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Sermons de Saint Pierre Chrysologue
docteur de l'église catholique
406 - 450

Première traduction française des 176 Sermons de saint Pierre Chrysologue par JesusMarie.com, 19 août 2014
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Sermons 106 à 140

106ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le  figuier   qui ne produisait pas de fruits)

 Un maître expérimenté,  en variant les sujets doctrinaux,   stimule, aiguillonne et enthousiasme  l’esprit de disciples incultes qui ont de la difficulté à saisir,  et qui sont  lents à comprendre.  De la même façon,  le Seigneur,  en variant les images et en diversifiant les comparaisons,  convoque et invite à l’enseignement évangélique les indolents  et les bornés.   Car aujourd’hui, Il commence ainsi :  Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint pour y trouver des figues,  mais n’en trouva point..    Il dit au vigneron : voici trois ans que je viens chercher des figues  dans ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le.  Pourquoi occupe-t-il  de la terre ?  Mais le vigneron lui répondant lui dit : Accorde-lui encore une année :  je vais creuser tout autour, et lui mettrai du fumier. Peut-être produira-t-il des figues ! S’il n’en produit pas, tu le couperas après.

 Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.   Je le demande :  qu’y a-t-il  de plus clair,  de plus simple,  de plus ordinaire ?   Qu’y a-t-il de plus adapté aux frustres et de plus approprié aux érudits,  que la façon dont cette comparaison est proposée ?  Venant de la langue de tous les jours,  elle les instruit tous  par la parole et les convertit par l’exemple.   Un arbre stérile  encombre  les mottes de terre,  étouffe l’espace,  draine à lui  les sucs vitaux,  cause du dommage au cultivateur, et décourage le propriétaire.  Il est donc avantageux de le couper,  et profitable de ne pas le conserver.    Ainsi en va-t-il de l’homme  qui,  par des actes stériles et inopérants,  renverse,  immerge,  paralyse  le don de la nature,  le présent de l’âme,  le bienfait  de la raison,  l’excellence du sentiment,  le jugement de l’esprit,  le développement artistique,  le bien de la culture ,  et refuse le fruit à l’Auteur,  la reconnaissance au Cultivateur.  Comme l’arbre mérite d’être retranché de la terre,  ainsi  cet homme mérite-t-il d’être retranché de la vie.   Un arbre stérile,  planté dans une vigne,  répand une ombre mortelle  sur les plantes voisines, et non content d’être ennemi de lui-même,  il le devient aussi des sarments  fertiles.   De la même façon,  si un homme indolent et lâche  préside au destin des peuples,  il ne se nuit pas seulement à lui-même  mais à la multitude,   en viciant et perdant par son exemple ceux qui le suivent.

 Mais pourquoi le Seigneur a-t-Il  choisi cette comparaison, écoutons-le.   Le figuier,  après le solstice d’hiver,  par ses fleurs,  laisse prévoir des fruits,  mais  produit des figues qui n’arrivent pas à maturité.   Il trompe ainsi les inexpérimentés,  et se joue des ignorants.  Car il rejette ces figues qui n’arrivent pas à maturité,  fait pousser ce qui est lent à apparaître, et le fait éclater en bourgeons,   Et il produit plus tardivement que les autres arbres fruitiers celui qui semblait devancer tous les autres.   C’est donc avec raison que la Synagogue est comparée par le Seigneur à un figuier,  qui, réchauffée pendant la saison de  la loi,  eut son fruit dans sa fleur  en son temps,   en tant que figure de l’église.   Solidement enracinée sur les patriarches,  agrandie  jusqu’au faîte du sacerdoce,  élargie par les branches prophétiques,  nourrie par l’observation de la loi judaïque,  elle fleurissait en figues qui ne peuvent pas parvenir à maturité,  n’ayant que l’espoir de donner  des fruits par le Christ.  Mais espérant surtout  donner le Christ,  comme fruit qui vient après,  comme le dit le Psalmiste :  Je mettrai sur ton siège un fruit de ton ventre.    Les saints,  qui savaient ces choses,  tiraient de la fleur l’espoir du fruit,  et se consolaient des choses présentes par les choses futures.   Ils voyaient déjà  les choses éternelles remplacer les mortelles,  les choses perpétuelles les caduques.    Ils voyaient  la grâce remplacer la loi,   l’Église la synagogue,  les choses célestes les choses terrestres,  les choses divines les choses humaines.  Et  le Christ remplacer toutes choses.   Comme ils avaient attendu Sa venue avec une longue patience,  ils se sont réjouis, à Son arrivée,  de la joie de ceux qui sont restés fidèles.

 De ceux-ci était ce Siméon  à qui il avait été promis qu’il ne verrait pas la mort  avant de voir le Christ du Seigneur,  et qui a chanté ainsi en Le tenant dans ses bras :  Laisse partir en paix, maintenant, ton serviteur, Seigneur, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut.   Les ignorants ne mirent leur confiance que dans la loi;  ils ne se sont pas souciés d’attendre le Christ,  et ils ne méritèrent ni de Le recevoir ni de Le reconnaître.  C’est ainsi qu’ils ont été trompés par les fleurs de la loi,  comme le figuier  trompe les ignorants par des figues en fleur qui ne peuvent pas parvenir à maturité.   Voilà pourquoi le Seigneur  envoie au figuier ceux qui  désirent connaître les temps de sa venue,  en disant :   Voyez le figuier et tous les arbres. Quand ils produisent leurs fruits,  vous savez  que l’été est proche. De la même façon, quand vous aussi vous verrez ces choses arriver,  sachez que le royaume de Dieu est proche.    Vous voyez que le figuier n’indique pas des choses qui sont présentes,  mais  annonce des choses futures.

 Mais poursuivons l’explication de la parabole,  en suivant de près le récit.   Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.    Le figuier c’est la synagogue,  le propriétaire de l’arbre est le Christ.   La vigne dans laquelle on rapporte que cet arbre est planté  est le peuple israélite,   au dire même du prophète Isaïe : La vigne du Seigneur Sabaoth est la maison d’Israël.   Il est venu chercher du fruit  en elle,  et Il n’en a pas trouvé.   Le Christ est venu,  et dans la Synagogue,  Il n’a trouvé aucun fruit de foi,  parce qu’elle était complètement ombragée par les ruses de la perfidie.    Le Christ est venu au figuier,  où on lit qu’Adam s’est réfugié tout nu après la faute,  comme le dit la Genèse :   Et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus, et cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des pagnes.   Le Christ est donc venu au figuier  pour y trouver Adam,  et  pour couvrir sa nudité du vêtement de Son corps miséricordieux.    Car le figuier ne voilait pas la nudité d’Adam,   mais ne faisait  qu’augmenter sa pudeur.   Ce figuier, i.e, la Synagogue,  avec ses circoncisions,  ne pouvait que dénuder  les parties honteuses du corps;  elle ne les couvrait pas.    Il est venu chercher des figues et n’en trouva pas.  Il dit alors au vigneron : voici trois ans que je viens chercher des figues sur ce figuier, mais je n’en trouve pas. Coupe-le.

 Le vigneron qui reçoit l’ordre  de couper le  figuier stérile est l’ange gardien de la Synagogue  qui, parce qu’il ne pouvait pas en excuser la stérilité,  demande, en suppliant, de surseoir à l’exécution de la sentence.   Mais on ne peut pas passer légèrement à côté de ce que dit le Seigneur :  Voici trois ans.   Trois ans.  Elles sont au nombre de trois les époques  au cours des quelles le Christ est venu chercher du fruit chez la Synagogue :  celle de la loi,  celle des prophètes,  et celle de Sa présence corporelle.    Pour que le figuier stérile, qui avait déjà refusé à la divinité des fruits non nécessaires,  ne refuse pas des fruits nécessaires à l’homme,  à l’affamé,  à l’alimentation du Christ.

 Venons-en maintenant à ce que le vignoble répondit  au propriétaire de la vigne :  Seigneur,  accorde-lui encore une année.   Le vignoble supplie que soit  concédée encore une année de temps évangélique.   Comme le dit Isaïe :  Prêchant une année agréable au Seigneur, et un jour de rétribution.   Pourquoi ?   Pour que je creuse tout autour   Il a voulu que l’on creuse avec la liturgie  apostolique,   parce qu’Il n’avait pas pu supporter la culture du culte légal.   Et je mettrai du fumier.  Il est tellement nécessaire aux racines,  qui,  réchauffées  par un tel engrais,  n’ont pourtant pas mérité d’être fécondées  par  une aspersion céleste.   Figuier stérile,  la Synagogue misérable est engraissée par le fumier des Gentils,   pour que,  secourue par des ferments ignobles,  elle revienne au fruit,  elle qui s’était éloignée de l’abondance d’un fruit si précieux.  Si, après cela,  elle demeurait dans la même stérilité,  alors elle serait coupée non par la faux du vignoble,  mais  par la hache du Seigneur lui-même , désespérée et inutile.  Et c’est pourquoi il n’a pas dit :  Je  la couperai dans le futur,   mais tu  la couperas,  conformément à cette parole de Jean :   La hache est déjà posée sur la racine de l’arbre. Tout arbre qui ne produira pas de bons fruits  sera coupé et envoyé dans le feu.   Parce qu’après la culture du temps évangélique,  la hache du Juge coupera les arbres stériles,  et l’enfer les recevra,  et les brulera dans un incendie d’une puissance inouïe.

107ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
Un hommage à saint Pierre Chrysologue

 Mon peu d’éloquence semblerait me condamner au silence.   Mais me forcent à parler la sainteté de celui qui m’en donne l’ordre,  et la véhémence avec laquelle il me le commande.   Il est préférable de produire  un discours qui n’est pas selon les règles de l’art,   plutôt que de refuser de faire un éloge dicté par le devoir.   Qui pourrait refuser de rendre hommage à un tel homme  qui a reçu du ciel et le nom de l’Apôtre  et le privilège du sacerdoce suprême ?    Il faut croire que ce n’est pas sans un jugement divin  que, dans son enfance,  il ait été jugé digne d’un tel prénom.   Nous pensons que nul autre que Dieu n’a pu le lui donner .  Comment les parents auraient-ils pu en juger puisqu’ils ne savaient rien de ses mérites futurs. ?    Etre appelé Pierre,  pour la plupart,  cela ne signifie que recevoir un nom.  Mais pour Pierre Chrysologue, c’était la prérogative de la vertu.    Il a vraiment été bienheureux ce Pierre,  lui qui a été le fondement immobile du salut.   Il s’est montré tel dans le sacerdoce  que veulent apparaître ceux qui désirent le sacerdoce.   Quelle règle de sainteté ne s’est-il pas imposé celui qui s’est imprégné des pratiques monastiques !  Les jeûnes ont pâli son visage,  les macérations ont réduit son corps,  l’aumône supplie pour ses fautes,  les larmes baptisent ses péchés.   Mais que  le peuple des gens pieux ne s’en étonne pas  !   Pierre a pleuré quand le Christ a fixé ses yeux sur lui.  Que personne ne blâme l’Apôtre d’avoir fait de ses pleurs une pluie qui fertilise !

 
 Il est le gardien de la foi,  la pierre de l’église,  et le portier du ciel.  C’est lui qui a été choisi comme pêcheur apostolique,  qui engloutit au fond de l’eau la foule des erreurs,  qui attire par l’hameçon de la sainteté,  et qui, par le filet de sa doctrine,  attrape pour la foi une multitude abondante d’hommes.  Il est aussi le très bienheureux et apostolique oiseleur qui atteint par la plume de son divin sermon  les âmes des jeunes qui volent dans les airs.  C’est donc de plein droit que le vénérable prêtre de Dieu qui avait autrefois obtenu  le nom de l’Apôtre ait obtenu maintenant ses mérites.  Il sème dans les peuples les préceptes de la justice,  et il explique avec clarté les questions mystérieuses des livres saints.  Son enseignement de maître dans les sciences  célestes est tellement grand que celui qui se convertit lui doit d’avoir été pardonné,  et que celui qui ne se corrige pas porte la responsabilité de sa faute.  Le désir de le voir attire vers lui une grande foule de toutes les parties des régions.  Tous ceux qui habitaient des solitudes désertiques  ou des ermitages isolés  préfèrent venir voir Pierre plutôt que le monde.   Il leur est donné parfois d’apprendre, mais difficilement;  mais c’est plus glorieux que de lutter avec le monde présent.   Et contre les tourbes de délinquants instruits,  il brandit l’épée  de la sainteté.   Quelle grande palme est réservée après le combat pour ceux qui sont placés dans le monde,  si,  sans combats,  des couronnes sont dues à ceux qui vivent  dans les solitudes !

 Le très bienheureux Pierre , mes frères,  vous a instruits par la prédication de sa doctrine  de tout ce qui relève de la vertu divine.  Il vous a enseignés également par ses exemples.   Prions le Seigneur notre Dieu  pour que,  pendant de longues années, il vous réjouisse  par un sermon de doctrine céleste.

P.S.  auteur anonyme.   Cet éloge  aurait été prononcé du vivant de saint Pierre,  pendant qu’il exerçait encore son ministère à Ravenne.   Une question se pose :  la seule chose extraordinaire que l’auteur relève chez le saint, c’est d’avoir porté le prénom de saint Pierre.  S’il avait été  choisi miraculeusement par le pape  comme on le raconte,  cela n’aurait-il pas été dit ?    Comment concilier ces deux choses ?

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108ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(pour que l’homme soit une hostie et un prêtre pour Dieu,  d’après St. Paul :   Je vous supplie par la miséricorde de Dieu,  etc. )

 Elle est étonnante la piété qui prie pour que lui soit accordé gracieusement de prier.   Aujourd’hui le bienheureux Apôtre prie ainsi, non en demandant des choses humaines,  mais en communiquant des choses divines.   Je vous conjure, par la miséricorde de Dieu.   Pour persuader les malades de prendre des remèdes dégoûtants,  le médecin procède par prière;  il ne force pas le malade en lui intimant des ordres.  Il sait, en effet,  que c’est la faiblesse, non la volonté,  qui repousse  ce qui est salutaire,  toutes les fois que le malade répudie  les remèdes.    De la même façon,  le père  attire par l’amour, non par la contrainte,  à la rigueur de la discipline;  car il n’est pas sans savoir  à quel point est rebutante la discipline  aux sens de la jeunesse.   Des prières conduisent l’infirmité corporelle à la cure;  des caresses amènent  l’âme
enfantine à la prudence.   Qu’y a-t-il d’étonnant  si l’Apôtre,  qui est toujours médecin et père,  prie ainsi  pour élever aux remèdes divins  les esprits humains souillés par des maladies charnelles :   Je vous conjure par la miséricorde Dieu.   Il introduit un nouveau genre de supplication.   Pourquoi pas  par la puissance de Dieu,  par sa majesté ou par sa gloire ?   Non.  Il a dit :  Par la miséricorde de Dieu.  Parce que c’est par elle seule que Paul  a échappé au crime de persécuteur,  et qu’il a reçu la dignité d’un tel apostolat.   Comme il le reconnaît lui-même en disant :  Moi qui ai été d’abord un blasphémateur et un persécuteur injurieux,  mais j’ai obtenu la miséricorde de Dieu.   Et de nouveau :  L’enseignement est fidèle et digne de toute considération, car le Christ est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs,  dont je suis moi le premier.   Mais j’ai  reçu la miséricorde de Dieu à l’exemple de tous ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle.

 Je vous conjure par la miséricorde de Dieu.    Paul demande,  bien plus,  Dieu demande par la bouche de Paul,  parce qu’Il veut être plus aimé que craint.  Dieu supplie  parce qu’Il ne veut pas tant être un  Seigneur qu’un Père.   Dieu demande par la miséricorde,  pour ne pas condamner par la rigueur.   Écoute le Seigneur qui demande :  Toute la journée, j’ai étendu mes mains.   Celui qui étend les mains ne prie-Il  pas par son geste ?   J’ai étendu mes mains. .  En direction de qui ?   Du peuple.  Et en direction de quel peuple ?   Non d’un peuple qui croit,  mais qui contredit.  J’ai étendu mes mains.   Il étend ses bras,  Il distend ses membres,  Il dilate ses viscères,  Il montre son cœur,  Il offre son sein,  Il ouvre ses bras,  pour qu’un amour si respectueux le révèle comme Père.   Ecoute Dieu suppliant  ainsi en d’autres mots :  Mon peuple, que t’ai-je fait, ou en quoi t’ai-je contristé ?   Ne dit-Il pas :  Si la divinité est inconnue,  que la chair du moins soit connue !  Voyez, voyez en moi votre corps,  vos membres, vos viscères,  vos os, votre sang !  Et si vous avez peur de ce qui est divin,  pourquoi n’aimez-vous pas ce qui est vôtre ?  Si vous fuyez loin du Seigneur,  pourquoi ne recourez-vous pas à Celui qui vous est apparenté ?   Mais peut-être que vous confond  l’énormité de Ma  passion,  que vous avez causée.    Ne craignez pas.  Cette croix est l’aiguillon  de la mort,  non le Mien  Ces clous ne M’infligent pas de douleur à Moi;  ils enfoncent votre charité plus profondément en Moi.  Ces plaies ne produisent pas Mes gémissements,  mais vous introduisent toujours plus avant dans Mon cœur.  La distension de Mon corps  n’accroit pas Mes peines, mais  vous fait une place encore plus grande dans Mon cœur.   Mon sang ne dépérit pas pour Moi-même,  mais il est prorogé,  pour que vous en receviez le prix.  Venez donc,  revenez,  et reconnaissez qu’il est Père  Celui que vous constatez qu’Il a  rendu  le  bien pour le mal,  l’amour pour les injures, et  une si grande charité pour tant de blessures.

 Mais écoutons ce que demande l’Apôtre :  Je vous conjure d’offrir  vos corps.  L’Apôtre en priant ainsi,  élève tous les hommes au rang sacerdotal.  Que vous offriez  vos corps  comme une hostie vivante.  O office inouï du pontificat chrétien,  quand l’homme est pour lui-même hostie et prêtre !  Quand l’homme ne cherche pas à l’extérieur ce qu’il a l’intention d’immoler à Dieu; quand l’homme apporte en sacrifice  ce qui est avec lui,  en lui et près de lui;  quand demeure la même hostie et perdure le même sacerdoce.  Quand l’hostie qui a été immolée demeure en vie,  le prêtre qui sacrifie ne peut plus tuer.  Sacrifice étonnant où le corps est offert sans le corps,  où le sang est offert sans le sang.   Je vous supplie par la miséricorde de Dieu d’offrir vos corps comme une vraie hostie vivante.

  Frères,  ce sacrifice descend  du sacrifice de Celui qui a immolé vitalement Son corps pour la vie du monde.  Et Il a fait, en toute vérité,  de Son corps une hostie vivante,  parce qu’Il vit après avoir été immolé.   Dans une telle victime,  la mort est condamnée,  l’hostie demeure;   l’hostie vit, la mort est punie.  De là vient que les martyrs naissent de la mort,  commencent pas la fin,  vivent d’avoir été tués;  et ils brillent dans le ciel ceux que l’on croyait exterminés sur la terre.

 Je vous conjure, mes frères,  par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos cœurs comme une hostie vivante.   Voilà ce que le Prophète a chanté :   Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as formé un corps.  Voilà,  homme,  voilà le sacrifice de Dieu et le Prêtre !  Ne perds pas ce que t’a concédé et donné l’Autorité divine.  Revêts   l’étole de la sainteté; ceins le baudrier de la chasteté.   Que le Christ soit dans le voile de ta tête;  que la croix continue à te servir de protection sur ton front.  Sur ta poitrine,  pose le sacrement de la science divine.  Fais monter le parfum  de prière comme une odeur d’encens.   Saisis le glaive de l’esprit,  dépose ton cœur sur l’autel,  et déplace ainsi ton corps en toute sécurité comme  une victime à offrir à Dieu.

  Dieu demande la foi non la mort.  Il a soif du vœu, non du sang. Il est apaisé par la volonté, non par le meurtre.   C’est ce que Dieu nous montre quand Il demande à saint Abraham d’immoler son fils en sacrifice. Car, qu’est-ce qu’Abraham offrait d’autre, dans son fils, que son propre corps?   Qu’est-ce que Dieu réclamait d’autre au père que la foi,  puisque Celui qui lui a ordonné d’offrir son fils ne lui a pas permis de le tuer ?  Confirmé par un tel exemple, ô homme,  offre ton corps.   Ne te contente pas de le macérer,  mais  découpe-le par tous les membres des vertus.  Parce que toutes les fois que  meurent les mauvaises tendances des vices ,  tu immoles à Dieu les viscères des vertus.   Offre la foi,  pour que soit punie la perfidie.   Immole le jeûne, pour que cesse la voracité.   Sacrifie la chasteté,  pour que meure la concupiscence.  Impose-toi la piété,  pour que soit déposée l’impiété.  Invite la miséricorde,  pour que l’avarice soit  mise en pièces.   Et il convient d’immoler toujours la sainteté,  pour venir à bout de la sottise.    Ton corps deviendra ainsi ton hostie , s’il n’a pas été blessé par le javelot du péché.   Ton corps vit, ô homme.  Il vit  à toutes les fois que tu immoles à Dieu la vie des vertus  par les morts des vices.   Il ne peut pas mourir celui qui mérite d’être tué par un glaive vivifiant.  Que Dieu Lui-même  qui est la Voie, la Vérité et la Vie  nous libère de la mort et nous conduise à la vie !
 

109ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’hostie de notre âme et de notre corps à offrir à Dieu de façon raisonnable,  selon les mêmes paroles de l’Apôtre)

 Le précédent sermon n’a touché que les premières paroles du texte de l’Apôtre.  Écoutons maintenant ce que Dieu nous inspire au sujet de ce qui suit.    L’Apôtre  commence ainsi :  Je vous conjure,  par la miséricorde de Dieu,  d’offrir vos corps comme une hostie vivante.   En parlant ainsi,  l’Apôtre prétend-il  que nos corps soient  les seuls dignes d’être offerts à  Dieu, comme des vivantes hosties ?   Et les âmes,  il les passerait sous silence;  il n’en ferait aucun cas, et les laisserait de côté,  comme s’il les réprouvait ?  L’âme ne vient-elle pas du ciel,  et le corps de  la terre ?  L’âme régit,  le  corps est régi;  l’âme commande, le corps sert;  le corps vit,  mais c’est l’âme qui le vivifie.  L’âme demeure, mais  le corps passe;  le corps vieillit,  mais l’âme  ne sait ce que c’est que vieillir.   Et pour finir,  la mort,  qui n’a de pouvoir que sur le corps,  n’affecte pas l’âme,  même si la mort  a lieu en la présence de l’âme.   Pourquoi tait-il l’âme  et n’invite-t-il  que le corps à être une hostie de Dieu ?    Mes frères,  l’Apôtre, ici,  rend honneur au corps,  mais il n’abaisse pas l’âme.   Ce corps que les péchés captivent,  que les fautes soumettent,  que les crimes  avilissent,  que les vices corrompent,  que les passions  culbutent,   l’Apôtre désire l’affranchir.   Il s’efforce de le libérer,  il travaille à l’élever,  et  le voue à l’expiation.  Pour que le corps s’élève jusqu’à l’origine de l’âme,  mais pas pour que l’âme descende à la nature du corps;  pour que le corps accompagne l’âme dans le ciel,  mais pas pour que l’âme suive le corps dans les choses terrestres.   Écoute l’Écriture qui dit  à quel point l’âme est accablée par les tourments que lui inflige le corps :   Le corps, qui se corrompt, alourdit l’âme, et la pensée terrestre abaisse l’intelligence de celui qui pense beaucoup de choses.   L’Apôtre ne veut donc pas se défaire de l’âme,  mais exalter le corps.   Et il veut que ce soit l’âme et le corps, c’est-à-dire  l’homme complet  qui devienne un sacrifice agréable à Dieu,  une hostie sainte.   Que l’âme soit, elle aussi, un sacrifice agréable à Dieu,  le Psalmiste le déclare en disant :  Le sacrifice à Dieu est un cœur contrit.

 Pour que vous offriez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à dieu.   Car l’homme ne plaît pas  à Dieu du fait qu’il vit,  mais du fait qu’il vit bien.  Et l’homme ne devient pas hostie du seul fait de s’offrir à Dieu,  mais s’il s’offre saintement à Dieu.   Autant une victime immaculée apaise Dieu,  autant une victime maculée  l’exacerbe.  Écoute Dieu qui dit :  Tu ne m’offriras pas de boiteux, de borgne,  quelqu’un qui est pollué par la pensée de la mort,  mais un animal sain et  sans tache.   Voilà pourquoi l’Apôtre demande une hostie vivante.   Donc,  mes frères,  si nous sommes un encens de propitiation,  rien ne manque.

 Caïn nous le démontre .  Dans son ingratitude,  le pontife Caïn répartit ainsi le peu qu’il offrait à Dieu de son abondante récolte : il offrirait par le feu ce qui était le moins bon,  et ce qu’il y avait de meilleur,  il se le réserverait  à son propre détriment.   En faisant une mauvaise répartition de ses biens avec son Auteur,  il s’est retranché, lui et ses successeurs,  de la vie et du genre humain.  Suivons donc  Abel jusqu’à sa récompense;  n’accompagnons pas Caïn jusqu’à son châtiment.   Abel est considéré comme un agneau, parce qu’il portait  un agneau à offrir en sacrifice à Dieu.  Caïn,  en transportant de la paille,  n’a fait que trouver de quoi alimenter un feu qui a tout consumé.  Pour que vous offriez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, votre hommage raisonnable.   Autant plaît à Dieu un culte   qui est conforme à la raison,  autant Lui déplaît un hommage irrationnel.   L’hommage est rationnel  s’il n’est pas troublé par la présomption,  s’il n’est pas  dénaturé  par la témérité;   s’il  n’est pas entaché de choses illicites et z s’il  n’est pas fardé d’hypocrisie.   Pour le service du roi,  le soldat doit se tenir debout en tremblant.  La domination humaine exige une servitude anxieuse;  la peur de celui qui obéit  le soumet au bon vouloir de celui qui commande. Une dévotion prudente acquiert le prix d’une juste rémunération;  et le service présomptueux n’échappe pas à la peine de la témérité.   Qui, sans avoir été appelé,  se précipite au palais royal  pour y exercer une fonction ?   Qui oser se déclarer soldat sans avoir été enrôlé ?  Qui usurpe le nom d’une dignité sans en porter les insignes ?   Ces façons de faire  sont conservées avec soin et attention par les humains.    Elles  demeurent toujours en vigueur   si le commandement les maintient en vie,  et si  la peur les conserve.    A plus forte raison,   les serviteurs de Dieu, ceux qui lui rendent un culte,  doivent-ils avoir à cœur,  dans la crainte  et le tremblement,  de Lui présenter un hommage divin rationnel.   Que votre hommage soit rationnel.   Un hommage que la raison équilibre se nomme ferveur;  il se nomme fureur s’il n’est pas freiné par la raison.

  C’est pourquoi le peuple juif perdit le Dieu qu’il servait avec sa raison, quand il chercha un dieu de façon irrationnelle.  C’est pourquoi les fils d’Aaron, ayant fait fi de la raison,  ont présumé pouvoir approcher les feux terrestres des feux divins,  transformant ainsi  la flamme du sacrifice salutaire  en un incendie de souffrances.  C’est pourquoi Saül,  enflé par le pouvoir royal,  a perdu ce qu’il avait reçu, quand il a pensé qu’il lui était permis d’exercer aussi  le sacerdoce,  en montant  témérairement à l’autel pour offrir un sacrifice.   C’est pourquoi le Juif  a tué l’Auteur de la loi,  après avoir pratiqué la loi  sans comprendre la loi.   C’est pourquoi le Gentil n’a pas pu  parvenir  au service  unique et véritable de Dieu,  tant que,  égaré loin de la saine raison,  il rendit un culte à une multitude de dieux,  et à des dieux dépravés.  C’est pour cela qu’Arius  croyait honorer le Père en blasphémant le Fils.  Et en donnant un commencement au Fils,  il a été  assez misérable pour  assigner une fin au Père. C’est pour cela que Photin,  en niant que le Fils est coéternel au Père, a conjecturé que le Père  n’a pas toujours été Père   C’est pour cela que toutes les hérésies  qui injurient la Divinité,  qui parlent mensongèrement de la Trinité,   blasphèment Dieu en l’Honorant.

 Mais nous,  mes frères,  que nos corps soient aptes à devenir une hostie vivante pour Dieu.  Procurons à Dieu notre hommage rationnel,   pour que la foi soit vraie,  la conscience pure,  l’esprit sobre,  l’espérance ferme,  le cœur pur,  la chair chaste,  la miséricorde généreuse,   la vie sainte,  la conduite honnête.   Pour qu’en tout hommage que nous rendons au Christ,  l’humilité nous accompagne.
 
 
 

110ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Lettre aux Romains,  4, 23 et s.)

 Le bienheureux Apôtre,  aux premiers et aux derniers, i.e., aux Juifs et aux Grecs,  a toujours présenté l’étendard du salut,  qui est unique et tout à fait spécial.    Celui qui ne méritera pas de l’avoir et de le conserver ne pourra accéder à la gloire des triomphes célestes.   L’étendard  est le seul à pouvoir guider les soldats vers l’armée perfide;  le seul à indiquer le roi;  le seul à  unifier l’armée.   Il terrifie l’ennemi impie  par sa seule vision.

 Voici comment l’Apôtre commence aujourd’hui :   Ca  n’a pas été écrit seulement pour Abraham  que cela lui a été compté à justice,  mais pour nous aussi qui croyons en celui qui a ressuscité des morts Jésus, notre Seigneur.  Vous voyez,  mes frères, que si  les anciens ont cru  dans les choses futures  et nous dans les choses passées,  nous parvenons tous au salut par le même chemin de foi.   Eux ont professé le Christ qui  allait venir,  et nous, nous  confessons Celui qui est déjà venu.  Eux croient en Quelqu’un qu’ils s’étonnent  de voir descendre jusqu’à la mort, à la façon d’un homme.  Nous, nous nous glorifions de Sa mort et de Sa résurrection.  A quoi bon en dire davantage,  mes frères ?  Tant aux anciens qu’à ceux d’aujourd’hui,  la connaissance du salut par les yeux a été refusée,  pour qu’il s’opère par la foi.

 Parce qu’il a dit :  En celui qui a ressuscité des morts Jésus, notre Seigneur,  que personne ne pense qu’Il a été ressuscité par un autre.  Lui-même a fait et a ressuscité Son corps,  Lui qui a dit :   J’ai le pouvoir de déposer mon âme et j’ai le pouvoir de la reprendre.    Car la Résurrection ne peut pas être ressuscitée par un autre,  ni la Vie vivifiée par un autre.  Il ne pouvait pas se refuser à Lui-même ce qu’Il était sur le point d’accorder à tous.   Car la Fontaine n’as pas soif,  et  le Pain n’a pas faim;   le Soleil n’a pas besoin d’être éclairé,  et le Repos ne se fatigue pas.

 Celui qui a été livré pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification.   Livré à cause de nos péchés,  non pour que soit anéantie la Vie qui ne pouvait pas mourir,  mais, pour qu’à Elle seule,  elle anéantisse les péchés qui nous avaient exilés de la vie.   Et il est ressuscité pour notre justification.     Tant que demeure la condamnation,  le condamné  ne peut pas être réhabilité.   La faute du premier parent  nous avait adjugés,  pour que la mort nous garde sous sa dépendance, de plein droit.   Mais le Christ,  notre vrai père céleste, après avoir abrogé la sentence de condamnation,  justifie la résurrection par sa propre mort,  pour que ce ne soit pas le coupable qui périsse mais la faute.   Cette punition, i.e. la mort,   qui avait été imposée pour terrasser des coupables,  perdra son emprise  en toute justice,  et se fera arracher  les insignes de sa puissance.   Pourquoi l’impie a-t-elle osé s’en prendre à l’Innocent ?  Pourquoi la cruelle a-t-elle osé s’attaquer au Juge ?

 Et c’est pourquoi il ajoute :   Pour que, justifiés par la foi, nous ayons la paix en Dieu.    Ce qui revient à dire :  Qu’elle cesse,  qu’elle cesse la mère des dissensions,  l’ennemie du repos,  la conscription hostile à la paix  !  Que le Juif ne s’enorgueillisse pas de la loi;  que le Gentil ne tire pas vanité de la nature !  Que les philosophes cessent de se monter la tête avec leurs élucubrations et leurs divagations  !  Que personne ne se glorifie de ses mérites et de ses actions  !   Parce que la Paix divine nous a restitué et nous a rendu  la vie,  que la première prévarication nous avait dérobée,  et que la lutte furieuse  avait éloignée de nous.  Ayons la paix en Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ.     Que la terre ne se rebelle pas contre le ciel;  que la chair ne s’insurge pas contre l’esprit;  mais qu’elles soient admises,  dans l’humilité, à la gloire perpétuelle de la paix surnaturelle.  Par qui nous aurons accès.  Parce qu’Il s’est fait Lui-même pour nous la Voie,  par la foi dans cette grâce.    Le guide de cette vie,  mes frères,  c’est la foi.  Dans laquelle nous nous tenons,  et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu.  C’est la foi qui nous maintient debout, non le corps;   et nous nous réjouissons dans l’espérance,  non dans la possession de la chose elle-même.

