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Abbé Rossignoli

Les Merveilles Divines dans les Ames du Purgatoire


Les Merveilles Divines dans les Âmes du Purgatoire du Père Rossignoli

Introduction
 La charité bien comprise nous fait un devoir très-pressant
          de subvenir aux nécessités des âmes du Purgatoire 1
  1 - Excellence des suffrages en faveur des morts 6
  2 - Ne pas soulager les défunts par des aumônes, c'est se priver soi-même
         de grands avantages spirituels 10
  3 - Dieu exauce les prières des communautés ferventes en faveur des
         défunts 15
  4 - La conversion renvoyée au soir de la vie conduit l'âme à la cruelle
         faim du Purgatoire 18
  5 - La miséricorde envers les défunts procure le salut de l'âme, et souvent
         même celui du corps 21.
  6 - Le purgatoire des paroles inconvenantes 24
  7 - Une âme du Purgatoire rappelée à l'expiation sur la terre 27
  8 - Combien les âmes du Purgatoire sont soulagées par le jeûne et l'oraison 30
  9 - Intercession d'une femme pleine de foi 33
10 -  La protection du Ciel en faveur de l'homme de bien 36.
11 - Martyre de charité de sainte Christine-l'Admirable pour la délivrance
         des âmes du Purgatoire 40
12 - La Mère de Dieu mère des âmes du Purgatoire 44
13 - Dieu accorde à ses saints de grandes grâces en faveur des âmes du
         Purgatoire 47
14 - Comment les prières d'un saint délivrent quantité d'âmes 50
15 -  La peine transférée d'un défunt à un vivant 54
16 - C'est se délivrer soi-même que de secourir les âmes du Purgatoire 57
17 - Les souffrances du Purgatoire bien que passagères paraissent
         extrèmement longues 61
18 - Les peines du Purgatoire conformes aux fautes commises 64
19 - Le Ciel bénit ceux qui prient pour les morts 68
20 - Ingratitude des héritiers envers leurs bienfaiteurs 70
21 - Actions de grâces des âmes du Purgatoire envers leurs libérateurs 74
22 - Il faut travailler par soi-même à éviter le Purgatoire 77
23 - Traits divers de charité 81
24 - Souffrances des âmes qui ont donné du scandale 84
25 - Pour entrer au Ciel il faut être exempt de la moindre faute 87
26 - Admirable commerce de charité entre les vivants et les défunts 91
27 - Traits divers 96
28 - Traits merveilleux sur la mort et sur le Purgatoire 99
29 - Les indulgences 102
30 - La protection des saints utile, après la mort à qui l'a invoquée ici-bas 105
31 - Reconnaissance des âmes pour leurs bienfaiteurs 108
32 - Celui qui souffre pieusement ici-bas va tout droit au repos éternel 111
33 - Sainte usure de ceux qui appliquent leurs oeuvres au soulagement des défunts 114
34 - Le sang de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie 117
35 - Il vaut mieux mourir  avec la certitude d'aller en Purgatoire
         que de vivre en danger de péché 120
36 - Les justes eux-mêmes ne sont pas irrépréhensibles devant Dieu 125
37 - On ne sort du Purgatoire qu'après une expiation entière et complète 128
38 - La dévotion du saint Rosaire 131
39 - Tourment apaisé 135
40 - Protection des âmes du Purgatoire 137
41 - Oeuvres d'insigne charité envers les âmes du Purgatoire 140
42 - Supplication merveilleuse 143
43 - Bienfaits des âmes du Purgatoire envers ceux qui les assistent 145
44 - La sainte communion pour les morts 148
45 - La divine Eucharistie154
46 - Le pardon d'une offense soulage les âmes souffrantes 154
47 - Valeur du saint sacrifice en faveur des âmes du Purgatoire 157
48 - Obéissance à la volonté divine 160
49 - Délivrance d'une âme 162
50 - Bonté des anges pour les pauvres du Purgatoire 165
51 - Reconnaissance des âmes du Purgatoire 168
SECONDE  PARTIE
Introduction 172
52 - Grand pêcheur délivré par une âme du Purgatoire 176
53 - Défunt répondant aux prières qu'on fait pour eux 180
54 - La divine Marie et le Scapulaire 182
55 - Accusations du démon contre les morts 185
56 - Un Purgatoire plus long à qui n'a pas prié pour les morts 188
57 - Rigueur de la justice divine 191
58 - Protection miraculeuse 194
59 - Apparitions et révélations 196
60 - Mérite de la sainte obéissance 199
61 - Dévouement charitable 203
62 - Suffrages conformes aux bonnes oeuvres accomplies pendant la vie 206
63 - Idée du feu du Purgatoire et des leçons qu'il nous donne 208
64 - Marie au jour de son Assomption 211
65 - Récompense du bien accompli pendant la vie 214
66 - Combien effrayants sont les tourments du Purgatoire 216
67 - La crainte du Purgatoire fait taire la volupté 220
68 - Les plaintes douloureuses des âmes du Purgatoire 224
69 - La plus grande souffrance du Purgatoire est la privation de la vue de Dieu 228
70 - Les peines du Purgatoire conformes aux fautes commises.234
71 - Reconnaissance des âmes du Purgatoire 237
72 - L'oeil de la justice divine 241
73 - Supplications des âmes pour obtenir qu'on les secoure 244
74 - Récompense de ce que l'on fait pour les âmes du Purgatoire 247
75 - Dévotion extraordinaire envers les âmes 251
76 - Petites aumônes faites de bon coeur 254
77 - Le besoin que nous avons d'être purifiés 257
78 - Iniquité convertie en oeuvre méritoire 261
79 - L'amour du prochain doit s'étendre au delà de cette vie 265
80 - Révélations sur l'autre vie 268
81 - Prix des souffrances d'ici-bas 271
82 - L'intercession des justes apaise la colère divine 275
83 - Un rayon de la lumière céleste dans le Purgatoire 278
84 - Utilité des sacrements pour nous purifier devant Dieu 282
85 - Prières exaucées 285
86 - Dieu instruit les vivants sur les mystères de l'autre vie 288
87 - Combien la prière est utile aux âmes du Purgatoire 292
88 - Efficacité de la prière des justes en faveur des âmes 296
89 - Protection spéciale de Marie 301
90 - L'or et l'argent des vertus doivent être souvent purifiés par le feu 304
91 - Récompense assurée à l'aumône pour les âmes du Purgatoire 308
92 - Supplications des âmes du Purgatoire pour qu'on se souvienne d'elles 312
93 - Combien Dieu aime qu'on prie pour ses parents défunts 316
94 - La peine du Purgatoire prolongée jusqu'à l'acquittement des dettes 319
95 - Les âmes délivrées venant au-devant de leurs bienfaiteurs 323
96 - Double prodige 326
97 - Purgatoire imposé à ceux qui résistent à la parole de Dieu 330
98 - Zèle pour les âmes du Purgatoire 334
99 - Communion sainte entre la terre et le Purgatoire 337
100 - L'affection pour les amis et les parents ne meurt point avec eux 341
101 - C'est une erreur de s'en remettre sur les autres du soin d'apaiser la
          colère de Dieu 346
Conclusion 351
APPENDICE
Recueil de pratiques et de prières en faveur des âmes du Purgatoire
  I - Intentions 356
 II - Pratiques 359
III - Prières     363
       Prière pour obtenir une bonne mort 371
       Exercice pour se disposer à bien mourrir 374
 
 
 
 

Les Merveilles Divines dans les Ames du Purgatoire
de l'abbé Rossignoli   -

PREMIERE  PARTIE
 
 

1
     Les Merveilles Divines dans les Âmes du Purgatoire
PREMIERE PARTIE
Introduction.
La charité bien comprise nous fait un devoir très pressant de subvenir aux
nécessités des âmes du Purgatoire.
Ordinavit in une charitatem : Dieu m'a placé
sous l'étendard de la charité ( Cant.2,4 ).
Il ne peut entrer dans ma pensée de réduire ici à quelques lignes tout ce
qu'il y a de parfait dans la charité envers les pauvres âmes du Purgatoire
je me borne à quelques considérations rapides toute charité est d'autant
plus grande que les misères qu'elle soulage le sont elles-même là ou le
besoin est extrême l'obligation d'y porter remède devient plus pressante or
quelle plus douloureuse nécessité se peut-il concevoir que celle d'âmes
plongées dans un océan de tourments vouées aux souffrances les plus atroces
aux plus inexprimables angoisses ? Les commentateurs appliquent au
Purgatoire ce mot de Mala-
2
chie,III,3 : "Sedebit conflans, et Purgabit filios levi , et colabit eos
quasi aurum : Le messie sera comme un homme qui s'assied pour faire fondre
et pour épurer l'argent ; il purifiera les enfants de Lévi et il les rendra
nets comme l'or qui a passé par le feu ;" le comparent à un alambic de
toutes les peines imaginables d'ici-bas comme si Dieu à l'exemple de ces
savants qui distillent de diverses substances les esprits les plus purs pour
en composer un extrait qui les représente dans toute leur force avait réuni
dans le Purgatoire par une opération semblable les différentes espèces de
maux dont nous souffrons davantage dans cette vie les maladies naturelles
les supplices violents les tortures les tourments infligés aux martyrs etc
et en avait exprimé l'essence et l'activité c'est ce que paraît avoir
indiqué le prophète Isaie, IV, 4, dans ce passage :"Abluet Dominus sordes
filiurum Sion in spiritu ardoris :Le Seigneur purifiera les souillures de la
fille de Sion dans l'ardeur du feu." Ce feu est doué d'une puissance
surnaturelle d'une activité et d'une violence cent fois plus grandes que
celles du nôtre parce qu'il a été choisi pour instrument de la divine
justice Tertullien appelle même le Purgatoire un enfer momentané : car
observe-t-il les deux peines principales celle du sens et celle du dam  y
sont réservées aux âmes avec seule différence de la durée les damnés ne
devant jamais voir finir leurs tourments le feu est le même suivant saint
Augustin :" Eodem igne purgatur justus et torquetur damnatus." Combien donc
n'est-ce pas une charité excellente d'apporter du soulagement à ces âmes
infortunées il ne s'agit pas seulement de nourrir un affamé de couvrir celui
qui man -
3
que de vêtements de délivrer un malade de sa fièvre mais de retirer des
malheureux de l'abîme immense de tous les maux cette charité est plus
précieuse encore si l'on considère le grand bien dont ces âmes vont être
mises en possession l'histoire a enregistré comme un prodige de bonté
l'action du grand Théodose qui tira de son abjection la pauvre jeune fille
Athénais pour la faire monter sur le trône impérial David a exprimé de mille
manières sa reconnaissance pour la divine miséricorde qui l'avait ôté à la
garde des troupeaux et établi chef de son peuple Oh combien meilleure est la
charité qui procure à une âme la possession de l'éternelle béatitude ne
pourrait-on pas dire dans un certain sens qu'elle est aussi élevée que le
bien même qu'elle assure ? il est vrai que nous ne pouvons guère en saisir
toute l'étendue ignorants comme nous le sommes de ces célestes profondeurs
mais ces âmes bénies sont placées mieux que nous pour cela elles savent tout
ce qui est caché sous ces simples mots voir Dieu face à face Dieu le premier
principe et la fin dernière s'unir entièrement à cet objet souverainement
aimable après lequel elles soupirent de tout ce qu'elles ont d'intelligence
et d'amour cette ardeur ce désir invincible cette flamme brûlante leur cause
un tourment plus insupportable que la flamme extérieure et vengeresse qui
les consume l'illustre Tertullien explique admirablement cette vérité par
l'exemple de Job image sensible de l'âme du Purgatoire ainsi que l'Eglise le
fait entendre elle-même en lisant son histoire dans l'office des morts tout
le corps de ce prophète de la patience était couvert d'ulcères douloureux
qui le
4
tourmentaient de la tête aux pieds et cependant celui de tous ses organes
qui le faisait le plus cruellement souffrir et dont il se plaignait le plus
haut c'était la vue qui n'aperçevait  plus le bien suprême (C. XVIII, 2 )
:"In amaritudinibus moratur oculus meus : cur faciem tuam abscondis ? Mon
oeil est plongé dans l'amertume : Oh! pourquoi me cachez-vous votre visage
?" Comme s'il avait dit : Mon supplice le plus amer c'est de ne vous voir
plus ; ô mon Dieu!"On plaint l'oeil tout entier dans les tourments" dit
encore Tertullien ainsi l'âme souffrante du Purgatoire n'a point de torture
qui l'éprouve autant que la privation de la présence visible de son Dieu les
autres peines auprès de celles-là ne lui semblent rien or que fait la
charité dont nous parlons ? elle met fin à cet état d'horrible souffrance
elle apaise cette soif ardente elle comble ces immenses désirs en leur
assurant la possession de leur céleste objet l'amour de Dieu y est
d'ailleurs intéressé lui-même directement Dieu veut souverainement avoir
auprès de lui ces âmes qu'il aime afin de les faire participautes de sa
gloire " Deliciae meae esse am filius hominum, dit-il au livre des
proverbes, VIII, 31 : Mes délices sont d'habiter avec les enfants des hommes
; " comme si la compagnie de ses créatures  ajoutait quelque chose à sa
félicité éternelle, et qu'il ne fût point complètement heureux tant qu'il ne
la communique pas ces âmes en effet sont ses chères filles les épouses du
Sauveur rachetées au prix de tout son sang et adoptées par lui il se réjouit
donc de les délivrer de la prison ou elles gémissent et de les introduire à
la lumière de son paradis pensez un peu quelle serait la consolation d'un
roi
5
6
 
 

1ère Merveille
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éprouvent une entière contrition ; elles sont rentrées en grâce avec Dieu, auquel elles sont présentement agréables, ayant recouvré le titre de ses amies et de ses filles. Les pécheurs, eux, sont devant le Seigneur, comme des rebelles et des ennemis. Si donc la charité bien ordonnée veut que nous nous conformions à la très sage bonté de Dieu, il va de soi que nous devons nous attacher davantage à ceux qu’il aime, de préférence à ceux qui se déclarent en révolte contre lui. »
 Bertrand, toutefois, ne se rendait point à ces raisons. Une miraculeuse apparition le convainquit enfin. Dieu permit que la nuit suivante, en allant au chœur pour chanter l’office, il vit venir au-devant de lui une âme du purgatoire sous la forme d’un spectre horrible, chargé d’un poids qu’il ne pouvait soulevait. L’apparition s’approcha en se plaignant et en gémissant, et le chargea de cet insupportable fardeau, sous lequel le bon religieux succombait. Oh ! alors, comme dit Isaïe, « le tourment lui donna l’intelligence : Vexatio dedit intellectum ; » et il comprit qu’il devait faire davantage pour les âmes souffrantes. Le matin, dès qu’il le put, la compassion dans le cœur et les larmes aux yeux, il monta au saint autel en leur faveur, et il continua cette pratique le reste de sa vie.
 Le grand docteur saint Thomas d’Aquin paraît avoir tranché la controverse par ces lignes de la Somme théologique (Supp. « . quaest. 71. art. v. ad 3) : « Les suffrages pour les morts sont plus agréables que les suffrages pour les vivants, parce que les premiers se trouvent dans un plus pressant besoin, ne pouvant se secourir eux-mêmes comme ceux qui vivent encore. » Plusieurs autres docteurs enseignent la même chose, et on doit
10
tout au moins conclure qu’il faut avoir en grande estime la prière pour les morts./
 
 

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2ème MERVEILLE
NE PAS SOULAGER LES DEFUNTS PAR LES AUMONES, C’EST SE PRIVER SOI-MEME DE GRANDS AVANTAGES SPIRITUELS
Noliesse pusillanismis, et facere elcemosypam ne despicias : Ne soyez point faible
de cœur, et ne méprisez point l’aumône. (Eccli, vii, 3)
 Le Docteur angélique, saint Thomas, préfère au jeûne et à la prière le mérite de l’aumône, quand il s’agit d’expier les fautes passées. « L’aumône, dit-il, (In 4, d. 15, q. 3), possède plus complètement la vertu de la satisfaction que la prière, et la prière plus complètement que le jeûne. » C’est pourquoi de grands serviteurs de Dieu et de grands saints l’ont principalement choisie comme moyen de secourir les défunts. Nous pouvons citer parmi eux, comme l’un des plus remarquables, le pieux Raban-Maur, premier abbé de Fulde, au IXè siècle, puis archevêque de Mayence. L’abbé Thrithème, écrivain distingué de l’ordre de Saint-Benoît, raconte que Raban avait prescrit aux économes de son monastère de faire constamment les plus abondantes largesses aux pauvres. Cependant, le procureur de l’abbaye, appelé Edédard, trop attaché aux biens de ce monde et moins préoccupés par des indigents,
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retenait souvent la part qui leur était destinée. Le saint abbé avait, de plus, et du commun consentement, décrété que, chaque fois que l’un des religieux passerait à une meilleure vie, sa portion serait pendant trente jours distribuée aux mendiants, afin que l’âme du défunt fût soulagée par cette aumône. L’avare procureur omettait cette distribution, ou bien la remettait au-delà du trentième jour, malgré la tradition ancienne observée par saint Grégoire-le-Grand, qui marque ce temps comme le plus propice aux suffrages pour les morts. Il arriva, l’an 830, que le monastère de Fulde fut éprouvé par une sorte de contagion, qui emporta le bon nombre de moines, et même l’un des supérieurs. Raban-Maur, plein de zèle et de charité pour ces chères âmes, fit venir Edédard, et lui rappela la pieuse pratique. « Ayez grand soin, lui dit-il, que nos constitutions soient fidèlement observées, et qu’on gratifie les pauvres, durant un mois entier, de la nourriture destinée aux frères que nous venons de perdre. Si vous y manquiez, vous seriez très-coupable devant Dieu, et certainement, il vous en punirait. » Le procureur promit d’obéir.
 Mais, hélas ! combien fatale est la passion de l’avarice, dans un homme consacré à Dieu surtout ! Edédard, qui en était dominé, qui avait le cœur étroit et la main serrée, ne fit point ce qu’il devait, priva les pauvres et resta sans pitié pour les âmes de ses frères. Dans la crainte, tout à fait déraisonnable, que les vivants ne vinssent à manquer, il négligea à la fois les indigents et les défunts. La justice divine ne laissa point impunie cette infidélité.
 Un jour qu’il avait été accablé d’affaires, le soir venu,
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comme les religieux s’étaient déjà retirés, il traversait la salle du chapitre, tenant une lanterne à la main. Quel fut sont étonnement de voir l’abbé, avec une quantité de moines, assis à leurs places, tenant conseil malgré l’heure avancée ! Il ne comprenait pas le sujet d’une réunion semblable, à pareil moment, lorsque, regardant plus attentivement, il reconnut le supérieur défunt, avec les autres religieux défunts aussi. Il est difficile d’exprimer la terreur dont il fut saisi ; un froid glacial, qui courut aussitôt dans ses veines, le cloua à sa place, comme une statue sans vie. Mais cette terreur était peu de chose auprès de ce qui lui était réservé. Le supérieur et quelques un des morts, se levant, vinrent à lui, le dépouillèrent de son habit et se mirent à le frapper à coups de fouet avec tant de violence, qu’il resta privé de sentiment. En même temps, il lui disaient : « Reçois, malheureux, reçois le châtiment de ton avarice ! tu en éprouveras un plus terrible dans trois jours, lorsque tu seras descendu dans la tombe avec nous. Alors le suffrage qui t’est réservé sera appliqué à ceux que tu as privés des leurs. » Puis tout disparut. Pour lui, il était couvert de sang et de plaies.
 Il fut trouvé dans cet état par la communauté, au moment où elle se rendait au chœur, après minuit. On le porte à l’infirmerie à moitié mort, et on s’empresse de lui prodiguer tous les soins que réclamait sa position. Mais lui, dès qu’il put parler : « Hâtez-vous, s’écria-t-il, appelez tout de suite le père abbé : j’ai plus besoin des remèdes de l’âme que de ceux du corps. Ces membres ne sauraient plus guérir ! » Dès que l’abbé fut venu, en sa présence et devant toute la maison, il raconta le terrible événement, dont l’état où il était
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rendait un trop sensible témoignage. Quand il eut ajouté qu’il devait paraître au tribunal de DIEU dans trois jours, il supplia qu’on lui administrât les derniers sacrements, en protestant de tout son regret. Il les eut à peine reçus, avec les marques d’une grande dévotion, qu’il commença à baisser, jusqu’au moment où il expira, le troisième jour, au milieu des prières de ses confrères et des exhortations de l’abbé, qui lui rappelait les miséricordes de DIEU et la confiance qu’il faut avoir en lui.
 On chanta aussitôt la messe des morts, et on distribua, selon l’usage, la part des pauvres. La punition n’était pas finie cependant. Le défunt apparut à Raban, pâle, défiguré. L’abbé, frappé, de cette vision, lui demanda ce qu’il y avait à faire pour lui. « Ah ! répondit l’âme infortunée, les prières de notre sainte communauté m’ont procuré du soulagement, mais je ne puis obtenir ma grâce entière avant la délivrance de tous ceux de mes frères que mon avarice a frustrés des suffrages qui leur étaient dus. Ce qu’on a donné aux pauvres en mon nom leur a profité, et non point à moi, selon l’ordre de la divine Justice. Je vous supplie donc, mon père, vous qui êtes si bon, qui m’avez accordé tant d’intérêt pendant ma vie, de faire redoubler les aumônes. J’espère que moyennant cela la clémence du Seigneur nous délivrera tous, eux d’abord, et moi ensuite.
 Raban-Maur le promit, et la chose fut faite. Un autre mois était à peine écoulé, qu’Edédard lui apparut de nouveau, vêtu de blanc, entouré de rayons lumineux, la joie peinte sur le visage. Il rendit au monastère les actions de grâces les plus touchantes pour la charité
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dont on avait usé envers lui, assurant qu’au ciel, où il s’envolait, il ne cesserait de conjurer le Dieu de toute bonté pour ses bienfaiteurs.
 Combien d’utiles réflexions se présentent à l’esprit à la lecture de cette histoire ! On y voit, premièrement, que les pauvres âmes du purgatoire ne peuvent rien pour elles-mêmes ; et Dieu permet, dans cette circonstance, qu’elles viennent châtier l’oubli qu’on fait de leurs peines. Secondement, dans l’application des suffrages le Seigneur fait quelquefois une exception contre celui qui a démérité d’une manière spéciale, alors surtout qu’on a manqué aux devoirs de prières et de bonnes œuvres envers les autres, ce qui rend indigne de recueillir pour soi-même un fruit si précieux. Troisièmement, nous devons exciter en nous un grand zèle pour ces bonnes et tristes âmes, à l’exemple des religieux de Fulde, toujours empressés dans cet exercice de charité. L’historien que nous citons ajoute qu’ils portaient cette affection si loin, que chacun se privait encore d’une partie de ses aliments pour les distribuer aux mendiants à la même intention
(V. Trithemus, Vita-Bab-Mauri, I. II ; Théophile Raynaud, jésuite, Heter. Spirit., p.2, sect. 3, punct. 7)./
 

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3ème Merveille
DIEU EXAUCE LES PRIERES DES COMMUNAUTES FERVENTES EN FAVEUR DES DEFUNTS
Oculi Domini super justos, et aures ejus in preces corum : Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les justes ; et son oreille est attentive à leur prière (XXXIII, 16)
Saint Chrysostome expose quelque part, en développant les promesses de Jésus-christ à ceux qui sont rassemblés en son nom, combien sont bonnes et profitables les prières des communautés ferventes, vivant dans la pratique de l’oraison et de la pénitence. « Dieu lui-même, dit-il, atteste souvent dans la divine Ecriture qu’il a les oreilles attentives à ceux qui se sont réunis pour le prier. » On en vit une preuve for touchante dans une chartreuse d’Angleterre, comme je vais le raconter.
Un personnage de haute noblesse et de richesses considérables, étant mort dans ce pays, laissait un fils que cette perte avait cruellement affecté, et qui, plein de zèle pour le salut de celui qu’il aimait à si juste titre, se rendit aussitôt chez les chartreux. C’était dans leur église que s’était fait l’office des funérailles. Il présenta au prieur une grosse somme d’argent, à titre d’aumône, avec prière à la communauté d’avoir un souvenir devant Dieu pour l’âme de son cher défunt. A l’instant, les religieux sont convoqués au chœur : « Ser-
16 :
-viteurs de Dieu, leur dit le prieur, unissons nos prières en faveur du défunt qui a été enterré ici dernièrement , ce jeune homme, qui nous fait une offrande considérable, nous le demande. » Les moines alors entonnèrent d’une seule voix le Requiscat in pace, auquel le supérieur répondit Amen, puis chacun se retira en silence dans sa cellule.
Le bienfaiteur restait tout étonné. « C’est bien peu de chose, pensait-il : quoi ! pour une somme aussi importante, un seul Requiscat in pace ! » Il s’approche donc du prieur avec modestie, et lui dit d’un ton de plainte respectueux : « C’est là tout, mon père ? et l’âme de celui que je pleure n’aura point d’autre suffrages, lorsque j’ai fait preuve envers vous de quelque générosité , » Le saint homme, surpris à son tour de cette question, lui répondit avec douceur : « Prétendriez-vous, mon fils, peser dans la même balance votre aumône, fût-elle un monceau d’or, et les prières de mes religieux, si courtes soient-elles , » ?  Non certes, reprit le jeune homme ; non, mon père, je n’entends point établir e comparaison. Cependant, je trouve que deux ou trois paroles sont bien peu de choses, et que j’ai fait davantage pour le monastère. ?  Je vois que vous doutez encore, mon enfant. Attendez un moment : vous allez, grâce à Dieu, vous assurer de votre erreur. »
Se tournant vers le père cellérier : « Allez, lui dit-il trouver l’un après l’autre nos frères dans leurs cellules ; dites-leur d’écrire sur un morceau de papier leur Requiscat in pace  et de me l’apporter tout de suite. » Il commanda en même temps à un frère convers d’aller prendre une balance. Il y mit, d’un côté, l’argent et l’or du jeune homme, et le poids emporta rapidement
17:
 
 

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qu'il n'y avait point d'autre foi où l'on pût opérer son salut.  Puis il avait désavoué, avec tous les signes du repentir le plus sincère, les scandales de sa vie mondaine, l'oubli qu'il avait fait de ses devoirs ; accompagnant cet acte de soupirs et de gémissements, et assurant qu'il voudrait pour tout au monde verser sur ces malheurs des larmes de sang.  Une si vive et si noble contrition l'avait préservé de l'enfer, et, quand il s'était présenté au tribunal de Dieu, il avait trouvé un juge apaisé, mais non satisfait, qui lui faisait expier dans un douloureux purgatoire les restes de son infidélité.
Ceci nous montre, une fois de plus, l'inconcevable folie de ceux qui remettent leur conversion au dernier moment.
(V. Daniel, histoire d'Angleterre, l. v, ch. 7.)

IV MERVEILLE  CONTENU ERRONE
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Ve MERVEILLE
LA MISÉRICORDE ENVERS LES DÉFUNTS PROCURE LE SALUT DE L'ÂME, ET SOUVENT MÊME CELUI DU CORPS.
 
Benefacit unimæ suæ vir misericors.
L'homme de miséricorde assure le bonheur
de son âme. (Prov. xi, 29.)
 
Pour exciter la piété des fidèles à prier en faveur des âmes de ceux qui ont été mis à mort par la justice humaine, et qui souffrent dans les flammes de l'expiation, il n'est peut-être point de trait plus pathétique que celui-ci.
22
Il y avait aux environs de Rome, vers l'an 1620, un jeune homme de vie dissolue et scandaleuse, qui était devenu à cause de cela un objet à la fois d'horreur et de terreur.  Ses excès, ses violences continuelles lui suscitèrent des ennemis décidés, qui résolurent de lui arracher la vie.  Le malheureux, au milieu de ses désordres, avait conservé une grande compassion pour les âmes du purgatoire, pour lesquelles il faisait dire de temps en temps des messes, ou donnait l'aumône ; il priait même pour elles avec toute la ferveur dont il était capable, dans ce triste état de conscience.  Cette unique dévotion devait lui sauver miraculeusement la vie de l'âme et celle du corps.
Un soir qu'il se rendait à Tivoli, monté sur un bon cheval, pensant échapper aux embûches qu'il savait dressées contre lui, il se trouva au contraire qu'il marchait juste au-devant d'elles.  En effet, n'ignorant pas qu'il devait passer par là, ils s'étaient placés en embuscade armés d'arquebuses, derrière un petit bois, et attendaient son arrivée pour le tuer.  Il approchait rapidement de ce lieu, quand il aperçut au-dessus de sa tête les membres d'un criminel attaché aux branches d'un chêne pour l'exemple des malfaiteurs.  Emu de pitié, il s'arrête afin de réciter quelques prières, suivant sa coutume, pour cette pauvre âme abandonnée.  Mais voici que, comme il priait, une merveille inconcevable frappe ses yeux, aux derniers rayons du jour : ces membres décharnés, desséchés, séparés, se rejoignent, tombent à terre, s'animent, s'approchent du cavalier sous une forme vivante.  Il restait à sa place, cloué par la terreur.  Le fantôme prend la bride du cheval et dit au jeune homme :  « Descends et me laisse
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monter un moment ; il y va de ton salut ! tu vas m'attendre ici ; je ne serai pas long.  »  Tel était son saisissement, que, sans proférer une parole, il descend et laisse son cheval aux mains du cadavre ressuscité, qui y monte et le lance en avant.
Au bruit qu'ils entendent, les ennemis s'apprêtent, dressent leurs arquebuses, les déchargent, et, voyant tomber le cavalier, s'enfuient au plus vite, avant que le coup n'attirât du monde et ne les fit découvrir.  Ils étaient sûrs d'avoir enfin tué leur homme.  Ils se trompaient.  Tout tremblant, hors de lui, celui-ci n'avait pas bougé, lorsqu'il vit revenir le spectre, lequel s'arrêtant lui dit :  « Tu viens d'entendre cette décharge d'arquebuses ; elle t'était destinée : tu serais mort infailliblement : mort quant à la vie présente, mort quant à l'âme.  Les âmes souffrantes du purgatoire, pour lesquelles tu as une compatissante dévotion, ont obtenu de Dieu que je vinsse à ton secours dans cet extrême péril.  Reconnais cet immense bienfait, en continuant de prier pour elles, mais plus encore en changeant de vie et en te conduisant désormais comme il convient à un chrétien. »
Ce discours fini, le cadavre reprit sa place, comme si une invisible main le rattachait aux branches.  Quant au jeune homme, il n'est pas besoin de s'étendre sur la révolution qui s'était opérée en lui.  Peu de jours après, il se décida à dire adieu au monde pour faire pénitence dans un ordre austère, où il vécut dans une grande perfection.
Combien donc est vraie cette parole de la divine Ecriture :  L'homme de miséricorde assure le bonheur de son âme !
(V. J.-B. Manni Sac. Trig., disc. 12)
6ème MERVEILLE
LE PURGATOIRE DES PAROLES INCONVENANTES.
Ex verbis tuis condemnaberis :  Vous serez
Condamné sur vos paroles. (Matth. XII, 37.)
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 Saint Ambroise recommande fortement aux vierges consacrées à Dieu l'observation rigoureuse du silence, principalement lorsqu'elles sont au chœur pour le chant des louanges divines, parce que, dit-il, « l'époux céleste, quand il vient, n'entre dans une âme qu'autant que les portes en sont fermées aux discours profanes :  Sponsus vult clausam esse januam, cùm pulsat : janua nostra os nostrum est ; Christo propemodiùm soli debet aperiri : Notre porte, c'est la bouche, et elle ne doit s'ouvrir que pour le Seigneur. » (De Virg., v.) Césaire nous apprend, par un mémorable exemple, combien les conversations dans le lieu saint déplaisent à Dieu.  Voici ce trait.
 Dans un monastère de l'ordre de Citeaux, appelé Saint-Sauveur, deux jeunes filles de riches maisons firent profession et vouèrent à Dieu leur virginité.  L'une avait nom Gertrude, l'autre Marguerite.  On les avait placées, au chœur, l'une à côté de l'autre.  La première, Gertrude, quoique très vertueuse, avait le malheureux défaut du bavardage, et rompait souvent le silence, faute dans laquelle elle entraînait sa compagne ; ce qui lui attira un sévère châtiment après sa mort.  Une maladie l'emporta à la fleur de ses années.  On l'avait
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enterrée, suivant l’usage, au fond de l’église. Or, un
soir que les religieuses étaient réunies à chanter l’office,
la voici qui apparaît devant l’autel, y fait la génuflexion
accoutumée et va s’asseoir auprès de Marguerite. La
bonne sœur, à cette vue, est saisie de frayeur, devient
pâle, tremblante, prête à défaillir. On s’empresse autour
d’elle, on s’informe du mal qu’elle éprouve, on lui pro-
digue mille soins. Alors, sans dire un mot, elle se pros-
terne aux pieds de l’abbesse, lui demande sa bénédiction
et commence à raconter ce qui lui est arrivé. La dé-
funte, ajoute-t-elle, aussitôt après l’office des vêpres et
pendant qu’on récitait l’oraison, s’était levée, avait fait
une grande inclination jusqu’à terre et avait disparu.
La prudente supérieure, craignant que tout cela ne
fût le jeu d’une imagination troublée, ou bien quelque
illusion du démon, lui donna cette consigne : « Si
Gertrude vous apparaît encore, vous lui direz Benedi-
cite, à quoi elle répondra, suivant notre usage, Domi-
nus : nous lui demanderez alors d’où elle vient et ce
qu’elle veut. »
 Le jour suivant, à la même heure, nouvelle appari-
tion. Marguerite la salue : « Benedicite ! – Dominus !
répond le fantôme. – Ma chère sœur Gertrude, pour-
suit la religieuse, d’où venez-vous à cette heure et que
voulez-vous ? – Je viens, dit-elle, satisfaire à la justice
divine dans le même lieu où j’ai péché avec toi, lorsque
j’ai tant de fois rompu le silence et te l’ai fait rompre
pour des choses futiles, pendant les saintes cérémo-
nies. Le Seigneur équitable veut que je m’acquitte en-
vers lui à l’endroit et dans les circonstances où je l’ai
offensé. Oh ! si tu savais combien je souffre ! Je suis
tout  environnée de flammes ; ma langue surtout en est
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consumée, sans que je trouve le moindre soulagement.
Ma bien-aimée sœur, profite de mon exemple ; mets un
frein à tes paroles ; oublie que je t’ai donné ce scandale
et n’y entraîne personne à  ma suite, parce qu’un sup-
plice pareil te serait réservé. » Elle disparaût.
 Plusieurs fois encore, elle revint réclamer les prières
des religieuses, jusqu’à ce que, délivrée par leurs suf-
frages, elle dit à sa compagne un tendre adieu et se
dirigea, sous ses yeux, vers le tombeau où on l’avait
ensevelie ; elle en souleva la pierre et s’y coucha pour
toujours.
 Ces différentes émotions agirent si fortement sur
Marguerite, qu’elle tomba dans une grave maladie et
ne tarda pas à être à toute extrémité. On la crut même
morte. Mais ce n’était qu’une sorte d’extase, durant
laquelle il lui fut révélé des choses admirables de l’au-
tre vie. Elle les raconta, quand elle fut revenue à elle,
à des sœurs étonnées, et les exhorta à marcher de plus
en plus dans la voie courageuse de la mortification des
sens. De son côté, elle devint d’une scrupuleuse exacti-
tude à la règle du silence, ayant toujours présent à
l’esprit le châtiment infligé à sœur Gertrude. Elle veil-
lait tellement sur ses paroles, qu’on aurait pu lui appli-
quer le mont du Prophète royal : « Dixi : custodiam vias
meas ut non delinquam in linguâ meà posui ori meo
custodiam : Je me suis promis de veiller sur moi, afin de
ne point pécher par ma langue, et j’ai mis une barrière
à mes lèvres. »
  (V.Césaire, Illustr. Mirac., I, XVIII, ch. 36, Alexis
  Segala, Triumph. Purg. , p.II, c. 24, n. 32.)
 

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7ème Merveille        UNE AME DU PURGATOIRE RAPPELEE A L’EXPIATION
SUR LA TERRE.
 Dedi illi tempus ut paenitentiam ageret : Je lui ai accordé du temps pour faire Pénitence. (Apocal. II, 21)
Oh ! que ne donneraient pas les âmes du purgatoire
pour avoir quelques moments de ce temps dont nous
prodiguons les heures dans des occupations inutiles et
dans les vanités terrestres ! Quelles pénitences, quels
travaux n’entreprendraient-elles pas volontiers, avec
empressement, pour s’épargner seulement quelques
minutes de leurs cruelles tortures ! Citons un nouvel
exemple, plus admirable à la vérité qu’il n’est imitable,
celui de la vénérable vierge Angèle Tholoméi, domi-
nicaine.
 Elevée dès le premier âge dans l’amour de la vertu,
elle fit, par sa correspondance à la grâce, de rapides
progrès dans la perfection. Bientôt elle tomba dange-
reusement malade. Quand elle vit qu’il n’y avait plus
d’espérance du côté de la science humaine, elle eut
recours à son bienheureux frère, J.-B. Tholoméi, dont
la sainteté était déjà célèbre ; mais les ferventes oraisons
de ces deux âmes n’obtinrent point ce qu’elles dési-
raient, DIEU ayant d’autres desseins sur sa servante.
On peut dire ici, comme saint Augustin au sujet de
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Lazare : « Distulit sanare infirmum, ut resuscitaret mor-
tuum : Il tarde de guérir le malade, afin de ressusciter
le mort »
 Angèle était donc près de rendre le dernier soupir,
lorsqu’elle eut une vision. Il lui sembla qu’elle était
transportée dans une lieu très-vaste, où étaient repré-
sentées au vif toutes les peines du purgatoire. C’étaient
les tourments les plus variés : ici, des flammes arden-
tes ; là, des étangs de glace ; ailleurs, du soufre bouil-
lant, des roues à pointes de fer rougies au feu ; des
bêtes féroces à la dent aiguë, et cent autres supplices
dont la seule idée fait frémir. Il lui fut montré en quel
lieu son âme, qui allait sortir de son corps, allait se
rendre pour expier certains défauts qu’elle n’avait pas
assez combattus durant sa vie. En un mot, tel fut cet
horrible spectacle, que, lorsqu’elle retrouva sa connais-
sance, elle frémissait de la tête aux pieds. Elle raconta
tout à son saint frère, le suppliant de lui obtenir par
ses prières assez de vie pour se purifier de ces fautes
et éviter de pareils tourments.
 Malgré ces désirs et ces supplications, le Seigneur
marqua le moment final, et elle expira. Mais, pendant
que l’on portait son corps en terre, le bienheureux
Jean-Baptiste, mu par une inspiration d’en-haut, com-
manda à sa sœur, au nom de JESUS-CHRIST , de quitter
les ombres de la mort et de reparaître vivante. O pro-
dige ! à l’instant le corps s’agite, la tête se lève, la
défunte est ressuscitée !
 Elle savait à quel dessein le Ciel avait permis pour
elle un tel miracle. Aussi n’eut-elle plus d’autre souci
que de faire pénitence. Elle ne se contentait pas des
austérités aordinaires, cilices, disciplines, veilles pro-
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Longées, jeunes rigoureux ; tout cela lui paraissait insignifiant auprès de ce qu’elle avait vu, mais elle demandait à l’eau et au feu une expiation plus complète : au milieu de l’hiver elle se plongeait dans une étang glacé ; d’autre fois, elle se mettait dans les flammes et y restait plusieurs secondes, malgré les plus cuisantes douleurs ; ou bien elle se roulait dans les épines jusqu'à rester tout en sang. Elle n’était attentive qu’a rechercher  les moyens de mortifier  sa chair, de la punir des moindres fautes. Elle ne se montrait pas moins avides des peines morales et des contradictions de toutes sortes. Elle était devenue un objet de pitié et presque d’horreur pour les témoins de son martyres. Plus d’une fois on lui conseilla de modérer ses austérités, on lui reprocha d’être trop cruelle pour elle-même. – « Ah ! Répondait-elle, qu’est-ce que tout cela, en comparaison des supplices réservés dans l’autre vie au infidélités qu’on se permet ici-bas si aisément ? Qu’est-ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Puissé-je en faire cent fois d’avantages ! » Et elle continuait. Enfin, semblable à l’or purifié par le feu, elle fut de nouveau appelée par le juge souverain au lieu du céleste repos, où elle s’envola, il faut le croire, sans passer par une expiation nouvelle. Combien ce trait nous devrait faire trembler ! Quoi ! Voilà une bonne religieuse, une fervente sœur Angèle, dans le travail de cette effroyable pénitence ; elle l’accomplit en tremblant et nous, pêcheurs, nous nous en dormons trantiquellement dans la mer de nos iniquités ! Quel sommeil ! Quelle illusion ! Quel endurcissement !
Frère Dominique-Marie Marchesi, Vie de la vénérable Angelae Tholomeae, 9 nov, au Diario Dominicano
 

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8e MERVEILLE.
COMBIEN LES AMES DU PURGATOIRE SONT SOULAGEES PAR LE JEUNE ET L’ORAISON.
Le Seigneur exaucera vos prières, si vous persévérez dans la prière et le jeûne
(Judith IV, 12)
La charité doit porter tous les fidèles, sans exception, à s’intéresser aux souffrances des pauvres âmes qui expirent leurs péchés par le feu ; mais elle créé un devoir plus pressant encore s’il s’agit de parents, d’amis, de bienfaiteurs. La reine Gude, épouse de Sanche roi de Léon, l’avait compris.
Ce grand prince venait de triompher d’une révolte par la valeur de ses armes, et les rebelles étaient amenés à une entière soumission, lorsque leur chef Gonzalve, voyant qu’il ne pouvait résister à la force, appela la ruse à son secours. Il vint se jeter aux pieds du monarque, lui demanda humblement pardon et l’obtint. Admis dans l’intimité de Sanche, ou du moins dans ses bonnes grâces, le félon préparait une horrible trahison : il présente au roi un fruit empoisonné. A peine Sanche l’eut’il goûté que, se sentant mortellement atteint, il voulut être reporté tout de suite dans sa capitale ; mais il expira en route. Ce fut une grande désolation par tout le royaume, où Sanche était fort
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aimé ; comment peindre de la douleur de sa femme Gude ? Elle ne cessait de pleurer, de gémir, de plaindre la victime d’une si lâche perfidie. Mais, comme elle était chrétienne, elle s’occupa surtout de prier et de faire prier pour défunt ; c’est en cela qu’elle plaça le plus grand luxe de ses funérailles, qui eurent d’ailleurs toute la pompe ordinaire pour de tels personnages. Le corps avait été porté au monastère de Castillo, où l’on célébra quantité de messes. La pieuse veuve ne voulut point s’éloigner de ces chères dépouilles ; elle déposa son diadème et prit le voile de la pénitence parmi les religieuses, accompagnée dans ce sacrifice par plusieurs dames de la cour. Elle se dévoua ainsi à Dieu et aux œuvres saintes, principalement en faveur de son époux défunt.
La nuit aussi bien que le jour, elle faisait monter au ciel les plus ardentes prières ; mais le samedi jour consacré à la divine Marie, elle redoublait ses oraisons, ses pénitences, ses aumônes, la rigueur de son jeûne, afin de délivrer cette âme des tourments du purgatoire, si elle y était encore détenue. Un samedi qu’elle était agenouillée devant l’autel de la Reine du ciel et qu’elle s’acquittait avec ferveur, de ce touchant devoir, Sanche lui apparut. Il était couvert d’habits de deuil et avait pour ceinture un double rang de chaînes rougies par le feu. Il commença par remercier Gude de ce qu’elle faisait pour lui et la supplia en même temps de continuer cette œuvre de charité, et même de faire davantage si elle pouvait. « Ah ! lui dit-il s’il m’était donné ma chère épouse, de vous faire connaître  mes supplices que j’endure dans le purgatoire, combien s’augmenterait votre zèle pour celui que vous aimez encore ! Par
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les entrailles de la divine miséricorde, secourez-moi, Gude, secourez-moi ! Je suis dévoré dans ces flammes, Crucior in hac flamâ »
On le pense bien, il n’en fallait pas tant pour ranimer le zèle de pieuse femme ; redoubla de ferveur, de prières, de suffrages de toutes sortes, par elle-même et par les autres. Pendant quarante jours sans interruption, elle ne faisait que verser des larmes afin d’éteindre de feu qui consumait son mari, multiplier les prières afin de faire tomber ses chaînes, répandre d’immenses largesses dans les main des pauvres afin de racheter les fautes pour lesquelles il souffrait. En outre, elle fit dire un grand nombre de messes, et fit présent pour cela d’un riche ornement, destiné à rehausser la pompe des cérémonies sacrées.
Au bout de ces quarante jours, un samedi encore, le roi lui apparut de nouveau, non-seulement délivré de ses liens brûlants, mais environné d’un éclat céleste, vêtu d’un manteau d’une éclatante blancheur, dans lequel Gude reconnut l’objet précieux qu’elle avait donné pour l’église et que Dieu avait miraculeusement appliqué au salut de Sanche et à son triomphe. – « Me voici, lui dit-il  d’un air heureux ; je suis libre ; grâce à vous, pieuse reine, je n’ai plus à souffrir. Soyez bénie à jamais ! Persévérez dans vos saints exercices. Méditez les peines de l’autre vie, et plus encore la gloire du paradis, où je vais vous attendre et où je serai votre protecteur. » Gude tendit les bras vers lui, mais elle ne put le toucher ; seulement, elle saisit l’ornement, qui resta en sa possession et qu’elle donna de nouveau à l’église de Saint-Etienne. Il en avait, en effet, disparu quoique enfermé avec soin, et on admira par quel pro-
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CHAPITRE IX  VIDE

CHAPITRE X    VIDE
 

11ème  Merveille
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occupons. On ne pourrait croire les pénitences et les austérités qu'elle s'est imposées pour elles, si le récit n'en était garanti par les historiens les plus dignes de foi. Ils racontent donc que l'âme de cette pieuse vierge, séparée de son corps, fut portée par les anges dans le purgatoire afin de voir les souffrances qu'on y endure, et qu'elle en prit une compassion inexprimable. De là, elle fut ravie au ciel, dans la gloire immortelle des élus, et, présentée à la divine Majesté, elle entendit ce discours : "Christine, te voici au séjour de la félicité qui ne finit plus ; je te laisse le choix, ou bien de vivre dès aujourd'hui éternellement parmi les bienheureux, ou de retourner sur la terre pendant quelques années, obtenir des mérites, par tes expiations, en faveur des pauvres âmes que tu as contemplées au lieu de la douleur. Si tu préfères le premier parti, tu es au port, tu n'as plus rien à craindre ; si c'est le second, retourne dans ton corps pour y endurer le martyre de la charité, soulager des malheureux et embellir d'autant ta couronne".
 La généreuse fille répondit : "Retournons donc, ô Seigneur, retournons à souffrir, à me sacrifier pour les âmes des défunts ; je ne refuse pour cela aucun calice d'amertume, aucun martyre".
 Elle ressuscita, en présence de tous ceux qui étaient venus l'ensevelir, et aussitôt commencèrent les pénitences les plus épouvantables, dont on ne lit point les détails sans frémir. C'était peu pour elle de rester plusieurs jours de suite dans un jeûne absolu, de se rouler parmi les épines, de châtier ses membres délicats par des disciplines affreuses ; elle se jeta plusieurs fois dans des brasiers ardents, d'où elle ne pouvait sortir vivante
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que par miracle, et, à peine retirée, elle courait se plonger jusqu'au cou dans un étang glacé, où elle éprouvait d'indicibles angoisses. Elle s'exposait, dans cette ardeur sainte, aux roues des moulins, aux dents de fer des machines, à tout ce qui pouvait torturer ses sens et expier les délicatesses des autres. Ce qui l'encourageait dans ces rigoureuses pratiques et les lui rendait douces (nous n'en citons qu'une bien faible partie), c'est que Dieu permettait aux âmes qu'elle délivrait de lui apparaître et de la remercier l'une après l'autre ; elles se manifestaient quelquefois par troupes entières, et cette vue donnait à Christine un courage surnaturel.
 Rappelons une seule de ces apparitions. Louis, le comte de Léon, dans la basse Allemagne, seigneur vaillant et renommé dans les conseils, avait pour Christine une grande vénération, et écoutait volontiers les reproches qu'elle lui adressait au sujet de bien des écarts auxquels il s'abandonnait. Etant tombé malade et en danger de mort, il expédia un messager pour la supplier de venir : car il désirait ardemment s'entretenir avec elle des intérêts de son âme, avant de paraître devant Dieu. Elle ne fut pas plus tôt venue, qu'il se jeta à ses pieds et lui dit, au milieu de ses larmes et de ses gémissements : "Vous savez bien déjà, servante de Dieu, quel grand pécheur je suis. Dans peu de temps, d'heures peut-être, il va me falloir rendre compte au Juge suprême de mes coupables et nombreuses fautes. Ah ! vous qui êtes si fidèle au Seigneur, conjurez-le, au nom de sa miséricorde, de m'accorder un acte de vraie contrition, afin que mes péchés me soient remis ; et puis, par vos suffrages, je vous en supplie, obtenez à
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cette pauvre âme quelque diminution dans les peines qu'elle mérite". La vierge compatissante pria avec toute la ferveur dont elle était capable, et Louis, plein de regrets, réconcilié par une bonne confession, rendit l'âme à son Créateur.
 Il ne tarda guère à apparaître à Christine et lui dit : "O servante de Jésus-Christ, si vous saviez à quels tourments ineffables je suis condamné, combien vous auriez pitié de moi ! Je vous conjure de nouveau, par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, de redoubler votre intercession en ma faveur, afin que je sois délivré". Christine, touchée de pitié, lui répondit : "Allez en paix, âme souffrante : je m'offre à endurer dans mon corps la moitié des tourments qui vous seraient infligés encore par la justice divine".
 Elle s'adonna donc à des pénitences nouvelles, effroyables, le feu, l'eau, la glace, etc. Elle allait sur les lieux mêmes où elle avait entendu dire que Louis se livrait à des plaisirs défendus lorsqu'il vivait, et là, par ses larmes, par le sang qu'elle tirait de ses veines, elle cherchait à expier. Elle continua ainsi, épouvantant tous les témoins de son courage et de sa charité, jusqu'à ce que le défunt se montra à elle de nouveau, mais cette fois environné de gloire. Il lui rendit de grandes actions de grâces de ce que, par ses souffrances, il était acquitté envers l'éternelle justice et montait dans les splendeurs de la patrie. Christine, ravie, l'y accompagna du regard, et cette nouvelle joie lui fut une compensation de tout ce qu'elle s'imposait de privations et de misères.
(V. S. Surius, Vie de Christine-l'Admirable, 23 juin ; Denys-le-Chartreux, De quatuaor novissimis, ch. 50).
 

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12ème Merveille
LA MERE DE DIEU MERE DES AMES DU PURGATOIRE.
 
Ego mater pulchroe ditertionis et sanctus Spei : Je suis la mère du bel amour et de la sainte espérance? (Eccli. XXIV, 24).
 
 Ce beau nom de Mère des âmes du purgatoire, la Reine du Ciel se le donne à elle-même, dans les Révélations de sainte Brigitte : "Je suis, dit-elle à cette sainte, la mère de tous ceux qui sont dans le lieu de l'expiation ; mes prières adoucissent les châtiments qui leur sont infligés pour leurs fautes( liv. IVè, c. 1, 38)".
Et certainement si les saints du paradis peuvent par leur intercession obtenir la grâce de ces âmes, qui osera nier que Celle qui est tant au-dessus d'eux ne jouisse de ce privilège à un bien plus haut degré, alors surtout qu'elle est appelée par l'Eglise Consolatrice des affligés, Mère de la miséricorde ? Saint Pierre Damien rapporte l'apparition d'une personne sortie du purgatoire, qui assurait que dans la fête de la glorieuse assomption de Marie il avait été délivré plus d'âmes (Opusc. "', 2è p., c. 3). Il raconte, en outre, le mémorable exemple d'un prêtre à qui il fut donné de voir une admirable chose dans la basilique de Sainte-Cécile, l'une des plus célèbres de Rome.
 Il sembla à ce prêtre qu'il était tiré de son sommeil
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par un ami défunt et conduit dans cette église. Là, il aperçut une troupe de vierges saintes, Cécile, Agnès, Agathe, et autres, qui se groupèrent autour d'un trône magnifique, sur lequel la Mère de Dieu vint s'asseoir, environnée d'anges et de bienheureux qui lui faisaient la cour. Notre-Dame avait un visage majestueux à la fois et serein, qui faisait la joie de toute la sainte et silencieuse assemblée. Alors parut une pauvre petite femme en habits négligés, mais ayant sur les épaules des fourrures assez précieuses. Elle se mit humblement aux pieds de la céleste Reine, joignant les mains, les yeux pleins de larmes, et dit en soupirant : "Mère des miséricordes, au nom de votre ineffable bonté je vous supplie d'avoir pitié du malheureux Jean Patrizi, qui vient de mourir et qui souffre cruellement dans le purgatoire". Trois fois elle répéta la même prière, y mettant chaque fois plus de ferveur, sans recevoir aucune réponse. Enfin, elle éleva encore la voix et ajouta : "Vous savez bien, ô très-miséricordieuse Reine, que je suis cette mendiante qui, à la porte de votre grande basilique, demandais l'aumône, dans le cœur de l'hiver, sans autre vêtement qu'un misérable haillon. Oh! Comme je tremblais de froid : C'est alors que Jean, imploré par moi au nom de la vierge Marie, ôta de ses épaules et me donna cette précieuse fourrure, s'en privant lui-même. Une si grande charité, faite en votre nom, mérite bien quelque indulgence !"
 A cette touchante requête, la Reine du ciel jeta sur la suppliante un regard plein d'amour. "L'homme pour lequel tu pries, lui répondit-elle, est condamné pour longtemps à de rudes souffrances à cause de ses nombreux et graves péchés. Mais, comme il a eu deux
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vertus spéciales, la miséricorde envers les pauvres et la dévotion pour mes autels, je veux user de condescendance".
 Des autres bienheureux qui étaient présents intercédèrent à leur tour. Marie ordonna qu'on amenât Patrizi au milieu de l'assemblée : aussitôt, une troupe de démons l'introduisirent, pâle, défiguré, chargé de chaînes qui lui déchiraient les membres. La Sainte Vierge leur commanda de le délier à l'instant même et de le mettre en liberté, afin qu'il pût se joindre aux saints qui faisaient la couronne de son trône. Quand cet ordre eut été exécuté, tout disparut, et l'église rentra dans son silence ordinaire.
 Le bon prêtre qui avait joui de cette vision ne cessa plus, à partir de ce moment, de prêcher en tous lieux la clémence de la divine Marie envers les pauvres âmes qui n'ont pas encore acquitté toute leur dette, pourvu qu'elles aient été charitables et qu'elles l'aient servie.
 
