La foi catholique, en établissant d'abord au Concile de Florence, puis au Concile de Trente, la vérité du dogme du Purgatoire, a laissé à dessein dans une ombre discrète la plupart des questions qui se rattachent à ce lieu d'épreuves, par lequel passent presque tous les prédestinés après la mort ; sur tous les points de détail, et même sur la nature des peines, par lesquelles sont purifiées ces pauvres âmes, elle a laissé la plus grande latitude aux docteurs et aux théologiens. Mais à côté de l'enseignement officiel de l'école, il y a dans la sainte Église de Dieu une riche mine de matériaux, je veux parler des révélations des saints et de leurs rapports surnaturels avec les âmes du Purgatoire : j'ai pensé à exploiter ce trésor. Retenu loin de mes occupations ordinaires par une longue maladie, que l'on prévoyait devoir être mortelle, ma pensée s'est tournée tout naturellement vers ces sombres bords où je croyais bientôt aborder ; pour mon édification personnelle, j'ai lu presque tout ce que les saints nous apprennent du Purgatoire ; j'ai été effrayé et consolé en même temps : j'ai été effrayé des sévérités de la justice, j'ai été consolé des splendeurs de la miséricorde. Il n'en est pas en effet du Purgatoire comme du séjour dont il a été écrit : Quia in inferno nulla erit redemptio. La miséricorde et
page II : la justice s'y rencontrent, et s'y donnent la main dans un
accord fraternel. Ce travail m'a fait du bien ; on m'a dit qu'il pourrait
en faire à d'autres, et la bonté de Dieu, m'ayant rappelé
à la vie pour le servir encore quelques jours sur la terre, j'ai
voulu lui payer ma dette de reconnaissance, en mettant en ordre ces quelques
notes. Si cet humble travail pouvait encourager quelques âmes à
servir plus fidèlement Notre Seigneur, et à éviter
avec plus de soin le péché, je me croirais payé bien
au-delà de ma peine, c'est ce que je demande à la Vierge
Immaculée en lui offrant ces pauvres pages, que je commence à
écrire le jour de la fête de Notre-Dame de la Merci (24 septembre
1874). Marie qui s'est déclarée publiquement la protectrice
des esclaves chrétiens détenus autrefois chez les Maures,
est aussi et à meilleur titre la protectrice et la rédemptrice
de ces pauvres âmes tombées, pour un temps, dans une captivité
bien plus dure. Puisse-t-elle bénir mes efforts, et en inspirant
à ceux qui me liront un salutaire effroi de la justice de Dieu,
les détourner du péché et les amener à prier
beaucoup pour la délivrance des âmes du Purgatoire ; nous
les oublions trop vite, et nous croyons trop facilement quelles ont satisfait
entièrement à la justice rigoureuse de Celui qu'elles ont
offensé, et qui leur fait payer après la mort jusqu'au dernier
denier, usque ad novissimum quadrantem, la dette que la légèreté,
l'immortification et la tiédeur leur ont fait contracter envers
Lui pendant leur vie.
Je ne me dissimule pas les imperfections et les lacunes de ce travail
; mon métier n'est pas d'écrire mais de prêcher ; ces
notes prises au courant de la maladie, ont été
Page III:
rédigées plus tard au milieu des labeurs de la vie apostolique,
bien souvent le soir, en prenant sur mon sommeil, d'autres fois en barque,
le long des grands fleuves de la Cochinchine, en me rendant d'un poste
à un autre. A trois mille lieues de la France, loin de toute bibliothèque,
je n'ai pu vérifier toujours l'exactitude de telle citation. J'ai
dû me contenter des notes prises auparavant, et des souvenirs que
mes lectures avaient laissés dans ma mémoire.
Si quelque erreur de détail s'est glissée dans ce travail, le lecteur charitable voudra bien l'excuser. Il a fallu, pour me décider à le livrer à l'impression, les instances trop bienveillantes peut-être de mes amis, et les encouragements de celui que Dieu m'a donné pour supérieur et pour père. J'espère que le divin Maître bénira mon obéissance.
Biên-Hoa (Cochinchine), août 1879.
___________________________
pageV [pas de page IV]
PRÉFACE de la 3ème édition
Ce petit ouvrage sur le Purgatoire a vraiment été béni de Dieu. Sans aucune publicité, sans réclames d'aucune sorte, puisque je suis à 3 500 lieues de Paris, il a fait tout seul son chemin dans le monde. Deux éditions, enlevées en quelques années, me prouvent qu'il répondait aux besoins de certaines âmes. Des lettres nombreuses, des confidences reçues au saint tribunal m'ont appris, à ma grande surprise, qu'il a contribué à ramener à Dieu plusieurs pécheurs. Certes, s'ils m'avaient consulté, je me serais gardé de leur mettre entre les mains ce livre, qui est écrit pour les gens de la maison, et non pour ceux du dehors. Mais Dieu se sert de tous les instruments, même des plus faibles, pour faire son œuvre. C'est ce qui me décide à faire paraître une troisième édition, revue avec soin, et corrigée, de manière à tenir compte des observations que j'ai reçues de différents côtés, et dont je suis très reconnaissant à ceux qui me les ont envoyées.
Ces observations peuvent se ranger en deux classes : Plusieurs m'ont reproché ma sévérité, et l'on a même prononcé, à ce sujet, le nom de Jansénisme. Cela m'a bien surpris, car théologiquement je suis, grâce à Dieu, aussi éloigné que possible de cette hérésie, qui a été pendant deux siècles, le fléau de la piété en France. Je crois, il est vrai, à l'encontre des apologistes modernes,
page VI:
au petit nombre des élus ; mais on ne peut disconvenir
que cette opinion a pour elle l'antiquité et la majeure partie des
Pères et des théologiens. La vérité ne varie
pas avec les caprices d'une époque. Parce que notre sensiblerie
est en train de rayer la peine de mort de nos codes, ce n'est pas une raison
pour nous faire un christianisme fin de siècle, dans lequel
l'enfer n'existe presque plus que pour les pires scélérats,
et qui a d'ailleurs, comme le bagne, ses jours de relâche (Voir Bougaud.
- Le christianisme présenté aux gens du monde.).
Quant au Purgatoire, ce n'est plus qu'une salle d'attente, plus ou moins confortable, dans laquelle les âmes s'arrêtent quelques instants, avant de prendre l'express pour le Ciel. Tout le monde en Paradis, et surtout le moins d'expiation possible. De peur de rebuter les âmes, on voile, avec soin, toute la partie sévère du dogme chrétien ; on croit les attirer, en dissimulant, autant que l'on peut, les responsabilités de l'avenir. Certes l'intention est bonne, et je n'ai ni la volonté, ni le droit de blâmer les apologistes qui, sur des questions demeurées libres, pensent autrement que moi ; mais, je demande à jouir de la même liberté. Sur les expiations du Purgatoire, je m'en tiens à la doctrine de saint Augustin, de saint Thomas, de saint Bonaventure et de Suarez, qui enseignent que la plus petite des peines du Purgatoire dépasse toutes les souffrances de cette vie, et qu'à considérer leur nature, ces peines sont analogues à celles de l'enfer, moins le désespoir et la durée. - Tel est l'enseignement unanime des saints et des docteurs - on voit que, si je suis sévère, je le suis en bonne compagnie.
page VII:
Si l'on a tant de difficulté, de nos jours, à comprendre
les responsabilités et les châtiments de l'autre vie, cela
vient, j'en ai peur, des fausses idées qu'on se fait des droits
de Dieu et de ceux de sa justice. En France, où nous ne savons jamais
garder la mesure, on a vu presque sans transition succéder au Dieu
étroit et dur du Jansénisme, la figure d'un Dieu bon enfant,
avec qui il n'y a pas à se gêner ; comme ces fils qui, à
force de se familiariser avec leurs parents, en arrivent à ne plus
les respecter, ni les craindre. On est trop porté, de nos jours,
à traiter avec Dieu d'égal à égal. Certes,
j'aurais horreur de resserrer les cœurs et de les éloigner des voies
dilatées de l'amour ; mais je demande que l'on n'oublie pas que
si Dieu est infiniment bon, il est, au même titre, infiniment
saint et infiniment juste. Il n'a rien de la sensiblerie de nos
papas modernes, qui, pour épargner une larme à leurs fils,
laissent insulter par eux les droits de l'autorité paternelle. Gardons-nous
donc soigneusement de ces atténuations, de ces diminutions de la
vérité, comme dit le roi-prophète (1). Si l'amour
est le couronnement de la vie parfaite, (2) la crainte du Seigneur, une
crainte raisonnable et vraie, est le commencement de la sagesse. (3).
Voilà ce que j'ai à répondre à ceux qui m'accusent d'être trop sévère.
Un second reproche m'a été fait au sujet de l'autorité qu'il convient d'attribuer aux diverses révélations que je cite. On a dit, et avec raison, que toutes ces histoires n'étaient pas d'égale valeur, que quelques-unes sont par
(1) Quoniam diminutae sunt veritates. Ps II. 2.
(2) Quod est vinculum perfectionis. Coloss. 3. 14.
(3) Initium sapientiae timor domini. P. 11. 10
page VIII:
trop invraisemblables, et que j'aurais mieux fait de les passer sous
silence.
J'ai tenu largement compte, dans cette édition, des observations
qui m'ont été faites à ce sujet. Un certain nombre
de traits, empruntés la plupart à des auteurs italiens, ont
été mis de côté, bien qu'on les trouve dans
d'autres ouvrages sur le Purgatoire, Je me suis appliqué, du mieux
que j'ai pu, à donner sur chaque point important, la pure doctrine
des saints, telle qu'on la trouve dans leurs œuvres.
Maintenant, pour être juste et ne pas me faire dire ce que ne n'ai jamais pensé, il faut avoir soin de ne pas s'exagérer l'autorité des Révélations, même de celles qui appartiennent à des saints canonisés. On sait avec quelle discrétion l'Église en use à cet égard, c'est la doctrine universelle des mystiques, en particulier de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix, que l'erreur peut parfaitement se glisser dans des documents de ce genre, quelque respectables qu'ils soient d'ailleurs. Quand il s'agit, comme dans la plupart des faits que je cite, de saints canonisés, la bonne foi de l'extatique n'est pas en cause ; il rapporte certainement ce qu'il a vu, tel au moins qu'il a cru le voir, mais est-il certain qu'il ait toujours bien vu ? D'ailleurs quant il rapporte ses visions, et traduit en langage de la terre ce qui lui est apparu dans les joies de l'extase, l'instrument qu'il a en sa possession ne trahira-t-il pas quelquefois sa pensée ? Sainte Angèle de Foligno et plusieurs autres extatiques se sont plaint amèrement de cette pauvreté du langage humain pour rendre les mystères de l'invisible.
page IX:
De là les imperfections qu'on trouve dans la plupart de ses
œuvres. On a remarqué que les différentes visions de la Passion
de Jésus-Christ sont loin de concorder chez les principales voyantes
: sainte Brigitte, la vénérable Marie d'Agréda et
Catherine Emmerich. Il semble prouvé que les idées de l'esprit,
les habitudes de l'entourage, se reflètent inconsciemment dans ces
compositions. Qu'est-ce à dire ? Que l'extatique s'est trompée
ou a voulu tromper ? Pas le moins du monde ; mais, comme le remarque très
justement le P. Olivier (1), on demande à l'extase ce qu'elle ne
peut donner :
"De ce que sainte Brigitte voit le crucifiement avec les yeux des artistes byzantins, et Marie d'Agréda avec ceux des artistes espagnols, il ne s'ensuit pas que leur âme n'a pas été merveilleusement pénétrée d'amour et de compassion, comme elle eût pu l'être, si elles se fussent trouvées avec Madeleine au pied de la croix."
Sous l'inspiration surnaturelle, qui l'élève au-dessus
des sens pour lui révéler les réalités du monde
invisible, le voyant conserve sa nature, ses habitudes d'esprit, et jusqu'au
cachet littéraire de son époque. Lisez, dans ce volume, les
révélations de saint Perpétue sur le Purgatoire ;
à la pureté des lignes, à la sobriété
des détails, vous croirez voir une fresque des catacombes. Parcourez,
un peu plus loin, le Purgatoire de sainte Françoise Romaine ou celui
de sainte Madeleine de Pazzi, vous y trouverez l'exubérance et la
fantaisie du moyen âge. C'est un de ces drames touffus, comme les
imagiers en pierre de taille en sculptaient des centaines au portail de
nos vieilles cathédrales. Ouvrez après cela les visions de
(1) La Passion. Introduction, page XVII.
page X:
la bienheureuse Marguerite-Marie ; la correction de la forme,
la sobriété des détails vous rappelleront tout de
suite que l'ouvrage date des premières années du grand siècle.
C'est que l'homme demeure toujours sous le saint, et que le phénomène
mystique laisse à chacun sa personnalité et ses habitudes
d'esprit.
Il ne faut donc pas demander aux révélations des saints ce qu'elles ne comportent pas. Ce ne sont pas des thèses de théologie, ce sont des effusions pieuses, des élévations, dans lesquelles l'âme, arrachée pour un instant aux choses extérieures, entrevoit quelque chose des mystères de l'autre monde, mais en gardant toujours le cachet de sa personnalité et le reflet de ses habitudes intellectuelles. C'est ce qu'a parfaitement établi Benoît XIV, dans son grand Traité de la canonisation des saints.
Je souscris donc très volontiers à ce qu'a écrit à ce sujet Mgr Gay : "A part les points de doctrine définis, et ils sont peu nombreux, la théologie du Purgatoire est l'une des pages les plus humiliantes de la science sacrée : je veux dire l'une de celles où notre ignorance et notre insuffisance sont le plus impitoyablement constatées (1)."
Est-ce à dire que la lecture des révélations des
saints au sujet du Purgatoire, est inutile, et même dangereuse,
comme on l'a écrit ? Je ne le crois pas, ces révélations
que l'Église n'accepte pas comme sources de son enseignement théologique,
n'en sont pas moins tenues par elle en très haute estime, à
cause de la sainteté des personnages dont elles émanent et
des grandes leçons quelles renferment.
(1) La vie et les vertus chrétiennes, IIe vol., chap.
XVII
page XI :
Dans ces matières sur lesquelles l'enseignement des théologiens
a peu de choses à nous dire, le regard des saints, cet œil du cœur
illuminé par l'amour (1), a entrevu bien des choses qu'il est bon
de recueillir. D'ailleurs si les détails varient, avec le caractère
et les habitudes d'esprit du voyant, les grandes lignes du tableau se retrouvent
partout les mêmes : la sévérité des jugements
de Dieu, la rigueur des expiations du Purgatoire, la nécessité
de fuir le péché pour épargner ces supplices, le devoir
pressant de nous souvenir de nos chers défunts et de procurer leur
soulagement par tous les moyens qui sont en notre pouvoir. Voilà
ce qui fait le fond de toutes ces révélations, et ce qu'il
faut en retenir. Qu'importe ici la part plus ou moins grande qui reste
à la personnalité de l'extatique ? En nous faisant assister
aux spectacles qu'il a contemplés dans les rayonnements de l'extase,
en nous répétant les cris de détresse qu'il a entendus
monter des profondeurs de l'abîme, il touche nos cœurs, les arrache
à leurs préoccupations égoïstes, à cette
dissipation habituelle, à cette fascination de la niaiserie qui,
selon la pensée de l'Écriture, énerve les plus belles
intelligences. Il nous force à réfléchir sérieusement
aux responsabilités de l'avenir, à la sainteté infinie
de Dieu, à la gravité du péché, même
véniel, toutes choses que l'on est trop porté à oublier
dans l'habitude de la vie ; oubli fatal qui est la cause de la plupart
de ces fautes. Si nous pensions plus souvent à nos fins dernières,
à ce qui nous attend au lendemain de la mort, jamais nous ne pécherions,
dit l'Esprit Saint. C'est précisément pour raviver le souvenir
de ces fins der
(1) Illuminatos cordis oculos. Ephes., I-18.
page XII:
-nières, que ce petit livre a été composé.
Il s'adresse particulièrement aux chrétiens, à
ceux pour qui la question de l'enfer ne se pose pas, à ceux par
conséquent qui sont destinés à expérimenter
un jour les expiations du Purgatoire. Je me sui proposé un double
but : faire réfléchir un peu ces chrétiens sur les
souffrances que, de gaîté de cœur, ils se préparent
par leurs fautes de chaque jour, et surtout ranimer leur charité
à l'égard des pauvres défunts. Hélas ! on les
oublie bien vite à notre époque. Notre vanité se console
par de pompeuses et théâtrales funérailles ; on couvre
de fleurs ce cadavre suivant un usage païen, que les siècles
chrétiens n'ont jamais connu, et qui répugne à la
liturgie de l'Église. Quant à l'âme immortelle et responsable,
on la laisse en tête-à-tête avec son Juge, sans messes,
sans prières. Tout pour le cadavre, rien pour l'âme. C'est
là une des nombreuses manifestations du matérialisme contemporain,
qui, à la faveur de la mode, envahit jusqu'aux familles chrétiennes.
On a hâte d'oublier ses morts, on se rassure en les canonisant de
suite : "c'était un si brave homme ; il est au ciel". C'est contre
ce matérialisme pratique, et l'oubli d'un devoir sacré, que
j'ai voulu protester en composant ce livre.
Tân-dinh (Cochinchine), juin 1892.
____________________________________________
Vicariat Apostolique Saïgon, 15 août 1879
de CONCHINCHINE OCCIDENTALE
Mon Cher Confrère,
J'ai lu, pendant les longues heures de ma dernière traversée de Saïgon à Marseille, les premiers cahiers de votre traité du Purgatoire. Par sa doctrine, qui me paraît sûre, comme par l'ensemble des exemples qu'il rappelle ou qu'il apprend, votre travail me semble ne pas devoir rester à l'état de manuscrit.
La lecture en sera utile à toute âme qui a la foi : les paresseux, les lâches, les tièdes et ceux qui sont presque arrivés à l'indifférence pratique, en seront profondément impressionnés ; les fervents, dans le clergé ou dans la vie religieuse, se sentiront portés à plus de perfection.
Je crois donc, mon cher confrère, que vous ferez œuvre utile et salutaire à plusieurs, en livrant au public chrétien le fruit de vos recherches.
C'est dans l'espérance que vous obtiendrez ce résultat, que je vous renouvelle l'assurance de mon entier dévouement.
Chapitre 1 De la mort et du jugement particulier p.1 - 28
La personne du juge, du lieu du jugement. - Matière du jugement - Des prières des vivants. - De l'intercession de la Sainte Vierge et des Saints. - Présence de l'ange gardien et du démon. - De la sentence. - Du grand nombre des réprouvés. - Du petit nombre de ceux qui vont au Ciel tout droit. - Combien descendent chaque jour au purgatoire ?
1:
La dernière heure a sonné pour le chrétien mourant
; L’Église a répandu sur lui ses dernières bénédictions
avec les dernières prières, il a reçu pour la dernière
fois le pardon de ses fautes, pour la dernière fois aussi il a senti
le cœur de Jésus reposer sur son cœur dans le sacrement de l’Amour
;l’ami de la première communion, en apprenant que son ami est malade,
a quitté son tabernacle pour venir le visiter ;porté entre
les mains de son prêtre, il a passé inaperçu dans les
rues de nos grandes cités, ou bien ,suivi
2:
de quelques fidèles, il est acheminé le long des sentiers
de la campagne ;il est entré dans cette chambre funèbre,
transformée pour le moment en sanctuaire, il a reposé un
instant sur ses lèvres que la mort va glacer, et dans un dernier
et mystérieux colloque avec l’âme, il a laissé entrevoir
les mystères de l’avenir et les splendeurs de l’Éternité
bienheureuse ;pour assurer encore mieux la victoire de son enfant, l’Église
a oint ses membres de l’huile sainte comme on faisait, aux temps antiques,
pour les athlètes qui se préparaient au combat .C’en est
fait ; le prêtre s’est retiré, le laissant seul en face de
la mort ;autour de son lit, ses parents parlent à voix basse et
se détournent pour cacher leur larmes ;on récite les dernières
prières ;déjà son oreille a entendu le formidable
appel : partez , âme chrétienne ; tout à coup, un soupir
s’exhale, il retombe inanimé sur sa couche .Il est mort.
Alors les sanglots de la famille se mêlent ;on s’approche avec terreur de ce quelque chose d’inanimé, qui n’est déjà plus qu’un cadavre ;on ferme ces yeux qui ne s’ouvriront plus avant le grand jour du réveil général ;on joint ces main dans l’attitude de la prière ;le plus souvent, pour cacher aux survivants l’horreur de la mort, on jette un voile sur ce visage déjà défiguré ;puis les amis, les voisins se retirent en faisant l’éloge de ce défunt ; à cette heure, il faudrait avoir été bien mauvais pour ne pas jouir d’un petit panégyrique en règle, et si la Congrégation des Rites devait connaître de tous les procès de canonisation qui se font ainsi dans les huit jours après la mort, le travail le travail de plusieurs milliers de consulteurs n’y suffiraient pas.
Voilà le ôté extérieur de ce grand drame
de la mort ; mais, quelque saisissant qu’il soit pour nous, ce n’en est
3 :
pourtant que le côté le moins intéressant. Nous
avons laissé le défunt étendu sur son lit funèbre,
les mains jointes, le crucifix sur la poitrine, dans l’attitude qu’a si
bien saisie le chantre des harmonies.
Les
saints flambeaux jetaient une dernière flamme.
Le prêtre murmurait
ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l’enfant qui s’endort.
De son pieux espoir son front perdait la trace
Et sur ses traits, frappés d’une
auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.
C’est là tout ce que voit le poète dans la mort, mais il y a autre chose ; nous avons sous les yeux le corps qui se glace et qui va bientôt tomber en décomposition ; qu’est devenue l’âme immortelle et incorruptible ? C’est là la question vraiment intéressante pour nous dans cette étude sur le Purgatoire.
La foi nous apprend qu’à l’instant où elle s’est séparée du corps, l’âme a paru devant son juge, et les révélations des Saints confirment toutes ce grand fait du jugement particulier, immédiat et sans appel ; mais ici se présentent plusieurs questions intéressantes qu’il convient d’étudier par ordre.
Avant tout, ce qui attire l’attention, ce qui doit fixer tout d’abord
le regard de l’âme, c’est la personne du juge. Nous voyons dans les
Saintes Écritures que ce Juge n’est autre que Notre Seigneur Jésus-Christ.
Il est écrit dans saint Jean, que le Père ne juge personne,
parce qu’il a abandonné tout jugement à son Fils : Pater
non judicat quequam, omne judicum dedit Filio, et nous lisons au livre
des Actes que le Christ a été constitué de Dieu le
juge
4 :
des vivants et des morts : constitutus est a Deo judex vivorum et
mortuorum . Hermas dans son livre du pasteur, saint Grégoire
le Grand, dans ses dialogues, saint Jean Damascène, saint Jean Climaque,
et, dans des temps plus rapprochés, sainte Gertrude, sainte Lutgarde,
sainte Françoise Romaine, sainte Thérèse, toutes les
saintes âmes à qui Dieu, confirment par leurs révélations
particulières ces données de la foi.
Les Théologiens se demandent si l’humanité de Notre Seigneur se manifeste visiblement à chaque âme, et là-dessus ils sont partagés. Le Cardinal Bona, dans son savant traité du discernement des esprits, s’exprime ainsi : "A la fin du monde, Jésus-Christ paraîtra dans son corps, avec sa gloire ,lorsqu’il viendra juger les vivants et les morts, mais il est incertain s’il apparaît à chaque homme en une forme visible, comme quelques-uns l’on écrit. On n’est pas no plus assuré de la manière avec laquelle Notre Seigneur exerce ce jugement particulier de chaque homme ; on sait seulement que cela se fait en un moment et en un clin d’œil. C’est pourquoi une apparition intellectuelle de ce souverain juge suffit pour ce jugement." (V. ouvrage cité , ch. xx.) On voit par ce passage que le savant cardinal évite de se prononcer, bien qu’il penche évidemment pour la négative. Néanmoins il ne manque pas de théologiens de mérite qui pensent que le divin Maître se révèle à chacun dans la vérité de sa chair transfigurée et glorieuse ; cette seconde opinion a pour elle des raisons plausibles ; il est certain que c’est comme homme, en vertu des mérites de son immolation et de sa mort que Jésus-Christ a le droit de juger tous les hommes ; il y a donc au moins une raison de convenance, à ce qu’ils comparaissent devant son
5
humanité glorifiée, et qu’ils voient, dans leur réalité,
ces plaies bénies qu’ils lui ont infligées par leur péchés
: Videbunt in quem transfixerunt .Il est inutile de se poser l’objection
de ces quatre-vingt mille âmes, qui d’après les calculs des
statisticiens, comparaissent chaque jour au tribunal suprême, sur
tous les points du globe, ce qui semblerait réclamer pour l’humanité
sainte du Sauveur une sorte d’ubiquité ; celui qui n’est pas arrêté
par le mystère de l’eucharistie, en vertu duquel Jésus-Christ
est rendu réellement présent à la fois sur des milliers
de points ne s’arrêtera pas davantage à cette difficulté.
J’inclinerai donc vers la seconde opinion qui me paraît plus conforme
à la grandeur du juge et à l’analogie des autres mystères
chrétiens ; mais quel que soit le mode suivant lequel le divin Sauveur
se révèle à l’âme, une chose est certaine ;
c’est au moment où les yeux du corps se ferment à la lumière
d’en bas, le regard de l’âme s’illumine, et elle aperçoit
soudain devant elle l’adorable figure de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ceci nous amène à nous demander où se fait le jugement.
La réponse est facile ; le jugement se fait au lieu même où
l’âme vient de quitter son corps ; en effet, qu’est-il besoin d’aller
chercher au loin un tribunal ? La terre est au Seigneur, dit l’Écriture,
et il remplit le monde de sa présence ; ce qui nous empêche
de le voir, oublieux que nous sommes, ce sont les murs de cette prison
de chair, dans laquelle nous sommes renfermés ; mais, à l’heure
de la mort, le voile qui nous cachait les réalités invisibles
s’écarte, et l’âme se trouve immédiatement sous les
regards de son juge. Quel instant ! Quel saisissement ! Alors commence
ce redoutable jugement dont la pensée faisait trembler les saints
dans leur désert. D’un seul coup d’œil, le regard de l’âme
embrasse tous et chacun de ses
6 :
actes, avec toutes les circonstances qui les ont accompagnés,
et il lui faut rendre compte de tout, même d’une parole inutilement
prononcée par mégarde plus de vingt ans auparavant, et complètement
oubliée depuis. Qui aurait pu croire à une exactitude si
rigoureuse, si la vérité éternelle ne nous en avait
avertis d’avance ! Omne verbum otiosum quod locuti fuerinthimines, reddent
de eo rationem in die judicii.
Et cala doit être ainsi ; s’il est vrai, en effet, comme l’enseignent les Thomistes, et, comme me paraît beaucoup plus probable, qu’il n’y a pas d’actes indifférents, mais que chacune de nos actions a sa moralité bonne ou mauvaise, comptez, si vous le pouvez, le nombre effroyable d’actions dont il faudra rendre compte, pendant une vie de cinquante à soixante années, et quelquefois plus. Mais comment l’âme pourra-t-elle embrasser d’un seul regard l’ensemble des actes d’une vie tout entière ? Elle les verra dans l’intelligence infinie de Dieu, aux rayons de ce soleil de vérité qui les illumine tous, et qui n’en laisse échapper aucun. C’est là ce livre où tout est écrit, et qui sera mis alors sous les regards de l’âme.
Liber scriptum proferetur,
In quo tuum confinetur,
Unde mundus judicetur.
L’âme y verra chacun de ses actes, et de plus, elle découvrira toutes les circonstances qui les ont accompagnés et qui en ont modifié plus ou moins la moralité. J’ai lu dans la vie d’un saint personnage, qu’en ce jour du jugement, les péchés paraissent bien plus graves que pendant la vie, mais aussi, par une juste compensation, les vertus véritables y brillent d’un éclat bien plus vif. Rien de plus conforme aux données de la Théologie ; les Théolo-
7:
-giens nous apprennent, en effet, que la moralité de chacun
de nos actes se tire de plusieurs chefs : 1° de la fin pour laquelle
on agit, et qui suffit quelquefois à changer complètement
la moralité de l’acte ; comme si, par exemple, on faisait une bonne
œuvre par vanité, ou par quelque autre intention mauvaise ;2°
de l’objet de l’acte considéré en lui-même, et 3°
des circonstances qui accompagnent cette action, et qui peuvent en augmenter
ou en diminuer beaucoup le mérite ; comme lorsque l’on fait quelque
bonne action, par exemple, un acte de religion, avec tiédeur et
négligence, ou encore lorsque l’on se complaît dans des retours
de vanité, après que l’on a fait quelque bien. Or au jugement
de Dieu tout cela est connu et pesé, en sorte que les actes où
tout a été bon, la fin, l’objet et les circonstances, apparaissent
dans toute leur beauté, au lieu que ceux où tout a été
mauvais, sont révélés dans toute leur laideur.
Et maintenant, enrendons la terrible parole du Juge, qui sera adressée à chacun de nous : Redde rationem villicationis tuae, jam enim non poteris villicare. Le temps du mérite ou du démérite est passé, l’épreuve est finie, irrévocablement finie, rendez vos comptes .Redde rationem : Rendez compte de tous vos péchés ; j’étais là, présent, quand vous les commettiez, j’ai tout vu ; impossible de me rien cacher ; péchés contre Dieu, péchés contre le prochain, péchés contre vous-même, péché contre vos devoirs d’état, contre vos obligations particulières. Oh !quelle masse effroyable de péchés, depuis le premier péché que nous avons commis à l’aurore de notre raison naissante, jusqu’à ce dernier péché que nous commettrons peut-être sur notre lit de mort, au moment de paraître devant notre Juge. Sainte Thérèse raconte qu’elle vit dans l’enfer un enfant de trois ans, qui, dans un âge aussi
8 :
tendre, avait trouvé le temps de devenir l’ennemi de Dieu ;
et saint Augustin , dans ses immortelles Confessions, s’accuse de
fautes qu’il avait commises dans un âge encore plus tendre. O misère
du cœur de l’homme ! un tout petit enfant est déjà un grand
pêcheur, tantillus puer, et tantus peccator ! N’est-ce pas
le cas de s’écrier, avec le prophète, que le nombre de nos
iniquités surpasse de beaucoup celui des cheveux de notre tête.
Iniquitates meae multiplicatoe sunt super capillos papitis pei.
Redde rationem : Rendez compte du bien que vous auriez dû faire et que vous n’avez pas fait. Un prêtre était sur son lit de mort, et son confesseur essayait en vain de l’exciter à la confiance en Dieu ; il lui parlait du bien qu’il avait fait pendant sa vie, des âmes qu’il avait sauvées. <<Ah ! s’écrie le mourant, d’une voix déchirante, vous ne me parlez pas du bien que je devais faire, que je pouvais faire et que je n’ai pas fait ; ce qui me fait trembler en ce moment, ce sont mes omissions !>> chose affreuse à dire et plus encore à penser : dans les tribunaux de la terre, on n’est interrogé d’ordinaire que sur ce que l’on a fait, mais ici, au tribunal de Dieu, il faudra rendre compte de tout ce que l’on aura pas fait par une négligence coupable. Dieu mettra en regard toutes les grâces accordées à l’âme : le baptême, l’instruction chrétienne, tant de confessions, tant de communions, tant de bonnes pensées qu ‘il nous a envoyées, tant de facilités qu’il nous a données pour faire le bien, et de l’autre côté nos œuvres ; et malheur à celui dont les œuvres ne seront pas trouvées pleines, car il sera beaucoup demandé à celui qui a beaucoup reçu ; et c’est justice.
Redde rationem : Rendez compte du bien que vous avez fait, mais que peut-être vous n’avez pas bien fait ; voyons ces prétendues vertus dont vous étiez fiers pendant la vie.
9 :
Oh ! que d’alliage dans cet or ! C’est un axiome de théologiens,
que le mal existe dès qu’il y a dans un acte la moindre défectuosité,
au lieu que le bien, pour être bien, doit être bien fait dans
tout ses détails :bonum ex integra causa, malum ex quocumque
defectu. S’il en est ainsi, et nous n’en saurions douter, combien d’actions
vertueuses en apparence, qu seront devant Dieu de véritables péchés,
parce qu’elles auront été faites par une mauvaise fin. Les
pharisiens faisaient beaucoup de bonnes œuvres, mais, parce qu’il n’agissaient
que pour plaire aux hommes et s’attirer le renom de saints personnages,
je vous déclare en vérité qu’ils ont reçu leur
récompense. Receperunt mercedem suam. Combien d’actes vertueux
dans leur objet, seront encore rejetés de Dieu, parce qu’ils auront
été accomplis dans de mauvaises circonstances, avec tiédeur,
par routine, ou parce qu’ils auront étés faits à contretemps,
ou encore avec ces pensées de vaine complaisance qui en font perdre
presque tout le fruit !
Redde rationem :est-ce tout ?hélas !voilà bien
de quoi accabler une pauvre âme ! mais quelles sont ces voix qui
montent de l’abîme ?c’est la voix du scandale, c’est le cri du sang
: Seigneur, justice et vengeance, s’écrient les damnés du
fond de l’enfer, justice et vengeance contre ce père, contre cette
mère, dont la fatale négligence nous a laissé grandir
dans le vice et nous a perdus ; justice et vengeance contre cet ami qui
a partagé nos plaisirs coupables, à son tour de partager
maintenant nos supplices ; justice et vengeance contre ce compagnon dont
les mauvais conseils et les mauvais exemples nous ont appris à connaître
le mal et à l’aimer ; justice et vengeance contre ce malheureux
dont les propos impies nous ont empêchés de nous convertir
et de nous sauver ;ah ! C’est à cause de lui que nous sommes condamnés
aux supplices de l’enfer ;
10 :
est-ce qu’il va monter au ciel pendant que nous brûlerons ici
dans les flammes éternelles ! hélas ! pauvre âme, que
répondrez-vous à ces formidables accusations, et n’aviez-vous
pas assez de vos fautes, sans vous charger encore de celles des autres
?
Voilà le jugement de Dieu, tel qu’il sera très certainement pour chacun de nous ; c’est là, quand on y réfléchit, ce qui fait comprendre les angoisses des saints, et les austérités de leurs pénitences ; leurs histoires sont pleines de révélations épouvantables sur la rigueur des jugements de Dieu. Entre tant d’exemples, j’en choisirai deux seulement.
J’ai lu, dans la vie des Pères du désert, qu’un religieux nommé Etienne, fut transporté en esprit au jugement de Dieu ; il était sur son lit de mort, réduit à l’agonie, lorsqu’on le vit se troubler et répondre à un interlocuteur invisible ; ses frères en religion qui l’environnaient en priant, entendaient avec terreur ses réponses.- >> J’ai fait telle action, c’est vrai, mais je me suis imposé tant d’années de jeûne. >>->> Je ne conteste pas ce fait, mais j’ai pleuré cette faute pendant tant d’années. >>->>Ceci est vrai encore, mais en expiation j’ai servi le prochain trois ans. >>-Puis après un moment de silence :>>Oh ! pour ceci, je n’ai rien à répondre ; vous m’accusez à juste titre, et je n’ai rien à dire pour ma défense, que de me recommander à la miséricorde infinie de Dieu. >>
Saint Jean Climaque, qui rapporte ce fait, comme témoin oculaire,
nous apprend que ce religieux avait passé quarante ans dans son
monastère, qu’il avait le don des langues et plusieurs autres grands
privilèges ; qu’il se distinguait entre tous par la régularité
de sa vie et les rigueurs de sa pénitence, et, après cela,
il conclut en ces termes : <<malheur à moi !que deviendrai-je
et que puis-
11:
-je espérer, misérable que je suis, si l’enfant du désert
et de la pénitence reste sans défense devant quelques fautes
légères ? Il compte une longue suite d’années passées
dans les austérités de la retraite ; Dieu l’a enrichi de
privilèges et de dons singuliers, et il quitte ce monde en nous
laissant dans l’incertitude de son salut !>>
Mais peut-être on dira, pour se rassurer, que ce bon religieux, n’était pas encore mort, ses terreurs au jugement de Dieu n’ont été qu’un effet de son imagination échauffée par la fièvre.
Voici l’histoire authentique d’une âme rappelée du jugement de Dieu, par une faveur toute spéciale, pour recommencer son épreuve terrestre ; il s’agit de la vénérable Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine, et sœur du Bienheureux de ce nom.
Elle avait grandi dans la vertu, et par sa fidélité à correspondre à la grâce, elle était parvenue à un degré de perfection remarquable, lorsqu’elle tomba dangereusement malade ; son frère l B. Jean-Baptiste Tholoméi, qui était déjà puissant en œuvres devant Dieu, ne put, malgré ses instantes prières obtenir se guérison ; elle reçut donc avec piété les derniers sacrements et un peu avant d’expirer elle eut une vision : elle vit la place qui lui était réservée en Purgatoire, en punition de certains défauts qu’elle n’avait pas assez corrigés pendant sa vie ; en même temps elle eut une vue d’ensemble du Purgatoire, et des différents supplices que les âmes y endurent ;après cela elle mourut en se recommandant aux prières de son saint frère.
Pendant que l’on portait son cadavre pour l’enterrer, le B. Jean-Baptiste
s’approcha du cercueil, et au nom de N.-S. Jésus-Christ, commanda
à sa sœur d’en sortir ; aussitôt elle s’éveilla comme
d’un profond sommeil, et revint à la vie.
12:
Cette âme sainte racontait du jugement de Dieu des choses qui
font frémir ;mais ce qui, plus que tout le reste, prouvait la vérité
de ses paroles, ce fut la vie qu’elle mena depuis ; sa pénitence
était vraiment effrayante ; non contente des industries ordinaires
aux austérités des saints, des veilles, des cilices, des
jeûnes, des disciplines, elle avait inventé des secrets pour
martyriser son corps ;pendant l’hiver, elle se plongeait jusqu’au cou dans
un étang glacé, et y demeurait de longues heures à
réciter le psautier, d’autre fois elle se jetait dans les flammes,
et s’y roulait jusqu’à ce que sa chair fût toute brûlée
; son pauvre corps était devenu objet d’horreur et de pitié
; on la blâmait hautement, mais comme elle ne s’en inquiétait
guère, et se contentait de répondre à ceux qui trouvaient
qu’elle en faisait trop : << Ah ! si vous connaissiez la rigueur
des jugements de Dieu, vous ne parleriez pas ainsi !qu’est ce que cela
? Qu’est-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois davantage. >>
Après quelques années passées dans ces terribles
pénitences, elle fut appelée pour la seconde fois devant
son Juge, et nous pouvons espérer qu ‘elle le trouva moins sévère,
puisque l’Église, en la proclamant vénérable, a déclaré
qu’elle avait pratiqué les vertus chrétiennes à un
degré héroïque. Ce qu’il y a de bien remarquable dans
cette histoire, c’est qu’il ne s’agit pas d’un pécheur mourant dans
la haine de Dieu, il s’agit d’une bonne et fervente religieuse, tout appliquée
aux devoirs de son état, et qui, pour quelques imperfections légères
au jugement des hommes, subit les rigueurs du jugement de Dieu. Hélas
!pauvre pécheur que je suis, qu’en sera-t-il de moi, si les autres
13 :
justes sont ainsi traités ! (Vita V. Angelae Tholoméi.)
Qu’ils sont donc terribles, les jugements de Dieu ! Et quand on songe qu’à chacun des battements de notre cœur, cette grande scène se renouvelle !à chaque seconde, en moyenne, une âme quitte la terre, et paraît devant Dieu. Représentez-vous un vaste champ de bataille : les deux armées sont en présence, la mitraille éclate des deux côtés, les boulets passent en sifflant, traçant leur sillon sanglant dans les rangs ; à chaque instant, des hommes tombent pour ne pas se relever . C’est là un spectacle affreux, et qu’on n’oublie plus, quand une fois on a eu le malheur d’en être le témoin : Eh bien, agrandissez la scène ; le monde est un vaste champ de bataille, où la mort frappe sans relâche ;à la fin du jour, quatre-vingt mille hommes, cela fait trois mille cent trente-trois hommes par heure, cela fait cinquante-cinq hommes par minute, cela fait un homme par seconde ; chaque fois que nous respirons, nous pouvons dire qu’un homme expire .Ah ! si nous y pensions !comme nous serions pris d’une immense compassion, et comme nous prierions avec ferveur pour tant de malheureux qui comparaissent devant leur Juge !
Mais, hélas !nous n’y pensons guère ; nous rions, nous nous amusons, et, un jour, on nous rendra la pareille : pendant que nous serons dans les transes de l ‘agonie, d’autres riront et prendront du bon temps à leur tour. Prions pour les agonisants, afin qu’un jour on prie aussi pour nous, à cette heure terrible où nous en aurons si grand besoin.
Cependant que fera l’âme pour adoucir les rigueurs de ce jugement
? Si l’on s’en rapporte simplement aux données de la théologie,
il semble que l’on se trouve là sans
14 :
autre défense que ses bonnes œuvres. Il ne serait pourtant pas
téméraire de penser que, dans certains cas, la justice relâche
un peu de ses droits, en prévision des prières que les survivants
offriront pour le défunt.
Nous lisons dans Gennade(Defensio concilii Florentini, sect. V) que l’empereur de Constantinople Théophile, iconoclaste et hérétique endurci, obtint ainsi un jugement favorable, grâce aux prières réunies de la pieuse impératrice Théodora et du patriarche saint Méthode ; ce trait est trop consolant pour que je ne le rapporte pas ici.
L’Empereur Théophile fut un des iconoclastes les plus acharnés, et des persécuteurs les plus odieux de l'Église catholique. Sa femme l'impératrice Théodora, se consumait en jeûnes et en prières pour obtenir sa conversion; elle fut exaucée; sur la fin de sa vie l'empereur détesta ses erreurs, et mourut dans de vrais et profonds sentiments de pénitence. Après sa mort Théodora pria et fit prier beaucoup pour le repos de son âme.
L’Empereur Théophile lui apparut couvert de chaînes, et
traîné par une troupe de démons, au tribunal de Dieu
; tous avaient à la main des instruments de torture ; en même
temps, il lui semblait qu’elle même suivait ce triste cortège,
en essayant, mais en vain, d’arrêter la rage de ces mauvais esprits.
On arriva ainsi devant le tribunal du Juge ; celui-ci avait un visage irrité
et les démons lui présentèrent le malheureux, en demandant
à grands cris une sentence de condamnation contre le persécuteur
qui avait versé le sang des saints. Alors Théodora, s’approchant
du trône à son tour, se jeta aux pieds du Christ, lui représentant
humblement la pénitence de son mari à l’heure de la mort,
les prières qu’elle ne cessait d’offrir et de faire offrir chaque
jour pour le repos de cette âme ; soudain le
15:
regard du juge s’adoucit : << Femme, répondit-il, votre
foi est grande : mulier, magna est fides tua ;votre époux
avait mérité d’être condamné, mais, à
cause de vous, en considération des prières de mes prêtres,
je lui accorde sa grâce. >> Puis s’adressant aux exécuteurs
de sa justice ;
<< Déliez-le commanda-t-il, et rendez-le à sa femme. >>
Le lendemain matin ,l’impératrice raconta ce songe au saint patriarche Méthode, qui avait beaucoup souffert de l’empereur à cause de sa foi, et qui s’en vengeait en évêque, multipliant ses prières et ses bonnes œuvres pour Théophile. Or, cette même nuit, il avait eu un songe, lui aussi ; il lui semblait être dans l’église de Sainte-Sophie, lorsqu’un ange lui apparût et lui dit : >> Tes prières, ô pontife, ont été exaucées, et Théophile a obtenu sa grâce. >>Le lendemain matin, il s’était rendu à l’église et y avait trouvé la confirmation de sa vision ;il avait la pieuse coutume d’écrire sur un petit livret les noms des principaux iconoclastes, et de déposer ce livre sur l’autel, pour les recommander à Dieu en offrant le divin sacrifice ; l’empereur était naturellement en t^te de cette liste ; or, ce jour-là, son nom se trouva miraculeusement effacé ;on eut ainsi la plus grande assurance possible que l’empereur Théophile, malgré ses fautes, avait trouvé un jugement miséricordieux, grâce aux prières que l’on avait offertes pour lui.
Ceci nous amène à nous demander si, à cette heure
du jugement, l’âme se trouve seule en présence de son juge,
ou si les esprits d’en haut y sont présents. On ne peut guère
douter que l’ange gardien ne soit là pour assister l’âme sur
laquelle il a veillé pendant la vie, et il est bien à craindre
que l’on n’y rencontre aussi le démon, particulièrement ce
démon qui, selon l’opinion de plusieurs théologiens de mérite,
est attaché à Lucifer à chaque
16 :
âme pour la tenter et l'entraîner dans l'abîme, horrible
contrefaçon de l'ange protecteur, bien digne des ruses de celui
que Tertullien appelait le singe de Dieu. Les révélations
des saints, d'accord en cela avec les sculpteurs de nos vieilles cathédrales,
sont pleines de récits qui nous montrent ces deux esprits en présence
au Tribunal de Dieu. Je choisis, parmi ces révélations, celle
qui fut accordée à sainte Brigitte (Révél.,
liv. VI, ch. Xxxv).
Il s'agit d'un soldat dont elle vit l'âme comparaître devant
son juge, au moment de la mort. Cet homme avait pratiqué plusieurs
vertus pendant sa vie ; il était charitable, priait souvent et avec
ferveur, et, au milieu de la licence des camps, il s'adonnait au jeûne
et à la mortification ; néanmoins, il avait aussi bien des
fautes à se reprocher, comme on va voir. La sainte aperçut
son âme au tribunal de Dieu, ayant à sa droite son ange gardien
qui lui servait d'avocat, et, à sa gauche, le démon qui faisait
la fonction d'accusateur, accusator fratrum, comme l'appelle saint Jean
dans l'Apocalypse ; celui-ci lui reprochait particulièrement trois
fautes : premièrement, d'avoir péché par les yeux,
en regardant avec complaisance des nudités et autres objets dangereux
; deuxièmement, d'avoir péché par la langue, en prononçant
des paroles obscènes, des jurements et des malédictions ;
troisièmement, de s'être souillé de toutes sortes de
luxure et de larcins. L'ange gardien rapportait, pour sa défense,
les actes de vertu qu'il avait accomplis pendant sa vie, et particulièrement
sa tendre dévotion à la très sainte Vierge, dévotion
qui lui avait valu, à l'heure de la mort, la grâce de la contrition.
La cause ainsi entendue, le souverain juge prononça la sentence
; il fit grâce à cet homme de l'enfer ; mais il le condamna
à un long et douloureux purgatoire, et déclara
17 :
que l'expiation serait conforme aux fautes commises. Alors, la Mère
des miséricordes se présenta, demandant à son Fils
un adoucissement à tant de supplices ; elle rappelait que ce soldat
s'était toujours montré son dévot serviteur, et qu'il
jeûnait régulièrement la veille de ses fêtes.
Notre Seigneur, à la prière de sa mère, adoucit la
rigueur de sa sentence, et il ajouta que, pour obtenir la délivrance
complète de cette âme, il faudrait beaucoup de prières,
d'aumônes et de pénitences.
On voit, par cet exemple, que la sainte Vierge assiste quelque fois
au jugement pour secourir ses fidèles serviteurs ; il paraît
qu'il en est de même des saints à qui l'on a témoigné
une particulière dévotion pendant la vie. Une célèbre
vision nous montre le roi Dagobert, déjà entraîné
dans les flammes de l'enfer, pour ses crimes : lorsqu'il est arraché
aux mains des démons par les saints martyrs Denys et Maurice, assisté
du glorieux pontife saint Martin, qu'il avait honorés particulièrement
tous trois pendant sa vie, leur élevant, dans ses États,
de magnifiques basiliques. Cette histoire m'a paru digne d'être rapportée
ici tout au long. On la trouve dans le benedictin Aymon (Histoire des Français,
liv. IV, ch. XXIV).
Un évêque de Poitiers, nommé Ansoald, avait fait
le voyage en Sicile pour s'occuper des affaires de son église ;
à son retour, une tempête furieuse l'assaillit dans la Méditerranée,
et le jeta dans une petite île à moitié déserte
; il y trouva un pieux ermite, avec qui il s'entretint longtemps des choses
de Dieu et de la félicité des saints ; à la fin, la
conversation tomba sur le pays d'où il venait, et sur le roi de
France, Dagobert, dont le prélat fit le plus magnifique éloge
; l'ermite l'interrompant : " Vous paraissez ignorer, dit-il, que
depuis votre départ de France, ce prince est passé à
une vie meilleure. "
18 :
L'évêque paraissant tout surpris de cette nouvelle, le
solitaire, pour le convaincre, lui rapporta une vision qu'il avait eue,
quelque temps auparavant. " Un matin, fatigué d'une longue veille
passée en prières, je m'étais endormi, lui dit il
; soudain, je vois paraître devant mes yeux un vénérable
vieillard qui me prend par le bras, me secoue et m'éveille en me
criant : vite, debout, levez-vous et mettez-vous en oraison afin d'implorer
la divine miséricorde pou le roi Dagobert, dont l'âme a paru
aujourd'hui devant Dieu ; je me lève, je commence à prier,
lorsque j'aperçois tout à coup, sur les flots de la Méditerranée,
une troupe de démons conduisant le roi dans une barque et se dirigeant
vers le volcan de Stromboli, d'où s'élancent continuellement
des flammes et de la lava ; en même temps ils le poussaient, le frappaient,
le torturaient de toutes les manières ; le malheureux prince invoquait
avec des gémissements, les saints patrons de France, saint Denys,
saint Maurice et saint Martin, les suppliant de se souvenir des magnifiques
églises qu'il leur avait bâties de son vivant et de le secourir
en cette extrémité. Un moment après, le ciel
se couvre de nuages, la foudre éclate, les démons sont renversés,
et l'on voit apparaître tout brillants de la gloire des bienheureux
les trois saints que le roi avait invoqués : Oh ! qui êtes-vous,
s'écrie-t-il d'une voix suppliante, venez-vous enfin à mon
secours ? — Nous sommes les martyrs, Denys et Maurice, et celui-ci
est l'évêque Martin de Tours : parce que tu nous as invoqués,
et que de ton vivant tu t'es montré notre fidèle serviteur,
nous venons, à ton appel, te tirer des mains des démons et
te conduire à l'éternité bienheureuse. Aussitôt,
malgré les cris de rage des esprits infernaux, ils leur arrachent
leur victime encore toute tremblante, et, plaçant le prince au milieu
d'eux, ils l'emportent au ciel en chantant : Bea-
19 :
tus quem elegisti et assumpsisti, Domine ; inhabitabit in atriis tuis,
replebitur in bonis domus tuæ. "
Tel fut le récit du solitaire ; l'évêque, étant
rentré dans son diocèse, fit connaître cette vision
; on remarqua qu'elle correspondait justement à la mort de Dagobert
; c'est pourquoi on grava toute cette histoire sur le marbre de son tombeau
où je l'ai vue et où chacun peut la voir aussi.
Quant à l'intervention de la très sainte Vierge, les
traits en sont trop multipliés pour pouvoir être racontés
tous ici ; je me contenterai d'ajouter le fait suivant à l'histoire
du soldat citée plus haut ; j'ai trouvé cette histoire dans
saint Liguori. (V. Paraphrase du Salve Regina.)
Une sainte religieuse, nommée sœur Catherine de Saint-Augustin,
avait l'excellente dévotion de prier pour tous les défunts
qu'elle avait connus sur la terre ; or, en son pays, vivait une femme de
mauvaise vie, nommée Marie ; les scandales de cette malheureuse
étaient tels que les habitants de l'endroit, indignés de
sa conduite, la chassèrent du pays. Elle se retira dans les bois,
et au bout de quelques mois mourut sans assistance et sans sacrements dans
une grotte abandonnée ; on traita son cadavre comme celui d'une
bête morte, et on l'enterra dans un champ sans aucune prière
; personne ne doutait que la vieille pécheresse, après une
pareille fin, ne fût irrémédiablement damnée,
aussi on ne pensa pas à prier pour elle, et la sœur Catherine pas
plus que les autres ; quatre ans se passèrent ; au bout de ce temps,
la sœur aperçut un jour une âme du Purgatoire qui lui dit
en gémissant : " Sœur Catherine, je suis bien malheureuse
; vous avez la charité de recommander à Dieu tous ceux de
votre connaissance qui viennent à mourir, il n'y a que moi pour
qui vous ne priez pas ! " — " Eh ! qui êtes-vous donc
? " — " Je
20:
suis cette pauvre Marie, qui mourut seule dans la grotte. "
— " Eh ! quoi, Marie, vous êtes sauvée ! " —
" Je suis sauvée par l'intercession de la vierge Marie. Qui
me vis près de la mort, seule, sans aucun secours spirituel ni corporel,
considérant en même temps le nombre et l'énormité
de mes péchés, je me tournai avec confiance vers la mère
de Dieu, et je lui dis : ô ma reine, vous êtes le refuge
des pécheurs et des délaissés ; vous voyez qu'en ce
moment suprême, je suis abandonnée de tout le monde, vous
êtes mon unique espoir ; vous seule pouvez me secourir ; ayez pitié
de moi, je vous prie. La bienheureuse Vierge exauça ma prière,
et m'obtint la grâce de la contrition parfaite, c'est ainsi que je
mourus et que je fus sauvée. Cette divine Mère ne borna
pas là ses miséricordes ; quand je comparus au jugement devant
Dieu, elle obtint de son Fils que ma peine dans le Purgatoire serait considérablement
abrégée ; mais comme la justice de Dieu ne peut plus rien
relâcher de ses droits, j'ai souffert en intensité ce que
j'aurais dû souffrir en durée ; présentement, je n'ai
plus besoin que de quelques messes, et aussitôt qu'on les aura dites,
je serai délivrée de toutes mes peines ; soyez assez charitable
pour les faire célébrer pour moi, et je vous promets, quand
je serai au ciel, de prier sans cesse Dieu et Marie pour vous. "
Sœur Catherine s'empressa de faire dire les messes demandées, et
quelques jours après, cette âme bienheureuse lui apparut montant
au ciel, et la remercia de sa charité.
Ces exemples sont consolants ; mais en les rapprochant des enseignements
de la théologie, on ne peut s'empêcher de rabattre un peu
de la confiance qu'ils sembleraient devoir inspirer aux pécheurs.
Il est certain que le sort éternel de l'homme est irrévocablement
fixé au moment de sa mort ; croire que les prières des survivants,
que
21 :
l’intercession même de la Sainte Vierge et des saints peuvent
obtenir le salut éternel à une personne décédée
dans l’état du péché mortel, ce serait se tromper
grossièrement. Il faut donc interpréter les visions que je
viens de rapporter, et toutes celles du même genre, comme une expression
symbolique des grâces obtenues par l’intercession des bienheureux
au pécheur mourant, pour l’amener au repentir, et par le repentir,
au salut. Penser autrement, ce serait aller contre l’enseignement unanime
des docteurs.
Du reste, il ne faut pas se représenter ce jugement se déroulant
peu à peu dans un ordre successif, comme cela se fait dans les tribunaux
d’ici-bas. C’est une suite de l’imperfection humaine de ne pas pouvoir
arriver à la connaissance de la vérité que pas à
pas et par une série d’investigations ; mais à la lumière
de Dieu, il en sera bien autrement ; en un clin d’œil, in ictu oculi, la
cause sera entendue ; pas besoin d’appeler des témoins : le jugé
était là ; il a tout vu ; pas d’interrogatoire : d’un seul
regard, l’âme verra toute sa vie, ses fautes et ses vertus, ce qui
la condamne et ce qui l’absout ; pas de plaidoiries pour ou contre ; inutile
d’essayer de fléchir la personne du juge ; l’arrêt suit nécessairement
la constatation de l’état de l’âme ; Dieu ne se laisse pas
émouvoir comme les hommes ; il agit en vertu des décrets
éternels :à telle mesure de mérites, tel degré
de gloire, à telle quantité de fautes, telle mesure de châtiments
; l’âme voit en même temps son état et sa sentence.
Cette sentence est différente selon les différents états
de l’âme à la mort : à celui qui meurt dans le péché
mortel, n’en eût-il qu’un seul, la sentence de réprobation
: Va, maudit, au feu éternel, que j’avais préparé
pour Satan et pour ses anges ; tu as voulu lui obéir sur la terre,
va main-
22 :
tenant, misérable, partager ses supplices dans l’enfer. A l’âme
qui meurt dans l’état de grâce, et qui n’a plus ni une seule
souillure, ni une seule expiation à subir pour ses fautes passées,
la parole de l’amour et de l’éternelle béatitude : Courage,
bon et fidèle serviteur ; parce que pendant les jours de ta vie
mortelle, tu as été fidèle en de petites choses, je
vais maintenant t’établir sur de grandes ; entre dans la joie de
ton Seigneur, intra in gaudium Domini tui. Enfin, à ceux qui meurent
en état de grâce mais qui ont encore des fautes vénielles
à se reprocher ou qui n’ont pas encore suffisamment expié
leurs fautes passées, la parole de l’amour et de la récompense
différée : Pauvre âme, un jour tu jouiras de ma gloire,
car tu es chère à mon cœur ; mais tu n’es pas encore assez
pure en ce moment : aucune tache ne saurait subsister sous le regard de
ma sainteté infinie ; va donc te purifier dans les flammes expiatrices
; le temps de ton supplice sera proportionné au nombre et à
la gravité de tes fautes.
Dans quelles proportions chacune de ces trois sentences sera-t-elle
prononcée ? et quelle est en particulier la part de Purgatoire
au jugement de Dieu ? Question bien intéressante et bien grave ;
les théologiens sont très partagés sur la solution
: les uns, inclinant davantage du côté de la miséricorde,
les autres, du côté de la justice. La question est loin d’être
tranchée. Je dirai simplement ce qui me paraît le plus probable,
en m’appuyant sur les données de l’expérience, et sur les
révélations des saints.
Un premier point, qui me paraît malheureusement trop certain,
c’est que le très grand nombre de ceux qui paraissent devant Dieu
tombent immédiatement dans les abîmes de l’enfer. Je sais
bien que l’Apologétique moderne s’est efforcée de voiler
cette vérité évangélique du petit nombre des
élus, que notre siècle énervé
23:
ne saurait plus porter parait-il le P. Faber dans son beau traité
Créateur et créature s'efforce de prouver en s'appuyant
surtout sur des raisons de convenance qu'au moins
le plus grand nombre des catholiques est sauvé le P.Lacordaire dans
une conférence restée célèbre a cru devoir
prendre le contre-pied du fameux sermon de Massillon mais la beauté
de son éloquence
n'a pu séduire mes convictions et je m'en tiens à la
parole du Maître beaucoup d'appelés peu d'élus multi
enim sunt vocati pauci vero électi on lit dans la vie des Pères
du désert que le grand patriache de la Thébaide saint Antoine
eut une vision à ce sujet il lui semblait que le monde était
couvert comme d'un immense réseau les ames tombaient toutes dans
ces rets à
peine si deux ou trois parvenaient à y échapper semblables
à ces rares oiseaux que nous voyons traverser le ciel dans une brumeuse
journée de novembre si nous y réfléchir nous verrons
bien que cette vision est l'expression exacte de ce qui se passe dans la
réalité la terre compte environ un milliard deux cents millions
d'habitants sur ce grand nombre il y a plus de 400 millions de chrétiens
c'est donc 800 millions de païens qui vivent et qui meurent hors de
la voie du salut faisons aussi larges que vous voudrez la part des païens
honnêtes qui n'ont pu honnêtes le Christ
ajoutons-y les enfants qui meurent avant de s'être souillés
du crime du paganisme cette troupe d'élite que je suppose un peu
bénévolement former la moitié soit 400 millions n'en
reste pas moins exclue du ciel puisque personne ne peut être sauvé
que par la foi au Rédempteur le mieux qui puisse lui advenir c'est
de tomber après la mort dans les Limbes c'est-à-dire après
tout dans le vestibule de l'enfer voilà
24:
pour les païens qui forment à eux seuls les deux tiers
de la population totale du globe la moitié est très certainement
damnée pour ses vices et l'autre moitié en tenant compte
des petits enfants si elle échappe à l'enfer demeure à
jamais exclue du ciel mais pour quiconque à vu de près ces
malheureuses populations il est clair que mon appréciation
est bien indulgente l'excuse de la bonne foi devient de jour en jour plus
difficile car la bonne nouvelle a été annoncée partout
et quant à l'honnêteté morale des païens quand
on les connait on sait a quoi s'en tenir à cet égard.
Restent un peu plus de 400 millions de chrétiens sur ce nombre
voyons combien se sauvent de ces 400 millions de chrétiens 120 millions
sont hérétiques et 80 millions schismatiques leurs salut
aux uns comme aux autres est bien exposé car il leur faut l'excuse
de la bonne foi et pour les hérétiques qui n'ont pas su garder
les sacrements de la sainte Église il leur faut de plus la contrition
parfaite pour rentrer en grâce avec Dieu après qu'ils
l'ont offensé mortellement or chacun sait que c'est là un
moyen assez difficile. J'arrive aux 200 millions de catholiques c'est-à-dire
au
sixième de la population totale du globe c'est là le
peuple choisi le petit troupeau à qu'il a été dit
de ne pas craindre mais grand Dieu que de boucs parmi ces brebis on peut
mettre en principe qu'à notre époque les trois quarts des
catholiques vivent dans l'habitude du péchés mortel sans
confessions et sans pratiques religieuses c'est au moins la proportion
pour la France, en prenant dans chaque diocèse le catalogue des
communions pascales et je ne crois pas que sous ce rapport la France soit
dans une condition pire que les autres états catholiques. S'il y
a ailleurs un peu
plus de pratique je crains bien qu'il
25:
n'y ait comme compensation plus de sacrilèges au fond notre
pauvre patrie malgré ses défaillances est encore restée
la nation catholique celle ou le dévouement de l'esprit chrétien
sont le plus vivants prenons donc la proportion pour la France et généralisons
les trois quarts des adultes catholiques ne se confessent plus voilà
la triste vérité je sais bien qu'il reste au fond des âmes
la foi et qu'on se confesse presque toujours à l'heure de
la mort hélas quelles confessions je le dis avec tristesse mais
je le dis parce que c'est ma conviction intime je crois peu à ces
conversions à l'heure de la mort les anciens pères les vieux
théologiens sont unanimes à déclarer qu'il faut s'en
défier je ne vois pas pourquoi les hommes du XIXe siècle
seraient privilégiés en cela telle vie telle mort
voilà l'oracle de l'esprit de Dieu et le témoignage de
l'expérience pour moi j'ai vu bien des malades dans cette situation
je ne sais si j'oserais garantir le salut éternel de dix presque
toujours la contrition fait défaut le bon propos n'existe pas la
charité est nulle ce qui le prouve c'est que si par hasard quelqu'un
de ces pénitents in extremis revient à la santé il
est excessivement rare de le voir persévérer la conversion
n'était pas sérieuse au fond ces pauvres gens n'aiment pas
Dieu parce qu'ils ont encore un peu de foi ils le craignent mais ils ne
l'aiment pas de cet amour initial
qui d'après le concile de trente suffit à l'attrition
ils voudraient bien mourir parce qu'ils ont peur de l'enfer mais ils se
soucient pas de bien vivre s'ils pouvaient analyser ce qui se passe alors
dans leur conscience ils y verraient cette arrière pensée
je me confesse parce que cela est nécessaire il a la famille les
convenances sociales ont ne peut pour
26:
tant pas se faire enterrer comme un chien et puis qui sait personne
n'est revenu nous dire ce qu'il y a de l'autre coté de la vie mais
si tu reviens en santé murmure la conscience ma foi si je reviens
en santé ce sera comme par le passé ces choses là
sont bonnes pour mourir mais elles me gêneraient singulièrement
pour vivre de là une absolution nulle remarquez que je ne dis pas
sacrilège car je veux mettre les choses au mieux je les suppose
même de bonne foi ce qui du reste est fréquent avec leur incroyable
ignorance des choses de Dieu mais même avec la bonne foi on reviendra
qu'après une vie tout entière passée dans l'oubli
de Dieu une absolution nulle est un mauvais passeport pour le ciel paraissez
maintenant justes de la terre petit troupeau demeuré fidèle
femmes pieuses religieuses ferventes ministres des autels sans doute voilà
les prédestinés hélas là encore il y a des
âmes pour l'enfer que dis-je si j'en crois les saints docteurs la
plus grande part
serait encore pour l'enfer capita sacerdotum pavimenta inferorum qui
a prononcé ce blasphème c'est saint Jean Chrysostome un de
ceux qui ont le mieux connu le prêtre et ses misères hélas
hélas qui nous dira les illusions des âmes pieuses les mystères
des fausses consciences les aveuglements volontaires les replâtrages
et les puanteurs des sépulcres blanchis optimi pessima corruptio
qui nous dira la profondeur de corruption ou peut descendre une âme
de choix quand refusant de correspondre à la grâce elle se
met dans l'impossibilité de répondre à la sublimité
de sa vocation
le prêtre surtout dès qu'il cesse d'être l'homme
Dieu devient presque infailliblement l'homme de Satan chez lui le péché
mortel est presque inséparable du sacrilège de l'endurcissement
voyez Judas c'est l'histoire du mauvais prêtre
27:
j'en appelle à saint Liguori à tous les confesseurs des
retraites ecclésiastiques trouvent-ils exagérée la
parole de saint Jean Chrysostome que je viens de rappeler pour moi en considérant
non pas une époque mais toutes les époques de la vie de l'Église
non pas telle ou telle contrée mais toutes les contrées
du monde catholique j'en viens à me dire que ces paroles ne sont
que l'expression juste d'une triste mais irréfragable vérité
O Dieu ou sont vos élus Ah je comprends maintenant cette révélation
de saint Bernard citée par le P.Lejeune ce saint ayant eu la révélation
du sort
éternel de toutes les âmes qui avaient comparu à
deux jours différents devant le tribunal de Dieu remarqua avec horreur
que sur ces quatre-vingt mille trois seulement parmi les adultes furent
sauvées le premier jour et deux le second jour et encore de
ces cinq âmes ainsi sauvées en deux jours aucune n'alla au
Ciel directement voilà pour le grand nombre des réprouvés
ceci bien établi je dis en second lieu que parmi le petit nombre
des élus l'immense majorité descend en Purgatoire en sorte
que le grand nombre de qui vont tout droit au Ciel est si petit qu'il ne
compte vraiment pas voici ce qu'on lit dans la vie de sainte Thérèse
(chap.XXXVIII. "je ferai observer c'est la sainte qui parle que de tant
d'âmes je n'en ai vu que trois aller directement au Ciel sans passer
par le Purgatoire celle du religieux dont je viens de parler celle du vénérable
Pierre d'Alcantara et celle de ce Père Dominicain plus haut mentionné"
(il s'agit du Père Pierre Ybanez un de ses confesseurs) quand on
réfléchit au grand nombre de visions du Purgatoire qu'elle
eut dans sa vie et au grand nombre des saintes âmes qui vivaient
alors dans l'Église
28:
ce témoignage de sainte Thérèse est décisif
et dispense d'en chercher d'autres il y a plus nous voyons que les saints
canonisés eux mêmes ne sont pas toujours exempts des peines
du Purgatoire on lit dans saint Pierre Damien que saint Sévérin
archevêque de Cologne y demeura quelque temps malgré son zèle
apostolique et ses admirables vertus l'histoire du diacre Paschase rapportée
par saint Grégoire dans ses dialogues (livre IV chap XI ) est aussi
étonnante après sa mort sa dalmatique placée sur son
cercueil avait fait des miracles après cela comment ne pas croire
qu'il était déjà
dans la gloire il n'en était rien cependant et il lui
restait encore une longue expiation à faire comme il le déclara
à saint Germain de Capoue après cet exemple qui pourrait
se flatter d'échapper au Purgatoire tout ceci est triste mais à
quoi servirait de voiler la vérité si les jugements de Dieu
sont si formidables demandons donc avec crainte et humilité d'être
du petit nombre des élus et pour assurer notre salut vivons dans
la crainte comme ont vécu tous les saints en méditant ces
paroles du Prophète-Roi : Domine confige timore tuo carnes meas.
fin page 28.
Chapitre 2 De l'existence et du lieu du purgatoire p.29 - 43
29:
L'existence du Purgatoire prouvée par le fait de la prière
pour les morts histoire du culte des morts dans l'Eglise le
memento des défunts vision de sainte Perpétue
saint Augustin et sa mère Odilon de Cluny et la fête des
morts Purgatoire du Dante les morts au moyen- age le concile
de Florence Luther définition du Concile de Trente
Le culte des morts dans ces trois
derniers siècles et particulièrement a notre époque
Du lieu du Purgatoire Opinion des anciens et raisonnements
à l'appui de ceux qui font leur Purgatoire en dehors du lieu
assigné conclusion de Saint Thomas
Nous avons supposé admise par tous l'existence du Purgatoire il n'en est rien cependant et les protestants relèguent cette vérité au rang des superstitions de l'Église catholique il faut donc y revenir et donner les preuves qui l'établissent nous partons de ce principe évident que la prière pour les morts suppose le dogme du Purgatoire en effet à quoi bon prier pour les saints qui sont déjà dans la gloire ou pour les malheureux plongés dans les flammes éternelles puisque les saints n'ont aucun besoin de nos suffrages et que les damnés sont dans l'impossibilité absolue d'en profiter la prière pour les morts suppose donc un état intermédiaire entre la béatitude du Ciel et les éternels désespoirs de l'enfer état de souffrances mais de souffrances temporaires dans lequel les âmes peuvent être soulagées par nos suffrages la prière pour les morts suppose donc l'existence du Purgatoire or la prière pour les
début page 30
morts est de toute antiquité. La Synagogue l’a connue et pratiquée,
puisque nous voyons Judas Machabée faire une collecte, pour offrir
de sacrifices en souvenir des soldats de son armée qui
avaient succombé dans la bataille; et l’Écriture bien
loin de le blâmer, ajoute cette belle réflexion : c’est une
belle et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient
délivrés de leurs péchés; sancta ergo et salubris
est cogitatio pro defunctis orare, ut a peccatis solvantur.
De la Synagogue, ce rite passa à l’Église
du Christ; les plus anciennes liturgies en font foi; après avoir
lu sur les saints dyptiques les noms de tous les personnages encore vivants,
avec qui
on était en communion de prières, on lisait les noms
des défunts plus spécialement recommandés, et le prêtre,
comme il le fait encore de nos jours, se recueillait, pour demander en
faveur des défunts le lieu du rafraîchissement, de la lumière
et de la paix; locum refrigerii, lucis et pacis; toutes les anciennes liturgies,
sans exception,
font mention de ce rite, qui prit de là le nom de prières
sur les dyptiques; oratio super dyptichos.
La prière pour les morts, sous sa forme la plus
sainte, remonte donc très certainement aux temps apostoliques,
et nous est un sûr garant de la foi de ces premiers siècles
au Purgatoire. Il y a plus : parmi les actes des martyrs dont l’authenticité
est indiscutée et indiscutable, il faut ranger, de l’avis de tous
les critiques, les actes de sainte Perpétue, écrits en grande
partie par la sainte elle-même dans sa prison; or, dans ces
actes, qui remontent au troisième siècle, nous trouvons
exprimée explicitement la foi au Purgatoire.
La Sainte, après avoir parlé des circonstances
de son arrestation, et des premiers jours passés dans la prison,
en la compagnie des saints confesseurs de la foi, poursuit en ces termes
:
"Comme nous étions tous en prières, il m’échappa
de nommer Dinocrate, et je fus étonnée que son souvenir ne
me fût pas encore venu à l’esprit. La pensée
de son malheur m’affligea, et je connus en même temps que j’étais
digne de prier pour lui, et que je le devais. Je commençai donc
à le faire avec ferveur, en gémissant devant Dieu, et, la
même nuit, j’eus cette vision.
"Je vis Dinocrate sortir d’un lieu ténébreux,
où il y avait plusieurs autres personnes; il était tout brûlant,
et dévoré de soif, le visage sordide, le teint pâle,
la face encore rongé de l’ulcère
dont il mourut. Ce Dinocrate était mon frère selon
la chair; à sept ans, il mourut malheureusement d’un cancer au visage,
qui en faisait un objet d’horreur à tous ceux qui le voyaient.
C’était pour lui que j’avais prié. Or, il me
semblait qu’il y avait une grande distance entre lui et moi, en sorte qu’il
nous était impossible de nous rapprocher l’un de
l’autre. Près de lui était un bassin plein d’eau,
dont le bord était plus haut que la taille de l’enfant; il s’allongeait
pour boire, et quoiqu’il y eut de l’eau en abondance, il ne pouvait y
atteindre, ce qui m’affligeait fort. Je m’éveillai là-dessus,
et je connus par là que mon frère était dans la peine,
mais j’eus confiance que je pourrais le soulager. Je commençai donc
à prier, pour demander à Dieu, jour et nuit, avec larmes,
qu’il m’accordât sa grâce; je continuai ainsi jusqu’à
ce que nous fussions transférés à la prison du camp,
pour être donnés en spectacle, à la fête de César
Géta. Le jour que nous étions dans les ceps, j’eus
encore une vision, je vis le même lieu que précédemment
et Dinocrate, le corps net, revêtu de beaux habits, et ne portant
plus de cicatrice à la place de la plaie. Le bord du bassin
que j’avais vu, était abaissé jusqu’au nombril de l’enfant,
et il y avait là une fiole d’or, pour puiser de l’eau. Dinocrate
s’étant donc approché, commença boire de cette
eau, sans qu’elle diminuât; lorsqu’il se fut rassasié, il
quitta le bassin avec joie pour aller jouer, comme font les enfants
de son âge; je m’éveillai là-dessus, et je connus
par là que mon frère désormais était hors de
peine" (Acta sanctae Perpetuae, apud Bolland. 7 martii).
Au quatrième siècle, nous lisons dans
Eusèbe, que l’empereur Constantin ordonna de placer son tombeau
dans l’église des saints Apôtres, qu’il avait fait élever
à Constantinople, et cela dans l’espérance d’avoir part
après sa mort aux prières qui se feraient en ce saint
lieu,comme il le déclara dans son testament.
Au cinquième siècle, nous avons le célèbre
témoignage que saint Augustin rend à la piété
de sa mère Monique. Il faut citer en entier ce beau passage
des confessions, qui est un témoignage si magnifique de la croyance
au Purgatoire (Augus. Conf. Lire IX, ch.11
et suiv.).
"Un certain jour, ma mère éprouva une faiblesse,
et perdit connaissance; nous accourûmes, mais déjà
elle avait repris ses sens, et regardant les assistants, elle nous reconnut
mon frère et
moi, et nous dit d’une voix plaintive; où donc étais-je?
et comme elle nous vit tout accablés de chagrin : c’est ici, ajouta-t-elle
que vous laisserez votre mère. Je ne répondis rien, dévorant
mes pleurs; mais mon frère; ajoutant quelques mots de consolation,
lui dit qu’il espérait bien qu’elle aurait le bonheur de reposer
dans la terre de sa patrie. Alors, lui lançant un regard tout
empreint de tristesse, pour lui montrer qu’elle avait compris, elle jeta
les yeux sur moi, et me dit : vois ce qu’il dit; et, un moment après,
s’adressant à tous les deux : vous mettrez mon corps où vous
voudrez; n’en prenez pas de peine. La seule chose que je vous demande,
c’est que, partout où vous vous trouverez, vous vous souveniez de
moi à l’autel du Seigneur."
Sur quoi saint Augustin fait ces belles réflexions.
"Maintenant que cette première douleur, à laquelle on
pourrait reprocher une affection trop naturelle est passée, je vous
louerai, Seigneur, au nom de votre servante, et je répandrai devant
vous d’autres larmes, non les larmes de la chair, mais ce larmes de l’esprit,
qui coulent à la pensée du péril où se trouve
toute âme qui a péché en Adam; car, bien que ma mère
ait
été vivifiée en Jésus-Christ , et qu’elle
ait vécu dans la chair, de manière à glorifier votre
nom par la vivacité de sa foi et la pureté de ses moeurs,
cependant, je n’ose affirmer que, depuis le
jour où vous l’avez régénérée par
le baptême, aucune parole contre vos commandements n’est sortie de
ses lèvres. Malheur à la vie la plus sainte, si vous
voulez la juger sans miséricorde ! Mais, parce que vous n’aimez
pas à rechercher les iniquités, j’ai la confiance filiale
qu’elle aura trouvé auprès de vous un peu d’indulgence."
"Ainsi donc, ô Dieu de mon coeur, ma gloire et ma
vie, je laisse de côté à dessein les bonnes oeuvres
que ma mère a faites, et dont je me réjouis avec tant de
grâces, pour vous demander seulement le pardon de ses péchés.
Exauce-moi par les blessures sanglantes de Celui qui mourut pour nous sur
le bois infâme, et qui maintenant assis à votre droite, est
notre intercesseur."
"Je sais qu’elle a toujours fait miséricorde et
qu’elle a remis de bon coeur les dettes que l’on avait contractées
envers elle; remettez-lui donc ses dettes à elle-même, si
elle en a contracté
quelqu’une envers vous, dans les nombreuses années qui se sont
écoulées, depuis le jour où elle a été
régénérée par le baptême.
Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui, je vous en conjure, et n’entrez
pas en jugement avec elle, car votre miséricorde surpasse votre
justice, vos paroles sont véritables, et vous avez promis miséricorde
aux miséricordieux.
"Cette miséricorde, je crois que vous l’avez déjà
faite, ô mon Dieu; mais acceptez l’hommage de mes lèvres.
Souvenez-vous qu’au moment de son passage à l’autre vie, votre servante
ne songea pour son corps ni à de pompeuses funérailles, ni
à des parfums précieux; elle ne demanda pas un sépulcre
magnifique, ni qu’on la rapportât dans celui qu’elle avait
fait faire à Tagaste, sa patrie, mais seulement que nous fissions
mémoire d’elle à votre autel, au mystère duquel elle
avait participé tous les jours de sa vie, sachant que c’est là
qu’on
dispense la Victime sainte, dont le sang a effacé la cédule
fatale de notre condamnation."
"Qu’elle repose donc en paix avec son mari, avec l’époux
à qui elle a été fidèle dans les joies de sa
virginité et dans les tristesses de son veuvage; avec celui dont
elle s’était faite la servante pour le gagner à vous, par
sa patience fructueuse. Et vous, Seigneur mon Dieu, inspirez à
mes fils spirituels, qui sont mes maîtres, puisque mon coeur, ma
voix, mes écrits sont à leur service, inspirez à tous
ceux qui me liront de se souvenir à votre autel de Monique votre
servante et de Patrice qui fut son époux. Ce sont eux qui m’ont
introduit en ce monde; comment ? Je n’en sais rien. Que tous ceux qui vivent
encore dans la lumière trompeuse de ce monde, se souviennent donc
pieusement de mes parents, afin que la dernière prière de
ma mère mourante soit exaucée, au delà même
de ses voeux, et qu’elle n’ait pas seulement le secours de mes prières,
mais encore celui d’un grand nombre d’autres."
J’ai voulu rapporter presque tout au long cette admirable
prière de saint Augustin pour sa mère défunte.
Quand on songe à la sainteté de Monique, que l’Église
a depuis placée sur les autels, quand on fait réflexion qu’au
moment où son fils écrivait ces lignes, il y avait vingt
ans environ qu’elle était devant Dieu, on voit ce que pensait ce
grand docteur de l’Église latine du Purgatoire et des sévérités
de la justice de Dieu.
Saint Grégoire le Grand, dans ses dialogues, rapporte
beaucoup d’apparitions d’âmes du Purgatoire; j’en citerai quelques-unes
dans le cours de cet ouvrage. Voici ce que dit à ce sujet
le P. Faber : "saint le Grand, dans ses dialogues, peut être considéré
comme le père de la dévotion qu’on a eue pour les âmes
du Purgatoire dans les siècles qui suivirent; aussi le P. Lefebvre
avait coutume de dire que si saint Grégoire le Grand devait être
honoré et aimé par plusieurs raisons, cependant il
n’en était pas de plus forte que celle-ci, c’est parce qu’il a exposé
d’une manière aussi claire que touchante la doctrine du Purgatoire.
Le P. Lefebvre croyait que, si saint Grégoire n’avait pas parlé
avec tant d’éloquence de ces saintes âmes, la dévotion
qu’on a eue pour elles dans les siècles postérieurs aurait
été moins ardente; c’est pourquoi toutes les fois qu’il prêchait
lui-même sur cette dévotion, il avait soin de la faire marcher
de front avec celle que nous devons avoir pour saint Grégoire."
(Tout pour Jésus, ch. IX).
Au sixième siècle, nous voyons établi
l’office des défunts, et les témoignages de la tradition
deviennent si nombreux qu’il serait impossible de les citer tous; je me
contenterai donc d’esquisser à grands traits l’histoire du culte
des morts dans l’Église, à partir de cette époque.
A la fin du dixième siècle, vivait à
Cluny un saint abbé nommé Odilon, c’est à lui que
l’on doit la touchante institution de la fête des morts, qui depuis
lors se célèbre chaque année dans l’Église
le 2 novembre, au lendemain du jour où l’Église a célébré
dans la fête de tous les saints les joies de l’Église triomphante;
voici à quelle occasion cette fête fut instituée.
Un religieux du pays de Rouergue ayant visité les
saints lieux de Jérusalem, s’embarqua sur mer pour revenir en son
pays, et fut jeté par la tempête dans une île déserte,
près des côtes de la Sicile, si connues par leurs volcans,
il y rencontra un pieux solitaire qui l’entretint longuement des choses
de Dieu. A la fin, l’hermite, s’informa de son pays, et apprenant qu’il
était d’Aquitaine, il lui demanda si le monastère de Cluny
était dans cette contrée, et s’il en connaissait l’abbé,
nommé Odilon. Le religieux lui ayant répondu qu’il
connaissait parfaitement l’abbé Cluny et son monastère,
voulut savoir à son tour pourquoi il lui faisait cette demande
: "Il y a près d’ici, répondit l’hermite, des lieux souterrains,
d’où s’échappent à chaque instant du jour et de la
nuit des flammes et des torrents de fumée, on y entend gémir,
au milieu de ces embrasements épouvantables, les âmes de ceux
qui n’ont pas encore satisfait entièrement pour leurs péchés.
Or dernièrement j’entendis les démons, qui sont les exécuteurs
de la justice de Dieu en ces lieux, se plaindre et se lamenter, disant
qu’Odilon par ses prières et ses bonnes oeuvres leur ravissait
un grand nombre de ces âmes; c’est pourquoi, quand vous serez
de retour dans votre pays, je vous prie d’aller voir Odilon de ma part,
et de lui raconter fidèlement tout ce que je vous dis, afin que
lui et ses amis frères continuent de plus en plus leurs prières,
leurs jeûnes, leurs aumônes pour ces malheureuses âmes,
pour qu’elles soient bientôt délivrées de telles peines.
Le religieux, de retour à Cluny, ne manqua pas
de raconter, en plein chapitre, à Odilon, ce qu’il avait appris
dans son voyage.
- L’abbé, frappé de cette vision, fit un décret
général pour tous les Monastères relevant de Cluny,
par lequel le 2 novembre était consacré à la mémoire
et au soulagement des fidèles défunts retenus dans le Purgatoire
; des Monastères de Cluny ce pieux usage passa peu à peu
dans l’Église, et le pape Jean XVI l’étendit à l’Église
universelle par décret apostolique.
Deux siècles plus tard, le grand poète de
l’Italie, Dante Alighieri, résumant dans sa magnifique épopée
toutes les pieuses croyances de son époque, réservait ses
chants les plus suaves , ses inspirations les plus touchantes, pour redire,
en des vers immortels, les expiations du Purgatoire.
On sait d’ailleurs quelle fut la dévotion du moyen
âge pour les morts; dans la plupart des villes, quand les ombres
de la nuit étaient descendues sur la cité, comme un voile
funèbre, et que chacun se reposait dans le sommeil des travaux de
la journée, la voix de veilleur de nuit se faisait entendre, au
milieu du silence, pour répéter cet avertissement : Bonnes
gens qui veillez, priez pour les trépassés.
Notre siècle, qui écarte avec tant de soin les
images de la mort, ne pas de trouver un pareil avertissement bien lugubre;
mais dans ces âges de foi on était moins délicat; l’Église
militante et l’Église souffrante ne formaient qu’une seule
famille; le souvenir des morts n’attristait pas; sous prétexte
de sensibilité, on ne s’étudiait pas à bannir impitoyablement
les chers défunts de la mémoire de ceux qu’ils ont aimés;
chaque jour, chaque dimanche, au moins, en allant à l’église,
on s’agenouillait au cimetière sur la tombe des aïeux.
Ce souvenir était bon pour tous. Il apprenait aux vivants
à bien vivre pour bien mourir; il procurait aux trépassés
de nombreux suffrages.
Pendant que nos pères reposaient tranquillement dans leurs alcôves
bien fermées, ils trouvaient bon qu’on leur rappelât leurs
parents, leurs amis, couchés à la même heure sur des
lits de flammes; à la voix du crieur de nuit, plus d’une prière
fervente montait vers le Ciel pour faire descendre le rafraîchissement
et la paix dans ces cachots embrasés; le pécheur faisait
un retour sur lui-même; la voix de la mort lui rappelait les responsabilités
de l’avenir, et jusque dans les bras vice, il sentait son coeur ébranlé,
et prenait souvent la résolution de se convertir.
Aujourd’hui nous avons changé tout cela; le souvenir
des morts nous importune, nous nous en débarrassons par l’éloignement
et par l’oubli; nous avons commencé par reléguer nos morts
loin, bien loin, à la limite extrême de nos villes.
Cependant ils sont encore trop près de nous; on les transporte à
des distances telles que ce sera bientôt voyage que d’aller les visiter;
ce n’est pas assez, on voudrait les anéantir, pour anéantir
en même temps les leçons importunes qui sortent de ces tombes.
Au rite chrétien de l’inhumation dans la terre bénie, au
dortoir commun, où dormaient nos pères à l’ombre de
la croix, on parle de substituer le rite tout païen de la crémation.
Quand un peuple en est là, quand il a perdu le sens de la mort,
on peut dire que c’est un peuple fini; ce n’est plus lui-même qu’un
cadavre qui se décompose, et déjà les fossoyeurs sont
à la porte. O Christ Jésus ! Est-ce ainsi que devait finir
ce vieux peuple Franc que vous aimiez tant, si j’en crois le cri national
de nos pères !
L’émotion m’a écarté de mon sujet;
j’y reviens. Au quinzième siècle, le concile de Florence
s’occupa longuement de la question du Purgatoire. Il ne s’agissait pas
entre les Grecs et les Latins de l’existence même du Purgatoire,
puisque toutes les liturgies orientales sont pleines de témoignages
à cet égard, mais la controverse s’était élevée
sur la nature et la durée des expiations, et, comme nous le verrons
ailleurs, pour ne pas faire obstacle à la réunion désirée
des Églises grecque et latine, le saint concile s’abstint de rien
définir à cet égard.
Au quinzième siècle, une voix blasphématrice,
s’éleva dans l’Église, condamnant pour la première
fois la prière pour les morts. Luther brisa, d’un trait de plume,
les liens sacrés qui nous rattachent à ceux qui ne sont plus;
il glaça la prière sur les lèvres, et l’espérance
dans le coeur de ceux qui pleurent une chère mémoire.
Plus de Purgatoire, plus d’état intermédiaire entre la
béatitude du ciel et les éternels désespoirs de l’Enfer.
C’était allé contre les inspirations les plus touchantes
du coeur de l’homme. Mais par une heureuse inconséquence, plus d'un
protestant se retrouve catholique auprès du tombeau de ceux qui
lui étaient chers, et malgré les sophismes de son esprit,
la prière jaillit naturellement de son coeur en faveur d’une épouse
ou d’un fils chéris, témoignage d’une âme sens contraire.
- Après avoir, au concile de Trente, vengé solennellement
l’ancienne foi sur ce point, en déclarant anathème à
quiconque nie le Purgatoire et l’utilité des suffrages pour les
morts.
(Sess. XI, can. XXX. et sess. XXII, ch. 11, sess. XXV decretum.)
L’Église provoque de toutes parts la formation de pieuses sociétés
qui s’engagent à prier pour les défunts. A Rome, le
pape Paul V autorise et encourage la (fin page 39)
40 :
pratique de communier un dimanche chaque mois en faveur des défunts
a Bruxelles on voit se former une congrégation dont le but est de
prier pour la délivrance des âmes du Purgatoire car disent
les statuts de cette association s'il y a dans l'Église des ordres
religieux très saintement établis pour la rédemption
des captifs à combien plus forte raison doit-il y avoir des congrégations
et des confréries qui s'emploient non pas à tirer des fers
les corps des chrétiens mais à délivrer leurs âmes
du Purgatoire ces pieuses confréries se multiplient en France en
Espagne par tout le monde chrétien et partout elles sont enrichies
de privilèges et de nombreuses indulgences par les Évêques
et les Souverains Pontifes notre dix-neuvième siècle qui
a tant de misères morales et qui malgré cela ou peut-être
à cause de cela restera le siècle des bonnes oeuvres n'a
pas voulu demeurer en arrière de ce magnifiques mouvement jamais
peut-être les personnes pieuses n'ont davantage prié pour
les morts la pratique du voeu héroïque en faveur des défunts
pratique qui n'existait guère qu'à l'état d'exception
s'est si bien généralisée qu'on a vu des communautés
entières faire ainsi aux défunts l'abandon de tout le mérite
de leurs bonnes oeuvres en beaucoup d'endroits s'est établi l'usage
de consacrer le mois de novembre tout au soulagement des âmes du
Purgatoire enfin dans ces dernières année un ordre religieux
s'est formé dont le but est de procurer par la prière et
le sacrifice le soulagement de ces pauvres âmes on lira avec intérêt
dans l'excellent petit livre du P. Blot intitulé les Auxiliatrices
du Purgatoire l'histoire de cette nouvelle famille religieuse dont les
débuts eurent l'honneur d'être inspirés soutenus
et bénis par le V. curé d'Ars
fin 40.
41:
en voilà assez pour prouver que si les impies cherchent à
effacer parmi le souvenir des morts si les indifférents les oublient
facilement et ne s'occupent guère de prier pour eux Dieu a voulu
remédier à ce mal en suscitant des âmes généreuses
qui ont adopté pour ainsi dire ces déshérités
du Purgatoire et qui ont entrepris de faire pour ceux que l'on
oublie si vite ce que chaque famille faisait pour les siens aux ages de
foi voilà à grand traits l'histoire du culte des morts dans
l'Église on voit par là que les définitions
du concile de Trente la tradition et les révélations des
saints concordent ensemble pour établir d'une manière irréfragable
la foi au Purgatoire l'existence du Purgatoire une fois bien établie
une question fort intéressante se présente ou est situé
le Purgatoire l'Église s'est bien gardée de rien définir
à cet égard les théologiens abondent chacun dans leur
sens la question est parfaitement libre j'essayerai donc à
l'aide du raisonnement appuyé sur les révélations
des saints d'établir ce qui me parait le plus probable
la tradition de tous les peuples les enseignements des anciens docteurs
l'étymologie même du mot placent l'Enfer au centre de la terre
Sainte Françoise Romaine dans ses révélations nous
apprend que le Purgatoire est un simple département de l'Enfer suivant
elle l'Enfer est divisée en quatre compartiments ou zones au centre
même est le séjour des damnés puis en rapprochant de
la surface du globe on rencontre le Purgatoire le limbe des anciens part
times et enfin le limbe des petits enfants morts sans baptême tout
ceci est parfaitement conforme au sentiment de saint Thomas d'après
lequel le feu du Purgatoire est le même que celui de l'Enfer d'ou
il s'ensuit que le Purgatoire et l'Enfer sont voisins ce sentiment
fin 41.