  Nous nous ne réjouissons pas seulement de cela,  mais nous nous réjouissons aussi de nos tribulations, parce que la tribulation opère la patience, la patience la probation et la probation l’espérance.  L’espérance ne trompe pas.  Voilà par quelles étapes le juste  se fortifie pour devenir un homme parfait :  dans la tribulation,  dans la patience,  dans la probation, dans l’espérance.   La tribulation vient en premier lieu,  qui secoue et trouble l’enfance  de l’homme juste.  Mais quand elle découvre qu’il est patient,  elle éduque à de plus grandes choses l’adolescent qui manifeste une riche nature.  La tribulation opère la patience.  La patience,  mes frères,  est ce qui démontre que le jeune homme est apte aux vertus chrétiennes.   L’espérance ne nous trompe pas.  C’est l’espérance qui parfait l’homme.   Et,  sans fatigue,  elle conduit à la mesure de la plénitude du Christ.   C’est le propre de la vertu parfaite de ne pas chercher à posséder par la force de l’espérance  ce qui n’existe que dans la réalité .   Parce que la charité est diffusée dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous est donné.    Et pour montrer la qualité de la charité divine diffusée en nous,  il ajoute :  Comment comprendre que le Christ soit mort pour des impies, alors que nous étions encore infirmes selon le temps ? C’est à peine si quelqu’un meurt pour un juste. Car pour un homme bon,  quelqu’un osera peut-être mourir.  Dieu nous fait valoir la grandeur de sa charité en ceci qu’il est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs

  Si Dieu a aimé le genre humain au point de donner Sa mort pour les impies et les pécheurs, quoi d’autre  pensons-nous qu’Il prodiguera aux justes  que Sa vie,  Son règne, Sa gloire.   C’est de toi qu’Il a reçu la mort, qu’Il a dépensée  sur la terre pour les impies.  Il te réserve à toi ce qu’Il possède en Lui-même et par Lui-même depuis toujours,  et qu’Il possède dans le ciel.   Disons donc avec le Prophète :  Que donnerai-je en retour à Dieu pour tout ce qu’il m’a accordé ? Je prendrai le calice du salut.  Ce qui signifie :  Je mourrai, moi aussi,  pour Lui.  Quelle ressemblance y a-t-il  de ceci à cela  ?   Lui,  Il est mort volontairement pour l’impie et le pécheur.  Moi,  c’est tout juste si je mourrais pour un homme parfait et bon.   Moi, c’est à peine si j’accepterais de mourir,  car ce n’est pas ma volonté qui me conduit à la mort, mais la nécessité.   Écoute-Le dire à Pierre :   Quand tu seras vieux, un autre te ceindra et te conduira là où tu ne voudras pas.   Dans les calamités,  mes frères,  on ne peut pas mettre sur un même plan la volonté et la nécessité.   Se résigner à un malheur,  la nécessité nous l’enseigne;  le vouloir est le propre de la vertu.  La mort est subjuguée par celui qui la veut,  parce que la mort exerce toujours son empire sur celui qui ne la veut pas.   Et cependant,  mes frères,  parce que l’homme ne pourra jamais rien donner en retour qui soit semblable  à la charité divine,  qu’il donne ce qu’il peut;  car le don est accepté s’il correspond à ce que l’homme a.  Qu’il dépérisse en vue de la gloire,  qu’il meure pour la vie,  qu’il périsse pour être sauvé.   Réjouissons-nous de ce nouveau renversement de notre condition,  parce que la mort qui était parmi les hommes  un rétablissement de la piété,  est devenue par le Christ  une recommandation de la charité divine.
 
 
 

111ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« comme par un seul homme le péché est entré dans ce monde »)

 La lecture présente, mes frères, en  nous disant que le monde entier a été condamné à cause d’un seul homme,  ne nous invite pas à déployer notre éloquence, mais nous condamne à pleurer,  en renouvelant au plus profond de notre cœur notre douleur.  Car  si un devin se lamente longtemps sur une catastrophe  qui frappe tout un peuple,  une seule ville,  ou même un seul homme,  quelle intelligence n’est pas plongée dans  les ténèbres,  quelle raison n’est pas frappée d’hébétude,  quels yeux ne deviennent pas des fontaines et des fleuves de larmes,  quand la chute d’un seul est la ruine de tous;   quand la faute d’un seul entraîne la punition de tous;  quand la conduite blâmable du parent a préparé un châtiment féroce à tout le genre humain,  au dire de l’Apôtre :   Comme par un seul homme le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort.   Malheur à moi !  Celui qui était la cause de tous les biens est devenu la porte de tous les maux.  Le péché est entré dans ce monde.    Dans ce monde !   Tu t’étonnes qu’il ait lésé  ses descendants,  qu’il ait damné le monde par son crime à lui?     Et tu dis :  Comment le péché est-il entré ?   Par qui est-il entré ?  Comment ?  Par la faute.    Par qui ?  Par l’homme.   Eh quoi !  Le péché est-il une nature ou une substance ?   Il n’est ni une nature ni une substance,  mais un accident.  C’est cette puissance contraire qui apparaît dans les actions,  qui se découvre dans la punition,  qui fait la guerre à l’âme,  qui blesse l’esprit,  qui viole et trouble la nature.   Que de dire de plus,  mes frères !    Le péché est à la nature ce que la fumée est aux yeux,  ce que la fièvre est au corps, ce que la salure amère est aux plus pures  fontaines.  De toute évidence,  l’œil est clair et limpide par nature, mais il est troublé et enténébré par la fumée .    De la même façon,  le corps,  du fait qu’il a été créé par Dieu,    jouit toujours  de ses sens et de ses membres.  Mais là où s’immisce l’ardeur de la fièvre,  là où l’ouragan prend le contrôle,  il n’y a plus qu’imbécillité.   Alors,  la bouche écume,  les yeux sont embrouillés,  les pas sont chancelants,  une légère brise suffoque,  ceux qui nous sont chers nous importunent,  les marques d’estime nous sont odieuses.   Autant les fontaines sont agréables par  leur fraîcheur et leur pureté,  autant elles sont insupportables si leur eau a été souillée.

Mais revenons à ce que nous avons commencé.   Comme par un seul homme le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort.   Voici mes frères quelle est la porte :  le péché est entré par l’homme,  et le péché est entré pour procurer la mort.    Péché,  ô cruelle bête fauve,  qui ne se contente pas d’une seule tête, mais qui veut sévir sur tout le genre humain;   que nous voyons dévorer tous les rejetons si précieux de la souche originelle,  avec une triple gueule.   Je dis triple gueule, mes frères,  parce que le péché attrape,  le mort dévore et l’enfer engloutit.   Et comme nous avons dit,  avec  quel déluge de larmes ne devrions-nous pas pleurer ce parent qui nous a légué tant de misères en héritage;  qui non seulement a perdu les biens qu’il possédait,  mais a laissé ses descendants redevables à des créanciers si féroces.   O dure,  o cruelle hérédité !   Comme nous sommes misérables,  nous qui n’avons pas eu la liberté  de conquérir l’héritage , mais à qui  il n’a été que permis d’y renoncer.

Ecoute ce qui suit :  Et c’est ainsi que la mort est entrée dans tous les hommes.  Mais pour que n’apparaisse pas injuste  que le péché soit entré dans tous par un seul,  considère que tous sont par un.  Tu déplores avoir été condamné par celui par qui tu te glorifies d’avoir vu la lumière du jour.  Mais tu dis :  si je dois ma naissance à mon géniteur,  lui dois-je aussi le crime,  de façon à ce que la nature me fasse coupable ,avant que je n’aie commis de faute ?   A cette question,  les paroles de l’Apôtre qui suivent répondront.   En qui tous ont péché.    Dans l’homme aussi bien que dans la péché.    Par lui et en lui tous péchèrent.    Le péché ne s’est donc pas changé en nature,  mais,  en ingérant la mort,  le péché  exige une peine qui est due par nature.  Dieu avait fait la nature de façon  à créer les hommes pour la vie.   Mais cette nature,  en engendrant sans vouloir la mort,  se reconnaît redevable au péché,  à qui elle voue un service d’expiation pendant la vie.  Car qui s’imagine, mes frères,  que la nature veuille que ses enfants soient exterminés,  que ses fœtus si chers soient  tués ?    Mais en gémissant et en se lamentant,  elle déplore la perte de sa liberté  et désire la retrouver.   Mais par qui la récupérera-t-elle ?  Jean est le premier  à le montrer clairement :  en voyant le Christ, il  proclame tout haut et dit à pleine voix :   Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.   Le  péché du monde,  c’est-à-dire,  mes frères,  celui que l’Apôtre atteste être entré par un seul homme.  Réjouissez-vous donc,  mes frères,  parce que le péché  qui nous  plongeait dans le tartare,  a été supprimé  par le Christ,  a été inondé dans le tartare.   Et nous que la faute de notre premier parent  avait asservis à la mort,  la grâce  de notre deuxième et divin Père  nous a rappelés du châtiment à la vie.  L’homme ne pouvait donc pas être sauvé sans le Christ,  parce qu’avant Sa venue,  tout le péché du monde demeurait tel quel.   Mais tu acceptes d’avoir été justifié par le Christ,  et tu refuses d’avoir été condamné par Adam.   Et tu te plains  d’avoir subi des dommages de la peine d’un autre,  quand tu trouves normal  d’avoir été sauvé par la sainteté d’Un seul.   L’arbre entier n’est-il pas  dans la semence ?    Un vice de la semence est donc un vice de tout l’arbre.   Si la nature avait pu se subvenir à elle-même,  Son Auteur ne l’aurait jamais assumée pour la réparer.   Tu crois qu’elle a été crée pour la vie,  mais tu doutes encore qu’elle a été réparée par son Auteur ?

 Jusqu’à la loi,  le péché était dans le monde .   Quant tu entends : jusqu’à la loi,  tu dois comprendre : jusqu’à la fin de la loi,  c’est-à-dire,  jusqu’à l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ.   Parce que le péché n’était pas imputé quand il n’y avait pas de loi.    A quel moment n’y avait-il pas de loi,  puisqu’elle a commencé avec l’homme lui-même?   S’il n’y avait pas eu de loi,  Adam n’aurait certainement pas été un prévaricateur,  comme l’Apôtre le laisse entendre quand il dit ;   Mais la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse.   Les deux avaient reçu la loi.   Mais Adam s’est empressé de prévariquer pour la recevoir;   Moïse a promulgué aux prévaricateurs la loi qu’il avait reçue,  au dire de l’Apôtre :   La loi a été posée comme une cause  de prévarications.   La mort a donc régné par la loi,  car il est plus grave d’être prévaricateurs que simples pécheurs.  Et la cruelle a dévoré  non seulement ceux qui sont tombés par le vice de leur parent,  mais par leurs propres crimes.   Mais la mort a régné d’Adam jusqu’à Moïse même sur ceux qui n’ont pas péché par une prévarication semblable à celle d’Adam.  Car elle ne dévorait pas seulement les grands,  mais aussi les petits.  Et non seulement ceux qui lui étaient redevables,  mais ceux qui ne lui étaient pas. Quand je dis qu’ils n’étaient pas redevables à la mort,  je veux dire qu’ils  ne l’étaient pas  par leurs fautes propres;  mais ils l’étaient  par la faute du premier parent.   La condition de l’enfant n’en était que plus lamentable,  parce qu’il expiait la peine de son premier parent,  avant même d’avoir goûté à la vie;  et il pleurait le péché du monde avant d’avoir connu le monde.  Reconnaissons,  mes frères, que la mort a régné par un seul,  à cause du péché d’un seul,  si nous désirons tous être absous par Un seul,  par le Christ.   Car celui qui vit le doit au Christ,  non à lui-même;  et la mort,  il la devra à Adam.
 
 

112ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« si à cause de la faute d’un seul,  la mort est entrée dans le monde par un seul »)
 
Si quelqu’un présente une coupe d’eau froide à un voyageur assoiffé,  il refait les forces d’un homme fatigué,  et se porte au secours de l’humanité,  mais il n’étanche  pas la soif au complet.  De la même façon,  à ceux qui désirent  connaître le magnifique secret de la science divine,  notre sermon ne suffit pas,  qui ne fait que répondre à la hâte  au besoin d’un moment.   Si pour faire le tour de toutes les connaissances humaines, la vie d’un homme est trop courte,  quel temps, pensez-vous,  suffira  à l’étude  des choses divines ?  Montrez-vous compréhensifs, mes frères,  si pendant un si  court laps de temps—une heure---,   j’arrive à peine à clarifier des points obscurs, à dévoiler des choses cachées,  à éliminer des doutes,  à m’approcher des choses profondes.   D’aucune façon,  il ne m’est possible  d’élucider un sacrement  qui est demeuré ineffable pendant tant de siècles.   Aux disciples et aux fils,  il nous est encore possible d’en parler avec prudence,  avec sécurité et confiance;  mais d’en parler d’une façon continue aux incroyants, cela ne se peut pas.   Le  discours apostolique d’aujourd’hui se fraie un chemin sans ambages  jusqu’aux oreilles de ceux qui l’écoutent;  et ne comporte rien d’ambigu pour des esprits catholiques :  Car si par la faute d’un seul,  la mort a régné par un seul.   Déposant tout souci oratoire, appuyons-nous  en toute simplicité sur les paroles apostoliques,  afin que notre sermon n’engendre aucune obscurité  pour ceux qui désirent savoir la vérité.
 Si, à cause de la faute d’un seul, la mort a régné par un seul.  L’autorité évangélique  peine à expliquer pourquoi  le premier homme a légué la mort en héritage à ses descendants.   La phrase de la Sagesse aurait suffit qui dit :  Dieu n’a pas fait la mort.  Je ne peux pas comprendre qu’il y a des gens qui attribuent à Dieu la création d’une chose aussi cruelle, aussi féroce,  aussi barbare.  Personne,  sans blasphémer,  ne peut penser qu’un Dieu si pieux et si bon a pu créer la mort,  dont l’univers entier accuse et déteste l’auteur par une douleur continuelle,  des gémissements et des larmes.  Si même les hommes ont criminalisé la mort,  qui ose croire qu’elle a été crée en même temps que l’homme,  et qu’un Dieu innocent l’a infusée dans l’homme, pour le punir, avant la vie elle-même ?

 Mais écoutons l’Apôtre :   Car si à cause de la faute d’un seul la mort a régné par un seul, ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce, du don et de la justice  règneront bien davantage dans la vie  par un seul Christ, notre Seigneur.   Voici un seul et un seul : Adam et le Christ.  Par l’un, le péché a régné dans la mort;  par l’autre,  la grâce a régné dans la vie.  Voilà donc les deux principes de la vie et de la mort,  de l’absolution et de la punition,  de la liberté désirée  et de la damnation exécrée.  Celui  qui continue la lecture du texte l’Apôtre  le découvre et le déclare :   Donc, comme la faute d’un seul homme a entraîné la condamnation de tous les hommes, la justice d’un seul a procuré la justification de la vie à tous les hommes.    Par un seul et un seul,  ou la mort règne,  ou la vie est accordée.  Le sermon du commentateur qu’a-t-il à ajouter à cela ?    Mais si tu accoles le silence à ces paroles,  les auditeurs  cesseront de réfléchir à la doctrine.  Donc comme la faute d’un seul homme a entraîné la condamnation de tous les hommes,  la justice d’un seul a procuré la justification de la vie à tous les hommes.  Comme la rivière,  de la source,  et le fruit,  de la semence,  la postérité dépend de l’origine  qui l’asservit ou l’affranchit.   Ce que l’Apôtre ajoute nous le fait comprendre encore mieux.  Car comme par la désobéissance d’un seul homme plusieurs  ont été constitués pécheurs, ainsi, par l’obéissance d’un seul, beaucoup ont été constitués justes.   Que l’homme soit pécheur pour que Dieu soit juste,  parce que la faute rebondit jusqu’au Juge,  s’Il punit de peine un innocent.  Et c’est pourquoi il a dit :  Comme par la désobéissance d’un seul beaucoup sont devenus pécheurs.  Pour qu’ils sachent qu’ils ont participé à sa faute,  quand ils réalisent qu’ils sont des compagnons de bagne.
 Mais de quel profit a été la loi selon l’Apôtre,  qu’ils l’écoutent  ceux qui sont entichés de droit civil :   La loi est intervenue pour qu’abonde le péché.   La loi,  d’après l’Apôtre,  n’a pas procuré l’immunité des fautes,  mais les a fait abonder.  Non par elle-même,  frères,  mais par celui qui ne pouvait pas,  par faiblesse,  supporter la  loi.   Ce n’est pas la grandeur de la lumière du soleil qui paralyse les yeux,  puisqu’elle a été crée par Dieu pour eux;  mais la faiblesse des yeux ne peut ni en soutenir ni en supporter tout l’éclat.   Il en est de même pour la loi,  mes frères.  Par elle-même,  elle est tout ce qu’il y a de juste et de saint;   mais en imposant une sévère discipline à l’homme fragile,  elle devient de plus en plus pesante,  et  fait connaître  le délinquant.   Et cela,  pourquoi,  mes frères ?    Pour que par la grâce et le pardon du Créateur,  il retourne à la vie celui qui  par la concupiscence et l’ignorance----quand il se glorifiait, de mauvaise foi, de son innocence---  était conduit, lui aussi, au châtiment,  pour payer la dette de son parent.   La maladie n’apparaissait pas au grand jour : elle était cachée.  Elle pénétrait dans les méandres les plus secrets des veines, des os et des parties vitales;  leur apportait la destruction, et se communiquait à toutes les parties et à tout l’ensemble du corps.   La loi est venue  qui a fait connaître la blessure,  et qui a annoncé l’arrivée d’un Médecin céleste  capable de  soigner la maladie atavique.   La loi est venue qui par ses baumes adoucissants,  a fait apparaître  à la surface de la peau ce qui sévissait mortellement en profondeur.  La loi est venue pour que, par le glaive des préceptes,  soit percé l’abcès séculaire;  et assaini l’organisme  par l’éjection salutaire du pus.  Mais elle ne pouvait,  par elle-même, frères,  ni cicatriser ni suturer  la plaie,  ni apporter au malade la santé parfaite.   Quand le malade prit conscience de cela,  et reconnut le caractère lamentable  de son état,  il commença à tendre  vers son Médecin.    Pour que la bonté gratuite et l’habileté  d’un si grand Médecin  guérisse celui que la loi  avait  abandonné,  après avoir aggravé sa maladie.    Nous disons que la  maladie a été aggravée, mes frères,   parce qu’après l’incision,  la putréfaction,   la puanteur,  l’horreur,  la douleur apparaissent;  et,  par la cure,  l’aspect de la maladie du malheureux  est pire  que quand on en ignorait le danger latent.  Le Médecin arrive  donc, et,  par l’autorité d’une seule parole,  Il vient à l’aide de celui qui en avait marre des cures,  et plus que marre des vexations des cures.   Comme le confesse le centurion,  en disant :   Dis une seule parole,  et mon enfant sera guéri.   Et pour que s’accomplisse cette prophétie :   Il a envoyé son verbe,  et il les a guéris.  Et c’est pour cela qu’il continue ainsi :   Où a abondé le péché,  la grâce a surabondé.    Comme s’il disait :   Où la maladie  s’est aggravée,  la santé a refleuri avec plus de vigueur.  Que personne donc ne soit ingrat envers la loi,  parce que celui qu’elle avait trouvé malade et alité,  elle l’a levé,  l’a réchauffé,  et, pour l’amener au salut,  elle l’a conduit jusqu’au Médecin, exultant à l’avance de sa santé recouvrée.    Comme le dit l’Apôtre :  Comme le péché a régné dans la mort, ainsi la grâce règne dans la vie éternelle, par Jésus-Christ notre Seigneur.    La grâce règne dans la vie,  le péché dans la mort.   La foi droite n’impute pas au Dieu Créateur la mort de l’homme,  la destruction de l’homme.   Elle ne Lui attribue que le salut de l’homme.   Que la mort soit revendiquée par  l’homme,   par le  péché,  pour que l’on croie que la création et la restauration de la vie sont l’œuvre exclusive du Christ.
 
 

113ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Que dirons-nous donc ?  Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? »)

 Quand l’Apôtre fait des interrogations oratoires,   quand il pose une question qui ne demande pas de réponse,  il semonce et gourmande  ceux qui, par leur interprétation,  faussent le sens des paroles divines;  des gens qui vont chercher des incitations au crime,  là où ils devraient puiser des exemples de vertu.  Voilà pourquoi il commence ainsi aujourd’hui :   Que dirons-nous donc ?  Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ?    Un peu plus haut, il avait dit :  Là où avait abondé le péché la grâce a surabondé.   Voilà pourquoi il a ainsi commencé.   Comme un pédagogue divin chevronné,  il se met dans la peau des ignorants,  pour  leur répondre avec une érudition  pleine de prudence céleste.   Car si là où a abondé le péché,  la grâce a surabondé,  que devrons-nous en conclure ?   Que nous demeurions dans le péché pour qu’abonde la grâce ?   Si la miséricorde se penche sur les délinquants,  si la grâce est généreuse envers les pécheurs,  si la libéralité divine est amie des injustes,  que dire du chemin pénible des vertus que nous devons parcourir;  que dire du dur labeur que nous devons nous imposer pour atteindre la sainteté;   que dire des souffrances que nous devons supporter, pour porter le joug  de la conservation de l’innocence au milieu des méchants ?   Que les crimes humains se multiplient,  pour que la bonté céleste pullule ?  Faisons les maux ----comme il le dit lui-même---pour que viennent les biens ?  Demeurons dans le péché,  pour que la grâce abonde ?   Le même qui pose la question fournit la réponse :  Certes non !    Car, nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore en lui !    Quand il dit : Certes non !,  il voue à l’exécration la compréhension que les insensés ont de cette phrase,  et le sens qu’ils lui donnent.  Le médecin  ne met pas ses soins à améliorer la maladie,  mais la santé;  il ne se réjouit pas à cause de la putréfaction ou à cause des maladies,  mais à cause de la seule santé.  De la même façon,  Dieu qui, à cause de la grandeur de la plaie,  a utilisé la puissance et la vigueur de la médecine,   n’a pas procuré Sa grâce au péché,  mais à l’homme.   Il n’a pas versé l’ondée de  Sa pitié pour  multiplier les péchés, mais pour les exterminer.   Que personne,  absolument personne ne rende grâce d’avoir été guéri ,  en voulant que demeurent les blessures !  Il est ingrat envers le Médecin,  et hostile à toute cure,  celui qui brûle toujours d’être soigné,  mais qui ne désire jamais être guéri;  et qui implore  la surabondance de la grâce de Dieu sur ses péchés,  parce qu’il veut les rendre plus abondants encore.  Misérable est celui qui,  par un tel désir, ambitionne d’être coupable en recherchant le pardon.   Il faut fuir comme la peste cette démence,  mes frères,  qui, même après la cure,  est retenue captive par l’amour des maladies,  car la rechute est souvent mortelle.

 Quand il dit : Nous qui sommes morts au péché,   il parle ici de la figure du temps présent,  parce qu’il dit que nous sommes morts au péché;   mais il ne dit pas que le péché est complètement mort en nous.   Car  même si,  chez les saints et les fidèles,  le péché  en acte est mort,  il continue à vivre,  et il exerce encore sa fureur sur notre mort. Le péché en lui-même mourra en nous quand la corruption aura revêtue l’incorruptibilité,  quand le mortel sera devenu immortel, et quand sera accomplie la parole : Mort, où est ton aiguillon ? Enfer, où est ta victoire ?  L’aiguillon de la mort est le péché.   Il vit pour le péché –comme il le dit par la suite--- celui qui se rend l’esclave des concupiscences.  Et il sert  comme un misérable qui est traité à coup de fouets celui qui se soumet à ses vices,  qui succombe aux crimes  en une continuelle et malheureuse captivité.  Il donne le nom de nature au péché;  et se sert de la maladie,  qui n’est qu’un accident,  comme il le ferait d’une œuvre ou d’un bienfait du Créateur.

oEt c’est pourquoi,  pour réfuter l’ignorance de ces gens-là,   il ajoute ces mots :  Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus,  nous avons été baptisés dans sa mort ?  Nous sommes ensevelis avec lui par le baptême dans la mort.   Que les fidèles écoutent et qu’ils comprennent!  Les trois jours de présence du Seigneur dans le tombeau sont représentés,  dans le baptême,  par la triple immersion.   Pour que les re-nés se réjouissent d’être ressuscités avec le Christ,  par la nouveauté de la vie, s’ils ne le sont pas encore corporellement.    Que l’homme en son entier soit le domicile des vertus,  lui qui avait été autrefois  un  réceptacle des vices.

 Comme il dit :  Pour que,  comme le Christ est ressuscité des morts pour la gloire du Père, nous marchions, nous aussi, dans la nouveauté de la vie.   Tout ce que le Christ possède en fait de vertus qui Lui appartiennent en propre,  Il le réfère à son Père.  Et l’homme,  qui ne possède rien de lui-même,  s’applique à ne revendiquer pour lui-même que de devoir au Christ sa propre résurrection.  En disant : Marchons dans la nouveauté de la vie,  ces paroles ne font que confirmer ce que nous avons déjà dit :  Que tout l’être se métamorphose,  dans sa vie,  sinon encore dans son corps.   Qu’il se comprenne lui-même,  et qu’il domine les éléments  celui qui,  jusqu’ici,  servait les éléments par ignorance.  Qu’il  prodigue ses biens pour la gloire  celui qui, auparavant,  pillait les biens d’autrui.   Et celui qui exauçait les désirs illicites de la chair,  qu’il méprise maintenant les licences corporelles.   Et celui qui jusqu’à présent,  s’efforçait  de corrompre l’innocence,  qu’il meure pour l’innocence, afin de conquérir une gloire plus qu’humaine .

.   Quel besoin y a-t-il d’ajouter autre chose ?   Si, à partir du vieil homme,  un nouveau est déjà apparu,  qu’il change l’abime des vices en une fontaine de vertus.  Jusqu’à la fin de ce passage,  voici ce qu’il enseigne, voici ce qu’il démontre :  Il pourra vivre avec le Christ,  il pourra régner avec le Christ  celui qui fait sienne l’innocence du Christ ressuscité,  qui imite Sa vie,  qui s’efforce de se remplir de Sa sainteté   Quand il dit :  Pour que soit détruit le corps de péché,  on détruit les actes du corps, non la substance ;  par des actes réels,  non en imagination,  car l’homme veut périr au péché, non à Dieu.   Saint Paul dit :  Considérez que vous êtes morts au péché et que vous vivez pour Dieu.  Et celui qui dit :  Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel,  s’efforce,  avec une grande bonté, de  restituer à l’homme la liberté céleste.    Il dit encore :   Que le péché ne domine pas en vous !   Il n’a pas dit :  Qu’il ne vienne pas à vous !  Qu’il ne vous tente pas ! Qu’il ne vous séduise pas !  Mais qu’il ne règne pas,  qu’il ne domine pas!  Qu’il guerroie à la gloire du triomphateur;   qu’il se batte et succombe  au triomphe du vainqueur.  Et que se désole entre temps la domination impie  du péché,  qui se voit privée par ses esclaves de toute sa sécurité, et foulée aux pieds.    Et que le cruel tyran gémisse  d’être enchaîné  aux pieds de ses captifs.  Et que l’ennemi antique déplore  d’avoir été traîné  au triomphe de ceux  dont il avait triomphé pendant si longtemps.
 
 

114ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

 Le retour à la maison est toujours doux et cher au voyageur;  et le temps rend de plus en plus enchanteurs les appartements de la maison paternelle.  Il en est de même pour moi.    Pendant le temps libre que me laisse la préparation des sermons,  le retour aux lectures des textes des Apôtres me procure un plaisir de plus en plus suave.    Une contrainte religieuse nous force souvent à  parler d’autres sujets que ceux qui avaient été annoncés, et nous rend incapable de suivre dans le détail un plan logiquement élaboré.   Car l’ordre dans lequel il faut présenter la doctrine  doit être réglé de façon à  ce que l’exposé d’un point ne nuise pas à l’exposé d’un autre.  Écoutons donc ce que le bienheureux Apôtre dit aujourd’hui .

 Que dit-il donc ?  Nous avons péché (allons-nous pécher?)  parce que nous ne sommes pas sous la loi mais sous la grâce.  Certes non !    Cette interrogation, mes frères,  condamne l’ignorance de ceux  qui,  prisonniers de la pratique séculière de la loi,  sont incapables de  saisir les vertus dont bénéficient gratuitement les chrétiens;  et ceux que la kyrielle de préceptes légaux a rendus rebelles.  Ils avaient été sclérosés  par l’observation de rites  vidés de leur sens, qui ne se survivaient que dans la pompe extérieure des cérémonies, et dans des dons qui ne visaient qu’à ce qui est convenable ou profitable.   Et quand le temps aura expulsé la loi,  comment  celui qui rend un culte à Dieu selon la loi se trouvera-t-il  rejeté par la loi ?   Juif,  qu’as-tu que tu n’as pas perdu ?   Si tu l’as perdu,  pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas perdu ?  Où est le temple,  où est le prêtre, où est le sacrifice, où est l’encens ?  Où sont tes purifications,  où est la ferveur de tes cérémonies qu’il n’était pas permis d’omettre ?    Mais tu as raison de te faire circoncire pour être Juif,  parce que tu as été  sectionné de  tous les biens ci-haut cités.  Car il est écrit :  Malheur à tout homme qui n’observera pas  tout ce qui est écrit dans le livre de la loi.   Si celui qui n’a enfreint la loi qu’une fois est maudit,  combien de fois sera-t-il maudit celui  qui sera convaincu de n’avoir obéi à aucune loi ?

   Nous avons péché (!) (allons-nous pécher?)  parce que nous ne sommes pas sous la loi mais sous la grâce ?   C’est comme s’il disait :  Frères,  nous avons péché  (!)  parce que nous ne sommes pas demeurés sains pendant la cure.   Nous avons péché  (!) parce que, après avoir été guéris,  nous avons abandonné le feu,  le fer et les médicaments.   Malheureux malade,  qui,  après la cure,  ne veut pas guérir l’instrument de torture.  Que dire de plus,  mes frères ?  Est-ce qu’il guérit celui qui demande et attend le jugement du malade ?   Une humeur froide fait allumer le feu  dans le corps,  et un froid glacial,  tout en faisant grelotter,  provoque et engendre un plus violent incendie.  Alors le malade, pour combattre la flamme  qui lui brûle les veines et le fait haleter,  attend avec impatience qu’on lui donne de l’eau froide, ignorant que si on la lui donnait,  le chaud serait éteint par le chaud, et que l’incendie serait alimenté par le froid.    La loi,  donc,  attend et soutient la volonté de l’homme.   L’homme empêtré dans les bagages du péché,  la loi ne parvenait pas à  le faire  obéir aux commandements.  La loi ne parvient pas à affranchir du péché son dévot,  mais le lie par le crime de la prévarication.

Et c’est pourquoi il ajoute :  Ne savez-vous pas qu’en vous offrant à quelqu’un comme esclaves pour obéir, vous devenez les esclaves du maître à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l’obéissance pour la vie ?    Quand nous parlons de la loi,   pour quelle raison,  mes frères,  nous déclare-t-il que l’homme a été l’esclave du péché ?    Ou du péché pour la mort,  ou de l’obéissance pour la vie.   Parce qu’il avait dit plus haut :  Que le péché ne domine pas en vous,  car vous n’êtes pas sous la loi mais sous la grâce.   Ceux, donc, qui sont sous la loi,  sont rabaissés et incurvés  par l’empire du péché;  et ils ne pourront,  les pauvres,  être libérés  de leur honteuse servitude  que si la grâce leur est envoyée,  sans mérite de leur part.   Je rends donc grâce  à Dieu parce que vous avez été des esclaves du péché.  Rend- il grâce à Dieu comme quelqu’un qui se réjouit que l’homme ait été esclave du péché ?  En aucune façon.  Il rend grâce non parce que nous avons été les esclaves d’un maître si cruel,  mais parce que nous ne sommes plus soumis à son empire.    Son intention apparaît clairement plus loin :  Vous vous êtes soumis du fond de votre cœur  à cette forme de doctrine qui vous a été transmise. Libérés du péché,  vous êtes devenus les esclaves de la justice.   Nous avons obéi  selon le bon plaisir de Celui qui nous a appelés,  non selon le nôtre,  parce que notre  libre arbitre était encore tenu captif.    Vous avez obéi du fond du cœur à cette forme de doctrine.   A laquelle ?  A celle de l’Evangile, évidemment,  où un nouveau genre de liberté  ne rejette pas le service mais le transforme,  parce que le service divin  est préférable à une liberté  indisciplinée et présomptueuse.    Vous êtes devenus les esclaves de la justice.   Cet esclavage,  mes frères, n’enchaîne pas,  mais affranchit.   Il  n’avilit pas,  mais comble d’honneurs.  Il   éponge la tache de l’esclavage, mais ne l’imprime pas au fer rouge.   Comment ne pas voir quelque chose de divin là  où l’esclavage est repoussé par l’esclavage,  où une fondation est mise en fuite par une autre fondation, où la mort met à mort la mort,  où la perdition est guérie par la perdition,  et, pour tout résumer en une formule lapidaire,  où toute l’adversité est terrassée par l’épée de l’adversité elle-même.

