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Sermons de Saint Pierre Chrysologue
docteur de l'église catholique
406 - 450

Première traduction française des 176 Sermons de saint Pierre Chrysologue par JesusMarie.com, 19 août 2014
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Sermons 71 à 105

71ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

Mes très chers frères, Celui qui vous a donné de croire vous a donné aussi de prier, et la formule de la prière Il vous l’a rédigée en quelques mots. Quand Il demande quelque chose au Père, le fils n’a pas à se tourmenter pour savoir comment prier. Car comme la nécessité contraint le fils à demander, la charité pousse le Père à accorder La spontanéité du don du Père ne manifeste pas tant la nécessité qu’il y a à demander que ce qu’il faut demander, car le fils peut plaire à son Père en demandant ce qui est juste, et Lui déplaire en demandant des choses insensées. Ecoutez le Père, et croyez que vous êtes déjà fils, pour que vous puissiez obtenir sans faute ce que vous demanderez. Ce que vaut la foi, ce que peut la croyance, ce qu’est la confession, tout cela se découvre en vous. Voici que la confession trine de la Trinité vous arrache de la servitude terrestre pour vous élever à la filiation divine. La foi qui appelle Dieu Père vous a conquis aujourd’hui un Dieu qui est un Père. La parole qui confesse un Dieu Fils vous a adoptés comme fils de Dieu. La croyance qui proclame Dieu Esprit Saint vous a changés de la substance mortelle de la chair en la substance vivifiante du Saint Esprit. Qui pourra témoigner dignement d’une telle bienveillance? Dieu Père daigne avoir les hommes comme héritiers et Dieu Fils ne dédaigne pas d’avoir des esclaves comme cohéritiers. Dieu Esprit Saint rend la chair participante de la divinité, fait que le ciel devienne la possession des terriens; et ceux qui relèvent de la juridiction des enfers sont reçus au plus haut des cieux. L’Apôtre nous en apporte la preuve par ces mots : Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Appelez donc Dieu Père, et croyez que même si vous n’êtes pas encore nés, vous êtes quand même déjà désignés comme fils. Et mettez tout en œuvre pour que votre vie soit céleste, pour que vos mœurs soient divines, et que l’image de la divinité se reflète dans tout votre comportement. Parce que le Père céleste enrichit de dons divins ceux qui se montent dignes de leur naissance, et Il renvoie les dégénérés aux punitions de la servitude.

Notre Père qui es aux cieux. La conscience servile succomberait, la condition terrestre s’effondrerait si ce n’était l’autorité elle-même du Père et du Saint-Esprit qui nous incite à nous exclamer ainsi. Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs qui crie Abba Père. L’esprit s’épuise, la chair défaille à la pensée du divin, à moins que Celui qui ordonne ne réalise Lui-même ce qu’Il ordonne. Quand la mortalité peut-elle oser appeler Dieu Père ? Au moment où la vertu céleste anime notre cœur et notre âme. Notre Père qui es aux cieux. Homme, qu’as-tu de commun avec la terre, toi qui confesses que ton origine est céleste? Arbore donc une vie céleste dans la demeure terrestre ! Car si tes pensées s’inspirent de ce qui est terrestre, ta conduite entachera le ciel et injuriera ton Père céleste. Que ton nom soit sanctifié. Nous ne demandons pas que Dieu sanctifie son nom, puisque par sa sainteté ce nom sauve et sanctifie toute créature. Frères, voici le nom que redoutent les puissances célestes, que leur servitude reconnait en tremblant. Voici le nom qui donne le salut au monde perdu ! Mais nous demandons que, par nos actions, le nom de Dieu soit sanctifié en nous. Car quand nous agissons bien, le nom de Dieu est béni; il est blasphémé quand nous agissons mal. Ecoute l’Apôtre qui dit : Le nom de Dieu à cause de vous est blasphémé chez les nations. Nous demandons donc, nous demandons qu’autant que le nom de Dieu est saint, autant nous méritions que sa sainteté demeure en nos esprits. Que ton règne vienne. Nous demandons maintenant que le règne du Christ arrive, comme s’il n’avait pas toujours existé et n’était pas encore. Et où est donc ce royaume? Le royaume de Dieu est en vous. Il est en nous par la foi, mais nous supplions pour qu’il vienne en réalité. Mes frères, tant que le diable, par une grande diversité d’astuces et de fourberies, par son art multiforme de tromper, trouble l’ordre des choses, apporte de la confusion dans les sens et les mœurs de l’homme, sévit avec les idoles, incite aux sacrilèges, trompe par des augures, ment au moyen de la divination, séduit par des signes, se rit des humains avec l’astrologie, les amuse avec des spectacles, les attaque avec les vices, les blesse avec les péchés, les souille de crimes, et les conduit au désespoir, il éloigne de nous le royaume du Christ et nous en prive. Nous demandons donc qu’il vienne un temps où, après la chute de l’auteur d’un si grand mal, l’univers au complet, l’ensemble des créatures, règne et triomphe pour la gloire totale du seul Christ. Et qu’arrive ce qu’on , on demande après : que sur la terre comme au ciel, il n’y ait qu’une seule volonté, celle du Seigneur. Que la terre soit le ciel ! Que la vie soit Dieu ! Que le temps soit l’éternité ! Que la patrie soit le repos ! Que la fortune soit l’innocence ! Que l’honneur soit l’immortalité ! Que la gloire soit la chasteté ! Que Dieu soit tout !

Il a ajouté : Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Après la paternité de Dieu, après la sainteté du nom divin, après le royaume du ciel, on nous ordonne de demander le pain quotidien. Le Christ n’est pas sujet à l’erreur; ses demandes ne sont pas contraires à ses commandements. C’est Lui-même qui a dit : Ne vous inquiétez pas dans vos esprits de ce que vous mangerez et de ce que vous boirez. Mais Il est Lui-même le Pain qui descend du ciel, qui a transformé la manne de la loi en la farine de la grâce. Le pain qui a été pétri dans la passion de la croix, qui a fermenté dans le sacrement de la grande miséricorde, et qui a reçu du sépulcre le lavement d’une légère aspersion. Il a été cuit par la chaleur de sa divinité et a terminé sa cuisson dans la fournaise de l’enfer. A chaque jour, il est apporté sur la table de l’Eglise, comme une nourriture céleste, est rompu en rémission des péchés, rassasie ceux qui le mangent et les nourrit pour la vie éternelle. Voilà le pain que nous demandons qu’on nous donne à chaque jour, jusqu’à ce que nous nous en délections perpétuellement, de jour en jour. Et remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs. Le pouvoir de pardonner est à ta portée, c’est en toi que se trouve la capacité d’oublier. C’est toi qui es établi auteur de la rémission des péchés. C’est en vain que tu demandes qu’on te pardonne, si tu dédaignes pardonner à autrui, car c’est toi qui détermines pour toi quelle est la mesure de la miséricorde. Ce que tu attends d’autrui en fait de miséricorde, commence par le faire aux autres. Et ne nous induis pas en tentation. La tentation, mes frères, est une engeance trompeuse, qui dans l’adversité , occulte ce qui va bien, et dans la prospérité occulte ce qui va mal. Elle entraîne l‘ignorance humaine dans des chutes douloureuses. Nous demandons donc que l’impulsion des péchés ne nous fasse pas tomber dans les fosses des tentations. On dit que Dieu induit quand Il abandonne ceux qui courent vers les crimes. Mais délivre-nous du mal. Il désigne ici le méchant auteur du mal, le démon. Nous demandons donc que par ce seul secours, nous soyons à l’abri de tous les maux, ainsi que de l’auteur du mal.

Notre Père qui es aux cieux. Parmi ceux qui s’appellent fils, personne ne se propose de demeurer dans la condition sociale de l’esclavage. Tu es désigné aujourd’hui comme un germe divin, mais tu n’y es pas encore promu. Sache que c’est en espérance, non réellement que tu l’es devenu. Ecoute l’Apôtre : C’est en espérance que vous êtes sauvés. On n’espère pas voir les choses que l’on voit, car qui espère ce qu’il voit ? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, attendons-le patiemment. Aujourd’hui, c’est le jour de l’adoption. Aujourd’hui, c’est le jour de la promesse. Ecoute, crois, espère ! Crois en ton Créancier, qui t’a prêté à toi son débiteur. Espère qu’Il viendra bientôt Celui qui t’a longtemps supporté pour que tu viennes ! Donne des avances sur ce que tu as promis de rembourser, à Celui qui a d’avance annulé toutes tes dettes . Ou pourquoi trouves-tu difficile d’espérer en Dieu , quand tout le genre humain ne subsiste que grâce à l’espérance, ne vit que de foi ? Le cultivateur n’ensemencerait pas dans la sueur et l’essoufflement s’il n’espérait pas, en temps voulu, le fruit de son travail. Le voyageur ne se soumettrait pas aux fatigues d’un long périple s’il ne croyait pas parvenir à destination. Le marin n’affronterait pas les hasards de la mer s’il n’espérait pas que les profits subséquents compenseraient pour les décisions difficiles à prendre au cours du voyage. Le soldat n’exposerait pas toute la période de sa jeunesse au danger s’il n’espérait pas recevoir dans sa vieillesse des honneurs en abondance. Le fils ne supporterait pas le temps où le père fait peser sur lui son autorité s’il n’espérait pas hériter des biens paternels. Et toi, si tu te crois déjà fils de Dieu, selon le mot du Prophète Attends le Seigneur, agis virilement , et ton cœur trouvera du réconfort-. espère que tu obtiendras l’héritage de Dieu de l’attente de la foi et de la vertu de patience. Ecoute l’Apôtre : Nous sommes fils de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Mais nous savons que quand Il apparaîtra, nous serons semblables à lui. Et de nouveau : Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand apparaîtra le Christ, votre vie, vous aussi apparaîtrez alors avec Lui dans la gloire. Frères, heureux sont les fils de Dieu, parce qu’ils auront toutes choses en héritage, et le ravissement en Dieu leur fera oublier le malheur des temps.
 
 

72ème sermon de
Saint Pierre Chrysologue
 

Ce que je vais vous dire en frémissant, ce que vous allez entendre en tremblant, ou plutôt ce à quoi vous allez être appelés, plonge les anges dans la stupeur, épouvante les Vertus. Les étoiles ne le saisissent pas, le soleil ne le voit pas, la terre ne le supporte pas, toute la création ne peut l’atteindre. Qu’y peut le cœur mortel ? Qu’y peut l’intelligence imbécile de l’homme ? Qu’y peut la faiblesse des sens humains ? Qu’y peut le souffle léger de la voix humaine ? Qu’y peut la langue humaine bientôt condamnée au silence ? Lorsque Paul a vu cela de façon invisible, il l’a révélé sans le révéler, en disant : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, et il n’est jamais monté dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui L’aiment. Quand Isaïe a commencé à en avoir la révélation, il se demandait si l’homme pourrait jamais y parvenir, même par la foi, en disant : Qui croira jamais à ce que nous avons entendu ? Quand Jérémie se fit une idée de la révélation divine, ses sens supérieurs ne supportèrent pas cet enfantement, disant : Je plains mon ventre, je plains mon ventre, et les sentiments de mon cœurs sont troublés. Habacuc exposait cela de bout en bout sous le souffle du Saint Esprit quand il disait : J’ai conservé, et mon ventre a été épouvanté au son du discours de tes lèvres. Et la frayeur est entrée dans mes os, et en-dessous de moi ma vertu s’est troublée. Soulevé par la vertu de Dieu, il sentit que sa propre vertu s’affaissait sous lui. Il serait trop long de poursuivre dans cette ligne du sacrement de la peur, et d’énumérer tout ce que les saints nous offrent d’exemples Le temps ne nous permet pas de nous attarder plus longtemps dans ce frisson sacré, et le violent désir de ceux qui sont en train de naître ne permet pas de retarder l’enfantement céleste. Je dis donc, et vous qui êtes encore dans le sein maternel, je vous interpelle d’une voix pénétrante, je vous instruis d’avance en une exhortation prévoyante, pour que vous invoquiez le Père avant de voir la mère, pour qu’avant les caresses maternelles, vous tendiez et vous vous hâtiez vers le royaume. Pour que vous veniez vers le pain du Père avant que vous vous suspendiez aux mamelles de votre mère. Que ne l’emporte sur vous aucun besoin personnel, aucune attache maternelle, aucune préoccupation mondaine ! Mais que tout en vous réponde et coopère au Père divin, à l’Auteur céleste !

Notre Père qui es aux cieux. Voici ce que j’avais peur de dire, voici ce qui me faisait trembler à la seule idée de le proférer, voici ce que la condition de la servitude personnelle ne permettait d’entendre à qui que ce soit parmi les anges ou les hommes, ne pouvait même soupçonner : qu’entre le ciel et la terre, la chair et Dieu, une association puisse tout d’un coup se former, de façon à ce que Dieu soit dans l’homme, et l’homme en Dieu. De façon à ce que le Seigneur se change en serviteur, et le serviteur en fils. De façon à ce que des liens de parenté s’établissent d’une façon ineffable entre la divinité et l’humanité. Et la considération que Dieu a envers nous est si grande qu’il est impossible de savoir ce qui doit étonner davantage la créature : est-ce le fait que Dieu a déposé sa divinité pour partager notre servitude ou qu’Il nous a emportés à la dignité de sa divinité ? Voilà pourquoi, ô homme, Il te harangue divinement Celui qui est enflammé d’un si grand amour de toi. Alors que tu es encore dans le ventre de ta mère, Il t’adopte comme fils par ta voix. Il ne veut pas seulement que tu sois libéré, mais que tu naisses. Il veut que sur cette nature qu’Il te donne en t’affranchissant, la conception de la servitude passée ne vienne déposer aucune souillure, aucune tache . Bienheureux êtes-vous, vous à qui il est donné de dominer avant de naître, de régner avant de vivre, de parvenir à la gloire du Dieu Père avant de connaître la bassesse de votre lignée ! L’église, heureuse mère, qui tourne son attention sur des gens comme vous, s’étonne d’avoir engendré, tout en demeurant vierge, des fils aussi nombreux que vous et d’une aussi grande qualité. Cet enfantement a été autrefois annoncé à l’avance par des exemples. Jacob, dans le sein de sa mère, lutte avec son frère, et lui ravit aussi les triomphes. Dans le sein de Thamar, des jumeaux luttent pour la suprématie, retardent la naissance, et ne désirent pas voir la lumière avant de vaincre. Jean exulte et accourt vers son Auteur avant d’être sorti du sein de sa mère. Si les rejetons humains luttent pour Dieu avant de naître de leurs parents, avant de vivre pour le siècle, qu’y a-t-il d’étonnant si les germes divins de l’Eglise, si les rejetons divins qui sont encore dans le sein de leur mère confessent qu’ils sont un germe céleste ? Notre Père qui es aux cieux. La stupeur s’empare de nous. Le Christ, du sein du Père, appelle la mère, et la reconnaît sur la terre . Et l’homme, du sein de sa mère, appelle le Père, et Le confesse dans les cieux. Notre Père qui es aux cieux. Comment la grâce a-t-elle pu tout d’un coup te tirer en avant ? Comment la nature céleste a-t-elle pu s’emparer de toi ? De façon à ce que, encore placé sur la terre et dans la chair, tu ignores la chair et la terre en disant : Notre Père qui es dans les cieux. Celui donc qui confesse et croit être le fils d’un tel Père, que sa vie réponde à sa naissance, que ses mœurs fassent honneur à son Père, et qu’il démontre par ses pensées et ses actions qu’il a obtenu la nature céleste. Que ton nom soit sanctifié. Nous portons aussi le nom de celui auquel nous commençons à être apparenté. Et c’est pourquoi nous demandons, qu’en nous, perdure la sanctification d’un tel nom, l’honneur et la prérogative du nom, que l’élévation d’un tel Dieu a sublimé. Que ton règne arrive. Ce n’est pas à Lui que nous demandons cela, Lui à qui n’a jamais fait défaut le règne, qui est Lui-même personnellement le Règne, et qui contient toute la puissance de son règne. Mais nous, qu’Il veut voir parvenir à la gloire promise du règne, Il nous avertit de Le désirer de tous nos vœux, Il veut que nous le pourchassions avec toutes les forces de notre esprit. Autant il est téméraire celui qui veut justifier rationnellement l’adoption filiale, autant il est amorphe celui qui ne se réjouit pas, n’exulte pas, ne s’époumone pas à crier quand il se dirige vers le règne et y parvient. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Comme elle se fait dans ciel, qu’elle se fasse sur la terre ! Tout est déjà le ciel, l’esprit de Dieu agit en tous, tous sont dans le Christ et le Christ est dans tous quand tous ne goûtent et ne font que la volonté de Dieu. Alors tous sont une même chose, et qui plus est, un seul est tous quand l’Esprit de Dieu vit seul en tous. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Que Dieu soit béni par le jour à chaque jour ! Nous parlons du Pain quotidien qui est inépuisable. Le Pain qui dure toujours est celui qui est descendu du ciel. Je suis le pain qui est descendu du ciel. Il est donc le Pain de la béatitude parfaite. Aujourd’hui. i.e. dans la vie présente, nous commençons déjà à vivre de la nourriture de ce Pain dont nous nous rassasierons dans le futur, à perpétuité, ce qui veut dire à chaque jour. Et remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs. Il a assez de pouvoir l’homme miséricordieux, qui entre en conflit avec Dieu pour un clignement d’œil, s’il désire qu’on lui donne autant qu’il a donné. Homme, que le pardon soit toujours dans ton cœur si tu ne veux pas redouter les crimes. Et ne nous induis pas en tentation. Ceci demande une interprétation, parce que la tentation du démon, qui précède et qui est amère, est l’instrument de Dieu. Tant que nous serons contenus dans ce corps fragile, il est nécessaire que nous priions pour qu’Il n’ouvre pas en nous une porte à la tentation, et pour qu’Il ne donne pas au démon accès à notre âme. Mais délivre-nous du mal. Que le Seigneur notre Dieu Lui-même nous libère du mal, et nous fasse parvenir à toute sorte de bien, Lui qui vit et règne Dieu maintenant et toujours, et dans l’infinité des siècles et des siècles. Amen.
 
 

73ème sermon de
Saint Pierre Chrysologue

La fête d’aujourd’hui, frères très chers, ne se confond pas avec les choses anciennes, ni ne conserve la chair de l’agneau pour le lendemain. Mais le passé, pourtant, communie avec le présent en une dévotion solennelle; et notre Pâques, au retour de la fête de Pâques , s’unit à l’ancienne et sèvre l’enfance par une nouvelle génération. Comme le dit l’Apôtre : Les choses anciennes sont passées, et voici que sont faites de nouvelles choses. L’année du Seigneur se parfait au cours des saisons, mais ne vieillit pas. Elle parcourt le même cycle tant qu’elle ne nous a pas amenés au jour de la rétribution. La solennité pascale d’aujourd’hui nous éloigne du lait qui nous a nourris, pour que, nous sustentant avec une nourriture plus solide, nous nous fortifiions au point de devenir un homme parfait dans le Christ. Nous savons par le récit de la divine histoire que, quand Isaac a été sevré, Abraham a fait un grand banquet, et a mis toute la maisonnée en liesse. Si le rejeton de la vieillesse, si le fils unique de la stérile, a su émouvoir le cœurs des parents et des serviteurs au point de les faire danser en rond et en chœur, au son des cithares et des tambourins qui jouaient de concert avec les psaltérions, à plus forte raison convient-il que nous exultions aujourd’hui en hymnes spirituels et en cantiques, quand la fécondité universelle de la vierge est sevrée dans le germe. Anne, stérile comme Sara, avec les larmes de ses prières, a arrosé l’aridité de son corps et de la nature tant qu’une longue période de sa vie lui déniait la postérité. Mais dès qu’il fut sevré, elle rendit à Dieu comme un don divin Samuel, qu’elle avait reçu de Dieu comme un don divin; et porta sa joie jusqu’à la plénitude de son expression en offrant des victimes sacrificielles pour sa libération. A plus forte raison nous faut-il immoler un sacrifice de louange, accomplir nos vœux, faire brûler l’encens de suavité, et avec toute la graisse des holocaustes, immoler des victimes à Dieu Père, quand la vierge mère présente au Père sur toute la terre des enfants nourris et sevrés, aussi nombreux qu’il y a d’étoiles, pour que soit accomplie cette prophétie : Tu béniras le cycle annuel de ta bénignité, et la fécondité remplira tes champs. Que personne donc ne croie inutile cette fête du mystère de notre salut, ni ne s’imagine devoir coudre une nouvelle pièce d’étoffe sur un vieux vêtement, là où, à la nouveauté chrétienne, nous n’unissons rien de la vétusté judaïque, sachant, comme le dit l’Apôtre, que le Christ nous a soumis la créature. Mais haussons la connaissance divine de la vertu céleste jusqu’à progresser sans cesse, pour que ceux qui viennent de naître soient imbus de ce qu’ils doivent faire, et pour que ceux qui sont nés auparavant apprennent quelle action de grâce ils doivent rendre à Dieu pour leur perfectionnement. Que ceux qui viennent de naître se suspendent au cou de notre mère l’Eglise, et avec une piété totale s’allaitent à ses mamelles . Et qu’avec leurs tendres gosiers, ils ingurgitent la nourriture de l’innocence. Que leur méditation les amène à étendre leurs bras pour l’œuvre sainte. Qu’ils s’efforcent de fortifier pour la course de la foi leurs pieds défaillants. Faut-il abandonner ceux qui sont déjà nourris, pour que ne les régissent pas la sollicitude du Père, la main du Père, la volonté du Père ? Faut-il voir à ce qu’ils soient munis de la pensée de la mère, de la foi de la mère, pour qu’ils perçoivent et suivent non seulement les avis salutaires de la prudence humaine, mais divine ? Ainsi Jacob, timide de lui-même, mais rendu audacieux par le conseil de sa mère, s’est avéré plus mystique que rusé quand il a cherché à s’emparer avant le temps de la bénédiction paternelle. Il n’a pas menti en prétendant être l’aîné, car est premier celui qu’engendre la grâce céleste, non la nature mortelle. Sous une peau de bouc, c’est nous qu’il représentait, nous qui, exhortés par notre mère l’église, nous revêtons du vêtement d’un corps mortifié pour mourir au péché; et pour que nous exhalions l’odeur du jus et de la fécondité des champs, grâce aux fruits continuels de nos confessions, jusqu'à ce que nous moquant, en vue de notre salut, de la cécité israélite, nous recevions la bénédiction paternelle dans le secret de notre foi, selon le dire de l’Apôtre : L’aveuglement d’Israël a eu lieu jusqu’à ce qu’entre la plénitude des Gentils.
 
 

74ème sermon de
Saint Pierre Chrysologue

Frères très chers, il arrive parfois que la fatigue des veilles et que l’épuisement qu’apporte le jeûne nous font taire, et nous contraignent à gagner le silence. Mais aujourd’hui, nous sommes de retour pour le sermon sur la résurrection du Seigneur. Si c’est une chose divine que le Christ soit né d’une vierge, combien plus divine encore est sa résurrection d’entre les morts ! Que ce qui est divin ne soit donc pas reçu par une oreille humaine! Le soir du sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à poindre. Le soir du sabbat. Le jour du siècle ne le connaît pas, le monde n’en a pas l’expérience. Le soir finit, mais le jour ne commence pas. Le soir enténèbre, il n’éclaire pas. Il ne se métamorphose pas en aurore, parce qu’il ignore la naissance de la lumière. Le soir, mère de la nuit, enfante le jour. La nuit bouleverse sa routine quand elle reconnaît son Auteur : la nouveauté du mystère la fait briller de tous ses feux. Elle s’essouffle à servir le Créateur, non le temps . Le soir du Sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à poindre, Marie-Madeleine et l’autre Marie vinrent visiter le sépulcre. La femme court tardivement au sépulcre pour recevoir le pardon , elle qui avait de bonne heure couru vers la faute. C’est le soir qu’elle cherche le Christ, celle qui reconnaissait avoir perdu Adam le matin. Marie vint et l’autre Marie voir le sépulcre. Celle qui, au paradis, avait contracté le virus de la perfidie, se hâte d’aller chercher la foi au sépulcre. Elle entreprend de ravir la vie à la mort celle qui avait ravi la mort à la vie. Marie vint. Ce nom est celui de la mère du Christ. La mère vient donc en son nom, la femme vient, pour qu’elle devienne la mère des vivants, celle qui était devenue la mère des mourants; pour que soit accompli ce qui avait été imploré : Voilà la mère de tous les vivants. Marie vint et l’autre Marie. Il ne dit pas elles vinrent, mais elle vint. Elle vint elle-même mais dans une autre. Une autre vint, mais c’était elle-même. Pour que la femme soit transformée par la vie, non par le nom; par la vertu, non par le sexe; et pour que soit la messagère de la résurrection celle qui avait été l’entremetteuse de la faute et de la ruine. Marie vint voir le sépulcre. Pour que la vue du sépulcre répare celle que la vue de l’arbre avait désaxée; et que l’aspect salutaire du tombeau relève celle que l’aspect charmant de l’arbre avait prostrée. Voici que se fit un grand tremblement de terre, car un ange du Seigneur descendit du ciel. La terre a tremblé non parce qu’un ange est descendu du ciel, mais parce que le Dominateur est monté des enfers. Voici que se fit un grand tremblement de terre. Le chaos s’ébranle, les plaques tectoniques se fendent, la terre titube, les masses volcaniques frémissent, les fondements de la terre craquent, le tartare tressaille , les enfers sont sur un pied d’alerte. Le sort de la mort est scellé quand, en se dirigeant vers les coupables, elle tombe sur le Juge; quand elle porte la guerre sur le Seigneur en voulant établir sa domination sur les esclaves; quand elle se précipite sur Dieu en voulant assaillir les hommes. C’est en toute justice donc que périt la loi du tartare, que sont abrogés les droits de l’enfer, que le pouvoir de la mort est aboli. Et en punition de sa témérité, Il a ressuscité les morts; et pour injurier celui qui en était le spectateur, Il a rendu les corps. L’homme retrouve son intégrité, la vie est réparée, et tout s’est accompli par la grâce, parce qu’en s’en prenant à l’Auteur de la vie, la mort a outrepassé ses droits. Voici que se fit un grand tremblement de terre. C’est maintenant qu’il a lieu le tremblement de terre ! O ! Si une légère tornade avait alors abattu l’arbre de la mort ! O si une nuée de fumée avoir alors embrouillé le regard de cette femme ! O si un nuage noir avait entaché la beauté de la pomme létale ! O si la main qui touchait des choses défendues avait trembloté ! O si la nuit injuste avait enténébré le jour du péché, elle aurait alors enlevé les lamentations du monde, et ce qui les accroit, la mort, et finalement l’injure faite au Créateur. Les douceurs de la vie favorisent les vices, les plaisirs mènent aux crimes, mais l’austérité et la force précèdent les vertus. Car un ange descendit d u ciel. A la résurrection du Christ, à la disparition de la mort, les relations sont rétablies entre le Ciel et la terre, Et la femme qui, avec le démon, eut un entretien mortel, a eu avec l’ange un colloque vital. Car l’ange du Seigneur descendit du ciel et renversa la pierre. Il ne dit pas qu’il fit rouler la pierre, mais qu’il la renversa, car ce qui était enroulé (le serpent) a été témoin de la mort, mais ce qui a été renversé (la pierre) a attesté la résurrection. Bienheureuse pierre qui mérita de dévoiler et de voiler le Christ ! Bienheureuse qui n’a pas moins ouvert les cœurs que le sépulcre ! Bienheureuse qui donne la foi en la résurrection ! Qui atteste que la chair divine a ressuscité ! Ici, l’ordre des choses est renversé: ce n’est pas un mort que ce sépulcre dévore mais la mort; la maison de la mort devient la demeure de la vie; une nouvelle forme d’utérus conçoit un mort et enfante un vivant. Car l’ange du Seigneur descendit du ciel, et, s’avançant, il renversa la pierre, et s’assit sur elle. Quelle raison l’ange avait-il de s’asseoir, lui qui ne pouvait se fatiguer ? Mais il siégeait en tant que docteur de la foi, en tant que professeur de la résurrection. Il était assis sur la pierre, pour que la solidité du siège donne aux croyants la fermeté. L’ange posait sur la pierre les fondements de la foi, sur laquelle le Christ allait fonder son église. Car Il a dit : Tu es pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église. Son aspect était comme celui de l’éclair, et ses vêtements étaient semblables à la neige. L’éclair ne suffit pas à l’ange, et quel besoin la nature céleste a-t-elle d’un vêtement ? Mais une telle splendeur témoignait de l’aspect et de la forme de notre résurrection, parce que ceux que le Christ ressuscite sont transmutés dans la gloire du Christ. Les gardes tressaillirent d’effroi, et devinrent comme morts. Malheureux sont ceux que percute la peur de la mort quand la sécurité de la vie est rendue. Mais les ministres de la cruauté, les exécuteurs de la perfidie étrangère, comment pouvaient-ils avoir confiance dans le ciel ? Ils investissaient le sépulcre , bloquaient la porte à la résurrection, et faisaient bonne garde pour que la vie ne puisse y entrer et que la mort ne puisse y périr. C’est avec raison que l’arrivée de l’ange les a frappés et jetés par terre. La mortalité misérable et toujours ennemie d’elle-même se débat pour ne pas ressusciter. Il convenait d’ouvrir le sépulcre et d’apporter tout ce qui facilitait la résurrection pour que le fait apparaisse dans tout ce qu’il avait de prodigieux, pour que l’espoir naisse de cet exemple, pour que la réalité soit retournée en sens contraire, pour que naisse la foi dans la vie à venir. C’est le comble de la folie à l’homme de ne pas croire dans ce qui constitue ses rêves les plus chers. Que suffise aujourd’hui ce que nous avons dit des gardes. Pour n’être pas trop long aujourd’hui, nous dirons plus tard ce sur quoi porte notre foi, avec l’aide de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père, Dieu pendant les siècles des siècles.
 
 
 
 

75ème sermon de
Saint Pierre Chrysologue

Autant pour vous que pour moi ce sermon est celui d’un pèlerin. Mais priez, mes frères, que, puisque Dieu m’a rendu à vous, il daigne me redonner la prédication. Vous avez entendu l’évangéliste qui disait : Le soir du sabbat, comme le premier jour de la semaine commençait à poindre. Qu’est-ce que le gros bon peut bien comprendre ici ? Qu’est-ce que saisit ici la sagesse humaine ? Un soir lumineux ? Le soir ne finit pas en ébauchant le jour; il n’enfante pas la lumière mais les ténèbres. Mais ici l’Auteur des éléments bouleverse l’ordre des éléments, pour que dans la résurrection du Seigneur, tu ne vois que du divin, et rien d’humain. A la résurrection du Christ, le soir est lumineux pour les fidèles, et le jour s’enténèbre pour les infidèles. Pour les disciples, la nuit est changée en jour; pour les Juifs, le jour est converti en nuit. A partir de la sixième heure, les ténèbres couvrirent la terre entière jusqu’à la neuvième heure. De façon à ce que le jour se soit obscurci en plein midi, pour que s’accomplisse ce qui avait été écrit : Le soleil se couchera pour eux le midi. Il se couchera pour les Juifs, et aussi pour nous. La nuit sera illuminée comme le jour. Le soir qui sombre dans des ténèbres profondes, se magnifie et se sublime en lumière; et de toute sa splendeur, il remplit les cœurs des mortels du Christ ressuscité des enfers. Le soir du sabbat. Parce que le Sabbat est ennobli par le Christ, non détruit. Je ne suis pas venu pour détruire la loi, mais pour la porter à sa perfection. Le sabbat est illuminé pour qu’il scintille le dimanche, pour que brille dans l’église ce qui dans la synagogue avait été assombri par les Juifs obscurantistes. Marie Madeleine vint et l’autre Marie visiter le sépulcre. Les femmes précèdent les apôtres dans le ministère, celles qui, par le sexe, viennent après les hommes, et selon la hiérarchie, après les disciples. Leur conduite ne rend pas les Apôtres moins zélés, puisque ce qu’elles ont apporté au sépulcre du Seigneur ce n’est pas la condition féminine, mais un type de l’Eglise. Marie et Marie, l’autre étant semblable à elle-même, et elle-même semblable à l’autre. L’autre Marie qui est la même c’est Marie, la mère du Christ. Un seul nom se dédouble en deux femmes, parce que, ici, l’Eglise qui vient de deux peuples, est une seule et même église figurée en deux peuples, i.e., les Gentils et les Juifs : parce que les premiers sont les derniers et les derniers les premiers. Marie vient au sépulcre, elle vient à l’utérus de la résurrection : elle vient à l’enfantement de la vie, pour que le Christ naisse de nouveau du sépulcre de la foi, Lui qui avait été engendré du ventre de la chair; et que le sépulcre scellé rende à la vie éternelle Celui que la virginité scellée avait apporté à la vie présente. Si c’est un prodige inouï de la divinité d’avoir maintenu inviolée la virginité après l’enfantement, ce n’est pas un prodige moins étonnant d’être sorti avec un corps d’un sépulcre hermétique. Tu vois qu’elles étaient venues non pour s’enquérir du Seigneur mais du sépulcre. Elles ne cherchaient pas parmi les morts Celui qui était vivant, elles qui croyaient déjà que le Seigneur était ressuscité. Car l’ange du Seigneur descendit du ciel, et s’avançant, renversa la pierre. Il a renversé la pierre non pour faciliter l’évasion de Jésus, mais pour montrer au monde que le Seigneur était déjà ressuscité. Pour donner à ses compagnons de service la foi suffisante pour croire, non pour aider le Seigneur à ressusciter. Il renverse la pierre. Est déroulé (ou renversé) en vue de la foi ce qui avait été enroulé en vue de la perfidie. Il renverse la pierre (ou déroule). Pour que le titre de la vie soit le même que celui qu’avait accepté de tenir le gardien de la mort. Priez mes frères pour que l’ange descende maintenant, et qu’il renverse toute la dureté de notre cœur; qu’il défenestre nos sens et qu’il atteste à nos esprits que le Christ est ressuscité. Car comme le cœur est un ciel là où vit et règne le Christ, de la même façon il est un sépulcre là où le Christ est mort et enseveli. On croit que la mort du Christ a eu lieu mais qu’elle a passé outre, qu’elle est allée au-delà. . Le Christ homme a souffert, est mort et a été enseveli. Le Christ Dieu est, vit, règne, demeure et continue à être. Ecoute l’Apôtre qui dit : Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant ainsi. Ce qui est mort au péché est mort une seule fois. Ce qui vit vit en Dieu. Ce qui veut dire que Dieu vit. Et s’avançant, il renversa la pierre et s’assit dessus. Il s’est assis pour enseigner la résurrection, non pour se reposer d’une fatigue. La nature céleste ignore la lassitude, ne connaît pas le labeur. Mais la pierre est devenue le siège d’une catéchèse évangélique, la chaire de la doctrine céleste, l’école de la vie, parce que les Juifs en avaient fait la porte de la mort, le service de la cendre, la tristesse du silence. Son aspect était comme l’éclair et ses vêtements étaient semblables à de la neige. La clarté du visage est distincte de la blancheur des vêtements, et la face est comparée à un éclair, tandis que le vêtement de l’ange est comparé à de la neige, parce que l’éclair vient du ciel et la neige de la terre. Ecoute le Prophète qui dit : Louez de la terre le Seigneur feu, grêle et neige. Dans la face de l’ange donc, est conservée la clarté de la nature céleste; dans le vêtement, est figurée la grâce de la communion avec l’humanité. Et l’aspect de l’ange qui parle est adouci pour que les yeux charnels supportent facilement la clarté tamisée des vêtements, et que dans l’éclat du visage ils craignent et révèrent le messager de l’Auteur. Les gardes tressaillirent d’effroi. Pourquoi sont-ils épouvantés ? Parce qu’ils Le gardaient avec le fanatisme de la cruauté plutôt qu’avec la déférence respectueuse de la piété. Il saccage, il détruit, mais ne peut pas demeurer stable celui que la conscience a détrôné et que le crime pousse à l’agitation. Voilà pourquoi l’ange culbute les impies , converse avec les pieux et les console. N’ayez pas peur, vous autres ! Ce qui veut dire : que les autres craignent ! Que ceux qui cherchent le Christ ne craignent pas, mais que craignent ceux qui Le persécutent ! Ne craignez pas vous autres, car je sais que le Jésus que vous cherchez est ressuscité. Il n’est point ici. Ce qui signifie : je suis venu pour vous instruire, vous, non pour exhumer Celui qui est le Créateur du monde et son Concepteur. Il n’est pas ici. Il est ressuscité comme Il l’a dit. Vous voyez que l’ange était venu pour que le serviteur confirme par des faits ce que le Seigneur avait prédit en paroles; et pour qu’il enseigne qu’Il détient la clef de la vie et de la mort Celui qui avant sa mort, avait prédit sa résurrection. Car Celui qui pouvait savoir savait aussi se mettre en garde contre la mort; mais Celui qui pouvait vaincre a méprisé la défaite, parce que la gloire du Ressuscité a enseveli l’ignominie du mourant. Nous traiterons de ce qui suit, mes frères, dans le sermon suivant, parce que la fatigue encore toute fraîche du voyage, que nous avons fait récemment, nous interdit de prolonger et de développer davantage ce sermon.
 