42 :
s'accorde très bien avec les données de la science moderne
sur le feu central il faut admettre néanmoins qu'il y a des exceptions
et que la justice de Dieu permet quelquefois que l'expiation d'une âme
se fasse aux lieux mêmes ou elle a péché (Illust. miracula,
lib. XXVIII , cap. XXXVI ). d'autre fois surtout pour ceux qui sont
morts de mort violente il parait que c'est au lieu même ou ils ont
été tués que se fait l'expiation les légendes
de tous les grands champs de bataille de tous les endroits ou le sang a
coulé par le crime nous parlent de voix plaintives entendues la
nuit pour demander des prières en faisant aussi large que l'on voudra
la part de la superstition et de la frayeur il me paraîtrait dur
de rejeter en bloc tous les faits de ce genre que l'on rapporte d'autant
plus qu'un bon nombre ont pour garants des auteurs sérieux c'est
ainsi que Trithème dans sa CHRONIQUE (année 1058 )
raconte l'histoire de nombreux soldats apparaissant à des religieux
sur le champ de bataille ou ils étaient tombés pour réclamer
des prières et dans un ouvrage plus récent la Vie du P. Joseph
Anchieta surnommé à cause de son zèle apostolique
l'apôtre du Brésil on voit de malheureux assassinés
se dresser sur le bord du lac ou leurs dépouilles avaient été
jetées pour réclamer les prières du saint prêtre
faut-il en conclure qu'il n'y a pas de lieu spécial assigné
à la purification des âmes ? ce serait aller trop loin
et généraliser des exceptions le très grand nombre
des révélations qui concernent le Purgatoire assigne aux
âmes qui y sont condamnées un lieu spécial ou elles
sont réunis pour souffrir et pour expier un très grand nombre
d'autres révélations assignent à ce lieu les entrailles
de la terre l'Église semble insinuer cette opinion
43:
dans sa liturgie quand elle demande pour les défunts que la
miséricorde de Dieu les arrache des portes de l'Enfer ( A porta
inferi erue, Domine, animas eorum ; ) et quand elle leur fait pousser leurs
gémissements des profondeurs de l'abîme De profundis
clamavi ad te domine nous conclurons donc avec saint Thomas " que quant
au lieu du Purgatoire il n'y a rien d'expressément déterminé
dans l'écriture et l'on ne peut à ce sujet apporter de raisons
décisives cependant il est probable et tout à
fait conforme au sentiment des saints et aux révélations
faites à plusieurs que le lieu du Purgatoire est double le
premier et c'est la loi commune est voisin de l'Enfer en sorte que c'est
le mme feu qui tourmente les damnés dans l'Enfer et qui purifie
les justes dans le Purgatoire le second lieu du Purgatoire n'existe que
par une sorte de dispense et c'est ainsi que nous lisons que des âmes
ont été punies en différents lieux soit pour l'instruction
des vivants soit pour le soulagement des morts qui sont mis ainsi en état
de réclamer nos suffrages et de voir diminuer leurs peines " IIIa
parte, in suppl. -- De Purgat., art. 2. )
fin 43.
Chapitre 3 Les peines du Purgatoire - Leur Rigueur p.44 - 67
Entrée de l'ame dans le Purgatoire - Peines du Purgatoire - Double peine, peine du dam, peine du sens - Rigueur des peines du Purgatoire.- Exemples nombreux à ce sujet. - Chatiments des plus petites fautes - Nécessité de prier pour les plus saints.
44:
Nous avons laissé l'âme au tribunal de Dieu attendant
avec anxiété sa sentence supposons qu'elle est condamnée
au Purgatoire voici ce qui va arriver aussitôt que le juge à
parlé l'âme est conduite au lieu qui lui est assigné
pour son expiation Sainte Catherine de Genes dans son admirable traité
du Purgatoire nous apprend que l'âme court s'y précipiter
d'elle-même tant elle se fait horreur aux clarté de
la Sainteté infinie et tant elle a hâte de se purifier de
ses souillures voici ses paroles traité du Purg., VII et VIII.
" Comme l'esprit net et purifié ne trouve son repos qu'en Dieu pour
lequel il a été crée ainsi l'âme qui est en
péché n'aura d'autre place que l'Enfer Dieu le lui assigne
pour sa fin a l'instant de la séparation de l'esprit et du corps
l'âme qui a quitté son enveloppe en état de péché
mortel se rend au lieu qui lui est destiné elle y est conduite par
la nature même du péché et si dans ce moment elle ne
trouvait pas cette disposition émanée de la justice de Dieu
elle demeurerait dans un Enfer pire que celui qui existe car elle serait
en dehors d'une ordonnance qui participe de la divine miséricorde
et ou la souffrance est moindre que la peine méritée
"
45:
"Il en est de même du Purgatoire l'âme séparée
du corps n'étant pas nette voit en elle un empêchement qui
ne peut lui être ôté que par le moyen du Purgatoire
elle va volontairement s'y jeter si ce lieu préparé pour
la délivrer de l'obstacle qui la sépare de Dieu n'existait
pas un Enfer pire que le Purgatoire s'engendrerait en elle au moment même
car elle comprendrait que cet obstacle ne lui permettrait pas de s'approcher
de son but et de sa fin" "Je dirai plus encore de la part de Dieu le Paradis
n'a point de portes mais quiconque veut y entrer entre car le Seigneur
est tout miséricorde et il se tient vis-à-vis de nous les
bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire" "Mais je vois aussi que
cette divine essence est d'une telle pureté que l'âme qui
trouve en soi le moindre atome
d'imperfection se précipiterait en mille Enfers plutôt
que de demeurer avec une tache en la présence de la Majesté
infinie" "Trouvant donc le Purgatoire disposé pour lui enlever ses
souillures elle s'y élance et elle estime que c'est par l'effet
d'une grande miséricorde qu'elle découvre un lieu ou
elle peut se délivrer de l'empêchement qu'elle voit en elle"
Les révélations des saints confirment ces vues de Sainte
Catherine de Genes sur la spontanéité avec laquelle l'âme
se précipite au Purgatoire pour y demeurer jusqu'a ce qu'elle ait
expié toutes ses fautes voici ce que j'ai lu dans Sainte Gertrude
une jeune religieuse de son monastère qu'elle aimait singulièrement
à cause de ses grandes vertus était mort dans les plus
beaux sentiments de piété pendant qu'elle recommandait ardemment
cette chère âme à Dieu elle fut
46:
ravie en extase elle aperçut la défunte devant le trône
de Dieu environnée d'une brillante auréole et couverte de
riches vêtements cependant elle paraissait triste et préoccupée
ses yeux étaient baissés comme si elle eut honte de paraître
devant la face de Dieu on eut dit qu'elle voulait se cacher et s'enfuir
Gertrude toute surprise demanda au divin Époux des vierges la cause
de cette tristesse et de cet embarras extraordinaire :" Très doux
Jésus s'écria t-elle pourquoi dans votre bonté infinie
n'invitez-vous pas votre épouse à s'approcher de vous et
à entrer dans la joie de son Seigneur ? pourquoi ne lui ouvrez-vous
pas vos bras et la laissez-vous à l'écart triste et craintive
?" Alors Notre Seigneur fit signe à cette bonne religieuse de s'approcher
et il lui souriait avec amour mais elle de plus en plus troublée
hésitait et enfin toute tremblante elle fit une grande inclinaison
et s'éloigna alors sainte Gertrude encore plus étonnée
s'adresse directement à l'âme : Eh bien ! ma fille le Sauveur
vous appelle et vous vous éloignez vous avez désiré
ce bonheur toute votre vie et maintenant que vous étés appelée
à en jouir vous n'avez plus que de la froideur ne voyez-vous pas
le bon Jésus qui vous attend ?" Ah ma mère répondit
cette âme je ne suis pas encore digne de paraître devant l'Agneau
immaculé il me reste des souillures que j'ai contractées
sur terre pour s'approcher du soleil de justice il faut être plus
pur que le rayon de la lumière je n'ai pas encore cette pureté
parfaite qu'il aime à contempler dans ses saints sachez que lors
même que la porte du Ciel me serait ouverte toute grande quand il
dépendrait de moi de m'y élancer d'un bond je n'oserais le
faire avant d'être entièrement purifiée des plus petites
taches il me semble que
le choeur des vierges qui suit l'Agneau en tous lieux me repousserait
bien loin." "Eh quoi !
47 :
reprit la sainte abbesse je vous vois pourtant environnée de
lumière et de gloire !" -"Ce que vous voyez répondit l'âme
n'est que la frange du vêtement de l'immortalité c'est bien
autre chose quand on voit Dieu qu'on vit en lui et qu'on le possède
à jamais mais pour cela il ne faut pas avoir une souillure." L'âme
est donc portée d'elle-même à se plonger dans les flammes
du Purgatoire cependant d'après sainte Françoise Romaine
et plusieurs autres saints l'ange gardien est chargé d'introduire
l'âme en ce lieu d'expiation ce qui du reste ne contredit nullement
ce que je viens de dire Vassite Anna-Marie Taigi morte
en odeur de sainteté dans le courant de ce siècle vit ainsi
l'âme d'un excellent prêtre conduite en Purgatoire par son
ange gardien il semble par là que le démon n'a pas de pouvoir
sur ces saintes âmes qui ont triomphé de ses ruses et de ses
assauts pendant la vie conduite par son ange gardien cette âme prédestinée
court au lieu des expiations et une place lui est assignée selon
la nature de ses fautes O Dieu quelle terrible impression doit alors se
faire dans cette âme il n'y a qu'un instant alors qu'elle vivait
encore dans la chair elle reposait dans un bon lit et chacun de ceux
qui l'assistaient s'ingéniait par tous les moyens possibles
à adoucir les souffrances de son agonie maintenant la voici plongée
dans les flammes n'ayant pour couche que des brasiers ardents sans aucun
soulagement sans aucune autre consolation que l'espérance de voir
dans un temps bien éloigné peut-être finir ces indicibles
tourments ah si l'on pensait souvent à cette heure effroyable on
ne pêcherait pas et l'on se consumerait en pénitences
et en expiations pour effacer les derniers reste de ses souillures et pour
ceux qui sont là auprès de
48:
ce cadavre (encore chaud), s'ils y pensaient, quelle prédication
convaincante ! Mais au lieu de cela, l'esprit de foi est si peu vivant
dans les âmes qu'on éprouve d'ordinaire un sentiment de soulagement,
en pensant que le pauvre malade en est quitte des souffrances de la vie.
On dit, je l'ai entendu bien des fois : Il est bien heureux, il ne souffre
plus; parole païenne, parole exécrable, que je n'ai jamais
entendue sans frémir ! Il ne souffre plus ! Et qu'en savez-vous
? Avez-vous donc la certitude que cette âme était assez pure
pour entrer de suite au Ciel ? Ah ! Chrétiens, en présence
de ce cadavre qui ne souffre plus, c'est vrai, pensez donc à cette
âme qui commence, à cette heure, à savoir ce que c'est
que souffrir, car les souffrances de la maladie la plus aiguë ne sont
rien, en comparaison des peines de l'autre vie ; pensez au Purgatoire où
cette âme fait son entrée à cette heure ; pensez à
ces flammes dévorantes au milieu desquelles elle doit habiter désormais,
et au lieu de prodiguer au défunt ces louanges banales, qui ne sauraient
lui servir, tombez à genoux près de ce lit funèbre,
et commencez par une prière fervente ce grand ministère de
soulagement, que vous devez continuer, jusqu'au jour où vous pourrez
penser qu'à force de prières, de bonnes œuvres et d'expiations
de votre part, cette âme est enfin arrivée à la béatitude.
Alors seulement vous pourrez vous reposer et dire : il est bien heureux,
il ne souffre plus.
En effet, d'après l'enseignement de tous les docteurs, les souffrances du Purgatoire sont sans proportion aucune avec ce que l'on appelle de ce nom sur la terre. D'après saint Thomas, qui résume ici tout l'enseignement de l'école, les peines du Purgatoire sont les mêmes que celles de l'Enfer, à la durée près. Après les théologiens voulez-vous consulter les mystiques ? Voici ce que dit sainte Catherine de Gênes à ce sujet :
49 :
"Les âmes éprouvent un tourment si extrême qu'aucune
langue ne pourrait le raconter, ni aucun entendement en donner la moindre
notion si Dieu ne le faisait connaître par grâce spéciale."
(Traité du purg. II.)
"Aucune langue ne saurait exprimer, aucun esprit ne saurait se faire une idée de ce qu'est le Purgatoire. Quant à la grandeur de la peine, elle égale l'Enfer.". (Même traité. VIII.)
Il y a dans le Purgatoire comme dans l'Enfer une double peine, la peine du dam qui consiste en la privation de Dieu, et la peine du sens.
La peine du dam est sans comparaison la plus grande ; elle est d'autant plus vive que ces âmes, étant dans l'amitié de Dieu, ressentent un besoin plus vif de s'unir à Lui. Voici la belle similitude qu'emploie à cette occasion sainte Catherine.
"Si dans le monde entier il n'y avait qu'un seul pain, dont la simple
vue dût rassasier toutes les créatures, et si, d'autre part,
l'homme ayant par nature, quand il est sain, l'instinct de manger, ne mangeait
point, et que cependant il ne pût ni tomber malade ni mourir, sa
faim croîtrait toujours, parce que jamais son instinct de manger
ne diminuerait, et sachant que le pain en question le rassasierait, et
sachant que le pain en question pourrait lui être ôté,
il serait nécessairement dans une peine intolérable ; plus
il approcherait de ce pain, sans le voir, plus aussi s'enflammerait en
lui le désir naturel qui le pousserait constamment vers cet aliment,
objet de toute son envie.
Mais s'il était sûr de ne jamais voir ce pain, il aurait
en ce point, un enfer accompli, comme les âmes damnées, lesquelles
sont privées de l'espérance de voir
50 :
jamais Dieu, notre Rédempteur, qui est le vrai pain. Les âmes
du Purgatoire, au contraire, ont l'espérance de voir le pain et
de s'en rassasier complètement, mais elles souffrent une faim très
cruelle, et sont dans une grande peine, tant qu'elles ne peuvent pas se
nourrir de ce pain qui est Jésus-Christ, vrai Dieu Sauveur et notre
amour". (Traité du Purg. VI.)
L'Église ne s'est pas prononcée sur la nature de la peine du sens. - Au concile de Florence, la question fut longuement débattue entre les Grecs et les Latins, mais pour ne pas mettre obstacle à la réunion projetée des deux Églises, on s'abstint de rien décider. Néanmoins touts les Théologiens enseignent que cette peine est celle du feu, comme pour les damnés. Il y aurait donc témérité à s'écarter de cette opinion, qui a pour elle toute l'école. D'après saint Grégoire le Grand, saint Augustin et saint Thomas, ce feu est substantiellement le même que celui de l'Enfer ; l'éternité seule fait la différence. Et maintenant que nous avons entendu les Théologiens, il faut en venir aux révélations des saints et descendre, à leur suite, dans ces sombres et brûlants cachots. C'est un triste spectacle, mais il est trop instructif pour que nous le laissions passer. Après tout, empruntant la pensée de saint Augustin au sujet de l'Enfer, je dirai qu'il vaut encore mieux descendre par la pensée dans ces mystérieux abîmes pendant la vie, que de s'exposer à y descendre en réalité après la mort.
J'ai trouvé le fait suivant dans l'historien du Père Stanislas Chocosca, Dominicain, et je le rapporte parce qu'il est bien propre à nous inspirer une juste terreur des rigueurs du Purgatoire (V. Bzovius. Hist. De Pologne, année 1590.)
Un jour qu'il priait pour les défunts, une âme lui
51 :
apparut toute dévorée de flammes ; le Saint lui demanda
si ce feu était plus pénétrant que celui d'ici-bas.
"Ah ! s'écria cette âme, tous les feux de la terre comparés
à celui du Purgatoire sont comme un souffle rafraîchissant."
- "Eh quoi ! Est-ce possible, reprit le religieux, je voudrais bien en faire l'épreuve, à condition que ce fût autant d'ôté à mon expiation future." - "Un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt en supporter la moindre partie ; cependant pour te convaincre, étends la main."
Stanislas, sans s'effrayer, lui tend la main, sur laquelle le défunt laisse tomber une goutte de sa sueur, ou au moins d'un liquide qui en avait l'apparence ; à l'instant celui-ci pousse un cri perçant et tombe sans connaissance, tant la douleur est affreuse.
Les religieux de la maison accourent, on s'empresse autour de lui, on lui prodigue tous les soins que réclame son état ; à la fin il revient à lui, et tout plein encore de terreur, il raconte l'effrayant événement dont il a été le témoin et la victime : "Ah ! disait-il avec une éloquence convaincue et convaincante, ah ! mes Pères, si nous connaissions la rigueur des châtiments divins, jamais nous ne pécherions ; faisons pénitence pendant la vie, pour n'avoir pas à la faire dans l'autre, car ces expiations sont terribles ; combattons nos défauts pour nous en corriger, et surtout gardons-nous des petites fautes, car le Juge éternel en tient compte. La majesté divine est si sainte qu'elle ne souffre pas la moindre tache dans ses élus ; ils fuiraient d'eux-mêmes le séjour de la gloire immortelle, s'il leur était donné d'y pénétrer en cet état…"
Ayant ainsi parlé, il se mit au lit et vécut encore un an, dans des souffrances intolérables que lui causait l'ardeur de sa plaie ; avant d'expirer, il exhorta encore une fois ses
52 :
frères à se souvenir des rigueurs de la justice divine,
et il mourut dans la paix des enfants de Dieu.
L'historien, sur la foi duquel je rapporte cette histoire, dit que cet exemple terrible ranima la ferveur dans tous les Monastères, et que chaque religieux s'excitait à l'envi à servir Dieu avec ferveur, pour éviter ces supplices vraiment effroyables.
Un fait presque semblable arriva à la bienheureuse Catherine de Racconigi. - (V. Diario Dominicano, vie de la Bienheureuse, 4 sept.).
Un soir qu'elle était étendue dans son lit, avec une grosse fièvre, elle se mit à penser aux ardeurs du Purgatoire.
Bientôt, selon son habitude, elle s'éleva de la méditation
à l'extase, et elle fut conduite par Notre Seigneur dans le Purgatoire.
Elle vit ces brasiers ardents, ces flammes dévorantes, au milieu
desquelles sont retenues les âmes à qui il reste quelque expiation
après la mort ; pendant qu'elle contemplait ce lamentable spectacle,
elle entendit une voix qui lui dit : "Catherine, afin que tu puisses procurer
avec plus de ferveur la délivrance de ces âmes, tu vas ressentir
tout cela pour un moment". A l'instant une étincelle se détache
et vient la frapper à la joue gauche ; ses compagnes qui se tenaient
auprès d'elle pour la soigner, virent très bien cette étincelle,
et elles virent en même temps avec terreur son visage enfler d'une
manière prodigieuse ; il demeura plusieurs jours dans cet état,
et la Bienheureuse racontait à ses Sœurs que les souffrances qu'elle
avait endurées, et elle avait beaucoup souffert jusqu'à ce
jour, n'étaient rien en comparaison de ce que cette simple étincelle
lui faisait éprouver. Jusque-là, elle s'était occupée
d'une manière toute spéciale de soulager les âmes du
Purgatoire, mais à partir de ce moment, elle
53 :
redoubla de ferveur et d'austérités pour accélérer
leur délivrance, car elle savait par expérience le grand
besoin qu'elles ont d'être délivrées de leurs supplices.
Voici encore un trait que j'ai trouvé dans la vie de saint Nicolas Tolentino, et qui est bien intéressant pour le sujet que je traite dans ce chapitre. (V. Vie de saint Nicolas Tolentino, Surius, 10 sept.).
Un samedi qu'il reposait pendant la nuit, il vit en songe une pauvre âme en peine, qui le suppliait de dire, le lendemain matin, la sainte messe pour elle, et pour plusieurs autres âmes qui souffraient de manière affreuse dans le Purgatoire ; Nicolas reconnaissait très bien la voix, bien qu'il ne pût se rappeler celui à qui elle appartenait. "Qui êtes-vous donc, demanda-t-il ?" - "Je suis répondit l'âme, votre défunt ami, le frère Pellegrino d'Osimo ; j'avais mérité, par mes fautes, les châtiments éternels de l'Enfer ; je leur ai échappé par la miséricorde de Dieu, mais je n'ai pu éviter l'expiation douloureuse qui me reste à faire pour un long temps. Je viens, en mon nom et en celui d'âmes malheureuses, vous supplier de dire demain la sainte messe ; nous en attendons notre délivrance, ou au moins un grand soulagement."
"Que le Seigneur, répondit le saint, vous applique lui-même les mérites de son sang, mais pour moi je ne puis vous secourir en vous disant demain cette messe de Requiem, car je suis l'officiant de semaine, et demain dimanche je ne puis célébrer au chœur la messe des défunts". - "Ah ! venez au moins avec moi, s'écria le défunt, avec des gémissements et des larmes, je vous en conjure par l'amour de Dieu, venez contempler nos souffrances et vous ne me laisserez pas plus longtemps dans de pareilles angoisses.
Alors, il lui sembla qu'il était transporté dans le Pur-
54 :
gatoire. Il vit une plaine immense où une grande multitude d'âmes
de tout âge, de toute condition, étaient livrées à
des tortures diverses et épouvantables. Il faudrait la plume du
change de l'Enfer et du Purgatoire pour redire les tourments indicibles
de ces pauvres âmes, et encore l'imagination du Dante paraît
pâle pour rendre de pareils tableaux. Je n'essayerai donc pas de
le faire. Qu'il me suffise de dire que toutes ces pauvres âmes imploraient
tristement le bienheureux Nicolas. Voilà, lui dit le frère
Pellegrino, la situation de ceux qui m'ont envoyé vers vous ; or
comme vous êtes agréable à Dieu, nous avons la confiance
qu'il ne refuserait rien à l'oblation du saint sacrifice faite par
vous, et nous sommes sûrs que la divine miséricorde nous délivrerait.
A ce lamentable spectacle, le saint, dont la bonté était
grande, ne pouvait retenir ses larmes : il se mit aussitôt en prière
pour soulager tant le malheureux, et le lendemain matin, il alla trouver
son prieur pour lui raconter ce qui s'était passé. Celui-ci,
partageant son émotion, le dispensa, pour ce jour-là et pour
toute la semaine, de sa fonction d'hebdomadaire, afin qu'il pût offrir
le saint sacrifice, et se consacrer tout entier au soulagement de ces pauvres
âmes ; le saint se rendit à la sacristie, et célébra
avec une extraordinaire dévotion la messe demandée. Pendant
toute la semaine, il continua d'offrir le saint sacrifice à cette
intention, s'occupant en outre, jour et nuit, à toutes sortes de
bonnes œuvres et de macérations ; il prolongeait ses oraisons, jeûnant
au pain et à l'eau, se donnait de sanglantes disciplines, et portait
autour des reins une chaîne de fer étroitement serrée.
Plusieurs fois, pendant cette semaine, le démon essaya de le trouver
dans ces saints exercices, mais il tint bon avec courage, et à la
fin de la semaine, le frère Pellegrino lui apparut de nouveau, mais
non plus
55:
livré à d'effroyables tortures ; il était revêtu
d'une robe blanche, et tout environné d'une splendeur céleste
dans laquelle se jouaient une quantité d'âmes bienheureuses
; toutes le saluèrent en l'appelant leur libérateur, et en
s'élevant au ciel, elles chantaient le verset du psalmiste, (Salvasti
nos de affligentibus, nos,, et odientes nos confudisti;) Vous nous avez
délivrés de ceux qui nous……
Je terminerai ce que j'ai à dire des rigueurs du Purgatoire par l'histoire suivante. (Ferd. De Castille, hist. De saint Dominique. IIè partie, liv. I, chap. XXIII).
A Zamora, ville du royaume de Léon, en Espagne, vivait,
dans un couvent de dominicains, un bon religieux qui s'était lié
d'une étroite et sainte amitié avec un franciscain, comme
lui, homme de grande vertu ; un jour qu'ils causaient entre eux des choses
éternelles, ils se promirent mutuellement que le premier qui mourrait,
apparaîtrait à l'autre, s'il plaisait à Dieu, pour
l'instruire de son sort en l'autre monde. Ce fut le frère mineur
qui mourut le premier ; il tint sa promesse, et un jour que le fils de
Saint-Dominique préparait le réfectoire, il lui apparut,
en après l'avoir salué avec affection, il dit à son
ami qu'il était sauvé mais qu'il lui restait beaucoup à
souffrir, pour une infinité de petites fautes dont il n'avait pas
eu assez de repentir pendant sa vie. "Rien sur la terre ne peut donner,
lui dit-il, une idée de ces tortures ; en voulez-vous une preuve
sensible ?" Il étendit la main droite sur la table du réfectoire
; la marque s'y enfonça aussi profondément que si l'on y
eût appliqué un fer rouge. On peut se faire une idée
de l'émotion du dominicain. Cette table se conserva à Zamora
jusqu'à la fin du siècle dernier ; depuis, les révolutions
l'ont fait disparaître, comme tant d'autres souvenirs intéressants
pour la piété.
Mais peut-être on dira que ces affreux supplices sont
56 :
réservés aux grands pêcheurs, à ceux qui
ayant accumulé leurs dettes pendant la vie, ne se sont convertis
qu'à la mort, et n'ont pas eu le temps de faire pénitence.
Hélas ; il faut encore perdre cette illusion ; ce sont des fautes
relativement légères qui sont punies avec cette rigueur ;
on a pu voir dans les exemples cités plus haut qu'il ne s'agit pas
de grands pécheurs, ce sont de bons religieux, de fervents chrétiens,
qui subissent ces rudes expiations ; mais les faits que je vais rapporter,
mettront encore mieux cette vérité dans son jour.
On lit dans la vie de la vénérable Agnès
de Jésus, religieuse dominicaine, que pendant plus d'une année
elle s'imposa de grandes pénitences et adressa à Dieu beaucoup
de ferventes prières pour le repos de l'âme du père
de son confesseur, le Père Panassière. Cet homme lui apparaissait
souvent, sollicitant instamment ses suffrages ; un jour il lui appliqua
simplement la main sur l'épaule, et c'en fut assez pour qu'elle
ressentît pendant plus de six heures les ardeurs intolérables
du Purgatoire. Il fut enfin délivré après treize mois
de tortures ; sur quoi les auteurs des mémoires sur la vie de la
Mère Agnès font remarquer la rigueur des jugements de Dieu
: c'est homme avait vécu saintement dans le siècle ; c'était
un confesseur de la foi, car il avait été rudement éprouvé
par les protestants de Nîmes, jusque-là qu'on s'était
emparé de ses biens, qu'on l'avait jeté en prison et vexé
de toutes manières ; avant de mourir il avait supporté avec
patience une longue et douloureuse maladie, et nonobstant tant de mérites
acquis, nonobstant les jeûnes, les prières, les disciplines
de la charitable Agnès, nonobstant les messes nombreuses célébrées
par le Père Panssière, son fils, il resta ainsi plus d'un
an livré à d'effroyables tortures.
Voici un exemple plus remarquable encore. Pendant
57:
que cette même Mère Agnès était Prieure
de son couvent, une de ses religieuses, nommée sœur Angélique,
vint à mourir, et le lendemain, le confesseur de la communauté
ordonna à la Mère d'aller prier sur son tombeau ; elle y
fut aussitôt, et se trouvant là, seule, à genoux, pendant
la nuit, elle fut saisie d'une frayeur subite ; c'était vraisemblablement
l'ennemi des âmes qui voulait détourner la Prieure de son
charitable office ; mais habituée depuis longtemps à ses
ruses, elle tint ferme, et offrit à Dieu cet effroi comme expiation,
lui représentant, en même temps, que ce n'était pas
la curiosité mais l'obéissance qui la portait à s'enquérir
de l'état de cette âme et que, puisqu'il lui avait plu de
la faire bergère de cette pauvre brebis, il était naturel
qu'elle s'en mît en peine après sa mort. A l'instant elle
vit devant elle la défunte, en habit de religieuse, et elle sentit
comme une flamme ardente qu'on lui portait au visage. Alors la sœur, avec
une grande humilité, lui demanda pardon des peines qu'elle lui avait
causées pendant la vie, et à la mort, la remerciant de l'assistance
qu'elle avait bien voulu lui donner. La Mère Agnès, de son
côté, lui demandait pardon, toute confuse, prétendant
dans son humilité ne lui avoir pas rendu tous les offices auxquels
elle était tenue, par sa charge de supérieure. Cependant
la sœur Angélique la remerciait en particulier de ce que souvent,
pendant sa vie, elle lui avait répété cette parole
des saints livres : " Maudit soit celui qui fait l'œuvre de Dieu négligemment".
Elle l'invitait en même temps à continuer de former les sœurs
à servir Dieu avec diligence, et à l'aimer de tout leur cœur.
"Si on pouvait comprendre, lui dit-elle, combien grands sont les tourments
du Purgatoire, on serait toujours sur ses gardes".
(Vie de la V. Mère Agnès de Jésus, IIIè
part., chap. X).
On sait quelle était la ferveur des premières compagnes
58 :
de sainte Thérèse, de ces âmes d'élite qu'elle
s'était associées, pour la réforme du Carmel. Cependant,
malgré leur sainteté, malgré leur héroïque
pénitence, presque toutes passèrent par les supplices du
Purgatoire. Voici ce que la Sainte raconte de l'une d'elle (Vie de sainte
Thérèse, écrite par elle-même, chap. XXXVIII)
: "Une religieuse de ce monastère, grande servante de Dieu, était
décédée, il n'y avait pas encore deux jours ; on célébrait
l'office des morts pour elle dans le chœur, une sœur lisait une leçon
et j'étais debout pour dire le verset ; à la moitié
de la leçon, je vis l'âme de cette religieuse sortir du fond
de la terre et aller au Ciel".
"Dans ce même monastère venait de mourir à l'âge de dix-huit à vingt ans une autre religieuse, vrai modèle de ferveur, de régularité et de vertu ; sa vie n'avait été qu'un tissu de maladies et de souffrances patiemment endurées. Je ne doutais pas qu'après avoir ainsi vécu, elle n'eût plus de mérite qu'il ne lui en fallait pour être exempte du Purgatoire ; cependant tandis que j'étais à l'office, avant qu'on ne la portât en terre et environ quatre heures après sa mort, je vis son âme sortir également de terre et aller au Ciel".
Un lecteur dira peut-être, qu'après tout, voilà
un Purgatoire assez léger, et que ces deux saintes âmes s'en
sont tirées à bon compte, mais qu'il réfléchisse
d'une part à la sainteté de vie de ces premières Carmélites
et de l'autre à l'atrocité des supplices du Purgatoire, et
il sera épouvanté des rigueurs de la justice divine. Hélas
! si nous étions condamnés à mourir dans les flammes,
et que la cruauté du bourreau pût nous y conserver la vie
pendant deux jours, ou même pendant quatre heures, quels ne seraient
pas nos cris et notre désespoir ; et qu'est-ce que le feu de la
terre, en comparaison de celui de l'autre vie ? un
59 :
souffle rafraîchissant, lenis aura, dit la révélation
faite au Père Stanislas Chocosa, dont j'ai parlé plus haut.
J'insiste sur ce point parce que la sévérité de la
justice de Dieu, s'exerçant ainsi sur les plus saintes âmes,
est bien propre à faire réfléchir les pauvres pécheurs
comme nous, qui, par nos fautes répétées, nous préparons,
sans y penser, un effroyable Purgatoire ; c'est pourquoi avant de conclure,
je veux encore citer deux ou trois faits à l'appui. - Le trait suivant
est tiré de la vie de la bienheureuse Etiennette Quinzana. (Vie
de la Bienheureuse).
Une religieuse dominicaine, nommée sœur Paule était
morte à Mantoue, après une longue vie sanctifiée par
les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté
à l'église et placé à découvert dans
le chœur, au milieu de religieuses ; or, pendant que l'on chantait le Libera
pour l'absoute, selon les rites de la sainte Église, la bienheureuse
Etiennette Quinzana, qui était liée d'une étroite
amitié avec la défunte, s'agenouilla auprès de la
bière, et se mit à recommander à Dieu son amie, avec
toute la ferveur dont elle était capable. Mais voici que, tout à
coup, la défunte laissant tomber le crucifix qu'on lui avait mis
entre les mains, étende la main gauche, et saisissant la main droite
de la bienheureuse, la serre avec tant de force qu'on ne peut lui faire
lâcher prise. Pendant plus d'une heure, ces deux mains restèrent
étroitement serrées ; en même temps, la sœur Etiennette
entendait au fond de son cœur une parole non articulée qui disait
: "Secourez-moi, ma sœur, secourez-moi dans les affreux supplices que j'endure
; oh ! si vous saviez la rage de nos ennemis invisibles à l'heure
de la mort, et la sévérité du Juge qui veut notre
amour, avec quel soin les moindres fautes sont discutées, et quelle
expiation on est condamné à en faire avant d'arriver à
la récompense ! si vous saviez comme il faut
60 :
être pur pour obtenir la couronne immortelle ! priez bien pour
moi maintenant ; placez-vous entre la justice de Dieu et les fautes de
sa servent : priez, priez et faites pénitence pour moi qui ne peux
plus m'aider". Toute la communauté voyait avec stupéfaction
cette étreinte des deux mains, bien que personne n'entendit les
plaintes de la défunte ; enfin le supérieur intervient et,
au nom de l'obéissance, commanda à sœur Paule de lâcher
Etiennette. Aussitôt la morte obéit, et sa main retomba inanimée
dans son cercueil.
L'histoire de la bienheureuse rapporte qu'elle fut fidèle à la prière de son amie ; elle se livra à toutes sortes de pénitences, d'œuvres satisfactoires, jusqu'à ce qu'une nouvelle révélation vînt lui apprendre que sœur Paule était enfin délivrée de ses supplices et admise dans la gloire.
Je voudrais que les âmes pieuses se pénétrassent parfaitement de ces exemples et en profitassent pour s'amender. Les petites imperfections, ces fautes de chaque jour qu'elles portent chaque semaine au saint tribunal, sans en avoir, hélas ! bien souvent, une contrition suffisante, trouvent là une expiation rigoureuse ; c'est ce que l'on verra dans l'histoire suivante. (Vie de Cornélie Lamprognana, par Hipp. Portus, ch. XXVIII).
Cornélie Lamprognana était une sainte femme qui vécut
à Milan, à l'imitation de sainte Françoise Romaine,
dans la profession parfaite des trois états de vierge, d'épouse
et de veuve ; elle était très étroitement unie par
une amitié surnaturelle, avec une religieuse du tiers-ordre de Saint-dominique
; un jour qu'elles s'entretenaient ensemble des choses de l'autre vie,
elles se promirent que, si Dieu l'agréait, la première qui
mourrait apparaîtrait à l'autre.
61:
Cinq ans après cette promesse, Cornélie fut appelée
au tribunal de Dieu, et au bout de trois jours elle apparut à sa
compagne agenouillée dans sa cellule au pied d'un crucifix. - "O
Madame Cornélie, que je suis heureuse de vous revoir ! dites-moi
bien vite où vous êtes placée ? sans doute vous êtes
déjà dans le sein de ce Dieu que vous serviez avec tant de
zèle et d'amour ?" - "Pas encore, répondit l'âme ;
oh ! combien les jugements de Dieu sont différents de ceux des hommes
! je suis retenue dans le lieu de souffrances, et j'y dois rester encore
quelque temps, en expiation des fautes de ma vie, qui aurait pu être
plus fidèle et plus fervente". Puis prenant son amie par la main,
elle ajouté : "Venez avec moi ; vous verrez des choses surprenantes".
Elles arrivèrent dans un vaste jardin tout rempli de vignes en fleurs
; des caractères étaient gravés sur chaque feuille.
"Lisez, dit l'apparition". La sœur se pencha et à sa grande surprise,
elle lut sur ces feuilles ses propres fautes, ces imperfections de chaque
jour. Stupéfaite, elle demandait ce que cela signifiait. "Il n'y
a point, ma sœur, à vous étonner ainsi, reprit la défunte
; n'avez-vous pas lu bien des fois les paroles de Notre Seigneur à
la Cène : Je suis le cep et vous êtes les branches ? Chacune
de nos actions bonnes mauvaises est une feuille de cette vigne mystique
; pour entrer au ciel, il faut de toute nécessité que les
feuilles du mal soient effacées ou consumées par le feu :
mais, ma chère sœur, consolez-vous ; en y regardant de près,
vous verrez qu'il vous reste peu à effacer, car vous avez fidèlement
persévéré dans vos promesses virginales, et vous avez
servi votre bon Maître de votre mieux : vos manquements sont encore
nombreux cependant, mais pas autant que les miens, parce que j'ai parcouru
sur la terre des états bien différents : vous allez vous
en convaincre de suite".
62 :
Elles firent quelques pas en avant, et se trouvèrent de nouveau
dans un endroit rempli de vignes qui serpentaient de toutes parts, en sorte
que les feuilles couvraient le sol ; la sœur s'approchait avec empressement
pour voir ce qui était écrit sur ces feuilles. "Arrêtez,
lui dit son amie, mon divin Sauveur ne veut pas que vous connaissiez à
cette heure toutes mes offenses ; il m'épargne cette confusion.
Lisez seulement ce qui est tout de près de vous". Elle regarde,
et voit les manquements dans le saint lieu, les irrévérences,
les distractions, les discours inutiles tenus à l'église.
- "O bon Jésus, s'écria la religieuse, comment faire pour
anéantir tout cela ? Pourquoi, après vos communions, vos
confessions si fréquentes, les indulgences que vous avez dû
gagner, vous reste-t-il encore à expier tant de fautes ," - "Votre
réflexion est juste, mais il faut savoir que, par tiédeur
et par routine, je n'ai pas tiré tout le fruit que je devais de
mes communions et de mes confessions : quant aux indulgences, j'en ai gagné
très peu, trois ou quatre au plus, par suite de mes distractions
habituelles et de mes manques de ferveur. Il faut donc que je fasse maintenant
la pénitence que je n'ai pas faite alors que cela m'était
si facile."
Voici un second fait à peu près semblable (Vie de la vénérable Catherine Paluzzi).
Deux saintes vierges, la vénérable Catherine Paluzzi,
fondatrice d'un couvent de dominicaine dans le diocèse de Nerpi
(Etats Romains), et une religieuse nommée Bernardin, très
avancée, elle aussi, dans les voies intérieurs, étaient
liées l'une à l'autre d'une de ces amitiés surnaturelles
qui prennent racine au fond des âmes chrétiennes, et qui,
dans les desseins de Dieu, servent si merveilleusement à faire progresser
dans la piété ceux qui sont appelés. L'historien de
la vénérable compare ces deux
63:
belles âmes à deux charbons enflammés qui se communiquent
leurs ardeurs, et encore à deux lyres accordées pour résonner
ensemble et faire entendre un hymne d'amour perpétuel en l'honneur
du Seigneur ; ainsi ces deux excellentes religieuses s'excitaient l'une
l'autre à servir leur divin Époux, et, comme ces amitiés
toutes célestes ne sauraient être brisées par la mort,
elles s'étaient promis de diminuer à s'aimer et à
s'assister mutuellement après la vie, ajoutant qu'avec la permission
de Dieu, celle qui serait entrée la première dans son éternité
apparaîtrait à l'autre, pour lui faire connaître son
sort et l'instruire des mystères d'outre-tombe.
Ce fut Bernardine qui fut appelée devant Dieu la première ; après une douloureuse maladie, chrétiennement supportée, elle mourut, en promettant à Catherine de venir l'instruire de ce qu'elle serait devenue après son jugement.
Les mois se passèrent, les semaines s'accumulèrent, rien n'annonçait que la défunte se souvint de sa promesse. Cependant Catherine redoublait de prières, conjurant nuit et jour Notre Seigneur d'avoir pitié de son amie, et de lui permettre de venir la visiter, comme Bernardin le lui demandait sans doute, car elle était trop fidèle pour oublier sa promesse.
Un an s'écoula ainsi. Le jour anniversaire de la mort de
Bernardin, Catherine était recueillie dans l'oraison, lorsqu'elle
aperçut un puits, d'où s'échappaient des torrents
de fumée et de flammes, puis elle vit sortir de ce puits une personne
d'abord tout environnée de ténèbres : peu à
peu l'apparition se dégagea de ces nuages, s'éclaira, et
enfin parut brillante d'un éclat extraordinaire. Dans cette personne,
Catherine reconnut alors son amie, et courant à elle : - "Comment
êtes-vous restée si longtemps sans
64 :
m'apparaître, lui demanda-t-elle ? D'où sortez-vous ?
Que signifie ce puits, cette fumée enflammée ? Est-ce que
vous achevez seulement aujourd'hui votre Purgatoire ?" - "Il est vrai :
depuis un an, je suis retenue dans le lieu des expiations ; répondit
l'âme, et ce n'est qu'à cette heure que je vais être
introduite dans la céleste Jérusalem ; pour vous, persévérez
dans vos saints exercices, et sachez que vous êtes très agréable
à Dieu, et qu'il a sur vous de grands desseins".
Mais voici qui est plus extraordinaire encore, et si je n'avais comme garant de ce fait l'autorité du savant cardinal Jacques de Vitry, qui le rapporte sur la foi de la vénérable Marie d'Oignies, je ne voudrais pas y ajouter foi, tant il s'écarte de nos idées habituelles. Les grâces les plus merveilleuses, les faveurs les plus insignes accordées à une sainte âme, pendant la vie et à l'heure de la mort, ne la garantissent pas toujours des flammes du Purgatoire. Voici ce fait. (Vie de la vénérable Marie d'Oignies dans Surius, liv. II, Ch. III, au 23 juin).
L'an 1208 de N.-S. vivait, dans un village de la province de Liège, une sainte veuve très aimée de la vénérable Marie d'Oignies. Cette femme tomba malade et fut bientôt à la mort. La vénérable accourut à son chevet pour l'assister et l'encourager à bien mourir. O prodige ! en entrant dans la chambre de la malade, elle aperçut la Mère de Dieu, assise à côté du lit, et prodiguant à la mourante les soins les plus empressés, jusque-là qu'avec un éventail elle rafraîchissait son front embrasé des ardeurs de la fièvre. Les démons se tenaient à la porte, armés de tous leurs pièges pour assaillir cette âme d'élite, et tâcher de la faire tomber ; pais l'apôtre saint Pierre les mit tous en fuite, et la malade mourut dans le baiser du Seigneur.
Après sa mort, les merveilles continuèrent ; pendant
la
65 :
cérémonie des funérailles, la vénérable
Marie d'Oignies vit la très sainte Vierge, accompagnée d'une
troupe de vierges qui, partagées en deux chœurs, chantaient l'office
des défunts auprès du saint corps ; elle vit Notre Seigneur
lui-même présider à la cérémonie des
funérailles et faire officiant à la place du prêtre.
Qui n'aurait cru après cela qu'une âme ainsi favorisée était déjà entrée dans la béatitude ?
Mais, ô jugements de Dieu, qui vous êtes redoutables ! La vénérable s'étant retirée dans son oratoire, après ces glorieuses funérailles, pour remercier Dieu des grâces qu'il avait accordées à sa servante, fut ravie en extase ; elle vit l'âme de la pieuse veuve portée en Purgatoire, et condamnée à de dures expiations, pour être purifiée de plusieurs imperfections. Épouvantée, elle se hâta d'avertir les deux filles de la défunte, vierges pleines de vertus ; toutes trois s'unirent pour satisfaire à la justice divine par de ferventes prières, des aumônes, des jeûnes et de grandes mortifications ; ce ne fut qu'au bout d'un temps assez long que cette sainte âme apparut de nouveau à Marie d'Oignies, et lui apprit qu'elle était enfin délivrée de ses souffrances, et qu'elle allait entrer dans les joies de la Béatitude sans fin. Après cet exemple qui ne tremblerait pour lui-même ?
Ce serait donc bien mal raisonné que de ne pas prier pour
un défunt, à cause du renom de sainteté dans lequel
il a vécu et il est mort. Oh ! Combien déplorent amèrement,
dans le Purgatoire, ces jugements trop favorables que l'on fait de leur
sort, et ce renom de sainteté qui glace la prière sur les
lèvres de leurs amis. Nous avons vu que saint Augustin avait une
bien autre idée de la rigueur des jugements divins, puisqu'au bout
de vingt ans, il priait tous les jours et suppliait ses lecteurs de prier
pour le repos de l'âme de sa sainte mère Monique. Le fait
suivant
66 :
montrera quel tort on fait souvent aux pauvres défunts, en les
canonisant trop vite (Chronique des frères Mineurs. IIè partie,
liv. IV, chap. VII).
Dans le couvent des frères Mineurs de Paris, mourut un
saint religieux, que sa piété éminente avait fait
surnommer angélique ; un de ses confrères, docteur en théologie,
très versé dans la spiritualité, omit de célébrer
les trois messes d'obligation que l'on doit dire pour chacun des frères
défunts. Il lui semblait que c'était faire injure à
la miséricorde et à la justice de Dieu que de prier pour
un religieux si saint, qui devait être, pensait-il, au plus haut
degré dans la gloire. Mais voilà qu'au bout de quelques jours,
comme il se promenait en méditant dans une allée du jardin,
le défunt se présente à lui tout environné
de flammes, et lui crie d'une voix lamentable : "Cher maître, je
vous en conjure, ayez pitié de moi." - "Eh quoi ! âme sainte,
quel besoin avez-vous de mon secours ?" - "Je suis retenu dans les feux
du Purgatoire, dans l'attente de trois messes que vous deviez célébrer
pour moi ; si vous vous étiez acquitté de cette obligation,
je serais déjà dans la Jérusalem céleste".
"Je l'aurais fait avec bonheur, si j'avais pu penser que vous en eussiez
besoin ; mais en songeant à la vie sainte que vous meniez parmi
nous, je m'imaginais que vous étiez déjà en possession
de la couronne de vie. N'étiez-vous pas le premier et le plus édifiant
au chœur, au chapitre, à l'oraison ? Y avait-il un seul point de
la règle auquel vous ne fussiez pas scrupuleusement fidèle
? Chacun vous admirait et vous prenait pour modèle, estimant que
s'il pouvait vous imiter, il arriverait d'emblée à la perfection
de la vie religieuse. Mais en outre de vos obligations, ne vous imposiez-vous
pas des prières, des pénitences sans nombre qui faisaient
de votre vie un acte de vertu continuel ? non, je n'aurais
67:
pu m'imaginer qu'il y eût encore à s'inquiéter
de vous".
- "Hélas, hélas, reprit le défunt, personne ne
croit, personne ne comprend avec quelle sévérité Dieu
juge et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre
dans nos meilleures actions des côtés défectueux, par
où elles lui déplaisent. Les cieux mêmes ne sont pas
exempts d'imperfections devant lui ; comment l'homme le serait-il ? Il
faut lui rendre compte jusqu'au dernier denier, (usque ad novissimum quadrantem).
"Au reste cette justice rigoureuse n'est encore que de la miséricorde, puisqu'elle nous assurer la possession de cette éternité de délices, qu'on ne saurait acheter au prix de trop de sacrifices et de trop de souffrances. Nous ne nous plaignons que de nous-mêmes dans le Purgatoire ; si avec toute votre science, vous aviez mieux compris la sainteté infinie de Dieu, vous ne m'auriez pas traité avec tant de rigueur".
Le bon religieux se mit aussitôt en devoir de célébrer les trois messes demandées, et le troisième jour, cette âme bienheureuse lui apparut pour le remercier ; l'épreuve était finie, la récompense allait commencer.
La conclusion, de tout ceci c'est qu'on ne pense pas assez à
la rigueur des supplices du Purgatoire, et à la sainteté
infinie de Celui qui ne peut souffrir aucune tache dans ses saints. Si
l'on y pensait davantage, si l'on méditait plus souvent ces ceux
vérités, on éviterait plus soigneusement les fautes
les plus légères, et on prierait avec plus de ferveur pour
les pauvres suppliciés, qu'il nous serait si facile de secourir.
Fin page 67.
Chapitre 4 Des peines particulières de chaque péché p.68 - 79
Des peines particulières à chaque péché Vue d'ensemble du Purgatoire d'après sainte Madeleine de Pazzi. - Que les peines sont ordinairement conformes aux péchés commis. -Châtiments symboliques. - Des peines particulières à chaque péché. - Du péché de vanité - Du scandale. - Des paroles légères. - Du mensonge. - De la violation des voeux. - De la vie mondaine. - Des scrupules. - De la tiédeur. - De ceux qui remettent leur conversion à la mort. - Des fautes contre la justice et contre la charité. - Conclusion.
68 :
Si maintenant, de ces considérations générales
sur les rigueurs des peines du Purgatoire, nous voulons descendre dans
le détail des peines propres à chaque péché,
il nous faut étudier les
révélations de la sainte Madeleine de Pazzi, qui, de
toutes les saintes canonisées, est certainement, avec sainte Françoise
Romaine, celle qui a laissé la plus détaillée, et
pour ainsi dire la topographie la plus exacte du Purgatoire.
Un soir qu'elle se promenait avec quelques soie¦surs dans le jardin du monastère, elle fut tout à coup saisie par l'extase, accident fort ordinaire du reste dans sa vie, et on l'entendit s'écrier à deux reprises : Oui j'en ferai le tour ; oui j'en ferai le tour. C'était son ange qui l'invitait à visiter le Purgatoire, et ces paroles marquaient son acquiescement. Ses soe¦urs la virent avec une admiration mêlée de terreur, entreprendre ce douloureux voyage, et au sortir de l'extase, elle rendit compte de ce qu'elle y avait vu.
Elle se mit à circuler autour du jardin du monastère
69:
était fort grand, considérant avec attention ce qu'on
lui montrait ; sa marche extatique dura deux heures ; on la voyait se tordre
les mains de commisération, son vissage était devenu très
pâle ; elle avançait le corps courbé vers la terre,
et comme écrasée sous le poids d'un fardeau trop lourd pour
ses forces ; enfin elle donnait de si grands signes d'horreur que son seul
aspect imprimait la crainte ; ses s¦urs la suivaient, recueillant
avec une pieuse avidité les exclamations que lui arrachaient la
terreur ou la pitié. D'abord on l'entendit soupirer douloureusement,
et s'écrier : " O compassion ! ô compassion ! miséricorde,
mon Dieu, miséricorde ! ô sang précieux de mon Sauveur,
descendez et délivrez ces âmes de leurs peines ?
Pauvres âmes, vous souffrez bien cruellement, et cependant, vous
êtes contentes et joyeuses. Les cachots des martyrs, en comparaison
de ceux -ci, étaient des jardins délicieux. Cependant il
en est de plus profond encore.
Que je m'estimerais heureuse si on ne m'y faisait descendre ! " Cependant
il fallut obéir et descendre en ces abîmes. Après avoir
fait quelques pas, elle s'arrêta épouvantée, et poussant
un grand cri, elle dit :
- " Eh quoi ! des prêtres, des religieuses dans ces tristes lieux
! Bon Dieu ! comme ils sont tourmentés ! Ah ! Seigneur ! " Elle
se tut ; mais, l'horreur et le tremblement qui agitait ses membres faisaient
connaître l'intensité des souffrances qu'elle avait sous les
yeux.
Au sortir du cachot des prêtres, elle passa en des
lieux moins lugubres ; c'était le cachot des âmes simples,
des enfants, de tous ceux dont l'ignorance atténue beaucoup les
fautes. Il n'y avait là que de la glace et du feu, et les âmes
passaient alternativement de l'un à l'autre ; nous trouvons ce même
détail, exprimé absolument de la même manière
dans le Purgatoire de sainte Françoise
70:
Romaine, et cette concordance m'a frappé. C'est en cet endroit
que sainte Madeleine reconnut l'âme de son frère, qui était
mort quelques temps auparavant, et on l'entendit lui dire :
- " pauvre âme, comme vous souffrez, et cependant vous vous réjouissez ; vous brûlez et vous êtes contente, c'est que vous savez bien que les peines doivent vous conduire à une inénarrable félicité. Que je me trouvais heureuse, si je ne devais jamais souffrir davantage ! Demeurez ici, mon frère, et achevez en paix votre purification. "
Elle fit quelques pas, et donna aussitôt à
entendre qu'elle voyait des âmes bien plus malheureuses. On l'entendit
s'écrier : - "
Oh ! que ce lieu est horrible ! il est plein de démons hideux
et d'incroyables tourments ; quels sont donc, ô mon Dieu, les malheureux
si cruellement torturés ! hélas ! on les perce avec des glaives
aigus ! on les découpés en morceaux ? " - Il lui fut répondu
que c'étaient des âmes qui avaient cherché à
plaire aux hommes et dont la conduite n'avait pas été exempte
d'hypocrisie.
En avançant encore d'un pas, elle aperçut des âmes en grand nombre, foulées et comme écrasées sous un pressoir. Elle comprit par révélation que c'étaient des âmes qui pendant leur vie s'étaient laissé aller à l'impatience et à la désobéissance. En les contemplant, elle faisait des gestes très variés ; tantôt elle courbait la tête jusqu'à terre ; tantôt elle fixait des regards terrifiés sur quelque point, d'autres fois elle levait en soupirant les épaules, d'un air de compassion profonde.
Au bout d'un moment, elle parut plus consternée
encore, et poussa un cri d'épouvante ; le cachot du mensonge venait
de s'ouvrir à ses regards ; après l'avoir contemplé
attentivement, elle dit d'une voix très haute : - " Les menteurs
sont placés dans un lieu voisin de l'enfer, et
71:
leurs peines sont très grandes ; on leur verse du plomb fondu
dans la bouche, et ils sont plongés dans un étang glacé
; en sorte qu'on leur voit brûler et trembler de froid en même
temps. "
Elle arriva ensuite à la prison où sont
renfermés ceux qui ont péché par faiblesse ; et on
l'entendit s'écrier : - " Hélas ! je vous croyais avec les
âmes qui ont péché par ignorance, mais je me trompais,
et vous brûlez dans un feu bien plus ardent. "
Un peu plus loin, elle reconnu les avares, et dit : ceux
qui autrefois ne pouvaient se rassasier de richesses sont ici rassasiés
de tourments ; ils se liquéfient comme le plomb dans la fournaise.
"
Elle passa de là dans le lieu où sont retenus ceux qui
sont redevables à la justice divine, par suite des péchés
d¹impureté pardonnés, mais non suffisamment expiés
pendant leur vie. Leur cachot était si sale et si infect que sa
vue seulement soulevait le c¦ur. La s¦ur passa alors sans
rien dire, mais à la fin de son douloureux pèlerinage, on
l¹entendit qui parlait ainsi au Seigneur Jésus : - "
Apprenez-moi, Seigneur, quel a été votre dessein en me découvrant
ce soir ces peines terribles, que je connaissais si peu, et que je comprenais
moins encore ? Est-ce de satisfaire le désir que j¹avais de
savoir où est l¹âme de mon frère ? Est-ce de m¹engager
à prier pour ces âmes souffrantes, avec plus de ferveur que
je ne l¹ai fais jusqu¹à ce jour ?
Non, je le comprends à cette heure, vous avez voulu que je connusse
mieux votre délicate pureté, et que je haïsse davantage
ce monstre qui causait tant d¹horreur à votre chaste épouse
Catherine de Sienne, le péché contraire à la sainte
vertu. "
Du cachot des impudiques, elle passa à celui des ambitieux et
des superbes ; ils souffraient effroyablement, au
72 :
milieu d¹épaisses ténèbres : - " Voilà,
dit-elle, ceux qui voulaient paraître avec éclat parmi leurs
semblables ; maintenant ils sont condamnés à souffrir en
cette affreuse obscurité !"
On lui fit voir ensuite les âmes ingrates envers
Dieu, les c¦urs durs et sans reconnaissance qui n¹avaient jamais
su ce que c¹est que d¹aimer leur Créateur, leur Rédempteur
et leur Père ; elles étaient comme noyées dans un
lac de plomb fondu, pour avoir desséché par leur ingratitude
les sources de la grâce.
Enfin, dans un dernier cachot, on lui montra les âmes qui n¹avaient
aucun vice particulier, mais qui participaient de tous par beaucoup de
fautes de détail, et elle remarqua qu¹elles avaient part aux
châtiments de tous les vices, mais dans un degré mitigé,
parce que les fautes commises en passant sont beaucoup moins graves que
les péchés d¹habitude.
Il y avait plus de deux heures que durait ce pèlerinage
extatique, lorsque la sainte revint à elle, mais dans un tel état
de fatigue et de prostration morale qu¹elle fut plusieurs jours à
se
remettre du terrible spectacle qu¹elle avait eu sous les yeux.
On trouvera tous les détails, et d¹autres que j¹ai
omis pour abréger, dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi, écrite
par son confesseur, le P. Cépari de la Compagnie de Jésus
impossible de rien lire de plus sûr comme authenticité et
comme véracité.
Du reste, on retrouve la même précision de détails,
chez tous les saints personnages qui ont été spécialement
en rapport avec les âmes souffrantes.
La vie de la vénérable Mère François du
Saint-Sacrement est particulièrement instructive à cet égard.
(Vie de la Mère Françoise du Saint-Sacrement, liv.II.)
73 :
Elle avait les communications les plus intimes avec les
âmes du Purgatoire, jusque-là qu¹elles remplissaient
sa cellule, attendant humblement, chacune à son tour, que la pieuse
religieuse intercédât pour elles, et pour exciter sa compassion,
elles lui apparaissaient d¹ordinaire avec les instruments de leurs
péchés, devenus dans l¹autre vie des instruments de
tortures.
Les évêques se faisaient voir à elle,
une mitre de feu sur la tête, une crosse brûlante à
la main, revêtus d¹une chasuble de flammes ; ils s¹accusaient
d¹être ainsi punis pour avoir recherché ambitieusement
les dignités, ou pour n¹avoir pas bien remplis les nombreux
devoirs attachés à leur charge. D¹autres fois, c¹étaient
les prêtres, avec leurs ornements en feu, l¹étole transformée
en chaînes brûlantes, les mains couvertes d¹ulcères
hideux ; ils étaient ainsi punis pour avoir traité sans respect
les divins mystères.
Elle vit un jour un religieux, entouré d¹objets
précieux, d¹écrins, de fauteuils, de tableaux embrasés
; contre son v¦u de pauvreté, il avait amassé ces
futilités dans sa cellule : après sa mort, ces objets faisaient
son tourment. Un notaire lui apparut avec tous les insignes de sa profession
qui, accumulés autour de lui, le faisaient souffrir horriblement
: - J¹ai employé cette plume, cette encre, ce papier, lui dit-il,
à des actes illicites ; j¹avais aussi la passion du jeu, et
ces cartes brûlantes que je suis forcé de tenir continuellement
en main font mon châtiment ; cette bourse embrasée contient
mes gains illicites et me les fait expier.
C¹est ainsi que, par la permission de Dieu, ce qui
en ce monde a servi d¹instrument u péché, fait notre
expiation en l¹autre.
Il arrive aussi quelquefois que la peine d¹un péché,
au lieu de se faire au moyen de l¹instrument même de la
74 :
faute, s¹accomplit par un châtiment, qui le rappelle d¹une
manière frappante à l¹esprit.
Un jeune homme recherchait en mariage une jeune fille
de Rome, qui, d¹après les conseils de P. Zucchi, son confesseur,
avait voué sa virginité au Seigneur ; et il osait la poursuivre
de ses sollicitations jusque dans le saint asile où elle avait abrité
son innocence ; un jour le P. Zucchi le rencontrant dans les rues de Rome,
lui avait reproché avec une vigueur toute apostolique, l¹indignité
de sa conduite, le menaçant de la rigueur des châtiments divins,
mais sans le convertir.
Quinze jours après, le cavalier mourut ; et à
peu de temps de là, la jeune novice se sentit tirer par derrière,
et elle entendit une voix lui dire : - " Venez tout de suite au parloir."
Elle y va et trouve un homme qui se promenait à grands pas : " Qui
êtes vous ? demanda-t-elle sans se troubler, que venez-vous faire
à cette heure ? L¹étranger s¹approche, entrouvre
son manteau, et elle reconnaît son ancien amant, attaché par
des chaînes de feu au cou, aux poignets, aux genoux et aux pieds
: châtiment bien dû à celui qui avait voulu enchaîner
dans les liens une épouse de Jésus-Christ. Il ne dit qu¹un
seul mot : " Priez pur moi, " et disparut.
(Vita P. Niclai Zucchi, lib. I, cap. IX.)
Mais il faut descendre encore plus dans le détail,
et non content de cette vue d¹ensemble des différents supplices
du Purgatoire, il faut voir maintenant, dans les révélations
des saints, les peines particulières imposées par la justice
divine aux fautes que la sainteté infinie a plus spécialement
en aversion. IL y a là, je l¹espère, des leçons
utiles pour toutes les âmes, et que je ne veux pas négliger.
Parmi les péchés que Dieu punit d¹une
manière plus rigoureuse, il faut placer la vanité ! J¹en
citerai deux
75 :
exemples, empruntés, le premier aux révélations
si précieuses de sainte Brigitte, et le second à la vie de
la B. Marie Villani ; puissent-ils faire réfléchir tant de
jeune personne frivoles consument leur temps en parures, s¹exposant
au danger de perdre leur âme, et se préparant des supplices
effroyables dans l¹autre vie.
Dans une extase, pendant laquelle sainte Brigitte fut
ravie dans le Purgatoire, elle aperçut, parmi beaucoup d¹autres,
une jeune demoiselle de haute naissance, qui lui fit connaître combien
elle souffrait, pour expier ses péchés de vanité :
" Maintenant, disait-elle, en gémissant, cette tête qui se
plaisait aux parures, et qui cherchait à attirer les regards, est
dévorée de flammes à l¹intérieur et à
l¹extérieur, et ces flammes à l¹intérieur
et à l¹extérieur, et ces flammes sont si cuisantes qu¹il
me semble que je suis le point de mire de toutes les flèches décochées
par la colère de Dieu ; ces épaules, ces bras, que j¹aimais
à découvrir sont cruellement étreints dans des chaînes
de fer ; ces pieds, si légers à la danse sont entourés
de vipères qui les mordent et les souillent des leur lave immonde
; tous ces membres que je chargeais de colliers, de bracelets, de fleurs,
de joyaux, sont livrés à des tortures épouvantables,
qui leur font éprouver à la fois la consomption du feu et
les rigueurs de la glace.
Ah ! ma mère, ajoutait la malheureuse condamnée, ma mère,
que vous avez été coupable à mon endroit ! votre indulgence,
pire que la haine, en m¹abandonnant à mes goûts de parures
et de vaines dépenses m¹a bien été fatale. C¹était
vous qui me conduisiez aux spectacles, aux festins, aux bals, à
toutes ces réunions mondaines qui sont la ruine des âmes.
Il est vrai, disait à la Sainte l¹infortunée, que ma
mère me conseillait de temps en temps quelques actes de vertu, et
plusieurs dévotions utiles ; mais comme, d¹autre part, elle
consentait à mes égarements, ce bien se
76:
trouvait mêlé et comme perdu dans le mal qu¹elle
me permettait.
Toutefois, je dois rendre grâce à l¹infinie miséricorde
de mon Sauveur, qui n¹a pas permis ma damnation éternelle,
que je méritais si bien par mes fautes. Avant de mourir, touchée
de repentir, je me confessai, et quoique cette conversion, étant
l¹effet de la crainte, fût insuffisante, au moment d¹entrer
en agonie, je me souvins de la douloureuse passion du Sauveur, et j¹arrivai
ainsi à une vrai contrition ; ne pouvant déjà plus
parler, je m¹écriai de peur : Seigneur Jésus, je crois
que vous êtes mon Dieu ; ayez pitié de moi, ô fils de
la Vierge Marie, au nom de vos douleurs sur le Calvaire. J¹ai un vif
regret de mes péchés et je souhaiterais les réparer,
si j¹avais le temps. En achevant ces mots, j¹expirai. J¹ai
été ainsi délivrée de l¹enfer, mais pour
me voir précipiter dans les plus graves tourments du Purgatoire.
"
L¹historien de la Sainte nous apprend que celle-ci,
ayant raconté sa vision à une cousine de la défunte,
qui s¹abandonnait, elle aussi, à la mondanité, l¹impression
de ce récit sur elle fut telle qu¹elle renonça à
tous les vains ajustements, et se voua à la pénitence dans
un ordre très austère. (Révélations de sainte
Brigitte, liv. VI, chap.
LII.)
L¹autre exemple est non moins certain, puisqu¹il
est tiré de la vie de la bienheureuse Marie Villani, dont personne
ne récusera, je l¹espère, le témoignage. (Vita
Mariæ Villani. P. Marchi, lib. II, cap. V.)
Comme la bienheureuse priait un jour pour les âmes
du Purgatoire, elle fut conduite en esprit au lieu des expiations et parmi
tous les malheureux qui y souffraient, elle vit une personne plus tourmentée
que les autres, à cause des flammes horribles qu'il¹enveloppaient
de la tête aux pieds. "
Amen infortunée, s¹écria-t-elle, pourquoi êtes-
77 :
vous si cruellement traitée ?
Est-ce que vous n¹éprouvez jamais de soulagement au milieu
de supplices si rigoureux ? " " Je suis ici, répond l¹âme,
depuis un temps bien long, effroyablement punie pour mes vanités
passées et mon luxe scandaleux. Jusqu¹à cette heure,
je n¹ai pas obtenu le moindre soulagement ; le Seigneur a permis dans
sa justice que je fusse oubliée de mes parents, de mes enfants,
de mes amis. Quand j¹étais sur la terre livrée aux toilettes
inutiles, aux pompes mondaines, aux fêtes et aux plaisirs, je pensais
bien rarement à Dieu et à mes devoirs ; ma seule préoccupation
sérieuse était d¹accroître le renom et la richesse
des miens ; vous voyez
comme j¹en suis punie, puisqu¹ils ne m¹accordent pas
un souvenir. "
Malheur, a dit le Fils de l¹homme, malheur à
celui par qui le scandale arrive ; si votre ¦il vous scandalise,
arrachez-le et jetez-le au feu ; il vaut mieux entrer dans la vie avec
un ¦il, ou un pied seulement, que s¹exposer à descendre
avec les deux, dans la géhenne. Si ces paroles
n¹étaient sorties des lèvres de la Vérité
éternelle, on les taxerait certainement d¹exagération
; voici un exemple qui montrera ce que la justice divine pense à
cet égard, dans l¹autre monde.
Il s¹agit de ces malheureuses peintures, que sous
prétexte d¹art, on trouve quelquefois chez les meilleurs chrétiens,
et dont la vue a causé la perte de tant d¹âmes. Un peintre
de grand talent, d¹une vie exemplaire d¹ailleurs, avait cédé
sur ce point à l¹entraînement du mauvais exemple ; depuis,
il avait complètement renoncé à ces malheureuses représentations,
et ne faisait plus que des images de sainteté. En dernier lieu,
il venait de peindre un grand tableau dans un couvent de Carmes déchaussés,
quand il fut atteint d¹une maladie mortelle ; il demanda
78 :
au Père Prieur la faveur d¹être enterré dans
l¹église du monastère, et légua à la Communauté
le prix assez élevé de son travail, à la charge pour
les religieux d¹acquitter des messes pour lui.
Il y avait quelques jours qu¹il était mort
dans la paix du Seigneur lorsqu¹un religieux qui était resté
au ch¦ur après les matines, le vit apparaître tout
éploré, et se débattant au milieu des flammes : "
Eh quoi ! c¹est vous qui êtes ainsi punis pour avoir vécu
en si bon renom de vertu ? "
- " Lorsque j¹eus rendu l¹âme, répondit
le patient, je fus présenté au tribunal du Juge, et aussitôt
je vis déposer contre moi plusieurs personnes qui avaient été
excitées à de mauvaises pensées et à de mauvais
désirs, par une peinture immodeste que j¹ai faites autrefois.
A cause de des fautes, elles étaient condamnées au Purgatoire,
mais ce qui était bien pis, j¹en vis d¹autres sortir de
l¹enfer, pour déposer contre moi, à la même occasion
; elles déclaraient que, puisque j¹étais la cause de
leur perte éternelle, j¹étais digne au moins de mêmes
châtiments ; alors sont descendus du ciel plusieurs saints qui ont
pris ma défense ; ils ont présenté au Juge que cette
malheureuse peinture était une oe¦uvre de jeunesse, que j¹avais
expiée depuis lors par une foule d¹autres travaux à
la gloire de Dieu et de ses saints, ce qui avait été pour
beaucoup d¹âmes une source de grande édification. Le
souverain Juge, après avoir pesé les raisons de part et d¹autre
déclara qu¹à cause de mon repentir et de mes autres
bonnes ¦oeuvres, je serais exempt de la peine éternelle mais,
suis condamné à souffrir dans ces flammes, jusqu¹à
ce que la maudite peinture soit brûlée de manière à
ne plus scandaliser personne. Allez donc de ma part, chez le propriétaire
du tableau, dites-lui en quel état je me trouve, pour avoir cédé
à ses instances, et conjurez
79 :
-le d¹en faire le sacrifice. S¹il refuse, malheur a lui !
en preuve que tout ceci n¹est pas une illusion, et pour le punir lui-même
de sa faute, sachez, mon père, qu¹avant peu, il perdra ses
deux enfants, et s¹il refuse d¹obéir aux ordres de celui
qui nous a créés l¹un et l¹autre, il ne tardera
pas à le payer d¹une mort prématurée. " Le possesseur
du tableau, en apprenant ces choses, le saisit et le jeta au feu : néanmoins
selon la parole su Seigneur, il perdit en moins d¹un mois ses deux
enfants, et le reste de ses jours, il s¹appliqua à faire pénitence
de la faute qu¹il avait commise tant en commandant qu¹en conservant
chez lui cette maudite peinture.
Cette histoire est tirée de Rossignoli. Les merveilles
du Purgatoire, XXVe merveille ; il l¹avait trouvée lui-même
dans le P. Joachim de Jésus-Marie, de la Chasteté, liv. IV,
ch. IX.
Bien qu¹il ne s¹agisse pas ici de révélation,
accordée à un saint canonisé, j¹ai cru pouvoir
faire exception, à raison du caractère de véracité
qu¹on trouve dans tout ce récit.
Chacun connaît la parole de Saint Jacques : si quis
non offendit in verbo, perfectus est vir ; en effet pour suivre le texte
de l¹apôtre, la langue est un monde d¹iniquité :
sans parler des paroles de blasphèmes, des propos licencieux, des
médisances et des calomnies, qui de nous n¹a à se reprocher
des milliers de paroles légères, de ces paroles au moins
inutiles dont le divin Maître a déclaré qu¹il
demanderait compte le jour du jugement.
L¹exemple suivant est bien propre à faire réfléchir
ces plaisants de profession qui tiennent le haut bout des conversations,
et qui sont toujours prêts à faire rire les autres ; je le
rapporte sur la foi de Vincent de Beauvais. (Speculum hist., lib. XXVI,
cap. V.)
L'abbé Durand, d'abord prieur d¹un monastère
de Bénédictins, puis évêque de Toulouse, était
un religieux d¹une
fin page 79.
80 :
rare piété, d’une mortification singulière, et
plein de zèle pour son avancement spirituel ; avec tout cela, il
aimait un peu trop le mot pour rire, et ne veillait pas assez sur sa langue.
Alors qu’il était simple religieux, Hugues, son abbé, lui
avait fait des représentations à cet égard, lui prédisant
même que s’il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à
souffrir dans le Purgatoire pour ces jovialités qui ne conviennent
pas à un moine et surtout à un prêtre dont les lèvres
sont les gardiennes de la science sacrée. Durand n’attacha pas assez
d’importance à cet avis, et continua, étant abbé,
et plus tard évêque, à s’abandonner sans beaucoup de
retenue, aux facéties enjouées.
Après sa mort, la prédiction de l’abbé Hugues
se réalisa ; Durand apparut à un religieux de ses amis, le
priant d’intercéder pour lui, car il était cruellement puni
pour son intempérance de langage. On assembla les religieux, et
on convint de garder, pendant huit jours, rigoureux silence pour cette
âme en peine. Mais voilà qu’au bout de huit jours, le défunt
apparaît de nouveau et se plain qu’un des frères ayant manqué
au silence, cette infraction l’avait privé du fruit de la bonne
œuvre. On recommença et la semaine suivante, Durand apparut, revêtu
de ses ornements pontificaux et le sourire sur les lèvres ; son
expiation était finie.
Puisque j’en suis aux pêchés de la parole, je dirai un
mot du mensonge. On a déjà vu, dans sainte Madeleine de Pazzi,
que ce vice est puni à part et d’une manière terrible ; c’est
que selon la parole des saints livres, Dieu, qui est l’éternelle
vérité, a horreur du plus léger mensonge. Aussi dans
un grand nombre d’apparitions, on voit les pauvres âmes recommander
de s’abstenir soigneusement du mensonge et déclarer qu’elles expient
bien cruellement des fautes que le monde regarde d’ordinaire comme des
plaisanteries inoffensives, ou de simple exagérations.
Les mêmes apparitions recommandent aussi très soigneusement
de s’abstenir de faire des vœux à la légère, et de
les accomplir rigoureusement, quand on en a fait, car la justice divine
se montre impitoyable à cet égard ; c’est ce que l’on verra
dans l’exemple suivant, tiré de la vie du V. Denys le Chartreux
(vide apud Bolland, Vita Ven. Dyonisii, 2 martii).
Ce vénérable religieux assistait à la mort
d’un novice dans la Chartreuse de Ruremonde ; ce jeune homme avait fait
vœu de réciter deux fois le psautier en entier, puis il avait négligé
cette obligation. Averti de se préparer à mourir, la pensée
de son vœu lui revint, et dans l’impossibilité de l’accomplir alors,
il se désolait à la pensée des jugements de Dieu.
Denys, pour l’encourager et le réconforter, à ce moment suprême,
lui promit de l’acquitter à sa place, mais, par une permission de
la justice divine, après la mort du jeune homme, le bon père
oublia entièrement sa promesse, et pendant ce temps, l’infortuné
était retenu dans les flammes, attendant pour en sortir, l’accomplissement
de son vœu. Un jour, enfin, il eut permission d’apparaître à
Denys pour lui rappeler sa promesse, et il ne fit entendre que ces deux
mots : - " Pitié, pitié ! " Étonné et désolé
de son oubli, le bon père voulait expliquer la cause de son omission,
mais le défunt lui cria d’une voix suppliante :-" Ah ! si vous enduriez
la millième partie de mes tourments, vous n’admettriez pas l’excuse
en apparence la plus légitime, et en ce moment même, vous
ne différeriez pas d’une seconde à vous acquitter de ce que
vous avez promis à Dieu, en mon nom. "
Je voudrais que ces hommes du monde dont la vie molle
et sensuelle n’est qu’un enchaînement de plaisirs, songeassent un
peu à la pénitence qu’ils se préparent par leur immortification
; sans parler des dangers auxquels elle expose leur âme, il est certain
qu’une vie mondaine réserve à ses adeptes un effroyable Purgatoire,
car dans une pareille vie on ne fait qu’accumuler ses dettes, la pénitence
étant absente, on n’en paye aucune, et l’on arrive à un total
qui effraye l’imagination. La vénérable sœur Françoise
de Pampelune, dont les visions au sujet du Purgatoire font vraiment autorité,
vit ainsi un homme du monde, assez bon chrétien d’ailleurs, passer
cinquante neuf ans dans le Purgatoire, à cause de son goût
pour le bien-être ; un autre y passa trente-cinq ans pour la même
raison, et un troisième, qui avait en plus la passion du jeu, y
demeura soixante-quatre ans. C’est qu’il est bien difficile de ne pas commettre
des multitudes de petites fautes dans une vie dissipée, et comme
dans une pareille vie il n’y a pas de place pour la pénitence, on
arrive avec une dette énorme au tribunal de Dieu, et ce que l’on
aurait acquitté facilement avec quelques œuvres de pénitence,
il faut le payer alors par des années de supplices.
" Celui, dit sainte Catherine de Gênes, qui se purifie
de ses fautes dans la vie présente, satisfait avec un sou à
une dette de 1000 ducats, et celui qui attend, pour s’acquitter, aux jours
de l’autre vie, se résigne à donner 1000 ducats, pour ce
qu’il aurait pu payer avec un sou en temps opportun. "
Le scrupule n’est pas un péché, mais il est malheureusement
trop certain qu’il fait commettre aux âmes des multitudes de péchés,
par le trop d’attache à la propre volonté, et l’orgueil qu’il
suppose presque toujours ; aussi la Sœur Françoise de Pampelune,
dont je suis ici pas à pas les révélations, vit beaucoup
d’âmes scrupuleuses extraordinairement tourmentées dans le
Purgatoire par des troubles des obscurités, des incertitudes mêmes
sur leur sort éternel. Dieu le permettait ainsi pour les punir de
s’être trop abandonnées aux scrupules pendant leur vie, et
de n’avoir pas assez obéi, en cela, à leur confesseur.
La tiédeur est aussi punie sévèrement dans
le Purgatoire, et on ne saurait s’en étonner, quand on se rappelle
l’horreur que Dieu en témoigne dans la Sainte Écriture. Voici
comment, au récit de sainte Madeleine de Pazzi, fut punie, après
sa mort, une bonne religieuse, qui n’avait guère d’autres fautes
à se reprocher qu’une certaine négligence à communier
, aux jours marqués par la règle.(Vie de sainte Madel.,ch.
v.)
Un jour que la sainte priait devant le très saint Sacrement,
elle vit sortir de terre l ‘âme de cette sœur ; elle était
couverte d’un manteau de feu, qui cachait une robe d’une éblouissante
blancheur ; elle s’approcha de l’autel avec un respect indicible, fit une
profonde génuflexion, en passant devant le saint Tabernacle, et
demeura une heure dans l’acte d’une adoration recueillie. Madeleine, ayant
désiré savoir ce que tout cela signifiait, connut par révélation
que cette âme, en punition de sa tiédeur à recevoir
la sainte Eucharistie, était condamnée à venir chaque
jour rendre ses devoirs à l’adorable hostie, sous un manteau de
feu, afin de compenser ainsi ses froideurs passées ; quant à
la robe blanche qui la garantissait en partie du châtiment, c’était
la récompense de sa parfaite virginité. Elle persévéra
dans un certain temps, jusqu’à ce qu’enfin les prières de
Madeleine, jointes à sa propre expiation, eussent amené sa
délivrance.
Un ecclésiastique fut puni plus rigoureusement encore
; il est vrai que sa faute était beaucoup plus grave (Voir Hortus
pastorum, tract. VI ,cap. ii.) qu’il ne voulût pas connaître
sa position (par une illusion trop commune aux ministres du sanctuaire),
soit qu’il fut sous l’empire de ce fatal préjugé qui fait
redouter à tant de malades la réception des derniers sacrements,
retarda si bien qu’il mourut sans recevoir les derniers secours que l’Église
réserve à ses enfants pour cette heure suprême. Or,
pendant qu’on se préparait à l’ensevelir, ses yeux s’ouvrirent,
et il fit entendre ces paroles :-" Pour me punir de mes retards à
recevoir la grâces de purification dernière, je suis condamné
à cent ans de Purgatoire ; si j’avais reçu le sacrement des
mourants, comme je le devais d’ailleurs, j’aurais échappé
à la mort, grâce à la vertu qui lui est propre, et
j’aurais eu le temps de faire pénitence. "Cela dit, le mort referma
les yeux, rentra dans son repos, laissant tous les assistants concernés.
Quant à ceux dont la vie tout entière se passe
dans l’habitude du pêché mortel, et qui remettent à
la mort à se convertir ; en supposant que Dieu leur accorde cette
grâce, ce qui n’est pas sûr, l’exemple suivant est de nature
à les faire réfléchir sur les expiations qu’ils se
préparent.
Le baron Jean Sturton, noble anglais, était catholique
au fond du cœur, bien que, pour garder ses charges à la cour, il
assistât régulièrement au service protestant. Il cachait
même chez lui un prêtre catholique, au prix des plus grand
dangers, se promettant bien d’user se son ministère pour se réconcilier
avec Dieu, à l’heure de la mort ; mais il fut surpris par un accident,
et comme cela arrive souvent, par un juste décret de Dieu, il n
‘eut pas le temps de réaliser son vœu de conversion tardive. Cependant
la divine miséricorde, tenant compte de ce qu’il avait fait pour
la sainte Église persécutée, lui avait obtenu la grâce
de la contrition parfaite, et par suite le salut, mais devait payer bien
plus cher sa coupable négligence.
De longues années se passèrent ; sa veuve de remaria
; eut des enfants, et c’est une de ses filles, lady Arundell, qui raconte
ce fait, comme témoin oculaire.
" Un jour, ma mère pria le P.Corneille, jésuite
de beaucoup de mérites, qui devait mourir plus tard martyr de la
foi catholique, de célébrer la messe pour le repos de l’âme
de Jean Sturton, son premier mari ; il accepta l’invitation, et étant
à l’autel, entre la consécration et le mémento des
morts, il resta longtemps en oraison ; après la messe, il fit une
exhortation dans laquelle il raconta qu’il venait d’avoir une vision :
devant lui s’étendait une forêt immense, qui n’était
qu’un vaste brasier ; au milieu s’agitait le baron, poussant des cris lamentables,
pleurant et s’accusant de la vie coupable qu’il avait menée dans
le monde et à la cour ? Après avoir fait l’aveu détaillé
de ses fautes, le malheureux avait terminé par les paroles que l’Écriture
met dans la bouche de Job. Pitié, pitié !vous au moins qui
êtes mes amis, car la main du Seigneur m’a frappé ! Et il
avait disparu.
Pendant que le Père Corneille racontait ces choses, il
pleurait beaucoup, et toute la famille qui l’écoutait, au nombre
de quatre-vingts personnes, nous pleurions tous de même ; tout à
coup pendant que le père parlait, nous aperçûmes sur
le mur auquel était adossé l’autel comme un reflet de charbons
ardents. "
Tel est le récit de Lady Arundell, que l’on peut lire
dans Daniel (Histoire d’Angleterre, liv. V, chap.vii).
Mais les deux péchés que Dieu semble poursuivre
dans l’autre vie avec une rigueur plus implacable, ce sont les péchés
contre la justice et ceux contre la charité !
Quant aux fautes contre la justice, il semble que Dieu s’en
tient précisément à l’axiome des théologiens
;(non remitiitur peccatum, nisi restituutur ablatum) -Pas de restitution,
pas de Paradis.-En parlant de la durée du Purgatoire, j’examinerai
ailleurs cette question, au point de vue théologique ; mais si l’on
s’en tient aux révélations des saints, elle semblerait tranchée
dès maintenant et dans le sens le plus rigoureux. Entre de très
nombreux exemples que je pourrais citer, car ils abondent sur ce point,
en voici deux ou trois.
Un homme riche était mort sans mettre ordre à
ses affaires ; quelques temps après, il apparut au P.Augustin d’Espinoza,
religieux de la Compagnie de Jésus, dont la sainte vie a été
un acte de dévouement continuel aux âmes du Purgatoire. "
Me reconnaissez-vous, demanda le défunt ? " -" Sans doute, répond
le père, je me souviens de vous avoir administré le sacrement
de pénitence, peu de jours avant que vous fussiez appelé
devant Dieu. " -" C’est cela en effet ; or, sachez que je viens ici, par
permission du Sauveur, vous conjurer d’apaiser sa justice, et de faire
pour moi ce que je ne puis plus faire maintenant. Suivez-moi un instant.
" Le religieux va trouver son Supérieur, lui raconte l’affaire,
et lui demande la permission d’accompagner son étrange guide. La
permission obtenue, il sort et suit l’apparition qui, sans prononcer une
parole, le mène sur un des points de la ville, puis elle disparaît
un moment, revient avec un sac d’argent dont elle donne une partie à
porter au père, et tous deux rentrent à la cellule du religieux.
Dès qu’ils sont de retour, le mort met dans la mai du
père le reste de l’argent, avec un billet écrit, en lui disant.-"
Ce billet vous indiquera à qui je dois, et dans quelle proportion
: vous distribuerez cette somme à mes créanciers, et vous
emploierez le reste en bonnes œuvres pour le repos de mon âme. "
A ces mots l’apparition disparut, et le bon père se mit en devoir
de remplir aussitôt ses intentions.
Huit jours s’étaient à peine écoulés,
que le défunt se fait voir de nouveau au Père et le remercie
avec effusion de son empressement à remplir ses intentions. Grâce
à cette exactitude à payer les dettes qu’il avait laissées
sur la terre, grâce aussi aux messes que le père avait célébrées
pour lui, il était délivré de toutes ses peines, et
admis dans l’éternelle béatitude. (Voir Rossignoli : les
Merveilles du Purgatoire, xciv merveille.)
Le second exemple est tiré de la vie de sainte Marguerite
de Cortone (voir les Bolland., 22 février).
Cette illustre pénitent se faisait particulièrement
remarquer par sa charité envers les défunts ; aussi ils lui
apparaissaient en grand nombre pour implorer le secours de ses prières.
Deux marchands avaient été assassinés en
chemin par des brigands.-" Nous n’avons pu, lui dirent-ils, recevoir l’absolution
de nos péchés, mais par la bonté du Sauveur, et la
clémence de sa divine Mère, nous eûmes le temps de
faire un acte de contrition parfaite, ce qui nous sauva ; néanmoins
dans l’exercice de notre profession, nous avons commis bien des injustices,
aussi nos tourments sont affreux, c’est pourquoi nous vous supplions, servante
de Dieu, d’avertir nos parents(et ils les nommèrent) de restituer
au plus tôt tout l’argent que nous avons mal acquis, car avant cela
nous ne pourrons reposer en paix. "
Du reste, lorsque la restitution ne peut se faire, Notre Seigneur
trouve dans les secrets de sa justice les moyens d’y suppléer.
Un jour que la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque priait
pour deux personnes d’un rang élevé dans le monde, elle connut
par révélation qu’une de ces personnes était condamnée,
pour de longues années au Purgatoire, toutes les prières
et les messes, fort nombreuses, que l’on célébrait pour elle,
étant appliquées par la justice aux âmes de quelques
familles de ses sujets qui avaient été ruinées, par
son défaut de charité et de justice à leur égard,
et comme il n’était rien resté à ces malheureux afin
de faire dire des messes pour eux après leur mort, le Seigneur y
suppléait comme je viens de le dire.(Vie de la Bienheureuse. Lettre
à la Mère Greyfié, sa supérieure).
Pour les fautes contre la charité, Dieu les punit aussi
très grièvement, surtout dans les âmes qui lui sont
consacrées ; la raison en est bien simple : Dieu est amour, comme
dit le disciple bien-aimé ; par conséquent rien de plus opposé
à son être que les inimitiés, les petites rancunes,
les médisances, les jugements téméraires, et toutes
cas fautes contre la charité, que l’on trouve quelquefois chez des
personnes d’ailleurs pieuses et d’une conduite exemplaire.
Voici ce qu’on lit à cet égard dans la vie de
la bienheureuse Marguerite-Marie : deux religieuses pour qui elle priait
après leur mort, lui furent montrées dans ces prisons de
la justice divine, où l’une souffrait des peines incomparablement
plus grandes que celles de l’autre. La première se plaignait grandement
d’elle-même, qui, pour ces défauts contraires à la
mutuelle charité et sainte amitié qui doit régner
dans les communautés religieuses, s’était attiré,
entre autres punitions, celles de n’avoir pas de part aux suffrages que
la Communauté taisait et offrait à Dieu pour elle, ne recevant
de soulagement dans ces effroyables maux que des seules prières
de trois ou quatre personne de la même communauté, pour lesquelles
elle avait eu pendant sa vie le moins d’estime et de penchant.( Vie de
la Bienheureuse. Lettre à la Mère Greyfié)
Voici, d’après les révélations les plus
authentiques, les différents châtiments infligés par
la justice de Dieu aux différents péchés ; j’aurais
pu multiplier beaucoup ces exemples ; mais à quoi bon ? Outre la
nécessité de se borner, ce que j’ai dit suffit bien pour
éclairer les âmes de bonne volonté et les faire réfléchir.
Recommençons, à la vie de sainte Madeleine de Pazzi, ce douloureux
pèlerinage du Purgatoire, pour y trouver notre place ; voyons, dans
les diverses relations que je viens de citer, ce qui convient le mieux
aux misères de notre âmes ; et puis après, demandons-nous
sérieusement si nous nous sentons le courage d’affronter de pareils
supplices ? Vraiment, quand on lit ces choses, quand on se dit qu’il s’agit
de révélations authentiques, faites presque toutes à
des Saints canonisés par l ‘Église, ce qui exclut tout soupçon
de mensonge, quand on pèse tout cela devant Dieu, dans le silence
d’une âme recueillie, on est forcé de s’avouer que tous ici,
et moi qui écrits ces lignes, et vous qui les lisez nous sommes
des fous, de vrai fous. Oui, nous sommes de ces insensés dont l’Esprit
Saint nous apprend que le nombre est infini (Stultorum infinitus est numerous).
Comment s’expliquer autrement que nous, qui n’avons pas le courage de nous
faire une légère violence pour nous corriger de nos défauts,
nous que le seul mot de pénitence effraie, nous nous destinons ,
de gaieté de cœur à de pareils châtiments. Ah ! les
Saints, ces Saints que le monde ne comprend pas , et que volontiers il
traite d’insensés, les Saints sont les sages, les vrais sages, parce
que seuls, ils ont les secrets du temps et ceux de l’éternité.
fin 89.
Chapitre 5 Des différentes divisions du Purgatoire p.90 - 105
Des trois grandes divisions du Purgatoire d'après sainte
Françoise Romaine. - Du Purgatoire supérieur. - Des âmes
qui ne souffrent que la peine du dam. - De celles qui n'ont que
des peines
légères.- De la région moyenne du Purgatoire.
- De la région intérieure et de ses trois sous divisions.
- Du Purgatoire des laïcs.
90:
Nous avons déjà entrevu dans sainte Madeleine de Pazzi
et dans les différentes révélations que j'ai fait
connaître que le Purgatoire n'est pas un lieu unique, mais qu'il
se subdivise en plusieurs cachots distincts, selon le plus ou moins de
gravité des péchés à expier.
Pour mieux connaître la division de ce lieu de supplices, il
faut à la célèbre vision de sainte Françoise
Romaine, qui nous donne la topographie exacte, et comme la carte géographique
du royaume de la douleur (Bolland, Vie de Ste Françoise, 9 mars).
Sainte Françoise nous apprend que le Purgatoire est divisé en trois parties distinctes : dans la région la plus élevée, sont les âmes qui n'ont à souffrir que la peine du dam ou tout au plus quelques peines légères et de peu de durée ; au milieu, est la région moyenne, où elle vit écrit en grosses lettres le mot : Purgatoire, là sont renfermées les âmes qui ont commis des fautes légères, mais qui exigent cependant une expiation sensible.
Cette région est partagée en trois zones distinctes. La
première est comme un étang glacé, la seconde et remplie
91 :
de poix mêlée d'huile bouillante, la troisième
est remplie d'un métal qui ressemble à de l'or ou à
de l'argent en fusion.
