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Ce que sainte Thérèse d'Avila disait de saint Pierre d'Alcantara

Sainte Thérèse, en parlant du Saint dont nous publions les œuvres, s'exprime ainsi :

« Il a composé en langue castillane des livres sur l'oraison qui sont aujourd'hui entre les mains de tout le monde. Comme l'oraison avait été l'âme de sa vie, il en a écrit d'une manière admirablement utile pour les personnes qui s'adonnent à ce saint exercice (Vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même, c. XXX.). »

Après cet hommage rendu aux écrits de saint Pierre d'Alcantara, la réformatrice du Carmel nous fait connaître en ces termes son crédit auprès de Dieu.

«Le divin Maître me dit un jour, qu'on ne lui demanderait rien au nom de son serviteur, qu'il ne l'accordât. Quant à moi, je l'ai très souvent prié de présenter au Seigneur mes demandes, et je les ai toujours vues exaucées (Vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même, c. XXVII.). »

 

Ce que nous venons d'entendre de la bouche de sainte Thérèse ne tarde pas à être confirmé par l'autorité de l'Église. Le pape Grégoire XV, qui met Pierre d'Alcantara au rang des Bienheureux, porte sur ses écrits ce mémorable jugement :

« Ce livre est une très claire lumière, qui guide les âmes au ciel ; la doctrine en est céleste, et dictée par l'Esprit-Saint lui-même. »

 

Clément X, dans sa bulle de canonisation, relève dans les termes les plus expressifs le privilège qui distingue saint Pierre d'Alcantara, je veux dire cet étonnant crédit dont il jouit auprès de Dieu. Voici les paroles de ce Pontife :

« Enfin le bienheureux Pierre d'Alcantara fut si cher à Dieu, c'est un favori dont le crédit est si puissant auprès du Maître, qu'il suffit qu’il s’interpose comme intercesseur, et qu'il présente une demande, pour qu'elle soit exaucée ; aveu fait par le Saint lui-même à sainte Thérèse qui le rapporte, et qui affirme qu'elle avait reconnu par une constante expérience que Dieu avait distingué son serviteur par un si magnifique privilège. »

 

Qu'ajouter à de si hautes autorités ? Elles disent tout à l'esprit et au cœur du catholique. Il ne reste plus qu'à lire un livre qui doit faire tant de bien à l'âme.

Que saint Pierre d'Alcantara ait écrit sous l'inspiration du Saint-Esprit, et qu'il ait été si cher à Dieu, nul n'en sera étonné quand il connaîtra la hauteur de sainteté à laquelle il s'est élevé sur la terre.

Ici, nous laisserons parler sainte Thérèse qui l'a si intimement connu, et qui, la première, a légué son portrait historique à la postérité. Elle raconte d'abord ce que le Saint a fait pour-elle et pour sa Réforme, et elle dessine ensuite à grands traits la figure de cet illustre fils de S. François d'Assise, qui dota l'Ordre Séraphique d'une nouvelle milice, celle des Mineurs Réformés ; qui fut un des plus grands maîtres de la vie spirituelle, le prodige de pénitence de son siècle, une des plus belles gloires de l'Église et de l'humanité.

 

Pour suppléer à ce qui manque, du côté des détails biographiques, aux immortelles pages de la vierge d'Avila, nous donnons à la fin du volume la bulle de canonisation de Clément X qui renferme un admirable précis de la vie du Saint.

Quant à ceux qui souhaiteraient connaître plus à fond tout ce qui regarde ce grand serviteur de Dieu, nous les renvoyons à la savante Vie publiée dans ces derniers temps par les Bollandistes.
 

Saint Pierre d’Alcantara, guide spirituel de sainte Thérèse
et principal promoteur de sa Réforme (1)
 

