettrai sur ton siège un fruit de ton ventre. Les saints, qui savaient ces choses, tiraient de la fleur l’espoir du fruit, et se consolaient des choses présentes par les choses futures. Ils voyaient déjà les choses éternelles remplacer les mortelles, les choses perpétuelles les caduques. Ils voyaient la grâce remplacer la loi, l’Église la synagogue, les choses célestes les choses terrestres, les choses divines les choses humaines. Et le Christ remplacer toutes choses. Comme ils avaient attendu Sa venue avec une longue patience, ils se sont réjouis, à Son arrivée, de la joie de ceux qui sont restés fidèles.
De ceux-ci était ce Siméon à qui il avait été promis qu’il ne verrait pas la mort avant de voir le Christ du Seigneur, et qui a chanté ainsi en Le tenant dans ses bras : Laisse partir en paix, maintenant, ton serviteur, Seigneur, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut. Les ignorants ne mirent leur confiance que dans la loi; ils ne se sont pas souciés d’attendre le Christ, et ils ne méritèrent ni de Le recevoir ni de Le reconnaître. C’est ainsi qu’ils ont été trompés par les fleurs de la loi, comme le figuier trompe les ignorants par des figues en fleur qui ne peuvent pas parvenir à maturité. Voilà pourquoi le Seigneur envoie au figuier ceux qui désirent connaître les temps de sa venue, en disant : Voyez le figuier et tous les arbres. Quand ils produisent leurs fruits, vous savez que l’été est proche. De la même façon, quand vous aussi vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche. Vous voyez que le figuier n’indique pas des choses qui sont présentes, mais annonce des choses futures.
Mais poursuivons l’explication de la parabole, en suivant de près le récit. Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Le figuier c’est la synagogue, le propriétaire de l’arbre est le Christ. La vigne dans laquelle on rapporte que cet arbre est planté est le peuple israélite, au dire même du prophète Isaïe : La vigne du Seigneur Sabaoth est la maison d’Israël. Il est venu chercher du fruit en elle, et Il n’en a pas trouvé. Le Christ est venu, et dans la Synagogue, Il n’a trouvé aucun fruit de foi, parce qu’elle était complètement ombragée par les ruses de la perfidie. Le Christ est venu au figuier, où on lit qu’Adam s’est réfugié tout nu après la faute, comme le dit la Genèse : Et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus, et cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des pagnes. Le Christ est donc venu au figuier pour y trouver Adam, et pour couvrir sa nudité du vêtement de Son corps miséricordieux. Car le figuier ne voilait pas la nudité d’Adam, mais ne faisait qu’augmenter sa pudeur. Ce figuier, i.e, la Synagogue, avec ses circoncisions, ne pouvait que dénuder les parties honteuses du corps; elle ne les couvrait pas. Il est venu chercher des figues et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : voici trois ans que je viens chercher des figues sur ce figuier, mais je n’en trouve pas. Coupe-le.
Le vigneron qui reçoit l’ordre de couper le figuier stérile est l’ange gardien de la Synagogue qui, parce qu’il ne pouvait pas en excuser la stérilité, demande, en suppliant, de surseoir à l’exécution de la sentence. Mais on ne peut pas passer légèrement à côté de ce que dit le Seigneur : Voici trois ans. Trois ans. Elles sont au nombre de trois les époques au cours des quelles le Christ est venu chercher du fruit chez la Synagogue : celle de la loi, celle des prophètes, et celle de Sa présence corporelle. Pour que le figuier stérile, qui avait déjà refusé à la divinité des fruits non nécessaires, ne refuse pas des fruits nécessaires à l’homme, à l’affamé, à l’alimentation du Christ.
Venons-en maintenant à ce que le vignoble répondit au propriétaire de la vigne : Seigneur, accorde-lui encore une année. Le vignoble supplie que soit concédée encore une année de temps évangélique. Comme le dit Isaïe : Prêchant une année agréable au Seigneur, et un jour de rétribution. Pourquoi ? Pour que je creuse tout autour Il a voulu que l’on creuse avec la liturgie apostolique, parce qu’Il n’avait pas pu supporter la culture du culte légal. Et je mettrai du fumier. Il est tellement nécessaire aux racines, qui, réchauffées par un tel engrais, n’ont pourtant pas mérité d’être fécondées par une aspersion céleste. Figuier stérile, la Synagogue misérable est engraissée par le fumier des Gentils, pour que, secourue par des ferments ignobles, elle revienne au fruit, elle qui s’était éloignée de l’abondance d’un fruit si précieux. Si, après cela, elle demeurait dans la même stérilité, alors elle serait coupée non par la faux du vignoble, mais par la hache du Seigneur lui-même , désespérée et inutile. Et c’est pourquoi il n’a pas dit : Je la couperai dans le futur, mais tu la couperas, conformément à cette parole de Jean : La hache est déjà posée sur la racine de l’arbre. Tout arbre qui ne produira pas de bons fruits sera coupé et envoyé dans le feu. Parce qu’après la culture du temps évangélique, la hache du Juge coupera les arbres stériles, et l’enfer les recevra, et les brulera dans un incendie d’une puissance inouïe.
107ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
Un hommage à saint
Pierre Chrysologue
Mon peu d’éloquence semblerait me condamner au silence. Mais me forcent à parler la sainteté de celui qui m’en donne l’ordre, et la véhémence avec laquelle il me le commande. Il est préférable de produire un discours qui n’est pas selon les règles de l’art, plutôt que de refuser de faire un éloge dicté par le devoir. Qui pourrait refuser de rendre hommage à un tel homme qui a reçu du ciel et le nom de l’Apôtre et le privilège du sacerdoce suprême ? Il faut croire que ce n’est pas sans un jugement divin que, dans son enfance, il ait été jugé digne d’un tel prénom. Nous pensons que nul autre que Dieu n’a pu le lui donner . Comment les parents auraient-ils pu en juger puisqu’ils ne savaient rien de ses mérites futurs. ? Etre appelé Pierre, pour la plupart, cela ne signifie que recevoir un nom. Mais pour Pierre Chrysologue, c’était la prérogative de la vertu. Il a vraiment été bienheureux ce Pierre, lui qui a été le fondement immobile du salut. Il s’est montré tel dans le sacerdoce que veulent apparaître ceux qui désirent le sacerdoce. Quelle règle de sainteté ne s’est-il pas imposé celui qui s’est imprégné des pratiques monastiques ! Les jeûnes ont pâli son visage, les macérations ont réduit son corps, l’aumône supplie pour ses fautes, les larmes baptisent ses péchés. Mais que le peuple des gens pieux ne s’en étonne pas ! Pierre a pleuré quand le Christ a fixé ses yeux sur lui. Que personne ne blâme l’Apôtre d’avoir fait de ses pleurs une pluie qui fertilise !
Il est le gardien
de la foi, la pierre de l’église, et le portier du ciel.
C’est lui qui a été choisi comme pêcheur apostolique,
qui engloutit au fond de l’eau la foule des erreurs, qui attire par
l’hameçon de la sainteté, et qui, par le filet de sa
doctrine, attrape pour la foi une multitude abondante d’hommes.
Il est aussi le très bienheureux et apostolique oiseleur qui atteint
par la plume de son divin sermon les âmes des jeunes qui volent
dans les airs. C’est donc de plein droit que le vénérable
prêtre de Dieu qui avait autrefois obtenu le nom de l’Apôtre
ait obtenu maintenant ses mérites. Il sème dans les
peuples les préceptes de la justice, et il explique avec clarté
les questions mystérieuses des livres saints. Son enseignement
de maître dans les sciences célestes est tellement grand
que celui qui se convertit lui doit d’avoir été pardonné,
et que celui qui ne se corrige pas porte la responsabilité de sa
faute. Le désir de le voir attire vers lui une grande foule
de toutes les parties des régions. Tous ceux qui habitaient
des solitudes désertiques ou des ermitages isolés
préfèrent venir voir Pierre plutôt que le monde.
Il leur est donné parfois d’apprendre, mais difficilement;
mais c’est plus glorieux que de lutter avec le monde présent.
Et contre les tourbes de délinquants instruits, il brandit
l’épée de la sainteté. Quelle grande
palme est réservée après le combat pour ceux qui sont
placés dans le monde, si, sans combats, des couronnes
sont dues à ceux qui vivent dans les solitudes !
Le très bienheureux Pierre , mes frères, vous a instruits par la prédication de sa doctrine de tout ce qui relève de la vertu divine. Il vous a enseignés également par ses exemples. Prions le Seigneur notre Dieu pour que, pendant de longues années, il vous réjouisse par un sermon de doctrine céleste.
P.S. auteur anonyme. Cet éloge aurait été prononcé du vivant de saint Pierre, pendant qu’il exerçait encore son ministère à Ravenne. Une question se pose : la seule chose extraordinaire que l’auteur relève chez le saint, c’est d’avoir porté le prénom de saint Pierre. S’il avait été choisi miraculeusement par le pape comme on le raconte, cela n’aurait-il pas été dit ? Comment concilier ces deux choses ?
108ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(pour que l’homme soit
une hostie et un prêtre pour Dieu, d’après St. Paul
: Je vous supplie par la miséricorde de Dieu,
etc. )
Elle est étonnante
la piété qui prie pour que lui soit accordé gracieusement
de prier. Aujourd’hui le bienheureux Apôtre prie ainsi,
non en demandant des choses humaines, mais en communiquant des choses
divines. Je vous conjure, par la miséricorde de Dieu.
Pour persuader les malades de prendre des remèdes dégoûtants,
le médecin procède par prière; il ne force pas
le malade en lui intimant des ordres. Il sait, en effet, que
c’est la faiblesse, non la volonté, qui repousse ce
qui est salutaire, toutes les fois que le malade répudie
les remèdes. De la même façon,
le père attire par l’amour, non par la contrainte, à
la rigueur de la discipline; car il n’est pas sans savoir à
quel point est rebutante la discipline aux sens de la jeunesse.
Des prières conduisent l’infirmité corporelle à la
cure; des caresses amènent l’âme
enfantine à la prudence.
Qu’y a-t-il d’étonnant si l’Apôtre, qui est toujours
médecin et père, prie ainsi pour élever
aux remèdes divins les esprits humains souillés par
des maladies charnelles : Je vous conjure par la miséricorde
Dieu. Il introduit un nouveau genre de supplication.
Pourquoi pas par la puissance de Dieu, par sa majesté
ou par sa gloire ? Non. Il a dit : Par la miséricorde
de Dieu. Parce que c’est par elle seule que Paul a échappé
au crime de persécuteur, et qu’il a reçu la dignité
d’un tel apostolat. Comme il le reconnaît lui-même
en disant : Moi qui ai été d’abord un blasphémateur
et un persécuteur injurieux, mais j’ai obtenu la miséricorde
de Dieu. Et de nouveau : L’enseignement est fidèle
et digne de toute considération, car le Christ est venu dans ce
monde pour sauver les pécheurs, dont je suis moi le premier.
Mais j’ai reçu la miséricorde de Dieu à l’exemple
de tous ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle.
Je vous conjure par la miséricorde de Dieu. Paul demande, bien plus, Dieu demande par la bouche de Paul, parce qu’Il veut être plus aimé que craint. Dieu supplie parce qu’Il ne veut pas tant être un Seigneur qu’un Père. Dieu demande par la miséricorde, pour ne pas condamner par la rigueur. Écoute le Seigneur qui demande : Toute la journée, j’ai étendu mes mains. Celui qui étend les mains ne prie-Il pas par son geste ? J’ai étendu mes mains. . En direction de qui ? Du peuple. Et en direction de quel peuple ? Non d’un peuple qui croit, mais qui contredit. J’ai étendu mes mains. Il étend ses bras, Il distend ses membres, Il dilate ses viscères, Il montre son cœur, Il offre son sein, Il ouvre ses bras, pour qu’un amour si respectueux le révèle comme Père. Ecoute Dieu suppliant ainsi en d’autres mots : Mon peuple, que t’ai-je fait, ou en quoi t’ai-je contristé ? Ne dit-Il pas : Si la divinité est inconnue, que la chair du moins soit connue ! Voyez, voyez en moi votre corps, vos membres, vos viscères, vos os, votre sang ! Et si vous avez peur de ce qui est divin, pourquoi n’aimez-vous pas ce qui est vôtre ? Si vous fuyez loin du Seigneur, pourquoi ne recourez-vous pas à Celui qui vous est apparenté ? Mais peut-être que vous confond l’énormité de Ma passion, que vous avez causée. Ne craignez pas. Cette croix est l’aiguillon de la mort, non le Mien Ces clous ne M’infligent pas de douleur à Moi; ils enfoncent votre charité plus profondément en Moi. Ces plaies ne produisent pas Mes gémissements, mais vous introduisent toujours plus avant dans Mon cœur. La distension de Mon corps n’accroit pas Mes peines, mais vous fait une place encore plus grande dans Mon cœur. Mon sang ne dépérit pas pour Moi-même, mais il est prorogé, pour que vous en receviez le prix. Venez donc, revenez, et reconnaissez qu’il est Père Celui que vous constatez qu’Il a rendu le bien pour le mal, l’amour pour les injures, et une si grande charité pour tant de blessures.
Mais écoutons ce que demande l’Apôtre : Je vous conjure d’offrir vos corps. L’Apôtre en priant ainsi, élève tous les hommes au rang sacerdotal. Que vous offriez vos corps comme une hostie vivante. O office inouï du pontificat chrétien, quand l’homme est pour lui-même hostie et prêtre ! Quand l’homme ne cherche pas à l’extérieur ce qu’il a l’intention d’immoler à Dieu; quand l’homme apporte en sacrifice ce qui est avec lui, en lui et près de lui; quand demeure la même hostie et perdure le même sacerdoce. Quand l’hostie qui a été immolée demeure en vie, le prêtre qui sacrifie ne peut plus tuer. Sacrifice étonnant où le corps est offert sans le corps, où le sang est offert sans le sang. Je vous supplie par la miséricorde de Dieu d’offrir vos corps comme une vraie hostie vivante.
Frères, ce sacrifice descend du sacrifice de Celui qui a immolé vitalement Son corps pour la vie du monde. Et Il a fait, en toute vérité, de Son corps une hostie vivante, parce qu’Il vit après avoir été immolé. Dans une telle victime, la mort est condamnée, l’hostie demeure; l’hostie vit, la mort est punie. De là vient que les martyrs naissent de la mort, commencent pas la fin, vivent d’avoir été tués; et ils brillent dans le ciel ceux que l’on croyait exterminés sur la terre.
Je vous conjure, mes frères, par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos cœurs comme une hostie vivante. Voilà ce que le Prophète a chanté : Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as formé un corps. Voilà, homme, voilà le sacrifice de Dieu et le Prêtre ! Ne perds pas ce que t’a concédé et donné l’Autorité divine. Revêts l’étole de la sainteté; ceins le baudrier de la chasteté. Que le Christ soit dans le voile de ta tête; que la croix continue à te servir de protection sur ton front. Sur ta poitrine, pose le sacrement de la science divine. Fais monter le parfum de prière comme une odeur d’encens. Saisis le glaive de l’esprit, dépose ton cœur sur l’autel, et déplace ainsi ton corps en toute sécurité comme une victime à offrir à Dieu.
Dieu demande la foi
non la mort. Il a soif du vœu, non du sang. Il est apaisé
par la volonté, non par le meurtre. C’est ce que Dieu
nous montre quand Il demande à saint Abraham d’immoler son fils
en sacrifice. Car, qu’est-ce qu’Abraham offrait d’autre, dans son fils,
que son propre corps? Qu’est-ce que Dieu réclamait d’autre
au père que la foi, puisque Celui qui lui a ordonné
d’offrir son fils ne lui a pas permis de le tuer ? Confirmé
par un tel exemple, ô homme, offre ton corps. Ne
te contente pas de le macérer, mais découpe-le
par tous les membres des vertus. Parce que toutes les fois que
meurent les mauvaises tendances des vices , tu immoles à Dieu
les viscères des vertus. Offre la foi, pour que
soit punie la perfidie. Immole le jeûne, pour que cesse
la voracité. Sacrifie la chasteté, pour
que meure la concupiscence. Impose-toi la piété,
pour que soit déposée l’impiété. Invite
la miséricorde, pour que l’avarice soit mise en pièces.
Et il convient d’immoler toujours la sainteté, pour venir
à bout de la sottise. Ton corps deviendra ainsi
ton hostie , s’il n’a pas été blessé par le javelot
du péché. Ton corps vit, ô homme.
Il vit à toutes les fois que tu immoles à Dieu la vie
des vertus par les morts des vices. Il ne peut pas mourir
celui qui mérite d’être tué par un glaive vivifiant.
Que Dieu Lui-même qui est la Voie, la Vérité
et la Vie nous libère de la mort et nous conduise à
la vie !
109ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’hostie de notre
âme et de notre corps à offrir à Dieu de façon
raisonnable, selon les mêmes paroles de l’Apôtre)
Le précédent sermon n’a touché que les premières paroles du texte de l’Apôtre. Écoutons maintenant ce que Dieu nous inspire au sujet de ce qui suit. L’Apôtre commence ainsi : Je vous conjure, par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos corps comme une hostie vivante. En parlant ainsi, l’Apôtre prétend-il que nos corps soient les seuls dignes d’être offerts à Dieu, comme des vivantes hosties ? Et les âmes, il les passerait sous silence; il n’en ferait aucun cas, et les laisserait de côté, comme s’il les réprouvait ? L’âme ne vient-elle pas du ciel, et le corps de la terre ? L’âme régit, le corps est régi; l’âme commande, le corps sert; le corps vit, mais c’est l’âme qui le vivifie. L’âme demeure, mais le corps passe; le corps vieillit, mais l’âme ne sait ce que c’est que vieillir. Et pour finir, la mort, qui n’a de pouvoir que sur le corps, n’affecte pas l’âme, même si la mort a lieu en la présence de l’âme. Pourquoi tait-il l’âme et n’invite-t-il que le corps à être une hostie de Dieu ? Mes frères, l’Apôtre, ici, rend honneur au corps, mais il n’abaisse pas l’âme. Ce corps que les péchés captivent, que les fautes soumettent, que les crimes avilissent, que les vices corrompent, que les passions culbutent, l’Apôtre désire l’affranchir. Il s’efforce de le libérer, il travaille à l’élever, et le voue à l’expiation. Pour que le corps s’élève jusqu’à l’origine de l’âme, mais pas pour que l’âme descende à la nature du corps; pour que le corps accompagne l’âme dans le ciel, mais pas pour que l’âme suive le corps dans les choses terrestres. Écoute l’Écriture qui dit à quel point l’âme est accablée par les tourments que lui inflige le corps : Le corps, qui se corrompt, alourdit l’âme, et la pensée terrestre abaisse l’intelligence de celui qui pense beaucoup de choses. L’Apôtre ne veut donc pas se défaire de l’âme, mais exalter le corps. Et il veut que ce soit l’âme et le corps, c’est-à-dire l’homme complet qui devienne un sacrifice agréable à Dieu, une hostie sainte. Que l’âme soit, elle aussi, un sacrifice agréable à Dieu, le Psalmiste le déclare en disant : Le sacrifice à Dieu est un cœur contrit.
Pour que vous offriez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à dieu. Car l’homme ne plaît pas à Dieu du fait qu’il vit, mais du fait qu’il vit bien. Et l’homme ne devient pas hostie du seul fait de s’offrir à Dieu, mais s’il s’offre saintement à Dieu. Autant une victime immaculée apaise Dieu, autant une victime maculée l’exacerbe. Écoute Dieu qui dit : Tu ne m’offriras pas de boiteux, de borgne, quelqu’un qui est pollué par la pensée de la mort, mais un animal sain et sans tache. Voilà pourquoi l’Apôtre demande une hostie vivante. Donc, mes frères, si nous sommes un encens de propitiation, rien ne manque.
Caïn nous le démontre . Dans son ingratitude, le pontife Caïn répartit ainsi le peu qu’il offrait à Dieu de son abondante récolte : il offrirait par le feu ce qui était le moins bon, et ce qu’il y avait de meilleur, il se le réserverait à son propre détriment. En faisant une mauvaise répartition de ses biens avec son Auteur, il s’est retranché, lui et ses successeurs, de la vie et du genre humain. Suivons donc Abel jusqu’à sa récompense; n’accompagnons pas Caïn jusqu’à son châtiment. Abel est considéré comme un agneau, parce qu’il portait un agneau à offrir en sacrifice à Dieu. Caïn, en transportant de la paille, n’a fait que trouver de quoi alimenter un feu qui a tout consumé. Pour que vous offriez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, votre hommage raisonnable. Autant plaît à Dieu un culte qui est conforme à la raison, autant Lui déplaît un hommage irrationnel. L’hommage est rationnel s’il n’est pas troublé par la présomption, s’il n’est pas dénaturé par la témérité; s’il n’est pas entaché de choses illicites et z s’il n’est pas fardé d’hypocrisie. Pour le service du roi, le soldat doit se tenir debout en tremblant. La domination humaine exige une servitude anxieuse; la peur de celui qui obéit le soumet au bon vouloir de celui qui commande. Une dévotion prudente acquiert le prix d’une juste rémunération; et le service présomptueux n’échappe pas à la peine de la témérité. Qui, sans avoir été appelé, se précipite au palais royal pour y exercer une fonction ? Qui oser se déclarer soldat sans avoir été enrôlé ? Qui usurpe le nom d’une dignité sans en porter les insignes ? Ces façons de faire sont conservées avec soin et attention par les humains. Elles demeurent toujours en vigueur si le commandement les maintient en vie, et si la peur les conserve. A plus forte raison, les serviteurs de Dieu, ceux qui lui rendent un culte, doivent-ils avoir à cœur, dans la crainte et le tremblement, de Lui présenter un hommage divin rationnel. Que votre hommage soit rationnel. Un hommage que la raison équilibre se nomme ferveur; il se nomme fureur s’il n’est pas freiné par la raison.
C’est pourquoi le peuple juif perdit le Dieu qu’il servait avec sa raison, quand il chercha un dieu de façon irrationnelle. C’est pourquoi les fils d’Aaron, ayant fait fi de la raison, ont présumé pouvoir approcher les feux terrestres des feux divins, transformant ainsi la flamme du sacrifice salutaire en un incendie de souffrances. C’est pourquoi Saül, enflé par le pouvoir royal, a perdu ce qu’il avait reçu, quand il a pensé qu’il lui était permis d’exercer aussi le sacerdoce, en montant témérairement à l’autel pour offrir un sacrifice. C’est pourquoi le Juif a tué l’Auteur de la loi, après avoir pratiqué la loi sans comprendre la loi. C’est pourquoi le Gentil n’a pas pu parvenir au service unique et véritable de Dieu, tant que, égaré loin de la saine raison, il rendit un culte à une multitude de dieux, et à des dieux dépravés. C’est pour cela qu’Arius croyait honorer le Père en blasphémant le Fils. Et en donnant un commencement au Fils, il a été assez misérable pour assigner une fin au Père. C’est pour cela que Photin, en niant que le Fils est coéternel au Père, a conjecturé que le Père n’a pas toujours été Père C’est pour cela que toutes les hérésies qui injurient la Divinité, qui parlent mensongèrement de la Trinité, blasphèment Dieu en l’Honorant.
Mais nous, mes
frères, que nos corps soient aptes à devenir une hostie
vivante pour Dieu. Procurons à Dieu notre hommage rationnel,
pour que la foi soit vraie, la conscience pure, l’esprit sobre,
l’espérance ferme, le cœur pur, la chair chaste,
la miséricorde généreuse, la vie sainte,
la conduite honnête. Pour qu’en tout hommage que nous
rendons au Christ, l’humilité nous accompagne.
110ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Lettre aux Romains,
4, 23 et s.)
Le bienheureux Apôtre, aux premiers et aux derniers, i.e., aux Juifs et aux Grecs, a toujours présenté l’étendard du salut, qui est unique et tout à fait spécial. Celui qui ne méritera pas de l’avoir et de le conserver ne pourra accéder à la gloire des triomphes célestes. L’étendard est le seul à pouvoir guider les soldats vers l’armée perfide; le seul à indiquer le roi; le seul à unifier l’armée. Il terrifie l’ennemi impie par sa seule vision.
Voici comment l’Apôtre commence aujourd’hui : Ca n’a pas été écrit seulement pour Abraham que cela lui a été compté à justice, mais pour nous aussi qui croyons en celui qui a ressuscité des morts Jésus, notre Seigneur. Vous voyez, mes frères, que si les anciens ont cru dans les choses futures et nous dans les choses passées, nous parvenons tous au salut par le même chemin de foi. Eux ont professé le Christ qui allait venir, et nous, nous confessons Celui qui est déjà venu. Eux croient en Quelqu’un qu’ils s’étonnent de voir descendre jusqu’à la mort, à la façon d’un homme. Nous, nous nous glorifions de Sa mort et de Sa résurrection. A quoi bon en dire davantage, mes frères ? Tant aux anciens qu’à ceux d’aujourd’hui, la connaissance du salut par les yeux a été refusée, pour qu’il s’opère par la foi.
Parce qu’il a dit : En celui qui a ressuscité des morts Jésus, notre Seigneur, que personne ne pense qu’Il a été ressuscité par un autre. Lui-même a fait et a ressuscité Son corps, Lui qui a dit : J’ai le pouvoir de déposer mon âme et j’ai le pouvoir de la reprendre. Car la Résurrection ne peut pas être ressuscitée par un autre, ni la Vie vivifiée par un autre. Il ne pouvait pas se refuser à Lui-même ce qu’Il était sur le point d’accorder à tous. Car la Fontaine n’as pas soif, et le Pain n’a pas faim; le Soleil n’a pas besoin d’être éclairé, et le Repos ne se fatigue pas.
Celui qui a été livré pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification. Livré à cause de nos péchés, non pour que soit anéantie la Vie qui ne pouvait pas mourir, mais, pour qu’à Elle seule, elle anéantisse les péchés qui nous avaient exilés de la vie. Et il est ressuscité pour notre justification. Tant que demeure la condamnation, le condamné ne peut pas être réhabilité. La faute du premier parent nous avait adjugés, pour que la mort nous garde sous sa dépendance, de plein droit. Mais le Christ, notre vrai père céleste, après avoir abrogé la sentence de condamnation, justifie la résurrection par sa propre mort, pour que ce ne soit pas le coupable qui périsse mais la faute. Cette punition, i.e. la mort, qui avait été imposée pour terrasser des coupables, perdra son emprise en toute justice, et se fera arracher les insignes de sa puissance. Pourquoi l’impie a-t-elle osé s’en prendre à l’Innocent ? Pourquoi la cruelle a-t-elle osé s’attaquer au Juge ?
Et c’est pourquoi il ajoute : Pour que, justifiés par la foi, nous ayons la paix en Dieu. Ce qui revient à dire : Qu’elle cesse, qu’elle cesse la mère des dissensions, l’ennemie du repos, la conscription hostile à la paix ! Que le Juif ne s’enorgueillisse pas de la loi; que le Gentil ne tire pas vanité de la nature ! Que les philosophes cessent de se monter la tête avec leurs élucubrations et leurs divagations ! Que personne ne se glorifie de ses mérites et de ses actions ! Parce que la Paix divine nous a restitué et nous a rendu la vie, que la première prévarication nous avait dérobée, et que la lutte furieuse avait éloignée de nous. Ayons la paix en Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. Que la terre ne se rebelle pas contre le ciel; que la chair ne s’insurge pas contre l’esprit; mais qu’elles soient admises, dans l’humilité, à la gloire perpétuelle de la paix surnaturelle. Par qui nous aurons accès. Parce qu’Il s’est fait Lui-même pour nous la Voie, par la foi dans cette grâce. Le guide de cette vie, mes frères, c’est la foi. Dans laquelle nous nous tenons, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu. C’est la foi qui nous maintient debout, non le corps; et nous nous réjouissons dans l’espérance, non dans la possession de la chose elle-même.
Nous nous ne réjouissons pas seulement de cela, mais nous nous réjouissons aussi de nos tribulations, parce que la tribulation opère la patience, la patience la probation et la probation l’espérance. L’espérance ne trompe pas. Voilà par quelles étapes le juste se fortifie pour devenir un homme parfait : dans la tribulation, dans la patience, dans la probation, dans l’espérance. La tribulation vient en premier lieu, qui secoue et trouble l’enfance de l’homme juste. Mais quand elle découvre qu’il est patient, elle éduque à de plus grandes choses l’adolescent qui manifeste une riche nature. La tribulation opère la patience. La patience, mes frères, est ce qui démontre que le jeune homme est apte aux vertus chrétiennes. L’espérance ne nous trompe pas. C’est l’espérance qui parfait l’homme. Et, sans fatigue, elle conduit à la mesure de la plénitude du Christ. C’est le propre de la vertu parfaite de ne pas chercher à posséder par la force de l’espérance ce qui n’existe que dans la réalité . Parce que la charité est diffusée dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous est donné. Et pour montrer la qualité de la charité divine diffusée en nous, il ajoute : Comment comprendre que le Christ soit mort pour des impies, alors que nous étions encore infirmes selon le temps ? C’est à peine si quelqu’un meurt pour un juste. Car pour un homme bon, quelqu’un osera peut-être mourir. Dieu nous fait valoir la grandeur de sa charité en ceci qu’il est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs
Si Dieu a aimé
le genre humain au point de donner Sa mort pour les impies et les pécheurs,
quoi d’autre pensons-nous qu’Il prodiguera aux justes que Sa
vie, Son règne, Sa gloire. C’est de toi qu’Il
a reçu la mort, qu’Il a dépensée sur la terre
pour les impies. Il te réserve à toi ce qu’Il possède
en Lui-même et par Lui-même depuis toujours, et qu’Il
possède dans le ciel. Disons donc avec le Prophète
: Que donnerai-je en retour à Dieu pour tout ce qu’il m’a
accordé ? Je prendrai le calice du salut. Ce qui signifie
: Je mourrai, moi aussi, pour Lui. Quelle ressemblance
y a-t-il de ceci à cela ? Lui, Il
est mort volontairement pour l’impie et le pécheur. Moi,
c’est tout juste si je mourrais pour un homme parfait et bon.
Moi, c’est à peine si j’accepterais de mourir, car ce n’est
pas ma volonté qui me conduit à la mort, mais la nécessité.
Écoute-Le dire à Pierre : Quand tu seras vieux,
un autre te ceindra et te conduira là où tu ne voudras pas.
Dans les calamités, mes frères, on ne peut pas
mettre sur un même plan la volonté et la nécessité.