Des anges au nombre de trente-six, sont chargés par Dieu de
plonger alternativement ces âmes de l'étang glacé dans
le bain d'huile bouillante ou de métal, et ils s'acquittent de ce
ministère, avec grand respect et grande charité, pour les
pauvres âmes ainsi tourmentées.
Enfin tout au fond de l'abîme et dans le voisinage de I'enfer, est la troisième région, ou le Purgatoire inférieur, tout rempli d'un feu clair et pénétrant, en quoi il diffère du feu de l'enfer qui est obscur et ténébreux. Dans cette région inférieure, il y a aussi trois lieux séparés. Le premier, où l'on souffre moins, pour les laïcs qui ont des fautes graves à expier; le second, où les peines sont plus grandes, pour les clercs non encore honorés du Sacerdoce et pour les religieux et religieuses. Le troisième, où les peines sont encore plus intolérables, pour les prêtres et les Évêques.
Je reviendrai, au chapitre suivant, sur ce triste sujet du Purgatoire des prêtres et des religieuses; pour le moment, je me contenterai de dire quelques mots de chacune de ces trois divisions du Purgatoire.
Qu'il y ait un Purgatoire supérieur, où les âmes
n'éprouvent aucune peine sensible, c'est ce dont nous ne pouvons
douter, car indépendamment des révélations si précises
de sainte Françoise Romaine, un grand nombre de révélations
particulières confirment ce fait. La sainte Vierge prit là
peine de révéler elle-même à sainte Brigitte
qu'il y a un Purgatoire spirituel, appelé Purgatoire de désir,
dans lequel sont retenues les âmes qui n'ont aucune expiation à
subir, mais qui, dans les jours de leur vie mortelle, n'ont pas assez soupiré
après leur Créateur.
Parmi les révélations très nombreuses qui confirment
cette
92 :
doctrine, j'en choisirai seulement quelques-unes, pour ne pas trop
allonger ce récit.
On lit dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi qu'une de ses sœurs nommée Marie-Benoîte-Victoire, religieuse d'une éminente vertu, étant morte entre ses bras, elle aperçut pendant son agonie une multitude d'Anges qui l'environnaient d'un air joyeux, attendant son âme pour la porter dans la Jérusalem céleste; au moment où elle expira, la sainte les vit recevoir cette âme bienheureuse, sous la forme d'une colombe, dont la tête était dorée, et disparaître avec elle. Trois heures après, veillant auprès du saint corps, en compagnie d'une sœur nommée Pacifique de Tonaglia, celle-ci interrompit ses prières pour lui demander : où est notre sœur à présent ? au Ciel ou dans le Purgatoire?" - " Ni dans l'un, ni dans l'autre ", répondit la sainte. La sœur frémit intérieurement à cette réponse, dont elle croyait pénétrer le sens; mais elle ne dit rien pour le moment; quelque temps après, en récitant avec Madeleine l'office des défunts, il lui arriva de terminer un psaume par le Gloria Patri. " Je me trompe, reprit-elle aussitôt : Requiem aeternam. " " Vous ne vous trompez pas, répliqua la sainte, cette âme n'a pas besoin qu'on demande pour elle le repos." Sœur Pacifique ne comprit pas encore, mais elle n'osa pas interrompre sa compagne.
Le lendemain matin, comme on célébrait la messe pour la défunte, au Sanctus, Madeleine fut ravie en extase et Dieu lui fit voir cette âme bienheureuse dans la gloire où elle était entrée; elle avait sur le front une étoile d'or, signe et récompense de son ardente ; ses doigts étaient chargés d'anneaux précieux, et la couronne qu'elle portait était plus riche que celle d'une autre religieuse de grande perfection, qui était morte un peu auparavant.
La raison de cette différence, c'est que, pendant sa vie,
93 :
cette bonne religieuse, lorsqu'elle souffrait, ne s'était pas
assez défendue de quelque légers retours sur elle-même,
au lieu que Marie-Benoîte avait un tel désir de souffrir qu'il
lui semblait toujours qu'elle n'endurait rien pour le Bien-Aimé.
De plus, elle avait toujours parlé avantageusement du prochain,
et avait traité ses sœurs pendant tout le temps de sa vie, avec
une charité aussi douce que cordiale; en récompense de quoi,
la bouche appliquée sur le côté sacré du Sauveur,
elle buvait à longs traits un breuvage délicieux. À
ce spectacle, Madeleine, ravie, hors d'elle-même, se mit à
la féliciter tout haut de son bonheur; ensuite elle demanda au Sauveur
Jésus pourquoi il n'avait pas admis plus tôt cette bonne âme
en sa sainte présence; en effet elle avait passé cinq heures,
non dans le Purgatoire, mais dans un lieu particulier, où sans souffrir
aucune peine sensible, elle était privée de la vue de son
Dieu. Elle reçut pour réponse que, dans sa dernière
maladie, cette sœur s'était montrée trop sensible aux peines
que l'on se donnait pour elle, ce qui avait interrompu quelque temps son
union habituelle avec Notre Seigneur.
À cause de ce reste d'amour-propre, il avait fallu qu'elle subît ce retardement à la jouissance de son tout, pour être entièrement purifiée.
La même sainte vit, une autre fois, une religieuse de sa communauté qui venait de mourir, toute brillante de clartés ; les mains seules étaient encore privées de cet éclat céleste, à cause de certaines imperfections contraires au vœu de pauvreté. Au bout de quelque temps, les mains s'irradièrent à leur tour, et elle fut mise en pleine jouissance de la gloire. (Vie de sainte Madeleine, chap. x.)
Le père François Gonzague, depuis évêque
de Mantoue, rapporte un fait du même genre dans son livre de l'origine
de la religion Séraphique (IVè partie, n 7).
94 :
Frère Jean de Via, franciscain d'un grand mérite,
tomba malade et mourut dans ni) couvent des îles Canaries. Son infirmier,
frère Ascension, fort avancé, lui aussi, dans la perfection
religieuse, priait pour le repos de son âme, quand il aperçut
devant lui un religieux de son ordre, tout baigné de rayons lumineux,
qui remplissaient la cellule d'une douce clarté; le frère
tout hors de lui, ne le connut pas pour lors l'apparition et n'osa lui
demander son nom; elle se renouvela ainsi, une seconde et une troisième
fois. A la fin, le frère Ascension s'enhardit :
- " Qui êtes-vous donc, demande-t-il ? Pourquoi venez-vous si
souvent en ce lieu ? Je vous conjure, au nom de Dieu, de me répondre.
" - " Je suis, répond l'esprit, l'âme du frère Jean
de Via, qui vous suis bien reconnaissant pour les prières que vous
faites monter au ciel en ma faveur.
Je viens vous apprendre que, grâce à la divine miséricorde,
je suis dans le lieu de salut parmi les prédestinés à
la gloire, et ces rayons vous en sont une preuve, cependant je n'ai pas
encore été jugé digne de voir la face du Seigneur,
à cause d'un manquement qu'il me faut expier. Durant ma vie terrestre,
j'ai oublié, par ma faute, la récitation de certains offices
pour les défunts, à quoi j'étais obligé par
la règle. Je vous conjure, au nom de l'amour que vous avez pour
Jésus-Christ, faites en sorte que ces offices soient acquittés
pour moi, afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. " Frère
Ascension courut raconter sa vision au père gardien ; on s'empressa
d'acquitter les offices de mandés, et, dès que cette obligation
fat remplie, l'âme du frère Jean de Via, se fit voir de nouveau,
mais bien plus brillante encore; elle était en possession de la
félicité complète.
Voici encore un fait du même genre, tiré des révélations
de sainte Gertrude :
95 :
Une pieuse religieuse était morte, à la fleur de son
âge, dans le baiser du Seigneur. Pendant les jours de son pèlerinage,
elle s'était fait remarquer par une tendre dévotion au Saint-Sacrement;
après sa mort, Gertrude la vit, toute brillante de célestes
clartés, agenouillée devant le divin Maître, qui laissait
échapper, de ses plaies glorifiées, cinq rayons enflammés
qui allaient doucement frapper les cinq sens de la défunte. Elle
gardait néanmoins sur le front comme un nuage d'ineffable tristesse
: " Seigneur Jésus, s'écria la sainte, comment pouvez-vous
illuminer de la sorte votre servante, sans qu'elle éprouve une joie
parfaite ? " - " Jusqu'à cette heure, répondit le doux Maître,
cette sœur a été jugée digne de contempler seulement
mon humanité glorifiée et de jouir de la vue de mes cinq
plaies, en considération de sa tendre dévotion au mystère
de l'Eucharistie mais elle ne peut pas être admise à la vision
béatifique, par suite de quelques taches légères qu'elle
à contractées dans l'observation de ses règles. "
La sainte ayant intercédé pour elle, Notre Seigneur lui fit connaître qu'à moins de nombreux suffrages en sa faveur, il lui fallait attendre jusqu'à l'entier accomplissement de sa peine; ainsi l'exigeait la justice divine qui ne peut rien relâcher de ses droits, en l'autre monde. Cette âme le comprenait si bien d'ailleurs que, malgré son ardent désir de voir Dieu, elle fit signe à Gertrude qu'elle ne voulait pas être délivrée avant d'avoir satisfait entièrement pour ses fautes, et Notre Seigneur, en signe de particulière bienveillance, étendit la main sur sa tête et la bénit.
On avait recommandé aux prières de la bienheureuse Marguerite-Marie,
l'âme d'une supérieure de la Visitation, lui assura que cette
Âme lui était fort chère pour
96:
l'amour et la fidélité qu'elle avait eus à son
service, dont il lui gardait une ample récompense dans le ciel,
après qu'elle aurait achevé de se purifier dans le Purgatoire,
où il la lui fit voir,
recevant de grands soulagements dans ses peines, par l'application
des suffrages et bonnes œuvres qui étaient toujours offerts pour
elle.
Il s'agissait, comme on peut le voir par les mémoires de la Visitation, de la mère de M... supérieure d'Annecy, décédée en odeur de sainteté le 5 février 1683. Or, le jeudi saint de la même année, la bienheureuse priant pour elle devant le Saint- Sacrement, Notre Seigneur la lui fit voir sous le pied du calice dans lequel il reposait lui-même; là cette âme achevait de se purifier, recevant participation de l'agonie de Notre Seigneur au jardin des Olives. Le jour de Pâques, elle la vit dans un état de félicité consommée, et le dimanche du bon Pasteur, elle la vit comme se perdant et s'abîmant dans la gloire, en proférant ces paroles : "L'amour triomphe, l'amour jouit, l'amour en Dieu se réjouit." Son Purgatoire avait duré plus de deux mois. (Vie de la bienh. Marguerite-Marie. Lettre d la M. Greyfié.)
Voici maintenant, pour terminer ce sujet, l'histoire très authentique
d'une âme qui passa un temps assez long dans cette douloureuse épreuve
de l'attente de Dieu; je la citerai tout au long afin de faire connaître
les sentiments intérieurs de ces saintes âmes. Puissent leurs
ardeurs brûlantes réchauffer un peu nos pauvres cœurs glacés,
qui ont tant de peine à comprendre, pendant les jours de l'exil,
cette faim et cette soif de Dieu ! Ce récit a été
examiné et approuvé par le vicaire général
de l'archevêque de Trèves, il présente par conséquent
des garanties sérieuses de vérité; on le trouve dans
le P. Nieremberg, (de Pulchritudin. Dei, lib. 11, cap. II.)
97 :
Le jour de la Toussaint, une jeune fille d'une rare piété
et modestie, vit apparaître devant elle l'âme d'une dame de
sa connaissance, morte un peu auparavant; elle lui fit connaître
qu'elle ne souffrait que de la privation de Dieu, mais elle ajouta que
cette privation était pour elle un supplice intolérable.
Elle se fit voir ainsi à elle plusieurs fois, et presque toujours
dans l'église, parce que, ne pouvant voir Dieu face à face
dans le ciel, elle s'en voulait dédommager en le contemplant au
moins sous les espèces Eucharistiques.
Du reste, rien ne saurait donner une idée de sa profonde adoration et de son respect sans bornes dans l'église. Quand elle assistait au divin sacrifice, au moment de l'élévation, son visage s'irradiait de telle sorte qu'on eût dit un séraphin descendu du ciel; la jeune fille en était dans l'admiration, et déclarait n'avoir jamais rien vu de beau. Quand son amie communiait, cette âme l'accompagnait à la sainte table et demeurait auprès d'elle tout le temps de son action de grâces comme pour participer à son bonheur et jouir elle aussi de la présence de Jésus. Elle était vêtue de blanc, un voile de même couleur sur la tête, et tenait ordinairement un long rosaire à la main, signe de la tendre dévotion qu'elle avait toujours professée pour la reine du ciel.
Un jour que la jeune fille, avec quelques compagnes, décorait
l'autel de la bonne Mère, toutes s'inclinèrent, après
avoir fini leur tâche, pour baiser les pieds de la statue; les ayant
embrassés l'autre monde elle la vit accourir toute joyeuse qui la
remerciait avec affection. Ce jour-là, elle lui apprit qu'elle avait
fait vœu autrefois de faire dire trois messes à l'autel de la très
sainte Vierge, et que n'ayant pu l'accomplir, cette dette
98:
sacrée ajoutait à son tourment; elle la pria donc de
s'en acquitter à sa place, ce qu'ayant fait la jeune personne, la
défunte lui apparut toute joyeuse pour la remercier, et en reconnaissance
elle lui conseilla de ne jamais faire de vœu, à moins qu'elle ne
fût bien résolue à l'accomplir, car la justice de Dieu
est impitoyable à cet égard.
Elle l'exhortait en même temps à une filiale dévotion envers Marie, spécialement à se souvenir de ses douleurs sur le Calvaire. Quand vous rencontrerez quelqu'une de ses images, lui disait-elle, ayez soin de la saluer en répétant ces trois invocations des litanies. Mater admirabilis, Consolatrix afflictorum, Regina sanctorum omnium. Plus vifs seront votre amour et votre dévotion envers cette bonne mère, plus assurée et plus efficace sera son assistance, au moment terrible du jugement qui fixe notre sort éternel.
Elle lui conseillait aussi d'avoir une tendre charité et compassion pour les pauvres âmes du Purgatoire qui sont si à plaindre, puisqu'elles ne peuvent s'aider. " Offrez pour elles, lui disait-elle, vos prières, vos pénitences, vos bonnes œuvres, elles vous le rendront bien plus tard, quand elles seront devant Dieu. "
Un jour, docile à ces conseils, la jeune fille récitait cinq Pater et cinq Ave, les bras en croix, pour les défunts, l'apparition accourut, et lui soutenait les bras pour l'aider dans sa prière.
Un autre jour, pendant qu'elle lui parlait à l'église,
la clochette de l'élévation s'étant mise à
sonner à un autel voisin elle y courut aussitôt, et se prosternant,
adora Notre Seigneur avec un profond respect. Chaque fois qu'elle prononçait,
ou entendait prononcer les noms sacrés de Jésus et de Marie,
elle s'inclinait dans un recueillement angélique.
99 :
Cependant les jours passaient, sans que, malgré ses ardents
désirs et les prières de son amie, cette sainte âme
fût admise devant la face du Seigneur. Le 3 décembre, fête
de saint François-Xavier, sa protectrice devant communier à
l'église des pères jésuites, l'invita à s'y
trouver; la défunte fut fidèle au rendez-vous, l'accompagna
à la sainte table, et demeura auprès d'elle tout le temps
de son action de grâces qui fut fort long, alors elle la remercia
et lui annonça que l'épreuve touchait à sa fin. Le
8 décembre, fête de l'Immaculée Conception, elle revint
encore, mais elle était déjà si brillante que son
amie ne pouvait la regarder. Enfin le 10 décembre, pendant la sainte
messe, la jeune fille la vit dans un éclat plus merveilleux encore;
elle s'approcha de l'autel, qu'elle salua respectueusement, remercia son
amie de ses prières, et monta au ciel en compagnie de son Ange gardien;
elle allait enfin jouir de la vue de celui après lequel elle avait
tant soupiré.
De tout ceci ressort clairement l'existence d'un Purgatoire supérieur, où les âmes achèvent de se purifier, à l'abri de tout supplice, et par la seule ardeur de leurs désirs. D'autres apparitions nous apprennent encore que plusieurs âmes sont tourmentées sensiblement, mais d'une manière légère, bien qu'elles soient déjà entrées en partie dans la gloire des élus. Ceci se rapporte parfaitement à l'opinion la plus commune des théologiens, qu'il y a dans le Purgatoire certaines peines inférieures à celles que l'on éprouve en ce monde.
Sainte Madeleine de Pazzi vit un jour une de ses sœurs revêtue
d'un manteau de feu, dont elle était préservée en
grande partie par une robe formée de lis entrelacés. Le manteau
était le châtiment de son trop de recherche dans l'habillement,
et la robe de lis la récompense de son admirable pureté
100 :
Un religieux dominicain, grand prédicateur dans son ordre, apparut
ainsi à Cologne, couvert de vêtements magnifiques, une couronne
d'or sur la tète. Ces ornements représentaient les âmes
qu'il avait sauvées par ses prédications, et la couronne
d'or était la récompense de sa parfaite exactitude à
accomplir tous les points de sa règle et de sa pureté d'intention.
En même temps, la langue endurait des tourments à cause de
sa trop grande facilité à dire le mot pour rire et à
plaisanter, ce qui ne convient pas aux religieux et moins encore à
un prêtre. (Voir Rossignoli, Merv. du Purg., LXXXIIIè
merv.)
Il nous faut maintenant descendre dans la région moyenne du Purgatoire; ce lieu, d'après la description de sainte Françoise Romaine que nous avons vue plus haut, convient parfaitement à ce que sainte Madeleine de Pazzi nous a appris du cachot où sont renfermées les âmes qui ont péché par ignorance ou par faiblesse; même genre de fautes, mêmes supplices mitigés, même expiation par le feu et par la glace. Pour mieux faire connaître cette région intermédiaire, je transcrirai ici ce que sainte Madeleine nous apprend de l'âme de son frère, qu'elle reconnut en cet endroit (Vie de la sainte par son confesseur, ch. x).
La première fois qu'elle aperçut l'âme de
son frère livrée à ces tourments excessifs, si on
les compare à ceux de la terre, bien que légers par rapport
à ceux du Purgatoire inférieur, elle s'écria : " 0
frère misérable et bien- heureux tout ensemble! ô
âme affligée et pourtant glorieuse! ces peines sont intolérables,
et cependant elles sont supportées avec joie; que n'est-il donné
de les coin- prendre à ceux qui manquent de courage pour porter
leur croix ici-bas 1 Pendant que vous étiez dans le monde, ô
mon frère, vous ne vouliez pas m'écouter, et maintenant,
vous désirez ardemment que je vous écoute. Pauvre victime,
qu'exigez-vous de moi ?
101 :
Elle s'arrêta un moment et compta jusqu'à cent sept-,
puis elle fit connaître que c'était autant de communions que
son frère lui demandait d'une voix suppliante. " Oui, répondit-elle,
je puis facilement faire ce que vous demandez ; mais, hélas! qu'il
faudra de temps pour acquitter cette dette ! oh ! que j'irais volontiers
où vous êtes, si Dieu voulait me le permettre, pour vous délivrer
ou pour empêcher que, d'autres y descendent ! Dieu de bonté,
l'amour que vous portez à vos créatures est bien supérieur
à celui qu'elles ont pour vous ! Vous désirez qu'elles viennent
à vous avec plus d'empressement qu'elles n'en éprouvent elles-
mêmes, ô Dieu également juste et miséricordieux
! soulagez ce frère qui vous servit dès son enfance, regardez-le
avec bonté, je vous en conjure, et usez de votre grande miséricorde
à son égard. Ô Dieu très juste, s'il n'a pas
toujours été assez attentif à vous plaire, du moins
il n'a jamais méprisé ceux qui faisaient profession de vous
servir plus fidèlement. Il est vrai qu'il a commis des fautes, mais
il ne les louait ni ne les excusait. "
Après avoir dit ces mots, elle se mit,' toujours dans l'extase,
à réciter des psaumes pour le repos de l'âme de son
frère, puis au sortir de sa vision, elle courut, encore tout émue,
chez la mère Prieure, et tombant à genoux elle lui dit :
" 0 ma Mère, qu'elles sont terribles les souffrances du Purgatoire
! je ne les aurais jamais crues telles, si Dieu ne me les eût montrées.
" Mon Dieu, disait-elle encore, après une vision du même genre,
je ne puis plus vivre sur cette terre, ni agir avec les créatures,
après avoir vu ces choses; " puis ayant vu la gloire qui doit suivre
cette purification sévère, elle dit d'un visage joyeux :
" Non, je ne vous appellerai plus désormais peines cruelles,
mais avantageuses, puisque vous conduisez les âmes à une telle
gloire et à une si grande félicité. "
102:
On voit par ces passages que les peines de ce Purgatoire moyen sont
encore très grandes et surpassent de beaucoup tout ce que l'on pourrait
souffrir en ce monde, bien que, si on les compare aux peines du Purgatoire
inférieur, qui nous attendent bien probablement, on soit tenté
de s'écrier avec sainte Madeleine, et à meilleure raison,
heureuses peines! que je voudrais n'avoir jamais à souffrir davantage
!
Et maintenant pour être complet, il nous faudrait descendre dans la région inférieure du Purgatoire, où sont punis les grands pécheurs, les religieux et les prêtres. Mais comme je traiterai dans un chapitre à part du Purgatoire des personnes consacrées à Dieu, ce que j'ai dit au chapitre III de la rigueur des peines du Purgatoire, et au chapitre IV des peines propres à chaque péché suffit, je le crois, à nous faire bien connaître ces régions désolées; c'est pourquoi je me contenterai de prendre çà et là, dans sainte Françoise Romaine, quelques traits nouveaux pour faire mieux connaître le Purgatoire des laïcs, qui ont des fautes graves à expier.
On a vu que ce lieu est tout plein d'un feu clair et pénétrant. Les âmes qui ont commis des fautes graves sont plongées par les Anges dans ce feu qui les brûle plus ou moins, selon le degré de culpabilité. On doit rester sept ans dans ce feu pour chaque péché mortel que l'on a fini, les âmes montent au Purgatoire moyen pour y expier leurs petites fautes.
La force des souffrances ainsi endurées dans le feu du Purgatoire
arrache sans cesse à ces pauvres âmes des gémissements
humbles et pieux, mais si plaintifs que personne ne pourrait l'imaginer
en cette vie ; toutes savent qu'elles souffrent justement, qu'elles ont
bien mérité
103:
les peines que la justice divine leur inflige, et leurs plaintes tout
affectueuses, leur procurent quelque consolation ; ce n'est pas qu'elles
sortent du feu pour cela, mais Dieu voit avec bonté et miséricorde
qu'elles acceptent leurs souffrances, et elles en reçoivent quelque
soulagement, sachant bien qu'un jour elles parviendront à la gloire.
On voit aussi que les âmes du Purgatoire passent ordinairement
d'une région dans une autre ; c'est ce que con- firme une apparition
très intéressante, arrivée dans les mois de septembre
à décembre 1870, au monastère des Religieuses Rédemptoristes,
à Malines, en Belgique.
Comme cette révélation à été examinée
et approuvée par l'autorité épiscopale, je ne crains
pas de la citer malgré la date toute récente,
Le père d'une religieuse de ce couvent, nommée sœur Marie- Séraphine, et dans le monde Mademoiselle Angèle Aubépin, étant venu à mourir, apparut pendant trois mois à sa fille, pour lui demander des prières.
Pendant un peu plus du premier mois, il lui apparut tout enveloppé de flammes, et lui criant : " Pitié, ma fille, aie pitié de ton père. Regarde, lui dit-il un jour, regarde cette plusieurs centaines. Oh ! si l'on savait ce que c'est que le Purgatoire, on ferait tout pour l'éviter et pour secourir ces pauvres âmes qui y sont renfermées. " En même temps, du milieu des flammes où il était plongé, il s'écriait continuellement : " J'ai soif ! j'ai soif! "
A partir du 14 octobre, le pauvre patient, quoique livré aux plus affreuses tortures, ne parut plus environné de flammes; sans doute il était passé à la région moyenne du Purgatoire.
Étant dans cette deuxième période, il dit un jour
à sa fille que les théologiens n'avaient rien exagéré,
en enseignant
104 :
que les tourments des martyrs sont inférieurs à ceux
que subissent les âmes du Purgatoire ; et la veille de la Toussaint,
la religieuse lui ayant demandé, d'après l'ordre de son confesseur,
sur quel sujet il fallait prêcher le jour de la fête : " Hélas!
lui répondit-il, les hommes ignorent, ou ils ne croient pas assez
que le feu du Purgatoire est semblable à celui de l'Enfer ; si on
pouvait faire une seule visite au Purgatoire, on ne voudrait plus commettre
un seul péché véniel, tant on y est rigoureusement
puni. "
Le 30 octobre, la religieuse entendit son père, prononcer ces paroles avec un douloureux soupir : " il me semble qu'il y a une éternité que je suis ici; ma plus grande peine maintenant est une soif dévorante de voir Dieu et de le posséder, je m'élance sans cesse vers Lui, et je me sens constamment repoussé dans l'abîme, parce que je n'ai pas encore pleinement accompli ma peine. " On petit augurer de ces paroles, qu'il était déjà passé au Purgatoire supérieur ; d'ailleurs, le 5 décembre, on n'en put douter, car il apparut déjà tout resplendissant, à travers une auréole de tristesse.
Du 3 décembre au 12, l'apparition ne revint pas mais le 12 et les trois jours suivants, elle se montra de plus en plus resplendissante.
Enfin, pendant la messe de minuit, entre les deux élévations, le défunt apparut, pour la dernière fois, tout éblouissant de lumière et de béatitude. J'ai achevé mon temps d'expiation, dit-il à sa fille, je viens te remercier, toi et ta communauté qui a tant prié pour moi. À mon tour, je prierai pour vous toutes. Je demanderai pour toi une soumission parfaite à la volonté de Dieu, et la grâce d'entrer dans le ciel sans passer par le Purgatoire. "
Ce furent ses dernières paroles; sa fille ne put qu'entre-
105 :
-voir son visage, car il était perdu et comme abîmé
dans la lumière.
Cette histoire est fort remarquable, en ce qu'elle montre comment les
différentes divisions du Purgatoire sont unies, et comment les âmes
passent de l'une dans l'autre, selon les différents degrés
de leur expiation. C'est ainsi que Dieu rend à chacun selon ses
œuvres et fait concorder exactement la mesure de la peine avec celle de
la faute, tenant compte aux âmes, dans sa justice et sa miséricorde,
du plus ou moins de grâces accordées, du plus ou moins de
lumières reçues, car selon la parole de l’Écriture
: il sera demandé davantage à qui aura reçu davantage.
Cui multum datum est multum quoeretur ab eo.
fin page 105
Chapitre 6 Du Purgatoire des personnes consacrées à Dieu p.106 - 131
Du Purgatoire des religieux et des prêtres. - Sévérité de la justice divine à leur égard et raisons de cette sévérité ! - Du Purgatoire des religieux et religieuses. – Des fautes que Dieu punit particulièrement en eux. – De la tiédeur au service de Dieu. – Des manquements aux vœux d’obéissance et de pauvreté. – Des fautes contre la charité. – Du Purgatoire des prêtres, la grandeur de leur vocation donne la mesure de leur châtiment; ce châtiment croit avec la dignité des personnes. – Du purgatoire des évêques. – Du Purgatoire des Papes. – Des fautes que Dieu punit plus sévèrement dans ses prêtres. – Tiédeur, négligence dans la récitation de l’office. – La célébration de la sainte messe. – Des fautes contre le prochain. – Du trop de sévérité. – Défaut de zèle, fautes contre la charité. – Exemples nombreux.
En commençant ce chapitre, ma main tremble et mon cœur est ému. Prêtre, je vais dire les sévérités de la justice divine sur mes frères dans le sacerdoce; appelé à servir l’Église dans les rangs de la milice apostolique, je vais parler des châtiments infligés aux âmes d’élite, à ceux que Notre Seigneur sur la terre appelait ses amis : Jam non dicam vos servos, vos autem dixi amicos.
Hélas ! je vais écrire d’avance mon jugement et prononcer ma condamnation. Puisse au moins la divine miséricorde me tenir compte de la violence que je me fais, pour servir mes frères, et me donner la force de me corriger enfin de mes nombreux défauts, afin que, si l’amour ne suffit pas à me convertir, la crainte du Purgatoire que je me prépare m’arrête au moins et me fasse éviter le péché.
On a vu, dans les précédents chapitres, que Dieu, dans son éternelle justice, proportionne les châtiments à la mesure des grâces dont on aura abusé. Les personnes consacrées à Dieu ont donc à subir, après la mort, des expiations en rapport avec la grandeur de leur vocation. D’après sainte Françoise Romaine, il faut descendre dans la région inférieure du Purgatoire, au-dessous des laïcs qui ont commis les fautes les plus graves, pour trouver le cachot des clercs non encore honorés du sacerdoce, des religieux et des religieuses; quant aux prêtres, il faut descendre encore plus bas, tout au fond de l’abîme et sur les confins mêmes de l’Enfer, pour trouver leur place. Les prêtres et les religieux sont ainsi traités avec plus de sévérité que les simples chrétiens, même lorsqu’ils ont moins de fautes à se reprocher, à cause de leur dignité qu’ils n’ont pas assez honorée, et de la connaissance plus grande qu’ils avaient de leurs devoirs en cette vie. Quoique réunis en un même lieu, chacun d’eux est puni selon le nombre et la grandeur de ses fautes, et selon le rang qu’il occupait dans l’Église. La même proportion est observée pur la durée de la peine. (Voir la vie de la Sainte dans les Bolland.)
Ces révélations de sainte Françoise Romaine sont confirmées par un grand nombre de visions particulières. " Ma fille, disait une âme du Purgatoire à une bonne religieuse de Belgique, soit sainte, car le Purgatoire des religieuses est terrible ! "
Vincent de Beauvais, dans son Speculum historicum, Lib. VII, cap. CIX, nous apprend qu’un moine bénédictin, au moment de mourir, eut une vision du Purgatoire des religieux : les uns étaient en proie à des flammes dévorantes qui les pénétraient comme autant de dards; d’autres étaient couchés sur des grils ardents, dont la seule vue faisait frémir. Son Ange lui dit alors : " Ceux que tu vois livrés à des tourments si atroces sont des religieux de tous les ordres; ils n’ont jamais commis de fautes graves, mais ils se sont rendus coupables de plusieurs négligences qu’ils doivent expier sévèrement, avant d’être admis devant Dieu. Les uns n’ont pas observé assez exactement le silence, les autres ne se sont pas appliqués avec assez de ferveur au chant de l’office divin : les autres ont cédé à la paresse, à la somnolence ou à la curiosité; d’autres enfin ont trop aimé la plaisanterie et ont montré dans leur extérieur une légèreté pardonnable à peine dans un laïc. A cause de ces fautes, relativement légères, tu les vois livrés à ces affreux supplices, jusqu’à ce qu’ils aient entièrement satisfait à la justice de Dieu pour tous leurs manquements. "
Un premier jour de l’an, la bienheureuse Marguerite-Marie priait pour trois personnes récemment décédées; deux de ces personnes étaient religieuses et la troisième séculière. Notre Seigneur délivra l’âme de la personne séculière, disant qu’il avait moins de peine à voir souffrir des personnes religieuses, à cause qu’il leur donne plus de moyens de mériter et d’expier leurs péchés pendant cette vie, par la fidèle observance de leurs règles. (Vie de la Bienh. déjà citée.)
Nous avons vu, dans sainte Françoise, que les simples clercs, les religieux et les religieuses sont traités avec moins de sévérité que les ministres des autels, bien que leurs châtiments soient plus rigoureux que ceux des laïcs. Voici maintenant les fautes que la divine justice punit en eux d’une manière spéciale; c’est d’abord la tiédeur au service de Dieu. Je rapporterai à ce sujet un trait remarquable, que j’ai trouvé dans la vie de la V. mère Agnès de Langeac, dont j’ai déjà parlé.
Comme la mère Agnès priait dans le chœur, une religieuse qu’elle ne connaissait pas, parut devant elle, avec un visage fort abattu, et habillée comme le sont de nuit les religieuses. La considérant attentivement elle ouït une voix qui lui dit : c’est la sœur du Haut-Villars (c’était une religieuse du monastère du Puy, décédée il y avait plus de dix ans). En cette apparence, elle ne disait mot, mais elle témoignait assez, par son triste maintien, le grand besoin qu’elle avait d’être secourue. Aussi la mère Agnès, entendant bien ce qu’elle voulait dire, se mit à prier pour elle de la bonne sorte. Cela dura plus de trois semaines, pendant lesquelles cette pauvre défunte, toujours en peine, lui apparaissait presque en tout temps et en tous lieux, surtout après la communion ou l’oraison. La charitable mère ayant cru devoir en communiquer avec le confesseur, ce bon Père était d’avis qu’on fit savoir la chose au monastère de Sainte-Catherine du Puy, dont la défunte avait été religieuse; mais la mère Agnès ayant représenté que cela serait pris pour une rêverie, il demeura d’accord qu’on n’en manderait rien à personne, et que pour en parler à Dieu plus efficacement, elle ferait quelques prières extraordinaires, ce qu’elle put réaliser, ayant demandé à sa Prieure de faire des prières particulières pour les âmes du Purgatoire; de quoi cette victime de la charité s’acquittant fort fervemment, la défunte continuait toujours ses apparitions à son ordinaire, si bien qu’elle entra en de grandes craintes qu ce ne fût une illusion; mais son ange la tira de cette peine, en l’assurant que c’était vraiment une âme du Purgatoire qui souffrait ainsi, pour sa tiédeur au service de Dieu. Depuis cette apparition de l’ange, celle de l’âme cessa, en sorte qu’on ne put savoir combien de temps encore cette infortunée demeura au Purgatoire.
Nous avons déjà vu une des sœurs de la mère Agnès la remercier, après sa mort, de ce que pendant la vie elle lui avait rappelé souvent la parole des saints livres : maudit soit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment, et l’avait ainsi empêchée de s’abandonner à une fatale tiédeur. La sœur, dont je vais parler, n’avait probablement pas assez tenu compte de ces avis de la mère Agnès, car après sa mort elle fut condamnée à un rude Purgatoire.
Voici le fait tiré, ainsi que le précédent, de la vie de la V. mère Agnès, par M. de Lantages.
Il mourut une religieuse de Langeac, nommée sœur Séraphique. Aussitôt le confesseur commanda à la mère Agnès de demander à Dieu qu’il lui plût lui faire connaître l’état de cette âme. Pour obéir, elle fit cette demande à Notre Seigneur en l’oraison; et s’étant offerte à lui pour la religieuse, elle sentit incontinent une grande ardeur par tout le corps, par où elle comprit que Dieu lui voulait signifier que la pauvre sœur souffrait le feu du Purgatoire; et en effet, y ayant été menée aussitôt en esprit, elle l’y reconnut parmi plusieurs âmes qui brûlaient dans ces flammes, et entendit que d’une voix lamentable elle lui demandait du secours. Cette même sœur lui apparut une autre fois, et lui demanda sa bénédiction, que la mère Agnès lui donna, et environ huit jours après, la charitable supérieure ayant communié, descendit au chapitre, et se prosternant sur le tombeau de cette sœur, elle demanda avec beaucoup de larmes et de gémissements qu’il plût à la divine bonté de son Époux de tirer cette sienne fille des flammes qui la tourmentaient et retardaient de sa bienheureuse jouissance; à ces demandes si ferventes, une voix répondit sensiblement : " Continue encore de prier, il n’est pas temps de la délivrer. " Enfin deux jours après, la mère Agnès assistant à la messe, vit au moment de l’élévation, cette âme monter au ciel avec une extrême joie, et quand elle fut rentrée dans sa chambre, deux anges, en forme de jeunes garçons, lui apparurent, l’un desquels lui annonça que la sœur Séraphique était au ciel, et la remercia pour elle de ce qu’elle avait hâté sa délivrance du Purgatoire.
J’ai parlé précédemment d’une religieuse de la Visitation, qui apparut à la B. Marguerite-Marie, pour solliciter ses prières dans les rigoureux supplices qu’elle endurait : or cette pauvre sœur se lamentait surtout, au milieu de son supplice, pour sa trop grande facilité à prendre des dispenses de la règle et des exercices communs; elle déplorait aussi bien vivement les soins qu’elle avait pris pour se procurer des soulagements et commodités, disant que, sans la sainte Vierge, elle aurait été perdue. Une autre religieuse qui lui apparut en même temps et qui souffrait moins, ne demandait aucun soulagement, de quoi la B. Marguerite s’étonnait; il lui fut répondu que cela ne lui était pas permis, à cause qu’elle avait manqué de correspondre à l’attrait que Dieu lui avait donné pour la pure souffrance, et que, contre les vues de la Providence, elle avait cherché son soulagement avec trop d’inquiétude.
Ces exemples sont propres à faire impression sur les âmes religieuses qui, après avoir commencé à se donner à Dieu, languissent au service d’un si bon Maître, et résistent aux inspirations de sa grâce, se traînant toute leur vie dans l’ornière de la routine et de la tiédeur. En voici d’autres qui montreront avec quelle sévérité sont punis les manquements aux vœux de pauvreté et d’obéissance, je ne parle pas ici des manquements au vœu de chasteté, car pour ceux qui ne craignent pas de souiller sacrilègement le don qu’ils ont fait d’eux-mêmes au divin Époux des âmes, leur place n’est pas dans le Purgatoire, mais ailleurs.
Au rapport de sainte Madeleine de Pazzi, une religieuse fut détenue pendant seize jours dans le Purgatoire, pour trois fautes qui nous paraîtraient bien légères : 1? Elle avait travaillé sans nécessiter à de petits ouvrages de femme, pendant trois jours de fête; 2 ? elle avait omis, par respect humain, de faire connaître à ses supérieurs certaines inspirations que Dieu lui avait données, pour le bien de la communauté; 3 ? elle aimait un peu trop les siens. Ces fautes l’auraient même retenue plus longtemps dans le Purgatoire, mais ses peines avaient été abrégées à raison de sa fidélité à garder la règle, de sa pureté d’intention et de sa charité envers ses sœurs.
Ceci nous amène à parler des fautes contre la charité, que Dieu a spécialement en horreur dans les personnes religieuses, et cela se conçoit, car rien n’est plus opposé à la sainte cordialité et dilection, qui doivent toujours régner entre ceux qui se donnent les doux noms de frères et de sœurs.
Saint Louis Bertrand, priant une nuit dans le chœur après matines, selon sa sainte habitude, vit venir è lui un religieux, tout enveloppé de flammes, qui se jeta à ses pieds, le supplia de lui pardonner une parole injurieuse qu’il avait prononcée contre lui bien des années auparavant : " Car, disait ce malheureux, c’est à cause de cela seulement que je Juge suprême me retient en Purgatoire. Je vous supplie encore, mon Père, au nom de la sainte charité, de dire pour moi une seule messe, et j’espère que je serai aussitôt délivré de mes peines. " - " Quant à la parole que vous me rappelez, reprit le saint, je vous la pardonne bien volontiers, et dès demain, je dirai la messe que vous me demandez. " La nuit suivante, le défunt lui apparut radieux et glorifié, il montait au ciel. (Vita sancti Ludovici, in diario Dominicano, 10 octobre.)
Ce trait rappelle la parole de Notre Seigneur dans l’Évangile : Quiconque dira à son frère : vous êtes un four, sera condamné au feu.
La Bienheureuse Marguerite-Marie ayant vu en songe une religieuse décédée depuis longtemps, celle-ci lui dit qu’elle souffrait beaucoup en Purgatoire, mais que Dieu venait de lui faire souffrir une peine incomparable en lui montrant une de ses parentes précipitée en Enfer. "Je n’éveillai là-dessus, écrit la Bienheureuse, avec de si grandes peines qu’il me semblait qu’elle m’avait imprimé les siennes, sentant mon corps si brisé que je ne me remuais qu’avec peine; mais comme on ne doit pas croire aux songes, je n’y faisais pas grande réflexion, mais elle m’y fit faire attention malgré moi, car elle me pressait si fort qu’elle ne me donnait pas de repos, me disant incessamment : priez Dieu pour moi : offrez-lui vos souffrances, unies à celles de Jésus-Christ, pour soulager les miennes. Donnez-moi tout ce que vous ferez, jusqu’au premier vendredi du mois, que vous communierez pour moi; ce que je fis, avec la permission de ma supérieure. "
"Mais ma peine s’augmenta si fort qu’elle m’accablait, sans pouvoir trouver de soulagement et de repos; car l’obéissance m’ayant fait retirer pour en prendre, je ne fus pas sitôt au lit qu’il me sembla la voir près de moi, me disant ces paroles : te voilà dans ton lit, bien à ton aise, regarde-moi, couchée sur un lit de flammes, où je souffre des maux intolérables. Et me faisant voir cet horrible lit, qui me fait frémir chaque fois que j’y pense dont le dessus était de pontes aiguës qui étaient tout en feu et lui entraient dans la chair; elle me disait que c’était à cause de sa paresse et de ses négligences à l’observance de la règle, et de ses infidélités à Dieu. On me déchire le cœur avec des peignes de fer tout ardents, ce qui est ma plus grande douleur, pour la peine de mes murmures et des désapprouvements dans lesquels je me suis entretenue contre mes supérieurs; ma langue est mangée de vermine pour punir mes paroles contre la charité; et pour mes manquements au silence, ma bouche est tout ulcérée. Ah ! que je voudrais que toutes les âmes consacrées à Dieu me pussent voir dans cet horrible tourment; si je pouvais leur faire sentir la grandeur de mes peines et celles qui sont préparées à celles qui vivent négligemment dans leur vocation, sans doute qu’elles y marcheraient avec une autre ardeur dans l’exacte observance. Tout cela me faisait fondre en larmes; on me voulait donner quelques remèdes; elle me dit : on pense bien à te soulager dans tes maux, mais personne ne pense à alléger les miens; hélas ! un jour d’exactitude au silence de toute la communauté guérirait ma bouche ulcérée; un autre jour passé dans la pratique de la charité sans faire aucune faute contre elle, guérirait ma langue; un troisième passé, sans aucun murmure ou désapprouvement contre les supérieurs, guérirait mon cœur déchiré! "
Voici ce que la même sainte écrivait à propos d’une autre religieuse à sa supérieure, la mère de Saumaise :
" Je vous demande encore, comme à ma bonne mère, quelques secours particuliers pour cette pauvre sœur H. (c’était une religieuse décédée quelques mois auparavant) pour laquelle, dès le commencement de l’année, j’ai offert tout ce que je pourrais faire et souffrir. Elle ne m’a pas donné de repos que je ne lui aie fait cette promesse de faire pénitence pour elle, me disant qu’elle souffrait beaucoup, particulièrement pour trois choses, la première pour le trop de mollesse et de délicatesse de corps; la seconde pour les rapports et les manquements contre la charité; la troisième pour de certaines petites ambitions. Je vous demande pour elle, quelque charité et le secret. "
On voit par ces exemples, combien les personnes consacrées à Dieu par la profession religieuse doivent veiller sur toutes leurs paroles, sur toutes leurs actions, pour ne pas donner prise aux sévérités de la justice divine, qui les traitera selon la mesure de leur grâce, et l’étendue des lumières qu’il leur a données.
Mais que dire de ceux qui, par la grâce du sacerdoce, ont été faits des Christs vivants au milieu des hommes ! Dépositaires de la science sacrée, pour eux l’excuse d’ignorance est presque impossible; dispensateurs des sacrements, qui sont les canaux par où la grâce et la vertu de Dieu se répandent dans les âmes, ils ne peuvent arguer de leur faiblesse; élevés à la plus haute dignité qui soit sur la terre, et dans le ciel, faits participants du sacerdoce éternel de Jésus-Christ, revêtus de sont autorité, pour traiter avec les âmes, ce haut degré d’honneur donne la mesure de leur châtiment, lorsqu’ils sont infidèles ou prévaricateurs. Hélas ! à combien d’entre eux ne s’appliquent pas les terribles paroles de l’Apôtre : hic jam quoeritur inter dispensatores ut fidelis quis inveniatur. Aussi les révélations des saints sont vraiment effroyables quant à ce qui regarde le Purgatoire des prêtres.
La sœur Françoise de Pampelune, dont j’ai déjà parlé, nous apprend que les prêtres restent ordinairement dans le Purgatoire plus longtemps que les laïcs, et les évêques plus longtemps que les simples prêtres, et l’intensité de leurs tourments est proportionnée à leur dignité. Elle nous apprend ainsi qu’un prêtre resta quarante ans en Purgatoire pour avoir laissé, par sa négligence, une personne mourir sans sacrements; un autre y resta quarante-cinq ans, pour avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes fonctions de son ministère; un évêque, que sa libéralité avait fait surnommer l’aumônier, y demeura cinq ans pour la même cause : un troisième, qu’on vénérait comme un saint, fut condamné à cinquante-neuf ans de Purgatoire pour certaines fautes d’administration.
Les vicaires de Jésus-Christ eux-mêmes, devenus après
leur mort simples justiciables du tribunal de Dieu, sont punis d’ordinaire
plus sévèrement que de simples évêques. Je ne
saurais dire combien j’ai été frappé de ce que j’ai
lu, à cet égard, dans la vie de la vénérable
servante de Dieu, Anne-Marie Taïgi. Chacun a présentes à
la mémoire les épreuves du vénérable Pie VI;
arraché de sa demeure par les mains impies de la révolution
française, outragé ignominieusement dans sa double dignité
de Pontife et de Roi, traîné de ville en ville comme un criminel,
il arrive à Valence, pour y mourir de la mort des confesseurs de
la foi, le 29 août 1799. Sa vie sur le trône pontifical avait
été une digne préparation de cette mort héroïque.
Il avait fait de grandes choses comme administrateur, avait lutté,
avec une intrépidité tout apostolique, contre le gallicanisme
et le joséphisme, ces deux précurseurs de la Révolution;
en un mot, son long pontificat de vingt-quatre ans restera comme un des
plus grands de l’histoire de l’Église. Or, en 1816, dix-sept ans
après sa mort, Marie Taïgi vit son âme se présenter
à la porte du Purgatoire, et redes
fin page 116.
117 :
cendre ensuite dans l'abîme son expiation n'était pas
encore achevée combien de temps devait-elle durer encore ? c'est
le secret de Dieu on sait par la même source que pie VII qui eut
tant à souffrir de la part de Napoléon Ier et qui fut un
si digne et si saint Pontife qu'il força l'admiration et le respect
des incrédules demeura en Purgatoire près de cinq ans Léon
XII n'y demeura que quelques mois à cause de son éminente
piété et du peu de temps qu'il passa sur le trône pontifical
au temps de saint Odilon de Cluny Benoît VIII de sainte et douce
mémoire éprouva lui aussi les rigueurs du jugement de Dieu
quelques jours après sa mort il apparut à Jean évêque
de Porto et lui apprit qu'il était condamné à une
terrible expiation pour n'avoir pas répondu parfaitement à
la grandeur de sa dignité suprême il espérait néanmoins
éprouver du soulagement par les suffrages du saint abbé Odilon
qui avait été son ami intime et à qui il avait accordé
beaucoup de grâces spirituelles pendant les jours de sa vie mortelle
:"je vous supplie conclut-il faites-lui donner avis de ma terrible position
si vous avez encore quelque attachement pour moi pour plus de célébrité
priez mon successeur Jean d'expédier de suite un messager à
Cluny pour que cette vertueuse communauté se souvienne." Dès
que saint Odilon eut été informé de cette vision il
se mit ainsi que toute la communauté à prier pour le pontife
défunt il ajouta à ses prières beaucoup d'aumônes
et d'autres oeuvres afin de satisfaire à la divine justice au bout
de quelque temps l'économe Edelbert qui en cette qualité
était chargé spécialement de la distribution des aumônes
eut une vision à son tour il vit entrer au
118:
chapitre un personnage à l'aspect vénérable couvert
d'un riche manteau portant une couronne enrichie de pierres précieuses
il fit le tour de la salle s'inclinant plus ou moins profondément
devant chaque religieux mais quand il fut arrivé au siège
de l'Abbé il inclina la tête jusqu'au genoux du Saint
Edelbert étonné de ce spectacle ne savait qu'en penser lorsqu'il
entendit une voix qui disait distinctement :"Celui-ci est le souverain
pontife Benoît qui vient d'être délivré du Purgatoire
par les suffrages de votre saint Abbé et de sa communauté
; avant de monter au Ciel il a voulu venir témoigner sa gratitude
à ses bienfaiteurs et les assurer qu'à son tour il ne les
oubliera pas devant Dieu." C'est ainsi que la plus haute majesté
qu'il y ait sur la terre celui à qui ont été confiées
les clefs du royaume du Ciel ne peut y entrer lui-même qu'après
avoir satisfait entièrement pour ses propres fautes (Ce trait est
tiré du Speculum historicum de Vincent de Beauvais, livre
XXIV, chapitre cv ; on le trouve aussi dans la vie de saint Odilon, par
les Bollandistes.) Mais voici qui est vraiment effroyable et
qu'on n'oserait croire si on n'avait pour garants de ce fait sainte Lutgarde
dont la prudence et la discrétion sont connues et le pieux cardinal
Bellarmin qui après avoir étudié en théologien
tous les détails de cette révélation déclare
qu'il ne peut en douter et qu'elle le fait trembler pour lui-même
il s'agit du grand pontife Innocent III celui qui célébra
le concile de Latran et fit tant pour la réforme de l'Église
et des ecclésiastiques après sa mort il apparut à
sainte Lutgarde tout environné de flammes :-"Qui donc êtes-vous
âme infortunée ? demanda la sainte." -"Je suis
119 :
le feu pape Innocent III.) -- (Quoi ! un si grand et si saint pontife
notre père et notre modèle et d’ou vous vient un si terrible
châtiment ?" -- (J'expie trois fautes pour lesquelles je devais être
damné si au dernier moment la Mère de miséricorde
ne m'avait obtenu de son divin Fils la grâce de la contrition parfaite
; mes fautes ont été pardonnées mais il me reste à
en subir l'expiation." --Combien de temps doit-elle durer ? -- "Elle sera
bien longue encore car je suis condamné aux supplices les plus atroces
jusqu'à la fin du monde ; (oeternam quidem mortem evasi, sed poenis
atrocissimis usque ad diem judiciicruciabor) Marie m'a encore obtenu cette
faveur de venir vous trouver pour vous intéresser à mon sort
ayez donc pitié de moi je vous en conjure." La sainte se mit aussitôt
avec ses religieuses à intercéder de toutes ses forces pour
le malheureux pontife mais rien ne vint lui indiquer que ses prières
avaient été exaucées et il est bien possible qu'au
bout de cinq siècles l'infortuné soit encore plongé
dans ces peines atroces dont il demandait avec tant d'instances d'être
délivré sur quoi le cardinal Bellarmin fait ces réflexions
:"Cet exemple me remplit vraiment de terreur toutes les fois que
j'y pense en voyant un pontife si digne d'éloges qui passe pour
un saint aux yeux des hommes sur le point de manquer son salut et condamné
aux plus horribles tourments du Purgatoire la fin du monde quel sera le
prélat qui ne tremblera de tous ses membres ? qui ne sondera les
derniers replis de son coeur pour en chasser les moindres fautes ?". (On
peut consulter sur cette histoire : Surius, Vie de sainte Lutgarde, liv.III,
chap. IV, et Bellarmin, de gemitu columboe, liv.II, ch. IX.) On comprend
après cela combien sont insensés ceux
120:
qui désirent des prélatures et autres dignités
ecclésiastiques malheureux qui ne considèrent pas que la
responsabilité grandit avec la charge et que plus on est élevé
en dignité dans l'Église plus on aura de comptes à
rendre à Dieu pour son administration on peut voir dans la vie de
sainte Thérèse ce qu'elle pensait à cet égard
"On m'annonça c'est la sainte qui écrit la mort d'un religieux
qui avait été jadis provincial de cette province et qui l'était
alors d'une autre cette nouvelle me causa de grands troubles quoique ce
fût un homme recommandable par bien des vertus j'appréhendais
pour le salut de son âme parce qu'il avait été
vingt ans supérieur et je crains toujours beaucoup pour ceux qui
ont charge d'âmes je m'en allais fort triste à un oratoire
là je conjurais le Seigneur d'appliquer à ce religieux le
peu de bien que j'avais fait en cette vie et de tirer du Purgatoire
pendant que je demandais cette grâce avec toute la ferveur dont j'étais
capable je vis à mon côté droit cette âme sortir
de terre et monter au Ciel dans des transports d'allégresse." (Vie
de sainte Thérèse par elle-même, chap.XXXVIII.) Je
rapporterai encore un exemple qui est bien propre à guérir
du désir des dignités ecclésiastiques la bienheureuse
Jeanne de la Croix religieuse Franciscaine avait eu de fréquents
rapports avec un des plus grands prélats de son époque que
son historien ne nomme pas pendant longtemps il l'avait traitée
avec affection et respect puis un jour à la suite d'un avertissement
qu'elle lui fit de la part de Dieu pour l'inviter à se corriger
de certains défauts de caractère il se fâcha
et depuis la persécuta de plusieurs manières or il advint
qu'il mourut
121:
et la sainte voulant rendre le bien pour le mal se mit à prier
pour lui de toutes ses forces une nuit qu'elle priait à cette intention
le défunt lui apparut avec un visage abattu et lamentable une mître
brûlante sur le front une crosse de feu en main des chaîne
embrasées fermaient ses lèvres et l'empêchaient de
pousser autre chose que des gémissements étouffés
au lieu de ses riches habits il était couvert de misérables
haillons il était environné de quelques âmes que ses
exemples avaient portées au relâchement et les démons
le tourmentaient de mille façons douloureuses et humiliantes la
bienheureuse effrayée de ce spectacle demanda à son ange
gardien si c'étaient les peines de l'Enfer ou du Purgatoire mais
celui-ci lui répondit :" Dieu vous le fera savoir en temps utile."
Elle continua nonobstant cette terrible incertitude à prier pour
lui et quelques jours après l'âme du défunt lui apparut
de nouveau mais ses tourments étaient diminués il la remercia
de ce qu'elle faisait pour lui la conjurant de continuer ses suffrages
et lui demanda humblement pardon maintenant qu'il pouvait parler de son
injustice à son égard."Béni soit Dieu s'écria
la bonne religieuse pour la consolation que j'éprouve à vous
savoir préservé de l'Enfer j'avais redouté ce sort
affreux pour vous en vous voyant entouré de démons quand
vous m'apparûtes pour la première fois." Jeanne continua d'intercéder
pour lui et au bout de quelque temps encore il fut délivré
de ses peines. (Voir chron.des frères Mineurs, IV p. liv.II, ch.XVIII.)
Voyons maintenant pour notre instruction à tous quelles sont les
fautes que Dieu punit si sévèrement dans ses prêtres
122 :
la tièdeur est une bien triste et bien dangereuse maladie dans
les simples fidèles mais que dire de la tiédeur dans les
prêtres ? Comment ce coeur qui chaque matin dans le mystère
de l'autel repose sur le coeur de Jésus peut-il ne pas être
dévoré des saintes flammes de l'amour de Dieu ? Saint Bernard
va nous faire connaître quelle fut la punition d'un de ses moines
qui malgré son double caractère de prêtre
et de religieux s'était laissé aller à cette déplorable
négligence si commune hélas ! Pendant qu'on chantait la messe
des funérailles un vieux religieux d'une sainteté peu commune
vit une troupe de démons qui se réjouissaient en criant :"Enfin
nous y voilà ! de cette indigne vallée ( allusion au nom
de Clairveaux) nous n'avons pu tirer encore qu'une seule âme mais
celle-là est à nous !..." la nuit suivante le défunt
lui apparut en personne dans un extérieur misérable et désolé
:"Hier lui dit-il vous avez eu connaissance de mon supplice et de la joie
des esprits mauvais voyez maintenant les tortures auxquelles je suis livré
en punition de ma coupable négligence." il conduisit alors le vénérable
vieillard à un puits large et profond tout rempli de fumée
et de flammes :"
Voici le lieu ou les démons pleins de rage ont permission de
me précipiter continuellement ils m'en retirent à chaque
instant pour m'y précipiter de nouveau sans m'accorder un instant
de trêve ou de repos." le lendemain matin le bon moine alla
trouver saint Bernard pour lui faire part de sa vision le saint qui avait
eu pendant la nuit une apparition semblable convoqua aussitôt le
chapitre et les larmes aux yeux raconta la double vision exhortant ses
religieux à prier pour leur pauvre frère défunt et
à profiter de ce triste exemple pour avancer eux-mêmes dans
la ferveur et dans
le soin d'éviter les petites fautes on dit qu'en
123:
effet ces fervents religieux profitèrent du malheur de leur
frère pour accomplir avec plus de ferveur encore tous les devoirs
de leur sainte profession une des fonctions les plus importantes du prêtre
c'est sans contredit d'être sur la terre le ministre officiel de
la prière de l'Église pendant que les laïcs vaquent
à leurs travaux dans les jours de la semaine et se contentent d'un
léger souvenir accordé à Dieu matin et soir le prêtre
placé comme un autre Moise sur la montagne sainte élève
sept fois le jour son coeur et sa pensée vers le Ciel pour
en faire descendre la bénédiction de Dieu sur tout le peuple
chrétien qui combat dans la plaine quelle faute j'allais presque
dire quel crime quand le prêtre manque à ce grand ministère
de l'intercession ou ce qui revient à peu près au même
quand il s'en acquitte avec tant de négligence que la sainte Église
est privée du fruit qu'elle devait retirer de l'oblation de ses
lèvres le saint bréviaire sera pour beaucoup de prêtres,
( et puisse t-il ne le devenir jamais pour moi ) l'occasion de beaucoup
de fautes et d'un rigoureux Purgatoire voici un exemple bien remarquable
à ce sujet : je l'ai trouvé dans saint Pierre Damien. ( lettre
XIV à l'abbé Desiderius.) Saint Séverin archevêque
de Cologne avait été honoré du don des miracles sa
vie tout apostolique ses grands travaux pour l'accroissement du règne
de Dieu dans les âmes devaient lui mériter les honneurs de
la canonisation or après sa mort voilà qu'il apparut à
un des chanoines de sa cathédrale pour demander des prières
--"Comment ! vous ! s'écria le prêtre consterné,
vous, pasteur si pieux et si zélé vous qui avez fait tant
de bien dans votre diocèse vous que nous invoquions déjà
comme notre protecteur et notre père ?" -- "Il est vrai,
répondit le prélat,
124:
Dieu m'a fait la grâce de le servir de tout mon coeur et de travailler
longtemps à sa vigne néanmoins je l'ai offensé souvent
par la manière pressée dont je récitais mon bréviaire
les affaires et les préoccupations de chaque jour m'absorbaient
tellement que lorsque venait l'heure de la prière je m'acquittais
de ce devoir sans assez de recueillement et quelquefois à d'autres
heures que celles fixées par l'Église en ce moment j'expie
ces infidélités et Dieu me permet de venir réclamer
vos prières ne me les refusez pas." L'histoire ajoute que Séverin
fut un peu plus de six mois dans
le Purgatoire pour cette seule faute Saint Séverin était
un saint qui rachetait ses fautes légères commises
dans le religieux dont je vais parler était sans doute plus coupable
car il fut rigoureusement puni Le bienheureux Etienne religieux Franciscain
avait la sainte coutume de passer chaque nuit plusieurs heures auprès
du Saint-Sacrement une nuit il aperçut dans une des stalles du choeur
un religieux assis le capuchon rabattu sur la figure étonné
de le voir en ce lieu à cette heure il s'approche et lui demande
ce qu'il fait ainsi à l'église pendant que tous les frères
reposent."Je suis répond le frère d'une voix lugubre un religieux
défunt de ce monastère condamné par la justice divine
à endurer ici un rigoureux Purgatoire à cause des fautes
nombreuses que j'ai commises à cette place dans la récitation
de l'office divin ; j'expie ainsi mes distractions volontaires et ma tiédeur
dans la prière; Quand me sera t-il donné de sortir de cette
situation douloureuse ?" Le Bienheureux se mit aussitôt à
réciter le De profundis avec l'oraison Fidelium de quoi ce
pauvre défunt témoigna être fort
125 :
soulagé il lui apparut encore un grand nombre de nuits pour
exciter sa compassion une fois après le De profundis il quitta sa
stalle avec un soupir de satisfaction il était enfin délivré
de ses peines (voir Chroniq.des frères mineurs,liv.ch.xxx.) En même
temps que le saint Bréviaire le prêtre a un autre grand ministère
dans l'accomplissement duquel il ne saurait trop se surveiller tous les
jours il monte à l'autel pour y offrir le pain des Anges avec quelle
ferveur avec quel saint tremblement ne fit-il pas cette grande action pour
la première fois ! mais hélas ! ( assueta vilescunt !) peu
à peu si on n'y prend garde la ferveur sensible diminue les irrévérences
se multiplient heureux qui dans le cours de sa vie sacerdotale a pu se
préserver de l'effroyable malheur de la messe sacrilège ?
Mais l'enfer n'est pas de trop pour expier un tel crime s'il n'est pas
expié avant la mort par une sincère pénitence dans
cette étude sur le Purgatoire il ne s'agit que de fautes moins graves
et je veux dire un mot ici de l'observance des rubriques la soeur Françoise
de Pampelune vit une fois dans le Purgatoire un pauvre prêtre dont
les doigts étaient rongés d'ulcères hideux il était
ainsi puni pour avoir fait les signes de la croix avec trop de légèreté
et sans la gravité nécessaire c'est une bien petite faute
dira t-on sans doute mais c'est une faute l'Église a pris la peine
de prescrire dans le moindre détail tout l'ordre des saintes cérémonies
elle a voulu et avec raison que rien ne fût laissé à
l'arbitraire et à la fantaisie afin d'obtenir une simple et majestueuse
uniformité si ces prescriptions rubricistes étaient mieux
observées les pieux fidèles ne seraient pas contristés
comme ils le sont si souvent par le spectacle de ces messes célébrées
sans dignité de ces signes de croix qui semblent chasser les
126:
mouches de génuflexions à ressorts de ces irrévérences
qui font demander aux impies si tout cet apparat est sérieux ou
si ce n'est pas une comédie d'ou la foi est absente (Sacrificat
an insultat ) un abus beaucoup plus grave bien qu'heureusement moins
fréquent c'est d'accumuler par défaut d'ordre des intentions
de messe que l'on est exposé à oublier ensuite il est bon
que l'on sache que la justice de Dieu qui est inflexible pour les dettes
de justice comme nous l'avons vu déjà se montre vraiment
impitoyable pour une dette sacrée comme celle-là voici un
fait assez récent qui a été rapporté par le
journal le Monde (n° du 4 avril 1860). Le fait se passe en Amérique
dans une abbaye de Bénédictins située au village de
Latrobe une série d'apparitions avait eu lieu dans le couvent à
cette époque et la presse américaine avait traité
ces graves questions avec sa légèreté ordinaire l'abbé
Wimmer supérieur de la maison écrivit la lettre suivante
aux journaux pour faire cesser le scandale "Voici la vérité
: dans notre abbaye de Saint-Vincent près de Latrobe en septembre
1859 un novice a vu apparaître un religieux Bénédictin
en costume complet de choeur cette apparition s'est renouvelée chaque
jour depuis le 18 septembre jusqu'au 19 novembre soit de onze heures
à midi soit de minuit à deux heures du matin le 19 novembre
seulement le novice a interrogé l'esprit en présence d'un
autre membre de la communauté sur ce qu'il demandait l'esprit a
répondu qu'il souffrait depuis soixante-dix-sept ans pour n'avoir
pas dit sept messes d'obligation qu'il était déjà
apparu à diverses époques à sept autres Bénédictins
qu'il n'avait pas été entendu qu'il serait encore contraint
d'apparaître dans onze années si lui novice ne venait pas
à
127:
son secours l'esprit demandait que ces messes fussent dites pour lui
de plus le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite et garder
un profond silence en outre et pendant trente trois jours il devait réciter
trois fois par jour le psaume Miserere, les pieds nus et les bras en croix."
"Toutes ces conditions ont été remplies à dater
du 20 novembre jusqu'au 25 décembre ou après la célébration
de la dernière messe l'esprit s'était montré encore
plusieurs fois exhortant le novice dans les termes les plus pressants à
prier pour les âmes du Purgatoire disant qu'elles souffrent affreusement
et qu'elles sont profondément reconnaissantes envers ceux qui concourent
à leur rédemption l'esprit a ajouté chose bien triste
à dire que des cinq prêtres qui sont déjà morts
à notre abbaye aucun n'était encore au Ciel que tous souffraient
dans le Purgatoire je ne tire pas de conclusion mais ceci est exact ce
récit signé de la main de l'abbé n'a pas besoin en
effet d'autres conclusions il se passe de commentaires mais le prêtre
n'est pas seulement l'homme de Dieu il est encore l'homme de ses frères
et à ce titre il a de nombreux et graves devoirs à remplir
malheur à lui s'il y manque ! ( non pavisti occidisti. Sanguinem
ejus de manutua requiram.) Dieu demandera sang pour sang âme pour
âme l'exemple suivant montrera combien il faut avoir soin de se corriger
des défauts de caractère qui sont si nuisibles à la
pratique du zèle un religieux nommé Germain abbé d'un
monastère de Bénédictins relevant de Citeaux avait
mené la vie d'un saint dans le cloître mais il avait ce défaut
de n'avoir pas
128:
une sainteté aimable son zèle dur et sans miséricorde
aurait voulu faire des saints de chacun de ses religieux aussi sa sévérité
poussée à l'excès était plus propre à
éloigner les âmes de la perfection qu'à leur en donner
l'amour il mourut jeune et comme il était en relation de spiritualité
avec sainte Lutgarde celle-ci pensant qu'il aurait peut-être à
expier sa rigueur dans le Purgatoire se condamna à des jeûnes
à des prières à des mortifications nombreuses en sa
faveur notre Seigneur apparut une première fois à la sainte
et lui dit :"Aie courage ma fille j'aurai égard à ton intercession."
Elle continua ses prières notre Seigneur lui apparut de nouveau
et lui dit "Sois tranquille avant peu Germain sera délivré
de ses peines." La sainte lui répondit :"Sauveur très aimant
je vous prie de reporter sur cette âme souffrante toutes les consolations
que dans votre miséricorde infinie vous destiniez à votre
servante car je ne cesserai de me lamenter et de gémir jusqu'à
ce que je sache qu'elle est dans la gloire." Le divin Sauveur se laissa
toucher à ces instantes prières au bout de quelque temps
il apparut pour la troisième fois à Lutgarde en compagnie
de l'âme de l'abbé et lui dit :"Sois en paix ma bien-aimée
voici l'âme pour laquelle tu as tant prié." En même
temps l'âme de Germain inondée d'allégresse la remerciait
en lui disant :"Sans vous ma soeur j'étais condamné à
onze ans encore de Purgatoire à cause de mon zèle trop amer
mais grâce à Dieu et à vos prières l'épreuve
est finie et je vais au Ciel." (Vie de sainte Lutgarde dans Surius, au
16
juin.) Les paroles contre la charité que Dieu comme nous l'avons
vu punit si rigoureusement dans la bouche des laïcs et des religieux
ne trouvent pas grâce devant lui quand il les rencontre sur ces lèvres
sacerdotales qui sanctifiées
129:
chaque jour par l'attouchement eucharistique ne devraient laisser échapper
que des paroles de paix et d'amour le père de Nieremberg religieux
de la compagnie de Jésus était très dévot aux
âmes du Purgatoire une nuit qu'il priait pour elles dans le choeur
de l'église du collège à Madrid il vit apparaître
un père qui avait professé longtemps la théologie
dans la maison et qui venait de mourir il était livré
à de rudes tourments pour avoir souvent parlé contre la charité
sa langue en particulier instrument de ses fautes était dévorée
par un feu cuisant la très sainte Vierge en récompense
de la tendre dévotion qu'il avait eue pour elle lui avait obtenu
de venir solliciter des prières et servir en même temps d'exemple
à ses frères pour leur apprendre à mieux veiller sur
toutes leurs paroles le père de Nieremberg ayant prié et
fait beaucoup de pénitences pour lui obtint enfin sa délivrance.(Voir
vie du P.Nieremberg,ch.IX.) Voici maintenant le châtiment des fautes
contre les supérieurs le mauvais esprit les cabales et les petites
intrigues contre l'autorité tous ces défauts déplaisent
fort à Notre Seigneur et l'on ne peut rien imaginer de plus contraire
à l'esprit ecclésiastique qui est un esprit d'obéissance
et de dilection un prieur de la Grande Chartreuse s'était laissé
aller au schisme du Conciliabule de Pise il avait été relevé
des censures avant de mourir et avait fait pénitence de sa faute
néanmoins Dieu qui a horreur de l'esprit d'orgueil et de désobéissance
contre les supérieurs lui imposa de grandes souffrances dans le
Purgatoire jusqu'à ce que par les prières de la bienheureuse
Catherine de Racconigi à qui il était apparu il fût
délivré au bout d'un temps assez long.( Vie de la bienh.in
diaro dominicano,4 sept.)
130:
je terminai tout ce que j'ai à dire du Purgatoire des prêtres
par le trait suivant ou sont rassemblés plusieurs des défauts
les plus communs dans le sarcerdoce la bienheureuse Marguerite-Marie étant
une fois devant le Saint-Sacrement tout à coup se présenta
à elle une personne tout en feu dont les ardeurs la pénétrèrent
si fort qu'il lui sembla brûler avec elle l'état pitoyable
ou elle vit ce défunt lui fit verser des larmes c'était un
religieux bénédictin de la congrégation de Cluny à
qui elle s'était confessée auparavant et qui lui avait ordonné
de faire la communion en récompense de quoi Dieu lui avait permis
de s'adresser à elle pour trouver du soulagement dans ses peines
ce pauvre prêtre lui demandait que dans l'espace de trois mois tout
ce qu'elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué ce qu'elle
promit après en avoir demandé la permission il lui dit que
la première cause de ses grandes souffrances était
d'avoir préféré son propre intérêt à
la gloire de Dieu par trop d'attache à sa réputation la seconde
ses manques de charité envers ses frères la troisième
le trop d'attache naturelle qu'il avait eue pour les créatures et
les témoignages qu'il leur en avait donnés dans les entretiens
spirituels ce qui déplaisait beaucoup à Dieu il est difficile
de dire tout ce que la bienheureuse eut à souffrir l'espace des
trois mois pendant lesquels il ne la quittait pas du côté
ou il était elle se sentait tout en feu avec de si vives douleurs
qu'elle en pleurait toujours sa supérieure touchée de compassion
lui ordonnait des pénitences et des disciplines car les peines et
les souffrances qu'on lui accordait la soulageaient beaucoup les tourments
que la sainteté de Dieu imprimait en elle comme un échantillon
de ce que ces pauvres âmes endurent étaient insupportables.
(Vie de la bienheureuse.)
131:
ces exemples sont bien tristes dira t’on c'est vrai et plus d'un sera
peut-être tenté de s'écrier s'il en est ainsi mieux
vaut ne pas être prêtre ou religieux il n'en est rien cependant
d'abord si Dieu vous a appelé à vous consacrer à son
service il est probable que vous ne pouvez guère vous sauver qu'en
répondant à son appel en sorte que reculer devant le sacerdoce
ou la vie religieuse à cause des responsabilités de l'avenir
ce serait s'exposer tout simplement à échanger le Purgatoire
contre l'Enfer en second lieu pour la consolation de mes bien-aimés
frères dans le sacerdoce je dirai que si nous avons bien des occasions
de multiplier nos dettes nous en avons beaucoup aussi d'accumuler nos mérites
or les dettes se payent par une peine temporelle plus ou moins longue plus
ou moins rigoureuse au lieu que les mérites acquis se changent en
une récompense éternelle et comme il n'y a aucune proportion
possible de ce qui finit à ce qui ne finit pas le plus petit degré
de gloire de plus dans le ciel est incomparablement supérieur
à tous les tourments du Purgatoire dussions-nous les subir jusqu'à
la fin du monde nous pouvons hardiment même en ce triste sujet répéter
bien haut les paroles du psalmiste :(Funes ceciderunt mihi in proeclaris;
etenin hoereditas mea proeclara est mihi ! ) Cet héritage c'est
la possession plus entière de Dieu pendant les jours sans fin de
l'éternité ! (Dominus pars hoereditatis meoe et calicis mei.)
Que ces exemples ne nous découragent donc pas mais qu'ils nous excitent
à redoubler de vigilance sur nous-mêmes pour éviter
ces petites fautes qui selon le Concile de Trente sont toujours graves
dans les prêtres. ( Levia étiam delicta quoe in ipsis gravia
essent, effugiant.)
Chapitre 7 Etat surnaturel des âmes du purgatoire p.132 - 151
Elles sont constituées extra viam ; De la, impuissance absolue a méditer et a satisfaire par leurs propres œuvres. - Sciences des âmes du Purgatoire.- Connaissent – elles Dieu, la cause de leur condamnation, leur sort éternel, la durée de leurs peines ? Connaissent-elles les pèches les unes des autres ? Voient-elles ce qui se passe sur la terre ? Connaissent les bonnes œuvres que l’on fait pour elles ? Ont-elles la science des futurs contingents ? Comment ont-elles ces diverses connaissances ? Opinions diverses a ce sujet. – Vertus des âmes du Purgatoire – Foi, Espérance, Charité, religion, soumission a la volonté de Dieu, contrition, humilité, patience, zèle, et amour du prochain, reconnaissance envers leurs bienfaiteurs ; Si des maintenant, les âmes du Purgatoire peuvent prier pour nous- Expose des diverses opinions.
p.132
Assez de descriptions lugubres et d’analyse de la souffrance ; Je vais
aborder maintenant une étude plus consolante ; appuie comme toujours
sur la théologie et sur les révélations des saints,
je vais essayer de pénétrer dans ces âmes, pour y découvrir
leur disposition et me faire une idée de leur état surnaturel.
C’est un beau sujet mais bien obscur ; car qui nous dira, avant de l’avoir
éprouve soi même, ce qui se passe dans ces âmes toutes
resplendissantes déjà de l’auréole de la sainteté,
bien que leur gloire soit encore voilée sous les ombres de la pénitence
et de l’expiation. Il y a cependant au milieu de ces obscurités
quelques points plus brillants qui servent à éclairer le
reste ; C’est à eux que je m’attacherai plus spécialement.
Une première vérité sur laquelle tout le monde
est d’accord, c’est que les âmes du Purgatoire sont constituées
extra viam ; De la, pour elles, l’impossibilité absolue ou elles
sont de méditer davantage et d’expier quoi que ce soit, autrement
qu’en subissant leur peine ; Si elles pouvaient s’aider elles même
par leurs œuvres, leur ferveur est telle, et leur désir de voir
Dieu si grand, qu’en un instant, au prix des plus grandes souffrances,
le Purgatoire serait vide ; Mais elles sont plongées dans cette
nuit dont parle l’écriture. ( Venix nox, quando nemo potest operari)
Quelques théologiens catholiques ont pense cependant peuvent
mériter un accroissement accidentel de gloire, et même satisfaire
pour leur penches véniels. Ce fut d’abord la pensée de St
Thomas, qui dit dans sa Somme (IV, dist. XXI, q I art. 3.3) : <<
Après cette vie, on ne peut plus mériter ce qui fait l’essence
même du bonheur du ciel, mais bien un accroissement accidentel de
gloire, et cela tant que l’homme reste en quelque manière in via
; C’est pourquoi dans le purgatoire on peut mériter la remissions
des fautes vénielles. >> Mais plus tard le grand docteur paraît
avoir change d’avis, car en traitant du mal (q. VII, art. 11), il décide
positivement que dans le purgatoire, il ne peut y avoir aucun mérite
ni naturel, ni accidentel.
D’autres pensent, avec Sylvius (q. LXXI, art.2), que les défunts
ne peuvent mériter, ni satisfaire pour leurs fautes, mais qu’ils
peuvent s’aider eux-mêmes en priant ; Et la raison qu’il en donne,
c’est que l’Église dans sa liturgie nous montre les âmes du
purgatoire priant pour elles-mêmes ; Or, si elles peuvent prier,
pourquoi cette prière serait-elle privée de tout mérite
impetratoire ?
Ces âmes sont saintes ; Elles apportent à la prière
toutes les conditions de ferveur et d’humilité requise ; L’objet
de leur demande est conforme à la volonté de Dieu, puisqu’elles
prient pour que son règne arrive en elles ; Pourquoi cette prière
serait-elle inutile ?
Ainsi raisonnent les théologiens, et leurs raisonnements paraissent
fondes ; Malheureusement ils sont sur ce point en désaccord avec
la révélation des saints, toujours c’est un long cri d’impuissance
qui monte de l’abîme, et toutes les apparitions peuvent se résumer
dans cette plainte lamentable : O vous qui étés encore sur
la terre, aidez-nous car nous ne pouvons plus rien faire que souffrir,
en attendant que nous n’ayons paye toute notre dette.
Étudions maintenant ce qui se passe dans l’intelligence de ces
âmes ; Que savent-elle de la vie future ! Que savent-elles de ce
qui se passe sur la terre ?
Au moment de la mort, le voile s’est déchire ; L’âme a
vu Dieu, dans la réalité, dans la majesté de sa gloire
; Elle a emporte dans les ténèbres de son cachot, comme une
consolation et comme une espérance, l’adorable vision de Notre Seigneur
Jésus-Christ. Mais tout le temps que dure son expiation, elle soit
privée de la vision béatifique, car autrement le purgatoire
deviendrait aussitôt le ciel et il n’y aurait plus de place pour
la souffrance ; Ce n’est que lorsqu'elle aura passe le seuil rayonnant
du ciel que son intelligence sera élevée à la claire
vision de Dieu et du Mystère de l’Éternité, in lumine
tuo videbimus lumen.
A l’heure du jugement, l’âme a vu sa vie entière ; Dans
le livre de ses actes, elle a pu lire la cause de sa condamnation.
Il semble naturel après cela de penser que ce souvenir de ses
fautes l’accompagne au lieu de ces expiations.
Néanmoins sainte Catherine de Gênes, au premier chapitre
de son beau traite du Purgatoire, nous affirme positivement le contraire
: << Ces âmes ne sauraient plus se retourner vers
elles-mêmes et dire : J’ai fait tels pèches, pour lesquels
je mérite de rester ici ; Je voudrais ne les avoir pas faits parce
que j’irai au Paradis ; Elles ne voient qu’une seule fois, au moment du
passage de cette vie a l’autre, la cause du Purgatoire qu’elles ont en
elles-mêmes ; A partir de ce moment, elles ne le voient plus. >>
(Traite du Purg. , chap. I.).
Malgré la haute autorité de Sainte Catherine, j’ai peine
à croire qu’il en soit ainsi.
Pourquoi ce souvenir des fautes commises serait-il pour une âme
une imperfection et un retour d’amour propre ? La contrition qui nous fait
pleurer nos pèches pendant la vie est-elle une imperfection, elle
aussi ? D’ailleurs toutes les révélations que j’ai citées
dans les chapitres précédents attestent ce souvenir persévérant
des fautes. Les âmes qui viennent solliciter nos prières savent
et disent pourquoi elles sont condamnées.
Je suis donc force, à mon grand regret, de ce point de l’autorité,
si grave cependant, de sainte Catherine. Ce qui me permet d’être
si hardi, c’est que j’ai pour moi Sainte Françoise Romaine qui m’apprend
que, non seulement les âmes du Purgatoire ont le souvenir actuel
de leur pèche, mais encore qu’elles connaissent les pèches
de tous ceux qui souffrent avec elles.
Cette vue, dit la sainte, les excitent à de grands sentiments
de conformité a la volonté de Dieu et les ravit d’admiration,
parce qu’elles voient distinctement comment la justice divine punit chaque
âme, précisément dans la mesure de ses fautes. Les
âmes du purgatoire se connaissent les unes les autres : <<
Ma sœur, disait une âme du Purgatoire a une religieuse inquiète
du sort éternel de son père qui venait de mourir subitement,
votre père est sauf, mais il est condamne à 20 ans d’un terrible
purgatoire ; Cependant je dois ajouter, pour votre consolation, que votre
petite sœur, N., vient d’être délivrée des flammes
et qu’elle est au ciel. >>
Dans le même ordre de connaissances, il semble certain que les
âmes du purgatoire connaissent les reprouves, j’ai cite, au chapitre
V, l’exemple d’une religieuse qui disait à la bienheureuse Marguerite-Marie
que la vue d’une de ses parentes, précipitée en enfer, lui
avait cause un accroissement de douleur intolérable.
Les âmes du Purgatoire connaissent-elles leur sort éternel
? Sont-elles sures de leur salut ? Denys le Chartreux rapporte plusieurs
faits qui semblent indiquer le contraire. Gerson pense que cette incertitude
du salut est la plus grande peine du Purgatoire ; Quelques vieux théologiens
sont du même avis ; Mais ce sentiment n’est plus soutenable, depuis
qu’il a été condamne par Léon X dans Luther, qui en
avait fait une de ses thèses. Aussi aujourd’hui tous les théologiens
catholiques tiennent que les âmes du Purgatoire connaissent leur
sort éternel, et les révélations des saints confirment
presque toute cette opinion.
Si donc on admet comme véritables les apparitions citées
par Denys le Chartreux, et je crois qu’on que cette incertitude du salut
est une peine exceptionnelle et très grave, infligées à
quelques âmes seulement. Ces âmes sont dans l’état de
grâce, elles aiment Dieu de tout cœur, mais elles n’ont pas conscience
de cet amour, comme cela est arrive à plusieurs saints pendant leur
vie.
Les âmes du Purgatoire connaissent-elles la durée de leur
épreuve ? La grande majorité des théologiens le nie,
mais j’avoue avoir bien de la peine à comprendre leurs raisons.
Quand l’âme a été jugée, il semble naturel
de penser que Dieu lui ai fait connaître sa sentence ; Or la durée
d’une peine, qui peut varier entre quelques heures et les siècles
inconnus qui nous séparent du jugement dernier, n’est pas
chose indifférente.
Comprendrait-on un Juge qui, après avoir condamne un coupable
a la prison, ne lui ferait pas connaître s’il s’agit de 20 ans travaux
forces ou de quelques heures de détention ? Du reste ce qui incline
encore plus a me séparer sur ce point de la presque unanimité
des théologiens, c’est que, dans toutes les révélations
faites à des saints personnages, les âmes qui apparaissent
connaissent la durée de leur épreuve et les abréviations
qu’y fera la divine miséricorde, en considération de telle
ou telle bonne œuvre qu’elles sollicitent.
J’admettrais cependant, pour tout concilier, que par une disposition
spéciale de la justice de Dieu, certaines âmes ignorent la
durée de leur châtiment ;
Mais je pense que cette peine exceptionnelle, qui n’est pas médiocre,
ne saurait faire loi générale.
Voilà ce qui regarde la science que les âmes du purgatoire
ont de l’autre vie ; Voyons maintenant ce qu’elles connaissent de la vie
présente.
Connaissent-elles ce que l’on fait pour elles ici-bas ? La plupart
des théologiens disent non, mais les révélations des
saints répondent, oui. On demandait un jour à une apparition,
si les âmes du purgatoire connaissent ceux qui prient pour elles
; La réponse est affirmative. Les aimes du Purgatoire nous voient-elles
? Savent-elles ce qui ce passe dans le monde, dans leur famille ? <<
Oui, répond l’apparition arrivée a Malines en 1870, et que
j’ai déjà cité plusieurs fois, oui, les âmes
du purgatoire nous voient, et la vue des pèche des leurs est un
de leurs principaux châtiments. >> Les théologiens, Suarez
entre autres, qui admettent que les âmes connaissent ainsi ce qui
se passe sur la terre, se demande par quel moyen cela se fait ; La plupart
concluent que les anges, spécialement l’ange gardien des âmes,
sont des intermédiaires que Dieu charge de leur révéler
les choses d’ici bas. Ce sentiment, qui est tout à fait conforme
aux visions de sainte Françoise romaine, me paraît certain,
pourvu que l’on ait soin de réserver la liberté de Dieu,
qui peut passer de ces agents ou en choisir d’autres a son gré.
Une dernière question au sujet de la science des âmes
du purgatoire : Connaissent-elles les futurs contingents ?
Ici, je suis tout à fait porte à répondre négativement
avec la plupart des théologiens, car la connaissance des futurs
contingents ne peut être communique aux âmes que par Dieu,
et l’on ne voit pas pourquoi Dieu ferait ce don aux âmes du purgatoire.
Néanmoins il paraît prouve par un certain nombre d’apparitions
authentiques, que Dieu a fait quelque fois cette révélation.
On a des preuves certaines de certaines prophéties réalisées,
après avoir été faite par des âmes du purgatoire.
C’est ainsi que la reine Claude, femme de François Ier, apparut,
étant encore dans le purgatoire, a la bienheureuse Catherine de
Racconigi, et lui annonça que les Français, a la suite de
leur roi, allaient descendre en Italie, et que leur roi serait battu à
Pavie, et fait prisonnier. Quelques mois après, l’évènement
donnait raison à la prophétie (voir la vie de la bienh. Diario
dominicano, 4 sept.)
.
Dans nos jours troubles, beaucoup de prophéties ont couru par
le monde, et la voie infaillible du vicaire de Jésus-Christ nous
a avertis de ne pas croire à tout esprit, et de nous tenir en garde
contre l’illusion.
Plusieurs de ces prophéties étaient attribuées
à des âmes du purgatoire. Je les passerai sous silence car
l’évènement ne les a pas encore justifiées. Je ferai
pourtant une exception pour cette apparition arrivée en Belgique,
du mois de septembre 1870, parce qu’elle fut examinée sérieusement
et approuve par l’autorité épiscopale, ce qui est une garantie.
Ayant été interrogé sur les malheurs de la France
qui se précipitaient alors, et sur leur durée, l’apparition
dit : << La France est bien humiliée, mais elle est bien coupable
aussi ; Elle a fait une lourde chute dont elle ne se relèvera qu’en
redevenant chrétienne.
Oui la France se relèvera, mais il ne m’a pas permis de t’en
dire le moment. >>
Je termine sur cette parole consolante, ce que j’avais à dire
de la science du purgatoire. Puisse la prophétie se réaliser
bientôt !
Il faut passer maintenant de l’ordre intellectuel à l’ordre
moral. Il est certain que les âmes du purgatoire saintes puisque
personne n’est admis dans ce séjour des expiations temporaires,
sans être en état de grâce ; Non seulement elles sont
saintes, mais encore leur sainteté est inamissible.
Elles sont confirmées en grâce et dans l’heureuse impuissance
du péché désormais. ; C’est la comme je le dirai d’ailleurs
un de leurs plus grands privilèges, et une de leurs joies. Il reste
à examiner comment et dans quel degré elles peuvent pratiquer
les vertus chrétiennes.
Commençons par les 3 vertus théologales, comme fait l’Église
quand elle procède à la canonisation des saints. Et d’abord
les âmes du purgatoire ont-elles la foi ? On pourrait supposer que
non, car le doute est devenu impossible pour elles, puisqu’elles ont vu
Dieu et qu’elles connaissent par expérience les responsabilités
de la vie future. Néanmoins, elles ne sont pas encore arrivées
à ce terme, dont parle l’apôtre ou les ombres de la foi s’évanouissent
aux clartés de l’éternité (Fides evacuatur). En fait,
elles ne connaissent que par le désir les joies du ciel qui les
attendent ; elles sont donc encore susceptibles d’avoir la foi, puisque
la foi, d’après l’apôtre, est le fondement de l’espérance,
la démonstration de l’invisible : Fides est sperandarum substantia
rerum, argumentum non apparentium.
L’espérance, cette douce consolation des affliges, est la vertu
privilégies du purgatoire. Privées du ciel, mais cependant
sures de le posséder un jour, avec quelle sainte impatience, avec
quelle ferme certitude, ces âmes prédestinées n’attendent-elles
pas le jour qui leur ouvrira les portes de la patrie. Loetatus sum in his
quoe dicta sunt mihi in domum domini ibimus. Charité ; Elles ont
vu Dieu à l’heure du jugement ;
Elles ont entrevu l’Éternelle Beauté de sa face ;
Comment ne l’aimeraient-elles pas de tout leur cœur ?
Qui nous dira les actes d’amour qui s’élèvent à
chaque instant du milieu de ces flammes, actes de la charité la
plus parfaite, qui compensent amplement pour la gloire de Dieu les cris
de rage et de haine qui montent, en même temps, des profondeurs de
l’abîme infernal. Voulons-nous connaître quelques-uns de ces
élans enflammes de l’amour le plus pur ? Écoutons une âme
du purgatoire : << Voici trois actes d’amour que je fais continuellement
: O mon Dieu ! Donnez-moi l’amour dont brûlent les Séraphins
! Donnez--moi plus encore, donnez-moi l’amour qui embrase le cœur de la
très sainte Vierge !
O mon Dieu, que puis-je vous aimer autant que vous vous aimiez vous-même
! >>
Écoutons encore, a ce sujet, les admirables enseignements de
sainte Catherine de Gênes :
<< J’aperçois une conformité si grande entre Dieu
et l’âme du purgatoire, que, pour ramener cette dernière a
la pureté originelle, le seigneur lui imprime un mouvement d’amour
attractif, suffisant pour l’annihiler, si elle n’était immortelle,
et lorsque l’âme intérieurement illuminée, se sent
attirée de la sorte par le feu du grand amour de Dieu. Elle se liquéfie
complètement à la chaleur de cet ardent amour de son très
doux seigneur. Cet amour et cette attraction unitive agissent continuellement
et puissamment sur l’âme ; Ainsi sur l’âme, si elle pouvait
découvrir un autre purgatoire plus terrible que celui dans lequel
elle se trouve, s’y précipiterait, vivement poussée par l’impétuosité
de l’amour qui existe en Dieu, et elle, afin de se délivrer au plus
vite de tout ce qui la sépare du souverain Bien ( Traite du Purgatoire,
ch. IX. On peut donc dire que les âmes du Purgatoire pratiquent les
vertus de Foi, d’Espérance et de Charité dans un degré
héroïque, auquel il est donne à bien peu d’âmes
de s’élever pendant la vie ; Et c’est la une consolation pour nous,
pauvres pêcheurs, nous dont la foi est si faible, l’espérance
si fragile, la charité si tiède et si languissante ; Quelle
joie de penser qu’un jour au moins, au milieu des flammes aimerions à
la mesure des saints !
Ce que j’ai dit des trois vertus théologales de foi, d’espérance
et de charité, on peut le dire, au même titre, de toutes les
autres vertus morales. Nous avons vu, dans plusieurs des révélations
précédentes, avec quelle profonde religion les âmes
du purgatoire assistent à l’oblation du divin sacrifice et se tenions
en présence de l’adorable Eucharistie ; C’est que leur foi est plus
vive que la notre et qu’elles connaissent mieux que nous la grandeur suprême
de Dieu ; a l’audition du saint nom de Jésus, sainte Françoise
romaine les voyait s’incliner profondément et faire le genou flexion,
avec un sourire qui marquait la vertu de leur âme. (Vie de la Sainte
dans les Bolland)
Mais la vertu qu’elles semblent préférer entre toutes,
parce que c’est celle qui convient le mieux a leur état présent,
c’est la résignation à la volonté de Dieu. Il faut
entendre encore à ce sujet saint Catherine de Gênes, que je
ne me lasse pas de citer à cause des lumières toutes spéciales
qu’elles ont reçues de Dieu, au sujet des âmes du Purgatoire.