 
 
 
 

76ème  sermon  de Saint  Pierre    Chrysologue

 Dans le sermon précédent,  nous avons dit que Marie et l’autre Marie ont été une figure de l’Eglise,  qui provient de deux peuples.   Voilà ce que nous voulons développer aujourd’hui dans ce qui suit, si vous avez  l’amabilité  de nous écouter attentivement.   L’ange, répondant, dit : N’ayez pas peur, vous autres,  car je sais que c’est Jésus qui a été crucifié que vous cherchez.   Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’a dit.  Venez, voyez le lieu où avait été déposé  le Seigneur.    L’ange enseigne le nom,  nomme   la croix,  parle de la passion,  reconnaît la mort,  mais il confesse bientôt après la résurrection;  sans tarder  il confesse  le Seigneur.    En reconnaissant le Seigneur après tant de supplices,  après le sépulcre,  l’ange  proclame sa servitude,  et il convient  que toute  l’abjection de la passion  est passée dans la gloire absolue de la résurrection.   Pourquoi l’homme juge-t-il que Dieu s’est avili dans la chair,  ou pourquoi pense-t-il que dans la passion Sa vertu a fait défaut ?   Ou pourquoi croit-il que la Domination a été engloutie par la servitude ?   L’ange  fait bien de dire  qu’Il a été crucifié,  de montrer  le lieu où Il avait été placé,  pour qu’on ne croie pas que c’est un autre qui est ressuscité,  et non Lui-même.   En revenant dans la chair,  le Christ  rapporte les blessures,  reprend les plaies des clous;   et les témoins de son cops qui furent présents à l’outrage de la passion,  Il en fait des signes de sa  résurrection.    Pourquoi l’homme pense-t-il qu’il reviendra  dans une autre chair et non  dans la sienne ?  Et pourquoi le serviteur dédaigne-t-il sa chair quand le Seigneur n’a pas changé la sienne ?   Reconnais o homme,  que ce sera toi-même qui seras dans ta chair,  de peur de ne plus être  toi-même si tu ressuscitais  dans une chair étrangère.   L’ange a ajouté les paroles suivantes :   Allez vite dire aux disciples que le Seigneur est ressuscité,  et qu’Il vous précédera en Galilée. C’est là que vous le verrez.    Ici,  ce ne sont pas les femmes que l’ange envoie,  mais l’église dans deux femmes.  Il en envoie une seule  pour qu’après avoir été  envoyée,  elle répande au long et au large la bonne nouvelle de la résurrection.

  L’ange envoie ici l’épouse vers l’Epoux,   car en s’en allant,  le Seigneur vient à leur rencontre  et les salue en leur disant :  Je vous salue.   Il accourt,  et Il ne les terrifie pas par sa puissance,  mais les prévient par l’ardeur de sa charité.   Il ne les trouble pas par son autorité,  mais les salue  en vertu de la loi de l’époux.    Il ne les écrase pas sous le poids de ses droits de Dominateur,  mais les honore avec la dilection d’un participant au même héritage.   Il salue.  Je vous salue.    Il avait dit Lui-même à ses disciples :   Vous ne saluerez personne en route.   Et pourquoi ici,  sur la route,  accourt-Il en fête pour saluer  ?   Il ne s’attend pas à être reconnu,  Il n’exige pas d’être compris.    Il n’admet pas d’être interrogé,   mais Il s’engage tout entier dans la salutation.  Il y va avec ferveur, et par sa salutation,  contredit-Il son propre commandement ?    Il le contredit,  oui, Il le contredit,  car Il a remporté la victoire sur tout,  et la force de Son amour déborde.   On peut dire aussi que dans l’église le Christ se salue,  parce qu’Il l’a fait sienne,  et ainsi, c’est son propre cœur qu’Il reçoit dans son corps, selon le mot de l’Apôtre :   Et Il est la tête du corps qui est l’église.   Cette salutation  elle-même montre avec évidence que ces femmes  demeurent une figure de l’église,  parce que le Christ a cherché à convaincre ses disciples qui doutaient de la résurrection.  Il a confirmé les hésitants,  les a rappelés  à la foi  en leur montrant son côté,  les plaies des clous,  et en mangeant avec eux.   Il avait donc raison de les appeler petits et enfants,  quand Il leur a dit :  Enfants, avez-vous quelque chose à manger ?   Et ailleurs,  il appelle femme Marie qui pleurait sur Lui comme sur  un mort,  et lui refuse la permission de Le toucher.   Mais celles-ci,  Il les trouve si parfaites,  si croyantes,  non effarouchées par la faiblesse de leur sexe,   mais courant au mystère,  recherchant le Seigneur de toute l’ardeur de leur foi,  qu’Il se laisse aller à les saluer ainsi :  Je vous salue.   L’ange avait dit :  Car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié.  Et à celles qui Le cherchaient,  le Christ a répondu : Je vous salue.   A un autre endroit,  Il n’a même pas donné à Marie l’autorisation de Le toucher.  Ici,  Il accorde  la permission entière non seulement de le toucher,  mais de le tenir :   Elles s’avancèrent, et lui tinrent les pieds.  Ces femmes tiennent les pieds du Christ,  elles qui dans l’église tiennent le type de la prédication évangélique,  et  ont mérité de l’être  par leur course.   Et ainsi elles touchent dans la foi les vestiges de leur Sauveur  pour qu’elles parviennent à tout l’honneur et à toute la gloire de la divinité.   L’autre avait mérité d’entendre :  Ne me touche pas,  elle qui pleurait le Seigneur sur la terre,  et qui Le cherchait mort dans le sépulcre,  sans savoir qu’Il règne dans les cieux avec le Père.   Ne me touche pas.    Ne cherche pas à honorer par le toucher de la chair Celui  que tu devrais n’atteindre que par le toucher de la foi.   Et ne présume pas toucher uniquement comme homme sur la terre  Celui que tu n’as  pas encore le goût  d’adorer comme Dieu dans le ciel.  Que cesse ta préoccupation féminine,   que tes soins féminins disparaissent,  qu’une croyance virile monte dans ton cœur,  que toute la capacité d’aimer  de ton cœur désire mon ascension,  pour que tu jouisses dans le ciel de la béatitude éternelle de mon toucher.   Selon le mot du Prophète :  Bienheureux l’homme qui reçoit de toi le secours. Il a préparé dans son cœur des ascensions.  Celui qui n’est pas monté au ciel avec le Christ par la foi  ne touche pas le Christ sur la terre.    Le fait que la même Marie  qui, établie maintenant au faîte de la foi,  et élevée  au sommet de l’Eglise,  touche le Christ et le tienne de toute l’affection de la sainteté,   est maintenant toute désespérée dans l’imbécillité de la chair  et la faiblesse de la femme, et ne mérite pas de toucher son Auteur,  tout cela ne nous cause aucun problème.    Car l’une se rapporte à la figure, l’autre au sexe.   L’une provient de la grâce divine,  l’autre de la nature humaine.   Car nous-mêmes,  lorsque nous savons des choses divines,  c’est un don de Dieu.    Quand nous comprenons humainement,  nous nous aveuglons nous-mêmes.   C’est ainsi que le bienheureux Pierre connut le Christ quand il confessa le Fils de Dieu,  le Père Le lui révélant.   Quand il renia le Christ,  il se ressentit  de la cécité de la chair et en fut victime.   Les Juifs achètent cher   ou vendent en détail les biens d’autrui à un prix encore plus élevé,  quand ils cherchent à monnayer les péchés,  quand ils paient en argent comptant  et récompensent les fautes,  quand ils assoient solidement sur l’argent véreux  ce qu’ils avaient ramassé par des crimes.  C’est ainsi qu’ils se sont procuré  Judas,  traitre de son Seigneur,  et qu’ils jaugèrent  à prix d’argent la valeur du sang  du Rédempteur du monde.  C’est de cette façon que, pour le monde,  ils ferment la foi du sépulcre ouvert.   Pour que l’argent fasse du crime de la négation de la résurrection le crime des crimes.   Ils donnèrent aux soldats une somme considérable d’argent en leur disant : dites que ses disciples sont venus de nuit, et l’ont dérobé pendant notre sommeil.  Et si le procurateur en entend parler, nous le persuaderons et assurerons votre sécurité.  Ayant reçu l’argent,  ils firent comme on le leur avait dit. Et c’est cette interprétation qui s’est répandue chez les Juifs jusqu’à aujourd’hui.   Chez les Juifs.  Chez les chrétiens aussi ?    Judée,  la vérité que tu as éclipsée en Judée avec ton or, a brillé et resplendi  dans le monde entier par la foi.  Les disciples ont reçu le Christ,  ils ne l’ont pas dérobé.   Tu as tramé la perfidie,  mais tu n’as pas confisqué la vérité.   Judée,  le Christ est ressuscité,  toi, tu as perdu la survie .   Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.   Judée,  le Christ vit, et toi,  tu t’es tuée toi-même,  toi et ta descendance.
 
 
 
 
 

77ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue 

 C’est un indice pleinement satisfaisant de parfaite dévotion  qu’au temps de la  passion, toute la création  ait souffert avec son Créateur.   Quelle chair n’a pas été ébranlée  quand la terre a tremblé ?  Quel esprit n’a pas été paralysé par l’effroi,   quel savant n’a pas défailli  quand le soleil s’est couché avant l’heure,  quand la lumière du jour s’est enfuie ?   Nos viscères à nous aussi,  mes frères,  ont reposé dans la tombe,  notre cœur est mort avec Lui,  notre sermon a été  enseveli avec son Auteur,  pour que, maintenant, il ressuscite à  Sa plus grande gloire.    Voilà la cause de mon silence,  voilà la raison du  pieux retard apporté à ce que je vous dois.   Il ne faut pas s’étonner,  mes frères,  si, dan sa prévoyance, mon sermon,  avec tout le respect de l’amour,  a suivi son Libérateur jusque  dans les enfers,  parce que,  sans cela, je n’aurais rien eu à vous rembourser à vous qui êtes de si grands et de si nombreux créanciers .   Que si celui qui est chargé de recouvrer l’argent, en homme cupide et avide,  se plaint du retard apporté au remboursement,  qu’il cesse d’incriminer l’échéance,  parce que la richesse de mon Seigneur  haussera le taux d’intérêt ,   et paiera l’emprunt son poids d’or.    Que nous absolve  la large reconnaissance  de la studieuse lecture évangélique,  nous que la nécessité  d’un tel devoir a réduits et conduits à cette dette envers vous.

 Le soir du sabbat,  qui devint lumineux à la première heure du sabbat.    Quand le Seigneur est ressuscité,  ce n’est pas seulement le droit de la nature humaine qui a été renversé,   mais l’ordre de la création lui-même a été  de façon spectaculaire,  bouleversé.   Le soir du sabbat qui est lumineux.   Voici qu’à la résurrection du Christ,  le soir ne s’enténèbre pas,  mais émet de la lumière.   Et ce qui avait coutume d’être le début de la nuit  devint le prélude  de la lumière.    Le soir du sabbat qui brille à la première heure du sabbat.    Comme la mortalité a été changée en immortalité,  comme la corruption est devenue incorruptible,   comme la chair s’est muée en Dieu,  les ténèbres se sont métamorphosées en lumière.  Pour que la nuit elle-même se réjouisse de ne pas avoir péri,  mais d’avoir été transformée,  elle qui a été privée plus de l’obscurité que du temps de la nuit,    qui a été assez heureuse pour perdre  l’esclavage  de l’alternance nocturne,   afin de progresser et de faire  irruption vers la liberté de la lumière perpétuelle,  au dire du Prophète :  Et la nuit est mon illumination dans mes délices.     Le soir qui brille à la première heure du sabbat.   Le sabbat se réjouit d’être devenu secondaire,  lui que la loi condamnait à la torpeur du loisir.   Et par la primauté reconnue au   jour du Seigneur,  l’inertie  de l’observance judaïque, qui rendait étrangère  à la vertu salvifique, est merveilleusement poussée à accomplir les œuvres de la vertu divine,   selon la parole du Seigneur :   Il n’est pas permis le jour du Sabbat de travailler des champs,  de porter secours aux affligés, de donner la vue aux aveugles, et la vie aux morts ?    Et en restreignant aux seules  méditations de la sainte loi  l’emploi du  jour du Sabbat donné par Dieu,  ils ne faisaient  que favoriser l’esclavage du ventre.

 Marie Madeleine vint, et l’autre Marie.   Une vint par un nom qu’on lit appartenir à des personnes différentes.    Marie vint, et l’autre Marie.   L’unité du nom symbolise une seule personne en deux  personnes ,   et la diversité des personnes  nous fait comprendre la mutation qu’a connue  la femme.   Elle vint,  non elles vinrent.   Et quand l’évangéliste parle d’une autre,  dans l’une et l’autre il désigne la même,  en un langage mystique,  afin de démontrer que l’une est venue avant la foi  et que l’autre reviendra après la foi.   La femme est venue,  mais Marie retourne.   Elle vient celle qui a apporté la mort,  elle revient celle qui a engendré la Vie.   Adam vient,  celui qui nous a conduits  aux enfers,  elle revient des enfers celle qui a reçu le Christ.   Marie vint et l’autre Marie.    Pourquoi?    Pour voir le sépulcre, non pour chercher le Seigneur.   Seulement pour voir le sépulcre,  l’épitaphe de son crime,   la preuve de sa triste trahison,  de sa présomption diabolique,  le seau de sa quête bestiale présomptueuse avec le démon,   pour récupérer la foi  là  où l’accablait l’opprobre perpétuel  de sa prévarication.

 Et voici que se fit un grand tremblement de terre.    Si la terre a tremblé ainsi  quand le Seigneur est ressuscité pour le pardon des siens, elle chancellera  de la même façon quand le Seigneur  se lèvera pour punir les méchants, au dire même du Prophète :   La terre a tremblé et  vacillé quand le Seigneur s’est relevé pour le jugement.     Et qui n’a pas pu supporter la présence d’un ange,  d’un compagnon de service,  comment pourra-t-il supporter le Dieu Juge ?    Voici que le salut est réparé aux même lieux  où avait péri le salut humain.   La première femme  l’avait perdu  dans la perfidie,  l’autre  la retrouvé dans la foi.   Elle est la première à courir vers le Destructeur de la mort, celle qui avait été la première à courir  vers l’auteur de la mort.    Elle est la première à entendre parler l’ange celle qui avait été la première à converser avec le démon.

 L’ange du Seigneur descendit du ciel, et s’avançant, renversa (ou roula par en arrière ou déroula)  la pierre,  puis s’assit sur elle.    Il ne se comporta pas ainsi pour aider à la résurrection du Seigneur,  mais pour la révéler.  Le Seigneur avait dit :  J’ai le pouvoir de déposer ma vie,  et j’ai le pouvoir de la reprendre.    L’ange  nous ouvre ce qui était fermé,  il rend accessible ce qui était caché, mais il ne rend pas à lumière son Auteur qui  n’était déjà plus dans le sépulcre.  Et  il amène à la foi de la résurrection  ses compagnons de service  qui étaient immobilisés  dans l’obscurité du doute.   Il témoigne lui-même,  en disant :   Il n’est pas ici.  Il est ressuscité.     Il renversa la pierre, et s’assit sur elle.   Pourquoi ne l’a-t-il pas roulée au lieu de la rouler par en arrière (dérouler)  où de la renverser ?    Pour que la pierre que la perfidie judaïque avait roulée  par manière de disgrâce et de scandale,  l’ange la déroule  dans une vue de foi et de salut,  selon le mot du Prophète :    Voici que je pose en Sion une pierre d’achoppement,  une pierre de scandale.   La pierre est donc roulée en arrière ,  pour qu’il déroule  la mort,  l’enroulé  (le serpent) qui avait claustré la vie.   Vous verrez votre vie suspendue devant vos yeux,  et vous ne croirez pas.

 Et il s’assit sur elle.  Non pour se reposer de sa fatigue,  mais pour montrer que c’est lui qui préside sur le sépulcre sacré  et vivifiant.  Et le ministre d’un devoir céleste déclarait  par le moyen d’une telle session  que la mort avait été détruite.    Et le répondant témoignait, de sa chaire de vérité,  que c’était Dieu qui avait souffert, que Celui  qui avait eu comme réceptacle les misères de notre corps était de condition divine,  était Dieu.   A quoi bon en dire davantage,  mes frères ?    Il s’assoie,  parce qu’aucun ange ne s’est jamais éloigné d’un si  vénérable sépulcre.    Les gardes tremblaient de peur, et devinrent comme morts.    La terreur qui a abattu des criminels  leur fait bientôt reprendre conscience.  Si ce sont des  innocents qui se réveillent,  c’étaient des injustes et des impies que possédaient la terreur et la mort.    Son aspect était comme celui de l’éclair, et ses vêtements étaient semblables à de la neige.    Que vient faire le vêtement là il n’y a pas de nudité ?   A quoi bon un linge là où il n’y a pas de nécessité de se couvrir ?    Mais l’ange, mes frères,  préfigure  ainsi  notre condition,  notre forme,  note ressemblance  au moment de la résurrection,   quand sera restitué à l’homme tout l’éclat de son corps.   C’est le Seigneur qui le dit :   Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père.

 L’ange répondant dit aux femmes : N’ayez pas peur, vous autres. Je sais que c’est Jésus qui a été crucifié que vous cherchez.  Elles cherchaient encore Celui qui avait été crucifié et qui était mort,  dont la tempête  sauvage de la passion avait troublé la foi.  Et le poids de la tentation les avait tellement courbées qu’elles continuaient à demander au sépulcre le Seigneur du ciel.    Il n’est pas ici.   Selon Sa capacité de demeurer dans un lieu.   Car il est ici du fait même qu’Il est partout,  et qu’Il n’est pas renfermé  par des murs.    Venez voir le lieu où avait été posé le Seigneur.   L’ange invite les femmes à venir voir,   pour que le lieu du corps sacré purifie les yeux que l’aspect de l’arbre interdit avait maculés, quand le démon les avait fermés.    Elles entrent dans le sépulcre,  pour que leur foi ensevelie avec le Seigneur ressuscite toute entière pour le salut éternel.   Si nous avons été plantés avec Lui à la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi à la ressemblance de sa résurrection.      Dites, en vous en allant, à ses disciples :    Maintenant que tu es guérie,  femme,  retourne à l’homme,  et persuade-le de la foi,  toi  qui lui a infusé la perfidie.   Rapporte à l’homme la preuve de la résurrection du Seigneur   toi qui t’étais constituée conseillère  de la tentation et de la ruine.
 

78ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la septième manifestation du Christ faite aux disciples à la mer de Tibériade)

 Après cet ouragan de la passion  du  Seigneur qui était tout à fait inouï dont le monde n’avait jamais entendu parler, que les enfers n’ont pu supporter,  et  qui a fait trépider  le ciel,  le Seigneur vint à la mer de Tibériade,  et Il repéra ses disciples ballotés par les flots  au milieu des ténèbres de la nuit.   Après la fuite du soleil,  à quoi peut bien servir le brillant de la lune ?   Quelle consolation restait-il encore aux étoiles à apporter pour les ténèbres de la nuit ?  La terre n’était plus qu’une confuse obscurité,  qui aveuglait non seulement le regard  corporel,   mais la vue de l’esprit.   Elle ne permettait pas de gagner le littoral de la foi,  ni d’entrer dans le port du salut,  ni de rejoindre d’autres navigateurs.   Le matin venu     dit l’évangéliste,  Jésus se tenait debout sur le rivage, mais les disciples ne connurent pas que c’était Jésus.   Toute la création avait fui l’injure commise envers  le Créateur.   De toute évidence,  le meurtre du Seigneur avait mobilisé le monde entier,  qui savait très bien  qu’il appartenait à toute la maisonnée  de venger l’assassinat  du Dominateur,  que la scélératesse des esclaves avait perpétré.   C’est pour cela que,  la terre,  privée  de ses fondations,  tremblait;  que le soleil s’était éclipsé pour ne rien voir;  que le jour s’était éloigné pour ne pas y prendre part.   Les pierres, à qui  la nature ne  permettait pas de se déplacer, se sont infligé une nouvelle blessure en se fissurant , dénonçant le forfait par le son  seulement puisqu’elles ne le pouvaient pas par la voix.   Quand l’enfer vaincu vit le Juge  en personne parvenir jusqu’à lui,  il laissa partir en se lamentant ceux qu’il retenait.  C’est alors que les choses inanimées annoncèrent aux vivants  que les morts, que le monde croyait anéantis,  ressusciteraient avec leurs âmes dotées de leurs corps.   Quand donc la belle ordonnance du cosmos  sombrait dans la confusion,  et quand elle croyait que la mort de son Auteur l’avait ramenée  aux ténèbres primitives et au chaos antique,  subitement le Seigneur,  par la lumière de Sa résurrection,  rappelle  le jour,   et réforme l’univers en un tout organisé et ordonné,  pour redresser en même temps que Lui , pour Sa gloire,  le monde equ’Il avait vu compatir à Ses souffrances.   L’évangéliste dit :  Le matin étant arrivé.   Ce qui veut dire :  une fois traversée la nuit de la  passion.  Jésus se tenait sur le rivage.   Pour replacer toutes choses  dans leurs bornes antiques,  pour apporter la certitude dans le doute,  pour enrayer le sort,  pour harmoniser le disparate,  et par sa seule station, stabiliser les fondements eux-mêmes de la terre  qui avaient été ébranlés.  Pour que le monde qui s’était enfui pour ne pas voir l’injure faite à son Auteur,  Lui  apporte le tribut de son hommage .  Jésus se tenait sur le rivage.  Pour que,  par sa station,  il ramène à la fidélité de la foi en Lui  son Eglise d’abord et avant tout, dans laquelle Ses disciples étaient ballotés par les vagues de la mer.   Et enfin,  parce qu’Il les avait trouvés  spoliés  de la vertu de la foi,  et  qu’Il s’était rendu compte que  le découragement les avait vidés de toute vigueur virile,  Il les semonça en les appelant enfants,  quand Il leur dit :  Enfants,  avez-vous quelque chose à manger  ?   Là était Pierre,  qui l’avait renié,  Thomas qui avait douté,  Jean qui avait fui.   Il ne s’adresse pas à eux comme à de braves soldats,  mais comme à des enfants  .   Et ceux qu’il ne considérait pas idoines au combat,  Il les invita au repas,  comme des êtres  chétifs,  en leur disant :  Enfants, avez-vous quelque chose à manger   ?    Pour que  l’hospitalité  les ramène à la grâce,  le pain à la confiance,  le poisson à la foi.   Ils n’auraient pas cru que Son corps ressuscité était réel  s’il ne L’avaient vu manger comme mange un être humain.   C’est pour cela que la Satiété absolue  demande de la nourriture.   Le Pain lui-même mange,  car ce n’est pas de nourriture qu’Il a toujours faim,  mais de la charité des Siens.   Enfants, avez-vous quelques chose à manger ?  Ils lui répondirent : non.   Et que pouvaient-ils bien avoir eux qui n’avaient pas le Christ à leurs côtés,   qui ne voyaient pas encore de leurs yeux le Christ se tenant debout devant eux ?    Les disciples ne connurent pas que c’était Jésus.   Il leur dit : Jetez le filet à droite,  et vous trouverez.    Il  renvoie à la droite ceux  que le trouble de la passion avait déportés à gauche.   Ils jetèrent leur filet, et ne purent le tirer à cause du grand nombre de poissons.    Ils ont jeté le filet à droite,   ils l’ont jeté du côté viril,  mais comme ils n’étaient encore que des enfants,  ils ne purent pas le tirer.   Ils comprirent par le poids lui-même,  par l’afflux des poissons au commandement du Seigneur  que cette capture n’était pas le résultat   de l’expertise humaine.   Le disciple que Jésus aimait dit : C’est le Seigneur.   Celui qui aime est le premier à voir,  parce que le regard de l’amour  saisit  toujours avec plus d’acuité, et celui qui aime ressent toujours avec plus de vivacité.   Quand Pierre entendit.    Les évènements récents  avait tellement  ralenti l’esprit de Pierre  qu’un autre à fait connaître le Seigneur à celui qui avait l’habitude de l’annoncer.  Où est donc sa profession singulière de foi ?   Tu es le Christ,  le fils du Dieu vivant.   Où est-elle allée ?   C’est de la maison de Caïphe,  le prince des Juifs qu’elle s’est enfuie.    Il a vu  son Seigneur en retard celui qui  avait été prompt à écouter les insinuations  d’une servante.  Quand il entendit que c’état le Seigneur,  il se ceignit de sa tunique  car il était nu.    Il est étonnant de constater, mes frères,  que, quand le Seigneur a été capturé,  Jean a abandonné  son vêtement,  et Pierre s’est  trouvé nu.  Car c’est la fuite qui a habillé Jean et la négation qui a dénudé Pierre.   Il est étonnant mes frères,  il est même très étonnant  qu’il soit nu dans le navire et habillé dans la mer,  car l’innocence n’est jamais nue et la culpabilité  se dissimule derrière  un  habit.   Pierre maintenant,  après sa faute,   s’empresse,  comme Adam,   de couvrir sa nudité,  eux qui furent tous les deux, avant la faute, revêtus de la sainte nudité.    Il se ceignit de sa  tunique et sauta dans la mer.   Pour que la mer nettoie ce que la négation avait pollué.   Il se jeta à la mer.   Pour qu’il soit le premier à revenir celui qui,  dans la hiérarchie ecclésiastique,  avait reçu la primauté.  Et il s’est  ceint  de sa  tunique.    Il s’est ceint d’une tunique  celui qu’un autre devait ceindre  pour la passion du martyre,  d’après la parole du Seigneur :   Un autre te ceindra et t’amènera là où tu ne voudras pas.      Les autres disciples vinrent par le bateau,  car ils n’étaient pas loin de la terre,  de deux cent coudées environ, trainant le filet rempli de poissons.    Les autres arrivent par le bateau,  et trainent les poissons capturés,  pour qu’ils relèvent des profondeurs  et conduisent avec eux-mêmes par un travail fidèle  l’Église agitée par les tempêtes du siècle , et ceux que le filet évangélique  ravira  pour la lumière surnaturelle.    Ils n’étaient pas éloignés de la terre.   Ils n’étaient pas loin de la terre des vivants  ceux que la disparition des choses présentes avait déjà rapproché des choses futures.  D’environ deux cents coudées.   Celui qui veut réunir le salut et la vie des deux peuples  provenant des Juifs et des Gentils double le chiffre cent.   Ce qui reste de la lecture,  nous le traiterons,  Dieu aidant,  dans le sermon suivant.
 
 
 

79ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

 Après avoir parcouru les récits de Matthieu et de Marc sur la résurrection,  enquérons-nous maintenant de ce que le très bienheureux Luc nous rapporte.   A la toute  pointe du jour du sabbat, les femmes vinrent ensemble  au monument,  portant les aromates qu’elles avaient préparées.   Nous avons dit plusieurs fois  que ce qui est arrivé lors de la résurrection du Christ  était une figure de ce qui arrivera à la nôtre.   L’enchaînement de faits vécus par le Christ  que nous présente le récit de l’évangéliste  vaut plus par sa signification mystique que par sa nouveauté.   La première heure du sabbat.   C’est une bonne chose  que ça ait eu lieu  à la première heure,  car le jour de la résurrection  n’en connaît pas d’autre.  La mère de la lumière éternelle ignore le temps de la nuit.  Le jour éternel brille éternellement.   La lumière des ressuscités ne peut pas  mourir.  La lumière qui abolit la nuit ne peut pas être éteinte.  Elles vinrent au monument portant les aromates qu’elles avaient préparées.  Et elles trouvèrent que la pierre avait été  roulée par en arrière près du tombeau. Et entrant,  elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.   Pourquoi celles qui avaient fui loin  du sépulcre  ont-elles maintenant l’audace d’y retourner ?   Ces intrépides reviennent  au monument funèbre qui inspire de la terreur.  Elles assaillent avec confiance la tristesse du sépulcre.  Et n’ayant pas trouvé le Seigneur,  elle Le cherchent avec soin, et persistent  sans se décourager.   Ne les trouble pas non plus l’obstacle supplémentaire  de la nuit qui,  engendrant les ténèbres, ajoute à la peur.   Mes frères, la femme,  cause du mal,  auteur du péché,   voie de la mort,  épitaphe du sépulcre,  porte de l’enfer,  est elle-même  la nécessité entière de la lamentation.  C’est à cause de cela qu’elles sont larmoyantes de naissance,  qu’elles sont sujettes aux grandes tristesses,  qu’elles sont adonnées aux gémissements,  et  autant elles sont fortes pour se lamenter,  autant elles sont faibles physiquement.   Et autant elles sont impropres aux  travaux épuisants,  autant elles sont  disposées à pleurer.   De là vient qu’elles triomphent des armes par les pleurs,  de là vient qu’elles fléchissent les gouvernements par leurs larmes,  que par leurs lamentations  elles paralysent  toute la force des hommes.   Il n’est donc pas surprenant  si les femmes apparaissent ici plus empressées que les apôtres  à se rendre au lieu des lamentations,  aux funérailles,  au sépulcre,  pour rendre le dernier hommage au corps du Seigneur.   La première à courir vers le lieu des lamentations est celle qui a été la première à courir vers la chute.  Elle a précédé l’homme au sépulcre celle qui l’avait précédé vers la mort.   Elle devient la messagère de la résurrection  celle qui avait été la porte-parole de la mort.  Et celle qui avait apporté à l’homme l’annonce d’une si grande ruine est celle qui offre aux hommes la nouvelle d’un  grand salut.   Ce n’est pas ici un renversement des rôles ,  mais une préséance d’ordre  mystique.   Les apôtres ne sont pas placés après les femmes,  mais sont réservés pour de plus grandes choses.   Les femmes rendent les derniers honneurs au Christ,  les apôtres  endurent les souffrances du Christ.  Elles portent des aromates,  eux des coups de fouet. Elles entrent dans le sépulcre,  eux  dans une prison.   Elles se hâtent pour rendre les derniers honneurs,  eux courent à toute vitesse vers les chaînes.   Elles versent de l’huile,  eux versent leur sang.  Elles sont stupéfiées par la mort,  eux  lui tendent les bras.    Que dire de plus?     Elles demeurent, elles,  dans leurs maisons,  eux  affrontent  les armées ennemies ,  comme des soldats  courageux  qui font la démonstration de leur fidélité dans l’adversité,  de leur vertu dans les labeurs,  de leur patience dans les injures,  de leur mépris de la mort dans les  périls,  de leur endurance  dans les blessures,  de leur zèle dans les souffrances,  de leur constance dans la lacération des viscères.   Les femmes apportent donc au Christ leurs larmes,  les apôtres,  après avoir triomphé du démon et vaincu les ennemis,  offrent au Christ la victoire et le triomphe.

 Il est vrai,  et personne ne le conteste,  il est vrai qu’on rapporte  que les apôtres n’ont pas cru à ce que leur racontait les femmes de la résurrection du Christ,  et qu’ils ont considéré qu’elles déliraient.   Il se méfie du merveilleux  qu’on lui rapporte  celui  qui croit  a des choses plus merveilleuses encore.  . Il ne peut pas être trompé  celui qui ne croit pas à la légère.   Il est  peu futé  celui qu’une première désillusion ne rend pas plus circonspect.    Le soldat  novice court affronter l’ennemi,  sans connaître la cause de la guerre,  et sans rien savoir de la force de son ennemi.  Mais l’expérience,  non l’indolence,  fait avancer le vétéran à pas comptés.  Ainsi Adam le novice est vite tombé quand  il s’est empressé de croire.    Et pendant qu’il donnait facilement son assentiment à ce que lui proposait la femme,  il s’est livré,  lui et ses successeurs,  au pire des ennemis.   Pierre le vétéran n’a pas facilement écouté les racontars de la femme.  Il n’a cru que tardivement à ce qu’annonçaient les femmes,  pour prendre le temps de réfléchir comme un vétéran,  et ne pas se précipiter comme un enfant.   La preuve en est que quand deux des disciples  qui, après la résurrection,  ont mérité d’avoir Jésus comme compagnon de route,  revinrent annoncer qu’ils avaient vu le Seigneur,   les apôtres jugèrent en homme  ce qu’ils entendirent,  et ne le taxèrent pas de délire.   Ces deux disciples  donnèrent des oreilles,  façonnèrent des bouches ,  ouvrirent  les yeux,  frappèrent à la porte des cœurs,  et ce qu’ils dirent  ils le rendirent  tellement accessible aux sens,   que,  après l’ardeur excessive du doute et de l’hésitation,   les assoiffés burent la parole du fleuve de la foi,  que la langue de leurs collègues leur versait.   Comme des coupes d’eau froide  tempèrent l’ardeur de la soif et rafraîchissent,  ainsi l’annonce d’une grande joie  réjouit plus l’esprit après l’annonce d’un grand malheur.  Mes frères,  qui peut comprendre les causes de la naissance du Seigneur ?    Qui mérite  d’estimer à sa juste valeur l’affaire de la résurrection du Christ ?   Ne le pourra que celui qui a reçu de Dieu la grâce d’y penser,  de le comprendre,  d’en saisir tout le sens.    Que le Créateur du monde soit créé par un enfantement féminin;  que le Seigneur du monde  figure parmi la servitude humaine;  que le Pasteur de tous ait besoin de pâture;   que soit adjugé aux coupables  Celui qui pardonne à tous;  qu’Il soit puni  en étant privé de la  vie du monde Celui  qui meurt pour ressusciter les morts;  que Celui qui renferme tout soit enfermé dans un sépulcre;  que le Seigneur des cieux soit trouvé dans les enfers.   Que celui qui peut comprendre ces choses,  ne se scandalise pas,  mais cherche les raisons profondes  des hésitations,  des atermoiements,  des craintes, des fuites,  des subterfuges des apôtres.  Donc, frères,  ne nous étonnons pas,  nous qui jusqu’à maintenant n’avons pas cru, que les Apôtres aient douté, qu’ils aient  mis tant de temps à croire.    Mais prions pour que nous méritions  de comprendre ces choses dans la mesure où  nous le donnera  Celui  qui accorde gratuitement  à l’homme de comprendre.  Ce qui reste  de ce récit à commenter,  nous le poursuivrons,  avec l’aide de Dieu,  dans le prochain sermon.
 
 
 

80ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(La résurrection du Christ,  et la deuxième manifestation faite aux femmes en revenant  du monument)

 Puisque dans le sermon précédent nous avons commenté en quelques morts la première partie de la lecture,  écoutons donc ce qui se rapporte à ce qui suit :   Répondant, l’ange dit aux femmes : Ne craignez pas, vous autres, car je sais que c’est Jésus qui a été crucifié que vous recherchez.  Il n’est pas ici,  car il est ressuscité comme il l’a dit.  Venez voir le lieu où le Seigneur avait été placé.   Penses-tu que l’absence de Pierre, de  Jean et des autres disciples  est blâmée,  que leur inertie leur est reprochée  par le seul  fait qu’à la résurrection du Christ,  les femmes, après avoir veillé toute la nuit,  accourent avec ferveur,  les premières, et toutes seules ?   Le rôle  des hommes est-il flétri,  parce que l’infirmité féminine les a devancés à la gloire de la résurrection ?    Loin de nous cette pensée,  mes frères.  Ce n’est pas le fuit  du hasard;  il y a une raison à cela.  C’est un mystère,  non une  pure coïncidence.   Cela ne provient pas de leur faute,  mais d’un dessein providentiel.    Car la femme ici,  ne précède pas l’homme mais le suit,   puisque c’est l’homme  qui ressuscite dans le Christ.   Comprends donc que Pierre n’a pas cédé la préséance aux femmes,  mais au Christ;   non à la servante,  mais au Seigneur;  à un sacrement,  non au sommeil;  à un décret d’en Haut ,  non à la crainte.   Tout bien considéré,  l’homme était dans le Christ quand l’ange vint vers les femmes.  De telle sorte que,  autant le Seigneur l’emporte sur l’ange,  autant l’homme a préséance sur la femme en dignité.   N’ayez pas peur, vous autres.   Ce qui revint à dire :  Qu’il craigne le Juif qui L’a trahi,  qu’il craigne Pilate qui L’a condamné,  le soldat qui s’est moqué de Lui, les impies qui L’ont crucifié,  les cruels qui Lui ont présenté  la coupe amère,  les barbares qui ont investi le sépulcre,  les perfides qui ont acheté le mensonge et vendu la vérité,  et ceux qui,  au lieu de pleurer de L’avoir tué,  poussent l’inhumanité jusqu’à s’attrister de Sa résurrection.      Mais vous,  il convient  que vous vous réjouissiez,  non que vous craigniez,  car Il est ressuscité Celui que vous recherchiez mort;   Il vit Celui dont vous pleuriez l’assassinat.   Je sais que c’est Jésus qui a été crucifié que vous cherchez.   Ce qui signifie :  Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?   Pourquoi cherchez-vous la Vie dans le sépulcre?    Allez plutôt à la rencontre du Vivant.   Cessez d’accourir en groupe pour Lui rendre les derniers honneurs.   Je sais que c’est Jésus qui a été crucifié que vous cherchez.  Il n’est point ici.    C’est ainsi qu’a parlé  l’ange,  car il  n’a pas ouvert  le sépulcre  pour qu’en  sorte le Christ,  qui n’y était déjà plus,   mais pour démontrer  que le Christ n’était pas là.     Il est ressuscité, comme Il l’a dit.    C’est la même vertu qui possède la double puissance  de ressusciter les morts et  de prédire l’avenir.   Venez voir le lieu où avait été placé le Seigneur.   Venez, femmes, venez!    Voyez où vous avez posé Adam;  où vous avec enseveli l’homme;  où vous avez refoulé l’homme par votre conseil,  par lequel vous avez fait que  le Seigneur git ici pour ses esclaves.    Et comprenez que l’immensité de la grâce correspond à l’immensité de l’injustice  commise envers le Seigneur.   Venez voir le lieu où le Seigneur avait été posé.    La vertu angélique atteste  que c’est le Seigneur qui a été crucifié,  et l’infirmité humaine ergote :  est-ce bien le  Seigneur qui est ressuscité ?    Le Christ a assumé les passions humaines,  sans rien perdre de Sa divinité.  Et retournez vite dire aux disciples qu’Il est ressuscité, et voici qu’Il vous précédera en Galilée.  Là, vous le verrez.    Les apôtres, ici,  ne sont pas placés après les femmes,  mais la femme est disculpée  en apportant le message de la vie et  de la résurrection,  elle qui avait apporté le message  de la mort et de la ruine.  Et sortant rapidement du monument avec crainte et une grande joie.    Les femmes entrent dans le sépulcre  pour devenir participantes de l’ensevelissement,  pour s’associer à Sa passion.    Elles sortent du sépulcre  pour ressusciter dans la foi,  avant de ressusciter dans la chair.   Sortant avec crainte et une grande joie.    Mais où est donc  le ne-craignez-pas  ?   Car la crainte n’a pas été enlevée,  mais changée.   La crainte qui provenait de la faute s’était éloignée,  mais la crainte respectueuse  demeurait.  La crainte mauvaise,  qu’avait fait naître le péché,  a cédé la place  à la bonne crainte révérencielle.  Elles avaient perdu l’Adam qui leur avait été donné,  et elles craignaient de perdre Celui qui leur était rendu.   Avec crainte et grande joie.      Il est écrit :  Servez le Seigneur avec crainte, et exultez en lui en tremblant.     Avec crainte et grande joie.   Parce que la crainte sainte du Seigneur perdure dans les siècles des siècles.

