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Sermons de Saint Pierre Chrysologue
docteur de l'église catholique
406 - 450

Première traduction française des 176 Sermons de saint Pierre Chrysologue par JesusMarie.com, 19 août 2014
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Sermons 141 à 176

141ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’Incarnation)

 Qu’il est grand le lieu caché de la couche royale,  de quel respect et de quelle terreur est entouré  l’endroit  où repose la puissance elle-même de l’empereur,  dont l’accès est interdit aux étrangers,  aux impudiques et aux infidèles.  Les hommages chastes, purs et fidèles qui doivent être rendus là ,  ce sont les insignes manifestes de la chambre impériale qui l’enseignent.  Quel est l’indigne ou l’ignoble qui s’approche des portes elles-mêmes du palais ?   Il est certain qu’à la chambre nuptiale  ne sont admis  que les parents, les intimes,  ceux dont la vie est sans reproche,  la réputation sans tache,  la conscience droite.

 Dans sa chambre nuptiale,  Dieu ne reçoit que la seule vierge.  Seule la virginité immaculée est admise.   Instruit par ces exemples,  demande-toi ce que tu es,  ce que tu vaux,  ce donc tu es capable, et demande-toi ensuite si  tu peux pénétrer le secret de la nativité du Seigneur;   si tu mérites d’entrer dans la chambre à coucher de ce sein, où repose  toute  la majesté du Roi céleste et de Sa divinité.   Est-ce que tu dois, avec  les yeux humains et les sens corporels,  être témoin de l’enfantement de la vierge, à la manière d’un  disputeur téméraire ?   Est-ce que tu peux contempler, avec l’audace et la curiosité d’un juge,   les mains elles-mêmes de Dieu  se fabriquant le saint temple de Son corps  dans le sein de la vierge ?  Tes réflexions peuvent-elles mettre à nu le mystère caché aux siècles,  te révéler un sacrement invisible aux anges ?   Peux-tu  présider à la création céleste,  de façon à comprendre clairement comment Dieu a pénétré au cœur d’une chair fermée;  comment Il a tracé les contours du sacré corps dans le sein vénérable de la vierge,  sans qu’elle le sache;  comment, à l’insu de la mère,  Il a  solidifié des os qui devaient durer des siècles ?   Comment a-t-Il pu produire une vraie forme d’homme  sans procéder à la manière humaine  ?   Comment a-t-Il pu assumer toute la réalité de la chair,  sans la concupiscence ?  Comment,  en marge de la nature de notre chair,   a-t-Il pu recevoir notre nature dans son intégralité ?

    Et si tu n’as pas de réponse à donner  à ces questions,  Dieu n’a-t-Il pas pu, alors,  assumer de la chair  ce qu’Il avait au commencement assumé du limon ?     De plus,  puisque tout est possible à Dieu,  et que  tu es incapable de pénétrer à fond les plus petites des œuvres de Dieu,  ne discute pas la conception virginale de Marie,  mais crois-y.   Pense en toute piété que Dieu a voulu naître,  parce que , si tu réclames des preuves,  tu Lui fais injure.  . Car  tu ne pourras reconnaître aucune des plus infimes œuvres de Dieu sans  la foi.  Comme le dit l’Écriture :  Toutes les œuvres dans la foi.   Mais tu veux  que tout soit accessible à la raison,  là où tout provient de la foi;  sans être contraire à la raison,  non à la tienne,  mais à celle de Dieu.  Qu’y a-t-il de plus raisonnable que Dieu puisse tout ce qu’Il veut ?  Celui qui ne peut pas ce qu’Il veut n’est pas Dieu.   Donc, ce que Dieu décide,  l’ange l’exécute,  le Saint-Esprit l’accomplit,  la vertu le réalise,  la vierge le croit,  la nature l’accepte,   les cieux le racontent, le firmament l’annonce,  les étoiles le montrent,   les mages le prêchent,  les bergers  l’adorent,  les bêtes le reconnaissent.  Comme l’atteste le Prophète :  Le bœuf connaît son maître, et l’âne la mangeoire de son Seigneur.

 Toi, o homme,  si tu ne le fais pas tout de suite avec les anges,  reconnais-Le au moins, plus tard,  avec les bêtes.   De peur que si tu retardes,  tu ne sois placé après ces bêtes,  à qui on te comparait autrefois.   Les animaux font des caresses avec la queue,  flattent avec leurs oreilles,  lèchent avec leurs langues;   et avec les gestes qu’ils peuvent,  ils avouent que, contre nature,  Leur Auteur est venu dans ta nature.    Et toi, tu discutes,  tu dissèques  comme les Juifs qui ont exclu  de leurs hôtelleries  leur Seigneur, que les animaux ont reçu dans leurs étables.

 Si tu es dans la disposition d’esprit  d’écouter plus de choses que ce que les anges ont l’obligation de dire,  permets-en l’accès,  sinon avec joie,  du moins, avec politesse.    Puisque un sermon sur ce sujet vous est fort nécessaire, nous reprendrons dans un prochain enseignement, ce que nous sommes forcé d’interrompre aujourd’hui.
 
 
 
 

142ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’Annonciation)

 Vous avez entendu aujourd’hui,  mes très chers frères,  l’ange qui s’entretenait avec la femme de la réparation du genre humain.  Vous avez entendu que son mandat consistait à ce que l’homme retourne à la vie  par le même parcours par lequel il avait chuté dans la mort.  Il pactise, l’ange,  il discute avec Marie au sujet du salut,  comme le démon avait trafiqué avec Ève la ruine de l’humanité.  Vous avez entendu que,  du limon de notre chair, l’ange,  avec un art ineffable,  construisait le Temple de la divine Majesté.  Vous avez entendu que,  par un sacrement  incompréhensible,  Dieu était logé sur la terre,  et l’homme dans le ciel.  Vous avez entendu que, d’une façon inouïe,  Dieu et l’homme étaient comme mélangés dans un seul corps.  Vous avez entendu que,  par l’exhortation angélique,  la nature fragile de notre chair a été fortifiée pour porter toute la gloire de la Déité.  Et enfin,  pour que  la terre sablonneuse de notre corps délicat ne succombe pas sous le poids de la Construction céleste érigée en Marie,  et pour que ne casse pas la branche fragile qui, dans la vierge, devait porter tout le Fruit du genre humain,  la voix de l’ange invite aussitôt Marie à fuir la crainte en disant :  Ne crains pas Marie.

 Ne crains pas Marie.  Avant de donner la raison de son ambassade,  l’ange proclame la dignité de la vierge en la nommant par son nom : Marie, car en hébreu et en latin,  Marie signifie dame.  L’ange l’appelle donc madame,  pour que l’agitation et le tremblement qui sont le propre de l’esclavage s’éloignent de la mère du Dominateur.  Qu’elle ait été dame à sa naissance et qu’elle en ait porté le nom,  elle le doit à la dignité royale de ses ancêtres.   Ne crains pas Marie,  car tu as trouvé grâce.  Il n’est que trop vrai que qui a trouvé la grâce ne saurait craindre.   Tu as trouvé la grâce.   Auprès de qui ?  Auprès de Dieu.  Bienheureuse est-elle celle qui, parmi les hommes,  a mérité d’entendre ce qui la place avant tous.  Tu as trouvé la grâce.  En quelle quantité ?  Autant qu’il a été dit :  la plénitude.  Grâce qu’elle ferait pleuvoir avec abondance sur toute créature.  Tu as trouvé grâce auprès de Dieu.  En disant cela,  l’ange se demande avec émerveillement  si la femme est seule à avoir mérité la vie, ou si tous les hommes l’ont méritée par la femme.   L’ange est dans la stupeur à la pensée que la totalité de la Divinité  descend  dans l’exiguïté de l’utérus de la vierge,  Elle pour qui tout l’ensemble de la création est un iota.  Voilà pourquoi l’ange procède lentement.  Il l’appelle vierge parce qu’elle le méritait,  il l’interpelle en se référant à la grâce,  sans avoir auparavant  indiqué à celle qui l’écoutait la raison de sa visite.   Il laisse son esprit dans l’attente pour attirer son attention.  Considérez,  mes frères,  quelle révérence et quelle crainte il convient que nous apportions à un tel sacrement, quand ce n’est pas sans crainte que l’ange lui-même parle de la crainte à son interlocutrice.

 Tu concevras de ton sein.  Il a raison de dire :  tu concevras,  car cette conception la chair ne la connaît pas, la condition humaine ne l’a pas en son pouvoir,  la nature ne l’admet pas.  Tu concevras dans ton sein.  Qui moissonne avant d’avoir travaillé la terre à la sueur de son front ?  Qui récolte des fruits à pépin ou à noyau  sons avoir dépensé beaucoup d’énergie auprès des arbres à fruits ?  Qui parvient  en prison sans avoir été jugé et condamné ?  Qui reçoit un accroissement de la nature en marge de la nature ?     Bienheureuse est donc Marie,  et plus que bienheureuse,  elle qui est parvenue à la gloire d’une telle Progéniture  sans connaître ni les embarras de la grossesse ni  les souffrances de la maternité.  Bienheureuse est-elle parce qu’elle a reçu et conservé  l’Enfant divin dans son sein,  sans que l’extérieur de son corps n’en sache absolument rien.  Bienheureuse est-elle d’avoir cru et d’avoir confié à son seul esprit  ce qu’elle avait reçu du ciel par la révélation de l’ange.   A l’intérieur de la demeure de la vierge, l’entreprise divine se développe  de façon à ce que,  les verrous demeurant intacts,  les clôtures elles-mêmes ne ressentent rien.   Tu concevras et enfanteras un fils.    Celui qui entre et qui sort, et qui ne laisse aucune trace de Son entrée et de Sa sortie,  est un Résidant divin, non humain.  Que notre chair ici cède ses droits !  Notre nature ici n’a rien à revendiquer :  le protocole  céleste, qui relève de la nature divine, préside à l’ enfantement d’un Dieu.  Que les mots conception et naissance n’indisposent pas l’esprit de nos auditeurs;  que les chrétiens n’aillent pas avec légèreté leur attribuer un sens prosaïque :  dans cette naissance céleste,  tous les indices de la vertu divine sont mis en œuvre.   Tu concevras et enfanteras un fils.   Il ne dit pas à toi,  il dit ton.    Pourquoi?  Parce que ce saint rejeton sera appelé fils de Dieu.

 Vierge,  c’est la grâce qui t’as rendue mère,  non la nature.  La piété a voulu te donner le nom de génitrice,  ce que ne permettait pas l’intégrité.   En concevant et en enfantant,  ta pudeur a  cru,  ta chasteté a augmenté,  ton intégrité s’est fortifiée,  ta virginité s’est solidifiée,  toutes tes vertus se sont développées.   Vierge,  si tout a été préservé,   qu’as-tu donné ?    Si tu es vierge,  comment peux-tu être mère ?  Si tu n’étais que promise à un homme,  comment as-tu engendré ?   Dieu,  par qui tout en toi a connu un accroissement,  ne t’a diminué en rien, vierge.     Vierge,  tu conçois ton Auteur,   ton Origine origine de toi,  dans ton sein est Celui qui t’a engendrée,  toute la Divinité est dans ta chair, et Celui qui a donné au monde la lumière  a reçu de toi la lumière du monde.   Avertie par l’ange,  ne te hâte pas de l’appeler ton fils,  mais dès que tu l’auras mis au monde,  tu lui donneras le nom de Sauveur.  Car la virginité n’enfante pas un fils à elle,   mais l’Auteur fait enfant;   et l’intégrité engendre son Seigneur,  non un nourrisson quelconque.  Comme le dit l’ange :   Et tu lui donneras le nom de Jésus,  nom qui en latin signifie sauveur.

 Marie dit à l’ange :  Comment cela se fera-t-il ?   Mais voici que Marie interroge.  Et si, en interrogeant,  quelqu’un montre qu’il doute,  pourquoi Zacharie a-t-il été le seul à avoir été puni pour son manque de foi ?  Parce que le Connaisseur des cœurs ne s’attarde pas aux mots mais aux pensées.  Il n’a pas jugé ce que Marie et Zacharie ont dit,  mais leurs intentions.  La cause des deux interrogations étant dissemblable,  les interrogations différaient donc par l’espèce.  Marie a cru contre la nature,  Zacharie a douté  à cause de la nature.   Elle cherchait à connaître la totalité du  projet de Dieu;  lui prétendait que Dieu ne pouvait pas réaliser ce qu’il avait planifié.   Il ne parvint pas à croire en dépit d’exemples historiques qui auraient du le persuader;  mais la foi de Marie n’était soutenue par aucun exemple.  Elle s’émerveille qu’une vierge puisse enfanter,  mais lui  refuse de croire qu’une femme mariée puisse concevoir.   Elle a donc raison d’interroger,  puisqu’elle reconnaît que  Dieu est en son corps et qu’elle le confesse;  lui,  se tait jusqu’à  ce que son propre corps le convainque de la naissance de Jean qu’il récusait.  Comment cela se fera-t-il ?   Pourquoi ?  Parce que je ne connais pas d’homme

Parce que je ne connais point d’homme.  .  Femme,  quel homme cherches-tu ? Tu l’as perdu dans le paradis.  Rends l’homme, femme;  rends le dépôt de Dieu.   Rends de toi-même celui que tu as perdu par toi.  Mets de côté l’ordre de la nature, et  reconnais l’ordre du Créateur.  Qu’Il fasse et assume de toi un homme  Celui qui t’as faite au début  en te tirant de l’homme.  Ne te mets pas à la recherche d’un homme!    Que cesse l’œuvre de l’homme,  parce que les ressources divines suffisent pour la restauration du genre humain.  La raison pour laquelle Dieu est venue vers toi, c’est  parce que tu t’es repentie d’être allée vers l’homme.  Que désormais la chair n’aille plus à la chair,  mais l’Esprit saint surviendra en toi.  Car ce qui naît de la chair est chair, et ce qui nait de l’Esprit est esprit.    Celui donc qui naît de l’Esprit,  sans controverse possible, est Dieu,  puisque l’Esprit est Dieu.  L’Esprit-Saint  viendra en toi et la vertu du Très-haut te couvrira de son ombre.  La vertu de Dieu fait de l’ombre, pour qu’à force de porter Dieu,  la fragilité humaine ne succombe pas.  Et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre.  La chaleur ardente de notre corps ne sait pas à quel point  apporte de la protection l’ombre de la vertu divine.  Celle qui se sait encerclée par le voile de la splendeur céleste  ne recherche pas la partie la plus retirée d’une maison mondaine.  A cause de cela,  le saint rejeton qui naîtra de toi sera appelé fils de Dieu.  Que personne ne prenne ici le mot saint dans un sens banal ,  mais qu’il lui donne le sens unique et tout à fait spécial qui a été proclamé dans le ciel :  Saint, Saint, Saint, le Seigneur des armées.

 Marie est envoyée à Elizabeth comme une vierge à une stérile,  un enfant à une aïeule,  pour qu’ils fassent assaut de bons procédés,  et pour que l’une  reçoive,  de la nouveauté la foi,  et l’autre,  de la nécessité la vertu.  Après avoir entendu ces paroles de l’ange,  Marie répondit :  Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole.  Celle que l’ange appelle madame se reconnaît servante, et le confesse.    Parce que,  chez une âme généreuse,  le déferlement des bienfaits ne fait qu’augmenter le sentiment d’indignité.  Elle ne croît qu’en grâce, elle ne s’érige pas sur un piédestal,  elle ne s’enfle pas d’orgueil.  Qu’il me soit fait selon ta parole !  En croyant à la parole,  elle a mérité de concevoir la Parole.   Au commencement était la parole,  et la parole était auprès de Dieu,  et la parole était Dieu.  Et elle est parvenue à l’accomplissement total de ce que à quoi elle avait cru après l’avoir entendu.   Qu’il doit donc être grand le péché de l’hérétique  qui,  constatant que Marie a cru avant l’évènement,  refuse,  lui,   de croire,   après l’évènement.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

143ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’Annonciation)

 Un sermon sur Noël vous est du depuis longtemps,  mais le sacrement de l’ineffable naissance du Seigneur,  il convient de le croire plutôt que d’en débattre.    La vierge a enfanté.  Comment un sermon humain pourrait-il raconter ce qui n’est pas au pouvoir de la nature,  ce dont on a jamais eu l’expérience, ce que la raison ignore,  ce que l’esprit ne comprend pas,  ce qui épouvante le ciel,  stupéfie la terre,  met la créature dans tous ses états  ?   Et pourtant, l’évangéliste  dévoile la conception et l’enfantement de la vierge avec des mots humains de tous les jours,  le scellant ainsi du sceau divin.   Et il agit ainsi pour  que ce que l’homme a l’obligation de croire il ne présume pas de le discuter.  Qui peut pénétrer les mystères divins comme l’enfantement de la vierge,  les causes des êtres,  l’ordre du cosmos,  les échanges entre la Divinité et la chair ?   Qui peu comprendre que l’homme et Dieu sont un seul et même Dieu ? L’évangéliste parle ainsi : L’ange Gabriel a été envoyé par Dieu dans une cité de Galilée dont le nom était Nazareth,  à une femme promise en mariage à un homme du nom de Joseph,  et le nom de la vierge était Marie.

 Un ange a été envoyé par Dieu.  Là où c’est un ange qui est le médiateur,  l’homme doit cesser de se faire une opinion par lui-même.  Là où l’envoyé vient du ciel, toute interprétation purement humaine doit être rejetée.  La curiosité humaine entre en torpeur  là où l’ambassadeur est céleste.   L’ange a été envoyé par Dieu.  Celui qui porte toute son  attention sur le  fait qu’il a été envoyé par Dieu  s’interdit de scruter en profondeur  le secret de la Déité.  Ce que Dieu communique, par l’intermédiaire de son ange,  seul mérite de le savoir celui qui craint de le savoir.  Ecoute le Seigneur qui dit :  Sur qui poserai-je mes yeux si ce n’est sur l’humble, le doux, et sur celui qui tremble en entendant ma parole ?  L’humble et le doux.   Autant il est docile celui qui obéit aux ordres,  autant il est indocile celui qui les conteste.

 L’ange est envoyé à une vierge.  Parce que la virginité est toujours connue des anges.  Vivre dans la chair en marge de la chair,  ce n’est pas une vie terrestre,  mais céleste.  Et si  vous voulez le savoir,  acquérir la gloire angélique est une plus grande chose que la posséder.  L’ange n’a que le bonheur de l’être,  mais la virginité, c’est la vertu qui la faite.  La virginité obtient par l’ascèse ce que l’ange possède par nature.  L’ange et la vierge remplissent donc une fonction divine,  non humaine.  Après être entré, l’ange lui dit :  Salut,  pleine de grâces,  le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre toutes les femmes.

 Salut, pleine de grâce ,  le Seigneur est avec toi.  Vous voyez les présents qui  sont donnés en gage à la vierge ?   Salut, pleine de grâce,  le Seigneur est avec toi.    Salut,  ce qui veut dire :  reçois !   Quoi ?  Les vertus en don,  mais non la pudeur.  Salut, pleine de grâce !    Voici la grâce qui a donné  la gloire aux cieux,   Dieu à la terre,  la foi aux Gentils,  un terme aux vices,  une règle de  vie,  une discipline morale.   Cette grâce  que l’ange a apportée,  la vierge  l’a reçue pour rendre  le salut aux siècles.  Salut, pleine de grâce.    Parce qu’à chacun,  la grâce est donnée par bribes;  mais à Marie, c’est toute la plénitude de la grâce qui s’est donnée à elle en entier.   Tous,  dit l’évangéliste,  nous avons reçu de sa plénitude.    David a dit lui aussi dans le même sens :  Elle descendit comme de la pluie dans une toison.    La laine,  bien qu’elle appartienne au corps,  ne connaît pas les passions du corps.   Ainsi en va-t-il de la virginité.  Bien qu’elle soit dans la chair,  elle ignore les vices de la chair.  La pluie céleste  se répand donc dans la toison virginale en y pénétrant goutte par goutte. Et comme des gouttes qui s’infiltrent dans la terre.  Pour que les  temps, qui sont dévolus à la foi,  irriguent les semences avec  des gouttes vivifiantes,  au lieu de les tuer.

 Salut, pleine de grâce,  le Seigneur est avec toi.  L’ange est  envoyé par Dieu,  et que dit-il ?   Le Seigneur est avec toi.    Dieu était donc déjà avec la vierge quand l’ange  lui a été envoyé.   Dieu a précédé son messager , sans s’éloigner de Sa divinité.  Il ne peut pas être contenu par les lieux  Celui qui est présent dans tous les lieux.   Et  Il est tout entier partout Celui sans Lequel rien n’est tout.    Tu es bénie entre toutes les femmes.  Elle est vraiment bénie la vierge  qui a rempli jusqu’au bout la dignité de la maternité,  sans perdre la gloire de la virginité.  Oui,  elle est vraiment bénie celle qui a mérité la grâce d’une conception céleste,  tout en maintenant la couronne de l’intégrité.   Elle est vraiment bénie celle qui a reçu la gloire d’un divin fœtus,  sans cesser d’être la reine de la chasteté dans toute sa plénitude.  Vraiment bénie celle qui a été plus grande que le ciel, plus forte que la terre,  plus élevée que tout ce qu’il y a dans la création.  Car elle a été la seule à contenir Celui que le monde ne peut pas contenir.  Elle a porté Celui qui porte l’univers.   Elle a engendré son Géniteur.  Elle a nourri Celui qui nourrit tous les vivants.

 Mais jetons un coup d’œil à ce que dit l’évangéliste :   Quand Marie vit l’ange,  elle fut troublée par ses paroles.   La chair est troublée,  les viscères sont secoués,  l’esprit frémit,  son cœur magnanime est frappé de stupeur.  Le temple du corps humain était troublé,  et l’étroitesse du domicile charnel comprimait les organes,  quand,  dans le sein de la vierge,  s’est cachée toute la grandeur de Dieu.

 Mais, si le cœur vous en dit,   avant de pénétrer plus avant dans le mystère de la foi chrétienne,  adressons-nous à ceux qui considèrent injurieux à la divinité l’enfantement virginal,  le sacrement de la piété, la réparation du genre humain par le Sauveur.   Dieu est venu chez la vierge,  l’Artisan chez son œuvre,  le Créateur chez sa créature.  Quand donc la restauration d’une œuvre ne rejaillit-elle pas  sur l’honneur de l’artisan ?   Quand donc l’honneur n’est-il pas réputé de la gloire, si  le fabriquant répare ce qu’il a  fabriqué ?   Quand l’homme vieillit,  ne retourne-t-il pas à son œuvre pour ne pas la perdre;   si elle se détériore ,  ne la  rajeunira-t-il pas;  et si elle s’effondre, ne la reconstruira-t-il pas en mieux ?   L’enfantement d’une vierge   n’est donc pas une injure au Créateur,  mais le salut de la créature.  Si Dieu a fait l’homme,  qui trouve mauvais qu’Il le refasse ?   Et si l’on pense qu’il a été digne de Dieu de former l’homme avec du limon,  pourquoi  juge-t-on qu’il a été indigne de Lui de le réformer avec une chair?   Qu’est-ce qui est le plus précieux,   le limon ou la chair ?   Donc, plus est précieuse la matière de notre réparation,   plus grande est la gloire.   Mais quand donc le Créateur n’est-il pas à l’intérieur de l’utérus humain ?    Ecoute Job :  Tes mains m’ont fait,  tes mains m’ont façonné.   Et David :  Tu m’as formé. et tu as posé sur moi ta main.   Et Dieu à Jérémie :  Avant que tu sois dans le sein de ta mère, je t’ai connu, et dans l’utérus,  je t’ai sanctifié.    Si donc Dieu a fixé les linéaments de Job quand il était dans le sein de sa mère;  s’Il a façonné les membres de David quand il était  dans l’utérus de sa mère;  s’Il a sanctifié Jérémie dans le ventre de sa mère;  s’Il a rempli du Saint Esprit Jean le Baptiste dans le sein de sa mère,  pourquoi s’étonner s’Il a habité dans le sein d’une vierge,  Lui qui a tiré la femme d’une côte de l’homme ?  Il est allé rechercher l’Homme dans le sein de la vierge   Celui qui avait formé la vierge du corps de l’homme.   Tu vois donc,  o homme,  que ce qui te parait une nouveauté  est pour Dieu une vieillerie.

 Mais tu dis :  Quelle nécessité y avait-il à la naissance d’un Dieu qui peut faire tout ce qu’Il veut ?  Laquelle ?  Pour refaire en naissant la nature qu’Il avait faite en la façonnant.  Parce que celle qui avait été faite  pour engendre des vivants a engendré des mortels.  Par le péché du premier homme,  la nature a reçu un coup mortel,  et ce qui était l’entame  de la vie a commencé à être l’origine  de la mort.

 Voilà donc quel est cet échange admirable de la nativité qui a forcé le Christ à naître,  pour que la naissance du Créateur procure la guérison à la nature,  et pour que la guérison de la nature soit la reviviscence des fils.
 
 
 
 

144ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’Annonciation)

 C’est la sublimité du sujet qui nous pousse à composer un sermon sur la nativité du Christ,   mais la grandeur du mystère nous paralyse.  La vierge enfante.  Qui est qualifié pour en parler ?   Le Verbe s’est fait chair.  Qui peut le raconter ?  Si le Verbe de Dieu donne le vagissement à l’enfance,  l’homme, qui est imparfait, comment pourra-t-il, avec des paroles,  proclamer la Parole ?   Le sermon d’un docteur sur la naissance du Seigneur apporte autant de clarté aux auditeurs que n’en apporte une étoile à ceux qui cherchent la lumière pendant la nuit.  Pour qu’ils se réjouissent d’avoir trouvé le Christ,  mais ne présument pas de  mettre Sa naissance en doute;  pour qu’ils honorent de présents Son enfance, au lieu de chercher à l’avilir.  Priez, mes frères,  pour que Celui qui a grandi graduellement dans notre corps,  daigne croître de plus en plus dans notre parole !  L’évangéliste, aujourd’hui, rapporte que l’ange a parlé ainsi :   Ne crains pas Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.

 Ne crains pas Marie.  Pourquoi ?   Parce que tu as trouvé grâce.  Ce n’est pas celui qui a trouvé la grâce qui craint,  mais celui qui l’a perdue.  Elle l’a trouvée , à n’en pas douter,  en concevant la grâce du germe céleste,  elle qui,  en enfantant, n’a pas perdu les insignes de sa virginité.  Ne crains pas Marie.  Pourquoi craindrait-elle celle qui  a conçu la Sécurité des êtres,  qui a enfanté la Joie des siècles ?  La crainte n’a pas sa place  quand c’est Dieu qui opère,  non l’humanité; là où il est question de force,  non de pudeur.  Qu’a-t-elle à craindre  celle qui a reçu Celui que craignent tous ceux qui inspirent la terreur ?   Qu’a-t-elle donc à craindre celle qui a le Juge pour plaider sa cause, et pour témoin,  l’intégrité de son innocence ?   Ne crains pas, Marie.  Tu as trouvé grâce auprès de Dieu.  Ce qui était au commencement auprès de Dieu,  Dieu le Verbe,  elle Le découvre dans son sein;  et elle devient un grand temple de la Divinité  celle qui était un petit hospice de l’humanité;  et Celui que la petitesse du corps humain ne contenait pas,  la sublimité du sein virginal l’a reçu.

 Voici que tu concevras  dans ton sein.  Par respect pour la langue,  il aurait suffi de dire:  Tu concevras.   Quel besoin y avait-il de  préciser lourdement :  Dans ton sein ?  Pour que la conception soit perçue comme une chose réelle, non comme  une image.  Pour que le mot naissance soit  pris dans toute la force du terme,  et ne soit pas dissout dans une figure.  Comme d’un Dieu vrai un vrai Dieu est né,  d’une vraie conception naîtrait la vérité d’un corps humain.   Dans la naissance du Christ,   l’injustice, mes frères,  est enlevée  au corps humain,  non la nature;  c’est la faute qui est condamnée,  la créature n’est pas détruite.

C’est donc une hérésie de prétendre mensongèrement que le Christ  a assumé un corps aérien : il n’aurait pas eu de chair, et  il aurait concerté une ruse en feignant d’être un homme.   Tu concevras dans ton sein, et tu enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus.  Ce qui se dit en hébreu Jésus,  en grec Sôtèr,  se dit en latin Sauveur.   C’est avec raison qu’a été sauvé tout ce qui appartenait à la vierge,  puisqu’elle a engendré  le Sauveur de tous.  Et tu l’appelleras du nom de Jésus,  parce que dans ce nom,  toute la majesté de la déité est adorée.   Tous ceux qui demeurent dans le ciel,  tous les habitants de la terre,  tous ceux qui sont retenus dans les profondeurs de l’enfer,  fléchissent le genou à  l’audition de ce nom, et adorent le Sauveur.   Ecoute l’apôtre qui dit :  Pour qu’au nom de Jésus,  tout genou fléchisse dans les cieux,  sur terre,  et dans les enfers.  Ce nom qui a donné la vue aux aveugles,  la vie aux morts.  Toute la vertu de ce nom  a mis en fuite  la puissance du démon sur les corps qu’il possédait.  Et si le nom est si grand,  que ne doit pas être sa puissance ?  Mais qui est donc celui qui est appelé de ce nom ?    Que l’ange le dise !   Et il sera appelé fils du Très-Haut.

 Vous voyez que ce que la vierge a conçu n’est pas un fœtus terrestre  mais céleste.   C’est la vierge qui a enfanté,  mais c’est Dieu qui a accueilli le Fils.    Donc celui qui  discute de cette maternité à la façon d’un sophiste, ne fait qu’injurier un si grand Géniteur.  Et le Seigneur Dieu lui donnera le siège de David son Père.  L’hérétique prend prétexte de ce texte  pour ensemencer  les nuages de sa perfidie;  il invente de toute pièce un propos erroné.    Ce n’est pas moi qui  le dis,  affirme-t-il,  mais l’ange :  Le Seigneur Dieu lui donnera.  Celui qui donne n’est-il pas plus grand que celui qui reçoit ?  Car celui qui reçoit  ne possédait pas avant d’avoir reçu. Mais nous autres, mes frères, nous écoutons ces paroles non comme les écoutent les impies,  mais  les fidèles.  Et que ce qui est pour eux une occasion d’erreur,  soit pour nous  une cause d’augmentation de notre foi. Le Seigneur Dieu lui donnera.    Qui est celui qui donne,  et à qui donne-t-Il ?  Il est certain que c’est Dieu qui donne à l’homme,  la divinité à la chair.   Le Seigneur Dieu lui donnera.    Quel Dieu ?    Bien entendu,  c’est le Verbe  qui, depuis  le commencement,  était toujours Dieu.  A qui donne-t-Il ?   A Celui  qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous.   Écoute l’Apôtre qui dit :   Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde. Réconciliant le monde avec Lui,  non avec un autre.   Ce Dieu, donc, qui était dans le Christ,  s’était donné à Lui-même le royaume dans le Christ;  et Il conférait  au corps assumé ce qu’Il avait toujours possédé dans sa Divinité.   La parole elle-même de l’ange le prouve.  Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père.  Tu vois que quand Il reçoit, il est appelé fils de David, et quand Il donne,  il reçoit le nom de Fils de Dieu.  Lui-même a dit :  Tout ce qu’a le Père est à moi.   Quelle nécessité y a-t-il de recevoir là où se trouve  le pouvoir de posséder ?    Il a dit :  Tout ce que le Père a est à moi.  Qui reçoit ce qui lui appartient ?    Si ce qui est donné est la propriété de celui qui le reçoit,  est-ce un don gracieux de celui qui donne?    Nous reconnaissons qu’Il a reçu le trône de David.  Mais Celui qui l’a reçu c’est Celui qui est né,  qui a assumé la chair,  qui a accueilli l’enfance, qui a supporté d’être emmailloté dans un berceau,  qui a vieilli avec les années,  qui a gagné son pain à la sueur de son front,  qui a éprouvé la faim, qui a souffert de la soif,  qui ne s’est pas soustrait à toutes sortes de rebuffades et d’insultes,  qui est monté sur la croix,  qui a subi la mort, et qui est entré dans un sépulcre.   Hérétique,  assigne à Celui-là ce dont il s’agit.  Est-ce que tu penses qu’Il a dédaigné  recevoir les honneurs de Dieu  Celui qui a reçu tant de vilenies des hommes.  Est-ce que tu penses qu’il a trouvé honteux de recevoir le royaume de son Père, Celui  qui,  de ses ennemis,  a reçu les souffrances et la mort ?    Hérétique,  si tu comprenais que les insultes, l’enfance,  l’âge, le temps,  ce qui est donné et ce qui est reçu,  l’anéantissement et la mort,  n’ont rien à voir avec la divinité,  mais relèvent de la seule humanité,   tu n’injurierais le Christ en rien,  tu ne parlerais ni de supériorité ni d’infériorité  dans la Trinité.

 Mais revenons à nous,  et continuons le commentaire.  Le Seigneur son Dieu lui donnera le trône de David son père, et il règnera dans la maison de Jacob éternellement, et son règne n’aura pas de fin.  Celui qui trône toujours au ciel avec son Père reçoit maintenant sur la terre le siège de David.  Celui qui règnera toujours pour Lui-même  a, à ce moment, obtenu en partage de régner éternellement pour nous dans la maison de Jacob.   Réjouissons-nous, mes frères, parce que Celui qui a régné pour Lui,  règnera pour nous.  Réjouissons-nous,  parce qu’Il est venu sur la terre pour régner,  pour que nous puissions régner avec Lui dans le ciel.  Écoute l’Apôtre :   Si nous souffrons avec lui, nous règnerons avec lui.  C’est pour nous qu’Il est né, et Il est venu pour nous donner le règne, selon sa promesse :   Venez les bénis de mon père, recevez le royaume qui a été préparé pour vous depuis l’origine du monde.  C’est à vous qu’il l’a dit,  pas à moi seul.  Il est venu pour être toujours avec nous,  pour qu’Il soit toujours sous nos yeux,  Lui qui n’habite maintenant que dans nos cœurs.  Il viendra pour qu’à ceux dont la gloire vient du règne,  la confiance vienne de la familiarité.

 Et son règne n’aura pas de fin.     Réjouis-toi en celui dans l’avènement duquel tu crois,  parce qu’Il a promis un règne sans fin, où les soldats n’ont pas de successeurs, où les dignités sont perpétuelles.  Mais pourquoi n’ambitionnent-ils pas les choses qui demeurent toujours ceux qui convoitent celles qui passent ?  Pourquoi ?   Pourquoi se procurent-ils avec de l’or des honneurs caducs,  et ne veulent-ils  pas recevoir gratuitement les éternels ?  Mes frères, c’est ici que se préparent  les fonctions, que sont répartis les lieux,  que sont désignés les lauréats.   Celui qui, ici,  n’aura pas,  par la foi en l’évangile,  reçu les titres de nomination à un emploi,  n’aura pas là-bas les insignes des dignités éternelles.
 