<< Ces âmes, dit-elle, sont intimement unies à la
volonté de Dieu, et si complètement transformées
en elle, que toujours elles sont satisfaites de sa très sainte ordonnance>>
Et dans cet autre endroit : << Les âmes du Purgatoire n’ont
plus d’élection propre ; elles ne peuvent plus voir ni vouloir que
ce que Dieu veut. ; Elles sont ainsi fixées. Elles reçoivent
dans l’impassibilité tout ce que Dieu leur donne, et ni plaisir,
ni contentement, ni peine, ne peuvent jamais les faire se replier sur elles-mêmes.
>> (traite du Purgatoire, ch. XIII et XIV)
Cette sainte et entière résignation a la volonté
de Dieu n’est pas la stupide indifférence des quiétistes,
et ne les empêche nullement de déplorer leurs fautes, par
une vive et sincère contrition.
Voici ce qu’on lit, a ce sujet dans Sainte Catherine : "Il me semble
comprendre que les peines qu’
p.142
143 :
" prouvent les âmes du Purgatoire de voir en elles des " choses
qui déplaisent au Seigneur, et d'avoir offensé " une si grande
bonté, surpassent infiniment tous les " autres tourments qu'elles
endurent, dans le lieu de la " purification. Étant en grâce,
elles comprennent la " puissance et la gravité de l'empêchement
qui leur interdit " l'approche de Dieu. "
Ces sentiments de vive contrition sont unis à la plus profonde
humilité. Le père Faber rapporte, d'après une révélation
arrivée à la vénérable Marie Crocifissa, que
plusieurs saints sur la terre ont eu pour Dieu plus d'amour que n'en ont
les bienheureux dans le ciel, mais que le plus grand saint sur la terre
n'est jamais arrivé au degré d'humilité des âmes
du Purgatoire, sur quoi le père Faber fait cette réflexion
que rien de ce qu'il a lu dans la vie des saints ne l'a aussi fortement
impressionné.
La patience est fille de l'humilité, puisque plus on s'estime
vil et méprisable, mieux on est disposé à tout souffrir
de la part des autres ; aussi les âmes du Purgatoire pratiquent-elles
éminemment cette vertu de patience. Sans parler de la rigueur de
leurs supplices, qu'elles endurent sans murmurer, en se conformant à
la volonté de Dieu, que n'ont-elles pas à souffrir de nous
quelquefois, de notre tiédeur qui les oublie au milieu des flammes,
alors qu'il nous serait si facile de les soulager ; de notre égoïsme,
qui ne songe qu'à entrer bien vite en possession des biens terrestres
qu'elles ont laissés, et refuse quelquefois d'accomplir les legs
sacrés sur lesquels ces pauvres âmes avaient compté
pour racheter leurs fautes. Oh ! Que nous sommes durs pour ces infortunés
! ils ne se plaignent pas, ils ne s'irritent pas, ils souffrent en patience
ces retards, ces injustices, qu'ils regardent comme permis par la justice
de Dieu.
144 :
A Dôle, en Franche-Comté, l'an 1629, une âme du
Purgatoire apparaît à une personne malade, et se met à
son service pendant quarante jours ; elle vient la visiter régulièrement,
deux fois par jour pendant tout ce temps, et lui rend tous les services
qu'une domestique dévouée rend à ses maîtres.
— " Qui donc êtes-vous ? Lui demande un jour la malade reconnaissante.
" — " Je suis, répond l'apparition, votre défunte tante Léonarde
Colin, qui mourut il y a dix-sept ans, en vous laissant héritière
de son petit bien. Par la miséricorde de Dieu, je suis sauvée
; c'est la très sainte Vierge Marie, à qui j'ai eu toute
ma vie une tendre dévotion, qui m'a obtenu cette faveur ; j'étais
perdue sans cela, car je fus frappée subitement en péché
mortel, mais la très miséricordieuse Vierge m'obtint à
ce moment un mouvement de contrition parfaite, qui ferma l'enfer sous mes
pas. Notre Seigneur me permet aujourd'hui de venir me mettre à votre
service, pendant quarante jours, et au bout de ce temps, je serai délivrée
de mes peines, si vous faites pour moi trois pèlerinages à
trois sanctuaires de la très sainte Vierge. "
La malade doutait de la réalité de l'apparition, craignant
les pièges de Satan ; après avoir consulté son confesseur,
et essayé sans résultat des exorcismes de l'Église,
elle s'avisa de faire à la défunte cette objection : " Comment
pourriez-vous être ma tante Léonarde ? celle-ci de son vivant
était quinteuse et désagréable, ne voulant supporter
aucune contrariété, et vous, vous êtes douce, prévenante
et pleine de patience. "
— " Ah ! ma nièce, répondit l'apparition, que dix-sept
ans de Purgatoire sont propres à enseigner la patience, la douceur
et le support du prochain ! Sachez, d'ailleurs, que nous sommes confirmées
en grâce, et qu'une fois marquées du sceau des élus,
nous ne saurions plus avoir de vice. "
145:
Cette histoire est rapportée par Théophile Raynaud :
Heterocliti spiritus, part. II, sect. III, ch. v.
Le fait s'était passé de son temps et presque sous ses
yeux, l'autorité archiépiscopale avait été
consultée, le vicaire général de l'archevêque
de Besançon avait étudié tous les détails de
l'apparition et finalement l'avait approuvée ; voilà pourquoi
je lui ai donné place ici, bien que nous n'ayons pas la garantie
qui s'attache aux révélations des saints canonisés.
La charité envers Dieu ne va guère sans l'amour du prochain.
Les âmes du Purgatoire sont donc remplies d'amour les unes pour les
autres. Bien loin d'envier le sort de celles qui, plus heureuses,
voient abréger le temps de leur bonheur, c'est fête dans le
Purgatoire quand une âme s'en échappe pour monter au ciel.
" Nous avons été bien consolées aujourd'hui, disait
une âme, un soir du 2 novembre 1870, un grand nombre d'entre nous
sont montées au ciel. "
Mais c'est surtout, à notre égard, que cette douce vertu
de charité trouve à s'exercer ; quand, du milieu de leurs
brasiers, ces âmes abaissent leurs regards vers l'ancien séjour
de leur exilé et qu'elles y voient leurs parents, leurs amis, luttant
péniblement pour arriver au port où elles sont en sûreté,
je crois vraiment que le sentiment qui doit dominer en elles, c'est la
compassion ; sûres de leur sort éternel, comment ne plaindraient-elles
pas, de tout leur cœur, les malheureux qui sont encore dans l'incertitude
du ciel ou de l'enfer ; c'est pourquoi un grand nombre de révélations
nous les montrent s'intéressant à nous de tout leur cœur
: " Ma fille, disait à son enfant un père apparaissant
après sa mort, j'ai prié pour toi et je continuerai de le
faire. "
Ici se représente la question que j'ai touchée en passant,
146 :
lorsque j'ai parlé de la science des âmes du Purgatoire.
Ces âmes saintes, pour s'intéresser à nous, pour nous
aider de leurs prières, doivent savoir ce que nous faisons, être
en communication quelconque avec nous, mais cela est-il vrai ? n'est-ce
pas l'illusion de la douleur qui cherche à établir des rapports
entre nous et ceux qui ne sont plus ? Y a-t-il là autre chose qu'une
imagination poétique ? en un mot, les âmes du Purgatoire peuvent-elles,
dès maintenant, avant d'être entrées dans le ciel,
nous assister de leurs prières ?
Les théologiens sont très divisés là-dessus
; j'exposerai simplement les raisons pour et contre, mais je déclare
tout d'abord que, pour moi, le doute n'est pas même possible, les
révélations des saints tranchant la question par l'affirmation.
Il faut pourtant connaître les raisons de part et d'autre :
Voici d'abord, à ce sujet, la doctrine du cardinal Bellarmin
: " Il est croyable que les âmes du Purgatoire prient et obtiennent
" des grâces pour nous, puisque dans l'enfer, le mauvais riche priait
" pour ses frères, quoiqu'il souffrit beaucoup plus qu'on ne souffre
" dans le Purgatoire. Néanmoins, encore que cela soit vrai, il "
semble que, pour l'ordinaire, il est inutile de leur demander " qu'elles
prient pour nous, puisqu'elles ne peuvent ordinairement " savoir ce que
nous faisons en particulier, et qu'elles savent " seulement en général
que nous sommes exposés à bien des " dangers, car il n'est
pas vraisemblable que Dieu leur révèle, pour " l'ordinaire,
ce que nous leur demandons. " D'où l'on voit que ce pieux docteur
du Purgatoire regarde comme inutile de s'adresser aux défunts, par
la même raison qu'il est inutile de s'adresser à un sourd,
puisqu'il ne peut pas nous entendre ;
147 :
ce qui, d'après lui, n'empêche pas les âmes du Purgatoire
de prier pour nous, au moins en général.
Le père de Munford, dans son Traité de la charité
que l'on doit avoir pour les défunts est du même sentiment
pour une autre raison : " Que chacun, dit-il, se mette bien dans
l'esprit qu'il est " beaucoup plus avantageux d'intercéder pour
ces âmes que de " réclamer leur intercession, car, en intercédant
pour elles, il les " engage immanquablement à user de tout leur
crédit auprès de " Dieu, ce qu'on peut comprendre par cette
similitude : Si un roi " souffrait d'horribles douleurs, et qu'il
fût en mon pouvoir de le " guérir sans beaucoup de peine,
n'est-il pas vrai qu'il me serait " bien plus facile de gagner son affection
et d'obtenir tout ce que je " voudrais de lui, en le secourant promptement,
qu'en m'amusant à " lui demander des grâces ? il en est de
même, à l'égard des âmes " qui brûlent
dans le Purgatoire. Le royaume du ciel leur " appartient ; c'est leur héritage,
et par conséquent, je dois " rechercher leur faveur dans l'espérance
qu'elle me sera très utile. " Mais elles sont dans les tourments,
elles gémissent, elles " implorent mon secours, et je puis les délivrer
de leurs peines ou " en modérer du moins la rigueur ; que ferai-je
pour me rendre " digne de leur amitié ? ne m'est-il pas plus facile
de la mériter, en " priant pour leur délivrance qu'en les
conjurant elles-mêmes de " prier pour moi et en souhaitant qu'elles
me fassent du bien sans " que je pense à leur en faire ? il est
hors de doute que, si je prie " pour elles avec ferveur et que je n'épargne
rien pour les soulager, " je les mets dans une espèce de nécessité
d'employer pour moi " tout ce qu'elles ont de pouvoir auprès de
Dieu. "
On voit par là que le père de Munford admet que les âmes
du Purgatoire prient pour nous ; mais il pense que,
148 :
pour les incliner à nous secourir, il vaut mieux prier pour
elles que de leur adresser nos prières.
Enfin d'autres Théologiens pensent qu'il est inutile de prier
les âmes du Purgatoire, parce qu'elles sont tellement absorbées
par leurs souffrances, qu'elles ne peuvent penser à autre chose.
Mais ces raisonnements sont contredits par l'expérience ; dans
la plupart des révélations que j'ai citées, nous voyons
que les âmes du Purgatoire sont en communion de prières avec
nous, et qu'elles rendent dès maintenant au centuple à leurs
bienfaiteurs ce que ceux-ci font pour elles.
Sainte Catherine de Bologne, lorsqu'elle voulait obtenir quelque grâce
signalée, s'adressait aux âmes du Purgatoire, et elle se voyait
toujours promptement exaucée ; elle disait que, n'ayant pu obtenir
plusieurs grâces des saints du paradis, elles les avaient reçues
par l'intermédiaire de ces âmes bénies. (Voir la vie
de la sainte, dans les Bolland.)
Il ne manque pas d'ailleurs de Théologiens qui se rattachent
à cette pensée consolante que les âmes du Purgatoire
peuvent prier, et prient en effet pour nous. Je citerai seulement ce que
dit Suarez :
" S'il est vrai que les âmes du Purgatoire n'entendent pas nos
" prières, il ne sert de rien de les invoquer. Mais je dis qu'il
n'est " pas certain qu'elles n'entendent pas nos prières, et que
" vraisemblablement leurs anges gardiens ou les nôtres les leur "
font connaître, parce qu'il n'y a rien là qui soit au-dessus
de leur " état et qui ne convienne au ministère des anges.
S'il se trouve " donc quelqu'un qui sente de la dévotion à
prier de cette manière " et qui en tire profit, on ne doit pas l'en
détourner. "
Quant aux objections des Théologiens qui pensent le contraire,
il ne me paraît pas impossible d'y répondre.
149 :
Bellarmin prétend que ces âmes ne peuvent nous entendre,
mais qu'en sait-il ? beaucoup de révélations prouvent le
contraire, et nous venons de voir à ce sujet la pensée de
Suarez. Les âmes du Purgatoire, dit le Père de Munford sont
bien plus touchées, que l'on prie pour elles que de recevoir nos
prières ; mais l'un n'empêche pas l'autre ; je puis bien prier
pour les âmes du Purgatoire, et leur demander en même temps
de prier pour moi. Ce saint échange de la prière ne se fait-il
pas continuellement entre les fidèles vivant sur la terre ?
Quant aux Théologiens qui pensent que les âmes du Purgatoire
sont trop absorbées par leurs souffrances pour pouvoir prier et
penser à nous, ils se font l'idée la plus mesquine de la
vie future. Ici-bas les souffrances, quand elles sont un peu vives, nous
absorbent extrêmement ; il est vrai ; mais c'est la suite de l'infirmité
du corps ; dans l'autre vie, l'âme, dégagée de ces
liens, souffre sans éprouver ces défaillances de la nature.
Le mauvais riche, dans l'enfer, était torturé jusqu'à
la rage ; cela l'empêchait-il de penser à ses frères
restés dans le monde et de désirer leur conversion ? Pourquoi
les âmes du Purgatoire qui souffrent moins, ne pourraient-elles s'intéresser
à leurs amis et bienfaiteurs ?
En résumé, ces âmes sont saintes, elles sont très
agréables à Dieu, elles nous aiment, ne fût-ce qu'en
vertu de ce lien sacré de la communion des saints ; il me paraît
donc infiniment plus probable, même en laissant de côté
les révélations des saints, qu'elles prient pour nous et
que ces prières nous sont très utiles.
Mais quand même il faudrait penser, ce que je n'admets pas, que
les âmes du Purgatoire ne peuvent nous secourir actuellement, la
reconnaissance étant une vertu chrétienne, il est certain
au moins qu'elles le feront avec usure dès
150 :
qu'elles seront admises au Ciel. Je pourrais citer bien des faits pour
établir combien les âmes du Purgatoire se montrent reconnaissantes
envers leurs bienfaiteurs, mais j'en parlerai ailleurs, plus au long, en
traitant dans un chapitre à part de la protection des âmes
du Purgatoire ; deux traits seulement en passant.
Baronius rapporte qu'une personne, à son lit de mort, se vit
assaillie des plus fâcheuses tentations ; déjà elle
se croyait perdue, mais comme, pendant sa vie, elle avait été
dévouée aux âmes du Purgatoire, quelle fut sa surprise
et sa consolation de les voir descendre du Ciel, en grand nombre, et voler
à son secours. " Nous sommes, lui dirent-elles, les âmes que
vos suffrages ont tirées du Purgatoire, nous venons vous rendre
la pareille, en vous conduisant directement au Ciel. " A ces mots, la malade
expira, le sourire des prédestinés sur les lèvres.
On rapporte un fait semblable de saint Philippe de Néri : après
sa mort, il se fit voir à un religieux Franciscain de ses amis,
entouré d'une couronne de Bienheureux : — " Quelle est, demande
le Père, cette armée brillante qui vous environne ? " — "
Ce sont, répondit le Saint, les âmes des religieux de mon
ordre, que j'ai délivrées du Purgatoire pendant ma vie ;
à cette heure, elles me font cortège pour m'introduire dans
la Jérusalem céleste. "
Telles sont les vertus du Purgatoire, heureux état d'une âme
confirmée en grâce, incapable de pécher, ornée
des plus belles vertus, dans un degré où peu de Saints se
sont élevés pendant la vie. " Si, dit le P. Faber, si la
souffrance muette, endurée avec " douceur et résignation,
est un spectacle si vénérable sur la terre, " combien belle
doit être cette région désolée de l'Église
! Oh ! " oui, on se sent accablé sous la pensée sublime de
ce saint " royaume, de cette région où règne la souffrance.
Pas un cri, pas un
151 :
" murmure ; là tout est muet et silencieux, comme Jésus
dans sa " passion. Nous ne saurons jamais à quel point nous aimons
" Marie, jusqu'à ce que nous levions les yeux vers elle du fond
de " ce vallon, où brûle un feu aussi terrible que mystérieux.
O " magnifique région du royaume de Dieu, ô aimable portion
du " troupeau de Marie ! Quel spectacle s'offre à mes regards lorsqu'ils
" s'abaissent sur cet empire consacré à l'innocence recouvrée
et aux " plus cruelles angoisses ! On y admire la beauté de ces
âmes sans " tache, leur douce et inaltérable patience, la
grandeur des dons " qu'elles ont reçus, la dignité de leurs
solennelles et muettes " souffrances.
" Le trône de Marie brillant, comme le disque de l'astre des
" nuits, jette sa douce lumière sur cette région de douleur
et " d'indicible attente ; les Anges, en voltigeant au-dessus de ce " vaste
royaume, y font scintiller leurs ailes d'argent ; enfin, ô la " plus
douce des consolations ! il reste le souvenir de cette face de " Jésus
qu'on ne voit pas, mais qu'on se rappelle si bien, qu'elle " semble toujours
présente devant les yeux. Oh ! quelle pureté " dans cette
liturgie de la souffrance sanctifiée ! ô monde, séjour
" bruyant de l'ennui et du péché, qui ne voudrait s'échapper
comme " une colombe, loin de tes périlleuses fatigues, de ton dangereux
" pèlerinage pour s'envoler avec joie vers la plus humble place
de " cette région si pure, si assurée, si sainte, où
règnent la souffrance " et l'amour sans partage. " (Faber,
Tout pour Jésus, ch. IX.
Chapitre 8 Les joies du Purgatoire. p.152 - 165
Trois sujets de joies pour ces âmes : premièrement, elles sont confirmées en grâce, sûres de leur salut, incapables de pécher désormais. - Seconde joie du Purgatoire, joie d'expiation ; les pénitents en ce monde trouvent leur bonheur à souffrir pour expier leurs fautes ; il en est de même, à plus forte raison, des âmes du Purgatoire, de plus elles voient que ces souffrances effacent leurs souillures et les rendent de plus en plus agréables à Dieu, et cela ajoute à leur bonheur. - Troisième joie du Purgatoire, joie de l'amour, la charité qui remplit le cœur de ces âmes leur rend tout facile. - Que le Purgatoire est un vrai martyre. - Conclusion de sainte Catherine de Gênes.
152 :
Les auteurs mystiques se sont placés à deux points de
vue absolument opposés pour traiter du Purgatoire. Les uns, préoccupés
surtout de retenir les pécheurs en les effrayant, ont insisté
sur la rigueur des châtiments. Ils nous font des descriptions effroyables
des brasiers dévorants où sont plongées ces âmes
infortunées. Considéré à ce point de vue, le
Purgatoire, c'est l'Enfer, moins le désespoir et l'éternité.
Les autres, plus sensibles au côté moral, se sont surtout
occupés des sentiments qui animent ces saintes âmes, au milieu
de leurs terribles expiations. De ce point de vue, tout est lumière
et rayonnement. On a pu s'en convaincre en lisant la page exquise que j'ai
empruntée au P. Faber, pour terminer le chapitre précédent.
Y a-t-il contradiction entre ces deux écoles ? Non ; mais ce sont
deux points de vue différents où l'on se place pour découvrir
ces mystérieuses régions. Pour avoir une idée exacte
de ce vaste royaume de l'expiation, il faut réunir
153 :
ces deux points de vue et en faire la synthèse ; c'est ce que
je me propose ici. J'ai assez parlé des souffrances du Purgatoire,
il est temps maintenant de dire un mot de ses joies.
Les joies du Purgatoire ! Voilà un titre qui paraîtra bien
extraordinaire. Je me rappelle, qu'ayant eu un jour la pensée de
prêcher sur ce sujet, dans une communauté religieuse, et devant
un auditoire qui me semblait capable de comprendre, j'obtins ce résultat
d'étonner beaucoup, et de scandaliser presque les mêmes à
qui je m'adressais. Et cependant, il y a là autre chose qu'un paradoxe
ou qu'un jeu d'esprit. Oui ! le séjour de la douleur et de l'expiation
a ses joies ; joies austères, comme celles du prisonnier, mais qui,
dégagées de tout élément sensible, n'en pénètrent
que mieux jusqu'au fond même de l'âme. A tout considérer,
je pense que les joies de ce monde n'approchent pas de ces joies, et que
les âmes du Purgatoire, lorsqu'elles pensent à leurs amis
de la terre, éprouvent pour eux plus de compassion que d'autres
sentiments. Dante, errant avec Virgile dans les espaces sans limites, se
sent ébloui à la vue d'un Ange qui traverse la mer et fait
avancer une barque, toute chargée d'âmes qui se rendent au
Purgatoire. Leur esquif glisse légèrement sur les flots,
dont il effleure à peine la surface, tandis que les âmes,
qui, depuis un instant, viennent de laisser derrière elles la vie,
la mort et le jugement, chantent, avec un sentiment de joie mêlé
de tristesse, le psaume de la délivrance, In exitu Israel de Egypto.
C'est là de la poésie, dira-t-on ; oui, mais c'est en même
temps de la Théologie et de la plus belle. Dante était théologien,
en même temps que poète, ne l'oublions pas, et, dans sa grande
épopée, il résume toutes les croyances de son époque,
à propos de la vie future.
154 :
Entrons donc hardiment dans notre sujet. Je laisse de côté
les joies accidentelles du Purgatoire, les secours que ces âmes reçoivent
de leurs amis restés sur la terre, les abréviations quelquefois
inespérées de peine, la miséricorde de Dieu qui trouve
à s'exercer là comme partout, les visites de la très
sainte Vierge et des anges protecteurs, tout cela sera traité ailleurs
; pour le moment, je veux parler des joies essentielles du Purgatoire,
de ces joies qui sont de tous les instants, et pour toutes les âmes,
même pour les plus délaissées, et j'en découvre
trois : les joies de la confirmation en grâce, les joies de l'expiation,
les joies de l'amour.
Première joie : L'âme se sent confirmée en grâce
et, par là même, sûre de son salut éternel et
dans l'heureuse impuissance de pécher désormais. L'incertitude
du sort éternel, la facilité au péché, cette
double infirmité de notre nature est une des plus lourdes croix
de l'âme chrétienne. Quand, par une belle nuit étoilée,
je lève les yeux vers cette voûte céleste, qui n'est,
d'après le psalmiste que l'escabeau des pieds du Seigneur, et que
je me dis : par delà les espaces sans limites, il y a le trône
de Dieu, le séjour de N.-S. Jésus-Christ, de la sainte Vierge
et des Saints ; là, j'ai ma place, qui m'a été assignée
au jour de mon baptême ; là je dois un jour être éternellement
heureux avec Dieu et ses Saints, alors l'âme s'élève,
et le pauvre cœur se fond de désirs et d'amour ; mais voilà
qu'au plus intime de ma conscience, j'ai entendu une voix qui disait :
Peut-être ? Le Ciel est pour toi, c'est certain, mais peut-être
que tu ne seras pas fidèle ; peut-être que tu ne persévéreras
pas, et celui-là seulement sera sauvé qui aura persévéré
jusqu'à la fin. Oh ! alors, comme le cœur se resserre, et quelle
amertume dans ce doute ! et si, après cela, je descends en moi-même
et que je me con-
155:
sidère avec mes défauts et mes fautes de chaque jour,
avec ce penchant au mal qui est au fond du cœur de tout homme, alors je
suis bien forcé de me dire que, si je suis sauvé, ce qui
n'est pas sûr, ce ne sera que grâce à la très
grande miséricorde de Dieu : et quand même mes rechutes continuelles
dans le péché ne compromettraient pas mon salut éternel,
quel plus grand supplice, pour une âme qui aime Jésus, que
de traîner après soi le fardeau de ce corps de mort ! quelle
fatigue de porter toujours au tribunal les même fautes, de ne se
relever que pour tomber et se relever encore, de prendre toujours des résolutions
qu'on ne tient jamais, et de batailler des années entières
pour se corriger d'un défaut de rien quelquefois ! Mais, patience
! voici venir le temps où le péché sera détruit
; plus de fautes, plus d'ingratitudes, plus de trahisons ; et aussi plus
de craintes pour l'avenir : en ce monde les saints eux-mêmes doivent
trembler ; des exemples terribles sont venus prouver que les plus hautes
vertus, les plus glorieux privilèges ne mettent pas toujours à
l'abri d'une chute finale, mais pour l'âme du Purgatoire, c'est fini,
c'est bien fini ; quels qu'aient été dans sa vie passée
sa tiédeur, ses fautes, ses crimes peut-être, la pénitence
a tout réparé ; peut-être un dernier acte, un cri de
suprême repentir, exhalé avec un dernier souffle, a été
l'instrument du salut, n'importe ; désormais tout est sauvé
; l'arbre est tombé du bon côté, il y restera ; peut-être
l'expiation sera bien longue et bien sévère, mais qu'importe
! tout prend fin de ce qui n'est pas éternel ; la peine finira,
les flammes expiatrices s'éteindront, et alors commencera le jour
sans fin de l'éternité bienheureuse. Mais, que dis-je ? Les
peines passeront ; elles passent ; chaque minute ajoutée à
son expiation est une minute qui rapproche l'âme de sa récompense
; avec quelle sainte
156 :
impatience, mais aussi, avec quelle joie intime et profonde, cette
âme prédestinée doit compter les années, les
mois, les jours, les instants qui s'écoulent, et qui, en s'écoulant,
la rapprochent de Dieu. Non, je ne crains pas de dire, dans cet état
d'une âme sainte, délivrée du péché avec
ses honteuses misères, et sûre d'arriver au but final de ses
désirs, il y a une large compensation à tous les supplices
que j'ai décrits, et n'y eût-il que cela, je ne crains pas
de le dire, avec le père Faber, je préférerais une
des dernières places dans ce séjour de la sécurité,
à toutes les joies trompeuses et incertaines de ce monde.
Mais comme on serait peut-être tenté de m'accuser d'exagération, je veux montrer que les âmes du Purgatoire qui parlent par expérience, sont du même sentiment que moi.
Un des faits les plus intéressants et les mieux prouvés
de l'histoire de l'Église de Pologne, c'est ce qui arriva en 1070
à saint Stanislas, évêque de Cracovie. Boleslas, prince
impie et cruel, était alors sur le trône et persécutait
le saint par tous les moyens en son pouvoir ; il excita contre lui les
héritiers d'un certain Pierre Milès, qui était mort
depuis trois ans, en laissant une terre à l'église. Les héritiers
bien sûrs d'être soutenus, intentèrent un procès
au saint, et tous les témoins, s'étant trouvés subornés
ou intimidés, le saint fut condamné à restituer la
terre en litige ; alors, voyant que la justice des hommes lui faisait défaut,
il en appela hardiment à la justice de Dieu, et promit de faire
comparaître, comme témoin, celui qui reposait dans le tombeau
depuis trois ans : sa parole fut accueillie naturellement avec des sarcasmes
ou de grossières plaisanteries, mais après trois jours de
jeûne et de supplications solennelles, l'évêque, s'étant
rendu avec tout le clergé à la tombe de Pierre Milès,
la fit ouvrir ; comme on s'y attendait, on ne trouva que des ossements
tombant en poussière, et déjà les rires de l'incrédulité
triomphante
157:
s'élevaient de tous côtés, quand le saint commandant
au mort, au nom de Celui qui est la résurrection et la vie, soudain
ces ossements se raffermirent, se rapprochèrent, se couvrirent de
chair, et aux regards stupéfaits de tout un peuple, on vit le mort,
tenant le saint évêque par la main paraître devant Boleslas,
et certifier la vérité de la donation qu'il avait faite.
C'est ainsi que l'iniquité, qui se croyait déjà sûre
du succès, fut confondue : mais voici qui vient à notre sujet.
Lorsque Pierre Milès eut fait sa déposition, saint Stanislas
lui demanda lequel il préférait de retourner au tombeau ou
de vivre encore quelques années ; le ressuscité répondit
: "A cause de mes nombreux péchés, je suis dans le Purgatoire
où je soufre beaucoup ; cependant je préfère mourir
de nouveau que de rester dans une vie si misérable et si périlleuse".
- "Mais ne pourrais-tu pas faire pénitence de tes fautes et
éviter ainsi de retomber dans les supplices dont je t'ai tiré".
- Cela est vrai, mais je pourrais aussi me perdre et me damner pour toujours
; j'aime donc beaucoup mieux achever ma peine, que de rentrer dans la vie,
avec l'incertitude de plaire à Dieu ou d'y faire mon salut. La plus
grande grâce que vous puissiez m'accorder, ô Père très
saint, c'est de prier le Seigneur d'abréger mes supplices, et de
me recevoir au plus tôt parmi ses élus". - "Je le ferai,"
répondit l'évêque. Alors, accompagné de tout
son clergé, il reconduisit processionnellement le mort au sépulcre,
celui-ci s'y recoucha aussitôt, et à l'instant ses os se détachèrent
et retombèrent en poussière. On croit que le saint obtint
promptement la délivrance de cette âme. Mais cet exemple est
très remarquable, en ce qu'il montre une âme au Purgatoire
après avoir fait l'essai de ses plus cruels supplices, préférer
cet état si douloureux à l'incertitude où nous sommes,
tant que nous restons en ce
158:
monde. (Vid. Bolland. Vita sancti Stanislai, 7 maii).
J'ai dit en second lieu les joies de l'expiation :
Pour comprendre cela, il suffit d'avoir eu une fois dans sa vie un vrai repentir de ses fautes. N'est-il pas vrai qu'alors, le pécheur saintement irrité contre lui-même, prend à cœur les intérêts de la justice de Dieu, trop longtemps outragée ? alors le pénitent ne se contente pas de supporter chrétiennement ces peines de chaque jour, qui dans la pensée de Dieu, doivent servir de supplément à la pénitence sacramentelle, trop souvent disproportionnée au nombre et à la gravité des fautes ; il se fait lui-même l'exécuteur des justices divines. Alors on voit apparaître les disciplines, les haires, les cilices, toutes ces saintes inventions de la pénitence, qui ont étonné le monde plus que n'avaient fait les délicatesses et les raffinements du paganisme. Pour s'être permis des plaisirs défendus, le pécheur repentant se privera désormais des satisfactions les plus légitimes : il commandera à ses yeux de ne pas voir, à ses oreilles de ne pas entendre, à sa langue de garder un silence perpétuel : il se consumera dans les jeûnes et dans les veilles, il passera les jours au travail et les nuits à la prière ; et après tout cela, il se plaindra encore de n'avoir pas fait assez pour apaiser Dieu et satisfaire à sa justice. Si l'on était tenté de m'accuser d'exagération, je dirais : relisez la vie de tous les saints, qui tous, même les plus justes, se sont livrés aux saintes folies de la pénitence chrétienne. Relisez la vie des Pères du désert, ces héros de la pénitence. Voyez ce qui se fait autour de nous, à la Trappe, chez les Chartreux, au Carmel, dans tous les ordres religieux voués plus spécialement à l'expiation, et vous direz après si ce tableau est exagéré.
Eh bien ! Il est un fait incontestable qui domine tous ces faits
particuliers, c'est que ces saints pénitents ont trouvé
159:
leur bonheur dans ces expiations. Comment cela peut-il se faire ? Comment
l'homme naturellement porté à s'aimer lui-même peut-il
s'oublier au point de mettre sa joie à souffrir ? c'est le secret
du cœur de l'homme, et un des plus beaux mystères de la vie chrétienne.
Or, cet esprit de pénitence qui porte l'homme à se faire
justice et à souffrir avec joie pour expier ses fautes, ce sentiment,
disons mieux, ce besoin inné de se faire justice, en sorte que le
coupable est malheureux jusqu'à ce qu'il ait expié sa faute,
tandis que l'expiation, en le purifiant, le relève à ses
propres yeux, tout cela existe dans le Purgatoire, à un degré
bien supérieur à ce qui a jamais été dans les
plus saints pénitents, pendant la vie ; c'est ce qui explique comment
ces saintes âmes, dévorées d'un désir brûlant
d'expier leurs fautes, trouvent leur joie dans leurs supplices. Mais il
faut laisser parler là-dessus sainte Catherine de Gênes, que
l'on pourrait appeler avec raison le docteur des joies du Purgatoire, tant
elle a reçu de lumières à cet égard.
"Dieu me découvre dans les âmes du Purgatoire deux
opérations de sa grâce, dont il leur donne à elles-mêmes
la vue. La première opération leur fait souffrir avec bonheur
leurs peines ; elles les regardent comme une grande miséricorde
de Dieu à leur égard, considérant d'un côté
l'incompréhensible majesté de Dieu, et de l'autre l'audace
de leurs offenses, et les châtiments qui leur étaient dus.
Ces âmes souffrent donc leurs peines avec tant de joie que, pour
rien au monde, elles ne voudraient qu'on leur en enlevât le moindre
atome ; elles savent trop combien justement elles les ont méritées,
et combien saintement elles sont ordonnées de Dieu, en sorte que,
pour ce qui est de la volonté, loin de se plaindre de
160:
ce qu'elles souffrent, elles l'acceptent de la main de Dieu, avec autant
de bonheur que si elles étaient déjà au Ciel.
La seconde opération de la grâce dans les âmes est un ineffable contentement qu'elles éprouvent, en se voyant dans l'ordre de Dieu, et en considérant ce que son amour et sa miséricorde font en elles. Dieu imprime en un instant dans leur esprit la vue de ces deux opérations, et parce qu'elles sont en état de grâce, elles les entendent et les comprennent chacune selon sa capacité. Elles en éprouvent une grande joie qui ne diminue jamais, mais qui va toujours croissant, à mesure qu'elles approchent de Dieu. Et cependant, la joie en elles n'ôte rien à la peine, et la peine n'ôte rien à la joie". (Traité du Purg., ch. XVI).
C'est ainsi que les âmes du Purgatoire acceptent avec joie leurs supplices, pour satisfaire à la justice de Dieu, et ce qui les encourage encore plus à souffrir, c'est qu'elles voient s'opérer en elles, grâce à ces mystères de la souffrance, la transformation qui doit, en les purifiant de plus en plus, leur permettre de s'unir enfin à leur Dieu dans le Ciel.
"Lorsque l'âme, c'est encore sainte Catherine qui parle,
se trouve en chemin pour retourner à l'état de sa première
création, et qu'elle connaît que, pour y arriver, elle doit
entièrement se transformer en Dieu, il s'allume en elle un tel désir
de cette transformation que ce désir même fait son principal
Purgatoire". (Chap. XI.).
"Je ne crois pas, dit encore la même sainte, qu'après
la félicité des Saints du Paradis, il puisse exister une
joie comparable à celle des âmes du Purgatoire ; une incessante
communication avec Dieu rend de jour en jour leur joie plus vive, et cette
communication de Dieu
161:
devient de plus en plus intime à mesure qu'elle consume, dans
ces âmes, l'obstacle qu'elle y trouve.
Cet obstacle n'est pas autre chose, en effet, que la rouille du péché ; comme le feu du Purgatoire va sans cesse la consumant, l'âme s'ouvre de plus en plus à la communication avec Dieu.
J'explique ma pensée par une comparaison : exposez au soleil un cristal couvert d'un épais voile, il ne peut recevoir ses rayons ; la faute n'en est point au soleil qui ne cesse de briller, mais au voile qui intercepte ses rayons ; que cette enveloppe vienne peu à peu à se consumer, le cristal, successivement découvert, recevra de plus en plus les rayons du soleil, et quand l'obstacle aura entièrement disparu, le cristal sera tout entier pénétré par le soleil.
Ainsi en est-il des âmes du Purgatoire ; la rouille du péché est le voie qui intercepte, pour elles, les rayons du vrai soleil qui est Dieu. Le feu va consumant cette rouille de jour en jour, et à mesure qu'elle est consumée, les âmes réfléchissent de plus en plus la lumière de leur vivant soleil ; leur joie augmente à mesure que la rouille diminue, et qu'elles sont plus exposées aux divins rayons. Ainsi la joie va toujours en augmentant, et la rouille toujours en diminuant, jusqu'à ce que le temps de l'épreuve soit accompli. Qu'on ne croie pas cependant que la peine diminue ; ce qui diminue uniquement, c'est le temps de sa durée. Mais dans l'intime de leur volonté, ces âmes ne pourront jamais se résoudre à dire que ces peines soient des peines, tant elles sont heureuses de souffrir dans la disposition de Dieu, à laquelle leur volonté est unie par le lien de la plus pure charité". (Ch. II.).
Non seulement les âmes du Purgatoire acceptent avec
162 :
joie leurs supplices, mais si la justice de Dieu le permettait, elles désireraient souffrir bien davantage encore pour hâter le moment de leur purification.
"Oh ! s'écrie sainte Catherine, s'il était au pouvoir des âmes du Purgatoire de se purifier par la contrition de toutes les taches qui les éloignent de Dieu, qu'elles seraient bientôt pures, et qu'elles payeraient leurs dettes en peu d'instants : Voyant avec une souveraine clarté ce que c'est que d'être éloignées de Dieu, leur fin et leur amour, elles s'embraseraient d'un feu de contrition si actif, qu'il consumerait en un instant toutes leurs taches". (Ch. XIII).
Les joies de la pénitence ne sont pas, avec le bonheur de se sentir confirmé en grâce et sûr du salut, les seules joies du Purgatoire. Il en est d'autres encore dont le motif est plus relevé, et dont la jouissance est sans amertume. Je veux parler des joies de l'amour. L'amour rend tout facile et anéantit la souffrance, a dit un philosophe de l'antiquité ; rien de plus vrai ; c'est le mot de saint Augustin, Ubi amatur, non laboratur, aut si laroratur, labor amatur.
Malgré l'imperfection et la misère de notre pauvre
cœur, nous comprenons déjà cela sur la terre. Qui n'a aimé,
fût-ce une fois dans sa vie ? Et qui, dans les joies d'un amour partagé,
n'a rêvé de l'immolation et du sacrifice jusqu'à la
mort ? Quel prêtre, dans les joies de son nouveau sacerdoce, n'a
envié le sort du martyr qui donne à Dieu le grand témoignage
de l'amour, le témoignage du sang ? Souffrir pour expier, souffrir
pour témoigner son amour, voilà, a dit le P. Lacordaire,
qui s'y connaissait, les deux pôles de la vie chrétienne.
Ce double sentiment se trouve dans le Purgatoire. J'ai dit les joies de
l'expiation, il faut maintenant parler de ces joies de l'amour si
163:
intimes et si pures. mais pour dire ces choses, il faut la parole embrasée des saints ; voilà pourquoi, sentant trop bien mon impuissance, je vais revenir encore à sainte Catherine de Gênes.
"Je vois que ce Dieu d'amour, ce Dieu infiniment aimant, lance à l'âme certains rayons et certains éclairs embrasés, qui sont si pénétrants qu'ils anéantiraient l'âme elle-même, si cela était possible. Les âmes du Purgatoire éprouvent une joie si grande de se voir dans l'ordre de Dieu, qui accomplit en elles tout ce qui lui plaît et de la manière qu'il lui plaît, qu'aucune considération capable d'augmenter leurs souffrances ne peut se présenter à leur esprit. Elles contemplent uniquement l'opération de la bonté de Dieu, et cette ineffable miséricorde dont il use envers l'homme, en faisant du Purgatoire du chemin qui conduit à Lui. Quant à ce qui est de leur intérêt propre, peines ou biens, il leur est absolument impossible d'y arrêter leurs regards, car si elles le pouvaient, elles ne seraient pas dans la charité pure". (Ch. I.).
"Les âmes du Purgatoire ont une volonté en tout conforme à celle de Dieu ; aussi, Dieu, dans sa bonté, leur fait ressentir l'amour infini qu'il a pour elles ; ce qui fait que, du côté de la volonté, elles éprouvent un véritable bonheur". (Ch. V.).
Et cependant elles souffrent cruellement, et l'amour ne les empêche nullement de sentir leurs souffrances. Que dis-je ? l'amour quelles ont pour Dieu devient l'instrument même de leur plus vive souffrance, car l'âme possédée du désir de voir Dieu et de s'unir à Lui, souffre d'autant plus de ce retardement qu'elle aime davantage.
"Ainsi donc, dit sainte Catherine, le retard de son union avec
Dieu, dont l'âme trouve en elle-même la
164:
cause, lui fait éprouver une peine intolérable. Ces perfections
où elle doit atteindre, lui sont montrées à la lumière
de la grâce ; ne pouvant y atteindre, et sachant cependant qu'elle
est appelée à les posséder, elle demeure livrée
à une peine indicible qui n'a de comparable que l'estime qu'elle
fait de Dieu. Cette estime croît en elle avec la connaissance de
Dieu, et sa connaissance augmente à mesure que l'âme se dépouille
des restes du péché, aussi la peine que lui cause le retard
de son union avec Dieu devient de plus en plus intolérable, parce
que l'âme en cet état est toute recueillie en Dieu et que
rien ne l'empêche plus de la connaître tel qu'il est". (Ch.
XVII).
L'âme est donc heureuse en cet état, mais heureuse comme le martyr sur son bûcher, heureuse d'un bonheur tout surnaturel, auquel le monde ne comprend rien, c'est encore la comparaison de sainte Catherine.
"De même qu'un martyr, qui se laisse tuer plutôt que d'offenser Dieu, sent les tortures qui lui arrachent la vie, mais les méprise par le zèle que la grâce lui communique pour la gloire de Dieu, de même l'âme qui connaît la disposition de Dieu à son égard, en a une telle estime que tous les tourments intérieurs et extérieurs qu'elle éprouve ne lui sont rien en comparaison, quelques terribles qu'ils puissent être d'ailleurs ; et cela parce que Dieu, qui met ces sentiments dans l'âme excède infiniment tout ce que les créatures sont capables de sentir et même d'imaginer. Aussi, pour peu que Dieu se révèle à une âme, il la tient tellement absorbée dans la contemplation de sa Majesté que tout le reste n'est rien".
J'ai dit les joies du royaume de la douleur ; que conclure de
tout ceci ? Qu'il faut désormais vivre bien tranquille
165:
sans se préoccuper des responsabilités de l'avenir ?
Ce serait étrangement méconnaître la pensée
des saints, en particulier celle de sainte Catherine de Gênes. Je
ne puis mieux conclure tout ce chapitre, qui n'est qu'un résumé
de son célèbre traité du Purgatoire, qu'en transcrivant
cette exhortation brûlante qu'elle adresse à tous les hommes
du monde sur ce sujet.
"Il me prend envie de crier assez fort pour remplir d'épouvante tous les hommes qui sont sur la terre, et de leur dire : ô malheureux ! Pourquoi vous laissez-vous aveugler par le monde, au point de ne pourvoir en rien à la grande et cruelle nécessité en laquelle vous vous trouverez au moment de la mort ?
Quoi ! Vous vous tenez tous à couvert, sous l'espérance de la miséricorde de Dieu que vous dites être si grande ; eh ! ne voyez-vous pas que c'est précisément cette immense bonté de Dieu qui vous jugera et qui vous condamnera. Misérables, qui agissez contre la volonté du meilleur des maîtres ! Sa bonté devrait vous porter à vous soumettre à tous ses commandements, et non lui désobéir, dans l'espérance du pardon, car la justice, sachez-le, aura infailliblement son cours, et il faut que de manière ou d'autre, elle soit pleinement satisfaite.
Ne vous rassurez pas non plus en disant : je me confesserai, je gagnerai une indulgence plénière, et par elle je serai en un instant purifié de mes péchés. Croyez que la contrition et la confession, nécessaires pour obtenir l'indulgence plénière, sont choses si difficiles à acquérir, que si vous connaissiez cette difficulté, vous trembleriez de peur, et loin de vous flatter d'avoir un jour cette précieuse disposition, vous vous tiendriez plutôt pour certain du contraire". (Ch. XV)
Chapitre 9 La durée du Purgatoire p.166 - 177
Double aspect sous lequel on peut la considérer.- De la durée du Purgatoire considérée en elle-même; elle varie entre quelques heures et plusieurs siècles, mais ordinairement elle est très longue. – Exemples d’âmes condamnées jusqu’au jour du jugement.- Raison de cette longueur.- De la durée du Purgatoire, considérée dans l’appréciation qu’en font les âmes.- Que le plus court instant passé dans le Purgatoire paraît sans proportion aucune avec le même espace de temps passé sur la terre.- Exemples à l’appui.
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Pour terminer ce que j’ai à dire des peines du Purgatoire, il
nous reste à traiter une question qui ne manque pas d’intérêt
: combien de temps reste-t-on en Purgatoire ? La durée du Purgatoire
peut être considérée sous un double aspect, en elle-même,
ou dans l’estimation qu’en font les âmes. La durée du Purgatoire,
considérée en elle-même, varie entre quelques heures
et plusieurs siècles. On a des exemples, en bien petit nombre, de
saintes âmes qui n’ont fait véritablement qu’y passer. Sainte
Madeleine de Pazzi vit plusieurs religieuses de sa communauté monter
au Ciel avant qu’on n’eût eu le temps de faire la cérémonie
de leurs funérailles.
Sainte Thérèse dans sa vie (ch. XXXIV), rapporte qu’une de ses sœurs selon la chair lui apparut, huit jours après sa mort, au moment où la sainte venait de communier pour elle, et lui dit qu’elle était délivrée de ses peines et qu’elle se rendait au séjour de la gloire. J’ai cité d’autres exemples du même genre et je n’y reviens pas. Ce qu’il
167:
faut savoir, c’est que ce sont là des exceptions en faveur des
plus saintes âmes. D’ordinaire on reste dans le Purgatoire plusieurs
années, quelquefois même plusieurs siècles. Aussi,
par la bouche du pape Alexandre VII, l’Église a condamné
la témérité de plusieurs théologiens qui enseignaient
qu’au bout de dix ans, on pouvait abandonner les fondations en faveur des
défunts, et de fait la pratique de l’Église est de célébrer
indéfiniment les fondations perpétuelles; car, dit le cardinal
Bellarmin, vouloir déterminer le temps précis qu’une âme
demeure en Purgatoire, ce serait témérité, puisque
la chose ne peut être connue sans une révélation spéciale
de Dieu.
J’ai parlé de plusieurs siècles; à ceux qui seraient étonnés d’un semblable énoncé, je citerai le fait suivant qui est rapporté par le Père de Nieremberg. (Trophoeus Mariannus, lib. IV, ch. XXIX.)
Une jeune fille du royaume d’Aragon, qui vivait du temps de saint Dominique, l’ayant entendu prêcher la dévotion au Saint Rosaire, entra dans la confrérie; mais livrée, Hélas ! à toutes les vanités du siècle, elle ne tarda pas à oublier ses saints engagements. Deux jeunes gens, qui se la disputaient, s’étant battus en duel à son occasion, un d’eux fut tué, et les parents du mort pour se venger, surprenant la misérable fille dans la campagne, la tuèrent et précipitèrent son cadavre sans un puits.
Saint Dominique qui prêchait dans une autre ville, ayant appris, par révélation de la divine Mère, cette tragique aventure, accourut dès qu’il le put, et s’étant rendu au bord du puits où gisait le cadavre appela à haute voix : Alexandra, Alexandra; c’était le nom de l’infortunée; aussitôt à la voix du saint, la tête qui avait été séparée du tronc, se rapprocha, et la malheureuse sortit du puits, vivante, mais couverte de sang; elle se confessa avec les
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larmes, et vécut encore deux jours, pour réciter un grand
nombre de rosaires que le saint lui avait donnés comme pénitence.
Saint Dominique lui ayant demandé ce qui lui était arrivé après sa mort, elle déclara trois choses bien remarquables. La première qu’elle eût été infailliblement damnée, n’ayant pas eu le temps de se confesser à la mort sans les mérites du Saint Rosaire, par lesquels elle obtint la grâce de la contrition parfaite; la seconde, qu’au moment où elle rendait l’âme, une troupe de démons hideux étaient venus la saisir, et qu’ils l’auraient emportée en enfer, si la très sainte Vierge ne l’avait arrachée de leurs mains; la troisième, qui revient à notre sujet, concerne la durée du Purgatoire, auquel elle avait été condamnée. Pour le meurtre dont elle était cause, elle devrait faire deux cents ans de Purgatoire, et pour ses autres péchés, cinq cents ans; total, sept cents ans. On croit que saint Dominique obtint par ses prières une abréviation de peine.
Saint Vincent Ferrier avait une sœur, nommée Françoise, beaucoup trop adonnée à la mondanité; au moment de mourir, elle confessa néanmoins avec le repentir le plus sincère; mais quelques jours après sa mort, comme son frère célébrait pour elle le divin sacrifice, elle lui apparut au milieu des flammes, et souffrant des maux intolérables.
" Je suis condamnée à ces supplices jusqu’au jour du dernier jugement, lui dit-elle, mais je serai grandement soulagée, peut-être même délivrée, si vous célébrez pour moi les trente messes de saint Grégoire. " La sainte s’empressa d’accéder à cette demande, et le trentième jour, sa sœur lui apparut entourée d’anges et montant au Ciel. (Vie de saint Vincent Ferrier, Bayle, ch. XIII.).
169:
On lit dans la vie des premières religieuses de la Visitation,
que la sœur Marie Denyse, qui s’était appelée dans le monde
mademoiselle de Martignat, avait pour les âmes du Purgatoire la plus
tendre dévotion; son attrait surnaturel la portait surtout à
recommander à Dieu ceux qui avaient été grands dans
le monde, car elle connaissait par expérience les dangers de leur
position. Or un prince, que l’on croit appartenir à la Maison de
France, était mort en duel, lui apparut pour lui annoncer qu’il
était sauvé, grâce à un acte de contrition parfaite
qu’il avait formulé in articulo mortis, mais, en punition de sa
vie et de sa mort coupable, il était condamné aux plus rigoureux
châtiments du Purgatoire, jusqu’au jour du jugement. On ne saurait
dire ce que la pauvre sœur, qui s’était offerte en victime pour
ce malheureux, eut à souffrir, pendant plusieurs années à
cause de lui. A la fin elle en mourut, pour le prix de tant d’expiations,
elle avait obtenu pour ce prince une remise de peine de quelques heures
et comme la supérieure paraissait étonnée d’un pareil
résultat, qui lui semblait tout à fait disproportionné
avec ce que la sœur avait souffert : " Ah ! ma mère, répliqua
la sœur Marie Denyse, les heures du Purgatoire ne se comptent pas comme
celles de la terre; des années entières de tristesse, d’ennui,
de pauvreté ou de maladie en ce monde ne sont rien en comparaison
d’une heure de souffrances en Purgatoire; c’est déjà beaucoup
que la divine miséricorde nous ait permis d’exercer quelque influence
sur elle. Je suis moins touchée d’ailleurs du lamentable état
dans lequel j’ai vu languir cette âme, que de l’admirable retour
de la grâce, qui a consommé l’œuvre de son salut. Ce moment
béni me semble un excès de la bonté, de la douceur,
de l’amour infini de Dieu. L’action dans laquelle il est mort méritait
170:
l’Enfer; un million d’âmes eussent trouvé leur perte,
dans l’acte même où ce prince a trouvé son salut. Il
ne recouvra sa connaissance que pour un instant, juste le temps de coopérer
à ce précieux mouvement de la grâce, qui le mit en
état de faire un acte sincère de contrition. Sans ce moment
de grâce, l’âme du prince serait maintenant plongée
au fond de l’Enfer, et depuis que le démon est démon, jamais
peut-être il n’a été aussi trompé dans son attente
qu’en perdant cette âme, car il était resté complètement
étranger aux mouvements intérieurs de sa victime, pendant
les quelques instants que Dieu lui accorda, après qu’il eût
été blessé mortellement.
En lisant ces choses, on ne sait vraiment ce qu’il faut admirer le plus des splendeurs de la miséricorde ou des sévérités de la justice; cet exemple est un de ceux où l’une et l’autre s’exercent également pour la plus grande gloire du Seigneur.
La durée du Purgatoire est donc ordinairement très longue, bien que toujours proportionnée au nombre et à la gravité des fautes commises; car, dit saint Augustin, celui qui a plus vieilli dans le péché, demeure plus longtemps à traverser ce fleuve de feu, et à proportion de la faute, la flamme accroît le châtiment. Plus la folle malice s’est emparée de l’âme, plus sera rude la sage peine à laquelle on satisfait. Là les paroles oiseuses, les vaines pensées et plusieurs péchés légers, qui ont sali la pureté de notre nature, seront brûlés et consumés. (S. Augustin, Sermons.).
Jusqu’ici j’ai considéré la durée du Purgatoire en elle-même; il faut maintenant la considérer dans l’appréciation qu’en font les âmes; nous y verrons avec terreur, le mot n’est pas trop fort, qu’une heure de Purgatoire paraît plus longue qu’un siècle à ces pauvres âmes, tant à cause de la grande impatience où elles sont de voir Dieu, qu’à cause
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de l’extrême rigueur de leurs supplices. Laissons donc la parole
aux intéressés; aussi bien les témoignages ne manquent
pas.
Voici d’abord une histoire curieuse que j’ai tirée des annales des Pères Capucins, tome III, année 1618 : Le P. Hippolyte de Scalvo, ayant été nommé Père Gardien et Maître des Novices d’une maison de son Ordre dans les Flandres, s’efforçait, par tous les moyens en son pouvoir, de développer dans les âmes dont il avait la charge, les vertus de leur saint état; or, il arriva qu’un de ses novices, qui avait déjà fait de très grands progrès dans la vertu, vint à mourir en son absence, ce qui lui causa une grande douleur, car, aimant beaucoup ce jeune homme, il aurait voulu lui donner une dernière bénédiction. Le soir de la mort du défunt, étant de retour au noviciat, comme il faisait oraison dans le chœur après matines, il vit tout d’un coup paraître devant lui un fantôme tout enveloppé de flammes. " O Père très charitable, disait le novice avec de profonds gémissements, donnez-moi votre bénédiction; hélas ! j’ai commis un manquement léger à la règle, manquement qui n’est pas même un péché en soi, et c’est à cause de cela seulement que je satisfais à la justice divine dans le Purgatoire; mais la bonté du Sauveur m’autorise, par une faveur toute spéciale, à m’adresser à vous. Vous-même, imposez-moi la punition convenable, ce sera celle que je ferai. "
Le Père Gardien restait terrifié, en présence de cette apparition et de ces flammes; à la fin, il répondit : " Autant que je le puis, mon fils, je vous absous et vous bénis; et quant à la pénitence de votre faute, puisque vous m’assurez que je puis vous la marquer, vous resterez en Purgatoire, jusqu’à l’heure de prime " (environ huit heures du matin).
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A ces mots le novice, comme pris de désespoir, se mit à
courir par toute l’église en criant : " Ô Père sans
miséricorde, ô cœur impitoyable pour votre fils affligé
! eh quoi ! punir de la sorte une faute que pendant ma vie vous eussiez
à peine jugée digne d’une légère discipline
! Vous ignorez donc l’atrocité des supplices du Purgatoire, ô
pénitence sans charité! " puis il disparut, la vision avait
cessé.
Le pauvre Père Gardien, qui avait cru se montrer bien indulgent en limitant à quelques heures la pénitence demandée, sentait ses cheveux se dresser sur la tête de terreur et de regrets. Il aurait bien voulu revenir sur sa sentence, mais que faire ? Tout à coup une bonne pensée l’illumine; il court à la cloche, réveille tous les frères et les réunit dans le chœur; alors il leur expose ce qui vient de se passer et demande que l’on commence aussitôt l’office de prime, ce que l’on fit. Mais il garda toute la vie l’impression de cette terrible scène, et on l’entendit dire, plus d’une fois, que jusque-là il n’avait eu qu’une idée très imparfaite des supplices de l’autre vie, et qu’il n’aurait jamais pensé que quelques heures de Purgatoire formassent une expiation si épouvantable.
Voici encore un fait du même genre, à l’appui de la même vérité. Je l’ai pris dans Rossignoli, qui renvoie lui-même à un sermon de Joseph Hariolus : de animabus Purgatorii.
Deux religieux s’aimaient comme deux frères, et s’excitaient l’un l’autre à mener la vie la plus sainte dans leur monastère. L’un d’eux ayant été attaqué d’une maladie mortelle, eut une vision, quelques heures avant de mourir. Son ange lui apparut pour lui dire qu’il était sauvé, et qu’il resterait seulement en Purgatoire, jusqu’à ce qu’on eût célébré pour lui une seule messe. Aussitôt, tout joyeux, le mourant appelle son ami, et au nom de la tendre
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charité qui les avait unis pendant la vie, il le conjure de
ne pas le laisser languir loin du Ciel, et de célébrer, aussitôt
qu’il aura expiré, cette bienheureuse messe, qui doit lui ouvrir
les portes de la patrie.
Le bon religieux le lui promet en pleurant; le malade expire le lendemain matin, aussitôt, sans perdre un instant, son ami court à la sacristie, se revêt de ses ornements sacrés, et célèbre la messe de la délivrance, avec toute la dévotion dont il était capable.
Il venait à peine de déposer ses ornements que son ami défunt lui apparut tout rayonnant de gloire, mais avec un air de mécontentement encore empreint sur le visage. – " Cher frère, lui dit-il, qu’est devenue votre charité ? avez-vous oublié votre promesse, ou n’avez-vous pas la foi ? Vous mériteriez que Dieu vous traitât avec la même rigueur dont vous avez usé envers moi. " - " Comment cela ? répond l’autre tout surpris. " - " Eh ! ne m’avez-vous pas laissé plus d’une année au milieu du feu vengeur, sans que ni vous, ni aucun de mes frères prît la peine de dire pour moi une seule messe, alors qu’il vous était si facile de me délivrer, n’est-ce pas là un oubli bien cruel ? " - " En vérité, vous me surprenez : aussitôt que vous eûtes fermé les yeux, je courus m’acquitter de ma promesse, et je viens à peine de descendre de l’autel, il n’y a pas encore une heure que vous avez quitté la terre, vos funérailles ne sont pas encore faites, mais voulez-vous vous en assurer par vous-même, venez avec moi; votre cadavre est encore chaud. ".
Alors le défunt s’éveillant comme d’un profond sommeil; - " Quelles sont donc épouvantables les souffrances du Purgatoire, puisqu’une heure y paraît plus longue qu’une année ! Béni soit Dieu qui a abrégé l’épreuve ! je vous remercie de votre charitable empressement, ô frère bien-
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aimé; je vole au Ciel, où je prierai Dieu qu’il nous
réunisse un jour dans le bonheur de la gloire comme nous l’avons
été sur la terre. "
On voit par là combien sont insensés ceux qui ne se préoccupent pas de faire pénitence pendant la vie, remettant au Purgatoire d’acquitter les dettes du passé. L’empereur Maurice fut plus sage. On raconte de lui dans l’histoire ecclésiastique, qu’ayant commis plusieurs fautes graves sur le trône, Dieu lui envoya un ange pour lui demander lequel des deux il préférait : d’être châtié en ce monde ou en l’autre : " Ah! Seigneur, répondit l’empereur, éclairé par la foi, punissez-moi en ce monde ! " Sa pieuse prière fut exaucée. A quelque temps de là, un de ses généraux, nommé Phocas, s’étant emparé de l’Empire, se fit amener Maurice dans le cirque; là il le fit coucher par terre, et lui ayant mis le pied sur la gorge, devant tout le peuple de Constantinople, il fit égorger sous ses yeux tous ses enfants, et le fit tuer à la fin, et pendant cette sanglante tragédie, l’empereur pénitent ne cessait de répéter ce verset du Psalmiste : Justus es, Domine, et judicia tua oequitas.
Le religieux dont je vais parler ne fut pas si prudent; aussi il eut lieu de s’en repentir bien amèrement. J’ai tiré cette histoire des annales des frères Mineurs, à l’année 1185.
Il s’agit d’un religieux franciscain, qui souffrait depuis longtemps d’une douloureuse maladie; à la fin, la patience lui échappa, et il se prit à désirer la mort afin d’être délivré de ses maux. Alors, son Ange lui fut envoyé pour lui proposer de choisir. – " Puisque vous êtes fatigué de souffrir en cette vie, Dieu a résolu d’exaucer votre prière; choisissez de sortir immédiatement de ce monde et de subir trois jours de Purgatoire, ou de vivre encore un an
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dans vos souffrances et alors vous irez directement au Ciel. "
Le choix fut bientôt fait : - " J’aime mieux mourir tout de suite,
répondit le pauvre religieux, au risque de souffrir au Purgatoire
non pas seulement trois jours, mais tant qu’il plaira à Dieu. Ma
vie présente est une mort continuelle, et je ne pense pas que je
puisse jamais éprouver rien de pareil. " - " Eh bien! Il sera fait
comme vous le souhaitez, vous allez mourir aujourd’hui, préparez-vous
donc à recevoir au plus tôt les derniers sacrements. "
raconta la vision, reçut les derniers sacrements et expira.
Au bout d’un jour, son ange vint le visiter dans le Purgatoire : - " Eh bien ! que vous semble de l’épreuve que vous avez choisie, la préférez-vous encore aux souffrances de la terre ? " - " Oh ! Combien j’ai été aveugle, répondit l’âme, mais vous vous avez été bien cruel; vous me parliez de trois jours, et voici plusieurs siècles que je suis dans les flammes ! oh ! Quelles sont les longues années dont je vois se dérouler devant moi l’interminable série ! et encore, rien ne m’annonce ma délivrance prochaine ! " - " Est-ce ainsi qu’une âme infortunée peut tomber dans l’erreur ? Eh quoi ? vous vous lamentez de la sorte, et vous m’accusez de vous avoir trompé ! mais, il n’y a pas encore vingt-quatre heures que vous êtes mort ! ce n’est pas le temps, c’est la rigueur de la peine qui vous trompe; un instant vous paraît une année, une heure vous semble un siècle; mais je vous l’affirme, il n’y a pas encore un jour que vous souffrez, et votre corps n’a pas reçu la sépulture; c’est pourquoi, si vous vous repentez de votre choix, Dieu vous permet de retourner sur la terre, afin d’y subir l’année de maladie qui vous était destinée. " - " Oh ! Oui, je préfère ce parti, je le demande en grâce. L’expérience a
176 :
bien changé mes idées. Plutôt deux, trois, dix
années de maladies affreuses qu’une seule heure dans ce séjour
d’inexprimables angoisses. "
Alors à la vue de toute la communauté stupéfaite, l’âme rentra dans le corps qu’elle avait quitté, et le défunt ressuscita. Dès qu’il put parler, il raconta tout ce qui lui était arrivé, en exhortant ses frères à faire une rigoureuse pénitence de leurs moindres fautes, afin d’éviter la rigueur des expiations de l’autre vie. Pendant l’année qu’il vécut, il supporta avec patience les douleurs les plus aiguës, qui ne lui paraissaient plus rien; puis au bout de l’année, il mourut, et on a lieu de croire qu’il alla au ciel tout droit, selon la promesse qui lui en avait été faite.
Ce trait rappelle le mot connu de saint Augustin : un seul jour de Purgatoire peut être comparé à mille ans de supplices sur la terre, car le feu qui dévore les âmes y est plus insupportable que tout ce que l’on peut endurer ici-bas.
On voit d’après ces exemples : premièrement que la durée du Purgatoire est d’ordinaire assez longue, et en second lieu, que le moindre instant passé en ce lieu de souffrance y paraît sans proportion aucune avec le même temps passé sur la terre. Ces deux vérités qui se complètent l’une l’autre, doivent nous remplir d’une sainte terreur pour nous-mêmes, et nous inspirer la plus ardente compassion pour les pauvres âmes que nous oublions trop vite, au milieu de ces feux vengeurs. Un jour, dans l’éternité, nous verrons avec surprise combien nous avons été cruellement flatteurs envers nos parents et nos amis défunts, en les canonisant trop vite, et en cessant ainsi de prier pour eux. " C’est là, dit le P. Faber, une exagération égoïste, car ce n’est autre chose qu’un prétexte pour se consoler et se décharger du soin de prier pour
177:
ses chers défunts; " et pendant ce temps, l’infortuné
que l’on va prônant partout comme étant mort en odeur de sainteté,
souffre des tourments indicibles, sans que la rosée d’aucune prière
vienne rafraîchir et tempérer les flammes qui le dévorent.
Connaissons mieux et l’extrême sainteté de Dieu, qui ne peut souffrir aucune tache dans les siens, et la profonde corruption du cœur de l’homme, qui, ne cessant pendant la vie d’accumuler les souillures, arrive au Tribunal du souverain Juge avec une somme de fautes dont le total épouvante l’imagination.
Chapitre 10 Rapports des âmes du Purgatoire avec Dieu p.178-194
Que le Purgatoire manifeste admirablement toutes les perfections de Dieu, et particulièrement sa sainteté, sa sagesse et sa bonté. - Comment la miséricorde trouve place dans le Purgatoire sans léser le justice - De la justice distributive dans le Purgatoire. - Si Dieu accepte nécessairement les suffrages qu’on lui adresse pour un défunt particulier ; opinions diverses de théologiens et exemple de l’appui. - De l’amour que Dieu porte aux pauvres âmes du Purgatoire et du désir qu’on les soulage
178
Nous voici arrivés à un autre point de vue sous lequel
il nous faut considérer le Purgatoire. Jusqu’à présent,
j’ai parlé du lieu des expiations comme s’il était isolé,
et qu’il n’y eût que lui dans le monde surnaturel ; il n’en est pas
ainsi en réalité. En vertu de la communion des saints, l’Église
souffrante du Purgatoire est en rapports continuels avec l’Église
triomphante du Ciel, avec l’Église militante de la terre, nous étudierons
ces relations, mais auparavant il faut parler des rapports qui existent
entre les âmes du Purgatoire et Dieu, entre le juge qui condamne
et le coupable qui subit la peine, entre le père qui tend les bras
à son fils exilé, s’apprêtant à le couronner,
dès qu’il en sera digne, et l’âme tout embrasée d’amour,
qui hâte de ses vœux le moment où il lui sera donné
d’entrer dans la maison paternelle. Ce sera l’objet du présent chapitre.
Un premier point dont l’évidence éclate, pour
peu que l’on ait suivi ce que j’ai dit dans les chapitres précédents,
c’est que le Purgatoire manifeste admirablement toutes les perfections
de Dieu. Le psalmiste a chanté que les cieux
179 :
racontent la gloire de Dieu ; on peut en dire autant de ces sombres
cachots, d’où semblerait devoir ne s’exhaler que des plaintes et
des gémissements. Dieu y recueille une ample moisson de gloire,
et s’y découvre à nos regards distraits sous un aspect bien
digne de fixer l’attention, et d’attirer les cœurs. Nulle part peut-être,
excepté dans le Ciel où il récompense ses élus,
Dieu ne se révèle aussi grand, aussi puissant, aussi terrible,
aussi Dieu. Mais parmi toutes les perfections de Dieu, qui trouvent leur
manifestation dans les flammes du Purgatoire, il en est trois surtout qui
s’y révèlent d’une manière toute spéciale ;
je veux parler de sa sainteté, de sa sagesse et de sa bonté.
Que le Purgatoire manifeste la sainteté infinie de Dieu,
c’est ce dont personne ne saurait douter sérieusement. Voilà
des âmes saintes, qui sont sorties de la vie dans l’exercice de la
charité ; ce sont des prédestinés à la gloire,
de futurs citoyens du Ciel ; ces âmes sont l’objet des complaisances
de l’adorable Trinité ; ce sont des âmes de choix qui après
bien des combats, sont arrivés au but pour lequel le Père
les avait crées et mises au monde ; quand le Fils de Dieu abaisse
sur elle ses regards, il les voit toutes resplendissantes de son sang divin
qui les a lavé dans la pénitence ; le Saint-Esprit contemple
avec complaisance ses fidèles épouses qui ont correspondu
à sa grâce ; et cependant, parce que, dans les jours de leur
pèlerinage , ces âmes ont contracté quelques légères
souillures, parce qu’en cheminant dans les rudes sentiers de la vie, leur
pieds se sont salis au contact de la poussière du chemin, Dieu les
rejette impitoyablement loin de Lui ; ces saints, ces prédestinés,
ces rachetés par le sang du Christ, il les condamne à d’ineffables
tortures, jusqu’à ce qu’ils soient devenus dignes de paraître
sans tache à ses yeux. Peut-être ils
180 :
ont fait de grandes choses pour la gloire de Dieu : ce sont de saints
prêtres qui l’ont fait connaître et aimer dans le monde ; ce
sont les religieux qui ont tout quitté pour Lui , et qui se sont
imposé de plus une vie de souffrances et de sacrifices ; ce sont
des apôtres qui ont porté son nom aux extrémités
du monde ; n’importe, dès le moment, toutes leurs œuvres, tous leur
sacrifices ; il a l’éternité pour les récompenser,
mais d’abord il faut qu’ils se purifient.
Il me semble qu’entre les âmes du Purgatoire et Dieu,
il doit ses passer quelque chose d’analogue à la grande scène
du Calvaire. Jésus-Christ était le fils bien-aimé
du Père , la splendeur de sa gloire, l’objet de ses éternelles
complaisances. Cependant à peine il a pris sur Lui la ressemblance
du péché, il semble que Dieu ne le connaît plus que
pour le frapper. Accumulez toutes les ignominies de la passion, les soufflets,
les crachats, les dérisions ; apportez la robe blanche d’Hérode,
et le manteau de pourpre du prétoire, et les fouets de la flagellation,
et la couroNne d’épines, et la croix, instrument du dernier supplice.
Pas de pitié pour cet homme qui s’est fait la rançon des
péchés du monde. La terre tremble, les rochers se fendent,
le soleil s’éclipse, en présence d’un pareil crime, mais
Dieu reste impassible, dans le silence de son éternité, comptant
tous les coups, toutes les douleurs, toutes les ignominies, afin que rien
n’y manque. Rien ne l’émeut, rien ne l’attendrit, pas même
ce cri déchirant de la victime : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as
tu abandonné !Il faut que tout soit consommé et que la justice
ait son cours ; alors seulement il se souviendras qu’il est Père.
Eh bien ! revenons maintenant aux âmes du Purgatoire ;
entre elles et Dieu je vois la même situation. Elles, aussi,
181 :
sont les filles chéries de Dieu, mais parce qu’elles ont
sur elles les marques du péché, Dieu ne les connaît
plus, au moins pour un temps. Que les feux vengeurs s’allument, que tous
les supplices, que tous les supplices, que toutes les expiations s’accumulent
sur cette âme ; Dieu assistera impassible à ses tortures ;
bien plus il s’en réjouira parce que sa justice sera satisfaite.
Inutile de crier vers le ciel, le ciel est fermé ; la sainteté
et la justice de Dieu l’exigent également. Il faut que tout soit
consommé, que le péché soit détruit ; alors
seulement il se souviendra qu’il est Père.
La B. Marguerite-Marie avait éprouvé en elle-même
ces rigueurs de la sainteté de Dieu. Voici ce qu’elle en dit : "
Les tourments que la sainteté d’amour imprime en moi comme un échantillon
de ce que souffrent les âmes du Purgatoire sont insupportables. "Et
dans un autre passage : " Je ne me souviens pas d’avoir passé une
pareille année pour le regard de la souffrance. Rien ne me fait
plus souffrir que cette sainteté de Dieu. Le Sacré Cœur donne
souvent sa chétive victime aux âmes du Purgatoire pour les
aider à satisfaire à la divine justice, c’est dans ce temps
que je souffre une peine à peu près comme la leur, ne trouvant
de repos ni de jour, ni de nuit. "(Vie de la Bienheureuse.)
Nous pouvons encore à ce sujet nous inspirer des beaux
enseignements de sainte Catherine de Gênes ; voici comment elle parle
de ce martyre que la sainteté de Dieu fait endurer aux âmes
du Purgatoire :
" La cause de toute peine est le péché ou originel ou
actuel, car Dieu a créé l ‘âme pure, simple, nette
de toute tache et avec un certain instinct qui la porte vers Lui comme
vers sa fin béatifique.
Le péché originel qui souille l’âme
dès qu’elle est créée, l’éloigne de ce bienheureux
instinct. Le péché
182 :
actuel venant se joindre au péché originel, l’en éloigne
encore davantage ; et plus cet éloignement augmente, plus l’âme
devient mauvaise, parce que le cœur de Dieu se retire d’elle de plus en
plus.
" Or comme tous les degrés de bonté qui peuvent
se trouver dans les êtres n’existent que par la participation de
Dieu qui se communique à ses créatures, comme il lui plaît,
et selon l’ordre qu’il a établi, sans y manquer jamais, il en résulte
que lorsqu’une âme retourne à la pureté et à
la netteté de sa première création, cet instinct qui
la portait vers Dieu, comme vers son terme béatifique, se réveille
en elle aussitôt, croissant à tout moment, il agit sur elle
avec une effrayante impétuosité, et le feu de la charité
qui la brûle, lui imprime un si irrésistible élan vers
Dieu, et plus elle reçoit de lumière, plus sa souffrance
est extrême.
" La tache ou la coulpe du péché n’existant
pas dans les âmes du Purgatoire, il n’y a plus d’autre obstacle à
leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent
se purifier. Cet obstacle, qu’elles sentent en elles, leur cause le tourment
que je viens de dire, et retarde le moment où l’instinct, qui les
porte vers Dieu comme vers leur souveraine béatitude, recevra sa
pleine perfection. Elles voient avec certitude ce qu’est devant Dieu le
plus petit empêchement causé par les restes du péché,
et que c’est par nécessité de justice qu’il retarde le plein
rassasiement de leur instinct béatifique.
" De cette vue naît en elles un feu d’une ardeur extrême
et semblable à celui de l’Enfer, sauf la coulpe du péché.
"(Op.citato, ch xii.)
Le Purgatoire manifeste non moins admirablement la
183 :
sagesse et la bonté de Dieu, et c‘est ce que n’ont pas voulu
comprendre les protestants, qui ont ainsi méconnu la beauté
du plan rédempteur et brisé l’harmonie des perfections divines.
Dieu ne peut souffrir en sa présence rien de souillé ; sa
sainteté s’y oppose absolument, nous venons de le voir ; cependant
ces malheureux sont morts en état de grâce, dans l’exercice
actuel de l’amour et du repentir ; impossible de les condamner aux haines
et aux désespoirs éternels de l’Enfer.
Le séjour de la gloire et les portes de l’abîme
leur sont également fermées ; qu’en fera Dieu ? Il créera
un lieu intermédiaire entre le Ciel et l’Enfer, un séjour
destiné aux expiations temporaires, où l’amour trouvera sa
place, sans que la justice et la sainteté y perdent rien. Oui, c’est
l’amour, et l’amour le plus tendre qui a créé le purgatoire.
"Pour bien comprendre ceci, dit encore sainte Catherine de Gênes,
il faut savoir que ce qui se passe d’ordinaire pour perfection aux yeux
des hommes, est défaut aux yeux de Dieu, car toutes les choses que
l’homme fait et qui, selon sa manière de voir, lui semblent parfaites,
impriment cependant en lui des taches et des souillures lorsqu’il ne reconnaît
pas que la perfection dans ce qu’il fait est un don de Dieu ? "(Op. citato,
ch.xii.)
Vu la corruption du cœur de l’homme, le Purgatoire était
le seul moyen qui restât à Dieu pour nous sauver ; car quel
est celui d’entre nous qui pourrait se promettre d’arriver sans souillure
au tribunal du souverain Juge ? Sans le Purgatoire, il fallait ou que la
justice de Dieu laissât le pêché impuni ; ce qui répugne
à l’essence divine, ou que la presque universalité des âmes
fût privée à jamais de la vue de Dieu ; mais grâce
à cette admirable invention du Purgatoire, les faibles, les lâches,
les pé-
184 :
cheurs comme moi peuvent encore aspirer aux joies de la vision béatifique
; c’est là, selon l’ingénieuse pensée du P.Faber,
comme un huitième sacrement du feu, qui sauve les âmes à
qui n’ont pas suffi les sept sacrements de l’Église militante. Ainsi
aucune des perfections divines n’est lésée ; la miséricorde
et la vérité se rencontrent dans ce séjour de la souffrance,
la justice et la paix s’y embrassent et s’y donnent la main, tout est dans
l’ordre ; le péché est expié, les bonnes oeuvres sont
récompensées, et l’homme est sauvé !
C ‘est ce que comprennent bien les âmes du Purgatoire
; aussi, au lieu des cris de rage et de désespoir qui s’élèvent
à chaque instant de l’abîme infernal, ce sont, comme nous
l’avons vu, des chants d’amour, des hymnes d’actions de grâce qui
montent du Purgatoire jusqu’au trône de Dieu. Les saints, à
leur tour, éclairés d’une lumière plus haute, ne tarissent
pas quand ils exaltent les miséricordes de Dieu sur les âmes
du Purgatoire. Nous avons entendu Madeleine de Pazzi, s’écrier :
Heureuses peines ! Sainte Catherine de Gênes aurait voulu rester
dans le Purgatoire jusqu’à la fin des temps pour y glorifier Dieu.
Plusieurs saints ont formé ce vœu héroïque, ce qui nous
montre la merveilleuse estime qu’ils faisaient de cette admirable invention
de la miséricorde divine.
Mais comment, dira –t’on, la miséricorde peut-elle s’exercer
dans le Purgatoire, puisqu’il est certain que Dieu s’est lié les
mains à l’égard de ces pauvres âmes et que la justice
seule doit avoir son cours ? Cela est vrai ; mais telle est l’harmonie
des perfections divines que jamais l’une ne nuit à l’autre ; la
justice est pleinement satisfaite dans le Purgatoire, et cependant la miséricorde
trouve le moyen de s’y exercer ; Dieu qui est amour, fait pénétrer
dans ces sombres cachots quelques rayons de son immense charité.
185 :
Vous demandez comment cela peut se faire sans léser la justice
? Voici quatre canaux par où la divine miséricorde se répand
continuellement sur ces pauvres âmes.
Premièrement, c’est presque toujours en vertu d’un décret
de la miséricorde, et d’une miséricorde toute spéciale
que nous sommes envoyés en Purgatoire. Quel est celui d’entre nous
qui n’a mérité l’Enfer au moins une fois dans sa vie
?Nous sommes à cette heure, bien tranquilles dans nos maisons, mous
parcourons en liberté les rues de nos grandes villes, nous respirons
l’air pur des campagnes, en un mot, nous jouissons de notre mieux des agréments
de la vie ; c’est bien ; je ne veux pas troubler votre quiétude
; mais au lieu d’être ici, pourquoi n’êtes vous pas là-bas
à vous tordre dans les angoisses d’un désespoir éternel
? Si Dieu vous avait appelé à telle ou telle heure que vous
connaissez bien, où seriez-vous maintenant ? n’y a t’il pas à
cette heure dans l’Enfer des âmes moins coupable que vous ? Mais
il y a plus ; j’admets que vous avez gardé votre innocence baptismale,
que vous ne vous soyez jamais souillé d’aucun péché
mortel ; qui vous promet la persévérance ? de plus forts,
de plus saints que vous ne sont ils pas tombés misérablement
à la fin ? Si donc par la grâce de la persévérance
finale, vous arrivez un jour au Purgatoire, ce sera un don de la miséricorde.
Mais le cas de l’innocence conservée est presque chimérique
; la plus grande partie des âmes tombent plus ou moins souvent dans
le péché mortel et se rendent ainsi dignes de l’Enfer ; après
une vie de tiédeur et de négligences, de chutes et de rechute
dans le péché, une dernière confession bien faite
couvre tout, purifie tout ; ces âmes sont sauvées ; il leur
reste il est vrai ,de longues et terribles expiations dans le Purgatoire,
mais de bonne foi, ont-elles le droit de s’en
186 :
plaindre, alors que des centaines de fois elles ont mérité
l’enfer ?
Et que dire de ceux qui se ne sont sauvés qu’au dernier
moment par un acte de contrition parfaite ? Ces âmes ont vécu
toute leur vie peut-être dans l’illusion, accumulant les confessions
nulles, les communions sacrilèges ; leur dernière confession
n’a pas été meilleure ; les voilà perdues ; déjà
le démon tressaille de joie et s’apprête à saisir sa
victime. Tout à coup, en vertu d’une grâce toute gratuite
et bien imméritée ; la lumière se fait dans cette
âme ; sur le seuil de l’Éternité, au milieu des affres
de l’agonie, elle voit sa position ; un cri de suprême repentir,
un acte de contrition parfaite monte vers le Ciel ; c’en est fait ; le
pécheur est pardonné ; justiciable de l’Enfer, il ne lui
reste plus que les expiations temporaires du Purgatoire. J’ai cité
plusieurs faits de ce genre.
Qui nous dira les mystères de la mort, et ce qui se passe
à cette heure entre Dieu et l’âme !
Le Père de Ravignan pensait que , dans nos jours troublés,
alors que tant d’âmes sont éloignées de la religion
par des préjugés presque invincibles, un grand nombre étaient
sauvés de la sorte par l’intervention directe de la divine miséricorde,
agissant elle-même sur ces âmes, au dernier moment. Après
cela, ces âmes auront à subir un rude Purgatoire, mais qu’importe
! L’Éternité est à elles !
Prolongez leur supplice jusqu’à la fin des temps ; croyez-vous
qu’elles s’en plaindront ? Ah ! quelle hymne de reconnaissance j’entends
monter sans cesse des profondeurs de l’abîme ; c’est l’hymne de la
délivrance, c’est le chant des rachetés de la dernière
heure. Représentez-vous la joie du criminel condamné à
mort à qui on vient annoncer sur l’échafaud que la peine
est commuée en quelques années de prison. C’est l’image,
mais l’image
187 :
bien affaiblie de la joie de ces âmes coupables, alors que, paraissant
au tribunal de Dieu, elles s’entendent condamner aux expiations du Purgatoire.
En second lieu, la miséricorde divine se manifeste encore
dans le Purgatoire dans l’application même de la peine. Quelque terribles,
en effet, que soient les supplices du Purgatoire, comme on a pu s’en convaincre
en lisant ce qui précède, il faut bien avouer, néanmoins,
qu’ils sont bien inférieurs à ce que mérite le péché.
Toute offense à Dieu, si légère qu’elle soit, s’adressent
à une Majesté infinie, comporte une expiation infinie. Quant
on considère le péché de ce point de vue, on est bien
forcé de s’avouer, avec sainte Catherine de Gênes, que la
miséricorde a sa place jusqu’en Enfer : " L’homme mort en état
de péché mortel mérite dit-elle, une peine infinie,
et quant à l’intensité et quant à la durée
; mais la douce bonté de Dieu ne l’a rendue infinie que pour la
durée et a donné des limites à son intensité.
Si Dieu n’eût écouté que sa justice seule, il eût
pu infliger aux damnés des peines plus grandes que celles qu’il
leur a fait subir.
Il en est de même, à plus forte raison, des âmes
du Purgatoire, qui s’étaient trouvées à la mort, avec
une vraie contrition de leur fautes, n’ont plus en elles la coulpe du péché,
et n’emportent en l’autre monde que la peine ; cette peine est limitée
et quant au temps et quant à l’intensité, en sorte que les
âmes du Purgatoire souffrent moins qu’elles ne le méritent
en réalité. " (Oper. Citato, cap. iv.)
En troisième lieu, la miséricorde trouve encore à
se manifester dans le Purgatoire, en ce que Dieu abrège souvent
la durée de la peine, sans léser en rien cependant les droits
de la justice.
188 :
Voici comment : Par rapport à l’éternité,
le temps n’est rien ; en soi, ce n’est qu’une relation d’actes qui s’enchaînent
aux autres. En multipliant les actes de l’âme, Dieu peut lui donner
en un instant la sensation de plusieurs siècles, et c’est vraisemblablement
ainsi qui mourront aux derniers jours du monde expieront en quelques minutes
toutes leur fautes. Il est bien vrai que toutes les sensations douloureuses
se trouvant ainsi accumulées en un très petit espace de temps,
l’intensité du châtiment croît dans une proportion effrayante
; la justice garde donc tous ses droits, mais la miséricorde y gagne
néanmoins, car l’âme est mise plus tôt en possession
de la gloire qui l’attend.
D’après les révélations que j’ai citées
précédemment, et un grand nombre d’autres que j’ai passées
sous silence, il semble que cette abréviation de peine est surtout
accordée aux prières de la très sainte Vierge, en
faveur de ses dévots serviteurs ; et c’est peut-être ainsi
qu’il faut entendre le fameux privilège de la bulle Sabbatine dont
je parlerai plus bas à propos des indulgences.
Que si Dieu n’use plus souvent de ce moyen de miséricorde
pour réduire la durée du Purgatoire, c’est, dit le Père
de Munford, à cause de nous, qui, tout charnels et peu spirituels
que nous sommes pour la plupart, aurions de la peine à comprendre
comment, en quelques instants, Dieu peut faire souffrir à une âme
la peine de plusieurs années.
C’est donc pour nous inspirer plus de crainte de sa justice
et nous engager plus efficacement à éviter le péché,
qu’il n’abrège pas d’ordinaire la durée des peines du Purgatoire,
mais quand il le fait, c’est une grande miséricorde dont il use
envers ces pauvres âmes.
Enfin la miséricorde se manifeste en quatrième
lieu dans
189 :
le Purgatoire, quand Dieu permet à une âme d’en
sortir pour faire connaître sa position et ré*clamer les suffrages
des vivants. Depuis que le Purgatoire existe, on compte par milliers les
âmes qui ont vu ainsi abréger leurs peines ; certes, c’est
une grande miséricorde de Dieu de suspendre ainsi les lois de la
nature pour permettre à un défunt de venir se recommander
aux prières de ses amis de la terre. Dieu ne fait pas ce miracle
pour tous, car alors ce ne serait plus un miracle, mais on peut dire néanmoins
que ces apparitions de quelques âmes servent à toutes, parce
qu’elles tendent à ranimer notre foi au Purgatoire, à nous
réveiller de notre apathie et de notre égoïsme, d’autant
plus qu’en ces matières, il est facile de conclure du particulier
au général, et les rigueurs de la justice divine sur quelques
âmes, prises dans toutes les situations, apprennent aux hommes à
veiller sur eux-mêmes, et à prier avec plus de ferveur pour
tous les défunts.
C’est ainsi que ce qui, en soi, n’est qu’un privilège
accordé à quelques âmes, n’en sert pas moins à
toutes dans les desseins de l’éternelle miséricorde.
Mais en voilà assez sur ce sujet, il faut dire maintenant
quelques mots de la justice de Dieu dans le Purgatoire. Je ne reviendrai
pas sur ce que j’ai dit des sévérités de la justice,
mais une question bien intéressante se présente ici, c’est
de savoir si Dieu se croit tenu en justice d’appliquer à un défunt
les suffrages que l’on fait spécialement pour lui. Sur ce point
les théologiens sont partagés ; les docteurs scholastiques
inclinent assez à croire que Dieu s’est réservé la
plus grande liberté à cet égard. Il est certain ,au
moins pour les indulgences ,que les Souverains Pontifes de l’Église
n’ayant plus juridiction sur les âmes du Purgatoire, ces indulgences
ne leur sont pas appliquées, comme aux vivants, par mode d’absolution,
mais seule-
190 :
ment par mode d’impétration, ce qui revient à dire que
l’Église au lieu de remettre directement telle ou telle partie de
ma peine due au péché, se contente de prier Dieu d’accepter
cette indulgence et l’appliquer lui-même dans la proportion qui convient
à sa justice. D’un autre côté, les théologiens
mystiques inclinent visiblement vers l’autre sentiment, qui enseigne que
tous les suffrages que l’on fait en faveur d’un défunt lui sont
appliqués par Dieu. C’est l’opinion du Père Faber, et de
ce fait, il paraît tout à fait convenable que Dieu ait une
attention particulière à l’intention de ceux qui prient,
en sorte qu’il en tient toujours compte, à moins de raisons spéciales
; mais a t’il souvent de ces raisons spéciales de ne pas en tenir
compte ? Là est précisément le nœud de la difficulté.
Voici ce que dit à ce sujet sainte Françoise Romaine
: "Les prières et bonnes œuvres que l’on fait en cette vie pour
quelque pauvre âme du Purgatoire lui profitent d’abord, mais à
cause de ce lien de charité qui les unit toutes, elles servent aussi
aux autres âmes ; si ces prières ou aumônes sont
offertes à Dieu pour une âme déjà dans la gloire,
le mérite en revient à ceux qui les ont faites, et le fruit
s’en répand sur les âmes du Purgatoire. Quant aux damnés
pour qui on prie, ces prières ne sauraient leur être appliquées
; elle ne profitent qu’à celui qui les faits ; les âmes du
Purgatoire n’en ressentent aucun soulagement. "
Nous voyons par les révélations des saints, que
la justice de Dieu refuse quelquefois de soulager ceux pour qui l’on prie.
J’ai cité plusieurs faits de ce genre ; je rappellerai seulement
ce que j’ai dit plus haut de ce prince à la délivrance duquel
sœur Marie-Denyse consacrera les neuf dernières années de
sa vie. Il est probable que, pendant ce temps, elle gagna plusieurs indulgences
plénières
191 :
pour son protégé, et cependant aucune ne lui fut appliquée
intégralement, puisqu’au bout d neuf années de prières
, de mortifications et de souffrances, couronnes par le sacrifice de sa
vie, elle n’avait obtenu qu’une diminution de quelques heures
Qu’on se rappelle aussi l’exemple rapporté par la B.
Marguerite-Marie de ce grand monde qui, ayant commis des injustices envers
ses sujets, pendant sa vie, vit, après sa mort, tous les suffrages
que l’on faisait pour lui, appliqués par la justice de Dieu au soulagement
des âmes de ceux qu’il avait ruinés.
Il faut donc conclure , je crois, que Dieu en ces matières
s’est réservé sa liberté tout entière ; le
plus souvent, toujours mais peut-être, celui pour qui l’on prie est
soulagé, mais pas toujours dans la mesure que l’on pense ; autrement
il suffirait de gagner une indulgence plénière, en faveur
d’une âme du Purgatoire, ou de célébrer à son
intention une messe à un autel privilégié, pour être
sûr de la délivrer ; or cela est également contraire
à la pratique de l’Église et à ce que les saints nous
apprennent par leur révélations. Ne nous tranquillisons donc
pas trop vite sur le sort de nos chers défunts, mais prions beaucoup
pour eux et longtemps, car, à moins d’une révélation
spéciale, il est impossible de ne jamais être sûr qu’ils
n’en ont plus besoin.
On demande ici ce que Dieu fait de l’excédent des suffrages
qu’il refus d’appliquer au défunt que l’on avait en vue. Il me paraît
très probable et tout à fait conforme aux lois de la justice
distributive que ces prières ne sont pas perdues ; elles sont appliquées
à d’autres âmes dans la mesure du bon plaisir de Dieu ; les
âmes du Purgatoire ; par la communion des saints, ne font qu’une
seule famille, ce qui ne profite pas à l’un retombe sur l’autre.
Je veux
192 :
citer encore là-dessus mon grand docteur, sainte Catherine de
Gênes.