 Elle courrait l’annoncer à Ses disciples, et voici qu’accourt à elles Jésus en disant :  Je vous salue.    Jésus vient à la rencontre de ceux qui courent en toute fidélité,  pour que ce qu’ils avaient cru par la foi,  leurs yeux le reconnaissent;  et que Sa présence  raffermisse celles  qui étaient encore troublées par ce qu’elles avaient entendu.  Jésus  va à leur rencontre en leur disant :  Je vous salue.  Il accourt en tant que Seigneur;  Il salue en tant que Parent;  Il les réconforte par son affection,  tout en les maintenant dans le respect.   Il salue,  pour qu’elles ne fuient pas par crainte, mais servent par amour.  Et puis elles avancèrent et tinrent ses pieds.    Il a voulu être possédé Celui qui a supporté d’être touché.   Elles avancèrent et tinrent ses pieds.    Pour qu’elles sachent que l’homme est situé dans la tête du Christ,  et elles,  à ses pieds;  et qu’il leur a été donné par le Christ de suivre l’homme,  et non de le précéder.    Il leur a dit :  N’ayez pas peur.    Ce que l’ange avait dit,  le Seigneur le dit aussi.  Pour que celles que l’ange avait  rassurées,  le Christ  les raffermisse davantage.   Mais allez et dites à mes frères d’aller en Galilée, que là, ils me verront.    En ressuscitant des morts,  le Christ a réassumé l’humanité,  il ne l’a pas quittée.   Il donne le nom de frères à  ceux que Son corps s’est apparenté.   Il appelle frères ceux qu’Il a adoptés,  pour en faire des  fils de son Père.   Il appelle frères ceux que l’Héritier débonnaire  a appelés à la dignité de cohéritiers.   Mais voyez comment ressuscite l’impiété à la résurrection du Christ.  Et quelques-uns des gardes arrivèrent à la  ville, et annoncèrent aux Princes des Prêtres  tout ce qui était arrivé. Mais eux se réunirent avec les anciens pour tenir conseil,  et donnèrent une somme considérable aux soldats en leur disant :  Dites que ses disciples sont venus de nuit, et qu’ils ont dérobé le corps pendant votre sommeil.   Ceux qui donnent de l’argent,  ne se procurent pas  ce qui se perd, mais ce qui se conserve.   Les Juifs achetèrent le Christ au vendeur Judas  pour Le perdre.    Maintenant,   ils versent une somme considérable d’argent  pour perdre la loi,  le temple et la patrie.   Des hommes sanguinaires et fourbes  fixent le prix de la fausseté,   mettent au point l’instrument de  la perfidie,  trament le vol à main armée de la vérité,  et par un cruel trafic, ourdissent  la fraude de la foi.    Ils corrompent les militaires,  et il appellent un vol le grand mystère de la résurrection.    Ses disciples sont venus de nuit,  et l’ont dérobé.    Non contents d’avoir tué le Maître,   ils s’évertuent à trouver des moyens de perdre les disciples;  et font en sorte que la puissance du Maître  soit le crime des disciples.    Ses disciples sont venus de nuit, et l’ont dérobé.   Il est évident que les soldats L’ont laissé échapper de leurs mains,  et que les Juifs L’ont perdu.   Mais les disciples ont recueilli  leur Maître vivant, non mort;   par la foi,  non par le vol;  par la vertu, non par la fraude;  par la sainteté,  non par le crime.  Voilà  pourquoi on les envoie en Galilée,   pour qu’ils puissent Le voir,  parce que dans le lieu de la perfidie,  on ne peut pas voir Dieu.  Il avait dit :  Tout pouvoir m’a été  donné au ciel et sur la terre.    Qu’il se le soit donné  à Lui-même,  Il l’exprime par le témoignage de l’Apôtre :   Dieu était dans le Christ se réconciliant à Lui-même le monde.     Ce qu’Il possède depuis toujours avec le Père et le Saint-Esprit,  le Fils de Dieu l’a partagé avec le Fils de la vierge,  Dieu avec l’homme,  la divinité avec la chair.   Et c’est pourquoi Il dit :  Allez, baptisez toutes les nations, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.    Pour qu’une seule et même puissance  recrée pour le salut ce qu’elle avait créé pour la vie.   Et voici que je suis avec vous tous les jours,  jusqu’à la consommation du siècle.    Il est toujours avec nous Celui qui est toujours avec le Père,  et Il vient à nous par cela même qu’Il a pris de nous. Que dire de plus,  mes frères !   De ce qui naît,  de ce qui souffre,  de ce qui ressuscite,   de ce qui est assumé,   de tout cela,  Il n’a aucun besoin :  c’est pour notre salut.
 
 

81ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de la cinquième manifestation du Christ,  faite aux disciples en l’absence de Thomas)

 Quand la Judée rebelle met tout son zèle à combattre son Créateur,  et lève une main impie pour assassiner son Auteur,  elle retire la paix de la terre,  elle rompt l’harmonie existant entre les êtres,  et  casse le lien qui unit les éléments entre eux,   Et ceci,  d’une façon telle  qu’elle renvoie la totalité du monde au chaos antique.   Elle met en fuite  le jour,  envahit le territoire de la nuit,   refuse la lumière aux ténèbres,  et le ciel aux êtres.   Elle fait trembler la terre,  elle mêle les morts aux vivants,  elle confond les enfers avec les cieux;    et après avoir renversé l’ordre des choses,  afin d’injurier le Créateur,  elle ne laisse absolument rien subsister en fait de paix ou d’amour.

 C’est pourquoi le Christ,  de retour des enfers,  s’exclame pour rendre la paix aux êtres :    La paix soit avec vous !   Pendant qu’Il disait cela à ses disciples,  Il se tenait debout au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous !     C’est à dessein qu’Il a ajouté  avec vous,  parce que la terre avait retrouvé son assise,  le jour était revenu,  le soleil avait repris son cours,  et l’ensemble du cosmos  conservait l’ordre qui lui avait été rendu.   Mais dans les disciples,  la guerre faisait toujours rage,  et le conflit  entre la foi et la perfidie sévissait âprement en eux.   Le tourbillon des passions  ne heurtait  pas autant la terre qu’elle heurtait les cœurs des disciples.   Le tranchant de l’épée de l’incrédulité et de la croyance  dévastait leurs âmes  en une bataille acharnée.   Les hordes de leurs pensées  prenaient pied solidement dans leurs esprits,  et  les saillies d’espoir et de désespoir  ébranlaient  les cœurs les plus robustes.     Les sens et les esprits des disciples  oscillaient entre  les signes miraculeux innombrables du Christ et les diverses péripéties de sa passion;   entre les preuves de sa divinité et les défaillances de la chair;   entre les dommages causés par sa mort  et les dons qu’Il a faits pendant sa vie.     Leur esprit maintenant était élevé au ciel,  et leurs âmes trépignaient  sur la terre.   Et comme au plus profond de leur cœur,  la tempête continuait à déferler,  ils ne pouvaient trouver aucun havre de paix,  aucun mouillage à l’abri du vent..   Ce que voyant,   le Scrutateur des cœurs,  le Christ,  commanda aux vents,  et donna des ordres aux orages.    Lui qui peut à volonté transformer  les tempêtes en bonace,  Il ne tarda pas à les sécuriser par Sa paix :    La paix soit avec vous !  C’est moi. N’ayez pas peur !    Je suis Celui qui a été crucifié,  qui est mort et qui a été enseveli.   Je suis Celui que fuit la mort,   que redoutent les enfers.   Le tartare, plein d’effroi, a confessé Dieu.    Ne craignez pas !   Ne crains pas Pierre,  d’avoir renié,  Jean d’avoir fui,  vous tous d’avoir déserté.   Ne craignez pas à cause de ce que  le manque de foi vous a fait penser et juger de Moi,  de ce que même maintenant,  vous ne croyez pas, tout  en Me  voyant.   (Matt. Marc)    Ne craignez pas, c’est moi !     Moi qui vous ai appelés par la grâce,  qui vous ai élus  dans ma bienveillance,  qui vous ai soutenus paternellement,  qui vous ai portés dans mon cœur,  et que maintenant j’accueille par ma seule bonté,  parce que le Père ne connaît pas les fautes quand Il reçoit le Fils,   quand son affection les rend Siens de nouveau.    Troublés et effarouchés,  ils pensaient voir un esprit.    Pourquoi ?  Parce que le Christ était entré portes closes.   Les disciples donc, épouvantés comme dans un cauchemar,  attribuaient au Christ  non la puissance de la nature divine,  mais les limites de la nature humaine.    Ils croyaient voir un fantôme.    Car avec l’esprit de l’homme,  Il avait passé au travers de la barrière de l’utérus,  Il avait passé au travers des murs,  pour que le corps enfermé pénètre dans un corps fermé.   De la même façon,  quand l’âme met fin à la vie,   quand elle  se retire  du corps chéri qu’elle gouvernait avec lui en commun,  elle n’est pas retenue par les verrous des portes,  par des obstacles terrestres.   La substance spirituelle ne peut pas être enfermée dans des ergastules.   Comme le dit l’Ecriture :   L’Esprit,  tu ne sais d’où il vient, ni où Il va.   Après la résurrection,  après l’entrée du Seigneur à travers le mur ,  les disciples  ne croyaient pas que le Seigneur avait réassumé la solidité de son corps,  s’imaginant qu’Il était revenu dans un simple simulacre  de la chair,  comme les images corporelles ont coutume d’apparaître dans le sommeil.    Ils croyaient voir un fantôme.    Donc, comme nous l’avons dit,  dans les disciples ne s’apaisaient pas la guérilla des pensées.  Elle allait plutôt augmentant.  Et le trouble de leurs esprits ne faisait que croître par la vision.   Et ce qui  devait fortifier la foi en la résurrection  fournissait de nouvelles raisons de douter.   Ce qui était venu était une chose réelle.  Ce qui était entré portes closes,  ce n’était pas la foi.   Ce n’était pas la foi,  mais  la vertu divine.    Ce n’était pas quelque chose de purement humain,  mais c’était pourtant un homme.   Pour qu’un vrai corps porte témoignage de la puissance de Dieu,  et qu’une chair fantomatique ou  spectrale n’injurie pas la résurrection.   Pour réprimer les conflits renaissants de leurs pensées,  le Christ répondit :   Pourquoi vous troublez-vous ?  Et pourquoi ces pensées montent-elles dans vos coeurs ?    Il fait bien de parler de  monter  plutôt que de descendre.    Parce que les pensées humaines,   alourdies par le poids du corps,  essaient de s’élever à la hauteur du mystère de Dieu,  et quand elles s’y efforcent,   elles  sont mises en charpie,  croulent et  chutent  par terre,  à moins que n’apporte Son aide Celui  qui donne à l’homme de penser aux choses divines.    Pourquoi êtes-vous troublés ? Et pourquoi ces pensées montent-elles dans vos cœurs ?  Voyez mes mains et mes pieds !    Voyez ce qui veut dire : veillez. .   Pourquoi?  Parce que ce n’est pas une hallucination  que vous avez.  Voyez mes mains et mes pieds.     Parce que vos yeux toujours appesantis ne peuvent pas encore regarder ma tête.   Regardez les plaies de la chair,  puisque vous ne voyez pas les œuvres de Dieu.   Considérez les stigmates  laissés par les ennemis,  puisque vous n’avez pas encore remarqué les marques typiques de Dieu.    Palpez,  pour que la main produise la foi, puisque l’œil s’aveugle en voyant.    Que le toucher voie puisque l’œil ne voit pas.   Que vos doigts entrent dans les marques des clous;  que vos mains furètent les plaies.  Renouvelez  les trous des mains,  sillonnez mon côté,  ravivez mes plaies,  car je ne puis pas refuser à mes disciples pour les conduire à la foi  ce que je n’ai pas refusé aux cruels ennemis pour leur perdition.    Palpez, palpez,  et poussez  votre inspection minutieuse  jusqu’aux os,  pour que les os de la chair attestent la vérité,  et pour que les plaies que j’ai conservées témoignent  que c’est Moi-même.    Je me demande pourquoi vous ne croyez pas que je  suis ressuscité  moi,  qui, sous vos yeux,  ai ressuscité de nombreux morts ?    A moins que la vertu qui m’a servi pour les autres  ne m’ait  fait défaut à moi,  selon cette parole outrageante  prononcée quand  j’étais  rivé à la croix :   Il a sauvé les autres mais ne peut pas se sauver Lui-même.  S’il est le roi d’Israël,  qu’il descende de la croix,  et nous croirons en Lui.  Qu’est-ce qui est le plus grand :   descendre de la croix après avoir fait sauter  les clous,  ou remonter des enfers après avoir foulé aux pieds la mort ?    Voici que je me suis sauvé Moi-même,  et après avoir brisé les chaînes de l’enfer,  je suis monté vers les cieux,  et en dépit de tout cela,  je n’ai pas trouvé chez vous de foi dans ma divinité.   Une mort de trois jours  détourne-t-elle  de la foi dans ce qui doit être cru ?   Ma voix n’a-t-elle pas rappelé des enfers,  sous vos yeux,  un Lazare dont le cadavre nauséabond  en était au quatrième jour de décomposition ?   Et si le serviteur a pu revenir à la vie après quatre jours,  pourquoi le Seigneur ne le pourrait-Il pas après trois?   Eux, ne croyant pas encore à cause de la joie et de l’étonnement.   On croit avec peine à la réalité des joies longuement désirées  quand on en voit la réalisation.    C’est la stupeur qu’engendre l’obtention de nos rêves.   Voilà pourquoi les Apôtres s’émerveillent d’une résurrection  qui est arrivée plus tôt qu’ils ne l’espéraient.  Et ce n’est pas la perfidie qui les a fait différer de croire,   mais l’amour.   En testant  une telle foi,  ils ne la reniaient pas,  mais l’appelaient de tous leurs vœux.   Et en tendant vers ce qu’il y avait de plus haut,  ils souhaitaient que soit vrai ce qu’ils avaient sous les yeux.    Mes frères,  la nature  est trop infantile pour mener à la pratique des vertus.   A moins que Dieu ne la fasse croître,  elle ne peut  saisir ce qu’est la maturité,  ni  comprendre ce qu’est la perfection.   Que Dieu Lui-même nous accorde donc ce que par nous-mêmes nous ne pouvons ni saisir ni comprendre.
 
 
 
 
 

82ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la résurrection du Christ,  et la quatrième manifestation faite aux deux qui s’en allaient à la ville)

  Puisque saint Matthieu nous a déjà indiqué, pour notre salut, ce qu’il savait de la résurrection du Christ,  écoutons également aujourd’hui ce que le bienheureux Marc rapporte.  Et comme achevait le Sabbat, Marie-Madeleine,  Marie de Jacob et Salomé achetèrent des aromates,  et vinrent pour oindre Jésus.    Les femmes accourent à ce lieu avec une dévotion toute féminine,  pour apporter au sépulcre non la foi à un vivant  mais des aromates à un mort;  pour préparer le tribut d’hommage de leurs pleurs à un cadavre enseveli,  non les joies des triomphes divins à un Ressuscité.   Jésus a accepté la mort pour que la mort meure;  en acceptant d’être tué, le Christ  a tué ce qui tuait tout le monde.   Le Christ est entré dans le sépulcre dans le but de se frayer un chemin vers les enfers.   Le Christ ne doit pas être oint comme un cadavre,  mais  adoré comme un Vainqueur,  après avoir aboli la loi du tartare, détruit la prison de l’enfer,  et abattu l’empire lui-même de la mort.  Les femmes qui avaient passé toute la nuit sans dormir,  à veiller comme des insomniaques,  affrontent l’obscurité des premières lueurs de l’aurore.   Leur cœur plus que leur corps souffre de cette lumière indécise.  Et tôt le matin, à la première heure du Sabbat,  elles viennent au monument, au lever du soleil.     Si c’est tôt le matin, comment le soleil peut-il être déjà levé ?   L’évangéliste sait ce qu’il dit,  mais il ne sait pas ce qu’entend celui qui n’est pas initié .  Ce n’est pas la narration d’une erreur,  mais d’une vérité.  Son récit n’est pas entaché d’un lapsus,  mais il dévoile la vérité d’une prouesse  céleste.  Il avait dit :   De la sixième heure jusqu’à la neuvième,  les ténèbres se répandirent.    Donc le soleil,  qui s’était éclipsé tout au long de la passion du Seigneur,  a émis sa lumière avant le temps,  lors de la résurrection du Seigneur.  Et celui qui avait mortifié  sa clarté diurne  pour mourir avec  son Auteur  darde ses rayons  avant le jour,  après avoir chassé les ténèbres.  Tôt le matin.  Car le soleil vint au tout début du matin pour faire le matin;  et celui qui avait fui avant la nuit  prévient maintenant la nuit qu’il aura à fuir,  pour que la nuit rende à la lumière les heures  que la terreur de la passion du Seigneur avait envahies.

 Elles se disaient entre elles : qui nous déroulera la pierre de la porte du monument ?    La pierre du monument ou de leurs cœurs ?    Femmes,  votre cœur est obstrué,  vos yeux son fermés.   Voilà pourquoi vous ne voyez pas la gloire du sépulcre ouvert.   L’huile,  ce n’est pas sur le corps du Seigneur que vous devez la verser,  mais dans la lampe de votre cœur,  si vous voulez voir. Pour que la lumière de la foi ouvre ce qu’emprisonne l’obscurité de votre incrédulité.   Et regardant,  elles virent la pierre renversée,  une très grosse pierre.    Elle était certainement grande,  très grande et même plus que grande;  grande par le mérite plus que par la forme, celle qui a suffi pour enfermer et affranchir le corps du Créateur du monde.   Et entrant dans le monument,  elles virent un jeune homme à droite,  vêtu d’une robe blanche.    Elles entrèrent dans le sépulcre,  pour ressusciter du sépulcre avec le Christ après avoir été ensevelies avec Lui,   pour accomplir cette parole de l’Apôtre Vous êtes ensevelis avec lui dans le baptême, dans lequel vous êtes aussi ressuscités.   Elles voient un jeune homme,  pour  qu’elles discernent l’âge  que nous aurons à la résurrection.   Elles voient un jeune homme parce que la résurrection ne connaît pas la vieillesse;  et que la perfection éternelle n’a pas d’âge.    Là où l’homme ne sait pas ce que c’est que naître,  la mort ne le connaît pas.   Et là où il ne connaît ni la naissance ni la mort,  là n’existe pas le  désagrément du vieillissement,  et la croissance n’est pas nécessaire.   Elles  voient un jeune homme assis à droite,  parce que la résurrection n’a rien à voir avec la gauche.  Le Seigneur connaît les voies qui sont à droite.   Il plaça alors les justes à sa droite.

 Priez,  mes frères,  pour que nous aussi,  nous mourions aux vices;   que nous nous ensevelissions loin des pompes mondaines;  pour que nous ressuscitions dans le Christ pour l’éternité,  et que,  placés à la droite,  nous méritions d’entendre :  Venez les bénis de mon Père. Recevez le royaume qui vous a été préparé depuis l’origine du monde.  Cette aube n’a pas été faite à parti d’un tissu terrestre,  elle provient d’une vertu vitale.   Elle resplendit d’une lumière céleste,  non d’une couleur terrestre;  de la munificence sublime du Créateur non du savoir-faire du foulon.   Comme dit le Prophète :  Revêtu de lumière comme d’un vêtement.   Et au sujet des justes :  Alors les justes brilleront comme le soleil.     Les terriens sont vêtus de vêtements terrestres.  La nouveauté les rend éclatants, mais l’usure les rend mats.  Les célestes sont entourés d’un vêtement  de lumière céleste .  Ils sont immunisés contre la détérioration,  ne se dégradent  jamais en vieillissant,  et ne sont jamais souillés par la crasse.   Et les vêtements que la résurrection a une fois donnés  sont revêtus d’une lumière perpétuelle.

 Et sortant du monument,  elles prirent la fuite.  La terreur et l’épouvante s’étaient  emparées d’elles.  L’ange s’assoit sur le monument, et les femmes s’enfuient.  Lui met sa confiance dans sa nature spirituelle,  elles sont troublées par la condition humaine .  Celui qui ne peut mourir ne saurait avoir peur du sépulcre.   Les femmes tremblent en raison de ce qui vient de se passer,  et en tant que mortelles,  elles redoutent à mort  le tombeau.  Voilà pourquoi elles n’ont rien dit à personne.  Et elles ne dirent rien à personne.  Parce qu’il est donné aux femmes d’écouter, non de parler;  il leur est donné d’apprendre,  non d’enseigner, selon le mot de l’Apôtre :  Que les femmes se taisent dans l’Eglise.    Et pourtant, la même Marie,  par après,  s’en va annoncer la bonne nouvelle de la résurrection   non en tant que femme,  mais en tant que symbole de l’église.  Comme elle se tait en tant que femme,  elle parle et annonce en tant qu’église.   Après cela,  Il s’est montré à deux de ces femmes qui marchaient.    Pourquoi  à trois ou  à quatre plutôt qu’à deux ?   Pour nous faire comprendre que la foi en la résurrection doit être prêchée aux deux peuples :  aux Gentils et aux Juifs.   Comme nous avons déjà dit,  on nous donne la preuve  qu’une seule et même église est figurée par deux femmes et deux disciples.  Il s’est montré sous un autre aspect.   Que personne ne s’imagine que le Christ a changé la forme de son visage par sa résurrection.  Celui qui était le même avec ses plaies,  comment aurait-Il été autre de visage ?   Mais son apparence est changée quand de mortel Il devient immortel,  de corruptible incorruptible.  De cette façon,  Il a changé Sa substance,  mais non Sa personne;  Il a acquis un visage glorieux,  sans rien perdre de sa physionomie.   Et pour qu’un sermon rapide  n’escamote ni ne  survole  certaines questions,   nous clarifierons ce qui suit dans le prochain sermon,  avec l’aide de Dieu.
 
 
 

83ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(neuvième manifestation,  faite aux onze disciples pendant qu’ils prenaient leur repas)

 Aujourd’hui, le bienheureux évangéliste nous présente  des disciples, en plein drame de la  passion,  adonnés aux repas,  friands de banquets,  consacrant leur temps aux festins,  ayant perdu le souvenir de la passion du Seigneur.  Pendant que les onze étaient à table,  le Seigneur leur apparut.   Il étaient couchés sur un lit de table.  Où ?  Au sépulcre du Seigneur  où à la table du serviteur ?    Voilà donc la foi des serviteurs ?  Voilà la charité des disciples ?   Est-ce là l’ardeur de Pierre ?   Est-ce là l’amour du Jean qui a reposé sur le cœur  du Christ ?   Est-ce là l’affection conquise par un si long temps,  par tant de dons,  par tant de prodiges ?  Pendant le déroulement de la passion,  le cadavre étant encore chaud,  l’ensevelissement venant tout juste d’avoir lieu,  pendant que les ennemis exultaient et que tous les Juifs insultaient la mémoire du défunt,  les disciples se livraient tout entiers au culte du lit de table,  s’abandonnaient  à la volupté  des bambocheurs   et prenaient leur repas ?   A la mort de Moïse,  les anges sont présents,  Dieu Lui-même prend soin de son sépulcre,  les tentes sont dressées,  on ne se soucie plus du chemin qu’il reste à parcourir, on prolonge l’horrible séjour dans le désert,  on décrète trente jours de deuil,  et les funérailles de l’esclave sont honorées par un long tribut de lamentations.   Et le Christ,  seul vrai Seigneur,   Créateur des êtres,  Rédempteur de tous,  ne mériterait pas que ses disciples Le pleurent pendant trois jours  après sa passion tragique,  après sa mort,  et la mort de la croix ?  La terre tremble,  le tartare se trouble,  les pierres se fendent,  les monuments s’effondrent,  le sol se dérobe sous les pieds,  le jour est enseveli,  la nuit devient tout,  et les disciples,  sur un lit de table demi-circulaire élevé,  tout entiers à la joie et à l’oisiveté,  sécurisés par les plaisirs de la table,  festoieraient ?  Et c’est cela,  mes frères, que le Maître  trouverait  en revenant de l’enfer ?  Le Seigneur apparut aux onze pendant qu’ils prenaient leur repas,  et Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur,  parce qu’ils ne croyaient pas à ceux qui avaient vu qu’Il était ressuscité.    Que dirons-nous de cela ?   Pierre le fidèle,  Pierre le zélé ?  Pendant qu’ils étaient couchés sur un lit de table.    Pour prendre le repas ?   Mes frères, cela n’état pas être couchés pour manger,  mais être étendus de langueur.   Ce n’était pas un chœur de réjouissances,  mais un groupe de pleureurs.  Ici,  on ne mangeait pas le pain  de la joie mais des larmes.   Ce n’était pas avec la douceur du vin qu’on faisait les mélanges dans les coupes,  mais avec le fiel de la croix. Ils avaient verrouillé toutes les portes  par crainte des Juifs.   S’ils craignaient,  s’ils s’étaient barricadés,  ils ne festoyaient sûrement pas.  Et s’ils ne pouvaient pas prendre de repas,  ils n’étaient pas dans une maison,  mais dans une prison. Ce n’était pas une forteresse mais un sépulcre.  Toute la punition qu’il y avait à subir pour la passion du Seigneur s’était concentrée sur les  disciples.  Et non seulement dans leurs côtés,  mais dans leurs cœurs,  la lance de la douleur s’était fichée.  Leurs mains et leurs pieds étaient fixés aux clous de la tristesse.   C’est alors que l’amertume  judaïque leur présentait le vinaigre et le fiel.  C’est alors que pour eux le soleil se couchait et le jour fuyait.  C’est alors que la nuit ténébreuse possédait leurs esprits et leurs âmes.   C’est alors qu’une  dernière tentation les projetait sur les écueils de la perfidie, et les entraînait dans le naufrage des pensées de foi.   Alors le désespoir,  qui est de tous les maux le pire,  et qui vient toujours dans les plus grandes calamités,  les étendait dans des sépulcres funéraires.    C’est pourquoi,  comme nous l’avons dit,  ce ne sont pas des disciples  qui festoyaient et qui banquetaient que le Seigneur a trouvés,  mais des gens prostrés et comme ensevelis.   Et Il leur reprocha leur incrédulité,  parce qu’ils crurent tellement au désespoir  qu’ils ne crurent en aucune façon à  la résurrection prédite par le Seigneur, et annoncée par Ses serviteurs.  Et ils ne conservèrent rien en eux en fait de foi et de salut.   Mais morts au siècle, ensevelis pour le monde,  il ne leur restait plus qu’une seule maison,  un seul sépulcre où ils croyaient que tous étaient pour eux ensevelis.  A cause de cela,  quand le Seigneur vit qu’ils s’étaient exilés du monde,  Il les rappella au monde,  Il les renvoya dans le monde, en leur disant :  Allez dans le monde entier. Prêchez l’évangile à toutes les créatures.    Venez dans le monde .  Vous qui pensez que tous gisent dans une seule maison,  vous verrez bientôt le monde entier à vos pieds.   Allez dans le monde entier.  Prêchez l’évangile à toutes les créatures.   Ce qui revient à dire :  Soyez, vous,  pour tous, l’espérance, vous qui avez été une cause de désespoir pour vous-mêmes.   Et vous prendrez la mesure  de votre incrédulité,  quand vous verrez le monde croire à votre parole,  vous qui n’avez pas su croire à ce que vous voyiez.  Et  vous saurez à quel point est grande la dureté de votre cœur,   quand vous réaliserez que,  sans m’avoir vu,  les nations les plus féroces, sur toute la surface de la terre,   me confessent,  Moi que vous avez renié quand vous M’aviez sous les yeux.   Vous verrez des gens  éparpillés ici et là,   bloqués dans des îles,  perchés sur des rochers,  retirés dans les désert,  des faiseurs d’horoscope,  des philosophes grecs,  les plus savants parmi les romains  chercher la foi par la foi seule,  cette foi que,  vous,  vous avez cherchée  avec la main et  le doigt dans les marques de mes blessures.   Mais parce que je vous envoie comme des témoins de  ma passion,  de ma mort et de ma résurrection,  je permets que vous scrutiez  mes plaies à  la loupe,  pourvu que votre doute  devienne pour ceux qui croiront en vous  une force confirmative.

 Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé.   Frères, ce que l’âme est au corps, la foi l’est au baptême.  Voilà pourquoi celui qui est régénéré à la fontaine vit de la foi.   Le juste vit de la foi.  Quiconque vit sans la foi est donc mort.  Qui croira.  Parce que la Trinité est un seul Dieu;  parce que dans le Père, le Fils et le Saint Esprit,  il y a une seule majesté dans une entière égalité;  parce que la déité  est distincte dans la trinité,  mais est une sans confusion.  La divinité est une dans la déité,  et trine dans les Personnes, parce que Dieu est le nom de la Trinité.  Parce qu’il ne faut pas classer le Père et le Fils par ordre, mais regarder l’amour qu’ils se portent l’Un à  l’Autre.  Le Saint-Esprit ne doit pas être estimé inférieur,  plus ou moins grand,  parce que la divinité n’a rien qui soit en dehors d’elle.    Parce que le Christ s’est fait homme tout en demeurant Dieu.  Il est mort pour ressusciter, par sa mort,  les morts de tous les siècles.  Il n’est pas ressuscité pour Lui,  mais pour nous.    En s’élevant au ciel,  il nous a emmenés au ciel.   Il est assis dans la majesté du Juge,  non pour se reposer de Sa fatigue.   Il viendra non localement, Lui qui est partout où l’on va; non pour s’emparer de son monde,  Lui qui possède la totalité du monde;  mais pour que le monde  mérite pour toujours la vision de son Auteur.   Que l’homme croie aussi en la rémission des péchés.    Que l’immensité de ses crimes ne le mène pas au désespoir,  car s’il est une faute que Dieu ne peut pas pardonner,  Il n’est pas tout- puissant.  Qu’il croie en la résurrection de la chair, pour que ce soit l’homme lui-même qui ressuscite,  pour que celui qui pèche reçoive la punition,  et celui qui travaille péniblement la récompense.   Qu’il croie en la vie éternelle,  afin  que n’ait pas lieu la seconde mort.   Le fait que les démons,  les ennemis ataviques, soient chassés des corps humains, que d’une seule et même bouche  se prodigue  le même sermon en une diversité de langues,  que, quand ils sont touchés, les serpents, grâce au Christ,  ne connaissent plus leurs venins, que, grâce au Christ,  des coupes empoisonnées ne peuvent pas faire de tort à ceux qui les boivent,   que les maladies corporelles s’enfuient au toucher de celui qui prêche le Christ,  toutes  ces choses,  mes frères,  sont des preuves  irréfragables de la vérité de notre foi.   Les  signes suivants accompagneront les croyants :  Ils chasseront des démons en mon nom, ils parleront de nouvelles langues, ils manipuleront des serpents, et s’ils boivent un poison , il ne leur fera aucun tort.  Ils imposeront les mains aux malades,  qui ne s’en porteront que mieux.    Homme, sois donc pour toi-même un médecin par la foi,  pour que tu ne sois pas forcé de te soumettre,  à tes frais, à des médecins étrangers,  et contraint d’acheter à grand prix ce que tu peux posséder gratuitement.  Prions,  mes frères,  pour que dans la vie présente, nous expérimentions toujours la médecine de la foi,  pour que nous, qui sommes dans la situation de ceux qui attendent le Christ,  nous soyons surs qu’Il viendra,  et que nous puissions tirer gloire de notre conscience.
 
 

84ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la cinquième manifestation du Christ, faite aux apôtres en l’absence de Thomas, et la sixième en sa présence)

Pendant les quarante jours au cours desquels il est rapporté et il est de foi  que le Christ est apparu de différentes manières à ses disciples,  Il s’est dévoué à leur expliquer la sainte écriture  et à leur donner un enseignement bien nécessaire,  en s’appuyant sur des sacrements,  pour que les nombreuses preuves de sa résurrection  changent la douleur de la passion du Seigneur dans la joie parfaite de votre charité.   Et Celui qui était auparavant ressuscité dans notre corps par Sa vertu propre,  qu’Il ressuscite maintenant par la foi dans nos cœurs.   Et comme c’était le soir du premier jour des Sabbat et que les portes étaient closes là où les disciples s’étaient réunis par crainte des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu d’eux.   Comme c’était le soir.   C’était le soir,  plus par leur  sombre chagrin  que par l’heure marquée au cadran solaire;  un nuage  de douleurs et de tristesse avait répandu la noirceur  sur leurs esprits   C’était le soir.   Bien que le crépuscule avait donné quelques indices de la résurrection,  le Seigneur n’avait pas encore resplendi pour eux dans toute la splendeur de Sa lumière.  Et comme les portes étaient closes là où les disciples s’étaient rassemblés par crainte des Juifs.   La grandeur de la terreur et de l’acte criminel avait fermé la maison et les cœurs des disciples dans un si grand trouble,  et  toute entrée à la lumière avait été si interdite,  que l’occupation toujours de plus en plus  grande des sens augmentait les ténèbres de la nuit  par l’accablement de la tristesse.    Il n’y a pas de ténèbres nocturnes qui peuvent  se comparer  à l’obscurité qu’apportent la souffrance et la peur,  parce qu’elle ne peut être percée   par  la lumière d’aucune consolation ni  d’aucun conseil.   Ecoute le prophète :  La crainte et la terreur sont venues sur moi, et les ténèbres m’ont recouvert.

  Et comme les portes étaient closes où étaient les disciples rassemblés par la crainte des Juifs,  Jésus vint et se tint au milieu d’eux.    Qui doute que la Divinité  a pu pénétrer le secret d’un corps clos  et un domicile entièrement verrouillé par la virginité absolue,  Elle qui,  après la résurrection ,  alourdie par le mystère de notre corps,  est entrée et sortie par des portes closes ?  Par un tel signe,  Il s’affirme  comme l’Auteur de toute créature,  Celui à Qui aucune créature ne peut s’opposer,  que toutes doivent servir avec zèle.   Si la virginité ne peut pas alléguer comme excuse devant son Créateur, la conception et la naissance,  si elle ne peut pas non plus  interdire à son Créateur d’entrer et de sortir portes closes,  comment la pierre du monument,  bien qu’immense,  bien que scellée par la malice judaïque,  pourrait-elle s’opposer à la résurrection du Sauveur ?   Mais comme la virginité et la porte,  toutes deux claustrées,  produisent la foi dans la divinité,  de la même façon la pierre roulée  affirme la foi dans la résurrection,  car, étant roulée,  elle n’offrait au Seigneur aucune sortie,  mais elle permettait et offrait l’entrée de la foi,  la nuit.    Jésus vint et se tint au milieu d’eux, et Il leur dit :  La paix soit avec vous.   Dans le cœur des disciples, étaient continuellement en conflit  la foi et le doute,   le désespoir et l’espoir,  la magnanimité et la pusillanimité..   Le Scrutateur des cœurs voyant dès l’abord les guerres que se livraient de telles pensées,  rendit en premier lieu  la paix des cœurs  à ceux qui Le voyaient.    S’Il avait offert matière à controverse  quand Il avait été supprimé,  son retour élimine à leurs yeux toute cause  de bataille.   Ils étaient heureux en voyant le Seigneur.  Ils furent remplis de joie.   Autant est appréciée  la lumière après les ténèbres,  le ciel bleu après la noirceur des nuages, autant est bienvenue la joie après le désenchantement.     Il leur dit de nouveau :  La paix soit avec vous.  Qu’est-ce qu’exprime cette répétition du don de la paix,  si ce n’est que le calme  qu’Il avait infusé dans les sens de chacun d’entre eux,  Il voulait qu’ils le préservent  en se redonnant continuellement la paix les uns aux autres.   Car Il savait qu’ils auraient dans l’avenir des luttes à supporter au sujet de leur lenteur à croire;  que l’un se vanterait d’avoir persisté dans la foi,   et qu’un autre s’attristerait d’avoir douté.   Pour  retrancher la jactance et l’enflure de l’arrogant,  pour guérir celui qui avait été vacillant, et rejeter les passions,  le pieux Modérateur  attribua à des causes extérieures plutôt qu’à ses disciples la responsabilité de ce qui était arrivé,  et comprima, par l’empire de sa paix,  les guerres renaissantes.   Qu’ils ne se fassent pas de reproche les uns aux autres,  parce que Lui, à qui tout était du,  avait pardonné à l’avance.  Pierre renie,  Jean s’enfuit.  Thomas doute,  tous L’abandonnent.   Si le Christ ne leur avait pas donné sa paix,  Pierre qui était le premier de tous se serait cru inférieur à tous,  et  la primauté lui aurait peut-être  été enlevée par la suite,  comme une chose qui ne lui était pas due.