Se résigner à un malheur, la nécessité
nous l’enseigne; le vouloir est le propre de la vertu. La mort
est subjuguée par celui qui la veut, parce que la mort exerce
toujours son empire sur celui qui ne la veut pas. Et cependant,
mes frères, parce que l’homme ne pourra jamais rien donner
en retour qui soit semblable à la charité divine,
qu’il donne ce qu’il peut; car le don est accepté s’il correspond
à ce que l’homme a. Qu’il dépérisse en vue de
la gloire, qu’il meure pour la vie, qu’il périsse pour
être sauvé. Réjouissons-nous de ce nouveau
renversement de notre condition, parce que la mort qui était
parmi les hommes un rétablissement de la piété,
est devenue par le Christ une recommandation de la charité
divine.
111ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« comme par un
seul homme le péché est entré dans ce monde »)
La lecture présente, mes frères, en nous disant que le monde entier a été condamné à cause d’un seul homme, ne nous invite pas à déployer notre éloquence, mais nous condamne à pleurer, en renouvelant au plus profond de notre cœur notre douleur. Car si un devin se lamente longtemps sur une catastrophe qui frappe tout un peuple, une seule ville, ou même un seul homme, quelle intelligence n’est pas plongée dans les ténèbres, quelle raison n’est pas frappée d’hébétude, quels yeux ne deviennent pas des fontaines et des fleuves de larmes, quand la chute d’un seul est la ruine de tous; quand la faute d’un seul entraîne la punition de tous; quand la conduite blâmable du parent a préparé un châtiment féroce à tout le genre humain, au dire de l’Apôtre : Comme par un seul homme le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort. Malheur à moi ! Celui qui était la cause de tous les biens est devenu la porte de tous les maux. Le péché est entré dans ce monde. Dans ce monde ! Tu t’étonnes qu’il ait lésé ses descendants, qu’il ait damné le monde par son crime à lui? Et tu dis : Comment le péché est-il entré ? Par qui est-il entré ? Comment ? Par la faute. Par qui ? Par l’homme. Eh quoi ! Le péché est-il une nature ou une substance ? Il n’est ni une nature ni une substance, mais un accident. C’est cette puissance contraire qui apparaît dans les actions, qui se découvre dans la punition, qui fait la guerre à l’âme, qui blesse l’esprit, qui viole et trouble la nature. Que de dire de plus, mes frères ! Le péché est à la nature ce que la fumée est aux yeux, ce que la fièvre est au corps, ce que la salure amère est aux plus pures fontaines. De toute évidence, l’œil est clair et limpide par nature, mais il est troublé et enténébré par la fumée . De la même façon, le corps, du fait qu’il a été créé par Dieu, jouit toujours de ses sens et de ses membres. Mais là où s’immisce l’ardeur de la fièvre, là où l’ouragan prend le contrôle, il n’y a plus qu’imbécillité. Alors, la bouche écume, les yeux sont embrouillés, les pas sont chancelants, une légère brise suffoque, ceux qui nous sont chers nous importunent, les marques d’estime nous sont odieuses. Autant les fontaines sont agréables par leur fraîcheur et leur pureté, autant elles sont insupportables si leur eau a été souillée.
Mais revenons à ce que nous avons commencé. Comme par un seul homme le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort. Voici mes frères quelle est la porte : le péché est entré par l’homme, et le péché est entré pour procurer la mort. Péché, ô cruelle bête fauve, qui ne se contente pas d’une seule tête, mais qui veut sévir sur tout le genre humain; que nous voyons dévorer tous les rejetons si précieux de la souche originelle, avec une triple gueule. Je dis triple gueule, mes frères, parce que le péché attrape, le mort dévore et l’enfer engloutit. Et comme nous avons dit, avec quel déluge de larmes ne devrions-nous pas pleurer ce parent qui nous a légué tant de misères en héritage; qui non seulement a perdu les biens qu’il possédait, mais a laissé ses descendants redevables à des créanciers si féroces. O dure, o cruelle hérédité ! Comme nous sommes misérables, nous qui n’avons pas eu la liberté de conquérir l’héritage , mais à qui il n’a été que permis d’y renoncer.
Ecoute ce qui suit : Et c’est ainsi que la mort est entrée dans tous les hommes. Mais pour que n’apparaisse pas injuste que le péché soit entré dans tous par un seul, considère que tous sont par un. Tu déplores avoir été condamné par celui par qui tu te glorifies d’avoir vu la lumière du jour. Mais tu dis : si je dois ma naissance à mon géniteur, lui dois-je aussi le crime, de façon à ce que la nature me fasse coupable ,avant que je n’aie commis de faute ? A cette question, les paroles de l’Apôtre qui suivent répondront. En qui tous ont péché. Dans l’homme aussi bien que dans la péché. Par lui et en lui tous péchèrent. Le péché ne s’est donc pas changé en nature, mais, en ingérant la mort, le péché exige une peine qui est due par nature. Dieu avait fait la nature de façon à créer les hommes pour la vie. Mais cette nature, en engendrant sans vouloir la mort, se reconnaît redevable au péché, à qui elle voue un service d’expiation pendant la vie. Car qui s’imagine, mes frères, que la nature veuille que ses enfants soient exterminés, que ses fœtus si chers soient tués ? Mais en gémissant et en se lamentant, elle déplore la perte de sa liberté et désire la retrouver. Mais par qui la récupérera-t-elle ? Jean est le premier à le montrer clairement : en voyant le Christ, il proclame tout haut et dit à pleine voix : Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Le péché du monde, c’est-à-dire, mes frères, celui que l’Apôtre atteste être entré par un seul homme. Réjouissez-vous donc, mes frères, parce que le péché qui nous plongeait dans le tartare, a été supprimé par le Christ, a été inondé dans le tartare. Et nous que la faute de notre premier parent avait asservis à la mort, la grâce de notre deuxième et divin Père nous a rappelés du châtiment à la vie. L’homme ne pouvait donc pas être sauvé sans le Christ, parce qu’avant Sa venue, tout le péché du monde demeurait tel quel. Mais tu acceptes d’avoir été justifié par le Christ, et tu refuses d’avoir été condamné par Adam. Et tu te plains d’avoir subi des dommages de la peine d’un autre, quand tu trouves normal d’avoir été sauvé par la sainteté d’Un seul. L’arbre entier n’est-il pas dans la semence ? Un vice de la semence est donc un vice de tout l’arbre. Si la nature avait pu se subvenir à elle-même, Son Auteur ne l’aurait jamais assumée pour la réparer. Tu crois qu’elle a été crée pour la vie, mais tu doutes encore qu’elle a été réparée par son Auteur ?
Jusqu’à la loi,
le péché était dans le monde . Quant tu
entends : jusqu’à la loi, tu dois comprendre : jusqu’à
la fin de la loi, c’est-à-dire, jusqu’à l’avènement
de notre Seigneur Jésus-Christ. Parce que le péché
n’était pas imputé quand il n’y avait pas de loi.
A quel moment n’y avait-il pas de loi, puisqu’elle a commencé
avec l’homme lui-même? S’il n’y avait pas eu de loi,
Adam n’aurait certainement pas été un prévaricateur,
comme l’Apôtre le laisse entendre quand il dit ; Mais
la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse.
Les deux avaient reçu la loi. Mais Adam s’est empressé
de prévariquer pour la recevoir; Moïse a promulgué
aux prévaricateurs la loi qu’il avait reçue, au dire
de l’Apôtre : La loi a été posée
comme une cause de prévarications. La mort a donc
régné par la loi, car il est plus grave d’être
prévaricateurs que simples pécheurs. Et la cruelle
a dévoré non seulement ceux qui sont tombés
par le vice de leur parent, mais par leurs propres crimes.
Mais la mort a régné d’Adam jusqu’à Moïse même
sur ceux qui n’ont pas péché par une prévarication
semblable à celle d’Adam. Car elle ne dévorait pas
seulement les grands, mais aussi les petits. Et non seulement
ceux qui lui étaient redevables, mais ceux qui ne lui étaient
pas. Quand je dis qu’ils n’étaient pas redevables à la mort,
je veux dire qu’ils ne l’étaient pas par leurs fautes
propres; mais ils l’étaient par la faute du premier
parent. La condition de l’enfant n’en était que plus
lamentable, parce qu’il expiait la peine de son premier parent,
avant même d’avoir goûté à la vie; et il
pleurait le péché du monde avant d’avoir connu le monde.
Reconnaissons, mes frères, que la mort a régné
par un seul, à cause du péché d’un seul,
si nous désirons tous être absous par Un seul, par le
Christ. Car celui qui vit le doit au Christ, non à
lui-même; et la mort, il la devra à Adam.
112ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« si à
cause de la faute d’un seul, la mort est entrée dans le monde
par un seul »)
Si quelqu’un présente
une coupe d’eau froide à un voyageur assoiffé, il refait
les forces d’un homme fatigué, et se porte au secours de l’humanité,
mais il n’étanche pas la soif au complet. De la même
façon, à ceux qui désirent connaître
le magnifique secret de la science divine, notre sermon ne suffit
pas, qui ne fait que répondre à la hâte
au besoin d’un moment. Si pour faire le tour de toutes les
connaissances humaines, la vie d’un homme est trop courte, quel temps,
pensez-vous, suffira à l’étude des choses
divines ? Montrez-vous compréhensifs, mes frères,
si pendant un si court laps de temps—une heure---, j’arrive
à peine à clarifier des points obscurs, à dévoiler
des choses cachées, à éliminer des doutes,
à m’approcher des choses profondes. D’aucune façon,
il ne m’est possible d’élucider un sacrement qui est
demeuré ineffable pendant tant de siècles. Aux
disciples et aux fils, il nous est encore possible d’en parler avec
prudence, avec sécurité et confiance; mais d’en
parler d’une façon continue aux incroyants, cela ne se peut pas.
Le discours apostolique d’aujourd’hui se fraie un chemin sans ambages
jusqu’aux oreilles de ceux qui l’écoutent; et ne comporte
rien d’ambigu pour des esprits catholiques : Car si par la faute
d’un seul, la mort a régné par un seul.
Déposant tout souci oratoire, appuyons-nous en toute simplicité
sur les paroles apostoliques, afin que notre sermon n’engendre aucune
obscurité pour ceux qui désirent savoir la vérité.
Si, à cause
de la faute d’un seul, la mort a régné par un seul.
L’autorité évangélique peine à expliquer
pourquoi le premier homme a légué la mort en héritage
à ses descendants. La phrase de la Sagesse aurait suffit
qui dit : Dieu n’a pas fait la mort. Je ne peux pas comprendre
qu’il y a des gens qui attribuent à Dieu la création d’une
chose aussi cruelle, aussi féroce, aussi barbare. Personne,
sans blasphémer, ne peut penser qu’un Dieu si pieux et si
bon a pu créer la mort, dont l’univers entier accuse et déteste
l’auteur par une douleur continuelle, des gémissements et
des larmes. Si même les hommes ont criminalisé la mort,
qui ose croire qu’elle a été crée en même temps
que l’homme, et qu’un Dieu innocent l’a infusée dans l’homme,
pour le punir, avant la vie elle-même ?
Mais écoutons
l’Apôtre : Car si à cause de la faute d’un seul
la mort a régné par un seul, ceux qui reçoivent l’abondance
de la grâce, du don et de la justice règneront bien
davantage dans la vie par un seul Christ, notre Seigneur.
Voici un seul et un seul : Adam et le Christ. Par l’un, le péché
a régné dans la mort; par l’autre, la grâce
a régné dans la vie. Voilà donc les deux principes
de la vie et de la mort, de l’absolution et de la punition,
de la liberté désirée et de la damnation exécrée.
Celui qui continue la lecture du texte l’Apôtre le découvre
et le déclare : Donc, comme la faute d’un seul homme
a entraîné la condamnation de tous les hommes, la justice
d’un seul a procuré la justification de la vie à tous les
hommes. Par un seul et un seul, ou la mort règne,
ou la vie est accordée. Le sermon du commentateur qu’a-t-il
à ajouter à cela ? Mais si tu accoles le
silence à ces paroles, les auditeurs cesseront de réfléchir
à la doctrine. Donc comme la faute d’un seul homme a entraîné
la condamnation de tous les hommes, la justice d’un seul a procuré
la justification de la vie à tous les hommes. Comme la rivière,
de la source, et le fruit, de la semence, la postérité
dépend de l’origine qui l’asservit ou l’affranchit.
Ce que l’Apôtre ajoute nous le fait comprendre encore mieux.
Car comme par la désobéissance d’un seul homme plusieurs
ont été constitués pécheurs, ainsi, par l’obéissance
d’un seul, beaucoup ont été constitués justes.
Que l’homme soit pécheur pour que Dieu soit juste, parce que
la faute rebondit jusqu’au Juge, s’Il punit de peine un innocent.
Et c’est pourquoi il a dit : Comme par la désobéissance
d’un seul beaucoup sont devenus pécheurs. Pour qu’ils sachent
qu’ils ont participé à sa faute, quand ils réalisent
qu’ils sont des compagnons de bagne.
Mais de quel profit
a été la loi selon l’Apôtre, qu’ils l’écoutent
ceux qui sont entichés de droit civil : La loi est intervenue
pour qu’abonde le péché. La loi, d’après
l’Apôtre, n’a pas procuré l’immunité des fautes,
mais les a fait abonder. Non par elle-même, frères,
mais par celui qui ne pouvait pas, par faiblesse, supporter
la loi. Ce n’est pas la grandeur de la lumière
du soleil qui paralyse les yeux, puisqu’elle a été
crée par Dieu pour eux; mais la faiblesse des yeux ne peut
ni en soutenir ni en supporter tout l’éclat. Il en est
de même pour la loi, mes frères. Par elle-même,
elle est tout ce qu’il y a de juste et de saint; mais en imposant
une sévère discipline à l’homme fragile, elle
devient de plus en plus pesante, et fait connaître
le délinquant. Et cela, pourquoi, mes frères
? Pour que par la grâce et le pardon du Créateur,
il retourne à la vie celui qui par la concupiscence et l’ignorance----quand
il se glorifiait, de mauvaise foi, de son innocence--- était
conduit, lui aussi, au châtiment, pour payer la dette de son
parent. La maladie n’apparaissait pas au grand jour : elle
était cachée. Elle pénétrait dans les
méandres les plus secrets des veines, des os et des parties vitales;
leur apportait la destruction, et se communiquait à toutes les parties
et à tout l’ensemble du corps. La loi est venue
qui a fait connaître la blessure, et qui a annoncé l’arrivée
d’un Médecin céleste capable de soigner la maladie
atavique. La loi est venue qui par ses baumes adoucissants,
a fait apparaître à la surface de la peau ce qui sévissait
mortellement en profondeur. La loi est venue pour que, par le glaive
des préceptes, soit percé l’abcès séculaire;
et assaini l’organisme par l’éjection salutaire du pus.
Mais elle ne pouvait, par elle-même, frères, ni
cicatriser ni suturer la plaie, ni apporter au malade la santé
parfaite. Quand le malade prit conscience de cela, et
reconnut le caractère lamentable de son état,
il commença à tendre vers son Médecin.
Pour que la bonté gratuite et l’habileté d’un si grand
Médecin guérisse celui que la loi avait
abandonné, après avoir aggravé sa maladie.
Nous disons que la maladie a été aggravée, mes
frères, parce qu’après l’incision, la putréfaction,
la puanteur, l’horreur, la douleur apparaissent; et,
par la cure, l’aspect de la maladie du malheureux est pire
que quand on en ignorait le danger latent. Le Médecin arrive
donc, et, par l’autorité d’une seule parole, Il vient
à l’aide de celui qui en avait marre des cures, et plus que
marre des vexations des cures. Comme le confesse le centurion,
en disant : Dis une seule parole, et mon enfant sera
guéri. Et pour que s’accomplisse cette prophétie
: Il a envoyé son verbe, et il les a guéris.
Et c’est pour cela qu’il continue ainsi : Où a abondé
le péché, la grâce a surabondé.
Comme s’il disait : Où la maladie s’est aggravée,
la santé a refleuri avec plus de vigueur. Que personne donc
ne soit ingrat envers la loi, parce que celui qu’elle avait trouvé
malade et alité, elle l’a levé, l’a réchauffé,
et, pour l’amener au salut, elle l’a conduit jusqu’au Médecin,
exultant à l’avance de sa santé recouvrée.
Comme le dit l’Apôtre : Comme le péché a régné
dans la mort, ainsi la grâce règne dans la vie éternelle,
par Jésus-Christ notre Seigneur. La grâce
règne dans la vie, le péché dans la mort.
La foi droite n’impute pas au Dieu Créateur la mort de l’homme,
la destruction de l’homme. Elle ne Lui attribue que le salut
de l’homme. Que la mort soit revendiquée par l’homme,
par le péché, pour que l’on croie que la création
et la restauration de la vie sont l’œuvre exclusive du Christ.
113ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Que dirons-nous
donc ? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce
abonde ? »)
Quand l’Apôtre fait des interrogations oratoires, quand il pose une question qui ne demande pas de réponse, il semonce et gourmande ceux qui, par leur interprétation, faussent le sens des paroles divines; des gens qui vont chercher des incitations au crime, là où ils devraient puiser des exemples de vertu. Voilà pourquoi il commence ainsi aujourd’hui : Que dirons-nous donc ? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? Un peu plus haut, il avait dit : Là où avait abondé le péché la grâce a surabondé. Voilà pourquoi il a ainsi commencé. Comme un pédagogue divin chevronné, il se met dans la peau des ignorants, pour leur répondre avec une érudition pleine de prudence céleste. Car si là où a abondé le péché, la grâce a surabondé, que devrons-nous en conclure ? Que nous demeurions dans le péché pour qu’abonde la grâce ? Si la miséricorde se penche sur les délinquants, si la grâce est généreuse envers les pécheurs, si la libéralité divine est amie des injustes, que dire du chemin pénible des vertus que nous devons parcourir; que dire du dur labeur que nous devons nous imposer pour atteindre la sainteté; que dire des souffrances que nous devons supporter, pour porter le joug de la conservation de l’innocence au milieu des méchants ? Que les crimes humains se multiplient, pour que la bonté céleste pullule ? Faisons les maux ----comme il le dit lui-même---pour que viennent les biens ? Demeurons dans le péché, pour que la grâce abonde ? Le même qui pose la question fournit la réponse : Certes non ! Car, nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore en lui ! Quand il dit : Certes non !, il voue à l’exécration la compréhension que les insensés ont de cette phrase, et le sens qu’ils lui donnent. Le médecin ne met pas ses soins à améliorer la maladie, mais la santé; il ne se réjouit pas à cause de la putréfaction ou à cause des maladies, mais à cause de la seule santé. De la même façon, Dieu qui, à cause de la grandeur de la plaie, a utilisé la puissance et la vigueur de la médecine, n’a pas procuré Sa grâce au péché, mais à l’homme. Il n’a pas versé l’ondée de Sa pitié pour multiplier les péchés, mais pour les exterminer. Que personne, absolument personne ne rende grâce d’avoir été guéri , en voulant que demeurent les blessures ! Il est ingrat envers le Médecin, et hostile à toute cure, celui qui brûle toujours d’être soigné, mais qui ne désire jamais être guéri; et qui implore la surabondance de la grâce de Dieu sur ses péchés, parce qu’il veut les rendre plus abondants encore. Misérable est celui qui, par un tel désir, ambitionne d’être coupable en recherchant le pardon. Il faut fuir comme la peste cette démence, mes frères, qui, même après la cure, est retenue captive par l’amour des maladies, car la rechute est souvent mortelle.
Quand il dit : Nous qui sommes morts au péché, il parle ici de la figure du temps présent, parce qu’il dit que nous sommes morts au péché; mais il ne dit pas que le péché est complètement mort en nous. Car même si, chez les saints et les fidèles, le péché en acte est mort, il continue à vivre, et il exerce encore sa fureur sur notre mort. Le péché en lui-même mourra en nous quand la corruption aura revêtue l’incorruptibilité, quand le mortel sera devenu immortel, et quand sera accomplie la parole : Mort, où est ton aiguillon ? Enfer, où est ta victoire ? L’aiguillon de la mort est le péché. Il vit pour le péché –comme il le dit par la suite--- celui qui se rend l’esclave des concupiscences. Et il sert comme un misérable qui est traité à coup de fouets celui qui se soumet à ses vices, qui succombe aux crimes en une continuelle et malheureuse captivité. Il donne le nom de nature au péché; et se sert de la maladie, qui n’est qu’un accident, comme il le ferait d’une œuvre ou d’un bienfait du Créateur.
oEt c’est pourquoi, pour réfuter l’ignorance de ces gens-là, il ajoute ces mots : Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés dans sa mort ? Nous sommes ensevelis avec lui par le baptême dans la mort. Que les fidèles écoutent et qu’ils comprennent! Les trois jours de présence du Seigneur dans le tombeau sont représentés, dans le baptême, par la triple immersion. Pour que les re-nés se réjouissent d’être ressuscités avec le Christ, par la nouveauté de la vie, s’ils ne le sont pas encore corporellement. Que l’homme en son entier soit le domicile des vertus, lui qui avait été autrefois un réceptacle des vices.
Comme il dit : Pour que, comme le Christ est ressuscité des morts pour la gloire du Père, nous marchions, nous aussi, dans la nouveauté de la vie. Tout ce que le Christ possède en fait de vertus qui Lui appartiennent en propre, Il le réfère à son Père. Et l’homme, qui ne possède rien de lui-même, s’applique à ne revendiquer pour lui-même que de devoir au Christ sa propre résurrection. En disant : Marchons dans la nouveauté de la vie, ces paroles ne font que confirmer ce que nous avons déjà dit : Que tout l’être se métamorphose, dans sa vie, sinon encore dans son corps. Qu’il se comprenne lui-même, et qu’il domine les éléments celui qui, jusqu’ici, servait les éléments par ignorance. Qu’il prodigue ses biens pour la gloire celui qui, auparavant, pillait les biens d’autrui. Et celui qui exauçait les désirs illicites de la chair, qu’il méprise maintenant les licences corporelles. Et celui qui jusqu’à présent, s’efforçait de corrompre l’innocence, qu’il meure pour l’innocence, afin de conquérir une gloire plus qu’humaine .
. Quel besoin
y a-t-il d’ajouter autre chose ? Si, à partir du vieil
homme, un nouveau est déjà apparu, qu’il change
l’abime des vices en une fontaine de vertus. Jusqu’à la fin
de ce passage, voici ce qu’il enseigne, voici ce qu’il démontre
: Il pourra vivre avec le Christ, il pourra régner avec
le Christ celui qui fait sienne l’innocence du Christ ressuscité,
qui imite Sa vie, qui s’efforce de se remplir de Sa sainteté
Quand il dit : Pour que soit détruit le corps de péché,
on détruit les actes du corps, non la substance ; par des
actes réels, non en imagination, car l’homme veut périr
au péché, non à Dieu. Saint Paul dit :
Considérez que vous êtes morts au péché et que
vous vivez pour Dieu. Et celui qui dit : Que le péché
ne règne pas dans votre corps mortel, s’efforce, avec
une grande bonté, de restituer à l’homme la liberté
céleste. Il dit encore : Que le péché
ne domine pas en vous ! Il n’a pas dit : Qu’il ne vienne
pas à vous ! Qu’il ne vous tente pas ! Qu’il ne vous séduise
pas ! Mais qu’il ne règne pas, qu’il ne domine pas!
Qu’il guerroie à la gloire du triomphateur; qu’il se
batte et succombe au triomphe du vainqueur. Et que se désole
entre temps la domination impie du péché, qui
se voit privée par ses esclaves de toute sa sécurité,
et foulée aux pieds. Et que le cruel tyran gémisse
d’être enchaîné aux pieds de ses captifs.
Et que l’ennemi antique déplore d’avoir été
traîné au triomphe de ceux dont il avait triomphé
pendant si longtemps.
114ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
Le retour à la maison est toujours doux et cher au voyageur; et le temps rend de plus en plus enchanteurs les appartements de la maison paternelle. Il en est de même pour moi. Pendant le temps libre que me laisse la préparation des sermons, le retour aux lectures des textes des Apôtres me procure un plaisir de plus en plus suave. Une contrainte religieuse nous force souvent à parler d’autres sujets que ceux qui avaient été annoncés, et nous rend incapable de suivre dans le détail un plan logiquement élaboré. Car l’ordre dans lequel il faut présenter la doctrine doit être réglé de façon à ce que l’exposé d’un point ne nuise pas à l’exposé d’un autre. Écoutons donc ce que le bienheureux Apôtre dit aujourd’hui .
Que dit-il donc ? Nous avons péché (allons-nous pécher?) parce que nous ne sommes pas sous la loi mais sous la grâce. Certes non ! Cette interrogation, mes frères, condamne l’ignorance de ceux qui, prisonniers de la pratique séculière de la loi, sont incapables de saisir les vertus dont bénéficient gratuitement les chrétiens; et ceux que la kyrielle de préceptes légaux a rendus rebelles. Ils avaient été sclérosés par l’observation de rites vidés de leur sens, qui ne se survivaient que dans la pompe extérieure des cérémonies, et dans des dons qui ne visaient qu’à ce qui est convenable ou profitable. Et quand le temps aura expulsé la loi, comment celui qui rend un culte à Dieu selon la loi se trouvera-t-il rejeté par la loi ? Juif, qu’as-tu que tu n’as pas perdu ? Si tu l’as perdu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas perdu ? Où est le temple, où est le prêtre, où est le sacrifice, où est l’encens ? Où sont tes purifications, où est la ferveur de tes cérémonies qu’il n’était pas permis d’omettre ? Mais tu as raison de te faire circoncire pour être Juif, parce que tu as été sectionné de tous les biens ci-haut cités. Car il est écrit : Malheur à tout homme qui n’observera pas tout ce qui est écrit dans le livre de la loi. Si celui qui n’a enfreint la loi qu’une fois est maudit, combien de fois sera-t-il maudit celui qui sera convaincu de n’avoir obéi à aucune loi ?
Nous avons péché (!) (allons-nous pécher?) parce que nous ne sommes pas sous la loi mais sous la grâce ? C’est comme s’il disait : Frères, nous avons péché (!) parce que nous ne sommes pas demeurés sains pendant la cure. Nous avons péché (!) parce que, après avoir été guéris, nous avons abandonné le feu, le fer et les médicaments. Malheureux malade, qui, après la cure, ne veut pas guérir l’instrument de torture. Que dire de plus, mes frères ? Est-ce qu’il guérit celui qui demande et attend le jugement du malade ? Une humeur froide fait allumer le feu dans le corps, et un froid glacial, tout en faisant grelotter, provoque et engendre un plus violent incendie. Alors le malade, pour combattre la flamme qui lui brûle les veines et le fait haleter, attend avec impatience qu’on lui donne de l’eau froide, ignorant que si on la lui donnait, le chaud serait éteint par le chaud, et que l’incendie serait alimenté par le froid. La loi, donc, attend et soutient la volonté de l’homme. L’homme empêtré dans les bagages du péché, la loi ne parvenait pas à le faire obéir aux commandements. La loi ne parvient pas à affranchir du péché son dévot, mais le lie par le crime de la prévarication.
Et c’est pourquoi il ajoute : Ne savez-vous pas qu’en vous offrant à quelqu’un comme esclaves pour obéir, vous devenez les esclaves du maître à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l’obéissance pour la vie ? Quand nous parlons de la loi, pour quelle raison, mes frères, nous déclare-t-il que l’homme a été l’esclave du péché ? Ou du péché pour la mort, ou de l’obéissance pour la vie. Parce qu’il avait dit plus haut : Que le péché ne domine pas en vous, car vous n’êtes pas sous la loi mais sous la grâce. Ceux, donc, qui sont sous la loi, sont rabaissés et incurvés par l’empire du péché; et ils ne pourront, les pauvres, être libérés de leur honteuse servitude que si la grâce leur est envoyée, sans mérite de leur part. Je rends donc grâce à Dieu parce que vous avez été des esclaves du péché. Rend- il grâce à Dieu comme quelqu’un qui se réjouit que l’homme ait été esclave du péché ? En aucune façon. Il rend grâce non parce que nous avons été les esclaves d’un maître si cruel, mais parce que nous ne sommes plus soumis à son empire. Son intention apparaît clairement plus loin : Vous vous êtes soumis du fond de votre cœur à cette forme de doctrine qui vous a été transmise. Libérés du péché, vous êtes devenus les esclaves de la justice. Nous avons obéi selon le bon plaisir de Celui qui nous a appelés, non selon le nôtre, parce que notre libre arbitre était encore tenu captif. Vous avez obéi du fond du cœur à cette forme de doctrine. A laquelle ? A celle de l’Evangile, évidemment, où un nouveau genre de liberté ne rejette pas le service mais le transforme, parce que le service divin est préférable à une liberté indisciplinée et présomptueuse. Vous êtes devenus les esclaves de la justice. Cet esclavage, mes frères, n’enchaîne pas, mais affranchit. Il n’avilit pas, mais comble d’honneurs. Il éponge la tache de l’esclavage, mais ne l’imprime pas au fer rouge. Comment ne pas voir quelque chose de divin là où l’esclavage est repoussé par l’esclavage, où une fondation est mise en fuite par une autre fondation, où la mort met à mort la mort, où la perdition est guérie par la perdition, et, pour tout résumer en une formule lapidaire, où toute l’adversité est terrassée par l’épée de l’adversité elle-même.
Je le dis humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Car comme vous avez autrefois présenté vos membres comme des esclaves de l’impureté et de l’iniquité en vue de l’iniquité, offrez maintenant vos membres comme des esclaves de la justice en vue de la sanctification. Quand il dit cela, il montre la grandeur de sa piété, car il compare la doctrine évangélique à des choses si basses, pour ne pas dire ignobles. Quand il impose et ordonne à l’esclavage autant de sainteté qu’elle a eu autrefois d’impureté, autant de justice aujourd’hui que d’iniquité autrefois. Cette comparaison semble, mes frères, absurde et indécente, puisqu’elle souhaite que le degré de gloire corresponde pour l’homme au degré d’ignominie. Et plaise à Dieu que le degré soit le même ! Et comment la fragilité humaine pourrait-elle servir Dieu autant qu’elle a servi le monde, autant le ciel que la terre, autant les vertus que les vices ? L’homme misérable en son entier, est adonné à la chair, est préoccupé par les choses de la terre de façon telle qu’il ne laisse rien en lui qui vaille pour la vie éternelle, qui lui permette de se consacrer aux biens divins. La puissance de la concupiscence corporelle l’Apôtre Paul, dans un passage, l’a présentée d’une manière adaptée aux consciences humaines. Il l’a exprimée dans des termes qui convenaient, pour que les membres humains se mettent au service de la justice et de la pureté avec la même volonté, la même véhémence et avec la même démence avec lesquelles ils se sont livrés à l’abrutissement des vices. Il exige probablement peu de choses ou rien du tout celui qui désire s’en aller après la perte de sa propriété; et il enlève toute excuse celui qui commande d’être payé en retour pour ses grandes faveurs par des choses faisables et ordinaires. Donne donc, donne ô homme, à Dieu autant que tu as accordé à la chair et aux vices. Et pourquoi ne te dois-tu pas d’abord à Dieu avant de te devoir aux vices ? Et cela Dieu ne veut l’obtenir que de ton seul amour.