" Si les personnes qui sont dans le monde offrent à Dieu
pour les âmes du Purgatoire, des prières et des aumônes
dans l’intention de diminuer leur souffrances, il n’est pas au pouvoir
de ces âmes de détourner leur vue du divin objet qu’elles
contemplent plou la porter sur ces actes de charité ; elles ne peuvent
les voir que dans cette très juste balance de la volonté
divine, laissant Dieu disposer souverainement de tout, pour satisfaire
ses droits en la manière qui plaît le plus à son infinie
bonté. "(Opere citato, capxiii.). Ces âmes ont bien raison
de s’en remettre ainsi pleinement à la bonté de Dieu ; il
est certain que ce qui domine dans les rapports entre Dieu et les âmes
du Purgatoire, ce n’est pas la justice, comme ion le pense communément,
c’est l’amour ; et comment ne les aimerait-il pas ces pauvres âmes
?Il recueille en elles les fruits de la passion et de la mort de son Fils
; il contemple en elles les futurs habitants du Ciel ; s’il voit en elles
le reste des souillures de péché, il n’y voit plus du moins
la coulpe qui a été effacée par le repentir ; ces
âmes sont saintes ; elles aiment et elles sont aimées. Aussi
Dieu ne peut s’empêcher de désirer la fin de leur épreuve,
et si la justice lui lie les mains, il nous invite à le secourir
dans ses membres souffrants ; tibi derelictus est pauper, orphano tu eris
adjutor. Ces paroles du psaume conviennent bien à ces âmes.
Dieu ne peut rien pour les tirer d la misère où elles sont
plongées, mais il nous confie le soin de leur venir en aide : tibi
derelictus est pauper ; pour le moment, ces âmes sont orphelines
; leur Père du Ciel ne les connaît plus ; à nous de
soulager ses orphelins : orphano tu eris adjutor. Notre Seigneur apparut
un jour à sainte Gertrude, et lui dit : "Toutes les
193 :
fois que vous délivrez une âmes du Purgatoire, vous
faites un acte aussi agréable à Dieu que si vous le rachetiez
lui-même de la captivité, et il saura vous récompenser
quand le moment sera venu. " Plus d’une fois Notre Seigneur s’est abaissé
à solliciter nos suffrages en faveur de ses chères âmes
du Purgatoire. Je pourrais citer bien des exemples ; je dirai seulement
ce qui arriva à sainte Thérèse ; c’est elle-même
qui raconte le fait dans son livre des fondations. (chap. x.)
Le jour des trépassés, don Bernardin de Mendoza
avait donné à sainte Thérèse une maison et
un beau jardin situés à Valladolid, pour y fonder un monastère
en l’honneur de la Mère de Dieu. " Deux mois après,
dit la sainte, ce gentilhomme tomba malade subitement et perdit tout d’un
coup la parole, en sorte qu’il ne put se confesser, encore qu’il témoignât
, par signes, le désir de la faire, et la vive contrition qu’il
ressentait de ses péchés. "
" Il ne tarda pas à mourir, loin de l’endroit où
j’étais à cette époque, mais Notre-Seigneur me parla,
et me fit connaître qu’il était sauvé, quoiqu’il eût
couru grand risque de ne pas l’être, car la miséricorde de
Dieu s’était étendue sur lui, à cause de dons qu’il
avait faits au couvent de la très sainte Vierge ; toutefois son
âme ne devait pas sortir du Purgatoire avant que la première
messe fût célébrée dans la nouvelle maison.
"
" Je ressentis si profondément les douleurs de
cette âme, que malgré mon vif désir d’achever dans
le plus court délai la fondation de Tolède, je partis immédiatement
pour Valladolid. "
" Un jour que j’étais en prières à
Médina de Campo, Notre-Seigneur me dit de me hâter, car l’âme
de Mendoza étais en proie aux plus vives souffrances. Je re-
194 :
partis donc sur-le-champ, bien que je n’y fusse pas préparée,
et j’arrivais à Valladolid, le jour de la fête de saint Laurent.
"
" Aussitôt, j’appelai des maçons pour élever
sans tarder les murs de la clôture, mais comme cela devait prendre
beaucoup de temps, je demandai au seigneur évêque l’autorisation
de faire une chapelle provisoire à l’usage des sœurs qui m’avait
accompagnée ; l’ayant obtenu, j’y fis célébrer la
messe, et à la communion , au moment où je quittais ma place
pour m’approcher de l’autel, je vis notre bienfaiteur, qui , les mains
jointes et le visage resplendissant, me remerciait de ce que j’avais fait
pour le tirer du Purgatoire ; je le vis ensuite monter plein de gloire
au Ciel. Je fus d’autant plus joyeuse que je n’osais espérer un
tel succès, car bien que Notre-Seigneur m’eut révélé
que la délivrance de cette âme suivrait la première
messe célébrée dans la maison, je pensais que cela
devait s’entendre de la première messe où le saint Sacrement
serait renfermé dans le tabernacle. "
On voit par ce trait avec délicate bonté Dieu
s’intéresse aux pauvres âmes du Purgatoire. Que ces tendres
attentions de Celui qui sera notre juge un jour nous encouragent à
prier beaucoup pour les chères âmes du Purgatoire ; c’est
le meilleur moyen de nous préparer un jugement favorable, quand
l’heure sera venue pour nous de comparaître à notre tour au
tribunal de Dieu et d’éprouver peut-être les rigueurs de sa
justice : Heureux les miséricordieux, parce qu’il leur sera fait
miséricorde. " Beati misericrdes, quoniam ipsi misericordam consequenturs.
"
Chapitre 11 Rapports de l'Eglise triomphante avec l'Église souffrante p.195-209.
De l’assistance des saints anges. -Si les bons et les mauvais anges pénètrent dans le Purgatoire. – Des services que les saints anges rendent à ces âmes. – Raison de l’intérêt que les anges et les saints portent aux âmes du Purgatoire. – De l’assistance des saints, spécialement des saints patrons et fondateurs d’ordre. – De l’assistance de la très sainte Vierge. – Marie, reine du Purgatoire. – Le samedi, les fêtes de la sainte Vierge, et la fête de l’Assomption, au Purgatoire
195 :
Le beau spectacle que celui de la communion des saints ! Grâce
à ce dogme béni, les frontières de l’Église
catholique reculent à l’infini. La terre ne la borne plus ; au lieu
de deux cent millions de catholiques, répandus sur la surface du
globe, il faut compter par milliards les générations qui
en font partie. Tous ceux qui, depuis les premiers jours du monde, ont
vécu et sont morts dans la communion de l’Église, et dans
l’exercice de la charité, sont les citoyens de cette immense cité.
Le Ciel est incomparablement plus peuplé que la terre, puisqu’il
comprend tous les saints de l’ancienne et de l a nouvelle loi ; le Purgatoire
n’est guère moins nombreux probablement si l’on tient compte des
générations de justes qui s’y accumulent pendant un temps
plus ou moins long ; ce monde n’est en réalité que le plus
petit des trois grands royaumes des fils de l’homme.
Or, ces millions d’âmes qui se partagent les espaces infinis
du Ciel, du Purgatoire et de la terre, ne forment toutes qu’une même
famille, où tous est mis fra-
196 :
éternellement en commun, les joies et les peines, les triomphes
des saints, les expiations des âmes souffrantes, les épreuves
des vivants, au milieu de nos tristesses, nous nous réjouissons
de la gloire des saints, et nous trouvons les temps de compatir aux épreuves
des âmes du Purgatoire. De leur côté, les saints, qui
nous ont précédés dans la gloire, sont émus
de compassion à la pensée des dangers que nous courons encore,
et quand, du haut du ciel, ils abaissent leurs regards vers les régions
désolées du Purgatoire, ils y voient d’autres frères
dont le salut est en sûreté, il est vrai, mais qui pour le
moment, n’en sont pas moins livrés à d’ineffables tourments.
Les âmes du Purgatoire ne restent pas non plus étrangères
à ces joies de la communion fraternelle, elles sont pénétrées
de la plus vive reconnaissance pour les bienfaiteurs de la terre , et quand
, du milieu de leurs brasiers , elles lèvent les yeux vers les trônes
qui les attendent, elles voient à côté d’autres places
occupées par ceux qui, plus heureux et plus fidèles, sont
déjà arrivés au séjour de l’éternelle
béatitude, et cette vue ranime en elles l’espérance, car
elle savent qu’elles ont là auprès de Dieu des intercesseurs
et des amis. Ce sont ces rapports si intimes et si doux que la communion
des saints établit entre les âmes du Purgatoire et les habitants
du Ciel et de la terre, qui nous restent à étudier. Je parlerai
dans ce chapitre des rapports qui existent entre les âmes du Purgatoire
et l’Église triomphante.
Commençons par les anges, qui, bien qu’ils ne soient
pas en communion proprement dite, comme les saints, avec les âmes
du Purgatoire, n’en ont pas moins des rapports très fréquents
avec elles : "En effet, dit le P. Faber, les âmes du Purgatoire sont
destinées à remplir des vides affreux causés dans
les chœurs angéliques par la chute
197 :
de Lucifer et d’un tiers de l’armée céleste. De plus
un grand nombre d’anges ont un intérêt personnel dans le Purgatoire
; des milliers, ce n’est pas assez dire des millions d’entre eux ont été
commis à la garde de ces âmes, et leur mission n’est pas encore
accomplie, ils ont là des clients qui les honorés d’un culte
spécial pendant leur vie. Des chœurs entiers s’intéressent
à d’autres âmes, soit parce qu’elles doivent finalement leur
être réunies, soit parce qu’elles doivent finalement leur
être réunies, soit parce qu’elles avaient pour eux une dévotion
particulière.(Tour pour Jésus,, chap.ix .)
Nous voyons dans la liturgie de la sainte Église que
l’archange Michel a été établi de Dieu pour recevoir
les âmes à leur sortie de la vie et les introduire dans le
Ciel.
Arachangele Michael, constitui te principem super omnes animas
suscipiendas(3 Ant. De laud.) Cui tradidit Deus animas sanctorum, ut perducat
eas in paradisum exultationis.(5 repons. Matutin.)
Saint Michel est comme le prince de ce grand royaume de la douleur,
et l’on ne saurait douter qu’il n’ait grande compassion des âmes
qui lui sont confiées. Aussi l’Église nous fait-elle chanter
chaque année au jour de sa fête que c’est son intercession
qui ouvre le Ciel aux âmes.Cujus oratio perducit ad regna coelorum(4
rep. Matutin). Un grand nombre de révélations particulières
confirment ce titre de gardien des âmes justes et préposé
du Paradis que lui donne l’Église :Dei nuntius pro animabus justis
praepositus paradisi.
Les saints Anges gardiens des âmes n’ont pas accompli leur tâche
tant qu’ils ne les ont pas amenées au Ciel ; il est donc à
croire qu’ils continuent à s’intéresser très vivement
à leurs protégés, mais nous n’en sommes pas réduits
aux conjonctures à cet égard. Sainte Françoise Romaine
a reçu
198 :
pour les communiquer à tout le peuple chrétien de grandes
lumières au sujet des Anges. Écoutons donc ce qu’elle en
dit : "Quand un homme meurt, son ange gardien conduit son âme, selon
qu’elle l’a mérité, dans la région inférieure
de Purgatoire, et se place à sa droite, le démon à
sa gauche : tous les deux hors du Purgatoire. L’ange présente à
Dieu toutes les prières qui lui sont faites pour cette âme,
soit par ses parents, soit par ses amis, ou par tous les autres chrétiens,
et la bonté divine les rend à cet ange pour l’abréviation
de la peine et le soulagement de la pauvre âme dont il est chargé.
"
" Le démon qui a spécialement tenté
une âme pendant sa vie, reste à sa gauche, mais en dehors
du Purgatoire, où il ne peut entrer, et là, sur l’ordre de
Lucifer, il est tourmenté d’une manière toute spéciale
pour n’avoir pas su conduire cette âme en Enfer. Une des plus grandes
souffrances de celle-ci c’est d’avoir sous les yeux cette horrible vision
e son mauvais esprit, et d’entendre les railleries que lui inspirent les
peines qu’elle endure pour avoir cédé à ses suggestions.
Voici, lui dit-il, que tu endures de grandes souffrances à cause
des injures que tu a faites au Dieu qui t’a créée, rachetée
et qui a veillé sur toi pendant la vie. Au lieu d’obéir à
ses commandements, tu as préféré suivre mes suggestions,
tu t’es laissé sottement séduire par mes illusions, et c’est
pourquoi te voilà ici. Les peines du feu sont bien grandes, mais
ces reproches les augmentent encore, et c’est ainsi que la justice divine
se satisfait. Quand le temps de l’expiation dans le Purgatoire inférieur
est terminé, l’âme remonte à la région moyenne,
et le démon retourne avec les siens, où il reçoit
à son tour les railleries et les reproches des autres démons
199 :
pour avoir laissé échapper cette âme par sa négligence
et sa paresse. Désormais Lucifer ne lui confie plus d'autres âmes
à perdre ; il erre triste et misérable, cherche partout quelque
mal à commettre. " (Vita Sanctæ Franciscæ apud. Boll.,
9 mars.)
On voit par là ce que sainte Françoise pensait d'une
question très agitée dans les écoles, à savoir
si les démons ont le pouvoir de tourmenter les âmes dans le
Purgatoire et d'exercer sur elles des violences directes. La Sainte se
prononce nettement pour la négative : " Les âmes n'ont rien
à souffrir des démons que ces railleries dont j'ai parlé,
car ils n'entrent pas dans le Purgatoire. "
Cependant, un certain nombre de révélations nous montrent
les démons tourmentant les âmes souffrantes ; mais en présence
de l'affirmation si nette de sainte Françoise Romaine, j'incline
à croire qu'il faut l'entendre des railleries et autres opprobres
que les mauvais anges font subir à ces pauvres âmes, et non
des violences proprement dites, comme celles qui s'exercent sur les damnés
; et ce qui me confirme dans ce sentiment, c'est qu'il paraît équitable
qu'après avoir triomphé des ruses de ces maudits pendant
la vie, les âmes ne retombent pas sous leur cruelle domination après
la mort.
Nous avons vu ailleurs que ce ne sont pas les démons mais les
bons anges qui sont les exécuteurs de la justice divine sur les
âmes du Purgatoire. Remarquons aussi ce que dit sainte Françoise,
que la présence du mauvais ange est réservée au Purgatoire
inférieur, quand l'âme passe au Purgatoire moyen, à
plus fore raison quand elle monte au Purgatoire supérieur, le démon
la quitte et son bon ange pénètre seul auprès d'elle
pour la consoler.
Que l'ange gardien pénètre dans le Purgatoire, pour visiter
et consoler ses anciens protégés, c'est ce qu'il est
200:
impossible de révoquer en doute, tant les témoignages
sont nombreux à cet égard. C'est même en cela surtout
que consiste l'assistance que les saints anges rendent aux âmes du
Purgatoire. Incapables de mériter pour eux-mêmes, ils ne peuvent,
comme nous, satisfaire pour ces âmes souffrantes ; on ne voit pas
non plus qu'ils prient pour elles, au moins ordinairement, mais ils les
visitent, les consolent et leur servent d'intermédiaires soit avec
le ciel, soit avec la terre.
" Je suis pleine d'espérance dans mon doux Sauveur, qu'il
me délivrera bientôt, disait une âme du Purgatoire,
dont j'ai parlé plus haut ; déjà il me console par
la vue de cet éclat que j'aperçois dans ma prison, et qui
n'est autre que celui de mon bon ange gardien ; ce fidèle ami, à
ma prière, m'obtiendra des suffrages précieux, et je serai
bientôt réunie à Jésus et à Marie. "
Depuis la longue visite que fit sainte Madeleine de Pazzi au Purgatoire,
quand elle fur arrivée au cachot de ceux qui ont péché
par ignorance et par faiblesse, elle aperçut leurs anges gardiens
qui se tenaient auprès d'eux pour les consoler ; en même temps,
elle vit les démons, placés de l'autre côté,
dont l'aspect horrible et les railleries impitoyables les faisaient beaucoup
souffrir (on peut constater ici en passant l'accord parfait entre cette
révélation de sainte Madeleine de Pazzi et celles de sainte
Françoise Romaine.)
On trouve les mêmes détails dans la vie de B. Marguerite-Marie.
Dans une de ces maladies extraordinaires qu'elle eut à souffrir,
son ange lui vint dire un jour : " Allons faire une promenade dans
le Purgatoire " ce qu'ayant dit, il la conduisit dans un lieu fort spacieux,
tout rempli de brasiers et de flammes, où elle vit une grande quantité
de pauvres âmes en forme humaine, qui
Page 201
levaient les bras en haut et criaient miséricorde. Elle y vit
aussi plusieurs anges qui les consolaient et sut que c'étaient leurs
anges gardiens. (Vie de la bienheureuse)
Ces révélations sont parfaitement conformes aux données
de la théologie. D'après la plupart des docteurs, ce sont
en effet, comme je l'ai dot ailleurs, les saints anges gardiens qui introduisent
les âmes en Purgatoire, et qui les mettent en communication avec
les vivants, en nous inspirant de prier pour elles, en leur faisant connaître
ceux qui leur rendent ce charitable office. La vie de la vénérable
Agnès de Jésus, qui vivait dans la familiarité habituelle
des saints anges, est toute pleine d'apparitions, où nous voyons
ces fidèles amis des hommes intercéder en faveur de leurs
clients, leur porter au milieu des flammes le rafraîchissement après
lequel elles soupirent, les conduire au Ciel quand le temps de l'expiation
est fini, et venir annoncer aux vivants que leurs prières ont été
exaucées.
On trouve les mêmes faits dans un grand nombre de vies des saints,
en sorte que l'on ne peut douter que les saints anges ne soient les intermédiaires
naturels entre le Purgatoire et la terre.
Ce sont eux encore qui servent d'intermédiaires entre le Ciel
et le Purgatoire. Nous avons vu qu'ils offrent à Dieu les suffrages
que l'on fait en faveur des défunts, et qu'ils apportent aux âmes
souffrantes les diminutions de peine et les autres soulagements que Dieu
leur accorde. Il faut savoir aussi que chaque fois que Notre Seigneur ou
sa très sainte Mère descendent au séjour des expiations,
ils sont toujours accompagnés d'un grand nombre d'anges, dont la
présence et l'éclat réjouissent beaucoup, et consolent
ces pauvres âmes. Ce sont eux enfin qui servent de
Page 202
ministres à la divine miséricorde, pour tirer les pauvres
âmes de peine et les amener au Ciel.
Tels sont les bons offices que les saints rendent aux âmes du
Purgatoire. Que personne ne s'étonne de voir ces pures intelligences
se mettre ainsi au service des hommes. Ces âmes sont saintes ; elles
sont destinées à entrer un jour dans les chœurs angéliques
pour chanter avec eux les louanges su Seigneur ; il est donc tout naturel
qu'ils s'intéressent à elles.
Il n'y a rien là d'ailleurs qui déroge à leur
dignité. Pendant que ces âmes étaient dans une chair
mortelle, les anges ne dédaignaient pas de se faire, sur l'ordre
de Dieu, leurs gardiens, leurs compagnons, j'allais presque dire leurs
serviteurs ; pourquoi ne leur continueraient-ils pas ce ministère
de charité après leur mort, et cela jusqu'à ce qu'ils
les aient introduits dans la patrie ?
Voici pour terminer ce qui se rapporte aux saints anges, un trait bien
touchant, qui montre à quel point les anges s'intéressent
aux pauvres âmes du Purgatoire ; je l'ai tiré de Rossignoli,
qui le rapporte lui-même sur l'autorité de la vén.
Sœur Paule de Sainte-Thérèse, de l'ordre des dominicaines.
(Les Merveilles du Purg., 4e merveille.)
Dans le monastère des dominicaines du couvent de Sainte Catherine
de Naples, où la sainte résidait, c'était une pieuse
coutume de réciter chaque soir avant de se coucher, les vêpres
de l'office des morts ; ces bonnes sœurs voulaient ainsi procurer le repos
aux pauvres défunts, avant d'aller prendre le leur. Or, un soir,
il arriva que, par suite d'un travail prolongé, les sœurs fatiguées
ne purent s'acquitter de ce pieux suffrage ; mais les pauvres âmes
n'y perdirent rien, car une troupe de saints anges, descendant du ciel
dans le chœur des religieuses, se mit à réciter d'une voix
céleste, l'office accoutumé ;
Page 203
cependant la sœur Paule, qui était en oraison, entendant ces
voix mélodieuses, prête l'oreille, ouvre la porte de sa cellule
et aperçoit la troupe angélique en nombre exactement pareil
à celui des religieuses.
Les saints du Ciel ne s'intéressent pas moins que les anges
au soulagement et à la délivrance des âmes du Purgatoire.
Sous un certain rapport, je dirais même qu'ils s'y intéressent
d'avantage, parce qu'en vertu de la communion des saints, le lien qui les
unit aux âmes du Purgatoire est plus intime et plus fort. Ce ne sont
pas seulement, comme pour les saints anges, des clients, ce sont des frères
qu'ils voient souffrir au milieu des flammes ; comment resteraient-ils
indifférents à leurs tourments ?
Quelques théologiens ont prétendu que les saints ne peuvent
intercéder pour les âmes du Purgatoire ; mais un grand nombre
de révélations nous apprennent le contraire. Ces théologiens
ont confondu l'interprétation et la satisfaction. Il est certain
que les saints, ne pouvant plus mériter pour eux-mêmes, ne
peuvent pas d'avantage satisfaire pour les autres ; et par conséquent,
sous ce rapport, leur situation à l'égard des âmes
du Purgatoire est moins avantageuse que la nôtre ; mais ils peuvent
prier ; il est de foi qu'ils prient pour nous ; pourquoi leur intercession
s'arrêterait-elle aux portes du Purgatoire ? Les saints prient donc
pour les âmes souffrantes, pour ceux qui furent leurs amis sur la
terre, et de nombreux exemples nous autorisent à dire que cette
prière des saints est bien puissante auprès de Dieu, et cela
est naturel, car les saints sont les amis privilégiés de
Dieu, et leurs prières sont accompagnées de toutes les qualités
qui manquent trop souvent aux nôtres.
Je pourrais citer bien des faits du même genre, car les vies
des saints en sont pleines. Les saints patrons dont
Page 204
nous avons porté les noms, et qui nous ont protégés
pendant la vie, continuent leur assistance à leurs clients qui gémissent
dans les flammes du Purgatoire. " Non seulement, dit le Père Faber,
les liens d'affection qui les unissaient à leurs protégés
ne sont pas rompus par la mort, mais il s'y mêle un sentiment de
tendresse tout spécial, à cause des souffrances terribles
qu'endurent les êtres qui en sont l'objet, et un plus vif intérêt
à cause de la victoire qu'ils ont remportée. Les saints contemplent
dans ces âmes l'ouvrage de leurs soins, le fruit de leurs exemples,
leurs prières exaucées, le succès qui a si magnifiquement
couronné leur affectueux patronage. " (Tout pour Jésus, chap.
IX.)
Il est de même des saints fondateurs d'ordres. Voici encore ce
que dit à ce sujet le P. Faber : " Ce que j'ai dit des saints
en général, s'applique en particulier aux fondateurs d'ordres
et de congrégations. Ah ! ces saints, ces fondateurs sont les enfants
du Sacré-Cœur ; ils ont été conçus au fond
de ses replis les plus intimes ; ils ont été nourris de son
sang le plus pur ; leur charité a surpris le secret de ses palpitations.
Qui pourrait donc exprimer la sollicitude que ressentent ces pieux fondateurs
pour ceux de leurs enfants qui achèvent dans les flammes l'œuvre
de la purification ? Ces enfants, tant qu'ils ont été sur
terre, les ont honorés ; ils ont vécu dans la maison de leur
Père et de leur fondateur, sa voix retentissait sans cesse à
leurs oreilles : ses fêtes étaient des jours de bonheur et
de réjouissance spirituelle ; sa règle étaient pour
eux un second Évangile ; son habit leur était aussi cher
que les plus riches vêtements. Quoi donc d'étonnant si ce
fondateur, à son tour, chérit ses enfants, quand il les voit
retenus au milieu des
Page 205
flammes, eux la couronne de son ordre, l'honneur de sa paternité.
" (Loco citato.)
Après sa mort, saint Philippe de Néri se fit voir entouré
d'un grand nombre de religieux de son ordre qu'il avait délivré
par ses prières.
Saint François d'Assise promit aux siens de descendre au Purgatoire,
après leur mort, pour en tirer ceux d'entre eux qui auraient été
fidèles observateurs de sa règle, en particulier de la sainte
Pauvreté ? Notre seigneur lui avait donné ce pouvoir, et
un grand nombre de faits consignés dans les chroniques des frères
Mineurs, montrent qu'il en use quand il est besoin. La plupart des grandes
familles religieuses ont des traditions analogues.
Un autre privilège que nous voyons réservé à
plusieurs saints, c'est de délivrer un grand nombre d'âmes
le jour de leur entrée au Ciel, et d'arriver ainsi dans la gloire,
comme Notre Seigneur Jésus-Christ, au jour de son ascension, avec
une nombreuse escorte d'âmes rachetées.
C'est ce que nous apprenons en particulier du B. Œgidius, un des douze
premiers disciples de saint François d'Assise. Un religieux dominicain
étant mort, le même jour apparut à quelque temps de
là à un de ses frères à qui il avait promis
de faire connaître son sort. – " Eh bien ! qu’est-il advenu de vous
? " demande l’ami avec anxiété. – " Je suis bienheureux répond
le dominicain, car je suis mort le même jour qu’un saint frère
Mineur nommé Œgidius, auquel Notre Seigneur, en récompense
de ses grandes vertus, a accordé la faveur d’introduire avec lui
dans le Ciel la plupart des âmes qui se trouvaient alors en Purgatoire.
J’ai été de ce nombre, et me voici délivré
par les mérites de ce saint Père. " (Vita B Œgidii apud Bolland.)
Il faut parler maintenant de la douce influence de Marie
Page 206
dans le Purgatoire ; la Reine des anges et des saints, si compatissante
aux malheureux de toute sorte, s’est proclamée elle même la
Reine du Purgatoire. Je suis, dit-elle à sainte Brigitte, la mère
et la reine de tous ceux qui sont dans le lieu de l’expiation ; mes prières
adoucissent les châtiments qui leur sont infligés pour leurs
fautes. (Rév., liv ; IX, chap. I.)
Il s’est pourtant trouvé des théologiens, en petit nombre,
j’ai hâte de le dire, qui ont soutenu que la douce Marie ne peut
rien pour les âmes du Purgatoire, mais, comme dit le Père
Faber, je n’aime pas que l’on parle de quelque chose que Marie ne peut
pas faire ? D’ailleurs les révélations des saints font justice
de ces doctrines désolantes. Si j’entreprenais de rapporter ici
tous les faits qu’ils nous font connaître de la miséricordieuse
bonté de Marie à l’égard des âmes du Purgatoire,
ce serait matière d’un nouvel ouvrage ; comme j’ai cité plusieurs
faits où l’on voit la mère de Dieu intervenir en faveur de
ces pauvres âmes, je me contenterais de rapporter un ou deux exemples.
Nous voyons dans les révélations des saints, que le samedi,
qui est le jour spécialement consacré à la très
sainte Vierge, est jour de fête au Purgatoire ; ce jour-là,
la douce mère des miséricordes descend dans les cachots du
Purgatoire visiter et consoler ses dévots serviteurs.
En vertu du privilège de la bulle Sabbatine, tous ceux qui ont
porté le scapulaire de la B. Vierge, et rempli certaines conditions,
dont je parlerai ailleurs, sont délivrés des flammes expiatrices,
le premier samedi après leur mort. Voici ce que raconte à
ce sujet la V. sœur Paule de Sainte-Thérèse, de l’ordre des
dominicaines.
Après avoir été ravie en extase, un jour de samedi,
et transportée dans le Purgatoire, elle fut toute surprise de le
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trouver transformé comme en un paradis des délices, avec
une grande lumière au milieu, en place des ténèbres
habituelles ; comme elle se demandait la raison de ce changement, elle
aperçut Marie, entourée d’une infinité d’anges, auxquels
elle ordonnait d’aller délivrer les âmes qui lui avaient été
spécialement dévouées, et de les conduire au Ciel.
(V. Rossignoli, les Merveilles du Purgatoire, IVe merveille.)
S’il en est ainsi des simples samedis consacrées à la
très sainte Vierge, on ne peut guère douter qu’il en soit
de même, à plus forte raison, quand le cours de l’année
liturgique ramène quelqu’un des glorieux anniversaires de la mère
de Dieu. Les fêtes de Marie deviennent ainsi les fêtes du Purgatoire,
et parmi toutes ces fêtes, l’anniversaire du jour où la B.
Vierge monta au ciel en corps et en âme, est le grand jour de la
délivrance. Saint Pierre Damien nous apprend (Opusc. XXXIV, II p.,
ch. III,) que, chaque année, au jour de l’Assomption, la sainte
Vierge délivre ainsi plusieurs milliers d’âmes. Voici la vision
miraculeuse qu’il rapporte à cette occasion.
C’est un pieux usage d peuple Romain de visiter les églises,
un cierge à la main, pendant la nuit qui précède la
fête de l’Assomption de la B. Vierge Marie ; or, une année,
une dame de qualité était agenouillée dans la basilique
de l’Ara-Cœli, au Capitole ; à sa grande surprise, elle aperçut
devant elle une femme qu’elle avait beaucoup connue, et qui était
morte pendant l’année ; elle l’attendit à la porte de l’église,
désireuse d’éclaircir ce mystère et dès qu’elle
la vit sortir, elle la prit par la main, et la tirant à l’écart
: " N’êtes-vous pas, lui dit-elle, ma marraine Mazorie qui m’a tenue
sur les fonds du baptême ? "
- " Oui, répond aussitôt l’apparition, c’est moi-même.
"
- " Eh ! comment vous retrouvé-je au milieu des
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- vivants, puisque vous êtes morte depuis près d’un an
? qu’êtes-vous donc devenue dans l’autre vie ? " - " Jusqu’à
ce jour, je suis restée plongée dans un feu épouvantable,
à cause des nombreux péchés de vanité que j’ai
commis dans ma jeunesse ; mais dans cette grande solennité, la Reine
du Cie est descendue au milieu des flammes du Purgatoire, et m’a délivrée
ainsi qu’un grand nombre d’autres âmes, afin que nous entrions au
Ciel le jour de son Assomption ; c’est ce qu’elle fait chaque année,
et dans cette circonstance le nombre de ceux qu’elle a délivrés
est aussi considérable que celui du peuple de Rome. A cause de cela
nous nous transportons cette nuit dans les sanctuaires dédiés
à Marie. Vous ne voyez que moi, mais nous sommes une grande multitude.
"
En voyant que cette dame restait stupéfaite et semblait douter
encore, l’apparition ajouta :
" En preuve de la vérité de ce que je vous dis : sachez
que vous-même vous mourrez dans un an, à la fête de
l’Assomption ; si vous passez ce terme, tenez tout cela d’une illusion.
"
Saint Pierre Damien rapporte que cette dame passa cette année
en bonnes œuvres pour se préparer au redoutable passage. L’année
suivante, l’avant-veille de la fête, elle tomba malade et mourut
le jour même de l’Assomption, comme il lui avait été
prédit.
Une foule d’écrivains, Gerson, Théophile Reynaud, Rossignoli,
saint Alphonse de Liguori, le P. Faber, confirment cette pieuse croyance,
qui est appuyée sur un nombre très considérable de
révélations particulières, c’est pourquoi, à
Rome, l’église de Sainte-Marie in Montori, qui est le centre de
l’archiconfrérie des suffrages en faveur des âmes du Purgatoire,
est place sous le vocable de l’Assomption.
C’est ainsi que l’Eglise du Ciel, ayant sa reine à sa tête,
Page 209
se penche avec amour vers l’Eglise du Purgatoire, pour la secourir,
la consoler, et l’aider à entrer le plus tôt en possession
de la gloire. Touchante fraternité des âmes, qu’on ne trouve
que dans l’Eglise catholique ! Là seulement la mort perd ses droits
; ceux qu’elle sépare pour un temps ne cessent de s’aimer, et de
faire partie d’une même famille, où ceux qui restent sur la
terre, et ceux qui expient dans le Purgatoire, et ceux qui sont déjà
couronnés dans le Ciel, sa regardant comme les enfants d’un même
père, n’aspirent qu’au grand jour qui les verra tous réunis
au foyer domestique, à la table du Père commun.
Oh ! qu’il fera bon, et quand donc viendra ce bienheureux jour !
Chapitre 12 Rapport des âmes
du purgatoire avec l'Église militante :
des apparitions des morts p.210 - 229
Des apparitions des morts. La question des revenants dans l'histoire et devant la foi. -Du mode de ces apparitions. - Des illusions diaboliques. - De l’évocation des morts. - Du Spiritisme. -Règles pour discerner 1es vrais apparitions des fausses.
210:
Redescendons sur la terre : il s'agit d'étudier maintenant les
rapports des âmes du Purgatoire avec l’Église militante, et
la première question qui se présente, c'est de savoir si
les âmes du Purgatoire peuvent se mettre directement en rapport avec
nous, et nous apparaître ; au fond c'est la vieille question des
revenants qui se pose ici; et cette question semble bien définitivement
tranchée par la négation ; un éclat de rire universel
ne manquerait pas d'accueillir celui qui voudrait la traiter scientifiquement,
tant la génération actuelle est habituée il considérer
tout cela comme des contes de bonne femme, dont ne s'effrayent plus même
les enfants ; et cependant tous les faits que j'ai cités, sont là
qui déposent en sens contraire, et il est dur de répondre
ainsi par une fin de- non- recevoir absolue à l'histoire
tout entière ; car il ne faut pas se le dissimuler, tous les
peuples et tous les siècles ont cru à ces communications
d'outre-tombe; les anciens païens avaient leurs apparitions, tout
comme le moyen âge catholique; il Y a plus: le culte païen tout
entier repose sur ces manifestations extraordinaires; et nous voyons, par
les anathèmes de la Bible, et par les histoires
211:
anciennes que l'évocation des morts, le culte des mânes
fut le grand péché de l'antiquité."
Laissons de côté les Assyriens, les Égyptiens et les Grecs, malgré les témoignages que nous fournissent les ruines de Ninive et de Memphis ; voyons ce qui se passait chaque année, chez les Romains : on sait que les Lémuries ou fêtes expiatrices en l’honneur des morts y étaient célébrées religieusement chaque année. Au jour marqué, le Souverain Pontife de Jupiter se rendait processionnellement auprès du gouffre Manal, situé au milieu du champ de Mars ; à ce cri sinistre Mundus patet, les morts sortaient en foule du sein de la terre ; leurs parents, leurs amis a1laient au-devant d'eux, on les conduisait dans les maisons, où un festin était préparé en leur honneur ; la fête finie, on 1es reconduisait à leur sombre séjour. Or ces rites 1ugubres existent chez tous les peuples non chrétiens ; au seizième siècle, saint François Xavier les retrouve, identiquement les mêmes, chez les Japonais, et de nos jours, dans ce grand empire Chinois, qui couvre un quart du globe, nos missionnaires nous apprennent que les choses se passent encore de même, et que l'évocation des morts, le culte des ancêtres forme à peu près toute la religion de ce peuple extraordinaire. D'où peut venir une pareille unanimité ?
Il n'y a rien là qui attire; au contraire, ces communications
avec le monde invisible impriment naturellement la terreur; comment les
retrouve-t-on partout ? Qui a fait connaître ces mêmes rites
aux anciens Mexicains et à tous les peuples de I’Amérique,
chez qui les Espagnols les trouvèrent établis lorsqu'ils
débarquèrent sur leurs plages ? Qui les a révélés
aux Vaudoux et ces peuplades abruties du centre de l’Afrique, qui n'ont
jamais eu de relations avec les peuples civilisés de l'antiquité,
ou du
212:
monde moderne. A qui fera-t-on croire que ces milliers d'hommes, vivant
sous toutes les latitudes, à des, époques si éloignées
les unes des autres, ont cru voir, entendre ce qui n'a jamais eu de réalité
que dans leur imagination ? Faisons la part de l'illusion et de la superstition
dans ces manifestations étranges. De cette universalité de
croyance aux apparitions des morts, je crois être en droit de conclure
qu'une réalité sérieuse se cache sous ces phénomènes.
L'Église ne s'y est pas trompée; également éloignée de la superstition qui croit tout, et du scepticisme qui rejette, sans examen les faits les mieux prouvés, elle admet en principe l'existence de ces manifestations, et quand un fait particulier se présente, elle examine la part qu'il faut faire à la supercherie ou à l’illusion démoniaque; si rien de tout cela n'est à craindre, elle admet la réalité de l'apparition, et il le faut bien, car autrement nous devrions déchirer toutes nos vies de saints, puisque à chaque page ces phénomènes s'y reproduisent ; tantôt ce sont des âmes souffrantes qui viennent solliciter nos prières; plus rarement, ce sont des réprouvés, qui sortent un instant de l'abîme, pour raconter leurs souffrances.
En dehors de ces récits, empruntés aux annales de l’Église,
il y a la tradition de tous les peuples qui parle de maisons hantées,
de bruits étranger, d'apparitions effrayantes. Si je n'entre pas
dans l'étude de ces faits, ce n'est pas que je les rejette en bloc,
comme nos beaux esprits modernes, je tiens au. contraire, qu'au milieu
de beaucoup de superstitions et d'erreurs, il y a un fond de vérité
à la plupart de ces récits; à moins de renverser les
lois du témoignage humain, il faut bien avouer que sur tant de faits
de ce genre, que l'on raconte, il y en a qui sont parfaitement prouvés;
la seule raison qui me force de les
213:
passer sous silence, c'est la loi que je me suis imposée, en
commençant ce travail, de ne citer que des révélations
appartenant à la vie des saints, afin d’écarter tout péril
d'illusion. Pour ceux qui voudraient étudier ces faits plus en détail,
je les renverrai à M. de Mirville, dans son livre des esprits et
de leurs manifestations, ou à la mystique de Goerres. En me renfermant
dans mon programme, je veux raconter ce qui arriva au grand docteur du
moyen âge, saint Thomas d'Aquin; il serait dur de rejeter ce grand
esprit parmi les gens crédules, qui se laissent prendre à
des contes de bonnes femmes. Voici ce qu'on trouve dans sa vie (V. Rolland,
7 mars,)
Lorsque saint Thomas était lecteur en théologie à
l'Université de Paris, il vit un jour paraître devant lui
l'âme de sa sœur, qui venait de mourir au couvent de Capoue, dont
elle était abbesse; elle souffrait cruellement pour divers manquements
à la vie religieuse et se recommandait à ses prières;
le saint le lui promit, et tint parole; à quelque temps de là,
ayant été envoyé à Rome par ses supérieurs,
il vit cette chère âme lui apparaître de nouveau, mais
cette fois, dans l'extérieur de la gloire; elle venait le remercier
de ses suffrages qui avaient hâté sa délivrance. Familiarisé
depuis longtemps avec les choses surnaturelles, le saint ne craignit pas
d'entrer en conversation avec l'apparition et de lui demander ce qu'étaient
devenus deux de ses frères morts auparavant : " Arnould est au Ciel,
répondit l'âme, et il jouit d'un haut degré de gloire,
pour avoir défendu l'Église et le Souverain Pontife contre
les impies agressions de l'empereur Frédéric; quand à
Ludolphe, il est encore dans le Purgatoire où il souffre beaucoup,
parce que personne ne pense à prier pour lui; pour vous, cher frère,
une place magnifique vous attend
214:
dans le Paradis, en récompense de tout ce que vous avez fait
pour l'Église : hâtez.vous donc de mettre la dernière
main aux divers travaux que vous avez entrepris, car certainement vous
viendrez bientôt nous rejoindre. " L'histoire rapporte qu'en effet
le grand docteur mourut peu de temps après.
Un autre jour, le même saint était en prières dans l'église de Saint-Dominique à Naples; il vit venir au devant de lui frère Romain, qui lui avait succédé à Paris dans la charge de lecteur en théologie. Le saint crut d'abord qu'il venait d'arriver de Paris, car il ignorait sa mort, il se leva donc pour s'informer de sa santé et des motifs de son voyage.- " Je ne suis plus sur la terre, lui dit le bon religieux en souriant, j'ai passé quinze jours seulement en Purgatoire; par la miséricorde de notre Dieu, je suis déjà en possession de ma couronne, et je, viens par ses ordres vous encourager dans vos travaux.) -" Suis-je en état de grâce" demanda aussitôt Thomas. -Oui, mon! frère, et je dois vous dire que vos œuvres sont très agréables à Dieu ! " Alors le théologien, rassuré sur son propre état, voulut profiter de l'occasion pour sonder quelques mystères de la science sacrée en particulier le mystère de la vision béatifique, mais il lui fut répondu par ce verset du psalmiste Sicut audiv imus sic vidimus in civitate Dei nostri, et l'apparition disparut.
Voici encore un fait très intéressant qui arriva à saint Gothard, évêque d'Hidesheim, en Hanovre. (Vide apud Bolland, vita sancti Gothard, die 4 maii.)
C'était à une des plus tristes périodes du moyen
âge. Sous la main de fer des empereurs, défenseurs officiels
de la sainte Église, en réalité, ses oppresseurs,
le brigandage et la révolte contre l'autorité épiscopale
avaient fait des progrès effrayants dans cette partie de l'Allemagne.Plus
215 :
d'immunités ecclésiastiques, plus de sécurité
pour les clercs et les religieux; on pillait les terres de l’Église
et on se moquait de ses censures. Le saint évêque s'était
vu forcé de recourir à l'excommunication contre ces orgueilleux,
mais ils n'en tinrent pas compte, et le lendemain au moment où l'évêque
prenait les ornements sacrés, ils entrèrent dans l'église
pour braver sa sentence. Le saint se tourna vers eux, et, avec la double
majesté du caractère sacré et de sa vertu bien connue
: " J'ordonne, dit-il, au nom du Saint-Esprit, en vertu de l'obéissance
chrétienne, à tous ceux qui sont excommuniés de sortir
du lieu saint. " Les impies se regardent en ricanant, bien décidés
à ne pas bouger. Mais, ô stupeur, voilà qu'en présence
de tout le peuple, les dalles se soulèvent, et un certain nombre
de morts ensevelis sous le pavé du temple sortent de leur tombe,
et se dirigent vers la porte de l'église. Dans cet âge de
fer, l'excommunication était la seule arme qui restât à
l'Église pour faire un peu respecter ses lois, on en usait donc
assez largement, et ces malheureux, atteints par les censures pour des
fautes secrètes probablement, avaient été enterrés
dans le lieu saint parce qu'on ignorait leur état. A cette vue,
le peuple se mit à jeter de grands cris, et les pécheurs
publics s'enfuirent épouvantés de la leçon.
La messe finie, l'évêque accompagné du clergé
se rendit à la porte de l'église, où les morts l'attendaient
prosternés humblement, comme pour implorer leur pardon. L'évêque
les interrogea, et ils répondirent que, malgré les censures
dont ils étaient liés, ils avaient été sauvés
à la mort, grâce à leur contrition; ils demandaient
la levée de l'excommunication pour pouvoir participer aux suffrages
des fidèles, et reposer en paix dans, la terre bénite; alors
l'évêque, après les avoir loués du bon exemple
qu'ils venaient de
216 :
donner, leur donna l'absolution des censures, et aussitôt. Ils
se relevèrent, rentrèrent dans l'église, et sans ajouter,
un seul mot, se recouchèrent dans la tombe qui se referma sur eux.
Dans ce cas, on voit les apparitions se rendre visibles à tout un peuple; ce qui exclut la possibilité d'une hallucination.
Voici encore un exemple de ces apparitions collectives il est plus récent,
puisqu'on le trouve dans la vie du V. Punir, ami particulier de saint Charles
Borromée, archiprêtre d'Aroua, au diocèse de Milan.
Pendant que la fameuse peste, qui fit tant de victimes au diocèse
de Milan, ce saint archiprêtre, non content de se multiplier pour
administrer les secours de son ministère aux malheureux atteints
de la contagion, n'avait pas craint de se faire fossoyeur, pour ensevelir
dans la terre sainte les cadavres des défunts, la peur ayant paralysée
tous les courages, et personne n'osant se charger de cette terrible besogne;
or, à quelque temps de là, comme il passait le long du cimetière,
à l'issue des vêpres, il s'arrêta tout à coup
frappé d'une vision extraordinaire; craignant d'être le jouet
d'une hallucination, il se tourna vers don Sanchez, alors gouverneur d'Arona
qui l'accompagnait, et lui demanda: -" Voyez.:vous, Monsieur, le même
spectacle qui se
présente à mes regards ? – " Oui reprit le Gouverneur,
qui venait lui aussi de s'arrêter dans la même contemplation,
je vois une procession de morts qui s'avancent vers l'église; et
je vous avoue qu'avant que vous m'en eussiez parlé, j'avais peine
à en croire mes yeux." - " Ce sont probablement, reprit l'archiprêtre,
les récentes victimes de la peste qui nous font connaître
ainsi qu'elles ont besoin de nos prières.' Aussi- tôt il fit
sonner les cloches et convoquer les paroissiens
217:
pour le lendemain à un service solennel en faveur des défunts,
(Vie du V. Punzoni, chap. VII.) On voit ici. deux personnages que l'élévation
de leur prit met en garde contre tout péril d'illusion, et qui,
frappés tous deux, en même temps, de la même vision,
ne se décident à y ajouter foi qu'après avoir constaté
que leu yeux sont frappés d'un même phénomène.
Il n'y a pas là la plus petite place à l'hallucination, à
moins qu'on suppose que deux hommes sérieux, sans aucun accord préalable,
sans aucune cause extérieure, sont frappés au même
instant d'un même trouble d'esprit qui leur fait voir les mêmes
objets. Qu'on interroge les médecins sérieux, ils diront
que l'hallucination n'agit pas ainsi, et qu’'il n'y a rien de plus mobile,
de plus capricieux et de plus personnel que les
tableaux qu'elle enfante.
D'autres fois, ces apparitions laissent un témoignage sensible de leur présence, ce qui ne peut faire douter de leur réalité objective : voici ce qui arriva à sainte Brigitte à sa fille, sainte Catherine, pendant le séjour qu'elles eurent à Rome.
Catherine était un jour en prière dans l'antique basilique
du prince des apôtres. Elle vit venir à elle une femme revêtue
d'une robe blanche et d'un manteau noir, qui lui demanda de prier pour
une de ses compatriotes défuntes, qui avait besoin qu'on s'intéressât
à elle. – " Son nom ", demanda la sainte.- "C'est la princesse Gida,
de Suède; femme de votre frère Charles." Catherine pria alors
l'étrangère de l'accompagner chez sa mère Brigitte,
pour lui annoncer cette triste nouvelle. " Je suis chargée : d'un
message pour vous seule, et il ne m'est pas permis de faire d'autres visites,
car je dois repartir de suite. Du reste vous n'avez pas à douter
de la vérité du fait; dans quelques jours arrivera ici un
autre envoyé de Suède vous
218:
apportant la couronne d'or de la princesse Gida ; elle vous l'a léguée
par testament, pour s'assurer "le secours de vos prières, mais accordez-les-lui
dès maintenant, car elle en a un pressant besoin"; en disant ces
mots, elle s'éloigna et disparut. Catherine, de plus en plus surprise,
courut après elle, mais elle ne vit, personne; elle interrogea ceux
qui priaient dans l'église; aucun n'avait vu l'étrangère.
De retour à la maison, elle raconta à sa mère, sainte
Brigitte, ce qui lui était arrivé; celle-ci lui en souriant
: "C'est votre belle.sœur Gida qui vous est apparue elle-même.
Notre Seigneur a daigné me le faire Notre Seigneur en révélation
; la chère défunte est morte dans des sentiments de piété
consolants, c'est ce qui lui a valu de venir auprès de vous, implorer
des prières, mais comme elle a à expier les nombreuses fautes
de sa jeunesse, il faut que toutes" deux nous fassions notre possible pour
la soulager, la couronne d'or qu'elle vous envoie de si loin, vous en fait
une obligation plus pressante. " Quelques semaines après, un officier"
de la cour du prince Charles arriva à Rome, apportant la fameuse
couronne, et ce qu'il croyait bien être la première nouvelle
du trépas de Gida. Mais dès ce temps-là, le bon Dieu
avait son système télégraphique fonctionnant à
l'usage de ses saints. La couronne, qui était fort belle, fut vendue,
et le prix appliqué en bonnes œuvres pour le soulagement de l'âme
de la princesse. (Vid. apud /Jolland., vita sanctœ Cath, 24 mars.)
Il faut maintenant étudier en théologien le mode de ces
apparitions; il y a là plusieurs questions intéressantes,
sur lesquelles les docteurs sont divisés. Comment les défunts
nous apparaissent-ils ? est-ce dans
219 :
leur propre corps ou revêtent-ils pour cela un corps d’emprunt
? On peut ramener les différentes opinions des docteurs à
ce sujet à cinq principales. Quelques-uns pensent que les défunts
apparaissent dans leur propre chair, à qui Dieu permet de reprendre
pour un moment sa forme vivante. Dans cette opinion, qui se présente
la première à l'esprit, les apparitions seraient de véritables
résurrections momentanées.
Un plus grand nombre tient que, lorsque Dieu permet à un défunt d'apparaître, celui-ci revêt un corps d'emprunt pris dans la substance de l'air. Cette opinion, qui parait d'abord assez étrange, se trouve confirmée par une apparition dont j'ai parlé assez longuement au chapitre septième. Comme la personne favorisée de l'apparition s'étonnait du peu de ressemblance qu'elle lui trouvait avec la défunte : "Sachez, lui fut-il répondu, que ce que vous voyez ici n'est pas mon corps qui gît dans le sépulcre, et qui y restera jusqu'au jour de la résurrection générale,- mais un autre, formé miraculeusement de la substance de l'air pour pouvoir vous parler et obtenir vos suffrages. Plusieurs théologiens et médecins ont pensé qu'entre le corps et l'âme, il y a une substance intermédiaire, qui participe de l'un et de l'autre, et qu'elle est le lien qui les unit l'un à l'autre. D'après ces théologiens, ce serait ce principe vital, appelé encore périsprit, qui se manifesterait dans les apparitions.
D'autres pensent que ces apparitions n'ont aucune réalité
objective, mais qu'elles se font par une impression purement subjective
produite sur le sens de la personne qui croit voir, entendre, toucher ce
qui n’à aucune réalité à l'extérieur.
Ceci revient à dire que les apparitions sont
220 :
de simples visions intellectuelles, ce que les médecins appellent
des hallucinations. Enfin un grand nombre de théologiens, surtout
les scolastiques, enseignent que les apparitions des âmes se font
sans la participation des défunts, souvent même à leur
insu, par le ministère des bons ou des mauvais anges, agissant ainsi,
bien qu'avec des vues différentes, par la permission de Dieu. Avant
de dire ce qui me parait plus probable dans ces différentes opinions,
je veux citer au long le cardinal Bona, qui est un maître en ces
matières si difficiles. (Bona. Trait. du discernement des esprits;
ch. XVIII.)
Voici d'abord ce qu'il pense de la réalité des apparitions.
Il nous reste à parler des apparitions des âmes, soit des
bienheureux qui règnent avec Dieu, soit des damnés, soit
de ceux qui sont détenus dans le Purgatoire, dont on a tant de témoignages
dans l'Écriture et tant d'histoires rapportées par de saints
et très graves auteurs, et même par des païens, lesquelles
sont entre les mains de tout le monde, en sorte qu'on a sujet de s'étonner
qu'il se soit trouvé des hommes de bon sens qui aient osé
les nier ,tout à fait, ou les attribuer à une imagination
trompée. Il est certain qu'il y a des hommes qu'on ne saurait, excuser
d'erreur et de témérité de ce qu'ils se moquent de
toutes sortes d'apparitions comme d'autant de tromperies, d'illusions et
de rêveries.
Il est vrai qu'il y a des, personnes qui croient trop facilement toutes
les apparitions qu'on raconte, en les embrassant toutes sans discernement;
il faut tenir pour assuré que, comme il y en a de très véritables,
par lesquelles les hommes sont instruits pour leur salut et ont portés
à la vertu, il y en a aussi de fausses par lesquelles
221 :
Dieu permet que quelques personnes soient trompées. Il faut
donc éviter l'une et l'autre extrémité~J (Loco cita-
to, chap. XIX,)
Quelles sont les personnes qui nous apparaissent ainsi ? Quelques-uns pensent, dit le docte et pieux cardinal, que les justes peuvent sortir pour un temps du lieu où ils sont, mais que les damnés ne le peuvent jamais. D'autres estiment, avec saint Thomas, que les damnés le peuvent pour corriger les vivants, et pour leur donner de la terreur, mais nous ne lisons nulle part que les âmes des enfants, qui sont morts avec le péché originel aient apparu, car ils ne peuvent recevoir de nous aucun secours, et il ne semble pas qu'il y ait aucune utilité dans leurs apparitions. Et dans un autre endroit : Les âmes des hommes qui sont hors de cette vie, lesquelles jouissent de l'éternelle félicité, ou sont tourmentées pour l'éternité dans les flammes de l'Enfer, ou sont purifiées de leurs péchés dans le Purgatoire, peuvent nous apparaître. D (Loco citato, même chap.) Le savant Cardinal, si affirmatif sur la réalité des apparitions, l'est beaucoup moins, comme on va le voir, sur le mode de ces mêmes apparitions. De savoir si les âmes apparaissent en leur propre corps ou en des corps feints et empruntés, et en cas que ce soit dans des corps empruntés, savoir si elles peuvent leur donner, par la puissance naturelle, la forme en laquelle on les voit, ou si elles ont besoin du secours des anges pour former ce corps, ou si elles apparaissent par elles-mêmes, ou si ce sont des anges qui les représentent; ce sont des questions qu'on agite problématiquement dans les écoles. D (Loco citato.)
Saint Augustin, cité à cet endroit par le cardinal Bona,
incline manifestement vers l'opinion
qui attribue les appa-
222 :
ritions des âmes aux anges. Après avoir parlé de
quelques apparitions de morts aux vivants, et même de vivants à
d'autres vivants, après avoir raconté que lui-même,
Augustin, étant à Milan, apparut ainsi, sans le savoir, à
Eulogius de Carthage, pour lui expliquer un passage difficile du traité
de la rhétorique de Cicéron, le grand docteur de l'Église
latine, conclut en ces termes: " Pourquoi ne croirions-nous pas que
ces choses sont des opérations des anges, lesquelles arrivent par
la dispensation de la providence de Dieu ? puis, avec son humilité
ordinaire le saint docteur déclare que pour lui il ignore comment.
les choses se passent. " Cela, dit-il est trop haut pour que je puisse
y atteindre." (Saint Augustin, de cura pro mortuis. )
Sur quoi le pieux cardinal conclut avec la même humilité et simplicité : " Si saint Augustin a ignoré ces choses, qui suis-je pour me promettre d'en avoir la connaissance ? " (Loco citato.)
Après cela, il pourra paraître bien impertinent et bien
présomptueux d'avoir une opinion, quand ces grands et saints personnages
refusent de prononcer; mais comme, une question étant posée,
il est impossible d'empêcher l'esprit de l'homme de se porter d'un
côté ou de l'autre, je dirai simplement ce qui me parait le
plus probable à ce sujet. Je crois, en étudiant les nombreuses
révélations faites à de saints personnages, et que
j'ai sous les yeux. qu'il y a du vrai dans chacune des cinq opinions exposées
plus haut, en sorte que le seul tort des opinions exposées serait
d'être exclusives, et de vouloir limiter la toute-puissance de Dieu
entre les bornes toujours étroites de nos propres conceptions. !
Ainsi, pour la première opinion, qui tient que les morts
223 :
apparaissent dans leur chair momentanément ressuscités,
cela est évident dans certains cas : par exemple dans le cas de
l'apparition de Pierre Milès à saint Stanislas de Cracovie,
d’ont j'ai parlé au chapitre huitième, ou encore dans le
cas, des excommuniés d'Hildesheim, dont j'ai fait mention précédemment.
Là, pas de doute; les morts sortent véritablement de leur
tombe; on voit leur corps décharné se ranimer, reprendre
sa forme, et l'apparition finie, se recoucher dans son sépulcre.
Il s'agit bien d'une apparition du défunt dans sa propre chair;
mais comme ces cas sont fort rares, et qu'il ne faut pas inutilement multiplier
1es miracles, je crois, qu'à moins d'indications spéciales,
il ne faut pas recourir à l'hypothèse d'une résurrection
momentanée pour expliquer les apparitions des défunts.
La seconde opinion, qui enseigne que les défunts apparaissent
dans un corps d'emprunt formé de la substance de l'air; me parait
la plus vraie en pratique, en ce sens que la très
grande majorité des apparitions se font, je le crois du moins,
de cette manière.
La troisième opinion, qui les fait apparaître à
l'aide d'une substance intermédiaire entre le corps et l'âme,
me sourirait encore plus, si l'existence de ce périsprit ou principe
vital était parfaitement
démontrée; mais comme nous sommes en présence
d'une hypothèse assez nouvelle, et que la science n'a pu encore
constater, je m'abstiens de prononcer.
La quatrième opinion, qui réduit toutes les apparitions
à simples visions intellectuelles, me parait fausse, en ce sens
surtout qu'elle est exclusive. Tous les théologiens distinguent
les visions et apparitions en trois classes : les corporelles, les imaginaires
et les intellectuelles. Il est certain que les morts peuvent se manifester
des deux der-
224 :
nières manières, ce qui revient à la quatrième
opinion, mais est-il démontré qu'ils ne peuvent apparaître
corporellement ? surtout, quand l'apparition se fait voir à plusieurs
personnes à la fois, quand elle laisse un témoignage extérieur
de sa présence. Il faut bien avouer alors que l'apparition ne s'adresse
pas seulement à l'intelligence, mais aux sens, par l'intermédiaire
d'un corps.
La cinquième opinion qui fait apparaître les défunts
par l'intermédiaire des anges, a pour elle le grand nom de saint
Augustin, qui pourtant, on l'a vu, a évité de se prononcer,
et la grande majorité des théologiens scolastiques. J'avoue
néanmoins que j'éprouve la plus grande répugnance
à admettre que ce soit le mode ordinaire par lequel les âmes
se mettent en rapport avec nous.
Il y a là une espèce de mensonge en action qui me répugne.
Pourquoi apparaître sous des noms et sous des formes d'emprunt pour
solliciter nos prières, nous décrire, comme les éprouvant
eux-mêmes, les peines qu'endurent leurs clients. Ne serait-il pas
beaucoup plus simple de faire apparaître les intéressés
eux-mêmes, puisque, dans ce cas comme dans l'autre, le miracle est
le même.
Je ne veux pas dire que jamais les anges n'ont apparu sous le nom des défunts, mais je crois que ces illusions doivent être réservées à la malice des mauvais anges. Il n'est que trop bien constaté, en effet, que souvent les démons apparaissent sous la forme d'une âme, du Purgatoire, afin de tromper les hommes.
Voici ce que dit encore à ce sujet le cardinal Bona :
" Entre une infinité de tromperies par lesquelles cet artificieux
ennemi s'efforce de surprendre ceux qui ne sont pas sur leurs gardes, il
ne faut pas oublier celle par laquelle il appara1t quelquefois sous la
forme d'une per-
225 :
sonne qui n'est plus au monde, et qui est morte dans le Il péché.
Ils font demander pour cette personne des aumônes, des prières,
des jeûnes, des pèlerinages, des messes et d'autres bonnes
œuvres, comme si elle était dans un état de salut, afin que
ceux qui sont dans le péché s’y, conforment encore davantage,
étant trompés par la vaine espérance que leur donnent
ces illusions. Mais, ajoute le savant cardinal, il est facile de se garantir
de ces illusions, car les prières que demandent ces fausses apparitions
sont ordinairement déterminées à un certain nombre,
et jointes à de certaines observances vaines, ambiguës et superstitieuses;
le tout est accompagné de menace et de terreur, ce qui fait suffisamment
reconnaître l'esprit d'ou cela vient. " (Loco citato.)
C'est donc avec raison, que les saintes Écritures et les lois
de l'Église prohibent sévèrement l'évocation
des morts; d'abord, parce qu'il n'est pas permis de les troubler sans raison
de leur
repos, et ensuite, parce qu’en provoquant ainsi leur apparition, on
s'expose à tomber dans les pièges du démon. En effet,
les morts sont entrés dans l'éternel repos; ni les saints
du Ciel, ni les âmes du Purgatoire, ni les réprouvés'
ne peuvent, sans la permission de Dieu, répondre à notre
appel, et se mettre en communication avec nous.
Or, il n'est pas probable que Dieu suspende les lois générales
de sa Providence, pour satisfaire nos caprices; mais le démon est
toujours là, pour exploiter cette curiosité malsaine, qui
nous pousse à soulever le voile derrière lequel se cachent
les réalités de l'avenir. 11 ne doit donc être permis
qu'aux saints, éclairés d'une inspiration spéciale,
de se mettre en communication avec les défunts et
de solliciter ainsi un miracle; quant aux pauvres pécheurs comme
nous, ce serait ten-
226:
-ter Dieu et s'exposer infailliblement à être trompés.
On voit par là ce qu'il faut penser du spiritisme, qui repose tout
entier sur l'évocation des morts. Un homme, sans aucune délégation
divine,
se proclame medium, c'est- dire intermédiaire entre ce monde
et l'autre. A sa voix, on entend répondre les plus grands noms de
l'histoire et de l'Église, Socrate, Platon, saint Paul, saint Augustin,
saint Thomas d'Aquin, saint Louis, Luther. Calvin, Voltaire, Lamennais
et le Père Lacordaire défilent pêle-mêle et viennent
déposer contre les convictions de leur vie tout entière.
Les malheureux n'ont pas reculé devant le nom du Sauveur Jésus.
Le divin Rédempteur est venu à leurs voix déposer
contre l'Évangile, et annoncer au monde que sa loi sainte allait
recevoir son complément sous la direction de ces nouveaux apôtres.
L'ensemble de ces réponses à travers bien des incohérences
et des contradictions, trahit une pensée commune, c'est que l'Église
du Christ a fait son temps, et que l'Église spirite va prendre sa
place désormais dans la direction des âmes; plus d'enfer,
mais un progrès continu vers le bien, à travers des milliers
de réincarnations successives; plus de célibat ecclésiastique,
plus de confessions, plus de jeûnes, de mortifications, une morale
facile, la morale de l'honnête comme, dépourvue de sanction;
voilà des traits à quoi l'on peut reconnaître l'inspiration
commune qui dicte ces différentes réponses, et qui n'est
autre que celle du père du mensonge, juste châtiment de ceux
qui, par une curiosité présomptueuse, et sans aucune des
préparations nécessaires, ont voulu se mettre en communication
directe avec les habitants de l'autre monde.
Il faut donc nous éloigner avec horreur de ces pratiques démoniaques,
que l'on est surpris de voir renaître dans notre siècle matérialiste
et incrédule. Dans les premiers
227 :
temps de l'Église, aux jours de sa primitive ferveur, plus tard,
au moyen âge, à cette époque de foi vive, où
les âmes étaient toutes préparées à ces
communications surnaturelles, on a pu se montrer plus large, Nous voyons
les saints, les grands thaumaturges de ces époques, en communication
fréquente avec l'autre monde, et quand ces communications se font
attendre, ils ne craignent pas de les provoquer. Dans le silence du cloître,
deux âmes qui s'étaient aimées, faisaient souvent le
pacte que le premier qui mourrait apparaîtrait à son ami resté
sur la terre, pour lui apprendre son sort en l'autre monde; j’ai cité
plusieurs de ces faits touchants, et nous avons vu que Dieu se plaisait
à ratifier ces promesses de l'amitié chrétienne; mais
ces appels à la tombe, ces communications surnaturelles, désirées
et provoquées, supposent un état qui n'existe plus, une pureté,
une vivacité de foi que nos tristes jours ne connaissent guère.
Déjà au dix-septième siècle, le cardinal
Bona blâmait sévèrement ces sortes de conventions,
et les raisons de s'en abstenir sont plus fortes encore à notre
époque.
Néanmoins, comme le bras de Dieu n'est pas raccourci, et qu'il peut toujours permettre ces manifestations surnaturelles, ainsi que le prouvent des faits récents et incontestables; comme d'autre part, vu l'imperfection de notre foi et notre peu d’habitude du surnaturel, le danger des illusions diaboliques devient plus grand que jamais, il ne sera pas inutile d'indiquer, en terminant ce chapitre, à quelles règles on peut distinguer les apparitions d'avec les illusions diaboliques.
Première règle, - Toute apparition désirée ou provoquée est suspecte,
Deuxième règle, - Si le défunt apparaît sous
une forme noire, difforme, mutilée, c'est une preuve que c'est un
228 :
mauvais esprit, à plus forte raison s'il apparaît sous
la forme d'un animal, excepté pourtant la colombe et l'agneau, dont
le démon ne prend jamais la figure.
Troisième règle. - Si l'apparition fait voir un visage morne, courroucé, si elle s'exprime d'une, voix tremblante, enrouée, confuse, croyez certainement que vous avez affaire au démon.
Quatrième règle. - Si l'apparition agit d'une manière désordonnée, si elle révèle des choses cachées qu'il serait expédient de taire, si elle enseigne quoi que ce soit contre la foi catholique, si elle blasphème, si elle a horreur des choses saintes, l'eau bénite, le crucifix, etc., il est prouvé qu'on a affaire au démon ou à un réprouvé.
Cinquième règle. - Les exhortations à la vertu, les bons conseils, les corrections faites aux pécheurs ne sont pas toujours la marque d'un bon esprit; le démon ayant coutume de persuader un moindre bien, pour en empêcher un plus grand.
Sixième règle. - Les âmes du Purgatoire apparaissent ordinairement pour solliciter nos prières ou recommander quelques restitutions; cela fait, elles ne reviennent plus, si ce n'est pour remercier, si donc l'apparition continue et devient importune et menaçante, c'est la marque d'un mauvais esprit.
Septième règle. - N'acceptez qu'avec défiance, les services d'une âme du Purgatoire, qui vient se mettre à votre disposition, et habiter dans votre maison pour un certain temps.
Huitième règle. - Tous les théologiens mystiques
enseignent que les bonnes apparitions jettent d'abord dans un certain trouble,
qui fait place à la joie et à l'onction divine, laquelle,
se répandant dans l'âme, augmente, son humilité, sa
charité et excite en elle le désir de la perfec-
229:
-tion ; c'est le contraire dans les apparitions diaboliques, elles
commencent par un sentiment de joie, de vaine complaisance; pour amener
bientôt l'inquiétude, la tristesse, la vaine gloire; l'âme,
après ces sortes de communications, se retrouve sans onction, comme
une terre desséchée et frappée de la foudre; ou si
elle conçoit quelque projet, ce n'est que présomption, esprit
de désobéissance et d'orgueil, et le tout aboutit à
la confusion.
Neuvième règle, - Qui à elle seule peut tenir lieu
de toutes les autres. Ayez un bon directeur; exposez-lui tout, sans exagération
et sans réticences" et tenez-vous-en simplement à sa décision.
Toutes ces règles sont extraites du cardinal Bona et dès
différents auteurs mystiques qui ont traité ces questions
délicates.
fin page 229.
Chapitre 13 La protection des âmes du Purgatoire p.230 - 245
La reconnaissance, vertu du Purgatoire, proportionnée à la sainteté de ces âmes et à la grandeur du don qui leur est fait. – Les âmes du Purgatoire nous protègent dès maintenant; à plus forte raison quand elles sont entrées au ciel. – Exemples de protection dans l’ordre temporal, dans l’ordre spirituel. – Assistance à la mort.
230 :
La reconnaissance est la vertu des nobles âmes. – Pendant
que les méchants cherchent tous les moyens d’en alléger le
fardeau, les âmes généreuses ne sont jamais plus fières
que lorsqu’elles ont pu témoigner à leurs bienfaiteurs qu’elles
étaient dignes de leurs dons. Or les âmes du Purgatoire sont
des âmes saintes, des prédestinés, de futures citoyens
du ciel. Quelles qu’aient été leurs dispositions aux jours
de leur vie mortelle, leur Coeur s’est agrandi aux révélations
de l’éternité. Ces saints ne sauraient être ingrates,
parce qu’ils ont laissé à tout jamais derrière eux
les bassesses de leur vie mondaine. Nous n’avons donc pas à craindre
qu’ils n’oublient jamais leurs bienfaiteurs.
Il faut se rappeler aussi que, d’après les règles
élémentaires de la justice, la reconnaissance se mesure à
la grandeur du don, et au besoin plus ou moins grand que l’on en a; or,
ici, il s’agit d’un bien infini; il s’agit de donner Dieu à ces
âmes qui ont faim et soif de Lui, et nous, pauvres et misérables
habitants de la terre, ce bien sans limite, ce don inestimable, dont nous
ne pouvons, pendant les jours de notre pèlerinage nous assurer la
possession à
231:
nous mêmes, il est entre nos mains, et nous pouvons en disposer
en faveur des âmes du Purgatoire; avec une prière, une aumône,
une légère mortification, nous pouvons les mettre en possession
de Dieu! Ah ! celui qui sait ce que c’est que Dieu, celui qui a médité,
aux clartés de l’amour, les mystères de l’infini, celui-là
seul peut comprendre la grandeur du don de Dieu que nous faisons à
ces âmes. L’entrée du ciel, la vision béatifique, les
joies de l’éternité bienheureuse, tous ces trésors
qui sont des grâces absolument gratuites, qu’aucune oeuvre des saints
n’a jamais pu mériter de condigno, voilà le cadeau inestimable
que nos bonnes oeuvres font aux âmes du Purgatoire; à la grandeur
du don, à la faim surnaturelle que ces âmes en ont, vous pouvez
mesurer le degré de leur reconnaissance.
Mais cette reconnaissance n’est pas stérile; elle n’est pas réservée aux jours, peut-être encore lointains, où ces âmes seront en possession définitive de la gloire.
J’ai prouvé ailleurs que les âmes du Purgatoire, dès maintenant, connaissent leurs bienfaiteurs et prient pour eux; je n’y reviendrai pas. Aussi bien, mieux vaut que les meilleurs arguments de l’école, comment les âmes du Purgatoire s’intéressent à leurs bienfaiteurs de la terre.
Nous lisons dans les révélations de sainte Brigitte
(liv. IV, Ch. VII), qu’un jour, elle entendit la voix d’un ange qui, descendu
en ce lieu d’expiation pour consoler ces âmes, répétait
ces paroles: "Béni soit celui qui, vivant encore sur la terre, aide
les âmes du Purgatoire de ses oraisons et de ses bonnes oeuvres!
car la justice de Dieu exige nécessairement que les âmes soient
purifiées par le feu, à moins qu’elles ne soient délivrées
par les bonnes oeuvres de leurs amis."
232:
En même temps, des profondeurs de l’abîme, la sainte entendit
un choeur de voix suppliantes qui disaient: "O Christ, très juste
juge, au nom de votre miséricorde infinie, n’ayez pas égard
à nos fautes, qui sont sans nombre, mais aux mérites de votre
très précieuse passion."
"Mettez au Coeur des ecclésiastiques et des religieux, des prélats et des simples prêtres, un sentiment de vraie charité, afin que, par leurs prières, leurs mortifications, leurs aumônes et les indulgences qu’ils peuvent nous appliquer, ils nous secourent dans notre triste situation."
"Il dépend d’eux de nous soulager et d’abréger nos tourments en nous faisant admettre plus tôt auprès de vous, ô Dieu très juste et très bon."
"Et d’autres voix répondaient à ces touchantes supplications, en disant: "Grâces, et mille fois grâces, à ceux qui nous soulagent dans notre malheur; ô Seigneur, que votre puissance infinie rende au centuple à nos bienfaiteurs le bien qu’ils nous font, en intercédant pour nous et en nous amenant au séjour de votre douce et très divine lumière."
J’ai parlé ailleurs de la V. Mère Françoise du Saint-Sacrement et des nombreuses visites qu’elle recevait des âmes du Purgatoire qui venaient implorer ses suffrages. Mais ce qu’il faut bien que l’on sache, parce que cela revient à notre sujet, c’est que bien souvent ces saintes âmes lui apparaissaient pour lui témoigner leurs reconnaissance et l’assurer de leur protection. Elles la prévenaient des pièges de Satan, des tentations qu’il lui préparait, des illusions par lesquelles il cherchait à la faire tomber. Elles lui apprenaient à déjouer les unes et à triompher des autres, par le moyen des sacrements et de la prière; et l’auteur de sa vie ne fait pas difficulté d’avouer que c’est à ces avis surnaturels qu’elle dut de triompher
233:
toujours des artifices de l’ennemi. (Vie de la Mère Françoise
du Saint-Sacrement, liv. II.)
On a vu d’ailleurs dans un grand nombre d’apparitions citées précédemment que, Presque toujours, les âmes du Purgatoire aussitôt délivrées s’empressent d’apparaître à leurs bienfaiteurs, pour les remercier; mais il faut maintenant entrer dans le détail, et voir, à la lumière des faits, comment les âmes du Purgatoire nous protègent, soit dans l’ordre temporél, soit dans l’ordre spirituel. Les exemples de protection surnaturelle surabondent, mais comme il faut se borner, j’en choisis trois ou quatre parmi ceux qui m’ont paru le plus incontestablement prouvés.
En 1949 vivait à Cologne, un célèbre libraire, nommé Guillaume Freyssen, c’est lui-même qui, dans une lettre adressée au Père du Munford, jésuite anglais, don’t j’ai cité plusieurs passages, va nous apprendre l’assistance miraculeuse qu’il reçut de ces saintes âmes à deux reprises différentes.
"Je vous écris, mon révérend Père, pour vous faire part de la double et miraculeuse guérison de mon fils et de ma femme. Pendant les jours de fête où ma maison était fermée, je me suis mis à lire le livre don’t vous m’avez confié l’impression: De la Miséricorde à exercer envers les âmes du Purgatoire. J’étais tout pénétré encore de cette lecture, quand on vint m’avertir que mon petit garçon, âgé de quatre ans, éprouvait les premières atteintes d’une maladie singulière qui s’aggrava rapidement et mit ses jours en danger. La pensée me vint que je pourrais peut-être le sauver en faisant un voeu en faveur des âmes du Purgatoire."
"Je me rendis de bon matin à l’église, et je suppliai le bon Dieu de m’exaucer, m’engageant par voeu à distribuer gratuitement cent exemplaires de votre livre aux ecclésias-
234:
tiques et aux religieux, afin de leur rappeler avec quel zèle
ils doivent s’intéresser aux membres de l’Église souffrante,
et quelles sont les meilleures pratiques pour s’acquitter de ce devoir.
"Je me sentis le coeur plein d’espérance; de retour à la maison mon fils était déjà mieux; lui qui, depuis plusieurs jours, ne pouvait avaler une seule goutte de liquide demandait de la nourriture. Le lendemain, la guérison était complete; il se leva, sortit et se promena, puis mangea d’aussi bon appétit que s’il n’avait jamais été malade. Pénétré de reconnaissance, je n’eu rien de plus pressé que d’accomplir ma promesse; j’allais au collège de la Compagnie, je priai vos Pères d’accepter mes cent exemplaires, en gardant pour eux ce qu’il voudraient, et distribuant les autres aux religieux et aux ecclésiastiques de leur connaissance, afin que les âmes du Purgatoire, mes chères bienfaitrices, fussent soulagées par de nombreux souffrages.
"Trois semaines après, un autre accident non moins grave m’arriva. Ma femme, en rentrant chez elle, fut prise, tout à coup, d’un tremblement dans tous les membres qui la renversait à terre et lui ôtait tout sentiment.
"Elle perdit bientôt l’appétit, et jusqu’à l’usage de la parole. Je lui fis administrer, mais en vain, tous les remèdes possibles. Son confesseur, la voyant en cet état, essayait de me consoler, et m’exhortait paternellement à me soumettre à la volonté de Dieu. Pour moi, après l’expérience que j’avais faite de la protection des bonnes âmes du Purgatoire, je me refusais à désespérer. Je retournai donc à la même église; prosterné devant l’autel du Saint-Sacrement, je renouvelai mes supplications avec toute l’ardeur dont je suis capable: -- Ô mon Dieu, m’ecriai-je, votre miséricorde est sans mesure, au nom de cette bonté
235:
infinie, ne permettez pas que la guérison de mon fils soit payee,
hélas! par la mort de ma femme. Je fis voeu alors de distribuer
deux cents exemplaires de votre livre, afin d’obtenir pour les âmes
souffrantes un plus grand nombre de suffrages. En même temps je suppliai
celles qui avaient été délivrées précédemment
d’unir leurs prières à celles des autres encore retenues
en Purgatoire.
" Je m’en retournais à la maison; quand je vis accourir mes domestiques au-devant de moi. Ils venaient m’annoncer que ma chère malade éprouvait un soulagement notable; le délire avait cessé, la parole était revenue, je courus m’en assurer; tout était vrai; je lui offer des aliments, elle les prend avec appêtit; au bout de quelques heures, elle était si complètement remise qu’elle venait avec moi à l’église remercier le bon Dieu, ce père si miséricordieux à ceux qui le servent. Vous pensez si je fus exact à porter au college les exemplaires promis, et non seulement chez vos pères, mais au couvent des dominicains et chez d’autres différents orders que je priai instamment de s’ùnir tous pour la délivrance des âmes du Purgatoire.
" Votre Révérence peut ajouter une foi entière à ce récit. Je la prie de m’aider à remercier Notre-Segineur de ce double miracle." Cette letter est citée tout au long dans l’ouvrage du Père Hautin (Puteus defunctorum, liv. I, ch. V, art. 9.)
Le trait suivant, qui m’a paru singulièrement touchant est emprunté à l’abbé Postel, traducteur de Rossignoli; je le cite, bien qu’il soit tout à fait moderne, sur la foi de et auteur estimé. (Merveilles du Purgatoire, LIº merveille.)
Ce trait paraît être arrive à Paris en 1817.
Une pauvre servante, élevée chrétiennement
dans son village, avait adopté la sainte pratique de faire dire
236
Chaque mois, sur ses modiques épargnes, une messe pour les âmes
souffrantes.
Amenée avec ses maîtres à Paris, elle n’y manqua pas une seule fois; se faisant d’ailleurs une loi d’assister elle-même au divin sacrifice, et d’unir ses prières à celles du prêtre, spécialement en faveur de l’âme dont l’expiation n’avait plus besoin que de quelque chose pour être achevée; c’était sa demande ordinaire. Dieu l’éprouva bientôt par une longue maladie, qui non seulement la fit cruellement souffrir, mais lui fit également perdre sa place, et épuiser ses dernières ressources. Le jour où elle put sortir de l’hospice, il ne lui restait plus que vingt sous pour tout argent. Après avoir fait au Ciel une prière pleine de confiance, elle se mit en quête d’une condition; on lui avait parlé d’un bureau de placement, à l’autre bout de la ville. Elle s’y rendait, lorsque l’église Sainte-Eustache se trouvant sur sa route, y entra. La vue d’un prêtre à l’autel lui rappela qu’elle avait manqué ce mois-là, à sa messe ordinaire des défunts, et que ce jour était précisément celui où depuis des années elle s’était procuré cette consolation. Mais comment faire ? Si elle dessaisit de son dernier franc, il ne lui restera pas même de quoi apaiser sa faim. Ce fut un combat entre sa dévotion et la prudence humaine. La dévotion l’emporta: " après tout, se dit-elle, le bon Dieu voit bien que c’est pour lui; il ne saurait m’abandonner. "
Elle entre à la sacristie, remet son offrande, puis assiste avec sa ferveur accoutumée à cette messe.
Elle continuait sa route quelques instants après, pleine d’une inquiétude que l’on comprend; dénuée de tout que faire si un emploi lui manque ? Elle était dans ses pensées , quand un jeune homme pâle, d’une taille élancée, d’un air distingué, s’approche d’elle et lui dit: " vous cherchez une place ? "
" oui, Monsieur "
237
" Eh bien, allez à telle rue, tel numéro chez madame…; je crois que vous lui conviendrez et que vous serez bien là! " Et il disparaît dans la foule des passants, sans attendre les remerciements de la pauvre fille.
Elle se fait indiquer la rue, arrive au numéro, et monte à l’appartement qu’on lui désigne. Sur le palier, une domestique en sortait, un paquet sous le bras et murmurant des paroles de plainte et de colère. " Madame y-est-elle ? " demande la nouvelle venue . " Peut être oui, peut être non , répond l’autre; que m’importe ?Madame ouvrira elle même si cela lui convient; je n’ai plus à m’en mêler, adieu! "
Et elle descend, et notre pauvre fille sonne en tremblant, et une voix douce lui dit d’entrer. Elle se trouve en face d’une dame âgée, d’un aspect vénérable qui l’encourage à exposer sa demande.
" Madame, dit la servante, j’ai appris que vous aviez besoin d’une femme de chambre, et je viens m’offrir à vous ; on m’a assuré que vous m’accueilleriez avec bonté. "
" Mais ma chère enfant, ce que vous dites là est bien extraordinaire. Ce matin, je n’avais absolument besoin de personne. Depuis une demi-heure seulement, j’ai chassé une insolente domestique, et il n’est personne au monde, hormis elle et moi, qui le sache encore! Qui donc vous envoie ?" " c’est un Monsieur que j’ai rencontré dans la rue, qui m’a arrêtée pour cela, et j’en bénis Dieu car il faut absolument que je sois placée aujourd’hui, il ne me reste pas un sou! "
La vielle dame ne pouvait comprendre qui était ce personnage
et se perdait en conjectures, lorsque la servante, levant les yeux au-dessus
d’un meuble du petit salon, aperçut un portrait. " Tenez Madame,
dit-elle aussitôt, ne cherchez pas plus longtemps, voilà exactement
la figure du jeune homme qui m’a parlé, c’est de sa part que je
viens! "
238
A ces mots, la dame pousse un grand cri, et semble prête à perdre connaissance. Elle se fait redire toute cette histoire, celle de la dévotion aux âmes du Purgatoire, de la messe du matin, de la rencontre de l’étranger, puis se jetant au cou de la pauvre fille, elle l’embrasse avec effusion. " vous ne serez point ma servante. Dès cet instant, je vous regarde comme mon enfant. C’est mon fils, mon fils unique que vous avez vu, mon fils mort depuis deux ans qui vous a dû sa délivrance, je n’en puis douter , et à qui Dieu a permis de vous envoyer ici. Soyez donc bénie, et désormais nous prierons ensemble pour tous ceux qui souffrent avant d’entrer dans la bienheureuse éternité. "
Voici maintenant ce qui arriva au Père Magnanti de l’Oratoire, un des plus fidèles disciples de saint Philippe de Néri, et comme lui saintement passionné pour le soulagement des défunts.
Les âmes qu’il soulageait par ses prières n’étaient pas ingrates. Elles lui obtinrent bien des grâces signalées et des dons extraordinaires , entre autres de connaître les choses éloignées, de découvrir les fautes cachées , de déjouer les pièges de Satan, et d’autres privilèges surnaturels du même genre. C’est lui-même qui attribuait aux âmes du purgatoire ces faveurs célestes, mais comme on pourrait soupçonner ce témoignage de pure illusion, j etrouve dans sa vie le récit d’un péril ostensible, dont il fut tiré par ses chères âmes comme il les appelait.
Il revenait de Lorette, et arrivé à Nocera, près d’une église dédiée à la mère de Dieu, il voulut s’y arrêter pour célébrer le saint-sacrifice.
Or, en sortant de là, les pèlerins avaient à traverser
un lieu très dangereux, où plusieurs assassinats s’étaient
commis quelques jours auparavant . On se met gaiement en route sous la
protection de la Bonne Mère, et voilà nos
239
Pauvres pèlerins qui tombent entre les mains des brigands, ceux-ci les chargent de liens, les attachent solidement aux arbres de la forêt, et s’apprêtent à leur faire un mauvais parti; mais voilà que tout à coup, en haut de la montagne qui domine la route, apparaissent deux enfants inconnus qui se mettent à pousser de grands cris, comme pour appeler tout le pays à la délivrance des prisonniers. Les brigands étaient une douzaine; sans s’intimider, ils déchargent leurs armes sur les deux enfants, mais eux continuent de crier plus fort, en s’avançant au secours des pèlerins, ce que voyant, les bandits prirent peur et s’enfuirent à la hâte. Les deux enfants s’approchent des captifs, les délient et disparaissent aussitôt. Les compagnons du Père Magnanti étaient dans la stupéfaction, mais lui sans s’étonner : " nous devons notre délivrance dit-il, à deux âmes du purgatoire, et Dieu leur a permis de prendre cette forme enfantine pour nous rappeler cette parole du Divin Maître, si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.
On raconte un trait à peu près semblable au Père Monaci, religieux de l’ordre des clercs Mineurs, très affectionné lui aussi à la délivrance des âmes du Purgatoire.
Une nuit, il traversait seul une plaine déserte, et selon sa pieuse habitude , il utilisait le temps de sa marche pour réciter le chapelet pour les défunts; or, il y avait sur la route deux de ces bandits italiens, gens de sac et de corde, habitués depuis longtemps à faire peu de cas de la vie de leurs semblables.
En voyant venir de loin le bon Père, seul et désarmé,
ils se mettent en embuscade, bien décidés à le dépouiller,
et même à le tuer s’il tente de leur résister; mais
voilà qu’ils entendent tout à coup le son d’une trompette
guerrière,
240
Tout étonnés, ils regardent. Devant le Père, marchait un soldat qui jouait de la trompette, et de chaque côté, marchaient une troupe de soldats armés de pied en cape, lui faisaient escorte. Aussitôt, les brigands s’échappent au plus vite, s’imaginant avoir affaire à quelque officier envoyé à leur poursuite.
Cependant, le bon religieux ainsi escorté continuait sa route en récitant dévotement son chapelet, comme un homme qui ne se doute de rien. Arrivé à l’hôtellerie, il s’arrête et demande à souper. Pendant ce temps, nos deux bandits s’étaient rapprochés des maisons; ils s’informent où sont passées les troupes qu’ils ont rencontrées sur la route.
" Quelles troupes ? Nous n’avons vu personne! Le seul étranger qui vient d‘arriver est un pauvre religieux, qui certes n‘a rien de belliqueux dans son air. " Intrigués au plus haut point, nos hommes entrent dans l’hôtellerie, ils s’approchent du Père, lient conversation avec lui, et finissent par lui demander ce qu’est devenue son escorte.
" Mon escorte, répond le Père; je ne sais pas de quoi vous voulez parler, je suis venu seul. "
" Eh bien mon Père, vous pouvez rendre grâce à Dieu, car il a fait un miracle en votre faveur. Vous aviez autour de vous une forte escorte, et elle vous a sauvé de nos mains, car nous vous l’avouons avec quelque honte, nous nous étions apostés sur la route dans l’intention de vous dépouiller, et même de vous tuer en cas de résistance. Nous n’en sommes pas en effet à reculer devant un meurtre. "
Le bon Père, un peu effrayé, leur raconta alors qu’à
ce moment même il récitait son chapelet pour les âmes
du purgatoire, et que probablement ce sont elles que Dieu a envoyées
à son secours. Les deux brigands furent si touchés de ce
miracle, qu’avec cette facilité de foi qui est le caractère
propre des italiens, ils demandèrent aussitôt à
241
Se confesser et devinrent à leur tour de zélés propagateurs de la dévotion aux âmes du purgatoire.
Si les âmes du purgatoire sont si empressés à nous secourir dans nos besoins temporels, on peut en conclure avec quel pieux empressement elles nous protègent dans l’ordre spirituel. Car, à la différence de la plupart qui vivent sur la terre, elles savent combien les biens spirituels l’emportent sur les autres. Malheureusement, les nécessités de l’âme sont moins visibles que celles du corps; il en résulte que bien des assistances surnaturelles passent inaperçues à nos regards inattentifs, mais on ne peut douter que bien des saintes inspirations, bien des grâces de salut ne nous soient accordées à la prière de ces âmes.
Voici l’heure de la tentation, heure terrible, heure décisive peut-être; si cette âme succombe, Dieu va s’éloigner d’elle; cette chute sera le premier anneau de la chaîne de fautes qui doit la lier un jour aux brasiers éternels de l’enfer. Cependant, la pauvre âme hésite fascinée par la vue des plaisirs promis.
Le Ciel et la terre sont attentifs; le divin Sauveur Jésus jette sur cette âme un regard attristé, et il me semble entre sortir de ses lèvres ce reproche si tendre qu’il adressait autrefois aux siens : et toi aussi, veux-tu me quitter ? Dans les profondeurs de l’abîme, Satan tressaille de joie; qui va l’emporter de la vie ou de la mort ? Et quel drame que celui de la tentation , où de si grands intérêts sont en jeu, et qui se renouvelle des milliers de fois chaque heure!
Mais voici que la lutte est finie, et c’est le bien qui l’a emporté;
cette pauvre âme a reculé au bord du précipice; elle
est sauvée pour cette fois, et sa victoire va devenir pour elle
le point de départ d’une série de grâces, qui
242
Assureront sa couronne. Cependant, que s’est-il passé au moment où la malheureuse hésitait entre le bien et le mal ? Regardez dans le Purgatoire. Entendez-vous cette humble prière de l’âme souffrante qui monte des profondeurs de l’abîme ? De profundis clamavi ad te Domine! C’est là ce qui a fait descendre du Ciel une surabondance de grâces et amené la victoire. Oh, qui nous dira les mystères de la communion des saints ! Comme le dit quelque part le comte de Maistre, quel superbe tableau que celui de cette immense cité des esprits, avec ses trois ordres toujours en rapport, où le monde qui combat présente une main au monde qui souffre, et saisit de l’autre celle du monde qui triomphe. L’éternité seule nous dira ces mystères du salut des âmes, et les siècles sans fin ne seront pas trop longs pour admirer l’action que les âmes exercent les unes sur les autres, au moyen de la communion des saints.
C’est surtout à l’heure de la mort, à cette heure où la lutte est la plus acharnée, parc que l’issue en est décisive que les âmes du purgatoire viennent au secours de leurs bienfaiteurs. J’ai rapporté ailleurs un trait que cite Baronius à ce sujet. En voici un second encore plus frappant à cause des circonstances extérieures qui l’entourent, et que j’emprunte à Ségala. (Triumphus animarum, II° partie, chap. XXII n°1)
La scène se passe en Bretagne. Un bon chrétien qui joignait à ses autres vertus une grande charité envers les pauvres défunts, était à l’extrémité. On appela le Recteur pour lui donner le saint Viatique, mais celui-ci se trouvant fatigué envoya le vicaire à sa place.
Après lui avoir administré tous les secours que la sainte
Eglise, cette bonne mère, réserve à ses enfants pour
la dernière heure, le prêtre s’en revenait à la maison
, mais
243
En arrivant au cimetière situé près de la cure,
autour de l’église, il se sent arrêté par une force
invisible qui l’empêche de faire un pas. Effrayé, il regarde,
la vision d’Ezéchiel était sous ses yeux. L’église
qu’il avait fermée soigneusement était grande ouverte, les
cierges brillaient au fond du sanctuaire, et il entendit une voix, partie
de l’autel qui disait : " ossements arides, écoutez la parole du
Seigneur, morts levez-vous et venez prier pour votre bienfaiteur qui vient
de mourir ". En même temps, il se fit un grand fracas; les ossements
s’agitaient au fond des tombes, se choquaient les uns contre les autres
avec un bruit lugubre. Bientôt, la vision du prophète s’accomplit
à la lettre : les morts sortirent des tombeaux, se rangèrent
processionnellement dans le chœur, et, s’étant assis dans les stalles,
commencèrent à chanter d’une voix triste l’office des défunts.