Je le dis humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Car comme vous avez autrefois présenté vos membres comme des esclaves de l’impureté et de l’iniquité en vue de l’iniquité, offrez maintenant vos membres comme des esclaves de la justice en vue de la sanctification.  Quand il dit cela,  il montre la grandeur de sa piété,  car il compare  la doctrine évangélique à des choses si basses, pour ne pas dire ignobles.  Quand il impose et ordonne à l’esclavage  autant de sainteté qu’elle a eu autrefois d’impureté,  autant de justice aujourd’hui que d’iniquité autrefois.    Cette comparaison semble, mes frères,  absurde et indécente,  puisqu’elle souhaite que le degré de gloire  corresponde pour l’homme au degré d’ignominie.  Et plaise à Dieu que le degré soit le même !   Et comment la fragilité humaine pourrait-elle servir Dieu autant qu’elle a servi le  monde,  autant le ciel que la terre,  autant les vertus que les vices ?    L’homme misérable en son entier,  est adonné à la chair,  est préoccupé par les choses de la terre de façon telle qu’il ne laisse rien en lui qui vaille pour la vie éternelle,  qui lui permette de se consacrer aux biens divins.    La puissance de la concupiscence corporelle  l’Apôtre Paul,  dans un passage,  l’a présentée d’une manière  adaptée aux consciences humaines.  Il l’a exprimée dans des termes qui convenaient,  pour que les membres humains se mettent au service  de la justice et de la pureté  avec la même volonté,  la même véhémence  et avec la même démence avec lesquelles ils se sont livrés  à l’abrutissement des vices.  Il exige probablement peu de choses ou rien du tout celui qui  désire  s’en aller après la perte de sa propriété;  et il enlève toute excuse celui  qui commande d’être payé en retour pour ses grandes faveurs par des choses faisables  et  ordinaires.   Donne donc,  donne ô homme,  à Dieu autant que tu as accordé à la chair et aux vices.  Et pourquoi ne te dois-tu pas d’abord à Dieu avant de te devoir aux vices ?   Et cela Dieu ne veut l’obtenir que de ton seul amour.

Il continue :  Quand vous étiez esclaves du péché,  vous étiez libres par rapport à la justice.  Maintenant que vous avez été libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice.  Autrefois,  esclaves du péché, aujourd’hui, esclaves de la justice.   Voici que par l’Apôtre, l’esclavage à succédé à l’esclavage.  Montre maintenant que le temps de  la liberté est un temps de rébellion.   Le péché  donnait autrefois la fausse illusion d’être libre à celui qu’il  maintenait pitoyablement captif.   Maintenant,  la grâce t’appelle esclave  toi que,  pour te libérer,  elle adopte comme fils de Dieu.   La parole du Christ est donc accomplie qui disait :   Celui qui veut être maître,  qu’il serve.   Il est bienheureux cet esclavage qui engendre une domination éternelle.  L’autre liberté  nous avait fait récolter des souffrances et une honte insupportables.  Quel fruit ces choses vous-ont-elles rapporté ? Vous en rougissez aujourd’hui.  Car leur fin est la mort.  Voilà la récompense  avec laquelle elle honore l’esclavage diabolique.  Pour que la mort termine la vie en commençant la punition.   Mais ceux qui servent le Christ,  mes frères,  après s’être joués de la mort  avec l’aumône,  sont transférés à la vie perpétuelle de la sainteté.   La fin du Christ ne reçoit pas de fin,  parce que cette fin ne tue pas l’homme mais le parfait.

P.S.  Nous lisons dans la Bible de Rome :  Pécherons-nous parce que nous ne sommes plus sous la loi ?  (Rom. 6,15)  Pierre Chrysologue dit :   Nous avons péché.   Et il se sent obligé d’expliquer qu’après être passés de la loi à la grâce, les chrétiens ont effectivement péché, et il en donne les raisons.
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115ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Ignorez-vous,  mes frères,  que la loi s’impose à l’homme tout le temps qu’il vit ? »)

        En touchant en cadence  les cordes de la lyre davidique avec la petite verge d’ivoire  de l’intelligence spirituelle,  ce sont vos âmes et vos cœurs qui m’ont servi d’instrument.   Nous avons présenté les vérités fondamentales de  l’Évangile   pour mettre vos sens en éveil.  Nous croyons devoir revenir à l’enseignement de l’Apôtre,  pour qu’une disposition en trois parties de la  doctrine ecclésiastique  contienne et présente  la discipline du salut.   Car même une chanson repose les âmes d’un travail épuisant.  De la même façon,  l’autorité évangélique  repose et ranime l’esprit après un dur labeur;  et la vigueur  apostolique ne permet pas à nos sens  de s’écarter du droit chemin  et de divaguer.  Voici le texte de saint Paul que nous avons choisi  de suivre phrase après phrase .

 Ignorez-vous mes frères,  ---car je parle à des gens qui connaissent la loi—que la loi s’impose à l’homme tout le temps qu’il vit ?    Et il apporte une comparaison :  Car la femme qui vit sous un mari est liée par la loi tant que vit son mari.  On l’appelle adultère si elle va avec un autre homme.  Mais quand son mari est mort, la loi la  libère de son mari.    Vous voyez, mes frères, le magnifique  exemple du magistère céleste du bienheureux Apôtre. Avec des arguments juridiques,  il déclare révolu le temps de loi, comme l’est le mariage après la mort d’un conjoint.      Toute la prérogative de la loi, il l’anéantit par  le merveilleux exemple du mariage.    Et c’est avec raison que la loi est comparée à un mariage charnel,  elle qui n’a pas contracté avec la Synagogue une union spirituelle.  Car quand la Loi a reçu la Synagogue  pour qu’elle observe la discipline, pour qu’elle engendre avec fécondité de saints rejetons,   pour qu’elle soit la promotrice de la pudeur,  la gardienne de la chasteté, pour qu’elle conserve le secret  sacré et vénérable  des épousailles spirituelles,  pour l’unité mystique de l’hyménée céleste,   elle a trouvé en elle la marre boueuse d’une prostituée.    La Synagogue va à l’encontre d’un si grand homme, i.e, de la Loi,   non renommée par ses mœurs,  non ornée des bijoux des vertus,  non recouverte du voile enflammé de la pudeur virginale,  mais avec des regards lascifs,  une démarche  provocante,  dégingandée,  ne cherchant qu’à séduire,  et toute confite  en feintes et en tromperie.   Un tel mari,  après l’avoir vue, l’a méprisée de toute son indignation,  l’a repoussée loin de sa présence, et l’a maudite  en portant sur elle un  jugement de condamnation.    Mais elle ne rougit pas d’avoir été dédaignée,  et ne se corrigea pas d’avoir été méprisée;  mais elle se jeta tête première  dans les lupanars des idoles,  et préféra subir l’infamie de la fornication  et encourir le crime d’adultère,  plutôt que d’avoir en horreur  ses  passions honteuses.

 C’est  donc en connaissance de cause que le bienheureux Prophète se lamente sur elle,  en disant :  Sion, ville fidèle,  comment es-tu devenue une prostituée ?   Saint Ézéchiel emploie presque tout un livre pour raconter son adultère.   Voilà pourquoi,  mes frères,  dans l’évangile,  quand une femme adultère a été accusée devant le Seigneur par les scribes et les docteurs de la loi,  le Seigneur a détourné Sa face  et L’a penchée vers la terre,  pour ne pas voir le crime qu’Il  aurait du punir s’Il  l’avait vu.  Et Il a préféré,  mes frères,  écrire le pardon sur le sable  plutôt que de la condamner  dans la chair.  C’est précisément cette Synagogue adultère que l’Apôtre s’efforce de rappeler à l’union avec le Christ;  et il ne souffre pas  que ses écarts de conduite passés n’apportent aucun retard.  Celle  qui avait été à bon droit été appelée adultère du vivant de son mari,   parce qu’elle avait cohabité avec un autre homme,  n’abandonnera plus la loi si elle recourt à l’Auteur de la loi.   Mais elle mourra à la loi, à laquelle elle avait été légalement adjugée,  pour vivre pour la grâce et  ressusciter par le pardon,  celle qui avait été maltraitée et mise à mort par la loi.   Ensuite, quand elle déclare que la mort de son mari  l’a affranchie du droit qu’il avait sue elle, elle témoigne par ce qui suit que c’est elle qui est morte plutôt que son mari,  car ce n’est pas la loi qui meurt à l’homme, mais l’homme à la loi.  Il ne va pas au-delà de  la loi mais fait défection à loi celui que le commandement fait trébucher.

 Écoute ce qui vient après :   C’est pourquoi,  mes frères,  il faut que vous aussi vous soyez morts à la loi.   Et il ajoute avec raison :  Par le corps du Christ.  Car la loi tient étroitement attaché le coupable;  elle écroue celui qui mérite une punition;  elle punit et met à mort le criminel .  Celui donc qui, par le corps du Christ,  est exempt et délivré de tout crime,  meurt avec joie à la loi,  afin de vivre pour l’innocence et la grâce.   Pour que vous apparteniez à un autre,  celui qui est ressuscité des morts.   A un autre.   Il est devenu Lui-même un autre quant Il a changé notre corruption  en  incorruptibilité ,  et quand Il a transporté la mortalité dans la gloire de l’immortalité.   Pour que nous fructifiions pour Dieu.   Compagnons de la nature céleste par le Christ,  non pour la terre mais pour Dieu;  non pour la mort,  mais pour la vie.  Et il affirme que le fruit est référé à Dieu,  non à la chair.    Quand nous étions dans la chair,  les passions des péchés,  qui étaient par la loi, opéraient dans nom membres pour que nous fructifiions pour la mort.   Quand il dit :  Quand nous étions,  il indique un temps révolu :   pendant que,  placés dans la seule chair,- -- ou plutôt pendant que nous ouvrions les portes toutes grandes à la chair, ---- nous étions forcés d’apprécier,  de faire et de vouloir  seulement ce qui se rapporte à la chair, selon ce mot de l’Apôtre :    Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Quand nous étions dans la chair,  les passions des péchés qui étaient par la loi.   Je dirai comme l’a dit le Seigneur :   Si la lumière qui est en toi est ténèbres, quelle obscurité il doit y avoir!      Si par la loi,  les passions des péchés dominent  les membres humains,  que feront par elles-mêmes les passions,  qui  obsèdent  l’homme, dès sa naissance,   pour son malheur et son châtiment !  Étant engendré ainsi,  les angoisses le dépriment à sa naissance,  les peines l’affligent.  Ce sont les passions,  mes frères,  qui affaiblissent l’enfance,  qui trahissent le jeune  âge,  qui affolent l’adolescence,  qui accumulent les chagrins sur la tête des adultes et des vieillards.  Ce sont les passions qui  sont les compagnes de toute la vie de l’homme,  pour le faire chuter,  comme un ennemi qui apporte le trouble..  En les prohibant,  la loi  nous les remet en mémoire;  en les écartant,  elle les amplifie;  en les condamnant,  elle nous les rend plus chères.  Et celles que l’ignorance cachait,  la science les produit au grand jour.  Et comme les épines  vont en s’accroissant quand elles sont fauchées,  de la même façon les passions pullulent quand  elles sont émondées par la loi,  parce que,  fixées intérieurement dans la racine de la chair,  elles se fortifient. .  La loi a à l’intérieur d’elle-même une culture de la foi assez juste,  mais elle n’en tire pas profit;  et,  en excitant la chair,  elle amène la racine de la chair humaine  à produire un fruit de mort.    Les passions des péchés qui étaient par la loi opéraient dans nos membres pour que nous fructifiions pour la mort.

  L’instrument ,qui avait été donné pour nous conduire à la vie,  les passions le revendiquent pour elles-mêmes en nous,  pour produire un fruit de mort.   Ayant été blessés à mort de cette façon,  nous sommes affranchis de la loi de la mort par la grâce du Christ;  et nous découvrons en nous  le Combattant qu’est l’Esprit Saint,  le Vainqueur des vices.   Et les passions repoussées à l’extérieur  frappent à la porte,  séduisent et provoquent,  mais concourent à la gloire de nos triomphes.   En nous,  c’est en nous qu’ Il désire vaincre  Celui  qui a daigné milité en nous  pour établir Sa domination,  comme Il l’a dit.  Libérés de l’esclavage de la chair,  servons donc dans la nouveauté de l’Esprit, parce que la vraie domination est l’esclavage  de la sainteté du Seigneur.  Car le vieil homme et la lettre ancienne  ont corrompu et perdu toute la discipline.
 

116ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Que  dirons-nous donc  ?  Que la loi est un péché ? ») 

A toutes les fois  qu’un hymne inspiré  résonne à l’unisson dans l’église,  dans des modes différents,  il  pacifie et délecte l’oreille par sa douceur enchanteresse.  De la même façon,  est exposée  la même doctrine divine et céleste,  de façon différente,  mais par un Seul Esprit,  et dans un seul et même sens; et joyeusement et avec une grande suavité,  elle découvre et révèle le sacrement de la  science évangélique.  Et c’est pourquoi,  après la mélodie prophétique  et les miracles étonnants des vertus du Christ,  revenons aux épitres de l’Apôtre.    Le contenu de la lecture d’aujourd’hui est le suivant :   Que dirons-nous donc ?  La loi est-elle un péché ?  Absolument pas.  Mais je n’ai connu le péché que par la loi. Car je n’aurais pas connu la concupiscence si la loi ne m’avait dit : tu ne convoiteras pas.   L’occasion s’étant présentée,  le péché par le commandement a opéré en moi toute la concupiscence.

   Vous avez entendu,  mes frères,  de quelle maladie  l’humaine condition souffre sans le Christ.  L’humaine condition  que la fragilité humaine, sans la grâce,  maintenait captive;  que la loi armait pour perpétrer des crimes au lieu de l’en détourner;  qui n’avait entendu,  qui n’avait connu que  ce qu’il fallait  pour commettre le péché,  non pour le vaincre.   Je n’ai connu le péché que par la loi.   Ne pas connaître les vices est une grande faveur;  les connaître,  un danger;  mais  il est réservé à la vertu de les vaincre.   Un roi vaillant et fort  va à l’encontre de ses ennemis à une grande distance,  prévenant ainsi les attaques surprise,  maintenant élevé le moral de ses soldats,  et empêchant l’ennemi de venir troubler la paix de ses concitoyens.   De la même façon,  l’âme généreuse, par la grâce du Christ,  passe au travers  des misérables passages étroits de son corps,  et prévient ainsi tous les crimes.  Elle  piétine  les vices,  voue les crimes à l’extermination,  pour qu’ils ne puissent pas tromper le fisc par des fausses déclarations; pour qu’ils ne puissent pas corrompre les esprits par la fraude.     Elle les terrasse pour qu’ils ne  désunissent pas  les cœurs sans intelligence et miséreux,  pour qu’ils ne versent pas  d’huile sur le feu,  par la passion et le sang.   Et pour qu’ils ne vexent pas ,  par toutes sortes de passions différentes, les membres  faibles par nature.  Ce que le feu est à un champ de céréales,  les vices le sont au corps humain.    On en triomphe le plus surement en les séparant;  on les tue en les ignorant;  et ils s’évanouissent fort heureusement  en n’en tenant pas compte.   Car s’ils émergeaient  à l’esprit et aux sens,  s’ils affleuraient  jusqu’à l’âme,  s’ils pénétraient à l’intérieur de tous les membres,  ils engendreraient et fomenteraient un incendie inextinguible.  Et à moins qu’une ondée céleste n’irrigue les cœurs,  ne se répande sur les esprits,  n’arrose les membres,  tout ce qui en est de la force humaine est soumis,  et réduit en cendre chaude.

  La loi est-elle un péché ?  Nullement.  Mais je n’ai connu le péché que par la loi.    C’est comme s’il disait :    L’or n’est pas de l’avarice,  mais je n’ai connu l’avarice que par l’or.  Le vin n’est pas l’ébriété,  mais je n’ai connu l’ébriété que par le vin.  La beauté du corps n’est pas la concupiscence,  mais c’est la beauté de la forme qui me ravit,  et me conduit au péché de concupiscence.  Ces choses ne sont donc pas par elles-mêmes mauvaises,  car elles ont été créées par Dieu pour l’utilité,  le salut, et la joie du genre humain.    Mais elles sont pour nous une occasion de péché.   L’avare accuse donc l’or;  l’ivrogne le vin;  le  débauché et l’efféminé attribuent leur ruine morale à la beauté corporelle.   De la même façon,  la loi qui avait été donnée aux hommes pour leur salut, -- qui est par elle-même céleste et sainte, -- a concouru,  par l’homme, à la ruine et à la misère de l’homme.,  comme le prouve l’Apôtre par les paroles suivantes :    La loi est donc sainte,  et le commandement saint,  juste et bon.    Ce qui était bon n’a donc pas entraîné l’homme à la mort.   Mais le péché,  qui  est la cause principale de la mort,  qui avait fragilisé et abâtardi  la nature humaine, et  qui l’avait rendue encline au péché et aux vices.  Ce qui se cachait,  ce qui rôdait à la façon d’un ennemi dans le corps humain,   la loi l’attrape,  le produit au grand jour,  en prêchant à l’homme l’innocence,  la sainteté,  la justice,  la vertu et la foi;  en dénonçant les vices,  les fautes et les crimes.

 Mais l’homme a commencé à entendre parler des vertus,   à vouloir les acquérir,  mais n’a pas pu y parvenir.  Il a commencé à détester les vices et à les  suivre .  Il a haï les péchés,  mais les a commis.  Il a eu lu les crimes en horreur,  mais les a cultivés.   Et ce n’est que très tard,  qu’il a réalisé qu’il était un esclave  enchaîné.   Il a compris qu’il était asservi à une mauvaise racine,  et il a commencé à crier :    Malheureux,  qui me délivrera du corps de cette mort?  Et il répond :    La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur.    Après avoir entendu cela,  il commença à rechercher sa liberté par son Auteur,  le salut par le pardon,  et à espérer recevoir la vie par la seule grâce.   Car il a longtemps ignoré comment il se faisait que l’innocence  était difficile , que la justice était laborieuse,   la sainteté harassante,  les vertus ardues,  la foi remplie de périls.  Il ne savait pas pourquoi  les délits étaient si florissants,  pourquoi les crimes croissent quant on les fauche,  pourquoi les vertus flétrissent quand on les cultive.   La loi a expliqué,   la loi a enseigné,  la loi a mis en pleine lumière  que les crimes prennent possession de l’esprit humain par le péché, et que les vertus siègent dans les sens humains  par Dieu.;  et que les délits ne peuvent être graciés  tant que le péché, l’auteur des délits,  n’aura pas été désamorcé. C’est le Christ qui l’efface,  comme l’atteste saint Jean-Baptiste par ces paroles :   Voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde.

  Sans la loi, le péché était mort.  J’avais vécu sans la loi, mais quand le commandement est arrivé,  le péché a repris vie. Et moi,  je suis mort,  et il s’est trouvé que ce commandement qui m’avait été donné pour la vie m’a conduit à la mort.  Car le péché,  par l’occasion que lui a donnée le commandement, m’a séduit et tué par lui.    Le péché était mort,  non parce qu’il était mort, mais parce qu’on l’ignorait.  Et c’est en employant le mot au sens propre qu’il dit  que  le péché a revécu, car il était enseveli dans notre ignorance.  Ce n’est pas le commandement qui a repris vie pour le péché,  mais le péché pour le commandement, quand il fait un prévaricateur de celui qui était un pécheur, un contumace d’un coupable;  quand il transforme un déserteur en rebelle.   C’est donc en connaissance de cause que l’homme s’exclame être mort,  quand il apprend  d’où il a été mis à mort,   pourquoi,  et par qui .  A quel point le péché est un tyran cruel,  nous l’avons déjà vu.   Il m’a séduit par le commandement,  et m’a tué par lui.    Parce qu’il a tendu un piège avec ce qui devait nous procurer le salut;  parce qu’il a fait de la cure une maladie;  parce qu’il a changé l’instrument de santé  en une plaie fatale;  parce qu’il a converti la vie elle-même en un glaive mortel.    Il m’a séduit par le commandement et m’a tué par lui.   Et comment, après avoir été tué, pouvait-il pourvoir à lui-même,  puisqu’il était mort ?   Qui pouvait venir au secours de celui qui avait été tué,  si ce n’est le Christ qui  avait réparé la vie,  en étant tué?  Qui,  par sa mort,  a expié, pour le mort,  la peine du talion.  Il a détruit la mort,  et l’a fait apparaître  contumace,  elle qui a osé couver les  commandements pour en faire éclore les châtiments pour les pécheurs;   qui a osé attenter au Juge lui-même; qui a osé envahir et occuper  l’Auteur lui-même de l’innocence.  C’est donc en toute justice que la mort est morte;  et en moi, ce n’est pas moi qui vit,  mais c’est le Christ qui vit,  agit,  règne et commande.
 
 
 

117ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(les deux Adam)

   Le bienheureux apôtre Paul rapporte aujourd’hui que deux hommes ont donné au genre humain un commencement :  Adam et le Christ.   Deux hommes semblables par le corps, mais de mérite différents.   Par la disposition des membres du corps, absolument semblables,  mais dissemblables par leur origine .  Le premier homme, Adam,  a été fait une âme vivante; le nouvel Adam a été fait comme un Esprit vivifiant.   Le premier Adam a été créé par ce nouvel Adam,  de qui il a reçu l’âme,  afin de vivre. Le second  Adam s’est façonné Lui-même,  étant Lui-même son propre Créateur,  Lui qui ne pouvait attendre la vie d’un autre,  mais qui, à Lui seul, accorderait libéralement la vie à tous.  Le premier Adam a été formé du vil limon de la terre;  le Nouveau procède du précieux sein de la Vierge.   Dans le premier Adam,  la terre est changée en chair;  dans le Second,  la chair est  promue à la divinité.   Quel besoin y a-t-il d’en dire davantage ?   Celui-ci est l’Adam qui a placé Son image en l’homme quand Il l’a façonné.   Il est  l’Adam qui a assumé le nom et la nature du premier Adam,  de peur qu’Il n’éprouve la perte de  celui qu’Il avait fait à Son image.   Le premier  Adam et le Nouvel Adam.  Le premier a un commencement;  le Nouveau n’a pas de fin.  Parce que celui qui est arrivé en dernier est véritablement premier,  selon Ses propres paroles :  Je suis le premier et le dernier.   Je suis le Premier, c’est-à-dire que Je suis sans commencement.   Je suis le Dernier parce que Je n’ai pas de fin.   Le spirituel n’est pas venu en premier,  mais ce qui est animal.  Ensuite seulement est venu le spirituel.   La terre existe avant les fruits,  mais la terre n’est pas plus précieuse  que les fruits.   La terre exige des gémissements et du labeur,  les fruits procurent généreusement la santé et la vie.     C’est avec raison que le Prophète se glorifie d’un tel fruit par ces paroles :    Notre terre a donné son fruit.     Quel fruit ?    Celui de qui il dit ailleurs :   Du fruit de ton ventre je placerai quelqu’un sur ton trône.

    Le premier homme vient de la terre et est terrestre;   le second homme vient du ciel et est céleste.   Où sont ceux qui veulent équiparer la conception et l’enfantement de la Vierge  aux accouchements des femmes,  quand l’un vient du ciel,  et l’autre de la terre ?  L’un vient de la puissance divine,  l’autre de la faiblesse humaine.  L’un est tout entier dans la tranquillité de l’Esprit divin,  dans le repos du corps humain,  et l’autre  dans les passions du corps humain.   Le sang s’est tu,  la chair s’est extasiée,  les membres se sont assoupis,  et le palais de la Vierge  s’est immobilisé dans la contemplation céleste,  jusqu’à ce que l’Auteur de la chair revête  un habit  charnel,  devienne un Homme céleste,  qui ne rendrait pas seulement la terre à l’homme,  mais lui donnerait aussi le ciel.   La vierge conçoit,  la Vierge enfante,  et elle demeure vierge.   Elle est donc une chair qui a fait l’expérience du pouvoir infini de Dieu,  non des douleurs de l’enfantement.  En ignorant les affronts portés à sa pudeur,  elle a obtenu, en enfantant,  une augmentation de l’intégrité de sa virginité .   Elle a plutôt été un témoin ou une spectatrice de l’enfantement,  celle qui n’a éprouvé aucune douleur en enfantant.  Et celle qui est mère  d’une façon nouvelle  s’étonne de participer à des sacrements célestes,  comprenant très bien que la façon dont s’est déroulée cette naissance n’a rien de commun avec les naissances habituelles. Si un mage reçoit le don de reconnaître que c’est  Dieu qui naît ainsi,  et s’il Le confesse en L’adorant, imaginez ce que doit penser et croire un chrétien.

   Mais écoutons ce qui suit :   Tel est le terrestre,  tels sont les terrestres;  tel le céleste,  tels les célestes.   Comment ceux qui ne sont pas nés comme Il est né  pourront-ils devenir semblables à Lui ?   En ne demeurant pas comme ils sont nés,  mais en demeurant jusqu’au bout comme ils sont re-nés.   Voilà comment le sein de la fontaine virginale  féconde  les actions secrètes de l’Esprit  par l’ajout de sa lumière.   Pour que les terrestres que  l’origine limoneuse  avait plongés dans une condition misérable ,  elle les enfante à la vie céleste,  et les conduise à la ressemblance de leur Auteur.   Donc,  nous qui sommes  re-nés,  qui sommes déjà réformés à l’image de notre Créateur, accomplissons ce que prescrit l’apôtre.   Comme nous avons porté l’image du terrestre,  portons l’image du céleste.  Il était fatal que,  pétris de terre, nous ne puissions pas aspirer aux choses célestes;  que,  nés de la concupiscence,  nous ne puissions pas éviter la concupiscence;  que, conquis par des maîtres vicieux,  nous soyons forcés de subir la honte  de la luxure;  que, accueillis dans l’habitacle de ce siècle,   nous ayons été captifs des maux.

  Mais déjà re-nés à l’exemple  de notre Seigneur,  comme nous l’avons dit,   nous  que la Vierge a conçus,  que l’Esprit a vivifiés,  que la pudeur a portés,  que l’intégrité a enfantés,  que l’innocence a nourris,  que la sainteté a instruits,  que la vertu a exercés,  que Dieu  a adoptés comme Ses fils,  portons  Son Image dans son intégralité,  par la ressemblance  absolue  avec notre Auteur.    Ressemblance non par la Majesté,  qu’Il est seul à posséder,  mais par l’innocence,  la simplicité,  la mansuétude,  la patience,  l’humilité,  la miséricorde,  et la concorde,  par lesquelles vertus Il a daigné nous devenir semblable.   Que cesse la démangeaison  pestilentielle des vices;  que soient vaincues les séductions  mortelles des péchés;   que la fureur des crimes soit exécrée;  que son origine soit étouffée;  que  se retire des sens toute la suie de la pompe séculaire;  que soit arraché des esprits le mirage de la cupidité mondaine.    Que soit désirée la pauvreté du Christ,  qui possédera dans les cieux les richesses éternelles.  Que toute la sainteté de l’âme et du corps soit conservée,  pour que l’image de notre Christ soit portée et rayonne en nous non dans sa grandeur naturelle,  mais par  nos actes conformes aux siens.  L’Apôtre affirme ce que nous venons de dire par ces mots :  Je dis cela frères parce que la chair et le sang ne peuvent pas posséder le royaume des cieux.    Voilà comment est prêchée la résurrection de la chair,   parce que là,  la chair sera possédée par l’Esprit.  Ce n’est pas la chair qui possédera l’Esprit,  comme il apparaît clairement par ce qui suit :   La corruption ne possédera pas non plus l’incorruptibilité.   Tu vois  que ce n’est pas la chair qui dépérit,  mais la corruption;  non l’homme,  mais la faute;  non la personne, mais le crime;  non Dieu,  mais l’homme.  Vivant en présence de Dieu,  il se réjouit  d’avoir obtenu la cessation des péchés.

   Il faudra présenter un sermon consacré uniquement au sujet de la résurrection,  mes frères,  car il ne convient pas de traiter en passant, et en conclusion,  de ce qui nous transporte dans les temps éternels  et dans la vie perpétuelle.
 
 

118ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la résurrection )

  Tout l’espoir de la foi chrétienne repose sur  la résurrection des morts.  Pour que personne n’ose en douter,  et  parce qu’elle bénéficie de l’autorité de l’Apôtre et  des exemples des êtres créés,  nous vous avons fait lire à haute voix aujourd’hui,  tout au long,  ce qu’en dit saint Paul,---  à quoi notre sermon n’a rien pu trouver qu’il puisse ajouter.  Mais ,  parce que votre charité exige toujours le secours  de notre ministère ,  c’est avec une joie débordante  que je ferai pénétrer en vous plus profondément cette vérité,  avec l’ardeur de la résurrection elle-même.   Mes frères,  il est toujours agréable de traiter  de la résurrection, et  c’est toujours un plaisir d’en entendre parler.     S’il  n’est jamais agréable de mourir,  la pensée de vivre éternellement nous réjouit    Que la résurrection soit toujours dans notre bouche,  que notre esprit en attende toujours parler,  pour que s’éloigne de nos sens, avec ses lamentations,  la mort  qui, avec sa terreur,  obsède constamment nos sens.    Car le cultivateur chante les récoltes fertiles et les repas rassasiants, pour ne pas ressentir la sueur et le labeur inhumain du soc de la charrue .   De la même façon,  le matelot  marque le rythme en pensant au port et aux bénéfices,  pour ne pas redouter les écueils  et les naufrages. Le soldat célèbre aussi avec la trompette son butin de guerre et ses triomphes, pour ne pas avoir peur des blessures, et ne pas redouter les glaives.  Qu’avec son esprit,  sa bouche,  ses yeux,  le chrétien regarde, contemple, chante  la résurrection,  pour qu’il puisse mépriser et fouler aux pieds toute la peur de la mort.

 La mort,  mes frères,  est la  souveraine   du désespoir,  la mère de l’incrédulité,  la sœur de la corruption,  l’ancêtre  de l’enfer,  l’épouse du diable,  la reine de tous les maux.  Elle combat le genre humain d’une haine insatiable,  envoyant devant elle le désespoir pour murmurer à l’oreille de tout un chacun, dans le but de le persuader :   «  Homme,  pourquoi cette perte de temps !  Voici que vient ton impératrice,  la mort.  Elle va retourner ton âme au néant,  ta chair à la pourriture.  Avec les années,  elle va consumer tes os,  pour faire en sorte  que tu n’existes plus  après la mort,  toi qui n’existais pas avant de naître.  Rends-toi  donc ce que tu te dois à toi-même avant la mort,  toi qui,  à n’importe quel moment,  est sur le point de mourir à toi-même.    Consacre l’enfance aux jeux,  l’adolescence aux plaisirs,  la jeunesse aux voluptés,  donne-moi ta vieillesse,  pour que, désespéré sans raison,  tu ne te crois pas  frustré de tout espoir. »

   Après le désespoir,  la mort envoie sa fille l’incrédulité,  qui menace ainsi : «  Tu disposes de la vie comme si tu ne devais jamais mourir,  comme si tu pouvais échapper à la mort .   Homme,  la foi te trompe.  Tu crois en une foi  qui,  pour t’enlever les biens présents, t’en promet des futurs;  et qui, pour t’enlever les choses qui existent avant la mort,  te fait espérer  je ne sais quels biens invisibles après la mort.    Qui vient de là-bas ?   Quel est le sage qui croit  dans des promesses séculaires  jamais tenues ?  Oh! oui,  mange et bois.    Mange et bois,  car tu mourras demain. »

  La troisième sœur de sa perversité,  la corruption,  elle la lance avec une telle fureur  qu’elle  accapare le regard de l’homme,  l’attire à elle,  le maintient les yeux rivés sur les tombeaux.   Elle montre les bagnes,  elle démontre que les siens gisent là,   immobiles,  enchaînés.   Et pour épouvanter les sens des hommes  en poussant la peur au paroxysme,  elle verse  la putréfaction,  elle fait sortir le pus,  elle répand la puanteur,  et proclame que, par elle, a été donnée pour un seul corps d’homme,  une quantité innombrable de vers carnivores.