Il continue : Quand vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres par rapport à la justice. Maintenant que vous avez été libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice. Autrefois, esclaves du péché, aujourd’hui, esclaves de la justice. Voici que par l’Apôtre, l’esclavage à succédé à l’esclavage. Montre maintenant que le temps de la liberté est un temps de rébellion. Le péché donnait autrefois la fausse illusion d’être libre à celui qu’il maintenait pitoyablement captif. Maintenant, la grâce t’appelle esclave toi que, pour te libérer, elle adopte comme fils de Dieu. La parole du Christ est donc accomplie qui disait : Celui qui veut être maître, qu’il serve. Il est bienheureux cet esclavage qui engendre une domination éternelle. L’autre liberté nous avait fait récolter des souffrances et une honte insupportables. Quel fruit ces choses vous-ont-elles rapporté ? Vous en rougissez aujourd’hui. Car leur fin est la mort. Voilà la récompense avec laquelle elle honore l’esclavage diabolique. Pour que la mort termine la vie en commençant la punition. Mais ceux qui servent le Christ, mes frères, après s’être joués de la mort avec l’aumône, sont transférés à la vie perpétuelle de la sainteté. La fin du Christ ne reçoit pas de fin, parce que cette fin ne tue pas l’homme mais le parfait.
P.S. Nous lisons dans
la Bible de Rome : Pécherons-nous parce que nous ne sommes
plus sous la loi ? (Rom. 6,15) Pierre Chrysologue dit :
Nous avons péché. Et il se sent obligé
d’expliquer qu’après être passés de la loi à
la grâce, les chrétiens ont effectivement péché,
et il en donne les raisons.
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115ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Ignorez-vous,
mes frères, que la loi s’impose à l’homme tout le temps
qu’il vit ? »)
En touchant en cadence les cordes de la lyre davidique avec la petite verge d’ivoire de l’intelligence spirituelle, ce sont vos âmes et vos cœurs qui m’ont servi d’instrument. Nous avons présenté les vérités fondamentales de l’Évangile pour mettre vos sens en éveil. Nous croyons devoir revenir à l’enseignement de l’Apôtre, pour qu’une disposition en trois parties de la doctrine ecclésiastique contienne et présente la discipline du salut. Car même une chanson repose les âmes d’un travail épuisant. De la même façon, l’autorité évangélique repose et ranime l’esprit après un dur labeur; et la vigueur apostolique ne permet pas à nos sens de s’écarter du droit chemin et de divaguer. Voici le texte de saint Paul que nous avons choisi de suivre phrase après phrase .
Ignorez-vous mes frères, ---car je parle à des gens qui connaissent la loi—que la loi s’impose à l’homme tout le temps qu’il vit ? Et il apporte une comparaison : Car la femme qui vit sous un mari est liée par la loi tant que vit son mari. On l’appelle adultère si elle va avec un autre homme. Mais quand son mari est mort, la loi la libère de son mari. Vous voyez, mes frères, le magnifique exemple du magistère céleste du bienheureux Apôtre. Avec des arguments juridiques, il déclare révolu le temps de loi, comme l’est le mariage après la mort d’un conjoint. Toute la prérogative de la loi, il l’anéantit par le merveilleux exemple du mariage. Et c’est avec raison que la loi est comparée à un mariage charnel, elle qui n’a pas contracté avec la Synagogue une union spirituelle. Car quand la Loi a reçu la Synagogue pour qu’elle observe la discipline, pour qu’elle engendre avec fécondité de saints rejetons, pour qu’elle soit la promotrice de la pudeur, la gardienne de la chasteté, pour qu’elle conserve le secret sacré et vénérable des épousailles spirituelles, pour l’unité mystique de l’hyménée céleste, elle a trouvé en elle la marre boueuse d’une prostituée. La Synagogue va à l’encontre d’un si grand homme, i.e, de la Loi, non renommée par ses mœurs, non ornée des bijoux des vertus, non recouverte du voile enflammé de la pudeur virginale, mais avec des regards lascifs, une démarche provocante, dégingandée, ne cherchant qu’à séduire, et toute confite en feintes et en tromperie. Un tel mari, après l’avoir vue, l’a méprisée de toute son indignation, l’a repoussée loin de sa présence, et l’a maudite en portant sur elle un jugement de condamnation. Mais elle ne rougit pas d’avoir été dédaignée, et ne se corrigea pas d’avoir été méprisée; mais elle se jeta tête première dans les lupanars des idoles, et préféra subir l’infamie de la fornication et encourir le crime d’adultère, plutôt que d’avoir en horreur ses passions honteuses.
C’est donc en connaissance de cause que le bienheureux Prophète se lamente sur elle, en disant : Sion, ville fidèle, comment es-tu devenue une prostituée ? Saint Ézéchiel emploie presque tout un livre pour raconter son adultère. Voilà pourquoi, mes frères, dans l’évangile, quand une femme adultère a été accusée devant le Seigneur par les scribes et les docteurs de la loi, le Seigneur a détourné Sa face et L’a penchée vers la terre, pour ne pas voir le crime qu’Il aurait du punir s’Il l’avait vu. Et Il a préféré, mes frères, écrire le pardon sur le sable plutôt que de la condamner dans la chair. C’est précisément cette Synagogue adultère que l’Apôtre s’efforce de rappeler à l’union avec le Christ; et il ne souffre pas que ses écarts de conduite passés n’apportent aucun retard. Celle qui avait été à bon droit été appelée adultère du vivant de son mari, parce qu’elle avait cohabité avec un autre homme, n’abandonnera plus la loi si elle recourt à l’Auteur de la loi. Mais elle mourra à la loi, à laquelle elle avait été légalement adjugée, pour vivre pour la grâce et ressusciter par le pardon, celle qui avait été maltraitée et mise à mort par la loi. Ensuite, quand elle déclare que la mort de son mari l’a affranchie du droit qu’il avait sue elle, elle témoigne par ce qui suit que c’est elle qui est morte plutôt que son mari, car ce n’est pas la loi qui meurt à l’homme, mais l’homme à la loi. Il ne va pas au-delà de la loi mais fait défection à loi celui que le commandement fait trébucher.
Écoute ce qui vient après : C’est pourquoi, mes frères, il faut que vous aussi vous soyez morts à la loi. Et il ajoute avec raison : Par le corps du Christ. Car la loi tient étroitement attaché le coupable; elle écroue celui qui mérite une punition; elle punit et met à mort le criminel . Celui donc qui, par le corps du Christ, est exempt et délivré de tout crime, meurt avec joie à la loi, afin de vivre pour l’innocence et la grâce. Pour que vous apparteniez à un autre, celui qui est ressuscité des morts. A un autre. Il est devenu Lui-même un autre quant Il a changé notre corruption en incorruptibilité , et quand Il a transporté la mortalité dans la gloire de l’immortalité. Pour que nous fructifiions pour Dieu. Compagnons de la nature céleste par le Christ, non pour la terre mais pour Dieu; non pour la mort, mais pour la vie. Et il affirme que le fruit est référé à Dieu, non à la chair. Quand nous étions dans la chair, les passions des péchés, qui étaient par la loi, opéraient dans nom membres pour que nous fructifiions pour la mort. Quand il dit : Quand nous étions, il indique un temps révolu : pendant que, placés dans la seule chair,- -- ou plutôt pendant que nous ouvrions les portes toutes grandes à la chair, ---- nous étions forcés d’apprécier, de faire et de vouloir seulement ce qui se rapporte à la chair, selon ce mot de l’Apôtre : Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Quand nous étions dans la chair, les passions des péchés qui étaient par la loi. Je dirai comme l’a dit le Seigneur : Si la lumière qui est en toi est ténèbres, quelle obscurité il doit y avoir! Si par la loi, les passions des péchés dominent les membres humains, que feront par elles-mêmes les passions, qui obsèdent l’homme, dès sa naissance, pour son malheur et son châtiment ! Étant engendré ainsi, les angoisses le dépriment à sa naissance, les peines l’affligent. Ce sont les passions, mes frères, qui affaiblissent l’enfance, qui trahissent le jeune âge, qui affolent l’adolescence, qui accumulent les chagrins sur la tête des adultes et des vieillards. Ce sont les passions qui sont les compagnes de toute la vie de l’homme, pour le faire chuter, comme un ennemi qui apporte le trouble.. En les prohibant, la loi nous les remet en mémoire; en les écartant, elle les amplifie; en les condamnant, elle nous les rend plus chères. Et celles que l’ignorance cachait, la science les produit au grand jour. Et comme les épines vont en s’accroissant quand elles sont fauchées, de la même façon les passions pullulent quand elles sont émondées par la loi, parce que, fixées intérieurement dans la racine de la chair, elles se fortifient. . La loi a à l’intérieur d’elle-même une culture de la foi assez juste, mais elle n’en tire pas profit; et, en excitant la chair, elle amène la racine de la chair humaine à produire un fruit de mort. Les passions des péchés qui étaient par la loi opéraient dans nos membres pour que nous fructifiions pour la mort.
L’instrument ,qui
avait été donné pour nous conduire à la vie,
les passions le revendiquent pour elles-mêmes en nous, pour
produire un fruit de mort. Ayant été blessés
à mort de cette façon, nous sommes affranchis de la
loi de la mort par la grâce du Christ; et nous découvrons
en nous le Combattant qu’est l’Esprit Saint, le Vainqueur des
vices. Et les passions repoussées à l’extérieur
frappent à la porte, séduisent et provoquent,
mais concourent à la gloire de nos triomphes. En nous,
c’est en nous qu’ Il désire vaincre Celui qui a daigné
milité en nous pour établir Sa domination, comme
Il l’a dit. Libérés de l’esclavage de la chair,
servons donc dans la nouveauté de l’Esprit, parce que la vraie domination
est l’esclavage de la sainteté du Seigneur. Car le vieil
homme et la lettre ancienne ont corrompu et perdu toute la discipline.
116ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Que dirons-nous
donc ? Que la loi est un péché ? »)
A toutes les fois qu’un hymne inspiré résonne à l’unisson dans l’église, dans des modes différents, il pacifie et délecte l’oreille par sa douceur enchanteresse. De la même façon, est exposée la même doctrine divine et céleste, de façon différente, mais par un Seul Esprit, et dans un seul et même sens; et joyeusement et avec une grande suavité, elle découvre et révèle le sacrement de la science évangélique. Et c’est pourquoi, après la mélodie prophétique et les miracles étonnants des vertus du Christ, revenons aux épitres de l’Apôtre. Le contenu de la lecture d’aujourd’hui est le suivant : Que dirons-nous donc ? La loi est-elle un péché ? Absolument pas. Mais je n’ai connu le péché que par la loi. Car je n’aurais pas connu la concupiscence si la loi ne m’avait dit : tu ne convoiteras pas. L’occasion s’étant présentée, le péché par le commandement a opéré en moi toute la concupiscence.
Vous avez entendu, mes frères, de quelle maladie l’humaine condition souffre sans le Christ. L’humaine condition que la fragilité humaine, sans la grâce, maintenait captive; que la loi armait pour perpétrer des crimes au lieu de l’en détourner; qui n’avait entendu, qui n’avait connu que ce qu’il fallait pour commettre le péché, non pour le vaincre. Je n’ai connu le péché que par la loi. Ne pas connaître les vices est une grande faveur; les connaître, un danger; mais il est réservé à la vertu de les vaincre. Un roi vaillant et fort va à l’encontre de ses ennemis à une grande distance, prévenant ainsi les attaques surprise, maintenant élevé le moral de ses soldats, et empêchant l’ennemi de venir troubler la paix de ses concitoyens. De la même façon, l’âme généreuse, par la grâce du Christ, passe au travers des misérables passages étroits de son corps, et prévient ainsi tous les crimes. Elle piétine les vices, voue les crimes à l’extermination, pour qu’ils ne puissent pas tromper le fisc par des fausses déclarations; pour qu’ils ne puissent pas corrompre les esprits par la fraude. Elle les terrasse pour qu’ils ne désunissent pas les cœurs sans intelligence et miséreux, pour qu’ils ne versent pas d’huile sur le feu, par la passion et le sang. Et pour qu’ils ne vexent pas , par toutes sortes de passions différentes, les membres faibles par nature. Ce que le feu est à un champ de céréales, les vices le sont au corps humain. On en triomphe le plus surement en les séparant; on les tue en les ignorant; et ils s’évanouissent fort heureusement en n’en tenant pas compte. Car s’ils émergeaient à l’esprit et aux sens, s’ils affleuraient jusqu’à l’âme, s’ils pénétraient à l’intérieur de tous les membres, ils engendreraient et fomenteraient un incendie inextinguible. Et à moins qu’une ondée céleste n’irrigue les cœurs, ne se répande sur les esprits, n’arrose les membres, tout ce qui en est de la force humaine est soumis, et réduit en cendre chaude.
La loi est-elle un péché ? Nullement. Mais je n’ai connu le péché que par la loi. C’est comme s’il disait : L’or n’est pas de l’avarice, mais je n’ai connu l’avarice que par l’or. Le vin n’est pas l’ébriété, mais je n’ai connu l’ébriété que par le vin. La beauté du corps n’est pas la concupiscence, mais c’est la beauté de la forme qui me ravit, et me conduit au péché de concupiscence. Ces choses ne sont donc pas par elles-mêmes mauvaises, car elles ont été créées par Dieu pour l’utilité, le salut, et la joie du genre humain. Mais elles sont pour nous une occasion de péché. L’avare accuse donc l’or; l’ivrogne le vin; le débauché et l’efféminé attribuent leur ruine morale à la beauté corporelle. De la même façon, la loi qui avait été donnée aux hommes pour leur salut, -- qui est par elle-même céleste et sainte, -- a concouru, par l’homme, à la ruine et à la misère de l’homme., comme le prouve l’Apôtre par les paroles suivantes : La loi est donc sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui était bon n’a donc pas entraîné l’homme à la mort. Mais le péché, qui est la cause principale de la mort, qui avait fragilisé et abâtardi la nature humaine, et qui l’avait rendue encline au péché et aux vices. Ce qui se cachait, ce qui rôdait à la façon d’un ennemi dans le corps humain, la loi l’attrape, le produit au grand jour, en prêchant à l’homme l’innocence, la sainteté, la justice, la vertu et la foi; en dénonçant les vices, les fautes et les crimes.
Mais l’homme a commencé à entendre parler des vertus, à vouloir les acquérir, mais n’a pas pu y parvenir. Il a commencé à détester les vices et à les suivre . Il a haï les péchés, mais les a commis. Il a eu lu les crimes en horreur, mais les a cultivés. Et ce n’est que très tard, qu’il a réalisé qu’il était un esclave enchaîné. Il a compris qu’il était asservi à une mauvaise racine, et il a commencé à crier : Malheureux, qui me délivrera du corps de cette mort? Et il répond : La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur. Après avoir entendu cela, il commença à rechercher sa liberté par son Auteur, le salut par le pardon, et à espérer recevoir la vie par la seule grâce. Car il a longtemps ignoré comment il se faisait que l’innocence était difficile , que la justice était laborieuse, la sainteté harassante, les vertus ardues, la foi remplie de périls. Il ne savait pas pourquoi les délits étaient si florissants, pourquoi les crimes croissent quant on les fauche, pourquoi les vertus flétrissent quand on les cultive. La loi a expliqué, la loi a enseigné, la loi a mis en pleine lumière que les crimes prennent possession de l’esprit humain par le péché, et que les vertus siègent dans les sens humains par Dieu.; et que les délits ne peuvent être graciés tant que le péché, l’auteur des délits, n’aura pas été désamorcé. C’est le Christ qui l’efface, comme l’atteste saint Jean-Baptiste par ces paroles : Voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde.
Sans la loi, le péché
était mort. J’avais vécu sans la loi, mais quand le
commandement est arrivé, le péché a repris vie.
Et moi, je suis mort, et il s’est trouvé que ce commandement
qui m’avait été donné pour la vie m’a conduit à
la mort. Car le péché, par l’occasion que lui
a donnée le commandement, m’a séduit et tué par lui.
Le péché était mort, non parce qu’il était
mort, mais parce qu’on l’ignorait. Et c’est en employant le mot au
sens propre qu’il dit que le péché a revécu,
car il était enseveli dans notre ignorance. Ce n’est pas le
commandement qui a repris vie pour le péché, mais le
péché pour le commandement, quand il fait un prévaricateur
de celui qui était un pécheur, un contumace d’un coupable;
quand il transforme un déserteur en rebelle. C’est donc
en connaissance de cause que l’homme s’exclame être mort, quand
il apprend d’où il a été mis à mort,
pourquoi, et par qui . A quel point le péché
est un tyran cruel, nous l’avons déjà vu.
Il m’a séduit par le commandement, et m’a tué par lui.
Parce qu’il a tendu un piège avec ce qui devait nous procurer le
salut; parce qu’il a fait de la cure une maladie; parce qu’il
a changé l’instrument de santé en une plaie fatale;
parce qu’il a converti la vie elle-même en un glaive mortel.
Il m’a séduit par le commandement et m’a tué par lui.
Et comment, après avoir été tué, pouvait-il
pourvoir à lui-même, puisqu’il était mort ?
Qui pouvait venir au secours de celui qui avait été tué,
si ce n’est le Christ qui avait réparé la vie,
en étant tué? Qui, par sa mort, a expié,
pour le mort, la peine du talion. Il a détruit la mort,
et l’a fait apparaître contumace, elle qui a osé
couver les commandements pour en faire éclore les châtiments
pour les pécheurs; qui a osé attenter au Juge
lui-même; qui a osé envahir et occuper l’Auteur lui-même
de l’innocence. C’est donc en toute justice que la mort est morte;
et en moi, ce n’est pas moi qui vit, mais c’est le Christ qui vit,
agit, règne et commande.
117ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(les deux Adam)
Le bienheureux apôtre Paul rapporte aujourd’hui que deux hommes ont donné au genre humain un commencement : Adam et le Christ. Deux hommes semblables par le corps, mais de mérite différents. Par la disposition des membres du corps, absolument semblables, mais dissemblables par leur origine . Le premier homme, Adam, a été fait une âme vivante; le nouvel Adam a été fait comme un Esprit vivifiant. Le premier Adam a été créé par ce nouvel Adam, de qui il a reçu l’âme, afin de vivre. Le second Adam s’est façonné Lui-même, étant Lui-même son propre Créateur, Lui qui ne pouvait attendre la vie d’un autre, mais qui, à Lui seul, accorderait libéralement la vie à tous. Le premier Adam a été formé du vil limon de la terre; le Nouveau procède du précieux sein de la Vierge. Dans le premier Adam, la terre est changée en chair; dans le Second, la chair est promue à la divinité. Quel besoin y a-t-il d’en dire davantage ? Celui-ci est l’Adam qui a placé Son image en l’homme quand Il l’a façonné. Il est l’Adam qui a assumé le nom et la nature du premier Adam, de peur qu’Il n’éprouve la perte de celui qu’Il avait fait à Son image. Le premier Adam et le Nouvel Adam. Le premier a un commencement; le Nouveau n’a pas de fin. Parce que celui qui est arrivé en dernier est véritablement premier, selon Ses propres paroles : Je suis le premier et le dernier. Je suis le Premier, c’est-à-dire que Je suis sans commencement. Je suis le Dernier parce que Je n’ai pas de fin. Le spirituel n’est pas venu en premier, mais ce qui est animal. Ensuite seulement est venu le spirituel. La terre existe avant les fruits, mais la terre n’est pas plus précieuse que les fruits. La terre exige des gémissements et du labeur, les fruits procurent généreusement la santé et la vie. C’est avec raison que le Prophète se glorifie d’un tel fruit par ces paroles : Notre terre a donné son fruit. Quel fruit ? Celui de qui il dit ailleurs : Du fruit de ton ventre je placerai quelqu’un sur ton trône.
Le premier homme vient de la terre et est terrestre; le second homme vient du ciel et est céleste. Où sont ceux qui veulent équiparer la conception et l’enfantement de la Vierge aux accouchements des femmes, quand l’un vient du ciel, et l’autre de la terre ? L’un vient de la puissance divine, l’autre de la faiblesse humaine. L’un est tout entier dans la tranquillité de l’Esprit divin, dans le repos du corps humain, et l’autre dans les passions du corps humain. Le sang s’est tu, la chair s’est extasiée, les membres se sont assoupis, et le palais de la Vierge s’est immobilisé dans la contemplation céleste, jusqu’à ce que l’Auteur de la chair revête un habit charnel, devienne un Homme céleste, qui ne rendrait pas seulement la terre à l’homme, mais lui donnerait aussi le ciel. La vierge conçoit, la Vierge enfante, et elle demeure vierge. Elle est donc une chair qui a fait l’expérience du pouvoir infini de Dieu, non des douleurs de l’enfantement. En ignorant les affronts portés à sa pudeur, elle a obtenu, en enfantant, une augmentation de l’intégrité de sa virginité . Elle a plutôt été un témoin ou une spectatrice de l’enfantement, celle qui n’a éprouvé aucune douleur en enfantant. Et celle qui est mère d’une façon nouvelle s’étonne de participer à des sacrements célestes, comprenant très bien que la façon dont s’est déroulée cette naissance n’a rien de commun avec les naissances habituelles. Si un mage reçoit le don de reconnaître que c’est Dieu qui naît ainsi, et s’il Le confesse en L’adorant, imaginez ce que doit penser et croire un chrétien.
Mais écoutons ce qui suit : Tel est le terrestre, tels sont les terrestres; tel le céleste, tels les célestes. Comment ceux qui ne sont pas nés comme Il est né pourront-ils devenir semblables à Lui ? En ne demeurant pas comme ils sont nés, mais en demeurant jusqu’au bout comme ils sont re-nés. Voilà comment le sein de la fontaine virginale féconde les actions secrètes de l’Esprit par l’ajout de sa lumière. Pour que les terrestres que l’origine limoneuse avait plongés dans une condition misérable , elle les enfante à la vie céleste, et les conduise à la ressemblance de leur Auteur. Donc, nous qui sommes re-nés, qui sommes déjà réformés à l’image de notre Créateur, accomplissons ce que prescrit l’apôtre. Comme nous avons porté l’image du terrestre, portons l’image du céleste. Il était fatal que, pétris de terre, nous ne puissions pas aspirer aux choses célestes; que, nés de la concupiscence, nous ne puissions pas éviter la concupiscence; que, conquis par des maîtres vicieux, nous soyons forcés de subir la honte de la luxure; que, accueillis dans l’habitacle de ce siècle, nous ayons été captifs des maux.
Mais déjà re-nés à l’exemple de notre Seigneur, comme nous l’avons dit, nous que la Vierge a conçus, que l’Esprit a vivifiés, que la pudeur a portés, que l’intégrité a enfantés, que l’innocence a nourris, que la sainteté a instruits, que la vertu a exercés, que Dieu a adoptés comme Ses fils, portons Son Image dans son intégralité, par la ressemblance absolue avec notre Auteur. Ressemblance non par la Majesté, qu’Il est seul à posséder, mais par l’innocence, la simplicité, la mansuétude, la patience, l’humilité, la miséricorde, et la concorde, par lesquelles vertus Il a daigné nous devenir semblable. Que cesse la démangeaison pestilentielle des vices; que soient vaincues les séductions mortelles des péchés; que la fureur des crimes soit exécrée; que son origine soit étouffée; que se retire des sens toute la suie de la pompe séculaire; que soit arraché des esprits le mirage de la cupidité mondaine. Que soit désirée la pauvreté du Christ, qui possédera dans les cieux les richesses éternelles. Que toute la sainteté de l’âme et du corps soit conservée, pour que l’image de notre Christ soit portée et rayonne en nous non dans sa grandeur naturelle, mais par nos actes conformes aux siens. L’Apôtre affirme ce que nous venons de dire par ces mots : Je dis cela frères parce que la chair et le sang ne peuvent pas posséder le royaume des cieux. Voilà comment est prêchée la résurrection de la chair, parce que là, la chair sera possédée par l’Esprit. Ce n’est pas la chair qui possédera l’Esprit, comme il apparaît clairement par ce qui suit : La corruption ne possédera pas non plus l’incorruptibilité. Tu vois que ce n’est pas la chair qui dépérit, mais la corruption; non l’homme, mais la faute; non la personne, mais le crime; non Dieu, mais l’homme. Vivant en présence de Dieu, il se réjouit d’avoir obtenu la cessation des péchés.
Il faudra présenter
un sermon consacré uniquement au sujet de la résurrection,
mes frères, car il ne convient pas de traiter en passant,
et en conclusion, de ce qui nous transporte dans les temps éternels
et dans la vie perpétuelle.
118ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la résurrection
)
Tout l’espoir de la foi chrétienne repose sur la résurrection des morts. Pour que personne n’ose en douter, et parce qu’elle bénéficie de l’autorité de l’Apôtre et des exemples des êtres créés, nous vous avons fait lire à haute voix aujourd’hui, tout au long, ce qu’en dit saint Paul,--- à quoi notre sermon n’a rien pu trouver qu’il puisse ajouter. Mais , parce que votre charité exige toujours le secours de notre ministère , c’est avec une joie débordante que je ferai pénétrer en vous plus profondément cette vérité, avec l’ardeur de la résurrection elle-même. Mes frères, il est toujours agréable de traiter de la résurrection, et c’est toujours un plaisir d’en entendre parler. S’il n’est jamais agréable de mourir, la pensée de vivre éternellement nous réjouit Que la résurrection soit toujours dans notre bouche, que notre esprit en attende toujours parler, pour que s’éloigne de nos sens, avec ses lamentations, la mort qui, avec sa terreur, obsède constamment nos sens. Car le cultivateur chante les récoltes fertiles et les repas rassasiants, pour ne pas ressentir la sueur et le labeur inhumain du soc de la charrue . De la même façon, le matelot marque le rythme en pensant au port et aux bénéfices, pour ne pas redouter les écueils et les naufrages. Le soldat célèbre aussi avec la trompette son butin de guerre et ses triomphes, pour ne pas avoir peur des blessures, et ne pas redouter les glaives. Qu’avec son esprit, sa bouche, ses yeux, le chrétien regarde, contemple, chante la résurrection, pour qu’il puisse mépriser et fouler aux pieds toute la peur de la mort.
La mort, mes frères, est la souveraine du désespoir, la mère de l’incrédulité, la sœur de la corruption, l’ancêtre de l’enfer, l’épouse du diable, la reine de tous les maux. Elle combat le genre humain d’une haine insatiable, envoyant devant elle le désespoir pour murmurer à l’oreille de tout un chacun, dans le but de le persuader : « Homme, pourquoi cette perte de temps ! Voici que vient ton impératrice, la mort. Elle va retourner ton âme au néant, ta chair à la pourriture. Avec les années, elle va consumer tes os, pour faire en sorte que tu n’existes plus après la mort, toi qui n’existais pas avant de naître. Rends-toi donc ce que tu te dois à toi-même avant la mort, toi qui, à n’importe quel moment, est sur le point de mourir à toi-même. Consacre l’enfance aux jeux, l’adolescence aux plaisirs, la jeunesse aux voluptés, donne-moi ta vieillesse, pour que, désespéré sans raison, tu ne te crois pas frustré de tout espoir. »
Après le désespoir, la mort envoie sa fille l’incrédulité, qui menace ainsi : « Tu disposes de la vie comme si tu ne devais jamais mourir, comme si tu pouvais échapper à la mort . Homme, la foi te trompe. Tu crois en une foi qui, pour t’enlever les biens présents, t’en promet des futurs; et qui, pour t’enlever les choses qui existent avant la mort, te fait espérer je ne sais quels biens invisibles après la mort. Qui vient de là-bas ? Quel est le sage qui croit dans des promesses séculaires jamais tenues ? Oh! oui, mange et bois. Mange et bois, car tu mourras demain. »
La troisième sœur de sa perversité, la corruption, elle la lance avec une telle fureur qu’elle accapare le regard de l’homme, l’attire à elle, le maintient les yeux rivés sur les tombeaux. Elle montre les bagnes, elle démontre que les siens gisent là, immobiles, enchaînés. Et pour épouvanter les sens des hommes en poussant la peur au paroxysme, elle verse la putréfaction, elle fait sortir le pus, elle répand la puanteur, et proclame que, par elle, a été donnée pour un seul corps d’homme, une quantité innombrable de vers carnivores.
Qu’est-ce qui empêche les chrétiens de croire au désespoir et à l’incrédulité ? Voilà quelles sont les batailles que nous livre la mort. Avec ses chefs, avec ses conseils, avec ce genre de combat, elle captive, dévaste, tue tous ceux que la nature conduit à la vie présente. Elle guide les rois, trahit les peuples, repousse les Gentils. Elle n’a jamais pu être achetée par les richesses, fléchie par des prières, attendrie par les larmes, vaincue par aucune puissance. Ils se sont trompés, mes frères, ceux qui ont écrit sur le bien de la mort. Faut-il s’en étonner ? Les sages du monde se croient grands et illustres, eux qui ont persuadé aux simples que ce qui est le mal suprême est le bien suprême. C’est avec raison que l’Ecriture dit d’eux : Malheur à ceux qui disent que le mal est le bien et le bien le mal. Malheur à ceux qui donnent le nom de lumière aux ténèbres, et de ténèbres à la lumière ! Et en vérité, qui n’ont-ils pas pu tromper, qui n’ont-ils pas aveugler eux qui ont mis leur soin à faire croire aux imprudents que vivre est un mal et que mourir est un bien ? Mais, mes frères, la vérité déloge ces mensonges, la lumière les met en fuite, la foi les repousse, l’Apôtre les condamne, le Christ les détruit, qui, en rendant le bien à la vie, expose, condamne, exclut le mal de la mort.