Quand tout fut fini, les morts retournèrent dans leurs tombes, les
cierges de l’autel s’éteignirent, et tout rentra dans le silence.
Le vicaire, encore tout épouvanté, rentre à sa maison, et raconte à son curé ce qu’il avait vu. Celui-ci refusait d’y croire, attribuant le tout à l’effet d’une imagination frappée. " Au moins, disait-il, il faudrait s’assurer d’abord que votre homme est mort, ce qui n’est pas probable ". Comme il achevait ces mots, on vint lui apporter la nouvelle du décès.
Le vicaire fut si frappé de cette vision qu’il entra au monastère de Saint-Martin de Tours, dont plus tard, il fut élu prieur. C’est lui-même qui fit connaître les détails de cette prodigieuse histoire.
On lit dans la vie de plusieurs saints, que les âmes du purgatoire, délivrées par eux, sont venus les chercher sur leur lit de mort pour les conduire au Ciel.
C’est ce que j’ai rapporté déjà de saint Philippe
de Néri.
244
La pieuse sainte Marguerite de Cortone jouit du même privilège , comme on peut le voir dans les Bollandistes (Bolland, acta sanct, au 22 février).
Mais, dans l’impossibilité où nous sommes trop souvent de scruter ces mystères du monde surnaturel, et de connaître les assistances invisibles que les âmes du purgatoire prêtent à leurs bienfaiteurs, je demande la permission de faire appel, en terminant, à mon expérience professionnelle.
J’ai bien eu souvent recours aux saintes âmes du purgatoire, soit pour moi, soit surtout pour les âmes dont j’ai la charge devant Dieu.
Je dois à la vérité de déclarer que presque toujours j’ai été exaucé au-delà de mes espérances. Quand j’ai un pécheur désespéré, une grâce difficile à obtenir, je célèbre la messe aux intentions de la sainte Vierge pour la délivrance de l’âme qu’il lui plaira de choisir; avec le secours réuni de la bonne Vierge et de mes chers défunts, j’obtiens ainsi bien des grâces que Dieu aurait refusées à la tiédeur de ma prière.
O chères âmes, continuez à me protéger comme
vous l’avez fait jusqu’ici; je fais bien peu de choses pour vous, et ce
peu, je le fais bien mal; mais ayez égard à mes misères
spirituelles. Dieu m’est témoin que je voudrais avoir la ferveur
des saints pour vous secourir plus efficacement. Obtenez moi donc les grâces
qui me sont nécessaires pour sortir de ma misérable tiédeur.
Et puis aidez-moi à sauver les âmes, ces chères âmes
que Dieu m’a confiées, et qui périssent par ma faute, parce
que je ne sais pas prier, parce que je n’attire pas sur elles les bénédictions
d’En-Haut. O saintes âmes du purgatoire, pensez à ces pauvres
âmes, priez pour elles, aidez moi à éclairer les païens,
à convertir les pécheurs, à échauffer les tièdes,
à
245:
sanctifier les justes et quand viendra pour moi l'heure terrible ou
il me sera demandé compte de mon administration obtenez-moi la grâce
d'une sainte mort fléchissez en ma faveur la colère du juge
et faites que j'ai une petite part à la bénédiction
de la pécheresse : Que beaucoup de péchés me soient
pardonnés parce que je vous ai beaucoup aimées.
fin p.245.
Chapitre 14 Le soulagement des âmes du purgatoire, oeuvre de Justice p.246 - 262
De l'exécution des legs pieux.- Comment Dieu punit ceux qui
y manquent. -
De l'obligation spéciale que nous avons de soulager nos parents
défunts. -
Nos pères spirituels - Ceux qui sont en Purgatoire à
cause de nous. - De
l'ordre à garder dans la répartition de nos suffrages.
246:
Nous avons vu ce que les âmes du Purgatoire font pour nous ;
il faut dire
maintenant ce que nous devons faire pour elles il y a là ( comme
je le dirai
plus loin) une obligation générale de charité
mais quelquefois il y a plus à
l'égard de certaines âmes il y a obligation rigoureuse
de justice et c'est
ce que je vais établir ici ce n'est pas en vain que l'auteur
de l'Imitation
nous avertit de faire des oeuvres satisfactoires pendant notre vie
et de ne
pas trop compter sur nos héritiers toujours pressés d'entrer
en possession
des biens que nous laissons mais qui trop souvent négligent
d'acquitter les
pieuses fondations que nous avions faites pour le soulagement de notre
pauvre âme c'est un fait d'expérience journalière
une famille qui vient
d'être mise en possession d'une fortune quelquefois considérable
marchandera
à un malheureux défunt les quelques suffrages qu'il s'était
réservés et si
les subtilités de la loi civile s'y prê^trent on n'aura
pas la honte de
faire casser un testament sous prétexte de captation afin de
se débarrasser
de l'obligation d'acquitter les legs pieux qui y sont réclamés.
247:
Eh bien ! il faut que les familles le sachent c'est là une cruauté
abominable voler un pauvre dit le IVe concile de Carthage c'est
se faire
son meurtrier que dire de celui qui ne rougit pas de dépouiller
un
malheureux défunt ! (Egentium necatores ! ) Aussi ceux qui se
rendent
coupables de ce vol sacrilège sont ordinairement punis de Dieu
et d'une
manière très sévère on s'étonne
quelquefois de voir se fondre entre les
mains d'héritiers avides une belle fortune une sorte de malédiction
semble
planer sur certains héritages au jour de la manifestation des
consciences on
verra souvent que la cause de ces ruines était dans l'avarice
et la dureté
de coeur des héritiers qui avaient négligé d'acquitter
les legs dont leur
héritage était chargé a Milan raconte Rossignoli
( Merveilles du
Purgatoire, XXe merveille) une magnifique propriété avait
été ravagée par la
grêle alors que les voisins n'avaient rien éprouvé
de fâcheux on ne savait à
quoi attribuer cet accident lorsque l'apparition d'une âme du
Purgatoire fit
connaitre que c'était le juste châtiment dont Dieu avait
puni des enfants
ingrats et sans coeur les histoires sont pleines de récits ou
l'on parle de
maisons hantées rendues inhabitables au grand détriment
de leurs
propriétaires quand on va au fond de tout cela on trouve toujours
une âme
oubliée des siens et qui réclame l'acquittement des suffrages
qui lui sont
dus faisons aussi large que vous le voudrez la part de l'imagination
de
l'illusion de la fourberie même il restera toujours
assez de faits
parfaitement prouvés pour apprendre aux héritiers sans
entrailles comment
Dieu punit même dès cette vie ces vols sacrilèges
mais c'est surtout dans
l'autre vie que la justice divine trouve à s'exerçer
sur ces coupables
détenteurs du bien des morts
248:
Le Saint-Esprit l'a dit par la bouche de Saint Jacques : Un jugement
sans miséricorde à qui
s'est
montré sans miséricorde.- JUDICIM SINE MISERICORDIA,
ILLI QUI NON FECIT
MISERICORDIAM. (Saint Jacq.11-13).Si cela est vrai, à quelle
rigueur de jugement ne doit
pas
s'attendre celui dont l'abominable avarice a laissé, pendant
des mois, des années, des siècles
peut-etre, l'ame d'un parent, d'un bienfaiteur, au milieu de ces effroyables
supplices du
Purgatoire que
j'ai décrits au commenement de ce traité.Au temps de
l'empereur Charlemagne, un brave
soldat, qui
avait guerroyé sur tous les champs de bataille de l'Europe,
se voyant sur son lit de mort, fit
venir un
sien neveu, son unique héritier, et lui dit :"beau fils, je
t'ai pour tout bien que mon cheval et
mes armes ;
inutile de faire un testament.Les armes seront pour toi ; quant au
cheval, lorsque je ne serai
plus, je te
recommande instamment de vendre cet animal, et d'en distribuer le prix
aux pauvres et aux
pretres, pour que les uns offrent à mon intention le divin
sacrifice, et que les autres me secourent
dans la prieres." Le neveu promet tout en pleurant.Le défunt
une fois en terre, il prend le cheval et
l'emmene pour le vendre.La bete était belle et d'un prix bien
supérieur à celui des armes.Il commença
par trouver que rien ne pressait de s'en défaire de suite, que
peut-etre, en attendant un peu, il trouverait un meilleur prix, ce qui
serait à l'avantage du défunt ; puis il s'en servit pour
quelques petits voyages, car à quoi bon laisser cette bete à
l'écurie ?. Les jours se passèrent, puis les semaines, puis
les mois ; le neveu ne pensait plus à s'acquitter de sa promesse,
mais Dieu sut bien la lui rappeler.
Un matin, il y avait six mois que le défunt était mort,
249:
il apparut à son héritier infidèle."Malheureux,
lui
dit-il, tu n'as pas eu pitié de l'ame de ton oncle ; ou est
la promesse que tu m'as faite, à mon
lit de mort ; coeur plus dur que la pierre ; à cause de ton
manque de foi, j'ai souffert des supplices
inexprimables dans le Purgatoire : mais Dieu a eu pitié de moi,
aujourd'hui j'entre dans la félicité des
saints ; mais toi, tu vas mourrir à ton tour, et, par un juste
jugement, tu souffriras tout le temps qu'il me restait à expier,
et cela, sans préjudice du temps réservé à
tes propres fautes." Quelques jours après le neveu tomba malade
; il fit appeler un pretre, lui raconta la vision qu'il avait eue ;puis
il mourut, et sans doute il alla subir la seconde partie de la peine qui
lui avait été annonçée en punition de son injustice.--
Avis aux héritiers infidèles.(Catimpré, Apum,
liv.II,chap.LIII.) Je trouve, dans la vie de Raban Maur,
par Trithème, un récit encore plus émouvant des
justices du Seigneur sur ces voleurs sacrilèges.(Trithème,
vie de Raban Maur,liv.II.)Raban Maur, premier abbé du célèbre
monastère de Fulda, et plus
tard archeveque de Mayence, était plein de charité pour
les défunts. Selon les constitutions de
l'ordre de Saint-Benoit, lorsqu'un frère vient à mourir,
on doit donner pendant trente jours, sa ration
aux pauvres, afin que l'ame du défunt soit soulagée par
cette aumone, qui est faite en son nom. Or, il
arriva, en l'an 830, qu'une sorte de peste enleva coup sur coup, un
grand nombre de religieux, et parmi eux, un des
supérieurs. Raban Maur fit appeler le père Procureur,
nommé Edelard, et lui recommanda de faire
distribuer aux pauvres les rations accoutumées, ajoutant que
s'il y manquait, Dieu le chatirait
sévèrement.
250:
Hélas ! l'avarice se glisse jusque dans le cloitre, Edelard
promit tout et n'en fit rien. A quoi bon,
pensait-il, nourir tant de mendiants ? mieux vaut réserver ce
que nous avons, pour les Pères
qui ont survécu au fléau." Un soir, accablé d'affaires,
il avait veillé au delà du temps marqué par la
règle, et il s'en allait se reposer à son tour. Comme
il traversait la salle du Chapitre, un flambeau à la
main, il voit l'abbé entouré de ses moines, qui tenaient
conseil. Que peuvent-ils faire à cette heure ? il
regarde tout surpris ; O terreur ! ce n'est pas l'abbé ; c'est
le Supérieur défunt, entouré des autres moines défunts.
L'épouvante le retenait sur place, quand deux moines se détachant
de leur stalle, viennent à
lui, le dépouillent de ses habits, et sur l'ordre du Supérieur,
lui administrent une forte discipline.
En meme temps le Supérieur lui disait : " Reçois, malheureux,
le chatiment de ton avarice ; mais ce
n'est rien encore, un chatiment plus terrible t'attend dans la tombe,
ou tu descendras dans trois
jours.Alors tous les suffrages qui te sont réservés seront
appliqués à ceux que ton abominable avarice a privés
des leurs." En descendant au choeur, à minuit, pour chanter matines,
la communauté le trouva étendu, sanglant et tout couvert
de plaies. On s'empresse autour de lui, on le transporte à l'infirmerie
; mais lui,
d'une voix mourante : "Hatez-vous, dit-il, d'appeler le Père
abbé. J'ai plus besoin des remedes spirituels que d'aucun autre,
car ces membres ne doivent pas guérir." Dès que l'abbé
fut là, il raconta
en présence de ses frères la terrible vision qu'il avait
eue, et dont ses blessures attestaient assez
la vérité,
puis il reçut les sacrements avec de vifs sentiments de contrition,
et s'éteignit 251: doucement, au
bout des trois jours qui lui avaient été marqués.
- On chanta aussitot la messe des défunts, on célébra
pour lui les trente messes de regle,
et, pendant un mois on distribua fidèlement sa ration aux pauvres
; au bout de ce mois, le
défunt apparut à Raban Maur, pale et défiguré
par d'atroces souffrances. "Cher frere, que pouvons-nous encore faire pour
vous ?." -"Je vous remercie, O Père très miséricordieux,
des suffrages que vous m'avez déjà accordés, mais
ils n'ont pas pu me délivrer de mes peines ; la justice de Dieu
les ayant appliqués à ceux de mes freres que j'avais frustrés
des leurs. Je vous prie donc, O Père très bon, de redoubler
de prières et d'aumones, car je ne puis sortir d'ici avant la délivrance
de mes frères, il faut donc travailler à nous délivrer
tous, eux d'abord, moi ensuite ; ainsi le veut la justice divine." On continua
à prier et à faire des aumones ; au bout d'un second mois,
l'ame d'Adélard apparut de nouveau, il était vétu
de blanc, le visage joyeux, son expiation et celle de ses freres était
achevée. Mais il ne suffit pas d'acquitter fidèlement les
legs pieux auxquels les défunts ont droit, il faut encore le faire
sans retard.Quelques théologiens ont prétendu, il est vrai,
que la négligence à cet égard ne saurait préjudicier
au défunt, qui bénéficie immédiatement des
suffrages qu'il s'est réservés, et la
raison qu'ils en donnent, c'est que le défunt ayant fait de
sa part tout ce qu'il fallait pour s'assurer ces
suffrages, il ne serait pas juste qu'il en fut privée par la
négligence d'autrui : mais cette raison ne me
parait rien moins que convaincante. N'oublions pas que nous sommes
ici sous le régime de la justice
stricte.
Des fautes ont été commises, l'expiation doit suivre
nécessairement, à moins
252:
que
l'on n'offre à Dieu des oeuvres satisfactoires ; or, ces oeuvres
n'existent pas encore ; la justice de Dieu peut donc les regarder comme
non avenues, et, de fait, toutes les apparitions des ames, qui viennent
se plaindre de la négligence qu'on met à les secourir, montrent
bien que Dieu ne leur applique ces suffrages qu'au moment précis
ou ils lui sont offerts. Mais, dira-t'on, il dépend donc de nous
de prolonger le Purgatoire d'un malheureux défunt, sans qu'il y
ait en rien de sa faute ? Oui, répondrai-je, et c'est en cela précisément
que consiste le crime de ces héritiers avides, qui diffèrent
sans fin d'acquitter les legs pieux d'une succession ; cela me parait d'autant
plus certain que bien souvent ces suffrages que le défunt avait
demandés pour son ame, ne sont, au fond, que des restitutions déguisées.
C'est là ce que les familles ignorent trop souvent. On trouve très
commode de parler de captations et d'avidité cléricale ;
on fait casser un testament sous ces beaux prétextes ; et, bien
souvent, le plus souvent peut-etre, il s'agissait d'une restitution nécessaire.Le
pretre n'était que l'intermédiaire, obligé au secret
le plus absolu, par la confession dont il est le dépositaire.Un
mourant a commis des injustices, cela arrive plus souvent que l'on ne le
pense, meme à de très honnetes gens selon le monde ; au moment
de paraitre devant Dieu, ce malheureux se confesse ; il veut réparer,
mais le temps lui manque, il ne veut pas révéler à
ses enfants ce triste secret. Que fait-il ? il couvre sa restitution sous
le voile d'un legs pieux. Si ces legs ne sont pas acquittés, que
va t-il advenir ? l'infortuné sera t-il retenu dans le Purgatoire
indéfiniment ? ce serait bien dur. Cependant ne nous rassurons pas
trop vite ; des apparitions fort nombreuses témoignent en ce sens.
- Nous ne pouvons etre admis au séjour de la béa-
253:
titude tant que la justice reste
lésée.Voilà ce
quelles déclarent toutes ; d'ailleurs ces ames sont coupables,
en un certain sens, de ce long
retard
apporté aux droits de leurs créanciers si, comme elles
le devaient, elles n'avaient pas attendu
au
dernier moment pour régler leurs affaires temporelles, le prochain
n'aurait pas à attendre,
indéfiniment
peut-etre, le payement de ce qui lui est du. Elles souffrent cruellement,
dit-on ; mais le
pauvre prochain
qu'elles ont lésé, est ce qu'il ne souffre pas lui aussi
? Reslamas Domino ; tant que la
restitution ne sera pas faite, ce cri de la justice lésée
se fera entendre contre ces ames. Il faut donc, je le crois, s'en tenir
à l'axiome des théologiens : pas de restitution, pas de Paradis.
Que si, par la mauvaise foi des héritiers, la restitution ne doit
jamais se faire, il est clair que cette ame ne saurait rester indéfiniment
en Purgatoire ; mais dans ce cas, un long retard à son entrée
dans le ciel me parait une compensation très équitable d'une
injustice que cette ame infortunée a retractée dans le Ciel
me parait une compensation très équitable d'une injustice
que cette ame infortunée a rétractée, il est vrai,
mais dont elle avait posé la cause toujours subsistante et toujours
efficace. Et maintenant, songeons-y, quelle effroyable dureté de
coeur ne faut-il pas pour laisser s'écouler les jours, les semaines,
les mois, les années quelquefois avant d'acquitter une dette aussi
sacrée. Oh ! que notre foi est faible ! si un animal domestique,
si un chien tombait dans le feu, est-ce que nous attendrions pour l'en
retirer ?
Mais ce sont nos parents, nos bienfaiteurs nos amis, qui se tordent
dans les flammes du Purgatoire ; rien ne presse. Ils passeront après
tous les autres créanciers, après nos commodités et
les exigences de notre luxe. Ne faut-il pas liquider la succession, nous
mettre en possession de l'héritage, nous habituer à notre
nouvelle position ? Il sera toujours temps d'acquitter cette dette, et
les ames du Pur-
254:
-gatoire sont des créancieres commodes ;
- On ne risque pas, au moins d'ordinaire, de les rencontrer sur son
chemin pour réclamer ce qui leur est du. Oh ! l'effroyable dureté
de coeur ! oh ! la cruelle injustice ! Il n'y a pas que les legs pieux
laissés par les défunts qui créent une obligation
de justice à leur égard. Nous avons des parents, des bienfaiteurs,
des amis ; est-ce que nous ne leur devons rien ? hélas ! c'est bien
souvent à cause de nous qu'ils sont punis.Cette mère a été
trop faible pour ces enfants ; ce père a commis des injustices pour
arrondir leur fortune. Leur dirons-nous la froide parole des pretres déicides
à Judas.
Cela ne vous regarde pas ; c'est votre affaire. N'entendez-vous pas,
fils dénaturés, ces voix plaintives qui montent de l'abime
! - Miseremini mei, miseremini mei, saltem vos, amici mei, pitié,
pitié, O vous du moins qui futes nos amis.Ne reconnaissez-vous pas
ces accents ? c'est la voix d'un père qui se plaint d'avoir été
oublié par son frère. Ah ! Seigneur ! au moment de la mort,
ceux qui restaient sur la terre promettaient, en pleurant, de ne nous oublier
jamais ; on nous fit de pompeuses funérailles ; la vanité
trouvait à s'y signaler. Mais depuis, plus une prière, plus
un souvenir, plus rien.
L'oubli a recouvert notre tombe, et aucune brise d'ici-bas ne vient
rafraichir nos ames dévorées par d'intolérables ardeurs.
Sainte Elisabeth de Hongrie fut plus charitables à l'égard
de sa mère Gerdrude.
Lorsque celle-ci mourut, elle fit des aumones pour le soulagement de
cette chère ame. Une nuit, la défunte lui apparut, le visage
triste et défait ; elle se mit à genoux, auprès de
son lit et lui dit en pleurant : "Ma fille, vous voyez à vos pieds
votre mère accablée de
255:
douleur - -Je viens vous supplier de multiplier vos suffrages,
afin que la divine miséricorde me délivre des tourments épouvantables
que j'endure, Oh ! que ceux-là sont à plaindre qui exercent
l'autorité sur les autres ! j'expie maintenant les fautes que j'ai
commises sur le trone. Au nom des angoisses au milieu desquelles je vous
ai mise au monde, au nom des fatigues et des veilles que m'a coutées
votre éducation, je vous conjure de tout faire pour me retirer des
supplices que j'endure." A cette voix chérie, Sainte Elisabeth se
leve aussitot, elle prie, elle pleure, elle se donne une sanglante discipline.
Le sommeil la surprend, au milieu de cet acte de charité ; alors
sa mère Gertrude lui apparait de nouveau vetue de blanc, le visage
rayonnant d'allégresse. Les prières de sa fille l'avaient
délivrée et lui avaient ouvert les portes du Ciel. ( vide
apud Surium. 19 Nov. Vie de Sainte Elisabeth.)
Sainte Marguerite de Cortone ne fut pas moins secourable à son
père et à sa mère ; après leur mort, elle offrit
pour eux un grand nombre de prières, de mortifications, de communications,
Dieu lui fit connaitre dans l'oraison que, par ce moyen, elle avait considérablement
abrégé le temps qu'ils devaient passer en Purgatoire.
La meme Sainte eut aussi un pieux souvenir d'une simple servante nommée
Gillia, qui était restée de longues années auprès
d'elle, Dieu lui fit connaitre combien cette charité lui était
agréable, en lui révélant qu'à sa considération,
Gillia n'aurait qu'un mois de Purgatoire à faire, et que le jour
de purification, elle serait conduite au Ciel par quatre anges ( vid. apud
Bolland? 22 Fébr.)
Quand le père de la V. Catherine Paluzzi vint à mourir
elle passa huit jours entiers en prières et en
macérations de toutes sortes, jeunes, cilices, disciplines ;
à la fin de
256:
cette octave, elle fit célébrer un service
funèbre, suivi d'un grand nombre de messes ; alors elle fut
ravie en extase et le divin
Sauveur, en compagnie de Sainte Catherine de Sienne, la conduisit en
Purgatoire ! là, elle entendit la
voix lamentable de son père, qui, du milieu des flammes, la
conjurait d'avoir pitié de lui, et
d'achever l'oeuvre de sa délivrance ; à ces cris de douleur,
la sainte fut saisie d'une angoisse indicible. Se tournant vers Notre Seigneur,
elle le supplia de faire miséricorde, et conjura en meme temps Sainte
Catherine d'intercéder pour lui faire obtenir l'effet de sa prière.
Mais il lui fut répondu que la justice devait suivre son cours.
Alors, dans son corps, ce qui restait à expier à son père.
Le Sauveur l'exauça, les flammes s'écartèrent, l'ame
de son père monta au Ciel, en bénissant sa fille, mais à
partir de cette heure, sa vie ne fut plus qu'un long martyre. ( V.diaro
Dominico, 16 oct.) Il arrive souvent, que nous voudrions connaitre le sort
qui est réservé à ceux que nous avons aimés
sur la terre. C'est là une curiosité qui déplait à
Dieu, et qui ne sert de rien à ces pauvres ames. Il est bien plus
expédient de prier pour elles, afin que Dieu les soulage, si elles
sont encore dans le lieu des expiations. C'est ce que nous apprend l'exemple
du V. Denys le chartreux. (V. apud Bolland, 2 mart.) Quand il perdit son
père, au lieu de prier pour lui, il se laissa aller à ce
désir immodéré de connaitre son sort éternel
; c'était là sa préoccupation constante, et il en
oubliait de soulager cette ame, qui pourtant lui était si chère.
Il fut repris de Dieu. Un soir qu'après vepres, retiré dans
son oratoire, il sup-
257:
pliait Dieu de ne pas lui refuser cette consolation il entendit une
voix qui lui disait : -"Pourquoi te laisser tenter de cette vaine curiosité
? ne vaudrait-il pas mieux employer le mérite de tes oraisons à
délivrer ton père des flammes du Purgatoire qu'à savoir
en quel état il se trouve ? ces oraisons lui seraient utiles et
à toi aussi au lieuque celles que tu fais en ce moment ne servent
de rien à personne". Il se mit donc à prier pour le soulagement
de l'âme de son père la nuit suivante il vit en songe cette
âme que deux démons plongeaient dans une fournaise ardente
et qui lui criait d'une voix déchirante : -Ah ! mon fils ! mon cher
fils, pourquoi m'as-tu oublié ? Pitié, pitié pour
ton malheureux père ; que tes prières me viennent en aide
; accomplis pour moi des pénitences, des bonnes oeuvres ; hâte-toi
!
c'est le devoir de la piété filiale". Le pauvre religieux
tout confus de sa négligence se hâta de la réparer
et il continua de prier jusqu'à ce qu'il sût par révélation
que son père était délivré de ses tourments
s'il y a une obligation de justice stricte de prier pour nos parents défunts
il y a une
obligation de droit naturel pour les parents de ne pas oublier ceux
de leurs enfants qui les ont précédés dans l'éternité
eh quoi vous leur deviez la nourriture le vêtement l'education vous
étiez chargés de pouvoir à tous leurs besoins spirituels
et temporels est-ce que cette obligation de droit
naturel a cessé parce que ces besoins sont devenus plus pressants
? Une mère sera inconsolable de la mort de son fils elle voudra
entendre à rien elle négligera son mari et ses autres enfants
comme Rachel elle rejettera toutes consolations parce que celui qu'elle
aimait n'est plus là eh pauvre mère à
quoi servent à votre enfant bien-aimé toutes ces larmes
? elles n'éteindront pas les flammes qui
258:
le dévorent. Priez, et faites prier pour lui : ce sera le meilleur
moyen de lui témoigner votre amour.
Sainte Elisabeth de Portugal s'était montrée bien plus véritablement affectionnée à sa fille Constance.
Cette jeune princesse venait d'être mariée au roi de Castille, quand une mort inopinée l'enleva à l'affection des siens.
La reine Elisabeth avait appris ce malheur, et elle se rendait avec son mari à Santarem, quand un ermite se mit à courir après le cortège royal, disant qu'il avait à parler à la reine. Les courtisans le repoussaient avec mépris, mais la sainte reine l'ayant aperçu, se le fit amener. Il lui raconta alors que la reine Constance lui était apparue plusieurs fois, quelle était condamnée à un long et rigoureux Purgatoire, mais qu'elle avait l'assurance d'être délivrée au bout d'un an, si on célébrait chaque jour pour elle, la sainte Messe. Les courtisans qui entouraient le cortège royal, ne se gênaient pas pour rire de l'ermite et de sa communication : - C'est un fou", disaient les uns. - "C'est un intrigant", répétaient les autres. Mais la reine avait pris la chose au sérieux ; elle demanda au roi son mari ce qu'il en pensait : - "Je crois, dit celui-ci, qu'il est sage de faire ce qui vous est marqué par cette voie extraordinaire. Après tout, quel risque y a-t-il ? Faire dire des messes pour notre chère défunte n'a rien que de très paternel et de très chrétien". Il fut donc résolu que l'on s'en tiendrait à l'avis de l'ermite et l'on chargea un saint prêtre, nommé Mendez, d'acquitter ces messes.
Au bout de l'année, Constance apparut à sainte Elisabeth,
vêtue de blanc et rayonnante de gloire. - "Aujourd'hui mère,
grâce à vos prières, je suis délivrée
de mes tourments et je monte au Ciel". La sainte, toute
259:
joyeuse, se rendit alors à l'église, pour y remercier
Dieu ; elle y trouva le prêtre Mendez qui lui déclara que
la veille il avait fini ses trois cent soixante-cinq intentions. Elle comprit
alors que Dieu avait tenu la promesse qu'il lui avait fait faire par le
pieu ermite, et elle lui en rendit de solennelles actions de grâces
(Vie de sainte Elisabeth).
Nous avons encore une grave obligation de prier pour nos pères spirituels, pour eux qui ont pris soin de notre âme et qui ont répondu de nous devant Dieu. Pauvres prêtres ! Leur fardeau est bien lourd (Onus Angelicis humeris tremendum !) et qui songe à prier pour eux après leur mort ? Ils ont passé, seuls dans le monde, ils n'ont point laissé de famille ; à peine quelques parents éloignés, qui ne pensent guère à eux ; et leur postérité spirituelle, leur vraie famille presque toujours, elle se montre oublieuse et ingrate. Et cependant, comme la vie de l'âme l'emporte, et de beaucoup, sur la vie du corps, l'obligation où nous sommes de prier pour nos pères selon l'esprit, est plus stricte encore que celle de prier pour nos pères selon la chair ; hélas ! bien souvent, les fautes qu'ils ont à expier, c'est pour vous, c'est à l'occasion du ministère apostolique, qu'ils les ont commises : comme saint Paul, ils se sont dépensés, corps et âme, à votre service ; ils sont presque devenus anathèmes, pour vous sauver ; et vous, pour qui ils ont ainsi contracté des dettes nombreuses, vous les oublieriez dans les flammes !
J'ai parlé, ailleurs, des rigueurs de la justice de Dieu
sur ses prêtres ; appuyé sur les révélations
des saints, j'ai prouvé qu'ils restent d'ordinaire en Purgatoire
bien plus longtemps que les simples fidèles ; mais, indépendamment
des raisons qui se tirent de leur éminente dignité, et des
obligations si nombreuses et si graves qui leur sont imposées, ne
pourrait-on pas dire que, si les prêtres restent si
260:
longtemps en Purgatoire, c'est que presque personne ne songe à
prier pour eux. Je livre cette réflexion à la méditation
des pieux fidèles ; puisse-t-elle leur apprendre à prier
davantage pour leurs prêtres.
Enfin, la justice nous fait encore une obligation rigoureuse de prier pour ceux qui sont retenus en Purgatoire, à cause de nous ; nous n'y songeons pas assez. Hélas ! Combien il est rare qu'un péché reste solitaire, et n'entraîne avec lui, par la contagion du mauvais exemple, une multitude d'autres fautes ! Presque toujours, une faute exerce son action sur ceux qui en sont les témoins, et quelquefois les complices ; il est tel acte qui aura son action pendant des années, des siècles quelquefois. Le scandale ; quelle effroyable responsabilité ce mot ne rappelle-t-il pas à des cœurs chrétiens ! Il n'y a personne qui y échappe entièrement dans le cours de sa vie ; au jour de la grande manifestation des consciences, on verra avec horreur qu'il y a peu de prédestinés qui n'aient contribué à pousser quelque âme en Purgatoire. Quel est celui d'entre nous qui peut se rendre ce témoignage, qu'il n'a jamais fait un acte, dit une parole, omis un devoir, donné un exemple qui ait été pour quelqu'un de ses frères une occasion de chute, au moins légère ? Or, cette faute, dont il a été l'occasion, elle a dû s'expier en ce monde, par la pénitence, ou, en l'autre, par le feu.
Il est donc à peu près certain qu'à cette heure où nous sommes bien tranquilles, dans nos maisons, jouissant de toutes les commodités de la vie, il y a là-bas des âmes qui pleurent, et qui souffrent à cause de nous. Et nous les oublions ! Quelle injustice révoltante !
- Mais, ces âmes que nous avons scandalisées, nous
ne les connaissons pas, dites-vous ; - qu'importe ? Dieu les connaît,
cela suffit. Ayons donc chaque jour un souvenir
261:
spécial pour les pauvres âmes du Purgatoire qui nous doivent
leur malheur ; la justice la plus stricte, le bon sens et l'honneur nous
en font un devoir.
Ceci m'amène à dire un mot, en terminant, de l'ordre que nous devons garder dans la répartition de nos suffrages, en faveur des âmes du Purgatoire, si nous voulons rendre à chacun ce qui lui est dû.
En premier lieu, en vertu de cet axiome que personne n'a le droit de se montrer libéral, s'il n'a commencé par se libérer de ses dettes (nemo liberalis, nisi liberatus) il faut commencer par ceux envers qui nous sommes tenus par une obligation spéciale de justice ; Prêtres, ceux pour qui nous avons reçu des honoraires de messes, Héritiers, ceux qui nous ont laissé quelques legs pieux à acquitter pour eux.
Ce premier devoir rempli, il faut prier pour les pasteurs de nos âmes ; pour les souverains pontifes qui ont porté le poids de l'Eglise tout entière, et qui ont été les canaux par où toutes les grâces qui sont dans l'Eglise nous sont parvenues ; pour Monseigneur notre Evêque, qui a pris soin de former, et de nous envoyer des prêtres ; qui a veillé sur eux, et sur nous, afin que nous ayons toujours en abondance tous les secours spirituels qui nous sont nécessaires pour faire notre salut ; enfin, pour nos pasteurs immédiats, pour ceux qui ont eu la charge directe de nos âmes : le prêtre qui nous a baptisé, celui qui nous a fait faire notre première communion, celui qui a été l'instrument de notre conversion, celui qui a été l'instrument de notre conversion, celui qui a possédé, de longues années peut-être tous les secrets de notre âme, qui nous a pardonné tant de fois au nom de Dieu, qui nous a dirigé dans les sentiers du bien.
En troisième lieu, il faut prier pour nos parents, le père,
la mère qui ont élevé notre enfance, au prix de
262:
quelles peines, nous ne le saurons jamais ! Ce frère, cette
sœur, qui ont partagé nos premières joies et nos premières
peines, (et époux, cette épouse, qui était le guide,
la consolation de notre vie, ces enfants bien-aimés, à qui
nous avions donné la vie du corps, et qui maintenant nous demandent
en gémissant de les mettre en pleine possession de la vie de l'âme)
; et, proportion gardée, tous nos autres parents.
En quatrième lieu, la justice demande que nous nous souvenions de nos bienfaiteurs, de nos amis, de tous ceux qui, à un titre quelconque, nous ont fait du bien. Là, encore, le champ de la reconnaissance est vaste : les maîtres qui nous ont élevés, les magistrats qui ont veillé à notre sécurité, ces pauvres et fidèles domestiques qui nous ont servis, quelquefois pendant tout le cours d'une longue vie. Oh ! que le nombre de nos bienfaiteurs est considérable, si nous voulons y réfléchir un peu.
Enfin, il faut toujours avoir une intention générale pour tous ceux qui sont en Purgatoire, à cause de nous, c'est, je le répète, non pas une affaire de dévotion plus ou moins libre, mais une obligation de justice ; mais cela même n'est pas peu de chose, au milieu d'un monde oublieux et ingrat, ainsi nous pourrions attendre, avec confiance, sinon sans crainte, les arrêts de la divine justice sur nous-mêmes, car il est écrit : qu'il nous sera fait à nous-mêmes comme nous aurons fait à nos frères, (Eadem mensura, remetietur vobis)
sommaire
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des matières du Purgatoire d'après les Révélations
de Saints
Chapitre 15 Le soulagement des âmes du Purgatoire considéré comme œuvre de charité.
p.263-276
Il y a une obligation de charité de soulager les âmes du Purgatoire. - Motif d'où se tire cette obligation de charité. - La prière pour les morts méritoire entre toutes les œuvres pies. - S'il vaut mieux prier pour les défunts ou pour la conversion des pécheurs. - Opinion de saint Thomas et exemple à ce sujet. - Comment Dieu punit le manque de charité à l'égard des âmes du Purgatoire. - Quelles sont, parmi toutes les âmes du Purgatoire, celles pour qui la charité nous oblige davantage de prier ?
263:
Jusqu'ici, je me suis placé au point de vue de la justice
stricte, mais, entre nous et les âmes du Purgatoire, il y a quelque
chose de plus ; il y a le lien de la charité fraternelle qui qu'aucune
de ces saintes âmes ne nous est étrangère, et ne peut
nous rester indifférente ; en vertu de la communion des saints,
elles font partie comme nous de la grande famille du Christ ; leurs intérêts
sont les nôtres, leurs peines et leurs épreuves sont les nôtres
; dans une famille bien réglée, est-ce qu'un membre peut
souffrir sans que tous les autres souffrent avec lui ? La compassion, la
souffrance partage, voilà la règle évangélique
de nos rapports avec nos frères ; les âmes du Purgatoire ne
sauraient demeurer en dehors de ces rapports, car elles n'ont pas cessé
d'être nos sœurs. N'eussions-nous donc aucune obligation de justice
à l'égard d'aucune de ces âmes ce qui est bien difficile
à croire, si l'on se rappelle ce que j'ai dit plus haut, la charité
ne nous ferait pas moins une
264:
obligation de nous intéresser à elles. Tout ce que j'ai
dit précédemment nous montre la gravité de ce devoir,
mais puisque mon sujet m'y ramène, je veux résumer ici les
principaux motifs qui doivent exciter notre charité en faveur de
ces pauvres âmes.
C'est d'abord la grandeur et la durée de leurs souffrances. On comprend en effet que, plus le besoin est grand, plus stricte aussi est l'obligation que la charité nous fait de courir au secours de nos frères. Or, ici, les maux qu'il s'agit de soulager sont extrêmes, et sans aucune proportion avec les douleurs qui se recommandent à nous en ce monde. Un pauvre meurt de faim à notre porte : nous pouvons le soulager, nous refusons de le faire, par égoïsme et par dureté de cœur, nous sommes ses meurtriers, disent les saints Pères. (Non pavisti, occidisti).
Mais ici, il s'agit d'une faim surnaturelle ; ces âmes ont
faim et soif de Dieu, et qui dira la grandeur de ce tourment ! Or, il se
trouve qu'avec une légère prière, nous pouvons les
soulager, les rassasier peut-être ; et nous refuserions de le faire
! Quelle cruauté ! Un malheureux est torturé par la douleur
physique : chacun s'empresse autour de lui ; c'est à qui le soulagera
; c'est un inconnu que nous avons rencontré au bord du chemin :
n'importe, il souffre, c'en est assez, nos entrailles s'émeuvent,
le cri de sa douleur nous remue au plus intime de notre être ; ses
souffrances nous font mal, et cela est si vrai, que, si nous ne pouvons
absolument rien pour lui, nous ferons comme Agard au désert, nous
nous éloignerons pour ne pas le voir souffrir. Hélas ! qu'avons-nous
fait de notre foi ? Parce que nous ne voyons pas des yeux de notre chair
les tortures de ces pauvres âmes en sont-elles moins atroces pour
cela ? Parce que nous n'entendons pas leurs cris, en sont-ils moins déchirants
? qu'un malheureux, dans un incendie,
265:
tombe au milieu des flammes : aussitôt, vingt hommes de cœur
s'y précipitent pour l'en arracher au péril de leur vie.
- C'est bien, c'est beau, c'est sublime ! mais encore une fois croyons-nous
à la parole de Dieu ? Nos frères, des hommes comme nous,
se tordent au milieu de ces flammes surnaturelles, dont l'activité
vengeresse dépasse la violence des plus grands incendies ; nous
pouvons les secourir, les tirer de là ; nous le savons, et nous
demeurons insensibles. O effroyable dureté de cœur ! qui donc sera
capable de nous émouvoir, si de pareilles souffrances nous laissent
indifférents.
Sur la terre, les plus vives souffrances ont peu de durée ; plus elles sont vives, plus elles sont courtes ; le corps succombe bien vite sous l'étreinte de la douleur ; et l'âme du martyr échappe par la mort à la cruauté des tyrans ; mais ici, il s'agit de supplices qui durent des années, des siècles quelquefois, et nous ne faisons rien pour abréger ces tortures !
Et ces âmes malheureuses, que notre paresse refuse de soulager,
ce sont des âmes saintes, des prédestinées, l'élite
de l'humanité, les futurs compagnons de notre gloire, si nous avons
le bonheur d'aller au ciel un jour ; et elles ne peuvent rien sans nous
; nous seuls, entendons-le bien, pouvons les secourir dans leur malheur,
les soulager d'une manière efficace. Et cela nous est si facile
; il ne s'agit pas de dépenser notre fortune en aumônes, en
fondations pieuses, de nous exposer à la mort pour secourir un malheureux,
de nous jeter dans les flammes pour en retirer ceux qui y sont tombés
; une légère prière, une bonne œuvre faite en état
de grâce, une messe que nous faisons célébrer, une
communion fervente, une indulgence plénière, que nous appliquons
à ces âmes ; en voilà assez : les cachots embrasés
s'entrouvrent, la rosée du ciel y descend,
266:
quelquefois, il n'en faut pas davantage pour délivrer une âme,
lui ouvrir le ciel, la mettre en possession de Dieu ; ici nous travaillons
à coup sûr ; quand nous soulageons un pauvre, quand nous cherchons
à adoucir une souffrance, nous ne sommes pas sûrs que notre
protégé ne retombera pas un jour dans le même état
; mais ici, le succès est infaillible ; jamais notre prière
ne monte stérile vers Dieu.
Si nous ne délivrons pas ces pauvres âmes, nous les soulagerons au moins toujours. Quel encouragement !
Considérons maintenant les choses du côté de Dieu. Les âmes du Purgatoire sont ses filles chéries ; sa justice lui lie les mains, mais sa miséricorde demande qu'on les secoure. En avançant le temps de leur entrée au Ciel, nous avançons le jour où elles y glorifieront Dieu. Avons-nous pensé à cela ? Nous, les créatures de Dieu, à qui nous devons tout, nous pouvons augmenter efficacement sa gloire, lui donner quelque chose qui lui manque, qu'il attend de nous, dont il restera privé, si nous ne le faisons pas. Nous obligeons Dieu, en quelque sorte, puisqu'il ne peut se passer de nous dans cette œuvre de rédemption. Ah ! ce Dieu, notre grand, notre unique bienfaiteur, comment lui témoigner notre reconnaissance ? Quid retribuam Domino ?
Ouvrons aux âmes du Purgatoire la porte du ciel : nous aurons augmenté sa gloire extrinsèque, nous aurons consolé sa miséricorde, qui souffre en voyant souffrir ces âmes chéries.
"Toutes les fois que vous délivrez une âme du Purgatoire, dit Notre-Seigneur à sainte Gertrude, vous faites une œuvre aussi agréable à Dieu que si vous le délivriez lui-même de la captivité". En faut-il davantage pour exciter votre zèle et votre charité ?
267:
Voilà pourquoi, dans plusieurs des révélations
que j'ai citées, nous voyons Dieu descendre vis-à-vis de
nous jusqu'à la prière, pour nous engager à secourir
ces pauvres âmes.
Souvent, dans ces communications intimes qu'il réserve à ses saints, le Sauveur Jésus s'est plaint amèrement de notre indifférence à cet égard. Voici ce qu'il dit un jour à sainte Marguerite de Cortone : - "Va trouver mes frères Mineurs, tu leur commanderas, de ma part, de se souvenir davantage des âmes du Purgatoire, qui sont en ce moment en nombre incalculable, parce que personne presque ne prie pour elles".
Les saints avaient bien compris ces recommandations sorties du cœur brûlant du Sauveur Jésus. Tous ont eu la compassion la plus vive pour ces pauvres âmes, et quelques-uns ont poussé ce dévouement jusqu'à l'héroïsme. Je me propose d'y revenir, en parlant des différentes œuvres par lesquelles nous pouvons venir en aide aux défunts : je me contenterai ici de citer l'exemple du père Nieremberg, de la Compagnie de Jésus, qui nous montrera jusqu'où les saints ont poussé l'héroïsme à cet égard.
Il avait parmi ses pénitentes, alors qu'il résidait à Madrid une dame de qualité, très pieuse, mais tourmentée d'une crainte excessive de la mort, à cause du Purgatoire qui devait la suivre.
Elle tomba dangereusement malade, et ses craintes redoublèrent,
au point qu'elle en perdait presque ses sentiments chrétiens, et
que, malgré les exhortations de son confesseur, elle se refusait
obstinément à recevoir les derniers sacrements. Pendant ces
délais, elle perdit tout à coup connaissance, et fut bientôt
réduite à la dernière extrémité. Que
faire ? Le bon Père, justement alarmé du
268:
péril où se trouvait cette âme, offrit le saint
Sacrifice pour lui obtenir le temps de se reconnaître et de recevoir
en pleine liberté d'esprit les secours de la sainte Eglise. En même
temps, poussé par une charité vraiment héroïque,
il s'offrit à la justice divine comme victime, pour souffrir lui-même,
en cette vie, les peines qui attendaient cette dame dans l'autre monde.
Sa pieuse et charitable prière fut accueillie de Dieu. Cette personne
revient tout à coup à elle, dans les meilleures dispositions
; elle demanda d'elle-même les derniers sacrements, et son confesseur
lui ayant dit qu'elle n'avait plus à craindre du Purgatoire, elle
expira, le sourire sur les lèvres, et dans les sentiments de la
parfaite résignation. Mais, à partir de cette heure, le bon
Père fut accablé de toutes sortes de peines dans son corps
et dans son âme. Sa vie ne fut plus qu'un long Purgatoire et ce martyre
de la charité ne trouva de soulagement que dans la mort, qui n'arriva
qu'au bout de seize ans. (Vie du P. Joseph Nieremberg, de la Compagnie
de Jésus).
Voilà ce qu'un saint a fait ; des multitudes de pieux personnages ont montré le même héroïsme ; ils ont donné leur vie pour les âmes du Purgatoire, et nous refusons de leur donner un souvenir, quelques prières ! C'est qu'ils aimaient Dieu, et qu'ils étaient passionnés pour les intérêts de sa gloire, tandis que nous, pauvres pécheurs, nous ne comprenons rien à ces mystères de l'éternité ; tout ce qui ne tombe pas sous nos sens, nous laisse insensibles et froids, parce que nous ne savons pas contempler dans l'oraison les réalités de l'invisible. Notre vie se gaspille à mille soins ridicules ou coupables, et, suivant l'énergique expression de l'écriture, la fascination de la niaiserie obscurcit en nous l'intelligence, (fascinatio nugacitatis obscurat sensum).
On voit par là quel est devant Dieu le mérite de
la
269:
Prière pour les morts. Il s'est élevé à
ce sujet une controverse intéressante entre les théologiens,
pour savoir lequel est le plus avantageux à la gloire de Dieu de
prier pour la conversion des pécheurs, ou pour la délivrance
des âmes du Purgatoire. L'une et l'autre opinion ont trouvé
d'éloquents défenseurs, mais la victoire est restée
aux avocats des défunts.
Voici à cet égard l'opinion de l'Ange de l'école : "Les suffrages pour les morts sont plus agréables à Dieu que ceux qu'on fait pour les vivants, parce que les premiers se trouvent dans un plus pressant besoin, puisqu'ils ne peuvent se secourir eux-mêmes".
L'opinion de saint Thomas sur ce point a rallié, comme d'ordinaire, le plus grand nombre de théologiens.
Voici maintenant un exemple à l'appui. Les chroniques des
Frères Prêcheurs racontent qu'une vive controverse s'éleva
une fois à ce sujet entre deux dominicains, frère Benoît
et frère Bertrand ; frère Bertrand était l'avocat
des pauvres pécheurs, il célébrait souvent la sainte
messe pour leur conversion, priait beaucoup et s'imposait de rudes pénitences
à cette intention. - Les pécheurs, disait-il, sont exposés
à l'Enfer ; ils sont dans la voie de perdition, et s'avancent chaque
jour vers des supplices épouvantables et sans fin. Le Sauveur ne
s'est pas incarné pour les âmes du Purgatoire ; il est descendu
en ce monde, il a souffert la mort pour sauver les pécheurs. Il
n'est donc pas d'œuvre plus digne de Dieu, puisqu'il n'en est pas qui ressemble
davantage à l'œuvre de la rédemption . aussi saint Denys
nous assure que ce qu'il y a de plus divin dans les œuvres divines, c'est
de coopérer à l'œuvre Rédemptrice du Christ. Laisser
périr une âme, c'est laisser perdre le Sang du Sauveur, or,
les âmes du Purgatoire ne sont pas dans ce danger ; elles sont sûres
de leur salut éternel ; elles souffrent,
270:
il est vrai, elles sont plongées dans de rudes tourments, mais
enfin elles n'ont rien à craindre pour l'Enfer. Les dettes qu'elles
ont contractées s'acquittent chaque jour, bientôt elles jouiront
de la liberté des enfants de Dieu, tandis que les pécheurs
sont les esclaves de Satan, malheur le plus effroyable qui puisse arriver
à une créature humaine.
Frère Benoît, de son côté, plaidait la cause des défunts : - Si les pécheurs sont les esclaves de Satan, disait-il, c'est qu'ils le veulent bien ; leurs chaînes sont volontaires, il dépend d'eux de les briser ; mais les pauvres âmes du Purgatoire ne peuvent que gémir et réclamer le secours des vivants, il leur est impossible de briser ces fers qui les retiennent enchaînées à ces brasiers dévorants.
Voici deux mendiants ; l'un est fort, capable de travailler, pour gagner sa vie, l'autre est infirme, et ne peut pourvoir à ses besoins, auquel des deux réserverez-vous votre compassion ? A celui qui, privé de l'usage de ses membres, ne peut s'aider.
Notre cas est le même ; ces âmes souffrent un effroyable martyre ; il leur est impossible de rien faire pour s'en délivrer. Il est vrai qu'elles souffrent pour leurs fautes passées, mais ces fautes, elles les ont pleurées et détestées ; elles sont rentrées en grâce avec Dieu, elles sont redevenues ses amies, au lieu que les pécheurs sont des rebelles, des ennemis de Dieu. La volonté de Dieu est donc qu'on s'attache à secourir ceux qu'il aime, de préférence à ceux qui se révoltent contre lui.
Tels étaient les arguments de part et d'autre ; et comme il arrive
d'ordinaire, dans ces controverses, aucun des deux interlocuteurs n'était
convaincu par les raisons de son adversaire, et la question demeurait en
suspens. Une miraculeuse vision vint trancher cette controverse. La
271:
nuit suivante, frère Bertrand, se rendant au chœur pour les
matines, vit venir à lui une âme du Purgatoire qui paraissait
écrasée sous un pesant fardeau. L'apparition s'approcha de
lui en gémissant, et lui mit ce poids épouvantable sur les
épaules.
Il comprit alors, par son expérience, quelle rude chose sont les tourments du Purgatoire, et sans cesser de prier pour la conversion des pécheurs, il se résolut à faire quelque chose aussi pour les âmes du Purgatoire, et, dès le lendemain matin, il offrit pieusement le saint Sacrifice pour leur délivrance.
Ce qui ressort de cela, ce n'est pas qu'il faille s'abstenir de prier pour la conversion des pécheurs, mais seulement qu'au jugement de Dieu, qui est le meilleur juge en ces matières, la charité pour les morts l'emporte sur toutes les œuvres de charité corporelles et spirituelles.
Il ne faut donc pas s'étonner si la justice de Dieu punit et très sévèrement la dureté de cœur de ceux qui ne prient pas pour les morts. On se servira pour vous de la même mesure dont vous vous serez servi pour les autres : (eadem mensura remetietur vobis).
Telle est la règle évangélique de nos rapports avec Dieu et avec nos frères. A qui a été oublieux, l'oubli ; à qui s'est montré sans entrailles, l'indifférence et l'abandon après la mort. Un grand nombre d'apparitions nous montrent que telle est la punition ordinaire de ceux qui n'ont pas eu pitié des défunts. J'ai déjà cité plusieurs exemples à ce sujet, en voici d'autres.
Un religieux Carme apparaît après sa mort à un bon
frère de son ordre, pour demander des prières. Le père
prieur, esprit un peu rationaliste, traite ces apparitions de rêveries,
et refuse de faire célébrer les messes demandées ;
il meurt à sont tour, et Dieu lui permet d'apparaître, lui
272:
aussi, pour se recommander aux suffrages de ses frères, mais,
par une juste permission de Dieu, sa prière est rejetée ;
le nouveau prieur traite tout cela de rêverie d'une imagination frappée,
et le malheureux, puni par où il avait péché, apprend
à ses dépens que, s'il ne faut pas croire légèrement
à tout esprit, la charité commande au moins de ne pas traiter
sans façon de si graves intérêts, et que, dans le doute,
il vaut mieux hasarder une prière pour un malheureux défunt
que de s'exposer, par une trop grande prudence à le laisser languir
au milieu des flammes. (Chronique des pères Carmes déchaussés,
tom. II, liv. VII, chap. XLIV).
Une femme mondaine apparaît à une sainte âme, de longues années après sa mort : elle se plaint que ses enfants l'ont oubliée, et ne prient jamais pour elle. Jamais la moindre goutte de la rosée céleste ne vient tempérer les ardeurs qui la dévorent. Interrogée sur les causes d'un abandon si complet, elle avoue que c'est la punition ordinaire que Dieu inflige à ceux qui, pendant les jours de vie mortelle, n'ont jamais ou presque jamais prié pour les morts.
Mais voici quelque chose de plus étonnant encore. La vénérable
Archangèle Pinagarola, religieuse dominicaine, avait la plus vive
dévotion aux âmes du Purgatoire ; elle priait et faisait prier
pour toutes ses connaissances, et même pour les inconnus, qui ne
lui étaient attachés par aucun lien. Son père vient
à mourir ; qui ne croirait que cette sainte fille va redoubler de
prières et de bonnes œuvres pour cette chère âme ?
Mais, cet homme était un de ces mondains qui ne s'occupent guère
des âmes du Purgatoire. Par une sorte de miracle psychologique, Dieu
permet à sa fille l'oublie à peu près complètement
dans le Purgatoire. Enfin son père lui apparaît, et lui reproche
273:
en gémissant de l'abandonner ainsi, alors qu'elle avait la plus
tendre compassion pour ceux qui ne lui étaient rien. La sainte ne
pouvait revenir de son étonnement. - "Comment se fait-il, dit-elle
à son ange gardien qui l'assistait, que j'aie oublié si longtemps
mon pauvre père ? Bien des fois pourtant j'ai pris la résolution
de prier pour lui, puis je pensais à d'autres âmes et je n'en
faisais rien. Je me rappelle même qu'un matin, comme je commençais
à prier pour lui, je fus ravie en esprit, et il me sembla que je
lui offrais un pain très blanc qu'il regardait d'un air dédaigneux,
et refusait de prendre ; ce qui me fit craindre qu'il ne fût damné.
Le fait est que je ne m'occupais plus guère à prier pour
lui, tandis que j'y songeais pour tant d'autres personnes qui ne m'étaient
rien". - L'ange lui répondit : "Cet oubli a été permis
de Dieu, en punition du peu de zèle de votre père, quand
il était en vie. Il n'avait pas de mauvaises mœurs, il est vrai,
mais il ne montrait aucun empressement pour les œuvres pieuses que le ciel
lui inspirait, et, quand il en accomplissait quelqu'une, c'était
sans l'attention ni l'intention désirable. Dieu impose d'ordinaire
cette peine à ceux qui ont ainsi passé leur vie sans empressement
pour le bien ; il permet qu'on se conduise envers eux comme ils se sont
conduits envers Dieu et envers leurs frères. Oubli pour oubli !…(Vie
de la sœur Archangèle, Iè part., chap. II).
Ces exemples sont bien capables de faire réfléchir ceux
que les motifs tirés de la charité fraternelle, qui doit
unir tous les membres de la grande famille des saints, laisseraient froids
et indifférents à l'égard des âmes du Purgatoire
; il nous sera fait comme nous aurons fait aux autres. Hélas ! nous
aurons si grand besoin de prières après notre mort ! Voulons-nous
nous assurer en abondance ces pieux suffrages, prions beaucoup pour les
âmes du Pur-
274:
gatoire, Dieu ne permettra pas qu'on nous oublie à notre tour.
A la fin du chapitre précédent, j'ai parlé de l'ordre que la justice nous oblige à garder dans la répartition de nos suffrages. Ici, il ne saurait être question de rien de semblable, puisqu'il s'agit simplement d'une obligation de charité, qui nous lie également à toutes ces pauvres âmes. Chacun peut donc laisser libre cours à sa dévotion, et à ses attraits particuliers. Je me contenterai d'indiquer ici quelques-unes des intentions que l'on peut se proposer, chacun restant libre de choisir celle qui lui convient le mieux.
Un grand nombre de saints ont eu la dévotion de prier pour les âmes les plus abandonnées, celles pour qui personne ne prie ; c'était la pratique favorite de saint Vincent de Paul, ce grand bienfaiteur de tous les abandonnés. C'est là une excellente pensée et bien pratique, à notre époque surtout. Que de pauvres défunts appartiennent à des familles irréligieuses, indifférentes ou sceptiques ; une fois la cérémonie des funérailles accomplie, l'oubli le plus complet recouvre leur tombe, et plus une prière, plus un seul suffrage ne vient leur apporter le soulagement dans leurs maux.
Une pensée toute différente, mais qui n'en est pas
moins touchante, porte d'autres âmes à prier pour ceux qui
sont arrivées à la fin de leur expiation, et à qui
il ne manque plus qu'un dernier suffrage pour entrer en possession de la
gloire ; de la sorte on est sûr de se procurer immédiatement
un grand nombre de protecteurs au Ciel, de glorifier Dieu sans retard,
et de délivrer, sans grand'peine, beaucoup de ces pauvres âmes.
Notre-Seigneur révéla à la Mère Françoise
du Saint-Sacrement que le jour de la commémoration des morts, il
délivre chaque année un grand
275:
nombre d'âmes, et particulièrement celles de cette catégorie.
D'autres ont la dévotion de s'intéresser plus spécialement à telle ou telle classe de personnes. Il en est qui par suite de la misère de leur famille, sont bien exposés à manquer de suffrages après leur mort, comme ils ont manqué de pain pendant la vie. La sœur Marie Denize, visitandine, qui dans le monde s'était appelée Mademoiselle de Martignat, et qui appartenait aux premières familles de la noblesse, avait la dévotion contraire. Elle priait surtout pour les riches et les grands de la terre, à cause de l'effroyable accumulation de dettes spirituelles qu'ils sont exposés à contracter dans une vie, où tout est ménagé pour flatter les sens et développer la triple concupiscence. D'autres se sentent attirés à prier pour les prêtres, pour les religieux et religieuses, pour ceux qui ont vécu dans le même état de vie où ils se trouvent eux-mêmes.
Il en est qui réservent leurs suffrages pour les âmes du Purgatoire qui ont pratiqué leurs dévotions particulières. Sainte Madeleine de Pazzi priait particulièrement pour les dévots du très saint Sacrement. La bienheureuse Marguerite-Marie pour les dévots du Sacré Cœur. Un grand nombre de saintes âmes ont un attrait spécial vers les dévotes de la B. V. Marie, et pensent ainsi témoigner eux-mêmes leur dévotion à la très sainte Vierge, en s'intéressant à ses enfants de prédilection. On peut aussi se sentir attiré à soulager spécialement les amis de saint Joseph, ou encore ceux qui, portant le même nom que nous, ont particulièrement honoré les saints Anges. Par là on secourt les âmes du Purgatoire, et en même temps, on satisfait l'attrait de sa dévotion spéciale.
Enfin j'ai trouvé dans la vie d'un saint personnage une
276:
autre dévotion qui m'a paru très pratique pour notre
propre amendement, c'est de prier spécialement pour les âmes
du Purgatoire qui souffrent en expiation des fautes et des défauts
qui sont les nôtres. Chacun peut examiner ici son défaut dominant,
l'orgueil, la paresse, la colère et prier pour la délivrance
des âmes qui sont punies pour avoir commis ces mêmes fautes.
Rien ne me paraît plus propre à produire en nous-mêmes
un sérieux amendement.
Toutes ces dévotions sont bonnes, chacun peut choisir celle
qui répond le mieux à son attrait. L'essentiel est de faire
quelque chose, de ne pas s'engourdir dans la tiédeur et la négligence,
de songer que Dieu et sa gloire ont dans ce monde invisible de graves intérêts,
et que si la justice nous fait une loi stricte de nous intéresser
à quelques âmes, la charité fraternelle, les liens
de la communion des saints qui nous réunissent tous en une seule
famille, nous font une obligation non moins sérieuse de ne rester
indifférents aux souffrances d'aucune de ces âmes. Puissions-nous
ne jamais l'oublier dans la pratique !
Chapitre 16 Des œuvres que l'on peut faire pour soulager
les âmes du Purgatoire
Des différentes manières de soulager les défunts.
De l'offrande des bonnes oeuvres en général
p.277 - 287
Comment nous pouvons appliquer aux âmes du Purgatoire le mérite de nos propres œuvres. - Que ce don ne nous appauvrit pas. - Des conditions requises pour qu'une œuvre puisse être appliquée aux défunts. - Exemples des saints. - Quelles sont les œuvres que l'on peut appliquer ainsi.
277:
Voyons maintenant ce que nous pouvons faire pour le soulagement des
défunts ; mais, avant d'entrer dans le détail des œuvres
que l'on peut leur appliquer, il ne sera pas inutile de traiter la question
de l'offrande de ces œuvres en général. Voyons donc avec
la théologie, appuyée sur les exemples des saints, dans quelles
limites et à quelles conditions ce don de nos bonnes œuvres peut
être fait aux défunts.
Les théologiens remarquent trois propriétés qui se rencontrent d'ordinaire dans chacune de nos bonnes œuvres.
1. Cette œuvre est méritoire, c'est-à-dire qu'elle nous
donne droit à un nouveau degré de gloire dans le Ciel.
2. Cette œuvre est impétratoire, c'est-à-dire qu'elle
incline Dieu à nous accorder quelque grâce particulière,
soit pour nous soit pour les autres.
3. Cette œuvre est satisfactoire, c'est-à-dire qu'elle nous
remet une partie plus ou moins grande de la peine qui reste à subir
en ce monde ou en l'autre pour nos offenses passées.
278:
Prenons un exemple pour mieux être compris ; le jeûne ou
bien je fais une aumône pour obtenir le succès d'une affaire
qui me tient au cœur ; par là, 1° je mérite un accroissement
de gloire dans le ciel ; 2° j'obtiens la grâce que j'ai demandée,
si toutefois elle est dans les desseins de Dieu ; 3° je satisfais pour
une partie de mes fautes.
Il faut maintenant établir solidement cette doctrine.
Que toute bonne œuvre, faite avec les conditions requises, soit méritoire pour le ciel, c'est un point de foi que le concile de Trente a tranché contre les protestants, qui plaçaient le mérite dans la foi seule, séparée des œuvres. Les promesses évangéliques sont formelles à cet égard ; c'est parce qu'il a été fidèle en de petites choses que le bon serviteur est récompensé : (Quia super pauca fuisti fidelis). (Saint Matth., XVV).
Il nous est commandé de nous faire par nos oeuvres des trésors dans le ciel (St Matth. VI, 20). Au jour du jugement, c'est pour leurs œuvres de charité que les élus sont mis en possession de la gloire éternelle. J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger. J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. (Saint Matthieu, XVV). Et de peur qu'on ne s'imagine que les œuvres d'importance sont seules récompensées : En vérité je vous dis : Si vous donnez un verre d'eau à un pauvre, en mon nom, vous en recevrez la récompense. (Saint Matth., X. 42). Rien de plus clair ; toute bonne œuvre, si petite qu'elle soit, mérite une récompense éternelle.
Mais de plus cette œuvre peut être impétratoire,
c'est-à-dire qu'elle peut obtenir telle ou telle grâce de
Dieu pour nous et pour les autres. Nous voyons dans l'Ecriture Judith qui
jeûne et distribue des aumônes, pour obtenir le succès
de sa grande entreprise. David en fait autant pour demander la guérison
du fils qu'il a eu de Bethsabée.
279:
Enfin N.-S. Lui-même nous exhorte à jeûner pour
chasser certains démons qu'on ne peut vaincre sans cela. Tous ces
exemples, et beaucoup d'autres que j'aurais pu citer, montrent clairement
que nos bonnes œuvres sont, en même temps, si nous le voulons, des
prières, qui inclinent Dieu, notre bon maître, à nous
faire miséricorde.
J'ai dit, si nous le voulons ; en effet, notre œuvre n'est pas nécessairement impétratoire ; cela dépend de notre intention.
Il est clair, en effet, que si en faisant une bonne œuvre nous ne nous proposons rien autre chose, il n'y a pas de raisons pour que Dieu nous accorde ce que nous ne lui demandons pas. Mais chaque fois qu'en accomplissant une œuvre pie, nous nous proposons d'obtenir quelque grâce pour nous ou pour les autres, cette œuvre, sans rien perdre d'ailleurs de son mérite, incline Dieu, toujours libéral et miséricordieux, à nous accorder notre demande.
Enfin nos œuvres sont satisfactoires, c'est encore un point de
foi qui s'appuie sur les textes de l'Ecriture, où il est dit que
l'aumône couvre les péchés et empêche que l'âme
ne tombe dans les ténèbres de l'abîme ; les œuvres
de piété les plus consolantes, la prière, la communion,
gardent ce caractère statisfactoire, car la corruption de notre
nature est telle, qu'il n'est pas de bonne œuvre, si facile et si consolante
qu'elle soit, qui ne coûte, et souvent beaucoup, à nos répugnances
et à notre lâcheté, en sorte qu'il n'en est aucune
qui ne révèle un caractère pénitentiel et expiatoire
; que si la ferveur de la charité ôte à nos œuvres
ce caractère pénitentiel, et nous les rend faciles, ces œuvres
n'en restent pas moins satisfactoires, dit saint Thomas ; au contraire,
loin d'être diminuée, cette vertu satisfactoire est accrue,
à cause de la charité plus
280:
parfaite avec laquelle nous agissons alors. (In suppl.,III p.,q.xv,art.
2.)
Ceci posé, quelle est, dans nos bonnes oeuvres, la part que
nous pouvons appliquer aux âmes du Purgatoire ?
1.Nous ne pouvons leur céder notre mérite, c'est
quelque chose d'inaliénable, qui n'appartient qu'à nous,
et que le péché seul peut nous faire perdre.
2.Quant à l'impération, les téologiens
sont partagés : les uns pensent qu'on ne peut l'appliquer aux défunts,
les autres n'y voient point de difficultés. Je suis de ce dernier
sentiment. Puisque nous pouvons, par nos bonnes oeuvres, obtenir des grâces
à nos frères encore vivants, pourquoi les défunts
feraient-ils exception ?
Je puis jeûner pour implorer la guérison d'un malade,
pourquoi me serait-il interdit de jeûner pour demander le soulagement
et la délivrance d'une âme qui m'est chère ? Néanmoins
la chose était controversée, il sera plus prudent de réserver
notre interprétation pour obtenir de Dieu les grâces si nombreuses
dont nous avons besoin tous les jours.
3.Tout le monde est d'accord que nous pouvons céder aux
âmes du Purgatoire la partie satisfaction de nos oeuvres, et c'est
en cela proprement que consiste l'offrande en question. C'est un acte de
charité très pure, car on se prive par-là de satisfaire
pour soi-même ; la raison dit, en effet, qu'il est impossible avec
la même somme de payer deux dettes à la fois.
Néanmoins, je veux établir maintenant qu'en
réalité nous n'y perdons rien, car:
1.Cet acte de charité très pure accroît
très considérablement le mérite de notre oeuvre, et
par suite de la récompense. Or, le plus petit degré de gloire
dans le Ciel, devant durer éternellement, et sans proportion aucune
avec les souffrances du Purgatoire, si longues et si dûres qu'elles
puissent être.
2.Il nous reste les indulgences de la sainte Eglise pour payer
nos propres dettes, et la disposition de charité où nous
met ce don de nos oeuvres aux défunts, est tout à fait propre
à nous les faire gagner dans leur intégrité.
3.Les âmes que nous aurons ainsi soulagées
à nos dépens, nous assisteront à la vie et à
la mort ; peut-être devrons nous aux grâces de choix qu'elles
nous obtiendront par leurs prières, d'échapper à l'Enfer.
4.Notre charité pour les pauvres défunts
nous méritera, comme je l'ai dit au chapitre précédent,
de nombreux suffrages après notre mort, lesquels suppléeront
largement aux satisfactions que nous ne nous serons pas réservées
pendant la vie.
5.Dieu, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité,
nous récompensera de notre générosité, en nous
accordant des grâces plus abondantes, qui nous feront éviter
beaucoup de péchés, ce qui diminuera d'autant notre Purgatoire.
Tout ceci nous est confirmé dans une apparition de Notre-Seigneur
à une pieuse vierge nommée Gertrude. C'est Denys le Chartreux
qui nous fait connaître cette histoire.
Cette sainte fille offrait chaque matin toutes les bonnes oeuvres
de sa journée pour les âmes du Purgatoire ; quand elle
fut elle-même près de mourir, le démon l'assaillit
d'une tentation de désespoir.
-"Que tu as été sotte et présomptueuse de te dépouiller
ainsi pour les autres ; maintenant il va falloir expier toutes tes fautes
dans les plus horribles supplices, et je rirai de tes tourments. Qu'avais-tu
besoin de prodiguer ainsi toutes satisfactions à des étrangers
? C'est l'orgueil qui t'a aveuglée, mais tu vas le payer bien cher
! >>
En entendant ces cruelles paroles, cette bonne âme commença
à gémir et à se désoler. - << Oh!
que je suis malheureuse! dans peu d'instants je vais rendre compte de toutes
mes actions, et parce que je n'ai rien gardé pour moi de toutes
mes bonnes oeuvres, j'ai en perspective un effroyable Purgatoire, sans
adoucissement et sans espérance de soulagement. >>
Mais notre doux Sauveur ne voulant pas laisser sa fidèle
servante dans cette angoisse, lui apparut plein de douceur et de majesté
et lui dit :
- <<Ma fille, pourquoi pleures-tu ? >> - Vous le savez
, Seigneur c'est parce que j'ai tout donné aux autres, et qu'il
ne me reste plus rien pour payer mes propres dettes.>>
- << Console-toi, lui répondit le Sauveur en souriant
; pour te montrer combien cette charité m'a été agréable,
je te remets dès maintenant toutes les peines qui t'étaient
réservées . De plus comme j'ai promis le centuple à
ceux qui s'oublient par amour pour moi, j'augmenterai d'autant ta récompense
céleste ; sache aussi que, par mon ordre toutes les âmes que
tu as secourues vont venir à ta rencontre pour t'introduire dans
la sainte Jérusalem. >> A cette douce assurance, la pieuse vierge
sentit sa tristesse se dissiper. Elle raconta à ses sœurs ce qui
venait de se passer, et, le sourire des prédestinés sur les
lèvres, elle alla recevoir la récompense de son héroïque
charité.
Disons un mot maintenant des conditions requises pour que ces
bonnes oeuvres soient applicables aux âmes du Purgatoire.
1° Il faut que cette oeuvre soit faite d'une manière
surnaturelle ; Dieu ne récompensant que ces sortes d’œuvres.
2° Il faut qu'elle soit faite en état de grâce,
car, dans l'état de pêché mortel, on ne peut satisfaire
ni pour soi ni pour les autres.
3°Il faut que nous ayons l'intention d'appliquer cette oeuvre
aux âmes du Purgatoire, soit à quelque âme en particulier,
soit à une catégorie d'âmes, selon que je l'ai indiqué
à la fin du chapitre précédent. Rien n'empêche
non plus de remettre ces satisfactions aux mains de N.-S. ou de la très
sainte Vierge, pour être distribués à leur volonté.
Il reste maintenant à montrer comment les saints nous
ont donné l'exemple de se dépouiller du mérite de
leurs bonnes oeuvres, en faveur des défunts. Les exemples à
citer seraient innombrables, car tous les saints ont pratiqués plus
ou moins cet héroïque dévouement ; je me bornerai à
quelques traits plus saillants.
Christine, surnommée l'Admirable à cause des merveilles
de sa vie, merveilles plus admirables en effet qu'imitables, avait consacré
sa vie pénitente tout entière au soulagement des âmes
du Purgatoire. On frémit en lisant le récit des pénitences
qu'elle s'imposait pour les soulager. Les haires, les disciplines sanglantes
ne suffisant pas à l'ardeur de son zèle, elle passait plusieurs
jours de suite sans rien boire , ni manger; elle se roulait dans les épines,
d'où elle ne pouvait évidemment sortir que par miracle, puis,
à peine retirée du milieu des flammes, elle courait se jeter
dans un étang glacé, où elle demeurait de longues
heures en prière.
Une fois, elle se fit entraîner sous la roue d'un moulin,
qui lui broya tous les membres ; si Dieu ne l'eût sauvée miraculeusement,
elle serait morte cent fois ; mais Dieu, qui lui inspirait tous ces actes
extraordinaires, la soutenait dans la pratique de cette rude pénitence;
les âmes du Purgatoire, qu'elle délivrait par milliers, lui
apparaissaient en troupe pour la remercier . Mais voici le trait le plus
héroïque de toute sa vie.
Un jour, elle mourut, et fut présentée au tribunal
de Dieu : <<Christine, lui dit le Sauveur, te voici au séjour
du bonheur éternel. Je te laisse le choix, ou de vivre dès
maintenant au milieu des élus, ou de retourner sur la terre pendant
plusieurs années, pour satisfaire en faveur des âmes du Purgatoire.
>>
La généreuse âme répondit aussitôt:
<< Seigneur, je demande à retourner sur la terre pour souffrir
et me sacrifier en faveur des défunts. >>
Elle ressuscita donc en présence de ceux qui étaient
venus l'ensevelir, et redoubla ses mortifications et ses pénitences,
au point que si les auteurs les plus sérieux et témoins oculaires
ne nous avaient certifié ces choses, je me refuserais à les
croire, tant elles dépassent ce que l'on peut attendre des forces
humaines.(Voyez, Vie de Christine l'Admirable. Surius 23 juin.)
L'humble et douce vierge Marie Villani, sans pratiquer des pénitences
si extraordinaires, n'en délivra pas moins un grand nombre d'âmes,
que Dieu lui fit voir un jour, dans une procession de personnages richement
habillés, et conduits par elle. Aussi elle offrait chaque jour à
N.-S. tout le mérite de ses oeuvres pour la délivrance de
ces âmes, et elle poussa la charité jusqu'à demander
à éprouver dans sa chair leurs souffrances, en quoi elle
fut exaucée comme je l'ai dit ailleurs.
Un jour de la commémoration des morts, elle était occupée
à copier un manuscrit ; et elle regrettait que ce devoir imposé
par l'obéissance l'empêchât de consacrer ce jour au
soulagement des défunts . N.-S. lui apparut et lui promit que chaque
ligne qu'elle transcrirait ce jour-là, procurerait la délivrance
à une âme du Purgatoire. Par là on voit qu'il n'est
pas d’œuvre petite, pour Dieu, quand elles sont relevées par la
charité. (V. Vie de Marie Villani).
La Bienheureuse Ursule Beninsaca , religieuse théatine,
montra le même dévouement dans un cas particulier . Sa sœur
Christine étant à l'agonie, et redoutant un terrible Purgatoire?elle
pria N.-S. de lui infliger à elle-même, en cette vie,
les tourments qui attendaient sa sœur dans l'autre. Elle fut exaucée
: Christine expira dans la paix des élus, et aussitôt sa sœur
fut saisie des plus violentes douleurs qui durèrent jusqu'à
sa mort.(Vie de le B. Ursule Beninsaca, par Bagata.)
Le P. Hippolyte de Scavo, capucin, offrait pour les âmes
du Purgatoire les premières de ses actions de la journée
; il se levait avant ses frères pour réciter l'office des
défunts, sans préjudice des mortifications qu'il faisait
pour elles, pendant le jour.
Il avait un attrait particulier à prêcher pour elles, et leur obtenir ainsi les nombreux suffrages des fidèles que sa parole brûlante avait convaincus de l'importance de cette oeuvre . Aussi Dieu, pour les récompenser de sa charité, permit qu'il eut une vision miraculeuse, que j'ai racontée ailleurs, une juste idée de la grandeur de ces tourments.(Annales des Capucins, t. III, année 1618,n°xiii.)
Saint Philippe de Néri offrait une partie de ses oeuvres
pour les âmes du Purgatoire, et l'autre pour la conversion des pécheurs
. Il se croyait spécialement redevable envers ses anciens pénitents,
et jamais, dit l'historien de sa vie, il ne manqua à prier spécialement
pour chacun d'eux après leur mort . Ceux-ci apparaissaient souvent
d'ailleurs, pour le remercier et se recommander à ses prières,
et à sa mort, les âmes qu'il avait ainsi délivrées
vinrent au-devant de lui pour lui faire cortège et le conduire dans
la gloire.(Vie de Saint Philippe de Néri.)
Saint Louis Bertrand faisait de même; il;partageait tous
ses suffrages en deux parts, la première pour la délivrance
des âmes de Purgatoire, et le seconde pour la conversion des pêcheurs
; il s'imposait, à cette double intention, une infinité de
prières, de jeûnes et d'autres mortifications . Si l'on juge
de son succès pour la délivrance des âmes des défunts
par celui qu'il obtenait dans la conversion des pêcheurs, c'est par
milliers qu'il dut délivrer de ces saintes âmes . (Vie de
saint Bertrand ,dans le diario Dominicano, au 10 octobre.)
La Compagnie de Jésus, toujours à l'avant-garde
de toutes les bonnes oeuvres, n'est pas restée en arrière
de beaux dévouements. Saint Ignace, son fondateur, priait beaucoup
pour les âmes du Purgatoire. Le P.Linez, son second général
offrait chaque jour à cette intention la meilleure partie de ses
prières, de ses études et des grandes oeuvres qu'il faisait
dans l'Eglise ; il exhortait tous ses frères à offrir de
même leurs études, leurs prédications, leurs travaux
apostoliques, et la plupart furent fidèles à cet enseignement
de charité.
Toujours l'illustre Compagnie a montré un zèle
particulier pour cette dévotion. J'ai cité déjà
l'exemple de beaucoup de Pères Jésuites; il m'en reste beaucoup
d'autres, parmi lesquels je veux nommer le P.Rem, du collège d'Ingolstadt
: il avait fait de la délivrance et du soulagement des âmes
du Purgatoire son oeuvre principale, jour et nuit il s'en occupait . Le
jour, il offrait pour elles, ses mortifications, ses prières, toutes
ses actions . La nuit, les âmes venaient le visiter, s'approchaient
de son lit, et lui demandaient de prier pour elles ; il se levait de suite,
sans regretter son sommeil interrompu et se mettait en oraison.
Un grand nombre de témoins ont déposé,
après sa mort, avoir entendu bien souvent sortir du cimetière
voisins des cris plaintifs : <<Père, ayez pitié de
nous! nos souffrances sont horribles. Obtenez-en la fin au nom de la charité.
>> (Jacques Hautin. Patonicium defunct.chap. ii, art. 2.)
En voila assez ; je ne puis parcourir la vie de tous les saints,
et il faudrait le faire, si on voulait nommer tous ceux qui ont travaillé
par leurs oeuvres au soulagement des âmes du Purgatoire . Puisse
ces exemples ne pas être perdus pour nous . Nous pouvons offrir pour
le soulagement des défunts toute espèce d’œuvres, pourvu
qu'elles soient surnaturelles et faites en état de grâce.
Pour plus de clarté, je rangerai toutes ces différentes oeuvres
sous trois ou quatre chefs, qui résument tout :L'aumône,
la mortification , la prière, la messe, l'application des indulgences.
Ce sera l'objet d'autant de chapitres.
fin 287.
Chapite 17 L'aumône p.288 - 297
Combien l'aumône nous est recommandée dans les saintes Ecritures. - Double mérite de cette oeuvre appliquée aux défunts. - Exhortations des saints Pères. - Exemple des saints. - Que l'aumône préserve du Purgatoire.
288:
Parmi toutes les oeuvres de la charité évangélique,
il en est peu qui nous soient recommandées avec plus d'instance
que l'aumône. C'est elle, disait l'Ange de Tobie, qui sauve l'homme
de la mort, qui efface les péchés et qui fait trouver grâce
devant Dieu.(Tobie, xii. 9.) Dans le Nouveau Testament, les élus
ne semblent récompensés que pour avoir pratiqué cette
vertu ; c'est parce qu'ils ont secouru le Sauveur Jésus qui avait
faim et soif, dans ses membres souffrants, les pauvres ; c'est parce qu'ils
ont habillé ceux qui étaient nus ; parce qu'ils ont visité
les malades et les prisonniers, qu'ils sont appelés aux récompenses
éternelles.
Enfin l'Ecclésiaste nous apprend que, de même que
l'eau éteint le feu le plus ardent, ainsi l'aumône efface
le pêché . (Ecclés., ii,33.)
Faire l'aumône en vue d'en appliquer le mérite
aux âmes du Purgatoire, c'est donc verser de l'eau sur les flammes
qui les dévorent . Il y a plus, cet acte revêt alors pour
celui qui le fait un double mérite, celui de la charité exercée
envers les pauvres ; et celui du soulagement des âmes du Purgatoire
; par conséquent, celui qui fait l'aumône de cette façon,
acquiert par un seul acte un double degré de gloire de plus dans
le Ciel.
289:
Cet acte contribue aussi en deux manières au soulagement des
défunts ; d'abord par la valeur satisfactoire qu'il a en lui-même
; puis par les prières que les pauvres ainsi soulagés font
pour leurs bienfaiteurs, prières que Dieu a promis d'exaucer tout
spécialement . (Deprecationem pauperum exaudivit Dominus)
Il y a quelque chose à dire encore : l'aumône est,
à peu près, la seule oeuvre que ceux qui sont dans le malheureux
état du péché mortel, puissent faire utilement pour
les âmes du Purgatoire. Car ils sont alors incapables de satisfaire,
soit pour eux, soit pour les autres, parce que leur oeuvres sont mortes
: prières, mortifications, tout ce qu'ils feraient en cet état
pour la délivrance des défunts seraient stériles,
tandis que l'aumône, si elle n'a pas alors ; sa vertu satisfactoire,
n'en garde pas moins une certaine efficacité, car les prières
des pauvres profitent et à celui qui fait l'aumône pour lui
obtenir des grâces de conversion, et à l'âme en vue
de qui on fait pour adoucir ses souffrances.
Il ne faut donc pas s'étonner de voir les amis des âmes
du Purgatoire recourir à cet excellent moyen de les secourir . C'était
l’œuvre de prédilection du pape saint Grégoire le Grand,
si dévoué aux âmes souffrantes . Pour les soulager
plus efficacement, il ne séparait jamais l'aumône de l'oblation
du divin sacrifice, et de nombreuses apparitions lui apprirent, et à
nous aussi, combien cette double charité est efficace . Ce pieux
usage passa donc en loi chez les Bénédictins et dans plusieurs
familles religieuses . Comme je l'ai dit ailleurs, d'après la règle
de saint Benoît, quand un des frères vient de mourir, on offre
pendant trente jours le saint Sacrifice pour le repos de son âme,
et pendant tout ce temps, on distribue sa ration aux pauvres .
Rien de plu instructif et de plus encourageant que les
290:
exhortations des Saint Pères à ce sujet . Ecoutons saint
Ambroise : << Vous avez perdu un fils chéri ; vous ne savez
que faire pour témoigner votre douleur; vous voudriez pouvoir lui
être utile encore ; rien de plus simple . Voulez-vous vraiment rendre
service à celui qui devait être votre héritier ; assistez
son cohéritier . Donnez aux pauvres ce que vous vouliez donner à
celui que vous pleurez . Vous n'avez pas perdu l'héritier de vos
biens, si vous assistez son cohéritier qui est le plus pauvre .
Au lieu de quelques misérables biens temporels que vous comptiez
lui laisser, vous le mettrez ainsi en possession des biens éternels
. Voilà comment vous pouvez encore secourir celui que vous aimiez
plus que tout autre chose au monde.>>(Saint Ambroise, Sermo de fide resurrectionis.)
Comme la face de ce monde serait changée, si on suivait
fidèlement ces conseils du saint évêque ! Alors, les
pauvres seraient abondamment soulagés ; on ne verrait plus cette
plaie effroyable du paupérisme, qui grandit chaque jour parmi nous
et dévore nos sociétés pourries ; on ne verrait plus
cet insolent gaspillage de la richesse, qui attire la malédiction
de Dieu, et met au cœur du pauvre la haine de ceux qui possèdent,
et le désir insatiable d'arracher aux heureux de ce monde une part
de leurs jouissances . Il y aurait peut-être moins de luxe; le commerce,
pour parler comme nos économistes, pourraient en souffrir, mais
il n'y aurait pas de questions sociales, et l'on ne verrait pas, tous les
quinze ans, le peuple se ruer implacable à l'assaut des prospérités
qu'il envie . D'un autre côté, les âmes du Purgatoire
seraient efficacement soulagées ; elles auraient ainsi leur part
dans ces biens qui devaient leur appartenir ; avec cet or, cet argent,
qui sert trop souvent à nourrir la vanité des survivants,
jusque
fin 290.
Page 291 :
Dans les vaines démonstrations de leur deuil, ces malheureux
achèteraient le Ciel. O Dieu, mettez donc au cœur des riches cette
intelligence du pauvre qui fait le bonheur. Beatus qui intelligit super
egenum et pauperem.
Un pieux auteur nous donne un motif qui n’est pas moins utile. Quand un pauvre se présente à votre porte, ou vous tend la main dans la rue, figurez-vous, nous dit-il, que c’est une âme du Purgatoire, l’âme d’un de vos proches peut-être, qui s’adresse à vous, et vous supplie humblement de ne pas l’oublier.
Cette pensée, qui est fort belle et fort vraie, devrait être profondément gravée dans notre esprit; les pauvres y gagneraient d’être assistés; et les âmes du Purgatoire en retireraient de grands avantages.
Voyons maintenant comment les saints, nos modèles en toutes choses, ont compris ces divines leçons.
Le père Magnanti, de l’Oratoire, bien que pratiquant pour lui-même la plus stricte pauvreté, était saintement prodigue lorsqu’il s’agissait de soulager les chères âmes du Purgatoire à qui il avait dévoué sa vie.
Chaque année, il distribuait à cette intention des sommes immenses, que de pieux fidèles, connaissant sa tendre charité, faisaient passer par ses mains. Il se faisait mendiant, pour solliciter des aumônes en faveur des défunts. Il avait dans sa chambre une bourse qu’il appelait le trésor des âmes, crumena animarum. Cette bourse était toujours vide, bien qu’elle se remplît chaque jour; et ce pauvre religieux, qui ne possédait au monde que sa soutane et son bréviaire, distribua ainsi, dans le cours de sa longue vie, des aumônes vraiment royales.
Il avait trouvé ainsi le moyen de secourir à la fois les
membres souffrants du Sauveur Jésus, en ce monde et en l’autre.
(V.Hist. Congr. Orator., liv.II, chap. XXIX.)
Page 292:
Cette bourse du P. Magnanti me rappelle que, dès le cinquième
siècle, saint Jean Chrysostome donnait le même conseil aux
fidèles de Constantinople : " Ayez, leur disait-il, une boîte
au chevet de votre lit, et tous les soirs avant de vous endormir, n’oubliez
pas d’y mettre quelques pièces de monnaie, mais gardez-vous de détourner
jamais à votre usage ce que vous y aurez déposé; ce
serait une espèce de larcin et de sacrilège. Donnez-le aux
pauvres en vue de délivrer des flammes quelque âme souffrante.
Vous vous amasserez ainsi des trésors dans le ciel . "
Que si vous êtes pauvre vous-même, ne croyez pas être dispensé pour cela de faire l’aumône, donnez dans la mesure de votre pauvreté, et Dieu, qui a béni le denier de la veuve, préférablement aux fastueuses offrandes du Pharisien, vous tiendra compte de votre bonne volonté; vous ne pouvez absolument donner d’argent, dites-vous, vous n’êtes pas pour cela exclu de l’honneur et du bénéfice de l’aumône; donnez votre temps, vos soins, vos bons offices; donnez une parole de consolation à l’affligé; donnez un service matériel, qui vous coûte peu, et qui réjouira le cœur de votre frère; donnez votre âme, votre cœur, votre bonne volonté. Allez ! si pauvre que vous soyez, vous avez bien des trésors à mettre au service du prochain; les plus pauvres sont quelquefois ceux qui savent le mieux s’assister les uns les autres, parce qu’ils ont été formés aux rudes leçons de la misère.
D’ailleurs la charité est bien ingénieuse, plus ingénieuse que l’avarice et la soif du gain; quand la douce charité est entrée dans un cœur, elle trouve toujours le moyen de se satisfaire. Écoutez plutôt cette touchante histoire.
Il y avait un pauvre frère de la Compagnie de Jésus, nommé
André Simoni, tout brûlant d’ardeur pour le sou-
Page 293:
lagement des âmes du Purgatoire. S’il avait été
prêtre, il aurait célébré la sainte messe pour
leur délivrance, mais que peut un pauvre frère sans ressources
et sans relations dans le monde ? Vous allez voir ! Il était portier
de la maison, et quand il voyait venir quelque grand personnage, il mendiait
à l’intention de ces pauvres âmes, une partie des aumônes
qu’il recevait était destinée à entretenir un certain
nombre d’ecclésiastiques pour dire la sainte messe à l’intention
des défunts; l’autre était versée dans le sein des
pauvres. Pour accroître son trésor, cet humble frère
cultivait, près de la porte, un jardin rempli de belles fleurs,
dont il faisait des bouquets qu’il offrait aux visiteurs, en leur demandant,
en échange, une aumône pour les chères âmes souffrantes.
Tant de zèle et de piété ouvraient les cœurs à
la charité; les bourses se déliaient largement, et le bon
frère voyait avec joie grossir son petit trésor. Quand il
fut près de mourir, les âmes du Purgatoire, qu’il avait secourues
et délivrées en grand nombre vinrent l’assister sur son lit
d’agonie, et sans doute le conduisirent au Ciel recevoir la récompense
de son ingénieuse charité. (Heroes et victimoe societatis
Jesu, anno 1656).
Le P. de Munford, dans son traité de la charité à exercer envers les défunts, nous conseille de mettre chaque soir, après notre examen de conscience, une petite aumône de côté, comme pénitence des fautes commises pendant le jour, et à la fin de la semaine, de distribuer ces aumônes, à l’intention des âmes du Purgatoire; sur quoi il ajoute : " Vous ne pouvez mieux placer votre argent et le faire mieux fructifier; c’est là une sorte d’usure spirituelle, qui n’est nullement défendue, et dont vous toucherez plus tard les gros intérêts. " (Opere citato, ch. XII.)
" Voulez-vous, dit saint Augustin, apprendre à bien
Page 294 :
trafiquer et à tirer de gros intérêts de votre
argent ? donnez ce que vous ne pouvez conserver afin d’obtenir ce que vous
ne pouvez perdre. "
En effet, l’aumône, qui est si utile pour soulager les défunts, a une vertu très particulière pour empêcher de tomber en Purgatoire, ou pour abréger l’épreuve de celui qui a été fidèle à la faire. Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité par ses créatures, ne l’oublions pas. Donnez et il vous sera donné, telle est la règle évangélique.
Les faits suivants montreront bien la vertu préservative de l’aumône.
Saint Pierre Damien raconte une apparition qui se fit voir à un prêtre, dans la basilique de Sainte-Cécile à Rome.
Ce prêtre aperçut, sur un trône magnifique placé
au milieu de l’église, la très sainte Vierge entourée
de sainte Cécile, de sainte Agnès, de sainte Agathe et d’une
couronne d’anges et de bienheureux. Au milieu de cette noble assemblée
parut tout à coup une pauvre vieille, revêtue d’habits sordides,
mais ayant sur les épaules un manteau de riches fourrures; elle
s’approcha du trône, se mit à genoux et dit en pleurant :
" Ô Mère des miséricordes, au nom de votre bonté
pour tous les malheureux, je vous conjure d’avoir pitié de l’âme
de Jean Patrizi, mon bienfaiteur, qui vient de mourir, et qui souffre de
cruels tourments dans le Purgatoire. " Cependant, la très sainte
Vierge gardait un visage sévère, et ne répondait rien,
cette femme répéta une seconde et une troisième fois
la même prière; toujours pas de réponse. Alors elle
éleva la voix en pleurant : " Vous savez bien, ô reine très
miséricordieuse, que je suis cette mendiante, qui au cœur de l’hiver,
vêtue de misérables haillons, demandait l’aumône à
la porte de votre grande basilique. Oh! Comme je tremblais de froid !