 Qu’est-ce qui empêche les chrétiens de croire au désespoir et à l’incrédulité ?  Voilà quelles sont les batailles que nous livre la mort.  Avec ses chefs,  avec ses conseils,  avec ce genre de combat,  elle captive, dévaste,  tue  tous ceux que la nature conduit à la vie présente.  Elle  guide les rois,  trahit les peuples,  repousse les Gentils.  Elle n’a jamais pu  être achetée par les richesses,  fléchie par des prières,  attendrie par les larmes,  vaincue par aucune puissance.    Ils se sont trompés,  mes frères,  ceux qui ont écrit sur le bien de la mort.   Faut-il s’en étonner ?   Les sages du monde se croient grands et illustres,  eux qui ont persuadé aux simples  que ce qui est le mal suprême  est le bien suprême.   C’est avec raison que l’Ecriture dit d’eux :  Malheur à ceux qui disent que le mal est le bien et le bien le mal.   Malheur à ceux qui donnent le nom de lumière aux ténèbres, et de ténèbres à la lumière !   Et en vérité,  qui n’ont-ils pas pu tromper, qui n’ont-ils pas aveugler  eux qui ont mis leur soin à faire croire aux imprudents que vivre est un mal et que mourir est un bien ? Mais,  mes frères,  la vérité déloge ces mensonges,  la lumière les met en fuite,  la foi les repousse,  l’Apôtre les condamne,  le Christ les détruit,   qui,  en rendant le bien à la vie,  expose, condamne,  exclut  le mal de la mort.

 C’est ainsi que commence l’Apôtre :    Je vous fais connaître,  mes frères,  l’évangile que je vous ai prêché,  que vous avez reçu, dans lequel aussi vous vous tenez,  par lequel vous êtes sauvé.  Vous devez tenir ce que je vous ai enseigné,  à moins d’avoir cru pour rien ?  Je vous ai d’abord transmis en premier lieu ce que j’ai aussi reçu,  que le Christ est mort pour nos péchés,  qu’il a été enseveli et qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures.    La libéralité divine enrichit celui qui est voué à la vie, non à la  mort.  Quel bien pourra recevoir quelqu’un  s’il n’est plus là pour le recevoir ?   Dans lequel vous vous tenez.   De toute évidence,  c’est celui qui se tient debout qui vit, car celui qui est mort est toujours couché.  Par lequel vous êtes sauvé.    Si quelqu’un meurt,  il périt.   Est donc sauvé celui qui vit toujours.  Vous devez tenir ce que je vous ai enseigné,  à moins que vous n’ayez cru pour rien ?    Mes frères,  celui qui croit qu’il n’est né que pour mourir,  non seulement croit sans cause,  mais c’est sans cause qu’il a vécu.   Homme, qu’est-ce qui en toi n’apparaît pas pour disparaître ?  Et ce qui disparaît,  ne revient-il pas ?     Le jour se lève le matin, et réapparaît  de nouveau le matin suivant.  Il est donc enseveli dans la nuit,  et resurgit de nouveau le matin.   Le soleil naît à chaque jour et meurt à chaque jour.  Il ressuscite à chaque jour.   Les saisons s’en vont quand elles périssent;  elles revivent quand elles reviennent.

 Donc, o homme,  si tu ne crois pas,  si tu ne donnes pas ton assentiment à la loi,  si tu n’acceptes pas ce que tu entends,  crois-en au moins tes yeux,  accorde ta foi aux éléments qui te prêchent constamment la résurrection.  Bien entendu,  si ces choses sont de loin inférieures, celles  qui sont dans tes mains,  et qui revivent de ta mort par ton œuvre,  que du moins elles t’enseignent que tu peux être  ressuscité par l’œuvre de Dieu.  Va à la semence,  selon l’enseignement de l’Apôtre.  Prends  le froment sec,  sans sensation,  sans mouvement.   Sillonne et creuse la terre,  construis un tombeau, ensevelis-y le froment.  Observe de quelle façon  la mort le fait dépérir, comment l’humidité le gonfle,  comment la pourriture le corrompt.  Et quand il est parvenu à tout ce que vous insinuaient plus haut  le désespoir,  l’incrédulité, et la corruption,  c’est alors que,  par le bas,  il revit dans le germe,  il est pubère dans l’herbe,  il se fait jeune dans la tige,  et atteint sa maturité dans le fruit.    Il  resurgit  dans la même genre  et dans la même espèce que tu déplorais l’avoir perdu.   Pour que,  o homme,  le blé ne t’enseigne pas tant à manger qu’à comprendre,  à travailler qu’à croire.

 Taisons le reste.  D’où est venue la mort,  quand,  comment et par qui,  le bienheureux Apôtre l’enseigne  en un exposé divin clair et limpide.  Homme, reçois la foi,  car elle est donnée gratuitement.  Crois en la résurrection,  car Celui qui la promet ne demande pas d’argent en retour.
 
 
 

119ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans le stade… »)

  Ce n’est pas uniquement par la doctrine de la loi,  mais aussi par des exemples tirés de ce monde que  l’Apôtre nous exhorte à faire tous les efforts nécessaires pour remporter la couronne de la gloire céleste.  Car, voici ce qu’il dit entre autres choses,   comme votre dilection l’a déjà entendu.    Savez-vous que ceux qui courent dans un stade,  tous courent,  mais qu’un seul remporte le prix de la victoire.    Et il ajoute :  Courez de façon à remporter le prix.   Selon  un exemple terrestre,  beaucoup courent dans le stade,  comme le dit l’Apôtre,  mais un seul remporte le prix de la victoire,  c’est-à-dire,  celui qui a le mieux couru.  Il en est de même dans le stade de la vie présente :  beaucoup courent,  mais un seul remporte la couronne de la victoire.    Les Juifs courent par la loi,  les philosophes par leur sagesse creuse,  les hérétiques par leur fausse interprétation de la révélation,  et les  catholiques courent par la vraie prédication de la foi.  Mais,  parmi tous ces gens,  un seul reçoit la couronne de la victoire,  le peuple catholique,  qui,  après avoir entrepris la course de la foi,  tend vers le Christ pour parvenir à la palme et à la couronne de l’immortalité.   Les Juifs,  les philosophes et les hérétiques courent en vain, parce  qu’ils  ne cheminent pas sur la voie droite de la foi.   A quoi peut bien servir aux Juifs de courir par l’observation de la loi s’ils ignorent l’Auteur de la loi ?    Les philosophes courent, eux aussi,  par la vaine sagesse du siècle,  mais leur course est superflue et inutile, parce qu’ils ignorent la vrai sagesse du Christ.   La vraie Sagesse de Dieu est le Christ,  qui ne brille ni par les mots ni par la longueur des périodes,  mais qui est accueillie par la foi qui vient du cœur.    Les hérétiques courent aussi  par leur profession de foi empoisonnée,  par leurs jeûnes et par leurs aumônes.  Mais ils  ne peuvent pas parvenir à la couronne de la victoire,  parce qu’ils ne courent pas dans le chemin de la foi.   Leur fausse foi ne mérite pas de recevoir  la récompense de la vraie foi.

  L’Apôtre manifeste cela ailleurs quand il dit :  Même si je distribuais tous mes biens aux pauvres,  même si je livre mon corps au feu pour y être brûlé, si je n’ai pas la charité,  rien ne me profite.   Car il n’a pas la charité du Christ celui  qui ne croit pas au Christ en toute fidélité.   L’Apôtre fait donc bien d’ajouter ces paroles :   Courez donc pour la remporter.    Nous devons donc courir par la course de la foi,  dans les commandements de Dieu,  dans les œuvres de justice,  pour que nous puissions parvenir  à la couronne de la vie éternelle.    L’Apôtre nous montre ensuite de quelle façon nous devons courir par ces mots :  Le lutteur,  dans les jeux publics,  s’abstient de tout.  Eux font cela pour une couronne corruptible,  nous pour une couronne incorruptible.      Voyez par quels exemples l’Apôtre  nous invite à la couronne de l’immortalité promise.  Les lutteurs terrestres qui veulent vaincre  s’imposent une diète sévère,  boivent modérément,  s’éloignent  de tout ce qui est impur.  Ils poussent la chasteté jusqu’à s’interdire les relations avec leurs épouses.   Ils comptent  ne pas pouvoir vaincre autrement qu’en conservant leurs corps chastes et pudiques.    Et pour un tel travail,  que reçoivent-ils d’autre qu’une toute petite couronne,  qui est vile et corruptible.  Si donc quelques-uns s’imposent un tel effort pour une couronne corruptible,  ne devons-nous pas,  à plus forte raison,   être prêts à supporter les travaux les plus pénibles,   nous à qui est promise une récompense céleste et la couronne de la gloire éternelle ?

  La lutte que nous avons à livrer n’est pas une mince affaire .    Nous avons à nous battre contre les esprits de malice,  contre le diable et ses anges.   Nous nous battons contre l’injustice,  contre l’impiété,  contre la malice, contre l’impureté et contre les diverses séductions des péchés.   Et si nous remportons la victoire dans le combat,  nous recevrons autant de couronnes que nous aurons vaincu de crimes.    Elle est donc grandiose cette lutte,  qui se donne en spectacle au Seigneur Lui-même.  Le Seigneur nous regarde combattre,  et Ses anges aussi.   C’est sur la terre que nous vainquons,  mais c’est dans les cieux que nous recevons la récompense de la vertu.   Les saints martyrs,  placés au plus fort du combat,  n’ont pas vaincu seulement les vices des péchés,   mais la mort elle-même;  et ont remporté les trophées de l’immortalité.   Le premier à sauter dans cette arène de lutte à été  le Seigneur notre Sauveur.   Il a combattu et a vaincu,  pour nous donner un exemple de combat et de victoire.    En discutant de ces choses avec vous,  nous enfouissons dans vos cœurs la semence  du bon combat,  comme si nous avions découvert que vos cœurs ont été labourés par la charrue de la justice.  Cultivez donc la parole que nous avons semée en vous,  pour que ce qui a été semé puisse germer.   Que Dieu,  par Sa visite,  par la rosée de Sa piété,  vous arrose.    Et qu’Il donne la croissance à nos semences,  pour que les gerbes de vos mérites,  que vous ramasserez,  produisent  du cent pour un.

 

120ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Ne vous conformez pas à ce siècle »)

     Le Christ aujourd’hui,  déclare que les Apôtres sont comme du sel :  Vous êtes le sel de la terre.   Que personne  ne s’irrite si nous frottons, de  manière à les broyer,  les paroles du bienheureux Paul, qui sont comme des grains du divin sel.   Nous pourrons ainsi découvrir le sens de ce qui se cache à l’intérieur.  Les grains de sel encore entiers pétillent  lorsqu’en descendant dans les veines, ils sont fragmentés  en infimes parties.   Il en est ainsi des épitres de saint Paul.  Elles présentent un sens simple au lecteur occasionnel.  Mais elles fournissent une science profonde à ceux  qui reviennent avec empressement à ce qu’ils avaient déjà lu attentivement.

        L’Apôtre dit aujourd’hui :  Ne vous conformez pas à ce siècle.    Est-ce que tu penses qu’en parlant ainsi,  l’Apôtre nous exhorte  à ne pas nous conformer aux figures des éléments ?  Nous invite-t-il à ne pas imiter les rois des Perses qui,  se prenant pour des dieux,  se représentaient les deux pieds posés sur le globe ,  pour qu’on pense qu’ils le foulent aux pieds ?   Tantôt,  le tête munie de rayons lumineux,  de peur qu’on les prenne pour des êtres humains,  ils empruntaient  la figure du soleil.   Tantôt,  ils s’implantaient  des cornes sur la tête,  comme s’ils se désolaient d’être des mâles,  et se transsexualisaient  en lune.  Tantôt ils revêtaient  les formes variées des astres pour perdre la figure de l’homme,  sans acquérir aucune lumière céleste.  Ces choses proviennent de la vanité mondaine,  et les sages les fuient autant qu’ils s’en moquent.

      Quand l’Apôtre dit :  Ne vous conformez pas à ce siècle,  il sanctionne la vie du monde,  dénonce les mauvaises mœurs,  condamne les coutumes dépravées.   Il fustige les désirs pervers,  réprouve la luxure , repousse,  met en fuite,  répudie   toute la pompe des vanités mondaines.    Mais ce qu’il dénonce d’une façon toute particulière,  il l’indique dans le détail au début de son Epitre.  Il  y représente la figure du monde  dans les vices suivants :   Remplis de toute iniquité,  malice, fornication, avarice, méchanceté,  pleins d’envie, d’homicides,  de contention,  de ruse,  de malignité,  critiqueurs,  détracteurs,  hostiles à Dieu, contumaces, entêtés, orgueilleux,  inventeurs des maux, désobéissants à leurs parents, sans maîtrise d’eux-mêmes, sans amour,  sans miséricorde ,et  qui après avoir connu la justice de Dieu ne l’ont pas comprise. Ceux qui agissent ainsi sont dignes de mort. Non seulement ceux qui font ces choses,  mais ceux qui approuvent ceux qui les font.   Frères,  vous avez entendu ce qu’est  la forme du siècle,  vous avez appris à quoi elle ressemblait, vous avez vu sa figure.   Si on peut détecter une   forme,  et non plutôt un monstre informe  là où la face des êtres est effacée par  la confusion des crimes;  là  où, par l’adultère avec les péchés,  toute la figure du monde est dissoute;  où par les maladies des délits,  l’image du Créateur est enlevée;  où l’homme est enseveli dans les vices;  où fourmillent les crimes  du corps putréfié;  où l’homme est le sépulcre de l’homme;  où ce n’est pas un homme que l’on aperçoit dans l’homme,  mais un cadavre.   C’est  donc à cette forme que l’Apôtre nous interdit de nous conformer,  et à cette figure qu’il nous défend de nous configurer.   Il ne permet pas que nous soyons semblables à cette similitude,  mais il nous réforme d’après la forme de Dieu;  il nous rappelle à la ressemblance du Christ,  en disant :    Mais réformez-vous dans la nouveauté de votre sens.

        Ce qui veut dire  que vous soyez rénovés dans vos sens par le Christ,  après avoir rejeté la figure de ce monde.  Et après avoir jeté loin de vous toute la difformité de la vielle image,  réduisez votre forme à celle du Sauveur.  Pour que la nouveauté de vos sens  resplendisse dans vos actes,  et que l’homme céleste chemine sur la terre avec une démarche céleste.  Il expose clairement  en quoi consiste la forme  du nouvel homme :  Comme dans un seul corps,  nous avons plusieurs membres,  tous les membres n’ont pas tous le même acte.  Ainsi nous sommes,  à nous tous,  un seul corps  dans le Christ,  tous et chacun les membres les uns des autres. Ayant cependant des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée.    Il agit comme un corps  en investissant en commun dans un acte céleste,  pour la vie surnaturelle.  C’est la sainteté des mœurs  qui maintient  l’union entre les membres,  et leur harmonie.   Le pied,  poussé par un orgueil insensé,  ne confond pas son travail avec celui de l’œil;   l’œil ne convoite pas le travail du pied.   Mais,  pour que les membres se contentent des dons de sainteté  que leur a donnés  le Bienfaiteur,  qu’ils croient que ce que fait un membre   appartient à tous les membres.   Car il ne peut pas se sentir laissé pour compte le membre qui est honoré  dans tout le corps.

       Voici comment l’Apôtre dépeint les actes  propres aux membres,  et les membres propres aux actes :    Que celui qui enseigne,  enseigne dans la doctrine,  celui qui exhorte dans l’exhortation, celui qui distribue qu’ils le fasse dans la simplicité, celui qui préside avec sollicitude,  celui qui prend pitié,  dans la joie.   Que la charité soit sincère.  Détestant le mal, adhérant au bien,  nous honorant réciproquement,  bénins les uns envers les autres, actifs non paresseux,  fervents spirituellement, servant Dieu,  joyeux dans l’espérance, patients dans la tribulation, fidèles à la prière,  participant aux mémoriaux des saints, pratiquant l’hospitalité.  Bénissez, ne maudissez pas.  Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent,  pleurez avec ceux qui pleurent. Faisant le bien non seulement devant Dieu,  mais aussi devant les hommes.  Ne vous vengez pas vous-mêmes,  mais permettez à la colère d’exister. Si ton ennemi a faim,  nourris-le.  S’il a soif, donne-lui à boire.  Ne sois pas vaincu par  le mal,  mais vainc le mal par le bien.

      Un peu plus haut,  mes frères,  l’Apôtre  nous a présenté les membres des vices.    Il nous révèle maintenant les membres des vertus,   pour que le corps céleste, solidifié par de tels membres,  fortifié par de tels nerfs,  puisse facilement  remporter les batilles du monde,  être supérieur au démon dans les conflits.   En vivant comme l’Apôtre l’a enseigné,  ne terrasse-t-il pas le monde ?   Ne broie-il pas la chair ?   Ne triomphe-t-il pas du démon ?   Ne devient-il pas l’égal des anges ?    N’est-il pas plus grand que le ciel ?    Il est certainement plus grand que le ciel,  car le ciel ne se meut pas de lui-même;   il obéit.    Il ne fait rien librement,  mais il sert toujours nécessairement,  parce qu’il lui a été ordonné une fois pour toutes de servir.  Il se garde sans tache, non par ses propres forces,  mais  par un  travail  harassant.   Bien qu’il ne mérite aucune punition,  il ne se qualifie pas pour la récompense.    Mais l’homme,  pétri de boue,  en triomphant de la tache terrestre,  en résistant aux tendances héréditaires,  en surmontant les passions de la chair,  s’élève au-dessus du ciel,  et s’envole vers le siège lui-même de la Déité.   Et c’est ainsi qu’il devient plus grand que le ciel,  surpasse les anges par les mérites, même s’il ne les surpasse pas  par la nature.

     Le prouve cela l’Apôtre  qui, après avoir remporté une victoire insigne, sur terre,  est entré dans le premier ciel,  a traversé le second,   et a mérité de parvenir jusqu’au troisième.  Et cela,  en toute justice,  car il devait monter aux cieux  le premier celui qui,  par la parole et par l’exemple,  a enseigné aux hommes à pénétrer dans les cieux.   Oui,   il sera plus grand que le ciel  celui qui vaincra comme l’a enseigné Paul.  Il sera plus brillant que le soleil  celui qui ne permettra pas à la nuit des vices de l’obscurcir.    Oui,  il sera plus lumineux que la lune  celui qui ne tempère  pas les ténèbres par une lumière ténue,  mais qui repousse toute la nuit du monde  par la splendeur éclatante  de ses mérites.   Il ne sera pas semblable à la lune qui,  lorsqu’elle paraît de jour,  éprouve une grande perte de sa clarté,  mais grâce à la lampe continuellement allumée de ses bonnes actions, il  persistera dans la clarté de la lumière surnaturelle.    Il ne connaîtra pas comme la lune une obscurité mensuelle,   mais demeurera dans la charité  continue de Dieu.   Et si elle est grande celle qui mitige la nuit,  combien plus grand sera celui dont la vie n’aura  rien reçu de la nuit.  Je ne dis rien des étoiles,  parce que les saints resplendiront dans le ciel  par les vertus,  comme le ciel par les étoiles,  au dire de l’Apôtre :    Vous êtes la lumière du monde.   Brillez comme des luminaires dans le monde.  Et pour tout dire en un mot,  le ciel, le soleil, la lune, les étoiles  passeront, selon la parole de Dieu,  mais le juste demeurera dans la clarté continuelle de Dieu.

        Je voudrais,  mes frères,  commenter et expliquer  chaque parole de  l’Apôtre Paul,  mais parce qu’un sermon trop long  engendre l’ennui et le dégoût,  et parce que nous ne pouvons pas plus longtemps taire les vertus évangéliques,  qu’il plaise à votre charité  que je mette fin au commentaire présent en abrégeant le sermon.   Que Dieu grave dans vos saints sens et ce que nous avons  dit  et ce que nous avons tu.

 

 
 
121ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Lazare et le mauvais riche)

  Vous avez entendu,  mes frères,  comment finit la pauvreté et quel sot est réservé aux richesses.  Voici les paroles du Seigneur :  Un homme était riche, et se vêtait d’habits de pourpre et de lin très fin, et festoyait magnifiquement chaque jour.  Et il y avait un mendiant du nom de Lazare, recouvert d’ulcères,  qui gisait à sa porte, désirant assouvir sa faim des miettes qui tombaient de la table du riche.  Et personne ne lui en donnait. Mais même les chiens venaient lécher ses ulcères.  Il arriva que le pauvre mourut,  et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham.  Le riche mourut lui aussi, et fut enseveli dans l’enfer.
 
 Voyez, mes frères,  le déplorable renversement de fortunes ! Les anges emportent le pauvre;  l’enfer engloutit le riche.   Mes frères,  voyez comment la mort du pauvre  a vaincu toute la vie du riche;  et l’élévation du pauvre, à elle seule,  transcende toute la gloire et toute la pompe du riche.   Pourquoi le cénotaphe  jette-il de la poudre aux yeux ? Pourquoi la pompe des funérailles ment-elle ?  Pour la cérémonie funèbre du riche, toute la cité se déplace, et va, comme le veut la coutume,  à l’encontre du cadavre.  Le pauvre, lui,   avance seul.  Deux misérables comme lui le portent sur leurs dos. Pas quatre porteurs, comme c’est la coutume pour un mort,  mais deux pour un seul brancard,  comme s’ils avaient été forcés de porter malgré eux un fardeau qu’ils auraient  hâte de déposer.   C’est en toute justice  que les anges président aux funérailles divines  de celui à qui  ont été refusés, avec la plus grande cruauté,   les témoignages les plus élémentaires de bienfaisance  humaine.  La tourbe lugubre des serviteurs et des esclaves fait cortège  au cadavre du riche.   La multitude des anges précède, en chantant,  le grabat du pauvre.   Dans un tombeau de marbre  et un habit somptueux  git,  enfermé,  le corps du riche.    La chair du pauvre se repose  dans ce qu’il y a de plus naturel,  la terre.  Et le lieu où il réside lui fait ignorer la morsure  des vers.  Il prévient même,  en se décomposant,  les exhalations pestilentielles.

 Mais demandons-nous,  mes frères, quelle à été la faute du riche,  quel crime il a commis,  quelle action malfaisante  l’a livré aux supplices de l’enfer avant d’avoir été jugé et condamné;  et pourquoi tous les siècles,  à l’instigation du Juge lui-même,   ont-ils chanté les louanges  du pauvre.  Un homme était riche,  et se vêtait d’habits de pourpre et de lin très fin,  et festoyait magnifiquement chaque jour. Et il y avait un mendiant du nom de Lazare recouvert d’ulcères qui gisait à sa porte,  désirant assouvir sa faim avec les miettes qui tombaient de la table du riche.   Les richesses sont-elles par elles-mêmes  mauvaises ?   Et les vêtements sont-ils condamnables aux yeux de Dieu en eux-mêmes et par eux-mêmes ?  Les banquets sont-ils blâmables  par eux-mêmes,  de façon à non seulement être privés de la récompense des biens,  mais à mériter la punition de tous les maux ?    Ou la mendicité est-elle par elle-même si approuvée par Dieu et si sainte,  les ulcères sont-ils  si sacrés par eux-mêmes  qu’ils méritent  d’être emportés par les mains des anges dans le sein d’Abraham ?   N’y aurait-il pas lieu de s’étonner si Abraham, qui était riche,  méprisait quelqu’un parce qu’il était riche ?     Comme le dit la Genèse :  Abraham était très riche.   Et celui qui était son semblable dans la possession des biens de la terre,  il le réprouverait et supporterait qu’il soit puni ?  D’autant plus que la parabole ne dit pas un mot des vertus pratiquées par le pauvre, ni des vices supposés de ce riche.   Pourquoi donc Abraham accueille-t-il le pauvre dans son sein  et repousse-t-il le riche ?  Ou comment les richesses ont-elles innocenté Abraham  et condamné l’autre riche ?  Comment ont-elles pu  promouvoir Abraham  jusqu’à en faire le repos de tous les bienheureux,  et précipiter l’autre riche dans le gouffre de tous les maux ?

 Pour que mon sermon ne vous tienne pas plus longtemps  en suspens, et  pour ne pas vous fatiguer en différant la solution ,  hâtons-nous de répondre à la question.   Abraham,  mes frères,  n’a pas été riche pour lui,  mais pour le pauvre.   Et il s’appliqua non pas à posséder des richesses,  mais à les conserver.   Il mit tout son zèle  à cacher ses richesses dans le sein du pauvre,  beaucoup plus  que dans ses greniers,  comme le lui enseignait sa règle de vie.   Lui-même voyageur en pays étranger,  il a peiné constamment pour que l’étranger  ne se sente pas étranger.  Demeurant lui-même sous une tente,   il ne souffrit pas qu’un passant demeurât  sans toit.   Banni de son pays,  sans domicile fixe,  il pratiqua toujours l’hospitalité envers les sans-patrie.   Il fut le seigneur et la patrie de tous.   Car il savait que sa position n’était pas celle d’un usurpateur, d’un accaparateur,   mais  d’un dispensateur de la largesse divine;  qu’il avait à venger les opprimés et libérer les captifs.  Pour délivrer ceux qui allaient être mis à mort,  nouveau combattant,  il s’est adjugé lui-même à la mort.  La pitié a toujours été plus chère que sa vie.  Quand Abraham reçoit  un visiteur, il ne s’assoit pas,  il sert.  Il n’était pas le convive de son hôte,   mais son serviteur.   A la vue d’un visiteur étranger,  il oubliait qu’il était un seigneur.  Il apportait lui-même les plats, et, plein d’anxiété,  il imposait un travail supplémentaire à sa femme déjà passablement affaiblie par l’âge.   Et lui qui s’en remettait à ses serviteurs pour lui-même et ses biens, quand il s’est agi  d’un étranger à recevoir,  il  osa  à peine s’en remettre à son épouse avant de l’avoir éprouvée.  Que dire de plus,  mes frères ?    Son hospitalité était si sainte,  toujours préparée par de saintes mains,  qu’elle a invité Dieu-Lui-même,  qu’elle L’a forcé  à devenir son Hôte.
 

Il  est venu  chez Abraham,   au repos des pauvres,  Il vient là  où l’on reçoit les pauvres,   Lui qui déclarera plus tard  que c’est Lui qui est  reçu dans le pauvre et l’étranger,  quand Il dira :   J’avais faim,  et vous m’avez donné à manger.  J’avais soif,  et vous m’avez donné à boire. J’étais étranger, et vous m’avez reçu.    Ce n’est donc pas sans raison qu’Abraham  reçoit  tous les saints dans le repos,  et qu’il remplit le rôle de dispensateur de la béatitude céleste.   Parce qu’en recevant toujours ici-bas les étrangers et les pauvres,  il a mérité de recevoir Dieu avec les anges,  de voir Dieu dans sa tente comme un hôte,  le Dieu qui avait toujours été son Pourvoyeur.   Et,  en toute vérité,  mes frères,  il se serait trouvé peu heureux  si, dans la gloire céleste,  il avait été privé du pieux devoir de l’hospitalité.   Et il se contenterait de jouir  des seuls dons divins,   lui qui se croirait cruel,  s’il refusait les biens humains à quiconque  ?    Abraham,  mes frères,  va toujours à l’encontre de ceux qui arrivent de loin;  il invite courtoisement ceux qui passent tout droit;  et ceux qui refusent,  il les force  à venir à sa table, en allant jusqu’à les supplier.  Pour ses visiteurs,  il prélève toujours le veau gras de son troupeau;  et par ses propres mains ou  les mains de son épouse,  il le dépose sur la table, offre toujours les pains  que la politesse ne permettait pas   de présenter froids ou secs.

Mais cet autre riche,  prisonnier des richesses,  esclave des biens matériels,  entravé  par ses revenus,  n’a qu’un sépulcre que la pompe mondaine rend ignoble,  où ni l’œil ni l’oreille ne trouvent  rien de pieux.      Ce  n’est pas une personne,  ce n’est pas un pauvre,  mais la Miséricorde qu’il a méprisée,  quand il a dédaigné Lazare gisant à sa porte.   Une âme cruelle nourrissait des entrailles de fer dans des banquets exquis, revêtue  d’habits soyeux,  de pourpre ou de lin fin.     Dieu,  le Scrutateur impartial du salut humain,  désirant l’amollir,  ne jette pas à sa porte Lazare, mais la fonderie de sa piété.  Je dis fonderie à cause de ses entrailles de fer.   Le mendiant Lazare est donc placé devant des yeux impies;  et,  pour que le riche puisse donner,  il voit ses profits s’accroitre de plus en plus.    Mais le riche, plus dur que le diamant,   dépensait honteusement  ou enterrait cruellement toute l’augmentation du profit que Dieu donnait,  pour que le riche fasse  l’aumône au pauvre.

Mais Dieu,  ne voulant pas se taire mais  interpeller et avertir le riche,  lui montre que le pauvre affamé ne demande que du pain.   Pour induire  le riche  propriétaire  à une légère aumône,  Il augmente la faim du pauvre.    Il désirait assouvir sa faim avec les miettes qui tombaient de la table.   Mais le riche,  gorgé de mets délicats,  les vomissait en éructant  en direction du ciel,   pour ne pas entendre la voix du pauvre qui gisait par terre.   De plus,  Dieu,  constatant que la bouche d’un plaignant n’avait aucun effet sur qui se bouchait les oreilles, couvrit de plaies  tout le corps du pauvre,  pour ouvrir le cœur du riche;  pour qu’il y ait autant de bouches que de plaies à avertir le riche.   Les viscères se dissolvent,  les ulcères apparaissent,  les blessures s’élargissent,  les abcès crèvent et le pus se répand; et toute la chair du pauvre est recomposée pour devenir  un spectacle pitoyable;   pour que celui que la voix de l’affamé n’a pas ému le soit par les soupirs,  les douleurs,  les gémissements  et l’accumulation  de tant de misères.  Mais l’œil superbe et le cœur insatiable du riche dédaignent   regarder,  entendre ces choses et y compatir.  Dieu se demande ensuite comment il pourra arracher le riche à son obstination.      Il a disloqué les mains du pauvre de ses épaules  pour qu’il n’éloigne pas les chiens du riche, qu’il nourrissait avec ses plaies,  pour la plus grande blessure du riche.  Et il s’est fait mes frères, un renversement étonnant dans l’ordre de la bienveillance :   c’est la mendicité qui a donné, et la cupidité s’est révélée inhumaine.  Le riche n’a pas nourri le pauvre des miettes qui tombaient de sa table;  et le pauvre,  qui ne possédait rien d’autre, a charitablement nourri les chiens de sa chair.   Malheureux riche !  Si tu ne lui as pas donné de pain ,  pourquoi n’as-tu pas éloigné les chiens ?   Mais tes chiens sont plus doux que toi, ou  tu es plus cruel que  tes chiens,  car eux épargnent celui que tu châties.   Ils  ne s’avancent pas pour le mordre,  mais pour l’aider en le léchant;   non pour aviver  ses plaies,  mais pour les nettoyer à la matière d’une éponge.    Riche,  dans tes chiens,  la piété a vaincu la faim;  mais en toi, la  satiété n’a pas éveillé  la pitié.   Car ce que les chiens cherchaient à faire en agissant ainsi,  le démontre leur comportement que nous observons tous les jours.  Car les chiens guérissent leurs plaies en les léchant.   Les chiens soignent le pauvre  avec un savoir-faire hérité de la nature;   et l’homme néglige l’homme,  subissant la condamnation de la nature.   Il n’est que trop vrai,  mes frères,  que le riche ne peut même pas donner de miettes,  tant  il agit sous l’emprise   de l’avarice.   Remettons le reste à plus tard,  mes frères,  parce que nous avons dépassé le temps alloué à la prédication,  et que nous traiterons ce qui reste du récit, dans le prochain sermon.

122ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

 Mon sermon devrait aujourd’hui  rapporter les vertus de saint André,  autant que le sujet l’exige.   Mais nous nous étions engagé à revenir sur ce qui reste  à dire sur le mauvais riche et Lazare, le pauvre évangélique.    Que la prérogative de l’apostolat et du martyre de saint André  suffise pour justifier sa gloire;  et, si vous le voulez bien,  accomplissons,  avec le secours de Dieu, ce que nous avons promis , et ce que nous vous devons.    Sachant que chez le prédicateur aussi bien que chez l’auditeur,  la fatigue engendre l’ennui,  nous avions remis à plus tard  de terminer le commentaire  de la parabole,   pour que des forces neuves nous permettent d’écouter avec toute l’attention requise la parole de Dieu.   Voici ce qui vient après ce que nous avons déjà vu.   Et élevant les yeux alors qu’il était dans les tourments, il vit Abraham de loin,  et Lazare dans son sein.