 Donc,  si la milice nous plaît,  si nous voulons toujours guerroyer, saisissons-nous des armes du Christ, veillons,  soyons sobres,  vainquons le démon, foulons aux pieds les vices,  pour que nous puissions recevoir,  à parité,  les récompenses et les couronnes  de notre Seigneur Jésus-Christ qui règne avec Dieu le Père maintenant et toujours ,  pendant tous les siècles des siècles. Amen.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

145ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Saint Joseph songe à renvoyer Marie)

 Vous allez entendre aujourd’hui,  mes frères,  de quelle façon  le bienheureux évangéliste a rapporté  le sacrement de la génération du Christ.  La génération du Christ était ainsi .  Comme Marie,  sa mère,  était promise à Joseph,  elle se trouva à être enceinte du Saint-Esprit avant qu’ils cohabitent. Joseph, son fiancé, était un homme juste.  Il ne voulut pas la dénoncer, mais il avait l’intention de la renvoyer secrètement.

 Et comment était-il juste celui qui  décida de ne pas discuter avec  sa fiancée de cette conception ?  Il ne s’enquiert pas auprès de la suspecte de la cause de sa honte !  Il ne se porte pas à la défense de la réputation de sa fiancée,  mais poursuit son enquête !   Il voulait la renvoyer en secret.   Cela semble convenir davantage à un   juste,  mais selon un jugement humain,  non divin.  Auprès de Dieu,  il n’y a pas de pitié sans justice,  ni justice sans pitié.  Selon le point de vue céleste,  il n’y a pas d’équité sans bonté,  ni de bonté sans équité.  Les vertus s’écroulent de côté et d’autre,  si elles sont séparées.  L’équité sans la bonté est  de la dureté;  la justice sans la pitié est de la cruauté.  C’est à juste titre qu’on appelle Joseph juste parce qu’il est pieux;  et il est pieux parce qu’il est juste.  En pensant à la piété,  il s’est gardé de la cruauté.  En remettant à plus tard  l’accusation,  il a conservé la justice.  En différant la punition,  il a échappé au crime.  En fuyant la dénonciation,  il s’est éloigné de la condamnation.

 Sa sainte âme  bouillonnait,  transpercée par la nouveauté de la chose.  Sa fiancée était là debout devant lui,  enceinte mais vierge.  Elle était là, grosse d’un rejeton,  sans avoir sacrifié  sa pureté.  Elle se tenait là pleine de sollicitude pour le fœtus,  mais sûre de son intégrité.    Elle se tenait là vêtue d’une robe de maternité,  sans avoir mis à la porte l’honneur de sa virginité.  Devant ces choses,  que pouvait donc faire le fiancé ?  L’accuser de crime ?  Mais il était lui-même témoin de son innocence.   La dénoncer ?  Mais il était lui-même le gardien de la pudeur.  La charger du crime d’adultère ? Mais il était lui-même le garant de  sa virginité.  Que faire devant tout cela ?   Il pensa à la renvoyer,  parce qu’il ne pouvait pas faire connaître à l’extérieur ce qui s’était passé,  ni le garder secret à l’intérieur.   Il pensa à la renvoyer, et ne confia ce projet qu’à Dieu,  car il n’avait rien qu’il puisse dire à l’homme.

 Nous aussi,  mes frères,  à chaque fois que quelque chose nous trouble,  que l’espoir nous abandonne,  que l’apparence d’une chose  nous rend incapables de savoir ce qui en est vraiment,  suspendons le jugement,  renonçons à la vengeance,  interdisons-nous de condamner,  n’en parlons qu’à Dieu.   De  peur d’envoyer  trop légèrement au supplice un innocent,  et de porter contre nous une sentence de condamnation.  C’est le Seigneur qui le dit :  Vous serez jugés de la façon dont vous avez jugé les autres.   Il est certain que si nous nous taisons,  Dieu Lui-même  criera,  l’ange répondra , celui-là même qui a empêché Joseph d’abandonner l’innocence.   Joseph, fils de David,  ne crains pas d’accepter Marie comme ton épouse, car ce qui est né d’elle est du Saint-Esprit.  Elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.

 Joseph, fils de David.    Vous voyez, mes frères qu’une seule personne est appelée du nom de  nom de toute une lignée.  Vous voyez qu’un seul porte le nom de tous ses ancêtres.   Vous voyez,  mes frères,  qu’en Joseph est cité tout l’arbre généalogique davidique.   Joseph,  fils de David.    Né à la vingt-huitième génération,  comment peut-Il être dit fils de David ?  A moins que ce ne soit parce que le mystère de cette succession de père en fils est en train d’être révélé,  parce que la foi dans la promesse trouve son accomplissement,  ou parce que  la conception surnaturelle  témoigne que  la naissance virginale et céleste est déjà inscrite dans la chair.  Joseph,  fils de David.  La promesse de Dieu le Père avait été proférée à David  de cette façon :    Le Seigneur a juré en toute vérité à David, et il ne le décevra pas.  Du fruit de ton ventre,  je placerai quelqu’un sur ton trône.    De ce que cela a été fait,  il se réjouit dans le cantique :  Le Seigneur a dit à mon Seigneur :  assieds-toi à ma droite.   Du fruit de ton ventre,  oui,  du fruit de ton ventre,  en d’autres termes, de l’utérus,  parce que l’Hôte céleste, l’Habitant surnaturel,  descendra dans l’hospice de l’utérus,  en ignorant la claustration du corps.  Il est sorti de l’habitacle du ventre  sans ouvrir les portes de la virginité,  pour que soit accompli ce qui est chanté dans le Cantique des Cantiques :   Elle est un jardin fermé ma sœur, mon épouse.  Un jardin fermé, une fontaine scellée.

 Joseph, fils de David,  n’aie pas peur.   L’ange l’avertit de ne pas avoir peur de prendre les intérêts de sa fiancée.   Et une âme miséricordieuse tremble d’autant plus qu’elle compatit.   Joseph, fils de David,  n’aie pas peur.  De peur que, quand ta conscience t’aura rassuré,  la connaissance du sacrement ne te fasse défaillir.   Joseph, fils de David, n’aie pas peur !   Ce que tu vois est une vertu, non un crime.  Ce n’est pas la chute d’un être humain,  mais une irruption divine.  C’est une récompense, non une punition.  Ceci n’a pas eu lieu  au détriment du corps,  mais pour un agrandissement du ciel. Il ne s’agit pas ici de la dénonciation d’une personne,  mais de ce que le Juge garde secret.  Le répondant remporte ici la palme; il n’a pas à déplorer la peine du supplice.  Ce n’est pas le rapt d’un homme,  mais le trésor de Dieu. C’est la cause de la vie, non de la mort.  Ne crains donc pas,  parce que celle qui a mérité  de donner la vie à la Vie ne mérite pas d’être mise à mort.   Joseph, fils de David,  ne crains pas de prendre Marie pour ton épouse.  Appeler épouse une conjointe,  cela vient de la loi divine.    Comme elle est mère en conservant la virginité,  elle est épouse en conservant la pudeur.

 Joseph, fils de David,  ne crains pas de prendre Marie pour ton épouse, car ce qui est né d’elle est du Saint-Esprit.    Qu’ils viennent et qu’ils écoutent ceux qui demandent : Qui est Celui que Marie a engendré ?    Ce qui est né d’elle est du Saint-Esprit.    Qu’ils viennent,  qu’ils écoutent ceux qui, avec des recours savants au grec, sont parvenus à altérer  la pureté latine . Ils disent en blasphémant  mère de l’homme  (anthropotokos),  mère du Christ  (christotokos) pour rejeter mère de Dieu  (theotokos).   Ce qui est né en elle est du Saint-Esprit.   Et ce qui est né du Saint-Esprit est Esprit,  car  Dieu est Esprit.  Pourquoi demandes-tu :  Qui est né du Saint-Esprit,  puisque Dieu t’a déjà répondu que c’est Dieu ?    Au commencement,  était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu.  Et le Verbe s’est fait chair,  et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire.  Jean a vu sa gloire,  l’infidèle ne voit qu’une indignité.   Ce qui est né en elle est du Saint-Esprit.    Et nous avons vu sa gloire.   La gloire de qui ?   De Celui qui est né du Saint-Esprit,  le Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous.

 Ce qui est né en elle est du Saint-Esprit.   La vierge a conçu,  mais du Saint-Esprit.  La vierge a enfanté mais Celui qu’Isaïe avait prédit :   Voici qu’une vierge recevra dans son sein et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui signifie Dieu avec nous.    Dieu avec nous, eux avec l’homme. Malheur à l’homme qui place son espoir dans l’homme !   Qu’ils écoutent ceux qui demandent :  Qui est né de Marie ?    Tu enfanteras un fils, dit l’ange,  et tu lui donneras le nom de Jésus.   Pourquoi Jésus ?   L’Apôtre le  dit :  Pour qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, de ceux qui sont au ciel, sur la terre et dans les enfers.   Et toi, enquêteur plein de fourberie,  tu demandes : Qui est Jésus ?  Toute langue confesse déjà  que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu le Père.  Et tu demandes encore :  Qui est Jésus ?  Le Fils du Père.

 Et tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus.  Car c’est lui qui sauvera son peuple.  Il ne le sauvera pas d’autre chose.    De quoi le sauvera-t-Il ?   De leurs péchés.  Voilà le Dieu qui pardonne les péchés.  Si tu ne crois pas avec les chrétiens,  crois, du moins, comme un infidèle,  avec les Juifs qui disaient :  Bien que tu sois un homme, tu te fais Dieu.     Qui peut remettre les péchés en dehors de Dieu ?     Ils refusaient de croire qu’Il était Dieu,  eux qui ne croyaient pas qu’Il puisse remettre les péchés.  Toi, tu crois qu’Il peut remettre les péchés,  mais tu n’oses pas confesser qu’Il est Dieu.   Le Verbe s’est fait chair,   pour que la chair de l’homme soit sublimée en la gloire de Dieu, non pour que Dieu se transforme dans l’abjection de la matière, comme le dit l’Apôtre :   Celui qui s’unit à Dieu est un seul esprit avec Lui.  La question qui se pose c’est comment, non quand,  Dieu  s’est uni à  l’homme,  tout en demeurant un seul Dieu ?

 Les lois humaines interdisent les questions litigieuses avant l’âge de trente ans, et le Christ  pendant cinq cents ans s’est prêté à toutes sortes d’accusation sur Sa naissance,  a subi des disputes sur Sa nativité, a supporté des remises en question de Son statut. Hérétique,  cesse de juger ton Juge,  et adore-Le Dieu dans les cieux  Celui que le mage a adoré comme Dieu sur la terre.
 
 
 
 

146ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Le sens mystique de l’évangile du sermon précédent)

Toutes les fois qu’au solstice d’hiver,  se présente le jour de la naissance du Seigneur,  et que l’éclat de l’enfantement virginal brille sur toute la terre d’un feu incandescent,   c’est volontairement que nous nous taisons,  non par crainte.  Quel esprit se targue  d’affronter  la nativité du divin  Roi ?  Le vue humaine est hébétée  quand le soleil darde ses rayons.  Quand Dieu darde les Siens,  comment ne seraient pas blessés en totalité les yeux de nos âmes ?    Après un moment de stupeur,  la nouvelle lumière a rétabli  nos sens.  Alors,  un temps est venu  où,  en regardant la génération du Christ dans la chair,  nous contemplons déjà les mystères de Sa divinité.   La génération du Christ,   dit l’évangéliste, était ainsi.

La génération du Christ était ainsi.    Mes frères,  si nous voulons comprendre ces paroles,  ne donnons pas aux mots leur sens humain ordinaire.  .  Il faut savoir mettre de côté le sens humain,  là où tout est divin.  Le Christ n’est pas né à la manière accoutumée,  mais par miracle.  Il n’est pas l’œuvre de la nature,  mais de la vertu divine;  non  des lois biologiques, mais de la puissance divine;  non de la raison humaine,  car  Il est un prodige céleste.  Qu’est-ce que la science  séculière comprend ici ?  Qu’a à rechercher ici l’intelligence charnelle ?  La génération du Christ,  dit-il, était ainsi.    Il ne dit pas s’est produite ainsi,  a eu lieu ainsi, est arrivée ainsi.  Non, il dit :  était ainsi,   parce que la génération du Christ était   auprès du Père, quand sa mère L’a engendré.   Ce qui était   était toujours.  Ce qui a été fait a été donné en retour.  Il était Dieu,  il s’est rendu homme.    Il nous a reçus au sortir de l’utérus  Celui qui nous avait façonnés avec  du limon.

Comme Marie sa mère était promise à un homme.  Il suffisait de dire : comme Marie était promise à un homme.   Quel sens a pour nous une mère-fiancée ?    Si elle mère,  elle n’est pas fiancée;  si elle est fiancée,  elle n’est pas encore mère.    Comme Marie sa mère était promise à un homme.  Fiancée par la virginité,  mère par la fécondité.  Une mère qui ne connaît pas l’homme,  mais qui a conscience d’enfanter.   Pourquoi n’est-elle pas mère avant de concevoir celle qui est une mère vierge après l’enfantement ?  Ou pourquoi en enfantant le Créateur des siècles,  la mère  n’a-t-elle pas donné le commencement aux êtres ?   La  nature vierge est toujours mère,  et la marâtre est toujours corruption.   Que la vierge régénère par Dieu  ce que la vierge a généré par Dieu,  c’est là une tâche typiquement virginale.   Dieu et l’intégrité de la vierge forment une  association  céleste;  la virginité unie au Christ constitue  le couple de la vertu parfaite.   Qu’une vierge parvienne à concevoir, c’est tout à l’honneur du Saint-Esprit ; la chair n’y est pour rien.   C’est le secret de Dieu, non le fruit de l’union conjugale.    Que le Christ naisse,  cela provient de la Majesté divine,  non de l’imbécillité humaine.   La déité trouve toute sa gloire  là où la chair n’éprouve aucun affront.

Avant qu’ils cohabitent, elle a été trouvée enceinte du Saint-Esprit.   Pourquoi le mystère de l’innocence céleste a-t-il été destiné à une fiancée,  et non à une femme libre de tout engagement ?   Pourquoi le péril de la fiancée  dépend-il de la ferveur du fiancé ?   Pourquoi une telle vertu a-t-elle  passé pour un crime;  le salut,  une condamnation ?  Pourquoi parmi des innocents,  la pudeur doit-elle tant peiner,  la honte être si pesante ?  Pourquoi la chasteté doit-elle s’épuiser,  la confiance être blessée  ?  Pourquoi cette mise en accusation;  d’où vient l’urgence d’en finir; pourquoi est déniée toute possibilité d’expliquer ?  Qui défend la fiancée que le fiancé accuse ?  Quel besoin y a-t-il d’un défenseur étranger quand est présent le témoin interne du fait ?   Qu’allons-nous penser,  mes frères ?    Dans l’évangile, il n’y a pas un point,  pas une syllabe,  pas une parole,  par un nom, pas une personne  qui soient privés d’un sens figuratif divin.  C’est une fiancée que l’on recherche,  pour qu’elle représente déjà  l’Eglise,  la fiancée du Christ,  selon le Prophète Osée :  Je te fiancerai à moi dans la justice et le jugement, dans la miséricorde et les miséricordes,, et je te fiancerai dans la foi    Jean dit pareillement :  Celui qui a la fiancée, c’est lui le fiancé.   Et saint Paul :  Je vous ai fiancés  à un seul homme, pour que vous vous comportiez avec le Christ comme une vierge chaste.   Elle est vraiment fiancée  celle qui, par l’enfantement virginal,  engendre de nouveau une nouvelle enfance du Christ.  Le fiancé Joseph agit comme un pourvoyeur .  Joseph l’administrateur était fiancé,  pour que, dans l’autre  Joseph, il représente la figure de la passion du Christ.  Le don de prophétie de Joseph a provoqué la jalousie;  les visions prophétiques du Christ lui  ont attiré l’envie.  Joseph a été envoyé dans l’étang de la mort;  le Christ en a émergé vivant.  Le Christ est donné au sépulcre de la mort, et Il en retourne vivant.  Joseph a été vendu, le Christ a été estimé à prix d’argent.   Joseph a été transporté en Egypte,  Jésus a fui en Egypte.   Joseph a procuré du pain avec abondance  aux peuples affamés;  le Christ rassasie  avec le Pain du ciel toutes les nations  demeurant sur toute la terre.  Il apparaît donc que ce Joseph-là  a présenté le type du fiancé céleste,  en a porté l’image,  a vécu en figure.

Marie est nommée mère.  Et quand Marie n’est-elle pas mère ?  Il appela le rassemblement des eaux mers. (maria,  en latin)   N’a-t-elle pas, avec un seul utérus,  conçu le peuple qui sortait de l’Égypte ,  pour qu’émerge  une progéniture céleste,  renaît en une nouvelle créature,  selon ce mot de l’Apôtre :   Nos pères ont tous été sous la nuée, et ils ont tous traversé la mer, et en Moïse,  ils ont tous été baptisés dans la nuée et la mer.  Et pour que Marie  ouvre toujours la voie au salut humain,  elle précède de plein droit  le peuple que l’onde génératrice avait rendu à la lumière.   Marie, sœur d’Aaron, prit un tambourin dans ses mains et dit : Chantons le Seigneur, car il a été glorieusement honoré.  Le nom de cette prophétesse est authentique,  il est salutaire aux renais,  honorable à la virginité.  Il est  la gloire de la pudicité,  la vertu de l’hospitalité,  le soutien de la sainteté.   C’est donc avec raison que le nom de la mère du Christ  est un nom maternel.

 Nous avons expliqué pourquoi  la mère est une fiancée,  pourquoi Joseph était un fiancé,  pourquoi le  nom de Marie est un nom maternel,  pour dévoiler  que tout ce qui se rapporte à la naissance du Christ a un sens mystique.

Maintenant  allons chercher des témoignages ailleurs  pour expliquer pourquoi on avait besoin d’une fiancée  pour  l’enfantement du Christ.  Isaïe avait prédit lui aussi qu’une vierge enfanterait le Dieu du ciel, le Roi de la terre,  le Seigneur du globe,  le Réparateur du monde,  le Meurtrier de la  mort,  le Restaurateur de  la vie,   l’Auteur de la perpétuité.   A quel point cela était triste aux mondains,  terrible aux rois,  redoutable aux Juifs,  la naissance elle-même du Seigneur l’a démontré.   Car, dès que la Judée apprit,  par les renseignements des Mages,  que le Christ  était né, et dès qu’Hérode en fut informé,  les Juifs ont décidé de  L’anéantir, Hérode de Le tuer.   Et parce qu’ils craignaient qu’Il prenne leur place, ils se sont efforcés de tuer le Sauveur de tous.  Et finalement,  parce qu’ils n’ont pas pu  reconnaître en Lui le Messie,   ils ont saccagé la patrie,  ont mêlé le sang au lait,  et, avec une fureur parricide,  ils ont ameuté leurs congénères  contre Lui.   Ils ont mis  en pièces les compagnons de l’innocence,  parce qu’ils n’ont pas su trouver  des complices de la faute qu’ils auraient du  punir.

Si,  à sa naissance,  ils ont agi ainsi,  qu’aurait fait au Christ une telle férocité quand Il a été conçu ?   Voilà pourquoi il a été prévu que Joseph serait un fiancé,  qu’il jouerait le rôle d’un mari,  pour que s’éclipse  le miracle,  pour que le signe soit recouvert,  pour que soit voilé l’enfantement virginal,  pour qu’il ne prête pas flanc à une accusation criminelle, et pour déjouer  les enquêtes insidieuses d’un fouineur éventuel.   Le Christ était voué à la mort.  Mais s’Il avait été tué dans l’utérus,  cette mort prématurée  L’aurait enlevé sans qu’Il puisse procurer notre salut.

Ce texte nous a donné aujourd’hui, pour ainsi dire, bien des choses à déguster.  Que suffise,  mes frères, le sacrement du Seigneur !
 
 
 
 

147ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(du  sacrement de  l’Incarnation)

 Qu’est-ce qui a fait, mes frères,  que le Christ notre Seigneur entreprenne  un échange avec notre corps,   entre dans les replis de notre chair,  habite la demeure d’un sein  virginal ?  Pour pouvoir commencer à comprendre  ces choses,  écoutons-les plus pleinement aujourd’hui.   Vous êtes ma vie,  vous êtes mon salut.  Je ne souffrirai donc pas que vous ignoriez ce que Dieu m’a donné de comprendre.   L’évangéliste avait compris ce qu’est Dieu quand il a dit :  Personne n’a jamais vu Dieu.   Il faisait donc connaître le Dieu qu’il avait connu ,  qu’il avait perçu avec ses sens.   Parce qu’elle  ne pouvait pas Le voir,  la créature  éprouvait une dure servitude;  c’est dans la tristesse qu’elle  rendait hommage à une Majesté  invisible.   Tous étaient obsédés par la peur.  La crainte enchaînait tout l’univers.  La terreur écrasait tout le monde.  Au ciel,  la splendeur divine prostrait  les anges.  Sur la terre,  les coups de tonnerre et les éclairs  battaient en brèche  les cœurs des mortels.  C’est ainsi qu’insensiblement,  la crainte  a évacué l’amour du Dominateur.  Elle a fait fuir les anges sur la terre.   Elle a affriolé les hommes vers les idoles.  Elle a rempli le monde de la vanité de l’erreur.  Elle vit à ce que tous fuient leur Créateur et adorent les idoles.  Celui qui est dominé par la peur ne peut pas aimer.  C’est ainsi que le monde a préféré périr plutôt que de craindre,  car la mort elle-même est plus légère que la crainte.

 Quand Caïn commença à être  tourmenté par le remords d’avoir tué son frère,  il demanda la mort.   Il croyait qu’il trouverait le repos en mourant.  Elie lui-même,  quand il se sentit complètement submergé  par la peur, redemandait la mort qu’il avait fuie, estimant qu’il était préférable de succomber à la mort plutôt qu’à la peur.  Et même Pierre,  troublé de crainte par la puissance du Seigneur,  suppliait le Christ de s’éloigner de lui.    Eloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur.  Il disait cela parce que  la pesanteur de la peur  avait éteint ce qu’il y avait d’amour et de confiance.  Si donc la crainte n’est pas tempérée par l’amour,  elle rend récalcitrante  toute servitude pieuse.

 Voyant le monde s’écrouler à cause de la crainte,  Dieu a immédiatement pourvu à le rappeler par l’amour,  à l’inviter à la grâce, à le tenir par la charité,  à se l’attacher par l’affection.  La terre encroutée de vices, Il l’a noyée dans un déluge justicier.  Mais Il appelle Noé pour en faire le père du nouveau monde;  Il s’adresse à lui avec une parole  affable ;  Il lui donne confiance par Sa familiarité;  Il lui parle avec débonnaireté de ce qu’il y a à faire maintenant,  et le console en lui donnant la grâce d’espérer  dans les  biens futurs.  Et non sous les ordres de quelqu’un,  mais dans un travail communautaire, ils enfermèrent ensemble dans l’arche la naissance de tout un monde,  pour que l’amour communautaire  enlève la crainte de la servitude, et pour que l’amour de tous pour tous  sauvegarde   ce que le travail en commun avait sauvé.

 Dieu appelle Abraham du milieu des Gentils;  Il l’agrandit en ajoutant une syllabe à son nom;  Il le fait père de la foi;  Il l’accompagne sur son chemin;  Il le conserve au milieu des étrangers;  Il l’enrichit,  Il l’honore de victoires guerrières;  Il lui donne des promesses en gage;  l’arrache des mains des injustes;  le glorifie par une naissance qu’il n’espérait plus.  Pour que comblé de tant de biens,  alléché par toute la douceur de la charité divine,  il apprenne à aimer Dieu et non à Le craindre,  à L’adorer par amour, non par crainte.

 C’est pour cela également que Dieu console dans un songe Jacob en fuite,  le provoque  au combat quand Il revient,  et  le serre de l’étreinte d’un lutteur,  pour qu’il aime le Père du combat et ne Le craigne pas.

 Voilà pourquoi Dieu appelle Moïse avec une voix paternelle.   Il lui parle avec une charité paternelle,  et l’invite à être le libérateur de son peuple.  Que dire de plus ?  Il le fait, pour ainsi dire, dieu;  Il l’a donné comme le dieu de Pharaon.  Il fait de lui un dieu,  Il le munit de miracles,  Il l’arme de prodiges,  Il triomphe des guerres  par ses ordres.  Il lui accorde de vaincre le soldat par une seule parole.  Il lui concède de triompher par son ordre.    Et  par toutes les couronnes des vertus,  Il le promeut à Son amitié,  lui accorde de participer au royaume céleste,  et a la complaisance de lui permettre d’être lui aussi législateur.   Mais la raison pour laquelle il a tout reçu cela de Dieu,  c’est pour qu’il L’aime.  Et à la fin,  il a été tellement embrasé de l’amour de Dieu  qu’il L’a aimé avec ardeur,   et qu’il a enseigné aux autres à L’aimer ainsi :    Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute  ton âme et de toutes tes forces.  Tout ce qu’ont le cœur,  l’esprit  et les forces humaines  Il a voulu qu’ils soient possédés de l’amour de Dieu, pour que l’affection mondaine de l’homme n’ait rien à violer.

 La flamme de la charité divine  avait donc embrasé les cœurs humains, et toute l’ébriété de l’amour divin  s’était répandue dans les sens humains.   Mais,  comme nous l’avons déjà mentionné,  l’esprit a été blessé, et les hommes ont commencé à vouloir voir Dieu avec des yeux charnels.    Le Dieu que le monde ne peut contenir,  comment la petitesse du regard humain pourrait-elle l’apercevoir?    Le droit de l’amour n’a rien à voir avec  le dû et le possible.  L’amour ignore le jugement,  il n’est pas raisonnable,  et il est démesuré.  L’impossibilité d’une chose ne console pas l’amour;  la difficulté d’une chose  ne guérit pas l’amour.   L’amour fait mourir l’amant s’il ne parvient pas à  ses désirs.   Et c’est pourquoi il va où le vent le pousse,  non là où il doit aller.   L’amour enfante le désir,  son ardeur le fait croître,  et  le fait tendre à ce qui ne lui est pas accordé.  Que dire de plus ?   L’amour ne peut pas ne pas voir ce qu’il aime.   Voilà pourquoi tous les saints  ont estimé peu de chose tout ce qu’ils méritaient,  s’ils ne voyaient pas Dieu.  Et en toute vérité,  mes frères,   comment quelqu’un  rendrait-il hommage pour les biens reçus, s’il ne voyait pas  le Donateur des bienfaits ? Ou comment peut-il croire être aimé par Dieu  s’il ne mérite pas d’en voir le visage ?  Voilà  pourquoi l’amour qui désire voir Dieu  a tout au moins le zèle de la piété,  s’il manque de jugement.  Voilà pourquoi Moïse ose dire :   Si j’ai trouvé grâce à tes yeux,  montre-moi ta face.  De là vient qu’un autre a dit :  Montre ta face.  Et enfin,  les Gentils eux-mêmes ont fabriqué des idoles  pour voir de leurs yeux ce qu’ils adoraient de façon erronée.  Sachant donc que les hommes étaient tourmentés du désir de Le voir,  et qu’ils étaient las de ce qui est mortel,  Dieu  a choisi de Se rendre visible,  ce qui serait une grande chose pour la terre,  et une non moindre pour les cieux.  Car ce qui sur la terre avait été fait par Dieu semblable à  Lui  ne pouvait-il pas être honoré au Ciel ? Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.   La dévotion parfaite doit à l’image ce qu’elle doit au roi.    Si, du haut du ciel, Il avait assumé un ange,  Il n’en serait pas moins demeuré invisible.  S’Il avait, de la terre, assumé  un être inférieur à l’homme,  une injure aurait été commise envers la Divinité,  et l’homme en aurait été abaissé,  non surélevé.  Que personne donc ne croie,  très chers, qu’il est injurieux à Dieu d’être venu vers les hommes par l’homme,  et qu’Il ait assumé l’Un d’entre nous,  pour que nous puissions Le voir,  Lui qui vit et règne, Dieu,   maintenant et par tous les siècles des siècles.  Amen.
 
 
 
 
 
 

148ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(suite du précédent)

 Aujourd’hui,  mes frères,  nous devons revenir au sermon d’hier. Nous devons aujourd’hui revivre  la joie de la nativité du Seigneur.  Quand la vierge conçoit ou  enfante tout en demeurant vierge,  ce n’est pas la coutume qui le veut,  mais le miracle;  non la raison, mais la vertu;  non la nature, mais Son Auteur.  Ce n’est pas un évènement commun,  mais unique;  quelque chose de divin,  non d’humain.  Que le philosophe cesse donc de se pressurer le cerveau : la naissance du  Christ ne s’explique pas par les lois de la nature,  mais par la toute-puissance divine.  Elle est honorable à Dieu, non injurieuse.   Ce n’est pas au détriment de la Déité qu’elle a été le sacrement de la miséricorde.   Elle a été la réparation du salut humain,  mais ne fut jamais  une diminution de la substance divine.  Celui qui, sans naître,  a fait l’homme d’un limon intact, c’est le Même qui, en naissant,  a fait l’ Homme d’un corps intact.   La main qui, avec bonté,  prit du limon pour façonner notre corps,  a pris également la chair avec bonté  pour restaurer notre être.   Que le Créateur soit dans sa créature,  que Dieu se trouve dans la chair,  c’est un honneur qui est rendu à la créature,  sans porter aucun préjudice au Créateur.  Celui qui voit là-dedans un outrage à la divinité, croit donc que le limon est plus précieux que la chair.   Peut-être regrette-t-il que l’outrage apporté par le limon à la divinité  se soit changé  en un ennoblissement de la chair et en une glorification de l’homme !

 Homme,  pourquoi es-tu si vil à tes yeux,  toi qui es si précieux aux yeux de Dieu ?  Puisque tu es si honoré par Dieu, pourquoi t’avilis-tu ainsi ?    Pourquoi cherches-tu d’où tu viens,  au lieu d’essayer de découvrir pourquoi tu as été fait ?   Toute cette maison du monde que tu vois n’a-t-elle pas été faite pour toi ?    C’est pour toi  que la lumière resplendit afin de chasser les ténèbres  qui t’entourent de toute part.  C’est pour toi  que la nuit est plus fraîche.  C’est pour toi que les jours sont mesurés.  C’est pour toi  que le ciel brille de l’éclat du soleil, de la lune et des étoiles.  C’est pour toi que la terre est remplie de fleurs,  de bosquets et de fruits.   C’est pour toi qu’a été crée dans l’air,  dans les champs,  dans  les cours d’eau magnifiques   une multitude admirable d’êtres vivants,  pour que la solitude d’un triste monde ne déteigne pas sur  la joie du nouveau monde.   La raison pour laquelle Dieu  t’a fait à partir de la terre, c’est pour que tu sois le maître des choses terrestres;  et que tu leur sois  apparenté,  en partageant la même substance.  Bien que tu proviennes de la terre,  Il ne t’a quand même pas mis sur un pied d’égalité  avec les choses terrestres, puisque, avec ton âme céleste,  tu es l’égal  des créatures célestes.  Et pour que,  avec Dieu,  tu possèdes  une raison en commun, et que tu aies un corps semblable à celui des animaux,   Dieu t’a donné une âme qui vient du ciel,  et un corps qui provient de la terre.  Pour qu’en toi, une concorde soit nouée entre le Ciel et la terre.

 Se demandant ce qu’Il pouvait bien encore ajouter pour te faire honneur,  ton Créateur à inventer ceci :  Il a incrusté en toi Son image,  pour que le  Créateur invisible soit rendu présent  sur la terre par Son image visible.  Et Il t’a donné à toi Son pouvoir sur les choses terrestres,  pour que le vicaire du Seigneur ne soit pas frustré de la possession du monde dans toute son étendue.   Et s’il en est bien ainsi,  pourquoi penses-tu que Dieu subit une avanie quand Il tire avec clémence de Lui-même  ce qu’Il fait en toi par Lui-même;  et quand Il a voulu, en toute vérité, être vu dans l’homme, dans lequel Il avait voulu auparavant qu’on voit Son image ?  A celui qui avait autrefois reçu d’être la similitude divine,  Dieu lui donne d’être lui-même Celui que représente l’image.  La vierge a conçu,  la vierge a enfanté.   Que cette conception ne te bouleverse  pas;  que cette naissance ne te déboussole pas, puisque la pudeur virginale rachète  tout ce qu’il y a d’humain.   Où se trouve la lésion de la pudeur,  là où la Déité s’est associé  l’intégrité qui lui est toujours amie;   là où l’entremetteur est un ange;  où le chaperon  est la fidélité,  où le mariage est la chasteté,  où l’engagement réciproque est la vertu,  où le juge est la conscience,  ou la cause est celle de Dieu,  où la conception se fait dans le respect de l’intégrité, l’enfantement dans la virginité,  où la mère est en même temps vierge ?

 Que personne donc ne juge  à l’humaine ce qui s’accomplit par un sacrement divin !  Que personne ne discute un mystère céleste avec sa raison raisonnante !  Que personne ne cherche des exemples anciens pour rendre compte de la nouveauté du secret divin !  Que personne ne juge l’exception par la règle générale !   Que personne ne tourne la miséricorde divine en affront à la nature divine !   Que le salut n’entraîne la perte de personne !  Il est certain  que celui qui désire connaître en profondeur  recourt à la loi.  C’est par la loi qu’il acquiert la science juridique.  C’est l’autorité ou la crédibilité d’un auteur qui fera qu’on admet un fait rapporté par cet auteur.  Or c’est est la loi qui rapporte  que Dieu a créé l’homme  à une vie qui lui est propre;  que c’est pour l’homme qu’Il a ordonné à la terre  de produire des fruits dans une servitude volontaire.  Que les bêtes sauvages et les animaux domestiques  Il a voulu les soumettre au pouvoir de l’homme,  non à son industrie,  pour qu’en ignorant le travail pénible,  et ne connaissant pas la souffrance,  il possède dans une joie paradisiaque,   tout ce qu’il y a de délicieux.

 Mais pour que  l’homme n’aie pas toute ces choses,  l’ange, qui était parmi les tout premiers,  éprouva de l’envie,  et préféra dégénérer  en démon  plutôt que de voir l’homme dans tout l’éclat de sa gloire.   Enflammé de jalousie,  il assaille ensuite la femme avec les armes de la ruse,  et incite la vierge à déguster le fruit défendu.   La vierge tentée tente la vierge et bientôt son mari,  et elle rejette le statut  de la vie  en administrant la nourriture de la mort,  l’aliment du péché.   Et elle fut la cause de la ruine du genre humain celle qui avait été faite,  d’une façon toute particulière,   pour en être sa consolation.  C’est de là que vient le premier péché,  l’origine de la mort,  le travail à la sueur de son front,  la douleur,  les gémissements.    C’est à partir d’ici que s’est propagée l’amère condition de notre servitude.  Car l’homme qui auparavant était le seigneur de l’univers,  a été dégradé  à n’être plus que le serviteur de tous.  Et il a peur de tous celui qui était  craint par tous.   Et c’est à peine  si, avec toute son industrie,  il arrive à   faire ce qu’il avait  le pouvoir de faire sans effort.