Il plut à Notre Seigneur de remédier en partie à mes peines, et même de les faire cesser pendant quelque temps, en conduisant à Avila le bienheureux père Pierre d'Alcantara. Guiomar de Ulloa, grande servante de Dieu, et mon intime amie, ayant appris l'arrivée de ce grand personnage, voulut que je le visse. Pour faciliter mes rapports avec un homme aussi saint, elle obtint de mon provincial, sans m'en rien dire, la permission de m'avoir huit jours chez elle. Ce fut dans sa maison, et dans quelques églises, que j'eus plusieurs entretiens avec un si grand maître de la vie spirituelle. Depuis, il m'a encore été donné, à diverses époques, de communiquer de la manière la plus intime. Comme je n’ai jamais rien caché à mes guides des plus secrets replis de mon cœur, et que dans les choses douteuses, j'ai toujours dit ce qui pouvait m’être contraire, je lui rendis compte de toute ma vie et de ma manière d'oraison le plus clairement qu'il me fut possible. Je vis presque d'abord qu'il m'entendait par l'expérience qu'il avait de ces voies, et c'était ce dont j'avais besoin : car Dieu ne m'avait pas encore fait la grâce qu'il m'a accordée depuis, de savoir faire comprendre aux autres les faveurs dont il me comble ; ainsi, pour les connaître et pour en porter un jugement sûr, il fallait en avoir reçu de semblables.

 

Il me donna une grande lumière, et elle m'était très nécessaire ; car, jusqu'à ce moment, les visions intellectuelles, et même celles qui, sous des images, se voient des yeux intérieurs de l'âme, avaient été pour moi quelque chose d'incompréhensible. Ce saint homme m'éclaira sur tout, et me donna une parfaite intelligence de ces visions ; il me dit de ne plus craindre, mais de louer Dieu, m'assurant qu'il en était l'auteur, et qu'après les vérités de la foi, il n'y en avait point de plus certaine ni à laquelle je dusse donner une plus ferme créance. Il se consolait beaucoup avec moi, me témoignait une très grande affection, et il m'a toujours depuis fait part de ses pensées les plus intimes et de ses desseins. Heureux de voir que Notre-Seigneur m'inspirait une si ferme résolution, et tant de courage pour entreprendre les mêmes choses qu'il lui faisait la grâce d'exécuter, il goûtait un grand contentement  dans cette mutuelle communication de nos âmes. Car dans l'état auquel le divin Maître l'avait élevé, le plus grand plaisir, comme la plus pure consolation, est de rencontrer une âme en qui l'on croit découvrir le commencement des mêmes grâces. Je ne faisais alors, ce me semble, que d'entrer dans une si sainte voie. Dieu veuille que je sois maintenant plus avancée.

 

Il fut convenu entre ce saint religieux et moi, que je lui écrirais à l'avenir ce qui m'arriverait, et que nous prierions beaucoup Dieu l'un pour l'autre. Dans sa profonde humilité, il voulait bien attacher quelque prix aux prières d'une créature aussi misérable que moi, ce qui me couvrait d'une extrême confusion.

Il me laissa fort contente et fort consolée par l'assurance qu'il me donna que l'Esprit de Dieu agissait dans mon âme ; il ajouta que je pouvais sans crainte continuer à faire oraison ; et que, s'il me survenait des doutes, je n'avais qu'à les communiquer à mon confesseur, sans m'en inquiéter davantage.

 

Je ne pouvais me lasser de rendre grâces au Seigneur, et de bénir mon glorieux père saint Joseph, à qui j'attribuais l'arrivée de ce grand religieux qui était Commissaire général de la custodie ou province qui porte son nom. Je n'avais cessé de me recommander très instamment à ce glorieux patriarche, ainsi qu'à la très sainte Vierge.

 

 

Saint Pierre d'Alcantara éclaire la sainte à Tolède.

À Avila, il lui prête son concours,

et le monastère de saint Joseph,

berceau de la Réforme du Carmel, est fondé.

 

Avant la fondation du monastère de Saint-Joseph d'Avila, tandis que j'étais à Tolède chez Louise de la Cerda, sœur du duc de Medina-Cœli, cette dame désira voir le saint religieux, Pierre d'Alcantara, qu'elle n'avait jamais vu. Je lui écrivis pour le prier de venir passer quelques jours chez elle ; il voulut bien se rendre à ma prière. Cet homme de Dieu avait un grand amour pour la pauvreté ; il l'avait religieusement pratiquée durant plusieurs années, et il en comprenait les richesses : ainsi, non-seulement il approuva mon dessein de fonder le monastère de Saint-Joseph sans revenus, mais il m'ordonna de travailler de tout mon pouvoir à le faire réussir. Regardant comme le plus sûr le conseil d'un Saint instruit à l'école d'une si longue expérience, je résolus de le suivre, sans plus consulter personne.