 Et élevant les yeux.  C’est bien tardivement que le riche lève les yeux,  lui qui les abaissait toujours vers la terre.   Riche,  les yeux que tu lèves, ce sont eux qui sont tes accusateurs.  Les yeux que tu lèves n’apaisent pas le Juge,  mais L’indigne.  Ils ne t’obtiennent pas le pardon,  mais la punition.   Ils exigent l’intensification  des peines,  non leur soulagement.   Pourquoi lèves-tu les yeux ?   Que réclames-tu encore,  riche ?  Où regardes-tu,  riche ?   Là est Lazare,  là est l’accusateur de ton impiété,  le témoin de ton crime,  l’affirmateur de ta cruauté,    Et il cria :  Père Abraham,  aie pitié de moi !   C’est maintenant que tu le reconnais pour ton père ? Non,  tu ne le connais pas pour ton père,  Celui dont tu as méprisé la paternité en Lazare.   Le Juste se porte maintenant à ta rencontre, Lui   qui, alors, parce qu’Il avait pitié de toi, avait permis  que Lazare soit accablé de souffrances.   Malheureux , que l’Origine elle-même récuse , que l’Auteur lui-même de la lumière  condamne.    Malheureux es-tu, toi, dont  la grandeur du  crime  ne permet,  en jugeant, ni au Géniteur  d’avoir pitié,  ni au Père de pardonner,  ni a l’Amour  d’aider.   Que demandes-tu encore, riche ?   Riche,  tu l’es encore,  mais de crimes,  non de pièces d’or;  mais de châtiments, non de biens.   Que réclames-tu,  que demandes-tu ?    Ce lieu ne reçoit  par les demandes,  mais la controverse,  puisque celui qui souffre demeure dans un autre lieu.   Un agit de près, l’autre de loin. L’un murmure à partir du sein,  l’autre crie depuis le tartare.  L’un exhorte dans le lieu du repos,  l’autre se plaint dans le lieu de la peine.

 Mais que dit le riche  ?   Père Abraham,  aie pitié de moi !   Il aurait raison de parler ainsi  si Lazare,  qui réside dans le sein du Juge,  n’en occupait pas le cœur.    Il aurait raison de parler ainsi  si le juste Lazare ne possédait pas tous les secrets du Connaisseur des cœurs.  C’en vain qu’il supplie le Juge,  puisque l’innocent confesseur l’accuse.  Et c’est en vain qu’il pense  que le Juge peut lui venir en aide,  quand parle  par la bouche du Juge celui  qui a souffert tant de maux.    Aie pitié de moi, et envoie Lazare.   Tu en veux encore à Lazare,  dans ta cruauté ?  Envoie Lazare.  Où ?   Du sein d’Abraham à l’enfer,  de la sublimité du trône à la profondeur du chaos,  de la sainteté du repos, du si grand silence des bienheureux  à la rigueur des tourments.    Et envoie Lazare.   D’après ce que je comprends, ce qui le fait souffrir ce n’est pas tant une nouvelle douleur que  sa jalousie invétérée : le ciel le brûle davantage que l’enfer.  C’est pour les damnés  un grand mal,  un incendie insupportable que de voir heureux ceux qu’ils avaient auparavant méprisés.  Le riche ne dépose pas encore sa malice;  la punition  a déjà pris possession de lui,  puisqu’il ne demande pas d’être conduit vers Lazare,  mais qu’il veut que Lazare lui soit amené.   Sur ton lit de tortures,  riche,  Lazare ne peut pas être envoyé,  parce que tu ne l’as pas jugé digne d’être admis à ta table.   Les sorts sont renversés.  Tu vois la gloire de celui dont du as méprisé le supplice.  Il voit maintenant tes tourments,  lui qui avait été ébloui par  ta gloire terrestre.

 Mais voyons mes frères pourquoi il supplie qu’on lui envoie Lazare.   Envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans de l’eau,  et rafraîchisse ma langue.    Tu te trompes, riche,  cette flamme ne consume pas tant ta langue que ton esprit,  non pas tant ton corps que ton cœur.  Mais elle n’est encore que la chaleur de ta conscience,  non cet incendie extrême qui t’attend et qui demeurera toujours.   Car si tout le feu du  Juge ultime  t’enveloppait,  et si la sentence de condamnation  te maintenait dans un état de désespoir,  tu ne lèverais pas les yeux,  tu n’oserais pas parler à ton père,  tu n’oserais jamais l’appeler à ta rescousse,  tu n’oserais pas intervenir en faveur de tes frères.   Car si tout le feu de l’enfer te possède déjà, si la flamme de la géhenne t’encercle déjà,  pourquoi désires-tu être soulagé des seules brûlures de ta langue ?   A moins que ce soit parce que.  pendant que ton cœur  palpite sous la flamme de son crime et de sa culpabilité,  ta langue brûle, s’enflamme et se consume davantage  parce qu’elle a insulté le pauvre en lui déniant le secours de la pitié.   C’est la langue qui est jugée d’abord,  c’est elle qui goûte  et subit d’abord les tourments,  puisqu’elle a été la première à déguster les mets exquis et délicieux,  à siroter les coupes parfumées. .  Elle n’a pas voulu recommander la pitié,  elle n’a pas ordonné qu’on exerce la miséricorde,  mais elle dérogeait à une loi établie par les autres.

C’est celui-là même qui était revêtu d’habits de pourpre et de fin lin.    Mais qu’est-ce donc qu’un riche ?  Le lin fin le défend-t-il   contre le feu ?   La pourpre  résiste-t-elle à l’enfer ?   Ces choses-là sont restées sur la terre.  Elles t’ont abandonné.  Et toi, maintenant,  dépouillé de tout,  complètement nu , tu sues et tu as chaud,  toi qui insultais autrefois celui qui était vêtu d’une nudité qui l’exposait à toutes les intempéries.   Et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans de l’eau. et qu’il rafraîchisse ma langue.   Qu’est-ce que c’est donc qu’un riche ?  Où sont les torrents de tes pressoirs ?  Où sont  les greniers agrandis  plus par la cupidité que par l’abondance des récoltes,  pour affamer le pauvre ?   Où sont les bouteilles de vin conservées, pour en priver le pauvre,   pendant de longues années, au point d’en perdre le souvenir ?   Où sont donc les courbettes de tes serviteurs,  leur empressement à te servir, et leurs escadrons ?   Toutes ces choses sont disparues pour toi,   non pour le crime,  car si tu avais seulement donné au pauvre une goutte de ton petit doigt pour étancher sa soif,  tu ne souffrirais pas de la soif.   Une goutte d’eau t’a rendu sans cœur,  et une miette de pain t’a  rendu inhumain,  choses dans lesquels consistent toute l’alimentation et la vie du pauvre.  J’aimerais savoir,  riche,  si, dans ton châtiment,  tu te pardonnes à toi-même,  parce que tu ne serais pas parvenu à ces maux,   si tu avais soutiré de tes immenses greniers  une miette de pain,  si tu avais donné une goutte d’eau à tant de souffrances.   La chair a besoin de peu : ce que la nature exige,  ce qui suffit à la vie.  C’est l’avarice qui est cause que le riche  entasse   de nombreuses et bonnes choses,  à son propre détriment et à celui de ses successeurs.

 Mais tu dis, riche :  Même si je me suis refusé le vin,  je demande de l’eau,  que l’Auteur lui-même des êtres et la nature  ont accordé indifféremment à tout ce qui vit.   Je pense,  riche, que tu es allé jusqu’à refuser de l’eau  au pauvre,  sur qui tu as lancé tes chiens avant qu’il ne franchisse le seuil de ta porte,  ou avant qu’il ne s’approche de la margelle de  ton puits.  Mais qu’est-ce que tu dis,  enfin ?   Envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son petit doigt dans l’eau,   sans apporter l’eau elle-même ?  L’eau est donc toute proche ?   Et si l’eau est si proche,  pourquoi ne prends-tu pas ce qui est à ta portée ?    Pourquoi ?   Parce que c’est en toute justice que tes mains sont devenues percluses,   riche,    parce que tu as dédaigné de subvenir aux mains de Lazare rendues impotentes par l’épuisement.   L’homme doit faire en sorte que ses membres les plus vigoureux portent assistance aux plus débiles.  Job qui donnait, mais qui ne rendait pas en retour ce qu’il avait déjà reçu,  a dit :  J’ai été l’œil des aveugles, le pied des boiteux.  J’étais le père des invalides.
 Homme, si tu n’as pas d’argent,  donne la main au pauvre,  car il fait un plus grand acte de miséricorde  celui qui conduit par la main à sa table le pauvre chancelant.  Il s’est Lui-même donné au pauvre Celui  qui s’est incarné pour rendre hommage au pauvre,   pour se mettre au service des pauvres.   De nouveau,  mes frères, remettons à plus tard de compléter l’explication  de cette parabole, pour que, dans un troisième sermon,  nous puissions commenter la réponse qu’Abraham a donnée au riche.
 
 

123ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(3ème sermon sur le Lazare et le mauvais riche)

 C’est le propre d’un débiteur qui n’est pas consciencieux  de remettre à plus tard le paiement de  ses dettes,  ou de ne pas honorer ses promesses.   Nous avons promis de rendre compte de tout ce qui reste  à dire sur le riche  qui,  en se montrant inhumain  envers Lazare,  a été encore plus féroce et plus cruel  envers lui-même.  Ce que le riche a demandé à Abraham,  l’ont déjà déclaré le saint évangéliste et notre sermon, autant qu’il l’a pu :  Père Abraham,  aie pitié de moi et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans l’eau  et qu’il me rafraîchisse la langue,  car je souffre cruellement dans cette flamme. Mais Abraham lui répondit : Fils,  tu as reçu des biens pendant ta vie.  O étonnante piété !  Il appelle encore fils celui dont il voit la dégénérescence,  causée par sa propre cruauté.   O bonté singulière ! Il appelle encore fils celui  qu’il considère comme un autochtone de l’enfer,  comme quelqu’un né pour les châtiments,  comme quelqu’un qui appartient de droit à la géhenne.   Mais il l’appelle fils pour mettre en lumière  son impiété filiale,  tant que perdure, envers lui,  la piété de la semonce paternelle .  Tu m’appelles père,  je t’appelle donc fils,   pour que tu te lamentes encore plus d’avoir perdu ce que te donnait la naissance.  Je t’appelle encore fils,  pour que tu déplores plus amèrement d’avoir perdu  ce que t’avaient donné la grâce et la nature.   Cat la douleur de ne rien recevoir de toutes ces choses  est moins grande que celle de les avoir perdues après les avoir reçues.  Je t’appelle fils pour que tu comprennes que tes souffrances proviennent du jugement qui a été porté sur toi, et  non d’une haine aveugle.    Je t’appelle fils pour qu’en moi demeure ma patience,  et en toi,  ta punition.

 Mais lui, mes frères,  comprend  qu’il n’est plus son fils;  il admet que c’est de sa faute s’il a perdu  le père que la nature lui avait donné.  Il aurait prouvé qu’il était le fils d’un tel père  s’il avait été miséricordieux, hospitalier,  charitable,  serviable  envers les pauvres.  Celui qui ne fait pas les œuvres de son père  renie  sa parenté,  conformément à l’enseignement du Seigneur :   Si vous étiez les fils d’Abraham,  vous feriez les œuvres d’Abraham !   Celui qui manifeste les œuvres de son père donne la preuve irréfutable de son origine.

 Mais que répond Abraham :  Mon fils,  tu as reçu des biens pendant ta vie.  Si le seul crime de ce riche est d’avoir reçu des biens,  quel n’est pas le crime de celui qui a usurpé les biens d’autrui ?   S’il est si coupable celui qui enterre ses biens,  qui ne donne pas libéralement aux autres ce qu’il a reçu,  que sera celui qui veille jalousement sur eux,  et s’empare du bien d’autrui ?    Mes frères, donnons nos biens,  s’ils sont vraiment nôtres.  Donnons quand même ce que nous pensons nous appartenir.   Évitons de prendre ce qui appartient à autrui,  rejetons ce qui nous est étranger.  S’il nous arrivait  jamais de prendre quelque chose à quelqu’un,  en toute hâte,  il faudrait le lui rapporter.  De peur que,  après avoir laissé tous nos biens ici-bas,  nous soyons amenés près de ce riche,  pauvres des biens de la terre,  et riches de crimes.  Qu’il apprenne le riche que les biens qu’il avait reçus ne lui étaient pas dus.   Vous voyez, mes frères,  qu’à la parole de saint Abraham,  l’âme du riche apparaît au grand jour,  son sens pratique est condamné,  son intelligence punie,  lui qui croyait que tout ce qu’il possédait de la largesse divine,  ne lui avait pas été donné mais rendu.   Comprenez de quelle façon s’est conduit,  de quel cœur a marché  celui qui croyait que Dieu était son débiteur,  et qui, par ses usures, pensait  avoir  rendu le Seigneur redevable envers lui.   Ignorant que le Seigneur, s’Il descend pauvre sur la terre,  remonte riche dans le ciel.   Et Celui qui a donné à l’un cinq talents, à un autre deux,  à un autre un,  n’a pas gagné à la bourse ce qu’Il a donné.   C’est pourquoi il promet de retirer l’intérêt,  non de le rendre quand il dit à son serviteur :   Serviteur mauvais et paresseux. Si tu avais placé mon argent chez un banquier, je serais venu le reprendre avec les intérêts.   Ce riche est encore plus impie  parce qu’il n’a pas été miséricordieux envers autrui.   Même s’il a reçu des biens,  il n’a pas reçu des biens à cause de ses bonnes actions;  mais il a reçu indignement des biens pendant qu’il commettait le mal.

 Mais revenons à Lazare,  et demandons-nous pourquoi Abraham a dit :  Et Lazare semblablement a reçu des maux.   Le seul fait d’avoir reçu des maux,  sans avoir jamais  rien fait de bien,   suffirait-il à rendre sa vie méritoire,  à le faire basculer dans la gloire ?    Il est pleinement heureux,  mes frères,  celui qui croit fidèlement que c’est de Dieu qu’il a reçu les biens et les maux.   Bienheureux celui qui rend toujours à Dieu ce qu’il Lui doit.   Si il ne le peut pas,  qu’il demande en toute humilité que ses dettes soient remises, selon l’enseignement de son Maître :  Dites :  remettez-nous nos dettes.  Bienheureux celui qui paie ses dettes à Dieu,  même quand il n’a pas conscience d’en avoir contracté, selon le profond enseignement du Prophète :  J’ai restitué ce que je n’avais pas dérobé.    Bienheureux celui qui,  pour être excusé,  s’accuse toujours devant Dieu,  selon cet avertissement de l’Écriture :  Au tout début de son discours, le juste s’accuse lui-même.    S’il est juste,  pourquoi s’accuse-t-il ?  Parce qu’aucun vivant n’est justifié devant Dieu.  L’homme se glorifie peut-être devant l’homme  de sa justice, de son innocence,  de son mérite.   Mais celui qui, devant Dieu, se targue de son innocence,  se glorifie de sa justice,  n’est point un homme.  Voilà pourquoi le pharisien  est injuste et pire que le publicain en sortant du temple, car il n’y était pas allé pour prier,  mais pour faire étalage  de ses actes de justice,  pour se les attribuer,  pour s’en vanter.

 Mais revenons à ce qui reste.  Lui, maintenant, est consolé.  Toi, tu es tourmenté.  Voyez,  mes frères,  comprenez,  mes frères,  ce que nous dit l’Ecriture : les lieux étaient différents, mais une seule région, celle de l’enfer,  logeait les justes et les injustes.  La demeure céleste ne séparait pas encore ceux qui étaient dans le grand chaos.  Et même si un abime les isolait,  n’était pas encore accordée aux justes l’altitude céleste qui est celle des anges.   Une lance enflammée (comme le rapporte le législateur)  se déplaçait tout autour de la porte  du paradis  pour en interdire à l’homme l’entrée.   L’entrée  de l’enfer  était fermée  par des portes d’airain, et des montants en fer. pour ne pas permettre  d’évasion  aux âmes qui, du ciel,   étaient tombées là.   Car  le document manuscrit de la dette paternelle,  qui adjugeait tous et chacun à la mort,  et que le poinçon pour écrire de la faute et l’encre  de la culpabilité conservaient écrit,  ainsi que  les intérêts de la dette qui couraient depuis  tant de siècles, conspiraient au préjudice de la descendance.   Personne n’était apte à entrer dans le paradis,  à éteindre la flamme placée par Dieu, à ouvrir les portes de l’enfer,  verrouillées par le ciel.   Personne n’avait ce qu’il faut pour  détruire le document écrit de la main d’Adam,  qu’un précepte de Dieu,  pour le conserver,  avait enfermé dans l’arche de la loi.   Voilà pourquoi le Seigneur Lui-même  S’est banni du ciel  pour venir au secours du  premier homme,  de son serviteur contumace.   Le même Seigneur qui avait interdit à l’homme le paradis,  qui avait fermé l’enfer,  est descendu sur la terre  et dans les enfers avec toute Sa puissance,  pour éteindre la flamme,  pour ouvrir les portes fermées, et abolir le crime de celui qui a été façonné le premier.   Voilà pourquoi Il porte le bélier de sa croix  quand Il attaque l’enfer, pour fracasser et mettre en pièces les portes d’airain, bardées de fer,  du tartare.   De Son côté percé,  Il a laissé couler de l’eau,  pour tempérer la voie du paradis.  pour éteindre le feu de l’enfer qui se trouvait à proximité  des saints, pour déchirer tout le parchemin de la faute,  pour effacer la dette atavique,  et pour, en souffrant,  remettre la peine qu’Il avait Lui-même imposée.  Reconnaissez-le,  mes frères,  et réjouissez-vous-en.    Après le triomphe du Christ, la prison des saints a été dissoute,  et les saints ne devaient plus rien à l’enfer.  Cela s’est passé quand le Christ  a pénétré dans les enfers pour y libérer les justes,  non les injustes.   Comprenons, mes frères,  tous les bienfaits que le Christ nous a valus.  A un point tel que,  sans le Christ,  personne n’aurait obtenu le salut,  puisque,  après la séparation d’avec leurs corps,  les âmes  étaient retenues prisonnières dans les enfers.  Béni soit Lazare  qui n’avait contracté de dettes qu’envers Dieu,  pour ne rien devoir au crime !   Béni soit Lazare qui a ici reçu tant de maux pour posséder  là-bas tous les biens  !

 Et Abraham ajoute ces paroles :  Personne ne peut d’ici passer jusqu’à vous; et personne ne peut de là-bas traverser jusqu’à nous.  Oui, mes frères,  le son de cette voix nous terrifie.   Elle nous démontre  que ceux qui, après la mort,  ont été, une fois pour toutes,  envoyés  aux enfers  dans la prison du châtiment,  ne peuvent plus être transférés dans le repos des saints,  à moins que,  déjà rachetés par la grâce du Christ,  ils soient délivrés de cette situation désespérée par l’intercession de la sainte église.  Car ce que dénie la sentence du Juge , l’Eglise le mérite, la grâce l’accorde.

 Mais ce riche implore encore en disant : Père Abraham.   Il invoque encore Abraham,  lui qui a perdu par sa faute et son père et sa patrie.  Père Abraham.  Dans sa misère et sa punition,  il ment.  Père Abraham,  envoyez-le dans la maison de mon père.   Donne-t-il vraiment le titre de père à Abraham  celui qui s’enquiert du domaine d’un autre père ?  A moins qu’il croie n’avoir un père qu’en l’absence de l’autre,  qu’il a  conscience d’avoir perdu en cette vie en agissant ainsi. ¸Et il pense que la maison de son père est conservée  pour lui ;  et là où il voit que le sein du père lui être refusé,  il constate que la paix lui échappe encore davantage.  Père Abraham,  envoie-le.    Qui ?  Lazare, bien sûr.   Où ?  Dans la maison de mon père.  C’est bien tard  pour le riche de penser à  inviter Lazare dans la maison de son père;  et  il ne l’invite pas parce qu’il a pitié du pauvre,  mais pour qu’on ait pitié de lui-même.   Il invite maintenant celui-là même que,  au temps de son bien-être,  il n’a pas reçu, quand il était perclus  de douleurs auprès de sa porte.  Et sous prétexte de pitié,  il veut que Lazare retourne à ses gémissements d’autrefois,  tout en sachant qu’il  n’avait  pas rappelé le miséreux de ses tourments quand il le lui avait demandé.   Il avait dit auparavant :  Envoi-le-moi.    Maintenant il dit :  Envoie-le à mes frères.   Il se trouble,  il s’agite le malheureux  pour ne pas voir dans la joie celui qu’hier encore,  il considérait malheureux.   Envoie-le vers mes frères !    Où ?  Dans la maison de mon père.    Pourquoi ?  Car j’ai là cinq frères.  Pour qu’il leur soit un témoignage afin qu’ils ne viennent  pas eux aussi dans ce lieu de tortures.   De qui peut-il avoir pitié celui qui a été si impitoyable  envers lui-même ?  C’est avec impudence qu’il présume pouvoir obtenir que les autres fassent pénitence,  lui qui fut assez cruel envers lui-même pour ne rien tenter qui lui procurât le pardon.  Envoie Lazare dans la maison de mon père, car j’ai là cinq frères.   Et tu penses qu’à tes cinq frères Lazare suffirait à lui seul,  alors que, pendant si longtemps,  les reproches  de ses plaies et de tout son corps meurtri  n’ont rien pu sur  toi ?

Lazare a eu raison de lui répondre :  Ils ont Moïse et les Prophètes.  Qu’ils les écoutent !    Laisse Lazare se reposer après tant de labeurs, et toi, supporte les peines qui t’ont été infligées justement. .   Dieu depuis toujours voit au salut de tes frères et de tous,  non sur ton avis,  mais dans sa Providence.   Il a donné la loi par Moïse,  il a fait le don de la prophétie par Elie.  Qu’ils les écoutent donc, s’ils ne veulent pas goûter à tes tourments.   Le riche lui répondit :  Non, père Abraham,  mais si  quelqu’un ressuscite d’entre les morts,   ils croiront en lui.  Rien n’est plus vrai, mes frères.  Celui qui n’a pas voulu croire  à Celui qui parle du haut du ciel par la loi;  qui n’a pas voulu croire que  le Christ viendrait du ciel,  ne méritera pas de croire à quelqu’un qui revient des enfers.  Le Christ Lui-même,  qui est Dieu et notre Seigneur,  est venu du ciel vers Moïse;  et sur la terre Il a parlé dans un corps terrestre,  et avec un corps terrestre est revenu des enfers.   Et pourtant,  à Celui qui rapportait quels sont les biens du ciel  et quels sont les maux des enfers,  les tribus israélites,  symbolisées par ce riche,  ont refusé de croire avec une grande obstination.   Ce qu’est le riche, ce qu’est Lazare et quels sont les cinq frères, le temps nous manque maintenant pour l’expliquer.   Il   ne nous permet pas de révéler le sens spirituel latent de cette histoire .     Instruits par le Christ de ce qui attend les justes auprès de Lui-même,  et du sort réservé aux injustes dans l’enfer,  démenons-nous,  courons,   en usant de la parole, des œuvres et de la miséricorde,  pour que nous puissions saisir les biens surnaturels,  et pour que la crainte de l’enfer nous fasse éviter et fuir les maux.
 

124ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(4ème sermon sur Lazare et le mauvais riche)

 Toutes les fois que Dieu nous présente un riche en habits somptueux,  toutes les fois qu’Il approche de nous un pauvre couvert de plaies,  Il nous donne l’occasion d’exercer la miséricorde,  il nous ouvre le stade de la pitié, pour que ce spectacle céleste  nous fasse  toucher du doigt  avec quelle rapidité  le pauvre parvient à la palme,  et le riche à la ruine.   Un homme était riche.  Il était vêtu d’habits de pourpre et de fin lin,  et il festoyait splendidement à chaque jour.   Et il y avait un mendiant du nom de Lazare qui gisait près de sa porte, désirant assouvir sa faim avec les miettes de pain qui tombaient de la table du riche.

 Le riche était vêtu de pourpre,  le pauvre de taches livides;  le riche de fin lin,  le pauvre de haillons;  le riche d’or, le pauvre de vermines.     Le riche reposait sur son lit de table capitonné  en forme de S,  le pauvre était couché sur la dure.    Le riche éructait sa nourriture,   le pauvre exhalait de mauvaises odeurs.    Le riche versait le vin,  le pauvre ses larmes.   Rassasié,  le riche jetait ses pains à la poubelle;  le pauvre affamé n’avait même pas de miettes de pain.    Le riche nourrissait de ses mets ceux qui aboyaient contre le pauvre, le pauvre rassasiait les chiens de ses blessures.  Et, pour ne rien dire de plus,  nous lisons que tous les biens ont été accordés au riche,  et au pauvre tous les maux.

 Les adversités n’ont pourtant  pas brisé le pauvre,  et tout n’a pas été profitable au riche.   Loin de là.   La pauvreté a conduit le pauvre à la sagesse,  la douleur à la vertu,  le mépris à la patience,  ce qui est nécessaire à ce qui est volontaire,  la faim au jeûne,  la soif à la tempérance,  la mort à la vie,  la peine à la récompense,  la terre au ciel,  la privation de tout au royaume.    La pourpre a enflé la tête du riche et en a fait un orgueilleux.  Le fin lin l’a conduit à la luxure,  la richesse  à l’inhumanité,  l’abondance à l’impiété,  les onguents à la lascivité,  la splendeur à la cécité,  la pompe à la ruine.   La prospérité n’ennoblit  pas les veules,  et les adversités n’abattent pas  les pugnaces .  Car ce ne sont ni les richesses ni la pauvreté,  mais l’âme,  qui conduisent à la reconnaissance ceux qui sont reconnaissants,  et à la punition les ingrats.   Le pauvre couvert d’ulcères est placé près de la porte du riche. Cet évènement ne s’est pas produit  par hasard,  mais par un décret divin,  pour que le combat qui s’engageait entre le riche et le pauvre demeure un spectacle pour le ciel.  Le riche se tenait debout revêtu des armes de sa richesse,  et   le  pauvre était couché par terre revêtu de son corps comme cuirasse,  qui n’était qu’une seule plaie.  Le riche  se régalait de la danse en rond et en chœur  de ses serviteurs pendant que  le pauvre, dépouillé de sa peau, ne répondait qu’aux stimuli  de ses douleurs.   Le riche lançait les traits de l’impiété,  et  le pauvre lui opposait le bouclier de la commisération.   Le riche dardait sa cruauté dans la plaie du pauvre,  mais  le courage du pauvre  frustrait l’âme criminelle du riche.  Parce que,  le corps du pauvre  se désagrégeant,  la force musculaire était passée dans l’âme,  et,  la chair foulée aux pieds,  le combattant s’était spiritualisé,  pour que la cruauté du riche ne puisse trouver où frapper.

   Dieu avait tout planifié pour que  le pauvre soit toujours devant les yeux du riche,  et le riche devant les yeux du pauvre,  pour qu’ils puissent  se secourir mutuellement dans leurs diverses maladies.  Le pauvre était malade du corps,  le riche de l’âme.    La cure qu’administrait le pauvre différait de celle du riche en ceci précisément  que le riche avait à tirer un médicament de la blessure du pauvre,  la componction de ses gémissements,  la pénitence de ses larmes,  l’exemple de sa patience,  la miséricorde de sa faim,  le bon sens de sa soif; et, pour le dire en un mot,  un compagnonnage céleste  de la compassion terrestre.   Pour que le riche comblé de biens rende grâce à Dieu  autant que le pauvre  rend grâce à Dieu dans tous ses malheurs, au vu et au su du riche.   C’est donc en toute justice qui celui qui gisait par terre a été emporté par les anges.  Celui qui pleurait a été consolé dans le sein d’Abraham.   Et il vit toujours pour Dieu celui qui,  sur terre,  n’a pas su vivre pour lui.

Il arriva que le pauvre mourut,  et il fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham.  Le riche mourut aussi,  et il fut enseveli dans l’enfer.   Le misérable a reçu la sépulture de l’âme avant celle du corps, et il a été livré au sépulcre de la punition avant de l’être au repos du corps,  pour qu’après être mort une fois pour  toutes à la vie,  il vive de la punition.  Et il a été enseveli dans l’enfer.  Et il vit Abraham de loin,  et Lazare dans son sein.    Quel renversement de destinées !   Jusqu’où est descendu le riche !  Jusqu’où est monté le pauvre !   Il a  levé ses yeux là-bas vers celui sur lequel il ne daigna pas abaisser ses regards  sur la terre.   Et il voit de son enfer dans le sein d’Abraham  celui qu’il ne voyait pas couché par terre,  du haut de son superbe lit de table en forme de S.

Père Abraham,  aie pitié de moi !  Il demande sottement à son père une miséricorde  qu’il avait refusée à son frère.   Aie pitié de moi !  Qu’a-t-il désormais à voir avec la miséricorde,  celui pour qui tout se termine en peine ?   Qu’est-ce que cette supplication peut obtenir  du père,  dans le sein duquel se niche l’accusateur du riche ?  Lazare a pris possession du cœur du père,  et pousse le saint cœur à la justice.  Comme il se conduit en père envers les bons fils,  qu’il se conduise en juge envers les mauvais.   Père Abraham,  aie pitié de moi,  et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir ma langue,  parce que je souffre cruellement dans cette flamme.  Il a soif de la goutte qu’il a répandue par terre, quand le pauvre avait soif d’une coupe de vin.  Et il pense pouvoir éteindre les flammes de l’enfer  avec le bout du petit doigt lui qui, avec ces mesures, n’a pas éteint les incendies de son ébriété qui faisait rage pendant tout le jour.  Mais la goutte qu’il demande pour son rafraîchissement,  c’est celle qu’il a refusée à la gorge altérée du pauvre. C’est cette goutte, riche,  qui t’a rendu cruel.   Cette goutte que tu as refusée à Lazare,  c’est elle qui a asséché son gosier,  car,  pour le rafraîchissement du corps,  la goutte et la miette suffisent.  Voulant assouvir sa faim avec les miettes qui tombaient de la table du riche.   Il épargnait le pain, il gaspillait le vin;  et ce qui était refusé  au pauvre pour l’empêcher de mourir, était enseveli en entier  dans le luxe et le faste.  Et envoie Lazare pour qu’il plonge le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue.  La langue est pour la tête  le leader du mal.   C’est elle qui se détourne de l’indigent,  qui insulte le  pauvre,  qui aboie après la pitié ,  qui met en pièces la miséricorde, et à qui il a été donné d’exercer le commandement.

Le commentaire de la lecture m’oblige moi, à vous dire et vous à écouter,  qui est ce riche aux habits somptueux,  qui est le pauvre Lazare,  qui sont les cinq frères du riche,  et comment,  avant le jour du jugement,  le riche  peut sentir les tourments de la géhenne.  Néanmoins,  la douleur me force à vous  redire :  Le riche mourut,  et il fut enseveli dans l’enfer.    Et s’il est sous terre une prison,  s’il y a une fournaise ardente,  s’il y a un enfer qui tourmente sans fin les âmes,  s’il existe un sinistre huissier, qui nous y écroue après les labeurs de la vie,  de quoi nous étonner encore ?  Qu’est-ce que la terre que nous habitons ?    Quel est celui qui n’en perd pas le sommeil ?  Quel est cet oubli mortel qui s’est emparé de nous ?  Pourquoi notre seul souci n’est-il pas, après avoir tout méprisé,  de nous évader de tels maux,  de peur que,  si nous vivons pour le monde et si nous courons après les biens de la terre,  on ne se saisisse de nous pour nous faire subir des châtiments si cruels ?   Et s’il est possible de s’élever jusqu’aux réalités surnaturelles,  s’il est possible de vivre de façon céleste,  si le sein d’Abraham  est prêt à accorder le repos à tous les bons,  si Lazare est dans le sein d’un si grand père, je dis si,  mais il n’y a pas lieu de douter  puisque les lieux, les personnes et les noms nous sont décrits, pourquoi ne changeons-nous pas la terre en ciel ?  Pourquoi n’achetons-nous pas les choses éternelles avec les choses caduques ?  Pourquoi ne nous procurons-nous pas le permanent  avec le périssable. pour éviter les supplices de l’enfer,  et pour que nous puissions  voir, posséder et tenir les choses que nous avons désirées intensément,  en en entendant parler.
 

125ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(L’intendant malhonnête)

 De tous les aliments,  le sel est le condiment le plus salubre,  s’il est utilisé avec mesure.    Autrement,  lui-même périt,  et périt également ce qu’il a salé;  car l’excès rend amer ce que la modération  révèle être un bon  assaisonnement.  Il en va ainsi pour nous.  Si notre manière de voir les choses se garde des extrêmes,  elle leur donne de la saveur,  elle enfante quelque chose de sensé,  elle génère la prudence, elle dilate le cœur, augmente la compréhension.    Elle ne dit que des choses mûrement réfléchies; elle recueille les choses dignes d’être écoutées;  elle se rend délectable à elle-même,  et à ceux qui la dégustent elle devient toute la plénitude de la douceur.  Nous débutons par ces considérations, pour que le commentaire que nous faisons des textes évangéliques ne s’éloigne ni à gauche ni à droite du sens inspiré.  Qu’il ne vicie pas la nourriture vitale,  la divine pâture,  la saveur céleste,  mais que notre prudente sobriété les garde,  selon ce mot de l’Apôtre :  Ne pas goûter plus qu’il ne faut,  mais sobrement.    Mais écoutons ce que le Seigneur a dit :

 Il y avait un homme riche.  Jésus parlait souvent de ce sujet aux  Juifs pour qu’ils comprennent  que la Déité de l’opulence résidait dans la pauvreté humaine.   Il y avait un riche.   Il était riche dans sa majesté Celui qui, aux yeux des juifs,  était pauvre.   Et comment n’aurait-Il pas été riche  Celui que les anges servaient,  à Qui les vertus obéissaient,  Que  les éléments assistaient;  à l’appel et au  commandement de Qui apparaissait et venait ce qui n’existait pas ?   Un homme était riche. Et il avait un régisseur d’une propriété rurale   A qui,  sinon à l’homme,  a été remis le monde en possession pour qu’il le cultive ?   Et il fut dénoncé auprès de lui.   Comme s’Il n’avait pas su à l’avance,  comme s’Il n’avait pas prévu  Celui à qui rien n’est caché,  Celui dont les yeux  aperçoivent ce qui a été soustrait à la vue.   Et il fut dénoncé auprès de lui.   Il a donc cru au quand-dira-t-on ?   C’est la rumeur populaire qui L’a instruit ?   Certainement pas.   Mais les choses qu’Il connaissait, que Sa piété voilait, Il a commencé à faire enquête sur elles,   quand la terre les a dénoncées.   La voix du sang de ton frère crie de la terre.   La terre hurlait,  le ciel criait, les anges s’attristaient,  quand la voix publique du monde parlait.   On l’accusa auprès de lui de dissiper ses biens.   On lit que le puiné avait autrefois dissipé les biens de cet homme;  on nous rapporte maintenant que c’est un régisseur qui a dissipé les biens du même.  Comme c’est le même Christ qui est Dieu et Homme,  c’est le même qui est père de famille et père.   Il apparaît également que le fils et le régisseur sont une seule et même personne.  Les situations sont diverses,  les noms sont différents,  mais les personnes sont les mêmes.

 Il l’a appelé.  Il l’a appelé par l’évangile. Et il lui dit.   Et que ne fait-Il pas par l’évangile,  par lequel Il corrige les mœurs,  révèle les choses cachées,  lit les pensées des cœurs,  châtie les fautes, fait le dénombre des maux,  menace de punir ceux qui persistent dans le péché,  et promet le pardon à ceux qui y renoncent ?  Qu’est-ce que j’entends dire de toi ?    Les choses qu’Il sait Il  les présente comme de simples rumeurs,  parce qu’il ne veut pas précipiter la condamnation du coupable.  Et Il traite comme un simple accusé  celui qui avait déjà été convaincu de fraude en Sa présence,  Se réjouissant de faire passer le pardon avant la condamnation.  Qu’est-ce que j’entends dire de toi ?  Rends compte de ton administration, car tu ne pourras plus désormais exercer ta fonction de régisseur.   Pourquoi joint-Il des paroles si sévères à des paroles si amènes ?   Pourquoi le prive-t-Il de sa charge de régisseur avant d’avoir pris connaissance du bilan ?   Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus désormais exercer ta fonction de régisseur.   Il demande des comptes,  non pour l’expulser, mais pour le relâcher.   Il demande,  pour qu’on Lui demande.  Il demande ici pour ne pas te le demander.   Il le demande sur la terre pour ne pas avoir à le demander lors du jugement.  Il le demande tout de suite pour ne pas exclure le temps des peines,  le  temps de l’expiation.  Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras désormais plus exercer ta fonction de régisseur.   Pourquoi ?   Parce que vient la fin de la vie,  le temps de la mort;  déjà te pressure  la nécessité de comparaître en haut;  déjà t’appelle le jugement.  Hâte-toi, donc,  pour ne pas perdre le temps de la satisfaction,  toi qui as laissé couler  le temps de l’action.    Rends compte de ta gestion.  Ce qui signifie :  Rends tes comptes.  Rassemble ce qui t’appartient, de façon à ne pas te rendre ce qui m’appartient.  Tu géreras pour de vrai quand tu cesseras de dissiper mes biens.  Quand je t’ai embauché,  j’ai assumé tes dettes antérieures. Je les ai payées pour te libérer.  J’ai été  répondant pour toi qui étais répondant pour moi. Juge suprême,  je  suis allé en jugement .  J’ai été déclaré coupable par ma créature.   Des mécréants j’ai reçu les peines;  des condamnés à mort  je n’ai pas évité la sentence.  Meurtrier  de la mort,  j’ai reçu la mort;  destructeur de l’enfer, j’ai pénétré dans les enfers.    Non seulement pour te soustraire à ta punition,  mais pour faire de toi un compagnon de ma Dignité.    Agis donc  de façon à ce que  la perpétuité de ma condamnation ne t’inclue pas,  toi qu’exclut le temps de ta régie.

 Mais continuons pour voir ce que répondra le régisseur.   Il se dit en lui-même.  Que ferai-je ?    Que ferai-je maintenant ?   L’homme désire toujours faire le bien quand  la mort enlève  le temps de l’action. Il se dit en lui-même.  Sa tension monte,  il se gendarme contre lui-même,  et met tout en œuvre à l’intérieur de lui  pour s’extorquer la pénitence qu’il peut s’imposer à  lui-même.   Travailler de mes mains,  je ne puis.  Ce ne sont pas les forces qui lui manquaient pour travailler,  mais le temps.   Je ne peux pas travailler,  j’ai honte de mendier.   Il redoute la confusion qu’il ressentira devant le Juge .  Alors,  ce ne sera plus le temps de la pénitence,  mais de la punition.  Là,  sa conscience le fera plus rougir  que l’incendie de la géhenne.    J’ai honte de mendier.    Et qui ne rougit pas de mendier les biens célestes ?   L’éternité hébergera comme un  mendiant celui que la vie terrestre a connu riche; et  le tartare gardera nu celui que le ciel aurait pu accueillir riche.    Les biens présents sont destinés à tous,  non à nous seuls.  Malheur à nous  si nous les usurpons et si nous les accaparons,  nous qui, sur cette terre,  ne devons pas  nous prendre pour des seigneurs,  mais pour des régisseurs.  Ne nous a pas été échu un droit de   possession perpétuelle,   mais l’usufruit.   Veillons à ce que  ne nous précède pas auprès du père de famille  l’accusation de détournement de fonds,  selon ce mot de l’Apôtre :   Les péchés de certains sont évidents. Ils sont antérieurs au jugement. D’autres sont commis après.

 Il n’est pas parvenu au terme fixé de sa vie  celui qui a perdu volontairement le temps de sa gestion, temps qu’il a consacré à la dissipation des crédits.   Voilà la sortie prématurée,  voilà la mort avant le jour fixé,  voilà la vocation fielleuse ,  voilà l’amère reddition des comptes,  semblable à la lamentation du prophète :  Les hommes de sang et de ruse ne vivront pas la moitié de leur jours.  Mais quand la maladie nous remémore notre convocation,  quand la fièvre nous exclut brutalement de la gestion des affaires,  quand l’intensité de la douleur   nous résout à remettre au Seigneur notre intendance,  nous imiterons ce qu’a pensé et fait le présent régisseur;   nous nous convertirons à la sagesse spirituelle,  à la componction du cœur, à la pénitence  intérieure,  au suffrage de la miséricorde,  au patronage de la pitié,  à la consultation de la confession.  Bien entendu,  nous demanderons  le reçu de dettes que le Seigneur a signé de sa propre main.   Et si la dette n’est pas remboursée en entier ou à moitié,  nous ferons comme ce régisseur,  nous déferons  des nœuds .  Pour que nous qui sommes appelés des régisseurs d’iniquité parce que nous avons dilapidé les biens à nous confiés,  nous soyons, au dernier jour,  loués par le Juge  à cause de notre pieuse fraude.  Et il a loué le régisseur d’iniquité.  L’histoire de l’intendant malhonnête rapportée par l’évangile  ne soulève pas de petites questions,   car on y lit que celui qui a été coupable en plusieurs choses  a plu à son seigneur par une seule fraude.    Pourquoi a-t-il plu à son seigneur en agissant ainsi,  et qui est ce régisseur,   nous l’exposerons plus amplement, avec l’aide de Dieu, dans le prochain sermon.
 

 
 
 

126ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le sens spirituel de la parabole de l’intendant malhonnête)

 A quel point il est avantageux,  à quel point il est profitable  de délier les nœuds des débiteurs,  de relâcher les liens des cautions,  l’ exemple du présent régisseur nous l’enseigne et nous l’inculque.  En diminuant,  par une ratoureuse  évaluation, les dettes accumulées,  il a non seulement échappé à ce que la reddition de comptes avait d’épineux et d’angoissant,  mais il a obtenu du vérificateur  une louange qui durera pendant les siècles.  Je  me sens obligé, mes frères,  de vous expliquer cette leçon à cause de la promesse que je vous ai faite.     Ecoutez-moi donc avec piété et patience,  pour que ne pèse ni sur vous ni  sur  moi,  une dissertation laborieuse,    quand l’intelligence peut en percer le secret  sans effort.    Poursuivons donc ce qui suit du commentaire de la lecture.   Et écoutons quel subterfuge a trouvé le régisseur.

 Je sais ce que je ferai.  Il convoqua tous les débiteurs de son maître et leur dit : Combien dois-tu à mon maître ?  Cent casques en peau de bête d’huile.  Et il lui dit : prends ta caution. assieds-toi et écris : cinquante.  Puis il dit à un autre :  Et toi, comment lui dois-tu ?  Cent minots de blé.  Et il lui dit :  prends tes lettres  et écris : quatre-vingt.  Et le maître loua le régisseur d’iniquité parce qu’il avait agi avec prudence.   Il est évident que  dans les textes évangéliques que nous lisons à l’église,  se trouve un grand nombre de questions  obscures qui sont  des mystères divins,  et dont le sens spirituel est voilé.   Et il n’est pas facile à la  raison humaine  de se soumettre aux secrets célestes que profère la bouche du Christ.  Et le maître a loué le régisseur d’iniquité parce qu’il avait agi prudemment.  Qu’est-ce  que l’âme mondaine comprend dans cette louange ?   Je le demande.  Qu’est-ce que l’auditeur moyen saisit dans tout cela ?  Là  est louée  l’invention de la fraude astucieuse du régisseur  et des débiteurs.   Là  est spoliée  l’honnêteté du débiteur,  enlevée la pudeur,  violée l’innocence,  ensevelie la honte.  Le régisseur, au moment de la reddition des comptes,  y montre plus d’ardeur à frauder  qu’il n’en a mis à rechercher le luxe.   Il dilapide plus les biens de son maître au moment de la vérification,  qu’il ne l’a fait aux jours de sa gestion.  Et celui qui avait auparavant vidé les trésors de son maître en les dissipant,  renverse ce qui restait,  en vidant la facture de son contenu.   Au lieu de chercher comment il pourrait ravauder ce qui manquait, il planifie comment il pourra diminuer ce qui reste.

 Il disait au débiteur : comment dois-tu à mon maître ?   Il ne lui disait pas :  Comment me dois-tu ?   Il circonvenait la conscience du débiteur en parlant ainsi, il testait son âme.   Et pourquoi le régisseur provoquait-il le débiteur à une telle fraude,  sans aucun égard pour le maître ?  Combien dois-tu à mon maître ?  Cent casques en peau de bête d’huile. Prends ta caution et écris cinquante.  Le régisseur avait élaboré et exécuté une telle fraude pour qu’il détruise toute sa réputation  en abaissant les cautions..  Combien dois-tu à mon maître ?   Tous les deux savaient  qu’était présent partout et toujours  le Créancier céleste,  qui ne pouvait pas être circonvenu par la fraude.  Mais,  pas même  devant les yeux du Seigneur, le voleur n’a mis fin à ce qu’il avait commencé.

 Admettons  que ce soit dans les mœurs humaines que le débiteur cherche des compensations frauduleuses,  et que le régisseur l’encourage à voler,  comment expliquer que le seigneur approuve la fraude,  qu’il  loue les vols,  fasse l’éloge de la fausseté ?   Il appelle prudence  la malice, et juge pieux ce qui est considéré par le plus grand nombre le pire exemple de fausseté.  Que les sens charnels jugent ainsi.   Que les sens spirituels,  i.e. la divine lumière,  fassent briller cette parabole  qui,  dans le régisseur malhonnête, n’est qu’une répétition de celle de l’enfant prodigue.  Le peuple des Gentils est appelé régisseur d’iniquité  par Mammon l’inique.  Faites-vous des amis avec le Mammon d’iniquité.  Il est celui qui, après avoir quitté  son Créateur, s’était livré au complet à la servitude de Mammon.  Quiconque est libre de cette captivité de Mammon,  et qui n’est pas affaissé par le poids cruel de l’argent,  a pour lieu d’observation le ciel,  et de là,  regarde avec mépris  celui qui, dans sa fureur tyrannique,  domine le monde et les mondains.  Mammon  commande aux peuples.   Il  règne sur les rois,  suscite  les guerres,  engendre  les guerriers,  vend le sang, et  provoque des morts.   Il trahit les patries,   détruit les villes,  soumet les peuples, et   met le feu aux citadelles.     Il   vexe les citoyens,  préside au forum,  contourne  le droit, et confond ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.    Et conduisant  à la mort,  il tend  des pièges à la foi,   viole la vérité, et déchire la réputation.   Il   fait s’évanouir l’honnêteté,  empoisonne les affections,  et  enlève l’innocence.   Il   ensevelit la piété,   rompt les engagements, et  fait s’écrouler l’amitié.   Que dire de plus ?  Voilà quel est Mammon,  le seigneur de l’iniquité,  qui domine de façon inique  sur les corps et sur les esprits.

 Le régisseur de ce Mammon donc,  qui est une figure du peuple des Gentils,  coupable d’avoir dissipé les biens de son Seigneur,  est appelé par l’Evangile  pour qu’il rende compte de la gestion de la propriété rurale,  i.e. des biens naturels.   Quand la fin du monde est annoncée, c’est alors qu’il lui est dit :  Tu ne pourras plus gérer ma propriété  rurale.   Il a cru que , selon la parole de l’Apôtre,  la figure de ce monde passe,  que les temps de la gestion humaine touchent à leur fin.   Et en lui-même,  une fois revenu à lui,  il s’interroge sur ce qu’il doit faire.  Il dit en lui-même : que ferai-je ?    Son cœur gémit,  son esprit se lamente,  la foi répond,  la croyance  lui donne un conseil salutaire :    celui de retourner à son vrai Seigneur.   En payant à Mammon, son cruel maître,   ce qu’il lui doit,  il en triomphera,  et se soustraira à sa domination.   Et  ce qui était un instrument de perdition, deviendra  une occasion de salut.

 Il persiste le régisseur, i.e. le Gentil,  et se rend  au premier débiteur de son maître.  Lequel ?  le Juif .  Il l’interroge pour savoir ce qu’il devait à son maître,  comme s’il ne connaissait rien à l’endettement.   En tant que porteur  de la caution,  il le savait déjà par l’évangile;  mais, en interrogeant,  il cherchait par là même à susciter une confession.  A la fin,  il confesse et la qualité et la quantité de la dette en disant :  Cent casques en peau de bête d’huile.    Pourquoi ne calcule-t-il pas en argent ou en or ?  Pourquoi pas cent dix ou quatre-vingt-dix,  mais cent ?   Pour que de la dette et du chiffre,  resplendisse le sacrement céleste.   Le Juif devait l’huile  que la Tora avait affectée  à l’onction  des rois, des prophètes et des prêtres, mais qu’elle avait reçue pour figurer l’onction chrétienne.  Cette huile  devait remplir sa fonction  jusqu’à ce qu’elle rencontre le Prince des rois, des prophètes et des prêtres,  sur Qui devait être appliquée et répandue la plénitude centenaire de l’onction.    Mais parce que,  infidèle à sa caution,  le débiteur a tué le Créancier pour ne pas avoir à le rembourser,  cette caution légale elle-même est parvenue jusqu’aux Gentils,  i.e. la loi.   Pour que le Juif,  convaincu par le Gentil d’avoir converti la dette en crime,  paie l’intérêt de la pénitence.  Tu vois donc que le régisseur ne le persuade pas de frauder mais de faire pénitence;  qu’il le sollicite à acquérir la miséricorde.  Il ne le pousse pas à la falsification,  quand il lui dit :   Prends ta caution et dépêche-toi d’écrire cinquante.   David nous révèle que le chiffre cinquante a un rapport avec la miséricorde,  puisque le psaume cinquante chante en suppliant :  Ai pitié de moi, Seigneur,  selon ta grande miséricorde.   Le chiffre cinquante révèle la miséricorde,  puisque en la cinquantième année,  qui est celle du jubilé,   la loi prescrit l’abolition de toutes les dettes et de tous les contrats.   Le régisseur se comporte donc de façon à ce que, par la miséricorde du Christ,  le Juif devienne idoine,  lui qui, par la caution de la loi,  était ligoté par des dettes insolubles.  Le Juif doit l’huile,  car la stérilité de son incrédulité avait desséché  la matière grasse de l’olivier fertile.    Par la chaleur de la foi évangélique,  l’huile revient dans les branches chrétiennes,  et trouve une nouvelle vie dans la grâce.

 Et il disait à un autre : toi, que lui dois-tu ?  Il lui répondit : cent minots de froment.   Après que le grain de blé,   qui est le corps du Christ,   a été semé dans la terre de notre chair,  et a été fécondé par la sépulture du Seigneur en une moisson céleste abondante,  il est arrivé que l’homme devait à son Auteur du cent pour un.    A moins que le grain de froment qui tombe en terre ne meure, il demeure seul   Comprenant cela,  le régisseur pourvoit suffisamment au salut du débiteur en disant :  Prends ta caution, et inscris quatre-vingt.    Car comme le chiffre cinquante se rapporte à la miséricorde, le chiffre quatre-vingt préfigure toute la foi et la grâce.  Celui qui est un connaisseur de la loi,  et qui fréquente assidument l’évangile  sait pertinemment que c’est le chiffre du décalogue  de la loi,  joint à celui de la huitaine de la grâce.   C’est pourquoi,  quand le régisseur dit :   Ecris quatre-vingt,  il fait en sorte qu’il puisse payer par la grâce  ce qu’il ne pouvait pas rembourser par la nature.   C’est donc à juste titre  que ce régisseur a mérité la louange d’un  maître qui ne s’est pas soucié de la falsification des  factures,  mais du salut des débiteurs.

 Quand Il dit :  Les fils du siècle sont plus prudents dans leur génération,  que les fils de la lumière. il faut le comprendre ainsi :  ceux qui ont été autrefois des fils du siècle, i.e. les Gentils,  sont maintenant des élus de Dieu;  et ceux qui étaient fils de Dieu, i.e. les Juifs, ont été laissés pour compte, comme étant des fils du siècle.   Dans leur génération.  Par laquelle ils sont renés,  non par laquelle ils sont nés.   Que ces choses soient écrites pour une autre génération.   L’autre est celle de ceux qui cherchent le Seigneur. Que le Dieu de science et d’illumination  éclaire vos âmes,  et répande dans le plus intime de votre cœur toute la plénitude  de sa science !
 

127ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La décapitation de saint Jean-Baptiste)

 Au récit de la vertu de saint Jean,  de la sauvagerie d’Hérode,  nos viscères sont ébranlées,  les cœurs palpitent,  la vue s’assombrit,  l’intelligence s’émousse,  l’ouïe défaille.  Que se passe-t-il dans les êtres humains quand la stature gigantesque des crimes cause la ruine de   la stature gigantesque des vertus ?  Hérode s’empara de Jean,  le ligota et l’incarcéra.

 Jean est l’école des vertus,  le maître de vie,  le modèle de la sainteté,  la norme de la justice.  Il est  le miroir de la virginité,  le lauréat de la pudeur,  l’exemple de la chasteté,  la voie de la pénitence,  le pardon des pécheurs et  la discipline de la foi.   Jean,  grand par le nom,  l’égal des anges,  le sommet  de la loi,  la sanction de l’évangile,  la voix des Apôtres,  le silence des Prophètes,  la lumière du monde,  le précurseur du Juge,  celui qui prépare les voies au Seigneur,  le témoin de Dieu, celui  qui se tient au milieu de la révélation de toute la Trinité,  est donné à un homme  incestueux,  est livré à une adultère.   Ce n’est donc pas sans raison que nos viscères s’ébranlent et que nos cœurs palpitent.

 Et Hérode est celui qui a profané le temple,  qui a soudoyé le sacerdoce,  a apporté le désordre,  a usurpé le trône,  a corrompu la religion.   Dans  tout ce qui a trait à la vie,  à la loi,  aux mœurs,  à la fidélité,  à la discipline,  il a apporté la ruine et le désordre.  Il était l’assassin de  ses concitoyens, le voleur  des nobles,  le dévastateur de ses égaux,  le prédateur des domestiques, et le bourreau  de la plèbe.   Il a mis à mort  ses fils, massacré  les étrangers, et tué des membres de sa famille.  Il a enivré  la terre de sa cruauté, et  était toujours assoiffé de sang.  Voilà pourquoi il a absorbé le sang pieux de Jean,  avec l’énorme coupe de la cruauté.

 Mais laissons parler le récit lui-même.   Hérode s’empara de Jean et le ligota.   Celui qui déliait les liens des péchés  était ligoté par un pécheur;  et le pardon vaincu  ne laissait pas de place au pardon.  Il le ligota et l’incarcéra.   Hérode,  tu commets l’adultère,   et c’est Jean qui va en prison !    C’est ainsi que tu juges, coupable  assis au tribunal ?  Dans le lieu de la juste rétribution,  tu persécutes l’innocence ?  Je te le demande :  qu’en est-il  de la décence, de  ta réputation,  de ta conscience,  de la censure publique ?    Mais où donc est Dieu,  où est la nature humaine ?  Où est le licite ,  ou est la loi ?   Où sont les droits de la nature?   Ils sont tous là pêle-mêle, sens dessus dessous,   quand c’est toi qui agis,  qui juges, et qui commandes.   Il s’empara de Jean,  le ligota et l’incarcéra.    Le motif allégué t’incrimine,  les liens te dénoncent,  la prison t’accuse.  L’injure faite à Jean en public  te trahit.   Celui qui s’enquiert de la cause de l’emprisonnement trouve en toi un crime à punir, et en Jean, des raisons de pleurer.

 Jean,  connu de la terre entière,  illustre  par son renom de vertu,  extrêmement célèbre par sa sainteté,  fait connaître ton inceste à tous,  quand il attire à lui les inquisiteurs de ton injustice.  Il fait en sorte que la rumeur publique te couvre de honte,  toi que n’a pas pu corriger l’admonestation secrète.  Jean poursuivait Hérode de ses avertissements;  il ne lui intentait pas de procès.  Il recherchait son amendement, non sa destruction.  Mais Hérode, brûlant des torches de  la volupté,  a préféré périr plutôt que rebrousser chemin ,  et posséder illicitement la femme de son frère.  A ceux qui sont captifs des crimes,  aux ennemis de l’innocence,  la liberté a toujours été odieuse;  la vertu a toujours été contraire aux vicieux;  la sainteté insupportable aux sacrilèges;  la chasteté a toujours été hostile aux impudiques.  L’intégrité a toujours été pénible  aux gens corrompus;  la frugalité,  toujours contraire aux luxurieux, la miséricorde aux cruels,  la piété aux impies.  La justice est toujours insupportable aux injustes.   L’évangéliste nous en donne la preuve par les mots suivants :  Jean lui avait dit :  il ne t’est pas permis d’avoir la  femme de Philippe, ton frère.   Voilà comment Jean offensa Hérode,  voilà l’origine de la rage d’Hérode.  Celui qui dénonce les maux offense.  Il encourt la haine celui qui s’élève publiquement contre  les criminels.   Les paroles de Jean  avaient en vue  la loi, la justice, le salut.  Elles ne s’inspiraient pas de la haine,  mais de l’amour.  Voilà la récompense qu’a obtenue sa piété de la part de l’impie.

 Il voulait le tuer,  mais il avait peur du peuple.  Il s’égare facilement loin des voies de la justice  celui qui, en jugeant, ne redoute pas Dieu mais le peuple.   Cette crainte de pécher  peut reculer l’échéance,  mais elle ne peut pas en enlever le désir.   De telle sorte que ceux  qu’elle a pour un temps détournés du crime,  elle les rend encore plus assoiffés de crime,  et l’âme enflammée,  elle fait tout ce qui lui passe par la tête.    La crainte de Dieu est la seule à pouvoir corriger les esprits, à mettre les crimes en fuite,  à conserver l’innocence.  Et elle  accorde de façon ininterrompue le libre usage des  facultés.

 Mais écoutons la passion elle-même du très bienheureux Jean.  Au jour anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa au milieu de la salle à manger, et plut à Hérode. Il lui promit donc par serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait.  Or elle, instruite d’avance par sa mère, lui dit : « Donne-moi sur un plat la tête de Jean-Baptiste ».   Voilà la malice antique de la femme  qui éjecta Adam des délices du paradis ! C’est elle qui,  des hommes célestes,  fait des hommes terrestres !  C’est elle qui a envoyé en enfer le genre humain ! C’est elle qui a enlevé la vie au monde pour le fruit d’un seul arbre !  Ce mal qui a conduit les hommes à la mort, Elie le Prophète s’en éloigne;  et celui dont la langue a été la clef du ciel  fuit comme un coupable loin de la torche de la femme.   C’est elle qui a hérité du  travail pénible  et de  la tribulation,  qui tue maintenant Jean Baptiste,  qui souille  l’enfance,  pervertit la jeunesse,  ensorcèle et affole la vieillesse moribonde.   Instruite à l’avance par sa mère,  elle lui demanda :  « Donne-moi sur un plat la tête de Jean-Baptiste »!  C’est de la poitrine de sa mère que lance un rugissement la nouvelle bête;  après avoir méprisé la proie du corps,  elle s’attaque à  la tête  pour la détacher du tronc.    Le roi fut contristé de cette demande.  Mais à cause de son serment fait en présence des convives, il ordonna de la lui donner. Il envoya donc quelqu’un  décapiter Jean,  et sa tête fut placée sur un  plat, et donnée à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.

 Vous avez entendu,  mes frères,  quelle cruauté est née de la volupté, quelle impiété vient de la luxure !   Et sa tête fut placée sur un plat.  La maison est transformée en arène,  la salle à manger en cage à fauves.  Les convives sont changés en spectateurs de cirque.   Le banquet ouvre sur la fureur.  La nourriture devient meurtre,  le vin sang,  l’anniversaire de naissance se meut en funérailles.  Le déclin apparaît à la naissance.  Le festin est changé en homicide.  Les instruments de musique célèbrent lyriquement une tragédie séculaire.   C’est une bête féroce qui entre,  non une jeune fille.   Elle vient pour décapiter,  non pour danser.   C’est une bête féroce qui parle,  non une femme.   Ce sont les poils de sa crinière qu’elle jette ici et là,  non des cheveux.     Elle dilate ses membres en se contorsionnant.   Elle croît en augmentant le nombre de ses infamies,  elle qui n’est pas grande par le cops mais par la cruauté.   Et cette bête singulière frémit et grince des dents,  tant qu’elle n’a pas attrapé sa  proie.   Elle ne reçoit pas d’arme mais la produit.

 Que personne ne s’imagine  que nous voulons tirer de ces sujets des effets oratoires !  Nous ne voulons pas faire le rhéteur,  mais vous conjurer de modérer les réjouissances des jours de fête;  de garder la mesure dans la célébration de vos anniversaires de naissance.  Que le Christ ait sa place dans nos banquets !  Que l’on festoie  en présence du Créateur !   Que l’honnêteté du banquet honore la nature qui vous a produits !  Que la joie de votre table se propage jusqu’aux pauvres !  Que votre famille danse en gardant les règles de l’innocence !  Tenez-vous loin du luxe !  Evitez le gaspillage !    Séparez-vous de la peste des mimes,   des  mélodies langoureuses des musiciens,  de tout ce qui attise les voluptés,  de tout ce qui alourdit l’estomac !  Ne noyez pas  votre esprit en participant à des  banquets de type hérodien,  pour que votre joie présente parvienne à l’allégresse perpétuelle.   Notre sermon d’aujourd’hui,  mes frères,  a porté autant sur Hérodiade que sur Hérode.   Parce que l’auditeur comprend mieux quelle est la félicité du martyr,  quand il voit la misère du persécuteur.

 Il nous convient cependant de savoir que  Jean est né de sa mort, et que Hérode est mort de sa naissance.
 
 

 
 

128ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(hommage à saint Apollinaire)

 Le bienheureux Apollinaire,  le premier dans l’épiscopat, est  le seul évêque  à avoir honoré cette église de Ravenne  par un martyre illustre  à dimension nationale.  Il mérite cet honneur,  car selon le commandement de son Dieu,  il a perdu son âme pour la retrouver dans la vie éternelle.  Bienheureux est-il d’avoir terminé sa course et d’avoir conservé la foi d’une façon telle que  les croyants se souviennent de lui comme  le premier martyr de Ravenne.

 Que personne ne croie qu’il mérite moins le titre de confesseur que celui de martyr.  Au moindre signe de Dieu,  on l’a vu un grand nombre de fois, et presque à chaque jour, retourner combattre.   Écoute ce que dit Paul :   A chaque jour je meurs.   Mourir une seule fois est peu de chose  pour celui qui peut souvent remporter, pour son roi,  une victoire glorieuse  sur les ennemis.   Ce n’est pas tant la mort que la foi et la dévotion qui font le martyr.  Si c’est un signe de courage  à la guerre,  dans la lutte corps à corps, de succomber par amour de l’Empereur,  durer et se consumer dans les combats c’est porter le courage à la dernière limite.   Ne pas infliger la mort immédiatement à un martyr ne signifie pas le persécuter.  Parce qu’il n’a pas apostasié,  le martyr est éprouvé.   L’ennemi madré a lancé tous les traits qu’il a pu  lancer,  et toutes les différentes armes qu’il possédait    Mais il n’a pas pu ébranler l’esprit  du très fort guide,  ni porter atteinte à sa constance.  C’est une très grande chose,  mes frères,  de mépriser la vie présente,  si la chose est nécessaire,  mais c’est aussi une chose glorieuse  de fouler aux pieds  le monde et  sa vie,   avec son Empereur.

  Le Christ se hâtait vers le martyr;   le martyr se hâtait vers son roi.   Nous avons raison de dire qu’il se hâtait,  selon ce mot du prophète :  Lève-toi à ma rencontre, et vois.    Mais pour que la sainte Église  conserve son défenseur,  elle accourt au Christ avec véhémence,  pour réserver au vainqueur la couronne de la justice,  et pour s’octroyer la présence de son champion  en temps de guerre.    Le confesseur a répandu souvent son sang. Il prenait à témoin son Auteur  par ses blessures et la fidélité de son âme.  Les yeux tournés vers le ciel,  il méprisait la chair et la terre.    Il a vaincu cependant, et la tendre enfance de l’église  demanda que soit reportée à plus tard la réalisation du désir du martyr.  Je parle de cette enfance, mes frères,  qui l’emporte toujours,  qui combat plus avec les larmes qu’avec des arguments.  Car le visage et la sueur des forts n’ont pas autant de pouvoir  que les larmes des petits, parce que,  dans le premier cas,  ce sont les corps qui sont blessés, et dans l’autre,  les cœurs.  Dans les premier cas,  les raisonnements laissent indifférents,  dans le second,  la pitié descend elle-même à genoux.

 Que dire de plus, mes frères ?   La sainte mère l’église a fait en sorte de ne jamais être séparée de  son chef.  Il est toujours vivant.     Comme un bon pasteur, il est toujours présent dans son troupeau;  et l’esprit qui a distancé le corps pour un temps n’en est jamais séparé.  Je dis que l’esprit a précédé son corps par sa forme,  mais qu’il continue à se reposer parmi nous dans l’habitation de son corps.   Le diable a été vaincu,  le persécuteur git par terre.  Il règne et il vit celui qui a désiré être mis à mort pour son Empereur,  qui vit et règne avec le Père en l’unité du Saint-Esprit,  Dieu pendant tous les siècles des siècles.
 

129ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Le martyr saint Cyprien)

   Nous nous rassemblons aujourd’hui au jour de la naissance du saint  martyr Cyprien.   C’est en ce jour qu’il a triomphé du démon  dans un combat admirable,  et qu’il nous a donné un exemple de ses vertus glorieuses.  Il nous convient donc de nous réjouir et de jubiler.

   Quand donc vous entendez parler du jour de la naissance des saints,  mes très chers, n’allez pas penser qu’il s’agit du jour où ils sont nés de la chair sur cette terre.   Mais du jour où ils sont nés de la terre au ciel, du travail pénible au repos,  des tentations à la quiétude,  des tourments aux délices.  Des délices qui ne sont pas passagers,  mais permanents, stables et éternels.  Ils sont nés des joies mondaines  à la couronne et à la gloire.  Voilà quels sont les jours de naissance des martyrs que nous célébrons.

 Puisqu’il s’agit de ce genre de fêtes,  ne va pas t’imaginer, très cher,  que les jours de la naissance des martyrs se célèbrent uniquement par  des banquets  et des festins  où l’on verse le vin à profusion.  Mais il t’est proposé d’imiter ce que  tu célèbres dans la mémoire du martyr.  Observe donc, très cher,  la liesse du peuple qui nous entoure.   Quand saint Cyprien a été frappé sur l’ordre du tyran,  c’était une troupe  d’impies qui l’entourait alors,  des hordes de méchants,   une foule de spectateurs.  Maintenant c’est une multitude de fidèles qui afflue de toute part  pour se réjouir dévotement avec lui.    Autrefois,  une troupe de gens féroces et cruels,  aujourd’hui une assemblée de fidèles qui exulte.  Autrefois des désespérés,  aujourd’hui des croyants.

 Les jours de la naissance des martyrs sont donc célébrés  dans l’allégresse, pour que ce qui est arrivé  une fois demeure pendant tous les siècles présent dans la mémoire des fidèles.  La cérémonie a lieu, très cher,  pour que tu ne puisses pas plaider l’ignorance.  Motivez-vous donc pour imiter ce qu’il a fait;   désirez la grâce de cette grandeur d’âme.  Demandez que vous soit donné ce qu’il a mérité de recevoir.   Tous ceux qui désirent les biens célestes ne peuvent pas être empêtrés  dans les filets des biens terrestres,  parce qu’ils ont établi leur centre d’intérêt dans les biens célestes.  Comme le dit l’Apôtre :   Que notre conversation soit dans le ciel.   Que le désir de notre cœur soit donc dirigé  vers la demeure céleste,  pour que là soit votre cœur quand vous aurez distribué votre trésor aux pauvres.  Le trésor de toutes les bonnes choses c’est le Christ.   Qu’il daigne,  avec le Père, le fils et le Saint-Esprit,  vous remplir  des dons célestes,  maintenant et pendant toute l’éternité.
 

130ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(pour la consécration d’un évêque)

 La longue attente d’une grande promesse  accable  l’âme,  fatigue l’esprit.  Mais la réalisation de la promesse si longtemps désirée  suscite l’enthousiasme,  et émeut jusqu’au tréfonds.   Voilà pourquoi aujourd’hui notre sainte mère l’Église,  selon la parle d’Isaïe,  est en liesse ,  et processionne  avec joie et pompe.   Elle a revêtu sa tunique de jubilation, et, comme une épouse,  elle a placé  sur sa tête une mitre.     Elle s’est décorée de toutes sortes d’ornements,  pour que le ciel scintille des lumières des étoiles,  et que les fleurs apportent le printemps à la terre;  pour que les bourgeons éclosent,  et que la joie éclate aux yeux de tous ses fils.

 Car,  selon la promesse faite à David, aujourd’hui,  à la place du père,  lui est né un fils.   Il  ne l’accablera  pas de son poids,   ne la rebutera  pas par son autorité.   Il ne la troublera pas par ses emportements,   ne l’exaspérera pas par son caractère acariâtre,   mais la soutiendra, en se consacrant fidèlement à son service.  Qu’il l’entoure continuellement d’un soin vigilant, qu’il lui procure ce qui est nécessaire par un travail plein de sollicitude. Qu’il traite ses domestiques avec gentillesse,  qu’il obéisse aux rois,  qu’il collabore avec les autorités en place,  qu’il donne aux vieux le respect, la gentillesse aux enfants,  l’amour aux frères.   Qu’il soit affectueux avec les petits, et  qu’il se mette volontairement pour le Christ au service de tous.

 David a dit : Écoute, fille et vois.   Moi je dirai :  Qu’ils soient des sages par la prudence,  des pères par le sérieux,  des fils par la charité,  des jeunes  par la vertu,  des fils par la douceur,  des enfants par l’innocence,  des petits par l’absence de malice.  Qu’ils soient   ce qui ne connaît pas le monde.  Possédant toute la présence du royaume de Dieu, comme le Seigneur l’atteste en disant :  Laissez venir à moi les petits enfants,  car le royaume de Dieu est à ceux qui sont semblables à eux.

 C’est cette sorte de gens qu’engendre  le lien de la virginité perpétuelle,  l’union dans une vie céleste qui ne connaît pas le sexe,  mais qui est consciente d’avoir conçu,  qui a la connaissance de son enfantement;    qui ignore la corruption,  qui conserve intacte  la pudeur,  qui scelle l’intégrité,  qui est chaste dans ses enfants,  mais d’une grande fécondité.

 Cette mère si pieuse,  en célébrant aujourd’hui la fête du  jour anniversaire d’un de ses enfants, dilate son cœur,  étend ses bras,  projette sa voix,  chante des hymnes sacrés, pour appeler tout le monde,  pour accueillir tout le monde,  pour les contenir tous dans le sein de sa charité,  dans une joie réciproque.

  Elle est elle-même présente la mère  de l’empire chrétien  fidèle et perennel.  qui en suivant et en imitant la bienheureuse Église, dans la foi, les œuvres de miséricorde,  et la sainteté en l’honneur de la Trinité,   a mérité de procréer,  d’embrasser et de posséder l’auguste Trinité.   C’est ainsi que la Trinité récompense les âmes ferventes embrasées de Son amour.  Celle-là a mérité  de s’honorer elle-même,  de se réjouir  de s’être fait, par la grâce de Dieu,  une religion tout à fait similaire.   Elle a mérité que la dignité de mère se communique à ses descendants par sa maternité.

 Priez, mes frères,  pour que la prière instante des prêtres  recommande  à Dieu,  pour une grâce semblable,  les rois chrétiens qui daignent prendre part à nos joies avec une pieuse dévotion et se rendent présents à nos solennités.
 

131ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La foi)

 Nous avons souvent dit que les yeux du corps ne peuvent pas voir Dieu,   que le cerveau humain ne peut pas contenir la divinité,  que la raison humaine ne peut pas appréhender  le Créateur des êtres.  C’est la foi seule qui atteint Dieu;  c’est la croyance qui comprend  qu’Il est,  non ce qu’Il est.  Mais son humanité,  elle est perceptible par tous.   C’est pourquoi Moïse qui de serviteur avait été promu  ami,  d’homme, fils de Dieu,  a cherché à voir la face de Dieu,  mais ne l’a pas trouvée.   Il l’a demandé à Dieu,  mais ne l’a pas obtenu.  Il n’avait reçu l’autorisation que de regarder Dieu par derrière,  puisque l’homme ne cherche qu’à suivre Dieu,  non à le précéder.  Qu’il ne présume donc pas de rechercher ce qui est devant Dieu.  Mais qu’il reconnaisse,  en adorant,  que tout a été fait par Dieu.   Dieu ne démontre souvent aux hommes que la forme de l’homme, et renferme Son immense grandeur  sous l’aspect d’une action humaine passagère,  pour que l’infirmité de notre œil puisse  voir, pour que notre regard limité puisse saisir la forme divine dans les choses présentes.

 C’est pour cette raison que Dieu  est venu chez Abraham dans une forme humaine.  Il est apparu  sous l’apparence d’un hôte,  et a reçu  de l’eau sur ses pieds,  pour   la mort (?) du voyageur fatigué.  Mais, invité à table,  on calme Sa faim en lui servant du veau et du pain.   Et ainsi Il a cru devoir s’en remettre aux bons soins  d’un humain,  pour qu’au toucher et à la vue,  Il apparaisse en tout conforme à un être humain.  Et cela est arrivé au temps où le vrai Dieu s’apprêtait à   donner une descendance  à l’extrême stérilité,  en ouvrant les entrailles d’une vieillesse désespérée.  De la même façon,  Jacob est accouru au-devant d’un voyageur pour l’inviter à table,  et se présente à la fraternité humaine comme un compagnon,  pour qu’à l’incitation de l’homme Dieu  s’engage  totalement dans la bataille.  Mais  il semble vaincre par les nerfs et les muscles,   quand  c’est le Vainqueur  Qui donne les dons célestes,  Qui  octroie les présents divins.  De la même façon, Isaïe  a contemplé Dieu sur son trône,  revêtu d’ un habit royal,  pour qu’il comprenne  qu’à moins que ce soit Dieu qui fasse régner les rois,  ils ne peuvent  régner en rien,  puisqu’ils ne sont que des hommes.  De la même façon,  Daniel a vu Dieu le Père assis sur un trône de feu pour juger.  Il avait   des cheveux blancs, était respectable par l’ancienneté, terrible pas son antiquité.    Il a vu aussi le Fils de Dieu qui venait sur les nuages du ciel sous la forme d’un homme, pour qu’il comprenne qu’Il a été toujours connu des fidèles Celui qui été méconnu par les Juifs perfides.

 Si Dieu s’est si souvent manifesté aux hommes dans une forme humaine,  pourquoi le Juif est-il maintenant si exaspéré en voyant le Christ dans un homme ?  A moins qu’il impute  à injure  la figure, la vérité, l’honneur de la nature humaine.

 L’évangile d’aujourd’hui rapporte que le Christ a dit :   Si quelqu’un garde ma parole,  il ne verra pas la mort éternellement.  A quoi les Juifs ont répondu : Nous connaissons maintenant que tu as un démon.  Abraham, notre père, est mort, et les prophètes.  Et toi tu dis : si quelqu’un garde ma parole, il ne goûtera  pas la mort éternellement. Es-tu plus grand que notre Père Abraham ? Pour qui te prends-tu ?  Comme la perfidie s’empare de tous !  Comme la jalousie ferme les yeux !   Comme les préjugés de la malice  troublent  le jugement de la conscience!  O comme l’obstination ampute sévèrement la raison !  Le sens humain pervers ne peut pas entendre ce qu’il a décidé une fois pour toutes de haïr. La bonté est odieuse aux mauvais;  la justice est hostile aux injustes.   Voilà pourquoi les hommes menteurs ne peuvent pas connaître la vérité.  L’âme qui juge  ne peut pas   trouver le vrai  parmi les faussetés à la mode.  Celui qui a décidé de se tromper  entend toujours ce qu’il veut,  non ce qui est.

 Jésus avait dit :  Si quelqu’un garde ma parole,  il ne verra pas la mort éternellement.   Le Juif ne discute pas ce qu’il a entendu;  il ne demande pas qu’on lui interprète le sens de ces paroles.     Croyant la chose impossible,  il n’exige pas  qu’Il démontre ce qu’Il a promis.  Mais son esprit conçoit immédiatement et enfante le blasphème.  Il lance des invectives.  Et il s’efforce d’évacuer l’autorité de l’Orateur  par des outrages,  pour qu’on ne croie pas qu’Il puisse donner la vie éternelle  aux mortels, Celui qui semble soumis aux nécessités de la nature humaine.   Maintenant,  nous savons que tu as un démon.  Le démon, auteur du mal,  promet les maux non les biens.   Son habitude n’est pas de vivifier,  mais de tuer.   Il ne veut pas non plus que les hommes soient éternels,  et ne leur permet même pas d’exister pour un temps.  Le Christ n’est donc pas le démon mais Dieu, Qui redonne la vie qu’Il avait donnée,  et Qui, par sa parole,  rend les hommes éternels,  ceux-là mêmes que le diable avait faits temporels par la force de sa persuasion.   Abraham est mort et les prophètes.  Et toi tu dis : Si quelqu’un garde ma parole,  il ne verra pas la mort éternellement.  Que le fidèle entende,  pour que la révélation de la foi lui fasse comprendre  que l’infidèle ne sait pas écouter;  qu’il ne peut pas voir celui qui s’immerge  dans l’obscurité de l’incrédulité.    Le Christ a dit :  Il ne verra pas la mort.    Ton entêtement, Juif,  cherche à le prendre en défaut.    Abraham et les Prophètes,  après avoir entendu la parole,  l’on gardée  avec ténacité.   Ils sont quand même morts, mais pas pour l’éternité.   Donc  quand Il dit  : Il ne verra pas la mort,  et ajoute   éternellement,  Il promet la résurrection,  mais ne nie pas qu’ils mourront pour un temps.    Juif,  nous que,  dans le siècle présent,  la mort faisait ne plus être,  la résurrection,  dans le futur, nous refera éternels.

 Ecoute-Le développer sa pensée.  Tous ceux qui croient ne mourront pas, mais passeront de la mort à la vie.    Comment peut-on dire qu’ils ne mourront pas,  s’ils passent de la mort à la vie  ?    Il meurt, oui,  il meurt tout homme  qui naît de cette condition mortelle.  Mais ils vivent et ils vivent éternellement tous ceux qui sont re-nés de la génération vitale.  Mais je demande :  Celui qui pouvait enlever la mort,  pourquoi a-t-Il  voulu que l’homme passe par la mort ?   On est plus redevable à un médecin qui prévoit les maladies,  qu’à celui qui prescrit des médicaments tardivement et non sans douleur.  Juif,  Christ le Médecin aurait fait même cela,  si le malade n’avait pas été ingrat envers le Médecin.  Il avait donné la vie,  et avait prédit à l’homme que la mort viendrait.    Mais celui qui n’avait pas pu se garder de l’adversité n’a pas su conserver la prospérité.   Connaître que les biens sont des biens, nous ne le pouvons  sans faire la connaissance du mal.   Le Christ sera donc magnifié  Lui qui avait d’abord donné  une vie à vivre,   et rend maintenant la vie perdue.  Connaissant davantage la valeur de la vie,  l’homme  sera plus vigilant,  et plus reconnaissant envers son  Auteur.

 Es-tu plus grand que notre père Abraham ?  Définitivement plus grand,  et d’autant plus grand que le Maître est plus grand que le serviteur,  Dieu plus que l’homme, le Créateur que la créature,   le Vivifiant que le mort,   le Ressuscitant que le ressuscité.   Jésus répondit : Abraham  a tressailli  à la pensée  de voir mon jour.  Il l’a vu et s’est réjoui.   Pour leur indiquer qu’Abraham était vivant,  le Christ  leur a dit qu’il avait vu Son jour, i.e. le jour de Sa naissance.   Le Fabricateur des jours  n’est pas contenu  par les jours,  l’Auteur du temps ignore le temps.  Mais le Christ est né homme pour l’homme,  a été mesuré par le  jour,  et est entré dans le temps.   Abraham a tressailli à la pensée de voir mon jour.   Si Moïse et Elie sont accourus sur la montagne pour voir le Christ promis,  comment Abraham ne serait-il  pas accouru à l’enfantement de la Vierge,  pour contempler,  dans sa semence,   la bénédiction promise aux Gentils qu’il avait attendue avec tant de patience ?    En vérité, en vérité je vous dis que, avant Abraham, JE SUIS.        Si  tout a été fait par lui et si sans lui rien n’a été fait.       Voici Celui à qui le Père a dit :  Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.  Comme la substance de l’ange et de Dieu sont différentes, ainsi en est-il de leur image.    Ce n’est donc qu’au Fils que le Père parle quand Il dit :  Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.     La substance et l’image du Père et du Fils sont identiques.

 Ils prirent des pierres pour les lui lancer.    Et les constructeurs de la tour,   pour qu’elle s’écroule de plus haut,  avaient ramassé eux-mêmes les pierres.   Et ces pierres les misérables les saisirent non pour tuer Dieu  mais pour se procurer de quoi se tuer.   Jésus se cacha.    Non pour se dérober , mais pour pardonner.  Quand Dieu se sauve des pécheurs,  Il les épargne.   Quand Dieu se retire,  c’est qu’il ne veut pas perdre  le rebelle.
 

132ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’unité des chrétiens)

 Si la nature n’avait engendré et produit que des choses parfaites et solides, sans aucune déficience,  la miséricorde aurait été abolie du coup,  l’ingéniosité n’aurait pas eu où s’exercer,  la recherche scientifique  périrait,  l’or demeurerait enfoui sous la terre,  le diamant se cacherait encore dans  la roche.    Le savoir-faire des artisans a prospecté et détecté l’un et l’autre,  les a épurés et raffinés.  C’est le même art qui aboutit à la beauté et à la grâce d’un petit collier de perles.   Et ce que la terre produit  de la large fontaine  de la nature  a  la  rugosité des  ronces,  ou la luxuriance sauvage de la  forêt,  si le travail industrieux du cultivateur ne la plie  pas à ses besoins.

Et pour ne pas digresser plus longtemps,  appuyons notre dire sur un exemple familier.    L’enfant,   dans un berceau,  est déjà un homme;   mais il l’est à l’état latent.  Le corps y est et n’y est pas. On voit des membres qui ne sont pas encore ceux de l’homme fait.   Ils bougent, mais sont sans vigueur  L’enfant  attire la pitié,  suscite de grands dévouements,  stimule l’ingéniosité.   Et,  pour le dire en une formule lapidaire,  autant il y a de membres,  autant il y de  sciences et d’arts qui  perfectionnent et forment l’homme.   Que dire de plus ?    Tout ce que la nature génère et produit la pitié l’entretient,  l’industrie le développe, et  l’art le pare.

 Et qu’y a-t-il là d’étonnant,  mes frères,  si Dieu,  Qui a voulu souffrir pour l’homme,  a désiré ,  pour honorer l’ingéniosité de l’homme,  que Sa nature elle-même  soit comme affaiblie dans les choses présentes!    Voilà pourquoi le sens est caché dans la lettre,  et le mystère divin  dans la parole humaine.  Pour que les choses futures, qui sont déjà accessibles aux croyants, demeurent obscures aux perfides et aux incroyants,  comme si la punition des incroyants  devait rejaillir  sur la gloire des fidèles.   Non,  ce  n’est pas un petit tourment  de ne pas percevoir ce que l’on voit,  de ne pas comprendre ce que l’on entend,  de rejeter ce qui est salutaire comme on rejette le nuisible,  de se garder des vertus comme on se garde des vices, au dire du Seigneur Lui-même :   Je parle en paraboles pour que, en  voyant, ils ne voient pas,  et en entendant, ils n’entendent pas.    Et aux fidèles :  A vous, il a été donné de connaître le mystère de Dieu.

 Que personne donc,  mes frères,  dans sa simplicité,  n’aille  penser qu’un sermon évangélique est quelque chose de banal ou de vil,  surtout depuis que  la trompette éclatante de la lecture évangélique  a prédit ceci pour ceux qui demandent de bonnes choses et qui désirent avec piété :   Si parmi vous,  deux se mettent d’accord  sur cette terre, mon Père leur accordera tout ce qu’ils demanderont.   Vous voyez quel pouvoir possède  une sainte demande faite dans l’union ces cœurs et des pensées ?   Le Christ  ne s’est pas engagé à donner ceci ou cela,  mais tout ce que  demanderait une seule et même prière,  quand il a dit :  Tout ce qu’ils demanderont mon Père le leur donnera.  Avec cette réserve, qu’exigent la prudence et le respect,  qu’on ne demande à Dieu que ce qui est digne de Dieu.    Celui qui demande à Dieu des choses mauvaises,  juge et professe que Dieu est l’Auteur du mal.   Et celui qui demande des choses indignes et viles  n’est qu’un suppliant dégénéré  qui ignore la toute-puissance du Donneur.   Ne demandons pas des choses impies,  mais pieuses;  non les terrestres mais les célestes;  non les plaisirs illicites,  mais tout ce qu’admet la vertu;  non ce qui fomente la haine,  mais ce qui mène à la concorde.   Voilà les choses qu’il faut toujours demander au Pourvoyeur.

 Où sont ceux qui  sont assez téméraires  pour croire qu’il est possible de mépriser le rassemblement  de l’Église,  et qui osent  faire passer les prières solitaires avant celles de la vénérable congrégation,   s’il est vrai que  le Christ a promis  que si deux ou trois se mettaient d’accord pour demander la même chose,  Il serait au milieu d’eux,   et exaucerait tout ce qu’ils demanderaient ?    Celui qui ne refuse rien à si peu de personnes,  que refusera-t-Il  à toute une assemblée de saints demandant tous la même chose ?    Le Prophète priant de cette façon se glorifiait d’avoir tout obtenu, en disant :   Je te confesse, Seigneur,  de tout mon cœur, dans le conseil des justes,  et dans la congrégation.    Il exprime de tout son cœur sa foi dans ce qu’on lui a dit,  que lui sera accordé tout ce qu’il demandera dans le conseil  des saints.    Mais quelques-uns,  sous couleur de foi,  cherchent à excuser l’apathie de leur mépris.   Ils s’imaginent qu’après avoir négligé la ferveur du vénérable rassemblement de la congrégation,  ils pourront consacrer à la prière individuelle  le temps qu’ils donnaient  aux travaux domestiques.    Asservis  à leurs désirs personnels, à leur volonté propre,   ils n’ont que du mépris et du dédain pour ce qui a été divinement institué.   Voilà ceux qui  déchirent   le corps du Christ,  et qui en dispersent les membres.  Ils ne permettent pas que le corps du Christ parvienne à la plénitude de son développement et de sa beauté.   Beauté que le Prophète a vue en esprit :  Il est plus beau que tous les fils d’homme.

Tous les membres ont respectivement leur fonction propre,  mais ils ne peuvent remplir leur rôle  qu’en restant unis entre eux,   pour pouvoir parvenir à la perfection et à la beauté d’un  corps.   Voilà donc la différence qu’il y a entre  la plénitude glorieuse de la congrégation  et la vanité de la séparation,  que la négligence ou l’ignorance  sollicitent.  C’est dans l’unité des membres que se trouvent le salut, l’honneur et la beauté d’un corps intègre;  dans la séparation  se trouve la corruption fétide,  mortelle et horrible des viscères.   Qu’est-ce que ton corps t’a enseigné ?    Que t’ont enseigné d’autre cette  union dans la diversité et cette diversité  dans l’union,  sinon que tu dois vivre en étant un à partir de plusieurs,  et un en plusieurs ?   L’œil  a un rôle précieux à jouer pour maintenir en santé tous les membres,  mais seulement s’il reste dans le corps.   Autrement,  s’il fait scission ,  il ne recevra plus rien du corps. .    Tous les membres dépendent de lui  pour participer à la lumière,  mais l’œil lui-même se rend compte qu’il doit au corps d’être pour lui lumière  S’il est arraché du corps, il  ne voit plus  celui qui assiste tous  les membres dans leurs fonctions respectives.    Quiconque s’estimait  être quelqu’un,   après avoir été instruit par ces exemples,  qu’il demeure dans l’église pour être quelqu’un.    Autrement, quand il s’en écarte,  il perd bientôt ce qui lui était propre.

 Celui qui veut en savoir un peu plus long là-dessus,  qu’il parcoure ce que l’apôtre a enseigné  au sujet du corps du Christ,  car  la brièveté de nos sermons qui nous est coutumière  ne nous permet pas de le commenter au complet.  La loi n’est pas donnée à une seule personne,  mais à tous.   Le Christ est venu vers tous et pour tous,  non vers une seule personne ou pour une seule personne.  Pour réunir tous en un,  dans un seul bien,  dans uns seule joie.  Le prophète l’avait connu à l’avance qui s’exclamait :  O comme il est  bon,  o comme il est agréable d’habiter  ensemble comme des frères.  Car ce n’est pas la singularité qui est agréable à Dieu,  mais l’unité.   C’est sur les apôtres rassemblés en un que l’Esprit Saint a été répandu avec toute l’abondance de Sa fontaine . Ils avaient  été avertis par un ordre du Maître d’avoir à travailler ensemble au royaume.

 Mes frères,  il perd les dons célestes, il abuse du  don libéral de la grâce,  il fraude les biens de la charité,  la  bénédiction de l’unité ne restera pas en celui qui est malfaisant envers lui-même,  qui se contente stupidement de ses déficiences,  qui cherche la vie en marge de l’Église,  alors qu’elle n’existe qu’en elle,  au témoignage du prophète :  Qu’il est bon et qu’il est agréable d’habiter ensemble comme des frères.   Car c’est là que Dieu a remis la bénédiction et la vie jusque dans les siècles des siècles.
 
 

133ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint  André)

 C’est avec raison que nous croyons que saint André est né aujourd’hui,  non parce qu’il est sorti en ce jour du saint maternel pour vivre sur la terre,  mais parce que,  conçu par la foi et né du martyre,  il  a été engendré,  nous le savons,   pour la gloire céleste.  Il n’est pas né quand  le berceau maternel l’a reçu vagissant,  mais quand les mystères célestes l’on reçu triomphant.   Non quand il extrayait du sein maternel la débile nourriture du lait,  mais quand le soldat impavide répandait pour son Roi le sang de son courage.

 Il vit,  parce que,  comme un combattant de la milice céleste, il a tué la mort.  En suant et en haletant,  il suit son Sauveur condamné à mort,   et d’un pas courageux, il s’impose de marcher sur les traces de son Seigneur,  pour que le parcours  ne le rende pas dissemblable du frère  que la nature a fait semblable à lui,   la vocation un compagnon,  que la grâce elle-même avait apparenté.   A une seule parole du Seigneur , comme son frère Pierre,  il a laissé son père, sa patrie et ses biens.    Avec la grâce de Dieu,  il s’est adonné aux mêmes travaux, opprobres,  voyages, mépris,  veilles, dans une union fraternelle indéfectible.

 Il est le seul au temps de la passion à avoir fui,  mais le fait d’avoir fui ne le rend pas pour autant inférieur.  Si le reniement est considéré comme une faute,  fuir n’est certainement pas plus grave que renier.  Mais, taisons le reste.   Il a égalé son frère par le pardon reçu,   puisque les deux avaient été disqualifiés par la faute.  Et la ferveur subséquente de son martyre  a fortifié les généreux  que sa crainte antécédente avait ébranlés.  Car la croix que les deux frères  avaient d’abord fuie,   ils la prirent,  par la suite,   d’assaut de toutes leurs forces,  pour que ce qui leur avait fait commettre une faute  les propulse dans le ciel,  et leur fasse obtenir la récompense et la couronne.  Pierre est monté sur la croix, André sur l’arbre,  pour que ceux qui mettaient leur joie à souffrir pour le Christ  expérimentent en eux-mêmes la forme et la figure  de la passion elle-même.   Et rachetés par le bois,  ils ont été  portés à la perfection  en vue de la production de branches.   Ainsi notre André,  après avoir répondu à l’appel,  ne s’est abstenu ni du travail, ni de la récompense.

134ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
Sainte Félicité
(Le titre du sermon latin est  Sainte Félicité,  mais il ne dit pas un mot sur elle.  Il ne parle que de l’Église.  Le titre le plus approprié semblerait être :  l’Église.)
 
 Parce qu’ils sont variés et nombreux les triomphes des martyrs  que la cruauté toujours déçue du persécuteur a accumulés,  le temps ne nous permet pas de les énumérer.

 Tout l’éloge de notre sermon  s’envole vers celle qui a mérité d’avoir autant de fils que le monde a de jours.  Elle est la vraie mère des lumières,  la source des jours,  qui resplendit, sur toute la terre, des sept couleurs éclatantes de son diamant.  Bienheureuse est-elle non seulement parce qu’elle souffre pour la loi, mais parce qu’elle  a mérité d’engendrer les sept lumières de la loi .  Je ne parle pas des sept lumières qui ont  illustré le mystère  d’un tabernacle unique et temporel,  mais de celles   qui, comme un encens sacré,  irisent l’Eglise éternelle.

   Bienheureuse est-elle  d’avoir mérité de remporter  autant de trophées de vertus que l’arche  contenait de volumes sacrés de préceptes,  pour que ce que l’arche enseignait par la parole,  la sainte mère l’enseigne par l’exemple.   Mes frères,  elle a engendré des martyrs  quand l’enfantement les a consacrés  par le chiffre symbolique  sept.   Que saint Paul vienne là,  lui   qui continue à enfanter jusqu’â ce que soit formé le Christ dans l’homme !  Voici que la femme enfante sans cesse  jusqu’à ce que la faiblesse soit changée en force,  jusqu’à ce que  la chair se sublime  en esprit,  jusqu’à ce que  la terre soit transférée dans le ciel.   Elle palpitait et haletait  pour pouvoir enfanter un jour ces saints martyrs,  qu’au cours des années elle avait engendrés petits.

 Voici la femme, voici la mère,  que la vie de ses fils avait rendue anxieuse,  mais que leur mort avait sécurisée.  Bienheureuse  est celle pour  qui dans la gloire future trônent tant de candélabres,  tant de diamants !   Bienheureuse  d’en avoir envoyé un si grand nombre  au royaume !   Bienheureuse de n’avoir rien perdu dans le siècle de ce qui lui appartenait !   Elle se déplaçait avec plus de joie entre les cadavres transpercés,  qu’entre les chers berceaux de ses fils.  Parce qu’avec les yeux de l’âme  elle voyait autant de trophées que de plaies,  autant de récompenses que de tourments,  autant de couronnes que de victimes.  Que dire de plus,  mes frères ?    Non,  ce n’est pas une vraie mère celle qui ne sait pas aimer ses fils ainsi.
 
 
 

135ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint Laurent)

 Le jour d’aujourd’hui  est illustré par la couronne  baptismale du martyre de saint Laurent.  Il n’y a pas un endroit de l’empire romain  qui ne connaisse  les mérites de cet illustre martyr.   Il a souffert dans la capitale des Gentils,  dans la ville de Rome elle-même.   C’est là qu’il a exercé le ministère du diaconat;  et dans la fleur de sa jeunesse,  il a rougi de son  sang la beauté de son jeune âge.   Sa passion est tout à fait spéciale,  et très remarquable.   Avec l’aide de Dieu,  je vais la raconter en peu de mots.

 Le bienheureux Sixte était  alors l’évêque de cet archidiacre;  et trois jours auparavant,  il avait remporté  le triomphe du martyre.   Saint Laurent suivait  son évêque Sixte  qu’on amenait  vers le martyre.  Il était d’une foi inébranlable, mais il avait la mort dans l’âme.  Non parce que son évêque souffrait,  mais parce qu’il souffrait sans lui.    Le vénérable vieillard regarda  le vénérable jeune, et lui dit :   « Ne sois pas triste, mon fils,  dans trois jours,  tu me suivras. »     Après avoir   absorbé  la prophétie,  il se sentit tout à fait prêt dans son cœur.   Son esprit était comme ivre,  et il se mit à attendre avec fermeté  l’avenir que lui avait prédit celui qui savait.  Il fut ensuite arrêté et amené.  Et parce qu’il était archidiacre,  on croyait que les richesses de l’église se trouvaient auprès de lui,  que la rage du persécuteur convoitait plus que son avarice.  Il n’avait que de la haine pour celui qu’il mettait à mort,  mais il aimait les biens que le chrétien méprisait.  Saint Laurent était pauvre de biens,  riche en vertus.  Il ne nia pas qu’il possédait les richesses de l’église , mais avant de les leur montrer,  il demanda un délai de trois jours.  Il ordonna ensuite qu’on rassemble les bandes de pauvres.  Au jour dit,  il se présenta  à l’inspection de ses trésors,  et comme pour faire montre de ce que l’on cherchait,  il présenta ce qu’il possédait.    Le persécuteur lui dit alors :  « Où sont les biens de l’église ? »   Sant Laurent étendit les mains vers les pauvres,  et dit :  « Les voici, les biens de l’église ».   Il n’avait dit que la stricte vérité,  mais c’était une pilule  difficile à avaler.   Pourquoi s’étonner si la vérité n’a fait qu’augmenter la haine ?   Dépité qu’on se soit moqué de lui,  le cruel tyran et l’ennemi avare  qui avait peut-être envisagé une peine plus douce,  comme la décapitation par l’épée,  ordonna qu’on allume un brasier.  Ce brasier  réchauffait plus qu’il ne brûlait :  il réchauffait le cœur, mais brûlait le corps.  Le supplice était d’autant plus rigoureux que la flamme pénétrait à l’intérieur.