C’est ainsi que commence l’Apôtre : Je vous fais connaître, mes frères, l’évangile que je vous ai prêché, que vous avez reçu, dans lequel aussi vous vous tenez, par lequel vous êtes sauvé. Vous devez tenir ce que je vous ai enseigné, à moins d’avoir cru pour rien ? Je vous ai d’abord transmis en premier lieu ce que j’ai aussi reçu, que le Christ est mort pour nos péchés, qu’il a été enseveli et qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures. La libéralité divine enrichit celui qui est voué à la vie, non à la mort. Quel bien pourra recevoir quelqu’un s’il n’est plus là pour le recevoir ? Dans lequel vous vous tenez. De toute évidence, c’est celui qui se tient debout qui vit, car celui qui est mort est toujours couché. Par lequel vous êtes sauvé. Si quelqu’un meurt, il périt. Est donc sauvé celui qui vit toujours. Vous devez tenir ce que je vous ai enseigné, à moins que vous n’ayez cru pour rien ? Mes frères, celui qui croit qu’il n’est né que pour mourir, non seulement croit sans cause, mais c’est sans cause qu’il a vécu. Homme, qu’est-ce qui en toi n’apparaît pas pour disparaître ? Et ce qui disparaît, ne revient-il pas ? Le jour se lève le matin, et réapparaît de nouveau le matin suivant. Il est donc enseveli dans la nuit, et resurgit de nouveau le matin. Le soleil naît à chaque jour et meurt à chaque jour. Il ressuscite à chaque jour. Les saisons s’en vont quand elles périssent; elles revivent quand elles reviennent.
Donc, o homme, si tu ne crois pas, si tu ne donnes pas ton assentiment à la loi, si tu n’acceptes pas ce que tu entends, crois-en au moins tes yeux, accorde ta foi aux éléments qui te prêchent constamment la résurrection. Bien entendu, si ces choses sont de loin inférieures, celles qui sont dans tes mains, et qui revivent de ta mort par ton œuvre, que du moins elles t’enseignent que tu peux être ressuscité par l’œuvre de Dieu. Va à la semence, selon l’enseignement de l’Apôtre. Prends le froment sec, sans sensation, sans mouvement. Sillonne et creuse la terre, construis un tombeau, ensevelis-y le froment. Observe de quelle façon la mort le fait dépérir, comment l’humidité le gonfle, comment la pourriture le corrompt. Et quand il est parvenu à tout ce que vous insinuaient plus haut le désespoir, l’incrédulité, et la corruption, c’est alors que, par le bas, il revit dans le germe, il est pubère dans l’herbe, il se fait jeune dans la tige, et atteint sa maturité dans le fruit. Il resurgit dans la même genre et dans la même espèce que tu déplorais l’avoir perdu. Pour que, o homme, le blé ne t’enseigne pas tant à manger qu’à comprendre, à travailler qu’à croire.
Taisons le reste.
D’où est venue la mort, quand, comment et par qui,
le bienheureux Apôtre l’enseigne en un exposé divin
clair et limpide. Homme, reçois la foi, car elle est
donnée gratuitement. Crois en la résurrection,
car Celui qui la promet ne demande pas d’argent en retour.
119ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Ne savez-vous
pas que ceux qui courent dans le stade… »)
Ce n’est pas uniquement par la doctrine de la loi, mais aussi par des exemples tirés de ce monde que l’Apôtre nous exhorte à faire tous les efforts nécessaires pour remporter la couronne de la gloire céleste. Car, voici ce qu’il dit entre autres choses, comme votre dilection l’a déjà entendu. Savez-vous que ceux qui courent dans un stade, tous courent, mais qu’un seul remporte le prix de la victoire. Et il ajoute : Courez de façon à remporter le prix. Selon un exemple terrestre, beaucoup courent dans le stade, comme le dit l’Apôtre, mais un seul remporte le prix de la victoire, c’est-à-dire, celui qui a le mieux couru. Il en est de même dans le stade de la vie présente : beaucoup courent, mais un seul remporte la couronne de la victoire. Les Juifs courent par la loi, les philosophes par leur sagesse creuse, les hérétiques par leur fausse interprétation de la révélation, et les catholiques courent par la vraie prédication de la foi. Mais, parmi tous ces gens, un seul reçoit la couronne de la victoire, le peuple catholique, qui, après avoir entrepris la course de la foi, tend vers le Christ pour parvenir à la palme et à la couronne de l’immortalité. Les Juifs, les philosophes et les hérétiques courent en vain, parce qu’ils ne cheminent pas sur la voie droite de la foi. A quoi peut bien servir aux Juifs de courir par l’observation de la loi s’ils ignorent l’Auteur de la loi ? Les philosophes courent, eux aussi, par la vaine sagesse du siècle, mais leur course est superflue et inutile, parce qu’ils ignorent la vrai sagesse du Christ. La vraie Sagesse de Dieu est le Christ, qui ne brille ni par les mots ni par la longueur des périodes, mais qui est accueillie par la foi qui vient du cœur. Les hérétiques courent aussi par leur profession de foi empoisonnée, par leurs jeûnes et par leurs aumônes. Mais ils ne peuvent pas parvenir à la couronne de la victoire, parce qu’ils ne courent pas dans le chemin de la foi. Leur fausse foi ne mérite pas de recevoir la récompense de la vraie foi.
L’Apôtre manifeste cela ailleurs quand il dit : Même si je distribuais tous mes biens aux pauvres, même si je livre mon corps au feu pour y être brûlé, si je n’ai pas la charité, rien ne me profite. Car il n’a pas la charité du Christ celui qui ne croit pas au Christ en toute fidélité. L’Apôtre fait donc bien d’ajouter ces paroles : Courez donc pour la remporter. Nous devons donc courir par la course de la foi, dans les commandements de Dieu, dans les œuvres de justice, pour que nous puissions parvenir à la couronne de la vie éternelle. L’Apôtre nous montre ensuite de quelle façon nous devons courir par ces mots : Le lutteur, dans les jeux publics, s’abstient de tout. Eux font cela pour une couronne corruptible, nous pour une couronne incorruptible. Voyez par quels exemples l’Apôtre nous invite à la couronne de l’immortalité promise. Les lutteurs terrestres qui veulent vaincre s’imposent une diète sévère, boivent modérément, s’éloignent de tout ce qui est impur. Ils poussent la chasteté jusqu’à s’interdire les relations avec leurs épouses. Ils comptent ne pas pouvoir vaincre autrement qu’en conservant leurs corps chastes et pudiques. Et pour un tel travail, que reçoivent-ils d’autre qu’une toute petite couronne, qui est vile et corruptible. Si donc quelques-uns s’imposent un tel effort pour une couronne corruptible, ne devons-nous pas, à plus forte raison, être prêts à supporter les travaux les plus pénibles, nous à qui est promise une récompense céleste et la couronne de la gloire éternelle ?
La lutte que nous avons à livrer n’est pas une mince affaire . Nous avons à nous battre contre les esprits de malice, contre le diable et ses anges. Nous nous battons contre l’injustice, contre l’impiété, contre la malice, contre l’impureté et contre les diverses séductions des péchés. Et si nous remportons la victoire dans le combat, nous recevrons autant de couronnes que nous aurons vaincu de crimes. Elle est donc grandiose cette lutte, qui se donne en spectacle au Seigneur Lui-même. Le Seigneur nous regarde combattre, et Ses anges aussi. C’est sur la terre que nous vainquons, mais c’est dans les cieux que nous recevons la récompense de la vertu. Les saints martyrs, placés au plus fort du combat, n’ont pas vaincu seulement les vices des péchés, mais la mort elle-même; et ont remporté les trophées de l’immortalité. Le premier à sauter dans cette arène de lutte à été le Seigneur notre Sauveur. Il a combattu et a vaincu, pour nous donner un exemple de combat et de victoire. En discutant de ces choses avec vous, nous enfouissons dans vos cœurs la semence du bon combat, comme si nous avions découvert que vos cœurs ont été labourés par la charrue de la justice. Cultivez donc la parole que nous avons semée en vous, pour que ce qui a été semé puisse germer. Que Dieu, par Sa visite, par la rosée de Sa piété, vous arrose. Et qu’Il donne la croissance à nos semences, pour que les gerbes de vos mérites, que vous ramasserez, produisent du cent pour un.
120ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Ne vous conformez
pas à ce siècle »)
Le Christ aujourd’hui, déclare que les Apôtres sont comme du sel : Vous êtes le sel de la terre. Que personne ne s’irrite si nous frottons, de manière à les broyer, les paroles du bienheureux Paul, qui sont comme des grains du divin sel. Nous pourrons ainsi découvrir le sens de ce qui se cache à l’intérieur. Les grains de sel encore entiers pétillent lorsqu’en descendant dans les veines, ils sont fragmentés en infimes parties. Il en est ainsi des épitres de saint Paul. Elles présentent un sens simple au lecteur occasionnel. Mais elles fournissent une science profonde à ceux qui reviennent avec empressement à ce qu’ils avaient déjà lu attentivement.
L’Apôtre dit aujourd’hui : Ne vous conformez pas à ce siècle. Est-ce que tu penses qu’en parlant ainsi, l’Apôtre nous exhorte à ne pas nous conformer aux figures des éléments ? Nous invite-t-il à ne pas imiter les rois des Perses qui, se prenant pour des dieux, se représentaient les deux pieds posés sur le globe , pour qu’on pense qu’ils le foulent aux pieds ? Tantôt, le tête munie de rayons lumineux, de peur qu’on les prenne pour des êtres humains, ils empruntaient la figure du soleil. Tantôt, ils s’implantaient des cornes sur la tête, comme s’ils se désolaient d’être des mâles, et se transsexualisaient en lune. Tantôt ils revêtaient les formes variées des astres pour perdre la figure de l’homme, sans acquérir aucune lumière céleste. Ces choses proviennent de la vanité mondaine, et les sages les fuient autant qu’ils s’en moquent.
Quand l’Apôtre dit : Ne vous conformez pas à ce siècle, il sanctionne la vie du monde, dénonce les mauvaises mœurs, condamne les coutumes dépravées. Il fustige les désirs pervers, réprouve la luxure , repousse, met en fuite, répudie toute la pompe des vanités mondaines. Mais ce qu’il dénonce d’une façon toute particulière, il l’indique dans le détail au début de son Epitre. Il y représente la figure du monde dans les vices suivants : Remplis de toute iniquité, malice, fornication, avarice, méchanceté, pleins d’envie, d’homicides, de contention, de ruse, de malignité, critiqueurs, détracteurs, hostiles à Dieu, contumaces, entêtés, orgueilleux, inventeurs des maux, désobéissants à leurs parents, sans maîtrise d’eux-mêmes, sans amour, sans miséricorde ,et qui après avoir connu la justice de Dieu ne l’ont pas comprise. Ceux qui agissent ainsi sont dignes de mort. Non seulement ceux qui font ces choses, mais ceux qui approuvent ceux qui les font. Frères, vous avez entendu ce qu’est la forme du siècle, vous avez appris à quoi elle ressemblait, vous avez vu sa figure. Si on peut détecter une forme, et non plutôt un monstre informe là où la face des êtres est effacée par la confusion des crimes; là où, par l’adultère avec les péchés, toute la figure du monde est dissoute; où par les maladies des délits, l’image du Créateur est enlevée; où l’homme est enseveli dans les vices; où fourmillent les crimes du corps putréfié; où l’homme est le sépulcre de l’homme; où ce n’est pas un homme que l’on aperçoit dans l’homme, mais un cadavre. C’est donc à cette forme que l’Apôtre nous interdit de nous conformer, et à cette figure qu’il nous défend de nous configurer. Il ne permet pas que nous soyons semblables à cette similitude, mais il nous réforme d’après la forme de Dieu; il nous rappelle à la ressemblance du Christ, en disant : Mais réformez-vous dans la nouveauté de votre sens.
Ce qui veut dire que vous soyez rénovés dans vos sens par le Christ, après avoir rejeté la figure de ce monde. Et après avoir jeté loin de vous toute la difformité de la vielle image, réduisez votre forme à celle du Sauveur. Pour que la nouveauté de vos sens resplendisse dans vos actes, et que l’homme céleste chemine sur la terre avec une démarche céleste. Il expose clairement en quoi consiste la forme du nouvel homme : Comme dans un seul corps, nous avons plusieurs membres, tous les membres n’ont pas tous le même acte. Ainsi nous sommes, à nous tous, un seul corps dans le Christ, tous et chacun les membres les uns des autres. Ayant cependant des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée. Il agit comme un corps en investissant en commun dans un acte céleste, pour la vie surnaturelle. C’est la sainteté des mœurs qui maintient l’union entre les membres, et leur harmonie. Le pied, poussé par un orgueil insensé, ne confond pas son travail avec celui de l’œil; l’œil ne convoite pas le travail du pied. Mais, pour que les membres se contentent des dons de sainteté que leur a donnés le Bienfaiteur, qu’ils croient que ce que fait un membre appartient à tous les membres. Car il ne peut pas se sentir laissé pour compte le membre qui est honoré dans tout le corps.
Voici comment l’Apôtre dépeint les actes propres aux membres, et les membres propres aux actes : Que celui qui enseigne, enseigne dans la doctrine, celui qui exhorte dans l’exhortation, celui qui distribue qu’ils le fasse dans la simplicité, celui qui préside avec sollicitude, celui qui prend pitié, dans la joie. Que la charité soit sincère. Détestant le mal, adhérant au bien, nous honorant réciproquement, bénins les uns envers les autres, actifs non paresseux, fervents spirituellement, servant Dieu, joyeux dans l’espérance, patients dans la tribulation, fidèles à la prière, participant aux mémoriaux des saints, pratiquant l’hospitalité. Bénissez, ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, pleurez avec ceux qui pleurent. Faisant le bien non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes. Ne vous vengez pas vous-mêmes, mais permettez à la colère d’exister. Si ton ennemi a faim, nourris-le. S’il a soif, donne-lui à boire. Ne sois pas vaincu par le mal, mais vainc le mal par le bien.
Un peu plus haut, mes frères, l’Apôtre nous a présenté les membres des vices. Il nous révèle maintenant les membres des vertus, pour que le corps céleste, solidifié par de tels membres, fortifié par de tels nerfs, puisse facilement remporter les batilles du monde, être supérieur au démon dans les conflits. En vivant comme l’Apôtre l’a enseigné, ne terrasse-t-il pas le monde ? Ne broie-il pas la chair ? Ne triomphe-t-il pas du démon ? Ne devient-il pas l’égal des anges ? N’est-il pas plus grand que le ciel ? Il est certainement plus grand que le ciel, car le ciel ne se meut pas de lui-même; il obéit. Il ne fait rien librement, mais il sert toujours nécessairement, parce qu’il lui a été ordonné une fois pour toutes de servir. Il se garde sans tache, non par ses propres forces, mais par un travail harassant. Bien qu’il ne mérite aucune punition, il ne se qualifie pas pour la récompense. Mais l’homme, pétri de boue, en triomphant de la tache terrestre, en résistant aux tendances héréditaires, en surmontant les passions de la chair, s’élève au-dessus du ciel, et s’envole vers le siège lui-même de la Déité. Et c’est ainsi qu’il devient plus grand que le ciel, surpasse les anges par les mérites, même s’il ne les surpasse pas par la nature.
Le prouve cela l’Apôtre qui, après avoir remporté une victoire insigne, sur terre, est entré dans le premier ciel, a traversé le second, et a mérité de parvenir jusqu’au troisième. Et cela, en toute justice, car il devait monter aux cieux le premier celui qui, par la parole et par l’exemple, a enseigné aux hommes à pénétrer dans les cieux. Oui, il sera plus grand que le ciel celui qui vaincra comme l’a enseigné Paul. Il sera plus brillant que le soleil celui qui ne permettra pas à la nuit des vices de l’obscurcir. Oui, il sera plus lumineux que la lune celui qui ne tempère pas les ténèbres par une lumière ténue, mais qui repousse toute la nuit du monde par la splendeur éclatante de ses mérites. Il ne sera pas semblable à la lune qui, lorsqu’elle paraît de jour, éprouve une grande perte de sa clarté, mais grâce à la lampe continuellement allumée de ses bonnes actions, il persistera dans la clarté de la lumière surnaturelle. Il ne connaîtra pas comme la lune une obscurité mensuelle, mais demeurera dans la charité continue de Dieu. Et si elle est grande celle qui mitige la nuit, combien plus grand sera celui dont la vie n’aura rien reçu de la nuit. Je ne dis rien des étoiles, parce que les saints resplendiront dans le ciel par les vertus, comme le ciel par les étoiles, au dire de l’Apôtre : Vous êtes la lumière du monde. Brillez comme des luminaires dans le monde. Et pour tout dire en un mot, le ciel, le soleil, la lune, les étoiles passeront, selon la parole de Dieu, mais le juste demeurera dans la clarté continuelle de Dieu.
Je voudrais, mes frères, commenter et expliquer chaque parole de l’Apôtre Paul, mais parce qu’un sermon trop long engendre l’ennui et le dégoût, et parce que nous ne pouvons pas plus longtemps taire les vertus évangéliques, qu’il plaise à votre charité que je mette fin au commentaire présent en abrégeant le sermon. Que Dieu grave dans vos saints sens et ce que nous avons dit et ce que nous avons tu.
121ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Lazare et le mauvais
riche)
Vous avez entendu,
mes frères, comment finit la pauvreté et quel sot est
réservé aux richesses. Voici les paroles du Seigneur
: Un homme était riche, et se vêtait d’habits de pourpre
et de lin très fin, et festoyait magnifiquement chaque jour.
Et il y avait un mendiant du nom de Lazare, recouvert d’ulcères,
qui gisait à sa porte, désirant assouvir sa faim des miettes
qui tombaient de la table du riche. Et personne ne lui en donnait.
Mais même les chiens venaient lécher ses ulcères.
Il arriva que le pauvre mourut, et il fut porté par les anges
dans le sein d’Abraham. Le riche mourut lui aussi, et fut enseveli
dans l’enfer.
Voyez, mes frères,
le déplorable renversement de fortunes ! Les anges emportent le
pauvre; l’enfer engloutit le riche. Mes frères,
voyez comment la mort du pauvre a vaincu toute la vie du riche;
et l’élévation du pauvre, à elle seule, transcende
toute la gloire et toute la pompe du riche. Pourquoi le cénotaphe
jette-il de la poudre aux yeux ? Pourquoi la pompe des funérailles
ment-elle ? Pour la cérémonie funèbre du riche,
toute la cité se déplace, et va, comme le veut la coutume,
à l’encontre du cadavre. Le pauvre, lui, avance
seul. Deux misérables comme lui le portent sur leurs dos.
Pas quatre porteurs, comme c’est la coutume pour un mort, mais deux
pour un seul brancard, comme s’ils avaient été forcés
de porter malgré eux un fardeau qu’ils auraient hâte
de déposer. C’est en toute justice que les anges
président aux funérailles divines de celui à
qui ont été refusés, avec la plus grande cruauté,
les témoignages les plus élémentaires de bienfaisance
humaine. La tourbe lugubre des serviteurs et des esclaves fait cortège
au cadavre du riche. La multitude des anges précède,
en chantant, le grabat du pauvre. Dans un tombeau de
marbre et un habit somptueux git, enfermé,
le corps du riche. La chair du pauvre se repose
dans ce qu’il y a de plus naturel, la terre. Et le lieu où
il réside lui fait ignorer la morsure des vers. Il prévient
même, en se décomposant, les exhalations pestilentielles.
Mais demandons-nous, mes frères, quelle à été la faute du riche, quel crime il a commis, quelle action malfaisante l’a livré aux supplices de l’enfer avant d’avoir été jugé et condamné; et pourquoi tous les siècles, à l’instigation du Juge lui-même, ont-ils chanté les louanges du pauvre. Un homme était riche, et se vêtait d’habits de pourpre et de lin très fin, et festoyait magnifiquement chaque jour. Et il y avait un mendiant du nom de Lazare recouvert d’ulcères qui gisait à sa porte, désirant assouvir sa faim avec les miettes qui tombaient de la table du riche. Les richesses sont-elles par elles-mêmes mauvaises ? Et les vêtements sont-ils condamnables aux yeux de Dieu en eux-mêmes et par eux-mêmes ? Les banquets sont-ils blâmables par eux-mêmes, de façon à non seulement être privés de la récompense des biens, mais à mériter la punition de tous les maux ? Ou la mendicité est-elle par elle-même si approuvée par Dieu et si sainte, les ulcères sont-ils si sacrés par eux-mêmes qu’ils méritent d’être emportés par les mains des anges dans le sein d’Abraham ? N’y aurait-il pas lieu de s’étonner si Abraham, qui était riche, méprisait quelqu’un parce qu’il était riche ? Comme le dit la Genèse : Abraham était très riche. Et celui qui était son semblable dans la possession des biens de la terre, il le réprouverait et supporterait qu’il soit puni ? D’autant plus que la parabole ne dit pas un mot des vertus pratiquées par le pauvre, ni des vices supposés de ce riche. Pourquoi donc Abraham accueille-t-il le pauvre dans son sein et repousse-t-il le riche ? Ou comment les richesses ont-elles innocenté Abraham et condamné l’autre riche ? Comment ont-elles pu promouvoir Abraham jusqu’à en faire le repos de tous les bienheureux, et précipiter l’autre riche dans le gouffre de tous les maux ?
Pour que mon sermon
ne vous tienne pas plus longtemps en suspens, et pour ne pas
vous fatiguer en différant la solution , hâtons-nous
de répondre à la question. Abraham, mes
frères, n’a pas été riche pour lui, mais
pour le pauvre. Et il s’appliqua non pas à posséder
des richesses, mais à les conserver. Il mit tout
son zèle à cacher ses richesses dans le sein du pauvre,
beaucoup plus que dans ses greniers, comme le lui enseignait
sa règle de vie. Lui-même voyageur en pays étranger,
il a peiné constamment pour que l’étranger ne se sente
pas étranger. Demeurant lui-même sous une tente,
il ne souffrit pas qu’un passant demeurât sans toit.
Banni de son pays, sans domicile fixe, il pratiqua toujours
l’hospitalité envers les sans-patrie. Il fut le seigneur
et la patrie de tous. Car il savait que sa position n’était
pas celle d’un usurpateur, d’un accaparateur, mais d’un
dispensateur de la largesse divine; qu’il avait à venger les
opprimés et libérer les captifs. Pour délivrer
ceux qui allaient être mis à mort, nouveau combattant,
il s’est adjugé lui-même à la mort. La pitié
a toujours été plus chère que sa vie. Quand
Abraham reçoit un visiteur, il ne s’assoit pas, il sert.
Il n’était pas le convive de son hôte, mais son
serviteur. A la vue d’un visiteur étranger, il
oubliait qu’il était un seigneur. Il apportait lui-même
les plats, et, plein d’anxiété, il imposait un travail
supplémentaire à sa femme déjà passablement
affaiblie par l’âge. Et lui qui s’en remettait à
ses serviteurs pour lui-même et ses biens, quand il s’est agi
d’un étranger à recevoir, il osa à
peine s’en remettre à son épouse avant de l’avoir éprouvée.
Que dire de plus, mes frères ? Son hospitalité
était si sainte, toujours préparée par de saintes
mains, qu’elle a invité Dieu-Lui-même, qu’elle
L’a forcé à devenir son Hôte.
Il est venu chez Abraham, au repos des pauvres, Il vient là où l’on reçoit les pauvres, Lui qui déclarera plus tard que c’est Lui qui est reçu dans le pauvre et l’étranger, quand Il dira : J’avais faim, et vous m’avez donné à manger. J’avais soif, et vous m’avez donné à boire. J’étais étranger, et vous m’avez reçu. Ce n’est donc pas sans raison qu’Abraham reçoit tous les saints dans le repos, et qu’il remplit le rôle de dispensateur de la béatitude céleste. Parce qu’en recevant toujours ici-bas les étrangers et les pauvres, il a mérité de recevoir Dieu avec les anges, de voir Dieu dans sa tente comme un hôte, le Dieu qui avait toujours été son Pourvoyeur. Et, en toute vérité, mes frères, il se serait trouvé peu heureux si, dans la gloire céleste, il avait été privé du pieux devoir de l’hospitalité. Et il se contenterait de jouir des seuls dons divins, lui qui se croirait cruel, s’il refusait les biens humains à quiconque ? Abraham, mes frères, va toujours à l’encontre de ceux qui arrivent de loin; il invite courtoisement ceux qui passent tout droit; et ceux qui refusent, il les force à venir à sa table, en allant jusqu’à les supplier. Pour ses visiteurs, il prélève toujours le veau gras de son troupeau; et par ses propres mains ou les mains de son épouse, il le dépose sur la table, offre toujours les pains que la politesse ne permettait pas de présenter froids ou secs.
Mais cet autre riche, prisonnier des richesses, esclave des biens matériels, entravé par ses revenus, n’a qu’un sépulcre que la pompe mondaine rend ignoble, où ni l’œil ni l’oreille ne trouvent rien de pieux. Ce n’est pas une personne, ce n’est pas un pauvre, mais la Miséricorde qu’il a méprisée, quand il a dédaigné Lazare gisant à sa porte. Une âme cruelle nourrissait des entrailles de fer dans des banquets exquis, revêtue d’habits soyeux, de pourpre ou de lin fin. Dieu, le Scrutateur impartial du salut humain, désirant l’amollir, ne jette pas à sa porte Lazare, mais la fonderie de sa piété. Je dis fonderie à cause de ses entrailles de fer. Le mendiant Lazare est donc placé devant des yeux impies; et, pour que le riche puisse donner, il voit ses profits s’accroitre de plus en plus. Mais le riche, plus dur que le diamant, dépensait honteusement ou enterrait cruellement toute l’augmentation du profit que Dieu donnait, pour que le riche fasse l’aumône au pauvre.
Mais Dieu, ne voulant pas se taire mais interpeller et avertir le riche, lui montre que le pauvre affamé ne demande que du pain. Pour induire le riche propriétaire à une légère aumône, Il augmente la faim du pauvre. Il désirait assouvir sa faim avec les miettes qui tombaient de la table. Mais le riche, gorgé de mets délicats, les vomissait en éructant en direction du ciel, pour ne pas entendre la voix du pauvre qui gisait par terre. De plus, Dieu, constatant que la bouche d’un plaignant n’avait aucun effet sur qui se bouchait les oreilles, couvrit de plaies tout le corps du pauvre, pour ouvrir le cœur du riche; pour qu’il y ait autant de bouches que de plaies à avertir le riche. Les viscères se dissolvent, les ulcères apparaissent, les blessures s’élargissent, les abcès crèvent et le pus se répand; et toute la chair du pauvre est recomposée pour devenir un spectacle pitoyable; pour que celui que la voix de l’affamé n’a pas ému le soit par les soupirs, les douleurs, les gémissements et l’accumulation de tant de misères. Mais l’œil superbe et le cœur insatiable du riche dédaignent regarder, entendre ces choses et y compatir. Dieu se demande ensuite comment il pourra arracher le riche à son obstination. Il a disloqué les mains du pauvre de ses épaules pour qu’il n’éloigne pas les chiens du riche, qu’il nourrissait avec ses plaies, pour la plus grande blessure du riche. Et il s’est fait mes frères, un renversement étonnant dans l’ordre de la bienveillance : c’est la mendicité qui a donné, et la cupidité s’est révélée inhumaine. Le riche n’a pas nourri le pauvre des miettes qui tombaient de sa table; et le pauvre, qui ne possédait rien d’autre, a charitablement nourri les chiens de sa chair. Malheureux riche ! Si tu ne lui as pas donné de pain , pourquoi n’as-tu pas éloigné les chiens ? Mais tes chiens sont plus doux que toi, ou tu es plus cruel que tes chiens, car eux épargnent celui que tu châties. Ils ne s’avancent pas pour le mordre, mais pour l’aider en le léchant; non pour aviver ses plaies, mais pour les nettoyer à la matière d’une éponge. Riche, dans tes chiens, la piété a vaincu la faim; mais en toi, la satiété n’a pas éveillé la pitié. Car ce que les chiens cherchaient à faire en agissant ainsi, le démontre leur comportement que nous observons tous les jours. Car les chiens guérissent leurs plaies en les léchant. Les chiens soignent le pauvre avec un savoir-faire hérité de la nature; et l’homme néglige l’homme, subissant la condamnation de la nature. Il n’est que trop vrai, mes frères, que le riche ne peut même pas donner de miettes, tant il agit sous l’emprise de l’avarice. Remettons le reste à plus tard, mes frères, parce que nous avons dépassé le temps alloué à la prédication, et que nous traiterons ce qui reste du récit, dans le prochain sermon.
122ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
Mon sermon devrait aujourd’hui rapporter les vertus de saint André, autant que le sujet l’exige. Mais nous nous étions engagé à revenir sur ce qui reste à dire sur le mauvais riche et Lazare, le pauvre évangélique. Que la prérogative de l’apostolat et du martyre de saint André suffise pour justifier sa gloire; et, si vous le voulez bien, accomplissons, avec le secours de Dieu, ce que nous avons promis , et ce que nous vous devons. Sachant que chez le prédicateur aussi bien que chez l’auditeur, la fatigue engendre l’ennui, nous avions remis à plus tard de terminer le commentaire de la parabole, pour que des forces neuves nous permettent d’écouter avec toute l’attention requise la parole de Dieu. Voici ce qui vient après ce que nous avons déjà vu. Et élevant les yeux alors qu’il était dans les tourments, il vit Abraham de loin, et Lazare dans son sein.
Et élevant les yeux. C’est bien tardivement que le riche lève les yeux, lui qui les abaissait toujours vers la terre. Riche, les yeux que tu lèves, ce sont eux qui sont tes accusateurs. Les yeux que tu lèves n’apaisent pas le Juge, mais L’indigne. Ils ne t’obtiennent pas le pardon, mais la punition. Ils exigent l’intensification des peines, non leur soulagement. Pourquoi lèves-tu les yeux ? Que réclames-tu encore, riche ? Où regardes-tu, riche ? Là est Lazare, là est l’accusateur de ton impiété, le témoin de ton crime, l’affirmateur de ta cruauté, Et il cria : Père Abraham, aie pitié de moi ! C’est maintenant que tu le reconnais pour ton père ? Non, tu ne le connais pas pour ton père, Celui dont tu as méprisé la paternité en Lazare. Le Juste se porte maintenant à ta rencontre, Lui qui, alors, parce qu’Il avait pitié de toi, avait permis que Lazare soit accablé de souffrances. Malheureux , que l’Origine elle-même récuse , que l’Auteur lui-même de la lumière condamne. Malheureux es-tu, toi, dont la grandeur du crime ne permet, en jugeant, ni au Géniteur d’avoir pitié, ni au Père de pardonner, ni a l’Amour d’aider. Que demandes-tu encore, riche ? Riche, tu l’es encore, mais de crimes, non de pièces d’or; mais de châtiments, non de biens. Que réclames-tu, que demandes-tu ? Ce lieu ne reçoit par les demandes, mais la controverse, puisque celui qui souffre demeure dans un autre lieu. Un agit de près, l’autre de loin. L’un murmure à partir du sein, l’autre crie depuis le tartare. L’un exhorte dans le lieu du repos, l’autre se plaint dans le lieu de la peine.