 Comme le Père m’a envoyé,  moi aussi je vous envoie.   Le mot envoyé  ne diminue pas le Fils,  mais déclare qu’Il est Fils , car quand Il a dit :  Le Père m’envoie,   Il n’a pas voulu mettre en relief la puissance de Celui qui envoie,  mais la charité de Celui qui est envoyé.  Ce n’est pas un Seigneur qui envoie un serviteur,  mais un Père qui envoie un Fils.  Moi aussi je vous envoie.  Non par l’autorité de Celui qui en est encore à donner des ordres,  mais par toute l’affection de Celui qui aime.   Je vous envoie  à la constance à supporter la faim,  au poids des chaînes,  à la saleté des prisons.   Je vous envoie pour que vous  supportiez  tous les genres de peines,  pour que vous allégiez,  pour tous, le joug de la mort exécrable , car c’est la charité,  non la puissance,  qui commande en tout aux esprits humains.   Ceux à qui vous remettrez les péchés,  ils leur seront remis.  Ceux à qui vous retiendrez les péchés,  ils leur seront retenus.  Il a donné le pouvoir de remettre les péchés Celui  qui, en soufflant,  a insufflé  et donné libéralement  Celui-même  qui les remet.    Mais où sont donc parmi ceux qui remettent les péchés ceux qui ne peuvent pas les retenir ?   Et comme Il disait cela,  Il souffla sur eux en disant :  Recevez l’Esprit Saint. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez.  Où sont ceux qui soutiennent que les hommes ne peuvent pas remettre les péchés aux hommes;   qui oppriment ceux qu’une impulsion diabolique a fait chuter une fois,  afin qu’ils ne se relèvent pas;   qui,  par un cruel esprit,  retirent la cure aux blessures et aux maladies;   qui insultent avec impiété au désespoir du rachat des pécheurs ?  Pierre a remis des péchés,  et avec une grande joie,  il a accueilli  des pécheurs;   et il étend ce pouvoir que Dieu lui a concédé à tous les prêtres.   Car s’il n’avait pas fait pénitence après le reniement,  il  aurait perdu en même temps la vie et la gloire de l’apostolat.   Et si Pierre est retourné à Dieu  par la pénitence,  qui peut subsister sans la pénitence ?

 Quand Thomas entendit ses condisciples dire qu’ils avaient vu le Seigneur, il  répondit :  Si je ne vois pas les marques des clous,  et si je ne mets pas ma main dans son côté,  je ne croirai pas.   Pourquoi Thomas  requiert-il les vestiges de la foi ?   Pourquoi conteste-t-il avec tant d’acharnement   le Ressuscité qui se montre si miséricordieusement patient ?   Pourquoi sa main droite dévote  veut-elle rouvrir les plaies  que Lui a infligées une main impie ?  Pourquoi la main de l’adorateur  s’efforce-t-elle de percer de nouveau  le côté que la lance du militaire impie a ouvert?   Pourquoi la curiosité d’un familier sans pitié  veut-elle renouveler les douleurs  imposées par la fureur  des persécuteurs ?   Pourquoi chercher à démontrer que c’est  le Seigneur, en Lui infligeant des tourments,  que c’est Dieu,   en renouvelant Ses  peines,  que c’est le Médecin céleste, en ravivant Ses blessures ?   La puissance du démon s’est effondrée,  le cachot de l’enfer a été ouvert,  les chaînes des morts ont été rompues,  les monuments ont croulé à la mort du Seigneur,  et à Sa résurrection,  toute la condition de la mort a été changée.    La pierre du sépulcre très saint du Seigneur a été renversée, et  le voile du temple s’est scindé en deux;  à la gloire du Ressuscité, la mort s’est enfuie  et  la vie est revenue.   La chair qui ne connaîtra désormais plus le malheur est ressuscitée.   Et pourquoi exiges-tu,  comme un  enquêteur pointilleux et tatillon,  qu’à toi seul les plaies soient présentées comme une preuve de foi?    Si ces plaies étaient disparues avec les autres blessures,  quel péril pour ta foi cette curiosité n’aurait-elle pas engendré ?   Tu n’as pas cru pouvoir trouver  d’autres monuments de la piété,  d’autre témoignages  de la résurrection du Seigneur qu’en labourant  avec tes mains les viscères mis à nu par la cruauté judaïque.  Cette piété a demandé,  cette dévotion  a exigé ces choses  pour que l’impiété elle-même ne puisse,  par la suite,  douter que le Seigneur est ressuscité.  Mais  Thomas ne guérissait pas seulement sa propre incrédulité,  mais le doute de tous les hommes.  Et devant prêcher la foi aux Gentils,  après avoir solidement établi le mystère d’une si grande foi,  il avait ce qu’il fallait pour convaincre les fortes têtes.   Certes,  la prophétie a été plus grande que l’hésitation.   Car,  pourquoi aurait-il demandé cela  s’il n’avait su par un esprit de prophétie  que seules les plaies étaient conservées comme indice de la résurrection ?  Enfin,  pour qu’il accorde spontanément aux autres  ce qu’il a été lent à croire.   Jésus est venu, s’est tenu au milieu d’eux et a montré ses mains et son côté.    Car Celui qui était entré portes closes  et que les disciples avaient eu raison de prendre pour un fantôme,  ne pouvait prouver à ceux qui doutaient qu’Il était le même,  qu’en leur montrant  ses  plaies et  les marques de sa passion.

 Le Seigneur vint et dit à Thomas : Mets ton doigt ici, et vois mes mains.  Et tends ta main et mets- la dans mon côté.  Et ne sois plus incrédule mais fidèle.    Pour que ces plaies,  en les rouvrant toi-même,  répandent sur la terre entière  la foi,  elles qui ont déjà fait couler l’eau dans le baptistère et le sang pour le rachat de tous.  Thomas répondit et dit :  Mon Seigneur et mon Dieu.   Que les hérétiques viennent écouter,  et comme a dit le Seigneur, qu’ils ne soient pas incrédules mais fidèles.  Voici que Thomas déclare en vociférant  que le Christ est Dieu et Seigneur  non seulement dans son corps humain mais dans les stigmates de son corps puni à cause de nos péchés.  Et Il est vraiment Dieu Celui qui  vit après avoir été mort,  et qui ressuscite après avoir été criblé de blessures.   Parce qu’Il s’est soumis à  tant et de si grandes choses,  Il vit et règne Dieu pendant les siècles des  siècles. Amen.
 
 
 

85ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’entrée de Jésus dans le temple et l’admiration des Juifs)

 Bien que quelques fêtes liturgiques semblent inaccessibles par la profondeur de leur mystère,  il n’y en a aucune qui soit infructueuse.   Les jours de fête ne doivent pas êtres employés à satisfaire nos caprices,  mais doivent être consacrés à la culture des vertus.  Les choses que les  Pères nous ont transmises  et qui ont été corroborées par le temps,   l’âme chrétienne  ne peut pas les laisser tomber en désuétude,  mais les entoure d’un grand respect,   avec toute l’éloquence de sa dévotion.   Vers midi,  le Christ monta dans le temple.    Dans quel temple ?    Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?    Le Seigneur monte aujourd’hui dans le temple de notre corps,  Lui qui, dans sa clémence,  est descendu dans la forme de notre corps.  Que Dieu monte dans la partie élevée du cœur humain,  le bienheureux Prophète l’affirme quand il chante :  Bienheureux l’homme. Seigneur,  qui reçoit comme aide de toi ton ascension dans son cœur.   Au jour de fête,  vers midi, Jésus monte dans le temple.    Ce n’est pas par hasard  que Jésus soit monté dans le temple un jour de fête autour de midi,  parce qu’Il était sur le point de nous préparer du haut du ciel   le jour de fête parfait.   Tout ce qu’il y avait de sublime dans les cœurs humains,  tout ce qui tendait au ciel  se courbait de tout son poids vers l’enfer de la passion du Seigneur.  C’est pour cela que le Seigneur est demeuré quarante jours  sur la terre après sa résurrection.  Et, s’il est permis de le dire,  Il remet à plus tard  la rencontre avec le Père,  il diffère l’étreinte paternelle jusqu’à ce qu’Il ait complété sa révélation et tout restauré dans la gloire de son ascension.   Celui dans le temple duquel le Christ ne monte pas  ne monte pas dans le ciel avec le Christ.

 Il monta dans le temple et enseignait. Et les Juifs en étaient dans l’admiration. Ils disaient : Comment peut-il savoir les lettres Lui qui n’est jamais allé à l’école ?   C’est à juste titre qu’ils s’étonnent qu’Il sache ce qu’Il n’avait jamais appris,  quand la preuve a été faite que ceux qui enseignent ce qu’ils ont appris ne connaissent pas les préceptes de la loi,  au dire même du Seigneur :  Tu es docteur en Israël,  et tu ignores ces choses ?    Les Juifs, qui déjà se rebellent,  s’étonnent,  admirent,  mais ne veulent pas croire.   Ils ne savent pas admirer,  il refusent d’apprécier,  et ne peuvent pas comprendre.   Les Juifs s’étonnaient en disant : Comment peut-il savoir les lettres sans les avoir jamais apprises ?   Loin de l’admirer,  tu n’as que du dédain pour ce que la Vierge a enfanté.   Que Dieu sente et agit dans notre corps, loin de le reconnaître, tu te refuses de le prendre au sérieux.    Que l’aveugle voit,   que le sourd entend,  que le boiteux court,  que le mort ressuscite  et que le Christ révèle tous les secrets de Dieu,  tout cela   ne suscite chez toi aucune admiration.  La seule chose qui t’étonne c’est qu’Il sache sans avoir appris.    Voici Celui qui n’a pas appris les lettres,  mais les a données à l’humanité.   Voici Celui  qui a façonné  les sens qui façonnent les lettres.   Le docteur de la loi  s’étonne de ce que l’Auteur de toutes choses n’a pas appris les lettres ?   Dieu est en effet l’Origine de toutes choses :  Il fait être ce qui n’était pas,  et Il enseigne sans avoir appris.
 
 
 

86ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(sur le mutisme de Zacharie, le père de Jean Baptiste)

Le discours du monde,  parce qu’il  provient de la raison humaine,  répond aux besoins de la nature et est à sa portée.   Mais le sermon divin est au pouvoir de Celui qui donne de dire,  non de celui qui dit.  Vous avez entendu dire que Zacharie qui était la gloire du sacerdoce suprême,  est devenu muet en priant.  Il s’est tu le père de la voix :  Je suis la voix de celui qui crie dans le désert.   Le géniteur de celui qui crie est devenu muet.  Et celui qui était entré pour en rapporter des réponses est sorti en rapportant le silence.

  Vous voyez donc que mon silence, qui vous avait jadis contristés,  vient d’un antique usage pontifical,  non de l’amour de la nouveauté.  Quand Zacharie  réalisa que ce qui enchaînait sa langue  fermait la porte à son discours,  il interdit par signes à qui que ce fût  de  s’enquérir des causes de son mutisme,  car celui qui avait appris à dire le mystère n’avait pas appris à le savoir.   Mais ce n’était que pour un temps,  parce que le sermon  du prêtre était différé,  non supprimé;  s’il était caché,  il n’était pas interdit;  il était mis en suspens, mais n’était  pas rejeté.  Il ne faut pas considérer comme une punition le fait que Zacharie ne puisse plus parler, mais comme un signe.  Ce n’est pas le fait d’une débilité  terrestre,  c’est un secret céleste.   Le même Dieu qui donne que l’on parle fait aussi que l’on ne puisse plus parler.  Il impose le silence Celui  qui communique la parole.   Le sermon divin  est autonome : il ne sert pas,  car Dieu est le Verbe.   Il ne parle donc pas quand il en reçoit l’ordre,  mais quand il le décide;  non quand on l’exige de lui,   mais  quand il donne de lui-même; non quand on  cherche à le contraindre,  mais quand il vient spontanément.    Mes frères,  écoutez-le donc quand il vient,  et quand il ne vient pas,  supportez-le patiemment.  Accueillez-le quand il se donne,  et quand il se refuse à vous,  priez.  Parce que le docteur reçoit ce que mérite l’auditeur.  Tant pour vous que pour moi,  le sermon a été brusquement interrompu dans son cours,   comme le  flux de sang de l’hémorroïsse,  comme s’il avait été la cause d’une blessure honteuse,  afin qu’augmente notre honte comme a augmenté sa pudeur,  et que ce qu’elle a tu  soit enfermé par notre silence.    Mais revenons à ce que nous avons commencé.   Cette fontaine de Jérusalem coule avec abondance,  quand l’ange lui donne une impulsion,  non quand l’auditeur a soif.   Ainsi le sermon du prêtre  épanche ses flots abondants  quand Dieu donne,  non quand il parvient par lui-même  à exposer de bout en bout son sujet.   C’est pourquoi Zacharie lui-même  qui enseignait les prophéties au peuple,  cesse de se parler à lui-même,  pour que nous ne cessions pas de rendre grâce à Dieu,  s’Il veut que nous nous taisions parfois,  nous à qui il a toujours accordé libéralement un discours que rien n’incommodait.   Il n’a pas trouvé qu’il serait indigne de recevoir la parole du Verbe,  à qui il remettait la lumière.   Et vous mes fils priez pour que nous ayons la voix,  afin que vous puissiez entendre le sermon.  Remettez en état ma joie de prêcher,  pour que vous puissiez  posséder votre allégresse habituelle,  et réaliser cette parole de l’Apôtre :  Qui est celui qui me réjouit si ce n’est celui qui exulte à cause de moi. (mot illisible)

  Qu’il vienne donc,  qu’il prenne place au milieu de nous  pour que son pieux exemple  console notre taciturnité,  et pour que son silence ne vous permette pas de vous attrister de notre silence.  Qu’il vienne,  qu’il vienne le précurseur de la parole,  le modèle du sacerdoce,  l’exemple  de la sainteté,  le premier des évangélisateurs,  le dernier des  prophètes.   Il y a eu  au temps d’Hérode,  qui était roi des Juifs, un prêtre du nom de Zacharie.   En disant sous quel roi tel prêtre a vécu,  on  soulage les maux : il y a toujours une consolation dans la souffrance,  et la consolation ne manque pas  à qui voit imminente la persécution.   Il y eut au temps d’Hérode qui était roi des Juifs, un prêtre du nom de Zacharie.   Jusqu’à Hérode,  le peuple juif  bénéficiait à sa tête de la sainteté sacerdotale, de la gravité des vieillards,  et de la piété des ancêtres.   Le droit était la loi divine;  l’ambition,  la témérité,  la présomption  n’aboutissaient à rien  là où tout était géré par un ordre divin,  non humain.  Mais Hérode vint,  s’empara  du pouvoir,  alors qu’il était issu d’une  nation étrangère.    Il viola le sacerdoce,  troubla l’ordre,   changea  les mœurs,   méprisa les vieillards,  tua les jeunes gens, et mélangea les tribus. Il  a détruit la noblesse héréditaire,  a corrompu la nation,  enlevé complètement toute discipline humaine et divine.   Mais quel rapport cela a-t-il avec saint Zacharie ?   Pour qu’on ne pense pas que de pareilles énormités sont  attribuées à Zacharie,  l’évangéliste est forcé de rapporter les choses ainsi :  Il y a  eu au temps d’Hérode, roi des Juifs, un prêtre du nom de Zacharie,  de la lignée  d’Abia.    Parce que jusqu’à lui,  le genre de sacerdoce transmis par les ancêtres,  les anciens et  les pères était demeuré intact,  toute la discipline du sacrifice avait été conservée,  de telle sorte que  la vie méritoire du prêtre  refrénait l’impiété du roi,  l’iniquité de l’époque,  la rage de l’ambition et la fureur de la témérité.

  Mais écoutons ce qui suit.  Et il arriva que, après être entré dans le temple du Seigneur,  il offrit l’encens, pendant que toute la multitude du peuple priait.    A l’heure de l’encens,  mes frères,  le soleil se couchait déjà dans le temple judaïque, pour qu’il se lève de bon matin dans l’Eglise;   et comme l’aurore de l’évangile était imminente,  le soir descendait  sur la doctrine judaïque.   Le jour de la loi s’obscurcissait pour qu’il reluise à nouveau dans la grâce.   Voilà pourquoi Zacharie,  dans un esprit prophétique,  présente de l’encens à l’heure de l’encens,  au dernier temps des cérémonies légales.   Il offre des prières,  il lance au ciel ses désirs ,  confie à  Yahvé ses vœux,  Lui fait remarquer que le temps est arrivé,  Lui rappelle Ses promesses,   réclame avec insistance la venue du Christ.  Et toute la multitude priait à l’extérieur.    Il prie pour que le peuple qui se tenait dehors puisse pénétrer à l’intérieur.   Un ange du Seigneur lui apparut,  qui se tenait à droite de l’autel de l’encens. A sa vue, Zacharie fut troublé,  et la peur s’empara de lui.  Il n’y a donc pas à s’étonner si le prêtre se trouble,  si le docteur est stupéfié,  si le chef est épouvanté;   si, après avoir vu de grandes choses,  il fait le silence sur des petites;  et  s’il désespère des mots après avoir contemplé les signes.   Et pour que Zacharie ne paraisse pas être le seul à être effrayé,  écoute un autre Prophète qui dit : Seigneur, j’ai entendu ta parole, et j’ai eu peur.  J’ai considéré tes œuvres et j’en ai été épouvanté.    Celui qui parle avec Dieu est rempli d’effroi.  D’où vient la parole à l’ange ?  Il l’ignore;  et que pouvons-nous en comprendre ?   D’où vient que le prêtre se tait ?  Nous l’avons déjà dit.  Et l’ange, répondant, lui  dit :  Je suis Gabriel, qui me tiens en présence de Dieu, et je suis envoyé vers toi pour te dire ceci,  pour te donner cette bonne nouvelle. Et voici que tu seras muet et que tu ne pourras pas parler.   Où est la faute de celui qui se tait,  si c’est le pouvoir de celui qui commande qui impose le silence !  Quand donc nous nous taisons et tous ceux qui comme nous se taisent,  n’allez pas penser que c’est par oubli,  mais ce sont les circonstances qui le veulent  ainsi.  Voyez-y à l’œuvre non la raison humaine,  mais une œuvre divine.   Ne soyons donc pas tristes car, avec le don de Dieu,  un silence momentané sera compensé par un long discours,  et le peu de tristesse qui sera nôtre  sera changé en grande joie.   Je rends grâce à mon Dieu  qui a transformé le tort à vous infligé  en un accroissement de charité à mon endroit.   Car quelle est la grandeur de l’amour que vous me portez,  votre pâleur le trahit,  vos acclamations l’attestent,  vos larmes en font foi,  l’épanchement de vos sentiments  le démontre.
 
 
 
 
 
 

87ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’annonciation et de la conception du bienheureux Jean-Baptiste)

  Si en raison d’une douleur excessive ou d’une longue maladie les lampes ont été éteintes,  la lumière, à moins d’être introduite  graduellement,  blesse la vue,  bien qu’il soit certain que la lumière du soleil soit adaptée aux yeux,  quelle soit une lumière  qui leur est bénéfique , et  c’est par les yeux qu’elle est apportée  ou refusée  au reste du corps.    De la même façon,  à moins que ne soit peu à peu restituée la clarté de la foi aux esprits  enténébrés par la maladie diurne de la perfidie,  l’exposition subite à la pleine clarté de la foi  ne fait qu’épaissir l’obscurité de la perfidie,  qu’un long usage transforme en une seconde nature ou émousse.   Voilà pourquoi le Seigneur,  pour faire briller le sacrement de l’enfantement virginal  aux cœurs aveuglés par la sombre nuée de l’infidélité,  présente d’abord le concept de la stérilité  âgée désespérée.  Pour que qui voyait, après une longue vieillesse,  revivre ses membres desséchés,  et qui, après avoir parcouru le cycle d’une vie avancée en âge  voyait refleurir sa prime puberté,  et la nature elle-même à l’âge du déclin  être rappelée aux étendards d’un jeune serviteur,   croirait que peut être conservée  la fleur de la pudicité,  le titre de la pudeur,  l’insigne de la chasteté, é que le sceau de la virginité pouvait demeurer intact,  quand l’Auteur lui-même  s’est avancé hors de l’utérus.   Et pour que notre comparaison du début  que nous avons tirée des yeux fatigués par une longue maladie,  soit confirmée par une autorité qui démontre que les yeux des hommes  enténébrés par une déplorable accoutumance à la nuit,  sont rappelés insensiblement à la lumière,  le Seigneur allume en saint Jean et envoie avant Lui  la lampe de Sa lumière,  pour que le dégoût de la lampe leur fasse préférer la splendeur  du divin Soleil;   pour qu’ils puissent percevoir la clarté elle-même  de la déité.   Il était la lampe ardente et brillante.    Pour que sa placide lumière  pénètre les épaisses ténèbres de la nuit;  pour qu’il ramène à la lumière éternelle ceux qui ont déjà le désir d’un jour qui ne connaît pas de nuit.    C’est pourquoi les mages qui demeuraient encore dans la nuit,  et qui avaient la vue complètement paralysée,  une étoile d’un faible éclat les a accoutumés  à la lumière,  et petit à petit,  les a attirés jusqu’à  la source elle-même de la lumière et  des jours.

  Et à la vérité,  mes frères,  rien n’est plus convenable puisque  le quadrige du temps parcourt  toutes les bornes de l’année entière,  et nous rappelle  aux fêtes de la naissance du Sauveur,  et ramène les joies.    Nous parlons maintenant de la naissance de Jean,  de la maternité d’une stérile pour qu’en récompense de cette foi,  nous puissions parvenir,  avec l’étoile pour guide, à la lumière de la lampe du précurseur,  au milieu des lumières hivernales affaiblies  par les nuages et la brume,   là où l’enfantement se fait sans accouchement,  où est créé l’Auteur de la procréation,  là où naît l’Origine elle-même de la génération.

  Il y avait un prêtre du nom de Zacharie, et sa femme s’appelait Elizabeth, et ils n’avaient pas de fils, parce qu’Elizabeth était stérile,  et ils étaient tous deux avancés en âge.   La stérilité est  amplifiée par l’extrême vieillesse, et tout ce qui tient du corps et de la nature  dément l’espoir d’engendrer.  De peur qu’aucune pensée de rejeton ne demeure,  quand on est parvenu au temps et à l’âge  où,  après le retrait de la chaleur vitale,  le froid mortel de la stérilité possède déjà les viscères.   Le  géniteur lui-même réalise alors  qu’il n’est  plus possible à l’homme de donner naissance à l’homme, quand  les forces vitales  se sont retirées.   C’est de cette façon mes frères,  c’est de cette façon  qu’aux têtes dures est présentée la croyance,  que leur est infusée la foi. .  Et alors on croit que tout est divin là où il n’y a  rien eu d’humain.   Après avoir été choisi par le sort pour aller offrir l’encens,  Zacharie entra dans le temple du Seigneur.  Il s’est bien exprimé quand il a dit : il est entré dans le temple,  et non  le temple est entré,   parce que l’ami de Dieu  était lui-même un temple,  portant dans la pureté de son cœur  tous les secrets de la loi,  n’offrant pas tellement l’encens de l’encensoir que celui de sa pure supplication.  Car Dieu  trouve plus volontiers son repos dans Son temple à Lui que dans  celui  qui est l’œuvre des hommes;  et Il ne hume  jamais avec autant de bon cœur les essences des plantes d’Arabie  que la sainteté d’un cœur sincère.

 Un ange de dieu lui apparut qui se tenait à droite de l’autel de l’encens.    Il suffisait de dire qu’un ange était apparu.   Quel besoin y avait-il  d’ajouter qu’il se tenait à la droite de l’autel de l’encens ?    Pour que tu comprennes,  toi qui m’écoutes, que dans les anges de Dieu il n’y a pas de gauche,  au dire même de l’écriture :  Les voies qui sont à droite Dieu les connaît.    Un ange lui est apparu.     C’est parce que tout homme avait échoué,   que, avant que Jean naisse d’une stérile,  et que le Christ naisse d’une vierge,  il avait été dit au sujet de Jean :  Voici que, moi,  j’envoie mon ange.   Heureuse nature  celle qui,  pour qu’elle  croisse  en Dieu,  s’est atrophiée dans ses sens.   Bienheureuse celle  qui a corrigé les torts apportés à la stérilité par la fécondité  virginale.   Bienheureuse celle qui  par un seul enfantement,  a pris en charge toute la confusion qu’elle déplorait dans le monde.  Bienheureuse celle qui est devenue la mère féconde des vivants,  après avoir été l’origine misérable des mortels.   Elle a enfanté  les douleurs dans la douleur,  a mangé  le gémissement en gémissant,  a produit, au péril de la mère,   un homme destiné au malheur, et dans chaque naissance  a produit une mort, au péril de la génitrice.    Dans chaque enfantement,   elle annonçait un décès   par des lamentations et des larmes.   Toujours,  elle dévorait  sa progéniture,  consciente qu’elle était d’avoir  engendré ses enfants   pour qu’ils meurent dans de grandes souffrances.   C’est  par la stérilité de préférence que la nature se conservait,   de crainte que la fécondité ne la pousse à sévir avec plus de violence, et qu’elle ne mette au monde des chagrins plutôt que des enfants.    Par ses larmes,  sa tristesse,  ses gémissements,  pendant combien de temps n’a-telle pas cherché et interpellé son Auteur,   comprenant très bien que cela lui était arrivé par sa faute,  et que l’Auteur très pieux n’avait pas disposé les choses ainsi au moment de Sa création.   C’est pour cela que le Seigneur,  le Créateur lui-même de la nature  passe par le chemin d’une conception virginale,  de la naissance d’une vierge,  par un sentier inconnu aux traces invisibles.   Il  marche d’un pas divin,  non humain,  sur le chemin de la naissance humaine,   pour affranchir  d’abord à sa naissance,   la nature de la servitude de la mort.    Pour qu’elle soit libérée de celui qui la retenait esclave pour dettes,  et,  pour qu’après avoir purifié la fontaine, Il rende la pureté surnaturelle aux ruisseaux.   C’est avec raison que Jean exulte dans le sein de sa mère,  lui qui a mérité que la liberté de son origine existe avant qu’il la connaisse, et  qui a mérité de vivre avant de comprendre.   A l’heure de l’encens,  l’ange rend féconde la stérilité,  ordonne la conception,  promet la naissance,   et au milieu des vases sacrés une naissance sacrée est procurée.   C’est pour cela que la prophétie est présente dans Jean quand qu’il n’est encore que dans l’utérus,  et avant que le fœtus n’atteigne sont plein développement.  Sur un signe de Dieu,  il parle  avant d’exercer sa mission de voix.    Pour ne pas nous laisser emporter par le désir  de conclure par un bref sermon  le commentaire  des choses profondes et merveilleuses de la dernière lecture,  remettons à plus tard les choses les plus  importantes à expliquer,  et , bientôt,  s’il plaît à Dieu,  nous traiterons de ce qui reste.
 
 
 

88ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’annonce de la conception de Jean-Baptiste : suite)

Toujours devoir quelque chose à quelqu’un  est stressant.  Il est déprimant,  mes frères,  d’être obligé de toujours payer les intérêts d’une dette.   Mais moi,  que ma promesse a rendu  votre débiteur,  je suis  flatté et charmé par la nature et l’obligation d’une telle dette,  car celui qui promet donne , mais ne reçoit pas.  Et celui qui continue à devoir, tout en donnant,  fait en sorte que son créancier lui soit redevable.   Mais quand c’est le prêteur qui doit,   et quand c’est le débiteur qui prête,  c’est l’amitié qui est à l’origine du contrat plutôt qu’un besoin impérieux.   Et quand les intérêts de la dette sont de nature spirituelle,  ces intérêts qui courent ne sont pas un fardeau mais un honneur et un charme.

Après que le récit évangélique ait décrit qu’un ange était apparu  au prêtre Zacharie,  il continue par ces mots :   Et Zacharie fut troublé en le voyant,  et la crainte s’empara de lui.    S’il est troublé par la pouvoir  du juge celui  qui frémit et tremble à l’arrivée d’un huissier,   et s’il  juge avec crainte de la gravité du mandat d’après la personne qui l’exerce,  la crainte persiste en lui,  même s’il n’est conscient d’aucune faute,  jusqu’à ce qu’il  comprenne quelle est la dignité de la personne qui vient le voir,  et pour quelle raison elle vient.   Que fera l’imbécile nature humaine ,  de quelle épouvante ne sera-t-elle pas saisie  quand elle verra une puissance céleste,  quand l’homme regardera l’ange,  et verra le ministre du trône divin  ?     La chair ne peut jamais être sure de sa conscience.   Comme Zacharie,  dont nous parlons maintenant, l’a démontré,  lui qui a achoppé  au moment même où il cherchait à apaiser  Dieu;  qui a douté   en croyant,  au dire de l’ange :  Parce que tu n’as pas cru à mes paroles.  Quand il mérite d’obtenir ce qu’il demande,  il fond dessus comme sur un ennemi.   Il est condamné au moment même où on lui accorde des faveurs.   Il perd la voix en percevant la voix.   Voilà pourquoi l’ange  avant de lui indiquer les motifs de son ambassade,  avant de lui accorder des dons,  avant de lui offrir ce qu’il avait demandé,  s’en prend à la crainte,  chasse la peur,  sécurise les âmes troublées par l’appréhension  d’un danger,  pour que l’âme qu’une trop grande frayeur avait mise hors d’elle-même,  une fois revenue à elle-même,   apprécie à sa juste valeur la largesse des bienfaits divins.    C’est pour cela que l’ange a dit :   Ne crains pas Zacharie, parce que ta demande a été exaucée.   Et ta femme t’enfantera un fils, et tu l’appelleras Jean.      Penses-tu qu’un tel prêtre  ait oublié le peuple et l’ensemble de l’humanité,  pour demander qu’une  vieille épouse conçoive,  qu’une stérile désespérée enfante;   que le légat de l’univers ne soit présent au temple que pour lui;   que l’avocat du monde entier ne prie que pour lui personnellement ? Penses-tu qu’il  est entré dans le saint des saints pour  ravaler un tel pontificat aux soucis domestiques,  le limiter et le réduire  aux seuls  drames familiaux  ?   Et  l’encens,  qui est celui de tout le peuple,  il l’aurait offert   pour la réalisation de ses désirs,  et pour son  seul avantage personnel ?   Ce vénérable chef des prêtres , qui a vieilli avec ce désir,   voyant le temps propice,  serait tout feu tout flamme à l’idée d’un enfantement  hors saison ?

Loin de nous cette pensée,  mes frères !  Loin de toute âme fidèle de suspecter une telle chose  de saint Zacharie !   Et pourtant l’ange  lui apporte la réalisation de toute sa demande quand il dit :    Ta demande a été exaucée,  et ta femme  t’enfantera un fils.   Si l’ange a donné une réponse favorable à sa demande,  si le prêtre a intercédé  en sa faveur  et  si sa supplication portait également sur tous,  pourquoi l’ange ne fait-il allusion qu’aux bienfaits qui le concernent personnellement ?    Pourquoi tenir en suspens plus longtemps les âmes de nos auditeurs ?    Ce vénérable chef des prêtres n’était pas dans le temple pour lui-même mais pour tous.  La réponse de l’ange concerne tous les hommes.    Dieu,  il est vrai,   veut assurer une descendance à cette lignée sacerdotale.  Un fils avait été accordé aux parents et à la nature elle-même,   pour qu’ils en fassent don à toute l’humanité;  pour qu’ils le prodiguent aux hommes  de tous les siècles;   pour qu’ils en fassent don au peuple.     Pour que parmi les choses consacrées, il devienne le fils du sacrement,  et parmi les sacrements le consacré;   pour qu’il soit le chef religieux  engendré par le vénérable chef religieux;  pour qu’il soit un ange avec la bouche sainte d’un ange  conçu dans un sein maternel;  pour qu’il soit la voix du Christ.   Je suis la voix de celui qui crie dans le désert.   Pour qu’il soit la voix du Christ que le Christ s’était réservée pour son temps.  Pour qu’il soit le héraut qui devait annoncer  la présence du Christ, et  qui devait,  par la pénitence,  appeler  les peuples au pardon du Christ.   Nous apprendrons bientôt, par ce qu’ajoute l’ange,  que ce prêtre oublieux de lui-même, déjà mort à lui-même,  qui avait renoncé à l’espoir d’une descendance,   agissait au nom de tous,  demandait pour tous :  Et  plusieurs se réjouiront de sa naissance.

Celui qui est né du saint corps du prêtre  très âgé,   est exempt de tous les vices,  est  à l’abri des passions ardentes de la jeunesse.  Il  ne connaît pas le vin,   ignore les boissons enivrantes,  qui enfantent les vices de la luxure et de l’ébriété,   et corrompent les mœurs honnêtes,  qui sont les ornements des vertus.  Il ne but ni vin ni boisson enivrante, mais il a été rempli du Saint-Esprit quand il était encore dans le sein de sa mère.    Conformément à ce mot de l’Apôtre :    Frères,  ne vous enivrez pas de vin ,dans lequel  se trouve la luxure.  Mais remplissez-vous du Saint-Esprit .   Et il sera rempli du Saint-Esprit,  étant encore dans le sein de sa mère.    Que bienheureux soit  Jean,  lui  qui a mérité  de faire retentir sa voix  avant de vagir avec les pleurs de l’homme !  Bienheureux celui qui a possédé les choses divines  avant d’hériter des humaines !  Bienheureux celui qui a mérité le ciel avant la terre !    Bienheureux celui qui a mérité d’annoncer les choses futures avant de voir les choses présentes !  Bienheureux celui qui a saisi Dieu avant d’être saisi par son corps!    Bienheureux et singulièrement bienheureux  celui qui a conquis le mérite avant de savoir demander !  Bienheureux celui qui n’est pas parvenu à la grâce par un travail pénible,  mais qui est descendu à des travaux pénibles eu égard à cette grâce !  Et il convertira un grand nombre de fils.     A qui ?

Que l’ange le dise,  parce que l’hérétique Le blasphème,  Le renie, L’injurie.   Qu’il le dise l’ange,  pour que le fidèle entende,  et se réjouisse.   Que l’hérétique croie et se rétracte !    Il convertira.   A qui ?  Au Seigneur leur Dieu.    Qui  est donc ce Dieu ?    Celui de qui le prophète dit :  Celui-ci est notre Dieu, m et il n’y en a pas d’autre en dehors de Lui  à   avoir trouvé toute la voie de la discipline,  et il l’a donnée à Jacob son enfant, à Israël son bien-aimé.   Quand l’a-t-Il donnée?     De toute évidence,  c’est quand Il écrivit sur les tables de la loi  la règle de toute la vie,  et la norme totale de la discipline.  Sois bien attentif,  toi qui m’écoutes,  afin de savoir qui est ce Dieu qui est le nôtre,  en dehors de qui il n’y en a pas d’autre.   Qui est-Il ?    Après cela,  il a été vu sur la terre, et a vécu en compagnie des hommes.    Qui d’autre a été vu sur la terre  en dehors du Christ,  Lui  qui s’est changé en notre chair ?   Qui d’autre a vécu en compagnie des hommes,   si ce n’est Celui qui a demeuré avec les hommes dans un corps humain ?    Et si c’est Lui notre Dieu,  et s’il n’y en a pas d’autre en dehors de Lu,  hérétique,  qui auras-tu si tu n’as pas Celui-là ?    Il n’y en a pas d’autre en dehors de Lui.   Et maintenant, ne dis pas :  où est donc le Père ?    Le Prophète dit :  Il n’y en a pas d’autre en dehors de lui.   Et où est-Il ?   Dans le Fils,  évidemment, parce que sans un Fils il n’y a pas de Père.   Je suis dans le Père et le Père est en moi.   Le Prophète ne dit pas :  il n’y en pas d’autre,  mais il n’y en pas d’autre en dehors de Lui. .   Ce qui signifie :  Il est.   Mais Il est en Lui-même.    Mais tu diras :  s’Il est en Lui-même,  comment est-Il un autre ?   Hérétique,  Il est Un Autre dans la Personne pour être Le Même dans la substance.   Ainsi,  Il est Lui-même la substance,  pour qu’il n’y ait pas de confusion dans la Trinité.   La Trinité est une,  car il n’y a pas de diversité  dans la Déité.    Mais elle est en Elle-même;   et sans elle,  la Trinité entière n’existe pas.   Le Père, le Fils et le Saint-Esprit possèdent une personnalité propre,  mais la divinité est sans divisions.   Et il Le précèdera .   Qui ?    Le Christ, qui est leur Dieu.   Notre Dieu,  le Dieu de tous :  il n’y a  pas d’autre Dieu en dehors de Lui.    Dans la vertu d’Elie.  Que personne,  entendant cela,  ne croie qu’il s’agit de la métempsychose.   L’esprit donc il parle,  est celui qu’il a mérité par la grâce divine,  non celui qui revient donner vie à une chair.   Et la vertu dont il parle est celle qu’il a reçu d’en haut,  non celle qu’il aurait obtenue  grâce à  sa force physique.   Jean vint donc dans l’esprit d’Elie,  et a marché sur les pas de sa vertu,  lui qui, en toutes choses,  représente tout à fait Elie et le Christ  par la nourriture,  le vêtement,  l’honnêteté,  la chasteté et l’abstinence.  Il préparera pour le Seigneur un peuple parfait.   Que Dieu et Notre Seigneur  daigne le préparer et le fortifier à la gloire de son nom !
 

89ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(de l’annonce de la conception de Jean-Baptiste : suite)

Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes pour nous,  et même excellentes,  au dire même de l’Ecriture :  Et Dieu vit que toutes les choses qu’il avait faites étaient bonnes, qu’elles étaient très bonnes.  (d’après les Septante).    Donc,  toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes,  et même très bonnes.   Et il y a des choses placées entre les vices et les vertus,  comme en leur milieu,  qui offrent aux moralistes matière à enseignement,  et qui sont une cause d’erreur pour les inexpérimentés.    Car les savants connaissent le Créateur par la contemplation de la création.  En pensant que les créatures sont des dieux,  les fous  ne peuvent découvrir le Créateur.  C’est pourquoi les Gentils  ont déifié  le soleil, la lune,  les étoiles, l’or, les pierres,  le bois,  toutes choses que les Chrétiens  savent être assujetties au service d’un Maître.   Il ne faut pas s’étonner qu’il existe une  créature intermédiaire entre le bien et le mal,  quand le Créateur Lui-même de tous, le Christ,  est placé pour le salut des fidèles et la ruine des infidèles,  au témoignage de l’évangéliste :    Il est placé pour la ruine et le relèvement  d’un grand nombre.   Même les Apôtres sont  pour les uns cause de mort,  pour d’autres une cause de vie.   L’Apôtre le confirme en disant :    Pour quelques-uns nous sommes une odeur de mort pour la mort.  Pour d’autres nous sommes une odeur de vie pour la vie.   Donc,  même les lectures  de l’Evangile  sont pour les mauvais une occasion d’erreur,  et  aux bons,  ils  apportent un enrichissement salutaire.  Le bienheureux évangéliste rapporte que Jean- Baptiste  a été enchaîné,  mis à mort par les adultères d’ Hérodiade,  décapité  pour récompenser une danseuse.   Nous savons par expérience que ce récit déconcerte certains.  Ils se demandent pourquoi Dieu  a  livré un saint à une sacrilège,  un homme chaste à une adultère,  un ange à une danseuse.   Mes frères,  nous traiterons plus au long dans un autre sermon des vertus  de Jean et des crimes d’Hérode.   Maintenant,  parlons de la cause de l’incarcération,  de la nécessité de l’emprisonnement,  et de l’utilité de la mort de Jean.   Après être né par un privilège singulier,  Jean ne pouvait mourir comme  les autres hommes.   Comme le Christ est Dieu né dans la chair,  Jean est un ange engendré sur la terre.   Pour que les services et les fonctions  célestes se mêlent aux terrestres,   comme les choses divines se mêlent aux choses humaines; pour que sur la terre, un ange ne fasse pas défaut à Dieu,  et qu’au Seigneur ne manque pas  un culte céleste bien ordonné.   Mais écoutons  le récit ordonné de la naissance de Jean  pour pouvoir découvrir les causes de sa mort.

Il y eut au temps d’Hérode, roi de Juda, un prêtre du nom de Zacharie, de la lignée d’Abia.  Et sa femme descendait des filles d’Aaron,  et son nom était Elizabeth.  Ils étaient tous les deux justes devant le Seigneur, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur,  sans se plaindre.    Les grands orateurs,  ceux qui excellent dans leur art,  combien de fois n’ont-ils pas raconté  les vertus des hommes illustres,  n’ont-ils pas rappelé à la mémoire les ancêtres,  pour que le prestige des anciens ajoute à l’honneur rendu aux contemporains,  et que les louanges données  aux pères rejaillissent sur les fils,  pour leur plus grand honneur.  La gloire innée est plus grande que la gloire acquise.   Ce qui est donné au tout début l’emporte sur ce qui couronne le labeur.   Il y a plus de bonheur à posséder la gloire qu’à la rechercher.   Voilà pourquoi l’évangéliste,  dans le but  de relever la gloire de Jean,  indique la lignée du Père Zacharie et de la mère Elizabeth,  remémore les ancêtres,  décrit leurs mérites,  dit quels sont leurs titres,  discerne des degrés,  ouvre un voile sur leur vie,  met en évidence ce qui les distingue,  proclame leur sainteté.   Il y eut au temps d’Hérode,  roi de Judée.    Il indique l’époque d’un roi impie  qui a violé l’honneur sacré du sacerdoce,  qui a amené le désordre, qui a abrogé les décrets  et renversé les institutions.  Et cela concourt au mérite de Zacharie,  parce que,  bien qu’Hérode ait étendu l’audace de sa témérité sur à peu près tout le monde,  il n’a rien osé entreprendre sur Zacharie,  empêché qu’il était par ses vertus.   Pour que l’héritage immaculé du prêtre  contribue à la gloire  du  fils.   Et sa femme descendait des filles d’Aaron.    Le premier pontife Aaron fut, dans la loi,  l’origine du sacerdoce.  C’est donc à juste titre  qu’on omet tous les autres ancêtres pour la dire fille d’Aaron,  en souvenir de qui elle a choisi, avant toutes choses,  la sainteté  qu’elle a glorieusement transférée  à son fils,  en tant que gardienne de l’héritage d’une telle lignée.  L’évangéliste chante les louanges d’une telle mère.   Ils étaient tous les deux justes devant Dieu.  C’est un bonheur inouï,  une union conjugale tout à fait singulière   quand demeure entre deux êtres une unité de pensée,  une sainteté à deux.  L’esprit rapprochait ce qu’éloignait le sexe, les mœurs rendaient semblable l’aspect différent de l’homme et de la femme,  et la vertu rendait égaux ceux que la nature avaient faits  inégaux.    Ils étaient justes tous les deux.   Trouver grâce devant les jugements humains,  être juste aux yeux des hommes,  c’est l’œuvre de la vertu humaine et d’un immense labeur.  Etre juste  devant Dieu qui scrute les cœurs,  passe au peigne fin les pensées,  voit  ce qui motive les esprits,   ce n’est pas le résultat  d’un travail humain pénible,  mais d’un don divin.    S’il est grand celui qui ne pèche pas  dans son corps,  que dire de celui qui ne pèche pas dans son cœur ?    Jean est donc né de ces parents-là,  au-dessus de la chair,  eux qui n’ont péché devant Dieu ni dans leurs corps ni dans leurs cœurs.   L’évangéliste ajoute ces paroles :  marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur sans se plaindre.    Marchant ou avançant.   Il avance celui qui ne  se tient pas dans les endroits fréquentés par les pécheurs,  qui se sent un itinérant en ce monde,  qui entre avec intrépidité dans les maisons  austères des vertus,   qui, en voyageur infatigable,   gravit les montagnes des conseils évangéliques,  les collines des dix commandements,  pour pouvoir jouir de la présence de Dieu le Père   dans la béatitude de la patrie céleste.   Marchant dans tous les commandements et ordonnances.    Ils ont marché,  eux,  dans tous les commandements,  ce que personne n’a pu faire,  ou un petit nombre seulement.    Dans tous les commandements et ordonnances.   Qui peut traverser les incendies des cupidités  s’il ne connaît pas la fumée ?     Qui a jamais échappé aux chûtes dans les sentiers glissants de la vie ?  Qui a jamais circulé dans les gorges des vices sans se souiller ?  Qui a jamais  expérimenté  les occupations  terrestres,  tout ce qui fait vivre,  tout ce que fait le monde  sans se lamenter, quand la naissance elle-même est remplie de larmes et de lamentations ?  Car celle qui enfante se lamente à cause de la douleur qu’elle ressent,   et celui qui naît  se plaint, dans les larmes,  de la nature.   Mais dans Zacharie et Elizabeth,  la faute meurt,  la plainte disparaît,  toute cause de lamentation est  enlevée,  car en eux se préparait ce d’où devait naître la sainteté totale.   Mais cela a déjà été mis en lumière par la lecture déjà faite.   Et ils n’avaient pas de fils parce que Elizabeth était stérile.    Cette stérilité n’était pas causée par une malédiction. C’était un mystère,  car l’enfantement ne lui avait pas été enlevé mais différé.   Elle ne fermait pas la porte à l’enfant mais au temps.   Elle cultivait avec le temps, elle semait avec les vertus,  elle murissait avec l’âge,  croissait pendant la vieillesse, pour que toute la fécondité soit concentrée sur ce fils singulier,  où dans un seul naissaient entassées les vertus en grand nombre.   Bienheureuse stérilité  qui n’en a conservé qu’un seul pour l’enfantement, et qui attendait Jean.   Celui à qui le premier rang en tout était du  ne perdrait pas la dignité de premier-né.    Et les deux étaient avancés en âge.   Ils avançaient,  ils ne reculaient pas.  L’âge a vécu dans des saints,  il n’a pas décliné, mais est allé de l’avant.   Qu’est-ce qui a jamais périclité chez  ceux  qui ont toujours progressé  par l’augmentation des vertus ?   Donc,  chez Zacharie et Elizabeth,  le sexe s’engourdit,  la chair se refroidit,  les membres s’assoupissent,  le temps s’écoule,  les années passent au travers,  tout ce qui tient au mariage normal et aux relations conjugales est supprimé,  pour que l’ange naisse des hommes non par un enfantement,  mais par l’opération de Dieu.    Nous avions promis  de relier les causes de la mort de Jean à sa naissance,  mais parce que le sermon d’aujourd’hui a pris plus d’ampleur qu’il n’avait été prévu,  et que pour en faire la démonstration nous avons besoin de ce qui suit,  que ce qui a été dit maintenant sur sa naissance  soit employé  à sa gloire.  Nous ne  serons pas ingrats envers vous,   nous ne vous refusons pas ce que nous vous devons,  mais le remettons à plus tard.     Car le retard à payer  augmente le mérite du créancier.    Attendez donc ce qu’a promis le débiteur,  et attendez  en toute confiance,  car les promesses ne peuvent pas  être enfreintes quand  les stériles  obtiennent si généreusement ce qui leur était refusé.
 
 
 

90ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’annonce et la conception de saint Jean Baptiste, suite)

L’hésitation du prêtre  Zacharie  nous enseigne aujourd’hui que  notre foi a  pour fondations  les faux-pas  et les inquiétudes des saints.  Car Zacharie  n’a pas cru aux promesses  de Dieu;  il les a jugées impossibles.   Il n’a pas accueilli dans la foi les œuvres divines,  mais les a examinées avec sa raison.  Il a du expier la faute de manque de foi par  une longue condamnation au silence.   Il avait entendu l’ange lui dire :    Ta demande a été exaucée, et ta femme Elizabeth enfantera un fils.  Celui-ci répondit : Qu’est-ce qui me le fera savoir,  car je suis vieux,  et ma femme est avancée en âge.   Comme une vieillesse avancée lui avait fait perdre l’espoir d’une postérité,  la longue vie qu’il avait vécue  ne lui avait-elle pas appris que rien n’est impossible à Dieu ?    Un prêtre si âgé avait lu et relu la Bible.     Ce vénérable pontife savait que la nature pouvait être paralysée par la loi du vieillissement,  mais que l’Auteur de la nature ne le pouvait pas;  que l’âge  pouvait imposer sa loi à  l’homme,  mais  non  au   Créateur.   Il avait appris  que des corps morts d’Abraham et de Sara,   qu’une extrême vieillesse avait desséchés,  --et que la stérilité a rendus célèbres----- Isaac avait surgi,  porteur de toute la fécondité de la race juive.  La déficience de la nature  ne lui fut pas aussi nuisible que ne lui fut profitable,  à sa naissance,  le bienfait  de l’Auteur, que la nature ne lui avait pas donné.   Zacharie  avait appris que Dieu  avait donné ce que la stérilité  avait refusé  à des femmes depuis longtemps incapables d’avoir des enfants,   depuis longtemps dépourvues des bons offices  de la nature,  et qui s’appelaient Rébecca et Anne.   Fort de tels exemples, pourquoi dit-il : Comment le saurai-je?  Car je suis vieux, moi, et ma femme est avancée en âge.   Mes frères,  devant les choses divines,  la nature se révèle imbécile  et tremblante de surprise et de crainte;   et personne, après tenté  l’expérience, ne se découvre tel qu’il s’imaginait être.   Et chacun  s’ignore lui-même  avant d’avoir été éprouvé par les évènements,  et avant de s’être confronté à des cas particuliers.   On demande le ciel,  on  demande ce qu’il y a de plus haut,  on scrute les étoiles,  on déplace et bouscule le ciel.  Mais après avoir mis le ciel en branle,  on  ne peut pas en supporter le poids.  Chacun  ambitionne de monter jusqu’au faîte de la foi,   brûle du désir de pénétrer dans le ciel par sa propre force.  Mais dans les voies spirituelles  où l’on  commence à avancer à pas de tortues,   quand on prend conscience que la nature humaine  est située en bas,  on redoute plus la ruine qu’on  ne met sa confiance dans les exemples passés.  Ainsi en est-il allé de Pierre.  Quand il imitait les prouesses divines en marchant sur les flots,  et quand , voyageur novice, il foulait un chemin  vaporeux avec ses  pieds pesants,    il a imploré Dieu pour ne pas s’enfoncer, avant de se réjouir du don de marcher sur les eaux.

Zacharie  avait longtemps déploré  que le diable ait pu faire en sorte que la mort  règne par la faute d’un seul  homme,  que les hommes naissent pour des travaux pénibles, pour les gémissements, les périls;  qu’ils n’espèrent  qu’une vie pleine d’agitation et tourmentée,  sans pouvoir mériter de gage de survie pour tout ce qui est voué à la mort.    Les hommes, déplorait-il,    étaient nés pour   voir les étendards sublimes des vertus,  l’espoir que donne la loi,  la liberté qu’apporte la grâce,  sans que jamais personne ne puisse y parvenir par ses propres forces.   Ils étaient condamnés à vouloir le bien et à  ne pas le faire; à haïr les crimes,  mais à ne pas pouvoir en triompher;  à avoir besoin de la miséricorde de Dieu,   et à attendre l’aide de Dieu comme des captifs enchaînés.       Comme  le pontife  harassait  les oreilles de Dieu  par une lamentation  continuelle  et par  ce genre de complainte ,  Dieu,  dans sa réponse qui portait sur un germe, choisit et établit un exemple  admirable  pour celui qui demandait des choses si pieuses et si justes.    Cette réponse  devait faire  croire que Dieu peut  donner la vie,  rendre la santé aux morts dont on désespère,  puisqu’Il  donne  à la vieillesse morte un rejeton,  un fils à la stérilité désespérée,  comme la parole évangélique le déclare par ces mots :  Ta demande est exaucée, et ta femme t’enfantera un fils,  le messager de notre rédemption,  le précurseur du salut.   Lui qui, n’entend pas Dieu lui parler comme toi,  qui ne le fléchit pas par des gémissements.  Il ne se soucie pas, comme toi,  d’obtenir nos suffrages,  mais lui,  un homme véritable,   mais soutenu par une dignité  angélique,   tiendra par la main, embrassera dans le sein de sa mère le Dieu tant désiré par les hommes, mais jamais connu par personne.      Il le présentera  à la vue de tout le monde sur ses avant-bras,  lui décernera  les plus belles palmes.   Il fera en sorte que Dieu soit vu partout par les yeux humains,  qu’Il soit connu par tous.   Il amènera le Seigneur à s’associer avec ses petits esclaves;  il mêlera  le Juge aux coupables;  il  témoignera en lui-même que Celui qui s’est fait l’associé des pécheurs a assumé leur personne.    Et  il fera ainsi la preuve que la sentence de la condamnation humaine a été cassée.  Quand il est mu par Dieu,  il  court au pardon  celui qui aurait envoyé les coupables à la peine.

Pour que flamboie ce mystère d’immense piété,  Zacharie,  ton fils immergera le Seigneur dans le baptême de pénitence,  par lequel il purifie pour la rémission des péchés.  Parce que la Fontaine a voulu être purifiée;  parce que Celui qui plaide pour tous les coupables a voulu recevoir la rémission des fautes;  parce que Le Juge lui-même a voulu subir la sentence de mort,  pour qu’Il ne condamne par les coupables,  pour qu’Il ne punisse pas sévèrement  les criminels.   Il est monté sur la croix,  Il a goûté à la mort,  Il s’est soumis à l’ensevelissement,  Il a pénétré dans l’enfer,  Lui qui a voulu être puni pour ne pas punir,  Lui qui a voulu être aimé plutôt que craint.

Quand Zacharie entendit qu’il avait mérité par ses prières un tel sacrement,  terrifié par la seule idée de la chose,  troublé par l’estime qu’il avait de ce sacrement,  il ne crut pas avoir tant mérité,  et douta que Dieu accepte de descendre à de tels abaissements.  Voilà pourquoi il a dit :  Comment le saurai-je ? Car je suis vieux,  et ma femme est avancée en âge.   Ce qui revient à dire :   Comme la raison humaine ne me permet pas d’avoir un fils,  de la  même façon, la Majesté éternelle ne permet pas que Dieu naisse et meure.  L’ange imposa une punition,  par manière de signe,  à celui qui n’avait péché que véniellement en ne croyant pas.  Ce n’est pas de la perfidie mais de la prudence  qu’être lent à croire de Dieu des choses basses, d’être lent à penser de Dieu des choses viles.   L’ange ajouta ces paroles :  Je suis Gabriel.    Pour qu’à cause d’un si grand nom et du mérite d’un tel  ministre, il  pèse le pour et le contre de la foi dans la promesse,  et s’en remette  à la qualité du légat.  Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu,  et j’ai été envoyé pour te parler.   En disant son nom,  il décline ses titres.   Il déclare qu’il se tient devant Dieu celui qui se dit envoyé.   Il admet n’être qu’un serviteur,  de peur que la prérogative du nom ne fasse ombrage à l’honneur dû  au Maître.    Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer ceci. Dieu est vraiment grand et sa sagesse n’a pas de limite.   L’ange  guérit l’infirme par une blessure,   confirme l’hésitant par  une punition, et il complète  son ambassade  par l’annonce du châtiment  dû au manque de foi :    Voici que tu seras muet, et que tu ne pourras pas parler.    Pour que, de toi et en toi,  tu atteignes la règle de foi,  et que tu croies,  par un cas arrivé dans ta maison, que Dieu peut faire ce qu’Il promet.  Car quand Il le veut, l’organe de ta voix  se ferme,  et quand Il le veut, Il peut sur- le- champ redonner à ta bouche d’exercer son devoir de la parole.   Quand Il le veut, Celui qui accorde la charge d’enfanter,  a le pouvoir de refuser de rendre honneur à la nature.   L’ange a agi ainsi  pour que le  Pontife,  instruit par un tel exemple,  ne dise plus de nouveau :  Comment le saurai-je?    Gabriel aurait pu donner toutes les créatures en preuve que Dieu peut tout.   Et Zacharie  aurait du croire que Celui qui a choisi de donner l’existence, à partir de rien,   au ciel, à la terre, à la mer,  et à tous ceux qui y habitent,  pouvait faire ce qu’Il voulait à partir de quelque chose;  et rendre ce qu’Il avait promis à quelqu’un qui désespérait de l’obtenir.  Et que Celui qui a tout fait à partir de ce qui n’était pas  n’éprouve pas de difficulté à faire quelque chose à partir de ce qui existe déjà .

Et la foule attendait Zacharie, et les gens s’étonnaient qu’il s’attarde dans le temple  Quand il fut sorti, Zacharie ne pouvait pas leur parler. Il était aphone, et il demeura muet.    Le pontife sort  exhibant dans sa bouche l’indice de la stérilité; portant dans son cœur l’image de la conception,  pour que, au moment où la mère donnera naissance à son fils,  le fils rende la voix à son père.  La voix du père proclamera alors le sacrement,  et le nouveau-né  accordera le pardon à son père,  avant d’effacer les crimes encroutés des peuples.   Et parce que celui qui n’a pas cru est devenu muet,  le prophète a raison de se glorifier parce qu’il a cru,  par ces paroles :    J’ai cru, et c’est pour cela que j’ai parlé.    Mes frères,  la foi donne la parole,  l’infidélité  retire  la parole.  Si donc, mes frères, comme je l’ai dit au début,  les défaillances des saints et les doutes des bienheureux  nous font progresser et nous raffermissent,   nous jugerons que rien n’est jamais  impossible à Dieu; nous ne chercherons pas à savoir comment Il fera  pour accomplir ses promesses,  Celui pour qui vouloir est faire,  et pour qui promettre est avoir déjà donné.
 
 
 

91ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(l’annonce et la conception de saint Jean Baptiste, suite)

Les prospecteurs qui savent détecter la présence de l’or dans le sol ne ménagent ni leur art ni leur labeur,  quand ils repèrent une veine prometteuse.   Et nous qui savons qu’en saint Zacharie se cache un trésor céleste,  nous  nous appliquons avec soin  à tout ce qu’exige la composition d’un tel sermon  et à ce que demande votre instruction.   De cette façon,  le profit nous sera commun à vous et à moi,  dans la mesure même où nous aurons partagé  la quête de la vérité,  en nous imposant le même travail ardu.

Il y eut, au temps d’Hérode roi de Judée,  un prêtre du nom de Zacharie de la lignée d’Abia.     Cela, nous l’avons déjà vu.   Et sa femme descendait des filles d’Aaron.   C’est ainsi que commence l’évangéliste pour que,  dans l’épouse du prêtre,  soit conservée la bonne qualité de l’origine antique du sacerdoce.    Ils étaient justes tous les deux devant Dieu.    Ils étaient tous les deux justes, parce que,  dans les deux,  il n’y avait qu’une seule justice.   Tous les deux justes.  Ce n’est pas par l’effort des époux mais par leur sainteté que leur justice se maintenait.   Tous les deux justes.   Parce qu’ils étaient dissemblables par le sexe,  mais semblables par la vertu.   Tous les deux justes.  Car, comme il n’y avait entre eux deux qu’une seule chair, il n’y avait entre les deux qu’une seule âme.  Ils sont proposés en exemple ces époux que rapproche l’affection et qu’unit la vertu.   Ils étaient tous les deux justes devant Dieu.  Tous les deux justes devant Dieu.   Et où donc a-t-il été écrit :  Aucun vivant ne sera justifié en ta présence ?   C’est devant les hommes,  peut-être, que quelqu’un est réputé juste, car les hommes connaissent les fautes visibles,  mais ils ne savent rien des vices de l’âme.   Or devant Dieu qui pénètre les secrets des cœurs,  à qui n’échappe aucune des pensées les plus intimes,  qui  peut être estimé innocent et juste ?  Est-il un homme qui ne pèche pas dans son cœur,  qui ne commette pas de faute en pensée,  qui n’offense pas Dieu en doutant, qui ne trébuche pas par une parole irréfléchie ?   Moïse doute, Aaron s’écarte du droit chemin,   Pierre renie.    Qui donc est juste ?    Alors,  comment pouvaient-ils être tous les deux justes devant Dieu ?    Devant Dieu,  mais par  Dieu.    Tous les deux justes devant Dieu.    Cette justice n’était pas le fruit d’une ascèse rigoureuse,  mais de la grâce.   Ecoute l’Apôtre :   Justifiés gratuitement par sa grâce.    Et de nouveau :  Cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu.   Cela ne vient pas de vos œuvres,  pour que personne ne se glorifie.  Voici un autre texte :  Qu’as-tu que tu n’as  reçu ?  Si tu l’as reçu,  pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu ?     Ce que l’évangéliste rapporte ce n’est  donc pas ce qui était leur bien propre,  mais ce qu’ils avaient reçu;   non ce qu’ils avaient  découvert ,  mais ce qui  leur avait été donné.

Ils étaient tous les deux justes devant Dieu,  marchant dans tous les commandements et les ordonnances du Seigneur, sans se plaindre.   Avançant (marchant, ) L’évangéliste emploie ce mot  pour montrer qu’ils n’étaient pas stagnants,  mais  qu’ils couraient  de vertu en vertu;  qu’ils n’étaient pas figés à la même place,  mais qu’ils marchaient  dans la voie de la justice.  Ils ne s’étaient pas contentés de se maintenir dans le chemin des commandements,  mais ils étaient parvenus à la perfection de  leur observance.  Marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur, sans se plaindre.   Bienheureux sont-ils, mes frères,  ceux  que la faute n’a pas transpercés,  que le crime n’a pas blessés.  Mais encore plus heureux  ceux que la  récrimination n’a jamais effleurés!    Sans se plaindre.    S’il n’existe pas d’enfance, d’adolescence,  ou de  jeunesse  sans protestation,  sans réclamation , puisqu’il n’y a que cela,  que dire de la vieillesse ?   La fin n’est-elle pas conforme au commencement ?    Gravir les montagnes des conseils évangéliques et les collines des commandements  sans perdre pied  est l’œuvre d’une grâce toute particulière;  elle  est le signe d’une félicité unique.

Et ils n’avaient pas de fils parce qu’Elizabeth était stérile.  Il ne dit pas :  ils n’avaient pas de fils (au pluriel),  mais  Ils n’avaient pas de fils (au singulier),   car celui qui allait naître de tels parents  était unique en son genre.   Ecoute le Seigneur dire :  Parmi ceux qui sont nés des femmes,  il n’en est pas apparu de plus grand que Jean Baptiste.     Parce qu’Elizabeth était stérile.    Stérile de corps,  mais féconde en vertus;  tardive à enfanter un fils,  mais non tardive à suivre Dieu;  non interdite de germe,  mais attendant l’heure;   non pas celle à qui est refusée une progéniture,  mais celle qui est conservée pour un mystère.  Et les deux étaient d’un âge avancé.   Avançaient (en âge).    C’est ainsi qu’est décrit le sacrement de cette vieillesse  qui n’avait pas chuté dans la course aux mérites,  que l’âge n’avait pas affaiblie,  mais qui allait de l’avant.  Il ne ressent pas les défaillances du corps  celui qui bénéficie de l’accroissement des vertus. Mes frères,  l’accouchement de Sainte Elizabeth n’avait pas été supprimé,  mais retardé jusqu’à ce que soient passés  l’âge de la chair,  la passion corporelle,  les besoins du conjoint,  la cause de la volupté,  la concupiscence,  et tout ce qui trouble, alourdit  et empêtre la conscience.   La demeure  sacrificielle a été purifiée pendant longtemps,  l’hôtel  de la sainteté.  Elle avait été  harmonieusement construite la demeure de celui qui devait  construire la maison du  Christ.  C’était le domicile de l’ange,  le palais du Saint-Esprit,  le temple de dieu.  Ne savez-vous pas,  a dit l’Apôtre,  que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit  Saint habite en vous ?   Donc,  là où toute récrimination du corps a été apaisée,  et tout l’être libéré des critiques,  la stérilité ne tarde pas à fuir,  la vieillesse à revivre;   la foi conçoit,  la chasteté  enfante.     Quelqu’un de plus grand que les hommes naît, égal aux anges.  Il est  la trompette céleste,   le héraut du Christ,  le trésor du Père;  celui qui fait connaître le Fils,  le porte-étendard du Roi suprême.  IL est  aussi celui qui pardonne aux pécheurs,  qui corrige les déviations des Juifs,  qui appelle les Gentils.   Et,  pour le dire en un mot,  il est  le lien  de la loi et de  la grâce,  celui, qui,  dans son cœur, désirait que se rejoignent  en son  père les deux faces du sacerdoce suprême.

L’évangéliste décrit donc les vertus du père et de la  mère  pour que les immenses mérites des parents fassent connaître  la dignité du fœtus;  et pour établir qu’il était plus grand qu’un homme  celui qui, à sa naissance, renversait  la loi de la nativité humaine.  Mais s’il veut précéder,  qu’il se hâte de naître Jean,  parce que la naissance du Christ est imminente !  Que surgisse le nouveau Lucifer,  parce que déjà point  la lumière du vrai Soleil !  Que le héraut donne de la voix,  car le Juge est présent !  Que la trompette retentisse,  car  le Roi est venu ! Et parce que Dieu était sur le point de se mettre en chemin,  l’ange part avant Lui.   En toute vérité,  mes frères,  c’est une entreprise au-dessus des forces humaines,  l’homme n’a pas ce qu’il faut pour célébrer les vertus de l’ange naissant.    L’ange l’avait déjà dit :   Ne crains pas, Zacharie, ta demande a été exaucée. Voici qu’Elizabeth t’enfantera un fils qui sera ta joie. Et tu l’appelleras Jean.  Et il sera pour toi un fils et une immense joie. Et plusieurs se réjouiront de sa nativité.  Car il sera grand devant le Seigneur, et ne boira ni vin ni boisson alcoolique.  Et il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère.  Et parmi les fils d’Israël,  il en convertira un grand nombre au Seigneur leur Dieu. Et Il marchera devant Lui  dans l’esprit et la vertu d’Elie pour ramener les cœurs des pères vers les enfants, et les incrédules à la prudence des justes, pour qu’il prépare au Seigneur un peuple parfait.

Que chôme le sermon humain,  que se taise la prédication  du commentateur biblique  quand la gloire de Jean  a pour apologète un ange.  La vertu est magnifiée,  la louange a atteint son comble.  Il n’y a rien que l’homme puisse ajouter à celui  à qui Dieu a tout accordé.   Il sera rempli du Saint Esprit dès le sein de sa mère.    Vous voyez comment Jean parvient au ciel avant de toucher  la terre;  comment il a reçu l’Esprit divin avant d’avoir l’âge de raison;  comment il a reçu  les dons divins avant les membres de son corps;  comment il a commencé à vivre pour Dieu avant de vivre pour lui-même.   J’irais même jusqu’à dire qu’il a vécu en Dieu avant que Dieu vive en lui,  selon le mot de l’Apôtre :  Je vis,  mais ce n’est plus moi qui vis,  c’est le Christ qui vit en moi.    Au sixième mois de la grossesse de sa mère,  il exulte dans l’utérus;   et il annonce que dans l’utérus de la vierge est venu le Seigneur.   Fervent messager qui a eu la joie d’annoncer avant de vivre;  général impatient,  qui avant de parvenir au corps de l’armée,  se rend  au Roi.  Il s’est emparé des armes avant d’avoir des bras.   Il a reçu une vue pénétrante  avant de voir la lumière du jour.   Et pour vaincre le monde,  il vit avant sa naissance.   Il excite les viscères de sa mère avant d’en avoir.   Et parce que le corps tardait,   il remplissait son devoir d’évangéliste avec le seul esprit.   Que dirai-je ?   Avant de précéder le Christ,  Jean s’est précédé lui-même.  Un seul et même Esprit Saint emplit les cœurs du père, de la mère, et du fils unique.   Pour que par un seul organe de sainteté,  résonne l’hymne de la nativité du Seigneur.   Il n’est pas étonnant,  mes frères,  que les naissances des rois soient célébrées par des fêtes,  qu’elles soient égayées  de suaves symphonies.    Et nous,  mes frères,  glorifions par des cantiques la naissance du Christ;  honorons-Le par nos dons.   Parce qu’il se moque de la foi  le chrétien qui ne fait pas ce que fait le magicien.
 
 
 
 

92ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue

Insensiblement,  le sermon évangélique nous rend capables de choses de plus en plus hautes,  nous élève jusqu’aux choses célestes.   Il ne faut pas s’étonner, mes frères,  qu’un char éthéré ait transporté Elie jusqu’au ciel, puisque, à chaque jour,  le quadrige des évangiles transfère et conduit au ciel le genre humain.  Il nous a déjà rapprochés de Lui, mes frères,  depuis  l’enfantement de la stérile jusqu’à  l’enfantement de la Vierge,  depuis  la naissance de Jean jusqu’à la naissance de notre Sauveur.   Mais ce qui reste encore à dire du pontife Zacharie,  écoutons-le patiemment,  pour que nous puissions parvenir à la crèche de notre Roi par un chemin royal.  Faisant confiance au quadrige céleste, montons à l’audience, pour éviter  les sentiers encombrés et abrupts en prenant des raccourcis.

Mais voici ce qu’on lit :  Et il arriva que prirent fin  les jours de son service au temple, et il retourna dans sa maison.  Ainsi,  dans un seul temple, une tribu entière exerçait le sacerdoce.  Des milliers de prêtres s’y présentaient.   L’exercice de la fonction pontificale était répartie entre plusieurs, à des jours différents, et à tour de  rôle,  de peur que la confusion du grand nombre ne trouble l’ordre sacerdotal; s ou que l’élection plus fréquente de l’un ne dénie à un autre le droit d’exercer son ministère.  Après cela,  Elizabeth, sa femme, conçut.   Les prêtres avaient le droit de se marier, ils étaient autorisés à avoir des enfants.  Ils en étaient encore à l’adolescence de la loi,  à l’enfance de la religion.   La loi, mes frères, a interdit les choses illicites,  mais n’a pas dénié le droit aux choses licites.  Le bienfait qu’elle apportait trouvait sa place dans le champ du licite;  elle ne pouvait rien donner dans ce qui se situait au-dessus du licite.  Elle régulait la nature,  mais ne pouvait pas élever l’homme au-dessus de la nature.   La loi est la porte de la foi, l’annonciatrice de la grâce, le précurseur de l’évangile, la pédagogue de l’enfance de la religion.  Elle  a attribué au sacerdoce légal la chasteté conjugale, pour annoncer la gloire prochaine  de la vertu perpétuelle dans le pontificat de la grâce.  En vue de celle-là, il a renouvelé, par un saint enfantement, sa bienveillance envers Elizabeth,  quand le temps d’enfanter était passé;  et Il a redonné de la vigueur aux membres ridés et desséchés, pour en faire des viscères fécondes.  Il  a ramené  la fertilité au corps qui l’avait perdue.  Et la maison de l’utérus, passablement délabrée par la vieillesse, Il l’a rapidement remise à neuf.  L’ordre qui préside aux choses est stupéfié,  la coutume défaille,  la nature n’en revient pas,  et reconnaît la dignité et le rang de l’hôte par l’apparat de la maison.   Il est vrai que Jean  aurait constaté avec étonnement qu’il était un étranger dans n’importe quelle habitation.  Lui que l’âge des parents  avait exclus, que la nature avait rejeté,  ne fut pas long à apprendre qu’il était accueilli comme hôte dans cette maison par un bienfait  du Créateur plutôt que par un don de ses parents.

Elle se tint cachée pendant cinq mois, disant que c’était le Seigneur qui lui avait fait cela.   Elle a bien raison de reconnaître que c’est le Seigneur qui a tout fait, parce qu’elle voyait bien qu’elle n’avait rien reçu de l’homme.  Et elle se cacha pendant cinq mois,  car c’était le fruit d’un don divin que son âge démentait.   Elle s’est cachée pendant cinq mois.   La vieille rougit de se découvrir féconde;  la femme âgée était mise à la gêne par son premier enfantement;  et l’extrême vieillesse cherchait à dérober à la vue la grossesse, pour que les railleries portant sur la fécondité de la vieillesse n’augmentent pas l’opprobre de la stérilité.  Que le fait qu’une aïeule conçoive prête à risée la stérilité de Sara, qui était du même âge qu’elle,  le démontre.  Elle a elle-même ri de sa grossesse quand elle a appris, par la promesse de Dieu, que l’enfantement serait rendu, qu’un fils serait donné à celle que la vie avait après presque abandonnée.   Et qu’une femme enceinte puisse être un objet de risée pour tous,  et onéreuse la vieillesse, le nom lui-même du fœtus l’atteste, au dire de l’Écriture :  Et elle donnera à son fils le nom d’Isaac.  Mot qui signifie : rire.  Et elle ajoute :  Le Seigneur m’a fait rire.   Voilà pourquoi Elizabeth a voulu cacher le mystère sacré, en disant : Car c’est ce que Dieu m’a fait.   Pour que maintenant la honte d’avoir conçu à un âge avancé importune celle qu’affligeait la souffrance du déni de grossesse.  Le père se tait parce qu’il est puni;  la mère se cache parce qu’elle a honte.  Quelle grande voix  est née dans le silence !  Dans quelle taciturnité a été engendrée la trompette qui devait résonner dans tout l’univers !  C’est le secret du divin Juge qui donne le héraut .   Parce que c’est ce que le Seigneur m’a fait aux jours où Il a décidé d’enlever mon opprobre aux yeux des hommes.   L’honneur du conjoint,  la dignité du mariage, c’est la procréation de beaux et bons enfants.  C’est déjà suffisamment grave et triste d’être privé de la récompense de la virginité, quand on n’a pas  la consolation d’avoir des enfants;  de porter le joug du mariage, quand on ne jouit pas du fruit du mariage.  Voilà pourquoi Elizabeth se réjouit que l’opprobre de la stérilité lui ait été enlevé.  Dieu ne voit aucune faute dans ce que  les hommes estiment une chose misérable, car il faut y voir un jugement mystérieux de Celui qui refuse la maternité, et non la culpabilité de la mère.  Si c’est quelque infirmité corporelle qui mène à la stérilité, la volonté n’est pas en cause,  mais les lois de la nature.

Mais que soit maintenant éloignée loin de nous toute stupidité  et toute apathie provenant de la chair;  et  que toute infirmité des sens soit rejetée.   Que tout projet de l’esprit humain soit foulé aux pieds;  que les yeux de la foi se dessillent ; que les oreilles du cœur s’ouvrent; que notre esprit avance par bonds et par sauts; pour que nous puissions parvenir au mystère de la conception virginale, pénétrer le sacrement de l’enfantement virginal,  avec l’aide du Seigneur Jésus-Christ, qui, né de le vierge, vit maintenant dans les royaumes célestes avec le Père et Saint Esprit  pendant les siècles infinis des siècles.  Amen.
 