 Voilà pourquoi,  mes frères, le mode de naissance du Christ est tel.  Le diable était venu à une vierge;  l’ange vient à Marie,  pour que ce que le mauvais ange avait abattu,  le bon ange le relève.   Le mauvais ange a persuadé  Ève  d’être infidèle à son Dieu;  le bon ange encouragea Marie à croire en Lui.  Ève crut au tentateur,  Marie  à son Auteur.    Le Christ naît  pour régénérer, en naissant,   la nature corrompue.  Il a accueilli l’enfance,  Il s’est soumis à la nécessité de manger,  Il a vieilli d’un an à chaque année,  pour  pouvoir instaurer l’âge parfait permanent,  que Lui-même avait fait.  Il porte l’homme pour que l’homme ne puisse pas tomber.  Il rend céleste celui qu’Il avait créé terrestre.    Celui  qui était animé par un esprit humain,  Il le vivifie dans  un esprit divin.  Et Il  le projette ainsi au complet  en Dieu,  pour qu’il ne reste rien en lui qui ait trait au péché, à la douleur et à la terre.  C’est notre Seigneur Jésus-Christ qui accorde tout cela,  Lui qui vit et règne avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit,  Dieu maintenant et toujours,  et pendant les siècles immortels des siècles.  Amen.
 
 
 
 

149ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la paix)

 A l’avènement du Seigneur et de  notre Sauveur,  et en la présence de Son corps,  les anges, qui conduisaient des chœurs célestes, évangélisaient  les bergers en leur disant :   Je vous annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple.    Empruntant la voix de ces saints anges, nous vous annonçons  donc, à notre tour,  une grande joie.   Car aujourd’hui, l’église est en paix,  et les hérétiques en furie.   Aujourd’hui, le navire de l’église est au port,  et la rage des hérétiques a sombré dans les flots.  Aujourd’hui,  mes frères,  les pasteurs de l’église sont en sécurité,  et les hérétiques sont en pleine turbulence.    Aujourd’hui les brebis du Seigneur sont sous bonne garde,  et les loups en perdent la tête.  Aujourd’hui la vigne du Seigneur est abondante,  et les ouvriers d’iniquité sont dans l’indigence.  Aujourd’hui,  mes très chers,  le peuple du Christ  est exalté,  et les ennemis de la vérité sont bafoués.  Aujourd’hui,  mes très chers,  le Christ est dans la joie,  et le démon broie du noir.  Les anges exultent aujourd’hui,  et les diables sont en branle-bas de combat.    Et que dire de plus ?   Le Christ,  qui est le roi de la paix,  allant de l’avant avec l’étendard sa paix,  a mis en fuite la division ,  a repoussé la dissension,  a épouvanté la discorde;  et comme le fait le soleil dans le ciel avec son flux lumineux,  Il a illuminé l’église du scintillement de Sa paix.

Parce que vous est né aujourd’hui, le sauveur du monde.  O comme il est désirable le nom de la paix,  qui est le fondement stable de la religion chrétienne,  et l’ornement céleste de l’autel du Seigneur !  Que pouvons-nous proposer qui soit digne de la paix ?  La paix est le nom du Christ Lui-même, comme le dit l’Apôtre :  Parce que le Christ est notre paix qui a fait de l’une et l’autre une seule chose.   Ce n’était pas la foi ou des opinions différentes qui les séparaient,  mais l’envie du démon.   Pour la venue de l’empereur,  toutes les places publiques sont astiquées,   toute la cité est pavoisée  de fleurs multicolores et de drapeaux,  pour qu’il n’y ait rien qui blesse  le regard de l’empereur.    Il en est de même pour nous.  A l’arrivée du Christ,  Roi de la paix,  que tout ce qui est triste soit banni  de notre vue.    Et quand la Vérité darde tous Ses rayons,  que le mensonge s’enfuie,  que la discorde prenne le mors aux dents ,  que resplendisse la concorde !

 Il arrive souvent,  comme nous le constatons, que  là où sont exposés les tableaux des empereurs ou de leurs frères,  pour donner des indices de l’harmonie qui règne entre eux,  le peintre  représente  la Concorde en habit féminin au dos des cadres de chacun. En les embrassant de ses bras l’un et l’autre,  elle indique  que ceux qui semblent séparés de corps  communient dans les mêmes visées et la même volonté.   De la même façon,  que la paix du Seigneur qui est au milieu de nous,  et qui,  par les palpitations de son cœur,  maintient chacun de nous en lien avec les autres,  nous enseigne  à unir  en une seule âme des corps séparés,  en nous épaulant les uns les autres.  Alors s’accomplira le discours prophétique :  Et ils s’entendront tous les deux pour faire la paix.

Hier, notre père commun  a prêché   sur la paix évangélique.  A notre tour, aujourd’hui, nous apportons notre contribution à la paix.  Il nous a entretenus de la paix,  nous qui lui sommes étrangers,  en nous tendant les mains à la façon d’un suppliant.  Et nous aujourd’hui,  c’est avec un cœur dilaté par la charité,  et les bras ouverts,  que nous irons à sa rencontre avec des présents de paix.   Les guerres ont été détruites.  La  beauté de la paix l’a emporté sur tout.   Le démon est maintenant dans l’affliction, et toute la tourbe des démons est aux abois.   Le ciel est dans la joie,  les anges exultent, eux  à qui, d’une façon toute spéciale,  la paix est familière. L’ont en admiration les vertus célestes elles-mêmes,   auprès desquelles se  trouve sa source éternelle.   Les terriens aussi  sont arrosés des gouttes qu’elle distille.  Et c’est pourquoi même si sur cette terre la paix est louée par les saints,  sa splendeur obtient son point culminant   dans le ciel.  Les anges du ciel la louent en disant :   Gloire à Dieu au plus haut des cieux,  et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.   Vous savez par l’expérience, mes frères,  que les  hommes terrestres aussi bien que les célestes  s’envoient mutuellement des gages de paix.  Les anges du ciel annoncent la paix à la terre,  les saints sur la terre louangent  le Christ  notre Paix, qui trône dans le ciel,  et chantent dans des chœurs mystiques :  Hosanna dans les hauteurs.

Disons donc, nous aussi,  avec les anges :  Gloire à Dieu au plus haut des cieux,  Lui   qui a rabaissé le démon et exalté son Christ.  Gloire à Dieu au plus haut des dieux,  qui a mis en fuite la discorde,  et a stabilisé la paix.   Entendez, mes frères, le chant d’exaltation de l’ange :   Gloire à Dieu au plus haut des cieux,  et paix sur la terre

 Je vous parle, pour finir,  de l’adresse du démon dont vous n’ignorez pas,  vous non plus, les astuces.   Satan a vu la solidité et la stabilité  de la foi de l’église;   il l’a vue munie  de la piété des dogmes;  il a vu qu’elle fructifiait abondamment en bonnes œuvres.   Toutes ces choses l’ont conduit à l’insanité.  La fureur de la rage le consume du désir de briser l’harmonie,  d’extirper la charité,  de rompre la paix.  Mais que la paix soit toujours avec nous !
 
 
 
 

150ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la fuite en Egypte)

 Si un sermon ne parvient pas à faire comprendre  la conception virginale et l’accouchement virginal, et si la raison se sent dépassée,  que dire d’un Dieu qui fuit devant  un homme ?   Un ange du Seigneur est apparu en songe à Joseph et lui dit :  Prends l’enfant et sa mère, et sauve-toi en Égypte.    Nous avons déjà dit que c’est  la miséricorde qui légitime la naissance du Christ.  Mais nous lisons  aujourd’hui  que le Christ a fui.   Quelle explication en donnerons-nous ?  Nous avons dit qu’Il était né pour réparer la nature humaine.  Nous pouvons peut-être dire qu’Il a fui pour rappeler les fuyards !   Et, en toute vérité,  s’Il erre sur les montagnes pour rappeler la brebis errante,  pourquoi ne fuirait-Il pas pour ramener les peuples en fuite ?

 Prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.    Pourquoi une action céleste est-elle présentée de façon à  déconcerter le sens commun,  à rebuter l’esprit,  à grever l’intelligence,  à hébéter l’oreille  ?   De façon à faire osciller la foi,  vaciller l’espérance,  et à faire s’écrouler la croyance elle-même ?    Prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.   Quand David  a été poursuivi par Saül,  il s’est enfui en Judée,  et a été  accueilli par les gens du  voisinage.  La maison d’une seule veuve a suffi à Elie pour qu’il s’y réfugie.   Mais quand le Christ fuit,  Il n’a pas de lieu où aller,  la province lui fait défaut, la patrie ne se porte pas à son secours.  Quand Il émigre,  les gens du voisinage,  les régions limitrophes  n’ont rien à Lui offrir.  Mais c’est le triste lieu de l’Égypte qui lui procure assistance,  un pays  de langue et de coutumes étrangères,  de mœurs barbares.

 Prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.   Si le Refuge des êtres fuit,   si le Secours de tous se cache,  si la Force de tous ressent la crainte,  si le Défenseur de tous est sans défense,    pourquoi la désertion est-elle marquée d’infamie,  l’hésitation  blâmée,  la peur flétrie ?  Pourquoi considère-t-on comme criminels le reniement de Pierre,  la crainte et la fuite de Jean, ainsi que la désertion de ses disciples,  que la peur avait inspirée  ?  Toutes ces choses, mes frères,  admettons qu’elles ont eu lieu.   Mais pourquoi les confier à l’écriture,  pourquoi sont-elles rapportées dans des livres,  pourquoi sont-elles racontées  par les siècles,  pourquoi des lectures quotidiennes nous les font-elles connaître ?     La lecture d’actes vertueux  invite les âmes à l’héroïsme;  de la même façon,  le récit des faiblesses humaines déprime les âmes.  Quelle est donc l’intention de l’évangéliste qui  relate ces choses pour mémoire perpétuelle ?    C’est le devoir d’un soldat dévoué de taire la fugue  de son empereur,  d’insister sur sa constance,  de mettre en lumière ses vertus,  de cacher ses peurs,  de faire connaître ses points forts,  de passer sous silence ses points faibles,  d’ignorer ses défaites,  et de trompeter ses victoires,  afin de pouvoir briser l’audace des ennemis,  et d’enflammer le courage de ses compagnons.  L’évangéliste donc,  en rapportant de telles choses,  semble encourager l’aboiement des hérétiques, et soutirer toute défense aux fidèles.  Prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.    C’est la fuite qui est commandée,  non le départ.   Cette fuite n’est pas entreprise de plein gré,  mais est imposée comme une nécessité.   L’ange conseille un voyage clandestin,  non une migration  au su et au vu de tous.   Pour que la route, qui est par elle-même  éprouvante,  le devienne davantage par la crainte.    Il est donc temps que nous nous enquérions des raisons pour lesquelles ces choses ont été décrites.

 Prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.   La fuite d’un brave guerrier n’est pas inspirée par la crainte,  mais par la tactique.    Quand Dieu fuit l’homme,  ce n’est pas l’œuvre de la peur,  mais d’un sacrement.  Il est  toujours le Tout-Puissant,  quand Il se soumet à un  vermisseau.  Il ne redoute pas son poursuivant,  mais Il veut l’amener à l’extérieur.   Car il veut vaincre au grand jour  Celui qui désire remporter sur l’ennemi une victoire publique.   Il ne supporte pas d’engager un conflit occulte  Celui qui veut communiquer Son triomphe à tous les siècles.   Une victoire secrète,  un acte de bravoure  occulte ne laissent aucun exemple à la postérité.  Le Christ fuit donc pour céder au temps, non à Hérode.   Car Il ne fuit pas la mort,  Lui qui était venu pour remporter  la victoire sur l’ennemi.  Il ne redoute pas non plus les embûches humaines, Lui qui venait percer à jour toues les astuces de la fraude  diabolique.   Il n’a pas craint, alors, quand Il était enfant.  En  tant qu’homme, Il ne pouvait pas craindre,  et en tant que Dieu,  Il ne le pouvait pas non plus.  Mes frères,  si le Christ avait été immolé au milieu de ce troupeau de nourrissons,  sa mort n’aurait pas été volontaire;  elle lui serait arrivée par hasard.    Elle n’aurait pas été commandée par le courage,  mais par la faiblesse.  Elle n’aurait pas manifesté la toute-puissance de Dieu,  mais la  fatalité.  L’innocence aurait remporté le prix,  mais la Majesté divine n’aurait pas  pu en tirer aucune gloire.  Alors, pourquoi Dieu aurait-il dit : Tu ne feras pas cuire l’agneau dans le lait de sa mère ?

 Il arrivera qu’Hérode recherchera l’enfant.    Hérode cherchait,  mais c’était le démon qui cherchait en Hérode,  parce qu’il voyait s’éloigner de lui les mages  qui étaient  les plus excellents parmi ceux qui adhéraient à ses erreurs.   Si le Christ prisonnier de Ses langes,  occupé à plein temps à sucer le sein de Sa mère,  ne sachant pas encore parler,  incapable d’agir,  avait transformé les mages  en chefs très fidèles de Ses troupes,  que pourra-t-Il faire à l’âge adulte ?  Le démon se le demandait déjà.   En conséquence,  Il ameutait  les Juifs,   s’acharnait sur Hérode,  pour qu’il se porte au devant de l’enfance suspecte  du Christ, pour qu’il s’empare d’avance  de son Pouvoir futur dont il voyait les marques, et  pour qu’en stratège rusé,  il élimine l’étendard de la croix,  victorieux au suprême degré  pour nous,  mais létal  pour lui .   Le démon pressentait que le Christ, avec sa doctrine et ses miracles,  réparerait bientôt la vie, et s’emparerait de tout l’univers, Lui qui, encore vagissant, avait conquis des rois,  selon ce mot du Prophète :  Avant que l’enfant puisse appeler son père ou sa mère, il recevra le pouvoir de Damase et les dépouilles de Samarie.  Les Juifs eux-mêmes en donnèrent la preuve en disant :   Vous voyez que nous n’avançons à rien, et que tout le monde court après lui.    Par la loi et les prophètes,  Dieu avait promis que le Christ viendrait dans la chair,  qu’Il croîtrait au fur et à mesure qu’Il avancerait en âge,  qu’Il annoncerait la gloire du royaume céleste,  qu’Il prêcherait la doctrine de la foi,  et qu’Il mettrait en fuite les démons par le seul empire de sa parole.  Il donnerait la vue aux aveugles, la course aux boiteux,  la parole aux muets,  l’ouïe aux sourds,  le pardon aux pécheurs,   la vie aux morts.   Puisque toutes ces choses le Christ avait à les accomplir à l’âge adulte,  l’enfant n’a pas fui la mort,  mais l’a remise à plus tard.      Et enfin,  c’est l’évangéliste qui affirme que Sa fugue  ne provenait pas de la  crainte du danger,  mais du mystère de la prophétie :   Pour que soit accompli ce que le Seigneur a dit par son prophète : J’ai appelé mon fils de l’Égypte.

 Le Christ a donc fui pour  maintenir la vérité  de la loi,  la foi dans la prophétie,  le témoignage du psalmiste, au dire de Dieu Lui-même :  Il était nécessaire que s’accomplisse tout ce qui avait tété écrit de  moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes.    Le Christ fuit non pour Lui, mais pour nous.  Le Christ fuit pour préserver les temps de la dispensation  des sacrements.  Le Christ fuit  pour subvenir aux vertus futures,   pour enlever toute excuse aux perfides,  et pour accorder largement aux futurs croyants  la confiance de la foi.    Car, dans une persécution,  il est préférable de fuir plutôt que d’apostasier.   Enfin,  Pierre a renié pour avoir refusé de fuir;  et Jean a fui pour ne pas renier.
 
 
 
 

151ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la fuite en Egypte)

 La lecture d’aujourd’hui perturbe le cœur,  ébranle les viscères,  stupéfait l’ouïe.    Voici que l’ange du Seigneur est apparu à Joseph en songe et lui a dit : Lève-toi,  prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.  Celui à la naissance duquel  la virginité ne s’est pas opposé,  la raison n’a pas fait d’objection,  la nature n’a pas créé de difficultés,  quelle puissance, quelle force, quelle crise a prévalu pour le contraindre à la fuite?    Prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte.    Il dirait avec plus de respect :  Va  en Égypte.   Ce serait ainsi un départ, non une fuite;  une décision volontaire,  non une démarche imposée;  une résolution,  non une escapade;  quelque chose d’humain du moins, à défaut d’être divin.   Mais maintenant,  la fuite est commandée;  l’ordre vient du Ciel et  est apporté par un ange,  comme si le Ciel avait paniqué avant la terre.   Prends l’enfant et sa mère,  et fuis en Égypte.    Fuis en Égypte  loin des tiens et chez des étrangers.  Éloigne-toi des saints pour te diriger vers les sacrilèges.  Quitte le temple pour aller vers les lieux consacrés  aux démons.  Va du pays des saints  vers la patrie des idoles.   Ainsi,  le territoire de la Judée n’est pas assez étendu,  la terre sainte est trop étroite pour le posséder,  le Saint des Saints du temple ne peut le contenir.   La foule obscure des prêtres ne le reçoit pas,  le nombre investigable de ses parents ne le cache pas.  Aucun de ceux-là n’empêche Dieu  d’être conduit dans un refuge  égyptien profane.

 La chose est si urgente qu’on a pas le temps  de tenir compte de la réserve de la vierge,  de la fatigue de la mère,  de la pudeur du sexe,  de l’itinéraire à tracer par Joseph,  de l’épuisement causé par une longue marche,  de l’éloignement de toute maison habitable.   Et, ce qui était le plus pénible de tout,  l’obligation pour des Juifs d’avoir à voyager parmi des Gentils,  avec lesquels ils n’avaient rien en commun,  et qui avaient fait le naufrage de la transgression de  la loi.    Comme il est difficile de pérégriner entre citoyens  et même entre frères !  Chacun  découvre ce que vaut pour lui sa maison quand il fait l’expérience d’une autre.  Et où est-il écrit :  Seigneur, tu es devenu notre refuge.  Et : Le Seigneur est notre refuge et notre force.   Si le Refuge fuit,  si la Force tremble,  si le Secours émigre,  où trouver la vie, l’espoir, la sécurité,  le rempart ?  Une seule veuve a suffi à Elie  contre les intrigues  d’un roi qui jouissait de toute sa liberté d’action.   Contre les menaces du roi fantoche Hérode,  toute la Judée n’a pas suffi au Christ.  Elie a consumé par le feu ceux qui lui avaient été envoyés.  Le Christ n’a demandé son salut qu’à la fuite.  Arrêtons là les objections que,  non sans quelque exagération,  nous avons faites  à la fuite du Christ.

 La fugue du Christ  est un mystère,  non une  dérobade.  Un acte de libération de la part du Créateur,  non un danger auquel Il aurait été exposé.  Elle est l’œuvre de la vertu divine,  non de la faiblesse humaine. Il ne fuit pas par peur de l’auteur de la mort,  mais pour procurer la vie au monde.   Car Celui qui était venu pour être mis à mort,  pourquoi fuirait-Il la mort ?   S’Il avait permis qu’on Le tue dans son enfance, le Christ aurait tué toute l’économie  de notre salut.   Le Christ était venu pour enseigner les commandements divins,  pour corroborer son enseignement par des exemples,  et pour faire Lui-même ce qu’Il  avait commandé aux autres de faire.  Et pour prouver qu’il était possible de voir ce qui semblait impossible à entendre.    Il était venu pour implanter  dans le monde la connaissance de Sa divinité,  et éradiquer  l’ignorance du genre humain.  Il était venu pour inciter à la foi,  par des miracles,  les cœurs indolents des mortels.   Il était venu pour l’emporter sur le démon dans un  conflit public;  pour être vaincu par tous,  selon le commandement qu’Il avait reçu;  et pour donner au genre un humain un exemple suprême.   Il venait accomplir les promesses de Sa présence sur terre,  pour permettre de Le voir à ceux à qui Il avait donné de connaître d’avance Sa venue.  Il était venu pour que les Juifs viennent à Lui,  en reconnaissant les déficiences et les imperfections de la loi.  Il était venu pour ouvrir aux Gentils les portes de la foi.   Il était venu pour choisir des apôtres,  des docteurs de l’univers,  pour les remplir des doctrines célestes, les munir de vertus,  les armer du don des miracles.   Afin  qu’avec des prodiges,  ils domptent les bêtes féroces,   guérissent les malades,  et enseignent les doctrines célestes  à ceux qui s’y prêteraient.   Et enfin,  Il était venu pour assassiner la mort en mourant,  pour dissoudre les enfers  en y pénétrant,  pour ensemencer de nouveau les sépulcres en ressuscitant,  pour donner aux terriens les choses célestes en montant aux cieux.    Toutes ces choses, évidemment,   auraient été perdues pour nous, si le Christ n’avait pas fui quand Il portait encore la couche.

 Mais toi qui m’entends,  tu diras :  Alors qu’Il aurait pu faire autrement, pourquoi s’est-Il soumis à de si nombreuses et de si grandes vexations ?    Pourquoi ?   Premièrement,  parce qu’Il ne pouvait pas, sans l’homme,  sauver l’homme;  et les injustices humaines ne pouvaient pas être amputées sans injustice humaine.   Il a fait sienne la cause d’autrui, dont Il a voulu prendre soin.  Celui qui ne compatit pas ne peut pas amputer les passions.   Le Christ nous a pris en Lui pour  Se donner à nous.  Il a souffert nos passions  pour les désamorcer.   Le Christ a donc fui pour  réguler  nos fuites dans les persécutions.  Quand il est écroué, le martyr doit agir avec constance.  Mais s il  n’a pas été arrêté,  il doit fuir son poursuivant,  pour accorder  au persécuteur le temps de venir à résipiscence,  et ne pas s’enlever  à lui le temps de la supplication. C’est le Seigneur Lui-même qui le dit :   Si vous êtes persécutés dans une ville,  fuyez dans une autre.   Celui qui provoque le persécuteur le pousse à persécuter;  celui qui fuit,  l’incite à s’amender..  Nous devons donc fuir.  Nous ne devons pas provoquer qui que ce soit,  si nous est cher le salut de nos persécuteurs,  pour lesquels il nous est commandé de prier.   Priez pour vos persécuteurs.    Il faut prier,  il faut fuir,  pour que soit guéri aussi celui qui se déchaîne contre nous  par ignorance.  Et celui qui est torturé, que ce soit la patience qui lui procure la palme;  que ce ne soit pas la témérité qui le soumette à une épreuve.   Mes frères,  si les martyrs n’avaient pas fui  Saul,  ils n’auraient pas fait de Saul un Paul et un martyr.   Le Christ nous a enseigné d’agir ainsi;  voilà l’exemple qu’Il nous a donné.   Pour que,  quand son Maître a fui,  le serviteur ne juge pas indigne de fuir.

 Il y a une autre raison pour laquelle  le Christ a fui.  L’Enfant ne devait pas  anticiper  le temps de la passion,  puisqu’Il ne devait monter sur la croix qu’après l’âge de trente ans.  Pour que Celui qui avait fait l’homme parfait pour la vie,  le répare pour une vie parfaite.  Et qu’Il le rende au ciel  tel qu’Il l’avait créé sur la terre.

 Et Sa fuite en Égypte dépend d’une autre cause.   Il a fui en Égypte  pour châtier la perfidie des Juifs par la foi des Gentils.   Car l’Égypte a reçu avec respect  Son Seigneur, que la Judée avait mis en fuite,  comme l’église a accueilli  Celui que la Synagogue a persécuté.  Sa fugue révélait en figure  que les Gentils  seraient placés avant  les Juifs dans la foi.
 
 
 
 

152ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le massacre des saints innocents)

  Jusqu’où peut aller la jalousie,  à quels excès peut se porter l’envie, à quels déportements la rancœur peut entraîner,  la férocité barbare d’Hérode nous le révèle aujourd’hui.  En se faisant l’émule de ce qu’il y a de plus mesquin dans les royaumes humains, il  s’efforce d’anéantir  le Roi éternel à sa naissance.  L’évangéliste le rapporte ainsi :  Alors, Hérode voyant qu’il avait été trompé par les mages, entra dans une grande colère.  Et il envoya des soldats pour qu’ils tuent tous les enfants qui étaient à Jérusalem et dans les environs.

 Voyant qu’il avait été trompé par les mages.  L’impiété se désole d’avoir été percée à jour,  la cruauté rage d’avoir été ajournée,  la ruse d’avoir été éventée,  et la fraude,  renvoyée à elle-même,  se mord la queue.  Hérode grince des dents,  voyant qu’il est tombé lui-même dans le piège qu’il avait tendu.  Il dégaine l’iniquité qu’il avait mise au fourreau.  Sur la foi de la perfidie,  il prend les armes.  Il cherche avec une fureur toute terrestre Celui à la naissance céleste duquel il ne croit pas.   Il dresse un camp militaire en face des seins des mères;  il attaque la forteresse de la piété défendue par les mamelles des femmes;  il enfonce avec l’épée les tendres tétons,  répandant le lait avant le sang.  Il fait connaître la mort avant la vie. Il fait descendre les ténèbres sur ceux  qui s’ouvrent à la lumière.

C’est ainsi qu’a parlé le maître du mal,  le pourvoyeur  de la ruse,  l’artisan de la colère, l’inventeur du crime,   l’auteur de l’impiété,  le prédateur de la piété,  l’ennemi de l’innocence,  l’adversaire de la nature,  celui qui est mauvais pour tous et est encore pire pour les siens.  Mais pour lui-même il est ce qu’il y a de pire.   Le Christ l’a fui non pour s’en affranchir,  mais pour ne pas le voir.  Tendant vers les hauteurs,  Hérode  tombe de haut.  Battant les murs du ciel avec le bélier,  il s’enfonce  dans l’abyme.  Il avance vers lui-même celui qui avance vers Dieu.  Mais il se tue celui qui met tout son effort à tuer la vie,  parce que le salut ne peut pas être conquis par la perdition,  la vie par le meurtre,  l’éternité par ce qui finit.  O que l’ambition est toujours aveugle !  O que la présomption est toujours ce qu’il y a de pire !  Celui qui s’empare de ce qui ne lui a pas été accordé,  comme il perd même ce qui lui avait  été concédé !   En assiégeant un royaume terrestre,  Hérode s’en prend au royaume céleste.  Aspirant aux choses terrestres,  il se rue sur les divines, et c’est avec une totale impiété qu’il poursuit toute la piété.

 Ayant  entendu dire qu’un roi était né, il chercha à savoir à quel endroit,  à quel moment,  depuis combien de temps, et dans quel but.    Il n’a pas poursuivi son enquête de la façon dont il l’aurait du,  parce qu’il baignait dans l’amour du péché, et qu’il n’avait pas où loger l’amour de l’innocence.  Fixé dans la forfaiture,   prompt au sacrilège,  prêt à commettre le crime, il ne cherche pas des raisons pour épargner l’innocence.    Il abroge le droit,  confond ce qui est permis avec ce qui ne l’est pas.    Il a la méchanceté pour associée,  elle à qui l’équité est odieuse,  et l’iniquité toujours amie.   Elle qui vit d’assassinats,  vampirise ses victimes en buvant leur  sang,  coupe la gorge de la croyance,  se maintient au pouvoir par la terreur, et ne sait que faire  de l’amour.   Dans son aveuglement,  Hérode cherche le Christ avec des glaives,  il s’enquiert de Lui en faisant couler le sang,  il enquête  avec la cruauté,  et redoutant un successeur,  il cherche noise  à son Auteur.  Voulant anéantir l’innocence,  il extermine des innocents.   Guide du peuple,  gardien des mœurs,  censeur de la discipline,  le chercheur de la justice,  le défenseur de l’équité,  le conservateur de l’innocence,  le bienfaiteur du peuple, lui qui est tout cela  a condamné à mort des innocents pour le crime d’un innocent,  a transformé en punition l’office des devins.   Le lever de soleil de l’Auteur il le tourne en la mort des gens du soleil levant.   La démarche de Celui qui sauve ceux qui doivent être sauvés il en fait un motif d’accusation.

 Le juge convoque les témoins,  questionne ceux qui font des dépositions,   interpelle ceux qui nient,  menace les coupables,   secoue ceux qui sont nuisibles.    Il emprisonne ceux qui ont été convaincus de crime,  et  il leur adjoint leurs complices.  Il condamne ceux qui ont été pris sur le fait.    Mais les  bambins,  qu’ont-ils à voir là-dedans ?  Leur langue se tait, leurs yeux n’ont rien vu,  leurs oreilles n’ont rien entendu,  leur mains n’ont rien fait.  De quoi peut bien être coupable celui qui n’est capable d’aucune action ?  Ils ont reçu la mort ceux qui ne connaissaient pas encore la vie.  Le temps n’a pas plaidé en leur faveur, leur âge ne les a pas excusés,  leur silence ne les a pas protégés : leur seul crime aux yeux d’Hérode était d’être nés.  Et en toute vérité,  comment ne créditeraient-ils pas la nature  d’avoir été punis à la place de leur Auteur ?   Malheureux homme qui a tout préparé pour sa propre mise en accusation,  qui n’a rien laissé qui puisse l’excuser, mais qui a tout comploté pour sa propre punition  !  Qui l’excusera ?  Quelle innocence ne le poursuivra pas ?  Quelle enfance ne le dénoncera  pas,  lui que le lait accuse comme le sang.  Voilà  ce qu’on peut dire contre Hérode.

 Mais le Christ qui connaissant d’avance l’avenir,  qui pénétrait tous les secrets,  qui était le Juge des pensées,  le Scrutateur des esprits,  pourquoi a-t-Il abandonné à leur sort ceux qu’Il savait que l’on recherchait à  cause de Lui, sachant très bien  qu’ils seraient tués  pour Lui ?  A sa naissance, pourquoi un roi,  Le Roi céleste,  néglige-t-Il les soldats de son innocence;   pourquoi méprise-t-il une armée du même âge que Lui ?  Pourquoi-t-Il  renvoie-t-il les sentinelles qui veillent sur les berceaux, pour que l’ennemi qui ne cherchait que le Roi  extermine tous les soldats ?

 Mes frères,  le Christ n’a pas dédaigné ses propres soldats, mais Il les a envoyés en première ligne,  ceux à qui Il a donné de triompher avant de vivre,  et de remporter la victoire avant de combattre;  ceux à qui Il a donné des couronnes avant de leur donner des membres.  Il a voulu qu’en eux les vertus fassent leur apparition avant les vices.  Ils ont possédé le ciel avant la terre,  et ils se sont introduits dans les choses divines avant de s’insérer dans les choses terrestres.  Le  Christ a donc envoyé ses soldats en éclaireurs,  Il ne les a pas perdus.    Il ne les a pas abandonnés,  mais il les a accueillis.

 Bienheureux sont ceux que le martyre a fait naître sous nos yeux,  non le monde.  Bienheureux ceux qui ont échangé  le labeur pour le repos,  les souffrances pour le rafraîchissement,  les douleurs pour la joie.   Ils vivent,  oui, ils vivent  ceux qui vivent vraiment,  ceux qui ont obtenu d’être mis à mort pour le Christ.  Bienheureux les ventres qui ont porté de tels enfants !  Bienheureuses les mamelles qui ont allaité de tels nourrissons !  Bienheureuses les larmes qui,  répandues pour de tels bébés, ont apporté à celles qui pleuraient la grâce baptismale !  Car, de façon différente,  mais dans un don unique, les mères sont baptisées dans leurs larmes,  et leurs fils dans leur sang.  Ce sont les mères qui ont souffert dans le martyre de leurs fils.   Car le glaive qui transperçait les membres des fils  se rendait jusqu’au cœur des mères;  et il est nécessaire qu’elles aient part à la récompense  celles qui ont pris part à la passion.  Le poupon souriait au meurtrier,  le bébé prenait le glaive pour un jouet,  le nourrisson qui croyait attendre le lait de la nourrisse, attendait en réalité le coup de poignard horrible de l’assassin.  Sur le point de mourir,  l’enfant qui n’avait pas encore ouvert les yeux à la lumière,   se réjouissait,  car l’enfant considère tout homme comme son parent,  non son ennemi.  Les mères éprouvèrent tout ce qu’il y a eu en fait d’angoisse et de douleur, et c’est pour cela que la joie du martyre ne  fit pas défaut à celles qui avaient versé les larmes du martyre.

 Que l’auditeur ici soit très attentif !  Qu’il écoute avec la plus grande attention,  pour pouvoir comprendre que le martyre ne provient pas du mérite,  mais de la grâce.  Dans les nourrissons, où est la volonté,  où est le libre arbitre ?  La nature elle-même y est encore captive.  Pour tout ce qui se rapporte au martyre,  nous devons  tout à Dieu et rien à nous-mêmes.  Vaincre le démon,  livrer son corps à la torture,  mépriser son corps,  épuiser les tourments,  lasser les tortionnaires,   se glorifier des injures,  demander la vie à la mort,  non,  cela ne vient pas  de la vertu stoïcienne,  c’est un don de Dieu.  Celui qui court au martyre par sa propre vertu, ne parvient pas à la couronne par le Christ.   Mais Il   nous conduit au pâturage céleste Celui   qui a daigné dormir dans notre étable,  Jésus-Christ le Nazaréen,  notre Seigneur  qui vit et règne dans les siècles des siècles.  Amen.
 
 
 
 

153ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le massacre des saints innocents)

 La raison humaine n’a pas ce qu’il faut pour dévoiler le mystère de l’enfantement virginal.   Ce que la nature  n’a pas, c’est l’œuvre de Dieu, non de la nature.  C’est l’œuvre de l’Esprit céleste,  que la chair ne peut syntoniser.  Là où l’humanité n’a pas laissé de trace,  la Déité a apposé sa signature.  Comme le dit le Prophète :  Le Seigneur Dieu lui-même vous donnera un signe. Voici que la vierge reçoit dans son sein.    Là où il n’y a rien d’habituel,  tout est programmé par le Ciel.   Ce qui n’est pas de ce monde  ne peut pas être à la portée de l’intelligence mondaine.  Une conception  qui préserve la virginité,  un enfantement qui laisse la mère vierge  ne s’expliquent pas par un Générateur humain,  mais divin.   Dieu s’avance  là où aucune trace de passage humain n’a été trouvée.  L’expérience des siècles passés est prise de cours  quand ces miracles se produisent.  Les traditions séculaires ne peuvent pas rendre compte de ces signes;  leur singularité n’admet pas  d’équivalence,  comme en fait foi la lecture d’aujourd’hui,  qui raconte  les combats divins des bambins.

 La cohorte qui est née avec lui est la Sienne propre.  Elle était transportée du désir de mourir avant  Lui plutôt qu’avec Lui.   Les soldats consacrés au Christ  ont commencé à militer avant de vivre,  à guerroyer avant de jouer, à  répandre leur sang avant de sucer le lait.  Ces âmes ardentes n’acceptèrent par le délai que voulaient leur imposer leurs corps.  Depuis le sein maternel,  elles volèrent jusqu’aux ennemis féroces rangés en forme de triangle,  faisant la connaissance des vertus avant les caresses,  des blessures avant les baisers,  du fer avant les parfums.  Car elles voulaient posséder le ciel avant d’habiter la terre,  remporter les récompenses spirituelles avant de connaître la joie de vivre,   restituer  leurs triomphes à Dieu avant d’avoir à supporter jusqu’au bout les nourritures humaines.