(V. Pierre Damien, Opusc., 34 c. 4 . Théophile Raynaud, Heter. Spirit. 2è partie, sect. 3, 2è point q. 2).
 

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13ème Merveille
DIEU ACCORDE A SES SAINTS DE GRANDES GRACES
EN FAVEUR DES AMES DU PURGATOIRE.
Mirificavit Dominus sanctum suam ; Dominus exaudict me cum clmavero ad eum : Le Seigneur a exalté son serviteur ; il m'exaucera lorsque je crierai vers lui (PS. IV. 4).
Il ne serait pas inutile d'examiner ici, comment et par quels suffrages les bienheureux déjà couronnés peuvent secourir les âmes de l'Eglise souffrante. Il est certain, et tel est l'enseignement des maîtres de la théologie saint Augustin et saint Thomas, que les saints sont très puissants à cet égard par voie de supplication, ou, comme on dit, d'impétration. C'est tout ce qu'il nous suffit de savoir, et nous nous bornerons à rapporter un nouvel exemple de ce pouvoir dans la personne du roi de France Dagobert 1er. Le récit est emprunté à Théophile Raynaud, qui ajoute, à titre de confirmation, que les détails en sont sculptés sur le tombeau du prince dans la basilique royale de Saint-Denys près Paris. (1) Dagobert avait construit cette église en 636, et on y a depuis enseveli les Rois Très-Chrétiens.
 Ansoald, évêque de Poitiers, avait fait le voyage de
 
(1) Ces sculptures s'y voient encore aujourd'hui, et les archéologues les considèrent comme symboliques. (Trad.).
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Sicile pour s'acquitter d'une ambassade et traiter quelques affaires de son Eglise. Comme il revenait satisfait, se dirigeant vers Marseille, une tempête s'éleva, qui le força de s'arrêter dans une petite île à moitié déserte. Là vivait en ermite un fidèle serviteur de Dieu, qui s'appelait Jean et qui était en lointaine réputation de sainteté ; on venait de toutes parts se recommander à ses prières et réclamer son intercession, à laquelle on attribuait des miracles nombreux. Ansoald, quittant le vaisseau, se rendit à cet ermitage et se plut à interroger le pieux solitaire sur les choses célestes, et spécialement sur la gloire qui nous est réservée dans le paradis. Après ces conversations spirituelles, Jean s'informa du pays de l'évêque, du sujet de son voyage, de sa navigation, etc. Quand il eut appris qu'il était français, qu'il retournait de Sicile dans son diocèse et les autres particularités, il lui demanda s'il connaissait la vie édifiante du roi Dagobert. "Sans aucun doute", répondit le prélat  et il raconta tout ce qu'il en savait : que, après des guerres malheureuses, il s'était adonné à la piété, à la glorification de l'Eglise, à la construction de temples magnifiques et à l'embellissement des saintes cérémonies. Il parlait avec âme. Mais Jean l'interrompit bientôt : "Vous ignorez, ce semble, dit-il, que ce prince est passé à une meilleure vie ?" Comme l'évêque paraissait étonné de cette nouvelle, et même incrédule, l'ermite lui raconta une vision qu'il avait eue. Un matin que, fatigué de ses longues veilles, il s'était laissé gagner par le sommeil, il avait vu paraître un vénérable personnage en cheveux blancs, qui, le secouant, lui disait : "Levez-vous tout de suite et vous mettez en oraison afin d'implorer la divine miséricorde en faveur du roi
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Dagobert, dont l'âme est sortie aujourd'hui même de son corps". Le serviteur de Dieu avait commencé effectivement à prier, lorsqu'il aperçut sur les flots de la Méditerranée une troupe de monstres infernaux qui semblaient conduire le prince dans une barque, par une permission spéciale du Seigneur. Ils le poussaient avec fureur vers l'île volcanique du Stromboli, d'où s'élancent des flammes continuelles, d'un cratère célèbre, et en même temps ils le frappaient avec beaucoup de cruauté, et de diverses manières. L'infortuné roi appelait à son secours, avec de grands cris, les martyrs Denys et Maurice, le saint évêque Martin, qu'il avait honorés particulièrement durant sa vie et auxquels il avait élevé trois magnifiques églises ; il espérait qu'ils le tireraient des mains de ses bourreaux. Un moment après, voici que le ciel se couvre, l'orage accourt, la foudre gronde, d'horribles éclairs sillonnent l'air et frappent les démons au visage ; puis, au milieu de la tempête, trois personnages vêtus de blanc, éclatants comme le soleil, se montrent à Dagobert et le regardent avec des marques de compassion. Il les interroge, toujours suppliant : "Oh ! qui êtes-vous ? Venez-vous me délivrer ?" Ils lui répondent qu'ils sont Denys, Maurice et Martin, qu'ils descendent à son appel et qu'ils le tireront de ce péril pour le conduire à l'éternelle félicité. Aussitôt, ils lèvent contre les esprits infernaux un bras menaçant, leur arrachent leur victime toute tremblante, les mettent en fuite ; après quoi, ils l'embrassent tendrement, le consolent et l'emportent avec eux au ciel en chantant avec le Prophète et d'une voix d'une angélique douceur : "Beatus quem elegisti et assumpsisty, Domine ! inhabitabit inotriis tuis ; replebi-
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tur in bonis domûs tuoe ; sanctum est templum iuum, mirabile in oequitate : Bienheureux, Seigneur, celui que vous avez choisi et attiré à vous ! il habitera dans vos parvis ; il sera rassasié des biens de votre maison ; votre demeure est sainte, et on l'admire parce que les justes seuls y sont reçus".
 Tel fut le récit du bon anachorète Jean, et c'est à la suite de la connaissance qui en fut répandue en France par Ansoald que l'on exprima sur le marbre de Saint-Denys toute l'histoire, afin que la mémoire en fût conservée et que les princes apprissent de-là à s'assurer la protection des saints en les priant et en honorant leurs autels.
 
(V. le chroniqueur bénédictin du XIè siècle, Aymon, Histoire des Français, liv. IV, ch. 24 ; Raynaud, Heter. Spirit., 3è p., sect. 3, 2è point, q. 2.).
 

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14ème Merveille
COMMENT LES PRIERES D'UN SAINT DELIVRENT
QUANTITE D'AMES
Millet tible auxilium de sancto : Dieu vous enverra son secours du fond du santuaire (PS. XIX, 3).
 Ce que nous venons de voir de la puissante intercession des saints en faveur des âmes du purgatoire, me remet en mémoire tout ce qu'a opéré dans le même genre le grand serviteur de Dieu Jean de Nivelle, cha-
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noine primicier de la cathédrale de Liège (1). Thomas de Catimpré s'étend au long sur les œuvres apostoliques de ce pieux personnage, qu'il loue extrêmement. Bornons-nous à ce qui touche notre sujet.
 Un prédicateur plein de zèle, prêchant en Angleterre, se livrait à des mouvements oratoires très vifs contre les impies qui osent outrager en face la divine Majesté. Une femme du monde, livrée à de grands désordres, assistait à ce sermon ; elle y fut tellement touchée de la grâce du Saint-Esprit et de la terreur des jugements de Dieu, qu'elle voulut donner devant tout le monde la preuve de son repentir et de sa contrition.
 "Mon père, s'écria-t-elle à haute voix et en versant des larmes, mon père ! la confession, la confession tout de suite pour cette malheureuse pécheresse !" Celui-ci, dans l'admiration de cette grande foi, l'invita cependant à se taire jusqu'à la fin du discours et à ne point troubler le recueillement des autres. Elle le fit pour un moment ; mais, le repentir oppressant de plus en plus son cœur, elle s'écria de nouveau : "Oh ! je vous en prie, serviteur de Dieu, descendez un seul instant pour me donner l'absolution des mes crimes, de mes énormes offenses !". Le prêtre lui imposa encore silence, ajoutant qu'il n'avait plus que peu de chose à dire, et qu'il serait ensuite à sa disposition, pour la consoler et rendre la
 
 
(1) C'est le même, dit-on, qui a donné lieu au proverbe si répandu du chien de Jean de Nivelle. Ce fidèle animal l'accompagnait dans toutes ses courses apostoliques, et devint à Liège une vraie célébrité. On le battait tellement, pendant la dernière maladie de son maître, pour l'empêcher de sauter sur son lit, qu'il finit par s'enfuir chaque fois qu'il apercevait un visage nouveau, quelques caresses qu'on lui fit. (Trad.).
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paix à sa conscience troublée. Il termina en récapitulant brièvement ce qu'il venait d'exprimer touchant la gravité du péché ; mais, à ce tableau qui la saisissait, cette femme se leva et recommença ses cris, comme hors d'elle-même : "Point de retard, mon père ! tout de suite, tout de suite ! la douleur me brise, et je me meurs…" Et, en effet, elle tombe sur le pavé de l'église et expire au milieu de ses sanglots.
 Grande fut la stupeur de l'assistance et le trouble du prédicateur. Il regrettait de ne s'être pas rendu immédiatement à la prière de cette pauvre pécheresse convertie qui soupirait après la parole du pardon. Après ce premier moment d'agitation, il se recueillit, et, s'adressant aux auditeurs, il leur demanda de se mettre en prières pour supplier la divine Majesté d'user de miséricorde envers cette âme et de daigner lui faire connaître en quel état elle se trouvait, afin qu'on pût mériter pour elle des suffrages si elle en avait besoin. Quant il fut rentré dans son monastère, il s'enferma dans sa cellule pendant trois jours, à prier continuellement, sans prendre ni repos ni nourriture; la troisième nuit, la défunte lui apparut toute glorieuse, le visage resplendissant d'allégresse, et elle lui dit : "Voici la pécheresse pour laquelle vous faites tant de prières : je suis délivrée des peines que m'avaient méritées mes innombrables fautes. Rendez plutôt d'éternelles actions de grâces à la bonté divine, qui m'a si promptement accueillie. Oui, je vole pour toujours dans le magnifique séjour du ciel, et j'y serai votre protectrice". Et comme le bon père paraissait douter de la vision et craindre que tout cela ne fût un rêve de son imagination, elle ajouta : "Afin que vous n'hésitiez point à
 

CHAPITRE XV    VIDE

CHAPITRE XVI     VIDE

CHAPITRE XVII
 
 
 

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D’avoir péché par la langue, en prononçant des mots obscènes, des serments et des malédictions ; le troisième, d’avoir péché en actions, par toute espèce de souillures et larcins. L’ange prit sa défense et rappela les actes de vertu qu’il avait produits : les prières fervent souvent récitées, les aumônes abondantes distribuées aux malheureux, les jeûnes et les mortifications qu’il s’imposait au milieu même des camps. Il a jouta spécialement qu’au moment de la mort il avait recouru avec grand abandon à la Mère ses miséricordes, à la Reine du ciel, et qu’elle lui avait fait produire les actes d’une vraie contrition.
Après ce double plaidoyer, le juge souverain prononça que l’accusé serait exempt des peines éternelles, mais qu’il ferait un douloureux et long purgatoire, dans ce sens que l’expiation serait parfaitement conforme aux fautes commises. « Il faut, dit-il, que cette âme soit entièrement purifiée, et elle subira un châtiment en rapport avec ses faiblesses. La peine des yeux sera de contempler des objets affreux ; celle de la langue d’être percée de mille pointes et tourmentée de la soif ; celle du toucher, d’être plongé dans un océan de feu. »
A ce moment parut l’avocate des pêcheurs, la Mère de DIEU, pour demander en grâce à son divin Fils un adoucissement à tant de supplices réunis ; elle rappelait que ce soldat avait jeûné les veilles de ses fêtes, récité son office souvent, et recouru à sa protection par de dévotes prières. Le Sauveur, touché de cette intervention, consentit à adoucir la sentence, et ajouta que pour obtenir davantage encore il faudrait, de la part des vivants, des prières, des aumônes et des pénitences :
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La seconde vision fut celle d’une noble demoiselle, dont Brigitte vit les grands tourments et entendit les plaintes. La sainte était livrée à une haute contemplation lorsqu’elle se trouva tout à coup ravie extase en présence des peines de l’autre vie. Parmi bon nombre de personnes, elle observa une jeune fille de condition distinguée, qui se désolait au sujet de sa mère dont l’excessive indulgence, pire que la haine, l’avait laissée trop à elle-même et à ses goûts de dépense, de délicatesse et de vanité. En outre, elle l’avait conduite aux spectacles, aux festins, aux réunions mondaines et licencieuses. En un mot, au lieu de retenir une jeunesse déjà portée d’elle-même au plaisir et à l’oubli des devoirs sérieux du christianisme, cette mère aveugle l’avait pour ainsi dire introduite dans la vie légère et sans retenue qui ruine les âmes.
 Il est vrai, ajoutait la malheureuse condamnée, que ma mère me conseillait de temps en temps quelques actes de vertu et plusieurs dévotions utiles ; mais, comme d’autre part elle consentait à mes égarements, ce bien se mêlait au mal ; c’étaient des aliments, sains d’eux-mêmes, empoisonnés et rendus mauvais. Toutefois, je dois rendre grâces à l’infinie miséricorde du Sauveur, qui n’a pas permis ma damnation éternelle, que je méritais si bien par tant de fautes.
Avant de mourir, touchée de repentir, je me suis confessée ; et quoique cette conversion fût l’effet de la crainte, au moment où j’entrais en agonie je mes ressouvins de la douloureuse Passion du Sauveur, et cette pensée me porta à une sincère contrition. Je m’écriai donc, de cœur plus que de bouche : « Seigneur, JESUS, je crois que vous êtes mon DIEU. Ayez pitié de moi, ô Fils de la Vierge Marie, au nom de vos douleurs du Calvaire. J’ai un vif regret de mes péchés, et je souhaiterais de les réparer si j’avais pour cela du temps.
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En disant ces mots j’expirai. J’ai été  délivrée de l’enfer, mais précipitée dans les plus graves tourments du purgatoire. »
 
 Après ce discours, que DIEU fit entendre distinctement à la saintes, afin qu’il servit d’instruction à tous, l’âme continua d’expliquer ce qu’elle endurait en rapport avec ses fautes : « Maintenant, disait-elle, cette tête qui se plaisait aux parures et à la vanité, qui cherchait à attirer les regards, est dévorée de flammes à l’intérieur et à l’extérieur, et de flammes si cuisantes, qu’il me semble que je suis le point de mire de toutes les flèches du ciel. Ces épaules et ces bras que j’aimais à découvrir sont cruellement étreints dans des chaînes de fer. Ces pieds, ornés pour la danse, et objets de vanité, sont entourés de vipères qui les mordent et les souillent de leur bave immonde. Tous ces membres, chargés de colliers, de bracelets, de fleurs, de joyaux, se trouvent plongés dans des tortures qui leur font éprouver à la fois la consomption du feu et l’insupportable froid de la glace. »
 L’infortunée poursuivant ce tableau, afin d’émouvoir la compassion de Brigitte et d’obtenir ses suffrages. La sainte raconta tout à une cousine de la défunte qui s’abandonnait elle-même à la mondanité ; ce qui fit sur elle une telle impression, qu’elle commença par renoncer à ses vains ajustements, et plus tard se voua à la pénitence dans un ordre extrêmement austère, où elle n’avait de bonheur que dans les mortifications, les jeûnes et les prières, tant pour elle-même que pour soulager sa pauvre parente.
(V. Révélations de sainte Brigitte, liv. VI, ch. 38 et 52).
 
 

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19ème MERVEILLE
LE CIEL BENIT CEUX QUI PRIENT POUR LES MORTS
Bénis soyez-vous du Seigneur, vous qui avez exercé la miséricorde.
 
 Avant de quitter sainte Brigitte, je veux rapporter une autre de ses visions, qui montre clairement combien sont bénis des anges et des élus ceux qui s’occupent généreusement à prier en faveur des défunts. Ils reçoivent, à bien meilleur titre encore, l’expression ardente de la reconnaissance de David envers les habitants de Jabès : Bénis soyez-vous du Seigneur, vous qui avez usé de miséricorde envers votre maître Saül et qui lui avez donné la sépulture !
 Brigitte vit donc, une autre fois, ouvert devant elle le lieu où les âmes sont purifiées comme l’or dans le creuset, avant de monter au séjour de l’éternel repos. Elle y entendit la voix d’un ange qui disait parmi ses prières : « Béni soit celui qui, vivant encore sur la terre, aide les âmes de ses oraisons et de ses bonnes œuvres ! car l’infaillible justice de DIEU exige que les âmes soient purifiées par les tourments du purgatoire ou délivrées par les bonnes œuvres de leurs amis. »
 Alors la sainte entendit un chœur de voix suppliantes : « O Seigneur JESUS-CHRIST, très-juste juge, au nom de
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votre infinie miséricorde n"ayez point égard à nos innombrables fautes mais
aux mérites de votre très précieuse passion  inspirez un sentiment de vraie
charité au coeur des ecclésiastiques ces religieux des prêtres et des
prélats afin que par leurs prières et leurs sacrifices par les aumônes  par
les indulgences ils nous secourent dans notre triste situation ils peuvent
s'ils le veulent adoucir et abréger nos tourments ineffables et faire que
nous soyons plus tôt près de vous ô Dieu !" Enfin de l'abîme de ce lieu de
souffrance d'autres supplications frappaient l'oreille :"Grâces et mille
fois grâces à ceux qui nous envoient du soulagement dans notre malheur !"
Puis une sorte de lumière brillante d'un côté nuageuse de l'autre descendit
d'en-haut et pénétra dans le Purgatoire pour faire comprendre que le
soulagement venait avec des prières mais non parfait encore et de nouvelles
voix chantaient :"O Seigneur Dieu, que votre puissance infinie rende au
centuple le bien que nous font ceux qui pensent à intercéder pour notre
délivrance et à contribuer à nous introduire dans votre céleste et douce
lumière !" Voilà donc la récompense assurée de ceux qui prient pour les
morts voilà les intercesseurs qu'ils s'attachent ce sont des âmes qui
envoyées par eux dans la félicité éternelle n'oublient jamais un pareil
service et le rendent en prières semblables admirable communion des fidèles
entre eux qui fait de l'Eglise une seule famille étroitement unie source
assurée de grâces pour qui sait comprendre plaise à Dieu que chacun de mes
lecteurs éprouve quelque chose des sentiments de compassion et de faveur
dont ces visions remplirent la grande
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sainte Brigitte jusqu'à la fin de sa vie hélas combien nous avons besoin de
nous assurer un appui dans l'autre monde nous que tant de fautes exposent
aux rigueurs de la divine colère !"
                        (V. Révélations de sainte Brigitte, liv. IV, ch.7 ;
                         Théophile Raynaud, LLeter.Spirit, 2e partie;sect.
                         1,7epoint.)
 

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20ème MERVEILLE.
Ingratitude des Héritiers envers leurs bienfaiteurs.
Ingrati fuerunt et qui proeparavit eis vitam :
Ils se sont montrés ingrats envers celui de qui ils tiennent la vie.(Esdr.)
Si Dieu doit juger sans miséricorde celui qui n'a pas eu de miséricorde
envers les autres Judicium sine misericordia illi qui fecit misericordiam (s.Jacques,11,13.)
quelle sera sa rigueur à l'égard de ces héritiers qui font à l'âme de leurs
bienfaiteurs cette injustice de n'acquitter point leurs legs pieux ? je
n'hésite pas pour ma part à leur appliquer le mot du IVe concile de Carthage
et à les appeler Egentium necatores meurtriers des malheureux on va voir
dans ce chapitre un exemple du châtiment réservé à leur impiété et à leur
criminelle usurpation car enfin tout ce qu'ils ont retenu de la sorte ne
leur appartient pas c'est un bien dérobé oh combien de
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fois ces héritages manqués au cachet de l'ingratitude n'ont-ils enfanté pour
leurs possesseurs que labeurs et peines a Milan une propriété peu éloignée
de la ville avait été affreusement tourmentée et désolée par la grèle
pendant que les campagnes voisines étaient demeurées intactes et
florissantes on ignorait la cause de ce désastre particulier lorsque
l'apparition d'une âme du Purgatoire fit connaître  que c'était un châtiment
de la justice divine sur des enfants ingrats qui n'avaient point exécuté la
dernière volonté de leur père relativement à des oeuvres pieuses on raconte
aussi et sur le nombre il y a certainement des faits prouvés que maintes
fois les âmes des défunts ont fait entendre dans les maisons des bruits
effrayants ont bouleversé les meubles et autres choses semblables pour le
même motif a Ferrare un des plus beaux palais de la ville était resté
inhabitable par suite du tapage nocturne qui s'y faisait régulièrement et
dont la cause naturelle avait échappé à toutes les investigations le
propriétaire voyant la perte considérable qui en résultait pour lui chaque
année avait tout employé mais inutilement un étudiant en droit fatigué de
ses plaintes et persuadé qu'il n'y avait au fond que de ridicules terreurs
s'offrit hardiment à demeurer dans cette maison seul et à prouver la vanité
des craintes générales pourvu qu'on lui garantit un logement gratuit pendant
dix ans l'une des chambres le propriétaire y consentit bien volontier
l'étudiant s'installa au palais le jour même après y avoir fait porter ses
livres et tout son bagage la nuit vient notre jeune homme plein de courage
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se mit à étudier tranquillement il avait à soutenir le lendemain une thèse
importante et son esprit n'était rempli que de cette idée comme il avait
d'ailleurs de la piété il avait fait bénir le cierge qui l'éclairait
persuadé qu'au cas ou le démon tenterait quelque chose contre lui ce saint
objet le préserverait de malheur il étudiait donc sinon sans émotion du
moins sans crainte appréciable lorsque vers le milieu de la nuit un bruit
singulier se fait entendre dans tous les appartements on eût  dit d'un
mouvement de chaînes trainées lourdement sur le parquet sans s'émouvoir
notre étudiant s'apprête à voir ce que c'est  et attend avec impassibilité
car il distinguait l'approche de ce bruit qui venait de son côté il tenait
les yeux fixés sur la porte prêt à interpeller le nouveau-venu lorsque cette
porte s'ouvre et qu'aperçoit-il ? un spectre hideux des fers aux pieds et
aux mains qui sans lui adresser une parole ni répondre à ses questions
s'assied à côté de lui et le regarde avec des yeux terribles le jeune homme
commençait à trembler bien fort mais ayant fait une prière intérieur à Dieu
il se rassied à son tour et continue de consulter ses livres et d'écrire
"que cherches-tu donc avec tant de soin ? demanda enfin le fantôme d'une
voix sépulcrale - je cherche un texte de loi qui m'est indispensable pour ma
thèse de demain. -Ce n'est pas dans ce livre que tu le trouveras reprend
l'effrayant visiteur ; je vois là, sur la table, un darthole à tel endroit
tu auras ce que tu veux -     je vous remercie". Et il poursuit son travail
je n'oserais dire qu'il le fit en toute liberté d'esprit on ne pouvait pas
l'exiger de lui dès que la première lueur du jour parut le spectre
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se leva faisant de nouveau résonner ses chaînes et sortit comme il était
venu mais le jeune homme se lève à son tour sa lumière à la main et le suit
pas à pas jusqu'à une sorte de cave ou la terre sembla s'ouvrir et ou la
vision s'évanouit il laisse son cierge bénit à cet endroit et remonte dans
sa chambre aussitôt  que l'heure le lui permit il sortit et alla raconter
l'histoire à ses amis on se rend au palais on visite les lieux on descend ou
était le cierge on creuse et on trouve un cadavre dont personne ne put
indiquer l'origine on appela donc un prêtre ces restes ignorés furent
déposés dans un cercueil et inhumés en terre sainte après les cérémonies et
les prières ordinaires on dit pour le défunt un grand nombre de messes et
depuis ce moment le palais demeura libre de tout ce qui l'avait rendu
inhabitable tout le monde fut persuadé que Dieu avait permis à une âme
abandonnée dans le Purgatoire de solliciter ainsi les suffrages de ses
frères.
               (v.Jacques Hautin,Patroc,defunet,1.II,art.5;
              Nicolas Lagus, Mirac.SS.Sacram,1r. VII,dist. 4, ch.27. )
(1) Cette histoire paraîtra presque incroyable mais les livres les plus
sérieux et les plus dignes de foi en contiennent de semblables à toutes les
époques et dans tous les pays voyez par exemple la Mystique divine du
célèbre Goerrés traduite par M.Sainte-Foi ou le savant critique a rassemblé
une foule de traits plus étonnants encore et authentiquement prouvés nous
rappelerons que Pline dans une de ses lettres raconte une apparition du même
genre à laquelle il déclare positivement croire Suétone en a plusieurs dans
ses Douze Césars notamment au n° 59 de sa Vie de Caligula.(note du traduct.)
 
 

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21ème Merveille
Actions de grâces des âmes du Purgatoire envers leurs libérateurs.
Salvasti nos de affigentibus nos, et odientes nos confudisti
Vous nous avez délivrés de nos persécuteurs, et vous avez confondu ceux qui nous
haissaient.Ps .XIIII,8.
Des âmes que l'illustre saint Nicolas de Tolentino avait délivrée par ses
prières lui adressèrent les paroles du psaume que je viens de prendre pour
épigraphe une des plus grandes vertus de cet admirable serviteur de Dieu fut
sa charité son dévouement pour l'Eglise souffrante pour elle il jeûnait
souvent au pain et à l'eau il se donnait des disciplines cruelles il se
mettait autour des reins une chaîne de fer étroitement sérrée ce fut surtout
lorsque l'obéissance l'eut forcé à se laisser ordonner prêtre  qu'il
témoigna cet empressement et ce zèle en offrant l'auguste sacrifice aussi
les âmes qu'il soulageait par tant de suffrages lui apparurent-elles
plusieurs fois pour en réclamer de lui la continuation il demeurait à
Vallimanèsé près de Pise tout occupé de ses excercices spirituels lorsqu'un
samedi pendant la nuit comme il s'était retiré pour prendre un peu de repos
il vit en songe une personne toute dolente qui le supplia de monter pour
elle au saint autel la matinée suivante et aussi pour quelques autres mes
qui souf-
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fraient d'une manière affreuse dans le Purgatoire Nicolas reconnaissait la
voix mais ne pouvait se rappeler distinctement celui qui l'interpellait il
lui demanda donc qui il était.-"Je suis, répondit l'apparition, l'âme de
votre défunt ami le frère l'ellégrino d'Osima, qui ai pu éviter, par la
divine miséricorde, les châtiments éternels dus à mes fautes, mais non pas
l'expiation douloureuse qui leur est réservée pour un temps. Je viens, au
nom de beaucoup d'âmes aussi malheureuses que moi, vous supplier de dire
pour nous demain la sainte Messe, et nous espérons de là ou notre délivrance
entière ou du moins un grand soulagement." Le saint lui répondit avec sa
bonté accoutumée :"Que le Seigneur daigne vous secourir par les mérites de
son sang, par lequel il vous a rachetées ! Mais pour cette messe de Requiem,
je ne puis la dire demain : c'est moi qui dois chanter au coeur la messe du
couvent, et le dimanche il ne nous est pas permis de faire l'office des
morts." Alors l'âme soupirant et gémissant ajouta :"Ah ! venez avec moi, je
vous en conjure pour l'amour de Dieu ; venez contempler nos souffrances, et
vous ne me refuserez plus: vous êtes trop bon pour nous laisser dans de
pareilles angoisses." Il lui sembla qu'il était transporté dans une plaine
immense ou il aperçut une grande multitude d'âmes de tout état de tout âge
et de toute condition livrées à des tortures diverses et épouvantables du
geste et de la voix elles imploraient tristement son assistance. -"Voilà,
lui dit le frère Pellégrino, la malheureuse situation de ceux qui m'ont
député auprès de vous. Nous avons la confiance que le Seigneur ne refuserait
rien à vos sacrifices, et que sa divine miséricorde nous délivrerait."
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Le serviteur de Dieu à ce spectacle trois fois lamentable ne pouvait
contenir son émotion il se mit aussitôt à genoux et pria avec grande ferveur
pour tant d'infortunés il eût voulu que ses larmes éteignissent le feu qui
les consumait le matin venu dès qu'il fut réveillé il courut chez le prieur
lui raconter en détail toute sa vision et lui exposer la demande que le
frère Pellégrino lui avait faite d'une messe de Requiem ce jour-là même le
père ne put l'entendre sans partager sa vive émotion et cédant à ce
sentiment il le dispensa non-seulement pour ce jour-là mais pour toute la
semaine suivante de la messe conventuelle afin qu'il pût vaquer au
soulagement des âmes qui paraissent l'avoir imploré heureux de cette
permission Nicolas se rendit incontinent à la sacristie et célébra avec une
extraordinaire ardeur de plus il passa le jour et même la nuit à toutes
sortes de bonnes oeuvres dans la même intention  macérations jeûne
disciplines oraisons prolongées l'auteur de sa vie assure que le démon le
troubla plusieurs fois visiblement dans ce saint exercice mais en vain il
continua ainsi toute la semaine alors il revit l'âme du frère Pellégrino
mais non plus dans son état de douleur dans ses flammes dans sa tristesse
une robe blanche le recouvrait il était environné d'une splendeur toute
céleste dans laquelle se jouaient une quantité d'autres âmes aussi heureuses
toutes ensemble lui rendaient grâce et l'appelaient leur libérateur puis
elles s'élevèrent au Ciel en chantant : Salvâsti nos de affligentibus nos,
et odientes nos confudisti !
(V. Surius, Vita S. Nicol. Tol., 10 sept ;jourdain de Saxe,Vies des fr. erm. de S- Augustins.)
 
 

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22ème Merveille
Il faut travailler par soi-même à éviter le purgatoire
« Tout ce que vous pouvez faire, hâtez-vous de l’accomplir : car ni le travaille si la volonté de vous suivront après la mort » (Ecclés. 13,10)
C’est avec grande raison que Thomas à Kempis nous avertit de ne pas trop compter sur les suffrages de nos amis et de nos parents après notre mort, et de prendre nous-mêmes le plus grand soin de notre salut. Ne vous fiez point à vos amis et à vos proches, dit-il dans l’Imitation (Liv 1, chap. 23) : car ils vous oublieront plus que vous ne pensez. Si vous ne vous occupez pas de vous même actuellement, qui s’occupera de vous quand vous aurez disparu ? Je ne sache pas qu’il y ait souvenir plus sacré que celui d’un père dans le cœur de sa fille. Et pourtant, il s’est trouvé des filles même vertueuses, qui ont oublié ceux de qui elles tenaient le jour !  un exemple entre plusieurs autres.
Archangèle Panigorola, prieure du monastère de Sainte Marthe à Milan, avait une zèles extraordinaire pour le soulagement des âmes du purgatoire ; elle priait et faisait beaucoup priez en leur faveur. Cependant elle ne songeait que rarement et presque sans
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effet à l’âme de son père Gothard, bien qu’elle l’eut tendrement aimé pendant sa vie. L’idée lui venait bien quelquefois, et elle prenait la résolution de le recommander particulièrement : puis elle pensait à autre chose ou à d’autres âmes, et l’oubli persévérait. Un événement inattendu et merveilleux la tira de cette insensibilité.
Le jour de la tête des morts, elle s’était renfermée dans sa cellule à prier pour eux et à faire en leur faveur divers actes de pénitence. Tout d’un coup son ange gardien lui apparaît, la prend par la main la conduit en esprit au purgatoire. Là, parmi les âmes qu’elle aperçut, elle reconnut celle de son père, plongée dans un étang d’eau glacée. A peine eut-il reconnu lui-même sa fille, qu’il se souleva vers elle en criant : « Hélas ! Archangèle ma fille, comment as-tu pu oublier si longtemps ton malheureux père, dans les tortures qu’il souffre ici ? Tu te montres animée d’une douce charité envers les étrangers ; j’en ai vu beaucoup monter au ciel par les suffrages : et pour moi qui suis ton père, à qui tu dois tant, qui t’ai aimée, élevée, favorisée, tu n’as pas le moindre sentiment de compassion ! Ne vois-tu pas que je suis transi, avec d’insupportables douleurs, dans ce lac de glace, pour châtiment de ma tiédeur au service de Dieu et de mon indifférence à l’égard de sa loi et du salut des âmes ? Ah ! sois donc émue une seule fois de pitié pour ton père, et fais par la ferveur de tes prières qu’il obtienne enfin miséricorde et monte au séjour de la gloire et du repos ! »
Archangèle demeura interdite à ces proches, qu’elle reconnaissait mériter ; bientôt sa douleur se répandit en un torrent de larmes, et c’est parmi les san
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glots qu’elle put répondre ce peu de mots : « Je ferai, ô mon bien-aimé père, tout ce que vous me demandez, et je ferai immédiatement. Plaise au Seigneur que mes supplications vous délivrent ! »
L’ange la conduisit alors dans un autre lieu. Elle lui demanda comment il se faisait que, ayant eu souvent l’intention  et formé la résolution de prier pour son père elle l’avait le plus souvent oublié, et pourquoi Dieu avait permis une telle distraction. « Je me rappelle même, dit-elle, qu’un matin, comme je me mettais à intercéder pour lui, je fus ravie en esprit, et il me sembla que je lui offrais un pain très blanc, mais qu’il le regardait d’un air dédaigneux et refusait de le prendre. Ce qui me fit craindre qu’il ne fût damné. Le fait est que je ne songeai pour plus guère à prier pour lui, tandis que j’y songeai pour tant d’autres qui ne me sont attachés par aucun lien. L’ange lui répondit : « Votre oubli a été permis de Dieu en punition du peu de zèle de votre père, quand il était en vie, à travailler à son salut. Il n’avait point de mauvaises mœurs, cela est vrai ; mais il ne montrait non plus aucun empressement pour les œuvres pieuses que le Ciel lui inspirait, et quand il en accomplissait quelqu’une, c’était sans l’attention ni l’intention désirables. Dieu impose pour l’ordinaire cette peine à ceux qui ont ainsi passé leur existence, sans empressement pour le bien : il permet qu’on se conduise envers eux comme ils se sont conduits envers le Seigneur. Oubli pour oubli. Tel était le sens de ce refus du pain qui vous a été montré. Mais maintenant, il faut multiplier vos suffrages en sa faveur, et obtenir de la divine miséricorde qu’elle le dire de ce lieu de tourments. »
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Archangèle revint à elle, mais si émue, si brisée de chagrin, qu’elle n’eut plus un instant de calme ; il lui semblait toujours entendre les gémissements et les cris de son pauvre père, et elle versait toutes les larmes de ses yeux. Nous ne pouvons dire combien de prières, de jeûnes, de macérations elle fit pour cette âme si chère. Elle avait coutume de demander la délivrance des âmes au nom du sang très–précieux du Sauveur et de l’amour infini qu’il nous a témoigné sur la croix ; elle ajouta désormais une nouvelle invocation, celle des mérites de la divine Mère, lorsqu’au calvaire elle contemplait son fils expirant. Enfin, lorsque l’éternelle justice eut été satisfaite, l’âme de Gothard lui apparut, lumineuse, inondée de joie ; elle la remercia dans les termes les plus touchants ; après quoi  elle s’éleva triomphante au ciel, laissant Archangèle aussi heureuse qu’elle avait pu auparavant éprouver de chagrin et de regrets.
(V. Vie de la sœur Archangèle Panagorala, par le R.P Octave Ivitiati, de la compagnie de Jésus, 1er Partie, ch. 11e)
 

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23ème Merveille             Traits divers de Charité
« Mon âme se réjouis dans le Seigneur, parce qu’il ma revêtu du manteau du salut »
(Is LXI, 40)
Ente le père Jules Mandnelli, de la Compagnie de Jésus, et les âmes du purgatoire, il y avait un tel échange de prières d’une part et de visites de l’antre, qu’on ne saurait en redire tous les détails. Je me  borne ici à quelques-uns.
Rien de gracieux comme ce qui lui arriva avec l’âme de l’archevêque de Capone, César Costa, son oncle du côté maternel. Ce prélat, le voyant mal vêtu dans une fonction ecclésiastique, et jugeant qu’il devait souffrir de froid, lui donna de l’argent pour se procurer un manteau meilleur et plus chaud. Le Père Pachela et le mit sur ses épaules pour faire visite accoutumée des malades, à travers la ville. Un jour, après la mort de l’archevêque, comme il était déjà sur le pas de la porte pour sortir, ayant son luisant manteau, il voit venir les  défunt, environné de flammes, qui le supplie de lui prêter  un moment ce vêtement. Le bon Père, tout étonné, de lui donne ; et le prélat s’en entoure comme s’il voulait s’y cacher et comme s’il y trouvait un rafraîchissement délicieux. Mandnelli comprit que cette âme souffrait dans le purgatoire, et qu’elle voulait marquer par-là que son unique soulagement était dans la charité dont elle avait preuve envers lui. C’est pourquoi il lui promit de prier pour elle avec plus de zèle, à partir de cette heure, ajoutant qu’il fallait lui rendre son manteau, parce qu’il était envoyé quelques part pour la gloire de Dieu et que la chose pressait.
Un autre jour, c’est le baron de Montfort, qui, ayant été lié d’amitié avec le Père, lui apparut quelques temps après sa mort et se recommanda à lui avec une confiance toute amicale. Il revint plusieurs fois pour le même objet, jusqu'à ce que, après une messe de Requiem qu’il avait demandée, il cessa de se faire voir : ce qui donna au Père l’assurance qu’il était délivré.
Il avait eu pour maître Antoine Ugolino, qui fut depuis un prélat distingué de la cour de Grégoire XIII. Après sa mort, cet ancien professeur apparut à Mancinelli avec tous les attributs ordinaires de l’âme souffrante, visage pâle et défait, flammes autour de lui, chaînes étroites et présantes, etc., et il supplia, au nom des leçons qu’il lui avait données autrefois, d’intercéder pour lui dans l’extrémité où il se trouvait, et d’offrir le saint sacrifice. Le pieux jésuite s’empressa de faire de grand matin, le jour suivant, il monta dans cette intention au saint autel, afin d’immoler l’hostie de propitiation. Il put contempler ensuite cette même âme dans la plus belle gloire, au milieu de rayons célestes, respirant une félicité ineffable et lui témoignant pour sa charité une reconnaissance vive et sans bornes.
Et vraiment, on peut le dire, les sacrifices offerts par ce digne religieux semblaient avoir auprès du Seigneur
83 à suivre
 
 

CHAPITRE 24  VIDE SUR LE SITE
 

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25ème Merveille
 
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Elle tenait les yeux baissés, avec une certaine honte, comme si elle eut peur de contempler en face la gloire de l’adorable Majesté ; elle semblait même chercher à se cacher et à fuir les regards de son Rédempteur. Gertrude, émue de voir sa fille spirituelle trembler ainsi devant l’Eternel Epoux, se tourna vers lui et lui adressa cette invocation : »Très doux Jésus, pourquoi donc votre infinie bonté n’invite -t’elle pas celle qui s’est donnée à vous parfaitement, à s’approcher et à entrer dans la joie qui lui est réservée ?pourquoi ne l’attirez-vous pas dans vos bras, et la laissez-vous ainsi seule, triste, craintive ? »Le Seigneur aussitôt fit signe à la bonne religieuse de s ‘avancer, avec un sourire de tendresse. Mais elle, plus troublée encore, hésitait, tremblait, et enfin, après une profonde inclination, se retira.
  L’étonnement de Gertrude était au comble. Elle s’adressa cette fois à l’âme et lui dit : »Comment, ma fille ! vous vous éloignez du Sauveur qui vous appelle !vous voilà en possession de ce que vous avez désiré toute votre vie ; et c’est pour vous en séparer avec cette froideur ! Ne voyez-vous pas ce que Jésus attend de vous ? »La jeune fille lui répondit : »Ah ! ma mère, je ne suis pas encore assez digne de paraître devant l’Agneau immaculé ; il me reste des taches terrestres. Il faut être plus pur que la lumière pour s’unir au Soleil de la justice, et je n’ai pas cette pureté parfaite sur laquelle se reposent avec complaisance ses regards. Je vous assure que, quand même la porte du ciel m’eût été toute grande ouverte et que j’eusse pu m’y élancer d’un bond, je n’aurais pas osé le faire avant d’être entièrement délivrée des plus légères imperfections ;il me
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semble que les chœurs de vierges qui suivent Notre-Seigneur m’eût repoussée.- Et comment cela, reprit l’abbesse, puisque je vous vois environnée de lumière et de gloire ? – Ah ! répondit-elle, tout ceci n’est encore que la frange du dernier vêtement de l’immortalité ; c ‘est bien autre chose quand on voit Dieu, qu’on vit de lui, qu’on en jouit pour toujours ! mais pour cela il ne faut pas une tache ! »
  L’autre vision est à peu près semblable. Elle eut pour objet la sœur de cette même religieuse, un peu plus jeune, mais non moins vertueuse. Elle était morte dans la fleur de l’âge, chargée d’œuvres saintes et de mérites. Elle s’était fait remarquer surtout par une dévotion toute singulière envers le très-saint Sacrement. La communauté s’empressa de prier pour son âme et d’offrir à cette intention des pénitences et des oraisons nombreuses. Gertrude la vit, brillante aussi, agenouillée devant le Roi de gloire, de qui s’échappaient cinq rayons enflammés qui allaient doucement frapper les cinq sens de la défunte. Mais elle n’en avait pas moins sur le front comme un nuage de chagrin et une tristesse visible. La sainte, s’adressant de nouveau à Notre-Seigneur, lui demanda comment il pouvait illuminer de la sorte toute sa servante , sans qu’elle éprouva aussitôt une joie parfaite. Jésus lui répondit que, jusqu’à ce moment, cette pieuse fille était digne seulement de contempler sa divine humanité et de jouir de la vue de ses cinq plaies, mais qu’elle ne méritait pas encore la vision béatifique de la divinité, parce qu’il restait en elle certaines taches légères contractées dans l’observation des règles. Gertrude supplia le Seigneur d’user envers elle d’indulgence, de lui pardonner ces misères
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et de l’admettre au sort le plus heureux, après lequel nous soupirons tous ? Notre-Seigneur répondit que à moins de suffrages en sa faveur, la divine justice exigeait l’entier accomplissement de la peine , laquelle d’ailleurs était si bien comprise de cette âme et lui était si agréable, qu’elle ne consentirait point à en être exemptée. Elle fit signe effectivement, qu’il en était ainsi, et le sauveur, en signe de bienveillance, étendit sa main sur sa tête.
  Dès cet instant, la sainte abbesse s’imposa plusieurs pratiques méritoires, afin de soulager et de délivrer l’âme de sa sœur ; elle pensait à elle principalement au saint sacrifice, et il lui semblait alors la voir s’élever peu à peu au ciel. Un jour, l’âme lui apparût et lui dit : « la dévotion que j’ai eue au divin Sacrement, durant ma vie , me fait recueillir des fruits particuliers de l’adorable Hostie quand on l’offre pour moi. C’est pourquoi je suis sur le point d’être introduite à jamais au séjour où m’attend le céleste époux pour me couronner. Oh ! que je suis heureuse du culte que je lui ai rendu pendant les courtes années d’une si passagère existence : et quel bon maître nous servons ! » Par ces paroles , elle enflamma d’un nouvel amour pour la sainte eucharistie toute la communauté que dirigeait Gertrude, et on y conçut en même temps un plus scrupuleux éloignement pour les moindres fautes, puisqu’il n’en est aucune qui ne doive être expiée.
                            (V. Louis de Blois Monite spirituale, ch.13.)

 
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 26ème Merveille
ADMIRABLE COMMERCE DE CHARITE ENTRE LES VIVANTS ET LES DEFUNTS
 
 Vigilate in oratioibus, mutuam in vobis-
Metipsis charitatem habentes: Veillez dans
 la prière, exerçant la charité les uns envers
                                                                                                                                                              les autres(1Petr. Iv, 7.)
 
 
Il ne serait pas facile de décider à qui la prière pour les morts est le plus utile, ou aux morts eux-mêmes ou à ceux qui travaillent à leur délivrance. En effet, si d’une part les âmes du Purgatoire sont puissamment soulagées par nos suffrages, de l’autre elles nous obtiennent elles-mêmes des grâces non moins précieuses. La vie de la vénérable Mère Marie-Françoise du Saint-Sacrement qui avait la plus grande dévotion à ces pauvres âmes, peut fournir d’utiles éclaircissements sur ce sujet.
  Elle avait été élevée dans cette sainte pratique, et tant qu’elle vécut elle y resta fidèle ; elle était tout cœur, tout dévouement envers ces âmes souffrantes ; pour elles chaque jour elle récitait le rosaire, qu’elle avait coutume d’appeler son aumônier, et elle en terminait chaque dizaine par le Requiescant in pace. Les jours de fête, où elle était plus libre de son temps, elle y ajoutait l’office des morts. La meilleure partie de l’année, elle se condamnait pour elles au jeûne au pain
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et à l’eau, sans parler des cruelles disciplines dont elle accablait son corps ; ainsi, elle ne quittait jamais son rude cilice. Le repos qu’elle était obligée de prendre, elle le troublait encore par plusieurs genres de mortifications. Toutes les fonctions dont elle s’acquittait, les travaux qu’elle faisait, les pensées de son esprit, le souffrances intérieures, les fatigues du corps, les persécutions continuelles des démons, elle consacrait tout aux âmes des défunts.
  Ce n’est pas tout. Elle s’unissait avec les religieuses qu’elle fréquentait davantage, afin de former avec elles une sorte de ligne de bonnes œuvres et de prières. Quand des ecclésiastiques venaient au monastère, elle les exhortait  à dire des messes de Requiem ; elle en faisait autant envers les laïques qu’elle voyait, les engageant à répandre beaucoup d’aumônes dans le même but. En un mot, pour les secourir , elles avait renoncé au mérite personnel de ses œuvres ; elle présentait chaque jour à la justice divine, pour leur soulagement, les oraisons, les pénitences , les privations qu’elle s’imposait, et les indulgences qu’elle gagnait. Le matin esprit s’efforça de lui suggérer une pensée de regret ; il lui représenta qu’en se dépouillant ainsi de tous ses mérites elle n’en aurait plus aucun quand elle paraîtrait devant Dieu, et devrait par conséquent souffrir elle-même un long purgatoire. Mais il ne réussit point ; tout retour d’intérêt propre était impossible à cette âme généreuse et ferme comme le diamant : les défunts qui lui apparaissaient l’assuraient d’ailleurs qu’ils sauraient bien compenser cette différence par leur intercession quand ils seraient délivrés, et que Dieu ne ferait point tourner contre elle son héroïque charité.
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  Ceci nous amène à dire encore un mot de la reconnaissance des âmes du purgatoire envers les bienfaiteurs. Un la vit dans cette sainte femme. Ces âmes la visitaient fréquemment, non-seulement pour solliciter ses suffrages, mais pour l’en remercier. Des témoins ont assuré que , plusieurs fois, elle l’attendrirent visiblement à sa porte, quand elle se rendait à l’office de matines, pour se recommander à elle ; d’autres fois, elles pénétrèrent dans la chambre, afin de lui présenter leur requête ; elles se rangeaient autour de son lit jusqu’à ce qu’elle s’éveillât. Pour elle, elle ne témoignait aucune crainte devant ces apparitions, qui auraient rempli tout autre de frayeur. »Nos peines sont adoucies, disaient les âmes, rien que par votre présence. »Elles lui disaient en entrant, afin qu’elle ne se crût point le jouet de quelque rêve ou d’une illusion du démon : »Nous vous saluons, servante de Dieu, épouse du Seigneur : que Jésus soit avec vous toujours ! »Puis elles témoignaient leur vénération pour une grande croix et pour les reliques que leur bienfaitrice conservaient dans sa cellule. Si elles la trouvaient récitant le rosaire, ajoutent les mêmes témoins, elles le lui prenaient des mains et semblaient le baiser avec respect et confiance, comme un instrument de salut et de délivrance. Elles la prévenaient des artifices se Satan , des pièges qu’il dressait contre elle et des tentations ou des illusions qu’il lui préparait, afin qu’elle se disposât à les déjouer par les sacrements et par la prière.
  Dans le but de la toucher davantage, elles se montraient à elles sous des formes particulières. C’était ordinairement, accompagnées des signes ou des instruments de leurs péchés, devenus ceux de leur châtiment.
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Tantôt c’étaient des évêques la mitre en tête, la crosse à la main, revêtus de la chasuble, et en même temps environnés de flammes ; ils lui disaient : « Nous souffrons tout ceci pour avoir recherché ambitieusement les dignités, et n’avoir point correspondu aux obligations qu’elles nous ont fait contracter. »D’autres fois, c’étaient des prêtres avec leurs ornements en feu, l’étole transformée en chaîne, les mains couvertes d’ulcères : ils s’accusaient d’avoir traité avec irrévérence le divin corps du Seigneur, et d’avoir administré sans respect les sacrements. UN religieux se fit voir entouré d’objets précieux, d’écrins, de fauteuils, de tableaux,,tout enflammés, parce que, manquant à son vœu de pauvreté, il avait rassemblé ces futilités dans sa cellule. Elle vit aussi un notaire de Soria avec tous les insignes de sa profession, qui, accumulés autour de lui et enflammés le tourmentaient terriblement : « J’ai employé cet encrier, cette plume, ce papier, dit-il, à des actes illégitimes, contraires à la justice et à l’équité. J’avais aussi la passion du jeu : et ces cartes tout en feu que je suis obligé de tenir dans les mains font ma punition. Cette bourse brûlante contient mes gains illicites et me les fait expier. Au moment de mourir, j’aurais infailliblement couru à ma damnation, si une sincère contrition n’avait rempli mon cœur. Du moins suis-je condamné à un long et rigoureux purgatoire, si vous ne consentez charitablement à l’abréger par vos bonnes œuvres. »Ces apparitions causaient un grand chagrin à la servante de Dieu ;mais d’un autre côté, elle éprouvait une immense consolation lorsque les âmes délivrées venaient la remercier avant de monter au ciel.
  Nous ne pouvons passer sous silence le trait qui
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concerne Christophe de Ribéra, évêque de Pampelune. CE prélat, ayant appris que la Mère Françoise était animée d’une grande dévotion pour l’Eglise souffrante, et qu’elle avait eu révélation
 que trois de ses prédécesseurs sur ce siège étaient encore dans le purgatoire, s’empressa de prier pour eux, mu par un sentiment de vive compassion ; et, comme c’était le moment où l’on distribuait dans toute l’Espagne les bulles dites de la Croisade, qui contiennent pour ce royaume des privilèges spirituels, il en envoya quatorze à la servante de Dieu, en lui faisant dire  d’en appliquer trois pour les évêques, et les onze autres suivant son inspiration. La nuit suivante, les trois prélats apparurent à Françoise et lui rendirent grâces ; ils la prièrent de remercier pour eux Christophe de Ribéra. D’autres âmes lui demandèrent de leur appliquer le fruit des autres bulles : ce qu’elle fut heureuse de leur accorder. Les apparitions se multiplièrent dans cette circonstance, et, par son empressement à intercéder et à mériter, la sainte rendit de nouveau gloire à Dieu.
(Vie de Françoise du Saint –Sacrement par le frère Joachim de Sainte-Marie,I. II..)
 
 

 27ème Merveille
TRAITS DIVERS
 
Est qui multu redimat modiro pretio :On
Peut racheter beaucoup avec peu de chose.
                                                                  (Eceli xx,12.)
 