 
 
 
 
 
 

93ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la conversion de Marie-Madeleine)

Que le Seigneur soit allé à un banquet, et au banquet d’un pharisien, n’est pas sans susciter de l’étonnement et un certain malaise chez celui qui en entend parler.   Le Christ est entré dans la maison d’un pharisien non pour se gaver des mets judaïques,  mais  pour exercer Sa  divine miséricorde.  Et Il ne s’est pas étendu sur un lit de table pour engouffrer des coupes parfumées, à saveur de miel,  mais pour boire les larmes d’une pénitente,  tirées des fontaines célestes.   Dieu a faim des gémissements des pécheurs;  Il a soif des larmes des malfaiteurs.

Un pharisien avait demandé au Seigneur d’aller prendre le repas chez lui.  Et après être entré dans la maison du pharisien,  il se mit à table. Et voici qu’une femme que toute la ville regardait comme  une pécheresse,  quand elle apprit que Jésus s’était mis à table dans la maison d’un pharisien,  elle prit un vase d’albâtre rempli de parfums et de l’onguent, et se tenant derrière les pieds de Jésus,  elle les essuyait avec ses cheveux, les baisait et les oignait avec de l’onguent.    Vous voyez que Jésus est venu à la table du pharisien  non pour se remplir le ventre de nourriture terrestre,  mais pour faire montre dans la chair d’un comportement céleste .  Non pour tendre la main aux choses que l’humanité avait placées devant Lui,  mais pour donner son approbation à ce que la Divinité accomplissait derrière Lui.   Nous ne sommes pas sans savoir que le Christ a toujours exercé  ses pouvoirs divins dans des actions humaines;  et il a été prouvé  que tous les prodiges qu’Il a opérés par le moyen de Son corps  sont inédits,  et au-dessus des forces de l’homme.   Le pharisien demande au Christ de venir manger avec lui.   Que vient donc ici chercher cette femme qui n’a pas été invitée ?   La maison  cadenassée  n’expulse pas l’étrangère;  le  caractère secret du banquet n’empêche pas les non invités d’entrer;  des vivres préparés pour détendre l’esprit après un dur labeur, une luxurieuse n’hésite pas à venir les profaner?   Et comment expliquer que cette femme  inconnue,  perdue de réputation,  qui ploie sous le poids des douleurs,  qui fond en larmes,  qui se lamente à haute voix,  a l’insu du portier,  sans qu’aucun serviteur ne s’en aperçoive,  et sans que le sache le pharisien,  franchisse le seuil de la porte,  indemne,  passe au travers de tous les escadrons de serviteurs,  pénètre comme en volant dans le lieu retiré du banquet,  et fasse d’une maison de joie une maison de pleurs et de lamentations ?    Mes frères,  elle n’a pas été invitée à venir,  mais elle en avait reçu l’ordre.   Elle est entrée sur recommandation ,  non d’un coup de tête. .   Elle a fait en sorte qu’ait soif d’elle Celui  qui avait décidé qu’elle soit absoute  de la  sentence de condamnation que le Ciel avait portée sur elle.   Donc, quand le pharisien à l’habit princier,  assis à la première place  sur le lit de table en forme de S,  se rengorgeait sous le regard du Christ, cherchait à plaire à l’homme non à Dieu par le faste du banquet;  et quand,  tout à joie, il versait le vin dans les coupes,  la femme est arrivée,  et elle est arrivée par en arrière,  parce que l’âme coupable  parvient de l’arrière au pardon.   Car elle savait que la faute lui avait fait perdre le courage de parler face à face.    Elle est venue pour donner satisfaction à Dieu,  non pour plaire à l’homme.  Elle est venue pour  préparer  un banquet de miséricorde, non  de voluptés.   Elle place donc la table de la pénitence,  elle y dépose les mets de la componction, et  y apporte le pain de la douleur.  Elle coupe le vin avec ses larmes,  et au plus grand plaisir de la Déité,  elle fait résonner toute la symphonie de son cœur et de son corps.   Elle donne à ses pleurs le retentissement  de l’orgue;  ses soupirs profonds tirent une mélodie de la cithare, et ses gémissements conviennent à merveille à la flute de Pan.  Et quand elle se frappe  la poitrine  en condamnant sa conscience,  elle fait,  pour plaire à Dieu,  sonner la cymbale.   Pendant qu’elle apporte ces nourritures sous les yeux  de Dieu,  elle rapporte des miséricordes en foule.

Voici la femme qui était une pécheresse publique. (qui était dans la ville une pécheresse)  L’évangéliste exagère  la culpabilité de la femme  pour  magnifier l’indulgence de Celui qui pardonne.   Pécheresse publique (pécheresse dans la cité).   Elle avait péché dans la cité,  parce que sa réputation avait porté atteinte à la réputation de toute la cité.    En regardant la chose sous cet angle, on voit qu’elle n’était pas seulement pécheresse,  mais qu’elle était devenue elle-même le péché de la cité elle-même.  Elle connut que le péché de la ville ne pourrait être enlevé que par Celui qui était le Seul à être venu pour enlever le péché du monde.  Et quand elle sut  que le Seigneur s’était mis à table dans la maison d’un pharisien.    La pécheresse n’ose pas  se présenter au Seigneur quand Il est assis ou debout.   Quand Dieu est debout,  Il fait saisir les coupables.  Quand Il est assis,  Il juge.   Quand Il se couche pour manger, Il git en compagnie des  prostrés.  Et quand elle sut que le Seigneur s’était mis à table dans la maison d’un pharisien.    Elle a appris que la Majesté suprême est encline à la miséricorde.  Et c’est pourquoi elle crut qu’Il était disposé à un pardon rapide Celui  qui s’était dirigé rapidement à la maison du pharisien.   Elle apporta un vase d’albâtre rempli d’onguents.   Elle a apporté de l’huile,  parce que la médecine capable de guérir une plaie mortelle,  elle la demandait  au Médecin céleste.   Elle se tenait debout par derrière près des pieds de Jésus.   Celui qui demande un pardon rapide se dirige toujours vers les pieds.  Elle est posée solidement sur ses pieds celle qui maintenant  ne peut plus tomber;  celle qui a mérité de se rendre aux pieds du Christ.  Elle se tenait debout par derrière près des pieds du Christ.   Pour que fortifiée par la plante de Ses pieds,  elle puisse courir dans le chemin de la vie sur les traces du Christ comme elle avait couru dans le chemin de la mort.   Elle arrosait ses pieds de ses larmes.  L’ordre des choses est renversé.  Jusqu’ici,  c’est toujours le ciel qui a donné l’eau à la terre.  Mais maintenant,  c’est la terre qui irrigue le ciel.   J’irais même jusqu’à dire  que la pluie des larmes humaines est projetée au-dessus des cieux, et parvient à Dieu Lui-même,  comme un Psaume le chante des eaux des larmes :  Et que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur !   Elle arrosait Ses pieds de ses larmes.   O quelle force il y a dans les larmes des pécheurs !   Elles irriguent le ciel,  purifient la terre,  éteignent les feux de la géhenne;   elles révoquent ,  pour tous les crimes,  la sentence de condamnation portée et promulguée par Dieu.   Et elle les essuyait avec ses cheveux.   Elle lave de ses larmes les pieds du Seigneur,  et les essuie avec ses cheveux.    La pauvreté est sans excuse,  l’inhumanité sera sans pardon,  car la nature se suffit à elle-même pour rendre  tout l’hommage et toute la révérence qui sont dus au Créateur.   Et elle les essuyait avec ses cheveux.   Pour les pécheresses,  refluait une eau de source capable de purger les criminels.  A cette fontaine, la femme  pourrait laver la saleté de ses péchés eu un nouveau baptême.   Et elle les essuyait avec ses cheveux.   Pour que, selon le Psalmiste,  le charme séducteur  de sa chevelure, qui l’avait fait marcher dans les délices,  soit, par cet hommage, transformé en sainteté.   Et elle embrassait ses pieds.   Les larmes avaient précédé comme des suppliantes,  pour que viennent à leur suite  les baisers dévots,  parce que les larmes sont des signes d’expiation,  et les baisers des indices de réconciliation.  Et elles les oignait avec de l’onguent.   Nous savons par un autre évangéliste  que la femme a répandu de l’huile sur la tête du Seigneur.  Ce que fait cette femme,   ce n’est pas un hommage  de peu de valeur rendu à la chair,  mais le sacrement  du comble de la bonté.   Parce que dans la tête du christ, Dieu se trouve,  et, dans les pieds des évangélisateurs,  la paix.

Priez mes frères,  pour que nous aussi, nous méritions d’être comptés dans le sang du Seigneur  pour que nous soyons embaumés par le parfum qui s’est répandu  sur les pieds du Sauveur.   Car, comme l’offrande de parfum est une oblation,  l’onction est parfaite  quand elle retombe sur la plante des pieds du Seigneur.   Le type que cette femme préfigure,  ou le grand secret qu’elle cache,  nous le dirons, si Dieu nous donne de le dire,  quand nous expliquerons ce qui suit.
 
 
 

94ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Marie-Madeleine, la critique du pharisien et la réponse de Jésus)

Dans le dernier sermon,  nous avons parcouru la première partie de la lecture de l’Évangile d’aujourd’hui.   Nous avons admiré à qui mieux mieux  avec quelle ferveur,  avec quelle foi,  avec quelle audace,  avec quelle inventivité dans l’hommage,  Marie-Madeleine avait vénéré  les pieds de Notre Seigneur.   Ce que le pharisien disait en  se taisant,  et ce que le Seigneur répondit au sujet de celle qui se taisait quand on parlait d’elle,  écoutons-le maintenant.  Voyant que le pharisien qui l’avait invité se disait en  lui-même :  Si cet homme était un prophète,  il saurait certainement quelle est la  femme qui le touche.     Pharisien,  ce que tu contemples de tes yeux ce n’est pas de l’ignorance,  mais de la puissance.  Cela provient d’un jugement divin,  non d’une erreur humaine.  Pharisien,  tu te trompes.  S’Il  était un prophète,  Il pourrait ignorer encore plus de choses,  car la prophétie  ne relève pas du libre arbitre,  c’est un don divin.  Car le prophète sait non dans le mesure où il le veut,  mais dans la mesure où le  lui donne Celui qui accorde  la prophétie.   S’il était un prophète, il saurait certainement quelle est la femme qui le touche.    Les attouchements d’une femme perdue  brûlent celui qui est conscient d’avoir commis le mal;   ils polluent quelqu’un qui est semblable à elle;  ils indiquent un suspect;   dénoncent un homme de mauvaise volonté.   A l’inverse,  la pécheresse devient  bonne, sainte, innocente quand elle touche  le Donateur du pardon.   Le fumier ne souille pas le Soleil en le touchant.   Quand les plaies viennent en contact avec le Médecin,  Il n’est pas contaminé par le pus.   Le coupable peut toucher le Juge autant qu’il le veut;  il ne peut pas L’entacher par sa supplication.   Ainsi en est-il quand le pécheur touche le Seigneur :  il ne Le contamine pas.  Mais,  tout d’un coup,  le voilà débarrassé de tout péché;  et il va même jusqu’à s’emparer subitement de la sainteté.   La femme hémorroïsse en a donné la démonstration : elle a touché la frange du vêtement du Christ sans la souiller.  Aussitôt,  elle a été libérée  de la souillure d’une vieille calamité   S’il était un prophète,  il saurait certainement quelle est la femme qui le touche.  Le pharisien croirait que le Christ est un prophète s’Il  voyait ce que tous voient,  s’Il savait ce que tous savent ?  Quoi !  Penses-tu qu’il croira quand il découvrira  qu’Il est l’Arbitre  de son esprit,  le Juge de son cœur,  le Témoin de sa conscience,  le Connaisseur de toutes ses pensées ?     Penses-tu qu’alors il reconnaîtra comme Dieu Celui qu’après tant de prodiges,  il ne reconnaît même pas comme Maître ?   S’il était un prophète,  il saurait certainement quelle est la femme qui le touche.    La femme avait une blessure,  et elle en était consciente.  Et c’est pourquoi elle recherchait un Médecin capable de guérir une telle plaie.   Le pharisien,  atteint de la maladie de la perfidie,  enfiévré et brûlé par l’orgueil,  avait la frénésie d’ignorer sa maladie.

Voilà pourquoi le Christ dirigea d’abord la cure là où sévissait  l’infirmité ignorée,  pour que,  Médecin céleste,  Il guérisse deux malades avec un seul médicament.   Voyant que le pharisien qui l’avait invité se disait en lui-même.   Parce que le pharisien s’était contenté de se parler à lui-même,  le Christ lui répondit de façon à être entendu par tout le monde.   Et en révélant les pensées secrètes du pharisien,  Il démontre que c’est Lui qui est l’Auteur de toutes les prophéties.   Répondant, Jésus dit :  Simon, j’ai quelque chose à te dire.   A toi qui as besoin de remède,  et qui ne sais pas que tu dois t’en procurer;  à toi qui donnes à Dieu le nom de Maître,  et à qui forfais à l’enseignement de Dieu.  Tu ignores qu’il fait une grande injure au Maître celui qui se proclame Son disciple,  sans suivre ses enseignements ?    Comme la probité du disciple est la louange du Maître,  l’ignorance de l’enseignement du Maître de la part du disciple  est la honte du Maître.  Simon, j’ai quelque chose à te dire.  Et il répondit :  Maître, dis-le.   De nouveau,   maître, dis-le,   et non :  Dieu, dis-le.   Déjà,  déjà,  il Le sentait Dieu Celui qu’il appelait Maître.  Deux hommes  devaient à un usurier.  L’un lui devait dix deniers, et l’autre cinquante.  Comme ils étaient incapables de payer leurs  dettes, il leur en fit remise.  Lequel des deux l’aimera davantage?  Simon répondit.  J’estime que c’est celui à qui il a plus remis. Et le Seigneur :  tu as correctement jugé.    Vous avez entendu  de quelle façon le Créancier céleste  compense surabondamment par sa charité pour tout ce que l’on doit.      Et pour toute la dette accumulée,  Il ne requiert et n’exige que les intérêts  du seul amour.   Il mérite un châtiment le débiteur  qui néglige de racheter sa caution par la seule charité.   Tu veux savoir, o homme, ce que tu dois à Dieu ?   Tu as été fait au crédit de Dieu.   Que tu sois doué de raison,  c’est de l’argent placé à intérêt.  Que tu possèdes la capacité de distinguer le bien du mal,  c’est quelque chose que tu as reçu.   Quand tu as reçu la norme de la vie  par les tables de la loi,  tu ne peux disconvenir  que tu as promis de l’argent par stipulation.  Mais quand, par les vices de la chair,  tu te vautres dans la boue,  à la manière des verrats,  et vis à la façon des quadrupèdes,  tu renonces à la raison dont tu as été doté;  et quand dans les abimes des crimes,  tu perds la capacité de distinguer le bien du mal,  et,  captif des plaisirs du monde,   tu dissipes la substance  de la loi divine,  tu es devenu le pitoyable débiteur  du glorieux Prêteur à gage.   Et comme les dividendes  de tes vertus ont été déficitaires,  l’intérêt mensuel du capital est centuplé par tes crimes.

Mais bien qu’en cela tu sois tombé,  bien que tu aies roulé  de haut en bas,  vois à ne pas perdre espoir.   Homme,  il te reste de quoi satisfaire  au très miséricordieux Créancier.   Tu veux être absous ?   Aime.  La charité recouvre la multitude des péchés.   Y a-t-il un crime pire que celui du reniement ?  Et pourtant Pierre a pu l’effacer  par le seul amour,  avec l’approbation du Seigneur qui lui a demandé : Pierre, m’aimes-tu ?   Parmi tous les commandements du Seigneur, l’amour obtient la primauté.    Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur,  de toute ton âme, de tout ton esprit et de toutes tes forces.    Aime donc Dieu, o homme, et aime-Le de tout ton être, pour que tu puisses vaincre toutes choses sans labeur,  et effacer les péchés.   C’est le propre d’une milice courtoise ,  d’un conflit sans effusion de sang  de remporter la victoire sur tous les crimes par le seul amour,  comme l’illustrera ce qui suit.

Se tournant vers la femme, il dit à Simon :  Tu vois cette femme?  Je suis entré dans ta maison, tu ne m’as pas lavé les pieds. Elle,  elle  arrosé mes pieds de ses larmes.  Tu ne m’as pas embrassé, elle,  depuis que je suis entré,  n’a pas cessé de baiser mes pieds.  Tu n’as pas versé d’huile sur ma tête, mais elle,  elle a oint mes pieds avec de l’onguent.   A cause de cela je te dis : beaucoup de péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé.  Celui à qui on remet moins aime moins.   La preuve est faite que l’amour efface  et absout tous les péchés.   Mais pourquoi donc a-t-Il ajouté :  Celui à qui on remet moins aime moins.  Il suffirait donc pour pécher impunément de faire étalage d’une  plus grande charité?   Loin de nous cette pensée,  mes frères.  La charité pourvoit au passé,  elle ne libère pas des crimes du futur.   Comme elle est amour,  la charité ne sait pas ce que c’est que pécher;  elle n’est pas charité  si elle prévarique.   La charité de Dieu est la gardienne de la sainteté.    Mes frères,  si nous savons que nous sommes pécheurs,  et si nous ne voulons désormais plus l’être,  donnons des larmes aux pieds du Christ;   couvrons-les avec nos cheveux;  imprimons-y nos baisers;   répandons l’huile de la piété avec une immense  dévotion,  pour que nous entendions, nous aussi :  beaucoup de péchés vous sont remis parce que vous avez beaucoup aimé.       Imitons cette femme qui,  nous le savons,  est parvenue au faîte de la sainteté,  après avoir été pécheresse.   Quelle est cette femme,  nous l’exposerons par la suite, comme nous l’avons promis, si Dieu agit en mois,   car le sermon d’aujourd’hui sur la charité nous en  a détourné.
 
 
 

95ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(explication allégorique de la conversion de Marie-Madeleine)

 Toutes les actions qui sont rapportées avoir été faites humainement par le Christ sont à la fois d’une vérité historique criante ,  et sont démontrées  être toujours remplies de sacrements célestes.   Nous avons déjà,  à deux reprises,  exposé  le sens obvie  du récit évangélique.   Priez pour que nous remplissions notre promesse;  et pour que,  dans la mesure où le Saint-Esprit nous le révèlera,  nous dévoilions un sens caché.    C’est faire un emploi minable de la parole  que  ne donner  des actions divines qu’une explication purement humaine.

 Un pharisien a invité Jésus pour qu’il vienne manger avec lui.   Le mot pharisien,  chez les Juifs, signifiait orthodoxe  ou catholique.   Car il croyait à la résurrection,  et s’opposait au Sadducéen qui la rejetait.   Voilà pourquoi il invite le Christ,  l’Auteur de la résurrection,  à venir manger avec lui.   Car celui qui vit avec le Christ, en mangeant avec Lui,  ne saurait mourir.  Il est certain qu’il vit éternellement.   Il avait invité le Seigneur pour qu’il vienne manger avec lui.    Tu demandes,  pharisien,  à manger avec Lui;  crois,  sois chrétien, pour pouvoir te nourrir de Lui.   Je suis le pain descendu du ciel.    Dieu accorde toujours plus qu’on ne Lui demande.   Car Dieu Se donne en  nourriture à celui  qui Lui  avait demandé de lui faire la grâce de manger avec lui.   Et ce qui n’et pas sans surprendre,  Il Se donne en nourriture  sans refuser ce qui Lui avait été demandé.   N’a-t-Il pas promis cela à ses disciples sans qu’ils le Lui demandent ?   Vous qui êtes demeurés avec moi jusqu’à la fin, vous mangerez et boirez à ma table dans mon royaume.   Tu L’as entendu parler du banquet de Dieu.  Ne te fais pas de soucis au sujet  de la munificence  du festin.   Celui qui mérite de parvenir à la table du Roi  mangera tout ce que possèdent   la souveraineté et le pouvoir absolu de Dieu.   Ainsi,  celui qui viendra  au banquet du Créateur  fera ses délices de tout ce que contient la création.

 Mais revenons  à notre récit.   Et il entra dans la maison du pharisien.   Dans quelle maison ?  Dans la synagogue.  Après être entré dans la synagogue,  Il s’est étendu sur un lit de table.  Il s’est couché  dans la synagogue, mes frères,  quand il a été étendu mort dans la tombe.   Mais Il a transféré Son corps à la table de l’Eglise,  pour qu’il  soit une chair céleste  à donner à manger pour le salut des Gentils.   Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme,  et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous.   De quelle façon sera mangée la chair du Christ,  et de quelle façon sera bu son sang,   le savent ceux qui ont initiés aux sacrements célestes.    Voici une femme qui était une pécheresse publique. (pécheresse dans la cité).   De quelle femme s’agit-il ?  De l’église sans aucun doute.   Pécheresse dans la cité.    De quelle cité ?   Celle de qui le prophète avait dit :   Comment Sion est-elle devenue la prostituée de la cité fidèle ?    Et ailleurs :  J’ai vu l’iniquité et la contradiction dans la cité,  et l’iniquité et le labeur au centre  et l’injustice;  et l’usure et l’escroquerie ne manquaient pas dans les places publiques.   Dans la cité, donc,  protégée par les murs de la perfidie,  fortifiée par les tours de l’orgueil,  verrouillée par les portes de la contradiction,  peinte du pourpre de l’arnaque,  solidifiée par les pierres de l’usure,  alourdie par les tracas et les soucis du travail de tous les jours,  déshonorée par les lupanars,  i.e. les temples des idoles,   cette femme, c’est-à-dire l’Eglise  pouvait revendiquer  une très grande culpabilité  de la multitude des crimes précédents.    Mais elle entendit dire que Jésus venait à la maison du pharisien, i.e. à la synagogue;  elle  fut informée qu’à la Pâque juive, Il avait livré les mystères de Sa passion;  qu’Il avait inauguré  le sacrement de Son corps et de Son sang;  manifesté le mystère de notre rédemption;  qu’Il avait décrit les scribes comme de très mauvais portiers -----Malheur à vous docteurs de la loi qui vous êtes emparé de la clé de la science----Alors,  elle défonça les portes de la contradiction,  méprisa  l’autorité du sanhédrin,  et, à vive allure, hors d’haleine et tout en sueur,  elle  parvint à l’endroit  le plus retiré de la maison, là où se trouvait la salle du banquet  de la loi.     Là elle découvrit le Christ  trahi  au milieu  du repas de noce,  et pendant que l’on trinquait,   étendu par  la fraude judaïque,  selon le mot du Prophète :  Si un ennemi m’avait fait des reproches,  je l’aurais supporté;  et si quelqu’un qui me hait avait médit de moi, je me serais caché loin de lui.  Mais toi qui ne formais qu’une seule âme avec moi, mon chef et mon ami, qui festoyais avec moi, nous avons marché dans la maison du Seigneur en communion de pensées  et de sentiments     Quand elle apprit qu’Il s’était couché dans la maison du pharisien,  i.e. dans la synagogue;   qu’Il avait été condamné par la ruse et la fraude;   qu’Il avait souffert,  qu’Il avait été crucifié et qu’Il avait été enseveli,  une telle injustice n’apporta pas de retard à la ferveur de sa foi.  Au contraire,  elle apporte de l’onguent,  elle apporte au chrétien l’huile  de l’oint.  Et parce qu’elle ne méritait pas de voir le visage corporel du Christ,  elle recule non localement mais dans le temps;  elle s’attache à la plante de Ses pieds pour pouvoir Le suivre.  Et les larmes qu’elle répand sont plus des larmes de désir que de componction,  pour que Celui qu’elle n’a pas mérité de voir quand Il s’est éloigné ,  elle mérite de Le voir quand Il reviendra.   Elle répand donc aux pieds du Christ des larmes  que fait couler l’amour.    Pendant qu’elle tient dans ses mains les pieds de ceux qui annoncent la bonne nouvelle de Son règne,  qui est fait de bonnes œuvres, elle les lave des larmes de sa charité,  les embrasse avec les lèvres de la confession,  et répand tout l’onguent de la miséricorde,  jusqu’à ce que le Seigneur se retourne vers elle.

  Que signifie : Il s’est retourné vers elle ?  Cela veut dire :  Il s’est détourné.     Qu’Il le dise à Simon,  qu’Il le dise aux pharisiens,  qu’Il le dise aux apostats,  qu’Il le dise au peuple des Juifs :   Je suis entré dans votre maison,  et vous ne m’avez pas donné d’eau pour mes pieds.   Et cela,  quand le dira-t-Il ?   Quand Il viendra dans la majesté de Son Père,  et séparera les justes des injustes,  comme le pasteur qui sépare les brebis des boucs.   Et Il dira :  J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger.  J’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire. J’étais un étranger,  et vous ne m’avez pas reçu.   C’est tout comme s’Il disait :  Vous ne m’avez pas donné d’eau pour mes pieds.

  Mais celle-ci,  en lavant les pieds des miens,  en les oignant,  en les embrassant,  a fait pour les serviteurs ce que vous n’avez pas fait pour le Seigneur.   Elle a fait pour les pieds ce que vous n’avez pas voulu faire pour la tête; elle a accordé aux tout petits ce que vous avez refusé à l’Auteur.   Alors Il dira à l’Eglise :  Beaucoup de péchés te sont remis parce que tu as beaucoup aimé.   Parce que la rémission des péchés aura lieu  quand sera enlevé tout ce qui porte au péché;  quand la corruption revêtira l’incorruptibilité;   quand la mortalité sera suivie de l’immortalité;  quand la chair de péché  deviendra, en tout et pour tout,  une chair de sainteté;   quand la servitude  terrestre  sera changée en souveraineté céleste;  et quand la milice humaine sera promue au règne divin.   Priez mes frères,  pour que nous aussi qui nous sommes rangés du côté de l’église,  nous méritions de parvenir aux choses que nous avons énumérées,  par l’action du Christ Lui-même,  à Qui appartiennent  l’honneur et la gloire  avec l’Esprit Saint dans les siècles des siècles.  Amen.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

96ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
le bon grain et l'ivraie

 Si l’on soumettait les paroles et les actions du Christ  au verdict des sens corporels,  mon esprit s’engourdirait,  mon cerveau chômerait,  mon âme s’endormirait,  mon cœur dépérirait, et  tout ce qu’il y a de chaleur et de vigueur humaine en moi s’étiolerait.   Il leur proposa cette parabole.   Le feu,  qui dans la pierre,  permet de cuire des aliments, se cache dans le fer;  mais le feu jaillit de la friction de la pierre et du fer.  Ainsi,  le sens d’un mot apparaît brusquement en le rapprochant d’un mot obscur.  De toute évidence,  si ces paroles de l’évangile n’étaient pas surnaturelles et mystérieuses , il n’y aurait plus de ligne de démarcation entre  le fidèle et l’infidèle,  le dévot et l’impie.  Il n’y aurait  pas  de différence entre le chrétien fervent et le relâché,   entre l’indolent et le travailleur,  entre celui qui veille et celui qui dort.   Mais quand l’âme demande,  quand l’esprit insiste,  quand le sentiment cherche,  quand la piété espère,  quand la foi exige,  quand l’intention mérite,  apparaissent alors  les fruits de celui qui a sué  et la punition du paresseux;  et la justice de Celui qui donne à l’un et l’autre ce qui leur revient.   On savoure davantage les choses reçues que celles qu’on possède déjà;  et les choses découvertes plaisent plus que les choses qui nous sont familières.  Voilà pourquoi le Christ voile sa doctrine dans des paraboles ,  la recouvre de figures,  la cache sous des sacrements,  et la rend obscure par des mystères.   Il leur a proposé une parabole.    A eux,  c’est-à-dire non aux siens,  mais aux étrangers, aux ennemis,  à ceux qui ne sont certainement pas amis;  ceux qui assistent pour le calomnier,  non ceux qui écoutent pour leur salut.  Je leur parle donc en paraboles pour que voyant ils ne voient pas,  et entendant ils n’entendent ni ne comprennent.   Pourquoi ?  Parce que celui qui médit du passé ne mérite pas de voir le présent;  et il n’est pas digne de reconnaître la Grâce celui  qui cache la Loi pour qu’elle ne soit pas connue.   Malheur à vous, docteurs de la loi, parce que vous avez pris possession de la clé de la science. Vous-mêmes n’y êtes pas entrés, et vous avez empêché d’entrer ceux qui entraient.

 Il leur proposa cette parabole en disant : le royaume des cieux ressemble à un homme.   Quelle faute commet le Christ s’Il s’est fait semblable à l’homme  pour venir au secours du genre humain qui périssait ?   Qu’y a-t-il de scandaleux si le Seigneur, pour affranchir les esclaves,  se met dans la condition des esclaves?     La Majesté est comparée à un homme pour tout ce qui a trait à l’avènement du règne à venir.  Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé de la bonne semence dans son champ.  Quand les hommes dormaient,  son ennemi vint et sema par-dessus de la zizanie au milieu du  froment, et s’en alla.   Vous avec entendu comment le Semeur du monde  a semé de bons principes d’êtres.   Et aucun mal ne provient  de l’Auteur du début des choses.   C’est par l’ennemi que le mal a été semé par- dessus.  Le mal n’a pas été créé en même temps que les êtres par le Père des êtres.  Et Dieu vit. Et tout ce qu’il avait fait était très bon.   Bon et très bon.  Car ce que Dieu, en le faisant, avait appelé monde,  l’ennemi, en le défaisant,  l’a rendu immonde.   Et l’homme que Dieu avait placé dans le paradis de délices,  pour qu’il y vive,  l’ennemi l’a entraîné dans cette vie de labeur,  pour qu’il y meure.  Et l’affection que Dieu avait, par la nature,  insérée dans la chair,  l’ennemi la changea, par envie,  en fratricide.   Caïn en est la preuve vivante lui qui, le premier,  teignit la terre du sang de son frère;   et qui,  en assassinant Abel, fut le premier ministre de la mort.  Ainsi,  la mort née de la discorde, scinde et déchire  toujours la charité.     Il  serait fastidieux de tout énumérer dans le détail.    Mais  nous nous sentons quand même obligé d’expliquer en quelques mots comment l’ennemi,  pour notre ruine,  a semé  le malheur sur le bonheur,  les vices sur les vertus,  la mort sur la vie.    Dieu n’a-t-Il pas rempli toute la terre à partir d’un seul homme;  et le pieux Semeur n’a-t-Il pas, à partir d’une seule semence,  multiplié tout le genre humain en  une si grande  moisson ?   Mais l’ennemi s’est  empressé de réduire tous les hommes à un seul .   Et en semant le mal sur ce qui avait été bien semé,  il a détruit l’homme par le déluge,  bien loin de l’avoir purifié.   Ainsi la Loi qui avait été bien semée avec ses préceptes divins véridiques,  il l’a farcie d’inventions humaines menteuses,  pour faire du prêtre un persécuteur,  du docteur un corrupteur,  du défenseur de la loi un ennemi.  Les créatures qui avaient été faites pour reconnaître leur Créateur,  il les a maintenues, par le mensonge, dans l’ignorance de Dieu, en leur faisant croire qu’elles étaient des dieux.   Il rendit stupides les sages du siècle;  il apprit à ne rien voir à ceux  qui observaient le monde. Il priva les savants de leur science;   ceux qui s’enquièrent de tout,  il les laissa dans leur ignorance.   C’est ainsi qu’ il a amené la confusion dans  la semence évangélique  semée par le Semeur céleste,  en semant par-dessus avec la zizanie hérétique,  pour faire avec les gerbes de la foi  des faisceaux  de géhenne,  pour qu’ils ne deviennent pas du  blé des fenils célestes   Que dire de plus ?   Après s’être lui-même métamorphosé d’ange en démon,  il mit tout en œuvre,  en usant  de stratagèmes, d’artifices de toutes sortes,  de machinations et de tromperies,  pour qu’aucune créature ne demeure dans son état originel.

Mais revenons à l’explication de la parabole présente.   Le royaume des cieux est semblable à un homme.   A quel homme ?  Pour sur, au Christ.  Qui a semé du bon grain.    Parce que dans l’ensemencement même des êtres,  la condition de Créateur ignore le mal.   Dans son champ.  C’est-à-dire le monde,  comme l’a expliqué le Seigneur Lui-même :  Ce monde est le champ.    Pendant que les hommes dormaient.   Les hommes, c’est-à-dire  les saints Pères, les patriarches,  les prophètes, les apôtres, les martyrs,  dormant temporairement dans la torpeur de la mort,  parce que la mort des saints est un sommeil.   Pour les pécheurs,  c’est une vraie mort,  parce qu’ils vivent dans l’enfer de la peine;  ils périssent pour avoir péché contre la vie.    Son ennemi venant.   C’est-à-dire le diable.  Il a semé par-dessus avec de la zizanie.   Il a semé par-dessus;  il n’a pas semé tout court.   Les biens du Créateur viennent avant,  les maux du diable viennent après.   Pour que l’on sache que le mal qui vient du diable est accidentel non naturel.  Il a semé par-dessus au milieu du froment.  Parce que le démon a l’habitude de semer gratuitement  les hérésies parmi les fidèles,  le péché chez les saints,  des rixes parmi les pacifiques,  des pièges chez les simples d’esprit,  la débauche chez les innocents.  Il ne sème pas pour récolter de la zizanie,  mais pour  mener le froment à sa perte;  non pour attraper les coupables, mais  pour se procurer les innocents.   L’ennemi en veut plus au chef qu’au simple soldat. Il n’assaille pas les morts, mais fait la lutte aux vivants.   Ainsi,  le démon ne cherche pas à attraper les pécheurs,  qui ploient déjà sous son joug,  mais il s’évertue à s’emparer des  justes.   Il sema par-dessus avec de la zizanie au milieu du froment, et il s’en alla.    Car le démon déploie toutes ses forces pour faire tomber quelqu’un;   mais après l’avoir terrassé,  il l’abandonne.   Ce n’est pas de l’homme que le démon se met en peine,  mais de sa damnation.   Mes frères,  il se réjouit de nos misères,   se délecte  de notre ruine,  il se guérit  avec nos   blessures.  Il  a soif de notre sang,  se rassasie de notre chair,  et vit de nos morts.   Le démon ne veut pas avoir l’homme mais le perdre.   Pourquoi ?   Parce qu’au ciel, d’où il est tombé,  il ne désire pas,  il ne veut pas,  il ne supporte pas  que l’homme parvienne.   Et parce que le sermon d’aujourd’hui a traîné en longueur,  reportons le reste à plus tard,  pour, qu’ensemble, nous nous reposions après l’effort,  et que nous puissions  rendre justice à ce qui reste encore à commenter.   Que notre Dieu daigne  me donner la grâce de dire, et à vous le désir d’entendre !
 
 

97ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(suite de la parabole du semeur et de son ennemi)

 Puisque la hâte avec laquelle nous avons fait le sermon précédent  ne nous a pas permis de parvenir au cœur de la parabole en cours,  même si elle a ménagé nos énergies,  nous entreprenons maintenant de commenter le reste,  dans la mesure où Dieu nous le révèlera.

 Il leur proposa une parabole. Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint,  et il sema de l’ivraie par-dessus  au milieu du froment, et s’en alla.   Quand les hommes dormaient.  Le tentateur se sert de la nuit pour se dissimuler.  Il fuit ceux qui se tiennent éveillés pendant la journée;  il jette son dévolu sur les dormeurs.  Aux forts, il prépare un affrontement;  il les provoque ouvertement en présence de tous,  et veut remporter la victoire au su et vu  des peuples.   Se précipiter sur des dormeurs est le signe d’une grande faiblesse.  Pendant que les hommes dormaient, l’ennemi vint.   Il n’arrive jamais que le méchant ne soit pas sot.   Que fait donc ici l’ennemi ?   Admettons que les serviteurs dormaient.  Peut-on en conclure que le Maître dormait aussi ?   Admettons que la fatigue avait clos les yeux des serviteurs après le travail.   La fatigue avait-elle appesanti les paupières  du Maître ?  Ennemi,  fugitif de la lumière,  tu as veillé, tu as travaillé,  mais tu n’as pas pu te cacher;   car, quand les serviteurs dormaient,  le Maître Lui-même t’a vu.   Déserteur du ciel,  tu es arrivé avant les autres, tu as agi, mais tu n’as pas pu en tirer profit.   Dieu ne peut pas perdre de ce qu’Il garde.  Auteur de la fraude,  ce n’est pas à Dieu que tu t’en prends,  mais à Ses serviteurs,  faisant en sorte que ce qui provient de ta fraude soit mis sur le compte de leur négligence.   Lui, Lui,  te voit  qui est témoin de toute ta fraude et de toute ton ingéniosité.   Celui qui fait le bien conserve les fruits de son travail;  demeurent au fraudeur les peines dues à sa malice.  Les serviteurs emportaient le blé dans les silos célestes;  toi tu apportais les fascicules de tes zizanies  à la géhenne.   Pendant que les hommes dormaient,  survint l’ennemi, et il sema de l’ivraie par-dessus.   Pourquoi ?  Pour que périsse la moisson du Seigneur.  Et quel profit en tirait l’ennemi,  en dehors du  fait que la damnation de l’homme satisfait sa jalousie,  et qu’il estime avoir acquis ce que l’homme a perdu ?   Voilà pour le démon.   Il tourne la meule  dans la plus profonde obscurité,  pour que les serviteurs assument toute la responsabilité du dommage causé par l’adultération de la moisson;  et qu’ils soient punis quand ils espéraient être récompensés.  Une fois réveillés,  les serviteurs  sont terrifiés à la pensée de ce qui s’est passé.  Ils craignaient  qu’on ne les accuse d’avoir mis en terre les semences de l’ivraie, alors que leur conscience témoignait qu’ils n’avaient jeté que du bon grain.  Ils prévinrent donc les questions  de leur maître,  de peur que le silence ne les convainque d’une faute que leur conscience ne leur reprochait pas.   Un innocent qui est accusé d’un crime,  plus il se démène pour se disculper,  plus il ravive les soupçons de celui qui mène l’enquête.  Quand les grains se développèrent et produisirent du froment, apparut aussi l’ivraie.   Ce qui est caché dans les jeunes pousses  se manifeste dans l’épi.  Et ce qui est caché dans la semence apparaît  dans le fruit.  Ainsi,  ceux que nous estimons être tous également croyants,  nous les découvrons dissemblables par la foi.   C’est ainsi que la moisson du Juge  révèle ce que cachait le germe de l’église.   Comme le disait le Seigneur :  Vous les reconnaîtrez à leurs fruits.  Mes frères,  beaucoup promettent une multitude de  fruits,  mais,  mis à l’épreuve des rafales de vent,  un très petit nombre parviennent à fructifier.   Parmi ceux qui croient dans le Christ,  beaucoup semblent être dans la paix de l’église;  mais quand souffle l’ouragan des persécutions, on découvre peu de martyrs dans le fruit.   Mais sainte Euphémie a rapporté plus de fruits que les fleurs ne le laissaient espérer.  Ayant conservé la fleur de sa virginité,  elle est parvenue à l’abondante fructification de son martyre.