 En toute vérité, mes frères,  ces enfants sont des martyrs de la grâce.  Ils ont confessé en se taisant,  ils ont vaincu sans le savoir,  ils sont morts sans en avoir conscience.  Ils reçoivent des palmes, ils ravissent des couronnes, tout en ignorant totalement  ce qu’ils on fait..    La virginité qui ne savait rien de la corruption  a apporté de l’honneur à la mère.  De la même façon,  l’enfance qui n’était pas consciente d’avoir été martyrisée,  a ravi les palmes et les couronnes du martyre.   Mais que dire de la conduite du Chef ?  Lui qui devait demeurer sur place a fui,  et sur l’ordre de son Père.   Cette fugue est le fait d’un amour caché au plus profond du cœur,  non d’une lâche peur.   Si Jésus était demeuré,  la Synagogue aurait eu ces enfants pour fils,   mais l’Église ne les aurait pas eus comme martyrs.
 
 
 
 

154ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

 Comme le nombre d’affiches de fermes à vendre  à la criée indique la grandeur du seigneur,  il arrive souvent que les noms des saints eux-mêmes attestent leurs mérites,  qu’ils soient les témoins des choses admirables qu’ils ont faites.   Ainsi,  la foi d’Abraham a été révélée par une chose aussi insignifiante qu’un nom :  quand Dieu changea Abram en Abraham,  pour que celui qui devait être multiplié dans sa descendance  soit d’abord agrandi dans son nom.  C’est le Seigneur qui l’a dit :  On ne t’appellera plus désormais du nom d’Abram,  mais Abraham sera ton nom, car j’ai fait de toi le  père de plusieurs nations.   La même chose s’est produite  quand sa sainte épouse, de stérile devint féconde,  reçut le surnom de  Sarah,  pour, qu’elle aussi, croisse dans son nom avant de croître dans ses enfants.  Et parce que, avec la permission de Dieu, elle a ri à la pensée qu’une vieille  sillonnée de rides concevrait,  qu’une fécondité désespérée enfanterait,  que l’extrême stérilité qui côtoie  la vieillesse la plus avancée,  deviendrait enceinte,  elle a appelé  rire  ce qu’elle devait bientôt engendrer.  Et elle a exprimé dans un nom ce qu’elle avait ressenti et compris en riant.   Et elle l’a appelé du nom d’Isaac qui signifie rire.    De la même façon Jacob qui commença dans le sein à se battre avant de voir,  à l’emporter par la force avant de pouvoir le faire avec ses membres,  a reçu, dès le sein maternel,  le nom de « supplanteur »   parce qu’il avait, comme nous le savons,  avant sa naissance, sous la motion divine,   réprouvé et supplanté son frère jumeau. Il  serait trop long d’énumérer tous les cas semblables.  Contentons-nous de dire que  comme Pierre a reçu son nom du mot pierre,  parce qu’il a été le premier à obtenir de fonder l’église sur la solidité de la foi,  de la même façon, saint Etienne   tire son nom du mot couronne,  parce qu’il a été le premier à être  supplicié pour le nom de Jésus.  Il a été le premier à mériter de dédier le martyre au sang des soldats du Christ.   Que Pierre détienne l’antique primauté du collège des Apôtres,  qu’il ouvre le royaume des cieux à ceux qui y entrent,  qu’il vainque par son pouvoir les coupables,  et  qu’il absolve les pénitents avec clémence.  Etienne, lui,  est le premier des martyrs.   Il est le guide de cette armée à la robe empourprée,   qui, pour le sang encore chaud de son Seigneur,  a répandu son sang,  comme tout guerrier est avide de le faire  pour son Empereur.   Et parce que son supplice lui a conquis  une couronne teinte en rouge, c’est en toute justice que son Roi  a  couronné celui qui, à sa naissance, devait  son nom au mot couronne.    Celui qu’Il avait véritablement connu à l’avance et prédestiné,  Il l’a appelé le premier à la gloire du martyre.
 
 
 
 

155ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(les rites païens des calendes de Janvier)

 A l’époque  où le Christ est né en toute piété pour notre salut,  le démon s’est empressé de produire, au nom de la bonté divine,  des rites monstrueux et pernicieux en grand nombre,  pour couvrir la religion de ridicule,   tourner la sainteté en sacrilège,  et injurier Dieu avec ce qui L’honore.  Voilà pourquoi, mes frères,  avec un déshonneur voulu,  et dans un aspect horrible recherché,   les païens aujourd’hui  traînent leurs dieux, les tirent dans tous les sens en parcourant toute la ville,  pour qu’on voie  que les dieux  sont plus honteux que la turpitude.    Et ils font à leur place ce qu’on ne devrait pas les voir faire.    Quelle vanité, quelle démence, quelle cécité !    Confesser des dieux et  les couvrir d’infamie par des moqueries déplacées !    Il ne rendent pas de culte à leurs dieux, mais les  tournent en dérision ceux qui se jouent des dieux qu’ils vénèrent.  Ile ne les honorent pas, mais leur infligent des injures  ceux qui défigurent et dégradent les dieux,  par qui ils prétendent avoir été formés.  Ils ne  les glorifient pas en les représentant à l’image de leur propre désarroi intérieur.  C’est tout à fait comme a dit l’Apôtre :   Parce qu’ils n’acceptèrent pas d’avoir la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, pour qu’ils fassent ce qui ne convient pas.     Ceux qui ont abrogé  les lois naturelles,  ils leur donnent les attributs divins,  et  les rendent dignes du ciel,  tout en rendant les  autres  indignes de vivre sur la terre.  Oui,  ils  ont vraiment été abandonnés  à leur sens réprouvé !  Et ceci ne vient pas d’un jugement humain,  mais de la sagesse de Dieu,  pour qu’ils soient eux-mêmes les vengeurs des injustices commises envers Dieu, eux qui en sont les auteurs.  Quelle colère,  quelle vengeance  devrait provoquer  une telle offense à Dieu par le moyen des idoles !  Ceux que l’antiquité  a présentés mensongèrement comme des dieux  avec des autels, de l’encens, des victimes, des pierres précieuses et de l’or,  la postérité  les a  jugés  des hommes tout à fait indignes d’un culte honteux;  et leurs vies, leurs mœurs et leurs actions  elle les a retracés dans leurs visages,  pour enseigner que ces hommes étaient plutôt à fuir qu’à être honorés.  Mes frères,  pleurons ceux qui ont suivi de telles gens,  et réjouissons-nous d’avoir divinement échappé à ces infamies.   Leurs adultères ils les représentent dans des statues,  ils confient à des images leurs fornications,  leurs incestes à des tableaux,  leurs cruautés aux livres.  Leurs parricides  ils les transmettent aux générations futures;  leurs impiétés,  des tragédiens les jouent sur la scène;  des bouffons miment leurs obscénités.   Par quelle démence pouvaient-ils croire dieux ces gens-là,  si ce n’est que, étant  possédés du désir de ces crimes,  de l’amour des impiétés, ils désiraient avoir des dieux criminels ?   Celui qui désire pécher rend un culte aux auteurs des péchés et les a en vénération.  L’adultère  se met au service de Vénus,  le cruel se voue à Mars.

 Nous avons dit ces choses,  mes frères, pour donner la raison pour laquelle les païens aujourd’hui  font commettre à leurs dieux des choses qui nous indignent,  et leur font faire des actions iniques et impudiques qui blessent le regard.  En faisant cela,  il arrive que ceux-là même qui agissent ainsi  prennent leurs dieux en horreur et les abandonnent.  Et les chrétiens rendent grâce d’avoir été libérés de tels dieux par le Christ. Ceux qui  n’ont  pas encore été pollués par leurs spectacles,  qui ne se sont pas encore souillés en touchant leur encens,  échappent-ils  à la condamnation sous prétexte  qu’ils ne font que donner leur assentiment à ces choses?   Ceux qui font et ceux qui consentent ont une responsabilité égale.  C’est l’apôtre lui-même qui le dit :  Non seulement ceux qui font, mais ceux qui donnent leur consentement à ceux qui font.   Et si une telle apothéose  ne mène qu’à la damnation,   qui pleurera suffisamment ceux qui  se font à eux-mêmes des idoles ?  N’ont-ils pas perdu l’image de Dieu,  n’ont-ils pas aliéné  la ressemblance ?  Ils se sont dépouillés du vêtement du Christ  ceux qui se sont représentés eux-mêmes  dans les images et les  statues  sacrilèges des idoles.

 Mais quelqu’un dira :  « Ce n’est pas un fanatisme de sacrilèges qui est à l’origine de ces comportements,  mais une promesse faite  par manière de jeu.  Ce n’est pas l’erreur de la vieillesse,  mais la joie de la nouveauté. Ce n’est pas une offense faite aux dieux par les païens,  mais le début de l’année. »   Tu te trompes, homme.  Ce ne sont pas des jeux,  ce sont des crimes.  Qui peut se divertir de l’impiété,  qui trouve amusant un sacrilège,  qui rit de ce qui mérite expiation ?  Il se trompe lui-même celui qui pense ainsi.  Celui qui approuve le comportement d’un tyran est un tyran lui-même.   Celui qui se fait dieu,  se fait l’adversaire du Vrai Dieu.   Il n’ pas voulu porter l’image de Dieu  celui qui a voulu porter le masque de  l’idole. Celui qui a voulu s’amuser avec le diable ne pourra pas se réjouir avec le Christ.  Personne ne joue en toute sécurité avec le serpent;  personne ne se divertit impunément avec le diable.   Si nous avons de la pitié dans le cœur, si nous nous faisons une haute idée de l’humanité,  si brûle en nous le zèle du salut de nos frères,  sauvons ceux qui  courent ainsi à la perdition,  qui sont livrés à la mort,  qui sont entraînés vers le tartare, et  qui se précipitent dans la géhenne.  Que le père retire son fils, le maître son esclave,  le parent son parent,  le citoyen son concitoyen,   l’homme un autre homme,  les chrétiens tous ceux qui se ravalent à la bête,  s’assimilent aux animaux,   font tous leurs efforts pour leur ressembler, et  qui se croient créés par des démons.  Celui qui libère autrui reçoit sa récompense.  Celui qui néglige de le faire, commet une faute.   Bienheureux celui qui conserve sa propre vie,  et qui procure à autrui le salut.
 
 
 

156ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(les mages)

 Toutes les fois que par des remèdes salutaires,  l’expertise  préventive des médecins prescrit  un antidote contre des maladies mortelles,  si le malade présume le prendre  sans tenir compte de la compétence du médecin,  et en dehors des heures prescrites,  ce qui avait été prévu pour procurer le salut  pourra très bien devenir une cause de perte.   Il en va de même avec la parole de Dieu.    Si l’auditeur présume la connaître avec témérité,  sans tenir compte du magistère,  de la doctrine de l’église  et  des dogmes de foi,   ce qui devait procurer la vie devient une occasion de perdition.    Il faut veiller  mes frères,  à ce que  l’inexpérience de l’auditeur ne fasse pas tourner au détriment des âmes  ce qui a été divinement écrit pour notre profit.

  Les Chaldéens  qui scrutent les étoiles,  les mages perdus au milieu des astres,  qui recherchent les évènements célestes dans les ténèbres des nuits,  qui attribuent aux courses des astres les causes des naissances et des morts,  et qui distribuent des biens ou des maux aux humains selon l’arbitrage des constellations,  est-ce que tu penses  que l’évangéliste enseigne aujourd’hui que, guidés par une étoile,  ils ont découvert la naissance  du Christ cachée aux siècles ?  Loin de nous cette pensée !   C’est ainsi que le monde le comprend,  ainsi que les païens l’entendent.  C’est ainsi malheureusement  qu’est interprété cet évangile.    Et pourtant,  le discours évangélique ne parle pas de choses humaines,  mais de divines;  non de choses connues, mais de nouvelles;  non de la science fallacieuse ,  mais de la Vérité;  non de trompe l’œil,  mais de ce qui est inné dans l’homme;  non de ce qui est conjectural, mais de ce qui est endossé  par l’Autorité.   De choses  qui viennent de Dieu non du destin;  qui ne sont pas  obtenues par des chiffres,  mais  acquises par le pouvoir divin.

 Quand Jésus naquit à Bethléem de Juda au temps du roi Hérode, voici que des mages vinrent d’Orient à Jérusalem en disant : Où est celui qui est né roi des Juifs ?  Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer.  Quand Jésus est né,  c’est l’Origine des êtres qui est venue au monde;  le Bienfaiteur du genre humain  qui est engendré.   C’est l’Auteur de la nature qui naît  pour réparer la nature, rendre le genre humain à son état premier,  recréer l’origine.   Adam le premier homme,  le père de la lignée,  l’origine de la génération,  a perdu le bien de la nature, la liberté pour lui et sa lignée.   Et,  en la perdant,  il a contaminé la vie du germe, de façon à ce qu’une lamentable hérédité  apporte  le mal à la nature, la servitude au genre humain, et la mort à la semence. Voilà pourquoi,  en naissant,  le Christ a rendu à l’homme la nature humaine;  en mourant, il a  soumis la mort, et Il a rappelé la vie en ressuscitant.  Et à Celui qu’Il  avait composé de chair, Il donna aussi une âme céleste,  de peur que la chute terrestre  ne fasse trébucher  de nouveau le sens céleste.    Comme le dit l’Apôtre :   Le premier homme est de la terre, et il est terrestre. Le second est du ciel et il est céleste. Les terrestres sont semblables au terrestre, les célestes au céleste.   Et sains Jean l’évangéliste :   Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, mais la génération de Dieu le conserve.   Le Christ est donc né  pour amener à la nature céleste ceux qui gisaient  dans une semence terrestre.

 Quand Jésus est né à Bethléem de Juda.    Bethléem signifie en hébreu la maison du pain.   C’est en ces termes que la  maison de Judas est caractérisée,  que son extraction est nommée,  pour que la foi en la promesse et la vérité de la prophétie trouvent leur accomplissement,  au dire de Jacob : Juda,  tes frères te loueront, ta main sera sur le dos de tes ennemis, les fils de ton père t’adoreront.   Et après :  Un prince ne fera pas défaut à Juda, ni un chef de sa descendance, jusqu’à ce que vienne celui pour qui tout a été préparé , et il sera l’attente des nations.   Voilà pourquoi même David a dit :  Judas, mon roi.

 Quand Jésus naquit à Bethléem de Judas aux temps du roi Hérode.  Pourquoi Dieu est-il descendu sur terre aux temps d’un roi  abominable? Pourquoi la divinité est-elle mélangée à la chair ?   Pourquoi se fait-il un échange céleste avec un corps terrestre ?    Pourquoi ?   Et quand arrivera-t-il que celui qui n’est pas le vrai roi expulse le tyran,  venge la patrie,  restaure le monde,  lui  rende  la liberté ?  Hérode,  fuyard de son peuple, a envahi le royaume de Juda ,  a enlevé la liberté,  a profané les choses saintes, à confondu les classes.   Il a aboli la discipline et le culte.   C’est donc avec raison que Dieu vient à l’aide d’une nation sainte qui a perdu les appuis humains, et que  Dieu se rend présent  à qui ne bénéficiait d’aucun secours humain.  Mais Il est venu aussi pour  subjuguer l’antichrist,  pour libérer la planète,  restituer la patrie du paradis,  éterniser  la libération du monde, enlever complètement la servitude  du monde.

 Voici des mages qui viennent de l’Orient.  Les mages viennent de l’Orient vers le Soleil levant,  pour que les reçoive à leur arrivée Celui qui avait ordonné qu’ils viennent.   Comment un mage pourrait-il  rechercher Dieu, sans un commandement de Dieu ?  Comment un astrologue pourrait-il trouver le Roi du ciel sans une révélation de Dieu ?  Comment un Chaldéen pourrait-il, sans Dieu,  adorer un seul Dieu sur la terre, lui  qui s’était fait le serviteur d’autant de dieux qu’il y a d’étoiles dans le ciel  ?     Qu’un mage  ait connu le Roi des Juifs et l’Auteur de la loi que le Juif n’a pas connu  c’est un miracle plus grand que l’étoile.  La Chaldée rend des  hommages,  la Judée ne le fait pas.   La Judée se détourne  et fuit.  La Syrie suit l’étoile et adore.    Voici des mages qui viennent de l’Orient. Où est celui qui est né roi des Juifs ?  Nous avons vu son étoile en Orient.    Et qu’y a-t-il vraiment à voir ?   C’est bien comme a dit l’Apôtre :  De riche qu’il était, il s’est fait pauvre.   Il était riche dans sa Déité, et Il s’est fait pauvre dans notre chair.   Et Il a commencé à avoir une seule étoile  Lui qui a fait,  a,  et contient toute la création.

 Nous avons vu son étoile.  Le mage a vu par moments Celui à qui appartient une étoile, mais qui ne lui  appartient pas.    Dieu n’agit pas d’après le mouvement d’une étoile,  mais détermine Lui-même le parcours de l’étoile,  et dirige sa course à travers le ciel.   Il  modère sa vitesse,  règle son déplacement, de façon à  pouvoir l’envoyer guider  la marche des mages.   Car si le mage marche.  l’étoile marche aussi.  Si le mage s’assoie, l’étoile arrête.   Pendant le sommeil du mage, l’étoile monte la garde.   Le mage comprit alors  qu’à ceux dont la condition était de voler,  l’obligation du service était la même.   Et il ne crut plus que l’étoile était un dieu,  mais estima plutôt qu’elle était une  servante comme lui,  quand il observa qu’elle était asservie à de telles marques de déférence.

 Où est celui qui est né roi des Juifs ? Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer.    En disant :  Où est le roi des Juifs,  ils n’interrogent pas,  mais  provoquent.    Quand des gens qui savent interrogent des gens qui ne savent pas,  ce n’est pas parce qu’ils ignorent.   Ils morigènent les négligents,  secouent les paresseux.   Ils convainquent les méchants de méchanceté,   fustigent les entêtés, et  accusent les serviteurs de n’être pas venus à la rencontre de leur Seigneur.   Car que pouvaient-ils bien apprendre des hommes ceux qui avaient appris de Dieu ce qu’ils savaient ?  Quel besoin de renseignements humains chez ceux qui recevaient des étoiles les indications dont ils avaient besoin;   que  la lumière du temple,  un astre merveilleux du ciel éclairaient sur tout le parcours ?  Où est celui qui est né roi des Juifs ?    Ce qui signifie :  Pourquoi le Roi des Juifs dort-il dans une crèche;  pourquoi ne repose-t-Il pas dans le temple ?   Pourquoi  ne resplendit-Il  pas dans la pourpre,  pourquoi est-Il habillé pauvrement dans des   langes ?  Pourquoi est-Il caché dans une étable,  et n’est-Il pas exposé dans le sanctuaire ?   Les animaux ont recueilli dans leur mangeoire  Celui que vous avez dédaigné  recevoir dans Sa maison.   Le bœuf a reconnu son maître, et l’âne la crèche de son seigneur.   Toi, Israël,  tu n’as pas recherché ton Seigneur.  Nous avons vu son étoile.    L’étoile n’est pas apparue de sa propre initiative,  mais sur ordre.   Non  à cause du mouvement des astres,  mais poussée par Dieu.  Non grâce aux lois stellaires,  mais à un miracle nouveau.  Non à cause de l’agencement  des planètes,  mais du pouvoir divin du Nouveau-né.  Non grâce à l’astrologie,  mais à Dieu.  Non en vertu de la science,   mais de la prescience du Créateur.  Non à cause de calculs  arithmétiques, mais par la permission divine.   Par une intervention  surnaturelle, non par la curiosité chaldéenne;  par la prophétie judaïque, non par l’art magique.

Quand le mage réalisa  que ses efforts humains n’aboutissaient à rien,  que  sa science ne lui était d’aucun secours,  que les travaux de la sagesse humaine découchaient sur le néant, que les sueurs de toutes les sectes avaient séché en vain,  que les trésors de toute la philosophie étaient vides,   il a fui la nuit païenne;  les opinions nébuleuses s’effondrèrent,  et il a dissipé les ombres du démon.  Il n’a pas pensé que l’étoile était une comète,  à la crinière échevelée,  qui cache ce qu’elle annonce et qui obscurcit ce qu’elle éclaire.   Il parla ainsi :  C’est la volonté de Dieu que je te voie en Judée, briller d’une splendeur absolue, de nouveaux rayons,  lumière porte enseigne.  Et là tu me montreras  le Roi né en dehors  de la loi du monde, de l’ordre de la chair,  et de la nature humaine.    Ayant alors déposé son erreur,  il suit l’étoile,  il court,  il arrive, il trouve,  il se réjouit, se prosterne et adore.   Car ce n’est pas par l’étoile,  par la science,  mais par Dieu qu’il s’émerveille d’avoir trouvé Dieu dans  la chair.   Donc,  le sermon d’aujourd’hui n’a pas confirmé l’erreur des magiciens,  mais l’a réfutée.   Mais que cela suffise pour maintenant,  pour qu’avec l’aide de Dieu,  nous puissions clairement mettre en lumière ce qui suit.
 
 
 

157ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’Epiphanie)

 Les fêtes du Seigneur,  par leurs dénominations mêmes,  indiquent ce que l’on célèbre.   En naissant,  Il nous donne le jour de Sa nativité;  en ressuscitant,  le jour de Sa résurrection.   Par la lumière des signes, Il montre le jour de son illumination.   En naissant,  Il s’est d’abord voilé avec un corps humain;  et puis,  en agissant,  Il s’est révélé  dans un mystère céleste.  A la fin,  Dieu  Lui-même est apparu  trine, Celui qui, à sa naissance avait semblé n’être qu’un homme.  C’est donc avec raison que la solennité d’aujourd’hui porte le nom d’Épiphanie,  puisque nous y voyons resplendir la déité que la chair avait obscurcie.   Voilà, mes frères,  voilà la fête  qui, conçue à des époques différentes,  a enfanté trois signes distinctifs de la divinité.   Par l’épiphanie,  les mages confessent la Seigneurie du Christ avec des dons symboliques.  Et les adorateurs d’idoles,  ceux qui ont la nuit pour domicile,  trouvent,  dans des ténèbres épaisses,  l’Auteur de la lumière.   Pour que ce soit du à la grâce de l’Auteur,  non à l’industrie du chercheur;  non à l’étoile,  mais à Dieu.  Pour que ce soit un don du Créateur,  non la récompense de la créature.  Pour que cela ne provienne pas de la science humaine,  mais d’une faveur divine.

 Voici que des mages sont venus de l’Orient en disant : Où est celui qui est né roi des Juifs ?  Nous avons vu son étoile en Orient,  et nous sommes venus l’adorer.    Nous avons vu  Son  étoile.  Qu’est-ce qui n’est pas à Lui ?    L’étoile Lui appartient;  Il ne dépend en aucune façon de l’étoile.  .  Son étoile.  Elle a reçu l’être;  mais elle n’a pas donné l’être.   L’Auteur planifie la naissance de l’étoile,  mais l’étoile  ne préside pas à la naissance  de l’Auteur.   Son étoile.    Qui venait non de l’évolution,  mais du Créateur;  non du destin,  mais d’un commandement de Dieu;  non d’un computeur,  mais de l’Auteur.  Cette étoile  ne donnait pas la naissance,  mais devait subir son déclin. Elle ne légiférait pas,  mais n’avait que valeur de signe.  Elle ne régulait pas les heures du jour,  mais se contentait d’apporter un peu de lumière aux nuits.   Elle était un guide de la route, non de la vie.  Elle était une compagne des mages,  mais n’avait aucun lien de parenté avec le Christ.  Elle n’était pas la souveraine du Souverain,  mais l’esclave des serviteurs.

 Mais dira quelqu’un :  Pourquoi des mages ?  Pourquoi ont-ils été conduits par une étoile ?  Si les étoiles interviennent,  quel rôle joue l’Origine,  qu’est-ce qui relève de la nature humaine ?   Pourquoi des mages ?  Pourquoi une étoile ?   Pour que le Christ fasse  de ce qui était une cause d’erreur une occasion de salut.   De la même façon que, par le Christ,  la cause de la mort est devenue la cause de la vie.  Déconfire l’ennemi avec l’arme de l’ennemi est une marque de grande bravoure.    Chez les mages, la faute était dans l’ignorance,  non dans la volonté;  on pouvait incriminer chez eux l’erreur,  non le fanatisme.   Chercher Dieu sans savoir comment Le chercher,  tient plus de la fatalité que de la culpabilité.  Ce fut donc quelque chose de pieux.  En conséquence,  Dieu donna la grâce de Le trouver à ceux qui Le cherchaient;  et Il renvoya la faute à l’erreur.  Et enfin,  saint Paul est devenu le proclamateur de cette sorte de jugement  porté sur un persécuteur, parce qu’il lui était arrivé de combattre la loi par zèle de la loi,  et de pécher contre Dieu par amour de Dieu.  Voilà pourquoi la foi est accourue  au-devant de Paul;  et la perfidie a plaidé  l’ignorance.

 Mais l’auditeur a autre chose à objecter.   Accordons que ce n’est pas de sa propre initiative mais par un ordre de Dieu que l’étoile a montré  le chemin aux mages qui le cherchaient,  d’où vient, chez eux,  une si grande science des  présents  symboliques,   d’où viennent de si grands sacrements des dons ?   Non de l’art des Chaldéens,  mais de la tradition primitive des grands saints.  Toutes ces choses venaient de la lignée de Noé,  des fils d’Abraham à qui il avait été transmis  que le Christ naitrait  de Dieu,  non de la science.   Qu’Il serait Homme, Dieu et  Roi,  et qu’Il mourrait,  ils l’avaient appris d’un sacrement d’en haut.   Voilà pourquoi ils ont apporté les présents appropriés, qui étaient ceux de la foi des pères;  voilà pour quoi ils  offrirent, en toute connaissance de cause,  de l’or,  comme à un Roi,  de l’encens,  comme à un Dieu,  et de la  myrrhe,  comme à quelqu’un qui va mourir.  Pour pouvoir avec de tels présents,  satisfaire leur besoin de l’Honorer et de l’Adorer.  Mais assez parlé des mages.

 Par l’épiphanie,  le Christ  a rendu les eaux délectables en les changeant en vin pour les noces; car ce n’est pas  la gourmandise qui L’avait convoqué aux noces,  mais Son pouvoir Divin.  Il n’était pas venu pour faire un acte de solidarité et de convivialité,  mais pour manifester Sa puissance.  Ce n’était pas pour Lui une occasion de Se remplir le ventre,  mais de faire un miracle qui avait valeur de signe.  Il ne chercha pas une occasion de s’enivrer,  mais de manifester Sa divinité.   En changeant de nature, l’eau  a manifesté son Auteur;  et le Créateur des éléments est révélé par la métamorphose  de la créature.  Heureuses noces, oui,  heureuses,  celles où le Christ se rend présent; qui ne tirent pas leur gloire de l’opulence, mais de la puissance divine !  Là où l’eau est transformée en vin, qu’est-ce qui n’est pas transformé en grâce ?

 Par l’épiphanie,  le Christ est entré dans le baquet du Jourdain  pour consacrer notre baptême;  pour que ceux qu’Il avait pris en charge en naissant,  Il les relève en vue du ciel en renaissant;  pour qu’Il apporte en Lui la liberté à ceux  qu’Il avait vus captifs en dehors de Lui.  Pour qu’Il redonne la vie  à ceux que la faute avait rendus mortels.   Pour qu’Il rende éternels ceux que la mort avait faits temporels.   Et pour que  ceux que le diable avait exilés du Paradis,  Il les rende au ciel participants de Son bonheur.  Voilà pourquoi,  mes frères,  l’Esprit-Saint se répand en faisant irruption quand le Père  clame du haut du ciel : Celui-ci est mon fils bien-aimé.   En nous créant,  Ils ont œuvré en commun avec le Fils; et ensemble,  Ils travaillent à notre réparation.

 C’est ainsi que le Christ,   en des temps divers,  mais le même jour, par le ministère des mages,  la mutation de l’eau,  et la voix du Père, a  fait connaître Dieu  par un triple témoignage.    Et  cette triple manifestation du Christ devient  une seule solennité sacrée de l’Épiphanie.
 
 
 
 
 

158ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le massacre des innocents)

 Nous nous demandons souvent pourquoi Dieu entre ainsi dans le monde.    Pourquoi a-t-Il  fait l’expérience de l’espace concentrationnaire  du ventre,  pourquoi a-t-Il souffert l’injure de l’accouchement,  a-t-Il accepté d’être emmailloté,  a-t-Il toléré l’ignominie d’un berceau,  a-t-Il recherché Son aliment dans les gouttes des mamelles, s’est-Il soumis au vieillissement et aux besoins de l’existence ?   Mais comment donc devait-Il venir Celui qui voulait apporter la grâce,  repousser au loin la crainte,  mendier la charité ?

 La nature enseigne à tous ce que vaut,  ce qu’obtient l’enfance.  Si  l’enfance  triomphe  de la barbarie,  calme  la férocité,  modère la cruauté,  apaise la fureur,  s’impose à la puissance,  amollit  la rigueur,   adoucit  la dureté,   que n’obtient-elle pas de l’amour, que n’extorque-t-elle pas de l’affection,  quelle faveur n’arrache-t-elle pas,  quel dévouement  n’est-elle pas en mesure de commander  ?   Qu’il en soit vraiment ainsi,  les pères le savent, les mères en sont conscientes.   Tous l’admettent,  les cœurs humains l’attestent.  C’est donc ainsi qu’Il a voulu naitre Celui qui voulait être aimé,  non craint.   Et pourtant,  écoutez ce qu’a reçu de la méchanceté humaine  l’enfance  si tendre,  si délicate et qui nous est si chère.

 Entendant cela, le roi Hérode se troubla, et toute la ville de Jérusalem avec lui. Il convoqua tous les princes des prêtres, et les scribes du peuple, et s’enquit  auprès d’eux du lieu de sa naissance.   Si l’enfance du Christ trouble ainsi  le roi, les scribes et les princes des prêtres,  qu’auraient-ils donc fait  si le Christ était venu à l’âge adulte,  soutenu par des richesses et des troupes,  des bagnards  et des étrangers ?   Mais ils ne tiennent compte ni du temps, ni de l’âge,  ni de la pauvreté, ni de la parenté.  Dès qu’ils entendent dire qu’Il est né,  ils préparent la mort au Nouveau-né,  des pièges  à l’Innocent,  des crimes au Pieux,  des glaives à Celui qui est nu,  des soldats à Celui qui est Seul,  le meurtre à Celui qui ne sait que vagir,  la peine de mort  à un Parent.   Et pour que la violence se mélange avec le sang,  la cruauté exacerbée  engage la lutte contre les berceaux,  et  presse les mamelles avec des traits;  elle  frappe les seins avec des boucliers,  jusqu’à ce que les rejetons humains entrent dans les sépulcres avant d’avoir fait leur apparition sur la terre.

 Admettons que c’est l’amour du pouvoir et la peur d’un usurpateur qui ont forcé Hérode à entreprendre de telles atrocités.  Mais qu’est-ce qui pouvait bien motiver les Juifs de Jérusalem,   les prêtres et les scribes? C’est que le séculier ne veut pas de la naissance d’un Dieu.  L’esclave ne désire pas la naissance de son Maître,  le coupable celle de son Juge,  le rebelle celle de son Roi,  le perfide, celle de l’Enquêteur.  Il faut comprendre que   Jérusalem baignait alors dans toutes sortes de contaminations.  Les prêtres avaient profané les choses saintes;  ils vendaient les péchés, et  avaient transformé la piété et le pardon en profit pécuniaire.   La doctrine céleste,  la science du salut,  le magistère de la vie,  les scribes l’avaient changés en un discours inhumain,  en un encouragement à l’infidélité,  en un verbiage délétère.  Voilà pourquoi ils ne voulaient pas que le Christ naisse.  Ils avaient grand-peur  qu’Il vive,  parce qu’ils savaient qu’ils seraient livres à l’infamie,  qu’ ils seraient couverts d’opprobres, qu’ils seraient chassés du temple,  privés du sacerdoce,  dépouillés  du pouvoir d’offrir des sacrifices.  Car une fois enflammés de cupidité,  enchaînés par la recherche de la gloire humaine,  pollués par les vices,  enivrés de vanité,   abrutis par le luxe,  ils  n’attendaient rien du pardon,  eux qui ne pouvaient en aucune façon avoir l’idée de s’amender.

 Quand un travail persévérant a rapporté une récolte abondante au bon régisseur d’une propriété rurale,  il  désire que son maitre bénéficie de cet accroissement de revenu.   Il souhaite qu’il partage sa joie.  Quand il a terminé le travail entrepris, le travailleur consciencieux  désire la venue du propriétaire pour  qu’il lui donne  sa récompense.   Après le conflit,  après la victoire, le brave soldat  convoite  la présence de son empereur  pour qu’il récompense ses sueurs et ses blessures  par des lauriers  et de  l’argent.  De la même façon,  celui qui a livré les batailles du monde avec un courage indéfectible, aspire à  la venue du Christ pour en être couronné.  Mais il ne désire pas la venue du Christ celui qui s’est laissé vaincre par les plaisirs du monde.   Il tremble à la pensée de la punition qui l’attend,   et n’espère aucun pardon.  Mes frères,  faisons le bien,  éloignons-nous du mal !   Fuyons les vices,  recherchons les vertus !   Faisons peu de cas des  biens présents,  pensons aux futurs ! Dirigeons-nous vers notre royaume  ! Allons à notre palme !  Choisissons la gloire,  et tendons de tous nos vœux vers la couronne !

 Mais que le commentaire de l’évangile revienne à la suite du récit.  Alors Hérode convoqua en secret les mages, et s’enquit avec soin  auprès d’eux  du temps où l’étoile était  apparue.   Et les envoyant à  Bethleem, il leur dit : Allez, et informez-vous avec soin de l’enfant, et quand vous l’ aurez trouvé, vous viendrez me le faire savoir, pour que j’ aille l’adorer moi aussi.   Il convoque les mages en secret,  parce qu’un esprit fourbe,  une conscience tourmentée  n’osent pas agir ouvertement.  Il convoque en secret les mages  parce que le voleur aime la nuit, et  parce que le brigand tend des pièges dans la noirceur.    Il s’enquiert avec soin du temps de l’étoile.   Mais s’il a peur de perdre son royaume,  il ne craint pas un signe qui vient du ciel;  il ne redoute pas l’Auteur du temps.  Pourquoi te troubles-tu, Hérode?   Pourquoi es-tu si inquiet au sujet de ton successeur?    Celui pour qui militent les étoiles  n’est pas contenu par un empire terrestre.  Allez, et informez-vous avec soin au sujet de l’enfant, et quand vous l’ aurez trouvé, revenez me le faire savoir.   Hérode,  tu te trompes.   Le mage a reçu  l’ordre de L’adorer,  non de Le dénoncer.  Il est venu pour témoigner de Lui,  non pour être un délateur. .   A lui, il est donné de Le voir,  mais à toi, il n’est pas donne de Le trouver.   Allez et interrogez.   Comme s’il ne suffisait pas aux mages d’interroger une seule fois.  A ceux qui interrogent avec piété, est donnée une réponse sans piété.  Le messager du salut est transformé  en prophète de malheur  pour ceux qui l’entendent avec malice.  Le serviteur révolté  entend dire que son maitre est né,  Mais à son maitre naissant, il prépare des pièges, non de l’honneur.  Il lui  prépare la mort pour échapper à la servitude.   Mais parce que Dieu ne peut pas être exterminé,  que le Salut ne peut pas périr,  et que la Vie ne peut pas être assassinée,   le Seigneur conserve Son honneur, et l’esclave croupit dans son crime.  Et il est happé par le châtiment celui  qui a jugé indigne de lui de venir rendre hommage.  Il est écroué  pour subir sa sentence celui qui n’a pas voulu parvenir à la grâce.