Les âmes qui gémissent dans le feu du Purgatoire ne nous demandent pas toujours des mérites extraordinaires, des aumônes considérables, des jeunes rigoureux, de dures privations, ou d’autres pénitences austères ; souvent elles trouveraient leur soulagement dans les petites choses, de courtes prières, des pratiques faciles ; et on les leur refuse !De sorte qu ‘elles en sont tout affligées, et qu’elles pourraient bien dire avec le poète :
Quodque magis deleo : non nos mare separat ingens, Exiguà prohibemeur aqua :
Ma douleur augmente de ce que ce n’est point la mer qui nous sépare, mais un peu d’eau… »Ce qui veut dire qu’elles n’auraient plus besoin que d’un léger effort pour arriver jusqu’au Seigneur qui les attend pour les couronner, et qu’elles ressentent tristement l’indifférence qui refuse de le faire pour elles.
  J’ai lu quelque part qu’un saint évêque vit en songe un enfant, lequel, avec un hameçon d’or et un fil d’argent, tirait du fond d’un puits une femme qui s’y
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noyait. A son réveil, jetant les yeux par la fenêtre, il aperçut ce même enfant agenouillé, priant sur une tombe du cimetière. Il l’appela et lui dit : »Que fais-tu là mon ami ?.- Monseigneur, je dis un Pater et un Miserere pour l’âme de ma mère, dont le corps repose en ce lieu. »Le prélat comprit aussitôt que Dieu avait voulu lui montrer l’efficacité de la prière la plus simple ; il crut que l’âme de cette mère venait d’être délivrée, que l’hameçon d’or était le Pater, et le Miserere le fil d’argent de cette ligne mystique.
  On rencontre deux traits du même genre, plus frappants même, dans les Chroniques des Frères Mineurs. Le P.Conrad D’Offida, religieux de l’ordre séraphique, grand serviteur de Dieu, était resté une nuit devant un autel privilégié, à faire oraison. Un frère du couvent, qui était mort peu auparavant, lui apparut et le conjura ; au nom des services qu’il lui avait rendus lui-même en lui donnant autrefois des règles et des conseils de perfection, de travailler maintenant à le délivrer des supplices auxquels il se voyait condamné. « Vous savez bien, ajouta-t-il, que le Seigneur a pour agréable vos prières , et vous ne serez pas cruel pour me les refuser. »Aussitôt, le charitable Père récita le Pater et le Requiem oeternam. La vision revint, et on entendit ces paroles : »O mon Père, si vous saviez quel grand soulagement m’a procuré cette simple invocation, votre miséricorde vous porterait à la renouveler ! »Le religieux le fit avec empressement. « Ah !s’écria de nouveau cette âme, continuez , mon Père, au nom des entrailles de Jésus-Christ, continuez : voici que mes peines de changent en consolation ! »Sans attendre de nouvelles instances, le bon religieux redit un grand
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nombre de fois cette prière. Par une miraculeuse permission du Ciel, il voyait peu à peu le visage du défunt exprimer un adoucissement, puis un commencement de jouissance, puis une joie extraordinaire ; ses vêtements se modifiaient de la même façon ; ils devinrent blancs et éclatants ; la lumière environna cette bonne âme ; et enfin, après mille actions de grâces, elle s’éleva radieuse vers l’éternel séjour.
  Le bienheureux Etienne, du même ordre, avait la même dévotion, et auprès de Dieu un crédit égal. Il aimait à passer plusieurs heures de la nuit auprès de Saint-Sacrement, auquel il faisait sa cour assidue. Une nuit, se retournant, il aperçut un des religieux assis dans une des stalles du choeur, le capuchon ramené sur la tête et jusque sur les yeux. Etonné d’une telle posture, qui n’était, qui n’était pas celle de la prière, à cette heure du repos général, il s’approcha et lui demanda pourquoi il se tenait ainsi à l’église et ce qu’il y faisait. Le moine répondit d’une voix lugubre : »Je suis un religieux défunt, condamné par la divine justice à endurer ici un rigoureux purgatoire, à cause des fautes nombreuses que j’ai commises par des distractions et des tiédeurs volontaires pendant le chant de l’office. Le Seigneur m’a permis de me manifester à vous, afin de vous conjurer de faire pour moi quelque chose :puissé-je sortir de cette captivité douloureuse et entrer dans la liberté des enfants de Dieu ! »Le bienheureux Etienne, sans attendre davantage, se remet à genoux et récite à cette intention le De Profundis avec l’oraison Fidelium. Le défunt en parut singulièrement soulagé, et pendant plusieurs nuits encore il vint exciter la charité du bon Etienne, le remerciant chaque fois avec grande effusion.
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Si bien qu’une nuit, à la suite du Requiem Oeternam, il quitta la stalle comme un prisonnier qui abandonne son cachot, et s’élança vers le ciel.
  Le bienheureux raconta plusieurs fois ce trait pour exhorter les religieux à une parfaite modestie et au recueillement en chantant les louanges de Dieu et dans la prière ; car le Seigneur ne peut bénir ceux qui ne l’honorent que des lèvres, tandis que leur cœur est loin de lui.(Isaïe,xxix,13.)
(V. Barthlémy de Pise, liv.i ch.23 ;Chroni-
ques des Frères-Mineurs, liv.iv, ch.30.)
 
 

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28e MERVEILLE
TRAITS MERVEILLEUX SUR LA MORT T SUR LE PURGATOIRE
Ficbat omni anime timor ; multu quoque
Prodigia et sigua fiebunt : Tous les esprits
étaient frappés de crainte ;; il se faisait aussi
beaucoup de prodiges et de merveilles(Act.   ii,43)
 
 
Le P. Ferdinand de Castille rapporte deux étonnants prodiges opérées par le Seigneur, dans le couvent de Saint-Dominique, à Zamorra, ville du royaume de Léon en Espagne ; l’un pour nous rappeler que nous ignorons le moment de notre mort ; l’autre pou nous faire comprendre la rigueur des souffrances du purgatoire.
  Il arriva plusieurs fois que la cloche du chapitre sonna d’elle-même, sans être touchée, et l’expérience
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fit connaître que c’était l’avertissement de la mort prochaine de quelqu’un des religieux. Ainsi, quand on entendait ce son retentir tout-à-coup, bien qu personne ne fût malade dans le couvent, chacun se disposait au redoutable passage par la réception des sacrements, par des prières et des pénitences. Le battement de cœur général ne cessait que lorsqu’un des religieux était frappé et quittait la terre. Cette cloche était pour eux cette voix dont, il est parlé dans Isaïe,38,1 : Mets ordre à la maison ,car tu vas mourir et ta vie est à son terme.
Le second trait vient plus directement à notre objet. Il y avait, dans ce même couvent de Saint-Dominique, un religieux de grande vertu uni d’étroite amitié avec un moine de Saint-François non moins saint. Leurs goûts de piété et leur commune aspiration à la perfection les portaient à discourir souvent des choses spirituelles. UN jour, s’entretenant de la mort à l’occasion de la cloche merveilleuse, ils s’engagèrent mutuellement à se visiter quand ils seraient morts, c’est-à-dire que le premier apparaîtrait  au survivant, s’il plaisait à Dieu, pour l’instruire de sa position et de son sort dans l’autre monde, afin que, s’il gémissait dans le purgatoire, il pût être soulagé par les prières de son ami. Ce fut le frère Mineur qui fut appelé le premier dans l’éternité. Fidèle à son engagement, il apparut au Dominicain, à l’heure où l’obéissance l’avait conduit à préparer le réfectoire pour le repas de la communauté. Après l’avoir salué affectueusement, il lui apprit que la divine miséricorde l’avait sauvé, mais qu’il lui restait beaucoup à souffrir pour l’expiation d’une infinité de choses légères dont il n’avait pas eu un assez vif repentir. Puis, afin de l’exciter
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davantage à travailler par ses bonnes œuvres à sa délivrance, il lui laissa entrevoir les flammes cruelles dont il était dévoré. « Rien sur la terre, lui dit-il, ne peut vous donner une idée de ces tortures ? En voulez-vous une preuve sensible ? »Il étendit la main droite sur la table du réfectoire, et la marque s’y enfonça aussitôt profondément, comme si on y avait passé un fer rouge. Je laisse à  penser l’émotion du bon religieux, et avec quelle ardeur il s’occupa se son défunt ami. On conservera la table comme un monument du miracle, et elle se voit encore à Zamorra au moment où j’écris (1); pour la préserver, on l’a recouverte d’une feuille de cuivre.
  Ces deux merveilles contribuèrent puissamment à développer chez les religieux de Saint-Dominique le pansée fréquente et fructueuse de la mort, et la crainte des châtiments de l’autre vie. Un poète espagnol écrivit à ce sujet les vers suivants :
Horride fumantem monstrant vestigia dextram,
Inque suis venis flamma cremat.
Vindicis ardorem, quem nulla referre
Lingua patest, poterit sat manus ista toqui.
 
Ce qui signifie : »Ces terribles marques accusent une main consumée par le feu, et la flamme qui s’y cache est dévorante. Aucune langue n’en peut rendre l’ardeur vengeresse, mais la main elle-même a parlé mieux qu’aucune langue du monde ! »
(V.Ferdinand de Castille, Histoire de Saint Domi
nique, 2e part, I. i, ch 23.)
(1) Vers le milieu du siècle dernier.

29ème Merveilles
LES INDULGENCES
In praesculi tempore, uestra abundantia
Illorum inupiam suppleat : Qu’en ce moment
voite abondance supplée à tout ce qui leur manque(II Cor.8,14)
Pour faire comprendre le prix des indulgences en faveur des âmes du Purgatoire, nous mettrons ici le trait admirable du bienheureux Berthold, prédicateur de l’ordre de Saint-François. Il venait de faire un sermon très émouvant sur l’aumône, et il avait accordé à ses auditeurs dix jours d’indulgences, selon le pouvoir qu’il en avait reçu de Souverain-Pontife, lorsqu’une dame de condition, qui n’avait conservé de son ancien rang que la crainte d’avouer sa misère présente, vint la lui exposer secrètement. Le bon père lui fit la même réponse qu’autrefois saint Pierre au boiteux de Jérusalem : »Je n’au in argent ni or ; mais ce que j’ai , je vous le donne. Je vous renouvelle l’assurance que vous avez gagné dix jours d’indulgences en assistant ma prédication ce matin, car le Saint-Père m’a honoré de ce privilège pour le bien des âmes que je suis appelé à évangéliser. Allez donc chez tel banquier, lequel n’a guère en souci jusqu’à présent des trésors spirituels, et offrez-lui, en retour de l’aumône qu’il vous fera, de lui céder votre mérite, afin que les peines qui l’attendent
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dans le Purgatoire en soient diminuées j'ai tout lieu de croire qu'il vous
donnera quelques secours." La pauvre femme s'y rendit en toute simplicité et
avec beaucoup de foi Dieu permit que cet homme l'accueillit avec bonté il
lui demanda combien elle prétendait recevoir en échange de ses dix jours
d'indulgence -"Autant répondit-elle, qu'ils pèsent dans la balance !" Elle
se sentait animée par une force intérieure -"Eh bien, reprit le banquier,
voici des balances : écrivez sur un papier vos dix jours et le mettez dans
l'un des plateaux ; je pose sur l'autre un réal (petite monnaie espagnole valant environ 27 centimes de franc en 1866.) ." O prodige le premier
plateau ne s'élève pas mais au contraire entraine celui de l'argent étonné
l'homme ajoute un réal qui ne change rien à ce poids il en met cinq dix
trente enfin autant qu'il en fallait à la suppliante dans sa nécessité
actuelle alors seulement les deux plateaux s'équilibrent ce fut la valeur
des intérêts célestes mais les pauvres âmes la comprennent bien mieux encore
pour la plus légère indulgence elles donneraient tout l'or du monde c'est
pourquoi elles les appellent de tous leurs soupirs nous conjurant de les
leur procurer par charité nous à qui la bonté divine les prodigue la
bienheureuse Marie de Quito fut ravie en extase et elle vit au milieu d'une
grande place une table chargée de monceaux d'argent d'or de rubis de perles
de diamants en même temps elle entendit une voix qui disait :"Ces richesses
sont publiques ; chacun peut s'approcher et recueillir autant qu'il lui
convient." Dieu lui fit
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connaître que c'était une image des indulgences combien donc ne sommes-nous
pas coupables dans une abondance pareille de rester pauvres et dénués pour
nous-mêmes et de ne point songer à ceux qui dans le purgatoire pourraient
être enrichis par nous qui nous supplient avec larmes au milieu de leurs
tourments ce trésor exige                   t-il des efforts pénibles des
jeûnes des voyages des privations insupportables à la nature ? Quand même
cela serait il faudrait nous y résoudre comme le disait éloquemment
l'illustre P.Ségneri qui oppose à notre insensibilité le zèle d'un amateur
des arts s'exposant au milieu d'un incendie pour sauver une toile mais la
bonté infinie de Dieu n'en demande pas tant elle attend de nous des oeuvres
simples une communion la visite d'un sanctuaire voisin de notre habitation
une petite aumône un mot de cathéchisme dit à des enfants abandonnés etc et
nous négligeons l'acquisition aisée d'un tel trésor et nous n'avons point
d'ardeur pour l'appliquer à tous ces malheureux qui gémissent dans les
flammes un second exemple Sainte Madeleine de Pazzi avait dans son monastère
de Florence une religieuse d'éminente vertu elle l'assista avec la plus
grande charité pendant sa dernière maladie et lui ferma elle-même les yeux
quand le corps eut été porté à l'église pour les funérailles la sainte se
retira dans la salle du chapitre d'ou elle voyait la bière et priant pour sa
chère défunte elle fut à ce moment favorisée d'une vision elle aperçut l'âme
de la religieuse plus belle que le soleil s'élever au Ciel enivrée de
bonheur -" Adieu, ma soeur, s'écria Madeleine ; adieu âme bienheureuse, vous
105
vous en allez donc en paradis m'abandonnant dans cette vallée de larmes Oh
que grande est votre gloire qui pourrait exprimer l'éclat de ce triomphe  et
comme l'épreuve du purgatoire a pour vous été courte vos restes mortels ne
sont point encore dans leur dernière demeure et déjà vous entrez dans
l'éternelle patrie vous voyez maintenant la vérité de ce que je vous disais
que les misères de cette vie  et l'expiation passagère du purgatoire ne sont
rien comparées à ce que l'époux vous réservait auprès de lui !" il lui fut
révélé par Notre Seigneur que cette âme n'était restée que quinze heures
dans le purgatoire en vertu des indulgences dont on lui avait appliqué les
mérites pendant toute la cérémonie de l'enterrement Madeleine ne put
distraire sa pensée d'un si beau et si consolant spectacle.
(V.Chroniques des frères Mineurs, 2e part, liv,
II, ch. 30; Vie de sainte Madeleine de Pazzi,
1er part, h.39 )
 

105
XXXe  MERVEILLE.
La protection des saints utile.Après la mort, a qui l'a invoquée ici-bas.
Adaliquem sanctorum couveriere ; vora si
est qui tibi respondent
Tournez-vous vers quelqu'un des saints ;
appelez pour qu'on
vous réponde. (Job. v.)
La dévotion envers les saints qu'elle a eu la fidelité d'invoquer souvent
pendant la vie est une source d'avantages
106
précieux pour l'âme soumise au feu du purgatoire nous avons sur ce point une
miraculeuse vision de la bienheureuse Jeanne de la Croix religieuse de
Saint- François et fidèle épouse de Jésus-Christ un prélat éminent après
avoir eu pour elle pendant quelque temps de l'affection et du respect
changea entièrement de sentiments et ne la vit plus qu'avec peine et
répugnance à la suite d'une admonition charitable que la servante de Dieu
avait été inspirée de lui faire cet ecclésiastique oubliant parfois les
devoirs de sa profession tombait dans certains défauts de langue dans une
démarche trop fière et dans l'oubli des âmes qui lui étaient confiées il
mourut bientôt a peine la vertueuse fille l'eut-elle appris que voulant
rendre le bien pour le mal elle s'employa à procurer à cette âme tous les
suffrages en son pouvoir une nuit qu'elle se livrait plus spécialement à la
prière dans cette intention le défunt lui apparut avec un visage tout abattu
et lamentable il avait à la bouche des chaines ses vêtements n'étaient que
de misérables haillons il était humilié au-delà de toute expression et comme
il ne pouvait parler les soupirs qu'il laissait échapper manifestaient ses
tourments on voyait sur son front et sur sa tête certaines taches indices
des péchés qu'il avait commis derrière lui suivaient quelques âmes qu'il
avait portées au péché par ses exemples de relâchement les démons
l'environnaient aussi et le tourmentaient de mille façons à la fois
douloureuses et humiliantes la bienheureuse Jeanne en fut toute consternée
et avec d'autant plus de raison qu'elle ignorait si c'était les peines de
l'enfer ou celles du purgatoire elle s'adressa à son ange gardien dont la
présence lui
107
était sensible mais il lui répondit :" Dieu vous le fera savoir en temps
utile." Elle persévéra donc à prier et à conjurer la clémence divine d'avoir
pitié de cette âme infortunée pour laquelle elle espérait encore elle aimait
à se rappeler les bonnes oeuvres qu'elle avait accomplies durant sa vie et
surtout la tendre dévotion qu'elle avait eue envers un saint dont
l'historien ne nous a pas conservé le nom. "Seigneur disait Jeanne vous
savez avec quel empressement et quelle confiance ce prélat servait le saint
patron qu'il s'était choisi quels devoirs il lui rendait avec quelle
tendresse il implorait ses suffrages il avait fait dessiner son image et la
tenait toujours près de lui afin de n'en point perdre le souvenir ayez égard
je vous en conjure à ces bonnes pratiques de sa foi et le délivrez des
supplices ou vous  me l'avez fait voir." Pendant plusieurs jours elle redit
cette prière tout -à-coup la porte de sa cellule s'ouvre l'image du saint se
présente et derrière elle l'âme du prélat mais non plus dans le même état de
désolation et de souffrance après avoir salué Jeanne elle lui dit : " Je
suis celui pour lequel vous avez tant prié grâce à votre intercession et à
celle de mon bienheureux patron dont vous voyez ici l'image le Dieu de toute
bonté a usé envers moi de miséricorde cette image a été mon bouclier contre
les assauts du démon le Seigneur allége mes tourments mon épreuve touche à
sa fin et j'espère que vous  travaillerez encore   à l'abréger ô ma soeur
vous que j'ai autrefois méconnue  -    qu'il en soit ainsi
s'écria Jeanne et que bénit soit Dieu pour la consolation que j'éprouve à
vous savoir préservé de l'enfer j'avais redouté ce sort affreux quand vous
m'êtes apparu pour la
108
première fois." Le défunt lui demanda de nouveau pardon pour les chagrins
qu'il lui avait causés el la remercia de ses saintes prières Jeanne continua
d'intercéder en sa faveur jusqu'au moment ou elle connut par révélation sa
délivrance c'est elle qui fit tout ce récit à ses religieuses afin
d'augmenter en elles tout à la fois la crainte des jugements de Dieu la
dévotion aux saints et le zèle pour les âmes du Purgatoire.
(V. Chroniques des Frères Mineurs par Cimarello,
4e P.liv. II, chap. 18 ; Triomphe des  âmes, par Ségala, 2e p., ch.VII, II. 4.)

108
31e Merveille   Reconnaissance des âmes pour leurs bienfaiteurs.
Bené  egistis, et reddidistis vicem beneretis ejus :
Vous avez bien agi en rendant le bien pour le bien. (Juges, IX, 16.)
Si le sentiment de la gratitude se rencontre quelque part c'est certainement
dans les  âmes délivrées du Purgatoire je vais en donner une preuve nouvelle
sur la foi de graves auteurs en Bretagne un homme  occupé de toutes les
affaires du siècle menait cependant une vie fort religieuse parmi ses autres
vertus on remarquait une grande charité envers les pauvres défunts pour
lesquels il offrait nombre de prières d'aumônes de pénitences et autres
oeuvres méritoires il ne passait jamais dans
110
ne saurions lui en témoigner assez pour tout le bien que sa piété généreuse
nous a fait à nous surtout qui attendons dans ce cimetière la résurrection
suprême ." Aussitôt un fracas extraordinaire eut lieu tout autour du vicaire
épouvanté il lui sembla que les ossements sortaient des tombeaux se
réunissaient et que le reste du passage d'Ezéchiel s'accomplissait :Factus
est sonitus et commotio et accesserunt ossa unumquodque ad juncturam suam en
même temps l'église paraissait illiminée les morts se rangèrent dans le
choeur et commencèrent à chanter solennellement quand il fut fini la même
voix qui avait donné l'ordre au commencement se fit de nouveau entendre et
prescrivit aux corps de retourner dans leur demeure funèbre ce qui s'exécuta
pendant que les lumières de l'autel s'éteignaient d'un seul coup le prêtre
qui était demeuré comme cloué à sa place osant à peine respirer put alors
rentrer librement dans le lieu saint et y déposer le ciboire puis il courut
raconter sa vision au curé aussi émerveillé que lui mais doutant de la
réalité au moment ou il disait :"Au moins faudrait-il savoir si réellement
le malade est mort ce qui est peu vraisemblable," on frappe à la porte et un
messager vient apporter la nouvelle du décès qui avait eu lieu à l'heure
même de la vision l'impression du vicaire fut si forte qu'il dit adieu au
monde renonça à toute espérance terrestre et alla s'enfermer dans le
monastère de Saint - Martin à Tours dont il fut plus tard élu prieur il est
superflu sans doute d'ajouter que tout le reste de sa vie fut employée à
prier pour les âmes du purgatoire et à demander à
111
Dieu  leur délivrance assuré qu'à leur tour elles ne l'abandonneraient point
au jour du jugement.
 (V. Alexis Segala, Trimph, animarum, 2e p., ch. XXII, n. 1 ; P.
Martin, de Roa, De statu  animarum, ch. XXI.)
 
111
32ème Merveille
celui qui souffre pieusement ici-bas va tout droit au repos éternel.
Esque in tempus sustinchit patiens, et posted redditio juennditatis :
L'homme patient attendra la fin de ses maux jusqu'au temps destiné de Dieu pour les faire cesser, et après cela la joie lui sera rendue. (Eccli. I , 29.)
L'empereur Maurice était bien inspiré lorsque interrogé miraculeusement par
le Sauveur s'il préférait expier ses fautes ici-bas ou dans le purgatoire il
répondit avec empressement : " Ici-bas, Seigneur ! j'aime mieux souffrir
ici-bas !" Un autre personnage n'eut pas la même sagesse c'était un
religieux de Saint- François un ange se manifesta à ses yeux et lui dit de
choisir entre une longue maladie et un purgatoire très-court il se détermina
pour celui-ci parce que déjà depuis longtemps il était malade en proie à une
extrême tristesse et à charge lui paraissait-il à ses frères il jugeait donc
meilleur d'abandonner la terre et la prison de son corps. " O mon Dieu
disait-il par pitié appelez-moi hors de ce monde secourez votre malheureux
112
serviteur je ne trouve de repos ni le jour ni la nuit tant sont cruelles les
douleurs qui me tourmentent elles augmentent sans cesse je n'ai plus la
force de les supporter si mes fautes me rendent indigne d'être délivré ayez
égard Seigneur aux mérites de mes frères qui se sacrifient autour de mon lit
d'agonie ayez pitié d'eux et de moi et s'il n'y a point d'autre voie vienne
plutôt la mort je l'accueillerai comme envoyée par votre clémence c'est
alors que l'ange descendit du ciel pour le fortifier et lui proposer
l'alternative :" Puisque vous vous fatiguez de souffrir dans cette vie  vos
prière ont été entendues Dieu vous permet de décider vous-même  votre départ
immédiat de ce monde ou le prolongement de vos douleurs terrestres si vous
adoptez ce dernier parti vous avez encore une année de maladie après
laquelle vous monterez au ciel directement mais si vous préférez mourir vous
aurez à subir trois jours de purgatoire pour achever de vous purifier de vos
fautes choisissez librement." Le pauvre religieux tout à sa souffrance
présente qui lui paraissait insupportable et ne songeant  point à ce qui
l'attendait dans le lieu de l'expiation répondit :" J'aime mieux mourir  au
risque d'être tourmenté dans le purgatoire non pas seulement trois jours
mais autant qu'il plaira à Dieu car ma vie présente est une mort  de chaque
minute et je ne pense pas que je puisse trouver rien de comparable. - Eh
bien  répondit l'ange il sera fait comme vous le souhaitez. Vous allez
mourir aujourd'hui. Munissez-vous donc des sacrements au plus tôt." Le
malade raconta sa vision et réclama les secours de la sainte Eglise puis il
expira et son âme fut portée au purgatoire.
113
Au bout d'un temps qu'on peut comparer à la durée d'un jour si toutefois
cette expression de temps et de jour convient à l'éternité le même ange vint
le visiter et lui demanda que lui semblait de l'épreuve à laquelle il était
soumis si elle lui paraissait moins pénible que ses souffrances de la terre
"Oh ! combien j'ai été aveugle ! répondit l'âme; mais combien aussi vous
avez été cruel, vous qui m'aviez parlé de trois jours et qui me laissez ici
des siècles !Qu'elles sont longues les années dont je vois se dérouler pour
moi l'interminable série ! et encore rien ne m'annonce une délivrance
prochaine !  -  Eh quoi ! repartit l'ange, est-ce donc ainsi qu'une âme
infortunée peut tomber dans l'erreur ! il n'y a pas vingt-quatre heures que
vous êtes au purgatoire, et vous vous lamentez de la sorte, et vous
m'accusez de vous avoir trompé !  Ce n'est point le temps, c'est la rigueur
de la peine qui vous fait raisonner ainsi. Un instant vous paraît un
siècle.Croyez donc bien qu'il n'y a pas encore un jour que vous souffrez ;
votre corps n'a pas reçu encore la sépulture. Toutefois, si vous vous
repentez de votre choix, Dieu consent à ce que vous retourniez sur la terre
pour y subir l'année de maladie qui vous était réservée. -  Oh ! oui,
s'écria l'âme avec joie, oui je préfère ce parti, je le demande en grâce !
l'expérience a changé mes pensée. Plutôt deux, trois, quatre années de
maladies affreuses, qu'une seule heure dans ce séjour d'inexprimables
angoisses !" L'ange alors reporta l'âme dans le corps qu'elle anima de
nouveau à la vue de la communauté saisie d'étonnement et de crainte dès que
le ressuscité put parler il révéla tout ce qui était advenu et en prit texte
pour exhorter ses frères à faire une plus rigou -
114
reuse pénitence de leurs moindres fautes afin d'éviter les tourments que la
divine justice leur a préparés dans l'autre monde pour lui il supporta avec
joie les souffrances diverses de son infirmité trop heureux de racheter
par-là les instants plus courts mais si affreux dont il avait connu
l'amertume au bout d'un an il mourut et on a tout lieu de croire qu'il monta
droit au séjour du bonheur promis ce trait qui paraît certain justifie
pleinement le mot de saint Augustin au sujet du purgatoire :" Un seul jour
dans ce lieu d'expiation peut-être comparé à mille ans de supplices
terrestres." Et il ajoute ailleurs (in ps.75) : "Le feu y est plus
insupportable que tout ce qu'on peut endurer ici-bàs : Gravior erit ille
ignis quàm quicquid potest pati homo in hâc vitâ."
(V. Luc de Wadding, Ann. Minor, anno 1183,  n° 9).

114
33ème Merveille
sainte usure de ceux qui appliquent leurs oeuvres au soulagement des défunts.
Benefac justo, et invenies retributianein magnam :
Faites du bien au juste, et vous aurez une grande récompense. (Eccli. XII, 2.)
Il ne faut pas oublier combien de mérites de prières et de grâces s'assure à
lui-même celui qui offre ses bonnes oeuvres pour racheter les âmes du
purgatoire
115
les mettre en liberté et les envoyer au ciel on peut dire qu'il travaille à
peupler le ciel mais qu'en même temps il s'y prépare des avocats intéressés
par la reconnaissance à lui obtenir à la fois ce qui lui est nécessaire
ici-bàs et ce qui assurera son salut dans l'autre vie je dirai même que les
anges gardiens de ces âmes se trouvent en quelque sorte obligés à le
favoriser à cause de ce qu'il a fait pour leurs pupilles les bienheureux le
regardent avec des yeux pleins d'affection parce qu'il a augmenté leur
nombre la divine Marie le cache sous son manteau pour avoir contribué à la
couronne de ces âmes qui ont coûté tout le sang de son Fils Jésus-Christ
lui-même quelles bénédictions quelles faveurs quelle rémunération ne
versera-t-il pas sur celui qui coopère généreusement à son oeuvre de
Rédempteur voici à ce sujet une petite histoire il y avait au récit de
Denys-le-Chartreux une vierge remplie de piété nommée Gertrude qui chaque
matin par une charité singulière faisait donation aux âmes du purgatoire de
tout ce qu'elle acquerrait de mérites devant Dieu pendant la journée sans en
rien retenir pour elle bonnes oeuvres aumônes prières mortifications etc.
Bien plus dans sa grande foi elle suppliait Notre Seigneur de vouloir
appliquer lui-même ce trésor suivant ses divines lumières Jésus-Christ lui
fit plusieurs fois connaitre miraculeusement les âmes qui en avaient le plus
besoin et alors elle redoublait pour elles de ferveur de pénitences et de
prières et ne s'arrêtait point qu'elle ne crût avoir procuré leur délivrance
quelques travaux qu'une semblable pratique coûtat à la nature souvent ces
âmes lui apparaissaient au moment de se réunir au Seigneur et la comblaient
de  bénédictions
116
Elle arriva chargée de mérites plus encore que d'années à la vieillesse
couchée sur son lit de mort elle fut assaillie de tentations du démon qui
cherchait à lui persuader qu'elle avait délivré tant d'âmes du purgatoire
justement pour aller occuper leur place et souffrir plus qu'elles il  lui
représenta les horribles supplices auxquels elle serait soumise par la
justice divine pour l'expiation de ses moindres fautes puisqu'elle n'avait
réservé pour elle-même rien de tous les mérites de sa vie les prodiguant à
des étrangers et à des inconnus elle commença donc à gémir -" Oh ! que je
suis malheureuse ! se disait-elle : dans peu d'instants je vais mourir ; je
vais rendre de toutes mes actions le compte le plus rigoureux et le plus
sévère comment pourrai-je être délivrée après que je n'ai rien gardé pour
moi de mes bonnes oeuvres depuis tant d'années ? j'ai donc en perspective un
effroyable purgatoire actuelle, sans adoucissement sans réserve de
compensation actuelle ! Mon Dieu le permettez-vous ?" Pendant qu'elle était
en proie à cette angoisse elle voit paraître devant elle Notre Seigneur son
époux céleste qui lui adresse la parole :"Quel est donc, ô Gertrude le sujet
de ta tristesse ? " Elle répond : " Seigneur je m'afflige parce que je me
vois sur le point de mourir sans aucun capital de bonnes oeuvres qui
puissent satisfaire pour tant d'offenses que j'ai commises car je me suis
dépouillée en faveur des âmes souffrantes vous le savez bien !" Alors le
Sauveur lui souriant doucement la consola "Ma fille Gertrude, lui dit-il
afin que tu saches combien m'a été agréable ta charité envers ces âmes et ta
dévotion je te remets en ce moment même sans exception toutes les peines qui
117
t'eussent été réservées de plus moi qui ai promis cent pour un à ceux
qu'anime mon amour je veux encore te récompenser en augmentant le degré de
gloire qui t'attend là-haut toutes les âmes que tu as soulagées viendront
par mon ordre à ta rencontre et t'introduiront dans le Jérusalem éternelle
au milieu de leurs cantiques de joie." L'allégresse de la sainte ne put se
contenir à cette belle et toute divine assurance elle eut à peine le temps
d'en faire part à ses soeurs qu'elle expira le sourire sur les lèvres les
yeux animés d'une clarté merveilleuse comme une prédestinée qui ne doute
point de son sort (V. Denys-le-Chartreux, cité par le P.Martin de Roa dans
son livre De statu. animarum, 20.)

117
34ème Merveille
Le sang de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie
Il nous a purifié de son sang (Apocalypse I, 5)
nous avons eu déjà l'occasion de rappeler au lecteur que de
tout ce qu'on peut entreprendre en faveur des âmes du purgatoire il n'est
rien d'aussi précieux que l'immolation du divin Sauveur à l'autel outre que
c'est la doctrine expresse de l'Eglise manifestée dans nombre de conciles
des faits miraculeux authentiques ne laissent point de doute à cet égard
118
Il y a à Cologne parmi les étudiants des cours supérieurs de l'université
deux religieux dominicains d'un talent distingué dont l'un était le
bienheureux Suzon les mêmes études le même genre de vie et par-dessus tout
le même goût pour la sainteté leur avaient fait contracter une amitié intime
et ils se faisaient confidentiellement part des faveurs spirituelles qu'ils
recevaient du ciel c'est ainsi que le bienheureux dévoila à son ami un fait
qu'il tenait caché un jour qu'ils s'entretenaient ensemble des mystères de
la vie de Notre-Seigneur il lui fit voir le nom de Jésus qu'avec une pointe
de fer il s'était gravé au vif sur la poitrine afin de ne l'oublier jamais
dans les mouvements de son coeur le bon frère en fut si frappé si ému qu'il
demanda et reçut la permission d'appliquer ses lèvres sur cette plaie
glorieuse et il la mouilla de ses larmes quand ils eurent terminé leurs
études se voyant à la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur
couvent ils convinrent  et se promirent mutuellement que le premier des deux
qui mourrait serait secouru par l'autre une année entière de deux messes par
semaine : le lundi une messe de Requiem selon l'usage et le vendredi celle
de la passion autant que le permettraient les rubriques ils s'y engagèrent
se donnèrent le baiser de paix et quittèrent Cologne pendant plusieurs
années ils continuèrent chacun de leur côté à servir Dieu avec la plus
édifiante ferveur le frère fut le premier appelé au jugement et Suzon en
reçut la nouvelle avec de grands sentiments de soumission à la divine
volonté quant à l'engagement qu'il avait pris le temps le lui avait fait
oublier il priait beaucoup pour son ami s'imposait en sa faveur des
pénitences nouvelles
119
et bien des oeuvres saintes mais ne songeait point à dire les messes
convenues un matin qu'il méditait à l'écart dans une chapelle il voit tout
d'un coup paraître devant lui son cher défunt qui le regardant tendrement
lui reproche d'avoir été infidèle à une parole donnée acceptée sur laquelle
il avait droit de compter le bienheureux surpris chercha à s'excuser sur son
oubli involontaire sur les oraisons et mortifications qu'il avait faites et
faisait encore pour un ami dont le salut lui était aussi précieux que le
sien même. " Oh ! non, non, mon frère, reprit l'âme souffrante ; non cela ne
me suffit pas ! c'est le sang de Jésus-Christ qu'il faut pour éteindre les
flammes dont je suis consumé ; c'est l'auguste sacrifice qui me rachètera de
ces tourments épouvantables je vous conjure de tenir votre parole. Ne me
refusez pas cette justice, ô mon frère." Suzon s'empressa de lui dire qu'il
s'acquitterait et qu'il dirait encore plus de messes qu'il n'en avait promis
afin de réparer sa faute involontaire autant qu'il était en lui dès le
lendemain plusieurs prêtres avertis par le bienheureux s'unirent à lui au
saint autel et continuèrent plusieurs jours cet acte de charité le défunt
revint au bout de ce temps mais non plus dans la tristesse et l'abattement
la joie brillait sur son front une vive et pure lumière l'environnait et il
paraissait parfaitement heureux "Je vous rends grâces, mon fidèle ami, lui
dit-il du soulagement que je vous dois.Me voici , grâce au sang du Seigneur,
délivré de l'épreuve             et je monte au ciel ou je pourrai
contempler celui que nous avons si souvent  adoré ensemble sous les voiles
eucharistiques et dont le sang vient encore de me purifier." Suzon se
prosterna à son tour pour remercier la Dieu de toute
120
miséricorde et il comprit mieux que jamais l'inestimable prix du sacrifice
auguste de nos autels. ( V. Ferdinand de Castille, Histor. S. Dominici. 2e
p., 1.2, c. 1.)

120
35ème Merveille        Il vaut mieux mourir avec la certitude d'aller en Purgatoire,
                                                            que de vivre en danger de péché.
Ils ont mieux aimé mourir que de violer la loi de Dieu
(I Mach. I,63)
Le trait que nous allons rapporter convaincra le lecteur chrétien qu'on doit
envisager la mort comme un avantage même en étant assuré de souffrir
beaucoup dans les flammes expiatoires en comparaison d'une vie exposée à
l'offense de Dieu il y verra de plus le confirmation manifeste de la
doctrine catholique sur le purgatoire et sur la prière pour les morts car le
miracle a eu pour témoin non pas telle personne mais toute une ville saint
Stanislas évèque de Cracovie (vers l'an 1070) avait acheté d'un paysan nommé
Pierre un bien de campagne pour son église il paya intégralement le prix
convenu sans toutefois exiger de reçu en forme depuis trois ans déjà le
vendeur était passé de vie à trépas lorsque ses héritiers voyant que le roi
Boleslas prince injuste et cruel était irrité contre le saint
121
à cause des remontrances qu'il lui faisait sur sa conduite scandaleuse
songèrent à mettre à profit cette circonstance ils intentèrent à l'évèque un
procès l'accusant de s'être emparé sans aucun titre d'un héritage qui leur
appartenait à eux-mêmes le roi admit très volontiers la cause et comme le
saint avait effectivement négligé les formalités ordinaires ne pouvant
prévoir tant de mauvaise foi il fut condamné à payer de nouveau ce qui lui
appartenait légitimement ou à faire aussitôt restitution pure et simple de
la propriété Stanislas mu par une inspiration déclara que puisqu'il ne
pouvait obtenir justice des vivants il l'obtiendrait des morts dont le
témoignage trancherait la question c'est pourquoi il demanda un délai de
trois jours à l'effet d'invoquer la déposition du vendeur Pierre que l'on
savait défunt depuis plusieurs années les juges se moquèrent d'une pareille
réclamation qui leur parut une folie et cependant y firent droit au milieu
de plaisanteries et de paroles offensantes rentré dans sa maison Stanislas
assemble ses prêtres les invite à prier avec lui et à jeuner durant trois
jours sans goûter le sommeil afin d'obtenir de Dieu qu'il prenne en main la
cause de la justice le troisième jour donc après avoir célébré
solennellement le saint sacrifice à cette intention gardant ses ornements
pontificaux il se mit en marche vers le cimetière suivi de tout son clergé
et d'une foule de peuple que ce spectacle avait attiré arrivé auprès de la
tombe il ordonna d'ôter la pierre sépulcrale et de creuser jusqu'au cadavre
qui n'était plus que des ossements arides et sans forme quand ils eurent été
mis à jour l'évèque s'agenouille lève les yeux au ciel et conjure le
122
Seigneur de faire un miracle devant cette ville attentive pour la
glorification de son Nom et pour le triomphe de l'équité puis touchant de
son bâton pastoral ces restes inanimés il leur dit comme autrefois le
prophète Ezéchiel : "Ossa arida, audite verbum Domini : Ossements desséchés,
écoutez la parole du Seigneur Dieu !" il leur commande au nom du Père du
fils et du Saint-Esprit de s'animer de nouveau et de rendre témoignage à la
vérité O merveille aussitôt ces restes sans nom s'agitent la poussière se
change en chair le mort se dresse sur ses pieds et sortant du sépulcre
s'avance vers le pontife qui le conduit d'abord à l'église pour remercier
Dieu au milieu du peuple puis au tribunal dans ce moment-là même le roi s'y
trouvait entouré des grands et de tous les magistrats on lui annonce que
Stanislas arrive processionnellement avec son clergé et avec Pierre
ressuscité le prince n'en veut rien croire mais il faut bien se rendre à
l'évidence lorsque le prélat entre dans la salle s'arrête en face du trône
et parle ainsi :" Je vous amène, Sire, l'homme qui m'a vendu cette terre :
il a quitté la région des morts pour rendre hommage à la vérité
interrogez-le il parlera lui-même il vous dira si j'ai réellement acheté son
héritage et si je lui en ai remis la valeur l'homme est connu son tombeau
est encore ouvert Dieu l'envoie confondre l'imposture sa déposition vaudra
plus je le pense que la dénégation des autres témoins et que toutes les
signatures imaginables." Pierre alors élevant la voix attesta qu'il avait
reçu le prix entier de la terre vendue au saint prélat pour son église et
que ses trois neveux Pierre Jacques et Stanislas n'avaient
123
aucun droit à le troubler dans sa possession ensuite se tournant vers
ceux-ci qui étaient présents dans l'auditoire il les menaça de la justice de
Dieu qu'on ne peut tromper et d'une mort malheureuse avant peu s'ils ne
cessaient de réclamer ce qu'ils savaient bien ne point leur appartenir la
stupéfaction de l'assistance ne se peut rendre tous restaient cloués par la
terreur à la place ou ils se trouvaient les héritiers demeurèrent confondus
pendant que le roi rendait une nouvelle sentence en faveur de saint
Stanislas le ressuscité était toujours là l'évèque lui demanda s'il désirait
vivre encore quelques années il espérait en obtenir la grâce de celui qui
l'avait ressuscité pour peu de moments mais il répondit qu'il préférait
rentrer  au sépulcre et mourir de nouveau plutôt que de rester dans une vie
si misérable et si périlleuse il assura néanmoins que son âme était encore
en purgatoire et qu'il lui restait quelque temps à y souffrir pour se
purifier des dernières souillures de ses fautes que nonobstant les supplices
cruels auxquels il allait être rendu il les préférait de beaucoup à
l'incertitude ou l'on est ici-bas de plaire à Dieu et de faire son salut il
termina en disant que la plus grande grâce que le saint lui pouvait accorder
c'était de prier le Seigneur d'abréger le temps de son épreuve et de le
recevoir plus tôt parmi les élus puisqu'il avait l'assurance d'y être admis
un jour Stanislas le lui promit puis l'accompagna au cimetière avec tout le
clergé et la foule du peuple on récita sur lui les prières ordinaires de la
recommandation de l'âme pendant qu'il se couchait dans la tombe il renouvela
à tous les assistants la demande de prier pour lui ses ossements se
séparèrent de nouveau la
124
chaire tomba en poussière et on n'eut plus devant les yeux que les restes
informes de la matinée c'est une croyance dans le pays que saint Stanislas
obtint très promptement la délivrance de cette âme* de tout ceci nous devons
conclure avec un saint auteur combien nous sommes insensés de tant aimer la
vie lorsque nous connaissons les dangers qui nous y menacent du côté du
salut nous ne savons pas si nous persévèrons jusqu'à la fin si nous mourrons
dans les conditions nécessaires de contrition et de ferveur  et cependant
nous nous attachons à cette existence fragile et dangereuse comme s'il n'y
en avait pas d'autre pour nous quel aveuglement étrange quelle insensibilité
injustifiable !
(V. Laurent Surius, Vies des Saints ; et de plus les Acta
Sanctorum des Bollandistes, 7 mai, vie de saint Stanislas.)
*Ce saint mourut plus tard tué à l'autel par Boleslas II le hardi et son
cadavre traîné hors de l'église fut mis en pièces par les satellites du roi.
(Note du Trad.)
 
120
35ème Merveille        Il vaut mieux mourir avec la certitude d'aller en Purgatoire,
                                                            que de vivre en danger de péché.
Ils ont mieux aimé mourir que de violer la loi de Dieu
(I Mach. I,63)
Le trait que nous allons rapporter convaincra le lecteur chrétien qu'on doit
envisager la mort comme un avantage même en étant assuré de souffrir
beaucoup dans les flammes expiatoires en comparaison d'une vie exposée à
l'offense de Dieu il y verra de plus le confirmation manifeste de la
doctrine catholique sur le purgatoire et sur la prière pour les morts car le
miracle a eu pour témoin non pas telle personne mais toute une ville saint
Stanislas évèque de Cracovie (vers l'an 1070) avait acheté d'un paysan nommé
Pierre un bien de campagne pour son église il paya intégralement le prix
convenu sans toutefois exiger de reçu en forme depuis trois ans déjà le
vendeur était passé de vie à trépas lorsque ses héritiers voyant que le roi
Boleslas prince injuste et cruel était irrité contre le saint
121
à cause des remontrances qu'il lui faisait sur sa conduite scandaleuse
songèrent à mettre à profit cette circonstance ils intentèrent à l'évèque un
procès l'accusant de s'être emparé sans aucun titre d'un héritage qui leur
appartenait à eux-mêmes le roi admit très volontiers la cause et comme le
saint avait effectivement négligé les formalités ordinaires ne pouvant
prévoir tant de mauvaise foi il fut condamné à payer de nouveau ce qui lui
appartenait légitimement ou à faire aussitôt restitution pure et simple de
la propriété Stanislas mu par une inspiration déclara que puisqu'il ne
pouvait obtenir justice des vivants il l'obtiendrait des morts dont le
témoignage trancherait la question c'est pourquoi il demanda un délai de
trois jours à l'effet d'invoquer la déposition du vendeur Pierre que l'on
savait défunt depuis plusieurs années les juges se moquèrent d'une pareille
réclamation qui leur parut une folie et cependant y firent droit au milieu
de plaisanteries et de paroles offensantes rentré dans sa maison Stanislas
assemble ses prêtres les invite à prier avec lui et à jeuner durant trois
jours sans goûter le sommeil afin d'obtenir de Dieu qu'il prenne en main la
cause de la justice le troisième jour donc après avoir célébré
solennellement le saint sacrifice à cette intention gardant ses ornements
pontificaux il se mit en marche vers le cimetière suivi de tout son clergé
et d'une foule de peuple que ce spectacle avait attiré arrivé auprès de la
tombe il ordonna d'ôter la pierre sépulcrale et de creuser jusqu'au cadavre
qui n'était plus que des ossements arides et sans forme quand ils eurent été
mis à jour l'évèque s'agenouille lève les yeux au ciel et conjure le
122
Seigneur de faire un miracle devant cette ville attentive pour la
glorification de son Nom et pour le triomphe de l'équité puis touchant de
son bâton pastoral ces restes inanimés il leur dit comme autrefois le
prophète Ezéchiel : "Ossa arida, audite verbum Domini : Ossements desséchés,
écoutez la parole du Seigneur Dieu !" il leur commande au nom du Père du
fils et du Saint-Esprit de s'animer de nouveau et de rendre témoignage à la
vérité O merveille aussitôt ces restes sans nom s'agitent la poussière se
change en chair le mort se dresse sur ses pieds et sortant du sépulcre
s'avance vers le pontife qui le conduit d'abord à l'église pour remercier
Dieu au milieu du peuple puis au tribunal dans ce moment-là même le roi s'y
trouvait entouré des grands et de tous les magistrats on lui annonce que
Stanislas arrive processionnellement avec son clergé et avec Pierre
ressuscité le prince n'en veut rien croire mais il faut bien se rendre à
l'évidence lorsque le prélat entre dans la salle s'arrête en face du trône
et parle ainsi :" Je vous amène, Sire, l'homme qui m'a vendu cette terre :
il a quitté la région des morts pour rendre hommage à la vérité
interrogez-le il parlera lui-même il vous dira si j'ai réellement acheté son
héritage et si je lui en ai remis la valeur l'homme est connu son tombeau
est encore ouvert Dieu l'envoie confondre l'imposture sa déposition vaudra
plus je le pense que la dénégation des autres témoins et que toutes les
signatures imaginables." Pierre alors élevant la voix attesta qu'il avait
reçu le prix entier de la terre vendue au saint prélat pour son église et
que ses trois neveux Pierre Jacques et Stanislas n'avaient
123
aucun droit à le troubler dans sa possession ensuite se tournant vers
ceux-ci qui étaient présents dans l'auditoire il les menaça de la justice de
Dieu qu'on ne peut tromper et d'une mort malheureuse avant peu s'ils ne
cessaient de réclamer ce qu'ils savaient bien ne point leur appartenir la
stupéfaction de l'assistance ne se peut rendre tous restaient cloués par la
terreur à la place ou ils se trouvaient les héritiers demeurèrent confondus
pendant que le roi rendait une nouvelle sentence en faveur de saint
Stanislas le ressuscité était toujours là l'évèque lui demanda s'il désirait
vivre encore quelques années il espérait en obtenir la grâce de celui qui
l'avait ressuscité pour peu de moments mais il répondit qu'il préférait
rentrer  au sépulcre et mourir de nouveau plutôt que de rester dans une vie
si misérable et si périlleuse il assura néanmoins que son âme était encore
en purgatoire et qu'il lui restait quelque temps à y souffrir pour se
purifier des dernières souillures de ses fautes que nonobstant les supplices
cruels auxquels il allait être rendu il les préférait de beaucoup à
l'incertitude ou l'on est ici-bas de plaire à Dieu et de faire son salut il
termina en disant que la plus grande grâce que le saint lui pouvait accorder
c'était de prier le Seigneur d'abréger le temps de son épreuve et de le
recevoir plus tôt parmi les élus puisqu'il avait l'assurance d'y être admis
un jour Stanislas le lui promit puis l'accompagna au cimetière avec tout le
clergé et la foule du peuple on récita sur lui les prières ordinaires de la
recommandation de l'âme pendant qu'il se couchait dans la tombe il renouvela
à tous les assistants la demande de prier pour lui ses ossements se
séparèrent de nouveau la
124
chaire tomba en poussière et on n'eut plus devant les yeux que les restes
informes de la matinée c'est une croyance dans le pays que saint Stanislas
obtint très promptement la délivrance de cette âme* de tout ceci nous devons
conclure avec un saint auteur combien nous sommes insensés de tant aimer la
vie lorsque nous connaissons les dangers qui nous y menacent du côté du
salut nous ne savons pas si nous persévèrons jusqu'à la fin si nous mourrons
dans les conditions nécessaires de contrition et de ferveur  et cependant
nous nous attachons à cette existence fragile et dangereuse comme s'il n'y
en avait pas d'autre pour nous quel aveuglement étrange quelle insensibilité
injustifiable !
(V. Laurent Surius, Vies des Saints ; et de plus les Acta
Sanctorum des Bollandistes, 7 mai, vie de saint Stanislas.)
*Ce saint mourut plus tard tué à l'autel par Boleslas II le hardi et son
cadavre traîné hors de l'église fut mis en pièces par les satellites du roi.
(Note du Trad.)
 

125
36ème Merveille
Les justes eux-mêmes ne sont pas irrépréhensibles devant Dieu
Aucun homme n'est juste devant vous (Ps. CXI.II,2)
Le livre de l'Ecclésiastique compare le juste au soleil : Quasi sol refulgens mais de même qu'on découvre des taches dans cet astre lumineux les saints ont aussi leurs imperfections dont ils doivent être purifiés dans les flammes du purgatoire avant de recevoir
la couronne de l'immortalité et de jouir pleinement de Dieu il n'y a point
d'homme si parfait qui ne touche la terre des pieds tout en ayant les yeux
élevés au ciel dans le couvent des Frères-Mineurs de Paris mourut un
religieux que sa piété éminente avait fait surnommer l'Angélique et c'était
véritablement un ange de perfection spirituelle dans une chair mortelle et
fragile il y avait parmi ses confrères un lecteur de théologie savant dans
les choses de l'âme lequel bien qu'il n'ignorât pas l'obligation commune de
célébrer trois messes en faveur de chaque moine qui mourrait dans la maison
omit de s'acquitter de ce devoir dans cette circonstance il lui semblait
inutile d'intercéder pour une âme dont la vie avait été si vertueuse et qui
devait être dès maintenant pensait-il au plus haut degré de
126
la gloire mais au bout de quelques jours comme il se promenait un matin dans
les allées du jardin tout entier à ses méditations théologiques il voit
subitement le défunt se présenter devant ses yeux et il l'entend lui dire
d'un ton lamentable : "Cher maître je vous en conjure ayez compassion de moi
!" Surpris de cette apparition et de cette demande : "Eh quoi ! âme sainte
répondit-il quel besoin as-tu de mon secours ?  - Je suis retenu dans les
feux du purgatoire, reprit le défunt dans l'attente des trois messes que
vous deviez célébrer pour moi. Si vous vous acquittiez de cette obligation,
je serais tout aussitôt  introduit dans la Jérusalem céleste. - Ah !
répondit le religieux je l'aurais fait avec bonheur si j'avais pu penser que
vous en dussiez éprouver du soulagement mais en songeant à la vie si sainte
que vous aviez menée parmi nous je m'imaginais que la couronne vous avait
été donnée tout de suite au sortir de ce monde  n'étiez-vous pas le premier
et le plus édifiant au choeur au chapitre à l'oraison ? y avait-il un seul
point de la règle auquel vous ne fussiez scrupuleusement fidèle ? chacun
vous admirait il atteindrait la perfection de sa vocation religieuse ne
faisiez-vous pas en outre de vos obligations des prières et des pénitences
sans nombre qui rendraient votre vie un acte de vertu continuel ? non je
n'aurais pu croire qu'il y eût encore à s'inquiéter pour vous     hélas !
hélas ! dit le défunt personne ne croit personne ne comprend avec quelle
sévérité Dieu juge et punit sa créature son infinie sainteté découvre dans
nos meilleures actions des côtés par ou elles pêchent et lui dé-
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37ème Merveille
ON NE SORT DU PURGATOIRE QU’APRES UNE EXPIATION
ENTIERE ET COMPLETE
Il ne faudrait pas croire que les grandes fautes seulement nous conduiront dans le lieu de l’expiation, et que nous en sortirons aisément si nous n’avons pas fait tout ce qui est nécessaire pour éviter le mal. Les moindres imperfections des justes eux-mêmes seront purifiées par le feu, suivant la parole du prophète Malachie : «  Le Seigneur purifiera les enfants de Lévi, et il les passera au creuset comme l’or. »
Nous lisons de saint Séverin, archevêque de Cologne, qu’il se fit voir, après sa mort, à l’un des chanoines de sa cathédrale pour réclamer le secours de ses prières, parce qu’il avait été condamné au purgatoire. « Et comment cela se peut-il ? S’écria le prêtre consterné. Vous si pieux, vous si zélé pasteur, qui avez accompli tant de bien dans ce diocèse ! Vous que nous invoquons tous comme notre protecteur au ciel ! – Ah ! répondit le prélat, DIEU m’a fait la grâce de le servir de tout mon cœur, et de travailler longtemps dans son héritage ; mais je l’ai offensé Souvent par la manière pressée dont je récitais mon bréviaire.
129
Les affaires de la cour occupaient mon esprit et mon temps, et, quand je devais m’acquitter de ce devoir de la prière, c’était sans assez de recueillement, quelquefois à une autre heure qu’à l’heure marquée par les règles de l’Eglise. Maintenant, j’expie ces infidélités, et le Ciel me permet de venir réclamer vos prières. Me les refuserez-vous ? » C’est saint Pierre Damien qui rapporte ce fait, dans sa lettre 14è à l’abbé Désidérius, chap. 7.
 
 Durand, premier abbé d’un monastère, puis évêque de Toulouse, nous offre un autre exemple du même genre. Il avait une singulière piété, beaucoup de zèle pour son avancement spirituel, l’esprit de mortification, la régularité ; cependant, il avait aussi le défaut de veiller trop peu sur sa langue. Lorsqu’il était simple religieux, il se livrait volontiers à une excessive gaieté dans la conversation, disant des plaisanteries, des bons mots, des histoires amusantes qui prêtaient à rire. Son supérieur, l’abbé Hugues, l’avertit plusieurs fois de modérer cet entrain qui le portait à la dissipation ; il lui représentait que ces jovialités conviennent peu dans la bouche d’un moine qui est en même temps prêtre, dont les lèvres doivent être vouées aux choses utiles et saintes, selon le précepte des Livres sacrés (Malachie II, 7). Il l’avertit même, un jour, que s’il ne se corrigeait pas, il aurait infailliblement des peines à souffrir en purgatoire pour ces fautes quotidiennes. Durand attacha peu d’importance à ces avis, et continua, même étant évêque, à aimer le mot pour rire et les facéties d’une conversation enjouée. Quelques personnes en étaient mal édifiées.
130
Lorsque le prélat fut mort, la prédiction du supérieur se réalisa. Il apparut à un moine de ses amis, le P. Séguin, et le chargea de prier l’abbé, dont il avait si mal écouté les conseils, d’intercéder pour lui. Celui-ci, qui était plein de charité, assembla les religieux, leur dit ce qu’il venait d’apprendre, et leur demanda de s’imposer pendant toute une semaine, en faveur de cette âme souffrante, un rigoureux silence. Ils y consentirent. Cependant, l’un d’eux n’observa pas si bien sa promesse qu’il ne laissât échapper quelques paroles. Le défunt apparut de nouveau et se plaignit de cette infraction, qui le privait du fruit de la bonne œuvre. On recommença dont une autre semaine, avec beaucoup de prières. A peine s’achevait-elle, que Durand se vit voir à l’abbé, revêtu de son costume pontifical, la joie peinte sur le visage ; il lui exprima sa reconnaissance envers tout le couvent, et ajouta que DIEU le recevait à l’instant même parmi ses élus.
 Ce trait est une leçons pour les personnes consacrées à DIEU ; on peut l’appeler le commentaire vivant de ce passage du livre de la Considération de saint Bernard : « Parmi les séculiers, les plaisanteries ne sont que des plaisanteries : parmi les ecclésiastiques, ce sont comme des blasphèmes. Votre bouche a été consacrée à l’Evangile : il ne faut donc point l’ouvrir à de telles inutilités. »
manque référence citation (Vincent de Beanvais, ...