 Les serviteurs du père de famille s’avancèrent et dirent :   Ils s’avancèrent,  mes frères,  non corporellement,  mais par l’esprit.  Non localement,  mais par la foi.  Ils dirent,  non en vociférant,  mais avec la douleur silencieuse du cœur :  Seigneur, n’as-tu pas semé du bon grain dans ton champ ?    Tu  as semé,  non nous  avons semé.  Nous,  ce que nous faisons de bien,  nous l’attribuons toujours à notre Auteur;  et Toi,  dans les choses que Tu nous ordonnes de faire,  Tu nous assistes toujours,  Toi, l’Agissant.   Si donc tu daignes nous faire participants de Ton œuvre,  Tu n’attribues pas à nous seul l’apparition de l’ivraie.    Seigneur, ou l’innocence nous sauvegarde avec Toi, ou la faute  T’atteint avec nous.  Nous ne pouvons être fiers de ce que nous faisons, et à la sueur de notre front,  nous ne pouvons nous procurer que des disgrâces.  Toi, tu as ce que Tu veux, quand Tu le veux et où Tu le veux.   Nous,  sans ta grâce, nous n’avons rien qui nous permette de tenir, de vivre, de nous mouvoir et d’être.   Sans la grâce nous succombons, nous défaillons et nous périssons.  C’est donc nous qui avons fait en sorte, par notre travail, que le froment soit mis en danger de périr ?    Mais qui a fait cela  ?  Tu l’as vu, Toi qui es le seul à ne pas dormir quand nous dormons.  Et si Tu l’as vu,  juste Juge,  Tu sais qui l’a fait :  celui qui veille,  non celui qui dort.  Fais-nous le donc connaître,  pour sécuriser ceux que tu vois si troublés.   Le seigneur dit : C’est l’homme ennemi qui a fait cela.  Un homme ennemi a fait cela.   Et toi, Seigneur, qui le voyais faire,  pourquoi lui as-Tu permis d’agir ainsi ?   Pourquoi ?  Parce qu’Il ne peut craindre la fraude  Celui qui ne peut rien perdre..  Parce que c’est une plus grande chose  de trier ce qui a été mélangé,  que d’interdire le mélange.  Parce que c’est une plus grande chose de réparer ce qui avait péri, que de le garder sain et sauf.   Enfin,   il faut qu’il y ait de la zizanie, i.e. du scandale,  pour que soient manifestés ceux qui sont approuvés.

 Les serviteurs lui dirent : veux-tu que nous allions les ramasser ?   Les serviteurs dévoués s’engagent ainsi à travailler sans répit;  et souffrent de voir l’aspect horrible de la moisson du Seigneur sur la terre.  Mais le Seigneur,  que les temps ne fatiguent pas,  et qui peut quand Il le veut  soustraire sa moisson à l’injure,  les en empêche en disant :   De peur qu’en ramassant l’ivraie, vous n’arrachiez en même temps le froment.  Ils étaient donc si incompétents ces cultivateurs,  si ignares,  si dénués de discernement  qu’en voulant ramasser l’ivraie,  ils arracheraient aussi le froment ?  Où sont donc les Prophètes qui prophétisent par l’esprit de Dieu ?   Où est donc Pierre à qui le Père révélait ce qu’il devait dire ?   Où est Paul en qui parlait et opérait le Christ ?   Mais où sont donc tous les saints,  véritablement saints mais serviteurs,  qui savent dans la mesure où Celui qui donne libéralement les sciences  leur donne à chacun de savoir ?   Mais tu dis :  cela n’était pas du tout caché.  Il n’y avait rien de caché là.   quand on apercevait l’un en épi et l’autre en fleur.  Et ce qui était aujourd’hui de la zizanie,  se transformait le lendemain en froment.  De la même façon,  quelqu’un est réputé aujourd’hui hérétique qui sera demain fidèle.  Et celui que l’on considère aujourd’hui pécheur sera dans le futur un juste.  Voilà pourquoi l’Auteur les renvoyait tous les deux à la moisson. i.e., jusqu’au jugement de la divine patience, et jusqu’au temps  de notre pénitence.    Pour que celui qui, de mauvais,  se sera transformé en bon, soit mis au nombre du froment du Seigneur, et engrangé dans les greniers célestes.   Celui qui, de fidèle, se sera fait infidèle  sera envoyé dans l’incendie de la géhenne.

 Que dire d’autre ?  Si la patience de Dieu n’avait pas temporisé avec l’ivraie, l’église n’aurait pas, d’un  publicain,   récolté  Matthieu l’évangéliste,  ni d’un persécuteur, l’Apôtre Paul.   Ananie  ne cherchait-il pas à éradiquer le froment,  quand,  envoyé  auprès de Saül, il se lamentait ainsi de Paul :   Seigneur, combien de maux il a faits à tes saints.   Ce qui revient à dire :  Arrache l’ivraie !  Pourquoi l’agneau est-il envoyé au loup,  le dévot à l’obstiné,  un tel prédicateur à un persécuteur ?  Mais au moment où Ananie voyait Saul,  le Seigneur voyait  Paul.  Quand Ananie lui donnait le nom de persécuteur,  le Seigneur connaissait déjà le prédicateur.  Et quand Ananie le jugeait une zizanie digne de l’enfer,  le Seigneur  plaçait dans son grenier le froment devenu son  vase d’élection.  Sois sans crainte.  Celui-ci est mon vase d’élection.
 
 
 

98ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la  parabole du grain de sénevé)

 Vous avez entendu aujourd’hui, mes frères,  comment  toute l’étendue du royaume céleste est comparée  à un grain de sénevé.   Et comment se fait-il qu’une si petite chose,  une chose si infime,  je dirais même, la plus infime des infimes,  renferme une si grande  puissance ?  Voici ce que dit le Seigneur :  A quoi comparer le royaume de Dieu ?  A quoi le comparerai-je ?   Quand Il dit :   A quoi ressemble,  Il se met et nous met dans l’état d’esprit de quelqu’un qui cherche.   Le Verbe qui est la Fontaine de la science,  le Fleuve de la parole,  qui irrigue les cœurs de tous,  qui révèle le sens,  qui ouvre des horizons au génie,  serait le seul à peiner pour trouver une comparaison ?   Mais écoutons ce qu’Il a trouvé.   Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé.  Après avoir remué ciel et terre,   Il ne trouva rien d’autre qu’un grain de sénevé  qui contienne toute  la majesté de la Souveraineté céleste ?  Et ce royaume,  puissant dans sa singularité,  heureux pendant toute l’éternité,  éclatant de divinité,  diffusé dans tout le ciel  et répandu sur toute la terre ,  ce royaume, dis-je,  Il le contracte et l’emprisonne dans l’espace étroit d’un grain de sénevé?    Le royaume des cieux est semblable à  un grain de sénevé.  Est-ce cela la totalité de l’espérance des chrétiens ?  Est-ce là l’attente suprême des croyants ?   Est-ce ainsi que la félicité des vierges est mise en comparaison avec la continence  des époux ?  Voilà donc la gloire des martyrs,  qui a été conquise par l’effusion de tout leur sang ?   Voilà donc le ce-que-l’œil -n’a-jamais-vu ?   Le ce-que-l’oreille-n’a-jamais-entendu ?   Le ce-qui-n’est-jamsis-monté-dans-le-cœur-de-l’homme ?  Est-ce donc cela que l’Apôtre a promis que Dieu avait préparé à ceux qui L’aiment, dans un  sacrement ineffable ?   Mes frères,  il n’est pas facile de nous mouvoir dans les paroles du Seigneur.  Car  si la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes,  et la folie divine plus sage que les hommes, cette infime parcelle de Dieu  s’avère  plus mirifique que toute la grandeur du monde.    Semons ce grain de sénevé dans nos esprits,  pour qu’il croisse en nous en un grand arbre d’intelligence;  qu’il élève nos sens vers le ciel à toute la hauteur possible, et qu’il se déploie en rameaux  de sciences;    pour  qu’il enflamme  nos âmes ferventes  par la saveur vivifiante de son fruit;   qu’il brûle nos cœurs du feu de sa semence  et les embrase,  et qu’il enlève en nous,  par sa dégustation, toute la morgue de l’ignorance.

 Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé que l’home a mis dans son jardin, après l’avoie acquis.   Et il crût et devint un grand arbre. Et les oiseaux du ciel venaient se reposer sur ses branches.  Le Seigneur nous dit donc que le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé .  Il est apporté du ciel par la parole,  reçu de la prédication,  est planté par la foi, et s’enracine par la croyance.   Il  croît par l’espérance,  se répand par la confession,  s’étend par la vertu,  et se déploie en branches .  Sur ces branches,  il appelle les oiseaux du ciel, i.e. les sens spirituels,  et les accueille  en leur offrant une demeure  paisible.   Qu’il vienne l’hérétique,  qu’il vienne,  parce que la porte de l’église est toujours ouverte pour ceux qui retournent au bercail !   Qu’il vienne et qu’il écoute et qu’il cesse de faire obstacle à  la bénignité du Seigneur !   Si toute la majesté du royaume céleste  se réduit à la taille d’un grain de sénevé,  pourquoi se plaint-il que Dieu Se soit abaissé jusqu’à la condition d’un homme,  jusqu’à  la ressemblance avec un  esclave ?   Il est venu de cette façon,  hérétique,  pour qu’Il croisse en toi, par la foi,  en plénitude,  Lui qui a décru  en prenant ta nature.   Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé.

 Mais revenons au grain de sénevé.   Ainsi,  toute  la suprématie du règne  demeure et réside dans le  royaume des cieux.  Le Christ est le royaume des cieux  qui,  semblable à un grain de sénevé,  a été envoyé dans le jardin d’un corps virginal, a cru sur l’arbre de la croix,  sur toute la surface de la terre.   Et Il a donné la saveur de son fruit dans la mesure où Il a été trituré par la passion, pour que, par Son contact vivifiant,  Il assaisonne et rende savoureux  tout ce qui existe.  Car comme dans l’intégralité du grain de sénevé,  se trouve une vertu occulte,   cette  vertu se manifeste avec véhémence s’il est broyé.   De la même façon,  le Christ a voulu être broyé dans son corps, ne voulant pas en cacher la vertu.   Et nous, mes frères, broyons ce grain de sénevé  pour que nous comprenions la force de cette comparaison.   Le Christ est Roi,  parce que c’est Lui qui est l’Origine de la royauté.   Le Christ est le royaume, parce qu’en Lui est toute la majesté de Son règne. Le Christ est homme,  parce que l’homme est réparé en entier dans le Christ.  Le Christ est un grain de sénevé  où toute la grandeur de Dieu s’amenuise  aux dimensions de la petitesse humaine.

 Que dire d’autre ?  Il a été fait en entier pour réparer en Lui le monde entier.   Le Christ Homme  reçut le grain de sénevé,  c’est-à-dire que le Christ Homme a accepté  le royaume de Dieu  que le Christ Dieu a toujours possédé.   Il l’a envoyé dans son jardin, i.e.  dans l’église, Son épouse,  et s’est souvenu souvent de ce jardin dans le Cantique des cantiques,  en disant :  C’est un jardin clos.   L’église est le jardin de l’évangile dont la culture est répandue sur toute la terre.  Ce jardin  est fermé par les incitations à la discipline,  et  purifié  de tout grain non comestible par le travail apostolique.    Il embaume  avec les plantes des fidèles,  les lys des vierges, les roses des martyrs;  il est  embelli par la verdure des confesseurs, et exhale  le parfum des fleurs éternelles.   C’est donc ce grain de sénevé que le Christ envoya dans son jardin,  par la promesse de son royaume.    Il  est enraciné dans les Patriarches,   né dans les Prophètes,   s’est développé dans les Apôtres.   IL  a fait de  l’église un grand arbre,  et a donné plusieurs rameaux,  sous forme de charismes,  que l’Apôtre énumère en disant :   A l’un est donné un discours de sagesse, à un autre la parole de la science, à un autre la guérison des maladies, à un autre la production de miracles  ,à  d’autres la prophétie,  à d’autres le discernement des esprits, à d’autres le don  de parler en différentes langues .    Vous avez entendu mes frères,  comment  ce grain de sénevé s’est élancé pour devenir un arbre.  Vous avez entendu comment il a enfoncé ses racines,  comment il a déployé de si belles et de si nombreuses branches,  dans lesquelles les oiseaux du ciel,  non de  l’air,  reposent  avec les plumes de la sagesse  et le vol de la prudence,  dans la sécurité de la foi.

 Et toi,  écoute,  si tu veux ne pas craindre les bêtes de la terre,  si tu veux éviter les oiseaux rapaces,  les vautours voraces,  i.e.  les oiseaux de l’air qui sont tous des méchancetés spirituelles.  Elève-toi au-dessus de la terre,  laisse de côté les choses terrestres, prends les ailes argentées de la colombe prophétique.  Implante  les plumes irradiées par la splendeur du Soleil divin,  et envole-toi comme une boule d’or.    Dans de si grandes et si nombreuses branches,  dépourvues de toutes formes de pièges,  tu te reposeras toujours,  confiant dans ton vol  et sûr d’une telle maison.   Si Dieu me l’enseigne, nous commenterons  dans le prochain sermon  la parabole  suivante.
 
 
 
 
 
 
 

99ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la parabole du levain)

 L’évangile que nous présente le cycle liturgique tombe on ne peut mieux :  la femme évangélique,  notre mère l’église,  reçoit  de Dieu aujourd’hui le levain qui fait lever et  croître ce temple en une si grande masse de sainteté.   C’est ainsi que le Seigneur a commencé :   A quoi comparerai-je le royaume des cieux ? Il est semblable à du levain  qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine,  jusqu’à ce que le  tout lève.   Le bon Seigneur,  le Christ qui aime les Siens,  revient sur le même sujet,  avec une nouvelle parabole.   Il varie les comparaisons qu’Il ne tire pas de ce qui est étrange ou  exotique,  qu’Il ne va pas chercher dans les galaxies;  mais Il présente ce qui fait partie du quotidien;  Il parle de ce qui alimente la conversation  du peuple.   Pour que parvienne à tous ce qui  doit se déployer avec profusion pour tous,  selon ce mot du Prophète :  Ecoutez cela, toutes les nations, et percevez-le avec vos oreilles, vous tous qui habitez la terre, indigènes de chaque pays, fils d’hommes, riches et pauvres !    Si le Christ présentait à une assemblée de riches aristocrates  ce qu’il y a de plus caché dans la divinité;  s’Il leur dévoilait le secret du roi ou ce qui est le plus mystérieux,  le pauvre ne saurait rien de tout cela;   la moyenne des gens n’en saisirait rien;  la simplicité serait bouche bée.    Il parle aujourd’hui de choses connues des riches,  familières aux pauvres,  adaptées aux besoins de la vie de tous les jours,  parce que l’appel de Dieu s’adresse à l’homme en tant qu’il est un être humain; cette vocation ne fait pas de distinction entre les classes sociales.

 Mais revenons à la lecture de la parabole.  A quoi comparerai-je le royaume de Dieu ?    En parlant ainsi,  Il capte l’attention des auditeurs,  Il les amène à se poser anxieusement la question :  qu’est-ce qui est digne d’être comparé  au royaume de Dieu,  à l’empire divin ?   Et, à l’étonnement  de ceux qui,  par la pensée, avaient exploré les plus grandes merveilles du ciel,  c’est dans la masure d’un pauvre,  dans la cuisine d’une boulangère que le Christ découvre ce qui ressemble au royaume de Dieu.  Il leur dit :  Il est semblable à du levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout lève.  Il venait tout juste de comparer Son  royaume à un grain de sénevé.  Il le rend maintenant semblable à du levain.  Le grain de sénevé, c’était un homme qui s’en était servi ;  la levure, c’est une femme qui en a besoin.   Il avait dit  que l’homme faisait croître  une toute petite semence  en un grand arbre;  Il déclare aujourd’hui que la femme a caché le levain dans la pâte pour qu’elle lève et gonfle.   L’Apôtre avait raison de dire :  Ni l’homme sans la femme,  ni la femme sans l’homme,  dans le Seigneur.  Des paraboles différentes conduisent  les sexes différents au même royaume.  La vocation chrétienne ne sépare pas l’homme de la femme, i.e.  ceux que Dieu a unis, que la nature associe.   Et par deux admirables paraboles,  Il les rend semblables dans le comportement,  Il les réunit dans un travail similaire;   pour que si l’époux  est un en deux et deux en un,  l’homme lui-même soit autre dans l’union conjugale.  Pour que cette union  ne soit pas une unité par soustraction,  ni une union dans la confusion.  Mais pourquoi le Seigneur va-t-Il chercher chez l’homme et la femme  des images de Son règne ?   Pourquoi explique-t-Il sa Majesté  par des exemples si vils et si disparates ?   Mes frères,  un précieux mystère est caché dans cette bassesse,  au dire de l’Apôtre :  C’est un grand mystère,  qui se rapporte au Christ et à son église.  Par ces comparaisons,  on traite principalement des affaires de tout le  genre humain . C’est  par l’homme et par la femme,  que le procès du monde  qui s’est poursuivi pendant tous les siècles,  est conduit à son terme.   Adam,  le premier homme,  Eve la première femme,  de l’arbre de la science du bien et du mal,  sont amenés à l’ardeur  du sénevé évangélique,  pour que les yeux  que l’arbre séducteur avait fermés en les ouvrant,  l’arbre du grain de sénevé  les ouvre en les fermant  à la séduction et à l’aigreur. Pour que les bouches, que le goût de l’arbre vénéneux avait empoisonnées,  l’arbre du salut les assainisse par la saveur enflammée de son goût.  Et cet arbre, en tant qu’aliment igné,  enflammera la conscience  par toute l’ardeur de son intimité,  que la rigueur extrême avait glacée.  La nudité ne produit rien  ni n’est confondue,  là où le pardon recouvre tout l’homme,  où elle fait placer le vêtement de la foi.   Et ce que l’homme avait reçu par le grain de sénevé  est communiqué à la femme.   Mais qu’est-ce que la femme confère à l’homme de ce qu’elle a reçu du levain,  cherchons-le plus attentivement.

 Le royaume des cieux est semblable à du  levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout lève.   L’image  est tirée de l’usage quotidien.  L’homme plante dans un champ un arbre de sénevé;  la  femme à la maison se procure du levain,  et prépare du pain comme nourriture,  parce que le travail à l’extérieur de la maison concerne l’homme, et l’entretien de la maison retient la femme .   C’est ainsi que la vieille et  stérile Sara , en utilisant ainsi le levain,   avec trois mesures de farine,   a offert  au Seigneur l’hospitalité de trois pains cuits sous la cendre, dans un geste de déférence mystique,  pour que la stérilité,  enfermée dans toute la vieillesse  du monde,  place le levain de la foi  dans les trois mesures,  c’est-à-dire  dans l’égalité du Père, du Fils, et du Saint-Esprit;  et serve à son Seigneur trois pains par la confession de la Trinité,  et qu’en récompense,  sa fécondité s’étende à toute la descendance du germe chrétien.

 Mais revenons à notre propos.   La femme a reçu de Dieu le levain de la foi, celle-là même qui avait reçu du démon le levain de  la  perfidie.   Elle l’enfouit dans trois mesures de farine,  c’est-à-dire dans trois  époques du genre humain qui sont :  d’Adam à Noé,  de Noé à Moïse,  de Moïse au Christ.  Pour que la femme qui avait corrompu, en Adam par le levain de la mort,  toute la masse du genre humain,  réintègre dans le Christ,  par le levain de la résurrection,   toute la masse de notre chair.  Pour que la femme qui avait pétri le pain des lamentations et des sueurs,  concocte  le pain  de la vie et du salut.   Pour qu’elle soit, par le Christ,  la vraie mère de tous les vivants,  celle qui, en Adam, avait été la mère de tous les morts.  Le Christ a voulu naitre d’elle,   pour que,  comme par Eve,  la mort était venue à tous,  la vie revienne  à tous par Marie.  Marie a rempli le type de ce levain,  de cette figure et de cette image, quand elle reçut du Ciel le levain du Verbe,   la chair humaine dans son sein virginal ,  et l’émailla de fleurs en un bouquet  totalement céleste.

 Révélons maintenant le sens allégorique  encore présent dans cette parabole.   La femme qui reçoit le levain c’est l’Eglise.  Le levain qu’elle reçoit  est le sacrement de la doctrine céleste.  Les trois mesures dans lesquelles il est prescrit d’enfouir le levain sont la loi, les prophètes et l’évangile.   Pour que le sens divin  soit enfermé et caché dans un mot mystique;   pour qu’il soit perceptible par le fidèle,  mais caché à l’infidèle.   Il  a dit : Jusqu’à ce que le tout soit levé.  Cela se rapporte à ce que l’Apôtre a dit :   Nous savons en partie, et nous prophétisons en partie.  Quand viendra ce qui est parfait,  cesseront les choses imparfaites.  La science divine a maintenant besoin d’arrosage :  le sens l’asperge,  le cœur l’élève, l’esprit lui donne la croissance;  et, par l’accoutumance aux doctrines, elle  se dilate et fermente  au point d’accroitre  la sagesse céleste.  Quand ?  A l’avènement du Christ.
 
 

100ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la  cananéenne)

 Aujourd’hui,  le bienheureux Marc  en recommandant  la prudence de la syrophénicienne,  en rapportant sa foi,  stimule l’ardeur de notre foi,  mais n’est pas sans poser une question difficile à résoudre à ceux qui l’écoutent dans le trouble et l’inquiétude :  Et partant de là,  il s’en alla dans le territoire de Tyr et Sidon. Et étant entré dans une maison, il ne voulait pas qu’on le sût,  mais il ne put rester ignoré.   Il a voulu et Il n’a pas pu.  Vouloir et ne pas pouvoir  n’ont  rien à voir  avec la divine Majesté,  mais trahissent la faiblesse humaine.  Car il est écrit :   Tout ce que Dieu a voulu Il l’a fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abymes.   Et l’Apôtre :  Qui résiste à sa volonté ?    La volonté qui n’est ni libre ni absolue succombe à la nécessité.  Le lépreux a dit au Seigneur : Si tu le veux, tu peux me guérir.  Et l’évangéliste dit :  Il a voulu et Il n’a pas pu.  Pourquoi le bienheureux Marc a-t-il dit  cela ?    Veut-il exalter la foi de la femme,  en rabaissant le pouvoir et le vouloir divins ?   Ou la sagacité de la foi est-elle si grande  que, contre la volonté de Dieu,  elle puisse investiguer le secret divin ?  Ce cas me semble semblable à un autre cas : quand le Seigneur voulut rendre publique  la foi de l’hémorroïsse en Sa toute-puissance , et la proposer en exemple,  Il  demanda :  Qui m’a touché ? Les apôtres lui répondirent : la foule te presse de toute part, et tu dis :  Qui m’a  touché ?    Il semblait aux disciples que tous touchaient le Seigneur en le comprimant corporellement,  et que tous avaient un accès semblable , qui permît de Le rejoindre.  Mais Jésus  qui pensait autrement qu’eux,  et qui recherchait ce dont ils n’avaient point d’idée,  savait que cette femme était parvenue à sa Majesté,  qu’elle avait rejoint son pouvoir de faire des miracles,  par l’esprit non par le corps;   non par le toucher, qu’elle avait en commun avec tous,  mais par la foi.   Alors ce n’est pas l’homme qui s’exclame, mais Dieu;  non  la chair mais l’esprit :  Qui m’a touché ?  Pour que la puissance de l’œuvre révèle Celui que l’humanité cachait.

 Mais cherchons à clarifier ce que veut dire :  Il a voulu.  Et ce que veut dire :  Il n’a pas pu.    Se souvenant de sa promesse,  le Christ état venu d’abord pour le salut du peuple judaïque, et avait accompli fidèlement ce qu’Il avait promis à Abraham , à son rejeton  David et à ses descendants.  Mais parce qu’ils s’en rendirent indignes par leur perfidie,  la foi des gentils a acquis,  ravi et recelé  ce que l’infidélité des Juifs avait gaspillé  et perdu.  Ecoute-le  qui dit :  Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël.  Mais ces brebis ayant déjà contracté la rage des loups,  et étant rendues plus cruelles que les bêtes sauvage par leur propre férocité,  ont toujours cherché à déchirer et violenter leur Pasteur.  Voilà pourquoi le Christ ne pouvait pas faire ce qu’Il voulait,  non par impuissance personnelle,  mais à cause de la malice de ceux qui étaient perdus.  Et ce qu’Il avait confié aux uns,  il état contraint de l’apporter aux autres.  Comme Il avait dit :  Le royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui s’en emparent.    La foi des gentils a usé de violence pour s’emparer de l’héritage du Père ,  pour piller tout l’héritage des fils,  comme la lecture actuelle le montre avec évidence :

 Car aussitôt une femme dont la petite fille avait un esprit impur, entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds. Cette femme était grecque, syrophénicienne de naissance, et elle le priait d’expulser le démon hors d’elle.  Et il lui disait : Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens.   Il n’a pas dit qu’il n’était pas bon de le jeter aux petits chiens,  mais qu’il n’était pas bon de l’enlever aux fils pour le donner aux chiens.  Parce que donner du pain aux chiens, même si ce n’est pas un geste humanitaire, c’est une action qui est conforme  à la raison humaine.   En faisant la garde et en restant éveillé pendant toute la nuit, le chien  révèle à ses maîtres endormis la présence d’un étranger,  terrifie le voleur,  court au devant du bandit,  prenant pendant  la relève des petits serviteurs  et accomplissant leur tâche avec sollicitude.  Néanmoins,  comment peut-il enlever  le pain aux fils  à qui il l’a si souvent présenté, distribué,  donné à manger ?   Mais eux se sont appliqués à fouler criminellement aux pieds le pain offert,  au lieu de le prendre pour se garder en vie.   Mais ce pain méprisé et foulé aux pieds par les fils, le chien s’est empressé de le lécher avec toute sa foi  et tout son désir.  Voilà pourquoi elle a répondu ainsi :  Oui, Seigneur, et les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants.  C’est en toute justice que celle qui s’était donné le nom de chien est changée en être humain,  et que ceux qui n’ont pas voulu être fils ont été changés en chiens.   C’est en toute justice qu’elle est adoptée comme fille, qu’elle est  élevée à l’honneur de prendre part à  table,  celle qui  s’était abaissée  en se mettant sous la table,  poussée par une humilité louable et profitable.  C’est en toute justice qu’elle se repaît maintenant des miettes de pain,  elle qui a compris et reconnu publiquement qu’elle ne les méritait pas par ses vertus.   A quoi servirait de continuer ?    Voilà ce que le Seigneur,  à cause de Sa justice, n’a pu ni donner aux Juifs ni refuser aux Gentils.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

101ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(Luc : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps…)

 Vous avez entendu, mes frères, comment le Christ exhorte ses soldats,  par une harangue royale, au mépris de la mort, et à ne pas redouter ceux qui tuent le corps.   Il mettra au rang de ses amis ceux que la passion du triomphe et l’amour de la liberté  auront amenés à répandre leur sang  dans la joie et sans trépidation.   Voici comment Il a parlé :  Je vous le dis à vous qui êtes mes amis.  Ne soyez pas épouvantés par ceux qui tuent le corps et qui ensuite  ne peuvent plus rien faire.  Je vais vous montrer celui qui est à craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir d’envoyer dans la géhenne. Je vous appelle mes amis. Ne craignez pas. Car c’est la vertu qui distingue l’homme libre de l’esclave;  la crainte  indique qu’on a affaire à un esclave. Car l’homme libre est né pour la gloire, l’esclave pour la crainte. C’est donc avec justice qu’est élevé à l’amitié divine celui qui ignore les craintes, et qui méprise les morts humaines à cause de Dieu. Si c’est l’imitation des mœurs d’autrui qui fait les amis, et la similitude des mœurs qui les réunit, le Christ n’est que conséquent avec Lui-même quand Il appelle amis ceux qui fouleront aux pieds les javelots du monde et la peur même de la mort, selon la connaissance qu’Il en a depuis toujours. Je vous dis à vous. Ce qui veut dire : Non à tous, mais à mes amis. Ceux que la mort a délivrés de leurs liens,  mais n’a pas anéantis.  Je vous dis à vous.  Ceux que la dissolution du corps promeut à quelque chose de meilleur, mais ne transfère pas au bagne.  Je vous dis à vous. Vous pour qui la vie ne finit pas avec la mort, mais commence. Je vous dis à vous. Ceux dont la mort est précieuse,  non par elle-même, mais par la raison qui l’a provoquée. Cette mort  fait grimper les primes de la vie, plus qu’elle ne fait perdre l’usage de la vie.

 Mais écoutons ce qu’Il dit à ses amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. Qu’ils écoutent donc, ceux qui nous ont rabattu les oreilles, dans des livres poussiéreux, avec la noblesse de la mort des anciens. Ils ne furent pas capables d’en tirer motif à amélioration morale ou à consolation. Parce que même si, avec toutes les ressources de leur éloquence, ils ont armé  leur âmes pour supporter la mort, ont séché leurs larmes, ont retenu leurs soupirs, se sont interdit les gémissements, ont refoulé leurs pleurs, ils n’ont jamais pu, en grappillant de côté et d’autre, rassembler quoi que ce soit qui apporte une espérance certaine, la vie perpétuelle, le vrai salut. Que dit l’éloquence à l’homme, que dit-elle au savant ? La mort est une chose naturelle; il est nécessaire de péricliter. Les anciens ont vécu pour nous, nous vivons pour les générations à venir : personne ne vit pour lui-même. C’est le propre de la vertu de vouloir ce qui est inéluctable. Reçois volontairement ce que tu es forcé d’accepter malgré toi. Avant d’arriver, la mort n’est rien; une fois venue, on ne sait plus  qu’elle est venue. Tu ne dois donc pas déplorer d’avoir perdu ce que tu perds sans le déplorer. En discourant ainsi, les philosophes ne parlent que de la sentence de mort ; ils ne disent pas un mot sur la vie. Car d’où est venue la mort,  quand,  comment et par qui, ils ne le savent pas. A nous, l’Auteur de la vie a livré l’auteur de la mort. Car Dieu a fait la vie, et  le diable a conspiré  contre la vie, comme le révèle la parole divine : Dieu n’a pas fait la mort. C’est par l’envie du diable que la mort est entrée sur la planète terre.

 Mais tu dis : Pourquoi Dieu a-t-Il supporté que son œuvre périsse par l’opération du démon ? Si tu voulais vraiment recevoir une réponse à tes questions, tu cesserais toute activité pendant un certain temps. Tu te concentrerais, tu ouvrirais tes oreilles, pour que toi, qui es si curieux, tu puisses  porter un jugement sur l’unique chose nécessaire. Mais toi, qui es toujours occupé à d’autres choses, tu ne mets jamais en cause ta paresse ou  ton oisiveté  pour expliquer pourquoi tu ignores les causes des êtres, tous les drames des siècles, la profondeur des jugements divins et leur secret impénétrable. Pour connaître  la grammaire et les chefs-d’œuvre de la littérature, ne t’es-tu pas asservi à un maître, ne t’es-tu pas appliqué attentivement aux études,  supportant avec patience le labeur et la peine, après avoir quitté tes parents et ta maison ? En quoi cela t’a-t-il été utile, pour savoir ces choses et pour être digne d’entendre un grand nombre de choses de cet acabit, de t’être mis sous la tutelle d’un maître, d’avoir fréquenté une école, d’avoir augmenté tes souffrances par l’enseignement d’un docteur ? Les Apôtres nous enseignent comment faire, et surtout saint Paul. Il enseigne en recevant des coups de bâton, non en frappant,  pour que, maître éminent, il subisse autant de tortures qu’il y a de mœurs humaines. Et nous, en une seconde, nous apprendrions, parce qu’on nous l’ordonne, les principes des choses, les causes du monde ? Et pourquoi nous l’ordonner à nous ? Et toi, tu n’entends pas comment l’obligation s’adresse à toi  ? Et cette servitude, une telle nécessité nous excuse. Toi, une si grande liberté,  une telle volonté t’accusent certainement. Ce que nous disons, c’est notre fonction qui le veut. Ce que nous disons de moins bien ne sert qu’à vous inspirer du dégoût.

 Tu demandes, homme, pourquoi Dieu n’a pas éteint la mort avec son auteur immédiatement ? Sa providence n’avait donc pas alors prévu que le virus létal conduirait à la ruine de toute la terre, et surtout de son image à Lui ? Le ciel que tu vois, ô  homme, qui est affermi par l’air, porte de grandes masses d’eau, mais n’est lui-même porté par rien. Seul le commandement le suspend là;  il n’est soutenu que par la force du précepte, comme le révèle la divine parole :  Qui a tendu le ciel comme on tend une peau, qui a recouvert les cieux d’en haut dans les eaux. La terre, qui ploie sous le poids et le fardeau des montagnes, et qui est une masse solide, flotte sur un fondement liquide, comme l’a dit le Prophète : Qui a fondé la terre sur les eaux, pour que ce qui demeure stable le doive au commandement et non à la nature.  Lui-même a parlé  et les choses ont été faites. Il l’a ordonné et elles ont été créées. Pour que ce qui reste stable le doive à l’action divine, non à la raison humaine. La mer dont les vagues atteignent des hauteurs prodigieuses, et s’élèvent, pour ainsi dire, jusqu’aux nues, sont freinées dans leur élan par de minces couches de sable,  pour que nous voyions de nos yeux qu’une telle puissance ne le cède qu’au commandement,  non à la poussière. Toutes les choses qui sont dans l’univers  sont mues ou vivent par le seul commandement qui les a faites. Et elles seront ensuite dissoutes par le seul commandement, comme le confirme le prophète quand il dit :  Au commencement, toi, Seigneur, tu as fondé la terre,  et les cieux sont les œuvres de tes mains. Ils périront, mais toi, tu demeureras. Et tous, comme un vêtement,  périront. Et comme une couverture tu les changeras,  et ils seront changés. Comment ? Pour que le temps vienne à bout de la vieillesse,  mais que ce ne soit pas le Créateur qui fasse périr sa créature.

 Mais toi qui poses des questions,  tu diras que nous sommes en train de noyer le poisson. Parce que quand tu demandes pourquoi Dieu a permis que demeure la mort  pour la destruction de son œuvre,  nous faisons défiler, comme dans un long cortège,  le ciel,  la mer et la terre, qui ont été faits de rien et qui retourneront au néant.  Au lieu de te répondre, nous ne faisons que prêter  flanc à de nouvelles attaques ? Tu dis : moi j’ai cherché pourquoi l’homme périt;  toi,  tu as affirmé que les éléments eux-mêmes périront, pour que, aux sens fatigués des mortels, tu fournisses,  par l’universalité de la dissolution,   une consolation,  non un repos dans la raison. Comme si ce n’était pas un sujet de douleur la perspective  que le ciel périra,  que la terra se dissoudra,  et que toute la face des êtres sera abolie par le droit que revendique la mort.   Tu dis :  je demande : Qu’y a-t-il de plus beau que le ciel ?  Qu’est-ce qui est plus lumineux que le soleil ?   Qu’y a-t-il de plus gracieux que la lune ?  Qu’y a-t-il de plus décoratif que les étoiles ?   Qu’est-ce qui est plus salubre que la terre?   Qu’est-ce qui est plus utile que la mer?   Comment parler de vieillesse à leur sujet,  puisqu’ils  se maintiennent dans l’état où ils  étaient quand ils sont nés ou ont été faits ?   Ce serait plus agréable si ces choses demeuraient  au lieu de périr.

 Homme,  ce serait peut-être plus agréable, mais  pas plus utile,  car pendant qu’elles demeuraient stables,  tu as oscillé;  pendant qu’elles brillaient de tous leurs feux,  tu t’es aveuglé toi-même pour ne pas voir;  la clarté du ciel a abâtardi  des sens,  l’éclat du soleil a aveuglé tes yeux.  Car,  trompé par leur beauté,  tu as renié leur Artisan.  Ces régisseurs du monde  tu as professé qu’ils étaient des dieux,  eux que le vrai Dieu t’avait asservis .  Il est donc nécessaire de tout dissoudre  et de tout rénover,  pour que tu croies qu’ils ont été faits,  quad tu constateras qu’ils ont été réparés.   Ne va pas penser que nous nous sommes perdu dans des digressions,  en  voyant que nous avons parcouru toute la création  en réponse à ta question.  Homme,  quand ton Auteur t’a fait à partir de la poussière,   tu ne t’en es pas rendu compte.  Car si tu t’avais vu quand tu as été fait,   l’idée de la mort ne te ferait pas verser autant de larmes.   Tu t’es vu quand tu étais parfait,  quand tu étais vivant,  quand tu étais beau,  tu t’es vu quand tu étais semblable à ton Auteur.   D’où étais-tu,  qui étais-tu, toi qui n’avais vu naître où mourir personne,   tu ne le savais pas   Voilà pourquoi tu t’es donné tout entier à la nature,  et tu n’as rien su donner à Dieu.  C’est pour cela que Dieu t’a réaligné sur la nature,  et a permis que,  du néant,  tu retournes en poussière.  Pour que tu voies ce que tu as été, et que tu rendes grâce à Dieu de ta résurrection future,  toi qui n’a pas su rendre grâce pour avoir été fait et créé.