 Allez,  et informez-vous  attentivement au sujet de l’enfant,  et quand vous l’aurez trouvé,  « renoncez-le moi ».   C’est en toute vraisemblance qu’il dit  de  Le  lui « renoncer »,   car il  renonce  pour toujours au démon celui qui se hâte de s’approcher du Christ.  Quand le catéchumène entend le prêtre lui demander :  renonces--tu au démon,  il répond :  je renonce. . C’est en toute propriété de termes  qu’Hérode dit aux mages qu’ils doivent Le lui  « renoncer »,  lui qui savait qu’il tenait la place du démon.  Pour que je vienne moi aussi l’adorer.  Il veut mentir, mais il ne le peut pas.  Qu’il y aille,  pour qu’il soit courbé sous les tourments,  pour qu’il soit étendu sur un gril de tortures ,  pour qu’il morde la poussière, celui qui a feint d’adorer pour mieux assassiner.

  Après avoir  traversé  les nuages de la perfidie judaïque,  les mages revirent par la profession  de la foi chrétienne,  l’étoile qu’ils avaient vue.  Elle les précéda et leur servit de guide,  et c’est ainsi qu’ils parvinrent au lieu sacro-saint de la naissance du Christ.  Et ouvrant leurs trésors,  ils lui offrirent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.  Ils offrent  dans leur dévotion au Seigneur,   de l’or comme à un roi, de l’encens comme à un Dieu et de la myrrhe,  à Celui qui allait mourir. De très grands trésors sciemment donnés en vue des croyants du futur.  C’est ainsi que retournèrent par la voie de leur innocence,  ceux qui avaient marché dans le chemin fallacieux d’Hérode, qui menait à la perdition.
 
 
 
 
 

159ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(les bergers et les mages)

 C’est avant ces jours, c’est-à-dire,  avant le huitième jour des calendes de ce mois, au cours duquel les jours commencent à s’allonger,  parce que le Vrai Jour luit,  que le Christ est né,  notre Seigneur Jésus Christ.  C’est écrit dans l’évangile de saint Luc,  comme se le rappellent aisément ceux qui l’ont lu ou qui l’ont entendu de la bouche des lecteurs.  Les bergers juifs qui veillaient sur leurs troupeaux  l’ont appris des anges qui étaient venus le leur annoncer.  Aujourd’hui des mages païens,  à la recherche de futilités,  L’ont trouvé  miraculeusement,  dans Sa manifestation charnelle.  Aux bergers  a parlé la voix des ministres spirituels,  qui leur annonçait  la naissance du Seigneur.  Et ils dirent ceux à qui souvent des prophètes avaient été envoyés : Traversons jusqu’à Jérusalem,  et allons voir ce qui nous a été raconté.   Ils parlent aussi les mages à qui  aucun prophète n’avait jamais parlé.  Mais ils interrogent comme quelqu’un qui cherche à savoir :   Où est celui qui est né roi des Juifs ?   Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer.    Les bergers arrivent de près,  les mages viennent de loin.  Les uns et les autres cependant convergent vers un seul et même lieu de la foi avec une pieuse ferveur.  Et les deux voient au même endroit  le Christ Roi placé entre deux bêtes prophétiques,  qui forment le type et la figure des deux peuples,  les Juifs et les Gentils.  Ils L’admirent et le reconnaissent pour ce qu’Il est.   Car le bœuf connaît son maître, et l’âne la mangeoire de son Seigneur.  Le bœuf Juif L’a reconnu quand le joug de la loi a été rompu;  l’âne païen L’a reconnu, lui aussi, quand il a  renoncé à   la barbarie de sa stupidité.  Le Juif, en  déposant le fardeau superflu des observances;  et le Gentil,  en  laissant l’erreur nébuleuse de la superstition.  L’un et l’autre  peuple L’ont  reconnu,  parce qu’ils sont allés tous les deux  se nourrir à la mangeoire du Seigneur.  Ils n’ont pas mangé le foin de la mort,  mais la nourriture du salut.  Mangez,  mangez,  pieux animaux,  les mets de la vie éternelle !  Et la nourriture de l’éternelle rétribution, autant que vous le pourrez,  fournissez-la à vos gosiers avides !  Ne la fragmentez pas inutilement,  mais avalez-la au complet, d’un seul morceau.  Car on ne peut pas diviser le Christ en Le mangeant.     Il est ingéré  par les croyants en entier, et c’est en entier qu’Il est reçu dans la bouche du cœur.  Car le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.   Il a habité dans l’utérus de la vierge qu’Il a occupé en toute dignité.

 Les mages  lui présentèrent,  comme il est écrit,  de l’or, de l’encens et de la myrrhe.  Nous offrons au Christ  l’encens de la foi d’une région éloignée,  la myrrhe de la bonne odeur de la confession de la proximité,   ces trois dons d’une odeur suave de charité,  quand nous confessons qu’Il est Roi, Seigneur et Homme.  Mais nous adorerons le Christ en esprit et en vérité,  si nous Lui offrons les présents de notre foi et de notre confession.   Et nous,  comme les mages, qui sont nos guides dans la foi et les prémisses de notre croyance,  après avoir été avertis en songe, i.e. dans cette vie qui est semblable à un songe, et après avoir déjoué le roi Hérode, i.e., le diable qui est le prince de ce monde, retournons à notre patrie par une autre route, i.e.,  par une autre vie, de laquelle nous avons été malheureusement chassés par Adam,  mais à laquelle nous sommes miséricordieusement rappelés par le Christ.
 
 
 
 
 

160ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(L’épiphanie, trois fêtes en  une : l’adoration des mages, le baptême de Jésus, et l’eau changée en vin aux noces de Cana)

 Dans le sacrement lui-même de l’incarnation  du Seigneur,  ont toujours été présents de clairs indices de sa divinité.  Mais la solennité d’aujourd’hui révèle et manifeste de plusieurs façons que c’est Dieu qui est venu dans un corps humain.    Pour que la mortalité,  toujours plongée dans l’obscurité,  ne perde pas, par ignorance, ce qu’elle a mérité de tenir et de posséder par la seule grâce.  Car Celui qui a voulu naître pour nous ne veut pas être ignoré de nous.  Et  Il se manifeste ainsi,  pour qu’un grand sacrement de piété  ne soit pas détourné  en occasion d’une grande erreur.

  Aujourd’hui,  celui que le mage cherchait dans le ciel comme un être flamboyant,  il Le découvre pleurnichant dans un berceau.  Aujourd’hui,  le mage admire en toute clarté dans des langes,  Celui qu’il cherchait péniblement à tâtons dans le ciel.   Aujourd’hui, le mage,  profondément stupéfait,   est complètement renversé par ce qu’il voit : il voit le ciel dans  la terre,  la terre dans le ciel,  l’homme en Dieu et Dieu dans l’homme,  le Dieu qui ne peut être contenu par cette petite parcelle de l’univers.   Étant incapable d’approfondir,  et ne pouvant rien comprendre,  le mage adore.   Car il voit que dans le ciel  les étoiles, la lune et le soleil ne brillent pas autant  que cette chair lumineuse qu’il contemple sur la terre.   Il voit dans un seul et même corps,  les échanges qui s’opèrent entre l’humanité et la divinité.  En le croyant Dieu,  il sent qu’Il est Roi.  Il comprend  qu’Il va mourir par amour pour le genre humain;  et saisi d’effroi,  Il se demande comment  Dieu peut mourir,  et comment peut être tué Celui qui donne la vie.

  Et c’est ainsi que le mage a cessé  de chercher avec l’astrologie ce que la science humaine  ne peut pas découvrir.  Et réalisant qu’il a erré longtemps dans le ciel avec les astres errants,  il se réjouit d’être parvenu jusqu’à Dieu sur la terre,  sous la conduite d’une seule étoile.  Et il comprit que  sont voilées de profonds mystères toutes les choses  qui se voient dans le ciel en toute clarté par  les yeux humains.  Et voyant qu’il croyait déjà sans discuter,  il exprima sa foi  avec des dons symboliques :  à Dieu il offrit  l’encens, au Roi l’or, et la myrrhe à Celui qui allait mourir.  Il donna à Dieu de l’encens et au Roi de l’or,  pour plaire, par un hommage de riche, à Celui  qu’Il avait insulté et offensé par une entreprise frivole et oiseuse;  et pour accomplir ce que beaucoup attendaient d’un rejeton stérile d’Éthiopie :  L’Éthiopie tendra les mains vers Dieu.   Le mage voit  qu’il tend ses mains au Christ avant le Juif ,  parce que quand le Juif a livré criminellement le Christ à Hérode, c’est alors que le mage a confessé Dieu Christ avec ses présents.   C’est ainsi que le Gentil qui était le dernier est devenu le premier.  C’est alors que,  par la foi des mages,  est entérinée  la croyance des Gentils, et que la cruauté des Juifs est marquée au fer rouge.

 Aujourd’hui le Christ est entré dans le fleuve du Jourdain pour y laver le péché du monde.  Jean lui-même atteste que c’est pour cela qu’Il est venu :  Voici l’agneau de Dieu,  voici celui qui efface les péchés du monde. Aujourd’hui le Seigneur se met sous la coupe de son serviteur ,  Dieu se soumet à l’homme, le Christ à Jean,  puisqu’Il vient pour recevoir le pardon au lieu de le donner.  Aujourd’hui,  comme dit le prophète :  La voix de Dieu est au-dessus des eaux.   Quelle voix ?   Voici mon fils bien-aimé en qui je me complais.   Aujourd’hui,  la voix de Dieu est au-dessus des eaux,  pour que la foi dans l’Engendré  soit scellée  par Dieu : le Père Lui-même témoigne de son Fils,  Il sert Lui-même  de répondant.   Celui-ci est mon fils bien-aimé.  Parce qu’Il n’y en avait pas d’autre capable de rendre ce témoignage.   Personne n’était en mesure de le faire  comme le Père;  personne ne connaissait le secret du Père.   La génération divine ne connaît aucun témoin.  La divinité n’a rien à apprendre de l’extérieur,  comme le Fils le dit :  Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et personne ne connaît  le Père si ce n’est le Fils.   Aujourd’hui l’Esprit Saint plane sur les eaux sous la forme d’une colombe;  elle est   semblable à la colombe de Noé qui avait annoncé que les eaux du déluge universel  s’étaient retirées.  Par ce signe, on apprend que le naufrage  perpétuel du monde a pris fin.  La colombe-Saint-Esprit ne porte pas comme l’autre colombe,  un rameau de branche d’olivier,  mais elle répand sur la tête du nouveau Père de l’humanité  l’huile de la nouvelle onction, pour que se réalise ce que le Prophète avait prédit :    C’est pourquoi Dieu, ton Dieu t’a oint de préférence à tes compagnons, d’une huile d’allégresse.  Aujourd’hui, le Seigneur est au-dessus des eaux.  On a raison de dire au-dessus des eaux plutôt que sous les eaux,  parce que le Christ, dans son baptême,  n’est pas soumis aux sacrements,  mais leur commande.  Aujourd’hui le Dieu de Majesté a tonitrué.   La voix du Père a retenti du haut du ciel.   Et si le Père tonne du haut du ciel,  si le Fils est dans les eaux du Jourdain, et si le Saint-Esprit apparaît corporellement dans le ciel,  pourquoi le Jourdain qui a fui la présence de l’arche de la loi  ne redoute-t-il  pas  la présence de toute la Trinité ?   Pourquoi ?   Parce que celui qui rend hommage en toute piété  apprend à ne plus craindre.   Ici la Trinité répand la totalité de sa grâce,  dit tout l’amour qui existe entre les personnes.  Au temps de Josué,  l’arche  a mis en déroute les éléments  pour enrégimenter des serviteurs  mus par la peur.   Mais au milieu de ces prodiges,  Jean reste là intrépide, impavide,   parce qu’il ne peut pas craindre celui qui, comme en fait foi un témoignage angélique,  n’est né que pour le seul amour de Dieu.

 Aujourd’hui,  le Christ donne le premier de ses signes célestes,  en changeant l’eau en vin.  Il démontre ainsi sa divinité par des miracles  Celui que la parole du Père avait déclaré Fils.  Car  Celui qui change les éléments démontre qu’il est l’Auteur des éléments; et  Celui qui agit sans effort contre la nature démontre qu’Il est l’Auteur de la nature.  Il transforme l’eau en vin pour que l’hébétude de notre nature  s’assainisse  grâce à  la vigueur de la divinité.   Celui qui par un accroissement rapide et instantané de cinq pains fractionnés , a nourri à satiété cinq mille hommes,  a pu, au festin des noces, emplir les outres de vin à perpétuité pour les convives à venir  Car  l’eau devait être changée dans le mystère du sang,  pour qu’avec une seule coupe tirée du vase de son corps,  le Christ enivre ceux qui y boiront;  et pour que cette prophétie soit accomplie :  Et qu’il est illustre mon calice qui enivre !

 La divinité du Christ est donc aujourd’hui établie de trois façons : par les dons des mages,  par le témoignage du Père, et par le changement de l’eau en vin, parce que l’Autorité affirme  que toute parole de l’Écriture  est confirmée  trois fois,  en disant :   Toute parole est dans la bouche de deux ou trois témoins.  Mais parce que cette festivité elle-même nous invite  à la table du Seigneur et à la joie de ce calice,  il suffit d’une brève conclusion pour de si grands mystères,  par notre Seigneur Jésus-Christ  qui vit et règne toujours et dans les siècles des siècles.  Amen.
 
 
 
 
 

161ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
( le serviteur qui retourne des champs)

 Vous avez  entendu, mes frères,  par  l’exemple de la servitude,  quel service divin le Seigneur exige de nous :  Qui de vous ayant un laboureur ou un pâtre comme serviteur, lui dit quand il revient des champs :  Change-toi tout de suite, et mets-toi à table. Ne lui dit-il pas plutôt :  Prépare mon repas,  ceins-toi et sers-moi tout le temps que je mangerai et boirai.  Après seulement, tu mangeras et boiras. Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était commandé ? Qu’il en soit ainsi pour vous. Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites :  nous sommes des serviteurs inutiles. Nous n’avons fait que ce que nous devions faire. Qu’il en soit ainsi pour vous !

  Où est la similitude ?  Il s’agit plutôt d’une dissemblance flagrante.  L’homme doit-il  à Dieu autant que l’homme doit à l’homme ?  Absolument pas.   Car l’ordre est autre ;  la cause est  différente;  la foi dissemblable.    Dieu a fait exister l’homme,  Il lui a ordonné de naître,  Il lui a donné de vivre,  Il lui a permis de comprendre,  Il lui a donné les saisons, a étalé sa vie de l’enfance à la vieillesse.      Il le destine à la gloire,   lui a ouvert la voie des honneurs.    Il l’a fait avant les animaux,  et lui a attribué la souveraineté  sur toute la terre, par une loi immuable et perpétuelle.  Et quand se flétrirent  de si grands et de si nombreux bienfaits que Dieu avait d’abord accordés à l’homme,  Il répara l’homme par le moyen d’autres bienfaits, qui étaient d’autant plus grands qu’ils étaient divins.  Car à celui à qui Il avait d’abord donné d’habiter la terre, Il donna par la suite d’habiter le ciel.   Pour qu’aucun adversaire,  aucun attaquant,  aucun serpent , caché sur terre dans de bonnes choses,  ne puisse plus se précipiter sur lui.  Et la servitude volontaire conserverait déjà  celui qu’une liberté licencieuse avait perdu.   Et l’homme serait le plus libre de tous,  en ne servant que le Seigneur, puisqu’ il doit à Dieu son origine et  la condition dans laquelle il a été fait.  Il doit à Dieu la servitude pour avoir été racheté et acquis à prix,  comme le dit l’Apôtre :   Vous avez été achetés à grand prix. Ne devenez pas serviteurs des hommes.  Et le prophète,  pour déclarer  sa condition et son origine :  Et ton serviteur, et le fils de ta servante  .L’homme doit toutes ces choses à Dieu.  Que doit-il de tel à l’homme ?  Et  pourtant,  Dieu réclame en vain,  parce que l’homme ne veut rien rendre à Dieu,  à qui il doit tout.

 Mais revenons au récit de la parabole,  et remplissons-nous de cet exemple.   Alors s’éclairera le sens de ce que nous avons dit,  parce que nous ne donnons pas toute notre servitude en paiement à Dieu,  mais  pour faire de Dieu notre débiteur.   Qui de vous ayant un laboureur ou un pâtre comme serviteur lui dit quand il revient du champ : change-toi tout de suite,  et mets-toi à table.  Ne lui dit-il pas plutôt :  prépare mon repas, ceins-toi, et sers-moi toute le temps que je mangerai et boirai. Après cela,  tu mangeras et boiras.    Que cette doctrine nous est familière,  quelle est conforme aux usages du pays,  comme elle se rapporte à la vie de tous les jours, et  comme elle est commune à tous !  Si c’est un maître qui écoute ces paroles,  il reconnaît que c’est ce qu’il exige de son serviteur.  Si c’est un serviteur,   il reconnaît que tels sont les devoirs qu’il rend à son maître.  Car le serviteur,  levé dès   l’aube,   après les nombreux et divers travaux de toute la journée,  après des courses trépidantes et essoufflantes,  prépare le repas pour son maître,  et sert à table, après s’être ceint.  Il n’a pas la tête enflée pour avoir fait cela,  mais  c’est dans la crainte et le tremblement  que s’exerce son dévouement tatillon et scrupuleux;  et qu’il apporte à son maitre un grand nombre de mets préparés avec le plus grand soin.  Il goute  des  mets à demi-cuits  ou insuffisamment salés, met  la main sur un grand nombre de coupes,   diversifie les calices, et change  les vins.  Et pendant les conversations des convives qui n’en finissent plus,  il reste debout en faction;  il fait le pied de grue,  sans bouger.  Il reste debout,  car la fatigue n’est pas permise à la servitude.  Et quand le maître passe une partie de la nuit à dormir  et  à se reposer,  le serviteur ramasse,  nettoie,  inspecte,  place, dispose, replace.    Il s’attarde ainsi dans des travaux imposés, et  ne se réserve qu’une petite partie de la nuit pour la nourriture et le sommeil.

 Après tout cela,  s’il fait la grasse matinée,  et si le maître, à son lever, le surprend dans les bras de Morphée ,  même s’il est fatigué ou épuisé,   il se réveillera pour recevoir des coups de fouet.  Le travail qu’il a fait la veille  ne le soustrait pas au châtiment,  car tout ce que le maître fait à son serviteur indument, sous le coup de la colère,  par pur caprice,  sans réflexion ou après mure réflexion,  sachant ce qu’il fait ou ne le sachant,   tout ce que le maitre fait, dis-je,   a valeur de jugement,  de justice et de loi.  La colère du maître envers celui qui lui est soumis   est le droit,  et la condition de l’esclave ne lui permet pas d’interpréter une parole du maitre à sa fantaisie.  Si l’esclave comprend donc ce qu’il doit à un homme en le servant ainsi,  et si le maître comprend ce que lui doit l’esclave,  le Maitre des maîtres  lui enseigne et lui fait comprendre quelle servitude il doit au Seigneur des seigneurs.   Cela Paul l’a accompli,  qui mettait par écrit les titres de sa servitude :  Jusqu’à cette heure,  nous avons faim et soif.  Nous sommes nus, et on nous donne des coups de poing.  Et ailleurs :  Je mortifie mon corps,  et le réduis en esclavage.  Il présentait la baguette d’affranchissement le bon serviteur  qui se flagellait lui-même  jusqu’au sang.  Il ne lâchait pas les brides à son corps, de peur que la chair, relâchée  par pitié,  n’encoure une autre servitude.

 Mais homme,  ce que tu exiges de ton esclave,  accomplis-le pour Celui qui t’as fait maître.  Toi qui dors toujours et qui exiges de ton esclave  des veilles épuisantes,  veille de temps en temps pour ton  Maître  qui veille sans cesse sur toi.  Sois présent au jeûne de ton Maître,  toi qui es toujours servi par ton serviteur quand tu manges.  Épargne ton serviteur innocent, toi qui reçois les caresses de ton Maître quand tu pèches.  Pardonne de temps à autre,  toi à qui ton Seigneur pardonne toujours.  Si tu fais quelque chose de bien,  crois que tu n’as fait que rembourser au Seigneur ce que tu Lui dois,  que tu n’as pas réalisé de bénéfices.   Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : nous sommes des serviteurs inutiles Nous n’avons fait que ce que nous devions faire.  Quand l’homme est-il donc par lui-même utile aux choses divines, lui qui est, pour lui-même inutile aux choses humaines ?  Les choses auxquelles l’homme pense ce sont les mauvais désirs du cœur,  les vices de la chair,  le flux des voluptés,  les rafales des  désirs,  les écueils des colères,  les naufrages des crimes.   Et alors, qu’il donne à Dieu tout ce qui lui est utile, et qu’il émonde ce qui est inutile.

 Mais revenons à notre propos.  Pourquoi le Seigneur exhorte-t-Il ainsi ses disciples ?    Il le leur explique.  Le Christ envoie ses apôtres  à des peuples qui sont malades à des divers degrés.  Il leur donne donc une force spirituelle,  une puissance surnaturelle,  le don des guérisons.  En parcourant les pays,  ils rendaient la vue aux aveugles,  la course aux boiteux,  l’ouïe aux sourds.  Et pour ne pas me perdre dans les détails, ils rendaient la santé à tous les  infirmes et à tous les malades.   Alors, revenant, ils rendaient grâce à Dieu :  Seigneur, en ton nom, les démons nous sont soumis.  Jésus modéra leurs transports, en leur répondant : Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis. Réjouissez-vous plutôt  parce que vos noms sont inscrits dans le ciel.  En conséquence,  pour qu’ils ne perdent pas, par vanité,  ce qu’ils avaient conquis durement,  et ne s’attribuent à eux-mêmes ce que Dieu leur avait accordé,  Il les rappelle à l’humilité,  qui est la mère de la doctrine, par l’exemple suivant :   Qui de vous ayant un laboureur ou un pâtre comme serviteur lui dit quand il revient des champs :  Change-toi tout de suite, et mets-toi à table.  Ne lui dit-il plutôt :  Prépare mon repas, ceins-toi et sers-moi tant que je mangerai et boirai. Après cela,  tu mangeras et boiras.    Après avoir rudement travaillé,  et avoir donné de grands et nombreux  signes de puissance,  les Apôtres se croyaient utiles à leurs propres yeux,  sans savoir qu’ils pataugeaient dans la boue  de la chair et dans le limon de ce corps,  et qu’ils étaient inutiles.   Mais ils furent estomaqués quand Judas trahit,  quand  Pierre renia,  quand  Jean s’enfuit,  et quand tous L’abandonnèrent.   Pour qu’il devienne clair pour tous où se trouve Celui en qui et de qui procède toute utilité.  Et en disant :  Et après cela, tu mangeras,   Il donne cette prescription à  Ses disciples  pour qu’aussitôt après Son ascension,  ils  brulent du désir de  se réunir pour Dieu  dans une béatitude céleste.  Car finalement,  Il les exhorte à tout abandonner, Il les ceint d’avance pour qu’ils puissent supporter Sa passion,  et les parfait pour leur ministère.   Car les apôtres serviront leur Maître attablé autant de temps que  parmi les  cuisines des pécheurs et les foyers des Gentils,  ils prépareront  le repas du Seigneur sur les tables de l’Église,  en mémoire perpétuelle.  Ce repas, celui qui est fidèle le connaît,  et celui qui ne le sait pas désire le connaître pour être fidèle.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

162ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Maître, dis-à mon frère de partager avec moi l’héritage ».)

 Vous avez entendu,  mes frères ce qu’un héritier des biens de ce monde a demandé aujourd’hui au Seigneur :   Maître,  dis à mon frère de partager  avec moi l’héritage.  La cupidité aveugle et imprudente se croit l’arbitre des litiges mondains et le juge de ce siècle.  Et elle a voulu qu’Il soit l’auteur de la division  Celui qui est venu pour restituer l’unité au genre humain.  Maître, dis à mon frère de partager  avec moi l’héritage.  Ici, ce n’est pas au Maître qu’on fait appel,  mais à l’amour.    Dis à mon frère de partager  avec moi l’héritage.  Quand il dit : Dis à mon frère,   il demande à Jésus qu’Il  apostrophe  la charité,  qu’Il interpelle la nature,  qu’Il réveille  l’affection.   Dis à mon frère de partager  l’héritage.  Il ne peut pas dire au frère :  divise,  celui qui a appris par le Prophète :  O qu’il est bon et agréable à des frères d’habiter ensemble !    Dis à mon frère de partager  avec moi l’héritage.  Quelle plus grande hérédité,  quelle  meilleure hérédité  y a-t-il  que le lien de la divine charité ?  C’est l’Apôtre qui le dit :  La charité ne disparaîtra  jamais.

 Mais, dira quelqu’un :  La charité ne périt donc jamais ?  Elle n’est jamais violée ?   Jamais, au grand jamais.  Car si la charité existe,  elle demeure; si elle ne demeure pas,  elle n’existe pas.   Un arbre stérile, au printemps,  devient d’un blanc éclatant quand il se couvre de fleurs;  mais il ne donne pas de fruit : il manque à ses promesses.  C’est à cela que ressemble une charité qui n’a que l’apparence,  mais qui n’existe pas.  Ballotée par les flots des occasions de pécher,  elle s’évanouit;  elle se trouve  ainsi à léser les fervents,  et à  tromper les lâches.

 Mais revenons  au début :  Maître, dis à mon frère de partager avec moi l’héritage.  L’héritage de ce monde  apporte aux légataires des altercations avant d’accroître  leurs biens.  Avant de diviser l’héritage,   il divise les héritiers.   Avant qu’il rende à chacun les portions  congrues,  il dépèce et met en pièces les bénéficiaires.    Ce n’est donc pas un legs,  mais une déclaration de guerre.  Il est pour les fils une marâtre plutôt qu’une grand-maman gâteau.  Il enrichit les fils en affaiblissant  la charité chaleureuse  qui les unissait.  Et toi, qui que tu sois,  qui forces et provoques le Seigneur par ce genre de demande,  tu l’engages à semer la zizanie,  alors que l’Apôtre t’enseigne et te montre que l’héritage est commun à tous :  Nous sommes les héritiers  de Dieu,  les cohéritiers du Christ.  Il est pour toi l’Héritier, Il  est pour toi le Frère  Celui qui, par la manière de naître,  les lois de la croissance,  la façon de vivre,  la sortie de la vie par la mort,  a voulu être trouvé semblable à toi en tout.  Car comme Il était le seul héritier de Dieu,  et le seul à être  Fils par nature,  Il a voulu partager avec toi,  et t’a fait Son cohéritier par la grâce,  toi qui n’étais qu’un misérable,  et qui étais soumis à la servitude la plus pénible.  L’héritage divin peut être donné, mais non divisé,  car Celui qui donne les biens célestes ne les perd pas,  et celui qui a reçu ce qui lui revient à lui en particulier  ne  l’enfouit pas.  Pourquoi appelles-tu à la division,  pourquoi, misérable,  invites-tu à une inspection et à une vérification,  pourquoi demandes-tu une partie à Celui qui  a tout demandé pour toi et t’a tout offert ?     Cesse après expérience,  et repens-toi d’avoir demandé de telles choses.  Car tu as reçu une part importante de l’héritage,  et, après l’avoir reçue,  tu t’es conduit en vagabond et en itinérant.  Luxurieux avec les luxurieux,  et goinfre avec les goinfres    tu t’es perdu.  Voilà pourquoi tu as été exilé  du paradis,  exclu de l’héritage,   banni de la vie.

 Homme,  le Christ te dit :  Ce que tu as obtenu de Moi et par Moi,  tu ne pourras le posséder sans Moi,  car ce que as été sans Moi,  tu l’as déjà expérimenté !  Te connaissant pour ce que tu es,   j’ai prié ainsi le Père de tous pour toi, ingrat :  Père ceux que tu m’as donnés,  je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi.   Mais  même cela ne pouvait pas te suffire pour te garder dans la voie droite,  car quand tu demeurais avec moi dans le paradis,  et que tu périssais en dehors de Moi,  j’ai ajouté autre chose en disant :  Père, comme tu es en moi et moi en toi, qu’il soient ainsi eux aussi en nous.  Moi, pour avoir les biens de mon Père,  Je procède du Père sans jamais M’éloigner de Lui.  Voilà pourquoi  Je veux que tu sois en Nous  de la même façon que nous sommes et demeurons en  Nous.  Cesse donc de chercher à diviser les biens surnaturels, et de te chamailler pour les biens terrestres à mon instigation,  de peur que Celui qui est aujourd’hui pour toi un Bienfaiteur compréhensif devienne un Juge impitoyable.

 Mais écoutons ce que le Seigneur lui répond :   Homme,  qui m’a établi juge ou  notaire sur vous ?   Qui m’a établi juge ?  Et où est-ce que Tu as dit :  Le Père ne juge personne,  mais a donné tout jugement au Fils.   Ou  notaire ?    Et qui sépare les justes des injustes, comme le berger sépare les brebis des boucs ?   Si le jugement du genre humain t’est du,  et si c’est par Toi que sera divisé solennellement le monde en deux parties,  comment peux-tu dire :   Qui m’a établi juge ou notaire sur vous?  Tout jugement est, a été et sera auprès du Christ.    Mais alors, Il n’était pas venu pour juger mais pour être jugé;  non pour poursuivre en justice des coupables,  mais pour être traîné devant les tribunaux par les coupables, en dépit de son innocence.  Dieu agissait dans l’homme,  et le Seigneur dans le serviteur,  pour que  le Créateur et le Juge du monde soit originaire du temps.   C’est donc avec raison qu’il a répondu :  Qui m’a constitué juge ou notaire sur vous ?    Et qui pourrait constituer Juge Celui qui a fait et refait  le monde ?   Celui qui est la plénitude  et la Puissance suprême de tout jugement  ne pouvait pas arbitrer une chicane entre frères.  Et pourquoi n’a-t-il pas dit au querelleur :   Comment fais-tu cette  demande à quelqu’un qui n’a pas été invité par ton frère ?   Ne sais-tu pas qu’il n’est pas un juste médiateur celui qui n’a été invité que par l’une des deux parties en cause ?    Non,  Il n’a pas dit cela,  mais Il considéra qu’il était odieux de porter une sentence  quand à l’un,  il était permis d’accuser, et  à l’autre,  il ne l’était pas.    Et parce que le Christ était venu non pour condamner le coupable,  mais pour le corriger,  d’un mot,  Il  écarte la cause des dissensions,  en disant :  Voyez à vous garder de l’avarice.  Ce qui signifie :   Enlevez l’avarice,  et il n’y aura pas de dispute pour l’héritage.  L’avarice,  mes frères,  renie les parents,  divise les frères,  sépare les associés,  dissout l’amitié,  éteint l’amour.  Celui qui l’a en lui  n’appartient à personne et ne s’appartient pas à lui-même.  L’avarice,  mes frères,  comme a dit l’Apôtre,  est la racine de tous les maux.   Quand elle commence à s’enraciner dans le cœur,  elle dissipe les ornements des mœurs, les vertus,   comme un arbre nuisible  détruit avec ses racines sauvages tous les entrelacs des pousses,   et met en pièces les monuments des anciens.
 
 
 
 
 

163ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(du mépris des soucis terrestres)

 Bienheureux les cœurs de ceux que la parole du Seigneur a aujourd’hui pénétrés; bienheureux les esprits de ceux qui ont été amenés à la foi par la si grande et la si magnifique promesse du Seigneur !  Bienheureux ceux qui sont délivrés de l’âpreté des soucis des biens présents, par la dureté des commandements célestes !  Aujourd’hui,  le Seigneur  exhorte  tous ses disciples et même tous ses auditeurs de la façon suivante :   Ne vous inquiétez pas dans votre âme au sujet de ce que vous mangerez, ni au sujet de votre corps de quoi vous le vêtirez.  L’âme est plus importante que la nourriture, et le corps plus que le vêtement.

Qui est si envieux de ses propres biens,  si ennemi de ses plaisirs pour mépriser des biens offerts gratuitement et préparés par le Ciel;  et pour convoiter des biens mondains, qui ne sont conquis que par  les labeurs et les douleurs ?  C’est une âme vraiment dégénérée,  un esprit complètement asservi,  qui recherche les fumets des cuissons, les puanteurs  de la cuisine, les  mets dégoutants, avec un frisson de fièvre de la veille.   Il se livre aux plaisirs  de la table à la façon d’un roi, et s’y couche, superbement paré.  Ne te mets par à la torture  pour organiser  des inanités,  ne te mets pas en quatre pout mener à bien  des choses caduques,  parce que c’est Dieu qui partout et toujours prépare tes banquets.  Quel roi ne procure pas à ses dévots soldats  l’équivalent de la récolte annuelle ?  Quel seigneur ne procure pas des vivres à ses fidèles serviteurs ?   Quel père ne donne pas un pain à ses fils ?   Si donc Dieu est pour nous un Roi,  un Seigneur et un Père,  que nous refusera-t-Il ?  Le soldat qui milite à ses dépens  porte atteinte à l’honneur de son Roi.  Le serviteur qui vit à ses propres frais accuse le Seigneur.  Le fils qui est inquiet pour lui-même  blâme la providence de son père.   Ne va pas attenter à  Dieu en pensant de telles choses de toi.

 Par Sa justice de  Roi,  par Son  zèle de Dominateur,  par Son affection de Père,  Il accumule et concentre en Lui tout le souci et le soin qu’Il prend de toi,   en disant :   Ne vous souciez pas dans votre âme de ce que vous mangerez.   Et toi, tu te détournes peut-être de l’hydromel  et des mets exquis  par l’exemple du dégout juif;  et peut-être  ne crois-tu  pas que la chair composée d’une variété d’humeurs, puisse, par la volonté de Dieu,   avoir en suffisance avec la seule manne.    Tu dis :  Dieu a voulu que le corps soit composé de plusieurs membres, et a décrété et ordonné qu’il soit nourri par une variété de mets.  Elle est superflue, o homme,  cette peur qui t’agite, car toute la création accourt et s’envole vers le banquet du Seigneur.  Si donc les restrictions légales de nourriture  particulières aux Juifs t’effraie,  la profusion du banquet céleste évangélique  t’invite et t’interpelle, elle  qui a placé des espèces de toute la création sur  le plateau où devait manger Pierre.    Car tout ce que Noé,  rescapé pour un  nouveau monde,  a préparé pour la semence du monde,  tout ce qui vole dans les airs,  et vit sur la terre,  tout ce qui est et se déplace dans l’eau peut être jugé pur  par un fils de Pierre et présenté sur la table.  Si tu veux donc, o homme, prendre et manger la nourriture de Dieu,  méprise les vils  garde-manger .  Et nous prétendons te prouver par de grands exemples, qu’à toi qui penses aux choses terrestres,  ne manqueront pas  les biens surnaturels.  Celui qui doute  de Ses promesses, Dieu,  pour démontrer sa Majesté,  le  renvoie aux exemples les plus bas, les plus terre à terre.   Pour réfuter  par cette comparaison  Celui qu’il n’a pas pu  amener  à l’imitation.