 

Quelques temps après, je quittai Tolède pour me rendre à Avila. Le soir même de mon arrivée à Avila, nous reçumes les dépêches de Rome et le bref pour l'établissement de notre monastère. Ma surprise fut grande, et ceux qui savaient de quelle manière Notre-Seigneur m'avait pressée de revenir, ne furent pas moins étonnés, quand ils virent combien ma présence était nécessaire, et dans quelle favorable conjoncture le divin Maître me ramenait. Je trouvai dans la ville l'évêque, le vénérable Pierre d'Alcantara, et le vertueux gentilhomme qui le logeait chez lui ; les serviteurs de Dieu trouvant toujours dans sa maison asile et bon accueil. Ils s'employèrent tous deux auprès de l'évêque, pour l'engager à prendre sous sa juridiction le nouveau monastère. Comme il devait être fondé sans revenus, la faveur demandée au prélat n'était pas petite ; mais il était si affectionné aux personnes en qui il voyait une ferme résolution de servir Dieu, qu'il accorda la demande, et nous protégea dès lors avec tout le dévouement et l'amour d'un père. Ce fut, je dois le dire, le bienheureux Pierre d'Alcantara qui fit véritablement tout, soit en approuvant notre entreprise, soit en nous ménageant la faveur de plusieurs personnes. Si, comme je l'ai dit, je n'étais pas arrivée dans un moment si favorable, je ne vois pas comment notre dessein eût pu réussir. En effet, le saint vieillard ne passa ici que huit jours tout au plus, durant lesquels il fut fort malade, et Dieu l'appela à lui très peu de temps après. Il semble que sa divine Majesté n'avait prolongé sa vie que pour conduire à terme cette entreprise ; car, depuis plus de deux ans, si mon souvenir est fidèle, ses forces étaient entièrement épuisées.
 

Portrait historique de saint Pierre d'Alcantara par sainte Thérèse.