131
38ème Merveille
LA DEVOTION DU SAINT ROSAIRE
Fructifiez comme le rosier planté au bord des eaux
Eccli 39, 17
 Ce que Pline assure de la rose, qu’elle reçoit de la nature non seulement l’office de nous embaumer de ses parfums, mais aussi d’être utile à notre santé, peut s’appliquer justement à la dévotion du Rosaire : car cette dévotion, outre le bonheur qu’elle procure à ceux qui l’embrassent, leur est très profitable pour les guérir à la fois du mal du péché et de la peine qui lui est réservée. En voici un exemple très convaincant.
 Dans le royaume d’Arragon, une jeune fille de haute naissance, appelée Alexandra, assistant aux prédications du grand saint Dominique, se décida à entrer dans la confrérie instituée pour cet objet. Mais, livrée à la vanité mondaine, elle oubliait souvent de réciter son chapelet, préférant passer des heures entières au miroir et aux conversations inutiles. Comme elle était fort belle et gracieuse, plusieurs jeunes gens commencèrent à l’entourer de leurs hommages et à lui demander sa main, et chacun faisait de son mieux pour attirer ses regards et son cœur. Il y en avait deux surtout, d’une condition élevée, qui se montraient plus ardents à sa poursuite, et qui finirent par se défier en duel.  La
132
jeune fille était présente pour décider entre les combattants, armés chacun d’une longue lance comme pour un tournoi. Au signal donné, ils se précipitèrent l’un sur l’autre avec tant de fureur, qu’ils tombèrent tous deux à la renverse, mutuellement frappés, et ne tardèrent pas à expirer. Ce fut un sujet de vive douleur pour les deux familles ; unissant leur colère contre celle qui avait été l’occasion de ce malheur, elles se jetèrent sur elle, et la battirent jusqu’à compromettre sa vie. Baignant dans son sang, l’infortunée demandait grâce et suppliait qu’on la laissât au moins se confesser ; mais ces furieux, s’animant de plus en plus, l’achevèrent en lui coupant la tête d’un coup de sabre ; après quoi, afin d’échapper à la justice, ils jetèrent le cadavre au fonds d’un puits et se sauvèrent.
 Cependant, la divine MARIE, mère des miséricordes, voulut récompenser les quelques actes de piété de cette malheureuse enfant envers elle ; elle révéla tous les détails du crime à saint Dominique, qui se trouvait alors dans une autre ville. Le saint fut consterné ; il serait parti aussitôt pour se rendre en ce lieu-là, s’il n’avait été retenu par les affaires de son ordre. Au bout de quelques jours seulement, il put venir au bord du puits, y plongea le regard, et, après avoir fait une prière, se mit à appeler : « Alexandra, Alexandra ! » O prodige inouï ! En présence de plusieurs personnes que la venue du Père avait attirées, la morte s’anime, la tête se rapproche du tronc, et la voici qui sort pleine de vie, quoique couverte de sang ; elle se jette aux pieds de Dominique, et fait avec beaucoup de larmes une confession générale, en bénissant DIEU qui lui avait permis de se faire inscrire parmi les servantes de la
133
Reine du ciel.
Elle vécut encoure deux jours, afin de pouvoir réciter un certain nombre de rosaires qui lui avaient été imposés pour pénitence. On vint la voir de tous côtés, et elle ne cessait de prêcher la dévotion à MARIE.
Interrogée par le saint patriarche sur ce qui lui était arrivé après sa mort, elle raconta trois choses bien mémorables. La première, que, par les mérites de la confrérie du Rosaire, elle avait eu la grâce de la contrition au moment d’expirer, sans quoi elle eût été damnée. Secondement, quand on lui tranchait la tête, elle s’était vue assaillie d’une troupe de démons hideux qui voulaient l’emporter en enfer, lorsque MARIE était accourue à son aide et l’avait délivrée.
En troisième lieu, elle avait été condamnée par la divine justice, à deux cents années de purgatoire pour avoir causé la mort des deux jeunes gens ; en outre, à cause de ses parures vaines et immodestes, qui avaient été à beaucoup une occasion prochaine de péché, elle avait à endurer encore cinq cents autres années de souffrances. « Mais j’espère, ajouta-t-elle, que les confrères auxquels je m’étais associée pour honorer MARIE prieront pour moi avec tant de ferveur, que ce temps de terrible épreuve sera miséricordieusement abrégé. »
Elle mourut de nouveau, après avoir donné les marques de la plus édifiante piété. On lui fit des obsèques solennelles. Saint Dominique prit tellement à cœur l’heureuse fin du miracle que DIEU avait opéré par lui, il fit lui-même et fit faire à d’autres tant de pénitences, de prières, d’aumônes et de jeûnes, qu’il obtint la délivrance entière d’Alexandra. Au bout de quinze jours, elle lui apparut toute éclatante de lumière, semblable à
134
une étoile.
Elle pria le saint de remercier pour elle ses confrères, qui lui avaient été autant de bienfaiteurs, et qui avaient par leurs suffrages hâté son salut. Elle ajouta aussi qu’elle venait, comme ambassadrice des âmes du purgatoire, le conjurer de prêcher et d’étendre la dévotion du Rosaire, qui leur procurait chaque jour un admirable soulagement. « Que les confrères, dit-elle, appliquent à ces pauvres âmes les indulgences et les faveurs spirituelles dont il possèdent un trésor si abondant : ils n’y perdront rien, car les élus à leur tour intercèderont pour eux quand ils auront reçu la couronne. Les anges se réjouissent de cette dévotion, et la Reine du ciel s’est déclarée la tendre mère de tous ceux qui l’embrassent. »
Dominique, ravi de cette révélation  nouvelle, en fit part à ses disciples, et travailla avec un redoublement de zèle à faire réciter autour de lui le chapelet.
 
39ème Merveille
TOURMENT APAISE
ps LXV, 12
Dieu, pour récompenser les trois enfants jeté dans la fournaise de Babylone, en changea les flammes en douce rosée et un vent rafraîchissant ; quasi ventum rosis flantem ; en sorte que, loin de souffrir et d’être consumés, ils éprouvaient une délicieuse jouissance. Par un miracle tout opposé, que nous allons dire, il fit d’une fontaine une véritable fournaise, pour la punition d’un de ses serviteurs, à qui il restait à expier une faute particulière.
 Dans les vies des hommes illustres de l’ordre des Cisterciens, on lit qu’un abbé d’un grand savoir et de beaucoup de vertu avait connu une amitié trop humaine et trop partiale pour son neveu, élevé par lui dans le couvent, et formé de bonne heure à l’observance des règles. Après avoir longtemps administré la maison, étant réduit à l’extrémité, les religieux, qui lui étaient fort attachés et qui avaient la plus entière confiance dans ses lumières, le prièrent de désigner lui-même son successeur. Bien qu’il fût un modèle de désintéressement et de prudence, il se laissa aller à son
 

40ème Merveille

CHAPITRE 40    VIDE SUR LE SITE
 

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41ème Merveille
Oeuvres d'insigne charité envers les âmes du purgatoire la charité est
patiente elle est bienveillante elle endure tout ( I Cor. XIII.) la
véritable charité est pleine de zèle d'industrie même pour trouver les
moyens de subvenir aux nécessités du prochain et spécialement à celles des
âmes du purgatoire nous rencontrons un modèle de cette disposition dans la
grande servante de Dieu Marie Villani de l'ordre de Saint-Dominique elle
s'appliquait nuit et jour à inventer de nouvelles oeuvres méritoires en
faveur de ces pauvres âmes une veille d'Epiphanie elle s'était adonnée à de
plus longues oraisons et en satisfaction des peines que ces âmes devaient
endurer pour leurs fautes elle offrait à Dieu les cruels tourments de la
Passion de Notre Seigneur méditant sur chaque détail chaque douleur chaque
instrument la nuit suivante le Ciel se plut à lui manifester combien lui
était agréable cette belle pratique pendant sa prière elle tomba en extase
il lui sembla voir une longue procession de personnes vêtues de blanc avec
des manteaux éclatants chacune portant un insigne de la passion celle-ci les
cordes cette autre les fouets une troisième la colonne une autre les épines
141
la croix les clous la lance etc en tête marchait une vierge balançant dans
sa main une palme arrivés à un magnifique autel l'une après l'autre y venait
offrir et déposer l'instrument en place duquel elle recevait d'une grande
dame une riche couronne d'or le sens de cette vision lui fut révélé ces
personnes brillantes et couronnées étaient les âmes du purgatoire dont les
insignes de la passion marquaient la délivrance par les mérites du sang de
Jésus-Christ mérites appliqués précisément en vertu de la prière de Villani
c'était elle qui était figurée par la vierge ayant une palme à la main et
conduisant à l'autel cette troupe bénie un autre jour celui de la
Commémoration des fidèles défunts on lui avait demandé de continuer un livre
qu'elle avait commencé sur des matières spirituelles mais elle s'en excusa
sur l'intention qu'elle  avait de consacrer tout ce jour à la prière à la
pénitence et aux exercices de piété pour le soulagement des âmes du
purgatoire Notre Seigneur lui apparut et lui intima l'ordre d'écrire parce
que telle était sa volonté souveraine et afin qu'elle le fît plus volontiers
il lui promit que chaque ligne qu'elle tracerait procurerait la délivrance
d'une âme ce jour-là seulement aussitôt la sainte religieuse se mit avec
joie au travail et s'efforça d'écrire beaucoup le démon ne manqua pas de s'y
opposer de toutes ses forces même d'une manière sensible la distrayant de
son ouvrage lui suscitant des embarras des dérangements des difficultés
matérielles en dépit de lui Villani s'appliqua si bien qu'à la fin du jour
elle avait terminé son traité les quatres jours suivants elle ressentit une
telle fatigue qu'elle ne pouvait pas même
142
remuer les doigts de la main on pouvait croire que par-là aussi elle
méritait pour ses chères âmes et de fait sa grande charité envers elles ne
se bornait point à des prières des jeûnes et des pénitences elle désira
prendre pour elle-même une partie de leurs souffrances spécialement celle du
feu voici un exemple de ce qu'elle fit comme elle priait un jour dans cette
intention elle fut ravie en esprit et conduite en purgatoire ou parmi tous
les infortunés qu'elle vit il y en avait un plus cruellement éprouvé que les
autres par des flammes horribles qui l'enveloppaient de la tête aux pieds
touchée de compassion elle s'approche de cette âme et lui demande pour quel
sujet elle est ainsi traitée et si jamais elle n'éprouve de soulagement " je
suis ici, répondit-elle depuis un long temps effroyablement punie pour mes
vanités passées et pour mon luxe scandaleux je n'ai pas obtenu jusqu'à cette
heure, le moindre soulagement parce que le Seigneur a permis que je fusse
oubliée de mes parents de mes enfants de toute ma famille et de mes amis ils
ne font pour moi aucune prière quand j'étais sur la terre livrée aux
toilettes inutiles aux pompes mondaines aux fêtes et aux plaisirs je n'avais
de Dieu et de mes devoirs qu'un rare et infructueux souvenir les seules
préoccupations sérieuses de ma vie étaient d'accroître le renom et les
richesses périssables des miens j'en suis bien punie vous le voyez
puisqu'ils ne m'accordent pas même une pensée !" ce récit fit sur notre
religieuse une douloureuse impression elle pria cette âme de lui faire
sentir  quelque chose de ce qu'elle endurait a l'instant même il lui sembla
qu'on la touchait au front avec un doigt de feu et la douleur qu'elle en
éprouva fut si forte si aigue
143
qu'elle la fit revenir de son extase or la marque lui resta au front si
profondément marquée qu'on la voyait encore deux mois après et qu'elle lui
causait une souffrance insupportable Villani offrit cette douleur avec
d'autres prières pour l'âme qui lui avait parlé cette âme lui apparut au
bout de deux mois et lui dit que délivrée par son intercession elle montait
au ciel dès ce moment la brûlure du front s'effaça pour toujours (V. Vita
Mariae Villani, par le P. Domin. Marchi, I. II,5)
 

143
42ème Merveille            supplication  merveilleuse.
 Ouvrez la main au pauvre afin que votre
sacrifice d'expiation soit parfait ( Eccli. VII, 56)
parmi les nombreux
prodiges accomplis par le Seigneur à l'occasion des prières solennelles pour
les morts l'un des plus célèbres est celui qui eut lieu à Mantoue dans le
monastère de Saint-Vincent en présence de toute la communauté une religieuse
nommée Paule de l'ordre de Saint-Dominique après une vie sanctifiée par les
plus excellentes vertus et une mort précieuse aux yeux des hommes montra que
devant le Seigneur qui sonde les coeurs et les reins il n'y a point de
perfections humaine qui n'ait ses taches le corps avait été apporté
144
à l'église et placé selon l'usage au milieu du choeur toutes les soeurs
faisant autour du modeste catafalque une couronne chantaient pieusement les
prières ordinaires du Requiem on avait exhorté spécialement la bienheureuse
Etiennette Quinzana favorisée de dons singuliers à intercéder avec toute la
ferveur dont elle était capable pour le sa     lut de la défunte et à
d'autant meilleur droit que ces deux saintes filles avaient été liées
d'amitié spirituelle toute au profit de leurs âmes Etiennette donc mue d'un
sentiment personnel d'affection s'approcha de la bière les mains jointes et
se mit à réciter avec grande ardeur les psaumes de circonstance tout-à-coup
la morte laisse tomber un petit crucifix qu'elle tenait étend la main gauche
vers la droite de son amie et la serre de telle façon qu'aucun effort ne la
lui peut arracher la communauté entière qui était présente demeura
stupéfaite pendant plus d'une heure ces deux mains restèrent étroitement
enlacées au bout de ce temps intervint le supérieur qui commanda à la
défunte au nom de la sainte obéissance de laisser la soeur Quinzana
instantanément il fut obéi comme si la vertu d'une telle personne n'eût subi
aucun changement au-delà du tombeau que signifiait ce serrement de main ?
Etiennette le comprit parfaitement soit que Paule eût adressé
miraculeusement la parole soit qu'elle eût agi sur son esprit l'histoire n'a
point éclairci ce détail toujours est-il que celle-ci interpréta la chose
par ce discours "Secourez-moi ,ma soeur ,secourez-moi  dans les supplices
auxquels je suis vouée ! Oh si vous saviez la rage de nos ennemis invisibles
pour nous tenter à l'heure de la mort ! si vous saviez combien sévère est ce
juge qui
145
exige notre amour parfait quel examen quelle discussion des moindres fautes
et puis quelle expiation avant la récompense comme il faut être pur pour
ceindre l'éternelle couronne priez donc pour moi maintenant placez-vous
entre le Seigneur et sa servante priez priez faites pénitence à ma place !"
Etiennette entendit ce touchant langage et se mit à accomplir toutes sortes
d'oeuvres méritoires pour son amie jusqu'au moment ou elle sut par
révélation que la porte du ciel ouverte à Paule et que Dieu l'avait enfin
reçue dans son sein comment donc ô Seigneur ne tremblerions-nous pas pour
nous-mêmes et quel est le sacrifice que nous ne consentirions point à faire
pour vous apaiser nous dont la vie ne se compose guère que d'offenses ! (V.
Franc. Seghizzus, Vita B. Stephanae, p. 110; J - B Manni, Sacr. Trig., disc.
VI, n.27.)

145
43ème Merveille
Bienfaits des âmes du purgatoire envers ceux qui les assistent
soyez miséricordieux car vous amassez ainsi un trésor pour le jour du besoin (Tob.
IV, 10.)
Plusieurs auteurs ont rapporté le merveilleux secours que reçut des
âmes du purgatoire Christophe Sandoval
146
archevèque de Séville n'étant encore qu'un enfant il avait l'habitude de
distribuer aux pauvres en leur faveur une partie de l'argent qu'on lui
remettait pour ses menus plaisirs devenu grand sa piété envers les morts
augmenta avec les années il donnait pour eux tout ce dont il pouvait
disposer jusqu'à se priver de mille choses qui lui eussent été utiles ou
nécessaires lorsqu'il suivait les cours de l'université de Louvain ou il
exerçait les mêmes oeuvres il arriva un jour que les lettres qu'il attendait
d'Espagne ayant tardé il se trouva réduit à une véritable extrémité n'ayant
pas même de quoi prendre son repas sa peine augmenta beaucoup en se voyant
obligé de refuser un pauvre qui lui demandait l'aumône au nom des âmes du
purgatoire ce qu'il n'avait encore jamais fait il en conçut un si vif
chagrin qu'il entra aussitôt dans une église "Au moins se disait-il si  je
ne puis donner d'argent au nom de ces pauvres âmes je prierai pour elles
étant pauvre moi-même et dénué de tout il n'avait pas fini sa prière qu'il
vit venir à lui un beau jeune homme en habits de voyageur qui lui adressa un
salut à la fois respectueux et empressé Christophe resta tout interdit
effrayé même comme s'il se trouvait en présence d'une apparition de l'autre
monde mais il se rassura bientôt lorsque celui-ci lui parlant avec beaucoup
de politesse lui donna des nouvelles du marquis de Dania son père de ses
autres parents de ses amis absolument comme s'il arrivait à l'heure même  de
la péninsule il finit par le prier de venir avec lui à l'hôtel ou il
l'invitait à diner Sandoval ne refuse point cette offre parce qu'il n'avait
pas mangé de la journée ils se mettent donc à table et continuent
147
de s'entretenir pendant le repas après lequel l'étranger lui remit une
certaine somme lui disant d'en faire tel usage qu'il lui plairait parce que
quand il le voudrait il se la ferait rendre par le marquis son père en
Espagne puis il prétexte quelques affaires et se retire or quels que fussent
depuis les soins et les démarches de pieux Christophe il ne put découvrir
son inconnu ni à Louvain ni en Espagne personne ne l'avait vu jamais
l'argent ne fut réclamé auprès de sa famille et il se trouva que c'était
exactement la somme dont il avait besoin pour attendre ses lettres en retard
il se persuada donc que le Ciel avait fait un miracle en lui envoyant une de
ces âmes que ses prières et ses aumônes soulageaint habituellement et il le
crut à d'autant meilleur droit que ce fut aussi l'avis du pape Clément VIII
auquel il raconta l'histoire en allant à Rome pour ses bulles d'évèques ce
pontife frappé de ces circonstances lui fit un devoir de les publier afin
que les fidèles fussent encouragés par là à intercéder pour les défunts et à
faire grand cas de cet acte de charité le saint archevèque on le conçoit fut
toute sa vie rempli de zèle à promouvoir dans sa patrie une si généreuse
dévotion et il réussit à l'inspirer à une foule de coeurs autour de lui (V.
Martin de Roa, de statu animar., c XXI.)
 

148
44ème Merveille
la sainte communion pour les morts
 déposez votre pain sur le tombeau du  juste (Tob. IV, 18.)
l'objet du présent ouvrage n'est point d'aborder les
questions théologiques ni d'expliquer comment la sainte communion faite par
les vivants est utile aux morts qui ont encore à expier leurs fautes les
docteurs ont savamment établi cette doctrine et on les peut consulter il
nous suffit de rappeler que cet acte pieux le plus sublime de la religion
procure à Dieu une gloire telle qu'elle répare l'injure du péché dans une
mesure que lui seul définit mais qui est considérable l'humilité la
contrition la ferveur l'amour dont l'âme se pénètre alors sont d'ailleurs de
leur nature des oeuvres satisfactoires d'un haut prix principalement lorsque
le divin Sauveur soleil de justice et foyer de charité réside au milieu
d'elle et puis de grandes indulgences sont attachées souvent à la communion
dans une circonstance déterminée c'est d'après ces diverses considérations
que plusieurs interprètes appliquent à la communion pour les défunts le mot
de Tobie que j'ai écrit ci-dessus come épigraphe :" Mettez votre pain sur le
tombeau du juste." Voyons plutôt des exemples
149
Le vénérable Louis de Blois célèbre maître de la vie spirituelle et homme
d'une remarquable sagesse rapporte dans un de ses livres qu'un dévot
serviteur de Dieu qu'il connaissait et aimait fut visité par une âme du
purgatoire qui lui fit voir tout ce qu'elle endurait de tourments elle était
punie pour avoir reçu la divine Eucharistie avec une préparation
insuffisante et beaucoup de tiédeur et en expiation l'éternelle justice lui
avait ménagé le supplice d'un feu dévorant qui la consumait " je vous
conjure donc dit-elle vous qui avez été mon ami et qui devez l'être encore
au nom de notre fidèle union de communier une fois en mon nom et de le faire
avec toute l'ardeur et la charité dont vous êtes capable j'espère que cela
suffira pour ma délivrance et qu'ainsi seront  compensées mes coupables
froideurs." Celui-ci s'empressa de le faire l'âme lui apparut de nouveau
brillante d'un  incomparable éclat heureuse et pleine de reconnaissance "
Enfin lui dit-elle grâce à vous mon adorable Maitre !" N'est-ce pas le cas
de rappeler le conseil de saint Bonaventure : " Que la charité vous porte à
communier car, il n'y a rien de plus efficace pour le repos éternel des
défunts ( De proepar. Missae.)" plus merveilleux encore est ce qui arriva à
la bienheureuse Jeanne de la Croix religieuse de l'ordre de Saint-François à
laquelle les anges apportèrent une,hostie consacrée afin qu'elle communiât
pour la délivrance d'une âme autrefois pleine de dévotion envers l'auguste
Sacrement pendant une de ses oraisons la sainte fut ravie en esprit et
demeura quelque temps dans cet état privée de sentiment une religieuse étant
150
entrée dans sa cellule la tira de cette extase par le bruit qu'elle fit en
dérangeant un meuble " Retirez-vous lui dit vivement Jeanne et faites bien
attention de ne pas toucher à l'objet précieux qui est là sur ce linge car
c'est le divin sacrement apporté ici par les anges et coment cela peut-il
être ? " demanda la soeur étonnée Jeanne lui fit alors part de ce qui était
arrivé lui en demandant le secret un pêcheur endurci qui avait toujours vécu
dans la disgrâce du Seigneur et qui venait d'être condamné au feu de l'enfer
était mort avec le saint viatique dans la bouche on avait cru en le lui
donnant à une conversion trompeuse les anges ajouta-t-elle n'avaient pu
souffrir une telle profanation ni que la divine hostie restât dans cette
bouche impure et ils l'avaient apportée à la servante de Dieu " De plus
continua Jeanne ils m'ont ordonné de communier demain matin en faveur d'une
âme du purgatoire qui eut une grande dévotion pour l'Eucharistie ce sont les
mêmes anges qui m'ont retirée de mon extase à votre arrivée afin que je vous
prévinsse de ne point toucher un objet si sacré." Elle communia en effet de
cette manière dans les sentiments de la plus ardente piété et elle fut
assurée que l'âme pour laquelle elle avait intercédé était montée au ciel
(V. Louis de Blois, Monile spirituale, ch. VI ; Alex. Segala, Triumph.
animar., 2e part., ch.6, ex.6; Vie de la bienh. jeanne de la croix, ch.
VII.)
 
 

151
45ème Merveille
la divine eucharistie vous avez préparé pour moi un banquet contre ceux qui
m'oppriment (ps. XXII, 5.)
puisque nous avons parlé de la sainte communion
nous sommes amené naturellement à dire aussi quelque chose de celle qui se
fait chaque mois dans les églises de la Compagnie de Jésus pour le
soulagement des âmes du purgatoire les docteurs ont vu le symbole du divin
Sacrement dans l'arbre de vie planté au milieu du paradis suivant saint Jean
(Apoc.XXII) et qui donnait chaque année douze fruits un par mois ses
feuilles même étaient utiles au salut des nations : Lignum vitae afferens
fructus duodecim, per menses singulos reddens fructum suum ; et folia ligni
ad sanitatem gentium."   c 'est en particulier l'interprétation de saint
Thomas d'Aquin (Opusc. de Sacr. alt.VI) " De même dit-il que la corruption
et la mort nous sont venues d'une nourriture défendue c'est-à-dire de
l'arbre de la science du bien et du mal ainsi la justification et la vie
doivent commencer en nous par une nourriture sainte celle de l'arbre de la
vie qui est le corps du Seigneur." Si donc l'Eucharistie est bien
représentée  par ces douze fruits annuels de l'arbre on voit com -
 
 
 

46ème Merveille VIDE SUR LE SITE

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SECONDE  PARTIE

Introduction 172

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52ème Merveille
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Récité le rosaire, comme il en avait l’habitude malgré ses tristes débordements, il commença à s’acquitter de ce tribut de dévotion envers la Mère du Celui qu’il était sur le point de grièvement offenser, et il le fit en faveur des âmes de ces malheureux suppliciés, pour lesquels sans doute personne ne pensait à intercéder. La récompense ne se fit pas attendre.
  Une voix forte lui cria : »Arrêtez, cavalier, n’allez plus avant ! »Il regarde autour de lui, ne voit que les cadavres et donne de l’éperon à son cheval. La même voix recommence : »Arrêtez, vous dis-je ; n’allez pas plus loin ! »La peur lui était inconnue ; il descend et se met à chercher, parmi ces hideux restes ; à moitié mangés par les corbeaux, s’il n’y avait pas quelque condamné vivant encore. En effet, d’une des potences descend cette supplication : »Cavalier, je vous prie par pitié de couper cette corde qui m’étrangle. »Touché de compassion autant que surpris, il donne un coup d’épée à ce lien , et le corps tombe à terre, d’où il se relève ; et voilà un homme plein de vie, qui se répand en remerciements, et proteste qu’il ne quittera plus son bienfaiteur, son sauveur, qu’il le servira comme un esclave. Le jeune aventurier refusa tout net cette offre de reconnaissance, et déclara qu’il voulait aller seul.-« Mais reprit l’autre, ignorez-vous qu’un danger extrême vous attend au bout de votre course, qu’il y va pour vous de la vie même ? Je veux vous délivrer. Laissez-moi vous marquer ma reconnaissance. »Se voyant ainsi découvert, notre cavalier ne fit pas d’objection. Il remonta à cheval et prit son nouveau compagnon en croupe. Ils ne tardèrent pas à apercevoir la maison ; l’échelle était préparée. Le jeune homme voulait s’y
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risquer tout de suite. »Non pas, dit son compagnon ; je soupçonne quelque machine, et , si vous m’en croyez, vous me laisserez monter le premier, afin que je m’assure de tout. Donnez-moi seulement votre chapeau et votre manteau. »Quand il les eut, il s’élança à l’échelle et pénétra par la fenêtre entr’ouverte. Au même instant on entendit un cliquetis d’armes, des menaces, des cris de colère, et au bout de quelques secondes, un corps frappé d’un coup d’épée tombait au pied du mur. Il se releva et dit au jeune homme stupéfait : »Vite ! vite ! à cheval, et sauvons-nous ! »Lorsqu’ils furent à quelques distance : « Avez-vous maintenant, dit le compagnon, vu et compris la belle réception qu’on voulait vous faire ?Le mari vous attendait out bonnement pour vous tuer à coups de dague. Et , dites-moi, s’il avait réussi, où serait-elle allée votre âme ? Rendez donc grâces à la Mère des miséricordes, qui vous a délivré à cause de votre fidélité à dire le saint rosaire chaque jour. Vous devez aussi bénir les âmes du purgatoire : car vous avez obtenu la délivrance de quelques-unes, alors que vous étiez en état de grâce, et elles vous le rendent aujourd’hui. Eh bien ! changez de vie et apprenez à craindre Dieu. »
  Comme il finissait cette exhortation, ils étaient revenus au lieu es potences. L’inconnu descend du cheval, se rattache au gibet, et déclare qu’il a été envoyé miraculeusement de l’autre vie pour ce qu’il vient de faire, et qu’il retourne où Dieu l’appelle. Un minute après, ce n’était plus qu’un cadavre.
  Quant au jeune homme, il est à peine besoin de dire dans quels sentiments il rentra chez lui. Son cœur tout bouleversé n’eut point de repos qu’il n’eût fait à Dieu
180 :
le sacrifice de sa vie ; il se dévoua pour le reste de ses jours à la pénitence et aux œuvres de piété, et il devint un modèle de sainteté, aussi empressé à se mortifier et à gagner les âmes au bien, qu’il avait autrefois recherché les plaisirs et compté pour rie le salut des autres.
(V.J. de alloza, Coelum sict. Mariae I III . ch 3. ex. 60.)
 
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53ème Merveille        DEFUNTS REPONDANT AUX PRIERES QU’ON FAIT POUR EUX
Per illum, defunctus adhuc loquitur: Grâ-
ce à sa foi, tout mort qu’il est , il parle encore (Hebr. Xi,4.)
Si c’est une détestable pratique, flétrie par l’Ecriture Sainte, de se servir de la magie pour interroger les morts, comme nous le lisons de Simon-le-Magicien et de la pythonis dont il est question au premier livre des Rois, il est au contraire très louable de réciter pour eux des prières, auxquelles on les entendus plus d’une fois répondre. L’histoire est riche en traits de ce genre. C’est ainsi qu’on raconte du saint évêque Bristano, qui avait pour les âmes du purgatoire une extrême dévotion, priant exactement pour elles chaque jour au saint sacrifice, disant des messes de Requiem toutes les fois que les règles liturgiques le permettaient, se levant la nuit pour aller faire oraison sur leurs tombes dans les
181 :
cimetières, où il récitait en leur faveur les psaumes de la pénitence, accompagnés de nombreuses supplications, que dans une de ces circonstances, comme il achevait le Requiescant in pace, il distingua clairement une foule de voix qui répondaient au sein de la terre :Amen ! amen ! amen !
  Le bienheureux François de Fabriano, de l’ordre des Frères-Mineurs, fut témoin d’un semblable miracle. Il avait coutume d’appliquer en suffrage aux défunts ses œuvres de dévotion et de pénitence ,unies aux mérites de Jésus sur la croix. Sa compassion pour eux était si grande, qu’il ne pouvait pas même arrêter sa pensée sur les tourments expiatoires de l’autre vie ; il frémissait et tremblait, comme si cette image allait le faire mourir. Aussi, avait-il une ferveur peu commune en priant pour eux, particulièrement au saint autel. Un jour, il terminait une messe de Requiem par la post-communion Fidelium Deus omnium conditor, etc., suivis de la formule qui remplace l’Ite Missa est : Requiescant in pace ; on entendit dans toute l’église, alors presque déserte, un  concert de voix qui répondaient en chœur : Amen ! Ce que le saint religieux interpréta comme un cri de joie des âmes délivrées par l’auguste Victime qu’il venait d’immoler.
  Saint Grégoire de Tours rapporte quelque chose de plus admirable encore. Au diocèse de Bordeaux, dans un bourg dont il donne le nom, deux vénérables prêtres vinrent à mourir presque au même moment, après une vie extrêmement édifiante. Ils furent ensevelis dans la même église, quoique à des endroits différents, et aux deux extrémités de la nef. Or, pendant que le clergé partagé en deux chœurs, chantaient l’office(l’his-
182 :
torien ne dit pas si c’était celui des morts), on entendit très clairement la voix des deux défunts unie  à celles des chantres, l’un d’un côté, l’autre de l’autre ; et cela avec tant d’harmonie, une si parfaite suavité d’organe, que les assistants y prenaient un grand plaisir. On fut persuadé que Dieu permettait le miracle pour faire connaître que ses serviteurs lui adressaient leurs dernières supplications avant de monter au ciel, et en même temps pour affermir la foi de nos ancêtres, qui à cette époque étaient convertis depuis peu. Qu’on juge combien il y avait de charme pieux à écouter ces âmes bienheureuses redire le psaume : « Laetatus sum : Je me suis réjouis à la pensée que nous irions à la maison du Seigneur. »
(V .j Bagutta, De admir. Orbis christiani. t.
II , chap4 ;saint Grégoire, De glor. Confessor., chap.47.)
 
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54ème Merveille        LA DIVINE MARIE ET LE SCAPULAIRE
In me gratia omnis vioe…, in me spes vitoe :  En moi est toute le grâce de la voie, toute l’espérance de la vie.(Eccl. xxiv,25.)
Parmi les dévotions à la très-sainte Vierge qui nous doivent inspirer la confiance d’échapper aux supplices du purgatoire et de monter au ciel plus promptement, il faut mettre au premier rang celle du Scapulaire. La
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 Mère de Dieu elle-même a daigné promettre au bienheureux Simon que quiconque porterait ce saint habit dans les dispositions convenables de mortification, de prière et de chasteté, feraient une courte expiation dans l’autre vie. Cette promesse est rappelée dans le bréviaire romain, à la sixième leçon de la fête : Bentissimo Virgo relatos in societatem scapularis, etc. La bulle pontificale dite Sabbatine fait également mention de ce fait, et de ce que les associés obtiennent d’échapper aux flammes du purgatoire, ou d’en être retirés le premier samedi après leur mort, ce jour de la semaine étant spécialement consacré à Marie. L’auguste Mère peut donc employer ici le langage du Seigneur à son peuple, dans le Lévitique : »In âc dic expiatio erit vestri alque munulatio ab omnibus peccatis, sabbatum enim requietionis est : Ce jour-là vous aurez accompli votre expiation et vous serez purifiés de tous vos péchés, car c’est le samedi du repos. »Les annales des carmélites contiennent plusieurs faits miraculeux dans ce sens.
  A Otrante, ville du royaume de Naples , une dame de la haute société éprouvait le plus sensible bonheur à suivre les prédications d’un père de l’ordre des carmes, grand promoteur de la dévotion envers Marie. Il assurait à ses auditeurs que tout chrétien portant le scapulaire dans les sentiments requis, en observant les faciles conditions de l’association, rencontrerait le divine Mère sur la route de son dernier soupir, et qu’elle viendrait le délivrer le samedi suivant, pour l’emmener avec elle au séjour de la gloire. Cette dame donc, émue de si précieux avantages, se fit inscrire et fit l’engagement d’observer les règles et les conditions exigées. Sa
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pété en augmenta considérablement ; sa joie la plus vive était de prier Marie de jour et de nuit, de mettre en elle sa confiance, de lui rendre toutes sortes d’hommages. Elle la suppliait, entre autres grâces de lui obtenir de mourir, un samedi, afin d’être immédiatement tirée du milieu des tourments mérités par ses péchés.
  Elle fut exaucée. Quelques années après, cette pieuse dame tomba gravement malade, et, malgré l’assurance contraire des médecins, elle comprit et déclara que s’était sa fin, ce dont elle se réjouissait, dans l’espérance de voir Dieu. Le mal fit de tels progrès, que les hommes de l’art annoncèrent alors qu’elle ne passerait pas le mercredi suivant ; mais elle leur dit : »Vous vous trompez encore ; je vivrai trois jours de plus et ne mourrai que samedi. »L’événement justifia sa parole et elle employa ses souffrances, comme un trésor inestimable, à se purifier des restes de ses fautes. Puis, elle rendit l’âme à son Créateur.
  La perte d’une si bonne mère fut extrêmement douloureuse pour une fille très pieuse qu’elle laissait sur la terre, et qui se retira aussitôt dans un oratoire, où elle priait pour la défunte. Elle y reçut la visite d’un grand serviteur de Dieu, accouru pour la consoler. C’était un homme fameux par les grâces dont le Ciel le comblait et par les révélations merveilleuses. »Cessez ô pieuse enfant, lui dit-il, cessez de pleurer, et que votre tristesse se change en joie. En perdant une mère ici-bas, vous avez acquis une protectrice au ciel : car je vous assure qu’aujourd’hui même, aujourd’hui samedi, grâce à la divine Marie, celle que vous aimez tant est sortie du purgatoire et a été admise parmi les
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élus. Réjouissez-vous donc, et bénissez l’auguste Vierge, notre bonne mère à tous ! »
                                 (V. Philocalus Caputus, Histor. Miracul. Imag
. De Vuirg. Carmeli ;, ch XI. Carmelus thaumaturgu s, an. 1643)
 

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55ème Merveille        ACCUSATIONS DU DEMON CONTRE LES MORTS
Satanas expedit vos, ut cribraret sicut
triticum :Satan a demandé à vous cribler
comme on crible le froment(Luc , xxii,34.)
 Le démon poursuit au tribunal de Dieu, avec une cruelle instance, les âmes qui viennent de quitter leurs corps et qui entrent dans la vie éternelle. Il veut les entraîner au moins dans le purgatoire, quand il ne peut obtenir pour elles l’enfer et la damnation. On se fera une idée de ce combat d’après le récit de saint Anselme, au sujet d’un de ses moines, appelé Osbern, qu’il avait appelé à la parfaite observance des règles, après une vie peu édifiante. Le converti vécut plusieurs années dans les meilleures dispositions, à la grande joie du saint abbé, qui l’aimait beaucoup. Au bout de ce temps et quoiqu’il fut encore jeune, il fut visité par la maladie qui le devait mettre au tombeau. Anselme, plein de chagrin, le veilla comme un père ; puis, le voyant près d’expirer, il lui demanda en grâce de lui faire savoir, après sa mort, quelque chose de l’état où il se trouverait. Le moribond le promit, et expira.
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  Or, pendant que la communauté chantait les prières ordinaires autour du corps, l’abbé s’était retiré dans un coin pour n’être pas distrait, et pouvoir implorer avec plus de recueillement la miséricorde divine sur le défunt. Là, versant beaucoup de larmes, multipliant ses soupirs et ses supplications, il implorait le salut de cette âme avec toute l’ardeur dont il était capable. Le sommeil le surprit dans cette œuvre de charité ; alors il eut une vision : il voyait entrer dans la chambre du défunt plusieurs personnages vénérables, vêtus de blanc, qui s’asseyaient pour prononcer la sentence ; mais il n’entendait rien, et se demandait avec anxiété quelle elle serait, lorsque le religieux lui apparût lui-même, le visage troublé inquiet, bouleversé, comme quelqu’un qui sort d’un combat ou qui échappe à peine d’un danger.-« Qu’y a t’il, mon fils ? lui dit l’abbé ; qu’est ce qui a été prononcé ? » Il répondit : »L’antique serpent s’est levé trois fois contre moi ; trois fois il a voulu m’abattre ; mais les oursiers du Seigneur m’ont délivré… »Le saint s’éveilla et ne vit plus rien.
  Anselme comprit que cette vision avait un sens. Il l’interpréta. Osbern avait été trois fois poursuivi par le démon devant le juge suprême : la première, pour les péchés commis depuis son baptême, avant son entrée en religion ; la seconde, pour ceux dont il s’était rendu coupable depuis sa retraite dans le monastère ; la troisième, depuis ses voeux jusqu’à la mort. Mais trois fois l’ennemi avait dû faire retraite : car les premières fautes avaient été effacées par la foi et la générosité d’un adieu volontaire au monde ; elles du noviciat, par la ferveur avec laquelle il avait prononcé ses engagements définitifs ; celles de la dernières époque, par les
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sacrements pieusement reçus et la pénitence courageusement embrassée. L’accusateur maudit avait donc été confondu sur tous les points, et, en fin de compte, il avait dût retirer son opposition. Quant à ces oursiers du Seigneur, qui avaient délivré le défunt, Anselme entendait par là les bons anges, qui ont mission de museler la bête infernale, et de l’empêcher de déchirer le troupeau de Jésus-Christ.
  Afin de se montrer vrai père spirituel, le bon saint abbé dit la messe pendant toute l’année suivant en faveur d’Osbern ; il désirait abréger les peines du Purgatoire auxquelles il ne doutait guère qu’il eut été condamné, pour la tiédeur et les infidélités de quelques-unes de ses années de religion ; s’il était empêché de célébrer lui-même, il se faisait remplacer dans cet office de charité. De plus, il recommanda la même intention à divers monastères. Et ainsi, non-seulement les défunts en obtinrent du secours, mais les vivants apprirent de ce bel exemple à prier pour les âmes souffrantes, que nous sommes trop disposés, hélas ! à oublier.
(V. Acta Sanctorum, 21 avril in, 70.).
 

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56ème Merveille
UN PURGATOIRE PLUS LONG A QUI N4A PAS PRIE
POUR LES MORTS
Qui non diligit manet in morte : Celui qui
n’aime moint demeure dans la mort(1     Jean ,iii,14)
 
Dans la belle Vie de saint Malachie, archevêque d’Armagh, saint Bernard loue hautement la dévotion du prélat envers les âmes du purgatoire, mais il blâme au même degré la sœur de Malachie, animée de tout autres sentiments. Etant encore diacre, l’archevêque aimait à assister aux funérailles des pauvres, afin de prier pour eux ; il les accompagnait au cimetière ; souvent même il les ensevelissait de ses propres mains, cet office lui paraissant propre à développer l’humilité autant que la pratique de la charité. Mais, comme le saint homme Tobie, il devait être éprouvé et tenté par la femme, ou plutôt par l’antique ennemi du genre humain. Sa sœur, toute aux idées du monde, tenait à déshonneur qu’un membre de sa noble famille se consacrât à des œuvres si basses, et lui disait avec colère : »Beau métier tu fais là, fou et grossier personnage ! est-ce l’occupation d’un homme de ton rang ?Laisse les morts ensevelir les morts, selon le mot du Seigneur… »Et, abusant de ce texte évangélique, elle le tourmentait de ses reproches et de ses plaintes.
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Malachie lui répondait avec douceur, mais non sans fermeté : »Pauvre fille, que dis-tu ? Tu sais les mots du texte sacré, mais tu n’en pénètres guère le sens. »Et il continuait de s’acquitter de l’humble fonction, où Dieu le récompensait par de grandes consolations intérieures.
  Cependant me Ciel ne laissa pas impunie l’imprudente témérité de cette femme. Elle mourut assez jeune et parut devant le Juge terrible, qui lit jusqu’au fond du cœur et demande compte de ses moindres mouvements. Malachie avait eu à se plaindre d’elle ; mais ,quand elle fut morte, il ne pensa plus qu’aux besoins de son âme, et pria pour elle avec tout le zèle dont il était capable . Une nuit, pendant son sommeil, longtemps après, il lui sembla la voir dans la cour de l’église, triste, vêtue de noir, sollicitant sa compassion, parce qu’il y avait trente jours qu’elle n’éprouvait plus de soulagement. Le saint homme s’éveille en sursaut, tout plein de ce rêve, et il se rappelle en effet que depuis un mois il n’a pas dit la sainte Messe pour sa sœur. On peut croire que Dieu avait encore permis cet oubli en punition de son insensibilité ancienne envers les défunts.
  Le pieux frère se remet donc à ses suffrages, et dès le lendemain il monte à l’aute l et offre dans ce but le saint sacrifice. Peu après, la morte se fit voir à lui dans une autre vision : elle se tenait sur le seuil de l ‘église, comme s’il ne lui était pas encore permis d’entrer, et elle gémissait. Il persévéra donc dans ses prières, n’omettant pas un seul jour l’auguste sacrifice. Alors il la vit entrer, mais elle ne pouvait avancer jusqu’à l’autel, malgré tous ses efforts. Bref, le saint ne cessa point de
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célébrer qu’il ne l’eût revue admise auprès de l’autel magnifiquement parée, brillante, heureuse, parmi une foule d’âmes éclatantes comme elle, qui paraissaient quitter aussi le lieu de l’épreuve, après leur expiation terminée. Ce qui démontre une fois de pluscomme l’observe saint Bernard lui-même, la puissance de la sainte Messe pour nous purifier de toutes nos fautes et nous rendre agréables à Dieu : « Hoc plané sacaramentam, dit-il, potens est peccata consummare, debellare obvias potestas, inferre coelis revertentes de terrâ »
  Mais nous ne devons point ici omettre le récit de la grâce que valut à saint Malachie sa grande charité envers les âmes du purgatoire. Il avait un jour convoqué les personnes dont il dirigeait la conscience à une conférence spirituelle, où, discourant du dernier passage, il demandait à chacun où et quand il lui serait plus agréable de mourir. Les uns indiquaient une fête, les autres une autre ; ceux-là un endroit, ceux-ci tel autre, etc. Quand ce fut au tour du saint de manifester sa pensée, il dit que quant au lieu, il ne finirait nulle part plus volontiers sa vie , hors de l’Irlande, qu’au monastère de Clairvaux(dirigé par saint Bernard), afin de jouir tout de suite des saints sacrifices de ces fervents religieux ; et que quant au temps, il préférerait le jour de la fête des morts, afin d’avoir toutes les prières qui se font ce jour-là dans le monde catholique pour les défunts. Ce souhait de sa piété fut accompli de point en point. Comme il se rendait auprès du souverain-pontife Eugène III ? il fut surpris que le Seigneur l’exauçait, car il s’écria avec le prophète : « Voici mon repos pour toujours ; je l’ai choisi
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et j’y demeurerai :Haee requies mea in saaeculam saeculi hie habitabo, quniam elegi eam. »(Ps. 131.)En effet le lendemain de  la Toussaint, il rendit son ¨me au Créateur, et courut recevoir la récompense de ses vertus(Nous avons connu une pieuse religieuse, Zénaïde-Pauline p…, qui attaquée d’une maladie affreuse depuis plusieurs années , suppliait Notre-Seigneur de lui accorder de mourir le jour de la commémoration des fidèles défunts, pour lesquels elle avait toujours eu une grande dévotion. Il lui fut accordé comme elle désirait. Le 2 novembre au matin, après deux ans de souffrances supportées avec le courage le plus chrétien, elle se mit à chanter un cantique d’action de grâce, et expira doucement quelques instants avant l’haure où commence la célébration des messe dans touts les églises)
 

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57ème Merveille        RIGUEUR DE LA JUSTICE DIVINE.
(Ajoutée par le traducteur de l'italien en  français).
Justicia et judicium praeparatia sedis luce :
Le jugement et la justice sont l’appui de  votre trône(Ps.lxxxviii,15)
 
Telle est la sainteté de notre Sauveur, qu’il ne saurait souffrir souillure dans ceux de ses enfants q’il appelle l’éternelle couronne. Nous avons à lui rendre compte de tout sans exception, pensées, actions, omissions volontaires, paroles, aspirations, etc.
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Qui donc ne tremblerait à la pensée de ce jugement que nul ne pourra éviter ?Qui ne s’appliquerait à préparer une sentence favorable, en se ménageant des intercesseurs et des protecteurs ? Voici un fait, tout récent, qui donnera à penser aux plus insensibles.
  En Amérique, grâce aux progrès consolants du catholicisme, presque tous les ordres religieux ont fondé des maisons florissantes, où l’ontravaille généreusement, par la prière, l’aumône et les labeurs de l’apostolat, à étendre le règne de Jésus-Christ. Les bénédictins, entre autres, ont une abbaye du nom de Saint-Vincent, au village de Latrobe. C’est en 1846 que le P.Boniface Wimmer fonda ce monastère, lequel dix ans après était élevé à la dignité d’abbaye et agrégé au Mont-Cassin d’Italie. Le bruit courut, au commencement de 1860, qu’une âme était apparue à l’un des religieux, afin de réclamer ses prières. Aussitôt les mauvais journaux de se répandre, selon leur coutume, en plaisanteries et en grossières impiétés. Le vénérable Wimmer, affligé de ces scandales, crut devoir faire et publier le 26 février 1860, de déclaration suivante :
« Voici la vérité. Dans notre abbaye de Saint-Vincent, près de Latrobe, le 18 septembre 1859, un novice a vu apparaître un moine bénédictin en costume complet de chœur. Cette apparition s’est renouvelée chaque jour, depuis le 18 septembre jusqu’au 19 novembre, soit de onze heure à midi, soit de minuit à deux heures du matin. Le 19 novembre seulement, le novice a interrogé l’esprit, en présence d’un autre membre de la communauté, sur ce qu’il demandait. L’esprit a répondu qu’il souffrait depuis soixante-dix-sept ans, pour n’avoir pas dit sept messes d’obligation ; qu’il était déjà
193
apparu, à diverses époques, à sept autres bénédictins, qu’il n’avait pas été entendu ; qu’il serait contraint d’apparaître encore onze années si lui, novice, ne venait pas à son secours. L’esprit demandait que ces sept messe fussent dites pour lui ; de plus , le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite et garder un profond silence ; en outre, et pendant trente-trois jours, il devait réciter trois fois par jour le psaume 50(Miserere mei, Deus), les pieds nus et les bras élevés au ciel.
  « Toutes ces conditions ont été remplies, à dater du 21 novembre jusqu’au 25 décembre, où, après la célébration de la dernière messe, l’esprit a disparu. Pendant cette période, l’esprit s’était montré encore plusieurs fois, exhortant le novice, dans les termes les plus touchants, à prier pour les âmes du purgatoire, disant qu’elles souffrent affreusement, et qu’elles sont profondément reconnaissantes envers ceux qui concourent à leur rédemption. L’esprit a ajouté, chose bien triste à dire, que, des cinq prêtres qui sont déjà morts à notre abbaye, aucun n’était encore au ciel, que tous souffraient dans le purgatoire. Je ne tire pas de conclusions mais tout ceci est exact. »
  Telle est la déclaration de l’abbé, signée de sa main. Les conclusions frappent le plus distrait des lecteurs. Préparons-nous avec tremblement à cette discussion sévère de notre vie, et, si nous voulons être secourus un jour, secourons nous-mêmes ceux qui souffrent et qui s’adressent à notre charité.
(V. le journal Le Monde, 4 avril 1860 n.47.)
 
194
58ème Merveille    Protection miraculeuse
 quand même je serais attaqué par les forces ennemis
mon coeur ne tremblera point (Ps. XXVI, 3)
Déjà nous avons rapporté le
secours miraculeux accordé par les âmes du purgatoire à un soldat dévot pour
elles mais de même que la Sainte-Ecriture nous montre plusieurs fois les
légions célestes volant à la défense des Israélites contre les armées de
Sennachérib et du roi de Syrie de même dans les annales de l'Eglise nous
lisons plus d'une intervention de ce genre de la part des pauvres âmes
souffrantes en faveur des princes qui songeaient à leur soulagement Eusèbe
duc de Sardaigne est un de ces témoins ce prince était tellement dévoué aux
âmes du purgatoire que indépendamment des aumônes considérables qu'il
faisait à leur intention il avait consacré à cette oeuvre les revenus d'une
ville entière ou la piété était en honneur on l'appelait pour ce motif la
Ville de Dieu et tout l'argent qui en provenait pour le trésor de l'Etat
servait aux oeuvres saintes à l'entretien d'un certain nombre de prêtres  et
de chapelains chargés de célébrer journellement en faveur de ces âmes le
démon ne put souffrir une si belle institution et il excita Ostorge roi de
Sicile qui avait de grandes richesses et
195
des troupes nombreuses à déclarer la guerre à Eusèbe sous de frivoles
prétextes Ostorge se mit donc en route assiégea cette ville et s'en empara
dès que le duc apprit cette nouvelle il en éprouva une aussi vive douleur
que s'il eût perdu la moitié de ses états aussitôt il assemble ses officiers
tient conseil avec eux et se résout à tout entreprendre pour chasser
l'ennemi de cette place l'armée se forme bien inférieure à celle des
Siciliens et l'on marche ce n'était pas sans crainte à cause de cette grande
infériorité mais voici que les sentinelles avancées signalent au loin des
légions de cavalerie et d'infanterie vêtues de blanc chevaux blancs armes et
bannières blanches  le duc reste interdit d'une part il tremblait que ce ne
fussent des renforts siciliens de l'a  utre il lui semblait comprendre que
Dieu lui envoyait du secours il se décide à expédier des hérauts d'armes au
nombre de quatre pour faire une reconnaissance et découvrir à qui l'on a
affaire dès qu'ils furent à égale distance des deux armées quatre hérauts
des nouveau-venus se détachèrent et marchant vers eux les saluèrent en
disant "N'ayez aucune crainte nous sommes la milice du souverain Roi et nous
accourons au secours de votre prince qu'il vienne s'entendre avec notre chef
" le duc s'avança et joignit ses soldats à ceux que le Ciel lui adressait
ainsi miraculeusement dès qu'Ostorge aperçut les légions qu'il avait à
combattre ces vêtements blancs ces légions martiales qui lui étaient
inconnues il fut saisi de terreur des éclaireurs envoyés à la découverte lui
rapportèrent que ces nouvelles légions ne pouvaient apparaître que par
miracle personne dans le pays ne comprenant d'ou ni comment
196
elles étaient venues en même temps il fut sommé de restituer la Ville de
Dieu à son légitime souverain il s'empressa d'accéder à toutes les
propositions répara le dommage qu'il avait causé et se retira en toute hâte
Eusèbe rendit à Dieu ses actions de grâces et remercia les généreux inconnus
leur chef lui répondit : " Sachez prince que presque tous ces soldats que
vous voyez sont des âmes tirées du purgatoire par vos suffrages le Seigneur
leur a confié le soin de vous protéger dans cette extrémité continuez donc
cette charitable dévotion et n'oubliez jamais qu'autant d'âmes vous délivrez
autant vous acquérez d'amis et de défenseurs au ciel ." Puis tout disparut
le duc se jeta à genoux et bénit le Dieu de toute miséricorde qui
n'abandonne jamais les siens (V. Henri Grandgermain, Magn. Specul.exem.,
dist. 9, ex. 184.)
 