Mais que dit le riche ? Père Abraham, aie pitié de moi ! Il aurait raison de parler ainsi si Lazare, qui réside dans le sein du Juge, n’en occupait pas le cœur. Il aurait raison de parler ainsi si le juste Lazare ne possédait pas tous les secrets du Connaisseur des cœurs. C’en vain qu’il supplie le Juge, puisque l’innocent confesseur l’accuse. Et c’est en vain qu’il pense que le Juge peut lui venir en aide, quand parle par la bouche du Juge celui qui a souffert tant de maux. Aie pitié de moi, et envoie Lazare. Tu en veux encore à Lazare, dans ta cruauté ? Envoie Lazare. Où ? Du sein d’Abraham à l’enfer, de la sublimité du trône à la profondeur du chaos, de la sainteté du repos, du si grand silence des bienheureux à la rigueur des tourments. Et envoie Lazare. D’après ce que je comprends, ce qui le fait souffrir ce n’est pas tant une nouvelle douleur que sa jalousie invétérée : le ciel le brûle davantage que l’enfer. C’est pour les damnés un grand mal, un incendie insupportable que de voir heureux ceux qu’ils avaient auparavant méprisés. Le riche ne dépose pas encore sa malice; la punition a déjà pris possession de lui, puisqu’il ne demande pas d’être conduit vers Lazare, mais qu’il veut que Lazare lui soit amené. Sur ton lit de tortures, riche, Lazare ne peut pas être envoyé, parce que tu ne l’as pas jugé digne d’être admis à ta table. Les sorts sont renversés. Tu vois la gloire de celui dont du as méprisé le supplice. Il voit maintenant tes tourments, lui qui avait été ébloui par ta gloire terrestre.
Mais voyons mes frères pourquoi il supplie qu’on lui envoie Lazare. Envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans de l’eau, et rafraîchisse ma langue. Tu te trompes, riche, cette flamme ne consume pas tant ta langue que ton esprit, non pas tant ton corps que ton cœur. Mais elle n’est encore que la chaleur de ta conscience, non cet incendie extrême qui t’attend et qui demeurera toujours. Car si tout le feu du Juge ultime t’enveloppait, et si la sentence de condamnation te maintenait dans un état de désespoir, tu ne lèverais pas les yeux, tu n’oserais pas parler à ton père, tu n’oserais jamais l’appeler à ta rescousse, tu n’oserais pas intervenir en faveur de tes frères. Car si tout le feu de l’enfer te possède déjà, si la flamme de la géhenne t’encercle déjà, pourquoi désires-tu être soulagé des seules brûlures de ta langue ? A moins que ce soit parce que. pendant que ton cœur palpite sous la flamme de son crime et de sa culpabilité, ta langue brûle, s’enflamme et se consume davantage parce qu’elle a insulté le pauvre en lui déniant le secours de la pitié. C’est la langue qui est jugée d’abord, c’est elle qui goûte et subit d’abord les tourments, puisqu’elle a été la première à déguster les mets exquis et délicieux, à siroter les coupes parfumées. . Elle n’a pas voulu recommander la pitié, elle n’a pas ordonné qu’on exerce la miséricorde, mais elle dérogeait à une loi établie par les autres.
C’est celui-là même qui était revêtu d’habits de pourpre et de fin lin. Mais qu’est-ce donc qu’un riche ? Le lin fin le défend-t-il contre le feu ? La pourpre résiste-t-elle à l’enfer ? Ces choses-là sont restées sur la terre. Elles t’ont abandonné. Et toi, maintenant, dépouillé de tout, complètement nu , tu sues et tu as chaud, toi qui insultais autrefois celui qui était vêtu d’une nudité qui l’exposait à toutes les intempéries. Et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans de l’eau. et qu’il rafraîchisse ma langue. Qu’est-ce que c’est donc qu’un riche ? Où sont les torrents de tes pressoirs ? Où sont les greniers agrandis plus par la cupidité que par l’abondance des récoltes, pour affamer le pauvre ? Où sont les bouteilles de vin conservées, pour en priver le pauvre, pendant de longues années, au point d’en perdre le souvenir ? Où sont donc les courbettes de tes serviteurs, leur empressement à te servir, et leurs escadrons ? Toutes ces choses sont disparues pour toi, non pour le crime, car si tu avais seulement donné au pauvre une goutte de ton petit doigt pour étancher sa soif, tu ne souffrirais pas de la soif. Une goutte d’eau t’a rendu sans cœur, et une miette de pain t’a rendu inhumain, choses dans lesquels consistent toute l’alimentation et la vie du pauvre. J’aimerais savoir, riche, si, dans ton châtiment, tu te pardonnes à toi-même, parce que tu ne serais pas parvenu à ces maux, si tu avais soutiré de tes immenses greniers une miette de pain, si tu avais donné une goutte d’eau à tant de souffrances. La chair a besoin de peu : ce que la nature exige, ce qui suffit à la vie. C’est l’avarice qui est cause que le riche entasse de nombreuses et bonnes choses, à son propre détriment et à celui de ses successeurs.
Mais tu dis, riche
: Même si je me suis refusé le vin, je demande
de l’eau, que l’Auteur lui-même des êtres et la nature
ont accordé indifféremment à tout ce qui vit.
Je pense, riche, que tu es allé jusqu’à refuser de
l’eau au pauvre, sur qui tu as lancé tes chiens avant
qu’il ne franchisse le seuil de ta porte, ou avant qu’il ne s’approche
de la margelle de ton puits. Mais qu’est-ce que tu dis,
enfin ? Envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son petit
doigt dans l’eau, sans apporter l’eau elle-même ?
L’eau est donc toute proche ? Et si l’eau est si proche,
pourquoi ne prends-tu pas ce qui est à ta portée ?
Pourquoi ? Parce que c’est en toute justice que tes mains sont
devenues percluses, riche, parce que tu as
dédaigné de subvenir aux mains de Lazare rendues impotentes
par l’épuisement. L’homme doit faire en sorte que ses
membres les plus vigoureux portent assistance aux plus débiles.
Job qui donnait, mais qui ne rendait pas en retour ce qu’il avait déjà
reçu, a dit : J’ai été l’œil des aveugles,
le pied des boiteux. J’étais le père des invalides.
Homme, si tu n’as
pas d’argent, donne la main au pauvre, car il fait un plus
grand acte de miséricorde celui qui conduit par la main à
sa table le pauvre chancelant. Il s’est Lui-même donné
au pauvre Celui qui s’est incarné pour rendre hommage au pauvre,
pour se mettre au service des pauvres. De nouveau, mes
frères, remettons à plus tard de compléter l’explication
de cette parabole, pour que, dans un troisième sermon, nous
puissions commenter la réponse qu’Abraham a donnée au riche.
123ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(3ème sermon sur
le Lazare et le mauvais riche)
C’est le propre d’un débiteur qui n’est pas consciencieux de remettre à plus tard le paiement de ses dettes, ou de ne pas honorer ses promesses. Nous avons promis de rendre compte de tout ce qui reste à dire sur le riche qui, en se montrant inhumain envers Lazare, a été encore plus féroce et plus cruel envers lui-même. Ce que le riche a demandé à Abraham, l’ont déjà déclaré le saint évangéliste et notre sermon, autant qu’il l’a pu : Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans l’eau et qu’il me rafraîchisse la langue, car je souffre cruellement dans cette flamme. Mais Abraham lui répondit : Fils, tu as reçu des biens pendant ta vie. O étonnante piété ! Il appelle encore fils celui dont il voit la dégénérescence, causée par sa propre cruauté. O bonté singulière ! Il appelle encore fils celui qu’il considère comme un autochtone de l’enfer, comme quelqu’un né pour les châtiments, comme quelqu’un qui appartient de droit à la géhenne. Mais il l’appelle fils pour mettre en lumière son impiété filiale, tant que perdure, envers lui, la piété de la semonce paternelle . Tu m’appelles père, je t’appelle donc fils, pour que tu te lamentes encore plus d’avoir perdu ce que te donnait la naissance. Je t’appelle encore fils, pour que tu déplores plus amèrement d’avoir perdu ce que t’avaient donné la grâce et la nature. Cat la douleur de ne rien recevoir de toutes ces choses est moins grande que celle de les avoir perdues après les avoir reçues. Je t’appelle fils pour que tu comprennes que tes souffrances proviennent du jugement qui a été porté sur toi, et non d’une haine aveugle. Je t’appelle fils pour qu’en moi demeure ma patience, et en toi, ta punition.
Mais lui, mes frères, comprend qu’il n’est plus son fils; il admet que c’est de sa faute s’il a perdu le père que la nature lui avait donné. Il aurait prouvé qu’il était le fils d’un tel père s’il avait été miséricordieux, hospitalier, charitable, serviable envers les pauvres. Celui qui ne fait pas les œuvres de son père renie sa parenté, conformément à l’enseignement du Seigneur : Si vous étiez les fils d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham ! Celui qui manifeste les œuvres de son père donne la preuve irréfutable de son origine.
Mais que répond Abraham : Mon fils, tu as reçu des biens pendant ta vie. Si le seul crime de ce riche est d’avoir reçu des biens, quel n’est pas le crime de celui qui a usurpé les biens d’autrui ? S’il est si coupable celui qui enterre ses biens, qui ne donne pas libéralement aux autres ce qu’il a reçu, que sera celui qui veille jalousement sur eux, et s’empare du bien d’autrui ? Mes frères, donnons nos biens, s’ils sont vraiment nôtres. Donnons quand même ce que nous pensons nous appartenir. Évitons de prendre ce qui appartient à autrui, rejetons ce qui nous est étranger. S’il nous arrivait jamais de prendre quelque chose à quelqu’un, en toute hâte, il faudrait le lui rapporter. De peur que, après avoir laissé tous nos biens ici-bas, nous soyons amenés près de ce riche, pauvres des biens de la terre, et riches de crimes. Qu’il apprenne le riche que les biens qu’il avait reçus ne lui étaient pas dus. Vous voyez, mes frères, qu’à la parole de saint Abraham, l’âme du riche apparaît au grand jour, son sens pratique est condamné, son intelligence punie, lui qui croyait que tout ce qu’il possédait de la largesse divine, ne lui avait pas été donné mais rendu. Comprenez de quelle façon s’est conduit, de quel cœur a marché celui qui croyait que Dieu était son débiteur, et qui, par ses usures, pensait avoir rendu le Seigneur redevable envers lui. Ignorant que le Seigneur, s’Il descend pauvre sur la terre, remonte riche dans le ciel. Et Celui qui a donné à l’un cinq talents, à un autre deux, à un autre un, n’a pas gagné à la bourse ce qu’Il a donné. C’est pourquoi il promet de retirer l’intérêt, non de le rendre quand il dit à son serviteur : Serviteur mauvais et paresseux. Si tu avais placé mon argent chez un banquier, je serais venu le reprendre avec les intérêts. Ce riche est encore plus impie parce qu’il n’a pas été miséricordieux envers autrui. Même s’il a reçu des biens, il n’a pas reçu des biens à cause de ses bonnes actions; mais il a reçu indignement des biens pendant qu’il commettait le mal.
Mais revenons à Lazare, et demandons-nous pourquoi Abraham a dit : Et Lazare semblablement a reçu des maux. Le seul fait d’avoir reçu des maux, sans avoir jamais rien fait de bien, suffirait-il à rendre sa vie méritoire, à le faire basculer dans la gloire ? Il est pleinement heureux, mes frères, celui qui croit fidèlement que c’est de Dieu qu’il a reçu les biens et les maux. Bienheureux celui qui rend toujours à Dieu ce qu’il Lui doit. Si il ne le peut pas, qu’il demande en toute humilité que ses dettes soient remises, selon l’enseignement de son Maître : Dites : remettez-nous nos dettes. Bienheureux celui qui paie ses dettes à Dieu, même quand il n’a pas conscience d’en avoir contracté, selon le profond enseignement du Prophète : J’ai restitué ce que je n’avais pas dérobé. Bienheureux celui qui, pour être excusé, s’accuse toujours devant Dieu, selon cet avertissement de l’Écriture : Au tout début de son discours, le juste s’accuse lui-même. S’il est juste, pourquoi s’accuse-t-il ? Parce qu’aucun vivant n’est justifié devant Dieu. L’homme se glorifie peut-être devant l’homme de sa justice, de son innocence, de son mérite. Mais celui qui, devant Dieu, se targue de son innocence, se glorifie de sa justice, n’est point un homme. Voilà pourquoi le pharisien est injuste et pire que le publicain en sortant du temple, car il n’y était pas allé pour prier, mais pour faire étalage de ses actes de justice, pour se les attribuer, pour s’en vanter.
Mais revenons à ce qui reste. Lui, maintenant, est consolé. Toi, tu es tourmenté. Voyez, mes frères, comprenez, mes frères, ce que nous dit l’Ecriture : les lieux étaient différents, mais une seule région, celle de l’enfer, logeait les justes et les injustes. La demeure céleste ne séparait pas encore ceux qui étaient dans le grand chaos. Et même si un abime les isolait, n’était pas encore accordée aux justes l’altitude céleste qui est celle des anges. Une lance enflammée (comme le rapporte le législateur) se déplaçait tout autour de la porte du paradis pour en interdire à l’homme l’entrée. L’entrée de l’enfer était fermée par des portes d’airain, et des montants en fer. pour ne pas permettre d’évasion aux âmes qui, du ciel, étaient tombées là. Car le document manuscrit de la dette paternelle, qui adjugeait tous et chacun à la mort, et que le poinçon pour écrire de la faute et l’encre de la culpabilité conservaient écrit, ainsi que les intérêts de la dette qui couraient depuis tant de siècles, conspiraient au préjudice de la descendance. Personne n’était apte à entrer dans le paradis, à éteindre la flamme placée par Dieu, à ouvrir les portes de l’enfer, verrouillées par le ciel. Personne n’avait ce qu’il faut pour détruire le document écrit de la main d’Adam, qu’un précepte de Dieu, pour le conserver, avait enfermé dans l’arche de la loi. Voilà pourquoi le Seigneur Lui-même S’est banni du ciel pour venir au secours du premier homme, de son serviteur contumace. Le même Seigneur qui avait interdit à l’homme le paradis, qui avait fermé l’enfer, est descendu sur la terre et dans les enfers avec toute Sa puissance, pour éteindre la flamme, pour ouvrir les portes fermées, et abolir le crime de celui qui a été façonné le premier. Voilà pourquoi Il porte le bélier de sa croix quand Il attaque l’enfer, pour fracasser et mettre en pièces les portes d’airain, bardées de fer, du tartare. De Son côté percé, Il a laissé couler de l’eau, pour tempérer la voie du paradis. pour éteindre le feu de l’enfer qui se trouvait à proximité des saints, pour déchirer tout le parchemin de la faute, pour effacer la dette atavique, et pour, en souffrant, remettre la peine qu’Il avait Lui-même imposée. Reconnaissez-le, mes frères, et réjouissez-vous-en. Après le triomphe du Christ, la prison des saints a été dissoute, et les saints ne devaient plus rien à l’enfer. Cela s’est passé quand le Christ a pénétré dans les enfers pour y libérer les justes, non les injustes. Comprenons, mes frères, tous les bienfaits que le Christ nous a valus. A un point tel que, sans le Christ, personne n’aurait obtenu le salut, puisque, après la séparation d’avec leurs corps, les âmes étaient retenues prisonnières dans les enfers. Béni soit Lazare qui n’avait contracté de dettes qu’envers Dieu, pour ne rien devoir au crime ! Béni soit Lazare qui a ici reçu tant de maux pour posséder là-bas tous les biens !
Et Abraham ajoute ces paroles : Personne ne peut d’ici passer jusqu’à vous; et personne ne peut de là-bas traverser jusqu’à nous. Oui, mes frères, le son de cette voix nous terrifie. Elle nous démontre que ceux qui, après la mort, ont été, une fois pour toutes, envoyés aux enfers dans la prison du châtiment, ne peuvent plus être transférés dans le repos des saints, à moins que, déjà rachetés par la grâce du Christ, ils soient délivrés de cette situation désespérée par l’intercession de la sainte église. Car ce que dénie la sentence du Juge , l’Eglise le mérite, la grâce l’accorde.
Mais ce riche implore encore en disant : Père Abraham. Il invoque encore Abraham, lui qui a perdu par sa faute et son père et sa patrie. Père Abraham. Dans sa misère et sa punition, il ment. Père Abraham, envoyez-le dans la maison de mon père. Donne-t-il vraiment le titre de père à Abraham celui qui s’enquiert du domaine d’un autre père ? A moins qu’il croie n’avoir un père qu’en l’absence de l’autre, qu’il a conscience d’avoir perdu en cette vie en agissant ainsi. ¸Et il pense que la maison de son père est conservée pour lui ; et là où il voit que le sein du père lui être refusé, il constate que la paix lui échappe encore davantage. Père Abraham, envoie-le. Qui ? Lazare, bien sûr. Où ? Dans la maison de mon père. C’est bien tard pour le riche de penser à inviter Lazare dans la maison de son père; et il ne l’invite pas parce qu’il a pitié du pauvre, mais pour qu’on ait pitié de lui-même. Il invite maintenant celui-là même que, au temps de son bien-être, il n’a pas reçu, quand il était perclus de douleurs auprès de sa porte. Et sous prétexte de pitié, il veut que Lazare retourne à ses gémissements d’autrefois, tout en sachant qu’il n’avait pas rappelé le miséreux de ses tourments quand il le lui avait demandé. Il avait dit auparavant : Envoi-le-moi. Maintenant il dit : Envoie-le à mes frères. Il se trouble, il s’agite le malheureux pour ne pas voir dans la joie celui qu’hier encore, il considérait malheureux. Envoie-le vers mes frères ! Où ? Dans la maison de mon père. Pourquoi ? Car j’ai là cinq frères. Pour qu’il leur soit un témoignage afin qu’ils ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de tortures. De qui peut-il avoir pitié celui qui a été si impitoyable envers lui-même ? C’est avec impudence qu’il présume pouvoir obtenir que les autres fassent pénitence, lui qui fut assez cruel envers lui-même pour ne rien tenter qui lui procurât le pardon. Envoie Lazare dans la maison de mon père, car j’ai là cinq frères. Et tu penses qu’à tes cinq frères Lazare suffirait à lui seul, alors que, pendant si longtemps, les reproches de ses plaies et de tout son corps meurtri n’ont rien pu sur toi ?
Lazare a eu raison de lui
répondre : Ils ont Moïse et les Prophètes.
Qu’ils les écoutent ! Laisse Lazare se reposer
après tant de labeurs, et toi, supporte les peines qui t’ont été
infligées justement. . Dieu depuis toujours voit au
salut de tes frères et de tous, non sur ton avis, mais
dans sa Providence. Il a donné la loi par Moïse,
il a fait le don de la prophétie par Elie. Qu’ils les écoutent
donc, s’ils ne veulent pas goûter à tes tourments.
Le riche lui répondit : Non, père Abraham, mais
si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils croiront
en lui. Rien n’est plus vrai, mes frères. Celui qui
n’a pas voulu croire à Celui qui parle du haut du ciel par
la loi; qui n’a pas voulu croire que le Christ viendrait du
ciel, ne méritera pas de croire à quelqu’un qui revient
des enfers. Le Christ Lui-même, qui est Dieu et notre
Seigneur, est venu du ciel vers Moïse; et sur la terre
Il a parlé dans un corps terrestre, et avec un corps terrestre
est revenu des enfers. Et pourtant, à Celui qui
rapportait quels sont les biens du ciel et quels sont les maux des
enfers, les tribus israélites, symbolisées par
ce riche, ont refusé de croire avec une grande obstination.
Ce qu’est le riche, ce qu’est Lazare et quels sont les cinq frères,
le temps nous manque maintenant pour l’expliquer. Il
ne nous permet pas de révéler le sens spirituel latent de
cette histoire . Instruits par le Christ de ce
qui attend les justes auprès de Lui-même, et du sort
réservé aux injustes dans l’enfer, démenons-nous,
courons, en usant de la parole, des œuvres et de la miséricorde,
pour que nous puissions saisir les biens surnaturels, et pour que
la crainte de l’enfer nous fasse éviter et fuir les maux.
124ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(4ème sermon sur
Lazare et le mauvais riche)
Toutes les fois que Dieu nous présente un riche en habits somptueux, toutes les fois qu’Il approche de nous un pauvre couvert de plaies, Il nous donne l’occasion d’exercer la miséricorde, il nous ouvre le stade de la pitié, pour que ce spectacle céleste nous fasse toucher du doigt avec quelle rapidité le pauvre parvient à la palme, et le riche à la ruine. Un homme était riche. Il était vêtu d’habits de pourpre et de fin lin, et il festoyait splendidement à chaque jour. Et il y avait un mendiant du nom de Lazare qui gisait près de sa porte, désirant assouvir sa faim avec les miettes de pain qui tombaient de la table du riche.
Le riche était vêtu de pourpre, le pauvre de taches livides; le riche de fin lin, le pauvre de haillons; le riche d’or, le pauvre de vermines. Le riche reposait sur son lit de table capitonné en forme de S, le pauvre était couché sur la dure. Le riche éructait sa nourriture, le pauvre exhalait de mauvaises odeurs. Le riche versait le vin, le pauvre ses larmes. Rassasié, le riche jetait ses pains à la poubelle; le pauvre affamé n’avait même pas de miettes de pain. Le riche nourrissait de ses mets ceux qui aboyaient contre le pauvre, le pauvre rassasiait les chiens de ses blessures. Et, pour ne rien dire de plus, nous lisons que tous les biens ont été accordés au riche, et au pauvre tous les maux.
Les adversités n’ont pourtant pas brisé le pauvre, et tout n’a pas été profitable au riche. Loin de là. La pauvreté a conduit le pauvre à la sagesse, la douleur à la vertu, le mépris à la patience, ce qui est nécessaire à ce qui est volontaire, la faim au jeûne, la soif à la tempérance, la mort à la vie, la peine à la récompense, la terre au ciel, la privation de tout au royaume. La pourpre a enflé la tête du riche et en a fait un orgueilleux. Le fin lin l’a conduit à la luxure, la richesse à l’inhumanité, l’abondance à l’impiété, les onguents à la lascivité, la splendeur à la cécité, la pompe à la ruine. La prospérité n’ennoblit pas les veules, et les adversités n’abattent pas les pugnaces . Car ce ne sont ni les richesses ni la pauvreté, mais l’âme, qui conduisent à la reconnaissance ceux qui sont reconnaissants, et à la punition les ingrats. Le pauvre couvert d’ulcères est placé près de la porte du riche. Cet évènement ne s’est pas produit par hasard, mais par un décret divin, pour que le combat qui s’engageait entre le riche et le pauvre demeure un spectacle pour le ciel. Le riche se tenait debout revêtu des armes de sa richesse, et le pauvre était couché par terre revêtu de son corps comme cuirasse, qui n’était qu’une seule plaie. Le riche se régalait de la danse en rond et en chœur de ses serviteurs pendant que le pauvre, dépouillé de sa peau, ne répondait qu’aux stimuli de ses douleurs. Le riche lançait les traits de l’impiété, et le pauvre lui opposait le bouclier de la commisération. Le riche dardait sa cruauté dans la plaie du pauvre, mais le courage du pauvre frustrait l’âme criminelle du riche. Parce que, le corps du pauvre se désagrégeant, la force musculaire était passée dans l’âme, et, la chair foulée aux pieds, le combattant s’était spiritualisé, pour que la cruauté du riche ne puisse trouver où frapper.
Dieu avait tout planifié pour que le pauvre soit toujours devant les yeux du riche, et le riche devant les yeux du pauvre, pour qu’ils puissent se secourir mutuellement dans leurs diverses maladies. Le pauvre était malade du corps, le riche de l’âme. La cure qu’administrait le pauvre différait de celle du riche en ceci précisément que le riche avait à tirer un médicament de la blessure du pauvre, la componction de ses gémissements, la pénitence de ses larmes, l’exemple de sa patience, la miséricorde de sa faim, le bon sens de sa soif; et, pour le dire en un mot, un compagnonnage céleste de la compassion terrestre. Pour que le riche comblé de biens rende grâce à Dieu autant que le pauvre rend grâce à Dieu dans tous ses malheurs, au vu et au su du riche. C’est donc en toute justice qui celui qui gisait par terre a été emporté par les anges. Celui qui pleurait a été consolé dans le sein d’Abraham. Et il vit toujours pour Dieu celui qui, sur terre, n’a pas su vivre pour lui.
Il arriva que le pauvre mourut, et il fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli dans l’enfer. Le misérable a reçu la sépulture de l’âme avant celle du corps, et il a été livré au sépulcre de la punition avant de l’être au repos du corps, pour qu’après être mort une fois pour toutes à la vie, il vive de la punition. Et il a été enseveli dans l’enfer. Et il vit Abraham de loin, et Lazare dans son sein. Quel renversement de destinées ! Jusqu’où est descendu le riche ! Jusqu’où est monté le pauvre ! Il a levé ses yeux là-bas vers celui sur lequel il ne daigna pas abaisser ses regards sur la terre. Et il voit de son enfer dans le sein d’Abraham celui qu’il ne voyait pas couché par terre, du haut de son superbe lit de table en forme de S.
Père Abraham, aie pitié de moi ! Il demande sottement à son père une miséricorde qu’il avait refusée à son frère. Aie pitié de moi ! Qu’a-t-il désormais à voir avec la miséricorde, celui pour qui tout se termine en peine ? Qu’est-ce que cette supplication peut obtenir du père, dans le sein duquel se niche l’accusateur du riche ? Lazare a pris possession du cœur du père, et pousse le saint cœur à la justice. Comme il se conduit en père envers les bons fils, qu’il se conduise en juge envers les mauvais. Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir ma langue, parce que je souffre cruellement dans cette flamme. Il a soif de la goutte qu’il a répandue par terre, quand le pauvre avait soif d’une coupe de vin. Et il pense pouvoir éteindre les flammes de l’enfer avec le bout du petit doigt lui qui, avec ces mesures, n’a pas éteint les incendies de son ébriété qui faisait rage pendant tout le jour. Mais la goutte qu’il demande pour son rafraîchissement, c’est celle qu’il a refusée à la gorge altérée du pauvre. C’est cette goutte, riche, qui t’a rendu cruel. Cette goutte que tu as refusée à Lazare, c’est elle qui a asséché son gosier, car, pour le rafraîchissement du corps, la goutte et la miette suffisent. Voulant assouvir sa faim avec les miettes qui tombaient de la table du riche. Il épargnait le pain, il gaspillait le vin; et ce qui était refusé au pauvre pour l’empêcher de mourir, était enseveli en entier dans le luxe et le faste. Et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue. La langue est pour la tête le leader du mal. C’est elle qui se détourne de l’indigent, qui insulte le pauvre, qui aboie après la pitié , qui met en pièces la miséricorde, et à qui il a été donné d’exercer le commandement.
Le commentaire de la lecture
m’oblige moi, à vous dire et vous à écouter,
qui est ce riche aux habits somptueux, qui est le pauvre Lazare,
qui sont les cinq frères du riche, et comment, avant
le jour du jugement, le riche peut sentir les tourments de
la géhenne. Néanmoins, la douleur me force à
vous redire : Le riche mourut, et il fut enseveli dans
l’enfer. Et s’il est sous terre une prison, s’il
y a une fournaise ardente, s’il y a un enfer qui tourmente sans fin
les âmes, s’il existe un sinistre huissier, qui nous y écroue
après les labeurs de la vie, de quoi nous étonner encore
? Qu’est-ce que la terre que nous habitons ? Quel
est celui qui n’en perd pas le sommeil ? Quel est cet oubli mortel
qui s’est emparé de nous ? Pourquoi notre seul souci n’est-il
pas, après avoir tout méprisé, de nous évader
de tels maux, de peur que, si nous vivons pour le monde et
si nous courons après les biens de la terre, on ne se saisisse
de nous pour nous faire subir des châtiments si cruels ?
Et s’il est possible de s’élever jusqu’aux réalités
surnaturelles, s’il est possible de vivre de façon céleste,
si le sein d’Abraham est prêt à accorder le repos à
tous les bons, si Lazare est dans le sein d’un si grand père,
je dis si, mais il n’y a pas lieu de douter puisque les lieux,
les personnes et les noms nous sont décrits, pourquoi ne changeons-nous
pas la terre en ciel ? Pourquoi n’achetons-nous pas les choses éternelles
avec les choses caduques ? Pourquoi ne nous procurons-nous pas le
permanent avec le périssable. pour éviter les supplices
de l’enfer, et pour que nous puissions voir, posséder
et tenir les choses que nous avons désirées intensément,
en en entendant parler.
125ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(L’intendant malhonnête)
De tous les aliments, le sel est le condiment le plus salubre, s’il est utilisé avec mesure. Autrement, lui-même périt, et périt également ce qu’il a salé; car l’excès rend amer ce que la modération révèle être un bon assaisonnement. Il en va ainsi pour nous. Si notre manière de voir les choses se garde des extrêmes, elle leur donne de la saveur, elle enfante quelque chose de sensé, elle génère la prudence, elle dilate le cœur, augmente la compréhension. Elle ne dit que des choses mûrement réfléchies; elle recueille les choses dignes d’être écoutées; elle se rend délectable à elle-même, et à ceux qui la dégustent elle devient toute la plénitude de la douceur. Nous débutons par ces considérations, pour que le commentaire que nous faisons des textes évangéliques ne s’éloigne ni à gauche ni à droite du sens inspiré. Qu’il ne vicie pas la nourriture vitale, la divine pâture, la saveur céleste, mais que notre prudente sobriété les garde, selon ce mot de l’Apôtre : Ne pas goûter plus qu’il ne faut, mais sobrement. Mais écoutons ce que le Seigneur a dit :
Il y avait un homme riche. Jésus parlait souvent de ce sujet aux Juifs pour qu’ils comprennent que la Déité de l’opulence résidait dans la pauvreté humaine. Il y avait un riche. Il était riche dans sa majesté Celui qui, aux yeux des juifs, était pauvre. Et comment n’aurait-Il pas été riche Celui que les anges servaient, à Qui les vertus obéissaient, Que les éléments assistaient; à l’appel et au commandement de Qui apparaissait et venait ce qui n’existait pas ? Un homme était riche. Et il avait un régisseur d’une propriété rurale A qui, sinon à l’homme, a été remis le monde en possession pour qu’il le cultive ? Et il fut dénoncé auprès de lui. Comme s’Il n’avait pas su à l’avance, comme s’Il n’avait pas prévu Celui à qui rien n’est caché, Celui dont les yeux aperçoivent ce qui a été soustrait à la vue. Et il fut dénoncé auprès de lui. Il a donc cru au quand-dira-t-on ? C’est la rumeur populaire qui L’a instruit ? Certainement pas. Mais les choses qu’Il connaissait, que Sa piété voilait, Il a commencé à faire enquête sur elles, quand la terre les a dénoncées. La voix du sang de ton frère crie de la terre. La terre hurlait, le ciel criait, les anges s’attristaient, quand la voix publique du monde parlait. On l’accusa auprès de lui de dissiper ses biens. On lit que le puiné avait autrefois dissipé les biens de cet homme; on nous rapporte maintenant que c’est un régisseur qui a dissipé les biens du même. Comme c’est le même Christ qui est Dieu et Homme, c’est le même qui est père de famille et père. Il apparaît également que le fils et le régisseur sont une seule et même personne. Les situations sont diverses, les noms sont différents, mais les personnes sont les mêmes.
Il l’a appelé. Il l’a appelé par l’évangile. Et il lui dit. Et que ne fait-Il pas par l’évangile, par lequel Il corrige les mœurs, révèle les choses cachées, lit les pensées des cœurs, châtie les fautes, fait le dénombre des maux, menace de punir ceux qui persistent dans le péché, et promet le pardon à ceux qui y renoncent ? Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Les choses qu’Il sait Il les présente comme de simples rumeurs, parce qu’il ne veut pas précipiter la condamnation du coupable. Et Il traite comme un simple accusé celui qui avait déjà été convaincu de fraude en Sa présence, Se réjouissant de faire passer le pardon avant la condamnation. Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends compte de ton administration, car tu ne pourras plus désormais exercer ta fonction de régisseur. Pourquoi joint-Il des paroles si sévères à des paroles si amènes ? Pourquoi le prive-t-Il de sa charge de régisseur avant d’avoir pris connaissance du bilan ? Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus désormais exercer ta fonction de régisseur. Il demande des comptes, non pour l’expulser, mais pour le relâcher. Il demande, pour qu’on Lui demande. Il demande ici pour ne pas te le demander. Il le demande sur la terre pour ne pas avoir à le demander lors du jugement. Il le demande tout de suite pour ne pas exclure le temps des peines, le temps de l’expiation. Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras désormais plus exercer ta fonction de régisseur. Pourquoi ? Parce que vient la fin de la vie, le temps de la mort; déjà te pressure la nécessité de comparaître en haut; déjà t’appelle le jugement. Hâte-toi, donc, pour ne pas perdre le temps de la satisfaction, toi qui as laissé couler le temps de l’action. Rends compte de ta gestion. Ce qui signifie : Rends tes comptes. Rassemble ce qui t’appartient, de façon à ne pas te rendre ce qui m’appartient. Tu géreras pour de vrai quand tu cesseras de dissiper mes biens. Quand je t’ai embauché, j’ai assumé tes dettes antérieures. Je les ai payées pour te libérer. J’ai été répondant pour toi qui étais répondant pour moi. Juge suprême, je suis allé en jugement . J’ai été déclaré coupable par ma créature. Des mécréants j’ai reçu les peines; des condamnés à mort je n’ai pas évité la sentence. Meurtrier de la mort, j’ai reçu la mort; destructeur de l’enfer, j’ai pénétré dans les enfers. Non seulement pour te soustraire à ta punition, mais pour faire de toi un compagnon de ma Dignité. Agis donc de façon à ce que la perpétuité de ma condamnation ne t’inclue pas, toi qu’exclut le temps de ta régie.
Mais continuons pour voir ce que répondra le régisseur. Il se dit en lui-même. Que ferai-je ? Que ferai-je maintenant ? L’homme désire toujours faire le bien quand la mort enlève le temps de l’action. Il se dit en lui-même. Sa tension monte, il se gendarme contre lui-même, et met tout en œuvre à l’intérieur de lui pour s’extorquer la pénitence qu’il peut s’imposer à lui-même. Travailler de mes mains, je ne puis. Ce ne sont pas les forces qui lui manquaient pour travailler, mais le temps. Je ne peux pas travailler, j’ai honte de mendier. Il redoute la confusion qu’il ressentira devant le Juge . Alors, ce ne sera plus le temps de la pénitence, mais de la punition. Là, sa conscience le fera plus rougir que l’incendie de la géhenne. J’ai honte de mendier. Et qui ne rougit pas de mendier les biens célestes ? L’éternité hébergera comme un mendiant celui que la vie terrestre a connu riche; et le tartare gardera nu celui que le ciel aurait pu accueillir riche. Les biens présents sont destinés à tous, non à nous seuls. Malheur à nous si nous les usurpons et si nous les accaparons, nous qui, sur cette terre, ne devons pas nous prendre pour des seigneurs, mais pour des régisseurs. Ne nous a pas été échu un droit de possession perpétuelle, mais l’usufruit. Veillons à ce que ne nous précède pas auprès du père de famille l’accusation de détournement de fonds, selon ce mot de l’Apôtre : Les péchés de certains sont évidents. Ils sont antérieurs au jugement. D’autres sont commis après.
Il n’est pas parvenu
au terme fixé de sa vie celui qui a perdu volontairement le
temps de sa gestion, temps qu’il a consacré à la dissipation
des crédits. Voilà la sortie prématurée,
voilà la mort avant le jour fixé, voilà la vocation
fielleuse , voilà l’amère reddition des comptes,
semblable à la lamentation du prophète : Les hommes
de sang et de ruse ne vivront pas la moitié de leur jours.
Mais quand la maladie nous remémore notre convocation, quand
la fièvre nous exclut brutalement de la gestion des affaires,
quand l’intensité de la douleur nous résout à
remettre au Seigneur notre intendance, nous imiterons ce qu’a pensé
et fait le présent régisseur; nous nous convertirons
à la sagesse spirituelle, à la componction du cœur,
à la pénitence intérieure, au suffrage
de la miséricorde, au patronage de la pitié,
à la consultation de la confession. Bien entendu, nous
demanderons le reçu de dettes que le Seigneur a signé
de sa propre main. Et si la dette n’est pas remboursée
en entier ou à moitié, nous ferons comme ce régisseur,
nous déferons des nœuds . Pour que nous qui sommes appelés
des régisseurs d’iniquité parce que nous avons dilapidé
les biens à nous confiés, nous soyons, au dernier jour,
loués par le Juge à cause de notre pieuse fraude.
Et il a loué le régisseur d’iniquité. L’histoire
de l’intendant malhonnête rapportée par l’évangile
ne soulève pas de petites questions, car on y lit que
celui qui a été coupable en plusieurs choses a plu
à son seigneur par une seule fraude. Pourquoi
a-t-il plu à son seigneur en agissant ainsi, et qui est ce
régisseur, nous l’exposerons plus amplement, avec l’aide
de Dieu, dans le prochain sermon.
126ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le sens spirituel de
la parabole de l’intendant malhonnête)
A quel point il est avantageux, à quel point il est profitable de délier les nœuds des débiteurs, de relâcher les liens des cautions, l’ exemple du présent régisseur nous l’enseigne et nous l’inculque. En diminuant, par une ratoureuse évaluation, les dettes accumulées, il a non seulement échappé à ce que la reddition de comptes avait d’épineux et d’angoissant, mais il a obtenu du vérificateur une louange qui durera pendant les siècles. Je me sens obligé, mes frères, de vous expliquer cette leçon à cause de la promesse que je vous ai faite. Ecoutez-moi donc avec piété et patience, pour que ne pèse ni sur vous ni sur moi, une dissertation laborieuse, quand l’intelligence peut en percer le secret sans effort. Poursuivons donc ce qui suit du commentaire de la lecture. Et écoutons quel subterfuge a trouvé le régisseur.
Je sais ce que je ferai. Il convoqua tous les débiteurs de son maître et leur dit : Combien dois-tu à mon maître ? Cent casques en peau de bête d’huile. Et il lui dit : prends ta caution. assieds-toi et écris : cinquante. Puis il dit à un autre : Et toi, comment lui dois-tu ? Cent minots de blé. Et il lui dit : prends tes lettres et écris : quatre-vingt. Et le maître loua le régisseur d’iniquité parce qu’il avait agi avec prudence. Il est évident que dans les textes évangéliques que nous lisons à l’église, se trouve un grand nombre de questions obscures qui sont des mystères divins, et dont le sens spirituel est voilé. Et il n’est pas facile à la raison humaine de se soumettre aux secrets célestes que profère la bouche du Christ. Et le maître a loué le régisseur d’iniquité parce qu’il avait agi prudemment. Qu’est-ce que l’âme mondaine comprend dans cette louange ? Je le demande. Qu’est-ce que l’auditeur moyen saisit dans tout cela ? Là est louée l’invention de la fraude astucieuse du régisseur et des débiteurs. Là est spoliée l’honnêteté du débiteur, enlevée la pudeur, violée l’innocence, ensevelie la honte. Le régisseur, au moment de la reddition des comptes, y montre plus d’ardeur à frauder qu’il n’en a mis à rechercher le luxe. Il dilapide plus les biens de son maître au moment de la vérification, qu’il ne l’a fait aux jours de sa gestion. Et celui qui avait auparavant vidé les trésors de son maître en les dissipant, renverse ce qui restait, en vidant la facture de son contenu. Au lieu de chercher comment il pourrait ravauder ce qui manquait, il planifie comment il pourra diminuer ce qui reste.
Il disait au débiteur : comment dois-tu à mon maître ? Il ne lui disait pas : Comment me dois-tu ? Il circonvenait la conscience du débiteur en parlant ainsi, il testait son âme. Et pourquoi le régisseur provoquait-il le débiteur à une telle fraude, sans aucun égard pour le maître ? Combien dois-tu à mon maître ? Cent casques en peau de bête d’huile. Prends ta caution et écris cinquante. Le régisseur avait élaboré et exécuté une telle fraude pour qu’il détruise toute sa réputation en abaissant les cautions.. Combien dois-tu à mon maître ? Tous les deux savaient qu’était présent partout et toujours le Créancier céleste, qui ne pouvait pas être circonvenu par la fraude. Mais, pas même devant les yeux du Seigneur, le voleur n’a mis fin à ce qu’il avait commencé.
Admettons que ce soit dans les mœurs humaines que le débiteur cherche des compensations frauduleuses, et que le régisseur l’encourage à voler, comment expliquer que le seigneur approuve la fraude, qu’il loue les vols, fasse l’éloge de la fausseté ? Il appelle prudence la malice, et juge pieux ce qui est considéré par le plus grand nombre le pire exemple de fausseté. Que les sens charnels jugent ainsi. Que les sens spirituels, i.e. la divine lumière, fassent briller cette parabole qui, dans le régisseur malhonnête, n’est qu’une répétition de celle de l’enfant prodigue. Le peuple des Gentils est appelé régisseur d’iniquité par Mammon l’inique. Faites-vous des amis avec le Mammon d’iniquité. Il est celui qui, après avoir quitté son Créateur, s’était livré au complet à la servitude de Mammon. Quiconque est libre de cette captivité de Mammon, et qui n’est pas affaissé par le poids cruel de l’argent, a pour lieu d’observation le ciel, et de là, regarde avec mépris celui qui, dans sa fureur tyrannique, domine le monde et les mondains. Mammon commande aux peuples. Il règne sur les rois, suscite les guerres, engendre les guerriers, vend le sang, et provoque des morts. Il trahit les patries, détruit les villes, soumet les peuples, et met le feu aux citadelles. Il vexe les citoyens, préside au forum, contourne le droit, et confond ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Et conduisant à la mort, il tend des pièges à la foi, viole la vérité, et déchire la réputation. Il fait s’évanouir l’honnêteté, empoisonne les affections, et enlève l’innocence. Il ensevelit la piété, rompt les engagements, et fait s’écrouler l’amitié. Que dire de plus ? Voilà quel est Mammon, le seigneur de l’iniquité, qui domine de façon inique sur les corps et sur les esprits.
Le régisseur de ce Mammon donc, qui est une figure du peuple des Gentils, coupable d’avoir dissipé les biens de son Seigneur, est appelé par l’Evangile pour qu’il rende compte de la gestion de la propriété rurale, i.e. des biens naturels. Quand la fin du monde est annoncée, c’est alors qu’il lui est dit : Tu ne pourras plus gérer ma propriété rurale. Il a cru que , selon la parole de l’Apôtre, la figure de ce monde passe, que les temps de la gestion humaine touchent à leur fin. Et en lui-même, une fois revenu à lui, il s’interroge sur ce qu’il doit faire. Il dit en lui-même : que ferai-je ? Son cœur gémit, son esprit se lamente, la foi répond, la croyance lui donne un conseil salutaire : celui de retourner à son vrai Seigneur. En payant à Mammon, son cruel maître, ce qu’il lui doit, il en triomphera, et se soustraira à sa domination. Et ce qui était un instrument de perdition, deviendra une occasion de salut.
Il persiste le régisseur, i.e. le Gentil, et se rend au premier débiteur de son maître. Lequel ? le Juif . Il l’interroge pour savoir ce qu’il devait à son maître, comme s’il ne connaissait rien à l’endettement. En tant que porteur de la caution, il le savait déjà par l’évangile; mais, en interrogeant, il cherchait par là même à susciter une confession. A la fin, il confesse et la qualité et la quantité de la dette en disant : Cent casques en peau de bête d’huile. Pourquoi ne calcule-t-il pas en argent ou en or ? Pourquoi pas cent dix ou quatre-vingt-dix, mais cent ? Pour que de la dette et du chiffre, resplendisse le sacrement céleste. Le Juif devait l’huile que la Tora avait affectée à l’onction des rois, des prophètes et des prêtres, mais qu’elle avait reçue pour figurer l’onction chrétienne. Cette huile devait remplir sa fonction jusqu’à ce qu’elle rencontre le Prince des rois, des prophètes et des prêtres, sur Qui devait être appliquée et répandue la plénitude centenaire de l’onction. Mais parce que, infidèle à sa caution, le débiteur a tué le Créancier pour ne pas avoir à le rembourser, cette caution légale elle-même est parvenue jusqu’aux Gentils, i.e. la loi. Pour que le Juif, convaincu par le Gentil d’avoir converti la dette en crime, paie l’intérêt de la pénitence. Tu vois donc que le régisseur ne le persuade pas de frauder mais de faire pénitence; qu’il le sollicite à acquérir la miséricorde. Il ne le pousse pas à la falsification, quand il lui dit : Prends ta caution et dépêche-toi d’écrire cinquante. David nous révèle que le chiffre cinquante a un rapport avec la miséricorde, puisque le psaume cinquante chante en suppliant : Ai pitié de moi, Seigneur, selon ta grande miséricorde. Le chiffre cinquante révèle la miséricorde, puisque en la cinquantième année, qui est celle du jubilé, la loi prescrit l’abolition de toutes les dettes et de tous les contrats. Le régisseur se comporte donc de façon à ce que, par la miséricorde du Christ, le Juif devienne idoine, lui qui, par la caution de la loi, était ligoté par des dettes insolubles. Le Juif doit l’huile, car la stérilité de son incrédulité avait desséché la matière grasse de l’olivier fertile. Par la chaleur de la foi évangélique, l’huile revient dans les branches chrétiennes, et trouve une nouvelle vie dans la grâce.
Et il disait à un autre : toi, que lui dois-tu ? Il lui répondit : cent minots de froment. Après que le grain de blé, qui est le corps du Christ, a été semé dans la terre de notre chair, et a été fécondé par la sépulture du Seigneur en une moisson céleste abondante, il est arrivé que l’homme devait à son Auteur du cent pour un. A moins que le grain de froment qui tombe en terre ne meure, il demeure seul Comprenant cela, le régisseur pourvoit suffisamment au salut du débiteur en disant : Prends ta caution, et inscris quatre-vingt. Car comme le chiffre cinquante se rapporte à la miséricorde, le chiffre quatre-vingt préfigure toute la foi et la grâce. Celui qui est un connaisseur de la loi, et qui fréquente assidument l’évangile sait pertinemment que c’est le chiffre du décalogue de la loi, joint à celui de la huitaine de la grâce. C’est pourquoi, quand le régisseur dit : Ecris quatre-vingt, il fait en sorte qu’il puisse payer par la grâce ce qu’il ne pouvait pas rembourser par la nature. C’est donc à juste titre que ce régisseur a mérité la louange d’un maître qui ne s’est pas soucié de la falsification des factures, mais du salut des débiteurs.
Quand Il dit :
Les fils du siècle sont plus prudents dans leur génération,
que les fils de la lumière. il faut le comprendre ainsi :
ceux qui ont été autrefois des fils du siècle, i.e.
les Gentils, sont maintenant des élus de Dieu; et ceux
qui étaient fils de Dieu, i.e. les Juifs, ont été
laissés pour compte, comme étant des fils du siècle.
Dans leur génération. Par laquelle ils sont renés,
non par laquelle ils sont nés. Que ces choses soient
écrites pour une autre génération. L’autre
est celle de ceux qui cherchent le Seigneur. Que le Dieu de science et
d’illumination éclaire vos âmes, et répande
dans le plus intime de votre cœur toute la plénitude de sa
science !
127ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La décapitation
de saint Jean-Baptiste)
Au récit de la vertu de saint Jean, de la sauvagerie d’Hérode, nos viscères sont ébranlées, les cœurs palpitent, la vue s’assombrit, l’intelligence s’émousse, l’ouïe défaille. Que se passe-t-il dans les êtres humains quand la stature gigantesque des crimes cause la ruine de la stature gigantesque des vertus ? Hérode s’empara de Jean, le ligota et l’incarcéra.
Jean est l’école des vertus, le maître de vie, le modèle de la sainteté, la norme de la justice. Il est le miroir de la virginité, le lauréat de la pudeur, l’exemple de la chasteté, la voie de la pénitence, le pardon des pécheurs et la discipline de la foi. Jean, grand par le nom, l’égal des anges, le sommet de la loi, la sanction de l’évangile, la voix des Apôtres, le silence des Prophètes, la lumière du monde, le précurseur du Juge, celui qui prépare les voies au Seigneur, le témoin de Dieu, celui qui se tient au milieu de la révélation de toute la Trinité, est donné à un homme incestueux, est livré à une adultère. Ce n’est donc pas sans raison que nos viscères s’ébranlent et que nos cœurs palpitent.
Et Hérode est celui qui a profané le temple, qui a soudoyé le sacerdoce, a apporté le désordre, a usurpé le trône, a corrompu la religion. Dans tout ce qui a trait à la vie, à la loi, aux mœurs, à la fidélité, à la discipline, il a apporté la ruine et le désordre. Il était l’assassin de ses concitoyens, le voleur des nobles, le dévastateur de ses égaux, le prédateur des domestiques, et le bourreau de la plèbe. Il a mis à mort ses fils, massacré les étrangers, et tué des membres de sa famille. Il a enivré la terre de sa cruauté, et était toujours assoiffé de sang. Voilà pourquoi il a absorbé le sang pieux de Jean, avec l’énorme coupe de la cruauté.
Mais laissons parler le récit lui-même. Hérode s’empara de Jean et le ligota. Celui qui déliait les liens des péchés était ligoté par un pécheur; et le pardon vaincu ne laissait pas de place au pardon. Il le ligota et l’incarcéra. Hérode, tu commets l’adultère, et c’est Jean qui va en prison ! C’est ainsi que tu juges, coupable assis au tribunal ? Dans le lieu de la juste rétribution, tu persécutes l’innocence ? Je te le demande : qu’en est-il de la décence, de ta réputation, de ta conscience, de la censure publique ? Mais où donc est Dieu, où est la nature humaine ? Où est le licite , ou est la loi ? Où sont les droits de la nature? Ils sont tous là pêle-mêle, sens dessus dessous, quand c’est toi qui agis, qui juges, et qui commandes. Il s’empara de Jean, le ligota et l’incarcéra. Le motif allégué t’incrimine, les liens te dénoncent, la prison t’accuse. L’injure faite à Jean en public te trahit. Celui qui s’enquiert de la cause de l’emprisonnement trouve en toi un crime à punir, et en Jean, des raisons de pleurer.
Jean, connu de la terre entière, illustre par son renom de vertu, extrêmement célèbre par sa sainteté, fait connaître ton inceste à tous, quand il attire à lui les inquisiteurs de ton injustice. Il fait en sorte que la rumeur publique te couvre de honte, toi que n’a pas pu corriger l’admonestation secrète. Jean poursuivait Hérode de ses avertissements; il ne lui intentait pas de procès. Il recherchait son amendement, non sa destruction. Mais Hérode, brûlant des torches de la volupté, a préféré périr plutôt que rebrousser chemin , et posséder illicitement la femme de son frère. A ceux qui sont captifs des crimes, aux ennemis de l’innocence, la liberté a toujours été odieuse; la vertu a toujours été contraire aux vicieux; la sainteté insupportable aux sacrilèges; la chasteté a toujours été hostile aux impudiques. L’intégrité a toujours été pénible aux gens corrompus; la frugalité, toujours contraire aux luxurieux, la miséricorde aux cruels, la piété aux impies. La justice est toujours insupportable aux injustes. L’évangéliste nous en donne la preuve par les mots suivants : Jean lui avait dit : il ne t’est pas permis d’avoir la femme de Philippe, ton frère. Voilà comment Jean offensa Hérode, voilà l’origine de la rage d’Hérode. Celui qui dénonce les maux offense. Il encourt la haine celui qui s’élève publiquement contre les criminels. Les paroles de Jean avaient en vue la loi, la justice, le salut. Elles ne s’inspiraient pas de la haine, mais de l’amour. Voilà la récompense qu’a obtenue sa piété de la part de l’impie.
Il voulait le tuer, mais il avait peur du peuple. Il s’égare facilement loin des voies de la justice celui qui, en jugeant, ne redoute pas Dieu mais le peuple. Cette crainte de pécher peut reculer l’échéance, mais elle ne peut pas en enlever le désir. De telle sorte que ceux qu’elle a pour un temps détournés du crime, elle les rend encore plus assoiffés de crime, et l’âme enflammée, elle fait tout ce qui lui passe par la tête. La crainte de Dieu est la seule à pouvoir corriger les esprits, à mettre les crimes en fuite, à conserver l’innocence. Et elle accorde de façon ininterrompue le libre usage des facultés.
Mais écoutons la passion elle-même du très bienheureux Jean. Au jour anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa au milieu de la salle à manger, et plut à Hérode. Il lui promit donc par serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait. Or elle, instruite d’avance par sa mère, lui dit : « Donne-moi sur un plat la tête de Jean-Baptiste ». Voilà la malice antique de la femme qui éjecta Adam des délices du paradis ! C’est elle qui, des hommes célestes, fait des hommes terrestres ! C’est elle qui a envoyé en enfer le genre humain ! C’est elle qui a enlevé la vie au monde pour le fruit d’un seul arbre ! Ce mal qui a conduit les hommes à la mort, Elie le Prophète s’en éloigne; et celui dont la langue a été la clef du ciel fuit comme un coupable loin de la torche de la femme. C’est elle qui a hérité du travail pénible et de la tribulation, qui tue maintenant Jean Baptiste, qui souille l’enfance, pervertit la jeunesse, ensorcèle et affole la vieillesse moribonde. Instruite à l’avance par sa mère, elle lui demanda : « Donne-moi sur un plat la tête de Jean-Baptiste »! C’est de la poitrine de sa mère que lance un rugissement la nouvelle bête; après avoir méprisé la proie du corps, elle s’attaque à la tête pour la détacher du tronc. Le roi fut contristé de cette demande. Mais à cause de son serment fait en présence des convives, il ordonna de la lui donner. Il envoya donc quelqu’un décapiter Jean, et sa tête fut placée sur un plat, et donnée à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
Vous avez entendu, mes frères, quelle cruauté est née de la volupté, quelle impiété vient de la luxure ! Et sa tête fut placée sur un plat. La maison est transformée en arène, la salle à manger en cage à fauves. Les convives sont changés en spectateurs de cirque. Le banquet ouvre sur la fureur. La nourriture devient meurtre, le vin sang, l’anniversaire de naissance se meut en funérailles. Le déclin apparaît à la naissance. Le festin est changé en homicide. Les instruments de musique célèbrent lyriquement une tragédie séculaire. C’est une bête féroce qui entre, non une jeune fille. Elle vient pour décapiter, non pour danser. C’est une bête féroce qui parle, non une femme. Ce sont les poils de sa crinière qu’elle jette ici et là, non des cheveux. Elle dilate ses membres en se contorsionnant. Elle croît en augmentant le nombre de ses infamies, elle qui n’est pas grande par le cops mais par la cruauté. Et cette bête singulière frémit et grince des dents, tant qu’elle n’a pas attrapé sa proie. Elle ne reçoit pas d’arme mais la produit.
Que personne ne s’imagine que nous voulons tirer de ces sujets des effets oratoires ! Nous ne voulons pas faire le rhéteur, mais vous conjurer de modérer les réjouissances des jours de fête; de garder la mesure dans la célébration de vos anniversaires de naissance. Que le Christ ait sa place dans nos banquets ! Que l’on festoie en présence du Créateur ! Que l’honnêteté du banquet honore la nature qui vous a produits ! Que la joie de votre table se propage jusqu’aux pauvres ! Que votre famille danse en gardant les règles de l’innocence ! Tenez-vous loin du luxe ! Evitez le gaspillage ! Séparez-vous de la peste des mimes, des mélodies langoureuses des musiciens, de tout ce qui attise les voluptés, de tout ce qui alourdit l’estomac ! Ne noyez pas votre esprit en participant à des banquets de type hérodien, pour que votre joie présente parvienne à l’allégresse perpétuelle. Notre sermon d’aujourd’hui, mes frères, a porté autant sur Hérodiade que sur Hérode. Parce que l’auditeur comprend mieux quelle est la félicité du martyr, quand il voit la misère du persécuteur.
Il nous convient cependant
de savoir que Jean est né de sa mort, et que Hérode
est mort de sa naissance.
128ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(hommage à saint
Apollinaire)
Le bienheureux Apollinaire, le premier dans l’épiscopat, est le seul évêque à avoir honoré cette église de Ravenne par un martyre illustre à dimension nationale. Il mérite cet honneur, car selon le commandement de son Dieu, il a perdu son âme pour la retrouver dans la vie éternelle. Bienheureux est-il d’avoir terminé sa course et d’avoir conservé la foi d’une façon telle que les croyants se souviennent de lui comme le premier martyr de Ravenne.
Que personne ne croie qu’il mérite moins le titre de confesseur que celui de martyr. Au moindre signe de Dieu, on l’a vu un grand nombre de fois, et presque à chaque jour, retourner combattre. Écoute ce que dit Paul : A chaque jour je meurs. Mourir une seule fois est peu de chose pour celui qui peut souvent remporter, pour son roi, une victoire glorieuse sur les ennemis. Ce n’est pas tant la mort que la foi et la dévotion qui font le martyr. Si c’est un signe de courage à la guerre, dans la lutte corps à corps, de succomber par amour de l’Empereur, durer et se consumer dans les combats c’est porter le courage à la dernière limite. Ne pas infliger la mort immédiatement à un martyr ne signifie pas le persécuter. Parce qu’il n’a pas apostasié, le martyr est éprouvé. L’ennemi madré a lancé tous les traits qu’il a pu lancer, et toutes les différentes armes qu’il possédait Mais il n’a pas pu ébranler l’esprit du très fort guide, ni porter atteinte à sa constance. C’est une très grande chose, mes frères, de mépriser la vie présente, si la chose est nécessaire, mais c’est aussi une chose glorieuse de fouler aux pieds le monde et sa vie, avec son Empereur.
Le Christ se hâtait vers le martyr; le martyr se hâtait vers son roi. Nous avons raison de dire qu’il se hâtait, selon ce mot du prophète : Lève-toi à ma rencontre, et vois. Mais pour que la sainte Église conserve son défenseur, elle accourt au Christ avec véhémence, pour réserver au vainqueur la couronne de la justice, et pour s’octroyer la présence de son champion en temps de guerre. Le confesseur a répandu souvent son sang. Il prenait à témoin son Auteur par ses blessures et la fidélité de son âme. Les yeux tournés vers le ciel, il méprisait la chair et la terre. Il a vaincu cependant, et la tendre enfance de l’église demanda que soit reportée à plus tard la réalisation du désir du martyr. Je parle de cette enfance, mes frères, qui l’emporte toujours, qui combat plus avec les larmes qu’avec des arguments. Car le visage et la sueur des forts n’ont pas autant de pouvoir que les larmes des petits, parce que, dans le premier cas, ce sont les corps qui sont blessés, et dans l’autre, les cœurs. Dans les premier cas, les raisonnements laissent indifférents, dans le second, la pitié descend elle-même à genoux.
Que dire de plus, mes
frères ? La sainte mère l’église a fait
en sorte de ne jamais être séparée de son chef.
Il est toujours vivant. Comme un bon pasteur, il
est toujours présent dans son troupeau; et l’esprit qui a
distancé le corps pour un temps n’en est jamais séparé.
Je dis que l’esprit a précédé son corps par sa forme,
mais qu’il continue à se reposer parmi nous dans l’habitation de
son corps. Le diable a été vaincu, le persécuteur
git par terre. Il règne et il vit celui qui a désiré
être mis à mort pour son Empereur, qui vit et règne
avec le Père en l’unité du Saint-Esprit, Dieu pendant
tous les siècles des siècles.
129ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Le martyr saint Cyprien)
Nous nous rassemblons aujourd’hui au jour de la naissance du saint martyr Cyprien. C’est en ce jour qu’il a triomphé du démon dans un combat admirable, et qu’il nous a donné un exemple de ses vertus glorieuses. Il nous convient donc de nous réjouir et de jubiler.