 Alors  fut apporté,  pour le martyre du noble Laurent,  un gril qui servait à griller et à rôtir.   On l’y enchaîna.  Mais cet instrument de torture il le considérait comme un lit de repos.  Si j’ai employé le mot torture,  c’est selon le sens que lui donnait le tortionnaire,  non selon la façon dont le vivait la victime.  Il n’y a pas de supplice de damné qui ne soit pas la punition d’une faute.  Le très heureux martyr,  pour montrer dans quel repos il gisait  sur ce fer igné,  dit à ceux qui l’entouraient :  « Tournez-moi de l’autre côté,  et s’il y a une partie qui soit  bien cuite, dévorez-la. »

 Nous admirons sa patience,  admirons le don de Dieu.   Ici, la foi non seulement n’a pas brûlé  mais a consolé celui qui brûlait.  Pourquoi la foi consolait-elle celui qui brûlait ?  Parce qu’elle tenait un fidèle prometteur.  Que la foi ne fléchisse pas,   que l’espérance ne flanche  pas , que la charité parmi les souffrances corporelles causées par le feu brûle davantage,  ce sont  des dons de Dieu.

 Mes frères, que personne ne s’arroge un pouvoir qu’il n’a pas reçu de Dieu.  C’est avec raison que  l’Apôtre,  parlant des martyrs,  dit ce que vous avez déjà entendu dans la lecture du jour :   A vous il est donné par le Christ non seulement de croire en lui mais aussi de souffrir pour lui.   Les mérites des martyrs nous les louerons et aimerons donc comme des dons de Dieu.  Nous prierons  et nous leur soumettrons nos volontés.    Car la volonté suit, elle ne précède pas.  Mais la charité ne manque pas là où ne fait pas défaut la volonté.   La volonté ardente est appelé charité.  Qui est-ce qui craint quand il veut ?    Qui est-ce qui aime s’il ne veut rien?  Que la prière soit fervente,  et que soit célébrée la fête du martyr !  Mais imitons-le pour que la célébration ne soit pas inutile !
 

136ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint Pierre Chrysologue présente à ses fidèles un évêque de passage, qu’il invite à prêcher).

 La sainte âme de l’évêque Adelphe a ceci de propre,  comme le veut sa réputation pleine de piété,   qu’il entre dans la mansarde du pauvre,  qu’il s’attable avec le pauvre,  qu’il se met à la portée des miséreux,  lui que distinguent pourtant entre tous  la richesse, le pouvoir et la dignité.  Parmi ses plus grandes vertus,  il faut noter cette volonté qu’il a de ne faire aucun compte du faste attaché à sa position sociale,  de mépriser  la magnificence de son palais,  de fouler aux pieds les insignes de sa puissance,  de faire fi du sentiment qu’il a de sa réussite,--  qui est comme une tumeur qui s’empare des esprits humains,--  pour se pencher sur les besoins les plus vils du démuni,  et pour ennoblir le pauvre par son intimité.

 Elle est bienheureuses en vérité cette âme,  et  éloignée de toute maladie d’arrogance,  elle qui est entrée dans l’hôtellerie des pauvres,  de façon à avoir été un bienfaiteur de l’humanité avant d’en avoir été un débiteur.    De toute évidence,   il s’est appliqué de toute son âme à imiter Dieu,  lui qui a pris soin des besoins du corps de l’homme,  avant de lui présenter les biens surnaturels.   Ce qu’a fait le pontife du Dieu suprême ici présent, Adelphe,  nous le constatons de nos yeux.   Il est riche par l’éloquence,  savant et érudit,  d’une grande intelligence, et occupe le premier rang.  Et pourtant,  il a désiré se faire l’auditeur  de notre faible intelligence  et de notre médiocre éloquence,  à l’instar de ce prophète  qui a désiré manger le dernier pain qui restait à une veuve,  et qui, par sa faim,  portait atteinte  aux besoins des enfants de la veuve..  Par sa demande,  il rendait un service d’un genre tout  nouveau,    car il apportait en demandant,  et rassasiait en affamant;   et en épuisant,  il remplissait le grenier avec une largesse divine.

 Et nous, mes petits fils,  il ne nous a pas été pénible  de donner ce que nous avions.  Parce que même si,  pendant un certain temps,  nous avons senti quelque trouble de l’avoir fait,   l’exemple biblique  nous a soulagé et consolé.  Aussitôt,  à la parole de cet homme de Dieu,  l’exiguïté de notre esprit,  comme la nourriture de la veuve,  a bénéficié d’un  accroissement céleste.  A partit de ce moment,  de la réserve de mon cœur,  n’a plus fait défaut la nourriture vitale;   la disette  et la déficience ont été abolies.  Bienheureuse veine d’eau qui s’enrichit en irriguant,  et qui, en donnant sans mesure,  devient un fleuve .

 Le voici parmi nous,  et une pluie céleste arrosera vos âmes  sublimes.   Avec toute l’impétuosité d’un fleuve spirituel,  il irriguera, en faisant irruption en elle,  la cité de Dieu qui est en vous,  pour que notre terre, mouillée par la divine rosée,  produise, dans sa fertilité,  du cent pour un.  Ouvrez vos oreilles,  dilatez vos cœurs, et élargissez  votre capacité de compréhension.,  pour que tout ce qu’il puisera dans les trésors célestes pour le répandre sur vous,  vous puissiez le posséder  dans la gloire éternelle comme une propriété durable.
 

137ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La prédication de saint Jean-Baptiste)

 Après qu’ait été épuisée la fécondité de la souche judaïque
 que lui avaient donnée le soc de charrue de la loi  et le joug du culte,   le bienheureux Jean-Baptiste s’envola dans le désert des Gentils,  pour brûler avec le feu les ronces spirituelles des crimes,  couper les arbres stériles avec la hache de la pénitence.    Il voulait  aplanir  les collines escarpées de l’orgueil,  ériger en égalisant les vallons de l’humilité, pour préparer toute la plaine de la terre, qui avait perdu la semence,  en la soumettant, pour la fertiliser,  à la crue  du Jourdain.  Et ainsi, il prépare une nouvelle diffusion de la semence évangélique,  et voit à la rendre féconde.

 Une parole de Dieu s’est fait entendre sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert.     Le Verbe s’est fait chair,  et a habité parmi nous.   Sur Jean.  Pourquoi pas à  Jean plutôt que sur  Jean ?    Parce que ce qui vient d’en haut est au-dessus de tout.   Une parole de Dieu s’est fait entendre sur Jean.    Parce que Jean est la voix,  Dieu est le Verbe.    Une parole de Dieu s’est fait entendre sur Jean.    Dieu est au-dessus de Jean,  le Seigneur au-dessus du serviteur,  le Verbe au-dessus de la voix.   Mais tu me dis :  que doit-on penser du fait que la voix précède  la parole ?  Elle la précède , mais ne la surpasse pas. Elle  vient avant, pour se mettre au service de ce qui suit,    non comme un signe de puissance propre.  La voix n’est pas elle-même le Juge, mais  la messagère du Juge.  Le verbe juge, et  la voix fait entendre des coups de tonnerre préalables.  Le pouvoir est possédé par celui qui donne des ordres,  non par celui qui crie.   Mais cela,  la voix elle-même le reconnaît, l’atteste, l’affirme,  le précurseur qui proclame :  Celui qui est venu après moi est plus fort que moi.   Pourquoi ?    Parce qu’en moi est la terreur,  en Lui le jugement.    Il est venu dans toute la région du Jourdain.   Il est venu au Jourdain  parce qu’une cruche ne pouvait pas laver  les souillures des Juifs. Il fallait le fleuve.  Comme il est écrit :  Il y avait des cruches en pierre pour la purification des Juifs.

 Il est venu au Jourdain.  Pour porter secours aux Juifs avec de l’eau et non du vin.  Il est venu dans toute la région du Jourdain prêchant un baptême de pénitence pour la rémission des péchés.  Il y avait auprès de Jean le pardon,  mais non sans la pénitence.   Il y avait une rémission, mais obtenue par l’ascèse.   Il y avait une cure,  mais avec des blessures et des douleurs.   C’était un baptême qui enlevait la faute sans purifier la conscience.  Et que dire de plus ?   Par le baptême de Jean l’homme était purifié en vue de la pénitence,  mais il n’était pas élevé à la grâce.

  Mais, pour dire le vrai,  le baptême  du Christ régénère et  transforme l’homme.   De vieux qu’il était il le rend jeune,  pour qu’il ne se souvienne plus du passé,  perde le souvenir des choses anciennes,  lui qui, encore sur la terre, possède dans les cieux  les choses célestes et divines.    Voilà pourquoi au fils qui retourne après la luxure, le père rend la première robe d’immortalité,  lui met au doigt l’anneau de la liberté,  tue le veau gras,  change les eaux de la pénitence en vin de la grâce,  pour que dans le banquet de la grâce,  il se rassasie avec la seule coupe de la grâce.  Dans la mesure où la sobre ébriété du calice du Seigneur  abolirait les douleurs de la conscience, les gémissements de la pénitence,  les lamentations des pécheurs.   Comme le dit le Prophète :   Et ton calice enivrant qu’il est illustre !      Autant l’ébriété terrestre est difforme,  autant est belle et resplendissante l’ébriété céleste.

 Il disait aux foules qui se rendaient à lui pour être baptisées : engeance de vipères ! Qui vous a montré  à fuit la vengeance qui vient !  Faites donc de dignes fruits de pénitence, et ne passez pas votre temps à dire :  Nous sommes les fils d’Abraham.  Car je vous dis que Dieu est assez puissant pour, de ces pierres, susciter des fils à Abraham.  La hache est déjà aux racines des arbres. Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé, et envoyé dans le feu.    Engeance de vipères !  Il corrige par un exemple,  réprimande par une comparaison,  il révèle l’état des consciences par une figure, pour pouvoir extirper le germe vénéneux  non seulement des mœurs,  mais de la nature elle-même.  Race de vipères !   Parce que ceux que Dieu avait créés hommes,  qu’Il avait faits fils d’Abraham,  la malice les a enfantés  et convertis en vipères.   Et ceux en qui le Créateur avait infusé  la douceur de la piété céleste,   l’impiété amère en a fait des vomissements infects,  a infusé en eux un virus vénéneux.   Et, présage inouï de cruauté,   ils sont conçus de la mort du père,  et engendrés de la mort de la mère.   Race de vipères !    Rejetons ingrats envers la nature, dont la naissance est la ruine du père, dont la vie est la mort du parent !   Race de vipères !    Quand vient le temps de la reproduction,  on rapporte que la vipère  sépare en déchirant la tête de son conjoint qu’elle tient dans sa bouche,  pour qu’un baiser cruel ne donne pas naissance à un fœtus mais à un crime,  comme si elle enfantait des carnivores qui soient fils de son crime,  selon l’ordre de la vengeance non de la nature.  Car les productions du père conçues du meurtre,  exigent la nourriture du sang avant celle du lait,  et aspirent à la vengeance.  On dit que les vipères fendent le ventre de leur mère,  et  fracassent  avec leurs viscères immatures, le domicile sordide  de leur conception,  pour que ne pas voir leur mère,  la mère qui les a engendrés tels,  ce soit  cela pour eux vivre.

 Mis sur la piste par saint Jean-Baptiste,  nous avons montré la signification de l’image qu’il avait employée,  pour qu’il apparaisse clairement que ce n’est pas la haine ou le préjugé qui  a donné ce nom aux Juifs,  mais la vérité.   Race de vipères !   Il démontre  que telle a été la synagogue et ses fils, vers qui le Christ est venu avec l’amour d’un époux,  quand il dit :   Celui qui a l’épouse est l’époux.  Entre les embrassades et les baisers cruels de la Judée,  la tête du Christ était recherchée  et sa bouche était désirée quand ils disaient :  Crucifie-le, crucifie-le!   C’est pourquoi les enfants conçus dans le sang  sont bientôt armés pour tuer leur mère,  pour qu’après l’éclatement de l’utérus de la Synagogue,  ils courent ensemble à la voix de Jean,  et soient régénérés  en une descendance divine.    Engeance de vipères,  qui vous a montré à fuir la colère qui vient ?  Quelle est cette colère qui vient ?  Celle qui n’a pas de fin,  à laquelle l’homme n’échappe pas avec la mort,  mais qu’il recueille.  Elle ne permet plus l’espoir du pardon,  à qui est envoyé une fois pour toutes à la peine du tartare.

 Après avoir été admonestés de cette façon, ils connaissaient leurs crimes, et de quelle sorte ils étaient,  et c’est pourquoi ils répondirent en disant :  Que ferons-nous pour être sauvés ?  Et, répondant, il leur dit :   Ce qu’il va dire, mes frères, je crains de le dire,  de peur de voir aujourd’hui autant de révoltés que d’auditeurs,  de peur qu’il fasse autant de contumaces que d’auditeurs.  Que vais-je faire ?  Je crains de parler, mais je ne peux pas me taire.  La piété  m’interdit une chose,  et l’utilité me contraint à dire autre chose.  La piété accourt pour que l’auditeur ne méprise pas ce qu’il entendra.  L’utilité accourt de peur qu’il ne comprenne pas ce qu’il aura à faire, et qu’ainsi le docteur lui fasse tort. Je dis cela, mes frères, pour que celui qui  est nu s’habille,  et que moi, je me déshabille.  Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a pas.  Est-ce que tu penses qu’il a suffisamment demandé  celui qui demande une seule des deux tuniques ?  Il n’a pas assez demandé,  parce qu’il ne demande pas une perle,  mais une tunique,  pas de l’or mais du pain.   Et celui qui n’a pas donné une de ses deux tuniques est coupable.  Que dire de celui qui refuse une de ses nombreuses tuniques,  qui les avait précisément enfouies  pour cela,  et avait enfermé son pain pour  que le pauvre périsse de faim,  et soit consumé par le froid ?   Il  ensevelit, lui,  les habits, il ne les rend pas.  Il ne croit pas à la diligence,  mais aux sépulcres, car ce qu’il refuse aux pauvres,  il le donne aux mites.  Et il est le dévoreur de lui-même par ses vêtements,  au dire du Seigneur :  Leur ver ne mourra pas.  Parce que la faim du pauvre secoue le Christ. La douleur de l’homme se rend jusqu’aux viscères de Dieu.  Le gémissement du captif pénètre jusqu’au cœur du Christ.  Le mépris du dénuement  retombe sur le Créateur comme une injure personnelle.   C’est Lui-même qui l’atteste par ces paroles :  J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger.  J’ai été nu,  et vous ne m’avez pas vêtu.

 Les publicains vinrent eux aussi et dirent : Que ferons-nous ?  Que les publicains entendent :  Ne réclamez pas pour vous plus qu’il a été établi.   Il a révélé ce qui fait d’un publicain un coupable;  ne demandez pas plus que ce  à quoi vous avez droit.   Celui qui demande davantage est coupable d’avoir fraudé,  non d’avoir perçu l’impôt.   Qu’on imagine ce que c’est qu’être coupable devant Dieu, puisque  le  percepteur d’impôts est si mal vu.  Par sa fraude,  il alourdit de plus en plus le fardeau fiscal,  et impose d’autres taxes qui ne suffisent pas à payer ses dettes,  et il continue à exiger des taxes non dues.   Les soldats vinrent et dirent :   Qu’ils écoutent à leur tour les soldats ce que ce maître a répondu aux questions des soldats :   Et nous que ferons-nous ?    Et il leur dit : Ne brutalisez personne.   N’intentez pas de fausses accusations. Contentez-vous de votre salaire.    Le vrai soldat est celui qui se défend,  non celui qui porte les premiers coups;  qui repousse la calomnie au lieu de lui prêter l’oreille,  qui ne court pas au butin de guerre mais au salaire fixé par son empereur.

 Le bienheureux Jean a enseigné ainsi,  pour ne pas ébranler les institutions humaines.   Il a fondé une république,  il ne l’a pas renversée.  Il a donné la preuve que les choses qu’il enseignait avaient été ordonnées par Dieu, qu’il est possible de faire et de conserver la justice.

 Quelle différence y a-t-il entre le baptême de Jean et celui de Jésus,  passons-le maintenant sous silence,  parce que cela exige une longue explication.
 

 
 
 

138ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de la paix)

  Il eut été préférable,  frères très chers,  que notre père et maître  commun permette à notre inexpérience de rester cachée,  et ne rende pas publique la disette  qui, jusqu’à présent,  était recouverte d’un voile de honte.  Il eut été préférable que celui qui abonde  en richesses spirituelles de doctrine,   n’exige jamais du navire d’un pauvre les redevances  d’une mince parole.   Car qu’est-ce que le démuni peut apporter aux riches,  le nomade aux résidants, le béotien et l’ignorant aux studieux ?

  Néanmoins,  puisque nous sommes contraints d’obéir aux ordres,  les mêmes considérations d’humilité qui semblent nous en dispenser  nous obligent à parler, en nous obligeant à obéir.

  Que convient-il donc que nous vous offrions,  o peuple religieux du Seigneur,  vous qui êtes pauvres et sans instruction ?    La paix,  sans aucun doute,  que notre Seigneur Jésus-Christ nous commande d’offrir à toute maison dans laquelle nous entrons.  Voilà pourquoi nous aussi,  nous commencerons notre salutation  en implorant pour vous la paix auprès du Seigneur,  cette paix qu’il faut toujours avoir et toujours demander.  Pas la paix trompeuse et instable de ce monde,  que les intérêts recherchent et que la crainte conserve.  Mais la paix du Christ qui, selon la parole de l’Apôtre Paul, surpasse tout sentiment ,  et conserve les cœurs des croyants.  La paix qui est  nourrie par les fruits abondants de la charité.  Elle est la disciple de la foi,  une colonne de justice.  Elle a tout ce qu’il faut pour être le gage de l’espérance à venir.  Elle rassemble ceux qui sont présents,  et invite les absents.   Elle  réconcilie  les choses  terrestres  et les choses  célestes,  les humaines et les divines.  Car c’est ainsi que l’a dit l’Apôtre :   Que Notre Seigneur Jésus-Christ a pacifié par son sang,  non seulement les choses terrestres mais les célestes.

 Voilà donc,  mes très chers frères,  ce qu’un voyageur pèlerin a à vous proposer, comme un viatique où un pauvre puise ses forces,  espérant toujours de plus en plus  que nous soyons admis tous ensemble en grand nombre à la table  de notre puissant Maître,  pour nous engraisser dans des festins copieux.  Que le Dieu de paix, Qui  joint la terre aux cieux,  nous accorde d’éprouver les mêmes sentiments les uns envers les autres, et de nous réjouir de l’unanimité de notre foi et de notre charité,  par le Christ notre Seigneur,  par Lequel est rendue la gloire au Dieu Père tout-puissant dans les siècles des siècles.
 

139ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Le pardon)

 Comme l’or se cache dans la terre,  de la même façon,  le sens divin se terre derrière les mots humains.   Voilà pourquoi toutes les fois que nous avons à commenter les divines paroles,   nous devons y penser pendant les heures de la nuit,  et y appliquer toute l’énergie de notre âme,  pour que l’intelligence puisse percer le secret de la science céleste.

 Demandons-nous pourquoi le Seigneur commence ainsi aujourd’hui.  Prenez garde à vous !    Que veut dire  cette nouvelle manière de parler ?    A quoi tend cette admonition  que ne connaît pas l’usage ?  Il veille sur lui-même --il se mêle de ce qui le regarde--  celui qui  ne veille pas sur les actes d’autrui d’une façon curieuse, importune ou impudente.  Prenez garde à vous.   Un coup d’œil furtif,   un regard lascif,  un comportement indécent,  ne conduisent  pas seulement quelqu’un à sa ruine propre,   mais  entraîne  la chute des autres.   Celui qui ne prend pas garde à lui  n’a pas d’yeux pour voir ses crimes,  mais déterre  tous les errements d’autrui.   Il ignore ses mauvaises actions,  mais il accuse les autres,  et témoigne contre eux.   Il excuse facilement ses fautes,  mais est tout feu tout flamme  pour condamner un innocent.   Et pour ne pas être prolixe,   comme dit le Seigneur :  L’œil ne voit pas en lui la poutre qui s’y trouve,  mais voit la paille dans l’œil de l’autre.   L’œil n’est-il pas l’auteur de la  prévarication?    Et la femme vit que l’arbre était bon à manger, et qu’il était agréable à regarder.    La porte de la mort,  la torche de l’envie,  le chemin de la jalousie,  l’œil, en un mot,  quand il est incendié par la cupidité,   parcourt plus rapidement les biens d’autrui que le  feu ne court sur des champs couverts d’herbes sèches.  C’est Dieu qui a enfoncé l’œil dans son orbite,  et a réduit sa capacité de vision à la pupille,  pour qu’il regarde avec modération,  sans toiser d’un air malveillant et funeste; pour prévoir,  non pour foncer sans réflexion; pour examiner, non mépriser.  Que l’œil soit la fenêtre de l’âme,  le miroir de l’esprit,  la lumière du corps,  le guide des membres,   non l’entrée des vices !

 Mais revenons à ce que nous avons déjà dit. Prenez garde à vous !   Il a dit  à vous,  non  à toi.   Parce que si quelqu’un veille sur un autre, il veille sur lui,  et tant qu’il se verra lui-même dans l’autre,  il verra l’autre en lui-même, comme il appert des paroles suivantes : Si ton frère a péché contre toi, reprends-le, et s’il fait pénitence, pardonne-lui.   Sois miséricordieux envers les fautes.  Sois celui qui remet les péchés commis contre toi,  pour que tu ne perdes pas les insignes de la puissance divine en toi.  Toutes les fautes d’autrui dont tu ne te souviens pas,  tu nies qu’elles sont des fautes.   Si ton frère a péché contre toi, reprends-le.   Reprends-le comme un juge,  pardonne-lui  comme un frère,   parce que la charité a des liens étroits avec la liberté.    La charité est mélangée avec la liberté;  elle comprime la terreur et ressuscite le frère.

Quand le frère blesse quelqu’un c’est l’œuvre de la fièvre,  comme c’est la colère qui le fait commettre un crime.   Il est hors de lui,  et insensible aux sentiments humains.  Celui qui,  par la compassion,  ne se porte pas à l’aide de  quelqu’un qui est dans cet état,  qui ne le soigne pas par la patience,  ne le guérit pas en le supportant,   cette personne-là n’est pas saine,  elle est malade et infirme;  elle n’a pas de cœur, et est étrangère aux sentiments humains.  Ton frère se met en colère,  attribue-le à la maladie.  Toi, aide-le comme un frère.   Attribue son comportement à la fièvre,  et tu ne pourras pas en rendre ton frère responsable.   En toute prudence,  tu  rendras l’infirmité coupable, et tu n’auras qu’indulgence envers ton frère,  pour que  sa santé recouvrée  concoure à ta gloire,  et que ta bienveillance  embellisse ta couronne.

 Si ton frère pèche contre toi, reprends-le.  S’il fait pénitence, remets-lui sa faute.   Que personne, en entendant ces paroles,  présume pouvoir s’octroyer  le droit d’acquitter  et de condamner,   et par une vaine présomption,  imposer une punition  à son frère en faute.   Comme s’il estimait qu’il est si difficile de remettre les fautes ! Que l’homme pense qu’il est pécheur,  qu’il sera pécheur!   C’est alors qu’il commencera à aimer le pardon plutôt que la vengeance.  Tu entends que tu dois pardonner aux autres,  mais tu n’entends pas que les autres doivent te pardonner.  Tu pècheras encore demain  contre celui qui aujourd’hui a péché contre toi.   Et il sera ton juge celui qui était coupable envers toi,  et il te pardonnera si tu lui as pardonné.   Si tu ne lui as pas pardonné,  ou il te refusera le pardon, ou, s’il te le donne,  il le mettra sur ton compte plus qu’il  te le donnera.   Remets à celui qui pèche,  remets à celui qui se repent,  pour que quand tu pécheras, le pardon soit un remboursement,  non un don.   Le pardon est toujours une bonne chose,  mais il est extrêmement doux quand il est dû.   Il remporte la victoire sur la punition,  il prévient le juge,  il écarte le jugement  celui qui, en remettant,  pourvoit à son pardon.

 Si quelqu’un pèche contre toi sept fois dans une journée, et s’il revient sept fois te dire :  je regrette, pardonne-lui.   Pourquoi rétréci-t-il le pardon par une loi,  pourquoi le restreint-il par un chiffre,  puisque c’est la miséricorde qui le demande, et la grâce qui l’accorde ?   Si sept fois,  pourquoi pas huit fois ?    Un chiffre peut-il vaincre la grâce ?   La comptabilité peut-elle faire obstacle à la bonté ?   Est-ce qu’une faute voue à une punition, que les sept pardons des fautes commises ont déjà abolie ? Loin de nous cette pensée, mes frères.    Car s’il est heureux celui qui a pardonné sept fois,  il est beaucoup plus heureux encore celui qui a remis soixante-dix fois sept fois.  Ne se souvenant plus du commandement, Pierre demande au Seigneur :   Si mon frère pèche contre moi, combien de fois lui pardonnerai-je ? Sept fois ?  Le Seigneur lui répondit : Je ne te dis pas sept fois,  mais soixante-dix fois sept fois.   Il n’y a adonc pas de chiffre précis qui rétrécisse le pardon,  il le dilate, au contraire.  Et si le commandement lui assigne une limite,  la liberté humaine , elle,   ne lui connaît pas de fin.  De telle sorte que si tu pardonnes autant qu’il a été commandé de le faire,  la récompense sera égale à l’obéissance.

 Pour dire vrai,  le chiffre sept,  qui semble tout petit,  se rencontre fréquemment dans le sacrement.   Car le chiffre sept appliqué aux jours donne le Sabbat que le Seigneur a béni,  et a consacré au repos tant de son travail à Lui que du travail humain.  Le chiffre sept courant dans les huitaines,  multiplie par sept les semaines de façon à terminer le cycle par la solennisation du mystère final  de la Pentecôte,  où se répand toute la pluie du Saint-Esprit,  par  un coup de tonnerre céleste,  sur le champ ensemencé  de l’Eglise.  Le chiffre sept quand on le compte par mois, consacre les fastes du septième mois à toute  la sainteté de notre jeûne.   Quand le chiffre sept multiplie les années,   il  fait une année qui donne le repos à la terre,  délie tous les liens qui retiennent un frère à l’autre.   Le chiffre sept  quand il s’applique aux semaines d’années,  conduit à la cinquantième année  qui est appelée jubilé , i.e.  à toute la plénitude du pardon et de la rémission,  pour que soit enlevé l’esclavage  et rendue la liberté;  pour que les cautions, les factures soient déchirées;  pour que le débiteur revive et  soit ensevelie la dette;  pour que le champ revienne aux pauvres; pour que périsse le contrat qu’avait dicté la cupidité du riche.  Et puisque le chiffre sept sert à multiplier par sept les jours,  les mois et les années,  il contient la totalité  de la rémission et du pardon.

 Qu’est-ce que le chiffre soixante-dix fois sept fois  peut bien ajouter? Que  le chrétien l’évalue, et que l’auditeur en tienne compte.   Alors cessera  le compte de la dette et du crédit;  alors sera abolie définitivement toute forme d’esclavage; alors viendra la liberté sans fin;  alors le champ éternel restera toujours la propriété du vainqueur.   Mais qu’elle vienne donc la vraie rémission,  quand sera abolie aussi la nécessité de pécher;  quand, après la destruction de l’immoralité,  le monde sera déclaré pur;   quand, au retour de la vie,  la mort ne sera plus;   quand, à l’instauration du royaume du Christ,  le diable périra.   Priez mes frères,  pour que Dieu augmente notre foi,  pour que nous puissions croire en ces biens,  les voir et les tenir.
 
 

140ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(L’annonciation)

 Il est à douter que toute l’acuité de notre regard suffise  pour capter la sublimité de la naissance de Dieu.  Car si l’étoile du matin qui annonce le lever du soleil peut à peine  être fixée par nos yeux  quand ils sont puissants et perçants, quelle innocence ne faut-il pas procurer au regard intérieur  de notre âme pour qu’il puisse supporter  la splendeur des rayons du Créateur levant ?

 Au sixième mois,  l’ange Gabriel a été envoyé dans une cité de Galilée du nom de Nazareth à une femme promise en mariage à un homme du nom de Joseph.  Le saint évangéliste indique le temps, le lieu, la personne pour que la vérité du récit soit corroborée  par les détails précis des évènements.   L’ange a été envoyé à une vierge promise en mariage.  A une vierge, Dieu envoie un messager ailé.   Car il donne des gages,  il reçoit la dot  celui qui apporte la grâce.  Car il ramène la foi,  et livre les dons de la vertu celui qui déliera bientôt la vierge de la promesse de se marier.  L’interprète de la pensée divine se dirige à toute vitesse vers l’épouse,  pour qu’à l’épouse de Dieu,   il enlève et arrache toute attache sensible à un époux humain.  Il n’enlève pas une vierge à Joseph,  mais la rend au Christ,  à  Qui elle est donnée en gage pour qu’Il naisse dans l’utérus.  Le Christ reçoit donc son épouse;  Il ne s’empare pas de celle d’un autre.  Et Il ne fait pas de séparation quand  Il s’unit dans un seul corps à sa créature.

 Mais écoutons ce que l’ange a fait.    Après être entré chez elle, l’ange dit : Salut, pleine de grâces, le Seigneur est avec toi.  Dans cette voix,  il y a une offrande,  l’offrande d’un don,  non la prestation d’une simple salutation.   Salut!   Ce qui veut dire :  Reçois la grâce !  Que la nature ne t’apporte ni trouble ni inquiétude !    Pleine de grâces.   Parce que dans les autres, il y a la grâce,  mais en toi, c’est toute la plénitude de la  grâce qui viendra.    Le Seigneur est avec toi.    Comment est-il en toi le Seigneur ?  Parce qu’Il ne vient pas à toi pour te faire une visite courtoise,  mais pour pénétrer en toi dans un nouveau sacrement de naissance.   Il a ajouté ces paroles qui convenaient à merveille :  Tu es bénie entre toutes les femmes.  Parce que l’Ève maudite avait puni les viscères des femmes;  la Mare bénie se réjouit dans les femmes, est honorée en elles,  et est reçue en elles.  Et elle est devenue en toute vérité la mère  des vivants par la grâce,  celle qui avait été la mère des mourants  par la nature.

 En entendant cela, elle a été troublée par ses paroles.   Parce qu’était venu un ange de belle apparence,  fort comme un guerrier,  poli et distingué,  à la voix puissante,  énonçant des choses humaines en promettant des divines.  Ce sont les paroles qui troublèrent grandement la vierge,  que la vue de l’ange avait peu inquiétée.  Celle que la présence de l’envoyé avait peu alarmée a été secouée par tout le poids de l’autorité du messager.  Et que dire de plus ?  « Elle sentit bientôt qu’elle avait reçu en elle le Juge suprême,  là où auparavant elle n’avait vu et contemplé  que celui qui avait été envoyé pour choisir le lieu de campement du Dieu des armées.  Bien que c’est   d’un mouvement plein d’attention,  et avec une affection pieuse, que Dieu  transforma la vierge en Sa mère,  l’esclave en Sa parente,  les organes se sont quand même troublés,  l’esprit à cherché à fuir,  toute la personne a tremblé  quand Dieu,   que toute la création ne contient pas,  s’est renfermé tout entier dans un sein humain.  Et elle se demandait ce que signifiait cette salutation.   Que votre charité  remarque, comme nous l’avons dit,  que la vierge a consenti à la salutation  non à cause des paroles,  mais à cause des grâces qu’elles apportaient.  Et la voix n’était pas celle d’un hommage ordinaire,  mais elle avait toute la puissance d’une vertu céleste.

 La vierge réfléchit,  car répondre tout de suite est un signe de légèreté .  Réfléchir avant de parler  est le signe d’un jugement mûr et pondéré.   Il ignore quelle est la grandeur de Dieu  celui qui n’éprouve aune admiration pour  l’intelligence et l’âme de cette vierge.    Le ciel est épouvanté,  les anges tremblent,  la création n’en revient pas,  la nature est suffoquée  à la pensée qu’une jeune fille reçoive Dieu dans son sein,  l’accueille,  lui offre l’hospitalité pour rendre la paix à la terre,  la gloire au ciel,  le salut aux condamnés,   la vie aux morts.   Pour établir une parenté entre la terre et le ciel,  l’alliance de Dieu Lui-même avec la chair,   exiger une demeure comme indemnité,  et conquérir  un utérus pour sa propre récompense.   Pour accomplir cette parole du Prophète :  Voici l’hérédité du Seigneur et sa récompense :  des fils,  les fruits du ventre.

 Mais mettons fin au sermon.  Si Dieu nous le donne,  et si le temps le permet, nous développerons ce sujet plus à loisir.
 
 

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