 
 

196
59ème Merveille        Apparitions et révélations
nous savons que nous avons été
transférés de la mort à la vie. (I Joan, III, 14.)
Quoique déjà nous ayons
cité des apparitions et des révélations terribles sur les mystères de
l'autre vie pour la confusion de ces impies à qui il plaît de répéter
197
que personne n'est revenu nous dire ce qui s'y passe je n'hésite pas à en
rapporter deux autres appuyées sur l'indiscutable autorité du grand saint
Thomas d'Aquin témoin occulaire cet illustre docteur la gloire de l'Eglise
et de l'esprit humain était pénétré d'un grand zèle pour les pauvres âmes et
il pensait à elles dans ses sacrifices ses prières et ses mortifications
lorsqu'il était lecteur de théologie de l'Université de Paris il vit
apparaître devant lui l'âme de sa soeur morte abbesse de Sainte-Marie de
Capoue qui le conjura d'avoir pitié d'elle car elle souffrait cruellement
dans les flammes de l'autre vie et avait grand besoin d'être secourue le
saint s'empressa de prier de jeûner de se macérer et de réclamer les
charitables suffrages de plusieurs de ses amis il obtint la délivrance de sa
soeur et il en eut l'assurance à Rome ou on l'avait envoyé elle se fit voir
à lui de nouveau mais cette fois dans tout l'éclat du triomphe et de la joie
elle lui dit qu'il était exaucé que désormais elle allait pour l'éternité se
reposer dans le sein de Dieu Thomas saisit cette occasion de lui demander ce
qu'étaient devenus deux de ses frères morts  depuis quelque temps l'âme
répondit que celui qui se nommait Arnaud jouissait dans le ciel d'un haut
degré de gloire pour avoir courageusement défendu le souverain pontife
contre l'empereur Frédéric d'Allemagne et avoir souffert persécution sur ce
sujet mais que Landolphe était encore dans les peines du purgatoire ou il
attendait qu'on s'intérressât à lui elle ajouta :" Pour vous mon frère
hâtez-vous de mettre la dernière main aux saintes choses que vous avez
entreprises car vous viendrez bientôt  vous réunir à nous dans
198
le paradis ou une place magnifique vous attend en récompense de tout ce que
vous faites pour l'Eglise." Une autre fois comme le saint faisait oraison
dans l'église de Saint-Dominique à Naples il aperçut tout-à-coup frère
Romain qu'il avait laissé à Paris dans sa chaire de théologie pensant qu'il
vivait encore et qu'il venait le voir il se leva pour aller à sa rencontre
et le saluer en s'informant de son voyage et de sa santé le bon religieux
l'arrêtant lui dit que sa vie terrestre était  achevée qu'il avait reçu déjà
la couronne et qu'il était envoyé de Dieu pour encourager Thomas dans ses
travaux celui-ci interdit au premier moment reprit courage et l'interrogea
sur ce qu'il mettait au-dessus de tout : " Suis-je en état de grâce ? "
demanda-t-il le défunt sourit l'assura qu'il y était et que ses oeuvres
étaient agréables à la divine Majesté il l'interrogea ensuite sur son propre
état à lui et Romain lui répondit qu'il jouissait actuellement de la gloire
après quinze jours de purgatoire pour différentes infidélités qu'il n'avait
point expiées auparavant enfin il voulut apprendre de cette âme certains
détails théologiques si par exemple dans le ciel on voit Dieu par le moyen
de la gloire élevant l'intelligence ou bien par toute autre action divine il
lui fut répondu seulement par le verset neuvième du psaume XLVIIe : " Sicut
audivimus sic vidimus in civitate Domini virtutum : nous avons vu dans la
cité du Dieu puissant selon ce que nous avons appris." En prononçant ces
mots la vision s'évanouit laissant l'angélique docteur dans une grande
impatience de monter auprès de son Sauveur adorable on voit par ce double
trait qu'en assurant que Dieu se sert quelquefois des âmes pour en faire ses
messagers
199
comme il fait des anges saint Thomas parlait après une expérience
personnelle qui ne pouvait le laisser dans le moindre doute ( V. Vie de
saint Thomas d'Aquin, par Pierre Mafféi ; Dario Dominicano, 7 mars.)
 
 
 

60ème Merveille        mérite de la sainte obéissance.
Vous serez comme un enfant du Trés-Haut obéissant
et il aura pitié de vous ( Eccl.5 ou 15 ,11.)
Parmi les grands avantages de la
vertu d'obéissance si fortement recommandée par la sainte Ecriture et par
les saints Pères l'un des principaux est de délivrer des peines du
purgatoire ou du moins de les adoucir cela se comprend aisément celui qui
obéit en suivant les ordres du Seigneur qui lui sont intimés par son
supérieur entre en conformité parfaite avec la divine volonté c'est pourquoi
il ne saurait être puni pour des actions accomplies selon les lois de
l'infaillible sagesse Saint Jean Climaque dit de la sincère obéissance
qu'elle est le bouclier de nos oeuvres au grand tribunal voici un exemple la
bienheureuse Emilie dominicaine prieure du monastère de Sainte-Marguerite à
Verceil aimait à développer devant ses religieuses le mérite de l'obéissance
200
au point de vue spécial du purgatoire un des articles de la règle
interdisait de boire entre les repas à moins d'une permission expresse de la
supérieure et celle-ci avait pour pratique ordinaire de la refuser afin de
fournir à ses soeurs une occasion de pénitence facile seulement elle
s'efforçait de leur adoucir ce refus en les invitant à offrir leur soif à
Jésus en croix tourmenté de la même façon et à un degré bien plus
insupportable elle leur conseillait de réserver cette eau pour l'autre vie
ou les ardeurs du purgatoire la leur feraient désirer et d'en confier le
dépôt  à l'ange gardien jusqu'à ce moment-là une des soeurs Cécile Avogadra
étant un jour pressée d'un besoin de ce genre vint demander à la servante de
Dieu l'autorisation de boire mais inspirée d'en-haut elle ne la lui accorda
pas et l'exhorta à s'imposer pour Jésus en croix cette légère car elle se
sentait très-altérée toutefois elle se rendit à l'obéissance et fit son
offrande de bon coeur au divin Epoux elle mourut peu de temps après il y
avait trois jours qu'elle était ensevelie lorsqu'elle apparut toute
resplendissante à la mère Emilie elle lui raconta avec mille actions de
grâces que devant souffrir en purgatoire  pour un attachement déréglée à ses
parents elle avait été délivrée très promptement en récompense de ces
quelques gouttes de rafraîchissement qu'elle avait sacrifiées à l'obéissance
le troisième jour son ange gardien était descendu dans le lieu des tourments
portant cette eau offerte au Seigneur et la versant sur les flammes les
avait éteintes pour la conduire avec lui dans l'éternel séjour
201
nous devons rapporter aussi ce que fit notre bienheureuse à l'égard d'une
autre soeur appelée Marie- Isabelle qui éprouvait du dégoût pour le choeur
auquel elle préférait la conversation et d'autres amusements elle était
toujours  la première à sortir après le dernier verset des psaumes or la
prieure affaire la pressait ainsi de s'éloigner à la hâte avant toutes les
autres même avant les anciennes la bonne religieuse sans chercher à feindre
avoua qu'elle s'ennuyait un peu à l'office et qu'elle trouvait trop lente la
marche de la communauté " C'est très bien reprit la prieure mais dites-moi
s'il vous en coûte d'être commodément assise au milieu de nous à chanter les
louanges divines comment donc ferez-vous dans le purgatoire lorsque vous
serez détenue au milieu des tourments ? je juge nécessaire de vous éviter
pour l'avenir cette terrible quitter votre place que la dernière." la soeur
se soumit avec grande simplicité Dieu bénit cette obéissance pieuse en lui
ôtant le dégoût  et l'ennui dont elle se plaignait elle éprouva au contraire
une consolation extrême à prier longuement et à rester au choeur après
toutes les autres ce n'est pas tout elle obtint encore à cause de cela
d'être délivrée du purgatoire avant le temps d'expiation imposée à ses
défauts et que les heures qu'elle avait ainsi passées en oraison
d'obéissance fussent  comptées pour heures de purgatoire en quoi sans doute
elle fut aidée par les prières de la bienheureuse Emilie très efficaces pour
les âmes souffrantes nous savons par son historien qu'elle avait obtenu de
la sorte par sa fervente intercession que son propre père vît changer en
202
trois heures seulement les trois jours de purgatoire prononcés contre lui
(V. Diario Domenicano, 3 mai.)
 
 
 

202
61ème Merveille        Dévouement charitable.
Nous devons pour nos
frères donner notre vie.( I Joan, III, 16.)
Le nom du P. Jean-Eusèbe
Nieremberg (Ce père de l'ordre des Jésuites était espagnol et vécut de 1590 à 1668.)
 est fort connu pour les ouvrages qu'il a publiés en faveur de la
religion et de la piété on ne sait pas aussi bien peut-être à quel point il
portait la dévotion aux âmes du purgatoire il s'imposait pour elles des
mortifications fréquentes accompagnées d'oraisons et de prières il y avait à
la cour de Madrid parmi ses pénitents une dame de qualité que sa direction
sage et expérimentée avait conduite à une haute perfection au milieu du
monde cette dame d'une faible complexion tomba dangeureusement malade d'une
fièvre maligne à laquelle les médecins ne surent point trouver de remède
avertie du péril elle en témoigna   un profond chagrin non seulement à cause
des oeuvres utiles qu'elle avait entreprises et qu'il fallait abandonner
mais aussi par la
203
crainte du purgatoire ou elle prévoyait que la divine justice la retiendrait
le P. Eusèbe qui l'assistait usa de toutes les industries de sa charité de
tous les raisonnements les plus convaincants pour lui donner du courage de
la soumission à la volonté de Dieu et l'armer par les sacrements contre les
derniers combats mais elle toute livrée à son trouble et à ses terreurs
différait de jour en jour jusqu'à ce qu'elle tomba dans une sorte de
léthargie privée de connaissance entre la vie et la mort Alarmé à la pensée
qu'une personne qui avait donné de si saints exemples pût expirer sans les
secours de l'Eglise reçus en pleine liberté d'esprit le confesseur se retira
dans une chapelle voisine près de la chambre de la moribonde il y offrit le
saint sacrifice avec une grande ferveur conjurant le Seigneur d'accorder à
la malade au moins le temps de se reconnaitre et dêtre munie des sacrements
avant de paraitre devant lui  il s'offrit à la justice divine pour souffrir
lui-même dans cette vie les tourments qui lui étaient réservés au purgatoire
afin que délivrée de cette appréhension elle se résignât plus facilement à
mourir Dieu fut favorable à une si pieuse et si charitable prière la messe
était à peine achevée que la dame revint à elle et avec un tel changement de
dispositions qu'elle demanda d'elle-même les sacrements  et les reçut avec
la plus édifiante ferveur quand ensuite elle entendit le P. Eusèbe l'assurer
qu'elle ne devait plus craindre le purgatoire elle se soumit entièrement à
la mort et expira dans la plus parfaite tranquilité on vit bien que la
prière du bon religieux avait été doublement exaucée car à partir de cet
instant et pendant seize ans qu'il vécut encore son existence ne fut plus
qu'un
204
martyre et un rigoureux purgatoire aucun remède naturel ne pouvait soulager
ses douleurs et il n'avait d'autre adoucissement que le souvenir de la cause
généreuse pour laquelle il les endurait ses prières n'étaient pas moins
profitables aux âmes déjà condamnées à ce feu terrible comme on le vit en
plusieurs occasions il ne manquait point de réciter chaque jour le chapelet
à leur intention et de gagner pour elles le plus d'indulgences qu'il se
pouvait dévotion à laquelle il invita depuis les fidèles dans un ouvrage
spécial le chapelet qu'il possédait avait reçu quantité de bénédictions de
ce genre il eut le chagrin de le perdre et se vit dans la nécessité d'en
emprunter chaque jour un semblable à l'un de ses amis ce qui se pouvait
faire alors un jour cependant occupé plus que de coutume à différentes
affaires qui avaient pour objet la gloire de Dieu il s'aperçut fort tard
qu'il avait oublié son tribut quotidien de prières et qu'il ne pouvait plus
à cette heure avancée avoir recours à son ami ce lui fut une peine
très-sensible il se mit à genoux pour supplier les pauvres âmes de lui
pardonner leur offrant sa bonne volonté son désir de gagner sur ce rosaire
les indulgences qui les soulageaient mais il ne l'avait point et ne pouvait
se le procurer pour ce jour-là il priait encore lorsqu'il entend un bruit
singulier au plafond de sa chambre il y jette les yeux et aussitôt il en
voit tomber son propre chapelet avec toutes les médailles qui y étaient
attachées il ne douta pas que ce ne fussent les âmes pour lesquelles il
méritait qui le lui eussent renvoyé je laisse à juger avec quelle ferveur
nouvelle après cette merveille il récita les cinq dizaines accoutumées et
combien il se fortifia dans une pratique qu'il voyait si utile et si
favorisée du ciel.
205
on a conservé de lui un autre trait non moins précieux il se tenait une nuit
priant au milieu du choeur de l'église du collége impérial de Madrid quand
il vit apparaître à ses yeux l'âme d'un père lecteur de théologie mort
quelques jours auparavant le défunt réclamait une part de ses suffrages
parce qu'il était condamné à de rudes tourments dans le lieu d'épreuve il
avoua même que le sujet de ces tourments était d'avoir souvent rapporté aux
supérieurs avec exagération et sans assez de charité les défauts du prochain
à cause de cela sa langue était livrée à un feu cuisant cependant la divine
miséricorde et l'intercession de Marie lui avaient accordé de venir
solliciter des prières  et de servir en même temps d'exemple aux autres il
espérait donc qu'un si charitable religieux autrefois son ami dévoué
d'ailleurs aux âmes des défunts aurait compassion de lui le P. Eusèbe fut
extrêmement touché de ce discours et ayant promis ce qu'on lui demandait se
hâta de faire part de tout au supérieur le jour suivant dès l'aube il
célébra la sainte Messe pour cette âme et continua de prier et de faire
pénitence à son intention bientôt elle lui apprit que grâce à lui l'instant
du triomphe était arrivé pour elle
(V. Alph. de Andrada. Vita P. Jos. Nierembergii, S. J. c. IX.)
 
 
 

206
62ème Merveille        Suffrages conformes aux bonnes oeuvres accomplies pendant la vie
chacun
recevra ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites
pendant qu'il était revêtu de son corps ( II. Cor. v, 10.)
La justice divine
proportionne les châtiments aux fautes celui qui a été ici-bas dur pour les
pauvres ne trouve plus après sa mort de compassion ni de miséricorde celui
qui fut idolâtre de son corps ne lui refusant aucune voluptés après
lesquelles il s'élance se voit condamné à des tourments atroces sans
adoucissement la même corrélation a lieu de la part de la bonté céleste à
l'égard des vertus contraires celui qui aima et pratiqua l'aumône est
soulagé dans le purgatoire par les suffrages de l'aumône celui qui aima et
pratiqua la mortification est soulagé par les suffrages de la pénitence et
ainsi du reste nous nous préparons donc à nous-même notre avenir l'empereur
d'Allemagne Othon IV avait été le généreux bienfaiteur des maisons
religieuses et en même temps d'une grande austérité personnelle aussi après
sa mort il reçut un grand soulagement dans ses peines et fut promptement
délivré en vertu des prières et des
207
mortifications des moines il était mort dans une parfaite réputation de
religion et chacun le croyait au ciel lorsqu'un matin il se fit voir à l'une
de ses tantes pour réclamer le secours de ses prières celle-ci était abbesse
d'un  couvent fort régulier et elle exerçait sur les soeurs non-seulement
l'autorité de sa charge mais celle aussi de son éminente vertu et des dons
miraculeux de la grâce qui brillaient en elle elle était donc ce matin-là à
une fenêtre du parloir elle entendit frapper légèrement à la porte qui
s'ouvrit aussitôt d'elle-même et voici l'empereur qui s'avance dans
l'attitude d'un suppliant " Je suis lui dit-il d'un ton douloureux passé à
l'autre vie et je languis dans les peines du purgatoire Ah si vous avez pour
moi quelque compassion montrez-la je vous en supplie que les monastères
avertis par vous me viennent en aide qu'on récite en ma faveur le psautier
un grand nombre de fois avec la discipline pendant le De profundis et de
plus l'Oraison Dominicale et la Salutation Angélique cette expiation
volontaire me purifiera j'en ai l'assurance car j'ai fait du bien aux ordres
religieux et Dieu veut me délivrer par eux." Le prince pouvait bien parler
ainsi ayant l'année même de sa mort dans une grande disette qui régnait par
tout le pays secouru de toutes ses ressources les maisons consacrées à la
retraite et à la prière avertis par l'abbesse les différents monastères
accomplirent en hâte ce que le défunt attendait d'eux les prières et les
austérités comme il les avait demandées en reconnaissance de sa protection
passée peu de jours s'écoulèrent et l'âme apparut de nouveau de la même
manière et au même lieu mais quelle différence une telle lumière émanait
d'elle une gloire si admirable
208
l'environnait que les yeux en étaient éblouis elle exprima sa gratitude dans
les termes les plus touchants avec mille bénédictions au Ciel qui daignait
la recevoir parmi les élus éternellement couronnés (V. Thom. de Catimpré,
Apum, liv, II, c. 35, n°19 ; Théoph. Reynaud, Heier Spirit, q. II. lect. 3,
6e point, qu. 6e.)
 
 
 

208
63ème Merveille         Idée du feu du purgatoire et des leçons qu'il nous donne
 il a mis le feu à mes os,et il m'a instruit (Threni  I, 13.)
la vie de la
bienheureuse Catherine de Racconigi est pleine de visions admirables de la
gloire du paradis des supplices de l'enfer et des peines du purgatoire Dieu
daigna lui donner de ces dernières non-seulement des visions mais une preuve
sensible parce qu'il voulait exciter dans son coeur un zèle ardent pour la
délivrance des âmes qui y gémissent le Sauveur lui apparut un jour et tira
du sang de la poitrine de la sainte lui faisant entendre qu'une partie
tombait sur la tête des pêcheurs et l'autre sur les âmes du purgatoire
Catherine comprit donc que par ses prières ses exhortations ses pénitences
elle devait convertir beaucoup d'hommes éloignés de leur Créateur et en même
temps
209
délivrer beaucoup d'âmes du lieu de l'expiation bientôt ce zèle redoubla
encore à l'occasion du fait que je vais rapporter comme elle était une fois
étendue dans son lit avec une grosse fièvre elle se mit à méditer sur les
tourments de l'autre vie bientôt elle se sentit ravie en extase et conduite
en présence des flammes même du purgatoire là le Seigneur afin qu'elle
conçut une dévotion plus grande voulut qu'elle regardait ce terrible feu
elle entendit une voix qui lui disait : " Tu vas ressentir tout cela pour un
moment." A l'instant même une étincelle se détacha et vint toucher sa joue
gauche à la vue de quelques-unes de ses compagnes qui se tenaient autour de
son lit pour l'assister dans sa  maladie or la douleur qu'elle en éprouva
fut telle que son visage tout entier enfla et resta plusieurs jours dans cet
état elle disait que en comparaison de ce que cette simple étincelle lui
causait de tourments les souffrances de cette vie n'étaient absolument rien
dès cette heure elle redoubla de dévouement pour les pauvres âmes il lui
semblait qu'elle ne faisait jamais assez en leur faveur bien qu'elle
s'imposât  les plus dures  austérités et travaillât de toutes ses forces à
les soulager plusieurs de ces âmes lui apparurent pour la remercier de leur
délivrance et l'encourager dans sa dévotion la première qu'elle vit ainsi
d'abord dans un cachot obscur puis brillante de célestes clartés fut celle
d'un prieur de la chartreuse ce religieux était tombé dans le schisme du
conciliabule de Pise et quoiqu'il eût été relevé des censures à l'article de
la mort il avait laissé à la communauté quelques doutes sur sa conversion
210
sincère et sur son salut éternel Catherine manifesta ce qui lui en avait été
révélé et réclama les prières des moines jusqu'au moment ou elle acquit la
certitude de la délivrance plus étonnante fut son histoire avec une soeur du
tiers-ordre laquelle étant passée inopinément de vie à trépas elle désirait
vivement de savoir en quel état elle se trouvait pendant la cérémonie de
l'enterrement elle supplia le Seigneur de lui faire connaître ce mystère et
elle fut exaucée le cadavre qui était exposé à découvert avait selon l'usage
les mains croisées sur la poitrine la droite se leva saisit celle de
Catherine qui était près de la bière et la serra fortement comme si l'eût
conjurée de se souvenir de leur amitié et de lui accorder le bénéfice de ses
suffrages elle l'entendit ainsi pria beaucoup et finit par voir cette âme
qui lui apparut directement pour la remercier la bénir et l'assurer qu'elle
était admise dans le sein de Dieu Catherine recevait elle-même par le moyen
de ces âmes reconnaissantes des grâces précieuses particulièrement de
révélations de choses éloignées ainsi par exemple lorsque l'armée française
descendit en Lombardie en 1525 sous la conduite de François 1er et mit le
siège devant Pavie la reine Claude première femme de ce prince se fit voir à
notre bienheureuse et lui annonça la prise du roi et la défaite de ses
troupes et cela afin qu'elle priât et fît prier pour tant de soldats jetés à
l'improviste entre les mains de leur juge (V. Dario Dominicano, 4 sept. ,
Vie de la bienh.)
 
 
 

211
64ème Merveille        Marie au jour de son Assomption.
En montant au ciel elle emmêne la captivité
captive ( Eph. IV, 8.)
La gloire que l'Apôtre saluait dans le Rédempteur du
monde lorsque montant au ciel au jour de son ascension il y conduisait avec
lui triomphalement les âmes des patriaches arrachées aux limbes Acendens in
altum captivam duxit captivitatem cette gloire Gerson l'attribue à bon droit
à la mère de Jésus dans son assomption elle se présente au ciel dit-il
suivie d'une nombreuse multitude d'âmes du purgatoire et chaque année à
pareil jour elle en délivre une troupe nouvelle Saint Pierre Damien confirme
cette pensée par une vision miraculeuse voici comment il s'exprime a la fête
de l'Assomption de la divine Vierge le peuple romain a coutume pendant la
nuit qui précède de visiter pieusement les églises de la ville un cierge à
la main parmi la foule se trouvait une année une dame de vie très-édifiante
qui vint ainsi s'agenouiller dans la basilique de l'Ara-Coeli au Capitole
elle y aperçut à une certaine distance d'elle une femme qu'elle avait
beaucoup connue et qui était morte depuis un peu moins d'une année sa
surprise on le pense bien fut extrême elle aurait eu le plus grand désir de
lui parler
212
mais il était fort difficile de fendre la foule pour arriver jusqu'à elle
c'est pourquoi elle se plaça dans un coin l'attendant à la sortie et dès
qu'elle put s'approcher lui prenant la main : " N'êtes-vous pas lui dit-elle
ma marraine Marozie qui m'a tenu sur les fonts du baptême ? - Oui répondit
l'apparition c'est moi-même  - Comment donc vous rencontré-je aujourd'hui
parmi les vivants lorsque je sais que vous êtes morte l'année dernière ?
Qu'êtes-vous devenue de l'autre côté du tombeau ?" La défunte lui répondit :
" Jusqu'à ce jour je suis restée plongée dans un feu épouvantable pour les
fautes de ma jeunesse alors que je me plaisais aux ajustements et aux
pauvres immodestes tenant avec mes compagnes des discours inconvenants et
m'abandonnant à de coupables affections je m'étais à la vérité confessée de
toutes ces iniquités mais en recevant la rémission de la coulpe je ne reçus
pas en même temps celles des peines temporelles que j'avais méritées et le
purgatoire m'attendait avec de cruelles tortures mais maintenant dans cette
grande solennité la Reine du ciel émue de compassion envers les âmes
souffrantes a adressé pour nous ses prières au redoutable Juge et a obtenu
pour moi et pour beaucoup d'autres la grâce d'être reçues en paradis le jour
de son assomption et tel est le nombre des âmes que sa toute puissance
intercession a sauvées dans cette circonstance que celui du peuple de Rome
n'est pas plus élevé a cause de cela nous toutes ( vous ne voyez que moi
mais il y en a bien d'autres !) nous nous transportons dans les sanctuaires
dédiés à Marie afin de lui rendre grâces et de la bénir autant que nous
pouvons pour son immense miséricorde."
213
A ce récit la bonne dame restait comme stupéfaite ne sachant si elle devait
ajouter foi à ce qu'elle entendait ce que voyant Marozie elle ajouta : "
Afin que vous ne doutiez point de la vérité de mon histoire sachez que
vous-même dans un an et à pareille fête de l'Assomption vous mourrez si vous
passez cette époque tenez tout ceci pour une illusion." Puis elle disparut
cette dame resta seule dans l'église ne pouvant plus douter de la grâce que
Dieu lui faisait par cet avertissement dès cette heure elle renonça à toutes
les vanités mondaines s'habilla modestement revêtit le cilice vécut dans la
retraite et l'austérité d'une pénitence exemplaire fréquentant assidûment le
tribunal de la réconciliation et la sainte table elle espérait abréger de la
sorte le temps du purgatoire que méritaient ses péchés l'avant-veille de la
fête elle tomba malade et fut rapidement conduite à toute extrémité le jour
même de l'assomption elle expira et alla éprouver les effets de la
maternelle bonté de Marie (V. Petri Damiani Opusc. 34, 2e part., ch. 3.)
 
 
 
 

214
65ème Merveille        Recompense du bien accompli.
 Avant la mort faites du bien à votre ami donnez
pour reçevoir et établissez la justice dans votre âme ( Eccli. XIV, 13).
Nous
avons vu plus haut un prince récompensé après sa mort pour le bien qu'il
avait fait à des communautés religieuses le Souverain -Pontife Benoit VIII
était rempli d'affection et de bienveillance pour le monastère de Cluny et
pour l'abbé saint Odilon ce qu'il aimait en lui c'était sa fervente piété et
aussi la dévotion dont il donnait des preuves quotidiennes en faveur des
âmes du purgatoire il ne se contentait pas pour elles de ses propres oeuvres
il recommandait encore aux suffrages de tous ceux sur qui il pouvait avoir
quelque autorité on croit même  d'après certains auteurs que ce fut lui qui
le premier introduisit l'usage de prier spécialement pour les fidèles
défunts le lendemain de la Toussaint le pape donc dans son attachement
accordait à Odilon les grâces les plus précieuses et lorsque le pieux abbé
venait à Rome visiter les tombeaux des saints martyrs Benoit voulait se
charger lui-même de tous les frais de route et d'entretien tant que durait
le voyage Benoit reçut après sa mort la récompense de cette
215
sainte affection quelques jours après qu'on l'eut enseveli il apparut à Jean
évèque de Porto et lui apprit qu'il était condamné à une terrible expiation
pour n'avoir pas correspondu parfaitement à la grandeur de sa dignité
suprême il espérait néanmoins éprouver du soulagement par les suffrages du
saint abbé Odilon si on lui faisait connaître la nécessité ou il se trouvait
"Je vous supplie donc dit-il de lui donner avis de ce que vous venez
d'entendre si vous me conservez encore quelque attachement avertissez pour
plus de rapidité mon successeur Jean afin qu'il expédie tout de suite un
messager à Cluny et que cette vertueuse communauté intercède pour moi." A
peine saint Odilon eut-il été informé de la vision que non content de ses
propres prières il recommanda à tout son monastère de faire de grandes
mortifications et des oraisons plus nombreuses en faveur de leur bienfaiteur
défunt le pape Benoit il fit dire la même chose aux différentes maisons de
l'ordre et tous se mirent à prier avec une touchante et unanime ferveur et à
offrir l'auguste sacrifice plusieurs fois chaque matin il y avait quelques
jours que ces saints exercices se poursuivaient lorsque Edelbert procureur
et aumônier du couvent eut une vision comme si elle s'adressait
particulièrement à lui à cause des aumônes dont il avait été le distributeur
il lui sembla donc qu'il voyait entrer d'abord dans le monastère puis au
chapitre un personnage de belle et vénérable apparence couvert d'un brillant
manteau couronné de pierres précieuses et de diamants accompagné  d'un grand
cortège  d'hommes vêtus de blanc il se dirigea tout droit vers le siège de
l'abbé inclina la tête jusqu'aux genoux de saint
216
Odilon comme s'il rendait grâces à lui et à sa communauté de quelque
signalée faveur Edelbert étant fort étonné à ce spectacle et désirant savoir
quel était ce personnage qu'il ne reconnaissait point il entendit une voix
qui disait distinctement : " Celui-ci est le Souverain-Pontife Benoît
délivré par vos suffrages et par ceux de votre saint abbé avant de monter au
ciel il a voulu venir ici témoigner sa gratitude à ses bienfaiteurs et les
assurer qu'à son tour il ne les oubliera point auprès de Dieu." C'est ainsi
que la plus haute majesté du monde celle à qui ont été confiées les clefs du
royaume céleste et qui distribue les indulgences à tous les fidèles a besoin
elle-même en présence du juge redoutable de l'intercession des saints ( V.
Vincent de Beauvais, Specul. Hist. liv. 24, ch. 105.)
 
 
 

216
66ème Merveille        Combien effrayants sont les tourments du Purgatoire.
Pesez bien la rigueur de ce feu. ( Esdr.IV, 5.)
Un célèbre philosophe de l'antiquité disait que les peines de cette
vie ne sauraient abattre le sage car si elles sont légères il n'y a pas lieu
d'en parler si elles sont graves elles ont une bien courte durée Nemo potest
multium dolere et ? Cette pensée est de Sénèque
217
hélas on n'en peut pas dire autant du purgatoire ou les tourments unissent
la durée à l'intensité là les heures paraissent des jours les jours des mois
les mois des années les années des siècles " Oui dit Thomas à Kempis une
seule heure de cette expiation semblera plus insupportable qu'ici-bas cent
années de la pénitence la plus sévère Ibi erit una hora gravior in poenà
quàm hic centum anni in gravissimâ poenitentiâ" Nous trouvons dans les
Annales des pères capucins sous la rubrique 1618 une histoire terrible sur
ce sujet le père Hyppolyte de Scalvo grand serviteur de Dieu était animé
d'un zèle brûlant pour le salut du prochain et conséquemment pour la
délivrance des pauvres âmes il priait et se mortifiait pour elles et souvent
aussi il prêchait en leur faveur afin d'exciter parmi les fidèles une
dévotion pareille il voulait que les prémices de ses actions de chaque jour
fussent pour elles il se levait donc de meilleurs heure et récitait à leur
intention l'office des morts sans préjudice de ce qu'il faisait d'actions
saintes jusqu'au soir en pensant à leur soulagement encore n'avait-il qu'une
idée très-imparfaite des tourments de l'autre vie il ne se les figurait pas
aussi épouvantables qu'ils sont ce qui lui arriva bientôt lui donna à cet
égard une effrayante lumière il avait été envoyé en Flandre avec le titre de
commissaire général pour y établir quelques maisons de capucins destinées à
protéger par les saintes oeuvres de l'apostolat la foi de ce pays au moment
ou l'hérésie l'envahissait de toutes parts quand il eut accompli sa mission
on le maintint dans l'un de ces monastères en qualité de père gardien et de
maître des novices il  mettait
218
un soin scrupuleux à s'acquitter de sa charge et à faire avancer ces jeunes
gens dans toutes les vertus de leur état parmi eux s'en trouvait un qui
marchait à grands pas dans la voie de la perfection religieuse lorsqu'il fut
surpris d'une maladie subite qui le conduisit rapidement au tombeau par
malheur le père de Scalvo était absent dans ce moment-là et il ne put lui
donner sa bénédiction avec la dernière absolution ce qui causa au bon
gardien une vive douleur et l'engagea à prier d'autant mieux pour cette
chère âme qui n'avait pas achevé la première année du noviciat il était
revenu le soir même la nuit suivante il s'arrêta suivant sa coutume à prier
dans le choeur après l'office des matines comme il était plongée dans une
fervente oraison tout à coup il voit paraître devant lui le défunt sous la
forme d'un fantôme environné de feux et de flammes horribles qui
participaient à la fois des ténèbres et de l'éclat ordinaire au feu la voix
du spectre ne laissait point d'ailleurs de place au doute s'adressant à son
ancien supérieur avec mille gémissements il s'accusa d'une faute qu'il avait
commise et qui n'avait rien de grave  " Donnez-moi ô mon Père dit-il vous
qui êtes plein de charité donnez-moi votre bénédiction afin de me délivrer
de ce  manquement pour lequel je satisfais à la justice divine dans le
purgatoire vous-même imposez-moi la pénitence convenable ce sera celle que
je ferai la bonté du Seigneur m'y autorisant par une faveur spéciale Jésus
m'a permis de m'adresser à vous." Le religieux resta comme pétrifié telle
était son émotion sa terreur en présence de cette apparition que désirant y
échapper plus vite il répondit précipitamment
219
"Autant que je le puis mon fils je vous absous et vous bénis et quant à la
pénitence puisque vous m'assurez que j'ai aussi le droit de la marquer vous
resterez en purgatoire jusqu'à l'heure de prime (c'est-à-dire jusque vers
huit heures du matin). " En se limitant à ces quelques heures le saint homme
s'imaginait faire acte de grande indulgence ce ne fut point la pensée du
mort car à cette réponse il témoigna une sorte de désespoir comme si la
foudre l'eût frappé il courait dans l'église en criant " O coeur sans
compassion ô père qui n'avez point de pitié pour un fils si affligé quoi
punir de la sorte une faute que pendant ma vie vous eussiez jugée digne à
peine d'une légère discipline vous ignorez donc l'atrocité des supplices du
purgatoire ô coeur sans compassion O poeniitentia sine misericordiâ " La
vision avait cessé le père gardien sentait ses cheveux se hérisser sur sa
tête le regret l'étonnement la crainte se disputaient son coeur il cherchait
un moyen de revenir sur cette sentence et ne savait à quoi se résoudre
lorsque Dieu lui inspira une bonne pensée  celle de courir à la cloche du
couvent et d'appeler au choeur les religieux quand ils furent assemblés à
cette heure inaccoutumée il raconta ce qui lui était arrivé et demanda que
l'on commençât aussitôt le chant de l'office de prime ce qui fut fait mais
pendant les vingt années qu'il vécut encore ce souvenir ne s'effaça point de
sa mémoire il l'avait toujours présent et il répétait dans ses sermons le
mot de saint Anselme " Après la mort la moindre peine qui nous attend au
purgatoire est beaucoup plus grande que tout ce qu'on peut concevoir
ici-bas". (v. f. Marcellin de Mâcon, Annal. Capuc., t.III, an.1618, n.13.)
 
 
 

220
67ème Merveille        La crainte du purgatoire fait taire la volupté.
Ceux qui ont vécu dans les
délices s'en éloigneront dans la crainte des tourments. (Apoc. XVIII,10.)
L'un des freins les plus puissants aux entrainements de la nature vers les
délices de la vie est sans contredit la pensée des tourments qui en seront
un jour l'expiation tout esprit qui a de la droiture dans ses appréciations
devrait se dire avec un saint moine lorsqu'il est tenté de pécher " Brevis
voluptas dolor perennis : Un plaisir bien court et puis une douleur
éternelle ! Comment hésiter sur le choix ? Ce qui me coûte maintenant ne
sera qu'un combat d'un moment tandis que la peine durerait si longtemps !"
Telle fut l'instruction donnée par un défunt après son expérience
personnelle au vénérable Stanislas Choscoca l'une des lumières de l'ordre de
Saint-Dominique en Pologne un soir que cet admirable religieux récitait le
saint rosaire en se promenant au jardin il entendit auprès de lui des
soupirs et des plaintes comme d'une personne à qui serait arrivé un grand
accident il se tourne de tous les côtés interroge du regard et ne découvrant
rien dit à haute voix : "Qui est-ce qui se lamente ici et puis-je lui être
de quelque secours ?" Point de
221
réponse mais de nouvelles plaintes de nouveaux soupirs Stanislas suspecta
que ce pouvait être quelque ruse de l'esprit malin pour le distraire de sa
prière s'armant donc du signe de la croix :" Je t'ordonne au nom de
Jésus-Christ ajouta-t-il de me dire qui tu es et ce que tu demandes " Alors
il entendit ces mots :" Je suis une âme du purgatoire condamnée par la
justice de Dieu à faire ici pénitence et j'y souffre d'une manière terrible
que ne puis-je te faire comprendre ce qui attend le péché après le dernier
soupir de l'homme si les chrétiens en savaient une partie seulement ils
auraient horreur de ces plaisirs mondains qui les environnent de séductions
et qui les trompent misérablement répète partout car Dieu m'ordonne de te le
dire ce que je te révèle en ce moment les moindres transgressions se paient
bien cher au-delà de la vie et ces satisfactions mensongères sont
terriblement expiées." L"historien que nous suivons ne dit pas si ce fut la
même âme qui apparut une autre fois au même Père Stanislas il dit seulement
que la voyant tout environnée de flammes au milieu desquelles elle semblait
consumée il eut le désir de savoir si ce feu était plus pénétrant que celui
de la terre l'âme répondit que le feu terrestre comparé à celui du
purgatoire était comme un vent rafraîchissant et doux : Ignes alii levis
auroe locum tenent si cum ardore meo comparentur. Et comme le bon religieux
avait de la peine à le croire il ajouta :" Je voudrais en faire l'épreuve si
cela est possible à condition pourtant que ce fût autant d'ôté à mon
expiation future Ah répondit l'âme un homme encore vivant n'est point en
état d'en ressentir même une partie cependant pour vous convaincre éten -
222
dez vers moi la main et je ne doute pas qu'à partir de cet essai vous ne
fassiez tout pour en éviter les rigueurs."Stanislas sans s'effrayer étendit
la main sur laquelle le défunt laissa tomber une seule goutte très petite de
sa sueur ou plutôt  d'un liquide qui en avait l'apparence la douleur fut si
affreuse que le patient jeta un cri perçant et tomba par terre sans
connaissance comme s'il allait mourir a ce cri les frères accoururent et lui
prodiguèrent tous leurs soins quand il fut revenu à lui à force de remèdes
ils s'informèrent de la cause de ce mal subit qui expliquée par Stanislas
avec l'éloquence que lui communiquait l'effrayant événement les remplit tous
de terreur et fut la plus puissante leçon de détachement du monde et de ses
plaisirs il leur recommanda de ne point la garder pour eux seuls mais de la
faire savoir à tous ceux qu'ils auraient à instruire afin de les préserver
du malheur d'aller expérimenter par eux-mêmes des châtiments si redoutables
il vécut encore un an toujours en proie à la douleur de sa plaie sur le
point d'expier il raconta de nouveau l'événement rappelant au couvent
assemblé pour l'assister la crainte des jugements de Dieu et la nécessité de
faire ici-bàs pénitence si l'on veut être sauvé ce ne fut pas seulement dans
ce monastère mais dans tous les autres que l'effet s'en fit ressentir chacun
s'anima dans ses résolutions en prit de nouvelles combattit plus
courageusement ses défauts implora avec plus d'ardeur et d'humilité le
secours divin et se jugea plus sévèrement devant Dieu avant de s'approcher
des sacrements nous nous abandonnons trop facilement aux petites fautes
persuadés que le juge éternel en tiendra à peine compte déolorable erreur
223
dont nous gémirons alors mais qu'il ne sera plus temps de réparer la majesté
divine est si sainte qu'elle ne souffre pas la moindre tache dans ceux
qu'elle veut couronner près d'elle car ils fuiraient d'eux-mêmes et
n'oseraient jamais pénétrer dans cette gloire immaculée pour laquelle ils
ont été crées un poète a composé quelques beaux vers latins sur ce trait :
Vix in subjectam sudoris guttula dextram Decidit, immensus guttula visa
rogus oenarum, proh ! quantus erit dolor aequore mersis, Si tantam poenam
stilla vel una dedit ! Ce qui se traduit ainsi : " A peine une petite goutte
est-elle tombée sur cette main qu'elle paraît un foyer consumant Ah quelle
sera donc l'ardeur qui brûlera les victimes jetées dans l'océan de feu si
une seule goutte produit de telles douleurs !" ( V. J. Hautin, Patroc.
animar.  I. I, ch.6; Bzovius, année 1590.)
 
 
 
 

224
68ème Merveille        Plaintes douloureuses des âmes du purgatoire.
 
On a entendu le cri du deuil
de la souffrance et des larmes. (Jérém. , XXXI, 15.).
L'ingénieuse cruauté
de Denys-le-Tyran avait fait creuser à grands frais une prison souterraine
ou l'on ne pouvait proférer un mot une plainte émettre un soupir sans être
entendu par une ouverture pratiquée avec art dans un certain endroit de la
voûte ah si les cachots du purgatoire étaient ainsi faits par rapport à ceux
qui vivent encore sur la terre quels gémissements quelles doléances quels
cris de douleur arriveraient à leurs oreilles c'est un père accusant ses
enfants un frère son frère une femme son époux un mari sa femme pour en être
oubliés dans leur malheur combien d'infortunés testateurs plongés dans la
mer de feu du purgatoire poussent de lamentables soupirs contre de cruels
héritiers qui mis en possession de ces biens acquis par tant de travaux les
oublient absolument et ne feraient pas en leur faveur la plus légère prière
la moindre mortification ne dépenseraient pas un centime pour des aumônes ou
pour l'offrande du divin sacrifice combien de pères au fond de ces
redoutables cachots accusent d'ingrats enfants au moment de la mort ils
promettaient tout ils devaient tout faire leur
225
reconnaissance se signalerait de mille manières pour une âme à qui ils
devaient tant et le cadavre à peine déposé en terre ils ont enseveli avec
lui tout souvenir pas une prière pas un suffrage pas une aumône pour ceux
qui leur ont donné la vie et laissé le fruit de leurs sueurs de leur
économie comment donc les plaintes ne s'élèveraient-elles pas ardentes du
lieu d'expiation l'illustre chancelier de l'Université de Paris Jean Gerson
personnage aussi saint que savant rapporte le discours qu'une mère oubliée
ainsi de son enfant lui fit entendre par permission de Dieu  " Mon fils lui
dit-elle mon cher fils ah pensez un peu à votre pauvre mère écoutez mes
gémissements et prêtez attention à mes prières considérez les peines et les
tourments que le Seigneur a décrétés contre moi ce lieu de supplices ou je
suis consumée par un feu cuisant au nom de cet amour que vous me portiez si
j'ai dû vous croire hâtez-vous de me secourir dans ces intolérables
souffrances dont aucune langue ne peut rendre l'étendue ni aucun esprit
comprendre l'intensité donnez-moi la main pour m'en retirer venez venez non
point corporellement vous ne le pouvez pas mais par les actes de votre âme
par les prières et les supplications à la divine Majesté par des aumônes aux
pauvres par des mortifications personnelles une seule larme d'un coeur
contrit versée au souvenir de votre bonne mère suffirait peut-être pour
éteindre les ardeurs qui me consument ou du moins les mitigerait beaucoup eh
comment un fils se résoudrait-il à refuser ou à différer ce soulagement à
celle qui l'à conçu dans son sein enfanté dans la douleur allaité nourri et
élevé avec tant de dévoûement lorsque je vivais sur la terre
226
je vous ai toujours trouvé affectionné envers moi obéissant plein de
gratitude prompt à entreprendre et touché des sollicitudes dont vous étiez
de ma part le constant objet comment se fait-il qu'après mon trépas je vous
retrouve oublieux sans affection sans reconnaissance vous qui au lit de mort
me faisiez de si belles promesses ayant des larmes plein les yeux jurant que
vous feriez tout pour mon âme si vous m'avez tant aimée vivante pourquoi cet
amour a t-il maintenant cessé ai-je donc cessé moi d'être votre mère et vous
parce que vous vivez encore êtes-vous déchargé des obligations d'un fils
chrétien ah si une seule étincelle reste en vous de l'amour que vous me
portiez entendez mes gémissements compatissez à mes peines secourez-moi dans
mes cruels tourments car si un fils ne pense point à soulager sa mère à qui
pourra-t-elle recourir voilà ce que je vous fais entendre du fond de ma
triste prison aux plaintes d'une mère ajoutons celles d'un fils envers sa
mère Thomas de Catimpré raconte de son aieule qu'ayant perdu un enfant sur
lequel  elle avait fondé une partie de son avenir elle restait inconsolable
jour et nuit elle versait toutes les larmes de ses yeux jusqu'à être menacée
d'en perdre la vue et on pouvait bien lui appliquer ce mot de Jérémie
"Plorans plorabat in nocte et lacrymoe ejus in maxillis ejus." Et cependant
tout ce beau chagrin ne l'amenait point à la seule chose bonne en semblable
circonstance c'est-à-dire à être utile à cette âme par des prières des
aumônes des austérités l'oblation de la sainte Messe aussi la pauvre âme
gémissait-elle amèrement dans le purgatoire et
227
maudissait cette attache stérile fondée sur des sentiments purement naturels
et humains qui ne lui servait d'aucune consolation dans son épreuve elle
suppliait le Seigneur d'éclairer cette mère aveugle et de la changer Dieu
daigna l'exaucer en envoyant à cette femme une miraculeuse vision un jour au
plus fort de sa douleur elle fut ravie en esprit il lui sembla voir au
milieu d'une route une procession de jeunes gens s'avançant allègrement vers
une magnifique cité comme elle cherchait avidement si par hasard  elle n'y
découvrirait point son propre fils elle l'aperçut en effet mais après tous
les autres marchant d'un pas appesanti sous le poids de ses vêtements
trempés d'eau et avec une  fatigue visible emue à cet aspect elle lui crie "
Pourquoi donc cher objet de mes douleurs rester de la sorte loin de cette
troupe brillante ? je te voudrais à la tête de tes compagnons." L'enfant lui
répondit en soupirant : " Voyez ô ma mère combien je suis retardé dans ma
route par ces larmes stériles que vous versez sur moi et qui me désolent
sans fruit aucun cessez de vous livrer à une aveugle et stérile douleur
affermissez votre coeur et s'il est vrai que vous m'aimez si vous voulez
mettre un terme à mes souffrances dans cette route du ciel appliquez-moi le
mérite de quelques prières d'aumônes plus abondantes et de messes dites à
mon intention voilà comment vous me prouverez votre attachement maternel
c'est par-là que vous me délivrerez du lieu de supplices ou je gémis et que
vous m'introdurez dans la vie éternelle bien autrement désirable et heureuse
que cette vie terrestre que vous m'aviez donnée." La vision s'effaça mais
elle avait produit son effet et dès ce moment la mère affli -
228
-gée comprit mieux son devoir et s'y appliqua avec une ferveur toute
chrétienne ( V. J. Gerson, Querela defunctorum ; T. Catimpré, Apum II, c.
53, n. 17.)
 
 
 

228
69ème Merveille        La plus grande souffrance du purgatoire est la privation de la
vue de Dieu.
 Mon âme a soif du Dieu vivant : quand pourrai-je venir et me
présenter devant le visage de mon Dieu ? ( ps. IV, 1 - 2.)
Les peines
temporelles de l'autre vie étant différentes suivant la culpabilité de
chacun de célèbres docteurs estiment que certaines âmes n'ont pas d'autre
purgatoire que le châtiment du Dam c'est-à-dire la privation de la vision
béatifique de Dieu ils apportent pour preuve une révélation de la divine
Vierge à sainte Brigitte cette grande servante du Seigneur apprit ainsi
qu'il y a un purgatoire spirituel appelé le purgatoire de désir dans lequel
ceux qui n'ont point soupiré ici-bas après leur Créateur ont pour expiation
particulière d'être privés un certain temps de sa vue après leur mort ce qui
leur paraît cruellement pénible ils se sentent invinciblement portés vers ce
suprême objet de toute perfection et de toute félicité une attraction aussi
forte que
229
l'existence elle-même les soulève vers lui ils sentent que leur unique repos
est là là seulement là pleinement qu'ils n'ont point d'autre but  d'autre
consommation de leur être et un obstacle plus fort encore les repousse et
les retient au loin frémissants et enchaînés ainsi le feu serait violemment
maintenu dans un petit espace ou il tenterait vainement avec sa puissance
redoutable de dilatation de s'étendre selon sa nature plusieurs âmes ont
fait savoir dans des apparitions merveilleuses ce que c'est que ce supplice
voici l'un de ces protiges arrivé dans le duché de Luxembourg examiné et
déclaré authentique par le vicaire-général de l'Electeur -archevèque de
Trèves le jour de la Toussaint une fille pieuse et modeste vit tout-à-coup
paraître devant elle l'âme d'une dame morte peu de temps auparavant qui lui
avoua que son plus grand purgatoire était d'être privée de la vision
béatifique de Dieu elle était vêtue  de blanc un voile également blanc sur
la tête le rosaire à la main en signe de la dévotion qu'elle avait toujours
professée envers la Reine du ciel elle se fit voir de la sorte plusieurs
autres fois particulièrement à l'église ou elle se mettait à genoux auprès
d'elle suivait ses prières et l'accompagnait jusqu'à la sainte table
témoignant une profonde adoration et un respect sans bornes elle assistait
au divin  sacrifice et au moment de l'élevation son visage s'enflammait et
brillait d'une telle ardeur que le témoin favorisé du ciel en était dans
l'admiration et déclarait n'avoir jamais rien vu de si beau on peut croire
qu'elle choisissait le saint temple parce que ne pouvant voir face à face le
Dieu après la possession duquel elle soupirait elle voulait jouir du moins
230
de sa présence voilée sous les espèces sacramentelles et de plus elle
sollicitait mieux de cette manière les suffrages de la jeune chrétienne
qu'elle désirait intéresser à son sort celle-ci en effet ne cessait de prier
de mériter pour elle et allait souvent à l'autel de la sainte Vierge faire
célébrer à son intention une messe de Requiem un jour qu'elle était avec
plusieurs de ses compagnes dans une église de Notre-Dame changeant les
ornements qui couvraient la statue toutes s'inclinèrent pour baiser les
pieds de la divine Mère quelques-unes engagèrent la jeune fille à donner
elle-même un baiser de plus en faveur de cette âme qui lui apparaissait elle
le fit et comme elle se retournait elle vit venir au-devant d'elle l'âme qui
lui fit un salut empressé pour la remercier elle lui dit qu'elle avait fait
voeu étant en vie de trois messes à un autel de la Mère de Dieu qu'elle
n'avait pu l'accomplir et qu'elle la suppliait de faire acquitter en son nom
cette dette sacrée qui ajoutait à son tourment la jeune fille s'empressa de
la satisfaire au moment ou la troisième messe s'achevait comme elle se
retirait elle vit accourir à elle la pauvre âme cette fois toute joyeuse
toute resplendissante qui lui tendait les bras avec effusion et semblait
vouloir lui donner le baiser de la reconnaissance parce que son expiation
venait d'être abrégée et diminuée a cette vue la jeune fille s'agenouilla et
les bras en croix se mit à réciter cinq Pater et Ave Maria aux cinq plaies
du Sauveur en faveur de la défunte et celle-ci s'approcha de nouveau et lui
soutenait les bras pour l'aider à achever cette dévotion au reste l'âme qui
apparaissait ainsi et qui trouvait
231
tant de charité dans cette bonne et pieuse chrétienne ici témoignait sa
gratitude de différentes manières surtout en lui donnant de précieux
conseils elle lui recommanda par exemple de ne jamais former de voeu à moins
qu'elle n'eût la certitude de le pouvoir accomplir dans toute sa teneur
parce que les promesses faites à Dieu sont rigoureusement exigées elle lui
disait de se garder particulièrement aussi de faire jamais le moindre
mensonge si léger qu'il parût  le juge éternel qui est la vérité même ne le
pouvant souffrir elle l'exhortait à une filiale dévotion envers Marie et
spécialement à faire mémoire de ses douleurs au Calvaire alors qu'elle se
tenait au pied de la croix contemplant dans l'amertume du coeur les plaies
de son adorable Fils " Ayez soin disait-elle toutes les fois que vous
rencontrez son image de répéter ces trois invocations de ses litanies :
Mater admirabilis Consolatrix afflictorum Regina sanctorum omnuim plus vous
aimerez et servirez fidèlement cette auguste protectrice des chrétiens plus
vous la trouverez favorable et bien-veillante au moment terrible du jugement
qui fixe notre sort éternel." Elle lui conseillait encore d'appliquer ses
oraisons ses pénitences ses oeuvres pieuses au soulagement des âmes du
purgatoire qui reçoivent de tels secours un immense adoucissement à leurs
maux Or pendant qu'un matin l'âme s'adressait ainsi à la jeune fille on
entendit sonner à un autel voisin la cloche de l'élevation aussitôt la
défunte y courut et s'agenouilla dans la plus humble adoration chaque fois
qu'elle prononçait les noms de Jésus et de Marie elle s'inclinait avec
respect pratique fort ordinaire autrefois aux bons fidèles et aujourd'hui
trop négligée
232
Une véritable intimité s'était établie à la suite de ces apparitions presque
journalières qui n'excitaient plus la moindre terreur la jeune fille sachant
à quel point son amie de l'autre monde était heureuse quand elle pouvait
s'approcher du divin sacrement pour l'adorer l'invita familièrement à venir
avec elle à l'église des Pères jésuites le 3 décembre fête de saint François
Xavier parce qu'elle y devait faire la sainte communion l'âme n'y manqua
point et se tenant à côté de son amie l'accompagna partout elle ne la quitta
qu'après son action de grâces qui fut assez longue et comme elle savait
qu'elle avait adressé pour elle de ferventes supplications au Dieu de
l'Eucharistie elle la remercia lui annonçant qu'enfin arrivait le temps ou
ses désirs allaient être accomplis et ou elle posséderait son Dieu qu'elle
viendrait le 8 du même mois fête de l'Immaculée Conception prendre congé
d'elle avant de monter au ciel la chose se fit ainsi ce jour- là elle
apparut tellement brillante au milieu d'un  surprenant éclat que son amie ne
la pouvait regarder elle assista à la sainte Messe auprès d'elle lui
recommanda de nouveau la dévotion à la sainte Vierge et lui promit qu'elle
serait son avocate dans le paradis ou elle attendrait leur réunion enfin le
10 pendant la Messe de l'Octave elle vint encore plus resplendissante salua
respectueusement l'autel ensuite la jeune fille et fut emportée dans les
airs ou un messager céleste qu'on doit croire avoir été son ange gardien
vint au-devant d'elle l'embrassa avec l'effusion que met une mère à
embrasser un fils retrouvé après une longue séparation et l'emporta dans ses
bras aux pieds de l'auguste Trinité
233
Cette histoire vraiment touchante autant qu'elle est véridique justifie bien
la parole de saint Chrysostôme dans sa quarante-septième homélie :"
Supportez tous les tourments dit-il vous n'en imaginerez point qui égale la
privation de la béatifique de Dieu : Plures ponat quis gehennas tale nil
dicet quale est beatâ gloriâ privari."   Un poète a dit : O quantum manes
aspectum Numinis ardent ! O quanta est tanto carcere poena bono ! Inferni
tormenta minus quam gaudia coeli  Excruciant igni saevius urit amor : "Oh
avec quelle impatience les âmes soupirent après la vue de Dieu Oh que dure
est au juste la peine de cette étroite prison les tourments de l'enfer sont
moins douloureux que l'éloignement des joies du paradis l'amour y consume
plus que le feu " ( V. Eusèbe Nieremberg, De Pulchritudine Dei, livre II, c.
11.)
 