 Considérez les corbeaux.  Ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni grange ni grenier, et Dieu les nourrit.  Vous valez beaucoup plus qu’eux.  On peut douter si c’est avec raison qu’Il envoie l’infidèle  à la corneille ,  à l’amie de la guerre,  à l’associée de la fureur, à l’assoiffée de sang,  qui s’acharne  sur les morts eux-mêmes avec plus de cruauté que l’épée.  Car,  à la fin du combat,  ce carnivore de mauvais aloi  s’engraisse des cadavres.  Il les déchire,  les disperse,  les éparpille,  pour qu’on ne retrouve rien du défunt, pour qu’une sépulture pitoyable ne puisse  lui donner le repos.  Il pousse le doute jusqu’à l’insanité celui  qui pense que Dieu déniera à ses fils pieux ce qu’Il accorde à des oiseaux impies.  Et ils estiment  qu’à ceux qui laisseront pour Lui  patrie, maison,  parents,  fils,  époux, Il ne donnera pas le secours de la nourriture, Lui qui donne la croissance  à celui qui nait,  et qui pousse la croissance du corps jusqu’à son terme.   O misérable,  o digne de tous les malheurs celui qui soupire après le pain quand on lui donne le royaume;  qui pleure après le breuvage quand on lui donne l’éternité; qui sanglote après le vêtement du corps  quand il est revêtu de la gloire de l’immortalité !    Conscient d’un malheur de naissance,   il ne croit pas qu’il puisse  devenir heureux.  Et nourri de la poussière de la terre,  il doute qu’il lui soit possible de  devenir un jour un habitant du ciel.

 C’est avec beaucoup d’à propos  que Jésus ajoute ce qui suit :   Qui parmi vous peut en y pensant ajouter un pouce à sa taille ?   Les pensées  des esprits humains,  Celui qui scrute les secrets des cœurs  les révèle.  Cat tout homme qui désire pour lui la beauté corporelle  aspire à  être grand.  Mais si l’homme peut penser cela,  il ne peut pas se le donner.  Il y parvient  par la foi,  non par la réflexion.    Voilà pourquoi,  connaissant les désirs de l’homme,  le Seigneur le fait croître  jusqu’à la taille  de Jésus,  pour qu’il soit orné de toute Sa beauté,  selon la mesure du Christ,  celui  qui pendant sa courte vie rougissait d’être  difforme.  C’est donc avec raison qu’Il ajoute :  Si vous êtes incapables de faire ce qu’il y a de plus insignifiant, pourquoi vous souciez-vous des autres choses ?    Ce qui veut dire :  Comment, o homme,  présumes-tu accomplir de grandes choses par la réflexion, toi qui désespères les obtenir par la foi ?  Qu’y a-t-il de plus petit que le vêtement;  qu’est-ce qui est plus grand que la croissance du corps ?   Je crois donc que Dieu peut t’accorder le vêtement du corps,  toi à qui a été promis l’accroissement du corps par la foi.   Il en est tout à fait ainsi,  car Dieu aime le genre humain,  au point  de consoler avec une caresse paternelle ceux qu’Il châtie par le droit du Dominateur.

Ceux qu’exaspérait la comparaison avec les corbeaux fétides, sont gagnés par l’exemple de la fleur odorante et superbe.  Considérez les lys, comment ils croissent. Ils ne labourent ni ne sèment. Or, je vous le dis, même Salomon dans toute sa gloire n’était pas vêtu comme un de ceux-ci.   O comme la pitié surnaturelle  s’abaisse  par amour de l’homme.  Car Celui qui pouvait confirmer  ses préceptes par Sa seule autorité, les présente et les explique à la manière d’un professeur.  Et Celui qui pouvait se contenter de situer dans la pure foi le terme de la promesse,  conduit l’auditeur à la foi dans la promesse  par l’exemple et la persuasion.  Ceux qui doutent,  Il les rassure par cet exemple : Il fait l’éloge du lys en le comparant à Salomon.   Parce que,  au témoignage du Seigneur Lui-même,  il resplendit dans la  beauté d’un éclat unique, et il l’emporte sur toutes les fleurs de la terre, et les dépasse en grâce.   Il prévaut  sur l’ensemble des plantes autant qu’il s’avère que le Roi prévaut  sur tous  en beauté et en gloire.  Nous n’avons pas à décrire plus longuement la beauté du lys,  auquel le témoignage du Seigneur accorde une prérogative singulière.

Il faut revenir souvent à ces enseignements que,  pour renforcer notre foi,  le Seigneur  nous a présentés dans des exemples de la vie de tous les jours.   Parce que le Chrétien qui est sûr de  la vie, du règne, de l’immortalité,  ne doit pas être perturbé par le besoin de la nourriture et du vêtement,  quand il voit qu’à la fleur qui nait aujourd’hui et qui périra demain,  Dieu donne une si grande gloire .  Mais comme les fleurs  sont emportées par la sécheresse ou un incendie ravageur,   de la même façon,  sont destinés aux feux de la géhenne  ceux qui,  tout en sachant que les biens éternels leur sont réservés,  doutent que les biens présents leur sont préparés par Dieu. Et vous ne soyez pas en quête de ce que vous mangerez et de ce que vous boirez, et ne vous enflez pas la tête.  Tous ces biens du monde les Gentils les recherchent avec inquiétude.  Or, votre Père sait que vous  en avez  besoin.  Cherchez plutôt le royaume des cieux,  et tout le reste vous sera donné par surcroît.   Quand Il dit qu’Il est notre Père,  Il S’engage  à nous prêter une oreille attentive.  Quand Il nous ordonne de chercher le royaume céleste,  Il montre que nous devons tout lui subordonner.  Et il indique que nous sera accordé tout ce dont nous aurons besoin,  pour préparer notre place dans le royaume.
 
 
 
 
 

164ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« Venu apporter le feu…pas venu apporter la paix, mais la division »)

Comme une nourriture saine est toujours répulsive aux fiévreux, les paroles du Seigneur sont souvent dures à avaler pour ceux qui n’en ont pas l’habitude.  Dans l’un et l’autre cas,  cela provient d’une déficience,  celle du corps ou celle de l’âme.  Aujourd’hui le Seigneur semble trouver un malin plaisir à scandaliser bon nombre de ses auditeurs quand Il dit :   Je suis venu apporter le feu sur la terre,  et que veux-je sinon qu’il s’embrase ? Et plus bas :   Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre? Non, vous dis-je,  mais la division. Et où a-t-il été dit :  Voici l’agneau de Dieu ?   Où cet autre :  Il est conduit à la boucherie comme un agneau, et comme un agneau devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche. Et cet  autre :  Dites à la fille de Sion :  Voici ton roi qui vient à toi en toute mansuétude. Et pourquoi cet Agneau cogne-t-Il  si durement dans sa prédication ? Pourquoi joue-t-Il des cornes en parlant Celui qui, dans sa passion, S’est tu avec tant de patience, a sombré dans la mort dans une humilité totale ? En vérité, mes frères, le Christ est entré dans le monde plein de douceur et de mansuétude pour tous, en naissant de notre descendance, en se tenant au chaud dans un berceau, plus gentil que la gentillesse-même; en se faisant tout petit pour être contenu par un sein humain, en se pendant au cou de Sa mère, en l’embrassant et en l’étreignant avec tout son amour.  Et pour nourrir de tout son cœur complètement tous les êtres humains pendant tout le temps qu’on le nourrit, Il va de l’enfance à l’adolescence et de l’adolescence à l’âge adulte. Il se comporte toujours comme un pauvre, marche en solitaire, car le pauvre est toujours ce qu’il y a de plus commun. Il est évident pour tous que le pauvre est toujours solitaire.

 Et pourquoi répand-Il le feu avec ses paroles, pourquoi  déclenche-t-Il de tels et de si grands feux, pourquoi donne-t-Il de l’expansion aux incendies en déclarant :  Je suis venu mettre le feu sur la terre. Pourquoi ? Quand une longue incurie a permis à un champ de retourner à l’état sauvage, et que la terre en friche a été envahie par les mauvaises herbes, c’est toujours par un incendie qu’un cultivateur expérimenté la débroussaille et la nettoie. Le feu du cultivateur est appliqué avec un soin méticuleux, pour qu’une fois brûlés les ronces et les buissons épineux, le champ retrouve son apparence d’autrefois. Pour qu’il  se présente à l’agriculteur comme une terre dégagée; pour que la charrue puisse facilement y creuser le sillon. Pour  que cette  terre qui a été longtemps stérile, redevienne fertile; et que celle qui s’est longtemps réjouie d’un si long  repos, compense son oisiveté par une joyeuse récolte.
Donc,  lorsque la terre arabe Juive, épuisée  par la charrue de la loi et par l’attelage des bêtes de trait du culte,  ne répondit plus à la semence ni au labour, mais produisit de l’ivraie au lieu du froment,  et récompensa les efforts par des chardons,  le Christ confia  l’industrie de la vraie culture  aux semences des Gentils.   Et voulant renouveler,  en la purgeant,  la terre qui avait été longtemps oppressée par les ronces des Gentils,  Le Grand Maître  envoie d’abord le  feu sur la terre.  Tout ce qu’une végétation sauvage avait rendu inculte,  et tout ce que la rigueur hivernale avait desséché,  un incendie thérapeutique le consume et le purifie;  jusqu’à ce que la terre,  depuis longtemps épuisée par un long jeûne,  engraissée par sa cendre, s’enrichisse;  et qu’après une longue aridité,  elle redevienne tendre, détrempée et molle.  Comme si,  devenue capable du culte évangélique,  elle redevenait bonne pour la semence;  et comme si, après un heureux labour, elle rendait du trente, du soixante et du cent pour un.

 Mais cette culture n’est pas nouvelle pour le cultivateur ancien céleste,  car pour répandre la loi et semer la grâce,  il a toujours été d’usage de se servir du feu.  Étant sur le point de donner la loi,  Il envoie d’abord le feu dans le buisson.  Le buisson portait l’incendie,  mais ne l’avait pas conçu,  préfigurant alors le peuple Juif,  plein des épines de  la malice,  et ingrat à la culture de la loi.  Et quand Il destina  Ses apôtres aux terres labourables des Gentils,  Il répandit sur eux une pluie de feu;  et le feu se posa sur eux,  pour qu’ils puissent assécher ce qui est humide,  allumer ce qui est sec,  cuire ce qui est cru,  réchauffer ce qui est froid,  allumer ce qui est éteint, consumer ce qui est nuisible;   et par un travail différent mais par un seul et même feu,  cultiver tous les déserts de la terre pour une récolte céleste.  C’est le Prophète qui le dit :  Leur voix s’est fait entendre sur toute la terre, et jusqu’aux confins de la terre leur parole.

 Mais passons à ce qui suit. Je suis venu apporter le feu,  et que veux-je sinon qu’il s’embrase !   Mais j’ai à être baptisé d’un baptême, et quelle angoisse en moi jusqu’à ce qu’il soit accompli !    L’eau exerce une pression sur le feu.  Il  faut concevoir ainsi leur rapport : une union dans la division.  L’eau accable la flamme,  la flamme multiplie  l’eau.  Mais quelle est donc cette discorde si cordiale ?    Il est question ici,  comme nous l’avons dit,  des semences  du divin  Agriculteur. Car elles germent quand elles sont toutes pleines de chaleur,  et sont nourries par l’humidité.  C’est pourquoi Dieu,  le Père des êtres,  nous fait croître et nous nourrit  en alternant l’eau et le feu,  par l’action des quels Il brûle, réchauffe, bouillonne,  et souffle.  J’ai à être baptisé d’un baptême.   Le Christ est baptisé dans Son sang,  pour que tout ce qu’Il a assumé de notre chair  soit purifié et rénové;  et soit ramené dans toute la forme de Sa Majesté divine.  Le Christ est baptisé par le baptême de sa passion.  qui   lave le péché de tout le monde,  lequel  ne pouvait être enlevé que par Celui qui a fait le monde.

 Pensez-vous que je sois venu  apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je,  mais la division.   Pourquoi ?  Parce que l’union céleste s’opère dans cette séparation terrestre.   Personne ne peut être en syntonie avec la terre et, en même temps,  branché sur le Ciel. Qu’elle soit donc bienvenue et chère cette séparation terrestre, qui nous sèvre des choses d’ici-bas,   et nous plonge dans les divines.  A cause de cela, cinq personnes qui se trouvent   dans une  maison seront divisées entre elles : deux contre trois,  ou trois contre deux. Le père se séparera du fils, le fils du père, la mère de la fille, la fille de la mère, la  belle-mère de  la bru,  et la bru de la belle-mère.   Il dit qu’il y en aura cinq dans une maison qui seront séparés les uns des autres,  mais quand Il donne des détails , Il en énumère six :  le père, le fils, la mère, la fille, la belle-mère et la bru.  Les trois deviennent  deux  lorsque  la belle-mère qui est la troisième,  demeure dans la maison,  mais  séparée de l’épouse qui est unie à l’époux.  Donc,  cette Synagogue, dans laquelle l’Église est unie au Christ, qui est mère et belle-mère,  demeure séparée de son mari.  Deux deviennent  trois,  quand  de ce mariage entre le Christ et l’Église, une autre Synagogue,  héritière elle aussi,  se sépare et s’éloigne;  et quand le Christ et l’église,  abandonnés par  les hérétiques, demeurent dans le Saint-Esprit et sont unis par Lui.   Le Père est séparé du Fils et le Fils du Père  tant que le peuple Juif  qui tire son nom de la lignée charnelle paternelle du Christ demeure séparé, par jalousie,  du Fils Christ;  tant que le Père livide  tourne son affection en haine.  La gloire du Fils est pour les Juifs  un joug pesant et un tourment continuel. au dire de l’Apôtre :  Dont les pères de qui est le  Christ selon la chair, qui est au-dessus de tout Dieu béni dans les siècles.  La mère se divise aussi de la fille,  car la mère est la Synagogue  de laquelle, par Pierre et les autres Apôtres,  l’Église, sa fille est née.   L’Église  mérita là d’être unie en mariage au Christ Roi,  et prit par ce mariage la Synagogue comme belle-mère,  rivale et marâtre.  La Synagogue est la mère de la fille comme une belle-mère l’est d’une bru.  Car cette mère, la Synagogue,  quand elle vit que sa bru l’Église  venait des Gentils,  fut assez cruelle pour tuer le Fils,  afin de ne pas voir le mariage de sa bru.  Elle a tué le Christ  dans l’espoir de pouvoir éteindre ainsi, dans sa rage, l’amour que le Christ portait à sa bru.  Mais quand Il revint de la mort,  le Christ  ressuscita toute son union avec l’Église,  pour prouver que la charité n’est pas séparée par la mort,  mais ne fait que croître.

 Le Seigneur blâme ceux qui étudient avec une curiosité excessive  la voie lactée,  la formation des nuages,  les révolutions des étoiles,  les galaxies,  et qui ne font aucun effort,  aucune recherche pour reconnaître le temps de leur salut.   Hypocrites,  vous savez interpréter la face du ciel et de la terre, et comment se fait-il que vous n’êtes pas capables de reconnaître ce temps ?  Un œil desséché  perd la lumière,  parce que toute la vision de l’homme est contenue dans la pupille,   Ne t’efforce pas de voir beaucoup de choses,  dans l’espoir  de parvenir ainsi  à  te voir toi-même.  Ne présume pas de contempler les choses élevées;   n’ambitionne pas de pénétrer les choses éloignées,  parce que notre œil borné ne saisit pas grand-chose.  Il ne pénètre pas les choses élevées,  n’atteint pas les choses éloignées.  C’est ainsi qu’il ne voit rien celui qui estime voir tout.  Reconnais donc le jour du salut,  le temps favorable,  par le Christ Jésus Notre Seigneur, si tu veux par toi…..(phrase non terminée).
 
 
 
 

165ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Consécration d’un évêque)

 Je déclare hautement que je dois,  à toutes les églises,  une grande vénération,  et la fidélité d’un serviteur.   Mais à l’église de Corneille,  l’amour très spécial que je porte à son nom me pousse à me dévouer.  Car Corneille est célèbre par une vie mémorable et bienheureuse;  il brille partout de tous les titres des vertus;  il est connu dans l’univers pour la grandeur de ses œuvres;   il m’a tenu lieu de père;  c’est lui qui m’a engendré par l’évangile;  c’est lui qui m’a nourri plus que pieusement; c’est le saint qui m’a formé dans une sainte servitude;  c’est le pontife qui m’a conduit aux saints autels et m’y a consacré.

 L’amour de ce  nom me pousse donc à accéder bien volontiers  aux désirs  de l’église de Corneille, et à consacrer évêque  Projectus,  homme vénérable.  J’ai dit « rejeté, projeté » (projectus) , mais non « méprisé », (abjectus),  selon ce psaume :  J’ai été projeté (projectus)  en toi dès le sein de ma mère. Depuis le ventre de ma mère, tu es mon Dieu.   Et en toute vérité,  celui-ci,  dès le sein  de sa mère humaine, demeure continuellement dans le sein de la mère divine.  N’ayant pas connu sa maison,  il persiste à habiter la  maison de Dieu.

 De quelle façon, mes frères,  depuis le berceau,  il a gravi les degrés et les charges de l’église militante, ce serait trop long pour moi de le raconter.   Mais comme a dit le Seigneur,  il est adulte, et il parlera pour lui-même.    Par notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne  avec le Saint-Esprit dans les siècles des siècles.  Amen.
 
 
 
 

166ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le chiffre quarante)

 La simplicité de l’innocence a son charme;  celle de la foi porte des fruits.  Mais elle ne peut pas avoir la science pour  récompense;  elle ne peut pas remporter la palme des vertus.  Autre chose est de vivre dans le loisir et le confort,  autre chose est de supporter les veilles et les travaux pénibles pour le salut de tous.  La simplicité fait un bon citoyen,  mais  elle ne fait pas un soldat éprouvé.  Le citoyen  paye les taxes;  le soldat, lui,  reçoit des salaires et des honneurs.  Le citoyen cède ou succombe  sous les adversités;  le soldat tient tête aux adversités et les repousse.  L’un n’a pas appris à combattre,  l’autre à craindre.  Nous disons ces choses pour montrer la différence qui existe entre  celui qui se contente d’avoir accepté et conservé le mystère de la foi chrétienne, et celui qui met tous ses efforts pour comprendre et pénétrer consciencieusement le mystère de cette foi.

 Voici le jeûne du  carême,  que l’église universelle, hier,  a  inauguré.  Plusieurs pensent que ce jeûne nous a été transmis, et a été accompli pour nous par le Seigneur,  uniquement pour favoriser l’abstinence;  et qu’il ne contient pas de mystère d’une plus haute portée.   Qu’il a été institué  seulement pour mortifier le corps,  déraciner les vices,  et garder les esprits de tous les excès.   Et pourtant,  ce chiffre quarante  a été tenu pour sacré par les siècles, et doté d’un sens mystique.  Et cela à un point tel  qu’il avait été prescrit par une loi inviolable de toujours l’utiliser  pour accomplir des choses divines,  et pour opérer les plus grandes interventions de Dieu.  Pour mettre cette vérité dans tout son jour,  faisons le tour des nombreux exemples.

 Quand le monde,  dès  le  début déplorable du genre humain,  s’était pollué  par la crasse fétide des vices,   puait de l’horreur de tous les crimes, et tendait de toutes ses forces à assombrir  la luminosité  du ciel,  pendant quarante jours et quarante nuits, la pluie céleste s’est déversée sur la terre,  pour que le monde expie.  Dieu  devait déjà perdre ce monde qu’Il avait fait,  mais Il se réjouissait à la pensée qu’il renaitrait par un tel baptême.  Et Il savait que ce n’était pas en tant qu’Auteur de la nature, mais de la grâce qu’il Se devait d’agir ainsi.    Pour que la terre qui est l’origine de notre corps,  goûte à l’avance  la forme de notre baptême,  pour que les hommes qu’elle avait auparavant fait naître pour la mort,  elle les fasse renaître à la vie.  Remarquez,  mes frères,   à quel point est grand ce chiffre quarante,  qui ouvrit alors toutes grandes les écluses du ciel pour purifier la terre;  et qui maintenant, par la fontaine du baptême,  répand l’ondée de la régénération,  pour la rénovation des Gentils.  C’est avec raison  que nous jeûnons pendant quarante jours,  afin de parvenir à la fontaine du baptême et du salut.

 Pendant quarante ans,  la pluie pacifique a fait couler des sueurs froides au  peuple Juif dans le désert.  Ce n’est pas par son ministère accoutumé qu’elle  a produit de la terre et fait croître les semences,  mais c’est à partir de la terre qu’elle a irrigué le froment.  Elle a enlevé  tout le travail de la servitude humaine,  et, gentiment,  avec la rosée,  elle a fourni et procuré  aux affamés la récolte céleste.

 L’exploration de la terre de la promesse par ceux qui avaient été envoyés divinement dura quarante jours,  pour que ce chiffre sacré rappelle  au peuple d’Israël les terres promises,  comme le jeûne quadragésimal nous rappelle le ciel et nous y conduit.  Car aujourd’hui, une inspection céleste  explore et parcourt la terre de notre corps,  pour qu’après avoir vaincu et expulsé  les nations des vices,  le peuple des vertus possède le territoire de notre cœur.

 Et puisqu’il ne faut rien omettre, Moïse lui-même,  pendant un jeûne de quarante jours,  s’est à ce point séparé de son corps,  est à ce point mort à son corps,  qu’il a été  changé  complètement dans la gloire de la divinité,  pour que,  dans toute l’obscurité de notre corps,  il resplendisse encore de la lumière de la divinité.  Les yeux des mortels ne pouvaient pas regarder  celui qui,  longtemps nourri de la nourriture de Dieu,  avait oublié le secours qu’apporte les aliments aux mortels.  C’est là qu’il apprit que ceux qui demeurent devant Dieu et avec Dieu  ne manquent pas de ce qui est nécessaire à la vie.  Et en vérité,  mes frères,  il ne peut pas se fatiguer,  il ne peut pas mourir  celui pour qui Dieu est le pain et la vie.  Il avait vraiment mérité de graver la loi  celui qui avait renoncé en totalité à  tout ce que la loi  blâmait dans l’homme.   Le jeûne préexistait sans doute  à Moïse,  mais il ne l’aurait jamais rendu tel  si le chiffre sacré quarante avait été absent.

 C’est le jeûne qui a élevé Elie jusqu’au ciel.  Et, à un corps purifié,  il a ajouté  l’apport d’un char de feu,  pour démontrer que le feu de la géhenne qui brûle les coupables est secourable aux innocents.  Mais pour parvenir à cela,  même un Elie  a du parcourir,  avant,  la voie mystérieuse du chiffre quarante.

 Ézéchiel,  le plus sublime des prophètes,  demeura couché sur un côté pendant quarante  jours, je parle à des gens qui connaissent la loi, pour préfigurer la captivité future,  pour que ce chiffre sacré s’empare des iniquités et les détruise.  Il marche pour affranchir les captifs, et  supporte d’être ligoté pour relâcher les prisonniers.

 Voilà pourquoi  le Seigneur,  Auteur depuis toujours du sacrement caché dans ce chiffre,  a jeûné pendant quarante jours,   pour que ce qu’Il n’avait fait qu’esquisser  chez Ses serviteurs,  la Vérité elle-même, par Elle-même,  le porte à sa perfection.    Afin qu’elle affermisse ce qui était encore faible  et complète ce qui n’était qu’amorcé.   Il  confirmerait ainsi par l’exemple ce qu’Il avait institué par des préceptes.   Car il ne Lui aurait pas suffi de commander par la parole le sacrement d’un si grand chiffre,  s’Il ne l’avait pas recommandé par l’exemple.

 Mes frères,  nous nous sommes efforcés de révéler le mystère de ce sacrement en commençant par le déluge.  Mais nous n’avons pas osé  faire allusion aux choses antérieures, ni  rechercher ce qui est venu après.  Nous nous sommes refusé de parler de que l’on tait, ou de tout ce qui depuis longtemps est présenté comme certain.  Surtout parce qu’à moi il apparaît téméraire et à vous non nécessaire  de scruter les origines de ces choses.  C’est le propre d’une vraie dévotion, d’une très fidèle servitude,  de s’enquérir de ce que le Dominateur a voulu qui arrive,  non de chercher pourquoi Il l’a voulu.

Si donc le jeûne qui nous a été transmis par le Seigneur dans le sacrement d’un tel chiffre,  par tant de témoignages,  dure purement et simplement, en tout et pour tout,  quarante jours,  d’où vient ce changement,  d’où vient cette nouveauté  ?  Pourquoi, par trop d’indulgence,  en retrancher une semaine complète ?  D’où vient cet usage d’un jeûne intempestif,  qui afflige sans procurer le pardon,  ou qui renvoie à l’ivresse ?   Cela signifie être froid, être chaud dans la séparation;   déterminer soi-même dans la séparation  le sel et les remèdes pour son usage personnel;   et négliger le Créateur pendant toute sa vie. Que ceux qui apprêtent les mets du corps apprennent à doser la nourriture de l’âme,  de peur qu’un excès ou un manque de sel  n’engendre la nausée.     Que le jeûne soit le même pour tous,  comme il nous a été transmis.  Qu’il conserve la discipline de l’âme et du corps.   Celui qui ne peut pas jeûner  qu’il ne présume pas entreprendre des nouveautés.   Mais qu’il admette que c’est sa faiblesse à lui qui lui impose un adoucissement,   et qu’il rachète par des aumônes le jeûne qu’il ne peut pas faire.  Car le Seigneur ne requiert pas de gémissements de celui qui a racheté les gémissements des pauvres pour lui-même.
 
 
 
 

167ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(faites pénitence)

 C’est fort opportunément qu’en ce temps de jeûne nous arrive le très bienheureux docteur de la pénitence.  Un docteur en paroles et en actions,  un vrai maître,  car ce qu’il enseigne par la parole il le démontre par l’exemple.  C’est la science qui sacre le maître,  mais l’autorité du maître provient de la vie;  en faisant ce qu’il enseigne,  il rend parfait son auditeur.  L’enseignement par les faits est la seule norme de la doctrine.  Dans les paroles,  la doctrine n’est qu’une science;  dans les faits,  elle est une vertu.  La véritable science est donc celle qui est mélangée à la vertu.  Elle est divine cette science,  non humaine, au témoignage de l’évangéliste :  Qu’il a commencé à faire et à enseigner.  Quand le professeur fait ce qu’il enseigne,  il instruit par la parole et informe par l’exemple.

En ces jours-là, saint Jean-Baptiste vint prêcher dans le désert. de Judée et dit :  Faites pénitence, car le royaume de Dieu approche.   Faites pénitence !  Pourquoi pas plutôt : réjouissez-vous!   Parce que succèdent aux choses humaines les divines,  aux choses terrestres les célestes,  aux temporelles les éternelles,  aux maux les biens,  aux choses incertaines les certaines,  aux épreuves le bonheur,  aux choses périssables celles qui durent.  Faites pénitence.   Qu’il se repente,  oui qu’il se repente celui qui a fait passer les choses humaines avant les divines;  qui a voulu être le serviteur du monde,  mais qui n’a pas voulu que le Seigneur du monde ait la domination du monde.  Qu’il fasse pénitence celui qui a préféré périr avec le démon plutôt que régner avec le Christ.  Qu’il fasse pénitence celui qui a fui la liberté des vertus  et a préféré la captivité des vices.  Qu’il fasse pénitence,  et rigoureusement,  celui qui,  pour ne pas tenir la vie,  a tendu la main à la mort.

Le royaume des cieux  approche.   Le royaume des cieux est la récompense des justes, la condamnation des pécheurs,  et la punition des impies.    Béni soit donc Jean pour avoir voulu, par la pénitence, prévenir le jugement !  Il n’a pas voulu que les pécheurs soient condamnés,  mais que les impies entrent dans la récompense,  non dans le châtiment.  En conséquence,  il proclame à haute voix que le royaume des cieux est proche,  à un  moment où  un enfant encore innocent pouvait croire  avoir tout le temps devant lui pour  croître et vieillir.    Le règne,   à la façon des anges, nous le savons proche,  parce que  le monde épuisé par une vieillesse extrême,  perd ses forces,  dépose ses membres,  perd ses sens.   Tourmenté par les douleurs, il  ne prend plus soin de lui;  il meurt à la vie, vit de maladies, clame qu’il est démoli, et atteste que la fin arrive.    Or nous,  plus durs que les Juifs,  nous suivons le monde qui fuit,  nous oublions les temps futurs,  nous courons à perdre haleine après  les biens présents.   Nous ne voyons pas le jugement dans lequel nous sommes déjà plongés;  nous n’accourons pas au Seigneur qui vient déjà.   Mais nous voulons demeurer dans la mort;  nous ne voulons pas de la résurrection des trépassés.   Nous voulons être esclaves;  nous ne voulons pas régner, pour avoir la joie de   remettre  ce royaume à Notre Seigneur  Où a-t-il été écrit :  Quand vous prierez, dites :  que votre règne arrive !   Nous avons donc besoin d’une  plus grande pénitence,  et nous devons nous prescrire un remède  capable de guérir notre blessure.

Faisons pénitence,  mes frères,  oui,  faisons pénitence et le plus tôt possible, car le temps suffisant nous est déjà refusé,  car cette heure qui nous est encore donnée s’achève.   La  présence du Juge  nous refuse déjà le temps de la satisfaction.  Que la pénitence accoure, si elle ne veut pas être devancée par la sentence de condamnation !  Le Seigneur n’est pas encore arrivé,  nous L’attendons encore,  Il retarde.  Mais c’est  parce qu’Il désire que nous revenions à Lui, et que nous ne périssions pas,  comme Il l’a toujours dit avec une grande piété :  Je ne veux pas la mort du pécheur, mais que l’impie se détourne de sa voie et vive.   Revenons donc à Dieu en pénitents,  mes frères,  et ne nous laissons pas troubler par le rétrécissement du temps,  parce que l’Auteur du temps ne peut pas être rétréci.   Le larron évangélique démontre cela  lui qui, sur la croix et à l’heure de la mort, a ravi le pardon,  a envahi la vie, est entré dans le paradis par effraction,  et a pénétré dans le règne.   Et nous,  mes frères, qui n’avons pas recherché volontairement un mari,  acquérons du moins la vertu quand nous sommes forcés de le faire.  De peur que l’on juge que nous sommes nos propres juges, nous nous devons la pénitence à nous-mêmes, pour pouvoir casser  notre sentence de condamnation.

Le premier des bonheurs est de jouir de l’assurance d’une innocence perpétuelle, de conserver inviolée la sainteté de l’âme et du corps,  de n’avoir été pollué par aucune  ordure mondaine.    De n’être conscient d’aucune faute,  d’ignorer la blessure du péché;   de toujours posséder la grâce des vertus  et  de toujours vivre dans l’espoir des récompenses célestes.   Mais si,  par malheur, notre esprit  a été atteint par le javelot du péché,  si le crime a infligé à notre chair une plaie purulente,  si la fragilité humaine a été corrompue par la suppuration des vices, vient alors au secours  des malades,  non de ceux qui sont sains,  la médecine de la pénitence.    Alors, s’amène le fer de la componction,  le feu calcine  la douleur d’avoir péché;   les calmants sont appliqués aux soupirs  et  la fièvre d’une  âme enflée s’évapore.  Alors les ulcères du coupable sont ponctionnées   par les larmes;  les cilices expulsent  les immondices du corps.  Qu’il supporte,  oui,  qu’il supporte  le traitement amer de la pénitence  celui qui n’a pas voulu conserver sa santé comme il le devait.  Ce traitement n’est pas pénible à celui qui chérit la vie.  Qu’il ne soit pas perçu comme  malencontreux le médecin  qui rappelle au salut par la douleur.  Celui qui conserve le crédit de l’innocence,  n’a pas à payer les intérêts usuraires de la pénitence.

Le Seigneur nous fait comprendre cette vérité en disant :  Le médecin n’a pas à s’occuper des gens en santé,  mais des malades.  Et Il parle en toute clarté de ceux qui vont mal en disant :  Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.   Jean les rappelle par la pénitence,  Jésus les appelle par la grâce.   Voilà pourquoi Jean,  par le vêtement, la nourriture et le lieu,  est tout imprégné de pénitence.  Jean Baptiste vint dans le désert de Judée prêcher la pénitence :  Faites pénitence.  Jean clame la pénitence  dans le désert  de Judée,  lequel ,  par sa stérilité,  avec perdu  le culte de la loi,  l’enseignement  des prophètes,  la fécondité des pères,  et le fruit de Dieu.   C’est donc avec raison  que ce sont les déserts des disciplines,  non des hommes,  non des lieux,  qui sont appelés à la pénitence.   La voix résonne là où il n’y a pas d’auditeur.

Il avait lui-même un vêtement en poils de chameau.   Il aurait pu se le faire en poils de chèvre,  mais il n’avait pas besoin de cilice.  Il choisit les poils de l’animal le plus disgracié,  qui n’a ni forme  ni charme  ni beauté;   que la nature a assigné à un dur travail;  qu’elle a chargé d’un lourd poids et  qu’elle a livré à une servitude extrême.  C’est pour une pénitence de cette nature  que le maître s’est vêtu de ce  vêtement.   Pour que ceux qui, bien que droits,  se sont détournés de la discipline,  et qui sont devenus difformes en se rendant conformes aux pécheurs,  se soumettent avec plus d’ardeur  aux hardes de la pénitence,  et y ajoutent les durs tourments de l’expiation;  et pout qu’ils poussent les soupirs laborieux de la componction.  Pour que, étant réduits  à la taille d’une aiguille,   ils entrent,  par le chas étroit de la pénitence,  dans le vaste espace de la rémission des péchés.    Et  pour que la parole du Seigneur soit accomplie :  Un chameau peut-il passer  par le chas d’une aiguille

Voici. A lui étaient les sauterelles, à moi le miel de la forêt.   La sauterelle, qui est attribuée aux pécheurs qui se fustigent,  figure à bon droit dans le menu de la pénitence.  Pour que, s’exilant du lieu du péché au  lieu de la pénitence,  le pécheur  puisse s’envoler au ciel sur les ailes du pardon.   C’est précisément  ce que le Prophète avait compris quand il disait :  J’ai été placé en dessous comme une ombre qui décline, j’ai été secoué comme une sauterelle.  Mes genoux se sont affaiblis à cause du jeûne, et ma chair a été transformée à cause de ta miséricorde.   Tu entends de quelle façon il a sauté du péché à la pénitence comme une sauterelle,  et comment il a incurvé ses genoux  pour porter sur ses épaules le poids de la pénitence.   Et le miel est ajouté à son régime,  pour qu’il tempère l’amertume de la pénitence par la douceur de la miséricorde.
 
 
 
 

168ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(les cent brebis)

 S’aventurer en pleine mer,  et gravir des sentiers glissants et impraticables  exige un voyageur expérimenté.  De la même façon,  comprendre quelque chose aux paroles de Dieu,  et en pénétrer le sens jusqu’à la moelle,  c’est la loi divine qui le donne et l’enseigne.  Détachons donc le bateau de notre esprit du rivage de notre chair, et engageons-nous dans la haute mer du sermon évangélique,  croyant qu’ayant le vent du Saint-Esprit en poupe ,  nous arriverons au port de l’intelligence céleste.