Page 295 :
c’est alors que Jean, à qui je demandais l’aumône en votre
nom, ôtant de ses épaules cette riche fourrure me la donna
pour me réchauffer. Une si grande charité, faite en votre
nom, mérite bien un peu d’indulgence. "
Alors la Reine des Vierges, jetant sur la suppliante un regard d’amour : " Celui pour qui tu pries, répondit-elle, est condamné pour longtemps à de rudes souffrances, à cause de ses péchés nombreux et graves; mais parce qu’il a eu deux vertus spéciales, la miséricorde envers les pauvres, et la dévotion à mes autels, je veux user de miséricorde à son égard; qu’on l’amène en ma présence. "
Patrizi parut alors, conduit par une troupe de démons qui le tenaient enchaîné; il était pâle et défiguré, comme un homme qui souffre de violentes douleurs. La Mère de Dieu commanda aux démons de lâcher leur proie et de le mettre en liberté à l’instant même, afin qu’il pût se joindre à l’assemblée des saints. Ils le firent aussitôt, alors la vision disparut, et le bon prêtre qui en avait été l’heureux témoin apprit ainsi le grand mérite de l’aumône, et son efficacité pour préserver les âmes du Purgatoire. (V. saint Pierre Damien, opus. XXXIV, ch. IV.)
Voici maintenant ce qui arriva au Père Mancinelli, de la Compagnie de Jésus; son oncle, César Costa, était archevêque de Capoue. Un jour qu’il rencontra le Père, pauvrement vêtu, à son ordinaire, il lui donna de l’argent pour acheter un manteau qui le préservât un peu du froid de l’hiver très rigoureux cette année là.
Or, à quelque temps de là, l’archevêque mourut.
Un jour que le bon Père sortait pour visiter ses malades, revêtu
du fameux manteau, il vit venir à lui le défunt tout enveloppé
de flammes, qui le supplia de lui prêter un moment. Le Père
le lui donna de suite. Le défunt s’en
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enveloppa, et soudain, ô merveille de la charité ! les
flammes s’éteignirent.
Le défunt, ainsi rafraîchi, ne voulait plus rendre le précieux vêtement. Le Père lui dit qu’il était envoyé quelque part, pour la gloire de Dieu, et que la chose pressait, il lui rendit son manteau, mais contre la promesse que, désormais, le bon Père prierait avec plus de zèle que par le passé pour son bienfaiteur.
Cette scène a été reproduite sur un tableau que l’on conserve au collège de Macerata; au bas du tableau on a inscrits quelques vers italiens dont voici la traduction : O miraculeux vêtement, donné pour garantir des rigueurs de l’hiver et qui, rendu ensuite un moment, a tempéré les flammes de l’expiation. C’est ainsi que la charité réchauffe ou rafraîchit tour à tour, selon les maux qu’elle doit adoucir. (Vie du P. Jules Mancinelli, par Celsius, liv. III, ch.II.)
En terminant, je ferai une réflexion qui s’applique à
tant de saintes âmes, que l’on voit toujours prêtes à
venir en aide à toutes les bonnes œuvres : Denier de Saint-Pierre,
œuvre de la Propagation de la foi, de la Sainte-Enfance, souscription pour
les universités catholiques, les écoles, les prêtres
persécutés, la construction de l’église votive du
Sacré-Cœur, etc; elles ne se refusent à aucune demande, et
les impies sont confondus de voir tant de généreux dévouements
dans les fils de la sainte Église. Tout cela est assurément
très beau; et c’est une grande consolation que Dieu donne à
son Église, dans ces tristes jours, que de voir le dévouement
de ses fils restés fidèles. Mais pourquoi ne ferions-nous
pas double profit spirituel, en distribuant ces aumônes en faveur
des âmes du Purgatoire ? Ce serait double mérite pour nous,
et nous aurions ainsi le moyen de secourir tout à la fois
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l’Église militante et l’Église souffrante. Je me rappelle
à cette occasion un trait bien touchant, et dont j’ai été
moi-même le témoin.
Il s’agit d’un pauvre portier de séminaire, qui, dans sa longue vie, avait amassé, sou par sou, la somme de huit cents francs.
N’ayant pas de famille, il destinait cet argent à faire dire des messes après sa mort; mais que ne peut la charité dans un cœur embrasé de ses saintes flammes ? Un de nos confrères se préparait à quitter le séminaire pour entrer aux Missions étrangères. Ce pauvre vieillard, apprenant cela, fut inspiré de lui donner son petit trésor, pour l’œuvre si belle de la Propagation de la foi. Il le prit donc en particulier et lui parla à peu près ainsi. – " Cher Monsieur, je vous prie d’accepter cette petite aumône pour vous aider dans l’œuvre de la propagation de l’Évangile. Je l’avais réservée pour faire dire des messes après ma mort, mais j’aime mieux rester un peu plus longtemps dans le Purgatoire, et que le nom du bon Dieu soit glorifié. " Le jeune séminariste était ému à pleurer, il voulait refuser l’offrande si généreuse de ce pauvre homme, mais l’autre insista tellement qu’il y aurait eu cruauté à le refuser.
À quelques mois de là, ce bon vieillard mourait; aucune révélation n’est venue me dire ce qui lui arriva en l’autre monde, mais je n’en ai pas besoin. Je connais assez le cœur de Jésus, mon maître pour être sûr que celui qui s’était dévoué aux flammes du Purgatoire afin de faire connaître son saint Nom aux nations infidèles, reçut la récompense de son héroïque charité, et s’en alla au Ciel, sans retard, contempler dans les rayonnements de l’amour, le Dieu qu’il avait tant aimé sur la terre.
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Chapitre 18 De la Mortification
Son efficacité pour le soulagement des âmes du Purgatoire. – Pratique de cette vertu. – Des exemples des saints. – De la mortification intérieure et extérieure. – De l’acceptation des peines de chaque jour.
Le jeûne, telle est la seconde manière de secourir les défunts, et sous ce nom générique on comprend tous les actes de mortification intérieure et extérieure, tout ce qui contrarie la nature, et la fait souffrir. Il n’est pas besoin d’insister pour montrer combien cette œuvre est efficace à procurer le soulagement des défunts. Les autres œuvres, comme la prière et l’aumône, ne revêtent que par accident un caractère pénitentiel et satisfactoire, tandis que la mortification est l’œuvre satisfactoire par essence. C’est la rançon des péchés commis.
Cette œuvre doit nous être d’autant plus à cœur que, dans
un certain degré, elle est indispensable au salut; c’est l’oracle
de la sagesse éternelle qui a prononcé que, si nous ne faisons
pénitence, nous périrons tous. Nisi poenitentiam egeritis,
omnes similiter peribitis. Se mortifier à l’intention des âmes
du Purgatoire, c’est donc, d’un côté, assurer sa propre sanctification,
et, de l’autre, procurer efficacement le soulagement des défunts.
Du reste ce n’est pas d’aujourd’hui que la pratique de se mortifier, à
l’intention des défunts, ou au moins à leur occasion, est
établie, puisque nous lisons, au premier livre des Rois, que les
habitants de Jabès en Galaad, ayant appris la mort de Saül
et de ses trois fils, se levèrent aussitôt, dit le texte
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sacré, en marchant toute la nuit, prirent les corps et les ayant
ensevelis, jeûnèrent pendant sept jours. (Reg., XXXI, 13.)
Je sais que ce mot de mortification répugne tout particulièrement à la délicatesse de notre siècle. Il semble que ce soit un reste du moyen âge, destiné à disparaître avec d’autres vieilleries. Les haires, les disciplines, les cilices, sont aussi étrangers à la plupart des chrétiens de nos jours, que les fusils à rouet et les vieilles arquebuses de nos pères le sont à nos armées. Le jeûne et l’abstinence eux-mêmes sont tombés en désuétude. On a fait tout ce que l’on a pu pour en atténuer les antiques rigueurs, et malgré cela, devant les répugnances de ses enfants, l’Église, cette mère toujours indulgente, a dû lâcher la corde, et donner dispense sur dispense. Le carême n’est plus guère qu’un mot vide de sens; l’abstinence du samedi est tombée à peu près dans tous les diocèses, et le peu qui reste d’obligatoire est méprisé par le plus grand nombre des chrétiens.
Ce n’est plus dans nos mœurs, dit-on; j’en suis bien fâché pour nos mœurs, mais l’évangile ne change pas avec nos caprices. Tant qu’il y aura des pécheurs au monde, il y aura pour eux obligation de faire pénitence en ce monde ou en l’autre; permis à chacun d’user des dispenses que la sainte Église s’est vue forcée d’accorder à notre lâcheté, mais la loi de la pénitence ne change pas, et si, en continuant de pécher, nous ne nous préoccupons pas de payer nos dettes, nous aurons un terrible compte à solder en Purgatoire. Nous avons les indulgences, dites-vous; d’accord, mais vous oubliez que l’Église ne les accorde qu’aux vrais pénitents, vere poenitentibus.
Elle ne prétend pas encourager la tiédeur, mais venir
en aide à ceux qui font déjà tout ce qu’ils peuvent.
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Il faut donc en revenir à la pratique de la mortification si
nous ne voulons pas laisser s’accumuler ces effroyables arriérés,
et nous préparer un terrible Purgatoire. Après cela, il semble
qu’ayant tant à payer pour nous-mêmes, il est imprudent de
nous exhorter à payer encore pour les autres, il n’en est rien cependant.
Si nous avons la charité de payer les dettes de nos frères, nous pouvons espérer, comme je l’ai dit en parlant de l’aumône, que nous inclinerons Dieu, notre grand créancier, à user de miséricorde à notre égard, et d’ailleurs nous garderons toujours le mérite de nos œuvres, puisqu’il est inaliénable, et cette part l’emporte infiniment sur l’autre.
Imitons les Saints; ils nous ont donné à ce sujet d’illustres exemples. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit ailleurs des mortifications vraiment incroyables de la sainte vierge Christine, surnommée l’Admirable. Mais voici d’autres exemples qui sont mieux à la portée de notre faiblesse.
Le bienheureux François de Fabriano avait coutume d’offrir pour le soulagement des âmes du Purgatoire, toutes les austérités imposées par la règle (il était frère Mineur); il offrait en plus toutes les pénitences que sa ferveur lui imposait de surérogation. Il ne se réservait absolument rien, s’en remettant à la miséricordieuse bonté du Sauveur Jésus, pour le payement de ses propres dettes. Pour rendre ses pénitences plus agréables à Dieu, il les unissait aux souffrances de Jésus-Christ sur la croix.
Du reste, sa compassion pour les pauvres défunts était
si vive, qu’il ne pouvait arrêter sa pensée sur les tourments
du Purgatoire sans trembler de tous ses membres. De nombreuses apparitions
d’âmes délivrées par lui,
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vinrent lui apprendre combien sa charité était agréable
à Dieu (Bagata, liv. II, ch. I.)
La bienheureuse Catherine de Raconigi reçut de Notre-Seigneur lui-même l’ordre de se mortifier à l’intention des âmes du Purgatoire. Dans une de ses extases, il lui sembla voir le divin Sauveur lui ouvrir le cœur, et en tirer du sang, dont une partie tombait sur la tête des pécheurs, et l’autre part sur les âmes du Purgatoire. Elle comprit par là qu’elle devait travailler par la pénitence à ces deux grandes œuvres : la conversion des pécheurs et la délivrance des âmes du Purgatoire. Dieu bénit visiblement ses austérités pur les premiers, quand aux secondes, de nombreuses visions lui apprirent que ses mortifications ne produisaient pas moins de fruit dans le Purgatoire que sur la terre (Voir Vie de la bienh. Diario Dominicano, 4 sept.)
Saint Nicolas de Tolentino jeûnait souvent au pain et à l’eau pour les âmes du Purgatoire; il se donnait à cette intention de sanglantes disciplines, et pour ne pas perdre le souvenir de ses chères âmes, il s’était mis autour des reins une ceinture de fer étroitement serrée, dont les pointes pénétraient profondément dans sa chair, et lui servaient de memento jour et nuit; aussi, les âmes du Purgatoire lui apparaissaient très souvent, comme je l’ai raconté ailleurs, pour se recommander à ses pieux suffrages, ou pour le remercier de les avoir secourues (Surius, vie du Saint, 18 sept.)
Dans ces derniers temps, la vénérable Mère Françoise
du Saint-Sacrement ne montra pas une moins grande charité; elle
jeûnait presque toute l’année, au pain et à l’eau,
à l’intention des défunts. Chaque jour elle déchirait
sa chair sous les coups de la discipline. Jamais elle ne quittait un rude
cilice qu’elle portait nuit et jour, en
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sorte que le peu de repos qu’elle était forcée de donner
à la nature était encore une mortification non petite. J’ai
dit ailleurs comment des apparitions continuelles et d’innombrables délivrances
étaient la récompense de sa charité vraiment héroïque
(Vie de Françoise du Saint-Sacrement, liv. II.)
Tout cela est bien dur, dira-t-on : Durus est hic sermo ! J’en conviens; tout cela paraît bien extraordinaire à notre lâcheté; mais que voulez-vous ? je ne puis, pour vous faire plaisir, refaire l’Évangile et la vie des saints ! Du reste, que les personnes faibles de santé ou de courage se rassurent; là, comme pour l’aumône, Dieu regarde moins à l’acte en lui-même, qu’à la générosité du cœur; vous ne pouvez jeûner, porter le cilice, vous donner la discipline, imiter en un mot les exemples héroïques des saints; consolez-vous, il vous reste bien des moyens de vous mortifier, sans affaiblir vos forces et sans détruire votre santé. S’abstenir, pour l’amour de Dieu, et en esprit de pénitence, de quelque distraction permise, mais, où la charité ne nous oblige pas à prendre part; se retrancher, dans les repas, quelque chose qui serait à notre goût, mais qui n’est pas nécessaire à notre santé, qui peut-être même lui est nuisible; donner un peu moins de liberté à nos yeux, à notre langue, à nos oreilles; ne pas chercher à tout savoir, à tout voir, à être au courant des mille futilités, qui se disent chaque jour dans le monde; voilà des mortifications qui ne sont certainement pas bien terribles et bien héroïques, mais la bonté de notre Dieu est si grande, qu’il veut bien les accepter, en expiation de nos fautes, et en payement des fautes des défunts.
Qui donc serait assez lâche pour se refuser à ces légers
sacrifices, que nous avons l’occasion de pratiquer chaque jour, à
chaque heure du jour, pour ainsi dire ?
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Qu’on me permette de citer un exemple presque personnel : Une de mes
parentes, bonne religieuse, mais bien éloignée de l’héroïsme
des saints, perdit une amie qu’elle avait dans le monde; or, il arriva
qu’un soir, à quelque temps de là, elle se sentit pressée
de soif, et son premier mouvement fut de se rafraîchir; sa règle
ne s’y opposait nullement, mais elle eut la bonne pensée de se refuser
ce petit soulagement, en faveur de son amie défunte; c’est bien
peu de chose que le sacrifice d’un verre d’eau, un homme du monde ne manquerait
pas de traiter cette mortification de puérilité. Dieu n’en
jugea pas ainsi, paraît-il, car la nuit suivante, cette pauvre âme
apparut à la sœur, en la remerciant vivement de ce qu’elle avait
fait pour elle. Ces quelques gouttes d’eau, dont la mortification avait
fait le sacrifice, s’étaient changées en un bain rafraîchissant,
pour tempérer les ardeurs du Purgatoire.
Après cela, quel prétexte pourrions-nous invoquer pour ne pas pratiquer la mortification en faveur des défunts ? est-il quelqu’un d’assez faible pour ne pouvoir faire à l’occasion le sacrifice d’un verre d’eau ?
Pour la consolation de ceux qui vivent sous l’obéissance religieuse,
je veux ajouter ici qu’en faisant la volonté de leurs supérieurs,
ils sont plus agréables à Dieu, et secourent plus efficacement
les âmes du Purgatoire, que s’ils faisaient de grandes mortifications.
L’exemple de la bienheureuse Marguerite-Marie est bien instructif à
cet égard. Comme la générosité la poussait
toujours à excéder la mesure de ses forces, ses supérieures
étaient forcées de surveiller ses pas dans le chemin de la
mortification. Chaque jour elle les tourmentaient pour s’infliger de nouvelles
rigueurs, et son déplaisir était grand quand on les lui refusait.
Or, un jour, qu’elle avait obtenu la permis-
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sion de se donner la discipline pour les âmes du Purgatoire,
elle se laissa emporter par son zèle, et dépassa les limites
de la permission; mais aussitôt les âmes du Purgatoire l’entourèrent
en gémissant et se plaignant qu’elle frappait sur elles, au lieu
de les soulager. Notre-Seigneur voulut lui apprendre ainsi que l’obéissance
est la plus excellente mortification d’une religieuse, et qu’il n’agrée
pas ce que l’on fait en dehors. (Vie de la B.)
Du reste, s’ils sont bien fidèles à pratiquer tous les points de leur règle, ceux qui vivent en communauté trouvent assez d’occasions de se mortifier. " Ma plus grande pénitence, disait le frère Berchmans, c’est la vie commune; " et un saint religieux comparaît la vie monastique, quand elle est pratiquée sérieusement, à un martyre aussi méritoire et plus pénible que le martyre sanglant, à cause de sa durée.
La V. Agnès, prieure de Langeac, vit un jour une de ses religieuses défunte lui apparaître, pour la remercier de ce qu’en lui faisant pratiquer nombre de fois la mortification de l’obéissance, elle avait considérablement abrégé son Purgatoire. (Vie de la mère Agnès.)
C’était aussi la pratique de saint Louis Bertrand. Étant
maître des novices, il était très sévère
à exiger d’eux la parfaite observance des règles, et punissait
rigoureusement les moindres infractions à la discipline monastique;
tous les vendredis, après matines, il tenait au milieu de la nuit,
le chapitre des coulpes, et il se montrait impitoyable aux moindres fautes.
Il disait à ses chers enfants que la charité qu’il avait
pour eux l’obligeait à cette rigueur, car il leur était plus
avantageux d’expier en ce monde leurs manquements par quelques bons coups
de discipline, que de réserver à faire cette expiation dans
le Purgatoire. Mais, comme tous les saints, il avait la charité
de prendre sur
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lui la plus grande part des satisfactions qu’il imposait, et une fois
rentré dans sa cellule, il se disciplinait vigoureusement lui-même
pour suppléer à ce que ses pauvres novices n’avaient pu faire;
quand la mort lui enlevait quelqu’un, il ne se donnait pas de relâche
qu’à force de mortifications, il ne l’eût délivré
des flammes du Purgatoire. (Voir la vie du saint dans le diario Dominicano,
au 10 octobre.)
L’exemple suivant nous montrera combien l’obéissance religieuse, unie à la mortification, a d’efficacité pour préserver du Purgatoire.
Dans le couvent dont la B. Émilie, dominicaine, était prieure, à Verceil, c’était un des points de la règle de ne jamais boire entre les repas à moins d’une autorisation expresse de la supérieure. Cette autorisation, la sainte avait pour pratique ordinaire de ne jamais l’accorder; elle engageait ses sœurs à faire de bonne grâce ce petit sacrifice, en souvenir de la soif ardente que le Sauveur Jésus avait éprouvée pour leur salut sur la croix, et, pour les encourager encore mieux, elle leur conseillait de confier ces quelques gouttes d’eau à leur ange gardien, afin qu’il les leur réservât dans l’autre vie, pour apaiser les ardeurs du Purgatoire; une vision miraculeuse montra combien cette pieuse pratique était agréable à Dieu.
Une sœur, nommée Cécile Avogadra, vint un jour lui demander
la permission de se rafraîchir, car elle était pressée
de soif : " Faites ce léger sacrifice par amour pour Dieu et en
vue du Purgatoire, lui répondit la Prieure. " - " Mais, ma mère,
ce sacrifice n’est pas déjà si léger, je meurs de
soif. " - Néanmoins la bonne sœur, un peu contristée, se
rendit à l’obéissance. Elle en fut bien récompensée.
Quelques semaines après, elle mourait, et au bout de trois jours,
elle apparaissait toute rayonnante de gloire
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à la mère Émilie. – O ma mère, combien
je vous remercie, lui dit-elle; figurez-vous que j’étais condamnée
à un long Purgatoire pour avoir trop aimé ma famille, et
voilà qu’au bout de trois jours à peine, je vis arriver dans
ma prison mon ange gardien tenant à la main ce verre d’eau, dont
vous m’avez fait autrefois offrir, un peu malgré moi, je l’avoue,
le sacrifice à mon divin époux. A peine il avait répandu
cette eau sur les flammes au milieu desquelles j’étais plongée,
elles se sont éteintes tout d’un coup, et voilà que je prends
mon essor vers le ciel, où ma reconnaissance ne vous oubliera pas.
" (Vie de la bienh. au diario Dominicano, 3 mars.)
Mais tout le monde n’est pas appelé à pratiquer l’obéissance
religieuse. Pour les nombreux chrétiens qui vivent dans le monde,
le moyen le plus pratique de faire pénitence, et de se préserver
du Purgatoire, ou de soulager ceux qui y sont prisonniers, c’est d’accepter
avec résignation, et sans murmurer, ces peines de chaque jour, que
notre Père céleste nous envoie, dans la pensée de
nous mettre en état de payer nos dettes spirituelles. Je crois fermement
que celui qui serait fidèle à accepter simplement ces épreuves,
se trouverait à la mort et sans autre pratique de pénitence,
avoir satisfait pleinement à la Justice divine; car Dieu, qui fait
tout avec poids et mesure, doit proportionner l’expiation terrestre à
la somme des fautes commises. Cela est vrai de la générosité
des âmes, et s’il en est à qui Dieu réserve une part
surabondante d’épreuves, ces privilégiés de la croix
ne sont ainsi frappés que pour augmenter leurs mérites, et
donner au monde ce grand exemple du juste triomphant par la patience. Mais,
en thèse générale, je crois que l’épreuve de
chacun est proportionnée à ce qu’il doit expier. Si donc,
on avait soin de ne rien perdre du mérite de ces précieuses
souffrances, on
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serait quitte envers Dieu, et le Purgatoire n’aurait plus de raison
d’exister.
C’est ce que nous apprend l’histoire de ce bon religieux, dont parle Rodriguez. Pendant sa vie, il n’avait rien fait d’extraordinaire, ni pratiqué aucune vertu bien héroïque, mais il avait été fidèle particulièrement à recevoir avec soumission les peines que Dieu lui avait envoyées. Après sa mort, son Père Abbé apprit avec surprise, par révélation, qu’il avait été tout droit au Ciel, sans passer par le Purgatoire, en récompense de son entière résignation à la volonté de Dieu.
Mais, hélas ! comme ils sont rares ceux qui savent profiter de la souffrance; verus patiens raro invenitur, rien de plus rare que de trouver un homme patient, dit l’auteur de l’Imitation. Trop souvent, ces souffrances miséricordieuses, que Dieu nous envoyait pour nous mettre en état de nous acquitter, n’ont eu d’autre résultat que de grossir le chiffre de notre dette. On ne trouve presque plus de chrétiens, à notre époque, qui comprennent les mystères de miséricorde que Dieu a cachés sous l’épreuve.
- " Qu’ai-je fait à Dieu pour qu’il me frappe ainsi ? " Ah ! pauvre âme affligée ! ce que vous avez fait à Dieu ! mais, comptez-donc les fautes innombrables de votre vie, fautes encore inexpiées, et remerciez la bonté de Celui qui vous éprouve maintenant, pour n’avoir pas à vous punir plus tard.
Que si vous croyez sincèrement que l’épreuve où
Dieu vous met dépasse la mesure de vos fautes, je vous dirai : Chère
âme, âme privilégiée, regardez au-dessous de
vous dans les abîmes du Purgatoire ces amis, ces parents qui vous
implorent. Vous êtes malade, la souffrance a brisé vos forces;
ou bien, vous êtes éprouvé dans votre fortune, dans
votre réputation, dans votre honneur; on vous mé-
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prise, on vous calomnie, vos amis vous abandonnent; vous éprouvez,
dans toute leur amertume, les injustices de l’envie et la bassesse des
âmes subalternes, votre pauvre cœur est brisé, et la parole
de Gethsémani est sur vos lèvres : Mon âme est triste
jusqu’à la mort; ô trop heureuse prédestinée,
offrez tout cela pour le soulagement des âmes qui vous sont chères;
souffrez pour vos proches, pour vos amis, pour vos ennemis même,
qui, du milieu des flammes, se recommandent à vous.
En agissant ainsi, vous embellirez votre couronne, et vous imiterez le Sauveur Jésus, qui a racheté le monde en souffrant pour lui sur la Croix. Vous aussi, du haut de votre calvaire, vous pouvez être rédempteur, racheter les âmes qui souffrent, en les faisant passer des obscurités de leur prison aux rayonnantes clartés de la gloire céleste.
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Chapitre 19 De la prière
Mérite de cette œuvre. – Que la plus petite prière est très utile aux défunts. – Qualités que doit avoir cette prière pour être efficace : persévérance, ferveur, état de grâce. – Exemples des saints. – Des différentes prières que l’on peut appliquer utilement aux défunts. – De l’office des morts. – Du chemin de la croix. – Du rosaire. – Des suffrages des troisième, septième et trentième jours. – Des anniversaires. – Des neuvaines. – Du mois des âmes du Purgatoire.
Le troisième moyen que nous avons de soulager efficacement les âmes du Purgatoire, c’est la prière, cette œuvre est la plus facile, la plus à la portée de tous; peut-être que la faiblesse de votre santé, ou votre lâcheté naturelle, vous empêche de jeûner et de faire des mortifications, pour le soulagement des défunts, mais quelle raison pouvez-vous apporter pour ne pas prier ? direz-vous que le temps vous manque ? mais il n’est pas nécessaire, pour soulager efficacement les défunts, de passer les jours et les nuits en oraison; la plus courte prière, si elle est accompagnée des dispositions convenables, suffit pour obtenir, sinon la délivrance, au moins le soulagement d’un malheureux; une aspiration du cœur et des lèvres, c’en est assez : aussitôt le rafraîchissement, la lumière et la paix descendent au milieu de ces tristes cachots.
Un saint évêque vit un jour, en songe, un enfant qui, avec
un hameçon d’or, attaché à un fil d’argent, retirait
une femme du fond d’un puits. A son réveil, il regarde par la fenêtre,
et voit dans le cimetière voisin le même en-
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fant agenouillé sur une tombe encore fraîche. " Que fais-tu
là, mon petit ami ? " - " Monseigneur, répond l’enfant, je
dis un Pater et un Miserere pour l’âme de ma mère qui est
enterrée ici. " Dieu fit connaître à son serviteur
que cette simple prière d’un petit enfant venait d’opérer
la délivrance de cette âme, et que l’hameçon d’or représentait
le Pater, et le Miserere le fil d’argent de cette ligne mystique. (Rossignoli,
Merveilles du Purgatoire, XXVIIe merveille.)
Le même auteur rapporte, d’après la chronique de Tritème, qu’un bon religieux avait la coutume, chaque fois qu’il passait dans un cimetière, de réciter un Requiem oeternam pour le soulagement des défunts. C’est bien court, et à en juger humainement, on ne voit pas trop quelle grande utilité peut sortir de là. Les âmes du Purgatoire ne sont pas, paraît-il, de cet avis; un jour que ce bon moine, préoccupé d’autres choses, passait dans un cimetière sans réciter sa prière accoutumée, plusieurs cadavres sortirent visiblement de leur tombe, et le poursuivirent de ce verset du psalmiste; et non dixerunt qui proeteribant : benedictio Domini super vos; ceux qui passaient n’ont pas dit : que la bénédiction du Seigneur soit sur vous. A ces paroles le religieux, tout confus de son oubli, répond par la fin du verset : Benedicimus vobis in nomine Domini; nous vous bénissons au nom du Seigneur. A cette simple invocation les morts se recouchent dans leur tombe, comme s’ils eussent été suffisamment soulagés. (Même ouvrage, XCIIe merveille.)
Le trait suivant montre bien quel est, au regard de Dieu, le prix de la plus légère prière, et combien sa valeur l’emporte sur toutes les richesses de la terre.
Un jeune homme venait de perdre son père; désirant procurer
efficacement le soulagement de cette chère âme,
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il se rendit au couvent des Chartreux, situé près de
là, et leur apporta une grosse somme d’argent, en demandant leurs
suffrages pour son cher défunt; aussitôt on rassemble la communauté
au chœur, et tous les moines entonnent le Requiescant in pace. Le supérieur
répond amen et les religieux rentrent dans leur cellule.
C’est bien peu, pensait en lui-même ce bon jeune homme; eh quoi ! pour une somme si importante un seul Requiescant in pace. Mon pauvre père n’aura pas d’autres suffrages. Il s’approche alors modestement du prieur, et lui expose respectueusement sa surprise.
Celui-ci était un homme de Dieu, versé dans la connaissance des choses surnaturelles.
- " Vous croyez donc, mon cher enfant, avoir fait davantage pour le monastère que nous n’avons fait pour l’âme recommandée à nos prières; vous pensez sans doute que nous sommes encore vos débiteurs ? " - " Oui, mon père, je l’avoue. "
- " Eh ! bien, attendez un instant, vous connaîtrez bientôt votre erreur. "
Aussitôt, il commande à ses religieux d’écrire chacun leur Requiescant in pace sur un bout de papier, puis il se fait apporter des balances; dans un des plateaux il dépose la somme qui a été offerte, dans l’autre tous les petit billets. O surprise, le plateau où est l’argent se relève aussitôt, comme s’il était chargé d’une simple paille, et l’autre plateau s’incline visiblement, sous le poids des billets sur lesquels est inscrite la prière des religieux.
Le jeune homme, tout confus, demanda pardon au prieur de son manque
de foi; par son ordre, et pour perpétuer la mémoire du prodige,
on plaça sur la tombe de son père, une large dalle sur laquelle
on grava ces simples
312:
mots: Requiescant in pace. (Voir chronique des Chartreux, ch. VII.)
Un bon supérieur des Théatins, connaissant cette histoire, s’en servit à son tour pour convaincre un incrédule, qui refusait de croire à l’efficacité de la prière.
Un riche seigneur vénitien envoya au Père Montorfano, prieur des Théatins, une somme considérable en or, afin qu’il fit célébrer un service solennel pour les membres défunts de sa famille.
Le bon Père, habitué à la pauvreté du cloître, fit les choses très convenablement, mais trop simplement, paraît-il, au gré de son mondain bienfaiteur.
Celui-ci, fort mécontent, envoya un messager se plaindre de la parcimonie des religieux.
Le souvenir du bon Père Chartreux revint alors en la mémoire du Père Montorfano, et sans perdre le temps à discuter avec cet homme charnel, pour lui démontrer le prix de la prière, il prit le messager par la main et l’amena dans sa cellule.
Arrivé là, il écrit sur une feuille de papier le psaume De profundis, puis commande à un frère de lui apporter une balance; dans un des plateaux il mit la feuille de papier, et dans l’autre la somme reçue; Dieu récompensa la foi de son serviteur, en renouvelant le miracle; ce fut le plateau de l’or qui céda. On renouvela l’expérience, en changeant l’or et le papier de plateau. Le résultat fut le même. Le mondain comprit alors la valeur surnaturelle de la plus petite prière; il cessa de se plaindre, et en mémoire de cet événement fit faire un tableau pour représenter toute la scène. (V. Hist. de l’ordre des Théatins, liv. XV.)
Ces exemples montrent la valeur surnaturelle de la prière, et
son efficacité pour le soulagement des défunts;
313:
mais s’il s’agit de la délivrance entière d’une âme,
on aurait tort de penser en être quitte à si bon compte, au
moins d’ordinaire.
Ce que j’ai dit ailleurs de la durée des peines du Purgatoire, montre que Dieu met à plus haut prix la rançon d’une âme. A moins d’une révélation spéciale, dit Bellarmin, on ne doit jamais cesser de prier pour un défunt et croire à la légère qu’on l’a délivré.
La persévérance, telle est la première qualité que doit avoir la prière pour les morts, si nous voulons vraiment atteindre notre but, qui est de les délivrer.
C’est que l’on voit très bien par exemple de saint André Avelino : il faisait beaucoup de prières pour les défunts qui lui étaient recommandés et ne cessait ses suffrages que lorsque les âmes, en venant le remercier, lui donnaient ainsi l’assurance de leur délivrance.
Du reste, les lumières surnaturelles ne lui manquaient pas ; il lui arrivait quelquefois en priant d’éprouver comme une résistance intérieure, un sentiment d’invincible répugnance. Dans l’oblation du divin Sacrifice en faveur des défunts, il sentait quelquefois, au sortir de la sacristie, comme une main qui le retenait pour l’empêcher de monter à l’autel ; avec son tact surnaturel, il comprenait aussitôt qu’il était inutile de prier davantage pour cette âme ; d’autres fois au contraire, il éprouvait une ferveur inaccoutumée, un attrait fort vif ; il en concluait en ce cas qu’il était exaucé, et que sa prière ne restait pas inutile. (V. Vie du Saint.)
A cette persévérance dans la prière, il faut ajouter
la ferveur. Il s’agit en effet de faire violence à la justice de
Dieu, et d’obtenir pour ceux que l’on a en vue la plus grande grâce
que Dieu puisse accorder à une créature humaine, la vision
béatifique ; on comprend que la tiédeur
314:
et la négligence dans la prière ne peuvent obtenir un
si grand résultat. Ici, encore, nous avons pour nous encourager
l’exemple des saints ; par l’ardeur et la vivacité de leur demande,
ils mettaient Dieu dans l’impossibilité de leur rien refuser. Il
n’en est pas de la prière, en effet, comme des sacrements, qui opèrent
ex opere operato, indépendamment des dispositions du Ministre ;
ici au contraire, tant vaut le suppliant, tant vaut la prière ;
et voilà pourquoi nous obtenons si peu de choses, tandis que les
saints, comme d’autres Jacob, savent lutter avec l’ange du Seigneur, se
montrer forts contre Dieu, et lui arracher ses bénédictions.
" Ma fille, disait un jour Notre-Seigneur à sainte Lutgarde, je ne puis résister à vos prières ; soyez tranquille, l’âme pour qui vous priez sera bientôt délivrée de ses souffrances. " (Vie de la Sainte dans Surius, 16 juin.)
Enfin, il est une troisième condition encore plus indispensable, pour que la prière que nous adressons à Dieu, en faveur des défunts, soit exaucée, c’est de la faire en état de grâce.
La chose parle d’elle-même ; celui qui, par le péché mortel est l’ennemi de Dieu, comment pourrait-il être un intermédiaire agréé entre la divine justice et les saintes âmes du Purgatoire ? (scimus qui peccatores Deus non audit ;) nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs ; c’est l’oracle de la sagesse éternelle et le témoignage du bon sens.
Quelles sont maintenant les prières que l’on peut faire le plus
utilement pour les défunt ? Je mets de côté la prière
par excellence, le saint sacrifice de la messes, et les prières
auxquelles sont attachées des indulgences ; ces deux matières
demandent, à cause de leur importance, à être traitées
à part. Ceci posé, je vous dirai, avec un grand
315:
maître de la vie spirituelle, le père Faber, parmi toutes
les formules approuvées par l’Eglise, et qui se trouvent dans tous
les manuels de piété, choisissez celles qui reviennent le
mieux à votre attrait spirituel ; il n’est pas nécessaire
du tout de faire de vos prières et pratiques de piété
un acte de mortification. C’est là une notion janséniste,
absolument fausse et dangereuse. Tout est facultatif en cela ; une pratique
excellente pour une âme ne vaut souvent rien pour une autre ; l’essentiel
n’est pas de faire telle chose, mais de faire quelque chose pour ces pauvres
âmes. Voici les principales pratiques de piété que
l’on peut se proposer de faire en faveur des défunts ; chacun choisira
selon son goût.
Au premier rang, je mets la prière canonique, l’office des défunts ; je sais que cette dévotion n’est plus guère dans les habitudes de notre piété, mais, sans vouloir jeter le discrédit sur les autres formules, je crois qu’il n’en est aucune qui vaille celle-là, parce que c’est la prière de l’Eglise, c’est la supplication de notre Mère commune, en faveur de ses enfants malheureux. On peut donc croire que cette prière faite ainsi au nom de l’Eglise, a plus d’efficacité que tout autre pour toucher le cœur de Dieu.
La Mère Françoise du Saint-Sacrement, malgré les nombreuses occupations de sa charge, récitait tous les jours de fête l’office des défunts, parce que, en ces jours-là, elle avait un peu plus de temps à consacrer à la prière.
Voici à cette occasion ce que Sainte Thérèse raconte
dans sa vie écrite par elle-même. " Un jour des morts, je
me retirai le soir dans un oratoire pour y réciter l’office des
morts ; alors je vis paraître un monstre horrible, qui se posa sur
mon livre, de telle façon que je ne pouvais ni lire, ni poursuivre
ma prière. Je me défendis en faisant le signe de la Croix,
et l’esprit maudit se retira
316:
par trois fois ; mais à peine je me remettais en devoir de recommencer
la récitation des psaumes, qu’il revenait me déranger. Je
ne pouvais parvenir à l’éloigner, et je ne m’en délivrais
qu’en aspergeant le livre d’eau bénite, dont lui-même reçut
quelques gouttes. Oh ! à ce moment là, il prit la fuite avec
précipitation, et me laissa achever ma prière ".
" J’avais à peine terminé, que je vis sortir du Purgatoire un certain nombre d’âmes, qui n’attendaient que ce léger suffrage, et c’est pour cela que le démon jaloux voulait l’empêcher. " (Vie de la sainte, écrite par elle-même, sect. 31.) On voit par là combien la prière canonique est utile pour les pauvres défunts, et comme le démon la redoute.
Dans le même ordre de suffrages, on peut ranger la récitation du psautier, dévotion autrefois très commune parmi le peuple chrétien, et qui est devenue bien rare de nos jours.
Néanmoins, on la retrouve encore dans plusieurs ordres religieux restés gardiens fidèles des vielles traditions. Au moyen âge, l’empereur Othon IV, insigne bienfaiteur des ordres religieux répandus en Allemagne, apparut après sa mort, à une de ses tantes, pour lui faire connaître que, malgré ses bonnes œuvres, et le renom de piété dans lequel il était mort, il souffrait néanmoins cruellement en Purgatoire. Il lui demanda d’avertir les monastères qui avaient participé à ses largesses, et de les prier de réciter pour lui le psautier un grand nombre de fois, " car ajouta-t-il, c’est par ce moyen que je dois être purifié ; la divine miséricorde voulant que je sois délivré par les ordres religieux auxquels j’ai fait bien. "
Les différents monastères, avertis du désir de
leur bienfaiteur, s’empressèrent de répondre à sa
demande, et quelques jours après, il se fit voir de nouveau, mais
cette
317:
fois tout brillant des clartés célestes. Son expiation
était terminée, et la récitation de nombreux psautiers
avait été pour lui l’instrument de la délivrance.
(V. Catimpré, Apum, liv. II, ch. LI. n°19.)
Si la récitation du psautier vous effraye par sa longueur, il
est une pratique de dévotion plus courte, et dans le même
ordre d’idées, c’est la récitation des sept psaumes de la
pénitence. Dieu s’est plu souvent à prouver par des miracles,
que cette dévotion lui est agréable.
Un saint évêque, nommé Bristano, avait la pieuse
pratique de se lever la nuit, pour aller dans le cimetière réciter
les sept psaumes pénitentiaux, sur la tombe des défunts.
Or, l’histoire rapporte que, dans une des circonstances, comme il achevait,
selon l’usage, chacun des psaumes, par le verset Requiescant in pace, une
foule de voix, sorties du sein de la terre, répondirent distinctement
Amen. (V. Bagata, liv. II, ch. I.) Saint Bernard, étant encore novice
à Cîteaux, avait l’excellente pratique de réciter tous
les soirs les sept psaumes pénitentiaux pour le repos de l’âme
de sa mère. Or un soir, soit négligence, soit préoccupation
d’esprit, il omit sa pieuse pratique. Mais son abbé, saint Etienne,
était un homme de Dieu ; il connut par révélation,
l’omission dont son cher disciple s’était rendu coupable, et le
faisant venir le lendemain matin : Mon frère, lui dit-il, où
avez-vous laissé hier la récitation de vos psaumes pénitentiaux,
ou qui avez-vous chargé de ce soin ? Saint Bernard n’avait parlé
à personne de sa pieuse pratique ; il fut surpris de voir que son
abbé en eut connaissance, ainsi que de son omission, et se jetant
à ses pieds, il lui promit d’y être fidèle désormais.
Il connut par là combien cette prière est agréable
à Dieu (Vie du saint, Bolland., 20 août)
Enfin, toujours dans le même ordre d’idées, je trouve
318:
dans la vie du P. Jean Corneille, de la Compagnie de Jésus,
une pratique encore plus courte et plus facile, c’est la récitation
du psaume De profundis. Chaque fois que ce père se lavait les mains,
il récitait le De profundis, en priant dieu de purifier les âmes
du Purgatoire du reste de leurs fautes, et plusieurs visions miraculeuses
vinrent attester que ce simple suffrage était très utile
aux défunts.
Un autre suffrage d’un très grand prix pour les défunts,
c’est le Chemin de la Croix, tant à cause des nombreuses indulgences
qui sont attachées à cet exercice, qu’à cause de l’
excellence de cette prière en elle-même, puisqu’elle consiste
essentiellement dans la méditation des souffrances de Jésus.
C’est la grande immolation du Calvaire qui est pour tout pécheur
l’instrument nécessaire de la Rédemption, et l’efficacité
de ce sang divin découlant sur ces pauvres âmes du Purgatoire,
pour les purifier des restes de leurs souillures, ne saurait être
mise en doute pour quiconque a la foi.
Voici ce qu’on lit au sujet de cette précieuse dévotion
dans la vie de la V. Marie d’Antigna. Elle avait eu longtemps la sainte
pratique de faire chaque jour le Chemin de la Croix pour le soulagement
des défunts, puis elle s’était un peu relâchée
de sa première ferveur, et depuis quelque temps s’était abstenue
de le faire. Notre-Seigneur, qui avait de grands desseins sur cette âme,
et qui voulait en faire une victime d’amour pour la consolation des pauvres
âmes du Purgatoire, sut bien la rappeler à son devoir. Un
jour une religieuse du même monastère lui apparut, quelque
temps après sa mort. – Ma sœur, lui dit-elle en gémissant,
pourquoi ne faites-vous plus les stations du Chemin de la Croix pour moi
et pour les autres âmes souffrantes, comme vous aviez coutume auparavant
? " En ce moment le doux Sauveur des âmes lui apparut avec
319:
un visage sévère : -- " Ma fille, lui dit-il, je suis
très fâché de ta négligence. Il faut que tu
saches que les stations du Chemin de la Croix sont très profitables
aux âmes du Purgatoire ; c’est pourquoi j’ai permis à cette
âme de venir en son nom, et au nom de toutes les autres, se réclamer
de toi. C’est là un suffrage d’une importance majeure. C’est parce
que tu le faisais exactement autrefois, que tu as été favorisée
de communications habituelles avec les défunts ; c’est pour cela
aussi que ces âmes reconnaissantes ne cessent de prier pour toi,
et de plaider ta cause au tribunal de ma justice. Fais connaître
ce trésor à tes sœurs, et dis-leur d’y puiser largement pour
elles et pour les défunts.
On peut aussi, et très utilement, réciter le Rosaire
ou le chapelet pour le soulagement des défunts. Les pauvres âmes
du Purgatoire connaissent bien son efficacité. On lit dans la vie
de la Mère Françoise du Saint-Sacrement qu’elle récitait
chaque jour le rosaire, pour la délivrance des défunts, et
au lieu du Gloria Patri, elle terminait chaque dizaine par le verset requiescant
in pace. Elle appelait son chapelet son aumônier ; c’était
lui, en effet, qui lui permettait de faire aux âmes du Purgatoire
de riches aumônes spirituelles, et de les mettre en état de
s’acquitter envers Dieu. Aussi, dans les fréquentes visites que
lui faisaient ces pauvres âmes, on les voyait lui prendre des mains
son chapelet et le baiser avec respect, comme l’instrument de leur salut.
Un autre dévot aux âmes du Purgatoire, Joseph Nieremberg,
dont j’ai déjà plusieurs fois parlé, avait aussi la
coutume de réciter chaque jour le chapelet à la même
intention. Il avait pour cela un chapelet enrichi de nombreuses indulgences.
Il vint à le perdre, ce qui le chagrina beaucoup, à cause
de ces pauvres âmes ; or, un soir que,
320:
faute de mieux, il offrait à Notre-Seigneur sa bonne volonté,
il entend au plafond de sa chambre un bruit singulier, il regarde, et voit
tomber à ses pieds, son chapelet avec toutes les médailles
qui y étaient attachées. Il ne douta pas que ce ne fussent
les âmes du Purgatoire qui le lui renvoyaient, pour l’encourager
à persévérer dans une pratique qui leur était
utile. (Loco citato.).
J’ai parlé ailleurs de cette jeune fille morte dans l’état
de péché mortel, et ressuscitée par saint Dominique,
mais je remarquerai à propos de la dévotion du Rosaire que
ce furent les prières des associés, qui lui obtinrent d’être
délivrée du Purgatoire, au bout de quinze jours. Elle avait
été condamnée pour ses crimes à sept cents
ans de Purgatoire ; on voit ici l’étonnante efficacité de
cette pratique. Aussi cette âme bienheureuse, en apparaissant au
saint pour le remercier, ajouta qu’elle venait comme ambassadrice au nom
des âmes du Purgatoire, le conjurant de prêcher partout,
et de faire connaître à tout le monde la dévotion du
saint Rosaire ; que les confrères dit-elle, appliquent à
ces pauvres âmes les indulgences et les autres faveurs spirituelles
dont ils possèdent dans cette dévotion un trésor si
abondant. Ils n’y perdront rien, car les âmes ainsi délivrées,
à leur tour, prieront pour leurs bienfaiteurs, quand ils seront
en possession de la couronne. Les anges se réjouissent de cette
dévotion, et la Reine du Ciel s’est déclarée la Mère
de tous ceux qui l’embrassent. (Loco citato.)
On voit qu’il ne se peut trouver rien de plus encourageant pour exciter
les fidèles à réciter le rosaire ou au moins le chapelet
en mémoire des défunts.
C’est pour cela que, dans beaucoup de communautés religieuses,
et en particulier dans tous les séminaires de Saint-Sulpice, l’usage
s’est établi d’ajouter une sixième
321:
dizaine à la récitation quotidienne du chapelet. Cette
sixième dizaine est à l’intention des défunts, et
l’on ajoute en terminant le De profundis, afin d’en appliquer le fruit
spirituel aux âmes du Purgatoire.
Bien que tous les jours soient égaux devant l’éternité
de Dieu, néanmoins, pour des raisons mystérieuses, qui restent
cachées à la raison de l’homme, l’Eglise, interprète
autorisé des volontés divines, a réservé certains
jours plus particulièrement aux suffrages à faire en faveur
des défunts, ces jours sont, après celui de la mort, le troisième,
le septième, le trentième et l’anniversaire. Ces jours-là,
la rubrique accorde des oraisons spéciales, une plus grande latitude
est donnée de célébrer la messe de requiem, ce qui
est une invitation à prier plus particulièrement ces jours-là
pour ceux que nous avons perdus.
Nous avons vu aussi que, chez les Bénédictions, et dans
plusieurs familles religieuses, les trente jours qui suivent la mort sont
consacrés à offrir des suffrages et à distribuer des
aumônes à l’intention du défunt. C’est une tradition
qui remonte à saint Grégoire le Grand, et qui s’appuie sur
une révélation dont je parlerai plus loin.
C’est encore une excellente pratique, tout à fait approuvée
par l’Eglise, de faire des neuvaines de prières pour les âmes
du Purgatoire. On sait que le synode janséniste de Pistoie rangeait
tous ces pieux usages de nos pères parmi les superstitions dont
il prétendait purger l’Eglise. Le Pape Pie VI, en condamnant formellement
ce synode, nous a donné la vraie pensée de l’Eglise ; sans
doute, tous les jours sont bons pour la prière, et il faut se garder
des vaines observances ; mais il faut se garder avec encore plus de soin
de condamner ce que l’Eglise approuve, sous le beau prétexte que
notre petit jugement n’en comprend pas les raisons ; ne soyons pas plus
sages que notre Mère.
322
Dans plusieurs endroits, les personnes pieuses ont coutume de consacrer
un des jours de la semaine, le lundi ou le vendredi ordinairement, à
prier pour les défunts ; le matin, on assiste au saint sacrifice
à cette intention, et le soir on récite le rosaire ou l’on
fait le chemin de croix pour eux.
Enfin, dans ces derniers temps, la dévotion des fidèles leur a suggéré de faire, pour le soulagement des âmes du Purgatoire, ce qui se pratique partout en l’honneur de la très sainte Vierge, de prendre un mois tout entier, le mois de novembre, pour secourir les défunts. Le P. Faber recommande beaucoup cette dévotion, et je l’ai vue avec grande édification pratiquée, avec beaucoup de zèle et assiduité dans plusieurs églises.
Voilà un &abrégé des souffrances que l’on peut
offrir à Dieu en faveur des âmes souffrantes ; toutes ces
pratiques sont excellentes, et, en même temps, toutes sont parfaitement
facultatives. Ce qui ne l’est pas, comme je l’ai surabondamment démontré
ailleurs, et c’est le principe même de la prière pour les
morts. Il y a là une véritable obligation, obligation de
justice, à l’égard de quelques-uns, obligation de charité
envers tous.
Chapitre 20 Le saint sacrifice
de la messe
et la communion pour les défunts p.323 - 340
323:
" Valeur infinie du saint sacrifice de la messe -
Efficacité limitée au bon plaisir de Dieu - Que cette
oeuvre l'emporte sur toutes les autres - Exemples des saints - Cette oeuvre
opère par elle-même indépendamment des dispositions
de celui qui célèbre ou de celui qui fait
célébrer - Fruit accidentel de la ferveur - De la messe
pour les défunts - Des trente messes de saint Grégoire -
Des autels privilégiés - De la communion pour les défunts."
Nous voici arrivés à l'oeuvre par excellence l'oblation
du divin Sacrifice c'est encore une prière si l'on veut c'est la
plus sainte des prières puisque c'est la prière du Christ
c'est aussi la plus efficace car le divin Sauveur nous apprend dans l'Evangile
qu'il est toujours exaucé de son Père mais c'est bien plus
qu'une prière c'est un sacrifice c'est-à-dire un don que
notre pauvreté fait à Dieu et quel don Ah il ne s'agit plus
comme aux jours de Judas Machabée de quelques taureaux immolés
dans le temple pour l'expiation des fautes de ceux qui sont tombés
dans le combat c'est le sang du Christ le sang du Calvaire qui coule sur
l'autel c'est la Passion et les mérites rédempteurs dont
on renouvelle la mémoire que dis-je la mémoire c'est la réalité
non sanglante il est vrai mais néanmoins tout entière et
toute vive Sainte Madeleine de Pazzi avait de Notre Seigneur à offrir
au Père Eternel le sang de son divin Fils c'était une simple
commémoration de la Passion qu'elle faisait ainsi cinquante
324:
fois chaque jour dans une de ses extases notre doux Sauveur lui fait
voir un grand nombre de pécheurs convertis d'âmes du Purgatoire
délivrées par cette pratique et il ajouta " Toutes les fois
qu'une créature offre à mon Père ce sang par lequel
elle a été rachetée elle offre un don d'un prix infini
et que rien ne saurait compenser." Si telle est l'éfficacité
d'une simple commémoration de la Passion que dire de la messe qui
en est la reproduction
quotidienne ? Ce n'est plus un particulier si saint qu'on le suppose
c'est l'Eglise elle-même qui offre à Dieu dans sa terrible
réalité tout le sang du Calvaire car il est là dans
le calice de l'autel ce n'est pas une figure comme le veulent les protestants
c'est une réalité si quelqu'un dit que sous les apparences
du pain et du vin n'est pas contenu vraiment réellement et substantiellement
le corps le sang l'âme et la divinité du Christ qu'il soit
Anathème (Concill. Trident., sess. XIII., c.I.) Pas moyen de douter
après cela si l'on veut rester catholique l'Eglise a donc là
entre ses mains maternelles le sang qui coula autrefois pour la Rédemption
des âmes : O Père très saint et très juste quelle
que soit la dette de cette âme pour qui je vous implore moi l'Eglise
je puis vous payer une rançon surabondante regardez entre les mains
de mon Prêtre ce sang c'est le sang de votre Fils c'est le sang du
Calvaire ce qui a suffi à la Rédemption du monde suffira
bien pour payer les dettes d'une seule âme O Juge très miséricordieux
payez -vous jusqu'au dernier denier ( usque ad novissimum quadrantem )
et après cela laissez aller votre prisonnier car il ne vous doit
plus rien est-ce bien vrai ? tout cela n'est-il pas une exagération
poétique une amplification de rhéteur ? Est-il vrai que la
325:
messe soit le renouvellement du sacrifice de la croix ? Est-ce
vrai que l'Eglise soit en possession du sang divin et qu'elle puisse le
distribuer à droite et à gauche comme il lui plaît
? Oui c'est vrai c'est la foi écoutez encore l'Oracle du Concile
de Trente si quelqu'un dit que la messe n'est pas un véritable sacrifice
qu'il soit Anathème ¨Si quelqu'un dit que ce sacrifice ne peut
être offert pour les vivants et pour les morts qu'il soit Anathème
! (Concill. Trident., sess. XXII, ch. I et III.) O splendeur de l'amour
ce n'était donc pas assez de s'immoler une fois sur la croix chaque
jour à chaque heure du jour depuis les régions du levant
jusqu'à celles du couchant le sang rédempteur coule de nouveau
pour la rançon des âmes et c'est nous Prêtres qui en
sommes les distributeurs un jour à une heure bénie entre
toutes les heures de notre vie nous étions agenouillés aux
pieds du Pontife on approcha de nos doigts encore humides de l'huile sainte
la coupe du sacrifice et l'Evêque nous dit : recevez le pouvoir d'offrir
à Dieu le sacrifice tant pour les vivants que pour les morts nous
nous relevâmes prêtres ministres et distributeurs du sang et
des mérites de Jésus-Christ désormais nous pouvions
descendre dans l'arène où s'agitent les grand intérêts
des âmes nous étions forts contre tous les obstacles forts
contre Dieu lui-même nous avions en mains les clefs de l'abîme
et chaque matin nous pouvions en appeler les âmes pour les faire
remonter à la lumière et au bonheur " Quand le prêtre
célèbre dit le pieux auteur de l'Imitation il honore Dieu
il réjouit les anges il édifie l'Eglise il aide les vivants
il procure le repos aux morts et pour lui-même il entre en participation
de tous les biens." ( Liv. IV, ch. v.) Les saints l'avaient bien compris
habitués par la mé-
326:
ditation à sonder les richesses du monde surnaturel ils savaient
ce qu'il y a dans une seule messe de trésors cachés Saint
Nicolas de Tolentino avait reculé longtemps devant la sublimité
du sacerdoce ce qui le décida à se
laisser imposer les mains ce fut la pensée qu'en célébrant
chaque jour il pourrait assister plus efficacement ses chères âmes
délivrées par lui pourraient seules dire avec quelle ferveur
il s'acquittait de ce ministère
d'intercesseur Saint Vincent de Paul célébrait très
souvent la sainte messe et la faisait célébrer à ses
prêtres à l'intention des pauvres âmes abandonnées
pour qui personne ne prie c'était là sa portion choisie dans
cette grande famille des âmes souffrantes et l'on ne s'en étonnera
pas si l'on se rappelle que son attrait de prédilection le portait
toujours à secourir les plus délaissés parmi les malheureux
le P. Fabricius de la Compagnie de Jésus célébrait
la messe pour les défunts chaque fois que les rubriques le permettent
c'est la pratique ordinaire de beaucoup de prêtres autant du moins
que les exigences du saint ministères s'y prêtent pour ceux
qui ont charge d'âmes d'autres célèbrent pour les défunts
un certain nombre
de fois par semaine ou par mois le P. Corneille jésuite s'était
ainsi imposé par voeu de célébrer quatre fois par
semaine à l'intention des âmes souffrantes les âmes
du Purgatoire apprécient encore mieux que les saints
encore sur la terre la valeur du divin sacrifice un moine de Clairvaux
qui avait été délivré du Purgatoire par les
prières de saint Bernard et de ses frères apparut à
un religieux de la Communauté qui s'était intéressé
plus
particulièrement à lui et lui montrant l'autel où
l'on célébrait en ce moment : " Voilà dit-il les armes
327:
qui ont le mieux contribué à ma délivrance voilà
le prix de ma rançon c'est l'hostie sainte qui efface les péchés
du monde à de telles armes à un tel trésor à
une telle vertu il n'est rien qui résiste rien sinon le coeur
endurci qui s'est enfonçé dans l'abîme de l'éternelle
perversion." Le Bienheureux Suzo étudiant encore à l'Université
de Cologne s'était lié d'amitié avec un jeune homme
de son âge que les mêmes études le même genre
de vie et le même attrait pour la sainteté avaient rapproché
de lui quand ils eurent terminé leurs études et qu'arriva
le moment de se séparer pour retourner chacun dans son couvent ils
se promirent mutuellement que celui
des deux qui mourrait le premier serait secouru par l'autre pendant
tout une année de deux messes chaque semaine le lundi une messe
de requiem et le vendredi une messe votive de la Passion autant que le
permettraient les rubriques au bout de plusieurs années de vie édifiante
l'ami du B. Suzo fut appelé le premier à paraître devant
Dieu Suzo cependant avait complètement oublié son engagement
en apprenant la mort de son ami il se mit à prier pour lui à
s'imposer même de rudes disciplines pour le soulagment de son âme
mais il ne songeait pas aux messes convenues le pauvre défunt ne
les avait pas oubliées lui un jour que Suzo méditait dans
une chapelle à l'écart il vit paraître devant lui son
cher défunt tout défiguré par la souffrance - "Eh
! quoi vous avez donc oublié nos conventions je vous avais donné
ma parole vous l'avez acceptée et j'avais droit de compter sur une
promesse mutuelle."
- "Ah ! mon frère cet oubli est bien involontaire de ma part
mais si le souvenir des messes convenues entre nous m'a échappé
je ne vous ai pas oublié pour cela voyez combien de prières,j'ai
adressées à Dieu pour le
328:
repos de votre âme que de mortifications je me suis imposées
pour hâter votre délivrance votre salut m'est aussi précieux
que le mien et tous les jours encore j'offre à Dieu quelques bonnes
oeuvres pour vous est-ce que
cela ne vous suffit pas ?" - " Oh ! non non mon frère cela ne
me suffit pas c'est le sang de Jésus-Christ qu'il faut pour éteindre
les flammes qui me brûlent c'est l'auguste sacrifice qui seul me
rachètera de ces tourments
épouvantables je vous en conjure donc tenez votre parole ne
me refusez pas ô mon frère ce que vous me devez en justice."
Le Bienheureux tout confus s'empressa de répondre à cet infortuné
qu'il allait s'acquitter au plus tôt
et que pour réparer sa faute il dirait encore plus de messes
qu'il n'en avait promis en effet dès le lendemain matin plusieurs
prêtres à la prière de Suzo montaient à l'autel
à cette intention et pendant plusieurs jours ils
continuèrent de célébrer la messe pour le défunt
alors celui-ci apparut de nouveau à notre Bienheureux la joie sur
le visage et l'auréole des saints autour de la tête
- "Oh ! merci mon fidèle ami me voici grâce au sang du
Sauveur délivré des flammes expiatrices je monte au ciel
et je ne vous y oublierai pas." ( V. Ferdinand de Castille, hist. de saint
Dominique, II p., liv. II, ch. I.) Une valeur infinie telle est le prix
d'une seule messe mais on aurait tort d'en conclure qu'il en est de même
de l'efficacité celle-ci est limitée par la volonté
de Dieu s'il en était autrement la valeur du sacrifice étant
infinie il suffirait d'une seule messe pour ouvrir le Purgatoire et vider
entièrement ses prisons ce qui répugne également
au bon sens et à la pratique de l'Eglise les théologiens
divisent ordinairement les fruits du divin sacrifice en trois
329:
parts une partie tombe dans le trésor de l'Eglise et par la communion
des saints profite à tous ses membres la seconde part est pour le
prêtre c'est son héritage la part incommunicable de son droit
d'aînesse quelques
malheureux poussés par une déplorable avarice ayant eu
la pensée de se dépouiller de ce trésor surnaturel
en touchant un second honoraire la sainte Eglise a condamné comme
simoniaque une pratique si détestable enfin la troisième
part profite à celui qui est applicable aux défunts dans
quelle mesure c'est le secret de Dieu c'est pourquoi il ne faut pas se
contenter de célébrer une seule messe pour chaque défunt
mais il faut autant que possible multiplier l'oblation du saint sacrifice
car s'il est certain que chaque messe apporte quelque soulagement
à l'âme pour qui l'on prie on ne peut savoir dans quelle mesure
et à moins d'une révélations spéciale on ne
peut jamais être sûr que la justice de Dieu est pleinement
satisfaite on sait qu'au bout de vingt ans saint Augustin faisait encore
à l'autel mémoire de sa sainte mère Monique cet exemple
est bien propre à nous empêcher de nous rassurer trop tôt
sur le sort de ceux que nous pleurons voilà pourquoi dans les siècles
de foi les familles s'épuisaient en de saintes prodigalités
pour soulager leurs chers défunts en faisant offrir pour eux
le saint sacrifice un grand nombre de fois il est rapporté dans
la vie de Marguerite d'Autriche femme de Philippe III qu'en un seul jour
qui fut celui de ses obsèques on célébra dans la ville
de Madrid près de onze cents messes pour le repos de son âme
cette princesse avait demandé mille messes dans son testament mais
le roi en fit ajouter vingt mille quand l'archiduc Albert mourut sa veuve
la princesse Isabelle fit dire
330:
pour lui quarante mille messes et pendant un mois tout entier elle en
entendit dix par jour avec une grande dévotion ( P. Munford, opere
citato, ch. XI.) Voilà des munificences vraiment royales et cela
était plus utile
aux pauvres défunts que les riches mausolées et les dépenses
extravagantes par lesquelles on les a remplacées néanmoins
pour la consolation des pauvres qui ne peuvent accorder à ceux qu'ils
pleurent de si abondants sufrages je dirai que je suis encore plus touché
de ce que fit saint Pierre Damien encore enfant son père s'étant
remarié il avait été élevé très
durement par une marâtre qui avait fini par s'en débarrasser
en le donnant comme
domestique à son frère aîné pour garder
les pourceaux c'était dans cette dure situation que le futur cardinal
de la sainte Eglise celui qui devait étonner son siècle par
l'étendue de ses lumières faisait l'apprentissage de
la sainteté a peine couvert de haillons l'histoire dit qu'il
n'avait pas même toujours de quoi rassasier sa faim Or il arriva
sur ces entrefaites que son père mourut et le jeune saint oubliant
la dureté dont il avait usé à son
égard le pleura comme doit faire un bon fils un jour il trouva
par hasard un petit écu c'était toute une fortune pour le
pauvre enfant mais au lieu de s'en servir pour adoucir sa propre misère
sa première pensée fut de le
porter à un prêtre en le priant de célébrer
la messe pour le repos de l'âme de son père la sainte Eglise
a trouvé ce trait si beau qu'elle l'a inséré tout
au long dans la légende bréviaire qui se lit le jour de sa
fête qu'on
me permette d'ajouter ici un souvenir personnel une pauvre petite fille
annamite baptisée depuis peu vint à perdre sa mère
à quatorze ans elle se trouvait chargée de pourvoir avec
son faible gain tiên par jour envi -
331:
ron 8 sous de France à sa nourriture et à celle de ses
deux petits frères quelle fut ma surprise de la voir venir à
la fin de la semaine m'apporter le gain de deux journées pour que
je dise la messe à l'intention de sa mère ces
pauvres petits avaient jeûné littéralement une
partie de la semaine pour procurer à leur mère défunte
cet humble suffrage O sainte aumône du pauvre et de l'orphelin ce
que je vais dire est presque un blasphème mais si je
juge du coeur de mon maître par ce qui se passa alors dans mon
coeur de prêtre ah vous dûtes être bien puissante pour
attirer les bénédictions de Dieu sur cette mère et
sur ses enfants ce qui assure singulièrement
du sacrifice de la messe pour les défunts c'est que cette oeuvre
est la seule qui opère indépendamment des dispositions de
celui qui le fait offrir voilà un malheureux dans l'état
du péché mortel il ne peut rien faire pour lui-même
rien pour le soulagement de ceux qu'il a perdus ses prières sont
sans valeur ses bonnes oeuvres sont stériles pour le mérite
et pour l'expiation mais il lui reste le sang de Jésus-Christ ce
sang d'un Dieu en coulant sur l'autel crie vers le ciel comme le sang d'Abel
mais il demande pardon et non pas vengeance il y a plus l'efficacité
du divin sacrifice ne dépend pas des dispositions du prêtre
car ici le prêtre disparaît sous la personne du pontife suprême
: Ceci est mon corps ceci est mon sang O prêtre que dis-tu ? Ce n'est
pas ton sang qui coule dans le calice mais ne voyez-vous pas hommes
charnels qu'il n'y a pas d'autre prêtre ici que le Sauveur Jésus
dont je suis seulement l'instrument Pierre consacre c'est Jésus
qui consacre Judas consacre c'est Jésus qui consacre le prêtre
n'est rien ici c'est Jésus -
332:
Christ qui fait tout et c'est ce qui vous explique ce prodige incroyable
un homme un prêtre est l'esclave de Satan et le malheureux il a les
clefs de l'abîme pour ouvrir aux âmes souffrantes les portes
de la patrie néanmoins
n'exagérons pas la doctrine si le fruit du sacrifice reste essentiellement
le même quelle que puisse être l'indignité du ministre
il est certain néanmoins qu'il y a un fruit accidentel qui dépend
du plus ou moins de ferveur de celui qui célèbre c'est ce
qui nous explique pourquoi les saints en montant à l'autel obtenaient
de Dieu bien des grâces signalées que sa justice refuse hélas
à notre tiédeur j'en ai cité bien des exemples j'en
veux rapporter ici deux encore on lit dans la vie de saint Malachie archevêque
d'Armagh en Irlande que dès sa tendre jeunesse il avait montré
la plus vive dévotion à soulager les pauvres âmes du
Purgatoire il aimait à assister aux funérailles des pauvres
qui sont d'ordinaire si négligés après leur mort afin
de prier pour eux souvent même il les ensevelissait de ses propres
mains mais dit saint Bernard qui rapporte ces choses il avait une soeur
toute remplie de l'esprit du monde et qui voyait avec peine son frère
s'abaisser à de si vils offices - " Beau métier que tu fais
là, vieux fou ! est-ce l'occupation d'un homme de ton rang ? laisse
les morts ensevelir les ; c'est le Seigneur qui l'a dit." - " O pauvre
fille répondait le saint tu sais les mots du texte mais tu n'en
pénètres guère le sens." Et il continuait sans se
troubler l'exercice de son humble charité cette femme jeune et le
saint qui n'avait pas eu à s'en louer se vengea à la anière
des saints en priant pour elle il y avait bien longtemps qu'elle avait
paru devant Dieu et le saint occupé de ses bonnes oeuvres
333:
oubliait un peu celle-là une nuit elle lui apparut dans la cour
de l'église triste vêtue de noir et implorant sa compassion
parce qu'il y avait trente jours qu'elle n'avait mangé le saint
se réveille en sursaut et se rappelle
que depuis trente jours il n'a pas célébré pour
sa soeur dès le lendemain il monte à l'autel et les jours
suivants continue le même suffrage alors la défunte lui apparut
à la porte de l'église et gémissant de n'y pouvoir
entrer il continua d'offrir le saint sacrifice pour elle tous les jours
il la vit alors au milieu de l'église mais ne pouvant encore avancer
jusqu'à l'autel il continua de célébrer pour elle
et enfin il la vit près de l'autel toute rayonnante de joie et délivrée
de ses peines sur quoi saint Bernard ajoute " on voit par là l'éfficacité
de ce sacrifice pour consumer les péchés combattre les puissances
adverses et amener au ciel les âmes qui ont quitté la terre."
( Opéra sancti Berbardi.) Le P. Jules Mancinelli de la Compagnie
de Jésus n'était pas moins puissant pour délivrer
les âmes par l'oblation du saint sacrifice très souvent ces
pauvres âmes lui apparaissaient pour lui demander la grâce
d'une seule délivrance l'auteur de sa vie rapporte comme le tenant
de témoins oculaires qu'on a vu souvent les âmes du Purgatoire
assister visiblement à sa messe un de ses oncles Camille frère
de cet archevêque de Capoue dont j'ai raconté l'histoire au
chapitre de l'aumône fut vu par tout le peuple sortir de son tombeau
deux ans après sa mort et entrer à l'église où
il se prosterna au pied de l'autel pendant que son neveu y célébrait
la messe ( Vie du P. Mancinelli.) l'Eglise dans sa liturgie a consacré
la pratique d'offrir le saint sacrifice pour le soulagement des défunts
en
334:
instituant des messes votives que l'on peut dire à cette attention.
Les théologiens se sont demandés si ces messes avaient une
efficacité spéciale.
Il est certain que le fruit essentiel du sacrifice reste le même,
quelque soit la messe qu'on célèbre, mais on admet généralement
qu'il y a, dans les prières de la messe de requiem, quand la rubrique
ne s'y oppose pas, c'est-à-dire chaque fois qu'il n'y a pas une
fête double ou une férie privilégiée. Les autres
jours, on pêcherait en célébrant en noir quand la rubrique
le défend. Il est vrai que les saints, éclairés d'une
lumière spéciale, ont quelque fois passé par-dessus
la prescription liturgique, mais ces exemples ne sont pas à imiter
par nous, qui ne pouvons nous autoriser d'une dispense d'en haut, pour
manquer aux lois de l'Eglise.
On lit dans la vie du pape Saint Célestin, qu'un jour
de fête double de première classe (je crois me rappeler que
c'était la fête de Saint Jean-Baptiste), ayant connu par révélation
la mort d'un prince qui avait été son ami, il célébra
pour lui la messe de requiem, au grand étonnements des assistants.
La même chose arriva, dit-on, au P.Anchieta, de la Compagnie
de Jésus, que l'on avait surnommé, à cause de son
grand zèle, l'apôtre du Brésil. Le jour de la fête
de saint Jean l'Évangéliste, pendant l'octave de Noël,
il célébra en noir, au grand étonnement de ses frères,
qui connaissaient son obéissance scrupuleuse aux moindres règles
de la liturgie. C'est pourquoi le supérieur de la maison lui en
fit la remontrance publique; à quoi le bon Père répondit
humblement qu'il s'était senti inspiré d'agir ainsi, malgré
les rubriques, parce que Dieu lui avait fait connaître qu'un prêtre
de la Compagnie, qui avait été son condisciple à l'université
de Coïmbe, venait de mourir à
335
la résidence de Lorette en Italie. - "Eh bien ! mon Père,
ajouta le supérieur, savez-vous au moins si ce sacrifice a profité
à son âme ?" - Oui, reprit avec sa modestie ordinaire le P.
Anchieta, immédiatement après le mémento des morts,
N.-S. ma fait voir cette chère âme délivrée
de toutes ses peines et montant au ciel où l'attendait sa couronne.
(voir Jacques Hautin.Patricinium defuncti).
Encore une fois, disons que les saints ont leurs raisons d'en agir
ainsi, mais pour nous, ce serait présomption de les imiter en cela.
Je veux dire quelque chose ici d'une dévotion assez peu connue
en France, mais très répandue en Italie, et qui est encore
d'usage dans plusieurs ordres religieux, particulièrement dans la
grande famille Bénédictine, où cette dévotion
a pris naissance, voici à quelle occasion :
Saint Grégoire le Grand rapporte, dans ses dialogues (liv. IV,
chap. XL), qu'un moine de son monastère, nommé Juste, exerçait
la médecine, avec la permission de ses supérieurs; il en
avait profité pour recevoir, en cachette de son abbé; trois
écus d'or. C'était une faute grave contre la pauvreté
religieuse et monastique; mais touché des remontrances de son frère
Copiosus, à qui il avait avoué sa faute, humilié par
la peine salutaire de l'excommunication, qui avait été prononcée
contre lui, il mourut dans de vrais sentiments de repentir. Cependant Saint
Grégoire voulant inspirer à tous les frères une juste
horreur du crime de propriété dans un religieux, ne leva
pas pour cela l'excommunication; il fut donc enterré à l'écart,
dans l'endroit où l'on déposait les immondices, et les trois
écus d'or furent jetés dans la fosse, pendant que les religieux
répétaient la parole de Saint Pierre à Simon le Magicien
: pereat pecunia tua tecum; que ton argent périsse avec toi. Mais
quelques temps après, le Saint abbé se sentant
336
touché de compassion, fit appeler l'économe Pretiosus,
et lui dit avec tristesse : "il y a longtemps que notre frère défunt
est torturé dans les flammes du Purgatoire; nous devons, par charité,
nous efforcer de l'en délivrer. Allez donc, et à partir d'aujourd'hui
offrez pour lui le saint Sacrifice, pendant trente jours; n'en laissez
passer aucun sans que l'hostie de propitiation soit immolée pour
sa délivrance."
L'économe se mit aussitôt en devoir d'obéir, mais
occupé à mille autres soins, il ne songeait pas, non plus
que l'abbé, à compter les jours. Une nuit, le défunt
apparut à son frère Copiosus : - "Eh! Quoi, c'est vous !
comment vous trouvez-vous à cette heure ? " - "Jusqu'à présent,
j'étais très mal, répondit l'apparition, mais à
présent, je suis bien, car aujourd'hui même je suis admis
dans la société des saints." On compta les jours qui s'étaient
écoulés depuis que l'on avait commencé d'offrir pour
lui le divin Sacrifice, et l'on reconnut que ce jour était précisément
le trentième.
C'est depuis lors que s'établit le pieux usage de faire célébrer
des trentains de messes pour les défunts. Cet usage commença
naturellement par les monastères de Bénédictins où
il est encore religieusement observé. Lorsqu'un religieux Bénédictin
vient à mourir, on célèbre pendant trente jours le
saint Sacrifice pour le repos de son âme. Pendant tout ce temps,
on lui sert sa portion au réfectoire, comme s'il était encore
au nombre des vivants; seulement un grand crucifix de bois est posé
à sa place, et l'on donne chaque jour cette part aux pauvres. Dieu
s'est plu à témoigner, par plusieurs révélations,
qu'il avait pour très agréable ce double suffrage de l'aumône
et du saint Sacrifice. On croit généralement qu'une indulgence
plénière, en forme de Jubilé, a été
accordée par les souverains
337
Pontifes à cette pratique, en sorte que si la justice de Dieu
n'y met pas d'ailleurs obstacles, on est sûr d'obtenir ainsi la délivrance
de l'âme à qui on applique ce trentain.
Il faut observer ici quelques règles; ces trente messes dites
de Saint Grégoire, doivent être célébrées
de suite, sans aucune interruption, même les jours de grandes fêtes.
Benoît XIV a déclaré que, si dans le cours de ce trentain,
se rencontrent les trois derniers jours de la semaine sainte, où
il n'est pas permis de célébrer des messes privées,
il faut continuer après ces trois jours, en tenant compte, des messes
omises. Du reste, il n'est nullement nécessaire, il est même
absolument défendu de célébrer ces messes en noir,
les jours où la rubrique le défend; les jours de fêtes
doubles et fêtes privilégiées, on satisfait en disant
la messe en noir.
Un mot sur les autels privilégiés. C'est une faveur que
le Souverain Pontife attache à un autel, en vertu de laquelle
faveur, toutes les messes que l'on célèbre à cet autel
jouissent d'une indulgence plénière, applicable au défunt
pour qui l'on célèbre; d'autre fois le privilège est
personnel, c'est-à-dire qu'au lieu d'être attaché à
la pierre sacrée, il appartient à la personne du prêtre
qui le porte avec lui, en quelques lieux qu'il célèbre; ce
privilège emporte en soi la délivrance de l'âme pour
qui l'on célèbre. Néanmoins, l'Eglise n'ayant plus
juridiction sur les âmes du Purgatoire, ne peut leur appliquer cette
indulgence, comme elle fait aux vivants, par mode d'absolution mais par
mode d'impétration seulement; par conséquent, on n'est jamais
sûr que Dieu accepte cette indulgence intégralement, et l'on
ne peut s'appuyer là-dessus pour ne célébrer qu'une
seule messe en faveur de ce défunt; ce serait exposer cette pauvre
âme à de tristes mécomptes.
On trouvera dans tous les rubricistes les règles qui
338
concernent ces sortes de messes. Je dirai seulement que, pour éviter
toute espèce de simonie, la sainte Eglise défend très
sagement de recevoir un honoraire plus élevé pour ces sortes
de messes.
En terminant, je veux parler de la communion pour les défunts,
à cause de la connexité des matières.
Après l'oblation du saint Sacrifice, la communion faite en faveur
d'un défunt est le suffrage le plus utile qu'on puisse lui appliquer.
La raison en est évidente; dans la communion, Jésus se donne
à nous tout entier, il est donc bien facile de l'offrir à
Dieu le Père, pour être la rançon de ces pauvres âmes.
C'était la dévotion favorite de sainte Madeleine de Pazzi.
On voit dans sa vie que son frère lui apparut après sa mort
délivré, de cent sept communions, ce que la sainte accomplit
fidèlement le plus tôt qu'il fut possible.
Sur quoi je ferai remarquer qu'il ne faut pas se contenter de communier
une fois ou deux à l'intention des âmes que l'on veut soulager.
Le frère de sainte Madeleine de Pazzi était un bon chrétien
qui avait vécu très honnêtement dans le siècle;
d'un autre côté, nous ne pouvons douter que la sainte n'apportât
à ces communions libératrices toute la faveur possible; avec
tout cela, il ne lui fallut pas moins de cent sept communions pour obtenir
la délivrance de son frère? Jugeons par là de ce que
nous devons faire, nous, dont les dispositions sont loin d'être si
parfaites. (V. Vie de la Sainte)
Le vénérable Louis de Blois, dans son Miroir spirituel,
ch. VI, rapporte qu'un grand serviteur de Dieu reçut la visite d'une
âme du Purgatoire, qui endurait de cruels tourments pour sa négligence
à se préparer à recevoir dignement la sainte Eucharistie,
pendant les jours de son
339
pèlerinage. Cette âme ne pouvait être délivrée
que par une communion fervente, qui compensait sa tiédeur passée.
Son ami s'empressa de la satisfaire, et alors elle lui apparut brillante
d'un incomparable éclat et montant au ciel.
La bienheureuse Jeanne de la Croix, de l'ordre de Saint-François,
vit un jour entrer dans son humble cellule un ange du ciel qui lui apporta
une hostie consacrée, afin qu'elle communiât le lendemain,
en faveur d'une âme du Purgatoire, qui, pendant sa vie, avait été
dévote qu'en récompense de sa faveur, elle serait délivrée
par cette communion. (Vie de la B., ch. VIII).
On voit par ces exemples que saint Bonaventure avait raison de dire
dans son traité de De proeparatione missoe; "que la charité
nous porte à communier en faveur des défunts, car il ne se
peut rien faire de plus efficace pour leur délivrance".
Après cela nous serions vraiment bien inexcusables, si, avec
de pareils trésors en main, nous laissions languir les pauvres âmes
dans le Purgatoire. Eh ! quoi, Jésus-Christ nous remet son sang;
le sang du Calvaire, pour la rédemption des âmes, et nous
ne savons qu'en faire ! au jour des justices nous serons stupéfaits
d'avoir gaspillé de pareils trésors; mais hélas !
il sera trop tard. Ah ! plutôt, mettons en pratique ce conseil de
Tobie : panem tuum super sepulturam justi constitue. Posez votre pain sur
sépulcre du juste ; ce pain, c'est la divine Eucharistie, c'est
le pain vivant descendu du Ciel, qui seul peut rassasier la faim surnaturelle
de ces âmes; et bientôt délivrées de l'épreuve,
elles s'en iront au Ciel, contempler, dans le ravissement éternel
des saints, celui que, pendant les jours de leur vie mortelle, elles ont
adoré sous les voiles eucharistiques, et dont le sang précieux,
340
découlant de dessus l'autel jusque dans les abîmes du
Purgatoire, les a purifiées des restes de leurs souillures.
Jesu, quem velatum nunc aspicio,
Oro, fiat illud quod tam sitio !
Ut te revelata cernens facie
Visu sim beatus tuae gloriae
Chapitre 21 Des Indulgences p.341 - 358
Théologie de l’indulgence – Comment elle est applicable aux défunts. – Valeur et efficacité de cette œuvre. – Exemples des saints. – Conditions requises pour gagner les indulgences et les appliquer aux morts. – Des principales indulgences que l’on peut appliquer ainsi. – De la bulle Sabbatine.
341 :
La seconde manière d’appliquer aux âmes souffrantes les
mérites du sang rédempteur, c’est de gagner pour elles les
indulgences de la sainte Eglise ; mais ici, il convient d’entrer dans le
détail et d’étudier en théologien la notion de l’indulgence.
L’indulgence est la rémission de la peine temporelle qui reste à
subir au pécheur, après que la coulpe lui a été
remise par l’absolution ; ainsi, l’indulgence, par elle-même, ne
remet aucun péché, mais seulement la peine temporelle que
Dieu attache à chacune de nos fautes, et qu’il faut nécessairement
subir en ce monde ou en l’autre. L’Eglise a-t-elle le pouvoir de remettre
ainsi la peine du péché ? non, disent les protestants ; oui,
répond l’Eglise avec tout la tradition ; le Christ, mon époux,
m’a donné tout pouvoir de lier et de délier ; il m’a confié
les clefs du royaume du Ciel, et par conséquent, il m’a donné
le pouvoir d’écarter les obstacles qui peuvent arrêter les
âmes à la porte. D’ailleurs, quand j’accorde des indulgences,
j’offre à Dieu quelque chose qui vaut bien la peine temporelle que
le pécheur devait subir. Les satisfactions surabondantes de Jésus-Christ,
de la sainte Vierge et des saints en vertu de la communion de mérites
qui unit tous…
fin 341
342 :
mes fils, tombent entre mes mains et forment un trésor de satisfactions,
que tous les péchés du monde ne sauraient épuiser.
Quel meilleur emploi puis-je faire de ces richesses, qu’en les partageant
aux âmes de bonne volonté qui font tout ce qu’elles peuvent
pour se délivrer elles-mêmes, mais qui restent écrasées
sous le poids de leurs dettes accumulées. Il n’y a rien à
répondre à ces paroles de la sainte Eglise. Tout le monde
convient que notre doux Sauveur a satisfait bien au-delà de ce que
la justice de Dieu pouvait exiger. Pourquoi ce trésor de satisfactions
surabondantes resterait-il à jamais inutile ? qui peut en avoir
la libre disposition, sinon l’Eglise qu’il a faite dépositaire de
tous ses mérites ? d’autre part, l’Eglise, qui a les paroles de
la vie éternelle, nous affirme qu’il en est ainsi. Comment nous
refuserions-nous de le croire, puisque nous voyons, dans l’Evangile, que
Jésus-Christ a promis de l’assister, dans son enseignement infaillible,
jusqu’à la fin des siècles ? La plupart des objections que
l’on fait contre les indulgences viennent de ce que l’on fait trop attention
à quelques abus qui ne prouvent rien contre la vérité
du principe lui-même. Il est certain que les pasteurs de l’Eglise
ne peuvent distribuer les mérites du Christ à leur fantaisie,
et sans une raison proportionnées ; s’ils el font, ils pèchent
gravement, et l’indulgence qu’ils publient n’est pas ratifiée dans
le Ciel. Mais nous, prêtre ou fidèles, nous n’avons pas à
nous inquiéter de cela ; c’est l’affaire des pasteurs suprêmes
; pour nous, en suivant la direction de la sainte Eglise, nous sommes sûrs
de ne rien faire contre la volonté de Dieu ; cela doit suffire.
Que Léon X, pour prendre un exemple trop célèbre,
ait…
fin 342
343 :
excédé le pouvoir des clefs, en accordant l’indulgence
plénière à ceux qui contribuaient, par leurs aumônes,
à l’édification de la basilique de Saint-Pierre, c’est possible,
à la rigueur, bien que ce ne soit nullement prouvé. Dans
ce cas, il en rendra compte à celui dont il est vicaire ; mais vous,
Luther, qui vous a donné le droit de juger les raisons du Pontife
? Laissez les fidèles à l’obéissance due à
leurs légitimes pasteurs ; après tout, s’il y a eu abus,
le mal n’est pas grand ; si Dieu n’a pas ratifié l’indulgence accordée
par son vicaire, les fidèles ne le gagneront pas, mais ils auront
toujours fait une bonne œuvre ; ne voyez-vous pas que vous allez déchirer
l’Eglise, lui enlever des millions d’enfants et jeter dans le monde chrétien
une perturbation qui ne sera pas apaisée au bout de trois siècles
et demi ; comme tout s’enchaîne dans le dogme, en attaquant les indulgences,
vous allez être forcé de sacrifier la notion même du
Purgatoire, la messe, la tradition, tout ce que vous avez cru, tout ce
que vous avez aimé jusqu’à ce jour . Mais qu’importe à
Luther ? il a dévoilé les friponneries de Babylone ; c’est
assez pour sa gloire. D’autres ont dit que l’indulgence détruisait
la pénitence puisqu’il suffit d’une légère aumône
ou de quelque bonne œuvre du même genre, pour obtenir le pardon de
ses fautes. On a même dressé des catalogues, des tarifs, pour
la rémission des péchés dans l’Eglise romaine, tant
pour l’adultère, tant pour le vol, tant pour l’homicide, etc. Ce
sont-là de graves erreurs, ou de grosses calomnies. L’indulgence
ne remet aucun péché, si léger qu’il soit, elle remet
seulement la peine du péché, et encore aux vrais pénitents.
Vere poenitentibus, c’est-à-dire à ceux qui font déjà
tout ce qu’ils peuvent pour s’acquitter eux-mêmes. C’est un secours
donné à notre faiblesse, ce n’est pas un encouragement à
notre lâcheté. Que peut-on trouver à redire à
ce…
fin 343
344 :
que l’Eglise applique les satisfactions surabondantes de Jésus-Christ
et des saints, à ceux qui font déjà tout ce qu’ils
peuvent pour s’acquitter de leurs dettes ? Venons maintenant à l’indulgence
considérée dans son application aux défunts. Il est
de foi que l’Eglise a le pouvoir d’appliquer des indulgences aux défunts
; mais ici elle ne procède pas de la même manière que
pour les vivants ; en voici la raison : Quand l’Eglise accorde une indulgence
à ceux de ses fils qui sont encore sur la terre, elle use de son
pouvoir judiciaire, et leur applique l’indulgence par mode d’absolution,
elle ne peut plus lier ni délier dans le Purgatoire ; elle leur
applique donc les indulgences par mode de suffrage, c’est-à-dire
qu’elle prie Dieu de transférer au défunt qu’elle a en vue
l’indulgence déjà gagnée par un de ses enfants. Dieu
accepte-t-il, toujours, au moins intégralement, ce suffrage ? Quelques
théologiens l’affirment, d’autres le nient. Au fond, c’est la question
que j’ai traitée ailleurs, à propos de l’acceptation générale
des suffrages et bonnes œuvres que l’on fait pour les défunts. Je
crois volontiers que Dieu s’est réservé sa liberté
à cet égard. Un bon nombre de révélations que
j’ai citées nous montrent que, tantôt Dieu accepte intégralement
ce que nous lui offrons pour un défunt, tantôt il l’accepte
en partie seulement, et d’autres fois, pour des raisons connues de sa justice,
il rejette entièrement, ou applique à un autre défunt
les suffrages qu’on lui offre. Il en résulte qu’il ne faut jamais
se reposer en disant : J’ai appliqué une indulgence plénière
à tel défunt ; il est maintenant hors de peine. On sait que
l’on divise les indulgences, en indulgence plénière, qui
remet toute la peine due aux péchés, et indulgence…
fin 344
345 :
partielle, qui n’en remet seulement qu’une partie. A l’égard
de cette dernière indulgence, il faut se tenir en garde contre une
erreur grossière qui consiste à croire qu’une indulgence
de trois ans, par exemple, répond à une diminution de trois
ans de Purgatoire. Nous ne connaissons pas assez le rapport du temps à
l’éternité pour raisonner ainsi. Dans la pensée de
l’Eglise, une indulgence de trois ans, répond simplement à
trois années de la pénitence canonique qu’elle imposait dans
les siècles de ferveur aux pécheurs repentants ; une indulgence
de sept ans et de sept quarantaines répond à sert ans et
sept carêmes de pénitence canonique, et ainsi des autres.
On voit maintenant la valeur et l’efficacité des indulgences. Leur
valeur est infinie puisque c’est l’application des mérites de N.-S.
Jésus-Christ ; c’est pourquoi les saints ont toujours montré
la plus vive émulation à gagner les indulgences, soit pour
eux, soit pour les appliquer aux défunts. C’était une des
pratiques de la Mère Françoise du Saint-Sacrement. On lit
dans sa vie un trait bien touchant à cet égard. Son évêque,
Christophe de Ribéra, ayant appris par elle que trois de ses prédécesseurs
sur le siège de Pampelune étaient encore dans le Purgatoire,
s’empressa de les soulager de son mieux, et comme on distribuait alors
en Espagne des bulles dites de la croisade, accordant une indulgence plénière
aux fidèles de ce royaume qui contribuaient en quelque manière
à la guerre contre les Maures, il en envoya quatorze à cette
bonne religieuse, en la priant d’en appliquer une à chacun des trois
évêques et les onze autres à son choix. La nuit suivante,
les trois prélats apparurent à la Mère Françoise
pour la prier de remercier Ribéra de leur part, car ils étaient
délivrés de toutes leurs peines. La sainte Mère reçut
à cette occasion…
fin 345
346 :
la visite d’un grand nombre d’âmes, qui la suppliaient de leur
accorder les onze indulgences plénières, qui restaient à
sa disposition. Elle eut bien voulu les soulager toutes, mais forcée
de se limiter, elle fit son choix sous l’inspiration de Dieu, et délivra
encore onze âmes de leurs supplices. (Voir vie de la Mère
Françoise, loco citato.) Sainte Madeleine de Pazzi n’était
pas moins empressée à profiter, en faveur des âmes
souffrantes, de ces trésors de l’Eglise. Dieu l’en récompensa
par une vision miraculeuse, qui lui fit bien comprendre la valeur des indulgences.
Une de ses sœurs venait de mourir ; c’était une religieuse de grande
vertu, mais celui qui découvre des taches dans les anges, la condamna
à un Purgatoire long et rigoureux ; cependant la sainte était
restée en prière au pied de la bière, et s’efforçait
de lui acquérir le mérite de nombreux suffrages indulgenciés.