 
 
 

234
70ème Merveille        Les peines du purgatoire sont conformes aux fautes commises
 le fils de l'homme rendra à chacun selon ses oeuvres ( Matth., XVI , 27.)
Les paiens
avaient inventé dans les fables de leur mythologie grossière des supplices
particuliers dans le Tartare pour certains crimes et pour certains criminels
tel que Tantale il y avait là-dessous les traces d'une vérité dont ils ne se
rendaient pas compte et dont les chrétiens ne doutent point à savoir que
l'expiation de l'autre vie est conforme aux péchés commis dans celle-ci
c'est le lieu de rapporter ce qui fut révélé à saint Corprée évèque en
Irlande ce prélat s'étant arrêté dans l'église après l'office de vêpres à
faire oraison  vit subitement se dresser devant lui un spectre pâle
ténébreux horrible couvert de vêtements étrangers il portait au cou un
collier de flammes sur les épaules un manteau sale incomplet qui ne couvrait
que l'un des deux bras cette apparition n'épouvanta pas le saint qui savait
que Dieu veille sur ses serviteurs regardant en face le fantôme il lui
demanda qui il était " Je suis répondit-t-il une âme passée à l'autre vie -
Et d'ou vient ta difformité affreuse ? - Ce sont mes fautes dit le défunt
qui m'ont
235
attiré cette punition quoique vous me voyiez dans un si misérable état
sachez que je suis Malachie autrefois roi d'Irlande je pouvais faire
beaucoup de bien dans cette haute position et je n'ai pas su le faire."
Corprée étonné lui demanda encore " Je croyais que vous aviez fait une
entière pénitence de toutes les fautes de votre vie ? - Hélas répondit le
spectre je n'ai pas voulu obéir à mon confesseur j'ai prétendu le plier à
mes caprices et je n'ai pas eu honte de lui offrir dans cette intention un
anneau d'or et maintenant je porte à cause de cela un cercle de feu à mon
cou il me brûle cruellement et me tient captif comme un prisonnier le
confesseur infidèle ne saurait m'être d'aucun secours car il porte un
collier semblable plus douloureux même et plus brûlant." Le saint évèque
admirait cette divine justice qui punit l'homme par ou est venue son offense
il désira savoir de plus ce que voulait dire le manteau déchiré sale et en
guenilles l'âme répondit que c'était encore une punition particulière " Ce
misérable vêtement qui ne me couvre qu'à moitié est l'effet d'une charité
mal faite un mendiant presque nu étant venu me demander l'aumône je le
renvoyai à la reine qui étant peu compatissante ne lui donna que cette
espèce de sac dont vous me voyez couvert pour ma confusion." Le saint lui
demanda alors pourquoi il lui apparaissait et ce qu'il attendait de lui    "
J'étais tourmenté par les démons dit-il ils me faisaient endurer mille
supplices lorsque le chant des psaumes dont ils ont horreur les a mis en
fuite ils m'ont abandonné un instant dans ce lieu et Dieu permet que je me
manifeste à vous pour réclamer vos saints suffrages." Et aussitôt il ajouta
236
avec de grands cris : " Hélas ! Hélas ! voici que mes bourreaux reviennent
mais avant de vous quitter mon père pour vous récompenser des prières que
vous ferez en ma faveur je veux vous indiquer ou j'ai caché cent onces d'or
et mille d'argent pendant le siège de la ville de Dublin que je voulais
reprendre sur les Normands vous disposez de cette somme suivant votre
volonté non non répondit le saint pasteur je ne veux point devenir riche sur
la terre c'est dans le ciel que j'ai placé mon trésor cela ne m'empêchera
pas de faire pour vous tout ce que je pourrai." A cette promesse le fantôme
s'évanouit en disant d'une voix forte : " Vae, voe qui bene non operatur,
dùm tempus benè operandi conceditur ! Malheur, malheur à celui qui ne fait
pas le bien lorsque le temps lui en est donné !" L'évèque rassemblant alors
ses douze chamoines leur rapporta toute cette vision et demanda leur avis
sur ce qu'il convenait de faire en faveur de ces deux âmes on décida que le
prélat intercèderait pour le prince et les chamoines en faveur du confesseur
et ils marquèrent certains jeûnes et certaines prières auxquels ils
s'obligaient volontairement afin d'apaiser la colère de Dieu depuis six mois
ils y étaient fidèles lorsque le roi se fit voir de nouveau à l'évèque non
encore triomphant mais à moitié déchargé du poids de sa punition il
souffrait des supplices beaucoup moins rigoureux quoique l'esprit humain les
pût à peine comprendre pendant la vie terrestre on continua donc de prier et
de pratiquer des austérités jusqu'à une troisième apparition cette fois
décisive et consolante puisque Malachie était resplendissant comme un astre
et remplie d'une joie céleste il dit à son bienfaiteur qu'il montait à
l'heure
237
même au paradis et qu'il n'oublierait jamais ce que Corprée avait fait pour
lui il ajouta que le confesseur le rejoindrait le jour suivant grâce au
souvenir charitable des prêtres de la cathédrale comme le saint demandait
pourquoi cette seconde délivrance n'avait pas lieu le même jour il répondit
que l'intercession du seul évêque avait été plus agréable au Seigneur que
celle de son chapitre réuni tant il est vrai que Dieu a des tendresses
particulières suivant la promesse de l'Ecriture envers ceux qui le servent
avec plus de générosité ( Acta Sanctorum des Bollandistes, 6 mars.)
 
 
 

237
71ème Merveille        Reconnaissance des âmes du purgatoire.
 
Nous vous récompenserons de ce que
vous avez fait pour nous. (Matth.X ,27)
Le glorieux saint Philippe de Néri
était rempli d'une tendre dévotion pour les pauvres âmes et l'une de ses
pratiques les plus chères était de prier et de mériter pour elles surtout
lorsqu'il avait été leur directeur spirituel il se croyait plus obligé
envers celles-là qu'envers toutes les autres ayant travaillé par son
ministère à leur purification aussi bon nombre de ces défunts animés de
confiance dans son intercession et dans les
238
sacrifices qu'il offrait lui apparurent-ils en maintes circonstances soit
pour le remercier soit pour le solliciter jamais il ne manqua d'avoir un
souvenir particulier et immédiat pour eux et son historien assure que ce fut
avec un merveilleux succès il le faisait aussi d'autant plus volontiers
qu'il reçevait lui-même par ce moyen des grâces plus singulières après sa
mort un père franciscain d'une grande piété priait dans la chapelle où l'on
avait déposé ses restes précieux lorsque le saint se fit voir à lui dans
tout l'éclat du triomphe environné d'une gloire céleste et au milieu d'une
troupe de bienheureux répondit que toutes ces âmes étaient celles des
membres de son ordre ou de ceux qui lui avaient fait du bien et qu'il avait
délivrées lui-même par ses prières elles venaient au-devant de lui pour
l'introduire dans la Jérusalem éternelle ce dévoûment aux âmes du purgatoire
passa du fondateur à l'ordre entier des oratoriens le P. Magnanti entre les
autres qui a laissé une mémoire bénie ne cessait d'intercéder pour elles et
comme saint Philippe il eut plus d'une fois connaissance du résultat de ses
prières il y avait dans la ville d'Aquila une fille noble appelée Elisabeth
plus riche des biens de l'âme que de ceux du monde et qui se lamentait de ne
pouvoir entrer dans un couvent faute de dot suffisante il lui eût été
agréable de se consacrer exclusivement au divin époux des vierges le
serviteur de Dieu la consolait en lui disant que Jésus lui préparait tout
prochainement des noces admirables auprès de lui et qu'elle
239
eut à s'y disposer sans retard en effet elle fit une courte maladie et
mourut comme une sainte a peine avait-elle rendu le dernier soupir que le P.
Magnanti eut l'assurance surnaturelle que cette âme tarderait peu à être
couronné au ciel au lieu donc d'unir sa douleur à celle de la famille il
consolait les parents en les félicitant d'avoir bientôt une céleste avocate
la prédiction fut promptement justifiée car la morte apparut à l'un de ses
frères dans toute la gloire des prédestinés et lui dit : "Avertissez mon
père de ne point faire de dépense pour délivrer mon âme par ses aumônes ;
grâce à l'intercession du P. Magnanti pour moi si rempli de charité l'heure
de mon salut a sonné." Le zélé religieux répandait encore des sommes
importantes qui lui étaient envoyées par de pieux chrétiens soit dans le
sein des pauvres soit dans les églises pour qu'on célébrât des messes en
faveur des défunts quoiqu'il aimât et pratiquât personnellement la pauvreté
il avait dans sa chambre une bourse qu'il appelait crumena animarum le
trésor des âmes imitant en cela le divin Sauveur dont le vénérable Bède dit
qu'il conservait une bourse des dons des fidèles afin de les distribuer aux
indigents (In Luc. , c.54). Il ajoutait à ce trésor celui de ses jeûne de
ses disciplines de ses grandes pénitences de ses veilles habituelles de son
renoncement absolu aux sens et au monde il poussa même si loin ce beau zèle
qu'il supplia le Seigneur d'exercer contre lui-même une partie du châtiment
de ces âmes afin de les décharger d'autant il fut entendu dans ce voeu
héroïque à partir de ce moment on le vit en proie à une douleur terrible qui
ne lui permettait presque pas de changer de place ce qui ne l'empêcha
240
pas néanmoins d'entreprendre plusieurs longs voyages dans l'intérêt du
prochain de sorte qu'on pouvait sûrement lui appliquer le mot de l'historien
romain au sujet d'un guerrier boitant d'un coup reçu dans une victoire : "
Singulis gressibus signabat vestigia glorioe : Chacun de ses pas gravait les
traces de son triomphe." Les âmes n'étaient point ingrates parmi les grâces
particulières et abondantes que Magnanti reçut du Ciel il en attribuait le
plus grand nombre à leur intercession entre autres celles de savoir les
choses éloignées de découvrir les fautes cachées de déjouer les pièges du
démon et autres semblables mais comme le monde assez peu soucieux de biens
spirituels estime davantage ceux qui regardent la vie présente je
rapporterai un péril d'où fut tiré obstensiblement le serviteur de Dieu par
cette médiation il revenait d'un pèlerinage à la sainte maison de Lorette et
il était arrivé près de Norcia à une célèbre église de la sainte Vierge il
voulut malgré l'avis de ses compagnons s'y arrêter pour célébrer le saint
sacrifice à son intention ordinaire après son action de grâces on se remet
en route ils avaient à traverser un lieu dangereux où plusieurs assassinats
s'étaient commis et précisément ils y tombèrent entre les mains des voleurs
qui les chargèrent de liens et les attachèrent à des arbres s'apprêtant à
les dépouiller de tout et à leur infliger de cruels traitements a ce moment
parurent sur la montagne deux enfants inconnus qui se mirent à pousser des
cris en faveur des captifs comme s'ils voulaient rassembler tout le pays
pour les délivrer les bandits étaient au nombre de douze ils coururent
au-devant des enfants déchargeant sur eux leurs armes
241
afin de les tuer ou de les forcer à fuir mais eux sans se laisser intimider
avançaient toujours en criant plus fort de sorte que les brigands se
décidèrent à abandonner la partie comme entraînés par un pouvoir supérieur
les enfants s'approchèrent délièrent les religieux et les mirent en état de
continuer leur route puis ils disparurent eux-mêmes sans qu'on pût savoir
qui ils étaient ni d'où ils venaient le saint oratorien crut fermement qu'il
devait cette délivrance aux âmes du purgatoire et que Dieu leur avait permis
de prendre cette forme enfantine conformément à la parole évangélique : Vous
n'entrerez point dans le royaume du ciel à moins de devenir comme de petits
enfants. Ou bien encore : " Le Seigneur avait montré de nouveau que pour
terrasser Goliath il lui suffit d'un enfant : Dedit victoriam in manu
pueri." (J. Marcien, Congr. Oratoru, Tit. I, 1. 2, ch.29.)
 
 
 

241
72ème Merveille         L'oeil de la justice divine.
 Les cieux même ont des taches à ses yeux. (Job, XV, 15.)
La
réputation de sainteté d'une personne défunte ne doit jamais empêcher de
prier pour lui lorsque le soleil brille d'un éclat parfait on aperçoit dans
l'air une quantité d'atomes de grains de poussières volants
242
qui échappent ordinairement à la vue ainsi les imperfections et les fautes
que ne découvre point notre jugement obscurci sont visibles à l'oeil
pénétrant du Seigneur combien d'âmes nous estimons triomphantes au ciel qui
souffrent encore dans le Purgatoire qui croirait que quelques-uns même de
ces admirables religieux qui ont vécu dans la stricte observance des
Constitutions de Saint-Benoît à l'origine de cet ordre ont dû endurer après
la mort de longs et sévères châtiments ? Le pape saint Grégoire-le-Grand en
rapporte plusieurs exemples dans ses beaux et intéressants Dialogues il
parle entre autres dans les termes de l'étonnement du sort de Paschase
cardinal-diacre de la sainte Eglise romaine il avait vécu dans une haute
estime de vertu c'était un homme d'une rare édification actif aux oeuvres
saintes plein de charité pour les pauvres de mépris pour lui-même  de zèle
pour la diffusion de la foi il avait composé pour sa défense plusieurs
ouvrages que saint Grégoire qualifie de rectissimi et lucutenti exacts et
précieux à lire cependant lorsqu'il s'était agi en 498 de l'élection du
Souverain Pontife élection qui causa des troubles dans la ville de Rome
Paschase fut d'un avis contraire à celui des autres électeurs il donna sa
voix à Laurent quoique les votes se fussent réunis sur Symmaque qui fut
reconnu pour légitime vicaire de Jésus-Christ et brilla sur le Siège
pontifical comme l'un des plus saints papes Paschase n'en persista pas moins
dans une sorte d'opposition d'ailleurs respectueuse et modérée quand il
mourut peu après dans les sentiments de la plus tendre piété
243
chacun l'estima un saint et ne douta point que ses vertus ne fussent
couronnées au ciel des miracles confirmèrent cette opinion universelle le
jour de ses funérailles un possédé du démon qui s'était approché du
catafalque et qui avait touché la dalmatique déposée sur le corps fut
aussitôt délivré de l'esprit malin qui s'échappa en présence de tous les
assistants et abandonna sa victime mais combien les jugements de Dieu
différent de ceux des hommes il y avait peu de temps que tout cela s'était
passé lorsque saint Germain évêque de Capone étant tombé dans une grave
maladie reçut de ses médecins le conseil d'aller à certaines eaux prendre
des bains convenables à son infirmité il y était quand il vit paraître
devant ses yeux le diacre Paschase sous la forme d'un serviteur réduit à la
plus dure condition qui lui dit que le Seigneur l'avait condamné à expier
ainsi ce qu'il y avait eu de trop humain dans sa conduite à l'égard du pape
saint Symmaque il supplia en même temps l'évèque d'avoir compassion de sa
misère et de prier pour une âme qui lui en conserverait éternellement de la
reconnaissance Germain s'empressa d'obtempérer à cette demande et d'offrir
le saint sacrifice pour le défunt avec des aumônes et des prières au bout de
quelques jours il eut l'assurance de la délivrance du défunt qui n'avait
péché au reste par aucune malice mais par suite de l'infirmité et de
l'imperfection humaine (V. Saint Grégoire, liv. IV. Dialogor c. 40;
Baronius. Annales, 498.)
 
 
 

244
73ème Merveille
Supplications des âmes pour obtenir qu'on les secours. Vous avez crié vers
moi et je vous ai tiré de la main de vos oppresseurs (Juges, X, 12.) Il n'y
a point plus douce à l'oreille de la clémence divine que celle qui l'implore
humblement aussi a t-elle promis d'exaucer de telles prières et de leur tout
accorder : Clamabit ad me et ego exaudiam eum : Il criera vers moi et je
l'exaucerai." Dieu a permis que l'on entendit plusieurs fois sur la terre
d'une manière sensible les cris et les supplications des âmes du purgatoire
lui demandant secours dans leur détresse j'en ai cité précédemment un ou
deux exemples j'en rapporterai ici quelques autres empruntés à l'histoire de
la Compagnie de Jésus le P. Jacques Rem religieux d'une grande vertu et d'un
zèle tout apostolique se faisait remarquer encore par sa particulière
dévotion pour les pauvres âmes il demeurait au collège d'Ingolstadt et
continuellement il s'y appliquait en leur faveur à la prière au jeûne aux
macérations du corps bien des fois il reçut la visite de défunts qui le
conjuraient d'intercéder pour eux les apparitions s'approchaient de son lit
la nuit et murmurant à son oreille ou l'appelant à haute voix l'engageaient
à se mettre en oraison ce qu'il faisait
245
avec l'empressement le plus dévoué et sans un regret pour son sommeil
interrompu de plus nombre d'habitants de la ville marchands bourgeois
domestiques ont déposé avec serment avoir entendu de temps à autre dans le
cimetière voisin des cris sortant du fond des tombes Père Jacques ayez
compassion de nous nos souffrances sont horribles obtenez-en la fin
procurez-nous ce soulagement au nom de la charité !" On peut conclure de là
en quel crédit étaient auprès de Dieu ses prières il avait principalement
recours à l'auguste Marie qui montra de son côté par plus d'une merveille
combien ce bon serviteur lui agréait au nombre des apparitions relatées par
ses historiens on cite celle du P. François d'Asti qui vint visiter son
bienfaiteur et interrogé par lui en quel état il se trouvait lui répondit :
" In gaudio inenarrabili ; Dans une joie ineffable." ce qui combla le bon
Père d'une telle consolation qu'il ne parlait jamais de ce fait longtemps
après sans se sentir tout transporté la dévotion et les mérites du P. Joseph
Anchieta surnommé l'Apôtre du Brésil ne furent pas moins édifiants nous ne
nous astreindrons pas à redire ce qu'il faisait pour ces âmes si dignes de
toute notre piété c'est toujours le même amour de l'oraison et de la
pénitence comme il était au collège de Bahia il fut appelé en toute hâte
pour administrer le sacrement de pénitence à un malade qui habitait un
village assez éloigné de la ville il s'empresse d'y courir mais au retour la
nuit le surprit en route et arrivé près d'un lac il entendit un concert de
gémissements qui semblaient sortir de la terre son compagnon épouvanté ne
respirait plus mais lui habitué à ces manisfestations
246
surnaturelles dit simplement : " Mettons-nous à genoux et récitons cinq
Pater  et cinq Ave aux cinq plaies du Sauveur pour le soulagement des âmes
qui font en ce lieu leur purgatoire et qui nous implorent par permission
divine." Cette prière achevée on n'entendit plus rien comme si le
soulagement avait été immédiat du reste jamais pareil fait ne s'était
produit auparavant ni ne se produisit depuis en cet endroit si tel était
l'effet des simples prières du P. Anchieta le divin sacrifice offert par lui
en avait de bien plus considérables le jour de la fête de saint Jean apôtre
et évangéliste durant l'octave de Noel il avait pris un ornement noir et dit
une messe de Requiem les fidèles étaient fort étonnés d'une telle nouveauté
la couleur noire n'étant pas permise pour les solennités de ce temps le P.
Nobréga supérieur de la maison bien qu'il fût persuadé qu'un religieux de
tant de science et de sainteté avait quelque grave motif d'agir ainsi ne
laissa pas de le reprendre tous ses confrères afin d'ôter à sa conduite le
caractère d'irrégularité qu'elle paraissait avoir " Comment se peut-il faire
lui dit-il qu'en un jour comme celui-ci vous ayez refusé à saint Jean de
l'honorer au saint autel avec toute l'Eglise ? Aviez-vous oublié d'ailleurs
les prescriptions des rubriques et des règlements ecclésiastiques ?" Le bon
Père humble et obéissant répondit que Dieu lui avait fait connaitre qu'un
prêtre de la Compagnie qui avait été son condisciple à l'université de
Coimbre et qui se trouvait pour lors en Italie au collège de la sainte
Maison de Lorette était passé de vie à trépas cette nuit-là même qu'il
s'était senti inspiré de prier tout de suite pour lui à l'autel et qu'il
croyait que Dieu l'avait voulu. "  Et -
247
bien ! continua le supérieur qui avait la plus haute idée de la sainteté du
Père savez-vous si ce sacrifice lui a été utile !  -  Oui reprit modestement
Anchieta le Seigneur m'a fait voir immédiatement après la commémoration des
morts lorsque je disais ces paroles : Deo Patri omnipotenti in unitate
Spiritus Sancti omnis honor et gloria ; Cette chère âme délivrée de toute
peine monter au ciel où l'attendait la couronne." (Jacques Hautin, Palroc.
animar., ch.11, art.2.)
 
 
 
 

247
74ème Merveille         Récompense de ce que l'on fait pour les âmes du
purgatoire
On vous remettra selon la mesure que vous aurez employée pour les
autres (Luc.,VI,38.)
Il y a dans le Lévitique (XXIV,20) une loi qui impose
au criminel un châtiment identique au mal qu'il a commis : "Sic fict ei :
oculum pro oculo dentem pro dente restituet : Voici comment on le traitera
il rendra oeil pour oeil et dent pour dent." Cette règle s'observe à la
lettre on peut le dire dans ce qui concerne les suffrages pour les défunts
ceux qui n'ont pas eu souvenir de leurs souffrances et qui n'ont pas
travaillé à les adoucir par leurs prières éprouveront un oubli semblable
après leur mort
248
Nous lisons à ce sujet un trait intéressant dans les Chroniques de
Carmélites-déchaussées au bourg de Los-Angélos dans la nouvelle-Espagne un
vertueux religieux du monastère de Notre-Dame-du Remède passa à l'autre vie
si pieux qu'il eût été il avait besoin cependant de prières et comme on ne
les offrit pas à Dieu pour lui il dut souffrir durant plusieurs années les
peines du Purgatoire au bout de ce temps Dieu lui permit de recourir à l'un
de ses amis il apparut donc à un frère lai du même ordre nommé Pierre de
Sainte- Marie grand serviteur de Dieu lui-même après lui avoir représenter
l'horreur des tourments qu'il endurait il le supplia d'aller en son nom
prier le Père prieur de faire célébrer pour lui plusieurs messes des morts
son bonheur étant à ce prix le frère s'acquitta aussitôt du message mais le
prieur frère Dominique de la Mère de Dieu ne lui accorda pas facilement
créance suspectant une imagination frappée ou une illusion d'esprit faible
il ne fit point dire les messes quoique même  dans le doute il semble que la
charité eût exigé de lui cette concession quelques jours après l'âme
reparait elle dépeint avec tristesse encore et d'éloquence ses tortures au
bon frère Pierre le pressant d'aller de nouveau implorer la pitié du
supérieur celui-ci fut frappé de ces circonstances et cette fois crut à
l'apparition plusieurs religieux par son ordre montèrent au saint autel et
offrirent pour leur confrère l'adorable victime dont le sang efface toutes
les iniquités des hommes bientôt on sut l'effet de cette charité une nuit
que le même frère se tenait à genoux pendant l'office de matines et que le
supérieur était dans sa stalle on vit briller tout
249
d'un coup un globe de lumière et au milieu l'âme resplendissante du défunt
qui s'élevait doucement vers le ciel mais avant de disparaître elle se
tourna pleine d'allégresse d'abord vers le frère puis du côté du prieur et
leur fit à l'un et à l'autre un signe de profonde gratitude comme si elle
leur attribuait sa glorieuse délivrance toutefois le P. Dominique pour
n'avoir pas voulu se rendre à la première demande éprouva un châtiment que
nous devons aussi rapporter il fut envoyé dans un autre couvent où il mourut
au bout de plusieurs années sa vie avait été celle d'un édifiant religieux
mais qui ne le sait par sa propre et journalière expérience ? nous ne sommes
de nous-mêmes que faiblesse et corruption et nous amassons un trésor
continuel de petites infidélités suivant le mot de saint Grégoire : "De
mundano pulvere etiam religiosa corda sordescunt : La poussière de ce monde
s'attache aux coeurs les plus purs." Il fut donc condamné lui aussi au lieu
d'expiation et après y avoir souffert quelque temps il lui fut permis de
venir réclamer ici-bas des suffrages il se fit voir à un religieux  convers
le Frère Joseph de Saint- Antoine au moment où il coupait du bois dans la
forêt  il demanda à ce bon moine qui était d'une grande simplicité d'avertir
tout de suite le Père prieur que l'âme du P. Dominique endurait depuis
longtemps l'horrible supplice du feu et qu'elle avait besoin que l'on offrit
pour elle un certain nombre de messes qu'elle marqua : "Ce sont ajouta
t-elle des intentions que je devais acquitter moi-même et auxquelles la mort
m'a empêché de satisfaire parce que j'y avais apporté quelque négligence."
Frère HJoseph accepta la commission
250
et s'en vint trouver le prieur lui racontant naivement toute l'histoire
celui-ci ne savait que croire la chose lui paraissant si extraordinaire et
d'autre par la bonhomie du frère ne laissant guère lieu de craindre un écart
d'imagination il négligea l'avertissement Dieu permettant que la faute du
mort fût châtiée en quelque sorte par elle-même l'apparition se renouvela et
le frère Antoine revint à son supérieur l'âme conjurait qu'on eût compassion
de son lamentable état et qu'on lui accordât les messes demandées elle en
appelait au coeur de tous ses frères et à leur religion le prieur se rendit
alors et chargea plusieurs Pères d'acquitter les intentions de frère
Dominique a partir de cet instant le frère Joseph ne vit plus rien ce qui
fit penser que l'expiation avait cessé et que le défunt avait été admis dans
le sein du Seigneur sans doute il ne faut pas croire à toute parole
l'Ecriture-Sainte nous avertissant que cette disposition est un signe de
legèrté : Qui cito credit levis est corde. ( Eccl. , I, 97) mais aussi une
réserve trop grande tient de l'orgueil de l'ignorance ou de l'étroitesse
d'esprit toutes choses qui mènent à l'infidélité suivant Isaie : Qui
incredulus est infideliter agit. ( V. P. François de Sainte- Marie, Chron.
FF, Carm. discale., T.II livre 7, ch.44.)
 
 
 

251
75ème Merveille        Dévotion extraordinaire pour les âmes touché de compassion
il répandit des
larmes au souvenir du défunt (II. Macch. IV, 37.)
Nous ne pouvons omettre
dans ces récits la singulière piété d'un vénérable serviteur de Dieu animé
d'un zèle également infatigable pour les vivants et pour les morts et qui
peut servir d'exemple et de stimulant aux pasteurs eux-mêmes et ce trait
mérite d'autant mieux d'être conservé qu'il s'y trouve un certain nombre
d'apparitions sur l'authenticité desquelles il n'y a guère lieu d'élever un
doute ce chrétien admirable s'appelait Gratien Ponzoni membre de la
Congrégation instituée par Saint Charles Borromée et ensuite archiprêtre
d'Arona toute sa vie il s'intéressa au soulagement des âmes du purgatoire il
serait trop long de redire en détail ses ferventes prières accompagnées de
larmes ses nombreuses et dures pénitences ses jeûnes les cilices qu'il
imposait à sa chair ses veilles ses disciplines qui allaient jusqu'au sang
toutes choses que nous trouvons immanquablement dans quiconque veut apaiser
la colère divine voici seulement ce que la dévotion de Ponzoni avait de
particulier le respect et la piété qu'il professait pour les âmes le
252
portaient à imiter Tobie dont il est dit qu'il s'empressait de donner la
sépulture à ceux qui venaient de mourir ou d'être tués : Mortuis atque
occisis sepulturam solocotus exhibebat Il ensevelissait donc de ses propres
mains les pauvres les abandonnés tous ceux que le mépris ou l'indifférence
du monde poursuit jusque dans le tombeau un mal contagieux qui se déclara à
Arona fit périr bon nombre de soldats napolitains en garnison dans cette
ville le fossoyeur dont le devoir était d'ensevelir ces malheureux ne se
sentait pas le courage d'y mettre la main il s'éloignait avec terreur
redoutant la contagion le bon archiprêtre le réprimanda de cette faiblesse
l'encouragea le fit venir dans sa maison pour lui donner à la fois les
conseils et l'exemple et la nuit il le conduisait avec lui auprès des
cadavres leur rendre les derniers devoirs de la piété animé comme il l'était
de cette ferveur qui suivant saint Paul détruit la crainte : Charitas quoe
foras mittit timorem il méritait aussi que ses oraisons fussent agréables à
Dieu comme celles de Tobie son modèle et qu'elles fussent portées au pied du
trône divin par l'ange du Seigneur : Quando orabas et sepeliebas mortuos ego
obtuli orationem tuam Domino. ( Tob., XII.) Le saint prêtre avait en outre
et avant tout assisté à l'heure de la mort avec zèle et une charité tout
apostoliques un grand nombre de ces infortunés puis il avait veillé à ce
qu'ils fussent convenablement inhumés dans le cimetière situé près de son
église de Sainte- Marie un jour après l'office de vêpres comme il passait
auprès de ce cimetière accompagné de don Alphonse Sanchez alors gouverneur
d'Arona seigneur plein de religion il s'arrêta tout-à-coup les yeux fixés du
côté
253
des tombes et comme absorbé par un spectacle étrange le gouverneur regardait
de la même façon et dans un sentiment égal de stupeur l'archiprêtre se
tournant vers lui lui demanda : " Voyez-vous monsieur le même spectacle qui
m'est offert en ce moment une procession de morts s'avançant vers l'église
bien qu'elle soit fermée ? - Oui répondit le gouverneur comme vous je vois
tout cela et je n'en puis croire mes yeux." Assuré qu'il n'était point le
jouet d'une illusion le bon prêtre comprit que ces âmes lui faisaient
connaître le besoin qu'elles avaient d'intercession et de prières et
aussitôt il fit sonner les cloches pour convoquer le peuple à l'église il
annonça pour le lendemain un office solennel en faveur des morts demandant à
tous les fidèles d'intervenir par leurs bonnes oeuvres dans une telle
occasion : " Car dit-il j'ai lieu de croire que ces âmes sont celles des
soldats que nous avons perdus." Au reste il ne se contentait pas d'être
lui-même plein de cette dévotion il la prêchait fréquemment et s'éfforçait
de la faire partager à tous ceux qui l'entendaient particulièrement parmi
les ecclésiastiques qui professaient pour sa vertu une grande vénération
c'est aussi dans la même pensée qu'il fit construire une petite chapelle des
morts dont la partie du cimetière qui touchait à son église et il y disposa
tout ce qui pouvait porter au souvenir des défunts et faire réciter pour eux
aux moins une courte prière de la part de chaque passant il tournait de ce
côté la plupart de ses actions ne jugeant pas rien fût  plus agréable au
Sauveur il permettait quelques jeux dans sa maison aux heures des
récréations après le travail mais outre qu'il interdisait tous ceux qui ont
un caractère dangereux ou
254
qui passionnent pour les futilités il avait réglé que tout le gain serait
employé à faire dire des messes pour les pauvres âmes et à cet effet une
boite était déposée sur la table Personne ne refusait de souscrire à une si
pieuse condition et ainsi remarque l'auteur qui rapporte cette circonstance
et celui qui gagnait et celui qui perdait concouraient également charitable
et sainte pourquoi cet exemple n'est-il pas suivi parmi les fidèles ? et
d'où vient que tant de chrétiens demeurent insensibles aux maux de leurs
amis défunts ? ( V.P. Maroc-Antoine S.J.Rossa, Vita venerabilis Graziani
Punzoni, c. VIII.)
 
 
 

254
76ème Merveille        Petites aumônes faites de bon coeur.
Si tu as peu de chose donne peu mais volontiers :
tu amasses ainsi une récompense qui sera grande (Tobie, IV, 9.)
L'ange Raphael envoyé au jeune Tobie lui recommanda
spécialement la  vertu de l'aumône et le soin des morts deux choses qui se
donnent la main et se correspondent on lit à ce sujet une histoire
intéressante dans les annales des Pères Augustins-déchaussés lors de la
fondation du couvent de Sainte-Marie à
255
Aversa le P. Hilarion de Saint-Antoine religieux de grande vertu qui
présidait aux travaux s'était retiré dans un hospice peu éloigné de l'église
de Saint-François où il célébrait chaque matin la sainte Messe un jour un
bon laic du nom de Jean-Baptiste employé lui-même à la construction à titre
d'économe voulut le servir à l'autel il y communia pour les âmes du
Purgatoire à l'intention desquelles le religieux célébrait ce matin-là
Hilarion l'invita ensuite à son modeste repas et Jean-Baptiste se rendit à
l'hospice à l'heure indiquée comme il entrait il trouva dans la cour
intérieur un jeune homme gracieux d'agréable aspect richement vêtu qui lui
dit qu'il souhaitait d'entretenir le P. Hilarion d'un sujet important
celui-ci averti s'excusait sur ce que le moment était mal choisi mais sur
les instances de l'étranger il descendit vers lui s'informa du motif de
cette visite et reçut pour réponse que le jeune homme le suppliait pour
l'amour de Dieu de lui faire part en ce moment des aliments de sa table
cette demande étonna le religieux celui qui la faisait paraissant plutôt en
état de faire du bien aux autres que de se réclamer d'un pauvre moine pour
manger cependant il se rendit à sa prière lui dit d'attendre un instant et
courut au panier où il mettait son pain le premier pain qu'il en tira était
le meilleur le plus blanc quoiqu'il ne l'eût point choisi il eut la pensée
d'en prendre un autre de qualité inférieure mais il lui sembla entendre au
fond du coeur une voix qui lui disait : "Pourquoi cette délicatesse ? Qui
sait si ce n'est point un ange du paradis que Dieu t'envoie ? car enfin il
est entré la porte de la cour étant fermée." Il prend donc ce pain y ajoute
la meilleure partie de ce qu'il
256
avait sur la table et lui envoie le tout en le priant de l'excuser du peu
qu'il ne pouvait lui offrir davantage étant pris à l'improviste en attendant
le Père et Jean-Baptiste se mirent de leur côté à diner mais sans manger
beaucoup ils étaient sous le poids d'une sorte de frayeur ne comprenant pas
comment cet étranger d'un air si distingué avait pu s'introduire dans une
enceinte parfaitement close leur conversation reprenait ce sujet sous toutes
les formes le religieux revenait à son idée :"Il est si beau disait-il que
ce pourrait bien être un ange envoyé du ciel. - Et pourquoi ajouta l'économe
ne serait-ce pas aussi bien une des âmes du purgatoire en faveur desquelles
nous avons ce matin prié ensemble ? Quand on jugea que le jeune homme devait
avoir fini Jean-Baptiste descendit pour le saluer et s'informer de lui
l'étranger se leva à son approche et l'abordant lui dit :" Eh bien mon frère
rendons grâces à Dieu récitons un Pater et un Ave en faveur des âmes
souffrante." Et aussitôt se mettant à genoux il joignit les mains leva les
yeux au ciel et proféra dévotement l'Oraison Dominicale et la Salutation
Angélique puis il s'achemina vers la porte prenant alors la main de
l'économe il ajoute :"Allez dire au P. Hilarion de cesser désormais de prier
pour l'âme de son père elle n'en a plus besoin car elle monte au ciel à
cette heure même." Et il s'évanouit comme un brouillard dissipé par le
soleil le brave homme restait cloué à sa place par la terreur il se mit à
crier :"Père ! Père Hilarion !" Mais la voix s'arrêtait dans son gosier
comme il est dit de la famille de Tobie (XII, 16) : Cum hoec audissent
turbati
257
sunt et trementes ceciderunt super terram in faciem suam. Le père s'était
mis à une fenêtre d'où il essayait vainement de voir quelque chose
s'entendant appeler il descendit rapidement l'escalier et trouva le pauvre
homme étendu sans connaissance il eut bien de la peine à le faire revenir et
ce ne fut pas sans une vive émotion qu'il entendit le récit de l'apparition
ils bénirent d'un commun accord le Dieu de miséricorde qui avait daigné
faire en leur présence ce touchant miracle où une âme s'était fait voir avec
quelque chose de la beauté dont le Seigneur revêtira ses élus dans les
parvis éternels on conserva précieusement les assiettes qui avaient servi
dans cette occasion les mêmes chroniques assurent que la fondatrice du
couvent un léger aliment sur l'une de ces assiettes et qu'il fut
instantanément guéri ( V. P. Epiphanius Chronic, EF August. Discalo. cap.
28.)
 
 
 
 

257
77ème Merveille        Le besoin que nous avons d'être purifiés
qui peut dire : Mon coeur est pur je suis exempt de péché ? (prov. , XX, 9.)
Saint Augustin nous avertit aussi bien que l'Ecriture qu'il n'est pas sur la terre un homme qui ne doive trem -
258
bler si le juge éternel veut scruter sa vie avec rigueur et sans laisser
dominer la miséricorde même les justes même les saints :Voe etiam laudabili
vitoe hominum si remotâ misericordiâ discutias ! Point d'âme si pure qui
n'ait ses taches le fait que nous allons rapporter semblerait incroyable si
nous ne l'écrivions sur le témoignage formel du cardinal Jacques de Vitry il
raconte donc que dans un village de la province de Liège vivait en 1208 une
veuve de moeurs édifiantes de vertu profonde et très-aimée de la vénérable
Marie d'Oignies célèbre elle-même dans l'Eglise pour sa sainteté elle avait
élevé ses deux filles dans une grande innocence et pureté de vie jusque-là
qu'après avoir fait le voeu de virginité ces deux ferventes épouses de
Jésus-Christ s'étaient consacrées à la retraite où elles servaient de
modèles à toute la jeunesse de la paroisse la mère tomba dans une grave
maladie qui la réduisit promptement à l'extrémité dès que la vénérable Marie
en fut instruite elle accourut au chevet de la malade pour lui porter
quelques paroles d'encouragement et de consolation O prodige en entrant dans
la chambre elle voit la Mère de Dieu la reine du ciel assise auprès de sa
servante la soignant d'un air maternel un éventail à la main avec lequel
elle rafraîchissait son visage brûlant de fièvre heureuse âme qui dans sa
lutte suprême avait mérité d'être réconfortée par celle que la voix du monde
chrétien proclame la Consaltrice des affligés Consolatrix afflictorum la
sainte visiteuse aperçut en même temps une troupe de démons qui
s'efforçaient d'entrer armés de toutes leurs tentations et de tous leurs
pièges ordinaires contre les moribonds mais aussitôt parut l'apôtre saint
Pierre l'étendard de la croix à
259
la main qui les mit en fuite à son approche ils avaient été comme frappés de
la foudre les grâces miraculeuses ne se bornèrent point encore à cela
lorsque la vertueuse dame fut morte et qu'on fit ses funérailles la
bienheureuse Marie d'Oignies vit Marie accompagnée d'une troupe de vierges
divisées en deux choeurs qui assistaient à la cérémonie rangées autour du
corps et chantant harmonieusement des psaumes pour le repos de cette âme il
lui sembla même que Notre-Seigneur avait pris la place du prêtre officiant
et présidait à l'assemblée chrétienne réunie au pied de l'autel c'est ainsi
dit le narrateur que l'Eglise triomphante s'unissait à l'Eglise militante
pour honorer une fidèle servante de Dieu fidèle au culte de Marie Eh bien
lecteur chrétien vous croirez sans doute qu'une âme si merveilleusement
favorisée à ce point qu'il n'en est pas une autre dans l'histoire
ecclésiastique qui l'ait été davantage fut transportée immédiatement au ciel
par les anges Hélas les jugements du Seigneur sont terribles et il ne peut
souffrir en nous malgré toute sa miséricorde que dis-je ? à cause même de
cette miséricorde la moindre tache parce qu'elle nous tourmenterait
éternellement la vénérable Marie d'Oignies après avoir pris part aux
funérailles et assisté à la déposition du corps se retira pour faire oraison
selon sa coutume dans cette prière elle fut ravie en extase elle vit l'âme
de la pieuse veuve portée dans le purgatoire et condamnée à de dures
souffrances afin d'être dégagée parfaitement de plusieurs imperfections
humaines cette vue épouvanta la sainte elle se hâta  d'avertir les deux
filles de la défunte de s'unir à elle pour satisfaire à la divine
260
justice par des prières des aumônes des jeûnes et autres mortifications
elles continuèrent ensemble ces exercices pieux et charitables jusqu'à ce
que la défunte apparut à Marie d'Oignies environnée de gloire et dans tout
l'éclat du triomphe céleste elle tenait à la main un livre celui des
évangiles sans doute pour montrer qu'elle avait été une fidèle disciple de
la sagesse éternelle venue sur la terre instruire les hommes et qu'elle
avait consciencieusement observé ses préceptes concluons de cette histoire
combien nous devons redouter la justice sévère d'un Dieu qui est la sainteté
même et avec quel soin il convient d'éviter ces fautes légères que nous nous
permettons si aisément puisqu'enfin il n'en est pas une que nous ne devuions
expier un jour dans les larmes et la douleur concluons encore avec quelle
tendresse l'auguste Mère des chrétiens veille sur ceux qui ont été fidèles à
l'invoquer et qui se sont rangés sous sa maternelle bannière (V. L.
Surius,23 juin, Maria Ognaciencis, I. 2, ch. 3).
 
 
 

261
78ème Merveille        Iniquité convertie en oeuvre méritoire.
 
Faites-vous des amis avec l'argent de l'iniquité afin que au moment où vous manquerez ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc. XVI, 9.)
Cette leçon du Sauveur de convertir  par une sainte alchimie la boue des biens mal acquis en un or de mérites et
de satisfactions fut pleinement observée par Zachée lorsque ce converti
rendit à ceux qu'il avait dépouillés quatre fois autant et donna aux pauvres
la moitié du reste une infinité d'autres à sa suite usuriers marchands
déloyalement enrichis héritiers d'une fortune douteuse se sont volontairment
appauvris de ces richesses empoisonnées pour acquérir les trésor de la grâce
nous avons à montrer comment un fait de ce genre procure la délivrance d'une
âme dans une ville de Hongrie dont on ne dit pas le nom un soldat de moeurs
brutales bien mal à propos décoré du nom de Clément avait commis un homicide
simplement pour satisfaire la vengeance d'un concitoyen qui le récompensa
d'une grosse somme d'argent le remords vint pourtant il accompagne
immanquablement les grands crimes voilà donc ce ferrailleur tour-
262
menté du désir d'obtenir miséricorde pour son forfait il va trouver un
confesseur se jette à ses pieds avoue ses iniquités avec une grande
abondance de larmes et en obtient l'absolution en outre il fait voeu
d'employer les deux cents florins qu'il a reçus à faire sculpter ce qu'on
appelle une Pitié c'est-à-dire une Vierge tenant entre ses bras le corps de
son divin Fils détaché de la croix et de plus à faire célébrer trois messes
de pénitence avec offrande de douze cierges au Saint-Sacrement Or il tarda
de s'acquitter de ses promesses et la mort le surprit le purgatoire reçut
cette âme qui avait tant à expier mais par une miséricorde singulière du
Seigneur il lui fut permis d'apparaître à une sainte fille nommée Reine qui
vivait dans la virginité et dans la pratique d'une parfaite vertu elle se
présenta donc à elle et lui dit :" Epouse de Jésus-Christ je vous supplie
pour l'amour de Dieu d'aller trouver ma femme qui vous remettra deux cents
florins c'est le prix du sang et voici ce que vous en ferez en mon nom vous
accomplirez un voeu que j'ai formé durant ma vie pour une statue de la Mère
des douleurs trois messes à faire dire et douze cierges à allumer devant le
Saint des saints et ce qui restera de la somme sera distribué aux pauvres a
ce prix je pourrai être délivré des cruels tourments auxquels je suis
condamnée présentement." la pieuse fille n'osa point s'acquitter de ce
message pour un motif et pour un autre le défunt lui apparut une seconde et
une troisième fois multipliant ses instances et la conjurant de ne lui point
refuser cette grâce suprême si elle avait quelque amour pour Dieu cette
vierge ne voulut pas se charger d'une
263
pareille commission elle répondit que cela lui était impossible qu'on la
laissât en repos et qu'elle détestait ces affaires d'argent où elle n'avait
aucun titre à produire - " Eh bien reprit l'âme je ne vous laisserai pas
tranquille jusqu'à ce que vous m'ayez exaucée fuyez où vous voudrez je
saurai bien vous trouver car c'est à vous seule que j'ai la permission de
m'adresser."Ces manifestations ne purent demeurer si secrètes qu'elles ne
vinssent à la connaissance de l'un des premiers de la ville cet homme touché
de pitié pour la pauvre âme en peine se décida à faire faire à son compte la
statue promise à l'intention de Clément et pour le décharger de son voeu il
fait donc venir un sculpteur lui expose son désir et son plan et lui enjoint
de mettre immédiatement la main à l'oeuvre et de hâter l'exécution celui-ci
n'ayant point dans sa boutique de bois convenable pour une statue de ce
genre sortit à la recherche de ce qui pourrait lui convenir et entra dans un
bois où il examinait l'un après l'autre tous les abres abattus pendant cet
examen il voit venir au-devant de lui un homme appuyé sur un bâton les
cheveux blancs le visage pâle qui ressemblait beaucoup par les traits et par
la démarche au défunt Clément -"Où allez-vous ainsi et que cherchez-vous ?
dit-il au sculpteur - Je cherche répond celui-ci un bois d'excellente
qualité pour en faire une image de la Vierge de douleurs jusqu'à présent je
n'ai guère réussi ceux-ci sont trop verts ceux-là trop peu consistants ou
bien la qualité ne convient point pour le ciseau - Eh bien reprit l'étranger
ne vous agitez pas davantage c'est moi qui vous conduirai où il faut à
quelques pas d'ici
264
au milieu de ce bouquet d'arbres à main droite il y a par terre un arbre
coupé depuis quatre ans bien sec bien dur absolument ce que vous désirez."
L'artiste y va trouve ce qu'on lui avait annonçé et revient chez lui tout
content il se met aussitôt au travail le presse vivement et en très-peu de
temps il était achevé celui qui l'avait commandé vint le voir le trouva
parfait et lui dit de passer chez lui pour en reçevoir le prix quand il lui
plairait cependant l'âme de Clément se montre de nouveau à Reine et lui dit
qu'il est nécessaire que la dépense soit faite à ses propres frais sur les
deux cents florins qu'il a reçus pour le meurtre parce que l'argent
d'iniquité doit servir à la réparation et non point un autre que si sa
famille a déjà dépensé la somme il la faut retrouver en vendant les meubles
sans quoi il continuerait d'être tourmenté dans les flammes du purgatoire
n'ayant point expié suffisamment son crime abominable cette fois sa volonté
fut suivie alors on apporta la statue chez Reine on la plaça sur un petit
autel et au pied on mit les deux cents florins l'âme apparut encore mais
tout autre rayonnante glorieuse elle se répandit en remerciments commanda de
prendre les florins d'en donner une partie au statuaire et d'employer le
reste à l'accomplissement des oeuvres qu'elle avait vouées et au soulagment
des malheureux cette disposition indiquée elle s'éloigna mais les prêtres
qui firent la dédicace de l'image racontèrent qu'ils avaient entendu
distinctement pendant la cérémonie une voix pleine d'allégresse qui chantait
: " O mon Dieu et mon Seigneur vous êtes ma consolation et mon refuge vous
êtes ma force et mon espérance et mainte-
265
nant j'entre dans l'éternelle félicité que vous avez réservée à ceux qui
vous aiment." ( V Ch. Casalicchio, div. timoris, e. LIX)
 
 
 
 

265
79ème Merveille        L'amour du prochain doit s'étendre au - delà de cette vie
 Celui qui aime aime toujours. (Prov.
XVII, 17.)
Ce n'est point aimer véritablement que d'oublier l'ami qui a
disparu aux yeux du corps c'est ce que ne cessait de répéter aux enfants de
saint Ignace le P. Diégo Lainez second général des jésuites il voulait que
les intérêts des âmes leur fussent aussi à coeur par delà le tombeau
qu'auparavant il ne se contentait pas du conseil il donnait aussi l'exemple
une bonne partie de ses prières de ses sacrifices de ses études de ses
travaux pour la sainte Eglise et pour la dilatation de la foi catholique
étaient appliqués aux suffrages de celles qui souffraient en purgatoire les
Pères de la Compagnie furent fidèles à cet enseignement de charité et en
tout temps ils ont montré un zèle particulier pour cette dévotion comme on
peut le voir dans le livre intitulé Heroes et victimoe charitatis
Societatis  jesu duquel je transcrirai une seule page a Munster en
Westphalie vers le milieu du XVIIe siècle éclata un mal contagieux qui
faisait chaque jour
266
d'innombrables victimes la crainte empêchait de trouver facilement des
personnes qui se voulussent dévouer aux malheureux atteints du fléau alors
le Père Jean Fabricius jésuite se présenta dans cette noble arène de la
charité et mettant de côté toute préoccupation personnelle employa ses
journées à visiter les malades à leur faire prendre les médecines
nécessaires en même temps qu'il les exhortait à accepter chrétiennement de
la main de Dieu l'épreuve qu'il leur envoyait il les confessait les
administrait lui-même  les ensevelissait de ses mains montait ensuite pour
eux au saint autel du reste toute sa vie et dans toutes les occasions il eut
une grande affection pour les âmes souffrantes ainsi parmi ses exercices de
piété les plus chers pour lui-même et qu'il recommandait davantage était
celui de dire la messe de Requiem toutes les fois que les règles
ecclésiastiques le lui permettaient ses conseils eurent assez d'effet pour
engager les Pères de Munster à consacrer chaque mois un jour pendant lequel
ils tendaient leur église de noir et priaient solennellement pour les morts
ainsi que Dieu l'a souvent permis cette multitude d'oeuvres méritoires fut
récompensée en même  temps qu'encouragée par plusieurs apparitions de ces
âmes les unes le suppliaient de hâter leur délivrance qui tardait celles-ci
le remerciaent de ce qu'il avait déjà fait et lui annonçaient que l'heure du
triomphe était venue pour elles le plus grand prodige de charité fut celui
qu'il accomplit à sa mort avec une générosité  qu'on ne saurait  assez
admirer il fit le sacrifice de tous les mérites prières messes indulgences
mortifications que la Compagnie a coutume d'appliquer à ceux de ses
267
membres qu'elle perd il demanda à Dieu de l'en dépouiller lui-même pour en
revêtir les âmes souffrantes qu'il daignerait favoriser de ce trésor
testament en vérité sublime André Simoni de la même Compagnie avait une
charité égale quoiq'il ne fût pas prêtre ce désir qu'il avait de leur
appliquer les mérites du divin sacrifice lui en fit trouver le moyen ce fut
d'entretenir à ses frais plusieurs ecclésiastiques pour dire la sainte Messe
en son nom comme il était très-pauvre il n'avait d'autre ressource que de
mendier dans cette intention à la porte du couvent où il servait et le Ciel
permettait que beaucoup de riches lui donnassent pour cela autant qu'il
était nécessaire à son dessein afin d'y déterminer mieux encore les prélats
cardinaux étrangers grands seigneurs qui fréquentaient le noviciat de
Saint-André à Rome où il était concierge il cultivait un petit jardin rempli
de roses de jacinthes de giroflées d'anémones et autres fleurs dont il
faisait des bouquets qu'il leur offrait en leur suggérant le souvenir de ses
chères âmes on se laissait facilement gagner par ce zèle et cette piété et
on déliait volontiers sa bourse aussi quand il fut à sa dernière heure les
âmes qu'il avait soulagées le vinrent consoler visiblement et l'assistèrent
jusqu'au passage terrible à la grande édification des assistants a ce jardin
si fructueux pour les âmes ne pouvait-on pas bien appliquer le mot du
prophète Isaie : " Germen plantationis ejus ad glorificandum : C'est pour
procurer leur gloire qu'il a ainsi cultivé la terre ?." On fit à son sujet
quatre vers italiens dont voici le sens : " Beau jardin qui de tes fleurs
soulages les peines
268
d'autrui puisque tu procures un tel bien chacune de ces fleurs vaut un
trésor." ( V. l'ouvrage cité du Père Phil. Alegambe, année 1656.)
 