Quand donc vous entendez parler du jour de la naissance des saints, mes très chers, n’allez pas penser qu’il s’agit du jour où ils sont nés de la chair sur cette terre. Mais du jour où ils sont nés de la terre au ciel, du travail pénible au repos, des tentations à la quiétude, des tourments aux délices. Des délices qui ne sont pas passagers, mais permanents, stables et éternels. Ils sont nés des joies mondaines à la couronne et à la gloire. Voilà quels sont les jours de naissance des martyrs que nous célébrons.
Puisqu’il s’agit de ce genre de fêtes, ne va pas t’imaginer, très cher, que les jours de la naissance des martyrs se célèbrent uniquement par des banquets et des festins où l’on verse le vin à profusion. Mais il t’est proposé d’imiter ce que tu célèbres dans la mémoire du martyr. Observe donc, très cher, la liesse du peuple qui nous entoure. Quand saint Cyprien a été frappé sur l’ordre du tyran, c’était une troupe d’impies qui l’entourait alors, des hordes de méchants, une foule de spectateurs. Maintenant c’est une multitude de fidèles qui afflue de toute part pour se réjouir dévotement avec lui. Autrefois, une troupe de gens féroces et cruels, aujourd’hui une assemblée de fidèles qui exulte. Autrefois des désespérés, aujourd’hui des croyants.
Les jours de la naissance
des martyrs sont donc célébrés dans l’allégresse,
pour que ce qui est arrivé une fois demeure pendant tous les
siècles présent dans la mémoire des fidèles.
La cérémonie a lieu, très cher, pour que tu
ne puisses pas plaider l’ignorance. Motivez-vous donc pour imiter
ce qu’il a fait; désirez la grâce de cette grandeur
d’âme. Demandez que vous soit donné ce qu’il a mérité
de recevoir. Tous ceux qui désirent les biens célestes
ne peuvent pas être empêtrés dans les filets des
biens terrestres, parce qu’ils ont établi leur centre d’intérêt
dans les biens célestes. Comme le dit l’Apôtre :
Que notre conversation soit dans le ciel. Que le désir
de notre cœur soit donc dirigé vers la demeure céleste,
pour que là soit votre cœur quand vous aurez distribué votre
trésor aux pauvres. Le trésor de toutes les bonnes
choses c’est le Christ. Qu’il daigne, avec le Père,
le fils et le Saint-Esprit, vous remplir des dons célestes,
maintenant et pendant toute l’éternité.
130ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(pour la consécration
d’un évêque)
La longue attente d’une grande promesse accable l’âme, fatigue l’esprit. Mais la réalisation de la promesse si longtemps désirée suscite l’enthousiasme, et émeut jusqu’au tréfonds. Voilà pourquoi aujourd’hui notre sainte mère l’Église, selon la parle d’Isaïe, est en liesse , et processionne avec joie et pompe. Elle a revêtu sa tunique de jubilation, et, comme une épouse, elle a placé sur sa tête une mitre. Elle s’est décorée de toutes sortes d’ornements, pour que le ciel scintille des lumières des étoiles, et que les fleurs apportent le printemps à la terre; pour que les bourgeons éclosent, et que la joie éclate aux yeux de tous ses fils.
Car, selon la promesse faite à David, aujourd’hui, à la place du père, lui est né un fils. Il ne l’accablera pas de son poids, ne la rebutera pas par son autorité. Il ne la troublera pas par ses emportements, ne l’exaspérera pas par son caractère acariâtre, mais la soutiendra, en se consacrant fidèlement à son service. Qu’il l’entoure continuellement d’un soin vigilant, qu’il lui procure ce qui est nécessaire par un travail plein de sollicitude. Qu’il traite ses domestiques avec gentillesse, qu’il obéisse aux rois, qu’il collabore avec les autorités en place, qu’il donne aux vieux le respect, la gentillesse aux enfants, l’amour aux frères. Qu’il soit affectueux avec les petits, et qu’il se mette volontairement pour le Christ au service de tous.
David a dit : Écoute, fille et vois. Moi je dirai : Qu’ils soient des sages par la prudence, des pères par le sérieux, des fils par la charité, des jeunes par la vertu, des fils par la douceur, des enfants par l’innocence, des petits par l’absence de malice. Qu’ils soient ce qui ne connaît pas le monde. Possédant toute la présence du royaume de Dieu, comme le Seigneur l’atteste en disant : Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume de Dieu est à ceux qui sont semblables à eux.
C’est cette sorte de gens qu’engendre le lien de la virginité perpétuelle, l’union dans une vie céleste qui ne connaît pas le sexe, mais qui est consciente d’avoir conçu, qui a la connaissance de son enfantement; qui ignore la corruption, qui conserve intacte la pudeur, qui scelle l’intégrité, qui est chaste dans ses enfants, mais d’une grande fécondité.
Cette mère si pieuse, en célébrant aujourd’hui la fête du jour anniversaire d’un de ses enfants, dilate son cœur, étend ses bras, projette sa voix, chante des hymnes sacrés, pour appeler tout le monde, pour accueillir tout le monde, pour les contenir tous dans le sein de sa charité, dans une joie réciproque.
Elle est elle-même présente la mère de l’empire chrétien fidèle et perennel. qui en suivant et en imitant la bienheureuse Église, dans la foi, les œuvres de miséricorde, et la sainteté en l’honneur de la Trinité, a mérité de procréer, d’embrasser et de posséder l’auguste Trinité. C’est ainsi que la Trinité récompense les âmes ferventes embrasées de Son amour. Celle-là a mérité de s’honorer elle-même, de se réjouir de s’être fait, par la grâce de Dieu, une religion tout à fait similaire. Elle a mérité que la dignité de mère se communique à ses descendants par sa maternité.
Priez, mes frères,
pour que la prière instante des prêtres recommande
à Dieu, pour une grâce semblable, les rois chrétiens
qui daignent prendre part à nos joies avec une pieuse dévotion
et se rendent présents à nos solennités.
131ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La foi)
Nous avons souvent dit que les yeux du corps ne peuvent pas voir Dieu, que le cerveau humain ne peut pas contenir la divinité, que la raison humaine ne peut pas appréhender le Créateur des êtres. C’est la foi seule qui atteint Dieu; c’est la croyance qui comprend qu’Il est, non ce qu’Il est. Mais son humanité, elle est perceptible par tous. C’est pourquoi Moïse qui de serviteur avait été promu ami, d’homme, fils de Dieu, a cherché à voir la face de Dieu, mais ne l’a pas trouvée. Il l’a demandé à Dieu, mais ne l’a pas obtenu. Il n’avait reçu l’autorisation que de regarder Dieu par derrière, puisque l’homme ne cherche qu’à suivre Dieu, non à le précéder. Qu’il ne présume donc pas de rechercher ce qui est devant Dieu. Mais qu’il reconnaisse, en adorant, que tout a été fait par Dieu. Dieu ne démontre souvent aux hommes que la forme de l’homme, et renferme Son immense grandeur sous l’aspect d’une action humaine passagère, pour que l’infirmité de notre œil puisse voir, pour que notre regard limité puisse saisir la forme divine dans les choses présentes.
C’est pour cette raison que Dieu est venu chez Abraham dans une forme humaine. Il est apparu sous l’apparence d’un hôte, et a reçu de l’eau sur ses pieds, pour la mort (?) du voyageur fatigué. Mais, invité à table, on calme Sa faim en lui servant du veau et du pain. Et ainsi Il a cru devoir s’en remettre aux bons soins d’un humain, pour qu’au toucher et à la vue, Il apparaisse en tout conforme à un être humain. Et cela est arrivé au temps où le vrai Dieu s’apprêtait à donner une descendance à l’extrême stérilité, en ouvrant les entrailles d’une vieillesse désespérée. De la même façon, Jacob est accouru au-devant d’un voyageur pour l’inviter à table, et se présente à la fraternité humaine comme un compagnon, pour qu’à l’incitation de l’homme Dieu s’engage totalement dans la bataille. Mais il semble vaincre par les nerfs et les muscles, quand c’est le Vainqueur Qui donne les dons célestes, Qui octroie les présents divins. De la même façon, Isaïe a contemplé Dieu sur son trône, revêtu d’ un habit royal, pour qu’il comprenne qu’à moins que ce soit Dieu qui fasse régner les rois, ils ne peuvent régner en rien, puisqu’ils ne sont que des hommes. De la même façon, Daniel a vu Dieu le Père assis sur un trône de feu pour juger. Il avait des cheveux blancs, était respectable par l’ancienneté, terrible pas son antiquité. Il a vu aussi le Fils de Dieu qui venait sur les nuages du ciel sous la forme d’un homme, pour qu’il comprenne qu’Il a été toujours connu des fidèles Celui qui été méconnu par les Juifs perfides.
Si Dieu s’est si souvent manifesté aux hommes dans une forme humaine, pourquoi le Juif est-il maintenant si exaspéré en voyant le Christ dans un homme ? A moins qu’il impute à injure la figure, la vérité, l’honneur de la nature humaine.
L’évangile d’aujourd’hui rapporte que le Christ a dit : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra pas la mort éternellement. A quoi les Juifs ont répondu : Nous connaissons maintenant que tu as un démon. Abraham, notre père, est mort, et les prophètes. Et toi tu dis : si quelqu’un garde ma parole, il ne goûtera pas la mort éternellement. Es-tu plus grand que notre Père Abraham ? Pour qui te prends-tu ? Comme la perfidie s’empare de tous ! Comme la jalousie ferme les yeux ! Comme les préjugés de la malice troublent le jugement de la conscience! O comme l’obstination ampute sévèrement la raison ! Le sens humain pervers ne peut pas entendre ce qu’il a décidé une fois pour toutes de haïr. La bonté est odieuse aux mauvais; la justice est hostile aux injustes. Voilà pourquoi les hommes menteurs ne peuvent pas connaître la vérité. L’âme qui juge ne peut pas trouver le vrai parmi les faussetés à la mode. Celui qui a décidé de se tromper entend toujours ce qu’il veut, non ce qui est.
Jésus avait dit : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra pas la mort éternellement. Le Juif ne discute pas ce qu’il a entendu; il ne demande pas qu’on lui interprète le sens de ces paroles. Croyant la chose impossible, il n’exige pas qu’Il démontre ce qu’Il a promis. Mais son esprit conçoit immédiatement et enfante le blasphème. Il lance des invectives. Et il s’efforce d’évacuer l’autorité de l’Orateur par des outrages, pour qu’on ne croie pas qu’Il puisse donner la vie éternelle aux mortels, Celui qui semble soumis aux nécessités de la nature humaine. Maintenant, nous savons que tu as un démon. Le démon, auteur du mal, promet les maux non les biens. Son habitude n’est pas de vivifier, mais de tuer. Il ne veut pas non plus que les hommes soient éternels, et ne leur permet même pas d’exister pour un temps. Le Christ n’est donc pas le démon mais Dieu, Qui redonne la vie qu’Il avait donnée, et Qui, par sa parole, rend les hommes éternels, ceux-là mêmes que le diable avait faits temporels par la force de sa persuasion. Abraham est mort et les prophètes. Et toi tu dis : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra pas la mort éternellement. Que le fidèle entende, pour que la révélation de la foi lui fasse comprendre que l’infidèle ne sait pas écouter; qu’il ne peut pas voir celui qui s’immerge dans l’obscurité de l’incrédulité. Le Christ a dit : Il ne verra pas la mort. Ton entêtement, Juif, cherche à le prendre en défaut. Abraham et les Prophètes, après avoir entendu la parole, l’on gardée avec ténacité. Ils sont quand même morts, mais pas pour l’éternité. Donc quand Il dit : Il ne verra pas la mort, et ajoute éternellement, Il promet la résurrection, mais ne nie pas qu’ils mourront pour un temps. Juif, nous que, dans le siècle présent, la mort faisait ne plus être, la résurrection, dans le futur, nous refera éternels.
Ecoute-Le développer sa pensée. Tous ceux qui croient ne mourront pas, mais passeront de la mort à la vie. Comment peut-on dire qu’ils ne mourront pas, s’ils passent de la mort à la vie ? Il meurt, oui, il meurt tout homme qui naît de cette condition mortelle. Mais ils vivent et ils vivent éternellement tous ceux qui sont re-nés de la génération vitale. Mais je demande : Celui qui pouvait enlever la mort, pourquoi a-t-Il voulu que l’homme passe par la mort ? On est plus redevable à un médecin qui prévoit les maladies, qu’à celui qui prescrit des médicaments tardivement et non sans douleur. Juif, Christ le Médecin aurait fait même cela, si le malade n’avait pas été ingrat envers le Médecin. Il avait donné la vie, et avait prédit à l’homme que la mort viendrait. Mais celui qui n’avait pas pu se garder de l’adversité n’a pas su conserver la prospérité. Connaître que les biens sont des biens, nous ne le pouvons sans faire la connaissance du mal. Le Christ sera donc magnifié Lui qui avait d’abord donné une vie à vivre, et rend maintenant la vie perdue. Connaissant davantage la valeur de la vie, l’homme sera plus vigilant, et plus reconnaissant envers son Auteur.
Es-tu plus grand que notre père Abraham ? Définitivement plus grand, et d’autant plus grand que le Maître est plus grand que le serviteur, Dieu plus que l’homme, le Créateur que la créature, le Vivifiant que le mort, le Ressuscitant que le ressuscité. Jésus répondit : Abraham a tressailli à la pensée de voir mon jour. Il l’a vu et s’est réjoui. Pour leur indiquer qu’Abraham était vivant, le Christ leur a dit qu’il avait vu Son jour, i.e. le jour de Sa naissance. Le Fabricateur des jours n’est pas contenu par les jours, l’Auteur du temps ignore le temps. Mais le Christ est né homme pour l’homme, a été mesuré par le jour, et est entré dans le temps. Abraham a tressailli à la pensée de voir mon jour. Si Moïse et Elie sont accourus sur la montagne pour voir le Christ promis, comment Abraham ne serait-il pas accouru à l’enfantement de la Vierge, pour contempler, dans sa semence, la bénédiction promise aux Gentils qu’il avait attendue avec tant de patience ? En vérité, en vérité je vous dis que, avant Abraham, JE SUIS. Si tout a été fait par lui et si sans lui rien n’a été fait. Voici Celui à qui le Père a dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Comme la substance de l’ange et de Dieu sont différentes, ainsi en est-il de leur image. Ce n’est donc qu’au Fils que le Père parle quand Il dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. La substance et l’image du Père et du Fils sont identiques.
Ils prirent des pierres
pour les lui lancer. Et les constructeurs de la tour,
pour qu’elle s’écroule de plus haut, avaient ramassé
eux-mêmes les pierres. Et ces pierres les misérables
les saisirent non pour tuer Dieu mais pour se procurer de quoi se
tuer. Jésus se cacha. Non pour se
dérober , mais pour pardonner. Quand Dieu se sauve des pécheurs,
Il les épargne. Quand Dieu se retire, c’est qu’il
ne veut pas perdre le rebelle.
132ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’unité des
chrétiens)
Si la nature n’avait engendré et produit que des choses parfaites et solides, sans aucune déficience, la miséricorde aurait été abolie du coup, l’ingéniosité n’aurait pas eu où s’exercer, la recherche scientifique périrait, l’or demeurerait enfoui sous la terre, le diamant se cacherait encore dans la roche. Le savoir-faire des artisans a prospecté et détecté l’un et l’autre, les a épurés et raffinés. C’est le même art qui aboutit à la beauté et à la grâce d’un petit collier de perles. Et ce que la terre produit de la large fontaine de la nature a la rugosité des ronces, ou la luxuriance sauvage de la forêt, si le travail industrieux du cultivateur ne la plie pas à ses besoins.
Et pour ne pas digresser plus longtemps, appuyons notre dire sur un exemple familier. L’enfant, dans un berceau, est déjà un homme; mais il l’est à l’état latent. Le corps y est et n’y est pas. On voit des membres qui ne sont pas encore ceux de l’homme fait. Ils bougent, mais sont sans vigueur L’enfant attire la pitié, suscite de grands dévouements, stimule l’ingéniosité. Et, pour le dire en une formule lapidaire, autant il y a de membres, autant il y de sciences et d’arts qui perfectionnent et forment l’homme. Que dire de plus ? Tout ce que la nature génère et produit la pitié l’entretient, l’industrie le développe, et l’art le pare.
Et qu’y a-t-il là d’étonnant, mes frères, si Dieu, Qui a voulu souffrir pour l’homme, a désiré , pour honorer l’ingéniosité de l’homme, que Sa nature elle-même soit comme affaiblie dans les choses présentes! Voilà pourquoi le sens est caché dans la lettre, et le mystère divin dans la parole humaine. Pour que les choses futures, qui sont déjà accessibles aux croyants, demeurent obscures aux perfides et aux incroyants, comme si la punition des incroyants devait rejaillir sur la gloire des fidèles. Non, ce n’est pas un petit tourment de ne pas percevoir ce que l’on voit, de ne pas comprendre ce que l’on entend, de rejeter ce qui est salutaire comme on rejette le nuisible, de se garder des vertus comme on se garde des vices, au dire du Seigneur Lui-même : Je parle en paraboles pour que, en voyant, ils ne voient pas, et en entendant, ils n’entendent pas. Et aux fidèles : A vous, il a été donné de connaître le mystère de Dieu.
Que personne donc, mes frères, dans sa simplicité, n’aille penser qu’un sermon évangélique est quelque chose de banal ou de vil, surtout depuis que la trompette éclatante de la lecture évangélique a prédit ceci pour ceux qui demandent de bonnes choses et qui désirent avec piété : Si parmi vous, deux se mettent d’accord sur cette terre, mon Père leur accordera tout ce qu’ils demanderont. Vous voyez quel pouvoir possède une sainte demande faite dans l’union ces cœurs et des pensées ? Le Christ ne s’est pas engagé à donner ceci ou cela, mais tout ce que demanderait une seule et même prière, quand il a dit : Tout ce qu’ils demanderont mon Père le leur donnera. Avec cette réserve, qu’exigent la prudence et le respect, qu’on ne demande à Dieu que ce qui est digne de Dieu. Celui qui demande à Dieu des choses mauvaises, juge et professe que Dieu est l’Auteur du mal. Et celui qui demande des choses indignes et viles n’est qu’un suppliant dégénéré qui ignore la toute-puissance du Donneur. Ne demandons pas des choses impies, mais pieuses; non les terrestres mais les célestes; non les plaisirs illicites, mais tout ce qu’admet la vertu; non ce qui fomente la haine, mais ce qui mène à la concorde. Voilà les choses qu’il faut toujours demander au Pourvoyeur.
Où sont ceux qui sont assez téméraires pour croire qu’il est possible de mépriser le rassemblement de l’Église, et qui osent faire passer les prières solitaires avant celles de la vénérable congrégation, s’il est vrai que le Christ a promis que si deux ou trois se mettaient d’accord pour demander la même chose, Il serait au milieu d’eux, et exaucerait tout ce qu’ils demanderaient ? Celui qui ne refuse rien à si peu de personnes, que refusera-t-Il à toute une assemblée de saints demandant tous la même chose ? Le Prophète priant de cette façon se glorifiait d’avoir tout obtenu, en disant : Je te confesse, Seigneur, de tout mon cœur, dans le conseil des justes, et dans la congrégation. Il exprime de tout son cœur sa foi dans ce qu’on lui a dit, que lui sera accordé tout ce qu’il demandera dans le conseil des saints. Mais quelques-uns, sous couleur de foi, cherchent à excuser l’apathie de leur mépris. Ils s’imaginent qu’après avoir négligé la ferveur du vénérable rassemblement de la congrégation, ils pourront consacrer à la prière individuelle le temps qu’ils donnaient aux travaux domestiques. Asservis à leurs désirs personnels, à leur volonté propre, ils n’ont que du mépris et du dédain pour ce qui a été divinement institué. Voilà ceux qui déchirent le corps du Christ, et qui en dispersent les membres. Ils ne permettent pas que le corps du Christ parvienne à la plénitude de son développement et de sa beauté. Beauté que le Prophète a vue en esprit : Il est plus beau que tous les fils d’homme.
Tous les membres ont respectivement leur fonction propre, mais ils ne peuvent remplir leur rôle qu’en restant unis entre eux, pour pouvoir parvenir à la perfection et à la beauté d’un corps. Voilà donc la différence qu’il y a entre la plénitude glorieuse de la congrégation et la vanité de la séparation, que la négligence ou l’ignorance sollicitent. C’est dans l’unité des membres que se trouvent le salut, l’honneur et la beauté d’un corps intègre; dans la séparation se trouve la corruption fétide, mortelle et horrible des viscères. Qu’est-ce que ton corps t’a enseigné ? Que t’ont enseigné d’autre cette union dans la diversité et cette diversité dans l’union, sinon que tu dois vivre en étant un à partir de plusieurs, et un en plusieurs ? L’œil a un rôle précieux à jouer pour maintenir en santé tous les membres, mais seulement s’il reste dans le corps. Autrement, s’il fait scission , il ne recevra plus rien du corps. . Tous les membres dépendent de lui pour participer à la lumière, mais l’œil lui-même se rend compte qu’il doit au corps d’être pour lui lumière S’il est arraché du corps, il ne voit plus celui qui assiste tous les membres dans leurs fonctions respectives. Quiconque s’estimait être quelqu’un, après avoir été instruit par ces exemples, qu’il demeure dans l’église pour être quelqu’un. Autrement, quand il s’en écarte, il perd bientôt ce qui lui était propre.
Celui qui veut en savoir un peu plus long là-dessus, qu’il parcoure ce que l’apôtre a enseigné au sujet du corps du Christ, car la brièveté de nos sermons qui nous est coutumière ne nous permet pas de le commenter au complet. La loi n’est pas donnée à une seule personne, mais à tous. Le Christ est venu vers tous et pour tous, non vers une seule personne ou pour une seule personne. Pour réunir tous en un, dans un seul bien, dans uns seule joie. Le prophète l’avait connu à l’avance qui s’exclamait : O comme il est bon, o comme il est agréable d’habiter ensemble comme des frères. Car ce n’est pas la singularité qui est agréable à Dieu, mais l’unité. C’est sur les apôtres rassemblés en un que l’Esprit Saint a été répandu avec toute l’abondance de Sa fontaine . Ils avaient été avertis par un ordre du Maître d’avoir à travailler ensemble au royaume.
Mes frères,
il perd les dons célestes, il abuse du don libéral
de la grâce, il fraude les biens de la charité,
la bénédiction de l’unité ne restera pas en
celui qui est malfaisant envers lui-même, qui se contente stupidement
de ses déficiences, qui cherche la vie en marge de l’Église,
alors qu’elle n’existe qu’en elle, au témoignage du prophète
: Qu’il est bon et qu’il est agréable d’habiter ensemble comme
des frères. Car c’est là que Dieu a remis la
bénédiction et la vie jusque dans les siècles des
siècles.
133ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint André)
C’est avec raison que nous croyons que saint André est né aujourd’hui, non parce qu’il est sorti en ce jour du saint maternel pour vivre sur la terre, mais parce que, conçu par la foi et né du martyre, il a été engendré, nous le savons, pour la gloire céleste. Il n’est pas né quand le berceau maternel l’a reçu vagissant, mais quand les mystères célestes l’on reçu triomphant. Non quand il extrayait du sein maternel la débile nourriture du lait, mais quand le soldat impavide répandait pour son Roi le sang de son courage.
Il vit, parce que, comme un combattant de la milice céleste, il a tué la mort. En suant et en haletant, il suit son Sauveur condamné à mort, et d’un pas courageux, il s’impose de marcher sur les traces de son Seigneur, pour que le parcours ne le rende pas dissemblable du frère que la nature a fait semblable à lui, la vocation un compagnon, que la grâce elle-même avait apparenté. A une seule parole du Seigneur , comme son frère Pierre, il a laissé son père, sa patrie et ses biens. Avec la grâce de Dieu, il s’est adonné aux mêmes travaux, opprobres, voyages, mépris, veilles, dans une union fraternelle indéfectible.
Il est le seul au temps de la passion à avoir fui, mais le fait d’avoir fui ne le rend pas pour autant inférieur. Si le reniement est considéré comme une faute, fuir n’est certainement pas plus grave que renier. Mais, taisons le reste. Il a égalé son frère par le pardon reçu, puisque les deux avaient été disqualifiés par la faute. Et la ferveur subséquente de son martyre a fortifié les généreux que sa crainte antécédente avait ébranlés. Car la croix que les deux frères avaient d’abord fuie, ils la prirent, par la suite, d’assaut de toutes leurs forces, pour que ce qui leur avait fait commettre une faute les propulse dans le ciel, et leur fasse obtenir la récompense et la couronne. Pierre est monté sur la croix, André sur l’arbre, pour que ceux qui mettaient leur joie à souffrir pour le Christ expérimentent en eux-mêmes la forme et la figure de la passion elle-même. Et rachetés par le bois, ils ont été portés à la perfection en vue de la production de branches. Ainsi notre André, après avoir répondu à l’appel, ne s’est abstenu ni du travail, ni de la récompense.
134ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
Sainte Félicité
(Le titre du sermon latin
est Sainte Félicité, mais il ne dit pas un mot
sur elle. Il ne parle que de l’Église. Le titre le plus
approprié semblerait être : l’Église.)
Parce qu’ils sont
variés et nombreux les triomphes des martyrs que la cruauté
toujours déçue du persécuteur a accumulés,
le temps ne nous permet pas de les énumérer.
Tout l’éloge de notre sermon s’envole vers celle qui a mérité d’avoir autant de fils que le monde a de jours. Elle est la vraie mère des lumières, la source des jours, qui resplendit, sur toute la terre, des sept couleurs éclatantes de son diamant. Bienheureuse est-elle non seulement parce qu’elle souffre pour la loi, mais parce qu’elle a mérité d’engendrer les sept lumières de la loi . Je ne parle pas des sept lumières qui ont illustré le mystère d’un tabernacle unique et temporel, mais de celles qui, comme un encens sacré, irisent l’Eglise éternelle.
Bienheureuse est-elle d’avoir mérité de remporter autant de trophées de vertus que l’arche contenait de volumes sacrés de préceptes, pour que ce que l’arche enseignait par la parole, la sainte mère l’enseigne par l’exemple. Mes frères, elle a engendré des martyrs quand l’enfantement les a consacrés par le chiffre symbolique sept. Que saint Paul vienne là, lui qui continue à enfanter jusqu’â ce que soit formé le Christ dans l’homme ! Voici que la femme enfante sans cesse jusqu’à ce que la faiblesse soit changée en force, jusqu’à ce que la chair se sublime en esprit, jusqu’à ce que la terre soit transférée dans le ciel. Elle palpitait et haletait pour pouvoir enfanter un jour ces saints martyrs, qu’au cours des années elle avait engendrés petits.
Voici la femme, voici
la mère, que la vie de ses fils avait rendue anxieuse,
mais que leur mort avait sécurisée. Bienheureuse
est celle pour qui dans la gloire future trônent tant de candélabres,
tant de diamants ! Bienheureuse d’en avoir envoyé
un si grand nombre au royaume ! Bienheureuse de n’avoir
rien perdu dans le siècle de ce qui lui appartenait !
Elle se déplaçait avec plus de joie entre les cadavres transpercés,
qu’entre les chers berceaux de ses fils. Parce qu’avec les yeux de
l’âme elle voyait autant de trophées que de plaies,
autant de récompenses que de tourments, autant de couronnes
que de victimes. Que dire de plus, mes frères ?
Non, ce n’est pas une vraie mère celle qui ne sait pas aimer
ses fils ainsi.
135ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint Laurent)
Le jour d’aujourd’hui est illustré par la couronne baptismale du martyre de saint Laurent. Il n’y a pas un endroit de l’empire romain qui ne connaisse les mérites de cet illustre martyr. Il a souffert dans la capitale des Gentils, dans la ville de Rome elle-même. C’est là qu’il a exercé le ministère du diaconat; et dans la fleur de sa jeunesse, il a rougi de son sang la beauté de son jeune âge. Sa passion est tout à fait spéciale, et très remarquable. Avec l’aide de Dieu, je vais la raconter en peu de mots.
Le bienheureux Sixte était alors l’évêque de cet archidiacre; et trois jours auparavant, il avait remporté le triomphe du martyre. Saint Laurent suivait son évêque Sixte qu’on amenait vers le martyre. Il était d’une foi inébranlable, mais il avait la mort dans l’âme. Non parce que son évêque souffrait, mais parce qu’il souffrait sans lui. Le vénérable vieillard regarda le vénérable jeune, et lui dit : « Ne sois pas triste, mon fils, dans trois jours, tu me suivras. » Après avoir absorbé la prophétie, il se sentit tout à fait prêt dans son cœur. Son esprit était comme ivre, et il se mit à attendre avec fermeté l’avenir que lui avait prédit celui qui savait. Il fut ensuite arrêté et amené. Et parce qu’il était archidiacre, on croyait que les richesses de l’église se trouvaient auprès de lui, que la rage du persécuteur convoitait plus que son avarice. Il n’avait que de la haine pour celui qu’il mettait à mort, mais il aimait les biens que le chrétien méprisait. Saint Laurent était pauvre de biens, riche en vertus. Il ne nia pas qu’il possédait les richesses de l’église , mais avant de les leur montrer, il demanda un délai de trois jours. Il ordonna ensuite qu’on rassemble les bandes de pauvres. Au jour dit, il se présenta à l’inspection de ses trésors, et comme pour faire montre de ce que l’on cherchait, il présenta ce qu’il possédait. Le persécuteur lui dit alors : « Où sont les biens de l’église ? » Sant Laurent étendit les mains vers les pauvres, et dit : « Les voici, les biens de l’église ». Il n’avait dit que la stricte vérité, mais c’était une pilule difficile à avaler. Pourquoi s’étonner si la vérité n’a fait qu’augmenter la haine ? Dépité qu’on se soit moqué de lui, le cruel tyran et l’ennemi avare qui avait peut-être envisagé une peine plus douce, comme la décapitation par l’épée, ordonna qu’on allume un brasier. Ce brasier réchauffait plus qu’il ne brûlait : il réchauffait le cœur, mais brûlait le corps. Le supplice était d’autant plus rigoureux que la flamme pénétrait à l’intérieur.
Alors fut apporté, pour le martyre du noble Laurent, un gril qui servait à griller et à rôtir. On l’y enchaîna. Mais cet instrument de torture il le considérait comme un lit de repos. Si j’ai employé le mot torture, c’est selon le sens que lui donnait le tortionnaire, non selon la façon dont le vivait la victime. Il n’y a pas de supplice de damné qui ne soit pas la punition d’une faute. Le très heureux martyr, pour montrer dans quel repos il gisait sur ce fer igné, dit à ceux qui l’entouraient : « Tournez-moi de l’autre côté, et s’il y a une partie qui soit bien cuite, dévorez-la. »
Nous admirons sa patience, admirons le don de Dieu. Ici, la foi non seulement n’a pas brûlé mais a consolé celui qui brûlait. Pourquoi la foi consolait-elle celui qui brûlait ? Parce qu’elle tenait un fidèle prometteur. Que la foi ne fléchisse pas, que l’espérance ne flanche pas , que la charité parmi les souffrances corporelles causées par le feu brûle davantage, ce sont des dons de Dieu.