Il y avait quinze heures que la défunte avait paru devant son juge,
quand Madeleine vit son âme plus belle et plus brillante que le soleil
monter vers le ciel. " Adieu, ô ma sœur chérie, s’écria
la sainte, adieu, âme bienheureuse, vous vous en allez donc en paradis,
m’abandonnant dans cette vallée de larmes ; oh ! combien votre gloire
est grande ! que l’épreuve du Purgatoire a été courte
pour vous ! Vos restes mortels ne sont pas encore déposés
dans la terre, et déjà votre âme est entrée
dans l’éternelle patrie ! vous voyez maintenant la vérité
de ce que je vous disais : que les misères de cette vie et l’expiation
passagère du Purgatoire ne sont rien, comparées à
ce que l’Epoux vous réservait auprès de lui ! " En même
temps Notre-Seigneur lui révéla que cette âme bienheureuse
n’était restée que quinze heures dans le Purgatoire, à
cause des nombreuses indulgences qu’on lui avait appliquées. (Vie
de la Sainte.) Voici un fait encore surprenant. J’ai lu dans un des…
fin 346
347 :
ouvrages de sainte Thérèse, dont le titre m’échappe
en ce moment, qu’une religieuse d’une vertu très commune, étant
venue à mourir, la sainte la vit, à sa grande surprise, monter
au ciel, presque aussitôt après sa mort, en sorte qu’elle
n’eut pas, pour ainsi dire, de Purgatoire à faire. Et comme la sainte
en exprimait son étonnement à N.-S., celui-ci lui fit connaître
que cette bonne religieuse avait toujours eu le plus grand respect pour
les indulgences de la sainte Eglise, et qu’elle s’était efforcée
d’en gagner le plus possible pendant sa vie ; c’est à cela qu’elle
devait d’avoir presque entièrement acquitté ses dettes très
nombreuses, quand elle arriva au tribunal de Dieu. On lit dans la chronique
des frères Mineurs (2ème part., liv. 2, ch. 30,) que le B.
Berthold, célèbre prédicateur franciscain avait obtenu
du souverain pontife dix jours d’indulgences, pour chacun de ceux qui assisteraient
à ses sermons. Un jour qu’il avait admirablement prêché
sur l’aumône, une dame de condition, que des malheurs de famille
avait réduite à la plus profonde misère, se présente
à lui à la sacristie ; elle lui expose sa triste situation,
et le conjure de lui venir en aide. Le bon Père, lui fit la réponse
de l’Apôtre : je n’ai ni or, ni argent, mais ce que j’ai, je vous
le donne de bon cœur. Pour le bien des âmes que je suis appelé
à évangéliser, le Saint-Père m’a donné
le privilège d’accorder dix jours d’indulgence à chacun de
mes auditeurs ; allez donc chez tel banquier, plus soucieux jusqu’ici des
biens matériels que des trésors de l’esprit ; offrez-lui
en retour de l’aumône qu’il vous fera, de lui céder, pour
ses propres péchés, les dix jours d’indulgence que vous avez
gagnés ce matin ; Dieu me fait connaître qu’il vous recevra
favorablement. Heureusement, les banquiers de cette époque ne ressemblaient
pas encore à ceux de nos jours ; qu’on imagine…
fin 347
348 :
avec quel éclat de rire serait accueillie une pareille proposition,
par un de nos princes de la finance. Celui-ci accueillit avec bonté
cette pauvre femme. " Combien demandez-vous en échange de vos dix
jours d’indulgence ? " - " Autant, répondit-elle avec foi, qu’ils
pèsent dans la balance. " On apporte une paire de balance ; elle
écrit sur un bout de papier ces dix jours d’indulgences, le dépose
dans un des plateaux, et le banquier met dans l’autre un réal (petite
monnaie d’Espagne valant 27 cent.) Le plateau des indulgences s’abaisse
; le banquier ajoute un second réal, puis dix, trente, cinquante
; les deux plateaux ne s’équilibrèrent que lorsqu’on fut
arrivé à une somme assez élevée, dont cette
personne avait besoin pour se tirer d’embarras. L’histoire dit que la leçon
profita au banquier, et qu’à partir de cette heure, il apprit à
faire plus de cas des richesses spirituelles. Ceci rappelle une vision
dont fut favorisée la B. Marie. Etant ravie en extase, elle vit,
au milieu d’une place publique, une grande table, sur laquelle étaient
des monceaux d’or, d’argent, de diamants et de pierres précieuses.
En même temps elle entendit une voix qui disait : " Ces richesses
sont communes à tous ; que chacun s’approche et en recueille autant
qu’il lui plaît. " Dieu lui fit connaître que c’était
une image des indulgences, qu’il met ainsi à la portée de
toutes les âmes de bonne volonté. Voici pour la valeur des
indulgences ; quant à leur efficacité, comme œuvre satisfactoire,
elle dépend des dispositions de celui qui l’applique, et aussi des
dispositions du défunt à qui elle est appliquée. Il
faut donc voir maintenant à quelques conditions nous pouvons gagner
des indulgences pour nos chers défunts. 1°) Il faut faire exactement
tout ce qui est prescrit par le bref de concession. Si donc il arrivait,
même sans qu’il…
fin 348
349 :
y eût de sa faute, que l’on omît une partie notable de
ce qui est prescrit, on ne pourrait gagner l’indulgence ; car c’est un
axiome de droit que l’indulgence vaut dans les termes de l’œuvre prescrite,
une prière, contre une autre, même plus importante. Il faut
faire ici quelques observations. Pour l’indulgence plénière,
il est ordinairement requis de se confesser et de communier, mais les personnes
qui ont l’habitude de se confesser chaque semaine, peuvent, avec cette
seule confession, gagner toutes les indulgences qui se rencontrent pendant
la semaine. Il n’y a d’exception que pour l’indulgence du Jubilé
qui requiert une confession spéciale. De même, on peut, par
une seule communion, gagner le même jour plusieurs indulgences plénières,
accordées pour diverses fins, pourvu que l’on fasse toutes les autres
œuvres prescrites. Ordinairement il faut, pour gagner l’indulgence plénière,
réciter quelques prières aux intentions du souverain pontife.
Ces prières sont laissées au choix des fidèles ; cinq
Pater et cinq Ave, une dizaine de chapelet, ou d’autres prières
équivalentes, sont regardées par les théologiens comme
suffisantes. Observons encore que l’on ne satisferait pas en appliquant
à cette intention des prières d’obligation comme la pénitence
sacramentelle, par exemple. 2°) Il faut être en état de
grâce, au moins au moment où l’on faut la dernière
œuvre, et avoir une vraie volonté de satisfaire pour soi-même,
autant que l’on peut. La raison en est que, pour pouvoir appliquer une
indulgence à un défunt, il faut commencer par la gagner soi-même
; or dans l’état de péché mortel il est impossible
de gagner la moindre indulgence.
fin 349
350 :
Il faut que la coulpe du péché ait été
remise par l’absolution, alors seulement si l’on est vraiment pénitent,
et décidé à faire tout ce que l’on peut pour s’acquitter,
notre bonne mère l’Eglise vient à notre secours, en nous
remettant tout ou partie de notre peine. Le péché véniel
n’empêche pas de gagner une indulgence, mais il empêche de
la gagner plénière, puisque, tant qu’il n’est pas pardonné
quand à la coulpe, il est impossible d’obtenir la remise de la peine
qui est attachée à ce péché. 3°) Il faut
que cette indulgence soit applicable aux défunts, et qu’on ait l’intention
de la leur appliquer. Toutes les indulgences ne sont pas, en effet, applicables
aux défunts, et pour celles qui leur sont applicables, il faut que
nous ayons l’intention positive de leur en céder le fruit, autrement
Dieu le réserve pour nous. On voit par là qu’il n’est pas
si facile que l’on croit de gagner une indulgence plénière
intégralement ; il faut pour cela l’exemption de tout péché
véniel si léger qu’il soit, l’exemption de toute affection
au péché véniel, une grande ferveur de charité,
une contrition universelle et un véritable esprit de pénitence.
Il est bien possible que nous ne soyons jamais dans une disposition d’âme
assez parfaite pour gagner, pendant toute notre vie, une seule indulgence
plénière ; mais nous la gagnerons toujours en partie, dans
la mesure de notre pureté de cœur et de notre ferveur ; or, plusieurs
indulgences partielles peuvent équivaloir comme résultat
à une indulgence plénière, lorsqu’elles arrivent à
compenser le chiffre de notre dette.
Du côté des défunts, à qui l’on applique
l’indulgence, il faut en outre : 1°) Qu’ils soient réellement
en Purgatoire. Sainte Françoise Romaine nous apprend, dans ses révélations,
que…
fin 350
351 :
les indulgences que l’on applique à un défunt qui a le
malheur d’être en Enfer, retournent à celui qui avait l’intention
de l’appliquer, et qu’elle ne profite qu’à lui ; si le défunt
est au ciel, cette indulgence, en vertu de la communion des saints, profite
aux autres âmes du Purgatoire. 2°) Il faut que Dieu accepte cette
indulgence, j’ai dit plus haut qu’il est plus probable qu’il s’est réservé
sa liberté à cet égard. Saint Thomas pense aussi que
le degré de ferveur dans lequel est mort le défunt est la
mesure dont la justice divine se sert pour lui appliquer l’indulgence,
et les autres suffrages que l’on faut pour lui. Cette opinion est tout
à fait d’accord avec plusieurs révélations que j’ai
citées, où l’on voit les âmes tièdes et négligentes
pendant leur vie, moins efficacement secourues que les autres, surtout
si elles se sont montrées égoïstes, comme cela arrive
d’ordinaire, et se elles ont négligé de prier pour les pauvres
défunts. Disons un mot des principales indulgences que nous pouvons
gagner pour les défunts. Mon dessein n’est pas ici de donner un
catalogue complet, il y faudrait tout un livre, mais, d’indiquer seulement
aux âmes de bonne volonté, parmi les pratiques qui reviennent
le plus ordinairement dans leurs prières chaque jour, celles qui
sont enrichies du privilège de l’indulgence. 1°) Le chapelet
; tout bon chrétien dit son chapelet chaque jour, or il y a un grand
nombre d’indulgences, soit plénières, soit partielles, attachées
à la récitation du chapelet, pourvu qu’il ait été
indulgencié par un prêtre qui en ait le pouvoir. Observons
que, dans ce cas, ce chapelet ainsi indulgencié, ne peut se prêter
ne si transmettre à une autre personne, à l’intention de
lui faire gagner les indulgences.
fin351.
352:
2°) Le chemin de croix ; il y a plusieurs indulgences plénières,
et un grand nombre de partielles, pour ceux qui font pieusement les XIV
stations du chemin de croix. Ces indulgences ne requièrent pas la
confession et la communion, il faut faire ces XIV stations de suite, en
allant de l’une à l’autre, si l’on est seul ; si on les fait en
commun, il suffit de se relever entre chaque station, aucune prière
n’est prescrite en particulier ; l’essentiel c’est de méditer quelques
instants devant chaque station sur le mystère qu’elle représente.
3°) Les actes de foi, d’espérance et de charité ;
sept ans et sept quarantaines chaque fois qu’on les récite ; indulgence
plénière une fois le mois, si on les a récités
tous les jours ; pour cette indulgence il faut se confesser, communier
et prier aux intentions du souverain pontife ; aucune formule n’est prescrite,
il suffit que les motifs de chacune de ces vertus soient exprimés.
N’oublions pas qu’il y a une obligation grave de formuler, au moins de
temps en temps, des actes de foi, d’espérance et de charité.
4°) Les litanies du saint nom de Jésus ; trois cents jours
chaque fois.
5°) Les litanies de la sainte Vierge ; trois cent jours chaque
fois ; et une indulgence plénière, les jours de l’Immaculée
Conception, de la Nativité de la sainte Vierge, de l’Annonciation,
de la Purification, de l’Assomption, si on les récite tout l’année.
6°) L’Angelus ; cent jours chaque fois au son de la cloche, et
si on la récite au moins une fois chaque jour, indulgence plénière
une fois le mois.
7°) Après la sainte communion, la prière O bone et
dulcissime Jesu ; O bon et très doux Jésus, en priant aux
intentions ordinaires, on gagne une indulgence plénière chaque
fois.
353 :
8°) Faire le mois de Maris chaque jour, trois cents jours, et une
indulgence plénière à la fin du mois, aux conditions
ordinaires. Il en est de même pour le mois du Sacré-Cœur.
Je pourrais indiquer bien d’autres indulgences qui sont attachées
à beaucoup de pieuses prières, confréries, etc. Ce
n’est pas mon intention. J’ai indiqué celles-ci parce qu’elles sont
attachées à des œuvres que tout personnes chrétienne
doit pratiquer. On voit par là combien il serait facile de s’enrichir
et de secourir les pauvres âmes du Purgatoire, si notre apathie ne
nous faisait malheureusement gaspiller ces trésors. Je ferai une
exception cependant, pour la célèbre bulle Sabbatine, qui
revient trop bien à mon sujet, pour que je la passe sous silence.
On sait que la très sainte Vierge donna le scapulaire à saint
Simon Stok, comme une marque à quoi l’on reconnaîtrait ses
dévots serviteurs. Mais ce que l’on ne sait pas assez ; c’est que
les plus précieux privilèges sont attachés à
cette dévotion. Je ne parle pas ici des indulgences nombreuses,
soit plénières, soit partielles, que les souverains pontifes
ont accordées aux confrères, indulgences qui sont plus ou
moins communes à toutes les confréries ; je veux parler de
deux privilèges spéciaux qui ne regardent que les confrères
du saint scapulaire. Le premier est l’exemption des peines de l’Enfer,
pour tous ceux qui ont porté pieusement le saint habit jusqu’à
la mort ; il y a là quelque chose qui paraît exorbitant au
premier abord, mais en y réfléchissant, on voit facilement
que ce privilège n’a rien d’incompatible avec la sainte doctrine.
Il est évident que la très sainte Vierge n’a pas pu promettre
que ceux qui meurent dans l’état du péché mortel,…
354 :
même revêtus du saint scapulaire, seront exempts des peines
de l’Enfer ; mais rien n’empêche de croire que sa miséricordieuse
tendresse disposera les choses de manière que tous ceux qui meurent
revêtus de son saint habit, auront la grâce efficace pour se
confesser dignement et pleurer leurs fautes, ou que, s’ils sont surpris
par la mort subite, ils auront le temps et la volonté de faire leur
acte de contrition parfaite. Cela ne dépasse nullement le pourvoir
de notre bonne Mère, et puisqu’elle a solennellement promis au B.
Simon qu’il en serait ainsi, in hoc moriens, oeternum non patietur incendium,
nous devons la croire sur parole. D’ailleurs, on ferait un volume des faits
miraculeux qui témoignent de l’accomplissement de cette promesse.
J’en citerai un seul, bien propre à faire réfléchir
les pécheurs endurcis, qui voudraient abuser des miséricordieuses
paroles de Marie. J’ai lu, dans un pieux auteur, qu’un homme qui vivait
dans l’habitude du péché mortel, avait pris le saint scapulaire,
et le portait constamment ; à ceux qui le pressaient de se convertir,
il répondait en ricanant, qu’il n’avait pas besoin de s’en préoccuper,
puisque avec son scapulaire, il était bien sûr d’échapper
aux flammes éternelles. Arriva la dernière maladie ; son
curé fit tous ses efforts pour toucher ce malheureux et l’amener
à une sincère conversion. Peine perdue. – " A quoi bon me
confesser, disait-il, j’ai un passeport pour le Ciel qui vaut mieux que
les absolutions du curé " ; ses parents, ses amis, rangés
autour de son lit d’agonie étaient consternés d’une pareille
impiété. Cependant, la mort approchait, tout à coup
l’agonisant se soulève à demi sur sa couche ; ses yeux sont
hagards, ses gestes convulsés. – " Le démon ! le démon
! ne voyez-vous pas le démon qui vient me saisir ! " Alors prenant
le scapulaire qu’il portait sur lui,
355:
356:
357:
Jourd'hui samedi, grâce aux privilèges accordés
aux confrères du saint Scapulaire, votre mère est montée
au ciel. Réjouissez-vous donc, car si vous avez perdu une mère
ici-bas, vous avez retrouvé là-haut une puissante protectrice".
(Voir les miracles du Carmel, année 1613).
Tels sont les deux privilèges du saint Scapulaire, ils parurent
si grands au souverain pontife Jean XXII, qu'il refusa d'abord de les ratifier;
mais la très sainte Vierge lui étant apparue, la nuit suivante,
et lui ayant renouvelé les promesses faites au B. Simon Stok, il
des confirma dans la bulle appelée Sabbatine, à cause du
privilège du samedi, dont elle fait mention
Je sais que cette bulle ayant été perdue, dans la suite
des temps, ne se trouve plus au bullaire, mais son authenticité
reste prouvée par une tradition constante. Aussi, bien que plusieurs
aient élevé des doutes sur son existence, le grand pape Benoît
XIV, dont la science éminente et la modération doctrinale
sont connues, se prononce en sa faveur.
D'ailleurs, l'Eglise fait mention de ces privilèges au bréviaire
romain, 16 juillet; il serait donc au moins téméraire de
les mettre en doute.
Ne soyons pas plus difficiles que la sainte Eglise. S'il est bon d'éprouver
tout esprit, et de ne pas se livrer à la première révélation
venue, il faut éviter avec plus de soin encore cet esprit pointilleux
qui se scandalise de tout, et trouve des difficultés partout. Cet
esprit-là, c'est l'esprit janséniste et protestant. L'esprit
du schisme et de l'hérésie; il a encore un autre nom, il
s'appelle l'esprit d'orgueil. L'esprit catholique est tout autre : comme
il connaît les miséricordieuses tendresses du sauveur Jésus
pour les siens, il n'est pas facile à s'étonner, il sait
que nous ne pourrons jamais aller jusqu'au fond des merveilleuses
358:
inventions de la tendresse divine? Les privilèges du Carmel
lui paraissent tout naturels; les chapelets, les indulgences sont pour
lui des instruments de salut, tout simples, dont il use de son mieux pour
lui et pour les autres. Ô Dieu, donnez-nous à tous cette heureuse
simplicité de l'enfant à qui vous avez promis autrefois le
royaume des cieux !
nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabilis in regnum caelorum !
Chapitre 22 Du vœu héroïque p.359 - 375
Nature et excellence de ce vœu. - Exemples des saints. - Réponse aux objections des théologiens. - Que ce vœu ne nous appauvrit pas, mais qu'au contraire, il augmente nos richesses. - Privilèges accordés par les Souverains Pontifes à ceux qui le font.
359:
Jusqu'ici, nous avons vu les différentes œuvres que nous pouvons
offrir à Dieu, pour le soulagement des défunts; l'aumône,
la mortification, la prière, le saint Sacrifice, la communion et
les indulgences; mais il y a quelque chose de plus excellant que chacune
de ces œuvres prises en particulier, c'est de les offrir toutes ses satisfactions,
sans s'en réserver aucune; c'est en un mot, de faire, en faveur
des âmes souffrantes, ce que l'on a très justement appelé
le vœu héroïque; héroïque, il l'est en effet, ce
don universel de tous nos mérites satisfactoires, c'est l'acte du
dépouillement le plus complet qu'il soit donné à une
créature humaine de faire, puisqu'il embrasse toutes les richesses
spirituelles avec quoi nous devions payer nos propres dettes, sans rien
réserver pour nous-mêmes. J'espère néanmoins
prouver que, pour faire ce don universel, il n'est pas absolument besoin
d'être un héros dans la sainteté; il suffit d'aimer
de tout son cœur Dieu et les âmes, et de bien comprendre ses véritables
intérêts.
Mais il faut commencer par bien faire comprendre la nature de cet acte.
C'est une donation toute volontaire que l'on fait, pour
360:
les appliquer aux âmes du Purgatoire, des satisfactions qui sont
attachées, comme je l'ai prouvé ailleurs, à chacune
de nos œuvres. On dépose ordinairement ces satisfactions entre les
mains de la très sainte Vierge pour qu'ell les distribue, à
sa volonté, aux âmes souffrantes.
Par ce que j'ai dit ailleurs en traitant en général de l'offrande de nos bonnes œuvres aux défunts, on voit qu'il ne s'agit pas de céder le mérite proprement dit de nos œuvres, c'est-à-dire le droit qu'elles nous donnent à un nouveau degré de gloire dans le ciel : il ne s'agit pas non plus de céder la part impétratoire, par conséquent cette offrande ne nous empêche nullement d'offrir nos œuvres à Dieu pour obtenir quelque grâce à nous ou aux autres; mais il s'agit de céder entièrement la part satisfactoire, en sorte qu'en faisant ce don universel, nous nous ôtons absolument la faculté de nous réserver aucune satisfaction pour nos propres fautes. C'est en cela que consiste l'héroïsme de cet acte.
Bien que l'on lui donne ordinairement le nom de vœu, il faut observer que cet acte est toujours révocable, et qu'il n'oblige aucunement sous peine de péché. Nos satisfactions nous appartiennent; nous pouvons les céder ou les retenir à volonté. Il n'est pas nécessaire non plus de prononcer aucune formule pour faire cette offrande; un acte sérieux de la volonté, c'en est assez.
On voit par là quelle est la valeur d'un pareil acte; il fait,
de chacun de ceux qui le formulent, une victime de propitiation pour les
âmes souffrantes. Toutes les satisfactions, les aumônes, les
jeûnes, les indulgences que cet homme que gagner, tombent ainsi dans
le trésor commun de la sainte Eglise, pour être partagés
entre les plus nécessiteux de ses enfants.
361:
Il ne faut donc pas nous étonner de voir, là encore,
les saints nous donner l'exemple.
On ne saurait compter les pieux personnages qui ont fait cette donation
universelle; je citerai seulement parmi les plus connus : au moyen âge,
sainte Lidwine, Christine l'Admirable, sainte Gertrude, sainte Catherine
de Sienne; et dans des temps plus rapprochés de nous, sainte Thérèse,
la B. Marguerite-Marie, la mère Françoise de Pampelune et
le grand cardinal Ximenès, qui fit cette donation par le conseil
de la très sainte Vierge elle-même, comme on peut le voir
dans sa vie.
Cette dévotion n'est donc pas nouvelle, comme quelques auteurs
l'ont pensé; cependant, il faut bien avouer qu'elle tend à
se répandre davantage à notre époque; comme si la
miséricordieuse providence de Dieu avait réservé à
nos derniers temps ce secours spirituel, pour suppléer à
la négligence de tant de mauvais chrétiens, qui oublient
leurs pauvres défunts, et préparer l'avènement de
ce dernier jour, où toutes les expiations, devant finir avec le
temps, le purgatoire sera fermé, et il ne restera plus aux âmes
que deux séjours possibles pour l'éternité, le ciel
ou l'enfer.
C'est le Père Olinden, religieux Théatin, à quoi
l'on doit plus spécialement la divulgation de cette dévotion;
il en fut, toute sa vie, le défenseur convaincu; il obtint du pape
Benoît XIII, mort en odeur de sainteté, de nombreuses indulgences
et de précieux privilèges en faveur de ceux qui s'y abonnent;
le Saint-Père fut même si touché de ses arguments,
qu'un jour, prêchant à Rome à ce sujet, il fut sur
le point, c'est lui-même qui nous l'apprend, de faire publiquement,
en chaire, cette donation de ses propres mérites; mais si l'humilité
l'empêcha de découvrir ainsi à tous les secrets de
sa belle âme, on
362:
peut penser qu'en son particulier il fut moins réservé,
et qu'il fit, lui aussi, cette donation de tous ses mérites.
On a vu des ordres religieux entiers faire cet abandon charitable.
La Compagnie de Jésus, toujours à l'avant garde, quand il
s'agit des intérêts de la gloire de Dieu, a donné à
ce sujet d'illustres exemples. Sans l'imposer comme règle à
ses membres, cet esprit de désintéressement absolu est tellement
bien son esprit, qu'un très grand nombre, et de plus illustres parmi
ses fils, ont fait ce vœu.
On cite particulièrement : le Père Ribadeneira, l'auteur
si pieux de la vie des saints pour tous les jours de l'année, le
Père Fabricius, de la résidence de Munster en Westphalie,
le Père Nieremberg de Madrid, le Père de Munfort, dont j'ai
souvent cité l'ouvrage : De la charité à exercer envers
les défunts; le Père de Montroy, qui trouva le moyen de faire
encore plus; étant sur son lit de mort, non seulement il donna aux
âmes du Purgatoire tous les mérites satisfactoires qu'il avait
pu acquérir en cette vie; mais, sa charité trouvant encore
à s'étendre au delà de cette vie mortelle, il fit
un testament sublime, et dont je ne sais pas, dit le Père Faber,
si on trouverait un second exemple dans la vie des saints. Il céda,
sans exception, aux âmes du Purgatoire, tous les mérites,
prières, messes, indulgences que la Compagnie de Jésus a
coutume d'appliquer à ses enfants défunts, tous les suffrages
de surérogation que ses mais pourraient faire pour lui, et, généralement,
tous les secours spirituels qu'on devait appliquer, à n'importe
quel titre, au soulagement de son âme. "Ainsi, dit le Père
de Rho, qui raconte ce fait comme s'étant passé devant lui,
le Père de Montroy, dans sa brûlante charité, trouva
le moyen de rendre grandement méritoires pour lui-même, les
peines épouvantables du Pur-
363:
-gatoire qui, de leur nature, ne sont susceptibles d'aucun mérite."
Dans ces derniers temps, le zèle de l'illustre Compagnie ne
s'est pas ralenti; si la modestie de ses enfants nous dérobe le
mystère de leurs généreux sacrifices, nous avons vu
se former, à Paris, sous leur direction, une nouvelle famille religieuse
appelée les auxiliatrices du Purgatoire, dont les membres, sans
exception, font le vœu héroïque d'offrir toutes leurs satisfactions,
tous les mérites de leur vie humble et dévouée, de
prier, de travailler et de souffrir pour le soulagement des âmes
du Purgatoire. Et déjà ce petit grain de sénevé,
jeté en terre il y a vingt ans, a poussé ses rejetons jusqu'en
Chine. Puisse la rosée du ciel tomber sur lui, et faire grandir
et fructifier au centuple !
Ces illustres exemples, et les indulgences accordées par les
souverains pontifes Benoît XIII, Pie VI et Pie IX montrent suffisamment
que cet acte de donation est légitime; néanmoins, comme nombre
de théologiens, il faut répondre aux objections que l'on
a proposées à l'encontre, et qui peuvent se résumer
à trois.
1° Cet acte est contraire à la charité que l'on se
doit à soi-même;
2° Cet acte est contraire à la charité que l'on doit
à ses proches et à ses amis;
3° Cet acte est contraire aux obligations de justice que nous pouvons
avoir à l'égard de certaines âmes.
Examinons chacune de ses objections en détail.
On prétend donc d'abord que cette donation universelle de tous
nos mérites, en faveur des âmes du Purgatoire, est contraire
à la charité que l'on doit à soi-même.
C'est un axiome de la théologie et du bon sens, que cha-
364:
-rité bien ordonnée commence par soi-même !
Or ici, l'ordre de la charité est complètement renversé;
on oublie totalement ses propres intérêts pour ne songer qu'aux
intérêts des défunts; et si cela est quelque fois permis
dans l'ordre des bien spirituel; tout le monde convient qu'on ne peut préférer
le salut des autres au sien propre; il est vrai qu'il ne s'agit pas ici
du salut, mais du retard plus ou moins prolongé apporté
à la vision béatifique, or, c'est là un bien tellement
considérable qu'on ne peut charitablement en faire le sacrifice
en faveur d'autrui; si quelques saints l'ont fait, ils ont agit d'après
une inspiration spéciale; il en est de cet acte comme de beaucoup
que nous lisons dans la vie des saints, et dont les théologiens
nous apprennent qu'ils sont plus admirables qu'imitables; vouloir marcher
en cela sur leurs traces, sans être assistés comme eux, d'une
grâce toute particulière de Dieu, ce serait présomption
et orgueil.
Voilà l'objection dans toute sa force; il ne me sera pas difficile
d'y répondre. En donnant toutes ses satisfactions aux âmes
du Purgatoire, je prétends que, non seulement on n'oublie pas la
charité qu'on doit avoir pour soi-même, mais encore que l'on
ne saurait rien faire qui soit plus véritablement profitable.
A quoi s'expose-t-on, en effet ? A prolonger de quelques années
son séjour dans le Purgatoire; mais songez donc à quel immense
accroissement de gloire éternelle répond le mérite
d'une pareille œuvre; or, le plus petit degré de gloire de plus,
est, comme je l'ai dit, sans proportion aucune avec les souffrances du
Purgatoire; ce ne serait pas l'acheter trop cher, au sentiment des saints,
que de le payer au prix du Purgatoire prolongé jusqu'à la
fin du monde; on fait donc un échange dont le profit est inap-
365:
-préciable.
Comment dire après cela que l'on manque à la charité
qu'on se doit à soi-même ?
Il y a plus : je suis persuadé, avec le Père de Munford,
qu'il se trouvera au jour du jugement des âmes qui devront à
cet acte généreux d'avoir évité l'Enfer. Peut-on
douter, en effet, que Dieu, toujours si libéral envers ceux qui
sont larges avec lui, ne nous accorde de nombreuses grâces en récompense
de cet acte héroïque, et ce seront peut-être ces grâces
de choix qui nous feront triompher enfin de cette déplorable tiédeur,
dont la continuité nous eût menés un jour au pêché
mortel et à l'impénitence finale, comme elle l'a fait pour
autant d'autres, hélas ! En sorte que vous vous trouverez, de fait,
avoir échangé l'enfer contre un Purgatoire plus ou moins
prolongé ! Dira-t-on encore qu'en agissant ainsi, vous avez manqué
de charité envers vous-même ?
Il faut tenir compte aussi des nombreux protecteurs que nous nous attirerons
ainsi; j'ai dit ailleurs la reconnaissance des âmes du Purgatoire
pour leurs bienfaiteurs; pensez-vous qu'elles puissent jamais oublier,
pendant sa vie et après sa mort, celui qui le premier se sera oublié
lui-même entièrement pour elles ? Que de grâces ne devrons-nous
pas aux ferventes intercessions de ces âmes bienheureuses ! Car en
leur abandonnant tous nos mérites, sans rien nous réserver,
il est impossible que nous ne délivrions pas un certain nombre d'âmes
pendant notre vie; autant de protecteurs et d'amis que nous nous serons
faits dans le ciel, et qui, selon la promesse du Maître, nous recevront
dans les tabernacles éternels, quand l'heure terrible de la reddition
des comptes aura sonné pour nous.
Je ne dirai qu'un mot de l'accusation de présomption et l'orgueil
que l'on a voulu voir dans cet acte : ce n'est pas ainsi que l'orgueil
et la présomption ont coutume
366:
d'agir; ces défauts, de leur nature, sont égoïstes,
et ne portent point à s'oublier au profit des autres; que si quelqu'un
était assez malheureux pour faire un acte aussi sublime avec de
mauvais motifs, ce serait un malheur pour lui, mais cela ne prouverait
absolument rien contre l'acte en lui-même.
On dit en second lieu : cet acte est contraire à la charité
qui nous oblige de prier pour certaines âmes en particulier, nos
parents, nos proches, nos amis, nos bienfaiteurs. Il a été
prouvé plus haut que cette obligation existe à l'égard
de ces âmes; or, comment pourrons-nous nous acquitter de ce devoir,
si nous commençons par mettre nos mérites en commun ? Nous
serons donc ainsi privés de la consolation de secourir en particulier
un père, une mère chérie ? Nous ne pourrons rien faire
pour l'âme d'un bienfaiteur, d'un ami, du prêtre à qui
nous devons tout ? Est-il raisonnable de se lier ainsi les mains, et n'est-ce
pas se préparer dans l'occasion bien des regrets ? S'il y a une
obligation particulière de prier pour ces sortes de personnes, comme
tout le monde l'avoue, n'est-ce pas sacrifier l'essentiel à l'accessoire,
le devoir strict à une dévotion mal entendue, que de ne réserver
aucun moyen de les soulager ?
Je réponds à cela, d'abord, qu'en donnant toutes nos
satisfactions aux âmes du Purgatoire, nous ne nous dépouillons
pas de la partie impétratoire de nos œuvres; rien ne nous empêche
donc de prier pour les âmes qui nous sont si chères à
différents titres, et cette prière garde toute sa valeur
et toute son efficacité, en tant que prière : nous pouvons
aussi célébrer, ou faire célébrer le saint
sacrifice à leur intention; nous ne sommes pas aussi dépourvus
de moyens de secourir ces chères âmes que l'objection le prétend.
Mais l'on insiste, et l'on dit : soit, il vous reste la
367:
prière, mais il ne vous reste que cela; vous vous êtes
dépouillés au profit général de toutes vos
satisfactions; par conséquent, vous ne pouvez plus offrir utilement
pour ces âmes, ni aumônes, ni mortifications; ce qui est plus
grave, vous ne pouvez plus leur appliquer aucune indulgence. Cela est vrai;
mais en mettant toutes nos satisfactions entre les mains de Notre-Seigneur
ou de la Sainte Vierge, qui nous empêche de leur recommander spécialement
les âmes que nous avons en vue ? Est-ce que Notre-Seigneur ou sa
Sainte Mère ne savent pas bien que nous avons des obligations de
charité envers telle ou telle personne ? Peut-on supposer que le
Sauveur Jésus, qui nous a fait cette obligation, n'en tiendra pas
compte dans la répartition de nos mérites ? Et la Douce Marie
peut-elle, de son côté, vouloir autre chose que ce que veut
son divin Fils ? Mais je suppose que pour des raisons de justice à
lui connues, Notre-Seigneur refuse d'assister cette âme, en lui appliquant
nos suffrages ; est-ce que nous aurions la prétention de lui forcer
la main et de la secourir malgré Lui ? Tranquillisons-nous; non
seulement cet acte de donation universelle n'est pas contraire à
la charité que nous devons exercer envers certaines âmes,
mais encore, il nous mettra à même de les secourir bien plus
efficacement, puisque, en donnant toutes nos satisfactions aux âmes
du Purgatoire, nous faisons plus pour elles, qu'en offrant quelques prières
et quelques bonne œuvres au hasard.
Enfin, et c'est l'objection la plus grave, on a prétendu que
cet acte est contraire à la justice. Il est certain, comme je l'ai
prouvé, qu'il y a pour nous une obligation stricte de justice de
prier pour certaines âmes, soit à l'occasion de legs reçus,
d'honoraires de messes acceptés, ou à quelqu'un des titres
que j'ai exposés. Or, comment pouv-
368:
-vons-nous acquitter de cette obligation de justice, si nous sommes
dépouillés de tout ?
L'objection serait très sérieuse, en effet, si elle était
fondée ; mais, jamais les souverains pontifes
n'auraient approuvé, jamais les saints n'auraient mis en pratique
un acte opposé à la justice ; nous
pouvons donc en conclure à priori, que l'objection n'est pas
fondée. En effet, elle s'appuie sur un faux
supposé ; en les souverains pontifes, en approuvant cette dévotion,
ont formellement exclu tout ce qui pourrait léser nos obligations
de justice envers autrui ; ainsi Benoît XIII, dans son bref du 23
août 1728, a formellement déclaré que cette donation
n'empêche pas le prêtre qui la faite d'accepter les honoraires
de messes et d'offrir le saint Sacrifice aux intentions qui lui sont demandées.
Il faut raisonner de même pour les legs que nous aurions reçus,
à charge de prier ou de faire prier pour un défunt, rien
n'empêche d'accepter ces sortes de legs, et il y a un devoir strict
de les acquitter fidèlement. Mais il est encore d'autres obligations
de justice moins rigoureuses ; par exemple, l'obligation de prier pour
ceux qui sont en Purgatoire à cause de nous ; à l'égard
des obligations de ce genre, je raisonnerai comme je l'ai fait plus haut
pour les obligations de charité : Notre Seigneur, qui connaît
nos devoirs envers ces âmes, ne peut manquer de les soulager en premier
lieu ; en sorte que nous leur serons vraiment plus utiles par
cette offrande générale de tous nos mérites, que
si nous leur avions appliqué individuellement quelques
prières ou quelques indulgences.
Rien n'empêche d'ailleurs, pour mettre tout à fait notre
conscience à l'aise, d'ajouter à notre acte de
donation cette clause restrictive : j'abandonne aux âmes du Purgatoire
tous les mérites satisfactoires,
autant que j'en ai le droit,
369: et que N.S. l'a pour agréable. C'est le conseil que donne
le P. de Munfort,
aussi bien que de se réserver le mérite satisfactoire
de la pénitence sacramentelle qui nous est imposé
pour nos fautes ; l'intention de l'Eglise étant évidemment
que cette pénitence nous profite à nous-même et non
aux défunts. Du reste il n'y a pas à s'inquiéter ici,
en faisant cette offrande générale de tous nos mérites,
autant que cela peut être agréable à notre divin Sauveur,
on ne risque pas de blesser la justice ou la charité et l'on coupe
court à toute objection. Jusqu'ici j'ai prouvé que cette
offrande de toutes nos oeuvres ne pouvait nuire ni à nous ni aux
autres ; mais cela n'est pas assez, je prétends montrer maintenant
que, pour ce qui nous regarde, nous ne pouvons qu'y gagner beaucoup, et
pour le prouver, je me contenterai de résumer les chapitres VI,
VII, VIII et X du traité du P. de Munford.
Rappelons nous, tout d'abord, ce qui a été dit plus haut,
qu'il y a trois choses à considérer dans chacune de nos bonnes
¦uvres : le mérite, l'impétration et la satisfaction
; or, le P. de Munford prétend prouver, et à mon avis il
prouve parfaitement bien, qu'en abandonnant ses satisfactions aux défunts,
ces trois partie de l'¦uvre acquièrent une valeur plus considérable
; suivons son raisonnement.
Il est très facile de prouver que le mérite proprement
dit s'accroît considérablement ; en effet, d'après
les théologiens, une ¦uvre est d'autant plus méritoire
qu'elle est faite avec une charité plus désintéressée
; or, en offrant toutes nos satisfactions aux défunts, nous nous
mettons dans l'impossibilité d'agir autrement que par des motifs
désintéressés, puisque ces oeuvres ne peuvent nous
servir à rien pour le paiement de nos dettes spirituelles ; nos
oeuvres en cette situation ne peuvent procéder que de la
370:
charité la plus pure : du désir de la gloire de Dieu,
de l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la volonté
que nous avons de lui être agréable en toute choses ; par
suite, chacune de nos ¦uvres, prise en particulier, devient plus
méritoire. Il y a plus : l'acte même par lequel nous faisons
cet abandon universel de toutes nos satisfactions, est d'un mérite
extraordinaire ; et, comme il est toujours révocable, chaque fois
que la pensée nous vient d'y renoncer, et que nous persévérons
dans notre généreuse offrande, nous méritons par là
un accroissement considérable de gloire dans le Ciel. On voit donc
que, pour ce qui est du mérite de nos oeuvres proprement dit, nous
ne pouvons qu'y gagner, et beaucoup, à en céder le fruit
aux défunts.
Il en est de même de l'impétration ; j'ai dit ailleurs
que l'on peut faire de chacune de ses ¦uvres autant de prières,
en les offrant pour une intention déterminée, à l'effet
d'obtenir de Dieu telle ou telle grâce, pour soi ou pour les autres.
Or, ce mérite impétratoire que nous pouvons donner à
chacune de nos ¦uvres, est-il diminué parce que nous aurons
disposé de toutes nos satisfactions en faveur des défunts
? En aucune manière ; car il s'agit d'un ordre de chose tout différent.
Je puis jeûner, par exemple, à l'intention d'obtenir de Dieu
la conversion de tel pêcheur ; dans ce cas, voici la distribution
qui va se faire des mérites de mon ¦uvre : le mérite
proprement dit sera pour moi ;; c'est-à-dire que, par cet acte,
j'acquerrai le droit à un nouveau degré de gloire dans le
ciel ; l'impétration sera pour mon frère ; c'est-à-dire
que si la chose est dans les desseins de Dieu, j'obtiendrai la conversion
demandée ; la satisfaction sera pour moi, c'est-à-dire que
j'obtiendrai ainsi la rémission d'une partie de
371:
ma dette spirituelle ; que si j'ai donné déjà
toutes mes satisfactions aux âmes du Purgatoire, la satisfaction
sera alors toute entière pour elles ; mais, dans un cas comme dans
l'autre, l'impétration n'en sera pas diminuée, on le voit
; ce n'est pas assez, non seulement dans ce dernier cas l'impétration
n'est pas diminuée, mais au contraire, elle devient plus efficace
pour toucher le c¦ur de Dieu. Voici pourquoi : il est certain que
plus une oeuvre est parfaite, plus elle augmente en vertu impétratoire
; c'est pour cela que les saints obtiennent par leurs jeûnes, leurs
mortifications, leurs communions, tant de grâces que Dieu refuse
justement à la médiocrité de nos oeuvres. Or, cette
oeuvre que je fais ainsi, en abandonnant la satisfaction aux âmes
du Purgatoire, elle est bien plus parfaite que si j'avais gardé
cette satisfaction pour moi, par conséquent elle est plus efficace
pour amener Dieu à m'accorder la grâce que je lui demande.
Ajoutez à cela, qu'au mérite accru de notre impétration
se joindront les prières des âmes que nous aurons ainsi délivrées,
ou du moins soulagées ; j'ai montré ailleurs que cette impétration
surérogative, venant s'ajouter à la nôtre, n'est pas
à dédaigner. "Donc, conclut le P. de Munfort, c'est une erreur
grossière, quoique commune, de s'imaginer que, parce que l'on s'adonne
tout de bon à secourir les défunts, on ne peut plus offrir
à Dieu ses jeûnes, ses aumônes, ses prières,
pour ses amis, ou pour quelque nécessité soit particulière,
soit publique." "Tant s'en faut que l'application qu'on fait de ses bonnes
¦uvres aux âmes du Purgatoire soit
incompatible avec d'autres intentions que c'est, à l'égard
de Dieu, une puissante raison d'accorder toutes les grâces qu'on
lui demande." (Loco citato, ch VII.)
372:
J'arrive à la troisième partie de l'¦uvre, la
satisfaction ; j'avoue qu'il devient difficile de prouver que je puisse,
même sous ce rapport, gagner quelque chose en la cédant entièrement
; car si, avec mon argent, je paye la dette de mon voisin, il est évident
qu'il ne me restera rien pour payer les miennes.
Voyons pourtant si ce ne serait pas le cas de vérifier ce texte
des proverbes (XI, 24) : Il y en a qui donnent ce qui est à eux,
et qui deviennent plus riches.
Il faut partir de ce principe que Dieu est infiniment libéral,
et ne se laisse jamais vaincre en générosité par ses
créatures ; il nous a promis dans l'Evangile de se servir avec nous
avec la même mesure dont nous nous serons servi pour mesurer les
autres ; il a déclaré à sainte Gertrude qu'il regardait
comme fait à lui-même ce que l'on fait pour les âmes
du Purgatoire ; après cela, on peut, sans trop de présomption,
espérer qu'à l'heure de la mort, il usera de miséricorde
envers ceux qui, par amour pour lui, et par charité pur les âmes
souffrantes, se seront dépouillés de toutes leurs satisfactions.
Il est écrit encore que la charité couvre beaucoup de
péchés, que l'aumône délivre de la mort ; or
quelle plus belles aumône spirituelle, où l'on donne, non
son simple superflu, mais toutes ses satisfactions ?
On objectera peut-être, qu'en matière de satisfaction,
N.-S. est forcé d'imposer silence à la miséricorde,
et de laisser agir sa justice ; mais n'a-t-il pas bien des moyens de nous
secourir et de nous faire éviter le Purgatoire sans léser
les droits imprescriptibles de sa justice ? En voici trois qui se présentent
tout d'abord à mon esprit.
1° Il peut, en récompense de notre charité, nous
accorder beaucoup de grâces de choix, qui nous
éviterons beau-
373:
-coup de fautes que nous aurions faites sans cela ; or ces fautes,
il aurait fallu nécessairement les expier, en ce monde ou en l'autre
; donc, autant d'enlevé à notre expiation future.
2° Il peut nous donner, à l'heure de la mort, une charité
si parfaite, une contribution si vive, qu'elle suffise à nous obtenir
la remise entière de nos dettes. On sait, par révélation,
que cela est arrivé à de
saints pénitents, et nous avons dans l'évangile, l'exemple
illustre de bon larron qui, le même jour passa d'une vie de crimes
à la paix des élus : hodie mecum eris in paradiso.
3° Il peut inspirer aux âmes du Purgatoire que nous aurons
délivrées pendant notre vie, de nous assister puissamment
de leurs suffrages, aussitôt après notre mort ; il peut envoyer
la même pensée de nous secourir aux amis que nous laissés
sur la terre ; peut-être, en quelques heures, ils feront plus pour
nous, à eux tous, que nous n'aurions pu faire pendant toute notre
vie ; il n'est pas présomptueux d'espérer qu'il en sera ainsi,
puisque nous avons vu, par de nombreuses révélations, que
Dieu a coutume de punir l'égoïsme par l'oubli ; comme il est
encore plus miséricordieux que juste, s'il est permis de s'exprimer
ainsi, il n'est pas douteux qu'il ne récompense le dévouement
de celui qui a tout donné, en lui ménageant de nombreux suffrages
après sa mort.
Par toutes ces raisons, et par d'autres encore, que je suis forcé
d'omettre, le Père de Munford conclut qu'il y a lieu d'espérer
que ceux qui font avec droiture et pureté d'intention, cet abandon
universel de toutes leurs satisfactions aux défunts, ou seront tout
à fait exempts du Purgatoire, ou ils n'y demeureront que très
peu de temps, beaucoup moins que s'ils s'étaient réservé
ces satisfactions pour eux-mêmes ; de plus, pendant leur vie, ils
seront
374:
tout-puissant, pour obtenir de Dieu les grâces qu'ils solliciteront pour eux et pour les autres ; et dans le ciel, ils auront un degré de gloire bien plus élevé que celui qu'ils auraient pu prétendre sans cela.
En voilà assez pour décider ceux qui ont souci de leurs
intérêts. Néanmoins je goûte peu, je l'avoue,
ce genre d'arguments, dans une ¦uvre de désintéressement
absolu comme celle-là. J'ai exposé ces raisons pour répondre
aux objections des théologiens, mais je préfère m'élever
au-dessus de tous ces calculs, pour voir le grand intérêt
qui domine tout : La gloire de Dieu, qui sera procurée par la délivrance
de ces pauvres âmes. Que je sois plus ou moins longtemps en Purgatoire,
c'est, hélas, l'affaire de mes propres fautes, mais que je serve
à glorifier Dieu, en mettant ces pauvres âmes en possession
de sa gloire, voilà le grand intérêt qui domine tout.
Pour le reste, je m'en remets, les yeux fermés, à la miséricorde
et à la justice de mon Maître. Même sous le glaive de
ses vengeances, je veux le bénir : Etiam si occiderit me, benedicam
illi.
Un mot en terminant, des privilèges accordés par les
souverains pontifes à ceux qui font le voeu héroïque.
1° Toutes les indulgences que ces fidèles s'efforcent de
gagner deviennent, par le fait, applicables aux défunts lors même
que la bulle de concession a déclaré le contraire.
2° Tous les lundis, ils peuvent, même sans communier, gagner
une indulgence plénière en assistant pieusement au Saint
Sacrifice et en priant pour les défunts. Ceux qui seraient véritablement
empêchés par leurs travaux d'assister à cette messe
du lundi, peuvent gagner la même indulgence en assistant à
la messe du dimanche.
3° Chaque fois qu'ils communient, ils peuvent gagner une indulgence
plénière, aux conditions ordinaires de visi-
375:
ter une église et d'y prier aux intentions du souverain pontife
4° Les prêtres jouissent du privilège de l'autel tous
les jours ; ce privilège est personnel au prêtre et il le
porte avec lui à quelque autel qu'il célèbre.
5° Les enfants qui n'ont pas encore fait leur première communion
les infirmes, les vieillards, ceux qui habitent loin du prêtre,
dans les campagnes peuvent gagner les mêmes indulgences même
sans communier en se
confessant priant aux intentions du souverain pontife et remplaçant
la communion par quelque autre pratique imposée par le confesseur.
fin p.375.
Chapitre 23 Des moyens de se préserver soi-même du purgatoire p. 376 - 390
p.379 -
2.Si ses enfants mourants sont dans l'état du péché
mortel, et ne peuvent plus se confesser, elle leur obtient la grâce
de la contrition parfaite ; j'ai cité plusieurs exemples de ce genre
; on en ferait des volumes, rien que de ceux qui sont connus, et que de
faits inconnus de ce genre doivent se passer dans les ombres de la mort
! que de mystères de miséricorde, qui ne seront publiés
à la gloire de Marie qu'au jour du dernier jugement ; certes, il
n'est pas présomptueux d'affirmer qu'il y a des milliers d'âmes
qui seraient actuellement dans les abîmes de l'Enfer, sans l'intervention
de celle que l'Eglise salue du titre de Refuge des pécheurs.
3. Nous avons vu au chapitre premier que la très sainte Vierge assiste quelquefois au jugement de ses dévots serviteurs, pour les défendre contre les accusations du maudit, et adoucir la rigueur de la sentence.
4. Une fois dans le Purgatoire, les enfants de Marie ne sont pas abandonnés
de leur divine mère ; tous les samedis, les révélations
des saints nous l'ont appris, elle descend dans ces sombres cachots
pour visiter ses amis et en délivrer quelques-uns, particulièrement
ceux qui, ayant porté fidèlement le saint scapulaire, et
rempli les conditions de la confrérie, ont droit, d'après
la promesse formelle de Marie, d'être délivrés le premier
samedi après leur mort.
Les confrères du Rosaire n'ont pas de promesse de ce genre,
mais nous avons vu qu'ils sont puissamment secourus après leur mort
par les mérites de cette prière ; il en est de même
de ceux qui portent avec amour la médaille miraculeuse ; ils ont
droit, dans le Purgatoire, à une protection spéciale de Marie,
et de nombreux faits nous attestent que cette protection ne leur fait pas
défaut. Enfin, il y a toutes les fêtes de la sainte Vierge,
Suite P.380
P.380
qui sont, comme je l'ai dit ailleurs, la fête du Purgatoire,
et par-dessus toutes les autres, la fête de l'Assomption, où
c'est par centaines de milliers que l'on compte annuellement les âmes
délivrées. Après cela, il ne nous reste plus qu'à
nous écrier avec saint Bernard : Oh ! qu'il fait bon être
des dévots de Marie ! La dévotion à la sainte Eucharistie
est aussi très efficace à soulager, dans le Purgatoire, ceux
qui l'ont pratiquée pendant leur vie ; cela se comprend ; de toutes
les oeuvres que l'on peut offrir pour le soulagement des défunts,
la première est, sans contredit, l'oblation du divin Sacrifice ;
par une conséquence toute naturelle, ceux qui ont une dévotion
particulière pour honorer le divin Sacrement de l'autel ont droit
à une part de choix dans les fruits rédempteurs du Sacrifice.
Voici ce qu'on lit à ce sujet dans les révélations
de sainte Gertrude. ( Louis de Blois, Miroir spirituel, ch. XII .)
Une de ses religieuses, qui avait mené la vie d'un ange dans le cloître, lui apparut un jour pour se recommander à ses prières : à cause de plusieurs imperfections, elle était encore privée de la claire vision de Dieu ; mais en récompense de son tendre amour pour la divine Eucharistie, elle contemplait, dans les ravissements de l'amour, la sainte humanité du Sauveur ; -" Eh ! ma mère, disait-elle à la sainte, que je suis heureuse du culte que j'ai rendu à Jésus-Eucharistie, dans les jours passagers de mon existence terrestre ! Oh ! le bon maître que nous servons ! grâce à cette dévotion particulière au divin Sacrement, je recueille des fruits plus abondants de l'adorable hostie, quand on l'offre pour moi ! aussi je ne tarderai pas d'être introduite à jamais au céleste séjour, où mon divin époux m'attend pour me couronner."
Rappelons-nous aussi l'histoire touchante de ce vieux - Suite
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paysan, qui, raconte le vénérable curé d'Ars,
passait chaque jour de longues heures au pied de l'autel ; c'était
à l'époque où la petite église d'Ars,
encore inconnue comme son curé, ne voyait presque personne en dehors
des offices ; hélas ! c'est l'histoire de combien de sanctuaires
! Au moins le saint curé était là chaque jour, à
ce poste d'honneur qui est le nôtre ; il ne tarda pas à remarquer
la présence de ce bon paysan. - "Mon ami, lui dit-il un jour, que
faites-vous ainsi à l'église pendant de longues heures ?
" -"Monsieur le curé, les gens du monde, quand ils ont un procès,
ne manquent pas d'aller voir leurs juges pour leur exposer leur affaire
; voici que je suis vieux ; je paraîtrai bientôt devant mon
juge, c'est une grosse affaire que je viens lui recommander chaque jour,
car je veux absolument gagner mon procès." -"Et que lui dites-vous
pendant ces longues heures ?" - "Monsieur le curé, je ne lui dis
rien, je le regarde et il me regarde : nous nous comprenons bien, allez,
cela suffit !" Oh l'adorable simplicité ! c'est à vous
qu'est promis le royaume des cieux.
D'après tout ce que j'ai dit précédemment, en parlant de l'obligation que nous avons de secourir les défunts, on peut conclure qu'un des meilleurs moyens d'abréger son Purgatoire, c'est de s'appliquer avec zèle à soulager les défunts. Si Dieu, comme nous l'avons vu, punit d'ordinaire par l'oubli et la privation des suffrages, ceux qui se sont montrés égoîstes et oublieux envers les défunts ; on ne peut douter qu'il n'use de miséricordes toutes spéciales envers ceux qui se sont montrés dévoués aux âmes du Purgatoire ; donnez et l'on vous donnera. Date et dabilur vobis, c'est la règle évangélique.
Une autre vertu qui paraît tout à fait propre à
toucher -Suite P.382 –
P.382
le coeur de Dieu c'est la charité envers nos frères.
Voulez-vous vous ménager un jugement favorable ? Rien de plus facile
! Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas, et
vous ne serez pas condamnés : Nolite judicare, et non judicabimini,
nolite condemnare et non condemnubimini.
Vous aurez certainement besoin du pardon de Dieu, que vous avez beaucoup
offensé : pardonnez et l'on vous pardonnera à votre tour.Plus
d'une fois peut-être le péché mortel a fait de vous
l'ennemis de
Dieu, c'est pourquoi je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien
à ceux qui vous haïssent, et votre Père céleste
en agira de même avec vous ; benefacite his qui oderunt vos, et persecuti
fuerunt vos.
Ici encore les exemples surabondent pour confirmer la doctrine du Maître
:en voici deux seulement.
Une pauvre veuve avait un fils unique, sur qui naturellement elle avait
reporté toute sa tendresse ; c'était en Italie, à
une époque où les rues étaient souvent ensanglantées
par les querelles des particuliers. Un soir, elle était seule à
la maison, quand se présente à elle un jeune homme hors d'haleine
: - "ô Madame, de grâce, cachez-moi ; j'ai eu le malheur de
tuer un homme ; on me poursuit. Sauvez-moi ! "
La bonne dame le reçoit, le cache dans la chambre de son
fils, et un moment après les sbires se présentent : - " Madame,
n'auriez-vous pas vu un meurtrier qui s'est sauvé de ce côté
; nous ne pouvons savoir où il a passé." La dame leur fait
visiter l'appartement ; il n'y a pas trace de celui qu'ils cherchent. Cependant
avant de se retirer, un agents lui dit : -" Madame ne voudrait pas certainement
égarer la justice et faciliter à un misérable qui
vient de tuer son fils, les moyens de s'échapper." A ces mots terribles,
la
-Suite P.383 –
P.383
pauvre mère se sent défaillir d'horreur. Eh ! quoi, c'est
le meurtrier de son fils qui est là caché chez elle, et qu'elle
va dérober aux recherches de la justice ; mais bientôt l'héroïsme
de la chrétienne prend le dessus sur la faiblesse de la mère
; elle laisse partir les agents, et quand ils sont déjà
loin, elle va trouver le meurtrier de son fils : -"Malheureux que vous
ai-je fait pour que vous me priviez de mon unique consolation ? mais je
vous pardonne pour l'amour de N.-S. Jésus-Christ ; voici une bourse,
vous trouverez dans l'écurie un cheval ; fuyez, ne reparaissez jamais
dans une maison que vous avez remplie de deuil." O puissance du pardon
des injures ! la nuit suivante, elle voit paraître son fils tout
rayonnant de gloire : -" O ma mère, soyez bénie de votre
générosité ! j'étais condamné à
un long Purgatoire, mais parce que vous avez généreusement
pardonné à mon meurtrier, le Seigneur m'a remis toute mon
expiation." Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde
; beati miséricordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur !
( Voir le P. Seigneri, l'instruction du chrétien. --I re partie,
II disc.)
Le second exemple est emprunté à la vie de la bienheureuse
Marguerite-Marie. Pendant qu'elle était chargée du pensionnat,
au couvent de Paray, une des élèves vint à perdre
son père. Comme la bienheureuse était en grand renom de sainteté
parmi les enfants, cette jeune fille s'empressa de recommander son cher
défunt à ses prières. A quelque jour de là,
la soeur l'appelant à part, lui dit : "Ma chère enfant, remerciez
Dieu, votre père est au Ciel ; mais, quand vous verrez Madame votre
mère, demandez-lui donc quelle est l'action extraordinaire de charité
que votre père fit dans sa dernière maladie ; c'est cet acte-là
qui lui a valu d'échapper, à peu près entièrement,
aux expiations du Purgatoire."
sUITE p.384
P.384 -
Or, voici ce qui s'était passé. Le défunt, qui
était une bonne maison, avait eu des démêlés
avec un boucher, son voisin : quand il fut sur le point de reçevoir
le Saint Viatique, il le fit appeler près de son lit, et avec une
humilité touchante, lui demanda pardon des torts qu'il avait eus
à son égard. Cette humble réconciliation, bien remarquable
dans un homme de son rang, à l'égard d'un simple artisan,
avait suffi au jugement de Dieu pour couvrir toutes ses autres fautes,
et l'exempter des flammes du Purgatoire. (Vie de la bienheureuse Marguerite-Marie).
Voici ce qu'écrivait encore la bienheureuse Marguerite-Marie
à la mère de Greffyé, sa supérieure : " Une
personne était en Purgatoire pour autant de jours seulement qu'elle
avait vécu d'années sur la terre Notre Seigneur me fit connaître
qu'entre toutes les bonnes oeuvres que cette personne avait faites, il
avait eu un très particulier égard à lui rendre un
jugement favorable, à cause de certaines occasions d'humiliations
qu'elle avait eues dans le monde chrétien, non seulement sans se
plaindre, mais sans en parler." L'aumône qui, d'après
l'Ecriture, délivre de la mort est aussi bien propre à
nous ménager un jugement miséricordieux ; heureux, dit le
Seigneur, celui qui a l'intelligence du pauvre et de l'orphelin, beatus
qui intelligi super egenum et pauperem. Au jour mauvais, Dieu le délivrera
in die mala liberabit eum dominus. Quel est ce jour mauvais, sinon le jour
de colère où nous serons tous appelés à rendre
nos comptes à la divine justice ? Rappelons-nous ce que j'ai dit
ailleurs au chapitre de l'Aumône, nous verrons qu'elle n'est pas
moins efficace à préserver du Purgatoire qu'à soulager
ceux qui y sont déjà.
Suite P.385
P. 385
Pour la consolation de ceux qui vivent en communauté, qu'aurait
pu effrayer ce que j'ai dit ailleurs du Purgatoire des religieux et religieuses,
il faut qu'ils sachent qu'ils ont un moyen très simple de s'exempter
du Purgatoire, c'est la parfaite observance de leurs règles ; et
cette pénitence n'est pas petite au dire du bienheureux Berchans
: mea maxima poenitentia vita communis. Nous avons vu que la vénérable
Agnès de Langeac reçut les remerciements d'une de ses religieuses
défuntes, pour avoir considérablement abrégé
son Purgatoire, en veillant de lui faire parfaitement observer toutes ses
règles ; je pourrais citer bien des faits du même genre, je
me contenterai du suivant. (vie de la bienheureuse Emilie au diario dominicano,
3 mai). La bienheureuse Emilie, prieure des dominicaines de Verceil, avait
coutume de mener ses soeurs par cette âpre joie du sacrifice. Une
des religieuses de la communauté, nommée soeur Marie-Isabelle,
était négligente à l'office ; elle s'acquittait de
ce devoir journalier avec le plus grand dégoût, aussi, à
peine le dernier verset des psaumes fini, elle sortait du choeur la première
; un jour qu'elle s'en allait ainsi à la hâte, en passant
devant la stalle de la prieure, celle-ci l'arrêta : "Où donc
allez-vous si vite, ma bonne soeur, et qui vous presse de sortir ?" La
pauvre soeur, prise au dépourvu, avoua humblement qu'elle s'ennuyait
à l'office et qu'elle aurait bien voulu qu'il fût plus court.
"C'est fort bien, reprit la prieure, mais s'il vous en coûte tant
de chanter, commodément assise, les louanges de Dieu, au milieu
de vos soeurs, comment ferez-vous, dites-moi, dans le Purgatoire quand
vous serez retenue au milieu des flammes ? pour vous éviter cette
terrible épreuve, je vous ordonne à l'avenir, de ne plus
quitter votre place, que la dernière."
Suite P.386
p.386
La pauvre soeur se soumit avec simplicité ; elle en fut
bien récompensée. A quelques temps de là, elle mourut,
et Dieu lui compta, comme autant d'heures du Purgatoire, les heures qu'elle
avait passées ainsi dans la pratique de l'obéissance.
Enfin, il est une vertu de la dernière heure, qu'il est bien facile de pratiquer, et qui touche singulièrement le coeur de Dieu et l'incline à un jugement miséricordieux. C'est l'acceptation humble et soumise de la mort, comme expiation de nos péchés.
J'ai lu, dans la vie de la Mère Françoise du Saint-Sacrement, qu'une âme fut condamnée à un long Purgatoire pour n'avoir pas eu cette soumission. C'était une jeune personne, pleine d'ailleurs de vertus, mais, quand la main glacée de la mort voulut cueillir sa jeunesse dans sa fleur, elle résista de toutes ses forces, en disant, comme la jeune captive de Chénier : je ne veux pas mourir encore ! Elle eut plus tard à expier, par de longues souffrances, cette révolte de la nature. Au contraire, voici un exemple où cette acceptation volontaire mérita à celui qui la fit l'exemption totale du Purgatoire.
Le Père Caraffa, général de la Compagnie de Jésus,
eut à assister à la mort un jeune seigneur, condamné
injustement au dernier supplice. Mourrir à la fleur de son âge,
quand on est riche, heureux, que la vie déborde et que l'avenir
nous sourit, c'est dur, il faut bien l'avouer ; un criminel pourrait s'y
résigner encore, par l'horreur de son crime, mais un innocent !
Néanmoins le Père sut si bien l'exhorter, il lui parla avec
tant d'onction de la nécessité d'accepter la mort, en expiation
de ses fautes passées, que ce pauvre malheureux monta sur l'échafaud,
non seulement avec résignation, mais avec joie toute chrétienne,
se tenant assuré que cette mort injuste lui
Suite P.387
P.387
obtiendrait le pardon de Dieu. Le peuple, qui assistait à son
supplice, fut extrêmement édifié de l'entendre
exprimer ces beaux sentiments, jusque sous la hache du bourreau. Or, au
moment où la tête tombait, le Père Caraffa vit son
âme monter triomphante au Ciel ; il alla trouver aussitôt la
mère du condamné, et lui raconta ce qu'il avait vu, pour
la consoler, et il était si transporté de joie de ce qu'il
avait vu, qu'il ne cessait de s'écrier, de retour dans sa cellule
: "Oh ! le bienheureux ! Oh ! le bienheureux !". La famille voulait faire
célébrer un grand nombre de messes pour le repos de son âme
; -"C'est inutile, répondit le Père, réjouissons-nous
plutôt, car je vous déclare que cette âme n'a pas même
passé par le Purgatoire." Un autre jour qu'il était occupé
à quelque travail, il s'arrêta tout à coup, changeant
de visage et regardant vers le Ciel, comme s'il y apercevait quelque spectacle
merveilleux, alors on l'entendit s'écrier : -"ô l'heureux
sort !ô l'heureux sort !" et comme son compagnon lui demandait
l'explication de ces paroles. -"Eh ! mon père, c'est l'âme
du supplicié qui m'est apparue dans la gloire. Oh! que sa résignation
lui a été profitable !" (Vie du Père Vincent Caraffa,
liv. II, ch.
VII.)
Voici ce qu'on lit encore à ce sujet, dans la vie de la mère
Isabelle de Saint Dominique, liv.III, chap. VII. - Il s'agit de la soeur
Marie de Saint-Joseph, une des quatre premières carmélites
qui embrassèrent la réforme de sainte Thérèse.
Notre Seigneur, voulant que sa sainte épouse fut reçue en
triomphe dans le Ciel, aussitôt après son dernier soupir,
acheva de purifier et d'embellir son âme, par les souffrances qui
marquèrent la fin de sa vie. Les quatre derniers jours qu'elle passa
sur cette terre,
Suite P.388
P.388
elle perdit la parole et l'usage de ses sens ; elle était en
proie à une douloureuse agonie ; les religieuses avaient le coeur
navré de la voir en cet état. La mère Isabelle de
Saint Dominique s'approchant de la malade, lui suggéra de faire
beaucoup d'actes de résignation et d'abandon entre les mains de
Dieu. Soeur Marie de Saint-Joseph entendit et fit intérieurement
ces actes, mais sans pouvoir donner aucun signe extérieur. Elle
mourut dans ces saintes dispositions et, le jour même de sa mort,
tandis que la mère Isabelle entendait la messe, priant pour le repos
de son âme, Notre Seigneur lui montra sa fidèle épouse
couronnée de gloire, et lui dit : " Elle est du nombre de ceux qui
suivent l'agneau ;" Marie de Saint-Joseph de son côté,
remercia la mère Isabelle de tout le bien qu'elle lui avait fait
à l'heure de la mort ; elle ajouta que les actes de résignation
qu'elle lui avait suggérés lui avaient mérité
une grande gloire en Paradis, et l'avaient exemptée des peines du
Purgatoire.
On comprendra facilement que l'acceptation religieuse et résignée
de la mort ait la vertu d'abréger le Purgatoire, si l'on veut bien
réfléchir à ce que dit saint Paul, que la mort est
le châtiment dû au péché, stipendium peccati
mors. Accepter humblement ce châtiment, c'est s'élever
à la hauteur d'une expiation, c'est en faire même un sacrement,
selon la belle pensée du Père Lacordaire. Voilà pourquoi
l'Eglise, en accordant à ses enfants l'indulgence in articulo mortis,
y met, comme condition essentielle l'acceptation religieuse de la mort.
Une sainte âme qui vivait au commencement de ce siècle, la
mère Marie-Anne du Bourg, avait coutume de dire qu'il y a , dans
cette disposition, une telle vertu satisfactoire que l'instant où
le corps est inhumé, est souvent, pour les âmes très
pures, celui où elles sortent du Purgatoire et entrent en Paradis
;
Suite P.389
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c'est ce qui arriva au P. de la Colombière, directeur de la
Bienheureuse Marguerite-Marie. (Vie de la bienh., lettre à la mère
de Greffyé.) Méditons ces exemples, et faisons-en notre profit
; toutes ces pratiques sont faciles, ces vertus n'ont rien qui demande
d'héroïques efforts. Evitons toute espèce de péché,
mais surtout le péché véniel ; prions pour demander
le secours de Dieu, sans quoi nous ne pouvons ; et à la prière,
joignons la vigilance, une vigilance de tous les instants ; en un mot,
remplissons de notre mieux les devoirs généraux de la vie
chrétienne, et les devoirs particuliers de notre état. Joignons
à cela la dévotion à la très sainte Vierge
; chaque fois que nous récitons l'Ave Maria, pensons à cette
dernière invocation : Sainte Marie, priez pour nous, maintenant
et à l'heure de notre mort.
Aimons la sainte Eucharistie ! prêtres, célébrons avec toute la ferveur possible ; simples fidèles, communions souvent et pieusement, tous, prêtres ou fidèles, aimons à visiter, dans la solitude du tabernacle, celui qui sera un jour notre juge.
Dans nos rapports avec nos frères, soyons bons, charitables, prudents pour épargner leur réputation ; aimons les pauvres, ces préférés de Notre Seigneur ; faisons-leur l'aumône de notre bourse, si nous le pouvons, et si nous ne le pouvons pas, si nous sommes pauvres nous-mêmes, faisons-leur l'aumône plus précieuse encore de notre dévouement. - Prions beaucoup pour les âmes souffrantes ; n'ayons pas une dévotion égoïste et sans entrailles ; pensons aux autres, pendant notre vie, si nous voulons qu'on pense à nous après notre mort.
Si nous avons le bonheur d'être sous le joug de l'obéissance
religieuse, portons ce joug avec amour, il en sera plus léger.
Suite P.390
P.390
Ne faisons pas avec négligence l'oeuvre de Dieu, et puis quand
viendra pour nous l'heure suprême, endormons-nous avec confiance
et avec amour entre les bras de Jésus et de Marie. En vivant et
en mourant ainsi, nous aurons pris le meilleur moyen de nous délivrer
des supplices du Purgatoire, et d'aller sans retard au Ciel jouir de la
félicité des Saints.
p.390
Chapitre 24 Sortie du Purgatoire p.391 - 402
Délivrance des Ames du Purgatoire. –Leurs anges gardiens viennent les chercher, quelquefois la sainte Vierge, quelquefois même Notre Seigneur. –État de l’âme glorifiée. Des jours plus spécialement assignés à la délivrance des défunts. Du rang qui leur est assigné dans le ciel. – Conclusion.
391 :
Nous voici arrivés à cette heure bénie où,
toutes les expiations étant terminées, l’âme bienheureuse
n’a plus qu’à s’envoler au Ciel. Qui vous dira les joies de ce moment
!... Représentez-vous les joies de l’exilé qui rentre enfin
dans sa patrie. Oh ! qu’elles lui ont paru lentes les heures de l’exil
! Qu’il est dur de vivre loin des siens, de monter tous les jours l’escalier
de l’étranger, de manger ce pain de l’hospitalité, que Dante,
l’illustre exilé de Florence, trouvait si amer à la bouche
des malheureux. Mais patience ! Voici l’heure du retour dans la patrie,
voici les rivages de la terre natale ; là-bas, ses amis, ses parents
l’attendent pour le serrer dans leurs bras. Oh ! qui nous dira les joies
de cette heure bénie ! Pendant les jours de la terreur, un pauvre
prêtre de la Vendée avait fait partie des célèbres
noyades de Carrier. Échappé par miracle à la mort,
il avait dû émigrer, pour sauver ses jours. Quand la paix
fut rendue à l’Église et à la France, il s’empressa
de rentrer dans sa chère paroisse. Ce jour-là, le village
s’était mis en fête, tous les paroissiens étaient venus
au-devant de leur pasteur et de leur père ; les cloches sonnaient
joyeusement dans le vieux clocher, et l’église s’était parée
comme au jour des grandes solennités.
fin 391.
392 :
Le vieillard s’avançait souriant au milieu de ses enfants ;
mais quand les portes du saint lieu s’ouvrirent devant lui, quand il revit
cet autel, qui avait réjoui si longtemps les jours de sa jeunesse,
son cœur se brisa dans sa poitrine trop faible pour supporter une telle
joie ; il entonna d’une voix tremblante d’émotion le Te Deum laudamus.
Mais c’était le Nunc dimittis de sa vie sacerdotale ; il tomba mourant,
au pied même de l’autel ; l’exilé n’avait pas eu la force
de supporter les joies du retour !... Si telles sont les joies du retour
de l’exil dans la patrie terrestre, qui nous dira les joies de l’entrée
au Ciel, la vraie patrie de nos âmes ! Pour les décrire il
faudrait les avoir éprouvées soi-même. Pauvres exilés
le long des fleuves de Babylone, comment pourrions-nous redire les cantiques
de Sion sur la terre étrangère ? Quomodo cantabimus canticum
Sion, in terra aliena ?
Aussi, c’est aux révélations des saints qu’il faut avoir
recours pour se faire une idée de ces transports. Voici ce qu’écrivait
la bienheureuse Marguerite-Marie à la mère de Saumaise :
" Mon âme se sent pénétrée d’une si grande
joie que j’ai peine à la contenir en moi-même. Permettrez-moi,
ma bonne mère, de la communiquer à votre cœur, qui ne fait
qu’un avec le mien, en celui de Notre Seigneur. Ce matin, dimanche du Bon
Pasteur, deux de nos bonnes âmes souffrantes, à mon réveil,
sont venues me dire adieu, parce que c’était aujourd’hui que le
bon Pasteur les recevait dans son bercail éternel, avec plus d’un
millier d’autres, en la compagnie desquelles elle s’en allaient avec des
chants d’allégresse indescriptibles. L’une es la bonne mère
Philiberte-Emmanuelle de Menthoux ; l’autre, ma sœur Catherine Gâcon,
qui me disait et répétait sans cesse ces paroles :
fin 392
393 :
" L’amour triomphe, l’amour jouit, l’amour en Dieu se réjouit.
L’autre disait : Bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur,
et les religieuses qui vivent et meurent dans l’exacte observance de leurs
règles ! elles voulaient que je vous dise, de leur part, que la
mort peut bien séparer les âmes, mais non les désunir
; ceci est de la bonne mère, et ma sœur Catherine vous sera aussi
bonne fille que vous lui avez été bonne mère sur la
terre. Si vous saviez combien mon âme a été transportée
de joie ; car en leur parlant, je les voyais peu à peu noyées
et abîmées dans la gloire, comme une personne qui se noie
dans une vaste Océan : Elles vous demandent, en action de grâces,
à la très sainte Trinité, un Te Deum, un Laudate,
et trois Gloria Patri, et, comme je les priais de se souvenir de nous,
elles m’ont dit, pour dernière parole, que l’ingratitude n’est jamais
entrée dans le Ciel. "
Nous avons vu que c’est l’ange gardien qui est chargé de conduire
au Purgatoire l’âme sur qui il a veillé, pendant la vie ;
c’est lui encore, au moins d’ordinaire, qui va la chercher dans sa prison,
pour l’introduire au Ciel. Avec quel bonheur il doit s’acquitter de cette
mission !
Enfin son œuvre est accomplie ; l’âme qui lui avait été
confiée par Dieu, est arrivée au terme de son pèlerinage
! Peut-être le voyage a été bien long et bien pénible,
mais qu’importe ? L’éternité est là pour compenses
les peines du passé, et le souvenir qui en reste sert à faire
mieux goûter les joies inénarrables du présent. Saint
Bernard disait un jour la messe à Rome, dans ce délicieux
sanctuaire de Saint-Paul aux trois fontaines, si connu des pèlerins
; c’est là que fut martyrisé l’apôtre des nations,
et sa tête, en rebondissant sur le sol, y fit jaillir trois sources
d’eaux vives, qui coulent aussi abondantes…
fin 393
394 :
qu’au premier jour, et qui ont donné leur nom à ce lieu.
Après la consécration, il fut ravi en extase : l’échelle
de Jacob était devant ses yeux ; mais les anges ne gravissaient
pas seuls ses mystérieux degrés ; chacun d’eux accompagnait
une âme qui venait d’être délivrée, et qu’il
était chargé de conduire au Ciel, après avoir veillé
sur elle, pendant les jours de sa vie mortelle. Depuis, la petite église,
théâtre de cette miraculeuse vision, a été rebâtie
et on lui a donné le nom de Sancta Maria, Scala coeli, sainte Marie,
échelle du Ciel… Il arrive quelquefois par une faveur tout spéciale,
que d’autres anges se joignent à l’ange gardien, pour aller au-devant
de l’âme délivrée et l’amener en triomphe au Ciel.
La bienheureuse Marguerite de Cortone, eut ainsi une révélation
qu’une pieuse servante, nommée Gillia, qui était morte à
son service, serait conduite au séjour des bienheureux par quatre
anges, et cela, en considération des prières et des mérites
de la sainte. D’autres fois, quand il s’agit de ses dévots serviteurs,
c’est la Mère de miséricorde qui vient Elle-même les
chercher pour les conduire dans la patrie. Nous avons vu plusieurs exemples
de ce glorieux privilège ; c’est pourquoi je n’y insiste pas davantage.
Enfin Notre Seigneur daigne venir quelquefois lui-même chercher les
âmes qui lui sont particulièrement chères. Sainte Thérèse
priait un jour pour un frère de la compagnie de Jésus, religieux
de grand mérite, qui venait de mourir ; pendant qu’elle entendait
la messe à son intention, tout à coup, elle vit apparaître
le divin Sauveur, avec un visage tout rayonnant de bonté et de miséricorde,
qui venait chercher cette âme bienheureuse pour la faire entrer au
séjour des élus. En même temps, notre doux Sauveur
lui fit connaître que c’était par une faveur toute…
fin 394
395 :
spéciale, et pour récompenser la grande humilité
de ce pauvre frère qu’il daignait descendre lui-même à
sa rencontre. (Vie de la Sainte, ch.38) Mais qui nous dira le rayonnement
de gloire qui enveloppe ces saintes âmes ? " C’est si beau une âme
! écrivait un jour sainte Catherine de Sienne, c’est quelque chose
de si merveilleux, que, s’il nous était donné d’en contempler
l’éclat, alors qu’elle est pure et sans tache, nous ne pourrions
soutenir ce spectacle, et nous expirerions de bonheur aussitôt !
" S’il en est ainsi d’une âme vivant encore dans une chair mortelle,
qui nous dira les splendeurs de l’âme glorifiée ? Sainte Thérèse
vit un jour un religieux carme monter au Ciel ; " quoiqu’il fût fort
âgé, il m’apparut, dit-elle, sous les traits d’un homme n’ayant
pas plus de trente ans, et avec un visage tout resplendissant de lumière
; aucune splendeur terrestre ne pourrait donner l’idée de sa merveilleuse
beauté. " Les saints, quand ils veulent nous décrire ces
miraculeuses transformations de l’âme glorifiée, épuisent
en vain toutes le comparaisons tirées de l’éclat du soleil,
de la blancheur de la neige, du rayonnement des astres dans le silence
d’une belle nuit d’été ; on sent, malgré tous leurs
efforts, que l’expression les trahit, et reste infiniment au-dessous de
leur pensée. Cela se comprend, il s’agit de décrire des spectacles
que l’œil de l’homme n’a pas vus, de redire des harmonies que son oreille
n’a jamais entendues, de faire sentir des joies que son pauvre cœur n’a
jamais goûtées !... Un jour, nous l’espérons, dans
les splendeurs de l’éternité, nous verrons ces choses ; jusque-là,
nous ne pouvons que balbutier comme des enfants, qui veulent parler de
ce qui est au-dessus d’eux ; laissons au Ciel ses secrets, à l’avenir
ses révélations !...
fin 395
396 :
Bien qu’il soit vrai, à la rigueur, que l’âme n’est délivrée
qu’au moment précis où finit l’heure de son expiation, néanmoins
il est des jours dans l’année, qui paraissent plus particulièrement
assignés à la délivrance des âmes souffrantes.
Quels sont ces jours bienheureux ? J’ai déjà parlé
du samedi pour les confrères du scapulaire et des fêtes de
la très sainte Vierge, pour ses dévots serviteurs, je n’y
reviendrai pas. Mais, il y a d’autres jours encore : Catherine Emmerich,
dans ses révélations si intéressantes sur la douloureuse
passion du Sauveur, nous apprend que, tous les ans, au jour anniversaire
de son sacrifice, Notre Seigneur descend dans le Purgatoire, pour en retirer
quelques-uns de ceux qui prirent part qu grand drame de sa passion. Voilà
dix-huit siècles et demi qu’elle s’est accomplie, et il parait qu’il
y a encore dans les flammes expiatrices quelques-uns de ceux qui demandaient
que le sang de la victime retombât sur eux et sur leurs enfants.
Les malheureux ! ils ont eu le temps de réfléchir à
la responsabilité de leur vœu sacrilège ! Ce sang réparateur
est encore sur leurs fronts comme le stigmate de Caïn. Nous apprenons,
par les mêmes révélations, qu’il y en a parmi eux qui
doivent rester en Purgatoire jusqu’à la fin du monde ; Notre-Seigneur
les délivrant ainsi au fur et à mesure, selon le degré
plus ou moins grand de leur culpabilité. D’autres révélations
nous font connaître que, chaque année, le jour de l’Ascension,
le divin Maître renouvelle en quelque sorte le mystère de
son entrée triomphante dans le Ciel, en descendant dans le Purgatoire
chercher un grand nombre d’âmes souffrantes, qui lui font cortège
pour rentrer au séjour des bienheureux. Enfin le jour des Morts,
qui est le jour plus spécialement…
Fin 396
397 :
Consacré aux suffrages en faveur des défunts, est aussi
pour eux le grand jour de la délivrance. Ce jour-là, tous
les prêtres jouissent de la faveur de l’autel privilégié
; il y a quatre cent mille prêtres environ dans le monde ; c’est
donc la rançon de quatre cent mille âmes qui est offerte à
Dieu. Une révélation, citée par le Père Faber,
nous apprend que Dieu use surtout de ce trésor en faveur des âmes
qui n’ont plus que peu de chose à ajouter à leur expiation.
Là encore, nous sommes impuissants à nous représenter
ces grandes fêtes du Ciel. C’est si beau déjà sur la
terre une fête de l’Église ! Le soir de nos grandes solennités,
quand, le matin, toutes les âmes fidèles se sont approchées
du banquet eucharistique, quand la joie réside dans tous les cœurs,
et brille sur tous les fronts, quand l’autel a revêtu ses ornements
de fête, et que, pour terminer dignement ce jour béni, le
divin Sauveur trône sur son tabernacle, au centre d’un soleil d’or,
au milieu des parfums, des fleurs et des nuages de l’encens, quand la bénédiction
descend silencieuse sur tous les fronts inclinés, quand tous les
cœurs sont recueillis dans l’adoration et dans l’amour, dites-moi, ne nous
est-il jamais arrivé de rêver du Ciel et de ses joies ? Hélas
! ces heures bénies passent vite sur la terre ! Mais représentez-vous
une vraie fête du Ciel. Dans les hauteurs des cieux, l’auguste Trinité,
enveloppée et comme perdue dans sa gloire ; l’humanité du
Sauveur, avec ses plaies divines où rayonne l’amour. A ses pieds,
la douce Marie, puis ces milliers d’anges qui forment la cour céleste,
les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, les chœurs des apôtres,
des martyrs et des vierges, les chœurs innombrables des saints et des saintes
de tous les âges : tout à coup une harmonie céleste
se fait entendre, les harpes…
Fin 397
398 :
d’or des séraphins tressaillent sous leurs doigts ; entendez-vous
l’hymne de la délivrance ? C’est le cœur des captifs qui fait son
entrée dans la sainte cité. Princes du Ciel, ouvrez vos portes,
ouvrez-vous, portes éternelles ; c’est un roi qui rentre en triomphe
dans son royaume. Attolite portas, principes, vestras, et elevamini, portae
aeternales, et introibit Rex gloriae !...A son entrée dans le Ciel,
chacun reçoit le rang qui lui est assigné, suivant l’ordre
et la nature de ses mérites. On enseigne communément que
les créatures humaines ainsi appelées à la gloire,
sont destinées à entrer dans les chœurs des anges, pour y
remplir les vides causés la défection des anges rebelles.
Il est certain néanmoins que plusieurs groupes son constitués
à part : il y a le chœur des apôtres, qui sont appelés
à entrer en participation du pouvoir judiciaire du Christ : Sedebitis
et vos super sedes duodecim, judicantes duodecim tribus Israel. Privilège
glorieux, qui sera partagé proportionnellement par tous les hommes
apostoliques, par ceux qui, selon la parole du maître, auront tout
quitté pour le suivre. Il y a encore les chœurs des martyrs, des
docteurs et des vierges, qui auront le privilège d’une auréole
spéciale ; les théologiens dissertent assez longuement sur
la nature de ces trois auréoles, mais qu’il nous suffise de savoir
qu’il s’agit d’une récompense distincte de la béatitude commune,
récompense qui sera ajoutée à la félicité
des martyrs, des docteurs et des vierges, parce qu’ils ont triomphé
respectivement des tyrans, du démon et de la chair. Enfin, les âmes
qui, jusqu’au dernier jour, se seront gardées pures de toute souillure
charnelle, auront le privilège incommunicable de suivre en tous
lieux l’humanité sainte du Sauveur, et de chanter ce cantique de
l’agneau qu’il n’est donné à aucune lèvre souillée
de répéter.
fin 398
399 :
O prêtres, frères bien-aimés dans le sacerdoce
; c’est vous que je pense en écrivant ces lignes. J’ai dit les rigueurs
de la justice divine sur vous ; avec quelle joie j’inscris ici vos glorieux
privilèges ! car c’est bien de vous qu’il s’agit ici ; vous avez
droit à ces glorieuses distinctions ; elles sont à vous,
si vous le voulez bien. Vous êtes les successeurs des apôtres
; pour avoir le droit de siéger à leur côté
et de partager leur pouvoir judiciaire, que vous faut-il ? Faire ce qu’ils
ont fait les premiers : quitter tout et suivre Jésus. Ce détachement
vous est facile ; l’Église n’a guère à vous offrir
qu’un morceau de pain, que les méchants vous mesurent avec parcimonie
et qu’ils menacent de vous retirer : eh bien ! soyez heureux et fiers de
ce dénuement apostolique ; partagez avec le pauvre qui vient frapper
à votre porte, et répétez joyeusement la parole de
l’apôtre : habentes alimenta, et quibus legamur, his contenti simus.
L’auréole des martyrs ! qui sait ? les jours sont mauvais ; il y
a quelques années à peine le sang des pontifes et des prêtres
coulait dans les rues de Babylone ! qui sait ce que l’avenir, et un avenir
prochain vous réserve ? il n’est pas présomptueux de vous
dire que nous serez peut-être appelés à donner au Sauveur
Jésus le suprême témoignage de l’amour, le témoignage
du sang. Pas n’est besoin de venir en chine pour cela, ceux qui sont restés
en France, je pourrai peut-être dire en Europe, sont plus sérieusement
menacés que ceux qui vivent au milieu des barbares de l’extrême
Orient. La civilisation moderne nous a ramenés à la barbarie
raffinée. L’auréole des docteurs ! vous y avez droit puisque
votre vie se passe à instruire les ignorants, à catéchiser
les petits enfants. O humbles curés de campagne, quand vous vous
appliquez avec tant de soin faire pénétrer les grands…
fin 399
400 :
mystères de la foi dans l’intelligence engourdie des pâtres
des champs, au milieu de ce doux et pénible labeur, rappelez-vous
la parole des saints livres : qui ad justitiam erudiunt multos, fulgebunt
sicut stellae in perpetuas aeternitates. L’auréole des vierges !
pauci capiunt ; mais qu’ils sont heureux ceux-là ! ô prêtres
! vous que le Christ vierge a choisis et appelés, puissiez-vous
ne jamais déchoir de votre vocation sublime ! Tertullien dit, dans
un de ses livres, que, par l’attouchement de la chair immaculée
du Christ, le chrétien qui communie demeure dans une chair angélisée,
in Christo angelificata caro ; et vous, vous communiez tous les jours ;
votre corps est le tabernacle vivant, le ciboire d’un or très pur,
où reposent presque continuellement les espèces eucharistiques,
oh ! que vous devez êtres purs ! et combien cette pureté doit
vous devenir facile, à vous qui buvez chaque jour à la coupe
sacrée qui fait germer les vierges ! vinum germinans Virgines. Si
parfois, comme le grand apôtre, vous ressentez les révoltes
de la nature, si vous avez peine à porter le fardeau de ce corps
de péché, songez à la gloire qui vous attend, à
cette auréole de la virginité qu’une seule faute vous fait
perdre, contemplez-vous dans le ciel, revêtus de vos aubes, immaculées,
et suivant l’agneau, en chantant le cantique des vierges ; et vous serez
forts pour triompher des mouvements de la chair et des illusions de Satan.
Oui tous, et prêtres et fidèles, pensons souvent aux splendeurs
de l’éternité bienheureuse qui nous attendent. La vie est
si triste, surtout à de certaines heures ! mais, courage ; les peines
passeront, les épreuves des justes auront un terme, et aussi les
triomphes insolents des méchants et des sots. Sans doute, notre
tiédeur, notre lâcheté au service de Dieu ne nous permettent
guère d’espérer que…
fin 400
401 :
tout sera fini à la mort ; il nous restera probablement d’autres
souffrances et d’autres expiations dans le Purgatoire ; mais quelque terribles
que nos fautes puissent faire ces expiations, elles aussi auront un terme
; un jour, à une heure du temps, connue de Dieu seul, une vision
d’en haut viendra nous appeler à prendre rang au milieu des bienheureux.
Ce rang qui sera ainsi assigné à chacun de nous, est indépendant
du plus ou moins de temps que l’on a passé en Purgatoire. Il correspond
simplement aux mérites acquis. Marie Lataste rapporte, dans ses
révélations qu’une jeune novice de sa communauté,
étant morte en état de sainteté, au bout de neuf jours
seulement, elle lui apparut délivrée du Purgatoire et montant
au Ciel. A quelque temps de là, mourut une vieille sœur, toute pleine
de mérites, mais qui, hélas ! dans le cours d’une longue
vie, avait contracté bien des souillures ; elle fut condamnée
à plusieurs mois d’un rude Purgatoire, mais une fois admise dans
le ciel, elle fut placée dans un rang bien supérieur à
celui de la jeune sœur. Cela est bien facile à expliquer : le mérite
acquis est absolument indépendant des fautes que l’on a à
expier. Dans le cours d’une longue vie sacerdotale ou religieuse, on peut,
on doit acquérir beaucoup de mérites ; hélas ! il
est d’expérience que l’on contracte aussi bien des dettes ! mais
les dettes se payent par une expiation temporaire, au lieu que le plus
petit mérite correspond à un nouveau degré de gloire,
c’est-à-dire à une récompense éternelle. Travaillons
donc avec courage ; nous servons un bon Maître ; s’il exige de ses
débiteurs jusqu’au dernier denier, usque ad nocissimum quadrantem,
il récompense ses amis bien au-delà de leurs mérites
: merces magna nimis.
fin 401
402 :
J’ai fini : j’ai dit les justices de Dieu sur les âmes fidèles,
mais négligentes ; j’ai dit ses miséricordes, qui, même
dans le Purgatoire, surpassent ses justices. Voilà deux ans que
je commençai ces pauvres pages, le jour de Notre-Dame de la Merci,
je les termine aujourd’hui, fête de la Nativité de la très
sainte Vierge. O Marie, consolatrice des affligés, je voudrais que
vous bénissiez cet humble travail, et celui qui l’a entrepris. Puisse-t-il
faire un peu de bien aux âmes ! puisse-t-il me mériter votre
protection pour le jour peu éloigné, je pense, où
je serai moi-même au séjour des expiations. Si j’ai contribué
à ranimer dans quelques-uns le zèle et la prière en
faveur des défunts, que les âmes saintes du Purgatoire, que
j’aurai ainsi contribué à soulager, ne m’oublient pas devant
Dieu, et m’obtiennent le pardon de mes nombreux péchés ;
c’est la seule récompense que j’ambitionne.
Fin du Volume
Fin402