 
 
 

268
80ème Merveille        Révélations sur l'autre vie
 
le Seigneur révèle les mystères du royaume de la
mort ( Job, XII, 22.)
L'ordre vénérable des Théatins s'est toujours
distingué par son zèle pour les âmes du purgatoire et il lui a fait établir
à ce dessein plusieurs oeuvres charitables c'est un théatin le Père Jérôme
Méaza qui a composé et publié en latin avec autant de science sacrée que de
piété l'ouvrage intitulé Stimulus quotidianus incitans ad defunctorum
suffragia ( Exhortations quotidiennes à prier pour les morts) c'est dans cet
ordre encore qu'a vécu le grand saint André Avellino un autre dévot de ces
pauvres âmes et le plus connu lorsque suivant sa sainte et habituelle
pratique il intercédait humblement avec une angélique ferveur pour les
défunts il lui arrivait parfois d'éprouver comme une émotion de résistance
intérieure un sentiment d'invincible répulsion d'autres fois c'était au
contraire une grande consolation un attrait particulier il comprit bientôt
que la première de ces dispositions montrait que l'âme
269
pour laquelle il s'intéressait était indigne de pardon et condamnée au feu
éternel tandis que l'autre marquait l'épreuve du purgatoire de même dans
l'oblation du saint sacrifice où le plus souvent il avait pour intention la
délivrance des défunts s'il sentait dès son départ de la sacristie comme une
main qui le retenait il était inutile de prier pour cette âme mais quand il
était ravi en esprit et excité à une piété plus grande c'était pour lui
l'assurance qu'il n'intercédait point en vain et puis Dieu se plaisait à
accorder à son serviteur la connaissance de l'état des âmes en voici une
preuve un père de cet ordre étant à l'agonie (le P. Solaro) on entendit dans
sa cellule du bruit et de l'agitation comme si plusieurs personnes
disputaient et combattaient l'une contre l'autre ceux qui assistaient le
moribond redoublèrent pour lui leurs prières estimant qu'il avait à
supporter une plus terrible lutte quelques-uns sortirent pour monter tout de
suite à l'autel à cette intention pressante aussitôt  après la mort le bruit
cessa mais non pas les craintes des bons religieux qui redoutaient l'issue
finale du combat Saint André était dans une profonde oraison il en sortit au
bout de quelque temps et s'empressa de les rassurer et de les consoler l'âme
de Solaro lui était apparue elle lui avait dit qu'en effet elle avait eu à
soutenir une bataille mortelle avec les esprits infernaux qui la voulaient
perdre à ce moment suprême mais que ces horribles démons ne trouvant point
en elle les péchés qu'ils y cherchaient avaient été obligés de s'enfuir
honteusement laissant le malade achever dans la paix le passage de cette vie
à l'autre l'âme avait dû ensuite rester en purgatoire quelques heures pour
l'expiation de
270
plusieurs fautes légères mais bientôt la grâce du Seigneur et les prières de
ses confrères l'avaient délivrée de sorte qu'elle était montée glorieuse au
ciel cette assurance de la part du bienheureux que l'on savait ami
privilégié de Dieu fut pour toute la communauté une immense consolation mais
saint André a été l'apôtre de cette dévotion après sa mort comme il l'avait
été durant sa vie lorsque cet admirable serviteur de Dieu eut rendu l'âme à
son créateur une religieuse de grande vertu Madeleine Barona du couvent de
Sainte-Marie-de-la-Sapience à Naples était allée faire oraison pendant la
nuit au choeur de l'église pendant qu'elle se tenait à genoux en présence du
Saint-Sacrement récitant les vêpres des morts en faveur du bon Père au cas
où son âme aurait encore besoin de quelques suffrages elle vit venir à elle
d'un air très-extraordinaire une abeille laquelle tournait autour de sa tête
en voltigeant et en faisant entendre le plus doux murmure comme si elle eût
répondu aux psaumes puis elle se posa sur le bréviaire d'où elle ne s'envola
qu'à la fin de l'office Madeleine se sentit en même temps remplie d'une joie
intérieure si vive si étrangère à sa volonté si inexplicable qu'après avoir
étudié toutes ces circonstances  et consulté de sages directeurs elle ne
douta plus que Dieu ne lui eût ainsi fait comprendre que son serviteur était
reçu dans le paradis (V. Pentateuchus mortuorum, liv. IV, chap. 29, n.c.)
 
 
 
 

271
81ème Merveille        prix des souffrances d'ici-bàs
Les souffrances de cette vie ne sont pas
comparables à la gloire future ( rom. VIII, 18.)
On ne lit pas sans une
émotion profonde dans les histoires sacrées les cruelles souffrances que se
sont imposées certains pénitents pour donner satisfaction à la justice
divine même pour des fautes qui ne leur auraient assuré d'autres peines que
celles du purgatoire nous n'irons pas à cette occasion rappeler les
Chrysostôme les Jérôme les Antoine les Jean-Climaque les Hilarion etc mais
un trait plus récent tiré des Annales des PP. capucins.Parmi eux est célèbre
le nom du frère Antoine Corso pour les austérités que lui inspira son
avidité sainte d'expiation il ne se contentait point de la règle si dure et
si assujettissante de son ordre où la nature est rudement menée mais il y en
ajouta tant et de tel caractère qu'on ne croirait pas que le corps humain
les pût  supporter et il ne le peut assurément que par un secours surnaturel
pendant de longues années il adopta pour vêtement un cilice de poils de
cheval grossièrement fabriqué avec quantité de pointes tournées vers
l'intérieur qui le piquaient inévitablement de
272
nuit et de jour durant les plus grands froids de l'hiver il ne portait qu'un
mauvais manteau mal rapiécé qui le préservait à peine du vent le plus léger
il ne dormait que trois heures par nuit sur des planches passant le reste du
temps à genoux dans la méditation des vérités éternelles son abstinence
paraîtra incroyable presque tout le temps de sa profession religieuse il
n'eut d'autre nourriture qu'un peu de pain et d'eau et cinq onces de figues
sèches au lieu de devenir plus délicat avec l'âge il en arriva à ne manger
que trois fois la semaine un peu de pain avec quelques gouttes d'eau pure
chaque nuit encore il se flagellait durement en mémoire de la passion de
Notre-Seigneur lorsque venait la Semaine-Sainte il passait bien cinq heures
entières à se donner la discipline avec l'intention de s'imposer le nombre
de coups que reçut Jésus-Christ et que plusieurs saints ont cru être de
6.666. Pénitence en vérité si rigoureuse que le démon essaya plusieurs fois
de l'arrêter sans y réussir de lui comme de saint Pierre d'Alcantara on
pouvait dire selon la leçon du bréviaire de Rome :"Par de perpétuels veilles
jeûnes flagellations dépouillement et de toute espèce d'austérités il
réduisit son corps en servitude il avait passé avec lui cet arrangement
qu'ici-bas il ne lui donnerait aucun repos." Or après une telle vie vous
croyez certainement lecteur que l'âme d'Antoine fut portée aussitôt dans le
sein d'Abraham ? Cependant elle eut elle aussi son moment de Purgatoire ce
n'est pas que ce saint religieux eût à expier d'anciens égarements car il
avait apporté dans le cloître son innocence il y avait pratiqué la plus
étonnante perfection ami particulier de la
273
pauvreté de la privation et du dénûment absolu d'une humilité si profonde
qu'il ne pouvait souffrir l'idée d'être considéré pour quelque chose et
qu'il lui semblait qu'il aurait dû être mis sous les pieds de chacun
obéissant et docile jusqu'à l'excès si l'excès  est ici possible d'une
charité d'un zèle d'une ferveur sans égale avec cela des ravissements
d'esprit pendant lesquels il s'élevait au-dessus de la terre et des sens à
tel point qu'on l'eût cru en possession de la majesté suprême qui se réserve
comme éternelle récompense aux élus comment alors un tel religieux après une
vie semblable avec de telles vertus de telles pénitences une telle mort a
t-il pu aller en purgatoire ? comment cela est-il possible ? En voici la
raison rapportée dans l'histoire des Pères Antoine apparut après son heureux
trépas à l'infirmier du couvent nommé Jean qui lui demanda s'il ne se
réjouissait pas d'être enfin parvenu au but de tous ses désirs la possession
de Dieu loin des misères de la vie " Grâce à la divine bonté répondit l'âme
mon salut est assuré la Passion du Seigneur m'a obtenu cette faveur bien que
pour une faute de ma vie j'ai été en grand péril de la perdre je suis
condamné à me purifier entièrement dans les peines du purgatoire - Comment
dans le purgatoire reprit l'infirmier vous mon frère vous qui avez fait une
si exemplaire pénitence durant toute votre vie cela n'est pas possible car
que deviendrons-nous nous autres si imparfaits ? - Ma faute dit l'âme a été
un manquement à la sainte pauvreté si fortement recommandée à ses enfants
par notre séraphique père quand on a fondé le couvent de Saint-Joseph je me
suis hasardé à recher-
274
cher une certaine provision avec un soin différent de celui qu'exige notre
règle je ne croyais point faire mal mais j'aurais dû m'instruire davantage
de mes obligations et de la manière de les remplir ma négligence était donc
coupable et le juge suprême l'a jugée telle car il ne souffre pas la plus
légère tache dans ses élus." L'infirmier voulut savoir encore si l'expiation
qui lui était imposée était de la souffrance qu'on appelle peine du Sens
elle était assez douce mais que celle du Dam ou privation de la vue de Dieu
lui paraissait insupportable car aussitôt après la mort l'âme tend
invinciblement vers son créateur et tout ce qui l'en tient éloignée la
plonge dans une ineffable supplice le religieux ajoutait que sa peine serait
courte et que bientôt il allait être mis en possession du divin objet de
tous ses désirs nouvelle leçon du soin avec lequel on doit expier toutes ses
fautes et du cas qu'il faut faire des moindres manquements ( V. Annales
Pair. Capuc ; J-B Manni, Sacr Trig., disc. 6, n. 20.)
 
 
 

275
82ème Merveille        L'intercession des justes apaise la colère divine
Le Seigneur exaucera les prières des justes (prov. XV, 29.)
Lorsque la divine justice excitée par les
infidélités continuelles des juifs les voulait punir avec éclat Moise se
mettait en face de Dieu armé de la prière et il était alors tellement
puissant que Dieu lui-même semblait lui demander la permission d'agir : "
Dimitte me ut irascatur furor meus contra eos : Laissez-moi exercer contre
eux ma colère ( Exode, X)." Et de fait le Seigneur se rendit à ces
supplications aussi humbles qu'ardentes : "Placatusque est Dominus ne
faceret malum." Le même miracle des miséricordes s'est accompli bien des
fois dans la loi nouvelle soit à l'égard des vivants soit au bénéfice des
âmes du purgatoire je donnerai sur ce dernier chef une histoire racontée par
Thomas de Catimpré Simon Germain qui avait été d'abord grand seigneur et
savant connu dans le ciel puis moine et abbé dans l'ordre des Cisterciens
fut un religieux de vie exemplaire mais il avait ce défaut que voulant
élever à la hauteur de la sienne la ferveur des âmes il se montra souvent
plus rigide et plus sévère que ne le comportait un sage et discret
gouvernement de son monastère
276
C'était le zèle d'Elie qui l'animait plutôt que la mansuétude de
Notre-Seigneur il était en relation de spiritualité avec la pieuse vierge
Lutgarde qui lui rendit plus d'un utile service soit dans cette vie soit
après sa mort ainsi qu'on va le voir Germain mourut assez jeune et fut
condamné par la divine justice à expier son zèle trop dur dans les flammes
du purgatoire en apprenant cette mort Lutgarde en éprouva une vive peine
d'autant plus vive même qu'elle craignait que cette grande rigueur qu'il
avait fait paraître ne fut pour lui une source de souffrances avant d'entrer
dans le paradis c'est pourquoi elle se condamna à des jeûnes à des prières à
des mortifications nombreuses pour obtenir du céleste époux qu'il se montrât
indulgent envers son serviteur et le reçut promptement dans les éternels
tabernacles Jésus se fit voir à elle et lui dit :"Ayez courage ma fille
j'aurai égard à votre intercession." Mais comme elle ne se lassait point de
prier dans la même intention une voix intérieure lui dit encore : "Soyez
tranquille avant peu Simon sera délivré de ses peines." Alors la pieuse
fille ajouta :"Sauveur très-clément je vous prie que toutes les consolations
que par un excès de bonté vous destinez à votre servante soeint reportées
sur cette âme souffrante car je ne cesserai de gémir et de me lamenter
jusqu'à ce que je sache positivement qu'elle est introduite dans la gloire."
Le coeur de l'aimable Jésus ne put souffrir si on peut ainsi parler ces
plaintes de sa servante et peu après le voilà qui apparaît de nouveau à
Lutgarde conduisant avec lui l'ame de l'abbé entièrement délivrée et lui dit
: "Soyez en paix ma bien-aimée voici l'âme pour
277
laquelle vous priez tant." A ces mots la Vierge se jette à genoux aux pieds
de son Sauveur le front contre terre l'adorant et le bénissant d'un si grand
bienfait quand à l'âme toute ravie d'allégresse elle exprimait à Lutgarde sa
gratitude l'appelant sa libératrice et lui disant que sans elle elle  aurait
eu encore pour onze ans de supplices à endurer mais que tout été fini et
qu'elle courait à la récompense peu de temps après cette apparition la
fervente chrétienne en eut une autre plus merveilleuse encore le Vénérable
pontife de sainte mémoire Innocent III venait de mourir après avoir célébrer
le concile de Latran son âme se fit voir à Lutgarde tout environnée de
flammes et comme Lutgarde lui demandait qui elle était elle se fit connaître
" Quoi reprit celle-ci un si grand et si édifiant pontife notre père et
notre modèle d'où vient ce cruel châtiment ? - j'expie répondit Innocent
trois fautes pour lesquelles j'aurais perdu entièrement mon salut si au
dernier moment la Mère des miséricordes ne m'avait obtenu de son divin Fils
une contrition parfaite qui a couvert mes offenses mais sans me garantir de
l'expiation temporelle que j'endure présentement elle sera bien longue
encore si vous ne me secourez de vos prières : Sic oeternam quidem mortem
evasi sed poenis atrocissimis isquè ad diem Judicii cruciabor Marie m'a
encore obtenu cette autre faveur de venir vous trouver pour vous intéresser
à mon sort ayez donc compassion de moi je vous en conjure." La servante de
Notre-Seigneur éprouva de cette révélation à laquelle elle était loin de
s'attendre une vive douleur elle assemble aussitôt ses religieuses leur
expose l'événement et réclame le bénéfice de leurs bonnes
278
oeuvres pour le père commun qu'elles avaient vénéré sur la chaire de Saint
Pierre chacune s'y employa avec un zèle merveilleux et l'on croit qu'elles
obtinrent ce qu'elles sollicitaient de la miséricorde infinie le cardinal
Bellarmin parle de cette apparition comme d'une chose certaine et lui qui
était à la fois un saint éminent et un savant théologien écrit à ce sujet :
" Cet exemple me remplit véritablement de terreur toutes les fois que j'y
songe en voyant un pontife si digne d'éloges qui passa pour un saint aux
yeux des hommes sur le point de manquer son salut et condamné aux horibles
tourments du purgatoire jusqu'à la fin du monde quel sera le prélat qui ne
tremblera de tous ses membres ? Qui ne sondera les derniers replis de sa
conscience pour en chasser les moindres fautes ? " L'histoire se tait sur
ces trois offenses d'Innocent III pour lesquelles il eut tant à expier ( V.
Laur. Surius, 16 juin, Vie de sainte Luigare, liv. III, ch. IV, 7 et 9
.Bellarmin, De Gem. cou. II, c. 9.)
 
 
 
 

278
83ème Merveille        Un rayon de la lumière céleste dans le purgatoire
la lumière dans les ténèbres  ( Joan. I, 5.)
La divine Providence
a daigné plusieurs fois faire connaître comment dans le purgatoire elle
récompense
279
à la fois les bonnes actions et punit les mauvaises Sainte Madeleine de
Pazzi vit un jour apparaître devant elle toute brillante d'une céleste
lumière une religieuse qui venait de mourir ses mains seules étaient privées
de l'éclat miraculeux parce qu'elles avaient à expier certaines
imperfections contraires au voeu de pauvreté dans la vie monastique une
autre vierge lui apparut de même revêtue à l'extérieur d'une robe brûlante
et à l'intérieur d'un manteau formé de lys la première comme châtiment du
grand soin qu'elle prenait de sa parure étant sur la terre la seconde en
récompense de sa constance pureté qui n'avait souffert aucune tache un
prédicateur défunt de l'ordre des dominicains apparut à Cologne à l'un des
religieux sous des vêtements magnifiques et ayant sur la tête une couronne
d'or interrogé sur la signification de ces ornements il répondit qu'ils
représentaient les âmes sauvées à l'occasion de ses prédication et que la
couronne d'or en particulier était le prix de sa fidelité à observer toutes
les prescriptions de la règle qu'il avait embrassée et de la pureté
d'intention qu'il s'était appliqué à avoir toujours il fit connaitre ensuite
qu'il souffrait cependant encore pour l'expiation de certaines paroles
légères dites sans autre but que de satisfaire une gaité trop expansive sa
langue endurait seule les tourments nous devons une mention particulière à
un autre fait rapporté par le Père François de Gonzague évêque de Mantoue
dans son livre de l'Origine de la religion séraphique  Dans les îles
Canaries au couvent de la Conception placé sous l'invocation de
Notre-Dame-de la-Palme le vénérable serviteur de Dieu frère Jean de
280
Via franciscain le modèle de cette maison tomba dangeureusement malade pour
le soigner on lui donna un frère nommé Ascensio qui n'était encore que
novice mais fort avançé dans la perfection religieuse et qui mit tout son
dévouement et tout son coeur à s'acquitter de sa fonction le malade malgré
tant de soins expira dans les sentiments les plus édifiants : Pretiosa in
conspectu Domini mors sanctorum ejus  Le bon infirmier après lui avoir fermé
les yeux et avoir assisté à ses funérailles se retira à l'écart afin de
prier pour lui et continua cette sainte oeuvre pendant quelques jours un
soir dans la plus grande ferveur de sa prière voilà qu'il aperçoit
tout-à-coup devant lui un frère de l'ordre tout baigné dans de lumineux
rayons dont la cellule resplendit à l'instant même  cette lumière n'avait en
même temps rien que de doux et de suave à la vue puis tout s'effaça le
prodige se renouvela une seconde fois sans que le bon frère osât interroger
l'apparition il était trop hors de lui la troisième fois cependant un peu
enhardi il lui demanda : "Qui donc êtes-vous ? Pourquoi venez-vous si
souvent en ce lieu ? Au nom de Dieu je vous conjure de me répondre afin que
je sache la signification de tout cela." Le fantôme répondit : "Je suis
l'âme du frère Jean de Via qui vous ai tant d'obligation pour les prières
que vous ne cessez de faire monter au ciel en ma faveur je viens vous
apprendre que grâce à la miséricorde divine je suis dans le lieu du salut
parmi les prédestinés à la gloire et ces rayons vous en sont une preuve
cependant je n'ai pas été jugé digne encore de voir la face du Seigneur pour
un manquement qu'il me faut expier durant ma vie terrestre j'ai oublié par
ma faute la récitation de certains offices
281
pour les défunts auxquels j'étais obligé par la règle je vous conjure donc
très-instamment au nom de l'affection que vous me portez et bien plus encore
au nom de votre amour pour Jésus-Christ de faire en sorte que ces offices
soient acquittés pour moi afin que dégagé de tout reste de dette je sois
admis à ma dernière félicité." Le frère Ascensio courut aussitôt raconter au
père gardien sa triple vision il fut crut sur parole on assembla les
religieux et on leur imposa de dire immédiatement les offices en question a
peine étaient-ils terminés que l'âme vint de nouveau se faire voir au pieux
novice mais plus brillante encore ainsi la lumière du soleil l'emporte sur
celle des étoiles elle lui adressa l'expression animée de ses remerciements
lui promit d'être au ciel son avocate et sa gardienne puis lui montrant deux
Pères couronnés de gloire qui l'accompagnaient elle lui dit que celui de
droite était leur séraphique fondateur saint François et l'autre leur saint
frère Bernardin de Sienne venus tous deux pour l'accompagner dans le séjour
des délices où ils voulaient l'introduire eux-mêmes en souvenir de sa
fidelité religieuse (Fr. Gonzague, De orig. seraph. relig, 4e, p.n°7.)
 
 
 
 

282
84ème Merveille        utilité des sacrements pour nous purifier devant Dieu
 Ils ont ignoré les mystères divins et ils n'ont point espéré la récompense de la justice
( Sap. 11, 22.)
Ce n'est pas ici le lieu d'exposer comment les sacrements sont les
sources perpétuelles d'une eau salutaire et les inépuisables réservoirs de
la grâce de la justice des vertus et des actes méritoires non plus que de
faire ressortir l'ingratitude et l'insensibilité de ceux qui souhaitent les
vrais biens et qui n'ont aucun zèle pour acquérir ces trésors inestimables
ou la folie de ces malades désespérés qui ne cherchent point leur guérison
dans ces infaillibles remèdes notre sujet nous amène seulement à montrer
comment cette indifférence cette ingratitude cette folie et cette
insensibilité sont punies après la mort nous en voyons d'abord un exemple
dans une religieuse qui peu soucieuse de sa perfection omettait facilement
de s'approcher du banquet eucharistique  in quo mens impletur gratiâ et
futuroe nobis pignus datur nous en avons un second dans un ecclésiastique
lequel cloué sur son lit par la dernière maladie ne s'empressa point de
reçevoir le sacrement de l'Extrême-Onction ce bouclier du salut clypeus
salutis
283
comme il est appelé que Notre-Seigneur nous a réservé pour la lutte suprême
suivant la doctrine du saint concile de Trente sess. XIVe :
"Extremoe-Unctionis sacremento finem vitae tanquam firmissimo quodam
proesidio munivit." L'an 1599 au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à
Florence mourut une religieuse très-estimée de ses soeurs qui se fit bientôt
voir à sainte Madeleine de Pazzi pour réclamer son intercession dans le
rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée la sainte était en prières
devant l'autel du Saint-Sacrement lorsqu'elle aperçut la défunte agenouillée
au milieu de l'église dans l'acte d'une adoration profonde mais avec un
aspect assez étrange elle avait autour d'elle un manteau de flammes qui
semblait la consumer à l'exception de la poitrine que garantissait une sorte
de voile passé autour du cou Madeleine s'étonnait de voir une de ses soeurs
dans ce tourments elle voulut savoir ce que cela signifiait et reçut pour
réponse que cette âme souffrait ainsi pour avoir eu trop peu de dévotion
envers l'auguste sacrement ne communiant que rarement et avec négligence
malgré les prescriptions contraires de l'ordre que pour cela la divine
justice l'avait condamnée à venir chaque jour dans l'église du monastère
rendre ses devoirs à la sainte Eucharistie brûlant de l'ardeur qui lui avait
alors manqué et s'unissant autant qu'elle le pouvait à la chair adorable du
Sauveur enfin qu'elle avait une grande reconnaissance envers Dieu qui lui
avait donné en récompense de sa fidèle virginité le voile qui la
garantissait en partie du châtiment ce récit toucha la sainte et la
détermina à subvenir au besoin de cette pauvre âme par autant de suffrages
qu'il
284
lui serait possible jusqu'au moment où il fut révélé qu'elle avait été
admise au nombre des élus Madeleine se servit plusieurs fois de cette
histoire qui lui était personnelle pour exhorter ses filles spirituelles au
zèle pour la sainte communion le châtiment imposé à l'écclésiastique fut
plus rigoureux il avait trop tardé à recevoir l'Etrême-Onction en quoi il se
montra d'autant plus coupable que son confesseur et les assistants lui
avaient fait part du danger et le pressaient de mettre en ordre tout ce qui
regardait son salut afin d'avoir la force nécessaire en face des embûches de
l'ennemi épouvanté à cette idée de mourir sitôt il voulut différer craignant
que ce sacrement ne hâtât sa fin préjugé inconcevable dans un prêtre il n'y
avait d'ailleurs pas le moindre mépris dans ce refus mais une simple
superstition à la vérité déplorable puisqu'elle le privait des grâces
nécessaires à son état et que nous savons encore que ce dernier sacrement
rend quelquefois la santé elle-même quand elle est nécessaire au salut selon
la doctrine du concile de Trente tant et si longtemps tarda-t-il qu'il
mourut sans ce précieux secours de l'Eglise Or pendant qu'on se disposait à
faire ses funérailles Dieu permit qu'en présence de tous les invités réunis
autour du corps ses yeux s'ouvrirent et il parla ainsi :"Pour me punir de
mes retards de la grâce de purification dont je me suis volontairement privé
le Seigneur m'a condamné à cent années de Purgatoire à moins que les prières
et les bonnes oeuvres des fidèles ne me viennent en aide si j'avais reçu le
sacrement des mourants comme c'était mon devoir et j'aurais eu le
285
temps de faire pénitence." Cela dit les yeux se refermèrent le mort était
rentré dans son repos suprême (V. Vincent Puccini. Vita S. Maiae Magdal. de
Pazzi, 1re p. c.29; Mich.Alix, Hortus Pastorum, tract. VI, lect. 2.)
 
 
 

285
85ème Merveille         Prières exaucées
je te consolerai vierge fille de Sion ( Thren.II,13.)
Dieu s'est
plu à éxaucer par des grâces signalées au profit des âmes du purgatoire les
prières de la sainte veuve Brigitte ainsi que nous le lisons dans plusieurs
endroits de ses Révélations ouvrage recommandé par l'Eglise cependant il
parait bien qu'il a accordé plus de faveurs encore à sa fille Catherine qui
sut conserver même dans le mariage le beau lys de la virginité Catherine
était un jour à prier à Rome dans la basilique de Saint-Pierre devant
l'autel de Saint-Jean l'évangéliste elle vit venir à elle une femme
étrangère couverte d'une tunique blanche avec une ceinture d'une autre
couleur un voile blanc sur la tête et par-dessus tout cela un manteau noir
cette femme s'approcha de la sainte la salua et l'exhorta à intercéder pour
une âme sa compatriote Catherine demanda le nom de cette personne défunte à
quoi il lui fut répondu que c'était une suédoise qui lui parlait et qu'elle
lui appor-
286
tait la nouvelle de la mort de Gida femme du prince Charles frère de
Catherine laquelle avait besoin qu'on s'intéressât à sa délivrance Catherine
pria l'étrangère de l'accompagner chez sa mère sainte Brigitte pour lui
annoncer elle-même ce funeste événement mais elle s'en excusa sur ce qu'il
ne lui était pas permis de faire cette visite qu'elle n'avait de message que
pour Catherine et que ce message accompli il lui fallait partir tout de
suite qu'au reste il n'y avait point à douter de la vérité du fait qui
serait confirmé avant peu par un autre envoyé venu tout exprès de Suède qui
apporterait en outre la couronne d'or que la défunte avait léguée par
testament à sa belle-soeur afin d'en obtenir quelque souvenir et quelques
prières devant Dieu en même temps cette femme s'éloigna et disparut
tout-à-fait Catherine courut après elle interrogea tous ceux qu'elle
rencontra mais vainement on n'avait vu personne bien que quelques-uns
eussent entendu dans la chapelle le murmure d'une conversation elle se
rendit en toute hâte auprès de sa mère à qui elle fit part de la nouvelle et
des circonstances extraordinaires dans lesquelles elle lui était parvenue
Brigitte souriant avec douceur répondit que la nouvelle était certaine  que
le Sauveur avait daigné la lui faire connaître  à elle-même pendant son
oraison que cette mort avait été chrétienne et consolante et que l'étrangère
de la basilique n'était autre que la chère défunte qui avait obtenu la grâce
de venir auprès des siens solliciter des prières elle ajouta qu'en
reconnaissance de la couronne d'or souvenir adressé de si loin elles
devaient l'une et l'autre faire tout ce qu'elles pourraient
287
On ne tarda guère à voir arriver à Rome le courrier annoncé c'était Ingévald
officier du prince Charles chargé de remettre personnellement le legs de la
princesse la couronne était belle et fort riche la défunte avait coutume de
la porter dans les solennités de la cour le secours n'était point inopportun
les deux saintes se trouvant pour lors dénuées de ressources elles
continuèrent ce qu'elles avaient commencé dès le premier jour jeûnes aumônes
actes d'humilité ( on sait que Brigitte mendiait humblement à la porte des
églises pour distribuer ensuite cet argent aux malheureux) austérités de
toutes sortes veilles et prières il n'y a point à douter que ces vertueuses
amies de Dieu n'aient obtenu promptement cette délivrance car leur vie
abonde en miracles de ce genre assurent leurs historiens dont les
témoignages ont été scrupuleusement contrôlés ( V. Surius ; de plus, Acta
Sanctorum, 24 mars, vie de Ste Catherine, ch. 4.)
 
 
 

288
86ème Merveille        Dieu instruit les vivants sur les mystères de l'autre vie
le Seigneur dévoile ce qui est profond et caché et son oeil voit dans les ténèbres (Daniel II,22.)
Le Seigneur voulant faire connaître aux hommes pour les
engager à la vertu une partie de ce qui les attend au-delà du tombeau a fait
plusieurs révélations dont une des plus instructives est celle qui se lit
dans le procès authentique de la canonisation de saint Bernardin de Sienne
au diocèse de Nocéra dans le royaume de Naples était mort un enfant de onze
ans nommé Biagio au moment où l'on accomplissait la cérémonie des
funérailles voici que le défunt en présence de tout le peuple agite ses bras
et ses mains se remue tout entier et pousse un gémissement fort et
douloureux puis il retombe dans son insensibilité cadavéreuse grande fut la
stupeur de chacun on se jette à genoux à faire des prières d'autres pensant
qu'il n'est qu'évanoui lui font respirer des sels le frictionnent
l'appellent le secouent et en effet il s'agite de nouveau et soupire encore
on différa donc l'enterrement et on fit venir les m"decins pour s'assurer
s'il n'y avait pas moyen de rendre à la vie cet enfant qui paraissait
respirer
289
Tout fut inutile le cinquième jour cependant sa famille eut recours à
l'intercession du bienheureux Bernardin qui leur obtint la grâce désirée
Biagio semblant sortir d'un profond sommeil ouvrit les yeux reconnut ceux
qui l'entouraient et se mit à leur raconter les secrets de l'autre vie il
demeura dans cet étrange état quatorze jours entiers immobile comme un mort
n'ayant de libre que la langue avec laquelle il instruisait merveilleusement
les assistants il raconta donc qu'il avait véritablement rendu le dernier
soupir qu'au moment de sa mort saint Berbardin auquel il avait une grande
dévotion l'avait appelé à lui et se faisant son guide lui avait recommandé
de ne rien craindre d'observer attentivement tout ce qu'il verrait et de le
graver dans sa mémoire afin d'en pouvoir le récit plus tard alors rapide
comme l'éclair il l'avait transporté en enfer où il avait vu une troupe
innombrable de damnés parmi lesquels il y en avait de sa connaissance le
saint lui en nommait d'autres ajoutant que ceux-ci expiaient éternellement
leur orgueil ceux-là leur leur avarice d'autres leur gourmandise leur dureté
leurs impures habitudes leurs hideux blasphèmes leur déloyauté etc pendant
qu'il contemplait avec horreur cet épouvantable spectacle il avait vu une
nouvelle armée de démons trainer violemment un homme de son pays usurier
connu et qui était précisément mort à cet instant et le précipiter dans un
brasier ardent où malgré les flammes régnait une obscurité effrayante le
fils de cet homme qui assistait à ce récit prit aussitôt  la résolution de
distribuer aux pauvres toutes les richesses paternelles et de
290
se retirer dans un couvent à faire pénitence le reste de ses jours pour se
préparer au jugement l'horreur que ce spectacle causait à l'âme de l'enfant
était telle que saint Bernardin voulut l'y arracher tout de suite et le
conduisit au paradis où il pouvait contempler les récompenses magnifiques
assurées à la fidélité persévérante des justes il vit donc la glorieuse
armée des martyrs les palmes du triomphe à la main le choeur des vierges
couronnées de lys la troupe innombrables des anges divisés en ordres sous le
regard du Seigneur au-dessus de tout cela se tenait la Reine du ciel un
diadème d'étoiles sur le front ayant pour manteau l'astre du jour environnée
de tant de splendeurs que rien ne lui pouvait être comparé si ce n'est la
gloire encore bien plus grande de son divin Fils qui paraissait former lui
seul tout un paradis aucune expression humaine n'était capable de rendre la
splendeur de l'aguste Trinité Bernardin lui fit remarquer la gloire
particulière du séraphique saint François dont on voyait étinceler les
miraculeux stigmates il avait autour de lui une couronne de ses religieux
dont un grand nombre avaient été délivrés du purgatoire par l'intercession
du béni patriache François avait le privilège au jour de sa fête de
descendre dans ce lieu de tourments et d'en retirer quelques âmes de celles
qui avaient embrassé sa règle ou qui avaient été les protectrices de l'ordre
mais ce qui doit nous intéresser davantage Biagio fut aussi conduit par
Bernardin au lieu de l'expiation et il y put étudier les différents
supplices infligés aux différentes fautes il vit plusieurs de ses parents et
de ses amis tourmentés selon les dettes spirituelles qu'ils
291
avaient à s'acquitter Notre historien applique ici à la suite de saint
Augustin (De civit. Dei, liv.21, ch. 13.) les vers si connus de Virgile :
Ergo exercentur poenis veterumque malorum Supplicia expendunt ; alliae
tolluntur inanes Suspensae ad ventos ; aliis sub gurgite vasto Infectum
eluitur scelus, aut exuritur igni. (En.VI,746.) Ces âmes l'aperçevant le
conjurèrent s'il retournait à la vie de réclamer pour elles le souvenir de
leurs proches de leurs amis de tous ceux qui les avaient aimées qu'on
apaisât la colère divine par les oeuvres saintes que recommande l'Eglise
alors elles verraient finir leurs affreux tourments et béniraient leurs
bienfaiteurs le jeune enfant après avoir vu tout cela le cinquième jour au
moment où l'on avait recouru à saint Bernardin avait été remis en vie et en
état de rapporter chaque chose de point en point il le faisait avec une
telle justice d'expression une exactitude si remarquable de doctrine une
telle sûreté de récit qu'on aurait cru entendre non point un enfant sans
science sans langue et sans expérience mais tout au moins un théologien
consommé on n'eut aucun effort à faire pour lui accorder pleine confiance il
disait à l'un :"Ton père qui est mort à telle époque souffre dans le
purgatoire et se lamente douloureusement à cause que tu n'as point éxécuté
son testament qui t'obligeait à faire telle aumône à demander tant de messes
à faire chanter tel office des défunts." A l'autre : " Ton père enterré
depuis deux mois est cruellement traité dans le lieu de l'expiation il se
plaint de ton infidelité lors-
292
qu'en héritant de la part de bien qui lui revenait tu lui as promis et tant
de prières dont la moitié n'a pas encore été acquittée." Enfin pour ne pas
étendre outre mesure ce récit il apprenait à chacun distinctement ce qu'il
devait faire pour  répondre à ce que des parents ou des amis espéraient de
lui dans l'autre monde tous s'empressèrent de lui obéir et le pays entier
prit de ce miracle un nouveau motif de fidelité aux saintes lois de
l'Evangile et aux inspirations de la charité (V. Acta Sanctorum des
Bollandistes, Append. ad 20 mai, p. 823, n. 36.)
 
 
 

292
87ème Merveille        Combien la prière est utile aux âmes du purgatoire
la prière de celui qui s'humilie pénètre les cieux. (Eccli. XXXV, 21.)
Le grand docteur saint Jérôme après avoir décrit le
sépulture donnée par saint Antoine à saint Paul premier ermite dans une
petite fosse recouverte simplement avec du sable réprouve le vain luxe de
ceux qui ambitionnent pour leurs parents ou pour eux-mêmes la pompe des
funérailles mondaines prodiguant le brocart les tentures précieuses les
cierges le marbre choisi les mausolées magnifiques à des cendres misérables
et veulent encore que du haut de la tribune ou
293
de la chaire retentisse l'éloge du défunt en termes éloquents. " Pourquoi
dit-il tant de riches draperies ? pourquoi cette ambition vivant encore au
milieu du deuil et des larmes ? Est-ce que les cadavres des riches ne
peuvent se décomposer que dans la soie et l'or ? Cur motuos vestros auratis
obvolvitis vestibus ? An cadavera divitum nisi in serico putrescere nesciunt
?" Voilà pourtant de quoi on se préoccupe beaucoup plus que de secourir
l'âme par la prière et les oeuvres saintes on témoigne de la sorte ses
sentiments de regret et d'affection et l'on ne songe  point qu'ainsi
exprimés ils ne servent de rien aux morts et nuisent trop souvent aux
vivants comme une simple aumône une courte prière vaudrait mieux que tout
cela comme elle serait plus charitable et plus utile un grand seigneur de
Venise envoya une somme importante en écus d'or au père Paul Montorfano
prieur des Théatins afin qu'il fit célébrer dans son église un service
funèbre en faveur des ancêtres de la famille le religieux attentif aux
règles de simplicité qui sont la loi de la vie monastique fit la chose avec
plus de dévotion que de magnificence mais toutefois fort concevablement il
parait que cela ne fut pas suffisant pour le chrétien mondain car il envoya
au Père un messager se plaindre de la parcimonie apportée dans une fonction
pour laquelle la famille faisait une telle dépense le prieur vit bien qu'il
avait affaire à son coeur plus séduit par les vanités de la terre que touché
des lumières de la foi cet aveuglement lui fit de la peine et il cherchait
en lui-même comment il pourrait le guider et amener ce seigneur à des
sentiments plus
294
dignes de la piété il avait lu quelque part une leçon de ce genre donnée
autrefois dans une circonstance semblable à un fidèle animé des mêmes
pensées et il espéra que Dieu lui accorderait de la renouveler puisque son
bras est toujours aussi puissant et son oreille aussi attentive à nos
demandes : " Non est abbreviata manus Domini neque aggravata est auris ejus
est non exaudiat*." Plein de son idée il prend le messager par la main et le
conduit dans une chambre voisine où il tire d'un secrétaire la somme intacte
qu'il  avait reçue le papier qui l'enveloppait n'avait pas même été touché
puis il se met à écrire sur une autre feuille le psaume De profundis et
commande à un frère qui l'accompagnait d'aller lui chercher une balance
quand elle est apportée il place la somme dans l'un des plateaux le psaume
dans l'autre : ô merveille c'est le plateau de l'or qui cède deux fois on
tente l'épreuve deux fois elle donne le même résultat l'envoyé saisi de
crainte fait avec précipitation le signe de la croix puis il se met en route
pour aller retrouver son maître impatient de lui conter un phénomène si
surprenant celui-ci n'en fut pas moins frappé il bénit la divine Providence
de lui avoir fait comprendre par cette voie miraculeuse combien la plus
simple oraison du coeur l'emporte sur tous les trésors du monde dès ce
moment il professa une vénération plus grande pour le P. Montorfano lui fit
demander pardon de ses plaintes inconsidérées et lui promit qu'à l'avenir il
raisonnerait plus en chrétien et saurait estimer à leur valeur les pompes de
la vanité
* Cette histoire a été racontée ici même, Merveille IIIe.
295
En témoignage de l'événement on fit peindre un tableau où l'on voyait le
religieux la balance à la main et tout le reste de l'histoire il ne faudrait
pas conclure de-là au reste que de courtes prières soient suffisantes pour
tirer les âmes de leurs tourments expiatoires elles sont bien suprieures à
l'or cela est vrai mais l'or n'est rien devant le Seigneur la sainte épouse
de Jésus-Christ Ursule Bénincasa du même ordre des Théatins l'avait compris
elle qui pour leur délivrance s'était offerte aux souffrances les plus
cruelles sa soeur Christine étant à l'agonie Ursule s'apitoyait sur sa
position au point de vue surtout des épreuves qui vraisemblablement allaient
purifier sa vertu dans le purgatoire comme elle avait appris que plusieurs
personnes charitables ont souffert elles-mêmes pour ceux qui devaient être
tourmentés dans l'autre vie sainte Catherine de Sienne entre autres elle se
résout à imiter cet exemple elle conjura donc Notre-Seigneur de lui imposer
ici-bàs les peines qui atendaient sa soeur expirante celle-ci expirait en
effet a l'instant Ursule fut ravie en esprit et quand elle revint à elle
elle s'écria : "Je vous rends grâces ô mon Dieu pour cette grande
miséricorde que vous avez faite à ma soeur Christine de la délivrance en
considération de ma prière." Et elle invita toutes ses compagnes à chanter
avec elle  le Te Deum il n'était jusqu'où peut aller le dévouement aux
pauvres âmes et comment on a le sentiment de ce que réclame la divine
justice pour leurs offenses la prière est excellente mais elle doit être
accompagnée aussi de bonnes oeuvres et surtout de pénitences courageusement
embrassées
296
On a fait l'histoire du P. Montorfano ces jolis vers latins que nous tenons
à conserver : " Aurum pars trutinae schedulam pars caetera pensat Tollitur
illa gravis dùm levis ista cadit Nimirum schedulae pietas dat candida pondus
Quod fallax auro detrahit ambitio : L'un des plateaux reçoit l'or l'autre le
léger papier : le premier tout pesant qu'il est s'élève le papier sans poids
l'emporte c'est que la douce piété donne au billet la pesanteur qu'il ôte à
l'orgueil humain." (D. Jos. Silos, Histor. ord. Theatin., livre XV, année
1580 ; P. Bagata, Vita B. Ursulae Benincasa, 2e part. c. 6.).
 
 
 
 

296
88ème Merveille        Efficacité de la prière des justes en faveur des âmes
vous avez sur la parole du Seigneur
Dieu retiré les morts des lieux bas. (Eccli. XLVIII, 5.)
Le texte que nous
venons de transcrire est extrait du passage du livre sacré où est loué le
prophète Elie dont la prière était au dire de saint Augustin come la clef du
ciel clavis coelorum lorsqu'il ressuscita le fils de la veuve de Sarepta "
Exaudivit Dominus vocem Elioe et reversa est anima pueri intrà eum et
revixit." ( 3 Reg. XVII, 22.)
297
Ces mêmes paroles sont appliquées à bon droit à ces chrétiens pleins de
charité qui par leurs pieux suffrages rappellent les âmes des peines du
purgatoire aux joies du paradis dans ce nombre il faut inscrire au premier
rang l'illustre sainte Thérèse dont les prières avaient en leur faveur une
merveilleuse efficacité elle raconte elle-même les efforts du démon pour la
détourner ou la distraire d'un si charitable exercice " Un jour dit-elle le
soir même de la commémoration des Fidèles Défunts je me retirai dans mon
oratoire pour y réciter l'office des morts à ce moment parut un monstre
horrible qui s'arrêta sur le livre de telle façon que je ne pouvais plus
lire ni poursuivre mes prières je me défendis par des signes de croix et
l'esprit maudit se retira par trois fois mais à peine me mettais-je en
devoir de recommençer la récitation des psaumes qu'il revenait m'apporter le
même trouble et le même dérangement il m'était impossible de l'éloigner si
ce n'est en aspergeant le livre d'eau bénite et en jetant même quelques
gouttes sur lui Oh à ce moment-là il prit la fuite avec précipitation et me
laissa achever mes prières je les avais à peine finies que je vis sortir un
certain nombre d'âmes du purgatoire il ne leur avait manqué jusque-là que ce
léger suffrage et c'est pour cela que le démon jaloux voulait l'emporter."
Elle eut encore un grand nombre d'apparitions et elle assure que tant d'âmes
dont le sort lui avait été révélé elle n'en vit que trois monter directement
au ciel sans passer par l'expiation nous allons donner deux seulement de ces
récits une religieuse de son couvent venait de son couvent de mourir Thérèse
empressée de prier pour elle assistait à l'office
298
des morts lorsque au commençement de la première leçon des matines Parce
mihi Domine elle vit l'âme sortir de l'église et voler directement vers le
paradis la seconde fois ce fut un religieux de la Compagnie de Jésus elle
entendait la sainte Messe à son intention offrant à Dieu avec le prêtre
l'Hostie de propitiation et tout le sang du Sauveur tout à coup elle voit
apparaître le Sauveur lui-même la bonté et la miséricorde sur le visage qui
vient prendre cette âme toute rayonnante et l'emmène avec lui dans la patrie
céleste voyant donc ses prières ainsi exaucées Thérèse s'enflammait d'une
ardeur nouvelle pour intercéder en faveur des pauvres âmes et non-seulement
elle le faisait elle-même mais elle mettait tous ses soins à répandre cette
sainte dévotion dans les monastères de son ordre et elle y réussit le 2
novembre après avoir chanté l'office de Requiem les religieux et les
religieuses de leur  côté sans doute se rassemblaient pour entendre une
exhortation sur les âmes du purgatoire et sur les moyens de les soulager
chacun donnait par écrit la promesse de faire pour elles l'année suivante
telle et telle oeuvre les uns des mortifications les autres de longues
prières ceux-ci des aumônes spirituelles aux pauvres et aux abandonnés
suivant que leur zèle ou leur inspiration particulière les dirigeait en
somme il s'épanouissait là une moisson admirable digne de la foi qui la
faisait naître  Bernardin de Mendoza avait donné par acte authentique une
maison et un beau jardin à Valladolid pour y fonder un monastère en
l'honneur de la Mère de Dieu il y appela sainte Thérèse et la pria
instamment d'en prendre possession et de mettre im-
299
médiatement la main à l'oeuvre comme s'il avait eu le pressentissement qu'il
lui restait peu à vivre Or cette aumône devait être bien profitables à son
âme la sainte retenue ailleurs par d'autres fondations de monastères qui
furent la continuelle occupation de sa vie ne put venir qu'au bout de
plusieurs mois le donateur surpris par une fièvre maligne qui lui ôta
l'usage de la parole et ne lui permit même,pas de se confesser quoi-qu'il
donnât les signes de la plus édifiante contrition était mort dans
l'intervalle en apprenant cette triste nouvelle à Alcala où elle se trouvait
Thérèse fut saisie de douleur à la pensée surtout de la privation des
sacrements que la  rapidité du mal n'avait point permis d'administrer à ce
bon seigneur elle se répandit aussitôt  en oraisons ferventes Notre Seigneur
lui fit connaître que cette mort avait eu lieu dans des conditions
convenables et que la charité du défunt lui avait été la source de bien des
grâces principalement par l'intercession de Marie à qui était dédié le
nouveau couvent et que l'âme de Mendoza sortirait du purgatoire le jour où
l'on y célébrerait la première messe de communauté cette révélation ne
laissa plus de repos à la sainte elle n'attendait que le temps de se rendre
à Valladolid d'ouvrir la chapelle et de délivrer le bienfaiteur de ses
soeurs elle fut obligée cependant d'aller encore auparavant au monastère
d'Avila et d'y rester plusieurs jours comme elle s'y tenait un matin en
oraison Jésus daigna la presser lui-même de termùiner l'affaire de
Valladolid dans l'intérêt de l'âme qui attendait ce moment pour être
couronnée elle expédia donc tout de suite avant elle le P. Julien d'Avila
afin d'obtenir promptement de l'autorité ecclésiastique la permission
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de commencer la fondation, elle-même arriva peu à peu et appela des maçons pour construire sans tarder les murs de la clôture. Mais voyant que tout cela exigerait du temps, elle demanda l’autorisation de former une chapelle provisoire, à l’usage de quelques religieuses qui l’avaient accompagnée. Elle l’obtint et le même P. Julien monta au saint autel. Au moment de communier Thérèse, il la vit dans une grande extase, comme il lui arrivait souvent dans ce moment solennel, et il sut ensuite que, à l’instant où elle quittait sa place pour s’approcher de l’autel, l’âme du défunt lui était apparue couronnée de gloire, inondée de joie divine, brillante comme l’astre du jour, l’avait saluée avec respect et remerciée, dans l’effusion de sa reconnaissance d’avoir hâté son bonheur ; puis, à ses yeux, elle avait pris son vol vers le séjour éternel. La joie de la sainte fut extrême : car elle n’osait espérer encore que cette messe, dans une église provisoire, avant que la maison fût réellement érigée et organisée, put être comptée pour celle qu’attendait la divine justice. Elle ne cessa de bénir le Seigneur pour cette grâce, que sa charité lui rendait aussi précieuse que si elle eût été faite à elle-même
(V. Vie de Sainte Thérèse par elle-même ; s.31 et 38  ; P. Fr. Ribeira Vita Ejusdem, liv. II, chap. 10 et 12)1
On nous permettra de protester ici de nouveau contre l’erreur injustifiable d’un traducteur contemporain, des œuvres de Sainte Thérèse, le P. Bouix, qui n’a pas craint de défigurer en français le nom de cette grande sainte, en l’écrivant, contre toutes les règles de la grammaire et de la tradition, Térèse. (Le Traducteur)
 
 
 

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89ème Merveille        PROTECTION SPECIALE DE MARIE
Posui verba mea in ore tuo in umbrâ manus meae protexi te : J’ai mis sur vos lèvres mes paroles, je vous ai couvert de l’ombre de ma main. (Isaie, LI, 16)
La grâce obtenue au siècle dernier, au moment où le P. Rossignoli écrivait cet ouvrage, par un serviteur de la Sainte Vierge, n’est pas moins signalée que celle qui fut autrefois accordée à Saint Grégoire-Thaumaturge. Il faut se rappeler que ce grand évêque, voulant éviter la persécution de l’empereur Décius, s’était réfugié au sommet d’une montagne, où furent conduits les satellites par un traître. Le saint était en oraison lorsque ses ennemis entrèrent ; mais ils ne l’aperçurent point : car Dieu l’avait rendu invisible ; en sorte qu’ils furent obligés de s’en retourner sans le prisonnier sur lequel ils avaient compté. C’est saint Grégoire de Nysse qui rapporte le fait. Le traître, ajoute t-il, frappé de ce miracle, se convertit, tirant ainsi d’une cécité matérielle la vraie lumière spirituelle. C’est d’une faveur analogue que fut récompensé le fidèle dont nous voulons parler. Il joignait à son amour envers la divine Marie un zèle extraordinaire pour les âmes du Purgatoire, pour le suffrage desquelles il ne manquait jamais de réciter chaque soir les litanies de la Sainte Vierge.
Il avait plusieurs ennemis déclarés, empressés à lui
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90ème Merveille   VIDE SUR LE SITE
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91ème Merveille
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times. Que faire donc et à qui avoir recours? Désolée, elle entre dans une église pour supplier le DIEU des indigents de la protéger dans sa détresse, puisqu’elle n’a plus d’appui sur la terre. Elle était plongée dans sa prière et dans ses larmes, lorsque par une inspiration sans doute de son bon ange, il lui vient à la pensée d’intéresser à sa situation les âmes du purgatoire, don’t elle a entendu célébrer à la fois les douleurs et ensuite la reconnaissance quand elles sont délivrées. Raffermie et presque consolée, elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce et demande qu’on lui fasse la charité d’une messe des morts. Un bon prêtre qui était là s’empresse de la satisfaire et monte au saint autel en son nom, pendant qu’elle se répand en prières, prosternée sur le pavé.
     Elle sort avec un baume sur le coeur,  comme si elle se sentait exaucée. Mais voici que, pendant qu’elle s’en retourne le long des rues de Naples, si bruyantes, si populeuses, elle se voit abordée par un bon vieillard qui lui demande ce qui peut causer la tristesse qu’il lit sur son visage. Elle dit tout, en termes pathétiques. Le bon vieillard se montre fort touché de tant de misère, lui adresse quelques paroles d’encouragement,et, en se retirant, lui remet un billet avec ordre de le porter de sa part à une personne qu’il lui désigne; après quoi il s’éloigne, La digne femme s’y rend sans tarder, trouve le cavalier et lui fait sa commission. Celui-ci,ouvrant le papier semble sur le point de se trouver mal: il a reconnu l’écriture de son père, mort depuis quelque temps déjà… - “ Et d’où vous vient cette lettre? s’écrit-il hors de lui. Qui a pu vous donner ces lignes si précieuses à mon coeur? – Monsieur, répond la bonne
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femme, ébahie à son tour, c’est un charitable vieillard qui m’a abordée dans la rue, et qui m’a dit, après avoir entendu mes malheurs, de vous venir voir de sa part et de vous faire cette commission. Je ne sais point ce qu’il y a écrit dans le billet, il ne me l’a pas expliqué. D’ailleurs il avait tels et tels traits, à peu près comme ceux que je vois dans ce cadre que vous avez là au-dessus de la porte.”
De plus en plus interdit, le cavalier reprend le billet et relit tout haut. “Mon fils, votre père vient de quitter le Purgatoire, grâce à une messe que cette pauvre femme, qui vous portera cette écriture, a fait célébrer ce matin. Elle est dans une grande nécessité, et je vous la recommande moi-même.” Il lit et relit ces caractères tracés par une main si chère et désormais sauvée; les larmes succèdent à son émotion. Revenant alors à la messagère qui attendait craintive le résultat à tout ceci, à quoi elle comprenait peu de chose: “Pauvre mère, lui dit-il, vous avez, avec une faible somme, assuré la félicité de celui qui m’a donné la vie; je veux vous assurer à mon tour la votre. Je me charge de vous et de votre famille; il ne vous manquera rien, j’en fais le serment.” Je laisse à deviner les sentiments de ces heureuses gens, et aussi l’instruction qui découlent pour nous de cette histoire, semblable, pour le fond, à celle que nous avons déjà rapporté et qui est de date plus récente. Il n’y a point de petite charité envers les membres de l’Eglise souffrante, et tout ce qu’on fait pour eux attire des miracles de miséricorde, comme l’enseigne le pieux cardinal Hugues: Qui potest commodet, et semen ejus in benedictione erit.
                                                        { V.Carfora, Fortuna hominis, livre 1, ch 9.}
 
 
 

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92ème Merveille            LES AMES DU PURGATOIRE DEMANDENT UN SOUVENIR.
Orate pro nobis ad Dominum, quia peccavimus Domino, et non est aversus furor ejus a nobis : Priez pour nous le Seigneur, parceque nous avons péché contre lui et que sa colère dure encore sur nous. {Baruch,1,13.}
Un interprète sacré assure que les âmes du purgatoire sont punies de la même façon que fut traité dans ses malheurs le saint homme Job : les plaies qui l’avaient frappé atteignaient tellement tout son corps, qu’il ne pouvait faire usage de ses membres ni se secourir lui-même, n’ayant plus de libre que ses lèvres pour crier : “Ayez pitié de moi, vous du moins qui fûtes mes amis : Derelicta sunt tantummodo labia circa dentes meos : miseremini mei.” Telles sont donc ces pauvres âmes, ces âmes bénies, incapables de travailler par elles-mêmes au moindre adoucissement de leurs maux. Ce qui leur est permis, c’est de crier vers les vivants et de leur demander du secours. Quelquefois même, nous en avons vu plus d’un exemple, Dieu leur a permis d’apparaître à ceux qui les pouvaient aider1.
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C’est une vieille tradition du pays de Worms que, pendant plusieurs nuits, on avait aperçu des légions d’hommes armés qui se répandaient dans la campagne les uns à pied, les autres à cheval, comme si une grande bataille allait se livrer. C’était ordinairement après l’heure de minuit que commençaient ces apparitions,
et au point du jour elles s’évanoussaient, comme si les guerriers se fussent retirés dans une cavité de la montagne, pour en sorir de nouveau à la nuit suivante. Non loin de là était le monastère de Limbourg {ou de Limberg}, dont le repos nocturne était troublé par ces bruits étranges. C’est pourquoi un saint moine détermina quelques-uns de ses confrères à sortir une nuit avec lui pour aller au-devant de ces êtres inconnus, et savoir d’eux qui ils étaient et ce qu’ils voulaient. Après s’être fortifiés par la prière et avoir imploré la protection de DIEU sur leur entreprise, ils quittent le couvent un soir et se rendent à l’entrée de la caverne; et là, au moment où ces gens armés se précipitaient pour sortir, le religieux le plus courageux, faisant un signe de croix, les adjure, au nom de la très sainte TRINITÉ, de dire qui ils sont, et pourquoi ils viennent ainsi distraire les serviteurs de Jésus- Christ ; quel est leur dessein, leur but, leur intention. A quoi l’un des personnages répondit : “Nous ne sommes pas des soldats vivants qui se font la guerre, mais les âmes d’une quantité de morts, tués en ce lieu en combattant sous les enseignes de nos deux
 {1} Nous rappelons pour la seconde fois qu’on trouvera un grand nombre de faits de ce genre rassemblés dans l’ouvrage traduit de l’allemand par deux auteurs différents, et dinge de toute l’attnetion des lecteurs catholiques et sérieux, la Mystique divine de Gorrës, monument précieux de recherches, de science. de philosophie, auquel il ne manque qu’un peu plus d’ordre et une marche moins saccadée. Inutile de dire que Gorrès justifie les traits merveilleux don’t ces cinq gros volumes sont remplis.                 {Le Traducteur}
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souverains. Nos corps ont été enterrés ici, et nos âmes y font leur purgatoire. Ce bruit d’armes et de chevaux, qui fut alors l’occasion de nos fautes et que Dieu permet que vous entendiez pour notre soulagement, est maintenant l’instrument et la forme de la peine à laquelle nous sommes condamnés. Vos yeux ne distinguent point les flammes qui nous entourent et nous consument ; mais elles sont bien cruelles. »
 Le religieux, effrayé à cette révélation, reprit pourtant courage et demanda : « Nous serait-il possible de vous secourir dans cette extrémité qui nous émeut de compassion, et comment le pourrions-nous ? ? Ah ! certainement ! répondit l’âme ; certainement, vous le pouvez, et c’est pour cela qu’il nous est donné de nous manifester à vous et de  vous implorer. Vos jeûnes, vos oraisons, vos mortifications de toutes sortes, à vous qui avez renoncé au monde et qui vivez dans la sainteté, et surtout le divin sacrifice de l’autel, peuvent aisément procurer notre délivrance. Nous vous supplions d’y travailler. Nous ne pouvons rien pour nous-mêmes, infortunés que nous sommes, si ce n’est de souffrir, et toujours souffrir, jusqu’à la fin de l’épreuve. » Et à l’instant, comme une seule voix lamentable, toute cette multitude s’écria : « Priez pour nous, ô pères, priez pour nous ! » Et puis tout disparut, ainsi qu’un globe de feu se dissoudrait dans l’air ; mais en même temps le sommet de la montagne parut s’allumer ; on y voyait comme un incendie immense dont les reflets étaient effrayants. Les moines, sous l’impression terrible de ce spectacle rentrèrent chez eux, commencèrent leurs prières et les suffrages qu’ils avaient promis, et, à partir de ce moment, tous les bruits nocturnes cessèrent.
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 Nous ajouterons à ce trait un autre événement aussi étonnant et aussi instructif, qui eut encore un religieux pour objet. Ce bon moine, toutes les fois qu’il passait auprès de quelque cimetière, ne manquait jamais de faire pour les défunts qui y reposaient une petite prière, comme le Requiem aeternam, ou autre semblable. Un jour cependant, ayant l’esprit occupé d’une pensée différente, il venait de laisser un cimetière à sa droite sans s’acquitter de sa charitable pratique, lorsqu’il y fut miraculeusement rappelé par plusieurs cadavres qui lui parurent sortir de leurs tombes et qui criaient derrière lui, empruntant un mot du psaume 128 : « Et ceux qui passaient n’ont point dit : Que la bénédiction de Dieu soit sur vous : Et non dixerunt qui praeteribant : Benedictio Domini super vos. » A cette vue, à ces paroles ; il s’arrête confus de son oubli, et aussitôt ajoute la fin du verset : « Benedicimus vobis in nomine Domini : Nous vous bénissions au nom du Seigneur. » Comme si elles eussent été soulagées par ces simples mots ; tirés des livres sacrés, les âmes cessent de se rendre sensibles. Quant au religieux, confirmé sans sa sainte dévotion, jamais plus il ne lui arriva d’y manquer.
(Trithemius, Chronic. ann. 1058 ; Dauroult Catechismus history., part. III, c. 8, t; 20 ; Philippe Oultreman, Jésuite, Pedagogus Christianus, t. I, 2è part. ch 19, §2.)
 