 Ne craignons donc pas, frères,  comme dit le Seigneur,  ceux qui tuent le corps, car ils n’anéantissent pas cette vie, mais la détruisent en faisant de ce qui est temporel quelque chose d’éternel. Que dire de plus, frères ? Il a permis qu’on Le tue Celui qui possède le pouvoir de ressusciter. Il a permis qu’on L’assassine  Celui qui se suffit à Lui-même pour vivifier. A Lui l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Amen.
 

102ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(le centurion)

 Que le Christ, qui demeure dans nos cœurs,  n’ait pas encore ressuscité tous les morts,  n’ait pas encore guéri tous les malades,  nous ne l’attribuons pas à un manque de puissance de sa part,  mais à un manque de temps.  S’il en était ainsi,  le temps de la foi soumettrait toute la terre,  et l irradierait  des rayons de sa vertu,  sans rien réserver à la gloire du second avènement.  Le Christ  n’a pas dosé les miracles et les signes, de façon à donner des preuves de sa divinité et à prodiguer  des motifs de croire  qui  enlèveraient  toute excuse à l’infidélité  hypocrite.    Le centurion,  dont l’Evangéliste Luc fait aujourd’hui mémoire,  nous le démontre par sa foi et sa clairvoyance.   Le serviteur d’un certain centurion qui lui était très cher  était atteint d’une maladie mortelle.     Ce centurion était un romain.  Mais ce soldat, qui commandait à cent hommes,  était un chrétien qui rapportait plus que cent pour cent d’intérêts.   Et il militait plus pour Dieu que pour le monde.   Fort dans la guerre humaine,  plus fort  dans la divine ,  il veillait à maintenir la paix.  Le serviteur d’un centurion qui lui était très cher avait une maladie mortelle.    Il  avait un esclave dont la valeur s’estimait à prix d’argent.   Demandons-nous donc qui était ce serviteur qui lui était si précieux.   Si c’est l’âme qui commande,  le corps sert;  et à l’homme, il n’est rien de plus précieux que le corps.    Le serviteur de ce centurion,  qui lui était  précieux,  avait une maladie mortelle.   Le centurion demandait donc  que le Christ,  à  Lui seul,   subvienne à la vie perpétuelle,  après avoir octroyé ses largesses au corps mortel.  Quand il entendit dire que Jésus était arrivé, il lui envoya les chefs des prêtres.   Un Gentil envoie des Juifs au Christ.  Et celui qui était sans la loi  indique l’Auteur de la loi à ceux qui vivaient sous la loi.   Que personne ne s’étonne donc si un Gentil, c’est-à-dire,  un chrétien  appelle quelqu’un pour le mener ou le conduire au Christ.  Il lui députa les anciens des Juifs pour lui demander de venir et de sauver son serviteur. Quand les chefs des prêtres arrivèrent près de Jésus,  ils le priaient avec insistance, disant : il mérite que tu lui accordes ce qu’il demande, car il aime notre nation, et il nous a construit lui-même une synagogue.   Les juifs demandent pour un Gentil ce qu’ils ne demandaient pas pour eux-mêmes;  et ils se préoccupent du salut  d’un serviteur étranger,  eux qui ne font rien pour le salut de leurs propres fils.   Ils disent :   il mérite  que tu lui accordes cela.   S’il est digne celui qui entend, croit et envoie au Christ, celui qui vient au Christ, voit et ne croit pas,  ne fait-il pas la preuve de son indignité ?   Il aime notre nation.   Il aime votre nation en la faisant rendre des supplications au christ;  mais vous,  vous la détestez  en la rendant rebelle au Christ.  Ou comment un chrétien ne pourrait pas aimer votre nation ?  En reconnaissant que le Christ est de votre race, il porte aux cieux tout ce qui se rapporte à votre nation, et le glorifie.    Il aime notre nation et nous a construit une synagogue.  Vous avez entendu dire que souvent la synagogue est brisée en morceaux ,  et que les gravats gisent désespérément par terre,  et qu’elle ne peut ressurgir en une demeure céleste,  à moins que le charpentier chrétien  ne la recycle en un temple de l’église.

 Jésus allait avec eux.   Mais eux n’allaient pas avec Lui,  avec Qui ils n’allaient pas en communion de pensée.  Il n’étaient pas non plus avec Lui ceux qui , séparés de cœur,  semblaient réunis de corps.  Et comme ils n’étaient pas loin de.   De qui ?  D’un Gentil.   Autant les Juifs se séparaient du Christ,  autant le Christ se joignait aux Gentils.  Et comme ils n’étaient pas loin,  le centurion lui envoya des amis.   Celui qui avait envoyé des Juifs envoie maintenant des amis.  Pour qu’en disant Juifs il désigne des ennemis,  avec l’approbation de l’Apôtre qui disait :    Des ennemis pour vous.  En enviant la foi des Gentils,  les Juifs ont perdu tout ce qu’il y avait dans la loi et la grâce.  Il lui envoya des  amis.   Écoute le Seigneur dire aux apôtres :  Je ne vous appelle plus serviteurs,  mais amis.   Comme la foi promeut  des serviteurs en en faisant des amis,  ainsi,  la perfidie  ramène les fils à la servitude pénale.  Il lui envoya des amis pour lui dire :  Maître ne te mets pas en peine inutilement.  Pourquoi ?  Parce que je ne suis pas digne que tu entres dans ma maison.    Vous voyez que c’était plutôt le Christ qui amenait  les Juifs que les Juifs qui l’amenaient,  pour qu’ils entendent qu’auprès  d’un centurion se trouvait  le respect de Dieu;   auprès d’un Gentil, le culte de la loi;   auprès d’un soldat,  la solde de la grâce;   auprès d’un Romain,  la doctrine de la foi.   Pour qu’ils voient  dans le froid païen, la chaleur chrétienne;   dans un cœur terrestre, un sacrement céleste;  et dans toute la servitude séculière,  la reconnaissance de la souveraineté céleste.  Seigneur, ne te mets pas en peine.   Ce qui revient à dire :  Dieu, pourquoi te fais-tu souffrir dans un corps  humain ?  Pourquoi t’es-tu imposé  un labeur humain ?  Pourquoi te fatigues-tu par la longueur de la route ?   Pourquoi te promènes-tu de place en place,  Toi qui es tout entier partout,  et qui, à l’intérieur de Toi,  tiens et possèdes toute la création?   Seigneur, ne te mets pas en peine.  Je ne suis pas digne que tu entres dans ma maison.   Mes frères,  comme nous est caché ce qui rend digne  ou indigne quelqu’un,  comment  désirer ou repousser l’approche de Dieu ?   Frères,  ce corps est le toit qui recouvre l’âme,  qui rend opaque  la pensée,  qui voile le domicile du cœur,  qui exclut de la vision céleste  la liberté de l’esprit .  Le centurion estime donc que le Christ est indigne d’entrer sous ce toit, c’est-à-dire, qu’il est indigne de Lui de  soumettre la Majesté  divine au corps humain.

 Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Mais.    Dieu qui, comme Il le veut, rend divin ce qui est humain, et, quand Il daigne le faire,  change ce qui est charnel en quelque chose de spirituel,  n’a pas dédaigné habiter notre chair,  ni entrer dans le toit de notre corps.   Voilà pourquoi je me juge indigne de venir vers toi.  C’est le fait d’un juste de croire qu’il est indigne que Dieu vienne à lui, et de ne pas se savoir digne d’aller à sa rencontre.   Qui entre chez le juge sans avoir été convoqué ?   Qui se présente devant le roi sans en avoir reçu l’ordre ?  A combien plus forte raison,  nul ne comparaît devant Dieu sans avoir été appelé.  Ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés.   Le centurion ne fuit donc pas devant l’arrivée du Seigneur,  il ne refuse pas la présence du Christ;  mais il fait en sorte qu’elles soient une grâce de Celui qui est libre,  plutôt que la témérité d’un prétentieux.  Car,  ce que Dieu peut,   le centurion  l’insinue et le formule par un exemple :   Car je suis moi-même un homme constitué en autorité, ayant sous moi des soldats.  Et je dis à l’un : va,  et il va;  viens,  et il vient.  Et à mon serviteur, fais cela, et il le fait.   Ce qui revient à dire :   Si moi, qui suis constitué en autorité,  je fais,  par le seul empire de ma parole,  obéir mes subordonnés,   comment toi,  qui n’est soumis à personne,  et à la puissance de qui tout est soumis,  ne pourrais-tu pas guérir en en donnant l’ordre par une seule parole,  envoyer la santé,  produire des prodiges ?  Ou,  ne peux-tu  pas refaire par une parole ce que Tu as fait par une parole ?   Il a dit, et elles ont été faites.   Il a donné un ordre, et elles ont été créées.   Ou,  n’es-tu pas capable de réparer à partir de quelque chose,  toi qui as tout préparé à partir de rien ?  Dis une seule parole, et mon enfant sera guéri.  Il a réalisé ce que le Prophète avait chanté de Dieu :   Il a envoyé son verbe, et il les a guéris,  et il les a arrachés de leur corruption.

 Frères,  ce centurion en disant :  Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit,  a présenté la figure du peuple chrétien,  qui juge ne pas mériter la présence corporelle du Christ;   mais qui,  après  la seule annonce de la parole,  après  le seul énoncé des vérités de foi,  observe,  écoute  avec attention, tous les signes que le Seigneur a opérés pour nous notre guérison,  et y croit.   Car,  quand il dit :   Je dis à l’un : va, et il va;  viens, et il vient,  et à mon serviteur,  fais ceci et il le fait,  par ces mots,  il manifeste  le refus des Juifs,  la vocation des Gentils,  et la soumission du peuple chrétien.   Je dis à celui-ci,  i.e. au Juif qui n’a pas cru :  va-t-en,  et il s’en va.   Et à l’autre, i.e. au Gentil, parce qu’il a cru,   viens et il s’en vient,   Et à mon serviteur, i.e. au chrétien, fais cela et il le fait.   Prions, mes frères,  pour que nous méritions d’être chrétiens non seulement de nom,  mais par la foi,  et que les choses qui nous sont commandées nous ne nous contentions pas de les entendre,  mais que nous les exécutions après les avoir entendues.  Car comme c’est le propre d’un chrétien fervent et généreux  de faire ce qui a été commandé,  c’est le propre d’un esprit opiniâtre et rebelle de ne pas le faire.    Dis une seule parole et mon enfant sera guéri.   Le Créateur des choses admirables est dans l’admiration.   Le créateur des oreilles, comme quelqu’un qui ignore ce qui n’a pas été entendu,  est stupéfait de ce qu’Il entend.   Mais pendant qu’Il s’émerveille de la foi des Gentils,  Il reproche aux Juifs leur incrédulité.   Ensuite, Il dit aux foules qui le suivaient, accusant ainsi les Juifs d’être demeurés dans la mort,  En vérité je vous le dis,  en Israël même, je n’ai pas trouvé autant de foi.   Cela est vrai,  mes frères.   Seule la foi vit,  et elle vit dans les Gentils.  Les miracles et les prodiges  lassent les Juifs,  et ne leur sont d’aucun profit.
 
 

103ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
(la résurrection du fils de la veuve)

 Le bienheureux évangéliste  raconte  aujourd’hui comment le Christ a rendu la vie au fils unique d’une veuve,  déjà ligoté par les bandelettes funéraires, déjà placé sur un lamentable brancard;  et, qui, accompagné par une grande foule,  était porté de l’enceinte au tombeau.    Les esprits sont secoués,  les cœurs sont touchés, et les spectateurs,  stupéfaits.      Les Gentils s’en émerveillent, les Juifs sont médusés,   et le monde sent passer un frisson.

 Mais nous, qui croyons que les morts de tous les siècles seront tirés des tombeaux  par une seule parole du Christ,  pourquoi nous étonner ?   Les morts se redresseront et ressusciteront qui sont dans les tombeaux. (Isaïe)    Et le Seigneur :  L’heure viendra où les morts entendront la voix du Fils de l’Homme, et ceux qui l’entendront vivront. (Jean)  Et l’apôtre :   En un instant, en un clin d’œil, au son de  la dernière trompette. La trompette résonnera, et les morts ressusciteront, incorruptibles.   Quelle est donc cette trompette  qui apporte la guerre aux enfers,  qui fracasse la masse du sépulcre,  qui annonce la vie aux morts,  et qui apporte le triomphe aux ressuscités  dans la lumière perpétuelle ?   Quelle est-elle ?   Celle que le Seigneur a indiquée plus haut :  Les morts entendront la voix du Fils de Dieu.   Non la trompette qui,  par de l’air comprimé dans une corne ronde et creuse,  en bois ou en métal,  émet pour les soldats un triste mugissement,  mais celle qui du cœur du Père et de la bouche du Fils, émet une clameur vivifiante  dans les enfers et dans les cieux.  Et au son de la  dernière trompette.   La  trompette qui, au tout début, a appelé le monde à partir du néant,  c’est la même qui,  au dernier jour,  rappellera le monde  hors de la perdition.   Et celle qui, au début,  suscita l’homme du limon,  c’est la même qui, à la fin,  ressuscitera l’homme de la poussière.   Mes frères, voilà quelle est notre foi.  La trompette de la divine voix a divisé le chaos,  a formé le cosmos  en liant ensemble tous les éléments.   Elle  les a purifiés,  a diversifié le monde  et  a suspendu le ciel.  Elle a  posé les fondements de la terre,  imposé des limites à la mer.   Elle   y a enfoncé les enfers,  a établi l’alternance des jours et des nuits;  et a imposé aux êtres des lois qui les vouent au service continuel de Dieu.  Et pour que le cosmos  n’ait pas le vide en horreur, elle y a implanté des habitants,  et leur a préparé  des habitacles.  Au ciel, elle a placé des anges, qui sont de purs esprits;   et sur la terre,  elle a disposé les vies variées de ceux qui y vivent.   Dans le ciel,  elle a donné le vol aux animaux ailés;  dans la mer elle a fait le plus petit et le plus grand,  pour qu’y vivent une multitude d’animaux.  Et ce qui est le plus étonnant,  à partir de ces éléments disparates,  elle a formé un tout ordonné ,  en unissant des éléments différents sans les confondre,  et en les séparant sans scinder l’unité.   De là vient que la succession du jour et de la nuit  assure  la répartition suivante :  le repos après le travail,  et le travail après le repos.  De là vient que le soleil et la lune à tour de rôle  parcourent les bornes du monde,  pour que, par l’apport d’une deuxième lumière,  le soleil  intensifie la clarté;   et pour que la lune,  avec une lumière à peu près égale,  n’abandonne pas ces heures à la totale cécité de la nuit.   De là vient que les étoiles,  dans leur parcours, modifient et varient leur lever,  pour marquer aux nuits leur durée,  et servir de guides aux voyageurs.  De la vient que les temps viennent en s’en allant,  et qu’ils commencent à être quand ils déclinent.  De là vient que les semences naissent,  croissent,  deviennent adolescentes, jeunes et vieilles,  décèdent et meurent,  et, de nouveau,  ensevelies dans les sillons vitaux,  réduites en poussière,  retournent à leur vie depuis la mort salutaire;   et sont rétablies dans une forme perpétuelle à partir de la corruption.

 Et si, mes frères, la voix de Dieu,  la trompette du Christ, pendant des jours, des mois, des saisons, des années,  appelle et révoque,  amène et ramène,  ordonne d’être et fait retourner au néant,  redonne à la vie ce qu’elle avait donné à la mort,  pourquoi ne peut-elle pas faire une seule fois en nous ce qu’elle a toujours fait en tous ?   La vertu divine du soleil s’épuiserait pour nous seulement,  nous pour qui seuls la Majesté divine  a opéré ce dont nous avons parlé ?   Homme, si toutes les œuvres de Dieu revivent de  la mort,  pourquoi Dieu ne te ferait-il pas revivre de ta mort ?   Ce serait en toi seulement que  la créature de Dieu dépérirait,  alors que c’est pour toi que toute la création chaque jour est mue,  se  modifie, et  se renouvelle ?  Frères, je ne dis pas cela,  comme si je voulais donner une explication rationnelle aux  pouvoirs miraculeux du Christ,  mais je plaide à la manière d’un avocat  pour que l’exemple d’un ressuscité  nous entraîne à la foi dans la résurrection de tous,  et pour que nous croyions que la croix de notre corps est une charrue.   La foi en est la semence;  le sépulcre, le sillon;  la décomposition, le germe;  l’attente,  le temps.   Pour que quand le printemps de la venue du Seigneur arrivera,  la verdeur de nos corps parvenue à maturité  ressurgisse  en une moisson vitale qui ne connaîtra jamais de fin,  qui ne souffrira plus des  chaînes,  et qui n’aura plus à éprouver les flagellations.   Parce qu’après avoir déposé les pailles de vétusté dans la mort, elle se redressera dans la forme  du nouveau fruit d’un corps glorieux.

  Les larmes temporelles d’une seule veuve ont si ému le Christ   qu’Il est accouru  à sa rencontre sur la route,  qu’Il a soulagé  les larmes des souffrances qui s’écoulaient goutte à goutte,  qu’Il a repoussé  la mort,  qu’Il a ramené  l’homme,  qu’Il a ressuscité le corps,  qu’Il a  ramené  la vie,  qu’Il a changé  les pleurs en liesse,  et transformé   les lugubres funérailles en la fête d’une naissance.   Il dote la mère en lui rendant vivant  le fils  que la mort retenait sur un grabat.

Voilà ce qu’Il fera bientôt  quand Il s’enflammera de toutes ses forces  devant les larmes continuelles de son Eglise,  et les sueurs de sang de son épouse.   Car, par son église suppliante,  Il verse d’abondantes larmes;  par ses martyrs,  il sue des sueurs de sang,  jusqu’à ce qu’Il  vienne à la rencontre de son  unique, i.e.,  le peuple chrétien,  qu’un si grand nombre de siècles ont conduit à la mort;  et qu’Il  le tire du grabat mortel,  pour le rendre à la joie éternelle de la mère spirituelle.   Cela n’est que trop vrai,  mes frères,  parce que le temps de la naissance du Christ est venu,  et la virginité qui va enfanter  brille déjà de tous les feux d’un miracle céleste.    Et  ce n’est pas une étoile qui nous annonce  la naissance du divin Roi,  mais la croissance elle-même  du soleil .  Nous accourrons tous pour L’adorer,  et avec des présents sacrés,  nous professons que le Dieu Roi  procède d’un temple vierge.  Offrons des présents,  car à la naissance d’un roi,  une oblation publique est toujours préparée.  Offrons des présents,  parce que celui qui manque de ferveur  adore les mains vides.   Le Mage nous en donne la preuve  lui qui,  chargé d’or,  embrasé par l’encens,  sacré par la myrrhe, s’incline devant le berceau du Christ.

 Qu’est-il donc le chrétien qui ne fait pas ce qu’a fait le Mage ?   Qu’est-il donc si  pendant les réjouissances de la naissance du Christ,  le pauvre pleure,  le captif gémit,  l’étranger se lamente,  l’itinérant pousse des cris de douleur ?  Le Juif a toujours honoré les fêtes célestes par le dixième de son revenu ;  quelle idée se fait de lui un chrétien qui ne les honore pas par le centième !...   Mes frères,  que personne ne prenne cela pour une hyperbole,   mais pour  la plainte  d’un cœur blessé.    Je me désole,  oui,  je me désole  quand je lis que les mages ont arrosé le berceau du Christ avec de l’or,  et quand je vois que les chrétiens  laissent vide l’autel du corps du Christ;  et en ce moment surtout  quand la faim ravage les pauvres;  quand se répand la tourbe misérable des captifs .  Que personne ne dise   «  je n’ai rien à donner »,  puisque Dieu ne demande que ce que tu as,  non ce que tu n’as pas. Car les deux pièces de monnaie de la veuve ont paru à Dieu un don de grand prix.  Soyons dévoués à Dieu pour que la créature nous soit dévouée.  Soutenons les misères de nos proches,  pour que nous soyons libérés de nos misères.   Remplissons l’autel de Dieu  pour que l’abondance des fruits remplisse nos greniers.   Il est certain que si nous ne donnons pas,  nous n’avons pas à nous plaindre de ne rien recevoir.   Que notre Dieu Lui-même vous donne  les biens présents aussi bien que ceux du futur,  par Notre-Seigneur Jésus-Christ,  à Qui est tout l’honneur et la gloire perpétuelle,  avec le Saint-Esprit,  pendant tous les siècles des siècles.   Amen.

P.S.  Je lis en note du texte latin qu’à l’époque de saint Pierre Chrysologue,  les chrétiens déposaient de l’argent sur l’autel,  que le diacre distribuait  aux pauvres, et avec lequel il rachetait les captifs.

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104ème Sermon de Saint Pierre Chrysologue
 (le riche dont le champ était fertile)

 A chaque fois que revient parmi nous ce riche  que pendant tant de siècles, sur toute la terre,  à chaque jour,  la clameur de la divine voix accuse,  la séduction trompeuse exercée par les richesses s’estompe,  la flamme furieuse des cupidités s’éteint,  la rage démentielle de l’avarice se calme.

 Jésus commence aujourd’hui  par ces mots :  Il y avait un homme riche dont le champ avait rapporté une abondante récolte. Et il pensait en lui-même disant :  Que vais-je faire, car je n’ai pas où engranger ma récolte ? Et il dit :  Voici ce que je vais faire. Je détruirai mes greniers,  et j’en ferai de plus grands, et je ramasserai là toutes les bonnes choses qui viennent de pousser, et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens placés pour de nombreuses  années. Repose-toi, mange, bois, fais bonne chère.  Dieu lui dit :  Imbécile, cette nuit-même on ( en latin :  ils  te redemanderont)  te redemandera ton âme. Ce que tu as thésaurisé, à qui cela appartiendra-t-il ?   Misérable est celui que la fertilité a rendu stérile,  que l’abondance a rendu anxieux,  que l’opulence  a rendu inhumain,  que la richesse a rendu mendiant.   Un champ humain supportait un maître inhumain.  Et ce que la terre répandait avec largesse ,  il le recueillait et l’ensilait  chichement;  pour qu’il soit le gardien des biens d’autrui celui qui n’a pas été prodigue de ses biens.  Il a été ingrat envers Dieu,  méchant envers lui-même,  ennemi des pauvres,  la honte des riches,  la prison de la nature.

 Et il pensait en lui-même.    Comme si quelqu’un pouvait penser en dehors de lui-même !...Mais celui-ci pensait en lui-même,  parce qu’après avoir accueilli le conseil de l’impiété,  il ne restait plus rien en lui qui ait quelque rapport avec la bienveillance ou la miséricorde.   Il pensait en lui-même en disant.    Tu t’es servi d’un digne conseiller :  celui qui n’a pu avoir  la consolation  d’avoir un mauvais ami,  ne pouvait avoir un collègue avec qui parler.    Et il pensait en lui-même.   L’esprit impie luttait avec la piété;  et il subissait une guerre intestine celui qui  avait perdu la paix et le repos de la miséricorde.   Et il pensait en lui-même, disant : que ferai-je ?    Ceci est la voix de quelqu’un qui interroge.  Et à qui penses-tu que s’adressait celui-ci ?   Il y en avait un autre en lui;  car le démon avait déjà pénétré en maître dans le sanctuaire de son âme.  Et celui qui était entré dans le cœur de Judas  possédait la partie la plus secrète  de son être.

 Que ferai-je, car je n’ai pas.   Vous avez entendu que le riche n’a rien ?   Voici qu’il le proclame lui-même :   je n’ai pas.    Rien n’est plus vrai,  car il est toujours dépourvu de tout celui qui convoite  tout;  et il n’a pas où amasser  celui qui  recherche pour pouvoir ramasser.   Mais écoutons ce que lui répond son conseiller interne :  Je détruirai mes greniers.    De toute évidence,  celui qui est caché apparaît là,  car l’ennemi commence toujours par la destruction.   Il se démène pour que tu détruises  ce que tu possèdes,  et que tu ne réformes pas tes mauvaises pensées.    Riche,  tu es  vraiment misérable,  toi  qui  mises stupidement sur le futur,  sans avoir aucune idée du présent !  Comme il aurait été préférable que tu transfères  les biens présents là où se trouve le siège de l’âme !  Mais maintenant, les chaînes de tes greniers  resserrent  les gorges des pauvres,  enchaînent les cous des hôtes,  broient les viscères  des affamés.   Voilà pourquoi   les gémissements  des pauvres te précèdent et te suivent;  les visages livides des hôtes t’accusent,  la foule pitoyable des mendiants te dénonce.  Quand tu auras été condamné par le Juge  céleste,  tu recevras des peines à satiété,  car tu as verrouillé tes biens dans tes greniers à ton usage exclusif,  en les refusant aux autres.

 A celui qui pensait en lui-même,  Il était justifié de lui répondre Celui  qui connaît les pensées des hommes,  et qui sait qu’elles sont vaines.   Imbécile,  cette nuit-même,  on  (en latin :  ils  te redemanderont )  te redemandera ton âme.  Et ce que tu as thésaurisé, à qui cela appartiendra-t-il ?   Imbécile, en effet,  car là,  tout venait de la chair,  rien du cœur.  Stupide et insensé,  car il avait préparé et mis en réserve tout ce qui était nécessaire pour la migration de son âme.   Cette nuit ils  te  demanderont ton âme.   La nuit lui convient,  car,  en fuyant la lumière de la miséricorde,  il s’est asservi aux ténèbres de l’avarice, en disant :  Mange, bois, et fais bonne chère.  Que les ivrognes sont les fils de la nuit et non du jour,  l’Apôtre le déclare ainsi :  Et ceux qui s’enivrent, se saoulent la nuit.   Il est pris en charge par l’obscurité,  il est réclamé par les ténèbres  celui qui a  confié  ce qui entretient la vie à la claustration de ses greniers.   Ils te redemanderont ton âme.   Pourquoi ne dit-il pas :  Il te la redemandera Celui qui te l’avait donnée ?   Mais :  ils te la redemanderont ?   Parce que Dieu redemande et ramène les  âmes des saints;   les ministres du tartare redemandent  et entraînent  dans les enfers les âmes des impies.

 Imbécile ! Cette nuit-même on te redemandera ton âme. Et ce que tu as thésaurisé,  à qui cela appartiendra-t-il ?   Ce riche est averti d’avance,  pour qu’il perde plus ce qu’il avait pensé que ce qu’il avait préparé.   Et la parole du Prophète est accomplie :   Son esprit sortira et retournera dans sa terre. En ce jour,  toutes leurs pensées périront.  Il avait pensé, lui,  à ce qu’il laisserait après lui,  non  à ce qu’il enverrait à l’avance avant lui.   Comme l’a dit l’Apôtre :   Ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur cœur insensé s’est obscurci.  Se croyant sages, ils sont devenus fous.  Une fois éveillé du songe de la vie présente,  celui qui avait été appelé imbécile,  se trouva les mains vides dans la vie perpétuelle,  comme le dit le Psalmiste :  Ils dormirent de leur sommeil, et tous ces hommes ne trouvèrent aucune de leurs richesses dans leurs mains.    Riche, veille donc à  faire  le bien,  et ne t’endors pas dans le mal. Pour que ta main ne soit jamais vide pour le pauvre ,  mais toujours pleine pour toi.   Car plus le riche répand avec largesse,  plus abondants seront ses biens.

Sois donc riche en miséricorde,  si tu veux toujours être riche;  et tes greniers seront amples et pleins  s’ils n’ont pas été embarrés par la cupidité,  mais vidés par la largesse.
 

P.S.   Une des façons de dire le on en latin,  est le pluriel de la troisième personne.  On dit  se dit  ils disent.  L’auteur  se sert de la littéralité de l’expression  (ils  redemanderont qui signifie on  redemandera) pour parler des démons.

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105ème sermon  de Saint Pierre Chrysologue
(la guérison de la femme courbée)

  La guérison que le Christ a opérée aujourd’hui  a donné un exemple admirable du pouvoir divin  du Christ,   a mis à nu l’astuce de la fraude diabolique,  et a libéré une femme qui était affligée  depuis longtemps par une blessure obscure.   Comme le dit l’évangéliste :  Jésus enseignait dans une synagogue le jour du Sabbat. Il y avait là une femme qui avait un esprit d’infirmité depuis dix-huit ans, qui était courbée et qui ne pouvait en aucune façon se redresser. Quand Jésus la vit, il l’appela, et lui dit :  Femme, tu es libérée de ton infirmité. Il lui imposa les mains, et aussitôt elle se redressa et glorifia Dieu.    Elle avait un esprit d’infirmité,  et elle était courbée.   L’infirmité s’étalait au  grand jour, mais l’auteur de l’infirmité ne se montrait pas.  Tous voyaient la maladie,  mais ils n’en voyaient pas la cause.  La douleur était publique,  mais dans la souffrance,  se dissimulait un intrus carnivore.   La courbure du corps était visible pour tous,  mais nul ne voyait le poids du corps incurvé.  La femme portait son ennemi au milieu de ses compatriotes,  mais ils ne voyaient pas l’ennemi de façon à pouvoir l’expulser.  L’habileté du plus méchant ennemi passait pour  une maladie corporelle naturelle.  Le prédateur roué  retenait captive par la ruse  celle qu’il ne pouvait pas tenir par la force.    Le démon ne serait rien si les hommes étaient plus vigilants et plus prudents.  Quand a-t-il jamais prévalu sur l’homme par la force ?  Ne triomphe-t-il pas plutôt par l’adresse,  le mensonge,  les embûches, la fraude,  la ruse, la  méchanceté, par le moyen des vices, par la fureur des crimes ?  Il épie toujours les volontés des hommes,  et s’enfuit loin des bonnes volontés.  Il aide dans leurs entreprises les mauvaises volontés,  pour être le ministre  des scélératesses, le racoleur des crimes,  le parasite des vices.  Et parce qu’il ne le peut pas par la force,  il domine les esprits  dévergondés  par la plus honteuse servitude.    C’est ainsi qu’il a trompé Eve par le mensonge; c’est ainsi qu’il a garrotté Judas; c’est ainsi qu’il a aveuglé les Juifs par la jalousie; c’est ainsi qu’il a enténébré les Gentils par l’erreur  des idoles;  c’est ainsi qu’il apporté le trouble et la confusion chez les peuples par l’appât du faste et de la gloire;  c’est ainsi qu’il s’est emparé des petits par la vanité,  les rendant incapables de goûter les choses saines.

  Ecoutons maintenant ce qu’il avait entrepris de faire  à la femme dont nous parlons.   Et voici une femme qui avait un esprit d’infirmité depuis dix-huit ans, qui était courbée,  et qui ne pouvait en aucune façon se redresser.   Vous voyez qu’elle soupirait  cette femme qui était affaissée par le poids  du plus sauvage ennemi,  lui qui toujours déprime les hommes par le poids de leurs péchés.  Il les penche en direction de la terre,  pour qu’ils ne voient pas le ciel;  pour que,  par leur Auteur,  ils ne recouvrent pas leur liberté.   Mais leurs têtes étant baissées,  leurs yeux  fichés en terre,  leurs visages penchés,  les captifs sont maintenus sans trêve sous le joug de l’ennemi antique.    C’est ainsi qu’était opprimé ce publicain  qui n’avait pas la force de lever ses yeux au ciel,  mais qui,  conscient de ses péchés,  se frappait la poitrine.  Et parce qu’il n’y avait pas moyen  de nier ce qui s’était passé,  il cherchait un moyen  de susciter la miséricorde divine.   Dieu,  sois propice à moi qui suis un pécheur.   Supportant ce poids,  le prophète  très bienheureux chantait ainsi :  Mes iniquités sont placées sur ma tête et s’appesantissent sur moi comme un poids lourd.    Et pour faire connaître l’auteur de son œuvre,   il déclare ailleurs :  la pointe du cheveu de ceux qui marchent dans le crime.    Car ceux qui ne résistent pas aux méfaits,  mais marchent dans les mauvaises actions,  le diable chevauche et se promène sur la pointe de leurs cheveux.   Et ceux que leurs propres passions poussent au mal  sont entraînés à de pires choses par l’impulsion diabolique,  au dire de l’Apôtre :   Ils étaient conduits comme si c’était eux qui s’en allaient.

  Mais examinons plus profondément pour découvrir  dans cette histoire un sens spirituel  permanent.   Et voici une femme qui avait un esprit d’infirmité depuis dix-huit ans, qui était courbée, et qui ne pouvait en aucune façon se redresser.   Quelle est cette femme dont les siècles décrivent l’infirmité ?   Quelle est cette femme à qui une maladie  astucieuse  donnait accès à la terre,  mais la retenait penchée sur elle ?  Quelle est-elle ?   C’est la sainte église qui est maintenant la mère de saints fils,  celle que,  comme le dit l’Apôtre  un esprit de l’air,  un esprit de perfidie , un esprit d’erreur,   vexait, en lui causant un dommage spirituel, et en la chargeant de poids divers.    Il  l’inclinait et la posait à terre,  pour que son regard ne se  soulève jamais vers le ciel.   Mais pourquoi celle qui présente le type de l’Eglise  est-elle incurvée dans la Synagogue ?     Pourquoi ?  Parce que pendant qu’elle fuit les sacrilèges des Gentils, et rejette les fardeaux des idoles,  elle porte des poids plus lourds sur lesquels elle a trébuché,  comme le démontre le Seigneur par ces paroles :   Malheur à vous, scribes et pharisiens, vous qui attachez des poids lourds et les placez sur les épaules des hommes.  Mais vous, vous ne voulez même pas les soulever avec le petit doigt.   Et le bienheureux Pierre :  Et maintenant,  pourquoi tentez-vous Dieu en imposant un joug sur la tête des disciples que ni nous ni nos pères  n’ont pu porter ?    Voulant soulager les hommes de ces fardeaux,  le Christ  s’exclame :  Venez à moi vous tous qui fatiguez et êtes alourdis par votre fardeau,  et moi, je vous referai :  prenez sur vous mon joug, car il est suave.   Quand Il dit tous,  Il appelle les Juifs aussi bien que les Gentils.

  Mais pourquoi la maladie de cette femme a-t-elle trainé en longueur pendant dix-huit ans ?  Parce que si le  décalogue de la loi n’était venu au huitième  jour de la grâce,  (dix plus huit) jamais la sainte Eglise,  jamais cette femme ne serait parvenue  à la plénitude du temps,  au jour du salut,  à la présence de son Sauveur.   Que cette femme ait représenté une image de l’église,  la façon même dont elle a été guérie nous le laisse assez voir.  Le Seigneur l’a  appelée et lui a imposé les mains.   Celui qui a mérité de devenir chrétien  et qui regarde quotidiennement des gens le devenir,  sait surabondamment que c’est ainsi que l’Eglise guérit.  Car, pour que le Gentil incurvé par ses péchés se redresse pour regarder le ciel,  l’imposition des mains met d’abord en fuite  l’esprit mauvais.  Car quelle raison pouvait bien avoir d’imposer Ses mains sur cette femme Celui  qui, par un mot,  mettait en fuite les démons,  et, par Sa seule volonté, guérissait toutes les maladies ?  Pourquoi adopte-t-Il cette nouvelle façon de guérir,  si ce n’est qu’en en guérissant une ,  Il les guérissait tous ?    On pourrait même dire  qu’Il n’a pas reçu l’église avant d’avoir purifié cette femme du démon par l’imposition de Ses mains,  et de l’avoir fait chrétienne.  Et pourquoi ne pas ajouter que la manière de faire des chrétiens,  Il l’établit et l’institue  d’après  le sacrement de cette présente guérison.

 Mais le chef de la synagogue s’indigne  des guérisons opérées par le Christ,  le Sabbat.   Aujourd’hui encore,  le Juif  se roule de fureur  quand l’intelligence  terrestre déroule le sens céleste.  Il pense  que le Sabbat est un jour sacré pour les quadrupèdes  plutôt que pour les hommes,  lui qui se hâte d’aller porter secours à son bœuf ou à son âne tombé dans un puits  le Sabbat,  mais qui n’a aucun geste de pitié ou de miséricorde  à offrir à un mourant, le Sabbat.  Voilà ce que fait le sans cœur,  violant ainsi dans son âme  le Sabbat,  et la sainteté elle-même dans l’homme.  Comme si Dieu et la loi de Dieu lui ordonnait d’agir ainsi !  Et,  en observant le Sabbat de cette façon,   il rejette le sabbat divin que Dieu, dans Sa clémence,  avait généreusement octroyé au Juif,   pour qu’il se repose du travail terrestre et des œuvres  humaines.  Et ils se sont changés en un arc (recourbé))  pervers  ceux qui font retomber sur le Seigneur de la loi le détournement des préceptes les plus droits de la loi.    Judée,  puisses-tu chômer pour la guérison de ton âme,  le jour du Sabbat où tu t’abstiens d’activité humaine !.   Il manque quelque chose.    Et toi, chrétien,  observe  le jour du Seigneur pour le Seigneur,  si tu veux voir le jour du Seigneur,  si tu veux posséder par le Seigneur tout ce qui appartient au Seigneur !
 
 
 

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