 Notre Seigneur, aujourd’hui,  incite les pécheurs à espérer le pardon;  et réprime par un exemple les murmures des orgueilleux.  Il y avait des publicains et des pécheurs qui s’approchaient de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient en disant : Cet homme fréquente les pécheurs et mange avec eux.    C’est ainsi que voit l’envieux,  c’est ainsi que réagit le superbe.   C’est ainsi que l’avare comprend, c’est ainsi qu’interprète  le méchant.   Il reçoit les pécheurs.  Ils ne disent pas :  Il les prend en charge.   Et qu’ont-ils à objecter s’Il reçoit ce qu’Il a perdu  ?   Il pardonne les fautes, change Sa colère en joie,   Sa douleur en action de grâce,  Celui qui trouve ce qu’il a perdu.  Dieu accueille les pécheurs.  Dieu accueille les pécheurs,  mais les pécheurs qu’Il reçoit, Il ne leur permet pas de le demeurer. Le pécheur ne vicie pas Dieu en L’approchant;  c’est Dieu qui sanctifie le pécheur en S’approchant de lui.     Pharisien,  le Christ n’accueille pas les péchés, quand Il reçoit le pécheur;  car ce n’est pas le  crime que Dieu accueille, mais l’homme.  Le Pharisien aurait donc dû voir comment étaient les pécheurs  quand ils retournaient,  plutôt que  quand ils entraient.  En tout cas,  il est certain  que le Paul qu’ils avaient envoyé  persécuteur, ils ne l’ont pas vu sortir prédicateur. Mais écoutons la parabole que Dieu a composée pour nous faire comprendre la joie qu’Il ressent du retour du pécheur.

 Et Il leur dit cette parabole : Quel est l’homme parmi vous qui, ayant cent brebis, perd l’une d’entre elles,  n’abandonne pas les quatre-vingt dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui était perdue jusqu’à ce qu’il la trouve ?  Et quand il l’a trouvée,  il la met, tout joyeux, sur ses épaules. Et de retour à la maison,  il convoque ses amis et ses voisins,  et leur dit :  Fêtez avec moi, parce que j’ai trouvé ma brebis qui était perdue.  Ainsi,  je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt dix-neuf autres qui n’ont pas besoin de pénitence.   A chaque fois que nous retrouvons quelque chose que nous avons perdu,  nous éprouvons des sentiments d’exaltation et de joie;  et il nous est plus agréable d’avoir trouvé ce que nous avons perdu,  que de ne pas avoir perdu ce que nous avons conservé.   Mais cette parabole nous parle plus  du Cœur divin que du comportement humain,  et elle en exprime toute la vérité.   Abandonner ce qu’il y a de plus grand,  choisir ce qu’il y a de plus petit,  c’est le propre de la puissance divine,  non de la cupidité humaine.   Parce que Dieu fait exister ce qui n’est pas,  et Il part à la recherche de ce qui est perdu,  tout en gardant ce qu’Il abandonne.  Et Il retrouve ce qu’Il a perdu sans perdre ce qu’Il conservait.   Ce Pasteur n’est donc pas un pasteur de cette terre,  mais du ciel;  et cette parabole  ne décrit pas les soucis humains,  mais dépeint confusément les mystères divins.

 Comme le choix du chiffre cent  nous le fait comprendre.  Quel homme parmi vous ayant cent brebis, perd l’une d’entre elles.  Pourquoi pas cinquante,  pourquoi pas deux cent,   mais cent ?  Pourquoi pas quatre,  pourquoi pas cinq,  pourquoi pas une ?   Pour faire comprendre que c’était le chiffre plutôt que le dommage causé  qui expliquait le surplus de souffrance.  Car la perte de l’une  porterait atteinte à   la totalité du chiffre cent; et le tout,  de la droite,  dégénèrerait vers la gauche.  Avec la perte  de l’une,  la gauche mettrait tout sous clef,  et la droite n’aurait rien.  Le chiffre quatre-vingt dix-neuf  est enfermé à l’état latent dans la gauche.    Il y est à l’étroit,  il y est enchaîné.   Mais dès qu’il perçoit l’augmentation d’un chiffre et en réalise l’importance,  il passe à la palme de la droite,  et parvient à la couronne du chiffre cent.  Et si ne pas avoir le chiffre cent est un motif de douleur,  quelle douleur ne doit pas être celle de  l’avoir perdu ?   Vous voyez que, par la perte d’une seule brebis,  ce Berger déplorait que tout son troupeau ait quitté la droite et en ait été retranché,  pour passer à la gauche.  Voilà pourquoi Il quitte les quatre-vingt dix-neuf,  voilà pourquoi Il part à la recherche d’une seule,  voilà pourquoi Il ne s’enquière que d’une seule,   pour trouver toutes ses brebis en une seule,  pour réintégrer l’ensemble du troupeau en en réintégrant une seule.

 Mais il est temps de révéler le secret  de la parabole.  L’homme qui a cent brebis est le Christ,  le bon Pasteur, le Pasteur miséricordieux,  qui  avait placé tout le troupeau du genre humain dans une seule brebis, Adam.    Il l’avait logée dans les lieux enchanteurs du paradis, dans une région aux pâturages vivifiants.  Mais cette brebis a oublié la voix de son Berger,  a prêté foi  aux hurlements du loup,  a perdu les tiges des plantes salutaires, et a été meurtrie de plaies mortelles.   Venant la chercher dans le monde, le Christ   la trouve donc dans la région de l’utérus de la vierge.  Il vient dans la chair de Sa nativité,  et la réconfortant avec Sa croix,  Il la place sur les épaules de Sa passion.    Et  Se réjouissant de toute la joie de Sa résurrection,  Il l’apporte au ciel par Son ascension,  et l’a fait entrer dans Sa demeure.

 Et il appela les amis et les voisins.   C’est-à-dire,  les anges.  Et leur dit :  Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé la brebis qui était perdue.  Les anges se félicitent et se réjouissent  avec le Christ du retour de la brebis du Seigneur.    Ils  ne s’indignent pas qu’Il siège au-dessus d’eux sur le trône de la Majesté,  car la jalousie a été expulsée du paradis avec le démon.   Le péché d’envie ne pouvait pas entrer de nouveau dans le ciel par l’Agneau qui a enlevé le péché du monde.  Mes frères,  Il est venu,  Lui,  nous chercher sur la terre;  cherchons-Le,  nous, au ciel.  Il nous a portés, Lui,  pour la gloire de Sa divinité;   portons-Le, nous,  dans notre corps,  par la sainteté la plus grande possible.   Glorifiez et portez Dieu dans votre corps.   Il porte Dieu dans son corps celui qui ne porte aucun péché  provenant de  sa chair.
 
 
 
 

169ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la drachme perdue)

 Dans tous les textes évangéliques se cachent des sens mystiques,  et nichent les secrets de l’intelligence céleste.  Le savent ceux-là seulement qui ont reçu la grâce du Saint-Esprit.  Après avoir trouvé la brebis du troupeau centenaire qu’Il avait longtemps cherchée,  et l’avoir ramenée au bercail céleste à la plus grande joie des anges,  Il nous propose, en Son évangile,   l’exemple d’une femme.  Cette femme allume sa lumière pour chercher une des dix drachmes qu’elle avait perdue. Après l’avoir trouvée,  la joie qu’elle en ressent  et le gain qu’elle a fait  deviennent une cause de joie dans les cieux.  Le Seigneur parle ainsi :   Quelle femme ayant dix drachmes,  si elle perd une drachme, n’allume  pas sa lampe et ne met pas sa maison sens dessous dessus, et ne cherche pas avec soin, tant qu’elle ne l’a pas trouvée ?  Et quand elle l’a trouvée,  elle convoque les amies et les voisines et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai retrouvé la drachme que j’avais perdue.  Je vous le dis : c’est ainsi qu’il y aura de la joie devant les anges de Dieu, pour un seul pécheur qui fait pénitence.

 Est-ce que tu penses que cette femme est tout ce qu’il y a de plus ordinaire ?  Qu’elle ait eu dix drachmes,  faut-il l’entendre à la façon humaine ?  Faut-il croire que c’est par hasard qu’elle en a perdu une ?   Ou qu’il fallait absolument qu’elle la cherche pendant la nuit ?  Ou qu’elle a allumé la lampe  comme tout le monde le fait ?   Qu’elle l’ait perdue et retrouvée précisément dans sa maison,  est-ce une chose normale ?   Est-ce quelque chose d’usuel  qu’elle ait appelé ses amies et ses voisines pour se réjouir,  alors qu’elle  ne les avait pas appelées pour pleurer quand elle l’avait perdue ?     Autre incongruité :  ce n’est pas la perte de la drachme qui est déclarée,  mais sa retrouvaille.  Autre surprise :  elle a été cachée dans les ténèbres d’une maison,  au lieu d’avoir été enfouie par la malice d’étrangers.  Vous voyez que tout ici est singulier,  que cette parabole dépasse et transcende le sens commun.  Vous voyez à quel point elle  exhale  et embaume  un sens divin;  à quel point elle emporte au ciel la vue de l’esprit !   Comme elle l’installe dans les choses divines,  et comme elle nous oblige d’allumer la lanterne de notre cœur spirituel;  et,  à l’instar de la femme de l’évangile,  de chercher  la drachme de la science du salut,  dans l’obscurité de la parabole  du Seigneur.

 Avant que le Christ se rende à la brebis errante,  et soulève  sur Ses épaules jusqu’au ciel la brebis repentante, après avoir marché dans les broussailles et les ronces;  et avant que,  chargé de l’animal dont Il avait pitié,  Il  parvienne à des bercails inaccessibles au loup,  une femme ayant dix drachmes supportait les longues ténèbres de la nuit.   Elle ne pleurait pas seulement la drachme qu’elle avait perdue,  puisqu’elle ne voyait pas dans la noirceur les neuf autres qui lui restaient.  La nuit était pour elle continuelle;  c’était pour elle une noirceur profonde et persévérante.   Sans le feu divin,  sa lampe ne luisait pas  assez  pour la consoler pendant la nuit.  Mais après que le feu spirituel,  dans la pluie de feu du Saint-Esprit,  se soit répandu sur les Apôtres,  et qu’Il ait embrasé de toute la chaleur de son feu les cœurs froids et léthargiques des mortels,  la femme, i.e. l’Église,   allume sa lumière,  c’est-à-dire  le regard  intérieur du cœur,  comme le dit l’apôtre,  les yeux illuminés de votre cœur.  Elle allume donc sa lanterne,  et après le travail des Apôtres,  elle écarte la lampe à l’huile  judaïque noircie  par les ténèbres de l’ignorance,  jusqu’à ce qu’elle retrouve dans le Christ l’une des dix drachmes qu’elle avait perdue,  les dix drachmes représentant le décalogue.

 Le Christ est la Pièce d’argent  remplie de divinité.  Il est la Drachme de notre rédemption et de notre rachat.   C’est Lui qui était dans le décalogue de la loi,  et qui S’y tenait caché.  C’est le Christ que possédait elle aussi la Synagogue;   mais,  envahie par les ténèbres,  elle ne Le voyait pas.  Nous disons donc que les dix drachmes sont les dix paroles de la loi.  De ces paroles,  la Synagogue avait perdu  un Verbe.   Lequel ?  Celui que Jean a été le premier à avoir trouvé dans l’église,  parce qu’il était une lumière ardente, au dire du Seigneur :  Il était une lampe ardente.  Et au dire de l’Évangéliste :  Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.  Il est clair que cela était déjà dans le décalogue :  Écoute, Israël,  le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu.   Ne voyant pas cela dans le Fils,  la Synagogue l’a perdu dans le Père.  N’ayant pas cru au Christ,  elle L’a crucifié à mort.   Le décalogue avait eu raison de lui dire : Tu ne tueras pas.   En décapitant la série des commandements,  la Synagogue  a été homicide de la loi avant de l’être du Christ.  Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère.  La Synagogue est condamnée parce que, en se joignant aux dieux des nations, elle a rejeté le Christ;  et  après avoir mis de côté  la puissance  du Dominateur,  elle a glissé vers l’affection du conjoint.   Tu ne commettras pas de vol.  Elle a volé la résurrection du Seigneur  en subornant les soldats avec de l’argent,   pour qu’ils enterrent la résurrection et occultent la vérité.   Tu ne feras pas de faux témoignage.  C’est elle qui a  convoqué de faux témoins, pour que l’Écriture s’accomplisse :  Des témoins iniques se levaient et m’interrogeaient sur  des choses que j’ignorais.  Et, en toute vérité,  elle ne pouvait pas autrement trahir l’Auteur de la vérité,  parce que la fausseté combat toujours  la vérité.   C’est ainsi que perd pied  et tombe par degrés celui qui chancelle  et s’écroule du haut de l’échelle des commandements. Car si la Synagogue avait cru que le Seigneur Dieu est un Dieu unique,  elle ne se serait pas rendue jusqu’à ce gouffre ruineux.

 Mais nous,  suivons la lampe de notre mère l’Église,  et en marchant à la lumière du visage du Seigneur,  nous parviendrons à la drachme du Christ;  et nous convoquerons les amies et les voisines, c’est-à-dire,  les églises des Gentils,  de peur qu’ils ne sachent trouver  leur drachme qui est notre mère.   Et disons avec le Prophète :   J’ai préparé une lampe pour mon Christ.   Et de quel profit fut cette lampe,  écoutons-le :   Nous avions entendu parler  d’elle en Ephrata. Nous l’avons trouvée dans les champs de la forêt. Nous sommes entrés dans ses tentes. Nous avons adoré dans le lieu où ses pieds s’étaient posés.  Voici que ce que nous cherchions dans des champs éloignés et dans des forêts denses,  nous l’avons trouvé  dans le Seigneur,  avec la lanterne de notre mère.   De cela se réjouit même le Ciel,  parce que dans un seul pécheur qui fait pénitence,  c’est toute la plénitude du peuple chrétien  qui fait cercle,  et toute la forme de la divinité du Christ resplendit dans notre drachme.
 
 
 
 

170ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(explication symbolique du ministère de Jésus et des Apôtres )

 En nous racontant aujourd’hui que Jésus parcourait les villages de la Galilée,  le bienheureux Marc  nous révèle  l’amour respectueux et ineffable qu’il nous porte.  Jésus faisait tout le tour des villages en enseignant.   Vous avez entendu comment Il circule en rond,  comment sa pitié infatigable te recherche,  comment Il marche pour toi et à cause de toi.  Et Lui qui a tout commencé, qui n’est contenu par aucune créature, entre dans ton corps où Il se sent à l’étroit,  se contracte pour se glisser  dans ta demeure.  Et Celui dont la voix des fidèles atteste tous les jours la Majesté en clamant : Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire,  circule , apparaît,  se montre, est contenu dans des villages,  à cause de toi.  Où peut bien se mouvoir la Plénitude immobile ?   Où va-t-Il et d’où vient-Il Celui qui remplit toutes choses ?   Et pourtant,  Il va, revient, descend, monte;  et l’Homme Dieu supporte tout cela pour toi,  parce qu’Il te chérit extrêmement;  parce qu’Il t’aime avec excès.

 Il prend diverses apparences,  varie les formes,  change ses modes d’intervention. .  Il  resplendit maintenant pour toi dans le buisson de feu,  pour que la chaleur de la foi te réchauffe,  toi,  qui es frigide de perfidie. Aujourd’hui,  la flamme brille dans la colonne céleste,  pour qu’après avoir chassé les ténèbres de l’ignorance,  tu puisses,  à travers les déserts de ce monde,  parcourir la voie de la science du salut.  C’est maintenant pour toi que la nuée prend la forme d’une colonne,  pour qu’elle tempère le feu brûlant de tes passions.   C’est maintenant que comme l’aigle,   Il te couve avec les ailes de la sagesse,  et te provoque à t’envoler vers le ciel.   C’est Moïse qui le dit :  Comme l’aigle protège son nid, et veille avec assurance sur ses petits, étendant ses ailes, il les attrape et les reçoit par-dessous sur ses épaules  ,seul le Seigneur les éclairait,  et il n’y avait pas avec eux de dieux étrangers.    Maintenant, comme la poule qui  nourrit, guide, appelle,  accueille, protège,  porte, réchauffe,  abrite et entoure ses poussins de son corps;  comme la poule   qui ne pense pas à s’envoler,  qui ne se soucie pas pour un temps de sa propre sécurité,  Il est entré dans ta maison,  Il a vécu dans ta poussière,  pour te nourrir,  t’instruire et te fortifier,  avec des mets locaux traditionnels qui te sont familiers.  C’est maintenant que comme un bon pasteur, Il  recherche Seul la brebis errante sur des monts élevés,  est le Seul à la trouver et à la mettre sur Ses épaules.  Et pour que tu ne vagabondes plus sur des terrains propices aux morsures de loup,  Il t’emporte et te conduit vers les bercails célestes.

 Ainsi, comme nous l’avons dit,  Il prend différentes apparences,  et varie les formes.   Et pour t’améliorer,  à chaque fois qu’il le faut,  Il change et rechange  ses modes d’intervention.   Et parce que depuis longtemps,  l’ennemi tournait en rond pout te mettre en pièces et te dévorer,  il est maintenant nécessaire que le Christ tourne en rond  pour te venger et t’arracher de ses griffes,  comme le dit l’Ecriture :   Votre adversaire comme un lion rugissant tourne en rond cherchant quelqu’un à dévorer.

 Et il convoqua les douze.   Après de longs siècles de nuit noire,  le Jour éternel, notre Christ,  reparut lumineux,  avec la splendeur désirée de Son aurore.  Il a, à n’en peut douter,  reproduit ses douze heures sur Ses douze disciples.  Ce jour,  le bienheureux psalmiste  le vit avec son esprit prophétique quand il chanta :   Voici le jour que le Seigneur a fait.  Réjouissons-nous et exultons en lui.   Voilà pourquoi  l’Apôtre appelle les croyants les fils de la lumière et de la foi.   Vous êtes les fils de la lumière et du jour.   Et Il convoqua les douze.    Ce chiffre douze,  par un quaternaire,  nous montre et forme un quadrige tripartite.   Par ce quadrige,  toute  la Trinité  est véhiculée et transportée dans les courses apostoliques,  pour que ce doux Soldat  fasse la guerre au diable;  pour que ce Vainqueur modeste abaisse la superbe du monde;  pour que le guerrier élimine  les discordes pacifiques des Gentils.   Pour que, après avoir décapité l’enfer, i.e.,  la fosse du péché,  l’antique prison des âmes,  Il conduise à la gloire de Son triomphe  la libre captivité du genre humain.  Cette course de la Trinité le bienheureux psalmiste l’a vue avec son esprit prophétique quand il disait :    Tu es monté dans les hauteurs,  tu as fais captive la captivité,  tu as reçu des dons parmi  les hommes.   Le Seigneur a préparé cette course pour Lui,  pour son Père et pour le Saint-Esprit, quand Il a dit :  Prenez sur vous mon joug, parce que mon joug est suave et mon fardeau léger.  Il ne peut pas se lasser d’être miséricordieux,  ce transporteur de la piété.   Douze patriarches,  répartis en douze tribus distinctes,  douze fontaines dans le désert,  douze pierres du Jourdain  tirées du lit de la rivière,  tous ces douze  ont-ils été choisis pour être une image et une figure  du chiffre apostolique ?  Nous le laissons à déterminer à celui qui scrutera la loi plus en profondeur.

 Pourquoi le Seigneur a-t-Il envoyé les apôtres prêcher deux par deux?     La suite du texte que nous avons lu s’efforcera de le révéler.  Et il commença à les envoyer deux par deux.  Il les a envoyés deux par deux de peur que  la singularité, laissée à elle seule,  renie comme Pierre ou fuie comme Jean.   La fragilité humaine chute vite  quand l’orgueil la rend sure d’elle-même.   Elle méprise les compagnons,  et ne veut pas avoir de collègues.   C’est le Saint-Esprit qui le dit :  Malheur à celui qui est seul quand il tombera, s’il n’y en pas un autre pour le relever.   A quel point l’un est fortifié par l’aide de l’autre,  la même Ecriture l’atteste :  Un  frère qui est aidé par un frère est comme une ville fortifiée.  Et Il commença à les envoyer deux par deux.   Il n’y a par à s’étonner ,  mes frères,  si la Trinité  a monté dans un quadrige tripartite  provenant du chiffre douze,  et si maintenant Elle monte dans un char à deux chevaux,  pour montrer clairement la vocation des deux peuples dans les deux envoyés, au dire de l’Apôtre : Est-il seulement le dieu des juifs ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Très certainement, il l’est aussi des Gentils.   Pour que soit accomplie la prophétie d’Isaïe  qui affirme avoir vu quelqu’un montant un char à deux chevaux, quand il s’entend dire :  Que vois-tu ?  Et il répondit : Je vois quelqu’un qui conduit un char à  deux chevaux.  Et un peu après, il clame que Babylone  est tombée avec toutes ses œuvres d’art.   Qui doute, mes frères, que le Christ n’ait chevauché sur ces chars à deux chevaux,  quand il voit, qu’à la prédication apostolique,  les temples se sont  écroulés,  les idoles sont disparus,  le mugissement des taureaux a cessé,   les victimes et les autels se sont dissipés pour toujours    avec leur encens et leur fumée  ?   Habacuc a vu ces chars à deux chevaux quand il clama :   Qui monte sur tes chevaux, et qui est la santé de ton écurie.  Et il leur donna le pouvoir sur les esprits mauvais    Voici quelle est la marque de la divine vertu, la preuve d’un triomphe singulier :  que le diable  Lui-même soit livré comme proie à sa proie;  comme captif à ses captifs,  comme vaincu à ses vaincus,  dans la mesure même où il est soumis au pouvoir de ceux  dont la servitude avait fait autrefois sa grandeur.  C’est avec raison qu’il se lamente,  avec raison qu’il gémit,  qu’il grince des dents,  car il  se voit renversé par la sentence des hommes,  par la puissance des êtres humains,  celui  qui les avait longtemps trompés  en les persuadant qu’il était dieu.

 Et il leur commanda de ne rien apporter en chemin.  Un bâton seulement : pas de besace, pas de pain, pas d’argent.   Quand un homme invite des ouvriers à travailler pour lui,  il ne leur fournit pas seulement la nourriture nécessaire,   mais des banquets somptueux,  pour que le festin de la bienveillance déclasse et  surpasse  le labeur et le poids du travail.    Combien Dieu doit considérer inhumain celui, qui invité par Lui à travailler,  arrive plein d’anxiété,  et la besace remplie  de pains et d’argent ?   Ou l’ouvrier infidèle qui se rapporte au  travail épuisé ou en retard ?   Ou  qui ne peut pas s’y rendre ?  Il a promis des récompenses copieuses par tant d’engagements signés et  par tant de témoins,  Il a promis une si abondante moisson,  et tu penses, toi,  dans ton esprit impie,  qu’Il ne t’apportera ni pain ni vêtement ?   Quant tu n’étais pas,  Il t’a donné d’être;  et tout ce que tu as, o homme,  c’est Lui qui te l’a donné.  Même quand tu vivais pour toi et des voluptés,  Il ne t’a pas refusé la nourriture nécessaire.  Et quand tu le serviras par tes vertus et par tes œuvres,  tu t’imagines qu’Il ne te fournira pas le pain et le vêtement ?   L’argent qui est dans ta besace et que tu portes à  ta ceinture, qui te l’a donné ?  Pourquoi accours-tu pour L’insulter dans des choses  qui Lui appartiennent  ?  Il sait que tu es riche.   Cesse,  homme,  ce genre de comportement.   La pauvreté divine te suffit;  dépose les bagages de tes richesses.  Celui qui est chargé  ne peut pas parvenir, par la voie étroite,  au travail de la moisson divine.  Viens désencombré,  viens libre de tout travail,  avant que nu et dépouillé,  infidèle à tous tes engagements,  tu ne sois écroué pour subir ta peine.  Les richesses ne suivent pas le mourant.   Que ta conscience soit pour toi ta besace,  que ta vie soit pour toi le pain. pour que le Christ soit dans ta vie le vrai Pain,  Lui   qui a dit :  Je suis le pain.   Que ta récolte soit pour toi le prix,  car il exige en toute sécurité du Christ une récompense celui qui, pour être fidèle,  a méprisé et rejeté  ce qu’il avait.
 
 
 
 
 

171ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(des Apôtres qui ne se lavaient pas les mains avant de manger)

 La foudre ébranle l’esprit et les sens des hommes quand elle met en pièces les rochers,  les montagnes, les arbres,  et les toitures des maisons.   Elle les percute  de façon à  susciter la terreur.  De la même façon, à chaque fois  que le Seigneur tonne contre les  Pharisiens,  Il  corrige Ses fidèles en leur inspirant une peur salutaire, comme le rapporte l’évangile d’aujourd’hui :  les Pharisiens et les Scribes vitupéraient les disciples, parce qu’ils mangeaient sans s’être lavé les mains.  Que personne, en entendant cela,  n’aille s’imaginer que les disciples du Seigneur mangeaient,  par mépris de l’étiquette ,  avec des mains crasseuses et boueuses; qu’à la table du Seigneur et aux banquets, ils faisaient fi des règles élémentaires de la politesse et des bienséances.  Ce genre de comportement,  ni la nature ne le souffre,  ni les lois de l’hospitalité ne l’admettent.   Qui n’apporte pas de l’eau dans ses mains  pour rendre hommage à un visiteur;  ou qui attriste celui qui l’offre en la refusant ?  Surtout depuis que le Seigneur a blâmé  Simon qui L’avait invité à sa table :  Tu ne m’as pas donné d’eau pour mes pieds.    Il veut donc que nous fassions ce qu’on nous enseigne partout qu’Il exige.

 Mais les Pharisiens  ne se souciaient pas du soin que les disciples du Seigneur prenaient de leurs corps.  Ce qui les préoccupait,  c’étaient les baptêmes de leur superstition.  Ils ne savaient pas qu’il n’y avait qu’un seul baptême, que le Seigneur avait enseigné  non seulement pour laver les esprits et les corps,  mais pour les régénérer;  qui ne purifie pas  le corps  pour l’entretien de la vie,  mais la conscience  pour la sauver.  C’est ce que la prière du Prophète demandait quand il disait : Lave-moi encore plus de mon injustice.  Ce qui veut dire :   Combien de temps me laveras-tu légalement sans me laver ?   Lave-moi une fois pour toutes par ta grâce,  moi,  que les nombreuses ablutions de la loi n’ont su laver. Mais cela,  que nous le fassent comprendre les paroles de l’Évangile qui suivent :  Les Pharisiens et tous les Juifs ne mangeaient  pas à moins de se laver fréquemment les mains,  tenant cette tradition de leurs ancêtres. Et quand ils venaient de la place publique, ils ne mangeaient  pas sans s’être lavé les mains. Ils faisaient le baptême des coupes,  des cruches, des vases en cuivre, et des lits de table.

 Pharisien, comment peux-tu te croire pur, quand tout dans ton festin est pollué !  Au marché, tu as négocié  froidement le sang d’un innocent;  tu as recherché avec soin les moyens de t’emparer de la substance du pauvre;  tu as cherché à découvrir comment réduire la liberté en esclavage.  Et quand ton intérieur est si chargé de crimes,  comment l’eau suffirait-elle à te laver et à te nettoyer de l’extérieur ?  L’eau a pu purifier nos cœurs et nos corps quand elle a été elle-même purifiée par le commerce du Saint-Esprit,  pour qu’elle puisse accomplir,  par un signe visible,  le sacrement invisible de notre purification.   Mais toi, Juif, tu baptises des coupes,  des cruches, des vases d’airain.  Toutes ces choses sont privées de sentiment et de mouvement par nature : elles ne connaissent ni ne reconnaissent  la culpabilité.   Tu honores ces choses,  et toi,  par qui tout est contaminé,  tu ne te purifies pas.  Par tes traditions et tes rites,  tu purifies des choses qui ont été vendues;  et toi qui t’es vendu,  tu ne cherches pas à te purifier par des rites et des ministères divins.

 Mais écoutons, nous,  non ce que le Seigneur a répondu aux Juifs, mais  à Ses disciples.  Il disait  que  c’est ce qui sort de l’homme qui contamine l’homme.  De l’intérieur,  du cœur de l’homme procèdent les mauvaises pensées, les adultères,  les fornications, les homicides,  les vols, l’avarice, la malice, la ruse l’impudicité, le mauvais œil,  les blasphèmes, l’orgueil, la stupidité.  Tous ces maux procèdent de l’intérieur et contaminent l’homme.   Quelle étendue de terre,  quelle grandeur de ville, quelle largeur de pays faut-il pour pouvoir contenir  autant d’adversaires,  capturer autant d’ennemis,  s’emparer d’autant de nations que les vices, les péchés et les crimes  ne ravissent d’intelligences humaines, ne s’emparent de  cœurs d’hommes.  ?   Vous avez observé,  mes frères, que, pour attraper une seule brebis,  toutes les espèces d’animaux de proie accourent.  Elles sont d’autant plus acharnées  qu’elles ne peuvent pas s’empiffrer,  que les prédateurs à la dent vorace  ne peuvent pas se rassasier avec la capture d’une seule brebis.  Elles écument et se consument d’autant plus qu’elles ont été incapables de l’attraper et de la dévorer.  Comment expliquer que  pour une seule colombe, se précipitent  tant de milans,  tant d’aigles,  tant de vautours voraces,  toute une cascade d’oiseaux sordides !  Le Prophète avait eu vent de ce grand nombre, de cette multitude quand il chantait :  Des malheurs m’ont entouré qu’on ne peut compter. Mes iniquités m’ont saisi, et je ne pouvais plus voir.

 C’est de l’intérieur de l’homme qu’elles procèdent.    Il est tolérable l’ennemi quand, de l’extérieur,  il attaque le mur  avec le bélier.   Quand il est placé à l’extérieur,  il arrête parfois le combat.   Mais quand l’assiégé  voit que l’ennemi est à l’intérieur des murs,  que l’adversaire sévit avec violence  au cœur même de la ville,  son cœur ne bat plus,  il prévoit et déplore déjà sa captivité.   Il ne peut plus être son propre protecteur;  il ne peut plus être le libérateur des siens : il demande l’aide d’un autre,  il cherche un autre défenseur.   C’est de l’intérieur, c’est du cœur qu’elles sortent.  Voilà  une toute nouvelle façon de faire la guerre.   Les nations sortent à l’appel d’un homme  pour aller se battre contre un homme.  Elles ne se contentent pas de vaincre en cachette,  de terrasser l’ennemi en catimini.  Elles cherchent la gloire humaine en détruisant l’homme.  Les Juifs, qui sont sur la place publique,  se lavent et lavent leurs plats en public.  Nous, mes frères, c’est à l’intérieur que  nous nous purifions des saletés des vices.

 Ces nations d’iniquité, vainquons-les dans nos esprits, avec le Christ qui combat pour nous.   Chassons de nos cœurs  les bêtes des péchés par la terreur qu’inspire le nom du Seigneur.   Les oiseaux rapaces et  voraces des crimes  repoussons-les  violemment  loin de nos sens,  avec la lance de la croix.  Pour que la splendeur de notre cité,  la sainteté de notre temple,  la beauté  singulière de toute notre maison,  incitent et invitent  notre Auteur à toujours venir habiter en nous.   Les vices ne peuvent pas retourner là où  le Christ réside  à demeure avec Ses vertus.
 
 
 
 
 

172ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(« gardez-vous du levain des Pharisiens »)

Vous avez entendu, mes frères,  comment le portier s’interdit lui-même l’entrée,  quand il laisse les autres à la porte. Malheur à vous, docteurs de la loi, parce que vous avez enlevé la clé de la science. Vous n’y êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui entraient, vous les en avez empêchés. Vous avez donc entendu comment le portier jaloux s’est exclu lui-même en refoulant les autres. Le Pharisien avait reçu les clefs non pour tenir les portes fermées, mais pour les ouvrir à ceux qui désiraient entrer.  Mais pour ne pas laisser entrer autrui,  il a préféré ronger son frein à l’extérieur. Tous les vices recherchent ce qui est délectable, mais ils sont dommageables. La jalousie, elle, dévore plus complètement ceux qu’elle a parasités. Elle est toujours une bête fauve pour ses proies. Elle exacerbe les sens, torture  les âmes,  tourmente les esprits, et corrompt les cœurs. A quoi bon parler davantage ? Celui qui l’accueille en lui s’infligera sans fin à lui-même des supplices,  parce qu’il aime toujours avoir en lui un membre de la famille qui le torture. Comment trouver un terme aux malheurs là  où le bien de l’un est la peine de l’autre; là où  la félicité  de l’un est la torture de l’autre ?   C’est un mal exponentiel : autant il y a de prospérités chez les hommes, autant les envieux ont de tourments. Une âme chrétienne peut combattre les autres vices, mais celui qui ne fuit pas la jalousie avant de l’avoir rencontrée, ne s’en débarrassera jamais. C’est elle qui a persuadé aux docteurs de la loi de ne pas ouvrir la loi,  mais de la cadenasser;  de ne pas rendre accessible la doctrine du précepte du salut, mais de la nier; de verrouiller la fontaine de la science, et du flux vital; et d’obstruer en secret les richesses de leur origine. Cette maladie il faut la fuir à grande enjambée, car elle ne permet pas à ceux  qu’elle a atteints de recouvrer la santé.

L’envie a tenté  le ciel lui-même :  c’est là que,  d’un ange,  elle a fait un démon.  Elle a brulé les terres,  en nous bannissant,  avec un gardien enflammé,  des délices du Paradis .  Elle harcèle  les rois :  elle a poussé  le roi Hérode  à massacrer les bébés qui étaient du même âge que le Christ,  de façon à ce que,  de leurs membres délicats,   le lait a coulé avant le sang,     Elle viole la  charité :  c’est elle qui a fait de Caïn un fratricide,  et qui arrosa la terre encore innocente  d’un nouveau sang répandu.  Elle dévaste les peuples,  car, s’il est permis de le dire,  si le mot a du sens,  elle fit des Juifs des déicides.   Nous disons déicides,  non parce qu’ils sont parvenus à tuer Dieu,  mais parce que c’est à cela que tendait leur acte de scélératesse.   Car dans le Christ,  les Juifs  ne se sont pas efforcés d’opprimer seulement l’Homme,  mais  Dieu Fils de Dieu; ils ont cherché  à détruire son pouvoir.   N’ont-ils pas dit :  Voici l’héritier, venez, tuons-le, et l’héritage sera à nous.   Mais que peut le démon contre Dieu ? Qu’est-ce que l’envie peut opposer à la charité  du Seigneur ?   Le démon nous a envié la terre,  mais Dieu nous a donné le Ciel.   Le docteur de la loi a soutiré la clef de la science,  mais le Christ,  par Pierre,  nous a gratifiés des clefs du royaume des cieux.  Ainsi,  la jalousie  est privée de tout ce qui lui était avantageux;  et l’homme est enrichi des biens spirituels  par ces dommages temporels eux-mêmes que l’envie du démon a rendus nécessaires.