Mes frères,
que personne ne s’arroge un pouvoir qu’il n’a pas reçu de Dieu.
C’est avec raison que l’Apôtre, parlant des martyrs,
dit ce que vous avez déjà entendu dans la lecture du jour
: A vous il est donné par le Christ non seulement de
croire en lui mais aussi de souffrir pour lui. Les mérites
des martyrs nous les louerons et aimerons donc comme des dons de Dieu.
Nous prierons et nous leur soumettrons nos volontés.
Car la volonté suit, elle ne précède pas. Mais
la charité ne manque pas là où ne fait pas défaut
la volonté. La volonté ardente est appelé
charité. Qui est-ce qui craint quand il veut ?
Qui est-ce qui aime s’il ne veut rien? Que la prière soit
fervente, et que soit célébrée la fête
du martyr ! Mais imitons-le pour que la célébration
ne soit pas inutile !
136ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint Pierre Chrysologue
présente à ses fidèles un évêque de passage,
qu’il invite à prêcher).
La sainte âme de l’évêque Adelphe a ceci de propre, comme le veut sa réputation pleine de piété, qu’il entre dans la mansarde du pauvre, qu’il s’attable avec le pauvre, qu’il se met à la portée des miséreux, lui que distinguent pourtant entre tous la richesse, le pouvoir et la dignité. Parmi ses plus grandes vertus, il faut noter cette volonté qu’il a de ne faire aucun compte du faste attaché à sa position sociale, de mépriser la magnificence de son palais, de fouler aux pieds les insignes de sa puissance, de faire fi du sentiment qu’il a de sa réussite,-- qui est comme une tumeur qui s’empare des esprits humains,-- pour se pencher sur les besoins les plus vils du démuni, et pour ennoblir le pauvre par son intimité.
Elle est bienheureuses en vérité cette âme, et éloignée de toute maladie d’arrogance, elle qui est entrée dans l’hôtellerie des pauvres, de façon à avoir été un bienfaiteur de l’humanité avant d’en avoir été un débiteur. De toute évidence, il s’est appliqué de toute son âme à imiter Dieu, lui qui a pris soin des besoins du corps de l’homme, avant de lui présenter les biens surnaturels. Ce qu’a fait le pontife du Dieu suprême ici présent, Adelphe, nous le constatons de nos yeux. Il est riche par l’éloquence, savant et érudit, d’une grande intelligence, et occupe le premier rang. Et pourtant, il a désiré se faire l’auditeur de notre faible intelligence et de notre médiocre éloquence, à l’instar de ce prophète qui a désiré manger le dernier pain qui restait à une veuve, et qui, par sa faim, portait atteinte aux besoins des enfants de la veuve.. Par sa demande, il rendait un service d’un genre tout nouveau, car il apportait en demandant, et rassasiait en affamant; et en épuisant, il remplissait le grenier avec une largesse divine.
Et nous, mes petits fils, il ne nous a pas été pénible de donner ce que nous avions. Parce que même si, pendant un certain temps, nous avons senti quelque trouble de l’avoir fait, l’exemple biblique nous a soulagé et consolé. Aussitôt, à la parole de cet homme de Dieu, l’exiguïté de notre esprit, comme la nourriture de la veuve, a bénéficié d’un accroissement céleste. A partit de ce moment, de la réserve de mon cœur, n’a plus fait défaut la nourriture vitale; la disette et la déficience ont été abolies. Bienheureuse veine d’eau qui s’enrichit en irriguant, et qui, en donnant sans mesure, devient un fleuve .
Le voici parmi nous,
et une pluie céleste arrosera vos âmes sublimes.
Avec toute l’impétuosité d’un fleuve spirituel, il
irriguera, en faisant irruption en elle, la cité de Dieu qui
est en vous, pour que notre terre, mouillée par la divine
rosée, produise, dans sa fertilité, du cent pour
un. Ouvrez vos oreilles, dilatez vos cœurs, et élargissez
votre capacité de compréhension., pour que tout ce
qu’il puisera dans les trésors célestes pour le répandre
sur vous, vous puissiez le posséder dans la gloire éternelle
comme une propriété durable.
137ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La prédication
de saint Jean-Baptiste)
Après qu’ait
été épuisée la fécondité de la
souche judaïque
que lui avaient donnée
le soc de charrue de la loi et le joug du culte, le bienheureux
Jean-Baptiste s’envola dans le désert des Gentils, pour brûler
avec le feu les ronces spirituelles des crimes, couper les arbres
stériles avec la hache de la pénitence.
Il voulait aplanir les collines escarpées de l’orgueil,
ériger en égalisant les vallons de l’humilité, pour
préparer toute la plaine de la terre, qui avait perdu la semence,
en la soumettant, pour la fertiliser, à la crue du Jourdain.
Et ainsi, il prépare une nouvelle diffusion de la semence évangélique,
et voit à la rendre féconde.
Une parole de Dieu s’est fait entendre sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert. Le Verbe s’est fait chair, et a habité parmi nous. Sur Jean. Pourquoi pas à Jean plutôt que sur Jean ? Parce que ce qui vient d’en haut est au-dessus de tout. Une parole de Dieu s’est fait entendre sur Jean. Parce que Jean est la voix, Dieu est le Verbe. Une parole de Dieu s’est fait entendre sur Jean. Dieu est au-dessus de Jean, le Seigneur au-dessus du serviteur, le Verbe au-dessus de la voix. Mais tu me dis : que doit-on penser du fait que la voix précède la parole ? Elle la précède , mais ne la surpasse pas. Elle vient avant, pour se mettre au service de ce qui suit, non comme un signe de puissance propre. La voix n’est pas elle-même le Juge, mais la messagère du Juge. Le verbe juge, et la voix fait entendre des coups de tonnerre préalables. Le pouvoir est possédé par celui qui donne des ordres, non par celui qui crie. Mais cela, la voix elle-même le reconnaît, l’atteste, l’affirme, le précurseur qui proclame : Celui qui est venu après moi est plus fort que moi. Pourquoi ? Parce qu’en moi est la terreur, en Lui le jugement. Il est venu dans toute la région du Jourdain. Il est venu au Jourdain parce qu’une cruche ne pouvait pas laver les souillures des Juifs. Il fallait le fleuve. Comme il est écrit : Il y avait des cruches en pierre pour la purification des Juifs.
Il est venu au Jourdain. Pour porter secours aux Juifs avec de l’eau et non du vin. Il est venu dans toute la région du Jourdain prêchant un baptême de pénitence pour la rémission des péchés. Il y avait auprès de Jean le pardon, mais non sans la pénitence. Il y avait une rémission, mais obtenue par l’ascèse. Il y avait une cure, mais avec des blessures et des douleurs. C’était un baptême qui enlevait la faute sans purifier la conscience. Et que dire de plus ? Par le baptême de Jean l’homme était purifié en vue de la pénitence, mais il n’était pas élevé à la grâce.
Mais, pour dire le vrai, le baptême du Christ régénère et transforme l’homme. De vieux qu’il était il le rend jeune, pour qu’il ne se souvienne plus du passé, perde le souvenir des choses anciennes, lui qui, encore sur la terre, possède dans les cieux les choses célestes et divines. Voilà pourquoi au fils qui retourne après la luxure, le père rend la première robe d’immortalité, lui met au doigt l’anneau de la liberté, tue le veau gras, change les eaux de la pénitence en vin de la grâce, pour que dans le banquet de la grâce, il se rassasie avec la seule coupe de la grâce. Dans la mesure où la sobre ébriété du calice du Seigneur abolirait les douleurs de la conscience, les gémissements de la pénitence, les lamentations des pécheurs. Comme le dit le Prophète : Et ton calice enivrant qu’il est illustre ! Autant l’ébriété terrestre est difforme, autant est belle et resplendissante l’ébriété céleste.
Il disait aux foules qui se rendaient à lui pour être baptisées : engeance de vipères ! Qui vous a montré à fuit la vengeance qui vient ! Faites donc de dignes fruits de pénitence, et ne passez pas votre temps à dire : Nous sommes les fils d’Abraham. Car je vous dis que Dieu est assez puissant pour, de ces pierres, susciter des fils à Abraham. La hache est déjà aux racines des arbres. Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé, et envoyé dans le feu. Engeance de vipères ! Il corrige par un exemple, réprimande par une comparaison, il révèle l’état des consciences par une figure, pour pouvoir extirper le germe vénéneux non seulement des mœurs, mais de la nature elle-même. Race de vipères ! Parce que ceux que Dieu avait créés hommes, qu’Il avait faits fils d’Abraham, la malice les a enfantés et convertis en vipères. Et ceux en qui le Créateur avait infusé la douceur de la piété céleste, l’impiété amère en a fait des vomissements infects, a infusé en eux un virus vénéneux. Et, présage inouï de cruauté, ils sont conçus de la mort du père, et engendrés de la mort de la mère. Race de vipères ! Rejetons ingrats envers la nature, dont la naissance est la ruine du père, dont la vie est la mort du parent ! Race de vipères ! Quand vient le temps de la reproduction, on rapporte que la vipère sépare en déchirant la tête de son conjoint qu’elle tient dans sa bouche, pour qu’un baiser cruel ne donne pas naissance à un fœtus mais à un crime, comme si elle enfantait des carnivores qui soient fils de son crime, selon l’ordre de la vengeance non de la nature. Car les productions du père conçues du meurtre, exigent la nourriture du sang avant celle du lait, et aspirent à la vengeance. On dit que les vipères fendent le ventre de leur mère, et fracassent avec leurs viscères immatures, le domicile sordide de leur conception, pour que ne pas voir leur mère, la mère qui les a engendrés tels, ce soit cela pour eux vivre.
Mis sur la piste par saint Jean-Baptiste, nous avons montré la signification de l’image qu’il avait employée, pour qu’il apparaisse clairement que ce n’est pas la haine ou le préjugé qui a donné ce nom aux Juifs, mais la vérité. Race de vipères ! Il démontre que telle a été la synagogue et ses fils, vers qui le Christ est venu avec l’amour d’un époux, quand il dit : Celui qui a l’épouse est l’époux. Entre les embrassades et les baisers cruels de la Judée, la tête du Christ était recherchée et sa bouche était désirée quand ils disaient : Crucifie-le, crucifie-le! C’est pourquoi les enfants conçus dans le sang sont bientôt armés pour tuer leur mère, pour qu’après l’éclatement de l’utérus de la Synagogue, ils courent ensemble à la voix de Jean, et soient régénérés en une descendance divine. Engeance de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui vient ? Quelle est cette colère qui vient ? Celle qui n’a pas de fin, à laquelle l’homme n’échappe pas avec la mort, mais qu’il recueille. Elle ne permet plus l’espoir du pardon, à qui est envoyé une fois pour toutes à la peine du tartare.
Après avoir été admonestés de cette façon, ils connaissaient leurs crimes, et de quelle sorte ils étaient, et c’est pourquoi ils répondirent en disant : Que ferons-nous pour être sauvés ? Et, répondant, il leur dit : Ce qu’il va dire, mes frères, je crains de le dire, de peur de voir aujourd’hui autant de révoltés que d’auditeurs, de peur qu’il fasse autant de contumaces que d’auditeurs. Que vais-je faire ? Je crains de parler, mais je ne peux pas me taire. La piété m’interdit une chose, et l’utilité me contraint à dire autre chose. La piété accourt pour que l’auditeur ne méprise pas ce qu’il entendra. L’utilité accourt de peur qu’il ne comprenne pas ce qu’il aura à faire, et qu’ainsi le docteur lui fasse tort. Je dis cela, mes frères, pour que celui qui est nu s’habille, et que moi, je me déshabille. Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a pas. Est-ce que tu penses qu’il a suffisamment demandé celui qui demande une seule des deux tuniques ? Il n’a pas assez demandé, parce qu’il ne demande pas une perle, mais une tunique, pas de l’or mais du pain. Et celui qui n’a pas donné une de ses deux tuniques est coupable. Que dire de celui qui refuse une de ses nombreuses tuniques, qui les avait précisément enfouies pour cela, et avait enfermé son pain pour que le pauvre périsse de faim, et soit consumé par le froid ? Il ensevelit, lui, les habits, il ne les rend pas. Il ne croit pas à la diligence, mais aux sépulcres, car ce qu’il refuse aux pauvres, il le donne aux mites. Et il est le dévoreur de lui-même par ses vêtements, au dire du Seigneur : Leur ver ne mourra pas. Parce que la faim du pauvre secoue le Christ. La douleur de l’homme se rend jusqu’aux viscères de Dieu. Le gémissement du captif pénètre jusqu’au cœur du Christ. Le mépris du dénuement retombe sur le Créateur comme une injure personnelle. C’est Lui-même qui l’atteste par ces paroles : J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. J’ai été nu, et vous ne m’avez pas vêtu.
Les publicains vinrent eux aussi et dirent : Que ferons-nous ? Que les publicains entendent : Ne réclamez pas pour vous plus qu’il a été établi. Il a révélé ce qui fait d’un publicain un coupable; ne demandez pas plus que ce à quoi vous avez droit. Celui qui demande davantage est coupable d’avoir fraudé, non d’avoir perçu l’impôt. Qu’on imagine ce que c’est qu’être coupable devant Dieu, puisque le percepteur d’impôts est si mal vu. Par sa fraude, il alourdit de plus en plus le fardeau fiscal, et impose d’autres taxes qui ne suffisent pas à payer ses dettes, et il continue à exiger des taxes non dues. Les soldats vinrent et dirent : Qu’ils écoutent à leur tour les soldats ce que ce maître a répondu aux questions des soldats : Et nous que ferons-nous ? Et il leur dit : Ne brutalisez personne. N’intentez pas de fausses accusations. Contentez-vous de votre salaire. Le vrai soldat est celui qui se défend, non celui qui porte les premiers coups; qui repousse la calomnie au lieu de lui prêter l’oreille, qui ne court pas au butin de guerre mais au salaire fixé par son empereur.
Le bienheureux Jean a enseigné ainsi, pour ne pas ébranler les institutions humaines. Il a fondé une république, il ne l’a pas renversée. Il a donné la preuve que les choses qu’il enseignait avaient été ordonnées par Dieu, qu’il est possible de faire et de conserver la justice.
Quelle différence
y a-t-il entre le baptême de Jean et celui de Jésus,
passons-le maintenant sous silence, parce que cela exige une longue
explication.
138ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de la paix)
Il eut été préférable, frères très chers, que notre père et maître commun permette à notre inexpérience de rester cachée, et ne rende pas publique la disette qui, jusqu’à présent, était recouverte d’un voile de honte. Il eut été préférable que celui qui abonde en richesses spirituelles de doctrine, n’exige jamais du navire d’un pauvre les redevances d’une mince parole. Car qu’est-ce que le démuni peut apporter aux riches, le nomade aux résidants, le béotien et l’ignorant aux studieux ?
Néanmoins, puisque nous sommes contraints d’obéir aux ordres, les mêmes considérations d’humilité qui semblent nous en dispenser nous obligent à parler, en nous obligeant à obéir.
Que convient-il donc que nous vous offrions, o peuple religieux du Seigneur, vous qui êtes pauvres et sans instruction ? La paix, sans aucun doute, que notre Seigneur Jésus-Christ nous commande d’offrir à toute maison dans laquelle nous entrons. Voilà pourquoi nous aussi, nous commencerons notre salutation en implorant pour vous la paix auprès du Seigneur, cette paix qu’il faut toujours avoir et toujours demander. Pas la paix trompeuse et instable de ce monde, que les intérêts recherchent et que la crainte conserve. Mais la paix du Christ qui, selon la parole de l’Apôtre Paul, surpasse tout sentiment , et conserve les cœurs des croyants. La paix qui est nourrie par les fruits abondants de la charité. Elle est la disciple de la foi, une colonne de justice. Elle a tout ce qu’il faut pour être le gage de l’espérance à venir. Elle rassemble ceux qui sont présents, et invite les absents. Elle réconcilie les choses terrestres et les choses célestes, les humaines et les divines. Car c’est ainsi que l’a dit l’Apôtre : Que Notre Seigneur Jésus-Christ a pacifié par son sang, non seulement les choses terrestres mais les célestes.
Voilà donc,
mes très chers frères, ce qu’un voyageur pèlerin
a à vous proposer, comme un viatique où un pauvre puise ses
forces, espérant toujours de plus en plus que nous soyons
admis tous ensemble en grand nombre à la table de notre puissant
Maître, pour nous engraisser dans des festins copieux.
Que le Dieu de paix, Qui joint la terre aux cieux, nous accorde
d’éprouver les mêmes sentiments les uns envers les autres,
et de nous réjouir de l’unanimité de notre foi et de notre
charité, par le Christ notre Seigneur, par Lequel est
rendue la gloire au Dieu Père tout-puissant dans les siècles
des siècles.
139ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Le pardon)
Comme l’or se cache dans la terre, de la même façon, le sens divin se terre derrière les mots humains. Voilà pourquoi toutes les fois que nous avons à commenter les divines paroles, nous devons y penser pendant les heures de la nuit, et y appliquer toute l’énergie de notre âme, pour que l’intelligence puisse percer le secret de la science céleste.
Demandons-nous pourquoi le Seigneur commence ainsi aujourd’hui. Prenez garde à vous ! Que veut dire cette nouvelle manière de parler ? A quoi tend cette admonition que ne connaît pas l’usage ? Il veille sur lui-même --il se mêle de ce qui le regarde-- celui qui ne veille pas sur les actes d’autrui d’une façon curieuse, importune ou impudente. Prenez garde à vous. Un coup d’œil furtif, un regard lascif, un comportement indécent, ne conduisent pas seulement quelqu’un à sa ruine propre, mais entraîne la chute des autres. Celui qui ne prend pas garde à lui n’a pas d’yeux pour voir ses crimes, mais déterre tous les errements d’autrui. Il ignore ses mauvaises actions, mais il accuse les autres, et témoigne contre eux. Il excuse facilement ses fautes, mais est tout feu tout flamme pour condamner un innocent. Et pour ne pas être prolixe, comme dit le Seigneur : L’œil ne voit pas en lui la poutre qui s’y trouve, mais voit la paille dans l’œil de l’autre. L’œil n’est-il pas l’auteur de la prévarication? Et la femme vit que l’arbre était bon à manger, et qu’il était agréable à regarder. La porte de la mort, la torche de l’envie, le chemin de la jalousie, l’œil, en un mot, quand il est incendié par la cupidité, parcourt plus rapidement les biens d’autrui que le feu ne court sur des champs couverts d’herbes sèches. C’est Dieu qui a enfoncé l’œil dans son orbite, et a réduit sa capacité de vision à la pupille, pour qu’il regarde avec modération, sans toiser d’un air malveillant et funeste; pour prévoir, non pour foncer sans réflexion; pour examiner, non mépriser. Que l’œil soit la fenêtre de l’âme, le miroir de l’esprit, la lumière du corps, le guide des membres, non l’entrée des vices !
Mais revenons à ce que nous avons déjà dit. Prenez garde à vous ! Il a dit à vous, non à toi. Parce que si quelqu’un veille sur un autre, il veille sur lui, et tant qu’il se verra lui-même dans l’autre, il verra l’autre en lui-même, comme il appert des paroles suivantes : Si ton frère a péché contre toi, reprends-le, et s’il fait pénitence, pardonne-lui. Sois miséricordieux envers les fautes. Sois celui qui remet les péchés commis contre toi, pour que tu ne perdes pas les insignes de la puissance divine en toi. Toutes les fautes d’autrui dont tu ne te souviens pas, tu nies qu’elles sont des fautes. Si ton frère a péché contre toi, reprends-le. Reprends-le comme un juge, pardonne-lui comme un frère, parce que la charité a des liens étroits avec la liberté. La charité est mélangée avec la liberté; elle comprime la terreur et ressuscite le frère.
Quand le frère blesse quelqu’un c’est l’œuvre de la fièvre, comme c’est la colère qui le fait commettre un crime. Il est hors de lui, et insensible aux sentiments humains. Celui qui, par la compassion, ne se porte pas à l’aide de quelqu’un qui est dans cet état, qui ne le soigne pas par la patience, ne le guérit pas en le supportant, cette personne-là n’est pas saine, elle est malade et infirme; elle n’a pas de cœur, et est étrangère aux sentiments humains. Ton frère se met en colère, attribue-le à la maladie. Toi, aide-le comme un frère. Attribue son comportement à la fièvre, et tu ne pourras pas en rendre ton frère responsable. En toute prudence, tu rendras l’infirmité coupable, et tu n’auras qu’indulgence envers ton frère, pour que sa santé recouvrée concoure à ta gloire, et que ta bienveillance embellisse ta couronne.
Si ton frère pèche contre toi, reprends-le. S’il fait pénitence, remets-lui sa faute. Que personne, en entendant ces paroles, présume pouvoir s’octroyer le droit d’acquitter et de condamner, et par une vaine présomption, imposer une punition à son frère en faute. Comme s’il estimait qu’il est si difficile de remettre les fautes ! Que l’homme pense qu’il est pécheur, qu’il sera pécheur! C’est alors qu’il commencera à aimer le pardon plutôt que la vengeance. Tu entends que tu dois pardonner aux autres, mais tu n’entends pas que les autres doivent te pardonner. Tu pècheras encore demain contre celui qui aujourd’hui a péché contre toi. Et il sera ton juge celui qui était coupable envers toi, et il te pardonnera si tu lui as pardonné. Si tu ne lui as pas pardonné, ou il te refusera le pardon, ou, s’il te le donne, il le mettra sur ton compte plus qu’il te le donnera. Remets à celui qui pèche, remets à celui qui se repent, pour que quand tu pécheras, le pardon soit un remboursement, non un don. Le pardon est toujours une bonne chose, mais il est extrêmement doux quand il est dû. Il remporte la victoire sur la punition, il prévient le juge, il écarte le jugement celui qui, en remettant, pourvoit à son pardon.
Si quelqu’un pèche contre toi sept fois dans une journée, et s’il revient sept fois te dire : je regrette, pardonne-lui. Pourquoi rétréci-t-il le pardon par une loi, pourquoi le restreint-il par un chiffre, puisque c’est la miséricorde qui le demande, et la grâce qui l’accorde ? Si sept fois, pourquoi pas huit fois ? Un chiffre peut-il vaincre la grâce ? La comptabilité peut-elle faire obstacle à la bonté ? Est-ce qu’une faute voue à une punition, que les sept pardons des fautes commises ont déjà abolie ? Loin de nous cette pensée, mes frères. Car s’il est heureux celui qui a pardonné sept fois, il est beaucoup plus heureux encore celui qui a remis soixante-dix fois sept fois. Ne se souvenant plus du commandement, Pierre demande au Seigneur : Si mon frère pèche contre moi, combien de fois lui pardonnerai-je ? Sept fois ? Le Seigneur lui répondit : Je ne te dis pas sept fois, mais soixante-dix fois sept fois. Il n’y a adonc pas de chiffre précis qui rétrécisse le pardon, il le dilate, au contraire. Et si le commandement lui assigne une limite, la liberté humaine , elle, ne lui connaît pas de fin. De telle sorte que si tu pardonnes autant qu’il a été commandé de le faire, la récompense sera égale à l’obéissance.
Pour dire vrai, le chiffre sept, qui semble tout petit, se rencontre fréquemment dans le sacrement. Car le chiffre sept appliqué aux jours donne le Sabbat que le Seigneur a béni, et a consacré au repos tant de son travail à Lui que du travail humain. Le chiffre sept courant dans les huitaines, multiplie par sept les semaines de façon à terminer le cycle par la solennisation du mystère final de la Pentecôte, où se répand toute la pluie du Saint-Esprit, par un coup de tonnerre céleste, sur le champ ensemencé de l’Eglise. Le chiffre sept quand on le compte par mois, consacre les fastes du septième mois à toute la sainteté de notre jeûne. Quand le chiffre sept multiplie les années, il fait une année qui donne le repos à la terre, délie tous les liens qui retiennent un frère à l’autre. Le chiffre sept quand il s’applique aux semaines d’années, conduit à la cinquantième année qui est appelée jubilé , i.e. à toute la plénitude du pardon et de la rémission, pour que soit enlevé l’esclavage et rendue la liberté; pour que les cautions, les factures soient déchirées; pour que le débiteur revive et soit ensevelie la dette; pour que le champ revienne aux pauvres; pour que périsse le contrat qu’avait dicté la cupidité du riche. Et puisque le chiffre sept sert à multiplier par sept les jours, les mois et les années, il contient la totalité de la rémission et du pardon.
Qu’est-ce que le chiffre
soixante-dix fois sept fois peut bien ajouter? Que le chrétien
l’évalue, et que l’auditeur en tienne compte. Alors
cessera le compte de la dette et du crédit; alors sera
abolie définitivement toute forme d’esclavage; alors viendra la
liberté sans fin; alors le champ éternel restera toujours
la propriété du vainqueur. Mais qu’elle vienne
donc la vraie rémission, quand sera abolie aussi la nécessité
de pécher; quand, après la destruction de l’immoralité,
le monde sera déclaré pur; quand, au retour de
la vie, la mort ne sera plus; quand, à l’instauration
du royaume du Christ, le diable périra. Priez
mes frères, pour que Dieu augmente notre foi, pour que
nous puissions croire en ces biens, les voir et les tenir.
140ème
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(L’annonciation)
Il est à douter que toute l’acuité de notre regard suffise pour capter la sublimité de la naissance de Dieu. Car si l’étoile du matin qui annonce le lever du soleil peut à peine être fixée par nos yeux quand ils sont puissants et perçants, quelle innocence ne faut-il pas procurer au regard intérieur de notre âme pour qu’il puisse supporter la splendeur des rayons du Créateur levant ?
Au sixième mois, l’ange Gabriel a été envoyé dans une cité de Galilée du nom de Nazareth à une femme promise en mariage à un homme du nom de Joseph. Le saint évangéliste indique le temps, le lieu, la personne pour que la vérité du récit soit corroborée par les détails précis des évènements. L’ange a été envoyé à une vierge promise en mariage. A une vierge, Dieu envoie un messager ailé. Car il donne des gages, il reçoit la dot celui qui apporte la grâce. Car il ramène la foi, et livre les dons de la vertu celui qui déliera bientôt la vierge de la promesse de se marier. L’interprète de la pensée divine se dirige à toute vitesse vers l’épouse, pour qu’à l’épouse de Dieu, il enlève et arrache toute attache sensible à un époux humain. Il n’enlève pas une vierge à Joseph, mais la rend au Christ, à Qui elle est donnée en gage pour qu’Il naisse dans l’utérus. Le Christ reçoit donc son épouse; Il ne s’empare pas de celle d’un autre. Et Il ne fait pas de séparation quand Il s’unit dans un seul corps à sa créature.
Mais écoutons ce que l’ange a fait. Après être entré chez elle, l’ange dit : Salut, pleine de grâces, le Seigneur est avec toi. Dans cette voix, il y a une offrande, l’offrande d’un don, non la prestation d’une simple salutation. Salut! Ce qui veut dire : Reçois la grâce ! Que la nature ne t’apporte ni trouble ni inquiétude ! Pleine de grâces. Parce que dans les autres, il y a la grâce, mais en toi, c’est toute la plénitude de la grâce qui viendra. Le Seigneur est avec toi. Comment est-il en toi le Seigneur ? Parce qu’Il ne vient pas à toi pour te faire une visite courtoise, mais pour pénétrer en toi dans un nouveau sacrement de naissance. Il a ajouté ces paroles qui convenaient à merveille : Tu es bénie entre toutes les femmes. Parce que l’Ève maudite avait puni les viscères des femmes; la Mare bénie se réjouit dans les femmes, est honorée en elles, et est reçue en elles. Et elle est devenue en toute vérité la mère des vivants par la grâce, celle qui avait été la mère des mourants par la nature.
En entendant cela, elle a été troublée par ses paroles. Parce qu’était venu un ange de belle apparence, fort comme un guerrier, poli et distingué, à la voix puissante, énonçant des choses humaines en promettant des divines. Ce sont les paroles qui troublèrent grandement la vierge, que la vue de l’ange avait peu inquiétée. Celle que la présence de l’envoyé avait peu alarmée a été secouée par tout le poids de l’autorité du messager. Et que dire de plus ? « Elle sentit bientôt qu’elle avait reçu en elle le Juge suprême, là où auparavant elle n’avait vu et contemplé que celui qui avait été envoyé pour choisir le lieu de campement du Dieu des armées. Bien que c’est d’un mouvement plein d’attention, et avec une affection pieuse, que Dieu transforma la vierge en Sa mère, l’esclave en Sa parente, les organes se sont quand même troublés, l’esprit à cherché à fuir, toute la personne a tremblé quand Dieu, que toute la création ne contient pas, s’est renfermé tout entier dans un sein humain. Et elle se demandait ce que signifiait cette salutation. Que votre charité remarque, comme nous l’avons dit, que la vierge a consenti à la salutation non à cause des paroles, mais à cause des grâces qu’elles apportaient. Et la voix n’était pas celle d’un hommage ordinaire, mais elle avait toute la puissance d’une vertu céleste.
La vierge réfléchit, car répondre tout de suite est un signe de légèreté . Réfléchir avant de parler est le signe d’un jugement mûr et pondéré. Il ignore quelle est la grandeur de Dieu celui qui n’éprouve aune admiration pour l’intelligence et l’âme de cette vierge. Le ciel est épouvanté, les anges tremblent, la création n’en revient pas, la nature est suffoquée à la pensée qu’une jeune fille reçoive Dieu dans son sein, l’accueille, lui offre l’hospitalité pour rendre la paix à la terre, la gloire au ciel, le salut aux condamnés, la vie aux morts. Pour établir une parenté entre la terre et le ciel, l’alliance de Dieu Lui-même avec la chair, exiger une demeure comme indemnité, et conquérir un utérus pour sa propre récompense. Pour accomplir cette parole du Prophète : Voici l’hérédité du Seigneur et sa récompense : des fils, les fruits du ventre.
Mais mettons fin au
sermon. Si Dieu nous le donne, et si le temps le permet, nous
développerons ce sujet plus à loisir.