 
 

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93ème Merveille        COMBIEN DIEU AIME QU’ON PRIE POUR SES PARENTS DEFUNTS
 
Mutuam vicem rederre parentibus acceptum est coram Deo : Rendre à ses parents ce qu’on a reçu d’eux est chose agréable au Seigneur. (I Timoth. v,4)
 Pour exciter notre compassion envers les âmes du purgatoire et nous porter à les soulager selon nos forces, ce devrait être assez de savoir qu’elles ont une même nature avec nous, ont vécu sous la même loi, sont comme nous les images de Dieu, et qu’à ce titre, si nous aimons Dieu, nous devons les aimer aussi ; qu’elles ont été comme régénérées dans les eaux du baptême et dans le sang de Jésus-Christ, ce qui nous les a unies par une parenté toute spirituelle mais réelle. Or, cela étant, combien le motif ne devient-il pas plus pressant si à tous ces titres s’ajoute celui des relations si élevées et si saintes de la famille, d’un fils envers son père, d’un père envers ses enfants, d’un mari à l’égard de sa femme ou de celle-ci à l’égard du premier, d’un frère envers une sœur ou un frère, réciproquement ! Il est évident qu’ici règne une obligation particulière et plus stricte d’employer tous les moyens possibles de procurer leur délivrance. Nous allons reproduire deux traits fort édifiants de ce genre de charité, ou plutôt d’obligation de conscience. Dans son Trigesimo sacro, le
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P. J.-B. Manni en a beaucoup d’autres. Voici donc deux reines, dont l’une délivre sa mère, l’autre sa fille.
 Sainte Elisabeth, fille d’André, roi de Hongrie, et de sa femme Gertrude, avait naturellement, pieuse comme elle était, une dévotion vive pour les défunts. De ses propres mains, elle préparait les suaires pour les ensevelir, payait les frais des funérailles des pauvres, et souvent accompagnait elle-même le corps jusqu’au cimetière, pendant que son cœur suppliait le juge redoutable de faire grâce à ses pauvres créatures. On peut bien penser que son zèle ne diminuait guère s’il s’agissait de ses proches, et qu’il prenait au contraire une activité nouvelle. Lorsque mourut sa mère Gertrude, elle ne cessa d’offrir pour elle des mortifications, des prières, des aumônes considérables et sous les formes les plus variées. Une nuit, après ses exercices, la sainte s’était couchée, et elle allait s’endormir, lorsqu’elle vit paraître devant elle la défunte, vêtue de deuil, le visage triste, désolé, suppliant, qui se mit à genoux et lui dit : « Ma fille, vous avez à vos pieds votre mère accablée de douleur, qui vient vous conjurer de multiplier vos suffrages, afin d’être délivrée des tourments épouvantables qu’elle souffre pour ses manquements dans l’exercice de l’autorité qui lui avait été confiée. Ah ! au nom des angoisses au milieu desquelles je vous ai mise au monde, des fatigues et des veilles que m’a coûtées votre éducation, je vous supplie de tout faire pour me retirer des supplices où je suis plongée. » Emue autant qu’épouvantée, Elisabeth se relève immédiatement pour prier, pleurer, s’humilier, se frapper en présence du Notre Seigneur. Le sommeil la surprit dans cet acte de charité, qu’elle ne voulait plus inter-
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rompre. Or, sa mère revient alors, mais toute différente, vêtue de blanc, joyeuse, rayonnante d’allégresse, lui rendant grâces avec effusion de ce que ses ardentes prières lui avaient ouvert enfin les portes du ciel.
Sainte Élisabeth de Portugal ne fit pas moins pour la reine Constance sa fille. Cette jeune princesse était reine de Castille, et une mort inopinée l’enleva à l’affection de sa famille et de ses sujets. Élisabeth venait d’apprendre ce malheur, et elle se rendait avec son mari dans la ville de Santarem, lorsqu’un ermite se mit à courir derrière le cortège royal, en criant qu’il voulait dire un seul mot à la reine. Les gardes le repoussaient; mais la sainte, s’étant aperçue de son insistance, donna ordre qu’on le lui amenât. Dès qu’il fut en sa présence, il lui raconta que plus d’une fois, pendant qu’il priait dans son ermitage, la reine Constance lui était apparue et l’avait instamment conjuré de faire savoir à sa mère qu’elle gémissait au fond du purgatoire, qu’il fallait dire pour elle la sainte Messe chaque jour pendant un an. Sa commission faite, l’ermite se retira et ne parut plus. Les courtisans, qui avaient entendu la communication, s’en moquaient tout haut et traitaient l’ermite de visionnaire, d’intrigant ou de fou. Quant à Élisabeth, elle se tourna vers le roi et lui demanda ce qu’il en pensait. « Je crois, dit-il, qu’il est plus sage de faire ce qui vous est marqué par cette voie extraordinaire; après tout, faire dire des messes pour notre chère défunte n’a rien que de très paternel et de chrétien. » On chargea donc de ce soin un saint prêtre, Ferdinand Mendez.
Au bout de l’année, Constance se fit voir en songe à la sainte; elle était vêtue de blanc, éclatante de lumière,
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et dit à sa mère : « Maintenant, ô ma mère, je suis délivrée, par la divine clémence, des tourments du purgatoire, et je m’envole vers la béatitude éternelle. » Cette vue et cette assurance remplirent Élisabeth de consolation. Ne se rappelant point, à ce moment, les trois cent soixante-cinq messes qu’elle avait fait dire, elle se rendit à l’église pour remercier le Seigneur, et elle y trouva Mendez, qui lui apprit qu’il avait fini de la veille les intentions, et lui demanda si elle en avait d’autres à lui marquer. Elle se souvint alors de tout, comprit ce qui s’était passé, et répondit qu’il fallait rendre au Seigneur de solennelles actions de grâces; ce qu’on fit par des messes chantées, et en versant dans le sein des pauvres des aumônes nombreuses.
(V. Laur. Surius, Vies des saints, 19 novembre;
Jacques Fuligati, Vita S. Elisabethoe, p. 35).
 
 
 
 

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94ème Merveille
LA PEINE DU PURGATOIRE PROLONGÉE JUSQU'À
L’ACQUITTEMENT DES DETTES
 Tradidit eum tortoribus, quoadusque redderet debitum : Il le livra aux exécuteurs jusqu’à ce qu’il acquittât sa dette. (Matth XVIII, 54.)
Ces âmes surtout sont ordinairement retenues par la justice divine dans le lieu de l’expiation, qui, après avoir été miséricordieusement retirées de leur vie mau-
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vaise, n’ont point satisfait aux obligations de la restitution, étant surprises par une mort inopinée. Soit que, les créanciers étant en souffrance, il ne convienne point que les débiteurs entrent dans la joie suprême; soit que Dieu n’accepte pas volontiers les suffrages en faveur de ceux qui n’ont causé aux autres que du dommage, les histoires renferment plusieurs relations, qui paraissent authentiques, d’apparitions de débiteurs demandant qu’on acquitte pour eux leurs obligations omises.
Le R.P. Augustin d’Espinosa, de la Compagnie de Jésus, s’était distingué toujours par son zèle dévoué pour les âmes du purgatoire; il s’imposait en leur faveur mille prières, aumônes, jeûnes et mortifications, comme tous ceux qu’animent des sentiments semblables; nous ne pouvons que nous répéter. Dieu permit souvent que des défunts lui apparussent, ou bien pour le remercier, ou bien pour se recommander à lui. Un jour entre autres, il vit paraître un homme qu’il avait connu fort riche, et qui lui demanda s’il le reconnaissait. « Sans doute, répondit le bon père; je me souviens parfaitement de vous avoir administré le sacrement de pénitence peu de jours avant que vous fussiez appelé devant le Seigneur. – C’est bien cela en effet, reprit le défunt. Je viens, par permission du Sauveur, vous conjurer d’apaiser pour moi sa justice; je ne puis plus rien moi-même pour cela, et j’ai espéré que vous ne rejetteriez pas mon humble demande. Pour vous mieux renseigner sur ce qu’il faudrait faire, daignez m’accompagner quelques instants. » Le religieux répondit qu’il ne pouvait sortir sans la permission de son supérieur, mais qu’il allait l’obtenir. Il sort aussitôt, raconte au Père recteur ce qui lui arrive, et lui demande de l’au-
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toriser à suivre cette étrange affaire. Il reçoit une réponse favorable; mais en même temps quelques autres religieux, avertis par le supérieur, se mettent en prières à la chapelle. L’apparition, qui avait toute la forme d’un homme, prend Augustin par la main et le conduit, sans prononcer une parole, sur un pont peu éloigné de la ville. Là, elle s’efface un moment et revient portant une grande bourse pleine d’argent, dont elle donne au Père une partie à porter jusqu’à sa cellule, où ils retournent ensemble.
Dès qu’ils y furent entrés, le mort met le restant entre les mains du religieux, avec un billet écrit, en lui disant : « Ce billet vous indiquera à qui et dans quelle proportion vous rendrez les sommes que je dois, à titre de contrat ou de restitution. Il marque aussi les œuvres pieuses que je désire être accomplies en faveur de mon âme. Quant à ce qui restera de la somme, vous en disposerez, mon père, comme il vous plaira : car vous êtes plus que personne en état de lui donner une destination sainte et utile. » En achevant ce discours, l’homme disparut, et le père s’empressa d’aller retrouver son supérieur et de l’informer de tout. Sur son avis, on fit venir les créanciers, on leur rappela ce qui leur était dû, circonstance dont ils se montrèrent fort étonnés, la chose étant secrète; on les satisfit parfaitement, et de ce qui restait on fit plusieurs bonnes œuvres.
Huit jours s’étaient à peine écoulés, que le défunt se présente de nouveau au P. Augustin, pendant qu’il priait dans un profond recueillement : il le remercie avec effusion de son empressement et de sa charitable exactitude. Il le bénit surtout des messes qu’il avait fait dire en sa faveur, qui avaient servi plus que tout le
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reste à lui ouvrir les portes du ciel, où il montait incontinent, et où il conserverait pour son bienfaiteur une impérissable gratitude. On peut croire que le bon père dut à cette intercession les grâces dont il fut comblé, et qui firent de lui un des modèles de la Compagnie.
Ce serait le lieu de terminer cette histoire, avec celui qui l’a écrite le premier, par une exhortation aux débiteurs de ne point attendre au dernier moment à s’acquitter des restitutions et des paiements qu’il sont en état de faire. En s’en remettant pour cela à leur testament, outre qu’ils jouissent volontairement d’un bien qui ne leur appartient pas, il se font semblables à ces hideux serpents, à ces vipères qui ne sont bonnes à rien qu’après leur mort. C’est au milieu des flammes de la vengeance qu’ils verront combien cette conduite était blâmable et indigne des serviteurs de Jésus-Christ. Un écrivain que nous avons cité ici plusieurs fois a dit sur cette matière une bonne parole : « Ce que vous donnez vivant et en pleine santé est de l’or; ce que vous donnez en mourant est de l’argent; mais ce que vous laissez à distribuer après votre mort n’est plus que du plomb. » Ainsi parle Vincent de Beauvais.
(V Jos. Nadasi, Ann. dier. memorab., 4 fév.; Jacq. Hautin, Patroc. de funct., liv. III, chap. 2, art. 3.)
 
 
 

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95ème Merveille        LES AMES DÉLIVRÉES VENANT AU DEVANT
DE LEURS BIENFAITEURS.
 Venientes in occursum ejus, adoraverunt : Et venant au-devant de lui, ils se prosternèrent. (IV Reg. II, 15).
Lorsque l’Empereur Charles-Quint s’empara de la ville de Tunis, il remit en liberté vingt mille esclaves chrétiens, réduits avant sa venue à la plus affreuse condition. Pénétrés de reconnaissance pour leur bienfaiteur, ils l’entouraient en le bénissant et en chantant ses louanges. On peut en dire autant de tous ceux qui ont rendu à la vie, au bonheur, à la liberté, les malades, les captifs, les indigents; ils ont recueilli des bénédictions et des chants d’actions de grâces sans fin. Ainsi se comportent certainement les âmes du purgatoire à l’égard de ceux qui ont été leurs bienfaiteurs, elles dont la captivité fut bien autrement sévère et dure que toute captivité, toute indigence, toute maladie terrestre. Elles viennent surtout à leur rencontre, au moment du trépas, pour les accompagner et les introduire elles-mêmes dans le lieu de l’éternel repos. Sainte Marguerite de Cortone, qui avait été d’abord une grande pécheresse, l’expérimenta, comme je vais le rapporter.
Parmi les vertus qu’on lui vit pratiquer avec le plus d’ardeur après sa conversion, on marque sa charité
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96ème Merveille   VIDE SUR LE SITE
 

97 2èmer Merveille  VIDE SUR LE SITE
 

98ème Merveille  VIDE SUR LE SITE
99 ème Merveille  VIDE SUR LE SITE
100 ème Merveille  VIDE SUR LE SITE
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101ème Merveille
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Le même religieux tomba dans un autre oubli, dont l’histoire ne paraîtra pas moins remarquable. Lorsqu’il reçut la nouvelle de la mort de son père, il en ressentit une vive affliction à cause du grand amour qu’il lui portait et de la reconnaissance qu’il lui avait vouée pour le bienfait de son éducation. Désireux de savoir en quel état se trouvait, par-delà le tombeau, cette chère âme pour laquelle il eût tout fait, il supplia le Ciel de le lui faire connaître. Un soir principalement qu’après l’office des vêpres il s’était retiré dans l’oratoire de sa cellule et que là, seul, il priait avec une ferveur tout extraordinaire la divine Bonté de ne lui pas refuser cette consolation, il entendit clairement une voix qui lui disait : « Pourquoi donc te laisser tenter de cette vaine curiosité ? combien il vaudrait mieux employer le mérite de tes oraisons, non plus à savoir en quel état se trouve ton père, mais à le délivrer s’il est dans les flammes du Purgatoire ! Ces oraisons lui seraient utiles alors, et à toi aussi. » Cette réflexion lui fut un avertissement précieux; il changea de pensée, et appliqua toute son ardeur à demander la délivrance de cette âme et son admission dans le séjour du repos. Certes, il ne tarda pas à s’assurer que ce parti était de beaucoup le meilleur : car, la nuit suivante, il vit en songe l’âme de son père, que deux démons plongeaient au milieu d’une fournaise brûlante, et qui, se tournant vers lui, criait de toutes ses forces : « Miserere mei ! pitié, pitié ! ô mon cher fils, ayez compassion de mon état, et que vos bonnes prières me viennent promptement en aide ! Accomplissez pour moi des pénitences, des œuvres pieuses; hâtez-vous, ne perdez pas de vue, un seul instant, cette intention de piété filiale. » Le religieux redoubla
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de ferveur, jusqu’à ce qu’il sût avec certitude, et par une voie miraculeuse, qu’il avait procuré cette délivrance.
Ces apparitions, et d’autres du même genre, augmentèrent la dévotion de Denys pour les âmes du purgatoire, et il chercha toujours à l’inspirer à ses moines par ses exhortations quotidiennes. A la mort du célèbre Jean de Louvain, bien que la sainte vie qu’il avait menée fît espérer qu’il n’avait pas grand besoin de suffrage (il avait été un prélat de mœurs exemplaires, défenseur incorruptible de la justice, propagateur zélé de l’Évangile, préférant toujours le bien des autres à son avantage personnel), les Chartreux ne manquèrent pas de prier beaucoup pour son âme. Il avait été leur bienfaiteur, comme celui de plusieurs autres monastères, auxquels il distribuait une partie des aumônes dont il disposait. L’abbaye de Ruremonde avait reçu beaucoup de ces sommes. Il avait voulu y être enterré, au milieu du chœur, afin de jouir encore, en quelque façon, de la compagnie des Chartreux après sa mort. Un personnage de tant de vertu et de charité ne put cependant éviter l’épreuve du purgatoire, peut-être à cause des nombreux bénéfices qu’il avait possédés, source d’obligations auxquelles on peut ne pas songer, et au sujet desquelles on se repaît d’illusions. Ce qui est certain, c’est que deux fois il fut montré manifestement à ses amis qu’il avait besoin d’intercession. La première, pendant l’office même de ses funérailles, où une nuée épaisse et en même temps enflammée environna tout-à-coup le catafalque. Denys, à cette vue, resta tout interdit, en sachant s’il devait interpréter ce feu comme celui de l’enfer ou comme celui du purgatoire. Le dé-
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mon ne manqua pas de lui suggérer que c’était le feu de la damnation, afin de le faire désister de ses prières en faveur du défunt. Néanmoins il les continua toute l’année, sans interrompre aucune des bonnes œuvres qu’il avait entreprises dans ce but. Comme il y avait fondation annuelle, au jour anniversaire on chanta encore l’office pour Jean de Louvain. Au même moment que la première fois, c’est-à-dire au Benedictus, la nuée et le globe de feu apparurent encore de la même manière, mais beaucoup moins épais et moins effrayants : d’où le saint religieux inféra à bon droit que Dieu faisait connaître par ce signe l’adoucissement apporté aux souffrances du défunt, quoiqu’il fût retenu encore loin du ciel. Les suffrages furent donc continués avec plus de confiance, et en effet, au second anniversaire, une belle et éclatante lumière brilla sur le catafalque et remplit toute l’église de ses rayons. Le prélat était donc admis dans la troupe trois fois bénie des élus.
Songeons, nous qui lisons ceci, qu’il faut préparer nous-mêmes notre jugement, et ne point laisser aux autres la charge de l’adoucir : car ce serait un calcul à la fois imprudent et trompeur.
 (V. Acta Sanctorum des Bollandistes, 2 mars, Vie de Denys-le-Chartreux.)
 
 
 

Conclusion
 Sancta ergò et salubris est cogitatio pro defunctis exorare : Donc, c’est une sainte, une salutaire pensée de prier pour les morts ! (Mach. XII, 46.)
Puisse ce recueil d’exemples exciter en plusieurs, et renouveler en d’autres, la piété envers ceux qui nous ont précédés au tribunal de Dieu ! La variété de ces faits, l’autorité que leur donnent les graves auteurs auxquels nous les avons empruntés, offrent une ample matière à nos réflexions, et il ne sera pas qu’ils ne nous portent à un grand sentiment de compassion pour les âmes qui gémissent dans l’expiation. Que si le plus haut degré de la perfection chrétienne réside dans la charité envers Dieu et envers le prochain, et que sur ces deux amours, comme sur les deux pôles du monde, tourne le ciel de la vertu accomplie, en quelle estime ne devra pas être auprès de tout chrétien le zèle pour la délivrance de ces pauvres âmes !
D’abord, les suffrages par lesquels nous y travaillons montrent un grand amour pour Dieu lui-même, dont c’est imiter le plus admirable attribut, celui de la miséricorde. Notre-Seigneur n’a-t-il pas dit (Luc, VI, 36) : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux : Estote misericordes sicut et Pater vester misericors est ? (hic.) » Texte au sujet duquel saint Grégoire a écrit cette réflexion : « Faites en sorte d’être comme
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un Dieu envers celui qui souffre, en imitant la miséricorde de Dieu. » Or, envers qui cette miséricorde s’exercerait-elle mieux qu’envers des âmes destituées de tout secours, âmes d’ailleurs extrêmement chères au Seigneur, ses filles, ses épouses, les héritières de son royaume, à la possession duquel elles aspirent légitimement ? Le grand docteur saint Thomas d’Aquin n’a-t-il pas établi avec solidité que les actes de miséricorde spirituelle l’emportent de beaucoup sur la miséricorde purement corporelle ? Si donc la nourriture donnée à qui a faim, le vêtement à qui est nu, la visite faite à un prisonnier, sont choses agréables au Maître souverain, combien plus considèrera-t-il l’acte qui a pour objet d’adoucir les peines si cruelles d’âmes réduites à l’impuissance pour elles-mêmes, d’apaiser la soif qu’elles ont de voir Dieu, de les tirer de leur ténébreuse prison pour les introduire dans la céleste béatitude !
C’est, en second lieu, un grand amour envers le prochain. Si saint Pierre Nolasque mérita comme Jérémie le beau titre d’ami de ses frères, (fratrum amator), parce qu’il consacra sa personne, son temps et ses biens à briser les chaînes des esclaves chrétiens sur les côtes de Barbarie, ce titre magnifique n’appartiendra-t-il pas, à bien meilleur droit encore, au fidèle dont les aumônes, les prières, les mortifications, ouvrent à ses frères gémissants la porte du cachot horrible pour les envoyer aux joies de la parfaite et éternelle liberté ? Certes, c’est une digne et sainte préoccupation que celle de soulager les misères variées dont nous sommes partout environnés ici-bas, dans les pauvres, les malades, les affligés; mais, évidemment, il est plus parfait encore de se constituer le bienfaiteur de ceux qui sont autrement
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torturés, et sans rien pouvoir pour eux-mêmes. Tel est l’ordre de la vraie charité. La charité est essentiellement ordonnée et réglée, selon le Sage : Ordinavit in me charitatem. Eh bien ! les docteurs nous l’apprennent, cet ordre exige que l’on envisage dans la charité : 1o où est la plus grande obligation; 2 o où est la plus pressante nécessité; 3 o le plus grand mérite des personnes qui en sont l’objet; et autres circonstances du même genre.
Or, quelle plus grande obligation que de subvenir à une nécessité extrême, telle que la nécessité de ces âmes cruellement tourmentées dans les flammes dévorantes ? Quel plus grand mérite que celui de ces âmes élues, confirmées en grâce malgré leurs imperfections passées, et prêtes à monter au ciel pour entrer en possession de la gloire céleste ? Quel acte de miséricorde plus généreux que d’employer tout notre pouvoir à leur procurer un bien au-dessus de tous les biens ?
Enfin, si c’est notre intérêt propre que nous envisageons, il ne saurait y avoir d’acte qui nous soit plus profitable et qui nous attire plus de grâces. Dieu récompense ordinairement cette charité dès la vie présente par de grands avantages, par des faveurs temporelles et spirituelles, un constante augmentation de la foi, une espérance plus présente et plus vive, une charité plus ardente, plus féconde, la consolation intérieure dans les peines, une protection spéciale dans les périls : on n’a plus de prétexte pour en douter, après la lecture des pages qui précèdent, et où nous avons recueilli quelques-uns seulement des traits consignés dans les écrivains ecclésiastiques. Souvenons-nous, par exemple, de la protection miraculeuse accordée à Judas Machabée.
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Fin de la Seconde Partie.
 
 
 

APPENDICE
Recueil de pratiques et de prières en faveur des âmes du Purgatoire
  I - Intentions 356
 

356                                                    APPENDICE.
Recueil de Pratiques et de Prières en faveur des âmes du Purgatoire
I /   Intentions
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en pense malheureusement si peu : le prêtre qui nous a baptisés, ceux qui nous ont instruits au catéchisme, qui nous ont fait faire notre première-communion, l’évêque qui nous a confirmés, les confesseurs qui nous ont absous, dirigés, consolés; les auteurs des livres qui ont fait du bien à notre âme; les prédicateurs des retraites ou des sermons qui nous ont rappelés à la vertu ou fortifiés dans nos bonnes résolutions.
 4o. Nous prierons pour nos bienfaiteurs, ceux de qui nous tenons quelque avantage, temporel ou spirituel; qui nous ont donné de bons exemples ou de bons conseils; qui ont prié pour nous, qui nous ont rendu quelque service, légué leurs biens; qui nous ont protégés, défendus, mis en état de nous instruire; nos maîtres, dont la patience a dû être si grande; un misérable salaire n’est pas la récompense due à un tel dévouement. Nous penserons aussi à ceux qui, sans nous faire du bien eux-mêmes, nous en ont souhaité ou fait faire par d’autres.
 5o. Nous prierons pour nos amis, ceux avec qui nous avons passé notre jeunesse, qui nous ont accompagnés sur les bancs de l’école, dans nos jeux, et plus tard dans les difficultés de la vie. N’ont-ils pas droit de compter sur un souvenir ?
 6o. Nous prierons pour tous ceux à qui nous avons été un sujet de scandale ou de mauvais exemple, par des actions, des paroles légères, des conseils, des livres prêtés, une tenue peu convenable à l’église, ou de toute autre manière, peut-être même sans le savoir. Leur accorder nos suffrages est devoir de justice.
 7o. Nous prierons pour tous nos inférieurs en général, ouvriers, serviteurs, élèves, etc.
 
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 8o. Pour ceux qui sont détenus dans le purgatoire pour les mêmes fautes qui remplissent notre propre vie et qui nous font craindre le jugement de Dieu : mollesse, orgueil, avarice, colère, tiédeur habituelle, immortification, et ce qui s’ensuit, etc. Pratique excellente pour nous assurer en-haut des protecteurs.
 9o. Pour ceux en faveur de qui personne ne prie, qui sont abandonnés et oubliés de tous. Aimable charité, digne d’un cœur vraiment instruit à l’école de Jésus-Christ.
 10o. Priez enfin pour ceux qui ont droit à votre souvenir et à vos bonnes œuvres, mais que vous ignorez. Acquérez pour eux des mérites, gagnez des indulgences, que vous déposerez entre les mains de la sainte Vierge, afin qu’elle-même les applique. Quelle garantie que celle d’avoir Marie pour trésorière !
 Ces intentions embrassent à peu près tout. On pourrait les parcourir successivement, une par jour, pendant dix jours : ce qui les ferait repasser sous les yeux trois fois par mois. Nous recommandons vivement cette pratique si aisée.
 Mais quelle sont les œuvres les plus profitables aux pauvres âmes ? Nous en indiquerons quelques-unes.
 
 
 
 

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II/     PRATIQUES.
 1. – Il y a la sainte aumône, sous ses différentes formes : pauvres, malades, ignorants auxquels on donne le pain de l’instruction, affligés que l’on console, cœurs battus que l’on relève. La bénédiction du pauvre est
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une pluie rafraîchissante à ceux que consume le feu de l’expiation. « C’est l’aumône, dit l’Écriture-Sainte, qui couvre la multitude des péchés. »
 2. – Le saint sacrifice de la Messe, l’auguste Victime, qui est la rançon du monde, offerte à son Père pour l’acquittement des dettes humaines.
 3. – La prière, la prière fervente, ce cri du cœur qui est auprès de Dieu une toute-puissante supplication. Non pas quelques paroles prononcées sans attention et sans confiance, mais une véritable oraison, toute réfléchie, toute ardente, toute sainte. La prière, assure Notre-Seigneur, obtient tout. Ah! Si les âmes du purgatoire pouvaient prier pour elles-mêmes d’une manière efficace, avec quelle victorieuse ferveur elles le feraient ! Or, elles attendent que nous les remplacions…
 4. – La mortification corporelle : jeûnes, privations, positions gênantes, travail prolongé, partie de plaisir sacrifiée, satisfaction légitime repoussée; à plus forte raison, discipline, psaumes de la pénitence les bras en croix, etc. On peut appliquer aux mêmes intentions les peines que Dieu nous envoie, en les acceptant avec résignation et bonheur. C’est s’unir aux souffrances de Jésus, et mieux expier les satisfactions illicites qui ont attiré le châtiment sur ces âmes. Oh ! qu’on les soulagerait facilement par ces petites choses que le sentiment de la piété indique tout seul : une couche moins douce, un aliment moins recherché, de l’eau à son repas, etc.
 5. – Ne jamais passer devant un cimetière sans réciter une prière pour les morts. De même à la rencontre d’un convoi. De même encore pour toutes les morts que l’on apprend, de quelque façonn que ce soit, dans les
 
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conversations, dans les feuilles publiques, etc. Ces habitudes sont faciles à prendre, et, une fois prises, elles ne coûtent rien.
 6. – Des pèlerinages aux sanctuaires les plus révérés, principalement de la Sainte Vierge, avec la fatigue corporelle.
 7. – S’associer plusieurs personnes ensemble, dans le but de soulager les âmes du purgatoire, et s’exciter mutuellement à la ferveur. Avoir un jour marqué chaque semaine pour s’examiner là-dessus.
 8. – Avoir dans sa chambre un objet quelconque, croix, chapelet, image, buis bénit, auquel on attache le souvenir de cette dévotion et qui la rappelle chaque fois qu’on le regarde.
 9. – Ajouter à la récitation du chapelet une sixième dizaine spécialement pour ces âmes. Plusieurs communautés le font.
 10. – Visiter pour elles le Saint-Sacrement, le soir surtout dans le moment où l’indifférence des hommes laisse Notre-Seigneur presque seul dans ses tabernacles. Que n’obtiendrait-on pas si on allait, à cet instant, implorer sa clémence pour les âmes que sa justice châtie !
 11. – Il y a une autre pratique, très-sainte, très-autorisée, qu’on peut appeler héroïque. Nous la mentionnons avec les autres, mais en l’expliquant un peu plus au long parce qu’elle est moins connue. Cette pratique consiste à faire le vœu d’abandonner entièrement à ces âmes toutes les œuvres satisfactoires qu’on fera durant sa vie. Vœu d’ailleurs n’obligeant point sous peine de péché, et malgré cela donnant droit à des privilèges singuliers, concédés par le pape Benoît XIII le 23
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avril 1728, confirmés par Pie VI, et par Pie IX le 30 septembre 1852; - ce vœu assure aux prêtres qui l’ont fait l’autel privilégié personnel; - aux fidèles une indulgence plénière chaque fois qu’ils communient; - une indulgence plénière, avec délivrance d’une âme du purgatoire, tous les lundis de l’année, en entendant simplement la sainte Messe à cette intention, et puis en visitant une église ou un oratoire public, et y priant quelques instants, la valeur de cinq Pater et Ave, aux intentions du pape. – Il n’y a point, du reste, de formule particulière pour ce vœu; mais on pourrait employer la suivante, qui en exprime très-bien l’esprit et la pensée :
 « Afin de concourir à votre plus grande gloire, ô Seigneur mon Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit; afin aussi de mieux imiter mon doux Rédempteur Jésus; pour manifester enfin ma dévotion envers Marie, mère et consolatrice de tous les fidèles souffrants…, je promets et fait le vœu de coopérer à la délivrance des âmes du purgatoire qui doivent encore à la divine justice les peines de leurs péchés; - sans toutefois m’obliger moi-même sous peine d’aucun péché. – C’est dans cette intention que je remets entre les mains de la Reine des saints toutes mes œuvres satisfactoires, ainsi que celles qui me seraient appliquées par les autres durant ma vie, comme à ma mort et après mon passage à l’éternité. Daignez, Seigneur, accepter cette offrande, inspirée par la charité que vous êtes venu enseigner au monde. Que si toutes mes œuvres satisfactoires réunies ne suffisent point pour acquitter les dettes des âmes que la Mère des miséricordes veut délivrer, ainsi que celles qui me restent à moi-même pour mes propres
 
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fautes, lesquelles fautes je hais et déteste sincèrement, je m’offre, mon Dieu, avec votre bon plaisir, à y suppléer un jour dans les épreuves du purgatoire, m’abandonnant en cela entièrement entre les bras de votre tendresse. Ainsi me soient en aide la foi qui sauve et l’espérance qui console  ! (Ce vœu a été fait par sainte Gertrude, sainte Thérèse, sainte Lidwine, sainte Catherine de Sienne, le pieux cardinal Ximénez, etc. Notre-Seigneur apparut à sainte Gertrude, et lui dit que par là elle lui avait été si agréable, qu’il lui remettait absolument tous ses péchés. – V., ci-dessus, XXVIe et XXXIIIe Merveilles.»
 12. – Gagner en faveur des âmes le plus d’indulgences que l’on peut, et, à cet égard, on peut beaucoup. Nous recueillons ici un certain nombre de prières auxquelles sont attachés de grands privilèges; en rappelant la doctrine de l’Église, que, quand on gagne par exemple cent jours d’indulgence pour les défunts, cela ne veut pas dire cent jours de moins en purgatoire, mais « cent jours de la pénitence que l’on imposait autrefois aux pécheurs, » selon l’antique discipline de l’Église.
 
 
 
 

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III/        PRIÈRES.
 « Quand, par nos suffrages, écrit sainte Brigitte, nous délivrons une âme du purgatoire, nous faisons une chose aussi agréable et aussi chère à Jésus-Christ que si nous l’avions racheté lui-même. Et quand le temps en sera venu, pour  notre récompense, il nous rendra entièrement ce bien. » La même sainte entendit
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PRIERES
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un jour une voix du purgatoire qui disait :  "Qu'il soit béni et dignement récompensé, celui qui nous soulage dans nos souffrances !" Et une autre fois : "Dieu tout-puissant, daignez employer votre pouvoir à rendre cent pour un à ceux qui nous aident de leurs suffrages, et qui contribuent à nous réunir à vous  !"?
 Le De profundis est un psaume de David que l'Eglise met sur les lèvres de ses enfants pour les défunts. Bien qu'aucune indulgence ne soit, que nous sachions, attachée à sa récitation, le choix qui en a été fait le rend la prière la plus précieuse que nous ayons à recommander : c'est alors, en quelque sorte, l'Eglise tout entière qui prie avec le simple fidèle. Les sentiments qu'il renferme sont d'ailleurs d'une confiance, d'une contrition, d'une humilité toutes célestes.
"C'est du fond de l'abîme que je crie vers  vous, ô Dieu : Seigneur, entendez mes supplications.
 
Que vos oreilles deviennent attentives à la voix de ma prière.
 Ah ! Seigneur, si vous pesez les iniquités, qui pourra, mon Dieu, soutenir vos regards ?
 
Mais plutôt la miséricorde règne auprès de vous, et au nom de votre loi, Seigneur, j'ai espéré en vous.
Mon âme s'est appuyée sur la divine parole ; mon
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âme a espéré dans le Seigneur.
 Que depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher Israël espère ainsi dans le Seigneur :
 Car auprès du Seigneur est la bonté, et près de lui se trouve l'abondante miséricorde.
 C'est lui-même qui rachètera le peuple élu de toutes ses iniquités.
 Mon Dieu, accordez à ces âmes le repos éternel, et que la lumière immortelle luise à leurs yeux !
 Qu'elles reposent donc en paix. Ainsi soit-il.
 
 
PRIONS
 Mon Dieu, qui êtes à la fois le Créateur et le Rédempteur de tous les fidèles, daignez accorder la rémission de tous leurs péchés aux âmes de vos serviteurs et de vos servantes, afin que, par nos humbles supplications, elles obtiennent le pardon entier après lequel elles soupirent : vous, Sei-
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gneur, qui vivez et régnez éternellement. Ainsi soit-il.
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INDULGENCE DE 7 ANS ET 7 QUARANTAINES DE JOURS (1) :
Acte de foi. Mon Dieu, nous croyons fermement tout ce que la sainte Eglise Catholique-Apostolique-Romaine nous ordonne de croire, parce que c'est vous, ô Vérité infaillible, qui le lui avez révélé, et que vous ne pouvez ni vous tromper ni tromper.
Acte d'espérance. Mon Dieu, nous espérons avec la plus ferme confiance que vous nous donnerez, par les mérites de Jésus-Christ, votre grâce en ce monde, et, si nous observons vos commandements, votre gloire dans l'autre, parce que vous nous l'avez promis et que vous êtes souverainement fidèle dans vos promesses.
Acte de charité. Mon Dieu, nous vous aimons, ou du moins nous avons le plus grand désir de vous aimer, de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces  ; et nous aimons notre prochain comme nous-mêmes, pour l'amour de vous.
__________________
 
INDULGENCE DE 100 JOURS :
 "Que la très-sainte, très-juste et très aimable volonté de Dieu s'accomplisse ; qu'elle soit louée et exaltée en toutes choses et pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il".
 
(1) Toutes les indulgences que nous avons indiquées sont applicables aux âmes du purgatoire.
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INDULGENCE DE 100 JOURS :
"Mon Jésus, miséricorde !"
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INDULGENCE DE 100 JOURS :
"Jésus, Joseph, Marie,
Je vous donne mon cœur, je vous offre ma vie.
Jésus, Joseph, Marie,
Daignez me secourir en l'extrême agonie.
Jésus, Joseph, Marie,
Qu'avec vous dans la paix je termine ma vie !"
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INDULGENCE PLENIERE, APRES LA CONFESSION ET LA SAINTE COMMUNION, EN PRESENCE D'UN CRUCIFIX :
 "O bon et très doux Jésus, je me prosterne à genoux en votre sainte présence, pour vous prier et vous conjurer avec toute l'ardeur dont je suis capable, de daigner imprimer dans mon cœur de vifs sentiments de Foi, d'Espérance et de Charité, un vrai repentir de mes fautes et une volonté ferme de m'en corriger ; pendant que je considère et que je contemple en esprit vos cinq plaies, avec une grande compassion et une grande douleur, ayant devant les yeux ce que David prophétisait de vous, ô bon Jésus : Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os".
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INDULGENCE DE 100 JOURS :
 "Père éternel, je vous offre le très précieux sang de Jésus-Christ en expiation de mes péchés et pour les besoins de la sainte Eglise".
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INDULGENCE DE 100 JOURS,
à gagner une fois par jour (trois fois le jeudi) :
"Loué et remercié soit à chaque instant les très saint et très divin Sacrement de l'autel!".
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INDULGENCE DE 7 ANS ET 7 QUARANTAINE DE JOURS
 Pour accompagner, une lumière à la main, le Saint-Sacrement porté aux malades.
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3 ANS ET 3 QUARANTAINES :
Pour ceux qui, ne pouvant l'accompagner eux-mêmes, font porter un cierge.
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5 ANS ET 5 QUARANTAINES :
Pour l'accompagner sans lumière.
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INDULGENCE DE 100 JOURS :
 "O Jésus très miséricordieux, rempli d'amour pour les pécheurs, je vous en supplie par l'agonie de votre Cœur très saint et par les douleurs de votre Mère Immaculée, baignez dans votre sang les pécheurs de toute la terre qui se trouvent maintenant à l'agonie et qui doivent mourir en ce jour. Amen.
 Cœur de Jésus qui avez été en agonie,
 Ayez pitié de ceux qui meurent".
 
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INDULGENCE DE 300 JOURS,
Pour l'hymne Pange lingua, avec le verset et l'oraison.
100 jours, pour réciter seulement le Tantum ergo, avec le verset et l'oraison,
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INDULGENCE DE 300 JOURS :
Pour les Litanies de la Sainte Vierge.
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INDULGENCE DE 100 JOURS :
"Ange de Dieu, à qui la divine Providence m'a confié, soyez aujourd'hui ma lumière, mon gardien, mon directeur et mon guide. Ainsi soit-il".
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INDULGENCE DE 7 ANS ET 7 QUARANTAINES,
Chaque fois que l'on donnera de la nourriture à trois pauvres pour honorer Jésus, Marie et Joseph. Si on communie le même jour, indulgence plénière.
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INDULGENCE DE 300 JOURS,
Chaque fois que l'on récitera pour les fidèles agonisants trois Pater en mémoire de la passion et de l'agonie de Notre Seigneur, accompagnés de trois Ave en mémoire des douleurs de la très sainte Vierge.
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INDULGENCE DE 300 JOURS :
Cinq Pater et cinq Ave pour les morts, en réflé-
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chissant à la Passion de Notre-Seigneur, avec ces versets :
 "Nous vous supplions de venir au secours de vos serviteurs, que vous avez rachetés par votre précieux sang ;
 Donnez leur, Seigneur, votre repos éternel, et que votre lumière luise à jamais sur eux. Qu'ils reposent en paix. Amen".
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INDULGENCE DE 500 JOURS,
 A tous les fidèles, même non associés, qui assisteront à un office du saint et immaculé Cœur de Marie, dans une église où est canoniquement érigée l'Archiconfrérie de Notre-Dame des-Victoires.
 Il y a d'autres et nombreuses indulgences propres aux associés de certaines œuvres ou de certaines confréries, telles que celles de la Propagation de la Foi, de la Sainte-Enfance, du Rosaire, du Scapulaire, des Enfants de Marie, des Jeunes Economes, de Saint-Vincent-de-Paul, de la Bonne mort, etc., etc. On les connaît en s'y faisant inscrire.
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INDULGENCE DE 300 JOURS,
A qui récite le chapelet pour la conversion du Japon.
 
 
 
 

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Prières pour Obtenir une Bonne Mort
Composée par Mgr Devie, Evêque de Belley
 
 Dieu tout-puissant, arbitre souverain de la vie et de la mort, prosterné votre adorable présence, je viens vous demander la dernière et la plus important de toutes les grâces, c'est-à-dire la grâce de mourir saintement. Faites, Seigneur, que je meure de la mort des justes, quoique ma vie ait été trop conforme à celle des pécheurs. Accordez-moi donc, d'abord, une douleur sincère de mes péchés. J'en ai fait l'aveu au ministre de votre miséricorde ; j'en ai obtenu l'absolution, et je les veux expier par une véritable et sincère pénitence. Plein de confiance en vos promesses, je puis croire que vous me les avez pardonnées ; pour m'en assurer davantage, je les déteste de nouveau de tout mon cœur, et je voudrais effacer du nombre de mes jours ceux que je n'ai pas employés à vous servir.
 Mais ce n'est pas assez pour me tranquilliser : la persévérance est une grâce que nous ne pouvons pas mériter, et que vous n'accordez qu'à nos instantes prières. C'est pour cela que je viens la demander, surtout pour le moment suprême où l'ennemi du salut redouble d'efforts afin de nous effrayer et de nous détourner de la confiance que nous devons avoir en vous. Ajoutez donc, Seigneur, à toutes les grâces que j'ai reçues
 
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celle de me rendre fidèle à la résolution que je prends d'employer le reste de ma vie à l'accomplissement de tous mes devoirs. Oui, ô mon Dieu, je veux désormais, à l'exemple des saints, devenir humble, modeste, charitable, vigilant sur moi-même, attentif à mes prières et à la pratique de la vertu qui me manque.
 Mais, Seigneur, puis-je bien compter sur mes résolutions ? La triste expérience que j'ai de ma faiblesse ne doit-elle pas m'inspirer des craintes ? Oui : malgré mes bonnes dispositions présentes, malgré toues les précautions que je prendrai pour l'avenir, je crains de m'égarer encore, de m'éloigner de vous par le péché. Ne m'abandonnez pas alors, ô Dieu de bonté ! frappez à la porte de mon cœur ; éclairez-moi, poursuivez-moi, punissez-moi s'il le faut ; ne m'épargnez pas, et mettez-moi dans l'heureuse nécessité de revenir à vous. Ce que je demande surtout instamment, c'est que vous ne m'appeliez pas à vous par une mort subite et imprévue, dans ces coupables dispositions ; c'est que vous me laissiez le temps de faire pénitence ; c'est que vous me fournissiez tous les moyens nécessaires pour faire une mort chrétienne.
 Hélas ! Seigneur, que serais-je devenu si j'étais mort subitement à telle ou telle époque de ma vie… ? Si vous ne m'aviez pas guéri de telle ou telle maladie…, préservé de tel danger… ? Soyez mille fois béni de la miséricorde dont vous avez usé envers moi ! J'ai été un infidèle, mais je ne veux pas être un ingrat, et je veux vous témoigner ma reconnaissance en mettant à profit le délai que vous m'accordez, en réparant les mauvais exemples que j'ai donnés, le temps que j'ai perdu. C'est vous, ô mon Dieu, qui m'inspirez ces résolutions salutaires : accordez-moi aussi la grâce de les accomplir.
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 O Jésus, qui êtes mort sur la croix pour nous apprendre à bien mourir et nous mériter les grâces dont nous avons besoin dans le moment de notre passage du temps à l'éternité, je viens aujourd'hui profiter de vos exemples et réclamer votre puissant secours. Inspirez-moi cette résignation à la volonté de Dieu qui fut si méritoire pour nous au moment de votre douloureuse agonie ; donnez-moi ce courage, cette patience héroïque, ce silence divin dont toutes les personnes qui vous entouraient furent étonnées. Vous avez promis à un pécheur mourant à côté de vous de l'introduire dans votre paradis : c'est un pécheur vivant qui réclame instamment, et avec confiance, la même faveur, sans laquelle votre rédemption aura été inutile pour lui, puisque ce n'est que par une sainte mort que notre salut est assuré.
 Sainte Marie, Mère de Dieu, ce n'est pas en vain, non ce n'est pas en vain, que je vous ai demandé, tous les jours et même plusieurs fois par jour, de "prier pour moi pauvre pécheur". Quelque faible qu'ai été ma piété dans une infinité d'occasions en prononçant ces paroles, il m'est impossible de ne pas reconnaître que vous m'avez obtenu beaucoup de grâces pendant le cours de ma vie : c'est pourquoi je répète avec une nouvelle confiance : "Priez pour moi, pauvre pécheur, maintenant et à l'heure de ma mort".
 Mon bon Ange Gardien, c'est principalement au moment de ma mort qu'il faudra redoubler les charitables soins que vous avez pris de moi pendant ma vie, parce que c'est alors seulement que je pourrai en recueillir le fruit d'une manière assurée. Je les réclame aujourd'hui d'avance, et vous conjure d'oublier toutes mes infidélités, toutes mes résistances à vos saintes inspiration,
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pour ne vous rappeler que la mission que vous avez reçue de m'introduire dans le ciel.
 Bienheureux saint Joseph, qui avez eu le bonheur de mourir entre les bras de Jésus et de Marie, et qui avez mérité par-là d'être le protecteur et le patron des agonisants, je vous invoque d'avance pour le moment où, n'étant plus que la moitié de moi-même, je serai peut être dans l'impossibilité de le faire. Daignez donc m'assister à la mort.
 Et vous aussi, mes vénérables Patrons, Saints ou Saintes dont je porte le nom ou pour lesquels j'ai une dévotion particulière, demandez pour votre  protégé les grâces dont j'ai besoins pour faire un saint usage du reste de ma vie que Dieu me laisse afin que rien ne mette obstacle à l'accomplissement du désir que j'ai de mourir saintement.
 Très-doux Jésus, ne me soyez point juge, mais Sauveur !
(Redire trois fois cette dernière invocation).
 
 
 
 

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EXERCICE POUR SE DISPOSER A BIEN MOURIR
 
(par Bossuet)
Vous ferez un acte de foi en la présence de Dieu, et demeurer en respect devant lui, comme si vous n'aviez plus que ce moment à vivre ; et en cet état vous l'adorerez profondément, lui disant :
 Mon Dieu, je vous adore de toute ma volonté ; et pour le faire plus dignement, je m'unis à toutes les saintes âmes du ciel et de la terre qui le font maintenant ; et je
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crois fermement que vous êtes mon Dieu et mon juste juge, auquel je dois un jour, et peut-être dans ce moment, rendre un compte exact de toutes mes pensées, paroles et actions.
ACTE DE FOI
 Je proteste aussi, mon Dieu, que je crois tout ce que l'Eglise croit, et je veux mourir dans la vraie et vive foi de tout ce qu'elle m'enseigne, étant prêt, par votre grâce, de donner ma vie et de répandre mon sang, jusqu'à la dernière goutte, pour confirmer cette divine foi.
ACTE DE DESIR DE VOIR DIEU
 Je désire ardemment, ô mon Dieu, de jouir de vous et de vous voir, puisque c'est vous qui êtes mon bonheur et ma vraie félicité. Mais je sais, ô mon Dieu,  que je ne le mérite par aucune de mes œuvres, mais uniquement par les mérites de mon Jésus. C'est aussi pour tout ce qu'il a fait et souffert pour moi que j'ose espérer, quoique misérable pécheur, que je jouirai de vous éternellement.
ACTE DE CONTRITION
 Toute ma confiance, ô mon Dieu, est dans les mérites du sang précieux que Jésus-Christ a répandu pour effacer mes crimes, et c'est en son saint nom que je vous demande pardon, prosterné aux pieds de ce divin sauveur de mon âme, dans un vrai ressentiment d'humiliation à la vue de mes résistances à vos grâces et des infidélités que j'ai commises contre vous. Je vous en demande pardon, dans la confiance que vous ne pouvez refuser un cœur contrit et humilié.
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ACTE D'AMOUR
 
 Ah, mon Dieu, faites-moi miséricorde et la grâce que mon cœur brûle de votre saint amour pour le temps et pour l'éternité. Je ne le puis que par votre grâce : ô mon Dieu, ne me la refusez pas, je vous la demande de tout mon cœur, et vous proteste que je veux et consens d'être séparé, par mort, de tout ce qui m'est le plus cher, quand il vous plaira et de la manière que vous le voudrez, puisque vous m'êtes plus cher que tout et que moi-même.
ACTE DE SOUMISSION
 Prosterné à vos pieds, cloués pour moi sur la croix, ô Jésus ! Je proteste que, de toute ma volonté, j'accepte la mort par soumission à votre sainte volonté et par hommage à la vôtre, adorant le jugement que vous ferez de moi. Je vous supplie, par les mérites de votre mort, de me le rendre favorable, pour je puisse m'unir à vous éternellement : car, par votre grâce, je vous aime et désire vous aimer de tout mon cœur, plus que moi-même et que toutes les choses de ce monde, que je vous sacrifie de toute ma volonté.
 Ainsi soit-il.
FIN.
 
 
 
 

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