Quel parfait imitateur de Jésus-Christ Dieu vient de nous ravir, en appelant à la gloire ce religieux béni, Pierre d'Alcantara ! Il l'avait gardé dans toute sa rigueur la règle primitive de Saint et pratiqué cette pénitence dont je ne pourrai rapporter que quelques traits. Le monde, dit-on, n'est plus capable d'une perfection si haute ; les santés sont plus faibles, et, nous ne sommes plus aux temps passés. Ce Saint était de ce siècle, et sa mâle ferveur égalait cependant celle des temps anciens ; aussi tenait-il le monde sous ses pieds. Mais sans porter le dépouillement aussi loin que lui, sans faire une aussi âpre pénitence, il est plusieurs choses dans lesquelles, comme je l'ai souvent dit, nous pouvons pratiquer le mépris du monde, et que Notre Seigneur nous fait connaître dès qu'il voit en nous du courage. Qu'il dut être grand celui que reçut de Dieu le Saint dont je parle, pour soutenir pendant quarante-sept ans cette pénitence si austère que tous connaissent aujourd'hui ! En voici quelques détails que je me plais à rapporter, et dont la vérité m'est parfaitement connue ; c'est de sa propre bouche que je les ai entendus avec une autre personne dont il se cachait peu. Quant à moi, je dus cette ouverture à l'affection qu'il me portait ; Notre Seigneur la lui avait donnée, afin qu'il prît ma défense et m'encourageât dans un temps où son appui m'était si nécessaire, comme on l'a vu et comme on le verra encore par mon récit. Entre autres austérités, il avait porté pendant vingt années un cilice de lames de fer-blanc, sans jamais le quitter. Il avait passé quarante ans sans jamais dormir plus d'une heure et demie par jour ; de toutes ses mortifications, celle qui lui avait le plus coûté dans les commencements, c'était de vaincre le sommeil ; dans ce dessein, il se tenait toujours ou à genoux ou debout. Le peu de repos qu’il accordait à la nature, il le prenait assis, la tête appuyée contre un morceau de bois fixé dans le mur ; eût-il voulu se coucher, il ne l'aurait pu, parce que sa cellule, comme on le sait, n’avait que quatre pieds et demi de long. Durant le cours de toutes ces années, jamais il ne se couvrit de son capuce, quelque ardent que fût le soleil, quelque forte que fût la pluie. Jamais il ne se servit d'aucune chaussure. Il ne portait qu’un habit de grosse bure, sans autre chose sur la chair ; encore cet habit était-il aussi étroit que possible ; et par-dessus il mettait un petit manteau de même étoffe. Dans les grands froids il le quittait, et laissait quelque temps ouverte la porte et la petite fenêtre de sa cellule ; il les fermait ensuite, il reprenait son mantelet, et c'était là, nous disait-il, sa manière de se chauffer, et de donner à son corps un peu de soulagement. Il lui était fort ordinaire de ne manger que de trois en trois jours ; et comme j'en paraissais surprise, il me dit que c'était très facile à quiconque en avait pris la coutume. Un de ses compagnons m'assura qu'il passait quelquefois huit jours sans prendre aucune nourriture. Cela devait arriver, je pense, dans l'oraison et dans ces grands ravissements où le jetaient les brûlants transports de son amour pour Dieu ; je l'ai vu moi-même une fois entrer en extase. Sa pauvreté était extrême, et il était si mortifié, même dès sa jeunesse, qu'il m'a avoué confidemment qu'il avait passé trois ans dans une maison de son Ordre sans connaître aucun des religieux, si ce n'est au son de la voix, parce qu'il ne levait jamais les yeux ; de sorte qu'il n'aurait pu se rendre aux endroits où l'appelait là règle, s'il n'avait suivi les autres. Il gardait cette même modestie par les chemins. Il passa plusieurs années sans jamais regarder de femmes ; mais il me confessa qu'à l'âge où il était parvenu, c'était pour lui la même chose de les voir ou de ne pas les voir ; à la vérité, il était déjà très vieux quand je vins à le connaître, et son corps était tellement exténué, qu'il semblait n'être formé que de racines d'arbre. Avec toute cette sainteté, il était très affable ; il ne parlait guère que lorsqu'il était interrogé ; mais la justesse et les grâces de son esprit donnaient à ses paroles je ne sais quel charme irrésistible. Je raconterais volontiers beaucoup d'autres particularités, si je n'appréhendais, mon père, qu'une plus longue digression ne m'attirât un reproche de votre part. Je n'étais pas même exempte de cette crainte, en écrivant ce que je viens de dire. J'ajouterai donc seulement que ce saint homme est mort comme il avait vécu, en instruisant et en exhortant ses frères. Quand il vit que son terme approchait, il récita le psaume Laetatus sum in his quœ dicta sunt mihi, et s'étant mis à genoux, il expira (2).

Le Seigneur a voulu dans sa bonté, qu'à partir de ce jour il m'ait encore plus assistée que mérité durant sa vie : j'en ai reçu des conseils en diverses circonstances. Je l'ai vu plusieurs fois tout éclatant de gloire. Il me dit dans la première de ces apparitions : « Ô bienheureuse pénitence qui m'a une si grande récompense ! » Ces paroles furent suivies de plusieurs autres. Un an avant sa mort, il m'apparut, malgré l'éloignement qui nous séparait, et je sus qu'il devait bientôt nous être enlevé. Je l'en avertis, en lui écrivant dans l'endroit où il était, à quelques lieues d'ici. Au moment où il rendit le dernier soupir, il se montra à moi, et me dit qu'il allait se reposer. Huit jours après cette vision, nous vint la nouvelle qu'il était mort, ou plutôt qu'il avait commencé à vivre pour toujours. Le voilà donc le terme de cette vie si austère, une éternité de gloire ! Depuis qu'il est au ciel, il me console beaucoup plus, ce me semble, que quand il était sur la terre.

Notre-Seigneur me dit un jour qu'on ne lui demanderait rien au nom de son serviteur, qu'il ne l'accordât. Je l'ai très souvent prié de présenter au Seigneur mes demandes, et je les ai vues toujours exaucées. Louange, et louange sans fin, à ce Dieu de bonté ! Ainsi soit il.

 

(1) Tout ce qu'on va lire est textuellement extrait de la Vie de sainte Térèse écrite par elle-même.

(2) Ce fut le 18 octobre 1562 ; le Saint était âgé de 63 ans.

 
 
 

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