 Le Seigneur  a donc eu raison d’ajouter un peu plus loin : Gardez-vous du levain des pharisiens.   Parce que la masse obtenue par l’action du levain ne provient pas d’un accroissement,  mais d’une enflure;  et la pâte est boursouflée non dilatée.  Plus elle s’échauffe,  plus la boule de farine gonfle,  et plus elle est pleine de légèreté et de ballonnement.   On comprend dès lors pourquoi Jésus a dit :   Gardez-vous du levain des pharisiens qui est l’hypocrisie.   Qu’est-ce que l’hypocrisie  sinon un extérieur composé avec étude,  et qui  agit dans la réalité autrement que ne le promet le visage.  Cette hypocrisie chez les Pharisiens  était gonflée par la science :  La science enfle.   Car la science  les enflait de superbe;  elle ne les instruisait pas pour la conduite de leur vie.  Elle les corrompait en les rendant mauvais;  elle ne les améliorait pas en les rendant plus prudents.  L’hypocrisie était sur leur visage;  l’hydropisie de l’envie était dans leur esprit.     Il y avait dans leurs cœurs une fontaine asséchée; et  il y avait une eau bouillante  qui enflammait de plus en plus par ses flots,  qui n’étanchait pas la soif de celui qui en buvait,  mais ne faisait qu’aviver l’incendie.  C’est ainsi que quand c’est l’hypocrisie qui verse l’eau,  la jalousie boit toujours avant les siens.   L’Apôtre veut nous éloigner  de cette maladie :  Car nous,  non dans un vieux levain,  non dans un levain de malice et de méchanceté, mais dans les azymes de la sincérité  et de la vérité.   C’est l’azyme de sincérité et de vérité qui nous pousse à célébrer Pâques saintement.   La vérité ne connaît pas l’enflure;  la simplicité,  de toute évidence,  ignore l’hypocrisie.  Dans les azymes de la sincérité et de la vérité.   Voilà les azymes du cœur,  voila les pâtes pétries avec la douceur céleste,  rendues plus savoureuse par la graisse de la grâce,  et cuites avec le feu du Saint Esprit.   En les mangeant,  nous immolons solennellement notre Pâques,  l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde,  nous pour qui le Christ est né et s’est transmuté dans la joie totale et la gloire totale.
 
 
 

173ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la mort de saint Jean-Baptiste)

 Le bon pasteur passe ses jours et ses nuits dans l’anxiété,  pour que ni la ruse du voleur  ni la férocité astucieuse des loups  ne manigancent  rien de funeste ni de dommageable au troupeau chéri.  Le bon pasteur,  comme a dit le Seigneur,  dépose sa vie pour ses brebis.   Et les bonnes brebis  écoutent toujours la voix de leur pasteur d’une oreille attentive;  elles s’en tiennent toujours à sa décision;  elles font toute la volonté de leur pasteur.  Elles escaladent  les mamelons,  parcourent les terrains arides,  changent souvent d’alpages.  Et c’est ainsi qu’elles finissent par atteindre  les pâturages  idoines,  bien irrigués par les ruisseaux,  ombreux,  qui leur conviennent parfaitement : des sous bois qui invitent au repos.  Elles retrouvent alors les charmes de l’existence,  et jouissent  des agréments de la vie.

 Et vous,  mes petit fils,  portion imposante du troupeau du Seigneur, qui est déjà vêtue d’une robe de laine blanche neige et toute divine,  qui est fécondée par des semences célestes, et  couverte de moissons,  vous êtes parvenus,  à l’appel de notre voix,  aux lieux et aux pâturages salutaires.  Vous vous êtes étendus  confortablement  sur le lit de festin,  dans le vêtement de notre doctrine;  vous avez  prêté attention à ce  que nous réglons,  écouté ce que nous disons,  et approuvé ce que nous faisons.    Saisissez le sens de notre prédication non d’après ce que vous aimeriez qu’elle soit,  mais d’après l’enchaînement des idées.  Que nous parlions de cette marche,  ou que nous vous entretenions de la chaire sacerdotale,   rassemblez-vous et accourez avec la course de la foi,  comme de bonnes brebis,  comme des troupeaux chéris,  comme des enfants bien-aimés,  sans morgue et sans paresse.  Que les travaux de rénovation et l’espace réduit  ne vous dépriment pas, et ne vous fassent pas maugréer.  Car aucune brebis ne parvient au bercail  si elle erre ça et là à sa guise.  De la même façon,  le disciple ne pourra acquérir la science,  s’il veut être instruit selon ses goûts et caprices.   Nul malade non plus ne pourra recouvrer la santé  s’il veut qu’on le soigne selon son humeur et à son gré.   Mais parce que la lecture de l’évangile porte aujourd’hui sur un loup féroce,  saisissons le bâton du pasteur et passons à l’évangile qui vient d’être lu.

 Le roi Hérode avait entendu parler de Jésus, car ce nom était sur toutes les bouches. Il disait : Jean  est ressuscité des morts, voilà pourquoi des  miracles s’opèrent en lui.  Il est assez fou pour vénérer un mort  qu’il a persécuté férocement de son vivant.    Hérode,  qu’a fait ton glaive,  ta cruauté qu’a-t-elle obtenu, à quoi  a servi ton impiété  si, comme tu le dis,  il est revenu faire des miracles,  s’il est ressuscité pour accomplir des œuvres divines,  celui que ta fureur croyait avoir anéanti ?   Ici, ce n’est pas la personne qui a péri,  mais la faiblesse humaine;  ce n’est pas Jean,  mais c’est plutôt la mort qui a succombé par une telle mort.  La peine est illusoire,  dérisoire est le bourreau;  la sentence du misérable juge s’est fourvoyée,  puisqu’il n’a pas exterminé celui qu’il a assassiné,  mais l’a exalté.   Jean  est ressuscité des morts, voilà pourquoi des miracles s’opèrent en lui.   Et s’il s’avait que Jean ressusciterait,  pourquoi a-t-il été assez insensé pour le tuer ?   S’il savait qu’une telle mort devait l’élever  au sommet de la divine vertu,  et à tout ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la puissance divine,  pourquoi s’est-il fait l’auteur d’une telle mort ?  L’impiété est toujours atteinte de la fièvre;   c’est la frénésie qui maintient la cruauté au pouvoir;   la fureur ne manque jamais de démence.   Car elle sévit en elle à chaque fois qu’elle  assaille  autrui.   Elle se punit elle-même  à chaque fois qu’elle persécute un innocent.  Elle s’inflige une blessure mortelle  quand elle agit avec cruauté envers le juste.  Voici Jean.    Comme tu le dis toi-même,  il continue à vivre dans le Christ.  Il revient pour être ta punition,  celui qu’une mission céleste avait fait venir pour être ta guérison.

D’autres disaient que c’était Elie. D’autres disaient la vérité en disant qu’il était un prophète,  ou Le prophète.  En entendant cela, Hérode dit :  C’est Jean que j’ai décapité.  Il est ressuscité des morts.  Sa conscience mal intentionnée mais véridique est  un témoin de son crime,  un délateur de son forfait,  un accusateur de son péché sordide.  C’est Jean que j’ai décapité. Il est ressuscité des morts.   Il dit vrai,  car comme les Siens ressuscitent dans le Christ, le Christ,  Lui aussi,  souffre dans les Siens.   Et comme l’honneur rendu à la tête  déteint sur  les membres,  les peines infligées aux membres endolorissent la tête,  et l’injurient.   Voilà  Jean que j’ai décapité.  Ce roi sage,  qui est le juge suprême,  le censeur des mœurs,  le gardien de la discipline,  le vengeur de l’innocence,  la punition des criminels,  dit qu’il a décapité Jean.   Il tait la raison pour laquelle il l’a fait,  de peur que la turpitude d’un tel acte  ne sape son pouvoir royal.    Mais l’évangéliste, lui,  nous la révèle,  pour que l’ignominie de l’assassin  centuple  la gloire de l’assassiné.

Car Hérode envoya des soldats pour s’emparer de Jean,  et l’incarcéra à cause d’Hérodiade, femme de Philippe, son frère,  parce qu’il l’avait épousée.  Jean disait à Hérode : il ne t’est pas permis d’avoir la sœur de ton frère.   Hérodiade,  qu’un amour impie avait rendue l’épouse de deux frères,  violait  l’amour par l’amour  en se joignant  à Hérode.   Ils ne devaient pas différer  par le nom  ceux qui étaient semblables par le crime , les mœurs et la vie;  ils se devaient d’être  unis par le nom  ceux que la turpitude des forfaits  avait réunis.  C’est   Hérodiade qui tendait des embûches à Jean.    Elle ne réussissait pas encore à dominer l’âme de l’infidèle  Hérode.  Mais   l’adultère ne faisait que différer le mal.   Pour ne pas être celle qui inculpe,  elle machinait  la mort de celui qui avait le pouvoir d’inculper.  Lui,  pour plaire à une inceste,  captif lui-même,  il arrêta un juste  et l’enferma sous bonne garde,  parce qu’il n’est pas facile pour un coupable  de dicter la sentence de condamnation d’un innocent.

Quand un jour favorable arriva où Hérode organisa un banquet d’anniversaire pour les princes, les tribuns, et les premiers de Galilée, et quand entra la fille d’Hérodiade, quand elle dansa et  plut à Hérode et à tous ceux qui banquetaient avec lu,  le roi dit à la fille : demande-moi ce que tu voudras,  et je te le donnerai,  même si c’est la moitié de mon royaume. Et il  le lui jura.  Roi ingrat et inhumain,  qui pour une si grande prouesse,  un si glorieux travail,  un fait si mémorable  ne  donne pas tout son règne,  mais seulement une  moitié !   Et  pourquoi s’en est-il conservé une partie pour lui,  lui qui,  après la si grande gloire de sa maison,   après la si grande sainteté de sa famille,  après un tel exemple de chasteté,  ne devait même pas exister, paraître en public et vivre !   Celle qui est la fille du crime,  non de la nature,  ne court pas vraiment  à sa mère mais à la sentine de son crime,  pour que celle qui s’était montrée  gracieuse et ingénue  se révèle  cruelle et farouche;  et pour qu’elle se métamorphose en   tragédienne criminelle, --je parle ici en connaisseur--  celle qui avait sans pudeur joué la comédie.

Et retournant à sa mère, elle lui dit : Que demanderai-je ? Sa mère lui dit : La tête de Jean-Baptiste. Elle sortit,  et se dirigea en toute vitesse vers le roi, et lui fit sa demande en ces mots : Je veux que sur –le- champ tu me donnes sur un plateau la tête de Jean.  Le roi en fut contristé. Il envoya immédiatement un garde du corps,  et lui ordonna de décapiter saint Jean-Baptiste.  Il y alla et décapita le saint dans sa prison, apporta sa tête sur un plat, et la donna à la jeune fille. Et la fille la donna à sa mère.  C’est ainsi qu’exerce son métier de juge cette âme étranglée  par des crimes crapuleux, détraquée  par le vin, et qui a complètement sombrée dans le naufrage de l’ivrognerie.  Je veux que sur-le-champ, tu me donnes sur un plat la tête de Jean.  Elle  demande la tête d’un homme l’engeance de vipères,  sur la tête de laquelle pèse  une sentence de condamnation pour meurtre  au premier degré.  Comme a dit le Seigneur :  elle t’écrasera la tête, et toi tu guetteras son talon.

Que la prolixité ne nous fasse pas traîner ce sermon en longueur. Les richesses insondables de ce texte nous ont, d’ailleurs,  mené assez loin.  Remettons le reste à plus tard,  de peur que la hâte d’en finir ne nous fasse traiter superficiellement ce qui demande de longs développements.  En conclusion de notre sermon,  ajoutons qu’elle a couru pour rien;  car toute la descendance du serpent antique, c’est notre Jean qui,  en étant tué,  l’a tuée par l’effusion de son sang.
 
 
 

174ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la mort de Saint Jean-Baptiste)

 Les mets ensanglantés  du festin d’Hérodiade,  un banquet si sauvage,  la terre et le ciel l’ont alors eu en horreur et en ont épouvantés;  aujourd’hui,  c’est vous et moi qui le sommes.  Hérode commanda un banquet d’anniversaire.  Il choisit bien à propos un banquet nocturne,  car ce jour de naissance n’est pas sous le signe de la lumière, mais des ténèbres.   En ce jour,  ce n’est pas un fils du jour qui est né,  mais de la nuit.  Il commanda un banquet d’anniversaire pour les princes, les tribuns et les principaux de la Galilée.   L’impiété,  qui est toujours  imprudente et aveugle,  que projette-elle donc ?     Elle  convoque tous les puissants non pas tant  pour se donner un grand nombre de convives,  mais des témoins innombrables de son crime;  et il y a aura autant de juges de son forfait qu’il y aura  de  personnes chargées, dans son royaume, de faire respecter la loi et l’ordre.

 La fille d’Hérodiade entra, dansa, et plut à Hérode.   Elle est digne de ses parents  cette fille impudique  qui cherche à complaire à un père encore plus lubrique qu’elle;   car un adultère ne peut procréer que la turpitude.   Ses pas étouffés,  sa démarche traînante et indolente et son déhanchement,  ses larmes de crocodile,  toute cette difformité la rendait encore plus belle aux yeux de son père.  Et en toute vérité,  quand il la vit telle, Hérode la crut sienne;  car il aurait cru qu’elle était une imposteur  si, en l’inspectant,  il l’avait trouvée pudique.  Le serpent se cachait alors dans la femme,   qui en rampant avec des pas sinueux,  injectait  dans tout le corps un venin mortel, pour que sa rage affole  les esprits des convives, pour que son venin empoisonne les corps,  et pour qu’il transforme  les hommes en bêtes.  Pour que devenus tels,  ils ne s’abreuvent plus de vin mais de sang; et  pour que,  dans leur fureur,  ils ne se nourrissent pas de pain mais de chairs humaines.

Ils ont rendu les convives tels qu’ils étaient eux-mêmes, quand la tête de Jean  encore dégoulinante de sang leur fut apportée.  Pour donner raison à ce psaume :   Ils ont donné les chairs de tes saints aux bêtes de la terre.  Ils ont répandu leur sang comme de l’eau.   Voilà ce que produisent, toutes les nuits,  les banquets qui se poursuivent jusqu’à l’aube.     Voilà ce qu’engendre le vin quand il est acheté avec mesure mais est bu sans mesure.  Voilà  où est précipitée la chair  quand les incendies de la volupté enflamment  les actes luxurieux.  Je demande :  pourquoi être oppressé par de tels coins ?   Pour amener la ruine de la malheureuse chair,  la morsure des chiens suffit (?) Le  prophète l’attestait  quand il dit :  Pourquoi  vous ruez-vous  contre l’homme, et l’abattez-vous, vous tous,  comme une muraille qui penche, une clôture qui croule ?  En  Hérode, gisait  la chair opprimée par des ivrognes, et captive de l’ébriété.  C’est  quand la luxure titillait,  et quand la lascivité se jouait de lui  plutôt qu’elle jouait avec lui,  qu’il  a promis de donner ce que la turpitude demanderait.   Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai.  Il jure le misérable, en abjurant toute honnêteté et toute vertu. Demande-moi ce que tu veux.   Que peut bien demander la luxure si ce n’est  la mort de la chasteté,  le meurtre de la pudicité,  le trépas de la sainteté,  qui lui est toujours contraire ?   Je veux que tu me donnes sur un plat la tête de Jean.  Si le Christ est la tête de l’homme, selon l’Apôtre,  l’antique serpent tendait déjà vers la mort du Seigneur Christ.  Je veux que tu me donnes sur un plat  la tête de Jean.   Alors déjà, dans la tête du serviteur, le dragon avide  dégustait  la passion du Seigneur,  pour étancher sa soif.   Je veux que tu me la donnes sur un plat.   Pourquoi sur un plateau ?  Pourquoi  portes-tu respect à celui que tu as tué vilainement,  si ce n’est parce que la mort des saints est précieuse aux yeux de Dieu ?  Tu ne fais pas ce que tu veux comme tu veux le faire,  parce qu’ en toi,  une raison surnaturelle agit  autrement que tu ne veux.   Dans cet antre de bêtes féroces,--qui n’est plus une salle de banquet--,  la rage sauvage  crut qu’on lui présentait son repas  quand elle vit la tête du martyr.   Elle comprit que c’était vraiment le sien,  quand, assoiffée comme elle  était,  elle aperçut la liqueur du sacré sang.  Les mets de sa cruauté,  elle s’efforça de les empiffrer à pleines dents et à pleine gorge.

 Mais Jean vint,  porté dans les airs,  comme un cierge sur un candélabre,  pour mettre en fuite les ténèbres,  au dire du Seigneur :   Il était une lumière ardente  et brillante.   Il vint Jean,  resplendissant comme un juge à son tribunal,  pour condamner l’adultère,  réfuter et condamner  l’homicide.  Et celui qui de son vivant,  avait appelé miséricordieusement un inceste à la pénitence,  et se réservait de lui accorder le pardon,  condamnerait l’homicide après sa mort.   Comment méritait-elle le pardon  celle qui, dans la mort de Jean,  a cruellement assassiné la  pénitence elle-même ?  Vous avec couru pour rien,  Hérode et Hérodiade, -- que le nom mais non l’affection réunit--,  car vous avez stupidement cru faire taire la voix par un crime.  Je suis la voix qui crie dans le désert.   La voix ne peut pas être tuée;  elle crie davantage quand elle est délivrée des liens du corps.  Ainsi,  la voix d’Abel,  après avoir été noyée dans son sang,  résonne davantage,  porte plus loin,  et se rend jusqu’au ciel.  De la même façon  Jean  clame par toute la terre, rapporte à tous les siècles votre crime crapuleux,  et le fait voir ostensiblement aux Gentils.

 Aujourd’hui, Jean se glorifie du Christ qui est la tête,  parce qu’il a été estimé digne de la Tête.  Aujourd’hui, tu as célébré la  fin de ton jour de naissance,  et lui s’est conquis le jour de la naissance au ciel.   Le jour de ta naissance débouche sur la fin,  et le jour de sa fin débouche sur sa naissance au ciel.   Car le juste commence à  vivre quand  il mérite d’être tué pour le Christ.    Par cette mort,  la vie du martyr est transférée,  elle n’est pas supprimée. .  Il brille davantage par la mort celui qui est mort pour vivre éternellement.  C’est toi qui gis dans la mort;  Jean vit après avoir été tué.  Toi, tu as perdu le faux vêtement de pourpre hérissé de pointes; mais saint  Jean se glorifie d’être toujours revêtu  d’un vêtement  de pourpre éclatant rougi  de son sang.  Les participants à  ton festin  sont punis;  Jean, lui,  se nourrit à la table céleste avec les chœurs des anges.   Lui entend toujours la symphonie céleste;   toi,  tu entends toujours le gémissement et le grincement de dents de l’enfer.  Hérode   a reçu la récompense que pouvait octroyer  une débauchée et une danseuse.  Saint Jean, lui,  est honoré par son entrée dans le royaume,  et les récompenses célestes.   Toi tu as reçu la récompense de ta sentence de mort avec ta fille dans le tartare.   Joseph a abandonné son vêtement en fuyant l’adultère;  mais  pour ne pas voir l’adultère, Jean s’est jeté en avant avec son corps.  Pour ne pas commettre l’adultère,   Joseph  a subi volontairement l’emprisonnement;  pour criminaliser l’adultère,  Jean a échangé son désert pour une prison.  En révélant des songes, Joseph s’est évadé de  la mort;  pour révéler le Fils de Dieu,  Jean  a reçu même la mort.  En préparant un pain temporel,  Joseph mérita un collier d’or  et des honneurs; pour montrer le pain du ciel aux croyants,  Jean, en versant son sang,  a mérité le  collier du martyr.

 C’est avec raison que Jean est le plus grand  de tous ceux qui sont nés des femmes.   Il  n’a pas seulement vitupéré  contre l’adultère,  mais il  a foulé aux pieds aussi,  par l’amour de la virginité,   les relations conjugales licites.  Et si un si grand Jean,  un Jean si illustre,  qui était séparé des femmes par un vaste désert,  n’a pas échappé aux leurres  des femmes,  qui est celui qui, vivant au milieu des femmes,  pourra, par un extrême labeur,    leur filer entre les doigts,  s’il n’est pas alimenté par le Saint Esprit ?  Liu qui ensemble   avec le Géniteur et le Né  dispose  tous les siècles,  pour des durées  d’espace de temps éternelles.
Note du traducteur : « Je demande : pourquoi être oppressé par de tels coins ? Pour amener la ruine de la malheureuse chair, la morsure des chiens suffit.Mots illisibles.Vous constaterez facilement que ces phrases ne prennent pas naturellement la suite de ce qui précède et de ce qui suit. Mais, dans l’état actuel du texte, je ne peux pas aller plus loin.
 
 
 

175ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(consécration épiscopale de Marcellin par saint Pierre Chrysologue à Ravenne).

 Tous les débuts sont durs.  Mais les premiers enfantements sont les plus durs de tous.  Pour enfanter une première fois,  l’église de Ravenne  a du ouvrir la voie,  éprouver des angoisses,  endurer des souffrances.  Et elle a agi ainsi,  mes frères,  pour conserver l’ordre de l’enfantement divin dans tout le chemin de la vérité.   Car,  après que la vierge mère ait parcouru  le chemin qui traverse toute sa patrie,  pour enfanter le Premier-né de toute créature,  la fête de la nativité de Jésus  est dédiée aux enfantements virginaux et aux premiers nés.  Et, de toute nécessité,  mes frères, le Chemin est engendré en chemin,  pour interdire toute entrée à l’erreur, et pour que le voyageur ne demande que le ciel,  lui qui, en suant et en clopinant, a longtemps supporté la fatigue d’un voyage terrestre.

 Et il arriva en ces jours que parut un édit de César Auguste  pour le recensement de toute la planète.  Joseph monta, lui aussi,  de la Galilée, de la cité de Nazareth en Judée à la ville de David, qui s’appelle Bethléem,  parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour s’inscrire avec Marie, son épouse, qui était enceinte. Et il arriva en ces jours que furent terminés les mois de la grossesse, et elle enfanta son fils premier-né.  J’ai le goût, ici, de parler de souffrance.   A l’édit d’un César païen,  le Seigneur de l’univers s’est mis en branle pour s’y conformer;  et devant le décret du bienheureux Pierre,  et d’un empereur chrétien, le serviteur regimbe irrévérencieusement !  Mais puisqu’il ne faut pas mêler les adversités aux prospérités,  les tristesses aux joies,  passons cela sous silence,  et proclamons  la joie que nous apporte une nouvelle naissance.

 Que celui qui vient de naître,  qui est le premier à naître,  commande le respect qu’on porte à un premier-né,  et qu’il en reçoive les honneurs.  Marcellin,  aujourd’hui,  a ravi et conquis  toute l’affection qu’on donne à un enfant qui naît dans la maison.  Les fils l’entourent,  les proches sont présents,  toute la parenté est accourue,  la famille au complet exulte,  et les parties les plus secrètes de la maison  jubilent et sont en liesse,  parce qu’ils ont mérité de voir de leurs yeux,  de  toucher de leurs mains  aujourd’hui le premier enfantement d’une sainte mère, et un premier-né.   Elle qui est mère et épouse,  mère et vierge,  s’étonne, en rendant de nouvelles actions de grâce, d’avoir engendré dans son lit d’hyménée.  Mais que l’épouse ait enfanté sur sa couche nuptiale  n’émeut ni ne trouble personne.  Ce n’est pas le crime  qui conçoit mais la virginité ,  quand d’un tel germe  l’enfantement est céleste, non humain.   Mais il n’y a pas motif  à une suspicion sinistre, là où l’époux lui-même  est le témoin et le gardien de son épouse. Qui que tu sois qui es inquiet du fait,  sois rassuré par cet exemple suprême,  et que la rapidité de celui qui a précédé  t’invite à plus de prudence  et de soin.

 Joseph, mari de nom seulement,  époux en conscience,  regarde sa femme enceinte avec inquiétude et anxiété,  parce qu’il ne pouvait  accuser ni une innocente,  ni une femme enceinte.  Se taire n’était pas sur,  et il y avait du danger à parler.  Il admet ce qu’il ne peut pas nier,  mais il n’accuse pas de crime une innocente.  Il était lui-même le témoin de sa chasteté,  le gardien de sa pudeur.   Les yeux troublaient celui que  ne troublait pas la confiance qu’il avait dans la vierge.  Les actes et la vie traçaient deux chemins différents.   Son esprit juste et son âme sainte  étaient torturés par un fantôme à deux têtes.   Il comprend sans pouvoir être capable de pénétrer le sacrement, car il ne pouvait ni  l’accuser,  ni la répudier à la vue de tous.  L’ange est accouru à point,  une réponse divine est survenue au bon moment, car si le jugement humain  se trouve en défaut,  la Justice, elle,  ne défaille pas.  Et que dit l’ange ?  Joseph, fils de David,  ne crains pas.  Que pouvait-il craindre celui qui n’avait rien fait ?  Il craignait,  car même s’il n’avait aucun acte à se reprocher,    la situation lui inspirait une peur extrême.  Tout ce qu’elle ne peut pas comprendre inspire de la crainte à une âme sainte.

 Garde-toi donc, o homme,  de critiquer l’enfantement de notre mère,  quand suffit la réponse de l’ange :   Ne crains pas de recevoir Marie pour ton épouse, car ce qui est né d’elle est du Saint Esprit.  Elle a enfanté dans la joie  celle qui,  au fur et à mesure qu’elle enfantait,  a conquis la couronne et la gloire de la virginité.   Celui qui nous est né aujourd’hui tendait toujours les filets dans la mer.   Que personne ne s’étonne donc si Pierre jubile  d’avoir un collègue pêcheur.

 Priez donc, mes frères,  pour qu’il mérite de pêcher des hommes celui  qui  a jusqu’ici attrapé des poissons, pour pourvoir à la vie des hommes.

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Note : Ce texte est un peu difficile à comprendre. Voici quelques explications qui pourront aider. Saint Pierre Chrysologue sacre Marcellin évêque à  Ravenne. C’est la première fois qu’un évêque de Ravenne consacrait un évêque. C’est donc une première naissance et un premier nouveau-né. Il le fait le jour de Noël, ce qui  lui permet  de comparer les deux évènements par touches allusives.
A la fin du règne de son prédécesseur,  l’évêque de Ravenne avait été nommé métropolitain par le Pape et l’empereur; ses nouveaux évêques suffragants relevaient auparavant de l’archevêque de Milan.
Mais quand il a voulu exercer ce droit,  il a fait face à l’opposition  de certains évêques, car tous les évêques situés  sur la voie Emilienne,   relevaient dorénavant de lui. Il lui a fallu plusieurs démarches pour faire prévaloir son droit.   Ce fut un enfantement douloureux.

Le seigneur de l’univers, lui, a obéi à l’Empereur , et il s’est déplacé pour aller naître à Bethléem.  Mais le serviteur (l’évêque Marcellin) ne voulait pas obéir à l’empereur chrétien et parcourir la voie émilienne pour se rendre jusqu’à Ravenne,  alors que la Voie est née sur la voie .
Quand saint Joseph était dans une angoisse extrême,  il a obéi a l’ange,  alors que Marcellin  n’obéit qu’à contre cœur au Pape qui lui dit comme l’ange : ne crains pas ! « Garde-toi donc, o homme, de critiquer l’enfantement de notre mère ! » etc…etc…etc…
Marcellin était un laïque qui exerçait un métier pour vivre.
 
 
 
 
 

176ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(explication mystique de la guérison d’un aveugle)

 A toutes les fois que Dieu guérit les infirmités et les maladies désespérées des corps humains,  Il manifeste la puissance de Sa déité.  Mais quand,  pour une seule et même infirmité,  Il modifie Sa façon de guérir,  Il nous invite à investiguer avec soin les raisons pour lesquelles Il agit ainsi.  Car,  par une seule parole,  Il a restitué la vue à l’aveugle assis sur le bord du chemin.  Mais à celui qui était aveugle depuis sa naissance,  qui était né non de la lumière mais des ténèbres,   à qui la nature avait envié la vue,  et donc les yeux avaient été scellés et déniés par celle-là même qui les prépare et les ouvre,   Il  mit de la boue,  et en fit un cataplasme.  Il lui fit,  Il lui procura des yeux,  Il ne les guérit pas.  Pour que Celui qui avait fait l’homme au complet accorde à l’homme la lumière avec une main médicale.   Mais cet aveugle dont l’évangéliste Marc nous  rapporte la guérison,  est guéri d’une façon si nouvelle  qu’il oblige tout le monde à se demander pourquoi la cécité rébarbative  ose imposer un retard  à l’Auteur, par la volonté,  le regard,  la parole Duquel  les infirmités périssent, les santés se revigorent,  la vie commence,  la mort finit,  tout demeure ou se dissipe.

 Jésus vint à Bethsaïde,  et on lui amena un aveugle.   Et on lui demandait de le toucher. Et prenant l’aveugle par la main, il le mena dehors, à l’extérieur de la propriété.  Comme s’Il ne pouvait pas le guérir dans le lieu où Il était;  comme s’Il avait besoin de l’ambiance d’un lieu  Celui qui a donné la vue à tout ce qui vit.  La voilà  la Bethsaïde  dont le Seigneur a réprouvé l’infidélité en disant :  Malheur à toi Chorozaim, malheur à toi Bethsaïde, car si les miracles qui ont été faits chez vous avaient été faits  à Tyr  et à Sidon, ils auraient fait pénitence dans le cilice et la cendre !   Donc, après l’avoir pris par la main, Il le fait sortir de la maison de l’infidélité;   Il l’arrache à la demeure de la perfidie,  pour lui donner la foi avant de lui donner des yeux;  pour rendre la santé à l’esprit avant de la rendre au corps;  pour lui accorder la capacité de se guider lui-même  dans les choses humaines, avant de lui donner le signe de la divine vertu.   On demandait au Christ de le toucher.   Or, le Christ qui  ne sait pas ce que c’est que  le dégoût du pauvre,  qui sait aimer le pauvre,  le prend par la main;  et Dieu se comporte aux yeux de tous  comme le serviteur de la débilité humaine,  pour que l’homme n’ait pas horreur de l’homme,  pour que celui qui voit voie celui qui ne voit pas,  et qu’en le conduisant par la main,  il lui fasse oublier la perte de la lumière.    Pour que l’homme ne dise pas :  Ma main n’a rien à donner au pauvre.  Qu’il donne sa main elle-même au pauvre,  et il aura donné davantage que s il avait donné de l’argent.  En le guidant sur le chemin,  il lui aura donné beaucoup plus  que s’il lui avait donné une croute de pain.

 Et il l’amena dehors à l’extérieur de la propriété,  et il cracha dans ses yeux.  Par Son crachat, le Seigneur remplit les cavités vides de ses yeux,  Sa bouche divine donne une  salive productrice de lumière,   pour qu’une goutte de la sainte rosée baptise les yeux du pécheur;  pour que le pardon ouvre ce qu’avait fermé la faute.  Que personne ne doute donc que l’ondée divine ne puisse reverdir  les membres mortels rabougris,  quand il voit des yeux d’aveugles desséchés subitement rendus à la lumière par une petite goutte  de la salive du Seigneur.  Ils se lèveront les morts,  dit Isaïe, et ressusciteront ceux qui sont dans les monuments, et ils se réjouiront ceux qui sont sur la terre.    Comment ?  Car la rosée qui est de toi est santé pour eux.  Ce que la pluie est à la semence,  l’ondée du Seigneur l’est pour ceux qui sont en attente de résurrection.  Et il lui imposa la main. . En faisant l’homme,  en le réparant,  et en le façonnant,  les mains curatrices du Seigneur sont toujours présentes aux hommes.  Tes mains m’ont fait et formé,

 Et il lui demanda s’il voyait quelque chose.  Il interroge en tant qu’homme, Il agit en tant que Dieu.  Celui qui sonde les abymes,  qui pénètre les secrets des cœurs,  à qui  est à découvert tout ce qui est caché aux autres,  chercherait à voir dans Son œuvre,  avec Ses yeux,  peinerait pour voir,  connaîtrait d’après le rapport d’autrui ?   Loin de nous cette pensée !    Mais Il interroge pour que ceux qui sont présents sachent,  pour que ceux qui viendront après  connaissent  que la cure de cette cécité n’est pas simple,  mais a une valeur mystique.   A l’interrogation du Seigneur, celui qui est guéri répond que ce n’est pas encore la lumière qui lui est donnée, mais  une aurore,  une lumière naissante.  Je vois des hommes comme des arbres ambulants.  Aux yeux imparfaits,  les formes sont disproporrtionnées,   les lignes sont floues,  les apparences sont trompeuses.  Ils  ne jouissent pas encore de la vision,  mais n’en  ont que l’ombre.  Et pourquoi les hommes ressemblent-ils à des arbres et non à des colonnes ou à toute autre chose ?   Et pourquoi ne sont-ils pas immobiles  au lieu d’être en marche ?   Parce qu’après la cure du Christ,  il a vu que  les hommes, comme les arbres,  ne faisaient que passer dans ce monde,  qu’ils n’y étaient pas à demeure.   Celui que le Christ avait guéri  a vu que l’implantation de la race humaine dans cette vie était temporaire.   La cure de Jésus doit donc être réitérée  pour que les yeux devenus parfaits voient les choses futures qui sont certaines, stables et éternelles. Il posa de nouveau la main sur ses yeux et il commença à voir, et la vue lui fut entièrement  restituée,  de sorte qu’il voyait complètement tout.  Et il l’envoya dans sa maison en lui disant : Va dans ta maison, et su tu entres dans un village,  ne le dis à personne.

 Que s’ouvre  la compréhension spirituelle du texte,  pour que nous sachions qui est cet aveugle,  pourquoi il n’est pas venu spontanément,  mais est amené par d’autres;  pourquoi il est conduit par la main du Christ et est dirigé à l’extérieur de la propriété,   pourquoi il reçoit la vue ailleurs,  celui qui avait, auprès des siens, subi une longue privation de lui-même.  Mes frères,  cet aveugle est le Juif  qui,  étant dans la Synagogue, i.e., dans la maison de la perfidie,  et dans une propriété, i.e. dans l’assemblée des méchants,  était retenu par la cécité de l’ignorance, et était assis,  opprimé.  Voilà pourquoi il ne venait pas au Christ.   C’est le Christ qui est venu vers lui et l’a pris par la main,  pour qu’il attribue sa guérison au don de Celui qui l’a appelé,  et ne se glorifie pas de l’avoir reçu de la loi ou de son libre arbitre.  Il l’a amené à l’extérieur  pour que celui qui, sous le voile de la loi, ne voyait rien,   voie dans l’église la lumière de la foi,  par la liberté de la grâce.  Le Christ  lui impose une première fois la main   pour qu’il voie passer l’ombre de la loi;  pour qu’il voie les prêtres,  les scribes et les pharisiens  et toute la figure de l’observance judaïque passer comme des arbres,  qui dans le temps et avec le temps  vieillissent,  naissent, verdissent, fleurissent, fructifient,  périssent et disparaissent.  Il lui impose la main  de nouveau pour qu’en ressuscitant,  il ne voit pas les choses  obsolètes mais éternelles,  et voie ce qui se rapporte à la divine lumière,  à l’honneur et à la gloire.  Comme ce grand Paul, qui était l’un d’entre eux,  qui est tombé à l’extérieur de la ville et sur la route pour resurgir chrétien,  et  pour que celui qui est aveugle dans la loi  voie dans la grâce,  comme  il l’affirme lui-même :   Nous voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme  . Mais alors, nous verrons face à face.    Alors,  c’est-à-dire  quand ce qui a été enseveli dans la mort  surgira dans la vie,  et quand ce qui a été semé dans le mépris  surgira dans la gloire.
 
 

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